Bonsoir ! Notre planète est recouverte à 70 % d'océan, et pourtant, étrangement, on a choisi de l'appeler « la Terre ». Le poète Heathcote Williams a une vision bien plus objective et moins anthropocentrique, quand il dit que « Vue de l'espace, la planète est bleue. Vue de l'espace, elle est le territoire, non pas des hommes, mais des baleines ». Et pourtant, on vient tous de l'océan. C'est le berceau de la vie, même si on l'a oublié. L'océan est partout : dans les glaciers, les rivières, les nappes phréatiques, dans les cellules des êtres vivants, et dans nos veines. Étrangement, c'est John Fitzgerald Kennedy qui l'a assez bien illustré, dans cette citation : « Il est un fait biologique intéressant que chacun ait dans les veines un pourcentage égal de sel dans le sang, à celui qui existe dans les océans. Nous avons donc tous du sel dans notre sang, notre sueur, nos larmes. Nous sommes liés à l'océan, et quand nous retournons à la mer, que ce soit pour naviguer, ou pour la regarder, nous retournons d'où nous venons. » Et pourtant, cet océan, on le connaît très, très mal. Ça reste un monde assez étrange et étranger, qui fait peur parfois. Cela dit, en fait, c'est loin d'être une masse d'eau inerte, une étendue d'eau qui ne sert à rien. En fait, c'est la vie marine qui fait que cet océan est un principal régulateur du climat, le principal puits de carbone, et aussi, le principal producteur d'oxygène. Entre 50 et 70 % de l'oxygène vient de l'océan. Donc, en fait, plus d'une inspiration sur deux que vous prenez, vous la devez à l'océan. Pas tout à fait à l'océan ! En fait, vous la devez à la vie marine. La vie marine, c'est elle qui permet à cette masse d'eau, justement, de ne pas être juste une masse d'eau inerte, mais d'être cette machinerie qui nous permet de vivre. Et, la vie marine part du phytoplancton qui, lui, fournit l'oxygène, jusqu'aux grandes baleines, en passant par les grands prédateurs, les thons, les dauphins... Et parmi ces espèces, il y en a qui sont écologiquement plus importantes que les autres, notamment les requins. C'est, donc, l'exemple que j'ai choisi parce que c'est un animal qu'on a tendance à diaboliser, un monstre marin. Et pourtant, chaque année, on massacre 70 millions de requins. C'est comme si on exterminait l'équivalent de la France. Or, les requins sont des recordmen de l'évolution. Ils ont 470 millions d'années. Cela veut dire concrètement que, pendant 470 millions d'années, toute la vie dans l'océan s'est façonnée par, et en fonction des requins. Et en tant que « top » prédateur, espèce clef de voûte, quand vous retirez les requins d'un écosystème, vous avez un effondrement de la biodiversité marine. Donc, là où les requins ont disparu, on a des eaux mortes, ou on a des explosions de méduses, mais on n'a plus de vie. Voilà ! Ça, c'est le rôle des prédateurs. Nous, en tant qu'humains, tendons à nous considérer les « top » prédateurs. Et pourtant, on est loin d'être des prédateurs, puisque, dans la Nature, les prédateurs sont, d'une part, régulés par la disponibilité de leurs proies - or ça n'est plus le cas pour nous depuis qu'on a inventé l'agriculture et l'élevage - d'autre part, les prédateurs ont tendance à moins se reproduire. Donc, des guépards ou des lions vont avoir beaucoup moins de petits que des souris ou des lapins. Les souris et les lapins sont des proies, naturellement, donc, ils ont besoin de se reproduire très vite, et en très grand nombre. Les requins, les baleines, les dauphins, sont des prédateurs. Ils n'ont pas été conçus pour être des proies. Nous en avons fait des proies ! Donc, ils ne peuvent pas, en fait, survivre à la pression prédatrice de l'homme. Il y a aussi un point commun à tous ces animaux marins, qu'ils soient prédateurs ou non. C'est qu'ils participent tous à la vie marine, c'est-à-dire un cycle vital, contrairement à nous. Pour vous donner un exemple des baleines bleues, une baleine bleue produit, chaque jour, 3 tonnes d'excréments - des excréments qui sont très riches en nitrogène ou azote - et ça, ce sont les nutriments essentiels pour le phytoplancton qui nous fournit l'oxygène que nous respirons. En fait, on a perdu 40 % de la population de phytoplancton sur les 50 dernières années, en grande partie parce qu'on a exterminé les baleines au XXe siècle et avant, mais encore plus avec l'invention du harpon explosif. L'homme, lui, va en mer. Il ne fait pas partie de cet écosystème. Nous n'en faisons plus partie depuis que nous avons quitté l'océan. On est donc un intrus. On est un intrus avec des moyens de pêche, de prédation, qui sont, aujourd'hui, industrialisés. Et on est un prédateur qui n'a plus les limites naturelles des prédateurs. Donc, on est plus de 7 milliards, et aujourd'hui, 7 milliards d'êtres humains veulent manger du poisson. Donc ça, c'est un gros problème. L'autre problème, c'est cette illusion qu'on a eu pendant longtemps, et qu'on a peut-être encore, mais de moins en moins, qu'en fait, la vie marine est illimitée. Jules Michelet, qui a écrit un livre assez connu, qui est une référence en la matière, l'illustre assez bien : « A certains passages étroits, on ne peut ramer, la mer est solide. Millions de millions, milliards de milliards qui osera se hasarder à deviner le nombre de ces légions. On conte que jadis, près du Havre, un seul pêcheur en trouva un matin 800 000. Dans un port d’Écosse, on en fit 11 000 barils en une nuit. » Quand on lit les témoignages historiques, on nous raconte qu'au large de la côte Ouest Atlantique, française, on voyait des baleines passer pendant des jours, les bateaux devaient s'arrêter. Ceux près des côtes, ne dormaient pas, parfois, tant le souffle des baleines faisait du bruit. Aujourd'hui, quand on voit un aileron, on est émerveillé. On a perdu la mémoire de ce qu'était la mer avant qu'on ait commencé à pêcher. Voilà aussi une citation de Thomas Huxley qui illustre bien le manque de connaissances et le déni dans lequel on était : « Rien de ce que nous faisons ne peut affecter le nombre de poissons. » Et pourtant, aujourd'hui, on a déjà exterminé 90 % des grands poissons de l'océan. Le problème aussi, c'est qu'on a du mal à avoir de l'empathie pour les poissons. C'est déjà difficile de sauver les baleines. Les baleines sont des animaux charismatiques avec un gros capital sympathie. Pourtant, aujourd'hui, en 2016, elles continuent à mourir sous les coups de harpons explosifs, malgré les moratoires, malgré les sanctuaires. C'est d'ailleurs un des combats principaux de Sea Shepherd parce qu'on considère que si on n'arrive pas à sauver les baleines, ça va être très compliqué de sauver quoi que ce soit d'autre dans l'océan, encore moins les requins que l'on considère comme des monstres, ou les thons, qui ne nous intéressent pas. Les poissons sont tellement déconsidérés, qu'on se réfère à eux en termes de tonnes. Donc, on va vous parler de 13 000 tonnes de quotas, de 13 000 tonnes de thons, ou de 15 000 tonnes de requins. Ça vous choquerait si je parlais de tonnes de girafes, ou de tonnes de chiens, ou de tonnes de... Français ! Les poissons ne sont même pas considérés comme des individus. C'est simplement une masse qui fait partie d'un stock, qu'il s'agit éventuellement de préserver, afin de rentabiliser le plus possible une exploitation de manière durable. Alors ! On peut se demander, se dire que, finalement, si les poissons disparaissent, si l'océan va mal, de toute façon, nous, on va bien. On est nombreux. On est partout. Pourtant, il faut se méfier parce qu'il y a des signes trompeurs. En réalité, ce qui précède l'extinction d'une espèce, ce sont plusieurs facteurs, dont ces trois-là, qui sont les principaux : l'explosion démographique, la surexploitation des ressources, et l'occupation de toutes les niches écologiques, c'est-à-dire le fait de se répandre partout. Peut-être que ça vous rappelle quelqu'un... En fait, si vous cherchez un exemple d'espèce en voie de disparition, ce n'est pas la peine de chercher sur Google, vous vous regardez dans un miroir, ou vous regardez votre voisin. Donc, on ne va pas si bien que ça ! Aujourd'hui, on nous parle de pêche durable. Et pourtant, les scientifiques des Nations Unies prédisent un effondrement des pêcheries d'ici 2048. 2048, c'est dans 32 ans, donc c'est... demain matin. Que veut dire concrètement un effondrement des pêcheries ? Ça veut dire plus de poisson. Ça ne veut pas simplement dire que sur le menu, vous n'aurez plus de poisson ou que quand vous irez dans les poissonneries, elles seront vides, ça veut dire la mort de l'océan. Parce que comme je l'ai expliqué tout à l'heure, avant d'être une source alimentaire pour qui que ce soit, les poissons, comme la vie marine, sont la force ouvrière essentielle qui permet à l'océan, justement, d'être cette machinerie extraordinaire qui nous permet de vivre. Imaginez que vous deviez vous passer de plus d'une respiration sur deux. Imaginez que tout ce dioxyde de carbone qui est capté dans l'océan, qui est même plus important que ce qui est capté par les forêts, se retrouve dans l'atmosphère. En fait, ce serait la fin de la civilisation humaine. Alors... En gros, je vous ai donné des raisons, je vous ai donné des raisons très terre-à-terre, on va dire, pour lesquelles défendre l'océan. Finalement, la solution est assez simple, pour nous, pour tout le monde. Si vous ne dépendez pas directement des poissons pour vivre, le mieux est de s'abstenir d'en manger. Sept milliards d'êtres humains ne pourront jamais manger du poisson. On exterminera, en fait, la vie marine. Alors ça, c'est quand on réfléchit de manière utilitariste, car le leitmotiv est celui-là : si l'océan meurt, nous mourrons. Donc, si on a envie de vivre, et on veut que nos enfants puissent vivre après nous, il va falloir qu'on prenne des mesures radicales, et qu'on change nos modes de vie, qu'on « s'adapte ». Ça, c'est le maître-mot de l'évolution et des espèces qui veulent survivre. Comme nous l'a dit Darwin, s'adapter ou mourir. Donc, il va falloir qu'on s'adapte, et qu'on s'adapte vite. Mais, à titre personnel, ce qui me motive, moi, dans tout ça, et ce qui fait que je suis là, devant vous, ce soir, ce n'est pas tant cette question de survie, utilitariste, louable, mais utilitariste. En fait, c'est plutôt... cette difficulté que j'ai à vivre avec cette injustice qu'on fait subir, en fait, à tout ce qui est plus faible que nous, et je trouve que c'est moralement et éthiquement, le moteur qui me pousse - une injustice qui est très bien décrite par Milan Kundera, dans cette citation extraite de « L'Insoutenable légèreté de l'être » : « La vrai bonté de l'homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté, qu'à l'égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l'humanité - le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu'il échappe à notre regard - ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c'est ici que s'est produite la faillite fondamentale de l'homme, si fondamentale que toutes les autres en découlent... » Merci ! (Applaudissements) Mon quotidien est fait de sensations que la plupart d'entre vous ignorent. Pendant longtemps, j'en ai eu honte. Je me souviens très bien des circonstances dans lesquelles j'ai découvert cette différence. J'avais 4 ans et j'ai voulu exprimer à ma mère la joie que j'ai ressentie en regardant le soleil à travers une feuille et je lui ai parlé non pas de la feuille en tant que telle, mais des couleurs et des sensations qui étaient causées par ce que j'avais ressenti en voyant la feuille : ces lignes jaunes et vertes, ce goût très particulier, à mi chemin entre le sucre, la menthe, le concombre, qui me venait en suivant les nervures et en imaginant toute une série d'avenirs possibles, l'imagination, comme