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Le demande de la Commission a pour objet de soumettre l’affaire Karl-Heinz Wemhoff à la Cour, afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de la République Fédérale d’Allemagne, une violation des obligations qui lui incombent aux termes des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention. Les faits de la cause, tels qu’ils ressortent du rapport de la Commission, des mémoires, pièces et documents soumis à la Cour ainsi que des déclarations orales de la Commission et du Gouvernement, sont essentiellement les suivants: K. H. Wemhoff, ressortissant allemand né à Berlin en 1927, a sa résidence habituelle à Berlin. A l’époque de son arrestation, il exerçait la profession de courtier. Soupçonné d’être impliqué dans des infractions d’abus de confiance, le requérant a été arrêté le 9 novembre 1961. Un mandat d’arrêt (Haftbefehl) délivré le lendemain par le Tribunal cantonal (Amtsgericht) de Berlin-Tiergarten a ordonné sa mise en détention préventive. Le mandat d’arrêt relevait que Wemhoff était fortement soupçonné d’incitation à l’abus de confiance (Anstiftung zur Untreue, articles 266 et 48 du Code pénal allemand): client de la Banque August-Thyssen de Berlin, il aurait incité certains employés de cette banque à détourner des sommes très importantes. Le mandat soulignait qu’on pouvait craindre que le requérant, s’il demeurait en liberté provisoire, ne prît la fuite et ne cherchât à détruire des moyens de preuve (article 112 du Code allemand de procédure pénale), car: - il devait s’attendre à une peine considérable, - des personnes impliquées dans les infractions mais non encore connues des autorités pourraient être averties et - il existait le danger que le requérant détruisît des pièces de commerce que l’on n’avait pas encore pu saisir. Ledit mandat a été remplacé pendant l’instruction par un deuxième puis un troisième mandat de détention (Haftbefehl), datés respectivement du 28 décembre 1961 et du 8 janvier 1962 et décernés eux aussi par le Tribunal cantonal. Ces mandats précisaient que Wemhoff était fortement soupçonné d’une action prolongée d’escroquerie (fortgesetzter Betrug, article 263 du Code pénal allemand) ainsi que de complicité prolongée d’escroquerie (fortgesetzte Beihilfe zum Betrug, articles 263 et 49 du Code pénal allemand) et de complicité prolongée d’abus de confiance (fortgesetzte Beihilfe zur Untreue, articles 266 et 49 du Code pénal allemand). Au cours des années 1961 et 1962, le requérant a formulé plusieurs demandes de mise en liberté que les tribunaux de Berlin ont toujours rejetées en se référant aux motifs donnés dans les mandats d’arrêt susmentionnés. En mai 1962, notamment, il a offert de fournir une caution d’un montant non précisé, offre que la Cour d’Appel (Kammergericht) a écartée le 25 juin 1962, estimant qu’il existait un danger de collusion (Verdunkelungsgefahr) et qu’au surplus une caution ne pouvait écarter ni diminuer le risque de fuite en l’espèce. Le 8 août 1962, Wemhoff a proposé de verser une caution de 200.000 DM, mais a retiré cette proposition deux jours plus tard. A l’occasion d’un examen d’office du bien-fondé de la détention par le tribunal cantonal, l’avocat de Wemhoff a demandé, le 20 mars 1963, la mise en liberté du requérant sous conditions en offrant notamment le dépôt des pièces de d’identité. Le tribunal a cependant ordonné, le même jour, le maintien de la détention du requérant pour les raisons indiquées dans le mandat d’arrêt. Le requérant a attaqué cette décision le 16 avril 1963 en invoquant, pour la première fois, les dispositions de la Convention. Demandant sa mise en liberté sous toute condition qui serait jugée nécessaire, il a soutenu notamment qu’il n’existait ni risque de collusion ni risque de fuite, car il aurait fait son possible pour jeter la lumière sur les transactions en cause. Il ajoutait qu’il était bien enraciné à Berlin-Ouest où il vivait avec sa femme et son enfant et où sa famille avait depuis cent vingt ans une bijouterie que son père avait l’intention de lui transférer bientôt. Il soulignait en outre qu’il avait intenté des procès civils contre ses débiteurs et, de ce fait, devait comparaître comme partie demanderesse au moins cinq fois par semaine devant divers tribunaux cantonaux. Il avançait d’autre part qu’il ne lui était pas possible de s’enfuir de Berlin-Ouest: en raison de ses nombreux voyages antérieurs, il était trop connu à l’aéroport de Berlin pour pouvoir y prendre l’avion; ayant été détenu pendant plusieurs années en zone d’occupation soviétique, il ne pouvait pas non plus se rendre dans ce territoire ou à Berlin-Est. Enfin, le fait qu’il était resté à Berlin après la découverte de ses transactions par la Banque Thyssen, le 27 octobre 1961, montrerait bien qu’il n’avait jamais eu l’intention de prendre la fuite. Ce recours a été rejeté le 3 mai 1963 par le Tribunal régional (Landgericht) de Berlin pour les raisons suivantes: - le requérant était soupçonné d’avoir commis les infractions en cause; - les faits n’étaient pas encore entièrement élucidés et se révélaient d’une complexité particulière; - le requérant semblait avoir joué un rôle singulièrement important dans l’ensemble des transactions examinées, de sorte qu’il risquait de se voir infliger une peine particulièrement sévère et que l’on pouvait donc le soupçonner de vouloir s’enfuir; - il avait des relations importantes à l’étranger et, en l’état actuel de l’instruction, on ne pouvait pas écarter l’hypothèse qu’il y disposât de biens; - la menace d’un effondrement de sa situation financière augmentait le risque de fuite qui n’était pas diminué par ses liens familiaux à Berlin; - s’il était douteux que le danger de suppression des moyens de preuve fût suffisant pour justifier le maintien de la détention préventive, certaines raisons donnaient néanmoins à penser qu’un tel danger subsistait. Dans un deuxième appel (weitere Beschwerde) du 16 mai 1963, le requérant a précisé qu’il avait été condamné en 1953 par un tribunal est-allemand à une peine de dix ans de réclusion criminelle et qu’il avait été libéré en novembre 1957. Ajoutant qu’il avait pris position à plusieurs reprises contre le communisme, le requérant concluait qu’il ne lui était pas non plus possible de s’enfuir en traversant la zone soviétique par l’autoroute ou par le train. Du jugement rendu par le Tribunal régional le 7 avril 1965 (par. 12 infra), il ressort que la condamnation mentionnée par le requérant lui a été infligée pour transport illégal à Berlin-Ouest de biens appartenant à des réfugiés ainsi que de bois; elle remonte au 7 mars 1953. L’appel du 16 mai 1963 a été rejeté le 5 août 1963 par la Cour d’Appel. Tout en admettant que l’on pouvait à présent douter de la persistance d’un danger de suppression des preuves, la Cour, reprenant les motifs de la décision attaquée, a souligné que subsistait le risque de voir le requérant prendre la fuite et que son maintien en détention ne se heurtait pas aux exigences de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. La Cour a ajouté qu’il était à craindre que Wemhoff ne s’abstînt délibérément de répondre aux convocations judiciaires en raison de son caractère, sur lequel un médecin-expert avait émis un avis défavorable confirmé par la conduite du requérant lors de sa détention préventive. Plusieurs demandes de mise en liberté formulées par le requérant en 1963 et 1964 ont également été rejetées par les juridictions berlinoises pour des raisons semblables à celles que la Cour d’Appel avait retenues le 5 août 1963. En particulier, ladite Cour a constaté, dans une décision du 22 juin 1964, que le risque de fuite était encore plus grand qu’en août 1963. En effet, on devait s’attendre à une peine sensiblement plus élevée qu’on ne l’estimait auparavant, parce qu’entre-temps, le Parquet avait étendu l’accusation à quelques infractions à la loi relative à la banqueroute, dont certaines auraient été commises par le requérant pendant sa détention. La Cour a estimé d’autre part qu’on ne pouvait pas encore prévoir si le requérant, en cas de condamnation, serait libéré après avoir purgé deux tiers de sa peine en application de l’article 26 du Code pénal allemand et si, le cas échéant, sa détention serait imputée sur la peine prononcée. Entre le 13 novembre 1961 et le 3 novembre 1964, le requérant a présenté, au sujet des conditions de sa détention préventive, 41 demandes dont 16 ont été accueillies tandis que les 25 autres ont été rejetées par les autorités compétentes. Au cours de sa détention préventive, le requérant a subi cinq fois des sanctions disciplinaires. L’instruction a été conduite contre treize personnes. Menée par un Procureur du Parquet de Berlin, elle a duré, sans interruptions importantes, du 9 novembre 1961 au 24 février 1964. En particulier, Wemhoff a été interrogé à une quarantaine de reprises. L’instruction a porté notamment sur des manipulations de chèques imputées aux inculpés et d’une grande complexité (par. 57 du rapport de la Commission). A cet égard, elle a entraîné l’examen de 169 comptes ouverts auprès de 13 banques de Berlin, 35 banques de République Fédérale d’Allemagne et 8 banques de Suisse, le montant des opérations vérifiées atteignant un total de 776 millions de DM. Dans le cas du seul requérant, des transactions d’un montant global de 284,2 millions de DM avaient eu lieu entre le 1er août 1960 et le 27 octobre 1961 et elles concernaient 53 comptes auprès de 26 banques. Tant en République Fédérale d’Allemagne qu’à l’étranger, plusieurs dizaines de témoins ont été interrogés. En outre, il a été procédé à une quinzaine d’expertises par les soins de sociétés fiduciaires, d’experts-comptables et d’un ancien président de la Deutsche Bundesbank. Le nombre des journées de travail fournies à cette occasion s’élève à six mille. Les rapports des seuls experts économiques comprennent 1500 pages. A la date de la mise en accusation, le dossier comprenait 45 volumes, soit environ 10.000 feuilles. L’instruction achevée, l’acte d’accusation, un document de 855 pages, a été déposé auprès du Tribunal régional de Berlin le 23 avril 1964 et signifié au requérant le 2 mai 1964. Il en ressort que le requérant était accusé: - d’incitation prolongée à l’abus de confiance dans deux cas; - d’escroquerie prolongée dans un de ces deux cas; - de complicité prolongée d’abus de confiance dans un cas, et - de sept infractions aux articles 239 par. 1, no 1, et 241 de la loi relative à la banqueroute (Konkursordnung). Les actes d’incitation à l’abus de confiance, d’escroquerie et de complicité d’abus de confiance étaient considérés comme particulièrement graves au sens de l’article 266 par. 2 et de l’article 263 par. 4 du Code pénal allemand. Sur la base de l’acte d’accusation, le Tribunal régional a remplacé, le 7 juillet 1964, le mandat de détention par un nouveau mandat aux termes duquel Wemhoff était fortement soupçonné d’avoir commis ces mêmes actes d’incitation à l’abus de confiance, de complicité d’abus de confiance et d’escroquerie ainsi que de deux des sept infractions susmentionnées à la loi relative à la banqueroute. Au sujet de ces dernières infractions, le mandat de détention relevait qu’il existait des raisons de croire que Wemhoff avait retiré, en automne 1961, 100.000 DM d’un compte ouvert au nom de sa femme auprès de la Banque Commerciale S.A. à Genève et qu’il les avait mis à l’abri. Il ajoutait qu’il en allait de même, au moins en partie, d’une somme de 140.000 DM que Wemhoff avait déposée, au printemps de 1962, à un compte de son fondé de pouvoir auprès de la "Papenberg-Bank" à Berlin. Selon le mandat de détention, le risque de fuite existait toujours en raison du taux de la peine à prévoir. Une décision (Eröffnungsbeschluss) du Tribunal régional du 17 juillet 1964 a renvoyé devant la juridiction de jugement le requérant et huit autres accusés; elle a disjoint de la procédure principale la procédure dirigée contre quatre coaccusés. Le Tribunal régional constatait qu’il existait des raisons de croire que Wemhoff avait commis les infractions dont faisait état le mandat de détention du 7 juillet 1964. La procédure concernant cinq des sept actes de banqueroute imputés au requérant a été séparée de la procédure principale; il y a été mis fin (Einstellung) ultérieurement en vertu de l’article 154 du Code allemand de procédure pénale. Le procès du requérant s’est ouvert le 9 novembre 1964. Au cours de son déroulement, Wemhoff a déposé 117 demandes d’audition de témoins portant sur 230 points. Il a récusé 3 juges et 4 experts financiers qu’il taxait de partialité. Le Tribunal régional a entendu 97 témoins, 3 médecins-experts et 4 experts financiers. Le procès-verbal de l’audience atteint près de 1000 pages, sans les annexes qui comprennent quelque 600 pages. Le 15 février 1965, le Tribunal régional a mis un terme (eingestellt), en vertu de l’article 154 du Code allemand de procédure pénale, à la procédure relative aux actes d’escroquerie reprochés au requérant pour autant qu’ils étaient antérieurs au début du mois de juin 1961. Le 22 février 1965, il a disjoint de la procédure principale les deux infractions à l’article 239 par. 1, no 1, de la loi relative à la banqueroute pour lesquelles le requérant était encore poursuivi. Quelques mois plus tard, il a également mis fin à la procédure les concernant (article 154 du Code de procédure pénale). Le 7 avril 1965, le Tribunal régional a condamné Wemhoff, pour un cas particulièrement grave de complicité prolongée d’abus de confiance (fortgesetzte Beihilfe zur Untreue, articles 266 et 49 du Code pénal allemand), à une peine de six ans et six mois de réclusion criminelle (Zuchthaus) et à une amende de 500 DM, la période de détention préventive étant imputée sur la durée de la peine. Il a ordonné le maintien du requérant en détention préventive en se référant aux motifs du mandat de détention du 7 juillet 1964. Le requérant a été jugé en même temps que six autres accusés. Le jugement comprend 292 pages. Postérieurement au jugement de condamnation, Wemhoff a demandé à nouveau, en avril 1965, sa mise en liberté provisoire, mais le Tribunal régional a rejeté cette demande le 30 avril 1965. Le recours que le requérant avait formé contre cette décision a été repoussé par la Cour d’Appel le 17 mai 1965. Ladite Cour a constaté qu’il était très probable que Wemhoff eût mis à l’abri des sommes importantes, qu’il fût endetté à un haut degré et ruiné et que, dès lors, il risquât de céder à la tentation de se soustraire aux poursuites pénales. Le 16 août 1965, le requérant a demandé sa mise en liberté provisoire moyennant une caution de 50.000 DM dont 20.000 DM en espèces et 30.000 DM sous la forme d’une garantie bancaire à constituer par son père. Après en avoir parlé au Parquet, Wemhoff a modifié sa demande deux jours plus tard en offrant une caution de 100.000 DM, offre que le Tribunal régional a accueillie le 19 août 1965. Le requérant n’a cependant pas fourni cette caution mais a proposé, le 30 août 1965, une garantie bancaire de 25.000 DM ou 50.000 DM qui serait présentée par son père; le Tribunal régional a rejeté cette proposition le 6 septembre 1965. Le requérant a attaqué cette décision en offrant une caution de 25.000 DM, mais la Cour d’Appel a repoussé son recours le 29 octobre 1965 par le motif qu’une caution de ce montant n’était pas suffisante pour éliminer le danger de fuite toujours existant. Le 19 octobre 1965, donc encore au cours de la procédure susmentionnée, Wemhoff a demandé à nouveau sa mise en liberté au Tribunal régional, le cas échéant contre le versement d’une caution de 10.000 DM. Le Tribunal régional a rejeté cette demande le 1er décembre 1965. Il a constaté que la tentation pour Wemhoff de prendre la fuite demeurait très grande, car: - la peine restant à purger était très considérable; - le requérant était ruiné et criblé de dettes qu’il ne pourrait probablement jamais régler; - le soupçon dont faisait état le mandat de détention du 7 juillet 1964, à savoir que le requérant eût mis à l’abri 200.000 DM, s’était encore renforcé au cours du procès. Le 17 décembre 1965, la Cour Fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) a rejeté le pourvoi en cassation (Revision) que le requérant avait formé en juillet 1965 contre le jugement du Tribunal régional. La durée de la détention que Wemhoff avait subie depuis le jugement de condamnation du 7 avril a été imputée sur la peine pour autant qu’elle dépassait trois mois. Après avoir accompli deux tiers de sa peine, Wemhoff a été libéré sous conditions (article 26 du Code pénal allemand) le 8 novembre 1966, en vertu d’une décision rendue par le Tribunal régional le 20 octobre 1966. Dans sa requête introductive d’instance, adressée à la Commission le 9 janvier 1964, le requérant alléguait que la durée de sa détention préventive violait son droit, garanti par l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, d’être jugé dans un délai raisonnable ou libéré pendant la procédure. Il se plaignait de ce que les décisions rendues par le Tribunal cantonal le 20 mars 1963, par le Tribunal régional le 3 mai 1963 et par la Cour d’Appel le 5 août 1963 n’avaient pas mis fin à cette détention. Il demandait la réparation du préjudice subi en se réservant le droit de préciser ultérieurement le montant exact qu’il réclamait. Le 2 juillet 1964, la Commission a déclaré la requête recevable sur le terrain de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), et aussi, à l’issue d’un examen d’office, sur celui de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Après l’introduction de la requête, Wemhoff a formulé trois autres griefs. Le 28 septembre 1964, la Commission a déclaré l’un d’entre eux irrecevable pour défaut manifeste de fondement; quant aux deux autres, le requérant ne les a pas maintenus. À la suite de la décision déclarant recevable la requête initiale, une Sous-Commission a établi les faits et recherché en vain un règlement amiable (articles 28 et 29 de la Convention) (art. 28, art. 29). Devant la Commission et la Sous-Commission, le requérant a soutenu que l’article 5 par. 3 (art. 5-3) a pour but d’éviter une privation de liberté d’une durée excessive du fait de l’importance et de la durée de l’instruction. Il a déclaré que la détention préventive constitue un "sacrifice spécial" imposé aux individus, coupables ou non, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. S’agissant, selon le requérant, d’une dérogation au principe de présomption d’innocence consacré par l’article 6 par. 2 (art. 6-2), l’État n’aurait pas le droit de prolonger la détention préventive jusqu’à détruire la position sociale, les ressources, la santé et la vie professionnelle et familiale de l’intéressé, conséquences que sa détention aurait entraînées. Faisant valoir que le sort incertain d’une personne en détention préventive provoque chez elle un état d’angoisse qui s’aggrave de jour en jour, le requérant a mentionné également l’article 3 (art. 3) de la Convention. D’autre part, Wemhoff a soutenu qu’il aurait été possible de mener plus rapidement l’instruction dans son cas, notamment en la divisant, en l’attribuant à plusieurs procureurs et en accélérant les travaux des experts. Il a ajouté que lui-même n’avait causé aucun retard important dans la procédure mais avait, au contraire, collaboré avec le Parquet pour retrouver la trace des transactions en cause. En outre, le requérant a fait valoir que ni la durée de la peine dont il était passible, ni sa responsabilité civile quant aux dommages subis par la Banque Thyssen ne constituaient des raisons suffisantes pour le soupçonner de vouloir s’enfuir. Les offres de caution et le fait qu’après la découverte de l’affaire Thyssen, le 17 octobre 1961, il était resté avec sa famille à Berlin jusqu’à son arrestation le 9 novembre, prouveraient qu’il n’avait pas eu l’intention de prendre la fuite. Enfin, Wemhoff a prétendu être victime d’une violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) malgré l’issue de son procès; selon lui, la question de savoir si la durée d’une détention préventive est raisonnable ou non, ne peut dépendre d’aucun événement ultérieur. Le requérant a ajouté que si le régime de la détention préventive est moins strict que celui de la réclusion, le destin incertain dont souffre une personne détenue préventivement aggrave les conditions de la détention, ce qui ne serait pas le cas pour un condamné purgeant sa peine. Après l’échec de la tentative de règlement amiable à laquelle la Sous-Commission avait procédé, la Commission plénière a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Adopté le 1er avril 1966, ce rapport a été transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 17 août 1966. La Commission y exprimait l’avis suivant, qu’elle a confirmé depuis lors devant la Cour: (a) par 7 voix contre 3: le requérant n’a pas été jugé "dans un délai raisonnable" ni libéré pendant la procédure, et les dispositions de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention ont donc été violées en l’espèce; (b) par 9 voix contre 1: cette conclusion ne peut être modifiée par le fait que le jugement du 7 avril 1965 a imputé la durée de la détention préventive sur celle de la peine; (c) à l’unanimité: la détention préventive continue du requérant, ordonnée par les juridictions compétentes en raison du risque de fuite et de collusion, était régulière au sens de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention; (d) à l’unanimité: la Commission ne peut examiner la demande de réparation que le requérant a formulée en vertu de l’article 5 par. 5 (art. 5-5): (i) avant que l’organe compétent, c’est-à-dire la Cour ou le Comité des Ministres, se soit prononcé sur la question de savoir si l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention a été violé; (ii) avant que le requérant ait pu, en ce qui concerne sa demande de réparation, épuiser, conformément aux dispositions de l’article 26 (art. 26) de la Convention, les voies de recours internes qui lui sont ouvertes en droit allemand; (e) à l’unanimité: même si l’on prend en considération la période allant du 9 novembre 1961 au 17 décembre 1965, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n’a pas été violé au cours de la procédure pénale engagée contre le requérant. En résumé, sur les dix membres de la Commission présents lors de l’adoption du rapport, trois n’ont aperçu aucun manquement de la République Fédérale d’Allemagne à ses obligations conventionnelles. La majorité, cependant, a discerné pareil manquement sur un point. Elle en a constaté l’absence pour le surplus. Le rapport contient quatre opinions individuelles, dont l’une concordante, les trois autres dissidentes. Arguments de la Commission et du Gouvernement De l’avis de la Commission, l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention consacre le droit d’une personne détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du même article (art. 5-1-c), soit d’être libérée pendant la procédure, soit d’être jugée dans un délai raisonnable. Si la personne se trouve en détention préventive, cette détention ne doit pas s’étendre au-delà d’une durée raisonnable. Le problème le plus important consiste donc à dégager la signification exacte des mots "délai raisonnable". La Commission estime que cette expression est vague et manque de précision et qu’il n’est, par conséquent, pas possible d’en déterminer d’une manière abstraite la portée exacte, qui ne peut être appréciée qu’à la lumière des circonstances particulières de chaque cause. Afin de faciliter une telle appréciation, la Commission estime qu’il y a lieu en général d’examiner les cas d’espèce suivant les sept "critères" ou "éléments" que voici: (i) La durée en elle-même de la détention. A cet égard, la Commission n’a pas indiqué, dans son rapport, quels sont in abstracto, d’après elle, le point de départ et le terme du "délai" visé à l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Lors de la procédure orale devant la Cour, le Délégué principal de la Commission a cependant exposé les problèmes qui, aux yeux de la Commission, surgissent en la matière. Alors que la version anglaise ("entitled to trial within a reasonable time or to release pending trial") permettrait de considérer que la période visée par ladite disposition s’achève avec l’ouverture du procès devant la juridiction de jugement, la version française ("être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure") engloberait une période plus longue dont le terme serait la date du prononcé du jugement. La Commission n’a pas formulé un avis définitif sur cette question mais, à l’audience, son Délégué principal a donné une nette préférence à une interprétation fondée sur le texte français, le sens de ce texte étant, à la différence de la version anglaise, non seulement clair et sans équivoque, mais aussi plus favorable à l’individu. Le Délégué de la Commission a, en particulier, contesté l’argument du Gouvernement allemand selon lequel la version anglaise est à retenir pour la simple raison qu’elle limite dans une moindre mesure la souveraineté des États. La Commission a souligné l’importance qu’elle attache à voir la Cour répondre à cette question d’interprétation; (ii) la durée de la détention préventive par rapport à la nature de l’infraction, au taux de la peine prescrite et de la peine à laquelle on doit s’attendre dans le cas d’une condamnation et par rapport au système légal relatif à l’imputation de la détention préventive sur l’exécution de la peine éventuelle. A ce sujet, la Commission a précisé que la durée de la détention préventive peut varier selon la nature de l’infraction, le taux de la peine prévue et celui de la peine à laquelle on doit s’attendre. Néanmoins, pour déterminer le rapport entre la peine et la durée de la détention préventive, il est nécessaire de tenir compte de la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Si la durée de la détention se rapprochait trop de la durée de la peine à laquelle on doit s’attendre dans le cas d’une condamnation, le principe de la présomption d’innocence ne serait pas entièrement respecté; (iii) effets personnels sur le détenu d’ordre matériel, moral ou autre; (iv) la conduite de l’inculpé: (a) a-t-il contribué à retarder ou à accélérer l’instruction ou les débats? (b) la procédure a-t-elle été retardée par suite de l’introduction de demandes de libération provisoire, d’appels ou d’autres recours? (c) a-t-il demandé sa mise en liberté sous caution ou a-t-il offert d’autres garanties assurant sa comparution à l’audience? (v) les difficultés de l’instruction de l’affaire (sa complexité quant aux faits et au nombre des témoins et inculpés, nécessité de recueillir des preuves à l’étranger, etc.); (vi) la façon dont l’instruction a été conduite: (a) le système régissant l’instruction; (b) la conduite de l’instruction de la part des autorités (le soin qu’elles ont apporté à l’affaire et la façon dont elles ont organisé l’instruction); (vii) la conduite des autorités judiciaires: (a) dans l’examen des demandes en libération pendant l’instruction; (b) dans le jugement de l’affaire. La Commission fait valoir qu’un tel plan rationnel permet une interprétation "cohérente et dépourvue de toute apparence d’arbitraire" de chaque cas d’espèce. Elle souligne, cependant, que la conclusion dans un cas particulier résulte d’une appréciation d’ensemble des éléments. Même si l’examen de certains de ces critères amène à conclure au caractère raisonnable de la durée d’une détention préventive, l’application d’autres critères peut conduire à une opinion contraire. La conclusion déterminante et définitive dépendrait donc de la valeur et de l’importance relatives des critères, ce qui n’exclurait nullement, le cas échéant, qu’un seul de ces critères ait une importance décisive. La Commission ajoute qu’elle s’est efforcée de couvrir par lesdits critères toutes les situations de fait qu’il est possible de trouver normalement dans les affaires de détention préventive, mais que cette liste n’a nullement un caractère exhaustif, des situations exceptionnelles autres que celles soumises en l’occurrence à la décision de la Cour pouvant justifier l’examen d’autres critères. En l’espèce, la Commission a constaté les faits à la lumière desdits critères, et a procédé à leur appréciation juridique en suivant le même processus d’interprétation. Certains des faits constatés lui ont paru importants à l’égard de plusieurs critères. On trouvera ci-après un résumé de l’avis de la Commission sur ces divers points. Au sujet de l’application du premier critère, c’est-à-dire la durée de la détention préventive de Wemhoff, la Commission a retenu la période allant du 9 novembre 1961 (date de l’arrestation du requérant) au 9 novembre 1964 (date d’ouverture du procès devant le Tribunal régional). D’après elle, la durée effective de cette détention (trois ans) semble justifier la conclusion qu’elle a dépassé les limites d’une période "raisonnable". Quant au deuxième critère susmentionné, la Commission estime que son application dans le cas d’espèce semble autoriser la même conclusion. La Commission souligne que, sur ce point, elle a tenu compte tant de la possibilité d’une mise en liberté provisoire du requérant, en vertu de l’article 26 du Code pénal allemand, que du fait que la durée de la détention a été imputée sur la peine infligée. La Commission admet que cette dernière mesure constitue un élément comparable à une "circonstance atténuante", mais ne change rien au caractère distinct de la détention préventive qui, parce qu’exécutée dans des conditions non conformes aux exigences de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), demeure une violation de la Convention même si dans l’exécution de la peine finalement infligée il a été tenu compte de la période de détention préventive. L’application du troisième critère conduit également, selon la Commission, à conclure que la durée de la détention a été excessive, et ce en raison des effets négatifs de la détention sur la vie de famille du requérant: la longue détention de Wemhoff aurait détruit ses liens conjugaux et porté atteinte aux relations étroites qu’il entretenait avec ses parents. La Commission ne croit pas, concernant le quatrième critère, que la conduite du requérant ait influé sensiblement sur la durée de sa détention. En appréciant le cinquième critère, la Commission considère que l’affaire dont il s’agit était d’une très grande complexité, non seulement en raison de la nature et du nombre des transactions financières incriminées, mais aussi en raison du nombre des accusés et des témoins à entendre et des ramifications de l’affaire tant en Allemagne qu’à l’étranger. Ces circonstances conduisent, selon la Commission, à conclure que la durée de la détention a été raisonnable. L’examen des sixième et septième critères ne permet pas, de l’avis de la Commission, de constater que, par la faute des autorités compétentes, la procédure pénale engagée contre le requérant ait été sensiblement prolongée. A la lumière de l’appréciation globale de ces divers critères et en tenant compte des circonstances propres à cette affaire, la Commission attache une importance particulière à la durée effective de la détention et conclut que le requérant n’a pas été jugé dans un délai "raisonnable", ni libéré pendant la procédure et que, dès lors, il a été victime d’une violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Il convient d’ajouter qu’aux yeux de la Commission, la détention préventive continue du requérant, ordonnée par les juridictions compétentes en raison du risque de fuite et de collusion, a été régulière au sens de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c). La Commission soutient que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention pose des questions d’interprétation semblables à celles soulevées par l’article 5 par. 3 (art. 5-3), notamment en ce qui concerne le délai visé à l’article 6 (art. 6). Toutefois, de l’avis de la Commission, le caractère "raisonnable" du délai ne doit pas s’apprécier de la même manière sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) que sur celui de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). En effet, l’article 5 par. 3 (art. 5-3), visant à sauvegarder la liberté physique de l’individu, exigerait à cet égard une application plus stricte que l’article 6 par. 1 (art. 6-1), dont l’objet est de protéger l’individu contre une procédure judiciaire anormalement longue, indépendamment de la question de la détention elle-même. En l’occurrence, la procédure pénale a porté sur des faits extrêmement complexes; elle n’aurait pas été indûment prolongée par les autorités judiciaires allemandes. Aussi la Commission est-elle arrivée à la conclusion que, même si l’on considère que la période en question va du 9 novembre 1961 au 17 décembre 1965, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’a pas été violé au cours de la procédure pénale engagée contre le requérant. À l’audience du 9 janvier 1968, la Commission a présenté les conclusions suivantes: "Plaise à la Cour de dire: (1) si l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention a ou n’a pas été violé par la détention de Wemhoff entre le 9 novembre 1961 et le 9 novembre 1964 ou toute autre date postérieure; (2) si l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention a ou n’a pas été violé par la durée des poursuites pénales engagées contre Wemhoff entre son arrestation le 9 novembre 1961 ou toute autre date postérieure et la décision du tribunal régional de Berlin du 7 avril 1965 ou de toute autre date". Le Gouvernement allemand, de son côté, a exposé qu’il partage le point de vue de la Commission en ce qui concerne l’absence de violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Au sujet de l’interprétation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention et de son application dans le cas d’espèce, le Gouvernement considère que la période entrant en ligne de compte est celle que la Commission a retenue dans son rapport, et qui s’étend de l’arrestation (9 novembre 1961) à l’ouverture du procès devant la juridiction de jugement, à savoir le Tribunal régional de Berlin (9 novembre 1964). Selon le Gouvernement, il faut, du moins dans la présente affaire, éviter de s’appuyer sur le texte français ("le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure"). En effet, ce texte pourrait viser une période plus longue (date du jugement) que celle qui se termine à la date d’ouverture du procès, interprétation suggérée par la version anglaise ("entitled to trial within a reasonable time or to release pending trial"). Il pourrait donc conduire à une limitation supplémentaire de la souveraineté des États Contractants. En outre, l’interprétation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) fondée sur la version française offrirait à l’accusé la possibilité de prolonger la protection résultant de cette disposition en utilisant les moyens de procédure à un degré excessif. Il en résulterait un ralentissement anormal de la marche de l’instance et la mise en liberté risquerait de ne pouvoir survenir qu’au terme d’un délai qui ne serait plus "raisonnable". D’une manière générale, le Gouvernement exprime de grandes réserves au sujet de la méthode retenue par la Commission et consistant à dégager sept "critères" tout en admettant que la solution dépend des circonstances de la cause. A son avis, la Commission a manqué d’objectivité en répartissant strictement les faits de la cause en fonction des critères susmentionnés alors pourtant que certains faits mentionnés par rapport à un seul des sept critères seraient également pertinents pour d’autres critères. Le Gouvernement oppose en outre au raisonnement de la Commission les considérations suivantes qui démontrent, d’après lui, l’absence de violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) dans le cas du requérant. A l’encontre du premier critère retenu par la Commission, à savoir la durée même de la détention préventive, le Gouvernement soulève des objections de principe. Selon lui, l’adjectif "raisonnable" qui qualifie le mot "délai" introduit un élément de relativité; le facteur absolu que représente la durée réelle de la détention ne pourrait, dès lors, servir de critère pour déterminer si cette durée a été "raisonnable". En outre, le Gouvernement fait valoir qu’aux yeux de la Commission, la détention préventive du requérant a été "régulière" pendant toute sa durée, au sens de l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) de la Convention; il ajoute que la Commission, en appréciant le cinquième critère, admet que la complexité de l’instruction tend à justifier la durée de la détention. Aussi le Gouvernement ne voit-il pas comment on pourrait considérer comme déraisonnable la durée globale de la détention préventive. Du reste, la Commission n’a pas indiqué à quel moment la détention a cessé d’être "raisonnable" à son avis. Le Gouvernement ne partage pas davantage l’appréciation émise par la Commission au sujet du deuxième critère. Il souligne que l’avis de la Commission se fonde en premier lieu sur la possibilité, prévue à l’article 26 du Code pénal allemand, d’une mise en liberté conditionnelle d’un détenu. Or, selon le Gouvernement, cet article du Code pénal allemand, dont l’application dépend d’une appréciation discrétionnaire du juge, ne peut jouer qu’une fois le jugement pénal devenu exécutoire, et plus précisément à partir du moment où le condamné a déjà purgé les deux tiers de sa peine; ses dispositions ne sauraient donc permettre de conclure au caractère "déraisonnable" de la durée d’une détention préventive. D’ailleurs, les autorités judiciaires allemandes ont accordé au requérant sa mise en liberté conditionnelle dès qu’il eut purgé les deux tiers de sa peine. Cette décision, qui remonte au 20 octobre 1966, a pu être prise d’autant plus tôt que la durée de la détention préventive avait été imputée sur celle de la peine infligée. En ce qui concerne la thèse, avancée par la Commission, d’après laquelle la détention préventive revêt un "caractère distinct" même en cas d’imputation complète ou partielle sur la peine infligée, le Gouvernement met l’accent sur les avantages, d’ailleurs non contestés, du régime de la détention préventive par rapport à celui de la détention criminelle. Il en infère que la durée de la détention préventive a joué au profit du requérant: si elle avait été moindre, Wemhoff aurait dû passer en réclusion (Zuchthaus) une période plus longue et les conditions de sa détention s’en seraient trouvées sensiblement aggravées. Dans l’appréciation du troisième critère, la Commission a négligé, estime le Gouvernement allemand, de vérifier l’existence d’un lien de causalité entre la détention préventive et la détérioration de la vie familiale de Wemhoff. Le Gouvernement soutient qu’une condamnation plus rapide de Wemhoff, aboutissant à une période de réclusion criminelle plus longue, aurait eu des effets aussi défavorables - voire plus graves - sur la situation financière et familiale de l’intéressé que la détention préventive. Il en déduit que l’appréciation du troisième critère par la Commission n’est pas convaincante. De l’avis du Gouvernement, les constatations de fait auxquelles la Commission arrive sous l’angle du quatrième critère présentent des lacunes. Certes, on peut reconnaître que les nombreuses demandes, requêtes et autres démarches exposées en détail dans les annexes VIII et IX au rapport de la Commission, ne permettent pas d’affirmer que Wemhoff ait eu, d’une manière générale, l’intention de ralentir le déroulement de la procédure. Selon le Gouvernement, il est cependant hors de doute que l’examen de l’affaire en a été prolongé. Sur ce point, le Gouvernement souligne également que le Tribunal régional de Berlin avait décidé le 19 août 1965, c’est-à-dire après le prononcé du jugement de condamnation, de suspendre l’exécution du mandat de détention moyennant le dépôt d’une caution de 100.000 DM. Le Tribunal avait relevé à ce sujet, à la lumière des pièces en sa possession, que le requérant avait disposé de la somme de 100.000 DM sur un compte établi au nom de sa femme dans une banque suisse, et qu’il avait retiré cette somme lorsque ses infractions furent découvertes. Au cours de la procédure, le requérant avait donné des explications fort contradictoires au sujet de cette opération; les autorités judiciaires n’ont pas été en mesure de découvrir ce que Wemhoff avait fait de la somme en question. Quoi qu’il en soit, le requérant n’a pas donné suite à l’offre du Tribunal. Selon le Gouvernement, on devrait conclure que l’application du quatrième critère n’autorise pas la Commission à considérer comme déraisonnable la durée de la détention préventive. Quant à l’application des cinquième, sixième et septième critères, le Gouvernement déclare partager l’avis exprimé par la Commission. S’agissant d’une affaire pénale aussi vaste et aussi complexe, en fait comme en droit, que l’affaire Wemhoff, la méthode d’appréciation retenue par la Commission ne permet point, selon le Gouvernement, de déterminer objectivement si la durée de la détention préventive a ou non été raisonnable au sens de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention et quelle eût été la ligne de partage, dans le temps, entre le "raisonnable" et le "déraisonnable". Le Gouvernement exprime le regret qu’en suivant le système des "critères", la Commission ait perdu de vue les raisons qui ont rendu nécessaire, aux yeux des autorités judiciaires compétentes, le maintien du mandat d’arrêt. Ainsi, le danger de fuite aurait été réel tout au long de la détention préventive en raison non seulement de la gravité et des conséquences civiles de la peine à prévoir, mais aussi des manipulations financières de l’accusé et notamment du retrait inexpliqué de la somme de 100.000 DM d’un compte établi au nom de sa femme auprès d’une banque suisse. À l’audience du 9 janvier 1968, le Gouvernement a présenté les conclusions suivantes: (Plaise à) "la Cour de constater: que les décisions et les mesures prises par les autorités et les tribunaux allemands dans l’affaire Wemhoff sont compatibles avec les obligations résultant pour la République Fédérale d’Allemagne de l’article 5 par. 3 et de l’article 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention."
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La demande de la Commission a pour objet de soumettre l'affaire à la Cour afin que celle-ci puisse décider si certaines dispositions de la législation linguistique belge en matière d'enseignement répondent ou non aux exigences des articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention ainsi que de l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2) du 20 mars 1952 (ci-après dénommé "le Protocole additionnel"). Les requérants, pères et mères de famille de nationalité belge, ont saisi la Commission tant pour leur compte personnel que pour celui de leurs enfants mineurs dont le nombre dépasse huit cents. Soulignant qu'ils sont francophones ou qu'ils s'expriment le plus fréquemment en français, ils désirent que leurs enfants soient instruits dans cette langue. Alsemberg, Beersel, Anvers, Gand, Louvain et Vilvorde, où habitent les signataires de cinq des six requêtes (no 1474/62, 1691/62, 1769/63, 1994/63 et 2126/64), appartiennent à la région considérée par la loi comme "de langue néerlandaise" tandis que Kraainem (requête no 1677/62) relève, depuis 1963, d'un "arrondissement administratif distinct" doté d'un "statut propre". La population de ces diverses communes comprend une proportion variable, et parfois considérable, de francophones. Quoique différant les unes des autres sur une série de points, les six requêtes se ressemblent à beaucoup d'égards. Il suffira pour l'instant de constater qu'elles reprochent à l'État belge, en substance: - de n'organiser aucun enseignement en langue française dans les communes où résident les requérants ou, en ce qui concerne Kraainem, de n'en organiser un que dans une mesure qu'ils jugent insuffisante; - de priver de subventions les établissements qui, dans les mêmes communes, ne se conformeraient pas aux clauses linguistiques de la législation scolaire; - de refuser d'homologuer les certificats d'études délivrés par de tels établissements; - de fermer aux enfants des requérants l'accès aux classes françaises existant en certains endroits; - d'obliger ainsi les requérants soit à placer leurs enfants dans une école locale, solution qu'ils estiment contraire à leurs aspirations, soit à les envoyer faire leurs études dans l'"arrondissement de Bruxelles-Capitale", où la langue de l'enseignement est le néerlandais ou le français, selon la langue maternelle ou usuelle de l'enfant, ou dans la "région de langue française" (Wallonie). Or, pareille "émigration scolaire" entraînerait de graves risques et inconvénients. Les requêtes, pour autant que la Commission les a déclarées recevables, dénoncent la violation des articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention et de l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2). Cette violation résulterait de l'application aux requérants et à leurs enfants de diverses clauses de la loi du 14 juillet 1932 "concernant le régime linguistique de l'enseignement primaire et de l'enseignement moyen", de la loi du 15 juillet 1932 "sur la collation des grades académiques", de lois des 27 juillet 1955 et 29 mai 1959, de la loi du 30 juillet 1963 "concernant le régime linguistique de l'enseignement", de la loi du 2 août 1963 "sur l'emploi des langues en matière administrative", etc. Les lois des 14 et 15 juillet 1932 ont été abrogées par celle du 30 juillet 1963, mais elles étaient en vigueur à l'époque où les requérants d'Alsemberg, de Beersel, de Kraainem, d'Anvers et de Gand ont saisi la Commission, et ces requérants continuent à les incriminer tout en s'attaquant aussi à la législation actuelle. Résumant, au paragraphe 7 de son mémoire du 17 décembre 1965, l'avis qu'elle avait exprimé dans son rapport du 24 juin 1965 (ci-après dénommé "le rapport"), la Commission a rappelé qu'elle estime: "- par 9 voix contre 3, que la législation litigieuse n'enfreint pas la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2), considérée isolément; - à l'unanimité, que ladite législation respecte la seconde phrase de cet article (P1-2), considérée isolément ou en combinaison avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention; - par 10 voix contre 2, qu'elle (la législation) ne méconnaît pas davantage l'article 8 (art. 8) de la Convention, considéré isolément ou en combinaison avec l'article 14 (art. 14+8), dans le cas des requérants; - par 9 voix contre 3, que le régime général de l'enseignement dans les zones légalement unilingues ne viole pas la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention; - par 11 voix contre 1, qu'il en va de même du "statut propre" dont l'article 7 de la loi du 2 août 1963 dote six communes bilingues de la périphérie de Bruxelles; y compris Kraainem; - par 7 voix contre 5, que les lois de 1963 sont incompatibles avec la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention, dans la mesure où elles ont pour effet le retrait total des subventions aux écoles provinciales, communales ou privées qui entretiendraient, à titre de classes non subsidiées et à côté de l'enseignement donné dans la langue que prescrivent les lois linguistiques, un enseignement complet ou partiel en une autre langue; - à l'unanimité, que les conditions auxquelles obéit, pour les enfants dont les parents résident en dehors de l'arrondissement de Bruxelles-Capitale, l'inscription dans les écoles de cet arrondissement (article 17 de la loi du 30 juillet 1963), n'enfreignent pas, dans le cas des requérants, la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention; - que les lois de 1963 ne répondent pas aux exigences de la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention, pour autant qu'elles empêchent certains enfants, sur le seul fondement de la résidence de leurs parents, d'accéder aux écoles de langue française existant à Louvain (8 voix contre 4) et dans les six communes susmentionnées de la périphérie de Bruxelles (7 voix contre 5); - par 8 voix contre 4, que la législation incriminée par les requêtes ne satisfait pas non plus à ces exigences en ce qu'elle entraîne, depuis 1932, le refus d'homologuer les certificats sanctionnant des études secondaires non conformes aux prescriptions linguistiques". Au cours de la procédure écrite, les conclusions ci-après ont été formulées sur le fond de l'affaire: - par le Gouvernement belge, dans son mémoire du 9 mai 1967: "Le Gouvernement belge propose les conclusions suivantes: (1) La législation belge incriminée dans les requêtes n'est incompatible ni avec l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2), ni avec l'article 8 (art. 8) de la Convention des Droits de l'Homme, quand ces dispositions sont considérées isolément. (2) Elle ne contredit pas davantage l'article 2, première et seconde phrases, du Protocole additionnel (P1-2) et l'article 8 (art. 8) de la Convention, même si l'on combine ces dispositions avec l'article 14 (art. 14+P1-2, art. 14+8) de la Convention. (3) Les lois de 1963 pas plus que celles de 1932 ne sont incompatibles avec l'article 2, première phrase, du Protocole additionnel, combiné avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention, pour autant qu'elles empêchent la création ou le subventionnement par l'État d'écoles qui ne se conforment pas à la législation linguistique. (4) Les lois de 1963 ne méconnaissent pas l'article 2, première phrase, du Protocole additionnel combiné avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention, pour autant qu'elles ont pour effet le retrait total des subventions à un établissement qui a une section où l'enseignement est donné dans la langue régionale, mais qui a organisé aussi un enseignement parallèle donné complètement ou partiellement en une autre langue. (5) Le régime instauré par la loi du 2 août 1963 pour les communes de la périphérie bruxelloise, y compris la commune de Kraainem, n'est pas incompatible avec l'article 2, première phrase, du Protocole additionnel combiné avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention. (6) Les conditions de résidence prévues pour l'accès aux écoles de langue française existant à Louvain et dans les communes de la périphérie bruxelloise, dont Kraainem, telles qu'elles sont établies par les lois de 1963, sont compatibles avec l'article 2, première phrase, du Protocole additionnel combiné avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention. (7) Les dispositions des lois de 1932 et de celles de 1963 sont compatibles avec l'article 2, première phrase, du Protocole additionnel combiné avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention, en tant qu'elles ont pour effet le refus de l'homologation des certificats d'études secondaires pour le seul motif que ces études n'ont pas été faites conformément aux prescriptions de la législation linguistique. Le Gouvernement belge se réserve de compléter ou de modifier ces conclusions au cours de la procédure." - par la Commission dans son mémoire du 12 juillet 1967 et, en termes presque identiques, dans celui du 17 décembre 1965, antérieur à l'arrêt du 9 février 1967: "Ainsi qu'elle l'a rappelé dans son mémoire du 17 décembre 1965, la Commission agit dans l'intérêt général et non, à proprement parler, en qualité de partie demanderesse à l'égard de la Haute Partie Contractante contre laquelle sont dirigées les requêtes soumises à son appréciation. Elle maintient donc la forme interrogative donnée à ses conclusions et invite la Cour à décider si la législation dont se plaignent les requérants répond ou non aux exigences: (a) de la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2), considérée isolément; (b) de la seconde phrase de cet article (P1-2), considérée isolément; (c) de l'article 8 (art. 8) de la Convention, considéré isolément; (d) de la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention; (e) de la seconde phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention; (f) de l'article 8 de la Convention, combiné avec l'article 14 (art. 14+8). En particulier, elle prie la Cour de se prononcer sur l'existence ou l'absence d'une violation de ces articles, ou de tel d'entre eux, dans le cas des requérants, et notamment: (a) pour autant que les lois de 1932 s'opposaient, et que les lois de 1963 s'opposent: - à la création, - au subventionnement, par l'État, d'écoles qui ne se conformeraient pas aux prescriptions générales d'ordre linguistique: (b) dans la mesure où les lois de 1963 ont pour effet le retrait total des subventions aux écoles provinciales, communales ou privées qui entretiendraient, à titre de classes non subsidiées et à côté de l'enseignement donné dans la langue que prévoient les lois linguistiques, un enseignement complet ou partiel en une autre langue; (c) quant au statut propre dont l'article 7 par. 3 de la loi du 2 août 1963 dote six communes de la périphérie de Bruxelles, y compris Kraainem; (d) quant aux conditions auxquelles obéit, pour les enfants dont les parents résident en dehors de l'arrondissement de Bruxelles-Capitale, l'inscription dans les écoles de cet arrondissement (article 17 de la loi du 30 juillet 1963); (e) en tant que l'article 7, dernier alinéa, de la loi du 30 juillet 1963 et l'article 7 par. 3 de la loi du 2 août 1963 empêchent certains enfants, sur le seul fondement de la résidence de leurs parents, d'accéder aux écoles de langue française existant à Louvain et dans les six communes mentionnées sub (c); (f) pour autant que les lois de 1932 entraînaient, et que les lois de 1963 entraînent le refus absolu d'homologuer les certificats sanctionnant des études secondaires non conformes aux prescriptions linguistiques en matière d'enseignement. Pour les motifs qu'elle a exposés à la fin de son rapport, (...), la Commission persiste pour l'instant à s'abstenir de formuler des conclusions sur les demandes de dommages-intérêts présentées par les requérants d'Alsemberg et Beersel, de Kraainem et de Louvain." - par le Gouvernement belge, dans son mémoire du 2 octobre 1967: "En ordre subsidiaire, pour le cas où la Cour estimerait devoir adopter la manière de voir de la Commission, l'État belge fait valoir des mobiles légitimes à titre de justification de la législation incriminée. Le Gouvernement belge maintient cependant à titre principal les conclusions qu'il a émises dans son premier mémoire sur le fond et réserve ses conclusions finales. Il tient: - à constater dès maintenant que les distinctions dont les requérants se plaignent, ne concernent pas les droits garantis par l'article 8 (art. 8) de la Convention, les droits des parents et des enfants en matière d'enseignement n'étant pas définis par cet article (art. 8), mais par l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2); - à constater que ces distinctions ne concernent pas le droit négatif et la liberté garantis par l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2), et qu'elles concernent des prestations positives et des faveurs que l'État peut, sans doute, accorder pour faciliter l'exercice de ce droit et de cette liberté, mais concernant lesquelles les Hautes Parties Contractantes ont déclaré expressément n'entendre souscrire aucune obligation; - à constater que ces distinctions n'atteignent pas les requérants dans leur simple désir de faire instruire leurs enfants, mais dans leur désir de leur faire donner une instruction conforme à leurs préférences linguistiques, et que les préférences linguistiques, qu'il est possible d'avoir en matière d'enseignement, ont été exclues expressément par les Hautes Parties Contractantes, du catalogue des droits et libertés garantis par la Convention européenne des Droits de l'Homme; - à constater que la règle de non-discrimination, édictée par l'article 14 (art. 14) de la Convention, ne pourrait trouver à s'appliquer aux distinctions dont les requérants se plaignent, cette règle ne s'appliquant que quand il s'agit de droits ou de libertés garantis par la Convention; - à constater que les plaintes des requérants sont dénuées de fondement." Au cours de la procédure orale ont été présentées les conclusions suivantes: - par la Commission, le 25 novembre 1967: "La Commission maintient les conclusions qu'elle a soumises à la Cour à la fin de son mémoire sur le fond de l'affaire, en se réservant toutefois le droit d'y apporter des modifications ou des compléments selon le développement des débats ultérieurs."; - par le Gouvernement belge, le 27 novembre 1967: "J'ai l'honneur de donner lecture à la Cour des conclusions que prend le Gouvernement belge dans l'état actuel de la procédure, se réservant au cours de celle-ci d'y apporter s'il a lieu les compléments ou modifications nécessaires. Conclusions principales Plaise à la Cour, Constater que les mesures dont les requérants se plaignent ne les atteignent pas dans les droits et libertés tels qu'ils sont reconnus par la Convention européenne des Droits de l'Homme et son Protocole additionnel, qu'il s'agisse des dispositions invoquées par eux à titre isolé ou combinées entre elles, et, répondant plus en détail aux questions soumises par la Commission: Dire que la législation belge n'est pas incompatible avec: (a) la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel (P1-2), considérée isolément; (b) la seconde phrase de cet article (P1-2), considérée isolément; (c) l'article 8 (art. 8) de la Convention, considéré isolément; (d) la première phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention; (e) la seconde phrase de l'article 2 du Protocole additionnel, combinée avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention; (f) l'article 8 de la Convention, combiné avec l'article 14 (art. 14+8). En particulier, le Gouvernement belge prie la Cour de se prononcer en faveur de l'absence d'une violation de ces articles ou de tels d'entre eux, dans le cas des requérants, et notamment: (a) pour autant que les lois de 1932 s'opposaient et que les lois de 1963 s'opposent à la création et à la subvention, par l'État, d'écoles qui ne se conformeraient pas aux prescriptions générales d'ordre linguistique; (b) dans la mesure où les lois de 1963 ont pour effet le retrait total des subventions aux écoles provinciales, communales ou privées qui entretiendraient, à titre de classes non subsidiées et à côté de l'enseignement donné dans la langue que prévoient les lois linguistiques, un enseignement complet ou partiel en une autre langue; (c) quant au statut propre dont l'article 7, paragraphes 1 et 3, de la loi du 2 août 1963 dote six communes de la périphérie de Bruxelles, y compris Kraainem; (d) quant aux conditions auxquelles obéit, pour les enfants dont les parents résident en dehors de l'arrondissement de Bruxelles-Capitale, l'inscription dans les écoles de cet arrondissement (article 17 de la loi du 30 juillet 1963) ; (e) en tant que l'article 7, dernier alinéa, de la loi du 30 juillet 1963 et l'article 7, paragraphes 1 et 3, de la loi du 2 août 1963 empêchent certains enfants, sur le seul fondement de la résidence de leurs parents, d'accéder aux écoles de langue française existant à Louvain et dans les six communes mentionnées sous (c); (f) pour autant que les lois de 1932 entraînaient et que les lois de 1963 entraînent le refus d'homologuer les certificats sanctionnant des études secondaires non conformes aux prescriptions linguistiques en matière d'enseignement. Conclusion subsidiaire Si la Cour admettait l'opinion exprimée par la Commission, selon laquelle l'article 2, première phrase, du Protocole additionnel consacrerait, en combinaison avec l'article 14 (art. 14+P1-2) de la Convention, l'obligation de non-distinction: Plaise à la Cour: Dire que la législation belge incriminée est conforme à cette exigence, cette législation ne contenant aucune distinction illicite ou arbitraire au détriment des requérants dans le sens où l'entend l'article 14 (art. 14) de la Convention. Plaise à la Cour: Dire que les plaintes des requérants sont dénuées de fondement."; - par la Commission, le 29 novembre 1967: "Il ne me reste qu'à confirmer les conclusions que la Commission a formulées dans son mémoire du 11 juillet 1967"; - par le Gouvernement belge, le 30 novembre 1967: "Les conclusions que nous avons eu l'honneur de déposer entre les mains de la Cour (le 27 novembre 1967) peuvent être considérées comme des conclusions finales." LE REGIME LINGUISTIQUE DE L'ENSEIGNEMENT EN BELGIQUE Le régime linguistique de l'enseignement a beaucoup évolué en Belgique depuis la fondation du Royaume (1830), dans le cadre plus vaste de l'évolution du "problème linguistique belge", sur lequel la Commission et le Gouvernement belge ont fourni à la Cour des explications détaillées (cf. notamment le paragraphe 344 du rapport et le compte rendu de l'audience, matinée du 27 novembre 1967). Avant d'examiner et de trancher les six questions énumérées dans les conclusions respectives des comparants, la Cour croit utile de donner un bref aperçu des principales lois linguistiques qui se sont succédé en Belgique, de 1914 à nos jours, dans le domaine de l'enseignement. Aux termes de l'article 17 de la Constitution belge du 7 février 1831: "L'enseignement est libre; toute mesure préventive est interdite; la répression des délits n'est réglée que par la loi. L'instruction publique donnée aux frais de l'État est également réglée par la loi." De son côté, l'article 23 prévoit ce qui suit: "L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires." Ces deux articles n'ont jamais été modifiés. Les premières lois linguistiques belges n'avaient pas trait à l'enseignement mais à la procédure pénale (lois de 1870 et de 1908) ainsi qu'au vote et à la promulgation des lois (loi de 1898). Jusqu'en 1932, les parents jouissaient en Belgique d'une assez grande liberté en ce qui concerne la langue de l'enseignement. Une loi du 19 mai 1914 rendit obligatoire l'instruction primaire. D'après son article 15, la langue maternelle ou usuelle des enfants, déterminée par la déclaration du chef de famille, était la langue véhiculaire aux divers degrés de l'enseignement et sur toute l'étendue du territoire; si le chef d'école jugeait que l'enfant n'était pas apte à suivre avec fruit les cours dans la langue désignée par le chef de famille, celui-ci disposait d'un recours auprès de l'inspection. A la faveur d'une application large de ce texte, des parents d'expression flamande faisaient instruire leurs enfants en français. Dans certaines localités de Flandre, il existait donc des écoles primaires françaises, tant publiques que privées, en sus des écoles primaires flamandes; quant à l'enseignement secondaire, il était dispensé tantôt en français tantôt moitié en français et moitié en flamand (paragraphes 138 et 345 du rapport). Ce système fut profondément modifié par la loi du 14 juillet 1932 "concernant le régime linguistique de l'enseignement primaire et de l'enseignement moyen". Le projet préparé par le gouvernement de l'époque introduisait le concept de territorialité mais réservait une certaine liberté de choix aux familles minoritaires de chaque région; l'exposé des motifs soulignait que la langue maternelle méritait le même respect que les convictions religieuses et philosophiques. Au cours des débats parlementaires, beaucoup de députés et de sénateurs, et en particulier d'élus wallons marquèrent toutefois une nette préférence pour une solution plus "territorialiste". Amendé en ce sens, le projet fut approuvé à la Chambre des Représentants par 81 voix contre 12, avec 63 abstentions, et au Sénat par 82 voix contre 25, avec 13 abstentions. Le principe de territorialité fut également retenu dans la loi du 28 juin 1932 "sur l'emploi des langues en matière administrative" et dans la loi du 15 juin 1935 "sur l'emploi des langues en matière judiciaire". La loi du 14 juillet 1932 valait pour "les écoles gardiennes et les écoles primaires communales, adoptées et adoptables", pour "les établissements régis par la loi organique de l'enseignement moyen" (athénées et écoles moyennes) et pour "les classes primaires (sections préparatoires) annexées aux écoles moyennes" (articles 1, 8, 14 et 18). Ladite loi établissait une distinction entre les régions considérées comme unilingues et les zones reconnues bilingues. Dans les premières, c'est-à-dire "la région flamande", "la région wallone" et "les communes d'expression allemande", la langue de l'enseignement était en principe celle de la région (articles 1, 8 et 14), l'étude d'une seconde langue (nationale ou non) n'étant obligatoire qu'au niveau secondaire (articles 3, 10, 11 et 16). Cette règle souffrait cependant plusieurs tempéraments. Ainsi, les articles 2, 4, 15 et 17 disposaient que les enfants dont la langue maternelle ou usuelle n'était pas la langue de la région avaient le droit de recevoir l'enseignement primaire dans leur langue maternelle. Les autorités compétentes demeuraient pourtant juges de la "réalité de ce besoin" et de "l'opportunité d'y donner satisfaction" en créant des classes de "transmutation"; les élèves inscrits dans les classes dont il s'agit devaient apprendre la langue de la région à partir du deuxième degré d'études primaires (3ème année), de manière à pouvoir suivre avec fruit dans cette langue les cours du quatrième degré, de l'enseignement technique ou de l'enseignement moyen, selon le cas. En outre, l'article 9 prévoyait que les "sections linguistiques spéciales" des athénées et des écoles moyennes subsisteraient aussi longtemps que leur fréquentation par des élèves appartenant à trois catégories bien délimitées en justifierait le maintien. Dans l'agglomération bruxelloise et les communes bilingues de la frontière linguistique, la langue véhiculaire de l'enseignement était la langue maternelle ou usuelle de l'enfant; l'enseignement de la seconde langue nationale y était obligatoire (articles 5, 6, 12, 13, 18, 19 et 22). La loi du 28 juin 1932 sur l'emploi des langues en matière administrative à laquelle renvoyait l'article 21 de celle du 14 juillet 1932, définissait l'agglomération bruxelloise en son article 2 par. 5. Les chefs de famille étaient appelés à indiquer la langue maternelle ou usuelle de leurs enfants dans la mesure où elle déterminait le régime applicable, mais l'exactitude de leur déclaration pouvait donner lieu à un contrôle (articles 7 et 20 de la loi du 14 juillet 1932). La loi du 14 juillet 1932 (article 28), complétée par l'article 13 d'une loi du 27 juillet 1955 et par l'article 24 d'une loi du 29 mai 1959 ("pacte scolaire"), instituait une sanction du respect de ses clauses: le refus ou le retrait, selon le cas, des subventions scolaires. Une seconde sanction découlait de la loi du 15 juillet 1932 sur la collation des grades académiques (cf. infra). En effet, l'État refusait d'"homologuer" les certificats d'études délivrés par les établissements qui ne se conformaient pas entièrement aux lois linguistiques. Toutefois, les élèves dont le certificat d'études n'était pas homologable avaient la ressource d'obtenir un diplôme légal en passant, dans la langue nationale de leur choix, un examen devant un jury dénommé "jury central". L'article 22 de la loi du 14 juillet 1932 prévoyait que "dans toute commune où le recensement décennal" établissait "la présence d'une population de plus de 20 %, parlant habituellement une langue autre que la langue régionale, l'enseignement de cette seconde langue" pourrait, "si les Communes ou les directions des écoles adoptées ou adoptables en" décidaient "ainsi, commencer dès le deuxième degré". De son côté, la loi du 28 juin 1932 sur l'emploi des langues en matière administrative contenait un article 3 par. 1 ainsi libellé: "Sous réserve de ce qui est stipulé à l'article 2 pour les communes de l'agglomération bruxelloise, les communes dont la majorité des habitants parle le plus fréquemment, d'après le dernier recensement décennal, une langue différente de celle du groupe linguistique auquel l'article 1er les rattache, adopteront pour leurs services intérieurs et pour la correspondance la langue de cette majorité." Depuis 1846, en effet, un recensement général de la population avait lieu périodiquement en Belgique (arrêté royal du 30 juin 1846, loi du 2 juin 1856, arrêté royal du 5 juillet 1866, loi du 25 mai 1880); aux termes d'un arrêté ministériel du 18 novembre 1880, il avait pour but de constater non seulement le nombre, le sexe et l'âge des habitants du Royaume, mais aussi leur langue. Le dernier recensement "linguistique" de la population remonte à 1947. Tout en révélant la présence, dans les provinces flamandes, d'un certain pourcentage de francophones (paragraphe 349 du rapport), il montra que les Belges d'expression flamande progressaient numériquement mais que beaucoup de Belges d'expression française s'étaient installés en région flamande, notamment aux alentours de Bruxelles. Ce double phénomène, qui paraît s'être confirmé depuis lors, provoqua de vives réactions: les Wallons taxèrent les Flamands d'"impérialisme démographique", tandis que les Flamands reprochèrent aux Wallons leur "impérialisme géographique" (compte rendu de l'audience, matinée du 27 novembre 1967). Les résultats du recensement de 1947 ne furent publiés qu'en 1954; une loi du 2 juillet 1954 atténua les conséquences qu'ils auraient dû entraîner en vertu des lois des 28 juin et 14 juillet 1932. Un nouveau recensement de la population se déroula à la fin de 1961, mais sans comporter aucune interrogation relative à l'emploi des langues (article 3 de la loi du 24 juillet 1961 et arrêté royal du 3 novembre 1961). Plus récemment, une loi du 8 novembre 1962 a modifié les limites de provinces, d'arrondissements et de communes, ainsi que plusieurs dispositions des lois des 28 juin et 14 juillet 1932. Elle aboutit à fixer définitivement le tracé de la frontière linguistique: dorénavant, les changements pouvant survenir quant à la langue parlée par la population resteront, quelle qu'en soit l'ampleur, sans influence sur le régime linguistique des différentes communes. Les lois des 14 et 15 juillet 1932 ont été abrogées par la loi du 30 juillet 1963 "concernant le régime linguistique de l'enseignement". De leur côté, les lois du 28 juin 1932 sur l'emploi des langues en matière administrative et du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire ont été remplacées, la première par une loi du 2 août 1963, la seconde par une loi du 9 août 1963. Adoptée à de fortes majorités tant par la Chambre des Représentants (157 voix contre 33) que par le Sénat (120 voix contre 17, avec 7 abstentions), la loi du 30 juillet 1963 consacre les mêmes principes que celle du 14 juillet 1932, dont elle se distingue cependant sur une série de points parfois importants. Aux termes de son article 1er, la nouvelle loi s'applique aux établissements officiels et aux établissements libres subventionnés ou reconnus par l'État, et ce à tous les niveaux de l'enseignement à l'exception de l'enseignement universitaire, lequel n'est d'ailleurs pas en cause dans la présente affaire. Elle renvoie pourtant, en ce qui concerne six communes de la périphérie de Bruxelles, à l'article 7 de la loi du 2 août 1963 sur l'emploi des langues en matière administrative. Elle se réfère également (article 2) à ladite loi pour la définition des régions linguistiques. Son article 3 complète la liste de ces régions en annonçant que les vingt-cinq communes de la frontière linguistique, les communes de la région de langue allemande, les "communes malmédiennes" et neuf autres communes de l'Est du pays "sont dotées d'un régime spécial en vue de la protection de leurs minorités". Les limites de ces diverses régions sont fixées définitivement. L'article 4 de la loi du 30 juillet 1963 a trait aux régions unilingues. Il dispose que la langue de l'enseignement est le néerlandais dans la région de langue néerlandaise, le français dans la région de langue française et l'allemand dans la région de langue allemande, des atténuations étant toutefois prévues pour cette dernière (article 8). Dans ces régions l'étude de la seconde langue est facultative au niveau de l'enseignement primaire (article 9); la loi du 30 juillet 1963 ne la réglemente pas expressément pour les établissements secondaires (paragraphes 176, 211 et 367 d) du rapport). Les dix-neuf communes de l'arrondissement de Bruxelles-Capitale (articles 5 et 21) connaissent un régime bilingue fondé sur le critère de la langue maternelle ou usuelle de l'enfant; l'étude de la seconde langue nationale y est obligatoire au niveau primaire et facultative au niveau secondaire (articles 10 et 11). Six communes de la périphérie de Bruxelles, dont Kraainem, sont "dotées d'un statut propre" (article 7 par. 3 de la loi du 2 août 1963). L'enseignement s'y dispense normalement en néerlandais. Cependant, l'enseignement gardien et primaire - non l'enseignement secondaire - peut y être donné en français à l'enfant dont cette langue est la langue maternelle ou usuelle, à condition que le chef de famille habite dans une de ces communes. La commune doit organiser un tel enseignement si seize chefs de famille résidant sur son territoire le demandent. Dans les écoles néerlandaises des six communes en question, l'étude du français est facultative tandis que celle du néerlandais est obligatoire dans les écoles françaises. La loi du 30 juillet 1963 institue enfin plusieurs régimes spéciaux. Le seul d'entre eux qu'il y ait lieu d'analyser en l'espèce est celui de Louvain (cf. infra); pour les autres, il suffira de renvoyer aux articles 3, 6, 7, 10 et 20 de la loi et aux passages pertinents du rapport de la Commission (communes "dotées d'un régime spécial en vue de la protection de leurs minorités"; enfants des militaires en garnison à Ostende, Bourg-Léopold et Arlon; enfants quittant la commune de leur domicile pour des raisons de santé ou parce que leurs parents n'ont pas de résidence fixe; écoles européennes). Le Chapitre V de la loi du 30 juillet 1963 organise un "contrôle linguistique". En région unilingue, les élèves accèdent sans aucun contrôle aux écoles qui dispensent leur enseignement dans la langue de la région, mais il n'en va pas de même lorsque "la langue maternelle ou usuelle de l'enfant détermine le régime linguistique" applicable (Bruxelles-Capitale, classes françaises de Louvain et des six communes de la périphérie de Bruxelles, etc.). Dans cette dernière hypothèse, le chef d'école ne peut inscrire un enfant dans un régime déterminé que sur production soit "d'un certificat du chef de l'école que l'élève vient de quitter, attestant qu'il a fait ses études antérieures dans la langue de ce régime", soit "d'une déclaration linguistique du chef de famille, visée par l'inspection linguistique dans tous les cas où celle-ci ne met pas en doute l'exactitude de cette déclaration", soit "d'une décision de la commission ou du jury mentionnés à l'article 18" (article 17, deuxième alinéa; cf. également les troisième, quatrième et cinquième alinéas et l'arrêté royal du 30 novembre 1966 fixant le modèle du certificat et de la déclaration linguistiques). L'inspection linguistique incombe à deux inspecteurs "appartenant à l'un et l'autre rôle linguistique" et dont les désaccords éventuels sont soumis à une commission composée par le Roi; le chef de famille peut en appeler de la décision soit des inspecteurs, soit de la commission, auprès d'un jury constitué lui aussi par le Roi (article 18 et arrêtés royaux du 30 novembre 1966 sur le statut et le fonctionnement de l'inspection linguistique), sans préjudice d'un recours ultérieur au Conseil d'État (paragraphe 210 du rapport). Pour l'arrondissement de Bruxelles-Capitale et les six communes de la périphérie, la loi du 2 août 1963 (articles 6 et 7 paras. 1 et 5) a créé un organe supplémentaire de contrôle: le "commissaire du gouvernement, vice-gouverneur de la province de Brabant". Le respect des clauses de la loi du 30 juillet 1963 se trouve assorti de plusieurs sanctions. Aux termes du sixième alinéa de l'article 17, "toute inscription fausse ou inexacte" d'un élève "par le chef d'école peut entraîner des peines disciplinaires" - dans les écoles officielles - ou, pour les écoles provinciales, communales ou privées, "la privation des subventions pour une période qui n'excédera pas six mois par infraction". Plus généralement, il ressort de l'article 1er que les établissements privés ne peuvent recevoir de subventions de l'État s'ils n'observent pas le régime linguistique de l'enseignement; d'ailleurs, la loi du 30 juillet 1963 n'abroge ni l'article 13 de la loi du 27 juillet 1955, ni l'article 24 de la loi du 29 mai 1959. En outre, la législation de 1963 a pour effet le retrait total des subventions à l'école provinciale, communale ou privée qui entretiendrait, à titre de classes non subsidiées et à côté de l'enseignement donné dans la langue que prévoient les lois linguistiques, un enseignement complet ou partiel en une autre langue (articles 1 et 4 de la loi du 30 juillet 1963, circulaires ministérielles des 9 et 29 août 1963, etc.). Une autre sanction résulte de l'article 19 de la loi du 30 juillet 1963: "sont seuls homologables les certificats d'études faites conformément à (cette) loi dans les établissements visés à l'article 1er et dans les autres établissements libres". A ce principe, le deuxième alinéa du même article apporte une exception qui ne paraît cependant pas entrer en ligne de compte dans la présente affaire. Les lois de 1963, tout comme celles de 1932, laissent intacte la possibilité de remédier au refus d'homologation par un examen passé devant un jury central. Les articles 17 et 23, précités, de la Constitution belge n'ont pas été révisés et restent en vigueur. Partant, les enfants de la région de langue néerlandaise, y compris ceux d'expression flamande, peuvent recevoir sur place un enseignement dispensé en français - ou dans une langue quelconque - par les parents, par un précepteur ou par une école privée non subsidiée. Le chef de famille qui use de cette faculté n'encourt aucune peine et s'acquitte valablement de son obligation scolaire (cf. p. ex. l'article 1er des lois coordonnées du 20 août 1957 sur l'enseignement primaire), pourvu que pareil enseignement réponde aux conditions scientifiques et techniques fixées par la loi. Il en va de même, mutatis mutandis, sur l'ensemble du territoire du Royaume. A cet égard, les lois de 1932 et de 1963 n'ont pas modifié la situation antérieure.
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La demande de la Commission et la requête du Gouvernement ont pour objet de soumettre l’affaire Matznetter à la Cour, afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de la République d’Autriche, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de l’article 5, paragraphes 3 et 4 (art. 5-3, art. 5-4), et de l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention. Les faits de la cause, tels qu’ils ressortent du rapport de la Commission, du mémoire du Gouvernement, des autres documents produits et des déclarations orales des représentants respectifs de la Commission et du Gouvernement, peuvent se résumer ainsi: M. Otto Matznetter, ressortissant autrichien né le 21 décembre 1921, a son domicile à Vienne. Incorporé dans l’armée allemande en septembre 1940, il fut blessé en novembre 1941 et tomba aux mains des forces soviétiques. Il subit en mars 1943, dans un camp de prisonniers, l’amputation de la jambe et de la moitié de la cuisse droites; il demeura en Union Soviétique jusqu’au mois d’août 1945. Libéré pour incapacité de travail, il regagna l’Autriche en septembre 1945. A la suite de son amputation et d’un refroidissement contracté pendant sa captivité, il souffre d’une affection du myocarde et d’une surdité complète de l’oreille droite; il perçoit une pension en qualité d’invalide de guerre à 80 %. Trois enfants sont issus de son mariage, célébré en 1946. De retour en Autriche, le requérant y termina ses études. Il obtint notamment le grade académique de "Diplomkaufmann" (hautes études commerciales) et, en mars 1948, le diplôme de docteur ès sciences commerciales (Doktor der Handelswissenschaften). Peu de temps après, il se vit attribuer un poste à la Direction des Finances de la région de Vienne, de Basse-Autriche et du Burgenland. Dans l’exercice de ses fonctions, il fut appelé en 1951 à vérifier la compatibilité de la société Schiwitz et Cie. Fondée en 1939 par MM. Fritz Schiwitz et Franz Knapitsch, cette société se livrait à l’achat et la revente de céréales, de farine, etc. En 1955, Fritz Schiwitz acquit la société "Arista Tierfutter und chemische Produkte" et en fit don à sa femme, Margarete Schiwitz. Celle-ci devint, en 1956, propriétaire de 80 % des parts de la société "Adolf Stögmüller", qui se consacrait à la fabrication et au négoce de produits alimentaires pour animaux, d’engrais, etc. Au début de 1957, la société "Arista Tierfutter und chemische Produkte" et la société "Adolf Stögmüller" créèrent avec Margarete Schiwitz les "Vereinigte Mischfutterwerke" (VMW). La société "Arista" se retira des VMW en 1962 et se transforma en une société anonyme, les "Arista-Mischfutterwerke", dont Margarete Schiwitz détenait toutes les actions. Comme quatre autres entreprises, dont la société "Arista-Graz", dépendaient elles aussi des époux Schiwitz à des degrés divers, on parlait couramment du "groupe Schiwitz" ("Schiwitz-Konzern"). Otto Matznetter, qui avait quitté la fonction publique en avril 1954, ouvrit un cabinet de conseiller fiscal le 1er janvier 1955. Sa nouvelle profession l’amena très vite à s’occuper des intérêts du groupe Schiwitz à titre de conseiller fiscal, économique et financier adjoint, puis principal; il fut nommé en outre fondé de pouvoir (Einzelprokurist) de la société "Schiwitz et Cie" (1960), gérant (Geschäftsführer) de la société "Arista-Graz" (1961) et président du Conseil d’administration des "Arista-Mischfutterwerke" (1963). Il paraît avoir joué en pratique, aux côtés de Margarete Schiwitz, un rôle prépondérant dans chacune des "entreprises Schiwitz". Il en arriva même à se vouer presque exclusivement à cette activité. Il semble avoir vécu à l’époque sur un grand pied, voire au-dessus de ses moyens, pourtant considérables. Les 13 et 15 mai 1963, la police économique (Wirtschaftspolizei) de Vienne demanda au Tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) de cette ville l’arrestation immédiate de Margarete Schiwitz, Fritz Schiwitz et Otto Matznetter. Elle soupçonnait les deux premiers d’avoir commis le délit de banqueroute simple (fahrlässige Krida, article 486, paragraphes 1 et 2, du Code pénal) et le crime d’escroquerie qualifiée (Betrug, articles 197, 200, 201 alinéa (d) et 203 du Code pénal), le troisième de leur avoir prêté son concours sur ce dernier point (Beihilfe, article 5 du Code pénal, combiné avec les articles 197 et suivants). En droit autrichien, l’escroquerie devient un crime (Verbrechen) si le dommage causé ou escompté dépasse 2.500 schillings; la peine encourue est la réclusion "rigoureuse" (schwerer Kerker) de cinq à dix ans s’il excède 25.000 schillings, ou si le criminel a montré "une audace ou une ruse particulières", ou s’il s’agit d’un escroc habituel (articles 200 et 203 du Code pénal). A l’époque, ces deux montants s’élevaient à 1.500 et 10.000 schillings respectivement; une loi du 4 juillet 1963 les a portés à leur niveau actuel. De fait, la demande du 15 mai 1963 relevait que les trois intéressés devaient s’attendre à une lourde peine car un établissement de crédit, le Creditanstalt-Bankverein, avait subi par leur faute un préjudice de plusieurs millions de schillings; elle en déduisait qu’il existait en l’espèce un danger de fuite (Fluchtgefahr) aggravé, dans le cas des époux Schiwitz, par la circonstance que ceux-ci disposaient de biens à l’étranger, à savoir une ferme en Angola. Toujours selon la police économique, il y avait aussi danger de "suppression des preuves" (Verdunkelungs- und Verabredungsgefahr): ni les témoins ni les inculpés n’avaient encore été entendus et l’on pouvait redouter, de la part des seconds, des manoeuvres tendant à empêcher la manifestation de la vérité ou à gêner la marche de l’instruction. De son côté, le Parquet (Staatsanwaltschaft) de Vienne paraît avoir invité le Tribunal, les 14 et 15 mai 1963, à ouvrir contre Margarete Schiwitz, Fritz Schiwitz et Otto Matznetter une instruction préparatoire (Voruntersuchung) assortie de leur arrestation immédiate. Un juge d’instruction du Tribunal pénal régional de Vienne accueillit aussitôt ces diverses demandes. Aux termes des mandats d’arrêt (Haftbefehle) délivrés par lui le 15 mai 1963, les époux Schiwitz et le requérant étaient soupçonnés d’avoir accompli des actes d’escroquerie qualifiée (articles 197, 200, 201, alinéas (a) et (d), et 203 du Code pénal), de banqueroute frauduleuse (betrügerische Krida, article 205 (a) du Code pénal) et de banqueroute simple (article 486, paragraphes 1 et 2, du Code pénal) à l’occasion de prêts qu’ils avaient obtenus auprès du Creditanstalt-Bankverein et de nombreux autres créanciers; leurs tractations avaient entraîné, estimait-on, un dommage de l’ordre de quatre-vingts à cent millions de schillings. Les mandats se référaient à l’article 175, paragraphe 1, alinéas 2 à 4 (danger de fuite, danger de suppression des preuves et danger de "répétition des infractions", Wiederholungsgefahr) et à l’article 180, paragraphe 1, du Code autrichien de procédure pénale. En ce qui concerne les dangers de fuite et de suppression des preuves, le mandat décerné contre Matznetter reprenait en substance les motifs avancés par la police économique (paragraphe 4 supra). Il invoquait en outre, au sujet du premier de ces dangers, la possibilité que l’intéressé échappât aux poursuites en se rendant en Angola avec ses deux coïnculpés. Le mandat ajoutait que les manquements (Verfehlungen) du requérant s’étaient déroulés pendant une période si longue qu’il en résultait un danger de répétition des infractions. Les trois arrestations ainsi décidées furent exécutées le 15 mai 1963. Pour sa part, Matznetter fut appréhendé vers 21 heures 45, soit près de douze heures après Fritz Schiwitz; il se trouvait en compagnie de Margarete Schiwitz, d’un avocat, Me Promitzer et, semble-t-il, de sa propre femme. D’autres arrestations eurent lieu ultérieurement dont celles de Herbert Roth (mai 1963), Vilma Iby (mai 1963), Elisabeth Stögmüller (octobre 1963) et Adolf Stögmüller (décembre 1964), qui exerçaient diverses fonctions dans les entreprises Schiwitz, et celle de Karl Udolf (mai 1963), directeur d’une agence du Creditanstalt-Bankverein. Conformément aux dispositions du droit autrichien (ständige Geschäftsverteilung), la conduite de l’instruction échut automatiquement au Juge d’instruction Gerstorfer qui s’occupait déjà, à l’époque, de quelques affaires de moindre importance. Le requérant fut entendu assez longuement par la police économique les 16 et 17 mai (douze pages de procès-verbaux); le 18 mai, il comparut devant le Landesgerichtsrat Tinhof pour un court interrogatoire d’identité (une page de procès-verbal) puis, le 20 mai, devant le Juge Gerstorfer (une demi page de procès-verbal). Ce dernier lui signifia sa mise en détention préventive, conformément à l’article 176, paragraphe 1, du Code de procédure pénale. Matznetter se déclara prêt à tout faire pour accélérer la marche de l’instruction. Le 27 décembre 1963, le requérant forma une première demande de libération provisoire sur parole (Gelöbnis, article 191 du Code de procédure pénale); il la compléta le 7 janvier 1964. Au sujet du danger de fuite, il soulignait en substance: - que deux semaines environ avant son arrestation, il avait appris par la presse que les agissements du groupe Schiwitz avaient été dénoncés à la justice par une société concurrente; que la chose lui avait été confirmée le 10 mai par l’un des deux présidents-directeurs généraux du Creditanstalt-Bankverein; qu’il n’avait pourtant point cherché, ni même songé à se soustraire aux poursuites imminentes, ce dont pouvait témoigner Me Leon, avocat du Creditanstalt-Bankverein; qu’il était, bien au contraire, demeuré à Vienne où il avait assidûment participé à des négociations qui aboutirent à une transaction extrajudiciaire entre les sociétés Schiwitz et leurs créanciers, dont le Creditanstalt-Bankverein; que s’il ne s’était pas présenté spontanément à la police le 15 mai, c’était pour prévenir sa femme et pour attendre le retour d’un avocat; - que depuis son arrestation, il avait aidé de son mieux la police économique et le magistrat instructeur; qu’il avait relaté, entre autres, les circonstances de son entrée au service du groupe Schiwitz; qu’il avait décrit en outre les raisons purement émotionnelles qui l’avaient amené, en 1957-1958, à défendre Margarete Schiwitz contre des maîtres-chanteurs; qu’il avait également dépeint la manière autoritaire et abusive dont elle l’avait entraîné peu à peu dans un "cercle infernal" (Teufelskreis), le contraignant à établir de faux bilans tout en lui cachant, jusqu’en mars 1963, l’ampleur de l’endettement du groupe; - qu’il était invalide à 80 % à la suite de son amputation et des affections dont il souffrait (lésion du myocarde, otosclérose et surdité complète de l’oreille droite); que sa famille résidait à Vienne; que son épouse avait dû reprendre, en juillet 1963, son ancienne profession d’assistante sociale bien qu’elle eût contracté pendant la guerre une tuberculose osseuse et pulmonaire qui l’avait obligée à passer trois ans dans un sanatorium; que leurs trois enfants, âgés de quatre ans et demi, neuf ans et onze ans et demi, étaient laissés sans surveillance; qu’il avait fallu, faute de ressources suffisantes, retirer les deux aînés du lycée français de Vienne; - qu’il ne possédait pas de biens à l’étranger où il n’avait pas davantage la possibilité de transférer des fonds; qu’il était du reste criblé de dettes et que son avocat, Me Czerwenka, avait eu beaucoup de mal à lui épargner jusque là l’introduction d’une instance en déconfiture (Insolvenzverfahren); - qu’il n’avait jamais subi de condamnation et jouissait d’une bonne réputation; - qu’il ruinerait d’ailleurs, s’il s’enfuyait, sa seule chance de sauver son honneur, son foyer et sa vie personnelle, à savoir un procès de nature à éclaircir toute l’affaire. Matznetter contestait aussi l’existence d’un danger de suppression des preuves: il relevait que chacune des pièces nécessaires à l’instruction avait été mise à l’abri par le tribunal ou par la police, que l’on avait déjà interrogé en détail les principaux intéressés, y compris les inculpés, et que les rapports d’expertise à rédiger ne se prêtaient pas à des manoeuvres collusoires. Le requérant rappelait enfin que son cabinet se trouvait placé sous le contrôle d’un administrateur provisoire et que les sociétés Schiwitz étaient gérées par le plus important de leurs créanciers, le Creditanstalt-Bankverein. Il en inférait qu’il n’y avait pas non plus de danger de répétition des infractions. Après avoir fait l’objet, le 16 janvier 1964, d’un bref avis défavorable du Parquet, la demande fut repoussée le lendemain par le Juge d’instruction. Ce dernier considéra en effet, comme le Parquet, que ni le danger de fuite ni le danger de répétition des infractions n’avaient disparu: il estima que la persistance du premier résultait de l’énormité du dommage causé - environ 123 millions de schillings - et de la gravité de la peine à prévoir en conséquence, celle du second de la durée et du caractère méthodique des tractations incriminées. Matznetter attaqua cette décision le 28 janvier 1964. En sus de certains de ses arguments antérieurs, il invoquait les suivants: - d’après un arrêt rendu par la Cour Suprême d’Autriche (Oberster Gerichtshof) le 29 avril 1960, la gravité de la peine à laquelle il faut s’attendre ne crée une "présomption légale de danger de fuite" que s’il s’agit d’un crime puni de dix années de réclusion au minimum (cf. les premiers mots de l’article 192 du Code de procédure pénale); dans tous les autres cas, et partant en l’espèce, les juridictions compétentes doivent vérifier in concreto l’existence d’un tel danger; or, le magistrat instructeur avait manqué à cette obligation; - de son côté, l’article 175, paragraphe 1, alinéa 4, du Code de procédure pénale se révélerait dénué de sens s’il se contentait d’un risque purement abstrait, en l’occurrence celui de voir le requérant se servir de ses qualifications professionnelles pour commettre de nouvelles infractions en dehors, par hypothèse, du groupe Schiwitz dont la gestion incombait désormais au Creditanstalt-Bankverein. La Chambre du Conseil (Ratskammer) du Tribunal pénal régional de Vienne rejeta le recours (Beschwerde) le 10 février 1964. Elle commença par énumérer une série d’éléments d’où elle déduisit qu’il y avait danger de fuite: - Matznetter avait joué un rôle considérable dans les "entreprises Schiwitz"; - il encourait une lourde peine, ne fût-ce qu’en raison de l’énorme dommage causé (au minimum 80 millions de schillings) et de la manière systématique dont il avait trompé la confiance d’autrui; - les circonstances de son arrestation semblaient montrer qu’il avait cherché à s’enfuir; en effet, on n’avait pu l’appréhender que tard dans l’après-midi du 15 mai 1963 et après une véritable poursuite (eine ständige Verfolgungsfahrt); il se trouvait en compagnie de Margarete Schiwitz, qui portait sur elle son passeport et 16.000 schillings, et de Me Promitzer qui, d’après l’inculpée Elisabeth Stögmüller, avait entraîné le frère de celle-ci, Adolf Stögmüller, à gagner l’étranger; - en avril 1963, nul ne prévoyait en réalité une intervention de la police ou de la justice dans une affaire que le Creditanstalt-Bankverein et le "groupe Schiwitz" s’employaient à étouffer; - entre le début de 1960 et le mois de mars 1963, plus de neuf millions de schillings prêtés par le Creditanstalt-Bankverein à la société Schiwitz et Cie avaient été transférés en Allemagne et en Italie à l’initiative d’Adolf Stögmüller, sans qu’il fût prouvé qu’ils correspondaient à des importations à payer; seules de longues investigations (langwierige Untersuchungen) permettraient de déterminer si Adolf Stögmüller avait rapatrié cette somme depuis lors; - le requérant avait des relations à l’étranger: en 1962, il avait visité la propriété que Fritz Schiwitz avait acquise en Angola; en outre, il avait fréquemment voyagé hors d’Autriche avec Margarete Schiwitz; - sa situation financière devait être considérée comme bonne en dépit de dettes dépassant 500.000 schillings. La Chambre du Conseil conclut aussi à l’existence d’un danger de répétition des infractions. A cet égard, elle releva notamment que Matznetter avait commencé son activité frauduleuse dès 1957, l’avait poursuivie avec énergie et méthode et ne se souciait pas de réparer le préjudice causé. Elle en inféra qu’on pouvait le soupçonner de vouloir s’y livrer derechef s’il recouvrait sa liberté, d’autant que les "entreprises Schiwitz" n’avaient pas encore été liquidées et que, chose incompréhensible, il n’en avait pas été écarté (nicht entfernt) quand le Creditanstalt-Bankverein en avait assumé la gestion. Le requérant écrivit au Parquet le 11 février 1964. Se référant à une conversation qu’il avait eue la veille avec le Juge Gerstorfer et avec Me Czerwenka, il présentait l’"offre" suivante: vu l’absence de motifs légaux de détention et eu égard à sa situation personnelle et familiale, il serait élargi jusqu’à l’ouverture du procès; en échange, il contribuerait à l’achèvement rapide de l’instruction en fournissant des pièces et des renseignements; il pourrait aussi aider le Creditanstalt-Bankverein à réaliser les avoirs du groupe Schiwitz et à recouvrer certaines créances. Le Parquet répondit au magistrat instructeur, le 14 février, qu’il n’apercevait aucune raison de revenir sur son avis défavorable du 16 janvier. Le 18 février 1964, Me Czerwenka exerça un recours dirigé contre la décision du 10 février. Soulignant que la défense n’avait pas encore été autorisée à étudier le dossier, il formulait d’expresses réserves au sujet des constatations de fait sur lesquelles la Chambre du Conseil avait cru pouvoir s’appuyer à la lumière des premiers résultats de l’instruction. D’après lui, ces constatations ne revêtaient d’ailleurs aucune importance en la matière: elles ne prouvaient nullement l’existence de motifs de détention, l’instruction préparatoire n’ayant pas le même but que l’examen d’une demande de libération provisoire. Partant de là, Me Czerwenka reprochait à la Chambre du Conseil d’avoir tiré argument de la gravité de la peine encourue par le requérant et d’avoir commis ainsi la même erreur juridique que le Juge d’instruction. Il avançait en outre: - que Matznetter avait joué un rôle subalterne dans le "groupe Schiwitz"; - que s’il avait réellement voulu s’échapper, il ne serait pas resté à Vienne après l’arrestation de Fritz Schiwitz; que les 16.000 schillings trouvés sur Margarete Schiwitz ne permettaient pas de parler de préparatifs de fuite, spécialement en ce qui concernait le requérant; qu’à supposer que Me Promitzer eût déterminé Adolf Stögmüller à gagner l’étranger, il n’avait point persuadé Matznetter d’imiter cet exemple; - que le Creditanstalt-Bankverein et le requérant s’attendaient bel et bien, en avril 1963, à l’ouverture de poursuites; qu’ils n’avaient pas essayé d’étouffer l’affaire, mais seulement d’aboutir à une transaction extrajudiciaire lésant le moins possible les créanciers du "groupe Schiwitz"; - que même si des fonds avaient été transférés en Allemagne et en Italie à l’initiative d’Adolf Stögmüller, rien ne montrait que Matznetter eût la faculté d’en disposer; qu’après plusieurs mois d’instruction, on concevait mal la nécessité de "longues investigations" sur ce point; que les garanties accordées par la loi aux détenus se révéleraient illusoires s’il fallait procéder à de telles investigations pour établir l’absence de motifs de détention, motifs dont il incombait aux tribunaux de prouver au contraire la présence; - que le requérant ne jouissait d’aucun droit sur le domaine, au demeurant grevé d’hypothèques et connu de lui de longue date, dont Fritz Schiwitz était propriétaire en Angola; qu’il n’avait pas non plus les moyens de se rendre en ce pays lointain; que la mise en liberté provisoire d’un homme d’affaires détenu n’entrerait presque jamais en ligne de compte si le simple fait d’avoir voyagé à l’étranger et d’y avoir des relations passait pour créer un danger de fuite; - que l’on ne discernait pas comment la Chambre du Conseil avait pu tout à la fois qualifier de bonne la situation financière de Matznetter et mentionner les lourdes dettes de ce dernier; que même une bonne situation financière ne justifiait d’ailleurs pas la crainte d’un danger de fuite; - qu’il n’y avait pas davantage danger de répétition des infractions, les circonstances ayant changé depuis l’époque des actes reprochés au requérant; qu’en effet, les sociétés du "groupe Schiwitz" se trouvaient placées sous l’administration de leur principal créancier; qu’il était dès lors non seulement erroné, mais offensant pour le Creditanstalt-Bankverein, de prétendre que le requérant pourrait se livrer à nouveau à l’établissement de faux bilans et à d’autres activités semblables s’il recouvrait sa liberté; qu’en outre, Matznetter contribuait de son mieux à la recherche de la vérité; que son attitude démentait donc l’assertion, du reste dénuée de pertinence, d’après laquelle il n’avait cure de réparer le préjudice causé par lui; qu’enfin, sa détention ne lui permettait guère de prendre des mesures tendant à effacer ce préjudice. Le 10 mars 1964, le requérant adressa lui-même à la Cour d’Appel (Oberlandesgericht) un mémoire complémentaire. Il alléguait notamment: - que les transferts de fonds litigieux n’auraient pas été découverts sans ses déclarations, ce qui montrait qu’il n’y avait point trempé; - qu’il n’était allé en Angola qu’à la demande instante des époux Schiwitz et à seule fin d’y négocier, avec l’aide du Consulat d’Autriche, un accord de paiement avec des créanciers; que les Schiwitz n’avaient pas respecté l’arrangement ainsi conclu; qu’on l’en avait tenu pour responsable, de sorte que toutes ses "relations" en Angola avaient rompu avec lui. Il était cependant trop tard: dès le 4 mars, la Cour d’Appel de Vienne avait confirmé la décision du 10 février, estimant que celle-ci reposait sur une motivation détaillée à laquelle il suffisait de renvoyer. Le 13 novembre 1964, soit sept mois et dix jours après avoir saisi la Commission, Matznetter présenta une deuxième demande de libération provisoire dans laquelle il réitérait beaucoup de ses arguments antérieurs et invoquait en outre l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), et l’article 6, paragraphe 2 (art. 6-2), de la Convention. En sus de sa parole, il offrait la constitution éventuelle d’une sûreté par deux garants nommément désignés, à savoir un commerçant et un conseiller fiscal (article 193, paragraphe 1, du Code de procédure pénale et article 1374 du Code civil). Le 23 novembre 1964, le Parquet exprima un avis négatif: à ses yeux, les considérations développées dans la décision du 10 février conservaient toute leur valeur. Sans se prononcer par écrit, fût-ce sous la forme d’une simple opinion, le magistrat instructeur informa la Chambre du Conseil de la demande du requérant et de l’avis susmentionné du Parquet; on ignore si son rapport verbal s’accompagnait d’une recommandation expresse, favorable ou défavorable à un élargissement. La Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional rejeta la demande le 3 décembre 1964. Au sujet du danger de fuite, elle releva entre autres que le requérant avait son passeport sur lui, dans sa voiture (seinen Reisepass bei sich im Auto hatte), au moment de son arrestation. Elle ajouta que l’existence d’un danger de répétition des infractions rendait superflu, eu égard à l’article 192 du Code de procédure pénale ("... la détention ordonnée en raison du danger de fuite ... peut ne pas être exécutée ou être levée moyennant ..."), l’examen des garanties offertes. Le requérant attaqua cette décision le 14 décembre 1964. Reprenant, pour la développer, la thèse qu’il avait défendue précédemment, il soulignait aussi que la Convention avait rang de loi constitutionnelle en Autriche depuis le 4 mars 1964 et qu’elle primait donc l’article 175 du Code de procédure pénale; d’après lui, une détention préventive de plus de dix-huit mois excédait le "délai raisonnable" prévu à l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention. Signé par Me Czerwenka, le recours fut complété par deux mémoires que Matznetter rédigea lui-même. Le premier, daté du 21 décembre 1964, s’efforçait d’abord de prouver derechef l’absence de danger de fuite. Il mettait notamment l’accent sur les points suivants: - aux termes de l’arrangement extrajudiciaire du 13 mai 1963, le Creditanstalt-Bankverein et les autres créanciers avaient renoncé à leurs réclamations civiles contre les inculpés; - le requérant n’avait joué qu’un rôle secondaire dans les tractations incriminées, lesquelles au demeurant avaient commencé bien avant son entrée au service du "groupe Schiwitz"; - s’il avait établi de faux bilans, c’était sans intention dolosive ni esprit de lucre, mais sous la contrainte de Margarete Schiwitz; - en s’acquittant de ses fonctions, il avait constamment cherché à sauver, puis assainir les "sociétés Schiwitz" et à ménager les intérêts des tiers; - loin de s’attendre à un verdict sévère, il souhaitait donc l’ouverture rapide de son procès qui lui donnerait, en public, l’occasion de reconnaître ses torts, mais aussi de se justifier et d’invoquer des circonstances atténuantes "extraordinaires" (allusion à l’article 265 (a) du Code de procédure pénale); - il pensait avoir purgé par avance la majeure partie, voire la totalité de sa peine éventuelle, car il avait déjà passé dix-neuf mois en prévention et pouvait, en sa qualité de délinquant primaire, tabler sur une mise en liberté anticipée (allusion à l’article 55 a) du Code pénal et à la loi de 1949/1960 sur la libération conditionnelle); dès lors, et compte tenu de son invalidité et de son incapacité d’exercer une profession quelconque à l’étranger, il n’avait aucune raison de songer à s’enfuir, solution qu’il n’avait d’ailleurs pas adoptée à l’époque où elle s’offrait à lui; - après avoir appris, le 15 mai 1963 vers midi, l’arrestation de Fritz Schiwitz, il avait déclaré à Margarete Schiwitz, Me Promitzer et Me Czerwenka qu’il fallait absolument retarder la sienne jusqu’au lendemain; il voulait en effet rencontrer Me Leon, qui avait mené les négociations extrajudiciaires au nom du Creditanstalt-Bankverein et devait rentrer dans la soirée d’un voyage à Hambourg; il désirait également avertir sa femme qui ignorait tout de l’affaire; il avait du reste réussi à l’atteindre à la dernière minute et à lui parler dans la voiture de Me Promitzer jusqu’au moment où il fut appréhendé par la police; quant à son passeport, qu’il utilisait comme pièce d’identité même en Autriche, il ne l’avait point "sur lui": il l’avait laissé à sa place habituelle, à savoir la boîte à gants de sa propre voiture qui, endommagée la veille, se trouvait garée en ville à une assez grande distance; l’expression "ständige Verfolgungsfahrt", employée dans la décision du 10 février 1964 et digne d’un Sherlock Holmes, ne correspondait par conséquent pas à la réalité. Concernant le danger de répétition des infractions, Matznetter soulignait à nouveau que son cabinet, déserté par les deux tiers de ses clients et par son principal collaborateur, était géré par un administrateur provisoire. Il ajoutait que d’après un rapport de la police économique, les entreprises Schiwitz avaient été liquidées. Il rappelait encore qu’il avait participé jusqu’au bout, moyennant un effort intense et au détriment de ses intérêts personnels et familiaux, à l’élaboration d’un règlement extrajudiciaire lésant le moins possible les créanciers. En conclusion, le requérant relevait que l’idée de son élargissement paraissait avoir eu cette fois l’appui du magistrat instructeur; il dépeignait la situation critique de son épouse et de ses enfants et affirmait que sa détention l’empêchait de préparer sa défense. Dans son mémoire du 7 janvier 1965, Matznetter tira un argument supplémentaire de la libération de Fritz Schiwitz, survenue le 30 décembre 1964: s’estimant moins gravement impliqué dans l’affaire, il demandait le bénéfice d’une mesure analogue. La Cour d’Appel de Vienne repoussa le recours le 20 janvier 1965 après avoir noté: - que le requérant était soupçonné d’avoir frauduleusement extorqué (betrügerisch herausgelockt) à plusieurs banques, depuis 1958 et de concert avec d’autres inculpés, environ cent vingt millions de schillings par la cession de créances fictives, par l’émission de traites de complaisance (Gefälligkeitswechsel) et de chèques sans provision et par l’établissement de faux bilans, causant ainsi un dommage qui atteignait au bas mot quatre-vingts millions de schillings; - qu’au sujet du danger de répétition des infractions, la Cour pouvait se borner à renvoyer aux motifs, détaillés et convaincants, de la décision litigieuse; que ces motifs se trouvaient d’autant moins réfutés que la thèse de Me Czerwenka contredisait sur un point celle de Matznetter lui-même: d’après le recours du 14 décembre 1964, la liquidation des "entreprises Schiwitz" n’avait pas encore eu lieu tandis que le mémoire du 21 décembre en parlait comme d’une chose accomplie; - que le requérant s’était, de son propre aveu, tenu caché à un moment donné; qu’une telle attitude ("Sich[er]verborgenhalten") suffisait à justifier la crainte de le voir se soustraire aux poursuites si on l’élargissait; que dans cette mesure, la Cour se ralliait aussi au raisonnement de la Chambre du Conseil quant au danger de fuite; qu’il importait peu de savoir si Matznetter avait sur lui son passeport lors de son arrestation ou s’il l’avait laissé dans sa voiture; que la mise en liberté provisoire de Fritz Schiwitz n’affaiblissait en rien les décisions des 10 février et 3 décembre 1964; qu’en effet, la Chambre du Conseil avait constaté la persistance du danger de fuite - et de lui seul, du reste - dans le cas du coïnculpé Schiwitz, danger que l’intéressé avait cependant écarté en fournissant une garantie. Le 21 avril 1965, le requérant forma une troisième demande de libération provisoire qui ne s’accompagnait pas, cette fois, d’une offre de garanties. Il s’y plaignait d’abord, en termes généraux, du rejet de ses demandes antérieures et de l’indigence des motifs (mangelhafte Begründungen) retenus par les juridictions compétentes qui, à l’en croire, n’avaient nullement réfuté sa thèse. La décision d’élargir Fritz Schwiwitz, ajoutait-il, prouvait que ni la nécessité de tirer au clair les virements de fonds incriminés, ni la perspective d’une fuite en Angola ne constituaient, dans le cas de son coïnculpé et a fortiori dans le sien propre, des considérations défendables. Concernant le danger de répétition des infractions, il rappelait qu’il avait perdu toute influence sur les "sociétés Schiwitz" à la suite de leur transfert (faktische Übergabe) à leur principal créancier, de la vente de l’une d’entre elles et de la liquidation imminente des autres; il tirait argument, ici encore, de la mise en liberté de Fritz Schiwitz et soulignait que sa procuration avait expiré. Il insistait aussi sur le fait que sa requête no 2178/64 avait été déclarée recevable par la Commission européenne des Droits de l’Homme le 16 décembre 1964. Il affirmait enfin souffrir d’hypertension, d’une lésion du myocarde, d’arythmie et d’un oedème au niveau du mollet et de la cheville; selon lui, ces diverses affections étaient imputables à sa détention et risquaient de provoquer des troubles permanents de nature à réduire sa capacité de travail, voire d’entraîner sa mort, s’il ne sortait pas de prison à bref délai. Le 26 avril 1965, le Juge d’instruction communiqua la demande au Parquet qui, trois jours plus tard, suggéra que l’Institut de Médecine Légale de l’Université de Vienne examinât l’état de santé de Matznetter. L’expertise en question fut établie le 21 mai 1965 - dix jours après la clôture de l’instruction préparatoire (paragraphe 13, infra) – mais ne parvint au Tribunal pénal régional qu’un mois plus tard, soit le 21 juin. Longue de sept pages, elle arrivait à la conclusion que le requérant se trouvait atteint d’une maladie grave, au sens de l’article 398 du Code de procédure pénale, qui le rendait inapte à subir sa détention (nicht haftfähig). Le 25 juin, le Parquet informa le Juge Gerstorfer qu’il ne s’opposait plus à la libération du requérant, eu égard au rapport d’expertise que ce magistrat lui avait communiqué le 23. Ni ledit rapport, ni l’avis du Parquet ne paraissent avoir donné lieu à des commentaires du Juge d’instruction. Le 8 juillet 1965, la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne, ordonna l’élargissement de Matznetter sur parole pour les motifs suivants: "(...) Dans sa nouvelle demande d’élargissement du 21 avril 1965, il (l’inculpé) soutient à présent, en substance, qu’il n’y a point de danger de répétition des infractions: (...) toute influence sur les sociétés lui aurait été retirée par l’effet de leur transfert à leur principal créancier; en outre, une maladie menaçant sa vie se serait déclarée chez lui. La Chambre du Conseil ne peut plus demeurer fermée à ces arguments, d’autant que d’après un rapport de l’Institut de Médecine Légale de l’Université de Vienne, l’inculpé Otto Matznetter souffre réellement d’une grave maladie. Dans ces conditions, ce n’est pas seulement le danger de répétition des infractions qui disparaît mais aussi le danger de fuite, et ce surtout du fait que sur la base dudit rapport, l’inculpé doit être considéré comme inapte à purger sa peine en cas de condamnation, de sorte qu’il n’existe à l’heure actuelle aucune raison spéciale de nature à justifier la crainte d’une fuite (...)." En conséquence, le requérant recouvra sa liberté le 8 juillet 1965 vers 16 heures 45, après avoir prêté le serment prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale. Sa détention préventive avait donc duré, sans interruption, vingt-cinq mois et vingt-trois jours. Plusieurs coïnculpés avaient été relâchés avant Matznetter avec ou sans constitution de sûretés, notamment Vilma Iby (20 septembre 1963), Herbert Roth (23 octobre 1963), Elisabeth Stögmüller (23 mars 1964), Karl Udolf (26 octobre 1964) et Fritz Schiwitz (30 décembre 1964). Quant à Margarete Schiwitz, elle sortit de prison le même jour et à la même heure que le requérant. Le 4 avril 1966, le Juge d’instruction Gerstorfer a déposé devant deux membres de la Sous-commission. Ceux-ci lui ont demandé, notamment, quelles différences existaient, aux yeux des autorités compétentes, entre le cas du requérant et ceux de Karl Udolf et Fritz Schiwitz quant à la possibilité d’un élargissement. Sur ce point, le témoin n’a pas fourni d’explication précise. Répondant ensuite à certaines questions relatives à l’état de santé de Matznetter, il a déclaré en substance: - qu’il avait été surpris de lire, dans la demande du 21 avril 1965, que le requérant souffrait d’une grave maladie, car l’intéressé n’avait jamais séjourné à l’hôpital annexe de la prison; - qu’avant le mois d’avril 1965, il n’y avait aucune raison de croire à la nécessité d’un examen médical. Les différentes décisions de la Chambre du Conseil et de la Cour d’Appel concernant les demandes de mise en liberté provisoire de Matznetter ont été rendues, conformément aux articles 113 et 114 du Code de procédure pénale, à l’issue de séances non publiques au cours desquelles le Parquet avait été entendu en l’absence de l’inculpé et de son avocat (in nichtöffentlicher Sitzung nach Anhörung der Staatsanwaltschaft bezw. der Oberstaatsanwaltschaft). Le Juge d’instruction a cependant affirmé devant les délégués de la Sous-commission, le 4 avril 1966, qu’il n’avait pas manqué de communiquer verbalement à la Chambre du Conseil les observations personnelles du requérant. Quant aux magistrats du Parquet, la Commission n’a pu déterminer s’ils avaient présenté à la Chambre du Conseil et à la Cour d’Appel une argumentation détaillée ou s’ils s’étaient contentés d’exprimer brièvement leur avis. Le 11 mai 1965, soit un peu moins de deux mois avant l’élargissement du requérant, le Juge Gerstorfer avait prononcé la clôture de l’instruction préparatoire et communiqué au Parquet le dossier qui comprenait, sans les annexes, dix-sept volumes dont plusieurs dépassaient mille pages (articles 111 et 112 du Code de procédure pénale). Devant la Commission, les Parties se sont accordées à reconnaître la grande complexité des faits que le magistrat instructeur devait s’efforcer d’élucider. La difficulté résidait, pour l’essentiel, dans la nature et le volume des tractations litigieuses. L’instruction visait à l’origine dix-neuf personnes et avait trait à de nombreux chefs d’inculpation. Il s’agissait notamment de retracer l’évolution économique et financière des sociétés Schiwitz de manière à découvrir la date à laquelle leur endettement était devenu excessif; d’étudier leur correspondance, leur comptabilité, leur portefeuille d’effets, les procès-verbaux de séance de leurs organes statutaires et leurs relations avec plus d’une douzaine de banques; d’examiner en détail une masse d’opérations portant sur des centaines de millions de shillings et s’échelonnant sur six années environ, pour déterminer si elles avaient revêtu un caractère frauduleux: cessions de créance, virements à l’étranger, établissement de bilans, émission de lettres de change et de chèques, constitution d’hypothèques, etc.; de rechercher le rôle joué dans chacune de ces opérations par les différents inculpés et en particulier par certains employés de banque que l’on soupçonnait de connivence. Dans l’accomplissement de sa tâche, le Juge d’instruction bénéficia de l’assistance de la police qui, en l’occurrence, agissait sur ses directives et en qualité d’auxiliaire de la justice (articles 24 à 27 du Code de procédure pénale). Il décida en outre, le 22 mai 1964, de recourir aux services d’un expert économique, M. Schwarzenberg, et d’un expert en matière de banque, M. Kosian. Datés respectivement du 26 mars et du 1er avril 1965, les rapports de MM. Schwarzenberg et Kosian totalisaient 490 pages auxquelles s’ajoutaient des centaines de pages d’annexes. Le 4 avril 1966, le Juge Gerstorfer a souligné devant deux délégués de la Sous-commission qu’en désignant ces deux experts il avait eu pour but d’accélérer la procédure. En l’espèce, aucune mesure d’instruction ne se révéla nécessaire en dehors du territoire autrichien. Toutefois, l’un des inculpés, Adolf Stögmüller, avait gagné les États-Unis puis le Mexique et une demande d’extradition fut présentée à son sujet au début de 1964. Adolf Stögmüller retourna cependant en Autriche de son plein gré à la fin de décembre 1964. Au cours de ses interrogatoires, qui commencèrent aussitôt pour s’achever le 17 février 1965, il ne fit pas de déclarations de nature à mettre en cause le requérant. Trente et un témoins furent entendus par la police entre le 13 mai 1963 et le 21 mai 1964, tant à Vienne qu’en d’autres lieux (130 pages de procès-verbaux). Du 17 mars 1964 au 28 avril 1965, le magistrat instructeur en interrogea de son côté quarante-neuf dans la capitale (287 pages de procès-verbaux); onze des dépositions qu’il recueillit ainsi concernaient Matznetter. Après le 20 mai 1963 (paragraphe 7 ci-dessus), le requérant comparut plus de quarante fois devant le Juge Gerstorfer, à savoir six fois entre le 20 novembre et le 19 décembre 1963, quatre ou cinq fois au début de février 1964, vingt-sept ou vingt-huit entre le 27 août et le 11 novembre 1964 et quatre entre le 24 février et le 3 mars 1965. Les procès-verbaux couvrent 441 pages. Indépendamment de ses auditions par le magistrat instructeur, Matznetter fut entendu à onze reprises par la police économique de Vienne en mai, juillet et août 1963 (63 pages de procès-verbaux). Après la clôture de l’instruction, le Parquet de Vienne chargea un procureur - libéré au préalable de toute autre obligation - d’étudier le dossier et de rédiger, le cas échéant, un acte d’accusation (Anklageschrift, article 207 du Code de procédure pénale). La préparation de ce document dura un peu plus de dix mois: à un moment donné, le procureur compétent pensait l’achever en septembre 1965 au plus tard, mais il ne la termina que le 15 mars 1966. L’acte d’accusation fut communiqué au Tribunal pénal régional de Vienne (article 208 du Code de procédure pénale) le 13 avril 1966, soit environ quatre semaines après son établissement. Long de 365 pages, il visait sept personnes à savoir, dans l’ordre, Margarete Schiwitz, Fritz Schiwitz, Otto Matznetter, Karl Udolf, Adolf Stögmüller, Herbert Roth et Vilma Iby. Les poursuites intentées contre les douze autres inculpés (paragraphe 14 ci-dessus) avaient été disjointes en raison de leur moindre importance, apparemment à l’initiative du Parquet. Pour sa part, le requérant était accusé d’escroquerie qualifiée (articles 197, 200, 201, alinéas (a) et (d), et 203 du Code pénal), de complicité de "gestion infidèle" qualifiée (Untreue, articles 5 et 205 (c) du Code pénal) et d’infraction à l’article 24, paragraphe 1 (a) et (b), de la loi du 25 juillet 1946 sur les devises. Quelques-unes seulement des tractations incriminées ne le concernaient pas; le montant du préjudice dont il avait à répondre dépassait 83.000.000 schillings, dont 71.270.000 pour le Creditanstalt-Bankverein et près de 9.750.000 pour la Girozentrale der Österreichischen Sparkassen (Office central de Virement des caisses d’épargne autrichiennes). Le Parquet demandait notamment l’ouverture de la procédure de jugement devant le Tribunal pénal régional de Vienne, la citation des accusés, la convocation de cinquante-deux témoins et des experts Schwarzenberg et Kosian, ainsi que la lecture d’une série de pièces. Le requérant attaqua l’acte d’accusation, mais en vain: la Cour d’Appel de Vienne rejeta son opposition (Einspruch) le 2 septembre 1966 (articles 208 à 214 et 219 du Code de procédure pénale); la mise en accusation devint ainsi définitive. Le Tribunal pénal régional de Vienne, constitué en Tribunal d’échevins (Schöffengericht), a rendu son jugement le 6 février 1967 après vingt-trois journées de débats. Il a déclaré Matznetter coupable: - d’avoir accompli, de mars 1957 au printemps 1963, une série d’actes d’escroquerie qualifiée qui avaient gravement lésé la Girozentrale der Österreichischen Sparkassen (au moins 8.200.000 schillings), le Creditanstalt-Bankverein (plus de 70.000.000 schillings), la Caisse d’épargne du district de Mürzzuschlag (environ 92.500 schillings) et la Caisse d’épargne de Kindberg (environ 291.500 schillings); - d’avoir intentionnellement amené et aidé Karl Udolf à commettre, de l’été 1962 à la mi-février 1963, le crime de "gestion infidèle" aux dépens du Creditanstalt-Bankverein (environ 1.600.000 schillings); - d’avoir enfreint, de 1959 au printemps 1963, la loi du 25 juillet 1946 sur les devises et l’Ordonnance no 5/59 de la Banque nationale d’Autriche. En conséquence, le Tribunal a infligé au requérant sept ans de réclusion rigoureuse, aggravée d’un jour de jeûne par trimestre, et une amende de 5.000 schillings convertible en une semaine d’arrêts. Il a, en outre, réservé les droits de la partie civile et celui, pour le Parquet, d’engager contre Matznetter des poursuites pour gestion infidèle qualifiée au détriment de M. Franz Knapitsch; il a prononcé l’acquittement du requérant quant au surplus. Margarete Schiwitz, Fritz Schiwitz, Karl Udolf, Adolf Stögmüller, Herbert Roth et Vilma Iby ont eux aussi été condamnés, la première aux mêmes peines que Matznetter, les cinq autres plus légèrement. Le requérant a bénéficié de l’imputation de la durée de sa détention préventive sur celle de sa peine (article 55 a) du Code pénal). A la différence des autres condamnés, Margarete Schiwitz et lui-même ont attaqué le jugement du 6 février 1967 au moyen d’un appel (Berufung) doublé d’un pourvoi en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde). La Cour Suprême (Oberster Gerichtshof) a statué en 1969; elle a rejeté le pourvoi de Matznetter mais accueilli en partie son appel et, en conséquence, a ramené la peine à six ans. Dans la requête qu’il a introduite devant la Commission le 3 avril 1964 (no 2178/64), Matznetter s’en prenait aux décisions rendues par la Chambre du Conseil le 10 février 1964 et par la Cour d’Appel le 4 mars 1964. Il alléguait la violation: - des articles 6, paragraphe 1, et 5, paragraphe 3 (art. 6-1, art. 5-3), de la Convention; - de l’article 5, paragraphe 4 (art. 5-4). Sur le premier point, il affirmait que sa cause ne serait pas entendue "dans un délai raisonnable" par le tribunal qui aurait à statuer sur le bien-fondé de l’accusation dirigée contre lui. Il avançait en outre que sa détention avait d’ores et déjà duré plus que de raison et soulignait qu’on ne l’avait pas élargi "pendant la procédure"; il se référait également à l’article 6, paragraphe 2 (art. 6-2). Quant au second point, le requérant dénonçait le caractère non contradictoire de la procédure suivie pour l’examen de ses demandes de mise en liberté, par exemple celle du 27 décembre 1963. Il invoquait aussi, à cet égard, l’esprit de la Convention, l’article 6, paragraphe 3 (art. 6-3), et les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. La Commission a examiné le premier grief sous l’angle du seul article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), et le second sous celui des articles 5, paragraphe 4 (art. 5-4), et 6, paragraphe 1 (art. 6-1). Le 16 décembre 1964, elle a déclaré la requête recevable, après quoi une Sous-commission a établi les faits de la cause et recherché en vain un règlement amiable (articles 28 et 29 de la Convention) (art. 28, art. 29). Devant la Commission et la Sous-commission, le requérant a fait valoir que sa détention préventive s’était prolongée au-delà du "délai raisonnable" prévu à l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention. A l’appui de cette thèse, il a repris la plupart des arguments qu’il avait développés auprès du Juge d’instruction, de la Chambre du Conseil et de la Cour d’Appel de Vienne. Il a souligné de surcroît: - que si le caractère, "raisonnable" ou excessif, de la durée d’une détention préventive peut s’apprécier à la lumière des circonstances de la cause, il faut pourtant le déterminer par rapport à l’inculpé, et non en fonction des avantages qu’une instruction approfondie présente pour les autorités compétentes; - que malgré les efforts diligents du magistrat instructeur, l’instruction préparatoire n’avait pas progressé avec la rapidité nécessaire; qu’après le 20 mai 1963, en effet, Matznetter avait dû attendre six mois pour comparaître, à sa demande expresse d’ailleurs, devant le Juge Gerstorfer; que jusqu’au mois d’août 1964, ce dernier ne l’avait pas interrogé sur son rôle personnel dans les tractations incriminées; que le magistrat instructeur avait à s’occuper non seulement de cette affaire très complexe, mais encore de plusieurs autres; que la police économique l’avait assurément secondé mais que les tâches accomplies par elle sortaient en l’espèce du cadre normal d’une instruction de par leur ampleur inaccoutumée; que d’ailleurs si la police agit théoriquement, en pareil cas, sur les directives et en auxiliaire du juge, elle ne cesse par pour cela de relever du Ministère de l’Intérieur, et non du Ministère de la Justice. En second lieu, Matznetter a critiqué la procédure non contradictoire à laquelle obéit, en Autriche, l’examen des demandes de mise en liberté provisoire (articles 113 et 114 du Code de procédure pénale), ainsi que la manière dont on l’avait appliquée en l’occurrence. Il a invoqué sur ce point l’article 5, paragraphe 4 (art. 5-4), de la Convention et, dans une moindre mesure, les paragraphes 1, 2 et 3 (c) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-c). Le requérant a demandé la réparation du préjudice prétendument subi. Après l’échec de la tentative de règlement amiable à laquelle la Sous-commission compétente avait procédé, la Commission plénière a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Adopté le 4 avril 1967, ce document a été transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 28 juin 1967. La Commission y exprime l’avis suivant: - par neuf voix contre une: la détention du requérant a duré au-delà d’un "délai raisonnable", de sorte qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention; - par six voix contre deux, avec deux abstentions: la procédure concernant la mise en liberté du requérant a respecté les articles 5, paragraphe 4 (art. 5-4), et 6, paragraphe 1 (art. 6-1). Le rapport contient plusieurs opinions individuelles, les unes concordantes, les autres dissidentes. Arguments de la Commission et du Gouvernement I. SUR LE CARACTÈRE RAISONNABLE DE LA DURÉE DE LA DÉTENTION PRÉVENTIVE DU REQUÉRANT (ARTICLE 5, PARAGRAPHE 3, DE LA CONVENTION) (Art. 5-3) Dans son rapport du 4 avril 1967, la Commission a suivi la méthode, dite des sept "critères" ou "éléments", qu’elle avait adoptée pour se prononcer sur les affaires Wemhoff, Neumeister et Stögmüller (voir par exemple publications de la Cour, Série A, affaire Neumeister, arrêt du 27 juin 1968, pages 23-24). Après avoir appliqué chacun de ces critères au cas d’espèce, elle les a appréciés dans leur ensemble. Les éléments dont l’examen incitait, d’après elle, à conclure au caractère "déraisonnable" de la durée de la détention préventive litigieuse, à savoir les quatre premiers, lui ont paru l’emporter sur ceux qui, à ses yeux, tendaient vers une conclusion différente. Elle a exprimé, par neuf voix contre une, l’avis qu’il y avait eu, en conséquence, violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention. Lors des audiences des 11 et 12 février 1969, les Délégués de la Commission ont basé leurs déclarations, pour l’essentiel, sur les arrêts rendus entre temps par la Cour dans les affaires Wemhoff et Neumeister. Se référant notamment au paragraphe 5 de la partie "En Droit" du second de ces arrêts, ils ont résumé les arguments que le requérant avait avancés à l’appui de ses trois demandes de mise en liberté provisoire et les raisons pour lesquelles les juridictions autrichiennes compétentes avaient repoussé les deux premières et accueilli la troisième. Les Délégués ont cité en outre le paragraphe 16 des motifs de l’arrêt concernant l’affaire Wemhoff; la Cour y aurait laissé entendre que la durée effective d’une détention peut, à l’occasion, devenir déterminante pour l’appréciation de son caractère raisonnable. D’autres circonstances seraient elles aussi pertinentes pour la solution du problème qui se pose sur le terrain de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3): les mesures prises, du 20 novembre 1963 jusqu’à la clôture de l’instruction, pour que le Juge Gerstorfer pût se consacrer entièrement à l’affaire Schiwitz et consorts (rapport de la Commission, paragraphe 72); le fait que les initiatives de Matznetter n’avaient guère gêné ce magistrat dans l’accomplissement de sa tâche (ibidem, paragraphe 44); la situation de famille du requérant et son état de santé. Sur ce dernier point, les Délégués ont signalé que l’intéressé ne semblait pas avoir invoqué sa condition physique en faveur de son élargissement, sauf dans sa demande du 21 avril 1965. Selon la Commission, on ne saurait expliquer ou justifier la longueur de la détention de Matznetter par des faits qui survinrent ultérieurement; seules entreraient en ligne de compte les données existant à l’époque, à l’exclusion du jugement de condamnation du 6 février 1967. La Commission ne croit pas devoir préciser à quel moment ladite détention lui paraît avoir excédé un "délai raisonnable". Il s’agirait en effet d’une situation continue qui ne se prêterait pas à une division en deux périodes dont la première serait "raisonnable" et la seconde "déraisonnable". De l’avis de la Commission, pareille division conduirait d’ailleurs à confondre les exigences du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3) avec celles du paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c), confusion que le Gouvernement aurait pourtant manifesté le souci légitime d’éviter (voir plus loin, paragraphe 5). D’après la Commission, la durée de détention dont il y a lieu de vérifier la conformité avec l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), s’étend du 15 mai 1963 au 8 juillet 1965. Le Gouvernement ayant objecté que la présente affaire avait uniquement trait à la détention antérieure au dépôt de la requête (15 mai 1963 - 3 avril 1964; voir plus loin, paragraphe 6), les Délégués ont commencé par souligner l’importance de cette question qui toucherait aux domaines de compétence respectifs de la Commission et de la Cour et aurait dû, à leurs yeux, être soulevée devant la première. Ils ont aussi rappelé que dans son arrêt du 20 mars 1962, la Cour a pris en considération un élément - la loi belge du 30 juin 1961 – postérieur non seulement à la requête initiale de M. De Becker, mais à l’adoption du rapport de la Commission et même à la saisine de la Cour. Les Délégués ont répondu ensuite aux arguments que le Gouvernement a tirés de l’article 26 (art. 26) de la Convention. A leur avis, un requérant a le droit de s’adresser à la Commission avant d’avoir épuisé les voies de recours internes: il suffit que cette condition se trouve remplie au moment où la Commission statue sur la recevabilité de la requête. La jurisprudence de la Commission serait constante à cet égard; elle aurait été confirmée récemment dans une décision du 18 juillet 1968 (requête no 2614/65, Ringeisen contre République d’Autriche, Recueil de Décisions de la Commission, no 27, pages 51-52) et s’appuierait sur le texte anglais de l’article 26 (art. 26) et sur le but de la règle de l’épuisement. Les mots "deal with" et "être saisie" viseraient l’examen du fond de l’affaire, examen que la Commission ne saurait aborder sans épuisement préalable des voies de recours internes. En revanche, ils n’interdiraient pas à la Commission de tenir compte de faits postérieurs à la requête, de tels faits pouvant du reste jouer en faveur du Gouvernement intéressé si les recours exercés ont abouti, dans l’intervalle, au résultat que le requérant souhaitait. L’article 27 par. 3 (art. 27-3) renforcerait cette interprétation: il impliquerait que la Commission doit s’assurer de la recevabilité de la requête; il présupposerait donc l’introduction d’une requête. En outre, la thèse contraire empêcherait de joindre au fond la question de l’épuisement, solution que la Commission a pourtant adoptée dans certaines affaires. Bien que l’article 26 (art. 26) se réfère aux "principes de droit international généralement reconnus", il n’y aurait point de parallélisme intégral entre la protection diplomatique et le système original instauré par la Convention, du moins pour ce qui est des requêtes de simples particuliers. En l’espèce, l’épuisement des voies de recours internes concernant la première demande d’élargissement de Matznetter aurait eu lieu le 4 mars 1964, soit quelques semaines avant le dépôt de la requête et plusieurs mois avant la décision de recevabilité du 16 décembre 1964. Quant aux demandes présentées après une longue détention préventive, les Délégués doutent qu’elles constituent de véritables recours internes au sens de l’article 26 (art. 26). Pour le surplus, les Délégués ont renvoyé aux observations qu’ils avaient formulées lors des audiences relatives à l’affaire Stögmüller. Dans sa requête du 31 juillet 1967, le Gouvernement avait exprimé l’opinion que le rapport de la Commission se fondait, pour autant qu’il avait trait à l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), sur un raisonnement juridique erroné, un établissement incorrect des faits de la cause et une appréciation inexacte des éléments de preuve. Le mémoire du 22 décembre 1967 a développé cette thèse en détail. Le Gouvernement y a invoqué des arguments assez voisins de ceux qu’il avait avancés dans l’affaire Neumeister (voir les pages 29 à 34, paragraphes 18 à 27, de l’arrêt du 27 juin 1968). Il a, notamment, élevé des objections de principe contre la méthode des critères, contre son application à l’analyse des faits et contre le critère no 1; il a aussi contesté la manière dont la Commission avait utilisé en l’espèce les critères no 2, 3 et 4. Lors des audiences du 12 février 1969, les représentants du Gouvernement ont basé une partie de leurs plaidoiries sur les arrêts rendus entre temps par la Cour dans les affaires Wemhoff et Neumeister. D’après eux, les motifs qui ont entraîné le rejet des deux premières demandes de mise en liberté provisoire du requérant étaient concluants et convaincants: danger de fuite et danger de répétition des infractions n’auraient jamais disparu pendant la détention litigieuse; les décisions prononcées à l’époque par la Chambre du Conseil (spécialement le 10 février 1964) et par la Cour d’Appel en auraient donné la preuve et le jugement de condamnation du 6 février 1967 la confirmation. Au demeurant, Matznetter n’aurait point réussi à démontrer l’absence de ces deux dangers, ni à fournir d’autres éléments de nature à militer en faveur d’un élargissement plus rapide. Il n’aurait signalé un tel élément, à savoir sa maladie, que dans sa troisième et dernière demande, celle précisément qui aboutit au résultat voulu par lui. Le Gouvernement considère pourtant que la méthode définie par la Cour dans les deux arrêts du 27 juin 1968 (voir par exemple le paragraphe 5 de la partie "En Droit" de l’arrêt concernant l’affaire Neumeister) risque de conduire à effacer la nette distinction que l’on doit, selon lui, observer entre le paragraphe 1 (c) et le paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-1-c, art. 5-3). La présente instance n’aurait pas trait à la régularité de la détention (paragraphe 1 (c) de l’article 5) (art. 5-1-c), mais seulement sa durée (paragraphe 3) (art. 5-3). Il importerait peu, par conséquent, de vérifier l’existence de motifs plausibles de détention, au sens du paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c); l’impression d’ensemble, la procédure tout entière, seraient déterminantes. Il s’agirait en somme de rechercher si un organe de l’État autrichien a retardé la procédure sans nécessité, faute de quoi le Gouvernement estime qu’on ne saurait l’accuser d’avoir manqué aux exigences du paragraphe 3 (art. 5-3). A cet égard, le Gouvernement a beaucoup insisté sur les difficultés extraordinaires auxquelles se serait heurtée l’instruction préparatoire: se référant ici encore au jugement du 6 février 1967, il a souligné l’ampleur des tractations incriminées, l’habileté des inculpés, leur nombre, le comportement de l’un d’entre eux (Adolf Stögmüller), l’enchevêtrement presque inextricable des diverses entreprises du "groupe Schiwitz" et la grande complexité des problèmes de droit pénal qu’il avait fallu résoudre. Il a rappelé en outre que les autorités compétentes, soucieuses d’accélérer la marche de la procédure dans la mesure du possible, avaient ordonné la disjonction de certaines poursuites et dispensé le Juge Gerstorfer, du 20 novembre 1963 au 10 mai 1965, de l’obligation de s’occuper d’affaires nouvelles. La Commission n’aurait d’ailleurs constaté aucune lenteur anormale. Sans doute des intervalles de plusieurs mois se sont-ils écoulés entre différents interrogatoires de Matznetter, mais le magistrat instructeur les aurait utilisés à d’autres travaux liés à la même affaire. Seuls les efforts déployés dans la conduite de l’instruction expliqueraient que vingt-trois journées d’audience aient suffi au Tribunal pénal régional de Vienne pour maîtriser la matière d’un procès d’une telle envergure. Quant à la situation de famille et à l’état de santé du requérant, ils n’auraient aucun rapport avec la décision à rendre en l’espèce. De l’avis du Gouvernement, la Cour devrait préciser, si elle concluait malgré tout à l’existence d’une violation du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3), à quel moment cette violation a commencé. Comme nul ne conteste la régularité de l’arrestation initiale de Matznetter (paragraphe 1 (c) de l’article 5) (art. 5-1-c), pareille conclusion impliquerait en effet, d’après le Gouvernement, que la durée de la détention litigieuse est restée raisonnable pendant un temps déterminé. Or, tout État contractant aurait le droit de savoir à partir de quand il a enfreint la Convention. La réponse à cette question revêtirait aussi une importance primordiale pour l’application éventuelle du paragraphe 5 de l’article 5 (art. 5-5). Dans son mémoire du 22 décembre 1967, le Gouvernement avait d’autre part reproché à la Commission d’avoir pris en considération la période de détention postérieure au dépôt de la requête (3 avril 1964 - 8 juillet 1965): selon lui, la Commission ne peut examiner que les faits dont elle se trouve saisie au moyen d’une requête présentée en vertu de l’article 24 (art. 24) ou de l’article 25 (art. 25), et une requête ne saurait concerner, en bonne logique, que des événements antérieurs à son introduction. La Cour a écarté, par un arrêt du 27 juin 1968, une thèse semblable que le même Gouvernement avait défendue dans l’affaire Neumeister (voir les pages 30 et 38 de l’arrêt). Le Gouvernement n’en a pas moins confirmé sa position les 11 et 12 février 1969. A ses yeux, la détention sur laquelle la Cour a compétence pour se prononcer n’a duré que du 15 mai 1963 au 3 avril 1964 (ou au 4 mars 1964: voir plus loin). L’arrêt rendu par la Cour le 20 mars 1962, et mentionné par les Délégués de la Commission (voir plus haut, paragraphe 3), serait dépourvu de pertinence en l’espèce: à la différence de celle dont se plaignait De Becker, la situation d’une personne placée en détention préventive n’aurait pas un caractère permanent; elle se modifierait à chaque seconde jusqu’à l’élargissement. En sus des articles 24 et 25 (art. 24, art. 25), le Gouvernement a invoqué avec force l’article 26 (art. 26) de la Convention tout en précisant qu’il n’entendait pas contester la recevabilité de la requête de Matznetter. L’article 26 (art. 26) interdirait à la Commission de s’occuper de faits pour lesquels les voies de recours internes n’ont pas été épuisées avant le dépôt de la requête. En l’occurrence, la "matter" dont parle l’article 26 (art. 26) serait la longueur de la détention subie jusqu’à la saisine de la Commission: la période subséquente n’a pas donné lieu à des recours internes dont l’échec ait amené l’intéressé à former une ou plusieurs requêtes nouvelles. La Commission elle-même aurait considéré, à l’origine, que l’épuisement des voies de recours internes doit s’apprécier à la date de l’introduction de l’instance: cela ressortirait de l’article 41, paragraphe 2, de son Règlement intérieur. Sans doute a-t-elle adopté depuis lors une conception plus souple, notamment dans sa décision sur la recevabilité de la requête no 2614/65 (voir plus haut, paragraphe 3). Elle aurait cependant eu le tort de s’appuyer exclusivement sur le libellé anglais de l’article 26 (art. 26) ("deal with"). Elle aurait ainsi perdu de vue la nécessité - rappelée par la Cour dans un arrêt du 27 juin 1968 (affaire Wemhoff, page 23, paragraphe 8) - de rechercher une solution compatible avec le texte français ("être saisie"): comment imaginer que la Commission "s’occupe" (deals with) d’une affaire dont elle ne serait pas "saisie"? L’unique manière de concilier la version anglaise avec la version française consisterait à se fonder sur la seconde. La première n’aurait d’ailleurs pas la portée que la Commission lui prête: examiner la recevabilité d’une requête serait déjà "deal with the matter". L’article 26 (art. 26) de la Convention se bornerait du reste à consacrer une règle traditionnelle du droit des gens, règle à laquelle doctrine et pratique auraient toujours attribué un sens formel. L’interprétation extensive retenue par la Commission serait isolée: la thèse d’après laquelle point n’est besoin d’attendre la décision interne définitive pour exercer le droit de protection diplomatique ou pour s’adresser à une autorité internationale ne trouverait apparemment d’appui dans aucun ouvrage scientifique. Selon le Gouvernement, au demeurant, l’article 26 (art. 26) in fine entraînerait un résultat absurde si "être saisie" était synonyme de "se prononcer sur la recevabilité": il obligerait la Commission à statuer sur la recevabilité de la requête dans les six mois qui suivent la décision interne définitive. Répondant à une question de la Cour, les représentants du Gouvernement ont reconnu que les arguments tirés par eux de l’article 26 (art. 26) doivent, en bonne logique, conduire à la conclusion que la période de détention à examiner en l’espèce ne s’étend pas au-delà du 4 mars 1964, date de la dernière décision interne antérieure au dépôt de la requête. Les recours ultérieurs n’entrant pas en ligne de compte, il serait sans intérêt de constater que les voies de recours internes étaient épuisées lors de l’adoption du rapport de la Commission (4 avril 1967) et que le Juge d’instruction aurait pu à tout moment, en accord avec le Parquet et le cas échéant d’office, mettre fin à la détention litigieuse. En outre, un recours restait pendant le jour où la Commission a déclaré la requête recevable (16 décembre 1964), à savoir le recours exercé par Matznetter auprès de la Cour d’Appel de Vienne contre la décision par laquelle la Chambre du Conseil avait repoussé, le 3 décembre 1964, sa deuxième demande d’élargissement. Les représentants du Gouvernement ont concédé qu’ils n’avaient pas soulevé devant la Commission la question de la période à considérer. Ils ont affirmé qu’ils n’avaient alors aucune raison d’agir de la sorte, car ils pensaient que la Commission s’occuperait uniquement de l’objet de la requête; seule la lecture du rapport leur aurait révélé que la Commission avait outrepassé sa compétence. Sans doute le Gouvernement n’avait-il pas arrêté au 3 avril (ou au 4 mars) 1964 le tableau qu’il avait établi pour fournir à la Commission des renseignements détaillés sur le déroulement de l’instruction ouverte contre Matznetter (annexe III au rapport). Cette attitude n’impliquerait cependant nullement l’acceptation d’un examen portant sur toute la durée de la détention préventive du requérant; elle refléterait, sans plus, le très large esprit de coopération qui animait le Gouvernement. Le fait que ce dernier présente à la Cour un argument juridique nouveau ne signifierait point qu’il ait renoncé à l’invoquer devant la Commission, mais simplement qu’il ne l’apercevait peut-être pas à l’origine. Pour le surplus, les représentants du Gouvernement ont renvoyé aux observations qu’ils avaient formulées lors des audiences relatives à l’affaire Stögmüller. II. SUR LA PROCÉDURE SUIVIE POUR L’EXAMEN DES DEMANDES DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE DU REQUÉRANT (ARTICLES 5, PARAGRAPHE 4, ET 6, PARAGRAPHE 1ER, DE LA CONVENTION) (Art. 5-4, Art. 6-1) Dans son rapport du 4 avril 1967, la Commission a exprimé par six voix contre deux, avec deux abstentions, l’avis que la procédure suivie pour l’examen des demandes de libération provisoire du requérant n’a violé ni l’article 5, paragraphe 4 (art. 5-4), ni l’article 6, paragraphe 1er (art. 6-1), de la Convention; elle s’est fondée sur des motifs semblables à ceux qu’elle avait retenus dans l’affaire Neumeister à propos d’un grief analogue. A l’audience du 11 février 1969, les Délégués se sont référés à l’arrêt prononcé par la Cour au sujet de cette dernière affaire (pages 28-29 et 43-44), arrêt qui leur paraît confirmer les vues de la Commission en la matière. Le Gouvernement a marqué son accord avec la Commission sur ce point. III. CONCLUSION DES COMPARANTS À l’audience du 11 février 1969, la Commission a invité la Cour: "à rejeter le grief présenté par Matznetter sur le terrain de l’article 5, paragraphe 4 (art. 5-4), et à dire pour droit si la détention préventive de Matznetter, du 15 mai 1963 au 8 juillet 1965, était ou non compatible avec l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention." Dans sa requête introductive d’instance du 8 août 1967, le Gouvernement a formulé les conclusions suivantes qu’il a confirmées dans son mémoire et à l’audience du 12 février 1969: "Plaise à la Cour de dire que les mesures, prises par les autorités autrichiennes, qui font l’objet de la requête introduite par Otto Matznetter contre la République d’Autriche, ne sont pas en opposition avec les obligations découlant de la Convention européenne des Droits de l’Homme."
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La demande de la Commission a pour objet d’obtenir une décision de la Cour sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent ou non, de la part du Royaume de Belgique, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Les faits de la cause, tels qu’ils ressortent du rapport et du mémoire de la Commission, du mémoire du Gouvernement, des documents produits et des déclarations orales des comparants, peuvent se résumer ainsi: Émile Delcourt, ressortissant belge né le 28 décembre 1924, administrateur de sociétés, a son domicile à Waterloo. A l’époque à laquelle il a saisi la Commission (20 décembre 1965), il se trouvait détenu à la prison centrale de Louvain. Poursuivi par le parquet de Bruges pour extorsion, escroquerie et abus de confiance, le requérant fut arrêté le 23 novembre 1963, puis inculpé d’une série d’actes d’escroquerie, d’abus de confiance, de faux et usage de faux, d’émission de chèques sans provision et de traites frauduleuses ainsi que de grivèlerie. Le 21 septembre 1964, le Tribunal correctionnel de Bruges le déclara coupable quant à trente-six des quarante-trois chefs d’inculpation et lui infligea un an d’emprisonnement et deux mille francs belges d’amende. Le 17 mars 1965, la Cour d’appel de Gand réforma ce jugement que Delcourt et le ministère public avaient attaqué auprès d’elles les 25 et 26 septembre 1964. Elle considéra comme établies toutes les préventions, y compris celles dont l’intéressé avait été acquitté en première instance, souligna la gravité des faits et releva qu’il s’agissait d’un récidiviste. En conséquence, elle porta la peine principale à cinq ans d’emprisonnement; elle décida en outre qu’après l’avoir purgée le condamné serait "mis à la disposition du gouvernement" pendant dix années, accueillant sur ce point une demande du parquet que le Tribunal de Bruges avait repoussée. Les 17 et 23 mars 1965, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel et contre le jugement du Tribunal correctionnel. Il déposa un mémoire le 20 mai 1965; le parquet d’appel n’usa pas de son droit de présenter un contre-mémoire. Une audience publique se déroula devant la 2ème Chambre de la Cour de cassation le 21 juin 1965; le requérant y assista mais non son avocat. La Cour entendit M. le Conseiller de Bersaques en son rapport, puis M. l’Avocat général Dumon en ses conclusions qui tendaient au rejet des deux pourvois. Elle statua en ce sens le jour même après avoir délibéré en chambre du conseil. Dans la requête qu’il a introduite devant la Commission le 20 décembre 1965 (no 2689/65), Delcourt se plaignait du jugement du 21 septembre 1964 et des arrêts des 17 mars et 21 juin 1965. Protestant de son innocence et alléguant la violation des articles 5, 6, 7 et 14 (art. 5, art. 6, art. 7, art. 14) de la Convention, il formulait de très nombreux griefs qui furent presque tous déclarés irrecevables par la Commission les 7 février et 6 avril 1967. A cette dernière date, la Commission retint cependant l’un d’entre eux, relatif au point de savoir si la présence d’un membre du ministère public de la Cour de cassation au délibéré de celle-ci était compatible avec le principe de l’"égalité des armes" et, partant, avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. L’Avocat général Dumon avait en effet assisté à ces délibérations en vertu de l’article 39 d’un arrêté du Prince souverain du 15 mars 1815, aux termes duquel "(...) en matière de cassation le ministère public a le droit d’assister à la délibération lorsqu’elle n’a pas lieu à l’instant et dans la même salle d’audience, mais il n’a pas voix délibérative". On peut noter que l’arrêté en question a été remplacé récemment par certaines dispositions du nouveau Code judiciaire (loi 1du 10 octobre 1967), lequel n’était pas encore en vigueur quand la Cour de cassation a repoussé les pourvois du requérant. L’article 1109 de ce code consacre, en substance, la même règle que le texte précité. À la suite de la décision du 6 avril 1967 déclarant recevable le grief susmentionné, une sous-commission a établi les faits de la cause. Devant la Commission et la sous-commission, le requérant a soutenu que la présence d’un membre du ministère public de la Cour de cassation au délibéré du 21 juin 1965 avait enfreint l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Sans contester l’existence d’une importante différence entre les rôles respectifs du parquet de cassation et du parquet des juridictions du fond, il a souligné que le premier assume parfois la qualité de partie en vertu de la loi, encore qu’il n’en ait pas été ainsi en l’espèce. En outre, le procureur général à la Cour de cassation exercerait sa surveillance sur les procureurs généraux établis auprès des cours d’appel (article 154 de la loi du 18 juin 1869); un lien organique fort puissant l’unirait donc à eux, ses subordonnés, même si dans la pratique le contrôle dont il s’agit revêt à l’heure actuelle un caractère assez discret. Au demeurant, le ministère public de cassation serait, dans l’immense majorité des cas, l’adversaire au moins potentiel des condamnés qui saisissent la cour suprême de Belgique: il conclurait d’habitude au rejet de leurs pourvois et sa thèse serait presque toujours - comme en l’occurrence - adoptée par les magistrats du siège. Or, après avoir exposé cette thèse à la fin de l’audience publique, il participerait aux délibérations secrètes de la Cour en l’absence des intéressés. Il en résulterait une atteinte aux droits de la défense et notamment au principe de l’égalité des armes, tel qu’il se dégagerait des avis formulés par la Commission dans les affaires Ofner, Hopfinger, Pataki et Dunshirn (requêtes no 524/59, 617/59, 596/59 et 789/60, Annuaire de la Convention, no 6, pp. 697 à 707 et 731 à 733). Le requérant a précisé qu’il n’entendait pas pour autant émettre le moindre doute quant à l’intransigeante conscience avec laquelle la Cour de cassation s’acquitte de ses tâches, ni insinuer que le parquet puisse tenter indûment d’influencer ladite cour dans un sens étranger à la stricte justice. En d’autres termes, Delcourt ne s’en prendrait pas à des hommes, mais bien à une institution qui donnerait l’avantage au ministère public. Assurément, la législation litigieuse remonte à plus d’un siècle et demi et le Parlement belge a estimé par deux fois ne pas devoir la modifier. Elle daterait cependant d’une époque d’absolutisme monarchique dont elle porterait l’empreinte; d’ailleurs, l’introduction de la Convention dans le droit interne d’un État contractant entraînerait nécessairement "la découverte incessante de nouveaux points de controverse que le législateur national n’avait pas aperçus". Dans des observations du 8 décembre 1967, postérieures de près de deux ans au dépôt de la requête, Delcourt s’est plaint en outre de n’avoir pu répondre aux conclusions du ministère public de cassation: il n’en aurait pas reçu communication avant l’audience du 21 juin 1965, au cours de laquelle il n’aurait pas non plus eu la parole en dernier lieu. Le requérant a demandé la révision de la législation incriminée et l’octroi d’une indemnité. À la suite de l’échec de la tentative de règlement amiable à laquelle la sous-commission compétente avait procédé, la Commission plénière a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Adopté le 1er octobre 1968, ce document a été transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 5 décembre 1968. La Commission y exprime, par sept voix contre six, l’avis que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n’a pas été violé en l’espèce. Deux membres de la majorité ont formulé conjointement une opinion concordante et les six membres de la minorité une opinion dissidente collective. Après la saisine de la Cour, le requérant a repris et développé certains de ses arguments antérieurs dans une note que la Commission a jointe à son mémoire. En ce qui concerne son grief principal, il a déclaré se rallier à l’opinion de la minorité de la Commission. Arguments de la Commission et du Gouvernement A la différence du Gouvernement, la Commission unanime considère que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention s’applique en l’espèce à la procédure de cassation. D’après la majorité de la Commission, cependant, la présence d’un membre du ministère public de la Cour de cassation au délibéré du 21 juin 1965 n’était pas incompatible avec ce texte. En effet, la cour suprême de Belgique ne connaîtrait pas du fond des affaires (article 95 de la Constitution et article 17 de la loi du 4 août 1832): sauf dans des cas exceptionnels, étrangers à la cause, elle aurait pour seul rôle de trancher des questions de droit. Quant à son parquet, il se bornerait à l’assister dans l’accomplissement de sa fonction. D’ordinaire, il n’exercerait pas l’action publique et n’aurait pas la qualité de partie (article 37 de l’arrêté du Prince souverain du 15 mars 1815). Il jouirait dans presque tous les cas d’une entière indépendance par rapport au ministre de la Justice et ne disposerait d’aucun pouvoir de commandement à l’égard du parquet des juridictions du fond, titulaire habituel de l’action publique. Dès lors, sa participation au délibéré de la Cour de cassation n’enfreindrait pas le principe de l’égalité des armes, même si on l’examine à la lumière de la jurisprudence de la Commission (affaires Ofner, Hopfinger, Pataki et Dunshirn). Les Délégués ont signalé à l’attention de la Cour l’opinion dissidente collective de six membres de la Commission. Ceux-ci estiment que ladite participation ne répondait pas aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). La Commission ne croit pas devoir se prononcer sur les "nouveaux" griefs figurant dans les observations de Delcourt du 8 décembre 1967 (par. 15, supra); le requérant ne les aurait formulés que comme des aspects particuliers du principe de l’égalité des armes, dont la majorité de la Commission n’aperçoit aucune violation. Dans son mémoire du 22 mai 1969 et à l’audience du 29 septembre 1969, la Commission a demandé à la Cour "de décider si, au cours de la procédure qui s’est déroulée devant la Cour de cassation belge dans l’affaire Delcourt le 21 juin 1965, l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, dans la mesure où cette disposition exige un procès équitable, a été violé ou non par le fait que le représentant du ministère public a participé au délibéré de la Cour de cassation." Le Gouvernement ne conteste pas qu’un membre du ministère public de la Cour de cassation, après avoir conclu lors des débats oraux au rejet des pourvois du requérant, a assisté au délibéré du 21 juin 1965 avec voix consultative, mais il soutient qu’il n’en est résulté aucune atteinte au droit garanti par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. En effet, la cour suprême de Belgique ne connaîtrait pas du fond des affaires (article 95 de la Constitution et article 17 de la loi du 4 août 1832). Malgré sa nature judiciaire, consacrée par une longue évolution, elle accomplirait une mission qui n’aurait jamais cessé d’avoir certains rapports avec l’activité législative. Instituée dans l’intérêt de la loi, elle jugerait les jugements et non les individus, sous réserve de quelques exceptions étrangères à l’espèce. Il ne lui incomberait donc pas de statuer sur des litiges relatifs à des droits et obligations de caractère civil, ni sur le bien-fondé d’accusations en matière pénale, au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) tel que les organes chargés de veiller au respect de la Convention l’ont interprété dans une série de décisions. Quant au parquet de cassation, il se distinguerait radicalement du parquet des juridictions du fond. En règle générale, il n’aurait pas la qualité de partie (article 37 de l’arrêté du 15 mars 1815); dans les cas, très rares, où il l’assume en vertu de la loi et où il meut l’action publique, les délibérations se dérouleraient en son absence (article 39 de l’arrêté du 15 mars 1815). Indifférent à la question de la culpabilité des prévenus, il ne serait ni leur adversaire ni un rouage de l’accusation. Rien ne l’empêcherait, par exemple, d’inviter la Cour à repousser un pourvoi formé par un parquet d’appel, ni de soulever d’office un moyen tendant à la cassation d’un verdict de condamnation; des statistiques prouveraient qu’il en est souvent ainsi. Le ministère public de cassation ne serait par conséquent pas solidaire du parquet des juridictions du fond, à l’égard duquel son chef exercerait d’ailleurs, en pratique, une simple surveillance doctrinale et scientifique exclusive du moindre pouvoir de commandement (article 154 de la loi du 18 juin 1869). En outre, il jouirait d’une entière indépendance dans ses relations avec le ministre de la Justice. Bref, son rôle s’inscrirait dans le cadre des fonctions de la Cour elle-même: d’ordinaire, il consisterait sans plus à fournir a celle-ci une aide technique et objective destinée à assurer l’observation des lois, l’unité de la jurisprudence et une bonne rédaction des arrêts. En somme, le parquet de cassation s’"intégrerait" et s’"identifierait" à la Cour autant que les magistrats du siège. Dans ces conditions, la présence de l’un de ses membres au délibéré n’aurait pas rompu l’égalité des armes au détriment du requérant. Une certaine inégalité aurait bien régné en l’occurrence, mais au profit de Delcourt: contrairement à ce dernier, le parquet des juridictions du fond dont émanaient les décisions attaquées n’aurait pas eu la faculté de développer sa thèse à l’audience du 21 juin 1965 (article 34 de l’arrêté du 15 mars 1815); il ne se serait pas même prévalu de son droit de répondre par écrit au mémoire que le requérant avait déposé le 20 mai 1965. De l’avis du Gouvernement l’affaire Delcourt ne saurait se comparer aux affaires Pataki et Dunshirn; elle se rapprocherait plutôt des affaires Ofner et Hopfinger, dans lesquelles la Commission et le Comité des Ministres n’ont constaté aucune violation de l’article 6 (art. 6). Au demeurant, la législation litigieuse, vieille de plus d’un siècle et demi, n’aurait jamais donné lieu à des critiques dans la doctrine et le barreau belges, pourtant fort attentifs à tout ce qui a trait aux droits de la défense. A deux reprises, le Parlement aurait expressément résolu de la maintenir, la première fois sans changement (élaboration de la loi du 19 avril 1949), la seconde en substance et après avoir examiné le problème sous l’angle de la Convention (article 1109 du Code judiciaire de 1967). Ces circonstances créeraient en quelque sorte une présomption favorable à la compatibilité de ladite législation avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1); elles montreraient aussi que la participation du parquet de cassation aux délibérés de la cour suprême ne prête pas à des abus. Quant aux "nouveaux" griefs de Delcourt, ils seraient irrecevables pour ne pas avoir figuré dans la requête initiale. Le Gouvernement les estime du reste injustifiés: d’après lui, c’est précisément parce que le parquet de cassation n’a pas la qualité de partie qu’il formule ses conclusions à la fin de la procédure orale, sans les communiquer par avance aux intéressés. Dans son mémoire du 17 juillet 1969 et à l’audience du 30 septembre 1969, le Gouvernement a demandé à la Cour "(de) dire que, eu égard au rôle attribué par la loi belge au procureur général près la Cour de cassation et au statut particulier qui est le sien dans l’organisation judiciaire belge, sa présence avec voix non délibérative aux délibérations de la Cour, telle qu’elle est expressément prévue par cette législation, n’est pas de nature à enfreindre le principe de l’"égalité des armes", lorsque, comme en l’espèce, le procureur général n’est pas lui-même partie à la cause en qualité de demandeur; (de) décider en conséquence que lors de la procédure qui s’est déroulée devant la Cour de cassation de Belgique, le 21 juin 1965, dans l’affaire Delcourt, il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention du fait que le représentant du ministère public, M. l’Avocat géneral Dumon, a été présent au délibéré des juges".
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A. Les circonstances de l’espèce Nés en Angleterre en 1916 et 1918, respectivement, M. Joseph Gillow et sa femme, Mme Yvonne Gillow, sont tous deux citoyens britanniques et retraités. En avril 1956, M. Gillow fut nommé directeur du service consultatif horticole de l’Assemblée (States) de Guernesey, de création récente. Après avoir vendu leur maison du Lancashire, les requérants s’installèrent avec leur famille et leurs meubles à Guernesey. Ils occupèrent d’abord une maison appartenant à l’Assemblée. En 1957, M. Gillow acheta toutefois à Guernesey un terrain sur lequel, après avoir obtenu le permis de construire, il édifia une maison appelée "Whiteknights". Il en prit possession, avec sa famille, le 1er septembre 1958. La valeur locative imposable de la propriété s’élevait à 51 £, dont 49 pour la maison elle-même. Celle-ci appartenait alors - et continue d’appartenir - à la catégorie des "logements réglementés" (paragraphe 30 ci-dessous). Les requérants n’avaient cependant pas besoin de permis pour l’occuper, car ils avaient "qualité pour résider" ("residence qualification") dans l’île aux termes d’une loi de 1957 sur le contrôle du logement (Housing Control (Extension and Amendment) (Guernsey) Law 1957 - "la loi de 1957", paragraphe 30 ci-dessous). En août 1960, après avoir résigné ses fonctions, M. Gillow quitta Guernesey avec sa famille et prit un emploi auprès de l’O.A.A. (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture). Dès lors, et jusqu’à sa retraite en 1978, il travailla outre-mer pour divers organismes de développement, sur la base de contrats temporaires. D’août 1960 à juillet 1978, "Whiteknights" fut louée à des personnes qui remplissaient les conditions de résidence nécessaires ou avaient obtenu un permis des services du logement de l’Assemblée de Guernesey ("services du logement"), conformément à la loi de 1957 et à ses amendements ultérieurs (paragraphes 30-33 ci-dessous). Au cours de cette période, les requérants correspondirent de temps à autre avec les services du logement, de différentes adresses, afin notamment de se renseigner sur la manière dont les lois sur le logement joueraient s’ils vendaient la propriété. En novembre 1963, M. Gillow déclara la maison au nom de sa femme. Le 26 juillet 1978, les services du logement écrivirent à Mme Gillow pour l’informer que le locataire d’alors avait l’intention de quitter "Whiteknights" et pour savoir qui pourrait lui succéder. Elle leur indiqua, par une lettre du 31 août, que son mari et elle-même comptaient regagner Guernesey. Ils lui répondirent, le 15 septembre, que son époux et elle ne pouvaient occuper leur maison sans une autorisation accordée en vertu de l’article 3 de la loi de 1975 sur le logement (Housing (Control of Occupation) (Guernsey) Law 1975 - "la loi de 1975", paragraphe 33 ci-dessous). "Whiteknights" resta vacante après le départ, le 31 juillet 1978, du locataire susmentionné. Les services du logement et les requérants paraissent n’avoir reçu aucune demande de location après cette date. En novembre 1978, les requérants rentrèrent en Angleterre, venant de Hong-Kong, et s’installèrent provisoirement chez la mère de Mme Gillow. Le 21 avril 1979, Mme Gillow écrivit aux services du logement pour leur signaler que son mari et elle comptaient se retirer à "Whiteknights". Elle ajoutait qu’elle cherchait un emploi d’enseignante à Guernesey. En outre, la maison avait besoin de diverses réparations dont les requérants se proposaient de faire une partie eux-mêmes. Outre un permis d’occupation de longue durée, Mme Gillow sollicitait donc un permis temporaire, valable jusqu’en septembre 1979, afin de pouvoir mener à bien ces travaux. Le 29 avril 1979, les requérants retournèrent à Guernesey et se réinstallèrent à "Whiteknights". Le 7 mai, Mme Gillow, n’ayant pas reçu de réponse des services du logement, leur écrivit derechef en réitérant sa demande et en précisant que son mari et elle se trouvaient à nouveau à Guernesey. Le 14 mai, ils lui répondirent qu’après avoir examiné, le 3, sa demande de permis d’occupation de longue durée ils l’avaient rejetée en raison des difficultés de logement. Ils relevaient aussi, premièrement, que les requérants n’avaient jamais obtenu un permis d’occuper cette maison; deuxièmement, que même dans l’hypothèse où Mme Gillow accéderait à un emploi jugé essentiel pour la collectivité (paragraphe 33 ci-dessous), les requérants ne pourraient demeurer dans leur propriété après sa retraite, car elle était trop âgée pour accomplir le minimum de dix années consécutives de service exigé par la loi de 1975. La lettre ne disait rien de la demande d’autorisation temporaire. Le 5 juillet 1979, un représentant des services du logement rendit visite aux requérants et leur délivra une formule officielle de demande d’autorisation temporaire. Ils déposèrent une telle demande quatre jours plus tard, mais les services du logement la repoussèrent le 19. Notifiée à Mme Gillow le 27, leur décision se fondait sur les motifs suivants: - la requérante n’avait pas apporté la preuve qu’elle occuperait un poste essentiel à la collectivité; - "Whiteknights" serait vraisemblablement recherchée par des personnes remplissant, elles, les conditions légales de résidence; - les difficultés de logement empêchaient en principe de justifier l’octroi d’un permis aux requérants. Mme Gillow était également informée de son droit d’attaquer cette décision devant la Royal Court, en vertu de l’article 19 de la loi de 1975 (paragraphe 33 ci-dessous). Enfin, on l’avertissait que sauf si son mari et elle invoquaient de bons arguments contraires, les services du logement les dénonceraient aux conseillers juridiques de la Couronne pour Guernesey, en vue de l’ouverture de poursuites au cas où ils ne videraient pas les lieux dans les sept jours. Dans leur réponse du 29 juillet 1979, les requérants réitérèrent leur demande d’autorisation temporaire jusqu’au 31 août au moins, pour effectuer les réparations nécessaires et mettre en vente la propriété. Ils affirmaient n’avoir pas "occupé" la maison au sens de la loi de 1975. D’après eux, celle-ci ne pouvait raisonnablement leur interdire d’accomplir les travaux devenus indispensables après dix-huit années de location, et elle leur permettait de prendre les mesures voulues pour céder la propriété, mesures qui empêchaient toute autre personne de l’occuper entre-temps. Les requérants prétendaient aussi qu’on ne leur avait pas indiqué, avant septembre 1978, qu’il leur fallait un permis pour vivre à "Whiteknights". En particulier, on ne leur avait pas signalé l’entrée en vigueur, le 2 février 1970, de la loi de 1969 sur le contrôle du logement à Guernesey ("la loi de 1969"), par le jeu de laquelle ils avaient perdu leur qualité pour résider dans l’île (paragraphe 32 ci-dessous). Les services du logement examinèrent cette lettre le 9 août 1979. Ils répondirent à Mme Gillow le 15, lui confirmant qu’ils ne lui avaient pas notifié avant le 15 septembre 1978 la modification de la loi ni la nécessité d’obtenir un permis. Ils s’engageaient en outre à ne prendre contre les requérants aucune mesure pour occupation illicite si ces derniers évacuaient "Whiteknights" pour le 1er septembre. Le 23 août, Mme Gillow demanda une nouvelle prolongation jusqu’à la fin de septembre, la propriété n’ayant pas encore été réalisée. Les services du logement la lui refusèrent le 30 août; ils l’en informèrent le 3 septembre. De plus, ils donnèrent aux requérants sept jours pour quitter la maison, sous peine de poursuites. Le 11 septembre 1979, M. et Mme Gillow rencontrèrent le président des services du logement et, entre autres, sollicitèrent l’autorisation de rester dans leur propriété six mois de plus, pour la vendre. Ils soulevèrent à cette occasion la question d’une indemnité au titre de la perte de leur droit de résidence. Les services du logement leur écrivirent le 20 septembre, indiquant qu’ils avaient réexaminé la demande le 13 et l’avaient rejetée. En conséquence, ils leur annonçaient l’ouverture de poursuites pour occupation illicite, sauf évacuation de "Whiteknights" pour le 31 octobre 1979. M. et Mme Gillow consultèrent un avocat au début d’octobre. Le 13, ils le chargèrent d’attaquer devant la Royal Court toutes les décisions des services du logement. Pareil recours ne peut être introduit que par un avocat près la Royal Court, mais celui des requérants négligea de la saisir dans le délai légal (avant le 31 octobre 1979). Cependant, le 5 novembre, il pria les services du logement de ne pas agir contre les requérants avant qu’il n’eût pu les conseiller à nouveau. Le 9, il présenta en leur nom une demande de permis d’occuper "Whiteknights" jusqu’au 30 avril 1980, aux fins de vente. Le 13 novembre, les services du logement lui répondirent en ces termes: "Le 8 novembre 1979, [nous avons] pris note du contenu de votre lettre mais décidé à regret que, comme [vos clients] ont occupé la maison sans autorisation et que nous leur avons laissé assez de temps pour évacuer les lieux, nous ne pouvons justifier un sursis aux poursuites dans cette affaire. Le dossier a été transmis aux conseillers de la Couronne." Le 16 novembre, ils informèrent l’avocat qu’ils avaient rejeté la demande le 12. Le 20 novembre, il indiqua aux services du logement, à la police et au parquet que ses clients comptaient agir en justice. Néanmoins, la police leur rendit visite à "Whiteknights" le 17 décembre et sollicita une déclaration de leur part; ils s’y refusèrent en raison de l’absence de leur conseil. Par une lettre du 19 décembre au chef de la police, ils annoncèrent le dépôt imminent d’un recours. On les cita pourtant à comparaître devant le tribunal le 1er février 1980. Le 22 janvier 1980, ils découvrirent que la Royal Court n’avait pas encore été saisie et portèrent plainte, auprès de la chambre de discipline du barreau de Guernesey, contre leur avocat. Le 1er février 1980, vers 9 h, celui-ci introduisit enfin au nom de Mme Gillow un recours contre les décisions de refus de permis prises par les services du logement les 3 mai, 19 juillet et 12 novembre 1979. Il réclamait l’octroi soit d’un permis inconditionnel soit, en ordre subsidiaire, de l’autorisation d’occuper "Whiteknights" jusqu’au 30 avril 1980; il alléguait que les services du logement avaient mésusé de leur pouvoir d’appréciation et agi ultra vires. La Royal Court accepta d’examiner le recours bien que tardif. Le même jour, les requérants comparurent devant la Magistrate’s Court ainsi qu’on les y avait invités. Ils demandèrent un ajournement, au motif que l’action de Mme Gillow soulevait la question même de la licéité de l’occupation de "Whiteknights". Le tribunal refusa le renvoi, sur l’insistance du Conseiller de la Couronne. La Magistrate’s Court examina d’abord les faits reprochés à M. Gillow; elle le reconnut coupable d’occupation illégale de "Whiteknights" et lui infligea une amende. Quant au procès intenté à Mme Gillow, il fut ajourné deux fois puis suspendu sine die, le tribunal ayant tenu compte, entre autres, du recours de l’intéressée à la Royal Court et de l’appel interjeté par M. Gillow contre sa condamnation. Les requérants vendirent finalement "Whiteknights" le 15 avril 1980, à un prix - 33 000 £ - inférieur d’après eux à sa valeur réelle. Le 8 juillet 1980, la Royal Court, composée d’un président et de onze "jurats", débouta Mme Gillow, à l’unanimité pour les décisions des 3 mai et 19 juillet 1979 (paragraphes 15 et 16 ci-dessus), par huit voix contre trois pour celle du 12 novembre 1979 (paragraphe 20 ci-dessus). Selon l’article 19 § 4 de la loi de 1975, ce jugement revêtait un caractère définitif. La Royal Court rejeta aussi, le 26 août 1980, l’appel de M. Gillow contre sa condamnation. Avant et pendant l’audience tenue à cette date, le prévenu contesta l’exactitude de la transcription des débats de première instance et demanda à entendre l’enregistrement sur magnétophone. Il essuya un refus, mais le greffier écouta la bande au cours d’une suspension de séance et déclara la transcription fidèle. M. Gillow taxa en outre la Royal Court de parti pris car, à un jurat près, elle siégeait dans la même composition qu’au moment où elle avait statué sur l’action de sa femme contre les décisions des services du logement. Il ajouta qu’il s’agissait d’une composition archaïque en soi. Quant à la plainte que les requérants avaient portée contre leur avocat pour avoir tardé à attaquer les décisions des services du logement, la chambre de discipline du barreau la jugea fondée le 9 septembre 1980. B. Droit et pratique internes Cadre constitutionnel Dépendance de la Couronne britannique, le bailliage de Guernesey possède son assemblée législative, ses tribunaux et ses systèmes administratif et fiscal, distincts de ceux de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord. L’assemblée législative est formée par les "États de délibération" (States of Deliberation), qui comptent soixante membres et sont présidés par le bailli (Bailiff) ou le bailli adjoint (Deputy Bailiff), tous deux désignés par la Couronne. Elle légifère pour l’île par voie de "lois" ou, dans certains cas, d’ordonnances; les premières ne peuvent entrer en vigueur qu’une fois approuvées par Sa Majesté en son Conseil. Bien que le Parlement du Royaume-Uni ait le pouvoir de légiférer pour Guernesey, il irait à l’encontre d’une coutume constitutionnelle s’il le faisait en des matières propres à l’île, telle la réglementation du logement. La Royal Court de Guernesey est un tribunal à compétence illimitée qui siège soit en première instance, soit en appel. Présidée par le bailli, le bailli adjoint ou un lieutenant bailli, elle comprend en outre douze jurats nommés par les "États d’élection" (States of Election). La Magistrate’s Court connaît des affaires pénales de moindre importance et des litiges civils dont la valeur n’excède pas un certain montant. Les lois sur le logement A la suite de la libération de l’île, en 1945, au terme de la seconde guerre mondiale, le retour de nombreuses familles et l’afflux de nouveaux résidents créèrent de sérieux problèmes de logement et entraînèrent une hausse considérable des prix de l’immobilier. Pour parer à cette situation, les États votèrent en 1948 une loi d’urgence sur le contrôle du logement (Housing Control (Emergency Provisions) (Guernsey) Law 1948 - "la loi de 1948"), entrée en vigueur le 17 juillet de la même année. Elle réservait le droit d’habiter à Guernesey sans permis aux personnes "qualifiées pour résider", à savoir celles qui y avaient eu leur résidence habituelle à un certain moment entre le 1er janvier 1938 et le 30 juin 1940. Le système de contrôle ainsi instauré a subi de temps à autre des modifications destinées à faire face à l’évolution des circonstances. Le 12 octobre 1957, la loi précitée fut remplacée par la loi de 1957 sur le logement, qui reportait au 30 juin 1957 la date limite ouvrant droit à résidence. Les personnes qui, tels les requérants, résidaient habituellement à Guernesey à cette date ou auparavant avaient donc "qualité pour résider" et pouvaient vivre à Guernesey sans permis. Le nouveau texte soustrayait en outre à la réglementation toute maison de "valeur locative imposable" (aux fins de la fiscalité locale) supérieure à 50 livres par an. Pareille propriété, appelée "maison du marché libre", pouvait être occupée par tout un chacun sans aucune restriction. Les maisons de valeur imposable moindre, elles, entraient dans la catégorie des "logements réglementés"; seules pouvaient y habiter des personnes "qualifiées pour résider" ou ayant obtenu des services du logement un permis spécial. La loi de 1957 fut amendée sur des points de détail en 1962 et 1965 (logements meublés), puis en 1966 lorsque le législateur éleva la valeur imposable minimale des "maisons du marché libre" à 100 livres, chiffre abaissé par la suite à 85 livres par l’ordonnance sur le contrôle du logement (valeur locative imposable). La loi de 1967 sur le contrôle du logement à Guernesey et l’ordonnance de 1967 regroupèrent toute la législation antérieure en la matière. Vers la fin des années 60, beaucoup de personnes qui avaient eu "qualité pour résider" d’après la loi de 1957, mais avaient ultérieurement quitté Guernesey, cherchèrent à y retourner. Le 2 février 1970 entra en vigueur la loi de 1969 sur le logement, qui subordonnait ladite qualité à une condition supplémentaire: non seulement avoir eu sa résidence habituelle dans l’île à un moment quelconque entre le 1er janvier 1938 et le 30 juin 1957, mais y avoir occupé un logement le 31 juillet 1968 ou être le conjoint ou enfant d’un résident ainsi qualifié. La loi comprenait cependant une clause de sauvegarde en faveur de quiconque avait légalement habité le 29 janvier 1969 des locaux réglementés, mais uniquement de tels locaux. Les requérants perdirent en conséquence leur aptitude à vivre à "Whiteknights" sans permis: ils n’avaient pas résidé à Guernesey à la date voulue. Pour l’octroi, aux personnes non "qualifiées pour résider", du permis d’occuper des maisons réglementées, la loi de 1969 conférait aux services du logement un pouvoir discrétionnaire, limité par l’énumération des facteurs à considérer dans chaque cas. Elle ouvrait en outre contre leurs décisions un recours devant la Royal Court. Promulguée initialement pour trois ans puis prorogée jusqu’au 31 décembre 1975, la loi de 1969 fut remplacée le 1er janvier 1976 par la loi de 1975. Cette dernière maintenait la distinction fondamentale entre "logements du marché libre", accessibles à chacun, et "logements réglementés" pour lesquels il fallait posséder la "qualité pour résider" ou un permis. En son article 6, elle précisait les catégories de personnes jouissant de ladite qualité. Désormais, celle-ci pouvait s’acquérir également au terme d’une certaine période de résidence licite et autorisée en logement réglementé, même sans résidence à une date donnée (article 6 § 1 j)). Certaines clauses tendaient à préserver les droits existants; en particulier, restaient "qualifiées pour résider" les personnes qui avaient à la fois eu leur résidence habituelle à Guernesey à un moment quelconque entre le 1er janvier 1938 et le 30 juin 1957, et occupé dans l’île un logement au 31 juillet 1968 (article 6 § 1 h)). Dépourvus de ladite qualité, les requérants avaient besoin d’un permis des services du logement. Quant à la délivrance d’un tel permis (article 3), l’article 5 de la loi de 1975 énumérait les facteurs à prendre en compte, notamment le point de savoir: a) si l’intéressé avait un emploi considéré comme essentiel pour la collectivité (paragraphe 1 a) - détenteur d’un "permis essentiel"); b) si le nombre des habitations disponibles et analogues à celle dont il s’agissait suffisait pour répondre aux demandes des personnes "qualifiées pour résider" (paragraphe 1 b)). Dans l’exercice de leur faculté d’appréciation, les services du logement pouvaient cependant avoir égard aux "autres éléments qu’ils jugeaient à tel ou tel moment nécessaire ou opportun de considérer" (paragraphe 2). D’après le Gouvernement, le fait d’être propriétaire depuis un certain temps figurait parmi ces éléments, mais les services du logement ne lui attribuaient pas à lui seul un poids déterminant; ils attachaient aussi de l’importance au fait qu’un demandeur avait eu "qualité pour résider" au titre d’une loi antérieure, mais davantage à la durée du séjour effectif de l’intéressé à Guernesey. L’article 19 de la loi ménageait la possibilité d’attaquer un refus de permis devant la Royal Court en alléguant que les services du logement avaient excédé leurs pouvoirs (ultra vires) ou en avaient usé de manière déraisonnable. L’article 24 définissait ainsi le délit d’occupation illicite: "Se rend coupable d’une infraction et passible d’une amende non supérieure à cinq cents livres plus, s’il persiste après condamnation, une amende non supérieure à cinquante livres par jour, quiconque a) occupe un logement nonobstant une disposition quelconque de la présente loi, ou amène ou autorise une autre personne à le faire; b) contrevient à une condition quelconque d’un permis de logement." Entrée en vigueur le 1er novembre 1982, la loi de 1982 sur le contrôle de l’occupation des logements à Guernesey doit remplacer progressivement l’ancienne "qualité pour résider", qui remonte à la loi de 1948, par un système de périodes de résidence: dix ans pour les personnes nées à Guernesey ou dont un parent y est né; quinze pour les travailleurs "essentiels" et leurs familles; vingt pour les autres titulaires de permis. C. Statistiques relatives à la situation du logement à Guernesey Guernesey est une île de 62 km2 (24 miles2). Sa population s’élevait à 43.800 habitants en 1939 et à 45.747 en 1951, trois ans après l’adoption de la loi de 1948. D’après les données de recensement disponibles, elle a augmenté entre 1951 et 1976 jusqu’à 54.057 pour retomber à 53.488 en 1981. On l’estime aujourd’hui à 55.000, soit une densité de 2.300 au mile carré, l’une des plus fortes dans les États membres du Conseil de l’Europe. De plus, pendant les mois de l’été on compte jusqu’à 12.500 touristes à la fois sur l’île, ce qui porte la densité à 2.750 au mile carré. Le recensement de 1976 révèle que de 1971 à 1975, 6.379 personnes sont arrivées à Guernesey pour y vivre tandis que 4.093 en partaient. De 1976 à 1981, période où se situe la présente affaire, on a enregistré 5.393 entrées contre 5.817 sorties, soit un solde négatif de 424. L’économie de l’île repose sur l’horticulture, l’agriculture et le tourisme, à quoi s’ajoute depuis quelques années l’industrie internationale de la finance. L’un des problèmes les plus aigus consiste à offrir assez de possibilités de logement tout en évitant de surexploiter la superficie, relativement restreinte, de la campagne et des autres espaces. Au 31 décembre 1981 se trouvaient en vigueur 1776 permis, dont plus d’un quart délivrés depuis 1977. Les statistiques pour les années 1978 à 1985 montrent que les services du logement ont maintenu un certain équilibre entre "permis essentiels" et "non essentiels" (paragraphe 33 ci-dessus). Les titulaires des premiers étaient plus nombreux que ceux des seconds en 1978, 1979, 1982, 1983 et 1984, et vice versa en 1980 et 1985. D’après les chiffres fournis par le Gouvernement, les "permis non essentiels" se répartissent grosso modo selon les catégories suivantes: personnes, travaillant surtout dans les industries touristique et horticole, logées par leur employeur dans des logements de fonction: 117 en 1978 et 119 en 1983; personnes retournées à Guernesey et personnes ayant des liens étroits avec l’île: 152 en 1978 et 237 en 1983; retraités détenteurs de permis et personnes désormais qualifiées par de longues périodes de résidence, en vertu des lois de 1975 et 1982: 36 en 1978 et 154 en 1983; permis délivrés pour des raisons humanitaires ou de regroupement familial (loi de 1982): 61 en 1978 et 184 en 1983; divers (y compris les permis délivrés de 1950 à 1969 en cas de construction d’une maison): 190 en 1978 et 124 en 1983. La fréquence des demandes ressort aussi du nombre des refus: 84 en 1979, 109 en 1980, 158 en 1983 et 197 en 1985; parmi les demandeurs malchanceux se trouvaient des personnes qui avaient eu "qualité pour résider" d’après des lois antérieures ou occupé autrefois des emplois essentiels. Selon les statistiques du recensement officiel de 1981, l’île comptait au total 18.716 logements, dont 17.429 occupés; il en restait donc 1.287 inoccupés (contre 1.040 en 1976). 35 % des logements vacants consistaient en "unités touristiques", 12 % étaient en vente, 10 % en cours de rénovation et 29 % "habitables et sans doute vacants dans l’attente d’acheteurs ou de nouveaux occupants", ce qui laissait 14 % d’inoccupations inexpliquées. Une étude limitée, effectuée en 1978 par les services du logement sur le problème des maisons vides, indiquait en revanche qu’après exclusion des appartements de vacances, des logements sis au-dessus de magasins, et des maisons partiellement occupées, il ne demeurait que 92 logements inoccupés et disponibles en vue d’une occupation de longue durée. Cependant, certains d’entre eux étaient délabrés ou en très mauvais état. Tout en concluant que "la situation n’avait pas sensiblement empiré depuis la dernière étude", menée en 1974, les services du logement recommandaient notamment de rénover les vieux bâtiments des zones urbaines. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Gillow ont saisi la Commission le 25 janvier 1980 (requête no 9063/80). Se plaignant de l’application des lois sur le logement dans leur cas, ils faisaient valoir en particulier que les restrictions imposées à leur occupation de "Whiteknights" constituaient une atteinte à leur droit au respect de leur domicile et de leurs biens, atteinte qui revêtait de surcroît un caractère discriminatoire. Ils alléguaient en outre avoir subi, au cours des procédures qui s’étaient déroulées à Guernesey, une violation de leur droit d’accès aux tribunaux et à un procès équitable. La Commission a retenu la requête le 9 décembre 1982. Dans son rapport du 3 octobre 1984 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle exprime l’opinion qu’il y a eu infraction aux articles 8 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (art. 8, P1-1) (unanimité), mais non aux articles 6 (art. 6) (dix voix contre une) et 14 (art. 14) (unanimité) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Lors des audiences du 18 février 1986, le Gouvernement a maintenu en substance les conclusions présentées dans son mémoire; elles invitaient la Cour à décider et déclarer: 1) qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention eu égard aux particularités du cas des requérants, telles que les a soulignées la Commission; 2) que les faits ne révèlent aucune violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); 3) qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1); et 4) que les faits ne révèlent de violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention pour aucun des motifs invoqués par les requérants.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE AGOSI, la requérante, est une société anonyme (Aktiengesellschaft) dont le siège se trouve en République fédérale d’Allemagne. Elle s’occupe surtout de la fonte des métaux précieux, mais à l’époque considérée se livrait aussi au commerce de pièces d’or et d’argent. A. La saisie des pièces En 1974, AGOSI noua des relations d’affaires avec un ressortissant britannique, X. Entre août 1974 et mai 1975, elle lui acheta un grand nombre de pièces britanniques d’avant 1947 à haute teneur en argent et qui, semble-t-il, avaient à son insu été exportées illégalement du Royaume-Uni. Le samedi 2 août 1975, X se rendit, après les heures normales de travail, à l’usine de la requérante en compagnie d’Y qu’il présenta comme un riche homme d’affaires. Les deux hommes demandèrent à acheter sur-le-champ 1.500 kruegerrands, pièces d’or frappées en Afrique du Sud où elles ont cours légal, pour environ 120.000 £. Le marché fut conclu et les pièces chargées dans une voiture immatriculée au Royaume-Uni. Un chèque tiré sur une banque anglaise, et non garanti, fut accepté en paiement; aucune mention de compensation aux fins du contrôle des changes n’y figurait. Le lundi 4 août il fut mis en recouvrement à la banque d’AGOSI, mais le 11 elle avertit la requérante qu’il n’avait pas été honoré. Une clause du contrat précisait que la société demeurerait propriétaire jusqu’au paiement intégral. Dans l’intervalle, le 2 août, les acheteurs essayèrent d’introduire en fraude les pièces au Royaume-Uni, mais les douaniers de Douvres découvrirent celles-ci dans une roue de secours de la voiture et les saisirent. Le 16 avril 1975, le ministre du Commerce et de l’Industrie avait prohibé l’importation des pièces d’or, par dérogation au décret du 5 juillet 1973 sur la libre importation des marchandises. Il devait lever cette mesure le 16 juin 1979. Le 14 août 1975, X et Y se virent inculper au Royaume-Uni, entre autres, d’importation frauduleuse de pièces d’or, infraction réprimée par l’article 304, alinéa b), de la loi de 1952 sur les douanes ("la loi de 1952"). Les 18 et 28 août, AGOSI demanda aux douanes de lui restituer les kruegerrands, en invoquant sa qualité de propriétaire légitime et de victime innocente d’une escroquerie. Le 20, des agents des douanes se présentèrent dans les ateliers d’AGOSI en Allemagne pour se renseigner sur les circonstances de la vente. La société ne cessa de coopérer avec les douanes tout au long de l’enquête pénale. Le 1er octobre elle déclara résilier le contrat, ce qui en droit allemand frappait la vente des pièces de nullité ab initio. Le 13 octobre 1975, ses avocats écrivirent aux inspecteurs des douanes (Commissioners of Customs and Excise), qui s’étaient chargés de l’affaire. Ils les invitaient à rendre les pièces à la société, dans l’exercice du pouvoir prévu à l’article 288 de la loi de 1952 (paragraphe 35 ci-dessous): il ne s’agissait pas de marchandises confiscables (liable to forfeiture) au regard de la loi de 1952, interprétée à la lumière du Traité instituant la Communauté économique européenne (le Traité de Rome), des principes généraux du droit international public et de la Convention, en particulier l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Dans leur lettre de réponse du 29 décembre 1975, les inspecteurs demandaient si AGOSI prétendait avoir établi que les pièces n’étaient pas confiscables. Ils annonçaient que dans l’affirmative ils devraient engager devant la High Court une action en confiscation (condemnation), en vertu du paragraphe 6 de l’annexe 7 à la loi de 1952. Au sujet de l’argumentation de la requérante (paragraphe 20 ci-dessus), ils relevaient notamment que les tribunaux n’avaient pas la faculté de refuser la confiscation des pièces au motif qu’elle léserait un propriétaire innocent. Les kruegerrands ne furent pas restitués. B. Les poursuites pénales contre X et Y Au cours de leur procès en janvier 1977, où le directeur d’AGOSI, M. Rose, déposa comme témoin à charge, X et Y plaidèrent que l’interdiction d’importer des pièces d’or allait à l’encontre de l’article 30 du Traité de Rome, garantissant la libre circulation des biens, et que les poursuites pénales intentées contre eux se trouvaient dont entachées de nullité. Le juge de première instance écarta cette thèse; le 31 janvier 1977, il jugea que l’interdiction relevait de la clause d’ordre public figurant à l’article 36 du Traité et que les pièces ne constituaient pas des marchandises, mais des capitaux au sens de l’article 67. X et Y se pourvurent devant la Court of Appeal qui, le 15 décembre 1977, saisit la Cour de Justice des Communautés européennes en application de l’article 177 du Traité. Par un arrêt du 23 novembre 1978, la Cour de Justice confirma que les kruegerrands étaient des capitaux et non des marchandises (affaire 7/1978, Recueil 1978, pp. 2247 et s.). En conséquence, la Court of Appeal débouta X et Y, les reconnut coupables et leur infligea une amende. C. L’action civile d’AGOSI en restitution des pièces Les inspecteurs des douanes ne lui ayant pas restitué les pièces à l’issue de la procédure pénale de première instance, AGOSI les assigna devant la High Court le 14 avril 1977. Les passages pertinents de la demande se lisaient ainsi: "7. (...) les dispositions des articles 44 et 275 de la loi de 1952 sur les douanes, de même que de l’annexe 7 à celle-ci, doivent s’interpréter à la lumière et sous réserve du principe général du droit international public qui prohibe la confiscation injustifiée de biens appartenant à des ressortissants d’un pays ami. De surcroît ou à titre subsidiaire, elles doivent s’interpréter conformément à l’article 1 [du Protocole no 1 à] la Convention (P1-1) européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Eu égard aux paragraphes 7 et 8 ci-dessus, les pièces (...) ne sont pas confiscables. Subsidiairement au paragraphe 9, si elles le sont le défendeur a l’obligation, toujours eu égard aux paragraphes 7 et/ou 8 ci-dessus, d’exercer le pouvoir, que lui attribuent l’article 288 de la loi de 1952 sur les douanes et/ou le paragraphe 16 de l’annexe 7 à ladite loi, de rendre les pièces en cause aux demandeurs sans condition d’aucune sorte. Les demandeurs prient la Cour de déclarer i. que les pièces sont leur propriété; ii. qu’[elle] ne sont pas confiscables (...); iii. qu’[AGOSI] a droit à les recouvrer sans condition d’aucune sorte." De leur côté, les inspecteurs des douanes demandèrent à la Cour, par voie reconventionnelle, d’ordonner la confiscation des pièces car selon eux elles tombaient sous le coup, entre autres, de l’article 44, alinéas b) et f), de la loi de 1952 (paragraphe 33 ci-dessous). Le 2 février 1978, AGOSI introduisit une nouvelle instance devant la High Court; elle invitait celle-ci à se prononcer sur la compatibilité avec le Traité de Rome de l’interdiction d’importer des kruegerrands au Royaume-Uni et de leur confiscation sans dédommagement. L’audience eut lieu le 20 février; AGOSI présenta des conclusions tendant à voir soumettre ces questions à la décision de la Cour de Justice des Communautés européennes. Le juge Donaldson la débouta le même jour en précisant qu’il aurait aussi rejeté l’action sur assignation s’il avait eu à en connaître (paragraphe 26 ci-dessus). La société requérante n’en maintint pas moins cette dernière. Le juge Donaldson l’en débouta le 10 mars 1978; accueillant la demande reconventionnelle des inspecteurs des douanes, il ordonna la confiscation des pièces en tant que marchandises susceptibles de pareille mesure en vertu de l’article 44, alinéa f), de la loi de 1952 (paragraphe 33 ci-dessous). AGOSI saisit alors la Court of Appeal: d’après elle, l’article 44, alinéa f), ne s’appliquait pas puisque la Cour de Justice européenne avait estimé dans l’intervalle que les pièces ne constituaient pas des marchandises (paragraphe 25 ci-dessus); elle réitérait en outre ses arguments relatifs à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) et aux principes généraux du droit international. La Court of Appeal statua le 10 décembre 1979 (All England Law Reports 1980, vol. 2, pp. 138-144). L’arrêt principal fut lu par Lord Denning, avec qui les deux autres juges, Lord Justice Bridge et Sir David Cairns, marquèrent leur accord. Pour autant qu’AGOSI prétendait avoir droit à la restitution des pièces en raison de son innocence, Lord Denning formula d’abord les observations ci-après: "Avant de continuer, je dirai qu’en tout cas les douanes jouissent en la matière d’un pouvoir d’appréciation. Il arrive que des marchandises soient confisquées puis que le véritable propriétaire se présente et affirme en avoir été frauduleusement dépossédé. S’il réussit à en convaincre les douanes, elles peuvent lever la confiscation et lui remettre les marchandises. L’article 288 de la loi de 1952 laisse aux inspecteurs un très large pouvoir d’appréciation pour confisquer les marchandises, les rendre, verser un dédommagement, etc. Cela peut se produire ultérieurement, mais la société allemande déclare qu’en l’occurrence les douanes n’avaient nullement le droit de confisquer les marchandises. Il serait beaucoup plus avantageux pour elle de recouvrer les kruegerrands eux-mêmes, si l’on songe à la valeur de l’or, que de percevoir une indemnité sur la base du cours en vigueur en 1975." Lord Denning examina ensuite les différentes objections d’AGOSI contre la thèse des inspecteurs selon laquelle les kruegerrands étaient confiscables. Il estima que la définition donnée aux marchandises par le Traité de Rome n’entrait pas en ligne de compte aux fins de l’article 44, alinéa f), de la loi de 1952 et que ni l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ni le droit international général n’interdisaient la confiscation en l’espèce. Et de conclure: "Les autorités douanières me semblent dans le vrai. Les kruegerrands sont susceptibles de confiscation par la Couronne (...). Il appartient aux douanes et à elles seules de décider si la revendication de la société allemande est assez fondée pour qu’il convienne de restituer les pièces, ou de les conserver moyennant dédommagement. Cela relève de leur liberté d’appréciation." Lord Justice Bridge ajouta: "Même persuadé - quod non - de l’existence du principe de droit international invoqué par [le conseil de la société allemande], je ne serais absolument pas convaincu que nous puissions apporter à la loi de 1952 sur les douanes les larges amendements nécessaires pour appliquer ledit principe et pour introduire une exception au profit des propriétaires étrangers de marchandises pouvant prouver n’avoir joué aucun rôle dans l’acte qui, d’après les termes clairs de la loi, donne lieu à confiscation." Sir David Cairns déclara: "Si [un propriétaire étranger] n’est pas coupable de complicité dans l’affaire de contrebande, il doit avoir l’occasion de demander l’exercice en sa faveur du pouvoir d’appréciation, mais je ne pense pas que la loi puisse s’interpréter de manière à empêcher la confiscation des marchandises appartenant à l’intéressé." L’appel fut donc rejeté. La Court of Appeal ne lui ayant pas accordé l’autorisation de se pourvoir devant la Chambre des Lords, la société requérante la demanda le 27 mars 1980 à celle-ci, qui la lui refusa. Le 1er avril 1980, les solicitors d’AGOSI écrivirent une nouvelle fois aux inspecteurs des douanes pour réclamer la restitution des pièces. Le solicitor des inspecteurs répondit par la négative le 1er mai 1980, sans donner de motif. II. LA LÉGISLATION PERTINENTE A. La procédure en confiscation L’article 275 de la loi de 1952 habilite les douanes à saisir ou détenir les marchandises confiscables (liable to forfeiture) aux termes, notamment, de l’article 44. Ce dernier permet de confisquer des marchandises "(...) b) (...) importées, débarquées ou déchargées au mépris d’une interdiction ou restriction applicables par le jeu ou en vertu d’une loi, ou (...) f) (...) dissimulées ou emballées d’une manière paraissant destinée à tromper un agent des douanes (...)." L’annexe 7 à la loi fixe la procédure à suivre après la saisie. Selon le paragraphe 1, les inspecteurs des douanes notifient cette dernière à toute personne qui, à leur connaissance, était à l’époque propriétaire des marchandises saisies. Quiconque entend contester la confiscabilité des marchandises doit, d’après les paragraphes 3 et 4, en aviser les inspecteurs par écrit dans un délai d’un mois à compter de la notification ou, s’il n’en a reçu aucune, à partir de la saisie. Le paragraphe 6 dispose qu’en pareil cas les inspecteurs engagent une action tendant à la confiscation judiciaire (condemnation) des marchandises saisies. Il précise que le tribunal la prononce s’il estime que les objets étaient susceptibles de confiscation à la date des faits. Selon une jurisprudence constante, les tribunaux recherchent seulement si les biens saisis entrent dans l’une des catégories légales de marchandises confiscables; ils n’examinent pas la question de l’innocence du propriétaire. La procédure en confiscation doit, d’après le paragraphe 8, être considérée comme civile. En l’absence de recours notifié aux inspecteurs conformément aux paragraphes 3 et 4, les marchandises saisies sont réputées dûment confisquées (paragraphe 5). Aux termes de l’article 288 de la loi de 1952, "Les inspecteurs peuvent, s’ils l’estiment opportun, a) (...) b) restituer, sous réserve des conditions qu’ils jugeraient adéquates, tout bien confisqué ou saisi en vertu de la présente loi (...)." B. Le contrôle judiciaire des décisions administratives Avant le 11 janvier 1978, on pouvait obtenir le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives en demandant une ordonnance régalienne (prerogative order) de mandamus, certiorari ou interdicti conformément à l’article 10 de la loi de 1938 sur l’administration de la justice et au titre 53 du règlement de la Cour suprême alors en vigueur. Les justiciables pouvaient de surcroît, le cas échéant, intenter une action ordinaire en déclaration, injonction ou dommages-intérêts. D’après le gouvernement, "la multiplicité des recours, chacun avec ses caractéristiques procédurales propres, apparaissait comme un inconvénient réel pour les justiciables et comme un obstacle à l’élaboration par les tribunaux d’un ensemble cohérent de règles en ce domaine". En particulier, une demande d’ordonnance régalienne pouvait ne pas aboutir si la décision attaquée ne comportait pas de motivation, car la loi n’autorisait pas la preuve de faits ou autres éléments ne ressortant pas du texte de la décision (Report on Remedies in Administrative Law, Law Commission No. 73, Cmnd. 6407, 1976). Le règlement de la Cour suprême a été amendé par un décret de 1977. Il prévoit désormais une seule procédure spécifique, dénommée contrôle judiciaire (judicial review) et ouverte à quiconque demande justice dans une matière relevant du droit public. Entrés en vigueur le 11 janvier 1978, les amendements s’appliquaient donc lors de la décision litigieuse du 1er mai 1980 (paragraphe 32 ci-dessus). Selon le Guide de la pratique de la Cour suprême (Supreme Court Practice), la révision du titre 53 a eu, entre autres, les effets suivants: "- Elle a créé une nouvelle procédure, appelée demande en contrôle judiciaire, qui permet au requérant de demander la délivrance de n’importe laquelle des ordonnances régaliennes, conjointement ou successivement, sans avoir à en choisir une en particulier, appropriée en l’espèce. - Elle a introduit dans les demandes de contrôle judiciaire le système des demandes interlocutoires tendant par exemple à la communication de pièces, à un interrogatoire ou à la convocation d’une personne citée dans une déclaration sous serment à un interrogatoire contradictoire; un juge ou un "maître" (Master) de la Queen’s Bench Division peut connaître de telles demandes. - Dans le cas d’une demande d’ordonnance de certiorari, la Cour a le pouvoir non seulement d’annuler la décision, mais en outre de renvoyer la question à l’autorité compétente en lui prescrivant de la reconsidérer et de prendre une décision conforme à son arrêt; elle joue ainsi le rôle tant de ‘cour de cassation’ que de juridiction de contrôle." (Règlement de la Cour suprême, RSC, 1985, vol. 1, titre 53, pp. 757-758, par. 53/1-14/6) La présentation d’une demande de contrôle judiciaire s’opère comme par le passé en deux temps. Il faut d’abord obtenir l’autorisation de la Cour; selon le Guide de la pratique de la Cour suprême, celle-ci n’examine la demande au fond que si et dans la mesure où elle a donné pareille autorisation; elle doit l’accorder si, au vu des éléments dont elle dispose et sans approfondir la question, elle estime défendable la thèse du requérant (RSC, loc. cit., p. 757, par. 53/1-14/23). Les motifs qui, aux termes du nouveau titre 53, peuvent justifier un contrôle judiciaire sont les mêmes que ceux qui valaient pour la délivrance d’ordonnances régaliennes. Selon le Guide de la pratique de la Cour suprême, ils se rangent dans les principales catégories suivantes: "1. Incompétence ou excès de pouvoir (...) Erreur manifeste de droit (...) Violation des principes de la justice naturelle - (...) D’une manière générale, les principes de la justice naturelle comprennent l’obligation d’agir équitablement (...). Ils s’appliquent normalement quand la décision en cause porte atteinte aux droits d’une personne, par exemple en cas d’expropriation (...). Ils peuvent aussi entrer en jeu lorsque le requérant n’a pas de droit, par exemple s’il demande une licence exigée par la loi: bien qu’il n’ait aucun droit à la licence jusqu’à l’octroi de celle-ci, l’exercice de pouvoirs légaux touchant à ses intérêts impose de respecter les principes de la justice naturelle et d’agir équitablement (...) Le principe Wednesbury - Une décision administrative peut être annulée ou donner lieu à une autre mesure adoptée par voie de contrôle judiciaire si, aux yeux de la Cour, aucune autorité n’aurait pu la prendre en interprétant correctement le droit en vigueur et en agissant de manière raisonnable (...)." Dans plusieurs affaires, les juridictions anglaises ont précisé la condition voulant que les autorités administratives agissent de manière raisonnable et interprètent correctement le droit en vigueur (voir aussi "Administrative Law", H.W.R. Wade, 5e édition (1980), pp. 348-349 et 354-355). Ainsi, dans Breen v. Amalgamated Engineering Union (Queen’s Bench Division, 1971, vol. 2, p. 190) Lord Denning a déclaré: "Le pouvoir d’appréciation d’un organe officiel n’est jamais illimité. Il doit s’exercer dans le respect de la loi. En d’autres termes, ledit organe doit pour le moins se laisser guider par des considérations pertinentes. Si sa décision subit l’influence de considérations extérieures dont il n’aurait pas dû tenir compte, elle n’est pas valable. Peu importe qu’il ait agi de bonne foi; la décision n’en sera pas moins annulée." Il faut avoir égard, notamment, au but et à l’objet du texte conférant le pouvoir. D’après Lord Reid dans Padfield v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food (Appeal Cases 1968, p. 997), "le Parlement a dû attribuer le pouvoir d’appréciation dans le dessein de le voir servir à promouvoir la politique et les objectifs de la loi". Le Gouvernement concède qu’en dehors d’un jugement de la High Court, du 17 juillet 1985 (R. v. Commissioners of Customs and Excise, ex parte Leonard Haworth), il n’existe aucune décision qui ait appliqué les principes susmentionnés à l’exercice du pouvoir d’appréciation des inspecteurs des douanes en matière de restitution de marchandises confisquées. L’affaire Haworth concernait la saisie, par les douanes, d’un yacht utilisé lors d’une tentative de contrebande de drogue, ainsi que l’exercice du pouvoir d’appréciation dont l’article 152 de la loi de 1979 sur l’administration des douanes investit les inspecteurs. Selon cette disposition, presque identique à l’article 288 de la loi de 1952, "les inspecteurs peuvent, s’ils l’estiment opportun, restituer, sous réserve des conditions qu’ils jugeraient adéquates, tout bien confisqué ou saisi". Le propriétaire du yacht, qui protestait de son innocence, avait demandé un contrôle judiciaire parce que les inspecteurs avaient omis ou refusé de lui rendre le navire. La High Court (le juge Forbes) a estimé que la culpabilité du propriétaire entrait en ligne de compte aux fins de l’article 152 et qu’en l’espèce les inspecteurs n’avaient pas correctement usé de leur pouvoir d’appréciation car ils n’avaient fourni à l’intéressé ni les informations nécessaires sur les faits retenus contre lui ni l’occasion de les discuter. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION AGOSI a saisi la Commission le 17 septembre 1980 (requête no 9118/80); elle alléguait que la confiscation des pièces avait enfreint l’article 6 par. 2 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 (art. 6-2, P1-1). La Commission a retenu la requête le 9 mars 1983. Dans son rapport du 11 octobre 1984 (article 31) (art. 31), elle exprime par neuf voix contre deux l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 20 janvier 1986, le Gouvernement a plaidé que l’article 6 (art. 6) ne s’appliquait pas en l’espèce et a confirmé en substance la conclusion de son mémoire, invitant "la Cour à décider et déclarer qu’il n’y a pas eu violation des droits de la société requérante au regard de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) à la Convention". De son côté, la requérante a réitéré en substance la conclusion de son mémoire, demandant à "la Cour de dire que le Gouvernement a violé l’article 1 du premier Protocole (P1-1) (...) et l’article 6 (art. 6) de la Convention (...)".