un brouillard doré, la joie comme une eau miroitante… Elle m'a juste prise pour une folle. Et puis, donc, je l'ai caché et en grandissant, j'ai été frustrée de garder ces perceptions qui me semblent très belles pour moi et j'ai tenté de les représenter dans ce tableau que vous voyez. Immédiatement, en pensant à ces émotions, j'ai également retrouvé celles que j'avais ressenties en écoutant cette musique, le Va Pensiero de Verdi. (Musique) La synesthésie n'est pas une maladie, c'est juste une perception différente des choses qui conduit des sens qui normalement ne sont pas reliés entre eux à entrer en relation. Par exemple, vous entendez la note de musique mi, et vous la voyez bleue ou verte. Vous goûtez une pomme et le goût de cette pomme va vous évoquez une forme géométrique. C'est inné et c'est involontaire. Il y a une multitude de synesthésie différentes, cela concernerait d'après des évaluations discutées environ une personne sur 2000 ; discutées car la plupart des synesthètes ignorent être synesthète jusqu'au moment où ils découvrent l'existence du phénomène. Grâce à ma synesthésie, mes émotions, mes pensées, mes associations d'idées, comme vous avez pu le voir, ma petite voix intérieure, tout m'apparaît sous forme de couleurs, de formes, de goûts, de mouvements. Ça enrichit la perception du monde et les tableaux que j'essaye de faire pour représenter tout cela sont à peu près aussi fidèles par rapport à la perception originale qu'un arrêt sur images par rapport à un film de 3 heures ou une photo de gâteau au chocolat par rapport à un vrai gâteau au chocolat. Mais c'est quand même beaucoup plus parlant que les mots. Les mots ne disent rien du monde et c'est ce que j'ai essayé de peindre dans ce tableau : en bas sur la gauche, vous avez le réel, les émotions qu'il m'inspire, les pensées, au dessus, l'imaginaire ; au carrefour de l'imaginaire et du réel, la voix. Et petit à petit, vous avez ce rétrécissement en allant vers la droite, quand il faut faire passer toute cette richesse intérieure dans cette toute petite impasse, les mots. Pendant toute mon enfance, je me suis dit pourquoi on n'avait pas inventé des mots spécifiques pour dire toute cette richesse ? Pourquoi on n'a pas inventé un mot spécifique pour parler de la joie qu'on éprouve quand on regarde la lumière du soleil dans une feuille ? Pourquoi on n'a pas inventé un autre mot différent pour dire la joie que l'on éprouve quand on revoit son enfant, quand on voit son conjoint ? Ça n'a pourtant rien à voir. Probablement parce que ça n'a pas été jugé utile et de fait, les recherches récentes sur la synesthésie tendraient à montrer que nous aurions tous, tout enfant, ces liaisons nerveuses en plus, qui expliquent la synesthésie. Mais nous les perdons petit à petit. Il n'y a pas de fatalité à ça, les mots sont un cadre, ça a une convention qui nous permet de communiquer, maintenant, rien ne nous interdit de conserver la richesse de notre perception. Pourtant nous ne le faisons pas, nous nous enfermons dans le cadre des mots, nous rétrécissons notre perception du monde à ces mots alors que rien ne nous y oblige, probablement parce que l'on pense que c'est ce que les autres attendent de nous. Dans l'antiquité, les études réalisées sur les langues anciennes ont montré que les couleurs ont été perçues dans un ordre très particulier : d'abord le noir, le blanc, le rouge, le vert ou le jaune, et finalement le bleu. Donc cette mer vous voyez bleue, les Grecs dans l'antiquité la voyaient pourpre, par exemple. A l'inverse, là où vous voyez de la neige, un Écossais pourra penser à un des 421 mots utilisés dans sa langue pour parler de la neige. Forcément, ça a un impact sur la manière dont voit le monde, dont on le perçoit, c'est probablement ce dépaysement d'ailleurs que nous cherchons en allant à l'autre bout de la planète pour découvrir de nouveaux paysages, certes, mais aussi de nouvelles manières de voir, de percevoir. Et très curieusement, personne ne fait ce voyage qui peut être tout aussi fascinant, qui consiste simplement à demander à son voisin ou sa voisine : « Ta perception du monde, ta petite voix intérieure, elles te disent quoi ? » Si je vous fait voyager dans ma synesthésie, vous entrerez dans un monde où utiliser un même mot reste la meilleure garantie de ne pas se comprendre. Quand j'ai travaillé dans la diplomatie financière il y a environ 13 à 14 ans, il y avait un terme très à la mode, c'était « politique saine », « sound policies » qui était utilisé pour désigner les politiques que devait mettre en place un pays pour bénéficier d'une aide ou d'une réduction de dette. Dans la vision de l'ONU, « sound policies » c'était un respect global des droits de l'homme et pas trop de corruption. Pour le FMI, c'était équilibre budgétaire, point. Pour la banque mondiale, c'est la vision de l'ONU, celle du FMI, et puis d'autres choses, des investissements dans le développement économique au sens large, l'agriculture, l'urbanisation, les transports. Maintenant, ces trois organisations internationales, vous les mettez à la même table, sur le même texte, en utilisant ce même mot, visuellement, vous voyez tout de suite que les incompréhensions vont être nombreuses. Vous pourrez peut-être saisir la beauté du langage diplomatique qui consiste à donner l'illusion d'un accord là où il n'y en a pas nécessairement pour pouvoir avancer, mais vous comprendrez aussi pourquoi il y a besoin ensuite de toute une bureaucratie pour gérer ce qui arrive ensuite. Entrer dans ma synesthésie, c'est également appréhender un environnement où les pensées et les émotions apparaissent en même temps comme une carte satellite et au niveau microscope. J'ai représenté dans ce tableau la vision qui me vient quand je pense, dans un roman que je suis en train d'écrire, à la rencontre entre le personnage principal, Arthur, et son amie Bérénice, à un moment où Bérénice s'est blessée, la manière dont ils vont tomber amoureux puis se perdre de vue. Derrière cette vision d'ensemble, vous avez plein de visions plus microscopes qui correspondent à des détails du chapitre, à des éléments de caractère des personnages. Par exemple, le tableau sur votre gauche désigne et illustre la manière dont Arthur voit le caractère de Bérénice. Une jeune fille joyeuse qui est pleine d'espoir mais qui présente aussi des idées sombres incompréhensibles. Si je fait varier les circonstances de leur rencontre, s'ils se rencontrent à la plage, si le caractère d'Arthur est différent, si Bérénice perd ses idées sombres, immédiatement, la vision que je vais avoir du chapitre va se modifier, à la fois au niveau satellite et au niveau microscope. Vous vous demandez probablement à quoi ça sert d'être synesthète ? C'est une question difficile dans la mesure où c'est quelque chose qu'on ne maîtrise pas, on naît avec. Mais on peut s'en jouer et s'amuser avec. A titre personnel, je trouve que c'est une grande richesse d'être toujours à la frontière entre deux cadres : celui synesthésique dans lequel je pense et celui des mots dans lequel j'essaye de communiquer aujourd'hui. Se jouer des cadres, ça veut dire par exemple ne pas brainstormer au niveau des mots mais au niveau des perceptions et des sensations qui précèdent ces mots. Je suis prête à parier que les créateurs de la colle Cléopâtre dont certains ici se rappelleront peut-être, ont beaucoup plus penser à l'odeur d'amande de cette colle qu'à ses propriétés de colle en tant que telle. Se jouer des cadres, c'est aussi ne pas se sentir contraint par la manière dont les autres vont recevoir votre message. Ainsi, j'avais envie d'écrire un poème et de faire une peinture qui illustrait la vision synesthésique qui avait donné lieu à ce poème. J'en ai parlé à un éditeur qui m'a dit que ça ne l'intéressait pas, que l'important, c'était le texte, la peinture on s'en moquait totalement. J'en ai parlé à un galeriste qui a eu la réaction inverse : la peinture, c'est le plus important, le texte on s'en moque. Et puis bon, passé un premier moment de découragement, je me suis dit que le plus important, c'était le message : quelle était la forme, quel était le mode d'expression qui était adéquat à ce message ? Donc, si j'essaye de faire un poème pour exprimer l'émotion que me donne ma synesthésie au quotidien, ça pourrait ressembler à ça : l'incendie démâté dans la furie des sons, cabré comme un soleil, l'amande du réel aux constellations orphelines éblouit la pensée interligne de vertiges inexistés. C'est le poème qui correspond au tableau que vous avez sous les yeux. Pour moi, les deux sont liés et indissociables. Maintenant, les amateurs de poésie seront plus sensibles aux poèmes ou pas, les amateurs de peinture seront plus sensibles à la peinture ou pas, mais finalement, peu importe, car ici s'arrête l'aventure de ma perception et ici commence la vôtre. (Applaudissements) Bonjour. Vous savez ce que je fais chaque jour quand je marche dans Paris ? Je ne peux pas m'en empêcher. J'ouvre les poubelles et je regarde ce qu'il y a dedans. Au début, c'était la honte pour mes enfants. Maintenant, je suis très heureux parce qu'ils font comme moi. Alors, de la poubelle, je sors chaque jour des bouteilles, des flacons, des canettes, des boîtes de conserve et beaucoup de cartons. Ces matières sont des matières recyclables. Elles n'ont rien à faire dans cette poubelle. Rien du tout. Et pourtant, elles y sont. Pour trier, il faut trois secondes. Une, deux, trois. Trois secondes. Ce n'est pas long et pourtant, multiplié par 65 millions d'habitants chaque jour, c'est énorme pour l'environnement. Énorme. Alors ces trois secondes, on en a besoin quand ? On en a besoin quand on a déjeuné. On en a besoin quand on a dîné. On en a besoin quand on débarrasse, on se pose la question : est-ce que je jette ou est-ce que je trie ? Est-ce que je perds ou est-ce que je gagne ? Alors, qu'est-ce qu'on perd et qu'est-ce qu'on gagne ? On perd beaucoup, tous, quand on ne trie pas. Car ces matières recyclables, elles sont gâchées. Elles vont soit être brûlées, soit être enfouies dans des décharges. Et on ne va pas se raconter d'histoire : quand elles sont dans des décharges, il y en a un petit peu qui va partir dans les forêts, dans les campagnes et dans la mer. Quand on trie tous, on gagne énormément. Énormément. Une canette qui est triée, elle va d'abord être transportée, triée, collectée, transformée, choyée, et elle va redevenir une canette ou bien un vélo, une voiture, toute une série d'objets. Et c'est la même chose pour le verre, c'est la même chose pour le plastique, les bouteilles, les boîtes de conserve, et c'est la même chose pour le carton. L'ensemble de ces matières, si elles sont mises dans le bon bac, [va] pouvoir être réutilisé. On peut tous trier, tous trier, en bas de chez nous ou à côté de chez nous. Tous. Et cela prend 3 secondes. Cette capacité qu'on a à trier, cette capacité qu'on a à ne pas polluer, elle est simple. Et on la doit à deux hommes. Deux hommes qui, dans les années 90, ont changé la donne. Rappelez-vous à l'époque les décharges. Il y en avait partout, ça débordait et on n'arrivait pas à gérer l'impact environnemental de la consommation. Et là, ces deux hommes ont décidé de se faire confiance. Au lieu d'avoir le réflexe classique de dire : « Allez on crée une taxe ! » et ensuite on va créer une administration, il va y avoir une administration qui s'en occupe. Et puis on oublie le sujet. Ces deux hommes, Brice Lalonde, ministre de l'Écologie en 1992 et Antoine Riboud, patron de Danone, ils décident de faire autrement. Alors que peu de gens parlaient d'écologie en 1992, ils disent : « Voilà, on va créer une entreprise privée, une entreprise sans but lucratif, mais elle sera privée. Et elle va faire 100% d'intérêt général. 100% privée, 100% dédiée à l'intérêt général pour se concentrer sur ce sujet. Donc elle va recruter et elle va faire en sorte d'attirer les autres entreprises. » 50 000 autres entreprises de la grande consommation se sont ralliées et elles ont travaillé avec les collectivités locales. Une invention incroyable, et le public ensuite, il allait faire effectivement la collecte, le tri et le recyclage. L'entreprise privée Éco-Emballages allait être pilote du dispositif et l'État allait contrôler et donner les objectifs. A ce moment-là, ça crée une dynamique. Les entreprises, les marques, les associations, les collectivités locales, les municipalités, les opérateurs de déchets et les recycleurs, alors qu'ils ont tous une culture radicalement différente, s'unissent et se disent : « Allez, on y va. » Et le bac jaune s'installe partout, ou quasiment et le tri commence. Aujourd'hui, on est dans un système extrêmement performant. En fait, l'entreprise Éco-Emballages fonctionne d'une manière simple. Une entreprise qui vend un produit emballé, elle va payer beaucoup si l'emballage est lourd. Si l'emballage est léger, éco-conçu, elle va payer moins. Après, Éco-Emballages finance l'ensemble. 650 millions d'euros sont investis chaque année dans le tri, la collecte et le recyclage. Alors, aujourd'hui, je suis aussi là pour vous dire qu'on a des difficultés. En fait, depuis quelques années, la collecte ne progresse plus. Elle est stable. Et j'ai deux cailloux dans ma chaussure. Le premier, c'est la ville. En ville, on recycle moitié moins qu'à la campagne. On recycle en ville à 30 % seulement. Ça veut quand dans cette salle, il n'y a qu'un trieur sur trois. Et mauvaise nouvelle, dans quelques années, dans moins de dix ans, on sera 85% à habiter en ville. Le deuxième caillou dans la chaussure que j'ai, c'est le plastique. En 1950, on produisait 1,5 million de tonnes de plastique. Aujourd'hui on en produit 350 millions. Dans quelque temps, on produira 750 millions de tonnes de plastique. Et le problème, c'est que le plastique, il n'est recyclé qu'à 23%. Si on ne trie pas le plastique, ça devient ça. Il faut trier le plastique car le septième continent existe. Le septième continent, il est dans la mer, c'est des particules de plastique qui, petit à petit, ruissellent et vont créer la plus grande décharge mondiale. Il y a une alternative à ça. Si jamais on fait ce geste, si jamais on prend cette bouteille, et tout le reste et qu'on le met dans ce bac et qu'on l'utilise, ensuite, qu'est-ce qu'il se passe? Il se passe ça. Ça, c'est du plastique qui peut refaire une bouteille. C'est du plastique qui est fait sans pétrole, c'est du plastique qui refait tous les objets dont on peut se servir chaque jour, sans toucher aux ressources naturelles. C'est du plastique qui vient du bac jaune. C'est du plastique qui vient de votre geste de tri. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, je lance un appel à idées, un appel à projets. Entre vous, avec vos amis, vos associations, dans les quartiers, essayons de trouver des projets, des idées qui relancent la collecte, qui nous permettent de produire ça, qui nous permettent de transformer le plastique en ressources. Et une ressource, ça a de la valeur. Une famille qui ne trie pas aujourd'hui, c'est comme si elle jetait 30 euros par an à la poubelle. Vous me direz : « C'est peu, 30 euros ici. » Mais si on prend deux cents logements qui font la même chose dans un immeuble, ça fait 6 000 euros. Une ville ou un quartier de 30 000 habitants, c'est 900 000 euros qui partent par an. C'est pour ça que je lance cet appel à projets. Organisez-vous, envoyez-nous vos propositions. Avec les collectivités locales, on trouvera des solutions pour les sélectionner, les financer. Aujourd'hui j'aimerais vous dire que notre seul concurrent, c'est l'inaction, et que trois secondes, trois secondes pour créer une barrière à la pollution, c'est simple et c'est formidable. Merci à vous. (Applaudissements) Bonsoir tout le monde. Je vais vous raconter mon histoire. J'ai 17 ans, le bac en poche. Mon père ne rêve que d'une chose : que je prépare les concours des grandes écoles. Il est lui-même à l'ESCP, où il donne des cours d'informatique, de marketing. Et il me dit : « Vas-y mon fils, accroche-toi ! Dépasse tes limites ! » Moi, en fait, je ne pense qu'à une chose, c'est surtout de dépasser les limites de mon quartier. Je ne pense qu'à une chose : partir voyager loin, [non seulement] en France mais ailleurs. Du coup, je m'inscris modestement à la fac de Nanterre Université en ethnologie, puis en ethnomusicologie. Ah ! Voilà une bonne occasion de voyager. Je travaille mon mémoire sur les musiques du Bénin, du Nord Bénin, une population qui s'appelle les Nyende. Deux mois de voyage, quatre mois de voyage... Mais voilà, je peine à finir mon cursus universitaire. Je ne pense qu'à une chose : c'est de jouer de la musique. Je suis batteur, percussionniste. Je travaille dans différentes formations de musique du monde. J'adore toutes les musiques : la biguine, le jazz, les musiques africaines, les musiques balkaniques, le raï, et j'en passe. Je fonde en 2004 ma propre formation qui s'appelle Haïdouti Orkestar. Qu'est-ce que le Haïdouti Orkestar ? C'est la rencontre des musiques des Balkans, des musiques de l'Orient et des musiques turques. Tout un programme ! Ça vous dit quelque chose ? Ça vous parle un peu ? Pas vraiment. Alors, ce groupe est composé de musiciens d'origines très très différentes. Comme dirait Georges Moustaki : un vrai groupe de « métèques ». On y trouve un Grec de la Rue de la Roquette qui aligne à peine trois mots de grec ; un pur tsigane de Serbie, un Bulgare, des Français - oui, des Français comme moi, mais en grattant un peu, jamais vraiment français - une Espagnole mais qui se revendique Catalane s'il vous plaît, de Barcelone. Vous connaissez ce groupe, Haïdouti Orkestar ? Non. J'entends « Oui », il y a une personne. Tant mieux, voici un extrait. (Vidéo : Haïdouti Orkestar - «Ya Ayn Moulayiitain ») (Sylvain sur scène) C'est une chanson en hommage à la Syrie, au printemps arabe, à une époque où on a encore un peu d'espoir. Normalement, en concert, là les gens se lèvent et commencent à danser. Vous pouvez... Ça fait du bien aussi ! (Battements de mains en rythme) (Fin de la vidéo) (Applaudissements) Merci! Je découvre ces musiques à la fin des années 80, ça commence à dater, surtout à travers les films d'Emir Kusturica « le Temps des gitans », « Underground ». Je pense que tout le monde connaît ces films. Oui, quand même ! Moi, c'est le coup de foudre, un déclic incroyable. Je me passionne pour ces musiques. Je tombe littéralement amoureux de ces musiques et j'approfondis la question. C'est le début d'une longue immersion dans ces cultures. Dans ce cheminement, je vais rencontrer des gens, des musiciens, parce que, pour moi, il s'agit de rentrer dans ce milieu des musiques des Balkans - dans la musique des gitans, moi je ne connais personne - rencontrer les musiques turques, chercher tout ça. Voilà, c'est chose faite. Je vais faire le portrait de trois personnes qui ont beaucoup compté pour moi. La première : c'est Jasko Ramic. Derrière, il y a une femme au tuba. C'est la seule femme du groupe s'il vous plaît. Je pense beaucoup à elle, elle s'appelle Charlotte. Revenons à monsieur Jasko Ramic. C'est un tsigane de Serbie. C'est un véritable virtuose de l'accordéon, une vraie « pointure », comme on dit dans le jargon. Il a une connaissance empirique, théorique de toutes ces musiques. Je le rencontre dans une cave à Paris. C'est un ami bulgare musicien qui me le présente. En plus, c'est un homme polyglotte. Il parle le russe. Il parle le romani, et le serbo-croate. Mais voilà, moi j'arrive, je parle français. Et je n'arrive pas à communiquer avec lui. Gros problème, comment dépasser cette limite ? Finalement, on ne parle pas, on joue. Depuis, ça fait maintenant plus de 10 ans qu'on travaille ensemble. Il me fait découvrir cette culture, cette musique, son énergie, sa nostalgie. Et moi, je vois que ce que j'apprends contraste vraiment avec ce que j'entends dans les médias. Dans les médias, qu'est-ce que j'entends quand on parle des tziganes ? J'entends des choses pas très belles. Ça parle de bidonville, ça parle de rapt d'enfants. Et moi, je vis vraiment autre chose. Je voyage en Bulgarie, en Macédoine, en Grèce. Je me sens en sécurité là-bas. J'ai rencontré des gens généreux qui me donnent leur musique littéralement. Voilà. Je vous conseille d'aller voir le travail de La voix des Rroms qui est une association qui s'occupe un peu de tout ce problème rom et qui donne une image positive. Une deuxième personne qui a beaucoup compté pour moi, il est trompettiste. Il est libanais, mais en fait surtout français puisqu'il a grandi à quelques kilomètres d'ici, dans le sud du département. Ce garçon a une énergie incroyable. Je le rencontre, il a 25 ans. Donc, ça fait une bonne dizaine d'années. Il est libanais et ses parents ont fui le Liban. C'est important ça. Ce garçon-là, aujourd'hui, il est très connu. Il s'appelle M. Ibrahim Maalouf. Je pense que vous le connaissez. Ce garçon nous amène à l'Olympia. Récemment, nous avons écrit la musique du film « La Vache » de Mohamed Hamidi, avec Djamel Wilson... Djamel Debbouze, Lambert Wilson ! (Rires) (Vidéo : « Le grand voyage ») (Sylvain sur scène) C'est ça la rencontre des cultures ! Voilà un extrait. (Vidéo : Ibrahim Maalouf et Haïdouti Orkestar - « Le grand voyage » ) (Sylvain sur scène) Ça, c'est l'instrument que je joue, entre autres. Je suis batteur et je joue du tambour. (Fin de la vidéo) (Applaudissements) Une troisième personne qui a compté beaucoup dans ma carrière, mon cheminement, c'est monsieur Zéki Çölaş Cet homme-là nous vient d'Antioche en Turquie. C'est à 80 km de la Syrie. Il fuit la Turquie à 30 ans pour des raisons politiques, le saz sous le bras. Il passe par la Syrie, transite et séjourne en Allemagne, et finit en France, à Bobigny. Alors cet homme-là, je le rencontre dans un restaurant à Paris, il y a une bonne quinzaine d'années Je ne sais plus trop si c'était un restaurant kurde ou un restaurant turc. A l'époque, pour moi, c'est un petit peu pareil. Mais non, en fait, c'est très très différent. Avec cet homme-là, nous allons cheminer. Il va me montrer la « petite Istanbul ». Vous connaissez la petite Istanbul ? Le quartier de la petite Istanbul, c'est le quartier turc à Paris entre Château d'Eau et Strasbourg Saint-Denis. C'est ici que la culture et et toute cette communauté se retrouve. Alors, on se balade dans les rues. On va rencontrer ses amis de la librairie Özgül. On part écouter les dernières nouveautés de Tuana Music, le seul magasin turc de musique de Paris. Toutes les nouveautés, les disques, les instruments de musique, on trouve tout ce qui concerne la Turquie. Très vite, on a le souhait de partager des choses, de faire connaître cette musique turque qu'on ne connaît pas, qui est vraiment méconnue en France. Et, on décide aussi d'aller encore plus loin et de s'ouvrir à d'autres cultures. Voilà, j'avais une autre carte tout à l'heure. Ce n'est pas la même chose. En tout cas, nous on s'intéresse aussi à l'Arménie, à l'Azerbaïdjan. On cherche à passer nos limites, à passer les frontières. Vous remarquerez un peu toute cette région, aujourd'hui, c'est une vraie poudrière, entre le problème des migrants le problème kurde, Erdogan aujourd'hui qui devient un vrai dictateur - on peut le dire clairement. Voilà, à ce moment-là, des associations prennent contact avec nous, des associations qui ont des valeurs un peu similaires aux nôtres, qui sont pour le partage. Je pense à la Cimade, Valeur ajoutée. La