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Le requérant, ressortissant italien né en 1945, se trouve actuellement incarcéré à la maison d’arrêt de Porto Azzurro, dans l’île d’Elbe (Italie). I. LES POURSUITES PÉNALES EN ITALIE Arrêté par la police italienne le 9 mai 1971, relâché le 12 mais appréhendé derechef le 20, il fut accusé d’avoir enlevé à Gênes, le 6, une adolescente âgée de treize ans et de nationalité suisse, Milena Sutter, de l’avoir assassinée, d’en avoir dissimulé le cadavre et d’avoir essayé d’extorquer au père de la victime, un industriel, une rançon de 50.000.000 lires. On lui reprochait en outre de s’être livré à des actes obscènes et attentats à la pudeur avec violence sur la personne de quatre femmes. Le 15 juin 1973, après plusieurs mois d’audiences marquées notamment par l’audition de 180 témoins, la cour d’assises de Gênes lui infligea, pour les faits concernant l’une des quatre femmes, une peine - couverte par la détention provisoire - de deux ans et quinze jours de réclusion. Elle l’acquitta en revanche des autres crimes, en particulier du rapt de Milena Sutter et de ses suites, au bénéfice du doute; il recouvra donc sa liberté. Le parquet attaqua le jugement - long de 166 pages - devant la cour d’assises d’appel de Gênes. Les débats devaient commencer le 20 novembre 1974; il fallut pourtant les ajourner car la défense récusa le président qui, d’après elle, avait manifesté en public sa conviction de la culpabilité de M. Bozano. Ils s’ouvrirent le 18 avril 1975, après le rejet de cette demande par la Cour de cassation, mais l’accusé en sollicita le renvoi: certificat médical à l’appui, il alléguait qu’une hospitalisation motivée par des coliques néphrétiques l’empêchait de comparaître. La cour passa outre et le déclara contumax. Là-dessus, la défense introduisit contre le président une nouvelle demande en récusation et, contre la cour d’assises d’appel, une requête en suspicion légitime; la Cour de cassation les repoussa le 28 avril. Le procès reprit alors devant la cour d’assises d’appel qui refusa d’entendre certains témoins à décharge. Estimant ne plus pouvoir remplir leur tâche dans de telles conditions, les principaux conseils de l’intéressé y renoncèrent et la défense ne fut plus assurée que par un seul avocat, constitué peu de temps auparavant. Le 22 mai 1975, la cour d’assises d’appel, statuant par contumace, condamna M. Bozano à la réclusion à vie (ergastolo) pour les crimes concernant Milena Sutter et à quatre ans de réclusion pour les autres; elle ne lui reconnut aucune circonstance atténuante. Le 25 mars 1976, la Cour de cassation débouta le requérant du pourvoi formé par lui contre cet arrêt, sur quoi le parquet général de Gênes établit, le 30, un ordre d’incarcération et la police italienne diffusa, le surlendemain, un mandat d’arrêt international. II. LA PROCÉDURE D’EXTRADITION SUIVIE EN FRANCE En effet, M. Bozano s’était réfugié en France; il séjourna d’abord sur la Côte d’Azur puis dans le Centre. Au moins après quelque temps, il vécut sous l’identité - fausse - de Bruno Bellegati Visconti. Le 26 janvier 1979, la gendarmerie française l’appréhenda au cours d’un contrôle de routine dans la Creuse. Le même jour, il fut placé sous écrou extraditionnel à la prison de Limoges (Haute-Vienne); on lui notifia le titre en vertu duquel avait eu lieu son arrestation, ainsi que les pièces produites à l’appui de la demande d’extradition, et le procureur général près la cour d’appel l’interrogea en application de l’article 13, second alinéa, de la loi du 10 mars 1927 relative à l’extradition des étrangers ("la loi de 1927"). Le 31 janvier, l’Italie réclama officiellement à la France son extradition en se prévalant d’un traité bilatéral du 12 mai 1870. Le 15 mai 1979, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Limoges, saisie conformément à l’article 14 de la loi de 1927, exprima un avis défavorable après avoir entendu le parquet, les avocats du requérant et ce dernier lui-même. Elle commença par constater la régularité de ladite demande au regard de la convention de 1870 et de la loi de 1927, mais estima incompatible avec "les règles de l’ordre public français" la procédure italienne de contumace suivie en l’espèce par la cour d’assises d’appel de Gênes car même en matière criminelle - et non correctionnelle - elle permettait de prononcer "des condamnations exécutoires contre un accusé n’ayant pas comparu en personne devant ses juges", "en dehors du débat accusatoire qui constitue la base de la procédure pénale française" et sans ménager aucune possibilité de purge de la contumace. Aux termes de l’article 17 de la loi de 1927, pareil avis négatif revêtait un caractère définitif et liait le gouvernement français qui refusa donc d’extrader l’intéressé. III. LES POURSUITES PÉNALES EN FRANCE Celui-ci demeura néanmoins détenu à Limoges car il avait fait l’objet, en France, d’une inculpation "d’escroqueries, contrefaçon, falsification, altération de document administratif et usage". Le 24 août 1979, le juge d’instruction releva que M. Bozano semblait avoir joué un rôle d’exécution, et non de conception et de direction, dans les escroqueries qu’on lui reprochait; que les "détails" qu’il avait "préféré ne pas révéler" avaient trait "aux conditions du début de son séjour" et non aux faits litigieux; qu’il justifiait "de larges circonstances atténuantes" quant à l’établissement de fausses pièces d’identité; que la manifestation de la vérité n’exigeait plus de le détenir, mais qu’en raison de sa "situation administrative particulière" il fallait le placer sous contrôle judiciaire. En conséquence, il ordonna de l’élargir après versement d’un cautionnement de 15.000 francs et à charge pour lui de respecter diverses obligations. Le parquet appela de cette ordonnance, mais la chambre d’accusation la confirma le 19 septembre 1979. Six jours auparavant le magistrat instructeur avait décidé, nonobstant les réquisitions contraires du ministère public, qu’il n’y avait pas lieu de prolonger la détention provisoire. Le requérant recouvra aussitôt sa liberté. Le 20 septembre, il aurait sollicité une carte de séjour auprès de la préfecture de la Haute-Vienne, où l’on n’aurait pas consenti à lui remettre un récépissé de sa demande. Le Gouvernement souligne que les archives officielles ne renferment aucune trace de celle-ci, mais il n’en dément pas l’existence. Au demeurant, l’avocat de M. Bozano à Limoges écrivit au préfet le 27 septembre pour appuyer la démarche de son client. De son côté, le consulat général d’Italie à Paris s’était déclaré le 13 juillet 1979, sans donner de raisons, dans l’impossibilité "pour le moment de délivrer" au requérant "un document d’identité"; il répondait ainsi à la lettre qu’un autre conseil de l’intéressé, membre du barreau de Paris, lui avait adressée la veille. Le 26 octobre 1979, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu sur l’inculpation d’escroquerie, une ordonnance de mainlevée du contrôle judiciaire et une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Limoges sous la prévention de contrefaçon, falsification et altération de document administratif ainsi que d’usage de fausses pièces d’identité (articles 153 et 261 du code pénal). IV. L’EXPULSION LITIGIEUSE ET SES SUITES Le récit qui figure aux paragraphes 23, 25 et 26 ci-dessous repose, pour l’essentiel, sur les indications et les pièces que les défenseurs de M. Bozano ont fournies à la Commission puis à la Cour. Le Gouvernement n’en conteste pas à proprement parler l’exactitude, mais il exprime des réserves sur quelques points; il reconnaît pourtant n’avoir "pas de certitude" ou preuve contraires. Dans la soirée du 26 octobre 1979, vers 20 h 30, trois policiers en civil, dont un au moins armé, interpellèrent M. Bozano alors qu’il rentrait chez lui après un entretien avec son avocat de Limoges. Ils lui intimèrent l’ordre de les suivre. Comme il protestait, ils s’emparèrent de lui par la force, l’obligèrent à monter dans une voiture banalisée, lui passèrent les menottes et le conduisirent dans les locaux de la police judiciaire de Limoges. Là, quatre autres hommes arrivés un peu plus tard, et qui disaient venir spécialement de Paris, lui notifièrent - sans lui en remettre une copie - un arrêté d’expulsion. Celui-ci, pris plus d’un mois auparavant - le 17 septembre 1979 - par le ministre de l’Intérieur sur proposition du préfet de la Haute-Vienne et signé par le directeur de la réglementation, se lisait ainsi: "LE MINISTRE DE L’INTERIEUR, Vu l’article 23 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France, Vu le décret du 18 mars 1946, Vu les renseignements recueillis sur le nommé Lorenzo BOZANO, né le 3 octobre 1945 à GENES (Italie); Considérant que la présence de l’étranger(ère) susdésigné(e) sur le territoire français est de nature à compromettre l’ordre public, ARRETE: ARTICLE PREMIER. - Il est enjoint au susnommé de sortir du territoire français. ART. 2. - Les préfets sont chargés de l’exécution du présent arrêté. A Paris, le 17 SEP. 1979" Le requérant ne voulut pas signer un procès-verbal aux termes duquel il déclarait se conformer de son plein gré à cette décision. Bien au contraire, il refusa hautement son expulsion et exigea qu’on le déférât à la commission de recours prévue à l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers. On lui répondit qu’il n’en était pas question et qu’on allait le transporter aussitôt en Suisse - et non à la frontière la plus proche, celle de l’Espagne. De fait, et sans lui enjoindre au préalable de quitter la France pour un pays de son choix ni le laisser avertir son épouse et son conseil, on le contraignit à s’asseoir entre deux agents, les mains toujours entravées, à bord d’une BMW banalisée. Celle-ci prit vers 22 h la direction de Clermont-Ferrand, précédée d’une voiture de police qui ouvrait la route. Elle atteignit la frontière près d’Annemasse le samedi 27 octobre 1979 au petit matin. Dans un premier temps elle ne put la franchir; elle se rendit alors, après un long entretien téléphonique du chef des policiers français avec les autorités helvétiques, au poste des douanes françaises de Moillesulaz. Après un nouveau conciliabule au téléphone apparut une Opel banalisée immatriculée en Suisse. En descendit un policier de cet État; il passa d’autres menottes à M. Bozano qui dut s’installer sur la banquette arrière entre ledit policier et un agent français. L’Opel pénétra en Suisse à 8 h environ, accompagnée par la BMW avec les trois autres agents français. Les deux véhicules gagnèrent le commissariat du boulevard Carl-Vogt, à Genève. Le requérant, qui se trouvait démuni de tout papier d’identité, fut informé vers 11 h 45 que l’Italie sollicitait son extradition. On l’incarcéra ensuite à titre provisoire à la prison de Champ-Dollon; l’Office fédéral de la police en avait prié, le jour même, la police genevoise en lui annonçant l’arrivée imminente de la demande par la voie diplomatique. Dès les 14 septembre et 24 octobre 1979, des messages télétypés d’Interpol Rome avaient prévenu plusieurs États, dont la Suisse, que l’intéressé ne tarderait pas à être expulsé de France. Les documents fournis ultérieurement par l’Italie à l’appui de sa démarche portaient la date du 28 octobre 1979, un dimanche. En 1976, l’Italie avait demandé à la Suisse, liée à elle par la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, l’extradition du requérant. En conséquence, le nom de ce dernier avait été inscrit au "Moniteur suisse de police" du 5 avril 1976 avec la mention "sous mandat d’arrêt extraditionnel". L’intéressé fut livré aux autorités italiennes le 18 juin 1980 après que le Tribunal fédéral eut rejeté, le 13, son opposition. Il subit actuellement sa peine à la maison d’arrêt de Porto Azzurro, dans l’île d’Elbe, la législation italienne ignorant le système français de "purge" automatique de la contumace (article 639 du code français de procédure pénale). Il semble n’avoir cessé de protester de son innocence du crime atroce qui lui a valu sa condamnation, mais sauf révision ou mesure de grâce ne pourra pas recouvrer sa liberté - sous conditions - avant mai 2008. V. LES PROCÉDURES SUIVIES EN FRANCE APRÈS L’EXPULSION A. Les recours exercés par le requérant Les 11 et 26 décembre 1979, les conseils de M. Bozano avaient exercé en France deux recours. Le recours en référé En premier lieu, ils avaient assigné le ministre de l’Intérieur à comparaître en référé, le 17 décembre, devant le président du tribunal de grande instance de Paris. D’après eux, l’"opération matérielle" de la nuit du 26 au 27 octobre 1979 souffrait "de trois vices majeurs" dont chacun suffisait à l’entacher d’"arbitraire", donc à lui imprimer le caractère d’une "voie de fait": l’"appréhension brutale" de M. Bozano avait manifestement "constitué une étape essentielle de l’exécution de l’arrêté d’expulsion", mais n’avait pu se fonder sur lui puisqu’elle en avait précédé la notification; l’administration ne pouvait prouver que "l’exécution de l’acte administratif se fût heurtée à une résistance certaine ou à tout le moins à une mauvaise volonté évidente", car elle n’avait "tout simplement pas laissé" au requérant "le temps de faire quoi que ce fût" et du reste il aurait eu intérêt "à s’exécuter volontairement, afin de pouvoir choisir le pays où il se réfugierait"; enfin et surtout, elle ne jouissait "en la matière d’aucun privilège d’exécution d’office". A quoi s’ajoutait l’illégalité flagrante de l’arrêté lui-même: il allait à l’encontre des décisions d’élargissement puis de mainlevée du contrôle judiciaire rendues par les juridictions d’instruction les 19 septembre et 26 octobre 1979, ainsi que de l’avis défavorable formulé le 15 mai 1979 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Limoges (paragraphe 18 ci-dessus); en retenant, "contre le gré du requérant", "la Suisse parmi cinq pays limitrophes", l’administration avait "conscience de le remettre à celui des États européens le plus susceptible de l’extrader vers l’Italie", en raison de l’existence d’une convention italo-suisse d’extradition et de la nationalité "de la fillette assassinée". Les avocats de M. Bozano soulignaient en outre qu’il y avait urgence, car le Tribunal fédéral suisse s’apprêtait à statuer sur la demande italienne d’extradition (paragraphe 27 ci-dessus), et que leur client avait "été abusivement soustrait à la justice" française puisque le juge d’instruction l’avait renvoyé devant le tribunal correctionnel de Limoges pour usage de fausses pièces d’identité (paragraphe 21 ci-dessus). En conséquence, ils invitaient le président du tribunal de grande instance de Paris à enjoindre au ministre de l’Intérieur "de réclamer (...) à l’autorité helvétique compétente", "dans les huit jours du prononcé de l’ordonnance de référé", "la restitution" de leur mandant. Dans ses conclusions du 17 décembre 1979, le ministre rappela que l’article 13 de la loi des 16/24 août 1790 prohibait toute immixtion des magistrats de l’ordre judiciaire dans les actes d’administration. Et d’en déduire qu’il fallait "débouter" le requérant et "le renvoyer, s’il l’entendait, à se pourvoir devant les tribunaux compétents". De son côté, le préfet de police de Paris présenta un déclinatoire de compétence que le procureur de la République défendit à l’audience en requérant "le renvoi des parties devant la juridiction administrative". Il se fondait sur la loi précitée de 1790, lui aussi, et sur celle du 16 fructidor an III qui interdit "aux tribunaux de connaître des actes d’administration de quelque espèce qu’ils soient". D’après lui, rien n’établissait que l’arrêté d’expulsion litigieux et son exécution eussent constitué une voie de fait, c’est-à-dire fussent "manifestement insusceptibles de se rattacher à l’application d’un texte législatif ou réglementaire". Spécialement, les décisions d’élargissement et de levée de contrôle judiciaire prises par les juridictions d’instruction ne signifiaient pas que la présence de M. Bozano sur le territoire national n’eût engendré "aucune menace pour l’ordre public"; en outre, il entrait dans "la nature d’une expulsion d’être exécutée, au besoin par la contrainte (Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 février 1979, Batchono - Juris-Classeur périodique 1979-19207)"; quant à l’avis défavorable exprimé le 15 mai 1979 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Limoges, il "n’interdisait pas" de reconduire M. Bozano "à la frontière suisse, la Confédération helvétique ayant accepté de le recevoir". Le 14 janvier 1980, le président du tribunal de grande instance de Paris rendit une ordonnance déclarant "n’y avoir lieu à référé" car la demande, "mettant en cause des relations d’État à État, échappait à la compétence du juge des référés judiciaires". Cette décision était précédée de motifs ainsi libellés: "Attendu que les diverses opérations matérielles, depuis l’interpellation de BOZANO jusqu’à sa remise à des policiers suisses, font apparaître de très graves irrégularités manifestes tant au point de vue de l’ordre public français qu’au regard des règles résultant de l’application de l’article 48 du Traité de Rome; qu’il est étonnant de constater, au surplus, qu’a été précisément choisie la frontière suisse comme lieu d’expulsion alors que la frontière espagnole est plus proche de Limoges; qu’enfin, on peut relever que l’autorité judiciaire n’a pas eu la possibilité de constater les éventuelles infractions à l’arrêté d’expulsion pris à son encontre puisque dès la notification de cet arrêté, BOZANO a été remis sans désemparer aux policiers helvétiques en dépit de ses protestations; qu’ainsi l’administration a procédé elle-même à l’exécution de sa décision; Qu’ainsi il apparaît que cette opération a consisté non en une mesure d’éloignement pure et simple justifiée par l’arrêté d’expulsion, mais en une remise concertée aux autorités de police suisse (...)." Les conseils du requérant n’estimèrent pas utile d’interjeter appel. A ce propos, il convient de noter que d’après la jurisprudence du Tribunal des conflits, une décision même illégale d’expulsion ne constitue pas une voie de fait, de sorte que seules les juridictions de l’ordre administratif ont compétence en la matière (3 décembre 1979, préfet du Rhône c. Tribunal de grande instance de Lyon et Fentrouci c. Ministre de l’Intérieur, Recueil Lebon, 1979, p. 579). Le recours en annulation de l’arrêté d’expulsion Le 26 décembre 1979, ils avaient en second lieu saisi le tribunal administratif de Limoges d’un recours en annulation de l’arrêté d’expulsion du 17 septembre. Ils soutenaient en substance que celui-ci émanait d’une "autorité incompétente", faute de porter la signature du ministre de l’Intérieur lui-même; qu’il se trouvait "entaché d’erreur de droit" dans la mesure où il se fondait "sur le passé judiciaire de M. Bozano" puisque la chambre d’accusation de la cour d’appel de Limoges avait "rejeté", "comme contraire à l’ordre public français", la condamnation par contumace infligée par la cour d’assises d’appel de Gênes (paragraphe 18 ci-dessus); qu’il y avait aussi "détournement de pouvoir", car il s’était "agi non d’inviter M. Bozano à quitter le territoire français mais de le remettre au pays qui plus que tout autre était susceptible de l’extrader vers l’Italie", et "erreur manifeste d’appréciation" pour autant que l’arrêté litigieux s’expliquait par le comportement du demandeur en France: "l’usage d’un faux document" était apparu à ce dernier "comme le seul moyen d’échapper aux poursuites pour un crime dont il s’estimait innocent" et "le magistrat instructeur lui avait reconnu les plus larges circonstances atténuantes pour ce délit" (paragraphe 19 ci-dessus); que l’administration aurait dû "examiner l’ensemble de l’affaire pour savoir si la présence de l’intéressé constituait une menace pour l’ordre public"; que "l’arrêté attaqué avait méconnu les dispositions du droit communautaire" (article 48 du traité de Rome et directive 64-221 de la C.E.E.); qu’en outre "l’administration avait violé toutes les exigences de forme instituées par la directive 64-221 et le décret du 5 janvier 1970": M. Bozano "ne s’était pas vu notifier un refus de délivrance de carte de séjour", "n’avait pas pu présenter des observations devant la commission d’expulsion", "n’avait pas été informé des raisons d’ordre public fondant la décision administrative" et "n’avait pas bénéficié d’un délai pour quitter le territoire français"; que "seule l’urgence aurait pu dispenser l’administration du respect de ces règles impératives", mais qu’elle "n’existait pas en l’espèce" et n’avait du reste été "invoquée à aucun moment". Le ministre de l’Intérieur combattit cette argumentation dans un premier temps (27 mai 1980), soulignant notamment que "les conditions d’exécution d’une décision administrative sont sans influence sur la légalité de cette décision", mais dans un "nouveau mémoire" adressé par télégramme le 8 décembre 1981 le ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, déclara "s’en remettre à la sagesse du tribunal". Celui-ci statua le 22 décembre 1981; sans se prononcer sur les autres moyens présentés, il estima que le ministre de l’Intérieur avait commis "une erreur manifeste d’appréciation" et l’administration un "détournement de pouvoir". Sur le premier point, le jugement s’exprimait en ces termes: "Considérant que (...) le ministre (...) fait état de l’usage par l’intéressé de faux documents administratifs, ainsi que de son comportement en Italie; Considérant, d’une part, que le fait d’avoir utilisé de fausses pièces d’identité pour entrer et séjourner en France, en l’absence de toute circonstance aggravante, ne saurait, à lui seul, être considéré comme constituant une menace pour l’ordre public; Considérant, d’autre part, qu’il résulte des pièces versées au dossier (...) que le seul élément pris en considération concernant le comportement de l’intéressé en Italie a été une condamnation par contumace à une peine criminelle prononcée contre lui (...); qu’en l’absence d’une procédure vraiment contradictoire, les faits très graves reprochés à M. Bozano, que celui-ci a toujours niés, ne pouvaient être considérés comme suffisamment établis (...)." Quant au détournement de pouvoir, il ressortait des circonstances suivantes: "Considérant que la hâte avec laquelle a été exécutée la décision attaquée, alors que l’intéressé n’avait même pas manifesté son refus d’obéir, ainsi que le choix de la frontière suisse qui a été imposé à l’intéressé, révèlent bien quel a été le motif déterminant de cette décision; qu’en réalité, l’administration n’a pas cherché à obtenir l’éloignement de l’intéressé du territoire français, mais sa remise aux autorités italiennes par le canal des autorités helvétiques liées à l’Italie par une convention d’extradition; que l’administration a donc cherché à faire échec à l’avis défavorable qui avait été émis par l’autorité judiciaire compétente et qui liait le Gouvernement français; (...) que la décision attaquée est donc entachée de détournement de pouvoir (...)." En conséquence, le tribunal annula l’arrêté d’expulsion. Le ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation n’interjeta pas appel. Les avocats du requérant avaient jugé superflu de doubler leur recours en annulation d’une demande de sursis à l’exécution dudit arrêté. S’ils avaient introduit pareille demande, son examen eût relevé, à l’époque, de la compétence du Conseil d’État et non du tribunal administratif de Limoges. B. L’évolution des poursuites pénales Selon les indications fournies par le Gouvernement, le parquet n’a pas cité M. Bozano à comparaître devant le tribunal correctionnel de Limoges pour contrefaçon, falsification et altération de document administratif ainsi que pour usage de fausses pièces d’identité (paragraphe 21 ci-dessus): il "a estimé que la nature des infractions reprochées ne justifiait pas un développement ultérieur de la procédure, compte tenu de l’expulsion prononcée". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 30 mars 1982 contre la France (no 9990/82), M. Bozano faisait valoir que son "enlèvement" et son "transport forcé" en Suisse l’avaient privé de sa liberté physique et de sa liberté de circulation, au mépris des articles 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention et 2 § 1 du Protocole no 4 (P4-2). Il affirmait aussi n’avoir disposé ni d’un recours conforme aux exigences de l’article 5 § 4 (art. 5-4) de la Convention, ni de certaines des garanties de l’article 6 (art. 6) ni d’un recours effectif au sens de l’article 13 (art. 13) et avoir été victime d’un détournement de pouvoir contraire à l’article 18 (art. 18); il invoquait de surcroît l’article 5 § 5 (art. 5-5). Le 15 mai 1984, la Commission a déclaré irrecevable une partie de la requête: pour cause de tardiveté (article 26 in fine) (art. 26) quant à l’article 5 § 4 (art. 5-4) et, par voie de conséquence, quant à l’article 13 (art. 13); pour non-épuisement des voies de recours internes quant à l’article 5 § 5 (art. 5-5); ratione materiae quant à l’article 6 (art. 6); enfin, pour défaut manifeste de fondement quant à l’article 18 (art. 18), dans la mesure où l’intéressé accusait les autorités françaises de s’être concertées avec les autorités suisses et italiennes. En revanche, elle a retenu les allégations relatives à l’article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention - considéré isolément, ou combiné avec l’article 18 (art. 18+5-1) sur le point de savoir si l’exécution de l’arrêté d’expulsion avait eu pour but de déjouer l’avis défavorable à l’extradition exprimé le 15 mai 1979 - et à l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2). Dans son rapport du 7 décembre 1984 (article 31) (art. 31), elle conclut par onze voix contre deux à la violation de l’article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention, ne se prononce pas explicitement sur l’observation de l’article 18 (art. 18) et s’estime dispensée de se placer sur le terrain de l’article 2 du Protocole no 4 (P4-2). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. Auparavant, M. Bozano avait introduit, le 13 juin 1980, une requête contre la Suisse (no 9009/80). Il s’y plaignait à la fois de son arrestation par la police helvétique en territoire français et de la procédure d’examen de ses demandes d’élargissement par le Tribunal fédéral. Le 12 juillet 1984, la Commission a écarté le premier grief (articles 5 § 1 et 18) (art. 5-1, art. 18) pour défaut manifeste de fondement; elle a retenu le second (article 5 § 4) (art. 5-4) le 13 décembre 1984, après l’adoption de son rapport dans l’affaire Sanchez-Reisse (requête no 9862/82). L’intéressé avait déposé en outre, le 9 décembre 1980, une requête contre l’Italie (no 9991/82). Il s’y élevait contre la procédure de contumace ayant abouti à sa condamnation à une peine perpétuelle (article 6 de la Convention) (art. 6), mais la Commission a constaté le 12 juillet 1984 qu’à cet égard il n’avait pas respecté le délai de six mois ouvert par l’article 26 (art. 26) in fine. Il reprochait également aux autorités de son pays de s’être entendues avec celles de la France et de la Suisse pour obtenir son expulsion puis son extradition (article 18) (art. 18); par la même décision du 12 juillet 1984, la Commission a rejeté cette allégation pour défaut manifeste de fondement. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 21 avril 1986, le Gouvernement a demandé le rejet de la requête pour non-épuisement des voies de recours internes et, à titre subsidiaire, pour défaut de fondement. De son côté, la Commission a invité en substance la Cour à déclarer la requête recevable et à faire droit aux conclusions de son rapport sur le fond du litige.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte Le requérant, citoyen britannique né en 1951, réside en Angleterre. De son mariage, célébré en juin 1973, sont issus trois enfants; la présente affaire ne concerne que le plus jeune, S., né le 31 octobre 1978. Le couple a traversé de graves difficultés conjugales et financières. Le 1er mars 1979, alors que l’épouse du requérant souffrait d’une dépression post-natale et d’éthylisme, S. fut confié par ses parents à l’autorité locale (paragraphes 35-37 ci-dessous). Placé pour un temps dans une famille d’accueil, il retourna au foyer le 8 mars à la demande de son père, mais le 21 mars ses parents le confièrent à nouveau à l’autorité. Après une journée à la maison, le 13 avril, ses parents le placèrent derechef sous assistance et il demeura dans une famille d’accueil jusqu’au 18 mai. Il séjourna ensuite un certain temps chez ses parents avant d’être une fois de plus, le 5 juin, confié par eux à l’assistance publique de manière continue, sous réserve de leurs visites et de quelques week-ends passés auprès d’eux. B. Résolutions sur la puissance parentale concernant S. La femme du requérant reprit S. à la maison le 14 août 1979, ainsi qu’elle l’avait suggéré aux travailleurs sociaux de l’autorité locale, mais elle se ravisa ultérieurement et le rendit à ses parents nourriciers. Le 16 août, l’autorité locale, qui avait déjà étudié la question, adopta des résolutions par lesquelles elle assumait les droits parentaux du requérant et de son épouse sur S. (paragraphe 38 ci-dessous). Elle ne les avait apparemment pas informés qu’elle y songeait, mais le 7 septembre elle conclut avec eux un accord selon lequel S. retournerait chez eux en février 1980 s’ils surmontaient leurs difficultés domestiques. Quoi qu’il en soit, le requérant n’usa pas de son droit de s’opposer à la résolution le concernant (paragraphe 39 ci-dessous). Le 22 novembre 1979 - le lendemain de l’hospitalisation de la femme du requérant, dont l’éthylisme avait empiré -, l’autorité locale examina la situation de la famille. Elle estima que les chances de réintégration de S. étaient faibles, mais qu’il fallait s’en tenir à l’accord conclu car les travailleurs sociaux responsables jugeaient impossible de différer au-delà de février 1980 la restitution de l’enfant à ses parents naturels. Pour le cas où elle se révélerait irréalisable à ce moment-là, il fut aussi décidé de prévoir l’éventualité d’un placement à long terme dans une famille d’accueil. À l’occasion de Noël 1979, S. passa quatre jours dans sa famille naturelle. Le requérant continua de s’occuper de ses deux enfants plus âgés, mais en janvier 1980 il les confia volontairement à la garde de l’autorité locale, pour un temps, parce qu’il était menacé de perdre son emploi s’il ne reprenait pas le travail; dans son esprit, le placement devait cesser dès que sa femme quitterait l’hôpital. Après y avoir vu la femme du requérant le 22 janvier, un travailleur social rapporta qu’elle paraissait inquiète à l’idée que les enfants allaient rentrer au foyer. Il l’avertit que dans le cas de S. la seule autre solution consisterait en un placement durable. Le 31 janvier, il s’entretint avec le requérant de ses problèmes conjugaux et de l’avenir des deux aînés, mais l’hypothèse que S. ne retournât pas chez ses parents naturels ne fut pas discutée. Le 14 février 1980, l’autorité locale adopta des résolutions par lesquelles elle assumait les droits parentaux à l’égard des deux aînés. Selon le requérant, il ne s’y opposa pas car sa femme et lui étaient convenus avec les assistants sociaux de l’autorité locale que ces enfants leur seraient rendus après un certain temps. Ils le furent en effet le 1er août 1980 et sont restés avec eux depuis lors. Le requérant et sa femme affirment avoir compris que l’accord envisageait aussi la restitution de S. C. Placement de S. aux fins d’adoption et suppression des visites des parents D’après le rapport du médiateur local (paragraphe 22 ci-dessous), les travailleurs sociaux responsables de S. et du reste de la famille du requérant aboutirent en janvier ou février 1980, après un examen presque continu de la situation, à la conclusion que le retour de S. chez ses parents se trouvait hypothéqué par les perspectives d’évolution de l’alcoolisme de sa mère et par l’apparente désagrégation du couple. A une date non précisée, un ou des membres non spécifiés des services sociaux de l’autorité locale décidèrent que S. ne rentrerait pas à la maison, mais serait placé à demeure dans une famille d’accueil aux fins d’adoption et que les visites de ses parents naturels subiraient des restrictions. Aucun procès-verbal ne mentionne une telle décision prise à l’époque et dans les formes par l’autorité locale, et les travailleurs sociaux semblent n’avoir parlé de pareil placement ni au requérant, qu’ils rencontrèrent le 31 janvier, ni à sa femme, qu’ils allèrent voir le 14 février pour l’informer des résolutions relatives aux deux aînés. Quant au médiateur local, il ressort de son rapport que les parents avaient été avertis à de précédentes occasions de la possibilité de confier S. à d’autres personnes pour une longue durée, mais il n’était manifestement pas convaincu qu’on leur eût assez bien expliqué le cours probable des événements et qu’on les eût dûment consultés avant la décision de ne pas leur restituer l’enfant. Quoi qu’il en soit, les 20 et 26 mars respectivement, les travailleurs sociaux responsables avisèrent de vive voix le requérant et sa femme de la décision. D’après le rapport du médiateur local, le travailleur social traitant l’affaire n’était pas sûr que même alors les parents eussent pleinement saisi ce qu’on leur disait de l’avenir de S. car leurs préoccupations du moment se concentraient exclusivement sur les deux aînés. Le 31 mars 1980, sans en référer davantage au requérant ni à sa femme, le comité local de l’adoption et des soins nourriciers (Authority’s Adoption and Foster Care Committee) considéra et approuva l’idée de placer S. durablement chez des parents nourriciers et de limiter les visites de ses parents naturels. Les travailleurs sociaux responsables lui signalèrent que le requérant et sa femme, absents de la réunion qui se tenait à leur insu, n’acceptaient pas la proposition. Le procès-verbal des travaux du comité relève: "On a prétendu que si les parents n’avaient plus aucun rapport avec [S.], la mère, en particulier, ‘irait jusqu’au bout du monde à sa recherche’. Néanmoins, réglementer les contacts et ne pas les permettre au domicile [de la famille d’accueil]." L’autorité locale indiqua au médiateur, dans le cadre de l’enquête menée par lui, qu’à ses yeux le procès-verbal témoignait de la volonté de cacher au requérant et à sa femme l’endroit où vivait S. Il consigne en tout cas sans ambiguïté la décision de limiter les visites, sous le double rapport du lieu et de la fréquence, mais non de les supprimer. Le 22 avril 1980, le travailleur social chargé du dossier se rendit auprès du requérant et de sa femme pour leur annoncer que S. allait être confié à d’autres parents nourriciers; le procès-verbal précise qu’il ne consentit pas à révéler l’adresse de ces derniers. En outre, le directeur de district des services sociaux semble avoir décidé d’interdire les visites du requérant et de sa femme à S., car selon lui elles auraient compromis les chances d’insertion de l’enfant dans sa nouvelle famille d’accueil. On ignore s’il existe un lien, et lequel, entre cette décision et les discussions du comité de l’adoption et des soins nourriciers telles que les résume le procès-verbal précité. D’après le Gouvernement, le requérant fut informé de ladite décision en mai. Le 9 mai 1980, S. fut placé pour une longue durée dans une nouvelle famille d’accueil aux fins d’adoption. D. Levée des résolutions sur les droits parentaux et procédure de tutelle Quelque temps après mai 1980, et apparemment sous l’effet du choc d’une condamnation à l’emprisonnement à elle infligée pour vol, la femme du requérant se désintoxiqua de l’alcool de manière remarquable. De surcroît, le couple surmonta ses difficultés conjugales. Il continua de réclamer des contacts avec S. et protesta auprès des services sociaux contre la suppression des visites à S. Pour finir, une rencontre avec celui-ci fut finalement ménagée en juillet 1980 dans les locaux des services sociaux. Après avoir consulté des solicitors en septembre afin d’attaquer les mesures arrêtées par l’autorité locale, le requérant et sa femme obtinrent l’aide judiciaire pour inviter un tribunal pour enfants à lever les résolutions sur leurs droits parentaux à l’égard de S. (paragraphe 40 ci-dessous); ils intentèrent une action le 4 novembre. Fixée initialement au 11 décembre, l’audience fut repoussée au 8 janvier 1981 à la demande de l’autorité locale. Le 16 janvier, le tribunal ordonna la levée des deux résolutions, ce qui permettait le retour de S. chez le requérant et sa femme. L’autorité interjeta aussitôt appel devant la Divisional Court (paragraphe 41 ci-dessous) et, de plus, déposa auprès du greffe de district de la High Court l’acte introductif d’une instance tendant au placement de l’enfant sous tutelle judiciaire (paragraphes 42-44 ci-dessous). S’ouvrit alors une période d’incertitude quant à celle des deux procédures que poursuivrait l’autorité locale. Le 5 février 1981, soit la veille de l’arrivée de la tutelle à échéance (paragraphe 44 ci-dessous), l’autorité lança une assignation à comparaître le 3 mars pour l’examen de la requête introductive susmentionnée. Ce jour-là, elle sollicita des directives de la High Court, mais le représentant de W. contesta la recevabilité de l’action pour cause de double emploi avec l’appel. Considérée comme préliminaire, la question fut renvoyée à un juge à la High Court. Le 25 mars, il accepta le maintien de la procédure de tutelle, l’autorité locale s’engageant à retirer son appel à la Divisional Court; il ordonna d’entendre les plaidoiries dans les meilleurs délais et de les inscrire pour la première semaine de juin, leur longueur escomptée empêchant le choix d’une date plus proche. Les débats eurent lieu du 15 au 18 et le 22 juin 1981. Sur la base des éléments dont elle disposait quant au bien-être de S. et à la situation du requérant (y compris le rapport, du 9 juin, d’un assistant social indépendant), la High Court estima que la tutelle devait continuer et l’enfant rester dans la famille d’accueil où il se trouvait depuis mai 1980 (paragraphe 17 ci-dessus): il n’existait plus aucune autre solution réelle, trop de temps ayant passé depuis la dernière rencontre de S. avec ses parents naturels (le 25 juillet 1980) pour qu’un changement se justifiât. La High Court ajouta qu’il ne fallait pas accorder aux parents la faculté de voir l’enfant, le rétablissement d’un tel droit ne pouvant que les encourager à persévérer dans leurs efforts pour obtenir la restitution de leur enfant, ce qui ne correspondrait pas à l’intérêt de ce dernier. Dans le corps du jugement, le juge déclara pourtant: "Je puis seulement trouver des plus malheureux que cette procédure [de tutelle] n’ait pas été examinée dans le délai d’une semaine environ à compter de la décision [du tribunal pour enfants]. Je n’en aperçois pas la raison (...). Toutefois, tel n’a pas été le cas; les parents et le tribunal se trouvent donc désormais devant le fait que quatre mois supplémentaires se sont écoulés, au cours desquels S. s’est encore rapproché de ses parents nourriciers." "(...) Je ne me félicite pas de ce que l’on use de l’article 2 [de la loi de 1948 sur les enfants] pour modifier le statut de l’enfant et rayer ses parents de sa vie; je ne me félicite pas davantage d’une décision arrêtée par l’autorité locale sans que les parents aient été entendus ou aient eu l’occasion de présenter leurs arguments devant l’organe de décision (...)." Le juge mentionna aussi "l’aide massive" que les services sociaux avaient prodiguée aux parents. La Court of Appeal débouta le requérant de son appel le 6 octobre 1981. Elle exprima sa sympathie pour les parents naturels, qualifiant l’affaire de "tragique", mais souligna qu’elle devait statuer au mieux des intérêts de l’enfant et qu’en fin de compte il s’agissait de savoir si ce dernier aurait avantage à rester dans sa famille d’accueil ou à retourner à son foyer d’origine. Tout en reconnaissant que "la mère comme le père avaient eu grand mérite à sortir d’une situation consternante" et avaient "remarquablement réussi à s’occuper" de leurs aînés, elle constata que S. soulevait "un problème différent" car il avait passé presque toute sa vie sous la garde d’autres personnes. E. Le médiateur local Le requérant saisit le médiateur local, compétent pour instruire la plainte de quiconque prétend avoir subi une injustice résultant d’une mauvaise administration à l’occasion de mesures qu’une autorité locale a prises dans l’exercice de ses fonctions administratives. Dans son rapport du 28 février 1983, le médiateur accueillit le grief du requérant selon lequel il y avait eu mauvaise administration dans la manière dont l’autorité avait arrêté ses décisions concernant S.; il reprocha en particulier à celle-ci de ne pas avoir informé correctement les parents avant de se prononcer à titre irrévocable. F. Faits ultérieurs Le 23 mars 1982, les parents nourriciers chez qui S. vivait depuis mai 1980 furent admis à solliciter son adoption (paragraphe 53 ci-dessous). Une ordonnance d’adoption fut rendue le 5 octobre 1984, la High Court ayant résolu de se passer du consentement du requérant (paragraphe 52 ci-dessous). II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Assistance à l’enfance Introduction Le droit anglais et gallois ménage plusieurs procédures différentes, et en partie coordonnées, destinées à protéger l’enfance. La compétence de la High Court en matière de tutelle en constitue la plus ancienne, mais depuis maintes années elle coexiste - sans avoir disparu pour autant - avec diverses règles légales permettant de confier un enfant en danger à une autorité locale. Bien que la terminologie ainsi employée ne soit pas entièrement exacte, on a coutume de distinguer entre deux séries de mesures législatives: les premières prévoient "l’assistance d’office" (compulsory care) et instaurent un système qui habilite l’autorité locale à obtenir une ordonnance judiciaire plaçant un enfant sous sa garde; les secondes ont trait à "l’assistance sur demande" (voluntary care), mécanisme conçu d’abord pour répondre à une situation d’urgence sans qu’il faille s’adresser aux tribunaux. On dénombre en permanence en Angleterre et au Pays de Galles quelque 86.000 enfants confiés à l’assistance publique, dont 70.000 ne vivent pas avec leurs parents ou un proche. Les dispositions légales ont été modifiées à plusieurs reprises. Beaucoup d’entre elles ont été abrogées et remplacées par la loi de 1980 sur la protection de l’enfance ("la loi de 1980"), texte de synthèse dont la majeure partie est entrée en vigueur le 1er avril 1981. Dans l’aperçu ci-après du droit applicable à l’époque de la présente affaire, la version initiale est citée d’abord et toute clause correspondante de la loi de 1980 en vigueur au moment considéré figure entre crochets. Fournissant des renseignements de base d’ordre général, ce résumé couvre l’ensemble des trois procédures mentionnées (assistance d’office, assistance sur demande et tutelle), mais en l’espèce entraient directement en ligne de compte l’assistance sur demande et la compétence de la High Court en matière de tutelle. Assistance d’office La principale loi relative à l’assistance d’office est celle de 1969 sur les enfants et adolescents ("la loi de 1969"), amendée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée en partie par la loi de 1980; elle permet à l’autorité locale de demander, à titre de mesure temporaire, une "ordonnance de placement en lieu sûr" (place of safety order) et, à plus long terme, diverses autres ordonnances. a) Ordonnance de placement en lieu sûr Selon l’article 28 § 1 de la loi de 1969, chacun, y compris une autorité locale, peut solliciter d’un juge de paix le pouvoir de garder un enfant et de l’amener en lieu sûr; le juge peut accueillir la requête s’il en estime l’auteur fondé à croire, notamment, que le bon développement de l’enfant subit des entraves ou négligences évitables, que sa santé souffre d’un manque de soins ou d’atteintes évitables, qu’il est maltraité ou exposé à un danger moral. Une "ordonnance de placement en lieu sûr" vaut pour 28 jours au maximum et ne peut être prorogée. La personne qui garde l’enfant doit s’employer dans les meilleurs délais à informer le parent de la détention et de ses motifs. Si l’autorité locale souhaite que l’enfant reste dans un milieu protecteur au-delà de la période de 28 jours, elle doit soit le placer sous tutelle judiciaire (paragraphes 42-44 ci-dessous), soit engager une procédure d’assistance conformément à l’article 1 de la loi de 1969 (paragraphes 27-29 ci-dessous), soit solliciter du juge ou de la Magistrates’ Court une ordonnance provisoire en vertu de l’article 28 § 6 (paragraphe 32 ci-dessous); en cas de rejet d’une demande de la dernière catégorie, la remise immédiate de l’enfant "peut être ordonnée". b) Mesures à plus long terme i. Procédure d’assistance Si une autorité locale croit raisonnablement qu’il convient de prendre une ordonnance visant à aider, diriger ou surveiller un enfant, les articles 1 et 2 § 2 de la loi de 1969 l’obligent, sous réserve de quelques exceptions, à engager une procédure d’assistance (care proceedings) en le traduisant devant un tribunal pour enfants. En pareil cas, les parties sont l’autorité locale et l’enfant, mais non les parents. L’enfant peut au besoin bénéficier de l’aide judiciaire et il lui est loisible de laisser ses parents mener l’affaire pour son compte, eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un avocat. S’il a une maturité suffisante, il peut opter pour une représentation séparée. Un parent naturel qui n’agit pas au nom de l’enfant a le droit d’être averti de l’audience, de la suivre, de déposer et de citer des témoins pour contester les allégations de l’autorité locale. En pratique, le tribunal l’admet aussi à procéder à un interrogatoire croisé des témoins de celle-ci et à désigner son propre conseil. Lorsque le tribunal devant lequel comparaît l’enfant constate l’existence de l’un des motifs énoncés à l’article 1 de la loi de 1969 et la nécessité, pour l’enfant, d’une assistance ou surveillance qu’on ne saurait guère lui assurer sans une ordonnance, il peut rendre entre autres une ordonnance de surveillance, d’assistance ou provisoire. Parmi lesdits motifs se trouvent ceux qui justifient une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 26 ci-dessus). ii. Ordonnances pertinentes Une ordonnance de surveillance (supervision order) place l’enfant sous la surveillance des services de l’autorité locale; à cela près, il peut continuer à vivre avec ses parents. Une ordonnance d’assistance (care order) confie l’enfant à la garde de l’autorité locale. Celle-ci a envers lui les pouvoirs et devoirs que son parent ou tuteur auraient en l’absence de l’ordonnance (article 24 de la loi de 1969 [10 § 2 de la loi de 1980]), avec deux exceptions: elle ne peut faire élever l’enfant dans une foi religieuse différente de celle dans laquelle il l’aurait été autrement, ni consentir à son adoption. Une ordonnance provisoire (interim order) est une ordonnance d’assistance dont la durée de validité ne dépasse pas 28 jours; elle peut être prorogée sur demande (article 22 de la loi de 1969). Elle peut émaner du tribunal pour enfants saisi de l’affaire s’il n’est pas à même de choisir entre les autres ordonnances déterminées (article 2 § 10), ou pendant qu’une ordonnance de placement en lieu sûr se trouve en vigueur (paragraphe 26 ci-dessus). Elle confère à l’autorité locale les mêmes pouvoirs et devoirs qu’une ordonnance d’assistance permanente (paragraphe 31 ci-dessus). c) Échéance, modification ou levée des ordonnances d’assistance permanente Une ordonnance d’assistance permanente (full care order) arrive normalement à échéance lorsque l’enfant concerné atteint l’âge de dix-huit ans (article 20 § 3 b) de la loi de 1969). D’après les articles 21 § 2 et 70 § 2, le tribunal pour enfants peut en outre, s’il le juge bon et à la demande de l’enfant ou du parent agissant au nom de celui-ci (mais pas au sien propre), lever l’ordonnance et, le cas échéant, délivrer une ordonnance de surveillance. De telles demandes peuvent être présentées tous les trois mois ou, avec l’accord du tribunal, plus fréquemment (article 21 § 3). La décision de lever ou non l’ordonnance se fonde avant tout sur les intérêts de l’enfant. d) Recours contre les ordonnances d’assistance Aux termes des articles 2 § 12 et 21 § 4 de la loi de 1969, l’enfant faisant l’objet de l’ordonnance d’assistance ou le parent agissant au nom de l’enfant (mais non au sien propre), peut attaquer devant la Crown Court ladite ordonnance, le rejet d’une demande en mainlevée de celle-ci ou une ordonnance de surveillance prise lors de sa levée. La Crown Court contrôle la décision en réexaminant l’affaire. Moyennant une autorisation, sa propre décision se prête à un appel à la High Court, qui statue sur la base d’un exposé des faits agréé par les deux parties; il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal et, dans de rares hypothèses, à la Chambre des Lords. L’autorité locale ne jouit d’aucun droit général de recours contre le refus du tribunal pour enfants de rendre une ordonnance d’assistance, sauf devant la High Court sur un point de droit. Assistance sur demande La principale loi relative à l’assistance sur demande est celle de 1948 sur les enfants ("la loi de 1948"), modifiée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée par la loi de 1980. Elle a pour effet de permettre à un parent de confier son enfant à une autorité locale; dans une première phase celle-ci n’acquiert aucun statut particulier à l’égard de l’enfant, mais il peut en aller différemment par la suite. a) Prise en charge d’un enfant L’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] oblige l’autorité locale à prendre en charge un mineur de dix-sept ans lorsqu’il s’avère, notamment, que la maladie, l’incapacité ou d’autres circonstances empêchent pour un temps ou durablement les parents ou le tuteur d’en assurer comme il convient le logement, l’entretien et l’éducation, et que le bien-être de l’enfant commande une intervention de l’autorité. Sauf disposition contraire de la loi, elle doit en conserver la charge tant qu’il n’a pas dix-huit ans et que son bien-être l’exige, mais il lui faut aussi s’employer à ce que les parents la reprennent lorsque cela semble compatible avec le bien-être de l’intéressé. En son article 1, la loi de 1948 [article 2 de la loi de 1980] précise qu’elle n’habilite pas l’autorité locale à conserver la charge de l’enfant si l’un ou l’autre des parents ou le tuteur souhaitent l’assumer. Toutefois, nul ne peut reprendre un enfant assisté depuis six mois, sans discontinuer, s’il n’en a pas notifié l’intention vingt-huit jours au moins au préalable ou si l’autorité locale ne lui a pas donné son accord (article 1 § 3 A [13 § 2]). En outre, si un parent sollicite le retour de l’enfant l’autorité locale n’est pas tenue d’accepter sans se soucier du bien-être de ce dernier (Lewisham London Borough Council v. Lewisham Juvenile Court Justices, All England Law Reports, 1979, vol. 2, p. 297). Si elle juge incompatible avec ce bien-être le tranfert de la garde au parent, elle peut soit adopter une résolution sur la puissance parentale (parental rights resolution, paragraphe 38 ci-dessous), soit demander que l’enfant devienne pupille de la justice (ward of court, paragraphes 42-44 ci-dessous). b) Résolution sur la puissance parentale Si une autorité locale chargée d’un enfant au titre de l’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] estime, notamment, que l’un des parents est incapable d’en assurer la garde à cause, entre autres, de ses habitudes, de son mode de vie ou de manquements constants et injustifiés à ses obligations de parent, elle peut s’attribuer les droits et devoirs parentaux envers cet enfant (article 2 § 1 [3 § 1]). Il s’agit de tous ceux dont la loi investit la mère et le père à l’égard d’un enfant légitime et de son patrimoine, y compris "un droit de visite" (right of access), à l’exclusion toutefois du droit de consentir - ou de s’y refuser - à une adoption ou à certaines ordonnances connexes (article 2 § 11 de la loi de 1948 [3 § 10 de la loi de 1980] et article 85 § 1 de la loi de 1975 sur les enfants). Avant d’assumer la puissance parentale, l’autorité locale doit examiner un rapport de ses services sociaux sur l’opportunité d’une telle mesure; il doit fournir tous les renseignements nécessaires au bon exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité. Lorsqu’elle se prononce, celle-ci doit attacher une importance primordiale aux intérêts de l’enfant et tenir compte des vues des parents sur la proposition. c) Oppositions aux résolutions sur la puissance parentale Si le parent n’a pas encore accepté par écrit la résolution sur la puissance parentale et si l’on sait où l’atteindre, on doit la lui notifier en lui indiquant qu’il peut s’y opposer dans le délai d’un mois (article 2 §§ 2 et 3 de la loi de 1948 [3 §§ 2 et 3 de la loi de 1980]). S’il use de ce droit, la résolution tombe quatorze jours après la notification de l’opposition (article 2 § 4 [3 § 4]). Cependant, pendant ce laps de temps l’autorité locale peut saisir un tribunal pour enfants, moyennant quoi la résolution reste en vigueur jusqu’à la décision. Après examen de la "plainte", le tribunal peut décider que la résolution ne deviendra pas caduque s’il constate que les conditions requises se trouvaient réunies au moment du prononcé, qu’elles le restent et que le maintien de la mesure sert l’intérêt de l’enfant (article 2 § 5 [3 §§ 5 et 6]). d) Échéance ou levée des résolutions sur la puissance parentale Une résolution sur la puissance parentale reste en vigueur jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de dix-huit ans, sauf si l’autorité locale l’annule ou si un tribunal pour enfants y met un terme auparavant (article 4 de la loi de 1948 [5 de la loi de 1980]). Même sans s’être d’emblée opposé à la résolution, le parent concerné peut en réclamer la levée à un tribunal pour enfants. Celui-ci peut accueillir la demande s’il estime que la résolution ne se justifiait pas ou qu’elle doit prendre fin dans l’intérêt de l’enfant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]). Une demande fondée sur les motifs initiaux de la résolution doit cependant être introduite dans les six mois de l’adoption de celle-ci (article 127 de la loi de 1980 sur la Magistrates’ Court). e) Recours relatifs aux résolutions sur la puissance parentale D’après l’article 4 A de la loi de 1948 [6 de la loi de 1980], un parent ou l’autorité locale peuvent attaquer devant la Family Division de la High Court l’ordonnance d’un tribunal pour enfants confirmant (article 2 § 5 [3 § 6]) ou levant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]) une résolution sur la puissance parentale, ou le refus du tribunal de prendre une telle ordonnance. Il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, à la Chambre des Lords. Tutelle La Family Division de la High Court a la compétence implicite, indépendante des dispositions légales et découlant de la prérogative régalienne de la Couronne en qualité de parens patriae, de placer un enfant sous tutelle judiciaire. La tutelle a pour effet de conférer la garde, au sens large, au tribunal lui-même. Il assume la responsabilité de tous les aspects du bien-être de l’enfant et peut prendre des ordonnances en toute matière appropriée, notamment quant aux soins et à la surveillance du pupille, aux visites qu’il peut recevoir, à son éducation, sa religion ou son patrimoine. Ce faisant, il attache une importance primordiale au bien-être de l’enfant (article 1 de la loi de 1971 sur la tutelle des mineurs). La tutelle se poursuit jusqu’à la majorité, sauf si une ordonnance du tribunal y met fin plus tôt. Si des circonstances exceptionnelles rendent impossible ou inopportun qu’un pupille soit ou demeure sous la garde de ses parents, le tribunal peut par ordonnance le confier à l’assistance de l’autorité locale (article 7 § 2 de la loi de 1969 portant réforme du droit de la famille), sous réserve de son pouvoir de donner des directives (article 43 § 5 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales). Il conserve en pareil cas la garde de l’enfant et c’est à lui, non à l’autorité locale, qu’il incombe d’arrêter les principales décisions concernant l’avenir du pupille; il reste, par exemple, compétent pour prendre des ordonnances sur les visites à ce dernier. A qualité pour introduire une procédure de tutelle quiconque justifie d’un intérêt légitime pour le bien-être de l’enfant. La demande revêt la forme d’une assignation. L’enfant devient pupille dès la délivrance de celle-ci, mais la tutelle cesse automatiquement au bout de vingt et un jours si aucun exploit d’ajournement n’a été déposé d’ici là. L’audience a normalement lieu devant un greffier qui, sous réserve d’un recours au juge, peut ordonner des mesures provisoires sur des questions telles que les visites à l’enfant et décider que d’autres personnes concernées interviendront dans la procédure. Le juge connaît des affaires de tutelle s’il y a contestation, ainsi que des demandes - pouvant être présentées par une partie à tout moment - en modification ou levée d’une ordonnance de tutelle ou relatives, par exemple, aux visites à l’enfant ou à son éducation. Contre ses ordonnances s’ouvre un recours devant la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, devant la Chambre des Lords. Dans une procédure de tutelle, l’enfant peut être représenté par un tuteur ad litem désigné par le tribunal; il s’agit en général de l’Official Solicitor, fonctionnaire à plein temps entièrement indépendant de l’exécutif. Le règlement de la Supreme Court permet de requérir une ordonnance accélérant la procédure, notamment si une partie se livre à des manoeuvres dilatoires. Décisions d’une autorité locale relatives à un enfant sous sa garde et contrôle judiciaire Dans le domaine de la protection de l’enfance, l’autorité locale exerce ses fonctions et arrête ses décisions par les soins de sa commission des services sociaux, d’une sous-commission ou encore d’un fonctionnaire agissant par délégation. A l’époque des faits, la pratique variait d’une autorité à l’autre en l’absence de prescriptions ou indications précises, même non législatives; beaucoup dépendait de la nature ou de la gravité de la décision à prendre. Que l’enfant lui soit confié en vertu de la loi de 1948 [1980] ou de 1969, l’autorité locale doit songer d’abord à la nécessité d’en sauvegarder et favoriser le bien-être pendant toute l’enfance; autant que possible, il lui faut s’assurer de ses désirs et sentiments quant à la décision et les considérer compte tenu de son âge et de son entendement (article 59 de la loi de 1975 sur les enfants [18 § 1 de la loi de 1980]). Les décisions des autorités locales en la matière se fondent souvent sur les résultats d’examens périodiques (case reviews) ou de réunions ad hoc (case conferences). L’autorité a l’obligation légale de revoir tous les six mois le cas de chaque enfant placé sous sa garde (article 27 § 4 de la loi de 1969) et, en pratique, la situation de l’enfant est de surcroît étudiée régulièrement lors de réunions ad hoc. Aux examens et réunions participent notamment les travailleurs sociaux responsables et de hauts fonctionnaires des services sociaux de l’autorité, ainsi que d’autres personnes tels des visiteurs sanitaires, médecins et officiers de police. Un parent peut à l’occasion être admis ou invité à assister à tout ou partie d’un examen périodique ou d’une réunion ad hoc, mais il n’y a aucun droit de par la loi. Ses contacts avec les travailleurs sociaux constituent le moyen le plus habituel de communiquer ses vues sur les questions que doit trancher l’autorité. Sans procédure judiciaire, le parent ne peut contraindre l’autorité locale à lui délivrer ou lui permettre de lire le procès-verbal de ses réunions pertinentes ou les rapports qui y ont été produits, encore qu’elle ait la faculté de le laisser les consulter. En cas d’instance en contrôle judiciaire (mais non devant un tribunal pour enfants), le tribunal peut ordonner la communication avant procès de ces documents, mais seulement une fois obtenue l’autorisation d’entamer la procédure (paragraphe 48 ci-dessous); toutefois, cela n’arrive que rarement car en principe il s’agit de pièces secrètes (privileged) et inaccessibles à l’intéressé. Un parent dont l’enfant se trouve sous la garde d’une autorité locale ne perd pas automatiquement contact avec lui. Cependant, la continuation des visites relève de l’appréciation de l’autorité (Lord Wilberforce dans A. v. Liverpool City Council, All England Law Reports 1981, vol. 2, p. 385). En droit anglais, la question de savoir si et dans quelle mesure un parent doit pouvoir rendre visite à son enfant assisté était donc, à l’époque, du ressort de l’autorité locale, sans qu’il fallût saisir un tribunal. La loi de 1948 [1980] comme celle de 1969 reflètent l’idée générale que le maintien des visites parentales aux enfants assistés est dans bien des hypothèses normal et souhaitable: la première permet à l’autorité locale de contribuer aux frais de pareille visite, la seconde traite spécialement de certains cas où les parents n’ont pas rendu visite à l’enfant depuis quelque temps. Les voies de recours légales indiquées aux paragraphes 33-34 et 39-41 ci-dessus, offrant aux parents le moyen soit de contester une ordonnance d’assistance ou une résolution sur la puissance parentale, soit d’en réclamer la levée, concernent l’ordonnance ou la résolution en soi; au moment des faits, il n’en existait aucune par laquelle ils pussent attaquer isolément une décision limitant ou supprimant leurs visites à leur enfant. Une décision de l’autorité locale en matière de visites peut en revanche donner lieu à une demande en contrôle judiciaire. Toute personne désireuse d’introduire une telle demande doit d’abord solliciter, en principe dans les trois mois de la décision, l’autorisation du tribunal. Les cas d’ouverture d’un contrôle judiciaire peuvent en bref se résumer ainsi: a) l’autorité a agi irrégulièrement, en excédant ses pouvoirs ou de mauvaise foi; b) elle a négligé de prendre en compte des éléments pertinents, pris en compte des éléments dénués de pertinence ou abouti à une décision à laquelle aucune autorité sensée n’eût pu arriver (Associated Provincial Picture Houses, Ltd v. Wednesbury Corporation, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223); c) elle n’a pas respecté des règles légales de procédure ou n’a pas agi équitablement (voir notamment R. v. The Bedfordshire County Council, ex parte C, et R. v. The Hertfordshire County Council, ex parte B, Times Law Reports, 19 août 1986). Le contrôle judiciaire porte non sur le bien-fondé de la décision en cause, mais plutôt sur le processus décisionnel en soi; le tribunal ne joue pas le rôle d’une "cour d’appel". Ainsi, lorsqu’il accueille la demande et annule la décision d’une autorité, il renvoie d’ordinaire la question à celle-ci pour qu’elle la reconsidère; il peut aussi, cependant, ordonner à l’autorité d’arrêter une conclusion conforme à ses constatations (règlement de la Supreme Court, titre 53, article 9 § 4). En outre, dans certaines circonstances on peut s’adresser à la juridiction compétente en matière de tutelle pour contester les décisions d’une autorité locale ou d’un tribunal pour enfants concernant un enfant confié à la première. En règle générale, le pouvoir de la Couronne ne se trouve pas supplanté ou abrogé à tous égards par l’exercice des attributions dont la loi investit lesdites autorités. Dans son arrêt de principe A. v. Liverpool City Council, la Chambre des Lords a examiné les relations entre la juridiction de tutelle et les pouvoirs légaux des autorités locales. Elle a estimé à l’unanimité que les tribunaux n’ont pas à vérifier le bien-fondé des décisions de celles-ci, notamment quant aux visites à l’enfant: le pouvoir implicite général du tribunal dans le domaine des tutelles doit servir à combler des lacunes ou compléter les attributions des autorités locales, mais non à surveiller - sauf sur la base des principes du contrôle judiciaire (paragraphe 48 ci-dessus) - la manière dont celles-ci usent de leur liberté d’appréciation dans le secteur que leur confie la loi. Parfois, cependant, l’autorité locale elle-même peut solliciter en sus l’aide du tribunal; la tutelle peut alors se poursuivre pour permettre à ce dernier de prendre des dispositions. Les limites susmentionnées aux pouvoirs de la High Court ne valent que si la procédure de tutelle concerne un enfant déjà placé sous assistance. Dans le cas contraire, la High Court peut connaître intégralement de questions comme celle des visites et rendre l’ordonnance qu’elle juge la plus appropriée dans l’intérêt de l’enfant. Évolution récente L’incapacité des parents à saisir les tribunaux - sauf dans la mesure indiquée plus haut - quand une autorité locale arrête des décisions touchant à leurs visites à leurs enfants, a conduit le Parlement à modifier sur ce point la législation par la loi de 1983 sur les services sanitaires et sociaux et le contentieux de la sécurité sociale (Health and Social Services and Social Security Adjudications Act 1983). Selon les nouveaux textes - entrés en vigueur le 30 janvier 1984, donc après les événements à l’origine de la présente affaire -, une autorité locale ne peut refuser de ménager des visites à un enfant assisté et ne peut les supprimer sans en avoir averti le parent. Celui-ci a alors le droit de demander à un tribunal pour enfants une ordonnance de visite (access order) enjoignant à l’autorité locale de permettre ces visites aux conditions que le tribunal peut préciser. Une fois rendue pareille ordonnance, il est possible d’en solliciter la modification. La décision du tribunal pour enfants peut être attaquée devant la High Court. Toute juridiction examinant la question doit considérer d’abord le bien-être de l’enfant. La voie de recours ainsi créée ne vaut que pour les décisions refusant ou supprimant les visites; dans tous les autres cas, la nature et l’étendue de ces dernières relèvent du pouvoir d’appréciation de l’autorité locale. En décembre 1983, le gouvernement a publié un code de pratique sur les visites aux enfants assistés. Ce document souligne qu’il importe d’associer les parents par le sang au processus de décision de l’autorité locale en la matière et de les renseigner de manière complète et rapide sur le contenu des décisions relatives aux visites. B. Adoption Pour pouvoir prononcer l’ordonnance d’adoption d’un enfant, un tribunal doit notamment, d’après l’article 12 de la loi de 1975 sur les enfants, se convaincre du consentement libre et sans réserve de chacun des parents. Il peut néanmoins s’en passer pour plusieurs motifs énoncés dans le même article, par exemple si le parent refuse son accord de façon abusive ou a constamment failli à ses obligations parentales sans raison défendable. Pour arrêter ses décisions en ce domaine, un tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances, son premier souci consistant à protéger et favoriser le bien-être de l’enfant tout au long de l’enfance (article 3 de ladite loi). S’il s’agit d’un pupille de la justice, la procédure d’adoption ne peut être engagée sans l’autorisation de la High Court. Celle-ci doit alors rechercher si la demande d’adoption projetée a des chances sérieuses d’aboutir, le fond de la question étant examiné ultérieurement, une fois l’autorisation octroyée et remplies les conditions relatives au préavis et aux rapports. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. W. a saisi la Commission le 18 janvier 1982 (requête no 9749/82). Il se plaignait des procédures suivies pour aboutir aux décisions de restreindre puis supprimer ses visites à S. et des recours dont il disposait à cet égard; il invoquait les articles 6 § 1, 8 et 13 (art. 6-1, art. 8, art. 13) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 17 novembre 1983. Dans son rapport du 15 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion - qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) pendant la durée de validité de la résolution sur la puissance parentale concernant le requérant, car celui-ci n’a pu alors déférer à un tribunal la question de son droit, de caractère civil, de rendre visite à S. (onze voix contre deux, avec une abstention); - que la durée de la procédure de tutelle ne soulève pas de problème distinct sur le terrain de l’article 6 § 1 (art. 6-1) (treize voix contre une); - qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce que les procédures appliquées pour décider de limiter puis supprimer les visites du requérant à S. n’ont pas respecté sa vie familiale (treize voix contre une); - que nul problème distinct ne se pose quant à l’article 13 (art. 13) (huit voix contre six). Le texte intégral de l’avis de la Commission et des opinions en partie dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT A LA COUR Aux audiences des 25-26 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour à dire "- premièrement, qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - deuxièmement, qu’il n’y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - troisièmement, que dans le cas des requérants [O., W., B. et R.] aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13), mais que s’il s’en pose une il n’y a pas eu non plus violation de ce dernier".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant suédois né en 1959, le requérant, M. Bengt Pudas, réside à Hedenäset, localité située dans la commune d’Övertorneå et le comté de Norrbotten, dans le nord de la Suède. Le 1er février 1980, la préfecture (länsstyrelsen) de Norrbotten lui délivra une licence de taxi puis, le 20 mai, une licence pour le transport de passagers et de leurs marchandises sur certains parcours interurbains (linjetrafik). Elles valaient jusqu’à nouvel ordre. Le requérant commença ses activités combinées de chauffeur de taxi et de transporteur interurbain le 20 mai 1980. Avec son père et un troisième conducteur employé à mi-temps, il utilisait deux véhicules (une Peugeot 505, surtout pour les trajets en taxi, et une Citroën à sept places, principalement pour les déplacements interurbains). Dans le cadre du transport interurbain, il offrait un service de deux voyages par semaine à heure fixe, organisés à la demande et à retenir la veille. A. Demande de la Compagnie de transports du comté à la préfecture Le 2 avril 1981, la Compagnie de transports du comté de Norrbotten (länstrafiken i Norrbotten AB, paragraphe 20 ci-dessous) déposa auprès de la préfecture (paragraphe 19 ci-dessous) une demande de licence pour le transport interurbain sur certaines lignes, dont celles que couvrait la seconde licence de M. Pudas. Elle sollicita en même temps la révocation de cette dernière, ainsi que d’une licence accordée en 1973 à un certain M. Wälimaa. A l’appui de sa démarche, elle relevait que deux services routiers de deux régions différentes seraient groupés en un service régulier fonctionnant selon un calendrier unique et confié à l’entreprise d’autobus de M. Wälimaa et de ses associés. Le requérant s’opposa au retrait de sa licence. B. Décision de retirer la licence de M. Pudas Le 17 août 1981, la préfecture consentit à la Compagnie de transports, à compter du 1er septembre 1981, une licence l’autorisant à se charger du transport interurbain de passagers et de marchandises sur les parcours indiqués dans la demande. Par une autre décision du même jour, elle révoqua les licences de transport interurbain du requérant et de M. Wälimaa, notamment par les motifs suivants: "Parmi les transports que la Compagnie du comté offre d’assurer figure un service régulier par autobus, à ouvrir entre les localités en question. Aux yeux de la préfecture, pareil plan permettra de créer dans la zone un meilleur réseau et de coordonner les transports sur une seule ligne. Les transports dans la région en profiteront à un point tel que la préfecture ne peut repousser la demande de la Compagnie du comté. En conséquence, il échet de révoquer les anciennes licences délivrées [au requérant] et à M. Wälimaa." D’après une ordonnance ultérieure, la licence de M. Pudas devait devenir caduque le jour où la révocation du 17 août serait définitive. Peu après, la Compagnie de transports du comté concéda à l’entreprise de M. Wälimaa et de ses associés la gestion d’un service d’autobus sur les itinéraires englobés dans sa nouvelle licence. C. Les recours de M. Pudas contre la révocation de sa licence Le requérant introduisit un recours devant le Conseil des transports (transportrådet). Il alléguait, entre autres, qu’en sollicitant une licence pour les lignes couvertes par la sienne à lui, la Compagnie avait agi non pour améliorer les services de transport, dans l’intérêt général, mais en vertu d’un accord entre M. Wälimaa et elle-même (paragraphes 11 - 12 ci-dessus); que seules des raisons très graves, telle une faute du titulaire d’une licence, pouvaient en justifier la révocation; que la préfecture avait négligé les intérêts du requérant en lui retirant sa licence; qu’enfin, le service du transport sur les itinéraires visés n’avait pas de chances de gagner en qualité simplement parce qu’il serait assuré par M. Wälimaa et ses associés au lieu du requérant. Le Conseil des transports débouta ce dernier le 14 mai 1982. M. Pudas se pourvut alors auprès du gouvernement (ministère des Transports et des Communications) en se référant aux arguments qu’il avait présentés au Conseil des transports. Le gouvernement écarta le recours le 21 octobre 1982. Saisi derechef par le requérant, il refusa, le 13 janvier 1983, de revenir sur sa décision. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE A. Description générale du système des licences Le droit interne applicable se trouve contenu dans la loi no 559 et l’ordonnance no 871, de 1979, sur les transports commerciaux (yrkestrafiklagen, la "loi de 1979", et yrkestrafikförordningen, "l’ordonnance de 1979"). L’article 4 du chapitre 1 de la première définit comme transports commerciaux les services de transport de passagers ou de marchandises par voiture, camion ou autobus, offerts au public à titre onéreux. Ne peuvent les assurer que des personnes titulaires d’une licence de transport en cours de validité (chapitre 2, article 1). B. Conditions d’octroi des licences Selon la loi de 1979 (chapitre 1, article 5), il existe trois catégories de licences de transport de voyageurs. Elles peuvent en bref se décrire ainsi: - licences de transport à la demande, pour lequel le véhicule, avec un chauffeur, est mis à la disposition du client et le prix fixé selon l’usage qu’en fait ce dernier (beställningstrafik); - licences de transport touristique, ce qui englobe les voyages touristiques sur commande, etc. (turisttrafik); - licences de transport régulier sur des itinéraires précis dans ou entre des zones urbaines spécifiées - transports interurbains (linjetrafik) -, le véhicule n’étant pas à la disposition du client. Seule peut obtenir une licence une personne physique ou morale jugée apte à se charger du service. Lors de l’examen des candidatures entrent en ligne de compte des éléments tels que la compétence professionnelle et la situation financière et personnelle de l’intéressé, afin de garantir que les transports soient réalisés dans des conditions de sécurité par des entreprises économiquement solides (chapitre 2, article 3, de la loi de 1979). En outre, le service prévu doit être réputé nécessaire et approprié (chapitre 2, articles 8 et 11). Cette exigence s’explique par la volonté de créer un réseau de transport adéquat et d’éviter un service excédentaire inopportun. Dans le même souci, on cherche à empêcher que les transporteurs travaillant pendant des jours et à des heures non rentables ne subissent la concurrence effrénée de confrères n’offrant leur service que s’il s’agit d’une opération lucrative. L’administration compétente subordonne en général l’octroi de licences de transport de passagers sur les trajets interurbains à des conditions particulières, relatives par exemple aux parcours et aux horaires (chapitre 2, article 23, et chapitre 3, articles 5 et 6, de l’ordonnance de 1979). Le Conseil des transports arrête les tarifs (chapitre 3, articles 1 à 3). C. Organisation et gestion du système de transport Le Norrbotten figure parmi les comtés de Suède, vastes et à la population clairsemée, où un service de transport suffisant ne saurait fonctionner sans fonds publics. On estime qu’en moyenne 50 % des frais du transport des passagers en Suède sont couverts par de tels fonds, et davantage encore dans le Nord du pays. Normalement, la délivrance et le retrait des licences de transport de passagers sur les lignes interurbaines relèvent de la préfecture. D’après la loi no 438 de 1978 sur les "Principales" pour certains transports publics de passagers (lag om huvudmannaskap för viss kollektiv persontrafik, "la loi de 1978"), chaque comté possède une "Principale" ("huvudman"), chargée des transports routiers publics locaux et régionaux (article 1) et notamment de veiller à l’existence de moyens de transport appropriés pour un coût supportable par le contribuable. Constituée par le conseil général (landstinget) et les communes (kommunerna), la Principale assume la responsabilité d’ensemble des transports publics du comté. Dans certains des comtés ses fonctions sont remplies par un organisme public (kommunalförbund), mais dans la majorité d’entre eux, comme le Norbotten, elles incombent à une compagnie, la Compagnie de transports du comté, propriété exclusive du conseil général et des communes. La Principale peut détenir elle-même les licences ou gérer un système dans lequel en sont titulaires des transporteurs privés. Dans le premier cas, elle peut fournir le service par ses propres moyens ou le concéder à des particuliers liés avec elle par contrat. Même dans le second, le transporteur a besoin des subventions de la Principale pour équilibrer ses comptes. D. Conditions de retrait des licences de transport de passagers sur les lignes interurbaines Le titulaire d’une licence se la voit retirer s’il l’a utilisée d’une manière telle qu’on ne peut le juger apte à assurer le service (sauf à encourir un simple avertissement dans les cas moins graves) ou si ce dernier n’est pas maintenu (chapitre 3, articles 1 et 2, de la loi de 1979). Une licence doit aussi être révoquée lorsque, par exemple, une commune ou une Principale en sollicite une et démontre que les moyens de transport dans le secteur considéré ont toutes chances de s’améliorer si elle reprend la licence elle-même (chapitre 3, article 5, de la loi de 1979); en outre, elle peut l’être à l’occasion d’une demande émanant d’un nouveau transporteur s’il y a des raisons de penser que cela ira dans le sens de l’organisation la plus pratique du transport. E. Recours existant contre le retrait des licences de transport de passagers sur les lignes interurbaines Contre pareille décision préfectorale de retrait d’une licence s’ouvre un recours devant le Conseil des transports, dont le gouvernement (ministère des Transports et des Communications) peut réexaminer les décisions en sa qualité d’autorité statuant en dernier ressort. D’une manière générale, l’administration suédoise échappe au contrôle des tribunaux ordinaires. Ils ne connaissent des recours contre l’État qu’en matière contractuelle et de responsabilité extracontractuelle ainsi que, selon quelques lois, de décisions administratives. Le contrôle juridictionnel des actes de l’administration appartient donc avant tout à des juridictions administratives. Elles comportent trois degrés: les tribunaux administratifs de comté (länsrätterna); les cours d’appel administratives (kammarrätterna); la Cour administrative suprême (regeringsrätten). Composées de magistrats indépendants, elles jouissent en principe de pouvoirs étendus qui leur permettent non seulement d’annuler des actes administratifs, mais aussi de les modifier ou remplacer. Ce principe souffre une importante exception: les décisions du gouvernement sont insusceptibles de recours. Elles peuvent pourtant, ainsi que celles d’autres autorités, donner lieu dans certaines limites à une demande en réouverture de la procédure (resningsansökan), à introduire devant la Cour administrative suprême et sur laquelle l’arrêt Sporrong et Lönnroth du 23 septembre 1982 fournit plus de détails (série A no 52, pp. 19-20, § 50). La responsabilité civile de l’État se trouve régie par le chapitre 3 de la loi no 207 de 1972 (skadeståndslagen). D’après l’article 2, les actes de la puissance publique peuvent engendrer un droit à indemnité en cas de faute ou de négligence. L’article 7 précise toutefois que les décisions du Parlement, du gouvernement, de la Cour suprême, de la Cour administrative suprême et de la Cour nationale de la sécurité sociale ne peuvent faire l’objet d’aucune action en responsabilité. Enfin, en cas d’octroi d’une nouvelle licence, l’ancien titulaire peut inviter son successeur à "racheter" les véhicules et le reste de l’équipement utilisés dans son entreprise. Une telle requête doit être formée au plus tard deux mois après que le retrait est devenu définitif. L’examen des affaires de rachat relève de la Commission d’évaluation des autobus et taxis aux termes de l’ordonnance no 690 de 1969 (kungörelsen om buss-och taxivärderingsnämnden). Elle fixe l’étendue du dédommagement et la somme à verser; elle doit attribuer aux biens une valeur correspondant à ce que pourrait produire une vente réalisée dans des conditions normales. Le montant peut cependant être ajusté si l’évaluation donne un résultat manifestement inéquitable. La Commission doit offrir aux parties l’occasion de présenter leurs arguments par écrit ou oralement. Elle peut aussi confier une enquête à des experts indépendants. Les frais de la procédure incombent en principe au nouveau titulaire. La Commission se compose d’un président, qui doit être un magistrat expérimenté, et de deux assesseurs. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 30 mars 1983 à la Commission (no 10426/83), M. Pudas alléguait que le retrait de sa licence pour le transport interurbain de voyageurs avait enfreint l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Il dénonçait aussi une violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, parce qu’il ne pouvait attaquer cette mesure devant un tribunal, et de l’article 13 (art. 13) car, affirmait-il, il ne bénéficiait contre elle d’aucun "recours effectif". Le 5 décembre 1984, la Commission a retenu, comme soulevant des questions sur le terrain des articles 6 et 13 (art. 6, art. 13), le grief selon lequel l’intéressé n’avait pu contester devant un tribunal la révocation de sa licence; elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 décembre 1985 (article 31) (art. 31), elle aboutit à la conclusion unanime qu’il y a eu manquement aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1) et qu’il ne se pose pas de problème distinct sous l’angle de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte Lors de la saisine de la Commission le requérant, ressortissant irlandais né en 1943, vivait en Angleterre. Il se maria en 1967, mais divorça le 20 octobre 1981. Au cours de leur union, sa femme et lui eurent sept enfants, A, B, C, D, E, F et G, nés respectivement en 1968, 1970, 1971, 1973, 1975, 1977 et 1978. En 1973, des problèmes de logement amenèrent par trois fois le couple à confier (paragraphes 29-31 ci-dessous) à l’autorité locale les enfants qu’il avait à l’époque. Le 11 janvier 1974, le tribunal pour enfants prononça des ordonnances d’assistance (paragraphes 21-23 et 25 ci-dessous) concernant A, B, C et D. Il les leva en juin 1975, à la demande du requérant à qui l’on avait procuré un appartement plus convenable, pour y substituer des ordonnances de surveillance (paragraphes 24 et 27 ci-dessous). B. Les ordonnances d’assistance de 1976 Le bien-être des enfants lui inspirant des inquiétudes qui atteignirent leur comble quand le requérant se fut livré à des violences sur A, l’autorité obtint du tribunal pour enfants, le 2 juillet 1976, des ordonnances d’assistance pour A, B, C, D et E, désignés ci-après par "les enfants" car la présente affaire ne concerne pas F et G. Le 9 septembre 1976, la Crown Court débouta O. de son appel; il n’exerça pas de recours ultérieur (paragraphe 28 ci-dessous). Les enfants séjournèrent d’abord dans un foyer pour enfants. En décembre 1976, A et B furent placés chez des parents nourriciers près de la ville où habitait le requérant, et C chez d’autres dans la même ville. En février 1978, l’autorité envoya D et E, demeurés dans l’intervalle audit foyer chez des parents nourriciers dont elle ne communiqua pas l’adresse au requérant. Elle en décida ainsi à la suite d’un "examen périodique" auquel avaient participé, le 17 octobre, les travailleurs sociaux responsables des enfants; le requérant n’avait pas été averti de cette réunion ni invité à y assister. C. Les visites des parents naturels aux enfants et leur suppression Jusqu’en juin ou juillet 1978, le requérant et sa femme continuèrent à rendre visite aux enfants - ou à ceux qu’ils savaient où trouver - au moins une fois par semaine, mais selon les parents nourriciers cela perturbait les enfants. Aussi le travailleur social responsable proposa-t-il que les visites eussent lieu dorénavant au siège des services sociaux de la ville où résidait le requérant. Les parents y virent les cinq enfants, une heure environ, le 4 juillet 1978 puis A, B et C, pendant quelque 45 minutes, le 24 avril 1979. Après avoir consulté un avocat afin de faire reconnaître leur droit de visite, ils sollicitèrent la révocation des ordonnances d’assistance. Le tribunal pour enfants la refusa le 13 juin 1979; l’instance ne pouvait porter sur la seule question des visites, car d’après la loi le tribunal devait rechercher s’il convenait de lever les ordonnances en entier (paragraphes 27 et 42 ci-dessous). Ils n’attaquèrent pas cette décision (paragraphe 28 ci-dessous). Le 14 juin 1979, les solicitors du requérant écrivirent à la direction des services sociaux de l’autorité, réclamant pour les parents la possibilité de visites régulières. Dans une réponse provisoire, elle indiqua le 20 juin qu’elle tiendrait sous peu une réunion ad hoc mais ne changerait probablement guère de position quant aux enfants. Une réponse plus détaillée, datée du 10 juillet, se lisait ainsi: "Depuis ma lettre du 20 juin s’est déroulée une réunion ad hoc tendant à fixer notre politique future à l’égard des cinq (...) enfants confiés à notre autorité. Vous n’ignorez certainement pas que nous devons nous préoccuper avant tout de l’intérêt des enfants. Pour se prononcer, les participants à la réunion avaient à l’esprit l’article 59 de la loi de 1975 sur les enfants, aux termes duquel ‘Pour prendre une décision relative à un enfant placé sous sa garde, une autorité locale doit songer d’abord à la nécessité de sauvegarder et favoriser le bien-être de celui-ci pendant toute son enfance, s’assurer autant que possible de ses désirs et sentiments quant à la décision et les considérer compte tenu de son âge et de son entendement’. Après le rejet de la demande [du requérant et de sa femme] en révocation des ordonnances d’assistance concernant leurs enfants confiés à l’autorité, on a souligné qu’ils éprouvaient tous le désir réel de rester chez leurs parents nourriciers. La conférence a donc estimé que la solution la plus avantageuse pour eux consistait à demeurer durablement chez leurs parents nourriciers actuels. Les visites [du requérant et de son épouse] ont passablement perturbé les enfants et leurs parents nourriciers. Comme ces enfants vont probablement rester longtemps sous assistance, il faudrait s’attacher avant tout à les aider à se sentir heureux et en sécurité dans leurs foyers d’accueil. Je dois donc vous informer que dans leur intérêt ils ne devraient avoir aucun contact avec leurs parents naturels. Je sais que cette décision causera une profonde déception [au requérant et à son épouse]. Mon assistante sociale (...) se mettra prochainement en rapport avec eux et discutera volontiers plus en détail [en leur compagnie] des raisons qui ont motivé cette décision." Le requérant affirme ne pas avoir été invité à assister à la réunion ad hoc mentionnée dans cette lettre, ni consulté au préalable sur la suppression des visites. D. Procédure de tutelle S’efforçant de poser la question des visites, les parents engagèrent une instance le 25 février 1980, en conséquence de quoi les enfants devinrent pupilles de la justice (paragraphes 36-38 et 43 ci-dessous). Le 2 avril, l’autorité locale invita la High Court à lever la tutelle (paragraphe 38 ci-dessous); les parents répliquèrent qu’ils devraient pouvoir rendre visite aux enfants tant qu’elle en aurait la garde. Le 6 octobre 1980, lors d’une audience, la High Court rechercha si elle avait compétence pour connaître, dans le cadre d’une procédure de tutelle, de la demande relative aux visites et si la tutelle devait se prolonger. Le juge s’exprima ainsi: "(...) la présente Cour ne joue pas le rôle de juridiction de recours quant aux décisions de l’autorité locale; elle ne peut intervenir en pareil cas que sur la base des principes régissant le contrôle de l’exercice des pouvoirs d’appréciation dont les organes officiels jouissent de par la loi; en d’autres termes, pour pouvoir intervenir elle doit se convaincre que l’autorité locale a pris en compte des éléments dénués de pertinence, négligé de prendre en compte des éléments pertinents ou abouti à une décision à laquelle aucune autorité sensée n’eût pu arriver. Elle peut également intervenir, bien entendu, si elle constate que l’autorité a agi de mauvaise foi." Or il estima que la décision de supprimer les visites ne prêtait à aucune de ces critiques et qu’il devait donc la confirmer. Aussi leva-t-il l’ordonnance de tutelle. Le requérant aurait pu attaquer ce jugement, mais ses conseils lui indiquèrent que la jurisprudence existante eût voué son recours à l’échec (paragraphes 42-43 ci-dessous). E. Évolution ultérieure Une ordonnance d’adoption fut prononcée le 25 août 1981 pour D et E, le juge s’étant passé du consentement du requérant et de sa femme (paragraphe 46 ci-dessous). Elle entraîna la caducité des ordonnances d’assistance de 1976 relatives à ces deux enfants. Le requérant a quitté le Royaume-Uni à la fin de 1984. Il semble qu’à l’époque il ne rendait pas régulièrement visite à A et C (l’interdiction des visites par l’autorité n’ayant jamais été levée), qu’elles-mêmes ne souhaitaient pas le rencontrer et qu’il n’allait pas non plus voir régulièrement B bien qu’ayant rétabli le contact avec lui à la demande de l’enfant. B et C restent soumis aux ordonnances d’assistance de 1976 tandis que A ne l’est plus depuis 1986, ayant atteint l’âge de 18 ans. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Assistance à l’enfance Introduction Le droit anglais et gallois ménage plusieurs procédures différentes et en partie coordonnées, destinées à protéger l’enfance. La compétence de la High Court en matière de tutelle en constitue la plus ancienne, mais depuis maintes années elle coexiste - sans avoir disparu pour autant - avec diverses règles légales permettant de confier un enfant en danger à une autorité locale. Bien que la terminologie ainsi employée ne soit pas entièrement exacte, on a coutume de distinguer entre deux séries de mesures législatives: les premières prévoient "l’assistance d’office" (compulsory care) et instaurent un système qui habilite l’autorité locale à obtenir une ordonnance judiciaire plaçant un enfant sous sa garde; les secondes ont trait à "l’assistance sur demande" (voluntary care), mécanisme conçu d’abord pour répondre à une situation d’urgence sans qu’il faille s’adresser aux tribunaux. On dénombre en permanence en Angleterre et au pays de Galles quelque 86.000 enfants confiés à l’assistance publique, dont 70.000 ne vivent pas avec leurs parents ou un proche. Les dispositions légales ont été modifiées à plusieurs reprises. Beaucoup d’entre elles ont été abrogées et remplacées par la loi de 1980 sur la protection de l’enfance ("la loi de 1980"), texte de synthèse dont la majeure partie est entrée en vigueur le 1er avril 1981. Dans l’aperçu ci-après du droit applicable à l’époque de la présente affaire, la version initiale est citée d’abord et toute clause correspondante de la loi de 1980 en vigueur au moment considéré figure entre crochets. Fournissant des renseignements de base d’ordre général, ce résumé couvre l’ensemble des trois procédures mentionnées (assistance d’office, assistance sur demande et tutelle), mais en l’espèce entraient directement en ligne de compte l’assistance d’office et la compétence de la High Court en matière de tutelle. Assistance d’office La principale loi relative à l’assistance d’office est celle de 1969 sur les enfants et adolescents ("la loi de 1969"), amendée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée en partie par la loi de 1980; elle permet à l’autorité locale de demander, à titre de mesure temporaire, une "ordonnance de placement en lieu sûr" (place of safety order) et, à plus long terme, diverses autres ordonnances. a) Ordonnance de placement en lieu sûr Selon l’article 28 § 1 de la loi de 1969, chacun, y compris une autorité locale, peut solliciter d’un juge de paix le pouvoir de garder un enfant et de l’amener en lieu sûr; le juge peut accueillir la requête s’il en estime l’auteur fondé à croire, notamment, que le bon développement de l’enfant subit des entraves ou négligences évitables, que sa santé souffre d’un manque de soins ou d’atteintes évitables, qu’il est maltraité ou exposé à un danger moral. Une "ordonnance de placement en lieu sûr" vaut pour 28 jours au maximum et ne peut être prorogée. La personne qui garde l’enfant doit s’employer dans les meilleurs délais à informer le parent de la détention et de ses motifs. Si l’autorité locale souhaite que l’enfant reste dans un milieu protecteur au-delà de la période de 28 jours, elle doit soit le placer sous tutelle judiciaire (paragraphes 36-38 ci-dessous), soit engager une procédure d’assistance conformément à l’article 1 de la loi de 1969 (paragraphes 21-23 ci-dessous), soit solliciter du juge ou de la Magistrates’ Court une ordonnance provisoire en vertu de l’article 28 § 6 (paragraphe 26 ci-dessous); en cas de rejet d’une demande de la dernière catégorie, la remise immédiate de l’enfant "peut être ordonnée". b) Mesures à plus long terme i. Procédure d’assistance Si une autorité locale croit raisonnablement qu’il convient de prendre une ordonnance visant à aider, diriger ou surveiller un enfant, les articles 1 et 2 § 2 de la loi de 1969 l’obligent, sous réserve de quelques exceptions, à engager une procédure d’assistance (care proceedings) en le traduisant devant un tribunal pour enfants. En pareil cas, les parties sont l’autorité locale et l’enfant, mais non les parents. L’enfant peut au besoin bénéficier de l’aide judiciaire et il lui est loisible de laisser ses parents mener l’affaire pour son compte, eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un avocat. S’il a une maturité suffisante, il peut opter pour une représentation séparée. Un parent naturel qui n’agit pas au nom de l’enfant a le droit d’être averti de l’audience, de la suivre, de déposer et de citer des témoins pour contester les allégations de l’autorité locale. En pratique, le tribunal l’admet aussi à procéder à un interrogatoire croisé des témoins de celle-ci et à désigner son propre conseil. Lorsque le tribunal devant lequel comparaît l’enfant constate l’existence de l’un des motifs énoncés à l’article 1 de la loi de 1969 et la nécessité, pour l’enfant, d’une assistance ou surveillance qu’on ne saurait guère lui assurer sans une ordonnance, il peut rendre entre autres une ordonnance de surveillance, d’assistance ou provisoire. Parmi lesdits motifs se trouvent ceux qui justifient une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 20 ci-dessus). ii. Ordonnances pertinentes Une ordonnance de surveillance (supervision order) place l’enfant sous la surveillance des services de l’autorité locale; à cela près, il peut continuer à vivre avec ses parents. Une ordonnance d’assistance (care order) confie l’enfant à la garde de l’autorité locale. Celle-ci a envers lui les pouvoirs et devoirs qu’auraient son parent ou tuteur en l’absence de l’ordonnance (article 24 de la loi de 1969 [10 § 2 de la loi de 1980]), avec deux exceptions: elle ne peut faire élever l’enfant dans une foi religieuse différente de celle dans laquelle il l’aurait été autrement, ni consentir à son adoption. Une ordonnance provisoire (interim order) est une ordonnance d’assistance dont la durée de validité ne dépasse pas 28 jours; elle peut être prorogée sur demande (article 22 de la loi de 1969). Elle peut émaner du tribunal pour enfants saisi de l’affaire s’il n’est pas à même de choisir entre les autres ordonnances déterminées (article 2 § 10), ou pendant qu’une ordonnance de placement en lieu sûr se trouve en vigueur (paragraphe 20 ci-dessus). Elle confère à l’autorité locale les mêmes pouvoirs et devoirs qu’une ordonnance d’assistance permanente (paragraphe 25 ci-dessus). c) Échéance, modification ou levée des ordonnances d’assistance permanente Une ordonnance d’assistance permanente (full care order) arrive normalement à échéance lorsque l’enfant concerné atteint l’âge de dix-huit ans (article 20 § 3 b) de la loi de 1969). D’après les articles 21 § 2 et 70 § 2, le tribunal pour enfants peut en outre, à la demande de l’enfant ou du parent agissant au nom de l’enfant (mais pas au sien propre) et s’il le juge bon, lever l’ordonnance et, le cas échéant, délivrer une ordonnance de surveillance. De telles demandes peuvent être présentées tous les trois mois ou, avec l’accord du tribunal, plus fréquemment (article 21 § 3). La décision de lever ou non l’ordonnance se fonde avant tout sur les intérêts de l’enfant. d) Recours contre les ordonnances d’assistance Aux termes des articles 2 § 12 et 21 § 4 de la loi de 1969, l’enfant faisant l’objet de l’ordonnance d’assistance, ou le parent agissant au nom de l’enfant (mais non au sien propre), peut attaquer devant la Crown Court ladite ordonnance, le rejet d’une demande en mainlevée de celle-ci ou une ordonnance de surveillance prise lors de sa levée. La Crown Court contrôle la décision en réexaminant l’affaire. Moyennant une autorisation, sa propre décision se prête à un appel à la High Court, qui statue sur la base d’un exposé des faits agréé par les deux parties; il existe une posibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal et, dans de rares hypothèses, à la Chambre des Lords. L’autorité locale ne jouit d’aucun droit général de recours contre le refus du tribunal pour enfants de rendre une ordonnance d’assistance, sauf devant la High Court sur un point de droit. Assistance sur demande La principale loi relative à l’assistance sur demande est celle de 1948 sur les enfants ("la loi de 1948"), modifiée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée par la loi de 1980. Elle a pour effet de permettre à un parent de confier son enfant à une autorité locale; dans une première phase celle-ci n’acquiert aucun statut particulier à l’égard de l’enfant, mais il peut en aller différemment par la suite. a) Prise en charge d’un enfant L’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] oblige l’autorité locale à prendre en charge un mineur de dix-sept ans lorsqu’il s’avère, notamment, que la maladie, l’incapacité ou d’autres circonstances empêchent pour un temps ou durablement les parents ou le tuteur d’en assurer comme il convient le logement, l’entretien et l’éducation et que le bien-être de l’enfant commande une intervention de l’autorité. Sauf disposition contraire de la loi, elle doit en conserver la charge tant qu’il n’a pas dix-huit ans et que son bien-être l’exige, mais il lui faut aussi s’employer à ce que les parents la reprennent lorsque cela semble compatible avec le bien-être de l’intéressé. En son article 1, la loi de 1948 [article 2 de la loi de 1980] précise qu’elle n’habilite pas l’autorité locale à conserver la charge de l’enfant si l’un ou l’autre des parents ou le tuteur souhaitent l’assumer. Toutefois, nul ne peut reprendre un enfant assisté depuis six mois, sans discontinuer, s’il n’en a pas notifié l’intention vingt-huit jours au moins au préalable ou si l’autorité locale ne lui a pas donné son accord (article 1 § 3 A [13 § 2]). En outre, si un parent sollicite le retour de l’enfant, l’autorité locale n’est pas tenue d’accepter sans se soucier du bien-être de ce dernier (Lewisham London Borough Council v. Lewisham Juvenile Court Justices, All England Law Reports, 1979, vol. 2, p. 297). Si elle juge incompatible avec ce bien-être le transfert de la garde au parent, elle peut soit adopter une résolution sur la puissance parentale (parental rights resolution, paragraphe 32 ci-dessous), soit demander que l’enfant devienne pupille de la justice (ward of court, paragraphes 36-38 ci-dessous). b) Résolution sur la puissance parentale Si une autorité locale chargée d’un enfant au titre de l’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] estime, notamment, que l’un des parents est incapable d’en assurer la garde à cause, entre autres, de ses habitudes, de son mode de vie ou de manquements constants et injustifiés à ses obligations de parent, elle peut s’attribuer les droits et devoirs parentaux envers cet enfant (article 2 § 1 [3 § 1]). Il s’agit de tous ceux dont la loi investit la mère et le père à l’égard d’un enfant légitime et de son patrimoine, y compris "un droit de visite" (right of access), à l’exclusion toutefois du droit de consentir - ou de s’y refuser - à une adoption ou à certaines ordonnances connexes (article 2 § 11 de la loi de 1948 [3 § 10 de la loi de 1980] et article 85 § 1 de la loi de 1975 sur les enfants). Avant d’assumer la puissance parentale, l’autorité locale doit examiner un rapport de ses services sociaux sur l’opportunité d’une telle mesure; il doit fournir tous les renseignements nécessaires au bon exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité. Lorsqu’elle se prononce, celle-ci doit attacher une importance primordiale aux intérêts de l’enfant et tenir compte des vues des parents sur la proposition. c) Oppositions aux résolutions sur la puissance parentale Si le parent n’a pas encore accepté par écrit la résolution sur la puissance parentale et si l’on sait où l’atteindre, on doit la lui notifier en lui indiquant qu’il peut s’y opposer dans le délai d’un mois (article 2 §§ 2 et 3 de la loi de 1948 [3 §§ 2 et 3 de la loi de 1980]). S’il use de ce droit, la résolution tombe quatorze jours après la notification de l’opposition (article 2 § 4 [3 § 4]). Cependant, pendant ce laps de temps l’autorité locale peut saisir un tribunal pour enfants, moyennant quoi la résolution reste en vigueur jusqu’à la décision. Après examen de la "plainte", le tribunal peut décider que la résolution ne deviendra pas caduque s’il constate que les conditions requises se trouvaient réunies au moment du prononcé, qu’elles le restent et que le maintien de la mesure sert l’intérêt de l’enfant (article 2 § 5 [3 §§ 5 et 6]). d) Échéance ou levée des résolutions sur la puissance parentale Une résolution sur la puissance parentale reste en vigueur jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de dix-huit ans, sauf si l’autorité locale l’annule ou si un tribunal pour enfants y met un terme auparavant (article 4 de la loi de 1948 [5 de la loi de 1980]). Même sans s’être d’emblée opposé à la résolution, le parent concerné peut en réclamer la levée à un tribunal pour enfants. Celui-ci peut accueillir la demande s’il estime que la résolution ne se justifiait pas ou qu’elle doit prendre fin dans l’intérêt de l’enfant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]). Une demande fondée sur les motifs initiaux de la résolution doit cependant être introduite dans les six mois de l’adoption de celle-ci (article 127 de la loi de 1980 sur la Magistrates’ Court). e) Recours relatifs aux résolutions sur la puissance parentale D’après l’article 4 A de la loi de 1948 [6 de la loi de 1980], un parent ou l’autorité locale peuvent attaquer devant la Family Division de la High Court l’ordonnance d’un tribunal pour enfants confirmant (article 2 § 5 [3 § 6]) ou levant (article 4 § 3 b) [5 § 4 b)]) une résolution sur la puissance parentale, ou le refus du tribunal de prendre une telle ordonnance. Il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, à la Chambre des Lords. Tutelle La Family Division de la High Court a la compétence implicite, indépendante des dispositions légales et découlant de la prérogative régalienne de la Couronne en qualité de parens patriae, de placer un enfant sous tutelle judiciaire. La tutelle a pour effet de conférer la garde, au sens large, au tribunal lui-même. Il assume la responsabilité de tous les aspects du bien-être de l’enfant et peut prendre des ordonnances en toute matière appropriée, notamment quant aux soins et à la surveillance du pupille, aux visites qu’il peut recevoir, à son éducation, sa religion ou son patrimoine. Ce faisant, il attache une importance primordiale au bien-être de l’enfant (article 1 de la loi de 1971 sur la tutelle des mineurs). La tutelle se poursuit jusqu’à la majorité, sauf si une ordonnance du tribunal y met fin plus tôt. Si des circonstances exceptionnelles rendent impossible ou inopportun qu’un pupille soit ou demeure sous la garde de ses parents, le tribunal peut par ordonnance le confier à l’assistance de l’autorité locale (article 7 § 2 de la loi de 1969 portant réforme du droit de la famille), sous réserve de son pouvoir de donner des directives (article 43 § 5 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales). Il conserve en pareil cas la garde de l’enfant et c’est à lui, non à l’autorité locale, qu’il incombe d’arrêter les principales décisions concernant l’avenir du pupille; il reste, par exemple, compétent pour prendre des ordonnances sur les visites à ce dernier. A qualité pour introduire une procédure de tutelle quiconque justifie d’un intérêt légitime pour le bien-être de l’enfant. La demande revêt la forme d’une assignation. L’enfant devient pupille dès la délivrance de celle-ci, mais la tutelle cesse automatiquement au bout de vingt et un jours si aucun exploit d’ajournement n’a été déposé d’ici là. L’audience a normalement lieu devant un greffier qui, sous réserve d’un recours au juge, peut ordonner des mesures provisoires sur des questions telles que les visites à l’enfant et décider que d’autres personnes concernées interviendront dans la procédure. Le juge connaît des affaires de tutelle s’il y a contestation, ainsi que des demandes - pouvant être présentées par une partie à tout moment - en modification ou levée d’une ordonnance de tutelle ou relatives, par exemple, aux visites à l’enfant ou à son éducation. Contre ses ordonnances s’ouvre un recours devant la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, devant la Chambre des Lords. Dans une procédure de tutelle, l’enfant peut être représenté par un tuteur ad litem désigné par le tribunal; il s’agit en général de l’Official Solicitor, fonctionnaire à plein temps entièrement indépendant de l’exécutif. Le règlement de la Supreme Court permet de requérir une ordonnance accélérant la procédure, notamment si une partie se livre à des manoeuvres dilatoires. Décisions d’une autorité locale relatives à un enfant sous sa garde et contrôle judiciaire Dans le domaine de la protection de l’enfance, l’autorité locale exerce ses fonctions et arrête ses décisions par les soins de sa commission des services sociaux, d’une sous-commission ou encore d’un fonctionnaire agissant par délégation. A l’époque des faits, la pratique variait d’une autorité à l’autre en l’absence de prescriptions ou indications précises, même non législatives; beaucoup dépendait de la nature ou de la gravité de la décision à prendre. Que l’enfant lui soit confié en vertu de la loi de 1948 [1980] ou de 1969, l’autorité locale doit songer d’abord à la nécessité d’en sauvegarder et favoriser le bien-être pendant toute l’enfance; autant que possible, il lui faut s’assurer de ses désirs et sentiments quant à la décision et les considérer compte tenu de son âge et de son entendement (article 59 de la loi de 1975 sur les enfants [18 § 1 de la loi de 1980]). Les décisions des autorités locales en la matière se fondent souvent sur les résultats d’examens périodiques (case reviews) ou de réunions ad hoc (case conferences). L’autorité a l’obligation légale de revoir tous les six mois le cas de chaque enfant placé sous sa garde (article 27 § 4 de la loi de 1969) et, en pratique, la situation de l’enfant est de surcroît étudiée régulièrement lors de réunions ad hoc. Aux examens et réunions participent notamment les travailleurs sociaux responsables et de hauts fonctionnaires des services sociaux de l’autorité, ainsi que d’autres personnes tels des visiteurs sanitaires, médecins et officiers de police. Un parent peut à l’occasion être admis ou invité à assister à tout ou partie d’un examen périodique ou d’une réunion ad hoc, mais il n’y a aucun droit de par la loi. Ses contacts avec les travailleurs sociaux constituent le moyen le plus habituel de communiquer ses vues sur les questions que doit trancher l’autorité. Sans procédure judiciaire, le parent ne peut contraindre l’autorité locale à lui délivrer ou lui permettre de lire le procès-verbal de ses réunions pertinentes ou les rapports qui y ont été produits, encore qu’elle ait la faculté de le laisser les consulter. En cas d’instance en contrôle judiciaire (mais non devant un tribunal pour enfants), le tribunal peut ordonner la communication avant procès de ces documents, mais seulement une fois obtenue l’autorisation d’entamer la procédure (paragraphe 42 ci-dessous); toutefois, cela n’arrive que rarement car en principe il s’agit de pièces secrètes (privileged) et inaccessibles à l’intéressé. Un parent dont l’enfant se trouve sous la garde d’une autorité locale ne perd pas automatiquement contact avec lui. Cependant, la continuation des visites relève de l’appréciation de l’autorité (Lord Wilberforce dans A. v. Liverpool City Council, All England Law Reports 1981, vol. 2, p. 385). En droit anglais, la question de savoir si et dans quelle mesure un parent doit pouvoir rendre visite à son enfant assisté était donc, à l’époque, du ressort de l’autorité locale, sans qu’il fallût saisir un tribunal. La loi de 1948 [1980] comme celle de 1969 reflètent l’idée générale que le maintien des visites parentales aux enfants assistés est dans bien des hypothèses normal et souhaitable: la première permet à l’autorité locale de contribuer aux frais de pareille visite, la seconde traite spécialement de certains cas où les parents n’ont pas rendu visite à l’enfant depuis quelque temps. Les voies de recours légales indiquées aux paragraphes 27-28 et 33-35 ci-dessus, offrant aux parents le moyen soit de contester une ordonnance d’assistance ou une résolution sur la puissance parentale, soit d’en réclamer la levée, concernent l’ordonnance ou la résolution en soi; au moment des faits, il n’en existait aucune par laquelle ils pussent attaquer isolément une décision limitant ou supprimant leurs visites à leur enfant. Une décision de l’autorité locale en matière de visites peut en revanche donner lieu à une demande en contrôle judiciaire. Toute personne désireuse d’introduire une telle demande doit d’abord solliciter, en principe dans les trois mois de la décision, l’autorisation du tribunal. Les cas d’ouverture d’un contrôle judiciaire peuvent en bref se résumer ainsi: a) l’autorité a agi irrégulièrement, en excédant ses pouvoirs ou de mauvaise foi; b) elle a négligé de prendre en compte des éléments pertinents, pris en compte des éléments dénués de pertinence ou abouti à une décision à laquelle aucune autorité sensée n’eût pu arriver (Associated Provincial Picture Houses, Ltd v. Wednesbury Corporation, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223); c) elle n’a pas respecté des règles légales de procédure ou n’a pas agi équitablement (voir notamment R. v. The Bedfordshire County Council, ex parte C, et R. v. The Hertfordshire County Council, ex parte B, Times Law Reports, 19 août 1986). Le contrôle judiciaire porte non sur le bien-fondé de la décision en cause, mais plutôt sur le processus décisionnel en soi; le tribunal ne joue pas le rôle d’une "cour d’appel". Ainsi, lorsqu’il accueille la demande et annule la décision d’une autorité, il renvoie d’ordinaire la question à celle-ci pour qu’elle la reconsidère; il peut aussi, cependant, ordonner à l’autorité d’arrêter une conclusion conforme à ses constatations (règlement de la Supreme Court, titre 53, article 9 § 4). En outre, dans certaines circonstances on peut s’adresser à la juridiction compétente en matière de tutelle pour contester les décisions d’une autorité locale ou d’un tribunal pour enfants concernant un enfant confié à la première. En règle générale, le pouvoir de la Couronne ne se trouve pas supplanté ou abrogé à tous égards par l’exercice des attributions dont la loi investit lesdites autorités. Dans son arrêt de principe A. v. Liverpool City Council, la Chambre des Lords a examiné les relations entre la juridiction de tutelle et les pouvoirs légaux des autorités locales. Elle a estimé à l’unanimité que les tribunaux n’ont pas à vérifier le bien-fondé des décisions de celles-ci, notamment quant aux visites à l’enfant: le pouvoir implicite général du tribunal dans le domaine des tutelles doit servir à combler des lacunes ou compléter les attributions des autorités locales, mais non à surveiller - sauf sur la base des principes du contrôle judiciaire (paragraphe 42 ci-dessus) - la manière dont celles-ci usent de leur liberté d’appréciation dans le secteur que leur confie la loi. Parfois, cependant, l’autorité locale elle-même peut solliciter en sus l’aide du tribunal; la tutelle peut alors se poursuivre pour permettre à ce dernier de prendre des dispositions. Les limites susmentionnées aux pouvoirs de la High Court ne valent que si la procédure de tutelle concerne un enfant déjà placé sous assistance. Dans le cas contraire, la High Court peut connaître intégralement de questions comme celle des visites et rendre l’ordonnance qu’elle juge la plus appropriée dans l’intérêt de l’enfant. Évolution récente L’incapacité des parents à saisir les tribunaux - sauf dans la mesure indiquée plus haut - quand une autorité locale arrête des décisions touchant à leurs visites à leurs enfants, a conduit le Parlement à modifier sur ce point la législation par la loi de 1983 sur les services sanitaires et sociaux et le contentieux de la sécurité sociale (Health and Social Services and Social Security Adjudications Act 1983). Selon les nouveaux textes - entrés en vigueur le 30 janvier 1984, donc après les événements à l’origine de la présente affaire -, une autorité locale ne peut refuser de ménager des visites à un enfant assisté et ne peut les supprimer sans en avoir averti le parent. Celui-ci a alors le droit de demander à un tribunal pour enfants une ordonnance de visite (access order) enjoignant à l’autorité locale de permettre ces visites aux conditions que le tribunal peut préciser. Une fois rendue pareille ordonnance, il est possible d’en solliciter la modification. La décision du tribunal pour enfants peut être attaquée devant la High Court. Toute juridiction examinant la question doit considérer d’abord le bien-être de l’enfant. La voie de recours ainsi créée ne vaut que pour les décisions refusant ou supprimant les visites; dans tous les autres cas, la nature et l’étendue de ces dernières relèvent du pouvoir d’appréciation de l’autorité locale. En décembre 1983, le gouvernement a publié un code de pratique sur les visites aux enfants assistés. Ce document souligne qu’il importe d’associer les parents par le sang au processus de décision de l’autorité locale en la matière et de les renseigner de manière complète et rapide sur le contenu des décisions relatives aux visites. B. Adoption Pour pouvoir prononcer l’ordonnance d’adoption d’un enfant, un tribunal doit notamment, d’après l’article 12 de la loi de 1975 sur les enfants, se convaincre du consentement libre et sans réserve de chacun des parents. Il peut néanmoins s’en passer pour plusieurs motifs énoncés dans le même article, par exemple si le parent refuse son accord de façon abusive ou a constamment failli à ses obligations parentales sans raison défendable. Pour arrêter ses décisions en ce domaine, un tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances, son premier souci consistant à protéger et favoriser le bien-être de l’enfant tout au long de l’enfance (article 3 de ladite loi). S’il s’agit d’un pupille de la justice, la procédure d’adoption ne peut être engagée sans l’autorisation de la High Court. Celle-ci doit alors rechercher si la demande d’adoption projetée a des chances sérieuses d’aboutir, le fond de la question étant examiné ultérieurement, une fois l’autorisation octroyée et remplies les conditions relatives au préavis et aux rapports. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION O. a saisi la Commission le 15 décembre 1980 (requête no 9276/81). Il se plaignait de ne pouvoir contester dans leur bien-fondé les décisions de l’autorité locale restreignant puis supprimant ses visites aux enfants; il invoquait les articles 6 § 1, 8 et 13 de la Convention (art. 6-1, art. 8, art. 13). La Commission a retenu la requête le 17 novembre 1983. Dans son rapport du 3 décembre 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion - qu’il y a violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) en ce que le requérant, pendant la durée de validité des ordonnances d’assistance, n’a pu soumettre à un tribunal la question de son droit, de caractère civil, de rendre visite aux enfants (dix voix contre deux); - que nulle infraction à l’article 8 (art. 8) n’a découlé de ce que le requérant n’aurait joui ni d’un droit à un examen de sa cause par un tribunal, ni d’un recours judiciaire effectif pour exiger la possibilité de visites aux enfants (unanimité); - que nul problème distinct ne se pose quant à l’article 13 (art. 13) (dix voix contre une, avec une abstention). Le texte intégral de l’avis de la Commission, ainsi que de l’opinion séparée et de l’opinion en partie dissidente dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT A LA COUR Aux audiences des 25-26 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour à dire "- premièrement, qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - deuxièmement, qu’il n’y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants; - troisièmement, que dans le cas des requérants [O., W., B. et R.] aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13), mais que s’il s’en pose une il n’y a pas eu non plus violation de ce dernier".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Joachim Englert, ressortissant allemand né en 1958, se trouvait détenu à la prison de Ludwigsburg lorsqu’il a saisi la Commission. Entre 1975 et 1980, il fit l’objet de plusieurs condamnations. En 1981, il se vit infliger une peine privative de liberté d’un an pour, entre autres, extorsion de fonds qualifiée (räuberische Erpressung); il bénéficia cependant d’un sursis à exécution avec mise à l’épreuve (Bewährung) durant quatre ans. En août 1981, le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Heilbronn fixa une peine globale d’un an et deux mois d’emprisonnement, sans sursis, en confondant les deux dernières peines prononcées contre le requérant. Auparavant, le 24 février 1981, celui-ci avait été arrêté puis, le 25, placé en détention provisoire: aux termes du mandat décerné par le tribunal cantonal de Heilbronn, on le soupçonnait de s’être livré par deux fois à une extorsion de fonds qualifiée, d’avoir causé des dommages corporels (Körperverletzung) et d’avoir perpétré un viol. Le 26 juin 1981, il avait été accusé (angeklagt) de ces faits devant la 3e chambre criminelle (3. Grosse Strafkammer) du tribunal régional (Landgericht) de Heilbronn. D’après le parquet, M. Englert i. le 23 février 1981, dans un restaurant, avait menacé de recourir à la force contre un client - à savoir de le guetter la nuit, de lui briser les os et de l’abattre d’un coup de pistolet -, lui avait ainsi extorqué 50 DM et avait exigé de lui 500 autres DM à verser le 7 mars 1981; ii. le même jour, avait frappé au visage et blessé M. K., un de ses parents éloignés; iii. le lendemain chez lui, à Bad Wimpfen, avait dérobé à la femme de M. K., qu’il avait accueillie provisoirement avec son mari parce que le couple n’avait pas de logement, la totalité de son argent liquide - 150 DM - en menaçant de la tuer; iv. avait ensuite abusé d’elle, sous menace de mort et de coups, alors que son époux, pris de boisson, s’était endormi. Au cours des débats, le 2 novembre 1981, le tribunal régional arrêta la procédure quant aux deux premiers chefs d’accusation, en vertu de l’article 154 § 2 du code de procédure pénale (paragraphe 19 ci-dessous), par le motif que la peine à laquelle l’accusé devait s’attendre à leur sujet "ne pesait pas lourd" (nicht beträchtlich ins Gewicht fällt) en comparaison de celle qu’il risquait pour ses autres agissements. Le même jour il le condamna, pour crime (Verbrechen) d’extorsion de fonds qualifiée, à une peine privative de liberté d’un an et trois mois; il l’acquitta du chef d’accusation de viol. Selon le tribunal, l’intéressé avait hébergé M. et Mme K. Le 23 février, ils avaient perçu 325 DM d’aide sociale. Après avoir acheté des produits alimentaires, ils avaient passé la soirée avec le requérant chez qui ils avaient bu quelques verres. Après que M. K. se fut endormi, M. Englert s’était fait remettre 150 DM par Mme K., menaçant de la tuer si elle refusait. Le lendemain, le couple avait porté plainte à la police. A propos de l’allégation de viol, le tribunal constata, sur la base d’une expertise médicale, qu’on ne pouvait exclure que la victime, déficiente mentale, n’eût pas manifesté sa résistance intérieure de manière assez claire pour être remarquée par le requérant. Le verdict d’acquittement devint définitif le 10 novembre 1981. Le 4 novembre 1981, M. Englert se pourvut en cassation contre le jugement de condamnation; il présenta un mémoire ampliatif le 25 janvier 1982. Le 6 avril 1982, la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) cassa ledit jugement et renvoya l’affaire devant une autre chambre criminelle du tribunal régional de Heilbronn. Elle releva en effet que ce dernier n’avait pas entendu un pasteur auquel, selon la défense, Mme K. avait déclaré avoir consenti aux rapports sexuels avec le requérant. Or le témoin aurait dû être ouï malgré l’acquittement de l’intéressé du chef de viol, car sa déposition aurait pu jeter le doute sur la crédibilité de Mme K. pour l’ensemble des chefs d’accusation. Le 5 août 1982, le pasteur avisa la police qu’il ne pouvait témoigner que si Mme K. le déliait du secret professionnel. Mme K., qui avait entre temps quitté son mari, s’y refusa. Le 1er septembre 1982, le parquet demanda l’arrêt de la procédure en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale (paragraphe 19 ci-dessous), la peine à laquelle M. Englert devait s’attendre étant insignifiante en comparaison de celle infligée en août 1981 (paragraphe 11 ci-dessus). Invité à formuler ses observations éventuelles, Me Wingerter, défenseur d’office, répondit au tribunal régional, le 9 septembre, qu’il acceptait au nom de l’accusé la mise à la charge de celui-ci de ses frais et dépens nécessaires (notwendige Auslagen), mais que son client n’entendait pas renoncer à une indemnisation pour la détention provisoire subie. Le 13 septembre 1982, le tribunal régional clôtura les poursuites conformément à l’article 154 § 2 du code de procédure pénale. Il imputa au Trésor les frais de la procédure, mais non les frais et dépens nécessaires de M. Englert, auquel il refusa toute indemnité au titre de son arrestation du 24 février 1981 et de sa détention provisoire du 25 février 1981 au 12 octobre 1982. La décision (Beschluss) se fondait notamment sur les motifs ci-après: "(...) Les frais de la procédure sont mis à la charge du Trésor en application des articles 464 et 467 § 1 du code de procédure pénale, mais le tribunal s’abstient de lui imputer les frais et dépens nécessaires de l’accusé. D’une part, le défenseur du condamné a déclaré au nom de ce dernier que lui - le condamné - était d’accord pour les supporter lui-même. En outre il aurait été équitable, vu toutes les circonstances de la cause, d’imposer au condamné ses propres frais et dépens nécessaires. Les raisons qui justifient le refus d’une indemnité au titre de la détention provisoire subie valent aussi à cet égard. Le condamné a fait préciser par son défenseur qu’il ne renonçait pas à une [telle] indemnité (...). Il ne saurait cependant en réclamer une pour la détention qu’il a subie en l’espèce. Si l’on examine le procès tel qu’il s’est déroulé jusqu’ici, les circonstances invalidant la présomption d’innocence prédominent, aux yeux de la Chambre, à ce point qu’une condamnation est nettement plus probable qu’un acquittement (Bei Würdigung des bisherigen Prozessgeschehens überwiegen nach Ansicht der Kammer die Umstände, welche die Unschuldsvermutung entkräften, derart, dass eine Verurteilung deutlich wahrscheinlicher ist als ein Freispruch). De plus, même en cas d’acquittement le condamné ne pourrait se voir accorder une indemnité pour la détention subie: par sa propre conduite, il a créé le fort soupçon d’un crime d’extorsion de fonds qualifiée. Le matin du 24 février 1981, [il] a déclaré n’avoir reçu de Mme K. que 100 DM et les avoir dépensés lors de ses achats du matin à Heilbronn, sauf les 20 DM découverts chez lui. On l’a fouillé quand Mme K. eut indiqué l’après-midi du 24 février, au cours de son audition, [qu’il] avait mis dans son maillot de bain les 150 DM qu’il lui avait extorqués, et l’on a en effet trouvé dans son maillot de bain un billet de 100 DM comme [elle] l’avait affirmé (...). Le 22 avril 1981 seulement, lors de son interrogatoire par le juge (Haftrichter), le condamné a expliqué pourquoi il possédait un billet de 100 DM provenant, il le concède, de Mme K. Les raisons pour lesquelles cette explication ne saurait convaincre, ont été exposées en détail par la 3e chambre criminelle dans son jugement du 2 novembre 1981. Cependant, même si la dernière version était exacte il faut objecter au condamné qu’il a lui-même provoqué les poursuites pénales par son comportement gravement négligent (grob fahrlässig): il a négligé de se faire la réflexion, simple et évidente, qu’il pouvait être convaincu d’avoir menti quant à l’argent en sa possession, ce qui fournirait un indice pour la crédibilité des déclarations de Mme K. et son propre manque de crédibilité. L’octroi d’une indemnité doit donc lui être refusé conformément à l’article 5 § 2 de la loi sur la réparation du chef de poursuites pénales (Gesetz über die Entschädigung für Strafverfolgungsmassnahmen)." Le tribunal régional nota en dernier lieu que le caractère définitif (Unanfechtbarkeit) de l’ordonnance de clôture entraînait celui de la décision relative aux frais et à l’indemnité pour détention provisoire. Le 20 septembre 1982, le requérant attaqua le refus de lui accorder une réparation pour sa détention provisoire. L’écrit de son conseil consistait en une phrase: "Au nom de l’accusé, je recours contre le point III de la décision (...) du 13 septembre 1982." Le 30 septembre, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Stuttgart déclara la requête (Beschwerde) irrecevable. Elle releva notamment: "La requête (...) ne vise que le refus d’une indemnité. Non prévue par la loi (nicht statthaft), [elle] est donc irrecevable. L’arrêt provisoire de la procédure en vertu de l’article 154 § 2 du code de procédure pénale est une décision qui clôt la procédure, parce que prise eu égard à une peine ou mesure prononcée pour un autre fait et déjà définitive. En pareil cas la procédure ne peut se rouvrir, d’après l’article 154 § 3 du code de procédure pénale, que si les poursuites ne se trouvent pas prescrites et si la sanction ou mesure ayant donné lieu à l’arrêt est ultérieurement rapportée. L’arrêt provisoire équivaut ici à un jugement définitif mettant fin à la procédure. Il s’agit donc d’une décision qui en appelle une autre sur les frais et dépens, d’après l’article 464 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale, et, selon les mêmes critères, (...) sur l’indemnité due au titre des poursuites pénales (...). La décision rendue en vertu de l’article 154 § 2 du code de procédure pénale ne se prête à aucun recours. Cela vaut aussi pour les décisions annexes (Nebenentscheidungen) rendues en même temps que la décision principale (...). Parmi [elles] figurent d’une part celle qui a trait aux frais et dépens, mais d’autre part aussi celle relative à l’indemnité due au titre des poursuites pénales. (...) La décision du tribunal régional sur l’indemnité n’est donc pas susceptible de recours (...)." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 154 du code de procédure pénale, sur lequel le tribunal régional de Heilbronn a fondé sa décision du 13 décembre 1982, se lit ainsi: "1. Le ministère public peut s’abstenir de poursuivre (1) si la peine ou la mesure de correction et de sûreté auxquelles peuvent aboutir les poursuites, ne pèse pas bien lourd en comparaison d’une peine, ou d’une mesure de correction et de sûreté, infligée à l’inculpé par décision définitive - ou à laquelle il devait s’attendre - pour une autre infraction (...) (...) Après la mise en accusation, le tribunal peut à tout stade de la procédure arrêter celle-ci provisoirement à la demande du ministère public. (...)." Aux termes de l’article 464 du code de procédure pénale, tout jugement, ordonnance pénale ou décision mettant fin à une procédure doit indiquer à qui incomberont les frais de celle-ci (paragraphe 1); le jugement ou la décision sur lesquels débouche la procédure tranche la question de l’imputation des frais et dépens nécessaires (paragraphe 2). L’article 467 du code de procédure pénale précise ce qui suit: "1. En cas d’acquittement de l’accusé (Angeschuldigter), de refus d’ouvrir la procédure principale (Hauptverfahren) ou d’arrêt des poursuites, les frais de la procédure et les frais et dépens nécessaires de l’accusé sont à la charge du Trésor. (...) (...) Le tribunal peut s’abstenir d’imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires de l’accusé si ce dernier (1) a provoqué la mise en accusation (Erhebung der öffentlichen Klage) en s’incriminant lui-même, sur des points essentiels, par des déclarations inexactes ou contraires à ses déclarations ultérieures, ou en cachant des éléments essentiels à décharge, alors pourtant qu’il s’était exprimé sur l’accusation (Beschuldigung) (...) (...) Si le tribunal arrête la procédure en vertu d’une disposition qui lui en laisse la faculté, il peut s’abstenir de mettre à la charge du Trésor les frais et dépens nécessaires de l’accusé. (...)." Dans la mesure où la loi ne prescrit pas le remboursement des frais et dépens nécessaires, les juridictions statuent en équité; elles jouissent à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Selon l’article 2 § 1 de la loi du 8 mars 1971 sur la réparation du chef de poursuites pénales, toute personne lésée par sa mise en détention provisoire est indemnisée par le Trésor en cas d’acquittement ou d’arrêt de la procédure engagée contre elle. La règle souffre pourtant des exceptions, dont celle que ménage l’article 5 § 2: "Il n’y a pas lieu (...) à dédommagement si et pour autant que l’inculpé a provoqué les poursuites délibérément ou par une négligence grave. N’empêche pas le dédommagement la circonstance [qu’il] s’est borné à ne pas s’exprimer sur le fond ou n’a pas exercé un recours." D’après l’article 8, le tribunal compétent se prononce sur l’indemnisation dans le jugement ou dans la décision qui met fin à la procédure. La Cour constitutionnelle fédérale a récemment précisé la portée du principe de la présomption d’innocence dans le cas d’une décision mettant fin à une procédure pénale. Par un arrêt (Beschluss) du 26 mars 1987, elle a en effet annulé, comme contraires audit principe, deux décisions de tribunaux cantonaux et une décision de tribunal régional qui, ayant estimé insignifiante (gering) la culpabilité des inculpés, avaient clos des poursuites privées engagées contre eux mais leur avaient imposé les frais de la procédure, y compris les frais et dépens des plaignants (affaires 2 BvR 589/79, 2 BvR 740/81 et 2 BvR 284/85, Europäische Grundrechte-Zeitschrift 1987, pp. 203-209). Elle a jugé incompatible avec la présomption d’innocence de parler, dans les motifs d’une décision de clôture, de la culpabilité de l’inculpé ou de fonder une décision relative aux frais et dépens sur la supposition (Annahme) qu’il a commis une infraction si les débats n’ont pas atteint le stade de jugement (Schuldspruchreife). Relevant que le principe de la présomption d’innocence découle de celui de l’État de droit, elle a cité en outre l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention: cette dernière n’aurait pas rang de droit constitutionnel en République fédérale, mais il y aurait lieu d’avoir égard à elle et à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme pour interpréter les droits fondamentaux et les principes consacrés par la Loi fondamentale (Grundgesetz). Confirmant sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a rappelé ensuite que le principe de la présomption d’innocence interdit de prendre contre l’inculpé, sans que sa culpabilité ait été établie au préalable au cours d’une procédure régulière, des mesures équivalant par leurs effets à une peine et de le traiter en coupable. Il exige, a-t-elle ajouté, l’établissement légal de la culpabilité avant que celle-ci puisse être invoquée contre l’intéressé. Un constat de culpabilité ne serait donc légitime que s’il intervient à l’issue de débats ayant atteint le stade du jugement. Se référant à l’arrêt Minelli du 25 mars 1983 (série A no 62), la Cour constitutionnelle a déclaré qu’une décision de clôture des poursuites pénales peut méconnaître la présomption d’innocence si, dans ses motifs, elle constate la culpabilité de l’inculpé sans que celle-ci ait été légalement établie. En revanche, rien n’empêcherait d’y consigner des constatations relatives à la culpabilité de l’intéressé, et d’imposer à celui-ci les frais et dépens nécessaires des plaignants et les frais de la procédure, si le tribunal a tenu des débats le mettant en mesure de statuer (Entscheidungsreife). Sur la base de ces considérations, la Cour constitutionnelle a annulé trois des cinq décisions attaquées, tandis que dans la première des trois affaires elle a rejeté le recours car l’inculpé avait eu la parole le dernier lors des audiences. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 13 octobre 1982 à la Commission (no 10282/83), M. Englert dénonçait les motifs, contraires selon lui à l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention, de la décision du tribunal régional de Heilbronn, du 13 septembre 1982. La Commission a retenu la requête le 12 décembre 1984. Dans son rapport du 9 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle estime à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 (art. 6-2). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LES COMPARANTS Dans son mémoire du 17 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour "à dire qu’en raison du non-épuisement des recours internes, la Cour ne peut connaître du fond de l’affaire, subsidiairement, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention". Il a confirmé ses conclusions pendant les débats. Le conseil de M. Englert a prié la Cour, lors des audiences, de donner suite à la requête de son client.
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Les requérants, Johann Erkner - décédé le 22 juin 1983 -, sa femme Theresia Erkner, leur gendre Josef Hofauer et leur fille Theresia Hofauer, sont des agriculteurs autrichiens établis à Pöndorf en Haute-Autriche. Ils se plaignent des opérations de remembrement (Zusammenlegungsverfahren) que leurs terres ont subies depuis janvier 1969. I. Les circonstances de l'espèce Les étapes initiales du remembrement Par une décision du 27 janvier 1969, l'Autorité agricole de district (Agrarbezirksbehörde, "l'Autorité de district") de Gmunden engagea le processus de remembrement à Forstern-Pöndorf. Touchant trente-huit propriétaires, l'opération couvrait 266 hectares dont 16 appartenaient aux époux Erkner et 3,5, environ, à Johann Erkner et sa soeur. Une audience relative à l'estimation des terres eut lieu le 21 avril 1969. Les vingt-six propriétaires présents - convoqués, les Erkner ne comparurent pas - conclurent un accord que l'Autorité de district approuva le lendemain. La famille Erkner reçut notification de la décision le 27 mai 1969; elle n'exerça pas de recours. Entre les 2 et 16 juillet 1969, le plan d'évaluation (Bewertungsplan) fut porté à la connaissance de l'ensemble des intéressés. Informés des possibilités de recours, les requérants n'en usèrent pas, de sorte que ledit plan devint définitif. Le 8 août 1969 se déroula une nouvelle audience, en présence des Erkner et de leur conseil; ils formulèrent leurs souhaits quant à la réorganisation de la zone de remembrement pour autant qu'elle les concernait. Dès août 1970, l'Autorité de district avait préparé le plan des installations communes et un projet de plan de remembrement. Les parcelles compensatoires à attribuer aux propriétaires visés avaient fait l'objet d'un bornage. M. et Mme Erkner soulevèrent des objections qu'ils ont répétées pour l'essentiel lors des procédures ultérieures, y compris celles du transfert provisoire des parcelles, qui s'acheva en 1975 (paragraphe 17 ci-dessous), et de la réorganisation principale, qui débuta en 1976 (paragraphe 19 ci-dessous) et n'est pas encore terminée. D'après eux, les parcelles ne correspondaient pas à ce à quoi ils avaient droit car ils devaient échanger des terrains d'excellente qualité, exposés au sud et proches de leur habitation, contre des lots un peu plus étendus mais de mauvaise - et même très mauvaise - qualité en raison de leur humidité, et de surcroît plus éloignés de la ferme. Le transfert provisoire des parcelles compensatoires Le 10 août 1970, l'Autorité de district ordonna le transfert provisoire des parcelles compensatoires sur la base du projet de plan de remembrement. Adoptée à la demande de trente-quatre propriétaires et contre le gré des quatre autres, dont les Erkner, la décision se fondait sur l'article 97 de la loi de Haute-Autriche de 1911/1954 sur l'aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs - Landesgesetz, paragraphe 40 ci-dessous). Elle invoquait les intérêts des premiers, en particulier celui d'organiser de manière rationnelle les exploitations et de se familiariser avec la nouvelle situation agraire. Ils l'emportaient sur les arguments des opposants, dont le droit de recours contre les mesures de remembrement demeurait en tout cas réservé. La différence existant entre les superficies détenues par les membres respectifs de la majorité (221 hectares) et de la minorité représentait une garantie suffisante pour assurer les compensations auxquelles les seconds pourraient éventuellement prétendre. Accompagnée d'une note précisant que tout recours se trouvait exclu aux termes de l'article 97 § 5 de la loi de 1911/1954 (paragraphe 45 ci-dessous), la décision fut communiquée aux Erkner le 4 avril 1973. Selon le Gouvernement, plusieurs tentatives de la leur notifier plus tôt avaient échoué. Les requérants saisirent alors la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof). Ils dénonçaient une erreur entachant ladite note: l'article 7 de la loi fédérale sur les autorités agricoles (Agrarbehördengesetz 1950, paragraphes 38, 45 et 48 ci-dessous) avait abrogé l'article 97 § 5 de la loi de 1911/1954. Tout en confirmant en substance cette thèse, la haute juridiction les débouta le 21 septembre 1973 pour non-épuisement des voies de recours, relevant que les Erkner auraient dû s'adresser directement à la Commission régionale de la réforme agraire (Landesagrarsenat, "la Commission régionale"). En fait, ils avaient demandé la réouverture du délai d'appel (Berufung), mais le 25 juin 1973 l'Autorité de district avait déclaré la requête irrecevable. La Commission régionale statua dans le même sens le 19 mars 1974: nonobstant l'arrêt susmentionné de la Cour administrative, l'article 22 § 5 de la loi du Land de 1972 (paragraphe 40 ci-dessous) empêchait désormais tout recours. Les intéressés se plaignirent ensuite à la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof), alléguant entre autres la violation de leur droit à être entendus par le juge légal (gesetzlicher Richter). Le 11 décembre 1974, elle rejeta leur recours comme mal fondé mais, à leur demande, renvoya l'affaire à la Cour administrative pour que celle-ci décidât s'il y avait eu en l'espèce méconnaissance de droits non constitutionnels. Par un second arrêt, du 23 juin 1975, la Cour administrative maintint son opinion quant à l'existence d'un recours et cassa donc la décision de la Commission régionale refusant de rouvrir le délai d'appel. Ladite Commission rejeta néanmoins le recours le 25 novembre 1975; les intéressés ne firent pas appel. En dépit de ces procédures, le transfert provisoire des parcelles avait eu lieu entre temps. Les Erkner avaient d'abord continué d'exploiter leurs champs près de leur ferme, mais la police les en expulsa et le blé semé fut détruit. Ils n'ont cessé de refuser de cultiver l'un quelconque des lots de remplacement qu'on leur avait attribués. Les plans de remembrement et les procédures y relatives a) Le premier plan Le 7 mai 1976, l'Autorité de district adopta le plan de remembrement, qui consacrait sans aucun changement la situation créée par le projet de 1970 (paragraphe 12 ci-dessus); elle le rendit public le 25 mai. M. et Mme Erkner attaquèrent ledit plan le 3 juin. Ils invoquaient pour l'essentiel les mêmes motifs qu'en s'opposant au transfert provisoire. Ils s'appuyaient sur l'expertise d'un universitaire spécialiste en agronomie, qui concluait à l'existence d'un net désavantage dû à l'échange des terres et estimait à environ 000 schillings autrichiens la perte annuelle de récolte. La Commission régionale se prononça le 26 avril 1977. Dans la mesure où les Erkner contestaient l'évaluation des parcelles en question, elle jugea le recours irrecevable puisque le plan d'évaluation était devenu définitif; pour autant qu'ils réclamaient une indemnité, elle se déclara incompétente faute d'une décision de l'Autorité de district sur ce point. En revanche, elle accueillit l'appel quant à la compensation en nature: les intéressés avaient perdu environ 14 hectares de bonnes terres exposées au sud et reçu en contrepartie un peu moins de 23 hectares de parcelles classées dans les trois catégories de valeur les plus basses, orientées au nord, davantage dans l'ombre de la forêt et plus éloignées de la ferme; on ne leur avait donc pas donné un dédommagement conforme à la loi, d'autant que la solution retenue impliquait une modification importante du type d'exploitation. En conséquence, la Commission régionale annula l'ensemble du plan de remembrement et renvoya le dossier à l'Autorité de district pour qu'elle rouvrît les débats et adoptât un nouveau plan. La décision fut notifiée aux requérants le 31 mai 1977. b) Le deuxième plan L'Autorité de district ne prit aucune décision dans le délai légal de six mois (article 73 § 1 de la loi générale sur la procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz), paragraphe 55 ci-dessous). Le 19 janvier 1979, les intéressés sollicitèrent son dessaisissement au profit de la Commission régionale (article 73 § 2 de la même loi, ibidem). Accédant à cette demande, la Commission régionale émit, le 18 décembre 1979, un deuxième plan plus favorable aux Erkner. Ils l'estimèrent cependant insuffisant et contraire à la législation applicable; ils saisirent donc, le 22 janvier 1980, la Commission suprême de la réforme agraire (Oberster Agrarsenat, "la Commission suprême"). Celle-ci n'ayant pas statué dans le délai légal de six mois, ils invitèrent, le 14 octobre 1980, la Cour administrative à trancher elle-même la question; ils se fondaient sur l'article 132 de la Constitution fédérale (Bundes-Verfassungsgesetz, paragraphe 55 ci-dessous). La requête n'eut pas de suite: le 3 décembre 1980, la Commission suprême accueillit l'appel et renvoya l'affaire à l'Autorité de district pour adoption d'un nouveau plan; elle releva que la perte des bonnes terres exposées au sud ne pouvait être compensée par l'attribution d'une plus grande superficie orientée au nord. La décision fut notifiée aux intéressés le 29 décembre. c) Le troisième plan Une fois de plus, l'Autorité de district n'arrêta pas de décision dans le délai légal. En revanche, elle commença l'examen d'un projet d'aménagement hydraulique intéressant certaines des parcelles allouées aux Erkner, ce qu'ils jugèrent inadmissible. Ils s'adressèrent alors à la Commission régionale, le 30 novembre 1981, pour qu'elle se prononçât elle-même (article 73 § 2 de la loi générale sur la procédure administrative, paragraphe 55 ci-dessous). Elle rejeta leur demande le 14 janvier 1982: l'Autorité de district avait pris diverses mesures pour préparer un nouveau plan, de sorte qu'elle ne portait pas la responsabilité du retard; quant à l'examen d'un projet d'aménagement hydraulique, on pouvait l'accepter à ce stade de la procédure. Contre la décision de la Commission régionale, qui leur avait été communiquée le 21 janvier, les intéressés recoururent à la Commission suprême le 3 février; elle les débouta le 22 juin. Le 15 juillet 1982, l'Autorité de district adopta un nouveau plan. Il prévoyait en particulier le drainage de certaines terres destinées aux Erkner, grâce à des installations communes supplémentaires; il fut publié le 27 juillet. Le 23 août, les requérants l'attaquèrent devant la Commission régionale: d'après eux, lui non plus ne leur fournissait pas une compensation correspondant à l'opinion exprimée par la Commission suprême le 3 décembre 1980 (paragraphe 22 ci-dessus); en outre, ils mettaient en doute la qualification juridique d'installation commune donnée au projet d'amélioration. Le 28 avril 1983, la Commission régionale accueillit le recours: elle modifia l'attribution de certains lots à la famille Erkner et à d'autres personnes, mais confirma et même étendit les projets de drainage élaborés par l'Autorité de district, jugeant légale l'introduction d'installations communes supplémentaires de ce type. Les parties reçurent notification de la décision le 9 juin. Tout en reconnaissant l'existence d'un progrès, les intéressés estimèrent que les exigences définies par la Commission suprême le 3 décembre 1980 (paragraphe 22 ci-dessus) ne se trouvaient pas encore entièrement remplies. Aussi exercèrent-ils derechef devant elle, le 20 juin 1983, un recours accompagné d'une expertise: ils se plaignaient de ce que la compensation comportât toujours trop de terrains humides et présentât d'autres inconvénients; en outre, ils contestaient la compétence de la Commission régionale pour ordonner de nouvelles installations communes et réclamaient une décision sur leur demande d'indemnité pour le préjudice subi depuis le transfert provisoire (paragraphe 20 ci-dessus). Le 4 avril 1984, la Commission suprême rejeta l'appel comme non fondé: les avantages procurés par l'ensemble des mesures de remembrement prévalaient et ces mesures n'impliquaient plus un changement des méthodes de production; l'attribution fixée par la Commission régionale était donc conforme à la loi. La décision fut notifiée aux requérants le 30 mai. Les recours devant la Cour administrative Après la mort de Johann Erkner le 22 juin 1983, sa fille et son gendre, Theresia et Josef Hofauer, assurèrent l'exploitation du domaine, y compris la part de Theresia, veuve de Johann. Le 10 juillet 1984, les trois intéressés attaquèrent devant la Cour administrative la décision de la Commission suprême. Ils affirmaient ne pas avoir reçu une compensation légale en nature parce qu'il subsistait un déficit en parcelles exposées au sud, que l'on ne pouvait admettre l'octroi de terres humides à bonifier grâce à des installations communes complémentaires, au coût du reste non précisé, et qu'on ne leur avait pas alloué des lots d'une valeur spéciale, c'est-à-dire constructibles, situés près de leur ferme; en outre, il y avait violation de leur droit d'être entendus et le problème de l'indemnisation demeurait non résolu. Par un arrêt du 19 mars 1985, notifié le 7 mai, la Cour administrative déclara le recours irrecevable dans la mesure où il émanait de Theresia Erkner, car cette dernière n'avait plus la qualité de partie, et pour non-épuisement des voies de recours quant à l'absence de décision sur l'indemnisation. Elle donna gain de cause aux deux autres requérants pour le surplus et cassa donc la décision litigieuse. Elle souligna que, selon le droit en vigueur, des installations communes devaient être réglées dans les moindres détails, et notamment quant à leur prix de revient, au plus tard lors de l'adoption du plan de remembrement. En exécution de cet arrêt, la Commission suprême annula, le 3 juillet 1985, le plan de remembrement élaboré par la Commission régionale en tant qu'il fixait la compensation accordée à la famille Hofauer. Elle indiqua dans sa décision, notifiée aux intéressés le 16 juillet, qu'il fallait attendre que fût tranchée la question des installations communes. Le 18 juillet 1985, M. et Mme Hofauer saisirent à nouveau la Cour administrative. Ils alléguaient la violation de l'article 66 de la loi générale sur la procédure administrative, la Commission suprême n'ayant ni statué elle-même sur le fond (paragraphe 4) ni renvoyé la cause à la Commission régionale pour qu'elle le fît (paragraphe 2). La solution intermédiaire retenue - annuler la décision et suspendre en même temps la procédure - ne se trouvait pas couverte par la loi; celle-ci ne permettait pas de reprendre l'instance d'appel après l'adoption définitive d'un plan d'installations communes. Si la Commission suprême se prononçait sur leur appel après coup, plus aucun recours ne s'ouvrirait à eux quant aux autres griefs dont la Cour administrative n'avait pas eu à connaître le 19 mars 1985. Cette dernière rejeta le recours le 12 septembre 1985; elle notifia son arrêt aux époux Hofauer le 8 novembre. Dans l'intervalle, la Commission régionale avait rendu, le 24 octobre 1985, une nouvelle décision - communiquée aux intéressés le 31 octobre - par laquelle elle reconsidérait leur appel contre le dernier plan de remembrement, à savoir celui du 15 juillet 1982 (paragraphe 24 ci-dessus). Se conformant à l'arrêt antérieur de la Cour administrative, du 19 mars 1985 (article 63 § 1 de la loi sur la Cour administrative, paragraphe 28 ci-dessus), elle annula ledit plan pour inobservation des règles de procédure applicables à toute décision concernant une installation commune. Elle ajouta pourtant qu'il n'existait aucune raison d'abandonner le projet de drainage des parcelles humides attribuées aux Hofauer, car la Cour administrative n'avait pas jugé illégale en soi l'installation commune nécessaire à cette fin. L'Autorité de district devait donc maintenant ordonner les mesures et installations communes voulues et, après leur exécution, publier un nouveau plan de remembrement. Auparavant, le 27 août 1985, M. et Mme Hofauer avaient invité l'Autorité de district à soustraire au remembrement une partie de leurs terres. Elle repoussa leur demande le 21 avril 1986 et la Commission régionale rejeta, le 3 juillet, le recours qu'ils avaient introduit le 7 mai. Le 25 août 1986, ils saisirent la Cour constitutionnelle; elle n'a pas encore statué (24 mars 1987). La procédure relative aux mesures et installations communes demeurant pendante, il n'existe pour le moment aucun nouveau plan de remembrement. Toutefois, l'Autorité de district enjoignit aux époux Hofauer, le 27 mai 1986, de tolérer la mise en place d'un système de drainage. Le 13 juin, ils attaquèrent cette décision devant la Commission régionale qui les débouta le 23 octobre 1986. Ils s'adressèrent ensuite, le 23 décembre 1986, à la Cour constitutionnelle; elle n'a pas, jusqu'ici, prononcé son arrêt. La procédure relative à la demande d'indemnisation Entre temps, l'Autorité de district était entrée en contact avec les intéressés au sujet de leur demande d'indemnité pour préjudice subi depuis le transfert provisoire des parcelles, question soulevée en 1976, puis en 1978, 1982, 1984 et 1985. Elle désirait des éclaircissements quant à la somme réclamée, aux personnes ou organes visés et à la base légale, notant sur ce dernier point que la loi applicable en l'espèce, celle de 1911/1954, ne prévoyait pas de compensation pécuniaire. Le 30 juillet 1985, l'avocat des requérants répondit que ses clients réclamaient 50.000 schillings par an à compter de 1970, date du transfert provisoire, soit un total de 750.000 schillings plus les intérêts. Précisant qu'il ne lui incombait pas de signaler à l'Autorité la loi pertinente, il se référait néanmoins à la décision sur le transfert provisoire: elle mentionnait expressément la possibilité de prétendre à une indemnité et indiquait comme garantie les biens de la majorité des propriétaires fonciers. La demande visait la privation de propriété; elle pourrait s'appuyer sur l'article 365 du code civil si aucune autre disposition ne pouvait jouer. Sans une indemnisation, il s'agirait d'une spoliation inconstitutionnelle et l'ensemble des opérations se trouverait entaché d'un vice de procédure radical exigeant le rétablissement de la situation initiale. Le 26 septembre 1985, l'Autorité de district se déclara incompétente pour se prononcer sur la demande qui d'ailleurs lui semblait dépourvue de base légale. Le 11 novembre, les requérants attaquèrent cette décision devant la Commission régionale, la taxant d'illégale. La loi elle-même confirmait la compétence des autorités agricoles en la matière. Aucune autre juridiction ne pouvait traiter la question d'un transfert provisoire irrégulier et de la réparation des dommages qui en résultaient. En relevant, dans sa décision du 10 août 1970 (paragraphe 13 ci-dessus), l'existence d'une garantie suffisante, l'Autorité avait voulu préciser que le transfert provisoire ne devait pas léser les requérants. Comme elle avait ordonné une "expropriation forcée" au moyen d'un "échange forcé", il lui fallait atténuer le préjudice et rechercher une compensation (Ausgleich). Le 9 janvier 1986, la Commission régionale déclara l'appel irrecevable dans le chef de Mme Erkner, qui n'avait plus la qualité de partie (paragraphes 27-28 ci-dessus), et mal fondé dans celui des époux Hofauer. Leur réclamation ne pouvait s'appuyersur la loi en vigueur: les autorités n'avaient compétence pour statuer sur des demandes d'indemnité que si pareille question représentait un élément nécessaire (unbedingt) des opérations agraires, ce qui n'était pas le cas. La Commission n'avait pas à déterminer si les requérants pouvaient ou non saisir les juridictions ordinaires. Le 19 mars 1986, les époux Hofauer recoururent à la Cour constitutionnelle qui n'a pas encore statué (24 mars 1987). II. La législation pertinente En général En Autriche, les compétences en matière de réforme agraire se répartissent entre la Fédération et les Länder: la législation portant sur les principes ressortit à la première, la législation d'application et la mise en oeuvre des lois aux seconds (article 12 § 1 n° 3 de la Constitution fédérale). Aux termes de l'article 12 § 2 de la Constitution fédérale, les décisions en dernière instance et à l'échelon du Land relèvent de commissions composées d'un "président, de magistrats, de fonctionnaires et d'experts"; "la commission qui se prononce en dernière instance est établie auprès du ministère fédéral compétent". "L'organisation, les fonctions et la procédure des commissions, ainsi que les principes d'organisation des autres autorités compétentes dans le domaine de la réforme agraire, sont fixés par une loi fédérale." Celle-ci doit prévoir que l'administration ne saurait annuler ou modifier les décisions des commissions; elle ne peut exclure le recours à la commission régionale contre les décisions de l'autorité de première instance. Dans ce cadre constitutionnel, le Parlement fédéral a adopté trois lois concernant les questions suivantes: i. les principes de droit applicables en matière de réforme agraire (loi fédérale sur les principes régissant l'aménagement des terres agricoles - Flurverfassungs-Grundsatzgesetz 1951 -, dans sa version de 1977); ii. l'organisation des commissions de la réforme agraire et les principes d'organisation des autorités de première instance (loi fédérale sur les autorités agricoles - Agrarbehördengesetz 1950 -, dans sa version de 1974); iii. la procédure devant les autorités agricoles (loi fédérale sur la procédure agricole - Agrarverfahrensgesetz 1950 -, qui renvoie à la loi générale sur la procédure administrative). Le remembrement des terres agricoles En matière de remembrement des terres agricoles, les normes de base figurent dans la loi fédérale sur les principes régissant l'aménagement des terres agricoles. Les Länder ont traité dans des lois sur l'aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs- Landesgesetze) les questions que leur a laissées le législateur fédéral. En Haute-Autriche, le remembrement fait l'objet de la loi de 1979 sur l'aménagement des terres agricoles; elle a remplacé une législation de 1972 qui elle-même avait succédé à une loi de 1911, remise en vigueur en 1954. Cette dernière était applicable lors de l'engagement de la procédure litigieuse et le restera jusqu'à son achèvement. Destiné à améliorer la structure de la propriété agricole et l'infrastructure de la zone concernée, le remembrement comprend l'adoption de mesures et installations communes ainsi qu'une redistribution des terres. Il comporte les phases suivantes: - ouverture des opérations (articles 64 et suivants de la loi de 1911/1954); - établissement de l'état d'occupation des sols en cause et évaluation de ceux-ci (articles 78-83); - détermination des mesures et installations communes (articles 84-92); - le cas échéant, transfert provisoire des terres (article 97); - adoption du plan de remembrement (articles 97-110). Aucune d'elles ne peut commencer avant qu'une décision définitive n'ait clôturé la précédente. Décidée d'office, l'ouverture de la procédure sert à délimiter la zone de remembrement qui peut englober, outre des terres agricoles et forestières, d'autres parcelles offertes en vue de leur inclusion dans l'opération et le terrain nécessaire aux installations communes. Les propriétaires forment une association (Zusammenlegungsgemeinschaft) qui constitue une personne morale de droit public. L'ouverture a pour effet de créer, pour toute la durée de la procédure, des restrictions à l'usage des terres; tout changement d'affectation exige l'approbation de l'autorité agricole compétente. Une fois la décision d'ouverture devenue définitive, l'autorité agricole dresse l'état d'occupation des terres et les apprécie. Sa décision (Besitzstandsausweis und Bewertungsplan) arrête leur valeur selon des critères précis énoncés dans la loi. Chacun des propriétaires parties à la procédure peut contester l'évaluation non seulement de ses propres biens-fonds, mais aussi de ceux des autres. Une fois définitive, la décision de l'autorité agricole les lie tous. Des mesures communes, telles que l'amendement des sols et la modification du terrain ou du paysage, et des installations communes comme des chemins privés, des ponts et fossés, des canaux de drainage ou d'irrigation, sont ordonnées si elles apparaissent requises pour un accès convenable aux parcelles compensatoires et une exploitation efficace de celles-ci, ou si elles servent d'une autre manière le but de l'opération dans l'intérêt de la majorité des personnes concernées. Il peut s'agir ausssi de la transformation, du déplacement ou de l'élimination d'installations existantes. Le tout donne lieu à une décision spécifique de l'autorité compétente (Plan der gemeinsamen Massnahmen und Anlagen), laquelle doit également régler la question des frais qui, en général, sont partagés entre les propriétaires. L'article 97 de la loi du Land de 1911/1954 autorise un transfert provisoire des terres, même si quelques propriétaires s'y opposent, dans les conditions suivantes: - il y a déjà eu un bornage des parcelles compensatoires prévues dans le projet de plan de remembrement; - un retard dans la mise en oeuvre dudit plan pourrait causer un tort considérable aux propriétaires qui demandent le transfert; - il existe des garanties suffisantes de compensation des inconvénients que pourraient subir les propriétaires défavorables au transfert. Aux termes de l'article 97 § 5, aucun recours ne s'ouvre contre une décision de transfert provisoire prise par l'autorité administrative compétente. L'article 7 de la loi fédérale - postérieure - sur les autorités agricoles précise cependant que la Commission régionale statue en dernière instance sauf dans les cas où un appel est possible devant la Commission suprême (paragraphe 48 ci-dessous). Le transfert provisoire a pour but essentiel d'assurer une exploitation rationnelle de la zone comprise dans l'opération de remembrement pendant la période intermédiaire. Les attributaires acquièrent la propriété des parcelles transférées, sous condition résolutoire: ils la perdent si le plan définitif de remembrement ne confirme pas l'attribution (Eigentum unter auflösender Bedingung). A l'issue de la procédure, l'autorité agricole compétente adopte le plan de remembrement (Zusammenlegungsplan) qui, depuis 1977, doit être publié au plus tard trois ans après la décision définitive de transfert provisoire des parcelles (article 7a § 4 de la loi fédérale sur la procédure agricole). Il s'agit d'un acte administratif qui s'accompagne de cartes et d'autres renseignements techniques; son rôle le plus important consiste à déterminer la compensation due aux propriétaires parties à la procédure. A cet égard, la loi du Land prévoit notamment les règles suivantes: - "En fixant les diverses compensations en terres, il y a lieu de tenir compte des désirs des personnes directement concernées, dans la mesure où on le peut sans enfreindre une disposition de la loi ni porter atteinte aux intérêts publics majeurs auxquels peut répondre le remembrement" (article 91 § 1); - "Tout propriétaire dont les terres se trouvent incluses dans l'opération de remembrement (...) a droit à une compensation, selon [leur] valeur (...), en terres soumises à [cette même] opération" (article 27 § 1); - "Nul ne peut se voir attribuer contre son gré des parcelles compensatoires qu'il ne saurait exploiter sans changer l'emplacement de sa ferme ou sans modifier substantiellement la nature de son exploitation" (article 28 § 1). Un décret d'application (Zusammenlegungsverordnung), qui remonte lui aussi à 1911, précise de son côté - que le rapport valeur/surface des parcelles compensatoires doit être le même que pour les terres transférées ou à transférer (article 108); - qu'il faut en général respecter les proportions de vergers, de champs et de prairies (article 109); - que les parcelles compensatoires doivent, autant que possible, être contiguës et délimitées de manière à faciliter l'exploitation et avoir la même orientation que les parcelles cédées ou à céder (article 110); - que leur longueur doit être proportionnée à leur largeur (article 110); - que la distance moyenne entre elles et la ferme ne doit pas, en principe, excéder celle qui sépare la ferme des parcelles transférées ou à transférer (article 114). S'il existe une différence de valeur ne dépassant pas 5 % du droit à compensation, une indemnité peut la redresser (articles 27 § 2 et 29 § 2 de la loi du Land). La législation du Land ne prévoit pas de dédommagement pour le préjudice subi, avant l'entrée en vigueur d'un plan définitif de remembrement, par les propriétaires qui ont contesté avec succès la légalité de la compensation reçue. Les autorités agricoles En Haute-Autriche, l'organe appelé à se prononcer en première instance est l'Autorité agricole de district, de caractère purement administratif. Les autorités supérieures sont la Commission régionale, établie auprès du Bureau du gouvernement du Land (Amt der Landesregierung), puis la Commission suprême qui se trouve auprès du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts (Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft). Les décisions (Bescheide) de l'Autorité de district peuvent donner lieu à un appel (Berufung) devant la Commission régionale. Celle-ci statue en dernier ressort sauf si elle a modifié la décision en cause et si le litige concerne l'une des questions énumérées à l'article 7 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles, telle la légalité de la compensation dans l'hypothèse d'un remembrement; en pareil cas, un recours s'ouvre devant la Commission suprême. En droit autrichien, on considère les commissions de la réforme agraire comme des organes mixtes (Kollegialbehörden mit richterlichem Einschlag) constituant une sorte de "tribunaux administratifs spécialisés". La Commission régionale compte huit membres, tous nommés par le gouvernement du Land (article 5 §§ 2 et 4 de la loi fédérale sur les autorités agricoles): - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique (rechtskundig), en tant que président; - trois magistrats; - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique et de l'expérience en matière de réforme agraire, en tant que rapporteur; - un haut fonctionnaire du Land (Landesbeamter des höheren Dienstes) ayant l'expérience des questions agronomiques; - un haut fonctionnaire du Land ayant l'expérience des questions forestières; - un expert agricole au sens de l'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative. A la Commission suprême siègent également huit membres, à savoir (article 6 §§ 2 et 4 de la loi fédérale sur les autorités agricoles): - un haut fonctionnaire, ayant une formation juridique, du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, en tant que président; - trois membres de la Cour suprême; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant une formation juridique et de l'expérience en matière de réforme agraire, en tant que rapporteur; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant l'expérience des questions agronomiques; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant l'expérience des questions forestières; - un expert agricole au sens de l'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative. Les membres magistrats sont désignés par le ministre fédéral de la Justice, les autres par le ministre fédéral de l'Agriculture et des Forêts. L'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative, mentionné aux articles 5 § 2 et 6 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles, se lit ainsi: "1. Si une expertise se révèle nécessaire, l'autorité fait appel aux experts officiels (Amtssachverständige) attachés à elle ou mis à sa disposition. A titre exceptionnel cependant, elle peut consulter et assermenter d'autres personnes compétentes comme experts, si aucun expert officiel n'est disponible ou si cela s'impose au vu des circonstances propres à l'affaire. (...)" Le mandat, renouvelable, des membres des commissions de la réforme agraire est de cinq ans (article 9 § 1 de la loi fédérale sur les autorités agricoles). Il s'achève avant son terme légal, notamment, si les conditions exigées pour la nomination ne se trouvent plus réunies (article 9 § 2). Tout membre peut, à sa demande, se voir relevé de ses fonctions pour des raisons de santé ou des motifs d'ordre professionnel qui l'empêchent de s'acquitter convenablement de ses tâches (article 9 § 3). La suspension d'un membre magistrat ou fonctionnaire par décision d'une juridiction disciplinaire entraîne la suspension de ses fonctions de membre de la Commission de la réforme agraire (article 9 § 4). Les membres desdites commissions exercent leurs fonctions à titre indépendant; ils ne sont soumis à aucune instruction (articles 8 de la loi fédérale sur les autorités agricoles et 20 § 2 de la Constitution fédérale). L'administration ne peut ni annuler ni amender leurs décisions (articles 8 de la loi fédérale et 12 § 2 de la Constitution fédérale, paragraphe 37 ci-dessus), lesquelles peuvent être attaquées devant la Cour administrative (article 8 de la loi fédérale). L'organisation décrite ci-dessus résulte d'un changement législatif intervenu en 1974 à la suite d'un arrêt de la Cour constitutionnelle, de la même année. Aux yeux de la Cour constitutionnelle, sous l'empire de la loi de 1950 les commissions de la réforme agraire ne pouvaient passer pour des tribunaux indépendants et impartiaux au sens de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention: parmi leurs membres figuraient à l'époque un ministre du gouvernement fédéral (Commission suprême) ou du gouvernement d'un Land (Commission régionale) et les pouvoirs publics compétents pouvaient révoquer les autres à tout moment (arrêt du 19 mars 1974, Erkenntnisse und Beschlüsse des Verfassungsgerichtshofes, 1974, vol. 39, n° 7284, pp. 148-161). La nouvelle législation a exclu des commissions tout membre d'un gouvernement, introduit des dispositions régissant le mandat et la révocation des membres et créé la possibilité de saisir la Cour administrative (articles 5 § 2, 6 § 2, 8 et 9 de la loi fédérale de 1974 sur les autorités agricoles). La procédure devant les commissions de la réforme agraire La procédure devant les commissions de la réforme agraire obéit à la loi fédérale sur la procédure agricole (paragraphe 38 ci-dessus), dont l'article 1er précise que la loi générale sur la procédure administrative s'applique, sauf un article sans pertinence en l'espèce et sous réserve des modifications et compléments prévus par la loi fédérale. Les commissions assument la responsabilité de la conduite de la procédure (article 39 de la loi générale sur la procédure administrative). Aux termes de l'article 9 §§ 1 et 2 de la loi fédérale, elles statuent après une audience non publique. Y assistent, sauf exception, les parties; elles peuvent consulter le dossier (article 17 de la loi générale sur la procédure administrative) et comparaître en personne ou se faire représenter (article 9 § 3 de la loi fédérale). Le président peut convoquer des témoins et, pour recueillir des renseignements, des fonctionnaires qui ont participé à la décision de première instance et à sa préparation (article 9 § 5). L'audience commence par un exposé du rapporteur; la commission clarifie ensuite l'objet du litige en entendant parties et témoins et en examinant en détail (eingehend) la situation juridique et économique (article 10 § 2). Elle procède sur la base des faits établis par l'organe inférieur, mais peut aussi charger d'un complément d'instruction ce même organe ou un ou plusieurs de ses propres membres (article 10 § 1). Les parties doivent pouvoir prendre connaissance du résultat de l'instruction (Beweisaufnahme) et présenter leurs observations (article 45 § 3 de la loi générale sur la procédure administrative). Les commissions délibèrent et votent en l'absence des parties: après avoir discuté des résultats des débats, le rapporteur formule des conclusions (Antrag); ceux qui veulent en proposer d'autres (Gegen- und Abänderungsanträge) doivent les motiver (article 11 § 1 de la loi fédérale). Le président fixe l'ordre de mise aux voix des diverses conclusions (ibidem). Le rapporteur vote le premier, suivi par les magistrats puis par les autres membres, y compris le président qui vote le dernier et dont la voix est prépondérante s'il y a partage (article 11 § 2). En cas d'appel interjeté dans le délai légal de deux semaines (article 7 § 3) et reconnu recevable, la commission compétente casse la décision attaquée et renvoie l'affaire à l'organe inférieur si elle estime l'établissement des faits à tel point défectueux qu'une nouvelle audience se révèle inévitable; autrement, elle statue elle-même sur le fond (article 66 §§ 2 et 4 de la loi générale sur la procédure administrative); elle peut modifier ladite décision, qu'il s'agisse du dispositif ou des motifs (article 66 § 4). Les commissions doivent se prononcer sans retard (ohne unnötigen Aufschub) et au maximum six mois après leur saisine (article 73 § 1). Si les parties ne reçoivent pas communication de la décision (Erkenntnis) dans ce délai, elles peuvent s'adresser à l'autorité supérieure, à laquelle il incombe de trancher (article 73 § 2). Dans l'hypothèse d'une défaillance de cette dernière, la compétence échoit, sur demande de l'intéressé, à la Cour administrative (articles 132 de la Constitution fédérale et 27 de la loi sur la Cour administrative). Motivées, les décisions des commissions doivent résumer avec clarté (klar und übersichtlich) le résultat de la procédure d'enquête, l'appréciation des moyens de preuve et, sur la base de ces données, la réponse fournie au problème juridique qui se pose (articles 58 § 2 et 60 de la loi générale sur la procédure administrative). Elles sont notifiées aux parties; toutefois, la commission peut opter pour le prononcé immédiat (article 13 de la loi fédérale). Les recours devant les Cours constitutionnelle et administrative Les décisions des commissions de la réforme agraire peuvent être contestées devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci recherche s'il y a eu atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution ou application d'un arrêté (Verordnung) contraire à la loi, d'une loi contraire à la Constitution ou d'un traité international incompatible avec le droit autrichien (rechtswidrig) (article 144 de la Constitution fédérale). Par dérogation à la règle de principe de l'article 133 n° 4 de la Constitution fédérale, l'article 8 de la loi fédérale sur les autorités agricoles ouvre contre ces mêmes décisions un recours devant la Cour administrative. Elle peut être saisie avant ou après la Cour constitutionnelle, qui lui renvoie l'affaire si le requérant l'y invite et si elle conclut à l'absence de violation du droit invoqué (article 144 § 3 de la Constitution fédérale). Selon l'article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte (Bescheid) administratif, celle de l'exercice de la contrainte (Befehls- und Zwangsgewalt) contre une personne ou un manquement de l'autorité compétente à son obligation de décider. Elle examine en outre les recours introduits contre les décisions d'organes mixtes - telles les commissions de la réforme agraire -, lorsque la loi l'y habilite (paragraphes 48 et 54 ci-dessus). Si elle ne rejette pas le recours pour défaut de fondement, elle annule la décision attaquée; elle ne se prononce sur le fond que si l'autorité compétente a failli à son devoir de statuer (article 42 § 1 de la loi sur la Cour administrative, Verwaltungsgerichtshofgesetz). Lorsqu'il lui incombe de contrôler la légalité d'un acte administratif ou de la décision d'un organe mixte, la Cour tranche sur la base des faits établis par l'autorité dont il s'agit et sous l'angle des seuls griefs présentés, sauf en cas d'incompétence de ladite autorité ou de violation de règles de procédure (article 41 de la loi sur la Cour administrative). A ce sujet, la loi apporte une précision: la Cour annule l'acte attaqué, pour infraction à pareille règle, quand les faits tenus par l'administration pour établis se trouvent, sur un point capital, démentis par le dossier, qu'il échet de les compléter sur un tel point et qu'il y a inobservation de règles dont l'application correcte aurait pu conduire à une décision différente (article 42 § 2, alinéa 3), de la loi précitée). Si en cours d'examen apparaissent des motifs inconnus jusqu'alors des parties, la Cour doit entendre celles-ci et, au besoin, suspendre la procédure (article 41 § 1). La procédure consiste pour l'essentiel en un échange de mémoires (article 36), suivi, sous réserve de quelques hypothèses énumérées dans la loi, d'une audience contradictoire et, en principe, publique (articles 39 et 40). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 3 avril 1979 à la Commission (n° 9616/81), Johann et Theresia Erkner alléguaient notamment la violation de leur droit à un examen de leur cause dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, et de leur droit de propriété tel que le protégeait l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Ils prétendaient en outre n'avoir pas bénéficié d'un procès équitable et invoquaient les articles 8 et 14 (art. 8, art. 14) de la Convention, mais depuis lors ils n'ont pas insisté là-dessus. Après le décès de Johann Erkner le 22 juin 1983, son exploitation a été reprise par sa fille et son gendre, Theresia et Josef Hofauer. Désormais seuls propriétaires, ils ont, en tant que successeurs des requérants, exprimé le souhait de voir l'instance se poursuivre. Le 8 mars 1984, la Commission a décidé d'accéder à leur demande. Quant à Theresia Erkner, elle a voulu continuer de participer à la procédure en qualité de requérante. La Commission a retenu la requête le 9 mars 1984. Dans son rapport du 24 janvier 1986 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu'il y a eu infraction à l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention (unanimité) et à l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (onze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 20 octobre 1986, la Cour a été invitée - par le Gouvernement, "à dire qu'en l'espèce les dispositions de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, ainsi que de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1), n'ont pas été violées et que dès lors les faits de la cause ne révèlent aucun manquement de la République d'Autriche aux exigences de la Convention"; - par le délégué de la Commission, "à confirmer l'avis" de celle-ci selon lequel "il y a eu violation et de l'article 6 (art. 6) de la Convention et de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1)". De son côté, le conseil des requérants s'est référé à son mémoire du 18 août 1986. Il y priait la Cour, notamment, de suivre l'avis de la Commission et "de reconnaître la République d'Autriche coupable (..) d'une infraction aux Droits de l'Homme".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Né en 1959 et de nationalité allemande, M. Uli Lutz habite à Heilbronn-Horkheim. Le 10 octobre 1980, alors qu’il circulait à motocyclette, il fut impliqué dans un accident de la route. D’après le procès-verbal (Verkehrs-Ordnungswidrigkeiten-Anzeige) dressé par la police, il avait essayé de dépasser une voiture de tourisme malgré un embarras de la circulation (unklare Verkehrslage); il en était résulté une collision occasionnant des dommages matériels. Interrogé, il avait fait la déclaration suivante: "Aujourd’hui, vers 16 h 30, je roulais vers le sud dans la Hohenloher Strasse à Heilbronn-Horkheim. Environ à la hauteur du croisement avec l’Amsterdamer Strasse, j’ai vu une voiture de tourisme rouge sur le point de s’éloigner du trottoir, clignotant gauche allumé. Je voulais la dépasser par la gauche lorsqu’elle a non seulement avancé sur la chaussée, mais braqué encore plus à gauche pour faire demi-tour. [Elle] manoeuvrait pour son demi-tour et allait emprunter la voie en sens inverse (Gegenfahrspur) cependant que je roulais à une dizaine de mètres derrière elle. Ne m’attendant pas à ce demi-tour, j’avais l’intention de la dépasser par la gauche. En saisissant que ce n’était plus possible, et alors que je me trouvais déjà assez engagé sur la gauche, j’ai essayé de freiner mais n’ai pu éviter la collision avec la voiture qui était maintenant perpendiculaire à la voie. Au moment de l’accident, je portais un casque; je n’ai pas été blessé." Au vu dudit procès-verbal, l’autorité de police (Amt für öffentliche Ordnung) de Heilbronn infligea au requérant, le 9 décembre 1980, une amende (Geldbusse) de 125 DM, majorée de 14 DM de frais, pour "responsabilité conjointe d’un accident de la route dû à un dépassement dans un embarras de la circulation, entraînant une collision avec un autre usager de la route". La décision se fondait sur l’article 24 de la loi sur la circulation routière (Strassenverkehrsgesetz, paragraphe 38 ci-dessous) et les articles 1 § 2, 5 et 49 du règlement relatif à la circulation routière (Strassenverkehrs-Ordnung). L’article 1 § 2 de ce règlement se lit ainsi: "Tout usager de la route a le devoir de se comporter de manière à ne pas nuire ni faire courir de risque à autrui, à ne pas le gêner ni importuner plus qu’il n’est inévitable en l’occurrence." L’article 5 précise qu’il faut dépasser par la gauche (paragraphe 1), qu’avant de dépasser on doit s’assurer que cela ne gênera pas le trafic en sens inverse (paragraphe 2) et qu’il est interdit de dépasser dans un embarras de la circulation (paragraphe 3 no 1). D’après l’article 49 § 1 no 1 et 5 du règlement précité, quiconque enfreint les articles 1 § 2 et 5 §§ 1 à 3 commet une "contravention administrative" (Ordnungswidrigkeit); aux termes de l’article 24 § 2 de la loi sur la circulation routière, une telle contravention expose son auteur à une amende. La conductrice de la voiture se vit elle aussi frappée d’une amende pour "contravention administrative". Contre la décision du 9 décembre 1980, M. Lutz, représenté par Me Wingerter, forma le surlendemain un recours (Einspruch) que l’autorité compétente de Heilbronn communiqua le 23 janvier 1981 au parquet, lequel le transmit le 5 février au tribunal cantonal (Amtsgericht) de la même ville. Le 24 juillet 1981, le tribunal avisa le requérant qu’il entendait clore la procédure pour cause de prescription en imputant les frais au Trésor (Staatskasse), tandis que l’intéressé devrait supporter lui-même ses frais et dépens nécessaires (notwendige Auslagen). Le 12 août, Me Wingerter répondit que son client consentait certes à l’arrêt de la procédure, mais non à la mise à sa charge de ses frais et dépens nécessaires; il invoqua entre autres "la présomption d’innocence, garantie par la Convention des Droits de l’Homme". Le 24 août 1981, le tribunal cantonal déclara la procédure prescrite. Sa décision était ainsi libellée: "Dans l’affaire concernant une contravention administrative (Bussgeldsache) contre (...) Uli Lutz pour infraction au règlement relatif à la circulation routière, (...) la procédure est arrêtée. Le Trésor supportera les frais de la procédure, l’intéressé lui-même ses frais et dépens nécessaires. Motifs: L’autorité de police de Heilbronn a pris le 9 décembre 1980 une décision infligeant une amende (Bussgeldbescheid) à l’intéressé pour infraction au règlement relatif à la circulation routière. L’intéressé a formé un recours contre cette décision. Par une ordonnance du 27 janvier 1981, le parquet de Heilbronn a donc transmis le dossier au tribunal cantonal de Heilbronn pour décision. Après la présentation du dossier, les poursuites pour contravention administrative se sont éteintes par le jeu de la prescription, conformément à l’article 26 § 4 de la loi sur la circulation routière. Il y a donc lieu d’arrêter la procédure en raison de l’existence d’un obstacle à poursuite (Verfolgungshindernis), conformément à l’article 206a du code de procédure pénale, combiné avec l’article 46 de la loi concernant les ‘contraventions administratives’ (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) [paragraphe 19 ci-dessous]. La décision relative aux frais se fonde sur l’article 467 du code de procédure pénale, combiné avec l’article 46 de la loi concernant les ‘contraventions administratives’. En vertu de l’article 467 § 2 [sic], deuxième phrase, du code de procédure pénale, combiné avec l’article 46 de la loi concernant les ‘contraventions administratives’, le tribunal s’abstient d’imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires de l’intéressé. En l’état du dossier, l’intéressé aurait très probablement été condamné pour infraction au règlement relatif à la circulation routière (Nach Lage der Akten wäre der Betroffene mit hoher Wahrscheinlichkeit wegen eines Verstosses gegen die StVO verurteilt worden). Dès lors, il serait inéquitable (unbillig) d’imposer au Trésor ses frais et dépens nécessaires." Le 10 septembre 1981, le requérant attaqua cette décision dans la mesure où elle lui avait laissé la charge de ses frais et dépens. Le 25 septembre, le tribunal régional (Landgericht) de Heilbronn rejeta le recours (sofortige Beschwerde) pour défaut de fondement. Il estima l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention inapplicable en l’espèce. Comme il l’avait déjà expliqué en détail dans une décision antérieure, l’article 6 (art. 6) ne protégeait l’individu que contre les dangers pouvant le menacer dans un procès civil ou pénal; cela ressortait sans doute aucun de son propre texte. Il n’y avait aucune raison d’englober, par voie d’interprétation extensive, d’autres procédures dans le domaine de l’article 6 § 2 (art. 6-2). Par conséquent, ce dernier ne pouvait jouer en matière de "contraventions administratives": celles-ci avaient été soustraites à la catégorie des infractions pénales et la procédure y relative se distinguait clairement de la procédure pénale. Si l’on partait ainsi de l’inapplicabilité de l’article 6 § 2 (art. 6-2), c’était à juste titre que le tribunal cantonal avait laissé au requérant la charge de ses frais et dépens nécessaires (article 467 § 3, deuxième phrase, no 2, du code de procédure pénale), car sans l’obstacle procédural de la prescription des poursuites l’intéressé "aurait presque certainement (mit annähernder Sicherheit) été condamné". Il avait en effet admis lui-même devant la police qu’il ne s’attendait pas à voir la voiture, qui devant lui déboîtait vers la gauche sur la chaussée, faire demi-tour, qu’il avait donc voulu la dépasser et qu’il n’avait pu éviter la collision malgré ses efforts pour freiner. M. Lutz avait enfreint de la sorte la règle de base de l’article 1 § 2 du règlement relatif à la circulation routière et notamment méconnu l’obligation, énoncée à l’article 5 § 3 no 1 dudit règlement, de ne pas dépasser en cas d’embarras de la circulation. Dans de telles circonstances, il serait inéquitable d’imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires du requérant, d’autant que le délai de prescription avait expiré seulement pendant la procédure judiciaire à laquelle l’intéressé se trouvait donc à bon droit exposé jusque-là. Le requérant saisit alors la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht). Statuant en comité de trois membres, elle décida le 2 février 1982 de ne pas retenir le recours, dénué selon elle de chances suffisantes de succès. Aux yeux de la Cour constitutionnelle, les décisions des tribunaux cantonal et régional ne violaient pas la présomption d’innocence, fondée sur le principe de l’État de droit et consacrée par l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention. Quelle que fût la gravité des soupçons, la présomption d’innocence interdisait de prendre contre un inculpé (Beschuldigter), avant de prononcer une peine (im Vorgriff auf die Strafe), des mesures équivalant par leurs effets à une peine (Strafe). Cette règle ne se trouvait pas méconnue si, en cas d’abandon d’une procédure pour "contravention administrative", les frais et dépens nécessaires de l’intéressé n’étaient pas délaissés au Trésor. Et l’arrêt de continuer: "L’absence de prise en charge des frais et dépens de l’intéressé ne saurait, à l’évidence, être considérée comme une peine (Bestrafung) ni même y être assimilée. En outre, la décision sur les frais et dépens, arrêtée en vertu des articles 467 § 3 no 2 du code de procédure pénale et 46 § 1 de la loi concernant les ‘contraventions administratives’, ne constate pas la culpabilité de l’intéressé: elle se rattache simplement au soupçon pesant sur lui et qui avait provoqué la procédure pour ‘contravention administrative’. Partant, les décisions attaquées se bornent à juste titre à constater, pour motiver leur conclusion sur les frais, que le requérant aurait très probablement été condamné." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi concernant les "contraventions administratives" Le domaine des "contraventions administratives" se trouve régi par la loi du 24 mai 1968 concernant les "contraventions administratives" (Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) dans sa version du 1er janvier 1975 ("loi de 1968/1975"). Elle vise à faire sortir du droit pénal les infractions légères. Il s’agit notamment des contraventions à la loi sur la circulation routière. Dans son ancienne version, l’article 21 de celle-ci les frappait de peines d’amende (Geldstrafe) ou d’emprisonnement (Haft). L’article 3 no 6 de la loi du 24 mai 1968 (Einführungsgesetz zum Gesetz über Ordnungswidrigkeiten) les qualifia d’"Ordnungswidrigkeiten" et ne les réprima désormais qu’au moyen d’amendes (Geldbussen) regardées par le législateur comme non pénales. La loi de 1968/1975 a eu deux précurseurs en République fédérale: la loi du 25 mars 1952 sur les "contraventions administratives" et, pour une part, celle du 26 juillet 1949 sur les infractions économiques (Wirtschaftsstrafgesetz). Elle a été modifiée en dernier lieu par une loi du 7 juillet 1986, entrée en vigueur le 1er avril 1987. Dispositions générales L’article 1 § 1 de la loi de 1968/1975 définit la "contravention administrative" comme un acte illégal (rechtswidrig) et répréhensible (vorwerfbar), enfreignant une disposition légale qui en rend l’auteur passible d’une amende. Celle-ci ne peut être inférieure à 5 DM ni, en règle générale, supérieure à 1.000 DM (article 17 § 1). Son montant est fixé dans chaque cas en fonction de l’importance de la contravention, du manquement reproché à l’auteur et, sauf pour les contraventions mineures (geringfügig), de la situation économique de ce dernier (article 17 § 3). Si l’acte constitue à la fois une "contravention administrative" et une infraction pénale, seule entre en jeu la loi pénale; il peut cependant être réprimé en tant que "contravention administrative" si aucun prononcé de peine (Strafe) n’a lieu (article 21). Les autorités de poursuite Le traitement des "contraventions administratives" relève de l’autorité administrative (Verwaltungsbehörde) désignée par la loi, sauf dans la mesure où la loi de 1968/1975 en confie la poursuite au parquet et la répression au tribunal (articles 35 et 36). Si le parquet se trouve saisi au pénal, il peut également poursuivre le même acte comme "contravention administrative" (article 40). Lorsque des indices donnent à penser qu’il y a infraction pénale, l’autorité administrative renvoie l’affaire au parquet; il lui retourne le dossier s’il n’ouvre pas de poursuites (article 41). En cas de "contravention administrative" connexe à une infraction pénale pour laquelle le parquet a engagé des poursuites, celui-ci peut les étendre à la contravention aussi longtemps que l’autorité administrative n’a pas fixé l’amende (article 42). La décision, par le parquet, de poursuivre ou non un acte comme infraction pénale lie l’autorité administrative (article 44). La procédure en général Sous réserve des exceptions prévues par la loi de 1968/1975, les dispositions de droit commun régissant la procédure pénale, en particulier le code de procédure pénale, le code judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz) et la loi sur les juridictions de la jeunesse (Jugendgerichtsgesetz), s’appliquent par analogie (sinngemäss) à la procédure relative aux "contraventions administratives" (article 46 § 1). L’autorité de poursuite (paragraphe 21 ci-dessus) a les mêmes droits et obligations que le parquet en matière pénale à moins que la loi de 1968/1975 elle-même n’en décide autrement (article 46 § 2). Néanmoins, certaines mesures licites au pénal ne peuvent être ordonnées dans le domaine desdites contraventions, notamment l’arrestation, la garde à vue (vorläufige Festnahme) et la saisie d’envois postaux ou de télégrammes (article 46 § 3). La prise de sang et d’autres ingérences mineures, au sens de l’article 81 a) § 1 du code de procédure pénale, restent possibles. La poursuite d’une telle contravention ressortit au pouvoir discrétionnaire (pflichtgemässes Ermessen) de l’autorité compétente, laquelle peut y mettre fin tant que l’affaire demeure pendante devant elle (article 47 § 1). Une fois le tribunal saisi (paragraphes 29-30 ci-dessous), toute décision de clôture relève de lui; elle requiert l’accord du parquet et revêt un caractère définitif (article 47 § 2). Dans la phase judiciaire (éventuelle) de la procédure (paragraphes 30-32 ci-dessous), l’article 46 § 7 de la loi de 1968/1975 confie le soin de statuer à des sections (Abteilungen) des tribunaux cantonaux ainsi qu’à des chambres (Kammern; Senate) des tribunaux régionaux, des cours d’appel (Oberlandesgerichte) et de la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof). La procédure préliminaire La recherche (Erforschung) des "contraventions administratives" incombe aux autorités de police. Elles jouissent en la matière d’un pouvoir discrétionnaire (pflichtgemässes Ermessen); pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose pas autrement, elles ont les mêmes droits et obligations qu’au pénal (article 53 § 1). Avant toute décision, l’intéressé (Betroffener) doit avoir l’occasion de se prononcer devant l’autorité compétente sur le reproche qu’on lui adresse (article 55). Dans le cas d’une contravention mineure, l’autorité administrative peut lui donner un avertissement (Verwarnung) et exiger de lui le versement d’une amende de mise en garde (Verwarnungsgeld) qui, sauf exception prévue dans la loi applicable, se situait à l’époque des faits entre 5 et 40 DM, depuis le 1er avril 1987 entre 5 et 75 DM (article 56 § 1). Toutefois, une telle sanction ne vaut que s’il l’a acceptée et s’il paie l’amende sur-le-champ ou dans le délai d’une semaine (article 56 § 2). L’autorité administrative, dans la procédure qui se déroule devant elle, désigne au besoin à l’intéressé un avocat d’office (article 60). Les mesures prises par elle jusqu’à ce stade peuvent en principe être attaquées devant les tribunaux (article 62). La décision administrative infligeant une amende Pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose pas autrement - comme dans le cas où l’affaire se règle par le versement d’une amende de mise en garde -, la contravention est réprimée par une décision administrative infligeant une amende (Bussgeldbescheid; article 65). L’intéressé peut exercer un recours (Einspruch) dans un délai d’une semaine, porté à deux depuis le 1er avril 1987 (article 67). A moins de retirer sa décision, l’autorité administrative communique le dossier au parquet qui le soumet au juge cantonal compétent et qui assume le rôle d’autorité de poursuite (articles 68 et 69). La phase judiciaire (éventuelle) de la procédure Aux termes de l’article 71, si le tribunal estime le recours recevable (article 70) il l’examine, sauf indication contraire de la loi de 1968/1975, conformément aux règles applicables en cas de recours contre une ordonnance pénale (Strafbefehl): en principe, il tient des audiences et rend un jugement (Urteil) qui peut prononcer une sanction plus lourde (article 411 du code de procédure pénale). Toutefois, le tribunal peut statuer par ordonnance (Beschluss) si des débats ne lui paraissent pas nécessaires et en l’absence d’objections du parquet ou de l’intéressé (article 72 § 1). En pareil cas, il peut notamment acquitter celui-ci, fixer une amende ou arrêter les poursuites, mais non aggraver la sanction (article 72 § 2, aujourd’hui § 3). L’intéressé a la faculté de comparaître en personne mais n’en a pas l’obligation, sauf si le tribunal l’y a invité (article 73 §§ 1 et 2); il peut se faire représenter par un défenseur (article 73 § 4). Le ministère public peut assister aux débats; si le tribunal estime appropriée la venue d’un magistrat du parquet, il en avise ce dernier (article 75 § 1). Le tribunal offre à l’autorité administrative l’occasion d’indiquer les éléments qui, d’après elle, importent pour la décision à rendre; il lui accorde la parole lorsqu’elle le souhaite (article 76 § 1). Sous certaines conditions, l’article 79 ouvre un "recours de droit" (Rechtsbeschwerde) contre le jugement ou contre l’ordonnance prise en vertu de l’article 72. Pour autant que la loi de 1968/1975 n’en dispose pas autrement, la juridiction compétente statue en se conformant, par analogie, aux prescriptions du code de procédure pénale relatives à la cassation (Revision). Procédure administrative et procédure pénale La qualification de "contravention administrative" donnée à l’acte par l’autorité administrative ne lie pas le tribunal appelé à connaître du recours; il ne peut cependant appliquer la loi pénale que si l’intéressé a été averti du changement et mis à même de se défendre (article 81 § 1). Cette condition une fois remplie, d’office ou à la demande du parquet, l’intéressé a le statut de prévenu (Angeklagter; article 81 § 2) et la procédure ultérieure échappe à l’empire de la loi de 1968/1975 (article 81 § 3). Exécution des décisions infligeant une amende Une décision infligeant une amende est exécutoire dès qu’elle revêt un caractère définitif (articles 89 et 84). Quand elle émane de l’autorité administrative, son exécution obéit, selon le cas, à la loi fédérale ou à celle d’un Land sur l’exécution en matière administrative (Verwaltungs-Vollstreckungsgesetze), à moins que la loi de 1968/1975 ne prévoie le contraire (article 90 § 1). Dans le cas d’une décision judiciaire s’appliquent, entre autres, certaines dispositions pertinentes du code de procédure pénale (article 91). Si, sans avoir démontré (dargetan) son insolvabilité, l’intéressé n’a pas payé l’amende dans le délai voulu, le tribunal peut, à la requête de l’autorité administrative ou, dans l’hypothèse d’une amende infligée par décision judiciaire, d’office, ordonner la contrainte par corps (Erzwingungshaft; article 96 § 1). La détention qui en résulte ne remplace pas le paiement de l’amende à la manière de l’Ersatzfreiheitsstrafe en droit pénal: elle vise à y forcer l’intéressé. Sa durée ne doit pas dépasser six semaines pour une seule amende et trois mois pour plusieurs (article 96 § 3); son exécution se règle d’après, notamment, le code de procédure pénale (article 97). Frais Quant aux frais de la procédure administrative, l’autorité compétente applique par analogie certaines des clauses du code de procédure pénale (article 105). Aux termes de l’article 109 - lui aussi modifié depuis le 1er avril 1987 -, l’intéressé supporte les frais de la procédure judiciaire s’il retire son recours ou si le tribunal compétent rejette ce dernier. Pour le surplus, les dispositions du code de procédure pénale relatives au règlement des frais de procédure ainsi que des frais et dépens nécessaires valent par analogie (articles 464 et suivants du code de procédure pénale et 46 de la loi de 1968/1975). D’après l’article 464 du code de procédure pénale, tout jugement, ordonnance pénale ou décision mettant fin à une procédure doit indiquer à qui incomberont les frais de celle-ci (paragraphe 1); le jugement ou la décision sur lesquels débouche la procédure tranche la question de l’imputation des frais et dépens nécessaires (paragraphe 2). Appliqués en l’espèce en vertu de l’article 46 de la loi de 1968/1975, les paragraphes 1 et 3, deuxième phrase, no 2, de l’article 467 du code de procédure pénale se lisent ainsi: "1. En cas d’acquittement de l’accusé (Angeschuldigter), de refus d’ouvrir la procédure principale (Hauptverfahren) ou d’arrêt des poursuites, les frais de la procédure et les frais et dépens nécessaires de l’accusé sont à la charge du Trésor. (...) (...) Le tribunal peut s’abstenir d’imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires de l’accusé si ce dernier (...) (2) n’est pas condamné, grâce uniquement à un obstacle de procédure (Verfahrenshindernis)." Dans la mesure où la loi ne prescrit pas le remboursement des frais et dépens nécessaires, les juridictions statuent en équité; elles jouissent à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. B. Les amendes en matière de circulation routière La loi sur la circulation routière, le règlement relatif à la circulation routière et celui qui a trait au droit de conduire (Strassenverkehrs-Zulassungs-Ordnung) énumèrent des "contraventions administratives" punissables d’amende (article 24 de la loi sur la circulation routière). L’article 24 de la loi sur la circulation routière précise à ce sujet: "1. Commet une ‘contravention administrative’ quiconque méconnaît délibérément ou par négligence (vorsätzlich oder fahrlässig) une disposition d’un décret (Rechtsverordnung) pris en vertu de l’article 6 § 1 ou d’un arrêté (Anordnung) pris en vertu d’un tel décret, si le décret renvoie pour une infraction donnée à la présente (...) disposition. Pareille référence n’est pas exigée si la disposition du décret a été édictée avant le 1er janvier 1969. La ‘contravention administrative’ peut être sanctionnée par une amende." Le règlement relatif à la circulation routière, appliqué en l’espèce, compte parmi les décrets édictés en vertu de l’article 6 § 1 de la loi sur la circulation routière. Dans le cas d’une "contravention administrative" commise en violation grossière (grob) et persistante (beharrlich) des obligations de conducteur, l’autorité administrative ou, s’il y a eu recours, le tribunal peuvent priver en même temps l’intéressé de son permis (Fahrverbot) pour une période d’un à trois mois (article 25 de la loi sur la circulation routière). Les Länder ont adopté de concert des dispositions (Verwaltungsvorschriften) instituant un catalogue uniforme d’amendes pour les diverses contraventions de ce genre (Bussgeldkatalog); juridiquement, elles lient les autorités administratives habilitées à prononcer des amendes, mais non les tribunaux. L’article 26 a) de la loi sur la circulation routière, inséré dans celle-ci le 28 décembre 1982 et non encore suivi d’effet, prévoit que le ministre des transports édictera de telles dispositions avec l’accord du Bundesrat et sous forme de décret (Rechtsverordnung). Aux termes de l’article 28 de la même loi, une amende pour contravention aux règles de la circulation routière peut figurer sur un registre central de la circulation (Verkehrszentralregister) dans des cas donnés, si elle dépasse un certain niveau (39 DM à l’époque des faits de la cause, 79 DM depuis le 1er juillet 1982); en revanche, elle ne donne pas lieu à inscription au casier judiciaire (Bundeszentralregister). L’inscription doit être effacée après deux ans au maximum, à moins qu’il n’y en ait eu de nouvelles entre temps (article 29). Seules certaines autorités ont accès audit registre, notamment aux fins de poursuites pénales ou de poursuites pour "contravention administrative" en matière de circulation routière (article 30). D’après l’article 26 § 3 de la loi sur la circulation routière, les "contraventions administratives" visées à l’article 24 se prescrivaient par trois mois à l’époque des faits; depuis le 1er avril 1987, le délai est de trois mois pour la procédure devant l’autorité administrative et de six à partir de la date de la décision de cette dernière. Selon les indications non contestées du Gouvernement, la loi de 1968/1975 joue en pratique un rôle particulièrement important dans le domaine de la circulation routière; ainsi, environ 90 % des amendes infligées ont trait à des contraventions routières. En Bavière, Land qui serait représentatif de la République fédérale, on aurait compté en 1985 1.141.221 décisions prononçant une amende. Le pourcentage des amendes supérieures à 200 et 500 DM n’aurait atteint que 1,3 et 0,1 respectivement, contre 8,8 pour celles de 120 à 200 DM, 15 pour celles de 80 à 119 DM, 22,3 pour celles de 41 à 79 DM et 52,5 pour celles de 5 à 40 DM. Des 1.199.802 infractions routières dénombrées en 1986, 49,7 % consisteraient en contraventions aux interdictions d’arrêt et de stationnement. C. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale en matière de présomption d’innocence (arrêt - Beschluss - du 26 mars 1987) La Cour constitutionnelle fédérale a récemment précisé la portée du principe de la présomption d’innocence dans le cas d’une décision mettant fin à une procédure pénale. Par un arrêt du 26 mars 1987, elle a en effet annulé, comme contraires audit principe, deux décisions de tribunaux cantonaux et une décision de tribunal régional qui, ayant estimé insignifiante (gering) la culpabilité des inculpés, avaient clos des poursuites privées engagées contre eux mais leur avaient imposé les frais de la procédure, y compris les frais et dépens des plaignants (affaires 2 BvR 589/79, 2 BvR 740/81 et 2 BvR 284/85, Europäische Grundrechte-Zeitschrift 1987, pp. 203-209). Elle a jugé incompatible avec la présomption d’innocence de parler, dans les motifs d’une décision de clôture, de la culpabilité de l’inculpé ou de fonder une décision relative aux frais et dépens sur la supposition (Annahme) qu’il a commis une infraction si les débats n’ont pas atteint le stade du jugement (Schuldspruchreife). Relevant que le principe de la présomption d’innocence découle de celui de l’État de droit, elle a cité en outre l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention: cette dernière n’aurait pas rang de droit constitutionnel en République fédérale, mais il y aurait lieu d’avoir égard à elle et à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme pour interpréter les droits fondamentaux et les principes consacrés par la Loi fondamentale (Grundgesetz). Confirmant sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a rappelé ensuite que le principe de la présomption d’innocence interdit de prendre contre l’inculpé, sans que sa culpabilité ait été établie au préalable au cours d’une procédure régulière, des mesures équivalant par leurs effets à une peine et de le traiter en coupable. Il exige, a-t-elle ajouté, l’établissement légal de la culpabilité avant que celle-ci puisse être invoquée contre l’intéressé. Un constat de culpabilité ne serait donc légitime que s’il intervient à l’issue de débats ayant atteint le stade du jugement. Se référant à l’arrêt Minelli du 25 mars 1983 (série A no 62), la Cour constitutionnelle a déclaré qu’une décision de clôture des poursuites pénales peut méconnaître la présomption d’innocence si, dans ses motifs, elle constate la culpabilité de l’inculpé sans que celle-ci ait été légalement établie. En revanche, rien n’empêcherait d’y consigner des constatations relatives à la culpabilité de l’intéressé, ni d’imposer à celui-ci les frais et dépens nécessaires des plaignants et les frais de la procédure, si le tribunal a tenu des débats le mettant en mesure de statuer (Entscheidungsreife). Sur la base de ces considérations, la Cour constitutionnelle a annulé trois des cinq décisions attaquées, tandis que dans la première des trois affaires elle a rejeté le recours car l’inculpé avait eu la parole le dernier lors des audiences. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 14 juin 1982 à la Commission (no 9912/82), M. Lutz invoquait l’article 6 §§ 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention: le tribunal cantonal n’avait pas statué dans un "délai raisonnable" et la décision sur les frais se heurtait au principe de la présomption d’innocence, les motifs constituant une "condamnation déguisée". Le 9 juillet 1985, la Commission a déclaré la requête irrecevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 (art. 6-1) (défaut manifeste de fondement); elle l’a retenue pour le reste. Dans son rapport du 18 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle estime par sept voix contre cinq qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 (art. 6-2). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire du 13 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour "à dire que l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ne s’applique pas en l’espèce et que la Cour ne peut connaître du fond de l’affaire, la requête étant incompatible avec les dispositions de la Convention; à titre subsidiaire que la République fédérale d’Allemagne n’a pas enfreint l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme." Il a confirmé ses conclusions à l’audience du 23 février 1987.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE De nationalité allemande, Mme Martha Nölkenbockhoff est la veuve et l’héritière de M. Theodor Nölkenbockhoff, décédé le 13 novembre 1981. Elle habite à Selm-Bork. Son mari était cadre supérieur dans un holding, la Stumm AG, dont les activités commerciales concernaient entre autres le fer et l’acier, les carburants et les combustibles. Entré dans cette entreprise le 1er juillet 1967, il y occupa par la suite des positions-clés. Le 25 octobre 1974, la Stumm AG cessa ses paiements et demanda au tribunal cantonal (Amtsgericht) d’Essen d’ouvrir une procédure de concordat (Vergleichsverfahren). Le 13 novembre 1974, M. Nölkenbockhoff fut arrêté en vertu d’un mandat délivré par le tribunal cantonal d’Essen le 11 novembre; on le soupçonnait notamment d’avoir enfreint la législation sur la faillite. Il en alla de même d’autres cadres supérieurs de la société. Le 17 mai 1976, l’acte d’accusation, long de 489 pages, fut notifié au mari de la requérante et à quatre coïnculpés. Les débats commencèrent le 29 octobre 1976 devant la 6e chambre criminelle (6. Grosse Strafkammer) du tribunal régional (Landgericht) d’Essen. Ils durèrent jusqu’au 11 juillet 1980, à raison de deux ou trois audiences par semaine. Le tribunal entendit des centaines de témoins et donna lecture de plusieurs milliers de documents. Deux avocats, dont un nommé d’office, défendirent M. Nölkenbockhoff. Le 11 juillet 1980, le tribunal régional rendit son jugement qui compte 579 pages. Il déclara l’intéressé coupable, en particulier, de plusieurs actes d’abus de confiance (Untreue), de banqueroute (Bankrott) et d’escroquerie (Betrug), et lui infligea huit ans d’emprisonnement. Les quatre coaccusés se virent également condamner à une telle peine: deux, pour des infractions plus ou moins identiques et quelques délits supplémentaires, à neuf ans et neuf mois et à huit ans et six mois respectivement; les deux autres, pour complicité, à quatre ans et trois mois chacun. Pour une série de chefs d’accusation d’escroquerie, le tribunal arrêta la procédure en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessous); il acquitta le mari de la requérante et deux de ses coaccusés sur certains autres points. En fixant les peines, le tribunal admit comme circonstances atténuantes la longueur de la procédure et, dans le cas de M. Nölkenbockhoff, les quelque trois années passées en détention provisoire; il imputa cette période sur la durée de la peine. Le mari de la requérante se pourvut en cassation le jour même du prononcé du jugement. Après en avoir reçu le texte le 5 octobre 1981, il présenta, le 19 octobre, un mémoire ampliatif de 735 pages, accompagné de 94 annexes. Lorsqu’il mourut le 13 novembre, la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) n’avait pas encore statué, de sorte que la procédure le concernant prit fin sans décision sur son pourvoi. Trois des coaccusés, qui avaient également attaqué le jugement du tribunal régional, retirèrent plus tard leur recours; quant au pourvoi du quatrième, M. M., la Cour fédérale le rejeta le 7 juillet 1982 pour défaut manifeste de fondement. Arrêté et placé en détention provisoire le 13 novembre 1974 (paragraphe 12 ci-dessus), M. Nölkenbockhoff avait recouvré sa liberté sous caution à la fin de mars 1977 pour subir une opération du canal biliaire. Appréhendé à nouveau le 21 février 1979, il fut élargi par la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Hamm le 23 mars 1979: d’après elle, il n’y avait pas de motif valable pour annuler la décision de mars 1977 qui avait ordonné de surseoir à l’exécution du mandat. Le 30 avril 1980, le tribunal régional d’Essen décida derechef l’arrestation, cette fois-ci de tous les accusés: comme le ministère public avait terminé son réquisitoire en demandant des peines sévères, le tribunal estima que les mesures adoptées pour empêcher la fuite des intéressés ne suffisaient plus. Le 26 juin 1981, M. Nölkenbockhoff fut remis en liberté pour des raisons de santé. Par un mémoire du 1er décembre 1981, la requérante sollicita, en qualité de seule héritière de feu son mari, l’imputation au Trésor des frais et dépens nécessaires (notwendige Auslagen) de ce dernier en ce qui concernait sa condamnation par le tribunal régional, ainsi que le versement à la succession d’une indemnité pour sa détention provisoire. En ordre subsidiaire, elle pria le tribunal régional d’attendre, pour se prononcer, que la Cour fédérale de Justice eût statué sur le pourvoi du coaccusé M. M. Le tribunal la débouta le 5 mars 1982 par une décision ainsi conçue: "(...) Les demandes sont recevables (...) mais mal fondées. Quand une procédure prend fin par le décès de l’accusé, les frais et dépens nécessaires de celui-ci incombent en principe au Trésor, mais il doit en aller autrement si, abstraction faite de cet obstacle de procédure, on pouvait escompter presque à coup sûr la condamnation, ou le maintien de la condamnation, de l’intéressé (wenn es bei Wegdenken des Verfahrenshindernisses annähernd sicher zu erwarten war, dass es zur Verurteilung des Angeklagten gekommen bzw. bei einer Verurteilung geblieben wäre). Tel est le cas ici. L’accusé avait déjà été condamné à titre non définitif après une vaste instruction menée par la chambre au cours de débats (Hauptverhandlung) de plus de trois ans et demi. Le jugement contre les trois coaccusés (...), eux aussi condamnés à des peines privatives de liberté de plusieurs années, est passé en force de chose jugée. Le coaccusé M. persiste dans son pourvoi. L’argumentation du mémoire ampliatif de la défense ne donne pas à penser que l’accusé aurait été acquitté si la procédure avait continué. Les moyens de forme invoqués (formelle Rügen) - à les supposer justifiés - n’auraient de l’importance pour la décision à prendre en l’espèce que si l’on devait s’attendre, en cas de nouveaux débats, à un autre verdict, à savoir un acquittement. Or la circonstance que [trois des] accusés (...) ont retiré leur pourvoi, confirmant par là même le jugement prononcé contre eux, plaide de manière décisive pour le bien-fondé (materielle Richtigkeit) du jugement rendu. Quant au moyen de fond (materielle Rüge), l’exposé de la défense n’étaye pas davantage l’hypothèse d’une procédure débouchant sur un acquittement. Les citations du jugement de la chambre sont isolées de leur contexte, n’embrassent pas les considérations (Erörterungen) ultérieures figurant dans les motifs du jugement et ne correspondent donc pas à l’appréciation globale de l’affaire par la chambre. Pour les mêmes raisons, le tribunal n’accorde pas d’indemnité pour la détention provisoire subie, conformément à l’article 6 § 1, no 2, de la loi sur la réparation du chef de poursuites pénales (Gesetz über die Entschädigung für Strafverfolgungsmassnahmen) [paragraphe 26 ci-dessous]. Pour autant que la procédure a été provisoirement arrêtée en vertu de l’article 154 du code de procédure pénale [paragraphe 23 ci-dessous], il n’y a pas non plus lieu d’imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires de l’accusé car d’après les motifs du jugement une condamnation de l’accusé sur les points en question aurait été beaucoup plus probable, vu la situation économique défavorable du holding Stumm, en cas de continuation de la procédure (weil nach den Ausführungen im Urteil es bei der ungünstigen wirtschaftlichen Situation des Stummkonzerns bei einer Fortsetzung des Verfahrens wesentlich wahrscheinlicher war, dass es insoweit zu einer Verurteilung des Angeklagten gekommen wäre). Dans ces conditions, la chambre n’estime pas indiqué d’attendre, pour se prononcer sur les demandes du défenseur, la décision relative au pourvoi de l’accusé M. (...)." La requérante attaqua ladite décision devant la cour d’appel de Hamm le 11 mars 1982. Dans un mémoire du 18 mars, elle reprocha notamment au tribunal régional d’avoir relevé qu’abstraction faite du décès de son mari, "on pouvait escompter presque à coup sûr la condamnation, ou le maintien de la condamnation ", de ce dernier. Elle tenait cette affirmation pour fausse et contraire à la Loi fondamentale (Grundgesetz) ainsi qu’aux articles 5 (paragraphes 1 et 3) et 6 (paragraphes 1 et 2) de la Convention (art. 5-1, art. 5-3, art. 6-1, art. 6-2). Le tribunal aurait conféré post mortem à la condamnation "la force de la chose jugée", ce qui lésait la requérante, en sa qualité de veuve de l’accusé, dans les droits invoqués par elle et en particulier enfreignait l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention. On voulait en quelque sorte, par la "porte dérobée" d’une décision sur les frais, condamner le défunt à titre irrévocable (abschliessend) sans qu’un jugement définitif (rechtskräftig) eût constaté ses actes prétendument punissables. Le tribunal régional aurait aussi violé la présomption d’innocence en déclarant que les moyens présentés à l’appui du pourvoi ne permettaient pas de s’attendre à un acquittement. Il aurait dû à la rigueur décider, après un examen sommaire, que le pourvoi avait des chances de succès, ou s’abstenir d’exprimer une opinion. Voilà précisément pourquoi la requérante lui aurait demandé de surseoir, le cas échéant, jusqu’à l’arrêt de la Cour fédérale de Justice dans la procédure de cassation engagée par l’un des coaccusés. Le tribunal aurait préjugé de la décision de ladite Cour en concluant que le moyen de fond avancé par la défense n’étayait pas davantage l’hypothèse d’un acquittement: il devait savoir que des éléments essentiels du pourvoi de M. Nölkenbockhoff se retrouvaient dans celui du coaccusé M. La requérante souligna en outre que son mari avait nié dès le début avoir commis des infractions et avait été acquitté de plusieurs chefs d’accusation. Eu égard, entre autres, à l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention, il fallait donc partir de l’idée que de nouveaux débats auraient abouti à son acquittement intégral. Le droit pénal reposant sur le principe de la culpabilité individuelle, il était tout simplement inadmissible - et une fois de plus contraire à l’article 6 § 2 (art. 6-2) - de tirer argument du comportement de trois des coaccusés pour juger le défunt. Du reste, leur désistement ne pouvait s’interpréter comme un aveu; leurs responsabilités au sein de la Stumm AG différaient d’ailleurs de celles de M. Nölkenbockhoff. Le parquet de Bochum et le parquet général (Generalstaats- anwaltsschaft) près la cour d’appel de Hamm, auxquels le recours (sofortige Beschwerde) avait été communiqué pour observations éventuelles, en demandèrent le rejet. Le premier estima, le 28 décembre 1981, que vu l’état de la procédure la condamnation aurait très vraisemblablement (hohe Wahrscheinlichkeit) été confirmée. Le parquet général se prononça le 11 juin 1982. Selon lui, une appréciation de l’issue probable de la procédure (Prüfung des mutmasslichen Verfahrensausgangs), tenant compte des motifs du jugement du tribunal régional d’Essen et des moyens du pourvoi, ne pouvait mener qu’à une conclusion : on pouvait et devait supposer que si les poursuites avaient continué l’accusé serait demeuré condamné. Aux yeux du parquet général, le résultat de l’instance en cassation engagée par le coaccusé M. devant la Cour fédérale de Justice et encore pendante revêtirait une certaine importance pour supputer l’issue probable de la procédure concernant M. Nölkenbockhoff: celui-ci, d’après ledit jugement, avait commis ses diverses infractions de concert (Mittäterschaft) avec M. La requérante, qui avait reçu communication des observations des parquets, y répondit le 6 juillet 1982. Elle affirma notamment qu’il existait entre M. et son mari de grandes différences quant aux reproches formulés contre eux, à leur comportement respectif et aux moyens invoqués par eux; elle en voulait pour preuve l’acte d’accusation, le jugement de condamnation et les pourvois des intéressés. La cour d’appel de Hamm rejeta le recours le 14 juillet 1982. Elle laissa ouverte la question de savoir si en cas de décès de l’accusé avant la clôture définitive (rechtskräftiger Abschluss) d’une procédure pénale, une décision du genre de celle que sollicitait Mme Nölkenbockhoff pouvait se prendre, par analogie, en vertu des articles 467 § 1 du code de procédure pénale et 6 § 1 no 2 de la loi sur la réparation du chef de poursuites pénales (paragraphes 24-26 ci-dessous). Et d’ajouter: "Même si l’on admet la possibilité (Zulässigkeit) de telles décisions, l’appréciation de l’issue probable du procès, à laquelle il faut se livrer dans les deux cas, conduit à conclure que la continuation des poursuites jusqu’à une décision définitive aurait presque certainement (mit annähernder Sicherheit) débouché sur le maintien de la condamnation de l’ancien accusé. Pour éviter des répétitions, il est renvoyé aux motifs judicieux (zutreffend) de la décision attaquée. Il y a lieu d’indiquer à titre complémentaire qu’entre temps la Cour fédérale de Justice a rejeté le 7 juillet 1982, pour défaut manifeste de fondement (...), le pourvoi du coaccusé M. Cette circonstance revêt une importance particulière pour l’évaluation des chances de succès qu’aurait eues le pourvoi de (...) M. Nölkenbockhoff: [ce dernier,] d’après les motifs du jugement du 11 juillet 1980, a commis conjointement avec (...) M. les infractions qui lui ont valu sa condamnation en première instance. (...)." Le 2 septembre 1982, la cour d’appel rejeta des objections (Gegenvorstellungen) que la requérante avait déposées contre l’arrêt du 14 juillet 1982. Mme Nölkenbockhoff saisit alors la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht); elle dénonçait la violation des articles 1 § 1 (protection de la dignité de l’homme), 14 § 1 (droit de propriété) et 20 § 3 (principe de l’État de droit) de la Loi fondamentale. Statuant en comité de trois juges, la Cour constitutionnelle décida, le 30 septembre 1982, de ne pas retenir le recours; elle l’estima dénué de chances suffisantes de succès, par les motifs suivants: "1. La présomption d’innocence, qui repose sur le principe de l’État de droit, interdit de traiter comme coupable une personne non définitivement (rechtskräftig) condamnée. Elle n’exige pas pour autant d’ordonner le remboursement des frais chaque fois que la procédure se termine sans établissement de la culpabilité (Schuldnachweis) (...). Le rejet des demandes tendant à voir imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires de l’accusé décédé se fonde sur l’article 467 § 3, alinéa 2, deuxième phrase, no 2, du code de procédure pénale, la décision relative à la demande d’indemnité sur l’article 6 § 1 no 2 de la loi sur la réparation du chef de poursuites pénales. Les deux textes - dont la constitutionnalité ne soulève pas de doutes - confèrent au tribunal une marge d’appréciation. Rien ne montre que les juridictions en aient usé de manière contraire à la Constitution. a) Certes, les décisions attaquées émettent un pronostic sur le résultat probable auquel eût abouti la poursuite de la procédure. Pareille évaluation implique cependant un constat non de culpabilité, mais seulement de la persistance d’un état de suspicion (Eine derartige Einschätzung enthält indessen nicht die Feststellung einer Schuld, sondern lediglich die Feststellung einer fortbestehenden Verdachtslage). Elle ne se heurte donc pas à la présomption d’innocence. b) Le pronostic sur l’issue de la procédure ne révèle pas non plus d’arbitraire: aa) Ni les défauts incriminés (...) du jugement de condamnation, ni les moyens du pourvoi en cassation n’autorisent à trouver indéfendable la conclusion que les décisions attaquées ont estimé improbable un acquittement pour chacun des actes au sujet desquels l’accusé décédé a été condamné. Cela seul entrait en ligne de compte pour la décision relative aux frais. La mention, par les juridictions, de l’échec du pourvoi du coaccusé M. et du retrait de ceux des autres coaccusés, doit manifestement s’analyser comme un simple argument supplémentaire sur lequel les décisions litigieuses ne se fondent pas. bb) Les moyens du recours constitutionnel ne prouvent pas davantage que l’on ne puisse plus comprendre l’opinion du tribunal régional selon laquelle, en cas de poursuite de la procédure, il eût fallu escompter une condamnation, plutôt qu’un acquittement, [quant au chef d’accusation ayant donné lieu à une décision provisoire de clôture] (...). (...)." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT D’après l’article 154 du code de procédure pénale, appliqué par le tribunal régional d’Essen dans son jugement du 11 juillet 1980: "1. Le ministère public peut s’abstenir de poursuivre (1) si la peine ou la mesure de correction et de sûreté auxquelles peuvent aboutir les poursuites, ne pèse pas bien lourd en comparaison d’une peine, ou d’une mesure de correction et de sûreté, infligée à l’inculpé par décision définitive - ou à laquelle il devait s’attendre - pour une autre infraction (...) (...) Après la mise en accusation, le tribunal peut à tout stade de la procédure arrêter celle-ci provisoirement à la demande du ministère public. (...)." Aux termes de l’article 464 du code de procédure pénale, tout jugement, ordonnance pénale ou décision mettant fin à une procédure doit déterminer à qui incomberont les frais de la procédure (paragraphe 1); le jugement ou la décision sur lesquels débouche la procédure tranche la question de l’imputation des frais et dépens nécessaires (paragraphe 2). L’article 467 du code de procédure pénale précise ce qui suit: "1. En cas d’acquittement de l’accusé (Angeschuldigter), de refus d’ouvrir la procédure principale (Hauptverfahren) ou d’arrêt des poursuites, les frais de la procédure et les frais et dépens nécessaires de l’accusé sont à la charge du Trésor. (...) (...) Le tribunal peut s’abstenir d’imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires de l’accusé si ce dernier (...) (2) n’est pas condamné, grâce uniquement à un obstacle de procédure (Verfahrenshindernis). Si le tribunal arrête la procédure en vertu d’une disposition qui lui en laisse la faculté, il peut s’abstenir de mettre à la charge du Trésor les frais et dépens nécessaires de l’accusé. (...)." Dans la mesure où la loi ne prescrit pas le remboursement des frais et dépens nécessaires, les juridictions statuent en équité; elles jouissent à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. La mort d’un condamné avant l’arrêt définitif de la procédure la termine sans qu’il y faille une décision du tribunal compétent; en pareil cas, les frais de la procédure ne peuvent être mis à la charge de la succession (article 465 § 3 du code de procédure pénale). En ce qui concerne les frais et dépens nécessaires de l’intéressé et son indemnisation pour la détention provisoire qu’il peut avoir subie, la pratique des juridictions allemandes variait à l’époque des faits de la cause. Certaines d’entre elles estimaient exclue toute indemnisation, d’autres - tel en l’espèce le tribunal régional d’Essen - appliquaient les dispositions pertinentes du code de procédure pénale et de la loi sur la réparation du chef de poursuites pénales. Le 3 octobre 1986, la Cour fédérale de Justice a décidé qu’en l’absence de base légale, les frais et dépens nécessaires d’un accusé, décédé avant que le jugement de condamnation soit devenu définitif, ne peuvent être imputés au Trésor. Selon l’article 2 § 1 de la loi du 8 mars 1971 sur la réparation du chef de poursuites pénales, toute personne lésée par sa mise en détention provisoire est indemnisée par le Trésor en cas d’acquittement ou d’arrêt de la procédure engagée contre elle. La règle souffre cependant des exceptions, dont celle que ménage l’article 6 § 1 no 2: "1. Le dédommagement peut être refusé en tout ou partie si l’inculpé (...) (2) n’est pas condamné pour une infraction, ou si les poursuites sont abandonnées, pour la seule raison (...) qu’il existait un obstacle de procédure." D’après l’article 8, le tribunal compétent se prononce sur l’indemnisation dans le jugement ou dans la décision qui met fin à la procédure. La Cour constitutionnelle fédérale a récemment précisé la portée du principe de la présomption d’innocence dans le cas de pareille décision. Par un arrêt (Beschluss) du 26 mars 1987, elle a en effet annulé, comme contraires audit principe, deux décisions de tribunaux cantonaux et une décision de tribunal régional qui, ayant estimé insignifiante (gering) la culpabilité des inculpés, avaient clos des poursuites privées engagées contre eux mais leur avaient imposé les frais de la procédure, y compris les frais et dépens des plaignants (affaires 2 BvR 589/79, 2 BvR 740/81 et 2 BvR 284/85, Europäische Grundrechte-Zeitschrift 1987, pp. 203-209). Elle a jugé incompatible avec la présomption d’innocence de parler, dans les motifs d’une décision de clôture, de la culpabilité de l’inculpé ou de fonder une décision relative aux frais et dépens sur la supposition (Annahme) qu’il a commis une infraction si les débats n’ont pas atteint le stade du jugement (Schuldspruchreife). Relevant que le principe de la présomption d’innocence découle de celui de l’État de droit, elle a cité en outre l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention: cette dernière n’aurait pas rang de droit constitutionnel en République fédérale, mais il y aurait lieu d’avoir égard à elle et à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme pour interpréter les droits fondamentaux et les principes consacrés par la Loi fondamentale (Grundgesetz). Confirmant sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle a rappelé ensuite que le principe de la présomption d’innocence interdit de prendre contre l’inculpé, sans que sa culpabilité ait été établie au préalable au cours d’une procédure régulière, des mesures équivalant par leurs effets à une peine et de le traiter en coupable. Il exige, a-t-elle ajouté, l’établissement légal de la culpabilité avant que celle-ci puisse être invoquée contre l’intéressé. Un constat de culpabilité ne serait donc légitime que s’il intervient à l’issue de débats ayant atteint le stade du jugement. Se référant à l’arrêt Minelli du 25 mars 1983 (série A no 62), la Cour constitutionnelle a déclaré qu’une décision de clôture des poursuites pénales peut méconnaître la présomption d’innocence si, dans ses motifs, elle constate la culpabilité de l’inculpé sans que celle-ci ait été légalement établie. En revanche, rien n’empêcherait d’y consigner des constatations relatives à la culpabilité de l’intéressé, ni d’imposer à celui-ci les frais et dépens nécessaires des plaignants et les frais de la procédure, si le tribunal a tenu des débats le mettant en mesure de statuer (Entscheidungsreife). Sur la base de ces considérations, la Cour constitutionnelle a annulé trois des cinq décisions attaquées, tandis que dans la première des trois affaires elle a rejeté le recours car l’inculpé avait eu la parole le dernier lors des audiences. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Introduite le 7 février 1983, la requête (no 10300/83) émanait à l’origine tant de Mme Nölkenbockhoff que de son conseil, Me Bergemann. La première se plaignait de la durée de la détention provisoire de son mari et de celle du procès mené contre lui; elle invoquait les articles 5 § 3 et 6 § 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention. Le second se prétendait victime d’une violation de l’article 6 § 3 (art. 6-3): des poursuites pénales auraient été engagées contre lui pour intimider la défense de M. Nölkenbockhoff. Les requérants alléguaient enfin une atteinte à la présomption d’innocence que consacre l’article 6 § 2 (art. 6-2), en raison des motifs par lesquels le tribunal régional d’Essen et la cour d’appel de Hamm avaient refusé d’accorder une indemnité du chef de la détention provisoire de M. Nölkenbockhoff et d’imputer au Trésor les frais et dépens nécessaires de ce dernier. Le 12 décembre 1984, la Commission a retenu le grief soulevé par Mme Nölkenbockhoff sur le terrain de l’article 6 § 2 (art. 6-2); elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 9 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu infraction à l’article 6 § 2 (art. 6-2). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LES COMPARANTS Dans son mémoire du 17 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour "à dire qu’elle ne peut connaître du fond de l’affaire parce que la requérante n’est pas ‘victime’ au sens de l’article 25 (art. 25) de la Convention; subsidiairement, qu’il n’y a pas violation de l’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention". De son côté, la requérante a invité la Cour, dans son mémoire du 1er juillet 1986, à déclarer: "1. L’article 6 § 2 (art. 6-2) de la Convention européenne des Droits de l’Homme est violé par la décision du tribunal régional d’Essen, du 5 mars 1982, et l’arrêt de la cour d’appel de Hamm, du 14 juillet 1982. L’État défendeur doit rembourser à la requérante les frais et dépens exposés dans la procédure. L’État défendeur doit accorder à la requérante une satisfaction équitable dont le montant est laissé à l’appréciation de la Cour." Les comparants ont confirmé leurs conclusions lors des audiences du 23 février 1987.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen belge né en 1929, le requérant est docteur en droit et réside à Anvers. Rayé du tableau de l’Ordre des avocats de cette ville, il a en vain demandé par deux fois sa réinscription. La radiation du tableau de l’Ordre des avocats d’Anvers En 1957, au terme de son stage réglementaire d’avocat stagiaire au barreau d’Anvers, H. figura sur le tableau et ouvrit un cabinet. En mai 1963, le conseil de l’Ordre le poursuivit par la voie disciplinaire pour avoir, de propos délibéré, donné de faux renseignements à des clients. Le 10 juin 1963, il le raya du tableau: il avait acquis la conviction que l’intéressé avait à tort fait croire à un client que ce dernier risquait d’être arrêté s’il ne versait pas immédiatement une somme de 20.000 FB. Auparavant, le conseil avait écarté les autres accusations dirigées contre H. Sur recours de celui-ci, la cour d’appel de Bruxelles confirma la sentence par un arrêt du 31 décembre 1963; le 22 juin 1964, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Poursuivi pour fraude et port irrégulier du titre d’avocat, H. resta en détention préventive du 2 juillet au 2 août 1965 et un grand nombre de ses dossiers furent saisis. Le tribunal correctionnel d’Anvers l’acquitta le 19 janvier 1968. H. s’efforça sans succès d’obtenir une indemnité. En 1970, le requérant s’installa comme conseiller juridique et fiscal après avoir travaillé quelque temps en qualité de représentant de commerce. Le 25 février 1977, alors qu’il s’apprêtait à solliciter sa réinscription au tableau de l’Ordre des avocats, la police judiciaire opéra une nouvelle saisie dans ses bureaux. Le 29 novembre 1978, la chambre du conseil près le tribunal de première instance d’Anvers le renvoya devant le tribunal correctionnel du chef de faux en écriture et abus de confiance, mais les poursuites débouchèrent sur un jugement d’acquittement le 18 octobre 1979. H. n’a jamais subi de condamnation pénale. Les demandes de réinscription au tableau de l’Ordre des avocats d’Anvers a) Première demande Par une lettre du 3 décembre 1979, le requérant demanda au conseil de l’Ordre des avocats d’Anvers de le réinscrire au tableau de l’Ordre. Il s’appuyait sur l’article 471 du code judiciaire (paragraphe 30 ci-dessous). Le 17 décembre, lors d’une séance dudit conseil, le bâtonnier désigna un rapporteur. Après en avoir délibéré les 7 et 28 janvier 1980, le conseil décida d’entendre l’intéressé ainsi que son défenseur. L’audition eut lieu le 18 février. Selon l’avocat de H., les "circonstances exceptionnelles" justifiant la réinscription consistaient pour l’essentiel dans les grandes difficultés professionnelles et familiales auxquelles son client s’était heurté au cours des quinze dernières années, en particulier la nécessité de se cantonner à sa profession de conseiller juridique et fiscal; en outre, la radiation n’avait eu aucun prolongement pénal et les poursuites ultérieures avaient abouti à des acquittements. Le conseil de l’Ordre rejeta la demande le même jour: si plus de dix ans s’étaient écoulés depuis la radiation, les explications fournies oralement par le défenseur de H. ne révélaient pas des circonstances exceptionnelles de nature à entraîner la réinscription. b) Seconde demande Le requérant réitéra sa demande le 9 février 1981. Il y joignait un mémorandum critiquant la sentence de 1963 et accompagné d’une consultation du procureur général émérite B. Selon l’ancien magistrat, le conseil de l’Ordre aurait dû, en application de l’article 29 du code d’instruction criminelle, dénoncer au procureur du Roi d’Anvers les faits reprochés à l’intéressé, ce qui aurait impliqué la suspension de l’instance disciplinaire jusqu’à la décision pénale définitive. Le conseil de l’Ordre entendit H. et son avocat le 21 avril 1981. Le défenseur rappela que la décision de radiation se fondait sur le seul témoignage d’un client du requérant et que ce dernier avait, de 1963 à 1980, fort bien géré son cabinet de consultation juridique et fiscale. Il ajouta qu’en 1963 le conseil de l’Ordre n’avait pas dénoncé les faits au parquet, de sorte que H. n’avait pas eu la chance, faute de poursuites, d’obtenir un jugement d’acquittement. Il souligna en outre les difficultés familiales de l’intéressé. D’autre part, il déposa une note dans laquelle le requérant expliquait pourquoi le procureur général émérite B. était habilité à lui donner une consultation. Le conseil de l’Ordre repoussa la demande à l’issue de sa séance du 11 mai 1981: H. n’avait pas prouvé l’existence de circonstances exceptionnelles; spécialement, les conséquences de la radiation ne constituaient pas de telles circonstances. En ce qui concerne le mémorandum du 9 février 1981 (paragraphe 20 ci-dessus), il répondit que le procureur général du ressort connaissait les faits avant le prononcé de la sentence et avait ordonné d’ouvrir une information judiciaire. La décision fut notifiée au requérant le 16 juin 1981. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE En Belgique, seuls les conseils de l’Ordre des avocats ont compétence pour statuer sur les demandes de réinscription au tableau. Le conseil de l’Ordre des avocats Pour chacun des barreaux, le conseil de l’Ordre est, avec le bâtonnier et l’assemblée générale, un organe d’administration de la profession d’avocat. Il se compose d’un bâtonnier et de deux à seize autres membres, selon le nombre des avocats inscrits au tableau de l’Ordre des avocats et sur la liste des stagiaires; celui d’Anvers en compte seize, en sus du bâtonnier. Les membres sont élus directement par l’assemblée de l’Ordre, à laquelle se voient convoqués tous les avocats inscrits au tableau (article 450 du code judiciaire). Le vote a lieu avant la fin de chaque année judiciaire. Le conseil exerce de multiples fonctions de nature administrative, réglementaire, contentieuse, consultative ou disciplinaire selon le cas. Il suffit en l’espèce de mentionner les suivantes. Aux termes de l’article 432 du code judiciaire de 1967, qui a consacré la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière (arrêt du 15 janvier 1920, Pasicrisie 1920, I, p. 24), il dresse - sans appel - le tableau de l’Ordre et la liste des stagiaires. Ce principe de la maîtrise du tableau se justifie par la nécessité de réserver l’accès de la profession à des individus d’une moralité irréprochable. Il lui incombe aussi de "sauvegarder l’honneur de l’Ordre" et de "maintenir les principes de dignité, de probité et de délicatesse qui font la base de la profession" (article 456). Par la voie disciplinaire, il réprime "les infractions et les fautes" (même article). Il connaît de ce type d’affaires "à l’intervention du bâtonnier, soit d’office, soit sur plainte, soit sur dénonciations écrites du procureur général" (article 457). Cité dans les quinze jours par lettre recommandée, l’avocat concerné obtient, s’il le demande, un délai pour préparer sa défense (article 465). Dans les huit jours du prononcé de la sentence, la notification a lieu par lettre recommandée au procureur général et à l’avocat (article 466). Les peines que peut infliger le conseil sont pour l’essentiel l’avertissement, la censure, la réprimande, la suspension pendant au maximum une année et la radiation du tableau ou de la liste des stagiaires (article 460). L’avocat a la faculté de former opposition (article 467) et, comme le procureur général, d’interjeter appel (article 468). A l’époque des faits de la cause (paragraphe 11 ci-dessus), l’examen du second des recours relevait de la cour d’appel (article 29 du décret impérial du 14 décembre 1810 contenant règlement sur l’exercice de la profession d’avocat et la discipline du barreau); il ressortit aujourd’hui au conseil de discipline d’appel, composé du premier président de la cour d’appel, qui préside, et de quatre avocats en qualité d’assesseurs (article 473 du code judiciaire). Les décisions prises en la matière par les cours d’appel pouvaient faire l’objet d’une demande en cassation (article 15 § 1 de la loi du 4 août 1832 organique de l’ordre judiciaire). Il en va de même à présent pour les décisions des conseils d’appel (article 614 § 1 du code judiciaire). La réinscription au tableau de l’Ordre des avocats après radiation La réinscription d’un avocat rayé du tableau se trouve régie par l’article 471 du code judiciaire: "Aucun avocat rayé ne peut être inscrit à un tableau de l’Ordre ou porté sur une liste de stagiaires qu’après l’expiration d’un délai de dix ans depuis la date où la décision de radiation est passée en force de chose jugée et si des circonstances exceptionnelles le justifient. L’inscription n’est permise qu’après avis motivé et conforme du conseil de l’Ordre du barreau auquel l’avocat appartenait ou, le cas échéant, moyennant l’autorisation de la juridiction disciplinaire d’appel du ressort, si la radiation a été prononcée par elle. Le refus d’inscription n’est pas susceptible d’appel." Ce texte reprend à peu de chose près l’article 1 d’une résolution adoptée le 13 février 1962 par le conseil de l’Ordre de Bruxelles; elle atténuait le caractère perpétuel de la radiation et se lisait ainsi: "Le conseil de l’Ordre peut (...) réinscrire au barreau, à sa demande, un avocat rayé. Cette mesure, qui a un caractère exceptionnel et dont l’opportunité est appréciée souverainement par le conseil eu égard à l’intérêt supérieur de l’Ordre et à l’amendement manifeste de l’intéressé, n’est permise qu’après l’expiration d’un délai de dix ans depuis le moment où la peine de la radiation encourue est devenue définitive. Le conseil se prononce d’après les formes et modalités prévues par l’article 32 du règlement d’ordre intérieur, comme en matière d’admission au stage. (...)" Bien que l’article 471 du code judiciaire constitue la dernière disposition du livre III ("Du barreau"), titre premier ("Dispositions générales"), chapitre IV ("De la discipline"), le conseil de l’Ordre n’applique pas la procédure disciplinaire (articles 465-469) lorsqu’il se trouve appelé à statuer sur une demande de réinscription au tableau; sa décision ne revêt d’ailleurs pas un caractère disciplinaire (Cass. 18 mars 1965, Pasicrisie 1965, I, p. 734). La loi ne prescrit pas de règles déterminées; quant à un règlement intérieur, le barreau d’Anvers n’en possédait pas à l’époque considérée. En principe, le conseil se prononce de la même manière et dans les mêmes formes que sur une demande d’admission. Selon les indications non contestées fournies par le Gouvernement, on a enregistré en Belgique 47 radiations depuis l’entrée en vigueur du code judiciaire le 10 octobre 1967. Sur les cinq demandes de réinscription introduites par des avocats sanctionnés, trois ont abouti (barreaux d’Audenarde, Charleroi et Courtrai). Le barreau d’Anvers, lui, n’a eu à connaître que de celles, infructueuses, du requérant. Aucune des décisions en cause n’est accessible au public. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION H. a saisi la Commission le 20 mars 1980 (requête no 8950/80). Il alléguait que la procédure suivie par le conseil de l’Ordre des avocats d’Anvers pour examiner ses demandes de réinscription au barreau avait enfreint l’article 6 (art. 6) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 16 mai 1984. Dans son rapport du 8 octobre 1985 (article 31) (art. 31), elle formule, par dix voix contre deux, l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) en ce que l’intéressé n’a pu faire entendre sa cause par un tribunal au sens de cette disposition. Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Lors des audiences du 24 novembre 1986, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à "dire pour droit que les faits de la présente cause ne révèlent, de la part de l’État belge, aucune violation des obligations qui lui incombent aux termes de la Convention européenne des Droits de l’Homme."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Torsten Leander, citoyen suédois né en 1951, exerce le métier de charpentier. Le 20 août 1979, il commença de travailler comme remplaçant à un poste de technicien (vikarierande museitekniker) au musée naval de Karlskrona, dans le sud de la Suède. Le musée jouxte la base navale de Karlskrona, zone militaire interdite. Le requérant a soutenu devant la Cour qu’il devait occuper cet emploi dix mois, pendant que le titulaire se trouvait en congé, mais dès le 3 septembre on l’aurait invité à le quitter en attendant le résultat d’une enquête à mener à son sujet en vertu de l’ordonnance de 1969 sur le contrôle du personnel (personalkontrollkungörelsen 1969:446, l’"ordonnance", paragraphes 18-34 ci-dessous). Selon lui, elle avait été demandée le 9 août 1979. D’après le Gouvernement, M. Leander ne travailla que du 20 au 31 août 1979, comme l’indique une note signée le 27 août 1979 par le directeur du musée. Son engagement aurait découlé de deux erreurs de celui-ci. Premièrement, il n’était pas conforme à la procédure prescrite dans l’ordonnance et son règlement d’application d’embaucher quelqu’un avant une enquête le concernant. Deuxièmement, la vacance du poste n’avait pas été correctement notifiée. Cette lacune fut réparée le 30 août 1979. Le délai de dépôt des candidatures expirait le 28 septembre 1979; le requérant ne présenta pas la sienne. Il appert que le directeur l’avisa, le 25 septembre, que l’enquête avait abouti à une conclusion défavorable empêchant de l’employer au musée. Sur le conseil du chef de la sécurité de la base navale, M. Leander écrivit au commandant en chef de la marine (chefen för marinen) afin de connaître les raisons de cette impossibilité. Dans la réponse du commandant en chef, datée du 3 octobre 1979, on lisait notamment ceci: "Le musée possède plusieurs entrepôts et objets historiques dans le secteur dont le chef de la base navale (örlogsbaschefen) garantit la sécurité. Selon les renseignements communiqués au commandant en chef de la marine, le titulaire du poste en question doit pouvoir circuler librement dans les zones soumises à des restrictions spéciales d’accès. Les règles d’accès à ces zones doivent donc s’appliquer aussi au personnel du musée. Voilà pourquoi le chef de la base navale a demandé une enquête à votre sujet. Elle a fourni sur vous au commandant en chef des éléments d’appréciation tels, du point de vue de la sécurité, qu’il a été décidé de ne pas vous accepter. Toutefois, si vos fonctions au musée naval n’exigent pas l’accès aux installations navales de la base, le commandant en chef n’aperçoit pas de raison de s’opposer à votre engagement. Il faut noter que la décision de vous embaucher ou non relève d’une procédure distincte de la présente." Le 22 octobre 1979, l’intéressé se plaignit au gouvernement, l’invitant à annuler l’appréciation du commandant en chef de la marine et à le déclarer apte à occuper l’emploi temporaire au musée naval, quelle que fût la possibilité de l’y réintégrer. Il affirmait en particulier avoir quitté un poste permanent à Dalarna, dans le nord de la Suède, lorsqu’il avait appris son engagement au musée naval; le résultat négatif de l’enquête risquait de le plonger dans la gêne, d’autant qu’il devait entretenir sa femme et son enfant. Dans sa plainte initiale puis dans une lettre du 4 décembre 1979, il réclama en outre des précisions sur les motifs ayant conduit à l’écarter. Le gouvernement sollicita l’avis du commandant suprême des forces armées (överbefälhavaren), qui à son tour consulta le commandant en chef de la marine. Dans une lettre du 7 novembre 1979, ce dernier expliqua que le premier lui avait communiqué, le 17 septembre 1979, les conclusions de l’enquête accompagnées de la proposition suivante: "Accepté en accord avec l’appréciation du [commandant en chef de la marine], à condition que L. n’ait pas connaissance d’activités secrètes par son accès aux locaux du musée ou par son travail." Selon ses renseignements, ajoutait-il, le directeur du musée voulait que la personne employée à ce poste jouît de la liberté de pénétrer et circuler dans la base navale; partant, il avait décidé le 21 septembre 1979 de ne pas embaucher le requérant. Dans sa réponse au gouvernement, le commandant suprême des forces armées indiquait notamment: "Toutefois, l’emploi de M. Leander pendant cette période (15 août - 1er septembre 1979) n’impliquait aucun accès à la base navale et le commandant en chef de la marine a dit ne pas s’opposer à un tel emploi. Le directeur du musée naval a, au contraire, affirmé que M. Leander devait avoir accès à la base navale. Étant donné ce qui précède et que, si M. Leander avait accès à la base navale, il aurait accès à des installations ou informations secrètes, le commandant en chef de la marine a décidé de ne pas l’engager. En examinant l’affaire, il a pleinement observé les règlements existants sur l’appréciation des qualifications d’une personne du point de vue de la sécurité. (...) Comme le commandant en chef de la marine, le commandant suprême des forces armées estime que le musée naval peut employer M. Leander si le titulaire du poste n’a pas besoin d’accéder à la base navale." A l’avis du commandant suprême des forces armées se trouvait jointe une annexe secrète contenant les renseignements que le Conseil national de la police (rikspolisstyrelsen) avait fournis sur M. Leander. Ce dernier n’en a jamais reçu communication et elle ne figure point parmi les documents produits devant la Cour. Par une lettre du 5 février 1980, le requérant saisit le gouvernement de nouveaux griefs. Ils portaient sur la décision du Conseil de ne pas lui communiquer, en vertu de l’article 13 de l’ordonnance, les informations le concernant (paragraphe 31 ci-dessous). L’intéressé priait le gouvernement de lui accorder, avant de se prononcer sur sa demande du 22 octobre 1979, le droit de prendre connaissance de ces informations et de les commenter. Consulté sur ce point par le gouvernement, le Conseil national de la police répondit le 22 février 1980. Il concluait au rejet des griefs et ajoutait: "L’inscription d’un renseignement au registre de la Sûreté se fonde pour l’essentiel sur un décret royal, secret, de 1973. Elle donne lieu, à plusieurs niveaux, à un examen préalable de la part de fonctionnaires chargés de contrôler la régularité de l’inscription de chaque renseignement. En cas de doute, la question de l’enregistrement est tranchée par le chef de la Sûreté. Les informations portées sur le registre sont communiquées, conformément à l’article 9 de l’ordonnance (...), après décision prise par le Conseil (...) en séance plénière. Sur les six membres du Conseil choisis parmi les parlementaires, trois au moins doivent se trouver présents au moment de la décision sur des questions de contrôle du personnel. Dans le cas du requérant, ils étaient présents tous les six. (...) Selon l’article 13 de l’ordonnance (...), l’intéressé doit se voir offrir l’occasion de présenter ses observations si des raisons spéciales en créent le besoin. Cependant, le Conseil (..) n’a pas jugé nécessaire d’appliquer cette disposition au requérant, faute de raisons spéciales et, de plus, parce que la divulgation des renseignements aurait révélé en partie le contenu du décret royal secret, leur enregistrement ayant eu lieu en conformité avec ce texte." M. Leander répliqua par une lettre du 11 mars 1980 au gouvernement. Il faisait valoir, notamment, que le Conseil aurait dû lui communiquer de vive voix et à titre confidentiel, pour le moins, les renseignements consignés à son sujet. Le 14 mai 1980, le gouvernement repoussa en entier la plainte du requérant. Le dispositif de sa décision se lisait ainsi: "Le gouvernement ne peut étudier l’aptitude d’une personne à un certain emploi qu’une fois saisi d’un recours relatif à une nomination. Or Leander n’a pas introduit pareil recours. Sa demande invitant le gouvernement à le déclarer digne de cet emploi provisoire ne saurait donc être examinée. Il n’existe en l’espèce aucune circonstance particulière, au sens de l’article 13 de l’ordonnance (...), qui donnerait à Leander le droit de connaître les informations que le Conseil (...) a communiquées sur son compte au commandant suprême des forces armées. Dans le surplus de son recours, Leander sollicite un extrait d’un fichier de police ou des indications sur le contenu de celui-ci. Le gouvernement rejette cette demande (...). Il n’examine pas la demande de Leander tendant à une nouvelle appréciation de sa personnalité, ni ne prend aucune mesure sur toute autre partie du recours." Le requérant affirme devant la Cour qu’il continue d’ignorer la nature des renseignements secrets consignés sur lui. A propos de ses antécédents personnels, il a fourni à la Commission et à la Cour les précisions suivantes. A l’époque considérée, il n’appartenait plus à aucun parti politique depuis 1976. Auparavant il avait été membre du Parti communiste suédois, ainsi que d’une association éditrice d’un journal contestataire, Fib/Kulturfront. Pendant son service dans l’armée, en 1971-1972, il avait milité au sein du syndicat des soldats et participé, comme délégué, au congrès de 1972 que, selon lui, la Sûreté avait noyauté. Sa seule condamnation date de ce temps-là: une amende de dix couronnes suédoises pour arrivée tardive à un défilé. Il avait aussi oeuvré dans le syndicat suédois des travailleurs du bâtiment et voyagé parfois en Europe de l’Est. Il a toutefois indiqué que d’après les déclarations unanimes de fonctionnaires compétents, aucun des faits susmentionnés n’aurait dû provoquer l’issue défavorable du contrôle de personnel. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES APPLICABLES A. L’interdiction de l’enregistrement d’opinions Selon le chapitre II, article 3, de l’"instrument de gouvernement" (regeringsformen, élément principal de la Constitution suédoise et ci-après appelé "la Constitution"), "la mention d’un citoyen dans un registre public ne pourra se fonder exclusivement sur ses opinions politiques", "à moins qu’il n’y ait consenti". B. Le registre secret de la police L’ordonnance sur le contrôle du personnel, édictée par le gouvernement en vertu de ses pouvoirs réglementaires et publiée à l’origine au Journal officiel suédois (svensk författningssamling, 1969:446), constitue la base légale du registre tenu par la direction de la Sûreté du Conseil national de la police ("le registre secret"). Telle que l’a modifiée l’ordonnance no 505 de 1972, elle précise en son article 2: "A l’intention du service spécial de police chargé de prévenir et dépister les infractions contre la sécurité nationale, etc., la direction de la Sûreté du Conseil national de la police tient un registre de police. Le Conseil (...) peut y consigner les renseignements nécessaires au service spécial de la police. Aucune mention ne peut figurer dans le registre de police visé au paragraphe premier pour la simple raison que l’intéressé a exprimé une opinion politique par son appartenance à une organisation ou d’une autre manière. Le gouvernement prendra des dispositions complémentaires concernant l’application de cette règle." En conséquence, le gouvernement a donné au Conseil et publié, le 22 septembre 1972, les instructions ci-après: "Il existe dans notre pays des organisations et des groupes qui se livrent à des activités politiques comportant le recours effectif ou éventuel à la violence ou à des menaces de coercition comme moyens d’atteindre leurs objectifs politiques. Certaines organisations ont adopté un programme disant qu’elles s’efforceront de changer la société par la violence. On peut cependant présumer que beaucoup de leurs membres ne participeront jamais à la réalisation des buts inscrits au programme. La simple appartenance à une telle organisation ne justifie donc pas une mention au registre de la Sûreté. Il peut en revanche y avoir inscription si un membre ou partisan de pareille organisation agit d’une manière autorisant à le soupçonner d’être prêt à participer à des activités dangereuses pour la sécurité nationale, destinées ou pouvant contribuer à renverser le système démocratique par la force ou à compromettre l’indépendance de l’État suédois. Il existe aussi des organisations et des groupes pouvant ou ayant pu se livrer à des tentatives de subversion politique en Suède ou dans d’autres États en recourant à la violence, à des menaces ou à la contrainte comme moyen de pratiquer cette subversion. Les informations sur leurs membres ou partisans doivent figurer au registre de la Sûreté. Le gouvernement émettra, sur proposition du Conseil national de la police, des instructions complémentaires concernant l’application de l’article 2 de l’ordonnance sur le contrôle du personnel. Si, dans les services spéciaux de police, surviennent des circonstances pouvant appeler des amendements aux instructions émises par le gouvernement, le Conseil national de la police présentera des propositions d’amendement." Le gouvernement a donné des instructions complémentaires, secrètes cette fois, le 27 avril 1973 puis le 3 décembre 1981. En plus des hypothèses prévues dans l’ordonnance (paragraphe 24 ci-dessous), le Conseil semble communiquer les renseignements consignés au registre dans certains cas de poursuites pénales et dans des affaires relatives à des demandes de naturalisation. C. Contrôle du personnel Outre les clauses susmentionnées sur le registre secret, l’ordonnance en renferme qui traitent, notamment, des emplois à classer dans la catégorie des postes de sécurité, de la procédure de communication des renseignements et de l’usage de ceux-ci. Les principales se trouvent résumées ci-dessous. D’après l’article 1, le contrôle du personnel s’entend de la collecte d’informations tirées de registres de police et concernant les titulaires de postes importants pour la sécurité ou les candidats à de tels postes. L’article 3, tel que l’a modifié l’ordonnance no 110 de 1976, énumère les autorités, dont le commandant suprême des forces armées, habilitées à requérir un contrôle du personnel. Aux termes de l’article 4, le contrôle ne peut s’exercer qu’à l’égard de certains emplois importants pour la sécurité nationale, répartis en deux catégories (skyddsklasser) selon qu’ils présentent ou non un intérêt vital pour celle-ci. Le classement d’un poste dans la première catégorie relève du gouvernement, tandis que le droit d’en ranger un dans la seconde est en général délégué à l’organisme concerné. Selon l’article 6, les demandes de renseignements aux fins d’un contrôle du personnel doivent être adressées au Conseil national de la police et viser uniquement la personne que l’on a l’intention de nommer. Les articles 8 et 9 précisent quels renseignements peuvent être fournis à l’autorité de nomination. Si le poste relève de la première catégorie, le Conseil peut, d’après l’article 8, communiquer sur l’intéressé toutes les informations consignées dans le registre secret ou tout autre fichier de la police. Dans le cas d’un emploi de la seconde catégorie, l’article 9 (tel qu’amendé par l’ordonnance no 505 de 1972) ne l’autorise à livrer que certains renseignements spécifiques consistant à préciser si la personne en question "1. a été convaincue ou est soupçonnée d’infractions visées au paragraphe 1 de la loi du 21 mars 1952 (no 98) portant des dispositions spéciales sur les mesures d’enquête dans certaines affaires pénales (lag med särskilda bestämmelser om tvångsmedel i vissa brottmål) ou au chapitre 13, paragraphes 7 ou 8, du code pénal" - principalement les infractions contre l’ordre public, la sécurité nationale ou le gouvernement - "ou a été convaincue ou est soupçonnée de tentative, d’entente délictueuse ou d’incitation quant à de telles infractions; a été convaincue ou est soupçonnée d’autres actes constitutifs d’infractions contre la sécurité de l’État, ou destinés ou propres à renverser par la force le régime démocratique, ou à compromettre l’indépendance de l’État, ou a été convaincue ou est soupçonnée de tentative ou d’entente délictueuse quant à de telles infractions; est soupçonnée, du chef de ses activités ou pour d’autres raisons, de se tenir prête à participer à des actes du genre visé aux paragraphes 1 et 2." Aux termes de l’article 11, pour décider de la communication de renseignements consignés au registre le Conseil national de la police comprend le directeur de la police nationale (rikspolischefen), le chef de la Sûreté et les membres désignés par le gouvernement; ces derniers sont au nombre de six - habituellement des parlementaires ou anciens parlementaires de partis politiques différents, même de l’opposition - et trois d’entre eux au moins doivent se trouver présents au moment de la décision. La décision de fournir des informations exige l’unanimité. Si un ou plusieurs des membres non policiers du Conseil se prononcent contre la communication de certains renseignements, le directeur national de la police peut, s’il est d’avis contraire, saisir le gouvernement, qui tranche. Il doit en aller de même si l’un des membres non policiers le requiert. Lorsque le Conseil national de la police reçoit une demande de contrôle du personnel, la pratique est la suivante. La Sûreté établit un mémorandum sur les informations inscrites dans les registres pertinents et le présente oralement au Conseil qui, après en avoir délibéré, décide de leur communication totale ou partielle. Parmi les critères figurent la nature du poste en jeu, le degré de fiabilité des renseignements et leur ancienneté. Le fait qu’un dossier renferme quelques indications seulement peut militer contre leur divulgation, laquelle n’obéit à aucune règle écrite hormis celles de l’ordonnance et des instructions du gouvernement. A l’époque considérée, l’article 13 prévoyait qu’avant de communiquer des informations dans les affaires relatives à la nomination à un poste de la première catégorie de sécurité, le Conseil national de la police devait donner à l’intéressé, sauf raisons particulières, l’occasion de présenter ses observations par écrit ou verbalement. Pour les postes de la seconde catégorie, cette procédure ne devait jouer que dans des circonstances spéciales. Or le Conseil semble n’en avoir jamais aperçu; pareille notification n’avait donc lieu dans aucun cas, bien que diverses autorités importantes invitées à commenter le projet législatif d’où devait sortir l’ordonnance, dont le Chancelier de la Justice et le médiateur parlementaire, eussent recommandé pour le moins une notification sous une forme ou une autre. Cet article a été amendé par l’ordonnance no 764 de 1983 à compter du 1er octobre 1983. Aujourd’hui, dans quelque catégorie que se range le poste à pourvoir la personne concernée doit avoir la possibilité de formuler ses observation, par écrit ou oralement, avant toute communication de renseignements. La règle ne vaut cependant pas dans l’hypothèse où elle permettrait à l’intéressé de prendre connaissance d’informations déclarées secrètes en vertu de l’une quelconque des dispositions de la loi de 1980 sur le secret, à l’exception de l’article 17 du chapitre 7 (paragraphe 41 ci-dessous), ou si, dans une affaire ne concernant pas une nomination à un emploi public, le gouvernement a dispensé l’autorité demanderesse de l’obligation d’aviser l’intéressé de l’enquête menée à son sujet (paragraphe 33 ci-dessous). Du temps de la procédure touchant M. Leander, l’article 14 interdisait au Conseil national de la police d’ajouter des commentaires aux renseignements fournis à l’autorité requérante. D’après l’article 19, avant de demander un contrôle une autorité devait en avertir l’intéressé, sauf dans un cas étranger au présent litige. Selon l’article 20, il incombait à l’autorité demanderesse d’apprécier l’importance des renseignements tirés du (des) fichier(s) de police, en fonction de la nature des activités liées au poste en cause, de ce qu’elle savait elle-même de l’intéressé et d’autres éléments. D. Garanties Le ministre de la Justice Au fil des ans, le ministre de la Justice a exercé une surveillance active sur la Sûreté et les opérations de contrôle du personnel. Il a effectué un certain nombre d’investigations plus ou moins approfondies. Elles ne débouchent sur aucun rapport, mais selon le Gouvernement les discussions entre le ministre et le Conseil ont entraîné des amendements aux instructions, publiques ou secrètes. Le Chancelier de la Justice Héritier d’une longue tradition, l’office de Chancelier de la Justice se fonde désormais sur le chapitre XI, article 6, de la Constitution. Les fonctions et pouvoirs correspondants se trouvent définis dans la loi de 1975 sur le contrôle assuré par le Chancelier de la Justice (lag 1975:1339 om justitiekanslerns tillsyn) et dans l’instruction du gouvernement à ce dernier (förordning 1975:1345 med instruktion för justitiekanslern). Entre autres attributions que lui a confiées le Parlement (riksdag), le Chancelier contrôle les autorités publiques et leurs agents afin qu’ils respectent les lois et règlements dans l’accomplissement de leurs tâches. A ce titre, il reçoit et examine souvent des plaintes de particuliers. Il agit aussi au nom du gouvernement pour sauvegarder les droits de l’État et l’assiste par ses conseils et ses recherches juridiques. Il est nommé par le gouvernement et inamovible. D’après le chapitre XI, article 6, de la Constitution il relève du gouvernement. L’article 7 du même chapitre précise pourtant: "Aucune autorité publique" - y compris le gouvernement - "non plus que le riksdag ni une collectivité publique territoriale ne pourra décider de la manière dont un service public administratif" - y compris le Chancelier de la Justice - "doit décider en particulier dans une affaire touchant l’exercice d’une autorité à l’égard d’une personne privée ou d’une collectivité publique territoriale ou concernant l’application de la loi." Le Chancelier a le droit d’assister à toutes les délibérations des tribunaux et des autorités administratives, mais sans exprimer d’opinion. Il a en outre accès à tous les dossiers et autres documents officiels. Toutes les autorités publiques et leurs agents doivent lui fournir les informations et rapports qu’il peut leur demander (voir aussi le paragraphe 41 ci-dessous). Dans le cadre de sa fonction de contrôle, il peut engager des poursuites pénales ou requérir des mesures disciplinaires contre des fonctionnaires. Il peut déférer au médiateur parlementaire (ombudsman), en accord avec lui, des affaires relatives aux griefs de particuliers, et vice versa; en pratique, un seul d’entre eux examine donc des plaintes identiques. Le Conseil national de la police, organisme public, et ses activités, y compris le contrôle du personnel, se trouvent placés sous le contrôle du Chancelier. Celui-ci visite le Conseil et son département de la Sûreté régulièrement, d’ordinaire une fois l’an, plus souvent si des circonstances particulières le justifient, par exemple la plainte d’un individu. Ses visites donnent toujours lieu à un procès-verbal rédigé de manière à pouvoir être rendu public à l’exception des passages, s’il y en a, consignant des données secrètes. Le Gouvernement a produit une copie du compte rendu d’une visite effectuée le 6 décembre 1983. Il en ressort que le Chancelier, accompagné de deux fonctionnaires de son service, a inspecté les locaux de la Sûreté et discuté, entre autres, des questions touchant au contrôle du personnel; aucun élément appelant une mention spéciale ne s’est dégagé de la visite. Le Chancelier n’a pas le pouvoir de modifier une décision du Conseil ou de la Sûreté; plus généralement, il ne peut s’immiscer dans leurs décisions, encore qu’il lui soit loisible de formuler des observations sur des mesures qu’il jugerait contraires à la loi ou inopportunes. Les avis qu’il exprime à l’issue d’un examen de la procédure de contrôle du personnel ne revêtant pas un caractère obligatoire, on pourrait se demander s’ils relèvent de la sphère d’indépendance que lui garantit le chapitre XI, article 7, de la Constitution (paragraphe 36 ci-dessus). Vu la tradition juridique suédoise, toutefois, il ne se conçoit pas que le gouvernement tente d’user de ses pouvoirs au titre de l’article 6 du même chapitre pour donner au Chancelier des instructions, par exemple sur l’opinion à émettre dans une affaire relative à l’application de l’ordonnance, ou d’une manière générale pour lui interdire de surveiller les activités du Conseil; de telles instructions n’existent pas et il n’y en a jamais eu. Le médiateur parlementaire (ombudsman) Les fonctions et pouvoirs du médiateur parlementaire, institution qui remonte à 1809, se trouvent définis notamment au chapitre XII, article 6, de la Constitution et dans la loi portant instructions aux médiateurs parlementaires (lag 1975:1057 med instruktion för justitieombudsmännen). Élus par le Parlement, les quatre médiateurs ont pour tâche principale de s’assurer de l’application des lois et règlements au sein de l’administration publique. Il leur incombe en particulier de veiller au respect, par les tribunaux et les autorités administratives, des clauses de la Constitution touchant à l’objectivité et à l’impartialité, ainsi qu’à l’absence d’empiétement de l’administration sur les droits et libertés fondamentaux des citoyens. Si, dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle, ils découvrent des motifs de préconiser des changements législatifs ou toute autre action de l’État, ils peuvent présenter au Parlement ou au gouvernement une déclaration en ce sens. Un médiateur exerce sa surveillance soit à la suite de plaintes de particuliers, soit en menant les inspections ou autres enquêtes qu’il estime nécessaires. L’examen d’une affaire débouche sur un rapport dans lequel le médiateur indique si la mesure lui semble illégale ou inopportune à quelque autre égard. Le médiateur peut aussi énoncer des propositions tendant à une application correcte et uniforme de la loi. Les rapports du médiateur expriment son avis personnel. L’efficacité de ses déclarations dépend de son aptitude à convaincre l’organe de décision ou l’autorité en cause. Ces derniers s’inclinent souvent mais pas toujours, tant s’en faut (Gustaf Petrén et Hans Ragnemalm, Sveriges Grundlagar, Stockholm, 1980, p. 327). Un médiateur peut engager des poursuites pénales ou disciplinaires contre un fonctionnaire qui aurait commis une infraction en manquant aux devoirs de sa charge. Il peut assister aux délibérations des tribunaux ou des autorités administratives et il a accès à leurs procès-verbaux et autres documents. Les tribunaux, les autorités administratives et les fonctionnaires de l’État ou des pouvoirs locaux lui fournissent les renseignements et rapports qu’il peut leur demander. Dans l’accomplissement de sa tâche, il peut requérir le concours d’un procureur. Il résulte de ce qui précède que le Conseil national de la police et ses activités relèvent du contrôle des médiateurs parlementaires. Selon les renseignements communiqués par le greffier des médiateurs, en cas de plainte individuelle se déroule la procédure suivante. Une fois saisi, le médiateur compétent prend contact avec le Conseil ou l’autorité requérante (paragraphe 25 ci-dessus). Il reçoit alors des renseignements oraux sur les circonstances de l’affaire et a le loisir de compulser les documents et dossiers pertinents. Ces éléments ne sont pas enregistrés dans les services du médiateur, car en préserver le secret poserait des problèmes. Le médiateur se prononce à la lumière de l’enquête susmentionnée et des autres recherches auxquelles il a pu se livrer. Son rapport, toujours écrit, est rendu accessible au public. Il ne contient donc aucune donnée secrète. Depuis 1969, le système de contrôle du personnel a donné lieu à huit plaintes individuelles au moins dont quatre, de caractère général, émanaient de chicaneurs notoires. Après avoir étudié les faits, le médiateur a classé les quatre autres mais non sans avoir, pour deux d’entre elles, formulé sur certains points des critiques précises (rapports du 20 février 1984, affaire 684-1983, et du 15 février 1985, affaire 2316-1984). La critique exprimée par lui dans son rapport du 20 février 1984 a conduit le commandant suprême des forces armées, d’après un arrêt récent de la Cour du travail (no 28 du 12 mars 1986), à modifier une pratique relative à l’application de l’article 19 de l’ordonnance. La Commission parlementaire de la Justice (riksdagens justitieutskott) La Commission parlementaire permanente de la Justice comprend quinze députés désignés à la proportionnelle. Depuis 1971, elle examine les crédits destinés à la division "Sûreté" de la police, dont presque chaque année, elle passe au crible les dépenses, l’organisation et les activités. Selon le Gouvernement, elle s’intéresse beaucoup aux questions touchant à l’ordonnance sur le contrôle du personnel et à son application, ainsi qu’à l’appréciation de l’influence des membres non policiers du Conseil national de la police sur lesdites activités. Elle s’informe d’ordinaire en entendant des porte-parole du Conseil et de son département de la Sûreté, ainsi que par des visites régulières. Elle en a effectué au printemps 1977, à l’automne 1979 et au printemps 1983. Au printemps 1980, elle a tenu des délibérations ad hoc avec les parlementaires membres du Conseil. Au printemps 1981, elle a demandé et reçu un rapport spécial. Au printemps 1982, elle a organisé une audition avec le commissaire national de la police et le chef du département de la Sûreté. D’après le Gouvernement, le premier secrétaire de la Commission a confirmé que les membres de celle-ci, au cours de leurs visites, ont pleinement accès aux fichiers et ont notamment consulté le registre du département de la Sûreté. Ils ont aussi discuté de divers aspects de sa gestion avec les fonctionnaires chargés des inscriptions et de la communication de données au Conseil lors d’un contrôle du personnel. Le principe du libre accès aux documents administratifs Aux termes du chapitre II, article 2, de la loi sur la liberté de la presse (tryckfrihetsförordningen), qui fait partie de la Constitution, chacun a le droit de prendre connaissance des documents officiels, sous réserve des limitations prévues par la loi en certaines matières. A l’époque considérée, les principales dispositions régissant ces limitations figuraient dans la loi de 1937 sur les restrictions au droit d’accès aux documents officiels (lag om inskränkningar i rätten att utbekomma allmänna handlingar 1937:249, "la loi de 1937"), qui resta en vigueur jusqu’au 1er janvier 1981. Selon l’article 11 (amendé), "le détail des données consignées dans les registres mentionnés par la loi sur le fichier pénal général (lag om allmänt kriminalregister 1963:197) ou par la loi sur le fichier de la police (lag om polisregister m.m. 1965:94) ne peut être communiqué que dans les cas ou de la manière précisés par ces lois". L’article 3 de la seconde (modifiée par la loi no 1032 de 1977, en vigueur jusqu’au 1er mars 1985) se lisait ainsi: "Des extraits des fichiers de la police ou des renseignements sur leur contenu sont fournis sur demande émanant du Chancelier de la Justice, d’un médiateur parlementaire, du Conseil national de la police, du Service central de l’immigration, d’un conseil administratif de comté, d’un tribunal administratif de comté, d’un commissaire de police ou d’un procureur; d’une autre autorité, si et dans la mesure où le gouvernement a, pour certains types d’affaires ou pour une affaire déterminée, donné l’autorisation nécessaire; d’un particulier, s’il a besoin de l’extrait pour se prévaloir de ses droits dans un pays étranger, pour entrer dans un tel pays ou y installer sa résidence ou son domicile ou y travailler, ou pour faire statuer sur des questions d’emploi ou de contrats liées à des activités en matière de santé ou qui soulèvent des problèmes importants du point de vue de la sécurité nationale, et si le gouvernement a, par une mesure spéciale, consenti à la communication d’extraits ou de renseignements à pareilles fins, ou, dans d’autres cas, si le particulier peut prouver qu’il lui faut des renseignements du registre pour établir ses droits, et si le gouvernement permet que de tels renseignements lui soient fournis." Depuis le 1er janvier 1981, des clauses analogues figurent au chapitre VII, article 17, de la loi de 1980 sur le secret (sekretesslagen 1980:100), qui a remplacé la loi de 1937. La Cour ne connaît aucune ordonnance spéciale qui ait autorisé des particuliers dans la situation du requérant à obtenir des extraits des registres de police. Sauf si elle émane du Parlement ou du gouvernement, une décision refusant l’accès à un document est susceptible d’un recours devant les tribunaux (chapitre II, article 15, de la loi sur la liberté de la presse). Dans plusieurs affaires récentes jugées par la Cour administrative suprême, des personnes se sont vu refuser l’accès à des informations consignées dans le registre secret de la police, pour n’avoir pas obtenu ou sollicité du gouvernement l’autorisation préalable exigée par l’article 3, précité, de la loi sur le registre de la police (Annuaire de la Cour administrative suprême, 1981, Ab 100 et Ab 282, et 1982, Ab 85). Les faits de la cause cadrent avec ce qui précède: le gouvernement a accepté d’examiner la demande de M. Leander qui souhaitait savoir quels renseignements le Conseil avait fournis à son sujet (paragraphe 16 ci-dessus). Toutefois, si le Conseil décide de communiquer une information à une autorité requérante, l’intéressé semble ne disposer d’aucun recours devant le gouvernement ou les juridictions administratives: on ne le considère pas comme partie à la procédure suivie en la matière devant le Conseil (arrêt de la Cour administrative suprême, du 20 juin 1984, dans l’affaire 1509-1984). Même si un document est secret, le gouvernement jouit toujours d’une certaine latitude pour le diffuser et une personne partie à une procédure judiciaire ou administrative pour laquelle il entre en ligne de compte peut se voir permettre d’y avoir accès. Jusqu’au 30 décembre 1980, l’article 38 de la loi de 1937 (modifié par celle de 1974:567) constituait le texte fondamental: "Lorsqu’il l’estime nécessaire à la sauvegarde de droits publics ou individuels, le gouvernement peut, nonobstant les restrictions prévues par la présente loi, autoriser la communication de documents. Si un document ne pouvant être communiqué à chacun paraît constituer un élément de preuve important pour un procès ou une enquête de police en matière pénale, le tribunal saisi de l’affaire, ou compétent pour trancher les questions relatives aux enquêtes de police, peut en ordonner la communication à lui-même ou à l’officier chargé de l’enquête. Ce qui précède ne vaut cependant pas pour les documents visés aux articles 1-4, 31 et 33. Si la teneur d’un document est telle que le rédacteur ne peut, aux termes du chapitre 36, article 5, alinéas 2, 3 ou 4 du code de procédure judiciaire, être entendu comme témoin à son sujet, il ne peut pas non plus être produit au cours du procès ou de l’enquête de police; il ne le peut pas non plus, sauf si des circonstances spéciales le demandent, au cas où un secret professionnel s’en trouverait divulgué." Depuis le 1er janvier 1981, des dispositions correspondantes figurent au chapitre 14, articles 5 et 8, de la loi de 1980 sur le secret. Indemnisation La responsabilité civile de l’État est régie par le chapitre 3 de la loi no 207 de 1972 sur la responsabilité civile (skadeståndslagen). Selon l’article 2, les actes de la puissance publique peuvent donner lieu à indemnisation en cas de faute ou de négligence. L’article 7 précise toutefois que nulle action en indemnité n’est ouverte contre les décisions du Parlement, du gouvernement, de la Cour suprême, de la Cour administrative suprême ou de la Cour nationale de la sécurité sociale. D’après l’article 4, il en va de même de celles des autorités inférieures, tel le Conseil national de la police, dans la mesure où l’intéressé aurait pu éviter des dommages en épuisant les voies de recours existantes. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 2 novembre 1980 à la Commission (no 9248/81), M. Leander invoquait les articles 6, 8, 10 et 13 (art. 6, art. 8, art. 10, art. 13) de la Convention. Il se plaignait de n’avoir pu occuper un poste permanent et d’avoir été renvoyé d’un emploi provisoire à cause d’informations secrètes qui l’auraient présenté comme dangereux pour la sécurité; d’après lui, cela constituait une atteinte à sa réputation et il aurait dû avoir l’occasion de se défendre devant un tribunal. Le 10 octobre 1983, la Commission a déclaré irrecevable le grief tiré de l’article 6 (art. 6) mais retenu les allégations relatives aux articles 8, 10 et 13 (art. 8, art. 10, art. 13). Dans son rapport du 17 mai 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 (art. 8) (unanimité), qu’il ne se pose, sous l’angle de l’article 10 (art. 10), aucune question distincte concernant la liberté d’exprimer des opinions ou de recevoir des informations (unanimité) et que l’affaire ne révèle aucune infraction à l’article 13 (art. 13) (sept voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Les requérants, les époux Siegfried et Rosalia Lechner ainsi que la mère de la seconde, Mme Rosalia Hess, sont des citoyens autrichiens nés respectivement en 1935, 1939 et 1910; ils résident à Vienne. A. Antécédents Le 7 août 1970, ils achetèrent à M. et Mme Josef Mayer un immeuble sis dans cette ville. Pour en acquitter le prix, soit 650.000 schillings autrichiens, ils durent réaliser une maison et un appartement dont ils étaient propriétaires. M. et Mme Mayer se trouvaient en instance de divorce; l'avocat de la seconde, Me Weiser, joua un rôle actif dans les négociations qui menèrent à la conclusion du contrat et représenta les vendeurs dans toutes les procédures ultérieures. En revanche, les requérants changèrent souvent de conseil. Les requérants emménagèrent le 9 septembre 1970. Quelques semaines plus tard, cependant, M. Mayer leur signala que le service de l'urbanisme (Baubehörde) ne lui avait pas accordé l'autorisation d'habiter la maison (Benützungsbewilligung), mais qu'il s'agissait là d'une pure formalité. Les requérants entreprirent auprès dudit service des démarches tendant à l'octroi d'une telle autorisation, mais en vain car la maison présentait plusieurs vices. Le 20 mars 1972, il leur délivra toutefois un permis d'occuper celle-ci à l'exception du garage et de la véranda qui le surmontait, mais le premier étage et l'attique ne figuraient pas sur la liste des pièces qu'ils pouvaient utiliser. Le 5 avril 1972, ils attaquèrent cette décision devant l'administration municipale de Vienne et réclamèrent une autorisation valable pour l'ensemble de l'immeuble, tout en mentionnant certains défauts de construction. Après qu'ils eurent annoncé, plus de six mois plus tard, leur intention de recourir devant la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) contre l'inaction du service de l'urbanisme, l'administration municipale leur retira le 3 juillet 1973, pour des raisons techniques, le permis existant, ce qui équivalait à leur interdire d'habiter la maison en tout ou en partie. Ils ont cependant continué d'y loger jusqu'en octobre 1978 (paragraphe 31 ci-dessous). B. Procédures à l'origine de la présente affaire Procédure civile contre les vendeurs Le 15 mai 1972, les requérants engagèrent devant le tribunal civil régional (Landesgericht für Zivilsachen) de Vienne une action contre les vendeurs pour exiger l'annulation du contrat de vente, le remboursement du prix d'achat et, parallèlement, le retour de la propriété aux vendeurs, plus une indemnité. Ils alléguaient avoir été délibérément induits en erreur par les défendeurs sur l'absence d'autorisation d'habiter la maison. Ils précisèrent leurs prétentions le 28 mars 1973. Auparavant, le tribunal avait tenu plusieurs audiences et recueilli des éléments de preuve, notamment des témoignages; il avait en outre demandé en vain au service de l'urbanisme, à plusieurs reprises à partir du 7 septembre 1972, de produire le dossier concernant l'immeuble en cause. Pour finir, des agents dudit service furent interrogés les 14 décembre 1972 et 28 mars 1973; il s'avéra qu'ils possédaient les pièces en question, mais ni le tribunal ni les parties n'y eurent accès. Le tribunal débouta les demandeurs le 1er juin 1973. Certes, ils avaient pu croire à l'existence d'un permis d'occuper puisque les vendeurs avaient longtemps vécu dans la maison. Cependant, le service d'urbanisme l'avait visitée avant le départ de ceux-ci et avait constaté un certain nombre de défauts. Or les requérants n'y avaient pas remédié après la conclusion du contrat de vente; ils étaient donc eux-mêmes responsables du refus d'autorisation. De plus, rien ne prouvait l'existence d'une tromperie à leur détriment. Le 21 novembre 1973, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Vienne annula le jugement, que les requérants avaient attaqué devant elle le 31 août; elle renvoya l'affaire au tribunal civil régional, auquel l'arrêt parvint le 20 décembre 1973. Le 5 février 1974, les requérants récusèrent le juge saisi de l'affaire. Le taxant de partialité, ils lui reprochaient un comportement arbitraire quant au fond du litige. Le tribunal rejeta la demande le 14 mars 1974. Des audiences eurent lieu les 16 avril et 19 juin 1974. Au cours de la seconde, les intéressés modifièrent leurs conclusions: ils prièrent le tribunal d'ordonner de surcroît aux vendeurs de mettre à leur disposition une maison analogue, mais construite selon la réglementation en vigueur. Une nouvelle audience se tint le 5 décembre 1974; l'avocat des requérants avait essayé, sans succès, de la faire fixer à une date antérieure. Conformément à une pratique courante des juridictions autrichiennes, et ainsi que l'y invitaient les vendeurs, le tribunal civil régional suspendit la procédure jusqu'au terme des poursuites pénales que les acheteurs avaient intentées contre eux pour escroquerie (paragraphe 20 ci-dessous). Sa décision fut notifiée le 27 janvier 1975 aux requérants qui, le 6 février, se pourvurent contre elle devant la cour d'appel de Vienne en réclamant la reprise de l'instance. Le 1er juillet, ils se plaignirent au président de la cour d'appel de ce qu'elle n'avait pas encore statué. La cour les débouta le 7 juillet, au motif que le tribunal civil ne pouvait pas obtenir avant le tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) les dossiers du service de l'urbanisme et que l'issue des poursuites pénales revêtait un caractère préjudiciel pour l'action civile. Le 30 juillet, le président de la cour d'appel informa les requérants que leur recours du 1er juillet n'avait donné lieu à aucune mesure de contrôle. Après l'abandon de leurs poursuites pénales contre les vendeurs (paragraphe 28 ci-dessous), les requérants invitèrent le tribunal civil régional, le 27 décembre 1976, à reprendre la procédure. Il commença par demander au tribunal pénal la production des dossiers pénal et civil. Ils lui parvinrent le 22 mars 1977, date à laquelle il convoqua les requérants à une audience le 17 mai 1977. A cette occasion, le nouveau juge chargé de l'affaire ordonna un complément d'instruction assorti d'un renvoi sine die. Le 20 mai 1977, le dossier civil fut communiqué au conseil disciplinaire du barreau de Vienne en raison d'une plainte que les requérants avaient introduite contre un de leurs avocats; il y resta jusqu'au 19 juillet. Le 22 juillet, il fut adressé au tribunal pénal du district (Strafbezirksgericht) de Vienne, saisi de poursuites pénales pour diffamation que les vendeurs et leur conseil, Me Weiser, avaient intentées contre M. et Mme Lechner (paragraphes 18-19 ci-dessous). Il n'en retourna que le 1er février 1978, après plusieurs rappels. Une nouvelle audience eut lieu le 25 avril 1978 devant un troisième magistrat, le précédent étant parti à la retraite. Quelques jours auparavant - le 19 avril -, la maison en litige avait été vendue aux enchères dans le cadre d'une procédure d'exécution engagée par la ville de Vienne contre les requérants et à laquelle s'étaient associés d'autres créanciers (paragraphe 31 ci-dessous). Le 3 juin 1978, Mme Lechner dénonça auprès du ministère fédéral de la Justice la lenteur du déroulement de l'instance. Elle écrivit en outre, le 7 juin, au médiateur parlementaire (Volksanwalt). Il lui répondit, le 5 juillet, qu'effectivement la procédure civile avait subi des retards à cause de la manière dont les deux premiers magistrats désignés avaient conduit l'affaire avant leur admission à la retraite, mais qu'elle se trouvait désormais sous le contrôle du président du tribunal civil et que le ministre fédéral de la Justice en suivrait la marche. Mme Lechner s'adressa derechef à ce dernier le 18 août 1978. Après avoir tenu audience les 19 septembre et 20 décembre 1978, le tribunal débouta les requérants le 22 décembre 1978: leur action ne pouvait aboutir puisqu'ils n'étaient plus en mesure de restituer la maison aux vendeurs. Il ne se prononça pas sur la demande d'annulation du contrat de vente. Le 23 janvier 1979, les intéressés attaquèrent ce jugement - signifié le 10 - devant la cour d'appel de Vienne qui le confirma le 27 juin. Le 1er octobre, ils formèrent un pourvoi en cassation (Revision) que la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) rejeta le 27 mai 1980. Elle releva qu'ils n'avaient pas précisé leurs conclusions comme le tribunal civil leur en avait offert l'occasion. L'unique point restant à trancher consistait dans leur prétention à se voir attribuer une autre maison et à restituer celle qu'ils avaient achetée: devant la cour d'appel, ils n'avaient pas reproché au tribunal de n'avoir pas statué sur leur demande d'annulation du contrat de vente; ils ne pouvaient soulever pour la première fois pareil grief au stade de la cassation. L'arrêt leur fut notifié le 3 septembre 1980. Procédure pénale contre les vendeurs a) Origine de l'action Lors d'une audience civile tenue le 14 décembre 1972, Mme Lechner avait traité de criminel le vendeur, M. Mayer. Aussi l'assigna-t-il devant le tribunal pénal du district de Vienne, par voie de citation directe, pour diffamation. Le 5 février 1973, le tribunal la relaxa au motif, entre autres, que le comportement des vendeurs pouvait justifier son affirmation. En outre, par une décision (Verfügung) du 8 février il communiqua au parquet (Staatsanwaltschaft) de Vienne le procès-verbal de l'audience et une copie du jugement. De surcroît, il suggéra à l'intéressée de poursuivre elle-même les vendeurs pour escroquerie. Sur appel de M. Mayer, le tribunal pénal régional de Vienne annula le jugement le 17 avril 1973 et renvoya l'affaire au tribunal de district, estimant qu'il fallait recueillir d'autres éléments de preuve. Un non-lieu intervint le 26 avril 1979. En liaison avec ces poursuites, l'avocat du vendeur avait également porté plainte contre M. Lechner, pour diffamation. La procédure déboucha sur la condamnation de ce dernier, le 26 avril 1979, par le tribunal pénal du district de Vienne. b) Procédure principale Une fois transmis au parquet le procès-verbal de l'audience du 5 février 1973 et une copie du jugement du même jour (paragraphe 18 ci-dessus), les requérants dénoncèrent à leur tour les vendeurs, le 13 mars, pour escroquerie. Le 7 septembre, le parquet les informa qu'il n'apercevait pas des motifs suffisants de poursuites. Mme Lechner s'en plaignit au ministère fédéral de la Justice le 23 octobre. Par une lettre du 19 septembre 1973 au tribunal pénal régional de Vienne, les requérants réclamèrent, par voie de citation directe avec constitution de partie civile, l'ouverture d'une instruction préparatoire contre les vendeurs. Le tribunal fit établir un nouveau dossier par un juge d'instruction qui l'adressa au parquet (articles 48 par. 1 et 49 par. 1 du code de procédure pénale). Celui-ci le lui retourna le 28 décembre 1973, le priant de le tenir informé. Le 28 janvier 1974, les intéressés protestèrent auprès de la cour d'appel de Vienne, ainsi que du parquet, contre l'inaction du tribunal pénal régional. Trois jours plus tard, ils introduisirent à ce sujet un recours hiérarchique auprès du président de ladite cour. Le 12 mars, la cour d'appel, dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle, invita le tribunal pénal régional à statuer dans les meilleurs délais sur la demande d'instruction formulée par les requérants. Elle approuva le juge d'instruction d'avoir transmis le dossier au parquet, puisque ce dernier aurait pu décider de poursuivre lui-même les vendeurs. Elle estima cependant qu'il aurait dû veiller à le récupérer plus tôt et, malgré la complexité de l'affaire, inciter le tribunal à prendre rapidement une décision. Le 22 mars 1974, le tribunal pénal régional accueillit la demande d'ouverture d'une instruction préparatoire, mais suggéra au magistrat instructeur d'attendre l'issue de la procédure civile contre les vendeurs et des poursuites pénales contre Mme Lechner (paragraphes 11 et 18 ci-dessus). Le 16 avril, les requérants saisirent la cour d'appel d'un recours hiérarchique contre cette suggestion: à leur avis, l'ouverture de l'instruction préparatoire avait déjà trop tardé. Ils s'en plaignirent simultanément au tribunal pénal régional. A leur lettre du 28 janvier 1974 (paragraphe 21 ci-dessus), le parquet répondit le 24 avril qu'il ne comptait pas engager des poursuites et qu'ils n'avaient aucun droit à consulter ses notes d'archives. De son côté, le juge d'instruction compétent - qui avait prescrit le 15 février un complément d'information concernant notamment le casier judiciaire des vendeurs et la procédure civile - reçut, les 2 et 17 juin, deux demandes des requérants; elles tendaient respectivement à l'interrogatoire des époux Mayer et à leur arrestation en raison du risque de suppression de preuves. Il rejeta la seconde le 21 août et sursit à statuer sur la première jusqu'à ce que les requérants eussent explicité leur recours du 16 avril 1974 (paragraphe 22 ci-dessus). Les intéressés ayant attaqué cette décision le 5 septembre, le tribunal l'annula le 10 octobre 1974 mais refusa de provoquer l'arrestation des vendeurs car les preuves avaient déjà pu être supprimées dans l'intervalle écoulé depuis la vente. D'autre part, il prit acte de ce que l'interrogatoire des Mayer avait été ordonné entre-temps. Le 27 septembre 1974, en effet, la cour d'appel, dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle, avait invité le juge d'instruction à terminer son travail dans les meilleurs délais. Tout en s'interdisant d'empiéter sur les attributions de ce magistrat ou du tribunal pénal régional, elle considérait que la procédure avait trop duré. Le juge d'instruction avait failli à son devoir d'établir les faits et de recueillir les preuves nécessaires, car la suggestion du tribunal - attendre l'issue d'autres procédures (paragraphe 22 ci-dessus) - ne le liait pas et ne le dispensait pas de continuer à s'acquitter de sa tâche. Certes, il lui appartenait d'apprécier les mesures à prendre, mais il paraissait indiqué d'interroger les vendeurs et de les informer de l'ouverture d'une instruction préparatoire ainsi que de leur droit d'attaquer cette décision. La cour lui reprocha en outre d'avoir tardé à se prononcer sur les demandes formulées par les requérants les 2 et 17 juin 1974 (paragraphe 24 ci-dessus). Du reste, il n'avait pas compétence pour réserver sa décision sur l'interrogatoire des vendeurs; il aurait dû laisser au tribunal le soin de se prononcer. Quant au recours du 16 avril 1974 (paragraphe 22 ci-dessus), la cour releva que les requérants avaient obtenu l'ouverture d'une instruction préparatoire et qu'elle avait prescrit la poursuite de celle-ci. Dès lors, il fallait à présent les inciter à préciser le but de leurs prétentions et, le cas échéant, les amener à les retirer pour éviter de nouveaux délais inutiles. Le 11 novembre 1974, Mme Lechner dénonça auprès du parquet de Vienne l'avocat des Mayer, pour escroquerie; d'après elle, il avait frauduleusement aidé à conclure le contrat de vente. Le 25 novembre, elle sollicita la jonction de sa plainte avec les poursuites pendantes contre les vendeurs (paragraphes 20-25 ci-dessus). Le 28 novembre, le tribunal pénal régional rejeta cette demande au motif que les deux affaires se trouvaient à des stades différents. Le 6 février 1975, le parquet avisa les requérants qu'il ne discernait pas de motif suffisant pour intenter l'action publique. En vertu des décisions précitées du tribunal et de la cour d'appel (paragraphes 24-25 ci-dessus), M. Mayer fut interrogé le 11 novembre 1974, Mme Lechner le 15 novembre et M. Lechner le 13 décembre; d'après le Gouvernement, ce dernier ne signa le procès-verbal qu'à une date ultérieure. Le 2 janvier 1975, le juge d'instruction informa les requérants qu'il n'avait pas encore pu entendre Mme Mayer à cause d'abord d'une erreur administrative, puis de la non-comparution de l'intéressée. Finalement, l'audition eut lieu le 7 janvier 1975. Le 12 mai, les requérants prièrent derechef le juge d'interroger les vendeurs. Le tribunal pénal régional de Vienne prononça la clôture de l'instruction le 8 juin 1976. Il signala aux Lechner qu'ils pouvaient présenter un acte d'accusation (Anklageschrift) contre les vendeurs dans un délai de deux semaines. Ils ne le firent pas; en revanche, ils invitèrent le tribunal, les 24 juin et 13 juillet, à parachever l'instruction, affirmant que malgré leurs démarches le juge n'avait pas recueilli les témoignages pertinents. Le tribunal repoussa la demande le 28 octobre; le 25 novembre, il résolut de classer les poursuites contre les vendeurs, les requérants n'ayant pas introduit d'acte d'accusation deux semaines au plus après la notification de la décision du 28 octobre. Action en responsabilité contre la ville de Vienne Le 6 août 1975, les intéressés réclamèrent à la ville de Vienne une indemnité de 2.500.000 schillings pour manquement à ses obligations. Ils alléguaient qu'en raison du comportement illégal du service de l'urbanisme, les vendeurs avaient pu, sans autorisation, habiter quinze ans durant un immeuble qui, malgré ses vices de construction, figurait au registre foncier. En outre, ledit service avait toujours refusé de communiquer son dossier, ce qui avait ralenti bon nombre des procédures judiciaires en cours. Vu l'impossibilité de rendre la maison conforme à la réglementation applicable, ils exigeaient en échange une demeure similaire mais remplissant, elle, cette condition. Le 21 octobre, la ville de Vienne leur contesta tout droit à dédommagement. En conséquence, ils introduisirent contre elle une action en responsabilité devant le tribunal civil régional de Vienne. Il les en débouta le 31 août 1976, estimant qu'ils ne justifiaient pas le montant de leurs prétentions. Ils attaquèrent ce jugement le 8 octobre, mais la cour d'appel le confirma le 6 décembre en raison du caractère accessoire des griefs articulés contre la ville de Vienne: la procédure civile principale n'étant pas terminée, on ne pouvait savoir si les requérants avaient subi un préjudice correspondant à la somme revendiquée. Le pourvoi en cassation formé par eux le 4 janvier 1977 n'eut pas plus de succès. La Cour suprême le rejeta le 16 février 1977, estimant que même si le raisonnement de la cour d'appel n'emportait pas la conviction, la demande d'indemnité pouvait être écartée pour un autre motif, à savoir que le tort causé aux intéressés constituait la conséquence directe du comportement des vendeurs et non des autorités. Elle mit à la charge des requérants les frais de justice et ceux de la ville de Vienne. Procédure administrative et d'exécution engagée par la ville de Vienne contre les requérants Le 24 septembre 1975, la municipalité de Vienne infligea aux requérants une amende de 1.000 schillings pour avoir occupé leur maison sans autorisation. Elle introduisit ultérieurement une demande visant à l'engagement d'une procédure d'exécution contre M. Lechner et que le tribunal du district de Hietzing accueillit le 24 février 1977. En outre, trois avocats qui avaient représenté les requérants s'associèrent à ladite procédure. Le 10 janvier 1978, ces derniers prièrent la ville de Vienne de la suspendre dans l'attente du résultat de leur action civile contre les vendeurs. Le 22 janvier, M. Lechner écrivit au Chancelier fédéral pour qu'il appuyât leur démarche. Comme les requérants ne pouvaient payer la somme de 500.000 schillings exigée par leurs créanciers, l'immeuble fut vendu aux enchères le 19 avril 1978 au prix de 821.000 schillings. Ils en furent expulsés le 31 octobre 1978. Depuis lors, ils ont encore fait l'objet de plusieurs actions en recouvrement intentées par l'Etat autrichien, les vendeurs et les avocats qui avaient eu à connaître du dossier. Ils prétendent que leurs dettes atteignent 1.300.000 schillings, qu'ils ont perdu la totalité de leurs biens et que la pension de Mme Hess et le salaire de M. Lechner ont été saisis. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 18 février 1981. Ils se plaignaient de la durée des procédures civile et pénale introduites par eux contre les époux Mayer: selon eux, elle avait dépassé le "délai raisonnable" dont l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention prescrit le respect. La Commission a retenu la requête (n° 9316/81) le 11 octobre 1984. Dans son rapport du 2 juillet 1985 (article 31) (art. 31), elle formule à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Quant au premier requérant Le premier requérant, Brian Arthur Monnell, est un ressortissant britannique né en 1945. Le 4 septembre 1981, à l’issue de trois jours d’audiences, la Crown Court d’Exeter le déclara coupable de vol avec effraction (burglary) et lui infligea trois ans de prison. Par la même occasion, elle le condamna de surcroît à deux peines de prison de neuf mois chacune, à subir après celle de trois ans mais non cumulées entre elles (soit au total trois ans et neuf mois), pour deux vols avec effraction dont il s’était reconnu coupable devant elle trois jours plus tôt. Pour déterminer les sanctions, le juge eut aussi égard à quatre autres infractions que l’intéressé avait avouées mais qui n’avaient pas donné lieu à des poursuites. M. Monnell était représenté, au titre de l’aide judiciaire, par des solicitors et un avocat. Ce dernier l’avisa par écrit, le 29 septembre 1981, qu’un appel contre le verdict ne lui paraissait pas offrir la moindre chance de succès. Il parvenait à une conclusion analogue quant à un appel contre la peine. Il s’agissait, selon lui, d’infractions graves et les biens n’avaient pas été restitués. Son client, au casier judiciaire chargé, avait purgé plusieurs peines de prison pour malhonnêteté. Une nouvelle peine de prison était inévitable, tout comme sa durée. Passant outre, M. Monnell sollicita l’autorisation d’interjeter appel (leave to appeal, "autorisation d’appel") du constat de culpabilité et de la peine. Il signa sa demande le 21 octobre 1981 et le Bureau des appels criminels la reçut le 26. Il s’y plaignait de la non-convocation de certains témoins à décharge; il admettait avoir lu le formulaire AA, délivré à tout détenu qui envisage de saisir la Court of Appeal et ainsi libellé: "Conseils en matière d’appel Non-imputation (...) Si vous songez à un appel, vous devez prendre conseil. Vos solicitors et votre avocat en première instance sont le mieux à même de vous assister. S’ils vous disent que des motifs d’appel existent, si l’avocat les expose et les signe, la Court of Appeal saura que vous aviez des raisons de présenter une demande. Inutile de le faire en l’absence de motifs, ou d’essayer d’en inventer s’il n’y en a pas. Il faut des raisons - non de simples mots. Il importe donc d’obtenir des conseils. Si vous n’y parvenez pas et introduisez néanmoins une demande, vous devez indiquer pourquoi (...) avant d’exposer vos propres motifs. Vous pouvez, si vous le souhaitez, prier la Court of Appeal de vous aider à recueillir des conseils, mais elle ne vous donnera pas un autre solicitor pour la seule raison que votre solicitor ou votre avocat vous aurait déconseillé de former appel. Si vous formulez une demande sans motifs réels, vous risquez d’y perdre. Peut-être ira-t-elle d’abord devant un juge unique qui pourra la rejeter et ordonner la non-imputation, sur votre peine, d’une partie de votre détention postérieure au dépôt de la demande. Si vous renonciez alors, cette durée, mais elle seule, ne serait pas imputée. Si au contraire vous réitériez la demande devant un collège de trois juges, il pourrait ordonner la non-imputation d’une durée plus longue. Dans les deux cas, la libération est retardée." Mécontent de la manière dont sa défense avait été assurée à son procès, M. Monnell retira leur mandat à ses solicitors et, le 4 novembre 1981, en constitua d’autres. Dans l’intervalle, le Bureau des appels criminels avait écrit aux premiers pour les aviser que leur client avait demandé l’autorisation d’interjeter appel et pour savoir s’ils l’avaient conseillé à ce sujet. Il les avait aussi invités à présenter des observations sur l’allégation, formulée par M. Monnell dans sa demande, selon laquelle un certain individu aurait dû être convoqué comme témoin à son procès. En réponse, ils avaient communiqué au Bureau une copie de l’avis négatif de l’avocat et relaté leurs tentatives pour découvrir les nombreux témoins à décharge que M. Monnell voulait à l’origine voir comparaître. Ils avaient précisé que l’intéressé avait ensuite résolu de ne pas citer la plupart de ceux dont ils avaient retrouvé la trace. Quant aux nouveaux solicitors, ils demandèrent l’aide judiciaire afin, notamment, d’étudier la possibilité d’un recours en révision fondé sur des preuves complémentaires à fournir. En outre, M. Monnell pria le Bureau des appels criminels de différer l’examen de sa requête en autorisation d’interjeter appel, dans l’attente du résultat des recherches entamées par ses nouveaux solicitors. Une assistance judiciaire limitée fut accordée. Ladite requête vint devant un juge unique, le juge Brown (paragraphe 23 ci-dessous). Il disposait aussi des renseignements complémentaires fournis par les anciens solicitors de M. Monnell et des pièces judiciaires pertinentes (déclarations des témoins, rapports d’enquête sociale et d’expertise psychiatrique, etc.). Il accepta de connaître de la requête, bien que tardive, mais la rejeta en même temps que diverses demandes annexes (aide judiciaire, élargissement sous caution, autorisation d’assister à l’audience et de citer des témoins). le 2 décembre 1981, il motiva sa décision par écrit en ces termes: "Le jury vous a déclaré coupable sur la base de preuves abondantes et après un résumé complet et exact du juge. Quant aux nombreux témoins que vous affirmez maintenant vouloir citer, vous n’aviez pas réclamé leur comparution à votre procès. Il n’y a aucune raison de modifier le verdict du jury. La peine globale prononcée contre vous n’était ni excessive ni injuste dans son principe." Le 9 décembre 1981, M. Monnell reprit tous les éléments de la requête rejetée par le juge Brown. Sur le formulaire SJ qu’il utilisa figurait l’avertissement suivant: "NON-IMPUTATION. Réitérer une requête auprès de la Cour après que le juge l’a repoussée peut entraîner une ordonnance de non-imputation si la Cour estime non fondée la nouvelle requête. Si le juge a déjà décidé la non-imputation d’une certaine période, la Cour pourra décider d’allonger cette dernière." Après le rejet d’une demande d’aide judiciaire supplémentaire à la fin de janvier 1982, les solicitors informèrent M. Monnell qu’ils ne pouvaient mener d’autres recherches pour son compte, qu’ils n’avaient pas abouti à des résultats concluants et qu’ils n’étaient donc pas en mesure de lui indiquer s’il devait ou non persister. Le 20 mai 1982, la Court of Appeal plénière écarta la requête dans son intégralité, jugeant les moyens d’appel "totalement dénués de fondement". Dans son arrêt, rendu par le Lord Justice Watkins, elle déclara: "[M. Monnell] n’avait pas l’ombre d’une raison de saisir la Cour d’une requête en autorisation d’appel du verdict ou de la peine. Dans un avis très réfléchi sur le verdict, son avocat a exprimé l’opinion qu’un appel contre celui-ci n’offrait pas la moindre chance de succès; il a ajouté qu’une nouvelle peine de prison était inévitable, tout comme sa durée. Quand une personne, à la lumière d’un tel avis et manifestement sans avoir aucune raison de contester une condamnation régulièrement prononcée, fait perdre son temps à la Cour, comme l’intéressé, en insistant sur ses requêtes en autorisation d’appel, il est juste de rechercher s’il y a lieu de prolonger la durée de sa détention. Nous avons estimé qu’il en allait bien ainsi." En conséquence, la Court of Appeal ordonna la non-imputation, sur la peine, de vingt-huit des jours que M. Monnell avait passés en prison dans l’attente de l’examen de sa requête. Quant au second requérant Le second requérant, Neville Morris, est un ressortissant britannique né en 1939. Le 4 août 1980, il comparut devant la Crown Court de Reading, accusé avec deux autres personnes d’association de malfaiteurs (conspiracy) pour la fourniture d’héroïne pendant une période de deux ans s’étendant jusqu’à février 1980. Le procès s’acheva trois semaines plus tard, le 24, date à laquelle le jury reconnut coupables M. Morris et ses coprévenus. Le premier se vit condamner à trois ans et demi de prison, les deux autres à cinq ans et neuf mois respectivement. M. Morris avait été représenté, au titre de l’aide judiciaire, par un solicitor et un avocat. Ce dernier lui conseilla de ne pas demander l’autorisation d’interjeter appel: d’après lui, la Court of Appeal ne toucherait probablement pas à l’exercice, par le magistrat de première instance, du pouvoir d’accepter des offres de preuve à charge, car ce juge avait appliqué correctement le droit. M. Morris rédigea néanmoins ses propres moyens d’appel contre le verdict et la peine, après quoi son solicitor leur donna "une forme plus compréhensible", les fit dactylographier et signa, au nom de son client, une attestation selon laquelle celui-ci avait lu le formulaire AA, relatif aux conseils en matière d’appel et à la non-imputation (paragraphe 11 ci-dessus). La requête en autorisation d’appel atteignit le Bureau des appels criminels le 22 septembre 1980. Pour dénoncer la faiblesse du constat de culpabilité, le condamné prétendait surtout que des déclarations accablantes avaient été obtenues de lui sous la contrainte, alors qu’il souffrait du manque de stupéfiants. Quant à la peine, sa thèse principale consistait à la taxer d’injuste eu égard au rôle qu’il avait joué dans l’association de malfaiteurs et aux sanctions infligées à ses coprévenus. Le 2 avril 1981, le Bureau des appels criminels communiqua à M. Morris et à son solicitor une copie du compte rendu abrégé des débats du procès. Le 13 avril 1981, M. Morris produisit des moyens supplémentaires à l’appui de son appel, notamment une lettre non signée et non datée, écrite selon lui avant le procès par l’un de ses coaccusés et censée l’innocenter de toute participation à l’infraction. Ces documents, avec toutes les autres pièces pertinentes, furent soumis à un juge unique, le juge Lawson. Le 20 mai 1981, il repoussa la requête en autorisation d’appel ainsi que les demandes annexes (aide judiciaire et autorisation d’assister à l’audience). Dans la décision écrite adressée à M. Morris, il releva que rien ne justifiait l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel. M. Morris n’en réitéra pas moins sa requête. Le formulaire SJ employé par lui à cette fin - expédié le 12 juin 1981, il arriva au Bureau des appels criminels le 17 - contenait le même avertissement que pour M. Monnell (paragraphe 14 ci-dessus). La Court of Appeal plénière, présidée par le Lord Chief Justice (Lord Lane C.J.), écarta la requête le 27 octobre 1981. Elle commença par constater l’absence de toute raison d’autoriser un appel contre la déclaration de culpabilité. Quant à la peine, la juridiction de première instance avait eu le loisir d’évaluer la responsabilité morale respective de M. Morris et de ses coaccusés, puis de fixer en conséquence la sanction infligée à l’intéressé. Et la Cour de conclure: "(...) il doit payer le prix pour avoir réitéré cette requête vouée à l’échec. Il perdra 56 jours." Cinquante-six jours du temps passé en prison par M. Morris dans l’attente du résultat de sa requête en autorisation d’appel ne furent donc pas imputés sur la durée de sa peine. II. LÉGISLATION ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTES Aux termes de l’article 1 § 1 de la loi de 1968 sur les appels criminels (Criminal Appeal Act 1968, "la loi de 1968"), une personne convaincue d’une infraction grave (on indictment) - comme les deux requérants - peut appeler du verdict devant la Court of Appeal. Si l’appel ne porte pas sur une question de pur droit, le condamné doit d’abord obtenir l’autorisation de la Court of Appeal, à moins que le juge de première instance n’ait délivré un certificat attestant que l’affaire se prête à un appel (article 1 § 2). Une telle personne peut également attaquer sa peine (s’il ne s’agit pas d’une peine fixée par la loi) devant la Court of Appeal, mais là aussi - sous réserve de la même exception - à condition que cette dernière l’y autorise (articles 9 et 11). La requête en autorisation, à présenter sur le formulaire prescrit par le règlement de 1968 sur les appels criminels (Criminal Appeal Rules 1968), est d’ordinaire examinée au préalable par un juge unique (articles 31 et 45 § 2). D’après l’article 11 § 1 dudit règlement, le juge unique peut siéger au lieu de son choix et autrement qu’en audience publique. Le système consistant à lui soumettre d’abord pareille requête a pour but essentiel de déterminer les affaires dans lesquelles les moyens d’appel sont sérieux et défendables. Quand un juge unique refuse l’autorisation, son nom et les motifs de sa décision figurent dans la notification à l’intéressé. Si celui-ci entend persister, il doit en aviser le greffier des appels criminels - en utilisant le formulaire réglementaire - dans les quatorze jours de la notification. L’examen de la requête se déroule alors en audience publique, devant la Court of Appeal plénière (article 31 § 3 de la loi de 1968), qui accorde l’autorisation si l’un quelconque de ses membres se prononce en ce sens (R v. Healey, Criminal Appeals Reports, vol. 40, p. 42). Juge unique et Court of Appeal plénière connaissent de la requête, ainsi que des demandes annexes, à la lumière de l’ensemble du dossier et des moyens d’appel, mais en général se passent de plaidoiries. Néanmoins, le requérant peut toujours charger un conseil de comparaître devant eux, à ses frais, pour présenter des observations orales (article 11 § 2 du règlement précité). Il n’existe aucun droit absolu à l’aide judiciaire pour l’examen d’une requête en autorisation d’appel. La grande majorité des personnes poursuivies au pénal devant les Crown Courts bénéficient d’une telle aide; elles peuvent en jouir notamment pour consulter un homme de loi sur le point de savoir s’il semble y avoir des motifs raisonnables d’appel et, dans l’affirmative, pour préparer au besoin pareille requête (loi de 1974 sur l’aide judiciaire (Legal Aid Act 1974), articles 28 § 7 et 30 § 7). Si toutefois l’avocat du procès de première instance déconseille l’appel, l’ordonnance d’aide judiciaire devient caduque pour les solicitors et pour lui. Le greffier des appels criminels, le juge unique et la cour plénière peuvent cependant accorder l’aide judiciaire à un requérant non représenté; ils le peuvent aussi, qu’un avocat ait ou non exposé les moyens d’appel, aux fins d’une consultation et d’une assistance plus amples ou de plaidoiries devant un juge unique ou la cour plénière (articles 28 § 8 et 30 § 8 de la loi de 1974 sur l’aide judiciaire; article 3 § 4 du règlement général de 1968 sur l’aide judiciaire en matière pénale). Si un juge a refusé l’aide judiciaire, le greffier ne peut l’octroyer sauf changement de circonstances (article 3 § 9 du règlement général précité). D’ordinaire, quiconque désire interjeter appel a l’occasion de se procurer un avis et une assistance juridiques quant aux moyens à invoquer, et ce par voie d’aide judiciaire s’il ne peut assumer lui-même la dépense. Un détenu a toujours besoin d’une permission de la cour pour comparaître devant elle quand elle connaît de sa requête en autorisation d’appel (article 22 § 2 b) de la loi de 1968). En pratique, elle ne la lui accorde que dans des cas exceptionnels, et rarement si la procédure se déroule devant un juge unique. Les motifs d’appel contre la déclaration de culpabilité sont limités. La Court of Appeal ne réexamine pas les faits de la cause. Elle peut recueillir de nouveaux éléments de preuve, mais il ne suffit pas que l’intéressé affirme en avoir souhaité la production en première instance: il doit convaincre la cour de leur crédibilité, de leur pertinence et de l’existence d’une bonne raison qui a empêché de les fournir à l’époque. La Court of Appeal - juge unique ou cour plénière - ne convoque pas de témoins lorsqu’elle étudie une requête en autorisation d’appel; elle recherche d’abord si les moyens avancés sont de nature à constituer des motifs d’appel, puis s’ils ont un fondement quelconque. Dans l’affirmative elle octroie l’autorisation, tandis qu’elle la refuse si lesdits moyens ne sont pas des motifs légitimes d’appel ou ne méritent pas plus ample discussion ou examen. Tout condamné qui consulte un homme de loi à propos d’un appel se voit expliquer ces principes fondamentaux. On l’informe aussi qu’un avocat n’a pas le droit de rédiger des moyens indéfendables. Aux termes de l’article 11 § 3 de la loi de 1968, la Court of Appeal statue de telle sorte que l’affaire étant envisagée dans son ensemble, l’appelant ne soit pas plus sévèrement traité en appel qu’en première instance. En droit anglais, un condamné commence à subir une peine d’emprisonnement dès sa condamnation s’il n’y a pas appel; on ne le considère pas comme en détention provisoire s’il y en a un. De la durée de la peine, il faut toutefois retrancher le temps passé en détention provisoire. L’article 29 § 1 de la loi de 1968 précise en outre que la période pendant laquelle un appelant se trouve détenu dans l’attente du résultat de son appel - y compris sa requête en autorisation d’appel - est imputée, sauf décision contraire de la Court of Appeal, sur la durée de la peine infligée en première instance. La cour ne peut se prononcer contre l’imputation (article 29 § 2) si elle octroie l’autorisation (paragraphe 23 ci-dessus). Si elle la refuse, en revanche, rien ne l’empêche d’ordonner que cette période, en tout ou partie, ne viendra pas en déduction de la durée de la peine. Pareille décision peut aussi émaner d’un juge unique (article 31 § 2 h) de la loi de 1968), mais il n’en a pas été ainsi en l’espèce. Elle doit être motivée et les motifs communiqués au requérant (article 29 § 2). Selon le droit en vigueur avant 1966, on n’imputait pas en principe sur la peine la durée de l’examen d’une requête infructueuse en autorisation, mais le requérant ne "perdait" pas plus de six semaines, sauf décision contraire de la Court of Appeal. Celle-ci conservait le pouvoir souverain d’ordonner l’imputation intégrale ou la non-imputation d’une période plus ou moins longue. En pratique elle n’en usait guère, et le détenu perdait donc presque immanquablement jusqu’à 42 jours par le jeu de la loi. La règle actuelle remonte à 1966 et figure désormais à l’article 29 de la loi de 1968; elle donne effet aux recommandations qu’une commission interministérielle sur la Court of Criminal Appeal (Cour des appels criminels) avait présentées dans un rapport de 1965 (Command Paper Cmnd 2755). Cette commission avait suggéré que la Cour se penchât sur la question de la non-imputation au lieu d’appliquer, comme jusque-là, une règle quasi automatique aux dépens de l’appelant. En formulant ses recommandations, elle reconnaissait les risques que l’on courrait si l’on atténuait les obstacles dressés contre des requêtes futiles; elle pensait pourtant que la prérogative, conservée par la cour, de pénaliser les auteurs de demandes entièrement dénuées de fondement servirait de moyen de dissuasion. Néanmoins, en 1969 le nombre des requêtes en autorisation était passé à 9.700 et en mars 1970 il atteignait 1.000 par mois. En pratique, il n’arrivait presque jamais à un juge unique de rendre une ordonnance de non-imputation. Le 17 mars 1970, le Lord Chief Justice (Lord Parker C.J.) adopta une directive de procédure (Practice Direction) soulignant que le simple volume des demandes entraînait des retards inacceptables pour celles qui étaient fondées. Il proclamait en conséquence que comme presque tous les appelants bénéficiaient de l’aide judiciaire pour les besoins de leurs recours, le juge unique ne devait plus avoir aucune raison de s’abstenir d’ordonner la non-imputation s’il jugeait bon d’exercer son pouvoir au vu de l’ensemble des circonstances de la cause. L’objectif déclaré de la directive consistait à "permettre un examen rapide des affaires sérieuses en décourageant les demandes futiles qui en contrecarraient la marche". Dans les quinze jours qui suivirent, le nombre des requêtes diminua de 50 %, pour tomber à environ 500 par mois. Le 14 février 1980, le Lord Chief Justice (Lord Widgery C.J.) adopta une nouvelle directive de procédure signalant derechef aux intéressés que cour plénière et juge unique avaient le pouvoir de prescrire la non-imputation (All England Law Reports 1980, vol. 1, p. 555). Cette mesure était redevenue nécessaire car "les appels sérieux souffraient de retards importants et croissants à cause du nombre énorme des appels voués à l’échec". Selon le Gouvernement, les appels émanent dans leur grande majorité de condamnés subissant une peine de prison et les ordonnances de non-imputation fixent en pratique une perte maximale de 64 jours. En 1981, on a enregistré 6.097 requêtes en autorisation d’appel. On ne dispose pas de chiffres précis sur la fréquence des non-imputations, ni sur les durées non imputées. Toutefois, les informations rassemblées par le Bureau des appels criminels montrent que la non-imputation a été prescrite - par des juges uniques ou par la cour plénière - pour 60 à 65 demandes; qu’elle a porté sur une période de 7 à 64 jours; et que dans 75 % des cas environ elle se situait à 28 jours (décision la plus courante) ou moins. En 1984, la dernière année pour laquelle on ait des statistiques, 8.262 affaires au total ont été examinées, dont quelque 6.500 par des juges uniques. Le nombre total des affaires figurant au rôle de la cour plénière atteignait 3.800. Il s’agissait tantôt de requêtes renouvelées après leur rejet par un juge unique, tantôt d’appels dûment autorisés ou encore introduits directement devant la cour. 91,39 % des demandeurs se trouvaient détenus. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Monnell a saisi la Commission le 5 août 1981 (requête no 9562/81), M. Morris le 13 mars 1982 (requête no 9818/82). Ils prétendaient tous deux que les ordonnances de non-imputation rendues par la Court of Appeal avaient entraîné pour eux une privation de liberté contraire à l’article 5 (art. 5) de la Convention, qu’en dépit de l’article 6 (art. 6) on leur avait refusé un procès équitable, faute de les autoriser à assister en personne aux débats de ladite cour ou à s’y faire représenter, et que la procédure de non-imputation enfreint l’article 14 (art. 14) par son caractère discriminatoire. M. Monnell se plaignait aussi d’irrégularités dans la manière dont la police avait mené l’enquête pénale. Le 17 janvier 1984, la Commission a décidé de joindre les deux requêtes afin d’y consacrer une seule audience. Le 20 janvier 1984, elle les a retenues quant aux griefs communs (relatifs aux ordonnances de non-imputation), mais a déclaré irrecevables les allégations supplémentaires de M. Monnell. Dans son rapport unique du 11 mars 1985 (article 31) (art. 31), elle estime qu’il y a eu violation des articles 5 § 1 (art. 5-1) (dix voix contre une) et 6 (art. 6) (neuf voix contre deux) dans le chef des deux requérants, mais qu’il ne s’impose pas de rechercher séparément s’il y a eu méconnaissance de l’article 14 combiné avec l’article 5 (art. 14+5) (unanimité) ou l’article 6 (art. 14+6) (sept voix contre quatre). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Lors des audiences du 25 juin 1986, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour "1. à juger et déclarer conformes à l’article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention les ordonnances décidant la non-imputation, sur les peines infligées aux requérants, de périodes passées par eux en détention dans l’attente du résultat de leur appel; à juger et déclarer que l’article 6 (art. 6) n’exigeait pas la présence des requérants lors des audiences, ni la possibilité pour eux de formuler des arguments distincts en plus de ceux figurant dans leurs moyens d’appel; à juger et déclarer superflu de rechercher séparément s’il y a eu des violations de l’article 14 (art. 14); à juger et déclarer, au cas où il s’imposerait de rechercher séparément s’il y a eu de telles violations, qu’il n’y en a pas eu."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte La requérante, citoyenne britannique née en décembre 1959, réside en Angleterre. Vers le mois d’octobre 1978, elle rencontra un certain M. B. avec lequel elle se mit en ménage. Son fils, A., vit le jour le 29 août 1979, peu après la sortie de prison de M. B. Elle eut un deuxième enfant, J., le 9 octobre 1980, et un troisième - que la présente procédure ne concerne pas - en 1985. Deux jours après que la requérante eut quitté la clinique où elle se trouvait pour la naissance de A., M. B. se livra sur elle à des violences graves. A nouveau il lui infligea des sévices à l’hôpital en octobre 1979, lors d’une visite à A. Bien que la requérante l’ait ignoré à l’époque, cet incident amena les services sociaux de la commune sur le territoire de laquelle elle habitait à inscrire A. dans le "registre des personnes à risque" ; ces registres, que chaque autorité locale tient sans obligation légale afin de fournir un auxiliaire administratif aux organes chargés de veiller sur les enfants, consignent des données relatives aux enfants repérés comme en butte ou exposés à des mauvais traitements. En janvier 1980, après avoir logé dans des foyers, la requérante et son compagnon réussirent à louer un appartement, mais des difficultés surgirent du fait que M. B. buvait, la battait constamment et ne payait pas le terme. La requérante reconnaît qu’à l’époque elle arrivait à s’occuper de A., mais ne pouvait lui prodiguer assez d’amour et d’attention. A partir de février 1980, la famille reçut régulièrement la visite d’un travailleur social qui l’aida, entre autres, à résoudre ses problèmes financiers. En mars 1980, un travailleur social alla voir la requérante et lui apprit que A. figurait dans le "registre des personnes à risque". A une autre occasion il enjoignit à M. B. de se ressaisir, sans quoi A. lui serait soustrait. Au milieu de 1980 M. B. suivit une cure de désintoxication, mais lors d’une permission de fin de semaine recommença de boire et de frapper la requérante. B. Placement de A. et J. sous assistance à la demande de la requérante Au cours d’un séjour de la requérante, de A. et de M. B. dans la famille de ce dernier au pays de Galles en septembre 1980, M. B. fut arrêté du chef d’actes d’escroquerie. En regagnant son domicile avec A., la requérante découvrit que M. B. avait permis à des squatters de pénétrer dans l’appartement et leur avait "vendu" la clé. L’autorité locale lui suggéra de lui confier volontairement A. (paragraphes 40-42 ci-dessous) pour quelques jours, le temps de récupérer l’appartement, et plaça l’enfant pour une courte durée chez des parents nourriciers employés par les services sociaux. Elle expulsa les squatters ultérieurement ; la requérante, à nouveau enceinte, suivit son conseil de laisser volontairement A. sous assistance jusqu’après l’accouchement. Le deuxième enfant de la requérante, J., naquit le 9 octobre 1980. A cette date M. B., condamné avec sursis, était rentré du pays de Galles. Le 10 octobre il se présenta au domicile des parents nourriciers, ivre et d’humeur agressive, pour chercher A. dans le but de rendre visite à la requérante à l’hôpital. Les parents nourriciers alertèrent l’autorité locale qui dépêcha un travailleur social chargé d’accompagner M. B. et A. Elle craignait que M. B. ne voulût enlever A. et recommanda au personnel de nuit de solliciter la délivrance d’une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 31 ci-dessous) s’il essayait de le faire. Les travailleurs sociaux avertirent aussi M. B. que s’il ne s’amendait pas, l’autorité se substituerait peut-être à lui pour la puissance parentale (paragraphe 43 ci-dessous). La requérante sortit de clinique le 19 octobre et A. réintégra le logement familial en novembre, mais la situation ne s’améliora pas en ce qui concerne M. B. En février 1981, la requérante fut hospitalisée d’urgence. M. B. et elle décidèrent de confier les enfants à l’autorité locale, qui les plaça chez des parents nourriciers, car il était incapable de s’en occuper. Pendant son séjour à l’hôpital, la requérante résolut de rompre avec M. B. Aidée par un travailleur social, elle se rendit dans un refuge pour femmes où elle demeura six semaines. C. Résolution sur la puissance parentale de M. B. à l’égard de A. et J. - évolution ultérieure L’autorité redoutait la réaction probable de M. B. à la décision de la requérante de le quitter et craignait qu’il ne reprît les enfants. En février 1981, le président du comité local des services sociaux approuva l’adoption d’une résolution par laquelle elle assumait la puissance parentale de M. B. à l’égard de A. et J. - d’après la législation applicable il n’en avait pourtant aucune, s’agissant d’enfants nés hors mariage - au motif que ses "habitudes et son mode de vie le rend[ai]ent inapte à assurer [leur] garde". Informé de cette résolution, l’intéressé ne s’y opposa pas (paragraphe 44 ci-dessous). Il continua de recevoir l’aide des services sociaux et fut hospitalisé en mars 1981 pour une cure de désintoxication, mais il rechuta. Pendant son séjour au refuge pour femmes, la requérante alla voir fréquemment A. et J. chez leurs parents nourriciers. Elle déclara au travailleur social responsable qu’elle souhaitait les reprendre auprès d’elle aussitôt rétablie de son hospitalisation. Elle consulta en outre un avocat dans le but d’interdire à M. B. tout contact avec elle ou les enfants, condition imposée par l’autorité pour leur procurer un logement commun. Après une réunion ad hoc tenue en mars 1981 - en l’absence et à l’insu de la requérante -, l’autorité décida d’inscrire J., en sus de A., au "registre des personnes exposées à risque", à cause de l’incertitude de la situation familiale. Néanmoins, le travailleur social responsable du dossier déclara lors de la réunion que l’on espérait arriver un jour à rassembler la requérante et les enfants ; on discuta aussi de la possibilité que celle-ci vécût à nouveau avec M. B., mais on n’aboutit à aucune conclusion quant aux conséquences qui devraient en résulter pour elle et les enfants. Le 26 mars, la requérante recouvra la garde de A. et J. ; ils allèrent la rejoindre au refuge. La requérante avait sollicité de la County Court de l’endroit une ordonnance refusant à M. B. l’accès de l’appartement ; le 31 mars 1981, son solicitor lui annonça que les débats auraient lieu le lendemain. En raison de ses bonnes relations avec eux, la requérante convint avec les parents nourriciers chez qui les enfants avaient séjourné auparavant qu’ils s’en occuperaient le jour de l’audience ; il s’agissait d’un accord officieux passé sans la participation de l’autorité. Le 1er avril, la requérante rencontra M. B. en dehors du tribunal et ils décidèrent d’essayer de renouer malgré la procédure en cours. Les faits concernant les 24 heures suivantes sont contestés. La requérante affirme avoir demandé aux parents nourriciers de veiller sur les enfants une nuit de plus afin qu’elle pût juger de la réalité de sa réconciliation avec M. B. Elle déclare aussi avoir été invitée à se mettre en contact avec un travailleur social principal qu’elle n’avait jamais rencontré auparavant ; il lui aurait signalé qu’elle ne pourrait pas récupérer ses enfants si elle voulait recommencer ses relations avec M. B. Elle aurait compris qu’elle devrait laisser les enfants chez les parents nourriciers jusqu’au 3 avril, que l’autorité n’arrêterait aucune mesure jusqu’à cette date et qu’elle-même devrait alors examiner la situation avec le travailleur social qu’elle connaissait. Selon le dossier de ce dernier, la requérante et M. B. furent tous deux avertis le 1er avril que l’autorité devrait obtenir certaines attributions juridiques sur les enfants, mais on ne parla pas de résolution sur la puissance parentale. D. Résolution sur la puissance parentale de la requérante à l’égard de A. et J. Au cours d’une discussion le 2 avril 1981, les deux travailleurs sociaux responsables estimèrent qu’il fallait demander de conférer à l’autorité la puissance parentale de la requérante. La pièce pertinente mentionne ceci : "(...) A plus longe échéance, il conviendrait d’envisager d’expliquer à [la requérante] ce que nous attendrions d’elle avant de lui restituer la garde des enfants et que si elle se révélait incapable de s’occuper d’eux durablement et de manière satisfaisante, nous songerions à les rendre adoptables." La requérante, avec qui l’autorité n’était pas entrée en contact le 2 avril au sujet de cette discussion ni d’une autre question, passa le lendemain 3 aux services sociaux ; selon ses dires, c’était là chose entendue. On l’aurait alors informée que l’autorité avait adopté une résolution assumant son autorité parentale sur A. et J. De cette résolution, la date exacte et le mode d’adoption n’apparaissent pas clairement. Elle remonte au 3 avril 1981 d’après la thèse défendue par l’autorité dans toutes les procédures ultérieures, mais il ressort de l’enquête du médiateur local (paragraphe 26 ci-dessous) qu’elle porte la date du 7 avril, peut-être à cause d’un retard dans la frappe du document. A l’époque, les enfants séjournaient de facto chez les parents nourriciers qui s’étaient occupés d’eux quand leurs parents les avaient confiés à l’autorité (paragraphe 13 ci-dessus) ; il semble pourtant fort douteux qu’ils se trouvassent en droit sous assistance volontaire et que la résolution fût donc légale (article 3 par. 1 de la loi de 1980 sur la protection de l’enfance ; paragraphe 43 ci-dessous). Selon le médiateur local, l’autorité croyait la résolution licite et ses fonctionnaires avaient agi de bonne foi. La mesure à laquelle ils avaient voulu recourir venait de ce que la requérante n’avait cessé de manquer, sans motif raisonnable, à ses obligations de parent, au point qu’elle se révélait inapte à assurer la garde des enfants. E. Procédures judiciaires visant à contester la résolution sur la puissance parentale de la requérante Le 15 avril 1981, la requérante signifia son opposition à ladite résolution, ce qui le 30 amena l’autorité locale à saisir le tribunal pour enfants afin qu’il en appréciât le bien-fondé (paragraphe 44 ci-dessous). Diverses dates furent fixées pour l’audience, mais il fallut les annuler ; dans l’intervalle A. et J., placés pour une courte durée chez des parents nourriciers, demeurèrent soumis à la résolution et reçurent la visite de leur mère une fois par semaine environ. Le travailleur social responsable informa celle-ci qu’il ne soulèverait pas d’objections contre leur retour à la maison si M. B. trouvait du travail et si leur appartement était remis en état. Le 4 août, on offrit à la requérante des visites bihebdomadaires. D’après le rapport du médiateur local, elle confia en juillet à un travailleur social qu’elle s’inquiétait beaucoup à l’idée de reprendre les enfants, à cause de l’attitude de M. B., puis le 19 août, qu’elle se sentait "incapable de s’occuper" d’eux. Au début du mois d’août, l’audience du tribunal fut renvoyée en raison d’une maladie du solicitor de la requérante et pour donner à celle-ci la possibilité d’obtenir une expertise médicale sur M. B. Le 10 août 1981, M. B. s’enivra et força un coffre à l’hôpital où la requérante et lui avaient commencé à travailler à titre bénévole. Après avoir gagné le pays de Galles où ils dépensèrent l’argent volé, ils furent tous deux arrêtés et inculpés. Libérée sous conditions par la suite, la requérante fut condamnée le 14 septembre à six mois de prison mais en appel, le 9 octobre, la Crown Court prononça son élargissement sous probation pendant deux ans. M. B. resta incarcéré jusqu’en juin 1982, et il n’a plus eu de contacts avec elle. Le 25 août 1981, lors d’une réunion ad hoc, l’autorité locale décida que si la résolution sur la puissance parentale ne devenait pas caduque - parce que la requérante retirait son opposition ou échouait dans son recours au tribunal pour enfants - A. et J. cesseraient de recevoir des visites de leur mère et seraient placés pour une longue durée chez des parents nourriciers, aux fins d’adoption. La requérante ne fut avertie ni de la conférence ni de son résultat et l’existence de cette décision ne fut révélée que plus tard. Les débats devant le tribunal pour enfants se déroulèrent le 29 septembre 1981, mais à leur occasion la requérante retira son opposition à la résolution sur la puissance parentale : ses solicitors d’alors lui avaient dit que se trouvant à l’époque en prison, elle ne pouvait pas sérieusement contester la résolution, encore qu’elle dût pouvoir demeurer en rapport avec ses enfants. Le 9 octobre, à sa sortie de prison, elle demanda à voir ses enfants. On lui répondit qu’elle ne le pouvait pas, d’abord parce qu’elle avait été détenue et aussi à cause de ses relations avec M. B. ; on lui signala en outre, pour la première fois, que l’on comptait placer les enfants à très bref délai, aux fins de leur adoption. Ils furent en effet confiés en décembre, pour une longue période, à des parents nourriciers dont ils avaient fait la connaissance le 6 novembre. Leur mère ne les avait pas rencontrés depuis le 13 septembre 1981 ; elle ne devait les revoir qu’en avril 1986 (paragraphe 28 ci-dessous). Après avoir à nouveau consulté un avocat, la requérante demanda au tribunal pour enfants, le 8 décembre 1981, d’annuler la résolution sur la puissance parentale (paragraphe 45 ci-dessous). Elle ne pouvait plus prétendre n’avoir cessé de la combattre, mais allégua que sa levée servirait l’intérêt même des enfants. En raison de lenteurs judiciaires, la cause ne fut entendue que les 5 et 6 avril 1982. A la majorité, le tribunal décida de maintenir la résolution : selon lui, la requérante risquait de renouer avec M. B., donc d’exposer les enfants à l’influence de ce dernier ; de plus, on les perturberait si on les retirait aux parents nourriciers désignés pour une longue période. Après des audiences qui eurent lieu du 15 au 17 novembre 1982, la Family Division de la High Court débouta la requérante de son appel contre cette décision. Elle estima que l’on causerait aux enfants une secousse injustifiable si on les éloignait de leurs parents nourriciers; tout bien pesé, mieux valait les laisser sous assistance. La requérante avait plaidé qu’en cas de rejet de son recours, l’autorité locale trancherait la question des visites à sa guise et dans un sens défavorable puisqu’elle préconisait l’adoption des enfants. La High Court examina l’argument, mais elle ne pouvait connaître des visites séparément (paragraphe 53 ci-dessous). Les deux juges invoquèrent l’incidence du temps écoulé entre le placement des enfants chez d’éventuels adoptants en décembre 1981 et les débats en appel ; le président de la Family Division s’exprima ainsi : "Je ne prétends pas qu’il faille blâmer quelqu’un. Il peut s’agir d’un simple concours de circonstances (...). On ne saurait assez souligner que dans une telle affaire, où tous les intéressés attachent une grande importance à la continuité et où elle a même constitué la base de la décision de première instance, la célérité détermine le succès éventuel d’un appel. Rien n’empêcherait de nous saisir d’une demande interlocutoire pour hâter l’examen d’un appel." La requérante fut autorisée à se pourvoir devant la Court of Appeal, mais ne persista pas dans son action. F. Procédure de tutelle Après avoir consulté derechef un avocat, la requérante invita la High Court, en janvier 1983, à déclarer les enfants pupilles de la justice (paragraphes 47-49 et 54 ci-dessous), de manière à soulever la question des visites. Le 25 février la High Court, se conformant aux principes que la Chambre des Lords avait énoncés dans l’affaire A. v. Liverpool City Council, refusa de maintenir la tutelle, comme elle en avait la compétence : il lui parut impossible d’affirmer que l’autorité avait manifestement abusé de sa liberté d’appréciation (paragraphes 53-54 ci-dessous). Elle jugea, entre autres, qu’il eût été "prématuré" pour l’autorité d’informer la requérante, en août 1981, de sa décision conditionnelle de cette date (paragraphe 21 ci-dessus). Mme R. fut admise à recourir contre cette décision, mais son conseil conclut à l’absence de moyens à présenter ; à l’époque, on lui dit aussi qu’elle ne disposait plus d’aucun recours pour faire rétablir ses visites à ses enfants. G. Le médiateur local L’intéressée saisit le médiateur local, compétent pour instruire les plaintes de quiconque prétend avoir subi une injustice résultant d’une mauvaise administration à l’occasion de mesures qu’une autorité locale a prises dans l’exercice de ses fonctions administratives. Elle alléguait une mauvaise administration en ce que a) la manière dont l’autorité avait assumé la puissance parentale en avril 1981 prêtait à la critique et b) l’autorité avait négligé par la suite de la tenir informée de ses intentions quant aux enfants. Dans son rapport du 9 mai 1984, le médiateur local constata le bien-fondé du premier grief mais non du second ; il ajouta néanmoins que la solution "idéale" eût consisté à parler à la requérante de la décision arrêtée à la réunion ad hoc du 25 août 1981 (paragraphe 21 ci-dessus). Examinant l’injustice qui découlait de la mauvaise administration relevée, il déclarait : "Je ne puis imaginer aujourd’hui ce qui serait arrivé sans les erreurs commises. Peut-être exactement la même chose, mais on ne saurait le dire. On ne peut retourner en arrière et, comme je l’ai indiqué, le sort des enfants dépend de la justice. [L’autorité] ne peut donc plus grand-chose pour réparer ses torts éventuels, sauf présenter des excuses à [la requérante], lui rembourser les frais exposés par celle-ci pour m’adresser sa plainte et reconsidérer [ses] procédures. Je note avec plaisir [qu’elle] les réexamine déjà." H. Évolution ultérieure Le 27 mai 1983, les parents nourriciers de A. et J. demandèrent à les adopter. En avril 1984, alors que la procédure demeurait en instance devant la High Court, la requérante pria cette dernière de déclarer les enfants pupilles de la justice, notamment parce que les candidats à l’adoption s’étaient séparés et afin de solliciter un droit de visite ainsi que la garde et la direction des enfants. En octobre 1984, l’autorité locale annula de son propre chef la résolution sur la puissance parentale. Le 12 novembre 1984, la High Court confirma la tutelle et refusa de se passer du consentement de la requérante à l’adoption comme l’y invitaient les parents nourriciers (paragraphe 57 ci-dessous) ; elle réserva la question des visites. Le 16 décembre 1985, la High Court prononça une ordonnance autorisant le tuteur ad litem (paragraphe 49 ci-dessous) à organiser et contrôler jusqu’à trois rencontres annuelles entre la requérante et les deux enfants, lesquels restent pupilles de la justice et vivent avec la mère nourricière. Des visites ont eu lieu en avril et septembre 1986 et, au moment des audiences devant la Cour européenne, une autre était en perspective pour janvier 1987. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Assistance à l’enfance Introduction Le droit anglais et gallois ménage plusieurs procédures différentes, et en partie coordonnées, destinées à protéger l’enfance. La compétence de la High Court en matière de tutelle en constitue la plus ancienne, mais depuis maintes années elle coexiste - sans avoir disparu pour autant - avec diverses règles légales permettant de confier un enfant en danger à une autorité locale. Bien que la terminologie ainsi employée ne soit pas entièrement exacte, on a coutume de distinguer entre deux séries de mesures législatives : les premières prévoient "l’assistance d’office" (compulsory care) et instaurent un système qui habilite l’autorité locale à obtenir une ordonnance judiciaire plaçant un enfant sous sa garde ; les secondes ont trait à "l’assistance sur demande" (voluntary care), mécanisme conçu d’abord pour répondre à une situation d’urgence sans qu’il faille s’adresser aux tribunaux. On dénombre en permanence en Angleterre et au pays de Galles quelque 86.000 enfants confiés à l’assistance publique, dont 70.000 ne vivent pas avec leurs parents ou un proche. Les dispositions légales ont été modifiées à plusieurs reprises. Beaucoup d’entre elles ont été abrogées et remplacées par la loi de 1980 sur la protection de l’enfance ("la loi de 1980"), texte de synthèse dont la majeure partie est entrée en vigueur le 1er avril 1981. Dans l’aperçu ci-après du droit applicable à l’époque de la présente affaire, la version initiale est citée d’abord et toute clause correspondante de la loi de 1980 en vigueur au moment considéré figure entre crochets. Fournissant des renseignements de base d’ordre général, ce résumé couvre l’ensemble des trois procédures mentionnées (assistance d’office, assistance sur demande et tutelle), mais en l’espèce entraient directement en ligne de compte l’assistance sur demande et la compétence de la High Court en matière de tutelle. Assistance d’office La principale loi relative à l’assistance d’office est celle de 1969 sur les enfants et adolescents ("la loi de 1969"), amendée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée en partie par la loi de 1980 ; elle permet à l’autorité locale de demander, à titre de mesure temporaire, une "ordonnance de placement en lieu sûr" (place of safety order) et, à plus long terme, diverses autres ordonnances. a) Ordonnance de placement en lieu sûr Selon l’article 28 par. 1 de la loi de 1969, chacun, y compris une autorité locale, peut solliciter d’un juge de paix le pouvoir de garder un enfant et de l’amener en lieu sûr ; le juge peut accueillir la requête s’il en estime l’auteur fondé à croire, notamment, que le bon développement de l’enfant subit des entraves ou négligences évitables, que sa santé souffre d’un manque de soins ou d’atteintes évitables, qu’il est maltraité ou exposé à un danger moral. Une "ordonnance de placement en lieu sûr" vaut pour 28 jours au maximum et ne peut être prorogée. La personne qui garde l’enfant doit s’employer dans les meilleurs délais à informer le parent de la détention et de ses motifs. Si l’autorité locale souhaite que l’enfant reste dans un milieu protecteur au-delà de la période de 28 jours, elle doit le placer sous tutelle judiciaire (paragraphes 47-49 ci-dessous), soit engager une procédure d’assistance conformément à l’article 1 de la loi de 1969 (paragraphes 32-34 ci-dessous), soit solliciter du juge ou de la Magistrates’ Court une ordonnance provisoire en vertu de l’article 28 par. 6 (paragraphe 37 ci-dessous) ; en cas de rejet d’une demande de la dernière catégorie, la remise immédiate de l’enfant "peut être ordonnée". b) Mesures à plus long terme i. Procédure d’assistance Si une autorité locale croit raisonnablement qu’il convient de prendre une ordonnance visant à aider, diriger ou surveiller un enfant, les articles 1 et 2 par. 2 de la loi de 1969 l’obligent, sous réserve de quelques exceptions, à engager une procédure d’assistance (care proceedings) en le traduisant devant un tribunal pour enfants. En pareil cas, les parties sont l’autorité locale et l’enfant, mais non les parents. L’enfant peut au besoin bénéficier de l’aide judiciaire et il lui est loisible de laisser ses parents mener l’affaire pour son compte, eux-mêmes ou par l’intermédiaire d’un avocat. S’il a une maturité suffisante, il peut opter pour une représentation séparée. Un parent naturel qui n’agit pas au nom de l’enfant a le droit d’être averti de l’audience, de la suivre, de déposer et de citer des témoins pour contester les allégations de l’autorité locale. En pratique, le tribunal l’admet aussi à procéder à un interrogatoire croisé des témoins de celle-ci et à désigner son propre conseil. Lorsque le tribunal devant lequel comparaît l’enfant constate l’existence de l’un des motifs énoncés à l’article 1 de la loi de 1969 et la nécessité, pour l’enfant, d’une assistance ou surveillance qu’on ne saurait guère lui assurer sans une ordonnance, il peut rendre entre autres une ordonnance de surveillance, d’assistance ou provisoire. Parmi lesdits motifs se trouvent ceux qui justifient une ordonnance de placement en lieu sûr (paragraphe 31 ci-dessus). ii. Ordonnances pertinentes Une ordonnance de surveillance (supervision order) place l’enfant sous la surveillance des services de l’autorité locale ; à cela près, il peut continuer à vivre avec ses parents. Une ordonnance d’assistance (care order) confie l’enfant à la garde de l’autorité locale. Celle-ci a envers lui les pouvoirs et devoirs que son parent ou tuteur auraient en l’absence de l’ordonnance (article 24 de la loi de 1969 [10 par. 2 de la loi de 1980]), avec deux exceptions : elle ne peut faire élever l’enfant dans une foi religieuse différente de celle dans laquelle il l’aurait été autrement, ni consentir à son adoption. Une ordonnance provisoire (interim order) est une ordonnance d’assistance dont la durée de validité ne dépasse pas 28 jours ; elle peut être prorogée sur demande (article 22 de la loi de 1969). Elle peut émaner du tribunal pour enfants saisi de l’affaire s’il n’est pas à même de choisir entre les autres ordonnances déterminées (article 2 par. 10), ou pendant qu’une ordonnance de placement en lieu sûr se trouve en vigueur (paragraphe 31 ci-dessus). Elle confère à l’autorité locale les mêmes pouvoirs et devoirs qu’une ordonnance d’assistance permanente (paragraphe 36 ci-dessus). c) Échéance, modification ou levée des ordonnances d’assistance permanente Une ordonnance d’assistance permanente (full care order) arrive normalement à échéance lorsque l’enfant concerné atteint l’âge de dix-huit ans (article 20 par. 3 b) de la loi de 1969). D’après les articles 21 par. 2 et 70 par. 2, le tribunal pour enfants peut en outre, s’il le juge bon et à la demande de l’enfant ou du parent agissant au nom de celui-ci (mais pas au sien propre), lever l’ordonnance et, le cas échéant, délivrer une ordonnance de surveillance. De telles demandes peuvent être présentées tous les trois mois ou, avec l’accord du tribunal, plus fréquemment (article 21 par. 3). La décision de lever ou non l’ordonnance se fonde avant tout sur les intérêts de l’enfant. d) Recours contre les ordonnances d’assistance Aux termes des articles 2 par. 12 et 21 par. 4 de la loi de 1969, l’enfant faisant l’objet de l’ordonnance d’assistance ou le parent agissant au nom de l’enfant (mais non au sien propre), peut attaquer devant la Crown Court ladite ordonnance, le rejet d’une demande en mainlevée de celle-ci ou une ordonnance de surveillance prise lors de sa levée. La Crown Court contrôle la décision en réexaminant l’affaire. Moyennant une autorisation, sa propre décision se prête à un appel à la High Court, qui statue sur la base d’un exposé des faits agréé par les deux parties ; il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal et, dans de rares hypothèses, à la Chambre des Lords. L’autorité locale ne jouit d’aucun droit général de recours contre le refus du tribunal pour enfants de rendre une ordonnance d’assistance, sauf devant la High Court sur un point de droit. Assistance sur demande La principale loi relative à l’assistance sur demande est celle de 1948 sur les enfants ("la loi de 1948"), modifiée par la loi de 1975 sur les enfants puis remplacée par la loi de 1980. Elle a pour effet de permettre à un parent de confier son enfant à une autorité locale ; dans une première phase celle-ci n’acquiert aucun statut particulier à l’égard de l’enfant, mais il peut en aller différemment par la suite. a) Prise en charge d’un enfant L’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] oblige l’autorité locale à prendre en charge un mineur de dix-sept ans lorsqu’il s’avère, notamment, que la maladie, l’incapacité ou d’autres circonstances empêchent pour un temps ou durablement les parents ou le tuteur d’en assurer comme il convient le logement, l’entretien et l’éducation, et que le bien-être de l’enfant commande une intervention de l’autorité. Sauf disposition contraire de la loi, elle doit en conserver la charge tant qu’il n’a pas dix-huit ans et que son bien-être l’exige, mais il lui faut aussi s’employer à ce que les parents la reprennent lorsque cela semble compatible avec le bien-être de l’intéressé. En son article 1, la loi de 1948 [article 2 de la loi de 1980] précise qu’elle n’habilite pas l’autorité locale à conserver la charge de l’enfant si l’un ou l’autre des parents ou le tuteur souhaitent l’assumer. Toutefois, nul ne peut reprendre un enfant assisté depuis six mois, sans discontinuer, s’il n’en a pas notifié l’intention vingt-huit jours au moins au préalable ou si l’autorité locale ne lui a pas donné son accord (article 1 par. 3 A [13 par. 2]). En outre, si un parent sollicite le retour de l’enfant l’autorité locale n’est pas tenue d’accepter sans se soucier du bien-être de ce dernier (Lewisham London Borough Council v. Lewisham Juvenile Court Justices, All England Law Reports, 1979, vol. 2, p. 297). Si elle juge incompatible avec ce bien-être le transfert de la garde au parent, elle peut soit adopter une résolution sur la puissance parentale (parental rights resolution, paragraphe 43 ci-dessous), soit demander que l’enfant devienne pupille de la justice (ward of court, paragraphes 47-49 ci-dessous). b) Résolution sur la puissance parentale Si une autorité locale chargée d’un enfant au titre de l’article 1 de la loi de 1948 [2 de la loi de 1980] estime, notamment, que l’un des parents est incapable d’en assurer la garde à cause, entre autres, de ses habitudes, de son mode de vie ou de manquements constants et injustifiés à ses obligations de parent, elle peut s’attribuer les droits et devoirs parentaux envers cet enfant (article 2 par. 1 [3 par. 1]). Il s’agit de tous ceux dont la loi investit la mère et le père à l’égard d’un enfant légitime et de son patrimoine, y compris "un droit de visite" (right of access), à l’exclusion toutefois du droit de consentir - ou de s’y refuser - à une adoption ou à certaines ordonnances connexes (article 2 par. 11 de la loi de 1948 [3 par. 10 de la loi de 1980] et article 85 par. 1 de la loi de 1975 sur les enfants). Avant d’assumer la puissance parentale, l’autorité locale doit examiner un rapport de ses services sociaux sur l’opportunité d’une telle mesure ; il doit fournir tous les renseignements nécessaires au bon exercice du pouvoir d’appréciation de l’autorité. Lorsqu’elle se prononce, celle-ci doit attacher une importance primordiale aux intérêts de l’enfant et tenir compte des vues des parents sur la proposition. c) Oppositions aux résolutions sur la puissance parentale Si le parent n’a pas encore accepté par écrit la résolution sur la puissance parentale et si l’on sait où l’atteindre, on doit la lui notifier en lui indiquant qu’il peut s’y opposer dans le délai d’un mois (article 2 paras. 2 et 3 de la loi de 1948 [3 paras. 2 et 3 de la loi de 1980]). S’il use de ce droit, la résolution tombe quatorze jours après la notification de l’opposition (article 2 par. 4 [3 par. 4]). Cependant, pendant ce laps de temps l’autorité locale peut saisir un tribunal pour enfants, moyennant quoi la résolution reste en vigueur jusqu’à la décision. Après examen de la "plainte", le tribunal peut décider que la résolution ne deviendra pas caduque s’il constate que les conditions requises se trouvaient réunies au moment du prononcé, qu’elles le restent et que le maintien de la mesure sert l’intérêt de l’enfant (article 2 par. 5 [3 paras. 5 et 6]). d) Échéance ou levée des résolutions sur la puissance parentale Une résolution sur la puissance parentale reste en vigueur jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de dix-huit ans, sauf si l’autorité locale l’annule ou si un tribunal pour enfants y met un terme auparavant (article 4 de la loi de 1948 [5 de la loi de 1980]). Même sans s’être d’emblée opposé à la résolution, le parent concerné peut en réclamer la levée à un tribunal pour enfants. Celui-ci peut accueillir la demande s’il estime que la résolution ne se justifiait pas ou qu’elle doit prendre fin dans l’intérêt de l’enfant (article 4 par. 3 b) [5 par. 4 b)]). Une demande fondée sur les motifs initiaux de la résolution doit cependant être introduite dans les six mois de l’adoption de celle-ci (article 127 de la loi de 1980 sur la Magistrates’ Court). e) Recours relatifs aux résolutions sur la puissance parentale D’après l’article 4 A de la loi de 1948 [6 de la loi de 1980], un parent ou l’autorité locale peuvent attaquer devant la Family Division de la High Court l’ordonnance d’un tribunal pour enfants confirmant (article 2 par. 5 [3 par. 6]) ou levant (article 4 par. 3 b) [5 par. 4 b)]) une résolution sur la puissance parentale, ou le refus du tribunal de prendre une telle ordonnance. Il existe une possibilité de recours ultérieur à la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, à la Chambre des Lords. Tutelle La Family Division de la High Court a la compétence implicite, indépendante des dispositions légales et découlant de la prérogative régalienne de la Couronne en qualité de parens patriae, de placer un enfant sous tutelle judiciaire. La tutelle a pour effet de conférer la garde, au sens large, au tribunal lui-même. Il assume la responsabilité de tous les aspects du bien-être de l’enfant et peut prendre des ordonnances en toute matière appropriée, notamment quant aux soins et à la surveillance du pupille, aux visites qu’il peut recevoir, à son éducation, sa religion ou son patrimoine. Ce faisant, il attache une importance primordiale au bien-être de l’enfant (article 1 de la loi de 1971 sur la tutelle des mineurs). La tutelle se poursuit jusqu’à la majorité, sauf si une ordonnance du tribunal y met fin au plus tôt. Si des circonstances exceptionnelles rendent impossible ou inopportun qu’un pupille soit ou demeure sous la garde de ses parents, le tribunal peut par ordonnance le confier à l’assistance de l’autorité locale (article 7 par. 2 de la loi de 1969 portant réforme du droit de la famille), sous réserve de son pouvoir de donner des directives (article 43 par. 5 a) de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales). Il conserve en pareil cas la garde de l’enfant et c’est à lui, non à l’autorité locale, qu’il incombe d’arrêter les principales décisions concernant l’avenir du pupille ; il reste, par exemple, compétent pour prendre des ordonnances sur les visites à ce dernier. A qualité pour introduire une procédure de tutelle quiconque justifie d’un intérêt légitime pour le bien-être de l’enfant. La demande revêt la forme d’une assignation. L’enfant devient pupille dès la délivrance de celle-ci, mais la tutelle cesse automatiquement au bout de vingt et un jours si aucun exploit d’ajournement n’a été déposé d’ici là. L’audience a normalement lieu devant un greffier qui, sous réserve d’un recours au juge, peut ordonner des mesures provisoires sur des questions telles que les visites à l’enfant et décider que d’autres personnes concernées interviendront dans la procédure. Le juge connaît des affaires de tutelle s’il y a contestation, ainsi que des demandes - pouvant être présentées par une partie à tout moment - en modification ou levée d’une ordonnance de tutelle ou relatives, par exemple, aux visites à l’enfant ou à son éducation. Contre ses ordonnances s’ouvre un recours devant la Court of Appeal puis, moyennant autorisation, devant la Chambre des Lords. Dans une procédure de tutelle, l’enfant peut être représenté par un tuteur ad litem désigné par le tribunal ; il s’agit en général de l’Official Solicitor, fonctionnaire à plein temps entièrement indépendant de l’exécutif. Le règlement de la Supreme Court permet de requérir une ordonnance accélérant la procédure, notamment si une partie se livre à des manoeuvres dilatoires. Décisions d’une autorité locale relatives à un enfant sous sa garde et contrôle judiciaire Dans le domaine de la protection de l’enfance, l’autorité locale exerce ses fonctions et arrête ses décisions par les soins de sa commission des services sociaux, d’une sous-commission, ou encore d’un fonctionnaire agissant par délégation. A l’époque des faits, la pratique variait d’une autorité à l’autre en l’absence de prescriptions ou indications précises, même non législatives ; beaucoup dépendait de la nature ou de la gravité de la décision à prendre. Que l’enfant lui soit confié en vertu de la loi de 1948 [1980] ou de 1969, l’autorité locale doit songer d’abord à la nécessité d’en sauvegarder et favoriser le bien-être pendant toute l’enfance ; autant que possible, il lui faut s’assurer de ses désirs et sentiments quant à la décision et les considérer compte tenu de son âge et de son entendement (article 59 de la loi de 1975 sur les enfants [18 par. 1 de la loi de 1980]). Les décisions des autorités locales en la matière se fondent souvent sur les résultats d’examens périodiques (case reviews) ou de réunions ad hoc (case conferences). L’autorité a l’obligation légale de revoir tous les six mois le cas de chaque enfant placé sous sa garde (article 27 par. 4 de la loi de 1969) et, en pratique, la situation de l’enfant est de surcroît étudiée régulièrement lors de réunions ad hoc. Aux examens et réunions participent notamment les travailleurs sociaux responsables et de hauts fonctionnaires des services sociaux de l’autorité, ainsi que d’autres personnes tels des visiteurs sanitaires, médecins et officiers de police. Un parent peut à l’occasion être admis ou invité à assister à tout ou partie d’un examen périodique ou d’une réunion ad hoc, mais il n’y a aucun droit de par la loi. Ses contacts avec les travailleurs sociaux constituent le moyen le plus habituel de communiquer ses vues sur les questions que doit trancher l’autorité. Sans procédure judiciaire, le parent ne peut contraindre l’autorité locale à lui délivrer ou lui permettre de lire le procès-verbal de ses réunions pertinentes ou les rapports qui y ont été produits, encore qu’elle ait la faculté de le laisser les consulter. En cas d’instance en contrôle judiciaire (mais non devant un tribunal pour enfants), le tribunal peut ordonner la communication avant procès de ces documents, mais seulement une fois obtenue l’autorisation d’entamer la procédure (paragraphe 53 ci-dessous) ; toutefois, cela n’arrive que rarement car en principe il s’agit de pièces secrètes (privileged) et inaccessibles à l’intéressé. Un parent dont l’enfant se trouve sous la garde d’une autorité locale ne perd pas automatiquement contact avec lui. Cependant, la continuation des visites relève de l’appréciation de l’autorité (Lord Wilberforce dans A. v. Liverpool City Council, All England Law Reports 1981, vol. 2, p. 385). En droit anglais, la question de savoir si et dans quelle mesure un parent doit pouvoir rendre visite à son enfant assisté était donc, à l’époque, du ressort de l’autorité locale, sans qu’il fallût saisir un tribunal. La loi de 1948 [1980] comme celle de 1969 reflètent l’idée générale que le maintien des visites parentales aux enfants assistés est dans bien des hypothèses normal et souhaitable : la première permet à l’autorité locale de contribuer aux frais de pareille visite, la seconde traite spécialement de certains cas où les parents n’ont pas rendu visite à l’enfant depuis quelque temps. Les voies de recours légales indiquées aux paragraphes 38-39 et 44-46 ci-dessus, offrant aux parents le moyen soit de contester une ordonnance d’assistance ou une résolution sur la puissance parentale, soit d’en réclamer la levée, concernent l’ordonnance ou la résolution en soi ; au moment des faits, il n’en existait aucune par laquelle ils pussent attaquer isolément une décision limitant ou supprimant leurs visites à leur enfant. Une décision de l’autorité locale en matière de visites peut en revanche donner lieu à une demande en contrôle judiciaire. Toute personne désireuse d’introduire une telle demande doit d’abord solliciter, en principe dans les trois mois de la décision, l’autorisation du tribunal. Les cas d’ouverture d’un contrôle judiciaire peuvent en bref se résumer ainsi : a) l’autorité a agi irrégulièrement, en excédant ses pouvoirs ou de mauvaise foi ; b) elle a négligé de prendre en compte des éléments pertinents, pris en compte des éléments dénués de pertinence ou abouti à une décision à laquelle aucune autorité sensée n’eût pu arriver (Associated Provincial Picture Houses, Ltd v. Wednesbury Corporation, King’s Bench Reports 1948, vol. 1, p. 223) ; c) elle n’a pas respecté des règles légales de procédure ou n’a pas agi équitablement (voir notamment R. v. The Bedfordshire County Council, ex parte C, et R. v. The Hertfordshire County Council, ex parte B, Times Law Reports, 19 août 1986). Le contrôle judiciaire porte non sur le bien-fondé de la décision en cause, mais plutôt sur le processus décisionnel en soi ; le tribunal ne joue pas le rôle d’une "cour d’appel". Ainsi, lorsqu’il accueille la demande et annule la décision d’une autorité, il renvoie d’ordinaire la question à celle-ci pour qu’elle la reconsidère ; il peut aussi, cependant, ordonner à l’autorité d’arrêter une conclusion conforme à ses constatations (règlement de la Supreme Court, Titre 53, article 9 par. 4). En outre, dans certaines circonstances on peut s’adresser à la juridiction compétente en matière de tutelle pour contester les décisions d’une autorité locale ou d’un tribunal pour enfants concernant un enfant confié à la première. En règle générale, le pouvoir de la Couronne ne se trouve pas supplanté ou abrogé à tous égards par l’exercice des attributions dont la loi investit lesdites autorités. Dans son arrêt de principe A. v. Liverpool City Council, la Chambre des Lords a examiné les relations entre la juridiction de tutelle et les pouvoirs légaux des autorités locales. Elle a estimé à l’unanimité que les tribunaux n’ont pas à vérifier le bien-fondé des décisions de celles-ci, notamment quant aux visites à l’enfant : le pouvoir implicite général du tribunal dans le domaine des tutelles doit servir à combler des lacunes ou compléter les attributions des autorités locales, mais non à surveiller - sauf sur la base des principes du contrôle judiciaire (paragraphe 53 ci-dessus) - la manière dont celles-ci usent de leur liberté d’appréciation dans le secteur que leur confie la loi. Parfois, cependant, l’autorité locale elle-même peut solliciter en sus l’aide du tribunal ; la tutelle peut alors se poursuivre pour permettre à ce dernier de prendre des dispositions. Les limites susmentionnées aux pouvoirs de la High Court ne valent que si la procédure de tutelle concerne un enfant déjà placé sous assistance. Dans le cas contraire, la High Court peut connaître intégralement de questions comme celle des visites et rendre l’ordonnance qu’elle juge la plus appropriée dans l’intérêt de l’enfant. Évolution récente L’incapacité des parents à saisir les tribunaux - sauf dans la mesure indiquée plus haut - quand une autorité locale arrête des décisions touchant à leurs visites à leurs enfants, a conduit le Parlement à modifier sur ce point la législation par la loi de 1983 sur les services sanitaires et sociaux et le contentieux de la sécurité sociale (Health and Social Services and Social Security Adjudications Act 1983). Selon les nouveaux textes - entrés en vigueur le 30 janvier 1984, donc après les événements à l’origine de la présente affaire -, une autorité locale ne peut refuser de ménager des visites à un enfant assisté et ne peut les supprimer sans en avoir averti le parent. Celui-ci a alors le droit de demander à un tribunal pour enfants une ordonnance de visite (access order) enjoignant à l’autorité locale de permettre ces visites aux conditions que le tribunal peut préciser. Une fois rendue pareille ordonnance, il est possible d’en solliciter la modification. La décision du tribunal pour enfants peut être attaquée devant la High Court. Toute juridiction examinant la question doit considérer d’abord le bien-être de l’enfant. La voie de recours ainsi créée ne vaut que pour les décisions refusant ou supprimant les visites ; dans tous les autres cas, la nature et l’étendue de ces dernières relèvent du pouvoir d’appréciation de l’autorité locale. En décembre 1983, le gouvernement a publié un code de pratique sur les visites aux enfants assistés. Ce document souligne qu’il importe d’associer les parents par le sang au processus de décision de l’autorité locale en la matière et de les renseigner de manière complète et rapide sur le contenu des décisions relatives aux visites. B. Adoption Pour pouvoir prononcer l’ordonnance d’adoption d’un enfant, un tribunal doit notamment, d’après l’article 12 de la loi de 1975 sur les enfants, se convaincre du consentement libre et sans réserve de chacun des parents. Il peut néanmoins s’en passer pour plusieurs motifs énoncés dans le même article, par exemple si le parent refuse son accord de façon abusive ou a constamment failli à ses obligations parentales sans raison défendable. Pour arrêter ses décisions en ce domaine, un tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances, son premier souci consistant à protéger et favoriser le bien-être de l’enfant tout au long de l’enfance (article 3 de ladite loi). S’il s’agit d’un pupille de la justice, la procédure d’adoption ne peut être engagée sans l’autorisation de la High Court. Celle-ci doit alors rechercher si la demande d’adoption projetée a des chances sérieuses d’aboutir, le fond de la question étant examiné ultérieurement, une fois l’autorisation octroyée et remplies les conditions relatives au préavis et aux rapports. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Mme R. a saisi la Commission le 28 avril 1983 (requête no 10496/83). Elle se plaignait à divers égards des décisions de l’autorité locale relatives à A. et J., de même que de l’absence de moyen de les contester en justice ; elle invoquait les articles 6 et 8 (art. 6, art. 8) de la Convention. Le 14 mai 1984, la Commission a retenu la requête a) quant aux procédures de décision concernant l’avenir des enfants et des contacts de leur mère avec eux et b) quant à la portée et à l’efficacité des recours existants ; elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 décembre 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion - qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce que la requérante n’a pu soumettre à un tribunal la question de son droit, de caractère civil, de rendre visite à A. et J. (douze voix contre trois) ; - qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) en ce que les procédures appliquées pour décider de supprimer les visites de la requérante à A. et J. ne respectaient pas sa vie familiale (unanimité) ; - que nul problème distinct ne se pose sous l’angle de l’article 13 (art. 13) (douze voix contre deux, avec une abstention). Le texte intégral de l’avis de la Commission, ainsi que de l’opinion séparée et des opinions en partie dissidentes dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES PAR LE GOUVERNEMENT A LA COUR Aux audiences des 25-26 novembre 1986, le Gouvernement a invité la Cour à dire "- premièrement, qu’il n’y a eu violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants ; - deuxièmement, qu’il n’y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dans le chef d’aucun des requérants ; - troisièmement, que dans le cas des requérants [O., W., B. et R.] aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13), mais que s’il s’en pose une il n’y a pas eu non plus violation de ce dernier".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Mme Mathieu-Mohin Citoyenne belge d’expression française, Mme Mathieu-Mohin vit actuellement à Bruxelles, mais au moment où elle a saisi la Commission elle avait son domicile à Vilvorde. Il s’agit d’une ville située dans l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde (Halle-Vilvoorde), en région flamande, et dans l’arrondissement électoral de Bruxelles (paragraphes 19, 21 et 37-38 ci-dessous). Élue au suffrage universel direct dans cette dernière circonscription, la requérante siégeait à l’époque au Sénat, l’une des deux Chambres du Parlement national. Comme elle y avait prêté serment en français, elle ne put appartenir au Conseil flamand (paragraphes 16, 27 et 30 ci-dessous). Elle comptait en revanche parmi les membres du Conseil de la Communauté française, mais non du Conseil régional wallon (paragraphes 27 et 30 ci-dessous). Non réélue le 8 novembre 1981, elle n’a pas présenté sa candidature aux élections législatives d’octobre 1985. B. M. Clerfayt Lui aussi de nationalité belge et francophone, M. Clerfayt vivait et vit à Rhode-Saint-Genèse (Sint-Genesius-Rode). Comme Vilvorde, cette commune relève à la fois de l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde et de l’arrondissement électoral de Bruxelles. Le législateur l’a cependant dotée, avec cinq autres localités de la périphérie de la capitale, d’un "statut propre" en raison de la présence de nombreux habitants d’expression française (paragraphe 37 ci-dessous). Le requérant a milité dès l’origine dans les rangs du Front démocratique des Bruxellois francophones. Depuis 1968 il siège au Parlement national, et plus précisément à la Chambre des représentants, à titre d’élu de l’arrondissement électoral de Bruxelles. Il y a prêté serment en français, ce qui l’empêche d’appartenir au Conseil flamand; il a figuré et figure en revanche parmi les membres du Conseil de la Communauté française, mais non du Conseil régional wallon. Le 28 novembre 1983, M. Clerfayt a sollicité du président de la Chambre des représentants l’autorisation d’"interpeller" le membre de l’Exécutif flamand (paragraphe 27 ci-dessous) compétent en matière d’aménagement du territoire, de politique foncière, de logement social et d’expropriations pour cause d’utilité publique, au sujet de questions qui se posaient en ce domaine à Rhode-Saint-Genèse et dans d’autres communes de l’arrondissement électoral de Bruxelles. Il a essuyé, le lendemain, un refus motivé par l’irrecevabilité de sa demande; il s’est alors adressé, le 13 décembre, au président du Conseil flamand qui, le 15, lui a répondu dans le même sens. II. LE CONTEXTE CONSTITUTIONNEL ET LÉGISLATIF Le Royaume de Belgique était conçu au départ, en 1831, comme un État unitaire quoique divisé en provinces et communes jouissant d’une large autonomie (articles 1, 31 et 108 de la Constitution du 7 février 1831), mais il s’oriente graduellement vers des structures de type fédéral. Cette évolution, marquée principalement par les réformes constitutionnelles des 24 décembre 1970 et 17 juillet 1980, n’a pas encore pris fin. Outre certaines répercussions sur les institutions de l’État central, elle s’est traduite par la création de régions et de communautés; elle ne laisse pas d’influer sur la situation des élus et électeurs domiciliés dans l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde. A. Évolution des institutions de l’État central A l’échelle nationale, le pouvoir législatif est exercé collectivement par le Roi et par les deux Chambres du Parlement, la Chambre des représentants et le Sénat (article 20 de la Constitution). La première comprend 212 membres élus, pour quatre ans, à la proportionnelle et au suffrage universel direct, obligatoire et secret (articles 47, 48, 49 § 1 et 51); la seconde 106 sénateurs élus de la même manière, plus un certain nombre de sénateurs élus par les conseils provinciaux, ou cooptés, eux aussi pour quatre ans (articles 53 à 55). En ce qui concerne la Chambre des représentants, "chaque arrondissement électoral compte autant de sièges que le chiffre de sa population contient de fois le diviseur national", calculé "en divisant le chiffre de la population du Royaume par 212"; les "sièges restants" échoient "aux arrondissements ayant le plus grand excédent de population non représenté" (article 49 § 2). Pour l’emporter, un candidat doit recueillir autour de 20.000 voix, le quotient exact variant quelque peu selon les circonscriptions. Pour les cas énumérés dans la Constitution, les membres élus de chaque Chambre se répartissent, quelle que soit leur langue personnelle, en un groupe linguistique français et un groupe linguistique néerlandais, de la manière fixée par la loi (article 32 bis de la Constitution). A la Chambre des représentants, le groupe linguistique français rassemble de plein droit les députés élus par des collèges électoraux de la région de langue française et par celui de l’arrondissement de Verviers, le groupe linguistique néerlandais les députés élus par des collèges électoraux de la région de langue néerlandaise (paragraphe 19 ci-dessous); quant aux députés de l’arrondissement électoral de Bruxelles, ils appartiennent à l’un ou à l’autre groupe linguistique selon qu’ils choisissent de prêter serment en français ou en néerlandais (article 1 § 1 de la loi du 3 juillet 1971). Des critères analogues valent pour les groupes linguistiques du Sénat (article 1 § 2 de la même loi). Les groupes linguistiques jouent un rôle, notamment, dans l’adoption de diverses décisions consistant à soustraire un territoire à la division en provinces pour le doter d’un statut propre (article 1 de la Constitution, dernier alinéa); à changer ou rectifier les limites des régions linguistiques (article 3 bis); à définir la composition et le mode de fonctionnement des Conseils et Exécutifs des communautés (article 59 bis, § 1 in fine); à préciser l’étendue des compétences desdits Conseils (article 59 bis, §§ 2 in fine, 2 bis in fine et 4 bis); à déterminer les attributions et le ressort des institutions régionales (article 107 quater, dernier alinéa). Dans ces hypothèses, la Constitution exige "la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune des Chambres"; il faut de surcroît "que la majorité des membres de chaque groupe se trouve réunie" et "que le total des votes positifs émis dans les deux groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés". A quoi s’ajoute le système - appelé parfois "sonnette d’alarme" - que ménage l’article 38 bis de la Constitution: "Sauf pour les budgets ainsi que pour les lois qui exigent une majorité spéciale, une motion motivée, signée par les trois quarts au moins des membres d’un des groupes linguistiques et introduite après le dépôt du rapport et avant le vote final en séance publique, peut déclarer que les dispositions d’un projet ou d’une proposition de loi qu’elle désigne sont de nature à porter gravement atteinte aux relations entre les communautés. Dans ce cas, la procédure parlementaire est suspendue et la motion est déférée au Conseil des ministres qui, dans les trente jours, donne son avis motivé sur la motion et invite la Chambre saisie à se prononcer soit sur cet avis, soit sur le projet ou la proposition éventuellement amendés. Cette procédure ne peut être appliquée qu’une seule fois par les membres d’un groupe linguistique à l’égard d’un même projet ou d’une même proposition de loi." Les divers textes en question visent surtout à protéger la minorité linguistique du pays, à savoir les francophones. En revanche, l’appartenance à tel groupe linguistique n’entraîne pas pour l’intéressé l’obligation d’employer telle langue pendant les débats parlementaires. De plus, aux termes de l’article 32 de la Constitution députés et sénateurs "représentent la nation" tout entière, "et non uniquement la province ou la subdivision de province qui les a nommés". Quant au Conseil des ministres, il compte "autant de ministres d’expression française que d’expression néerlandaise", "le Premier ministre éventuellement excepté" (article 86 bis de la Constitution). B. Régions et communautés Nature a) Régions linguistiques D’après l’article 3 bis de la Constitution, introduit le 24 décembre 1970, la Belgique se divise en "quatre régions linguistiques: la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande"; chaque commune "fait partie de l’une d’entre elles". La première comprend les provinces de Hainaut, de Luxembourg et de Namur, celle de Liège à l’exception des communes de la région de langue allemande et, dans le Brabant, l’arrondissement de Nivelles; la deuxième les provinces d’Anvers, de Flandre occidentale, de Flandre orientale et de Limbourg plus, dans le Brabant, les arrondissements de Hal-Vilvorde - où se trouvent Vilvorde et Rhode-Saint-Genèse (paragraphes 11 et 12 ci-dessus) - et de Louvain; la troisième Bruxelles et dix-huit communes de sa ceinture; la quatrième vingt-cinq des communes de l’arrondissement de Verviers (articles 3 à 6 des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, "les lois coordonnées de 1966"). b) Régions Les régions linguistiques servent à délimiter le champ d’application territoriale des lois concernant l’emploi des langues en matière administrative et judiciaire ainsi que dans le domaine de l’enseignement; elles n’ont pas d’organes ni de compétences propres. Elles diffèrent en cela des régions, parfois qualifiées de "politiques", créées par la réforme constitutionnelle du 24 décembre 1970. Aux termes de l’article 107 quater, premier alinéa, de la Constitution, en effet, la Belgique compte "trois régions: la région wallonne, la région flamande et la région bruxelloise"; il n’existe pas de région "allemande". La "loi spéciale de réformes institutionnelles", du 8 août 1980 ("la loi spéciale de 1980"), fixe "à titre transitoire" le territoire des deux premières: la région flamande englobe exactement les mêmes provinces et arrondissements administratifs que la région de langue néerlandaise, tandis que la région wallonne inclut, en sus des provinces de Hainaut, Luxembourg et Namur ainsi que de l’arrondissement de Nivelles, l’ensemble de la province de Liège sans en excepter les communes de la région de langue allemande (article 2 de la loi spéciale de 1980). Au contraire, la loi spéciale de 1980 passe sous silence la région bruxelloise. Les limites de celle-ci continuent à ressortir de l’article 1, dernier alinéa, de la loi - coordonnée le 20 juillet 1979 - "créant des institutions communautaires et régionales provisoires"; elles correspondent au "territoire de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale". Votée à la majorité "surqualifiée" qu’exigeaient les articles 59 bis et 107 quater de la Constitution (paragraphe 17 ci-dessus), et qu’ils exigeraient demain pour l’adoption d’amendements éventuels, la loi spéciale de 1980 a recueilli au Sénat 137 voix contre 22, avec 3 abstentions, et à la Chambre des représentants 156 voix contre 19, avec 5 abstentions. c) Communautés Enfin, l’article 3 ter, premier alinéa, de la Constitution, qui remonte à la révision du 17 juillet 1980, instaure dans le pays "trois communautés: la communauté française, la communauté flamande et la communauté germanophone", toutes dotées - comme les régions wallonne et flamande - de la personnalité juridique (article 3 de la loi spéciale de 1980). Compétences a) Régions Destiné à mettre en oeuvre l’article 107 quater, deuxième alinéa, de la Constitution, l’article 6 § 1 de la loi spéciale de 1980 dresse une liste, longue et minutieuse, des compétences des régions wallonne et flamande en ce qui concerne l’aménagement du territoire, l’environnement, la rénovation rurale et la sauvegarde de la nature, le logement, la politique de l’eau, la politique économique, la politique de l’énergie, les pouvoirs subordonnés, la politique de l’emploi et la recherche appliquée. Il ne s’applique pas à la région bruxelloise, qui continue à relever du Parlement national pour les questions régionales ou "localisables" (article 48 de la loi "ordinaire" de réformes institutionnelles, du 9 août 1980, combiné avec l’article 2 de la loi "coordonnée" du 20 juillet 1979). b) Communautés De son côté, l’article 59 bis, §§ 2, 2 bis et 3, de la Constitution attribue aux communautés française et flamande compétence pour les matières culturelles, l’enseignement (sauf exception), la coopération entre les communautés ainsi que la coopération culturelle internationale, les matières "personnalisables" et - dans certains domaines - l’emploi des langues. Les articles 4 et 5 § 1 de la loi spéciale de 1980 fournissent des précisions quant aux matières culturelles et aux matières personnalisables; ces dernières ont trait à la politique de santé, à l’aide aux personnes et à la recherche scientifique appliquée. La communauté germanophone, dont il ne sera plus guère question dans la suite du présent arrêt, jouit de compétences un peu moins étendues (article 59 ter, §§ 2-4, de la Constitution). Organes a) Nature L’article 107 quater, deuxième alinéa, de la Constitution laisse au Parlement le soin de créer les organes régionaux nécessaires. En revanche, l’article 59 bis § 1 spécifie que la communauté française et la communauté flamande possèdent chacune un Conseil et un Exécutif. D’après l’alinéa suivant, ces Conseils et leurs Exécutifs "peuvent exercer les compétences respectivement de la région wallonne et de la région flamande, dans les conditions et selon les modalités fixées par la loi". Le législateur n’a usé de cette faculté que pour la région flamande: aux termes de l’article 1 § 1 de la loi spéciale de 1980, "le Conseil et l’Exécutif de la communauté flamande", dénommés "le Conseil flamand" ("de Vlaamse Raad") et "l’Exécutif flamand" ("de Vlaamse Executieve"), ont compétence non seulement pour les matières communautaires de l’article 59 bis de la Constitution, mais aussi, dans la région flamande, pour les matières régionales de l’article 107 quater. Au contraire, il existe pour les premières un Conseil et un Exécutif de la communauté française, pour les secondes un Conseil et un Exécutif régionaux wallons (article 1, §§ 2 et 3, de la loi spéciale de 1980). En son paragraphe 4, l’article 1 de la loi spéciale de 1980 autorise bien les deux Conseils à "décider de commun accord" que "le Conseil et l’Exécutif de la communauté française" exerceront, dans la région wallonne, "les compétences des organes régionaux pour les matières visées à l’article 107 quater de la Constitution", mais il n’a pas été appliqué jusqu’ici. Quant à la région bruxelloise, elle reste pour le moment soumise à la loi coordonnée de 1979, déjà mentionnée: elle n’a pas d’assemblée législative analogue au Conseil flamand et au Conseil régional wallon, ni d’exécutif élu par une telle assemblée, mais uniquement un "comité ministériel" désigné par arrêté royal (article 4). D’après le Gouvernement, il s’agit là d’une "situation d’attente". En 1980, la section de législation du Conseil d’État, saisie pour avis, a exprimé l’opinion que le projet d’où allait sortir la loi spéciale de 1980 n’était "admissible du point de vue constitutionnel que pour autant que l’exécution de l’article 107 quater [de la Constitution] à l’égard de la région bruxelloise soit simplement différée, et non pas abandonnée, et que le défaut d’exécution ne se prolonge pas au-delà d’un délai raisonnable". Dans une déclaration du 29 novembre 1985, le gouvernement issu des élections législatives du mois précédent a précisé que le Centre d’études pour la réforme de l’État devrait "réserver une attention particulière à la problématique bruxelloise". Créé par un arrêté royal du 14 mars 1983, cet organisme comprend des parlementaires et des professeurs ou anciens professeurs d’Université spécialisés en droit constitutionnel. Sa tâche consiste à préparer "la poursuite, la correction et l’amélioration de la réforme de l’État". b) Composition i. Conseils La Constitution se borne à indiquer, en ses articles 59 bis § 1 in fine (communautés française et flamande), 59 ter § 1, deuxième alinéa (communauté germanophone), et 107 quater, deuxième alinéa (régions), que les Conseils se composent de mandataires élus. Appelé à préciser le mode de nomination de ceux-ci, le législateur a instauré deux périodes transitoires successives, destinées à préparer le passage à un régime définitif. La première, dans laquelle on se trouvait à l’époque de l’introduction de la requête devant la Commission (5 février 1981), a pris fin avec le renouvellement intégral des Chambres le 8 novembre 1981; la seconde, inachevée, cessera une fois révisés les articles 53 et 54 de la Constitution, relatifs au Sénat. Pendant la première période transitoire, le Conseil flamand et le Conseil de la communauté française rassemblaient respectivement les membres des groupes linguistiques néerlandais et français des deux Chambres; siégeaient au Conseil régional wallon les membres desdits groupes linguistiques français élus soit dans les provinces de Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur, soit dans le Brabant ou par le Sénat si leur domicile se situait en région wallonne au jour de leur élection (article 28 § 1 de la loi spéciale de 1980). Durant la seconde période transitoire, en cours à l’heure actuelle, forment le Conseil flamand, le Conseil de la communauté française et le Conseil régional wallon les membres, respectivement, - du groupe linguistique néerlandais de la Chambre des représentants, et de celui du Sénat pour autant que le corps électoral les ait directement élus; - du groupe linguistique français de la Chambre des représentants et, sous la même condition, de celui du Sénat; - du groupe linguistique français de l’une et l’autre Chambre, pourvu qu’il s’agisse de représentants ou sénateurs élus directement dans les provinces de Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur ou dans l’arrondissement de Nivelles. Ainsi en dispose l’article 29 de la loi spéciale de 1980, sur lequel se concentrent les griefs des requérants (paragraphe 44 ci-dessous). Voté à la majorité "surqualifiée" exigée par les articles 59 bis et 107 quater de la Constitution, il a recueilli au Sénat 127 voix contre 19, avec 4 abstentions, et à la Chambre des représentants 160 voix contre 16, avec 2 abstentions. Après l’entrée en vigueur du régime définitif, les trois Conseils ne se composeront plus que de membres du Sénat élus directement par le corps électoral, à savoir - ceux du groupe linguistique néerlandais pour le Conseil flamand; - ceux du groupe linguistique français pour le Conseil de la communauté française et, si leur élection a eu lieu dans les provinces de Hainaut, Liège, Luxembourg et Namur ou dans l’arrondissement de Nivelles, pour le Conseil régional wallon (articles 24 et 25 de la loi spéciale de 1980). L’article 50, premier alinéa, de la loi spéciale de 1980 réserve un sort particulier aux "membres du Conseil flamand élus par le collège électoral de l’arrondissement de Bruxelles et, aussi longtemps que cet arrondissement comprend" - comme aujourd’hui (paragraphe 38 ci-dessous) - "plusieurs arrondissements administratifs, domiciliés dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale au jour de leur élection": s’ils jouissent de l’égalité de traitement avec leurs collègues en matière communautaire, ils "ne participent pas aux votes" dudit Conseil "sur les matières relevant de la compétence de la région flamande". ii. Exécutifs Quant aux trois Exécutifs, les Conseils les élisent en leur sein (articles 59 et 60 de la loi spéciale de 1980). L’Exécutif flamand compte neuf membres, l’Exécutif de la communauté française trois et l’Exécutif régional wallon six; un membre au moins de chacun des deux premiers "appartient à la région bilingue de Bruxelles-Capitale" (article 63). "Lorsque l’Exécutif flamand délibère sur les matières relevant de la compétence de la région flamande, tout membre élu par le collège électoral de l’arrondissement de Bruxelles et qui, aussi longtemps que cet arrondissement comprendra plusieurs arrondissements administratifs, est domicilié, au jour de son élection, dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, ne siège qu’avec voix consultative" (article 76 § 1). Le comité ministériel de la région bruxelloise, lui (paragraphe 28 ci-dessus), comprend trois membres nommés "par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres" et non pas élus par une assemblée: un ministre, qui le préside, et deux secrétaires d’État "dont l’un doit être d’un groupe linguistique différent de celui du ministre" (article 4, premier alinéa, de la loi coordonnée de 1979). c) Pouvoirs Les communautés française et flamande, de même que les régions wallonne et flamande, jouissent d’un "pouvoir décrétal" exercé collectivement par leurs organes respectifs (articles 26 bis et 59 bis, §§ 2, 2 bis et 3, de la Constitution, articles 17 et 18 de la loi spéciale de 1980); à quoi s’ajoute le pouvoir réglementaire de leurs Exécutifs (article 20 de la loi spéciale de 1980). Ces derniers travaillent dans une seule langue, le français ou le néerlandais selon le cas, sans interprétation dans l’autre. Le décret a "force de loi": "il peut abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions légales en vigueur" (article 19 § 2 de la loi spéciale de 1980). Les réformes constitutionnelles de 1970 et 1980 ont ainsi entraîné un démembrement de la fonction normative entre trois corps législatifs distincts: le Parlement national, les Conseils des communautés et les Conseils régionaux. Sous réserve de certaines exceptions, les décrets du Conseil de la communauté française et, en matière communautaire, du Conseil flamand valent respectivement pour la région de langue française et pour la région de langue néerlandaise, "ainsi qu’à l’égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l’une ou l’autre communauté" (article 59 bis, §§ 4 et 4 bis, de la Constitution); ceux du Conseil régional wallon et, en matière régionale, du Conseil flamand s’appliquent "dans la région wallonne ou dans la région flamande, selon le cas" (article 19 § 3 de la loi spéciale de 1980). Les décrets du Conseil flamand précisent "s’ils règlent des matières visées à l’article 59 bis de la Constitution ou à l’article 107 quater", autrement dit des matières communautaires ou des matières régionales (article 19 § 1, deuxième alinéa, de la loi spéciale de 1980). Aux termes de l’article 107 ter de la Constitution, "la loi organise la procédure tendant à prévenir les conflits entre la loi, le décret et les règles visées à l’article 26 bis, ainsi qu’entre les décrets entre eux et entre [lesdites règles] entre elles"; "il y a pour toute la Belgique une Cour d’arbitrage" chargée de trancher ces conflits et dont la loi définit "la composition, la compétence et le mode de fonctionnement" (loi du 28 juin 1983). C. La situation particulière des électeurs et élus domiciliés dans l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde Créé en 1983, l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde groupe aujourd’hui les communes de l’ancien arrondissement administratif de Bruxelles, hormis celles de l’arrondissement bilingue de Bruxelles mais y compris les six "communes périphériques à facilités" - dont Rhode-St Genèse - "dotées d’un statut propre" (articles 3 § 2, 7 et 23-31 des lois coordonnées de 1966). Il relève de la région de langue néerlandaise et de la région flamande, donc de l’autorité du Conseil et de l’Exécutif flamands, à l’exclusion de celle des organes de la communauté française et de la région wallonne (paragraphes 19, 21 et 36 ci-dessus). On y trouve pourtant une forte minorité d’expression française: d’après les requérants, dont le Gouvernement ne conteste pas les affirmations, au moins 100.000 personnes sur une population totale de 518.962 âmes, au 1er janvier 1982. Les francophones seraient même majoritaires dans les six "communes périphériques" et l’État belge aurait agi contre leur volonté en refusant, jusqu’ici, d’englober celles-ci dans la région bruxelloise. D’ordinaire, les arrondissements électoraux coïncident en Belgique avec les arrondissements administratifs (article 87 du code électoral). Il y a pourtant une exception: les arrondissements administratifs de Bruxelles-Capitale et de Hal-Vilvorde constituent à eux deux un arrondissement électoral unique pour les élections tant législatives que provinciales, avec pour chef-lieu Bruxelles (article 3 § 2, deuxième alinéa, des lois coordonnées de 1966). En conséquence, les voix exprimées dans l’un et dans l’autre sont décomptées ensemble et l’on ne saurait distinguer entre élus du premier et du second. Selon les requérants, les électeurs francophones de l’arrondissement de Hal-Vilvorde peuvent, compte tenu de leur nombre et du quotient légal (paragraphes 15 et 37 ci-dessus), espérer envoyer à eux seuls trois ou quatre députés siéger à la Chambre des représentants. Lors du renouvellement intégral du Parlement le 8 novembre 1981, il y avait dans l’arrondissement électoral de Bruxelles 999.601 inscrits, appelés à élire trente-quatre députés et dix-sept sénateurs (arrêté royal du 1er décembre 1972 et loi du 19 juillet 1973). Rien n’empêche un candidat francophone, domicilié ou non dans l’arrondissement de Hal-Vilvorde, de s’y présenter aux suffrages, ni les électeurs, francophones ou non, de voter pour lui. S’il est élu, il peut à sa guise, quelle que soit sa langue personnelle, prêter son serment de parlementaire en français ou en néerlandais (paragraphe 16 ci-dessus). Dans le premier cas - celui des requérants -, son appartenance au groupe linguistique français de la Chambre des représentants ou du Sénat lui donne accès au Conseil de la communauté française - incompétent pour l’arrondissement de Hal-Vilvorde -, mais non au Conseil flamand - en matière tant régionale que communautaire - ni au Conseil régional wallon (paragraphes 30-32 et 36 ci-dessus). Si au contraire il choisit la seconde solution, il va figurer parmi les membres d’un groupe linguistique néerlandais; dès lors, il siégera au Conseil flamand mais non au Conseil de la communauté française ni au Conseil régional wallon (paragraphes 30-32 ci-dessus); en outre, il perdra le droit de voter au sein d’un groupe linguistique français dans les domaines où la Constitution exige une majorité "surqualifiée" (paragraphe 17 ci-dessus). De leur côté, les électeurs francophones de l’arrondissement ne peuvent avoir pour représentants au Conseil flamand que des parlementaires ayant prêté serment en néerlandais. Les candidats n’ont ni l’obligation ni l’habitude d’annoncer à quel groupe linguistique ils s’inscriront. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Introduite devant la Commission le 5 février 1981 et enregistrée le 12 sous le no de dossier 9267/81, la requête émanait à l’origine de huit sénateurs et sept députés belges, tous domiciliés à Bruxelles sauf Mme Mathieu-Mohin et M. Clerfayt. Les signataires s’en prenaient à certaines clauses de la loi spéciale de 1980, et notamment à celles qui régissent le mode de désignation des Conseils et des Exécutifs des communautés et des régions; ils reprochaient aussi au législateur national de ne pas avoir doté la région bruxelloise d’organes comparables à ceux des régions wallonne et flamande. Ils invoquaient les articles 1 et 3 du Protocole no 1 (P1-1, P1-3), considérés isolément ou combinés avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-1, art. 14+P1-3). La Commission a statué sur la recevabilité de la requête le 12 juillet 1983. Elle a rejeté, pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention, le grief relatif à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) et, pour défaut manifeste de fondement, ceux qui concernaient l’absence d’institutions propres à la région bruxelloise et la circonstance que "les élus néerlandophones domiciliés à Bruxelles-Capitale participent, avec voix consultative et droit d’initiative, aux délibérations" du Conseil flamand "alors que la réciproque [ne vaut pas] pour les élus francophones" (article 50, premier alinéa, de la loi spéciale de 1980, paragraphe 33 ci-dessus). En revanche, elle a retenu la requête dans la mesure où Mme Mathieu-Mohin et M. Clerfayt se plaignaient, en qualité d’électeurs vivant dans des communes de l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde, de ne pouvoir élire des représentants francophones à l’assemblée régionale dont il relève et, à titre d’élus, de ne pouvoir siéger au sein de cette dernière, tandis que les électeurs et élus néerlandophones des mêmes communes le peuvent, mutatis mutandis. Dans son rapport du 15 mars 1985 (article 31) (art. 31), la Commission exprime l’opinion - par dix voix contre une, qu’il y a eu manquement aux exigences de l’article 3 du Protocole no 1 (P1-3), pris isolément, dans le chef des requérants en tant qu’électeurs; - qu’il n’est pas nécessaire de se placer aussi sur le terrain de l’article 14 (art. 14) de la Convention, ni d’examiner séparément la question de la violation de la Convention et du Protocole no 1 (P1) au regard des élus. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS DES COMPARANTS Dans leurs mémoires respectifs, le Gouvernement invitait la Cour à "décider qu’il n’y a eu, à l’égard des requérants, violation d’aucune disposition de la Convention (...) ou du premier Protocole additionnel (P1)"; Mme Mathieu-Mohin, à "constater que la loi belge du 8 août 1980 (...) viole l’article 3 du Protocole additionnel combiné avec l’article 14 de la Convention (art. 14+P1-3), dans le chef de la requérante, eu tant qu’électeur et en tant qu’élu, domiciliée dans l’arrondissement administratif de Hal-Vilvorde"; M. Clerfayt, à "déclarer sa requête fondée et [à] y faire droit en toutes ses dispositions". Ces conclusions ont été confirmées en substance lors des audiences du 24 septembre 1986; Mme Mathieu-Mohin a demandé en outre, en vertu de l’article 50 (art. 50), une satisfaction équitable de 50.000 francs belges au titre de ses frais.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant suédois né en 1939, le requérant, M. Gunnar Bodén, réside à Falun. Chauffeur de son état, il possédait en commun avec son frère, M. B. Bodén, les propriétés Källviken 1:18, 1:25 et 1:26. Le 30 juin 1977, le conseil municipal (kommunfullmäktige) de Falun adopta un plan (områdesplan) destiné à la construction d’un ensemble immobilier dans une zone comprenant lesdites propriétés. Le 9 février 1978, il résolut de demander au gouvernement un permis d’exproprier pour cette zone. Le requérant s’opposa à l’expropriation de deux des trois immeubles concernés. Comme il l’indiqua au Gouvernement, il doutait que l’on en eût besoin pour réaliser le projet; en outre, il souhaitait vivre avec sa mère dans la maison de ses parents, sise sur l’un des biens-fonds. Selon lui, le conseil municipal n’avait pas assez tenu compte de ses intérêts en élaborant et approuvant le plan alors qu’il l’aurait pu moyennant quelques modifications. Le Gouvernement estima pourtant que le conseil avait démontré la nécessité d’englober les propriétés du requérant; il jugea dès lors remplies les conditions énoncées par la loi no 719 de 1972 sur l’expropriation (expropriationslagen, "la loi de 1972"). Le 1er mars 1979, il délivra un permis d’exproprier. La décision précisait que la délivrance du permis devait être suivie d’une procédure à engager par la commune devant un tribunal foncier le 3 mars 1980 au plus tard. L’instance, qui avait pour but de définir les termes de l’expropriation (paragraphe 15 ci-dessous), débuta le 28 février 1980 devant la chambre foncière du tribunal de district (tingsrätten) de Falun. Le requérant, son frère et la municipalité menèrent des négociations en vue d’un règlement jusqu’au 2 juillet 1984. Elles aboutirent à cette date, aussitôt avant l’ouverture de l’audience au principal: les deux premiers vendaient les propriétés à la troisième, laquelle louait au requérant, pour cinq ans avec possibilité de prorogation, une maison qui s’y trouvait. Le 17 août, le tribunal raya l’affaire du rôle, la municipalité ayant retiré sa demande d’expropriation en conséquence de l’accord. Le 17 décembre 1986, après la saisine de la Cour européenne des Droits de l’Homme, la municipalité de Falun conclut avec le requérant un contrat par lequel il lui rachetait les biens-fonds au prix de 235.000 couronnes suédoises, somme qu’elle avait payée pour eux en 1984. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE A. Le droit de l’urbanisme La loi no 385 de 1947 sur la construction (byggnadslagen, "la loi de 1947") constitue le principal instrument juridique de planification en matière d’emploi des sols pour la construction et l’urbanisme. Elle prévoit l’établissement d’un schéma directeur (generalplan) traçant au niveau communal le cadre de plans plus détaillés, les plans d’urbanisme (stadsplaner) et les plans de construction (byggnadsplaner). Un conseil municipal peut élaborer, comme en l’espèce, un plan de zone plutôt qu’un schéma directeur. La loi de 1947 ne régit pas expressément le mode de préparation et le contenu de pareil plan, mais les principes généraux du droit administratif s’appliquent bien entendu. B. La législation relative à la délivrance de permis d’exproprier La délivrance de permis d’exproprier relève de la loi de 1972. Aux termes du chapitre 3, article 1, elle dépend en général du gouvernement. Les motifs justifiant l’octroi d’un permis dans un cas comme celui du requérant se trouvent énoncés au chapitre 2, article 1, de la loi de 1972 (modifiée par la loi no 46 de 1976), ainsi libellé (traduction du suédois): "L’expropriation est autorisée pour permettre à une commune de disposer des terrains nécessaires, au titre d’aménagements futurs, à l’urbanisation (tätbebyggelse) ou à des travaux liés à celle-ci (...). Dans les zones à urbaniser, [elle ne l’est] que s’il y a lieu de penser que dans un avenir prévisible, la zone fera l’objet de constructions ou d’autres travaux jugés importants dans l’intérêt général, ou si la commune a besoin d’acquérir d’urgence les terrains aux fins de constructions projetées ou pour toute autre raison analogue (...)." En revanche, la loi de 1972 interdit d’accorder un permis si le but de l’expropriation peut être atteint par d’autres moyens adéquats ou si les inconvénients de pareille mesure l’emportent, du point de vue général et particulier, sur ses avantages (chapitre 2, article 12). D’après le chapitre 3, article 4, de la loi de 1972, la délivrance d’un permis a pour seul effet juridique de conférer au titulaire la possibilité d’acquérir le bien visé. Elle laisse donc intact le droit du propriétaire d’utiliser, vendre, louer ou hypothéquer son immeuble (voir aussi le paragraphe 17 ci-dessous) et ne débouche pas automatiquement sur une expropriation. Celle-ci ne peut se réaliser sans qu’un tribunal foncier en ait arrêté les conditions, telles la somme à verser au propriétaire et les limites de la zone considérée. En outre, elle ne s’achève qu’avec le paiement de l’indemnité dont le montant correspond, en principe, à la valeur vénale. Le titulaire doit saisir le tribunal foncier dans le délai indiqué par le permis, faute de quoi ce dernier devient caduc (chapitre 3, article 6, de la loi de 1972). La loi de 1972 demeure muette sur la durée et les critères de fixation de ce délai. En son chapitre 3, article 6, elle précise pourtant qu’il peut être prorogé dans des circonstances spéciales ou abrégé si le propriétaire le demande et s’il prouve un net accroissement du dommage découlant pour lui du fait que l’expropriation reste pendante. La décision de raccourcir le délai ne saurait se prendre moins d’un an après l’octroi du permis. Le projet de loi no 109 de 1972, d’où est issue la loi de 1972, énonce à la page 227 certaines raisons de restreindre le délai et, partant, la période de validité des permis (traduction du suédois): "Naturellement, la seule délivrance d’un permis plonge souvent le propriétaire dans l’incertitude. En pratique, il voit se réduire considérablement ses possibilités de disposer de son immeuble en le vendant, en en cédant l’usage ou en y faisant construire. Il peut aussi se trouver embarrassé pour décider d’engager des frais d’entretien ou de modernisation. Évidemment, les inconvénients résultant du permis s’aggravent si un long délai s’écoule avant la mise en route de la procédure judiciaire." C. Les recours ouverts D’une manière générale, l’administration suédoise échappe au contrôle des tribunaux ordinaires. Ils ne connaissent des recours contre l’Etat qu’en matière contractuelle et de responsabilité extracontractuelle ainsi que, selon quelques lois, de décisions administratives. Le contrôle juridictionnel des actes de l’administration appartient donc avant tout à des juridictions administratives. Elles comportent trois degrés: les tribunaux administratifs de comté (länsrätterna); les cours d’appel administratives (kammarrätterna); la Cour administrative suprême (regeringsrätten). Composées de magistrats indépendants, elles jouissent en principe de pouvoirs étendus qui leur permettent non seulement d’annuler des actes administratifs, mais aussi de les modifier ou remplacer. Ce principe souffre toutefois une importante exception: les décisions du gouvernement sont insusceptibles de recours (paragraphe 20 ci-dessous). Recours contre les décisions municipales d’adopter un plan de zone ou de demander un permis d’exproprier En son chapitre 7, article 1, la loi no 179 de 1977 sur les communes (kommunallagen) prévoit et réglemente, d’une manière générale, le droit de recours (kommunalbesvär) contre les décisions municipales. Elle habilite les habitants d’une commune à contester, par exemple, la décision par laquelle un conseil municipal adopte un plan de zone ou sollicite un permis d’exproprier. A l’époque des faits, pareils recours s’exerçait auprès de la préfecture (länsstyrelsen), mais seulement pour l’un des motifs suivants: inobservation des procédures légales, violation de la loi, excès de pouvoir, atteinte aux droits de l’appelant ou autre injustice. Il fallait l’introduire trois semaines au plus après l’annonce de l’approbation du procès-verbal de la décision sur le tableau d’affichage communal. La décision de la préfecture pouvait, à son tour, être déférée à la Cour administrative suprême dans les trois semaines de sa signification à l’intéressé. Ces dispositions ont subi en 1980 quelques retouches, avec effet à compter du 1er janvier 1981: désormais, le premier recours doit s’adresser à la Cour administrative suprême et non plus à la préfecture. Recours contre la décision de délivrer un permis d’exproprier La législation suédoise n’offre aucun moyen d’attaquer devant une juridiction, judiciaire ou administrative, les décisions gouvernementales de délivrer des permis d’exproprier. Celles-ci ne se ne se prêtent donc pas, en principe, à un recours en justice. Il existe cependant une faculté limitée de saisir la Cour administrative suprême d’une demande en réouverture de la procédure (resningsansökan). L’arrêt Sporrong et Lönnroth du 23 septembre 1982 fournit de plus amples indications sur ce point (série A no 52, pp. 19-20, § 50). Possibilités d’indemnisation pour préjudice En principe, la loi de 1972 ne fournit pas la possibilité d’une réparation pécuniaire du tort causé par la durée ou la non-utilisation d’un permis d’exproprier. Son chapitre 5, article 16, ménage pourtant une exception: le préjudice résultant de la délivrance d’un tel permis donne lieu à indemnité si le titulaire a saisi le tribunal foncier (paragraphes 15-16 ci-dessus) puis s’est désisté. D’après le chapitre 3, article 2, de la loi no 207 de 1972 sur la responsabilité civile (skadeståndslagen), les actes de la puissance publique peuvent engendrer un droit à indemnité en cas de faute ou de négligence. L’article 7 du même chapitre précise toutefois que les décisions du Parlement, du gouvernement, de la Cour suprême, de la Cour administrative suprême et de la Cour nationale de la sécurité sociale ne peuvent faire l’objet d’aucune action en responsabilité. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 10 janvier 1984 à la Commission (no 10930/84), M. Gunnar Bodén alléguait que le permis d’expropriation avait été octroyé en violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) et qu’il n’avait pas la moindre possibilité de saisir du différend y relatif un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Le 5 décembre 1985, la Commission a retenu la requête quant au grief tiré de l’article 6 (art. 6); elle l’a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 mai 1986 (article 31) (art. 31), elle aboutit à la conclusion unanime qu’il y a eu infraction à l’article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 23 mars 1987, le Gouvernement a invité la Cour à "constater que le grief échappe au domaine de l’article 6 § 1 (art. 6-1)".