Cimade, je les rencontre à Massy, pas très loin d'ici. Chaque année, ils font une fête où on mange plein de choses, des plats différents de tous les pays. Ça, c'était encore un moment de partage. Je pense aussi au BAAM, le Bureau d'Accueil et d'Accompagnement des Migrants. Au mois de septembre dernier, on a fait un concert. Pareil, c'était un grand moment d'émotion et de partage. Des Somaliens, des Érythréens, des Turcs, des Français, tout le monde s'est retrouvé ensemble à communier autour de notre musique. C'était un grand moment. Voilà, plus récemment, j'ai voulu aussi dépasser les genres donc je suis parti à la rencontre du jazz. (Vidéo : Haïdouti Orkestar et Bojan Z- Tchagri) (Sylvain sur scène) C'est un pianiste bosniaque. J'ai voulu, avec cet exposé, vous montrer à quel point la musique et mes rencontres m'avaient ouvert sur le monde, et que le métissage est une façon de s'ouvrir sur le monde. Voilà. Merci. (Applaudissements) Il est tôt le matin. Vous vous regardez dans le miroir. Que dites-vous ? Y'a pas très longtemps, j'avais l'habitude de dire : « Hey ! Salut beau gosse. » (Rires) Malheureusement, je me suis surpris à me dire « Aïe aïe aïe... » « on dirait mon grand-père ! » Peut-être aimez-vous ce que vous voyez dans le miroir. Ou peut-être pas... En tout cas, vous reconnaissez cette image comme étant la vôtre. Comment faites-vous pour vous reconnaître ? Quelle est votre identité ? Ce sujet-là est crucial, parce que la manière dont nous nous définissons affecte la manière dont nous entrons en relation avec les autres. Avant, je pensais avoir une identité très solide ! J'étais un Mexicain prêt à conquérir le reste du monde. Alors j'ai commencé par déménager à Paris. Il y a onze ans. Et tout s'accordait selon mes plans, jusqu'à l'année dernière. En effet, 3 événements m'ont amené à m'interroger : « Qui est cette personne que j'appelle moi ? » « Bonjour ! On se connaît ? » Le premier évènement, je l'intitule : « Rencontre avec les ancêtres ». Un jour, lorsque je surfais sur Internet, j'ai lu un article qui disait : « Si votre nom de famille se trouve parmi les noms sur cette liste, alors vous êtes peut-être un descendant d'une des familles juives Séfarades qui sont expulsées d'Espagne au XVème siècle. » Et peut-être bientôt vous pourrez demander la nationalité espagnole. J'ai consulté la liste ! À ma grande surprise, le nom de famille de mon père, Meza, s'y trouvait. En tant que Mexicain, je m'attendais à avoir un peu de sang espagnol dans mes veines. Mais je n'avais jamais imaginé ça... Est-ce que ça veut dire qu'il y a un peu de sang juif qui coule dans mes veines mexicaines ? Est-ce que c'est pour ça que j'ai tellement aimé le film « Un violon sur le toit » ? Ou même, plus important : est-ce que désormais, j'ai le droit de mettre du guacamole dans mon falafel ? (Rires) C'est peut-être fou, mais depuis que j'ai lu cet article, je me sens plus proche de mon côté juif. Le deuxième évènement : « Cours élémentaire d'identité cellulaire » Me voilà en conversation avec mon ami, Julien, biologiste français de son état. Il m'explique ceci : « Antonio, du point de vue de la biologie, je peux te dire que cette question sur ton identité n'a aucun sens. Je t'explique : tes cellules se reproduisent et meurent, d'accord ? Et ton corps a besoin de sept ans pour une régénération complète. Alors tu peux dire que, après sept ans, tu es une personne entièrement différente de celle que tu étais auparavant. » « Attends !, je lui dis. Tu sais que j'habite en France depuis onze ans. Et tu es en train de me dire que depuis tout ce temps, les cellules de mon corps se régénèrent avec des protéines provenant directement du camembert ! Du cassoulet ! Et du confit de canard ? (Rires) Est-ce que cela veut dire que, du point de vue de la biologie, je suis déjà Français ? » (Rires) C'est peut-être fou, mais, depuis cette conversation avec Julien, je me sens plus proche de mon côté français. Et finalement ! Le troisième évènement : « Le passage de la bague au doigt » Et oui, l'année dernière je me suis marié. Merci, merci. (Applaudissements) Et ma charmante épouse est allemande ! (Rires) Enfin, sa mère est allemande et son père est hongrois. Alors, elle est à moitié allemande et à moitié hongroise. C'est peut-être fou, mais, depuis que me suis marié, je me sens beaucoup plus proche de mes nouveaux côtés allemands et hongrois ! C'est comme toute une nouvelle famille ! Mais, imaginez-vous le jour où on aura un enfant ? Comment lui expliquer ? « Mon fils, ma fille, tes origines mexicaines signifient que tu as des souches espagnoles et aztèques. Mais aussi des racines juives ! Par ailleurs, tu as un tronc allemand et des branches hongroises ! Et tu as poussé sur un terreau français. Cela fait de toi une plante très exotique ! » (Rires) Je pense que mes enfants auront besoin d'au moins quatre passeports ! Et d'une bonne thérapie. Suite à tous ces événements, j'étais complètement perdu. Quel est mon peuple ? Est-ce que je dois renoncer à celui que je suis, avant d'embrasser celui que je deviens ? Qui est cette personne que j'appelle « moi » ? En fin de compte c'était moi qui avais besoin d'une bonne thérapie ! Mais quelques semaines plus tard, je suivais un cours de développement personnel offert par mon ami Robert de Californie. À un certain moment pendant le séminaire, Robert nous a proposé cet exercice : Vous êtes face-à-face avec une autre personne, et en regardant celle-ci, vous dites : « Je te vois. Et je peux voir ta force. Et je peux voir ta fragilité. Et je sais que tu es bien plus que cela ! » Quand Robert a expliqué cet exercice, j'ai vraiment pensé que c'était de la folie hippie californienne ! (Rires) Mais, quand mon partenaire dans l'exercice m'a dit ces mots-là... (Longue inspiration) C'est peut-être fou, mais je me suis senti beaucoup plus proche de moi-même. Finalement, je n'avais pas besoin de savoir dans ma tête qui j'étais, je pouvais tout simplement me reconnaître dans le regard de l'autre. Et ses yeux sont devenus le miroir où je pouvais me reconnaître, j'ai vu mes origines, et mon potentiel. Je pouvais embrasser l'ensemble. Je pouvais être beaucoup plus que je n'imaginais... Et c'est bien ! Il est tôt le matin, vous vous regardez dans le miroir. Que dites-vous ? Vous êtes beaucoup plus que la couleur de votre peau, beaucoup plus que les frontières de vos pays et beaucoup plus que votre héritage génétique. Alors demain matin, quand vous allez vous voir dans le miroir, essayez de vous dire ceci : « Bonjour ! Je te vois. Et je peux voir ta force. Et je peux voir ta fragilité. Et je sais que tu es beaucoup plus, beaucoup plus que tout cela. » Merci. (Applaudissements) Pouvez-vous imaginer des patients devant attendre des semaines avant de pouvoir être soigné ? L'année dernière, un hôpital m'a appelée pour coacher un service qui était sur le point de fermer. Ça allait mettre en péril une partie de l'organisation de l'hôpital. Les médecins démissionnaient les uns après les autres, le personnel administratif et soignant était complètement démotivé. Et après analyse, il s'est avéré que tout cela était lié au style de leadership du chef de service, que nous appellerons le docteur X. Ce docteur X est quelqu'un de très autoritaire, très contrôlant et très peu communicant. Et pourtant, c'est une sommité mondiale dans son domaine d'expertise. Vous comme moi, comme patients, voulons être soignés par ces demi-dieux sur Terre, mais s'il n'est pas capable de garder son équipe, il y a de fortes chances que son expertise disparaisse avec lui, et qu'il ne puisse pas soigner autant de patients qu'il ne le fait aujourd'hui. Être un excellent médecin ne fait pas de lui un excellent manager. Et cela, les chasseurs de têtes l'ont bien compris. Je suis Marie-Bernard Guillaume, et je vais vous expliquer ce soir pourquoi, de chasseuse de têtes, je suis devenue chasseuse de cœurs. La plupart des chefs d'entreprise que je rencontre partagent la même préoccupation : comment motiver son personnel ? Selon les études Gallup, seul un collaborateur sur dix est réellement heureux au travail, passionné. Sept sur dix viennent faire leur boulot mais il ne faut pas leur en demander plus. Deux sur dix sont même des saboteurs actifs : ils viennent avec leur mal-être et ils empêchent les autres de fonctionner correctement. Imaginez la catastrophe que ce serait si on appliquait ce ratio à notre équipe nationale de football, à nos Diables Rouges. Là, vous commencez à avoir mal, vous comprenez le problème des managers. Qu'est-ce qui fait qu'un collaborateur peut être motivé ? Vous connaissez tous la pyramide de Maslow ? Oubliez-la. (Rires) D'autres études ont démontré qu'on partage tous trois besoins, trois facteurs de motivation, qui sont universels, qu'on soit homme ou femme, qu'on soit jeune ou vieux. Peu importe les croyances philosophiques ou religieuses, nous partageons ces facteurs et ces besoins. Le premier besoin est le besoin de développement personnel. C'est pouvoir utiliser mes capacités pour réaliser mes rêves, pour atteindre des objectifs : « Waouh, qu'est-ce que je suis bon ! J'ai réussi ! Je suis fier de moi. » Le deuxième besoin est le besoin d'autonomie. C'est de pouvoir faire ce que je veux, quand je veux, et comme je veux. Le troisième besoin est le besoin de connectivité. C'est de pouvoir se sentir appartenir et en lien avec une communauté, avec une équipe, avec une famille. C'est être soutenu, être liké sur Facebook. Et donc, vous l'aurez compris, l'entreprise qui est capable de répondre à ces trois facteurs a de grandes chances de voir le taux d'engagement de ses collaborateurs beaucoup plus élevé qu'ailleurs. Or la plupart des managers aujourd'hui fonctionnent encore, à l'instar de notre docteur X, avec une pyramide hiérarchique qui est bien définie, avec des rôles et des fonctions qui encadrent les rôles de tout un chacun, ce qui a pour effet de brimer, de tuer tout besoin d'autonomie et toute prise d'initiative. Heureusement, heureusement, de plus en plus d'entreprises ont compris ce problème et mettent en place des cultures de leadership participatif, collaboratif. Dans ces entreprises, le bien-être du collaborateur prime, les résultats, le succès et les résultats financiers en sont les conséquences. Et non l'inverse. On inverse également la pyramide hiérarchique pour remplacer les managers par des équipes qui prennent des décisions ensemble, collectivement. On n'est pas chez les Bisounours, il y a des résultats à atteindre, il y a des objectifs, mais il y a surtout une vision et des valeurs qui sont partagées par tous. On est au volant de son travail. Je pourrais citer plusieurs exemples de succès. Je vais parler d'une entreprise que vous connaissez certainement, vu l'âge moyen ici : il s'agit de Netflix, une entreprise de la Silicon Valley. Ils ont décidé de mettre en place une culture RH dans laquelle on va prôner la responsabilité et la liberté. Imaginez : vous êtes libre d'organiser votre travail comme bon vous semble, et où bon vous semble ; on ne vérifie pas vos notes de frais ; on ne va pas contrôler le nombre de jours de congés que vous prenez ; on vous demande simplement d'agir au mieux pour le bien de l'entreprise. Ce n'est pas là une belle réponse au besoin d'autonomie ? On vous demande de prendre des initiatives et on accepte que vous vous trompiez, parce que l'un ne va pas sans l'autre. Ce qui a pour effet de créer un mouvement d'innovation et [d'intrapreneuriat] au sein de l'entreprise. Je pourrais citer d'autres exemples de succès, mais portons notre focus sur les acteurs de ces changements : qui sont-ils ? C'est bien évidemment les dirigeants d'entreprise et les managers, mais c'est aussi chacun d'entre vous, chacun des