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Les requérants, agriculteurs autrichiens établis à Obritzberg en Basse-Autriche, se plaignent des opérations de remembrement (Zusammenlegungsverfahren) dont leurs propriétés ont fait l'objet en juillet 1973. I. Les circonstances de l'espèce La procédure devant les commissions de la réforme agraire Le 30 juillet 1973, l'Autorité agricole de district de Basse-Autriche (Agrarbezirksbehörde, "l'Autorité de district") publia un plan de remembrement d'Obritzberg qui englobait les terres des requérants. Ils exercèrent un recours auprès de la Commission régionale de la réforme agraire (Landesagrarsenat, "la Commission régionale"), soutenant qu'ils n'avaient pas reçu une compensation foncière conforme aux dispositions de la loi de Basse-Autriche sur l'aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs - Landesgesetz, paragraphe 15 ci-dessous). Les motifs invoqués différaient d'un requérant à l'autre en fonction de la manière dont le plan de remembrement touchait leurs biens respectifs. La Commission régionale se prononça les 26 et 27 mai 1975, après avoir entendu les parties et plusieurs autres propriétaires concernés par les changements que les requérants avaient sollicités. A la lumière du dossier et des résultats d'une inspection des lieux menée par quelques-uns de ses membres, elle modifia à certains égards la compensation foncière attribuée aux intéressés. En application de l'article 5 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles (Agrarbehördengesetz 1950, dans sa version de 1974, paragraphe 15 ci-dessous), la Commission régionale siégeait dans la composition que voici: trois magistrats - à savoir trois conseillers de cour d'appel le 26 mai 1975, deux conseillers de cour d'appel et un juge au tribunal régional le lendemain - et cinq fonctionnaires du Bureau du gouvernement (Amt der Landesregierung) de Basse-Autriche. Le président était le chef de la division VI 4 du Bureau, le rapporteur un des fonctionnaires de cette même division; un troisième membre faisait partie de la division VI 11. Les deux membres restants n'apparaissent pas dans l'organigramme du Bureau pour les années 1975-76, que le Gouvernement a communiqué à la Cour, mais dans celui de 1976-77, postérieur aux décisions de la Commission régionale en l'espèce; à cette dernière époque ils relevaient, avec le président et le rapporteur, de la division VI 3, créée, selon le Gouvernement, en 1976 à la suite d'une réorganisation des services administratifs du Bureau. Dans son rapport (paragraphe 97), la Commission européenne des Droits de l'Homme s'appuie non sur l'organigramme de 1975-76, mais sur celui de 1976-77; elle note que la Commission régionale comptait, au moment où elle a statué, quatre membres effectifs et leurs suppléants provenant de la division VI 3, et que le président, le rapporteur et deux autres membres travaillaient dans la division VI 4. Les requérants s'adressèrent ensuite à la Commission suprême de la réforme agraire (Oberster Agrarsenat, "la Commission suprême"). Le 6 octobre 1976, elle accueillit le recours des Ettl et des Schalhas dans la mesure où ils se plaignaient d'un risque d'érosion de certaines parcelles compensatoires qui leur avaient été allouées en échange de leurs terres et, en conséquence, ordonna des mesures de drainage; elle l'écarta pour le surplus et débouta les Gunacker et les Haas. La Commission suprême comprenait trois magistrats, membres de la Cour suprême (Oberster Gerichtshof), et cinq fonctionnaires du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts (Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft; article 6 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles, paragraphe 18 ci-dessous). Deux de ces derniers - le président et le rapporteur - appartenaient à la division I 7, chargée notamment du secrétariat de la Commission, les trois autres aux divisions II C 7, II C 8 et V A 3 respectivement. La procédure devant les Cours constitutionnelle et administrative Les requérants saisirent alors la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof). Ils affirmaient avoir été privés de leur droit à une décision par le juge compétent d'après la loi (gesetzlicher Richter, article 83 § 2 de la Constitution fédérale - Bundes-Verfassungsgesetz) car, selon la législation sur l'organisation des autorités agricoles, plusieurs experts siégeaient aux Commissions régionale et suprême. Ils ne trouvaient pas logique que ces membres jouissent d'un droit de vote même lorsque la question sous examen sortait de leur spécialité ou qu'ils avaient eux-mêmes établi le rapport d'expertise. Ils alléguaient en outre une atteinte à leur droit de propriété, garanti par la Constitution. Ils se référaient aussi, d'une manière générale, aux "dispositions correspondantes de la Convention des Droits de l'Homme". Par des arrêts des 1er février (M. et Mme Haas), 28 février (M. et Mme Gunacker) et 19 mars 1980 (MM. et Mmes Ettl et Schalhas), la Cour constitutionnelle rejeta les recours pour défaut de fondement. Elle souligna entre autres que l'article 12 § 2 de la Constitution fédérale prévoyait expressément la présence d'experts. A la demande des requérants, elle renvoya les affaires à la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof) pour que celle-ci appréciât s'il y avait eu méconnaissance de droits non constitutionnels. Devant la Cour administrative, les intéressés contestèrent la légalité de la compensation foncière accordée: d'après eux, il y avait eu manquement aux exigences de la loi de Basse-Autriche sur l'aménagement des terres agricoles. Ils dénonçaient en second lieu une infraction aux clauses de la loi générale sur la procédure administrative (Allgemeines Verwaltungsverfahrensgesetz) relatives à l'impartialité des autorités administratives et au droit à un procès équitable: les experts avaient voté dans une matière étrangère à leur compétence professionnelle; il n'y avait pas eu d'expertise écrite et aucune des commissions n'avait communiqué aux parties le résultat de la procédure d'enquête (Ermittlungsverfahren). Les 11 novembre (époux Ettl et Gunacker) et 25 novembre 1980 (époux Schalhas et Haas), la Cour administrative constata une violation des droits procéduraux des requérants; elle repoussa les autres griefs. Ses arrêts, libellés en termes analogues, peuvent se résumer ainsi (paragraphe 52 du rapport de la Commission): - Dans la mesure où les intéressés taxaient de partialité les experts membres de la Commission suprême, leur thèse manquait de fondement car ladite Commission avait siégé dans une composition légale. - Pour autant qu'ils se plaignaient de l'absence d'une expertise écrite sur certains points, ils n'indiquaient pas quels faits pertinents n'avaient pas été signalés à la Commission suprême faute d'une telle expertise. Partant, la procédure ne se trouvait pas entachée d'un vice de forme essentiel (wesentlicher Verfahrensmangel). - Quant à la procédure d'enquête, on aurait dû porter à leur connaisance non seulement l'établissement des faits (Befund), mais aussi l'avis lui-même. Toutefois, ils ne précisaient pas quels éléments de preuve complémentaires ils auraient fournis s'ils avaient su le résultat de ladite procédure; ils ne démontraient donc pas, là non plus, un vice de procédure essentiel. - Enfin, les griefs concernant le non-respect de la loi sur l'aménagement de terres agricoles n'étaient pas fondés. Cependant, la Commission suprême avait ordonné certaines mesures - opérations de drainage sur les terres attribuées aux Ettl, Schalhas et aux Haas, construction d'une voie d'accès dans le cas des Gunacker -, sans énumérer tous les travaux nécessaires, sans motiver à un degré suffisant ses décisions et sans avoir établi les faits pertinents. Dans le cas des époux Ettl, elle avait recueilli les observations (Stellungnahme) de son membre spécialiste en agronomie sur le problème de l'érosion de certaines terres, mais elle ne les avait pas communiquées aux requérants qui n'avaient donc pas eu l'occasion de les commenter. En conséquence, la Cour administrative cassa sur ces divers points, pour vice de procédure, les décisions attaquées et renvoya les affaires à la Commission suprême. Celle-ci accueillit les recours des requérants le 3 mars 1982. L'Autorité de district publia ultérieurement un nouveau plan de remembrement que les intéressés attaquèrent à l'automne 1985 devant la Commission régionale. La Cour n'a pas été informée des suites de la procédure. II. La législation pertinente En général En Autriche, les compétences en matière de réforme agraire se répartissent entre la Fédération et les Länder: la législation portant sur les principes ressortit à la première, la législation d'application et la mise en oeuvre des lois aux seconds (article 12 § 1 n° 3 de la Constitution fédérale). Aux termes de l'article 12 § 2 de la Constitution fédérale, les décisions en dernière instance et à l'échelon du Land relèvent de commissions composées d'un "président, de magistrats, de fonctionnaires et d'experts"; "la commission qui statue en dernière instance est établie auprès du ministère fédéral compétent". "L'organisation, les fonctions et la procédure des commissions, ainsi que les principes d'organisation des autres autorités compétentes dans le domaine de la réforme agraire, sont fixés par une loi fédérale." Celle-ci doit prévoir que l'administration ne saurait annuler ou modifier les décisions des commissions; elle ne peut exclure le recours à la commission du régionale contre les décisions de l'autorité de première instance. Dans ce cadre constitutionnel, le Parlement fédéral a adopté trois lois concernant les questions suivantes: i. les principes de droit applicables en matière de réforme agraire (loi fédérale sur les principes régissant l'aménagement des terres agricoles - Flurverfassungs-Grundsatzgesetz 1951 -, dans sa version de 1977); ii. l'organisation des commissions de la réforme agraire et les principes d'organisation des autorités de première instance (loi fédérale sur les autorités agricoles - Agrarbehördengesetz 1950 -, dans sa version de 1974); iii. la procédure devant les autorités agricoles (loi fédérale sur la procédure agricole - Agrarverfahrensgesetz 1950 -, qui renvoie à la loi générale sur la procédure administrative). Les Länder ont traité dans des lois sur l'aménagement des terres agricoles (Flurverfassungs-Landesgesetze) les questions que leur a laissées le législateur fédéral. En Basse-Autriche, le remembrement fait l'objet de la loi de 1975 sur l'aménagement des terres agricoles; elle a remplacé une législation de 1934 et une loi du 23 février 1979 l'a amendée à certains égards. Les autorités agricoles En Basse-Autriche, l'organe appelé à se prononcer en première instance est l'Autorité agricole de district, de caractère purement administratif. Les autorités supérieures sont la Commission régionale, établie auprès du Bureau du gouvernement du Land, puis la Commission suprême qui se trouve auprès du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts. Les décisions (Bescheide) de l'Autorité de district peuvent donner lieu à un appel (Berufung) devant la Commission régionale. Celle-ci statue en dernier ressort, sauf si elle a modifié la décision en cause et si le litige concerne une des questions énumérées à l'article 7 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles, telle la légalité de la compensation dans l'hypothèse d'un remembrement; en pareil cas, un recours s'ouvre devant la Commission suprême. En droit autrichien, on considère les commissions de la réforme agraire comme des organes mixtes (Kollegialbehörden mit richterlichem Einschlag) constituant une sorte de "tribunaux administratifs spécialisés". La Commission régionale compte huit membres, tous nommés par le Gouvernement du Land (article 5 §§ 2 et 4 de la loi fédérale sur les autorités agricoles): - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique (rechtskundig), en tant que président; - trois magistrats; - un fonctionnaire du Land, ayant une formation juridique et de l'expérience en matière de réforme agraire, en tant que rapporteur; - un haut fonctionnaire du Land (Landesbeamter des höheren Dienstes) ayant l'expérience des questions agronomiques; - un haut fonctionnaire du Land ayant l'expérience des questions forestières; - un expert agricole au sens de l'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative. A la Commission suprême siègent également huit membres, à savoir (article 6 §§ 2 et 4 de la loi fédérale sur les autorités agricoles): - un haut fonctionnaire, ayant une formation juridique, du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, en tant que président; - trois membres de la Cour suprême; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant une formation juridique et de l'expérience en matière de réforme agraire, en tant que rapporteur; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant l'expérience des questions agronomiques; - un haut fonctionnaire du ministère fédéral de l'Agriculture et des Forêts, ayant l'expérience des questions forestières; - un expert agricole au sens de l'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative. Les membres magistrats sont désignés par le ministre fédéral de la Justice, les autres par le ministre fédéral de l'Agriculture et des Forêts. L'article 52 de la loi générale sur la procédure administrative, mentionné aux articles 5 § 2 et 6 § 2 de la loi fédérale sur les autorités agricoles, se lit ainsi: "1. Si une expertise se révèle nécessaire, l'autorité fait appel aux experts officiels (Amtssachverständige) attachés à elle ou mis à sa disposition. A titre exceptionnel cependant, elle peut consulter et assermenter d'autres personnes compétentes comme experts, si aucun expert officiel n'est disponible ou si cela s'impose au vu des circonstances propres à l'affaire. (...)" Le mandat, renouvelable, des membres des commissions de la réforme agraire est de cinq ans (article 9 § 1 de la loi fédérale sur les autorités agricoles). Il s'achève avant son terme légal, notamment, si les conditions exigées pour la nomination ne se trouvent plus réunies (article 9 § 2). Tout membre peut, à sa demande, se voir relevé de ses fonctions pour des raisons de santé ou des motifs d'ordre professionnel qui l'empêchent de s'acquitter convenablement de ses tâches (article 9 § 3). La suspension d'un membre magistrat ou fonctionnaire par décision d'une juridiction disciplinaire entraîne la suspension de ses fonctions de membre de la commission de la réforme agraire (article 9 § 4). Les membres desdites commissions exercent leurs fonctions à titre indépendant et ne sont soumis à aucune instruction (articles 8 de la loi fédérale sur les autorités agricoles et 20 § 2 de la Constitution fédérale). L'administration ne peut ni annuler ni amender leurs décisions (articles 8 de la loi fédérale et 12 § 2 de la Constitution fédérale, paragraphe 14 ci-dessus), lesquelles peuvent être attaquées devant la Cour administrative (article 8 de la loi fédérale). L'organisation décrite ci-dessus résulte d'un changement législatif intervenu en 1974 à la suite d'un arrêt de la Cour constitutionnelle, de la même année. Aux yeux de la Cour constitutionnelle, sous l'empire de la loi de 1950 les commissions de la réforme agraire ne pouvaient passer pour des tribunaux indépendants et impartiaux au sens de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention: parmi leurs membres figuraient à l'époque un ministre du gouvernement fédéral (Commission suprême) ou du gouvernement d'un Land (Commission régionale) et les pouvoirs publics compétents pouvaient révoquer les autres à tout moment (arrêt du 19 mars 1974, Erkenntnisse und Beschlüsse des Verfassungsgerichtshofes, 1974, vol. 39, n° 7284, pp. 148-161). La nouvelle législation a exclu des commissions tout membre d'un gouvernement, introduit des dispositions régissant le mandat et la révocation des membres et créé la possibilité de saisir la Cour administrative (articles 5 § 2, 6 § 2, 8 et 9 de la loi fédérale de 1974 sur les autorités agricoles). La procédure devant les commissions de la réforme agraire La procédure devant les commissions de la réforme agraire obéit à la loi fédérale sur la procédure agricole (paragraphe 15 ci-dessus), dont l'article 1er précise que la loi générale sur la procédure administrative s'applique, sauf un article sans pertinence en l'espèce et sous réserve des modifications et compléments prévus par la loi fédérale. Les commissions assument la responsabilité de la conduite de la procédure (article 39 de la loi générale sur la procédure administrative). Aux termes de l'article 9 §§ 1 et 2 de la loi fédérale, elles statuent après une audience non publique. Y assistent, sauf exception, les parties; elles peuvent consulter le dossier (article 17 de la loi générale sur la procédure administrative) et comparaître en personne ou se faire représenter (article 9 § 3 de la loi fédérale). Le président peut convoquer des témoins et, pour recueillir des renseignements, des fonctionnaires qui ont participé à la décision de première instance et à sa préparation (article 9 § 5). L'audience commence par un exposé du rapporteur; la commission clarifie ensuite l'objet du litige en entendant parties et témoins et en examinant en détail (eingehend) la situation juridique et économique (article 10 § 2). Elle procède sur la base des faits établis par l'organe inférieur, mais peut charger d'un complément d'instruction ce même organe ou un ou plusieurs de ses propres membres (article 10 § 1). Les parties doivent pouvoir prendre connaissance du résultat de l'instruction (Beweisaufnahme) et présenter leurs observations (article 45 § 3 de la loi générale sur la procédure administrative). Les commissions délibèrent et votent en l'absence des parties: après avoir discuté des résultats des débats, le rapporteur formule des conclusions (Antrag); ceux qui veulent en proposer d'autres (Gegen- und Abänderungsanträge) doivent les motiver (article 11 § 1 de la loi fédérale). Le président fixe l'ordre de mise aux voix des diverses conclusions (ibidem). Le rapporteur vote le premier, suivi par les magistrats puis par les autres membres, y compris le président qui vote le dernier et dont la voix est prépondérante s'il y a partage (article 11 § 2). En cas d'appel interjeté dans le délai légal de deux semaines (article 7 § 3) et reconnu recevable, la commission compétente casse la décision attaquée et renvoie l'affaire à l'organe inférieur si elle estime l'établissement à tel point défectueux qu'une nouvelle audience se révèle inévitable; autrement, elle statue elle-même sur le fond (article 66 §§ 2 et 4 de la loi générale sur la procédure administrative); elle peut modifier ladite décision, qu'il s'agisse du dispositif ou des motifs (article 66 § 4). Les commissions doivent se prononcer sans retard (ohne unnötigen Aufschub) et au maximum six mois après leur saisine (article 73 § 1). Si les parties ne reçoivent pas communication de la décision (Erkenntnis) dans ce délai, elles peuvent s'adresser à l'autorité supérieure, à laquelle il incombe alors de trancher au fond (article 73 § 2). Dans l'hypothèse d'une défaillance de cette dernière, la compétence échoit, sur demande de l'intéressé, à la Cour administrative (articles 132 de la Constitution fédérale et 27 de la loi sur la Cour administrative). Motivées, les décisions des commissions doivent résumer avec clarté (klar und übersichtlich) le résultat de la procédure d'enquête, l'appréciation des moyens de preuve et, sur la base de ces données, la réponse fournie au problème juridique qui se pose (articles 58 § 2 et 60 de la loi générale sur la procédure administrative). Elles sont notifiées aux parties; toutefois, la commission peut opter pour le prononcé immédiat (article 13 de la loi fédérale). Les recours devant les Cours constitutionnelle et administrative Les décisions des commissions de la réforme agraire peuvent être contestées devant la Cour constitutionnelle. Celle-ci recherche s'il y a eu atteinte à un droit garanti au requérant par la Constitution ou application d'un arrêté (Verordnung) contraire à la loi, d'une loi contraire à la Constitution ou d'un traité international incompatible avec le droit autrichien (rechtswidrig) (article 144 de la Constitution fédérale). Par dérogation à la règle de principe de l'article 133 n° 4 de la Constitution fédérale, l'article 8 de la loi fédérale sur les autorités agricoles ouvre contre ces mêmes décisions un recours devant la Cour administrative. Elle peut être saisie avant ou après la Cour constitutionnelle, qui lui renvoie l'affaire si le requérant l'y invite et si elle conclut à l'absence de violation du droit invoqué (article 144 § 3 de la Constitution fédérale). Selon l'article 130 de la Constitution fédérale, la Cour administrative connaît des requêtes qui allèguent l'illégalité d'un acte (Bescheid) administratif, celle de l'exercice de la contrainte (Befehls- und Zwangsgewalt) contre une personne ou un manquement de l'autorité compétente à son obligation de décider. Elle examine en outre les recours introduits contre les décisions d'organes mixtes - telles les commissions de la réforme agraire -, lorsque la loi l'y habilite (paragraphes 16, 22 et 25 ci-dessus). Si elle ne rejette pas le recours pour défaut de fondement, elle annule la décision attaquée; elle ne se prononce sur le fond que si l'autorité compétente a failli à son devoir de statuer (article 42 § 1 de la loi sur la Cour administrative, Verwaltungsgerichtshofgesetz). Lorsqu'il lui incombe de contrôler la légalité d'un acte administratif ou de la décision d'un organe mixte, la Cour tranche sur la base des faits établis par l'autorité dont il s'agit et sous l'angle des seuls griefs présentés, sauf en cas d'incompétence de ladite autorité ou de violation de règles de procédure (article 41 de la loi sur la Cour administrative). A ce sujet, la loi apporte une précision: la Cour annule l'acte attaqué, pour infraction à pareille règle, quand les faits tenus par l'administration pour établis se trouvent, sur un point capital, démentis par le dossier, qu'il échet de les compléter sur un tel point et qu'il y a inobservation de règles dont l'application correcte aurait pu conduire à une décision différente (article 42 § 2, alinéa 3), de la loi précitée). Si en cours d'examen apparaissent des motifs inconnus jusqu'alors des parties, la Cour doit entendre celles-ci et, au besoin, suspendre la procédure (article 41 § 1 de la loi précitée). La procédure consiste pour l'essentiel en un échange de mémoires (article 36), suivi, sous réserve de quelques hypothèses énumérées dans la loi, d'une audience contradictoire et, en principe, publique (articles 39 et 40). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 27 octobre 1980 (requête n° 9273/81); ils alléguaient que leur cause n'avait pas été entendue par un tribunal indépendant et impartial comme l'eût voulu l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 9 mars 1984. Dans son rapport du 3 juillet 1985 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) (dix voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 20 octobre 1986, la Cour a été invitée - par le Gouvernement, "à dire qu'en l'espèce les dispositions de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l'Homme n'ont pas été violées et que dès lors les faits de la cause ne révèlent aucun manquement de la République d'Autriche aux exigences de la Convention"; - par le délégué de la Commission, à confirmer l'avis de cette dernière; - par les requérants, à accueillir leur demande.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant zaïrois né en 1951, M. Amosi Salabiaku réside à Paris avec sa famille. Le 28 juillet 1979, il se rendit à l’aérogare de Roissy pour y retirer un colis dont un message télétypé lui avait annoncé l’arrivée à bord d’un appareil d’Air Zaïre et qui, selon lui, devait contenir quelques échantillons de denrées alimentaires africaines, expédiés à son intention par l’intermédiaire d’un de ses parents, employé de ladite compagnie. Ne le trouvant pas, il alla voir un préposé d’Air Zaïre. Celui-ci lui désigna une malle cadenassée, restée en souffrance et sur laquelle figurait un coupon de bagages d’Air Zaïre mais aucun nom. Sur les conseils de policiers de surveillance, il lui suggéra de la laisser sur place, lui donnant à entendre qu’elle pouvait renfermer des marchandises prohibées. Le requérant s’en empara néanmoins; il franchit la douane sans encombre - il avait choisi de passer par le "filtre vert" réservé aux voyageurs n’ayant rien à déclarer - avec trois autres Zaïrois qu’il rencontrait là pour la première fois. Aussitôt après, il demanda par téléphone à son frère Lupia de venir le chercher à un terminal proche de leur domicile pour lui prêter assistance car le bagage en question se révélait plus lourd que prévu. Les douaniers interpellèrent alors M. Amosi Salabiaku et ses trois compagnons, qui s’apprêtaient à emprunter le car navette d’Air France. Il mit hors de cause ses trois compatriotes, qui recouvrèrent immédiatement leur liberté, et se reconnut comme le destinataire de la malle. Après avoir forcé la fermeture de celle-ci, les douaniers découvrirent, sous des victuailles, un double fond soudé dissimulant 10 kg de cannabis en herbe et graines. Le requérant affirma qu’il en ignorait la présence et qu’il avait pris à tort ladite malle pour le colis annoncé. Son frère fut à son tour appréhendé à la Porte Maillot (Paris). Le 30 juillet 1979, la compagnie Air Zaïre téléphona chez le logeur de MM. Amosi et Lupia Salabiaku; elle l’informa qu’un colis portant le nom du requérant et son adresse à Paris était parvenu par erreur à Bruxelles. Ouvert par un magistrat instructeur, il ne renfermait que de la farine de manioc, de l’huile de palme, du piment et de la pâte d’arachide. Élargis le 2 août 1979, les deux frères se virent inculper, avec un certain K. lui aussi de nationalité zaïroise, tant du délit pénal d’importation illicite de stupéfiants (articles L. 626, L. 627, L. 629, L. 630-1, R. 5165 et suivants du code de la santé publique) que du délit douanier d’importation en contrebande de marchandises prohibées (articles 38, 215, 414, 417, 419 et 435 du code des douanes, articles 42, 43-1 et suivants, 44 du code pénal). Une ordonnance du 25 août 1980 les renvoya en jugement devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Le 27 mars 1981, la 16e chambre de cette juridiction relaxa MM. Lupia Salabiaku et K. au bénéfice du doute, mais déclara coupable le requérant. Elle releva notamment: "Ce qui établit la mauvaise foi du [prévenu], c’est qu’il n’a manifesté aucune surprise lorsque le premier sac ouvert en sa présence s’est révélé ne contenir aucune denrée contenue dans le second alors qu’il a décrit nettement ce qu’il prétendait attendre venant du Zaïre et reçu en second lieu. Ce dernier sac est parvenu à Bruxelles dans des conditions qui n’ont pu être établies et son existence ne saurait dissiper les présomptions qui sont suffisamment graves, précises et concordantes pour entrer en voie de condamnation (...)." En conséquence, le tribunal prononça contre M. Amosi Salabiaku une peine de deux ans d’emprisonnement et l’interdiction définitive du territoire français. Il lui infligea de plus, au titre de l’infraction douanière, une amende de 100.000 francs français à verser à l’administration des douanes, partie civile (article 414 du code des douanes). Le requérant et le procureur de la République interjetèrent appel. Le 9 février 1982, la cour de Paris (10e chambre) réforma le jugement quant au délit pénal d’importation illicite de stupéfiants, par les motifs ci-après: "(...) les faits (...) ne sont pas suffisamment établis; (...) en effet, si Salabiaku Amosi qui attendait un simple colis de victuailles s’est emparé d’une malle très lourde fermée par un cadenas dont il ne possédait pas les clés, qui ne portait aucun nom de destinataire et qui était munie d’un coupon de bagage dont il n’avait pas le talon correspondant, il a été établi par ailleurs qu’un sac à son nom contenant des vivres était arrivé deux jours après à Bruxelles par la compagnie Air Zaïre, en provenance de Kinshasa, ce sac ayant apparemment été acheminé par erreur jusqu’à Bruxelles alors que sa destination était Paris; (...) dans ces conditions, il n’est pas impossible que Salabiaku Amosi ait pu croire, en prenant possession de la malle, qu’elle lui était véritablement destinée; (...) il y a tout au moins un doute qui doit lui [profiter] et entraîner sa relaxe (...)." L’arrêt confirma au contraire la décision de première instance quant au délit douanier d’importation en contrebande de marchandises prohibées: "(...) toute personne détenant une marchandise qu’elle a introduit[e] en France sans déclaration à la douane est présumée légalement responsable à moins qu’elle [ne] justifie d’un fait précis de force majeure l’exonérant, cette force majeure ne pouvant résulter que d’un événement indépendant de la volonté humaine et que cette volonté n’a pu prévoir ni conjurer (...); (...) (...) Salabiaku Amosi a passé la douane avec [la] malle et déclaré aux douaniers qu’elle était sa propriété; (...) il a donc détenu cette malle contenant des stupéfiants; (...) il ne saurait invoquer en sa faveur une erreur invincible puisqu’averti par [un] agent de la compagnie Air Zaïre (...) de ne prendre possession de la malle que s’il était sûr qu’elle lui appartenait, d’autant plus qu’il aurait à l’ouvrir à la douane, il lui était loisible, avant de s’en déclarer propriétaire et d’affirmer par là sa détention au sens de la loi, de vérifier qu’elle ne contenait aucune marchandise prohibée; (...) en s’abstenant de le faire et en détenant cette malle contenant 10 kg de cannabis en herbe et graines, il s’est rendu coupable du délit douanier d’importation en contrebande de marchandises prohibées (...)." La cour d’appel confirma aussi la condamnation du requérant à une amende douanière de 100.000 francs français; elle fixa au minimum la durée de la contrainte par corps. M. Amosi Salabiaku se pourvut en cassation. Il invoquait les paragraphes 1 et 2 de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention: selon lui, "en mettant à [sa] charge une présomption de culpabilité, profitant à l’administration des douanes" et "quasiment irréfragable", la juridiction d’appel avait violé à la fois le droit à un procès équitable et le droit au respect de la présomption d’innocence. La Cour de cassation (chambre criminelle) rejeta le pourvoi le 21 février 1983, estimant que l’arrêt attaqué avait fait une "exacte application" de l’article 392 par. 1 du code des douanes, aux termes duquel "le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude": "(...) contrairement à ce qui est allégué au moyen, l’article précité n’a pas été implicitement abrogé par l’adhésion de la France à la Convention (...) et devait recevoir application dès lors que la cour d’appel, qui s’est déterminée au vu des éléments de preuve contradictoirement débattus devant elle, a constaté la prise de possession par le prévenu du colis en cause et tiré de ce fait matériel de détention une présomption qu’aucun élément résultant d’un événement non imputable à l’auteur de l’infraction ou qu’il eût été dans l’impossibilité d’éviter n’est venu détruire (...)." II. LA LÉGISLATION ET LA JURISPRUDENCE PERTINENTES Les infractions douanières constituent en France des infractions pénales présentant diverses particularités. Le code des douanes réprime pour l’essentiel la contrebande (articles 417 à 422) et les importations ou exportations sans déclaration (articles 423 à 429). Seule la première entre ici en ligne de compte. Elle "s’entend des importations ou exportations en dehors des bureaux ainsi que de toute violation des dispositions légales ou réglementaires relatives à la détention et au transport des marchandises à l’intérieur du territoire douanier" (article 417 par. 1), par exemple - mais non exclusivement - s’il s’agit de "marchandises prohibées à l’entrée" (article 418 par. 1, à combiner avec l’article 38). À l’époque considérée, l’article 408 rangeait lesdites infractions en cinq classes de contraventions et trois de délits. Les articles 410 à 416 les frappaient de "peines principales" qui variaient en fonction de leur gravité: amendes comprises tantôt entre des limites chiffrées (articles 410 par. 1, 412 et 413 bis), tantôt "entre une et trois fois le montant des droits et taxes éludés ou compromis" (article 411 par. 1) ou "la valeur des marchandises litigieuses" (article 413), "de l’objet de fraude" (articles 414 et 415) ou "des objets confisqués" (article 416), avec un minimum incompressible (article 437); confiscation "des marchandises litigieuses" (article 412) ou "de l’objet de fraude", des "moyens de transport" et "des objets servant à masquer la fraude" (articles 414, 415 et 416); emprisonnement pouvant atteindre un mois (article 413 bis), trois mois (article 414), un an (article 415) ou trois ans (article 416), selon le cas. Quant à lui, M. Salabiaku tombait sous le coup de l’article 414, aux termes duquel "Sont passibles de la confiscation de l’objet de fraude, de la confiscation des moyens de transport, de la confiscation des objets servant à masquer la fraude, d’une amende comprise entre une et trois fois la valeur de l’objet de fraude et d’un emprisonnement pouvant s’élever à trois mois, tout fait de contrebande ainsi que tout fait d’importation ou d’exportation sans déclaration lorsque ces infractions se rapportent à des marchandises de la catégorie de celles qui sont prohibées (...) à l’entrée (...)". Certaines de ces peines - les amendes non chiffrées par avance et les confiscations - sont qualifiées aussi de "sanctions fiscales" (articles 343 par. 2 et 415); on leur attribue en général un caractère indemnitaire dans la mesure où elles ont pour finalité de compenser un préjudice subi par l’administration des douanes. A quoi s’ajoutent une série de "peines complémentaires" (articles 430 à 433), notamment privatives de droits (article 432). Le tout peut donner lieu à inscription au casier judiciaire. Des "procès-verbaux" de saisie dressés "par un agent des douanes ou de toute autre administration" peuvent servir - et servent de manière habituelle - à la preuve des infractions douanières (articles 323 à 333). Selon qu’ils émanent d’un ou de plusieurs fonctionnaires, ils font foi "jusqu’à preuve contraire" seulement, ou "jusqu’à inscription de faux", "des constatations matérielles qu’ils relatent " (articles 336 par. 1 et 337 par. 1). Ils sont "remis au procureur de la République et les prévenus capturés sont traduits" devant lui (article 333 par. 1). L’initiative des poursuites relève du parquet "pour l’application des peines" stricto sensu, de l’administration des douanes - ou du parquet, "accessoirement à l’action publique" - pour celle des "sanctions fiscales" (article 343). Les tribunaux de police connaissent des contraventions douanières, les tribunaux correctionnels des délits douaniers (articles 356 et 357). La procédure obéit en principe aux règles du droit commun (articles 363, 365 et 366). Le délit reproché au requérant - l’importation en contrebande de stupéfiants, "marchandise prohibée" (article 414) - n’implique pas nécessairement une détention. Cependant, lorsque détention il y a "le détenteur (...) est réputé responsable de la fraude", sans préjudice des peines que peuvent encourir d’autres personnes, par exemple les complices (article 398) ou "intéressés à la fraude" (article 399) éventuels. Ainsi le veut l’article 392 par. 1. Ce texte figure au chapitre V ("Responsabilité et solidarité") du titre XII ("Contentieux") du code des douanes, au début de la section I ("Responsabilité pénale"), et non parmi les "Dispositions répressives" du chapitre VI. Il s’analyse en une clause générale qui vaut pour la contrebande comme pour les importations ou exportations sans déclaration et pour toute "marchandise de fraude", prohibée ou non en elle-même à l’entrée ou à la sortie. Pris à la lettre il semblerait édicter une présomption irréfragable, mais en tout cas une évolution jurisprudentielle a conduit à en tempérer la rigueur: la Cour de cassation affirme désormais tant le pouvoir d’appréciation souveraine, par les juges du fond, des "éléments de conviction soumis au débat contradictoire" (voir par exemple l’arrêt Abadie du 11 octobre 1972, Bulletin no 280, p. 723) que la possibilité, pour le prévenu, de s’exonérer en établissant l’existence d’un "cas de force majeure", résultant "d’un événement non imputable" à lui et qu’il "était dans l’impossibilité absolue d’éviter", telle "l’impossibilité absolue (...) de connaître le contenu [d’un] colis" (voir par exemple l’arrêt Massamba Mikissi et Dzekissa du 25 janvier 1982, Gazette du Palais, 1982, jurisprudence, pp. 404-405, et l’arrêt rendu en l’espèce le 21 février 1983, paragraphe 15 ci-dessus; voir aussi cour d’appel de Paris, 10 mars 1986, Chen Man Ming et autres, Gazette du Palais, 1986, jurisprudence, pp. 442-444). De son côté, l’article 399, qui concerne les tiers "intéressés à la fraude" et non les "détenteurs", précise en son paragraphe 3 que "l’intérêt à la fraude ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité ou par suite d’erreur invincible". Par contre, le paragraphe 2 de l’article 369 interdisait aux tribunaux de "relaxer les contrevenants pour défaut d’intention". La loi no 87-502 du 5 juillet 1987 l’a certes abrogé, mais elle n’a évidemment pu jouer en l’espèce. De l’hypothèse d’un acquittement pur et simple, il faut distinguer celle que régit le paragraphe 1 de l’article 369: l’octroi de circonstances atténuantes. En pareil cas, le tribunal peut notamment "dispenser le prévenu des sanctions pénales prévues par le (...) code", ordonner un sursis à leur exécution ou décider "que la condamnation ne soit pas mentionnée au bulletin no 2 du casier judiciaire", libérer l’intéressé de certaines confiscations ou réduire le montant des "amendes fiscales". PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 29 juillet 1983 à la Commission (no 10519/83), M. Salabiaku se plaignait de l’application à son encontre de l’article 392 par. 1 du code des douanes; il l’estimait incompatible avec l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention, reprenant en substance la thèse qu’il avait défendue en vain devant la Cour de cassation (paragraphe 15 ci-dessus). La Commission a retenu la requête le 16 avril 1986. Dans son rapport du 16 juillet 1987 (article 31) (art. 31), elle ne relève aucune infraction aux paragraphes 1 (dix voix contre trois) et 2 (neuf voix contre quatre) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 20 juin 1988, le Gouvernement a confirmé en substance la conclusion qui figurait à la fin de son mémoire et qui tendait au rejet de la requête: selon lui, l’intéressé "n’a pas été victime d’une violation de l’article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention". Pour sa part, M. Amosi Salabiaku a invité la Cour, par son conseil, à "dire qu’il y a eu violation" de ces mêmes dispositions.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant belge né en 1931 et jadis officier de carrière, M. Pauwels a servi en dernier lieu dans les forces armées belges stationnées en République fédérale d’Allemagne, avec le grade de capitaine-commandant. Il réside actuellement à Cologne avec sa famille; les autorités belges ont demandé son extradition. A. L’arrestation et la détention préventive du requérant Le 2 avril 1982, la commission judiciaire près le conseil de guerre en campagne "A", siégeant à Cologne, ordonna son arrestation et l’inculpa de détournements au détriment de l’État. Elle était présidée par M. Van Even, premier substitut de l’auditeur militaire, qui avait interrogé l’intéressé les 23 et 24 mars. Elle justifia sa décision par la gravité des charges et par la nécessité d’entendre certains témoins sans que M. Pauwels pût les influencer. Appréhendé quelques heures plus tard, le requérant réclama son élargissement immédiat mais ladite commission, à nouveau présidée par M. Van Even, confirma le mandat le 8 avril par des motifs analogues. Le jour même, M. Pauwels saisit le conseil de guerre d’une deuxième demande de mise en liberté. Le 15 avril, celui-ci la déclara recevable mais mal fondée après avoir ouï un autre substitut, M. Potemans. Il souligna que pendant l’instruction la commission judiciaire jouissait d’une compétence exclusive pour examiner pareille demande et pour apprécier l’opportunité de la détention; il releva en outre la légalité du mandat initial. L’intéressé introduisit aussitôt un appel dont la Cour militaire, siégeant à Bruxelles, le débouta le 22 avril; elle approuva en tout point le jugement attaqué. Le 23 avril, la commission judiciaire, toujours présidée par M. Van Even, confirma une seconde fois le mandat d’arrêt. Le requérant se pourvut en cassation le 30 contre l’arrêt de la Cour militaire. Il invoquait notamment le troisième alinéa de l’article 7 de la Constitution, aux termes duquel "Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge": selon lui, ni la commission judiciaire ni aucun de ses membres ne possédaient la qualité de juge, ni l’indépendance et l’impartialité qu’elle implique; spécialement, l’auditeur militaire s’acquittait de ses tâches sous le contrôle et l’autorité du ministère de la Justice, cumulait les fonctions de parquet et de magistrat instructeur, avait, comme partie poursuivante, un intérêt opposé à celui du détenu ou prévenu et se trouvait seul investi du pouvoir de décision, car non lié par un avis contraire de l’un ou des deux officiers commissaires (paragraphe 24 ci-dessous). La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 22 juin 1982. En ce qui concerne le moyen tiré de l’article 7 de la Constitution, elle estima que le troisième alinéa devait se lire à la lumière de l’article 105 de la Constitution (paragraphe 18 ci-dessous). Par "juge", il fallait donc comprendre en l’occurrence un organe que les lois relatives à la procédure pénale militaire avaient doté d’attributions juridictionnelles. Or les articles 35 et 36 du code de procédure pénale militaire, issu d’une loi du 15 juin 1899, habilitaient la commission judiciaire à décerner des mandats d’arrêt; d’après les travaux préparatoires, l’auditeur la présidant exerçait une fonction de juge d’instruction, dans l’accomplissement de laquelle il était par nature indépendant. Entre-temps, M. Pauwels avait invité le conseil de guerre, le 3 mai 1982, à l’élargir après avoir constaté l’incompétence de la commission judiciaire pour délivrer puis confirmer le mandat du 2 avril. Le 11 mai, le conseil déclara cette troisième demande irrecevable parce que contraire à l’autorité de la chose jugée qui s’attachait à la décision du 15 avril; avant de statuer, il avait entendu le ministère public en la personne de M. Van Even. Aussitôt saisie par l’inculpé, la Cour militaire rejeta son appel le 4 juin comme irrecevable et au demeurant mal fondé. Une quatrième demande, du 14 juin, n’eut pas plus de succès: le 23, le conseil de guerre la repoussa par des motifs analogues après audition de M. Van Even. Le 1er juin 1982, l’avocat du requérant avait écrit directement à l’auditeur général qui, le 16, lui répondit en ces termes (traduction du néerlandais): "Me référant à la requête de mise en liberté provisoire du 1er juin 1982 concernant Pauwels (...), j’ai l’honneur de vous faire savoir, après avoir pris connaissance de cette requête, que, à mon avis, il n’y a pas suffisamment d’éléments justifiant l’évocation à mon office, en application de l’article 123 du code de procédure pénale militaire, de la question de son maintien en détention provisoire. Toutefois, j’ai prié l’auditeur militaire en campagne A de renvoyer l’affaire au conseil de guerre dans les plus brefs délais afin de permettre à ce tribunal de statuer au fond ainsi que, à la même occasion, de statuer sur une éventuelle requête de mise en liberté. (...)." B. La procédure de jugement Le 23 juin 1982, le requérant fut cité par le premier substitut Van Even à comparaître le 5 juillet, à Cologne, devant le conseil de guerre. Le jour venu, celui-ci ordonna sa mise en liberté et renvoya l’affaire sine die. Le procès reprit le 6 décembre 1982 après une nouvelle citation signée cette fois, le 17 novembre, par M. Potemans. Le 2 mai 1983, le conseil de guerre accepta de recueillir le témoignage de M. Van Even, sous serment. La défense s’y étant opposée, il joignit l’incident au fond; néanmoins, il résolut d’ouïr le susnommé sur-le-champ. Le prévenu attaqua cette décision dès le lendemain par la voie de l’appel, mais consentit le 4 juillet à voir l’instance continuer de se dérouler. Dans son jugement du 8 septembre 1983, le conseil de guerre se fonda entre autres sur les déclarations de M. Van Even, estimant qu’il n’y avait pas lieu de les écarter des débats; il infligea au requérant six années de réclusion et 6.000 francs belges (FB) d’amende pour faux, usage de faux et détournements au préjudice de l’État. Saisie le jour même par le condamné, la Cour militaire statua sur ses deux appels par un arrêt unique du 27 février 1985. Elle commença par annuler, pour défaut de motivation, la décision du 2 mai 1983 relative à l’audition de M. Van Even. Elle releva en outre que ce dernier avait accompli, en qualité non de juge d’instruction mais de magistrat du parquet, des actes de poursuite et notamment lancé la citation du 23 juin 1982. Elle en déduisit qu’il était ainsi devenu partie en cause, de sorte qu’il n’aurait pas dû comparaître comme témoin et qu’il ne fallait tenir aucun compte de sa déposition. Quant au fond, la Cour militaire ramena la peine à quatre ans d’emprisonnement et 6.000 FB d’amende. Elle prononça la destitution de l’intéressé (article 54 du code pénal militaire), mais contrairement aux premiers juges n’ordonna pas son arrestation immédiate. Le 3 mars 1987, la Cour de cassation rejeta les pourvois formés par le ministère public et M. Pauwels contre l’arrêt de la Cour militaire. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE Aux termes de l’article 105, premier alinéa, de la Constitution, "des lois particulières règlent l’organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux, et la durée de leurs fonctions". La procédure pénale militaire se trouve régie pour l’essentiel, par le code de procédure de l’armée de terre (C.P.A.T.) du 20 juillet 1814 et le code de procédure pénale militaire (C.P.P.M.) du 15 juin 1899. A. L’auditeur militaire L’auditeur militaire dirige l’auditorat d’un conseil de guerre déterminé. Il s’agit d’un magistrat de l’ordre judiciaire, par conséquent non soumis à la hiérarchie militaire; il en va de même des premiers substituts - tel M. Van Even - et substituts - tel M. Potemans - qui l’assistent. Les magistrats des auditorats militaires n’ont pourtant pas la qualité de juge au sens de l’article 10 de la Constitution: le Roi, qui les nomme, peut aussi les révoquer (article 77 du C.P.P.M.); partant, ils ne sont pas inamovibles. Ils se trouvent hiérarchiquement subordonnés à l’auditeur général près la Cour militaire et au ministre de la Justice, mais jouissent en pratique - nul ne le conteste - d’une pleine indépendance dans l’accomplissement de leurs tâches. A l’auditeur militaire et à ses substituts incombent à la fois les fonctions - d’officiers de police judiciaire (article 44 du C.P.P.M.); - de magistrats instructeurs, investis de pouvoirs identiques à ceux d’un juge d’instruction et dont chacun d’eux use tantôt seul, tantôt comme président de la commission judiciaire (article 35 du C.P.P.M. et paragraphe 25 ci-dessous); - d’officiers du ministère public exerçant l’action publique devant les conseils de guerre, sous la surveillance et la direction de l’auditeur général (article 76 du C.P.P.M.). Le code de procédure pénale militaire déroge de la sorte à l’article 292 du code judiciaire, qui prohibe pareil cumul "sauf les cas prévus par la loi". Toutefois, l’arrêt Schiesser de la Cour européenne des Droits de l’Homme, du 4 décembre 1979 (série A no 34), a provoqué de la part de l’auditeur général, le 29 mars 1983, des instructions ainsi libellées (circulaire no 2920): "(...) M. le Procureur général à la Cour de cassation a bien voulu me faire savoir qu’il déduisait de l’arrêt Schiesser qu’il est absolument nécessaire que dans les affaires qui font l’objet d’une instruction et surtout dans celles où l’inculpé est placé en détention préventive, le magistrat qui exerce l’action publique devant le conseil de guerre ne soit pas le même que le magistrat qui a mené l’enquête. J’ai exposé à M. le Procureur général à la Cour de cassation les raisons pour lesquelles dans de nombreuses circonstances, compte tenu des effectifs réduits des auditorats, il serait sans doute matériellement impossible de respecter la règle qu’il souhaite voir appliquer mais que celle-ci le serait à l’avenir de façon générale. Dans l’attente d’une solution qui implique nécessairement une réforme législative, vous veillerez donc à appliquer, dans toute la mesure du possible et surtout en cas de détention préventive, la règle énoncée par M. le Procureur général à la Cour de cassation." Par des directives ultérieures, du 11 mars 1985, l’auditeur général a confirmé et précisé la distinction à préserver entre instruction et poursuite, "en attendant les réformes législatives qui s’imposent": "(...) suivant la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme, un magistrat pouvant être appelé à jouer dans une affaire le rôle de partie poursuivante ne réunit pas les garanties d’indépendance et d’impartialité nécessaires à l’accomplissement des actes juridictionnels inhérents à l’instruction. Cette jurisprudence a déjà inspiré ma circulaire no 2920 du 29 mars 1983. A présent le moment me paraît venu de faire un pas de plus en direction de la séparation de l’instruction et de la poursuite. Tel est l’objet des directives suivantes. Dans toutes les affaires où l’auditeur militaire aura exercé les pouvoirs juridictionnels du juge d’instruction (p.ex. mandat d’arrêt, audition de témoin sous serment, mandat de perquisition, saisie, exploration corporelle, désignation d’expert par la commission judiciaire), l’instruction d’une part et la poursuite d’autre part devront être confiées à des magistrats différents. (...) Je vous prie: 1) de mettre en oeuvre immédiatement les directives contenues dans la présente lettre-circulaire; 2) de m’adresser au 1er octobre 1985 un rapport détaillé, sur l’application pratique de ces directives, les problèmes que cette application aurait fait surgir, etc. (...)." Dans une affaire Ministère public contre Faymonville soumise à la Cour militaire (chambre permanente allemande), l’avocat général a présenté les conclusions suivantes (traduction): "Attendu que l’auditeur militaire qui préside la commission judiciaire exerce les fonctions juridictionnelles de juge d’instruction (Cass., 22 juin 1982, R.W. [Rechtskundig Weekblad], 1983-1984, col. 1115); que l’article 35 du Code de procédure pour l’armée de terre du 20 juillet 1814 combiné avec l’article 70 du Code de procédure pénale militaire impose au président de la commission judiciaire le devoir d’agir en tant que magistrat indépendant, notamment à l’égard des parties (Cour mil., 23 avril 1980, R.D.P. [Revue de droit pénal et de criminologie], 1983, p. 929); Attendu que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme le juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires pendant l’instruction préparatoire, et notamment lorsqu’un mandat d’arrêt est décerné, doit être indépendant à l’égard du pouvoir exécutif et des parties (arrêt Schiesser, 4 déc. 1979, série A, no 34, §§ 27-31); que l’auditeur militaire en sa qualité de juge d’instruction est indépendant à l’égard du pouvoir exécutif, vu qu’en vertu de l’article 76 du Code de procédure pénale militaire (L. 15 juin 1899) il n’est soumis à la surveillance et la direction de l’auditeur général que dans ses fonctions de magistrat du ministère public; que la Cour européenne des droits de l’homme en les causes Duinhof et Duijf (arrêt du 22 mai 1984, série A, no 79, § 38) et van der Sluis, Zuiderveld et Klappe (arrêt, 22 mai 1984, série A, no 78, § 44) a jugé que l’auditeur militaire néerlandais, bien qu’indépendant à l’égard de l’autorité militaire, ne pouvait être indépendant à l’égard des parties lors de la phase introductive du procès parce qu’il pouvait, dans une phase ultérieure, être partie au procès, en l’espèce être partie poursuivante; Attendu que par conséquent l’auditeur militaire belge également, pour autant qu’il intervienne en tant que partie poursuivante, n’offre pas les garanties nécessaires d’impartialité et d’indépendance pour exercer, dans la même cause, les fonctions de juge d’instruction; Attendu que le danger existe qu’il pourrait exercer ses fonctions de juge d’instruction du point de vue de la partie poursuivante dans un stade ultérieur de la procédure; Attendu que ceci ne vaut pas seulement pour le cas où un mandat d’arrêt est décerné; que la fonction juridictionnelle du juge d’instruction est indivisible et s’étend à tous les actes juridictionnels posés pendant l’instruction préparatoire; Attendu que par conséquent l’instruction préparatoire et les poursuites doivent être exercées par des magistrats différents (Cour mil., 13 nov. 1983, R.D.P., 1985, p. 904); que le cumul de l’instruction et des poursuites par le même magistrat est contraire à l’impartialité et à l’indépendance dont doit faire preuve le magistrat instructeur et forme dès lors une violation des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que celle-ci a été explicitée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans les cas susmentionnés; Attendu en effet que les prescriptions explicites de la Convention européenne des droits de l’homme concernant les garanties judiciaires proclament des droits distincts qui se basent tous sur la même idée fondamentale en l’espèce le droit du citoyen à un procès équitable (arrêt Golder, 21 févr. 1975, série A, no 18, §§ 28 et 36); que ce droit fondamental dans une société démocratique, comme stipulé par la Convention, occupe une place tellement éminente, qu’une interprétation restrictive des dispositions explicites de la Convention dans ce domaine ne serait pas conforme au but et à l’objet de celle-ci (arrêt De Cubber, 26 oct. 1984, série A, no 86, §§ 30 et 32); qu’une des conditions essentielles du droit à un procès équitable est justement la séparation de l’instruction et de la poursuite, principe dont l’article 5.3 (art. 5-3) de la Convention n’est qu’une application; Attendu que dans la présente affaire le même magistrat a cumulé les fonctions de juge d’instruction avec celles de ministère public en ordonnant d’abord, comme président de la commission judiciaire avec les membres militaires de cette commission, une expertise et en entendant l’inculpé lors de l’interrogatoire final et ensuite en siégeant comme partie poursuivante au procès; Attendu que ceci constitue une violation des articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention européenne des droits de l’homme et est par conséquent illégal selon le droit interne belge (Cass., 27 mai 1971, Pas. [Pasicrisie], 1971, 919); Attendu qu’il convient dès lors de déclarer les actes d’instruction posés dans l’affaire Faymonville, en l’espèce la désignation d’un expert et l’audition finale de l’inculpé par la commission judiciaire, nuls et d’écarter les pièces qui ont trait à ces actes, le rapport d’expertise inclus, des débats; Attendu toutefois que le fait d’écarter ces pièces n’empêche nullement la cour de former sa conviction à partir des autres pièces du dossier, en l’espèce les procès-verbaux de la police et les déclarations de l’inculpé devant l’auditeur militaire agissant en sa qualité d’officier de police judiciaire; Par ces motifs, Vu l’article 35 du Code de procédure pour l’armée de terre, les articles 70 et 76 du Code de procédure pénale militaire et les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention européenne des droits de l’homme (L. 13 mars 1955), Qu’il plaise à la cour, - de déclarer nuls la désignation d’un expert par la commission judiciaire et l’audition finale de l’inculpé par cette commission (pièce 2 de la farde expertise et pièces 84 et 85 de la farde instruction préparatoire) ainsi que le rapport de l’expert et d’écarter ces pièces des débats; - de mettre les frais d’expertise à charge de l’État belge; - et, statuant sur base des autres pièces du dossier, de condamner l’inculpé conformément à mes réquisitions verbales." (Journal des tribunaux, no 5382, 31 mai 1986, pp. 370-371) Là-dessus la Cour militaire a rendu, le 18 décembre 1985, un arrêt comprenant notamment les considérations suivantes (traduction de l’allemand): "Attendu que l’auditorat général est d’avis que, le même premier substitut de l’auditeur militaire ayant à la fois agi en qualité de juge d’instruction et de partie poursuivante, plusieurs pièces relatives aux actes d’instruction doivent être déclarées nulles et écartées des débats, parce que l’instruction et la poursuite doivent être confiées à des magistrats différents; Attendu que tout citoyen a droit à un procès équitable; qu’une des conditions essentielles du droit à un procès équitable est la séparation de l’instruction et de la poursuite; Attendu que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé dans ce sens (affaire De Cubber, arrêt du 26 oct. 1984, série A, no 86, §§ 30 et 32), et que la Cour de cassation a également, à plusieurs reprises, décidé dans ce sens (arrêts du 29 mai 1985, min. publ. c. D... et min. publ. c. R... et autres, Jur. Liège [Jurisprudence de la cour d’appel de Liège], 11 oct. 1985, pp. 541-544); (...) Par ces motifs: LA COUR, (...) Déclare les appels recevables; Dit pour droit que la désignation d’un expert par la commission judiciaire et l’audition finale du prévenu par cette commission de même que le rapport d’expertise sont nuls et doivent être écartés des débats; Met la décision entreprise à néant en tant qu’elle a mis les frais d’expertise (41.882 F) à charge du prévenu; Met les frais d’expertise à charge de l’État belge; (...)." (ibidem, p. 371) Le 10 avril 1987, l’auditeur général a saisi le ministre de la Justice d’un nouvel avant-projet de code de procédure pénale militaire, élaboré par une commission interdépartementale. Il s’agirait, entre autres, d’empêcher en temps de paix le cumul des fonctions de l’auditeur militaire grâce à la création de deux catégories de magistrats militaires: les auditeurs, qui conserveraient uniquement des attributions de ministère public, et les juges, qui se consacreraient à l’instruction en présidant la commission judiciaire. Selon le rapport présenté par M. Van Rompaey au nom de la commission de la justice du Sénat, le code en vigueur "est actuellement dépassé, en bon nombre de ses options de base, tant par l’évolution de la jurisprudence en matière des droits de l’homme que par les nouvelles structures impliquées par la séparation entre l’instruction et les poursuites" (Sénat 5-VI (1986-1987) no 2 du 6 octobre 1987, p. 44). B. La commission judiciaire Au siège du conseil de guerre, la commission judiciaire comprend, outre l’auditeur militaire - ou substitut - qui la préside, deux officiers commissaires désignés par le commandant territorial parmi les officiers de la garnison, en principe pour un mois, à tour de rôle et d’après leur ancienneté (articles 35 à 37 du C.P.P.M.). L’auditeur militaire en constitue l’unique membre permanent; les officiers commissaires, eux, changent fréquemment, à l’expiration de leur mandat ou en raison des exigences du service. La commission mène l’instruction écrite de l’affaire (article 35 du C.P.P.M.). Dans l’accomplissement de sa tâche, elle peut décerner un mandat d’arrêt contre une personne mise à la disposition de l’auditeur militaire. En pareil cas, elle délibère au moins une fois par mois sur le point de savoir s’il échet ou non d’élargir l’intéressé (circulaire no 2322 de l’auditeur général, du 28 juillet 1955, § III-e)-1); elle peut en outre, à tout moment, ordonner la levée d’écrou à condition que l’inculpé comparaisse en personne à tous les actes de la procédure aussitôt qu’on l’y aura invité (article 60 du C.P.A.T.). D’après l’article 35 du code de procédure pénale militaire, l’auditeur "dirige l’instruction"; il s’applique "autant à découvrir l’innocence du prévenu qu’à se procurer les preuves et l’aveu de sa faute" (article 70 du C.P.A.T.). Les décisions de la commission judiciaire relèvent de lui seul; l’opinion contraire des deux officiers commissaires ne le lie pas. Le rôle de ces derniers se borne à l’assister, en qualité non de magistrats instructeurs mais de conseillers techniques et de témoins de la légalité de l’instruction, qu’ils garantissent par leur présence et par leur signature. Quant à l’exercice de l’action publique, il ressortit à la compétence du ministère public, c’est-à-dire de l’auditeur militaire (paragraphe 20 ci-dessus), et non de la commission judiciaire. Il appartient à celle-ci de se prononcer, à la clôture de l’instruction, sur l’existence de charges suffisantes pour justifier un renvoi en jugement, mais la citation de l’inculpé devant le conseil de guerre émane de l’auditeur militaire, ou de l’un de ses substituts; elle dessaisit la commission judiciaire. PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 19 novembre 1982 à la Commission (no 10208/82), M. Pauwels contestait la légalité de sa détention préventive au regard tant du droit belge que de la Convention (articles 5 § 1 c) et 60 de la Convention) (art. 5-1-c, art. 60). Il se prétendait en outre victime d’une discrimination, contraire à l’article 14 (art. 14), faute d’avoir bénéficié des garanties juridictionnelles du droit commun. Il alléguait enfin que ni la commission judiciaire ni l’auditeur militaire ou le substitut la présidant ne pouvaient être considérés comme "un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires", au sens de l’article 5 § 3 (art. 5-3). Le 8 juillet 1985, la Commission a retenu ce dernier grief; pour le surplus, elle a déclaré la requête irrecevable parce que manifestement mal fondée. Dans son rapport du 4 décembre 1986 (article 31) (art. 31), elle formule à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 (art. 5-3). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. Le 20 août 1987, M. Pauwels a saisi la Commission d’une nouvelle requête (no 13178/87), qui ne se trouve pas en cause dans la présente affaire (paragraphe 7 ci-dessus).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Né au Maroc en 1952 et ressortissant marocain, M. Berrehab avait son domicile à Amsterdam à l’époque où il a saisi la Commission. Sa fille Rebecca, née le 22 août 1979 dans cette ville, possède la nationalité néerlandaise. Elle est représentée par sa tutrice, à savoir sa mère Mme Koster, elle aussi Néerlandaise. Ayant épousé Mme Koster le 7 octobre 1977, M. Berrehab sollicita l’autorisation de séjourner aux Pays-Bas où il se trouvait depuis quelque temps déjà. Le ministère de la Justice la lui délivra le 25 janvier 1978 "à seule fin de lui permettre de résider avec son épouse néerlandaise", puis en prorogea la validité jusqu’au 8 décembre 1979. A partir de novembre 1977, M. Berrehab travailla pour un magasin à libre-service. Le 9 mars 1978, on lui accorda un permis de travail en vertu de la loi de 1964 sur les permis de travail pour étrangers, remplacée depuis le 1er novembre 1979 par la loi concernant l’emploi des étrangers. Ce permis fut renouvelé le 18 octobre 1979. D’avril 1981 à avril 1983, M. Berrehab fut employé par une entreprise de nettoyage. Le 8 février 1979, sa femme l’assigna en divorce. Le tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) d’Amsterdam accueillit l’action le 9 mai 1979, pour ébranlement durable des liens du mariage, lequel fut dissous par l’enregistrement du jugement à l’état civil d’Amsterdam le 15 août 1979. Par une ordonnance du 26 novembre 1979, ledit tribunal confia la tutelle de Rebecca, née entre temps, à sa mère et la subrogée-tutelle (toeziende voogdij) à son père. Le 5 février 1980, il enjoignit à ce dernier de payer au conseil de protection de l’enfance 140 florins par mois à titre de contribution aux frais d’entretien et d’éducation de sa fille. Dès la naissance de Rebecca, M. Berrehab et Mme Koster convinrent d’assurer à l’enfant des contacts réguliers et fréquents avec son père. Le 27 février 1984, ils firent authentifier par un notaire l’arrangement conclu entre eux quant à l’organisation de ces contacts et constater par lui que pendant les deux années écoulées M. Berrehab avait vu sa fille quatre fois par semaine, à raison de plusieurs heures à chaque rencontre. Le 7 décembre 1979, M. Berrehab forma une demande de prolongation de son autorisation de séjour. Le chef de la police d’Amsterdam la repoussa le même jour: pareille mesure, estima-t-il, irait à l’encontre de l’intérêt général eu égard à la circonstance que M. Berrehab avait été admis à demeurer aux Pays-Bas dans le seul but de vivre avec son épouse néerlandaise, condition qui en raison du divorce ne se trouvait plus remplie. Par une lettre du 27 décembre 1979, M. Berrehab pria le ministre de la Justice de réviser cette décision. Il souligna notamment qu’il lui fallait un titre de séjour "indépendant" pour s’acquitter de ses obligations morales et légales de père. Il précisa qu’il jouissait de moyens d’existence suffisants et qu’il était à même d’assumer une partie des frais d’entretien et d’éducation de Rebecca. Le ministre ne répondit pas dans le délai légal de trois mois, silence assimilé en droit néerlandais à un refus. Le 23 avril 1980, M. Berrehab attaqua la décision implicite du ministre devant la section du contentieux du Conseil d’État (Afdeling Rechtspraak van de Raad van State). Il expliqua qu’il ne discernait pas comment l’octroi d’un titre de séjour pouvait porter atteinte à l’intérêt de l’État, d’autant que certaines obligations légales lui incombaient en sa qualité de père et que depuis 1977, grâce à son travail, il subvenait à ses besoins. A l’audience du 14 mars 1983, il allégua que la décision litigieuse violait l’article 8 § 1 (art. 8-1) de la Convention en l’empêchant de rester en contact avec sa fille, qu’il voyait quatre fois par semaine. Le Conseil d’État rejeta le recours le 9 mai 1983. Il rappela d’abord qu’aux termes de l’article 11 § 5 de la loi du 13 janvier 1965 sur les étrangers (Vreemdelingenwet, "la loi de 1965"), la prolongation d’une autorisation de séjour pouvait être refusée en vertu de l’intérêt général. Or, comme l’avait relevé le secrétaire d’État à la Justice, M. Berrehab ne satisfaisait plus à la condition dont dépendait l’octroi de son permis de séjour; partant, le refus litigieux pouvait se justifier au regard de l’article 11 § 5. Quant aux obligations de M. Berrehab envers sa fille, le Conseil d’État considéra que leur accomplissement ne servait aucun intérêt essentiel de l’État et qu’elles subsistaient indépendamment du lieu de résidence du requérant. Il ajouta que quatre rencontres hebdomadaires ne suffisaient pas à constituer une vie familiale au sens de l’article 8 (art. 8) de la Convention et que d’ailleurs la décision incriminée n’entraînerait pas nécessairement la rupture des relations entre l’enfant et son père car celui-ci pouvait demeurer en contact avec elle d’un commun accord avec son ex-épouse. Le 30 mars 1983, M. Berrehab fut licencié par son employeur avec effet du 15 avril. En outre, il fut arrêté le 28 décembre 1983 en vue de son expulsion. Il introduisit devant le président du tribunal d’arrondissement d’Amsterdam un recours en référé, mais il le retira peu après que la mesure attaquée eut reçu exécution le 5 janvier 1984; le 18 janvier, le président du tribunal en conclut qu’il n’y avait pas lieu de statuer. En 1984, Rebecca et sa mère passèrent deux mois au Maroc auprès de M. Berrehab et de sa famille; le 28 août 1984, ce dernier sollicita de son côté, auprès de l’ambassade des Pays-Bas à Rabat, une autorisation de séjour d’une durée de trois mois. Après un premier refus, il obtint un visa d’un mois destiné à faciliter l’exercice de son droit de visite. Il se rendit ainsi le 27 mai 1985 aux Pays-Bas où il demanda la prolongation de son visa jusqu’au 27 août suivant. Ayant essuyé un refus le 6 juin, il interjeta devant le Conseil d’État un appel doublé d’un recours en référé. Saisi de ce dernier, le président de la section du contentieux décida, le 20 juin, qu’il fallait traiter l’intéressé - sous réserve d’une condition dépourvue d’importance aux fins du présent arrêt - comme s’il se trouvait en possession d’un visa valable jusqu’au 27 août. Le 14 août 1985, à Amsterdam, M. Berrehab contracta un nouveau mariage avec Mme Koster. Le 9 décembre 1985, le ministère de la Justice lui accorda l’autorisation - demandée par lui le 29 août - de séjourner aux Pays-Bas afin d’y "résider avec son épouse néerlandaise" et d’y "travailler pendant ce temps". II. LA LÉGISLATION, LA PRATIQUE ET LA JURISPRUDENCE PERTINENTES A. Le cadre général de la politique néerlandaise en matière d’immigration En matière d’immigration, les autorités néerlandaises mènent une politique restrictive. Elles ménagent pourtant des exceptions dictées notamment par la volonté de respecter les obligations découlant de la Convention, par le bien-être économique du pays et par des raisons humanitaires, dont l’intérêt qui s’attache à la réunion des familles. Les conditions d’entrée et d’expulsion des étrangers se trouvent définies surtout dans la loi de 1965 et ses décrets d’application. A ces normes juridiques s’ajoute la "circulaire sur les étrangers" (Vreemdelingencirculaire), ensemble de directives établies et publiées par le ministre de la Justice. Le droit de séjour obéit ainsi, en principe, aux articles 8 à 11 de cette loi. Un séjour prolongé requiert une autorisation accordée par le ministre de la Justice ou par un organe agissant sous son contrôle. Un refus doit être motivé; il peut donner lieu à un recours auprès du ministre de la Justice puis, au besoin, devant le Conseil d’État. La demande n’est en général accueillie - habituellement pour un an - que si la présence du candidat sert un intérêt national essentiel ou si une telle mesure s’impose pour des raisons humanitaires. Les étrangers mariés à un(e) Néerlandais(e) relèvent de cette dernière catégorie: ils peuvent obtenir un permis de séjour "pour résider avec leur conjoint" aux Pays-Bas et, le cas échéant, "pour y travailler pendant ce temps". B. L’évolution de cette politique Cette politique a toutefois évolué au fil des ans. Au début, les étrangers venant vivre avec leur mari ou leur femme se voyaient consentir le statut de résident, avec un permis de séjour conditionnel. Ce statut disparaissait en cas de dissolution du mariage qui en avait justifié l’octroi; l’étranger devait alors quitter le pays. Pour consolider la situation des étrangers légalement établis aux Pays-Bas, le secrétaire d’État à la Justice estima devoir infléchir la ligne suivie sur ce point. Aux termes de la "Vreemdelingencirculaire" (chapitre B 19, paragraphe 4.3), les étrangers mariés depuis plus de trois ans et ayant vécu avec leur conjoint aux Pays-Bas pendant trois ans au moins avant la dissolution de leur union purent solliciter la délivrance d’un titre de séjour "indépendant"; on partait de l’idée qu’après un tel laps de temps, ils auraient noué avec le pays assez de liens pour rendre inutile un statut assorti de conditions. Par la suite, on éprouva le besoin d’amender à nouveau la réglementation dans un sens favorable à cette catégorie d’étrangers: on conserva l’exigence des trois ans de mariage, mais on se contenta d’une période de résidence d’un an. Cet assouplissement avait pour but d’améliorer le sort souvent précaire des femmes divorcées, en particulier d’origine méditerranéenne: on estimait qu’elles devaient pouvoir rester aux Pays-Bas, avec un statut indépendant de celui de leur ancien époux. Cette politique a encore été affinée ultérieurement: on a décidé que même en l’absence des conditions précitées, des raisons humanitaires impérieuses peuvent amener à autoriser un étranger à demeurer sur le sol néerlandais avec un titre de séjour indépendant, par exemple s’il a des liens étroits avec les Pays-Bas ou avec une personne y résidant. D’après le Gouvernement, il s’agit là d’une mesure exceptionnelle et rarement appliquée. C. Jurisprudence Quant à la jurisprudence néerlandaise en matière d’étrangers, il y a lieu de distinguer entre le juge des référés - le juge civil, y compris la Cour de cassation en dernier degré - et le juge du fond, à savoir la section du contentieux du Conseil d’État. Tandis que dans sa jurisprudence en d’autres domaines, notamment le droit de visite, la Cour de cassation avait déjà opté pour une conception assez large de la "vie familiale" (voir notamment son arrêt de principe du 22 février 1985, Nederlandse Jurisprudentie, 1986, no 3), la section du contentieux du Conseil d’État avait tendance à partir d’une notion plus étroite. Sa décision en l’espèce s’inscrit dans le droit fil de la tradition. Toutefois, plusieurs de ses dernières décisions donnent à penser qu’elle va se conformer à la doctrine d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 1986 au sujet des étrangers, d’où il ressort que la cohabitation ne constitue pas une condition indispensable à l’existence d’une "vie familiale" au sens de l’article 8 (art. 8) de la Convention (Nederlandse Jurisprudentie, 1988, no 188). La Cour de cassation a eu récemment à connaître d’une affaire comparable au présent litige. Une cour d’appel statuant en référé avait estimé que si un étranger menacé d’expulsion invoque le droit au respect de sa vie familiale et de celle de son enfant, il lui incombe de démontrer que l’intérêt du mineur revêt une importance assez grande pour primer celui de l’État. Sur pourvoi, la Cour de cassation a cassé l’arrêt le 18 décembre 1987 (Rechtspraak van de Week, 1988, no 9). Appelée à déterminer s’il y avait "vie familiale" entre l’étranger et son enfant, elle a commencé par souligner qu’il s’agissait d’un enfant légitime, puis a déclaré: "Pendant la durée du mariage, il a existé entre Garti et son fils une relation s’analysant en une vie familiale au sens de l’article 8 (art. 8) de la Convention (...). Ni la rupture de la vie commune ni le divorce n’y ont mis fin. Il faut noter de surcroît que comme Garti l’a allégué et comme la cour d’appel l’a apparemment tenu pour acquis, Garti et son fils sont restés en contact étroit après la rupture de la vie commune." La cassation a été prononcée au motif, notamment, que la juridiction d’appel avait perdu de vue "que si, en pareil cas, l’expulsion d’un étranger doit être considérée comme une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 (art. 8) (...), l’unique moyen de déterminer si cette ingérence se justifie ou peut se justifier consiste à confronter, à la lumière des circonstances de la cause et des directives de politique (beleidsregels) en vigueur, d’une part la gravité de l’atteinte ainsi portée au droit tant de l’étranger concerné que de son enfant mineur au respect de leur vie familiale, et d’autre part les intérêts que sert cette politique, ce que faisant on peut, pour apprécier la gravité de l’atteinte, avoir égard notamment à la durée de la cohabitation des intéressés, à la nature et à l’intensité des contacts maintenus après la rupture de la cohabitation et au point de savoir qui, du parent ou de l’enfant, se trouve menacé d’expulsion". PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 14 novembre 1983 à la Commission (no10730/84), M. Berrehab et son ex-épouse Mme Koster, agissant en son propre nom et en qualité de tutrice de leur fille mineure Rebecca, alléguaient que l’expulsion du premier constituait pour chacun d’eux, mais surtout pour la troisième, un traitement inhumain et donc contraire à l’article 3 (art. 3) de la Convention. Selon eux, elle portait aussi une atteinte injustifiée au droit au respect de leur vie privée et familiale, tel que le garantissait l’article 8 (art. 8). Le 8 mars 1985, la Commission a déclaré irrecevables les griefs de Mme Koster; en revanche, elle a retenu ceux de M. Berrehab et de Rebecca. Dans son rapport du 7 octobre 1986 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) (onze voix contre deux), mais non de l’article 3 (art. 3) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Serif Colak, citoyen turc né en 1935, vivait et travaillait depuis plusieurs années en République fédérale d'Allemagne. Pendant la nuit du 20 au 21 avril 1979, au cours d'une bagarre dans un restaurant de Francfort, il blessa un compatriote d'un coup de couteau à l'abdomen. Fortement soupçonné de tentative d'homicide (versuchter Totschlag - articles 212 et 23 du code pénal), il fut arrêté le 27 avril. Le lendemain, le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Francfort le plaça en détention provisoire; le mandat de dépôt se fondait sur l'existence d'un soupçon de coups et blessures graves (gefährliche Körperverletzung - articles 223 et 223a du code pénal). Sur les réquisitions du parquet, le tribunal modifia le mandat le 29 mai 1979 après avoir ouï l'intéressé et eu égard aux dépositions de témoins ainsi qu'aux renseignements recueillis par la police: M. Colak se voyait désormais soupçonné d'une tentative d'homicide passible d'une très lourde peine. Le nouveau mandat resta le titre de détention du requérant jusqu'à la condamnation définitive. La mise en accusation Le 13 octobre 1979, le parquet déféra M. Colak au tribunal régional (Landgericht) de Francfort: il lui reprochait d'avoir perpétré une tentative d'homicide et demandait l'ouverture du procès (Hauptverfahren) devant la cour d'assises (Schwurgericht; article 74 par. 2 du code judiciaire - Gerichtsverfassungsgesetz). Le 20 novembre 1979, le requérant reçut notification, en allemand et en turc, de l'acte d'accusation (Anklageschrift) sur lequel il put se prononcer lors d'une comparution devant le président de la cour d'assises (article 201 du code de procédure pénale). Entendu par ce dernier, il ne s'opposa pas à son renvoi en jugement pour le chef d'accusation retenu. Le 18 décembre 1979, la 20e chambre (Strafkammer) du tribunal régional, rejetant la demande du ministère public en sens contraire, ouvrit le procès devant la chambre criminelle (Grosse Strafkammer; article 74 par. 1 du code judiciaire) et non devant la cour d'assises: elle estima que le prévenu était fortement soupçonné non de tentative d'homicide, mais de coups et blessures graves. Sur recours du parquet, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Francfort cassa cette décision le 31 janvier 1980 sur le point dont il s'agit et ordonna l'ouverture du procès devant la cour d'assises conformément aux termes de l'acte d'accusation. A ses yeux, il existait assez d'indices pour conclure que l'intéressé avait agi avec l'intention (dol éventuel) de tuer et commis ainsi une tentative d'homicide. Le procès devant la cour d'assises Les débats devant la cour d'assises commencèrent le 28 avril 1980. Une fois M. Colak interrogé sur sa personne, le ministère public donna lecture de ses réquisitions (Anklagesatz; paragraphe 11 ci-dessus) telles qu'elles se trouvaient consignées dans l'acte d'accusation (article 243 du code de procédure pénale). A l'audience du 5 mai, la cour d'assises avisa l'intéressé, ainsi que son défenseur (article 265 du même code), de la possibilité d'une condamnation pour coups et blessures graves plutôt que pour tentative d'homicide. D'après le procès-verbal de la séance, l'accusé et son conseil eurent l'occasion de préparer leur défense à la lumière de cette indication, laquelle ne suscita aucune réaction. Aux termes de l'article 265 du code de procédure pénale, "1. L'accusé ne peut être condamné sur la base d'une disposition autre que celle mentionnée dans l'acte d'accusation accueilli par le tribunal, sans avoir été préalablement informé de tout changement de qualification légale et avoir eu l'occasion de se défendre. (...) L'audience doit être ajournée à la demande de l'accusé si, alléguant n'avoir pu suffisamment préparer sa défense, il conteste des circonstances nouvellement apparues et permettant de lui appliquer une disposition plus sévère que celle mentionnée dans l'acte d'accusation accueilli par le tribunal (...). Le tribunal doit aussi ajourner l'audience, à la demande d'une partie ou d'office, s'il le juge indiqué pour permettre à l'accusation ou à la défense de se préparer suffisamment à la suite du changement de situation. (...)" En droit allemand, une information fournie en vertu de l'article précité permet de condamner sur la base soit de l'acte d'accusation primitif, soit de la nouvelle qualification juridique des faits reprochés. Lorsqu'un tribunal a expressément écarté des incriminations initiales, il doit donner de nouvelles indications s'il entend y revenir (arrêt de la Cour fédérale de Justice - Bundesgerichtshof - du 19 juillet 1972, Monatsschrift für Deutsches Recht 1972, p. 925). Les débats furent suspendus le 13 mai 1980: la victime, principal témoin, n'avait pas comparu. Le même jour, M. Colak recouvra sa liberté moyennant le versement d'une caution de 40.000 DM. Les audiences recommencèrent le 15 janvier 1981. La cour d'assises, dont la composition avait changé dans l'intervalle, interrogea l'accusé sur sa personne, après quoi le parquet réitéra oralement ses réquisitions du 13 octobre 1979 (paragraphes 11 et 13 ci-dessus). Le lendemain, la cour d'assises indiqua derechef que M. Colak pouvait aussi être condamné pour coups et blessures graves et lui donna l'occasion de préparer sa défense en conséquence. L'intéressé affirme que Me Rosenberg, son défenseur, s'entretint peu après, en dehors de la salle d'audience, avec le président de la cour d'assises. Celui-ci aurait déclaré: "Inutile de vous inquiéter. Le tribunal ayant signalé l'éventualité d'une condamnation pour coups et blessures graves, vous pouvez partir de l'idée que seule entre en ligne de compte une condamnation sur cette base. La chambre ne changera pas d'avis; si elle le faisait, nous vous en informerions en temps voulu." ("Sie brauchen sich keine Sorgen zu machen. Nach dem Hinweis auf die mögliche Verurteilung wegen gefährlicher Körperverletzung können Sie davon ausgehen, dass auch nur insoweit die Verurteilung in Betracht kommt. Die Kammer dreht sich nicht. Sollte die Kammer sich dennoch drehen, sagen wir Ihnen rechtzeitig Bescheid.") Le Gouvernement conteste ces allégations. A la fin des débats du 23 janvier 1981, le ministère public estima impossible d'attribuer à M. Colak une intention homicide et que l'état d'ébriété de celui-ci au moment de l'incident autorisait à conclure à une responsabilité pénale atténuée. Il demanda une peine de trois ans de prison pour coups et blessures graves. Le défenseur avança l'hypothèse que la victime avait été blessée par un tiers. Si toutefois il s'agissait réellement du requérant, sa responsabilité pénale se trouvait diminuée et il méritait au maximum une condamnation pour ivresse (article 330a du code pénal). A l'audience du 10 février 1981, la cour d'assises, se fondant en grande partie sur le témoignage de la victime, jugea le requérant coupable de tentative d'homicide et lui infligea cinq ans d'emprisonnement. D'après elle, il avait bien eu l'intention (dol éventuel) de tuer: il en savait assez pour ne pas ignorer que l'on risquait de tuer une personne si on la poignardait dans le haut de l'abdomen avec une lame longue comme la main. La cour lui reconnut cependant une responsabilité pénale fortement atténuée en raison, entre autres, de l'alcool qu'il avait consommé. Le jour même, M. Colak retourna en détention provisoire en exécution du mandat de dépôt du 29 mai 1979 (paragraphe 10 ci-dessus). Il s'en plaignit à la cour d'appel de Francfort qui rejeta son recours le 6 mars 1981, notamment par les motifs ci-après: "Pendant les procédures menées jusqu'ici, l'accusé a probablement supputé que les conséquences juridiques probables seraient moins graves que celles découlant (...) de l'arrêt de la [cour d'assises], eu égard aux indications fournies par [elle] conformément à l'article 265 du code de procédure pénale au cours des deux procès, à savoir qu'une condamnation aux termes de l'article 223 a du code pénal était également possible, et vu aussi le fait que la juridiction de jugement avait à l'origine refusé le renvoi en jugement du chef de tentative d'homicide (...). L'élargissement sous caution lui a certainement été accordé parce que la [cour d'assises] considérait une condamnation pour coups et blessures graves comme une perspective sérieuse. Après qu'elle eut pris connaissance des preuves, son appréciation juridique de la situation a changé." La procédure de cassation (Revision) Le 19 mai 1981, M. Colak se pourvut en cassation devant la Cour fédérale de Justice. Il se plaignait entre autres de n'avoir pas été informé, en dépit des assurances (Zusage) du président de la cour d'assises, du revirement de celle-ci quant à la qualification juridique des faits reprochés (paragraphe 17 ci-dessus). Il dénonçait la violation de l'article 265 du code de procédure pénale (paragraphe 14 ci-dessus) et de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le 19 juin 1981, le président de la cour d'assises déclara (dienstliche Erklärung) ce qui suit au sujet de son prétendu entretien avec Me Rosenberg (paragraphe 17 ci-dessus): "Je ne me souviens plus du détail de conversations de couloir avec le défenseur." ("Einzelheiten an Flurgespräche mit dem Verteidiger sind mir nicht mehr in Erinnerung.") Il réitéra cette affirmation le 4 juillet 1984, après que le requérant eut saisi la Commission dans les termes suivants: "Dans l'affaire précitée, je n'ai plus aucun souvenir de détails de conversations que j'aurais eues avec le défenseur hors prétoire, qu'il s'agisse du lieu, du moment ou du contenu." ("In der vorbezeichneten Sache kann ich mich an Einzelheiten über Gespräche mit dem Verteidiger ausserhalb der Hauptverhandlung nach Ort, Zeit und Inhalt nicht mehr erinnern.") Le 1er décembre, le procureur fédéral (Generalbundesanwalt) près la Cour fédérale de Justice conclut au rejet du pourvoi. Le procès, rappela-t-il notamment, avait eu lieu sur la base d'une accusation pour tentative d'homicide. Sans doute la cour d'assises avait-elle mentionné l'éventualité d'une condamnation pour coups et blessures graves, mais cela ne l'empêchait nullement de juger l'intéressé coupable du crime que lui reprochait l'acte d'accusation. Des "assurances" du président ne pouvaient rien y changer: il appartenait à la cour d'assises tout entière, et à elle seule, de déterminer, à l'issue de ses délibérations, si la première ou la seconde des deux infractions se trouvait établie. Le 10 février 1982, la Cour fédérale de Justice jugea le pourvoi non fondé; elle constata, sans plus, qu'eu égard aux moyens soulevés l'arrêt attaqué ne révélait aucune erreur de droit au détriment de M. Colak. Le recours à la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) Le 25 février 1982, le requérant saisit la Cour constitutionnelle fédérale; il invoquait les articles 20 par. 3 (principe de l'Etat de droit) et 103 (droit d'être entendu par un tribunal - rechtliches Gehör) de la Loi fondamentale. Il soutenait entre autres que les assurances du président de la cour d'assises auraient dû être considérées comme liant celle-ci. Faute de l'avoir averti de son revirement quant à la qualification juridique des faits, elle avait selon lui porté atteinte aux droits de la défense, le privant ainsi d'un procès équitable. Statuant en comité de trois juges, la Cour constitutionnelle décida, le 17 mai 1982, de ne pas retenir le recours; elle l'estima dénué de chances suffisantes de succès, par les motifs suivants: "La recevabilité du recours inspire des doutes, le requérant n'ayant pas précisé de quelle autre manière il aurait organisé sa défense si on l'avait expressément informé de la possibilité d'une condamnation pour tentative d'homicide (...), mais il n'y a pas lieu d'approfondir la question car le recours n'offre pas de chances suffisantes de succès quant au fond. La procédure pénale menée contre le requérant ne prête pas à critique sur le plan du droit constitutionnel. Le requérant ne pouvait tabler sur l'absence de condamnation pour tentative d'homicide. Ne l'y autorisaient ni la circonstance que le tribunal régional avait d'abord nié l'existence de motifs suffisants de le soupçonner d'avoir eu l'intention de tuer et avait pour cette raison refusé de renvoyer l'affaire à la cour d'assises, ni l'indication qu'une condamnation pour coups et blessures graves entrait en ligne de compte à la place d'une condamnation pour tentative d'homicide, ni les réquisitions orales du ministère public tendant à une condamnation pour coups et blessures graves. A la lumière de l'acte d'accusation pour tentative d'homicide, tel que l'avait retenu la cour d'appel, le requérant devait bien plutôt envisager, dans sa défense, l'éventualité de pareille condamnation. Il ne saurait en aller différemment même s'il était exact, comme le prétend le requérant, que le président du tribunal assura le défenseur, en dehors du prétoire, qu'il pouvait partir de l'idée que la cour d'assises envisageait une simple condamnation pour coups et blessures graves, et que dans le cas contraire il l'en aviserait en temps utile. On ne pourrait avoir égard à 'un rapport de confiance' (Vertrauenstatbestand) créé par un tribunal que s'il s'agissait d'une déclaration faite soit à l'audience ou, sinon, au nom de l'ensemble du tribunal à l'attention de toutes les parties. Or le requérant n'avance rien de tel. Il se borne à mentionner une conversation officieuse entre son avocat et le président du tribunal, au cours de laquelle ce dernier aurait révélé une appréciation provisoire des données de fait et de droit par la chambre criminelle, mais sans donner à penser que celle-ci l'y eût habilité. Une promesse officieuse de ce genre, le droit de la procédure pénale n'en prévoit pas. Elle est impropre à créer un 'rapport de confiance' dont le droit du requérant à un procès pénal équitable commanderait le respect, à moins d'une confirmation officielle par le tribunal, que le défenseur aurait dû solliciter pour bien s'acquitter de son mandat s'il voulait ajuster son argumentation en conséquence. Il ne s'impose donc pas de recueillir des éléments de preuve sur l'allégation du requérant, dont l'exactitude peut éventuellement s'inférer de la déclaration officielle du président de la chambre criminelle au cours de l'instance en cassation. Que dans les circonstances de la cause le non-respect des 'assurances', voire ces assurances non autorisées elles-mêmes, soient sujets à caution au regard du droit disciplinaire, ne suffit pas à établir une violation de la Constitution dans la procédure pénale dirigée contre le requérant." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 7 juin 1982 à la Commission (n° 9999/82), M. Colak se plaignait de la procédure ayant conduit à sa condamnation; d'après lui, elle avait méconnu l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a déclaré la requête recevable le 9 décembre 1985. Dans son rapport du 6 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle arrive, par dix voix contre deux, à la conclusion qu'il n'y a pas eu violation de cet article (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion séparée dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 25 octobre 1988, le Gouvernement a prié la Cour de "constater que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n'est pas violé".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Terence Patrick Brogan Le premier requérant, M. Terence Patrick Brogan, est né en 1961. Agriculteur, il réside dans le comté de Tyrone, en Irlande du Nord. Le 17 septembre 1984 à 6 h 15, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 de la loi de 1984 portant dispositions temporaires sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1984, "la loi de 1984"). Conduit alors à la caserne de Gough, Armagh, il y resta détenu jusqu’à sa libération le 22 septembre 1984 à 17 h 20, soit pendant cinq jours et onze heures. Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé sur sa participation présumée à une attaque contre une patrouille mobile de la police, survenue le 11 août 1984 dans le comté de Tyrone et qui avait causé la mort d’un sergent et des blessures graves à un autre policier. On le questionna aussi sur son appartenance supposée à l’Armée républicaine irlandaise provisoire (Provisional Irish Republican Army, "l’I.R.A."), organisation interdite aux fins de la loi de 1984. Observant un silence total, il refusa de répondre. En outre, il se détournait des enquêteurs et fixait le sol, le plafond ou le mur et de temps à autre se mettait au garde-à-vous. Il reçut la visite de son solicitor (homme de loi) les 19 et 21 septembre. B. Dermot Coyle Le deuxième requérant, M. Dermot Coyle, est né en 1953. Actuellement au chômage, il réside dans le comté de Tyrone, en Irlande du Nord. Le 1er octobre 1984 à 6 h 35, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 de la loi de 1984. Conduit alors à la caserne de Gough, Armagh, il y resta détenu jusqu’à sa libération le 7 octobre 1984 à 11 h 05, soit pendant six jours et seize heures et demie. Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé au sujet d’une mine terrestre placée dans le but de tuer des membres des forces de sécurité le 23 février 1984, ainsi que de l’explosion d’une bombe incendiaire le 13 juillet 1984, incidents qui avaient tous deux eu lieu dans le comté de Tyrone. On le questionna aussi sur son stock présumé d’armes à feu et sur son appartenance alléguée à l’I.R.A. provisoire. Il garda un silence total, sauf une fois où il demanda ses cigarettes. Au cours d’un interrogatoire, il cracha à plusieurs reprises par terre et par-dessus la table de la salle. Il reçut la visite de son solicitor les 3 et 5 octobre. C. William McFadden Le troisième requérant, M. William McFadden, est né en 1959. Actuellement au chômage, il réside à Londonderry, en Irlande du Nord. Le 1er octobre 1984 à 7 h, il fut appréhendé chez lui par un policier en vertu de l’article 12 de la loi de 1984. Conduit alors au centre de détention de la police de Castlereagh, à Belfast, il y resta jusqu’à sa libération le 5 octobre 1984 à 13 h, soit pendant quatre jours et six heures. Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé au sujet du meurtre d’un soldat lors d’un attentat à la bombe, le 15 octobre 1983 à Londonderry, ainsi que de celui d’un autre militaire au cours d’un attentat à la bombe à essence, accompagné d’une fusillade, le 23 avril 1984 dans la même ville. On le questionna aussi sur son appartenance présumée à l’I.R.A. provisoire. Il garda un silence complet, sauf en une occasion où il répondit à des questions de caractère général. En outre, de temps à autre il se levait ou s’asseyait sur le sol de la salle. Il reçut la visite de son solicitor le 3 octobre. D. Michael Tracey Le quatrième requérant, M. Michael Tracey, est né en 1962. Apprenti menuisier, il réside à Londonderry, en Irlande du Nord. Le 1er octobre 1984 à 7 h 04, des policiers l’appréhendèrent chez lui en vertu de l’article 12 de la loi de 1984. Conduit alors au commissariat de Castlereagh de la police royale de l’Ulster (Royal Ulster Constabulary, "la R.U.C."), à Belfast, il y resta détenu jusqu’à sa libération le 5 octobre 1984 à 18 h, soit pendant quatre jours et onze heures. Quelques heures après son arrestation, il fut interrogé sur l’attaque à main armée, les 3 mars et 29 mai 1984, de bureaux de poste à Londonderry ainsi que sur un complot d’assassinat de membres des forces de sécurité. On le questionna aussi sur son appartenance présumée à l’Armée nationale irlandaise de libération (Irish National Liberation Army, "l’I.N.L.A."), organisation terroriste prohibée. Il garda un silence complet, sauf sur quelques points de caractère général, et essaya d’interrompre les interrogatoires en frappant sur les tuyaux de chauffage de la salle, en sifflant et en cognant sa chaise contre les murs et sur le sol. Il reçut la visite de son solicitor le 3 octobre. E. Faits communs aux quatre requérants Les requérants furent tous informés par le policier procédant à leur arrestation qu’il les appréhendait au titre de l’article 12 de la loi de 1984 et qu’il existait des motifs plausibles de les soupçonner d’avoir commis, préparé ou incité à perpétrer des actes de terrorisme liés à la situation en Irlande du Nord. On les avisa qu’ils n’avaient pas l’obligation de parler, mais que toutes leurs déclarations pourraient servir d’éléments de preuve. Le lendemain de son arrestation, chacun d’eux apprit par des policiers que le ministre pour l’Irlande du Nord avait accepté de prolonger sa détention de cinq jours, en application de l’article 12 par. 4 de la loi de 1984. Ils ne furent ni traduits devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, ni inculpés après leur élargissement. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Introduction La situation critique qui régnait en Irlande du Nord au commencement des années 1970, et l’ampleur des menées terroristes dont elle s’accompagnait, se trouvent à l’origine de la loi de 1974 portant dispositions provisoires sur la prévention du terrorisme (Prevention of Terrorism (Temporary Provisions) Act 1974, "la loi de 1974"). De 1972 à 1983, on attribua au terrorisme en Irlande du Nord plus de deux milliers de morts, contre une centaine en Grande-Bretagne. Au milieu des années 1980 on enregistra beaucoup moins de tués qu’au début de la décennie précédente, mais le terrorisme systématique persista. La loi de 1974 entra en vigueur le 29 novembre 1974. Elle proscrivait l’I.R.A., déjà interdite en Irlande du Nord, et réprimait tout soutien ouvert à cette organisation en Grande-Bretagne. En outre, elle dotait la police de pouvoirs spéciaux en matière d’arrestation et de garde à vue pour lui permettre de lutter plus efficacement contre la menace du terrorisme (paragraphes 30-33 ci-dessous). La loi de 1974 devait être reconduite tous les six mois par le Parlement afin qu’il pût contrôler, entre autres, la nécessité de maintenir les pouvoirs d’exception. Il en alla ainsi jusqu’en mars 1976, date à laquelle elle fut promulguée derechef moyennant certains amendements. D’après l’article 17 de la loi de 1976, il fallait que le Parlement confirmât les pouvoirs spéciaux tous les douze mois. A son tour, ladite loi fut renouvelée chaque année jusqu’en 1984, date à laquelle elle fut repromulguée sous une forme modifiée. La loi de 1984, entrée en vigueur en mars, a prohibé l’I.N.L.A. en sus de l’I.R.A. Reconduite tous les ans, elle cessera de s’appliquer en mars 1989, date à laquelle le gouvernement compte proposer une législation permanente. La loi de 1976 fit l’objet de rapports de Lord Shackleton et de Lord Jellicoe, publiés en juillet 1978 et janvier 1983 respectivement. Des rapports annuels sur celle de 1984 furent présentés au Parlement par Sir Cyril Philips (pour 1984 et 1985) et par le Vicomte Colville (pour 1986 et 1987), qui réalisa aussi en 1987 une étude de plus grande ampleur sur le jeu de la loi de 1984. Ces diverses analyses furent demandées par le gouvernement et communiquées au Parlement pour aider à déterminer si la législation continuait à correspondre à un besoin. Leurs auteurs concluaient en particulier qu’eu égard aux problèmes inhérents à la prévention et à la détection du terrorisme, il se révélait indispensable de conserver les pouvoirs d’exception en matière d’arrestation et de garde à vue. Ils écartaient l’idée de confier aux tribunaux les décisions prolongeant la garde à vue, notamment parce qu’elles se fondaient sur des renseignements fort délicats que l’on ne pouvait divulguer aux détenus, ni à leurs conseils. Pour différentes raisons, pareille décision relevait bien du domaine de l’exécutif. B. Le pouvoir d’arrestation sans mandat prévu par la loi de 1984 et par d’autres Les clauses pertinentes de l’article 12 de la loi de 1984, analogues à celles des lois de 1974 et 1976, sont les suivantes: "12. (1) (...) un agent de police peut arrêter sans mandat une personne qu’il a des motifs plausibles de soupçonner (...) b) d’être ou avoir été impliquée dans l’accomplissement, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme auxquels s’applique ce titre de la présente loi; (...) (3) Les actes de terrorisme auxquels s’applique ce titre de la présente loi sont: a) les actes de terrorisme liés à la situation en Irlande du Nord; (...) (4) Une personne arrêtée en vertu du présent article ne demeure pas en garde à vue plus de quarante-huit heures après son arrestation; le ministre peut néanmoins prolonger ce délai d’une ou plusieurs périodes dont il précise la durée. (5) Cette ou ces périodes supplémentaires n’excèdent pas cinq jours au total. (6) Les dispositions ci-après (obligation de traduire l’inculpé en justice après son arrestation) ne s’appliquent pas aux personnes ainsi gardées à vue: (...) d) l’article 131 de l’ordonnance de 1981 sur les Magistrates’ Courts d’Irlande du Nord; (...) (8) Le présent article ne porte pas atteinte aux pouvoirs d’arrestation utilisables indépendamment de lui." L’article 14 par. 1 de la loi de 1984 définit le terrorisme comme "le recours à la violence à des fins politiques", y compris le dessein "d’inspirer de la peur à la population ou à une fraction de celle-ci". La Chambre des Lords a jugé libellée en "termes larges" une définition identique figurant dans la loi de 1978 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord (Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1978); elle a refusé de donner au mot "terroriste" une interprétation plus étroite que le sens évoqué par son usage courant aux yeux d’un membre de la police ou d’un simple citoyen (Lord Roskill dans l’affaire McKee v. Chief Constable for Northern Ireland, All England Law Reports 1985, vol. 1, pp. 3-4). Selon l’article 131 de l’ordonnance de 1981 sur les Magistrates’ Courts d’Irlande du Nord, déclaré inapplicable par l’article 12 par. 6 d) de la loi de 1984 (paragraphe 30 ci-dessus), une personne arrêtée sans mandat et non relâchée dans les vingt-quatre heures doit être traduite devant un tel tribunal dans les meilleurs délais, en aucun cas plus de quarante-huit heures après son arrestation. La loi de 1978 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord instituait elle aussi des pouvoirs spéciaux en matière d’arrestation sans mandat. Aux termes de son article 11, un agent de police pouvait arrêter sans mandat toute personne qu’il soupçonnait de terrorisme. L’intéressé pouvait rester en garde à vue jusqu’à soixante-douze heures sans comparaître en justice. Ladite loi a été modifiée par celle de 1987 sur l’état d’urgence en Irlande du Nord, entrée en vigueur le 15 juin 1987. Aux mesures d’arrestation prévues par la première, la seconde a substitué le pouvoir de pénétrer dans des locaux et d’y perquisitionner afin d’arrêter, en vertu de l’article 12 de la loi de 1984, un terroriste présumé. C. Exercice du pouvoir d’arrestation prévu à l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984 Pour opérer une arrestation régulière en vertu de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984, le policier doit avoir des raisons plausibles de soupçonner la personne en question d’être ou avoir été impliquée dans l’accomplissement, la préparation ou l’instigation d’actes de terrorisme. En outre, une arrestation sans mandat obéit aux règles de common law énoncées par la Chambre des Lords dans l’affaire Christie v. Leachinsky (Appeal Cases 1947, pp. 587 et 600): l’intéressé doit être informé du motif exact de son arrestation, normalement dès sa mise en garde à vue ou, si des circonstances particulières le justifient, dès que possible par la suite. Il n’y a pas besoin d’employer à cette fin un langage technique ou précis; il suffit que l’individu appréhendé sache en substance pourquoi. Dans l’affaire Ex parte Lynch (Northern Ireland Reports, 1980, p. 131), où la personne arrêtée sollicitait une ordonnance d’habeas corpus, la High Court d’Irlande du Nord a examiné l’article 12 par. 1 b). Le policier qui avait appréhendé le demandeur lui avait déclaré s’appuyer sur l’article 12 de la loi de 1976 car il le soupçonnait de tremper dans des menées terroristes. La High Court a relevé qu’il avait donné ainsi le motif véritable de l’arrestation et avait agi de manière sensée, compte tenu des circonstances, pour indiquer à l’intéressé la nature du soupçon, à savoir celui de se trouver impliqué dans de telles menées. Elle en a déduit que la légalité de l’arrestation ne pouvait se contester à cet égard. Les soupçons du policier qui procède à l’arrestation doivent être raisonnables en l’occurrence; pour en juger, le tribunal doit disposer de certains renseignements sur leurs sources et leurs motifs (décision du juge Higgins dans l’affaire Van Hout v. Chief Constable of the RUC and the Northern Ireland Office, décision de la High Court d’Irlande du Nord, du 28 juin 1984). D. But de l’arrestation et de la garde à vue autorisées par l’article 12 de la loi de 1984 En droit commun, on ne saurait appréhender et garder à vue quelqu’un à seule fin d’enquêter à son sujet. Un interrogatoire motivé par des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis une infraction propre à justifier une arrestation constitue une cause légitime de privation de liberté sans mandat lorsqu’il a pour but de dissiper ou confirmer ces soupçons, à condition que le suspect soit traduit en justice dès que possible (R. v. Houghton, Criminal Appeal Reports 1979, vol. 68, p. 205, et Holgate-Mohammed v. Duke, All England Law Reports 1984, vol. 1, p. 1059). En revanche, dans l’affaire Ex parte Lynch (loc. cit., p. 131) le Lord Chief Justice Lowry a estimé que la régularité d’une arrestation effectuée au titre de l’article 12 par. 1 b) de la loi de 1984 ne dépend pas de l’existence du soupçon d’un crime ou délit déterminé. Il a ajouté: "(...) [I]l échet de noter en outre qu’une arrestation opérée en vertu de l’article 12 par. 1 débouche (...) sur une garde à vue autorisée sans inculpation. Il peut n’y avoir en fin de compte aucune inculpation; ainsi, une arrestation ne représente pas forcément (...) la première étape de poursuites pénales exercées contre un suspect sur la base d’un reproche devant donner lieu à un examen judiciaire." E. Prolongation de la garde à vue En Irlande du Nord, les demandes de prolongation de la garde à vue au-delà du délai initial de quarante-huit heures sont traitées au niveau des hauts fonctionnaires de la police à Belfast, puis soumises à l’agrément du ministre pour l’Irlande du Nord ou, à défaut, d’un secrétaire d’État. La loi de 1984 (comme ses devancières) ne fixe pas de conditions à observer en la matière, mais des critères précis se sont dégagés de la pratique; les rapports et études annexés au mémoire du Gouvernement en fournissent la liste. Selon les statistiques citées par la Commission consultative permanente pour les Droits de l’Homme (paragraphe 6 ci-dessus), de mars 1984, date de l’entrée en vigueur de la loi de 1984, à septembre 1987 le ministre a rejeté un peu plus de 2 % des demandes de prolongation présentées par la police pour l’Irlande du Nord. F. Voies de recours Les principales voies de droit ouvertes aux personnes détenues en vertu de la loi de 1984 consistent à solliciter une ordonnance d’habeas corpus et à intenter au civil une action en dommages-intérêts pour détention illégale (false imprisonment). Habeas corpus La loi de 1984 permet d’arrêter quelqu’un et de le garder à vue pendant sept jours en tout (article 12 paras. 4 et 5, paragraphe 30 ci-dessus). Le paragraphe 5 (2) de son annexe 3 précise qu’une telle personne "est réputée se trouver en garde à vue légale" (in legal custody), mais il n’exclut pas le recours de l’habeas corpus. Si l’arrestation initiale est illégale, il en va de même de la détention ultérieure (décision du juge Higgins dans l’affaire Van Hout, loc. cit., p. 18). L’habeas corpus est une procédure par laquelle une personne privée de sa liberté peut demander d’urgence son élargissement en alléguant l’illégalité de sa détention. Le tribunal compétent ne connaît que de la régularité, et non du bien-fondé, de cette dernière. Son contrôle - dont l’ampleur n’a rien d’invariable mais dépend du contexte de la cause et, le cas échéant, des termes de la loi en vertu de laquelle s’exerce le pouvoir de détention - porte notamment sur le respect des exigences formelles de ladite loi et peut s’étendre, par exemple, au caractère raisonnable des soupçons sur lesquels repose l’arrestation (Ex parte Lynch, loc. cit., et Van Hout, loc. cit.). Une détention techniquement légale peut aussi donner lieu à un examen au motif qu’il y aurait eu abus de pouvoir car les autorités auraient agi de mauvaise foi, à la légère ou dans un but illicite (R v. Governor of Brixton Prison, ex parte Sarno, King’s Bench Reports 1916, vol. 2, p. 742, et R v. Brixton Prison (Governor), ex parte Soblen, All England Law Reports 1962, vol. 3, p. 641). Le fardeau de la preuve pèse sur les autorités défenderesses: elles doivent justifier de la légalité de la décision de détenir, pourvu que le demandeur en habeas corpus ait fourni un commencement de preuve (Khawaja v. Secretary of State, All England Law Reports 1983, vol. 1, p. 765). Détention arbitraire Quiconque se prétend illégalement arrêté et détenu peut en outre introduire de ce chef une action en dommages-intérêts. Lorsque la légalité de l’arrestation se trouve subordonnée à l’existence d’un motif raisonnable de suspicion, il incombe à l’autorité défenderesse de démontrer celle-ci (Dallison v. Caffrey, Queen’s Bench Reports 1965, vol. 1, p. 348, et Van Hout, loc. cit., p. 15). Dans le cadre de pareille instance, le caractère raisonnable d’une arrestation peut être vérifié à partir des principes bien établis du contrôle juridictionnel de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif (Holgate-Mohammed v. Duke, loc. cit.) PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission respectivement les 18 octobre 1984, 22 octobre 1984, 22 novembre 1984 et 8 février 1985 (requêtes no 11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85). Ils affirmaient que leur arrestation et leur détention avaient enfreint le paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) de la Convention et qu’il y avait eu aussi violation des paragraphes 2, 3, 4 et 5 (art. 5-2, art. 5-3, art. 5-4, art. 5-5). Ils alléguaient en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), ils ne disposaient d’aucun recours effectif quant à leurs autres griefs. Ils ont retiré par la suite le moyen relatif à l’article 5 par. 2 (art. 5-2). Le 10 juillet 1986, la Commission a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur; elle a retenu les requêtes le lendemain. Dans son rapport du 14 mai 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut à la méconnaissance des paragraphes 3 et 5 de l’article 5 (art. 5-3, art. 5-5) dans le cas de MM. Brogan et Coyle (dix voix contre deux pour le paragraphe 3, neuf voix contre trois pour le paragraphe 5), mais non dans celui de MM. McFadden et Tracey (huit voix contre quatre pour les deux paragraphes). Elle n’aperçoit pas non plus de manquement aux exigences des paragraphes 1 et 4 (unanimité pour le paragraphe 1, dix voix contre deux pour le paragraphe 4). Enfin, elle estime que nulle question distincte ne se pose au regard de l’article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience publique du 25 mai 1988, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "1) que les faits ne révèlent aucune infraction aux paragraphes 1, 3, 4 ou 5 de l’article 5 (art. 5-1, art. 5-3, art. 5-4, art. 5-5) de la Convention; 2) qu’ils ne révèlent aucune violation de l’article 13 (art. 13), en ordre subsidiaire que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de ce texte". Le Gouvernement a en outre demandé à la Cour de ne pas examiner le grief soulevé sous l’angle de l’article 5 par. 2 (art. 5-2).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant des États-Unis d’Amérique né en 1930, M. John Ekbatani résidait à Göteborg à l’époque de la procédure interne litigieuse. Il arriva en Suède en 1978 pour accomplir des travaux de recherche à l’Université de Göteborg. Toutefois, ses projets initiaux avortèrent et sa situation financière le contraignit à chercher un autre travail. En mars 1981, il trouva un emploi à la compagnie des tramways de Göteborg (Göteborgs Spårvägar). Il lui fallait cependant passer un examen de conduite en Suède car il ne possédait qu’un permis américain. Il se présenta le 14 avril, mais échoua. Il s’ensuivit, le 7 mai, un échange de propos virulents entre lui et l’examinateur, un inspecteur adjoint, qui signala l’incident à la police. En août 1981, celle-ci interrogea le requérant qui se vit inculper le 7 octobre de menaces à fonctionnaire, en vertu de l’article 1er du chapitre 17 du code pénal (brottsbalken). Le 9 février 1982, le tribunal de première instance de Göteborg (Göteborgs tingsrätt) entendit en audience publique (huvudförhandling) le requérant et l’inspecteur adjoint. Le même jour, et sur la foi de leurs témoignages, il reconnut M. Ekbatani coupable et lui infligea une amende de 600 couronnes suédoises (SEK), délaissant à l’État les frais de la procédure. Deux avocats d’office assistaient le prévenu. Le 17 février 1982, le requérant attaqua le jugement devant la cour d’appel de Suède occidentale (hovrätten för Västra Sverige), concluant à son acquittement car il affirmait n’avoir pas commis l’infraction dont on l’accusait. Il fut représenté d’abord par un avocat d’office, puis par un conseil de son choix. Dans une première déposition écrite adressée à la cour d’appel le 18 juin 1982, il tint pour certain qu’une audience aurait lieu et réclama la comparution de l’inspecteur adjoint. Le 20 juillet, le procureur déclara ne pas souhaiter produire d’autres preuves. Il invitait aussi la cour à statuer sans débats. Pour le cas où elle en ouvrirait, il sollicitait une nouvelle audition tant du requérant que de l’inspecteur adjoint. Par une seconde déposition écrite, du 20 août, l’avocat de M. Ekbatani pria la cour d’entendre un témoin qui l’éclairerait sur "la personne et la crédibilité du requérant". Dans sa réponse du 16 septembre, le parquet ne s’éleva pas contre la citation de ce nouveau témoin si procédure orale il devait y avoir, pourvu que fussent alors ouïs trois autres témoins pour établir notamment "le manque de crédibilité de M. Ekbatani et l’exactitude du récit [que l’inspecteur adjoint avait donné] des événements du 7 mai 1981". L’avocat du requérant combattit, le 27 septembre, la convocation desdits témoins. Le 4 octobre 1982, la cour d’appel signifia par exploit aux parties que comme elle pouvait statuer sur l’affaire sans débats, elle les invitait à lui communiquer par écrit leurs dernières observations. Le 6 octobre, le procureur déclara n’apercevoir aucun inconvénient à ce que la cour d’appel se passât d’audience; il ajoutait que dans le cas contraire il insisterait sur la comparution des trois nouveaux témoins. Le 19, le conseil de M. Ekbatani s’opposa à voir trancher l’affaire sur la seule base du dossier, estimant une audience nécessaire à un examen sérieux de la cause; il réitéra aussi ses objections à la citation des témoins indiqués par l’accusation. Si la cour rendait sur pièces une décision d’acquittement, ajoutait-il, il réclamerait le remboursement des frais et dépens de son client. La cour d’appel se prononça sans débats; dans son arrêt du 12 novembre 1982, elle se bornait à relever qu’elle confirmait le jugement de première instance. Le requérant saisit la Cour Suprême (högsta domstolen) le 7 décembre 1982. Il la priait soit de casser l’arrêt de la cour d’appel, avec renvoi, soit de l’acquitter soit encore de le dispenser de peine. Il se fondait sur les arguments suivants: "Il s’agit de la crédibilité de M. Ekbatani et de la partie lésée. Pour démontrer la sienne, M. Ekbatani a sollicité l’audition par la cour d’appel d’une personne que le tribunal de première instance n’avait pas entendue. Le parquet ne s’y est pas opposé. L’affaire ayant trait à de nouveaux témoignages d’un poids décisif pour son issue, il ne faudrait pas appliquer l’article 21, second alinéa, du chapitre 51 du code de procédure judiciaire (rättegångsbalken). Les travaux préparatoires révèlent aussi qu’il convient de prendre largement en compte les voeux des parties et notamment de l’accusé, même dans le cas d’une amende (Nytt Juridiskt Arkiv II 1943, pp. 670 et s.). Le procureur a de son côté demandé à la cour d’appel d’ouïr d’autres témoins. Pour M. Ekbatani, il importe de ne pas être condamné sans avoir eu l’occasion de faire contrôler le témoignage offert par lui. La cour d’appel doit se former elle-même une opinion sur lui. De plus, la tenue d’une audience n’entraînerait pas une augmentation sensible des frais de procédure." Le 3 mai 1983, la Cour Suprême statua en ces termes: "La Cour Suprême ne voit pas de raison d’accorder l’autorisation d’introduire un pourvoi et confirme en conséquence l’arrêt de la cour d’appel." En vertu des dispositions des lois sur la liberté de la presse (tryckfrihetsförordningen) et sur le secret (sekretesslagen, no 100 de 1980) relatives à l’accès du public aux documents officiels, ce dernier pouvait consulter les dossiers des juridictions concernées. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT D’après le chapitre 21 du code de procédure judiciaire, les juridictions inférieures ne se prononcent pas au pénal, en principe, sans que l’accusé ait pu se défendre lors d’une audience contradictoire. Il existe pourtant des exceptions, notamment en appel. Ainsi, le chapitre 51 du même code disposait à l’époque en son article 21: "La cour d’appel peut statuer sans audience si le parquet interjette appel dans le seul intérêt du prévenu ou si la partie adverse se rallie à l’appel de ce dernier. L’affaire peut se trancher sans audience si le tribunal de première instance a relaxé le prévenu, ou a dispensé de peine le coupable, ou l’a déclaré exempt de peine en raison de troubles mentaux, ou l’a condamné à une amende ou à une sanction pécuniaire (vite) et s’il n’y a pas lieu d’imposer une sanction plus lourde que celles mentionnées ci-dessus ni d’en infliger une autre (...)." Depuis le 1er juillet 1984 - donc après les faits de la cause -, les parties pertinentes de cette disposition sont ainsi libellées (Svensk Författningssamling, no 131 de 1984): "La cour d’appel peut statuer au fond sans audience: si le parquet interjette appel dans le seul intérêt du prévenu, si la partie adverse se rallie à l’appel du prévenu, si l’appel est manifestement mal fondé, s’il n’existe aucune raison de tenir le prévenu pour juridiquement responsable, ni de lui infliger une sanction, ou une sanction autre qu’une amende ou une peine avec sursis, ou encore une combinaison des deux. (...) Si, dans un cas visé [plus haut], une partie demande une audience, celle-ci a lieu à moins d’être manifestement superflue. (...) Une décision ne portant pas sur le fond peut se prendre sans audience." La cour d’appel connaît du fait comme du droit, mais sa plénitude de juridiction a ses limites. En son article 25 (tel que l’ont modifié les lois no 22 et 228 de 1981), le chapitre 51 du code de procédure judiciaire interdit dans certains cas la reformatio in pejus: "Sur appel du prévenu, ou du parquet dans l’intérêt du prévenu, la cour d’appel ne peut infliger une peine plus lourde que celle décidée par le tribunal de première instance. Si ce dernier a condamné le prévenu à l’emprisonnement, elle peut assortir la peine d’un sursis, d’une mise à l’épreuve ou d’un placement sous surveillance; outre un sursis, une mise à l’épreuve ou un placement sous la surveillance du service social, elle peut prononcer une amende, ou combiner une mise à l’épreuve avec une peine de prison en vertu du chapitre 28, article 3, du code pénal. Lorsque le tribunal de première instance a ordonné une sanction du type susmentionné, la cour d’appel peut en imposer une différente." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 juin 1983 à la Commission (no 10563/83), M. Ekbatani formulait plusieurs griefs relatifs tant à la manière dont le traitaient les autorités suédoises qu’aux procédures judiciaires litigieuses (paragraphes 11-17 ci-dessus). Il invoquait les articles 2, 3, 6, 7, 13 et 14 (art. 2, art. 3, art. 6, art. 7, art. 13, art. 14) de la Convention. Le 5 juillet 1985, la Commission a retenu le grief tiré de l’absence d’audience publique devant la cour d’appel et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 7 octobre 1986 (article 31) (art. 31), elle conclut par onze voix contre une à l’existence d’une violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, Josef Felix Müller, né en 1955, artiste peintre, habite à Saint-Gall. Les neuf autres sont: - Charles Descloux, né en 1939, critique d’art, domicilié à Fribourg; - Michel Gremaud, né en 1944, professeur de dessin, domicilié à Guin, Garmiswil; - Christophe von Imhoff, né en 1939, restaurateur de tableaux, domicilié à Belfaux; - Paul Jacquat, né en 1940, employé de banque, domicilié à Belfaux; - Jean Pythoud, né en 1925, architecte, domicilié à Fribourg; - Geneviève Renevey, née en 1946, animatrice, domiciliée à Villars-sur-Glâne; - Michel Ritter, né en 1949, artiste, domicilié à Montagny-la-Ville; - Jacques Sidler, né en 1946, photographe, domicilié à Vuisternens-en-Ogoz; - Walter Tschopp, né en 1950, assistant, domicilié à Fribourg. Josef Felix Müller a exposé, seul ou avec d’autres, à de nombreuses occasions, surtout depuis 1981, tant dans des galeries privées que dans des musées de Suisse ou de l’étranger. Avec l’appui de l’Office fédéral de la culture, il a participé en 1984 à la Biennale de Sydney comme représentant de la Suisse. Au fil des ans, il a obtenu plusieurs prix et vendu des oeuvres à des musées tels que la Kunsthalle de Zurich. En 1981, les neuf derniers requérants organisèrent dans un bâtiment voué à la démolition, l’ancien grand séminaire de Fribourg, une exposition d’art contemporain. Dénommée "Fri-Art 81", elle s’inscrivait dans le cadre des fêtes du 500e anniversaire de l’entrée du canton de Fribourg dans la Confédération suisse. Les intéressés avaient invité à y contribuer plusieurs créateurs, eux-mêmes autorisés à en faire venir chacun un autre de leur choix. Les artistes devaient user librement des espaces qui leur étaient réservés. Leurs oeuvres, qu’ils préparèrent sur place à partir du début du mois d’août 1981, devaient en principe disparaître à la fermeture de l’exposition, le 18 octobre 1981. Admis par cooptation, Josef Felix Müller peignit en trois nuits trois toiles de grand format (3 m 11 x 2 m 24; 2 m 97 x 1 m 98; 3 m 74 x 2 m 20) qu’il intitula "Drei Nächte, drei Bilder" (trois nuits, trois tableaux). Elles furent exposées dès l’ouverture, le 21 août 1981, de la manifestation qui, annoncée par la presse et au moyen d’affiches, était accessible à tout venant, sans paiement d’un droit d’entrée. Le catalogue, imprimé pour le vernissage, en comprenait une reproduction photographique. Le 4 septembre 1981, jour du vernissage, le procureur général du canton de Fribourg signala au juge d’instruction que lesdits tableaux paraissaient tomber sous le coup de l’article 204 du code pénal suisse, qui interdit les publications obscènes et en prescrit la destruction (paragraphe 20 ci-dessous). L’un d’eux lui semblait en outre porter atteinte à la liberté de croyance et des cultes au sens de l’article 261. D’après le Gouvernement, un père de famille avait déclenché la démarche du procureur général à la suite de la réaction très vive de sa fille, mineure, devant les trois toiles; quelques jours auparavant, un autre visiteur aurait d’ailleurs arraché l’une d’entre elles pour la piétiner et la froisser. Arrivé sur place le 4 septembre, avec son greffier et des agents de police, le juge d’instruction fit enlever et saisir les tableaux litigieux; dix jours plus tard, il rendit une ordonnance de séquestre. Le 30 septembre 1981, la chambre d’accusation rejeta un recours exercé contre cette décision. Après avoir interrogé les dix requérants les 10, 15 et 17 septembre ainsi que le 6 novembre 1981, le magistrat instructeur les renvoya en jugement devant le tribunal correctionnel de l’arrondissement de la Sarine. Le 24 février 1982, le tribunal condamna chacun d’eux, pour publications obscènes (article 204 § 1 du code pénal), à une amende de 300 francs suisses (FS), à rayer du casier judiciaire dans un délai d’un an, mais les relaxa du chef d’atteinte à la liberté de croyance et des cultes (article 261). Il résolut en outre de confier au Musée d’art et d’histoire du canton de Fribourg les toiles confisquées pour y être conservées. A l’audience du 24 février, il avait entendu M. Jean-Christophe Ammann, conservateur de la Kunsthalle de Bâle, sur les qualités artistiques de Josef Felix Müller. Dans son jugement, le tribunal souligna d’abord que "l’obscénité, au sens de l’article 204 CP <code pénal>, est un concept juridique non défini qui doit être précisé par voie d’interprétation, compte tenu du sens et du but de la norme ainsi que de sa place dans la loi et dans le système général du droit". Après avoir rappelé la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière, il constata notamment: "En l’espèce, il est certain que les trois oeuvres de Müller, si elles n’excitent pas sexuellement l’homme normalement sensible, provoquent à tout le moins de l’aversion. L’impression d’ensemble qui s’en dégage est que les personnages représentés donnent libre cours à leur lubricité, à leur perversité même. De telles images - sodomie, fellation, bestialité, phallus en érection -, heurtent manifestement les conceptions morales de la très grande majorité des citoyens. S’il est vrai qu’il faut tenir compte de l’évolution des moeurs, même si c’est dans le sens de la dégradation, il s’agit bien plus ici d’une ‘révolution’. Il n’est pas nécessaire de commenter les oeuvres confisquées, les regarder suffit, sans renfort de motifs, pour se persuader de leur vulgarité. (...) On ne saurait non plus exiger de l’homme normalement sensible qu’il procède, par delà l’image, à une seconde lecture où il devrait faire abstraction de ce qu’il voit. Il devrait alors se faire accompagner, dans les expositions par une théorie de sexologues, psychologues, théoriciens de l’art ou ethnologues pour se faire expliquer que ce qu’il a vu était en réalité ce qu’il a cru voir et à tort. Enfin, les comparaisons faites avec les oeuvres de Michelangelo et de J. Bosch sont spécieuses. Outre que des représentations du genre de celles de Müller n’y figurent pas, il n’y a pas de comparaison valable avec des collections d’histoire de l’art ou de la culture où la sexualité trouve une certaine place (...), sans tomber dans la grossièreté. Même si elle poursuit un but artistique, la sexualité grossière n’est pas digne de protection (...). Ne sont pas valables non plus des comparaisons avec des civilisations étrangères à la civilisation occidentale." Quant au point de savoir s’il fallait ou non ordonner la destruction des tableaux en vertu du paragraphe 3 de l’article 204 (paragraphe 20 ci-dessous), le tribunal déclara: "Non sans hésitation, le Tribunal n’ordonnera pas la destruction des trois toiles. Il est vrai que la qualité artistique des trois oeuvres exposées à Fribourg n’est pas aussi évidente que le pense le témoin Ammann, qui a cependant précisé que les toiles que Müller exposait à Bâle étaient plus ‘exigeantes’. Le Tribunal n’en disconvient pas. On ne peut dénier à Müller, en sa qualité d’artiste, certaines qualités, dans la composition notamment, dans les coloris aussi, bien que, s’agissant des seules toiles saisies à Fribourg, on éprouve le sentiment qu’elles ont été quelque peu bâclées. Il n’en demeure pas moins que le Tribunal, respectant l’opinion du critique d’art, sans pour autant la partager, et faisant siennes les considérations pertinentes émises par le Tribunal fédéral dans l’arrêt Rey (ATF 89 IV 136 et ss), estime que pour soustraire les trois toiles au public en général, pour les ‘détruire’, il suffit de les remettre à un musée dont le conservateur sera tenu de ne les mettre à la disposition que d’un cercle restreint de spécialistes sérieux, susceptibles de s’intéresser non pas à la représentation choquante du point de vue de la morale sexuelle, mais uniquement à l’aspect artistique ou culturel des oeuvres. Le Musée d’art et d’histoire du canton de Fribourg présente les garanties voulues pour prévenir toute nouvelle violation de l’article 204 CP. Les trois toiles confisquées y seront déposées." Les requérants se pourvurent tous en cassation le 24 février 1982; ils contestaient notamment l’interprétation des premiers juges quant à l’obscénité des toiles en question. L’objet obscène, expliqua par exemple Josef Felix Müller (mémoire du 16 mars 1982), cherchait directement à exciter les passions sexuelles et telle devait être sa finalité, dans le but essentiel de flatter les bas instincts de l’homme ou par esprit de lucre; or il n’en allait jamais ainsi "quand il y a recherche artistique ou scientifique au premier plan". La cour de cassation pénale du Tribunal cantonal de Fribourg rejeta les pourvois le 26 avril 1982. Se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, elle reconnut que "dans un passé récent, et actuellement encore, les conceptions générales du public sur la morale et les moeurs, qui varient selon les époques et les régions, ont évolué d’une manière qui fait voir les choses de façon plus objective et naturelle". Le juge pénal devait tenir compte de ce changement, mais il n’en résultait pas qu’il dût témoigner d’une permissivité totale ne laissant plus de place pour l’application de l’article 204 du code pénal. Quant à l’oeuvre d’art, elle ne jouissait pas en soi d’un statut privilégié. Tout au plus pouvait-elle échapper à la destruction malgré son caractère obscène. Son auteur n’en tombait pas moins sous le coup de l’article 204 "car cette disposition légale, tout entière, a pour but de protéger la morale publique, même dans le domaine des beaux-arts". Dès lors, la cour pouvait ne pas trancher la question de savoir si les tableaux incriminés procédaient "de préoccupations artistiques, encore que l’intention soit une chose, et la réalisation en soit une autre". "Avec les premiers juges", la cour constata que les toiles de Josef Felix Müller provoquaient "l’aversion et le dégoût": "Il ne s’agit pas, sur un thème ou une représentation donnés, d’une évocation, plus ou moins discrète, de la sexualité. C’est la sexualité mise au premier plan, exprimée non pas par l’étreinte d’un homme et d’une femme, mais par des images vulgaires de sodomie, fellation entre hommes, zoophilie, phallus en érection et masturbation. C’est l’élément dominant, pour ne pas dire exclusif, commun aux trois toiles, et ce ne sont pas les explications des recourants, ni les propos, apparemment savants, mais nullement convaincants, du témoin Ammann, qui peuvent y changer quelque chose. Si l’on veut entrer dans les détails, quelque repoussant que cela soit, on ne dénombre, dans une seule toile, pas moins de huit membres en érection, alors que l’un des personnages entièrement nu, comme les autres, a affaire simultanément, dans des spécialités diverses, à deux autres hommes et à un animal. En effet, ce personnage, agenouillé, non seulement sodomise un animal mais encore tient le sexe en érection de cet animal dans la gueule d’un autre animal. De plus, il se fait caresser le bas du dos, voire le postérieur, par les mains d’un homme dont le sexe en érection est dirigé par un autre homme vers la bouche du premier cité. Quant à l’animal sodomisé, il dirige sa langue vers le postérieur d’un homme dont le membre est aussi en érection. Même la langue des animaux (surtout sur la toile la moins grande) a une forme et une présentation telle qu’elle évoque plus une verge en érection qu’une langue. La sexualité, sous des traits grossiers et vulgaires, y est présentée pour elle-même de façon gratuite, sans être la conséquence d’une idée qui imprégnerait l’oeuvre. Il y a lieu enfin de relever que les toiles incriminées sont de grand format (...), de sorte que la vulgarité et la grossièreté décrites n’y sont que plus choquantes. S’agissant du symbole que représenteraient ces toiles, la Cour ne peut suivre non plus les recourants. Les choses doivent être appréciées telles qu’elles sont vues, dans l’effet qu’elles produisent sur le spectateur, et non dans une abstraction qui n’a plus aucun rapport avec l’image, ou qui la ferait disparaître. Au surplus, ce qui importe, ce ne sont pas les sentiments qu’expriment, ou que prétendent exprimer, les auteurs, mais c’est l’effet que produit objectivement l’image sur le spectateur (...). Quant à l’intention, ainsi que la conscience de l’obscénité, elles n’ont pas été particulièrement discutées dans le recours, et à vrai dire, elles ne sauraient l’être. En particulier, la conscience de l’obscénité d’une publication existe déjà chez l’auteur lorsqu’il se rend compte que celle-ci a trait au domaine sexuel et que toute allusion à ce dernier, par l’écrit ou l’image, est propre, selon les conceptions communément admises, à blesser profondément le sentiment naturel de la décence et de la bienséance des lecteurs et des spectateurs moyens. Tel est manifestement le cas en l’espèce, compte tenu aussi des déclarations faites à l’audience (...). Plusieurs accusés ont en effet avoué avoir été choqués par les toiles. A noter que même une personne insensible à l’obscénité peut se rendre compte du trouble qu’elle peut causer à autrui. Ainsi que les premiers juges l’ont relevé, les accusés ont-ils agi, à tout le moins, par dol éventuel. Enfin, la circonstance que des oeuvres semblables auraient été exposées ailleurs est sans importance. Cela n’enlève pas aux trois toiles en question leur caractère d’obscénité reconnu à bon droit par les premiers juges (...)." Le 18 juin 1982, les requérants saisirent le Tribunal fédéral d’un recours en nullité (Nichtigkeitsbeschwerde). Ils demandaient l’annulation de l’arrêt du 26 avril et le renvoi de l’affaire en vue de leur acquittement et de la restitution ou, en ordre subsidiaire, de la simple restitution des toiles confisquées. D’après eux, la cour de cassation avait interprété de manière erronée l’article 204 du code pénal; elle avait notamment méconnu la portée de la liberté d’expression artistique, garantie entre autres par l’article 10 (art. 10) de la Convention. M. Ammann, l’un des experts en art moderne les plus éminents, avait confirmé qu’il s’agissait d’oeuvres marquantes. D’autres tableaux de Josef Felix Müller, du même genre, avaient d’ailleurs été exposés en février 1982 à Bâle et personne n’avait eu l’idée de les considérer comme obscènes. Quant à la "publication" d’objets obscènes, interdite par l’article 204 du code pénal, elle constituait une notion relative. On devait pouvoir montrer dans une exposition des tableaux qui, présentés sur la place publique, tombaient sous le coup de l’article 204; ceux qui s’intéressaient aux arts devaient avoir l’occasion de découvrir toutes les tendances de l’art contemporain. Le visiteur d’une manifestation telle que "Fri-Art 81", consacrée à l’art de notre époque, devait s’attendre à se trouver en face d’oeuvres modernes, peut-être incompréhensibles. Si les toiles incriminées ne lui plaisaient pas, libre à lui de détourner les yeux et de passer son chemin; nul besoin de la protection du droit pénal. Il n’appartenait pas au juge de censurer indirectement les arts. Une interprétation restrictive de l’article 204 qui, tenant compte du droit fondamental à la liberté d’expression artistique, laisserait aux amateurs d’art le soin de décider eux-mêmes de ce qu’ils voulaient voir, devait conduire à l’acquittement des requérants. La confiscation des toiles incriminées ne pouvait être ordonnée que si elles menaçaient l’ordre public à un point tel que leur restitution ne pût se justifier, question non examinée par la cour de cassation. Les tableaux ayant été exposés ouvertement pendant dix jours sans provoquer de protestations, on discernait mal comment établir pareil danger. Josef Felix Müller ne présenterait certes pas prochainement ses toiles à Fribourg. En revanche, elles pouvaient être montrées sans problème ailleurs comme le prouvait son exposition de février 1982 à Bâle. Il était par conséquent disproportionné de l’en priver. La cour de cassation pénale du Tribunal fédéral rejeta le recours le 26 janvier 1983, par les motifs suivants: "Selon la jurisprudence, est obscène au sens de l’article 204 CP l’objet qui blesse de manière difficilement admissible la décence sexuelle; l’obscénité peut avoir pour effet d’exciter les instincts sexuels d’une personne aux réactions normales ou de créer chez celle-ci un sentiment de dégoût ou de répulsion (...). Pour apprécier s’il y a obscénité, le juge doit déterminer si l’impression d’ensemble produite par l’objet ou l’oeuvre blesse les conceptions morales du citoyen doué de sensibilité normale (...). Les toiles en cause ici montrent une débauche d’activités sexuelles contre nature (sodomie, zoophilie, petting), représentées de façon grossière et en grand format; elles sont de nature à blesser brutalement la décence sexuelle des personnes douées d’une sensibilité normale. La liberté artistique, dont le recourant se prévaut, ne saurait justifier, en l’espèce, une autre appréciation. Le contenu et l’étendue des libertés constitutionnelles se détermine en fonction de la législation fédérale en vigueur. Il en va ainsi notamment pour la liberté de la presse, la liberté d’opinion et la liberté de l’art; conformément à l’art. 113 Cst. <Constitution fédérale>, le Tribunal fédéral est lié par les textes légaux fédéraux (...). Dans le domaine de la création artistique, [il] a jugé que l’oeuvre d’art ne jouit pas en soi d’un statut particulier (...). Cependant, n’est pas obscène l’oeuvre où l’artiste parvient à représenter des sujets à caractère sexuel en leur conférant une forme esthétique telle que l’élément choquant en est estompé au point de ne plus être prépondérant (...). Pour se déterminer, le juge pénal n’a pas à se munir des lunettes du critique d’art - qui ne lui conviendraient souvent pas - mais doit apprécier si l’oeuvre est de nature à blesser le visiteur non prévenu. L’avis d’experts s’exprimant sur la valeur artistique de l’oeuvre litigieuse n’importe donc pas à ce stade; en revanche l’expertise pourra revêtir une importance quant au choix de la mesure à prendre pour éviter les récidives (destruction ou séquestration de l’objet; art. 204 § 3 CP (...)). L’autorité cantonale n’a pas manqué d’examiner les toiles incriminées sous l’angle de l’éventuelle prépondérance esthétique. Compte tenu notamment du nombre de spécialités sexuelles représentées dans chacun des trois tableaux (on trouve, par exemple, huit membres en érection sur l’une des toiles), la cour cantonale a jugé que la sexualité dans sa forme choquante était mise au premier plan et constituait l’élément dominant pour ne pas dire exclusif des objets litigieux. La Cour de cassation du Tribunal fédéral parvient à la même conclusion. L’impression d’ensemble que font naître les toiles de Müller est de nature à blesser les conceptions morales du citoyen doué d’une sensibilité normale. C’est dès lors sans violer le droit fédéral que l’autorité cantonale a admis le caractère obscène de ces objets. Les recourants soutiennent encore que l’élément constitutif de l’infraction qu’est la publication ferait défaut. Ils ont tort. Les toiles obscènes étaient visibles dans le cadre d’une exposition ouverte au public, annoncée au moyen d’affiches et par la presse. L’accès à Fri-Art 81 n’a pas été restreint par la fixation - par exemple - d’un âge limite. Dans ces conditions, on doit constater que les peintures controversées ont été rendues accessibles à un cercle indéterminé de personnes, ce qui caractérise la publicité requise par l’article 204 CP (...)." Enfin, la Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral déclara irrecevable, parce que non soulevée d’abord devant les juridictions cantonales, la demande subsidiaire en restitution des toiles. Saisi le 29 juin 1987 par Josef Felix Müller, le tribunal correctionnel de l’arrondissement de la Sarine a ordonné cette restitution le 20 janvier 1988. S’estimant invité en substance à reconsidérer la mesure de confiscation prise par lui en 1982, il a jugé qu’il lui incombait d’examiner la possibilité de la maintenir "près de huit ans plus tard". Partant de là, il a fondé sa décision sur les motifs suivants: "En droit suisse, la confiscation est une mesure de sûreté à caractère réel. Cela résulte déjà du texte légal, qui range l’article 58 dans les ‘autres mesures’, titre marginal des articles 57 à 62 CP, et non dans les peines accessoires prévues aux articles 51 à 56 CP (...). Il est admis que la confiscation d’objets ou de valeurs peut porter une grave atteinte aux droits patrimoniaux. Elle doit être proportionnée. Le principe de la proportionnalité peut ainsi justifier qu’une mesure moins grave que la confiscation soit ordonnée lorsqu’elle suffit pour atteindre le but visé. La confiscation constitue cependant la règle. Il n’y a lieu de s’en écarter que dans le cas où une norme moins rigoureuse permet d’atteindre le but visé (...). En l’espèce, lorsqu’a été rendue, en 1982, la décision de confiscation, la destruction des toiles eût été la règle (article 204 al. 3 CP). Le tribunal avait opté, et il en avait donné les motifs, pour une mesure moins grave (...) qui permettait, tout en respectant le principe de proportionnalité, d’assurer la sécurité (...). Quant à la mesure elle-même, elle ne doit rester en vigueur qu’aussi longtemps que les conditions légales sont réunies (...). Il est vrai que la levée ou la modification ultérieure d’une mesure ordonnée conformément à l’article 58 CP, ne sont pas prévues dans le code. Le législateur n’y a vraisemblablement pas songé à l’époque, alors que pour d’autres mesures, beaucoup plus graves certes puisqu’elles restreignent la liberté personnelle, il avait prévu le réexamen, d’office alors, de la mesure prise (articles 42 à 44 CP). On ne saurait cependant en déduire qu’elles soient totalement illicites. Le Tribunal fédéral au contraire a admis qu’une mesure devait cesser de s’appliquer lorsque la circonstance qui l’avait motivée cessait d’exister (...). Il faut dès lors considérer que la confiscation d’une oeuvre d’art peut être ultérieurement levée ou modifiée, soit que l’objet confisqué ne présente plus de danger et qu’aucune mesure ne s’impose donc plus, soit qu’une autre mesure, moins radicale, permette d’assurer la sécurité nécessaire (arrêt de la Cour d’appel de Bâle-Ville du 19 août 1980 dans la cause Fahrner). S’agissant de la liberté d’expression et de ses limites, les arrêts rendus font souvent référence à l’article 10 §§ 1 et 2 (art. 10-1, art. 10-2) [de la Convention]. Dans ce domaine en effet, les décisions rendues par les instances de la Convention exercent une influence directe sur l’ordre juridique suisse, dans le sens d’un renforcement des libertés individuelles et des garanties judiciaires (...). Dans l’espèce, dès lors que le requérant a fait usage de la possibilité qu’il avait de demander la restitution de ses tableaux, le tribunal doit examiner si les motifs qui l’ont conduit, à l’époque, à les confisquer, partant à restreindre la liberté d’expression de J.F. Müller, sont toujours d’actualité. Si, en 1982, la mesure restrictive était nécessaire dans une société démocratique et (...) se justifiait par le besoin de sauvegarder, de protéger la morale et les droits d’autrui, le tribunal est d’avis, non sans quelque hésitation il est vrai, qu’aujourd’hui la mesure peut être levée, mesure qui, il faut le souligner, n’était pas illimitée, mais seulement indéterminée dans le temps, ce qui laissait place à une demande de réexamen. Il paraît en effet au tribunal que la mesure de sûreté a maintenant joué son rôle qui était de prévenir que de telles toiles fussent encore exposées en public, sans précaution aucune. A ce sujet les condamnés avaient admis eux-mêmes que les tableaux pouvaient choquer. Dès lors que la mesure a atteint son but, on ne voit pas pourquoi elle devrait encore perdurer. Au demeurant, l’artiste a droit à la restitution de ses oeuvres. Il est en outre inutile d’accompagner la restitution de certaines obligations. Si J.F. Müller décide d’exposer derechef ailleurs les trois toiles, il sait qu’il court le risque d’une nouvelle intervention de la justice, dans le cadre de l’article 204 CP. Enfin, il semble qu’en 1982, J.F. Müller a voulu consciemment, en exposant trois toiles de caractère provocant, dans un ancien séminaire, attirer l’attention sur lui-même et sur les organisateurs. Il s’est depuis lors fait connaître par des oeuvres plus exigeantes, pour reprendre les termes du critique d’art entendu en 1982. Le fait d’avoir atteint à une certaine notoriété pourra le dispenser de choquer dans la vulgarité. Rien ne permet en tout cas de penser qu’il utilisera, à l’avenir, les trois toiles pour porter atteinte à la sensibilité morale d’autrui. (...)." Josef Felix Müller a récupéré ses toiles en mars 1988. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Aux termes de l’article 204 du code pénal suisse, "1. Celui qui aura fabriqué ou détenu des écrits, images, films ou autres objets obscènes en vue d’en faire le commerce ou la distribution ou de les exposer en public, celui qui, aux fins indiquées ci-dessus, aura importé, transporté, ou exporté de tels objets, ou les aura mis en circulation d’une manière quelconque, celui qui en aura fait le commerce public ou clandestin, ou les aura distribués ou exposés en public, ou fera métier de les donner en location, celui qui aura annoncé ou fait connaître par n’importe quel moyen, en vue de favoriser la circulation ou le trafic prohibés, qu’une personne se livre à l’un quelconque des actes punissables prévus ci-dessus, celui qui aura annoncé ou fait connaître comment et par qui de tels objets peuvent être obtenus directement ou indirectement, sera puni de l’emprisonnement ou de l’amende. Celui qui aura remis ou exhibé de tels objets à une personne âgée de moins de dix-huit ans sera puni de l’emprisonnement ou de l’amende. Le juge ordonnera la destruction des objets." D’après la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, sont obscènes les oeuvres ou objets qui blessent de manière difficilement admissible la décence sexuelle, que leurs effets se traduisent par une excitation des instincts sexuels de l’homme aux réactions normales ou par un sentiment de dégoût ou de répulsion (Arrêts du Tribunal fédéral suisse (ATF), vol. 83 (1957), VIe partie, pp. 19-25; vol. 86 (1960), IVe partie, pp. 19-25; vol. 87 (1961), IVe partie, pp. 73-85); la "publication" de pareil objet consiste à le rendre accessible à un cercle indéterminé de personnes. En ce qui concerne le paragraphe 3 de l’article 204, le Tribunal fédéral a précisé dès 1963 que si un objet présente un intérêt culturel certain il suffit, pour le "détruire", de le soustraire au public en général. Dans son arrêt du 10 mai 1963 en l’affaire Rey contre Ministère public du canton du Valais (ATF, vol. 89 (1963), IVe partie, pp. 133-140), il a souligné notamment "qu’en ordonnant la destruction, le législateur a pensé uniquement au cas le plus fréquent: la publication d’objets purement pornographiques". Comme "la destruction constitue une mesure, non une peine", "elle doit se limiter à ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé": "protéger la morale publique". Et le Tribunal de continuer: "En d’autres termes, la ‘destruction’, telle que la prévoit l’article 204 § 3 CP, doit assurer la protection de la morale publique, mais ne pas outrepasser ce que justifie cette exigence. Dans le cas le plus fréquent, celui des publications pornographiques dénuées de valeur artistique, littéraire ou scientifique, la destruction sera matérielle et irréversible. Ce n’est pas seulement à cause de l’absence de toute valeur culturelle, mais aussi parce qu’en général, seul ce mode de faire peut vraiment, d’une façon suffisante et définitive, garantir le public des dangers que lui font courir les objets confisqués (...). La question se pose tout autrement lorsqu’un objet constitue, comme c’est le cas en l’espèce, une oeuvre d’art irremplaçable ou presque. Il y a alors collision de deux intérêts antagonistes, mais tous deux importants du point de vue de la civilisation à laquelle participe la Suisse: l’intérêt moral et l’intérêt culturel. Le législateur et le juge doivent, dans ce cas, trouver un moyen de les concilier. Aussi bien la cour de céans a-t-elle déjà jugé que, dans l’application de l’article 204, il faut toujours considérer à la fois que la création artistique, elle aussi, est soumise à certaines limitations imposées par la morale publique, mais doit néanmoins demeurer libre (...). Il appartient donc au juge d’examiner dans chaque espèce et sur le vu de toutes les circonstances si la destruction matérielle de l’objet est indispensable ou si une mesure moins grave suffit déjà. Ainsi l’ordre impératif formulé par l’article 204 § 3 sera respecté pourvu que l’on ordonne la destruction matérielle de l’objet obscène dénué de toute valeur culturelle et que, lorsque l’objet présente un intérêt culturel certain, l’on prenne des mesures pour le soustraire efficacement au public et pour n’y donner accès qu’à un cercle défini de spécialistes sérieux (...). Ces précautions étant prises, l’article 204 CP ne sera pas applicable aux objets en eux-mêmes obscènes, mais qui présentent un véritable intérêt culturel. Il faut aussi distinguer ces objets de ceux qui sont purement pornographiques. L’intérêt culturel qui s’attache à la chose n’en supprime pas, il est vrai, l’obscénité. Mais il a pour effet d’obliger le juge à rechercher avec un soin particulier quelles sont les mesures indispensables pour la soustraire au public en général, tout en y donnant accès à un cercle bien déterminé d’amateurs sérieux; on satisfera de la sorte aux exigences de l’article 204 § 3 CP, qui, on l’a montré, ne prévoit la destruction que comme une mesure dont les effets doivent être proportionnés au but visé (...)." Il s’agissait en l’espèce de sept reliefs d’ivoire et de trente estampes d’art ancien japonais; le Tribunal estima que pour les "détruire" il suffisait de les remettre à un musée. Avant le tribunal correctionnel de l’arrondissement de la Sarine (paragraphe 19 ci-dessus), la cour d’appel de Bâle-Ville avait déjà prononcé la levée d’une mesure de confiscation ordonnée en vertu du code pénal. Par un arrêt du 29 août 1980, auquel le tribunal correctionnel se réfère d’ailleurs, elle avait accueilli une requête tendant à faire restituer aux héritières du peintre Kurt Fahrner un tableau confisqué en 1960 à la suite de la condamnation de l’intéressé pour atteinte à la liberté de croyance et des cultes (article 261 du code pénal). La cour d’appel avait notamment souligné que comme la confiscation "entraîne toujours une atteinte au droit de propriété de l’intéressé, une certaine réserve est de mise et, selon le principe de proportionnalité, ladite mesure doit se limiter à ce qui est indispensable pour assurer la sécurité." Et d’ajouter (traduction de l’allemand): "Ce principe est à respecter particulièrement dans les cas où l’objet à confisquer est (en raison de son caractère unique) difficile ou impossible à remplacer. Ainsi, pour un objet d’art (une peinture par exemple), le principe de proportionnalité doit être appliqué plus strictement que dans le cas d’une arme utilisée pour commettre l’infraction (...). En dernier lieu, eu égard à son caractère préventif, la mesure ne devrait rester en vigueur qu’aussi longtemps que les conditions légales sont réunies (...)." Il fallait dès lors considérer que "la confiscation d’une oeuvre d’art peut être ultérieurement levée ou modifiée, soit que l’objet confisqué ne présente plus de danger et qu’aucune mesure ne s’impose donc plus, soit qu’une autre mesure, moins radicale, permettrait d’assurer la sécurité nécessaire". En ce qui concerne le cas d’espèce, la cour d’appel avait raisonné ainsi: "Pour porter une appréciation selon les critères actuels, les deux parties sont d’accord avec le tribunal pour dire que les conceptions du public sur l’impudeur, l’immoralité, l’inconvenance, l’atteinte à la religion, etc. ... ont considérablement changé au cours des vingt dernières années et qu’elles sont devenues nettement plus libres. Certes, si le tableau confisqué est sans aucun doute, aujourd’hui encore, propre à blesser la sensibilité religieuse de nombreuses personnes, on peut écarter toute crainte que son exposition dans un lieu privé ou dans un lieu public approprié présente un danger pour la paix religieuse et porte atteinte à la sécurité des personnes, à la morale, à l’ordre public, au sens de l’article 58 du code pénal (...). L’existence d’un danger dépend donc essentiellement des mains dans lesquelles l’objet à confisquer risque de tomber (...). Dans la présente affaire, l’exposition du tableau dans un musée ne soulèverait manifestement aucune objection actuellement sous l’angle de l’article 58 du code pénal. Mais même en cas de restitution inconditionnelle du tableau, la possibilité d’une utilisation abusive doit encore être jugée minime, vu que Fahrner, qui avait voulu consciemment, par une exposition de caractère provocant, attirer l’attention sur lui-même en tant que peintre, sur ses idées et sur son oeuvre, est décédé dans l’intervalle. S’agissant des requérantes, rien ne permet de penser qu’elles envisagent d’utiliser le tableau à des fins portant atteinte à la sensibilité religieuse d’autrui. De toute façon, le degré suivant lequel le tableau pourrait être utilisé à une telle fin (article 261 du code pénal) ne suffit pas pour maintenir plus avant la confiscation ordonnée en 1960 (...). Tout danger résultant du tableau dans ce sens n’est plus aujourd’hui à ce point grave qu’il justifie une action conformément à l’article 58 du code pénal. De même, il n’y a aucune raison de confier ce tableau à une collection scientifique, autrement dit à un musée, pour assurer la protection du public et de la morale. En réalité, il convient de lever la confiscation et de restituer inconditionnellement le tableau aux requérantes conformément à leur demande principale." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 22 juillet 1983 (requête no 10737/84). Invoquant l’article 10 (art. 10) de la Convention, ils se plaignaient de leur condamnation pénale à une amende ("condamnation") et de la confiscation des tableaux litigieux. La Commission a retenu la requête le 6 décembre 1985. Dans son rapport du 8 octobre 1986 (article 31) (art. 31), elle aperçoit un manquement aux exigences de l’article 10 (art. 10) quant à la confiscation des toiles (onze voix contre trois), mais non quant à la condamnation (unanimité). Le texte de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Lors des audiences du 25 janvier 1988, le Gouvernement a prié la Cour de "dire qu’il n’y a eu en l’espèce violation de l’article 10 (art. 10) de la Convention ni en ce qui concerne la condamnation pénale à une amende infligée aux dix requérants, ni en ce qui concerne la confiscation (...) des toiles du premier requérant."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte M. Stig et Mme Gun Olsson, mari et femme, sont nés en 1941 et 1944 respectivement. Citoyens suédois, ils habitent dans leur pays à Göteborg. L’affaire concerne trois enfants issus de leur union en juin 1971, décembre 1976 et janvier 1979: Stefan, Helena et Thomas ("les enfants"). Les requérants et leurs enfants appartiennent à l’Église de Suède, à titre purement nominal dans le cas des premiers puisqu’ils se qualifient d’athées. Dans leur jeunesse, M. et Mme Olsson passèrent tous deux quelque temps à Stretered, un foyer pour arriérés. Un examen pratiqué en 1982 par un psychologue a toutefois révélé chez eux une intelligence moyenne. L’autorité publique avait pris en charge d’autres de leurs enfants et Stefan a reçu diverses formes d’éducation spécialisée depuis 1975, date à laquelle son retard mental entraîna son enregistrement auprès des services de protection des handicapés. Avant les événements à l’origine du présent litige, plusieurs autorités sociales différentes s’étaient occupées de la famille; elles ont coordonné leurs activités à partir de 1979. M. Olsson - qui touche une pension d’invalidité - et sa femme ont bénéficié d’une assistance sociale supplémentaire entre 1971 et 1976. Ils disent avoir vécu séparés en deux occasions, pendant trois et huit mois respectivement. De mai 1977 à décembre 1979, ils ont eu le soutien d’une thérapeute à domicile et une équipe psychiatrique suivait la famille depuis 1979. Ils semblent avoir eu du mal à coopérer avec les services sociaux. B. Prise en charge des enfants par l’autorité publique et procédure judiciaire y relative Les représentants des divers services sociaux concernés examinèrent la situation de la famille lors de réunions ad hoc les 26 octobre 1979, 29 novembre 1979 et 10 janvier 1980. Les requérants assistèrent à la dernière, à laquelle on s’entendit sur diverses mesures préventives pour les enfants. Selon le Gouvernement, l’accord resta lettre morte car les requérants le méconnurent. Le 22 janvier 1980, le Conseil social de district no 6 de Göteborg ("le Conseil") résolut, en vertu des articles 25, alinéa a), et 26 § 4 de la loi de 1960 sur la protection de l’enfance (barnavårdslagen 1960: 97 - "la loi de 1960", paragraphes 35 et 43 ci-dessous), de placer les enfants sous surveillance à cause de l’inaptitude des parents à leur assurer les soins et le contrôle nécessaires. D’autres réunions ad hoc eurent lieu en présence des requérants les 13 mars et 29 mai 1980. Le 22 août, alors que les parents n’habitaient pas ensemble, le président du Conseil ordonna, sur la base de l’article 30 de la loi de 1960 (paragraphe 43 ci-dessous), la prise en charge provisoire des enfants par l’autorité pour permettre un examen de leur situation. Il le fit parce qu’on avait découvert Stefan et Helena en train d’errer à bicyclette, incapables de rentrer chez eux; le Conseil confirma sa décision le 26 août après avoir siégé le même jour avec les requérants qui formulèrent des observations orales. Le 16 septembre 1980 le Conseil prescrivit, lors d’une réunion à laquelle les requérants assistèrent et purent s’exprimer, la prise en charge des enfants par l’autorité, en application des articles 25, alinéa a), et 29 de la loi de 1960 (paragraphes 35 et 43 ci-dessous). Il se fondait notamment sur un rapport du 11 septembre 1980, établi par les services sociaux et produit en séance. Ce document retraçait l’histoire et le contexte familiaux; signalait que les requérants s’opposaient à la prise en charge des enfants; concluait que le développement de ces derniers se trouvait menacé parce qu’ils vivaient dans un milieu inadéquat en raison de l’inaptitude de leurs parents à leur assurer les soins, la stimulation et la surveillance dont ils avaient besoin; relevait que des mesures préventives avaient été adoptées, mais en vain; et recommandait la prise en charge. Figuraient en annexe les déclarations d’une ancienne institutrice de Stefan, du service de protection de l’enfance no 60 (concernant Helena et Thomas) et du foyer où les enfants avaient séjourné en observation, ainsi qu’un rapport médical du 12 septembre 1980, dressé par la clinique de psychiatrie infantile 2B d’un hôpital ("Östra sjukhuset") de Göteborg. Signé par le médecin-chef, Elisabeth Bosaeus, expert consultant au foyer susmentionné, et par Helena Fagerberg-Moss, psychologue, toutes deux membres de l’équipe en contact avec la famille, le rapport médical était ainsi libellé (traduction): "Les enfants susnommés ont été jaugés à la clinique de psychiatrie infantile de l’Östra sjukhuset le 10 septembre 1980. Convoqués à des entretiens séparés avec le médecin, les deux parents ne se sont pas présentés. Il s’agit d’une famille connue à la clinique depuis octobre 1979, date à laquelle le travailleur social a demandé une observation et une estimation du développement de Thomas, alors admis à la clinique en raison d’une pneumonie et en vue d’un examen pour infection urinaire. Le médecin responsable a orienté Thomas vers une psychologue, Helena Fagerberg-Moss, qui en a évalué le degré de développement le 5 octobre 1979. Elle-même et Birgitta Stéen, assistante sociale (kurator), ont participé par la suite, les 26 octobre et 29 novembre 1979, à des réunions au bureau no 6 de la protection sociale avec toutes les personnes s’occupant du dossier, pour discuter de l’aide déjà reçue par la famille et à envisager encore. Le bureau de protection sociale a également tenu des conférences avec les parents le 10 janvier 1980, date à laquelle on a décidé de solliciter le placement de Thomas et Helena dans une garderie de jour, puis les 13 mars et 29 mai 1980, où l’on a projeté d’envoyer Helena et Stefan en vacances dans un foyer ou une colonie durant l’été. La psychologue Helena Fagerberg-Moss a aussi évalué le degré de développement d’Helena lors d’une visite à domicile le 25 mars 1980. Celui de Thomas l’a été à nouveau le 11 septembre 1980. Pendant le séjour de ce dernier à l’hôpital, l’assistante sociale Birgitta Stéen a communiqué avec les parents. J’ai examiné le rapport d’enquête du 18 janvier 1980, contenant des propositions de surveillance, et le rapport du 26 août 1980, préconisant une ordonnance de prise en charge. J’ai également étudié les dossiers médicaux des enfants. Le 10 septembre 1980, l’assistante sociale Kerstin Lindsten, en poste à l’école pour enfants arriérés, a fourni par téléphone certains renseignements au sujet de Stefan. Il ressort du dossier médical qu’à l’âge de quatre mois Stefan a été admis à l’hôpital pour enfants de Göteborg pour une évaluation de son degré de développement; alors déjà on a constaté chez lui un retard considérable. A six mois, il en avait deux de retard. De nouveaux tests subis par lui à trois ans ont révélé qu’il avait le niveau de développement d’un enfant de 15 à 20 mois. La psychologue Barbro Wikman l’a jugé à l’époque passif, craintif et circonspect. Réservé, il souffrait d’un retard sensible dans son langage. L’estimant en grand besoin de stimulation, la psychologue doutait qu’il pût le satisfaire dans son foyer. Il ne savait pas se nourrir, ne courait pas normalement et n’avait pas l’habitude de jouer avec d’autres enfants. Selon le dossier, les parents ‘ne voyaient pas l’intérêt de l’amener à un centre spécialisé de jeux’. Au 4 mai 1976, on a relevé qu’il ne mangeait jamais rien de chaud, ne pouvait construire de phrases, ne jouait pas dehors, pleurait facilement, pouvait se nourrir lui-même mais le faisait rarement, semblait pâle et apathique. Stefan se trouve maintenant en troisième année dans une école pour arriérés. Il paraît être l’un des élèves les plus faibles. A son arrivée à l’école, la situation existant chez lui semblait acceptable puisque la famille bénéficiait des visites d’une thérapeute. Par la suite cependant, on a reçu des renseignements inquiétants selon lesquels Stefan vagabondait à l’extérieur du foyer et la police devait souvent s’occuper de lui. Il ne pouvait contrôler sa vessie et ses intestins; ses amis se moquaient de lui parce qu’il sentait mauvais. Selon l’assistante sociale de l’école, Kerstin Lindsten, parfois même ils le déshabillaient. En outre, l’infirmière de l’école a signalé des problèmes de nutrition: Stefan ne mangeait d’ordinaire que des sandwiches. Myope, il aurait besoin de lunettes mais il n’en porte pas. Ses parents ayant eu eux aussi du mal à le surveiller et s’occuper de lui, différentes formules de placement ont été discutées. Le placement dans une maison d’éducation semblait une bonne solution, mais les parents ont refusé au dernier moment. On leur a également proposé un placement en foyer nourricier, mais le père a réagi par des symptômes dépressifs, gardant le garçon chez lui sans l’envoyer à l’école. Pendant un examen médical effectué le 10 septembre 1980, Stefan a donné l’impression d’un grand retard dans son développement; en outre, il était renfermé, n’entendait pas les questions, n’utilisait pas les jouets de la bonne manière et semblait jouir d’un pouvoir de concentration et d’attention limité. Il se comportait maladroitement, ne pouvait écrire son nom et pliait le papier à un angle de 90 degrés lorsqu’il dessinait avec un crayon. Il ne portait pas ses lunettes. Lors d’un contrôle de développement opéré à domicile le 25 mars 1980, Helena Fagerberg-Moss a constaté qu’Helena Olsson avait atteint un niveau comparable à celui des enfants de son âge. Toutefois, à l’occasion d’une visite à la clinique sociale pour enfants on l’a estimée passive, craintive et peu évoluée dans son langage. Elle fréquente un dispensaire depuis septembre 1979 pour des problèmes gastriques, mais aucune mesure n’a été prise. Lors d’une évaluation faite le 10 septembre 1980, elle s’est montrée timide quand plusieurs personnes se trouvaient dans la même pièce; elle restait muette, se conduisait comme une mère envers Thomas, lui donnait des jouets et l’embrassait de temps en temps. On a noté la même attitude à leur foyer. Helena Fagerberg-Moss a évalué le degré de développement de Thomas les 5 octobre 1979 et 11 septembre 1980. La première fois, il demeurait un peu en dessous du niveau de développement escompté; assez passif, il était replié sur lui-même. Durant la seconde évaluation, il est resté singulièrement tranquille et circonspect, le visage inexpressif. Il accusait un retard de quatre à six mois; à 20 mois, son parler correspondait à celui d’un enfant de six à huit mois. Manifestement stimulé par les jeux et le matériel des tests, il semblait posséder un potentiel de développement, mais donnait la nette impression de ne pas être assez stimulé à la maison. D’après une note consignée en août 1979 au dossier médical, la mère de Thomas ne le nourrissait pas normalement: elle tenait le biberon à distance, et même après qu’on lui eut demandé de prendre son fils dans ses bras il n’y eut pas de contact naturel étroit. On a pu observer, au foyer des enfants, que le père traite toujours Thomas comme un bébé. En résumé, Stefan, Helena et Thomas sont trois enfants dont les parents ont été classés comme arriérés. Le père a pris une retraite anticipée. En outre, les parents n’ont pas de bons rapports; ils ont vécu séparés durant une longue période et tel est à nouveau leur cas. La famille a déménagé quatre fois en deux ans et demi. Stefan et Thomas manifestent des signes nets d’arriération mentale, probablement due à des causes différentes. De plus, les parents s’occupent mal des enfants, dont le comportement est perturbé. Stefan a souffert d’énurésie et d’encoprésie, éprouvé des difficultés de nutrition ainsi que des problèmes de relations avec les autres enfants et montré une propension au vagabondage. Ses parents n’ont pas satisfait à ses besoins spéciaux: des vêtements propres, des lunettes (en raison de sa myopie), de même que les soins et la stimulation supplémentaires nécessités par sa déficience. Le développement langagier de tous les enfants est retardé, ce qui constitue le signe le plus fréquent d’une stimulation insuffisante. Helena, enfant d’intelligence moyenne, a tendance à trop assumer de responsabilités à l’égard de son frère Thomas; celui-ci n’a jamais reçu de formation physique ou psychologique adéquate. Les mesures adoptées jusqu’ici (thérapeute à domicile, placement en garderie de jour, surveillance, etc.) n’ayant pas amélioré la situation, nous recommandons que l’autorité publique prenne en charge Stefan, Helena et Thomas et les confie à des foyers nourriciers." Selon les requérants, le Dr Bosaeus ne les avait jamais rencontrés et n’avait jamais visité leur domicile avant d’établir ce rapport médical. Elle n’aurait examiné les enfants que le 10 septembre 1980, après qu’on les eut placés en observation le 22 août 1980; ils se trouvaient alors en état de choc à cause de la manière violente dont la police les avait retirés de chez eux et aussi de leur environnement totalement nouveau. Toutefois, la psychologue Helena Fagerberg-Moss paraît avoir jaugé Thomas le 5 octobre 1979 et avoir inspecté la maison des parents le 25 mars 1980, date à laquelle elle évalua le degré de développement d’Helena. Les requérants n’acceptant pas la décision du Conseil du 16 septembre 1980, le tribunal administratif départemental (länsrätten) de Göteborg fut saisi de la question conformément à l’article 24 de la loi de 1960 (paragraphe 44 ci-dessous). Le 18 décembre 1980, il tint une audience à laquelle Mme Olsson fut représentée par un avocat au titre de la loi sur l’assistance judiciaire (rättshjälpslagen) et les enfants par un avocat nommé d’office (offentligt-biträde); il entendit le Dr Bosaeus comme expert. Le 30 décembre 1980, il confirma la décision du Conseil en ces termes (traduction): "Il ressort de l’enquête que les enfants Stefan, Helena et Thomas, qui appellent tous une sollicitude spéciale de la part de ceux qui s’en occupent, vivent depuis plusieurs années dans un milieu familial inadéquat en raison de l’inaptitude de leurs parents à leur assurer les soins, la stimulation et la surveillance voulus. Stefan et Thomas sont manifestement arriérés et les trois enfants accusent un retard sur le plan du langage. Selon le Dr Bosaeus, qui a délivré un certificat médical le 12 septembre 1980 et déposé comme expert à l’audience, il existe un grand risque de voir Helena connaître une évolution négative si elle reste chez ses parents. Son placement dans un foyer nourricier importe donc tout autant que celui de Stefan et Thomas. En conséquence, le Dr Bosaeus a préconisé la prise en charge des trois enfants. Des mesures préventives ont été essayées durant plusieurs années, avec une thérapeute à domicile, et une surveillance a été organisée, mais en vain. Dès lors, il faut considérer comme établi que la santé et le développement des enfants se trouvent compromis par l’incapacité actuelle de leurs parents à leur dispenser une éducation et des soins satisfaisants. Partant, la décision attaquée cadre avec les dispositions des articles 25, alinéa a), et 29 de la loi de 1960." Mme Olsson se pourvut devant la cour administrative d’appel de Göteborg (kammarrätten, paragraphe 50 ci-dessous); son mari se joignit à elle. Le Conseil et l’avocat d’office des enfants conclurent au débouté. La cour tint une audience puis, le 8 juillet 1981, confirma le jugement du tribunal administratif départemental. Cependant, l’un des trois juges et l’un des deux assesseurs, tout en approuvant la prise en charge d’Helena, se prononcèrent contre celle de Stefan et Thomas. Mme Olsson voulut saisir la Cour administrative suprême (regeringsrätten, paragraphe 50 ci-dessous), mais le 27 août 1981 celle-ci refusa de l’y autoriser. C. Application des décisions d’assistance Placement des enfants Le 22 août 1980, après la décision du président du Conseil (paragraphe 11 ci-dessus), les enfants furent envoyés dans un home d’enfants, à Göteborg, en vue d’un examen de leur situation. Ils y demeurèrent jusqu’à leur placement, relaté ci-après, dans des foyers distincts. a) Stefan Vers le 1er octobre 1980, les requérants enlevèrent Stefan du home d’enfants et le cachèrent un mois environ. Il fut ensuite installé à Göteborg dans un foyer d’écoliers dirigé par la Commission pour les arriérés, mais ses parents l’en retirèrent à nouveau et le dissimulèrent pendant à peu près deux mois. A partir du 28 février 1981 Stefan fut confié, avec l’aide de la police, à une famille nourricière du nom de Ek - dans laquelle il avait passé plusieurs étés - à Tibro, à une centaine de kilomètres du domicile des requérants. Des conflits entre parents naturels et nourriciers incitèrent le Conseil à décider, le 28 juin 1983, de mettre Stefan dans un home d’enfants, Viggen, dirigé par la Commission pour les arriérés et situé à Vänersborg, à quelque 80 kilomètres au nord de Göteborg. b) Helena et Thomas Helena et Thomas furent placés dans des foyers d’accueil séparés - Helena dans la famille Larsson à Näsåker, à proximité de la ville de Hudiksvall, le 21 octobre 1980, et Thomas dans la famille Bäckius, à Maråker, au sud de Söderhamn, le 10 novembre 1980. Éloignées l’une de l’autre d’une centaine de kilomètres, ces localités se trouvent au nord-est de Göteborg d’où il faut parcourir, par la route, 637 et 590 kilomètres, respectivement, pour atteindre Hudiksvall et Söderhamn (voir M·KAK, Bilatlas, Sverige, 1981). D’après le Gouvernement, on envisageait à l’origine de confier Helena et Thomas à des familles d’accueil différentes dans un même village, mais cela se révéla impossible à la dernière minute; en outre, les Larsson et les Bäckius restaient en contact permanent, s’appuyaient beaucoup mutuellement et se rencontraient, avec Helena et Thomas, une fois toutes les six semaines en moyenne. Les parents nourriciers de Thomas et leurs propres enfants appartiennent à l’Église de Suède et assistaient aux offices avec lui - régulièrement selon les requérants, deux ou trois fois l’an selon les parents nourriciers. Restrictions aux contacts des requérants avec leurs enfants Depuis la prise en charge des enfants, les visites des parents ont fait l’objet de diverses décisions, dont les suivantes. a) Stefan Stefan séjourna de trois à quatre semaines auprès de ses parents dans l’été de 1982. Le 10 août 1982 le Conseil résolut toutefois, en vertu de l’article 16 § 1 de la loi de 1980 (paragraphe 48 ci-dessous), de limiter à une toutes les six semaines les visites qu’ils lui rendaient. Ils saisirent le tribunal administratif départemental, mais le 17 novembre 1982 il confirma les restrictions (paragraphe 28 ci-dessous). Après le 22 avril 1984, M. et Mme Olsson purent voir Stefan chaque semaine, le plus souvent chez eux. Il passa quelques semaines avec eux dans l’été de 1986. b) Helena et Thomas Le 21 octobre 1980, le Conseil supprima les visites des requérants à Helena et Thomas aux foyers d’accueil, sur la base de l’article 41 de la loi de 1960 (paragraphe 48 ci-dessous), et interdit d’informer les premiers du lieu où se trouvaient les seconds. Il les autorisait en revanche à les rencontrer ailleurs, tous les deux mois. Cette mesure tendait à sauvegarder les chances de stabilisation des enfants et découlait du fait que les parents avaient précédemment enlevé puis caché Stefan (paragraphe 17 ci-dessus). Le Conseil la rapporta en septembre 1981, mais en février 1983 il résolut, compte tenu de l’attitude hostile des requérants envers les parents nourriciers, de réduire leurs contacts avec Helena et Thomas à une visite trimestrielle aux foyers d’accueil. Cette nouvelle restriction fut confirmée par le tribunal administratif départemental, sur recours, le 25 mars 1983 puis derechef par le Conseil les 2 août 1983, 6 décembre 1983 et 30 octobre 1984. Le 3 octobre 1985, le tribunal débouta les requérants qui avaient attaqué cette dernière décision; ils retirèrent leur recours sur ce point lors d’une procédure ultérieure devant la cour administrative d’appel (paragraphe 31 ci-dessous); la restriction subsista donc tant que les enfants demeurèrent pris en charge. D’après M. et Mme Olsson, pendant cette même période Helena et Thomas ne furent admis qu’une fois - en 1982 - à se rendre au domicile familial, pour quelques heures et sous la stricte surveillance des mères nourricières et d’un ou deux travailleurs sociaux. Quant aux requérants, on ne les aurait laissés aller voir ces enfants que deux fois l’an, sous le contrôle de travailleurs sociaux, d’enseignants ou des parents nourriciers; au fil du temps, ils paraissent avoir eu tendance à éviter ces visites, qu’ils estimaient humiliantes en raison, notamment, des conditions y présidant. Il ressort du dossier que M. et/ou Mme Olsson rencontrèrent Helena et Thomas en mars 1981 dans un endroit neutre de Göteborg; en septembre 1981 aux foyers d’accueil; en décembre 1981 à celui de Stefan et, juste avant Pâques 1982, à celui d’Helena. Le rapport de la Commission renferme une affirmation plus générale: les requérants auraient vu les deux cadets "trois fois pendant chacune des premières années". Ils ne semblent pas leur avoir rendu visite entre juin 1984 et le printemps de 1987. Attitude des requérants Devant la Commission, le Gouvernement a mentionné des problèmes de coopération ayant surgi entre les requérants d’une part, les parents nourriciers des enfants et les services sociaux de l’autre (paragraphes 100, 101, 109, 110 et 111 du rapport). La thèse défendue alors par M. et Mme Olsson sur ce point se résume ainsi: "On ne saurait imaginer que les requérants veuillent collaborer avec les travailleurs sociaux. L’action de ces derniers va directement à l’encontre de leur propre conception de la manière dont enfants et parents, membres de la famille et tiers doivent témoigner de respect et de considération. (...) Il faut ajouter que si les requérants coopéraient avec les parents nourriciers et les travailleurs sociaux, ils risqueraient de donner à leurs enfants l’impression entièrement erronée d’avoir consenti à se séparer d’eux et à leur placement dans des foyers d’accueil. Si les enfants se faisaient à tort l’idée que leurs parents par le sang ne les souhaitent pas auprès d’eux à la maison leur dignité en subirait une atteinte désastreuse." (ibidem, paragraphe 80 in fine) D. Demandes en mainlevée de la prise en charge Les requérants ayant réclamé la mainlevée de la prise en charge, une réunion se tint le 1er juin 1982 dans les locaux du Conseil, en présence des requérants, de leur avocat et de celui, commis d’office, des enfants. Le Conseil rejeta la demande le même jour. Il se fonda sur des rapports établis par les services sociaux et datés des 24, 25 et 26 mai 1982. Ils concluaient que les parents étaient pour le moment hors d’état d’assurer aux enfants le soutien et l’encouragement nécessaires; figuraient en annexe les déclarations de la psychologue Helena Fagerberg-Moss, de travailleurs sociaux et d’un instituteur, d’après lesquelles les enfants avaient accompli des progrès satisfaisants depuis leur prise en charge. Les requérants saisirent alors le tribunal administratif départemental. Il tint le 4 novembre 1982 une audience à laquelle ils comparurent assistés d’un avocat; le Conseil était représenté par un avocat et deux travailleurs sociaux, les enfants par un avocat d’office. Le tribunal entendit en leurs dépositions le Dr Bosaeus et un expert social auprès de la préfecture (länsstyrelsen, paragraphe 41 ci-dessous), la première à la demande de l’avocat des requérants; divers avis écrits d’un psychologue, d’une assistante sociale, d’un maître de Stefan et du médecin de son école furent lus en séance. Le président résuma aussi les documents sur lesquels s’appuyait la décision du Conseil. Les requérants affirmèrent que le rapport médical du 12 septembre 1980 (paragraphe 12 ci-dessus) renfermait un renseignement manifestement faux en les qualifiant d’arriérés; de plus, il n’indiquait aucun fait concret prouvant que les enfants auraient couru un danger s’ils avaient continué à vivre avec eux. Pour son compte, le Conseil attribua son refus de mainlevée non à la déficience mentale des requérants mais à leur incapacité à répondre aux besoins des enfants en matière de soins, de stimulation et de surveillance. Le 17 novembre 1982, le tribunal administratif départemental confirma les restrictions aux visites parentales à Stefan (paragraphe 22 ci-dessus) et jugea ce qui suit (traduction): "Les faits de la cause montrent que les enfants étaient perturbés à divers degrés lors de leur prise en charge. Stefan accusait dans son développement un retard comparable à celui d’un enfant arriéré. Après son placement dans un foyer nourricier, ses aptitudes sociales et langagières se sont améliorées; ses problèmes d’incontinence ont disparu dans une large mesure. Compte tenu de ses moyens, Stefan a progressé à l’école spéciale. Helena et Thomas ont bien évolué dans leurs foyers nourriciers. L’estimation du degré de développement psychologique de ces deux enfants, effectuée au printemps de 1982, démontre que leurs perturbations antérieures ont cessé, qu’ils ont rattrapé leur retard et qu’ils ont atteint le niveau normal des enfants de leur âge. Quant aux requérants, leur situation semble s’être stabilisée récemment. Ils ont quitté Angered en janvier 1981 et depuis lors résident dans la commune d’Ale, environnement plus propice à l’éducation des enfants. Ils ont surmonté les dissensions conjugales qu’ils connaissaient à l’époque de la prise en charge des enfants et leurs relations mutuelles semblent meilleures. Une psychologue de Göteborg, Gudrun Olsson, les a examinés à la demande de leur représentant; elle les a estimés tous deux d’intelligence moyenne. Pour lever une mesure de prise en charge ordonnée en vertu de la loi de 1980 il faut, d’après l’article 5 [paragraphe 49 ci-dessous], s’assurer qu’elle n’est plus nécessaire. Militent en faveur de pareille levée des faits tels que l’amélioration et la stabilisation apparentes de la situation des requérants et le bon développement des enfants dans leurs familles nourricières. Toutefois, plusieurs éléments plaident en sens contraire. Stefan, qui a eu plusieurs fois en 1982 la permission de rendre visite à ses parents chez eux, a manifesté divers signes de perturbation à son retour à son foyer d’accueil et a subi une régression dans son comportement. Son voyage de retour du 28 juin 1982 ne semble pas avoir été bien organisé et s’est mal passé. En outre, les requérants ont éprouvé jusqu’ici des difficultés à coopérer de manière satisfaisante avec le foyer nourricier de Stefan et avec le Conseil social. A la lumière de l’ensemble des circonstances de la cause, le tribunal conclut qu’il manque encore aux requérants la compréhension et les aptitudes voulues pour donner aux enfants une éducation et des soins adéquats. Il faut donc craindre qu’une décision de mainlevée (...) ne puisse entraîner de grands risques pour la santé des enfants et leur développement. Partant, la prise en charge doit se poursuivre et il échet de rejeter le recours." Les requérants attaquèrent ce jugement devant la cour administrative d’appel. Elle les débouta le 28 décembre 1982 après une audience, le 20, à laquelle ils se présentèrent assistés d’un conseil. Ils avaient en vain sollicité la convocation du Dr Bosaeus comme témoin. M. et Mme Olsson cherchèrent à se pourvoir devant la Cour administrative suprême, mais le 11 mars 1983 elle refusa de les y autoriser. Le 6 décembre 1983, le Conseil repoussa une nouvelle demande de mainlevée introduite par les requérants. Les 30 octobre 1984 et 17 septembre 1985, il en écarta deux autres dont l’une concernait Helena et Thomas, l’autre Stefan; à la première de ces dates, il refusa aussi de supprimer la restriction aux visites à Helena et Thomas (paragraphe 24 ci-dessus). Le tribunal administratif départemental débouta les parents, les 3 octobre 1985 et 3 février 1986 respectivement, de leur recours contre ces décisions. Ils saisirent alors la cour administrative d’appel qui joignit les deux affaires. Après une audience à laquelle ils comparurent et déposèrent, elle ordonna, par un arrêt du 16 février 1987, de mettre fin à la prise en charge de Stefan: elle tenait compte du développement positif récent de celui-ci, de la compréhension accrue de ses besoins par ses parents et de leur accord pour qu’il terminât à Vänersborg le trimestre scolaire en cours (paragraphe 17 ci-dessus). Par contre, elle rejeta le recours relatif à Helena et Thomas; à l’audience, M. et Mme Olsson l’avaient eux-mêmes limité à la question de la prise en charge, à l’exclusion de celle des visites. Pour estimer que la prise en charge de ces deux enfants devait continuer, elle se fonda surtout sur la circonstance que les requérants étaient incapables de comprendre et satisfaire les besoins particuliers que crée le regroupement de parents et d’enfants après une aussi longue période de séparation. Sur pourvoi des parents, la Cour administrative suprême décida le 18 juin 1987 de lever la prise en charge d’Helena et de Thomas, aucune raison d’une gravité suffisante n’en justifiant le maintien. Elle nota que pour se prononcer de la sorte en vertu de l’article 5 de la loi de 1980 (paragraphe 49 ci-dessous), il fallait déterminer si la mesure restait nécessaire. Les problèmes liés au retrait d’un enfant de son foyer nourricier, à ses répercussions négatives éventuelles sur lui et - motif invoqué par la cour administrative d’appel - à sa réunion avec ses parents par le sang entraient en ligne de compte non sur le terrain de l’article 5, mais dans le cadre d’une procédure séparée: une enquête au titre de l’article 28 de la loi de 1980 sur les services sociaux (socialtjänstlagen 1980: 620). Ce dernier texte habilite un conseil social de district à interdire, pour une certaine durée ou jusqu’à nouvel ordre, de retirer d’un foyer nourricier un mineur qui ne se trouve pas ou plus à la charge de l’autorité, au cas où pareil retrait comporterait un risque non négligeable de nuire à la santé physique ou mentale de l’enfant. Stefan et ses parents sont aujourd’hui réunis. Par contre, le 23 juin 1987 le Conseil, agissant sur la base de l’article 28 précité, a défendu jusqu’à nouvel ordre aux requérants de retirer Helena et Thomas de leurs foyers d’accueil respectifs. Le 25 juin 1987, le tribunal administratif départemental a rejeté une demande de M. et Mme Olsson en suspension provisoire de cette injonction; la cour administrative d’appel a confirmé cette décision le 2 juillet et, le 17 août, la Cour administrative suprême a refusé aux intéressés l’autorisation de se pourvoir devant elle. Statuant sur le fond le 3 novembre 1987, le tribunal administratif départemental les a déboutés de leur recours: il a estimé qu’"une interdiction de retrait ne doit pas valoir pour une période trop longue" et qu’ "un préalable à sa levée (...) consiste dans des efforts à déployer par M. et Mme Olsson, tout comme par le Conseil social de district, pour améliorer les contacts entre parents et enfants". D’après des renseignements fournis à la Cour européenne, le 16 novembre 1987, par le Gouvernement, un recours des requérants contre ce jugement demeurait alors pendant devant la cour administrative d’appel; entre temps ils restaient libres d’aller voir Helena et Thomas à leurs foyers d’accueil. II. DROIT INTERNE PERTINENT A. Introduction D’après la législation suédoise sur la protection de l’enfance, il incombe à chaque commune de favoriser le bon développement des enfants et adolescents, au besoin par des mesures de soutien ou de prévention (paragraphe 43 ci-dessous). Elle peut aussi prendre en charge un enfant et le placer dans un foyer nourricier, un home d’enfants ou une autre institution appropriée. La législation range les mesures du second type en deux catégories: la "prise en charge sur demande", en permettant à un parent de confier son enfant à l’autorité locale; la "prise en charge d’office", en établissant un mécanisme par lequel une telle autorité peut obtenir une décision ou ordonnance judiciaire lui attribuant la garde d’un enfant. En l’espèce se trouve en cause le recours à ce système. Les décisions relatives aux enfants des requérants se fondaient sur la loi de 1960 et sur celle de 1980 portant dispositions spéciales sur l’assistance aux adolescents (lag 1980: 621 med särskilda bestämmelser om vård av unga, "la loi de 1980"). Cette dernière complète la loi de 1980 sur les services sociaux, qui concerne la prise en charge sur demande; à leur entrée en vigueur, le 1er janvier 1982, elles ont à elles deux remplacé la loi de 1960. En règle générale, les décisions arrêtées sur la base de celle-ci et encore valides le 31 décembre 1981 ont été réputées adoptées en vertu de la loi de 1980. B. Conditions de prise en charge d’office D’après la loi de 1960 Aux termes de l’article 25, alinéa a), de la loi de 1960, l’autorité locale compétente en matière d’assistance à l’enfance - la Commission de protection de l’enfance (barnavårdsnämnden) ou, à Stockholm et Göteborg, le Conseil social de district - devait intervenir (traduction): "[si] une personne de moins de dix-huit ans [était] brutalisée dans son foyer ou y [recevait] d’autres traitements de nature à menacer sa santé physique ou mentale, ou si son développement se trouv[ait] compromis par l’inaptitude de ses parents ou de tiers chargés de l’éduquer, ou par leur incapacité à l’élever." L’article 25 alinéa b) (non appliqué dans la présente affaire) obligeait l’autorité locale à intervenir également si des mesures correctives s’imposaient à l’égard d’un mineur en raison de son comportement criminel, immoral ou asocial. Quant à l’article 25 alinéa a), les travaux préparatoires de la loi de 1960 indiquaient notamment (traduction): "La circonstance qu’un mineur court le risque de mauvais traitements physiques restera un motif d’intervention majeur, mais la mention expresse de cet élément dans la loi semble, dans une certaine mesure, occulter l’importance d’un fait: il faut aussi protéger les enfants et adolescents contre d’autres types de traitements propres à nuire à leur santé physique ou mentale. Le projet de loi prévoit donc un nouveau préalable à l’intervention: le mineur doit être brutalisé dans son foyer, ou y subir d’autres traitements de nature à menacer sa santé physique ou mentale. Cet amendement à la législation en vigueur ne cherche pas à introduire des changements sensibles. Les motifs d’intervention, outre les cas de mauvais traitements physiques, peuvent être du genre de ceux que les travaux préparatoires de la législation actuelle citent à titre d’exemples: un enfant bénéficiant peut-être de soins très tendres, mais exposé en permanence à un danger mortel en raison de la maladie mentale de sa mère; ou un bambin dont s’occupe une mère atteinte de tuberculose contagieuse. On pourrait penser encore à un mineur obligé d’accomplir un travail trop dur pour son âge ou sa force, ou insuffisamment nourri, ou vivant dans un foyer où les règles élémentaires d’hygiène ne se trouvent pas respectées. D’après la pratique suivie jusqu’ici, on devrait aussi pouvoir intervenir quand les parents - peut-être en raison de leurs croyances religieuses - ne dispensent pas à l’enfant les soins médicaux dont il a besoin. Parmi les cas où les enfants sont exposés à un préjudice ou danger mental, on peut citer celui où les parents - présentant des symptômes évidents d’anomalies mentales ou d’attitudes pathologiques - donnent à leurs enfants une éducation faussée sur le plan spirituel (pour reprendre les mots de la commission) et aboutissant souvent à leur imprimer une orientation peu souhaitable. Lorsqu’une telle éducation en arrive à mettre en danger la santé mentale d’un enfant, elle tombe sous le coup de l’article dont nous traitons ici. Une intervention en vertu de l’article [25 alinéa a)] de la loi de 1960 ne se justifie que si l’enfant risque de devenir inadapté à cause du mode de vie pervers de ses parents ou de la négligence ou incapacité dont ils témoignent dans son éducation. Ce texte concerne donc des anomalies constatées chez les parents ou dans leur aptitude à élever l’enfant; elles doivent être de nature à menacer le développement social de celui-ci. A cet égard, il faut traiter sur le même pied les parents et les autres personnes investies de la garde. Pour le surplus, seules des modifications mineures semblent requises. Ainsi, nous suggérons de substituer aux mots ‘pervers’ et ‘négligence’ l’expression ‘inaptitude à l’exercice de la garde’, qui paraît plus appropriée dans le contexte. Manifestement, elle a une portée un peu plus large que les termes actuellement utilisés: outre des personnes ‘perverses’ et ‘négligentes’, elle englobe celles qui souffrent de graves anomalies mentales. Aucun motif ne semble s’opposer à pareille extension du champ d’application de la règle. La société doit avoir le droit d’intervenir dès que les lacunes de la personne chargée de la garde compromettent le développement social d’un jeune. La commission ayant conclu à la nécessité d’écarter de la législation la notion ‘d’inadapté’, on a plutôt subordonné l’intervention de la Commission de protection de l’enfance à une autre condition: les risques d’entrave au développement du jeune. Partant, l’intervention se produira chaque fois qu’il le faudra pour prévenir les anomalies de comportement visées à l’article [25 alinéa a)]. Soulignons que comme sous l’empire de la loi en vigueur, il n’y aura pas besoin d’attendre la manifestation de signes d’inadaptation chez le jeune en question." (Reproduit dans NJA II (Nytt Juridiskt Arkiv), "Rapports sur la législation", 1960, pp. 456 et s.) D’après la loi de 1980 Les conditions d’une prise en charge d’office en vertu de la loi de 1980 se trouvent énoncées à l’article 1, ainsi libellé (traduction): "Une personne de moins de dix-huit ans doit être prise en charge par l’autorité en vertu de la présente loi si l’on peut présumer que les soins nécessaires ne peuvent lui être assurés avec le consentement de la ou des personnes qui en ont la garde et, s’il s’agit d’un adolescent de quinze ans ou plus, avec le sien. Un jeune doit bénéficier d’une telle prise en charge si sa santé ou son développement se trouvent en danger faute de soins ou en raison d’une autre circonstance propre à sa famille; s’il compromet gravement sa santé ou son développement par l’abus d’agents formateurs d’habitudes, un comportement criminel ou toute autre attitude comparable. (...)." Des travaux préparatoires de la loi de 1980, tels que les reproduit la NJA II 1980 (pp. 545 et s.), il y a lieu d’extraire les passages ci-après (traduction). La commission parlementaire permanente des questions sociales déclarait: "La réforme des services sociaux part d’une idée importante: en examinant chaque cas, il faut notamment respecter la liberté et le droit de l’individu à décider de son propre mode de vie. Les services sociaux doivent s’efforcer de coopérer avec le client dans la mesure du possible, pour l’associer aux décisions relatives à l’organisation du traitement et l’amener à contribuer activement à la mise en oeuvre de ce dernier. Ils doivent lui offrir aide et appui, sans assumer à sa place la responsabilité de sa vie. L’initiative et la responsabilité personnelles doivent constituer un élément de la prise en charge et du traitement. De la sorte, les services sociaux pourront accentuer leur rôle préventif et les perspectives de résultats favorables à long terme s’améliorer. Ce principe fondamental de la nouvelle législation figure à l’article 9 du projet de loi sur les services sociaux, d’après lequel les mesures adoptées par le Conseil social au sujet d’une personne doivent être conçues et appliquées en collaboration avec elle. En conséquence, tous les moyens de contrainte dont les services sociaux disposaient à l’égard des adultes disparaissent. Sans doute la possibilité de prendre en charge des enfants et adolescents, hors de leur foyer, contre leur volonté ou celle de leurs parents subsiste-t-elle, mais dans ce domaine aussi la réforme met plus nettement l’accent sur le droit de l’individu à participer aux décisions concernant son propre sort. L’intéressé doit pouvoir demander en toute confiance l’aide des services sociaux, sans avoir à craindre des ennuis sous la forme de diverses mesures coercitives. En même temps, on s’accorde à dire que la société doit parfois pouvoir recourir à de telles mesures contre une personne, lorsqu’il le faut pour soustraire la vie ou la santé de quelqu’un à un risque immédiat." Le ministre de la santé et des affaires sociales s’exprimait de son côté en ces termes: "D’après l’article 1, second paragraphe, premier alinéa, la société peut intervenir si un jeune se trouve menacé dans sa santé ou son développement faute de recevoir des soins nécessaires chez lui, ou en raison d’une autre circonstance propre à son foyer. Ce texte vise les jeunes qui ne bénéficient pas de soins suffisants dans leur foyer ou y sont exposés à des traitements risquant de nuire à leur santé physique ou mentale ou à leur développement social. Le mot foyer désigne aussi bien la maison des parents que tout autre domicile où le jeune réside en permanence. Cette description englobe notamment le cas où l’intéressé subit chez lui des mauvais traitements. Même minimes, de tels traitements doivent être présumés dommageables pour la santé ou le développement du jeune. Si les parents s’opposent alors aux mesures que le Conseil social juge nécessaires pour assurer la protection de ce dernier, la législation peut entrer en jeu. Dans l’hypothèse de sévices plus graves, il faut automatiquement retirer l’intéressé de son foyer, au moins pour une certaine période. Comme la loi de 1960, cette clause peut s’appliquer aussi lorsque les parents ont l’intention de placer le jeune dans un milieu néfaste pour sa santé ou son développement, ou ne veillent pas à l’en écarter. Elle couvre donc toutes les situations où l’enfant est exposé à des mauvais traitements physiques ou à des soins négligents. Cette législation peut également s’appliquer si les parents compromettent la santé mentale par leur personnalité. Si la santé mentale ou le développement de l’enfant risquent de pâtir du comportement parental - par exemple à cause de scènes de ménage dues à l’alcoolisme ou à la toxicomanie - ou de déficiences mentales des parents, il doit pouvoir le prendre en charge en vertu de la nouvelle loi. (...) [Celle-ci] a pour but principal d’habiliter les services sociaux à garantir aux jeunes les soins nécessaires. Le Conseil social agira en fonction des besoins courants des enfants et de ce que l’on peut faire, dans l’immédiat et par la suite, pour y pourvoir. Comme je l’ai souligné dans ma présentation générale du projet, on ne saurait cependant invoquer cette législation pour répondre aux besoins de protection de la société. Que la prise en charge d’un jeune en vertu de ladite loi ait aussi pour effet de protéger la société, c’est une question différente. Le Conseil social arrêtera les mesures appropriées dès qu’il s’estimera en face de l’une des situations indiquées aux alinéas 1 et 2 du second paragraphe. Par exemple, il aura pu apprendre qu’un enfant est exposé chez lui à des traitements inadéquats, voire à un danger réel. Une enquête pourra révéler la nécessité de retirer l’enfant de son foyer pour lui assurer les soins voulus. Le Conseil devra commencer alors par essayer de s’entendre avec les parents quant aux soins à fournir à l’enfant. S’il n’y réussit pas, il lui faudra demander au tribunal administratif départemental de rendre en vertu de la loi une ordonnance de prise en charge, ce qui lui permettra de décider de la manière dont il y a lieu de s’occuper de l’enfant." C. Organisation et fonctionnement de l’assistance à l’enfance La Commission de protection de l’enfance était habilitée à exercer des fonctions et adopter des décisions en matière de protection de l’enfance dans le cadre d’une commune (articles 1 et 2 de la loi de 1960). Ce faisant, elle devait accorder une attention particulière aux mineurs courant le risque d’un mauvais développement en raison de leur santé physique et mentale, de la situation du foyer et de la famille ou d’autres circonstances (article 3). Y siégeaient de simples citoyens assistés de travailleurs sociaux. Depuis l’entrée en vigueur de la législation de 1980 sur les services sociaux, les conseils sociaux ont assumé les fonctions des commissions de protection de l’enfance; ils ont la même composition, mais leur compétence s’étend à la protection sociale en général. Les tâches du conseil social peuvent, comme à Göteborg, être accomplies par deux ou plusieurs conseils sociaux de district responsables chacun d’une zone déterminée. Dans le domaine de la protection de l’enfance, un conseil de district a des pouvoirs et devoirs identiques à ceux d’un conseil social. Comme autrefois les commissions de protection de l’enfance, les conseils sociaux opèrent sous la surveillance et le contrôle de la préfecture et de la Direction nationale de la santé et des affaires sociales (socialstyrelsen). D. Décisions en matière d’assistance Les commissions de protection de l’enfance sollicitaient et recevaient des renseignements sur les mauvais traitements, ou les conditions de vie peu satisfaisantes, que subissaient des enfants, par l’intermédiaire de divers fonctionnaires ayant avec ceux-ci des contacts fréquents, par exemple les travailleurs sociaux, les médecins, les infirmiers et les enseignants. Les particuliers pouvaient aussi leur en fournir. Dès réception de pareilles informations, une commission devait entamer sans retard une enquête approfondie comportant des entretiens, des examens médicaux et des visites au domicile de l’enfant. Si la situation de l’enfant lui paraissait correspondre à celle que vise l’article 25 de la loi de 1960 (paragraphe 35 ci-dessus), la Commission devait tenter d’y remédier par des mesures préventives (förebyggande åtgärder) avant de recourir à la prise en charge. Il pouvait s’agir d’un ou plusieurs des moyens suivants: conseils, aide matérielle, réprimande ou avertissement, ordonnances relatives aux conditions de vie de l’enfant ou surveillance (article 26). Quand de telles mesures se révélaient insuffisantes, ou lui semblaient vouées à l’échec, la Commission devait ordonner la prise en charge de l’enfant par l’autorité (article 29). Toutefois, il fallait prendre en charge un enfant à titre temporaire pour enquête, sans nécessité de mesures préventives préalables, s’il existait un motif probable d’intervenir en vertu de l’article 25 et si, à défaut, sa situation risquait de se dégrader. Pareille décision valait pour quatre semaines au maximum (article 30). Dans les cas d’urgence empêchant d’attendre que la Commission eût adopté une décision en application des articles 29 ou 30, son président pouvait, d’après l’article 11 de la loi de 1960, arrêter seul une mesure provisoire. Il devait alors convoquer la Commission dans les dix jours afin qu’elle se prononçât. L’article 24 subordonnait à d’autres conditions procédurales la prise en charge d’un enfant sur la base des articles 29 ou 30. En particulier, il obligeait à signifier sans retard la décision aux parents. S’ils s’y opposaient, la question devait être portée devant le tribunal administratif départemental dans les dix jours. Selon la loi de 1980, si un conseil social estime qu’une mesure s’impose il doit saisir ledit tribunal qui statue; contrairement aux commissions de protection de l’enfance à l’époque de la loi de 1960, il ne peut trancher lui-même. En cas d’urgence, le Conseil ou son président peuvent toutefois prescrire à titre provisoire la prise en charge d’un enfant, sauf à en référer dans le délai d’une semaine au tribunal administratif départemental qui se prononce sous une semaine. E. Application des décisions en matière d’assistance Une fois adoptée une décision de prise en charge, le Conseil social (autrefois la Commission de protection de l’enfance) doit l’exécuter en veillant aux aspects pratiques de questions telles que le lieu de placement de l’enfant et le genre d’éducation et de traitement à lui donner (articles 35-36 et 38-41 de la loi de 1960, articles 11-16 de celle de 1980). Conditions quant au placement Aux termes de la loi de 1960, l’enfant pris en charge avait droit à des soins et à une éducation satisfaisants, de même qu’à l’instruction nécessaire eu égard à ses capacités personnelles et à d’autres circonstances. Il fallait de préférence le placer dans un foyer d’accueil ou, à défaut, dans un établissement approprié, par exemple un home d’enfants ou une école (articles 35 et 36). La Commission de protection de l’enfance devait contrôler les soins dispensés à l’intéressé, ainsi que son développement, et décider au besoin de ses affaires personnelles (articles 39 et 41). Pendant l’élaboration de la loi de 1980, la commission parlementaire permanente des questions sociales souligna que des contacts réguliers entre parents et enfant étaient indispensables au développement de ce dernier; ils revêtaient aussi une importance capitale pour que le retour au foyer d’origine pût s’opérer sans heurts. De fait, l’article 11 de la loi de 1980 prévoit la possibilité d’autoriser l’intéressé à y vivre à nouveau, passé un certain temps, si cela paraît constituer le meilleur moyen d’atteindre les buts de la décision de prise en charge. Réglementation du droit de visite des parents D’après la loi de 1960, la Commission de protection de l’enfance pouvait réglementer le droit de visite d’un parent dans la mesure où elle le jugeait raisonnable compte tenu des objectifs de la décision de prise en charge, de l’éducation de l’enfant ou d’autres circonstances (article 41). La loi de 1980 habilite le Conseil social à imposer des restrictions aux visites pour autant que les buts de la décision de prise en charge l’exigent (article 16). Contrairement à celle de 1960, elle précise que l’autorité compétente peut refuser de dévoiler le lieu de résidence de l’enfant. F. Réexamen et mainlevée de la prise en charge Selon l’article 42 § 1 de la loi de 1960, la prise en charge d’office devait cesser aussitôt réalisés les objectifs de la décision qui l’avait prononcée. La clause correspondante de la loi de 1980 oblige le Conseil social à mettre un terme à la prise en charge lorsque celle-ci n’est plus nécessaire (article 5, premier paragraphe). Les travaux préparatoires y relatifs, reproduits dans le projet de loi (1979/80:1, p. 587), indiquent ce qui suit (traduction): "Partant, une importante tâche du Conseil consiste à veiller à ce que (...) la prise en charge ne dure pas au-delà du nécessaire. Il doit la lever dès qu’il n’a plus besoin d’exercer les prérogatives dont la loi l’investit. Certes, la responsabilité lui incombant en matière de garde lui commande notamment de surveiller de près les soins assurés en son nom par des tiers. Toutefois, compte tenu entre autres de la manière dont la loi de 1960 s’applique aujourd’hui, on a jugé important d’énoncer clairement dans la [nouvelle] loi les fonctions de contrôle du Conseil." D’après l’article 41 de l’ordonnance de 1981 sur les services sociaux (socialtjänstförordningen 1981:750), le Conseil social doit réexaminer périodiquement, et au moins une fois l’an, une décision de prise en charge fondée sur une situation peu satisfaisante régnant au foyer de l’enfant. Avant comme depuis l’entrée en vigueur de la loi de 1980, un parent peut, en vertu des principes généraux du droit administratif suédois, réclamer à tout moment la mainlevée de la prise en charge d’office de son enfant. G. Recours Contre les décisions du tribunal administratif départemental ordonnant la prise en charge d’un enfant, un recours s’ouvrait (à l’époque de la loi de 1960) et s’ouvre (sous l’empire de celle de 1980) devant la cour administrative d’appel puis, moyennant autorisation, devant la Cour administrative suprême. Un parent pouvait et peut aussi attaquer devant le tribunal administratif départemental (puis la cour administrative d’appel et, moyennant autorisation, la Cour administrative suprême): a) le refus d’une commission de protection de l’enfance ou d’un conseil social de lever la prise en charge prescrite en application de la loi de 1960 ou de 1980 (paragraphe 49 in fine ci-dessus); b) les décisions adoptées par une commission de protection de l’enfance sur la base de la loi de 1960, notamment quant au droit de visite des parents; c) les décisions arrêtées par un conseil social, en vertu de la loi de 1980, pour fixer le lieu où commencera la prise en charge, modifier une décision de placement, réglementer le droit de visite des parents et ne pas leur indiquer où réside l’enfant (article 20 de la loi de 1980). Selon le Gouvernement, à la différence de la loi de 1980 celle de 1960 ne permettait pas à un parent de recourir devant le tribunal administratif départemental contre une décision de placement comme telle; cependant, les requérants auraient pu à tout moment faire valoir devant la préfecture (paragraphe 41 ci-dessus) - puis au besoin la cour administrative d’appel et la Cour administrative suprême - que leurs enfants, à cause de leur placement et en dépit des exigences de la loi de 1960, ne recevaient pas des soins et une éducation convenables. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Olsson ont saisi la Commission le 10 juin 1983 (requête no 10465/83). Ils alléguaient que la décision de prise en charge et le placement ultérieur des enfants violaient l’article 8 (art. 8) de la Convention. Ils invoquaient aussi les articles 3, 6, 13 et 14 (art. 3, art. 6, art. 13, art. 14), ainsi que l’article 2 du Protocole no 1 (P1-2). Ils prétendaient en outre avoir subi, au mépris de l’article 25 (art. 25) de la Convention, des entraves dans l’exercice de leur droit de recours à la Commission. Le 15 mai 1985, celle-ci a retenu la requête mais décidé qu’aucune mesure ne s’imposait quant au grief relatif à l’article 25 (art. 25). Dans son rapport du 2 décembre 1986 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion a) que les décisions concernant la prise en charge des enfants des requérants, combinées avec le placement des premiers dans des foyers d’accueil distincts éloignés du domicile des seconds, ont enfreint l’article 8 (art. 8) de la Convention (huit voix contre cinq); b) qu’il n’y a pas eu violation des articles 3, 6, 13 ou 14 (art. 3, art. 6, art. 13, art. 14) de la Convention, ni de l’article 2 du Protocole no 1 (P1-2) (unanimité). Le texte intégral de l’avis de la Commission et de l’opinion en partie dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 21 septembre 1987, le Gouvernement a invité la Cour à dire "qu’il n’y a eu en l’espèce aucune violation de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen suisse né en 1912 et domicilié à Tartegnin (canton de Vaud), M. Pierre Schenk est administrateur de sociétés. En 1947, il épousa Josette P., née en 1927. De graves difficultés surgirent entre eux en 1972 et ils cessèrent la vie commune l’année suivante. En 1974, le requérant demanda le divorce, qui fut finalement prononcé le 10 décembre 1981 après accord entre les parties. A. Genèse de l’affaire Le 28 février 1981, M. Schenk se rendit dans une agence de publicité d’Annemasse (Haute-Savoie) afin de passer sous le faux nom de Pierre Rochat, domicilié à Lyon, une annonce ainsi rédigée: "Cherche ancien légionnaire ou même genre pour missions occasionnelles, offre avec numéro tél. adresse et curriculum vitae à RTZ 81 poste restante CH Bâle 2." A la suite de cette annonce, il choisit un certain M. Pauty qu’il rencontra à plusieurs reprises et qu’il rémunéra pour diverses missions, dont une à Haïti en mai 1981. Au début de juin 1981, le requérant fut hospitalisé pour une opération. Arrivé en Suisse le 12 juin, M. Pauty téléphona à Mme Schenk le 18. Il se rendit le lendemain auprès d’elle et se déclara chargé par le mari de la supprimer. Après avoir envisagé la possibilité de tuer M. Schenk ou de laisser croire à la disparition de sa femme pour permettre à M. Pauty de toucher une prime, tous deux allèrent chez le juge d’instruction du canton de Vaud le 20 juin 1981. B. La procédure d’enquête et d’instruction Le 20 juin 1981, le juge d’instruction procéda à l’audition de M. Pauty puis chargea les inspecteurs Rochat et Messerli, de la police de sûreté vaudoise, de l’interroger de manière détaillée, ce qu’ils firent le jour même. Quant à Mme Schenk, il l’entendit "verbalement", c’est-à-dire sans établir un procès-verbal de ses déclarations. Le lendemain, la police vaudoise recueillit la déposition de M. Pauty, pour la seconde fois, ainsi que celle de Mme Schenk. Le 22 juin, le magistrat instructeur décerna une commission rogatoire en France. Il demandait que, dans le cadre d’une enquête engagée contre inconnu pour tentative d’assassinat, on se livrât à certaines recherches et on autorisât l’inspecteur Messerli à assister aux opérations. Il notait en particulier ceci: "(...) il serait nécessaire de connaître les activités de M. Pauty de mars à juin 1981 à Paris, de prendre des renseignements sur sa personnalité. Il serait également nécessaire de savoir s’il est vrai que M. Pauty a vu le nommé Schenk, qu’il aurait rencontré au Grand Hôtel, et avec lequel il serait allé acheter un billet d’avion à destination de Haïti." Après avoir dressé un procès-verbal d’ouverture de la commission rogatoire le 23 juin, la brigade criminelle de la direction de la police judiciaire de Paris entendit M. Pauty le lendemain, en présence de l’inspecteur Messerli. M. Pauty déclara notamment: "RTZ 81, soit Monsieur SCHENK Pierre, va certainement se manifester prochainement pour me demander des détails au sujet de l’exécution de son épouse Josette SCHENK. Il devrait me faire parvenir ou m’apporter l’argent promis soit 40.000 $. Vous m’avez convoqué dans vos locaux et je vous demande de m’orienter au sujet de mon comportement à avoir lorsque M. SCHENK me contactera." S’attendant à un appel du requérant, M. Pauty installa au domicile de sa mère à Houilles, près de Paris, un enregistreur à cassettes relié par un micro à l’écouteur secondaire du poste téléphonique. D’une cabine sise à Saint-Loup (Suisse), M. Schenk téléphona dans la matinée du 26 juin aux environs de 9 h 30 à M. Pauty qui enregistra la conversation. Vers 10 h, M. Pauty appela la brigade criminelle où on lui passa M. Messerli, qui prévoyait de regagner Lausanne le même jour par le train de midi; il lui fit entendre l’enregistrement et lui demanda s’il souhaitait recevoir la cassette. M. Messerli accepta la proposition et en informa ses collègues français présents. A peu près une heure plus tard, M. Pauty arriva dans les bureaux de la brigade criminelle et remit la cassette à M. Messerli. Ce dernier, qui avait téléphoné la veille au juge d’instruction du canton de Vaud, la rapporta dans la soirée à Lausanne. Le 30, il fit écouter l’enregistrement à Mme Schenk pour identification de la voix de son mari. Le même jour, le juge décerna un mandat d’amener contre le requérant. L’arrestation eut lieu le lendemain, soit le 1er juillet. Chargés par le juge de confronter M. Pauty et M. Schenk, les inspecteurs Rochat et Messerli passèrent l’enregistrement en présence de celui-ci. En outre, le juge se rendit dans les locaux de la police. Il entendit et inculpa le requérant; il s’entretint aussi avec l’avocat, qui avait été autorisé à voir son client. Le 2 juillet, les inspecteurs informèrent le juge des résultats de la confrontation entre M. Pauty et M. Schenk; ils lui remirent la cassette, qui fut versée au dossier, sous enveloppe, et y demeura sauf pour la réalisation d’une expertise. Le juge ordonna l’élargissement du requérant. Il fit établir une retranscription de la cassette, qu’il inclut dans le dossier le 12 juillet. A son intention, les inspecteurs dressèrent le 6 août 1981 un rapport circonstancié de l’affaire. Le 14 août, le dossier fut communiqué à l’avocat du requérant. Celui-ci le restitua le même jour. Le 11 septembre, il demanda une enquête approfondie sur M. Pauty ainsi qu’une expertise de la cassette car l’enregistrement ne lui paraissait pas restituer fidèlement et complètement la conversation téléphonique. Le 23 septembre, le juge fit livrer la cassette à S.K., directeur d’une fabrique d’enregistreurs, qui s’acquitta de l’expertise avec J.-C. S., l’un de ses collaborateurs. L’expert disposa aussi, à sa demande, de l’appareil utilisé en l’espèce, lequel fut placé sous séquestre à Houilles, le 1er octobre, par la police française en présence de M. Messerli. Il rendit la cassette au juge le 29 octobre et communiqua son rapport le 19 novembre. Le 3 février 1982, le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu ainsi libellée: "(...) considérant (...) qu’un certain nombre d’indices viennent étayer, à première vue, les accusations de Richard Pauty, qu’ainsi, il est étrange que Pierre Schenk ait soigneusement caché sa véritable identité à Richard Pauty et cherché à brouiller toutes les pistes menant à lui (recherche d’un légionnaire dans un journal français, annonce sous un faux nom, usage d’une case postale à Bâle, téléphones unilatéraux à Pauty, etc.), (...) que l’enregistrement de la conversation téléphonique du 26 juin 1981 entre Pierre Schenk et Richard Pauty n’est certainement ni tronquée, ni altérée, qu’elle paraît confirmer les accusations de Richard Pauty, qu’une audition très attentive laisse toutefois subsister un doute quant à une parfaite compréhension entre les interlocuteurs, Pierre Schenk donnant notamment l’impression de ne pas saisir très bien ce que sous-entend Richard Pauty, que la personnalité de Richard Pauty, ses antécédents, les explications et propos tenus à Josette Schenk sont tels qu’on ne peut accorder une confiance totale à ses explications, (...) qu’en résumé les accusations de Richard Pauty et les indices recueillis paraissent insuffisants pour renvoyer Pierre Schenk en tribunal; (...)." Le ministère public ayant interjeté appel le 23 février, M. Schenk répondit au recours par un mémoire du 8 mars: ce n’était pas lui le personnage principal mais M. Pauty qui, selon les renseignements obtenus, "a[vait] été légionnaire, maître d’hôtel dans la marine militaire, cascadeur, agent de protection, indicateur de la police italienne, employé de cirque, chômeur"; le parquet avait raison de recommander l’audition de l’enregistrement qui n’accablait nullement le requérant; M. Pauty n’avait été le jour de l’enregistrement qu’un agent provocateur de la police. Le 21 avril 1982, le tribunal d’accusation du Tribunal cantonal vaudois renvoya M. Schenk devant le tribunal criminel du district de Rolle pour tentative d’instigation à assassinat. Le 10 juin, il plaça l’intéressé en détention préventive, mais celui-ci exerça un recours et recouvra sa liberté le 22. C. La procédure devant le tribunal criminel du district de Rolle Les audiences du 9 au 13 août 1982 Les débats en première instance durèrent du 9 au 13 août 1982 devant le tribunal criminel du district de Rolle, composé d’un magistrat de carrière, qui présidait, de deux juges non professionnels et de six jurés. L’accusé se trouvait assisté par son avocat, Me Luthy. D’entrée de cause, ce dernier déposa des conclusions incidentes tendant à ce que l’enregistrement litigieux fût retiré du dossier. Le tribunal les rejeta le jour même par les motifs suivants: "(...) considérant que le dossier contient un enregistrement dont l’accusé demande le retranchement, qu’il a été fait par Richard Pauty, l’homme de main mandaté par l’accusé, que cet homme de main a déclaré l’avoir fait dans les circonstances suivantes: ‘J’ai mis la cassette dans l’enregistreur que je possédais (...). J’ai relié l’appareil au moyen d’un micro d’origine sur l’écouteur secondaire du poste téléphonique situé dans l’appartement de ma mère. Pour fixer le micro sur l’écouteur, j’ai utilisé du scotch d’emballage, de couleur marron;’ que cet enregistrement n’a pas été autorisé ou ordonné par l’autorité compétente, qu’à ce titre, en enregistrant Pierre Schenk à son insu, Pauty pourrait avoir commis l’infraction réprimée par l’art. 179 ter CP [code pénal suisse]; considérant que ce n’est toutefois pas un motif suffisant d’ordonner le retranchement de cet enregistrement du dossier, qu’en effet, l’art. 179 ter CP n’est applicable que s’il y a une plainte, que Pierre Schenk n’a pas déposée, qu’ainsi, l’homme de main ne serait de toute façon plus punissable; considérant que de toute manière le contenu de l’enregistrement aurait pu figurer au dossier, soit parce que le Juge d’instruction aurait mis sous surveillance l’appareil de Pauty, soit simplement parce qu’il suffirait d’entendre Pauty comme témoin sur le contenu de l’enregistrement, qu’entrer dans les vues de l’accusé, reviendrait à supprimer une bonne partie des preuves des dossiers pénaux, qu’ainsi, l’arme à feu utilisée sans permis d’achat d’arme devrait être retranchée du dossier, que c’est pour ce motif que la loi de procédure donne aux juges la possibilité d’apprécier les preuves, leur portée et leur valeur probante, qu’on ne se trouve pas ici dans le cas d’une preuve illégale au sens de la Convention Européenne; considérant d’ailleurs qu’il est intéressant de voir que l’accusé paraît avoir varié au cours de l’enquête, qu’en effet, en page 5 de son mémoire au Tribunal d’accusation, on lit ceci sous la plume du conseil de l’accusé: ‘Le Ministère public recommande l’audition de la conversation téléphonique enregistrée le 26 juin 1981. Il a raison, et on ne peut que s’associer à cette recommandation. Il considère que cet enregistrement est accablant. Il se trompe totalement sur ce point’; qu’à l’époque, l’accusé raisonnait juste, laissant au Tribunal le soin d’apprécier les preuves figurant au dossier." Toujours le 9 août 1982, le président fit procéder à l’audition de l’enregistrement. Elle eut lieu dans la salle du tribunal, en présence des membres de celui-ci, des parties ainsi que du public et au moyen d’un lecteur de cassette avec deux haut-parleurs, installés par une maison spécialisée. Le tribunal entendit le même jour tous les témoins à l’exception de H.R. qui ne comparut pas: trois d’entre eux avaient été cités d’office (M. Pauty, Mme Schenk et H.R.), trois autres à la demande de la défense (R.F., J.M.-Z. et G.G.). L’inspecteur Messerli ne déposa pas car on ne l’avait pas convoqué, d’office ou sur réquisition du ministère public ou de la défense. Le tribunal ouït en outre, à la place de l’expert S.K., son collaborateur J.-C. S. les 9 et 10 août. Les dires des intéressés ne donnèrent pas lieu à l’établissement de procès-verbaux. Le président donna lecture de certaines pièces: l’arrêt de renvoi du tribunal d’accusation; tout ou partie des rapports de police et de renseignements; divers documents, produits par M. Schenk ou mentionnés tant par le procureur général que par la défense (article 341, premier alinéa, du code vaudois de procédure pénale); les déclarations faites au cours de l’enquête par H.R., absent, mais non celles des témoins présents (article 341, second alinéa). En vertu du code vaudois de procédure pénale, les juges et les jurés disposent du dossier dès l’ouverture des débats. Toutefois, les premiers peuvent exceptionnellement en avoir connaissance plus tôt (article 333), à la différence des seconds (article 386). Le jugement du 13 août 1982 Le tribunal criminel du district de Rolle statua le 13 août 1982. Il reconnut M. Schenk coupable de tentative d’instigation à un assassinat (article 24 par. 2 du code pénal), lui infligea dix ans de réclusion, la peine minimale prévue par la loi, et ordonna son arrestation immédiate. La partie "En fait" du jugement est ainsi rédigée: "Le 28 février 1981, Pierre Schenk s’est rendu à Annemasse dans une agence de publicité. Sous le faux nom de Pierre Rochat, domicilié à Lyon, il a fait passer dans trois journaux français, le Provençal, le Progrès de Lyon et France-Soir, le texte suivant: ‘Cherche ancien légionnaire ou même genre pour missions occasionnelles, offre avec numéro tél. adresse et curriculum vitae à RTZ 81 poste restante CH Bâle 2.’ L’employé de l’agence l’a avisé qu’il n’était pas certain que les journaux acceptent de passer une telle annonce. De fait, seul France-Soir l’a insérée. Pierre Schenk a versé Fr. 1.520,57 français à l’Agence. A la suite de cette insertion, il a reçu plusieurs offres dont il a retenu deux, soit celle d’un dénommé Richard Pauty, domicilié à Houilles près de Paris, et celle d’un prénommé Robert. Après avoir rencontré le nommé Robert, Schenk a écarté cette candidature. Il a retenu celle de Pauty, à qui il a donné rendez-vous, à deux reprises en tout cas, en mars-avril 1981, au Grand-Hôtel à Paris, soit dans un hôtel qui n’est pas celui où l’accusé descend habituellement. A ce sujet, il a exposé à l’audience qu’il ne voulait pas que Pauty sache où il était domicilié à Paris. Il s’est présenté comme membre d’une organisation très puissante, avec un siège en Allemagne. Il a affirmé à Pauty être le délégué de cette organisation pour la France. Il lui a dit qu’il serait surveillé durant ses missions. La première mission confiée à Richard Pauty a concerné un dénommé [H.R.]. Selon Richard Pauty, la mission consistait, moyennant promesse d’une rémunération de 40.000,- dollars, plus les frais, à tuer [H.R.]. Selon Pierre Schenk, Pauty devait casser la figure à [H.R.] ‘de telle façon qu’il s’en souvienne longtemps’; [H.R.] devait s’en sortir avec quelques coups de poing au visage et un oeil au beurre noir. L’accusé a précisé qu’il avait entrepris ces démarches ‘pour faire intimider [H.R.], ou plutôt le corriger’. Le Tribunal n’a pas réussi à se forger une conviction au sujet de la mission réellement confiée à Pauty. (...) (...) Ne voyant rien venir de concret, l’accusé a confié une autre mission à Pauty. Il explique s’être rendu compte que Pauty n’était pas l’homme de main qu’il souhaitait; Pauty lui avait dit avoir été mercenaire incorporé à la CSTM (Compagnie spéciale des troupes métropolitaines) puis ‘videur’, et trafiquant de voitures avec l’Italie. Pierre Schenk a expliqué qu’il avait trouvé Pauty éveillé et malin, de sorte qu’il s’était dit pouvoir lui confier une seconde mission consistant à obtenir des renseignements sur la personne de Josette Schenk. Selon la version de l’accusé, Pauty devait le renseigner sur trois points: - déterminer quel montant Mme Schenk avait touché dans la succession de son père; - savoir si elle se faisait construire une maison en Haïti; - savoir si elle avait dans ce pays des ressources, notamment en raison d’une liaison qu’il ne connaissait pas. Une quatrième chose l’intéressait aussi, soit savoir si son épouse avait eu des contacts avec les milieux des stupéfiants. Dans la version de Pauty, il s’agissait d’aller en Haïti, d’exécuter Mme Schenk, moyennant paiement de 40.000,- dollars, en égarant les pistes en simulant un viol, un cambriolage, ou un accident. Il est constant qu’à fin avril 1981, Schenk s’est rendu avec Pauty dans une agence de voyages à Paris. Il lui a payé par Fr. 8.667,- français, un forfait touristique de quinze jours en Haïti et lui a remis en outre Fr. 4.000,- suisses, soit environ Fr. 10.000,- français, pour ses frais. Pauty est parti pour Haïti le 27 avril 1981. Il s’est installé à Port-au-Prince, endroit où Mme Schenk séjourne les trois-quarts de l’année. Pierre Schenk avait remis à Pauty une photo de sa femme, pour qu’il puisse l’identifier. Josette Schenk a quitté Port-au-Prince le 5 mai 1981, et elle est rentrée en Suisse. Constatant que Josette Schenk n’était pas en Haïti, Pauty a fini son séjour et il est rentré en France le 11 mai, sans d’ailleurs avoir obtenu un quelconque renseignement, si ce n’est un seul élément, inexact, savoir que le mari de Josette Schenk était décédé. De retour en France, Pauty a été contacté par Schenk à une date qui n’a pas été établie exactement, mais qui doit être le 14 (selon Schenk), le 15 ou 16 mai (selon Pauty). Schenk prétend avoir appelé Pauty depuis la France. C’est possible, encore que ce ne soit pas établi. Mais il n’est pas établi non plus qu’il l’ait appelé depuis la Suisse. Lors de ce téléphone, Schenk a appris que Pauty revenait bredouille de Haïti. Il l’a chargé alors de venir continuer sa mission en Suisse. Selon Pauty, il devait tuer Josette Schenk dans la semaine du 12 au 18 juin. Selon Schenk, Pauty ne devait justement pas venir cette semaine en Suisse, parce que c’était la date où la fille de dame Schenk devait accoucher. Depuis ce moment, il ne semble pas y avoir eu de contact direct entre Schenk et Pauty jusqu’au 26 juin 1981, date à laquelle Schenk a téléphoné à Pauty. On y reviendra ci-dessous. Le 24 mai 1981, Pauty a envoyé un télégramme à RTZ 81, télégramme dont la teneur est la suivante: ‘Besoin contacts’. A l’époque, Pauty ignorait totalement qui se cachait sous l’identité de RTZ 81. Quelques jours après, soit le 1er juin 1981, alors qu’il entrait à l’hôpital de St-Loup pour une opération et qu’il avait fait croire à Pauty qu’il serait absent pour deux mois en Extrême-Orient, Schenk a envoyé Fr. 3.500,- suisses à Pauty dans une enveloppe expédiée d’Eclépens à l’adresse RD poste restante, 1003 Lausanne-Gare. L’accusé a été opéré au début du mois de juin. Le 12 juin, Richard Pauty est venu en Suisse et s’est mis en quête de Mme Schenk. Il a pris contact avec elle par téléphone le 18 juin au soir, après avoir pris la décision, selon ses dires, de renoncer à ce qu’il dit avoir été sa mission, soit de tuer Mme Schenk soit parce qu’il devait attendre le soi-disant retour de RTZ 81 dans deux mois, pour avoir encore de l’argent, soit parce qu’il se serait rendu compte que quelque chose ne jouait pas dans les explications que lui avait données RTZ 81. Le 19 juin, Pauty a rencontré Mme Schenk. Il lui a expliqué qu’il était chargé de la supprimer. Mme Schenk, effrayée, a demandé à Pauty sur l’ordre de qui, et après quelques explications, elle dit avoir réalisé que l’ordre émanait de son mari. Pauty a alors proposé à Mme Schenk de disparaître quelque temps pour qu’il puisse toucher la prime. Il lui a suggéré, à défaut, de supprimer l’accusé. Finalement Pauty et Mme Schenk sont allés raconter leur histoire à la Police et, le 20 juin 1981, l’enquête démarrait. Pauty a été entendu le 20 juin en Suisse et le 24 juin par la Police française. Le 26 juin 1981, ayant reçu le télégramme du 24 mai, Pierre Schenk a rappelé Pauty depuis l’hôpital de St-Loup. Pauty, qui savait que RTZ 81, soit Pierre Schenk, l’appellerait un jour ou l’autre, a installé une cassette dans l’enregistreur qu’il possédait depuis une année environ, appartenant à son frère. Il a relié l’appareil au moyen d’un micro d’origine directement sur l’écouteur secondaire du poste téléphonique situé dans l’appartement de sa mère. Il a fixé le micro sur l’écouteur au moyen de scotch. Schenk a appelé depuis une cabine téléphonique, quand bien même il avait le téléphone dans sa chambre d’hôpital. Il dit avoir utilisé sept pièces de Fr. 1,- pour cette communication, mais ce fait n’a pas été établi. A l’écoute de la bande enregistrée, on constate qu’une personne inconnue répond au téléphone de Schenk et lui passe Pauty. Schenk demande à Pauty ce qu’il devient et le dialogue suivant s’engage: R.P. Voilà. Le tra..... P.S. Je me demandais ce que vous fa...., ce que vous deveniez. R.P. Oui, non, parce qu’il y a eu des petits problèmes et je n’ai pas, je n’ai pu faire le travail que le 23. P.S. Le 23? R.P. Oui, le lundi 23. Lun..., lun..., je crois que c’était le 23 là. P.S. Mais où est-ce que ça s’est passé? R.P. Ben, j’ai été chercher des amis en Italie parce que on n’arrivait pas à faire le, parce que comme vous m’aviez dit il y avait comment, il y avait toujours des voisins, etc ... J’y suis allé deux fois et deux fois on m’a vu alors, j’ai attendu qu’elle parte pour aller à la clinique et on a fait un accrochage de voiture; pour faire le constat, et après bon ben ça s’est passé comme ça. Mais enfin je ne sais pas parce que alors le corps, on a pris la voiture et on l’a et je l’ai porté du côté de Montreux. Je ne sais pas si ça a encore été découvert parce que je ne l’ai pas vu dans la presse. P.S. Mais qu’est-ce que vous allez faire maintenant? R.P. Comment? P.S. Qu’est-ce qui va se passer maintenant? R.P. Ben maintenant je fais le, celui de Paris non? P.S. Hein? R.P. Je fais Paris. P.S. Non, mais j’entends au point de vue de du travail? R.P. Eh bien je ne sais pas moi. Enfin, y ... y ... Le travail a été fait c’est tout. P.S. Le travail a été fait et on n’a pas été averti, c’est drôle. R.P. Ben moi je n’ai pas vu dans les journaux, non plus encore, enfin c’est quand même, comment je dis, c’est je l’ai caché je ne l’ai pas laissé comme ça... P.S. Bon, écoutez, c’est pas compliqué, moi je vous rappelle dans, dans 8 jours. R.P. Dans 8 jours? P.S. Vous êtes par là dans 8 jours? R.P. Oui, je serai à Paris, oui. P.S. Oui oui je je, je vous suis hein? R.P. D’accord. P.S. Bon. Parce que moi y on ne sait, on n’a rien appris. Le téléphone se termine par des salutations. Pauty l’a reçu aux alentours de 09 heures 30. A 10 heures il appelait la Brigade criminelle de Paris et vers midi, après avoir fait le trajet de Houilles à Paris, il apportait la cassette à l’inspecteur chargé de l’enquête. Cette cassette a fait l’objet d’un expertise, d’où il ressort que: 1) Le ruban de la cassette n’a pas été ‘monté’, c’est-à-dire édité par le moyen traditionnel de coupures et collages. 2) Les caractéristiques d’enregistrement correspondent exactement à l’enregistreur. 3) Il n’y a pas sur le ruban des restes utilisables d’autres enregistrements. 