collaborateurs, chacun des employés. Et pour plagier Gandhi, je dirais : « Soyez le changement que vous voulez voir dans votre entreprise. » Et pour ce faire, cela nécessite de belles qualités humaines, ça nécessite une intelligence émotionnelle développée. Et j'entends par là des qualités comme l'empathie, la bienveillance, l'écoute, la tolérance. Comment faire pour développer cette intelligence émotionnelle ? Vous me direz : « Certains sont plus doués que d'autres. » Et la bonne nouvelle de ce soir, c'est que vous êtes tous dotés de ces qualités. Elles font partie de votre nature humaine. Elles sont parasitées au quotidien par les différents stress qui nous entourent. Ça peut être des stress d'ordre physique - je vous défie d'être bienveillant avec un dentiste qui vous arrache une dent - d'ordre émotionnel ou d'ordre mental. Et donc il suffit de laisser tomber ce stress pour redécouvrir toutes ces qualités et pouvoir les déployer autour de vous. Facile à dire, mais comment faire ? Et c'est là où je ferais un parallèle avec l'émergence dans notre société de la pleine conscience et de la méditation. Ce n'est pas un hasard si on voit ces outils émerger dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les entreprises, et même au dernier sommet mondial de l'économie à Davos où on proposait à chacun des participants une séance de méditation avant de démarrer la journée. Je pourrais faire l'étalage toutes les études qui démontrent la corrélation et l'impact positif de la pleine conscience sur la créativité et sur l'intelligence émotionnelle. Je vais vous proposer ce soir de plutôt expérimenter une pause de pleine conscience, ensemble. Je vous demande d'accepter cet exercice avec cet esprit ouvert qui vous a amené ici aujourd'hui, sans préjugés. C'est un outil que vous pourrez utiliser à n'importe quel moment de la journée, dans le train, dans une file d'attente, en entreprise avant une réunion, et même pendant un TED talk. Êtes-vous prêts ? Alors, allons-y. Je vous propose de fermer vos yeux, de vous installer confortablement dans votre siège, de sentir le poids de votre corps sur le siège, des pieds sur le sol, le poids des vêtements sur la peau. Vous sentez le souffle de l'air sur le visage et sur les mains. Observez votre respiration, simplement. Laissez tomber toutes les tensions, toutes les idées, tous les jugements. Respirez. Portez à présent votre attention sur les sons les plus proches. Élargissez votre écoute aux sons les plus lointains. Reposez-vous, simplement, quelques instants, ici et maintenant. Respirez profondément, ouvrez les yeux, reconnectez-vous avec le monde extérieur, dans cette pièce, avec vos voisins. Le monde est en pleine mutation. Hier, dans une économie industrielle, on demandait aux chasseurs de tête de recruter de la main-d'œuvre. Aujourd'hui, dans une économie de la connaissance, on lui demande de recruter des cerveaux, des diplômes. Je suis convaincue que l'intelligence artificielle va nous donner accès demain à des niveaux de connaissance comme nous n'en avons jamais eu jusqu'à présent. Je suis convaincue que l'intelligence artificielle va poser sur le patient un diagnostic qui va être plus pertinent que celui de notre docteur X. Et ce qu'on attendra de notre docteur X, ce sont ses qualités humaines. Parce que c'est l'humain qui va inspirer les autres, c'est l'humain qui va apporter des nouvelles idées, c'est l'humain qui fera que les organisations et les entreprises de demain pourront connaître le succès. Et nous arrivons ainsi dans une économie humaniste où les qualités relationnelles de créativité et de cœur seront les critères de sélection des chasseurs de têtes. Je ne peux dès lors que vous encourager tous et toutes à cultiver et à déployer ces belles qualités que vous possédez à pratiquer sans modération la pleine conscience ou tout autre outil qui vous permettra de vous reconnecter à votre propre humanité, à votre propre infinitude. Merci et bon travail. (Applaudissements) Au-delà de notre système solaire, il existe des planètes qui gravitent autour d'autres étoiles. On les appelle des exoplanètes. Exoplanètes, parce qu'elles sont en dehors du système solaire. Comme vous pouvez l'imaginer, il est vraiment difficile de les détecter parce qu'elles sont très loin de nous. Et pourtant, régulièrement, les astronomes nous annoncent qu'ils ont découvert de nouvelles exoplanètes. Il y a même une étude récente, qui suggère que parmi toutes les exoplanètes qui doivent exister dans notre galaxie, il pourrait y en avoir 20 milliards, susceptibles d'avoir de l'eau liquide à leur surface, et donc d'offrir un environnement potentiellement intéressant pour la vie. Vous vous rendez compte ? 20 milliards ! Eh bien si on veut étudier les critères de l’habitabilité d'une planète, on va s'intéresser à quatre critères qui doivent être réunis pour que cette étude soit un succès. Le premier critère, c'est que la planète soit à la bonne distance de l'étoile. En réalité, l'image que vous avez à l’écran est un dessin d'exoplanète. Parce qu'elles sont beaucoup trop loin, on ne peut pas voir ce niveau de détail. Mais ce que l'artiste a voulu représenter, c'est une planète dans la zone d'habitabilité de l'étoile. C'est-à-dire, à la surface de laquelle la température serait la bonne pour que l'eau puisse subsister à l'état liquide pendant un temps assez long. Plus proche de nous, dans le système solaire, il y a aussi des planètes qui peuvent nous renseigner sur l'habitabilité. Alors bien sûr, aujourd'hui, à notre connaissance, il n'y a qu'une qui soit habitable et habitée, c'est la Terre, puisque nous sommes là, et les autres candidats sont rares. Mars, qui selon les modèles se trouvent ou non dans la zone d’habitabilité, et puis des satellites, des planètes géantes, comme Europe autour de Jupiter, et Encelade, autour de Saturne. Là, ce sont les forces de marée qui compensent le manque d'énergie solaire. Je vais vous parler de Mars, et de la mission Curiosity, qui récemment a établi qu'un jour cette planète a réuni les critères de l'habitabilité. Curiosity a atterri sur Mars en août 2012. L'animation que vous voyez, vous montre l'entrée dans l'atmosphère, la descente et l’atterrissage, qui en réalité durent sept minutes. Sept minutes de terreur, où la chorégraphie doit s’exécuter de façon parfaite, avec très peu de marge d'erreur. Tout est préprogrammé. On utilise d'abord un bouclier thermique, puis un parachute pour freiner, puis des rétrofusées, puis un système de grues, pour poser cet engin de 900 kg, avec précision et avec douceur à la surface de Mars. La précision de l'atterrissage est de quelques kilomètres, alors qu'on vient de parcourir des centaines de millions de kilomètres entre la Terre et Mars, pendant neuf mois. Incroyable, non ? Curiosity est une mission de la NASA, piloté par le Jet Propulsion Laboratory de l'Université de Caltech en Californie, avec plusieurs collaborations internationales. Il a fallu cinq ans pour le construire. Et Curiosity nous renvoie tous les jours de nouvelles images de Mars. À partir de maintenant, je vais vous montrer de vraies photos. Comme celle-ci. Alors bien sûr, à l’œil du néophyte, toutes les images de Mars se ressemblent. Or, que voyons-nous, que voyez-vous ? On voit des cailloux, on voit du sable. Bref, Mars est un désert. Un désert très sec, même, si on le compare aux déserts terrestres. Mais alors, n'y a-t-il pas une contradiction avec ce que je viens de vous dire ? Que Mars était une planète intéressante pour étudier l'habitabilité. Que la planète est à la bonne distance du soleil pour avoir de l'eau liquide. Vous voyez de l'eau liquide, vous ? C'est une question d'atmosphère. Aujourd'hui l’atmosphère de Mars est tellement ténue, que vous ne pouvez pas avoir d'eau liquide à sa surface. On trouve bien de la glace dans le sous-sol, près des pôles, on trouverait peut-être de l'eau liquide à grande profondeur, mais à la surface, aujourd'hui on a un désert. En même temps, je suis sûr que vous avez déjà entendu dans les nouvelles, des chercheurs annoncer qu'on avait trouvé la preuve qu'il y avait eu de l'eau liquide à la surface de Mars. Et effectivement, dans le passé, il y en a eu. Donc, mon deuxième critère de l'habitabilité, après la distance, ça va être le temps, l'époque géologique. Il faut être à la bonne époque, pour avoir la bonne atmosphère, qui permet d'avoir de l'eau liquide à la surface de la planète. Je vous explique. Quand les planètes se forment, au départ, elles sont extrêmement chaudes. Comme le suggère le dessin sur votre gauche. Dans le cas du système solaire, c'était il y a 4,6 milliards d'années. Ensuite, vous pouvez imaginer les planètes, comme étant des machines thermiques qui se refroidissent au cours de leur histoire. Si bien qu'à un moment, pour certaines d'entre elles, la température peut être adéquate, et l'atmosphère peut être adéquate, pour avoir de l'eau liquide à sa surface. C'était le cas, pour la Terre et pour Mars, il y a un peu plus de 4 milliards d'années. C'est ce qu'on voit sur le dessin du milieu. Et on a accumulé, avec l'exploration spatiale, de nombreuses preuves, qu'effectivement, il y a eu de l'eau sur Mars. Alors bien sûr, au début de l'exploration spatiale dans les années 60, on a tué le mythe du Martien, en révélant une planète désertique. Mais très rapidement après, dans les années 70, les images qui nous revenaient de Mars montraient des canyons qui ressemblaient à des lits de rivières asséchées. Et plus récemment encore, les différentes missions nous ont montré que les minéraux qui forment les roches, certains de ces minéraux, se forment en présence d'eau. Nous sommes donc convaincus, qu'effectivement, dans un passé lointain, Mars a eu de l'eau liquide à sa surface. Et puis la planète a continué à évoluer, avec beaucoup de volcanisme, son histoire a divergé de celle de la Terre, parce qu'elle est plus petite, pour finalement aboutir à cette photo que vous avez sur votre droite, qui montre une planète avec des volcans géants éteints, des canyons immenses, et de grandes étendues désertiques. Alors pourquoi s’intéresse-t-on à cette planète ? Eh bien précisément, parce que, à un moment de son histoire, il y a eu de l'eau à la surface de Mars en même temps qu'il y en avait à la surface de la Terre. Et à cette époque, il y a 3 ou 4 milliards d'années, la vie est apparue sur Terre. On sait très peu de choses sur cette partie de notre histoire, mais forcément on se pose des questions. Est-ce que c'est un phénomène unique à la Terre ? Quelles devraient être les conditions pour que ça se produise ailleurs ? Et c'est pour ça que lorsqu'on étudie l'habitabilité sur une autre planète, il faut étudier la bonne époque, l'époque où il y avait de l'eau liquide dans son évolution, dans son histoire. Curiosity, comme les autres missions, nous a apporté son lot de preuves qu'il y a eu de l'eau liquide sur son site d'atterrissage. Et je dois vous avouer, que la première fois que j'ai vu cette photo, je travaillais alors en Californie, on était en horaire martien. C'est une expérience un peu bizarre. La première fois que j'ai vu cette photo, j'ai cru que c'était un gag. Ça aurait très bien pu être un trottoir après un séisme, quelque chose comme ça. Mais en réalité, toute l'équipe était émerveillée, par cette image qui venait de Mars, et qui nous montrait un conglomérat. C'est-à-dire, une roche qui est formée de fragments de roche qui ont été transportés là, et cimentés ensemble. Et ce qui est remarquable à l’œil du géologue, c'est que ces fragments de roche sont arrondis. Un petit peu comme des galets si vous voulez, des petits galets qu'on trouverait au fond d'une rivière. Et les géologues sont même capables, avec la forme de ces rochers, de calculer la quantité d'eau qui est passée par là, et de vous dire que là, il y a eu une rivière avec une profondeur un peu inférieure à un mètre. Alors évidemment, on n'avait pas choisi le site d’atterrissage par hasard. Mais, cette image révélait de façon éclatante, qu'on avait atterri dans ce qui est un jour, a été le delta d'une rivière, qui coulait là, il y a plusieurs milliards d'années. Tenez, je vous montre cette autre image, une autre roche photographiée par Curiosity un peu plus loin. Cette roche plate, s'est aussi formée en présence d'eau. En réalité, il y en avait déjà sur la 1ère photo que je vous ai montrée, celle où on a parlé de désert. C'est une roche sédimentaire, c'est-à-dire qu'elle est formée de tout petits fragments qui ont été transportés par le vent ou par les rivières, et qui dans ce cas-là se sont déposés au fond d'un lac pour former cette roche. Et puis l'eau a continué à couler à travers les fractures de la roche, comme en témoigne la petite veine claire qui se situe au milieu du caillou. Et Curiosity est capable de mesurer la composition de ces roches, avec plusieurs instruments. Par exemple, ChemCam, l'instrument avec lequel je travaille, utilise un laser qui va tirer sur la roche, ça va faire une petite étincelle, et pour faire simple, la couleur de l’étincelle nous dit les éléments chimiques qui sont dans la roche. Et donc, je peux vous dire que la composition de la veine est différente de la composition de la roche, et que cette veine est riche en soufre. C'est un élément intéressant si je m'intéresse à la vie. Il y en a d'autres, comme le carbone, l'azote, l'oxygène, le phosphore. En réalité, la composition des roches, va nous permettre de savoir dans quelles conditions elle s'est formée. Et au-delà, quel était l'environnement de cette région sur Mars, quand cette roche s'est formée. Quelle était la température ? Est-ce que l'eau était acide ? Est-ce que l'atmosphère était oxydante ? Quels étaient les éléments chimiques qui étaient présents ? Y avait-il ceux qui sont utiles à la vie ? Pour répondre à toutes ces questions, il va falloir que j'utilise tous les instruments de Curiosity, parce que ça forme mon 3ème critère de l'habitabilité. Il ne suffit pas d'être à la bonne distance de l'étoile et d'être à la bonne époque pour avoir de l'eau liquide, il faut aussi que j'ai l’environnement chimique qui soit accueillant, disons, pour la vie. Et si possible, que ça perdure assez longtemps, car il va falloir du temps à la vie pour évoluer. Alors, voilà Curiosity dans son lac, asséché depuis un certain temps. On a appelé cette région la baie de Yellowknife. C'est une vraie photo, un selfie, un de plus. Curiosity fait un peu plus de deux mètres de large, il est un peu plus grand que moi, il est équipé d'une dizaine d'instruments, dont deux instruments franco-américains, ChemCam et Sam, qui tous les deux mesurent la composition des roches. ChemCam, c'est ce laser dont je vous ai parlé, on voit son télescope en haut du mât. Il va dresser un espèce de panorama chimique autour du robot. Et Sam, lui, va être capable de faire une mesure très fine de la composition, quand on fait un prélèvement de roche. Eh bien depuis l’atterrissage, des centaines de chercheurs et d'ingénieurs, se relayent quotidiennement pour opérer, pour faire fonctionner Curiosity à la surface de Mars. À la fin de sa journée, le robot renvoie toutes ces observations vers la Terre via un satellite-relais. L'équipe internationale s'en saisit, en discute, et décide de ce qu'il convient de faire le lendemain, du plan d'activités. Est-ce qu'on va faire une nouvelle mesure ? Est-ce qu'on va déplacer le robot ? On programme alors l'ordinateur de bord, qui va exécuter ce programme automatiquement le jour suivant. Et ainsi de suite. C'est un exemple assez formidable et assez abouti de travail collaboratif, et j'ai la chance avec quelques collègues, et à l'aide du CNES, d'y participer depuis ici à Toulouse. Curiosity est aussi équipé d'une petite perceuse, d'une petite foreuse, je vais faire un zoom sur cette photo, on peut voir le trou qui a été creusé dans la roche, qui se révèle être une argile, donc une roche qui s'est formée en présence d'eau aussi, et on remarque que la poudre de cette roche a une couleur différente, elle est grisâtre, elle est différente de la couleur de la surface martienne qui est rouge. On peut voir aussi les marques que le laser a laissées en échantillonnant cette poudre de roche. Eh bien, en réunissant tous les résultats, de tous ces instruments, et le savoir de tous ces chercheurs impliqués sur ce projet, on est arrivé à la conclusion, que cette région de Mars, lorsque ces roches se sont formées, il y a plusieurs milliards d'années, réunissaient les conditions de l'habitabilité. À savoir, qu'on a eu un ou plusieurs épisodes avec de l'eau, peut-être pendant quelques dizaines de milliers d'années, que cette eau était douce, pH neutre, salinité faible, et qu'on avait les éléments chimiques, qui auraient pu être utiles à une vie microscopique si elle avait été là. À cette dernière question, on ne sait pas répondre. L'habitabilité ne veut pas dire habité. Donc on ne sait pas, on n'a pas les éléments pour dire s'il y a eu la vie ou pas. Mais on a les éléments pour dire que l’environnement était favorable, était compatible. Alors avouez tout de même que Mars nous apparaît un peu moins désertique. C'est formidable, non ? Prenons un peu de hauteur avec cette photo. C'est une photo qui est prise par un satellite qui tourne en orbite autour de Mars, d'une région qui est un petit peu plus au sud que celle que je viens de vous montrer, qui s'appelle « the Kimberley ». Et Curiosity s'est arrêté, là aussi, on peut le voir d'ailleurs sur la photo, il est là. Et peut-être que vous voyez aussi les traces que ses roues ont laissées dans le sable pour arriver dans ce coin. Et donc on continue notre mission de géologues, d'essayer de comprendre comment fonctionne la planète Mars. Et aussi on continue à s’interroger sur l'habitabilité. D'ailleurs, je vous avais annoncé un 4ème critère, qui est utile, intéressant, lorsqu'on veut étudier l'habitabilité. Et aussi, on pourrait s'interroger, pourquoi on s'est arrêté à cet endroit-là pour faire un nouveau forage, et pourquoi pas ailleurs ? Eh bien vous l'aurez compris, l'information que nous recherchons est enregistrée dans la roche. Alors c'est un enregistrement solide, mais sur les échelles de temps que nous considérons, cette information peut très bien disparaître. Et c'est ce qui se passe sur Terre, qui est une planète géologiquement très dynamique. Donc, j'ai cette information dans ma roche, et il faut que je la protège. Et généralement, ça se passe en recouvrant cette couche de roche intéressante par une autre couche de roche ou par du sable. Mais ensuite, il faut après que je redécouvre cette information, quand je fais mon exploration. Et donc, soit vous êtes capables de creuser assez profond, vous faites de l'archéologie en quelque sorte. Soit, vous laissez faire l'érosion. Et c'est ce qui se passe ici. Le vent a soufflé pendant des millions d'années, et a mis à jour des monticules de roche du sous-sol qui font cinq mètres de haut, les trois monticules que vous pouvez voir, qui sont donc des roches qui se sont formées il y a des milliards d'années, et qui donc nous informent sur comment était Mars à cette époque-là. Alors voilà, pour conclure, pendant que vous contemplez ce panorama qui nous montre la richesse du site exploré par Curiosity, je voulais juste vous faire toucher du doigt la quête de l'habitabilité. Être à la bonne distance de l'étoile, être à la bonne époque, avoir le bon environnement, et avoir préservé l'information. Si vous vouliez vous intéresser à la vie, il faudra en plus laisser le temps, lorsque vous avez les conditions favorables, à cette vie d'évoluer. On n'en est pas là encore aujourd'hui, mais tout un pan de la recherche continue à se développer, à se poser ces questions, c'est l'exobiologie. Je voudrais que vous réalisiez, d'une part la multitude des options qui nous est offerte par toutes ces planètes. Et d'autre part, la beauté de la Terre qui est habitable. Tout ce qui nous est accessible par l'esprit, et la finitude du cosmos accessible à l'Humanité. Alors me direz-vous : « À quoi ça sert ? » Eh bien, oui, on me pose très souvent cette question, à quoi ça sert ? Et je vous réponds : « À rien. » Oui, parce que si la question, c'est de savoir si ça va rapporter de l'argent, et changer mon quotidien, dans l'immédiat, non. Cependant, souvenez-vous de la leçon que nous a léguée Raymond Devos. « Rien n'est pas rien. » Il avait démontré qu'on pouvait obtenir quelque chose avec rien en le multipliant. Il disait : « Une fois rien, c'est rien. Deux fois rien, ce n'est pas grand chose. Mais trois fois rien... On peut déjà obtenir quelque chose avec trois fois rien. N'est-ce pas ? » Eh bien la recherche, c'est exactement ça. La recherche fondamentale, c'est accumuler ces petits riens qui font notre connaissance, un savoir partagé. Alors bien sûr, au détour d'un projet comme celui-là, on améliore aussi notre technologie, mais surtout, on exerce notre capacité à réfléchir, qui est notre atout. On mobilise nos connaissances pour comprendre des phénomènes complexes. Alors, mesdames et messieurs, je vous en prie, continuez à vous enivrer de curiosité. (Applaudissements) Bonsoir. Je vais refaire mon entrée, en fait. (Rires) Bonsoir à vous ! (Applaudissements) Bonsoir, alors mon sujet, c'est : Tirer parti du vice. Le sujet a l'air un peu pompeux, du coup je vais commencer avec une chose très terre à terre : une photo de ma grand-mère, Monique alias Mamou, en fait. Mon histoire commence il y a deux ans, quand Monique m'a offert un livre sur l'entrepreneuriat social, un livre de Muhammad Yunus. Comme beaucoup, j'ai adoré ce livre pour deux choses : un, l'entrepreneuriat social, c'est génial d'entreprendre pas pour maximiser les profits, mais pour résoudre les problèmes sociaux, et deuxièmement, j'ai kiffé ma race, le fait que, justement on puisse voir le positif dans tout ce qu'il faisait. C'est ça qu'il fait, Muhammad, il voit le positif dans tous les trucs qu'il décrit, même le capitalisme. Du coup, ça m'a poussé à essayer de réfléchir à des idées pour répondre à des problématiques causées par le capitalisme. Aujourd'hui le système économique dans lequel on est, il marche, il est parfait comme Jessica Alba, non c'est une blague. Essayez de rigoler pour les blagues. Il y a quelques failles, quelques problématiques, des laissés pour compte dans le système. Les inégalités qui s'accroissent, les problèmes environnementaux, la pollution, le chômage de masse, etc. A côté de ça, il y a aussi des choses excessives. Par exemple, il y a des budgets qui sont excessifs. Notamment un, qui pour moi était vraiment en excès, c'était la publicité. Je vous laisse deux secondes pour lire cette phrase. Un, deux. Ce qui est génial avec cette phrase, c'est qu'elle est dans le film 99 Francs et elle met vraiment en opposition deux parties du capitalisme. D'un côté ce qui est en excès, c'est-à-dire les budgets publicitaires, des budgets qui sont colossaux. La publicité en elle-même, ça n'est pas négatif. Elle crée le désir, promeut un produit. Ce n'est pas malsain en soi. C'est quand même un budget qui est excessif. L'autre partie de la phrase montre vraiment les failles du capitalisme, ce qu'il n'arrive pas à combler justement. Les inégalités Nord-Sud par exemple. On se rend compte finalement, qu'avec ce budget phénoménal, moins de la moitié permettrait d'éliminer la faim dans le monde. Cela montre un vrai décalage entre les deux. Je me suis dit : pourquoi ne plus les voir en