4) Le bruit de fond de l’enregistrement est très élevé, ce qui est normal, vu le genre de matériel utilisé et la technique d’enregistrement. Mais il en résulte qu’il n’est pas possible d’affirmer qu’il ne s’agit pas d’une copie. L’expert a précisé qu’il était imaginable que la conversation ait d’abord été enregistrée, puis le ruban ait été ‘monté’, c’est-à-dire que des passages aient été éliminés ou que l’ordre des mots ait été modifié, ou que des passages provenant d’autres enregistrements aient été ajoutés. Finalement, le ruban ainsi obtenu aurait pu être copié sur le magnétophone examiné. L’expert a encore précisé n’avoir ‘trouvé aucun élément’ qui permette de penser qu’il s’agisse d’une telle copie; que cela ne voulait pas dire que cela n’en soit pas une, seulement qu’un montage aurait supposé un opérateur très compétent, disposant d’un matériel perfectionné, et d’un certain temps. A l’audience, l’expert a encore précisé sa pensée de la manière suivante: Il expose qu’il a détecté quatre points de discontinuité; qu’il n’a pas pu prouver de coupe; qu’il est quasi sûr qu’un montage n’a pas pu être fait, un tel montage aurait nécessité, même avec un équipement prêt à travailler, une journée de travail. L’expert précise encore que, dans l’hypothèse la plus favorable, tant en ce qui concerne le matériel à disposition que l’endroit où techniquement un passage peut être simplement éliminé, la suppression d’un élément nécessiterait une heure à une heure et demie de travail. Il précise qu’il n’a pas détecté la suppression d’un passage. Entendu au sujet de cet enregistrement, l’accusé a admis que c’était sa voix. Il a déclaré qu’il ne se souvenait pas qu’on ait parlé d’un corps et qu’il avait l’impression que l’enregistrement avait été raccourci. Le Tribunal, fondé sur les constatations de l’expert, admet que l’enregistrement qui figure au dossier est la réplique fidèle de l’entretien de l’accusé et de Pauty le 26 juin 1981. Il estime, compte tenu de l’absence d’indices d’un quelconque maquillage, et du peu de temps dont a disposé Pauty entre l’appel téléphonique et la remise de la cassette à la Police, qu’un montage de la bande est exclu. Par ailleurs, compte tenu du fait que l’enregistrement contient les salutations initiales et finales, la simple suppression du début ou de la fin de l’enregistrement sans montage, n’entre pas en ligne de compte. Les 23 et 26 juin 1981, Pauty a envoyé deux télégrammes à RTZ 81, disant, le premier: Lausanne OK. Paris OK avant 30. Besoin US d. pour cigarettes, et le second: contrat effectué. Vérifier Lausanne-Montreux, pas possible preuves. Attends moitié US d. contrat avant HR Paris dispositions. Schenk ne semble pas avoir reçu ces télégrammes. Recherchant les circonstances générales de la cause, le Tribunal a constaté que les époux Schenk, séparés par une différence d’âge d’une quinzaine d’années, se sont mariés en 1947. Jusqu’en 1969, il n’est pas apparu que ce ménage ait connu des difficultés notables. Il est cependant constant que dame Schenk s’est toujours sentie très seule. En mai 1972, alors que dame Schenk était à la clinique, l’expert [A.] est venu lui parler d’un projet de contrat de mariage et de pacte successoral que Pierre Schenk avait fait préparer. Ce projet, qui prévoyait la séparation de biens, stipulait pour l’essentiel renonciation par Josette Schenk à tous ses droits dans la succession de son mari à la condition qu’elle reçoive au décès de celui-ci l’usufruit, sa vie durant, d’un dossier de titres dont la valeur réelle devait être d’un million et demi au moins, et le revenu annuel de Fr. 60.000,- au moins. Il était en outre prévu que si l’union conjugale venait à être dissoute pour toute autre cause que le décès, Josette Schenk aurait droit à l’usufruit, sa vie durant, d’un dossier de titres d’une valeur réelle d’un million et demi, indexée. Josette Schenk a refusé de signer cette convention. En 1973, elle a requis des mesures protectrices. La vie commune a pris fin à la fin de 1973. Pierre Schenk a ouvert action en divorce en 1974. Les conjoints ne se sont revus qu’aux audiences du procès, qui a été particulièrement acharné durant plus de sept ans. Au début de février 1981, Josette Schenk a changé d’avocat. Ce dernier semblant favorable à une solution définitive dans le cadre d’un divorce, le conseil de l’accusé en a informé celui-ci et lui a dit ce qu’il entendait faire pour obliger ce nouveau conseil à aborder le problème avec Mme Schenk et pour faciliter la préparation de celle-ci à une révision de sa position actuelle. Le 8 avril 1981, le conseil de l’accusé lui écrivait pour lui dire qu’il espérait pouvoir aboutir prochainement à la fixation d’une date pour l’audience de jugement. En fait, celle-ci a été tenue le 10 décembre 1981, et le jugement de divorce, exécutoire depuis le 2 février 1982, a ratifié une convention accordant notamment à l’épouse une somme d’un million et demi à titre de liquidation du régime matrimonial et une rente viagère mensuelle indexée de Fr. 4.500,-. L’instruction a permis d’établir que dès le début de la procédure, Pierre Schenk avait des doutes sur la fidélité de son épouse, et soupçonnait particulièrement qu’elle avait eu des relations avant l’ouverture de la procédure et au début de celle-ci, avec un certain [E.]. (...) L’audience de jugement n’a pas apporté d’autres éléments que ceux qui sont rappelés ci-dessus. L’accusé a persisté dans sa version selon laquelle Pauty était chargé d’obtenir des renseignements, et confirmé que dans son idée Pauty pouvait se procurer les renseignements de la manière qui lui convenait, par exemple en se présentant chez dame Schenk pour un motif quelconque et en obtenant, ‘soit par la voie sentimentale, soit par la voie amicale’, les renseignements demandés. Dans une audition du 1er juillet 1981, l’accusé a précisé qu’il désirait obtenir de Pauty les renseignements requis dans les trente jours si possible. A l’audience, il a déclaré que ce n’était pas le cas, qu’il avait dit à Pauty qu’il serait absent pour un certain temps, - de sorte que celui-ci avait tout le temps - et qu’il avait donné comme indication à Pauty qu’il ne fallait pas venir à Lausanne la semaine du 12 au 18 juin parce que la fille de dame Schenk allait accoucher; qu’enfin il était convenu que Pauty serait payé au soi-disant retour de Schenk de l’étranger sur la base des renseignements qu’il fournirait. De son côté Pauty a confirmé que sa mission en Suisse était de tuer dame Schenk et que voyant qu’il ne toucherait plus d’argent de sitôt de RTZ 81, il avait décidé de changer de tactique. La personnalité de Richard Pauty n’est pas particulièrement facile à cerner. Né en 1947, il a exercé différents métiers relativement mal définis, il a travaillé comme cascadeur, il a eu différents ennuis avec les autorités civiles et militaires françaises et avec les autorités italiennes. Il est domicilié légalement en Italie, mais en fait à Houilles. Il semble avoir parfois collaboré avec la Police, en particulier italienne, pour des questions de drogue. Fondé sur les éléments qui précèdent, le Tribunal, dans sa majorité, a acquis la conviction que Pierre Schenk a donné à Richard Pauty la mission de supprimer Josette Schenk. Le Tribunal s’est fondé en partie sur l’enregistrement de la conversation téléphonique du 26 juin 1981. Lorsque Pauty dit qu’il n’a pu faire le travail que le 23, l’accusé lui demande à deux reprises où cela s’est passé, ce qui est une question ridicule s’il s’agissait d’obtenir des renseignements. Lorsqu’au terme d’une longue phrase débitée tout d’un trait et manquant singulièrement de ponctuation où il a été question d’un corps pris dans la voiture, porté du côté de Montreux et qui n’a pas été découvert parce que l’on ne l’a pas vu dans la presse, l’accusé ne répond pas ‘qu’est-ce que c’est que ce galimatias?’, ou ‘je n’ai rien compris’. Il dit et demande à deux reprises ce qui va se passer maintenant. Lorsque Pauty confirme que le travail a été fait, l’accusé ne lui dit pas ‘dans ce cas envoyez-moi votre rapport’ - ce qui serait logique dans une mission de renseignements -, mais il lui dit, et ceci à deux reprises, ‘le travail a été fait et on n’a pas été averti, c’est drôle.’. A ce sujet, l’accusé a expliqué qu’il voulait laisser entendre par là à Pauty que son organisation (imaginaire, censée surveiller Pauty) ne l’avait pas averti. Or on sait que Pauty n’était pas surveillé dans son travail; on sait aussi que ‘l’organisation’ n’existait pas; qu’à l’époque l’accusé, hospitalisé, ne pouvait savoir si Pauty avait pris contact ou pas avec Mme Schenk; que d’ailleurs à l’époque tel avait bien été le cas, de sorte que l’accusé était dans l’impossibilité absolue - dans l’optique d’une mission de renseignements - de savoir si Pauty avait ou non accompli sa mission de renseignements. Or la réplique de l’accusé n’a de sens que si celui-ci sait que le travail n’a pas été fait et il ne peut le savoir que si le fait est de notoriété publique, par exemple parce que la presse - que Pauty mentionne d’ailleurs - en a parlé. Cet élément accrédite à lui seul la version de Pauty. Mais il y a en outre tous les autres éléments qui ressortent du dossier: le luxe incroyable de précautions dont l’accusé s’est entouré; le fait que durant des années l’accusé a été contraint de verser une pension à son épouse, alors que les torts de celle-ci, que l’accusé connaissait sans pouvoir les prouver, auraient commandé probablement une appréciation différente de la situation; le fait que la convention sur effets accessoires allait ratifier cette situation; le fait qu’il est totalement invraisemblable de vouloir envoyer un ancien soi-disant légionnaire, sans formation, sans culture, sans envergure, en Haïti, puis en Suisse pour obtenir des renseignements assez anodins et qui de toute manière n’étaient pas d’une utilité évidente dans le cadre du divorce; le fait qu’après l’échec de la mission [H.R.] et de la mission en Haïti - d’où Pauty aurait au moins pu revenir en sachant si Josette Schenk s’était ou non fait construire une maison -, il n’y avait aucun motif d’envoyer en Suisse le dit Pauty, sans aucune relation dans ce pays; le fait que l’accusé a dépensé plus d’une dizaine de milliers de francs suisses pour obtenir, si l’on suit sa version, des renseignements bien anodins; le fait enfin qu’à aucun moment l’accusé n’a fait mine de déposer plainte pour dénonciation calomnieuse. L’accusé expose qu’il n’avait aucun motif de tuer [H.R.]. Mais objectivement, il n’en avait guère davantage de le faire rosser six ans après une prétendue offense, de manière anonyme et au moment de l’ouverture de nouveaux pourparlers commerciaux. Que l’engagement de détectives privés n’ait pas donné d’excellents résultats ne signifiait pas qu’une sorte de légionnaire plus ou moins indicateur en donnerait de meilleurs. Dans un bataillon, on n’a pas idée quand on est intelligent - et l’accusé l’est - de remplacer l’officier de renseignements par le commandant d’une compagnie de grenadiers. Que la procédure de divorce soit en passe d’aboutir ne changeait rien au fait qu’une liaison établie après huit ans de séparation n’aurait plus guère d’effet sur la pension, et que le moment où il faudrait liquider le régime matrimonial et payer une pension que Pierre Schenk savait obtenue indûment approchait. Le fait que Pauty n’a pas reçu d’acomptes importants n’est pas déterminant, dès lors qu’on peut comprendre que le commanditaire ait voulu attendre de voir le résultat avant de payer. Cette méfiance pourrait d’ailleurs expliquer que Pauty ait retourné sa veste. L’accusé estime qu’il n’est pas pensable que Pauty n’ait reçu aucun acompte important alors qu’il n’avait aucun moyen de retrouver RTZ 81 dont il ignorait l’identité. C’est juste dans l’optique d’une mission unique, mais pas dans l’optique de plusieurs missions. En outre l’argument est applicable aussi à une mission de renseignements. On notera au passage que s’il s’était agi de renseignements, peu importe que Pauty vienne en Suisse dans la semaine où la fille de dame Schenk devait accoucher. L’accusé a encore émis des hypothèses, savoir que Pauty aurait trafiqué l’enregistrement et l’aurait utilisé plus ou moins avec le concours de Mme Schenk. Mais cette hypothèse ne repose sur rien de matériel dans le dossier. Il faut encore relever au sujet de l’enregistrement que l’accusé, qui est dur d’oreilles (il souffre en effet d’une diminution de l’acuité auditive de 50 %), prétend n’avoir pas compris ce que disait Pauty au téléphone. Cette version n’est pas compatible avec les questions et réponses concises et claires de l’accusé, ni avec le fait qu’il ne dit jamais n’avoir pas ou mal entendu ce que lui dit son correspondant. C’est donc fondé sur cet ensemble d’éléments que le Tribunal a acquis la conviction qu’en ce qui concerne Mme Schenk, la mission confiée à Pauty était de la tuer. En ce qui concerne [E.], la mission de "correction" n’a reçu aucun commencement d’exécution. Quant à la mission [H.R.], le Tribunal n’est pas parvenu à se forger une conviction. L’enquête ouverte contre l’accusé a abouti à un non-lieu en sa faveur. Sur recours du Ministère Public, l’accusé a été renvoyé devant le Tribunal criminel de Rolle. Durant l’enquête, il a été détenu préventivement durant quinze jours. Les renseignements recueillis sur le compte de l’accusé sont favorables. Il est honorablement connu à Rolle. Il est propriétaire d’un importante fortune. Il n’a jamais eu affaire avec la Police et n’a jamais été condamné." D. La procédure devant la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois Le requérant forma un pourvoi en cassation. Il dénonçait notamment l’enregistrement: d’après lui, ce dernier avait été obtenu de façon illicite, postérieurement à l’ouverture de l’enquête, dans le but de disposer d’une preuve à charge; en outre, son utilisation enfreignait la loi pénale et il avait joué, comme preuve directe, un rôle dans le jugement. Dans un préavis du 23 septembre 1982, le procureur général du canton de Vaud conclut au rejet du recours, estimant que "l’enregistrement litigieux a[vait] été effectué dans le cadre d’une procédure pénale et à la demande d’agents de la police judiciaire". Il ne fournissait pas de plus amples renseignements sur ce point. Le 15 novembre 1982, la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois rejeta le pourvoi dans les termes suivants: "Le jugement attaqué indique expressément que le tribunal s’est fondé en partie sur l’enregistrement litigieux. Il n’est au surplus pas douteux que celui-ci était de nature à exercer une influence peut-être décisive, du moins non négligeable, sur l’issue de l’action pénale. La procédure pénale est soumise à la maxime inquisitoire, le but du procès étant établir, en serrant au plus près la réalité, les faits de la cause, puis d’appliquer le droit à la situation retenue. Cela étant, on ne saurait écarter d’emblée tout moyen de preuve dont la provenance serait illicite ou délictueuse. Cependant, la recherche de la vérité ne doit pas se faire au prix du sacrifice de valeurs parfois plus importantes (Walder, Rechtswidrig erlangte Beweismittel im Strafprozess, RPS [Revue pénale suisse] 1966, p. 36 ss). Pour Clerc (Initiation à la justice pénale en Suisse, p. 150, no 145), la justice a le devoir d’exercer son office conformément aux règles de la bonne foi. Selon la jurisprudence, peu abondante, l’utilisation de moyens de preuve obtenus de manière illégale n’est inadmissible que dans les cas où de tels moyens ne pourraient être obtenus selon le droit en vigueur, mais non si seule a été violée une règle de procédure qui n’était ni destinée ni propre à empêcher la recherche d’une preuve (RO [Arrêts du Tribunal fédéral suisse] 96 I 437, c. 3 b, JT [Journal des Tribunaux] 1972 I 217 rés.; RO 103 Ia 206 = JT 1979 IV 16; Belschaw, 3.9.1980; OG ZH [cour d’appel du canton de Zurich]; SJZ [Schweizerische Juristen Zeitung] 1981, no 28, p. 130; KG ZH [cour de cassation du canton de Zurich]; BZR [Blätter für Zürcherische Rechtsprechung] 1974, no 44, p. 106 ss). Mais la distinction faite entre l’illégalité ou l’irrégularité est souvent délicate (Hauser, Probleme und Tendenzen im Strafprozess, RPS 1972 p. 129, 130). Le critère posé par la jurisprudence a été jugé peu satisfaisant par la doctrine (Hauser, op. cit., p. 131; Hauser, Kurzlehrbuch des schweiz. Strafprozessrechts, p. 147; Walder, Rechtswidrig erlangte Beweismittel im Strafprozess, RPS 1966, p. 37 s.; Hutzli, Die verfassungsmässigen bundesrechtlichen Schranken im einzelstaatlichen Strafprozess, thèse, Berne 1974, p. 227). Il n’est en tout cas pas décisif pour l’admissibilité d’une preuve, qu’elle ait été obtenue grâce à une infraction pénale. Walder constate que ce n’est pas tant, en règle générale, le moyen de preuve comme tel que la façon dont la preuve a été obtenue qui peut exclure son utilisation (p. 41); il distingue la violation d’un droit important de celle d’une simple règle d’ordre; et le moyen de preuve obtenu judiciairement de celui qui est obtenu de façon extrajudiciaire (p. 43). Pour lui, certains moyens de preuve ne peuvent être utilisés directement, alors que leur utilisation indirecte, c’est-à-dire l’utilisation des preuves obtenues grâce à eux, est possible (p. 45); ou du moins ne peut-on faire abstraction de l’utilisation qui en a été faite (p. 47). Walder conclut que l’on doit examiner de cas en cas si la violation du droit est d’un si grand poids que le moyen de preuve obtenu illégalement ne peut être utilisé, ce que seule une pesée des intérêts et des droits en présence permet de déterminer (p. 59). C’est ainsi que cet auteur admet que les renseignements obtenus sur la commission d’un crime grave, mais en violation par exemple des dispositions légales sur les téléphones, sont tout à fait utilisables (p. 51). Pour Hauser (Kurzlehrbuch, p. 147), il faut apprécier l’interdiction de la preuve en fonction de la protection qui en est la base; doivent être écartées les preuves obtenues en violation d’une interdiction tendant à éviter des risques relatifs à l’établissement de la vérité, par exemple l’aveu extorqué. D’une manière générale, on admet qu’il est interdit aux organes de l’enquête d’utiliser la contrainte, les menaces, ou de recourir à de fausses déclarations ou à des questions captieuses (Pfenniger, Probleme des schweiz. Strafprozessrechts, p. 191; Hauser, Kurzlehrbuch, p. 146, par. 57 II 2 et p. 151, par. 58 III 2; Walder, op. cit., p. 52). L’examen de ce qui précède à la lumière de l’art. 6 al. 2 (art. 6-2) de la Convention européenne des droits de l’homme, qui subordonne la condamnation d’un accusé à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne conduit pas à des distinctions différentes (v. notamment Poncet, La protection de l’accusé par la CEDH [Convention européenne des Droits de l’Homme], p. 89 s.). Selon l’art. 8 ch. 2 (art. 8-2) CEDH, une ingérence de l’autorité publique dans la vie privée ou la correspondance n’est admissible que si elle est prévue par la loi et constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire notamment à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales. Dans un arrêt Klass et consorts du 6 septembre 1978, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que l’existence de dispositions législatives accordant des pouvoirs de surveillance secrète de la correspondance, des envois postaux et des télécommunications est, devant une situation exceptionnelle, nécessaire dans une société démocratique. Elle a posé, quant au choix des modalités du système de surveillance, que le législateur dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire (Cour européenne des droits de l’homme, série A, no 28, ch. 48 et 49, p. 23; voir les arguments devant la Commission européenne des droits de l’homme, Annuaire CEDH 1974, p. 179 ss, sp. p. 185 ss). Antérieurement, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a estimé, le 5 mai 1971, que l’enregistrement sur bande magnétique, à l’insu des participants ou de l’un d’entre eux, d’une conversation privée constitue en principe une ingérence dans la vie privée, et que l’utilisation, par le tribunal, de l’enregistrement comme moyen de preuve ne viole pas le droit au procès équitable garanti à l’art. 6 ch. 1er (art. 6-1) CEDH (Annuaire de la CEDH 1971, p. 903 ss). La Commission a exprimé un avis identique (Annuaire 1969, p. 157 ss). Plus récemment, la Commission européenne des droits de l’homme a noté, dans une affaire allemande, que quelque regrettable qu’il soit, le fait que, d’une manière générale, les autorités chargées de l’écoute téléphonique n’aient pas pleinement respecté les instructions qui leur avaient été données ne constitue pas en soi une violation de la Convention, notamment de son art. 8 ch. 1er (art. 8-1) (13 décembre 1979, Décisions et rapports, vol. 18, p. 184, 185). Il n’est pas sans intérêt de noter encore que la Commission a admis, d’une part, que des officiers de police judiciaire recueillent des confidences de personnes ayant un intérêt légitime à garder l’anonymat, sans quoi nombre de renseignements nécessaires à la répression des infractions pénales ne seraient jamais portés à la connaissance des autorités responsables des poursuites, d’autre part, que soient prises en considération des déclarations d’un informateur, alors que l’attention des jurés avait été attirée sur la valeur d’une déclaration non confirmée à l’audience sous la foi du serment et que l’accusé avait pu faire entendre divers témoins contestant l’existence des faits en question (4 mai 1979, Décisions et rapports, vol. 16, p. 203 s.). On peut déduire de ce qui précède que les juridictions et autorités d’application de la CEDH ne sont pas plus strictes que ne l’est le Tribunal fédéral dans la jurisprudence citée. Les règles énoncées et discutées ci-dessus, concernant les organes de l’enquête, ne sauraient s’appliquer sans autre aux preuves obtenues illégalement par des personnes privées. Certains procédés inadmissibles de la part de ceux-là ne le seront pas nécessairement pour ceux-ci (Walder, op. cit., p. 42). Les auteurs admettent par exemple que la victime de menaces ou d’un chantage peut se trouver dans la nécessité, pour en avoir une preuve qui est difficile, de procéder à un enregistrement clandestin des déclarations de l’auteur (Hauser, Kurzlehrbuch, p. 148; Walder, op. cit. p. 48). En ce qui concerne les actes d’un enquêteur privé, les avis sont partagés. Hauser estime qu’il n’y a pas lieu de distinguer celui-ci de l’enquêteur officiel, les dangers d’une falsification de l’état de fait étant d’ailleurs plus graves (Kurzlehrbuch, p. 148). La jurisprudence a laissé la question ouverte (RO 99 V 15; RO 103 Ia 216, cons. 9b; SJZ 1981 no 28, cons. 2b p. 132). L’enregistrement par la police d’une conversation téléphonique en Suisse aurait été illicite sans l’autorisation du juge. Mais celle-ci pouvait être octroyée, s’agissant d’une enquête instruite à raison d’un crime, étant donné l’art. 179 octies CP. En lui-même, l’enregistrement contesté ne tombe pas sous le coup de l’interdiction de la preuve, que l’on se place sur le plan du droit suisse ou sur celui des normes dégagées par la Cour européenne des droits de l’homme. Si l’on peut concéder au recourant que, même en l’absence de toute plainte, l’enregistrement privé du téléphone de Pauty à l’accusé revêt en soi le caractère d’une infraction (RO 81 IV 90 cons. 3a, JZ 1955 IV 140), on doit en revanche constater que la norme violée, l’art. 179 bis CP, protège la sphère individuelle et ne tend pas à éliminer des risques d’erreur. Au surplus, si l’on veut recourir à la balance des intérêts et des droits en présence, comme le préconise Walder, on constate que, dans la seule mesure de la différence entre une écoute autorisée et un enregistrement qui ne l’est pas, la violation du domaine privé ne doit pas l’emporter sur l’intérêt général à la découverte du coupable d’un crime grave. Quant au moyen utilisé par Pauty pour obtenir les déclarations compromettantes du recourant, il est sans doute contraire aux règles de la bonne foi, du moment qu’il a consisté à présenter mensongèrement la mission de tueur comme accomplie, ce qui revenait, de la part de Pauty, à tendre un piège à son interlocuteur. Cependant, si la provocation de l’autorité à commettre une infraction est condamnable, le stratagème conduisant un malfaiteur à avouer un crime ne l’est pas (Clerc, Les moeurs de la police et la morale, in Varia Juridica 1982, p. 149 en particulier). Ainsi, l’emploi de la violence et même la tromperie pour escroquer une déclaration sont illicites; en revanche, le recours à une ruse est permis (Clerc, op. cit., p. 146). Il est de pratique fréquente de la part des autorités lorsque la vie de personnes prises en otage est en danger par exemple. Au demeurant, un même procédé peut être licite dans un cas et immoral dans un autre (op. cit., p. 151). Il découle de ceci que le moyen utilisé reste en l’espèce dans les limites du tolérable qu’impose la lutte contre le crime. Le mensonge n’a du reste porté que sur un point, savoir l’accomplissement de l’acte envisagé. En définitive, selon les règles du droit suisse, le moyen de preuve contesté est utilisable, et ne viole pas les droits fondamentaux du recourant. Bien que l’enregistrement ait été effectué et recueilli par la police en France, il est superflu de se préoccuper de droits plus étendus que la législation étrangère pourrait éventuellement accorder. Au demeurant, la France connaît également les écoutes téléphoniques et l’enregistrement des conversations téléphoniques alors même que le Code pénal français réprime lui aussi un tel enregistrement non autorisé par l’autorité compétente (Précis Dalloz, Procédure pénale, 1980, p. 34, art. 368 al. 1 et 372 al. 2 CPF). En outre, bien que la France ne punisse pas la tentative d’instigation, la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959, à laquelle Suisse et France ont adhéré, aurait permis à la Suisse de requérir une telle surveillance, par commission rogatoire. En effet, contrairement à la Suisse, la France n’a émis aucune réserve subordonnant l’exécution de toute commission rogatoire impliquant une mesure coercitive à la punissabilité de l’acte incriminé dans les deux pays requérant et requis. La surveillance téléphonique est assimilée à une telle mesure (Romanens, Die Telefonüberwachung als Gegenstand der Rechtshilfe in Strafsachen, thèse Berne 1974, p. 108). Le recourant fait encore valoir qu’une écoute officielle eût donné toutes garanties sur le caractère exact et complet de l’enregistrement. Sans doute un enregistrement officiel présente de par sa nature une force probante plus grande que celle d’un enregistrement privé, étant donné les manipulations possibles dans ce second cas. Les circonstances de l’enregistrement étaient toutefois connues en l’espèce, et les juges ont disposé d’un rapport d’expertise pour les besoins de laquelle et la cassette et l’appareil enregistreur ont été examinés. Le tribunal connaissait également le laps de temps écoulé entre la prise de son et la remise de la bande enregistrée à la police. Il pouvait ainsi apprécier la valeur du mode de preuve en regard de son authenticité. Quant à l’usage d’une ruse ou d’un procédé captieux, il est également propre à affecter la force probante des déclarations ainsi recueillies. Les premiers juges ont toutefois été à même d’apprécier l’influence de ce procédé sur la valeur des déclarations de l’accusé, l’enregistrement ayant en outre porté sur une conversation téléphonique entière. A cet égard également, le moyen de preuve contesté est admissible." E. La procédure devant le Tribunal fédéral M. Schenk attaqua l’arrêt de la cour de cassation pénale vaudoise devant le Tribunal fédéral, au moyen d’un recours de droit public et d’un pourvoi en nullité qui formulaient les mêmes griefs à l’encontre de l’enregistrement litigieux. Il soutenait en substance que ce dernier était illégal; que le tribunal criminel aurait donc dû l’écarter du dossier; que faute de l’en retirer, il avait violé notamment l’article 36, alinéa 4, de la Constitution, garantissant l’inviolabilité du secret des communications, et l’article 11 de la loi vaudoise d’application du code pénal du 27 février 1980, ainsi que les articles 6 par. 2 et 8 (art. 6-2, art. 8) de la Convention. Le recours de droit public Le 7 septembre 1983, le Tribunal fédéral (cour de cassation pénale) rejeta le recours de droit public par les motifs suivants: "a) On peut admettre que les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’art. 179 ter CP sont réunis en ce qui concerne l’enregistrement litigieux. On remarquera cependant que Pauty a procédé à cette prise de son en vue de prouver la véracité de ses dires, alors qu’une enquête pénale dirigée contre lui pour tentative d’assassinat était pendante. Si plainte avait été déposée du chef de l’art. 179 ter, il n’est pas certain que le jugement aurait abouti au prononcé d’une peine. Mais cette question peut demeurer indécise. En effet, les dispositions du Code pénal et de la LVCP [loi vaudoise d’application du code pénal] relatives aux écoutes téléphoniques ont trait à la définition des écoutes licites et illicites ainsi qu’à la sanction de ces dernières. Elles ne contiennent aucune règle au sujet de leur validité comme preuve dans un procès. b) Il est vrai que le droit suisse autorise cette atteinte aux droits de la personnalité et au secret des communications que constituent les écoutes téléphoniques seulement lorsque cette mesure a été ordonnée par l’autorité compétente, approuvée par un juge. En conclure que tout indice provenant d’une écoute non autorisée ne peut en aucun cas être utilisé comme moyen de preuve serait se montrer trop absolu et conduirait souvent à des résultats absurdes (voir Hans Walder, Rechtswidrig erlangte Beweismittel im Strafprozessrecht, in RPS 1966 p. 36 ss. et Klaus Rogall, Gegenwärtiger Stand und Entwicklungstendenzen der Lehre von den strafprozessualen Beweisverboten, in Zeitschrift für die gesamte Strafrechtswissenschaft 1979, p. 1 ss., notamment p. 15; voir aussi Karl Heinz Gössel, Kritische Bemerkungen zum gegenwärtigen Stand der Lehre von den Beweisverboten im Strafverfahren, in Neue juristische Wochenschrift 1981 p. 649). Il convient dans un tel cas de mettre en balance, d’une part, l’intérêt de l’État à ce que le soupçon concret soit confirmé ou infirmé et, d’autre part, l’intérêt légitime de la personne concernée à la sauvegarde de ses droits personnels; pour ce faire, toutes les circonstances essentielles doivent être prises en considération. En République fédérale allemande, la Cour constitutionnelle est arrivée à la même solution. Dans un cas où une personne était soupçonnée d’avoir commis une soustraction fiscale, une escroquerie et un faux dans les titres, cette autorité a refusé toute valeur probante à un enregistrement fait à titre privé; dans l’hypothèse où des intérêts supérieurs de la communauté auraient impérativement exigé que l’on renonce à garantir la protection de l’intérêt personnel de la personne concernée; ainsi, il ne serait généralement pas contraire au droit constitutionnel, en cas de nécessité, de permettre à l’autorité d’utiliser un enregistrement opéré par un tiers et propre à identifier un criminel ou à innocenter une personne accusée à tort, cela en présence d’infractions graves telles que les crimes contre la vie humaine et l’intégrité corporelle, les atteintes graves à l’ordre constitutionnel et aux libertés démocratiques et à des biens juridiques de même importance (Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts 34 - 1973 - p. 238 ss., notamment 249). Sont à comparer ici, d’une part, l’intérêt à confirmer ou infirmer les soupçons concrets d’instigation à assassinat pesant sur Schenk et, d’autre part, l’intérêt qu’avait ce dernier à ce que sa conversation avec Pauty demeurât secrète. Force est de constater que l’intérêt public à ce que la vérité soit établie au sujet d’un délit impliquant le meurtre d’une personne l’emporte face à l’intérêt de Schenk au secret d’une conversation téléphonique qui ne porte nullement atteinte à sa sphère intime mais se rapporte exclusivement à l’exécution d’une mission confiée à Pauty. La protection du domaine secret d’une personne ne saurait impliquer qu’un tel enregistrement soit écarté du dossier pénal alors qu’existent de forts soupçons ayant pour objet un délit très grave (voir Rogall, op. cit., 1979, p. 29 ss.). En outre, il n’est pas sans intérêt de souligner que le droit suisse autorise l’écoute téléphonique d’un individu soupçonné d’être mêlé à un crime. Il la soumet certes à l’autorisation d’un juge, mais l’enregistrement d’une conversation n’est pas en soi un mode de preuve auquel l’État aurait renoncé par principe et pour sauvegarder un intérêt supérieur de l’individu. Ce mode de preuve n’est pas à comparer avec le sérum de vérité, la contrainte ou la torture, moyens absolument prohibés par l’ordre public. Dès lors, rien n’aurait empêché juridiquement que le même enregistrement, opéré en Suisse sur la ligne de la cabine téléphonique de l’hôpital où séjournait Schenk, soit réalisé conformément au droit et soit versé au dossier. Il suit de là qu’une atteinte aux droits personnels dont le droit suisse admet qu’elle ne viole pas la constitution - lorsque certaines conditions sont réunies - peut être qualifiée de légère lorsqu’elle aurait pu être ordonnée conformément à l’art. 179 octies al 2 CP (voir ATF [Arrêts du Tribunal fédéral suisse] 96 I 440). c) En l’espèce, compte tenu du fait que Schenk était fortement soupçonné d’avoir participé à un crime devant entraîner la mort d’une personne, que le juge eût pu ordonner à bon droit l’enregistrement de sa conversation du 26 juin 1981 avec Pauty, que c’est ce dernier qui y a procédé alors qu’une enquête était dirigée contre lui pour tentative de meurtre ou assassinat et que cette conversation ne portait pas sur des faits de caractère intime, le Tribunal criminel du district de [Rolle] pouvait refuser d’écarter la bande magnétique du dossier et l’apprécier comme preuve sans violer le droit constitutionnel suisse. En procédant de la sorte, cette autorité n’a pas non plus violé les art. 6 et 8 (art. 6, art. 8) CEDH." (Arrêts du Tribunal fédéral suisse, vol. 109, Ière partie, pp. 246-248) Le pourvoi en nullité Toujours le 7 septembre 1983, le Tribunal fédéral (cour de cassation pénale) rejeta aussi le pourvoi en nullité. En particulier, il déclara irrecevable le moyen tiré de l’audition, par le tribunal criminel, de l’enregistrement téléphonique: il s’agissait là d’un problème d’administration des preuves qui relevait de la procédure cantonale. F. La mise en liberté du requérant Le 6 juillet 1983, M. Schenk sollicita pour raison de santé une suspension de l’exécution de sa peine. Le chef du Département vaudois de la justice, de la police et des affaires militaires la lui ayant refusée le 7 décembre, il introduisit un recours de droit administratif que le Tribunal fédéral rejeta le 21 février 1984. En août 1983, le requérant fut transféré à l’hôpital gériatrique de Chamblon pour y subir sa peine. Le 5 décembre 1984, il bénéficia d’une mesure de grâce partielle, octroyée par le Grand Conseil du canton de Vaud et comportant remise de peine, compte tenu en particulier de son état de santé. Il recouvra sa liberté le 8 décembre 1984. II. LA LÉGISLATION INTERNE APPLICABLE En matière d’écoutes, le code pénal suisse contient les dispositions suivantes: Article 179 bis "Celui qui, sans le consentement de tous les participants, aura écouté à l’aide d’un appareil d’écoute ou enregistré sur un porteur de son une conversation non publique entre d’autres personnes, celui qui aura tiré profit ou donné connaissance à un tiers d’un fait qu’il savait ou devait présumer être parvenu à sa propre connaissance au moyen d’une infraction visée au premier alinéa, celui qui aura conservé ou rendu accessible à un tiers un enregistrement qu’il savait ou devait présumer avoir été réalisé au moyen d’une infraction visée au premier alinéa, sera, sur plainte, puni de l’emprisonnement ou de l’amende." Article 179 ter "Celui qui, sans le consentement des autres interlocuteurs, aura enregistré sur un porteur de son une conversation non publique à laquelle il prenait part, celui qui aura conservé un enregistrement qu’il savait ou devait présumer avoir été réalisé au moyen d’une infraction visée au premier alinéa, ou en aura tiré profit, ou l’aura rendu accessible à un tiers, sera, sur plainte, puni de l’emprisonnement pour un an au plus ou de l’amende." Article 179 quinquies "N’est pas punissable en vertu de l’article 179 bis, 1er alinéa, ni de l’article 179 ter, 1er alinéa: celui qui aura écouté, au moyen d’un poste téléphonique ou d’une installation accessoire autorisée par l’Entreprise des PTT, ou qui aura enregistré sur un porteur de son, une conversation transmise par une installation téléphonique soumise à la régale des téléphones, celui qui aura écouté, au moyen d’un poste téléphonique ou d’une installation accessoire appartenant à l’installation principale, ou qui aura enregistré sur un porteur de son, une conversation transmise par une installation non soumise à la régale des téléphones." Article 179 octies "N’est pas punissable celui qui, en vertu d’une autorisation expresse de la loi, ordonne des mesures officielles de surveillance de la correspondance postale, téléphonique ou télégraphique de personnes déterminées ou prescrit l’utilisation d’appareils techniques de surveillance (article 179 bis et s.), à condition qu’il demande immédiatement l’approbation du juge compétent. L’approbation visée au 1er alinéa peut être donnée aux fins de poursuivre ou de prévenir un crime ou un délit dont la gravité ou la particularité justifie l’intervention, ou un acte punissable commis au moyen du téléphone." Aux termes de son article 5, le code pénal suisse peut trouver à s’appliquer à une infraction commise à l’étranger contre un Suisse: "Le présent code est applicable à quiconque aura commis à l’étranger un crime ou un délit contre un Suisse, pourvu que l’acte soit réprimé aussi dans l’État où il a été commis, si l’auteur se trouve en Suisse et n’est pas extradé à l’étranger, ou s’il est extradé à la Confédération à raison de cette infraction. La loi étrangère sera toutefois applicable si elle est plus favorable à l’inculpé. L’auteur ne pourra plus être puni à raison de son acte s’il a subi la peine prononcée contre lui à l’étranger, si cette peine lui a été remise ou si elle est prescrite. S’il n’a pas subi à l’étranger la peine prononcée contre lui, elle sera exécutée en Suisse; s’il n’a subi à l’étranger qu’une partie de cette peine, le reste sera exécuté en Suisse." PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION M. Schenk a saisi la Commission le 6 mars 1984 (requête no 10862/84). Il se prétendait victime d’une violation de son droit au respect de sa vie privée et de sa correspondance, lequel inclut le droit au secret des communications téléphoniques (article 8) (art. 8). Il alléguait en outre la méconnaissance de son droit à un procès équitable, en raison de l’utilisation de l’enregistrement litigieux comme moyen de preuve (article 6 paras. 1 et 3) (art. 6-1, art. 6-3). Enfin, il dénonçait une atteinte au principe de la présomption d’innocence, sa culpabilité n’ayant pas été établie "légalement" (article 6 par. 2) (art. 6-2). La Commission a statué sur la recevabilité de la requête le 6 mars 1986. Elle a rejeté, pour non-épuisement des voies de recours internes, le grief relatif à l’article 8 (art. 8), qui visait la confection de l’enregistrement: M. Schenk n’avait pas porté plainte contre le ou les auteurs de ce dernier. En revanche, elle a retenu la requête quant à l’utilisation de la cassette, tout en précisant que le problème posé sur le terrain de l’article 6 par. 2 (art. 6-2) relevait en fait de la notion de procès équitable. Dans son rapport du 14 mai 1987 (article 31) (art. 31), elle arrive, par onze voix contre deux, à la conclusion qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Lors des audiences du 22 mars 1988, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à "conclure qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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M. José Gonçalves Martins Moreira, ressortissant portugais né en 1929, est employé de banque et réside à Loures (Portugal). Le 12 novembre 1975, il se trouvait dans une voiture avec M. Virgilio da Silva Pontes qui la conduisait et en était le propriétaire. Près d'Evora, ils entrèrent en collision avec un autre véhicule, propriété de M. Antonio dos Reis et piloté par M. Francisco Techana. Blessé, le requérant fut hospitalisé jusqu'au 14 mai 1976. En août 1976 et en août 1977, il subit des interventions chirurgicales à Londres. Il demeure frappé d'une invalidité permanente de 25 %. Informé de l'accident par la police locale, le parquet près le tribunal de première instance d'Evora engagea des poursuites pénales contre les deux conducteurs pour dommages corporels involontaires. L'affaire fut classée en 1976 en vertu d'un décret-loi d'amnistie. Procédure devant le tribunal de première instance Le 20 décembre 1977, MM. Martins Moreira et Pontes ("les demandeurs") assignèrent au civil, devant le tribunal de première instance d'Evora, M. Francisco Techana, M. Antonio dos Reis, la société Gestetner, pour le compte de laquelle le trajet s'effectuait, et la compagnie d'assurances "Império", dont la responsabilité était limitée par contrat à 200.000 escudos ("les défendeurs"). Le requérant réclamait une indemnité de 1.393.737 escudos 80, ainsi que les montants à liquider lors de la procédure d'exécution (liquidação em execução de sentença) pour tous les frais futurs résultant de la collision. En application de l'article 68 du code de la route, l'action devait être examinée selon la procédure sommaire, qui se caractérise par la réduction de certains délais (articles 783 à 792 du code de procédure civile et arrêt Guincho du 10 juillet 1984, série A n° 81, p. 8, par. 10). a) Phase préparatoire Le 13 janvier 1978, le juge ordonna la citation des défendeurs au moyen, pour ceux qui n'habitaient pas Evora, de commissions rogatoires (cartas precatórias). La compagnie "Império" présenta ses conclusions (contestação) le 9 février, les autres défendeurs le 14 mars 1978. La société Gestetner souleva en outre une exception préliminaire: elle contestait sa qualité de partie défenderesse au motif qu'elle n'avait pas eu la "direction effective du véhicule ayant causé l'accident", au sens de l'article 503 n° 1 du code civil. Les demandeurs se prononcèrent sur l'exception dans le délai de cinq jours qui leur avait été imparti, conformément à l'article 785 du code de procédure civile. De son côté, la compagnie d'assurances "Império" introduisit une demande incidente tendant à l'intervention (intervenção principal) des hôpitaux civils d'Evora et Santa Maria de Lisbonne, ainsi que de la compagnie d'assurances "Comércio e Indústria". Après avoir déféré à cette demande le 31 mars 1978, le juge invita les parties intervenantes à indiquer leurs prétentions. Le 27 avril 1978, il donna au ministère public jusqu'au 7 mai pour présenter les observations des hôpitaux intervenants. Il lui consentit par la suite une prorogation de trois mois, en vertu de l'article 486 n° 3 du code de procédure civile; en raison des vacances judiciaires, le nouveau délai n'expira que le 1er octobre 1978. A l'issue de la procédure écrite, le juge décida le 6 novembre 1978 de tenir dans les dix jours (article 508 n° 1 du code de procédure civile) une audience préparatoire en vue, notamment, d'examiner l'exception préliminaire de la société Gestetner. Le 21 décembre, il accorda l'assistance judiciaire aux demandeurs, la refusant à MM. Techana et dos Reis. Le 18 janvier 1979, le greffe du tribunal transmit le dossier au juge, qui rendit une décision préparatoire (despacho saneador) le 3 mars. Longue de trente-cinq pages, elle rejetait ladite exception et dressait la liste tant des faits incontestés (especificação) que de ceux à éclaircir pendant les débats (questionário). Il restait cent trente-trois faits à établir (quesitos). En outre, le juge relevait que le retard apporté à statuer (au-delà des dix jours prévus par l'article 787 du code de procédure civile) s'expliquait par une grande surcharge de travail et la complexité de l'exception considérée. MM. Techana et dos Reis, ainsi que la société Gestetner, firent opposition (reclamação, article 511 n° 2) en ce qui concerne la liste susmentionnée. Les demandeurs répondirent le 17 avril 1979. Le 19, le greffe transmit le dossier au juge qui, par une ordonnance du 26 mai, accueillit partiellement l'opposition des deux premiers mais écarta celle de la dernière. Le 6 juin, la société Gestetner attaqua cette décision et la décision préparatoire du 3 mars 1979 devant la cour d'appel (tribunal de relação) d'Evora. Le juge d'Evora reçut les deux recours le 8 juin. Le 6 juillet, il décida qu'ils ne seraient communiqués à la cour d'appel qu'avec le recours éventuel contre le jugement sur le fond. b) Phase d'instruction Les parties furent ensuite invitées à produire leurs listes de témoins et d'autres moyens de preuve. Le 11 octobre 1979, les demandeurs prièrent le juge, notamment, d'ordonner une expertise médicale à propos d'un certain nombre de faits ou questions à élucider pendant les audiences; elle devait avoir lieu à l'Institut de médecine légale de Lisbonne ("l'Institut") conformément à l'article 600 nos. 2 et 3 du code de procédure civile, aux termes duquel: "2. Dans les ressorts de Lisbonne, Porto et Coïmbra, les instituts de médecine légale effectuent les examens médicaux légaux et les autres examens qu'ils sont particulièrement aptes à exécuter; les autres examens exigeant des connaissances particulières dans une spécialité médicale ou des recherches relevant de laboratoires ou d'autres institutions spécialisées sont exécutés dans un établissement officiel par les professeurs ou les cadres techniques y exerçant des fonctions. Ce qui précède s'applique à tous les autres ressorts lorsque les choses ou personnes à examiner peuvent, sans inconvénient, être transportées au siège de l'institut ou établissement. L'examen a lieu à Lisbonne, Porto ou Coïmbra suivant la cour d'appel dont relève la juridiction compétente." Le juge, à qui le greffe avait transmis le dossier le 31 octobre 1979, ne fit droit à la demande que le 13 février 1980. Il justifia par une surcharge de travail le délai écoulé, supérieur aux cinq jours que prévoit l'article 159 n° 2 du code. Il invita aussi les défendeurs à lui indiquer dans les cinq jours les faits contenus dans le questionário et sur lesquels les médecins experts devraient se prononcer. Ayant reçu notification de cette ordonnance le 28 février, la société Gestetner fournit le 7 mars 1980 les renseignements sollicités. Le juge, qui avait reçu du greffe le dossier le 12 mars 1980, ordonna le 29 avril seulement, en invoquant une surcharge de travail, que la Faculté de médecine de Lisbonne fixât la date et l'heure auxquelles un médecin spécialiste en orthopédie et traumatologie pourrait examiner les demandeurs. Le 14 mai, le président du conseil de la Faculté de médecine de Lisbonne l'informa que les expertises médicales en orthopédie étaient suspendues, faute de médecins spécialistes disponibles. Le 23 mai, le juge chargea de l'expertise médicale l'hôpital civil de Lisbonne. Cependant, le service d'orthopédie de celui-ci l'informa, le 20 juin 1980, qu'il ne pouvait la mener à bien, car les intéressés n'y avaient jamais été hospitalisés et il y avait une surcharge de travail. Le greffe lui ayant communiqué le dossier le 26 juin 1980, le juge ordonna, le 3 juillet, que les examens médicaux eussent lieu à l'Institut; il invita le directeur à en fixer la date et précisa qu'ils devaient être terminés dans le délai d'un mois. En outre, il expliqua pourquoi il n'avait pas déféré plus tôt à la requête des demandeurs tendant à confier lesdits examens à l'Institut: à sa connaissance, ce dernier ne comptait pas de spécialistes en orthopédie. Vu l'impasse dans laquelle se trouvait la procédure, il revenait cependant sur sa position. Par la même occasion, il avisa de la situation le directeur de cabinet du ministre de la Justice et le pria d'indiquer dans quel établissement on pouvait exécuter des expertises médicales en orthopédie et en traumatologie. Le 17 juillet, le sous-directeur de l'Institut annonça au juge que les demandeurs seraient examinés le 6 octobre. Le 23 juillet, celui-ci ordonna leur comparution à cet effet. Deux médecins de l'Institut procédèrent aux examens le jour prévu; ils établirent un rapport à l'intention du tribunal. Ils y concluaient que les demandeurs devraient être soumis à un nouvel examen après la production d'un certain nombre de documents relatifs à leur état de santé, entre autres les rapports des hôpitaux où ils avaient été traités et la traduction portugaise des rapports d'un spécialiste anglais qui les avait soignés à Londres en 1977. En outre, et conformément à l'article 600 n° 2 du code de procédure civile, les intéressés auraient à subir, dans une institution publique appropriée, un examen pratiqué par des experts en orthopédie qui répondraient aux questions posées dans la décision préparatoire du 3 mars 1979. Parvenu au tribunal le 15 octobre 1980, le rapport fut communiqué le lendemain à MM. Pontes et Martins Moreira. Ces derniers invitèrent le tribunal, le 20 octobre, à obtenir directement des hôpitaux concernés certains documents, à leur octroyer un délai de trente jours pour en déposer d'autres (notamment la traduction portugaise des rapports médicaux rédigés en anglais) et à demander à l'Institut à quel établissement de caractère public ils pouvaient s'adresser pour les expertises en orthopédie. Le greffe transmit le dossier au tribunal le 28. Le 5 janvier 1981, les demandeurs introduisirent une nouvelle requête tendant à ce que le juge nommât lui-même des experts médicaux spécialistes en orthopédie et exerçant à Evora. Ils y affirmaient avoir ignoré que l'Institut n'était pas en mesure de procéder à tels examens et que son rôle se limitait à coordonner les éléments fournis par eux ou réclamés à d'autres hôpitaux, sans quoi ils n'auraient pas recouru à lui. Ils ajoutaient qu'ils espéraient être examinés plus rapidement à Evora, compte tenu des longues listes d'attente dans les hôpitaux de Lisbonne. Le juge leur donna satisfaction le 23 février: il requit les hôpitaux concernés de produire les documents réclamés par l'Institut et invita l'hôpital civil d'Evora à fixer une date pour l'examen des intéressés. Cependant, l'administration de cet établissement l'informa le 24 mars qu'il devait désigner lui-même des experts, l'hôpital n'étant pas compétent pour réaliser des expertises médico-légales. Dans cette perspective, le juge pria l'hôpital, le 27 mars, de lui communiquer la liste des orthopédistes y travaillant. Il la reçut le 7 avril. Le 21 avril 1981, le greffe transmit le dossier au juge qui, le jour même, décida de nommer les experts le 4 mai. A cette date il en désigna trois, l'un proposé par les demandeurs, un autre par les défendeurs et le troisième choisi par lui, et ce en présence de toutes les parties en cause. Le 6 mai, il convoqua les experts pour le 1er juin aux fins de leur prestation de serment. Elle eut lieu comme prévu et il leur assigna aussitôt un délai de quinze jours pour s'acquitter de leur tâche. Le 1er juin aussi, les demandeurs déposèrent au greffe du tribunal la traduction portugaise des rapports dressés par leur médecin anglais. Le 15 juin 1981, les experts annoncèrent au juge qu'ils étaient en mesure de répondre aux questions sur lesquelles portait l'expertise. Le même jour, il fixa au 23 juin la date de leur audition. Dans leurs réponses, ils conclurent à l'unanimité que le requérant avait un taux d'incapacité permanente de 25 % et M. Pontes de 50 %, qu'ils se trouvaient tous deux dans un état de santé stable et qu'il ne fallait s'attendre ni à une aggravation ni à la nécessité d'un traitement ultérieur. Le 9 juillet 1981, le juge prit acte de ce que M. Pontes avait omis de fournir la version portugaise d'un rapport médical réclamé par l'Institut. Le 20 juillet, il invita ce dernier à fixer la date d'un nouvel examen médical des demandeurs. Le 1er septembre, l'Institut opta pour le 6 octobre 1981. Les deux intéressés furent examinés le jour dit sur la base des documents produits. L'Institut rédigea un rapport final relatif à M. Martins Moreira, mais requit encore certaines pièces concernant l'état de santé de M. Pontes - notamment une traduction portugaise de deux rapports en anglais, d'août et septembre 1981 -, lequel les transmit au juge le 9 novembre. Le 18 novembre, le juge proposa à l'Institut un nouvel examen de M. Pontes. Le 4 décembre, la date en fut fixée au 25 janvier 1982 et les résultats communiqués au tribunal le 5 février. c) Audience de jugement Le 26 mars 1982, le juge décida que la procédure orale s'ouvrirait le 12 mai. Toutefois, les compagnies d'assurances "Comércio e Indústria", partie intervenante, et "Império", défenderesse, ne comparurent pas et le juge ajourna les débats au 1er juillet. Ils se déroulèrent finalement les 1er, 2 et 5 juillet 1982. Pour tenir compte de l'érosion monétaire, M. Martins Moreira porta le montant de sa demande d'indemnité à 2.787.479 escudos au lieu de 393.737,80 à l'origine (paragraphe 10 ci-dessus). Le 15 juillet, le tribunal établit les faits de la cause lors d'une audience publique au cours de laquelle les parties plaidèrent aussi sur les points de droit. Le 1er octobre 1982, il déclara partiellement fondée l'action de MM. Martins Moreira et Pontes; il condamna solidairement les défendeurs à verser au requérant 732.000 escudos de dommages-intérêts. Cependant, le tribunal réserva pour la procédure ultérieure d'exécution, conformément à l'article 661 n° 2 du code de procédure civile, la question du remboursement des frais de transport exposés par les demandeurs pour recevoir des soins après l'accident. Procédure devant la cour d'appel d'Evora Le 13 octobre 1982, M. Martins Moreira attaqua le jugement devant la cour d'appel d'Evora. Sans contester les faits établis en première instance, il se plaignait de l'insuffisance de l'indemnité allouée. Son recours et celui de la société Gestetner furent déclarés recevables par une décision du 19 octobre, notifiée aux intéressés le 16 novembre. Après le calcul et le paiement des frais et dépens de la procédure, le greffe du tribunal d'Evora transmit le dossier à la cour d'appel le 23 juin 1983. Enregistrée le 30 juin, l'action suivit son cours normal. Conformément à une ordonnance rendue par elle le 14 novembre 1983, la cour reçut les mémoires du requérant le 20 décembre 1983, de la société Gestetner le 25 janvier 1984 et de la compagnie "Império" le 24 avril 1984. La compagnie "Comércio e Indústria" et les hôpitaux d'Evora et Santa Maria de Lisbonne n'en présentèrent pas, mais il fallut attendre jusqu'au 30 juillet 1984 l'échéance du délai imparti au dernier d'entre eux. Après avoir recueilli les visas (vistos) des membres chargés de l'affaire, la cour, par un arrêt du 30 mai 1985, porta de 732.000 à 032.000 escudos l'indemnité octroyée à M. Martins Moreira. Procédure devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) La société défenderesse Gestetner se pourvut le 13 juin 1985 devant la Cour suprême, que de leur côté les demandeurs saisirent le 11 juillet d'un recours "subordonné" (recurso subordinado). Après les formalités légales, le dossier parvint au greffe le 17 octobre 1985. Le 15 novembre, le juge rapporteur fixa un délai pour le dépôt des mémoires des parties. Il reçut le 6 janvier 1986 celui de la société Gestetner et le 3 février celui des demandeurs. MM. Martins Moreira et Pontes soutenaient notamment que les indemnités consenties pour préjudice moral étaient trop faibles et qu'ils devraient percevoir en outre une somme, à préciser au cours d'une procédure ultérieure d'exécution, pour les dommages futurs découlant de leur incapacité de travail. Les délais pour le dépôt des mémoires des parties intervenantes expirèrent le 9 mai 1986. Le 9 juin, la société Gestetner présenta un contre-mémoire. Le dossier fut ensuite communiqué au ministère public pour avis et aux conseillers adjoints pour examen. La Cour suprême statua le 5 février 1987. Vu l'invalidité permanente dont les demandeurs se trouvaient frappés à cause de l'accident, elle leur donna gain de cause sur ce point en leur accordant une indemnité supplémentaire, à déterminer lors de la procédure d'exécution, pour les dommages que l'on n'avait pu calculer en première instance. Elle confirma la décision de la cour d'appel pour le surplus; son arrêt fut notifié au requérant le 9 février. Procédure d'exécution Le 28 octobre 1987, M. Pontes et le requérant prièrent le tribunal d'Evora d'assurer le versement de la fraction déjà chiffrée de l'indemnité que leur avait allouée la cour d'appel; ils énumérèrent les biens saisissables de la société Gestetner. La saisie, réclamée par commission rogatoire à Lisbonne, se révéla impossible: le 18 janvier 1988, le tribunal compétent constata que ladite société faisait l'objet d'une procédure, laquelle a abouti, le 25 mars, à une déclaration de faillite. De son côté, la compagnie "Império" plaça en dépôt la somme de 184.334 escudos, à cause des difficultés rencontrées pour la répartir entre le requérant, M. Pontes et la compagnie "Comércio et Indústria". Dans l'attente de l'indication, par les demandeurs, d'autres biens à saisir, la procédure d'exécution demeure pendante. Le greffe du tribunal n'en a pas moins dressé le décompte des frais y afférents et les intéressés ont déjà dû les payer. Aussi le requérant n'a-t-il pas encore sollicité la détermination de la partie non liquide de l'indemnité. Plaintes du requérant concernant la durée de la procédure Le 26 janvier 1981, avant la fin de ses examens médicaux (paragraphe 23 ci-dessus), le requérant dénonça la longueur de la procédure auprès du médiateur (Provedor de Justiça). Celui-ci lui répondit, en mars 1981, qu'il avait porté le contenu de la plainte à la connaissance du Conseil supérieur de la magistrature, lequel lui avait communiqué une note du juge d'Evora exposant les problèmes, juridiques et autres, soulevés par l'affaire; il classa la demande le 20 juillet 1981. Le 3 mars 1983, alors qu'il attendait la transmission à la cour d'appel du dossier du tribunal de première instance d'Evora (paragraphe 32 ci-dessus), M. Martins Moreira s'adressa derechef au médiateur pour le prier d'intervenir. Le 7 avril, le médiateur lui indiqua qu'il avait signalé la situation au Conseil supérieur de la magistrature. Il lui écrivit à nouveau le 28 décembre 1983 pour l'informer du résultat de ses démarches auprès de ce dernier et du ministère de la Justice. Il s'avérait que les retards observés s'expliquaient par le temps nécessaire pour établir le décompte des frais de l'un des experts et par le manque de personnel au tribunal de première instance d'Evora. Le médiateur décida en conséquence de classer la plainte. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 24 juillet 1984 à la Commission (n° 11371/85), M. Martins Moreira s'en prenait à la durée de la procédure civile qu'il avait introduite le 20 décembre 1977 devant le tribunal de première instance d'Evora; il l'estimait contraire à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 14 octobre 1986. Dans son rapport du 15 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS DU GOUVERNEMENT A l'audience du 21 juin 1988, le Gouvernement a confirmé en substance la conclusion figurant dans son mémoire; elle consistait à inviter la Cour "à dire qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention dans le cas d'espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Citoyen irlandais né en 1944, M. David Norris est maître de conférences d’anglais au Trinity College, à Dublin, depuis 1967. Il siège actuellement à la seconde chambre (Seanad Eireann) du Parlement irlandais comme l’un des trois sénateurs élus par les diplômés de l’Université de Dublin. Le requérant s’adonne à l’homosexualité et milite depuis 1971 pour les droits des homosexuels dans son pays; en 1974, il devint membre fondateur et président de l’Irish Gay Rights Movement. Il se plaint de l’existence, en Irlande, de lois qui érigent en infractions pénales certains agissements homosexuels entre hommes adultes et consentants. En novembre 1977, il saisit la High Court (paragraphes 21-24 ci-dessous) en soutenant que la législation incriminée tombait sous le coup de l’article 50 de la Constitution, selon lequel ne restent pas en vigueur les lois antérieures à celle-ci mais incompatibles avec elle. En cours d’instance furent fournis des éléments de preuve montrant dans quelle mesure il avait subi les effets de ladite législation et une atteinte à son droit au respect de sa vie privée. On en a ainsi résumé certains points marquants: i. Le requérant affirma avoir ressenti une dépression et une solitude profondes quand il comprit qu’il était irréversiblement homosexuel et que toute manifestation ouverte de sa sexualité l’exposerait à des poursuites pénales. ii. Il prétendit avoir souffert dans sa santé: en 1969, il aurait perdu connaissance dans un restaurant de Dublin; placé en observation à l’hôpital de la Baggot Street, il se vit confié à un psychiatre, le Dr McCracken, qui le soigna pendant plus de six mois. Ce médecin lui conseilla, s’il voulait éviter de telles crises d’angoisse, de quitter l’Irlande pour un pays dont les lois relatives au comportement homosexuel avaient été modifiées. Lors d’une audition, il déclara que le requérant se trouvait dans un état normal à la première consultation. Il ne se rappelait pas avoir entendu parler d’un évanouissement. iii. Nul n’a jamais essayé d’intenter des poursuites contre M. Norris ni contre l’organisation qu’il présidait à l’époque (paragraphe 9 ci-dessus). Informées par lui des activités de celle-ci, les autorités de police lui témoignèrent de la sympathie et ne l’interrogèrent à aucun moment. iv. Le requérant avait participé à une émission télévisée de la RTE, la société nationale de radiotélévision, vers le mois de juillet 1975. Le programme consistait en un entretien avec lui, pendant lequel il se reconnut homosexuel mais nia que cela fût une maladie ou l’empêchât de se conduire comme un membre normal de la société. L’émission fit l’objet d’une plainte. Dans son rapport, la commission consultative compétente (Broadcasting Complaints Advisory Committee) cita la législation en vigueur, qui érigeait les relations homosexuelles en infractions; elle accueillit la plainte au motif que le programme avait violé le code des usages de la radiotélévision sur les questions publiques et d’actualité (Current/Public Affairs Broadcasting Code) car il pouvait s’interpréter comme une apologie des pratiques homosexuelles. v. L’intéressé s’affirma en butte à des insultes verbales et à des menaces de violences depuis son interview à la RTE; il les attribuait dans une certaine mesure à la répression pénale des activités homosexuelles. Il allégua aussi que les services postaux avaient parfois ouvert son courrier. vi. Il admit avoir une liaison avec un autre homme et redouter des poursuites contre lui-même ou son partenaire, qui vivait en général à l’étranger. vii. Il prétendit en outre avoir éprouvé ce que le juge Henchy, dans une opinion dissidente à la Cour Suprême (paragraphe 22 ci-dessous), décrivait ainsi: "(...) la crainte de poursuites ou de la réprobation publique l’avait inhibé dans ses relations, sociales et autres, avec des collègues et amis de sexe masculin; et de plusieurs manières, subtiles mais insidieusement indiscrètes ou blessantes, il lui avait fallu limiter ou s’interdire des activités que les hétérosexuels estiment naturelles, comme autant d’aspects de l’expression nécessaire de leur personnalité ou de conséquences normales de leur citoyenneté." A aucun moment, avant ou après la procédure judiciaire engagée par lui, M. Norris n’a été accusé d’une infraction du chef de ses pratiques homosexuelles déclarées. Il en court néanmoins légalement le risque, que l’initiative des poursuites vienne du Director of Public Prosecutions ou, jusqu’à la notification du renvoi en jugement (return for trial), d’une personne privée (paragraphes 15-19 ci-dessous). II. LA LÉGISLATION IRLANDAISE PERTINENTE A. Les dispositions législatives attaquées Si le droit irlandais ne réprime pas l’homosexualité en soi, certains textes législatifs en vigueur, dont la loi de 1861 sur les crimes et délits contre les personnes (Offences against the Person Act, "la loi de 1861") et la loi de 1885 modifiant le droit pénal (Criminal Law Amendment Act, "la loi de 1885"), prohibent diverses activités sexuelles. Entrent en ligne de compte en l’espèce les articles 61 et 62 de la loi de 1861. Selon le premier d’entre eux, amendé en 1892, "Encourt la réclusion criminelle à vie toute personne reconnue coupable de l’abominable crime de buggery, qu’elle l’ait perpétré avec un semblable [sodomie] ou avec un animal [bestialité]." L’article 62, modifié de même, dispose: "Commet un délit et, une fois convaincu de celui-ci, encourt dix ans au plus de réclusion criminelle quiconque tente de perpétrer l’abominable crime en question, ou se rend coupable d’une agression afin de le perpétrer, ou de tout autre attentat à la pudeur sur une personne de sexe masculin." Buggery et tentative de buggery peuvent être le fait d’hommes ou de femmes. L’article 11 de la loi de 1885, lui, ne concerne que les individus de sexe masculin: "Commet un délit et, une fois convaincue de celui-ci, encourt, selon l’appréciation du tribunal, une peine de prison de deux ans au plus, assortie ou non de travaux forcés, toute personne de sexe masculin qui, en public ou en privé, accomplit un acte d’indécence grave avec un autre homme, participe à la perpétration d’un tel acte, ou sert ou tente de servir d’entremetteur en vue de pareil acte." Les articles 61 et 62 de la loi de 1861 doivent se lire en combinaison avec l’article 1 de la loi de 1891 sur la réclusion criminelle (Penal Servitude Act), lequel habilite le tribunal à infliger une peine de réclusion inférieure à celle que mentionne la loi de 1861 ou de la remplacer par une peine de prison n’excédant pas deux ans ou par une amende. Les normes des lois de 1861 et 1885 sont aussi tributaires du pouvoir, conféré au juge par l’article 1 par. 2 de la loi de 1907 sur la probation (Probation of Offenders Act), de prononcer par voie de substitution certaines mesures moins rigoureuses. Les expressions "travaux forcés" et "réclusion criminelle" ne signifient plus rien en pratique: un individu frappé d’une telle sanction subirait en réalité une peine de prison ordinaire. Des textes législatifs attaqués en l’espèce, la loi de 1885 est le seul que l’on puisse dire entièrement consacré aux activités homosexuelles. Elle ne définit pas ce qu’elle entend par indécence grave; il revient donc aux tribunaux de statuer au vu des faits de chaque cause. B. Application des dispositions législatives pertinentes Le droit de poursuivre quelqu’un devant une juridiction autre qu’un tribunal siégeant sans jury se trouve régi par l’article 30 par. 3 de la Constitution, ainsi libellé: "Tout crime ou délit poursuivi devant un tribunal établi conformément à l’article 34 de la présente Constitution et ne siégeant pas sans jury, l’est au nom du peuple et à l’initiative de l’Attorney General ou de toute personne à ce autorisée par la loi." Aux termes de l’article 9 de la loi de 1924 sur l’administration de la justice pénale (Criminal Justice (Administration) Act), adapté par la loi de 1937 sur les conséquences législatives de la Constitution (Constitution (Consequential Provisions) Act), "Pour tout crime déféré à un tribunal au moyen d’un acte d’accusation (upon indictment), les poursuites relèvent de l’Attorney General d’Irlande." La loi de 1974 sur la répression des infractions (Prosecution of Offences Act) a étendu au Director of Public Prosecutions, titulaire d’une charge créée par elle, la plupart des fonctions de poursuite qu’exerçait l’Attorney General. Il s’agit d’un fonctionnaire permanent de l’État, non du gouvernement, et indépendant de ce dernier. Tout un chacun, de nationalité irlandaise ou non, a le droit d’engager des poursuites privées en qualité de "dénonciateur" ("common informer"), sans avoir à justifier d’un intérêt direct et même si l’infraction alléguée ne le concerne pas personnellement. Un tel particulier ne jouit que de prérogatives limitées pour les infractions dont ne peut connaître un tribunal sans jury. Dans l’affaire The State (Ennis) v. Farrell (Irish Reports 1966, p. 107), la Cour Suprême a constaté qu’eu égard à l’article 9 de la loi de 1924 sur l’administration de la justice pénale, il peut mener les poursuites jusqu’au moment où le juge au tribunal de district (District Court) estime les preuves suffisantes pour qu’il y ait lieu à renvoi en jugement (committal for trial) devant un jury pour crime (indictable offence). L’Attorney General - ou le Director of Public Prosecutions, désormais - devient alors dominus litis et doit décider du dépôt d’un acte d’accusation contre le prévenu que le tribunal de district a ainsi déféré à un jury. Les infractions dont il s’agit en l’espèce - celles que répriment les articles 61 et 62 de la loi de 1861, ainsi que l’article 11 de la loi de 1885 - sont des crimes. Or un crime ne se prête à une procédure sommaire devant le tribunal de district que si, aux yeux du juge, les faits constituent un manquement mineur et si de plus l’accusé, informé de son droit à un procès devant un jury, déclare y renoncer. En outre, la possibilité de pareille procédure sommaire vaut uniquement pour les crimes énumérés en annexe à la loi de 1951 sur la justice pénale (Criminal Justice Act), qui la prévoit. Elle n’existe pas pour les infractions aux articles 61 et 62 de la loi de 1861, lesquelles ne figurent pas sur la liste; elle ne joue pour les infractions à l’article 11 de la loi de 1885 que si l’accusé a plus de seize ans et si la personne avec laquelle il aurait commis l’acte ne peut donner un consentement valable, faute d’avoir atteint cet âge ou en raison de sa qualité de débile profond, débile léger ou faible d’esprit. Partant, une affaire relative à des adultes consentants ne saurait jamais se traiter en procédure sommaire et seul un jury peut en connaître, que les poursuites initiales émanent d’un particulier ou du Director of Public Prosecutions, sauf si l’acccusé plaide coupable. De son côté, la loi de 1967 sur la procédure pénale (Criminal Procedure Act) autorise une personne accusée d’un crime - autre qu’une infraction à la loi de 1939 sur la trahison, un meurtre, une tentative ou un complot (conspiracy) de meurtre, un acte de piraterie ou une infraction à l’article 3 par. 1 i. de la loi de 1962 sur les conventions de Genève - à plaider coupable devant un tribunal de district. Celui-ci peut statuer en procédure sommaire avec l’accord du Director of Public Prosecutions ou de l’Attorney General, selon le cas; il ne peut infliger une peine supérieure à douze mois d’emprisonnement. Si l’infraction lui paraît appeler une sanction plus lourde, il peut renvoyer l’accusé devant le tribunal d’arrondissement (Circuit Court) aux fins de condamnation. L’intéressé peut alors modifier sa défense pour plaider non coupable; dans cette hypothèse, l’affaire va devant un jury. La Circuit Court a compétence pour prononcer n’importe quelle peine jusqu’à la limite fixée par la disposition légale applicable. En résumé, des poursuites fondées sur l’un des textes litigieux peuvent être déclenchées par un dénonciateur, mais elles ne sauraient déboucher sur un procès devant un jury sans un acte d’accusation dressé par le Director of Public Prosecutions. D’après les services de ce dernier, depuis leur création en 1974 aucun particulier n’a engagé de poursuites pour actes homosexuels accomplis en privé entre hommes adultes consentants. En septembre 1984, lesdits services ont répondu ainsi à une question de la Commission: "Le Director n’a pas de politique officielle en matière de poursuites pour tel secteur du droit pénal, ni de politique tacite consistant à ne pas poursuivre tel type d’infraction. Il examine chaque affaire en soi." Des statistiques fournies par le Gouvernement, il ressort que pendant la période considérée il n’y a pas eu de poursuites publiques relatives à des rapports homosexuels, sauf quand des mineurs s’y trouvaient impliqués ou pour des actes commis en public ou sans consentement. III. LA PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS NATIONALES Le requérant saisit la High Court en novembre 1977; il l’invitait à constater que les articles 61 et 62 de la loi de 1861, de même que l’article 11 de la loi de 1885, n’étaient plus en vigueur depuis la promulgation de la Constitution (paragraphe 10 ci-dessus) et ne faisaient donc point partie du droit irlandais. Dans son arrêt du 10 octobre 1980, le juge McWilliam releva notamment ce qui suit: "Les sanctions pénales pour actes homosexuels conduisent, entre autres, à renforcer les idées fausses et préjugés du grand public tout comme les sentiments d’angoisse et de culpabilité des homosexuels, menant parfois à la dépression et aux conséquences graves qui peuvent résulter de cette triste maladie." Il n’en débouta pas moins M. Norris par des motifs juridiques. Sur recours, la Cour Suprême confirma cette décision le 22 avril 1983 par trois voix contre deux. Elle estima le requérant qualifié pour agir bien que non poursuivi à raison de l’une des infractions en cause. Selon la majorité, "tant que la législation demeur[ait] et continu[ait] à condamner le comportement que le plaignant se prétend[ait] en droit d’adopter, pareil droit, s’il exist[ait], se trouv[ait] menacé et le plaignant [était] habilité à rechercher la protection de la justice". Pendant la procédure, le requérant avança qu’il fallait suivre l’arrêt Dudgeon de la Cour européenne des Droits de l’Homme, du 22 octobre 1981 (série A no 45). A l’appui de sa thèse, il plaida qu’une présomption de conformité de la Constitution à la Convention découlait de la ratification de celle-ci par l’Irlande et que pour examiner un problème de constitutionnalité sous l’angle de l’article 50 (art. 50) de la première, on devait déterminer si les lois en cause cadraient avec la seconde elle-même. En rejetant cette argumentation, le Chief Justice O’Higgins déclara au nom de la majorité: "la Convention est un accord international [qui] ne fait pas et ne saurait faire partie du droit interne [de l’Irlande], ni avoir une incidence quelconque sur les questions qui se posent au regard de celui-ci." Il précisa: "Cela ressort très clairement de l’article 29 par. 6 de la Constitution, ainsi libellé: ‘Un accord international ne s’intègre au droit interne de l’État que par décision de l’Oireachtas.’" De fait, la Cour européenne a déjà noté, dans son arrêt Lawless du 1er juillet 1961, que l’Oireachtas n’avait pas voté de loi incorporant la Convention à l’ordre juridique irlandais (série A no 3, pp. 40-41, par. 25). Pour la Cour Suprême, les lois réprimant le comportement homosexuel ne se heurtaient pas à la Constitution et nul droit au respect de la vie privée, englobant l’activité homosexuelle de personnes consentantes, ne pouvait se déduire "du caractère chrétien et démocratique de l’État irlandais" au point d’empêcher le recours à de telles sanctions. L’arrêt de la majorité se fondait entre autres sur les motifs suivants: "1. L’homosexualité a toujours été condamnée dans la doctrine chrétienne comme immorale et la société y voit de son côté, depuis de nombreux siècles, une infraction contre nature et très grave. Congénitale ou acquise, l’homosexualité exclusive peut rendre l’individu très angoissé et malheureux et le conduire à la dépression, au désespoir et au suicide. Une personne à tendances homosexuelles risque de se voir entraîner dans un mode de vie homosexuel qui peut devenir habituel. Dans d’autres pays, le comportement homosexuel masculin s’est traduit par la propagation de toutes les formes de maladies vénériennes, ce qui soulève à présent un important problème de santé publique en Angleterre. Le comportement homosexuel peut nuire au mariage et il est en soi préjudiciable à celui-ci en tant qu’institution." La Cour Suprême accorda cependant au requérant le remboursement des frais exposés par lui devant la High Court puis devant elle-même. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Norris a saisi la Commission le 5 octobre 1983 (requête no 10581/83). Il se plaignait de l’existence, en Irlande, d’une législation prohibant les actes homosexuels masculins (articles 61 et 62 de la loi de 1861, article 11 de la loi de 1885). D’après lui, elle portait à son droit au respect de sa vie privée - y compris sa vie sexuelle - une atteinte permanente et contraire à l’article 8 (art. 8) de la Convention. La National Gay Federation (Fédération nationale des homosexuels) faisait cause commune avec lui et tous deux invoquaient en outre les articles 1 et 13 (art. 1, art. 13). Le 16 mai 1985, la Commission a retenu la requête quant à l’ingérence alléguée dans la vie privée de M. Norris. Elle a déclaré irrecevables les griefs tirés des articles 1 et 13 (art. 1, art. 13), ainsi que tous ceux de la fédération susmentionnée. Dans son rapport du 12 mars 1987 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut par six voix contre cinq à la violation de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente collective dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience, le Gouvernement a maintenu les conclusions de son mémoire du 23 octobre 1987. Elles invitaient la Cour "1. à dire que le requérant n’est pas ‘victime’, au sens de l’article 25 (art. 25) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, et qu’il n’y a donc pas eu violation de celle-ci en l’espèce; ou, en ordre subsidiaire, à dire que les lois irlandaises en vigueur concernant les actes homosexuels ne violent pas l’article 8 (art. 8) de la Convention car elles sont nécessaires, dans une société démocratique, à la protection tant de la morale que des droits d’autrui, aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 (art. 8-2) de la Convention."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen belge né en 1932 et domicilié à Verviers, M. José Lamy est administrateur de sociétés. Le 29 novembre 1982, une société de personnes à responsabilité limitée ("la S.P.R.L. Lamy"), dont il était le gérant et qui réalisait des constructions industrialisées, fit au greffe du tribunal de commerce de Verviers l’aveu de sa faillite, que ce dernier déclara par un jugement du même jour. A. La détention préventive du requérant Le mandat d’arrêt Le 18 février 1983, un juge d’instruction du tribunal de première instance de Verviers interrogea M. Lamy et décerna contre lui un mandat d’arrêt. Celui-ci énonçait plusieurs motifs: gravité des faits ainsi que du trouble porté à l’ordre et à la sécurité publics, ampleur du passif de la faillite (plus de 500 millions de FB), nécessités de l’instruction, volonté délibérée et caractérisée de l’inculpé de soustraire leur gage aux créanciers, dépenses de l’intéressé, risque de fuite à l’étranger. Au verso du mandat figuraient les inculpations retenues à la charge du requérant: "I. S’être à Verviers, Pepinster ou ailleurs dans l’arrondissement ou le Royaume, en temps non prescrit, rendu coupable: étant associé majoritaire gérant de la SPRL Lamy à Ensival-Verviers, déclarée en faillite par le jugement du tribunal de commerce de Verviers du 29.11.1982, étant lui-même commerçant déclaré en faillite personnelle par jugement du même tribunal du 30.12.1982, a) (...) de banqueroute frauduleuse pour avoir notamment: détourné ou dissimulé une partie des actifs pour plus de 10.000.000 F, soustrait ses livres ou documents comptables ou frauduleusement enlevé, effacé ou altéré leur contenu; b) (...) de banqueroute simple, pour avoir notamment: fait des dépenses personnelles ou des dépenses de maison jugées excessives, omis de faire l’aveu de la cessation de ses paiements dans le délai prévu à l’article 440 du code de commerce, négligé en faisant l’aveu tardif de fournir les renseignements exacts et éclaircissements exigés par l’article 441 du code de commerce, après la cessation de ses paiements, avoir payé ou favorisé des créanciers au préjudice de la masse. II. Comme auteur, coauteur ou complice, avoir à Verviers ou ailleurs dans le Royaume entre le 1.1.1980 et ce jour, à plusieurs reprises dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire: a) commis des faux en écritures authentiques et publiques, en écritures privées, de banque ou de commerce, soit par fausses signatures, soit par contrefaçon ou altération d’écritures ou de signatures, soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans les actes, soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir ou de constater, notamment: (i) en produisant une situation bilantaire fausse le 29.11.1982, (ii) en dressant une compatibilité parallèle fictive de ses affaires avec, notamment, l’Algérie et la Libye; b) fait usage de ces pièces fausses les sachant telles; c) frauduleusement soit détourné, soit dissipé au préjudice d’autrui des effets, deniers, marchandises, billets, quittances, écrits qui lui avaient été remis à la condition de les rendre ou d’en faire un usage ou un emploi déterminé, notamment: (i) un montant de 789.000 F au préjudice de la T.V.A., (ii) un montant de plus de 10.000.000 F au préjudice de la SPRL Lamy (matériel de génie civil vendu); d) dans le but de s’approprier une chose appartenant à autrui, s’être fait remettre ou délivrer des fonds, meubles, obligations, quittances ou décharges, soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manoeuvres frauduleuses pour persuader de l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, pour faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès ou pour abuser autrement de la confiance ou de la crédibilité, notamment: (i) s’être fait remettre par la T.V.A. une somme de 1.801.429 F au préjudice de la SPRL Lamy. III. Avoir à Verviers ou ailleurs dans le Royaume entre le 14.1.1974 et ce jour, étant commerçant, exercé une activité professionnelle pour laquelle il n’est pas immatriculé au Registre de commerce." Après avoir reçu copie du mandat, M. Lamy fut écroué à la maison d’arrêt de Verviers. La procédure devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Verviers Le 22 février 1983, le requérant, assisté de son conseil, comparut devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Verviers. Son avocat déposa des conclusions dans lesquelles il contestait en particulier l’existence de "circonstances graves et exceptionnelles", au sens de l’article 2 de la loi du 10 avril 1874 (paragraphe 23 ci-dessous). Il remit aussi un dossier relatif, notamment, à la procédure de faillite personnelle de l’intéressé (paragraphe 17 ci-dessous). Après avoir entendu le juge d’instruction, le substitut du procureur du Roi et la défense, la chambre du conseil confirma le mandat d’arrêt. Adoptant les motifs de ce dernier, elle estima que l’intérêt de la sécurité publique exigeait le maintien de la détention. La procédure devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège Le 23 février 1983, M. Lamy attaqua devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège l’ordonnance ainsi rendue. Selon lui, elle ne comprenait aucune motivation, les circonstances relevées par la chambre du conseil n’étaient pas de nature à justifier sa détention et le mandat du 18 février se trouvait entaché d’illégalité car il ne portait aucune signature et indiquait une date inexacte (18 mars 1983). De son côté, le ministère public déposa un réquisitoire le 28 février 1983. Le 10 mars 1983, la chambre des mises en accusation annula l’ordonnance pour défaut de réponse aux conclusions du requérant. Toutefois, elle décida de maintenir le mandat d’arrêt. Au sujet de l’existence d’indices suffisants de culpabilité et de circonstances graves et exceptionnelles concernant la sécurité publique, elle se fondait sur les raisons suivantes: "Attendu que, même au travers de la description subjective que l’inculpé fournit, en termes de conclusions, de la situation de son entreprise, il se retient qu’il admet que le bilan du 29 novembre 1982 est inexact, bien qu’il dénie toute intention frauduleuse, et que le passif de la société se monterait, après vérification des créances, à 220 millions de francs auxquels il oppose essentiellement le résultat escompté d’une hypothétique action à introduire contre un tiers et dont il estime ‘raisonnablement’ la valeur à 300 millions; Qu’il échet de considérer ses aveux concernant les opérations irrégulières relevées au PV 317 de la PJ de Verviers et à l’interrogatoire du juge d’instruction du 18 février 1983 lesquels sont corroborés par les aveux du coïnculpé Jungbluth consignés au PV 292 de la même police judiciaire, bien qu’il en dénie actuellement la portée; Que de ces éléments résultent à charge de l’inculpé des indices de culpabilité suffisants pour justifier le mandat d’arrêt incriminé vu l’extrême importance des sommes en cause, les nécessités de l’instruction qu’il dénie vainement et le risque qu’il ne cherche à se soustraire à l’action de la justice malgré ses protestations de bonne foi et les bonnes intentions qu’il professe, circonstances soulignées par le mandat querellé, qui sont graves et exceptionnelles et en fonction desquelles l’intérêt de la sécurité publique réclamait l’arrestation." Quant à la prétendue illégalité du mandat, la chambre des mises en accusation constatait d’abord que la copie remise au requérant mentionnait la présence, sur l’original, de la signature et de l’identité du juge d’instruction. Elle soulignait ensuite "qu’il ne [pouvait] être sérieusement mis en doute (...) que ce fut à la suite d’une erreur purement matérielle et sans conséquence que la date du 18 mars 1983, au lieu du 18 février 1983, a été portée sur la copie remise au [requérant]". La cour concluait que ces circonstances ne rendaient en rien l’arrestation arbitraire et n’avaient pu nuire aux droits de la défense. La procédure devant la Cour de cassation M. Lamy se pourvut en cassation le 11 mars 1983; il soulevait trois moyens. En premier lieu, il prétendait qu’il y avait eu violation de formes substantielles, aucune signature ne figurant sur la copie du mandat d’arrêt et l’ordre d’écrou portant la date du 18 mars 1983. En outre, il estimait obscure et contradictoire la motivation de l’arrêt de la chambre des mises en accusation. Il affirmait enfin que celle-ci s’était appuyée sur les procès-verbaux 292 et 317 de la police judiciaire de Verviers, pièces non communiquées à l’inculpé; il invoquait à cet égard l’article 6 paras. 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3) de la Convention. La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 4 mai 1983. En ce qui concerne le premier moyen, elle nota que les formes prévues par le code d’instruction criminelle pour la signification du mandat d’arrêt n’étaient ni substantielles ni prescrites à peine de nullité. Rappelant les considérations de la chambre des mises en accusation sur le défaut de signature et l’erreur de date, elle conclut à l’absence d’atteinte aux droits de la défense et au principe de la liberté individuelle. Au sujet du deuxième moyen, la Cour de cassation ne jugea ni obscure ni contradictoire la motivation de l’arrêt attaqué: il se fondait non seulement sur les aveux du requérant relatifs aux opérations irrégulières relevées dans les procès-verbaux 292 et 317, mais encore sur l’extrême importance des sommes en cause, les nécessités de l’instruction et le risque que l’inculpé n’essayât de se soustraire à l’action de la justice; il en inférait qu’il s’agissait là de circonstances graves et exceptionnelles intéressant la sécurité publique. Quant au troisième moyen, la Cour de cassation estima que l’article 6 (art. 6) de la Convention visait l’exercice des droits de la défense devant les juridictions de jugement et non la procédure suivie en matière de détention préventive. D’autre part, la loi de 1874 excluait, à ce stade de la procédure, la communication du dossier à l’inculpé ou à son conseil; cela ressortait de son article 4, combiné avec le dernier alinéa de l’article 5. Partant, le juge n’avait pu "déduire une violation des droits de la défense de la non-communication du dossier". La mise en liberté provisoire La chambre du conseil confirma la détention préventive de mois en mois, par des ordonnances motivées (article 5, deuxième alinéa, de la loi de 1874 - paragraphe 23 ci-dessous). M. Lamy recouvra sa liberté le 18 août 1983: la chambre de vacations, faisant office de chambre des mises en accusation, considéra que les nécessités de l’instruction n’empêchaient plus de l’élargir. B. Les procédures contre le requérant La procédure civile Le 24 décembre 1982, à la demande des curateurs de la faillite de la S.P.R.L. Lamy, le tribunal de commerce de Verviers déclara la faillite du requérant à titre personnel. L’intéressé forma une opposition dont le tribunal le débouta le 24 mars 1983, mais sur son appel la cour de Liège, par un arrêt du 24 avril 1985, mit à néant le jugement du 24 mars 1983 et déclara de nul effet celui du 24 décembre 1982. La procédure pénale a) Le renvoi en jugement Le 28 mars 1986, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Verviers ordonna le renvoi de M. Lamy et de cinq coïnculpés devant le tribunal correctionnel. Contre cette ordonnance, le requérant forma une opposition que la chambre des mises en accusation de la cour d’appel déclara irrecevable par un arrêt du 10 décembre 1986. Le pourvoi introduit par lui contre ce dernier fut rejeté par la Cour de cassation le 4 février 1987. Tout au long de la procédure relative au renvoi en jugement, l’intéressé avait invoqué diverses nullités. Il avait notamment soutenu que son avocat n’avait pu consulter le dossier lors de la première confirmation du mandat d’arrêt par la chambre du conseil et n’avait, par la suite, disposé que de quarante-huit heures avant chaque comparution, ce qui ne suffisait pas pour préparer la défense. b) Le jugement du tribunal correctionnel de Verviers Le 12 novembre 1987, le tribunal correctionnel de Verviers condamna le prévenu à un emprisonnement de trois ans, avec un sursis de cinq ans pour la peine excédant la détention préventive, et à deux amendes de 60.000 FB. Contrairement à ses coïnculpés, l’intéressé ne releva pas appel. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE La matière de la détention préventive se trouve régie par une loi du 20 avril 1874, amendée ou complétée notamment par des lois des 23 août 1919 et 13 mars 1973. Les principales dispositions qui ont joué en l’espèce figurent ci-après: Article 1er "Après l’interrogatoire, le juge d’instruction pourra décerner un mandat d’arrêt, lorsque le fait est de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel de trois mois ou une peine plus grave. Si l’inculpé a sa résidence en Belgique, le juge ne pourra décerner ce mandat que dans des circonstances graves et exceptionnelles, lorsque cette mesure est réclamée par l’intérêt de la sécurité publique. (...)." Article 2 "Le mandat d’arrêt, dans le cas prévu à l’alinéa 2 de l’article précédent, spécifiera les circonstances graves et exceptionnelles intéressant la sécurité publique, qui motivent l’arrestation, en indiquant les éléments propres à la cause ou à la personnalité de l’inculpé." Article 3 "Immédiatement après la première audition, l’inculpé pourra communiquer librement avec son conseil. (...)." Article 4 "Le mandat d’arrêt ne sera pas maintenu si, dans les cinq jours de l’interrogatoire, il n’est pas confirmé par la chambre du conseil, sur le rapport du juge d’instruction, le procureur du Roi et l’inculpé entendus. Si l’inculpé, qui sera spécialement interpellé à ce sujet, désire se faire assister d’un conseil, il en est fait mention au procès-verbal de l’interrogatoire. Dans ce dernier cas, le président de la chambre appelée à statuer fera indiquer, quarante-huit heures au moins d’avance, sur un registre spécial tenu au greffe, les lieu, jour et heure de la comparution. Le greffier en donnera avis par lettre recommandée au conseil désigné." Article 5 "Si la chambre du conseil n’a pas statué sur la prévention dans le mois à compter de l’interrogatoire, l’inculpé sera mis en liberté, à moins que la chambre, par ordonnance motivée, rendue à l’unanimité, le procureur du Roi et l’inculpé ou son conseil entendus, ne déclare que des circonstances graves et exceptionnelles intéressant la sécurité publique nécessitent le maintien de la détention. L’ordonnance spécifiera ces circonstances en indiquant les éléments propres à la cause ou à la personnalité de l’inculpé. Il en sera de même successivement de mois en mois, si la chambre du conseil n’a point statué sur la prévention à la fin d’un nouveau mois. Préalablement à la comparution en chambre du conseil et en chambre des mises en accusation, le dossier sera mis, pendant deux jours, au greffe, à la disposition du conseil de l’inculpé. Le greffier en donnera avis au conseil par lettre recommandée." Article 19 "L’inculpé et le ministère public pourront appeler devant la chambre des mises en accusation des ordonnances de la chambre du conseil rendues dans les cas prévus par les articles 4, 5 (...)." Article 20 "L’appel doit être interjeté dans un délai de vingt-quatre heures, qui courra contre le ministère public à compter du jour de l’ordonnance, et contre l’inculpé, du jour où l’ordonnance lui aura été signifiée. Cette signification sera faite dans les vingt-quatre heures. L’exploit contiendra avertissement à l’inculpé du droit qui lui est accordé d’appeler et du terme dans lequel l’exercice de ce droit est circonscrit. La déclaration d’appel sera faite au greffe du tribunal de première instance et consignée au registre des appels en matière correctionnelle. Les pièces seront transmises par le procureur du Roi au procureur général. Les avis au conseil de l’inculpé seront donnés par les soins du greffier de la cour. La chambre des mises en accusation y statuera, toutes affaires cessantes, le ministère public et l’inculpé ou son conseil entendus. (...)." Il convient de noter que l’article 4 ne renferme pas de disposition équivalant au dernier alinéa de l’article 5, introduit par la loi du 23 août 1919. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 juin 1983 à la Commission (no 10444/83), M. Lamy se plaignait de ce que ni lui ni son avocat n’avaient eu accès au dossier de l’instruction lors de la première confirmation du mandat d’arrêt par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Verviers et lors de la procédure de recours devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège. Il alléguait la violation de l’article 5 paras. 2, 3 et 4 (art. 5-2, art. 5-3, art. 5-4) de la Convention, ainsi que de l’article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b). La Commission a retenu la requête le 10 décembre 1985. Dans son rapport du 8 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle formule l’opinion: - qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) (sept voix contre trois); - qu’il ne s’impose pas de se prononcer sur la méconnaissance de l’article 5 paras. 2 et 3 (art. 5-2, art. 5-3) (unanimité); - qu’il n’y a pas eu infraction à l’article 6 par. 3 b) (art. 6-3-b) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Le premier requérant, markt intern, est une maison d’édition dont le siège se trouve à Düsseldorf. Le deuxième, M. Klaus Beermann, en est le rédacteur en chef. Fondé et dirigé par des journalistes, markt intern s’emploie à défendre les intérêts des petites et moyennes entreprises du commerce de détail face à la concurrence des grandes sociétés de distribution, tels les supermarchés et les maisons de vente par correspondance. Il assiste financièrement les premières dans des procès portant sur des questions de principe, intervient en leur faveur auprès des autorités publiques, des partis politiques et des organisations professionnelles et présente à l’occasion au législateur des propositions de loi. Cependant, il sert surtout leur cause par l’édition d’une série de publications destinées à des secteurs commerciaux spécialisés, dont celui de la droguerie et des produits de beauté ("markt intern - Drogerie- und Parfümeriefachhandel"). Il s’agit de bulletins hebdomadaires qui informent leurs lecteurs sur l’évolution du marché et notamment sur les pratiques commerciales des grandes entreprises et de leurs fournisseurs. Imprimés en offset, ils se vendent par voie d’abonnements auxquels chacun peut souscrire; ils ne contiennent pas de publicité, ni d’articles commandités par les groupes pour lesquels ils prennent fait et cause. Markt intern se déclare indépendant; ses recettes proviennent exclusivement des abonnements. Il publie du reste d’autres bulletins d’information qui s’adressent plutôt au consommateur en général, tels "Steuertip", "Versicherungstip" et "Flugtip" qui visent respectivement les contribuables, les titulaires de polices d’assurance et les usagers des transports aériens. À plusieurs occasions, des entreprises qui avaient pâti de critiques des requérants ou d’appels au boycottage lancés par eux les ont assignés en justice pour infraction à la loi du 7 juin 1909 contre la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb - "la loi de 1909"). L’article publié dans le "markt intern - Drogerie- und Parfümeriefachhandel" du 20 novembre 1975 Le 20 novembre 1975, un article de M. Klaus Beermann parut dans le bulletin d’information consacré au secteur de la droguerie et des produits de beauté. Il relatait ainsi un incident mettant en cause une société anglaise de vente par correspondance, le Cosmetic Club International ("le Club"): "‘Ai commandé et payé la trousse de beauté au Cosmetic-Club International ... d’avril, mais je l’ai renvoyée quelques jours plus tard parce que je n’en étais pas satisfaite. Bien que le bulletin de commande stipule en termes clairs et nets que j’ai le droit de renvoyer la trousse si je n’en suis pas satisfaite, et que je serai remboursée, je n’ai pas vu à ce jour le moindre pfennig. Mon rappel du 18 juin, dans lequel je fixais au 26 juin le dernier délai, n’a lui non plus suscité aucune réaction.’ C’est en ces termes exaspérés que Maria Lüchau, droguiste à Celle, parle de l’activité commerciale du Club d’origine anglaise. Notre télex du 4 novembre à la gérante du Club, Doreen Miller: ‘S’agit-il d’un incident isolé ou ce comportement traduit-il votre politique officielle?’ Dans sa prompte réponse du lendemain, le Club prétend tout ignorer tant de la trousse renvoyée par Mme Lüchau que de son rappel de juin. Il promet cependant d’enquêter immédiatement sur ce cas et de l’élucider en prenant contact avec la droguiste à Celle. Indépendamment de cette réponse provisoire d’Ettlingen, voici notre question à tous les collègues du secteur de la droguerie et des produits de beauté: Avez-vous eu avec le Club des expériences analogues à celle de Mme Lüchau? Ou avez-vous connaissance de cas analogues? Il est de la plus haute importance, pour porter un jugement sur la politique du Club, de savoir si ce cas est isolé ou s’il y en eu d’autres." "‘Habe beim Cosmetic-Club International das Schönheits-Set ... von April bestellt und bezahlt, aber wegen Nichtgefallen nach wenigen Tagen zurückgesandt. Obwohl auf dem Bestellcoupon klar und deutlich geschrieben steht, dass ich bei Nichtgefallen berechtigt bin, das Set zurückzusenden und mir Erstattung zugesichert wird, habe ich bis heute keinen Pfennig wiedergesehen. Auch auf meine Abmahnung vom 18. Juni mit Fristsetzung 26. Juni erfolgte keine Reaktion.’ So der empörte Bericht der Celler Drogistin Maria Lüchau über die Geschäftstätigkeit des aus England importierten Cosmetic-Clubs. Unser Telex vom 4. November an CCI-Geschäftsführerin Doreen Miller: ‘Handelt es sich hier um eine Einzelpanne, oder gehört dieses Verhalten zu Ihrer offiziellen Politik?’ In seiner prompten Antwort tags drauf will der CCI weder etwas von Frau Lüchaus Set-Retoure noch von ihrer Abmahnung im Juni wissen. Er verspricht aber eine sofortige Untersuchung des Falles sowie eine klärende Kontaktaufnahme mit der Drogistin in Celle. Unabhängig von dieser vorläufigen Antwort aus Ettlingen unsere Frage an alle Drogerie/Parfümerie-Kollegen: Haben Sie ähnliche Erfahrungen wie Frau Lüchau mit dem Cosmetic-Club gesammelt? Oder sind Ihnen ähnliche Fälle bekannt? Die Ein- oder Mehrmaligkeit solcher Fälle ist für die Beurteilung der CCI-Politik äusserst wichtig." Les 20 septembre et 18 octobre 1974 ainsi que le 29 octobre 1975, markt intern avait déjà publié au sujet du Club et conseillé au commerce de détail et à l’industrie d’observer envers lui une certaine réserve, car il usait de fausses dates et promesses. Le 29 octobre 1975, markt intern citait comme exact un passage d’un mémoire du Club, d’après lequel "un changement d’attitude de l’industrie montr[ait] que les appels au boycottage [n’avaient] pas manqué d’impressionner". L’ordonnance de référé (einstweilige Verfügung) Saisi par le Club, le tribunal régional (Landgericht) de Hambourg rendit le 12 décembre 1975, en vertu des articles 936 et 944 du code de procédure civile, une ordonnance de référé interdisant à markt intern de répéter les déclarations publiées le 20 novembre. La procédure au principal (Hauptsache) a) La procédure devant le tribunal régional de Hambourg Comme les requérants avaient demandé une décision au principal (articles 936 et 926 du code de procédure civile), le Club engagea l’action dans le délai fixé par le tribunal. Il invitait ce dernier à enjoindre à markt intern "de s’abstenir d’insérer dans ses bulletins d’information les déclarations suivantes: 1) Mme Lüchau aurait donné, sur l’activité commerciale du Club, en des termes exaspérés, un renseignement selon lequel elle avait renvoyé la trousse de beauté - parce qu’elle n’en était pas satisfaite -, mais n’avait pas été remboursée malgré un rappel, sans déclarer en même temps que le Club avait immédiatement envoyé à Mme Lüchau une demande d’enquête préparée par lui et destinée aux services postaux, et lui avait assuré le remboursement de ses frais éventuels; 2) dans sa réponse immédiate du lendemain à markt intern, le Club aurait affirmé tout ignorer du renvoi de la trousse de beauté et du rappel de juin, sans indiquer en même temps qu’on ne voulait pas exprimer des doutes sur l’exactitude de la déclaration du Club; 3) et de poser à tous les collègues du secteur de la droguerie et des produits de beauté la question de savoir s’ils avaient des expériences analogues à celle de Mme Lüchau ou connaissance de cas analogues - il serait de la plus haute importance, pour porter un jugement sur la politique du Club, de savoir si ce cas était isolé ou s’il y en avait eu d’autres, sans préciser en même temps qu’on ne voulait pas insinuer que le Club pouvait avoir pour politique officielle d’encaisser des paiements et de ne pas fournir simultanément les produits dus." Le tribunal régional statua le 2 juillet 1976. Il rejeta la première demande du Club: la déclaration était exacte et il n’existait aucune raison de penser que markt intern la diffuserait derechef sans indiquer ce qui s’était passé depuis sa publication du 20 novembre 1975 (recherches sollicitées auprès des postes, etc.). Il retint en revanche les deux autres demandes en se fondant sur l’article 824 du code civil, aux termes duquel "quiconque affirme ou diffuse, au mépris de la vérité, un fait propre à porter atteinte au crédit d’une personne ou à lui causer d’autres désavantages quant à ses revenus ou sa carrière, doit l’indemniser du dommage qu’il lui aura occasionné (...)". Il écarta l’applicabilité de l’article 823 du code civil et laissa de côté le point de savoir si le Club pouvait également invoquer la loi de 1909. En écrivant que le Club prétendait tout ignorer du renvoi de la trousse de beauté et du rappel de Mme Lüchau (deuxième demande), markt intern avait non seulement exprimé des doutes sur l’exactitude de ces renseignements mais presque affirmé, sans fournir aucune preuve, qu’ils étaient mensongers. En invitant les droguistes à lui signaler leurs "expériences analogues" avec le Club (troisième demande), markt intern avait proposé qu’on lui fournît des renseignements, si possible défavorables, sur celui-ci bien qu’il n’existât pas encore assez de raisons de penser qu’il menait une politique commerciale condamnable. Tout en admettant que l’économie est sujette au contrôle critique de la presse, le tribunal régional estima que les principes de la défense d’intérêts légitimes (article 193 du code pénal) et de la liberté d’expression (article 5 de la Loi fondamentale) ne protégeaient pas le maintien d’assertions mensongères. L’action des requérants était fautive: markt intern n’aurait pas dû généraliser le cas de Mme Lüchau, non encore tiré au clair à l’époque, et l’utiliser pour formuler des reproches à l’encontre du Club. Cette manière de procéder ne répondait pas aux devoirs des journalistes. Les défendeurs auraient dû commencer par pousser plus loin leurs recherches, mais autrement que sous la forme de leur invitation aux droguistes. Aux termes du jugement, ils encouraient pour chaque contravention une amende (Ordnungsgeld) ou une détention (Ordnungshaft), à fixer par le tribunal et pouvant aller, respectivement, jusqu’à 500.000 DM ou à six mois. b) La procédure devant la cour d’appel hanséatique (Hanseatisches Oberlandesgericht) Accueillant les conclusions des requérants, la cour d’appel hanséatique infirma, le 31 mars 1977, le jugement du tribunal régional. La loi de 1909 n’entrait pas en ligne de compte: par son article du 20 novembre 1975, markt intern n’avait pas agi à des fins de concurrence, c’est-à-dire pour promouvoir le chiffre d’affaires des drogueries et des parfumeries au détriment du Club, mais pour aviser ses lecteurs que ce dernier n’avait pas réglé comme il le fallait un incident concernant un de ses propres clients. Le Club ne pouvait pas davantage s’appuyer sur les articles 824 et 823 du code civil, les allégations publiées le 20 novembre 1975 n’étant pas contraires à la vérité. Quant au renvoi de la trousse de beauté et au rappel de Mme Lüchau (première demande du Club), les requérants avaient respecté leurs obligations de journalistes. Le code pénal (article 193) permettait en principe des commentaires défavorables sur les prestations du commerce pour autant qu’ils visent à défendre des intérêts légitimes; l’article 5 de la Loi fondamentale reconnaissait que la presse avait pour fonction de contribuer à la formation de l’opinion publique. Enfin, il n’existait aucun risque de répétition de cette partie des déclarations publiées par markt intern. L’affirmation que le Club prétendait tout ignorer du renvoi de la trousse de beauté et du rappel de Mme Lüchau ("will ... weder ... noch ... wissen"), ne prêtait pas à objection dans les circonstances de la cause. La formule signalait, sans plus, aux lecteurs que markt intern ne pouvait contrôler les renseignements fournis par le Club. Par son invitation aux droguistes (troisième demande du Club), markt intern n’avait pas avancé des faits ou allégations indiquant que l’incident litigieux relevait de la politique officielle du Club. Il avait seulement proposé à ses lecteurs de vérifier les pratiques commerciales de ce dernier et avait précisément laissé ouverte la question de savoir si le cas de Mme Lüchau était isolé. Sans doute avait-il exprimé l’opinion qu’il tenait pour possible l’existence de plusieurs autres du même genre, mais il s’agissait là d’un simple jugement de valeur. c) La procédure devant la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) Saisie par le Club, la Cour fédérale de Justice cassa l’arrêt de la cour d’appel hanséatique le 16 janvier 1980; réformant le jugement du tribunal régional de Hambourg, elle interdit aux requérants de publier dans leur bulletin d’information les déclarations diffusées par markt intern le 20 novembre 1975, telles que le Club les avait reprises dans ses conclusions en première instance (paragraphe 14 ci-dessus). Pour chaque contravention, les intéressés encouraient une amende ou une détention à fixer par le tribunal et pouvant aller jusqu’à, respectivement, 500.000 DM ou six mois. La Cour fédérale de Justice fonda son arrêt sur l’article 1 de la loi de 1909, aux termes duquel "Une action en cessation et en dommages-intérêts peut être introduite contre quiconque accomplit en affaires, à des fins de concurrence, des actes contraires aux bonnes moeurs." "Wer im geschäftlichen Verkehre zu Zwecken des Wettbewerbes Handlungen vornimmt, die gegen die guten Sitten verstossen, kann auf Unterlassung und Schadensersatz in Anspruch genommen werden." a) Nonobstant l’absence de relations de concurrence entre markt intern et le Club, la loi de 1909 trouvait à s’appliquer: il suffisait pour cela que l’acte incriminé favorisât objectivement la position d’une entreprise au détriment d’un concurrent; or là résidait précisément le but poursuivi en l’occurrence. Sur ces points, la Cour fédérale renvoyait à la jurisprudence constante, notamment la sienne, relative à la loi de 1909. Dans la mesure où la cour d’appel avait estimé que les requérants n’entendaient pas intervenir en faveur du commerce de détail spécialisé et au détriment du Club, son arrêt ne résistait pas à l’examen: elle n’avait pas assez tenu compte de toutes les circonstances ni apprécié à leur juste valeur les faits présentés. Vu notamment les publications antérieures de markt intern sur le Club (paragraphe 12 ci-dessus), elle aurait dû conclure que les requérants ne s’étaient pas bornés à informer en qualité d’organe de presse, mais avaient épousé les intérêts du commerce spécialisé de la droguerie et, pour les promouvoir, avaient mis en cause les pratiques commerciales du Club. Elle aurait par conséquent dû se dire que markt intern voulait agir en faveur du commerce spécialisé et au détriment du Club. Dans le domaine général de la presse et de l’information, il était fort inhabituel de citer un incident isolé comme celui de Mme Lüchau - selon markt intern il pouvait même s’agir d’une simple "panne" - pour soulever d’emblée en public la question polémique de savoir s’il reflétait la politique officielle du Club. Quant à l’appel de markt intern à ses lecteurs, les priant de lui signaler des expériences négatives analogues, la cour d’appel aurait dû y voir une initiative encore plus insolite, révélatrice elle aussi de l’intention d’intervenir sur le marché. b) Applicable en l’espèce, l’article 1 de la loi de 1909 se trouvait enfreint car les déclarations litigieuses étaient contraires aux bonnes moeurs: "Par leur publication incriminée (...), les défendeurs ont contrevenu aux bonnes moeurs au sens de l’article 1 de la loi de 1909. Peu importe ici que les déclarations correspondent à la réalité en ce qui concerne le témoin Lüchau (conclusion 1). Une déclaration vraie mais commercialement nuisible n’échappe pas nécessairement, grâce à sa seule véracité, au reproche de violation des principes de la concurrence loyale. D’après les règles de la concurrence (...), de telles déclarations ne sont acceptables que s’il y a des raisons suffisantes de les formuler et si la nature et l’ampleur des critiques en question restent dans les limites exigées par la situation: il est contraire aux bonnes moeurs de faire de la concurrence par des déclarations dénigrantes sur ses concurrents (Cour fédérale de Justice, Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht ("BGH GRUR") 1962, pp. 45 et 48 - Betonzusatzmittel). En l’occurrence, il n’existait pas, lors de la publication, de raisons suffisantes de signaler cet incident. Les circonstances exactes n’avaient pas encore été élucidées; le demandeur avait promis, dans sa réponse, de procéder à une enquête immédiate et consenti à prendre contact avec Mme Lüchau pour tirer la situation au clair. Les défendeurs savaient, pour avoir eux-mêmes qualifié de provisoire la réponse du demandeur, que les critiques adressées à ce dernier ne pourraient se justifier avec certitude tant que l’affaire ne serait pas éclaircie. Partant, ils auraient dû tenir compte de ce qu’une telle publication prématurée aurait forcément des répercussions nuisibles sur l’activité économique du demandeur: elle donnait aux détaillants spécialisés un argument efficace, pouvant être invoqué auprès de leur clientèle commune à l’encontre du demandeur, et pouvant servir même si l’incident se révélait isolé et n’autorisait aucune conclusion sur les pratiques commerciales du demandeur. Dans ces conditions, il n’y avait pas de raisons suffisantes, en tout cas au moment de la publication, pour rendre public cet incident isolé. Du reste, pareille conduite est très inhabituelle en matière de concurrence commerciale. Quant à la conclusion 2, on ne peut non plus refuser d’accueillir le pourvoi, pour le seul motif que la phrase: "le Club prétendit tout ignorer de la trousse retournée par Mme Lüchau et de son rappel de juin", ne peut s’apprécier qu’en fonction de l’information, contraire à une concurrence loyale, mentionnée dans la conclusion 1. Simple complément non indépendant, elle justifie la même appréciation juridique, d’autant qu’elle risquait de renforcer l’impression défavorable devant inévitablement résulter de l’information relative à l’incident. La cour d’appel relève qu’il s’agit là, sans plus, d’une illustration de l’incapacité du journaliste à vérifier ce qu’on lui a indiqué, mais cette observation contredit sa conclusion précédente selon laquelle le tour de phrase incriminé exprime au moins des doutes considérables sur l’exactitude de l’information et qu’en l’espèce, par conséquent, la description des événements par le demandeur est présentée comme ne méritant probablement pas crédit. La cour d’appel aurait donc dû exposer sur quelle base elle arrivait à une conclusion contraire au sens ordinaire des mots. Elle ne l’a pas fait, de sorte que pour au moins une partie non négligeable des milieux visés, on peut présumer une interprétation conforme au langage courant qui risque de placer le demandeur sous un plus mauvais éclairage encore. Le rejet de la conclusion 3 se fonde sur les considérations suivantes de la cour d’appel: la question posée à tous les collègues droguistes et détaillants en produits de beauté - avaient-ils eu des expériences analogues à celle de Mme Lüchau avec le Club, ou avaient-ils eu connaissance de cas analogues, chose très importante pour juger de la politique du Club? - montrait que les défendeurs estimaient possible que plusieurs cas de ce genre se fussent produits; toutefois, cela ne constituait qu’un jugement de valeur qui, comme tel, ne pouvait soulever d’objection. Or, au regard de l’article 1 de la loi de 1909, le point décisif ne consiste pas à savoir si la déclaration s’analyse en un jugement de valeur ou en l’affirmation d’un fait. L’expression d’un jugement de valeur peut elle aussi exercer, dans le domaine de la concurrence, une influence inacceptable d’après l’article 1 de la loi de 1909 (BGH GRUR 1962, p. 47 - Betonzusatzmittel). En l’espèce, il n’y avait en tout cas pas de raison suffisante pour une suspicion de portée aussi grande. Un simple cas isolé de ce genre ne justifiait pas que l’on soupçonnât d’emblée le demandeur de politique commerciale frauduleuse. Il est en outre contraire aux bonnes moeurs commerciales d’appeler, dans de telles circonstances et dès ce stade, à l’envoi de matériel compromettant. Comme les défendeurs connaissaient les circonstances autorisant à leur reprocher d’avoir agi à l’encontre des bonnes moeurs, leur condamnation en vertu de l’article 1 de la loi de 1909 n’inspire pas non plus d’hésitations sous l’angle subjectif. Quant au risque de répétition, il faut s’en tenir à la maxime consacrée par la jurisprudence de la Cour fédérale de Justice: en cas de violation des règles de la concurrence, l’existence de pareil risque se présume en fait (Cour fédérale de Justice, affaires civiles ("BGHZ") 14, pp. 163 et 171 - Constanze II). Il en va ainsi des articles de presse lorsque - comme ici - la nature des questions traitées donne à penser que la première publication n’a pas encore clôturé le débat (BGHZ 31, pp. 318 et 319 - Alte Herren; BGH, Neue Juristische Wochenschrift ("NJW") 1966, pp. 647 et 649 - Reichstagsbrand). Les défendeurs n’ont fourni aucun indice juridiquement valable de la disparition du danger." d) La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) Les requérants saisirent ensuite la Cour constitutionnelle fédérale en dénonçant une atteinte à la liberté de la presse (article 5 § 1 de la Loi fondamentale). Statuant en comité de trois juges, la Cour constitutionnelle décida, le 9 février 1983, de ne pas retenir le recours; elle l’estima dénué de chances suffisantes de succès, par les motifs suivants: "Comme la Cour constitutionnelle fédérale en a décidé dans son arrêt du 15 novembre 1982 (1 BvR 108/80 et autres [Entscheidungen des Bundesverfassungsgerichts, volume 62, pp. 230-248]), les conditions requises pour que la liberté d’expression et de la presse prévale sur d’autres intérêts juridiques protégés par le droit commun, ne se trouvent pas remplies quand une publication par voie de presse a pour but de favoriser, dans le contexte de la concurrence commerciale, certains intérêts économiques au détriment d’autres. Or tel est le cas des déclarations interdites par la Cour fédérale de Justice. La deuxième phrase de l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale n’exigeait donc pas d’interpréter et appliquer l’article 1 de la loi de 1909 d’une autre manière que l’arrêt attaqué. Comme ce dernier ne se fonde pas sur une violation de la deuxième phrase de l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale (liberté de la presse), le fait que la Cour fédérale de Justice ne s’est pas explicitement prononcée, dans ses attendus, sur la portée de la liberté de la presse dans le jeu de l’article 1 de la loi de 1909, ne tire pas à conséquence." * * * Mme Lüchau ne fut pas seule à se plaindre du Club: deux autres clients signalèrent aux requérants qu’ils avaient rencontré des difficultés analogues; le premier d’entre eux se manifesta avant la publication du 20 novembre 1975, le second après. Selon ses propres indications, le Club vendit 157.929 trousses de beauté entre le 1er décembre 1974 et le 30 novembre 1975; en 1975, 11.870 personnes identifiables renvoyèrent l’article et furent remboursées. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 11 juillet 1983 à la Commission (no 10572/83), markt intern et M. Beermann se plaignaient des interdictions prononcées contre eux par les juridictions allemandes en vertu de l’article 1 de la loi de 1909. La Commission a retenu la requête le 21 janvier 1986. Dans son rapport du 18 décembre 1987 (article 31) (art. 31), elle exprime, par douze voix contre une, l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 25 avril 1989, le Gouvernement a prié la Cour de "dire que la République fédérale d’Allemagne n’a pas, en l’espèce, violé la Convention".
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Les requérants sont propriétaires d’appartements qu’ils louent à bail. Ils se plaignent de la réduction de leurs loyers, imposée par la loi de 1981 sur les loyers (Mietrechtsgesetz, "la loi de 1981"). I. LES CIRCONSTANCES DES AFFAIRES A. Leopold et Maria Mellacher Les requérants sont copropriétaires d’un immeuble sis à Graz et dont ils ont loué plusieurs appartements. L’un de ceux-ci, un deux pièces cuisine d’une surface totale de 40 m2, fut loué le 15 septembre 1978, par contrat librement négocié conformément aux dispositions de la loi de 1922 sur les loyers, modifiée en 1967, moyennant un loyer mensuel de 1.870 schillings autrichiens (ATS). En vertu de la loi de 1981, le locataire de l’appartement en question invita le 5 février 1982 la commission d’arbitrage (Schlichtungsamt) de Graz à ramener son loyer mensuel à 330 ATS, soit 150 % du loyer de base maximal pour la catégorie D, à dater du 1er mars 1982. Après une audience tenue le 25 mai 1982, elle accueillit la demande le 7 juin. Les requérants s’en plaignirent au tribunal de district pour les affaires civiles (Bezirksgericht für Zivilrechtssachen) de Graz. Leur locataire prétendait que l’appartement relevait de la catégorie D car, lors de la location, il n’y avait ni eau courante ni WC; ces installations avaient été ajoutées par la suite à ses frais. Le 22 octobre 1982, le tribunal confirma que l’appartement entrait dans la catégorie D, pour laquelle, aux termes de l’article 16 § 2 de la loi de 1981, le loyer mensuel ne devait pas excéder 5 ATS 50 au mètre carré. D’après l’article 44 § 2, il fallait ramener le loyer à 150 % du montant réglementaire, soit en l’occurrence 330 ATS par mois. Le tribunal ordonna le remboursement au locataire du trop-perçu encaissé depuis le 1er mars 1982 (12.320 ATS). Les intéressés recoururent contre cette décision en faisant valoir, notamment, que les restrictions consécutives à l’application de l’article 44 de la loi de 1981 étaient inconstitutionnelles. Réduire un loyer librement et légalement négocié revenait, selon eux, à exproprier le propriétaire sans indemnité. Ils suggéraient donc que la juridiction d’appel déférât à la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) la question de la constitutionnalité de ladite loi. Le tribunal régional pour les affaires civiles (Landesgericht für Zivilrechtssachen) de Graz les débouta le 18 février 1983. Eu égard à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative à des problèmes similaires, il n’estima pas devoir saisir celle-ci. B. Johannes, Ernst et Anton Mölk et Maria Schmid Membres de la même famille, les requérants résident à Innsbruck. Copropriétaires d’un immeuble sis à Innsbruck, ils en louèrent l’un des appartements, un trois pièces cuisine d’une superficie totale de 68 m2, avec toilettes et installations sanitaires sur le palier, par contrat du 7 décembre 1972, librement négocié conformément aux dispositions de la loi de 1922 sur les loyers, modifiée en 1967. Le loyer mensuel s’élevait à 800 ATS jusqu’en août 1975, puis à 1.500 ATS à partir du 1er septembre de la même année, compte tenu de certaines améliorations à réaliser par les locataires (notamment le transfert de la salle d’eau dans l’appartement). En outre, il était soumis à une clause d’indexation sur la base de l’indice des prix à la consommation de 1966. En avril 1983, il aurait dû par conséquent atteindre 2.985 ATS. En fait, les locataires versèrent 1.308 ATS 30 par mois, à compter de novembre 1982. Le 4 octobre 1982, en vertu de la loi de 1981, lesdits locataires invitèrent la commission d’arbitrage d’Innsbruck à ramener leur loyer à 150 % du loyer de base maximal pour les logements de catégorie D. Elle accueillit la demande le 6 avril 1983. Les requérants s’en plaignirent au tribunal de district d’Innsbruck. Ils plaidaient que si certaines améliorations n’avaient pas été financées par eux-mêmes mais par les locataires, elles avaient en réalité été prévues dans le bail originaire et avaient conduit à une réduction du loyer pour la période initiale. Les locataires objectèrent que le coût de leurs investissements avait largement dépassé le montant de la réduction temporaire du loyer. Le 22 juin 1983, le tribunal jugea que le loyer à percevoir devait se calculer sur la base de celui valant pour les logements de catégorie D, car l’appartement en cause entrait dans celle-ci à l’époque de la signature du contrat et que les améliorations n’avaient pas été apportées par les propriétaires. En conséquence, il ramena le loyer à 561 ATS par mois à dater de novembre 1982 et ordonna aux requérants de rembourser le trop-perçu encaissé depuis lors (soit quelque 4.000 ATS). Les requérants attaquèrent cette décision, prétendant que la base de calcul du loyer devait être applicable aux appartements de catégorie B, et non pas D, et qu’ils avaient subi une expropriation ou une autre ingérence disproportionnée dans leur droit au respect de leurs biens, garanti par les articles 5 de la Loi fondamentale (Staatsgrundgesetz) et 1 du Protocole no 1 à la Convention (P1-1). Selon eux, la question de constitutionnalité devait être déférée à la Cour constitutionnelle. Le 15 novembre 1983, le tribunal régional d’Innsbruck, tout en accueillant partiellement l’appel, confirma le classement de l’appartement dans la catégorie D, compte tenu de son état au moment de la conclusion du bail. Il n’éprouvait aucun doute quant à la constitutionnalité de la législation applicable. L’ingérence prévue à l’article 44 de la loi de 1981 respectait les exigences de la Constitution et de la Convention. Cette législation tendait à la sauvegarde d’un intérêt général: assurer des loyers stables, socialement et économiquement justifiés, pour les appartements répondant en principe aux besoins essentiels de l’importante fraction de la population dont le logement dépend d’un bail. Le 28 décembre 1983, les requérants citèrent l’État devant le tribunal de district d’Innsbruck afin d’obtenir une indemnité pour expropriation, d’un montant de 26.600 ATS (pour la période de 14 mois comprise entre novembre 1982 et décembre 1983). Déboutés le 5 juillet 1984, ils ne firent pas appel dans les délais prescrits. Le 3 avril 1986, le tribunal régional d’Innsbruck rejeta en dernier ressort leur demande de dérogation à ces délais. Ils exercèrent aussi un recours contre la décision du tribunal régional, du 15 novembre 1983, en arguant de l’inconstitutionnalité de la législation applicable. Le 6 mars 1984, la Cour Suprême (Oberster Gerichtshof) le jugea irrecevable. C. Christiane Weiss-Tessbach et les ayants droit de Maria Brenner-Felsach La première requérante est la propriétaire et feu Maria Brenner-Felsach, dont les ayants droit ont maintenu la requête, était l’usufruitière d’un immeuble sis à Vienne et comprenant plusieurs appartements loués à bail. D’autres locaux du même immeuble sont loués à des fins autres que l’habitation. L’un des appartements, un six pièces cuisine, avec corridor, salle de bains et toilettes (d’une surface totale de 200 m2), fut loué le 1er avril 1979 par contrat librement négocié conformément aux dispositions de la loi de 1922 sur les loyers, modifiée en 1967. Le loyer mensuel fut fixé à 3.800 ATS et soumis à une clause d’indexation sur la base de l’indice des prix à la consommation de 1976. En janvier 1982, il atteignait 4.236 ATS 51. En vertu de la loi de 1981, le locataire en sollicita le 23 décembre 1981 la réduction à 3.300 ATS (soit 150 % du loyer de base maximal pour les appartements de catégorie C), à compter du 1er janvier 1982. L’avocat des requérantes répondit, le 13 janvier 1982, que la demande était injustifiée. Le 19 février, le locataire invita la commission d’arbitrage de Vienne à ramener le loyer à 3.300 ATS par mois à partir de janvier 1982. Après une audience tenue le 24 février, elle y consentit le 28 mai 1982. Les requérantes s’en plaignirent au tribunal de district de la ville de Vienne (Bezirksgericht Innere Stadt Wien). Elles plaidaient que l’appartement relevait de la catégorie B aux fins de l’article 16 § 1, alinéa 4, de la loi de 1981 et qu’en outre l’immeuble était placé dans une zone de monuments protégés, couverte par l’alinéa 3. Le tribunal décida, le 31 août 1983, de diminuer le loyer à 3.300 ATS par mois à dater du 1er janvier 1982. Selon lui, au jour de la conclusion du bail l’appartement entrait dans la catégorie C, et l’alinéa 3 de l’article 16 § 1 ne s’appliquait pas puisque l’immeuble ne se trouvait pas dans une zone d’intérêt historique ou architectural. Certes, les intéressées avaient procédé à des investissements considérables (pour un montant total de 563.745 ATS), mais cela ne changait rien à la situation juridique. Les requérantes attaquèrent cette décision, alléguant notamment que l’appartement avait été classé à tort dans la catégorie C et que l’alinéa 3 de l’article 16 § 1 de la loi de 1981 devait jouer. Le tribunal régional pour les affaires civiles de Vienne écarta le recours le 13 décembre 1983. Selon lui, la juridiction de première instance avait eu raison de conclure, au vu du dossier, que ni l’alinéa 4 de l’article 16 § 1 ni l’alinéa 3 ne s’appliquaient. En particulier, les intéressées n’avaient pas prouvé que leurs investissements avaient été financés par d’autres ressources que leurs revenus locatifs, destinés selon la loi à l’entretien. Elles n’avaient donc pas établi qu’elles avaient couru personnellement un risque financier considérable. Dès lors, les conditions légales d’une réduction du loyer étaient pleinement remplies. II. DONNÉES LÉGISLATIVES A. L’évolution de la législation sur le contrôle des loyers jusqu’en 1981 Depuis la Première Guerre mondiale, il existe en Autriche un système de contrôle des loyers. La loi de 1922 sur les loyers (Mietengesetz), amendée à maintes reprises et restée en vigueur jusqu’en 1981, prévoyait leur blocage au niveau de 1914 (article 2). Elle habilitait le propriétaire à percevoir des charges supplémentaires au titre des frais administratifs courants, des impôts et des équipements spéciaux (Betriebskosten, articles 4 et 5). En cas de conclusion d’un nouveau bail, elle l’autorisait à demander une augmentation n’excédant pas un montant maximal fixé par la loi (Neuvermietungszuschlag, article 16 de la version antérieure à 1967). Le propriétaire avait l’obligation de consacrer le revenu locatif à l’entretien normal de l’immeuble, mais non de procéder à des améliorations (article 6); il pouvait toutefois en entreprendre avec l’accord des locataires concernés, sous réserve d’un complément de loyer à régler par eux (première phrase de l’article 5). Si les frais nécessaires d’entretien n’étaient pas couverts par le revenu locatif des sept dernières années, le propriétaire pouvait demander au tribunal de fixer une augmentation de loyer (erhöhter Hauptmietzins) pour une période n’excédant pas dix ans. Il devait alors utiliser pour les mesures nécessaires d’entretien la totalité du revenu locatif supplémentaire perçu pendant cette période (article 7). La loi de 1922 apportait aussi de nombreuses restrictions au droit du propriétaire de résilier le bail (articles 19 à 23). En principe, ce dernier ne pouvait être dénoncé que pour des raisons sérieuses (article 19 § 1). La loi spécifiait lesquelles (article 19 § 2) et, en pratique, on les interprétait de manière restrictive. Le bail ne s’éteignait pas au décès du locataire. La loi prévoyait un droit de succession (Eintrittsrecht) des proches parents (conjoint, enfants, enfants adoptifs, frères et soeurs) et des autres personnes ayant vécu dans le foyer du locataire (article 19 § 2, alinéa 11). Lorsque le propriétaire ou l’un de ses proches parents souhaitait se servir de l’appartement en cause, le contrat ne pouvait être résilié qu’en cas de "besoin urgent" (dans la pratique, on entendait par là une "absolue nécessité") et à condition de mettre à la disposition du locataire un logement de remplacement approprié (article 19 § 2, alinéa 6). Les restrictions susvisées, notamment celles concernant le montant du loyer exigible, n’étaient pourtant pas toujours applicables. Echappaient à ces dernières les appartements situés dans des immeubles édifiés après 1917, ainsi que certains autres logements, dont ceux construits après l’entrée en vigueur de la loi de 1922 (article 1). Un double marché se trouva ainsi créé, privilégiant les propriétaires de maisons ou appartements de construction récente, pour lesquels les loyers exigibles n’obéissaient qu’aux dispositions générales du code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) sur le droit des contrats. Sous la domination allemande, un blocage des loyers fut imposé aussi pour certains baux non soumis à la loi de 1922 (Mietzinsregelungsverordnung). Il fut maintenu dans la législation autrichienne adoptée en 1954 (Zinsstoppgesetz). Pour les baux existant au 30 juin 1954, les loyers librement négociés dans le cadre d’accords antérieurs ne pouvaient plus augmenter, sauf autorisation judiciaire accordée en application - par analogie - des dispositions de la loi de 1922 relatives aux relèvements de loyer. Cependant, aucune restriction ne frappait les nouveaux baux pour les appartements non couverts par cette loi, c’est-à-dire principalement les logements situés dans des immeubles neufs. En 1967, un amendement à la loi de 1922 (Mietrechtsänderungsgesetz) ouvrit la voie à une importante libéralisation du contrôle pour les appartements régis par cette loi. A dater du 1er janvier 1968, les restrictions de loyer ne portèrent plus que sur les baux antérieurs qui restaient en vigueur, y compris ceux prorogés en vertu du droit de succession d’une personne autre que le locataire originel. Le blocage des loyers subsistait pour eux, la couronne de 1914 étant convertie en 1 ATS pour les appartements et en 2 ATS (3 à partir du 1er janvier 1969) pour les locaux commerciaux. Toutefois, les parties pouvaient convenir d’un loyer supérieur, dès le moment où le contrat jouait depuis plus de six mois. Les nouveaux baux ne subissaient plus de restrictions quant au montant du loyer, même dans le cas d’appartements antérieurement assujettis à un contrôle, pour autant que ceux-ci eussent été reloués dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la nouvelle législation ou le départ de l’ancien locataire (article 16 § 1 du texte amendé). Le propriétaire devait consacrer à l’entretien au moins la moitié de ce revenu locatif supplémentaire (article 16 § 2). Cet assouplissement se traduisit par des loyers assez élevés, même pour les appartements nouvellement loués situés dans de vieux immeubles. Le maintien du blocage pour les baux existants favorisa une tendance à perpétuer les anciens contrats; d’où une raréfaction de l’offre pour ce type de logements, laquelle eut une incidence sur le marché libre des baux nouveaux. Le montant relativement important des loyers que l’on pouvait obtenir pour lesdits appartements se trouva également favorisé par le haut niveau des loyers sur le marché des logements de construction récente, qui avant 1968 échappaient déjà au régime de contrôle. En 1981, un propriétaire pouvait percevoir sur le marché libre jusqu’à trente fois le montant du loyer bloqué au niveau de 1914. La dégradation du marché du logement amena, en 1974, à réintroduire un contrôle des loyers pour les appartements ne répondant pas à certaines normes. Un amendement supplémentaire à la loi de 1922 (Mietengesetznovelle) imposa de nouvelles restrictions aux nouveaux baux concernant ce type d’appartements. Les baux en cours y échappaient (même s’ils se fondaient sur un accord librement conclu après 1968), mais à dater du 1er août 1974 on ne put en établir de nouveaux que sur la base d’un loyer réglementaire de 4 ATS par mètre carré et par mois (article 16 § 3 de la loi sur les loyers amendée en 1974). Jugeant ce montant insuffisant, de nombreux propriétaires préférèrent laisser inoccupés les appartements de cette catégorie, d’où une pression supplémentaire sur le marché du logement et une tendance à l’augmentation des loyers des appartements des autres catégories. Outre les clauses susmentionnées sur le contrôle des loyers, qui touchaient surtout les appartements situés dans des immeubles construits avant la Première Guerre mondiale, la législation antérieure à 1981 renfermait des règles analogues applicables à certains bâtiments plus récents, dont les immeubles érigés grâce à des subventions publiques (Wohnbauförderungsgesetz 1968) ou par des organismes de logement à but non lucratif (Wohnungsgemein- nützigkeitsgesetz 1979). Elle fixait en détail le mode de calcul des loyers, en partant du principe qu’ils ne devaient pas excéder les coûts supportés par le propriétaire. La loi de 1981 n’y a rien changé. B. La loi de 1981 sur les loyers La loi de 1922 a été abrogée et remplacée par une nouvelle loi, entrée en vigueur le 1er janvier 1982. Il s’agissait de procéder à une réforme globale de la législation sur les relations entre propriétaires et locataires. Cependant, tout comme la loi précédente celle de 1981 ne vaut pas pour tous les baux. L’article 1 § 2 exclut les locaux (i) concédés à certains types d’entreprises, (ii) destinés à servir de logement de fonction, (iii) loués pour moins de six mois et (iv) loués comme résidence secondaire ou à des fins récréatives. L’article 1 § 3 soustrait au jeu des normes sur le contrôle des loyers les immeubles construits par des organismes de logement à but non lucratif et leur appartenant; en la matière, ils relèvent des clauses particulières de la loi sur le logements à but non lucratif (Wohnungs- gemeinnützigkeitsgesetz, paragraphe 30 ci-dessus). Enfin, l’article 1 § 4 précise que seules certaines dispositions (concernant la résiliation des baux, le droit de succession et les contributions d’entretien) s’appliquent (i) aux bâtiments construits sans subventions publiques après le 30 juin 1953, (ii) aux immeubles ne comprenant pas plus de deux appartements distincts et (iii) aux appartements en pleine propriété (Eigentumswohnungen) situés dans des immeubles édifiés après 1945. Dans les cas en question, le loyer peut se négocier sans aucune restriction. Pour les appartements et locaux couverts par la loi, le système de contrôle des loyers a subi une modification fondamentale. La législation antérieure a aussi connu des changements importants pour les obligations des propriétaires en matière d’entretien de leurs biens. Les règles relatives à la résiliation des baux ont en substance été maintenues, sous réserve de certains amendements mineurs. Les dispositions pertinentes de la loi de 1981 Article 15 "Loyer à payer au titre d’un bail principal (Hauptmiete) (1) Le loyer à payer par le preneur pour jouir des locaux loués au titre du bail principal se compose: du loyer de base (Hauptmietzins); de la partie des frais de fonctionnement attribuable aux locaux concernés et des taxes périodiques à verser pour ceux-ci; de la partie des dépenses exceptionnelles attribuable aux locaux; d’une somme adéquate pour les objets d’ameublement ou autres prestations fournis par le propriétaire en sus de la jouissance des locaux. (2) Le propriétaire a en outre le droit de réclamer au preneur la taxe sur le chiffre d’affaires à verser pour les loyers perçus. S’il en use, il doit déduire des dépenses qu’il met à la charge du preneur les montants correspondants du précompte (Vorsteuerbeträge) y relatif. (...)" Article 16 "Accords relatifs au montant du loyer de base (1) Les accords entre le propriétaire et le preneur sur le montant du loyer de base de locaux loués au titre d’un bail principal sont autorisés, sans les restrictions énoncées au paragraphe 2, à concurrence du montant justifié par les dimensions, le type, la configuration, l’emplacement, l’équipement et l’état du bien concerné: si ce dernier n’est pas utilisé à des fins d’habitation; (...) s’il est situé dans un bâtiment nouveau édifié en vertu d’un permis de construire accordé après le 8 mai 1945, ou s’il a été nouvellement créé par conversion de locaux existants, adjonction d’un étage, réalisation d’aménagements intérieurs ou construction d’une annexe, en vertu d’un permis de construire accordé après le 8 mai 1945; (...) s’il est situé dans un immeuble à conserver comme monument d’intérêt général, ou pour sauvegarder le paysage urbain ou rural, ou pour des motifs analogues, à condition que le propriétaire, indépendamment des fonds publics alloués, ait lui-même apporté une forte contribution financière à cette conservation après le 8 mai 1945; s’il s’agit d’un appartement de catégorie A d’une surface habitable de plus de 90 m2, ou de catégorie B d’une surface habitable supérieure à 130 m2, sous réserve qu’il soit loué par le propriétaire, dans les six mois suivant sa libération par le preneur ou occupant précédent, à une personne non habilitée à succéder aux droits de celui-ci; s’il s’agit d’un appartement de catégorie A ou B en bon état et dont la qualité a été améliorée par le propriétaire après le 31 décembre 1967 grâce à la réunion d’appartements de catégorie C ou D, ou à la réalisation d’importants travaux d’agrandissement ou de conversion d’un ou plusieurs appartements de ces catégories, ou encore à l’investissement de sommes élevées; (...) s’il s’agit d’un appartement de catégorie C en bon état et dont la qualité a été améliorée par le propriétaire après le 31 décembre 1967, grâce à la réunion d’appartements de catégorie D ou à la réalisation d’importants travaux d’agrandissement ou de conversion d’un ou plusieurs appartements de cette catégorie, ou encore à l’investissement de sommes élevées; (...) si la conclusion du bail remonte à plus de six mois. (2) Si les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont pas remplies, le loyer de base convenu entre le propriétaire et le preneur pour un appartement loué au titre d’un bail principal ne peut excéder, par mois et par mètre carré de surface utile: 22 ATS pour un appartement de catégorie A, c’est-à-dire un logement habitable d’au moins 30 m2 de surface utile, comportant au moins une chambre, une cuisine (kitchenette), une entrée, un WC et des installations d’eau conformes au standard contemporain (salle de bain ou niche de douche), équipé d’un système de chauffage central, de chauffage par étage ou d’une installation fixe comparable, et doté d’une source d’eau chaude; 16 ATS 50 pour un appartement de catégorie B, c’est-à-dire un logement habitable comportant au moins une chambre, une cuisine (kitchenette), une entrée, un WC et des installations d’eau conformes au standard contemporain (salle de bain ou niche de douche); 11 ATS pour un appartement de catégorie C, c’est-à-dire un logement habitable doté au minimum de l’eau courante et de WC intérieurs; 5 ATS 50 pour un appartement de catégorie D, c’est-à-dire un logement sans eau courante ou WC intérieurs, ou doté de ces deux installations dont l’une toutefois est inutilisable et n’a pas été réparée dans un délai raisonnable après que le preneur [en] a signalé au propriétaire [l’état défectueux]. (3) L’intégration dans une des catégories définies au paragraphe 2 dépend du niveau d’équipement de l’appartement au moment de la conclusion du bail. (...) (4) Les montants précisés au paragraphe 2 diminuent ou augmentent en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation de 1976 publié par le Bureau central autrichien des statistiques, ou de l’indice le remplaçant, par rapport à la date où la présente loi fédérale entrera en vigueur; les variations n’excédant pas 10 % de l’ancien montant de référence ne sont pas prises en compte. (...) (5) Si le loyer de base convenu en vertu du paragraphe 1 dépasse le montant justifié par les dimensions, le type, la configuration, l’emplacement, l’équipement et l’état du bien loué, l’accord le concernant est sans effet pour la fraction excédant ce plafond. S’il doit se calculer selon les dispositions des paragraphes 2 et 3, l’accord le concernant est sans effet pour la fraction dépassant le maximum autorisé par elles. (...)" Article 18 "Augmentation du loyer de base (1) Si les frais afférents à des travaux d’entretien importants et urgents à effectuer par le propriétaire, y compris les intérêts et autres frais découlant de la mobilisation des fonds, au sens de l’article 3 § 3, alinéa 1, ne sont pas couverts par la somme des excédents ou pertes locatifs (Mietzinsreserven oder Mietzinsabgänge) des dix années civiles précédentes et s’ils excèdent les revenus locatifs attendus pour la période d’amortissement, le loyer de base peut être augmenté pour combler le déficit. Sont à prendre en compte pour fixer la majoration requise: la somme des excédents ou pertes locatifs des dix années civiles précédentes, y compris une éventuelle subvention accordée en raison de l’exécution des travaux; les frais raisonnables de travaux d’entretien urgents décrits dans un devis, y compris ceux relatifs à l’administration et à la surveillance des travaux, pour autant qu’ils n’excèdent pas 5 % des coûts de construction; il y a lieu d’y ajouter ou d’en retrancher (en cas de déficit de couverture) la somme visée à l’alinéa 1; une période équitable d’amortissement ne dépassant pas dix ans, à fixer en fonction, d’une part, du laps de temps à l’issue duquel l’expérience montre que des travaux identiques ou analogues doivent être répétés, dans l’hypothèse d’une durabilité normale, et, d’autre part, de la situation économique du propriétaire et de l’ensemble des locataires de l’immeuble; les capitaux, propres ou empruntés, dont le propriétaire a besoin pour financer le déficit de couverture, et les frais liés à la mobilisation des fonds nécessaires, ainsi que la somme mensuellement requise pour l’amortissement de ces capitaux et leur rémunération raisonnable sous forme d’intérêts; un montant global, à fixer librement (‘nach freier Überzeugung’; article 273 du code de procédure civile), destiné à couvrir les frais afférents aux travaux d’entretien récurrents et les dépenses périodiques relatives aux impôt et surtaxes sur le patrimoine liés à la propriété de l’immeuble, ainsi que toute somme mensuellement requise pour amortir et rémunérer sous forme d’intérêts les capitaux investis, dans les conditions prévues à l’article 3 § 3, alinéa 1, lors de travaux d’entretien antérieurs; la somme totale des loyers mensuels de base afférents aux locaux loués, qui, aux fins d’uniformisation du calcul, sont à fixer ainsi: a) pour les logements cédés à bail, chaque loyer mensuel de base calculé conformément à l’article 16 §§ 2 à 4; (...) (...)" Article 20 "Décompte relatif au loyer de base (1) Le propriétaire établit un décompte clair des recettes et des dépenses pour chaque année civile. Ce décompte indique sous la rubrique recettes: a) les montants versés au propriétaire à titre de loyer de base pour les locaux cédés à bail (loyer de base majoré et contribution à l’entretien); (...) e) les subventions accordées au propriétaire en raison de l’exécution de travaux d’entretien ou de travaux utiles d’amélioration. Peuvent être mentionnés au titre de dépenses: a) les sommes déboursées pour couvrir les frais, justifiés par des factures et des quittances, exposés pour l’entretien ordinaire (article 3) ou l’amélioration utile (articles 4 et 5) de l’immeuble; b) 20 % des frais, justifiés par des factures et des quittances, exposés par le propriétaire pour l’entretien ordinaire (article 3) ou l’amélioration utile (articles 4 et 5) de l’immeuble au cours d’années civiles pendant lesquelles il n’a pas été exigé des preneurs un loyer de base majoré en vertu de l’article 18 § 2 ou § 3; c) les sommes versées par le propriétaire au titre des impôt et surtaxes sur le patrimoine liés à la propriété de l’immeuble. (2) La différence entre les recettes et les dépenses d’une année civile, ainsi indiquées, constitue, selon le cas, l’excédent ou la perte locatifs de l’année en cause. (...)" Article 21 "Frais de fonctionnement et taxes périodiques (1) Sont à considérer comme frais de fonctionnement les frais exposés par le propriétaire pour: l’approvisionnement en eau de l’immeuble (...); le ramonage régulier des cheminées, conformément à la réglementation en la matière, le nettoyage des égouts, l’évacuation des ordures et la désinfection des locaux; l’éclairage convenable des parties communes de l’immeuble (...); l’assurance adéquate de l’immeuble contre les dégâts d’incendie (...); (...) l’assurance responsabilité civile obligatoire (...) et l’assurance contre les dégâts, y compris de corrosion, dus aux conduites d’eau; l’assurance adéquate de l’immeuble contre d’autres dommages (...); la gestion de l’immeuble, visée à l’article 22; (...) (...)" Article 44 "Loyer de base exorbitant (...) (2) Le preneur d’un appartement loué avant l’entrée en vigueur de la présente loi fédérale peut exiger du propriétaire qu’il diminue le loyer de base antérieurement convenu: si l’appartement ne remplissait pas les conditions énoncées à l’article 16 § 1, alinéas 2 à 6, au moment de la conclusion de l’accord sur le montant du loyer de base; si le loyer de base convenu excède de plus de 50 % le montant exigible en vertu de l’article 16 § 2, compte tenu des dimensions et de la catégorie de l’appartement au moment de la conclusion du bail ou après réalisation de travaux d’amélioration financés par le propriétaire. (3) Si le preneur exige du propriétaire qu’il réduise le loyer de base convenu, l’accord y relatif y est sans effet à dater de la première échéance suivant la réception de la demande, dans la mesure où ledit loyer est supérieur à une fois et demie le montant correspondant aux dimensions et à la catégorie de l’appartement (paragraphe 2, alinéa 2). (...)" Article 45 "Contribution à l’entretien (1) La contribution à l’entretien se calcule ainsi: pour un appartement: des deux tiers du montant du loyer pouvant être demandé en vertu de l’article 16 § 2, alinéa 1, et § 4, il y a lieu de déduire le montant effectivement versé à titre de loyer de base ou de loyer de base majoré; (...) (2) Si le loyer de base à verser par le preneur pour des locaux loués avant l’entrée en vigueur de la présente loi fédérale, conformément aux anciennes dispositions ou à une convention antérieure, est tellement bas que l’application du paragraphe 1 débouche sur une contribution à l’entretien, le propriétaire peut, afin de prévoir et de garantir à temps le financement du coût des travaux d’entretien identifiables et nécessaires à brève échéance, exiger du locataire le versement de ladite contribution, calculée selon le paragraphe 1, en sus du loyer de base ou du loyer de base majoré jusque-là applicables, pour autant que les locaux soient situés dans un immeuble dont les services de l’urbanisme n’ont ni autorisé ni ordonné la démolition. Il informe le preneur de cette exigence par écrit, au plus tard un mois avant l’échéance du loyer pour laquelle il réclame le paiement de la contribution, en s’engageant à utiliser celle-ci, dans un délai de dix ans à dater de son versement, au financement de travaux d’entretien dont le coût ne soit pas couvert par l’excédent locatif à prendre en compte, et à produire au 30 juin de chaque année civile un décompte distinct y relatif (article 20 § 3); la communication écrite susvisée mentionne en outre le montant du loyer de base ou du loyer de base majoré à payer pour les locaux, la surface utile de ces derniers, de même que, dans le cas d’appartements, la catégorie dans laquelle ils rentraient au moment de la conclusion du bail. (...)" Par la suite, le législateur a modifié plusieurs dispositions de la loi de 1981. Il a notamment précisé les articles 20 et 45 en y incluant les contributions à l’amélioration des locaux. Dispositions relatives à la résiliation des baux Les restrictions au droit, pour un propriétaire, de résilier un bail (paragraphe 28 ci-dessus) ont été maintenues en substance par la loi de 1981. Dispositions relatives à la procédure Certaines mesures relatives aux baux, notamment la réduction du loyer en vertu de l’article 44 de la loi de 1981, exigent, en cas de contestation, une décision judiciaire. Aux termes de l’article 37, la procédure se déroule devant le tribunal de district compétent et revêt un caractère gracieux (Verfahren ausser Streitsachen). Toutefois, dans des communes où le nombre d’affaires le justifie, un organe administratif peut être mis en place afin de traiter le problème en premier (article 38). La procédure judiciaire ne peut y être entamée qu’une fois prise la décision administrative. Elle n’est pas considérée comme un recours, mais comme une instance entièrement nouvelle privant la décision en cause de tout effet (articles 39 et 40). C. Appréciation de la législation et examen de sa constitutionnalité La loi de 1981 a été adoptée à l’issue de débats houleux au Parlement et dans les media, auxquels ont contribué représentants des partis politiques et groupes d’intérêts. La polémique continue d’ailleurs. Des critiques acerbes ont été formulées, notamment contre l’économie extrêmement compliquée de la loi et des difficultés administratives qui en découlent pour les propriétaires. En ce qui concerne l’introduction du système des loyers au mètre carré, elles ont surtout porté sur sa pertinence en tant que tel, l’absence de distinction selon la situation des immeubles en cause, spécialement au regard des différences d’un marché régional à l’autre, et la faiblesse des loyers réglementaires jugés, dans de nombreux cas, insuffisants pour couvrir les frais d’entretien normaux. Dans bien des milieux, on a aussi soutenu que rien ne justifie d’appliquer ledit système aux baux existants et de donner aux locataires la faculté de demander une réduction. Sur ce dernier point, la question de savoir si cette mesure équivalait à une expropriation et si elle respectait la Constitution et la Convention européenne des Droits de l’Homme a donné lieu à controverse. Néanmoins, elle n’a pas été soumise à la Cour constitutionnelle. Aux termes des dispositions pertinentes de la Constitution fédérale (Bundesverfassungsgesetz, articles 140 et 144), les intéressés ne peuvent s’adresser directement à ladite juridiction si les tribunaux civils sont compétents. Il revient à ces derniers, en degré d’appel, de la saisir si la constitutionnalité d’une disposition légale qu’il leur faut appliquer dans un litige donné leur inspire des doutes (articles 89 § 2 et 140 § 1). Or, comme le montre la présente affaire, ils n’en ont pas éprouvé pour l’article 44 de la loi de 1981. Un arrêt du 3 juillet 1984 le confirme. La Cour Suprême s’y exprime ainsi: "En édictant la loi sur les loyers, le législateur a restreint, pour des raisons compréhensibles d’un point de vue historique, la liberté contractuelle quant au montant du loyer exigible pour les biens entrant dans son champ d’application. Au fil des décennies, toujours en fonction des besoins du moment, de nouveaux biens furent soustraits au domaine de la libre fixation des prix selon l’offre et la demande. Après un assouplissement puis un resserrement des mesures de contrôle (loi modificative sur les loyers, Journal officiel no 281/1967, amendement à la loi sur les loyers, Journal officiel no 409/1974), la situation exigeait que le législateur procédât à une réforme radicale. Il a donc limité d’une manière générale les accords concernant le loyer de base pour les biens en cause au montant jugé raisonnable compte tenu de leurs dimensions, type, configuration, emplacement, équipement et état, et dans un souci de clarté il a fixé des plafonds pour les types les plus fréquents d’appartements (article 16 § 2 de la loi de 1981). Parallèlement, il a estimé que le but essentiel des dispositions transitoires consistait à ajuster graduellement et le mieux possible les anciens baux aux nouvelles règles. Il n’ignorait pas que cette harmonisation était à la fois l’aspect le plus difficile et le plus urgent du régime transitoire. (...) (...) Il y a donc manifestement ingérence dans les baux existants. C’était d’ailleurs l’intention déclarée du législateur. A cet égard, il ne faut pas oublier que l’obligation de payer un loyer pour un appartement constitue une obligation durable et qu’en général de telles obligations se prêtent à certaines adaptations ou modifications. (...) La protection générale accordée par la Constitution ne couvre pas les droits existants (VfSlg [Erkenntnisse und Beschlüsse des Verfassungsgerichtshofes] 7423/1974: ‘Aucune disposition de la Constitution fédérale n’interdit en principe au législateur ordinaire d’empiéter sur des droits régulièrement acquis.’). La réglementation en cause cadre pleinement avec la politique législative consistant à adapter les baux en vigueur à l’ensemble du système de la réforme du droit des loyers et elle tend à réduire le hiatus entre l’ancien et le nouveau système. L’article 44 §§ 2 et 3 de la loi sur les loyers ménage un instrument approprié d’ajustement. Il permet en outre au propriétaire de percevoir comme loyer 50 % de plus que ce qu’il pourrait obtenir en cas de nouvelle location consécutive à la résiliation du bail par l’ancien locataire. Il vise simplement à épargner à celui-ci d’avoir à acquitter un loyer ‘excessif’ au regard des plafonds des loyers au mètre carré jugés raisonnables s’il ne peut ou ne veut dénoncer le bail et à louer un autre appartement. Comme le locataire peut toujours résilier le contrat, le droit de percevoir le loyer librement négocié est en réalité limité à la durée effective du bail. Pour les dispositions transitoires de l’article 44 §§ 2 et 3, le législateur s’est inspiré de l’article 934 du code civil, norme déjà en vigueur lorsque les baux furent conclus, ainsi que des idées sous-jacentes à la loi sur la protection du consommateur (...); il a donc autorisé une réduction allant jusqu’à une fois et demie le montant du loyer raisonnable nouvellement fixé (...). Il ne témoigne ni d’arbitraire ni d’excès en accordant l’initiative au locataire, cette faculté devant être considérée non pas isolément mais dans le contexte de l’ensemble de la réforme. Il demeure dans les limites de cette liberté de déterminer la politique législative qu’il faut lui reconnaître en cas de doute. Trop restreindre cette liberté conduirait à figer les situations juridiques et gênerait les adaptations nécessaires. Il échet de souligner que le droit du locataire de demander une réduction en vertu de l’article 44 §§ 2 et 3 de la loi sur les loyers - désavantage manifeste pour le propriétaire qui, conformément à la loi existante, avait conclu un accord sur le montant du loyer et dont la confiance en la loi se trouve désormais déçue - est compensé par plusieurs assouplissements au gel antérieur des loyers au niveau de 1914 (par exemple, article 12 § 3 ou article 46 § 2 de la loi sur les loyers); de même, la possibilité d’obtenir une contribution à l’entretien en vertu de l’article 45 de la loi sur les loyers représente une mesure permettant l’ajustement des baux en vigueur. Certes, la réforme peut entraîner plus d’inconvénients pour tel propriétaire et plus d’avantages pour tel autre, mais en tout cas il s’agit d’une simple restriction au droit de propriété (Eigentumsbeschränkung) puisque le loyer exigible des locataires en place peut dépasser de 50 % le plafond prévu par la nouvelle réglementation. Le législateur ne peut autoriser une expropriation que si elle sert le bien public et l’intérêt général (voir, entre autres, VfSlg 8326/1978, 8083/1977, 7321/1974). L’article 5 de la Loi fondamentale précise qu’une expropriation ne peut avoir lieu que si elle est justifiée par l’intérêt général (voir, entre autres, VfSlg 8212/1977, 7238/1973). Si la première phrase dudit article s’applique également aux restrictions au droit de propriété, le législateur peut néanmoins en édicter sans enfreindre la Constitution, pourvu qu’il ne porte pas atteinte à la substance même du droit fondamental à l’inviolabilité de la propriété et ne transgresse pas d’une autre manière un principe constitutionnel s’imposant même à lui (VfSlg 9189/1981, 8981/1980, etc.). Or il n’en va pas ainsi des clauses transitoires de l’article 44 §§ 2 et 3 de la loi sur les loyers, nécessaires à l’intérêt général et au bien public car elles s’intègrent au système équilibré mis en place afin d’ajuster l’ancienne législation à la nouvelle et concourent à l’harmonisation indispensable. Aux termes de l’article 1 du premier Protocole à la Convention des Droits de l’Homme (P1-1), les restrictions au droit de propriété doivent aussi être conformes à l’intérêt général. La Cour constitutionnelle a confirmé dans un arrêt du 16 décembre 1983 (G 46/82-15) sa jurisprudence selon laquelle les restrictions à la propriété tenant compte de ces principes ne sont pas inconstitutionnelles." (Österreichische Immobilien-Zeitung 1983, no 18, pp. 331-333) PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission dans l’ordre suivant: Leopold et Maria Mellacher le 5 août 1983 (requête no 10522/83); Johannes, Ernst et Anton Mölk et Maria Schmid le 22 mai 1984 (requête no 11011/84); Christiane Weiss-Tessbach et Maria Brenner-Felsach le 4 juillet 1984 (requête no 11070/84). Ils se plaignaient tous d’une atteinte à leurs droits de propriété, garantis par l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) à la Convention, en raison des réductions de loyers prétendument excessives accordées à leurs locataires en vertu de l’article 44 de la loi de 1981. Johannes, Ernst et Anton Mölk et Maria Schmid invoquaient aussi l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole (art. 14+P1-1), la législation imposant selon eux une charge plus lourde aux propriétaires individuels qu’aux autres, dont les autorités publiques. Par une décision du 8 juillet 1985, la Commission a joint les trois requêtes. Elle les a retenues le 8 mai 1986. Dans son rapport du 11 juillet 1988 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) dans les cas de M. et Mme Mellacher ainsi que de Johannes, Ernst et Anton Mölk et de Maria Schmid; par dix voix contre une, à sa non-violation dans celui de Christiane Weiss-Tessbach et Maria Brenner-Felsach; à l’unanimité, à l’absence de question distincte sur le terrain de l’article 14 (art. 14) de la Convention pour la famille Mölk. Le texte intégral de son avis et de l’opinion en partie dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire du 18 avril 1989. Il y invitait la Cour à dire qu’il n’y a pas eu en l’espèce de manquement aux exigences de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, Tre Traktörer Aktiebolag ("TTA"), est une société anonyme suédoise. Son siège se trouve à Helsingborg, dans le comté de Malmö, et elle a pour unique actionnaire Mme Olga Flenman. A. Genèse de l’affaire Le 30 juillet 1980, TTA assuma la gestion du restaurant "Le Cardinal", à Helsingborg, et obtint une licence l’autorisant à y servir de la bière, du vin et d’autres boissons alcoolisées. "Le Cardinal" avait été ouvert le 6 mars 1980 par AB Citykällaren qui s’était vu accorder une licence le 29 février 1980. Cette société, créée en 1960 et achetée le 1er juillet 1977 par Mme Olga Flenman - qui en resta l’unique actionnaire jusqu’au 1er juin 1982 puis conserva la majorité des parts et siégea au conseil d’administration comme membre titulaire ou suppléant jusqu’au 19 décembre 1983 -, paraît avoir été vendue en 1987. Le 25 septembre 1981, la licence de TTA pour "Le Cardinal" fut remplacée par une deuxième, soumise à la condition que l’entreprise demeurât un restaurant. Une troisième s’y substitua le 9 novembre 1981; elle s’accompagnait de nouvelles instructions relatives à la fourniture de boissons à la jeunesse. Enquête des autorités fiscales En 1981, les services fiscaux de la préfecture (Länsstyrelsen) du comté de Malmö avaient procédé à un contrôle des activités d’AB Citykällaren du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980. Entre ces deux dates, Mme Flenman avait géré à diverses époques trois établissements distincts, dont "Le Cardinal". L’inspection, qui déboucha le 17 septembre 1981 sur un rapport d’expertise comptable, révéla différentes inexactitudes dans les livres; l’écart le plus notable, estimé à 93.000 couronnes suédoises (SEK), concernait la vente de bières, vins et spiritueux dans ce restaurant de mars à juin 1980. Le chiffre d’affaires total de la société s’élevait à 770.000 SEK pour cette période. À la suite dudit rapport, le revenu imposable de Mme Flenman subit un redressement de 100.000 SEK. Le 1er février 1988, le tribunal administratif départemental (länsrätt) ramena toutefois ce montant à la moitié environ et les services fiscaux de Helsingborg délivrèrent l’avis de réévaluation (omräkningsbesked) correspondant. Les poursuites pénales contre Mme Flenman Le rapport susmentionné attira aussi à Mme Flenman des poursuites pénales intentées en vertu de l’article 10 de la loi sur les délits fiscaux (skattebrottslagen): on lui reprochait d’avoir, en qualité de représentante d’AB Citykällaren, manqué délibérément, ou en raison d’une négligence grave, à ses obligations en matière de comptabilité et sérieusement entravé de la sorte le contrôle des services fiscaux (försvårande av skattekontroll). Au cours de l’audience et au vu des éléments de preuve produits, le parquet réduisit l’étendue des accusations qu’il avait initialement portées le 23 février 1983. Le 27 mai 1983, le tribunal de district (tingsrätten) de Helsingborg acquitta Mme Flenman. Selon le jugement, rien ne prouvait que le résultat des calculs relatifs aux alcools et au tabac s’expliquât par des erreurs de comptabilité, ni que les écarts observés pour la période du 6 au 17 mars 1980, et imputables à l’absence de caisse enregistreuse, fussent délibérés ou dus à une négligence grave; quant aux autres inexactitudes alléguées, on ne pouvait les considérer, par leur nature ou leur ampleur, comme un obstacle sérieux au contrôle, au sens de l’article 10. B. Procédure relative au retrait de la licence Introduction En avril 1982, TTA sollicita de la préfecture l’autorisation d’ouvrir "Le Cardinal" jusqu’à trois heures du matin au lieu d’une. La demande fut transmise le 3 mai 1982 au conseil social (socialnämnden) et à la police (polisstyrelsen) de Helsingborg, pour observations. Le 10 juin 1982, la police exprima un avis négatif motivé par la plainte des services fiscaux contre Mme Flenman (paragraphes 11-12 ci-dessus); d’après elle, la capacité de l’intéressée à s’occuper du service de boissons alcoolisées inspirait des doutes. Le conseil social se prononça dans le même sens le 5 juillet. Après avoir donné à TTA l’occasion de formuler ses propres observations, la préfecture décida le 29 octobre 1982 d’attendre, pour statuer sur la demande, d’avoir définitivement tranché la question de l’aptitude de la société à posséder une licence de débit de boissons alcoolisées. Procédure devant la préfecture Le rapport de contrôle comptable du 17 septembre 1981 (paragraphe 11 ci-dessus) avait été communiqué à la division compétente de la préfecture qui, le 4 novembre 1982, en indiqua le contenu à TTA. La préfecture précisait qu’elle songeait à révoquer ladite licence en vertu de l’article 64 par. 2 de la loi de 1977 sur le commerce des boissons (lagen om handel med drycker, "la loi de 1977", paragraphe 27 ci-dessous). Elle l’invitait à présenter ses observations avant le 15 novembre 1982. Après que TTA l’eut fait, ses représentants déposèrent à la préfecture les livres comptables en cours d’utilisation. Ils affirmèrent que les écarts concernant la vente des boissons alcoolisées provenaient de vols. Le 7 janvier 1983, la préfecture adressa un avertissement au titre de l’article 64 de la loi de 1977 (paragraphe 28 ci-dessous). Sa décision déclarait notamment: "Vu les constatations du contrôle comptable et comme la société n’a pas bien su expliquer les inexactitudes, la préfecture estime qu’il existe des motifs de révoquer la licence en application de l’article 64 de la loi de 1977. En conséquence, elle devrait la révoquer dès à présent. Le seul argument militant contre pareille mesure est que la négligence remonte au printemps de 1980, donc à près de trois ans. Autant que l’on puisse en juger, la gestion ultérieure du restaurant n’a suscité aucune critique. Dès lors, la préfecture ne croit pas nécessaire de révoquer l’autorisation. En revanche, elle adresse un sérieux avertissement à la société, en vertu de l’article 64 de la loi de 1977." Le 14 janvier 1983, la préfecture prolongea jusqu’à nouvel ordre la durée de validité de la licence accordée à TTA le 9 novembre 1981. Au verso de la licence ainsi prorogée figuraient les conditions particulières suivantes: "REGLEMENTATION La présente licence n’est pas transférable. Il doit y avoir un responsable du service des boissons (...). Les boissons alcoolisées ne peuvent être servies qu’en présence du responsable ou de son remplaçant (...). Tout changement d’activité doit être signalé à la préfecture (...). L’original ou une copie de la licence doit être affiché dans le restaurant. Les activités devront s’exercer de manière à ne pas viser les jeunes, c’est-à-dire les moins de 22 ans. Le titulaire de la licence doit en tenir compte, notamment dans sa publicité. La préfecture rappelle que l’octroi de la licence part de l’idée que l’entreprise se consacrera dans une large mesure à servir des plats cuisinés et que la société, conformément à son ‘programme’, n’a pas l’intention de gérer une discothèque. Il est relevé en outre que la société s’est engagée à décourager une clientèle trop jeune par le choix de la musique et en ne diffusant pas de musique enregistrée. La préfecture fixe la fin du service à 2 h du matin." Le 18 janvier 1983, le conseil social de Helsingborg attaqua cette décision devant la Direction nationale de la santé et des affaires sociales (socialstyrelsen, "la Direction") et demanda le retrait de la licence. Il se fondait sur les conclusions du rapport comptable et sur l’inobservation des conditions particulières dont s’accompagnait la licence. Quant au second point, le conseil invoquait le compte rendu d’une inspection menée au restaurant le 13 février 1982. Il en ressortait, entre autres, que "Le Cardinal" était alors bondé, nombre de clients ne disposant pas d’un siège; que les clients avaient de 18 à 25 ans, avec une majorité de jeunes de 18 ans; et qu’au dernier étage se trouvait une discothèque ouverte toute la soirée. Or, selon lesdites conditions, il aurait dû s’agir de musique de danse jouée sur place par un orchestre et d’activités destinées aux plus de 22 ans. Invitée le 10 février 1983 à présenter ses observations sur le recours, la requérante le fit le 22 mars. Le 13 juillet 1983, la Direction annula la décision préfectorale du 7 janvier 1983 (paragraphe 16 ci-dessus). Après avoir cité le paragraphe 1, puis le paragraphe 2 (amendé en 1982), de l’article 64 de la loi de 1977 (paragraphes 27-28 ci-dessous), elle énonça les motifs suivants: "Les prescriptions de l’article 64 par. 2 de la loi de 1977 se rattachent notamment à la condition d’aptitude requise par l’article 40 dans le chef du nouveau titulaire d’une licence. D’après la pratique existante, cette condition comprend l’exigence d’une aptitude personnelle à la vente de boissons alcoolisées, activité qui implique une grande responsabilité sociale. Dans le cas des sociétés, elle vaut pour les personnes qui exercent sur l’affaire une influence décisive. L’inaptitude du titulaire de la licence, motif de retrait de celle-ci, peut revêtir bien des formes différentes. Le projet de loi 1981/1982: 143 (page 82) cite la mauvaise gestion, même non délictueuse, comme un exemple d’inaptitude personnelle. Selon l’article 70 de la loi de 1977, la comptabilité d’un commerce de débit de boissons alcoolisées doit être tenue de manière à permettre un contrôle de l’affaire. En l’espèce, la préfecture appuie sa décision sur un rapport de contrôle comptable d’où il ressort que la comptabilité d’AB Citykällaren laissait à désirer à plusieurs égards. On y relève par exemple des divergences sur les chiffres de vente des boissons. Aux yeux de la Direction, les explications fournies par la société au sujet, notamment, des vols de boissons montrent que les personnes ayant une influence décisive sur l’affaire n’ont pas témoigné de la compétence voulue en matière de comptabilité et de surveillance interne. L’article 64 de la loi de 1977 trouve dès lors à s’appliquer ici. La Direction constate que les déficiences portent sur le respect de l’article 70 de la loi de 1977 et, quant à l’aptitude, sont de nature telle que le retrait de la licence constitue la seule mesure envisageable. Le rejet, par le tribunal de district, des accusations d’obstruction à contrôle fiscal ne change rien à cette appréciation. Le recours est donc accueilli. La Direction annule la décision attaquée et renvoie l’affaire en vue de nouvelles dispositions." Cette décision n’était pas susceptible de recours. Le 18 juillet 1983, la préfecture du comté de Malmö révoqua la licence litigieuse, avec effet immédiat. TTA prétend avoir dû, en conséquence, fermer le restaurant dès le lendemain, mais le Gouvernement le conteste. TTA se pourvut devant la Direction. Elle demandait que le retrait prît effet le 1er mars 1984, sans quoi les délais de préavis à observer envers le personnel lui causeraient des difficultés financières. La Direction rejeta le recours le 15 août 1983. Au vu de sa précédente décision, elle estima qu’il n’y avait pas lieu de déroger au principe général, formulé à l’article 67, du caractère immédiatement exécutoire des mesures prises en vertu de la loi de 1977. Aucun recours ne s’ouvrait contre cette décision. Par une lettre du 23 janvier 1984, la requérante saisit le gouvernement d’une demande d’indemnité fondée sur le retrait de la licence. Elle l’invitait à constater que la décision de la préfecture violait à son détriment des droits garantis par la Convention. Elle alléguait en outre une fausse application de la législation suédoise. Le 16 février 1984, le gouvernement déféra la demande d’indemnité au chancelier de la Justice (justitiekanslern) et résolut de ne prendre aucune mesure sur les autres points. Le chancelier rejeta ladite demande le 5 mars 1984; selon lui, rien ne montrait qu’une autorité eût commis une erreur propre à engager la responsabilité de l’État aux termes de la loi de 1972 sur la responsabilité civile (skadeståndslagen; paragraphe 32 ci-dessous). En juin 1984, "Le Cardinal" fut vendu au prix de 1.500.000 SEK. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS En matière d’alcool, la Suède cherche à limiter la consommation totale, à lutter contre les excès et à en combattre les conséquences néfastes pour la santé. Il s’agit là d’une politique déjà ancienne. Depuis 1895, les restaurants et bars servant des boissons alcoolisées ont besoin d’une licence et depuis le début des années 1900 l’État jouit d’un monopole pour le commerce de gros et de détail des alcools. Ces restrictions demeurent en vigueur. La loi actuelle sur le commerce des boissons date de 1977. Elle réglemente le commerce des bières, vins et spiritueux ainsi que le débit de ces boissons dans les restaurants et bars, la délivrance des autorisations requises et l’inspection des locaux. Elle est complétée par une ordonnance sur le commerce des boissons (förordning om handel med drycker). Les boissons alcoolisées ne peuvent être servies qu’après la concession d’une licence (article 34 de la loi). Aux termes de l’article 40, "Pour décider de l’octroi d’une licence, il faut tenir particulièrement compte de l’utilité du restaurant, de l’aptitude du demandeur et de l’adéquation des locaux." Les licences sont délivrées par la préfecture du comté où se situe l’établissement. Si la demande concerne un nouveau débit de boissons alcoolisées, la préfecture doit consulter le conseil municipal (kommunfullmäktige) et la police locale avant de se prononcer; elle le peut même lorsqu’il s’agit de transférer la licence à d’autres propriétaires, d’allonger les heures de consommation ou de révoquer la licence. Elle doit informer le conseil social local de ses décisions relatives à la distribution de boissons alcoolisées. De leur côté, le conseil social et la police doivent lui signaler toute circonstance pouvant influer sur le jeu de la loi de 1977. Tant les autorités locales que les intéressés peuvent attaquer devant la Direction nationale de la santé et des affaires sociales les décisions arrêtées par la préfecture en vertu de la loi de 1977. La Direction statue en dernier ressort (article 68 de la loi). En outre, elle contrôle l’application de la loi et de l’ordonnance au niveau national. Jusqu’au 1er juillet 1982, l’article 64 de la loi de 1977 prévoyait: "1. L’autorité dont émane la licence la révoque ou la limite à certaines boissons si la vente de boissons alcoolisées en vertu d’une licence délivrée conformément à la présente loi porte atteinte à l’ordre, la sobriété ou la tranquillité publics ou si les prescriptions de la présente loi ou les conditions imposées sur leur base ne sont pas respectées. Si l’on peut s’attendre à créer une situation satisfaisante sans une mesure aussi grave, le titulaire de la licence peut recevoir un avertissement ou des instructions particulières. Le premier paragraphe s’applique aussi, mutatis mutandis, si les conditions d’octroi d’une licence ne se trouvent plus réunies. Pour les questions relevant du premier ou du deuxième paragraphe, l’acceptation d’un directeur ou de son remplaçant peut être retirée." Amendé en 1982 (SFS 1982 : 289), le deuxième alinéa de l’article 64 se lit ainsi depuis le 1er juillet 1982: "Le premier paragraphe s’applique aussi quand le titulaire de la licence ne peut plus passer pour apte à vendre des boissons alcoolisées ou que les conditions d’octroi d’une licence ne se trouvent plus réunies." A cet égard, le projet de loi (p. 82) se référait à des plaintes récemment adressées à la Direction au sujet du retrait de licences pour mauvaise gestion du titulaire. L’amendement, ajoutait le gouvernement (p. 87), préciserait qu’il peut y avoir là une raison de considérer le titulaire comme incompétent, même si la vente de boissons alcoolisées a eu lieu dans le respect de la législation en vigueur. Seule une très mauvaise gestion tire à conséquence. Doit être réputé inapte à détenir une licence quiconque s’acquitte systématiquement mal du paiement d’impôts et contributions ou méconnaît grandement ses obligations en matière de comptabilité ou de renseignements. La mauvaise gestion n’a pourtant pas besoin d’être délictueuse, ni même délibérée. Une négligence grave dans l’accomplissement de ces obligations peut constituer elle aussi un motif suffisant d’intervention. Quant à la comptabilité, l’article 70 de la loi de 1977 dispose: "La comptabilité d’un établissement qui débite des boissons alcoolisées doit être tenue de manière à permettre le contrôle de ses activités. Le directeur doit produire les livres de compte à la demande de l’autorité qui a octroyé la licence. Il doit également fournir des renseignements statistiques conformément aux règles édictées par le gouvernement ou, sur décision de ce dernier, par la Direction nationale de la santé et des affaires sociales." D’après les travaux préparatoires de ce texte, une comptabilité défectueuse dénote en soi une inaptitude à diriger une entreprise distribuant des boissons alcoolisées. En exécution d’un mandat du gouvernement, un rapport a été établi en 1985 sur la législation suédoise relative au commerce des boissons (SOU 1985:15). L’auteur proposait d’ouvrir devant les cours administratives d’appel un recours contre les décisions préfectorales en la matière. Il n’estimait pas heureux que la Direction nationale de la santé et des affaires sociales, investie de fonctions de contrôle par la loi de 1977, serve aussi de juridiction d’appel, tâche qui conviendrait mieux aux juges administratifs. Cette recommandation a été soumise au ministère compétent, pour examen. Le 21 avril 1988, le Parlement suédois a adopté une loi qui habilite les particuliers à contester devant la Cour administrative suprême la légalité de certaines décisions administratives. En vigueur depuis le 1er juin 1988, elle le restera jusqu’en 1991. Aux termes du chapitre 3, article 2, de la loi de 1972 sur la responsabilité civile, l’État doit verser une indemnité en cas de faute ou négligence d’une autorité publique (myndighetsutövning). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 23 janvier 1984 à la Commission (no 10873/84), TTA dénonçait, comme contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), le retrait de l’autorisation de servir de la bière, du vin et d’autres boissons alcoolisées dans un restaurant qu’elle exploitait. Elle le prétendait en outre incompatible avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention car elle ne pouvait le faire examiner par un tribunal. La Commission a retenu la requête le 10 octobre 1985. Dans son rapport du 10 novembre 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut: - par dix voix contre une, à l’absence de violation de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1); - par neuf voix contre deux, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant des États-Unis d’Amérique, le requérant réside actuellement au Connecticut. Arrivé en Autriche dans l’été de 1979, il fut arrêté à Mödling (Basse-Autriche) le 4 octobre 1980 en exécution d’un mandat délivré par le tribunal régional (Landesgericht) d’Innsbruck, du chef de soupçons d’escroquerie et de détournement. Le même jour, on le conduisit à Vienne où, le 6, le tribunal pénal régional de Vienne (Landesgericht für Strafsachen) ordonna sa mise en détention provisoire. Le 15 octobre, on le transféra de Vienne à la prison du tribunal régional d’Innsbruck (Landesgerichtliches Gefangenenhaus). A. Procédure préparatoire Des agents de police l’interrogèrent les 15 octobre, 6 novembre et 16 décembre 1980. A la première de ces dates, l’interprétation fut assurée par un détenu qui n’avait toutefois qu’une connaissance limitée de l’anglais. Bien que non assermentée, la personne qui servit d’interprète le 6 novembre prêtait fréquemment son concours à la police en l’absence d’interprète juré. Les éléments du dossier ne permettent pas d’établir si celle qui fit office d’interprète le 16 décembre était ou non assermentée. Conformément à la pratique habituelle, le requérant ne reçut ni copie ni traduction du procès-verbal de ses interrogatoires. Des interprètes jurés assistèrent aux interrogatoires menés par plusieurs juges d’instruction les 17 octobre, 27 octobre, 28 novembre et 1er décembre 1980. La procédure adoptée consistait, pour le juge, à poser en allemand à M. Kamasinski une ou plusieurs questions auxquelles il répondait en anglais, par l’intermédiaire de l’interprète dans les deux cas. Le juge faisait ensuite taper un résumé des réponses qu’il estimait pertinentes. Il y a désaccord sur le point de savoir dans quelle mesure la version dactylographiée était, à la fin de l’interrogatoire, traduite oralement à l’intention de l’inculpé. A deux occasions au moins celui-ci refusa de la signer, parce que rédigée dans une langue qu’il ne comprenait pas. À la demande du requérant, accueillie par le tribunal compétent, l’Ordre des avocats du Tyrol le dota d’un défenseur d’office, lequel énonça par écrit les objections de l’intéressé à sa détention provisoire. Toutefois, par une lettre du 31 octobre 1980 au tribunal M. Kamasinski se plaignit que son conseil ne parlât pas assez bien l’anglais; celui-ci sollicita, pour le même motif, d’être déchargé de ses fonctions. En conséquence, l’audience qui devait avoir lieu le 19 novembre pour le contrôle de la détention provisoire fut reportée conformément aux voeux du requérant. La chambre du conseil (Ratskammer) invita le juge d’instruction, entre autres, à veiller à la nomination d’un autre avocat maîtrisant suffisamment l’anglais. Me Wilhelm Steidl, avocat en même temps qu’interprète agréé d’anglais, fut ainsi désigné le 26 novembre. Le 3 décembre 1980, Me Steidl rendit au requérant une première visite de quinze minutes au moins. Le même jour, il le représenta en outre à l’audience, qui avait été renvoyée, devant la chambre du conseil. Aussitôt après, il attaqua en son nom la décision de ladite chambre prolongeant la détention provisoire. Il retourna auprès de lui les 19 et 30 décembre 1980, puis les 21 janvier et 9 février 1981. Long de six pages, l’acte d’accusation fut notifié au requérant le 16 février 1981 au cours d’une séance du tribunal régional. Il lui reprochait sept faits d’escroquerie aggravée (articles 146 et 147 § 3 du code pénal) et un de détournement (article 133 §§ 1 et 2). Les infractions incriminées consistaient pour l’essentiel dans le défaut de régler certaines factures, surtout de loyers et de téléphone. Un interprète juré était là, mais la mesure dans laquelle il interpréta l’acte d’accusation prête à controverse. La séance dura une heure environ. Me Steidl ne comparut pas. Joint finalement par téléphone, il informa le requérant qu’il n’assisterait pas à l’audience car cela ne servirait à rien; il lui déconseilla d’élever des objections contre l’acte d’accusation. Le procès-verbal constate que ce dernier fut notifié au prévenu, lequel en réclama la notification à son défenseur et forma opposition (Einspruch). M. Kamasinski invoquait en particulier les motifs suivants. Il avait déjà écrit neuf lettres pour présenter ses offres de preuve. En dépit de ses instances répétées, il n’avait jamais reçu aucune des factures de téléphone prétendument non payées par lui. De plus, il avait exigé la communication de pièces à conviction pour examen, mais ne l’avait jamais obtenue. Avec l’aide du juge, il formula une objection générale dénonçant l’irrégularité de l’acte d’accusation dont il demanda en conséquence le contrôle. Selon une note annexée au procès-verbal, il refusa de confirmer par sa signature qu’on lui avait délivré l’acte d’accusation, car par principe il ne signait pas des documents rédigés en allemand. On ne lui fournit une traduction écrite dudit acte ni à cette occasion ni ultérieurement. Ramené dans sa cellule, le requérant écrivit à son avocat en ces termes: "Comme vous le savez, j’ai reçu l’acte d’accusation aujourd’hui. Auriez-vous l’amabilité de m’expliquer pourquoi, au lieu d’être présent pour me conseiller, vous vous êtes arrangé pour vous faire téléphoner? Comment [juron supprimé] pouvez-vous me conseiller avant même de voir ce sur quoi vous devez me conseiller? Le jeune magistrat ?? m’a dit que je devais décider sur-le-champ d’exercer ou non un recours. Il a tapé quelque chose à la machine, mais quand j’ai corrigé à l’encre une erreur manifeste le ??? [épithète supprimée] a crié: ‘Vous ne pouvez pas changer ce que j’écris pour que vous le signiez, c’est interdit.’ Je lui ai répondu de faire le nécessaire avec ce papier et il a ordonné à l’interprète (...) de le signer. (...) J’ai besoin de vos conseils juridiques en ce qui concerne l’acte d’accusation: Existe-t-il des motifs de recours? Sur quels motifs peut-on s’appuyer pour attaquer un acte d’accusation? Puis-je citer des témoins à décharge et les contraindre à assister au procès? M’apporterez-vous une assistance selon le droit? Vous semblez croire prise d’avance la décision sur ma culpabilité, sinon vous n’annonceriez pas ma condamnation à des tiers sans avoir vu les éléments de preuve, les avoir examinés avec moi ni avoir jamais pris connaissance de l’acte d’accusation. Il est vrai que sur la même base vous m’avez prédit mon élargissement (...)" Quatre jours plus tard, le 20 février 1981, Me Steidl lui rendit visite en prison pour l’informer qu’il allait retirer l’opposition contre l’acte d’accusation, l’estimant vouée à l’échec; il le fit par une lettre du même jour. Il retourna le voir avant le procès les 16 mars, 27 mars et 1er avril; le requérant s’absenta de sa cellule pendant une heure, trente minutes et vingt minutes respectivement. Le 12 mars 1981, M. Kamasinski lui expédia la lettre suivante: "(...) Je vais écrire à M. Braunias [président de la chambre du tribunal régional saisie de l’affaire] pour le prier de m’aider à obtenir un défenseur EFFECTIF au cas où je ne verrais pas les éléments de preuve et le dossier avant le 19 mars, soit deux semaines seulement avant le procès! (...)" Le 16 mars, il lui envoya une autre lettre l’invitant à veiller à la présence de tous les témoins à charge et à citer deux témoins à décharge. Le même jour, Me Steidl sollicita par écrit l’audition de cinq témoins, dont Mme Rebecca Wellington, ainsi qu’une injonction ordonnant à quelques-uns d’entre eux d’apporter certains documents. Par la suite, il compléta par téléphone cette offre de preuves. En particulier, il demanda le 31 mars de convoquer Mme Theresia Hackl à déposer au procès. Les 16, 19, 23 (ou 24) et 30 mars 1981, M. Kamasinski adressa des lettres au président de la chambre. Dans la première, il réclamait le huis clos car il craignait pour sa sécurité personnelle. Le contenu de cette missive fut en outre expliqué par téléphone au président de la chambre par le juriste attaché à la prison, M. P. Eu égard aux appréhensions ainsi exprimées, un inspecteur de la police judiciaire en civil fut finalement appelé à assister au procès. Quant aux lettres des 19, 23 (ou 24) et 30 mars, transmises comme à l’accoutumée par porteur de la prison au tribunal régional, elles ne figurent pas au dossier et ne s’y trouvent pas répertoriées, sans que le Gouvernement puisse en indiquer la raison. Leur contenu donne lieu à contestation. Le requérant prétend l’avoir résumé pour l’essentiel dans des lettres qu’il envoya au président après les débats (paragraphe 23 ci-dessous). Selon le Gouvernement au contraire, pour autant que le président s’en souvienne les missives manquantes reprenaient des éléments ressortant déjà du dossier. Le président aurait demandé au conseil du requérant de les lire et d’en discuter le contenu avec son client; il l’aurait invité à présenter au procès les arguments qu’elles soulevaient et à formuler des conclusions en conséquence. Le 25 mars 1981, M. Kamasinski écrivit en ces termes au juriste attaché à la prison, M. P.: "Monsieur, Pourrais-je de grâce recevoir une réponse à ma dernière lettre?? Il ne reste que cinq jours ouvrables avant le procès, fixé au 2 avril. Je n’ai reçu de réponse à aucune des demandes adressées à M. Braunias. M’ignore-t-il parce que j’écris en anglais seulement? Méconnaît-il aussi le droit autrichien tout comme le magistrat instructeur? Je n’ai pas encore vu les éléments de preuve, bien qu’un avocat ait été commis à ma défense. Avoir un avocat inactif ne cadre pas avec la justice. Il faut être fou pour penser que l’on peut faire fonctionner un système judiciaire de manière aussi tyrannique. Que me faut-il faire, au bout de six mois, pour obtenir les égards que je mérite? Dois-je me mutiler moi-même? Vous comprenez sûrement ce qui se passe et pouvez aisément téléphoner à M. Braunias et vous renseigner. Je ne vous écrirai plus, ni à M. Braunias. Si je n’ai pas une réponse satisfaisante, conforme au droit autrichien et à l’article 6 (art. 6) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, d’ici à la soirée du jeudi 26 mars, je prendrai des mesures radicales! La mascarade a assez duré." Comme le confirme le registre de la prison, une lettre du requérant au procureur fut acheminée par la voie habituelle le 30 mars 1981. Toutefois, le parquet n’a gardé aucune trace de sa réception. Le requérant affirme y avoir sollicité l’aide du procureur pour recueillir des preuves à décharge et y avoir critiqué les services de Me Steidl. Le 1er avril 1981, veille de l’ouverture du procès, deux fonctionnaires de l’ambassade des États-Unis à Vienne rendirent visite à M. Kamasinski. D’après un mémoire établi ultérieurement par l’un d’eux pour les archives de l’ambassade, le détenu se plaignit "que son avocat d’office, Me Steidl, n’eût pas encore discuté avec lui de sa défense et que lui-même n’eût pas eu la possibilité d’examiner le dossier. (Me Steidl m’a dit au téléphone, il y a plusieurs jours, avoir passé trois heures au total à discuter de la défense avec M. K. et devoir le rencontrer à nouveau juste avant le procès)". Après le procès, le requérant adressa au président un certain nombre de lettres. Dans l’une d’elles, datée du 4 mai 1981, on pouvait lire: "Veuillez noter que le 19 mars dernier je vous ai écrit pour avoir accès au dossier du tribunal et vous informer que Me Steidl ne m’avait pas encore préparé et ne l’avait pas étudié. Je vous ai demandé de le relever de ses fonctions si le refus de me laisser consulter les documents se fondait sur sa désignation. Le 30 mars, je vous ai écrit à nouveau pour vous avertir que Me Steidl ne m’avait pas préparé pour le procès, ni ne m’avait fourni ou traduit toutes les dépositions pertinentes des témoins. Vous n’avez pas réagi, de même que vous n’avez pas répondu à une autre lettre sollicitant l’autorisation de présenter certaines pièces en anglais. Je comprends bien qu’il incombait à Me Steidl de vous saisir de ces questions, mais il n’a rien voulu faire." Dans une missive ultérieure, datée du 18 mai, M. Kamasinski résumait celles des 16, 19 et 30 mars et se plaignait de n’avoir reçu aucune réponse. Avec une traduction allemande établie par le conseiller juridique de la prison, elle fut envoyée au président le 26 mai. Le requérant y énonçait ainsi "les éléments importants" de ses lettres antérieures: "(...) Par une lettre du 19 mars, je vous ai demandé l’autorisation de consulter le dossier (Akteneinsicht) et vous ai informé que je connaissais fort peu les preuves (documents ou témoignages) invoquées. Je vous ai invité expressément à relever Me Steidl de ses fonctions si le fait qu’il me représente devait constituer un motif de me refuser un accès direct aux éléments de preuve. J’ai précisé qu’il m’importait plus de connaître le fondement des imputations (afin de préparer ma défense) que d’être représenté par un avocat. Je présume que si vous ne m’avez pas laissé accéder aux éléments demandés et n’avez pas davantage déchargé Me Steidl de sa mission, c’est que vous n’avez pas compris ma lettre. (Je continue à ignorer la majorité des éléments de preuve.) Le 19 mars, j’ai en outre sollicité l’autorisation de présenter des pièces à conviction en anglais, demande demeurée sans réponse faute - je présume - d’avoir été comprise. Le 30 mars, je vous ai avisé par écrit que mon avocat d’office, Me Steidl, ne m’avait toujours pas préparé en vue de l’audience du 2 avril et ne m’avait pas communiqué ou exposé le dossier de l’accusation. (La situation reste telle que je l’indiquais dans ma lettre du 19 mars, à ceci près que le 1er avril à 16 h 15 Me Steidl est venu m’informer qu’aucune préparation complémentaire n’était nécessaire car ‘rien’ ne m’arriverait le 2 avril). (...) " B. Le procès Le procès devant le tribunal régional d’Innsbruck, constitué en tribunal d’échevins (Schöffengericht), eut lieu le 2 avril 1981. Y assistèrent, à titre d’observateurs, deux fonctionnaires de l’ambassade des États-Unis à Vienne, mais apparemment aucun membre du public. Le tribunal se composait de deux magistrats et de deux assesseurs non professionnels. Aux dires de M. Kamasinski, corroborés par les observateurs américains, l’acte d’accusation lu à haute voix au début de l’audience ne fut pas interprété en anglais. Toutefois, selon lesdits observateurs le requérant affirma saisir de quoi il retournait, quand on le lui demanda, et son conseil comme lui-même renoncèrent à l’interprétation. Il faut ensuite invité à s’exprimer et interrogé par le président conformément à l’article 245 du code de procédure pénale (Strafprozessordnung, paragraphe 49 ci-dessous). D’après le procès-verbal, il déclara notamment n’avoir commis aucune infraction pénale. Vers le milieu des débats, un différend semble avoir surgi entre lui et son défenseur sur le point de savoir s’il convenait de solliciter l’audition d’autres témoins dont un avocat, Me E., qui avait agi en qualité de mandataire du requérant pour le règlement de ses dettes et qu’il soupçonnait d’avoir joué double jeu. Y voyant une atteinte à la réputation de l’ensemble du barreau d’Autriche, Me Steidl pria le tribunal de le relever de son ministère, mais il essuya un refus et continua donc à représenter son client jusqu’à la fin de l’audience. Le procès-verbal ne signale pas que M. Kamasinski ait réclamé le remplacement de son avocat d’office. Dans ses conclusions, Me Steidl sollicita un "jugement de clémence" ("mildes Urteil"). Mmes Rebecca Wellington et Theresia Hackl, témoins à charge convoqués à la demande de la défense (paragraphe 18 ci-dessus), ne se présentèrent pas. Avec le consentement de la défense et du parquet, la déposition de la seconde pendant l’instruction fut lue à haute voix en application de l’article 252 § 1.4 du code de procédure pénale. Le requérant n’en possédait pas de traduction anglaise. Il donna lui-même certaines preuves du remboursement de ses dettes envers Mme Wellington. Un troisième témoin, Mme Heda Bruck, ne comparut pas car ni l’accusation ni la défense ne l’avaient citée. D’autres témoins fournirent des éléments sur des questions dont elle aurait pu parler. Le tribunal rejeta une demande émanant de l’accusation comme de la défense et tendant à l’ouverture d’une enquête sur le compte bancaire de M. Kamasinski à New-York, ainsi qu’une autre, finalement présentée par Me Steidl sur les instances de ce dernier, visant à la convocation de Me E. Un interprète juré se trouvait sur place, à côté de Me Steidl à la gauche des juges; quant au requérant, il se tenait assis à quelque six ou sept mètres de son conseil, face au tribunal. Le procès-verbal signale la présence d’un interprète, mais - comme à l’accoutumée - il ne précise pas quelles déclarations faites à l’audience furent interprétées, ni jusqu’à quel point. Nul ne conteste que les questions du tribunal et du procureur aux témoins à charge ne le furent pas, tandis qu’il y a controverse sur la mesure dans laquelle le furent les réponses et les autres déclarations. Conformément à la pratique habituelle, il s’agissait d’une interprétation non pas simultanée, mais consécutive et synthétique. Selon le procès-verbal, la défense n’éleva sur le moment aucune objection formelle quant à l’étendue de l’interprétation assurée. Long de quinze pages, il mentionne la déclaration initiale de M. Kamasinski sur les différentes imputations, les dépositions de sept témoins, la demande de l’accusation et de la défense tendant à un contrôle du compte bancaire de l’intéressé à New-York et celle de la défense visant à l’audition de trois autres témoins ainsi qu’à une enquête, par le truchement d’Interpol, sur le point de savoir si le prévenu avait déjà été condamné en Amérique, au Royaume-Uni et en Belgique. Le procès-verbal relate en outre la lecture de plusieurs documents, dont la déposition de Mme Hackl pendant l’instruction. Il consigne enfin les conclusions du parquet et de la défense, le refus du tribunal d’ordonner un complément d’information et la déclaration du ministère public se réservant de se pourvoir en cassation contre cette décision. Il se termine en indiquant que le tribunal prononça son jugement, motivé, et indiqua les recours possibles. La dernière phrase est ainsi libellée: "Les parties n’ont formulé aucune observation." M. Kamasinski se vit infliger dix-huit mois de prison pour escroquerie aggravée et détournement, notamment à raison de ses dettes envers Mmes Hackl, Wellington et Bruck. Après avoir énoncé les faits constatés, le jugement rapportait les protestations d’innocence du requérant. Celui-ci avait reconnu en substance avoir contracté les dettes de loyer et de téléphone visées par les sept premiers chefs d’accusation, mais affirmait avoir eu la volonté et les moyens de s’en libérer. Le tribunal estima que cette thèse se heurtait aux preuves recueillies. Dans le cas de Mme Wellington, les pièces produites par le requérant lui-même montraient qu’il n’avait réglé qu’une fraction de sa dette. Il fut condamné en outre à verser 80.890 schillings à deux parties civiles (Privatbeteiligte) qui avaient comparu comme témoins à charge et avaient réclamé une indemnité (article 47 § 1 du code de procédure pénale). Le requérant et les observateurs américains s’accordent à dire que seul le dispositif fut interprété en anglais, mais non les motifs. Le Gouvernement soutient au contraire, avec la Cour Suprême (paragraphe 37 ci-dessous), que les points essentiels du jugement, y compris les attendus, furent traduits de vive voix. Le texte du jugement fut notifié à l’avocat de la défense, Me Steidl, le 19 mai 1981. Le lendemain, celui-ci rendit visite à M. Kamasinski en prison, mais refusa de le lui traduire en entier. L’intéressé en obtint une copie (en allemand) le 27 mai, mais sans traduction écrite. À diverses dates entre octobre 1980 et février 1981, le requérant reçut des factures pour des frais d’interprétation remontant à l’instruction préparatoire. Toutefois, une démarche de l’ambassade des États-Unis amena les autorités autrichiennes à confirmer pour finir, en septembre 1981, qu’il n’avait pas à en assumer la charge. C. Les procédures d’appel et de cassation Le 6 avril 1981, après le procès, M. Kamasinski écrivit au juriste attaché à la prison pour le prier de transmettre au président sa demande de désignation d’un nouveau défenseur, car il "ne s’entendait pas avec Me Steidl", et de le conseiller sur la manière de procéder à cette fin. Communiquée le 7 au service compétent du tribunal régional, sa lettre y parvint le 8. Il adressa aussi à Me Steidl et, le 5 mai, au président du barreau du Tyrol des missives destinées à les informer de son désir de changer d’avocat. Il écrivit en outre au président les 6 et 21 avril, puis les 4 et 18 mai 1981. Sa lettre du 21 avril renfermait le passage suivant: "Votre jugement remonte à près de trois semaines et je n’en ai pas eu copie; il ne m’a pas non plus été traduit comme l’exigent le droit autrichien et le droit international tel que je l’entends. Il conviendrait que je sache de quoi on m’a provisoirement déclaré coupable, de manière que je puisse écrire aux États-Unis et me procurer (ce que Me Steidl n’a pas fait) les éléments nécessaires pour mon recours à Vienne. J’aimerais donc avoir une copie ou une traduction du jugement (Urteil). Pendant six mois on m’a empêché de me défendre moi-même, en me donnant un avocat qui n’a absolument rien fait pour m’aider mais a en réalité agi contre moi avec le parquet." Dans la lettre du 4 mai, on pouvait lire: "Voilà un mois que j’ai comparu devant votre tribunal et que vous avez prononcé votre jugement (Urteil), et je ne sais toujours pas ce que vous avez dit ni sur quelle base juridique. L’interprète (Dolmetscher) s’est borné à déclarer que j’étais reconnu coupable et condamné à 18 mois de prison. Je ne sais que cela, et je ne m’attends vraiment pas à voir Me Steidl en faire plus que jusqu’ici: absolument rien. Par malheur, je suis doublement puni à cause de mon ignorance de l’allemand. La désignation de Me Steidl comme mon défenseur n’a cessé de servir de base ‘légale’ pour me dénier les droits dont jouit tout Autrichien ou dont je jouirais si je comprenais l’allemand. Au bout d’un mois, il me paraît largement temps de m’informer de ce que vous avez dit en séance ou dans l’’Urteil’ écrit. Je vous ai avisé de mon désir d’introduire contre cet ‘Urteil’ une ‘Nichtigkeitsbeschwerde’ [recours en cassation] devant la Cour Suprême d’Autriche, conformément aux lois en vigueur. L’un des motifs de la ‘Nichtigkeitsbeschwerde’ est que j’ai été privé de l’assistance effective d’un défenseur, Me Steidl n’ayant absolument rien fait pour me préparer au procès et ayant refusé de rechercher des preuves à décharge. Comme Me Steidl a failli à son devoir exprès de me défendre correctement et que là réside l’un des moyens de mon recours, il ne saurait me représenter dans la procédure de ‘Nichtigkeitsbeschwerde’. Aussi ai-je écrit à Me Ernst Mayr, président de la Rechtsanwaltskammer [Ordre des avocats], pour demander la désignation d’un avocat parlant anglais. [Passage reproduit au paragraphe 23] Dans la situation difficile où je me trouve, faute de bénéficier d’une représentation réelle et de comprendre la langue, je puis seulement m’efforcer de faire ce qui me semble juridiquement et moralement correct. Je vous informe donc de mes motifs de recours, qui ont du poids et qu’un avocat autrichien expérimenté devrait formuler de la manière appropriée. (Jusqu’ici, je n’ai pas reçu la visite d’un avocat pour préparer une ‘Nichtigkeitsbeschwerde’). Si je ne les présente pas correctement, c’est uniquement par manque de conseils juridiques." La lettre du 18 mai (dont des passages figurent au paragraphe 23 ci-dessus) s’accompagnait d’une traduction en allemand. Le requérant y rappelait: "Le 4 mai, je vous ai écrit pour vous informer de certains des moyens de la ‘Nichtigkeitsbeschwerde’ et des raisons militant pour un changement d’avocat." Comme précédemment, il ne reçut pas de réponse du président. Le 20 mai 1981, M. Kamasinski eut une fois de plus la visite de Me Steidl, en présence - ainsi qu’il l’avait demandé - du juriste attaché à la prison. Il réclama derechef la désignation d’un autre avocat. Par une lettre du 21 mai 1981, Me Steidl invita le barreau du Tyrol à le relever de son mandat. Le lendemain, le barreau confia la défense du requérant à Me Schwank qui en fut avisé le 26 mai. Le 29 mai, un associé de Me Steidl se rendit à l’étude de Me Schwank; il remit à celui-ci le texte d’un projet d’appel (Berufung) et de recours en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde) établi par Me Steidl et long de trois pages, ainsi qu’une copie de certaines pièces du dossier. Le 1er juin, Me Schwank alla voir M. Kamasinski en prison. Le mémoire ampliatif du pourvoi et de l’appel (contre la peine et la condamnation aux dommages-intérêts) fut alors rédigé et déposé le 2 juin, date de l’expiration du délai légal. En outre, Me Schwank établit pour son client une traduction du jugement. Le pourvoi en cassation invoquait pour l’essentiel les moyens suivants: a) en vertu de l’article 281 § 1.1a du code de procédure pénale (paragraphe 51 ci-dessous): le requérant n’avait pas été représenté de manière adéquate par son avocat, notamment pendant le procès; b) en vertu de l’article 281 § 1.3 du même code, combiné avec les articles 244, 250 et 252 (ibidem): l’interprétation à l’audience avait laissé à désirer; en particulier elle n’avait porté ni sur l’acte d’accusation, ni sur les dépositions écrites, ni sur les dépositions orales de certains témoins ni sur les questions du président et du procureur aux témoins; c) en vertu de l’article 281 § 1.3, combiné avec l’article 260 (ibidem): hormis le dispositif, le jugement n’avait donné lieu ni à une interprétation sur place ni à une traduction ultérieure; d) en vertu de l’article 281 § 1.4 (ibidem): le tribunal n’avait accueilli ni les demandes du parquet et de la défense tendant à voir mener des investigations auprès des banquiers du requérant, ni celles de la défense réclamant l’audition de deux témoins; e) en vertu de l’article 281 § 1.5 (ibidem): il n’avait pas suffisamment motivé son jugement; f) en vertu de l’article 281 § 1.9a et b (ibidem): il avait mal interprété certains faits d’où ressortait l’absence d’intention frauduleuse. Au sujet des allégations relatives à l’étendue de l’interprétation pendant les débats, la Cour Suprême (Oberster Gerichtshof) ouvrit une enquête conformément à l’article 285f du code de procédure pénale (paragraphe 52 ci-dessous). Le conseiller rapporteur interrogea le président du tribunal régional d’Innsbruck par téléphone. Leur conversation se trouve résumée dans une note versée au dossier de la Cour Suprême le 31 août 1981 et ainsi libellée: "Interrogé par téléphone, M. le président Braunias, juge au tribunal régional, a répondu: Contrairement aux allégations du pourvoi, tous les points essentiels de l’acte d’accusation, des dépositions de témoins, du contenu des documents lus à l’audience, ainsi que du jugement, y compris les motifs, ont été traduits par l’interprète convoqué à cette fin et par l’avocat de la défense, Me Steidl (interprète qualifié d’anglais), pendant les débats auxquels assistaient deux membres de l’ambassade des États-Unis. Le prévenu a pu en outre présenter des observations sur les chefs d’accusation et sur chacun des éléments de preuve sans limite de temps, ainsi que poser des questions aux témoins." Ni le requérant ni son conseil ne furent informés de ces recherches et de leur résultat. Après avoir recueilli l’opinion du Procureur général (Generalprokurator), la Cour Suprême, statuant en chambre du conseil (paragraphe 52 ci-dessous), rejeta le pourvoi le 1er septembre 1981, essentiellement par les motifs suivants. Quant au grief tiré de l’insuffisante représentation de M. Kamasinski par son avocat pendant le procès, le tribunal régional devait seulement désigner un défenseur et l’inviter à assister aux débats et à toute autre procédure à laquelle pouvait participer le prévenu; il ne lui incombait pas de contrôler les activités d’un conseil soumis non pas à son autorité, mais au pouvoir disciplinaire du barreau compétent. En conséquence, les défaillances éventuelles de Me Steidl dans l’accomplissement de sa tâche ne fournissaient pas un motif de nullité. A propos de l’interprétation pendant le procès, la Cour suprême releva que le tribunal ne s’était pas borné à charger un interprète d’assister aux débats: il avait en outre, comme l’en avait prié le requérant, nommé un défenseur qui était aussi interprète d’anglais et avec qui l’intéressé pouvait communiquer dans sa langue maternelle. En droit, ni une traduction incomplète ni le défaut de désigner un interprète ne constituaient par eux-mêmes une cause de nullité. Tout au plus aurait-on pu les invoquer, à l’appui d’un moyen fondé sur l’article 281 § 1.4 du code de procédure pénale (paragraphe 51 ci-dessous), si le tribunal avait rejeté une demande y relative. Au demeurant, les recherches menées par la Cour Suprême en vertu de l’article 285f révélaient que l’interprète juré, contrairement aux allégations du pourvoi, avait traduit chacun des points essentiels de l’acte d’accusation, des déclarations des témoins, des pièces lues en séance et du jugement, y compris les attendus. De plus, M. Kamasinski avait eu l’occasion de s’exprimer sur les chefs d’accusation et sur les éléments de preuve sans aucune limite de temps, ainsi que d’interroger des témoins. La date de l’audience publique consacrée à l’examen de l’appel contre les condamnations pénale et civile fut notifiée au requérant conformément à l’article 286 § 2 et son avocat, Me Schwank, y fut convoqué. Le 11 novembre 1981, M. Kamasinski sollicita sa comparution personnelle. Pour fixer la peine, affirmait-il notamment, il fallait jauger sa personnalité, ce qui exigeait sa présence. En outre, le dossier fourni à la Cour Suprême comportait des articles du quotidien "Kurier", qui lui étaient préjudiciables et risquaient d’influencer défavorablement la haute juridiction; parus les 14, 15 et 16 novembre 1980, ils le dépeignaient comme un espion américain dangereux pour la République d’Autriche et avaient figuré aussi au dossier de première instance. L’intéressé soulignait enfin que son recours portait également sur les aspects civils du jugement; dès lors, il estimait injuste que les parties civiles à indemniser par lui pussent comparaître devant la Cour Suprême, et non pas lui-même. Ladite Cour repoussa la demande le 20 novembre 1981, car à ses yeux ni celle-ci ni le dossier ne fournissaient un élément d’où ressortît la nécessité de la présence personnelle de l’accusé lors de l’examen d’un recours exercé à son seul bénéfice. Pensait-il pouvoir, en plaidoirie, attribuer pour l’essentiel à un enchaînement de circonstances fâcheuses et de malentendus, d’ordre linguistique surtout, les poursuites intentées contre lui? Dans ce cas, il ignorait la règle empêchant de discuter à nouveau de la culpabilité en appel. Quant à ses divers autres arguments, son avocat pouvait les invoquer pendant les débats. La décision ainsi rendue fut notifiée à Me Schwank. L’appel contre la peine reprochait en substance aux juges du fond de ne pas avoir pris en compte plusieurs circonstances atténuantes: l’absence de condamnation pénale antérieure, les obligations alimentaires de M. Kamasinski envers sa femme et son enfant, son erreur consistant à ne pas avoir perçu le caractère délictueux de sa conduite et le fait que le seuil de 100.000 schillings fixé pour la qualification d’escroquerie aggravée n’avait été dépassé que de peu. La Cour suprême débouta le requérant le 24 novembre 1981, à l’issue d’une audience à laquelle son défenseur l’avait représenté. Elle estima que le tribunal régional avait prononcé une peine raisonnable et bien évalué le poids respectif des circonstances atténuantes et aggravantes. De son côté, la décision allouant des dommages-intérêts aux deux parties civiles était conforme à la loi; il n’y avait donc pas lieu de la renvoyer aux juridictions civiles comme le désirait M. Kamasinski. L’arrêt énumérait les personnes ayant comparu à l’audience d’appel; rien ne montre qu’y aient assisté les parties civiles à qui le tribunal régional avait accordé une indemnité, ni leurs représentants. Le requérant fut élargi le 16 décembre 1981, puis détenu aux fins de son expulsion vers les États-Unis; elle a eu lieu en janvier 1982. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Interprétation Aux termes de l’article 100 du code autrichien de procédure pénale, "Le juge d’instruction fait traduire par un interprète juré, puis verser au dossier avec leur traduction, tous les documents pertinents pour l’instruction mais rédigés dans une langue non usuelle en justice (nicht gerichtsüblich)." L’article 163 du même code prévoit de son côté (traduction): "Si un témoin ne connaît pas la langue du tribunal (Gerichtssprache), il est fait appel à un interprète à moins que juge d’instruction et greffier ne possèdent la langue étrangère en question. Les déclarations du témoin ne figurent dans cette langue au procès-verbal, ou en annexe, que s’il est nécessaire de citer les expressions mêmes employées par la personne interrogée (article 104 § 3)." Selon l’article 104 § 3, pareille nécessité existe si les expressions utilisées revêtent de l’importance pour la décision à rendre ou s’il faut s’attendre à voir donner lecture du procès-verbal pendant les débats. D’après l’article 198 § 3, l’article 163 vaut aussi, mutatis mutandis, pour l’audition d’un inculpé (Beschuldigter) qui ne connaît pas la langue du tribunal. Il ressort du contexte des dispositions précitées qu’elles concernent l’instruction judiciaire préparatoire (Voruntersuchung). Toutefois, l’article 248 § 1 du code étend au président du tribunal, pour l’audition de témoins ou d’experts pendant les débats, l’applicabilité des règles à observer par le magistrat instructeur. Aucune clause de la loi ne précise les normes à respecter pour l’interrogatoire d’un prévenu ne connaissant pas la langue du tribunal, mais celles qui régissent l’interrogatoire des témoins paraissent jouer en pratique par analogie. Les qualifications des interprètes jurés (allgemein beeidete gerichtliche Dolmetscher) se trouvent définies dans la loi de 1975 sur les experts et les interprètes (Bundesgesetz über den allgemein beeideten gerichtlichen Sachverständigen und Dolmetscher, Bundesgesetzblatt für Österreich no 137/1975). Aux termes de l’article 14, les dispositions relatives aux experts valent aussi pour les interprètes; elles exigent, entre autres, compétence et crédit (Sachkunde et Vertrauenswürdigkeit, article 2 § 2 a) et e)). B. Avocat commis à la défense Aux termes de l’article 39 § 1 du code de procédure pénale, tout inculpé a droit à l’assistance d’un défenseur (Verteidiger) qu’il peut choisir sur une liste détenue par la cour d’appel. Dans certaines conditions, il faut le doter d’un avocat (beigegebener Verteidiger) soit rétribué par l’État au titre de l’assistance judiciaire, soit commis d’office aux frais de l’intéressé dans une affaire où la représentation est obligatoire. L’article 41 du code fixe la procédure à suivre: "2. Dans le cas où l’inculpé (accusé) se trouve hors d’état d’assumer (...) les frais de sa défense, le tribunal décide à [sa] demande de le doter d’un avocat dont il n’aura pas à payer les honoraires, si et dans la mesure où l’exigent les intérêts de la justice, en particulier ceux d’une défense adéquate. (...) Si, aux fins d’un procès devant une cour d’assises ou un tribunal d’échevins, l’accusé ou son représentant légal ne choisit pas de défenseur et ne s’en voit pas non plus désigner un au titre du paragraphe 2, il lui en est commis un d’office, et ce à ses frais sauf dans le cas où les conditions de désignation d’un défenseur au titre du paragraphe 2 se trouvent remplies. (...)" L’article 42 § 2 précise de son côté: "Si le tribunal a décidé la désignation d’un défenseur, il en informe le Conseil de l’Ordre des avocats territorialement compétent, afin que celui-ci charge un avocat (Rechtsanwalt) d’assurer la défense." Le remplacement d’un avocat de la défense pendant la procédure obéit à l’article 44 § 2 du code, ainsi libellé: "L’inculpé peut à tout moment transférer à un autre le mandat du défenseur librement choisi par lui. De même, le mandat du défenseur commis d’office prend fin dès que l’inculpé confie sa défense à un autre avocat. Néanmoins, de tels changements de défenseur ne doivent entraîner aucun retard de procédure." La loi sur les avocats (Rechtsanwaltsordnung, Journal officiel de l’Empire no 96/1868, version modifiée) prescrit désormais dans certains cas, dont ceux de conflit d’intérêts ou de partialité, le remplacement de l’avocat commis d’office à la défense (article 45 § 4 de la version de la Bundesgesetzblatt für Österreich no 383/1983). Cette disposition n’existait pas à l’époque des faits, mais en pratique le Conseil de l’Ordre des avocats pouvait remplacer un défenseur d’office s’il l’estimait opportun. Selon l’article 9 § 1 de la loi sur les avocats, tout défenseur doit s’acquitter de sa tâche conformément à la loi et défendre les droits de son client avec zèle, bonne foi et diligence ("mit Eifer, Treue und Gewissenhaftigkeit"). D’après l’article 11 § 1, il doit exécuter son mandat jusqu’au bout et il répond de ses manquements à cet égard. Toutefois, une jurisprudence constante (Österreichische Juristen-Zeitung, Evidenzblatt 1969, no 353) le soustrait au contrôle du tribunal sur le point de savoir s’il a rempli sa mission correctement et efficacement ("richtig und zweckmässig"). Le Gouvernement a pourtant souligné, à l’audience publique du 19 juin 1989, que la Convention a rang constitutionnel en Autriche, de sorte qu’il incombe aux juridictions d’assurer le respect de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c), lequel garantit le droit de l’accusé à l’assistance d’un défenseur. Aucun texte ne requiert la désignation d’un défenseur connaissant la langue d’un accusé qui ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée par le tribunal, mais en pratique l’intéressé se voit, s’il le demande et si possible, doter d’un conseil maîtrisant suffisamment sa langue. C. Consultation du dossier du tribunal La consultation du dossier par l’inculpé ou son défenseur est régie par l’article 45 § 2 du code de procédure pénale: "Le juge d’instruction autorise le défenseur, sur sa demande, à consulter le dossier pénal, hormis les procès-verbaux de délibérations, dans les locaux du tribunal, et à en prendre copie; il peut aussi, à la place, lui en délivrer des photocopies. L’inculpé non représenté par un avocat jouit lui-même des droits du défenseur; s’il se trouve incarcéré, il peut être autorisé à consulter le dossier dans les locaux du centre de détention ou de la prison. (...)" D. Déclaration initiale du prévenu Aux termes de l’article 245 du code de procédure pénale, le prévenu peut faire une déclaration initiale. Aussitôt après l’ouverture de l’audience, le président l’interroge sur le contenu de l’acte d’accusation. Si l’intéressé s’affirme innocent, le président doit l’informer de son droit d’opposer à l’accusation une version cohérente des faits et de présenter ses remarques sur chacun des éléments de preuve. Le prévenu peut ne pas répondre aux questions du président. E. Établissement des procès-verbaux L’article 271 du code de procédure pénale traite de l’établissement des procès-verbaux d’audience: "1. A peine de nullité, l’audience donne lieu à un procès-verbal signé par le président et le greffier. Il indique le nom des membres présents du tribunal, des parties et de leurs représentants, atteste l’accomplissement de toutes les formalités substantielles, précise notamment quels témoins et experts ont été entendus et quelles pièces du dossier ont été lues à haute voix, si les témoins et experts ont prêté serment et pour quelle raison, mentionne enfin toutes les demandes des parties et les décisions prises à leur sujet par le président ou le tribunal. Les parties sont libres de solliciter l’inscription de certains points au procès-verbal, afin de préserver leurs droits. À la demande d’une partie, le président ordonne sur-le-champ la lecture de certains passages s’il importe d’en établir le libellé exact. Les réponses de l’accusé et les dépositions des témoins et experts ne sont mentionnées que si elles s’écartent des déclarations consignées au dossier, les modifient ou les complètent, ou dans le cas de témoins ou experts entendus pour la première fois lors de l’audience publique. S’ils le jugent bon, le président ou le tribunal peuvent ordonner la prise en sténographie de toutes les dépositions et déclarations; ils le doivent si une partie le demande à temps et en consignant le montant des frais. Le compte rendu sténographique doit toutefois être reproduit en écriture ordinaire dans les quarante-huit heures, soumis pour contrôle au président, ou à un juge délégué par lui, et joint au procès-verbal. Les parties peuvent consulter le procès-verbal définitif, ainsi que ses annexes, et en prendre copie." F. Procédure de cassation devant la Cour Suprême Un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême ne peut se fonder que sur les motifs précis énumérés à l’article 281 § 1 du code de procédure pénale. Parmi eux figurent les suivants: "1a. si l’accusé n’a pas été représenté par un défenseur pendant tous les débats, bien que ce fût obligatoire; (...) s’il y a eu, pendant les débats, violation ou inobservation d’un texte dont la loi exige explicitement le respect à peine de nullité; (...) si, pendant les débats, il n’a pas été statué sur une demande du requérant ou si une décision incidente rejetant sa demande ou son opposition a méconnu ou mal appliqué des lois, ou des principes de procédure, que par sa nature même une procédure assurant poursuite et défense commande de respecter; si le jugement de la juridiction du fond (...) n’est pas ou manifestement pas assez motivé; (...) si le jugement a violé ou mal appliqué une loi quant au point de savoir: a) si l’acte reproché à l’accusé constitue une infraction pénale relevant de la compétence des tribunaux; b) s’il existe des circonstances rendant l’acte non punissable ou non susceptible de poursuites (...); c) (...)" Comme exemples de cas visés au paragraphe 1.3, on peut citer le défaut de lire l’acte d’accusation à l’ouverture de l’audience (article 244 du code de procédure pénale), de donner au prévenu connaissance du témoignage de personnes entendues en son absence (article 250) et d’énoncer dans le jugement les motifs à l’appui de tout constat de culpabilité (article 260). Toutefois, le fait de ne pas accomplir ces diverses formalités dans une langue compréhensible pour un prévenu non germanophone ne constitue pas un vice rédhibitoire entachant de nullité pareil verdict (voir l’arrêt de la Cour Suprême en l’espèce, paragraphe 37 ci-dessus). D’après l’article 285c du code de procédure pénale, la Cour Suprême, après avoir recueilli l’opinion du Procureur général, délibère en chambre du conseil si ce dernier ou le conseiller rapporteur ont proposé l’application, entre autres, de l’article 285d ou f. L’article 285d prévoit notamment le rejet d’un pourvoi en cassation par décision en chambre du conseil si la Cour Suprême unanime juge manifestement mal fondés les griefs tirés des alinéas 1 à 8 de l’article 281 § 1. Aux termes de l’article 285f, la Cour Suprême, "lorsqu’elle délibère en chambre du conseil, peut (...) ordonner une enquête sur les faits relatifs à des irrégularités procédurales alléguées (article 281 § 1.1-4)". Quand elle ne statue pas en chambre du conseil, il y a lieu d’annoncer la date de l’audience à l’accusé détenu et non représenté, en précisant qu’il ne peut comparaître que par le truchement d’un défenseur (article 286 § 2). S’il a déjà désigné un défenseur, la convocation s’adresse à celui-ci seulement (article 286 § 3). L’accusé ou son conseil ont toujours la parole les derniers (article 287 § 3). G. Procédure d’appel devant la Cour Suprême En principe, la Cour Suprême examine en séance publique tout appel contre la peine prononcée (article 294 §§ 4 et 5 du code de procédure pénale). La procédure ne peut porter sur la culpabilité ou innocence de l’intéressé. Quand le recours émane uniquement du condamné, la Cour ne peut aggraver la sanction infligée en première instance (article 295 § 2). La présence de l’accusé à l’audience publique d’appel se trouve régie par l’article 296 § 3, deuxième phrase, ainsi libellé à l’époque considérée: "Les articles 286 et 287 s’appliquent mutatis mutandis à la fixation de la date de l’audience et de la procédure, étant entendu qu’il échet toujours de convoquer aussi l’accusé non détenu et que la comparution de l’accusé détenu peut être ordonnée." L’article 296 § 3 a été amendé en 1983 et 1987. En sa deuxième phrase, il prescrit désormais d’amener devant la Cour Suprême l’accusé détenu qui l’a demandé dans son appel ou son mémoire en défense, ou dont la présence semble nécessaire à une bonne administration de la justice ou pour d’autres raisons. La dernière phrase précise que "la partie civile en cause est elle aussi convoquée si le recours vise une décision relative à des demandes de caractère civil". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 6 novembre 1981 à la Commission (no 9783/82), M. Kamasinski formulait de nombreux griefs dont les suivants: en première instance, il n’aurait pas joui des droits garantis à la défense par l’article 6 §§ 2 et 3 (art. 6-2, art. 6-3) de la Convention, ni bénéficié du procès équitable exigé par l’article 6 § 1 (art. 6-1), et aurait subi une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14), en raison notamment d’une différence de traitement entre accusés germanophones et non germanophones; la procédure de cassation n’aurait pas davantage été équitable car il n’aurait pas eu la faculté de s’exprimer sur les éléments de preuve recueillis par la Cour Suprême; il y aurait eu aussi discrimination pendant la procédure d’appel car, contrairement à un accusé en liberté et aux "parties civiles" en l’espèce, il ne fut pas autorisé à assister à l’audience publique devant la Cour Suprême; enfin, au mépris de l’article 13 (art. 13) il n’aurait pas disposé, en droit autrichien, d’un recours effectif pour redresser certaines des infractions alléguées à l’article 6 (art. 6). La Commission a retenu la requête le 8 mai 1985. Dans son rapport du 5 mai 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut a) pour la procédure devant le tribunal régional, à l’absence de violation des droits du requérant à i. être informé, dans une langue qu’il comprenait et d’une manière détaillée, de l’accusation portée contre lui (article 6 § 3 a) - onze voix contre six) (art. 6-3-a); ii. disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (article 6 § 3 b) - quatorze voix contre trois) (art. 6-3-b); iii. avoir l’assistance d’un défenseur (article 6 § 3 c) - unanimité) (art. 6-3-c); iv. interroger les témoins (article 6 § 3 d) - unanimité) (art. 6-3-d); v. se faire assister d’un interprète (article 6 § 3 e) - quinze voix, avec deux abstentions) (art. 6-3-e); vi. un procès équitable (article 6 § 1 - onze voix contre six) (art. 6-1); vii. être présumé innocent (article 6 § 2 - unanimité) (art. 6-2); b) pour la procédure de cassation devant la Cour Suprême, à la violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) (unanimité); c) pour la procédure d’appel devant ladite Cour, à la violation de l’article 14 combiné avec les paragraphes 1 et 3 c) (droit de se défendre soi-même) de l’article 6 (art. 14+6-1, art. 14+6-3-c) (dix voix contre une, avec six abstentions); d) pour l’affaire dans son ensemble, à l’absence de question distincte sur le terrain de l’article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience publique du 19 juin 1989, l’agent du Gouvernement a demandé à la Cour "de constater qu’en l’espèce il n’y a eu violation ni de l’article 13 (art. 13) (...), ni de l’article 6 §§ 1, 2 et 3 a) à e) (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-a, art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-d, art. 6-3-e) ni de l’article 6 § 1 combiné avec l’article 14 (art. 14+6-1), et que les faits de la cause ne révèlent donc aucune infraction à la Convention". De son côté, le conseil de M. Kamasinski a confirmé en substance les conclusions figurant dans le mémoire de son client. Elles invitaient la Cour à déclarer: "1. [Le] requérant a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c), de son droit à se défendre lui-même ou avec l’assistance d’un défenseur de son choix. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c) lu à la lumière de l’article 6 § 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable), de son droit à une assistance juridique effective et suffisante destinée à lui assurer le droit à un procès équitable. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 a) (art. 6-3-a), de son droit à être informé, dans une langue qu’il comprenait, des causes et du détail des accusations portées contre lui. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 b) (art. 6-3-b), de son droit de préparer sa défense. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 1 à 4 précités. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e) combiné avec l’article 6 § 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable), de son droit à l’assistance effective et suffisante d’un interprète, destinée à lui assurer le droit à un procès équitable. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) examiné dans le contexte de la violation susmentionnée de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e), de son droit à interroger de manière effective les témoins à charge (présents au procès) au sujet de la véracité de leur témoignage, et de l’exactitude de leurs souvenirs. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 6 et 7 précités. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention, de son droit à interroger le témoin à charge Theresia Hackl au sujet de la véracité de son témoignage et de l’exactitude de ses souvenirs. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 a), d) et e) (art. 6-3-a, art. 6-3-d, art. 6-3-e), de son droit à être informé en détail, dans une langue qu’il comprenait, des causes des accusations portées contre lui par le témoin Theresia Hackl. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 9 et 10 précités. [Il] a été frustré de son droit de résoudre toute contradiction qui a pu résulter d’une interprétation déficiente et ce déni du droit de se défendre viole l’article 6 § 3 b), c) et e) (art. 6-3-b, art. 6-3-c, art. 6-3-e) (interprété isolément ou combiné avec les articles 6 § 1 et 14) (art. 6-1, art. 14). [Il] a été frustré de son droit à un procès équitable, en raison du manquement 12 précité ainsi que de l’emploi d’éléments de preuve recueillis à la lumière dudit manquement pour étayer un constat de culpabilité, combinaison de facteurs incompatible avec l’article 6 § 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable). [Il] affirme ensuite avoir subi un traitement discriminatoire contraire à l’article 14 (art. 14), en raison de son incapacité de comprendre la langue de la procédure, et n’avoir donc pu exercer les droits garantis par l’article 6 § 3 b) (art. 6-3-b) à l’égal d’un accusé la comprenant. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13), de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 12 à 14 précités. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d), de son droit à obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que pour les témoins à charge. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention, de son droit à interroger les témoins à charge Wellington et Bruck au sujet de la véracité et de l’exactitude de toute déposition qu’elles ont faite contre lui sans prêter serment. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 a) (art. 6-3-a) de la Convention, de son droit à être informé, dans une langue qu’il comprenait, des causes et du détail des accusations portées contre lui par les témoins Bruck et Wellington. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 16 à 18 précités. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 §§ 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2) de la Convention, de son droit à être présumé innocent par une juridiction impartiale jusqu’à l’établissement légal de sa culpabilité. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 2 (art. 6-2), de son droit à être présumé innocent jusqu’à l’établissement légal de sa culpabilité. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1), de son droit à être jugé par un tribunal impartial. [Il] a été frustré, en violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention, de son droit à un recours effectif pour obtenir une réparation du chef des manquements 20 à 22 précités. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 e) (art. 6-3-e), de son droit à l’assistance gratuite d’un interprète. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 3 e) et de l’article 6 § 1 (art. 6-3-e, art. 6-1) (droit à un procès équitable), de son droit de croire que même en cas de constat de culpabilité les frais d’interprète ne lui incomberaient pas. [Il] a été frustré de son droit de se défendre, garanti par l’article 6 § 3 (art. 6-3), et de son droit de recourir contre les violations de la Convention en vertu de l’article 13 (art. 13), le tout par suite d’une application discriminatoire, contraire à l’article 14 (art. 14) de la Convention, du code autrichien de procédure pénale. [Il] a été frustré, en violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, de son droit à un procès public pleinement conforme aux principes de la démocratie."