opposition mais essayer de les relier ? Créer un outil qui permette de, un peu comme Robin des bois, créer un lien qui détourne une partie du budget publicitaire, excessif, pour combler une de ces failles. J'ai commencé à réfléchir, etc. J'ai fini par avoir une idée. Elle est arrivée à un moment un peu inopiné, sous la douche en fait. Il y a deux lieux pour réfléchir, sous la douche et aux toilettes. Moi c'était plutôt sous la douche. J'ai trouvé cette idée, j'étais vachement content. Aujourd'hui cette idée s'est transformée en une start-up qui s'appelle Goodeed. On est en train de lever des fonds aujourd'hui, on est 4 personnes. Merci. (Applaudissements) Tristan et Thomas sont dans la salle. Thomas n'a pas pu venir à cause de problèmes de voiture. Tristan est le web designer de Goodeed, il est dans la salle. Cette idée vachement cool, qu'est-ce que c'est ? C'est un site Internet permettant de faire des dons gratuitement. Vous allez sur ce site, vous choisissez un don, un vaccin, un arbre ou un repas. Ensuite, vous regardez un spot de pub. L'argent que génère la pub finance son don. C'est un don gratuit pour l'internaute. C'est le premier côté. Le 2e, pas pour l'utilisateur, mais pour le publicitaire, celui que je veux approfondir ce soir, c'est de montrer que ce qui est en excès dans le capitalisme, un budget vu comme excessif, comme quelque chose de négatif finalement, est maintenant ré-humanisé. On a donné un nouveau sens à la pub. On a permis à des budgets publicitaires de retrouver un sens, une utilité. Aujourd'hui Goodeed a permis de financer avec le PAM au Kenya, les repas de 18 000 enfants pendant un mois. Et ça, juste grâce à vos dons, il y en a eu plus de 500 000, et grâce à la pub. Finalement, ce qui peut être vu comme négatif, peut aussi être positif. Il faut juste créer un outil, essayer d’innover pour le transformer en quelque chose de positif. Et ça les Chinois le font depuis des millénaires. C'est dans leur vocabulaire. Crise en Chinois se dit « Weiji ». « Wei », qui est le danger. Le premier symbole, c'est un homme qui menace quelqu'un d'autre avec un couteau. Ça se voit pas comme ça mais c'est ça. Le deuxième symbole c'est opportunité, occasion. C'est « Ji ». Ça montre que dans les situations les plus critiques, on peut rebondir. On voit le positif dans le négatif. Grâce à une situation qui nous déstabilise, on va être stimulé, voir d'autres choses, différemment, de façon jeune. Je suis venu vous dire ça ce soir : essayez de voir les choses figées, comme la publicité, c'est forcément un budget excessif, négatif, il y a des failles dans le capitalisme. On peut les voir autrement et essayer de créer des liens en innovant. Voilà donc, créez des entreprises qui ont dans leur ADN cet aspect social. Bonne soirée, merci beaucoup. (Applaudissements) Selon l'Organisation Mondiale de la Santé, il manquerait dans le monde 100 millions de litres de sang pour satisfaire les besoins de la population mondiale. Par ailleurs, l'Établissement Français du Sang nous fait savoir que 90 % des Français savent que le don du sang permet de sauver des vies. Et en dépit de ce chiffre, ils ne sont que 4% à réaliser ce geste tous les ans. Et ce scénario se reproduit dans la plupart des pays industrialisés. Face à ce décalage entre les dons de sang humain et les besoins de la population mondiale, on se doit de trouver une alternative à cette pratique, afin de répondre à ce véritable problème de santé publique. Et, aussi étonnant que ça puisse paraître, j'ai peut-être trouvé l'une des solutions. Et la solution, je l'ai trouvée sur une plage en Bretagne. Déjà tout petit, j'étais fasciné par les océans, et je pense que les émissions du commandant Cousteau n'y étaient pas étrangères. J'ai donc tout naturellement décidé d'en faire mon métier, et je suis devenu docteur en biologie marine. Un environnement a très tôt attiré mon attention, parce que cet environnement était colonisé par des organismes très anciens. Cet environnement, c'est l'estran, ou alors un nom scientifique pour un environnement que vous devez apprécier puisqu'en fait, c'est la plage. Et la plage en Bretagne est recouverte deux fois par jour par la marée. Et le sable de cette plage abrite des organismes très anciens que vous avez certainement aperçus, par les traces que ces organismes laissent sur le sable, en y déposant votre serviette. En fait, ces traces témoignent de la présence d'un organisme marin que l'on appelle l'arénicole. Alors l'arénicole, c'est le nom d'un ver marin très connu sur les plages en Bretagne dont le nom en breton est le Buzuc. Donc je me suis intéressé à ce ver marin pour répondre à des questions d'écophysiologie respiratoire. Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Oh, c'est simple, je m'intéressais à la respiration de ce ver marin. J'essayais de comprendre en fait, comment ce ver respirait entre la marée haute et la marée basse. Et afin de répondre à cette question de recherche fondamentale, (Rires) je me suis intéressé au sang de cet animal. En effet, le sang, c'est un fluide biologique extrêmement intéressant. Il fait l'interface entre la physiologie d'un organisme et son environnement. En fait, le sang est composé de différentes cellules, mais la molécule qui transporte l'oxygène, l'oxygène indispensable à tous les organismes vivants, qui est un peu - si je prenais un exemple lié à la mécanique - l'oxygène, c'est un peu le carburant que vous allez mettre dans votre véhicule. Sans carburant, c'est la panne sèche. Et sans oxygène, c'est la mort assurée. En fait, le sang contient un type de cellule que l'on appelle les globules rouges. Les globules rouges, c'est un petit véhicule qui va acheminer le gaz vers les cellules de votre organisme. Et pour être plus précis, cette molécule contient une protéine que l'on appelle l'hémoglobine. L'hémoglobine, c'est une molécule qui est capable de lier réversiblement l'oxygène. Et quelle ne fut pas ma surprise, de découvrir que le sang de ce ver marin ici présent n'avait pas de globules rouges. Oh, je dois être honnête, au démarrage de ma découverte, j'ignorais l'ampleur de ces travaux. Mais [ma découverte] remonta aux oreilles d'un club savant, qu'on appelle le Club du Globule Rouge. (Rires) Je fus donc invité à Paris, dans un hôpital parisien pour présenter mes travaux de recherche devant un parterre de médecins, d'hématologues. Et à la fin de ma conférence scientifique, plusieurs d'entre eux sont descendus en bas de l'amphi et m'ont posé les questions suivantes : « Mais Monsieur, vous n'avez pas trouvé cette molécule qui a cette structure, qui a cette fonction ? » « Eh bien, si ! » « Mais on recherche cette molécule depuis plus de 40 ans pour en faire un substitut sanguin universel ! » Vous et moi, nous avons un groupe sanguin ABO, Rhésus positif ou Rhésus négatif. Seul le O négatif est de type donneur universel. L'absence de globules rouges chez cet animal conférait à cette molécule un caractère universel. Et de retour au laboratoire, afin de tester cette hypothèse, je m'empressai d'aller sur la plage collecter quelques centaines d'arénicoles, tout simplement pour essayer de leur collecter l'hémoglobine contenue dans leur système circulatoire, et après purification de cette molécule par des techniques de laboratoire classiques, je m'empressai d'aller transfuser des rongeurs. Et quelle ne fut pas ma surprise, après exsanguination de ces animaux de laboratoire à plus de 80 %, je transfusai cette molécule à ces animaux, et il ne s'est rien passé. (Rires) Les organismes, ces rongeurs, vivaient avec de l'hémoglobine de ver marin. Une découverte étonnante, et aujourd'hui un espoir énorme pour la médecine. Un pied de nez à tous ces sceptiques qui me posaient la question : « Mais à quoi ça sert d'étudier la respiration d'un ver marin ? (Rires) Vous n'avez vraiment pas d'autres choses à faire dans un laboratoire du CNRS ? » (Rires) Afin d'accompagner ces travaux de recherche, je suis contraint de quitter le CNRS pour créer une société de biotechnologie qui sera chargée de développer ces molécules vers des applications médicales. Et il ne faut que quelques centaines de grammes d'arénicoles pour faire une poche de type globulaire. Les applications de cette molécule sont nombreuses. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que l'oxygène est au centre de tous les processus biologiques et physiologiques, donc, in fine, de la vie. Les premières années de la création de cette société, je les ai passées à développer un processus industriel de production de mes vers marins. En effet, en étant biologiste, il était hors de question pour moi d'aller défauner toutes les plages en Bretagne. Et aujourd'hui, ces vers sont produits en aquaculture, dans un environnement totalement contrôlé et tracé. Plusieurs centaines de tonnes de cet animal sont produites en aquaculture. Mis à part le ver, la matière première, la biomasse, il fallait également trouver un système de production industrielle d'extraction de ces molécules dans des conditions pharmaceutiques. Et aujourd'hui, nous avons en fait tout un process qui permet d'extraire les molécules de la biomasse. À partir de ce process industriel et de production de vers marins, les applications sont extrêmement nombreuses. Et je vais vous en citer trois, mais il y en a énormément. En premier, c'est la transfusion sanguine. Vous savez, quand vous donnez votre sang, une poche de sang peut être conservée 42 jours, parce que les globules rouges sont périssables. Par ailleurs, on se doit de maintenir la chaîne du froid à 4 °C. Je vous rappelle que cette molécule n'est pas contenue dans un globule rouge. Et il est ainsi possible d'obtenir du sang lyophilisé, c'est-à-dire du sang en poudre, que l'on peut remettre en solution grâce à de l'eau pharmaceutique. Donc plus de problème de stockage. Plus de problème de conservation à 4 °C. Ce produit pourrait être rapidement disponible sur les zones d'urgence, sur les zones de cataclysme, là où on a vraiment besoin de transfuser des patients. Ce produit est aujourd'hui en développement grâce à un partenariat que l'on a avec l'armée américaine. La deuxième application, c'est la cicatrisation. Alors pas de n'importe quel type de plaie. Des plaies que l'on va trouver chez les personnes qui souffrent de diabète, que l'on appelle le syndrome du pied diabétique, des personnes qui souffrent d'escarres, les grands brûlés, toutes ces plaies ont la caractéristique de mal cicatriser. Pourquoi ? Eh bien tout simplement parce que la circulation sanguine se fait mal. Et malheureusement, les plaies que l'on va trouver chez les personnes souffrant du diabète finissent généralement mal puisqu'on ampute la plupart de ces personnes. Et ceci touche 20 millions de personnes à travers le monde. Nous avons pu montrer que des pansements imprégnés par cette molécule étaient capables de délivrer de l'oxygène au niveau des pieds, donc au niveau de ces plaies, et donc, in fine, d'éviter l'amputation. La troisième de ces applications, qui est aujourd'hui la plus aboutie puisqu'un essai sur l'homme aura lieu à la fin de l'année, c'est la transplantation d'organes. En France, 500 personnes décèdent par an par manque de greffons sur une liste d'attente de 19 000 patients. Pourquoi ? Parce qu'en fait, les solutions qu'on utilise aujourd'hui en clinique ne sont composées que d'eau et de sel mais d'aucun transporteur d'oxygène. Lorsqu'on prélève un organe chez un donneur, il est immédiatement déconnecté de la circulation sanguine. Et nous avons pu montrer qu'en utilisant cette molécule, il était possible d'augmenter considérablement le temps de conservation d'un greffon. Un cœur aujourd'hui, c'est quatre heures, entre la collecte chez le donneur et le moment où on va le greffer chez le receveur. Un rein, c'est 12 heures. Avec cette molécule, aujourd'hui, on a pu doubler le temps de conservation de ces organes et multiplier par quatre le temps de conservation d'un rein. Donc, aujourd'hui, on est capable d'augmenter le pool des greffons disponibles à la transplantation. La recherche avance, mais elle n'avance pas aussi vite que nous le souhaiterions. Pourquoi ? Parce que le cycle du médicament est long, très long, très, très long, et en attendant la mise sur le marché de notre produit, qui pourrait sauver des millions de vies à travers le monde, je ne peux que vous inciter à aller donner votre sang. Faites preuve de générosité pour sauver des vies. Et un petit conseil entre amis, allez-y vite, car demain, ça pourrait être un geste d'un autre temps. Merci. (Applaudissements) Je rentre d’Agadez, au Niger. Agadez, peut-être que certains connaissent, c'était la perle du Sahara, la porte d'entrée du désert, l'étape bénie du Paris-Dakar. Aujourd'hui y a plus un touriste depuis les enlèvements de 2010. En revanche, il y a des migrants, des centaines et des centaines de migrants venus d'Afrique de l'Ouest. Le maire m'a confié : à la saison propice à la migration, la population de la ville triple. Dans 2 semaines quand il fera moins chaud. 