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE A. Introduction Ressortissant suédois né en 1922, M. Rolf Langborger est ingénieur consultant et habite Solna, ville limitrophe de Stockholm. Le 1er octobre 1982, il loua un appartement. Dans le contrat figurait une "clause de négociation" (förhandlingsklausul, paragraphe 16 ci-dessous) ainsi libellée: "Pendant la durée du bail, les parties s’engagent à accepter, sans dénoncer le contrat, le loyer et les autres conditions convenues sur la base de l’accord de négociation (förhandlingsordning) en vigueur entre d’une part une union des propriétaires d’immeubles, affiliée à la Fédération suédoise des propriétaires d’immeubles, (Sveriges Fastighetsägareförbund), et un propriétaire affilié avec sa propriété à ce syndicat, et d’autre part une union des locataires, affiliée à l’Union nationale des locataires (Hyresgästernas riksförbund)." Un accord entre les deux unions réglait les modalités des négociations, pour la conduite desquelles celle des locataires percevait une commission fixée à 0,3 % du loyer (paragraphe 16 ci-dessous). Mécontent du loyer et d’être représenté par l’Union des locataires de la région de Stockholm (hyresgästföreningen i Stor-Stockholm, "l’Union des locataires"), le requérant résilia le bail en vertu du chapitre 12, article 54, du code foncier (jordabalken), afin d’en voir modifier les conditions. Il invitait le propriétaire à conclure avec lui un nouveau contrat à loyer fixe et sans clause de négociation. A la suite du rejet de son offre, il porta le litige devant le comité des loyers (hyresnämnden) du comté de Stockholm le 23 juin 1983. B. La procédure devant le comité des loyers Conformément à la législation en vigueur (paragraphe 19 ci-dessous), la chambre du comité des loyers qui examina l’affaire comprenait un président et deux assesseurs-échevins (intresseledamöter). Le président, M. Göran Hogebrandt, détenait, à l’époque de sa nomination, la charge judiciaire non permanente de conseiller adjoint à la cour d’appel. Les deux assesseurs, proposés respectivement par la Fédération suédoise des propriétaires d’immeubles et par l’Union nationale des locataires, étaient des experts en matière d’immeubles locatifs et de problèmes des locataires. L’un, M. Jan Åke Hedin, directeur général de sa propre entreprise d’électricité, présidait aussi l’une des associations de district affiliées à l’Union des propriétaires d’immeubles de Stockholm (Stockholms Fastighetsägareförening, "l’Union des Propriétaires"); l’autre, M. Gösta Gröndahl, douanier en retraite, appartenait à l’Union des locataires de Stockholm après avoir présidé pendant neuf ans l’une des associations de district. Le requérant récusa d’abord les deux assesseurs-échevins, parce que désignés sur proposition d’associations de propriétaires et de locataires (paragraphe 19 ci-dessous). A ses yeux, ils ne pouvaient statuer de manière objective et impartiale: l’Union des locataires dépendait pour son existence des sommes versées pour mener les négociations sur les loyers (paragraphe 16, dernier alinéa, ci-dessous); l’Union des propriétaires tirait elle aussi sa raison d’être, dans une large mesure, de sa participation à ces négociations. M. Langborger dénonçait en outre un risque de discrimination pour des raisons politiques: l’Union des locataires était de tendance socialiste, tandis qu’il était un élu local d’une formation de la droite modérée. Sur le fond, il réclamait la suppression de la clause de négociation et contestait le montant du loyer. Le 17 novembre 1983, le comité des loyers tint une audience à laquelle assistèrent le requérant et son représentant ainsi que celui du propriétaire. Le président écarta la demande en récusation: les modalités de nomination des assesseurs-échevins ne pouvaient à elles seules la motiver et il n’existait pas d’autres raisons de nature à la justifier. Le comité annonça ensuite, après avoir entendu les comparants sur le fond de l’affaire, que sa décision serait disponible à son secrétariat le 1er décembre 1983. A cette date, il rejeta les prétentions de M. Langborger. Sa décision, communiquée à ce dernier par la poste, se référait notamment aux déclarations du ministre compétent, lors de l’examen du projet de loi sur la négociation des loyers (paragraphe 16 ci-dessous), quant au pouvoir d’appréciation attribué aux comités des loyers en matière de maintien des clauses de négociation. C. La procédure devant le tribunal des locations M. Langborger en appela au tribunal des locations (bostadsdomstolen). Invoquant les articles 6, 11 et 13 (art. 6, art. 11, art. 13) de la Convention, il sollicitait un examen approfondi de la demande en récusation présentée par lui en première instance et récusait également les assesseurs-échevins de cette juridiction. Sur le fond, il réitérait sa requête tendant à ne pas être représenté par l’Union des locataires et à pouvoir fixer son loyer directement avec le propriétaire. Le tribunal qui connut du recours comprenait quatre membres (paragraphe 23 ci-dessous). Le président, M. Hans Svahn, avait présidé une chambre de la cour d’appel de Svea jusqu’à sa nomination au tribunal des locations et détenait encore formellement ce poste pendant l’exercice de son nouveau mandat. L’autre juriste, qui joua le rôle de rapporteur, M. Hans Anderberg, conservait également les fonctions de juge des loyers (paragraphe 19 ci-dessous). Les deux assesseurs-échevins avaient été, comme ceux du comité des loyers, proposés l’un par la Fédération suédoise des propriétaires d’immeubles, l’autre par l’Union nationale des locataires (paragraphe 22 ci-dessous). Il s’agissait d’experts en matière d’immeubles locatifs et de problèmes des locataires, respectivement. Le premier, M. Bertil Tullberg, était assesseur-échevin titulaire; avant son départ à la retraite, il avait travaillé pour l’Union des propriétaires d’immeubles de Stockholm en qualité de conseil juridique, depuis 1943, et par la suite de directeur général. La seconde, Mme Märta Kåremo, était salariée de l’Union nationale des locataires où elle s’occupait de la formation juridique du personnel; elle siégeait au tribunal à titre d’assesseur-échevin suppléant. Le propriétaire de l’appartement se trouvait représenté par le même employé de l’Union des propriétaires qui l’avait assisté devant le comité des loyers (paragraphe 11 ci-dessus). Le 28 décembre 1983, le tribunal des locations informa M. Langborger, par lettre, qu’il estimait pouvoir "statuer en sa composition actuelle et sans débats". Le 23 février 1984, le rapporteur repoussa la demande en récusation des deux assesseurs-échevins: les modalités de leur désignation ne pouvaient constituer en elles-mêmes un motif valable. Le 2 avril 1984, le tribunal rejeta le reste du recours de M. Langborger et confirma la décision du comité des loyers. Il se prononça à huis clos, en l’absence des parties et sans audience. Sa décision était définitive. Le requérant en reçut une photocopie par la poste. Le 17 avril 1984, il obtint une copie de celle du 23 février qui, par erreur, ne lui avait pas encore été adressée. II. LA LÉGISLATION ET LA JURISPRUDENCE INTERNES A. La clause de négociation L’article 2 de la loi de 1978 sur la négociation des loyers (hyresförhandlingslagen, "la loi de 1978") définit la clause de négociation comme la disposition d’un bail par laquelle le locataire consent à se voir appliquer les conditions de location acceptées par l’association menant les négociations, notamment quant au loyer. Il précise qu’elle est introduite ou maintenue si cela n’est pas déraisonnable, eu égard au niveau de vie du locataire, à son opinion et à celle des autres locataires concernés. Un comité des loyers peut avoir à connaître d’un litige relatif à l’insertion ou au maintien de pareille clause. D’après les travaux préparatoires, cette possibilité a été créée pour la protection juridique des particuliers, et spécialement des personnes non affiliées aux organisations ayant participé aux négociations. Le comité des loyers peut dispenser l’intéressé de souscrire à une telle clause; pour en décider, il met en balance, entre autres, la nécessité de ne pas empêcher des négociations rationnelles avec l’exigence fondamentale d’une liberté contractuelle maximale de l’individu (projet de loi 1977/78:175, p. 130 et s.). Aux termes de l’article 1, lesdites conditions se négocient entre, d’un côté, le propriétaire ou celui-ci et une organisation de propriétaires et, de l’autre, une organisation de locataires. Le preneur - qui n’a donc pas le droit de négocier - n’a pas besoin d’être membre de cette dernière. Selon l’article 3, le système vaut en principe pour tous les appartements d’un immeuble. Les négociations, qui doivent se dérouler de la manière indiquée par la loi, ne sont pas obligatoires mais dépendent des desiderata des parties. Si l’une d’elles refuse de conclure un accord, le comité des loyers peut avoir à statuer. D’après l’article 20, le loyer peut englober la somme - un pourcentage du montant convenu - destinée à l’organisation des locataires pour son rôle dans les négociations. Principal avantage du système pour les unions de propriétaires: elles n’ont à négocier les loyers qu’avec les associations de locataires et non avec chaque preneur séparément. De leur côté, les associations de locataires peuvent, grâce à leur droit de représentation des locataires, exercer une influence continue et à long terme sur les conditions du marché des locations. Le système s’applique actuellement à la totalité des logements qui sont la propriété d’organismes publics et à 80 % des immeubles privés comportant plus de deux appartements. B. Les comités des loyers Institués par la loi de 1973 sur les comités des baux et les comités des loyers (lag 1973:188 om arrendenämnder och hyresnämnder, "la loi de 1973"), les comités des loyers tranchent, entre autres, les litiges relatifs aux loyers conformément au titre 12 du code foncier. Selon l’article 5, chaque comité des loyers se compose d’un président - appelé juge des loyers - et de deux assesseurs-échevins dont l’un au fait des problèmes de l’administration des immeubles et l’autre de ceux des locataires. Le président est désigné par le gouvernement, ou une autorité déléguée par lui, après avis - toujours sollicité, sauf dans trois cas - de la commission consultative pour les nominations du personnel des tribunaux (tjänsteförslagsnämnd). Il doit posséder une formation juridique et travaille à plein temps. Les assesseurs-échevins sont désignés par le Conseil national de l’Ordre judiciaire (Domstolsverket) pour un mandat de trois ans, généralement renouvelé. D’après l’article 6 par. 2 de la loi de 1973, les organisations représentatives du marché du logement - essentiellement la Fédération suédoise des propriétaires d’immeubles et l’Union nationale des locataires - doivent pouvoir proposer des candidats lorsqu’il s’agit d’une nomination concernant leur groupe d’intérêts. Les personnes choisies siègent à titre personnel et non comme représentants de leurs associations. Les assesseurs-échevins ne se voient pas attribuer chaque affaire par avance: ils remplissent leurs fonctions, qui ne les occupent pas en permanence, suivant un calendrier établi au préalable. En outre, si un comité comprend plusieurs chambres les dossiers sont, en pratique, répartis selon un critère géographique. En principe orale, la procédure du comité des loyers se trouve régie par les dispositions générales de la loi sur l’administration (förvaltningslagen), bien que le code de procédure judiciaire s’applique pour certaines formalités. Le comité rend en public, le jour même ou au plus tard dans les deux semaines, une décision motivée dont une copie est envoyée aux parties. C. Le tribunal des locations Créé par une loi de 1974 (lag 1974:1081 om bostadsdomstol, "la loi de 1974") et compétent pour toute la Suède, le tribunal des locations connaît des appels interjetés contre les décisions des comités des loyers. Ses jugements sont définitifs. Il comprend au moins trois juristes ("juges du logement"), un assesseur technique - qui remplace l’un d’eux dans certains cas - et douze assesseurs-échevins au maximum, désignés les uns et les autres par le gouvernement pour un mandat de trois ans, renouvelable. Les juristes sont en général des magistrats, les échevins des experts du marché du logement. Pour ces derniers, il existe une procédure de proposition identique à celle qui s’applique aux assesseurs-échevins des comités des loyers (paragraphe 19 ci-dessus). Toujours présidé par un juriste, le tribunal peut siéger à sept membres ou, comme en l’occurrence, à quatre. Dans la seconde hypothèse, il doit y avoir deux juges du logement et deux assesseurs-échevins; en cas de partage des voix, celle du président est prépondérante. La procédure est écrite, mais des débats peuvent avoir lieu si l’intérêt de l’instruction paraît l’exiger; ils portent tantôt sur un point précis, tantôt sur l’ensemble du litige. Le tribunal des locations applique les dispositions générales du code de procédure judiciaire. Il statue en public, sauf certaines exceptions non pertinentes en l’espèce. S’il ne peut rendre une décision lors d’une audience, il en met le texte à la disposition des parties, au greffe, et leur en communique une copie par la poste. La Cour suprême (Högsta domstolen) a eu à se prononcer sur l’indépendance et l’impartialité d’un assesseur-échevin appelé à siéger dans une affaire concernant l’association qui l’avait proposé (arrêt du 21 septembre 1982, affaire no Ö 600/81, Hyresgästföreningen Kroken, Nytt Juridiskt Arkiv (NJA) 1982, p. 564). Elle a jugé qu’il n’y avait pas là motif à récusation. Examinant d’abord la situation des assesseurs-échevins en général, elle a souligné que leur présence avait pour but de doter le tribunal de "personnes bien au courant des questions à traiter" par lui et "capables d’exprimer, avec autorité, les idées des groupes d’intérêts concernés". Et de préciser: "(...) la circonstance qu’un membre, d’une manière générale, représente un certain groupe d’intérêts ne saurait impliquer chez lui une opinion préconçue quand il connaît d’une affaire où l’une des parties appartient à ce groupe. Comme on l’a souligné pendant les travaux préparatoires (NJA II 1974, p. 546), on n’a pas entendu que les assesseurs-échevins se sentent liés, dans l’accomplissement de leur tâche de juges, par l’intérêt qu’ils peuvent être censés représenter. A l’instar des autres membres, ils doivent agir en juges indépendants et non en défenseurs d’intérêts partisans." Passant au cas d’espèce, la Cour suprême a rejeté la demande en récusation, fondée sur "l’idée que tout membre très proche du mouvement des locataires a par là même une opinion préconçue lorsqu’il s’occupe d’un tel différend". Dans les motifs de son arrêt, elle a relevé notamment: "(...) il faut souligner en premier lieu que le rôle des assesseurs-échevins du tribunal des locations ne consiste pas à représenter leurs organisations. Ils doivent représenter l’ensemble du groupe d’intérêts en cause, sans tenir compte de leur appartenance à telle organisation. A l’évidence, la législation les présume aptes à connaître impartialement même de litiges où se trouvent en jeu les intérêts directs de leur organisation, et il n’est pas compatible avec les dispositions de la loi de considérer comme partiaux dans de tels litiges, d’une manière générale, les membres liés à une organisation." Elle a cependant ajouté: "Bien entendu, il peut exister des motifs de récusation si le membre en cause a été mêlé au litige déféré au tribunal." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Langborger a saisi la Commission le 7 septembre 1984 (requête no 11179/84). Il alléguait que sa cause n’avait pas été entendue publiquement par un tribunal indépendant et impartial. Il se plaignait aussi d’une méconnaissance de ses droits au respect de son domicile, de sa liberté d’association et de ses biens, ainsi que du défaut de recours effectif devant une "instance" nationale. Il invoquait les articles 6 par. 1, 8, 11 et 13 (art. 6-1, art. 8, art. 11, art. 13) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (P1-1). La Commission a retenu la requête le 9 juillet 1986. Dans son rapport du 8 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’opinion - qu’il y a eu manquement aux exigences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention en matière d’impartialité; - qu’il n’y a pas eu infraction aux articles 8 et 11 (art. 8, art. 11) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (P1-1); - qu’il ne s’impose pas d’examiner séparément le grief tiré de l’article 13 (art. 13) de la Convention, ni de rechercher s’il y a eu inobservation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) en ce qui concerne la publicité des débats et du prononcé du jugement. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 21 février 1989, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour "à constater l’absence de violation de la Convention en l’espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen danois né en 1919, le requérant est tailleur de pierres précieuses et réside à Narssaq, au Groenland. En 1979, le gouvernement de l’île résolut d’assujettir à l’impôt les ressortissants danois travaillant sur les bases américaines installées dans celle-ci. Plusieurs des intéressés, parmi lesquels ne figurait pas M. Barfod, attaquèrent sa décision devant la cour supérieure du Groenland (Grønlands Landsret); ils l’estimaient illégale aux motifs, entre autres, qu’ils ne jouissaient pas du droit de vote lors des élections locales et ne percevaient aucune prestation des autorités groenlandaises. Pour l’examen du litige, la cour supérieure se composait d’un juge professionnel et de deux assesseurs non professionnels, l’un et l’autre fonctionnaires du gouvernement local. A l’unanimité, elle statua en faveur de ce dernier par un arrêt du 28 janvier 1981, qui ne se trouve pas ici en cause et que la cour d’appel du Danemark oriental (Østre Landsret) confirma le 8 septembre 1983 ("litige fiscal de 1981"). Après avoir pris connaissance dudit arrêt, le requérant y consacra un article qui parut en août 1982 dans la revue "Grønland Dansk". Il y exprimait l’opinion que les deux juges non professionnels étaient disqualifiés aux termes de l’article 62 de la Constitution danoise (paragraphe 15 ci-dessous), et mettait en doute leur aptitude à se prononcer avec impartialité dans une instance introduite contre leur employeur. L’article renfermait le passage suivant (traduction): "La plupart des membres du gouvernement local avaient (...) le temps de s’assurer que les deux juges non professionnels groenlandais - du reste employés par lui, l’un comme directeur de musée, l’autre comme conseiller en habitat urbain - remplissaient leur devoir, ce qu’ils ont fait. L’arrêt a été rendu par deux voix contre une [comp. le paragraphe 13 ci-dessous] en faveur du gouvernement local et, vu la composition du siège, on devine sans peine qui a voté comment." Le juge professionnel de la cour supérieure estima ces commentaires propres à nuire à la réputation de ses deux assesseurs et partant, de manière plus générale, à saper la confiance des citoyens dans la justice. En sa qualité de chef du pouvoir judiciaire du Groenland, il invita donc le chef de la police de l’île à ouvrir une enquête pénale. M. Barfod se vit ultérieurement inculper de diffamation, au sens de l’article 71 par. 1 du code pénal du Groenland (Kriminalloven for Grønland, paragraphe 17 ci-dessous), devant le tribunal de district (Kredsret) de Narssaq. Après règlement d’une question préliminaire de for, les débats se déroulèrent le 9 décembre 1983. Le requérant confirma qu’il avait rédigé l’article incriminé, mais soutint que les magistrats non professionnels n’auraient pas dû connaître du litige fiscal, eu égard à l’article 62 de la Constitution danoise (paragraphe 15 ci-dessous), et que les poursuites engagées contre lui pour diffamation violaient l’article 77, qui garantit la liberté d’expression (paragraphe 16 ci-dessous). Dans son jugement du même jour, le tribunal de district de Narssaq statua ainsi (traduction): "Il n’y a pas lieu d’examiner en l’espèce le bien-fondé de l’arrêt prononcé le 28 janvier 1981 par la cour supérieure, mais seulement de rechercher si le prévenu a outragé, par son article, deux des magistrats ayant siégé à l’époque. Dans le passage en question de son article, il a utilisé des mots tels que les deux intéressés peuvent à bon droit se croire victimes d’une atteinte à leur honneur. La liberté d’expression, invoquée par lui en vertu de l’article 77 de la Constitution, n’a pas été violée: il a le droit d’exposer ses idées sans aucune censure préalable, sauf à en répondre en justice. Le tribunal déclare donc le prévenu coupable d’infraction à l’article 71 par. 1 du code pénal groenlandais, car il n’apparaît pas qu’il ait, comme l’eût voulu le paragraphe 2 du même texte, justifié le choix des termes employés par lui dans l’article en cause." Le tribunal infligea au requérant une amende de 2.000 couronnes danoises. M. Barfod se pourvut devant la cour d’appel du Danemark oriental, mais elle se dessaisit au profit de la cour supérieure du Groenland, considérée comme juridiction d’appel compétente. Pendant l’examen de l’affaire, le magistrat professionnel habituel, disqualifié pour avoir déclenché les poursuites, fut remplacé par l’un de ses suppléants (paragraphes 10 ci-dessus et 18 ci-dessous). Dans son arrêt du 3 juillet 1984 confirmant le jugement attaqué, la cour supérieure souligna que le requérant avait mal compris le vote émis dans le litige fiscal de 1981: s’il y avait eu dissentiment sur les motifs, les trois juges avaient tous abouti à une conclusion favorable au gouvernement local (paragraphe 8 ci-dessus). Au sujet du délit reproché à M. Barfod, la cour releva notamment ce qui suit (traduction): "Comme le tribunal de district, la cour supérieure souscrit à l’opinion du parquet: le passage selon lequel les deux juges non professionnels groenlandais avaient rempli leur devoir - en bons employés du gouvernement local, lui accorder gain de cause - représente une grave accusation de nature à leur nuire auprès du public. Aucune preuve n’a été fournie à l’appui de cette imputation; il ne pouvait du reste en aller autrement car on ne saurait exclure que les intéressés auraient pris une décision identique même s’ils n’avaient pas été fonctionnaires du gouvernement local. Partant, il échet de tenir le prévenu pour coupable d’avoir enfreint l’article 71 par. 1 du code pénal. Enfin, la cour admet avec le prévenu, quant à la qualité des deux magistrats non professionnels pour siéger en l’espèce, qu’ils auraient dû - comme l’a souligné la défense, et nonobstant la difficulté particulière d’appliquer au Groenland des règles strictes en la matière - se déporter, donc rester à l’écart de l’instance puisqu’ils occupaient des postes dirigeants au service du défendeur; le prévenu a eu raison de le signaler. Considérant, d’un côté, la gravité de l’accusation et les renseignements disponibles sur les ressources du prévenu - elles justifieraient une forte augmentation du montant de l’amende infligée -, de l’autre, l’utilité d’attirer l’attention sur l’inobservation de principes normaux concernant la qualité pour siéger, la cour estime devoir confirmer ladite amende." Le requérant sollicita l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême (Højesteret), mais le ministère de la Justice la lui refusa le 14 mars 1985. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES A. La Constitution danoise Aux termes de l’article 62 de la Constitution (Danmarks Riges Grundlov), l’administration de la justice doit demeurer séparée du pouvoir exécutif et la loi fixe les règles nécessaires à cet effet. La liberté d’expression est protégée par l’article 77, ainsi libellé (traduction): "Chacun a le droit de divulguer ses idées par la presse, la plume ou la parole, sauf à en répondre en justice. Censure et autres mesures préventives ne seront jamais rétablies." B. Le code pénal du Groenland Le délit de diffamation se trouve défini à l’article 71 du code pénal du Groenland (Kriminalloven for Grønland), aux termes duquel (traduction): "[1.] Encourt une peine pour diffamation quiconque porte atteinte à l’honneur d’autrui par des paroles ou actes outrageants, ou lance ou répand une accusation de nature à compromettre l’estime dont la personne outragée jouit auprès de ses concitoyens, ou à lui nuire de manière générale dans ses rapports avec des tiers. Toutefois, nul ne peut être condamné pour une accusation avérée, ou faite de bonne foi, et dont l’auteur avait le devoir de s’exprimer ou a agi pour la sauvegarde justifiée de l’intérêt général, de son propre intérêt ou de celui d’autrui. Quiconque porte une accusation en fournissant des preuves à l’appui, peut néanmoins se voir condamner si elle est indûment outrageante dans sa forme ou s’il n’avait pas de raison valable de la porter. Si une accusation diffamatoire est injustifiée, il y a lieu de le mentionner, à la demande de la partie outragée, dans le dispositif du jugement." C. L’administration de la justice au Groenland L’administration de la justice au Groenland subit fortement l’influence des conditions spéciales y régnant: traditions séculaires, superficie énorme du pays et habitat très dispersé. Le système judiciaire comprend deux degrés de juridiction: les tribunaux de district, juridictions de première instance, et la cour supérieure, juridiction d’appel mais qui connaît aussi de certaines causes en première instance. Selon que la cour supérieure se prononce en appel ou en première instance, son arrêt peut donner lieu à un pourvoi devant la Cour suprême, moyennant l’autorisation du ministère de la Justice, ou à un appel devant la cour du Danemark oriental. Préside la cour supérieure le juge de celle-ci ou l’un de ses suppléants, qui ont tous une formation juridique. Y siègent aussi deux magistrats non professionnels, désignés pour quatre ans par le Parlement du Groenland (Landstinget) sur présentation par le juge de la cour supérieure. Quant aux tribunaux de district, ils se composent de trois juges non professionnels désignés pour quatre ans, le premier comme président par le juge de la cour supérieure, les deux autres par les autorités locales sur présentation par ledit juge. Les magistrats non professionnels - il peut s’agir de toute personne habilitée à voter lors des élections locales - s’acquittent de leurs fonctions comme d’une obligation civique, parallèlement à leur travail habituel. Ils ne peuvent s’en voir relever, par le juge de la cour supérieure, que si elles représentent pour eux une charge exorbitante. Un principe fondamental de l’administration de la justice, au Danemark comme au Groenland, veut qu’un juge soit impartial et se prononce sur la seule base du droit en vigueur et des preuves produites. Il vaut pour quiconque exerce des attributions judiciaires, à titre professionnel ou non. Des règles relatives à la disqualification des juges figurent dans la loi sur l’administration de la justice au Groenland. Toutefois, elles sont libellées en termes larges et ne mentionnent pas explicitement comme cause de récusation des relations d’employé à employeur entre juges et parties. Un juge qui statuerait sous l’empire de considérations étrangères au droit en vigueur ou aux preuves produites, par exemple par déférence pour ses employeurs, commettrait un manquement manifeste à ses devoirs et s’exposerait à des sanctions en vertu de la loi précitée (faute disciplinaire) ou de l’article 28 du code pénal du Groenland (abus de pouvoir). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 mars 1985 à la Commission (no 11508/85), M. Barfod se plaignait d’infractions à l’article 6 par. 3 (art. 6-3) de la Convention, aucun des magistrats non professionnels n’ayant été entendu comme témoin dans les poursuites; à l’article 10 (art. 10), à cause de sa condamnation pour diffamation; et à l’article 13 (art. 13), en ce que le ministère de la Justice avait refusé de l’autoriser à se pourvoir devant la Cour suprême. Il invoquait de surcroît l’article 17 (art. 17). Le 17 juillet 1986, la Commission a retenu le grief tiré d’une atteinte injustifiée à la liberté d’expression de l’intéressé, garantie par l’article 10 (art. 10); elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 16 juillet 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut par quatorze voix contre une à la violation de l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis, ainsi que des deux opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt.
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Citoyen allemand né en 1928, le requérant vit à Düsseldorf; il y occupe un poste de haut fonctionnaire juriste au ministère de la Science et de la Recherche de Rhénanie du Nord-Westphalie. En 1961, il avait contracté un mariage dont sont issus trois enfants. Il a divorcé en 1983, au terme d'un procès commencé en 1974 et dont il dénonce la durée. LA PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL RÉGIONAL (LANDGERICHT) DE DÜSSELDORF (18 MARS 1974 - 30 JUIN 1977) Le 18 mars 1974, M. Bock intenta une action en divorce devant le tribunal régional de Düsseldorf. Il affirmait douter de la fidélité de sa femme et ajoutait que cette dernière l'avait menacé de le faire placer sous tutelle pour maladie mentale. Or un examen psychiatrique subi par lui en septembre 1973 à son instigation à elle et effectué par le Dr Lemmer, médecin-conseil, n'avait révélé chez lui aucun indice de pareille maladie. Le requérant déposa le rapport médical et cita le Dr Lemmer comme témoin. Après qu'il eut demandé le divorce, son épouse invita le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Ratingen à le mettre sous curatelle (Gebrechlichkeitspflegschaft). Le tribunal en décida ainsi le 24 avril 1974 après avoir entendu Mme Bock, une sienne tante et un ami magistrat, M. Firnhaber, qu'il nomma curateur. A l'initiative de celui-ci, il prescrivit le surlendemain, donc le 26, l'internement de M. Bock. Le même jour, M. Firnhaber se rendit sur le lieu de travail de l'intéressé qui, emmené sans préavis dans un établissement psychiatrique, y demeura jusqu'au 3 mai; à cette date la juridiction de recours annula les ordonnances des 24 et 26 avril, parce que prononcées sans audition du requérant, et renvoya la cause au tribunal cantonal. Le 30 mai, M. Bock récusa les médecins qui l'avaient examiné pendant son internement; le tribunal régional de Düsseldorf accueillit la demande le 21 juin. Le 4 juillet 1975, le tribunal cantonal refusa de désigner un curateur, au motif que même si l'intéressé souffrait de troubles mentaux, il restait capable de s'occuper de ses affaires personnelles et, de plus, n'avait jamais donné lieu à aucune plainte quant à l'exercice de ses fonctions. Par la suite, Mme Bock essaya de provoquer l'interdiction judiciaire (Entmündigung) de son mari, mais aussi en vain: le tribunal cantonal la débouta le 1er juillet 1976 et le tribunal régional confirma cette décision le 17 septembre. Le 31 mai 1974, Mme Bock avait présenté son mémoire en réponse à l'action en divorce. D'après elle, une maladie mentale privait son mari de la capacité d'engager une procédure judiciaire. Pour en fournir la preuve, elle réclamait la comparution de M. Firnhaber comme témoin. Selon l'article 52 du code allemand de procédure civile, chacun peut ester en justice pour autant que l'on peut se lier par contrat conformément aux dispositions pertinentes du code civil. Aux termes de l'article 104 de ce dernier, "Sont juridiquement incapables: les mineurs de moins de sept ans; les personnes qui, en raison d'un trouble pathologique de leurs facultés mentales, sont incapables de se déterminer librement, sauf s'il s'agit d'une situation purement temporaire par nature; une personne interdite pour cause de maladie mentale." Quant aux individus interdits, ou placés sous curatelle provisoire, pour débilité mentale, prodigalité, alcoolisme ou toxicomanie, ils jouissent de la même capacité juridique que les enfants de plus de sept ans. Ils peuvent néanmoins ester en justice en matière matrimoniale (Ehesachen, article 607 du code de procédure civile). Le droit allemand connaît la possibilité de réputer une personne partiellement incapable pour certaines questions, telles les affaires matrimoniales. Dans cette mesure, l'intéressé ne peut introduire une instance en vertu de l'article 52 susmentionné. L'article 56 par. 1 du code de procédure civile oblige les tribunaux à prendre d'office en considération un défaut de capacité d'ester en justice. Le 6 juin 1974, le tribunal régional de Düsseldorf entendit les parties et M. Bock se déclara prêt à subir un examen médical. Le 10 juillet, le tribunal en chargea le Dr Wegener. Celui-ci reçut le dossier le 22 juillet; en novembre, il avisa le tribunal qu'il avait effectué ledit examen. Le 13 novembre, M. Bock le récusa et signala au tribunal qu'il avait changé d'avocat. Le 21, le Dr Wegener présenta son rapport; il estimait le requérant gravement malade et atteint de psychose paranoïde. Toutefois, le 9 décembre le tribunal accueillit la demande en récusation du 13 novembre; le 23 décembre, il confia l'expertise au Dr Baucke et invita les parties à exprimer leur opinion sur ce choix. Le 1er avril 1975, après prorogation du délai fixé pour présenter ses observations, M. Bock récusa le Dr Baucke et refusa de se laisser examiner par lui, alléguant que ce dernier risquait d'être influencé par les conclusions de son prédécesseur, le Dr Wegener. Le tribunal régional repoussa la demande le 17 avril; le 26 août, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Düsseldorf rejeta le recours (sofortige Beschwerde) introduit le 9 mai par l'intéressé. Celui-ci avait changé d'avocat le 13 août; il le fit à nouveau le 3 décembre. Le 26 janvier 1976, le Dr Baucke retourna le dossier en précisant que le requérant refusait toujours de se prêter à un examen. Par inadvertance, le greffe omit d'en informer les parties ainsi que le tribunal l'en avait chargé trois jours plus tard. Le 12 mai, le conseil de M. Bock réclama la poursuite de l'instance; le 25, le tribunal décida de tenir audience le 1er juillet. Lors des débats du 1er juillet 1976, le tribunal régional résolut d'ouïr M. Firnhaber et un médecin, le Dr De Boor, que Mme Bock avait proposés comme témoins. Toutefois, seul le premier comparut à l'audience du 9 septembre. Le requérant sollicita un ajournement, mais en vain. Là-dessus il récusa les magistrats, qui écartèrent sa demande le 3 novembre. Il attaqua leur décision le 19 et, le 14 février 1977, récusa l'un des conseillers à la cour d'appel. Le dossier fut alors transféré à une autre chambre de la cour qui débouta le requérant le 8 mars. Le 30 mars 1977, le tribunal régional décida d'entendre M. Firnhaber et le Dr De Boor le 2 juin. Cependant, l'audience fut annulée sur demande du nouvel avocat que M. Bock avait constitué le 1er juin. Le 16 juin, il informa le tribunal qu'il ne représentait plus le requérant. Auparavant, un incident de plus avait surgi entre les époux. Le 20 août 1976 Mme Bock avait alerté la police, se prétendant menacée par son mari. Amené de force dans un hôpital psychiatrique, il y fut examiné par deux médecins - dont le Dr Roth - qui, au vu du résultat, refusèrent l'internement. Relâché alors par la police il se vit, le 31 août, interdire l'accès à sa maison en vertu d'une ordonnance judiciaire obtenue par sa femme. Les agents de police portèrent plainte contre lui pour leur avoir résisté dans l'exercice de leurs fonctions, mais le 25 mars 1977 il fut acquitté par un tribunal d'échevins (Schöffengericht) après une déposition du Dr Roth qui le déclara non dérangé mentalement. Le 23 décembre 1981, la cour d'appel de Düsseldorf lui alloua une indemnité pour l'action de la police, qu'elle jugea injustifiée. En 1976 intervint en République fédérale d'Allemagne une réforme du droit du mariage et de la famille; elle consistait, entre autres, à supprimer la notion de faute en matière de divorce et à créer auprès des tribunaux cantonaux des sections spéciales pour les affaires familiales (Familiengerichte), composées d'un juge unique. Les lois ainsi promulguées entraînèrent le transfert au tribunal des affaires familiales de Düsseldorf, à compter du 1er juillet 1977, de l'instance en divorce pendante devant le tribunal régional. LA PREMIÈRE PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL DES AFFAIRES FAMILIALES ET LA COUR D'APPEL DE DÜSSELDORF (1er JUILLET 1977 - 9 JANVIER 1980) a) Tribunal des affaires familiales (1er juillet 1977 - 5 janvier 1979) Le 26 juillet 1977, le tribunal des affaires familiales invita les parties à modifier leurs thèses à la lumière de ladite législation. Le nouveau conseil de M. Bock - le sixième avait renoncé à son mandat le 30 novembre 1977 - déposa ses observations le 21 décembre. Des audiences contradictoires eurent lieu le 22 mai 1978. Eu égard à un mémoire complémentaire du requérant concernant la garde des enfants, le tribunal décida de fixer de nouveaux débats qui, pour des raisons de calendrier des parties et du juge, se déroulèrent seulement le 13 novembre. Après avoir vu les enfants le 30 novembre et tenu derechef des audiences le 4 décembre, le tribunal prononça le divorce le 21. Il estima l'action recevable: M. Bock pouvait ester en justice et son comportement prétendu ne reflétait pas nécessairement une maladie mentale. Le jugement - qui attribuait la garde des enfants à la mère - fut signifié aux parties le 5 janvier 1979. b) Cour d'appel (5 février 1979 - 9 janvier 1980) Un mois plus tard, Mme Bock saisit la cour d'appel de Düsseldorf. Le même jour, son mari forma un appel incident quant à la garde et aux dépens. Le 18 avril 1979, il récusa les conseillers au motif qu'ils lui avaient auparavant refusé un droit de visite. La cour ayant rejeté sa demande le 27 avril, il introduisit devant la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) un recours que celle-ci déclara irrecevable le 11 septembre 1979. Après avoir tous deux bénéficié d'une prorogation de délai, les époux déposèrent leurs mémoires respectifs les 7 juin et 3 octobre 1979. La cour d'appel accorda l'assistance judiciaire à Mme Bock le 5 novembre et entendit les parties le 12. Ayant mandaté entre temps un nouveau conseil, le requérant présenta le 11 décembre des observations complémentaires sur sa capacité d'ester en justice ainsi qu'une expertise privée du Dr Lemmer, datée du 7 décembre. Le 9 janvier 1980, la cour d'appel de Düsseldorf cassa le jugement du 21 décembre 1978 et renvoya l'affaire au tribunal des affaires familiales, lequel avait méconnu d'après elle l'article 56 du code de procédure civile (paragraphe 10 ci-dessus) en n'examinant pas l'incapacité alléguée du requérant à ester en justice. L'arrêt était ainsi motivé (traduction): "De manière générale, un tribunal peut supposer qu'une partie est apte à ester en justice. Toutefois, en cas de doutes sérieux sur ce point il ne peut laisser l'instance se poursuivre s'il s'agit de statuer sur le fond: aux termes de l'article 56 du code de procédure civile, il doit d'abord contrôler d'office la capacité d'ester en justice, condition de validité d'une décision au fond; nonobstant toute règle de procédure en matière de preuve, il doit utiliser tous les moyens nécessaires pour se former une opinion claire (...). Or le tribunal des affaires familiales a manqué à cette obligation, méconnaissant les textes applicables de droit matériel et de droit procédural. En l'espèce, les considérations ci-après le montrent, la capacité de l'appelant à ester en justice inspire des doutes sérieux que ne dissipe pas le rapport du Dr Lemmer, médecin-chef retraité, daté du 7 décembre 1979 et versé au dossier. Il n'y a donc pas lieu de rouvrir la procédure orale en vertu de l'article 156 du code de procédure civile. Dans une lettre du 17 avril 1974 (...), M. Firnhaber s'est adressé au tribunal cantonal de Ratingen afin d'assurer à l'appelant, l'un de ses vieux amis, un traitement médical par le biais d'une curatelle. Se référant à de nombreux incidents passés, connus de lui par des entretiens avec l'appelant lui-même ou des membres de sa famille, il avançait l'hypothèse que l'intéressé souffrait d'un complexe de persécution dirigé de plus en plus contre la défenderesse. Mme Linn, tante de celle-ci, a tenu des propos similaires devant le tribunal cantonal de Ratingen (...). On ne peut accuser sans plus ces personnes d'hostilité pure et simple à l'appelant. Aux yeux de la cour, il faut plutôt présumer qu'elles ont agi par sollicitude sincère envers lui. On ne saurait dès lors négliger leurs déclarations; elles suscitent des doutes sur sa capacité juridique, donc sur sa capacité d'ester en justice. A cet égard, il n'importe pas tellement de savoir si le compte rendu des incidents correspond en tout point à la réalité et si les conclusions tirées sont les bonnes. De toute manière, lesdites déclarations suscitent des doutes qu'il échet d'examiner. On ne saurait considérer ceux-ci comme dénués de fondement pour la raison, par exemple, que les incidents mentionnés concernent uniquement le domaine personnel et familial et que l'appelant exerce avec brio ses activités professionnelles à un poste élevé. En effet, la capacité d'ester en justice peut n'exister que pour des questions déterminées; vu ce qui précède, on ne saurait écarter pareille hypothèse et en l'occurrence il s'agit précisément d'une question touchant aux relations entre l'appelant et la défenderesse. Ces doutes n'ont pas disparu jusqu'ici. Le moins propres à les éliminer sont les observations formulées par l'appelant le 1er mai 1974. L'appréciation donnée par le Dr Roth, médecin-chef, après que la police eut amené l'appelant à l'hôpital régional de Grafenberg le 20/21 août 1976 et lors de l'audience du 25 mars 1977 devant le tribunal d'échevins, ne le peut pas davantage. Elle émane certes d'un médecin spécialiste, mais on ne saurait exclure qu'elle s'appuie sur une base trop étroite et que le domaine personnel et familial, notamment les relations entre l'appelant et la défenderesse, n'ait pas été pris en compte. L'avis [précité] du Dr Lemmer (...) ne permet pas non plus de lever les doutes qui ont surgi. Ce spécialiste, mandaté par l'appelant, a rédigé son rapport au terme d'examens répétés et prolongés de l'intéressé et après avoir étudié les parties pertinentes du dossier. Il n'a pas découvert de tendances paranoïdes morbides et constate l'absence d'éléments limitant la capacité d'ester en justice et d'indices d'une incapacité partielle. Il manque toutefois dans son avis un examen approfondi du rapport du Dr Wegener, du 7 janvier 1975, dont il disposait et auquel il se réfère; d'après ce rapport, l'appelant souffrait d'une psychose paranoïde le privant de discernement dans certains domaines. Faute d'explications plus détaillées, la valeur des méthodes appliquées par le Dr Lemmer aux fins de son expertise n'est pas non plus évidente pour la cour. En outre, cette expertise n'indique pas avec assez de netteté si l'auteur tient pour établis les incidents et les remarques de l'appelant relatés par l'autre partie - par exemple M. Firnhaber, la défenderesse ou le Dr Wegener - ou s'il se fonde uniquement sur ce que l'intéressé lui a dit pendant les examens. De même, la cour n'estime pas suffisante en soi l'appréciation plutôt sommaire des observations de l'appelant, du 1er mai 1974, en réponse aux déclarations de la défenderesse devant le tribunal cantonal de Ratingen, et du 20 mars 1975 en réponse à l'avis du Dr Wegener. L'expert n'entre pas dans les détails; ainsi, il n'examine pas de plus près la crainte exprimée par l'appelant lui-même d'avoir pu, à l'instigation de la défenderesse, être stérilisé au cours d'un séjour en Hollande. Le problème de la capacité de l'appelant à ester en justice - qui reste donc entier - ne peut se résoudre qu'avec l'aide d'experts. Cette tâche incombait au tribunal cantonal; il ne s'en est pas acquitté. Il y a là un grave vice de procédure qui, selon l'article 539 du code de procédure civile, commande d'annuler le jugement attaqué." LA DEUXIÈME PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL DES AFFAIRES FAMILIALES ET LA COUR D'APPEL DE DÜSSELDORF (18 MARS - 29 SEPTEMBRE 1980) a) Tribunal des affaires familiales (18 mars - 3 juillet 1980) Le 16 juin 1980 le tribunal des affaires familiales, en possession du dossier depuis le 18 mars et après avoir tenu audience les 5 et 22 mai, prononça derechef le divorce en attribuant la garde des enfants à la mère. Il n'accepta pas la déclaration de la cour d'appel selon laquelle il n'avait pas contrôlé l'aptitude du requérant à participer à la procédure. Si la cour avait lieu de douter de cette capacité, elle aurait dû examiner et trancher elle-même la question. Partant, le tribunal ne s'estima pas lié par l'arrêt du 9 janvier et refusa de recueillir d'autres preuves sur la question de la maladie mentale prêtée au requérant. Vu l'expertise présentée par le Dr Lemmer le 7 décembre 1979 et le fait que le requérant n'avait jamais suscité de critiques au cours de sa carrière de haut fonctionnaire, sans parler de l'impression personnelle qu'il avait produite pendant les débats, il n'y avait aucune raison de douter de ses capacités mentales. Le jugement fut signifié aux parties le 3 juillet 1980. b) Cour d'appel (14 juillet - 29 septembre 1980) Saisie par Mme Bock le 14 juillet, la cour d'appel de Düsseldorf cassa aussi, avec renvoi, le deuxième jugement de divorce le 29 septembre 1980. Elle s'appuya sur le principe jurisprudentiel selon lequel, dans une même procédure, la décision de la juridiction supérieure s'impose à la juridiction inférieure. D'après elle, le tribunal des affaires familiales, lié par l'arrêt du 9 janvier, avait eu tort de refuser le recours à une expertise sur l'état mental du requérant. LA TROISIÈME PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL DES AFFAIRES FAMILIALES ET LA COUR D'APPEL DE DÜSSELDORF (15 OCTOBRE 1980 - 7 JUIN 1983) a) Tribunal des affaires familiales (15 octobre 1980 - 24 février 1982) Le 15 octobre 1980, le dossier fut retourné au juge du tribunal des affaires familiales, que Mme Bock récusa le même jour. Le tribunal régional rejeta la demande le 27 novembre, mais la cour d'appel l'accueillit le 22 janvier 1981: par son attitude telle qu'elle ressortait du jugement du 16 juin 1980, ledit magistrat pouvait inspirer à Mme Bock des doutes relatifs à son impartialité. Le requérant saisit alors la Cour constitutionnelle fédérale, qui repoussa le recours le 1er avril 1981. Le 22 mai 1981, le tribunal des affaires familiales désigna un autre expert médecin. Le 6 juillet, il entendit un assistant de cet expert, lequel estima le requérant pleinement capable de participer à la procédure. A l'audience, Mme Bock récusa le juge des affaires familiales, mais le tribunal régional rejeta la demande le 8 juillet. Elle en forma le 15 une autre, qui subit le même sort les 25 septembre (tribunal régional) et 19 novembre 1981 (cour d'appel). Le 24 février 1982, le tribunal des affaires familiales prononça le divorce pour la troisième fois. Il attribua la garde de la fille (les deux autres enfants ayant atteint l'âge de la majorité en 1979 et 1980, respectivement) à Mme Bock qui obtint aussi le droit au partage de la pension (Versorgungsausgleich). b) Cour d'appel (25 février 1982 - 7 juin 1983) Le 25 février 1982, la femme du requérant interjeta une fois encore appel contre le jugement de divorce, lequel fut signifié aux parties le 10 mars. Le 13 avril son mari, qui avait changé d'avocat dans l'intervalle, introduisit un appel incident quant à la garde de sa fille et au partage de la pension. Après prorogation du délai, Mme Bock déposa ses conclusions d'appel le 16 avril; ayant constitué un nouvel avocat, le requérant communiqua les siennes le 9 juin 1982. Une audience contradictoire eut lieu le 14 juin 1982. Le 4 août, la cour d'appel de Düsseldorf ordonna un complément d'instruction et chargea l'expert nommé le 22 mai 1981 (paragraphe 24 ci-dessus) d'examiner derechef le requérant. Le rapport sollicité lui parvint le 15 octobre 1982. Mme Bock récusa le médecin le 21 décembre, son mari plusieurs membres de la cour d'appel le lendemain. Leurs demandes échouèrent l'une et l'autre, la seconde le 21 janvier 1983 et la première le 1er février. Après avoir ouï les parties le 21 février, la cour d'appel décida, le 28, d'entendre l'expert, ce qu'elle fit le 6 avril. Le 30 mai, elle rejeta les deux appels. A ses yeux, l'expertise médicale montrait qu'il n'existait plus de doute sur la capacité juridique du requérant. En outre, il se justifiait d'attribuer à Mme Bock la garde d'Adelheid car l'enfant avait exprimé le voeu de vivre avec sa mère. Quant au droit au partage de la pension, l'épouse du requérant ne s'en trouvait pas déchue pour avoir provoqué, en 1973, l'examen psychiatrique de son mari. On ne pouvait lui reprocher d'avoir cru voir dans l'attitude méfiante de celui-ci envers elle l'indice d'un besoin de traitement médical. La capacité du requérant de participer à la procédure avait donné lieu à des doutes, que l'on ne pouvait imputer aux seules allégations de Mme Bock. Le divorce devint définitif le 7 juin 1983, par la signification de l'arrêt aux intéressés. PROCÉDURE DEVANT LA COUR CONSTITUTIONNELLE FÉDÉRALE a) Premier recours (11 mars - 11 octobre 1983) Le 11 octobre 1983, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, rejeta un recours de M. Bock, du 11 mars 1983, qui portait pour l'essentiel sur la durée de la procédure de divorce; elle l'estima irrecevable à certains égards et, pour le reste, dénué de chances suffisantes de succès. Rien ne lui parut montrer que des exigences procédurales objectives ne justifiaient pas des lenteurs éventuelles. A la vérité, un retard évitable résultait de ce que le tribunal des affaires familiales n'avait pas consulté un expert jusqu'à la décision de la cour d'appel du 29 septembre 1980, les deux juridictions n'ayant pas la même opinion sur la nécessité d'une telle mesure et sur le caractère obligatoire de l'arrêt de la seconde pour la première. Toutefois, la thèse du requérant sur sa capacité d'ester en justice avait prévalu devant le tribunal. Vue sous cette angle, une expertise eût entraîné une perte de temps puisque le tribunal la jugeait superflue. b) Second recours (4 juillet 1983 - 11 janvier 1984) Le 11 janvier 1984, la Cour constitutionnelle fédérale repoussa aussi, comme irrecevable ou dénué de chances de succès selon le cas, un autre recours de M. Bock, introduit le 4 juillet 1983 contre la décision définitive de divorce. Le requérant ne pouvait plus revendiquer la garde de sa fille désormais majeure. Le partage de la pension, ordonné par la cour d'appel, n'inspirait des hésitations sur le terrain de la Loi fondamentale ni quant à sa base juridique, la législation de 1977, ni quant au fait que les doutes relatifs à la capacité du requérant d'ester en justice avaient abouti à différer le divorce jusqu'après l'entrée en vigueur de cette législation. La durée de la procédure n'avait pas lésé les droits fondamentaux de l'intéressé. L'arrêt attaqué ne révélait pas davantage une conception erronée des droits fondamentaux prétendument violés. Enfin, le droit de M. Bock à un examen de sa cause (rechtliches Gehör) n'avait pas été méconnu. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Bock a saisi la Commission le 2 juillet 1982. Invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, il se plaignait de la durée de la procédure de divorce ainsi que du caractère inéquitable de celle-ci. Il dénonçait en outre les décisions judiciaires lui refusant l'accès à sa propre maison: d'après lui, elles avaient enfreint les articles 8 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (art. 8, P1-1) (droit au respect de sa vie privée et de ses biens). Il se prétendait de surcroît privé de contacts avec sa fille, au mépris de l'article 8 par. 1 (art. 8-1). Le 13 novembre 1986, la Commission a retenu la requête quant au grief tiré du dépassement du "délai raisonnable" de l'article 6 par. 1 (art. 6-1); elle l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 13 novembre 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut par treize voix contre une à la violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 21 novembre 1988, le Gouvernement a confirmé la demande figurant dans son mémoire; il invitait la Cour "à constater que la République fédérale d'Allemagne n'a pas enfreint l'article 6 par. 1 (art. 6-1), première phrase, de la Convention".
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I. INTRODUCTION Né en 1948, M. Chappell vit à Frome, dans le Somerset. Vers la fin de 1980 et jusqu’en avril 1981 inclus, il exploitait, par le truchement de Video Exchange Limited, société qu’il contrôlait, un club d’échange de vidéocassettes, le Video Exchange Club. La société enregistrait des cassettes et les offrait ensuite aux quelque 4.000 membres de ce dernier. Beaucoup des enregistrements distribués avaient été réalisés au mépris du droit d’auteur (copyright), mais d’après le requérant son avocat l’avait assuré de la licéité des activités d’échange du club. Deux sociétés cinématographiques et deux organismes créés pour protéger les producteurs et distributeurs de films, respectivement, contre les atteintes au droit d’auteur ("les demandeurs"), eurent vent des occupations professionnelles de M. Chappell. L’enquêteur engagé par eux, un ancien policier, constata et leur signala que leur droit d’auteur lui paraissait violé par l’intéressé et sa société ("les défendeurs"). En conséquence, les demandeurs sollicitèrent de la High Court, le 26 février 1981, une mesure provisoire sous la forme d’une ordonnance dite "Anton Piller" (paragraphes 10-24 ci-dessous), préalablement à l’introduction d’une instance contre les défendeurs. Ils présentaient, à l’appui, deux déclarations sous serment dont l’une émanait de l’enquêteur et l’autre de W., un solicitor. Le juge Whitford délivra l’ordonnance le jour même. Les défendeurs n’assistaient pas à l’audience: conformément à la pratique observée en la matière (paragraphe 11 ci-dessous), ils ne reçurent notification ni de la requête ni de son résultat. II. LES ORDONNANCES ANTON PILLER EN GÉNÉRAL A. Nature et contenu D’après l’article 45 de la loi de 1925 (Consolidation Act) sur la Supreme Court of Judicature, aujourd’hui l’article 37 de la loi de 1981 sur la Cour suprême (Supreme Court), la High Court anglaise avait et a le pouvoir général de prescrire des mesures à titre interlocutoire dans tout litige où elle l’estime juste ou opportun. En son article 2, le titre 29 du règlement de la Cour suprême habilite expressément celle-ci à rendre des ordonnances en vue de la détention, garde ou conservation de tout bien qui se trouve en cause. La High Court a instauré dans ce contexte, surtout à partir de 1974, une pratique consistant à octroyer, le cas échéant, à des demandeurs effectifs ou virtuels au civil des "ordonnances Anton Piller". Elles doivent leur nom à une affaire dans laquelle leur délivrance fut approuvée par la cour d’appel (Court of Appeal, Anton Piller KG v. Manufacturing Processes Ltd, All England Law Reports 1976, vol. 1, p. 779). D’ordre procédural, elles revêtent un caractère essentiellement provisoire: elles ne sont prononcées que dans l’attente du procès sur le fond. La surprise relève de la nature même de pareille mesure, car l’un des premiers objectifs poursuivis est de préserver, en vue de ce procès, des éléments de preuve en possession du défendeur effectif ou virtuel. Aussi le tribunal - en vertu, selon l’arrêt Anton Piller, d’une compétence implicite - accorde-t-il l’ordonnance sur requête unilatérale, donc sans avertissement au défendeur ni audition de celui-ci. Pour la même raison, il examine toujours la requête en chambre du conseil, de sorte que le défendeur ne découvre l’ordonnance qu’au moment où on la lui communique pour exécution immédiate. Au fil des ans, de nombreuses décisions ont réaffirmé et précisé les principes régissant la délivrance et les termes d’une ordonnance Anton Piller. Elle enjoint d’habitude au défendeur: a) de ne pas faire commerce de matériels constituant l’objet de l’action (par exemple des bandes vidéo "piratées", c’est-à-dire enregistrées sans licence ni autorisation); b) de révéler à la personne qui la lui signifie leur emplacement, de lui donner des indications détaillées sur les fournisseurs et les clients ainsi que de remettre ces mêmes matériels au demandeur; c) d’établir, dans un délai prescrit, une déclaration sous serment renfermant tous les renseignements exigés par l’ordonnance; d) de laisser le demandeur accéder à tels ou tels locaux pour y rechercher et en retirer tel ou tel objet. Quant à ce dernier point, le tribunal se limite à des documents et matériels directement liés à l’action. Il restreint aussi la période d’accès (en général de 9 h à 18 h en semaine) et le nombre des personnes à laisser pénétrer dans les lieux (très rarement plus de quatre ou cinq); parmi elles figure un auxiliaire de la justice, le solicitor du demandeur (paragraphe 17 in fine ci-dessous). Bien que prononcées à l’occasion de litiges très divers, les ordonnances Anton Piller se rattachent, pour une nette majorité d’entre elles, à des procédures relatives à des allégations de contrefaçon de marques ou brevets, de violation du droit d’auteur ou de concurrence déloyale. Le cas de loin le plus courant est celui d’affaires concernant des disques, bandes et cassettes vidéo piratés, où le danger de suppression des preuves est particulièrement grand. Il appert qu’environ 500 ordonnances de ce type ont été rendues chaque année de 1975 à 1980, mais le chiffre actuel se situe entre 50 et 100. Cette baisse traduit le déclin du phénomène du piratage vidéo, lequel était devenu un véritable fléau au tournant des années 70 et 80. B. Procédure, conditions et termes En règle générale, on sollicite une ordonnance Anton Piller tout au début d’une instance, au moment où l’on se propose d’envoyer l’acte d’assignation. Le demandeur effectif ou potentiel soumet au tribunal un projet d’ordonnance, étayé par un dossier qui consiste en déclarations prêtées - ou à prêter ultérieurement - sous serment. Emanant souvent d’un enquêteur professionnel, elles indiquent l’activité du demandeur et en quoi celle du défendeur y porterait atteinte. Elles en donnent une description, qui comporte très fréquemment le compte rendu d’une visite dans les locaux du défendeur ainsi que de l’achat et de la présence sur les lieux, par exemple, de vidéocassettes piratées. Le demandeur doit toutefois énoncer d’emblée ses griefs et les faits sur lesquels ils se fondent; une ordonnance Anton Piller ne doit pas lui servir à découvrir quelle sorte d’accusations il peut formuler (Lord Justice Lawton dans Hytrac Conveyors Ltd v. Conveyors International Ltd, All England Law Reports 1982, vol. 3, p. 415). De plus, en sollicitant l’ordonnance il lui faut révéler toutes les circonstances pertinentes. Sauf décision contraire du tribunal, un manquement même non délibéré à cette obligation entraîne le refus ou le retrait de l’ordonnance, nonobstant l’existence éventuelle de faits qui en justifiaient l’octroi. Avant de rendre une ordonnance Anton Piller, le tribunal doit s’assurer de ce qui suit: a) le demandeur démontre avoir de très fortes chances de l’emporter au fond; b) il a subi ou peut subir un préjudice très grave; c) il ressort nettement du dossier que le défendeur possède des documents ou objets compromettants pour lui et risque fort de les détruire si on l’avertit. Si le tribunal acquiert cette conviction, il n’accueille néanmoins la requête que moyennant certaines conditions, consignées dans le texte de l’ordonnance sous la forme d’engagements envers lui. Ils ont pour but de protéger les intérêts du défendeur absent, le conseil du demandeur étant tenu de veiller à ce que l’ordonnance énonce toutes les garanties voulues à cette fin. Le tribunal détermine librement les engagements à contracter; il n’y a pas de règles fixes ni de pratique constante en la matière. Voici des exemples, le point a) figurant dans toutes les ordonnances, les points b), c)i. et c)ii. dans la plupart d’entre elles: a) engagement du demandeur d’indemniser le défendeur de tout dommage résultant pour lui de la délivrance de l’ordonnance; b) engagement du demandeur de faire notifier par ses solicitors au défendeur l’ordonnance et tout autre document pertinent, comme les déclarations sous serment sur lesquelles elle se fonde, l’assignation introductive d’instance et la convocation à la prochaine audience; c) engagements desdits solicitors: i. proposer d’expliquer au défendeur, de manière impartiale et en termes courants, le sens et les effets de l’ordonnance et l’informer qu’il a le droit de consulter un homme de loi avant d’obtempérer à tout ou partie de l’ordonnance, pourvu qu’il s’agisse d’une consultation immédiate; ii. conserver eux-mêmes tout objet saisi par eux ou remis à eux en vertu de l’ordonnance; iii. répondre à toute question du défendeur sur le point de savoir si un objet tombe sous le coup de l’ordonnance; iv. dresser, avant de les retirer des locaux, une liste des objets saisis; v. n’utiliser que pour la procédure civile en cause les renseignements ou documents recueillis au titre de l’ordonnance; vi. veiller à ce qu’un solicitor suive constamment l’exercice des droits conférés par l’ordonnance. L’importance de l’intervention de solicitors dans cette procédure et dans les engagements donnés tient à leur qualité d’auxiliaires de la Cour suprême, relevant comme tels de la compétence implicite de celle-ci en matière disciplinaire. Si un solicitor manque à un engagement de caractère professionnel qu’il a personnellement contracté envers le tribunal, il s’expose à une procédure sommaire pour contempt of court, laquelle peut lui attirer une condamnation à l’emprisonnement, à une amende, à des dommages-intérêts ou aux frais. Il se rend aussi coupable d’une faute déontologique pouvant entraîner, par la voie disciplinaire, la radiation, une suspension ou une sanction pécuniaire. C. Exécution Octroyée à un particulier au civil, et non à la police au pénal, une ordonnance Anton Piller se distingue également d’un mandat de perquisition en ce qu’elle ne crée aucun droit de pénétrer de force dans des locaux. Ses termes obligent le défendeur à permettre au demandeur d’y accéder, mais il lui reste loisible de refuser et, s’il le désire, de réclamer en référé la modification ou la levée de l’ordonnance (paragraphe 20 ci-dessous). Il subit pourtant une pression, car s’il ne s’incline pas il court notamment le risque de se voir poursuivre pour contempt of court, sur plainte du demandeur, et infliger le cas échéant une peine d’emprisonnement. Même s’il obtient ultérieurement le retrait de l’ordonnance, le fait d’y avoir désobéi alors qu’elle se trouvait en vigueur constitue un contempt (sauf si elle avait été rendue dans des circonstances qui l’invalidaient); toutefois, celui-ci sera probablement considéré comme théorique et, d’ordinaire, ne débouchera pas sur une sanction (Lord Justice Buckley dans Hallmark Cards Inc. v. Image Arts Ltd, Fleet Street Reports 1977, p. 153). Selon une pratique approuvée par les tribunaux, un policier est d’habitude présent, à l’extérieur des locaux, pendant l’exécution d’une ordonnance Anton Piller, pour éviter toute atteinte à l’ordre public. D. Recours ouverts au défendeur Pareille ordonnance réserve expressément au défendeur le droit d’en solliciter en référé la modification ou la levée en avertissant le demandeur (normalement 24 heures à l’avance, parfois moins). Mesure par essence provisoire, elle limite en tout cas la durée de la protection qu’elle assure, en général à une semaine environ. Passé ce délai se déroule en principe une audience contradictoire au cours de laquelle le tribunal réexamine l’ordonnance et recherche s’il convient de la maintenir. Le défendeur peut alors, ou à tout moment par la suite, en réclamer la modification ou la levée. Le tribunal peut annuler l’ordonnance même après qu’elle a reçu exécution, mais il ne le fait que si la levée n’en a pas été demandée trop longtemps après et si elle doit offrir quelque utilité (Booker McConnell plc v. Plascow, Reports of Patent Cases 1985, p. 425). L’ordonnance peut être rapportée s’il n’existait pas, ou pas assez, de raisons de la prononcer, si le demandeur a omis de révéler des faits pertinents lorsqu’il l’a requise ou, semble-t-il, si elle a été appliquée de manière irrégulière ou oppressive. L’annulation libère le défendeur des injonctions figurant dans l’ordonnance et il récupère les objets saisis en vertu de celle-ci. Le tribunal peut accorder un allègement partiel comparable même s’il écarte la demande (paragraphes 44-45 ci-dessous). En plus ou au lieu de la levée de l’ordonnance, le défendeur peut réclamer des dommages-intérêts sur la base de l’engagement réciproque du demandeur (paragraphe 17 a) ci-dessus), au motif que l’ordonnance a été irrégulièrement obtenue ou exécutée. Le tribunal peut lui en allouer même s’il n’annule pas l’ordonnance et même si l’action du demandeur aboutit au fond (Columbia Picture Industries Inc. v. Robinson, All England Law Reports 1986, vol. 3, p. 338). En général il attend le procès au principal pour statuer sur de telles prétentions, mais il peut les examiner plus tôt (Dormeuil Frères SA v. Nicolian International (Textiles) Ltd, All England Law Reports 1988, vol. 3, p. 197). Les indemnités servent au premier chef à compenser le préjudice causé au défendeur par l’ordonnance, mais peuvent être majorées en cas d’application excessive ou irrégulière (affaire Columbia Picture Industries). Si le défendeur estime que le demandeur ou ses solicitors ont manqué à leurs engagements, consignés dans l’ordonnance Anton Piller, ou que les seconds l’ont exécutée de façon incorrecte, il peut les poursuivre pour contempt of court (paragraphe 17 in fine ci-dessus). Il peut aussi réclamer des dommages-intérêts pour violation de propriété (trespass) si, par exemple, l’accès à ses locaux a été obtenu par supercherie ou sans consentement véritable, ou si des objets en ont été enlevés sans que l’ordonnance le justifiât. Dans l’affaire Columbia Picture Industries, le juge Scott a longuement étudié le droit et la pratique relatifs aux ordonnances Anton Piller. Il a considéré que la possibilité d’octroyer une indemnité n’écartait pas la principale objection contre la procédure, à savoir que celle-ci entraîne pour le défendeur, sans qu’on l’ait entendu, des conséquences néfastes et irréversibles, souvent la fermeture de son entreprise. Il a, en outre, exprimé l’opinion que si de telles ordonnances convenaient dans certains cas, on en prononçait trop aisément et sans les assortir de garanties suffisantes pour les défendeurs, la balance entre les droits en jeu penchant beaucoup trop du côté des demandeurs. Selon lui, leur caractère draconien et foncièrement inéquitable, du point de vue du défendeur, commandait de les restreindre au minimum nécessaire à la réalisation de leur objectif; il donnait plusieurs exemples de mesures propres à remplir cette exigence. III. L’ORDONNANCE ANTON PILLER RENDUE EN L’ESPÈCE A. Contenu La mesure conservatoire accordée aux demandeurs le 26 février 1981, sous la forme d’une ordonnance Anton Piller, valait jusqu’au 5 mars 1981 ou jusqu’à nouvelle décision. Elle permettait aux défendeurs d’inviter le tribunal à la modifier ou à la rapporter, moyennant préavis de 24 heures aux demandeurs. L’ordonnance comprenait, entre autres, les dispositions suivantes. a) Elle interdisait aux défendeurs de fabriquer, vendre, louer, distribuer ou céder des copies non autorisées de tout film dont le droit d’auteur appartenait aux demandeurs et de se déposséder de tout document relatif à la fourniture de telles copies aux défendeurs ou par eux. b) Elle leur enjoignait de laisser trois personnes au plus mandatées par les demandeurs, ainsi qu’un solicitor et un autre solicitor ou collaborateur des solicitors des demandeurs, accéder immédiatement à des locaux déterminés, n’importe quel jour de la semaine entre 8 et 21 h, afin d’y rechercher et de placer sous la garde des solicitors des demandeurs toute copie piratée desdits films et tout document paraissant lié à l’acquisition, fourniture ou cession de telles copies. Les locaux désignés dans l’ordonnance étaient ceux qui relevaient de M. Chappell et de sa société; il s’agissait en fait de ceux où il travaillait, mais il en occupait aussi une partie comme son domicile (paragraphe 36 ci-dessous) - à l’insu, semble-t-il, des demandeurs - et ils constituaient à l’époque sa seule résidence. c) L’ordonnance prescrivait aux défendeurs de révéler aux solicitors des demandeurs où se trouvaient les divers documents et copies susmentionnés en leur possession, et de les leur livrer. d) Elle les sommait encore de leur divulguer les nom et adresse de leurs fournisseurs et clients, pour les copies piratées desdits films, et de déposer, dans un délai de quatre jours à compter de la signification de l’ordonnance, une déclaration sous serment où figureraient ces indications ("affidavit of disclosure"). De leur côté, les demandeurs et leurs solicitors assumaient des engagements comparables à ceux que mentionne le paragraphe 17 ci-dessus, à l’exception des points c)iii., c)iv. et c)vi., plus celui de ne pas intenter ou provoquer de poursuites pénales contre l’un ou l’autre des défendeurs à raison des activités litigieuses. L’engagement d’informer les défendeurs de leur droit de consulter un homme de loi ne portait toutefois que sur l’obligation de donner des renseignements détaillés sur leurs fournisseurs et clients (paragraphe 26 d) ci-dessus, à rapprocher du paragraphe 38 ci-dessous). B. Exécution Modalités convenues avec la police L’ordonnance Anton Piller fut exécutée, le 2 mars 1981, en même temps qu’un mandat de perquisition de la police. Il y a là une caractéristique de l’affaire; elle découle des circonstances relatées ci-dessous. Le 16 février 1981, l’enquêteur des demandeurs, se présentant comme un client, s’était rendu dans les locaux de M. Chappell pour se procurer des vidéocassettes piratées de trois films, dont le droit d’auteur appartenait prétendument à ses commettants. On lui montra également un extrait d’une autre cassette qu’il jugea obscène; d’après sa déclaration sous serment, produite à l’appui de l’octroi de l’ordonnance Anton Piller, on l’avait interrogé sur le point de savoir si ce genre de cassettes l’intéressait mais il "n’avait pas approfondi la question, car un tel matériel n’intéressait pas [ses employeurs]". En fait, il alla immédiatement au commissariat de Bath pour y signaler ce matériel, obscène selon lui. Il rencontra l’inspecteur-chef A et lui envoya, le lendemain, une attestation écrite. Toujours le 17, il indiqua aux solicitors des demandeurs - chargés, à la suite de son rapport, d’essayer d’obtenir une ordonnance Anton Piller - que la police de Bath "s’intéressait au matériel pornographique" vu par lui et qu’il conviendrait de dispositions avec elle. Le 24 février 1981, l’enquêteur téléphona à l’inspecteur-chef A, comme l’y avaient invité les solicitors, pour lui annoncer qu’une ordonnance Anton Piller serait demandée le 26 février et que l’on pensait la signifier et l’exécuter le 2 mars. Il s’entendit avec A pour qu’en cas de décision favorable une réunion eût lieu au commissariat de Bath, le 2 mars à 10 h 45, entre la police et les personnes appelées à mettre en oeuvre l’ordonnance. La raison en était que la police comptait procéder, pour les besoins d’éventuelles poursuites au titre de la loi de 1959 sur les publications obscènes et au même moment, ou à peu près, que l’exécution de l’ordonnance, à une perquisition dans les locaux des défendeurs pour y saisir tout film vidéo pornographique. Pendant l’examen de la demande de l’ordonnance, le 26 février 1981, se déroula le dialogue suivant entre l’avocat des demandeurs et le juge Whitford: "(L’avocat): Monsieur le Juge, il y a une autre question sur laquelle je dois attirer votre attention: les forces locales de police s’intéressent beaucoup à ces défendeurs pour des raisons étrangères à notre action, à savoir les films pour adultes. (Le juge): Oui, mais il s’agit d’une affaire entièrement distincte. (L’avocat): En effet, Monsieur le Juge, mais j’ai cru devoir vous signaler que la police se propose de rendre visite [au requérant] et à sa société à peu près au même moment où nous avons l’intention de leur signifier cette ordonnance. (Le juge): Oui, mais elle ne s’intéresse pas à ... (L’avocat): Non. (Le juge): ... ces films. (L’avocat): Elle ne s’intéresse qu’aux films obscènes. (Le juge): Cela ne concerne que l’auto-incrimination. (L’avocat): C’est exact, Monsieur le Juge. (Le juge): A cet égard, rien n’indique que les forces de police soient ... (L’avocat): Absolument rien. (Le juge): Et vous avez pris des engagements à ce sujet." Une lettre adressée à M. Chappell, le 27 août 1981, par les solicitors des demandeurs - et produite par eux dans un autre contexte - comportait le passage suivant relatif aux arrangements conclus avec la police: "Nous aimerions parler (...) de l’exécution simultanée du mandat de perquisition et de [l’ordonnance Anton Piller] (...) et préciser notre attitude (...). Le 17 février, [nos clients nous ont chargés] pour la première fois d’essayer d’obtenir une [ordonnance]. Notre compte rendu de conversation montre clairement que [l’enquêteur] a également déclaré à H. que la police s’intéressait à vous et [à votre société] pour une affaire de matériel pornographique. Il a aussi été clairement entendu que si la police voulait agir, l’exécution conjointe du mandat et de [l’ordonnance] constituerait la formule idéale. Bien sûr, toute autre solution (...) risquait de se révéler d’une efficacité médiocre ou nulle. A l’évidence, personne ne pouvait alors être certain qu’une telle exécution simultanée aurait lieu: elle dépendait, notamment, du prononcé par le juge d’une ordonnance Anton Piller intégrale et de l’obtention par la police d’un mandat de perquisition, sans parler d’autres difficultés pratiques éventuelles. Ainsi se présentait la situation quand nous avons saisi, [le 26] février [1981], le juge compétent pour examiner la demande. Soyons nets: nous ne nions en aucune manière que dans notre esprit l’ordonnance, si on nous l’accordait, devait être signifiée et exécutée en même temps que le mandat, à supposer que la police obtînt ce dernier et que les autres mesures pussent être prises. C’est évident, nous le répétons. Nous pensons aussi qu’il ressort sans équivoque de la transcription [des débats concernant la demande d’ordonnance] que le juge connaissait l’intérêt que vous portait la police et la probabilité ou l’éventualité de l’exécution d’un mandat de perquisition." Sitôt l’ordonnance délivrée le 26 février 1981, les solicitors des demandeurs en informèrent la police de Bath, qui avait obtenu le même jour un mandat de perquisition. Les arrangements antérieurs furent confirmés. Les événements du 2 mars 1981 Le 2 mars 1981 à 10 h 45, les représentants des demandeurs - à savoir H., un autre solicitor et trois employés des demandeurs, dont l’enquêteur - rencontrèrent des fonctionnaires de la police au commissariat de Bath. Ils se rendirent ensuite, avec l’équipe chargée d’exécuter le mandat de perquisition - onze ou douze policiers en civil, sous la direction de l’inspecteur-chef A -, jusqu’aux locaux des défendeurs. A leur arrivée l’enquêteur y pénétra le premier, se posant à nouveau en client; son but déclaré consistait à "observer dès le début ce qui se passerait". Quelques minutes plus tard, A sonna à la porte, escorté de certains des représentants des demandeurs, dont H., mais d’aucun policier. La femme qui ouvrit leur refusa d’abord l’accès mais, au vu du mandat de perquisition, elle introduisit le groupe à regret (voir aussi le paragraphe 43 d) ci-dessous). Les locaux comprenaient quatre niveaux. Au rez-de-chaussée, l’entrée donnait sur un couloir et sur les escaliers desservant les étages. Au premier se trouvaient le bureau de M. Chappell et un bureau à usages multiples; au deuxième, sa chambre à coucher, une pièce destinée au traitement des vidéocassettes et le bureau d’une employée de sa société; au troisième, trois autres bureaux. L’inspecteur-chef A et ses compagnons découvrirent M. Chappell dans son bureau, où le mandat de perquisition lui fut signifié. Les dix ou onze autres policiers pénétrèrent dans l’immeuble à 11 h 40. Affectés chacun à une pièce ou tâche différente, ils commencèrent leur travail; il s’acheva à 16 h 20, après que 274 articles - pour la plupart des bandes vidéo - eurent été répertoriés et fait l’objet d’un reçu. Sitôt le mandat signifié, et alors que les policiers entamaient leurs opérations, H. communiqua l’ordonnance Anton Piller à M. Chappell et lui en indiqua les conséquences. En outre, et conformément à l’obligation générale qui incombe aux solicitors en pareil cas, il alla au-delà de son engagement exprès (paragraphe 27 ci-dessus): il exhorta l’intéressé à consulter un homme de loi sur l’intégralité de l’ordonnance. M. Chappell réclama la venue d’un membre du cabinet de solicitors qui l’assistait d’habitude, mais la seule personne disponible était un stagiaire. Quand celui-ci arriva peu après, M. Chappell, troublé par la perquisition de la police, fut éclairé sur les implications de l’ordonnance; lui-même et, au nom de sa société, le solicitor stagiaire acceptèrent de se la voir notifier. Là-dessus - mais pas avant -, les représentants des demandeurs entreprirent la fouille des locaux; ils la menèrent parallèlement à la perquisition de la police et la terminèrent à peu près en même temps. Ils saisirent, entre autres, 377 vidéocassettes constituant autant de copies piratées; M. Chappell a récupéré depuis lors certaines d’entre elles, sur lesquelles les demandeurs ne possédaient pas de droit d’auteur. D’après le requérant, la simultanéité des deux opérations l’empêcha d’en surveiller le déroulement et de noter les objets saisis. Par exemple, les solicitors des demandeurs se seraient emparés d’un certain nombre de documents d’ordre privé, confidentiel et personnel, étrangers à l’action pour violation du droit d’auteur. Le Gouvernement répond qu’il ne peut se prononcer sur ces allégations car il n’était point partie à la fouille. Une mention figurant au dossier des solicitors signale que H. inspecta les tiroirs renfermant de la correspondance et d’autres documents; M. Chappell aurait élevé "quelques protestations" et essayé "de soustraire des pièces dépourvues de pertinence", mais pour finir "tout le matériel nécessaire" aurait été emporté. Aucune liste détaillée des objets saisis ne fut dressée - l’ordonnance ne l’exigeait du reste pas (paragraphe 27 ci-dessus) -, mais le requérant prit copie de quelques documents. La Commission estime "clair" que les solicitors examinèrent et, dans certains cas, saisirent de la correspondance privée. De ladite mention et d’une autre rédigée par eux, il ressort qu’après la perquisition les solicitors des demandeurs retournèrent au commissariat de police; en l’absence de M. Chappell, ils y étudièrent les documents saisis par les policiers et en photocopièrent ou empruntèrent certains. IV. PROCÉDURE JUDICIAIRE ULTÉRIEURE A. High Court Le 5 mars 1981 eut lieu, devant la High Court (juge Dillon), une audience contradictoire (paragraphe 20 ci-dessus) relative à l’ordonnance Anton Piller. Le requérant ne sollicita pas alors la levée de celle-ci au motif qu’elle aurait été irrégulièrement obtenue; en revanche, il paraît avoir réclamé la restitution des cassettes saisies. Les défendeurs devaient déposer pour le 6 mars 1981 une déclaration de divulgation sous serment (paragraphe 26 d) ci-dessus), mais par une ordonnance du 9 mars le juge Dillon prorogea le délai jusqu’au 14: les défendeurs avaient contracté devant lui divers engagements, dont celui de fournir tous les renseignements exigés à l’origine par l’ordonnance et d’établir la déclaration sous serment correspondante. L’échéance fut ensuite reportée au 27 mars d’un commun accord entre les parties. Cependant M. Chappell, qui avait changé deux fois de solicitors et était allé à plusieurs reprises chez ceux des demandeurs pour examiner les objets saisis, persista dans son refus de rédiger la déclaration sous serment, spécialement parce qu’il lui répugnait de donner des détails sur les membres du Video Exchange Club. Le 6 mai 1981, les demandeurs assignèrent les défendeurs en justice pour contempt of court, à raison du non-respect de l’engagement de divulgation assumé envers le juge Dillon; ils requéraient l’incarcération de M. Chappell. Le 26 mai, ce dernier retira leur mandat à ses conseils et se chargea dorénavant de sa défense. Il intenta ultérieurement différentes actions reconventionnelles. L’une d’elles, du 21 juillet, tendait à voir annuler l’ordonnance Anton Piller, délier de leurs engagements les défendeurs, rendre à ceux-ci les objets saisis, débouter les demandeurs et octroyer à lui-même des dommages et intérêts. Principal motif invoqué: l’ordonnance avait été irrégulièrement obtenue, communiquée et exécutée à cause, notamment, de la simultanéité des deux perquisitions et de la circonstance que l’on n’avait pas informé le juge Whitford des plans arrêtés à cet égard; il en résultait, selon M. Chappell, que l’ordonnance et les preuves rassemblées grâce à elle n’étaient pas valables. Par une autre action reconventionnelle, l’intéressé alléguait que les demandeurs et leur enquêteur avaient commis un contempt of court, entre autres pour avoir manqué à des engagements figurant dans l’ordonnance. Le 10 novembre 1981, après de longs débats et l’audition de plusieurs témoins, dont le requérant et d’autres personnes présentes lors des événements, la High Court statua sur les conclusions des demandeurs et de M. Chappell. Le juge Warner aborda en particulier les points suivants. a) Après avoir qualifié de "draconienne" une ordonnance Anton Piller, il cita à ce propos un dictum du juge Browne-Wilkinson, de la High Court: "(...) l’obligation de renseigner pleinement le tribunal importe presque plus pour les ordonnances Anton Piller que pour les autres demandes unilatérales: comme pareille ordonnance confère des droits d’inspection, les informations recueillies à la faveur de la perquisition se trouvent aux mains de la partie adverse, ce qui crée une situation irréversible." b) Il releva que si la déclaration sous serment de l’enquêteur, produite à l’appui de la demande d’ordonnance, fournissait assez d’éléments pour justifier la délivrance de cette dernière, elle recelait deux inexactitudes non négligeables ni dénuées de pertinence, dont l’absence d’explications claires sur les contacts du signataire avec la police le 16 février 1981 (paragraphes 9 et 29 ci-dessus). c) Il rappela le dialogue du 26 février 1981 entre l’avocat et le juge Whitford, mais trouva que les intentions réelles des demandeurs quant à leur projet de coopération avec la police se reflétaient mieux dans la lettre de leurs solicitors du 27 août 1981 (paragraphes 31-32 ci-dessus). d) Tout en constatant que la femme qui avait laissé entrer H. et les autres (paragraphe 35 ci-dessus) les "avait manifestement pris (...) pour des policiers", il admit la validité de la signification de l’ordonnance. e) Il examina différents griefs concernant l’exécution de celle-ci et estima M. Chappell "aussi capable de défendre ses intérêts que toute personne placée dans sa situation". Néanmoins, il souligna les difficultés rencontrées par un défendeur, à cause de l’exécution concomitante d’un mandat de perquisition et d’une ordonnance Anton Piller, pour surveiller les opérations, consulter son solicitor et lui donner des instructions. A son avis, la protection du défendeur exigeait de signifier en même temps mandat et ordonnance, mais de mener les deux perquisitions l’une après l’autre. f) Il estima non fondées les différentes critiques du comportement des demandeurs et de leurs solicitors sur des points autres que l’obtention, la notification et l’exécution de l’ordonnance. g) Il aboutit aux conclusions ci-après: "(...) Aucun vice fondamental n’entache le mode d’exécution de l’ordonnance Anton Piller, sauf que la présence de la police exécutant au même moment son mandat de perquisition a rendu les choses plus pénibles que de besoin (...) [L]a véritable anomalie réside dans le défaut d’indiquer au juge Whitford, avec toute la franchise voulue en l’occurrence, les desseins des demandeurs et de la police (...). Il aurait fallu au moins l’informer de l’intention d’exécuter simultanément l’ordonnance (...) et le mandat (...). Le fait que les demandeurs n’ont pas pleinement renseigné le juge Whitford (...) [n’atteint pas l’ordonnance dans son principe même]. Il [l’]a simplement empêché d’examiner l’opportunité d’y insérer (...) quelque garantie contre le risque de voir l’exécution simultanée [des deux perquisitions] se révéler pénible à l’excès. Si le juge Whitford avait su tout ce que j’ai appris (...) sur la manière dont [la société de M. Chappell] menait ses affaires, la nécessité de prononcer l’ordonnance ne lui en aurait paru que plus certaine." En conséquence, le juge Warner rendit les décisions suivantes. a) Il ne pouvait revenir sur l’irréversible, mais n’entendait pas laisser les demandeurs profiter davantage de l’ordonnance Anton Piller. Il délia donc les défendeurs de l’engagement de divulgation assumé envers le juge Dillon (paragraphe 41 ci-dessus) et annula les dispositions de l’ordonnance initiale qui les obligeaient à communiquer les nom et adresse de leurs clients et fournisseurs (paragraphe 26 d) ci-dessus). b) Il refusa de prescrire la restitution des objets saisis en vertu de l’ordonnance. c) Il estima ne pouvoir ni débouter les demandeurs ni, à ce stade, accorder une indemnité à M. Chappell. d) Les défendeurs avaient sans nul doute commis un contempt of court en ne déposant pas une déclaration de divulgation sous serment, mais il n’y avait pas lieu de leur infliger une sanction: il eût été illogique de les relever d’un de leurs engagements tout en les punissant pour ne pas l’avoir observé. e) Le juge repoussa l’action reconventionnelle de M. Chappell pour contempt of court. B. Cour d’appel Le 15 juin 1982, la cour d’appel écarta un recours de M. Chappell contre le rejet de cette dernière action et accueillit un recours incident des demandeurs. Elle formula notamment les observations suivantes. a) Quoique nécessaire et salutaire dans certains cas, une ordonnance Anton Piller constituait une mesure draconienne. Elle enfreignait le principe habituel et fondamental du contradictoire, car elle résultait d’une procédure qui se déroulait sans audition du défendeur et même sans préavis à celui-ci. D’où l’importance d’informer pleinement le tribunal invité à rendre pareille ordonnance et de respecter tant la lettre que l’esprit des conditions fixées pour protéger le défendeur. b) Quoique l’on n’eût pas suffisamment signalé au juge Whitford le dessein d’exécuter simultanément l’ordonnance et le mandat de perquisition, il n’y avait eu aucune intention délibérée de le tromper. c) Les demandeurs n’avaient pas intrigué dans le but de pénétrer sans permission dans les locaux, mais il était "préoccupant" que les défendeurs n’eussent pas eu de véritable possibilité de leur en refuser l’accès. Une fois la porte franchie, les solicitors des demandeurs avaient adopté un comportement irréprochable et M. Chappell, loin de "s’effondrer" comme il l’avait affirmé, s’était montré "passablement calme et maître de lui". d) En principe rien n’interdisait d’exécuter "plus ou moins en même temps", de peur de perdre de précieux éléments de preuve, un mandat de perquisition et une ordonnance Anton Piller obtenus pour les mêmes locaux. Le Lord Justice Oliver ajouta cependant que si telle était l’intention, on devait en avertir le tribunal saisi de la demande d’ordonnance, afin qu’il pût envisager pour le défendeur des garanties concernant, par exemple, l’ordre des opérations ou l’attitude du demandeur à l’entrée. Selon le Lord Justice Lawton, il fallait prendre des mesures pour éviter de donner aux solicitors chargés d’exécuter l’ordonnance l’allure d’"acolytes d’une escouade de policiers". e) M. Chappell avait reconnu avoir commercialisé "une grande quantité" de matériel piraté. En mars 1981 il avait assumé d’amples engagements et non pas invité le juge Dillon à lever l’ordonnance; la protection des demandeurs exigeait cette dernière. Tout en qualifiant les événements de "fâcheux et regrettables", la cour d’appel conclut qu’il ne s’imposait pas d’annuler l’ordonnance Anton Piller pour rendre justice à M. Chappell. Elle la rétablit donc en entier, avec les obligations initiales de divulgation, mais jugea qu’il n’y avait pas lieu de sanctionner le requérant, pour contempt of court, du chef de son manquement à ses engagements à cet égard. La cour d’appel refusa aussi de permettre l’exercice d’un recours devant la Chambre des Lords, laquelle rejeta le 7 octobre 1982 une requête de M. Chappell tendant à l’octroi d’une telle autorisation. V. EVÉNEMENTS ULTÉRIEURS Jusqu’à la fin d’avril 1981, M. Chappell avait continué à diriger un club d’échange de vidéo-cassettes, mais sans grand succès en raison de la saisie de son stock et de ses livres. Le 21 décembre 1982, l’action pour violation du droit d’auteur déboucha sur une décision de la High Court. Préalablement acceptée par lui - de crainte, affirme-t-il, de s’incriminer lui-même - et par les demandeurs, a) elle consignait un accord par lequel ils se relevaient mutuellement de toute responsabilité née des faits litigieux et de la poursuite de l’action par les demandeurs; b) elle interdisait à M. Chappell de commercialiser des copies non autorisées de films dont les demandeurs possédaient les droits; c) elle lui imposait de donner sur ses fournisseurs et clients, par déclaration écrite sous serment, les renseignements que l’ordonnance Anton Piller lui avait enjoint de révéler de la sorte (paragraphe 26 d) ci-dessus), mais en omettant les nom et adresse des membres de bonne foi du Video Exchange Club; d) elle déliait les demandeurs et leurs solicitors de leurs engagements figurant dans ladite ordonnance, notamment quant au caractère confidentiel du matériel saisi en vertu de celle-ci; e) elle ordonnait de restituer à M. Chappell "tous les documents et films" relatifs à l’action, une fois ces derniers effacés des cassettes; f) elle prononçait la clôture de l’instance. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 11 octobre 1982 à la Commission (no 10461/83), M. Chappell formulait une série de doléances visant pour l’essentiel les termes, le contenu et le mode de signification de l’ordonnance Anton Piller; il invoquait les articles 3, 5, 6 et 8 (art. 3, art. 5, art. 6, art. 8) de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 14 mars 1985, la Commission a déclaré la requête recevable dans la mesure où il se plaignait d’une atteinte injustifiée aux droits garantis par l’article 8 (art. 8) de la Convention, en raison de la manière dont on lui avait communiqué l’ordonnance et dont avait eu lieu la perquisition ultérieure. Elle l’a rejetée pour le surplus, spécialement quant au grief tiré de l’existence des ordonnances Anton Piller en général et, pour non-épuisement des voies de recours internes, quant à certaines allégations concernant les saisies opérées et l’emploi abusif de documents d’ordre privé. Dans son rapport du 14 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle conclut par six voix contre cinq à l’absence de violation de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis, ainsi que des trois opinions séparées dont il s’accompagne, figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 22 novembre 1988, le Gouvernement a invité la Cour à "dire que les faits de la cause ne révèlent, de la part du Royaume-Uni, aucune méconnaissance des droits du requérant au titre de l’article 8 (art. 8) de la Convention". D’après M. Chappell au contraire, le "Gouvernement n’a pas établi, comme il le devait, que [l’ingérence] relève de l’article 8 par. 2 (art. 8-2)"; "il y a donc eu infraction".
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I. Les circonstances de l'espèce M. José Neves e Silva, comptable retraité de nationalité portugaise, réside à Lisbonne. En avril 1962, la société à responsabilité limitée Molda Plásticos Nesil, dont il était l'un des propriétaires et le gérant, sollicita auprès de la direction générale de l'Industrie l'autorisation d'utiliser une machine automatique afin de fabriquer des fils en plastique ("monofilamentos"), matière première de ses produits. Le directeur général de l'Industrie la lui refusa le 7 juin 1962, au motif que la demande n'avait pas été présentée conformément à la loi du 11 mars 1952 sur les industries soumises à autorisation préalable ("condicionamento industrial"). Deux autres demandes, des 2 janvier et 2 mai 1963, furent aussi rejetées. Toutefois, le sous-secrétaire d'Etat à l'Industrie en accueillit une quatrième le 28 décembre 1963, moyennant deux conditions: déposer un cautionnement de 500.000 escudos et démontrer, dans les soixante jours, que la société procéderait à la fabrication mécanique d'articles de corderie. Entre-temps, le 9 juillet 1963, la Molda Plásticos Nesil avait modifié ses statuts. Une nouvelle société avait été fondée, la Indústrias de Plástico Póvoa Mar; M. Neves e Silva en détenait 30 % du capital, M. Francisco Quintas 20 % et la société Companhia Industrial de Cordoarias Téxteis e Metálicas Quintas e Quintas 50 %. Faute d'avoir rempli les conditions précitées, le requérant vit l'autorisation devenir caduque, tandis que la société Quintas e Quintas et trois autres concurrents l'obtinrent. De 1968 à 1971, M. Neves e Silva, d'après qui la fabrication de fils en plastique échappait à l'empire de la loi du 11 mars 1952, multiplia les démarches auprès du premier ministre (3 janvier 1968, 7 avril 1970 et 13 août 1971) et du secrétaire d'Etat à l'Industrie (2 août 1968, 12 juillet et 27 novembre 1969 et 31 mars 1970), mais en vain. Le 11 mai 1972, il assigna l'Etat, un ingénieur en chef de la direction générale de l'Industrie et les deux autres associés de la société Póvoa Mar devant le tribunal administratif (auditoria administrativa) de Lisbonne. Il alléguait notamment que le deuxième avait agi de manière dolosive dans l'exercice de ses fonctions officielles et que les troisième et quatrième défendeurs avaient tiré profit de l'opération. A l'encontre du premier, il s'appuyait sur les articles 2 et 3 du décret-loi n° 48.051 du 21 novembre 1967 sur la responsabilité civile extracontractuelle de l'Etat pour des actes de gestion publique, ainsi libellés: Article 2 "1. L'Etat et les autres personnes morales publiques sont civilement responsables envers les tiers des atteintes à leurs droits ou aux dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts, si elles résultent d'actes illicites commis avec faute par leurs organismes ou agents administratifs dans l'exercice ou en raison de l'exercice de leurs fonctions. Lorsque, en application du paragraphe précédent, une indemnité quelconque a été versée, l'Etat et les autres personnes morales publiques ont un droit de recours contre les membres de l'organe ou contre les agents fautifs, si ceux-ci n'ont pas agi avec le zèle auquel les obligeaient leurs fonctions." Article 3 "1. Les membres de l'organe et les agents administratifs de l'Etat et les autres personnes morales publiques sont civilement responsables envers les tiers des actes illicites violant leurs droits ou les dispositions de la loi destinées à protéger leurs intérêts, lorsqu'ils auront dépassé les limites imposées à leurs fonctions ou si, en les exerçant et du fait de leur exercice, ils ont agi dolosivement. En cas d'acte dolosif, la personne morale publique a toujours une responsabilité solidaire avec les membres de l'organe ou les agents." Après réception de la demande introductive d'instance (petição inicial), le juge ordonna la citation des parties défenderesses et les invita à y répondre (contestação). L'ingénieur en chef et les deux associés susnommés déposèrent leurs conclusions les 2 et 19 octobre 1972; l'Etat, représenté par le ministère public, fit parvenir les siennes le 21 décembre, après prorogation du délai fixé. Le requérant envoya sa réplique (réplica) le 12 janvier 1973, les défendeurs leur duplique (tréplica) dix jours plus tard. Le 24 février 1973, le juge résolut de tenir une audience préparatoire consacrée à l'examen d'exceptions préliminaires soulevées par les défendeurs: défaut de la qualité pour agir (ilegitimidade) du requérant, prescription de l'action (caducidade) et incompétence du tribunal. Contre cette décision, le ministère public forma un recours incident (agravo) à la Cour administrative suprême (Supremo Tribunal Administrativo). Il l'adressa au juge du tribunal administratif qui, le 28 mars 1973, lui accorda effet suspensif et en ordonna la transmission immédiate à ladite Cour avec le dossier, laquelle eut lieu en réalité le 2 mai. Le 14 juin, la Cour administrative suprême modifia l'effet du recours et décréta que la procédure devait se poursuivre devant la juridiction inférieure. Le 7 novembre 1973, le dossier retourna au greffier du tribunal qui, le surlendemain, le transmit au juge. Le 17 mai 1976, ce dernier, se conformant à la décision de la Cour administrative suprême, prescrivit de joindre le recours incident à un appel éventuel au principal. En définitive, l'audience préparatoire eut lieu le 1er juillet 1976. A la demande du requérant, le juge communiqua le dossier le 15 juillet à la Commission nationale d'enquête (Comissão Nacional de Inquérito), organe habilité à examiner des plaintes contre les activités illicites des fonctionnaires sous le régime politique antérieur au 25 avril 1974. Elle ne le restitua que le 29 mai 1978, après avoir constaté que l'autorité administrative compétente avait abusé de ses pouvoirs. Le 12 juin 1978, le tribunal administratif de Lisbonne se déclara incompétent pour connaître du litige, ce qui emporta extinction de l'instance. Avisé de cette décision le 25 janvier 1979 seulement, M. Neves e Silva introduisit contre elle, le 6 février 1979, un recours incident devant la Cour administrative suprême. Le tribunal accepta le recours par une ordonnance du 7 février que le greffier communiqua au requérant le 11 juin 1979. Les parties présentèrent leurs observations; le 3 octobre, le juge, après calcul des frais et dépens de la procédure (custas), ordonna l'envoi du dossier à la Cour administrative suprême qui en accusa réception le 13 mars 1980. Informée le 16 mai 1980 du décès de M. Francisco Quintas, la haute juridiction interrompit l'instance. Le requérant la pria, le 1er octobre, d'appeler en cause les ayants droit du défunt (incidente de habilitação - articles 371 à 377 du code de procédure civile), mais le 18 mai 1981 il dut renouveler sa demande, déclarée irrecevable pour vice de forme. Le 30 mai 1981, la Cour administrative suprême impartit aux défendeurs un délai de huit jours pour déposer leurs conclusions en réponse (contestação). Le 26 novembre 1981, elle accueillit la demande du requérant et prononça la reprise de l'instance. Par un arrêt du 11 novembre 1982, signifié le 15, elle jugea que le tribunal administratif de Lisbonne avait compétence pour connaître de l'action en responsabilité, mais uniquement dans la mesure où celle-ci était dirigée contre l'Etat et non contre les autres défendeurs. Après le calcul des frais et dépens, elle retourna le dossier à la juridiction inférieure le 30 juin 1983. Enregistré le 3 octobre, il ne parvint au juge que le 25. Dans sa décision (despacho saneador) du 13 mars 1984, celui-ci constata la prescription du droit invoqué (prescrição): sans doute le requérant avait-il qualité pour agir, mais il n'avait saisi le tribunal que le 11 mai 1972 et non, comme l'exigeait l'article 498 par. 1 du code civil, dans les trois ans qui suivirent le 25 novembre 1968, date du rejet de sa demande du 2 août 1968 par le secrétaire d'Etat à l'Industrie. M. Neves e Silva appela de cette décision (apelaçào) le 26 mars 1984. Le surlendemain, le juge a quo accepta le recours et, le 10 mai, en ordonna la transmission à la juridiction supérieure. Le 6 juin 1984, le juge rapporteur accorda aux parties jusqu'au 26 pour présenter leurs observations (alegações). Par un arrêt du 30 mai 1985, notifié le 9 juin, la Cour administrative suprême confirma la décision du tribunal administratif de Lisbonne. Le 7 juillet 1985, le requérant se pourvut devant la Cour siégeant en formation plénière (Pleno). Relevant qu'un recours contre un arrêt de la Cour administrative suprême statuant en appel (em segundo grau de jurisdiçào) ne se concevait qu'en cas de contrariété de jugements (oposiçào de julgamentos), le juge rapporteur rejeta le recours et condamna le requérant aux dépens. L'intéressé s'adressa (reclamação) alors à la "Conférence" (Conferencia), composée du juge rapporteur et de deux autres membres de la Cour: il estimait inconstitutionnelle l'existence de deux seules juridictions de jugement et injuste sa condamnation aux dépens. Le 4 mars 1986, la "Conférence" confirma la décision du juge rapporteur. II. Situation des tribunaux administratifs au Portugal Selon les propres indications du Gouvernement, un certain blocage a marqué le fonctionnement des juridictions administratives portugaises depuis la restauration de la démocratie en avril 1974. Pendant la période 1974-1984, le tribunal administratif de Lisbonne a connu un afflux considérable d'affaires: 78 en 1974, 142 en 1977, 184 en 1979, 233 en 1983 et 229 en 1984. De même, le nombre des causes enregistrées par le greffe de la Cour administrative suprême a beaucoup augmenté: 294 en 1974, 815 en 1977, 1.638 en 1978, 1.688 en 1983 et 1.983 en 1984. Pour décharger la Cour administrative suprême, les décrets-lois des 27 avril et 29 novembre 1984 ont profondément remanié l'organisation et les attributions des juridictions administratives. Désormais, les tribunaux administratifs de première instance (tribunais administrativos de circulo, ex-auditorias administrativas) sont compétents pour trancher les litiges relatifs aux actes de l'administration (personnes de droit public, directeurs généraux et autres autorités). En outre, ils peuvent comporter plusieurs chambres. Leur siège se trouve à Lisbonne, Porto et Coimbra. Par delà les réformes législatives, le gouvernement a pris une série de mesures d'ordre conjoncturel destinées à résorber l'arriéré des tribunaux administratifs. Le décret-loi n° 250/74 du 12 juin 1974 a renforcé notamment les moyens de ces derniers en personnel. Au tribunal administratif de Lisbonne, qui comptait un seul magistrat en 1974, trois postes de juge auxiliaire ont été créés jusqu'en 1984 et cinq autres en octobre 1987. De leur côté, les effectifs du greffe ont progressé: trois agents en 1976, quatre en 1977, cinq en 1980 et huit en 1981. A la Cour administrative suprême, le nombre des magistrats est passé de six en 1977 à seize en 1980, celui des juges auxiliaires à sept en 1984, et celui des fonctionnaires de trente-deux en 1980 à trente-sept en 1981. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 17 octobre 1984 (n° 11213/84), M. Neves e Silva reprochait aux juridictions administratives de ne pas avoir entendu sa cause dans un délai raisonnable, au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 13 octobre 1986. Dans son rapport du 17 décembre 1987 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement a invité la Cour "à dire qu'elle ne peut connaître du fond de l'affaire, parce que le requérant n'est pas 'victime' au sens de l'article 25 (art. 25) de la Convention; à titre subsidiaire, que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (...) ne s'applique pas en l'espèce et que la Cour ne peut connaître du fond de l'affaire, la requête étant incompatible avec les dispositions de la Convention; et, au cas où elle en dirait autrement, qu'il n'y a pas violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention".
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Citoyen français né en 1937, M. H. est domicilié à Vandoeuvre (Meurthe-et-Moselle). Il entra en 1957 dans l’enseignement comme instituteur remplaçant et y travailla sans interruption jusqu’en 1961. I. LA GENÈSE DE L’AFFAIRE A. La consultation à l’hôpital En mai 1961 M. H. se rendit aux hospices civils de Strasbourg, muni d’une lettre de recommandation de son médecin traitant au professeur Thiébaut, directeur de la clinique neurologique. Le professeur ne donnant pas de consultation ce jour-là, M. H. fut interrogé à la clinique neurologique par le Dr Ebtinger, médecin-chef du "service 58" de la clinique psychiatrique. Celui-ci lui aurait assuré que ses troubles n’étaient "pas bien méchants", mais lui aurait conseillé une hospitalisation "d’une quinzaine de jours tout au plus" afin de le mieux connaître. La lettre du médecin traitant et le compte rendu de ce premier interrogatoire auraient disparu du dossier de l’intéressé aux hospices civils. B. Le séjour à l’hôpital Sur la recommandation du Dr Ebtinger, mais sans avoir été obligé par lui de cesser le travail, M. H. se présenta seul le 25 mai 1961, pour observation, à la clinique neurologique des hospices civils, pensant que son séjour durerait une quinzaine de jours et se passerait en hospitalisation libre. Il aurait attendu deux ou trois heures un interne de garde, puis aurait été placé dans le "service 58". La note d’admission est ainsi rédigée: "Vient seul à 20 h. En traitement chez le Dr Zarenski de Sarralbe et vu par le Dr Ebtinger. ‘Je ne me sens pas à l’aise, je ne sais pas ce que c’est. Je suis déprimé’. depuis 5 ans. asthénie, difficultés dans le travail. goût à rien. (Réponses pauvres, difficultés d’expression.) A travaillé sans interruption jusqu’à ce jour. non marié. habite chez ses parents à [H.]. Convoqué pour le 58 B." Le requérant prétend que les observations relatives à un interrogatoire du 27 mai ont été antidatées et que les pages de son dossier concernant la période du 11 août au 15 septembre 1961 ont disparu. Le 12 juin 1961, le professeur Kammerer, directeur de la clinique psychiatrique, diagnostiqua chez le requérant une schizophrénie avec évolution vers la catatonie, état d’inertie motrice et psychique, et prescrivit une narco-analyse, c’est-à-dire une investigation de l’inconscient du sujet préalablement mis dans un état de sommeil. Il ne l’aurait interrogé qu’à cette seule occasion, pendant une dizaine de minutes et devant un large public d’étudiants, à un moment où M. H. subissait déjà un traitement aux neuroleptiques. Le 13 juin 1961, un interne, le Dr Schneider, au lieu de procéder à la narco-analyse prescrite la veille, fit à M. H. une injection intraveineuse de Maxiton, d’un volume non précisé, qui provoqua un "choc amphétaminique". Il agit de la sorte, selon le requérant, sans examen préalable ni consentement de l’intéressé, à titre purement expérimental, en public et à l’insu même des deux principaux responsables du "service 58", les Drs Kammerer et Ebtinger. L’injection aurait entraîné un accident assimilable à un infarctus du myocarde ainsi que de violentes contractures musculaires et des crises de nerfs, dont l’intéressé se plaignit aussitôt ainsi qu’il ressort de son dossier médical. Toujours d’après M. H., le Dr Ebtinger, en congé à l’époque, lui avait garanti de ne le soumettre à aucun traitement sans son accord; il n’aurait appris qu’à son retour ce qui s’était passé. Dans un article de l’Encyclopédie médico-chirurgicale, publié en mai 1965 et intitulé "Méthodes de choc (autres qu’électrochoc et cure de Sakel)", ledit médecin et le Dr Fétique écrivirent, sous la rubrique "choc amphétaminique": "(...) Il faut éviter de soumettre à ce traitement les sujets au système cardio-vasculaire fragile, les hypertendus, les coronariens, les athéromateux. (...) Le syndrome catatonique est généralement aggravé chez certains schizophrènes; il peut même faire son apparition après choc amphétaminique. (...) Les résultats thérapeutiques durables sont relativement peu nombreux. (...)." C. La sortie de l’hôpital Après plus de trois mois et demi de séjour dans le "service 58", M. H. quitta l’hôpital le 15 septembre 1961. Il aurait repris son travail d’instituteur dès le lendemain, bien qu’ayant les plus grandes peines à ne pas s’aliter, afin que les vacances ne lui fussent pas comptées en congé-maladie et de peur de se voir transférer dans une "autre maison". Le 16 novembre 1961, il reçut du médecin scolaire une convocation l’invitant à subir un examen médical le 23. Le praticien décida que l’état de M. H. nécessitait un congé pour maladie, lequel débuta le lendemain. Le 28 janvier 1963, une commission médicale de l’Éducation nationale examina son dossier et rendit une "décision d’élimination", qui fut confirmée en appel le 23 mars 1963. M. H. fut ultérieurement radié de la liste départementale des instituteurs remplaçants avec effet du 28 janvier 1963. Le 8 août 1964, la caisse régionale de sécurité sociale des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle l’informa de son classement, à compter du 25 mai 1964, dans la première catégorie d’assurés invalides ("capables d’exercer une activité rémunérée" - 66 % d’invalidité). Après un nouvel examen médical qui eut lieu le 15 septembre 1965, il figura jusqu’en 1969 dans la deuxième catégorie d’assurés invalides ("absolument incapables d’exercer une activité quelconque" - 100 % d’invalidité), la décision ayant été reconduite en 1967. Du 1er juin 1969 jusqu’en 1971 il ne perçut plus sa pension, un examen médical subi le 5 mars 1969 ayant révélé que son invalidité était redescendue au-dessous de 50 %. Depuis 1972, il touche à nouveau une pension de deuxième catégorie. II. LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE A. La procédure devant le tribunal administratif de Strasbourg Les préliminaires M. H. aurait appris par une lettre du professeur Kammerer, du 4 novembre 1970, que le produit injecté par l’interne en 1961 n’était pas un "fortifiant puissant", comme on le lui avait dit à l’époque, mais une amphétamine. Il prétend avoir demandé en 1970 aux hospices civils la communication de son dossier médical, mais avoir essuyé un refus. Le 29 mai 1973, il sollicita le bénéfice de l’aide judiciaire auprès du bureau compétent du tribunal administratif de Strasbourg. Il obtint satisfaction le 16 octobre 1973, aux motifs que le ministère d’avocat était obligatoire devant cette juridiction et qu’elle ordonnerait vraisemblablement des mesures d’instruction. Le montant mis à la charge de l’État pour les frais et honoraires de l’avocat désigné s’élevait à 600 F. A la demande de son avocat, Me F., M. H. se fit délivrer, le 9 mai 1974, un certificat médical dressé par le Dr Rayel, son médecin traitant depuis 1970, et ainsi rédigé: "Je soussigné certifie que M. H..., âgé de 36 ans, diplômé d’études supérieures de sciences naturelles en radio-géologie, reçoit mes soins depuis plusieurs années pour les troubles suivants: Extrême fatigabilité physique et psychique avec gros retentissement dystonique, sensations de fuite des idées, de troubles de la parole, associés à des sensations d’hémiparésie gauche. Ces troubles sont objectivés par des perturbations électro-encéphalographiques qui ont été bien mises en évidence en 1971: ‘Activité électrique irrégulière associant un nombre modéré d’oscillations alpha instables à d’abondants potentiels théta-delta irréguliers et à des images pointues bilatérales postérieures et antérieures, aspects majorés par l’hyperpnée avec stimulation photique très vive.’ Dr HAY, Nancy. Par périodes, adynamie complète avec idées dépressives, dégoût vital, sensations pénibles de vide cérébral avec besoin impérieux de s’isoler et même de s’aliter. Ces différents troubles ne permettent pas actuellement l’exercice d’une activité lucrative. L’extrême fatigabilité physique et psychique de M. H... ne lui permet aucun rythme de travail régulier, aucun rendement, il se sent très vite rejeté des équipes de travail auxquelles il cherche à s’intégrer, rejet qu’il ressent très péniblement. Le début des troubles remonterait environ à l’année 1955 mais, aux dires de l’intéressé, une notable aggravation se serait produite en 1961 pendant le séjour de M. H... à la clinique psychiatrique universitaire de Strasbourg; l’intéressé attribue cette aggravation au rôle néfaste d’une piqûre intraveineuse amphétaminée qu’il aurait reçue pendant la durée de son séjour dans cette clinique. Certificat remis en main propre et sur sa demande à l’intéressé pour valoir ce que de droit. Certificat ne pouvant être utilisé en justice." Destiné au seul avocat, ce document fut pourtant remis par lui au tribunal administratif. L’instruction de l’affaire Le 14 juin 1974, Me F. assigna les hospices civils devant le tribunal administratif de Strasbourg afin de les voir déclarer responsables des suites dommageables de la piqûre intraveineuse à l’amphétamine. Il invita le tribunal: "avant dire droit: [à] désigner [comme] expert tel médecin spécialiste ayant pour mission d’examiner le demandeur, de se munir de tout document, et d’entendre tous sachants, et de se prononcer sur les atteintes corporelles subies par le demandeur, et de façon générale, d’exécuter la mission que lui aura confiée le tribunal." Le 19 juin, le tribunal communiqua la requête aux hospices civils. Ces derniers constituèrent avocat le 17 juillet et déposèrent le 8 août un mémoire en défense de deux pages: admettant que M. H. avait bien subi en 1961 une injection d’amphétamine, ils excipaient de l’expiration du délai légal de prescription (déchéance quadriennale) et affirmaient au surplus que "les griefs formulés en ce qui concern[ait] les soins reçus [étaient] tout à fait aberrants et manifestement dus à un état mental insuffisamment stabilisé". Le tribunal communiqua le mémoire à Me F. le 9 août 1974. Après deux rappels du tribunal - datés des 29 janvier et 14 mars 1975 -, Me F. produisit son mémoire en réponse le 8 avril 1975. Il demandait que fussent déterminés "la faute du service hospitalier", "les incapacités subies par le demandeur" et "le lien de causalité entre la faute des hospices civils et cette incapacité"; à cette fin, il sollicitait avec insistance la désignation d’un expert judiciaire. M. H. changea de domicile en décembre 1974, puis en avril 1975, ayant obtenu de sa commune un logement à loyer modéré. Il en avertit chaque fois son avocat. Le 17 mai 1975, le tribunal invita Me F. à lui indiquer le numéro d’immatriculation de M. H. à la sécurité sociale ainsi que la caisse dont il relevait. Me F. répondit deux mois plus tard, le 23 juillet, après une lettre de rappel du 16 juillet. Informé par lui de cette demande les 10 et 17 juillet, M. H. lui avait donné les éléments nécessaires. Le 8 septembre 1976, le tribunal réclama derechef les mêmes renseignements à Me F. Selon le Gouvernement, il s’agissait d’une erreur du greffe qui avait probablement égaré ou mal classé la lettre du 23 juillet 1975; de plus, joint au téléphone par le tribunal, Me F. aurait déclaré ne pas posséder lesdits renseignements et ne pas se trouver en mesure de les fournir dans l’immédiat car son client refusait de les lui communiquer. Il ne ressort pas du dossier à quel moment le greffe du tribunal s’aperçut de l’inutilité de continuer à les solliciter puisqu’il en disposait déjà. Le 5 août 1975, la caisse primaire d’assurance maladie de Nancy avisa le tribunal administratif qu’elle n’avait pas l’intention d’intervenir dans l’affaire. Le 13 avril 1978, le tribunal convoqua les parties à une audience fixée au 25 avril. Cinq jours avant les débats, soit le 20 avril, les hospices civils présentèrent leur mémoire final. Il ne fut notifié ni à Me F. ni à M. H. Estimant sa présence superflue en raison du caractère écrit de la procédure, Me F. ne comparut pas et ne put donc répondre audit mémoire, tandis que Me L. plaida pour le défendeur. Le jour même de l’audience, la caisse primaire d’assurance maladie de Nancy demanda au tribunal l’adresse de M. H. alors pourtant que selon ce dernier, elle lui versait sa pension d’invalidité depuis 1973 et qu’il n’avait pas changé de domicile depuis 1975. Le jugement du 9 mai 1978 Le tribunal administratif rejeta le recours le 9 mai 1978, par les motifs suivants: "à supposer même qu’une aggravation de l’état du sieur H... ait été constatée en 1969, il n’est pas établi par les pièces du dossier, et notamment par le certificat médical produit, que cette situation soit imputable à l’injection intraveineuse subie en 1961; (...) par suite, en l’absence de lien de causalité entre l’injection incriminée et le dommage invoqué, et alors qu’un tel lien ne saurait en l’espèce être présumé, le sieur H... n’est pas fondé à rechercher la responsabilité des hospices civils; (...) il suit de là que sa demande tendant à la désignation d’un expert chargé de déterminer l’importance du préjudice subi, ne peut qu’être rejetée." La notification du jugement Le 23 mai 1978, le tribunal notifia le jugement au requérant par une lettre recommandée avec accusé de réception, mais la poste la lui retourna avec la mention "n’habite pas à l’adresse indiquée". Le 31 mai, il pria Me F. de lui indiquer la nouvelle adresse de M. H. L’avocat répondit, le 8 juin, qu’il ne la connaissait pas. Le 13 juin, le tribunal tenta de communiquer le jugement au requérant par la voie administrative. Inquiet de la durée de la procédure, M. H. téléphona le 18 août 1978 au greffe du tribunal administratif. Il apprit ainsi que ce dernier avait statué le 9 mai et signala aussitôt son adresse; il reçut copie du jugement le 18 septembre 1978. La plainte au bâtonnier du barreau de Strasbourg Le 22 septembre 1978, M. H. écrivit au bâtonnier du barreau de Strasbourg pour se plaindre des négligences de l’avocat que lui avait désigné le bureau d’aide judiciaire. Il reprochait notamment à Me F. de perdre toujours son adresse, de ne l’avoir pas averti de la date de l’audience et de n’avoir pas comparu le 25 avril 1978. Après avoir entendu Me F., le bâtonnier classa la réclamation par une lettre du 9 octobre, se ralliant aux explications de l’avocat: si ce dernier n’avait pas estimé utile de se présenter à l’audience, c’est que la procédure se déroulait pour l’essentiel par écrit et avait pour but, dans un premier temps, d’obtenir la désignation d’un expert sur la base "de certificats médicaux qui [avaient] été remis au tribunal". B. La procédure devant le Conseil d’État La saisine M. H. releva appel devant le Conseil d’État le 10 novembre 1978 par un mémoire accompagné d’un dossier. Il demandait s’il pouvait se défendre seul et, dans la négative, quelles démarches il devrait accomplir pour obtenir l’assistance d’un avocat ainsi que la désignation, indispensable selon lui, d’un expert médical. Le 20 novembre 1978, le secrétaire du contentieux du Conseil d’État accusa réception du recours, enregistré au greffe le 10 novembre. Le 12 décembre, il écrivit à nouveau à l’intéressé pour lui signaler qu’une requête comme la sienne n’était pas dispensée du ministère d’avocat et qu’il disposait d’un mois pour solliciter l’octroi de l’aide judiciaire. Le 26 décembre, M. H. présenta une telle demande en exprimant le souhait de voir désigner un avocat qui y consentirait; il voulait ainsi avoir l’assurance que la défense de ses intérêts serait assumée d’une manière consciencieuse. Par une décision du 21 février 1979, notifiée le 13 mars, le bureau d’aide judiciaire établi auprès du Conseil d’État accorda l’aide judiciaire à M. H., fixant à 1.080 F l’indemnité à verser à l’avocat. Commis par le bâtonnier le 16 mars, Me G. prit contact avec M. H. le 20. L’instruction de l’affaire Le requérant communiqua au Conseil d’État un certificat délivré par le Dr Rayel le 7 novembre 1978 et ainsi libellé: "Je soussigné, Dr Louis Rayel, certifie donner mes soins à M. H... depuis de nombreuses années et avoir délivré à l’intéressé le 9.5.74 un certificat médical destiné à son avocat à titre purement indicatif et confidentiel. Ce certificat portait signée de ma main la mention: ‘CERTIFICAT NE POUVANT ETRE UTILISE EN JUSTICE’ Malgré cette indication formelle, ce certificat a été utilisé par le tribunal administratif de Strasbourg et qui plus est contre les intérêts de M. H... L’utilisation de ce certificat est en effet parfaitement indiquée dans le compte rendu du jugement où l’on peut lire: ‘Il n’est pas établi par les pièces du dossier, et notamment par le certificat médical produit, que cette situation soit imputable à l’injection intraveineuse subie en 1961’ ... .. ‘qu’il suit de là que sa demande tendant à la désignation d’un expert chargé de déterminer l’importance du préjudice subi, ne peut être que rejetée’ ... Il en résulte que M. H... me semble bien en droit d’exercer un recours contre un jugement basé en grande partie sur un certificat médical qui ne pouvait officiellement être retenu. Je soussigné certifie que le 9.5.74, une expertise médicale était bien indispensable, comme elle l’est encore actuellement, pour étudier l’évolution de la maladie de M. H..., avant et après les soins qui lui ont été donnés par les hôpitaux de Strasbourg. J’appuie et justifie mon certificat par une lettre adressée à M. H..., le 4.11.70, par le professeur Kammerer, médecin chef du service où M. H... a été soigné. Dans cette lettre le professeur Kammerer écrit: ‘Le règlement de l’hôpital ne m’autorise pas à vous adresser votre dossier médical. Mais si un médecin ou un expert désire en prendre connaissance, nous le tenons à sa disposition dans son intégralité.’ M. H... m’a montré cette lettre et la tient à la disposition du Conseil d’État. Enfin, je soussigné certifie que, si en 1974, je n’ai pas délivré à M. H... un certificat pouvant être utilisé en justice, c’est que je pensais que dans le cadre de l’assistance judiciaire et sans jugement du tribunal, il était possible à l’avocat de M. H... de demander de lui-même une expertise médicale payée directement par l’assistance judiciaire, étant donné, à cette époque, les difficultés financières dans lesquelles se trouvait l’intéressé. Il semble que ce n’était pas possible, mais je soussigné certifie ne pas avoir été mis au courant de cette impossibilité avant le jugement du tribunal de Strasbourg. Autrement, j’aurais évidemment conseillé à M. H... de tenter de financer de lui-même une expertise médicale spécialisée à valeur officielle qu’il aurait pu soumettre au tribunal de Strasbourg avec son dossier. Il y a donc lieu d’éviter qu’une telle situation se reproduise à nouveau et j’ai donc conseillé à M. H... de demander au Conseil d’État la liste des experts médicaux sur laquelle il pourrait choisir un expert susceptible d’accepter de rédiger une expertise en défense des intérêts médicaux de M. H... devant le Conseil d’État, à condition que les honoraires de ces experts restent dans des limites compatibles avec les ressources actuelles de M. H..., s’il est obligé de payer lui-même ces honoraires. A cet expert je pourrai alors donner tous les éléments médicaux qui me sont connus concernant cette affaire, éléments médicaux qu’il m’est impossible d’exposer et de discuter ici, même en résumé, dans le cadre de ce certificat. En dernier lieu, je certifie que la situation actuelle de M. H... est sensiblement la même qu’en 1974, tant du point de vue de son état de santé que de ses ressources financières et que de ce fait, ce n’est qu’avec les plus grandes difficultés qu’il peut effectuer les démarches nécessaires à la constitution de son dossier de recours devant le Conseil d’État. A Nancy le 7.XI.78 Certificat remis en main propre à l’intéressé pour valoir ce que de droit. CERTIFICAT POUVANT ETRE UTILISE EN JUSTICE." Après avoir en vain demandé à plusieurs médecins de compulser son dossier médical auprès des hospices civils de Strasbourg, M. H. s’adressa au Dr Roujansky, radiologue à Schiltigheim, qui accepta cette mission et en fut chargé le 11 mai 1979. Le professeur Kammerer consentit à cette consultation en précisant qu’elle aurait lieu sur place entre 11 et 12 h et de 15 à 18 h. Selon le requérant, le praticien n’eut accès, le 25 mai 1979, qu’à un dossier "falsifié et tronqué" (paragraphes 8 et 9 ci-dessus, in fine) et ne fut autorisé à en photocopier que vingt et une pages. Le 16 octobre 1979, le Dr Roujansky dressa un rapport de dix pages complété par plusieurs annexes. Il y concluait notamment: "On peut affirmer que traité de façon moins brutale, sans utilisation de cette drogue hyperdangereuse, destructrice de la physiologie cérébrale, M. H... avait de bonnes chances de mener une vie normale, de pouvoir travailler, gagner sa vie au lieu de mener une vie de malade. Et donc, les hospices civils de Strasbourg doivent être astreints à l’indemniser." M. H. produisit ce rapport devant le Conseil d’État. Il précise qu’il ne s’agissait pas d’une expertise médicale judiciaire car le Dr Roujansky ne l’avait pas personnellement examiné et n’avait pu étudier que le dossier soumis par les hospices civils. Le 26 juillet 1979, Me G. déposa un mémoire ampliatif tendant à la désignation d’un expert qui déterminerait l’importance du préjudice subi et, le cas échéant, établirait le lien de causalité entre l’injection litigieuse et l’état de santé de M. H. Le 25 septembre 1979, le président de la 5e sous-section de la section du contentieux en ordonna la communication aux hospices civils et à la caisse régionale d’assurance maladie de Strasbourg. Le 4 avril 1980, les premiers produisirent leur mémoire en défense où ils invoquaient notamment la déchéance quadriennale. De son côté, la direction de l’administration générale du personnel et du budget du ministère de la Santé en déposa un le 5 septembre; elle y exprimait l’opinion suivante: "Comme le fait remarquer le mémoire en défense des hospices civils de Strasbourg en date du 4 avril 1980, la jurisprudence relative à la présomption d’imputabilité liée à une présomption de faute est exceptionnelle et ne concerne que les cas où les conséquences d’un traitement seraient tellement disproportionnées par rapport à celles normalement prévisibles qu’elles laisseraient supposer un comportement fautif du service. Tel n’est pas le cas. Le traitement pratiqué en 1961 l’a été selon les règles de l’art et il est difficile d’admettre qu’une injection faite en 1961 aurait pu avoir des conséquences qui ne se seraient révélées qu’en 1969, alors même que le malade avait présenté des troubles remontant à 1955, dût-il avoir été radié en 1963 de la liste départementale des instituteurs remplaçants à la suite d’un avis d’une commission médicale. Comme l’a justement reconnu le tribunal administratif de Strasbourg, le lien de causalité entre l’injection et le dommage invoqué n’est absolument pas établi. (...)." Me G. répliqua par écrit le 5 décembre 1980, en demandant au Conseil d’État d’"ordonner la désignation d’un expert pour déterminer l’importance du préjudice subi et éventuellement établir le lien de causalité entre l’injection intraveineuse pratiquée en 1961 et l’état de santé de M. H...". Le requérant affirme avoir réclamé à nouveau (paragraphe 16 ci-dessus) en 1980 aux hospices civils la communication de son dossier médical; ils la lui auraient refusée. Les conclusions du commissaire du gouvernement À l’audience du 2 novembre 1981 devant le Conseil d’État, M. Dutheillet de Lamothe, commissaire du gouvernement, présenta les conclusions suivantes: "Né en 1937, M. H..., alors instituteur, a été admis le 25 mai 1961 à la clinique psychiatrique des hospices civils de Strasbourg pour état dépressif. Le 13 juin 1961 fut pratiqué un ‘choc amphétaminique’: il s’agit d’une piqûre d’amphétamine - en l’espèce du Maxiton - dont le but est de provoquer une libération émotionnelle et affective du sujet permettant de mieux analyser ses troubles psychiques. Cette méthode provoqua une réaction qualifiée par les médecins d’’agressive et anxieuse’ chez M. H... qui se plaignit de divers troubles. Il sortit toutefois de l’hôpital le 13 septembre 1961 et rejoignit, semble-t-il, son travail. Il fut à nouveau placé en congé de maladie à partir de la fin de 1961, et puis rayé de la liste départementale des instituteurs le 28 janvier 1963. En 1974, soit 13 ans après son hospitalisation, M. H... demanda aux hospices civils de Strasbourg de l’indemniser des conséquences dommageables de la piqûre d’amphétamine appliquée en 1961, conséquences qui ne seraient apparues, selon lui, qu’en 1969. L’hôpital ayant refusé, l’intéressé saisit le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête tendant à ce que les hospices civils de Strasbourg soient déclarés responsables et à ce qu’une expertise soit ordonnée afin de déterminer le montant de son préjudice. Par un jugement du [9] mai 1978, le tribunal a rejeté sa requête en [expliquant] qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’injection d’amphétamine incriminée et l’aggravation de l’état de santé de M. H... qui serait apparue en 1969. M. H... fait appel de ce jugement. Nous pensons que c’est à bon droit que le tribunal a jugé que le lien de causalité n’était pas établi. Sans doute le dossier très sommaire sur lequel il a statué s’est-il grossi, en appel, du dossier médical établi par l’hôpital en 1961 et d’un rapport très documenté. Mais il ne permet pas d’établir un lien réel de causalité. Il en ressort, en effet: (a) que les troubles psychiques du requérant remontent à une période antérieure à son hospitalisation de 1961; (b) que s’il s’est plaint à la suite de la piqûre du 13 juin 1961 de troubles réels, l’hôpital a procédé à l’examen nécessaire (électrocardiogramme, examens biologiques); (c) qu’à sa sortie de l’hôpital le 13 septembre 1961, son état s’était amélioré puisqu’il désirait reprendre son travail; (d) que son état semble s’être surtout aggravé en 1963 puisqu’il a été rayé de la liste des instituteurs et à nouveau hospitalisé; (e) qu’en 1969, au contraire, la caisse régionale d’assurance maladie de Strasbourg a constaté que sa capacité de travail était devenue supérieure à 50 % et lui a suspendu le versement de sa pension d’invalidité, rétablie en 1972. Le Dr Olievenstein, qui a été consulté par le conseil médical du requérant, écrit: ‘Si forte soit-elle, une dose unique d’amphétamines ne peut que décompenser et non créer un trouble psychiatrique. Nul ne peut dire si de toutes façons, la psychose de votre malade n’[aurait] pas été décompensée ultérieurement.’ Le lien de causalité ne nous paraît pas, dans ces conditions, établi, ni les présomptions invoquées suffisantes pour ordonner l’expertise demandée. Contrairement à ce que soutient la requête, ce lien de causalité ne saurait être présumé. Sans doute notre jurisprudence présume-t-elle une faute dans l’organisation ou le fonctionnement du service hospitalier lorsqu’un acte de soin courant et de caractère bénin - notamment une piqûre - a provoqué des troubles d’une particulière gravité (23 février 1962 Maïer, page 122, et de très nombreuses décisions: 19 mars 1969 Assistance publique de Paris contre Bey, page 165; 19 mai 1976 CHR de Poitiers, page 266; 22 décembre 1976 Assistance publique de Paris contre Dame Derridj, page 576; 13 mai 1977 Rémy-Waris, T., page 961; 9 janvier 1980 Mortins, page 4). Mais toutes ces décisions commencent par relever l’existence d’une relation directe de cause à effet entre l’acte de soin incriminé et le dommage invoqué: c’est la faute qui est présumée et non l’imputabilité du dommage. Vous ne pourrez donc, pensons-nous, que rejeter la requête de M. H... et confirmer le jugement du tribunal administratif, sans avoir à vous prononcer, nous semble-t-il, ni sur les fautes reprochées à l’hôpital, ni sur la prescription quadriennale opposée par celui-ci. 1) En ce qui concerne le premier point, il ne nous paraît pas possible de dire que le recours à la technique du ‘choc amphétaminique’ constituait en 1961 une faute lourde, même si cette technique paraît aujourd’hui dépassée. Il ne semble pas, non plus, que son utilisation aurait dû être précédée d’examens particuliers. Nous pensons, en revanche, qu’une telle technique ne pouvait être utilisée, même dans le cas d’un traitement psychiatrique, qu’avec le consentement du malade (J. 7 février 1979, M. Barek, page 87; 9 janvier 1970 Carteron, page 17). Or l’intéressé affirme, sans être démenti, ne pas avoir été prévenu. 2) Quant à la prescription quadriennale, elle ne pouvait, en tout état de cause, être opposée par l’hôpital qu’à une partie de la créance de M. H..., le préjudice invoqué étant un préjudice continu dont la date de consolidation n’a pas été fixée (J. 10 novembre 1967, Auguste, page 422). Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de M. H..." L’arrêt du 18 novembre 1981 Le 18 novembre 1981, le Conseil d’État statua en ces termes: "Le Conseil d’État statuant au contentieux (section du contentieux, 3ème et 5ème sous-sections réunies), (...) Sans qu’il soit besoin de statuer sur l’exception de déchéance quadriennale opposée par l’établissement hospitalier: Considérant que M. H... a été hospitalisé en 1961, à la clinique psychiatrique des hospices civils de Strasbourg; que l’intéressé impute aux soins reçus à cette occasion et notamment à une piqûre intraveineuse d’amphétamine administrée le 13 juin 1961, une aggravation de son état de santé, aboutissant à perturber définitivement son existence; Considérant qu’il résulte de l’instruction et des pièces versées au dossier que l’aggravation alléguée dans l’état du requérant ne présente pas un caractère de relation directe de cause à effet avec le traitement qu’il a subi en 1961 aux hospices civils de Strasbourg; Considérant dès lors que c’est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande du requérant tendant à la condamnation de l’hôpital et à la désignation d’un expert tant pour rechercher les liens entre le traitement et le préjudice allégué, que pour apprécier l’importance de ce dernier; DECIDE Article 1er: La requête de M. H... est rejetée. Article 2: La présente décision sera notifiée à M. H..., aux ‘hospices civils de Strasbourg’ et au ministre de la Santé." Cette notification eut lieu le 19 janvier 1982. La correspondance entre le requérant et le bâtonnier de l’Ordre des avocats aux Conseils Le 29 novembre 1981, M. H. écrivit au bâtonnier de l’Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour se plaindre d’avoir été mal défendu. Il reprochait notamment à Me G. de ne l’avoir jamais autorisé à s’adresser directement à lui avant les débats, de s’être dérobé à tout dialogue "parce qu’il [avait] l’aide judiciaire et que cela serait au détriment de [son] dossier", et d’avoir refusé de lui indiquer la date de l’audience et de lui communiquer le dossier, l’empêchant ainsi de le compléter. Par une lettre du 2 décembre, le bâtonnier lui répondit qu’il n’entendait pas reprendre chacun de ses griefs car ils témoignaient pour la plupart de son "ignorance de la procédure administrative et de ses caractéristiques propres". PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 21 juin 1982 à la Commission (no 10073/82), M. H. alléguait une double infraction à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: les juridictions administratives n’auraient pas entendu sa cause dans un délai raisonnable et, faute d’ordonner une expertise médicale et une instruction sérieuse, ne lui auraient pas assuré un procès équitable. La Commission a retenu la requête le 12 mars 1986. Dans son rapport du 4 mars 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) sur le premier point (unanimité) mais non sur le second (neuf voix contre deux). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire, le Gouvernement "demande à la Cour de bien vouloir rejeter la requête de M. H...".
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M. Marcantonio Bezicheri exerce à Bologne la profession d'avocat. Arrêté le 14 mai 1983 en exécution d'un mandat décerné par le procureur de la République de Pise, il se vit placé par celui-ci en détention provisoire parce que soupçonné entre autres de participation à un assassinat (omicidio volontario aggravato) qui avait eu lieu en 1982: dans l'accomplissement de ses fonctions, il aurait servi d'intermédiaire entre les meurtriers et l'instigateur du crime, lequel se trouvait en prison. Dans les trois jours suivants, le ministère public requit l'ouverture d'une instruction "formelle" (formalizzazione dell'istruttoria). Le 18 mai 1983, après que le juge d'instruction de Pise eut interrogé l'intéressé, le conseil de ce dernier sollicita, en vertu de l'article 269 du code de procédure pénale, l'élargissement de son client pour absence d'indices ou, en ordre subsidiaire, le bénéfice d'"arrêts à domicile" (arresti domiciliari). Sur les conclusions du parquet, le juge rejeta lesdites demandes le 6 juin: la seconde comme irrecevable, la première parce que le mandat lui parut "solidement fondé". Le 6 juillet 1983, le défenseur de M. Bezicheri présenta une deuxième demande de mise en liberté (istanza di scarcerazione per mancanza di indizi) ou, à défaut, d'arrêts à domicile; il réclama de plus en même temps, à titre secondaire (in via subordinata), différentes mesures d'instruction (istanza difensiva istruttoria) qu'il exigea derechef le 6 octobre. Elles devaient consister notamment à consulter le registre des visites de certaines prisons, pour déterminer si M. Bezicheri y avait rencontré l'organisateur du meurtre, et à interroger onze personnes. Le juge d'instruction accomplit toute une série de diligences, pour l'essentiel à partir d'octobre 1983. Il entendit, ou fit entendre sur commission rogatoire, un certain nombre de témoins - les 30 juillet, 12, 19, 22 et 26 octobre ainsi que les 3 novembre et 9 décembre 1983 - et chargea la police de diverses investigations les 21 septembre et 5 octobre. Celle-ci lui adressa un rapport le 10 octobre. Le 22 décembre, il repoussa la demande d'élargissement (ou d'arrêts à domicile) du 6 juillet, ainsi que le ministère public l'y avait invité le 12. Le lendemain, M. Bezicheri attaqua cette décision, sur la base de l'article 272 bis du code de procédure pénale, devant le tribunal de Pise qui la confirma le 13 janvier 1984 après en avoir examiné le bien-fondé. La décision lui fut notifiée le 6 février. Le 8 février 1984, il se pourvut en cassation pour violation de la loi; il présenta ses moyens - qui invoquaient entre autres les articles 5 et 6 (art. 5, art. 6) de la Convention - les 18 février et 17 avril. Sur les conclusions conformes du parquet général, la Cour de cassation rejeta le recours le 30 juillet 1984. Le 11 juillet, le juge d'instruction de Pise avait accordé à M. Bezicheri, avec l'avis favorable du parquet, le bénéfice des arrêts à domicile. Les poursuites pénales ouvertes contre l'intéressé débouchèrent, le 2 février 1988, sur une ordonnance de non-lieu prononcée par la chambre d'instruction de la cour d'appel de Florence. Entre temps, le requérant avait recouvré entièrement sa liberté en juin 1985. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 18 janvier 1985 à la Commission (n° 11400/85), M. Bezicheri se prétendait victime de violations de l'article 5 paras. 2 et 4 (art. 5-2, art. 5-4) de la Convention ainsi que des articles 6, 9, 10 et 11 (art. 6, art. 9, art. 10, art. 11). Au sujet de l'article 5 par. 4 (art. 5-4), il alléguait que les juridictions italiennes n'avaient pas statué "à bref délai" sur sa demande d'élargissement du 6 juillet 1983. Le 4 mars 1987, la Commission a retenu la requête quant à ce dernier grief et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 10 mars 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut par treize voix contre trois, avec une abstention, au dépassement du "bref délai" dont l'article 5 par. 4 (art. 5-4) exige le respect. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 21 juin 1989, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire. Il y invitait la Cour à constater "que dans le cas d'espèce, l'Italie n'a pas enfreint l'article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention européenne".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 11 mars 1980, M. Michael Peter McCallum, qui avait déjà comparu à plusieurs reprises en justice et purgé diverses peines, se vit infliger par la High Court of Justiciary, à Glasgow, six ans d’emprisonnement - à compter du 26 novembre 1979 - pour voies de fait et vol qualifié. Après l’avoir envoyé à la prison de Peterhead, on le plaça en juillet 1982 dans celle de Barlinnie parce qu’il exerçait une influence très perturbatrice sur les autres détenus. Il perdit 509 jours de remise de peine à cause d’une série d’infractions à la discipline pénitentiaire. Il recouvra la liberté le 18 avril 1985. Au cours de son incarcération, il vécut par deux fois au quartier disciplinaire (Segregation Unit, "le quartier"; paragraphes 13-20 ci-dessous) de la prison d’Inverness: du 22 novembre 1980 au 27 janvier 1981, puis du 30 juin au 15 octobre 1981. Son second séjour excéda la durée maximale habituelle - trois mois - en raison d’une attitude particulièrement peu coopérative. A l’origine de ces deux transfèrements au quartier figuraient des périodes de mauvaise conduite de l’intéressé, émaillées de voies de fait et d’injures envers le personnel. Dans les deux cas, on avait pensé que la mesure pourrait profiter tant à lui qu’à la situation générale au sein de la prison de Peterhead. En 1981 et 1982, les autorités pénitentiaires soumirent sa correspondance aux restrictions suivantes: a) Deux lettres du 24 juin 1981, à son solicitor et à un député, furent interceptées en vertu des instructions Ic 1(3)(d) et Ic 3(6)(a), respectivement (interdiction de se plaindre des conditions de détention; paragraphe 22 a) et b) ci-dessous). b) Une lettre du 5 octobre 1981 au directeur du Daily Record subit le même sort; le requérant y demandait qu’on lui expédiât une copie d’un article paru à son sujet dans ledit journal ("Cage Man Euro Court Plea") et qu’on lui indiquât si deux missives précédentes étaient arrivées à bon port. La direction de l’établissement la jugea non conforme aux instructions, mais aucun document n’explique pourquoi. c) Une lettre du 18 décembre 1981 au procureur (Procurator Fiscal) fut elle aussi stoppée, au motif qu’elle renfermait des allégations de voies de fait sur d’autres prisonniers qui ne les avaient dénoncées eux-mêmes par aucun moyen de recours, interne ou externe. On la considéra comme répréhensible au regard de l’instruction Ic 1(3)(d); en outre, on estima contraire à l’ordre et à la discipline d’autoriser des lettres exprimant des doléances au nom d’autres détenus. M. McCallum reçut la permission d’en écrire une autre, alléguant des voies de fait relatives à sa seule personne. d) Une lettre du 19 janvier 1982 à Mlle Hampson, de l’Université de Dundee, fut interceptée parce que la destinataire n’était ni l’un des correspondants antérieurs de M. McCallum, ni son conseiller juridique pour les besoins de sa requête à la Commission (instructions Ic 4(12) et Ic 3(10)(g)(i); paragraphe 22 d) et c) ci-dessous). e) Des lettres des 20 et 23 février 1982 à son représentant, M. Godwin, furent retardées et finalement postées le 18 mars 1982. Le Gouvernement avait reconnu que M. McCallum pourrait, en vertu de l’instruction Ic 3(10)(g)(i), correspondre 1avec l’intéressé au sujet de sa requête à la Commission si M. Godwin observait les règles imposées par cette dernière en matière de confidentialité. Or certains détails concernant les griefs du premier avaient paru dans la presse et le Scottish Home and Health Department ne voulait pas autoriser de nouvelles lettres sans avoir reçu du second l’assurance qu’il respecterait désormais lesdites règles. Les lettres en cause furent acheminées une fois cette condition remplie. f) En vertu de l’instruction Ic 4(12)(b) (paragraphe 22 d) ci-dessous), on refusa de communiquer au requérant une copie de lettres écrites par M. Godwin à la direction générale des services pénitentiaires (Prison Service Headquarters) le 4 juin 1982 et au ministre le 22 juin 1982. Elles donnaient à penser que la discipline du personnel s’était beaucoup relâchée à la prison de Peterhead et qu’il fallait s’attendre à des troubles parmi les prisonniers; la seconde insinuait aussi que des gardiens pouvaient avoir provoqué un incendie dans la cellule de M. McCallum. Le directeur de la prison les jugea inacceptables du point de vue de l’ordre et de la discipline; il craignait en particulier que les détenus ne fussent encouragés à causer les troubles annoncés si elles tombaient entre leurs mains. Le 22 décembre 1982, le comité des visiteurs (Visiting Committee) de la prison de Barlinnie infligea au requérant une sanction disciplinaire comprenant la défense absolue, fondée sur l’article 74 par. 2 du règlement pénitentiaire de 1952 pour l’Écosse (Prison (Scotland) Rules, "le règlement pénitentiaire"; paragraphe 21 ci-dessous), d’envoyer ou recevoir du courrier pendant 28 jours. Informé des termes de cette interdiction, le ministre pour l’Écosse décida le 11 janvier 1983 qu’elle ne pouvait s’étendre à la correspondance de l’intéressé relative à sa requête à la Commission, ni à celle échangée avec son député, le procureur ou son conseiller juridique. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES A. Le cadre juridique général A l’époque, le système pénitentiaire écossais obéissait à la loi de 1952 sur les prisons d’Écosse (Prisons (Scotland) Act, "la loi de 1952"). D’après les articles 1 et 3, la surveillance et la direction générale des prisons écossaises incombaient au ministre pour l’Écosse. L’article 9 habilitait celui-ci à diriger les détenus vers telle ou telle prison désignée par un règlement d’exécution, de même qu’à les transférer d’un établissement à un autre, l’article 35 par. 1 à "réglementer [par voie de texte législatif (statutory instrument)] l’organisation et la gestion des prisons (...) ainsi que la classification, le traitement, l’emploi, la discipline et le contrôle des détenus". En vertu du second, le ministre a édicté en 1952 le règlement pénitentiaire, amendé depuis lors à plusieurs reprises. Au titre de son autorité générale sur les prisons et de divers pouvoirs que ledit règlement lui attribue lui-même, il donne aussi aux directeurs de prison des consignes administratives sous la forme d’"instructions permanentes" (Standing Orders, "instructions") et de circulaires administratives. Le quartier disciplinaire d’Inverness tombe sous le coup de la loi de 1952 et du règlement pénitentiaire, ainsi que de la plupart des instructions et des circulaires administratives. Il existe aussi des consignes administratives qui lui sont propres. B. Le quartier disciplinaire de la prison d’Inverness But et utilisation Aux termes de l’article 6 du règlement pénitentiaire, le ministre peut "affecter des établissements pénitentiaires, en tout ou en partie, à certaines catégories de détenus ou à certains objectifs". On a créé le quartier en 1966 afin de fournir un lieu d’isolement sûr pour les détenus qui perturbent gravement, par leur comportement violent ou subversif, les établissements où ils séjournent, se montrent réfractaires aux formes de traitement disponibles dans ceux-ci et refusent de manière flagrante de coopérer à leur marche normale. Il offre aussi au personnel un niveau de sécurité spécial. Le placement au quartier ne joue pas le rôle de sanction; il vise à éliminer un danger menaçant l’ordre et la discipline au sein de l’établissement d’origine, soulager le personnel y travaillant et engendrer une amélioration de la conduite de l’intéressé. On y recourt avec parcimonie, dans la seule hypothèse où les structures d’accueil existant ailleurs sont jugées inefficaces. Le quartier ne fonctionne pas à pleine capacité et il est resté vacant plusieurs fois. Fermé en 1972, il a rouvert en 1979. L’autorisation d’y envoyer un détenu est accordée personnellement par le ministre pour l’Écosse ou un autre ministre du Scottish Office, sur la recommandation du directeur de la prison d’origine ainsi que de la division de l’administration pénitentiaire du Scottish Office, et après consultation du comité permanent pour les détenus difficiles (Standing Committee on Difficult Prisoners). Sauf crise ou urgence, le transfèrement n’a lieu d’ordinaire qu’après un examen attentif des données de l’espèce. Aucun prisonnier ne demeure au quartier plus longtemps que cela ne paraît nécessaire. Il n’y a pas de durée minimale; le séjour ne peut excéder trois mois, sous réserve de circonstances exceptionnelles. Le personnel suit en permanence l’évolution de chaque détenu; il adresse un rapport hebdomadaire à la division de l’administration pénitentiaire du Scottish Office. De son côté, le comité de contrôle du quartier d’Inverness (Inverness Unit Review Board) étudie mensuellement tous les cas; il peut recommander au ministre de transférer l’intéressé ailleurs. Nature du régime Le quartier comprend cinq cellules individuelles de 14 m2 de surface totale, où les prisonniers se trouvent confinés sauf quand ils accomplissent leurs séances d’exercice, se rendent aux toilettes, reçoivent des visites ou ont des entretiens autorisés. Ils ne peuvent se rencontrer entre eux. La pièce où est enfermé chacun d’eux mesure trois mètres sur deux et demi; une grille de sécurité destinée à protéger le personnel la sépare du vestibule d’accès à la cellule. Ses dimensions dépassent le minimum recommandé pour une cellule individuelle dans une prison de sécurité. L’éclairage, le chauffage et la ventilation sont comparables ou supérieurs à ceux des sections de cellules individuelles, et de beaucoup de cellules ordinaires, d’autres établissements. Lettres et visites sont admises selon les normes usuelles en milieu carcéral, conformément au règlement pénitentiaire et aux instructions. Les visites se situent d’ordinaire en fin de semaine et peuvent durer deux heures. Livres et journaux sont fournis sur la base habituelle en prison; les détenus peuvent en acquérir davantage de leurs propres deniers. Des programmes de radio sont diffusés dans chaque cellule et des blocs-notes distribués à la demande conformément aux instructions. On encourage à persévérer les prisonniers qui suivent déjà des cours par correspondance. Les repas et, lorsqu’il y en a, le travail rémunéré ont lieu en cellule. Tout détenu effectue quotidiennement deux séances d’exercice d’une demi-heure chacune, mais seul. Outre les visites de leurs parents et amis, les prisonnier en reçoivent chaque jour du directeur et du gardien-chef (Chief Officer) de la prison d’Inverness, chaque semaine de l’aumônier et d’un psychiatre et, quand ils le souhaitent, du médecin de l’établissement. C. La correspondance L’article 74 du règlement pénitentiaire prévoit notamment: "2. Tout détenu est autorisé à écrire et à recevoir une lettre lors de son admission puis à écrire et à recevoir des lettres, ainsi qu’à accueillir des visiteurs, à des intervalles fixés par le ministre. Les intervalles ainsi prescrits peuvent être prolongés à titre de sanction pour mauvaise conduite, mais pas au point d’empêcher un détenu d’écrire et de recevoir une lettre, ainsi que d’accueillir un visiteur, toutes les huit semaines. (...) Sous réserve de l’article 50 par. 4, chaque lettre à un détenu, ou d’un détenu, doit être lue par le directeur ou par un membre du personnel par lui délégué à cet effet; le directeur a toute latitude pour en intercepter une s’il en juge le contenu répréhensible." À l’époque, ces textes se trouvaient complétés par diverses instructions dont les suivantes ont joué un rôle en l’espèce: a) L’instruction Ic 1(3) concernait l’exercice du pouvoir, accordé par l’article 74 par. 4 au directeur de la prison, d’intercepter les lettres au contenu répréhensible. Elle disposait: "Doivent être autorisés tous les sujets ordinaires, y compris des informations sur des événements publics. Les observations d’un détenu sur sa propre condamnation ne sont pas répréhensibles s’il s’exprime en termes corrects. Il existe peu de sujets inacceptables, à savoir: (...) d) Les plaintes relatives aux conditions de détention. Il faut les adresser au ministre ou au comité des visiteurs par voie de requête. (...) (...)" b) L’instruction Ic 3(6)(a) fixait les règles applicables au contenu des lettres destinées à des parlementaires. Elle prescrivait l’envoi, après lecture, de telles lettres "sauf lorsqu’elles comport[ai]ent une plainte ou demande relative aux conditions de détention, y compris des allégations à l’encontre du personnel de la prison, et n’ayant pas suivi la procédure prévue pour remédier au grief, à savoir une requête au ministre ou d’autres moyens officiels appropriés". c) L’instruction Ic 3(10) avait trait aux requêtes de détenus à la Commission. Y figurait le passage ci-après: "(g) Si la question d’une assistance juridique se pose, on la résoudra ainsi: (i) Pour la préparation de sa requête à la Commission, un détenu peut correspondre avec son conseiller juridique et avec d’autres personnes selon les mêmes modalités que s’il avait qualité d’appelant. (...)" d) L’instruction Ic 4(12) précisait, sous certaines réserves, que les prisonniers pourraient correspondre avec "des parents proches" de même, normalement, qu’avec "d’autres parents et amis existants". On y lisait aussi: "(b) (...) Les directeurs ont tout pouvoir d’interdire [des lettres de la seconde catégorie] (...) pour des motifs de sécurité ou d’ordre et de discipline, ou pour prévenir ou décourager la criminalité. (c) Ils peuvent autoriser les prisonniers à communiquer avec d’autres personnes que ceux-ci ne connaissaient pas personnellement avant leur détention. (...)" D. Les voies de recours Outre la possibilité d’une plainte au directeur de la prison, plusieurs voies de recours s’offrent en Écosse à un détenu qui s’estime mal traité. Elles se répartissent en trois catégories: a) les voies de recours internes: i. une requête au ministre pour l’Écosse; ii. une plainte au comité des visiteurs; iii. une plainte à un shérif ou à un juge de paix; iv. des observations au comité de contrôle du quartier d’Inverness; v. des observations au comité permanent pour les détenus difficiles; b) la saisine du médiateur aux fins d’enquête; c) les recours judiciaires. L’arrêt Boyle et Rice du 27 avril 1988 décrit en détail les recours mentionnés sous a) i. et ii. ainsi que sous b) (série A no 131, pp. 17-19, paras. 36-39). Le rapport de la Commission en l’espèce fournit en son paragraphe 26 des indications sur ceux qui se trouvent énumérés sous a) iii. à v. Quant aux recours judiciaires, il en existe de deux sortes. Recours de droit privé Tout détenu qui se croit lésé par ses conditions de détention peut les dénoncer par les voies de recours ordinaires du droit privé, en alléguant une violation de ses droits civils. Dans l’affaire Raymond v. Honey, la chambre des Lords a souligné qu’"un condamné détenu conserve, malgré son emprisonnement, tous les droits civils dont on ne l’a pas privé expressément ou par implication nécessaire" (Appeal Cases 1983, p. 1, et All England Law Reports 1982, vol. 1, p. 759). Ainsi, un détenu garde le bénéfice du principe général de droit écossais selon lequel chacun a droit à ne pas être soumis à des souffrances physiques ou mentales délibérément ou par négligence. Il peut, par exemple, intenter contre le ministre une action en déclaration (declarator) et en dommages-intérêts du chef de voies de fait que le personnel de la prison lui aurait infligées ou du tort que des conditions de détention trop rigoureuses ou inhumaines auraient causé à sa santé physique ou mentale (voir, entre autres, Middleweek v. Chief Constable of Merseyside, The Times Law Reports, 1er août 1985). Le Gouvernement cite une série de décisions à l’appui de la thèse selon laquelle est illégal, et peut donner ouverture à une instance en responsabilité civile, un traitement pénitentiaire à ce point inhumain ou dégradant qu’on ne saurait le considérer comme autorisé par le Parlement. En matière de correspondance, il affirme que serait jugée illicite une restriction incompatible avec un droit conservé par un détenu, tel le droit à des contacts avec un conseiller juridique au sujet d’une procédure civile éventuelle (R. v. Home Secretary, ex parte Anderson, Queen’s Bench Division Reports 1984, p. 778). Recours de droit public La manière dont les pouvoirs publics se prévalent des droits, et s’acquittent des obligations, prévus par la loi peut donner lieu en Écosse à un contrôle judiciaire, et ce en substance sur les mêmes bases qu’en Angleterre et au pays de Galles (Brown v. Hamilton District Council, Scottish Law Times 1983, per Lord Fraser, p. 414). En particulier, l’usage d’un pouvoir discrétionnaire peut être contesté au motif que l’autorité en cause a témoigné d’arbitraire, d’irrationalité ou de mauvaise foi, poursuivi des buts illégitimes ou de quelque autre façon outrepassé ses prérogatives légales (voir par exemple la déclaration de Lord Diplock dans l’affaire Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, Appeal Cases 1985, p. 410, et All England Law Reports 1984, vol. 3, pp. 950-951, citée dans l’arrêt Weeks du 2 mars 1987, série A no 114, p. 18, par. 30). En Écosse, le contrôle judiciaire des pouvoirs publics relève de la Court of Session; elle dispose d’une gamme étendue de formes de réparation, dont l’annulation de toute décision illégale et l’octroi de dommages-intérêts s’il y a lieu. Un détenu ayant à se plaindre de ses conditions de vie en prison peut en principe inviter la juridiction de contrôle à constater que le ministre a failli à ses obligations ou que sa décision de créer ou maintenir lesdites conditions était déraisonnable. Ainsi, dans les affaires R. v. Home Secretary, ex parte McAvoy (Weekly Law Reports 1984, vol. 1, p. 1408) et Thomson v. Secretary of State for Scotland (Scottish Law Times 1989, p. 343) la demande de contrôle judiciaire émanait de détenus dénonçant leur sort dans les établissements où on les avait transférés. De même, un prisonnier peut attaquer une restriction à sa correspondance en arguant de son caractère déraisonnable, ou excessif parce que contraire à ses droits civils, et cela qu’elle ait été imposée par le ministre (R. v. Home Secretary, ex parte Anderson, précité), le directeur de la prison (Leech v. Deputy Governor of Parkhurst Prison, Appeal Cases 1988, p. 533) ou un comité de visiteurs en vertu de pouvoirs disciplinaires (R. v. Board of Visitors of Hull Prison, ex parte St. Germain, Queen’s Bench Division Reports 1979, p. 425). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 31 août 1981 à la Commission (no 9511/81), M. McCallum s’en prenait sur divers points aux conditions et circonstances de son incarcération. Il invoquait les articles 3, 8, 10 et 13 (art. 3, art. 8, art. 10, art. 13) de la Convention. Par une décision partielle du 9 juillet 1984, la Commission: a) a déclaré irrecevable, pour défaut manifeste de fondement, le grief du requérant selon lequel ses conditions de détention - notamment dans le quartier disciplinaire d’Inverness - et d’autres faits avaient enfreint l’article 3 (art. 3), de même que son allégation d’après laquelle il y avait eu atteinte injustifiée au droit au respect de sa vie familiale, garanti par l’article 8 (art. 8); b) a ajourné l’examen des plaintes fondées par l’intéressé sur les articles 8, 10 et 13 (art. 8, art. 10, art. 13), quant aux ingérences dans sa correspondance et aux voies de recours existant à cet égard, ainsi que sur l’article 13 combiné avec l’article 3 (art. 13+3). Elle a retenu les doléances énumérées sous le point b) ci-dessus par une décision finale du 10 juillet 1985. Dans son rapport du 4 mai 1989 (article 31) (art. 31), elle formule l’avis: a) à l’unanimité, qu’ont violé l’article 8 (art. 8) l’interception des deux lettres du 24 juin 1981 et des lettres des 5 octobre 1981, 18 décembre 1981 et 19 janvier 1982, le refus de communiquer une copie de celles des 4 et 22 juin 1982 et la restriction de 28 jours imposée à la correspondance de M. McCallum par la voie disciplinaire (paragraphes 10 a) à d) et f), et 11 ci-dessus); b) à l’unanimité, que le retardement des lettres des 20 et 23 février 1982 (paragraphe 10 e) ci-dessus) n’a pas enfreint ce même article (art. 8); c) qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question plus avant à la lumière de l’article 10 (art. 10); d) à l’unanimité, qu’il y a eu manquement aux exigences de l’article 13, combiné avec l’article 8 (art. 13+8), quant à l’interception des lettres des 24 juin et 18 décembre 1981 et à la restriction infligée à titre disciplinaire; e) à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu méconnaissance de l’article 13, combiné avec l’article 8 (art. 13+8), en ce qui concerne l’interception des lettres des 5 octobre 1981 et 19 janvier 1982, le retardement de celles des 20 et 23 février 1982 et le refus de communiquer une copie de celles des 4 et 22 juin 1982; f) par neuf voix contre six, qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 (art. 13+3). Le texte intégral de cet avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 21 mai 1990, le Gouvernement a confirmé les conclusions énoncées dans son mémoire; il y invitait la Cour à décider et déclarer: a) qu’il y a eu violation de l’article 8 (art. 8) sur les points énumérés au paragraphe 28 a) ci-dessus, mais non sur celui que mentionne le paragraphe 28 b); b) que nulle question distincte ne se pose sous l’angle de l’article 10 (art. 10); c) qu’il n’y a pas eu infraction à l’article 13 (art. 13) quant aux griefs tirés des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8). De son côté, le requérant a demandé à la Cour de statuer dans le même sens.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Société anonyme de droit suisse, Groppera Radio AG a son siège social à Zoug (canton de Zoug) et se consacre à la production d’émissions de radio. MM. Jürg Marquard, Hans-Elias Fröhlich et Marcel Caluzzi sont tous trois de nationalité suisse. Le premier exerce la profession d’éditeur et vit à Zoug; il dirige Groppera Radio AG, dont il est le seul actionnaire et le représentant légal. Le deuxième, journaliste et salarié de Groppera Radio AG, habite à Thalwil (canton de Zurich). Le troisième, lui aussi employé par cette société comme journaliste, demeure à Cernobbio en Italie, mais a également une résidence à Lucerne. A. La genèse de l’affaire La station du Pizzo Groppera En 1979, la société italienne à responsabilité limitée (s.r.l.) Belton fit installer pour le compte de Radio 24 AG - prédécesseur de Groppera Radio AG (paragraphes 14-15 ci-dessous) - une station de radio sur le Pizzo Groppera, sommet de 2.948 m situé en Italie, près de Campodolcino, à six kilomètres de la Suisse. La station utilisait un émetteur de 50 kW et une antenne de type directif de gain égal à 100 kW, de sorte que la puissance apparente rayonnée avoisinait les 5.000 kW. Grâce à ce dispositif - le plus puissant d’Europe -, elle diffusait vers le nord-ouest des programmes captables dans la Confédération sur une profondeur de 200 kilomètres et touchait ainsi près d’un tiers de la population helvétique, principalement dans la région de Zurich. La situation du 13 novembre 1979 au 30 septembre 1983 Du 13 novembre 1979 au 30 septembre 1983, la station du Pizzo Groppera fut gérée par Belton s.r.l. mais exploitée par son propriétaire, Radio 24 AG, une société que M. Roger Schawinski avait créée pour échapper au monopole d’État que la Suisse connaissait en la matière. Diffusées sur ondes ultra-courtes et financées en totalité par des annonceurs suisses, les émissions visaient un public âgé de 15 à 40 ans. Le 7 juin 1982, le Conseil fédéral adopta une ordonnance sur les essais locaux de radiodiffusion, qui mettait fin au monopole de la Société suisse de radiodiffusion. Près de 300 demandes furent présentées pour de tels essais, dont celle de Radio 24 AG qui entendait desservir l’agglomération zurichoise. Le 20 juin 1983, le Conseil fédéral accorda 36 autorisations. L’une d’entre elles concernait Radio 24 AG. Toutefois, il en subordonna l’octroi à l’arrêt des émissions en provenance du Pizzo Groppera, à compter du 30 septembre 1983. M. Schawinski y consentit, mais vendit à M. Marquard les installations du Pizzo Groppera. La situation du 1er octobre au 31 décembre 1983 Groppera Radio AG utilisa celles-ci dès le 1er octobre 1983, en reprenant la fréquence de Radio 24 pour diffuser dans la région de Zurich, sous le nom de Sound Radio, des programmes légèrement modifiés. Pouvaient les capter non seulement des propriétaires d’autoradios et d’antennes individuelles, mais aussi des sociétés de réseaux câblés, qui les rediffusaient. Il consistait en musique légère, en bulletins d’information, en messages publicitaires, ainsi qu’en des émissions où réalisateurs et auditeurs communiquaient directement ou indirectement entre eux par le truchement du téléphone ou de l’émetteur. Comme Radio 24, Sound Radio n’employait que le dialecte zurichois. Les radios locales suisses commencèrent à émettre à partir du 1er novembre 1983 et bénéficièrent de forts taux d’écoute. Elles entrèrent en concurrence avec Sound Radio, notamment parce qu’elles pouvaient sous certaines conditions assurer leur financement par la publicité. Un sondage d’opinion réalisé dans l’agglomération zurichoise et publié le 1er décembre 1983 montra que Radio 24 atteignait 60 % des auditeurs et Sound Radio 12 %. B. La procédure suivie en Suisse Le 17 août 1983, le Conseil fédéral remplaça une ordonnance du 10 décembre 1973 par une ordonnance relative à la loi réglant la correspondance télégraphique et téléphonique ("l’ordonnance de 1983"). Entrée en vigueur le 1er janvier 1984, elle contenait des dispositions générales applicables au régime des concessions. Elle créait une troisième catégorie de concessions d’installations réceptrices, dite d’antennes collectives, qui s’ajoutaient aux concessions 1 (réception privée) et 2 (réception publique). Aux termes de l’article 78 § 1 a) de l’ordonnance de 1983, "La concession d’antenne collective autorise son titulaire à: a) exploiter le réseau local de distribution défini dans la concession et à rediffuser ainsi des émissions de radiodiffusion à partir d’émetteurs qui répondent aux dispositions de la Convention internationale des télécommunications du 25 octobre 1973 et au règlement international des radiocommunications ainsi qu’à celles des conventions et des arrangements internationaux adoptés dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications; (...)". À compter du 1er janvier 1984, la plupart des sociétés suisses d’exploitation de réseaux câblés cessèrent de retransmettre les programmes de Sound Radio. Toutefois, certaines d’entre elles continuèrent à les diffuser, telle la Société coopérative d’antenne collective de Maur et des environs (Genossenschaft Gemeinschaftsantennenanlage Maur und Umgebung, "la société coopérative"). La procédure administrative Le 21 mars 1984, la direction des télécommunications du district de Zurich informa la société coopérative que les émissions de Groppera Radio AG, faute de respecter les règles internationales en vigueur, revêtaient un caractère illégal. Partant, aux termes de l’article 78 §§ 1 et 3 de l’ordonnance de 1983 leur rediffusion ne se trouvait pas couverte par la concession d’antenne collective et ladite société se rendrait coupable d’un délit si elle persistait à l’assurer. La direction exigeait l’annulation dans les trente jours de toutes les dispositions techniques prises pour les recevoir et les diffuser. La direction générale des PTT confirma l’injonction le 31 juillet 1984. La procédure juridictionnelle La société coopérative et deux abonnés attaquèrent cette décision devant le Tribunal fédéral au moyen d’un recours de droit administratif. Le 30 août 1984, la foudre endommagea l’émetteur du Pizzo Groppera, qui cessa de fonctionner et dont l’exploitation n’a jamais repris depuis lors, bien que selon les requérants on eût rapidement réparé les dégâts. Ultérieurement, dans un entretien accordé au "Tages-Anzeiger Magazin" et publié le 13 décembre 1986, M. Marquard reconnut avoir commis une erreur économique en acquérant la station. Groppera Radio AG s’associa au recours par un mémoire introductif du 18 septembre 1984. Elle se prétendait elle aussi victime des clauses de l’ordonnance de 1983 relatives aux concessions d’antenne collective: les restrictions opérées réduisaient considérablement le nombre de ses auditeurs et donc ses recettes, menaçant sa survie financière. Le 12 novembre 1984, le Tribunal fédéral informa les parties qu’il avait appris que l’émetteur du Pizzo Groppera avait été détruit et ne serait apparemment pas réparé. Puisqu’aucun intérêt à agir ne subsistait, le Tribunal proposait une radiation du rôle sans décision sur le fond ("die Beschwerde ohne Sachentscheid abzuschreiben"). Les requérants refusèrent d’y consentir. Le Tribunal fédéral statua le 14 juin 1985, après avoir délibéré en public le même jour. Il déclara tout d’abord les recours recevables dans la mesure où ils visaient non l’interdiction de rediffuser elle-même, mais les sanctions prises par l’administration des PTT pour infraction à l’interdiction. Il les rejeta ensuite par les motifs suivants (traduction de l’allemand): "3.- En principe, le Tribunal ne peut examiner un recours de droit administratif que si le recourant a un intérêt à agir actuel (présent ou futur). Si l’intérêt à agir a disparu, le litige n’a plus qu’un caractère théorique et il ne doit suivre son cours que si des circonstances particulières commandent une décision au fond, par exemple lorsqu’à défaut, il ne serait pas possible de trancher à temps de manière obligatoire des questions de principe (...). a) La Société coopérative d’antenne collective de Maur et ses abonnés n’ont qu’un intérêt à agir conditionnel; il dépend du point de savoir si Sound Radio va reprendre ses émissions; tant qu’il n’en va pas ainsi, il n’y a rien à introduire dans le réseau câblé. Si la reprise des émissions est hautement improbable, le recours n’appelle pas un examen au fond. Groppera Radio AG prétend avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour recommencer à émettre au cas où le présent recours se verrait reconnaître un effet suspensif (ou serait accueilli). Elle n’appuie pourtant cette affirmation sur aucune preuve, alors que la charge de la preuve lui incombe à cet égard et que sa thèse inspire des doutes sérieux. Elle prétend avoir arrêté ses émissions - indépendamment des effets de la foudre - en raison de l’interdiction de rediffuser imposée par les PTT. D’autres raisons peuvent cependant avoir pesé plus lourd. En effet, depuis l’arrivée de radios locales expérimentales et d’une troisième fréquence de Radio DRS [Direktion Radio und Fernsehen der deutschen und rätoromanischen Schweiz], l’émetteur du Pizzo Groppera a dû affronter une sérieuse concurrence, parmi laquelle figure Radio 24; de ce fait, la survie de l’émetteur est sans doute menacée indépendamment de l’interdiction de rediffuser. Dès lors, la déclaration gratuite de Groppera Radio AG se disant prête à reprendre son activité ne suffit pas à établir l’existence d’un intérêt à agir actuel de la Société coopérative d’antenne collective de Maur et de ses abonnés. Il n’y a donc pas lieu d’examiner le bien-fondé de leur recours. Le Tribunal n’a pas besoin de trancher la question de savoir s’il y aurait un intérêt à agir actuel au cas où l’émetteur reprendrait ou aurait déjà repris ses émissions, incompatibles - sauf décision contraire des tribunaux italiens et, éventuellement, d’un tribunal arbitral international - avec le droit international des télécommunications. b) Par les mêmes motifs, il n’y a pas lieu d’examiner au fond le recours de Groppera Radio AG. Elle ne peut plaider de manière plausible que si son recours aboutissait, elle reprendrait son activité - rendue impossible, à moins de nouveaux investissements, par un orage postérieur au dépôt du recours - et, de plus, en aurait les moyens financiers. Du reste, il s’agit ici d’un cas absolument exceptionnel. Des émetteurs qui violent le droit interne ou international ne peuvent normalement pas subsister longtemps. Il n’en va autrement de l’émetteur du Pizzo Groppera que parce qu’une procédure demeure pendante en Italie et que jusqu’à présent aucun des modes de règlement des différends prévus à l’article 50 de la Convention internationale des télécommunications (...) n’a été utilisé. Ne serait-ce qu’en raison de la rentabilité problématique de pareil émetteur, une deuxième affaire de ce genre n’a guère de chances de se présenter. Il n’y a donc pas de motif suffisant pour répondre, en pensant à l’avenir, aux questions, en partie très délicates, que soulève l’affaire. Au demeurant, même si l’on reconnaissait à Groppera Radio AG un intérêt à agir éventuel, sa prétention de rediffuser à nouveau par le réseau câblé de la Société coopérative, après les avoir reprises, ses émissions probablement illégales (...), ne mériterait pas la protection de la loi." Enfin, le Tribunal laissa les frais et dépens à la charge de Groppera Radio AG: son recours ne présentait pas de chances de succès, car elle avait violé la loi en essayant de déjouer une interdiction de retransmettre qui émanait des PTT et qui, au surplus, ne la concernait pas directement. C. La procédure suivie en Italie Depuis le 13 novembre 1979, Radio 24 - prédécesseur de Sound Radio - émettait du Pizzo Groppera vers la Suisse (paragraphe 12 ci-dessus). A plusieurs reprises, elle adapta sa fréquence de manière à éviter de brouiller d’autres radios. Saisi de plaintes des administrations allemande et suisse des télécommunications, le ministère italien des Postes et Télécommunications interdit le 21 décembre 1979 à Belton s.r.l. - le gérant de la station (paragraphe 12 ci-dessus) - de poursuivre ses opérations et la menaça de neutraliser son dispositif. Fermé le 22 janvier 1980, ce dernier fonctionna à nouveau trois jours plus tard puis cessa le 29. Belton s.r.l. saisit le tribunal administratif régional de Lombardie, qui le 11 mars 1980 rejeta une demande d’autorisation provisoire d’émettre. Le 19 mars 1980, le juge d’instance de Chiavenna déclara illégale la fermeture de l’émetteur, lequel reprit son activité le 23. Le 3 octobre 1980, l’administration des PTT exigea derechef l’arrêt des émissions. Le 11, un deuxième recours (no 2442/82) fut introduit devant le tribunal administratif régional de Lombardie, qui le 18 novembre refusa le sursis à exécution. Le 25 novembre, l’antenne du Pizzo Groppera fut fermée pour la troisième fois. Le 13 janvier 1981, le Conseil d’État reconnut un effet suspensif au recours pendant devant le tribunal administratif, et Radio 24 émit à nouveau le 16. Par un jugement (no 1515/81) du 1er octobre, déposé au greffe le 4 décembre 1981, le tribunal administratif estima que Radio 24 exerçait son activité illégalement en Italie: elle ne pouvait passer pour une radio locale au sens du droit italien puisqu’elle avait un rayon supérieur à 20 km et ne visait qu’un public vivant au-delà de la frontière. Il ajoutait qu’aux termes de la loi no 103 du 14 avril 1975 ("nouvelles dispositions en matière de diffusion radiophonique et télévisée"), les émissions de radiodiffusion destinées à l’étranger relevaient du monopole de l’État. Enfin, il confirmait l’ordre de fermeture, qui fut appliqué le 21 janvier 1982. Sur appel de Belton s.r.l., le Conseil d’État adopta le 4 mai 1982 trois décisions, déposées au greffe le lendemain pour la première et le 26 octobre pour les deux autres: i. une ordonnance (no 124/82) accordait un sursis à l’exécution du jugement du 1er octobre 1981, de sorte que Radio 24 put émettre dès le 9 mai; ii. un arrêt (no 508/82) rejetait une partie du recours et réservait l’examen du reste; iii. une ordonnance (no 509/82) renvoyait l’affaire à la Cour constitutionnelle, les articles 1, 2 et 45 de la loi de 1975 paraissant poser un problème de constitutionnalité, et suspendait la procédure. La Cour constitutionnelle se prononça le 6 mai 1987, par un arrêt (no 153/1987) déposé au greffe le 13. Elle déclara l’article 2 § 1 de la loi litigieuse contraire à la Constitution: il ne prévoyait pas que la transmission de programmes vers l’étranger pût avoir lieu grâce à des autorisations délivrées par l’administration à des entreprises privées. II. LA SUISSE ET LE DROIT INTERNATIONAL DES TÉLÉCOMMUNICATIONS A. La Convention internationale des télécommunications Conclue le 25 octobre 1973 dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications et révisée le 6 novembre 1982, la Convention internationale des télécommunications a été ratifiée par tous les États membres du Conseil de l’Europe. En Suisse, elle figure intégralement dans le Recueil officiel des lois fédérales (1976, p. 994, et 1985, p. 1093), ainsi que dans le Recueil systématique du droit fédéral (0.784.16). Son article 33, intitulé "Utilisation rationnelle du spectre des fréquences radioélectriques", dispose: "Les Membres s’efforcent de limiter le nombre de fréquences et l’étendue du spectre utilisé au minimum indispensable pour asssurer de manière satisfaisante le fonctionnement des services nécessaires. A cette fin, ils s’efforcent d’appliquer dans les moindres délais les derniers perfectionnements de la technique." Quant à son article 35 § 1, il est ainsi rédigé: "Toutes les stations, quel que soit leur objet, doivent être établies et exploitées de manière à ne pas causer de brouillage préjudiciable aux communications, au service radioélectrique des autres Membres, des exploitations privées reconnues et des autres exploitations dûment autorisées à assurer un service de radiocommunication, et qui fonctionnent en se conformant aux dispositions du Règlement des radiocommunications." La Convention se trouve complétée et précisée par trois textes administratifs: le Règlement des radiocommunications, le Règlement télégraphique et le Règlement téléphonique. Seul le premier entre en ligne de compte en l’espèce. B. Le Règlement des radiocommunications Le Règlement des radiocommunications date du 21 décembre 1959 et a lui aussi été modifié, entre autres, en 1982. Long de plus de mille pages, il n’a pas - à l’exception des numéros 422 et 725 - été publié dans le Recueil officiel des lois fédérales. Ce dernier opère à cet égard un renvoi, ainsi libellé: "Les règlements administratifs relatifs à la Convention internationale des télécommunications du 25 octobre 1973 ne sont pas publiés dans le Recueil des lois fédérales. Ils peuvent être consultés auprès de la Direction générale des PTT, Bibliothèque et Documentation, Viktoriastrasse 21, 3030 Berne, ou peuvent être obtenus auprès de l’UIT, Union internationale des télécommunications, Place des Nations, 1202 Genève." Outre le numéro 584 (paragraphe 36 ci-dessous), les dispositions du Règlement des radiocommunications pertinentes en l’occurrence sont les suivantes: Numéro 2020 "Aucune station d’émission ne peut être établie ou exploitée par un particulier, ou par une entreprise quelconque, sans une licence délivrée sous une forme appropriée et en conformité avec les dispositions du présent Règlement par le gouvernement du pays dont relève la station en question (...)." Numéro 2666 "En principe, la puissance des stations de radiodiffusion qui utilisent des fréquences inférieures à 5060 kHz ou supérieures à 41 MHz ne doit pas dépasser (excepté dans la bande 3900-4000 kHz) la valeur nécesaire pour assurer économiquement un service national de bonne qualité à l’intérieur des frontières du pays considéré." C. Le plan de Darmstadt Aux termes du numéro 584 du Règlement des radiocommunications, "Dans la Région 1, les stations de radiodiffusion fonctionnant dans la bande 100-108 MHz devront être installées et exploitées conformément à un accord et au plan associé relatifs à la bande 87,5-108 MHz qui doivent être élaborés par une conférence régionale de radiodiffusion (voir la Résolution 510). Avant la date d’entrée en vigueur de cet accord, des stations de radiodiffusion pourront être mises en service par accord entre les administrations intéressées, étant entendu que l’exploitation de ces stations ne pourra en aucun cas constituer un droit acquis au moment de l’établissement du plan." Les travaux de la conférence envisagée par cette disposition aboutirent en 1971 à l’adoption d’une convention régionale plus connue sous le nom de plan de Darmstadt. Cet instrument - remplacé en 1984 par le "plan de Genève" - régissait l’utilisation de la bande de fréquence 100-108 MHz et prévoyait une procédure pour l’examen des nouvelles demandes d’octroi de fréquences; en outre, il indiquait l’emplacement et les caractéristiques des émetteurs concernés. Contrairement à la Suisse, l’Italie n’a pas adhéré au plan. Les deux pays n’ont pas non plus conclu l’accord particulier nécessaire pour qu’un émetteur puisse diffuser d’un territoire national vers un autre. D. Les démarches de la Suisse Le gouvernement suisse n’a jamais brouillé les émissions du Pizzo Groppera pour en obtenir la cessation. En revanche, il a entrepris des démarches auprès des autorités italiennes et de l’Union internationale des télécommunications. Les démarches auprès de l’administration italienne Deux délégations, l’une suisse et l’autre italienne, se réunirent à Berne les 29 et 30 novembre 1979 pour étudier "le problème des émetteurs périphériques sis sur le territoire italien et diffusant des programmes en Suisse". Le procès-verbal de la rencontre mentionnait les points suivants: "1. La délégation italienne confirme que le ‘Ministero delle Poste e delle Telecomunicazioni’ a envoyé le 22 novembre 1979 un avertissement à la Société Belton (Signor Fedele Tiranti), à Côme, qui a accusé réception du document le 23 novembre. Ce dernier souligne que l’émetteur doit limiter son champ d’activité au territoire italien. Les responsables de la station ont sept jours pour se conformer à cette injonction, sans quoi leur installation sera neutralisée (disattivazione). La délégation suisse attend une action immédiate. Conformément aux accords convenus à Rome les 22 et 23 octobre 1979, la délégation italienne a donné son assurance à la délégation suisse que l’administration PT italienne poursuivra l’action déjà entamée avec l’envoi de l’avertissement (diffida), afin de parvenir à un arrêt des émissions vers la Suisse. La délégation suisse précise néanmoins que si rien n’est entrepris d’ici au 20 décembre 1979 et si les émissions continuent, l’affaire devra être soumise à l’Union internationale des télécommunications (UIT). En ce qui concerne les émetteurs périphériques qui perturbent les diffusions en Suisse, un terrain d’entente a été trouvé. En effet, la partie italienne a déjà pris des mesures en application de la réglementation en vigueur. Un émetteur a même cessé provisoirement d’opérer. Les modalités futures seront examinées au fur et à mesure entre les représentants des deux administrations, soit MM. Blaser pour la Suisse et Cito pour l’Italie. La délégation suisse insiste pour que des mesures soient prises, conformément aux accords internationaux, à l’encontre des autres émetteurs sis en Italie et qui diffusent des programmes destinés principalement à la Suisse. La délégation italienne, qui est disposée à régler ce problème conformément à ses engagements internationaux, déclare ne pas être à même de participer pour l’instant à une procédure de coordination officielle, notamment par manque provisoire d’une base légale. La délégation suisse confirme sa position vis-à-vis des accords internationaux et insiste sur la nécessité de les appliquer sans restriction par les pays cosignataires. Étant donné l’importance des problèmes en cause, les deux délégations ont décidé de poursuivre leurs pourparlers au début de 1980." Les démarches auprès de l’Union internationale des télécommunications a) La demande d’assistance de la direction générale des PTT Par une lettre du 20 janvier 1987, la division régale des radiocommunications (direction générale des PTT) présenta une demande d’assistance au président du Comité international d’enregistrement des fréquences (Union internationale des télécommunications). Elle indiquait en particulier: "En Italie, notamment dans la plaine du Pô, de nombreuses stations de radiodiffusion sonore et télévisuelle privées émettent sur des fréquences qui n’ont pas fait l’objet d’une coordination avec l’administration des PTT suisses. Cet état de fait contrevient aux articles 2 et 4 des Accords régionaux relatifs à la radiodiffusion (Stockholm 1961, Genève 1984) et aux chiffres 1214 et 1215 du Règlement des radiocommunications, accords internationaux auxquels les Administrations suisse et italienne sont parties. Certaines de ces stations (...) diffusent des programmes et de la publicité conçus pour le public des agglomérations voisines suisses et sont d’une puissance dépassant la valeur nécessaire pour assurer économiquement un service national de bonne qualité à l’intérieur des frontières du pays considéré, ceci en contradiction avec le chiffre 2666 du Règlement des radiocommunications. De plus, ces stations privées portent atteinte au bon fonctionnement des services de radiocommunications suisses. Afin de mieux illustrer la situation, nous vous faisons parvenir, en annexe, les copies de nos rapports relatifs aux brouillages préjudiciables transmis à l’Administration italienne (depuis 1984), conformément à l’article 22, appendice 23 du Règlement des radiocommunications. Vous trouverez d’autre part un tableau synoptique des radios privées italiennes, qui, de par leur présence sur les ondes, empêchent la mise en service de nos positions. Depuis plus de 6 ans, les diverses interventions des PTT suisses auprès de l’Administration italienne en vue d’une coordination sont malheureusement restées sans suites notables. C’est pourquoi, avant d’entreprendre si nécessaire les démarches prévues à l’article 50, chiffre 189 de la Convention internationale des télécommunications (Nairobi, 1982), les Autorités suisses prient le Comité de bien vouloir prendre, dans les meilleurs délais, toutes les mesures qui s’imposent en vue de remédier à cette situation." b) La réponse de l’Union internationale des télécommunications Le 8 juillet 1988, le président du Comité international d’enregistrement des fréquences adressa à la direction générale des PTT suisses la copie d’une lettre envoyée le même jour au ministère italien des Postes et Télécommunications pour l’informer que des assignations de fréquences étaient exploitées en violation du Règlement des radiocommunications et d’accords régionaux. La dernière en date des interventions dudit Comité auprès de l’administration italienne figure dans un message télécopié du 29 novembre 1988, ainsi rédigé: "1. Jusqu’ici, le Comité n’a pas reçu d’informations concernant la solution des cas de brouillages préjudiciables signalés par l’administration de la Suisse. Récemment, deux autres administrations ont signalé des cas similaires de brouillages préjudiciables. Au nom du Comité international d’enregistrement des fréquences, je souhaite exprimer nos vives préoccupations eu égard au fait que peu de progrès semblent avoir été accomplis dans l’élimination des brouillages préjudiciables causés aux stations de télévision et de radiodiffusion sonore en Suisse, et au fait qu’une situation chaotique semble s’être développée dans la région, situation qui, pour le moins, enlève toute signification aux traités internationaux existants. Dans votre lettre du 8 août 1988, vous avez informé le Comité qu’un accord était intervenu avec l’administration de la Suisse; cependant, aucune mesure concrète ne semble avoir été prise. Votre administration n’a pas encore répondu aux lettres du Comité datées du 3 avril 1987, du 21 août 1987 et du 25 octobre 1988 et n’a formulé aucun commentaire, tel qu’exigé conformément au RR [Règlement des radiocommunications] 1444, au sujet de l’étude entreprise par le Comité aux termes des RR 1438 et RR 1442 concernant les brouillages préjudiciables causés aux stations de télévision et de radiodiffusion sonore de l’administration de la Suisse qui vous ont été signalés dans la lettre du Comité datée du 8 juillet 1988. (...) Le Comité souhaite attirer l’attention de votre administration sur la situation extrêmement grave qui existe actuellement. Notamment (I) Le Comité a conclu que l’administration de l’Italie a manqué de se conformer aux obligations qu’elle s’est librement engagée à respecter dans la Convention internationale des télécommunications, le Règlement de radiocommunications et les accords régionaux. (II) Plus de 100 stations italiennes causent actuellement des brouillages préjudiciables persistants à des stations autorisées de trois administrations de pays voisins. (III) Aucune solution n’a permis de réduire ces brouillages importants qui continuent à augmenter. (IV) Aucune réponse concrète n’a été faite aux lettres du Comité. Compte tenu de la situation qui existe depuis plusieurs années et qui a récemment atteint un degré de gravité alarmant, le Comité se doit d’examiner les mesures additionnelles à prendre afin de surmonter les conséquences graves qui résultent, pour les administrations de la France, de la Suisse et de la Yougoslavie, du fait que l’administration de l’Italie manque à ses obligations. Des copies de ce téléfax sont transmises aux administrations de la France, de la Suisse et de la Yougoslavie." Le Comité n’a pas reçu de réponse de l’administration italienne. PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 9 février 1984 à la Commission (no 10890/84), Groppera Radio AG et MM. Marquard, Fröhlich et Caluzzi invoquaient l’article 10 (art. 10) de la Convention: d’après eux, l’interdiction de retransmettre par câble en Suisse leurs émissions radiodiffusées à partir de l’Italie portait atteinte à leur droit de communiquer des informations et des idées sans considération de frontière. Ils se prétendaient en outre victimes d’une infraction à l’article 13 (art. 13), faute d’une voie de recours contre une ordonnance du Conseil fédéral. La Commission a retenu la requête le 1er mars 1988. Dans son rapport du 13 octobre 1988 (article 31) (art. 31), elle relève une infraction à l’article 10 (art. 10) (sept voix contre six), mais non à l’article 13 (art. 13) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement a confirmé lors des audiences les conclusions de son mémoire du 30 mai 1989. Il y invitait la Cour à dire: "- à titre principal, que les requérants n’ont pas qualité de victimes et qu’en conséquence, ils ne sauraient se plaindre d’une violation de la Convention; - à titre subsidiaire, que les restrictions à la liberté d’expression s’inscrivaient dans le régime d’autorisations auquel peuvent être soumises les entreprises de radiodiffusion aux termes de l’article 10 § 1, 3e phrase (art. 10-1), de la Convention; - à titre plus subsidiaire encore, que les ingérences étatiques dans la liberté d’expression des requérants étaient justifiées au regard de l’article 10 § 2 (art. 10-2) de la Convention."