39° au lieu de 45. Pour ceux qui traversent le Sahara à l'arrière des picks-up vers la Libye, ça compte. Alors vous allez me dire : pas encore des histoires de migrants, on n'entend que ça. Et si je vous répondais qu'en fait, on n'en parle plus du tout. On ne parle que des réfugiés. Ceux qu'on vous montre à la télé sont des Syriens, des Irakiens. Ils fuient une guerre. On nous a bien expliqué qu'ils sont médecins, avocats, que chez eux, ils ont une grande maison, une femme de ménage. Ils sont un peu comme nous, ils sont blancs. Moi je couvre l'Afrique pour le magazine Le Point. Et ceux que j'ai commencé à suivre depuis juin, ce sont ceux dont on ne veut pas chez nous. Ils sont pauvres, pas très diplômés, ils sont noirs. Ils n'auront jamais le statut de réfugié. Ils seront toujours confinés à celui de migrant en mouvement. Quand les Syriens mettent quelques semaines à atteindre l'Europe, eux, ils mettent plusieurs années. Beaucoup restent coincés en Lybie. Certains y sont assassinés sans raison. Beaucoup meurent sur le chemin dans le Sahara. Le désert est jonché de cadavres. L'idée m'est venue en avril : je faisais la queue dans un SAV pour mon ordinateur. Une gentille retraitée est venue s'asseoir à côté de moi, chercher de la compagnie. Elle m'a demandé quel était mon métier. Alors je lui ai dit : reporter en Afrique. Elle me dit : « Ma pauvre, ça doit pas être drôle. » Je lui dis : « Non, moi j'aime bien. » « Je ne comprends pas pourquoi ces gens viennent chez nous. Y a pas de boulot pour eux. Ils viennent pour les allocs ? Après ils dorment sur mon palier et ils sentent fort. » Alors je lui ai répondu : « Madame, je sais d'où ils viennent et vous feriez pareil. » Mon numéro de ticket était enfin sorti, je me suis levée, drapée dans ma dignité, et puis après je me suis demandé : sait-on vraiment pourquoi ils partent, ces gens ? Ceux qui ne fuient pas une guerre. Sont-ils vraiment mieux chez nous ? Alors j'ai cherché un pays dont les habitants fuiraient en masse et qui ne serait pas en guerre. C'était pas très difficile, l'Organisation Internationale pour les Migrations venait de sortir un rapport, et le pays dont le plus grand nombre de ressortissants en valeur absolue avaient tenté la traversée de la Méditerranée entre janvier et mars 2015, c'était la Gambie. Plus que la Syrie, plus que le Nigeria. Le Nigeria compte 175 millions d'habitants. La Gambie : 1,9. Tout petit pays. C'était un sauve-qui-peut général. Je voulais comprendre. Bien sûr, il y avait des indices : un dictateur arrivé par un coup d’État en 94, Yaya Jammeh -- prétend qu'il peut soigner le SIDA grâce à une boisson à base de plantes et de versets du Coran, qui fait disparaître ses opposants, quand ils ne sont pas abattus en public. Y avait les indicateurs économiques : 1700 dollars de PIB par habitant, ce qui place le pays 210ème sur 230. Le développement humain. ils sont 172ème sur 187. Bref, la misère. Une fois sur place, je me suis rendue compte que c'était encore plus compliqué. C'est toujours comme ça. On découvre toujours sur place. C'était un mélange de pauvreté, d'ignorance, d'espoir, de pression sociale qui poussait les jeunes à partir. Et y avait absolument rien qui pourrait les en dissuader. C'est pour ça que j'ai suivi le chemin, je suis allée jusqu'à Agadez, le hub de la migration. Et c'est pour ça que j'ai envie de vous parler ce soir de tout ce qu'on croit savoir sur les migrants et qui est absolument faux. Première idée fausse : ça coûte super cher de traverser ; avec tout cet argent, ils n'auraient pas pu faire autre chose ? Monter une boîte ? Eh bien non. Parce qu'ils ne partent pas avec toute la somme nécessaire à leur voyage, ils ne l'ont pas. Ils travaillent en chemin. Prenons l'exemple de Jamal Barry, 25 ans, rencontré en Gambie, près de Serekunda. Djamal fabrique des meubles. Quand je l'ai rencontré, sa dernière commande remontait à un mois : deux fauteuils, un canapé 2 places, un canapé 3 places. Payés 450 dalasis par son patron. 9 euros pour 12 jours de travail. Les parents de Djamal sont morts, il a 4 frères et sœurs, il voulait envoyer de l'argent depuis l'Europe, et puis comme beaucoup, il a dû s'arrêter en Lybie. Il n'avait plus d'argent du tout. Il avait été racketté au checkpoint de tous les pays traversés. Donc, Sénégal, Mali, Burkina, Niger, Libye. Et puis il a été kidnappé. Et puis il est tombé malade. Donc il est rentré au bout de 8 mois. Il m'a quand même dessiné le camion sur lequel les Touaregs acheminent les migrants dans le Sahara. Vous pouvez voir, ce sont des cages aménagées pour stocker le plus possible. Il était assis au bout d'une poutre. Il devait s'accrocher pour ne pas tomber parce que le camion ne s'arrête pas. Au début du trajet, ils étaient serrés. Et de moins en moins, parce qu'ils balançaient dans le désert les corps de ceux qui mouraient de déshydratation. Il m'a dit : « Chaque jour, je vais y retourner parce qu'ici, je suis déjà mort. » Deuxième idée fausse. Ils sont déloyaux. Ils abandonnent leurs pays qui ont besoin de ces forces vives. C'est exactement l'inverse : ils partent pour aider la famille. En Afrique, il n'y a pas d'assurance retraite. Les enfants assurent les vieux jours de leurs parents. Prenez le cas de ce monsieur, Balamin Jaiteh. La photo qu'il tient entre ses mains, c'est celle de son fils, Yankuba. Yankuba avait 23 ans quand il a tenté le voyage, lui aussi pensait atteindre l'Europe, lui aussi a dû s'arrêter à Sebha, en Libye. Et il n'a pas eu de chance. Des Libyens cherchaient un Africain de son ghetto. Ce sont ces maisons où les migrants s'entassent avant de pouvoir continuer. Il leur a dit qu'il ne savait pas où il était. On lui a répondu : « Tu mens, vous, les noirs, vous vous connaissez tous. » Ils l'ont arrosé d'essence. Ils ont gratté une allumette. Yankuba est mort brulé vif. Son père a mis des jours à bien vouloir me parler, il se sentait coupable. Il m'a dit : « Moi aussi, j'ai fait ça, dès 1975. J’ai travaillé au Mali, au Burkina-Faso, au Gabon, en Côte d’Ivoire, au Niger et en Lybie. C'est normal d'aider ses vieux parents, d'ailleurs tout le temps où il pouvait travailler, il nous a envoyé de l'argent ; vous voyez, on a pu refaire la maison. » Sa femme fixait le sol. Une de ses filles était allée se cacher pour pleurer. Quand j'ai demandé à Balamin : « Vous avez interdit à vos fils de partir ? Vous leur avez dit que c'était dangereux ? », il m'a dit : « Non, pas clairement. » Pour l'instant, ce n'est pas une source d'argent dont il puisse se priver. Troisième idée fausse. Ils ne sont pas si pauvres, ils ont des portables. Alors, oui, ils ont des portables, ils n'ont même parfois que ça. Pas d'électricité, pas d'eau courante mais des smartphones. Pas dernier cri, des vieilles imitations qui mettent des heures à se recharger, des heures à afficher une page web. Parce que le passeur le plus redoutable, le plus menteur, c'est pas le petit crève-la-faim d'Agadez qui entasse des migrants à l'arrière de son pick-up. Non, c'est internet. Ce sont les réseaux sociaux. Ils passent des heures à rêver devant les photos de ceux qui sont déjà passés en Europe, et à rêver qu'un jour aussi, ils arriveront à traverser. Quatrième idée fausse. Ils vont tous déferler sur la France pour choper les allocations familiales. Non, c'est à la limite du vexant, je sais, mais pas un n'a parlé de la France. A la gare routière de Niamey, la capitale du Niger, j'ai parlé avec un Malien qui a insisté pour me parler en anglais, parce que son patron était du Nigeria, donc anglophone, il voulait pratiquer son anglais. Il visait l'Europe, mais pas du tout la France. L'Angleterre ou surtout l'Allemagne. Même les Sénégalais des ghettos d'Agadez, ils rêvent d'Allemagne, ils ne savent même pas qu'on ne parle pas français là-bas. Quant aux allocs, personne ne sait que ça existe. Allons faire un petit détour par le Kenya. Je vous présente Farhiyo Salah, 22 ans. Farhiyo a grandi dans le plus grand camp de réfugiés au monde, à la frontière avec la Somalie, ça s'appelle Dadaab. Aujourd'hui, il y a 350 000 personnes. Quand je l'ai rencontrée en juillet, elle venait d'obtenir une bourse pour aller étudier au Canada. Elle m'a dit : « Toute ma vie, j'ai été assistée par des ONG, maintenant, je veux avoir mon travail, gagner mon propre argent, devenir indépendante. Comme ça, je reviendrai, et je changerai la condition des femmes en Afrique. » Farhiyo veut devenir diplomate ou gynécologue, pas avoir 8 enfants aux frais du Canada. Enfin, 5ème idée reçue : y a trop de problèmes chez eux, ils rêveront toujours d'Europe. Y a rien à faire. Oui et non. L'Europe est bien cet endroit d'où les frères écrivent : « Viens seulement, il y a du boulot ici.» mais pour la plupart de ceux auxquels j'ai parlé, s'ils avaient eu le choix, ils auraient fait comme les générations précédentes : ils auraient migré à l'intérieur de l'Afrique, et en particulier en Libye. La première fois qu'Ousmane Sawo, 38 ans, est allé en Lybie, c'était en 2008. Il est resté 2 ans et demi. Il était maçon. Il gagnait à peu près 200 euros par mois. Il a pu faire construire sa maison, en Gambie. C'est devenu trop dangereux, un de ses amis est mort sous ses yeux. Il est rentré. En 2013, il n'y avait plus d'argent du tout. Il s'est dit qu'il ferait comme tout le monde et essayer d'aller en Italie. En guise de bateau, il s'est retrouvé en prison 6 mois à Tripoli, à cause d'une arnaque de son passeur. Ousmane, aujourd'hui, gagne en Gambie, les jours où il a du travail, 4 euros. Rien que pour la scolarité des enfants et la nourriture, il en dépense 3. Il m'a dit : « Il suffit que je fasse un thé à la maison pour dépasser mon budget. Chaque jour que Dieu fait, je prie pour qu'aucun de mes enfants ne tombe malade, parce que je ne pourrais pas le faire soigner. » Comme les Sénégalais d'Agadez m'ont dit : « Madame, on est obligé de traverser, parce que ça ne va pas en Libye. » Ils m'ont dit : « Madame, le pire, c'est de mourir pauvre. Alors on n'a pas le choix. » Même s'ils ont peur, même s'ils ont vu les images de naufrages sur France 24. Ils m'ont dit : « Madame, la mort n'est rien, on tente la chance. » C'est pour ça que ça ne servira jamais à rien de fermer les frontières. Parce que tant que ces jeunes Africains n'auront pas l'espoir d'une vie meilleure, d'une vie tout court, chez eux, ils continueront à venir. Et vous voyez, nous aussi, on ferait la même chose. Merci. (Applaudissements)