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE De nationalité suisse, Mme Jutta Huber réside à Zurich. Un procureur de district (Bezirksanwalt) de cette ville, M. J., décerna contre elle un mandat d’amener (Vorführungsbefehl) afin de l’ouïr le 10 août 1983 à titre de témoin. Il agissait dans le cadre d’une instruction pénale ouverte contre deux personnes - M. K., à Hambourg, et M. B., à Zurich - pour proxénétisme et incitation à la débauche. La détention provisoire Le 11 août 1983, l’intéressée fut conduite par la police municipale de Zurich au parquet (Bezirksanwaltschaft) de cette ville. Le procureur de district J. l’y entendit comme témoin, bien qu’à aucun moment une citation à comparaître en cette qualité (Vorladung zur Zeugeneinvernahme) n’eût été délivrée. En réponse à ses questions elle concéda qu’elle vivait de la prostitution, mais déclara ne connaître MM. K. et B. que de nom et ne rien leur remettre de ses revenus. À l’issue de l’interrogatoire, le procureur de district signa un mandat d’arrêt (Verhaftsverfügung) la plaçant en détention provisoire du chef de soupçons graves de faux témoignage. Selon ce document, on soupçonnait fortement des membres du groupe "les Anges de l’enfer", de Zurich et de Hambourg, d’avoir amené dans la première de ces villes des prostituées allemandes, dont certaines avaient épousé des ressortissants suisses soudoyés à cet effet. Incitées, en partie par des menaces, à se livrer à la prostitution professionnelle sous la protection des "Anges de l’enfer", elles leur abandonnaient en échange une fraction de leurs gains. Il y avait de grandes chances que Mme Huber figurât parmi elles. Comparaissant comme témoin, elle avait nié tout contact avec les "Anges de l’enfer", ce qui semblait contraire à la vérité. Le mandat relevait notamment le danger de collusion et de suppression des preuves. Il précisait aussi que l’intéressée pouvait former dans les quarante-huit heures un recours auprès du ministère public (Staatsanwaltschaft) du canton de Zurich. La requérante recouvra la liberté le 19 août 1983. La procédure pénale a) Devant le tribunal de district de Zurich Le 12 octobre 1984, le procureur de district J. saisit le juge unique en matière pénale (Einzelrichter in Strafsachen) du tribunal de district (Bezirksgericht) de Zurich. Il justifiait l’acte d’accusation (Anklageschrift) par un faux témoignage dans une procédure judiciaire et, le cas échéant (eventualiter), une complicité d’infraction pénale; il demandait la condamnation de Mme Huber à une amende de 5 000 francs suisses (FS). Une fois l’acte d’accusation déclaré recevable (zugelassen, article 165 du code zurichois de procédure pénale - Strafprozessordnung, "StPO"), l’audience eut lieu le 10 janvier 1985, en l’absence du procureur de district. L’avocat de l’inculpée y déclara (traduction): "La présente affaire révèle d’abord une violation [de] l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, aux termes duquel toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues à l’article 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) (...) doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Semblable comparution n’a jamais eu lieu en l’espèce; bien plus, celui qui a ordonné l’arrestation de la prévenue, le procureur de district J., est aujourd’hui aussi partie poursuivante [Ankläger]." Le 10 janvier 1985, le tribunal relaxa Mme Huber au motif qu’elle n’avait jamais été valablement citée comme témoin (vorgeladen zur Zeugeneinvernahme), ce qui rendait irrégulière et irrecevable sa déposition. Le jugement ne mentionnait pas le point soulevé par la défense au titre de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. b) Devant la cour d’appel du canton de Zurich Sur appel (Berufung) du ministère public, la cour d’appel (Obergericht) du canton de Zurich condamna la requérante à une amende de 4 000 FS pour tentative de faux témoignage. Dans son arrêt du 13 septembre 1985, elle estimait que le témoignage de l’accusée n’était pas irrégulier et pouvait donc figurer au dossier. D’autre part, elle s’appuyait sur l’écoute d’entretiens téléphoniques entre Mme Huber et M. K., à laquelle les autorités allemandes avaient procédé et dont elles avaient communiqué le compte rendu à la justice suisse au titre de l’entraide judiciaire; elle en déduisait que l’intéressée connaissait en fait MM. K. et B. Au sujet de la question posée sur le terrain de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, elle indiquait (traduction): "Enfin, (...) la défense a tort d’objecter qu’au mépris de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, la prévenue ne fut pas, après son arrestation, traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en effet, le procureur de district zurichois exerce aussi, pendant l’instruction, des fonctions judiciaires au sens de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) (ATF [Arrêts du Tribunal fédéral suisse] 102 Ia 179)." Les recours de Mme Huber a) Le pourvoi à la Cour de cassation du canton de Zurich Le 1er juillet 1986, la Cour de cassation (Kassationsgericht) du canton de Zurich rejeta le pourvoi (Nichtigkeitsbeschwerde) de la condamnée. Elle considéra que le point soulevé au titre de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) n’entrait pas en ligne de compte en l’occurrence. Si Mme Huber entendait récuser pour cette raison le procureur de district, elle aurait dû le faire pendant l’instruction. b) Le recours au Tribunal fédéral Le 22 août 1986, la requérante introduisit un recours de droit public devant le Tribunal fédéral. Elle se plaignait entre autres de ce qu’en dépit de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), un seul et même procureur de district avait décerné un mandat la plaçant en détention provisoire, puis établi l’acte d’accusation. Le Tribunal rejeta le recours par un arrêt du 24 novembre 1986, signifié le 18 décembre. A propos du grief tiré de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), il déclara (traduction): "Ayant recouvré la liberté depuis longtemps, la recourante n’a plus d’intérêt pratique actuel à voir statuer sur [son] grief, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’entrer en matière. Le moyen ne serait du reste pas fondé: tant le Tribunal fédéral (ATF 102 Ia 179 et s.) que la Cour européenne des Droits de l’Homme (arrêt Schiesser du 4 décembre 1979) ont jugé que pendant l’instruction, le procureur de district zurichois a qualité de ‘magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires’, au sens de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention." II. LE PROCUREUR DE DISTRICT ZURICHOIS Le canton de Zurich se divise en onze districts, dotés chacun d’un parquet qui comprend un ou plusieurs procureurs. Le statut et les attributions de ces derniers se trouvent définis dans la loi du 13 juin 1976 sur l’organisation judiciaire (Gerichtsverfassungsgesetz, "GVG"), entrée en vigueur le 1er janvier 1977 et qui reprend pour l’essentiel les dispositions d’une loi du 29 janvier 1911. Les procureurs de district ordinaires sont élus au suffrage universel pour quatre ans (article 80 GVG). Le gouvernement cantonal nomme au besoin des procureurs de district extraordinaires pour une certaine période (articles 81 et 87 GVG). Les uns et les autres sont subordonnés au procureur général qui de son côté dépend de la direction de la justice et du gouvernement (Regierungsrat) zurichois. La nature des fonctions Les procureurs de district exercent des fonctions de trois sortes. a) L’instruction L’instruction d’une affaire pénale ressortit à la compétence du ministère public (article 73 GVG). Le procureur de district la mène sauf dans les cas où la loi la confie au procureur général ou à un juge (article 25 StPO). Il peut décerner un mandat d’arrêt (Verhaftsbefehl - article 55 StPO), qu’il est tenu de motiver; il lui faut entendre l’intéressé dans les vingt-quatre heures (article 64 StPO). Lors de ce premier interrogatoire, auquel d’ordinaire son avocat n’assiste pas, la personne arrêtée doit être clairement informée des raisons qui ont motivé les soupçons pesant sur elle (article 65 StPO) et de l’existence d’un droit de recours contre le mandat (circulaire de 1956 du parquet général). La détention provisoire ordonnée par le procureur de district ne saurait excéder quatorze jours, délai que peut proroger le président du tribunal de district ou, si l’affaire relève de la cour d’assises, celui de la chambre d’accusation de la cour d’appel (article 51 StPO). En instruisant le dossier, le procureur de district a l’obligation de s’employer avec un soin égal à établir les faits à la charge et à la décharge du suspect (article 31 StPO). b) La poursuite Le procureur de district est l’autorité de poursuite auprès du juge unique en matière pénale et auprès des tribunaux de district pour les infractions de faible et de moyenne importance, le procureur général jouant le même rôle devant les juridictions supérieures cantonales (cour d’appel et cour d’assises - article 72 GVG). En l’absence de non-lieu, le procureur de district ou, selon la gravité de l’infraction, le procureur général engage la procédure de jugement (Hauptverfahren) en présentant l’acte d’accusation (article 161 StPO). Pour le rédiger, il doit tenir compte des éléments à charge aussi bien qu’à décharge (article 178 par. 2 StPO), sans énoncer les motifs de suspicion ni des considérations juridiques (article 162 par. 3 StPO). Le président du tribunal de district ou, selon le cas, celui de la chambre d’accusation de la cour d’appel, statue sur la recevabilité de l’acte en question (article 165 StPO). Devant la juridiction de jugement, le procureur de district a qualité de partie au procès (article 178 par. 1 StPO). Il occupe le siège du ministère public, mais n’est tenu d’assister à l’audience que si la peine demandée excède dix-huit mois d’emprisonnement ou si un complément d’information est ordonné. c) La répression Le procureur de district jouit enfin du pouvoir d’émettre un mandat de répression (Strafbefehl) si le prévenu reconnaît sa culpabilité et si une amende (Busse) ou une peine d’emprisonnement d’un mois au maximum est jugée suffisante (article 317 StPO); l’intéressé, de même que le procureur général, a toutefois la faculté de former opposition (Einsprache) audit mandat (article 321 StPO). Le cumul de fonctions Le cumul des fonctions d’instruction et de poursuite a donné lieu à une jurisprudence - cantonale et fédérale - récemment confirmée. a) La jurisprudence zurichoise Dans un arrêt du 13 juin 1988 (Ante Djukic gegen Staatsanwaltschaft des Kantons Zürich), la Cour de cassation cantonale a jugé (traduction): "A cet égard, le Tribunal fédéral a jugé que le procureur de district zurichois exerce des fonctions judicaires au sens visé (ATF 102 Ia 180, confirmé par la Cour européenne des Droits de l’Homme, Publications de la Cour européenne des Droits de l’Homme, série A no 34 (...); voir aussi ATF 107 Ia 254). Le recourant estime toutefois dépourvu de pertinence le renvoi (...) à ces précédents car, en l’espèce, un seul et même procureur de district a ordonné l’arrestation puis établi l’acte d’accusation. Le grief n’est pas fondé. La question déterminante consiste à savoir si la personne qui ordonne l’arrestation remplit, au moment de sa décision, les conditions de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, c’est-à-dire exerce des fonctions judiciaires. Les hautes juridictions précitées ont répondu par l’affirmative. Que le magistrat concerné assume par la suite - après clôture de l’instruction - le rôle de partie poursuivante ne saurait, après coup, invalider ce constat de compatibilité avec la Convention. La position qui était celle de l’intéressé quand il ordonna l’arrestation ne change en rien et cette dernière, légale à l’origine, ne saurait devenir illégale pour ce motif. En outre, il est normal que le procureur de district, en sa qualité d’autorité d’instruction et dans le cadre de sa compétence, dresse un acte d’accusation, une fois l’instruction terminée, s’il estime avoir découvert des indices suffisants. Si ledit acte devait émaner d’une personne autre que le procureur de district ayant ordonné la mise en détention provisoire au début de l’instruction, on ne voit pas ce que le prévenu y gagnerait. En d’autres termes, au regard de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention peu importe qu’un seul et même procureur de district ait ordonné l’arrestation puis établi l’acte d’accusation." b) La jurisprudence fédérale Saisi d’un recours de droit public contre la décision citée au paragraphe précédent, le Tribunal fédéral s’est exprimé en ces termes le 14 mars 1989 (traduction): "Certes, la présente affaire le montre, il peut arriver que le procureur de district ait par la suite à dresser l’acte d’accusation, voire à représenter le ministère public. Cette simple éventualité ne revêt pourtant pas une importance déterminante. D’une part, elle ne saurait en rien remettre en cause et supprimer après coup l’indépendance dont ledit magistrat jouissait à l’égard des parties au moment de l’arrestation; ainsi qu’on l’a déjà exposé, il faut se placer à l’époque de la délivrance du mandat d’arrêt. D’autre part, la décision de la Cour en l’affaire Schiesser le confirme. Là aussi existait la possibilité que le procureur de district dressât plus tard un acte d’accusation, car la compétence du ministère public ne se trouvait pas encore fixée au début de l’instruction, ni à la date de l’arrestation; la Cour n’en a pas moins conclu à l’absence de violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Cette circonstance prouve elle aussi que l’on doit uniquement se placer au moment de l’arrestation, sans tenir compte de la simple possibilité d’une intervention ultérieure, notamment dans l’établissement de l’acte d’accusation." Aperçu statistique En 1989, 108 procureurs de district du canton de Zurich ont eu à connaître de 17 647 procédures d’information dont 20,3 % ont donné lieu à l’établissement d’un acte d’accusation, 33,8 % à l’arrêt de l’instance, 42,2 % à un mandat de répression et 3,7 % au renvoi du dossier pour une mise en jugement à un degré juridictionnel supérieur. Le nombre des cas dans lesquels le procureur de district représente personnellement le ministère public devant le tribunal n’apparaît pas dans les statistiques, mais le Gouvernement le dit très faible. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 27 février 1987 à la Commission (no 12794/87), Mme Huber invoquait l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Elle se plaignait de ce qu’un même procureur de district s’était prononcé sur sa détention puis l’avait inculpée: d’après elle, il ne pouvait passer pour "un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires". La Commission a retenu la requête le 9 juillet 1988. Dans un rapport du 10 avril 1989 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut, par douze voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement a confirmé lors de l’audience les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à dire "que la Suisse n’a pas violé la Convention (...) à raison des faits qui ont donné lieu à la requête introduite par Mme Jutta Huber".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Jacques Huvig et son épouse Janine, née Sylvestre, vivent à l’heure actuelle au Grau-du-Roi (Gard). Avant son départ à la retraite, le premier dirigeait à Varennes-sur-Amance et Montigny-le-Roi (Haute-Marne), avec l’assistance de la seconde, une société de commerce en gros de fruits et légumes. Le 20 décembre 1973, le directeur des services fiscaux de la Haute-Marne porta plainte contre le requérant et deux autres personnes pour fraude fiscale, non-passation d’écritures et passation d’écritures inexactes. Là-dessus, une information s’ouvrit le 26 devant un juge d’instruction de Chaumont, désigné par le président du tribunal de grande instance de la même ville. Des perquisitions eurent lieu au domicile de M. et Mme Huvig, ainsi que dans les locaux de leur entreprise, sur commission rogatoire décernée le 14 mars 1974 par ledit juge. En outre, celui-ci délivra le 4 avril à la gendarmerie de Langres (Haute-Marne) une autre commission rogatoire la chargeant de procéder, le jour même et le lendemain, "à l’écoute et à la transcription de toutes les communications téléphoniques" commerciales et privées des intéressés. Les écoutes se déroulèrent du 4 avril 1974 vers 20 h jusqu’au 5 à 24 h; le 6, l’adjoint au commandant de la compagnie de gendarmerie de Langres établit à leur sujet un "procès-verbal de synthèse" qui fut, par la suite porté à la connaissance des requérants. Inculpé de fraude fiscale, faux en écritures privées et de commerce, défaut de tenue régulière de livres de commerce, complicité d’abus de biens sociaux et recel de fonds provenant d’abus de biens sociaux, M. Huvig comparut le 9 avril devant le juge d’instruction qui le plaça en détention provisoire; il recouvra la liberté le 11 juin 1974. De son côté, son épouse, interrogée plusieurs fois en qualité de témoin à partir du 20 mars 1974, se vit inculper le 13 mai 1976 de complicité de fraude fiscale et de faux en écritures de commerce. Le 23 décembre 1976, le juge d’instruction les renvoya en jugement - avec les deux autres personnes susmentionnées - devant le tribunal de grande instance de Chaumont, M. Huvig sous les préventions de faux, usage de faux, complicité d’abus de biens sociaux, complicité de fraude fiscale, complicité d’escroqueries, recel de fonds provenant d’abus de biens sociaux et tenue inexacte ou incomplète de livres de commerce, Mme Huvig sous celles de complicité de faux en écritures, complicité de fraude fiscale et complicité de tenue irrégulière de livres de commerce. Ils soulevèrent in limine litis plusieurs exceptions de nullité, dont l’une avait trait aux écoutes téléphoniques opérées les 4 et 5 avril 1974. Après les avoir jointes au fond le 26 janvier 1982, le tribunal les rejeta le 30 mars 1982. A propos desdites écoutes, il s’exprima ainsi: "[Attendu] que cette mesure d’investigation, même si elle doit rester exceptionnelle, rentre dans les pouvoirs du juge d’instruction dans le cadre de ses recherches au cours d’une information; Qu’il n’est justifié d’aucune atteinte aux droits de la défense, d’autant plus qu’en l’espèce le résultat a été inexploitable et n’a nullement servi de base à la poursuite (...)." Le même jugement déclara établies les diverses infractions dont les requérants avaient à répondre, sauf celle de complicité d’escroqueries dans le cas de M. Huvig; en conséquence, il condamna le premier d’entre eux à huit mois d’emprisonnement, dont six avec sursis, et la seconde à deux mois avec sursis. Les prévenus, la partie civile et le ministère public interjetèrent appel devant la cour de Dijon. La défense renouvela les exceptions de nullité qu’elle avait présentées sans succès en première instance. La cour d’appel les écarta toutes le 17 mars 1983. En ce qui concerne les écoutes téléphoniques litigieuses, elle motiva sa décision de la sorte: "Attendu que [selon M. Huvig, le magistrat instructeur] a violé les droits de la défense et les garanties accordées par la loi à tout inculpé, dès lors que, même s’il n’avait pas encore été procédé à son interrogatoire de première comparution (intervenu le 9 avril 1974 (...)), il devait néanmoins être déjà considéré comme inculpé puisque le réquisitoire introductif du parquet en date du 20 décembre 1973 était dirigé notamment contre lui; Mais attendu que, comme le fait justement observer le tribunal, cette mesure d’investigation, si elle doit demeurer exceptionnelle, entre dans les prérogatives du juge d’instruction, effectuant des recherches dans le cadre d’une information dont il est saisi; que la Cour a pu vérifier et s’assurer que cette opération, dont l’efficacité commande qu’elle soit réalisée à l’insu de la personne soupçonnée - ou même inculpée - a été accomplie par délégation des pouvoirs du juge d’instruction et sous le contrôle de ce magistrat sans mise en oeuvre d’aucun artifice ni stratagème; qu’elle n’a d’ailleurs duré que 28 heures (...), qu’elle s’est révélée inexploitable et n’a pas servi de fondement aux poursuites; qu’aucun élément ne permet d’établir que ce procédé ainsi employé ait eu pour résultat de compromettre les conditions d’exercice des droits de la défense, étant rappelé que M. Huvig n’était pas encore officiellement inculpé par le juge d’instruction et que l’article 81 du code de procédure pénale habilite ce dernier à procéder à tous actes d’information jugés par lui utiles à la manifestation de la vérité (...); (...)" En même temps, la cour d’appel de Dijon confirma le jugement attaqué quant à la déclaration de culpabilité des prévenus, mais aggrava les peines prononcées en première instance: elle infligea au requérant deux ans d’emprisonnement, dont vingt-deux mois avec sursis, ainsi qu’une amende de 10.000 francs, et à sa femme six mois avec sursis. Les requérants se pourvurent en cassation. Le premier de leurs moyens reprochait à l’arrêt attaqué d’avoir refusé d’annuler la commission rogatoire du 4 avril 1974: "alors, d’une part, que le juge d’instruction ne tient pas de l’article 81 du code de procédure pénale le pouvoir de procéder à l’encontre de quiconque: inculpé, tiers ou témoin, à des écoutes téléphoniques lesquelles ne sont pas conformes à la loi puisque le code de procédure pénale a réglementé les perquisitions, saisies et auditions de témoins et n’a pas confié au magistrat instructeur le pouvoir de mettre sur écoutes téléphoniques des personnes contre lesquelles il existe des indices graves et concordants de culpabilité, opération prohibée tant par les articles 6 et 8 (art. 6, art. 8) de la Convention (...) que par les articles 9 du code civil, L. 41 et L. 42 du code des postes et télécommunications et par l’article 368 du code pénal; alors, d’autre part, qu’un individu qui a été mis personnellement en cause par la partie civile et contre lequel le ministère public a requis nommément l’ouverture d’une information est partie à l’instance et doit en conséquence être considéré comme inculpé au sens de l’article 114 du code de procédure pénale; qu’une telle personne doit donc, avant toute déclaration recueillie par le juge d’instruction, être informée des faits qui lui sont reprochés, de son droit de ne faire aucune déclaration, de son droit à l’assistance d’un conseil; que dès lors le magistrat instructeur ne saurait sans violer les droits de la défense recueillir à l’insu d’une telle personne les propos qu’elle tient au téléphone; et alors enfin que s’agissant d’une nullité d’ordre public - l’écoute illégale constituant un délit - il importe peu que les propos recueillis n’aient pas été le fondement de la poursuite." Les pages 6 et 7 du mémoire ampliatif se référaient à l’arrêt Klass et autres de la Cour européenne des Droits de l’Homme (6 septembre 1978, série A no 28). La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le recours le 24 avril 1984. Elle écarta le moyen précité en ces termes: "Attendu que pour rejeter l’exception prise de la nullité de la procédure d’information tenant à celle de la commission rogatoire du juge d’instruction, du 4 avril 1974, ordonnant l’écoute des conversations téléphoniques d’Huvig, l’arrêt [de la cour d’appel de Dijon] énonce que cette mesure entrait dans les prévisions de l’article 81 du code de procédure pénale et n’ayant d’ailleurs pas servi de fondement aux poursuites, elle n’avait pas eu pour résultat de compromettre les conditions d’exercice des droits de la défense; Attendu qu’en l’état de ces motifs et alors d’ailleurs qu’il n’a pas été constaté ni même allégué par les demandeurs que la mesure d’investigation en cause, exécutée sous le contrôle du magistrat instructeur, ait comporté des artifices ou stratagèmes, la cour d’appel a, sans encourir les griefs allégués au moyen, donné une base légale à sa décision; (...)" (Recueil Dalloz Sirey (D.S.) 1986, jurisprudence, pp. 125-128). II. LA LÉGISLATION ET LA JURISPRUDENCE PERTINENTES Le droit pénal français consacre le principe de la liberté de la preuve: "hormis les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve (...)" (article 427 du code de procédure pénale). Aucun texte de valeur législative n’habilite en termes exprès les juges d’instruction à opérer ou ordonner des écoutes téléphoniques, non plus du reste qu’à pratiquer ou prescrire diverses mesures d’usage pourtant fréquent, par exemple des prises de photographies ou d’empreintes, des filatures, des surveillances, des réquisitions, des confrontations de témoins et des reconstitutions. En revanche, le code de procédure pénale leur attribue explicitement compétence pour en adopter plusieurs autres qu’il réglemente en détail, telles les mises en détention provisoire, les saisies et les perquisitions. Sous l’empire de l’ancien code d’instruction criminelle, la Cour de cassation avait censuré le recours aux écoutes judiciaires sinon en général, du moins dans des circonstances révélant d’après elle, de la part d’un magistrat instructeur ou de la police, un manque de "loyauté" incompatible avec "les règles de la procédure pénale" et "les garanties essentielles aux droits de la défense" (Chambres réunies, 31 janvier 1888, ministère public c. Vigneau, Dalloz 1888, jurisprudence, pp. 73-74; chambre criminelle, 12 juin 1952, Imbert, Bulletin (Bull.) no 153, pp. 258-260; chambre civile, 2e section, 18 mars 1955, époux Jolivot c. époux Lubrano et autres, D.S. 1955, jurisprudence, pp. 573-574, et Gazette du Palais (G.P.) 1955, jurisprudence, p. 249). Quant à elles, certaines juridictions du fond, appelées à se prononcer sur la question, semblaient plutôt enclines à reconnaître la licéité de pareille écoute s’il n’y avait eu ni "guet-apens" ni "provocation"; elles se fondaient sur l’article 90 dudit code (tribunal correctionnel de la Seine, 10e chambre, 13 février 1957, ministère public contre X, G.P. 1957, jurisprudence, pp. 309-310). Depuis l’entrée en vigueur du code de procédure pénale de 1958, la jurisprudence prend en compte à cet égard, entre autres, les articles 81, 151 et 152, ainsi libellés: Article 81 (premier, quatrième et cinquième alinéas) "Le juge d’instruction procède, conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. (...) Si le juge d’instruction est dans l’impossibilité de procéder lui-même à tous les actes d’instruction, il peut donner commission rogatoire aux officiers de police judiciaire afin de leur faire exécuter tous les actes d’information nécessaires dans les conditions et sous les réserves prévues aux articles 151 et 152. Le juge d’instruction doit vérifier les éléments d’information ainsi recueillis. (...)" Article 151 (tel qu’il se présentait à l’époque des faits de la cause) "Le juge d’instruction peut requérir par commission rogatoire tout juge de son tribunal, tout juge d’instance du ressort de ce tribunal, tout officier de police judiciaire compétent dans ce ressort ou tout juge d’instruction, de procéder aux actes d’information qu’il estime nécessaires dans les lieux soumis à la juridiction de chacun d’eux. La commission rogatoire indique la nature de l’infraction, objet des poursuites. Elle est datée et signée par le magistrat qui la délivre et revêtue de son sceau. Elle ne peut prescrire que des actes d’instruction se rattachant directement à la répression de l’infraction visée aux poursuites. (...)" Article 152 "Les magistrats ou officiers de police judiciaire commis pour l’exécution exercent, dans les limites de la commission rogatoire, tous les pouvoirs du juge d’instruction. (...)" Une loi du 17 juillet 1970 a introduit dans le code civil un article 9 qui garantit à chacun le "droit au respect de sa vie privée". Elle a, de plus, inséré dans le code pénal un article 368 punissant "d’un emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende (...), ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque aura volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui: En écoutant, en enregistrant ou transmettant au moyen d’un appareil quelconque des paroles prononcées dans un lieu privé par une personne, sans le consentement de celle-ci; (...)." Pendant les travaux préparatoires, l’un des vice-présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Zimmermann, demanda "certains apaisements" destinés à préciser que ce texte "n’empêchera[it] pas le juge d’instruction de donner très régulièrement, bien sûr sans utiliser aucune provocation et en observant toutes les formes de la loi, commission rogatoire à l’effet de procéder à certaines écoutes" (Journal officiel, Assemblée nationale, débats de 1970, p. 2074). Le Garde des Sceaux, M. René Pleven, lui répondit: "(...) il n’est pas du tout question de toucher aux pouvoirs des juges d’instruction qui peuvent en effet, dans les conditions prescrites par la loi, ordonner certaines écoutes"; il ajouta un peu plus tard: "Quand un fonctionnaire procède à une écoute, il ne peut le faire légalement que s’il est couvert par une commission rogatoire de l’autorité judiciaire ou par une instruction ministérielle" (ibidem, p. 2075). Là-dessus, les deux chambres du Parlement votèrent le projet sans l’avoir amendé sur ce point. L’article 41 du code des postes et télécommunications rend passible "des peines portées à l’article 187 du code pénal" - amende, emprisonnement et interdiction temporaire de toute fonction ou emploi public - "tout fonctionnaire public", ou "toute personne admise à participer à l’exécution du service", "qui viole le secret de la correspondance confiée au service des télécommunications". De son côté, l’article 42 menace "des peines prévues à l’article 378 du code pénal", relatif au secret professionnel - emprisonnement et amende -, "toute personne qui, sans l’autorisation de l’expéditeur ou du destinataire, divulgue, publie ou utilise le contenu des correspondances transmises par la voie radioélectrique (...)". Destinée aux fonctionnaires des P.T.T., l’instruction générale no 500-78 sur le service téléphonique contient cependant les dispositions suivantes, reproduites ici dans leur version modifiée en 1964 (article 24 du fascicule III): "Les chefs de centre et les receveurs ou gérants sont tenus de déférer à toute réquisition ayant pour objet (...) l’écoute, par l’autorité intéressée, des communications originaires ou à destination d’un poste téléphonique déterminé, et émanant: D’un juge d’instruction (art. 81, 92 et 94 du code de procédure pénale), ou de tout magistrat ou officier de police judiciaire ayant reçu commission rogatoire (art. 152); (...)." Publiée au bulletin officiel du ministère des Postes et Télécommunications, ladite instruction générale constitue, selon le Gouvernement, un "texte réglementaire d’application". Le développement frappant de diverses formes graves de délinquance - grand banditisme, terrorisme, trafic de stupéfiants, etc. - semble avoir entraîné en France une nette accélération de la fréquence du recours aux écoutes téléphoniques judiciaires. Aussi la jurisprudence les concernant apparaît-elle beaucoup plus abondante que jadis; elle ne les condamne pas en soi, bien qu’elle témoigne à l’occasion d’une certaine répugnance envers elles (cour d’appel de Paris, 9e chambre correctionnelle, 28 mars 1960, Cany et Rozenbaum, G.P. 1960, jurisprudence, pp. 253-254). Postérieures dans leur immense majorité aux faits de la cause (avril 1974), les décisions que Gouvernement et Commission ont signalées à la Cour, ou dont elle a eu connaissance par ses propres moyens, ont peu à peu apporté une série de précisions. Celles-ci ne se dégagent pas encore toutes d’arrêts de la Cour de cassation et ne constituent pas pour l’instant un corpus jurisprudentiel homogène, en raison même du caractère isolé de certaines décisions ou motivations. Elles peuvent se résumer ainsi. a) Les articles 81 et 151 du code de procédure pénale (paragraphe 15 ci-dessus) habilitent les juges d’instruction, et eux seuls dans le cadre d’une information judiciaire, à opérer pareille écoute ou, solution bien plus courante en pratique, à en charger un officier de police judiciaire, au sens de l’article 16, au moyen d’une commission rogatoire (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, 9 octobre 1980, Tournet, Bull. no 255, pp. 662-664; 24 avril 1984, paragraphe 12 ci-dessus; 23 juillet 1985, Kruslin, Bull. no 275, pp. 713-715; 4 novembre 1987, Croce, Antoine et Kruslin, D.S. 1988, sommaires, p. 195; 15 février 1988, Schroeder, et 15 mars 1988, Arfi, Bull. no 128, pp. 327-335). Il s’agit là d’un "acte d’information" parfois "utile à la manifestation de la vérité". Comparable à la saisie de lettres ou de télégrammes (voir notamment cour d’appel de Poitiers, chambre correctionnelle, 7 janvier 1960, Manchet, Juris-Classeur périodique (J.C.P.) 1960, jurisprudence, no 11599, et cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, 27 juin 1984, F. et autre, D.S. 1985, jurisprudence, pp. 93-96), la mise sur écoutes ne se heurte pas plus qu’elle aux dispositions de l’article 368 du code pénal, eu égard aux travaux préparatoires et au principe de la liberté des preuves (paragraphes 13 et 16 ci-dessus - tribunal de grande instance de Strasbourg, 15 février 1983, S. et autres, inédit; cour d’appel de Colmar, 9 mars 1984, Chalvignac et autre, inédit; cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, arrêt précité du 27 juin 1984 et arrêt du 31 octobre 1984, Li Siu Lung et autres, G.P. 1985, sommaires, pp. 94-95). b) Le magistrat instructeur ne saurait délivrer une telle commission rogatoire "que sur présomption d’une infraction déterminée ayant entraîné l’ouverture de l’information" dont la conduite lui incombe, et non pour "toute une catégorie d’infractions" visées "de façon éventuelle"; cela ressort non seulement des articles 81 et 151 (deuxième et troisième alinéas) du code de procédure pénale, mais également "des principes généraux de la procédure pénale" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 23 juillet 1985, 4 novembre 1987 et 15 mars 1988). Jusqu’ici, la jurisprudence française paraît n’avoir jamais subordonné la validité des écoutes à une certaine gravité des faits à élucider, ni à la fixation d’une durée maximale par le juge d’instruction. c) "Dans les limites de la commission rogatoire" dont il se trouve saisi - au besoin par télécopie (cour d’appel de Limoges, chambre correctionnelle, 18 novembre 1988, Lecesne et autres, D.S. 1989, sommaires, p. 394) -, l’officier de police judiciaire exerce "tous les pouvoirs du juge d’instruction" (article 152 du code de procédure pénale). Il en use sous le contrôle de celui-ci, que le cinquième alinéa de l’article 81 oblige à "vérifier les éléments d’information (...) recueillis" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980, 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 4 novembre 1987 et 15 mars 1988). Il arrive apparemment que la commission rogatoire se présente comme une délégation générale englobant, sans la mentionner en termes exprès, la possibilité d’écoutes téléphoniques (Cour de cassation, chambre civile, 2e section, arrêt précité du 18 mars 1955, et cour d’appel de Paris, arrêt précité du 28 mars 1960). d) Un officier de police judiciaire ne saurait en aucun cas se livrer à des écoutes en l’absence de commission rogatoire et de sa propre initiative, par exemple pendant l’enquête préliminaire antérieure à l’ouverture de l’information judiciaire (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, 13 juin 1989, Derrien, et 19 juin 1989, Grayo, Bull. no 254, pp. 635-637, et no 261, pp. 648-651; Assemblée plénière, 24 novembre 1989, Derrien, D.S. 1990, p. 34, et J.C.P. 1990, jurisprudence, no 21418, avec les conclusions de M. l’avocat général Émile Robert). e) Les écoutes ne doivent s’accompagner d’"aucun artifice ou stratagème" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980, 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 4 novembre 1987, 15 février 1988 et 15 mars 1988), sans quoi il échet d’éliminer du dossier pénal, par voie de retrait ou de cancellation, les données qu’elles ont servi à rassembler (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 13 et 19 juin 1989). f) Elles ne doivent pas davantage "avoir pour résultat de compromettre les conditions d’exercice des droits de la défense" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980, 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 4 novembre 1987, 15 février 1988, 15 mars 1988 et 19 juin 1989), et notamment de méconnaître le caractère confidentiel des relations du suspect ou de l’inculpé avec son conseil, ni plus généralement le secret professionnel de l’avocat, du moins lorsque celui-ci n’agit pas en une autre qualité (cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre d’accusation, 16 juin 1982 et 2 février 1983, Sadji Hamou et autres, G.P. 1982, jurisprudence, pp. 645-649, et 1983, jurisprudence, pp. 313-315; cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, arrêt précité du 27 juin 1984). g) Sous cette réserve, les écoutes peuvent porter sur les communications téléphoniques en provenance ou à destination d’un inculpé (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 9 octobre 1980 et 24 avril 1984) aussi bien que d’un simple suspect (jugements et arrêts précités rendus par le tribunal de grande instance de Strasbourg le 15 février 1983, la cour d’appel de Colmar le 9 mars 1984 et la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris le 27 juin 1984) ou encore d’un tiers, par exemple un témoin, que l’on a des raisons de croire en possession de renseignements sur les auteurs ou les circonstances de l’infraction (voir notamment cour d’appel d’Aix-en-Provence, arrêt précité du 16 juin 1982). h) Elles peuvent concerner une cabine publique (tribunal correctionnel de la Seine, 10e chambre, 30 octobre 1964, Trésor public et Société de courses c. L. et autres, D.S. 1965, jurisprudence, pp. 423-424) tout comme une ligne privée, qu’il y ait ou non dérivation sur une table d’écoutes (Cour de cassation, chambre criminelle, 13 juin 1989, et Assemblée plénière, 24 novembre 1989, précités). i) L’officier de police judiciaire contrôle l’enregistrement des conversations sur bande magnétique - ou sur cassette -, puis leur transcription, s’il ne les réalise pas lui-même; "dans le choix" des extraits "soumis à l’examen de la juridiction", il lui appartient de déterminer "les propos pouvant tomber sous le coup de poursuites pénales". Il s’acquitte de ces diverses tâches "sous sa responsabilité et sous le contrôle du juge d’instruction" (tribunal de grande instance de Strasbourg, jugement précité du 15 février 1983, confirmé par la cour d’appel de Colmar le 9 mars 1984; cour d’appel de Paris, arrêt précité du 27 juin 1984). j) Les bandes magnétiques originales "constituent des pièces à conviction", et non "des actes de l’information", mais "n’ont que la valeur d’indices de preuve"; la "transcription de leur contenu dans des procès-verbaux" sert à le "matérialiser afin d’en permettre la consultation" (Cour de cassation, chambre criminelle, 28 avril 1987, Allieis, Bull. no 173, pp. 462-467). k) Si ladite transcription soulève un problème de traduction vers le français, les articles 156 et suivants du code de procédure pénale, relatifs aux expertises, ne s’appliquent pas pour autant à la désignation et au travail du traducteur (Cour de cassation, chambre criminelle, 6 septembre 1988, Fekari, Bull. no 317, pp. 861-862 (extraits), et 18 décembre 1989, M. et autres, encore inédit). l) "Aucune disposition de la loi n’interdit" de verser au dossier d’une affaire pénale des "éléments d’une autre procédure", par exemple des bandes magnétiques et des procès-verbaux de transcription, s’ils paraissent "de nature à éclairer les juges et à contribuer à la manifestation de la vérité", pourvu "qu’une telle jonction" revête "un caractère contradictoire" (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 23 juillet 1985 et 6 septembre 1988). m) La défense doit pouvoir prendre connaissance des procès-verbaux de transcription, entendre les enregistrements originaux, en discuter l’authenticité pendant l’information puis les débats et demander "toute mesure d’instruction utile" - par exemple une expertise - "quant à leur contenu et aux circonstances de leur réalisation" (voir notamment Cour de cassation, chambre criminelle, 23 juillet 1985, précité, 16 juillet 1986, Illouz, inédit, et 28 avril 1987, Allieis, précité). n) Si le juge d’instruction exerce son contrôle sur l’officier de police judiciaire, il subit à son tour celui de la chambre d’accusation, qu’il peut du reste - tout comme le procureur de la République - saisir lui-même en vertu de l’article 171 du code de procédure pénale. De leur côté, les juridictions du fond et la Cour de cassation peuvent avoir à connaître, selon le cas, d’exceptions ou moyens tirés - en particulier par un accusé mais aussi, à l’occasion, par le ministère public (Cour de cassation, arrêts précités des 19 juin et 24 novembre 1989) - d’un manquement aux exigences résumées plus haut, ou à d’autres règles applicables en la matière d’après les intéressés. Il ne s’agit cependant pas là de nullités d’ordre public, que l’on puisse reprocher à une cour d’appel de n’avoir pas relevées d’office: elles "n’affect[ent] que les droits de la défense" (Cour de cassation, chambre criminelle, 11 décembre 1989, Takrouni, encore inédit). A partir de 1981, semble-t-il, des justiciables ont invoqué avec une fréquence croissante l’article 8 (art. 8) de la Convention - et, beaucoup plus rarement, l’article 6 (art. 6) (Cour de cassation, chambre criminelle, 23 avril 1981, Pellegrin et autres, Bull. no 117, pp. 328-335, et 21 novembre 1988, S. et autres, inédit) -, à l’appui de leurs griefs contre des écoutes téléphoniques; ils ont parfois cité - comme en l’espèce (paragraphe 12 ci-dessus) - la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Jusqu’ici, les juridictions françaises n’ont estimé contraires à l’article 8 § 2 (art. 8-2) ("prévue par la loi"), ou au droit interne stricto sensu, que des écoutes réalisées sans commission rogatoire, au stade de l’enquête préliminaire (voir notamment Cour de cassation, arrêts précités des 13 juin et 24 novembre 1989), ou dans des conditions demeurées obscures (voir notamment Cour de cassation, arrêt précité du 19 juin 1989), ou encore au mépris des droits de la défense (cour d’appel de Paris, chambre d’accusation, arrêt précité du 31 octobre 1984). Dans tous les autres cas, elles ont tantôt constaté l’absence de violation (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 24 avril 1984, 23 juillet 1985, 16 juillet 1986, 28 avril 1987, 4 novembre 1987, 15 février 1988, 15 mars 1988, 6 septembre 1988 et 18 décembre 1989, ainsi que 16 novembre 1988, S. et autre, inédit, et les jugement et arrêts précités des 15 février 1983 (Strasbourg), 9 mars 1984 (Colmar) et 27 juin 1984 (Paris)), tantôt déclaré le moyen irrecevable pour des raisons diverses (Cour de cassation, chambre criminelle, arrêts précités des 23 avril 1981, 21 novembre 1988 et 11 décembre 1989, ainsi que les arrêts inédits des 24 mai 1983, S. et autres, 23 mai 1985, Y.H.W., 17 février 1986, H., 4 novembre 1986, J., et 5 février 1990, B. et autres). Assez divisée sur la compatibilité des écoutes téléphoniques - judiciaires et autres -, telles qu’elles se pratiquent en France, avec les normes juridiques nationales et internationales en vigueur dans le pays, la doctrine paraît en revanche unanime à estimer souhaitable, voire nécessaire que le Parlement s’efforce de résoudre le problème en s’inspirant de l’exemple donné par nombre d’États étrangers (voir notamment Gaëtan di Marino, observations relatives à l’arrêt Tournet du 9 octobre 1980 (Cour de cassation), J.C.P. 1981, jurisprudence, no 19578; Albert Chavanne, "Les résultats de l’audio-surveillance comme preuve pénale", Revue internationale de droit comparé, 1986, pp. 752-753 et 755; Gérard Cohen-Jonathan, "Les écoutes téléphoniques", Mélanges en l’honneur de Gérard J. Wiarda, 1988, p. 104; Jean Pradel, "Écoutes téléphoniques et Convention européenne des Droits de l’Homme", D.S. 1990, chronique, pp. 17-20). En juillet 1981, le gouvernement créa une commission d’étude qui rassemblait autour de M. Robert Schmelck, alors premier président de la Cour de cassation, des sénateurs et députés de différentes tendances politiques, des magistrats, des professeurs, des hauts fonctionnaires et un avocat. Elle présenta un rapport le 25 juin 1982, mais il est demeuré secret et n’a pas débouché, jusqu’ici, sur le dépôt d’un projet de loi. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Les requérants ont saisi la Commission le 9 août 1984 (requête no 11105/84). Invoquant l’article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention, M. Huvig dénonçait le rejet, par le juge d’instruction, d’une demande d’expertise technique et comptable formulée par lui; il l’attribuait à la déposition irrégulière d’un témoin. Son épouse et lui-même se plaignaient aussi, sur le terrain de l’article 6 § 3 a) (art. 6-3-a), de la tardiveté de leurs inculpations respectives. Enfin, tous deux alléguaient que les écoutes téléphoniques pratiquées les 4 et 5 avril 1974 avaient méconnu l’article 8 (art. 8). Le 15 octobre 1987, la Commission a déclaré le premier grief irrecevable pour défaut manifeste de fondement (article 27 § 2) (art. 27-2) et le deuxième pour non-épuisement des voies de recours internes (articles 26 et 27 § 3) (art. 26, art. 27-3). En revanche, elle a retenu le troisième et dernier le 6 juillet 1988. Dans son rapport du 14 décembre 1988 (article 31) (art. 31), elle conclut par dix voix contre deux à l’existence d’une infraction à l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience, l’agent du Gouvernement et le délégué de la Commission ont invité la Cour - le premier, à "bien vouloir juger qu’il n’y a pas eu dans l’espèce de comportement révélant une violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention"; - le second, à "constater [pareille] violation".
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A. Le contexte Le premier requérant, Richard John Powell, directeur d’une entreprise minière, occupe avec sa famille à Esher, Surrey, une maison achetée par lui en 1957. Sise à plusieurs kilomètres de l’aéroport de Heathrow, près de Londres, elle se trouve depuis 1972 dans l’axe d’une trajectoire d’envol utilisée environ un tiers de l’année, généralement en été, et divisée en deux sections en 1975 à la suite de plaintes contre le bruit excessif. Jusqu’en 1984 au moins, elle s’inscrivait juste à l’intérieur du périmètre de 35 NNI (Noise and Number Index ou indice numérique de bruit), soit dans une zone réputée de faibles nuisances sonores (paragraphe 10 ci-dessous) et où vivent environ un demi-million d’autres personnes. Depuis 1984, la demeure figure dans un secteur accusant un indice NNI plus bas. Le second requérant, Michael Anthony Rayner, exploite avec des parents des terres agricoles à Colnbrook, Berkshire; elles font partie du patrimoine familial depuis plusieurs générations. Il habite dans cette localité un pavillon acquis en 1952 par sa famille pour inclusion dans le domaine; il s’y est installé en 1961 à l’occasion de son mariage. Placé à quelque 2 kilomètres à l’ouest de la piste nord de Heathrow et dans son prolongement direct, ledit pavillon est régulièrement survolé le jour et, à un moindre degré, la nuit. Il se situe dans le périmètre de 60 NNI, ce qui révèle de fortes nuisances sonores pour les résidents. D’après les statistiques fournies par le Gouvernement, l’altitude moyenne des avions sur le point d’atterrir s’élève à 450 pieds lorsqu’ils passent au-dessus de la propriété de M. Rayner; celle des appareils venant de décoller varie de 1235 à 2365 pieds selon le type d’engins. Environ 6500 riverains de l’aéroport subissent des nuisances sonores égales ou supérieures à celles dont pâtissent M. Rayner et sa famille. Le NNI est une mesure moyenne à long terme de l’exposition au bruit, employée au Royaume-Uni pour évaluer les nuisances résultant du bruit des avions pour les riverains des aéroports. Il intègre deux facteurs: le taux moyen de bruit et le nombre des avions entendus un jour normal d’été. Les vols déterminant le NNI à tout endroit au sol sont ceux qui ont lieu entre 6 et 18 h, temps de Greenwich, pendant les trois mois chargés de l’été, soit de la mi-juin à la mi-septembre, et qui atteignent un niveau maximal de bruit supérieur à 80 décibels de bruit perçu (PNdB) à cet endroit. Le NNI tend à traduire les réactions de la population face au niveau du bruit des avions, de manière à orienter la politique d’urbanisme, d’aménagement du territoire et de contrôle du bruit. Il compte ainsi parmi les critères appliqués en matière de plan: à l’intérieur des périmètres de 35 à 39 NNI un terrain peut servir à l’urbanisation, un refus de permis de construire ne pouvant se fonder uniquement sur des nuisances sonores; il n’en va pas de même dans les périmètres de 40 à 50 NNI (zone de nuisances sonores modérées), sauf s’il s’agit de compléter un secteur déjà bâti et moyennant une insonorisation adéquate; enfin, aucun développement n’est autorisé dans les périmètres de 60 NNI et plus (zone de fortes nuisances sonores). A noter que le mode de calcul du NNI reflète un élément logarithmique de l’échelle des PNdB, de sorte que chaque augmentation de dix points sur celle-ci représente à peu près un doublement du niveau du bruit. B. La croissance de l’aéroport de Heathrow L’ouverture officielle de l’aéroport remonte à mai 1946. Le premier service de lignes régulières utilisant des avions à réaction date de 1952. Trois terminaux furent inaugurés en 1955, 1961 et 1968, un quatrième en 1986 après une enquête publique qui dura 24 semaines marquées par l’audition de 125 témoins. Quant à l’expansion future, le Gouvernement a défini sa politique dans un livre blanc de 1985 ("Airports Policy"): il n’est "pas disposé à prendre au stade actuel un engagement quelconque sur la création d’un cinquième terminal à Heathrow, mais suivra la question de près" (Command Paper, Cmnd 9542, paragraphe 5.19). Heathrow, l’un des aéroports internationaux les plus fréquentés du monde, a enregistré trois millions de passagers en 1956, plus d’un million rien qu’en juillet 1963, 22.400.000 sur les lignes internationales et 4.400.000 sur les lignes intérieures en 1973, chiffres passés respectivement à 37,5 et 6,8 millions en 1988. Cette évolution s’est accompagnée au fil des ans d’une augmentation des mouvements d’appareils. Plus de 22 % des passagers utilisent l’aéroport comme point de transit. Il accueille actuellement plus de 70 compagnies aériennes et dessert quelque 200 destinations dans le monde entier. Il arrive en tête au Royaume-Uni pour les échanges visibles, les opérations de fret ayant été estimées à 26,3 milliards de livres en 1988. Il entre pour environ 200 millions de livres dans la balance britannique des paiements, emploie directement quelque 48.600 personnes, auxquelles s’ajoutent de nombreux travailleurs de la région contribuant au fonctionnement du complexe, et verse plus de 16 millions de livres d’impôts locaux et de loyers. C. Mesures d’indemnisation La loi de 1973 sur l’indemnisation des propriétaires fonciers (Land Compensation Act) prévoit un dédommagement si une maison ou un terrain perd de sa valeur à cause du bruit d’un aéroport; elle ne concerne toutefois que les installations, neuves ou transformées, entrées en service après le 16 octobre 1969. Pour des raisons de principe et d’ordre pratique, l’intensification d’un usage existant ne donne pas lieu à compensation. MM. Powell et Rayner n’auraient droit à aucune indemnité sur la base de ladite loi, faute de pareille installation dans le cas de Heathrow. Organe public créé par une loi, la British Airports Authority n’avait pas le pouvoir d’acquérir des immeubles proches d’un aéroport, à moins de prouver qu’il y allait du bon fonctionnement de celui-ci. En décembre 1986, une fois achevés le quatrième terminal (paragraphe 11 ci-dessus) et la privatisation dudit organe, la compagnie lui ayant succédé annonça un plan d’achat de propriétés gravement touchées par le bruit des avions près de Heathrow (à l’intérieur du périmètre de 65 NNI), lorsque le propriétaire avait acquis le bien avant le 17 octobre 1969 et souhaitait le vendre mais ne trouvait pas d’amateur, sauf à vil prix. Les demandes devaient être introduites entre le 1er janvier 1987 et le 31 décembre 1988. Le plan ne couvrait pas les propriétés des requérants, sises en dehors du périmètre de 65 NNI. Toute personne victime de nuisances imputables à une activité qui gêne plus que de raison l’utilisation et la jouissance d’une propriété, notamment par le bruit, peut saisir les tribunaux en vertu de la common law. Si la responsabilité se trouve établie, le juge peut accorder un dédommagement ou, dans certaines circonstances, ordonner la cessation des troubles. Cependant, la loi de 1960 sur la réduction du bruit (Noise Abatement Act) exclut explicitement de son champ d’application le bruit provoqué par les avions. La responsabilité des exploitants d’aéronefs est en outre limitée par l’article 76 § 1 de la loi de 1982 sur l’aviation civile (Civil Aviation Act): "Nul ne peut fonder une action pour troubles de la jouissance ou nuisances sur le seul motif qu’un avion survole sa propriété à une altitude raisonnable eu égard au vent, au temps et à toute autre circonstance pertinente, y compris les incidents habituels aux vols d’aéronefs, pour autant qu’il n’y ait eu violation ni d’une ordonnance sur la navigation aérienne, ou édictée en vertu de l’article 62 ci-dessus, ni de l’article 81 ci-dessous." Le paragraphe 2 du même article prévoit de son côté une responsabilité objective - c’est-à-dire n’exigeant pas la preuve d’une faute, intentionnelle ou non - lorsqu’une personne ou une propriété subissent, sur la terre ferme ou sur une étendue d’eau, une perte ou un dommage matériels causés, entre autres, par un avion en vol ou un objet tombant d’un avion. Des clauses analogues à l’article 76 figuraient dans la législation antérieure sur l’aviation civile (par exemple l’article 9 de la loi de 1920 sur la navigation aérienne et l’article 40 de la loi de 1949 sur l’aviation civile). L’article 76 rappelle l’article 1 de la Convention de Rome de 1952 relative aux dommages causés aux tiers à la surface par des aéronefs étrangers, ainsi libellé: "Toute personne qui subit un dommage à la surface a droit à réparation dans les conditions fixées par la présente Convention, par cela seul qu’il est établi que le dommage provient d’un aéronef en vol ou d’une personne ou d’une chose tombant de celui-ci. Toutefois, il n’y a pas lieu à réparation, si le dommage n’est pas la conséquence directe du fait qui l’a produit, ou s’il résulte du seul fait du passage de l’aéronef à travers l’espace aérien conformément aux règles de la circulation aérienne applicables." (Nations Unies, Recueil des traités, 1958, vol. 310, no 4493, p. 183) En janvier 1990, cette Convention liait trente-six États, dont quatre membres du Conseil de l’Europe: la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et l’Espagne, mais non le Royaume-Uni. L’article 76 § 1 de la loi de 1982 n’exempte pas les exploitants d’aéronefs de toute responsabilité pour des troubles de jouissance ou nuisances dus à un appareil en vol. En premier lieu, l’exonération ne vaut que pour les avions volant à une altitude raisonnable, question de fait à trancher à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes. De plus, elle ne joue que sous réserve du respect des dispositions légales visées à l’article 76 § 1, à savoir, en pratique, l’ordonnance (amendée) de 1985 sur la navigation aérienne, le règlement général (amendé) de 1981 sur la navigation aérienne, le règlement (amendé) de 1985 sur la navigation aérienne et le contrôle du trafic aérien ainsi que - texte d’une importance particulière en l’espèce - l’ordonnance de 1987 sur l’homologation phonique (Noise Certification) des aéronefs (et les dispositions correspondantes des ordonnances et règlements antérieurs successifs). Si donc, par exemple, un avion vole d’une manière non conforme aux règlements en vigueur, ou s’il décolle ou atterrit en infraction à l’ordonnance précitée de 1987, son exploitant ne pourra invoquer l’article 76 à l’encontre d’une action pour troubles de jouissance ou nuisances. D. Mesures de réduction du bruit L’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) constitue le principal forum de coopération internationale cherchant à rendre les avions plus silencieux. L’essentiel de son travail a consisté jusqu’ici à élaborer une série de normes conduisant à éliminer peu à peu les appareils qui n’y répondent pas. Elles ne s’appliquent au sein des États membres de l’OACI qu’une fois intégrées à leur droit interne. Au Royaume-Uni, cette opération se réalise au moyen des ordonnances sur l’homologation phonique des aéronefs. Les ordonnances de 1970 et 1979 reflétaient les premières normes de l’OACI concernant les avions à réaction subsoniques. Une ordonnance de 1984 en mit en oeuvre de nouvelles ainsi que des règles fondées sur des recommandations de la Conférence européenne de l’aviation civile. Parallèlement, elle donna corps aux exigences des directives communautaires européennes de 1979 et 1983 sur la "limitation des émissions sonores des aéronefs subsoniques". Elle se montra cependant plus rigoureuse: les appareils subsoniques non conformes furent rayés du registre national douze mois plus tôt que ne le prescrivait la directive de 1979. Des ordonnances de 1986 et 1987 introduisirent de nouvelles normes de l’OACI. En établissant ses taxes d’atterrissage, la société Heathrow Airport Limited tient compte des normes de l’OACI en matière d’homologation phonique, afin d’encourager l’utilisation d’appareils plus silencieux. Depuis 1971, les mouvements nocturnes d’avions à réaction subissent des restrictions destinées à supprimer progressivement les vols de nuit des appareils les plus bruyants. Elles ont été adoptées à la lumière de recherches relatives aux rapports entre le bruit des aéronefs et les troubles du sommeil, après consultation de tous les intéressés dont la Federation of Heathrow Anti-Noise Groups, à laquelle appartiennent les requérants. Le contrôle du bruit des avions décollant de Heathrow a commencé au début des années 60. Depuis 1974, on utilise un équipement automatique comprenant treize terminaux de contrôle du bruit, reliés à un centre de traitement et de surveillance. L’emplacement des terminaux vise à protéger la première agglomération survolée après le décollage contre les niveaux de bruit supérieurs au plafond légal de 110 PNdB le jour (de 7 h à 23 h) et de 102 PNdB la nuit (de 23 à 7 h). L’aéroport signale à la compagnie aérienne, par une lettre dont elle envoie une copie au ministère des Transports, tout dépassement de la limite autorisée. D’après le Gouvernement, les interdictions récentes frappant les appareils non pourvus de l’homologation phonique ont abouti à maintenir le taux de respect du maximum légal à environ 99 % le jour et 98 % la nuit. L’article 78 de la loi sur l’aviation civile habilite le ministre à refuser aux compagnies n’observant pas les mesures de réduction du bruit l’accès aux installations de Heathrow, mais il n’a pas encore paru nécessaire d’y recourir. En revanche, les quotas de vols nocturnes ont été abaissés pour les compagnies contrevenantes. La législation oblige les avions décollant de Heathrow à emprunter un petit nombre d’itinéraires spécifiques, nommés trajectoires préférentielles de bruit et conçus de manière à éviter autant que possible les grandes agglomérations. Des procédures d’approche réputées plus silencieuses que jadis sont à présent de pratique courante. En outre, les règlements fixent des exigences quant à l’altitude minimale à l’atterrissage comme au décollage. De surcroît, un système d’alternance régulière des pistes d’atterrissage fonctionne à Heathrow depuis 1972 pendant les opérations du secteur ouest; il a pour objectif essentiel d’arriver à un partage équitable des périodes de calme relatif entre les habitants de l’Ouest de Londres, gênés par le bruit des appareils en passe d’atterrir. Une liaison par hélicoptère entre les aéroports de Gatwick et de Heathrow avait été instaurée en 1978, mais en juin 1986 le ministre des Transports, après des enquêtes publiques menées en 1978, 1979, 1983 et 1985, ordonna le retrait de la licence du concessionnaire dans l’intérêt de l’environnement. Succédant à des plans de 1966, 1972 et 1975, un programme d’isolation acoustique des logements fut conçu pour Heathrow en 1980. Plus de 16.000 propriétaires ou locataires s’en sont prévalus pour solliciter une subvention et il a coûté à la British Airports Authority 19 millions de livres environ. Il se concentrait sur les localités qui resteraient exposées à des niveaux de bruit assez élevés au milieu des années 80 et sur celles où existe le plus haut degré de nuisances dues aux vols nocturnes. Le montant des subventions accordées y était censé couvrir 100 % des frais raisonnables à supporter. La délimitation de la zone se fondait sur une estimation de ce que serait en 1985 le périmètre de 50 NNI et sur le tracé rectifié de la ligne reliant les points où l’on enregistre 95 PNdB au passage d’avions réputés silencieux. Le chiffre de 95 PNdB représente le niveau de bruit extérieur au-dessous duquel un individu moyen ne risque guère, d’après les données actuelles, d’être réveillé dans une pièce non isolée. A l’issue de consultations et en vertu de l’engagement, pris par le Gouvernement, de réviser les limites sitôt connue la carte phonique réelle, un programme destiné à englober d’autres secteurs est entré en jeu en avril 1989; la dépense escomptée atteindra 11,25 millions de livres. A l’instar des autres personnes vivant à l’intérieur du périmètre de 60 NNI, M. Rayner a droit à une subvention de 100 %. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Introduite devant la Commission le 31 décembre 1980, la requête (no 9310/81) émanait à l’origine de la Federation of Heathrow Anti-Noise Groups. Rejetée par la Commission le 15 mars 1984, MM. Powell et Rayner l’ont reprise à leur compte avec une troisième personne dont la plainte a fait l’objet depuis lors d’un règlement amiable. Les intéressés dénonçaient les niveaux excessifs de bruit dus à l’exploitation de l’aéroport de Heathrow. Ils invoquaient les articles 6 § 1, 8 et 13 (art. 6-1, art. 8, art. 13) de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Les 17 octobre 1985 et 16 juillet 1986 respectivement, la Commission a retenu les plaintes de MM. Powell et Rayner sous l’angle de l’article 13 (art. 13) de la Convention, mais les a déclarées irrecevables pour le surplus. Dans son rapport du 19 janvier 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut par douze voix contre quatre à la violation de l’article 13 (art. 13) en ce qui concerne le grief fondé par M. Rayner sur l’article 8 (art. 8) de la Convention; elle en relève au contraire l’absence sur chacun des autres points en litige (à l’unanimité pour les griefs tirés des articles 1 du Protocole no 1 et 6 § 1 (P1-1, art. 6-1) de la Convention, par quinze voix contre une pour celui de M. Powell au titre de l’article 8 (art. 8) de la Convention). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 27 septembre 1989, les requérants ont invité la Cour à "dire qu’ils ont subi une violation des articles 6 et 8 (art. 6, art. 8) de la Convention et que le défaut même de tout recours effectif devant une instance nationale enfreint l’article 13 (art. 13) de la Convention". De son côté, le Gouvernement a confirmé les conclusions énoncées dans son mémoire; elles demandaient à la Cour de "constater et déclarer qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 (art. 13) de la Convention quant aux griefs tirés des articles 6 § 1 et 8 (art. 6-1, art. 8) de la Convention, ou de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), par chacun des requérants". Il a en outre qualifié d’"aberrante" la tentative de ces derniers "de ressusciter leurs plaintes sur le terrain des articles 6 et 8 (art. 6, art. 8)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Autronic AG est une société anonyme de droit suisse, dont le siège se trouve à Dübendorf (canton de Zurich). Spécialisée dans l’électronique, elle vend notamment des antennes paraboliques de 90 cm de diamètre, destinées à des particuliers. Sa requête a trait à la réception en Suisse de programmes de télévision non codés, créés et diffusés en Union soviétique. Transmis au satellite soviétique G-Horizont (appelé aussi Stationar-4), ils sont renvoyés à des stations réceptrices au sol, en territoire soviétique, qui les distribuent aux usagers. Il s’agit en l’occurrence d’un satellite de télécommunication et non de radiodiffusion directe: il assure un service fixe de radiocommunication point à point (numéro 22 du Règlement des radiocommunications - paragraphe 36 ci-dessous) et utilise les fréquences attribuées aux radiocommunications. Il transmet en outre des conversations téléphoniques, des messages télétypés ou télégraphiques et des données. En 1982, les seules émissions de télévision par satellite susceptibles d’être captées en Suisse au moyen d’une antenne parabolique provenaient de G-Horizont. A. La genèse de l’affaire La première demande d’autorisation Au printemps de 1982, Autronic AG s’adressa à la division de la radio et de la télévision de la direction générale de l’Entreprise des postes, téléphones et télégraphes (PTT). Elle sollicitait l’autorisation de présenter du 17 au 26 avril 1982, à la Foire d’échantillons (Mustermesse) de Bâle, le programme télévisé public qu’elle captait directement de G-Horizont avec une antenne parabolique privée; elle entendait démontrer ainsi les capacités techniques de l’appareil afin d’en stimuler la vente. La division écrivit à l’ambassade de l’Union soviétique à Berne, laquelle communiqua le 21 avril l’accord de l’administration soviétique pour la durée de la foire. La seconde demande d’autorisation Le 7 juillet 1982, Autronic AG entreprit une démarche analogue pour effectuer des démonstrations à l’exposition FERA, organisée à Zurich du 30 août au 6 septembre 1982 et consacrée aux progrès les plus récents en matière de radiodiffusion, de télévision et d’électronique. La division de la radio et de la télévision saisit à nouveau l’ambassade soviétique, mais ne reçut pas de réponse. Les 14 et 26 juillet puis le 6 août, elle informa Autronic AG que faute du consentement explicite des autorités soviétiques elle ne pouvait permettre la réception des émissions de G-Horizont et que le Règlement des radiocommunications (paragraphe 36 ci-dessous) l’obligeait à l’empêcher. B. La demande de décision déclaratoire La procédure devant la division de la radio et de la télévision a) La demande du 1er novembre 1982 Désireuse de procéder à de nouvelles démonstrations, Autronic AG demanda le 1er novembre 1982 à la division de la radio et de la télévision de rendre une décision déclaratoire (Feststellungsverfügung) qui préciserait en particulier que la réception à usage privé de programmes télévisés non codés provenant de satellites tels que G-Horizont ne devait pas exiger l’agrément des autorités de l’État émetteur. La société requérante s’appuyait sur plusieurs arguments: le caractère confidentiel d’un programme ne pouvait dépendre de l’utilisation de fréquences particulières; les numéros 1992-1994 du Règlement des radiocommunications n’indiquaient pas le genre d’émissions à ne pas divulguer; la réception de programmes de radio ou de télévision destinés et accessibles au public en général ne pouvait être subordonnée qu’à l’octroi d’une concession au sens du droit suisse, dont chacun avait la faculté de bénéficier; enfin, la réception en cause n’enfreignait pas la législation suisse sur la propriété intellectuelle, car si des émissions considérées isolément pouvaient posséder la qualité d’"oeuvres", il n’en allait pas de même d’un ensemble. b) La décision du 13 janvier 1983 Le 13 janvier 1983, la division de la radio et de la télévision rejeta la demande de la société requérante, en constatant qu’elle ne pouvait accorder la concession de réception sans l’agrément de l’administration de l’État émetteur. Elle relevait que seules des stations au sol dûment agréées étaient habilitées à capter les signaux en provenance des satellites de télécommunication. A cet égard, elle se référait au numéro 960 du Règlement des radiocommunications, qui permet à chaque administration d’assigner certaines fréquences aux radiocommunications point à point à condition de ne pas destiner les émissions à une réception directe par le public en général. En outre, elle soulignait la différence entre satellites de radiodiffusion et satellites de télécommunication: les premiers transmettent des programmes de radio et de télévision à un nombre indéfini de stations réceptrices situées dans une zone donnée, et ce sur des fréquences expressément réservées à la réception directe; les seconds bénéficient du secret des émissions que tous les États membres ont l’obligation d’assurer en vertu de l’article 22 de la Convention internationale des télécommunications et des numéros 1992-1994 du Règlement des radiocommunications (paragraphes 34 et 36 ci-dessous). Elle ajoutait enfin (traduction de l’allemand): "Dès lors, quant à savoir si une émission est destinée à être reçue directement par le public en général, l’élément déterminant ne consiste pas dans le contenu de la radiocommunication transmise (par exemple un programme de télévision), mais dans le mode de transmission, à savoir sa qualification comme télécommunication. Il s’ensuit que les programmes de radio ou de télévision transmis par l’intermédiaire d’un satellite de télécommunication ne peuvent être captés dans un pays que si l’administration des télécommunications de l’État émetteur (...) y a autorisé l’administration des télécommunications de l’État récepteur. Ainsi, il est dûment tenu compte des règles relatives au secret des télécommunications. On ne voit pas pourquoi les administrations des télécommunications devraient ne pas pouvoir garder secrètes certaines radiocommunications puisqu’elles sont tenues d’assurer le respect des dispositions de la Convention internationale des télécommunications et du Règlement des radiocommunications." La procédure devant la direction générale des PTT Contre la décision de la division de la radio et de la télévision, Autronic AG exerça le 14 février 1983 un recours (Beschwerde) que la direction générale des PTT repoussa le 26 juillet. Celle-ci commençait par se déclarer compétente pour statuer et par reconnaître que la société avait un intérêt, digne de protection, à faire annuler - au sens de l’article 48 de la loi fédérale sur la procédure administrative - la décision litigieuse. Elle exposait ensuite les raisons qui justifiaient à ses yeux un rejet. La protection de l’information en cause ne pouvait dépendre du point de savoir si les émissions s’adressaient au public en général car le plus souvent on ignorait, lors de la diffusion par des satellites de télécommunication, quelles émissions étaient destinées à un usage général. En outre, l’article 10 (art. 10) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ne garantissait que le droit de recevoir des informations émanant de sources accessibles en général, ce qui n’était pas le cas des satellites de télécommunication. Enfin, la circonstance que les émissions étaient ultérieurement destinées à un usage général n’entrait pas en ligne de compte puisque l’obligation de garder secrètes les données transmises subsistait à l’époque de la diffusion. La procédure devant le Tribunal fédéral Le 13 septembre 1983, Autronic AG introduisit devant le Tribunal fédéral un recours de droit administratif contre la décision de la direction générale des PTT. Elle le priait de renverser ladite décision et de rendre un arrêt afin de clarifier la situation juridique pour l’avenir; elle l’invitait en particulier à dire que la réception à usage privé d’émissions non codées provenant de satellites de télécommunication et destinées au grand public ne devait pas dépendre de l’agrément de l’État émetteur. a) L’examen du recours Saisi d’une demande de renseignements présentée par la division de la radio et de la télévision de la direction générale de l’Entreprise des PTT suisses, la direction du Gostelradio soviétique y répondit ainsi par un message télétypé du 7 février 1984: "En rapport avec votre lettre du 9 janvier 1984, nous voudrions vous faire savoir que les programmes transmis par ‘Stationar 4’ [G-Horizont] ne représentent pas des émissions par le satellite à destination des pays étrangers. Ces programmes sont destinés aux téléspectateurs soviétiques et constituent notre affaire intérieure. Par ailleurs, nous n’avons pas de possibilité technique d’exclure le fait qu’ils atteignent d’autres pays, la Suisse en particulier. En ce qui concerne l’utilisation internationale du signal, ce ne sont que la discussion et la solution du problème au niveau mondial qui permettront de répondre à cette question." Le 9 juillet 1984, le Tribunal fédéral posa aux parties un certain nombre de questions sur la situation en fait et en droit. La direction générale des PTT lui répondit le 22 août, la société requérante le 31. Le 10 juin 1985, le rapporteur informa Autronic AG que le Tribunal fédéral n’avait pu encore examiner le recours et qu’elle avait jusqu’au 16 août 1985 pour présenter éventuellement des observations complémentaires. Le 26 juin 1985, la division de la radio et de la télévision expédia à l’administration néerlandaise des télécommunications le message télétypé suivant (traduction de l’anglais): "(...) Afin de pouvoir nous prononcer sur une demande dont nous sommes saisis, nous aimerions savoir dans quelles conditions la réception de programmes de télévision provenant de satellites de télécommunication est autorisée aux Pays-Bas. Veuillez également nous préciser si le satellite soviétique de télécommunication G-Horizont Stationar est capté dans votre pays (par des câblo-opérateurs). (...)." L’administration néerlandaise répondit le 1er juillet 1985 en ces termes (traduction de l’anglais): "Les conditions requises aux Pays-Bas des câblo-opérateurs pour recevoir des programmes de télévision semblent très proches de celles qui sont exigées dans votre pays. Les PTT néerlandais accordent aux câblo-opérateurs une concession distincte pour chaque programme. Elle permet à l’opérateur d’installer sa propre antenne TVRO, mais il a intérêt à consulter les PTT en vue de la coordination des fréquences et pour éviter le brouillage par des hyperfréquences d’origine terrestre. (...) Une réception limitée du satellite G-Horizont a effectivement eu lieu, voici quelques années. Elle était considérée comme illicite, le fournisseur du programme et l’opérateur du satellite, tous deux soviétiques, n’ayant pas donné leur accord, et les câblo-opérateurs en furent informés. (...)." Saisie d’une requête analogue, l’administration finlandaise des télécommunications indiqua le 8 juillet 1985 (traduction de l’anglais): "(...) Le ministère des Télécommunications d’URSS nous autorise à capter à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 1985, le signal émis par G-Horizont. A ce jour, sa distribution a été autorisée dans sept cas." b) L’arrêt du 10 juillet 1986 Le Tribunal fédéral rendit son arrêt le 10 juillet 1986 et en notifia le texte à Autronic AG le 11 novembre. Selon lui, le recours tendait à une appréciation abstraite de la situation juridique; or en réalité il ne pouvait viser que l’interdiction de capter les émissions litigieuses pendant l’exposition FERA. Il s’avérait pourtant inutile de se prononcer sur sa recevabilité puisqu’en tout cas l’intéressée n’avait pas prouvé l’existence d’un intérêt digne de protection. A part G-Horizont, aucun satellite dont les émissions fussent captables par une antenne parabolique domestique ne se trouvait à l’époque au-dessus de l’Europe. Autronic AG captait les signaux du satellite soviétique, parce qu’il n’y avait pas d’autre possibilité. Aussi longtemps qu’il en irait ainsi, il n’y aurait guère de marché pour de tels matériels, que seuls des "excentriques" (Sonderlinge) seraient portés à acheter. Bien que deux autres satellites - l’un allemand, l’autre français - dussent être lancés, la situation demeurait confuse quant à leur mode d’exploitation et l’on ne pouvait évaluer ni l’intérêt que susciterait la réception directe de leurs émissions ni le nombre d’antennes paraboliques qui entreraient en service. Le Tribunal fédéral concluait que faute d’avoir fourni la preuve d’un intérêt économique direct, la société requérante ne possédait pas un intérêt digne de protection. Il refusa donc de statuer sur le fond. C. L’évolution ultérieure A l’heure actuelle, les satellites de radiodiffusion directe restent très peu nombreux, tandis qu’il existe plus de 150 satellites de télécommunication - tels que G-Horizont -, couvrant tout ou partie de l’Europe occidentale et émettant toutes sortes de programmes non codés et destinés au public en général. II. LES NORMES JURIDIQUES EN CAUSE A. La législation suisse L’article 36 § 4 de la Constitution fédérale garantit "l’inviolabilité du secret des lettres et des télégrammes". La loi fédérale de 1922 Les dispositions pertinentes de la loi fédérale du 14 octobre 1922 réglant la correspondance télégraphique et téléphonique sont les suivantes: Article 1 "L’Entreprise des postes, téléphones et télégraphes a le droit exclusif d’établir et d’exploiter des installations expéditrices et réceptrices, ou des installations de n’importe quelle nature servant à la transmission électrique ou radioélectrique de signaux, d’images ou de sons." Article 3 "L’autorité compétente peut accorder des concessions pour l’établissement et l’exploitation d’installations destinées à la transmission électrique et radioélectrique de signaux, d’images et de sons." Article 46 § 2 "Les dispositions que l’exécution de la présente loi rendra nécessaires, seront insérées dans l’ordonnance sur les télégraphes et sur les téléphones qu’édictera le Conseil fédéral, ainsi que dans les règlements de détail. (...)." L’ordonnance de 1973 Le 10 décembre 1973, le Conseil fédéral édicta l’ordonnance 1 relative à la loi de 1922; il fixait entre autres l’étendue des concessions en matière de télévision: Article 66 "1. La concession I d’installation réceptrice de télévision autorise son titulaire à exploiter une installation pour la réception privée, par voie radioélectrique ou par fil électrique, des émissions publiques suisses et étrangères de télévision. Est considérée comme privée la réception des émissions de télévision dans des locaux qui ne sont pas accessibles au public. Le concessionnaire peut établir lui-même son installation réceptrice radioélectrique. Il faut être au bénéfice d’une concession spéciale pour exercer des droits régaliens autres que ceux que mentionnent les 1er et 3e alinéas, notamment pour démontrer le fonctionnement d’installations réceptrices, pour établir des installations réceptrices chez des tiers et pour assurer la réception publique des émissions." Adopté le 17 août 1983, le texte révisé de l’ordonnance 1 est entré en vigueur le 1er janvier 1984. Bien qu’il ne s’applique pas en l’espèce, plusieurs de ses dispositions méritent d’être citées: Article 19 § 1 "Des concessions peuvent être refusées lorsque de sérieux motifs font présumer que les installations de télécommunications seront exploitées à une fin a. Illicite; b. Contraire aux bonnes moeurs ou à l’ordre public ou c. Nuisible aux intérêts supérieurs du pays, de l’Entreprise des PTT, ou de la radiodiffusion." Article 57 § 1 "Les concessions de réception de radiodiffusion autorisent leur titulaire à capter des émissions de radiodiffusion suisses et étrangères en réception privée ou publique." Article 78 § 1 "La concession d’antenne collective autorise son titulaire à: a. Exploiter le réseau local de distribution défini dans la concession et à rediffuser ainsi des émissions de radiodiffusion à partir d’émetteurs qui répondent aux dispositions de la convention internationale des télécommunications du 25 octobre 1973 et au règlement international des radiocommunications ainsi qu’à celles des conventions et des arrangements internationaux adoptés dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications; (...) f. Diffuser des programmes et des prestations particulières de radiodiffusion, lesquels sur autorisation de l’Entreprise des PTT, qui elle-même requiert l’assentiment du Département, sont reçus de satellites de télécommunication; (...)." Article 79 § 2 "L’autorisation visée à l’article 78, 1er alinéa, lettre f, est octroyée, lorsque l’administration des télécommunications compétente a donné son accord et qu’il n’existe aucun des motifs de refus prévus à l’article 19." L’arrêté fédéral de 1987 Le 20 décembre 1985, le Conseil fédéral soumit au Parlement, par la voie d’un message, un projet d’arrêté de portée générale sur la radiodiffusion par satellite. Adopté le 18 décembre 1987 et applicable à compter du 1er mai 1988, l’arrêté comprend un article 28, relatif aux programmes étrangers et ainsi rédigé: "1. Une autorisation du département [fédéral compétent] est nécessaire pour retransmettre des programmes diffusés par satellite en vertu d’une concession étrangère. L’autorisation est octroyée lorsque l’intérêt supérieur du pays ne s’y oppose pas et que a. Les PTT constatent que les exigences du droit suisse et international des télécommunications sont remplies; (...) Le département peut refuser une autorisation lorsqu’un État dont le régime de concession permet un programme n’accepte pas sur son territoire la reprise de programmes diffusés en vertu d’une concession suisse." B. La réglementation internationale La Convention internationale des télécommunications Conclue en 1947 dans le cadre de l’Union internationale des télécommunications et révisée à plusieurs reprises, la Convention internationale des télécommunications est entrée en vigueur le 1er janvier 1975 et a été ratifiée par tous les États membres du Conseil de l’Europe. En Suisse, elle figure intégralement dans le Recueil officiel des lois fédérales (1976, p. 994, et 1985, p. 1093), ainsi que dans le Recueil systématique du droit fédéral (O.784.16). Son article 22, intitulé "Secret des télécommunications", dispose: "1. Les membres s’engagent à prendre toutes les mesures possibles, compatibles avec le système de télécommunication employé, en vue d’assurer le secret des correspondances internationales. Toutefois, ils se réservent le droit de communiquer ces correspondances aux autorités compétentes, afin d’assurer l’application de leur législation intérieure ou l’exécution des conventions internationales auxquelles ils sont parties." L’article 44 oblige les États membres à se conformer à la Convention et aux Règlements administratifs dans tous les bureaux et toutes les stations de télécommunication établis ou exploités par eux et qui assurent des services internationaux ou peuvent provoquer des brouillages nuisibles aux services de radiocommunication d’autres pays. La Convention se trouve complétée et précisée par trois textes administratifs (article 83): le Règlement des radiocommunications, le Règlement télégraphique et le Règlement téléphonique. Seul le premier entre en ligne de compte en l’occurrence. Le Règlement des radiocommunications Le Règlement des radiocommunications date du 21 décembre 1959 et a lui aussi été modifié, entre autres, en 1982. Long de plus de mille pages, il n’a pas - à l’exception des numéros 422 et 725 - été publié dans le Recueil officiel des lois fédérales. Ce dernier opère à cet égard un renvoi, ainsi libellé: "Les règlements administratifs relatifs à la Convention internationale des radiocommunications du 25 octobre 1973 ne sont pas publiés dans le Recueil des lois fédérales. Ils peuvent être consultés auprès de la Direction générale des PTT, Bibliothèque et Documentation, Viktoriastrasse 21, 3030 Berne, ou peuvent être obtenus auprès de l’UIT, Union internationale des télécommunications, Place des Nations, 1202 Genève." Les dispositions pertinentes en l’espèce sont les suivantes: Numéro 22 "Service fixe par satellite: Service de radiocommunication entre stations terriennes situées en des points fixes déterminés lorsqu’il est fait usage d’un ou plusieurs satellites; dans certains cas, ce service comprend des liaisons entre satellites, qui peuvent également être assurées au sein du service inter-satellites; le service fixe par satellite peut en outre comprendre des liaisons de connexion pour d’autres services de radiocommunication spatiale." Numéro 37 "Service de radiodiffusion par satellite: Service de radiocommunication dans lequel des signaux émis ou retransmis par des stations spatiales sont destinés à être reçus directement par le public en général. Dans le service de radiodiffusion par satellite, l’expression ‘reçus directement’ s’applique à la fois à la réception individuelle et à la réception communautaire." Numéro 960 "Toute administration peut assigner une fréquence choisie dans une bande attribuée au service fixe ou au service fixe par satellite à une station autorisée à émettre unilatéralement d’un point fixe déterminé vers un ou plusieurs points fixes déterminés, pourvu que de telles émissions ne soient pas destinées à être reçues directement par le public en général." Numéros 1992-1994 "Lors de l’application des dispositions appropriées de la Convention, les administrations s’engagent à prendre elles-mêmes les mesures nécessaires pour faire interdire et réprimer: a) l’interception, sans autorisation, de radiocommunications qui ne sont pas destinées à l’usage général du public; b) la divulgation du contenu ou simplement de l’existence, la publication ou tout usage quelconque, sans autorisation, des renseignements de toute autre nature obtenus en interceptant les radiocommunications mentionnées [à l’alinéa a)]." La réponse de l’Union internationale des télécommunications aux questions du gouvernement suisse Le 29 septembre 1983, la Mission permanente de la Suisse auprès des organisations internationales à Genève posa deux questions à l’Union internationale des télécommunications. Dans sa réponse du 31 octobre, celle-ci indiqua notamment: "17. Quant à [cet] aspect de ‘l’application pratique’ [du principe du ‘secret des télécommunications’], il est (...) important, voire essentiel, de noter également que ni la Convention ni le RR [Règlement des radiocommunications] ne prescrivent de mesures précises concernant les moyens pratiques permettant d’assurer effectivement ledit ‘secret des télécommunications’, mais que le RR confie la détermination de telles mesures pratiques aux administrations des Membres de l’Union elles-mêmes. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre et interpréter les numéros 1992 et 1993 du RR qui stipulent que ce sont ‘les administrations’ qui ‘s’engagent à prendre elles-mêmes les mesures nécessaires pour faire interdire et réprimer: a) l’interception, sans autorisation, de radiocommunications qui ne sont pas destinées à l’usage général du public’ ((...) cela s’applique, bien entendu, également au numéro 1994 du RR). Cela implique qu’il appartient à l’administration de chaque Membre de l’Union de prendre, elle-même, les mesures qu’elle juge nécessaires pour faire interdire et réprimer sur son territoire l’interception sans autorisation des radiocommunications visées par le numéro 1993 du RR; ceci est d’ailleurs conforme au premier principe énoncé dans le préambule de la Convention qui est libellé en ces termes: ‘En reconnaissant pleinement à chaque pays le droit souverain de réglementer ses télécommunications ...’. En l’espèce (...), il incombe à l’Administration suisse de mettre en oeuvre l’engagement pris par la Suisse et visant à assurer le secret des télécommunications par les mesures qu’elle-même considère nécessaires à cette fin. Ces mesures peuvent évidemment être différentes des mesures considérées comme étant nécessaires par les administrations d’autres Membres de l’Union ayant pris le même engagement. En ce qui concerne l’autorisation requise pour ‘l’interception de radiocommunications qui ne sont pas destinées à l’usage général du public’ (...), il faut enfin déduire des termes des numéros 1992 et 1993 du RR que l’administration qui s’est engagée à prendre ‘les mesures nécessaires pour faire interdire et réprimer’ une telle interception ‘sans autorisation’, afin d’assurer le secret des télécommunications, doit également être considérée comme celle habilitée à donner, le cas échéant, l’autorisation pour une telle interception sur son territoire et, par conséquent, à fixer les termes et conditions dans lesquels elle accorde une telle autorisation. En l’occurrence (...), il s’agit donc de l’Administration suisse qui - en vue d’assurer le secret des télécommunications - doit décider si, oui ou non, elle accorde une telle autorisation et fixer les termes et conditions qu’elle-même considère nécessaires pour cette décision. A titre de conclusion ainsi que de dernière conséquence juridique, il faut garder à l’esprit que ce qui a été dit au paragraphe précédent s’applique également, mutatis mutandis, en ce qui concerne l’autorisation elle-même." La Recommandation T/T2 Lors d’une session tenue à Vienne du 14 au 25 juin 1982, la Conférence européenne des Administrations des postes et des télécommunications adopta la Recommandation T/T2, ainsi libellée: "La Conférence européenne des Administrations des postes et des télécommunications, considérant a) (...) b) que les signaux du service fixe par satellite ne sont destinés à être reçus que par des correspondants identifiés et dûment autorisés aux termes du Règlement des radiocommunications annexé à la Convention internationale des télécommunications; c) (...) d) qu’il y a un risque que le développement technique des petites stations terriennes puisse faciliter la réception et l’utilisation sans autorisation des signaux du service fixe par satellite, notamment dans le cas de signaux de télévision, en transformant ainsi le service fixe par satellite en service de radiodiffusion par satellite, ce qui serait illicite aux termes de la Convention internationale des télécommunications et du Règlement des radiocommunications; e) (...) f) (...) g) que tous les Membres de l’UIT ont l’obligation d’appliquer et faire respecter les dispositions de la Convention internationale des télécommunications et du Règlement des radiocommunications annexé à la Convention; (...) Recommande (...) que la réception de ces signaux ne soit autorisée qu’avec l’accord de l’Administration du pays où se trouve la station qui émet vers le satellite et de celle du pays dans lequel la station terrienne de réception est prévue; (...)." La Convention européenne sur la télévision transfrontière Élaborée dans le cadre du Conseil de l’Europe et signée le 5 mai 1989 par neuf États, dont la Suisse, la Convention européenne sur la télévision transfrontière n’est pas encore en vigueur. Son article 4, intitulé "Liberté de réception et de retransmission", dispose: "Les Parties assurent la liberté d’expression et d’information, conformément à l’article 10 (art. 10) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et elles garantissent la liberté de réception et ne s’opposent pas à la retransmission sur leur territoire de services de programmes qui sont conformes aux dispositions de la présente Convention." Le gouvernement helvétique a formulé une déclaration aux termes de laquelle la Confédération appliquera provisoirement la Convention, en vertu de l’article 29 § 3. PROCEDURE SUIVIE DEVANT LA COMMISSION Autronic AG a saisi la Commission le 9 janvier 1987 (requête no 12726/87). Elle se plaignait de ce que la Suisse avait subordonné à l’accord de l’État émetteur l’octroi de l’autorisation de recevoir des émissions télévisées non codées en provenance d’un satellite de télécommunication et à usage général; elle alléguait la méconnaissance de son droit de recevoir des informations, garanti par l’article 10 (art. 10) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 13 décembre 1988. Dans son rapport du 8 mars 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut par onze voix contre deux, avec une abstention, à la violation de l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Le Gouvernement a confirmé lors des audiences les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à dire: "- à titre principal, que l’article 10 (art. 10) de la Convention n’est pas applicable au cas d’espèce; - à titre subsidiaire, que puisque, aux termes de l’article 10 § 1, 3ème phrase (art. 10-1), de la Convention, même les entreprises de radiodiffusion peuvent être soumises à un régime d’autorisation tant pour le captage que pour la rediffusion de messages télévisés acheminés par un satellite de télécommunications, a fortiori une entreprise commerciale privée peut-elle se voir imposer de solliciter une autorisation de captage dans un cas concret; - à titre plus subsidiaire encore, que l’ingérence étatique liée à ce régime d’autorisation était ‘prévue par la loi’ (droit international compris), et constituait une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la défense de l’ordre international des télécommunications et pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles transmises par un satellite de télécommunications entre deux points fixes."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte Citoyen finlandais d’origine britannique né en 1926, M. Peter Darby était en 1977 employé comme médecin par les chemins de fer suédois à Gävle, en Suède. Il y louait un appartement mais passait ses fins de semaine en famille sur l’île de Lemland, dans l’archipel finlandais neutre et démilitarisé d’Åland, du côté sud du golfe de Botnie. A partir de la fin de 1981, il pratiqua sa profession au service de la santé publique de Norrtälje, autre ville suédoise. Depuis le mois d’août 1986, il l’exerce dans ledit archipel. À l’époque où il travaillait en Suède il s’y trouvait assujetti à l’impôt, en vertu du traité finno-suédois contre la double imposition (paragraphe 18 ci-dessous), au titre des ressources que lui procuraient les emplois susvisés. Il bénéficiait d’abattements pour les dépenses découlant de l’entretien de deux maisons et pour ses frais de trajet à destination et en provenance des îles Åland. Considéré en Suède comme non-résident, il fut, jusqu’en 1979, imposé dans le "district commun" (gemensamma distriktet) et ne payait qu’un impôt municipal réduit (paragraphe 19 ci-dessous). A la suite d’un amendement à la loi, entré en vigueur le 1er janvier 1979, le requérant fut taxé non plus dans le district commun mais à Gävle, la commune où il habitait (paragraphe 20 ci-dessous). Il perdit ainsi l’avantage des abattements accordés jusque-là et dut acquitter la totalité des impôts municipaux, y compris un impôt spécial destiné à l’Église luthérienne de Suède ("l’impôt ecclésial", paragraphes 21-23 ci-dessous). Les autorités fiscales l’informèrent qu’il ne pouvait revendiquer une quelconque réduction de ce dernier sans être officiellement enregistré comme résident en Suède (paragraphe 22 ci-dessous). B. Le recours de M. Darby contre la décision de l’imposer à l’égal d’un résident M. Darby attaqua devant le tribunal fiscal intermunicipal (mellankommunala skatterätten) la décision de le traiter, pour 1979, comme une personne résidant à Gävle. Il affirmait que l’on devait continuer à l’imposer dans le district commun car il ne demeurait pas en Suède. Le tribunal le débouta le 25 février 1982. L’intéressé avait obtenu entre temps de l’administration nationale des impôts (riksskatteverket), le 19 février 1982, une décision selon laquelle on l’imposerait dans le district commun, au lieu de l’assimiler à un résident aux fins de l’article 68 de la loi de 1928 sur la fiscalité municipale (kommunalskattelagen, paragraphe 20 ci-dessous), s’il se rendait chaque jour de l’archipel à son travail en Suède. Pareille navette quotidienne lui paraissant impraticable dans le cas de Gävle, mais pouvant à la rigueur se réaliser entre Lemland et Norrtälje, il accepta en 1982 un emploi à moindres responsabilités et rémunération dans cette ville. Il fut donc imposé derechef dans le district commun, où il échappait à l’impôt ecclésial. Contre le jugement du tribunal précité, il forma un appel que la Cour administrative (kammarrätten) de Sundsvall rejeta le 22 octobre 1982. Le 15 octobre 1984, la Cour administrative suprême (regeringsrätten) lui refusa l’autorisation de la saisir. C. Les plaintes du requérant concernant l’obligation d’acquitter l’intégralité de l’impôt ecclésial Parallèlement à la procédure susvisée, M. Darby recourut devant le tribunal administratif (länsrätten) du département de Gävleborg contre la sommation d’avoir à verser l’intégralité de l’impôt ecclésial sur ses revenus de 1979; il soulignait qu’il n’était ni membre de l’Église de Suède, ni Suédois, ni résident suédois. Le tribunal le débouta le 19 mai 1989: il estima inapplicable en l’espèce la loi de 1951 relative à certains dégrèvements d’impôt en faveur des personnes n’appartenant pas à l’Église de Suède (lag 1951:691 om viss lindring i skattskyldigheten för den som icke tillhör svenska kyrkan, "la loi de 1951", paragraphe 22 ci-dessous). L’intéressé déféra le litige à la Cour d’appel administrative de Sundsvall, qui confirma le jugement le 22 octobre 1982. La Cour administrative suprême repoussa, le 9 octobre 1984, sa demande en autorisation de se pourvoir devant elle. M. Darby s’adressa aussi au médiateur parlementaire (justitieombudsmannen), se plaignant de devoir payer un impôt pour les activités religieuses de l’Église de Suède. Dans sa décision du 16 avril 1982, le médiateur notait que la loi de 1951 avait suscité des controverses, entre autres au Parlement, dans la mesure où elle subordonnait à une inscription officielle de résidence en Suède (mantalsskriven, au sens du décret relatif à la tenue des actes de l’état civil, folkbokföringsförordningen), la possibilité de solliciter une exonération de l’impôt ecclésial. Il concluait que malgré sa portée limitée, le problème soulevé par le requérant révélait, dans la législation fiscale, une inconséquence dénuée de justification objective et propre à causer une irritation compréhensible. Dans une lettre du même jour au Gouvernement, il suggéra d’abolir la condition de résidence; son initiative aboutit au résultat souhaité par lui (paragraphe 23 ci-dessous). D. L’impôt ecclésial payé par le requérant Pour les années 1979, 1980 et 1981, le requérant versa 1 336, 1 717 et 1 325 couronnes suédoises au titre de l’impôt ecclésial. Il n’aurait eu à en payer que 401, 515 et 397 s’il avait joui de la réduction prévue par la loi de 1951 (paragraphe 22 ci-dessous). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les impôts en général Les dispositions générales concernant l’impôt municipal sur le revenu figurent dans la loi de 1928 sur la fiscalité municipale ("la loi de 1928"), maintes fois amendée depuis lors. Sauf indication contraire, le présent arrêt vise la version en vigueur à l’époque des faits (1979-1981) lorsqu’il se réfère à cette loi et à d’autres textes législatifs. L’assujettissement à l’impôt en Suède obéissait à l’article 53 par. 1 de la loi de 1928: les résidents suédois étaient taxés sur l’ensemble de leurs revenus, les non-résidents sur une base plus limitée qui englobait, par exemple, la rétribution de travaux accomplis dans les services publics suédois. D’après l’article 19 du traité finno-suédois contre la double imposition (svensk författningssamling, "SFS" (journal officiel), 1977:812), le droit de taxer les sommes gagnées dans la fonction publique appartenait, sous réserve de certaines exceptions étrangères au cas d’espèce, à l’État qui versait la rémunération. Quant au lieu d’imposition en Suède, la loi de 1928 précisait, en son article 59 paras. 1 et 3, que les revenus retirés de son emploi par un résident devaient être taxés dans la commune où il était officiellement enregistré (mantalsskriven). Dans le cas des non-résidents, les revenus d’activités exercées, notamment, dans les services publics suédois devaient, en vertu de la loi relative à l’impôt pour les besoins municipaux communs (lag om skatt för gemensamt kommunal ändämål), être taxés à Stockholm en tant que "district commun", à un taux - 10 % - inférieur à celui de l’impôt municipal ordinaire. Les montants ainsi recueillis étaient destinés non pas à une municipalité déterminée, mais à la péréquation des charges fiscales entre les différentes municipalités ou autres autorités administratives, à l’exclusion de tout impôt à percevoir par l’Église de Suède. A la suite d’une modification de l’article 68 de la loi de 1928 et du paragraphe 1 des instructions se rapportant à son article 66 (SFS 1978:925), certains non-résidents furent réputés, à compter du 1er janvier 1979, avoir assez de liens avec la Suède pour devoir acquitter l’intégralité de l’impôt municipal. Le projet d’où sortirent ces amendements (1978/79:58) ne mentionnait pas les problèmes pouvant en résulter pour les non-résidents au regard de la loi de 1951. Ainsi, un non-résident touchant certains types de revenus, par exemple à raison d’un emploi dans les services publics, et ayant une résidence temporaire en Suède ne fut plus taxé dans le district commun, mais là où il avait d’abord vécu. En conséquence, il lui fallait payer l’impôt municipal au même taux qu’un résident, et de surcroît l’impôt ecclésial. B. L’impôt ecclésial Ce dernier est collecté avec l’impôt municipal ordinaire; le conseil de paroisse local en fixe le taux. Le système a une longue tradition. Il se fonde sur le fait que l’Église luthérienne de Suède est une "Église d’État", dont les clauses transitoires de la Constitution de 1974 (regeringsformen) dotent les paroisses d’un statut semblable à celui des municipalités, y compris le droit de lever des impôts. Édictée en même temps que la loi sur la liberté de religion (lag 1951:680 om religionsfrihet) afin d’assurer un meilleur respect de ladite liberté (voir le projet de loi 1951:175, p. 75), la loi de 1951 relative à certains dégrèvements d’impôt en faveur des personnes n’appartenant pas à l’Église de Suède prévoyait en son article 1, la possibilité d’une réduction de l’impôt ecclésial: "Une personne n’appartenant pas à l’Église de Suède au début de l’année fiscale, et formellement enregistrée comme résident (mantalsskriven) dans le pays pour cette même année, ne doit que 30 % du montant de l’impôt ecclésial visé dans la loi de 1961 sur l’administration des paroisses (lag 1961:436 om församlingsstyrelse) et levé par décision d’un conseil de paroisse, ou autrement, selon les principes régissant la perception de l’impôt municipal." A cause de l’exigence d’un tel enregistrement, la loi en question ne concernait pas les contribuables n’ayant en Suède qu’une résidence temporaire. D’après les travaux préparatoires, la raison en était que la réduction se justifiait moins pour les personnes non résidentes en Suède et que la leur consentir à elles aussi compliquerait la procédure (projet de loi 1951:175, p. 144). Les 30 % restants étaient censés couvrir les frais exposés par les paroisses pour certaines tâches administratives telles que la conservation des actes de l’état civil et l’entretien des cimetières et autres lieux publics de sépulture. Grâce à un amendement à la loi de 1951, adopté à la suite des critiques du médiateur parlementaire (paragraphe 15 ci-dessus) et entré en vigueur le 1er janvier 1987, le bénéfice de la réduction ne dépend plus d’un enregistrement comme résident en Suède (projet de loi 1986/87:45, p. 15). C. Appartenance à l’Église de Suède Jusqu’au 15 novembre 1979, la loi sur la liberté de religion réservait aux citoyens suédois, ainsi qu’aux étrangers résidant dans le pays, la qualité de membres de l’Église de Suède. Un amendement de 1979 (SFS 1979:929) a ouvert à d’autres groupes de personnes la possibilité de s’affilier à celle-ci. Pour quitter l’Église, il suffit d’adresser sa démission aux autorités de la paroisse dont on relève. Des règles spéciales s’appliquent aux mineurs. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 novembre 1984 à la Commission (no 11581/85), M. Darby invoquait les articles 6 par. 1 et 9 (art. 6-1, art. 9) de la Convention. Il prétendait d’abord avoir subi de la part des autorités suédoises, à l’époque où il travaillait dans leur pays, une discrimination fondée sur sa qualité de Finnois domicilié dans les îles Åland; il contestait aussi l’interprétation de la loi de 1951 d’après laquelle il avait l’obligation - contraire selon lui à ses droits de caractère civil - de payer l’intégralité de l’impôt ecclésial. Le 11 avril 1988, la Commission a retenu le grief tiré de ladite obligation et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 9 mai 1989 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion - qu’il y a eu violation de l’article 9 (art. 9) de la Convention (dix voix contre trois) et de l’article 14 combiné avec lui (art. 14+9) (neuf voix contre quatre); - qu’il ne s’impose pas de rechercher s’il y a eu infraction à l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (art. 14+P1-1) (onze voix contre deux). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyenne britannique née en 1954, la requérante fut à l’époque inscrite au registre des naissances comme enfant mâle, sous les prénoms masculins de Barry Kenneth. A treize ans, elle se rendit compte qu’elle ne ressemblait pas aux autres garçons et, deux ou trois ans plus tard, qu’elle appartenait psychologiquement au sexe féminin tout en ayant des organes génitaux externes masculins. En juillet 1972, elle abandonna ses prénoms masculins pour en prendre un féminin, Caroline. Depuis ce changement - qu’elle confirma en mars 1973 par un acte unilatéral ("deed poll", paragraphe 16 ci-dessous) - on l’appelle toujours ainsi, elle s’habille en femme et elle assume un rôle féminin. En décembre 1974, elle subit dans un hôpital de Londres une intervention chirurgicale de conversion sexuelle destinée à donner à son anatomie externe un aspect plus féminin. Antérieurement, elle avait absorbé des hormones femelles et s’était fait opérer en vue d’accroître le volume de ses seins, à l’aide d’implants. Un rapport médical du 8 février 1984 la décrit comme une charmante jeune femme vivant une vie normale de femme, tant psychologiquement que physiquement, depuis ses opérations; il précise qu’un examen génital a montré chez elle la présence des organes génitaux externes féminins et d’un vagin. Désormais transsexuelle de sexe féminin, elle peut avoir des rapports sexuels avec un homme. En 1976, le Royaume-Uni lui a délivré un passeport la désignant au féminin (paragraphes 16-17 ci-dessous). De 1979 environ à 1986, elle a travaillé avec succès comme mannequin, apparaissant régulièrement dans des journaux, magazines et annonces publicitaires. En 1983, Mlle Cossey et M. L., citoyen italien qu’elle connaissait depuis quelque quatorze mois, conçurent le projet de s’épouser. Par une lettre du 22 août 1983, le conservateur en chef des actes de l’état civil (Registrar General) informa la requérante que pareil mariage serait nul en droit anglais car on la considérerait comme de sexe masculin malgré sa condition anatomique et psychologique. Le député de sa circonscription lui indiqua, par une missive du 30 août 1983, que pour lui permettre de se marier il faudrait modifier la législation. Ayant continué ses démarches, elle reçut des services du conservateur en chef une réponse, du 18 janvier 1984, d’après laquelle ils ne pouvaient lui donner un certificat de naissance lui attribuant le sexe féminin, parce que les renseignements fournis par un tel document remontent à la date de la naissance (paragraphes 18-20 ci-dessous). En 1985 - après la saisine de la Commission -, Mlle Cossey et M. L. rompirent leurs fiançailles tout en restant bons amis. Le 21 mai 1989, une cérémonie de mariage entre la requérante et M. X eut lieu dans une synagogue de Londres. Toutefois, leurs relations prirent fin le 11 juin. A la suite d’une demande introduite par Mlle Cossey, à qui l’on avait dit qu’elle n’avait pas d’autre moyen d’obtenir un secours financier, un jugement provisoire (decree nisi) de la High Court, du 17 janvier 1990, a déclaré le mariage nul et non avenu au motif que les parties n’étaient pas de sexe opposé (paragraphes 23-24 ci-dessous). Il a été rendu définitif le 13 mars 1990. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES A. Traitement médical Au Royaume-Uni, les interventions de conversion sexuelle n’exigent aucune formalité juridique. Opérations et traitement peuvent être financés par le Service national de santé. B. Changement de nom Le droit anglais autorise chacun à choisir les nom et prénoms qu’il veut et à les utiliser à sa guise, à ceci près que l’emploi de nouveaux noms peut être assujetti à certaines formalités pour l’exercice de quelques professions (voir, entre autres, Halsbury’s Laws of England , 4e éd., vol. 35, paras. 1173-1176). Pour éviter le doute et la confusion qu’un changement de nom risque de susciter, il arrive très fréquemment aux intéressés de faire une déclaration par un acte unilatéral ("deed poll") qui peut être enregistré au Bureau central de la Cour suprême. Les nouveaux noms sont valables aux fins de l’identité juridique et l’on peut s’en servir dans des documents tels les passeports, permis de conduire, registres d’immatriculation des véhicules, cartes d’assurance nationale, cartes médicales, rôle des impôts et pièces de sécurité sociale. Ils figurent aussi sur les listes électorales. C. Pièces d’identité Les extraits d’état civil ou des papiers d’identité équivalents ne sont ni en usage ni exigés au Royaume-Uni. Si une identification apparaît nécessaire, il suffit en général d’exhiber un permis de conduire ou un passeport. Ceux-ci et les autres papiers d’identité peuvent d’ordinaire être établis, avec un minimum de formalités, au nom adopté par la personne en cause. Quant aux documents concernant les transsexuels, on les rédige eux aussi d’une manière concordant à tous égards avec la nouvelle identité: en pratique, le transsexuel peut faire insérer dans son passeport une photographie récente et le titre "M.", "Mme" ou "Mlle", selon le cas, avant les noms qu’il a choisis. D. Registre des naissances Le système d’enregistrement civil des naissances, décès et mariages remonte en Angleterre et au pays de Galles à une loi de 1837. L’enregistrement des naissances obéit désormais à la loi de 1953 sur l’enregistrement des naissances et des décès ("la loi de 1953"), qui requiert l’enregistrement de toute naissance par l’officier compétent de l’état civil de la circonscription où l’enfant a vu le jour. Des règlements d’application précisent les renseignements à consigner dans le registre des naissances. Un certificat de naissance (birth certificate) consiste soit en une expédition authentifiée de l’inscription contenue dans le registre, soit en un extrait de celui-ci. Dans la seconde hypothèse on parle de "certificat de naissance abrégé". Il revêt la forme et donne les renseignements - nom et prénom, sexe, date et lieu de naissance de l’intéressé - que définissent les règlements d’application de la loi de 1953; n’y figurent point, entre autres, les indications que l’on trouve dans le registre au sujet de la parenté ou d’une adoption. Le registre et l’acte dressé à partir de lui relatent des événements contemporains de la naissance. Ainsi, en Angleterre et au pays de Galles le certificat n’atteste pas l’identité au moment présent, mais des faits historiques. Le système a pour but de fournir la preuve incontestable des événements eux-mêmes et d’aider à établir l’existence de liens familiaux à des fins diverses (successions, filiation légitime, partage des biens). Les archives de l’état civil constituent aussi la source d’une série de statistiques essentielles et un élément indispensable des études chiffrées sur la population et sa croissance, des recherches en matière de santé et de fécondité, etc. La loi de 1953 autorise le conservateur (registrar) ou le conservateur principal (superintendent registrar) des actes de l’état civil à corriger les erreurs de plume, telle une inexactitude concernant l’année de naissance ou l’omission de celle-ci, ainsi que les erreurs matérielles si du moins elles ont eu lieu lors de l’inscription de la naissance. Le registre peut aussi, dans les douze mois de l’enregistrement, être amendé de manière à indiquer ou changer le nom de l’enfant. La loi prévoit la réinscription de la naissance d’un enfant légitimé par le mariage de ses parents. Par la suite, les certificats de naissance le concernant prennent la forme d’une copie authentifiée de la nouvelle inscription; une copie de l’ancienne ne peut être délivrée que sur les instructions du conservateur en chef. L’adoption d’un enfant donne lieu, d’après la loi de 1976 régissant la matière, à une inscription (qui n’indique pas le nom des parents par le sang) dans un registre distinct, celui des enfants adoptés (Adopted Children Register), ainsi qu’à l’insertion, dans le registre des naissances, du mot "Adopté(e)" en regard de l’inscription originale. Le conservateur en chef tient des livres destinés à matérialiser le lien entre les inscriptions dans les deux registres, mais ils ne sont accessibles au public qu’à la demande de la personne adoptée elle-même ou en vertu d’une décision judiciaire. Chacun peut se procurer une copie authentifiée de l’inscription consignée dans le registre des enfants adoptés, ou un certificat abrégé qui ne mentionne pas la parenté. La loi de 1953 et ses textes d’application n’énoncent pas les critères servant à déterminer le sexe de l’intéressé. Toutefois, la pratique du conservateur en chef des actes de l’état civil consiste à n’utiliser que les critères biologiques: sexes chromosomique, gonadique et génital. Que le "sexe psychologique" de quelqu’un apparaisse plus tard en contraste avec eux ne passe pas pour révéler une erreur matérielle dans la mention initiale, dont on ne saurait par conséquent demander la modification de ce chef. Seules une erreur de plume, une mauvaise identification du sexe apparent et génital de l’enfant ou la non-concordance des critères biologiques entre eux ("intersexualité") peuvent amener à changer ladite mention; encore doit-on produire des preuves médicales qui en montrent l’inexactitude. En revanche, l’erreur ne se trouve pas constituée si l’intéressé subit un traitement médical et chirurgical pour pouvoir assumer le rôle du sexe opposé. Toutes les inscriptions des registres de naissance font l’objet de fichiers. Le public peut consulter ceux-ci (mais non les registres eux-mêmes) et obtenir une copie authentifiée d’une telle inscription. Cependant, pour repérer la référence du fichier il faut déjà connaître, outre le nom sous lequel l’intéressé a été déclaré, la date approximative, le lieu et la circonscription d’enregistrement de sa naissance. Si le droit en vigueur ne requiert jamais la présentation d’un certificat de naissance, il arrive à des organismes et employeurs de la réclamer. Un tel certificat doit d’ordinaire accompagner une première demande de passeport, mais non une demande de renouvellement ou de remplacement ni une demande de permis de conduire. Les compagnies d’assurance en exigent aussi un, en général (pas toujours), pour les contrats prévoyant le versement d’une rente ou d’une pension, mais non pour les polices d’assurance automobile ou multirisques, ni d’habitude pour celles d’assurance-décès. On peut également avoir à en fournir un pour s’inscrire à l’Université ou solliciter un emploi, notamment dans la fonction publique. Dans le cas d’une cérémonie religieuse de mariage, le droit anglais n’oblige ni n’autorise le célébrant à inviter les parties à produire une copie de leur certificat de naissance (voir aussi le paragraphe 25 ci-dessous). E. Mariage En droit anglais, le mariage se définit comme l’union volontaire et à vie d’un homme et d’une femme donnés, à l’exclusion de toute autre personne (Lord Penzance dans Hyde v. Hyde, Law Reports 1868, vol. 1, Probate and Divorce, pp.130, 133). L’article 11 de la loi de 1973 sur les affaires matrimoniales (Matrimonial Causes Act) donne valeur légale à la règle de common law frappant de nullité ab initio un mariage entre individus de même sexe. L’article 12 de la même loi permet d’annuler un mariage non consommé en raison de l’incapacité ou du refus délibéré de l’une ou l’autre partie. Selon la décision de la High Court dans l’affaire Corbett v. Corbett (Probate Reports 1971, p. 83), aux fins de la célébration d’un mariage valable le sexe doit se déterminer au moyen des critères chromosomique, gonadique et génital lorsqu’ils concordent entre eux, une intervention chirurgicale n’entrant pas en ligne de compte. Un certificat de naissance ne joue de rôle à cet égard que pour établir l’identité et le sexe de l’intéressé. L’inscription figurant au registre des naissances constitue un commencement de preuve du sexe, mais elle crée là une simple présomption que peut renverser une preuve contraire d’un poids suffisant. Enfreint l’article 3 par. 1 de la loi de 1911 sur les parjures (Perjury Act) quiconque, dans le but d’obtenir un mariage, ou un certificat ou une autorisation de mariage, prête un faux serment, ou fait ou signe une fausse déclaration, un faux document ou un faux acte exigés par toute loi sur le mariage, en connaissance de cause et à dessein. Toutefois, cette disposition ne s’applique pas à une personne ayant contracté mariage à l’étranger. F. Définition légale du sexe à d’autres fins Les juridictions anglaises ont repris dans plusieurs affaires, et dans des domaines autre que le mariage, la définition biologique du sexe donnée par le jugement Corbett v. Corbett. Dans une affaire de prostitution, une transsexuelle qui avait reçu un traitement hormonal et chirurgical destiné à la convertir au sexe féminin, fut néanmoins tenue pour un homme par la Court of Appeal aux fins des lois de 1956 (article 30) et 1967 (article 5) sur les infractions sexuelles (Regina v. Tan and Others, All England Law Reports, 1983, vol. 2, p.12). Il en alla de même de deux transsexuelles dans des litiges relatifs à la législation en matière de sécurité sociale: le commissaire national des assurances (National Insurance Commissioner) les considéra comme de sexe masculin pour la fixation de l’âge de la retraite. La première n’avait suivi qu’une thérapeutique hormonale; quant à la seconde, elle avait commencé à présenter spontanément des caractères secondaires féminins à l’âge de 46 ans, puis se soumit à une opération et adopta un rôle social féminin quelque treize années plus tard (affaires R (P) 1 et R (P) 2 dans le volume de 1980 des National Insurance Commissioner Decisions). Enfin, un conseil des prud’hommes (Industrial Tribunal) attribua la qualité de femme, au regard de la loi de 1975 sur la discrimination sexuelle, à un transsexuel qui n’avait subi aucun traitement; l’intéressé avait demandé avec succès sa nomination à un poste réservé aux hommes en vertu de la loi sur les usines (Factories Act), mais avait été licencié après la découverte de son sexe biologique féminin (White v. British Sugar Corporation Ltd, Industrial Relations Law Reports, 1977, p. 121). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 24 février 1984 à la Commission (no 10843/84), Mlle Cossey se plaignait de ne pouvoir, en droit anglais, obtenir la pleine reconnaissance de son changement de condition et, en particulier, épouser valablement un homme. Elle invoquait les articles 8 et 12 (art. 8, art. 12) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 juillet 1985. Dans son rapport du 9 mai 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut par dix voix contre six à la violation de l’article 12 (art. 12) mais non de l’article 8 (art. 8). Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 24 avril 1990, le Gouvernement a invité la Cour à "décider et déclarer que la requérante n’a subi de violation ni de son droit au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 par. 1 (art. 8-1) (...), ni de son droit de se marier et de fonder une famille, reconnu par l’article 12 (art. 12) (...)".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le procès Lafferty Au début des années 1980, une série d’incidents graves entre bandes rivales de Glasgow atteignirent leur point culminant avec l’incendie volontaire de locaux industriels, suivi de l’attaque à la bombe incendiaire d’un appartement, causant la mort de six membres de la même famille. Citoyen britannique né en 1960 et résidant à Glasgow, M. Granger fut entendu par la police au cours de l’enquête. Les 23 et 25 mai 1984, il signa des dépositions décrivant le mode d’accomplissement des crimes et nommant les coupables: Thomas Lafferty et six autres individus. Ce témoignage, jugé important par le ministère public, contribua beaucoup au déclenchement de poursuites contre les intéressés. Le requérant jouit d’une protection spéciale jusqu’à l’ouverture de leur procès. Celui-ci, portant sur des accusations relatives, entre autres, à l’incendie volontaire et aux meurtres, se déroula devant la High Court of Justiciary, à Glasgow, en septembre 1984. M. Granger comparut comme témoin à charge principal. Une fois à la barre, cependant, il déclara ne rien savoir des infractions en cause et prétendit que les déclarations mentionnées plus haut émanaient en réalité de la police, qui par ses pressions l’avait amené à les signer. B. Le procès du requérant pour faux témoignage Peu après, il fut arrêté et poursuivi devant la High Court of Justiciary pour faux témoignage; il demeura détenu en attendant de passer en jugement. On lui reprochait, en bref, d’avoir menti lors du procès Lafferty - en affirmant avoir agi sur les instructions de la police, et non de sa propre initiative, quand il avait porté certaines indications sur un plan tracé par lui; - en niant avoir fait à la police, le 23 mai 1984, une déposition détaillée relative à l’incendie volontaire; - en niant lui en avoir fait une autre, le surlendemain, au sujet des meurtres; - en prétendant avoir subi des pressions et des violences de la part de la police et avoir été contraint de signer des déclarations préparées par elle; - en alléguant avoir dit à son solicitor que les policiers lui avaient infligé des sévices et l’avaient forcé à signer une déposition. Il se vit accorder l’aide judiciaire pour la préparation de sa défense par son solicitor et sa représentation au procès par un senior et un junior counsel. Le Solicitor General for Scotland (paragraphe 29 ci-dessous) assura l’accusation: on estima les charges assez graves pour commander la présence d’un procureur de rang élevé; or l’Advocate Depute le plus ancien en grade, qui avait comparu pour l’accusation au procès Lafferty, devait témoigner à celui du requérant. A l’issue de quatre semaines de débats tenus à Glasgow en février 1985, la High Court of Justiciary reconnut M. Granger coupable des premier, deuxième et quatrième chefs d’inculpation et non coupable du cinquième; elle écarta le troisième faute de preuves. Elle condamna l’intéressé à cinq ans de prison. Aux fins de la détermination des frais remboursables au titre de l’aide judiciaire, le juge certifia que l’affaire s’était révélée exceptionnellement longue, complexe et ardue. C. Le recours du requérant contre sa condamnation Par les soins de son solicitor, le requérant notifia ultérieurement son intention d’attaquer sa condamnation (paragraphe 27 ci-dessous). L’aide judiciaire octroyée dans le cadre du procès pour faux témoignage couvrait aussi bien cette démarche que la consultation du solicitor sur les chances de succès d’un recours, celle d’un avocat sur le même point, l’établissement par lui, puis le dépôt d’une déclaration d’appel précisant les moyens invoqués (ibidem) et l’introduction d’une demande d’aide judiciaire pour représentation à l’audience. Pareille demande fut adressée au Supreme Court Legal Aid Committee of the Law Society of Scotland ("le Comité", paragraphe 30 ci-dessous), le 6 juin 1985, au nom de M. Granger qui ne disposait pas des moyens nécessaires pour rémunérer des conseils. Elle s’accompagnait d’un memorandum, d’une copie de la déclaration d’appel (avec un exposé complémentaire des moyens) et du résumé fait par le juge à l’intention du jury en première instance; par la suite furent également fournis une copie de l’acte d’accusation et un extrait de casier judiciaire. Le Comité jugea le tout insuffisant et pria le solicitor du requérant de lui communiquer l’avis d’un avocat sur les chances de succès du recours. Le solicitor le fit le 4 juillet 1985. En réalité, il avait recueilli cet avis dès le 14 mai, auprès des avocats (senior et junior counsel) qui avaient défendu M. Granger à son procès; le senior counsel, notamment, avait une grande expérience des appels devant la High Court of Justiciary. Ils avaient estimé ne pouvoir recommander l’exercice du recours: d’après eux, aucun des deux moyens possibles n’était assez consistant pour avoir de bonnes chances de prospérer; en tout cas, on ne pouvait sérieusement escompter convaincre la cour que la justice avait été mal administrée (paragraphe 26 ci-dessous). Le solicitor soumit en outre au Comité une copie de sa lettre du 23 mai 1985 à ses agents d’Édimbourg, où il marquait son désaccord avec l’opinion des avocats. Le 5 février 1985, dans la perspective du procès du requérant, il avait obtenu un rapport psychiatrique dépeignant ce dernier comme une personne d’intelligence modeste et maîtrisant mal l’anglais, surtout écrit, mais il n’en donna pas connaissance au Comité. Il ne lui signala d’ailleurs en aucune manière des limites intellectuelles ou linguistiques de son client. Non convaincu que M. Granger eût des motifs sérieux d’interjeter appel, le Comité repoussa la demande par une décision du 11 juillet 1985, présentée comme définitive (paragraphe 31 ci-dessous). L’intéressé n’en continua pas moins à recevoir conseils et assistance de son solicitor et résolut de persévérer. Il reprenait les moyens envisagés par ses avocats en mai 1985 (paragraphe 15 ci-dessus). D’après lui, il y avait eu mauvaise administration de la justice (paragraphe 26 ci-dessous) car le juge de première instance avait eu le tort (en résumé): a) d’intervenir, pendant le contre-interrogatoire d’un policier, pour qualifier d’irrecevable et de dépourvue de pertinence la thèse de la défense, ce qui, d’après M. Granger, revenait à donner au jury des indications juridiques inexactes et prématurées; b) d’admettre comme preuve une déposition du requérant remontant au 23 mai 1984, en dépit d’une objection de la défense selon laquelle il s’agissait d’une "precognition", c’est-à-dire une déclaration faite par un témoin potentiel à un stade avancé d’une enquête et esquissant les éléments qu’il pourrait apporter lors d’un procès futur; c) d’écarter une autre objection contre la recevabilité de la même déposition, à savoir qu’elle établissait des infractions dont l’intéressé ne se trouvait pas inculpé et qu’elle serait source de préjugés à son égard; d) d’affirmer aux jurés qu’un policier, s’il croyait sincèrement que ses supérieurs comptaient utiliser le requérant comme simple témoin, n’aurait commis aucun abus en lui annonçant, avant d’obtenir la déposition en cause et certains croquis, qu’on ne le poursuivrait pas; e) de rejeter une conclusion de la défense selon laquelle le témoignage de M. Granger au procès Lafferty n’avait joué aucun rôle important ("material") et, dès lors, ne pouvait fonder une inculpation de faux témoignage. L’examen du recours commença le 27 septembre 1985 devant la High Court of Justiciary, siégeant à Edimbourg en juridiction d’appel composée de trois juges. L’accusation était à nouveau représentée par le Solicitor General for Scotland, accompagné d’un junior counsel et d’un membre du personnel du Crown Office (paragraphe 29 ci-dessous). Le refus de l’aide judiciaire excluant l’assistance d’un avocat et les solicitors n’ayant pas le droit de plaider devant la High Court of Justiciary, M. Granger défendit lui-même sa cause. Il donna lecture d’un texte préparé par son solicitor et développant les moyens énoncés par écrit. Le Solicitor General eut ensuite la parole; il la conserva pendant une heure et demie environ. Pour l’essentiel, les débats portèrent sur le point de savoir si la cour pouvait statuer sur le moyen b) (paragraphe 17 ci-dessus) sans étudier un compte rendu des passages pertinents des témoignages recueillis en première instance. Elle répondit par la négative, nonobstant la thèse contraire du Solicitor General; en conséquence, elle ordonna d’établir un tel compte rendu, à l’élaboration duquel le solicitor du requérant contribua ultérieurement, et renvoya l’audience au 6 mars 1986. Après cet ajournement, M. Granger ne renouvela pas sa demande d’aide judiciaire, ni n’en sollicita le réexamen, pas plus qu’il n’informa le Comité de l’ordonnance de la cour. À la reprise de l’audience il se trouvait derechef en possession d’un exposé écrit de son solicitor, traitant de l’ensemble des moyens d’appel. La cour souligna qu’elle souhaitait l’entendre sur le seul moyen b); elle l’autorisa néanmoins à lire l’intégralité de sa déclaration car il était incapable de saisir des finesses juridiques. A l’unanimité, elle rejeta le recours sur tous les points. Dans le texte de son arrêt, le Lord Justice-Clerk, qui présidait, examina de près chacun des moyens, mais il aboutit à la conclusion qu’aucun d’eux ne tenait et qu’il n’y avait pas eu mauvaise administration de la justice (paragraphe 26 ci-dessous). Selon lui, les observations de l’appelant avaient été "bien préparées et clairement énoncées". M. Granger sortit de prison le 16 juillet 1988, après avoir purgé les deux tiers de sa peine et bénéficié d’une remise pour le reliquat. D. Le pourvoi du Lord Advocate Le 26 septembre 1985 - la veille de la première audience d’appel -, le Lord Advocate consulta la High Court of Justiciary, en vertu de l’article 263A de la loi de 1975 sur la procédure pénale écossaise (Criminal Procedure (Scotland) Act, paragraphes 32-33 ci-dessous), sur deux problèmes de droit soulevés par les indications que le juge avait fournies au jury, en première instance, quant au chef d’inculpation écarté faute de preuves (paragraphe 12 ci-dessus). Il souhaitait savoir: a) si, dans une affaire de faux témoignage où le prévenu n’avait pas cette qualité lors du procès antérieur, on doit attacher de l’importance à la circonstance qu’une sienne déposition, mensongèrement niée par lui sous serment, avait à l’en croire été obtenue par des moyens abusifs; b) si, dans pareille affaire, le prononcé d’une condamnation dépend de l’influence du faux témoignage sur l’issue de la cause précédente et si, en toute hypothèse, il y a là une question de fait à laisser à l’appréciation du jury. Les plaidoiries relatives au pourvoi eurent lieu le 13 juin 1986. M. Granger exerça son droit légal à être représenté à l’audience; le Lord Advocate régla les honoraires du senior counsel choisi à cet effet (paragraphe 32 ci-dessous). Dans son avis du 26 juin, la High Court estima que les indications du juge de première instance - elles avaient joué en faveur du requérant - n’avaient pas été le reflet fidèle de la loi. Cet avis n’eut pas d’incidence sur l’acquittement de l’intéressé (paragraphe 33 ci-dessous). II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Recours ouverts aux personnes condamnées sur la base d’un acte d’accusation En Écosse, tout condamné peut, sans avoir besoin d’autorisation préalable, attaquer la déclaration de culpabilité, la peine ou les deux. Dans une affaire jugée sur la base d’un acte d’accusation (indictment), comme en l’espèce, ce droit résulte de l’article 228 de la loi précitée de 1975 ("la loi de 1975"), amendée par la loi de 1980 sur la justice pénale écossaise (Criminal Justice (Scotland) Act). Un recours contre le verdict de culpabilité permet à l’appelant de se plaindre de toute mauvaise administration de la justice au degré inférieur. Non définie par la loi, la notion de mauvaise administration de la justice (miscarriage of justice) englobe des hypothèses telles que des indications inexactes du juge au jury, des décisions erronées sur la recevabilité de preuves ou des violations des principes de la justice naturelle. Une juridiction d’appel qui relève pareil manquement n’en reste pas moins libre de rejeter le recours si l’irrégularité commise ne lui paraît pas justifier une annulation (article 254 de la loi de 1975). Quiconque désire attaquer le verdict de culpabilité doit en notifier l’intention dans les deux semaines de l’aboutissement du procès engagé contre lui (article 231). Il a ensuite six semaines pour former une déclaration d’appel contenant un exposé détaillé des moyens invoqués; il ne peut en général fonder aucun aspect de son recours sur un moyen qui n’y figure pas (article 233). A l’audience, l’appelant ou son conseil présente le premier ses conclusions, au besoin par écrit bien que ce soit inhabituel (article 234). Le ministère public (counsel for the Crown) a ensuite la parole. Il a le devoir d’agir en pleine équité et d’assister la cour par des renseignements et, le cas échéant, des arguments impartiaux, afin que la cause de l’appelant puisse être jugée sous le meilleur jour possible. Cela revêt une importance spéciale si l’intéressé n’a pas d’avocat. Pareille situation se produit fréquemment: l’absence de limites au droit d’appel (paragraphe 25 ci-dessus) entraîne nombre de pourvois dénués de fondement et, dès lors, n’ouvrant pas droit à l’aide judiciaire (paragraphe 31 ci-dessous); en outre, et indépendamment de la possibilité de bénéficier de celle-ci, le code de déontologie des avocats oblige un conseil à refuser de s’occuper plus longtemps d’un appel pénal s’il en arrive à constater le défaut de griefs qu’il soit prêt à invoquer devant la cour. Que l’appelant ait ou non un défenseur, cette dernière étudie avec soin le recours, et en particulier les éléments de nature à jouer en faveur de l’intéressé. Quand la High Court of Justiciary siège en appel, l’accusation est toujours représentée, tantôt par le Lord Advocate ou le Solicitor General, conseillers juridiques (Law Officers) de la Couronne, tantôt par l’un des Advocate Deputes. Si le recours vise une condamnation prononcée au terme d’un long procès, il s’agit d’ordinaire - en raison de sa connaissance de l’affaire - du counsel qui avait comparu pour le ministère public au degré inférieur. En leur qualité de ministres, les Law Officers peuvent avoir à quitter la salle d’audience à bref délai pour remplir d’autres tâches. Aussi un conseil les accompagne-t-il d’habitude, mais il n’intervient qu’en leur absence. De plus, le fonctionnaire du Crown Office ayant préparé les dossiers pour la cour seconde toujours le représentant du ministère public; il ne joue qu’un rôle administratif et ne participe pas aux débats. B. L’aide judiciaire pour les appels en matière pénale L’aide judiciaire accordée dans un procès sur acte d’accusation s’étend à certains travaux exécutés en vue d’un recours (paragraphe 13 ci-dessus). Si par la suite l’intéressé entend maintenir son appel, il peut la solliciter à cette fin. A l’époque, la matière relevait de la loi (amendée) de 1967 sur l’aide judiciaire en Écosse (Legal Aid (Scotland) Act, "la loi de 1967"). Le traitement des demandes incombait au Supreme Court Legal Aid Committee of the Law Society of Scotland, composé d’avocats et solicitors indépendants et très au courant de la pratique judiciaire. Abrogeant et remplaçant celle de 1967 à compter du 1er avril 1987, une loi de 1986 sur l’aide judiciaire en Écosse a réformé le mode de gestion de l’ensemble du système. Elle a, notamment, confié à un autre organe les attributions du Comité. L’article 1 § 7 de la loi de 1967 disposait: "En matière pénale, nul n’a droit à l’aide judiciaire pour a) (...) b) une procédure de recours contre une déclaration de culpabilité ou une peine (...) sauf s’il paraît avoir des motifs sérieux de l’introduire et si l’octroi de l’aide judiciaire semble raisonnable en l’espèce." Le Comité n’estimait presque jamais déraisonnable d’accorder l’aide judiciaire à une personne paraissant avoir des motifs sérieux de recours. Il statuait en général à l’aide des documents en sa possession - dont les indications du juge au jury et l’acte d’appel énonçant les moyens invoqués - et à la lumière des thèses de l’avocat ou solicitor qui avait représenté l’intéressé en première instance. L’article 21 du règlement écossais de 1975 relatif à l’aide judiciaire en matière pénale (Legal Aid (Scotland) (Criminal Proceedings) Scheme) attribuait un caractère définitif à la décision du Comité sur le bien-fondé d’une telle demande. C. Les pourvois du Lord Advocate L’article 263A de la loi de 1975 habilite le Lord Advocate à saisir la High Court, à titre consultatif, d’un point de droit relatif à un chef d’inculpation dont a été acquittée une personne jugée sur la base d’un acte d’accusation. Celle-ci peut comparaître en personne ou charger un avocat de la représenter à l’audience. Si elle ne désire point pareille représentation, la cour désigne un conseil comme amicus curiae, afin d’assurer une ample discussion du problème. Le Lord Advocate règle les honoraires dans les deux cas. Autrefois, le ministère public ne jouissait d’aucun droit de recours contre une sentence rendue sur la base d’un acte d’accusation, de sorte qu’une décision erronée de première instance risquait de passer pour un précédent; d’où l’introduction de cette possibilité de pourvoi en droit écossais. Le seul but d’une telle initiative du Lord Advocate consiste à clarifier le droit pour l’avenir: l’avis de la High Court - l’article 263A le précise - n’a aucune incidence sur l’acquittement; même favorable à l’accusation, il ne peut entraîner de nouvelles poursuites contre l’intéressé. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 5 décembre 1985 à la Commission (no 11932/86), M. Granger se plaignait notamment de s’être vu refuser l’aide judiciaire gratuite pour son appel. Il invoquait les articles 5, 8 et 13 (art. 5, art. 8, art. 13) de la Convention et, surtout, l’article 6 §§ 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c). La Commission a retenu la requête le 9 mai 1988. Dans son rapport du 12 décembre 1988 (article 31) (art. 31), elle exprime l’opinion: - à l’unanimité, qu’il y a eu méconnaissance de l’article 6 § 3 c) (art. 6-3-c); - par onze voix contre une, que nulle question distincte ne se pose au regard de l’article 6 § 1 (art. 6-1); - à l’unanimité, qu’il n’y a eu violation ni de l’article 5 (art. 5) ni de l’article 8 (art. 8); - à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu infraction à l’article 13 (art. 13) quant aux griefs tirés des articles 5 et 8 (art. 5, art. 8), et que nulle question distincte ne surgit sur le terrain de l’article 13 (art. 13) pour les plaintes relatives à l’article 6 (art. 6). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 23 octobre 1989, M. Granger a invité la Cour à "accueillir ses griefs, lui donner gain de cause, lui accorder une satisfaction équitable et condamner aux dépens le Gouvernement". Il a toutefois déclaré se sentir "obligé d’accepter la décision de la Commission sur les articles 5, 8 et 13 (art. 5, art. 8, art. 13)". Quant à lui, le Gouvernement a demandé à la Cour de dire: "a) que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes pour le grief tiré de l’article 6 (art. 6) de la Convention ou, en ordre subsidiaire, qu’il n’y a pas eu violation de cet article (art. 6); b) (...) qu’il n’y a pas eu violation des articles 5, 8 et 13 (art. 5, art. 8, art. 13) de la Convention."
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A. Les circonstances de l’espèce Le requérant, retraité de nationalité autrichienne, réside actuellement à Innsbruck. Dans la nuit du 20 au 21 mai 1985, un cambriolage fut perpétré dans un café de Stams (Tyrol). De traces de pas relevées sur place, la police déduisit que deux personnes au moins avaient trempé dans l’infraction. Le lendemain, deux femmes, une mère et sa fille, se présentèrent au commissariat. Après avoir reçu l’assurance que leur anonymat resterait préservé, elles signalèrent aux agents de service avoir vu, la veille au soir, deux hommes dans un minibus à proximité du lieu de l’infraction. L’un d’eux était passé à côté d’elles dans la rue, sous un réverbère, à 22 heures environ, la figure en partie dissimulée par un mouchoir. L’apparence douteuse de ces individus avaient incité les deux témoins à noter le numéro d’immatriculation du véhicule. La police arrêta le propriétaire de celui-ci, qui nia tout rapport avec le cambriolage. Quant au second homme mentionné par les témoins, les soupçons pesèrent d’abord sur un ancien serveur du café, mais il avait un alibi pour le soir en question. Les recherches s’orientèrent alors vers ses relations, dont M. Windisch. La police montra par la suite à ses informatrices diverses photographies de ce dernier; elles reconnurent en lui l’homme qui était passé près d’elles dans la rue. Il fut appréhendé le 24 juin 1985. Le lendemain, la police organisa une "confrontation à visage couvert" entre lui et les deux témoins. Elle se déroula à midi à Stams: les femmes étaient assises dans une voiture à une distance de sept à dix mètres du suspect qui ne pouvait les apercevoir; il tenait un mouchoir devant son visage. Elles l’identifièrent sans hésiter comme l’un des individus qu’elles avaient observés. Il prétendit s’être trouvé à Innsbruck, et non à Stams, durant toute la nuit dont il s’agissait. Le 24 juillet 1985, le propriétaire du minibus et lui- même furent inculpés de vol avec effraction (schwerer Diebstahl durch Einbruch). Le 6 novembre 1985, le tribunal régional (Landesgericht) d’Innsbruck entendit deux policiers au sujet des déclarations des deux témoins, dont l’identité ne fut cependant pas révélée à l’audience. Il écarta les demandes du requérant tendant à la convocation de ces témoins aux fins de confrontation. Il nota que les deux policiers avaient promis de ne pas divulguer le nom des intéressées, qui craignaient des représailles, et que la direction de la police (Landesgendarmeriekommando) du Tyrol ne les avait pas relevés de leur obligation de garder le secret à cet égard. Le tribunal estima aussi que leur déposition établissait à un degré suffisant ce que les deux femmes avaient vu et leur crédibilité. La décision de ne pas dévoiler leur identité se justifiait donc. Le 20 novembre 1985, après avoir ouï plusieurs témoins parmi lesquels un autre policier, le tribunal déclara le requérant et son coaccusé coupables de vol qualifié; il indiqua oralement les principaux motifs de sa décision. Condamné à trois ans de prison, dont il y avait lieu de déduire les périodes de détention provisoire, M. Windisch manifesta aussitôt l’intention de former un pourvoi en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde) et un appel contre la peine (Berufung). Communiqué par écrit au requérant le 10 décembre 1985, le jugement du tribunal régional d’Innsbruck se référait longuement aux déclarations des deux témoins non identifiés à la police. Au sujet de leur anonymat, il s’exprimait ainsi: "(...) Le tribunal ignore le nom de ces deux femmes. La direction de la police du Tyrol n’a pas relevé les enquêteurs de leur devoir de silence, de sorte qu’ils n’ont pu divulguer l’identité des deux femmes. Cette décision lie le tribunal (...). Il échet de souligner à cet égard que la police a ordre de coopérer avec la population pour élucider les infractions. Les deux femmes ont invité les enquêteurs à ne pas révéler leur nom car elles craignent des représailles. Il s’agit de personnes simples, mais dignes de foi. On peut s’en remettre aux membres du département des enquêtes criminelles pour ce genre d’appréciation. Il est donc pleinement acceptable de préserver l’anonymat des deux intéressées." Le tribunal tenait aussi compte de la double circonstance qu’un autre témoin avait fourni au requérant, qui l’en avait prié, des renseignements sur la victime et sa situation financière et que les prévenus avaient été aperçus à Innsbruck, sortant ensemble d’un bar, peu avant les événements en cause. Il ajoutait que les dépositions des seize témoins à décharge n’avaient pas confirmé l’existence d’un alibi. Il concluait donc à la culpabilité de M. Windisch et de son coaccusé. Le 20 mars 1986, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) rejeta le pourvoi en cassation du requérant. Selon elle, la demande de celui-ci tendant à faire citer et interroger les deux témoins anonymes ne pouvait aboutir, car il n’avait pas précisé la manière d’établir leur identité et la police avait refusé de répondre sur ce point. On aurait pu identifier les deux témoins en entendant X que, selon leurs dires, elles avaient rencontré dans la soirée en question, mais M. Windisch n’avait pas sollicité son audition. Quant à l’appel contre la peine, il subit le même sort le 24 avril 1986. Par une lettre du 25 juillet 1990, le Gouvernement a informé le greffier que le Procureur général venait d’introduire devant la Cour suprême un pourvoi en cassation dans l’intérêt de la loi (Nichtigkeitsbeschwerde zur Wahrung des Gesetzes), article 33 du code de procédure pénale) contre le jugement du 20 novembre 1985. B. Le droit interne pertinent L’administration des preuves au cours du procès se trouve régie par les articles 246 à 254 du code de procédure pénale (Strafprozeßordnung). Aux termes de l’article 247 par. 1, "les témoins et experts sont appelés séparément et entendus en présence de l’accusé". Le président et les autres membres du tribunal, le parquet, l’accusé, la partie civile et leurs représentants peuvent les interroger (article 249). Toutefois, dans certaines circonstances exceptionnelles il peut être donné lecture de leurs dépositions antérieures (article 252). Aucun texte ne concerne expressément les déclarations de témoins anonymes ou les témoignages par ouï-dire. L’appréciation des moyens de preuve par le tribunal relève de l’article 258, ainsi libellé: "(1) Pour statuer, le tribunal tient uniquement compte de ce qui s’est passé pendant les débats. (2) [Il] examine les moyens de preuve avec soin et conscience du point de vue de leur fiabilité et de leur force probante, séparément et dans leur globalité. Pour déterminer s’il y a lieu de considérer un fait comme établi, les juges se fondent non sur des règles légales de preuve, mais seulement sur la conviction qu’ils se sont librement formée après un examen attentif de tous les moyens de preuve présentés à charge et à décharge." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 2 octobre 1986 à la Commission (no 12489/86), M. Windisch invoquait l’article 6 par. 3 d) (art. 6-3-d) de la Convention, au motif qu’il avait été condamné sur la seule foi des déclarations de deux témoins anonymes que le tribunal régional n’avait pas entendus et que lui-même n’avait pas eu l’occasion d’interroger. La Commission a retenu la requête le 14 décembre 1988. Dans son rapport du 12 juillet 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation du paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l’audience du 23 avril 1990, l’avocat de M. Windisch a invité la Cour à relever une atteinte aux droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 6 de la Convention, combiné avec le paragraphe 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d), et à octroyer à son client l’indemnité réclamée. L’agent du Gouvernement a, quant à lui, prié la Cour de constater l’absence de violation de la Convention dans la procédure pénale litigieuse.
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I. Les circonstances de l'espèce Citoyen autrichien, M. B. résidait à Innsbruck avant le 1er juillet 1980 et y exerçait la profession d'agent d'assurances. En 1979, sa femme et lui créèrent ou achetèrent, selon le cas, plusieurs sociétés en Autriche, au Liechtenstein et en Suisse. De l'automne de cette année à la fin de 1980, il travailla comme conseil financier et recueillit auprès de certaines personnes des sommes avoisinant les 10.000.000 schillings autrichiens, qu'il prétendait investir de manière à procurer aux intéressés un rendement de 17 à 35 %. Il en transféra une grande partie en République fédérale d'Allemagne et en Suisse et s'en servit pour les besoins de ses propres sociétés. Les poursuites pénales Le 26 juin 1980, la police informa le parquet de Salzbourg des soupçons pesant sur le requérant. Le 30, le tribunal régional (Landesgericht) de la même ville ordonna une perquisition dans l'appartement et les bureaux d'une société de M. B. Celui-ci se vit arrêter dès le lendemain 1er juillet, sur quoi des poursuites pénales furent engagées contre lui. Après l'avoir interrogé le 3, le tribunal décida de prolonger la détention provisoire (Untersuchungshaft) en vertu de l'article 180 §§ 1 et 2, alinéas 1 à 3, du code de procédure pénale (paragraphes 19 et 25 ci-dessous). Une fois l'instruction achevée le 8 mai 1981, l'acte d'accusation, long de dix-sept pages, fut communiqué au requérant le 27 mai; il devint définitif le 21 juin 1981 après le rejet de son recours par la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Linz. Il lui reprochait des actes ou tentatives, selon le cas, d'escroquerie qualifiée et commise en professionnel (gewerbsmässiger schwerer Betrug), au sens des articles 146 et 147 § 3 du code pénal, ainsi que diverses infractions à la législation sur le contrôle des changes. Le dossier comprenait treize volumes, dont plus d'une centaine de pages d'expertises; il fallait y ajouter trente volumes de documents. Le procès (Hauptverhandlung) dura plusieurs jours, au cours desquels déposèrent trente témoins. Ouverts le 9 novembre 1981, les débats furent suspendus le 12, aux fins d'un complément d'instruction demandé notamment par l'accusé; ils ne reprirent que le 15 novembre 1982. Le compte rendu totalisait 357 pages. Le 16 novembre, le tribunal condamna M. B. à huit ans d'emprisonnement, la période de détention provisoire devant s'imputer sur la peine. Il le reconnaissait coupable de vingt-quatre crimes (Verbrechen) d'escroquerie qualifiée et commise en professionnel pour des montants allant de 10.000 à 1.000.000 schillings, ainsi que de sept infractions à la législation sur le contrôle des changes. Le président exposa succinctement les motifs de cette décision. L'accusé exprima aussitôt l'intention d'introduire un pourvoi en cassation doublé d'un appel (Nichtigkeitsbeschwerde et Berufung, paragraphe 30 ci-dessous). Il fut reconduit en détention provisoire. La rédaction du jugement Selon l'article 270 du code de procédure pénale, la rédaction du jugement doit avoir lieu dans les quatorze jours (paragraphe 29 ci-dessous). Elle échut en l'espèce au juge M.; il ne l'acheva qu'en août 1985 (paragraphe 15 ci-dessous). Dès le début de 1983, l'autorité hiérarchique prit des dispositions pour contrôler le travail de ce magistrat et le pria de fournir un relevé détaillé de toutes les affaires en instance devant lui. A partir du 1er juin il bénéficia d'un allégement de sa tâche - sur le volume de laquelle le Gouvernement a fourni à la Cour des indications détaillées -, mais comme le jugement n'avait toujours pas été rédigé le procureur général de Linz requit, le 6 février 1984, l'adoption de mesures disciplinaires. Le 4 mars 1984, la cour d'appel de Linz, statuant comme juridiction disciplinaire, adressa audit juge une admonestation (Ermahnung), à titre de sanction administrative, pour le retard apporté à établir le texte du jugement (Urteilsausfertigung). M. essaya de se disculper en invoquant un excès de travail, des problèmes personnels - notamment la mort de son père et une grave opération chirurgicale pratiquée sur son fils - et le soin avec lequel il rédigeait ses décisions. Le texte en question n'étant toujours pas prêt, la cour d'appel de Linz décida, le 15 mai 1985, d'engager une nouvelle procédure disciplinaire contre M. Le 1er juillet 1986, celui-ci se vit priver d'avancement pendant deux ans. Il saisit la Cour Suprême, qui le débouta le 27 octobre 1986. Entre temps, le Personalsenat du tribunal régional de Salzbourg avait résolu, le 4 juin 1985, de ne plus lui confier de nouveaux dossiers, afin de lui permettre de liquider son arriéré. Le 28 août 1985, le jugement du tribunal régional de Salzbourg fut communiqué par écrit au requérant, qui l'avait réclamé le 5 juin en même temps qu'il sollicitait son élargissement sous caution (paragraphe 23 ci-dessous). Long de 126 pages, il constatait que l'accusé avait, en quarante-deux occasions, obtenu frauduleusement de vingt-cinq personnes résidant dans diverses villes autrichiennes un total d'environ 000.000 schillings. Une large part de ces fonds avait été transférée en République fédérale d'Allemagne et en Suisse, de sorte qu'il y avait eu aussi violation de la législation sur le contrôle des changes à sept reprises et pour un montant de 8.500.000 schillings. En revanche, le tribunal acquittait le requérant pour le surplus. Le jugement relatait ensuite les faits de la cause (paragraphe 8 ci-dessus) et analysait en détail les diverses infractions relevées. La procédure devant la Cour Suprême Dans le délai légal de quatorze jours, M. B. forma un pourvoi en cassation auprès de la Cour Suprême (Oberster Gerichtshof); il reprochait au tribunal de n'avoir pas tenu compte de la récusation d'un expert ni de ses nombreuses offres de preuve. Il interjeta en même temps appel en raison du taux, excessif selon lui, de la peine prononcée. Le 14 novembre 1985 la Cour Suprême déclara le pourvoi non fondé, mais le 19 décembre 1985 elle accueillit l'appel et réduisit la peine à six ans d'emprisonnement au lieu de huit. La détention provisoire Au regard du droit autrichien, le requérant demeura en détention provisoire depuis le 1er juillet 1980, date de son arrestation (paragraphe 9 ci-dessus), jusqu'à sa condamnation définitive le 19 décembre 1985 (articles 397, 284 § 3 et 294 § 1 du code de procédure pénale - paragraphe 28 ci-dessous). Le tribunal régional de Salzbourg ordonna une première fois son maintien en détention le 3 juillet 1980, en vertu de l'article 180 §§ 1 et 2, alinéas 1 à 3, du code de procédure pénale (paragraphe 25 ci-dessous). Il fondait sa décision sur les dangers de fuite (Fluchtgefahr), de collusion (Verdunkelungsgefahr) et de répétition des infractions (Wiederholungsgefahr): l'intéressé pouvait craindre une lourde peine privative de liberté, avait de bons contacts à l'étranger, risquait aussi d'entraver la marche de l'enquête et, déjà emprisonné jadis pour des faits similaires, avait récidivé. Le 10 septembre 1980, la chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal examina d'office les motifs de la détention, conformément à l'article 194 § 3 du code de procédure pénale (paragraphe 27 ci-dessous). A l'audience (Haftprüfungsverhandlung), le requérant réclama son élargissement, mais en vain: la chambre du conseil estima qu'il y avait danger de fuite, l'accusé n'étant pas bien intégré socialement, ayant de bons contacts à l'étranger et pouvant s'attendre à une peine élevée; elle ajouta qu'il risquait de récidiver car, condamné antérieurement pour des faits similaires, il avait commis de nouvelles infractions après sa libération le 9 mars 1979. En revanche, elle écarta le danger de collusion, l'enquête ayant suffisamment progressé au cours des deux mois qu'avait déjà duré la détention provisoire. Tout bien pesé, elle considéra que les buts de la détention ne pouvaient être atteints par des mesures moins strictes. Appelé à comparaître devant le juge le 15 octobre, M. B. déclara ne pas vouloir se justifier jusqu'au moment où son conseil aurait soumis au tribunal, sous la forme d'un mémoire accompagné d'une demande d'élargissement, l'ensemble des éléments à décharge. Le 5 janvier 1981, la cour d'appel de Linz décida de prolonger d'un an la détention provisoire, en vertu de l'article 193 § 2 du code de procédure pénale (paragraphe 26 ci-dessous): l'instruction était très complexe, en raison du grand nombre des faits incriminés, et une enquête se trouvait en cours à l'étranger pour tirer au clair la destination des fonds transférés en Suisse. Le 15 avril, lors d'une nouvelle comparution devant le juge, le requérant réitéra ses déclarations du 15 octobre 1980. Il ne ressort pas du dossier qu'il ait présenté une demande d'élargissement jusqu'en 1985 (paragraphe 22 ci-dessous). A partir du 21 juin 1981, date à laquelle la mise en accusation devint définitive, la détention provisoire ne fut plus assujettie à une quelconque limitation de durée, ni à un contrôle périodique exercé d'office par un tribunal (article 193 § 2 du code de procédure pénale, paragraphe 26 ci-dessous). Le 19 mai 1985, M. B. saisit la chambre du conseil du tribunal régional de Salzbourg d'une demande d'élargissement, mais il la retira le 4 juin après avoir consulté son avocat, faute de parvenir à fournir un cautionnement. Il la réitéra dès le lendemain, en offrant une garantie de 250.000 schillings; il affirmait que sa détention ne se justifiait plus, puisque sa femme et leur enfant vivaient à Salzbourg où sa formation lui permettrait de se procurer du travail. La chambre du conseil accueillit la demande le 17 juillet 1985. Elle rappelait que la condamnation n'avait pas encore acquis force de chose jugée. Quant aux motifs de la détention provisoire (paragraphe 25 ci-dessous, article 180 du code de procédure pénale), le danger de répétition des infractions se trouvait considérablement réduit par la durée de l'incarcération, longue déjà de cinq ans, mais on ne pouvait complètement exclure le risque de fuite: de son propre aveu, le requérant avait déposé dans une banque de Zurich pour environ 000.000 schillings de lingots d'argent et il avait des relations à l'étranger. Ledit risque pouvait cependant être éliminé par le versement d'une caution, dont la chambre du conseil fixa le montant à 000.000 schillings eu égard aux conséquences des actes imputés à l'accusé. Saisie par le parquet et l'intéressé, la cour d'appel de Linz confirma la décision le 14 août 1985; M. B. demeura néanmoins en prison car il n'arriva pas à réunir les fonds nécessaires. II. La législation nationale applicable Détention provisoire L'article 180 §§ 1 et 2 du code de procédure pénale permet de placer une personne en détention provisoire - s'il existe des raisons sérieuses de la soupçonner d'avoir commis une infraction pénale - en cas de danger de fuite, de collusion ou de répétition des infractions. D'après l'article 193, la détention ne peut durer plus de deux mois si elle ne repose que sur le danger de collusion, ni plus de six dans les autres hypothèses. La juridiction de deuxième instance peut cependant, si le juge d'instruction ou le ministère public l'y invitent et si la difficulté ou l'ampleur de l'enquête l'exigent, la prolonger jusqu'à un maximum de trois mois dans le premier cas et, dans le second, d'un an, ou même de deux si la peine encourue atteint ou dépasse dix ans. Jusqu'au 30 juin 1983, la détention provisoire fondée sur un motif autre que le seul danger de collusion échappait à toute limite de durée à partir de la mise en accusation définitive ou de l'ordonnance fixant la date de l'ouverture du procès; depuis lors, les délais mentionnés plus haut cessent de courir aussitôt que commencent les débats. L'accusé pouvait et peut à tout moment présenter une demande d'élargissement (article 194 § 2). Selon les articles 194 et 195, pareille demande et tout recours contre une décision prolongeant la détention sont examinés par la chambre du conseil en audience non publique, en présence du prévenu ou de son avocat. A défaut d'une telle initiative de l'intéressé, la détention fait l'objet d'un contrôle d'office quand elle a duré deux mois ou que trois mois se sont écoulés depuis la dernière audience et que le prévenu n'a pas d'avocat. La mise définitive en accusation ou la fixation de la date d'ouverture du procès entraînent la suppression des audiences de contrôle; les décisions sur le maintien en détention incombent à la chambre du conseil siégeant à huis clos (article 194 § 4). La détention provisoire prend fin au plus tard au moment où le condamné commence à purger sa peine, sur la durée de laquelle elle s'impute (article 38 du code pénal). Lorsqu'il exerce un recours auquel la loi reconnaît un effet suspensif - par exemple un pourvoi en cassation (article 284 § 3) ou un appel relatif au taux de la peine (article 294 § 1) -, il demeure en détention provisoire jusqu'à la décision définitive (article 397). Jugement de première instance et recours Aux termes de l'article 270 § 1 du code de procédure pénale, le jugement "doit être mis sous forme écrite dans les quatorze jours qui suivent la date du prononcé, et signé par le président et le greffier". Selon la doctrine et la pratique autrichiennes, il ne se trouve pas entaché de nullité en cas d'inobservation de ce délai. Il peut être attaqué au moyen d'un pourvoi en cassation, d'un appel - relatif au taux de la peine ou de la réparation allouée - ou des deux (articles 280 et suivants). La déclaration de recours, à formuler dans les trois jours du prononcé (articles 284 § 1 et 294 § 1), jouit en principe d'un effet suspensif immédiat (articles 284 § 3 et 294 § 1). Quant aux motifs, il faut les déposer au tribunal dans les quatorze jours qui suivent soit ladite déclaration, soit la notification du jugement si elle n'a lieu qu'après (articles 285 § 1 et 294 § 2). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 10 janvier 1986 (n° 11968/86), M. B. se plaignait de la durée tant de sa détention provisoire que de la procédure pénale intentée contre lui devant le tribunal régional de Salzbourg; il invoquait les articles 5 § 3 et 6 § 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 7 mai 1987. Dans son rapport du 14 décembre 1988 (article 31) (art. 31), elle exprime l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) (unanimité), mais non de l'article 5 § 3 (art. 5-3) (onze voix contre cinq). Le texte intégral de son avis et de l'opinion séparée dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffe: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 175 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 20 novembre 1989, le requérant a demandé à la Cour de condamner la République d'Autriche pour infraction aux articles 5 § 3 et 6 § 1 (art. 5-3, art. 6-1). De son côté, le Gouvernement l'a invitée à constater l'absence de pareil manquement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant néerlandais né au Surinam, M. Jonas Mohamed Rafiek Koendjbiharie réside actuellement à La Haye. Sur appel d’un jugement du tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de La Haye, la cour d’appel (Gerechtshof) de cette ville le condamna le 22 juin 1979, pour viol avec récidive, à neuf mois de prison et à son placement ultérieur, pour deux ans, à la disposition du gouvernement (paragraphe 17 ci-dessous). Le 22 janvier 1980, la Cour de cassation (Hoge Raad) rejeta le pourvoi de l’intéressé. Interné à sa sortie de prison, le 17 mars 1980, dans la clinique psychiatrique d’État "Veldzicht" à Balkbrug, celui-ci s’en échappa le 24 septembre 1981. Soupçonné d’un nouveau viol, il fut appréhendé le 16 avril 1982 et mis en détention préventive, mais le tribunal d’arrondissement de La Haye l’acquitta le 22 juillet 1982. Après un séjour en maison d’arrêt à La Haye, il fut examiné à l’"Institut de sélection" d’Utrecht du 13 septembre au 20 décembre 1982, date à laquelle on le reconduisit à la clinique "Veldzicht". Entre-temps, le 19 avril 1982, la cour d’appel de La Haye avait prolongé son placement jusqu’au 2 avril 1984. Le conseil de M. Koendjbiharie, Me Later, apprit en mars 1984 que, d’après le ministère de la Justice, la période de placement se terminerait le 8 juillet au lieu du 2 avril 1984, car elle avait été suspendue pendant la détention préventive subie du 16 avril au 22 juillet 1982 (paragraphes 10 ci-dessus et 17 ci-dessous). Le requérant s’y opposa, alléguant que son acquittement avait privé cette dernière de toute base légale et, partant, de tout effet sur l’application de l’article 37 b) § 3 du code pénal (paragraphe 17 ci-dessous). Le 17 mai 1984, il saisit le président du tribunal d’arrondissement de La Haye, par la voie du référé (kort geding), d’une demande d’élargissement immédiat fondée sur cette argumentation; il ajoutait que son placement avait cessé le 2 avril 1984, faute d’une requête en prolongation présentée dans le délai légal (paragraphe 18 ci-dessous). Le président, devant qui l’État avait défendu la thèse du ministère de la Justice, débouta M. Koendjbiharie le 29 mai 1984. Celui-ci interjeta appel. Dans l’intervalle, le 17 mai 1984, le procureur général près la cour d’appel de La Haye avait invité celle-ci, compétente en vertu de l’article 37 b) du code pénal, à prolonger d’un an le placement à la disposition du gouvernement. A l’audience du 4 juin 1984, la cour d’appel récapitula l’avis de la clinique "Veldzicht" puis entendit l’employé qui y coordonnait le traitement du requérant. Me Later, quant à elle, développa le raisonnement résumé plus haut (paragraphe 11 ci-dessus) pour conclure à l’irrecevabilité de la demande du procureur général. En ordre subsidiaire, elle mentionna notamment des projets de mariage de l’intéressé, lesquels, selon lui, diminueraient le risque de récidive. Elle demanda en outre à la cour d’entendre, avant de statuer, au moins l’un des deux experts dont elle donna le nom. Par un arrêt interlocutoire du 22 juin, la cour décida d’ouïr le 17 août le médecin-chef de la clinique "Veldzicht". Il ne comparut point à cette dernière date, mais la cour ne jugea pas nécessaire de le reconvoquer car M. Koendjbiharie n’avait plus l’intention de se marier. Le 21 septembre 1984, elle prolongea d’un an l’internement litigieux, précisant qu’il avait été interrompu pendant la détention préventive. L’intéressé, qui s’était évadé vers le 17 septembre, fut informé de cette décision par son avocat qui, après de multiples démarches, en reçut une copie le 31 octobre. Devant la cour d’appel de La Haye, qu’il avait saisie de son appel contre l’ordonnance de référé du 29 mai 1984 (paragraphe 11 ci-dessus), le requérant invoqua le 17 janvier 1985 l’article 37 h) du code pénal: son maintien en détention lui paraissait illégal dès lors que l’arrêt du 21 septembre 1984 n’avait pas été rendu dans les deux mois de la demande de prolongation présentée par le procureur général (paragraphes 12-13 ci-dessus et 20 ci-dessous). Par un arrêt du 18 avril 1985, la cour repoussa cet argument au motif que le retard incriminé n’affectait pas la validité de la décision rendue le 21 septembre 1984 par la chambre criminelle; elle rejeta aussi les griefs dirigés contre l’ordonnance du président, qu’elle confirma. Le 8 mars 1985, M. Koendjbiharie invita en vain le ministre de la Justice à lui accorder sa mise en liberté conditionnelle. Le 15 avril 1985, il se présenta volontairement à l’"Institut de sélection" d’Utrecht, où il fut interné. Le procureur général introduisit le 31 mai 1985 une requête tendant à une nouvelle prolongation de l’internement pour un an. Pendant les débats, Me Later reprit ses arguments antérieurs (paragraphes 11 et 14 ci-dessus), mais la cour les écarta par un arrêt du 25 juin 1985; elle refusa cependant d’accueillir la demande du parquet, faute de raisons suffisantes d’y accéder. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Depuis 1928, le code pénal néerlandais (Wetboek van Strafrecht) soumet les personnes souffrant d’une déficience ou d’une maladie mentales à un régime spécial qu’une loi du 19 novembre 1986, entrée en vigueur le 1er septembre 1988, a profondément révisé depuis lors. Aux termes de l’article 37, dans la version applicable à l’époque, n’est pas punissable l’auteur d’une infraction qu’on ne peut lui imputer parce qu’il souffre d’une déficience ou d’une maladie mentales. Si l’ordre public l’exige, le juge peut prononcer la mise d’une telle personne à la disposition du gouvernement, aux fins de traitement aux frais de celui-ci. Pareille mesure peut aussi s’ajouter à une sanction pénale si la responsabilité du condamné se trouvait seulement atténuée au moment des faits (article 37 a)). D’après l’article 37 b) § 1, le placement vaut pour deux ans sauf si le gouvernement y met fin plus tôt. Cette période commence dès que le jugement l’ayant prescrite est passé en force de chose jugée (paragraphe 2 dudit article); la suspend toute autre privation de liberté résultant d’une décision judiciaire (paragraphe 3, selon l’interprétation dominante). Le tribunal dont émane l’ordonnance initiale peut prolonger le placement, chaque fois pour un ou deux ans (article 37 b) § 2), à la demande du procureur de la Reine agissant lui-même sur avis du chef de clinique. A cet effet, le parquet adresse une requête audit tribunal deux mois au plus et un mois au moins avant l’expiration du terme (article 37 f) § 1); selon la jurisprudence, tout manquement à cette règle rend la requête irrecevable. Le procureur joint à celle-ci une copie du rapport de la clinique sur la santé physique et mentale de l’individu concerné, ainsi que la déclaration motivée d’un médecin - de préférence le médecin traitant - quant à l’opportunité de la prolongation (article 37 f) § 2). L’article 37 g) régit la procédure à suivre pour l’examen de la requête: le tribunal entend si possible la personne en cause et, s’il estime avoir besoin d’un complément de preuves, des témoins et experts; le ministère public et l’avocat de ladite personne peuvent assister à toutes les auditions, dont il est dressé procès-verbal. Par une circulaire du 16 avril 1980, le ministre de la Justice a donné pour consigne aux tribunaux d’ouïr l’intéressé avant de prolonger son placement. Aux termes de l’article 37 h) § 1, le tribunal se prononce dans les deux mois qui suivent l’introduction de la requête. L’article 37 b) § 4 précise toutefois que l’intéressé reste à la disposition du gouvernement jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la prolongation. Dans un arrêt du 14 juin 1974 (Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1974, no 436), la Cour de cassation (chambre civile) a estimé que cette dernière règle s’applique même si le tribunal excède le délai de deux mois, lequel ne revêt qu’un caractère incitatif. Tout en reconnaissant les inconvénients de cette interprétation pour l’intéressé, elle a noté que celui-ci ne reste pas pour autant sans défense contre pareil dépassement: "si, une fois expiré le délai de l’article 37 h), la décision prévue par ce texte tarde arbitrairement à venir, le gouvernement peut se voir tenu, au besoin par une action en justice de l’intéressé, de mettre fin au placement prolongé par l’effet de l’article 37 b) § 4." Par un arrêt du 29 septembre 1989 (NJ 1990, no 2), la Cour de cassation (chambre civile) a précisé ainsi la décision de 1974: à lui seul, le dépassement de l’échéance fixée par l’article 37 h) n’oblige pas à terminer le placement; l’existence d’une telle obligation dépend, notamment, de l’ampleur et des causes du dépassement ainsi que des intérêts personnels et sociaux en cause. D’après un arrêt de la Cour de cassation (chambre civile) du 9 janvier 1970 (NJ 1970, no 240), le tribunal apprécie dans quelle mesure il lui faut motiver l’ordonnance de prolongation, laquelle n’est ni prononcée en public ni susceptible de recours (article 37 h) § 2), mais signifiée à l’intéressé (article 37 h) § 3). La personne placée à la disposition du gouvernement a toujours le droit d’inviter le ministre de la Justice à révoquer la mesure. Aux termes de l’article 37 e), celui-ci peut la lever à tout moment, avec ou sans conditions, si des circonstances personnelles ou matérielles le justifient. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 18 mars 1985 à la Commission (no 11487/85), M. Koendjbiharie se plaignait de ce que son internement avait été prolongé sur la base d’une demande postérieure à son terme normal et de ce que la juridiction compétente n’avait statué ni dans les deux mois de la demande du procureur, ni à "bref délai". Selon lui, la procédure litigieuse avait enfreint l’article 5 §§ 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4) de la Convention ainsi que l’article 6 §§ 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3). Il se prétendait en outre victime d’une discrimination, fondée sur son origine nationale, contraire à l’article 14 combiné avec l’article 6 § 1 (art. 14+6-1), et de traitements inhumains et dégradants infligés par le personnel de l’hôpital au mépris de l’article 3 (art. 3). La Commission a retenu la requête le 9 décembre 1988. Dans son rapport du 12 octobre 1989 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion unanime qu’il y a eu infraction à l’article 5 §§ 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4), mais non à l’article 6 §§ 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3), ni aux articles 14 et 3 (art. 14, art. 3). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant néerlandais, M. Jacobus Keus réside actuellement aux Pays-Bas. Le 15 décembre 1981, le tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de La Haye le condamna, pour meurtre et tentative de vol à main armée, à quatre ans d’emprisonnement et à sa mise ultérieure, pour deux ans, à la disposition du gouvernement (paragraphe 12 ci-dessous). Le jugement devint définitif le 30 décembre 1981. Pendant qu’il purgeait sa peine, le requérant s’enfuit à plusieurs reprises; il resta en liberté 109 jours au total. Le 1er mai 1984, le ministre de la Justice ordonna son élargissement sous conditions à compter du 3 mai. Il s’agissait cependant d’une mesure purement formelle, car le requérant avait été placé dans une clinique psychiatrique dès le 18 février 1983. De là aussi, il s’évadait régulièrement: dans sa décision de prolongation (paragraphe 10 ci-dessous), le tribunal releva que d’après le chef de l’hôpital l’intéressé avait vécu, depuis son admission, environ 19 mois dans la clinique et 13 mois au dehors. Le 22 mai 1984, le ministère de la Justice - selon une pratique administrative non prévue par la loi - écrivit aux procureurs de la Reine de La Haye et d’Utrecht, ainsi qu’au directeur de l’hôpital, que sauf prolongation le placement s’achèverait en 1986 le 14 janvier et non le 3 mai: d’après lui, on devait considérer le requérant comme ayant été à la disposition du gouvernement pendant les périodes qu’il avait passées hors de prison à la suite de ses évasions. Ni M. Keus ni son conseil n’eurent connaissance de cette lettre. Le 14 octobre 1985, Me Later informa le tribunal d’arrondissement de La Haye qu’elle serait le conseil du requérant dans la procédure en prolongation; il ressortait de sa lettre qu’elle s’attendait à voir l’instance s’ouvrir en avril ou mai 1986. Le 29 novembre 1985, le requérant s’échappa derechef. D’après les autorités, il mena une existence clandestine. Le 4 décembre 1985, le procureur de la Reine invita le tribunal d’arrondissement de La Haye à prolonger de deux ans l’internement; il n’en avertit pas l’intéressé, ni son avocat. Par une lettre du 18 décembre 1985, celui-ci sollicita auprès du ministre de la Justice l’élargissement de son client. Le tribunal accueillit la demande de prolongation le 7 janvier 1986, à l’issue d’une audience à laquelle n’assistèrent qu’un membre du personnel de l’hôpital et le procureur de la Reine. D’après le Gouvernement, ce dernier avait chargé la police de notifier à M. Keus la convocation à cette séance, mais elle n’avait pas réussi à l’atteindre. M. Keus fut avisé de la décision - qui le qualifiait de personne "sans domicile ni résidence connus" - le 19 janvier lorsqu’il prit contact avec la clinique par téléphone. Après s’y être rendu, il y fut retenu à partir du 22 février en vertu de l’ordonnance du tribunal. Par une missive du 20 août 1986, le secrétaire d’État à la Justice fit savoir à l’avocat du requérant que le placement de ce dernier ne serait pas levé dans l’immédiat. Ayant constaté une amélioration notable de son comportement, les autorités mirent M. Keus en liberté provisoire en janvier 1987. En 1988, le procureur de la Reine renonça à solliciter une seconde prorogation du placement à la disposition du gouvernement. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Depuis 1928, le code pénal néerlandais (Wetboek van Strafrecht) soumet les personnes souffrant d’une déficience ou d’une maladie mentales à un régime spécial qu’une loi du 19 novembre 1986, entrée en vigueur le 1er septembre 1988, a profondément révisé depuis lors. Aux termes de l’article 37, dans la version applicable à l’époque, n’est pas punissable l’auteur d’une infraction qu’on ne peut lui imputer parce qu’il souffre d’une déficience ou d’une maladie mentales. Si l’ordre public l’exige, le juge peut prononcer la mise d’une telle personne à la disposition du gouvernement, aux fins de traitement aux frais de celui-ci. Pareille mesure peut aussi s’ajouter à une sanction pénale si la responsabilité du condamné se trouvait seulement atténuée au moment des faits (article 37 a)). D’après l’article 37 b) § 1, le placement vaut pour deux ans sauf si le gouvernement y met fin plus tôt. Cette période commence dès que le jugement l’ayant prescrite est passé en force de chose jugée (paragraphe dudit article); la suspend toute autre privation de liberté résultant d’une décision judiciaire (paragraphe 3, selon l’interprétation dominante). Le tribunal dont émane l’ordonnance initiale peut prolonger le placement, chaque fois pour un ou deux ans (art. 37 b) § 2), à la demande du procureur de la Reine agissant lui-même sur avis du chef de clinique. A cet effet, il adresse une requête audit tribunal deux mois au plus et un mois au moins avant l’expiration du terme (art. 37 f) § 1); selon la jurisprudence, tout manquement à cette règle rend la requête irrecevable. Le procureur joint à celle-ci une copie du rapport de la clinique sur la santé physique et mentale de l’individu concerné, ainsi que la déclaration motivée d’un médecin - de préférence le médecin traitant - quant à l’opportunité de la prolongation (art. 37 f) § 2). L’article 37 g) régit la procédure à suivre pour l’examen de la requête: le tribunal entend si possible la personne en cause et, s’il estime avoir besoin d’un complément de preuves, des témoins et experts; le ministère public et l’avocat de ladite personne peuvent assister à toutes les auditions, dont il est dressé procès-verbal. Par une circulaire du 16 avril 1980, le ministre de la Justice a donné pour consigne aux tribunaux d’ouïr l’intéressé avant de prolonger son placement. Aux termes de l’article 37 h) § 1, le tribunal se prononce dans les deux mois qui suivent l’introduction de la requête. L’article 37 b) § 4 précise toutefois que l’intéressé reste à la disposition du gouvernement jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la prolongation. Dans un arrêt du 14 juin 1974 (Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1974, no 436), la Cour de cassation (chambre civile) a estimé que cette dernière règle s’applique même si le tribunal excède le délai de deux mois, lequel ne revêt qu’un caractère incitatif. Tout en reconnaissant les inconvénients de cette interprétation pour l’intéressé, elle a noté que celui-ci ne reste pas pour autant sans défense contre pareil dépassement: "si, une fois expiré le délai de l’article 37 h), la décision prévue par ce texte tarde arbitrairement à venir, le gouvernement peut se voir tenu, au besoin par une action en justice de l’intéressé, de mettre fin au placement prolongé par l’effet de l’article 37 b) § 4." Par un arrêt du 29 septembre 1989 (NJ 1990, no 2), la Cour de cassation (chambre civile) a précisé ainsi la décision de 1974: à lui seul, le dépassement de l’échéance fixée par l’article 37 h) n’oblige pas à terminer le placement; l’existence d’une telle obligation dépend, notamment, de l’ampleur et des causes du dépassement ainsi que des intérêts personnels et sociaux en cause. D’après un arrêt de la Cour de cassation (chambre civile) du 9 janvier 1970 (NJ 1970, no 240), le tribunal apprécie dans quelle mesure il lui faut motiver l’ordonnance de prolongation, laquelle n’est ni prononcée en public ni susceptible de recours (art. 37 h) § 2), mais signifiée à l’intéressé (art. 37 h) § 3). La personne placée à la disposition du gouvernement a toujours le droit d’inviter le ministre de la Justice à révoquer la mesure. Aux termes de l’article 37 e), celui-ci peut la lever à tout moment, avec ou sans conditions, si des circonstances personnelles ou matérielles le justifient. Dans le passage précité de son arrêt du 14 juin 1974 (paragraphe 15 ci-dessus), la Cour de cassation visait manifestement une action en référé (kort geding) devant le président du tribunal d’arrondissement. Elle confirmait ainsi le rôle primordial de cette institution dans le système et la pratique juridiques néerlandais. L’importance d’un tel recours dans le domaine spécifique auquel a trait la présente affaire se trouve d’ailleurs illustrée par les trois arrêts de la Cour de cassation mentionnés au paragraphe 15 ci-dessus: ils furent tous rendus dans des instances en référé dont deux avaient amené le président du tribunal d’arrondissement à ordonner l’élargissement immédiat de l’intéressé. Il échet de noter en outre que dans la procédure clôturée par celui du 9 janvier 1970, l’État avait contesté la compétence du président; son exception fut rejetée, conformément à une jurisprudence déjà bien établie des juges de référé, et il ne releva pas appel. L’affaire Koendjbiharie montre elle aussi à quel point le "kort geding" constitue un recours naturel en la matière (arrêt Koendjbiharie de ce jour, série A no 185-B, pp. 35-37, §§ 11 et 14). D’autre part, le principe du contradictoire figure, d’après la jurisprudence de la Cour de cassation, parmi les principes fondamentaux du droit procédural néerlandais. Dès l’époque des faits de la présente cause, la haute juridiction n’hésitait pas à en tirer des conséquences marquantes. Dans un arrêt du 27 novembre 1981 (NJ 1983, no 56), elle en a déduit la recevabilité d’un pourvoi qui reprochait à une ordonnance prorogeant l’internement d’un "malade mental" d’avoir été prononcée sans audition de l’intéressé; pour accueillir le moyen, il lui avait fallu pourtant écarter, en raison de l’importance dudit principe, la disposition légale réservant le droit de la saisir aux personnes ouïes par le juge du fond. De même, par un arrêt du 29 mars 1985 (NJ 1986, no 242) elle a jugé recevable, en dépit des termes explicites de la loi, l’appel contre une décision prescrivant l’audition provisoire de témoins, au motif que l’appelant n’avait pas été entendu au préalable. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 13 juin 1986 à la Commission (no 12228/86), M. Keus s’en prenait à la procédure suivie pour prolonger son internement: elle n’avait été portée à la connaissance ni de lui-même ni de son avocat - lequel ne put donc le représenter - et le tribunal d’arrondissement ne l’avait pas entendu. Il se plaignait aussi de n’avoir pu contester en justice la légalité de son maintien à l’hôpital psychiatrique: aucun recours ne s’ouvrant à lui contre la décision dudit tribunal, sa seule ressource consistait à réclamer son élargissement auprès du ministre de la Justice. Il invoquait l’article 5 §§ 1, 2, 4 et 5 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4, art. 5-5) de la Convention, ainsi que l’article 6 §§ 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3). La Commission a retenu la requête le 6 juillet 1988. Dans son rapport du 4 octobre 1989 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion unanime qu’il y a eu violation de l’article 5 §§ 4 et 5 (art. 5-4, art. 5-5), mais non de l’article 5 § 1 (art. 5-1) ni de l’article 6 §§ 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3), et que l’affaire n’appelle pas un examen séparé sous l’angle de l’article 5 § 2 (art. 5-2). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissants suédois, Mme Ingegärd Skärby, Mme Rigmor Skärby, Mme Majken Skärby, M. Bertil Skärby, M. Rolf Skärby et Mme Lena Hedman sont les enfants et héritiers de Christian et Maria Skärby. Ils ont saisi la Commission en leur nom propre et en qualité de cohéritiers indivis de leurs parents, les deux successions jouissant de la personnalité juridique. Ils habitent, selon le cas, à Nyhamnsläge, Ambjörby, Kisa ou Höganäs. En 1913, Christian et Maria Skärby achetèrent dans le sud de la Suède une ferme sur la côte de Skälderviken (ouest de la province de Scanie). La loi sur la protection des ressources naturelles (lagen om hushållning med naturresurser m m), entrée en vigueur le 1er juillet 1987, reconnaît à la région un intérêt national du point de vue des ressources naturelles et des valeurs culturelles. La propriété, de huit hectares environ, se composait de trois parcelles différentes: Flundrarp 4:9, Stubbarp 8:17 et Stubbarp 8:18. En 1960, une nouvelle acquisition fut rattachée à la première d'entre elles, désormais appelée Flundrarp 12:1. Le présent litige tire son origine des tentatives faites par les requérants pour y bâtir. En 1962, la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Malmöhus confirma un plan de construction (byggnadsplan) qui couvrait la majeure partie de Flundrarp 4:9 (paragraphe 18 ci-dessous). Il prévoyait, entre autres, de protéger la zone située le long de la côte, en tant que parc naturel - la législation suédoise ne définit toutefois pas ce terme ni n'indique les charges correspondantes -, et destinait le reste à l'agriculture et à un jardin pour l'immeuble principal, la parcelle supportant quatre autres bâtiments. Il indiquait aussi les limites et conditions à observer par les propriétaires pour réaliser de nouvelles constructions. Lorsque ce plan, élaboré par la mairie, fut affiché avant confirmation, la famille Skärby demanda aux autorités locales des renseignements sur la signification légale de l'affectation du terrain car elle souhaitait y bâtir. Comme elles ne surent pas lui répondre, elle s'adressa en 1961 à la préfecture de Malmö. Selon les requérants, les fonctionnaires compétents déclarèrent que le plan n'empêcherait pas la famille, si elle ne le contestait pas, de construire les maisons dont elle pourrait avoir besoin à l'avenir; aussi décida-t-elle de ne pas l'attaquer. En 1964, la préfecture confirma un plan qui portait sur le reliquat de Flundrarp 4:9, ainsi que sur Stubbarp 8:17 et 8:18, et qui imposait le respect de certaines exigences. En vertu de l'article 110 de la loi de 1947 sur la construction (byggnadslagen, "la loi de 1947"), il interdisait toute nouvelle édification non équipée de systèmes d'adduction d'eau et d'égouts. A plusieurs reprises entre 1968 et 1986, la famille Skärby essaya d'en obtenir le remaniement. Un nouveau plan, concernant une partie de Flundrarp 12:1, lui fut proposé en 1983. Il prévoyait la possibilité d'ériger des pavillons - à un endroit auquel la famille Skärby n'avait jamais songé - et l'élargissement de la zone réservée au parc naturel. Plusieurs membres des deux successions l'approuvèrent, mais certains d'entre eux n'acquiescèrent pas à l'accord d'exploitation (exploateringsavtalet) qui y était lié. De son côté, la municipalité estima ne pouvoir entériner les changements envisagés, ni lever l'interdiction de construire, sans un tel accord préalable. Le 28 février 1986, M. Bertil Skärby pria la commission de la construction (byggnadsnämnden) de Höganäs de lui accorder le permis d'édifier sur Flundrarp 12:1, à l'emplacement destiné au parc naturel, une maison et deux garages. Elle repoussa la demande le 24 mars 1986 car les bâtiments projetés ne cadraient pas avec le plan de construction en vigueur; il en ressortait qu'elle n'apercevait pas de raisons de consentir une dérogation au plan (paragraphe 18 ci-dessous). Dans la mesure où la décision impliquait un refus de dérogation, toute possibilité d'appel se trouvait exclue (paragraphe 19 ci-dessous). Devant les organes de la Convention, les requérants ont affirmé avoir droit à une dérogation dans les circonstances de la cause. Ils ont en outre allégué avoir subi un traitement discriminatoire par rapport à leurs voisins. D'après eux, enfin, la commission de la construction avait été influencée par le fait que la municipalité intervenait elle-même sur le marché immobilier et se souciait d'abord des avantages financiers à en retirer. A une date non précisée, ils sollicitèrent à nouveau une dérogation au plan de construction pour Flundrarp 12:1. Ladite commission la leur refusa le 24 juillet 1989. L'un de ses membres exprima une opinion dissidente d'après laquelle la "famille Skärby [avait], dès l'origine, reçu des informations erronées des autorités, et la commune [avait] (...) l'obligation de corriger l'erreur et [devait] ainsi exceptionnellement accorder une modification du plan". Parmi les requérants, seuls Mme Majken Skärby et M. Bertil Skärby habitent sur la propriété. La première, née en 1912 et de santé précaire, occupe le bâtiment principal, mal isolé et proche d'une route à grande circulation. Le second, né en 1914, réside dans un entrepôt, dépourvu d'eau courante et de chauffage. II. Le droit interne Jusqu'au 30 juin 1987, le droit de construire sur son propre terrain était régi par la loi de 1947 et par un décret que le gouvernement avait pris en 1959 en vertu de celle-ci (byggnadsstadgan, "le décret de 1959"). Le 1er juillet 1987, la loi sur l'aménagement du territoire et la construction (plan- och bygglagen, "la loi de 1987") a remplacé la loi de 1947. La loi de 1947 et le décret de 1959 jouaient en l'espèce sauf pour la dernière demande de dérogation (paragraphe 14 ci-dessus), à laquelle s'appliquait la loi de 1987. Lorsque la densité d'une zone devenait ou pouvait devenir importante, il incombait à la municipalité, même en l'absence d'un plan d'urbanisme (stadsplan), de veiller à l'élaboration d'un plan de construction. Il devait fixer les zones destinées aux différents projets qu'il mentionnait et, le cas échéant, les conditions spéciales à respecter. L'approbation d'un tel plan relevait du conseil municipal (kommunfullmäktige), mais il pouvait en charger la commission de la construction. Pour avoir valeur juridique, les décisions ainsi adoptées devaient être confirmées par la préfecture, après quoi tout propriétaire pouvait les attaquer devant le gouvernement. D'après le paragraphe 1 de l'article 110 de la loi de 1947, aucun nouveau bâtiment ne pouvait être édifié en violation du plan de construction. La préfecture pouvait toutefois consentir une dérogation "s'il existait des raisons spéciales et si la commission de la construction donn[ait] son aval"; le gouvernement pouvait aussi y habiliter cette dernière et le faisait la plupart du temps. Aux termes des articles 1 de la loi de 1947 et 55 du décret de 1959, quiconque désirait bâtir un immeuble devait saisir ladite commission. Le traitement d'une demande amenait à rechercher si le projet allait à l'encontre d'un plan adopté (ou, le cas échéant, des règlements relatifs aux zones non planifiées) ou d'une interdiction de bâtir et il répondait aux impératifs techniques pertinents. En l'absence de semblable obstacle, il fallait octroyer le permis. Si la requête tendait à un but incompatible avec le plan en vigueur ou concernait un bien frappé par une interdiction de construire, on la considérait en pratique comme une demande de dérogation. L'intéressé pouvait recourir à la préfecture contre un refus de permis ou de dérogation. A leur tour, les décisions de celle-ci pouvaient être attaquées devant le gouvernement, pour les dérogations, et devant la cour administrative d'appel pour les permis. Dans le second cas il existait une possibilité de pourvoi ultérieur à la Cour administrative suprême, moyennant une autorisation préalable. Si la préfecture tranchait les deux questions à la fois, le recours devait être porté devant la cour administrative d'appel. Si cette dernière estimait que la construction n'exigeait pas de dérogation, elle poursuivait l'examen de la question du permis. Sinon, elle déférait le dossier au gouvernement en y joignant son avis sur cette même question. L'intéressé n'avait aucun recours si la commission de la construction refusait de déroger au plan (article 71 du décret de 1959). Lorsqu'elle étudiait une demande de permis ou de dérogation, ladite commission devait respecter certains principes juridiques et administratifs. Il lui fallait par conséquent prendre en compte les divers intérêts publics et privés, ainsi que l'objectif global de la législation applicable en la matière. Il lui incombait de déterminer sur cette base s'il existait des raisons suffisantes d'accueillir la demande. De même, elle avait l'obligation de ne pas se laisser influencer par des considérations non pertinentes et de se prononcer à l'issue d'une procédure équitable conforme aux principes généraux du droit, telle l'égalité de tous les citoyens devant la loi. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 26 juin 1986 à la Commission (n° 12258/86), les intéressés alléguaient que leur cause n'avait pas été entendue équitablement et publiquement par un tribunal; ils invoquaient l'article 6 (art. 6) de la Convention. Ils soulevaient aussi certains autres griefs: ils auraient été privés du droit de vivre dans des maisons décentes sur leur propriété (articles 8 de la Convention et 1 du Protocole n° 1) (art. 8, P1-1); les autorités auraient dépassé les limites imposées par les articles précités (article 17 de la Convention) (art. 17); enfin, le véritable objectif de la municipalité aurait consisté à forcer les requérants à lui céder leur propriété à bas prix afin qu'elle pût la revendre à des estivants (article 18 de la Convention) (art. 18). Le 9 mai 1988, la Commission a retenu la requête sur le premier point et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 16 mars 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut, par douze voix contre cinq, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (art. 6-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 180-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 20 février 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant néerlandais, M. Jan Wassink réside actuellement à Klazienaveen aux Pays-Bas. Le 15 novembre 1985, le bourgmestre d’Emmen ordonna son internement d’urgence dans un hôpital psychiatrique en vertu de l’article 35 b) de la loi de 1884 sur les malades mentaux (Krankzinnigenwet, paragraphe 16 ci-dessous). Il se fondait sur un rapport établi le même jour par un psychiatre, le Dr S. Ce dernier y certifiait qu’il avait de sérieuses raisons de croire le requérant atteint d’un déséquilibre mental créant un danger immédiat pour lui-même, autrui et l’ordre public; ainsi, M. Wassink avait déjà proféré des menaces à l’encontre de membres de sa famille et attaqué une voisine dans sa maison. Le 19 novembre 1985, le procureur de la Reine (Officier van Justitie) invita le président du tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) d’Assen à prolonger la détention. En sus du dossier joint à la demande, ce juge reçut un rapport de police, du 18 novembre 1985, contenant les déclarations de divers témoins et de l’épouse de l’intéressé, ainsi qu’une note, de même date, reprenant l’avis du médecin-traitant du requérant, le Dr R. Le président entendit le 20, en présence de M. Jongeneelen, la "personne de confiance" (patientenvertrouwenspersoon) du requérant, ce dernier ainsi qu’un psychiatre, le Dr V. Il consulta ensuite par téléphone trois autres personnes - le Dr R., l’épouse de M. Wassink et un autre médecin, le Dr H. - et consigna le contenu de leurs dépositions dans une brève note. Toujours par téléphone, il donna un aperçu des renseignements ainsi recueillis à M. Jongeneelen. Dans une lettre du 9 janvier 1986, celui-ci expliqua à l’avocat du requérant que cette conversation, d’une durée de dix minutes environ, avait eu lieu à sa demande et lui avait permis - à M. Jongeneelen - de présenter ses observations; le président lui avait communiqué le dossier complet quelques jours plus tard. Le 25 novembre 1985, le président prescrivit, en vertu des articles 35 i) et 35 j) de la loi sur les malades mentaux, la prolongation de la détention du requérant. S’appuyant sur le rapport du Dr S. (paragraphe 9 ci-dessus) et sur les déclarations de M. Wassink, du Dr V. et des trois personnes interrogées par téléphone (paragraphe 11 ci-dessus), il estimait qu’en raison de sa maladie mentale l’intéressé constituait un danger immédiat pour lui-même, autrui et l’ordre public. Les dépositions recueillies par le président ou reproduites dans le rapport de police du 18 novembre 1985 montraient que M. Wassink avait déjà beaucoup dérangé ses voisins; il fallait donc craindre que non conscient des répercussions de sa conduite sur autrui, il ne continuât de se comporter de manière inacceptable s’il devait rentrer chez lui. Le requérant quitta l’hôpital le 20 décembre. Le 31, le président du tribunal d’arrondissement envoya à son conseil, qui les avait demandés, certains documents du dossier, dont la note qu’il avait rédigée à la suite de l’audition de M. Wassink et des personnes entendues au téléphone. Il expliqua que des circonstances liées à l’organisation du tribunal empêchaient de prévoir la présence d’un greffier dans toutes les affaires d’internement d’urgence: trois grands hôpitaux psychiatriques se trouvaient dans le ressort du tribunal, aux effectifs réduits. Le 24 janvier 1986, le requérant se pourvut devant la Cour de cassation contre l’ordonnance du 25 novembre 1985. Il reprochait au président du tribunal d’arrondissement de n’avoir pas assez précisé la nature du danger que sa maladie mentale créait pour lui-même et pour l’ordre public; en second lieu, d’avoir tenu audience en l’absence d’un greffier chargé de dresser procès-verbal; enfin, de ne pas lui avoir communiqué, avant de statuer, le texte des dépositions des personnes jointes par téléphone, le privant ainsi de toute occasion de réagir. Dans ses conclusions du 11 mars 1986, le Procureur général près la Cour de cassation (Procureur-Generaal bij de Hoge Raad) estimait fondé le deuxième de ces moyens (et lui seul), mais le 18 avril 1986 ladite Cour déclara le pourvoi irrecevable au motif que M. Wassink n’avait plus aucun intérêt à faire censurer la décision attaquée, la durée maximale d’un internement d’urgence étant déjà écoulée. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La législation en matière d’internement Aux Pays-Bas, l’internement des aliénés est régi par une loi du 27 avril 1884 sur le contrôle des malades mentaux par l’État, communément appelée loi sur les malades mentaux (Krankzinnigenwet, "la loi de 1884"). Les articles 35 b) à 35 j) organisent la procédure d’internement en cas d’urgence, appliquée en l’espèce. S’il existe des raisons sérieuses de croire qu’une personne présente un danger immédiat pour elle-même, autrui ou l’ordre public à cause d’une maladie mentale, le bourgmestre de sa commune de résidence peut prescrire son admission forcée (inbewaringstelling) dans un hôpital psychiatrique (article 35 b)). A cet effet, il recueille d’abord l’avis d’un psychiatre ou, en cas d’impossibilité, d’un autre médecin (article 35 c)). Dès qu’il a ordonné un internement, il informe le procureur de la Reine et lui envoie la déclaration médicale sur laquelle il s’est fondé (article 35 e)). A son tour, le procureur la communique, au plus tard le lendemain, au président du tribunal d’arrondissement en requérant, le cas échéant, le maintien de l’internement (article 35 i)). Le président statue dans les trois jours. Si le maintien est prononcé il vaut pour trois semaines, mais le président peut le renouveler pour une seconde période de même durée si une demande d’autorisation judiciaire d’internement (rechterlijke machtiging, articles 12 et 13) est introduite (article 35 j)) avant l’expiration de la première. L’article 72 du règlement I (Reglement I) édicté en exécution de la loi sur l’organisation judiciaire (Wet op de Rechterlijke Organisatie) prévoit la présence, "aux audiences et auditions" ("terechtzittingen en verhoren"), d’un greffier chargé de dresser procès-verbal. B. La jurisprudence en matière d’internement D’après la Cour de cassation des Pays-Bas, l’importance que revêt la possibilité de fonder une décision d’internement sur des informations à jour peut justifier l’utilisation, par le juge, de renseignements recueillis par téléphone. Il doit toutefois les communiquer à l’intéressé ou à son conseil pour leur permettre de les commenter. La Cour de cassation a censuré certaines décisions pour manquement à cette exigence (voir par exemple les arrêts des 4 janvier, 10 mai et 7 juin 1985, Nederlandse Jurisprudentie (NJ), no 336, 665 et 718). D’après un arrêt du 1er décembre 1989 (NJ 1990, no 438), la jurisprudence en la matière peut se résumer ainsi: si un juge se procure des informations par téléphone, il doit veiller à ce qu’elles soient consignées par écrit; a) en principe, il ne doit pas s’en servir sans en avoir révélé le contenu à l’intéressé ou à son avocat et leur avoir donné une occasion suffisante de les discuter; b) cela peut se faire aussi par téléphone; le respect des exigences visées sous 2 a) doit ressortir de la décision ou du dossier de la procédure; seules des circonstances particulières peuvent autoriser le juge à ne pas se conformer auxdites exigences; il doit alors indiquer ses raisons de telle manière que la Cour de cassation puisse contrôler l’observation de la règle no 4; si une déposition obtenue par téléphone fournit des renseignements relatifs à des points essentiels pour la décision à rendre et que, dans celle-ci, le juge ne l’ait pas écartée sans équivoque, il y a lieu de présumer qu’il les a employés pour se prononcer. Au sujet de la présence et du rôle du greffier lors des audiences qui se déroulent en exécution de la loi de 1884, la Cour de cassation s’est exprimée en ces termes: "Eu égard à la gravité des décisions à prendre en vertu de la loi sur les aliénés, aux exigences qu’il convient dès lors de leur imposer en matière de motivation et à l’importance d’une possibilité de contrôler, en cassation, leur conformité à ces exigences, il doit être rédigé un procès-verbal, contresigné par le greffier, des auditions à tenir et de l’examen éventuel à l’audience. Une copie doit en être remise à l’intéressé s’il le demande." (arrêt du 18 mai 1984, NJ 1984, no 514) Par un arrêt du 14 février 1986 (NJ 1986, no 400), la Cour de cassation a précisé que si ces conditions ne se trouvent pas respectées, il échet d’annuler la décision prononçant l’internement, quand bien même la personne concernée n’aurait pas indiqué les conséquences réelles résultant pour elle de leur inobservation. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 17 octobre 1986 à la Commission (no 12535/86), M. Wassink alléguait que son internement dans un hôpital psychiatrique n’avait pas eu lieu "conformément aux voies légales" et n’était pas "régulier", au sens du paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention (art. 5-1). Il dénonçait en outre un manquement aux exigences des paragraphes 4 et 5 (art. 5-4, art. 5-5), affirmant n’avoir pu faire contrôler "à bref délai" par un tribunal la légalité de l’ordonnance du 25 novembre 1985, ni obtenu de réparation à ce titre. Il prétendait enfin qu’au mépris de l’article 6 § 1 (art. 6-1), il n’avait pas bénéficié d’un procès équitable en vue d’une décision sur des contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil. La Commission a retenu la requête le 9 décembre 1987. Dans son rapport du 12 juillet 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) (unanimité) ainsi que des paragraphes 4 et 5 (art. 5-4, art. 5-5) (dix-sept voix contre une), mais non de l’article 6 § 1 (art. 6-1) (unanimité). Le texte intégral de son avis et de l’opinion partiellement dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. Les circonstances de l'espèce Ressortissant belge né en 1964, Serge Clooth est actuellement domicilié à Angleur (Belgique). Le 13 septembre 1984, le juge d'instruction Eloy, du tribunal de première instance de Bruxelles, le plaça sous mandat d'arrêt. Le requérant figurait parmi les suspects dans l'affaire d'assassinat et d'incendie volontaire dite de la "champignonnière", du nom de l'immeuble désaffecté où la police avait découvert, en février de la même année, le cadavre partiellement brûlé et mutilé d'une adolescente. Les autorités allemandes - qui l'avaient appréhendé, puis relâché faute de preuves, au sujet d'un autre meurtre perpétré sur leur territoire - venaient de l'extrader à la Belgique. A l'époque, le casier judiciaire de l'intéressé signalait des condamnations à deux mois d'emprisonnement pour tentative de vol qualifié (jugement du 30 juin 1983 du tribunal correctionnel de Liège, confirmé le 26 juin 1985 par la cour d'appel de la même ville) et à un mois d'incarcération militaire avec sursis du chef de désertion (jugement du 24 novembre 1983 du conseil de guerre de Liège). A. L'instruction Le juge Eloy instruisit le dossier jusqu'à son départ en congé indéterminé le 30 septembre 1985. Auparavant, il avait été absent de son cabinet, tantôt pour raisons de santé tantôt pour cause de vacances, du 4 mars au 14 juin, du 25 juillet au 27 août et du 28 août au 27 septembre 1985. Il avait prescrit son dernier devoir - le quatorzième - le 29 janvier 1985. A ce moment, les enquêteurs avaient établi 104 procès-verbaux et opéré 86 auditions ou réauditions ainsi que plusieurs perquisitions, saisies et confrontations. Le magistrat instructeur avait lui-même interrogé sept personnes et adressé une commission rogatoire aux autorités allemandes. Le 14 septembre 1984, il avait chargé deux experts- psychiatres d'examiner M. Clooth. Après plusieurs rappels, ils conclurent le 21 juin 1985 à un déséquilibre mental grave privant l'intéressé du contrôle de ses actions. Ils précisèrent qu'une "application judicieuse de la loi devrait tenir compte de la nécessité d'une prise en charge psychiatrique de longue durée". Le 23 septembre 1986, l'un d'eux confirma en tout point ce diagnostic. A la demande de l'avocat du requérant, un autre expert fut commis le 4 mai 1987; dans un rapport du 10 juin, il fit état d'un déséquilibre chronique de la personnalité de M. Clooth, rendant celui-ci dangereux. Jusqu'à la désignation, le 1er octobre 1985, du juge Van Espen, deux magistrats remplacèrent successivement le juge Eloy (paragraphe 9 ci-dessus). Les 26 mars, 6 et 15 mai, 6 et 9 août et 9 septembre 1985, ils ordonnèrent des auditions, dont deux sollicitées par le conseil du requérant. Du 26 mars au 17 octobre 1985, date du premier devoir du juge Van Espen, les enquêteurs transmirent neuf procès-verbaux. Toutefois, aucune pièce ne vint s'ajouter au dossier du 27 mars au 5 mai 1985. Parmi les actes accomplis par les magistrats instructeurs du 14 septembre 1984 au 17 octobre 1985, on dénombre vingt prescriptions de devoir, sept interrogatoires d'inculpés, quatre désignations d'expert, quatre commissions rogatoires, deux inculpations et une ordonnance de perquisition et d'exploration corporelle. Pendant cette période, les services de police effectuèrent entre autres 127 auditions ou réauditions, treize confrontations, une perquisition, une saisie, une interpellation, deux interceptions, une arrrestation administrative et au moins vingt-neuf recherches de renseignements et vérifications. Dans le même temps furent dressés vingt-cinq rapports d'expertise. Quant à M. Clooth, il fut entendu seize fois, dont trois à sa demande, et confronté à sept reprises avec d'autres personnes; il modifia onze fois son récit des faits ou de son emploi du temps. Le 31 juillet ou le 1er août 1986, la police bruxelloise recueillit la déclaration d'une personne prétendant connaître, par un tiers, le nom du meurtrier. Ce témoin exigea de pouvoir garder l'anonymat et refusa de signer sa déposition. Ayant reçu le texte de celle-ci, la police judiciaire réclama l'identification de l'informateur; les investigations ainsi rendues nécessaires aboutirent le 6 janvier 1987. A l'époque, on comptait parmi les actes accomplis par le juge d'instruction depuis le 31 juillet 1986 au moins un interrogatoire de M. Clooth, une ordonnance de perquisition, une descente sur les lieux et sept prescriptions de devoir. De leur côté, les services de police avaient rédigé trente et un procès-verbaux et mené à bien, entre autres, une perquisition, une saisie, quatorze recherches de renseignements ou vérifications et vingt-trois auditions ou réauditions, dont une de M. Clooth, sollicitée notamment par lui-même. Le juge Van Espen l'avait, lui aussi, ordonnée après que l'intéressé eut changé sa relation des faits lors de sa comparution mensuelle en chambre du conseil. D'après le Gouvernement, non contredit sur ce point par le requérant, celui-ci présenta vingt versions différentes tout au long de l'instruction. Au 17 novembre 1987, date de l'élargissement de M. Clooth (paragraphe 30 ci-dessous), plus de 175 procès-verbaux et apostilles avaient été dressés depuis la reprise du dossier par le juge Van Espen (paragraphe 11 ci-dessus). B. La procédure devant les juridictions d'instruction Le 17 septembre 1984, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles avait confirmé le mandat d'arrêt du 13 septembre (paragraphe 8 ci-dessus). Le 12 octobre, elle décida le maintien en détention préventive de l'intéressé. Au titre des circonstances graves et exceptionnelles auxquelles la loi subordonnait la validité de pareille mesure (paragraphe 32 ci-dessous), elle cita la gravité des atteintes à la sécurité publique reprochées à M. Clooth, le danger social qu'il représentait, les besoins de l'instruction et les risques de collusion. Tandis que les principaux coïnculpés du requérant se virent relâchés entre octobre et décembre 1984, la même juridiction prolongea d'un mois la détention litigieuse les 29 octobre, 28 novembre et 28 décembre 1984 puis les 28 janvier, 27 février, 27 mars, 26 avril, 23 mai et 21 juin 1985. Elle considéra chaque fois que les circonstances graves et exceptionnelles touchant à la sécurité publique, relevées par elle le 12 octobre 1984 (paragraphe 16 ci-dessus), commandaient la poursuite de l'incarcération. Sur recours de l'intéressé, la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Bruxelles confirma le 5 juillet l'ordonnance du 21 juin. Selon elle, les nombreux aveux de M. Clooth, quoique tous rétractés, autorisaient à craindre des représailles de son milieu; en l'absence de vérification de la dernière version présentée par lui et faute de conclusions relatives à son état mental, sa sortie de prison créerait de surcroît un "grave péril pour la sécurité publique" et risquerait d'entraver l'instruction. Adoptant ces motifs par un simple renvoi à l'arrêt du 5 juillet (paragraphe 17 ci-dessus), la chambre du conseil prorogea encore la mesure litigieuse les 19 juillet, 19 août, 18 septembre, 18 octobre, 18 novembre et 18 décembre 1985 puis les 17 janvier, 14 février, 14 mars, 14 avril, 14 mai et 13 juin 1986. Le 11 juillet 1986, elle rendit dans le même sens une ordonnance ainsi libellée: "Attendu (...) que le crime faisant l'objet de l'instruction est d'une exceptionnelle gravité et met en péril majeur la sécurité publique des personnes; que l'inculpé a fait des aveux et les a rétractés, mais que les détails précis qu'il a donnés permettent de le soupçonner d'être l'auteur de ce crime; que l'instruction se poursuit, les derniers devoirs datant de mai et juin 1986, dans le respect même du droit de l'inculpé qui, en raison de la rétractation de ses aveux, contraint les enquêteurs à rechercher dans toutes les directions possibles d'autres auteurs, co-auteurs ou complices; que de la complexité de l'enquête et des considérations qui précèdent, il résulte que l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention des Droits de l'Homme n'a nullement été violé (...)." Le 25 juillet, la chambre des mises en accusation de Bruxelles rejeta en ces termes le recours du requérant: "Attendu qu'il y a lieu de préciser qu'il existe des indices graves de culpabilité à charge de l'inculpé du chef d'avoir participé à un assassinat et à un incendie volontaire; que ces faits particulièrement graves démontrent un mépris total pour la vie d'autrui; Attendu que cet état d'esprit dangereux, mis en relation avec la constatation que l'inculpé était au moment des faits et est actuellement encore dans un état grave de déséquilibre mental, le rendant incapable du contrôle de ses actions et nécessitant une prise en charge psychiatrique de longue durée, constitue un grave danger pour la sécurité publique, en ce qu'il y a lieu de craindre que l'inculpé, mis en liberté provisoire, commettra des faits analogues; Que les nombreuses déclarations de l'inculpé et leur variation dans leur contenu ont rendu l'instruction particulièrement difficile et nécessité de nouvelles recherches étendues; Qu'est à tort invoquée en l'espèce une violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme, plus précisément du fait que l'instruction n'aurait plus progressé ces derniers mois; Que les éléments du dossier contredisent cette affirmation (...)." M. Clooth se pourvut en cassation. Invoquant notamment l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, il reprochait à la chambre des mises en accusation de ne pas avoir répondu à deux griefs tirés, l'un de l'absence de mesures d'instruction pendant les mois qui suivirent le départ du juge Eloy, l'autre du dépôt tardif du rapport d'expertise (paragraphes 9-12 ci-dessus). Dans un arrêt de rejet du 8 octobre 1986, la Cour de cassation estima "qu'ayant (...) donné les motifs de la durée de l'instruction, l'arrêt [avait décidé] de manière implicite mais certaine que les retards éventuels apportés à l'accomplissement des actes d'instruction visés au moyen n'avaient pas eu d'incidence sur la durée de l'instruction, de sorte que la cour d'appel n'était pas tenue d'examiner si ces retards étaient justifiés ou non (...)." Entre-temps, la chambre du conseil avait prolongé, les 11 août et 10 septembre, l'incarcération litigieuse et la chambre des mises en accusation avait débouté l'intéressé de ses recours les 22 août et 25 septembre. Ce dernier arrêt relevait, entre autres, que les innombrables devoirs, enquêtes et auditions exigés par la gravité des faits, comme par les multiples déclarations changeantes du requérant, justifiaient le maintien en maison d'arrêt. Eu égard à l'attitude même de l'inculpé, un élargissement eût été de nature à compromettre le déroulement de l'instruction; en outre, d'après l'expert-psychiatre, l'intéressé constituait un "danger social particulier". Il introduisit un pourvoi que la Cour de cassation rejeta le 3 décembre 1986. Le 10 octobre, la chambre du conseil avait ordonné une nouvelle prolongation, confirmée le 22 octobre par la chambre des mises en accusation. D'après celle-ci, trois procès-verbaux récents attestaient que l'information s'était poursuivie avec diligence depuis l'arrêt du 25 septembre (paragraphe 20 ci-dessus), dont les motifs conservaient du reste leur actualité. Le 7 janvier 1987, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de l'intéressé: d'après elle, la chambre des mises en accusation avait adéquatement répondu aux moyens et notamment à ceux qui alléguaient une violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) due à des retards dans l'accomplissement de devoirs importants, à l'absence d'actes d'instruction du 13 mai au 4 juin et du 4 juin au 31 juillet 1986 ainsi qu'au défaut d'identification d'un témoin par la police (paragraphe 13 ci-dessus). Se référant aux attendus de l'arrêt du 22 octobre (paragraphe 22 ci-dessus), la chambre du conseil décida derechef, le 10 novembre 1986, que le requérant demeurerait écroué. Sur appel, la chambre des mises en accusation maintint la mesure le 21 novembre; à ses yeux, une nouvelle version des faits avancée par l'inculpé avait rendu indispensables des vérifications, toujours en cours. Les 10 décembre 1986 et 9 janvier 1987, la chambre du conseil prononça d'autres ordonnances analogues. Elles se fondaient sur l'arrêt du 21 novembre (paragraphe 22 ci-dessus) et la chambre des mises en accusation les confirma les 24 décembre 1986 et 21 janvier 1987. La chambre du conseil s'appuya sur cette dernière décision pour refuser encore l'élargissement de l'intéressé le 6 février. Le 20 mars, la chambre des mises en accusation écarta en ces termes le recours du requérant contre une prolongation décidée le 6 mars par la chambre du conseil: "Attendu que les éléments, propres à la cause ou à la personnalité de l'inculpé, spécifiés dans les arrêts des 25 juillet 1986, 25 septembre 1986, 22 octobre 1986 et 21 novembre 1986, constituent des circonstances graves et exceptionnelles qui existent toujours et qui intéressent la sécurité publique au point d'exiger le maintien de la détention préventive (...)." La chambre du conseil motiva aussi de la sorte une ordonnance du 6 avril 1987 maintenant l'incarcération de M. Clooth. Le 16 avril, la chambre des mises en accusation rejeta l'appel de celui-ci. Outre le risque de fuite, elle invoqua les menaces pour la sécurité publique qui découlaient, selon elle, de la gravité des faits en cause et de l'état mental de l'intéressé. Elle ajouta que "l'instruction s'était poursuivie d'une manière totalement ininterrompue jusqu'à ce jour malgré les aveux successifs de l'inculpé dans des contextes différents, cette seule attitude expliquant complètement la durée de la détention". Les 4 mai, 3 juin et 3 juillet 1987, la chambre du conseil décida de nouvelles prolongations en se fondant sur le raisonnement des arrêts des 20 mars et 16 avril (paragraphes 24 et 25 ci-dessus). Contre les ordonnances des 4 mai et 3 juillet, le requérant exerça des recours que la chambre des mises en accusation repoussa les 15 mai et 17 juillet. Dans le second arrêt, elle précisa qu'une commission rogatoire à Luxembourg était en cours d'exécution et qu'un récent rapport psychiatrique, du 10 juin 1987, était venu confirmer les troubles profonds de la personnalité de l'intéressé et le danger qu'il pouvait constituer pour autrui (paragraphe 10 ci-dessus). Les mêmes considérations amenèrent la chambre du conseil à proroger, les 3 août et 2 septembre 1987, le maintien en détention, et la chambre des mises en accusation à l'en approuver les 11 août et 16 septembre. Dans des conclusions écrites des 11 et 22 juillet, 24 septembre, 22 octobre 1986 et 16 avril 1987, M. Clooth dénonça chaque fois des retards importants dans la conduite de l'enquête et réclama son élargissement conformément à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Pour lui, ni sa personnalité, ni les charges retenues, ni les intérêts de la sécurité publique ne pouvaient justifier de prolonger son incarcération. Le 2 octobre 1987, la chambre du conseil ordonna la mise en liberté provisoire de M. Clooth. Toutefois, la chambre des mises en accusation réforma cette décision le 16 octobre 1987 sur appel du ministère public. Pour elle, les circonstances graves et exceptionnelles touchant à la sécurité publique, mentionnées dans ses arrêts des 20 mars et 16 avril 1987 (paragraphes 24 et 25 ci-dessus), nécessitaient toujours la poursuite de la détention préventive; de surcroît, les éléments relatifs à l'état mental de l'inculpé (paragraphe 26 ci-dessus) subsistaient. Le 23 décembre 1987, la Cour de cassation déclara sans objet le pourvoi du requérant, car l'incarcération litigieuse avait cessé depuis lors. En effet, la chambre du conseil avait prescrit, le 2 novembre, l'élargissement de M. Clooth. La chambre des mises en accusation avait confirmé cette décision le 17, en raison du dépassement du délai raisonnable prévu à l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. L'intéressé resta toutefois détenu en vertu d'un mandat d'arrêt décerné dans une affaire de vol avec violences. Le 6 novembre 1990, la chambre du conseil rendit une ordonnance de non-lieu, devenue depuis lors définitive, à l'égard du requérant et de ses coïnculpés. II. Le droit interne pertinent A l'époque des faits, la détention préventive se trouvait régie par une loi du 20 avril 1874, modifiée plusieurs fois depuis lors. Les principales dispositions qui ont joué en l'espèce étaient ainsi libellées: Article 1er "Après l'interrogatoire, le juge d'instruction pourra décerner un mandat d'arrêt, lorsque le fait est de nature à entraîner un emprisonnement correctionnel de trois mois ou une peine plus grave. Si l'inculpé a sa résidence en Belgique, le juge ne pourra décerner ce mandat que dans des circonstances graves et exceptionnelles, lorsque cette mesure est réclamée par l'intérêt de la sécurité publique. (...)." Article 2 "Le mandat d'arrêt, dans le cas prévu à l'alinéa 2 de l'article précédent, spécifiera les circonstances graves et exceptionnelles intéressant la sécurité publique, qui motivent l'arrestation, en indiquant les éléments propres à la cause ou à la personnalité de l'inculpé." Article 4 "Le mandat d'arrêt ne sera pas maintenu si, dans les cinq jours de l'interrogatoire, il n'est pas confirmé par la chambre du conseil, sur le rapport du juge d'instruction, le procureur du Roi et l'inculpé entendus. (...)." Article 5 "Si la chambre du conseil n'a pas statué sur la prévention dans le mois à compter de l'interrogatoire, l'inculpé sera mis en liberté, à moins que la chambre, par ordonnance motivée, rendue à l'unanimité, le procureur du Roi et l'inculpé ou son conseil entendus, ne déclare que des circonstances graves et exceptionnelles intéressant la sécurité publique nécessitent le maintien de la détention. L'ordonnance spécifiera ces circonstances en indiquant les éléments propres à la cause ou à la personnalité de l'inculpé. Il en sera de même successivement de mois en mois, si la chambre du conseil n'a point statué sur la prévention à la fin d'un nouveau mois. (...)." Article 19 "L'inculpé et le ministère public pourront appeler devant la chambre des mises en accusation des ordonnances de la chambre du conseil rendues dans les cas prévus par les articles 4, 5 (...)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 12 février 1987 à la Commission (n° 12718/87), M. Clooth se plaignait de la durée de sa détention provisoire. La Commission a retenu la requête le 9 mai 1989. Dans son rapport du 10 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité à la violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 225 de la série A des publications de la Cour), mais on peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. M. VILVARAJAH Avant le refoulement Né en 1960, le premier requérant, M. Nadarajah Vilvarajah, est un citoyen sri-lankais d’origine ethnique tamoule. Il travaillait comme assistant dans le magasin de son père à Paranthon, district de Kilinochchi, dans la partie nord de l’île de Ceylan. A plusieurs reprises, l’armée sri-lankaise avait attaqué le secteur, tuant des gens et causant des destructions. En 1986 elle avait abattu le cousin du requérant et cinq autres hommes puis, le 28 mars 1987, mis à sac le magasin familial. Il affirme que par deux fois, en mars et en avril 1986, des militaires des forces navales s’emparèrent de lui et lui infligèrent des sévices. La première, il pilotait un minibus qui tomba en panne près d’une base navale; avec ses passagers, il fut détenu pendant dix heures par une patrouille de la marine qui l’aurait sévèrement battu. La seconde, toujours au volant du minibus, il fut interpellé par une patrouille navale, puis détenu pendant vingt-quatre heures. Les militaires escortèrent le véhicule jusqu’à Krainagar, la ville où il résidait, puis tirèrent au hasard sur les gens. Il y eut également un échange de coups de feu entre un groupe séparatiste tamoul, les Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (Liberation Tigers of Tamil Eelam - "LTTE"), et les soldats des forces navales, qui se servirent des passagers du bus comme de boucliers. Lors d’une importante offensive de l’armée sri-lankaise visant à reprendre la province du Nord aux LTTE, sa famille perdit son magasin ainsi que ses biens, et ses membres faillirent être tués. En mai 1987, son père s’arrangea avec un agent à Colombo pour l’envoyer à Londres. M. Vilvarajah gagna Madras le 6 juin 1987, muni de son propre passeport, puis, le 10, Londres via Bombay, porteur d’un passeport malaisien (obtenu d’un agent à Madras). Arrivé le 11, il demanda l’autorisation d’entrer au Royaume-Uni pour deux jours, en qualité de visiteur en transit pour Montréal, au Canada, où il disait se rendre en vacances. Il fut détenu le temps d’une enquête. Après avoir reconnu qu’il n’était pas le titulaire régulier du passeport, dans lequel on avait substitué sa photo à celle du vrai propriétaire, il essuya un refus fondé sur l’article 3 du "Texte d’amendements aux règles sur l’immigration" (Statement of Changes in Immigration Rules; paragraphe 84 ci-dessous), qui oblige une personne sollicitant un permis d’entrée à produire un passeport ou toute autre pièce valable d’identité. Le 12, il demanda l’asile au Royaume-Uni en invoquant la Convention des Nations Unies, de 1951, relative au statut des réfugiés, amendée par le Protocole de 1967 ("la Convention de 1951"). Le 19, des fonctionnaires des services de l’immigration l’interrogèrent en tamoul avec l’assistance d’un interprète; il affirma qu’il était risqué pour lui de rester à Sri Lanka, pour les raisons précitées. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du service "Immigration et nationalité" du ministère de l’Intérieur conclut qu’il n’avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951. Le 20 août 1987, le ministre de l’Intérieur prit une décision de rejet que l’intéressé se vit notifier dans les termes suivants: "Vous avez sollicité l’asile au Royaume-Uni en affirmant craindre avec raison d’être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Vous avez allégué qu’il était risqué pour vous d’y demeurer, à cause des opérations menées par le gouvernement dans la région de Jaffna. Vous avez déclaré aussi avoir été détenu à deux reprises, en mars et en avril 1986, pendant dix et vingt-quatre heures, et vous avez dit que l’armée avait saccagé votre entreprise familiale le 28 mars 1987. Toutefois, les incidents rapportés par vous revêtaient un caractère fortuit et relevaient d’une action générale de l’armée, destinée à identifier et neutraliser les extrémistes tamouls. Ils ne constituent pas une preuve de persécution. Vous n’avez fourni aucun autre élément à l’appui de votre demande. Le ministre a examiné les circonstances propres à votre cas, ainsi que la situation dans votre pays; il a conclu que vous n’aviez pas démontré craindre avec raison d’y être persécuté. En conséquence, il rejette votre requête. Comme vous ne remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni à un autre titre, il a chargé les services de l’immigration de vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être renvoyé, en vertu de l’article 10 de l’annexe (schedule) 2 à la loi de 1971 sur l’immigration (Immigration Act)." Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri Lanka le 22 août 1987. Il engagea alors une action en contrôle judiciaire tendant à l’annulation de la décision du ministre, mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous). Après le renvoi à Sri Lanka L’intéressé dut retourner dans son pays le 10 février 1988. Des policiers l’escortaient, les autorités locales ayant été prévenues. Son nom parut dans la presse sri-lankaise. A son arrivée à l’aéroport, les services de l’immigration l’interrogèrent brièvement. Un membre de la Haute Commission britannique (British High Commission) se trouvait sur place à sa descente d’avion. Le ministère de l’Intérieur assuma les frais du refoulement. Quant au requérant, il avait sur lui plus de 100 £. Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au Royaume-Uni, en vertu de l’article 13 de la loi de 1971 sur l’immigration, un recours contre le refus d’asile (paragraphes 71-72 ci-dessous). Ils se rendirent à Colombo pour s’entretenir avec lui et recueillir ses déclarations. Il confirma que, grâce à la publicité faite autour de son cas et à la présence du membre de la Haute Commission britannique, il n’avait guère eu d’ennuis à l’aéroport. Il signala que la police sri-lankaise l’avait questionné pendant trois heures environ pour savoir s’il avait des liens avec des groupes séparatistes tamouls tels que l’Organisation de libération du peuple tamoul de l’Eelam (People’s Liberation Organisation of Tamil Eelam - "PLOTE") et les LTTE, ce qu’il avait nié. Elle avait noté son adresse et pris ses empreintes digitales. Il dit avoir regagné son village natal pour éviter les autorités sri-lankaises et les dénonciations par la PLOTE, avec laquelle il avait en réalité coopéré, mais qui aidait à présent les Forces indiennes de maintien de la paix (Indian Peace Keeping Forces - "IPKF") à identifier ses anciens adhérents et les membres présumés des LTTE. Il ajouta que, deux semaines après son retour, il avait été dénoncé aux IPKF et convoqué au bureau du chef de la police locale. Accusé d’intelligences avec les LTTE, il avait eu peur. On l’avait néanmoins laissé rentrer chez lui au terme de l’interrogatoire. En avril 1988, au cours d’un voyage à Jaffna, les IPKF l’avaient interpellé, en même temps que d’autres Tamouls, et gardé pendant dix heures. Le groupe fut aligné devant des hommes masqués qui identifièrent certaines personnes. L’intéressé redoutait une erreur, mais on le relâcha. Il relata d’autres incidents qui l’amenaient à craindre des mauvais traitements de la part des IPKF, en raison de son activité passée au sein de la PLOTE et de leur comportement arbitraire envers les Tamouls. Pour se rendre à Colombo afin d’y rencontrer ses solicitors, il avait dû franchir de nombreux points de contrôle des IPKF et sri-lankais, ce qui avait doublé la durée normale - huit heures - du trajet. L’Adjudicator donna gain de cause à M. Vilvarajah le 13 mars 1989. Autorisé en conséquence à revenir au Royaume-Uni le 4 octobre 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous), celui-ci déposa, peu après son retour, une nouvelle demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué. On lui accorda un permis de séjour exceptionnel valable d’abord pour douze mois, puis jusqu’au 22 mars 1992. B. M. SKANDARAJAH Événements antérieurs au refoulement Né en 1958, le deuxième requérant, M. Vaithialingam Skandarajah, est originaire de Jaffna, dans le nord de Sri Lanka, zone qui se trouvait sous le contrôle des LTTE à l’époque où il y habitait. D’après lui, en 1985 l’armée sri-lankaise y régnait par la terreur. La population ne pouvait pas sortir. Des jeunes hommes étaient arrêtés sans motif, parfois torturés ou abattus à vue tandis que d’autres "disparaissaient". Soupçonnés tous d’être des séparatistes tamouls, ils vivaient dans la peur. Lors des descentes de l’armée, l’intéressé se cachait avec sa famille dans des tranchées. Sa maison fut régulièrement fouillée jusqu’en 1985, puis détruite en 1986. La famille devait se passer de nourriture pendant des jours, parce qu’il était trop dangereux d’aller s’en procurer au-dehors. L’armée bombardait quotidiennement la zone tamoule de manière aveugle. C’est ce pilonnage, et les dégâts causés à sa maison et à son entreprise le 24 avril 1987, qui auraient incité le requérant à partir. Il affirme avoir été interrogé par la police au sujet des LTTE, bien que n’en ayant jamais fait partie. Il quitta Jaffna après avoir perdu tous ses biens, sauf 150 000 roupies. Il rallia Colombo où la police l’arrêta le 2 mai 1987 chez son oncle. Il aurait été détenu pendant vingt heures et torturé. Sa jambe droite porterait encore les marques des blessures subies de la sorte. Le 6 juin 1987, il se rendit en avion de Colombo à Madras, muni de son propre passeport sri-lankais. Le 10, il gagna Londres via Bombay, grâce à un faux passeport malaisien fourni par un agent à Madras. Il sollicita l’autorisation d’entrer au Royaume-Uni pour deux jours, en qualité de visiteur en transit pour Montréal, au Canada. Le 12, les services de l’immigration lui opposèrent un refus en vertu de l’article 3 du Texte d’amendements aux règles sur l’immigration (paragraphe 11 ci-dessus). Là-dessus, il révéla sa nationalité sri-lankaise et demanda l’asile. Le 17, des fonctionnaires desdits services l’interrogèrent en tamoul avec l’assistance d’un interprète; il déclara redouter d’être inquiété s’il retournait dans son pays. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de l’Intérieur conclut qu’il n’avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951. Le 20 août 1987, le ministre de l’Intérieur prit une décision de rejet que l’intéressé se vit notifier dans les termes suivants: "Vous avez sollicité l’asile au Royaume-Uni en affirmant craindre avec raison d’être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Le ministre a étudié votre demande. Vous avez allégué qu’il était risqué pour vous de rentrer à Sri Lanka, à cause des opérations menées par le gouvernement dans la région de Jaffna. Vous avez déclaré que votre maison et les locaux de votre entreprise avaient été détruits par les tirs d’obus des forces gouvernementales. Vous avez dit aussi avoir été détenu pendant 20 heures en mai 1987 et avoir subi des sévices. Il apparaît toutefois que la destruction de votre maison et de votre entreprise ont eu pour cause des bombardements aveugles liés aux troubles civils. De même, votre arrestation et votre brève détention résultaient d’une action générale de l’armée, destinée à identifier et neutraliser les extrémistes tamouls. Le ministre a examiné les circonstances propres à votre cas, ainsi que la situation dans votre pays; il a conclu que vous n’aviez pas démontré craindre avec raison d’y être persécuté. En conséquence, il rejette votre requête. Comme vous ne remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni à un autre titre, il a chargé les services de l’immigration de vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être renvoyé, en vertu de l’article 10 de l’annexe 2 à la loi de 1971 sur l’immigration." Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri Lanka le 22 août 1987. Il engagea alors une action en contrôle judiciaire tendant à l’annulation de la décision du ministre, mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous). Après le renvoi à Sri Lanka L’intéressé dut retourner à Sri Lanka le 10 février 1988. A son arrivée à l’aéroport, les choses se passèrent comme pour le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus). La police sri-lankaise l’interrogea ensuite pendant plusieurs heures et lui prit ses empreintes digitales. Il séjourna chez son oncle à Colombo un mois environ, en attendant de pouvoir regagner Jaffna sans risques. Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au Royaume-Uni, en vertu de l’article 13 de la loi de 1971 sur l’immigration, un recours contre le refus d’asile. Ils se rendirent à Colombo pour s’entretenir avec lui et recueillir ses déclarations (paragraphes 71-72 ci-dessous). Il leur dit que le 10 mars 1988, alors qu’il roulait vers Jaffna à bicyclette, il dut s’arrêter à un poste de contrôle des IPKF. Les Tamouls de sexe masculin auraient été alignés en vue d’une identification par deux hommes masqués, dont l’un aurait désigné le requérant. Celui-ci aurait été emmené, en compagnie d’une dizaine de personnes, à un poste des IPKF dans une maison de Jaffna où on l’aurait battu pendant à peu près trois heures, à l’aide notamment de tuyaux de plastique remplis de sable. En même temps, on lui beuglait des questions relatives aux LTTE, qu’il affirma ne pas connaître. On l’aurait gardé dans une petite pièce sans literie ni installations sanitaires, avec six autres détenus qui auraient subi le même type de traitements. Certains d’entre eux auraient été suspendus par les pieds et roués de coups. Le requérant aurait encore été rossé à trois reprises au cours des sept jours suivants, chaque fois pendant une demi-heure environ. Détenu jusqu’au 24 mai 1988 et interrogé par les mêmes individus, il aurait perdu de 10 à 15 kilos, souffert de violents maux de tête et éprouvé de vives angoisses. Les soldats indiens lui répétaient sans cesse qu’il resterait enfermé à vie s’il ne parlait pas. Les détenus recevaient du riz, du dahl et des chapatis; on ne leur donnait pas assez d’eau. Ce régime les aurait déshydratés et constipés. On les filma et il semble qu’on les ait montrés à la télévision comme des membres des LTTE s’étant rendus. Le requérant fut relâché grâce à des membres de sa famille qui auraient soudoyé le commandant des IPKF locales en lui versant de l’or. À sa libération, on lui ordonna de se présenter tous les jours au poste. Il s’enfuit alors à Colombo. D’après lui, les Tamouls y vivaient dans une situation très tendue, exposés à un risque permanent de se voir arrêter et détenir de façon arbitraire et dénoncer par des indicateurs. Néanmoins, il se sentait plus en sécurité qu’à Jaffna. Pour justifier son séjour, il s’inscrivit comme étudiant. L’Adjudicator donna gain de cause à M. Skandarajah le 13 mars 1989. Autorisé en conséquence à revenir au Royaume-Uni le 4 octobre 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous), celui-ci déposa, peu après son retour, une nouvelle demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué. On lui accorda un permis de séjour exceptionnel valable d’abord pour douze mois, puis jusqu’au 22 mars 1992. C. M. SIVAKUMARAN Avant le refoulement Né en 1966, le troisième requérant, M. Saravamuthu Sivakumaran, est originaire de Point Pedro, dans le nord de Sri Lanka, où vit sa famille. En avril 1984, il assista au meurtre de son frère par des militaires de la marine. La victime pêchait avec un ami au large de Point Pedro quand ceux-ci s’approchèrent en bateau, ouvrirent le feu et tuèrent les deux hommes sans sommation ni motifs. En mars 1984, les forces de sécurité descendirent dans la région et opérèrent parmi les Tamouls de sexe masculin une rafle qui engloba le requérant. Elles les gardèrent un jour durant et les frappèrent à coups de crosse de fusil et de bâton. Elles prirent note de leurs noms et de renseignements concernant leurs familles, puis emmenèrent certains d’entre eux. En juin 1984, 300 Tamouls de sexe masculin, dont le requérant, furent détenus à Point Pedro et subirent des sévices. Les forces de sécurité emmenèrent quinze personnes. Elles les abattirent le même jour et brûlèrent leurs corps. En septembre 1984, des Tamouls de sexe masculin, dont l’intéressé, furent à nouveau rassemblés et détenus pendant une journée. Une vingtaine d’entre eux furent emmenés et exécutés. Leurs corps furent brûlés sur place. L’aviation et l’artillerie déversent régulièrement des projectiles sur Point Pedro. En octobre 1985, un bombardement aérien endommagea la maison de la famille du requérant et les habitants durent se réfugier dans une demeure voisine. L’intéressé affirme avoir été membre des LTTE de la fin de 1984 jusqu’à son départ de Sri Lanka. Il suivait un entraînement militaire et occupait un poste de sentinelle du camp. Il servait aussi de messager. Il affirme toutefois n’avoir jamais participé à des actes de violence ou de terrorisme. Le jugeant menacé en sa qualité de jeune Tamoul de sexe masculin, son père décida qu’il devait quitter Sri Lanka. Il chargea un agent tamoul de Point Pedro de le faire sortir du pays. Le requérant se rendit à Colombo le 28 novembre 1986 et séjourna chez l’agent jusqu’au 11 décembre 1986. Il gagna le Royaume-Uni via l’Inde, le Népal et Dacca. Juste avant d’atteindre l’aéroport de Colombo, le minibus qui l’y amenait dut s’arrêter à un poste de contrôle de l’armée. On les accusa, lui et les autres passagers, d’aller en Inde pour s’y entraîner avec des militants. On les conduisit dans un bureau où on les interrogea pendant trois heures. On prit en outre leurs empreintes digitales. Le requérant figurait dans un groupe de quelque 64 Tamouls qui arrivèrent à l’aéroport de Heathrow, à Londres, le 13 février 1987, et demandèrent l’asile. Il se prétendit d’abord en transit pour la Norvège. Les intéressés restèrent tous détenus pendant la procédure. Assistés d’un interprète, des agents des services de l’immigration interrogèrent M. Sirakumaran en tamoul. Il relata les événements décrits ci-dessus. A ce stade, il déclara ne pas appartenir aux LTTE; il ne reconnut le contraire auprès des autorités britanniques qu’en septembre 1987, car il craignait que cela n’entraînât l’échec de sa demande d’asile. Saisie de celle- ci, la section "Réfugiés" du ministère de l’Intérieur conclut qu’il n’avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951, et le débouta le 16 février 1987. Toutefois, la Divisional Court lui accorda le 24 l’autorisation, sollicitée par lui, d’intenter une action en contrôle judiciaire. Le 2 mars, le ministère de l’Intérieur informa ses solicitors qu’il allait réexaminer la demande d’asile. A la suite de démarches du Conseil consultatif britannique pour les immigrants (United Kingdom Immigrants’ Advisory Service - "UKIAS"), l’intéressé fut à nouveau interrogé, le 14 avril 1987, au sujet de celle-ci. Saisie une seconde fois, la section "Réfugiés" conclut derechef qu’il n’avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions. Les détails de l’affaire furent communiqués au ministre, qui aboutit à une conclusion analogue. En conséquence, on adressa au requérant, le 20 août 1987, une lettre de refus ainsi libellée: "Vous avez sollicité l’asile au Royaume-Uni en affirmant craindre avec raison d’être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Le ministre a étudié votre demande plus avant. Vous avez allégué que vous courriez un trop grand danger à rester à Sri Lanka, où les forces de sécurité arrêtaient sans motif des personnes et les exécutaient. Vous avez aussi déclaré avoir été détenu trois fois entre 1984 et 1985, puis une quatrième pendant trois jours, après avoir été appréhendé avec vos compagnons de route en vous rendant à Colombo. Enfin, vous avez dit que des militaires de la marine avaient abattu votre frère Kamarajah en 1984. Toutefois, les incidents rapportés par vous constituaient le résultat des troubles à Sri Lanka, plutôt qu’une persécution au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, vos arrestations s’inscrivaient dans le cadre d’une action générale de l’armée, destinée à identifier et neutraliser les extrémistes, et chaque fois on vous a relâché à bref délai sans vous inculper. Il échet de relever aussi que votre frère a été tué par la marine après avoir refusé d’obéir à un ordre régulier. Le ministre a examiné les circonstances propres à votre cas, ainsi que la situation dans votre pays; il a conclu que vous n’aviez pas démontré craindre avec raison d’y être persécuté. En conséquence, il rejette votre requête. Comme vous ne remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni à un autre titre, il a chargé les services de l’immigration de vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être renvoyé, en vertu de l’article 10 de l’annexe 2 à la loi de 1971 sur l’immigration." Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri Lanka le 22 août 1987. Il engagea alors une action en contrôle judiciaire tendant à l’annulation de la décision du ministre, mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous). Après le renvoi à Sri Lanka L’intéressé dut retourner à Sri Lanka le 12 février 1988. A son arrivée à l’aéroport, les choses se passèrent comme pour le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus). Le 9 janvier 1990, ses représentants produisirent le texte d’une déclaration qu’il leur avait faite au sujet de sa situation à Sri Lanka depuis son rapatriement le 13 février 1988. La police sri-lankaise (section de la police judiciaire) aurait commencé par le garder durant une journée; elle l’aurait traité comme un criminel quand elle l’interrogea sur les motifs de son séjour au Royaume-Uni. Il aurait ensuite passé quelques semaines chez ses parents. Le 2 avril 1988, alors qu’il franchissait un poste de contrôle, il aurait été identifié par un homme masqué comme ayant trempé dans les activités des LTTE. Les IPKF l’auraient alors détenu, interrogé au sujet des LTTE et torturé tous les quatre ou cinq jours. On l’aurait déshabillé et frappé avec des barres de fer et des tuyaux de plastique remplis de sable. On l’aurait parfois suspendu par les pieds en faisant brûler des piments sous sa tête pendant dix à quinze minutes, jusqu’à ce qu’il perdît connaissance. A quatre ou cinq reprises, on l’aurait soumis à un traitement aux électrochocs sur les parties génitales. Il aurait avoué avoir eu des liens avec les LTTE. Relâché le 3 octobre 1988 après que ses parents eurent réussi à soudoyer le chef de la police, il aurait vécu deux semaines à l’hôpital car il pouvait à peine marcher. Le 29 novembre 1988, les IPKF l’auraient cependant arrêté derechef, en compagnie de membres du Front révolutionnaire de libération du peuple de l’Eelam (Eelam People’s Revolutionary Liberation Front - "EPRLF"). Il aurait subi les mêmes sévices qu’auparavant et recouvré la liberté le 30 décembre 1988, ses parents ayant à nouveau corrompu la police. Après deux mois de clandestinité, il aurait essayé de se rendre au Canada mais aurait été dupé par un agent qui l’aurait abandonné en Malaisie. En avril 1989, il avait dû rentrer à Sri Lanka et s’était caché à Colombo. Un jour, des militaires de la marine l’auraient roué de coups. Depuis son retour au Royaume-Uni, il a déclaré que les IPKF et l’EPRLF continuaient de harceler sa famille. Bien que l’on ait ignoré pendant un temps son adresse, il resta en contact avec ses solicitors. En son nom, ils attaquèrent au Royaume-Uni le refus d’asile. L’Adjudicator accueillit le recours le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous). Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 4 octobre 1989, le requérant se vit accorder un permis de séjour exceptionnel valable d’abord pour douze mois, puis jusqu’au 22 mars 1992. Peu après son retour, il déposa une nouvelle demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué. D. M. NAVRATNASINGAM Avant le refoulement Né en 1970, le quatrième requérant, M. Vathanan Navratnasingam, est originaire d’Achelu mais a suivi sa scolarité à Point Pedro jusqu’en décembre 1986. Les forces armées sri-lankaises l’auraient détenu cinq fois: un mois en 1983, un jour en 1984, une semaine en 1985, une demi-journée en 1986, un jour et demi en 1987. En mai 1984, elles auraient mis le feu à son école à Point Pedro. Le lendemain, on l’aurait détenu pendant six ou sept heures au camp militaire local et accusé d’avoir provoqué l’incendie. Le directeur de l’établissement aurait protesté, provoquant sa libération. En mai 1986, tandis que l’intéressé se rendait à l’école, un hélicoptère de l’armée bombarda un pont que devait franchir son bus et tous les passagers durent descendre. Détenu dans un camp militaire pendant sept heures, il s’entendit menacer de mauvais traitements. Dans l’intervalle, son frère aîné avait fui en France (en janvier 1986) où on lui avait accordé l’asile politique. Après août 1986, l’artillerie se livra à des tirs intensifs et la maison familiale d’Achelu fut détruite le 1er janvier 1987. Le requérant n’a revu ni sa mère ni sa soeur depuis lors. Retourné sur place, son père ne put que constater les dégâts; le 15 janvier 1987, ils prirent tous deux le car pour Colombo. Arrêtés à Elephant Pass, à quelque 50 kilomètres de Jaffna, ils restèrent détenus au camp militaire local pendant un jour et demi. Ils arrivèrent à Colombo le 18 janvier 1987; le père y chargea un agent de faire sortir son fils de Sri Lanka. Celui-ci ne s’y sentait pas en sécurité car il avait des papiers d’identité tamouls et les autorités savaient qu’il venait d’ailleurs. Il s’envola donc pour Londres et atterrit le 13 février 1987 à Heathrow où il demanda l’asile. Plusieurs pages de son passeport avaient été arrachées. Il figurait dans un groupe de 64 demandeurs d’asile tamouls (paragraphe 38 ci-dessus). Il demeura détenu pendant la procédure. Interrogé à deux reprises en tamoul par un agent des services de l’immigration assisté d’un interprète, il relata les événements décrits ci-dessus. Il déclara aussi ne pas avoir eu d’activités politiques à Sri Lanka. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de l’Intérieur conclut qu’il n’avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951, et le débouta le 17 février 1987. Toutefois, la Divisional Court lui accorda le 24 l’autorisation, sollicitée par lui, d’intenter une action en contrôle judiciaire. Le 2 mars, le ministère de l’Intérieur informa ses solicitors qu’il allait réexaminer la demande d’asile. À la suite de démarches de l’UKIAS, l’intéressé fut à nouveau interrogé, le 23 avril 1987, au sujet de celle-ci. Saisie une seconde fois, la section "Réfugiés" du ministère de l’Intérieur conclut derechef qu’il n’avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions. Les détails de l’affaire furent communiqués au ministre, qui aboutit à une conclusion analogue. On en informa M. Navratnasingam par une lettre du 1er septembre 1987, ainsi libellée: "Vous avez sollicité l’asile au Royaume-Uni en affirmant craindre avec raison d’être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Le ministre a étudié votre demande plus avant. Ces dernières années, Sri Lanka a connu des troubles considérables et les autorités ont dû prendre des mesures pour rétablir l’ordre. L’agitation a entraîné des souffrances pour les individus de tous les groupes ethniques. Toutefois, après avoir pesé tous les éléments de preuve disponibles, le ministre estime que les Tamouls de Sri Lanka ne constituent pas un groupe persécuté dont les membres puissent revendiquer, sur la seule base de leur origine ethnique ou nationale, le statut de réfugié au titre de la Convention des Nations Unies de 1951 régissant la matière. Il étudie néanmoins chaque demande d’asile introduite par un Tamoul sri-lankais, afin de vérifier si elle répond aux critères de ladite Convention. La décision dépend des circonstances propres au cas d’espèce. A l’appui de votre requête, vous avez affirmé que votre vie se trouvait en danger à Sri Lanka et que des tirs d’artillerie avaient endommagé votre maison. Vous avez dit aussi que l’armée vous avait détenu un jour pendant six heures, en compagnie des autres passagers de votre car scolaire, et qu’elle avait aussi bloqué pendant 24 à 36 heures le bus qui vous conduisait de Jaffna à Colombo. Lors de l’entretien du 13 avril 1987, vous avez ajouté avoir été emmené par elle et gardé pendant une heure en 1984. Toutefois, le ministre a également tenu compte des circonstances suivantes: les dégâts causés à votre maison résultaient de tirs aveugles; on ne vous a rien fait lors de vos deux arrestations, pas plus qu’à vos compagnons de route, ni quand on vous a détenu pendant une heure en 1984. En outre, le Service consultatif britannique pour les immigrants a indiqué en votre nom qu’arrivé à Colombo le 18 janvier 1987, vous n’y étiez pas resté parce que vous ne vous y sentiez pas en sécurité: vous aviez une carte d’identité tamoule et les autorités savaient que vous veniez d’ailleurs. Lors d’un entretien ultérieur, en avril 1987, vous avez déclaré penser que votre père, qui vous avait accompagné à Colombo, puis à l’aéroport le 2 février, avait probablement repris ses activités d’enseignant dans une école de l’État et renoué le contact avec votre mère et votre soeur. Eu égard à tous les éléments avancés par vous à l’appui de votre demande, ainsi qu’aux autres données exposées dans la présente lettre, le ministre n’a pas la conviction que vous ayez lieu de craindre des persécutions à Sri Lanka, au sens de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés. Comme vous ne remplissez pas les conditions voulues pour entrer au Royaume-Uni à un autre titre, il a chargé les services de l’immigration de vous refouler vers Sri Lanka, pays dans lequel vous devez être renvoyé, en vertu de l’article 10 de l’annexe 2 à la loi de 1971 sur l’immigration." Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri Lanka le 4 septembre 1987. Il engagea alors une action en contrôle judiciaire tendant à l’annulation de la décision du ministre, mais en vain (paragraphe 67-69 ci-dessous). Après le renvoi à Sri Lanka M. Navratnasingam dut regagner Sri Lanka le 12 février 1988. A son arrivée à l’aéroport, les choses se passèrent comme pour le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus). La police sri-lankaise l’interrogea ensuite de manière agressive durant quatre heures au sujet de ses liens avec des groupes tamouls et des agences de voyage qui l’avaient aidé à fuir au Royaume-Uni. Elle prit ses empreintes digitales. Après son rapatriement, ses solicitors introduisirent au Royaume-Uni un recours contre le refus d’asile. Ils se rendirent à Colombo pour s’entretenir avec lui et recueillir ses déclarations. Il leur dit qu’à son retour il avait séjourné à Colombo chez un ami de la famille, car on n’avait découvert aucune trace de celle-ci. Il ne sortait qu’accompagné d’une personne parlant le cingalais et capable de régler les problèmes éventuels avec la police. Il connut maintes difficultés parce qu’il ne possédait plus sa carte d’identité, égarée par les services britanniques de l’immigration. Il ne tenta pas de retrouver sa famille, faute de pouvoir franchir les nombreux contrôles. Arrêté sans carte d’identité par la police vers le 10 mars 1988, il fut détenu quatre heures et interrogé sur ses activités à Colombo. Un ami de la famille persuada la police de le relâcher. A Colombo, les Tamouls vivaient dans une atmosphère très tendue, parce qu’en butte aux attaques des Cingalais. A nouveau appréhendé par la police en mai 1988, l’intéressé resta détenu jusqu’au lendemain. Il reçut des coups de ceinture et des coups de pied durant une demi-heure environ. On l’accusa d’avoir caché des terroristes tamouls du groupe des LTTE. L’ami de la famille réussit à soudoyer quelqu’un pour obtenir sa libération. Les coups subis eurent pour effet d’aggraver un ulcère apparu pendant son séjour au Royaume-Uni et, en conséquence, de l’obliger à passer une semaine à l’hôpital. Le requérant fut aussi vivement affecté par un reportage télévisé montrant deux membres de sa famille tués lors d’un échange de coups de feu entre les LTTE et les IPKF à plusieurs kilomètres de son village. Le recours formé au Royaume-Uni aboutit: l’Adjudicator l’accueillit le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous). Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 4 octobre 1989, le requérant se vit accorder un permis de séjour exceptionnel valable d’abord pour douze mois, puis jusqu’au 22 mars 1992. Peu après son retour, il déposa une nouvelle demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué. E. M. RASALINGAM Avant le refoulement Né en 1961, le cinquième requérant, M. Vinnasithamby Rasalingam, est originaire de Manor Town, dans le nord-ouest de Sri Lanka, à quelque 150 kilomètres de Jaffna. Vers la fin de 1986, la ville devint la proie de bombardements incessants des forces gouvernementales. De nombreux Tamouls cherchèrent refuge dans la jungle. En 1985, des soldats incendièrent la maison et le magasin de la famille de l’intéressé. Celui-ci croit qu’en 1986 l’armée tua deux de ses frères. En 1985 déjà, il l’aurait vue abattre deux personnes. A l’époque, il se terrait dans la jungle pour des raisons de sécurité. Un jour, des soldats traversant la ville auraient tiré sur lui. Depuis 1983, la zone où il résidait connaît des problèmes liés à la majorité cingalaise de la ville. Il y aurait eu beaucoup de meurtres et de destructions. On a parlé de massacres en d’autres endroits. Un camp militaire se trouvait à huit kilomètres du domicile du requérant. Les jeunes hommes surtout étaient menacés. Repérés par les militaires, ils risquaient l’arrestation sommaire, la torture, voire l’assassinat. Les gens fuyaient à la vue des soldats. Au moment où le requérant quitta Sri Lanka, ceux-ci restaient en général dans leurs cantonnements; ils n’en visitaient pas moins les convois, à la recherche de personnes. La région où habitait l’intéressé était sous le contrôle des séparatistes tamouls. L’armée fouillait sa maison chaque semaine. Il n’appartenait ni à un parti politique, ni à une organisation terroriste. Il versa 50 000 roupies sri-lankaises à un agent pour qu’il l’aidât à sortir du pays. Il atterrit à Heathrow le 19 mars 1987 et demanda l’asile, alors qu’il avait d’abord compté se rendre au Canada. Plusieurs pages de son passeport avaient été arrachées. Le 20 mars, on l’interrogea en tamoul avec l’aide d’un interprète. Il relata les événements décrits ci-dessus. Saisie de sa requête, la section "Réfugiés" du ministère de l’Intérieur conclut qu’il n’avait pas prouvé avoir lieu de craindre des persécutions, au sens de la Convention de 1951. Les détails de l’affaire furent communiqués au ministre, qui aboutit à une conclusion analogue. On en informa M. Rasalingam par une lettre du 1er septembre 1987, ainsi libellée: "Vous avez sollicité l’asile au Royaume-Uni en affirmant craindre avec raison d’être persécuté à Sri Lanka du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Ces dernières années, Sri Lanka a connu des troubles considérables et les autorités ont dû prendre des mesures pour rétablir l’ordre. L’agitation a entraîné des souffrances pour les individus de tous les groupes ethniques. Toutefois, après avoir pesé tous les éléments de preuve disponibles, le ministre estime que les Tamouls de Sri Lanka ne constituent pas un groupe persécuté dont les membres puissent revendiquer, sur la seule base de leur origine ethnique ou nationale, le statut de réfugié au titre de la Convention des Nations Unies de 1951 régissant la matière. Il étudie néanmoins chaque demande d’asile introduite par un Tamoul sri-lankais, afin de vérifier si elle répond aux critères de ladite Convention. La décision dépend des circonstances propres au cas d’espèce. A l’appui de votre requête, vous avez allégué l’impossibilité de vivre à Sri Lanka parce qu’on y persécute les Tamouls. Un camp militaire se trouverait à huit kilomètres de votre village, dont les troupes ne cesseraient de chasser les habitants. Vous avez déclaré que la maison de vos parents avait été incendiée en 1985 avec le reste du village, que des militaires vous avaient interrogé et menacé en 1985 et que votre magasin avait été réduit en cendres. Vous avez affirmé aussi que des soldats avaient abattu deux de vos cinq frères. Toutefois, le ministre a également tenu compte des circonstances suivantes: vous avez passé en sécurité à Sri Lanka les deux années qui ont suivi la destruction de la maison de vos parents et de votre magasin; vos parents vivent à présent dans un petit village situé de l’autre côté de la forêt, et vous travailliez sur les terres de votre père. D’après les renseignements fournis par vous, vos parents, vos trois autres frères et vos quatre soeurs - dont certains, mariés, ont eux-mêmes des enfants - vivent toujours en sécurité à Sri Lanka. Eu égard à tous les éléments avancés par vous à l’appui de votre demande, ainsi qu’aux autres données exposées dans la présente lettre, le ministre n’a pas la conviction que vous ayez lieu de craindre des persécutions à Sri Lanka, au sens de la Convention des Nations Unies de 1951 relative au statut des réfugiés. Comme vous ne remplissez pas les conditions auxquelles les règles sur l’immigration subordonnent l’entrée à un autre titre, je vous refuse l’autorisation de pénétrer sur le territoire." Des dispositions furent arrêtées en vue de le renvoyer à Sri Lanka le 4 septembre 1987. Il engagea alors une action en contrôle judiciaire tendant à l’annulation de la décision du ministre, mais en vain (paragraphes 67-69 ci-dessous). Après le renvoi à Sri Lanka M. Rasalingam dut regagner Sri Lanka le 12 février 1988. A son arrivée à l’aéroport, les choses se passèrent comme pour le premier requérant (paragraphe 15 ci-dessus). Une fois rapatrié, il éprouva des difficultés car, comme le quatrième requérant, il n’avait plus sa carte d’identité: les services britanniques de l’immigration l’avaient momentanément égarée; ils la lui restituèrent plus tard par la poste. Il s’en procura une fausse et réussit à éviter l’arrestation lors de nombreuses opérations de police. Son frère rallia les LTTE et lui-même se fit extorquer des fonds pour leur cause. Les autorités sri-lankaises et indiennes le suspectaient et continuent à le rechercher. En avril 1988, il s’enfuit en France après avoir appris que son père et son frère avaient été détenus par les IPKF. Bien que l’on ait ignoré pendant un temps son adresse, il resta en contact avec ses solicitors. En son nom, ils attaquèrent au Royaume-Uni le refus d’asile. L’Adjudicator accueillit le recours le 13 mars 1989 (paragraphes 71-72 ci-dessous). Autorisé à rentrer au Royaume-Uni le 28 août 1989, le requérant se vit accorder un permis de séjour exceptionnel valable d’abord pour douze mois, puis jusqu’au 22 mars 1992. En octobre 1989, il déposa une nouvelle demande d’asile sur laquelle il n’a pas encore été statué. F. Les actions en contrôle judiciaire intentées par les requérants Les trois premiers requérants sollicitèrent auprès de la High Court l’autorisation d’intenter une action en contrôle judiciaire du rejet de leur demande d’asile par le ministre. Un juge unique les débouta le 21 août 1987. De nouvelles requêtes, adressées par eux à un juge unique de la cour d’appel, échouèrent elles aussi le même jour. Le ministère de l’Intérieur refusa de surseoir à leur refoulement, prévu pour le lendemain, ce qui leur eût permis de saisir une cour d’appel plénière le lundi 24 août. Ils se tournèrent alors vers le juge de garde de la High Court, le samedi 22 août au matin, alléguant que le refus de sursis les privait de manière déraisonnable du droit de revenir à la charge devant la cour d’appel. Ledit juge leur donna gain de cause et interdit leur refoulement. Le 26 août, la cour d’appel les admit à intenter une action en contrôle judiciaire de la décision du ministre. Après le refus opposé par le ministre à leur demande d’asile, les quatrième et cinquième requérants engagèrent eux aussi une action en contrôle judiciaire après avoir obtenu l’autorisation nécessaire. Le juge McCowan, de la High Court, débouta les cinq intéressés le 24 septembre 1987. En revanche, la cour d’appel annula sur recours, le 12 octobre 1987, les décisions de refus d’asile. Le ministre se pourvut alors devant la Chambre des Lords qui, le 11 décembre 1987, statua en sa faveur (R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Sivakumaran and conjoined appeals, All England Law Reports 1988, vol. 1, p. 193). La haute assemblée devait se prononcer sur l’interprétation exacte de l’article 1 A.2 de la Convention de 1951, telle qu’amendée, qui définit le "réfugié" comme toute personne "qui, (...) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...)". Elle estima qu’il s’agissait là d’un critère objectif; il fallait démontrer l’existence d’un degré raisonnable de probabilité, ou un risque réel et sérieux, de voir l’intéressé subir des persécutions si on le renvoyait dans son pays. Or il ressortait du dossier que le ministre, pour décider de refuser l’asile, avait appliqué le critère de la Convention de 1951. Le texte de l’arrêt contenait les opinions suivantes: Lord Keith of Kinkel: "Les termes des décisions [du ministre] montrent qu’il s’est fondé sur la situation objective à Sri Lanka, telle qu’il l’a perçue. Il ressort de la déclaration sous serment de M. Pott, fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, que le ministre a eu égard à des rapports de la section ‘Réfugiés’ de son département, rédigés à partir d’articles de presse, de comptes rendus et de publications d’Amnesty International, ainsi qu’à des renseignements reçus par lui du ministère des Affaires étrangères et à la suite de visites récentes de secrétaires d’État à Sri Lanka. Chacun sait que ce pays, ou du moins une partie de son territoire, connaît depuis assez longtemps de graves troubles revêtant parfois l’ampleur d’une guerre civile. Les autorités ont adopté des mesures pour y mettre fin et pour en identifier et arrêter les responsables. Ces mesures, ainsi que les activités subversives, ont naturellement débouché sur des expériences pénibles et affligeantes pour beaucoup de gens pris malgré eux dans la tourmente. Comme l’agitation a sévi surtout dans les régions habitées par des Tamouls, ce sont eux qui ont le plus souffert. Dans ses décisions, le ministre a estimé que les opérations militaires destinées à démasquer et neutraliser les extrémistes tamouls ne constituent pas des preuves de persécution des Tamouls en tant que tels. Les avocats des requérants ne l’ont pas contesté; ils n’ont pas non plus sérieusement avancé qu’un groupe quelconque de Tamouls, les jeunes Tamouls du Nord par exemple, subissait des persécutions pour l’un des motifs énoncés dans la Convention. Il apparaît que le ministre, tout en considérant que ni les Tamouls en général, ni un groupe donné d’entre eux ne se trouvaient en butte à pareille persécution, a recherché en outre s’il n’en allait pas différemment pour l’un ou l’autre des requérants; il a constaté que tel n’était pas le cas. D’après lui, il fallait tenir compte des événements passés pour évaluer les perspectives d’avenir. On a plaidé que les décisions du ministre ne reflétaient pas clairement l’utilisation du critère du ‘risque réel et sérieux’, et non le recours à un simple calcul de probabilités. Ses déclarations montrent pourtant nettement qu’il n’existait pas, selon lui, de risque réel de persécution pour l’un des motifs énoncés dans la Convention." Lord Templeman: "Pour que l’on considère une personne demandant le statut de réfugié comme ‘craignant avec raison d’être persécutée’, il doit exister un risque de la voir subir un tel traitement en cas de renvoi dans son pays d’origine. La Convention n’habilite pas le demandeur à en décider; elle confie cette décision au pays où il sollicite l’asile. Aux termes de la loi de 1971 [sur l’immigration], les demandes de permis d’entrée au Royaume-Uni, y compris celles fondées sur la revendication du statut de réfugié, sont instruites par les autorités compétentes en matière d’immigration instituées par elle. En vertu de son règlement d’application, c’est au ministre qu’il incombe de statuer sur la qualité de réfugié du demandeur. En l’espèce, sa tâche consistait et consiste à déterminer, pour chaque demandeur, s’il y a risque de persécution en cas de renvoi à Sri Lanka. Il s’agit manifestement d’une question de degré et de jugement. Le ministre reconnaît à un demandeur craignant d’être persécuté le droit à l’asile dans ce pays, sauf s’il a la conviction qu’il n’existe pas de risque réel et sérieux de persécution. Il a conclu à l’absence de semblable risque (...) En l’occurrence, l’examen du processus décisionnel ne révèle aucune erreur de sa part ni n’autorisait la cour d’appel à contredire son avis selon lequel les requérants ne risqueront pas d’être persécutés si on les renvoie à Sri Lanka." Lord Goff of Chieveley: "Tout d’abord, je pense avec Lord Keith, et pour les raisons invoquées par lui, que l’exigence d’une crainte fondée de persécution signifie simplement la nécessité de démontrer que la probabilité d’une persécution pour un motif prévu par la Convention atteint un certain degré. La thèse de l’avocat du ministre, selon laquelle il doit exister un risque réel et sérieux de persécution, me paraît d’ailleurs se concilier avec cette interprétation. En second lieu, il ne faut pas oublier que le ministre jouit, de toute manière, d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant de s’écarter des règles en matière d’immigration et d’accorder le statut de réfugié s’il estime juste de le faire. Enfin, je ne puis me rallier à l’opinion de Sir John Donaldson MR, d’après laquelle les critères applicables diffèrent selon qu’il s’agit de l’article 1 de la Convention ou de l’article 33 (Weekly Law Reports 1987, pp. 1047-1051). Aux termes de l’article 33 par. 1, ‘Aucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.’ D’après Sir John Donaldson, le ministre, même quand il reconnaît à un requérant la qualité de réfugié au sens de l’article 1, doit rechercher ensuite si l’article 33, qui pose un critère objectif, interdit le refoulement du demandeur vers le pays concerné. Je ne puis y souscrire. Il me semble clair, et les observations de l’avocat du [Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés], qui s’appuie sur les travaux préparatoires, le confirment du reste, que la clause de non-refoulement de l’article 33 a été conçue pour s’appliquer à toute personne considérée comme un réfugié au sens de l’article 1 de la Convention. J’ai néanmoins le sentiment que les articles 1 et 33 se concilient plus aisément si l’on adopte, de préférence à celle du Haut Commissaire, l’interprétation donnée par le ministre aux mots ‘craint avec raison’, figurant à l’article 1 A. 2)." Après cette décision, les solicitors des cinq requérants, agissant en leur nom à tous, écrivirent au ministère de l’Intérieur pour lui signaler qu’ils entreprendraient de nouvelles démarches et saisiraient la Commission européenne des Droits de l’Homme en la priant d’user de l’article 36 de son règlement intérieur. Ils l’invitèrent aussi à confirmer qu’il ne prendrait aucune mesure contre leurs clients pendant sept jours; il s’y engagea. La Commission rejeta la demande d’application de l’article 36 le 18 décembre 1987. Sur les instances du Comité d’action tamoul au Royaume-Uni (Tamil Action Committee U.K.), le Conseil britannique pour les réfugiés (British Refugee Council), l’UKIAS et un député intervinrent de leur côté pour empêcher le renvoi. Le ministre estima que les candidats à l’asile ne pouvant obtenir le statut de réfugié devaient retourner à Sri Lanka, sauf raisons humanitaires graves; il conclut à l’absence de semblables raisons dans le cas des requérants. G. Les recours ultérieurs des requérants au titre de l’article 13 de la loi de 1971 sur l’immigration À la suite du renvoi des requérants à Sri Lanka, leurs solicitors attaquèrent les refus d’asile devant un Adjudicator au Royaume-Uni, en vertu de l’article 13 de la loi de 1971 sur l’immigration. Ils déposèrent une documentation importante concernant la situation -passée et présente- des Tamouls à Sri Lanka. Les représentants du ministre n’en contestèrent aucun élément et ne fournirent aucune autre information sur laquelle il eût fondé son refus. Par une décision du 13 mars 1989, l’Adjudicator admit que les requérants avaient quitté Sri Lanka parce que, jeunes Tamouls, ils risquaient notamment d’être "interrogés, détenus, voire molestés". Il accorda un large crédit au tableau que chacun d’eux avait brossé de sa situation personnelle, à savoir: - pour le premier, la mise à sac de l’entreprise familiale, la mort de son cousin, ses arrestations et sa détention en 1986 et, plus tard, à son retour à Sri Lanka, son interrogatoire par la police (mais non son appartenance alléguée à la PLOTE); - pour le deuxième, sa situation familiale, ses allégations de détention et de voies de fait, la destruction de sa maison et, à son retour à Sri Lanka, son arrestation et les mauvais traitements subis par lui à Jaffna; - pour le troisième, ses arrestations, ses interrogatoires et la mort de son frère (mais non son appartenance alléguée aux LTTE); - pour le quatrième, la destruction de la maison de sa famille par des tirs d’obus, les incidents auxquels il assista et, à son retour à Sri Lanka, ses diverses détentions dues au défaut de carte d’identité; - pour le cinquième, l’incendie de sa maison, la mort par balles de deux de ses frères et, après son retour à Sri Lanka, l’arrestation de sa famille et de ses proches. Il admit aussi qu’en général, les victimes des mauvais traitements infligés par les forces sri-lankaises étaient des jeunes Tamouls de sexe masculin et que l’armée sri-lankaise, puis les IPKF, avaient fait dans le Nord un usage excessif de la violence contre des non-combattants. Il conclut que les requérants avaient lieu de craindre des persécutions et jugea, notamment, - qu’ils avaient tous droit à l’asile au moment de la décision du ministre; - que les circonstances n’avaient guère changé depuis lors; - que la décision du ministre concernant chacun d’eux n’était pas conforme à la loi; - que leurs recours étaient donc fondés; - que l’on devait les ramener au Royaume-Uni dans les plus brefs délais. Le 19 avril 1989, la commission de recours en matière d’immigration (Immigration Appeal Tribunal) déclara tardif l’appel du ministre: une erreur administrative avait entraîné le dépassement du délai légal de quatorze jours. Le 12 mai, le ministre sollicita un contrôle judiciaire des décisions de ladite commission et de l’Adjudicator. Il contestait, entre autres, la légalité ou le caractère raisonnable de l’ordre d’assurer le retour des requérants au Royaume-Uni. Le juge McCowan ayant accordé l’autorisation voulue le 17 mai 1989, le Lord Justice Lloyd et le juge Auld examinèrent l’affaire le 11 juillet; la High Court confirma la décision de la commission de recours. Le 31 juillet, le ministre demanda un sursis à exécution quant au retour des cinq requérants, en attendant un recours éventuel. Il fut débouté le 31 juillet 1989. Le 17 mai 1990, la cour d’appel rejeta un recours introduit par lui contre la décision du juge Auld, dans la procédure précitée, reconnaissant à MM. Vilvarajah et Skandarajah le droit de porter leur demande d’asile en appel devant l’Adjudicator bien qu’ayant commencé par présenter de faux passeports malaisiens et par chercher à pénétrer sur le territoire en qualité de visiteurs (R. v. Immigration Appeal Tribunal and Another, ex parte Secretary of State for the Home Department, Weekly Law Reports 1990, vol. 1, p. 1126). H. La situation à Sri Lanka Sri Lanka compte 16 100 000 habitants, dont 74 % de Cingalais et 18 % d’Hindous tamouls. Concentrés dans certaines régions, les Tamouls représentent 90 % de la population de la péninsule de Jaffna, dans le nord du pays. Le conflit ethnique entre Tamouls et Cingalais remonte à plusieurs générations; le chauvinisme anti-tamoul des seconds constitue un facteur important dans la politique sri-lankaise depuis 1948. L’hostilité aux Tamouls a provoqué, entre autres, une série de pogroms contre les communautés tamoules, surtout depuis 1956. La situation a beaucoup empiré en 1983, à la suite de l’assassinat de treize soldats sri-lankais par un groupe de libération tamoul. L’état d’urgence proclamé à l’époque demeure en vigueur. La communauté tamoule a ainsi été exposée à une politique de répression violente du gouvernement qui a notamment toléré, sinon approuvé, des massacres organisés. En vertu d’un accord signé entre Sri Lanka et l’Inde le 29 juillet 1987, l’armée indienne occupa des régions tamoules pour protéger la population tamoule, et les forces cingalaises devaient regagner leurs casernes. Toutefois, les IPKF entrèrent en action contre les extrémistes tamouls qui rejetaient l’accord. Il y aurait eu des arrestations, des détentions arbitraires, des cas de torture et des destructions, surtout en octobre et en novembre 1987, lorsque les villages et les villes du Nord se trouvèrent pris sous des bombardements et des tirs aveugles. La ville de Jaffna subit un siège pendant lequel les IPKF tuèrent de 2 000 à 5 000 civils; de nombreuses atrocités furent commises durant et après l’assaut. A l’époque, les Tamouls avaient absolument besoin de deux cartes d’identité - l’une sri-lankaise, l’autre délivrée par les IPKF à tous les habitants du Nord - pour éviter le risque de détention arbitraire. Lors du renvoi des requérants en février 1988, de nombreux communiqués continuaient à relater des troubles. Le gouvernement défendeur analyse la situation ainsi: de vastes secteurs, notamment dans le nord et l’est de Sri Lanka, étaient en proie à la confusion et à la violence, même si de larges portions du territoire restaient épargnées. L’agitation sembla diminuer en décembre 1987. Eu égard à l’accord de juillet 1987, les gouvernements sri-lankais et indien étaient pleinement acquis aux principes du rétablissement du droit et de l’ordre, de la garantie des droits fondamentaux pour toutes les communautés et de l’élection démocratique de représentants régionaux. On assista aussi au rapatriement volontaire de nombre de Tamouls sri-lankais - dont la plupart avaient fui en Inde - dans le cadre d’une opération organisée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ("HCR") sur la base de certaines clauses dudit accord. Au 11 février 1988, grâce au dispositif mis en place par le HCR à la fin de décembre 1987, 2 746 Sri-lankais avaient regagné leur pays et en août 1988 leur nombre dépassait 23 000. Le HCR a estimé qu’à la même date, 12 OOO de plus avaient recouru à leurs propres moyens pour rentrer volontairement à Sri Lanka. De leur côté, plusieurs pays d’Europe occidentale - par exemple les Pays-Bas et la France - commencèrent à renvoyer des Tamouls à Sri Lanka pendant la période d’août 1987 à février 1988. D’autres, dont la République fédérale d’Allemagne et l’Italie, avaient pour politique de ne pas refouler à l’époque les demandeurs d’asile tamouls. En décembre 1987, Amnesty International, le Conseil britannique pour les réfugiés et le H.C.R. pressèrent le gouvernement défendeur de ne pas renvoyer de Tamouls à Sri Lanka, en raison de l’instabilité qui y régnait, de l’effet incertain de l’accord de juillet et des récits de violation des droits de l’homme par les forces de sécurité sri-lankaises et les IPKF. Un rapport du comité "Asie" du Conseil britannique pour les réfugiés, daté du 15 décembre 1987, parlait de destructions massives ainsi que de problèmes alimentaires et sanitaires à grande échelle. La situation s’était légèrement améliorée depuis le début de novembre 1987, mais l’ensemble des zones à majorité tamoule étaient le théâtre d’attaques de la guérilla et de contre-attaques des IPKF, et l’on ne pouvait guère y mener une vie normale. I. Sources d’information utilisées pour statuer sur les demandes d’asile des requérants Les renseignements dont bénéficiait le ministre quant à la situation à Sri Lanka émanaient de nombreuses sources: télégrammes de la Haute Commission britannique à Colombo, avis du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth, informations et preuves documentaires fournies par des milliers de demandeurs d’asile sri-lankais, contacts fréquents avec des représentants du HCR, articles de presse, comptes rendus et rapports d’organisations, telle Amnesty International, qui suivaient les événements de près. Le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth donnait aussi des informations provenant des représentations diplomatiques au sujet de l’évolution de la conjoncture à Sri Lanka. En outre, M. Timothy Renton, député et ministre adjoint à l’Intérieur, se rendit dans l’île du 10 au 14 septembre 1987, accompagné du plus haut fonctionnaire du service de l’immigration et de la nationalité du ministère de l’Intérieur, responsable général de la politique d’asile, ainsi que du chef du service de l’Asie du Sud du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth. Pendant son séjour, il s’entretint avec le président Jayawardene et plusieurs ministres: il visita Jaffna et Trincomalee où il rencontra des responsables locaux, des membres des forces armées sri-lankaises, des citoyens, des comités et des représentants des LTTE. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le processus décisionnel dans les affaires de demande d’asile Le "Texte d’amendements aux règles sur l’immigration" (House of Commons paper 169) du 9 février 1983 ("les règles de 1983") contient des dispositions particulières relatives à la situation des réfugiés et des personnes qui demandent l’asile au Royaume-Uni. L’article 16 est ainsi libellé: "Dans le cas d’un réfugié, il y a lieu de tenir pleinement compte des dispositions de la Convention et du Protocole relatifs au statut des réfugiés (Cmnd. 9171 et Cmnd. 3096). Rien dans les présentes règles ne peut s’interpréter comme exigeant une action contraire aux obligations du Royaume-Uni au titre de ces instruments." Une personne peut introduire une demande d’asile à son arrivée au Royaume-Uni ou après avoir pénétré sur le territoire. D’après l’article 4 par. 1 de la loi de 1971 sur l’immigration ("la loi de 1971"), dans le premier cas un fonctionnaire des services de l’immigration examine la demande conformément à l’article 73 des règles de 1983, aux termes duquel "Des considérations spéciales entrent en jeu quand le seul pays vers lequel on pourrait refouler une personne est un pays où elle ne veut pas se rendre parce qu’elle craint avec raison d’y être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Si l’agent des services de l’immigration a le sentiment, à la suite d’affirmations ou renseignements émanant de la personne qui sollicite à son arrivée le droit de pénétrer sur le territoire, que le présent texte pourrait s’appliquer, il saisit le ministère de l’Intérieur, pour décision, indépendamment de tout motif prévu dans l’une quelconque des présentes règles et pouvant sembler justifier un refus. Le permis d’entrée ne peut être refusé s’il apparaît que le refoulement irait à l’encontre de la Convention et du Protocole relatifs au statut des réfugiés." Quand l’article 73 trouve à s’appliquer, un agent des services de l’immigration interroge le passager au point d’arrivée sur le territoire, au besoin avec l’aide d’un interprète. Une partie de la formation générale de ces fonctionnaires porte sur les questions d’asile. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés y est associé depuis peu. Selon ledit article 73, le dossier passe alors à la section "Réfugiés" du service "Immigration et nationalité" du ministère de l’Intérieur, spécialisé en la matière. Les agents des services de l’immigration ne statuent jamais sur une demande d’asile au point d’arrivée. La section "Réfugiés" dispose d’effectifs importants, répartis en sous-sections géographiques sous la direction de quatre "Senior Executive Officers" (SEO), respectivement responsables du Proche-Orient, de l’Extrême-Orient, de l’Afrique et de l’Europe de l’Est ainsi que des Amériques. Elle comprend aussi une unité de recherche qui rassemble et diffuse des renseignements de base sur des pays particuliers. Un "Executive Officer" de la section géographique compétente étudie d’abord la demande, en apprécie le bien-fondé puis adresse une recommandation à un "Higher Executive Officer". Celui-ci peut accorder l’asile ou un permis d’entrée exceptionnel. Un refus pur et simple doit émaner au moins d’un SEO. Un agent peut déférer à un supérieur, ou, comme en l’espèce, à un secrétaire d’État les cas complexes ou ceux qui lui inspirent des doutes particuliers. Ce mécanisme se combine avec un système, décrit ci-dessous, de consultation de l’UKIAS (paragraphes 94-95). Si les fonctionnaires estiment ne pouvoir accéder à une demande nonobstant les démarches dudit service, ils saisissent un secrétaire d’État, pour décision, et informent l’UKIAS des questions à trancher de la sorte. B. Les droits d’appel garantis aux demandeurs d’asile par la loi de 1971 sur l’immigration Si quelqu’un se voit débouter de sa demande d’asile avant d’avoir obtenu l’autorisation d’entrer au Royaume-Uni, l’article 13 de la loi de 1971 lui reconnaît le droit d’en appeler aux organes créés par la partie II de la loi ("les organes d’appel"). Cette faculté ne peut en général s’exercer que de l’étranger, mais on peut aussi attaquer le refus d’asile par une action en contrôle judiciaire (paragraphes 89-93 ci-dessous). Un Adjudicator, juge unique nommé par le Lord Chancelier, connaît en première instance des recours formés en vertu de l’article 13. Ses décisions peuvent donner lieu à un appel, d’ordinaire après autorisation, devant une commission de recours en matière d’immigration. Elle se compose de trois personnes, désignées par le Lord Chancelier et pouvant ne pas posséder de qualifications juridiques; un juriste doit cependant présider les séances. D’après l’article 17 de la loi de 1971, une personne n’ayant pu obtenir un permis d’entrée au Royaume-Uni et dont on ordonne le refoulement peut saisir un Adjudicator en plaidant qu’il faudrait, à tout le moins, la renvoyer vers un autre pays ou territoire. C’est à elle qu’il incombe d’en trouver un qui consente à l’accueillir. La procédure relative aux recours des demandeurs d’asile contre les refus de permis d’entrée obéit à un règlement de 1984 (Immigration Appeals (Procedure) Rules; Statutory Instruments, 1984/2041). Les appelants peuvent se faire représenter par l’UKIAS, que le ministre finance pour lui donner les moyens de prêter conseil et assistance aux titulaires d’un droit légal de recours (article 23 de la loi de 1971). Ils peuvent aussi mandater des solicitors. Le règlement de 1984 prévoit la production, par le gouvernement, d’un mémoire explicatif (article 8), la faculté pour l’organe d’appel d’exiger des précisions (article 25), la convocation de témoins (article 27), l’audition de chacune des parties (article 28), l’administration de preuves orales, écrites ou autres (article 29) et l’examen des preuves documentaires (article 30). Aucune disposition du règlement n’autorise l’appelant à rentrer au Royaume-Uni pour assister à l’audience d’appel, mais il peut communiquer ses observations par écrit ou par l’intermédiaire de son représentant. Il peut demander aux organes d’appel une procédure accélérée. S’il obtient gain de cause, l’Adjudicator, en vertu de l’article 19 de la loi de 1971, ou la commission, en vertu de l’article 20, donnent les directives nécessaires pour l’exécution de la décision. S’ils accueillent un recours formé de l’étranger, ils peuvent enjoindre au fonctionnaire compétent de délivrer à l’intéressé le titre requis pour lui permettre de retourner au Royaume-Uni. Chacune des deux parties peut attaquer la décision de l’Adjudicator devant la commission de recours en matière d’immigration. Elle peut, en outre, solliciter un contrôle judiciaire de la décision de ladite commission et bénéficier, au besoin, de l’aide judiciaire à cette fin. C. Le contrôle judiciaire des décisions en matière d’asile Il appartient au ministre d’apprécier s’il y a lieu d’accéder à une demande d’asile, sous réserve du droit légal de recours sur le fond mentionné plus haut. Les tribunaux (contrairement aux organes d’appel institués par la loi de 1971) n’ont pas compétence pour se prononcer sur la qualité de réfugié. La décision du ministre se prête toutefois à un contrôle judiciaire pouvant conduire à l’annuler pour des motifs divers. L’autorisation de solliciter pareil contrôle peut s’obtenir à bref délai et l’intéressé se voir accorder une aide judiciaire quelle que soit sa nationalité. Les tribunaux recherchent si le ministre de l’Intérieur a bien interprété la loi pour accorder ou refuser l’asile. Dans la seconde hypothèse, même s’ils constatent l’absence d’erreur de droit ils peuvent contrôler sa décision à la lumière des "principes Wednesbury" (Associated Provincial Picture Houses Ltd v. Wednesbury Corporation, Kings Bench 1948, vol. I, p. 223). Cet examen consiste à déterminer si le ministre, en usant de son pouvoir discrétionnaire, a laissé de côté un facteur qui aurait dû entrer en ligne de compte, ou pris en considération un élément qu’il aurait dû négliger, ou abouti à une conclusion si déraisonnable que nulle autorité raisonnable n’aurait pu y arriver. D’après le Gouvernement, un tribunal aurait compétence, en vertu de ces principes, pour annuler une décision de renvoi d’un fugitif vers un pays où il existerait un risque sérieux et avéré de traitements inhumains ou dégradants, par le motif qu’au vu de toutes les circonstances de la cause aucun ministre raisonnable ne pouvait prendre une telle décision. Pour leur part, les requérants contestent l’ampleur du contrôle judiciaire du bien-fondé de la décision du ministre (paragraphe 118 ci- dessous). La Chambre des Lords illustra l’étendue et les effets du contrôle judiciaire dans l’affaire Bugdaycay (R. v. Home Secretary, ex parte Bugdaycay and Others, All England Law Reports 1987, vol I, p. 940). Elle estima que le ministre de l’Intérieur avait méconnu un élément dont il aurait dû spécialement tenir compte. Lord Bridge déclara (pp. 945 et 952): "(...) toute question de fait dont dépend la décision discrétionnaire d’accorder ou refuser un permis d’entrée ou de séjour doit nécessairement être appréciée par l’agent des services de l’immigration ou par le ministre (...) Même s’il revêt une importance particulière, le point de savoir si le demandeur a ou non la qualité de réfugié n’est qu’une des multiples questions à trancher chaque jour par les agents des services de l’immigration et les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur agissant au nom du ministre (...) Les décisions en la matière ne peuvent être attaquées devant les tribunaux que sur la base des célèbres principes Wednesbury (...) Il n’y a aucune raison de déroger à la règle pour traiter la question soulevée par une demande de statut de réfugié (...) (...) A l’intérieur de ces limites, le tribunal doit pouvoir, me semble-t-il, pour s’assurer que nul vice n’entache une décision administrative, la soumettre à un examen d’autant plus rigoureux que son objet est grave. Or le droit le plus fondamental de l’homme est le droit à la vie; si, d’après un requérant, la décision administrative litigieuse peut mettre sa vie en danger, les éléments qui la fondent appellent donc sans nul doute le contrôle le plus scrupuleux." Lord Templeman ajouta (p. 956): "Quand une décision viciée risque de mettre en danger la vie ou la liberté, une responsabilité particulière incombe, à mon avis, au tribunal qui examine la manière dont elle a été prise." En l’espèce, la Chambre, après avoir étudié les preuves avec soin, annula les arrêtés de refoulement quant à l’un des requérants, pour défaut de prise en compte de faits pertinents. Par la voie du contrôle judiciaire, des tribunaux ont aussi annulé des refus d’asile émanant du ministre dans R. v. Secretary of State, ex parte Jeyakumaran (décision de la High Court du 28 juin 1985), R. v. Secretary of State, ex parte Yemoh (décision de la High Court du 14 juillet 1988), et Gaima v. Secretary of State (Immigration Appeals Reports 1989). Dans l’affaire Jeyakumaran, la High Court examina la décision du ministre sous l’angle des "principes Wednesbury". Le juge Taylor déclara: "Je suis (...) troublé par certains des éléments qui semblent bien avoir pesé dans la balance et par d’autres qui n’ont joué aucun rôle. Il échet donc d’étudier d’assez près les preuves fournies par le défendeur." Il conclut à la nécessité d’annuler le refus opposé par le ministre, au motif que "pour se décider [celui-ci] avait eu égard à des éléments qu’il aurait dû négliger et laissé de côté des éléments pertinents". La High Court adopta une démarche analogue dans la deuxième affaire (Yemoh). Quant à la troisième (Gaima), elle concernait plutôt le caractère équitable de la procédure ayant abouti au refus d’asile: la cour d’appel jugea que l’on n’avait pas offert à la requérante une occasion suffisante de donner sa version des faits pris en considération par le ministre pour apprécier sa crédibilité. Le juge May, avec qui ses deux collègues marquèrent leur accord, souligna qu’"en matière d’asile, la Cour peut et doit soumettre les décisions administratives à un examen rigoureux" et "s’assurer que le processus décisionnel a été entièrement équitable d’un bout à l’autre". Le ministre de l’Intérieur a précisé que l’on ne saurait s’attendre à voir les demandeurs d’asile bénéficier d’une permission automatique de rester au Royaume-Uni jusqu’à la fin de la procédure. En pratique, toutefois, aucun demandeur n’est refoulé dès lors qu’il a obtenu l’autorisation de solliciter un contrôle judiciaire. En outre, dans R. v. Secretary of State for Education and Science, ex parte Avon County Council (Local Government Reports 1991, no 88, p. 737), la cour d’appel a estimé qu’un tribunal statuant au titre du contrôle judiciaire a le pouvoir d’ordonner un sursis même s’il doit en résulter une restriction aux prérogatives de la Couronne. En cas de refus de l’autorisation de solliciter un contrôle judiciaire, l’intéressé peut saisir la cour d’appel d’une nouvelle demande. Même si son action échoue à l’issue de débats sur le fond, il peut former un recours sur un point de droit devant la cour d’appel, puis devant la Chambre des Lords avec l’accord de celle-ci ou de la cour d’appel. D. Le système de consultation de l’UKIAS Depuis 1983, le dossier d’un demandeur d’asile non autrement représenté peut être transmis, pour avis ou pour d’autres services d’assistance, au Conseil consultatif britannique pour les immigrants (UKIAS), subventionné par le gouvernement. Le ministère de l’Intérieur considère alors l’UKIAS comme l’agent du HCR. Depuis le 1er septembre 1988 (soit après le refoulement des requérants), aucune catégorie de demandeurs d’asile ne se trouve automatiquement exclue de ce système, bien que le ministre de l’Intérieur garde en tout temps le droit de conserver un dossier par-devers lui. Si une personne peut être envoyée dans un pays tiers où elle ne craint pas de persécutions, on téléphone à l’UKIAS pour savoir s’il souhaite s’entretenir avec elle; dans l’affirmative, on lui accorde deux jours à cette fin et pour formuler des observations. S’il envisage de rejeter la demande d’asile d’une personne non représentée risquant d’être refoulée vers un pays où elle affirme redouter des persécutions, le ministère de l’Intérieur saisit l’UKIAS qui peut présenter des observations dans le délai d’une semaine, pour les personnes détenues, ou de quatre pour les personnes en liberté. Le ministre a l’obligation d’étudier toutes les observations ainsi recueillies et d’y répondre. Elles peuvent, avec la réponse donnée, servir d’éléments au regard desquels les motifs et conclusions des décisions prises peuvent être examinés dans le cadre de la procédure de contrôle en cas de refus d’asile. E. Les députés Les députés interviennent fréquemment auprès du secrétaire d’État en faveur de demandeurs d’asile éconduits ou d’autres personnes menacées d’expulsion. Les premières directives en la matière remontent à 1986. Avant mars 1987, un simple coup de téléphone pouvait suspendre un renvoi jusqu’à l’issue des démarches. Le 3 mars 1987, le ministre de l’Intérieur déclara que les députés ne devaient plus compter sur l’octroi systématique de sursis. Des directives révisées, entrées en vigueur le 3 janvier 1989 quant à la suite à réserver à de telles interventions, ménagent la possibilité d’un sursis valable pour huit jours ouvrables et destiné à permettre des démarches dès lors que l’on dispose de preuves nouvelles et convaincantes non encore prises en compte. F. Le droit et la pratique dans le cas de réfugiés auxquels la Convention de 1951 ne s’applique pas Le ministre jouit du pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou non à entrer au Royaume-Uni, et à y séjourner, une personne qui ne possède pas le statut de réfugié au titre de la Convention de 1951. En conséquence, si une personne pénétrant au Royaume-Uni ne peut prétendre audit statut mais allègue que, renvoyée dans son pays, elle courrait un risque réel de traitements incompatibles avec l’article 3 (art. 3) de la Convention européenne, il peut lui accorder un permis exceptionnel d’entrée. Le demandeur d’asile peut alors demeurer au Royaume-Uni pour une période initiale de douze mois. En 1988, 57,4 % des décisions rendues en matière d’asile ont octroyé un tel permis, en général pour des motifs humanitaires, et 17,2 % ont opposé un refus pur et simple; dans 25,4 % des cas, il y a eu reconnaissance du statut de réfugié. La même année, 304 Sri-lankais ont obtenu un permis exceptionnel. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION MM. Vilvarajah, Skandarajah et Sivakumaran ont saisi la Commission le 26 août 1987 (requêtes no 13163/87, 13164/87 et 13165/87), MM. Navratnasingam et Rasalingam le 15 décembre 1987 (requêtes no 13447/87 et 13448/87). Ils alléguaient qu’en leur qualité de jeunes Tamouls de sexe masculin, ils avaient des motifs plausibles de craindre de subir des persécutions, la torture, une exécution arbitraire ou des traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 (art. 3) de la Convention. Ils affirmaient en outre ne disposer en droit britannique d’aucun recours effectif pour le grief tiré de ce texte. Le 18 décembre 1987, la Commission a décidé de ne pas recommander au gouvernement britannique, en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur et ainsi que les requérants l’en avaient priée, de suspendre leur renvoi à Sri Lanka en attendant l’issue de la procédure. Elle a retenu les requêtes le 7 juillet 1989. Dans son rapport du 8 mai 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l’absence de violation de l’article 3 (art. 3) (sept voix contre sept, avec la voix prépondérante du président) mais à l’existence d’une infraction à l’article 13 (art. 13) (treize voix contre une). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT 100. À l’audience publique du 23 avril 1991, le Gouvernement a confirmé les conclusions figurant dans son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "1. que dans les circonstances propres à chaque espèce, il n’y a pas eu violation de l’article 3 (art. 3); qu’il n’y a pas eu infraction à l’article 13 (art. 13), eu égard notamment à la manière dont le contrôle judiciaire fonctionne actuellement en la matière".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Jan-Åke Andersson, ingénieur de nationalité suédoise, réside à Torsås dans le sud-ouest de la Suède. Le 26 février 1983, alors qu’il conduisait un tracteur sur une grand-route (motortrafikled), l’inspecteur de police B. le contraignit à s’arrêter au motif que l’ordonnance de 1972 sur la circulation (vägtrafikkungörelsen no 603 de 1972 - "l’ordonnance de 1972") interdisait pareille route à ce type de véhicules. Le requérant refusa de payer une amende, affirmant n’avoir vu aucun panneau signalant la catégorie de la voie ou l’interdiction en question. Assigné le 17 mai 1983 devant le tribunal de première instance (tingsrätten) de Ronneby, M. Andersson se vit inculper d’infraction aux articles 139 et 144 de l’ordonnance de 1972. Dans une lettre au tribunal, il déclara escompter que le parquet convoquerait comme témoins certains fonctionnaires de police, dont l’inspecteur B., puisqu’il ne pouvait se permettre d’en citer lui-même. Le parquet devait aussi, selon lui, fournir les bulletins météorologiques officiels pertinents (voir les extraits du jugement du tribunal de première instance figurant au paragraphe 12 ci-dessous). Il invitait encore le tribunal à lui désigner un avocat d’office. Le tribunal écarta cette demande le 8 juin 1983, au motif qu’il s’agissait d’une affaire simple et que le prévenu était en mesure de se défendre personnellement. Le 15, la cour d’appel (hovrätten) de Skåne et Blekinge débouta l’intéressé de son recours contre cette décision. Aucun autre recours ne s’offrait à lui. Le 21 septembre 1983, le tribunal entendit en audience publique (huvudförhandling) le requérant et l’inspecteur B., mais n’ordonna pas la production des bulletins météorologiques pertinents. Le même jour, il jugea M. Andersson coupable et lui infligea une amende de 400 couronnes suédoises. Il relevait notamment: "[L’inculpé] a contesté sa responsabilité pénale et affirmé ce qui suit. Il se rendait de Hässleholm à Torsås au volant d’un tracteur qu’il venait d’acheter. Il était allé avec son père à Hässleholm le matin même; au retour, ils empruntèrent, entre autres, la même route. Le brouillard était déjà très dense le matin et [l’inculpé] n’observa rien de spécial au sujet de la route pendant le parcours. Il ignore la notion de ‘motortrafikled’. A son arrivée sur la ‘motortrafikled’ à l’ouest de Karlshamn, le brouillard était si épais qu’il n’aperçut aucun panneau de signalisation attirant son attention. Il ne connaissait donc pas la qualification de la route sur laquelle il conduisait et même s’il avait remarqué un panneau portant la mention ‘motortrafikled’, il n’aurait pas su pour autant quelles restrictions en résultaient pour la circulation de certains véhicules. L’inspecteur de police B., entendu comme témoin, a fourni un seul renseignement: le temps était normal dans la région de Ronneby, sans le moindre brouillard. [L’inculpé] - qui conduisait de la manière indiquée par le procureur - a franchi une longue distance en tracteur et aurait donc dû prêter une attention particulière aux règles applicables à la conduite d’un tel véhicule. La circonstance que le temps était brumeux ne le dégage pas de ses obligations de conducteur. Il échet donc de le déclarer coupable de l’infraction qui lui est reprochée." Le 4 octobre 1983, le requérant attaqua le jugement devant la cour d’appel de Skåne et Blekinge. Il prétendait que la procédure de première instance avait été "déséquilibrée", que de nombreuses "interruptions" du juge l’avaient empêché de suivre les débats et de plaider sa cause de manière satisfaisante, que l’amende était beaucoup trop forte et que le tribunal avait perdu de vue le défaut de certains panneaux de signalisation. Dans sa réponse du 31 octobre 1983, le parquet, se référant aux éléments communiqués au tribunal, maintint que M. Andersson était coupable et estima une nouvelle audience superflue. Le 2 novembre, la cour d’appel adressa une copie de cette réponse à l’intéressé. Elle précisait que comme elle pouvait statuer sans nouveaux débats, il avait la faculté de formuler des observations écrites finales dans les deux semaines. Il en déposa le 9 novembre 1983. Il y invitait la cour à prendre en compte l’absence de certains panneaux, les conditions météorologiques et le fait qu’une voiture de police banalisée l’avait dépassé sans l’avertir. Il réclamait des débats publics à Karlskrona, l’audition de l’inspecteur de police B. en qualité de témoin et l’examen des bulletins météorologiques pertinents. Il sollicitait en outre l’assistance judiciaire gratuite, car il avait besoin d’un défenseur mais ne pouvait en rémunérer un. La cour d’appel écarta les demandes du requérant et se prononça sur dossier. Dans son arrêt du 10 février 1984, confirmant les constatations du tribunal de première instance, elle déclara: "Les photos présentées montrent que la nature de ‘motortrafikled’ de la route en cause ressortait bel et bien de panneaux de signalisation appropriés et visibles à Stensnäs. Dès lors, et comme [le prévenu] a néanmoins piloté le tracteur sur [la route] de Stensäs à Sörby, il a commis l’infraction dont on l’accuse." Alléguant que la procédure d’appel, très "déséquilibrée", n’avait pas respecté les droits de l’homme, M. Andersson voulut saisir la Cour suprême (högsta domstolen), mais le 26 avril 1984 elle refusa de l’y autoriser. Les lois de 1949 sur la liberté de la presse (tryckfrihetsförordningen) et de 1980 sur le secret (sekretesslagen) renferment, en matière d’accès du public aux documents officiels, des clauses en vertu desquelles ce dernier pouvait consulter les dossiers des juridictions concernées. II. LE CODE DE PROCÉDURE JUDICIAIRE D’après le chapitre 21 du code de procédure judiciaire, les juridictions inférieures ne se prononcent pas au pénal, en principe, sans que l’accusé ait pu se défendre lors d’une audience contradictoire. Il existe pourtant des exceptions, surtout en appel. Ainsi, le chapitre 51 du même code disposait à l’époque en son article 21 (amendé depuis lors avec effet au 1er juillet 1984): "La cour d’appel peut statuer sans audience si le parquet interjette appel dans le seul intérêt du prévenu ou si la partie adverse se rallie à l’appel de ce dernier. L’affaire peut se trancher sans audience si le tribunal de première instance a relaxé le prévenu, ou a dispensé de peine le coupable, ou l’a déclaré exempt de peine en raison de troubles mentaux, ou l’a condamné à une amende ou à une sanction pécuniaire (vite) et s’il n’y a pas lieu d’imposer une sanction plus lourde que celles mentionnées ci-dessus ni d’en infliger une autre (...)." La cour d’appel connaît du fait comme du droit, mais sa plénitude de juridiction a ses limites. D’après l’article 23 du chapitre 51, par exemple, elle ne peut en principe modifier au détriment du prévenu l’appréciation des preuves opérée en première instance sans que celles-ci soient produites devant elle; en son article 25 (tel que l’ont amendé les lois no 22 et 228 de 1981), le chapitre 51 lui interdit d’infliger sur appel du prévenu, ou du parquet dans l’intérêt du prévenu, une peine pouvant passer pour plus lourde que celle prononcée en première instance. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 16 octobre 1984 à la Commission (no 11274/84), le requérant, invoquant l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, se plaignait de ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable devant les juridictions suédoises (paragraphes 12-15 ci-dessus). Il se prétendait aussi victime d’un traitement discriminatoire. En outre, affirmait-il, on n’avait pas établi qu’il eût délibérément accompli l’infraction dont il s’agit. Le 10 juillet 1989, la Commission a retenu le grief selon lequel la cause n’avait pas été "entendue équitablement [et] publiquement", au sens de l’article 6 (art. 6); elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 15 mars 1990 (article 31) (art. 31) elle conclut, par dix-sept voix contre deux, à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Citoyen italien, M. Antonino Ficara habite Archi di Reggio de Calabre. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-24 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous): "14. A la suite d'une plainte déposée au parquet par le requérant le 28 décembre 1978, le requérant fut poursuivi pour calomnie (article 368 du code pénal) pour avoir accusé, tout en les sachant innocentes, les personnes suivantes: B. C., de tentative d'escroquerie qualifiée; l'inspecteur du travail de Reggio de Calabre, de faux en écritures publiques; et le représentant légal de l'Institut national de la prévoyance sociale ('INPS') de Reggio de Calabre, de diffamation. Le 27 juin 1979, le procureur de la République de Reggio de Calabre communiqua au requérant qu'il faisait l'objet d'une information et l'invita à nommer un défenseur. Le mandat de comparution est daté du 8 avril 1980. Le requérant fut entendu par le juge d'instruction de Reggio de Calabre le 30 avril 1980. Ce même jour, le juge d'instruction entendit trois témoins. L'instruction se termina le 18 novembre 1980, date à laquelle le requérant fut renvoyé en jugement. La citation à comparaître, datée du 5 décembre 1981, fixait l'audience de jugement au 3 février 1982. Cette audience fut reportée avec l'accord des parties. Le 26 avril 1982, le défenseur du requérant demanda un nouvel ajournement de l'audience après avoir invité le tribunal à recueillir un certain nombre de pièces - détenues par l'INPS - qui n'avaient pu être produites jusqu'alors. A la date du 11 octobre 1982, l'audience ne put avoir lieu car il était apparu que l'un des juges du tribunal avait signé l'ordonnance de renvoi en jugement et qu'il y avait donc une incompatibilité au sens de l'article 61 du code de procédure pénale. Le 26 janvier 1983, l'audience ne put non plus avoir lieu. D'un côté, le défenseur de l'accusé avait fait savoir qu'il était empêché d'y assister car il était engagé à cette date dans un procès d'assises. D'autre part, à cette même date toutes les audiences furent suspendues en signe de deuil suite à l'assassinat d'un juge. Le 20 avril 1983, le défenseur de l'accusé demanda un ajournement pour pouvoir prendre connaissance des documents qui étaient entre-temps parvenus au tribunal. Puis une audience fut fixée au 27 mai 1983. Par jugement du tribunal de Reggio de Calabre du 27 mai 1983, déposé au greffe le 10 juin 1983, le requérant fut condamné à un an et quatre mois de prison (peine amnistiée) et au versement de dommages et intérêts à la partie civile. Le requérant interjeta appel du jugement. Le dossier parvint à la cour d'appel le 31 octobre 1983. Le requérant fut cité à comparaître à l'audience du 13 décembre 1988, par citation du 14 octobre 1988. L'audience du 13 décembre fut reportée, d'un commun accord des parties, au 25 janvier 1989. A cette date, la cour d'appel de Reggio de Calabre relaxa le requérant. L'arrêt a été déposé au greffe le 15 février 1989." Le délai ouvert au parquet général pour se pourvoir en cassation a expiré le 28 janvier 1989 (article 199 du code de procédure pénale). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 17 mai 1986 à la Commission (n° 12176/86), M. Ficara se plaignait de la durée de la procédure; il invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 196-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissante belge domiciliée à Bruxelles, Mme Astrid Vermeire est la fille naturelle reconnue de Jérôme Vermeire, décédé célibataire en 1939 et fils des défunts époux Camiel Vermeire et Irma Van den Berghe. Ceux-ci avaient deux autres enfants, Gérard et Robert, morts respectivement en 1951 et en 1978, le premier célibataire et sans descendant, le second laissant deux enfants de son mariage, Francine et Michel. Les grands-parents de la requérante, qui l’avaient élevée après la disparition de son père, décédèrent tous deux ab intestat, Irma Van den Berghe le 16 janvier 1975 et Camiel Vermeire le 22 juillet 1980. Les héritiers de la grand-mère étant restés en indivision jusqu’à la mort du grand-père, les deux successions furent liquidées et partagées en une seule procédure entre les petits-enfants légitimes, Francine et Michel. Astrid Vermeire s’en trouva exclue par le jeu de l’article 756 ancien du code civil (paragraphe 13 ci-dessous). Le 10 juin 1981, elle saisit le tribunal de première instance de Bruxelles d’une action en pétition d’hérédité. Par jugement du 3 juin 1983, il lui reconnut les mêmes droits qu’à un descendant légitime dans les successions litigieuses. Il se fonda en particulier sur le paragraphe 59 de l’arrêt que la Cour européenne avait rendu le 13 juin 1979 dans l’affaire Marckx (série A no 31, p. 26): selon lui, "l’interdiction de discriminer sur le plan successoral les enfants légitimes et naturels [était] formulée par l’arrêt d’une façon suffisamment claire et précise pour permettre au juge national d’en faire une application directe dans les cas soumis à son appréciation". Sur recours des petits-enfants légitimes, la cour d’appel de Bruxelles réforma cette décision le 23 mai 1985. Elle releva notamment: "en tant que l’article 8 (art. 8) comporte des obligations négatives qui prohibent l’immixtion arbitraire de l’État dans la vie privée et familiale des personnes qui résident sur son territoire, il énonce une règle suffisamment précise et complète qui revêt un caractère directement applicable, mais il n’en est pas de même en tant que l’article 8 (art. 8) inclut pour l’État belge l’obligation positive d’élaborer un statut juridique conforme aux principes que cette disposition de la Convention énonce; (...) dès lors que de multiples moyens s’offrent en la matière au choix de l’État belge pour réaliser cet impératif, cette disposition n’est plus suffisamment précise et complète et s’analyse en une obligation de faire dont le pouvoir législatif et non le pouvoir judiciaire doit assumer la responsabilité." La cour d’appel refusa donc tout effet direct aux passages de l’arrêt Marckx relatifs à la vocation successorale de l’enfant naturel à l’égard des parents de l’auteur qui l’a reconnu. Se ralliant en substance aux motifs de cet arrêt, conforme du reste à sa propre jurisprudence, la Cour de cassation rejeta le 12 février 1987 le pourvoi de la requérante. II. DROIT INTERNE PERTINENT Les articles 756 et 908 anciens du code civil portaient ce qui suit: Article 756 "Les enfants naturels ne sont point héritiers; la loi ne leur accorde de droits sur les biens de leur père et mère décédés, que lorsqu’ils ont été légalement reconnus. Elle ne leur accorde aucun droit sur les biens des parents de leur père ou mère." Article 908 "Les enfants naturels ne pourront, par donation entre vifs ou par testament, rien recevoir au-delà de ce qui leur est accordé au titre ‘Des successions’." Ces dispositions ont été abrogées par une loi du 31 mars 1987, entrée en vigueur le 6 juin, qui inséra aussi dans le code civil un nouvel article 334 aux termes duquel "Quel que soit le mode d’établissement de la filiation, les enfants et leurs descendants ont les mêmes droits et les mêmes obligations à l’égard des père et mère et de leurs parents et alliés, et les père et mère et leurs parents et alliés ont les mêmes droits et les mêmes obligations à l’égard des enfants et de leurs descendants." A titre transitoire, l’article 107 de cette loi prévoit: "Les dispositions de la présente loi sont applicables aux enfants nés avant son entrée en vigueur et encore en vie à cette date, mais sans qu’il puisse en résulter aucun droit dans les successions ouvertes auparavant. Toutefois, ne pourra être contestée la validité des actes et partages passés avant l’entrée en vigueur de la présente loi et qui auraient attribué à un enfant né hors mariage des droits supérieurs à ceux qui lui étaient reconnus par les dispositions abrogées par la présente loi." Il y a lieu de tenir compte, en outre, des articles 718, 724 et 883 du code civil: Article 718 "Les successions s’ouvrent par la mort." Article 724 (texte en vigueur à la mort de la grand-mère) "Les héritiers légitimes sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l’obligation d’acquitter toutes les charges de la succession: les enfants naturels, l’époux survivant et l’État doivent se faire envoyer en possession par justice dans les formes qui seront déterminées." (texte en vigueur à la mort du grand-père) "Les héritiers légitimes sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l’obligation d’acquitter toutes les charges de la succession: les enfants naturels et l’État doivent se faire envoyer en possession par justice dans les formes qui seront déterminées." (texte résultant de la loi du 31 mars 1987) "Les héritiers sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l’obligation d’acquitter toutes les charges de la succession. L’État doit se faire envoyer en possession par justice, dans les formes déterminées ci-après." Article 883 "Chaque cohéritier est censé avoir succédé seul et immédiatement à tous les effets compris dans son lot, ou à lui échus en licitation, et n’avoir jamais eu la propriété des autres effets de la succession." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 1er avril 1987 à la Commission (no 12849/87), Mme Astrid Vermeire reprochait aux juridictions belges de lui avoir dénié la qualité d’héritière de ses grands-parents. Elle affirmait avoir subi de la sorte, dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée et familiale, une ingérence discriminatoire incompatible avec les articles 8 et 14, combinés (art. 14+8), de la Convention. La Commission a retenu la requête le 8 novembre 1988. Dans son rapport du 5 avril 1990 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion que les décisions litigieuses n’ont pas enfreint lesdits articles en ce qui concerne la succession de la grand-mère (sept voix contre six), mais les ont violées quant à celle du grand-père (unanimité). Le texte intégral de son avis et des opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant italien né en 1962 à Scorrano (Lecce) et arrivé très jeune en Suisse avec ses parents, M. Claudio Quaranta a son domicile à Vevey, dans le canton de Vaud; il y exerce la profession d’aide-monteur sanitaire. Il fut placé de 1975 à 1978 dans divers foyers de mineurs. En décembre 1978, il fut assujetti par le président du tribunal des mineurs de Lausanne à une mesure d’assistance éducative. De retour chez ses parents, il entama en août 1979, mais sans le mener à son terme, un apprentissage d’installateur sanitaire. Il travailla par la suite dans diverses entreprises de la région. Le 5 mars 1982, le tribunal correctionnel du district de Vevey lui infligea dix mois d’emprisonnement, assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans, pour vols qualifiés, brigandage, dommage à la propriété, vol d’usage et conduite d’un véhicule sans permis. Le tribunal décida de le traiter sur le même pied que son complice, en lui reconnaissant une responsabilité restreinte (article 11 du code pénal suisse) mais sans ordonner d’expertise psychiatrique; il tint également compte de son jeune âge, de la brièveté de son activité délictueuse, de sa situation personnelle, notamment sur le plan affectif, au moment des faits ainsi que de son redressement durable. Cette décision ne se trouve pas en cause. A. La procédure devant le tribunal correctionnel du district de Vevey Soupçonné d’infraction à la loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants ("la loi de 1951"), l’intéressé comparut le 10 mars 1985 devant le juge d’instruction ("juge informateur") de l’arrondissement de Vevey-Lavaux; lors de cette unique audition, il demanda qu’on le dotât d’un avocat d’office (article 104 du code vaudois de procédure pénale - paragraphe 18 ci-dessous). Le 23 mai 1985, le juge d’instruction communiqua la requête au président du tribunal correctionnel qui la repoussa le 31 (article 107 du code vaudois de procédure pénale - paragraphe 18 ci-dessous), au motif que "les besoins de la défense n’exig[ai]ent pas (...) la désignation d’un avocat d’office" et que "la cause ne présent[ait] pas des difficultés particulières". Avisé de cette décision le 3 juin, M. Quaranta n’en appela pas dans les dix jours au tribunal d’accusation, bien qu’informé de son droit de le faire. Le 5 juin 1985, il se rendit au tribunal correctionnel pour renouveler sa demande. Par une lettre du 7, le greffier lui signala qu’il ne pourrait en déposer une qu’une fois son dossier parvenu au tribunal. Le 23 août 1985, le juge d’instruction renvoya le requérant en jugement devant le tribunal correctionnel de Vevey, l’accusant d’avoir transgressé les articles 19 par. 1, alinéas 3, 4 et 5, et 19 a par. 1 de la loi de 1951 (paragraphe 19 ci-dessous). Le requérant réitéra sa démarche le 17 octobre 1985, mais le 30 le président du tribunal correctionnel refusa de procéder à la désignation souhaitée, pour les mêmes raisons que le 31 mai (paragraphe 9 ci-dessus). Les débats commencèrent le 12 novembre 1985 à 14 h 30; ils ne durèrent que vingt-cinq minutes. L’intéressé comparut en personne sans l’assistance d’un avocat; le ministère public n’était pas représenté. Lecture fut donnée des principales pièces du dossier, dont l’ordonnance de renvoi. M. Quaranta répondit aux questions du président et ajouta quelques mots pour sa défense. Le jour même, après en avoir délibéré, le tribunal le reconnut coupable de consommation et trafic de stupéfiants, en conséquence de quoi il le condamna à six mois d’emprisonnement sans sursis; en outre, soulignant la gravité relative des infractions commises pendant le délai d’épreuve fixé en 1982, il révoqua le sursis (article 41 par. 3 du code pénal suisse) et ordonna l’exécution de la peine prononcée alors (paragraphe 8 ci-dessus), moyennant déduction des cinq jours passés en détention préventive. Dans ses motifs, il releva que le prévenu consommait quotidiennement du hachisch depuis 1975 et que, de l’été 1983 au printemps 1985, il en avait acheté par petites doses 2 kg dont il avait revendu la majeure partie. Il estima qu’une peine sévère s’imposait en raison de l’importance de la quantité de drogue négociée et des fins lucratives poursuivies par l’accusé. Il retint cependant, à la décharge de ce dernier, sa situation matérielle "des plus précaires" durant la période en cause: au chômage, il vivait lui-même, avec sa femme et ses deux enfants, des secours de l’assistance publique. B. La procédure devant la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois Par les soins d’un avocat rémunéré par lui, M. Quaranta se pourvut devant la cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois. En ordre principal, il l’invitait à prononcer la nullité du jugement du 12 novembre 1985. D’après lui, son jeune âge, le manque de formation professionnelle et ses deux condamnations antérieures (paragraphe 8 ci-dessus) auraient rendu nécessaire pour sa défense la présence d’un avocat; en outre, la décision attaquée comportait des lacunes, faute d’indiquer pourquoi le tribunal correctionnel avait estimé non remplies les conditions subjectives du sursis. Subsidiairement, l’intéressé demandait à la cour de réformer ladite décision. Selon lui, le tribunal avait mal appliqué l’article 41 du code pénal suisse: eu égard à son âge et au redressement observé dans sa conduite, il convenait de lui laisser une dernière chance et de lui accorder un nouveau sursis. La cour de cassation pénale rejeta les recours le 27 janvier 1986, par les motifs suivants: "Recours en nullité (...) Dans un arrêt Coindet, du 11 novembre 1983 (...), la 1re Cour de droit public du Tribunal fédéral a posé les principes suivants: Les conditions posées par l’article 104 al. 2 CPP [code de procédure pénale] - les besoins de la défense pénale - sont les mêmes que celles définies par la jurisprudence concernant le droit à la désignation d’un défenseur d’office tel qu’il peut être déduit de l’article 4 Cst [Constitution]. Le prévenu doit être pourvu d’un défenseur dans les cas où il faut s’attendre au prononcé d’une peine dont la durée exclut l’octroi du sursis, ou au prononcé d’une mesure privative de liberté; dans les autres cas, un tel droit ne peut être reconnu en vertu de l’article 4 Cst que si, à la gravité relative du cas, s’ajoutent des difficultés particulières du point de vue de l’établissement des faits ou des questions juridiques soulevées; il faut alors tenir compte des capacités du prévenu, de son expérience dans le domaine juridique ainsi que des mesures qui paraissent nécessaires, dans le cas particulier, pour assurer sa défense, notamment en ce qui concerne les preuves qu’il devra offrir. (...) En l’espèce, la durée de la peine n’exclut pas en soi le sursis. D’ailleurs, le recourant ne prétend pas qu’un défenseur d’office était nécessaire parce qu’il devait s’attendre au prononcé d’une peine dont la durée exclut le sursis; il n’y avait aucune difficulté dans l’établissement des faits, qui, comme le déclare le recourant dans son mémoire, ‘sont admis pour leur grande majorité’; le recourant n’invoque pas non plus, à juste titre, de difficultés de droit; quant aux raisons tenant à la personne de l’accusé, on ne saurait considérer que le fait qu’il est jeune adulte au sens des articles 100-100 ter CP [code pénal], déjà condamné, constitue une difficulté particulière. Le moyen n’est donc pas fondé et doit être rejeté. (...) Dans la mesure où le recourant entend faire état d’une lacune sur des points de fait qui auraient été à la base du raisonnement des premiers juges conduisant au refus du sursis, on peut admettre qu’il invoque un moyen de nullité. Mais ce moyen est infondé. En effet, pour savoir si les conditions subjectives du sursis sont réalisées, le juge du fait doit rechercher s’il existe des perspectives d’amendement durable du condamné, telles qu’on peut les déduire de ses antécédents et de son caractère (ATF [Arrêts du Tribunal fédéral suisse] 101 IV 258 c. 1; Tribunal fédéral: Meyer, 29.11.1983, ad Cass.: 7.10.1983). En l’espèce, le tribunal relève les antécédents du recourant et constate la consommation et le trafic de drogue. En ce qui concerne la personnalité du recourant, il décrit son curriculum vitae, sa situation de famille, sa réputation et sa situation financière. Les premiers juges ont donc rassemblé tous les éléments nécessaires à l’appréciation du pronostic. Par conséquent, le grief de lacune est infondé et le recours en nullité doit être rejeté. (...) Recours en réforme (...) Selon le Tribunal fédéral, savoir si les antécédents, le caractère et les circonstances de l’espèce permettent de prévoir l’amendement de l’auteur est essentiellement une question d’appréciation, l’autorité de recours ne pouvant intervenir en ce domaine que si le premier juge a fondé sa décision sur des arguments juridiques critiquables ou a outrepassé son pouvoir d’appréciation (JT [Journal des Tribunaux] 1980 I 460, no 58, et les arrêts cités). Les mêmes principes ont été posés par la cour de céans: l’autorité de recours intervient seulement lorsque les premiers juges abusent de leur pouvoir d’appréciation ou lorsqu’ils ont omis de motiver leur décision expressément ou implicitement (CPP annoté, ad article 415, p. 285). En l’espèce, le refus du sursis est motivé implicitement et ne procède pas d’un abus du pouvoir d’appréciation. En effet, la quantité de drogue négociée est importante et l’activité délictueuse du recourant a porté sur une longue période, pendant le délai d’épreuve d’une autre peine; le but lucratif est évident; même la situation matérielle précaire n’excuse pas ce trafic; les renseignements recueillis sur le compte du recourant ne sont pas tous bons. C’est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que les antécédents et le caractère ainsi que les circonstances de l’espèce ne permettent pas de poser un pronostic favorable et qu’ils ont refusé le sursis. Le refus du sursis est donc justifié et le moyen de réforme doit être également rejeté." C. La procédure devant le Tribunal fédéral Le requérant saisit alors le Tribunal fédéral d’un recours de droit public, en dénonçant l’application arbitraire de l’article 104 du code vaudois de procédure pénale et la violation des articles 4 de la Constitution et 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Il sollicita en outre le bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite. Le 5 décembre 1986, le Tribunal fédéral accueillit cette dernière demande mais rejeta le recours en ces termes: "1. Le recourant précise que les moyens qu’il invoque (...) se recoupent pour l’essentiel, et il ne motive pas spécialement, d’une manière conforme à l’article 90 al. 1 lettre b OJ [loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943], le grief de violation de la CEDH [Convention européenne des Droits de l’Homme]. D’ailleurs, les garanties qu’accordent les dispositions de l’article 6 (art. 6) CEDH sont en partie déjà contenues à l’article 4 Cst; elles n’ont dans ce cas pas de portée propre (ATF 105 Ia 305 consid. f, 103 Ia 5 consid. 2). Le présent recours ne peut donc être examiné que sous l’angle du droit interne. (...) (...) En d’autres termes, un défenseur est indispensable lorsqu’il ne s’agit pas d’un cas de peu de gravité et que l’affaire présente, en fait ou en droit, des difficultés telles que le prévenu n’est pas en mesure d’y faire face (ATF 111 Ia 82 s. consid. 2 c, 102 Ia 89 ss.). Pour déterminer si les exigences minimales de l’article 4 Cst sont remplies, il faut, dans chaque cas, apprécier l’ensemble des circonstances concrètes (ATF 102 Ia 90). a) S’agissant de l’importance de la peine prévisible (une mesure privative de liberté n’entrant pas en ligne de compte en l’espèce), le recourant ne prétend pas qu’il aurait encouru, dans les circonstances données et pour les seules infractions qui lui étaient reprochées, une peine d’une durée supérieure à celle permettant l’octroi du sursis. Certes, le risque de révocation du sursis antérieurement accordé (in casu pour une peine de dix mois d’emprisonnement) doit être pris en considération (arrêt Coindet déjà cité, consid. 2 b). Mais le recourant n’allègue pas qu’il aurait, compte tenu de ce risque, encouru concrètement une peine privative de liberté excédant 18 mois. Au contraire, il se fonde sur la peine totale de 16 mois d’emprisonnement pour prétendre que l’assistance d’un défenseur d’office lui aurait peut-être permis d’obtenir un jugement plus clément. Il faut donc admettre que la gravité de la peine globale concrètement encourue n’excédait pas 18 mois et n’impliquait pas l’obligation d’accorder au recourant un défenseur d’office. b) Certes, le cas du recourant doit être considéré en soi comme relativement grave, pour les motifs exposés dans les arrêts de la cour cantonale et du tribunal correctionnel. Toutefois, divers facteurs jurisprudentiels en faveur du droit à un défenseur d’office ne sont pas donnés: Quaranta n’a pas subi une longue détention préventive qui l’aurait entravé dans sa défense, puisqu’il a été relaxé le jour même où il a été appréhendé (ATF 101 Ia 91 consid. 3 e, 100 Ia 187/188); l’accusation n’a pas été soutenue, à l’audience de jugement du 12 novembre 1985, par un représentant du ministère public (ATF 106 Ia 183 consid. 2b, 103 Ia 5 i.f.); bien que présentant une certaine instabilité, le recourant n’est pas apparu comme un homme diminué soit physiquement, soit mentalement, ce qu’on peut déduire de l’attestation et des déclarations de son employeur, ainsi que de celles de l’assistante sociale entendue par la police; en outre, son cas n’a présenté aucune difficulté quelconque en fait, puisque l’instruction le concernant s’est limitée à un seul interrogatoire par le juge informateur; il a d’ailleurs reconnu immédiatement les faits qui lui étaient reprochés, et qui ne sont au demeurant pas contestés dans le recours (ATF 111 Ia 85/86, 101 Ia 92). (...) aa) S’agissant d’une éventuelle restriction de la responsabilité pénale, le recourant se fonde, d’une part, sur le passage de l’arrêt attaqué selon lequel ‘depuis 1975 jusqu’au printemps 1985, avec plus d’intensité depuis 1983, l’accusé a consommé du hachisch quotidiennement’, passage repris textuellement du jugement de première instance du 12 novembre 1985; d’autre part, il invoque en droit l’arrêt Conconi (ATF 102 IV 74 ss.). Il résulte toutefois du dossier du juge informateur de l’arrondissement de Vevey-Lavaux que la constatation de fait susmentionnée n’est pas exacte. Interrogé le 10 mars 1985 par la police, le recourant a déclaré: ‘Il y a environ 10 ans que je fume du shit. Depuis 2 ans, je fume quotidiennement.’ Le même jour, il a répondu au juge informateur ce qui suit: ‘C’est à l’âge de 13 ans ... que j’ai fait la connaissance du hachisch. Dès lors, j’en ai fumé de manière irrégulière. Ce sont surtout ces deux dernières années que j’ai fumé du hachisch quasi journellement.’ Dans le rapport de police du 10 avril 1985, il est relevé que Quaranta ‘a déclaré avoir fumé du hachisch depuis environ 10 ans et plus régulièrement depuis deux ans’. Rien, dans le dossier, ne permet d’admettre que, contrairement à ces déclarations du recourant, celui-ci aurait fumé du hachisch quotidiennement ‘depuis 1975’, voire qu’il en aurait vraiment fumé chaque jour depuis 1983. Par ailleurs, il résulte des mêmes pièces qu’il a consommé uniquement du hachisch, à l’exclusion de drogues ‘dures’; c’est au demeurant uniquement de hachisch qu’il est question dans l’ordonnance de renvoi et le jugement du tribunal correctionnel du 12 novembre 1985. En droit, il était inutile que le recourant eût un défenseur d’office pour rappeler au tribunal que, conformément à l’arrêt Conconi, ‘le juge a l’obligation, en cas de consommation de stupéfiants, de rechercher si les circonstances ne font pas douter de la responsabilité de l’inculpé’. Quaranta n’apparaissait nullement perturbé et, à la différence de Conconi, il n’avait jamais consommé de drogues ‘dures’; les juridictions cantonales, qui ont examiné la personnalité de l’inculpé et se sont prononcées à cet égard, ont donc manifestement considéré qu’il n’y avait aucune raison d’avoir des doutes sur son état mental. Qu’elles aient eu ou non l’obligation de le dire expressément dans leurs jugements, comme cela semble pouvoir découler de l’arrêt Conconi, ne joue pas de rôle quant à l’obligation éventuelle de commettre un défenseur d’office. bb) La question de savoir si le motif du refus du sursis pour la nouvelle condamnation imposait ou non nécessairement aussi la révocation du sursis antérieur (cf. ATF 107 IV 92/93) ne constituait pas, en soi, un problème juridique délicat qui eût commandé la désignation d’un défenseur d’office. Étant donné les antécédents du recourant, la nature et les dates des nouvelles infractions commises, on ne voit pas en quoi l’assistance par un avocat - dont Quaranta a d’ailleurs bénéficié pour son recours à la cour de cassation pénale - aurait été nécessaire pour la défense de ses droits. (...)" Le 21 juillet 1987, M. Quaranta se présenta aux établissements pénitentiaires de Bellechasse (Fribourg) pour y purger ses peines, mais le Grand Conseil du canton de Vaud lui a depuis lors accordé une grâce partielle par un décret du 18 novembre 1987, ainsi libellé: "L’exécution des peines de 10 mois d’emprisonnement, sous déduction de 5 jours de détention préventive [,] et de 6 mois d’emprisonnement, prononcées contre Quaranta par le tribunal correctionnel du district de Vevey, respectivement les 5 mars 1982 et 12 novembre 1985, sera suspendue dès le 24 décembre 1987, pendant un délai d’épreuve de trois ans dès la date de suspension." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution fédérale Aux termes du premier paragraphe de l’article 4 de la Constitution fédérale, "Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Il n’y a en Suisse ni sujets, ni privilèges de lieu, de naissance, de personnes ou de familles." B. L’assistance d’un avocat d’office Les deux dispositions du code vaudois de procédure pénale invoquées ou appliquées en l’espèce sont les suivantes: Article 104 "Le prévenu doit être pourvu d’un défenseur dans toutes les causes où le ministère public intervient. Hormis ces cas, il peut être pourvu d’un défenseur, même contre son gré, quand les besoins de la défense l’exigent, notamment pour des motifs tenant à sa personne ou en raison des difficultés particulières de la cause." Article 107 "Le prévenu peut, jusqu’à l’ouverture des débats, demander qu’un défenseur d’office lui soit désigné. Il adresse une demande au juge instructeur qui la transmet immédiatement, avec son préavis, au président du for; il la présente directement au président lorsque le tribunal est déjà saisi. Le président statue à bref délai; (...)." C. La répression de la toxicomanie La loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants En ses articles 19 par. 1 et 19 a) par. 1, la loi sur les stupéfiants prévoit notamment: Article 19 par. 1 "Celui qui, sans droit, cultive des plantes à alcaloïdes ou du chanvre en vue de la production de stupéfiants, celui qui, sans droit, fabrique, extrait, transforme ou prépare des stupéfiants, celui qui, sans droit, entrepose, expédie, transporte, importe, exporte ou passe en transit, celui qui, sans droit, offre, distribue, vend, fait le courtage, procure, prescrit, met dans le commerce ou cède, celui qui, sans droit, possède, détient, achète ou acquiert d’une autre manière, celui qui prend des mesures à ces fins, celui qui finance un trafic illicite de stupéfiants ou sert d’intermédiaire pour son financement, celui qui, publiquement, provoque à la consommation des stupéfiants ou révèle des possibilités de s’en procurer ou d’en consommer, est passible, s’il a agi intentionnellement, de l’emprisonnement ou de l’amende. Dans les cas graves, la peine sera la réclusion ou l’emprisonnement pour une année au moins; elle pourra être cumulée avec l’amende jusqu’à concurrence de 1 million de francs. (...)." Article 19 a par. 1 "Celui qui, sans droit, aura consommé intentionnellement des stupéfiants ou celui qui aura commis une infraction à l’article 19 pour assurer sa propre consommation est passible des arrêts ou de l’amende. (...)." Le code pénal suisse L’article 36 du code pénal fixe la durée de l’emprisonnement: "La durée de l’emprisonnement est de trois jours au moins et, sauf disposition expresse et contraire de la loi, de trois ans au plus." Le sursis à l’exécution de la peine se trouve régi par l’article 41, ainsi libellé: "1. En cas de condamnation à une peine privative de liberté n’excédant pas dix-huit mois ou à une peine accessoire, le juge pourra suspendre l’exécution de la peine, si les antécédents et le caractère du condamné font prévoir que cette mesure le détournera de commettre d’autres crimes ou délits et s’il a réparé, autant qu’on pouvait l’attendre de lui, le dommage fixé judiciairement ou par accord avec le lésé. Le sursis ne peut être accordé lorsque le condamné a subi, en raison d’un crime ou d’un délit intentionnel, plus de trois mois de réclusion ou d’emprisonnement dans les cinq ans qui ont précédé la commission de l’infraction. Les jugements étrangers sont pris en considération dans la mesure où ils ne sont pas contraires à l’ordre public suisse. En suspendant l’exécution de la peine, le juge impartira au condamné un délai d’épreuve de deux à cinq ans. En cas de concours de peines, le juge pourra limiter le sursis à certaines d’entre elles. (...)." En présence de délinquants anormaux, d’alcooliques et de toxicomanes, le juge peut ordonner les mesures et traitements suivants: Article 43 par. 1 "Lorsque l’état mental d’un délinquant ayant commis, en rapport avec cet état, un acte punissable de réclusion ou d’emprisonnement en vertu du présent code, exige un traitement médical ou des soins spéciaux et à l’effet d’éliminer ou d’atténuer le danger de voir le délinquant commettre d’autres actes punissables, le juge pourra ordonner le renvoi dans un hôpital ou un hospice. Il pourra ordonner un traitement ambulatoire si le délinquant n’est pas dangereux pour autrui. (...) En cas de traitement ambulatoire, le juge pourra suspendre l’exécution de la peine si celle-ci n’est pas compatible avec le traitement. Dans ce cas, il pourra imposer au condamné des règles de conduite conformément à l’article 41, chiffre 2, et, au besoin, le soumettre au patronage. (...)." Article 44 "1. Si le délinquant est alcoolique et que l’infraction commise soit en rapport avec cet état, le juge pourra l’interner dans un établissement pour alcooliques ou au besoin dans un établissement hospitalier, pour prévenir de nouveaux crimes ou délits. Le juge pourra aussi ordonner un traitement ambulatoire. L’article 43, chiffre 2 est applicable par analogie. Le juge ordonnera au besoin une expertise sur l’état physique et mental du délinquant et sur l’opportunité du traitement. (...) Le présent article est applicable par analogie aux toxicomanes. (...)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 18 décembre 1986 à la Commission (no 12744/87), M. Quaranta se prétendait victime d’une violation de l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Selon lui, il n’avait pas eu les moyens de rémunérer un défenseur de son choix et la nature de l’affaire eût exigé la désignation d’un avocat pour le représenter lors de l’instruction de l’affaire, puis à l’audience devant le tribunal correctionnel de Vevey. La Commission a retenu la requête le 6 juillet 1988. Dans son rapport du 12 février 1990 (article 31) (art. 31), elle arrive à la conclusion unanime qu’il y a eu infraction à l’article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement a confirmé lors de l’audience les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à dire que "la Suisse n’a pas violé la Convention européenne des Droits de l’Homme à raison des faits qui ont donné lieu à la requête introduite par M. Quaranta".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Hector Cruz Varas (le premier requérant), son épouse Mme Magaly Maritza Bustamento Lazo (le deuxième requérant) et leur fils Richard Cruz (le troisième requérant), né en 1985, sont tous citoyens chiliens. Entré en Suède le 28 janvier 1987, le premier nommé y demanda l’asile politique dès le lendemain. Les deux autres allèrent l’y retrouver le 5 juin. A. La décision d’expulser les requérants Le 22 juin 1987, la police (polismyndigheten) de Växjö interrogea M. Cruz Varas sur les raisons de ladite demande. Au sujet de son passé au Chili, il fournit les renseignements suivants. En 1968, il aurait adhéré à la fédération des jeunes du Parti radical. Il se serait affilié au Parti socialiste en 1970 et y serait resté après le coup d’État de 1973, qui entraîna le remplacement du gouvernement de coalition du président Allende par un régime sous la présidence du général Pinochet. En 1971, il aurait en outre rallié le F.D.R. (Front des travailleurs révolutionnaires), dont il aurait été le secrétaire jusqu’en 1973, et il aurait oeuvré à la création d’une opposition au régime Pinochet. En 1976, il aurait été arrêté et emmené dans un camp militaire, où il serait demeuré détenu deux jours. La même année il aurait rejoint les mormons. De 1976 à 1982 il n’aurait pas eu d’activités politiques. En 1982, il aurait déménagé à Villa Alemana et concouru à la distribution de tracts pour le Front démocratique. Il aurait pris part à de nombreuses manifestations et à deux grèves générales (en août 1985 et le 4 juin 1986). Appréhendé en 1973 et 1974 pour transgression du couvre-feu, il l’aurait également été en août 1985, par des agents de la C.N.I. (Central Nacional de Investigaciones de Chile), pour avoir pénétré à bicyclette dans une zone interdite. On l’aurait relâché au bout de quatre heures. Hormis ces incidents, la police et l’armée chiliennes l’auraient laissé tranquille. Il expliqua son départ du Chili par l’impossibilité de conserver sa maison à Villa Alemana, où il vivait avec sa famille, ainsi que par la précarité de sa situation financière après de longues périodes de chômage ; incapable de rembourser son emprunt hypothécaire, il avait choisi de liquider sa maison afin d’en éviter la vente forcée. Dans un mémoire du 27 juillet 1987 à l’Office national de l’immigration (statens invandrarverk, "l’Office"), l’intéressé présenta, par l’intermédiaire de son avocat, des observations sur l’interrogatoire susmentionné. Il affirma avoir subi, en 1976, des sévices une fois arrêté avec quatre amis : on les avait empêchés de dormir et contraints à se tenir debout, dépouillés de leurs vêtements ; un de ses compagnons avait été battu à cette occasion. Le 21 avril 1988, l’Office décida d’expulser les requérants et leur interdit de retourner en Suède sans son autorisation avant le 1er mai 1990. De plus, il refusa de leur octroyer le statut de réfugié et de leur délivrer des pièces d’identité. A ses yeux, ils n’avaient pas fourni des raisons politiques assez graves pour qu’on les considérât comme réfugiés au titre de l’article 3 de la loi sur les étrangers (utlänningslagen, 1980:376), ou de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Les intéressés saisirent alors le gouvernement. M. Cruz Varas n’avança aucune circonstance nouvelle. Il souligna que faute de recevoir toutes les lettres qu’on lui adressait du Chili, il ne pouvait produire aucune pièce à l’appui en provenance de ce pays. Le gouvernement (ministère du Travail) rejeta le recours le 29 septembre 1988. Les requérants alléguèrent ensuite, devant la police de Varberg, l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion et sollicitèrent le transfert de leur dossier à l’Office. Interrogé par elle le 19 octobre 1988, M. Cruz Varas invoqua des arguments supplémentaires en faveur de l’octroi de l’asile : il déclara risquer la persécution politique, la torture voire la mort s’il regagnait le Chili, à cause de ses rapports permanents en Suède avec un groupe politique appelé Frente Patriótico Manuel Rodriguez (F.P.M.R.), organisation radicale qui avait essayé de tuer le général Pinochet ; il avait commencé à travailler pour ce groupe après son arrivée en Suède et craignait que la C.N.I. ne connût ses activités dans ce pays, lesquelles avaient débuté en février 1988 et comportaient la diffusion de brochures de soutien aux prisonniers politiques au Chili. La police de Varberg résolut, le 21 octobre 1988, de repousser la demande et d’exécuter l’arrêté d’expulsion en envoyant les requérants au Chili à bord de l’avion qui décollerait de l’aéroport Landvetter, à Göteborg, le 28 à 16 heures. Le 26, l’Office écarta leur recours contre cette décision. Le 27, ils réclamèrent derechef le transfert de leur dossier audit service, mais la police le leur refusa le 28 et le même jour l’Office rejeta leur recours. Dans sa lettre d’appel, M. Cruz Varas prétendait, par l’intermédiaire d’un nouvel avocat, avoir rédigé des articles parus sous sa signature dans le journal du F.P.M.R. (El Rodriguista) et avoir critiqué le régime en place au Chili. Il produisait aussi une attestation, datée du 23 octobre 1988, dans laquelle Juan Marchant, membre du groupe de soutien au F.P.M.R. de Varberg, certifiait que lui et sa famille étaient politiquement actifs au sein du groupe. Il communiquait en outre une copie de deux articles de presse, des 21 et 24 octobre 1988, relatifs à une manifestation à Varberg contre leur expulsion. On y lisait notamment que M. Cruz Varas avait caché dans sa maison au Chili des amis recherchés par la police et qu’il travaillait pour le F.P.M.R. en Suède. La décision d’expulsion ne put être mise en oeuvre comme prévu car les requérants ne se présentèrent pas à temps pour le départ. Ils excipèrent à nouveau de l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté par une lettre du 30 décembre 1988 à la police de Varberg. Le 13 janvier 1989, celle-ci interrogea M. Cruz Varas devant un nouvel avocat. On peut lire dans le procès-verbal (traduction du suédois) : "Cruz souhaite en particulier ajouter à ses déclarations les précisions suivantes concernant les sévices subis par lui pendant ses périodes de détention au Chili. Questionné sur les lieux et dates de ces emprisonnements, il dit avoir été incarcéré une première fois en 1973 à Santiago. Il aurait été arrêté avec tous ses collègues du bureau de la Codelco (grande compagnie minière) peu après le coup d’État. On les aurait emmenés dans un centre militaire où on les aurait maltraités. Cruz n’en a pas parlé plus tôt parce qu’il pensait que la police suédoise coopérait avec la police chilienne. Il ne le croit plus. L’événement susmentionné remontant assez loin dans le temps, Cruz est invité à commencer son récit par l’occasion la plus récente à laquelle on l’a persécuté. Il raconte alors en janvier 1987, il fut arrêté tandis qu’il marchait le long d’une rue appelée Calle Troncal. Deux hommes descendirent d’une voiture et le poussèrent dans une autre, qui se dirigea ensuite vers une sorte de bâtiment de sécurité. Pendant le voyage, on le frappa dans les côtes. On lui fit descendre un long escalier conduisant à une espèce de salle d’interrogatoire, où on le photographia déshabillé. Il reçut des coups, surtout à la tête, puis fut suspendu par les pieds et photographié dans cette posture. On lui demanda où se trouvait Luis Herrera, président de la Société des libres penseurs humanistes, mais il ne put répondre. Il ne veut pas en dire davantage sur les sévices infligés à cette occasion. Il ajoute pourtant que ses ravisseurs lui annoncèrent qu’ils allaient l’abattre avant la fin de la journée. Ils lui bandèrent les yeux et il sentit quelqu’un appuyer le canon d’une arme contre son corps, mais aucun coup ne fut tiré. Interrogé sur les raisons de ce traitement, il déclare s’être entendu reprocher sa qualité de communiste, qu’il n’a jamais eue. On le remit en liberté après cette dernière intimidation, puis un homme qui avait assisté à la scène se montra aimable envers lui. Il lui dit que les choses se passeraient bien mieux s’il collaborait avec la police. Questionné sur le point de savoir s’ils se trouvaient alors dans un commissariat de police, Cruz déclare qu’il s’agissait d’un bâtiment de sécurité. Ses kidnappeurs lui citèrent aussi le nom des membres de sa famille. A 4 heures du matin, ils le conduisirent au loin à bord d’un véhicule et le relâchèrent après l’avoir gardé 14 heures environ. Il n’a pas mentionné cet incident plus tôt. Comme on s’en étonne, puisqu’il a subi plusieurs interrogatoires de police, qu’il a eu de nombreux contacts avec son avocat et que beaucoup de documents contenant des renseignements sur son compte ont été soumis aux autorités, il répond qu’il a souvent été trahi par le passé et qu’il ne peut plus se fier à personne. En août 1986 - il ne se rappelle pas la date exacte -, alors qu’il marchait dans une rue de Valparaiso après avoir assisté à la réunion d’un comité de quartier et s’apprêtait à prendre l’autobus pour Viña del Mar, quatre hommes arrivèrent en voiture, le menacèrent en lui posant un couteau sur la gorge et l’enlevèrent. C’étaient des civils circulant dans un véhicule civil. Ils se dirigèrent vers Viña del Mar. Après lui avoir mis un bandeau noir sur les yeux, ils le sortirent de la voiture et lui donnèrent des coups de pied. Il se protégea autant qu’il le put en appliquant ses mains sur sa tête et ses parties. Ils l’insultèrent en outre. Ils lui dirent qu’il devait renoncer à combattre le gouvernement, qu’ils le connaissaient et qu’il ferait bien de cesser, sans quoi ce pourrait être le dernier jour de sa vie. Ils menacèrent même sa famille. Ces événements eurent lieu dans un bâtiment où on l’avait amené mais dont il ne sait rien car il avait les yeux bandés. On le tortura au moyen d’électrochocs sur les testicules. On lui plaça même des électrodes dans l’anus et sur les testicules. Après ces épreuves, on le conduisit quelque part sur la route entre Valparaiso et Viña del Mar et on le relâcha. Il faillit être renversé par un autobus au moment où il quittait la voiture. L’ensemble de ces événements dura une quinzaine d’heures. Environ un mois plus tard, Cruz trouva son chien, âgé de trois ans, mort dans des circonstances lui donnant à penser que c’était l’oeuvre soit de la C.N.I. soit de l’A.C.H.A. [Accíon Chilena Anticomunista]. L’animal avait été empalé sur la clôture en métal entourant la maison où vivait l’intéressé. Celui-ci en conclut qu’il a été traité de la sorte en raison de son activité dans des groupes de jeunesse et des amicales. Il avait oeuvré pour le développement de la démocratie au Chili. Chaque fois qu’elle l’arrêtait, la ‘police’ savait pour quoi il luttait. Jusqu’ici l’interrogatoire a été traduit à Cruz. Celui-ci souhaite préciser après coup qu’il visait non des amicales, mais des comités de quartier, et que s’il ne se fie à personne c’est simplement à cause de la masse d’informations dont la police disposait à son sujet quand il se trouvait en garde à vue. Hors la présence de l’interprète et de l’avocat, conformément au désir exprimé par lui, il déclare que lors de son arrestation, en 1986, par des personnes qu’il croit appartenir à la C.N.I., il a aussi subi quelque chose qu’il essaye d’effacer de sa mémoire et dont il lui est très pénible de parler. Après avoir été torturé au moyen, notamment, d’électrodes placées dans l’anus et sur les testicules, il fut couché à plat ventre sur un lit, aux colonnes duquel on lui attacha les mains et les pieds. Un ou plusieurs hommes se livrèrent ensuite sur lui à des violences sexuelles. Comme il restait à ce moment-là sous le coup du traitement précédent, il ne peut dire avec certitude s’il s’agissait d’une ou de plusieurs personnes. (Cette partie de l’interrogatoire a eu lieu sans la présence de l’interprète et de l’avocat, Cruz pouvant se faire comprendre en suédois.) En outre, il est incapable de décrire les problèmes qu’il a rencontrés à la suite, probablement, des sévices endurés. Il éprouve des difficultés à manger avec des couverts en métal, car ses dents lui font mal chaque fois qu’elles entrent en contact avec un objet métallique. Jadis très aigu, ce problème l’est moins aujourd’hui. Cruz signale ainsi deux sortes de plaintes. Il a d’abord ressenti une douleur générale dans les dents et en second lieu il a eu des problèmes avec les objets métalliques. L’apparition de ses douleurs dans les dents remonte à 1973 après qu’il eut été torturé aux électrochocs. Cette torture lui a été infligée quatre ou cinq fois au total. Après celle qu’il a subie en 1973, il a souffert en outre de nombreuses migraines. Il a remarqué aussi que depuis lors il a des pertes de mémoire. Il n’a rien à ajouter personnellement. Interrogé sur le point de savoir s’il veut apporter des précisions sur son engagement politique, il répond qu’il en a déjà rendu compte mais qu’il pourrait à présent produire des documents nouveaux à l’appui de ses déclarations antérieures. Il dépose trois attestations : une de Nicolas Reyes Armijo, président du Centre culturel pour la liberté à Belloto, une de Ricardo Poblete Muñoz, coordonnateur à l’organisation des comités de quartier, et une de la Commission de protection des droits des jeunes. Ce qui précède a été traduit à Cruz, qui déclare ne pas désirer fournir plus de détails. Il n’a rien à objecter à la description ci-dessus (...)." Datée du 1er novembre 1988, la première attestation mentionnée dans le procès-verbal consiste en une déclaration du président du Centro Cultural "Libertad" (Centre culturel "Liberté") d’El Belloto. Elle affirme que M. Cruz Varas a participé aux activités de cette institution jusqu’à son départ du Chili et que son intégrité psychologique et physique serait menacée s’il devait séjourner dans son pays. Elle précise en outre qu’il a dû s’expatrier pour des raisons politiques. La deuxième attestation, du 23 novembre 1988, émane d’un responsable de la Comisión de Derechos Poblacionales (Commission des droits des peuples) à Valparaiso. Elle indique que le premier requérant a été persécuté par la dictature de novembre 1983 à août 1986 ; qu’il a milité au sein des jeunesses socialistes, où il était le représentant et le dirigeant de la société révolutionnaire des Libres Pensadores Humanistas "Artesanos de las Letras" (Libres penseurs humanistes "Artisans des Lettres") à Villa Alemana ; qu’arrêté à Santiago en 1973 et par deux fois à La Serena, en novembre 1974 et septembre 1977, il a été menacé de mort à Viña del Mar en 1983 ; qu’en 1986 et janvier 1987, des civils l’ont arrêté et sévèrement battu. La troisième attestation, délivrée le 20 novembre 1988 par la Comisión de Derechos Juveniles (Commission des droits des jeunes) de Quilpue, contient des déclarations analogues. Le 13 janvier 1989, la police saisit l’Office de l’immigration du problème de l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Eu égard au risque de voir M. Cruz Varas s’y soustraire, elle décida le même jour qu’il devrait se rendre au commissariat deux fois par semaine. Par une lettre du 2 mars 1989, il soumit à l’Office un avis médical, du 20 février 1989, rédigé par un chercheur-assistant à l’institut de médecine légale de l’hôpital Karolinska, M. Håkan Ericsson. D’après celui-ci, M. Cruz Varas avait déclaré avoir subi des mauvais traitements dans des prisons chiliennes et présentait une déformation de la clavicule gauche, une cicatrice sur le haut du bras gauche et une autre sur la partie gauche du thorax. L’Office communiqua le dossier au gouvernement le 8 mars 1989, exprimant l’opinion que l’exécution de l’arrêté ne se heurtait à aucun obstacle. Il relevait que M. Cruz Varas avait à plusieurs reprises exposé son cas à la police et à lui, mais que d’une occasion à l’autre il avait fourni des renseignements contradictoires et qu’il venait de transformer radicalement son récit. Même en ayant égard aux difficultés qu’une victime peut avoir à décrire ses épreuves, l’Office n’apercevait aucune raison de prêter foi aux allégations de l’intéressé. Le 11 août 1989, ce dernier communiqua au gouvernement un certificat médical établi le 9 mai 1989 par un médecin légiste, le Dr Sten W. Jacobsson. On y lit, entre autres, ce qui suit (traduction du suédois) : "Le patient Cruz Varas Hector, né le 9 décembre 1948, m’a consulté au sujet de tortures qu’on lui aurait infligées dans son pays d’origine. Il a fait un récit qui m’a été interprété simultanément et dont le texte figure en annexe I. En l’examinant, j’ai observé sur la zone de la clavicule gauche et sur le haut du bras gauche des cicatrices mentionnées dans le protocole d’examen. Eu égard à ce qui précède, je soussigné déclare : Que le patient a dit avoir subi des sévices ; qu’il a montré, à titre de preuve objective, d’une part les traces d’une fracture de la clavicule provoquée par un coup porté à l’aide d’un instrument contondant et, d’autre part, une marque de brûlure typiquement arrondie et incolore sur la face interne supérieure du bras gauche (selon la pratique médico-légale, la blessure a l’apparence caractéristique d’une brûlure causée par un tuyau chauffé) ; qu’il présente des symptômes subjectifs de troubles dus à des tortures génitales et anales ainsi qu’à des pénétrations sexuelles par l’anus ; qu’il réagit, quand il les décrit, d’une manière telle (pleurs, tremblements) que, d’après mon expérience, il faut croire qu’il est réellement passé par là ; qu’en résumé, rien n’a été établi à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle M. Hector Cruz Varas a été soumis aux tortures et aux abus sexuels allégués par lui." L’annexe I donnait les renseignements ci-après : "Le patient parle d’abord de lui, puis de son père qui fut le secrétaire du Partido Socialista. Ils vivaient dans la ville d’El Salvador au Chili. Son père fut arrêté pendant le coup d’État militaire en 1973 et sauvagement torturé, puis relâché au bout de deux mois. Le patient avait alors 24 ans. Lui aussi fut arrêté et frappé, mais pas vraiment torturé, il le précise lui-même. Ils déménagèrent dans la ville de Lazalena. Le patient était lui aussi membre du Partido Socialista, interdit au Chili. Il fut persécuté pendant les années 70 et 80. Sa maison fit l’objet d’une perquisition en 1981. Il fut frappé par la police et conduit dans un bâtiment de sécurité où on lui banda les yeux, le tapa et lui brûla le bras gauche avec un tuyau incandescent. Il participa à une manifestation contre (...), monnaie introduite par le gouvernement. Arrêté par la suite, il fut torturé à l’électricité. En 1986, pareille torture lui fut infligée sur les parties génitales. Il fut sodomisé avec une tige électrifiée qui lui causa de grandes douleurs et l’on peut voir sur son visage, lorsqu’il en parle, qu’il a réellement souffert, car il est au bord des larmes. Il fut violé et sodomisé à plusieurs reprises, à tel point qu’il tomba en syncope. Il a beaucoup de peine à raconter cela, sa lèvre supérieure tremble et il transpire abondamment. Il n’en a jamais rien dit à sa femme et déclare aujourd’hui : ‘Je n’en peux plus.’ Sa réaction est très typique d’une personne ayant subi des tortures sexuelles humiliantes. En réponse à une question, le patient précise qu’à la suite de cet événement il a éprouvé longtemps de sérieux problèmes d’impuissance. Il pense que son état s’est amélioré en Suède. Il prend de la vitamine E pour lutter contre cette infirmité. En novembre 1987 il trouva son chien mort, pendu à la clôture en fer qui entourait sa maison. Un papier signé A.C.H.A. - ce qui équivalait à désigner la C.N.I. - annonçait que tel serait le sort de tous les communistes. Voilà pourquoi il quitta le Chili en 1987. Lorsque je lui demande ce qui arriverait s’il y retournait, il se montre bouleversé, dit qu’il ne le peut pas et se met à pleurer ; il est convaincu qu’on l’arrêterait à l’aéroport et que l’on continuerait à le persécuter et à le torturer." M. Cruz Varas produisit encore un avis médical, du 28 juin 1989, formulé par un spécialiste des maladies psychiatriques à l’hôpital Karolinska, Dr Søndergaard. Celui-ci y affirme avoir trouvé l’intéressé fortement secoué et à la limite de ce qu’il pouvait supporter ; la manière dont il a exposé son cas et réagi à cette occasion révèle nettement chez lui, un syndrome de stress post-traumatique. Dans une lettre du 11 août 1989 au Gouvernement, l’avocat de M. Cruz Varas décrivit ainsi les activités politiques de son client : "Le requérant témoigne d’un intérêt politique, et milite dans différentes organisations de gauche, depuis le début des années 60 ; à la fin de celles-ci, il s’est engagé aux côtés du M.I.R. (Movimiento de la Izquierda Revolucionaria). Dans les années 70, il a surtout oeuvré au sein du parti socialiste. Vers 1983, il est entré en contact avec des personnes affiliées, croit-il, au Frente Patríoticó Manuel Rodriguez et avec lesquelles il a participé à certaines activités militaires. Ses activités politiques lui ont valu d’être torturé en 1973, 1976, 1981, 1983, 1986 et 1987. Si tous ces détails ne figurent pas dans l’interrogatoire de police, c’est qu’il a privilégié les événements des années 80. A la fin, il signale pourtant que l’intéressé a subi la torture quatre ou cinq fois. Invité à rendre compte de son activité auprès du ‘Front’, le requérant déclare ce qui suit. Au cours de l’année 1983, il rencontra par hasard un individu surnommé ‘le Gorille’ pour sa forte stature et sa pilosité. Il le connaissait depuis les années 70, époque où tous deux militaient au sein du M.I.R. Quand ils se retrouvèrent, ils ne s’étaient pas vus depuis plus de dix ans mais ils se reconnurent aussitôt. C’était à l’occasion d’une réunion de parents dans une école de Villa Alemana fréquentée par les filles du Gorille. (...) Au bout de quelque temps, ses relations avec le Gorille débouchèrent sur des activités de sabotage manifestes. Son compagnon occupait un poste important au service municipal d’électricité. Lui-même s’y entend en matière d’explosifs car il a travaillé dans les mines. Ensemble, ils utilisaient des engins explosifs pour détruire des lignes électriques dans toute la ville. Ils se complétaient bien : le Gorille indiquait les cibles et programmait les opérations, Hector se procurait la dynamite en se rendant à la ville de San Salvador où il a de nombreux amis d’enfance. Ceux qui travaillaient dans la mine lui vendaient de la dynamite dérobée par eux. Cette activité dura jusqu’en 1986. Après cela, se sentant trop surveillé, il ne participa plus à aucune opération de sabotage. Il pense toutefois que le Gorille persévéra, car ils avaient un stock de dynamite assez important. Il a lu d’ailleurs dans la presse que des lignes électriques avaient été sabotées après que lui-même eut interrompu cette activité. Le Gorille essaya par différents moyens de l’amener à participer à des projets militaires plus élaborés. Ils discutèrent souvent de la possibilité de tenter d’armer le peuple et d’ouvrir une école d’entraînement militaire. Ils dressèrent des plans détaillés concernant la manière de s’approvisionner en armes. Ils commençaient par se demander comment ‘faire davantage encore (...)’. Ils préparèrent notamment les plans précis d’une attaque contre une caserne de carabiniers. Le but consistait à s’emparer d’armes qui pourraient ultérieurement servir à d’autres types de raids. Le projet n’aboutit pas, en raison de l’arrestation d’Hector en 1983. Pendant sa détention la police lui posa nombre de questions, notamment sur des endroits destinés à constituer des points de ralliement pour les participants à ladite attaque. Celle-ci n’eut jamais lieu, mais Hector a constaté qu’il y en avait eu une autre contre une autre caserne de carabiniers. Invité à détailler le plan d’attaque, il déclare que le Gorille et lui devaient transporter au cimetière les armes volées et les y enterrer. Le moment venu, d’autres personnes seraient allées les y récupérer. Le Gorille ne mentionna jamais le nom du Frente Patríoticó Manuel Rodriguez, mais Hector a eu l’impression qu’il y jouait un rôle assez considérable. Le Gorille lui-même indiqua seulement qu’il militait désormais au parti communiste. Pour illustrer la position centrale du Gorille, Hector signale que celui-ci, peu de temps avant la tentative d’assassinat contre Pinochet, lui demanda s’il consentirait à conduire un camion pour une occasion très importante. Comme il avait répondu de manière hésitante, l’idée fut abandonnée. Après coup, il se rendit compte qu’il pouvait s’agir du véhicule prévu pour la tentative d’assassinat. Hector n’a directement participé à aucune opération militaire. Une fois cependant, on le chargea de conduire un camion à un endroit donné. Il devait l’y garer, puis aller en chercher un autre. On ne lui fournit pas plus de détails. L’opération fut toutefois annulée pour des raisons de sécurité. Peu après, il lut dans un journal qu’une cache d’armes avait été découverte tout près de là où il devait parquer le camion. Quelques mois après sa rencontre fortuite avec le Gorille réapparut un vieil ami avec qui il avait travaillé au sein d’une cellule de résistance en 1973-1974, dans la ville de La Serena. L’intéressé lui dit d’emblée qu’il avait des ennuis avec la police et cherchait une planque. Hector lui offrit asile et ils rentrèrent aussitôt chez lui. Plus tard dans la soirée les rejoignirent deux autres amis. Tous étaient armés de pistolets. Hector croit aussi avoir aperçu des mitraillettes du genre de celles utilisées par la police chilienne. Il n’a jamais su pourquoi son ami se trouvait en fuite. Comme il dit, ‘mieux valait tout ignorer’. Un jour, l’ami en question fut arrêté en sortant de la maison. Hector en fut informé par une connaissance qui les avait vus ensemble. Les deux autres hommes quittèrent immédiatement son domicile. Après cela, Hector déménagea à Santiago et gagna sa vie en travaillant comme ouvrier du bâtiment. Il y séjourna en gros de septembre 1984 à décembre 1985. Il loua sa maison par l’intermédiaire d’un homme de paille et apprit que peu après elle avait été fouillée et qu’à la suite de cet incident les locataires avaient déménagé. Le faux propriétaire leur trouva des successeurs pour le reste du temps. Aucune autre perquisition n’ayant eu lieu, Hector pensa qu’il n’y avait aucun risque à regagner Villa Alemana. Il y retourna donc en décembre 1985. Interrogé au sujet de ses nombreuses rencontres ‘fortuites’ avec des gens appartenant probablement au ‘Front’, il répond s’en être lui aussi étonné. Dans le cas du Gorille, il attribue la chose à un simple hasard. Il se montre plus hésitant pour le deuxième ami : il pouvait s’agir d’une coïncidence comme d’une tentative délibérée de le mêler davantage aux activités du Front. Il pense que sa connaissance des explosifs et sa qualité de propriétaire d’une maison isolée pouvaient intéresser une telle organisation. Une fois rentré à Villa Alemana, il se sentit surveillé de diverses manières. Il dit avoir rencontré à maintes reprises différents types de représentants de commerce qui entraient en contact avec lui. (...) Pendant l’une de nos conversations, il déclare subitement : ‘Il y a quelque chose dont je n’ai jamais parlé, quelque chose que je ne dirai jamais.’ J’insiste pour qu’il s’en ouvre. Suit une lutte psychologique d’au moins une heure. Je m’efforce de garder constamment l’initiative et d’inciter Hector à me livrer son secret. Il campe sur ses positions en affirmant : ‘Je ne le dirai jamais, même si l’on m’expulse. Je ne le dirai qu’à l’aéroport.’ Finalement, il m’avoue avoir vécu longtemps dans un triste état psychique au Chili et avoir absorbé de grandes quantités d’antidépresseurs. Les tortures subies en 1986 l’avaient mis à bout de nerfs et, en raison de la tradition de confession interne dans l’Église mormone, il demanda audience au plus haut dignitaire des mormons, celui qui a rang de Grand Président, et lui confia tout. Il lui parla de ses liens avec le Gorille et aussi des deux autres membres de l’Église mormone qu’il avait présentés à ce dernier. Ils eurent plusieurs entretiens. Lors du premier, Hector prit l’initiative et ne révéla donc pas grand-chose, mais par la suite c’est le Grand Président qui dirigea la conversation et il obtint plus de détails. Hector fut arrêté et torturé en janvier 1987. Au sortir de la salle de torture, il essaya de se mettre en rapport avec les deux autres membres de l’Église mormone, mais ils avaient disparu. Il tenta aussi de rencontrer le Gorille, mais sans plus de succès. Hector a l’intime conviction que tous trois sont morts et ont été tués par sa faute, parce qu’il avait parlé au Grand Président. Il pense que ce dernier a profité de sa faiblesse et renseigné le gouvernement sur ses amis et lui. Il ne peut indiquer avec certitude quand les trois intéressés ont disparu, mais précise qu’il les a vus pour la dernière fois en décembre 1986. Les tortures subies par lui en janvier 1987, jointes aux reproches qu’il se faisait d’avoir provoqué la mort du Gorille et des deux mormons, ont contribué à son départ du Chili peu de temps après." Des rapports établis, les 21 juin et 5 octobre 1989, par des médecins de l’hôpital de Varberg au sujet de l’état de santé de Richard Cruz Varas (le troisième requérant) furent également soumis au gouvernement. Ils signalaient que l’enfant avait des problèmes de personnalité et que, selon toute probabilité, une expulsion de Suède lui vaudrait des troubles psychologiques graves. Le premier requérant a produit en outre une lettre, datée du 16 août 1989, du Bureau régional pour les pays nordiques du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. On y lit entre autres : "(...) quiconque a subi des tortures ressent dans la plupart des cas des effets durables d’ordre à la fois physique et psychosomatique. Aussi doit-on, en examinant la demande de statut de réfugié présentée par une telle personne, faire abstraction de toute question de délais ou de degrés de torture." Dans une lettre du 5 octobre 1989, le même Bureau écrivait :"Nous tenons dès lors à souligner qu’à notre avis, M. Hector Cruz Varas (...) devrait être protégé contre un retour éventuel dans son pays d’origine. Indépendamment des nombreux aspects mentaux, traumatiques et humanitaires en jeu, nous estimons qu’il faut insister non seulement sur la convention de 1951 relative aux réfugiés, mais aussi sur celle de 1984 contre la torture." Le 4 octobre 1989, l’intéressé fut placé en garde à vue par la police de Varberg en vertu d’une décision du ministre du Travail. Le lendemain, le gouvernement (ministère du Travail) jugea qu’il n’existait, au regard des articles 77 et 80 de la loi sur les étrangers, aucun empêchement à l’exécution de l’arrêté d’expulsion pris à l’encontre des requérants. Le 6 octobre 1989, l’Office résolut de ne pas y mettre obstacle et le même jour M. Cruz Varas fut expulsé vers le Chili. Sa femme et son fils, eux, entrèrent dans la clandestinité en Suède. La Cour ignore où ils se trouvent. B. L’évolution politique au Chili L’état d’urgence a été levé en août 1988 ; en septembre, les exilés ont été autorisés à retourner au Chili. Le 5 octobre, un plébiscite a écarté la candidature du général Pinochet à la présidence du pays. Des élections présidentielles et parlementaires ont alors été programmées pour décembre 1989. A la suite de négociations entre le gouvernement et l’opposition, un référendum a eu lieu le 30 juillet 1989. Il a débouché sur l’adoption de divers amendements à la Constitution, destinés notamment à démocratiser lesdites élections et à réduire l’influence omniprésente des forces armées dans la vie civile. Les élections présidentielles se sont déroulées le 14 décembre 1989. Elles ont vu la victoire de M. Patricio Aylwin, membre du parti chrétien-démocrate auparavant dans l’opposition, et dirigeant d’une alliance de dix-sept partis intitulée "Coalition des partis pour la démocratie". En avril 1989, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) a été intégré au droit chilien par sa publication au Diario Oficial, le journal officiel du pays. Le Chili a, de plus, ratifié en 1988 la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), ainsi que la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture (1985), mais avec des réserves dans les deux cas. Toutefois, dans un rapport d’octobre 1989 Amnesty International mentionne divers cas de torture qu’on lui a signalés ; ils se seraient produits en 1989. C. Faits postérieurs à l’expulsion Le 7 octobre 1989, M. Cruz Varas atterrit à l’aéroport de Rio de Janeiro (Brésil), où il demanda en vain l’asile politique. On le mit alors dans un avion pour Santiago, où il arriva le 8. Il n’avait sur lui aucun papier d’identité ; lorsqu’il se présenta au contrôle des passeports, on le plaça de côté et on le photographia. On lui fit signer une déclaration d’après laquelle il avait séjourné en Suède pour des raisons financières et s’engageait à s’abstenir de toute activité politique au Chili. Il resta dans ce pays du 8 au 29 octobre 1989 et retourna chez lui à Villa Alemana. Les 26 et 27 il participa à des réunions politiques, la dernière en faveur de M. Aylwin, candidat à la présidence. Il affirme qu’à cette occasion un inconnu s’approcha de lui et menaça sa famille au Chili. Pendant cette période, son beau-frère aurait été agressé dans la rue et grièvement blessé par des inconnus. Deux autres de ses beaux-frères auraient été interpellés et fouillés par des agents, qui les auraient interrogés à son sujet. Le 29 octobre 1989, il quitta le Chili pour l’Argentine et vécut un temps à Buenos Aires. Les 2 décembre 1989 et 7 mars 1990, l’Office refusa de l’autoriser à regagner la Suède. Bien qu’il ait pu assister à l’audience devant la Cour, celle-ci ne sait où il se trouve à l’heure actuelle. D. La déposition du Dr Jacobsson devant la Commission Le 7 décembre 1989, la Commission a entendu en qualité de témoin le Dr Sten W. Jacobsson, dont elle résume en détail la déposition aux paragraphes 49 à 57 de son rapport. Chargé de cours (docent) de médecine légale (rättsmedicin) à l’Institut Karolinska, l’intéressé coopère également avec la Croix-Rouge dans le cadre de l’aide aux victimes de la torture. Il a vingt ans d’expérience dans l’appréciation des cicatrices et blessures ; il travaille depuis 1985 sur des allégations de torture en provenance du Chili. Selon lui, les affirmations du premier requérant correspondent très probablement à la vérité, eu égard aux blessures constatées (lésion à la clavicule et marques de brûlures) et aux réactions observées pendant son récit. M. Cruz Varas n’aurait abordé qu’avec beaucoup de répugnance, et en transpirant abondamment, le chapitre des tortures sexuelles subies par lui. Pareille réaction indiquerait qu’on lui a réellement infligé de tels traitements. En outre, il aurait manifesté de l’épouvante à l’idée de rentrer au Chili. Le Dr Jacobsson a souligné que les victimes de tortures sexuelles ont souvent souffert un si grand dommage qu’elles ne veulent pas en parler, même à leur conjoint. E. Autres documents produits à titre de preuve Après l’expulsion de M. Cruz Varas, le gouvernement a communiqué un mémorandum de l’ambassade de Suède à Santiago. Daté du 2 janvier 1990, il contient un rapport relatif à une enquête menée, à la demande du ministère du Travail, pour se renseigner sur les activités politiques éventuelles de l’intéressé et sur les persécutions politiques auxquelles il a pu être en butte. L’enquête a été effectuée le 20 décembre 1989 par Mlle Jenny Malmqvist, deuxième secrétaire à l’ambassade, au cours d’une visite à Villa Alemana, en compagnie notamment du président de la commission des droits de l’homme de Valparaiso. Quant aux activités politiques, le rapport conclut que tous les représentants des partis interrogés ont déclaré ne pas connaître M. Cruz Varas ; il n’en va pas de même des voisins, mais ils ignoraient tout d’un quelconque engagement politique de sa part. A l’appui de ce qui précède, le gouvernement a également fourni des attestations sous serment émanant des partis radical, socialiste et communiste. Au sujet d’éventuelles persécutions politiques, il a produit une attestation sous serment que la présidente de la commission des droits de l’homme de Villa Alemana, Mme Maria Teresa Ovalle, a délivrée à l’ambassade de Suède à Santiago. Il en ressort que ladite commission ne connaît pas M. Cruz Varas et par conséquent ne sait rien de persécutions dont il aurait fait l’objet, alors pourtant qu’elle possède les registres complets des personnes disparues, torturées et emprisonnées depuis 1982 dans la cinquième région du Chili. Devant la Cour, le Gouvernement a déposé une nouvelle attestation de Mme Ovalle. Datée du 8 octobre 1990, elle indique notamment que M. Cruz Varas n’a de liens avec aucun parti politique ni aucun syndicat ; que la commission des droits de l’homme de Villa Alemana n’a enregistré aucune déclaration concernant la détention de l’intéressé ; que d’après toutes les personnes interrogées dans le district où il habitait, il n’a jamais eu d’occupations politiques ; que les enquêtes menées directement auprès de personnes ayant participé à des activités clandestines, ou emprisonnées à Valparaiso pour leur rôle dans des activités similaires, ont toutes montré qu’on ne le connaissait pas ; que Mme Ovalle n’est pas au courant d’explosions ayant eu lieu sur le réseau ferroviaire et sur des lignes électriques à Villa Alemana de 1983 à 1986, comme le prétend le premier requérant ; que d’après les investigations entreprises, les divers organismes oeuvrant à Quilpue pour les droits de l’homme ne savent rien de lui. Le Gouvernement a soumis de surcroît une attestation sous serment du conseil national du F.P.M.R., datée du 8 octobre 1990. Elle précise que M. Cruz Varas n’est pas un représentant de ce dernier à l’étranger et qu’il n’en est pas non plus, et n’en n’a jamais été, un membre combattant. Les dirigeants du Front déclinent en outre toute responsabilité pour toute démarche qu’il aurait pu accomplir en son nom. Quant aux requérants, ils ont communiqué un rapport médical rédigé par le docteur Mariano Castex, professeur de psychiatrie à l’université de Buenos Aires, après examen de M. Cruz Varas en février 1990. Y figure la déclaration suivante : "En conclusion, on peut affirmer que M. Hector Cruz Varas se trouve atteint d’un ‘syndrome de stress post-traumatique’ grave, imputable aux tortures et mauvais traitements subis au Chili dans les années écoulées. La forte insécurité dans laquelle il a vécu, puis son renvoi dans son pays d’origine ont accru la dimension pathologique de ses souffrances ; si l’on ne veille pas à lui dispenser un traitement psychologique et psychiatrique adéquat, il risque une aggravation de ses troubles mentaux avec des conséquences imprévisibles non seulement pour lui, mais aussi pour son épouse et son fils, ce dernier ayant grandement besoin d’un père si on lit avec soin le rapport établi à son sujet." D’après un autre rapport psychiatrique, dressé le 9 octobre 1990 par le Dr Søndergaard après un examen approfondi de M. Cruz Varas en septembre 1990, ce dernier doit avoir fait l’expérience d’un "événement pénible de proportions catastrophiques" et présente les "signes manifestes d’un syndrome de stress post-traumatique". Les requérants ont produit encore : - le rapport, daté du 18 janvier 1990, d’un ancien professeur de psychologie à l’Université du Chili, M. Marcello Ferrada-Noli, aujourd’hui chercheur à l’Institut Karolinska de Stockholm ; il laisse entendre que le premier requérant pourrait chercher à résoudre ses problèmes par le suicide ; - une lettre, du 20 octobre 1990, émanant de M. Sergio Bushman, porte-parole européen du F.P.M.R. ; d’après elle, risquaient leur vie au Chili non seulement les membres du Front, mais aussi ceux qui collaboraient avec lui ; elle ajoute que le danger d’être torturé, emprisonné ou assassiné subsiste toujours sous le régime actuel pour les membres du F.P.M.R. ; - une coupure d’un journal chilien, du 17 octobre 1984, décrivant une tentative de sabotage à l’explosif d’une ligne électrique dans une ville située à 10 km de Villa Alemana ; - une lettre écrite le 26 septembre 1990 par le personnel de l’école maternelle que fréquentait le troisième requérant ; elle exprime la crainte qu’une expulsion de Suède ne cause à Richard des dommages permanents. II. DROIT ET PRATIQUE PERTINENTS A. Législation interne La loi de 1980 sur les étrangers et son décret d’application ont déployé leurs effets jusqu’au 1er juillet 1989, date de l’entrée en vigueur de la loi de 1989 sur le même objet ; un nouveau décret a été édicté en vertu de cette loi. Sous l’empire de la loi de 1980, un arrêté d’expulsion pris par l’Office pouvait être attaqué devant le gouvernement, lequel statuait en dernier ressort et dont la décision était transmise à une autorité de police pour exécution. Si l’étranger affirmait, entre autres, qu’il allait être exposé à des persécutions politiques ou envoyé dans une région en guerre, on saisissait l’Office de la question (articles 85 et 86) sauf dans l’hypothèse d’assertions manifestement mal fondées ou indignes d’examen. A défaut de pareille saisine par l’autorité de police, un recours s’ouvrait à l’intéressé devant l’Office puis, au besoin, devant le gouvernement. La loi de 1989 oblige les autorités compétentes à rechercher, en se prononçant sur l’expulsion, s’il existe un obstacle à l’exécution de la mesure. Des clauses transitoires valent pour les cas soumis avant le 1er juillet 1989. Ils continuent à relever de la loi de 1980, qui a donc servi de base à la plupart des décisions adoptées en l’espèce. D’après l’article 3 de la loi de 1980, "Un réfugié ne peut se voir refuser l’asile en Suède sans des motifs graves lorsqu’il a besoin de semblable protection. Par réfugié, la présente loi entend une personne se trouvant hors du pays de sa nationalité parce qu’elle a lieu de redouter d’être persécutée du fait de sa race, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques ou religieuses, et qui ne peut ou, à cause d’une telle crainte, ne veut pas bénéficier de la protection de ce pays. Est aussi considéré comme réfugié l’apatride qui, pour la même raison, se trouve hors du pays de son ancienne résidence habituelle et qui ne peut ou, à cause d’une telle crainte, ne veut pas y retourner. Aux fins de la présente loi, la persécution se définit comme l’indique le deuxième alinéa de cet article lorsqu’elle vise la vie ou la liberté de l’étranger ou, plus généralement, revêt un caractère grave (persécution politique)." De la loi de 1980, il échet de citer aussi : Article 6 "Si un étranger, tout en n’étant pas réfugié, ne veut pas rentrer dans son pays d’origine à cause de la situation politique qui y règne, et s’il peut avancer des raisons très solides à l’appui de ses hésitations, il ne peut, sans des motifs spéciaux, se voir refuser l’autorisation de séjourner en Suède s’il a besoin d’y être protégé." Article 38 "Un étranger peut être expulsé de Suède s’il y réside sans le passeport ou permis requis. L’arrêté d’expulsion prévu à l’alinéa précédent doit émaner de l’Office national de l’immigration. Quand ce dernier rejette une demande de permis de séjour, il édicte en même temps pareil arrêté, sauf si des raisons très solides militent en sens contraire." Article 77 "En cas de mise à exécution d’un arrêté de refoulement ou d’expulsion, l’étranger ne peut être envoyé dans un pays où il risque des persécutions politiques, ni dans un pays où il n’a pas l’assurance de ne pas être envoyé dans un autre où il court un tel risque." Article 80 "Un étranger visé à l’article 6 et invoquant des raisons graves de ne pas être renvoyé dans son pays d’origine ne peut, lors de l’exécution d’un arrêté de refoulement ou d’expulsion, être envoyé dans ce pays, ni dans un autre d’où il risque d’y être renvoyé." Aux termes de l’article 33 du décret de 1980 sur les étrangers, "Un étranger désireux de s’installer en Suède ou, pour une autre raison quelconque, d’y demeurer au-delà de la période visée à l’article 30, premier alinéa, ne peut y pénétrer avant d’avoir obtenu un permis de séjour, à moins : 1) d’en être dispensé en vertu de l’article 30, deuxième alinéa, 2) de relever d’une des catégories visées aux articles 3, 5 et 6 de la loi sur les étrangers (1980:376), 3) de vouloir rejoindre un proche parent ayant en Suède son domicile permanent et avec lequel il a antérieurement vécu à l’étranger, ou 4) qu’il n’existe un autre motif particulièrement important de l’autoriser à pénétrer dans le pays. Un étranger entré en Suède sans permis de séjour, ou avec une autorisation valable pour un simple séjour temporaire, ne peut obtenir un tel permis tant qu’il se trouve sur le territoire, ou à la suite d’une demande formulée sur place, sauf dans les cas prévus au premier alinéa, sous-alinéas 2 à 4, du présent article. Nonobstant ce qui précède, un étranger entré en Suède comme visiteur et ayant des raisons sérieuses de prolonger sa visite peut obtenir un permis de séjour pour une durée déterminée." Depuis 1973, la Suède a accueilli environ 30.000 citoyens chiliens dont beaucoup ont bénéficié de l’asile politique. Depuis le 1er janvier 1989, elle exige un visa des voyageurs en provenance du Chili. L’évolution politique intervenue dans ce pays en 1988 et 1989 a conduit certains réfugiés à y retourner de leur plein gré pour se livrer à des activités politiques. B. La pratique de la Commission au titre de l’article 36 de son règlement intérieur D’après l’article 36 du règlement intérieur de la Commission, "La Commission ou, si elle ne siège pas, le Président peut indiquer aux parties toute mesure provisoire dont l’adoption paraît souhaitable dans l’intérêt des parties ou du déroulement normal de la procédure." La Commission use de ce texte dans le seul cas où il s’avère que l’application de la mesure incriminée entraînerait un dommage irréparable. Il peut en aller ainsi dans l’hypothèse d’une expulsion ou extradition imminente, si le requérant affirme qu’il subira probablement dans l’État de destination un traitement contraire à l’article 2 (art. 2) ou à l’article 3 (art. 3) de la Convention. Normalement, l’article 36 du règlement intérieur ne joue qu’en présence d’allégations de cette nature. En outre, il doit exister un risque suffisant de voir l’intéressé soumis à pareil traitement si on l’envoie dans le pays en cause et il faut donc fournir à la Commission des éléments qui en témoignent. Toute demande de mesure provisoire est aussitôt déférée à la Commission ou, si elle ne siège pas, au président ou président en exercice. Une indication au titre de l’article 36 comporte toujours une limite de temps. Si elle émane du président ou du président en exercice, elle ne vaut que jusqu’à la prochaine session de la Commission ; lorsqu’elle émane de celle-ci, elle ne produit en général ses effets que jusqu’à la session suivante. Dès que la Commission ou son président a recouru à l’article 36, le secrétaire communique la décision par téléphone à toutes les parties et la leur confirme par courrier ou par télécopie. Jusqu’à l’expulsion du premier requérant, la Commission avait reçu 182 demandes de mesures provisoires dans des cas d’expulsion (par opposition aux cas d’extradition). Une indication au titre de l’article 36 a été donnée dans 31 d’entre eux et les États défendeurs s’y sont chaque fois conformés. Ils ont passé outre à pareille indication dans plusieurs affaires d’extradition. III. PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION A. Les indications données en l’espèce par la Commission au titre de l’article 36 La requête a été introduite et enregistrée le 5 octobre 1989. Le lendemain à 9 heures, la Commission a résolu d’appliquer l’article 36 de son règlement intérieur en ces termes : "La Commission (...) décide (...) d’indiquer au gouvernement suédois (...) qu’il est souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas expulser les requérants vers le Chili tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité d’examiner la requête au cours de sa prochaine session du 6 au 10 novembre 1989." A 9 h 10, le secrétaire a communiqué la décision par téléphone à l’agent du Gouvernement et l’a confirmée par télécopie à midi. Des fonctionnaires du ministère du Travail ont appris ladite décision à 9 h 20. Saisi à 12 h 45, le ministre compétent n’a pu agir car, selon les renseignements fournis par le Gouvernement, ce dernier avait tranché la question et elle se trouvait en instance devant l’Office. Le même jour, ce dernier a refusé de surseoir à l’exécution de l’arrêté comme l’en avait prié M. Cruz Varas. Il avait déjà connaissance de la requête à la Commission et de l’indication donnée par celle-ci en vertu de l’article 36. L’intéressé a été renvoyé au Chili le 6 octobre 1989 à 16 h 40. Son épouse et son fils sont entrés dans la clandestinité en Suède. Le 9 novembre 1989, la Commission a pris la décision suivante au titre de l’article 36 : "Après avoir étudié les arguments des parties, la Commission décide, en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur, d’indiquer au Gouvernement qu’il est souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de n’expulser vers le Chili aucun des requérants se trouvant encore en Suède tant qu’elle n’aura pas eu la possibilité d’examiner la requête plus avant au cours de sa prochaine session du 4 au 15 décembre 1989. Quant à M. Cruz Varas, la Commission, puisque le Gouvernement n’a pas déféré à sa première indication l’invitant à ne pas expulser l’intéressé vers le Chili, indique à présent qu’il est souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, que le Gouvernement adopte des mesures permettant à ce requérant de retourner en Suède dans les meilleurs délais." Par une lettre du 22 novembre 1989, le Gouvernement a informé la Commission que l’Office allait examiner une demande d’autorisation d’entrée et de séjour en Suède, introduite par le premier requérant, et que la question de l’exécution de l’arrêté à l’égard de Mme Bustamento Lazo et de M. Richard Cruz restait pendante devant cet organe. En conséquence il avait décidé, le 16 novembre 1989, de lui communiquer l’indication reçue de la Commission. A la suite de l’audience du 7 décembre 1989, celle-ci a décidé de maintenir sa deuxième indication qui estimait souhaitable, dans l’intérêt des parties et du déroulement normal de la procédure, de ne pas expulser vers le Chili les deuxième et troisième requérants et de prendre des mesures permettant à M. Cruz Varas de regagner la Suède dans les meilleurs délais. Le 7 juin 1990 elle a résolu, après l’adoption de son rapport, de ne pas proroger ladite indication. B. Examen de la requête par la Commission Les requérants alléguaient que l’expulsion de M. Cruz Varas avait violé l’article 3 (art. 3) car elle l’avait exposé au risque d’être torturé par les autorités chiliennes. Ils avançaient aussi que celle de Richard irait à l’encontre du même article (art. 3). Ils voyaient en outre dans la séparation de leur famille une infraction à l’article 8 (art. 8). Ils invoquaient enfin les articles 6 et 13 (art. 6, art. 13). Le 7 décembre 1989, la Commission a déclaré recevables les griefs tirés des articles 3 et 8 (art. 3, art. 8) et irrecevables ceux qui s’appuyaient sur les articles 6 et 13 (art. 6, art. 13). Elle a également retenu, pour examen ultérieur, les problèmes résultant du non-respect, par le Gouvernement, des indications données en vertu de l’article 36 du règlement intérieur. Dans son rapport du 7 juin 1990 (article 31) (art. 31), elle ne relève aucun manquement aux exigences de l’article 3 (art. 3) (huit voix contre cinq) ni de l’article 8 (art. 8) (unanimité) ; en revanche, le Gouvernement lui paraît avoir méconnu l’article 25 § 1 (art. 25-1) in fine de la Convention en n’évitant pas d’expulser le premier requérant ainsi qu’elle le lui avait demandé en vertu de l’article 36 de son règlement intérieur (douze voix contre une). Le texte intégral de son avis et des opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS SOUMISES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience publique du 22 octobre 1990, le Gouvernement a confirmé en substance les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour "à dire qu’il n’y a pas eu violation de la Convention en l’espèce".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen grec, M. Philis exerce depuis 1970 la profession d’ingénieur-conseil. A la suite d’un désaccord sur le montant des honoraires à lui verser pour un certain nombre de projets qu’il avait conçus, trois litiges s’élevèrent entre lui et les auteurs des commandes, deux personnes morales de droit public et un particulier. A. Les procédures relatives au litige avec l’organisme de logements sociaux (Autonomos Organismos Ergatikis Katoikias - "A.O.E.K.") La genèse du litige De 1971 à 1975, puis de 1976 à 1978, l’A.O.E.K., organisme dépendant du ministère du Travail, conclut avec le requérant une série de contrats pour la conception de projets d’installation électromécanique et la direction des travaux correspondants. Il les dénonça en mars 1978 et refusa de payer la rémunération convenue. Entre le 30 octobre 1978 et le 23 décembre 1982, l’intéressé intenta devant un juge unique de première instance d’Athènes (Monomeles Protodikeio Athinon) treize actions afin de recouvrer les honoraires dus pour la direction des travaux. En outre, il pria la Chambre technique de Grèce (Techniko Epimelitirio Ellados - "T.E.E.") d’agir en son nom quant à ceux qu’il revendiquait au titre de la conception des travaux, car elle seule avait compétence, aux termes du décret royal no 30/1956 (paragraphe 45 ci-dessous), pour réclamer en justice les honoraires des ingénieurs en se substituant à eux. La T.E.E. introduisit quatre instances, les 23 décembre 1977, 16 décembre 1978, 5 décembre 1979 et 12 janvier 1980. Le 25 septembre 1979, M. Philis l’invita à en engager quatre de plus. Il renouvela sa démarche les 11 octobre et 19 novembre 1982. Par une lettre du 8 décembre 1982, la T.E.E. l’avertit du peu de chances de succès des actions supplémentaires ainsi envisagées; en conséquence, elle exigea le versement anticipé des frais de justice et le dépôt d’une garantie bancaire destinée à couvrir les dépens de la partie adverse. Le requérant jugea illégales ces conditions et somma la T.E.E. de ne plus atermoyer, en raison du danger de prescription de ses droits. Le 20 décembre 1982, il réitéra sa protestation mais consentit à fournir la garantie voulue. Le 4 janvier 1983, la T.E.E. l’informa qu’elle avait déféré le 24 décembre 1982 à sa demande du 25 septembre 1979, mais précisa qu’elle donnerait aux actions un caractère purement déclaratoire (anagnoristikes agoges) si elle ne recevait pas le montant des frais de justice avant la première audience. Entre-temps, le juge unique de première instance avait accueilli deux des actions de la T.E.E.; la cour d’appel (Efeteio) d’Athènes les avait au contraire rejetées, sur quoi la T.E.E. avait saisi la Cour de cassation (Areios Pagos). En cours de procédure, l’A.O.E.K. sollicita un sursis à statuer afin de rechercher un arrangement amiable avec le requérant. Là-dessus, le Parlement adopta le 13 avril 1983, sur la base d’un projet rédigé par le ministère du Travail, la loi no 1346/1983 qui amendait et complétait certaines dispositions de la législation sociale et dont l’article 29 se lit ainsi: "Dispositions transitoires (...) Les contrats d’entreprise ou de prestation de services indépendants, à durée déterminée ou indéterminée, conclus jusqu’au jour de la publication de la présente loi entre l’A.O.E.K. et des ingénieurs privés (...), ou des ingénieurs employés dans le secteur public ou par des personnes morales de droit public (...), sont valables nonobstant toute autre disposition légale. Les ingénieurs (...) précités ont droit à la rémunération convenue; les dispositions (...) de la loi no 716/1977 ‘concernant les registres de chercheurs et l’attribution et la conception de projets’ ne sont pas applicables. Les dispositions du présent paragraphe s’appliquent également aux affaires pendantes devant les juridictions de tout degré pour autant que celles-ci n’aient pas définitivement statué." Après l’entrée en vigueur de la loi de 1983, l’A.O.E.K. refusa toute transaction. Devant la Cour de cassation, M. Philis dénonça "l’ingérence du pouvoir exécutif, par le biais du pouvoir législatif", dans ses affaires pendantes en justice. Par deux arrêts des 25 mai et 19 septembre 1984 (no 919/1984 et 1597/1984), la Cour de cassation jugea que la nouvelle loi visait l’ensemble des ingénieurs et ne violait donc pas le principe d’égalité. Elle ajouta que rien n’empêchait le législateur de porter atteinte à des droits de caractère civil dès lors que ce principe se trouvait respecté. Enfin, elle estima les pourvois non fondés au motif qu’ils s’appuyaient sur des dispositions abrogées. Ces arrêts ne se trouvent pas en cause. La première procédure Le 13 avril 1981, la T.E.E. introduisit devant le juge unique de première instance d’Athènes une action en paiement des honoraires du requérant pour les projets conçus en 1977 et 1978 (paragraphe 8 ci-dessus). Condamné, le 30 novembre 1981, à verser la somme de 898 697 drachmes, l’A.O.E.K. en appela du jugement le 25 janvier 1982. L’intéressé intervint dans la procédure le 26 février 1987 (paragraphe 45 ci-dessous). Le 6 avril 1987, M. Philis demanda à la T.E.E. d’intenter des actions complémentaires pour obtenir la capitalisation des intérêts (article 296 du code civil) depuis 1981 et l’ajustement de sa créance en fonction du taux d’inflation (article 12 par. 10 du décret royal du 19 février 1938). Il lui reprochait en outre d’avoir attribué à son action du 13 avril 1981 un caractère déclaratoire et omis de combattre un grand nombre d’exceptions soulevées par la partie adverse. La cour d’appel d’Athènes débouta l’A.O.E.K. le 23 mai 1987 (arrêt no 6324/1987). Elle estima que, depuis 1977, aucun contrat de travail ou d’entreprise ne liait le requérant à celui-ci. Au contraire, elle releva que M. Philis avait conçu les projets litigieux en qualité d’ingénieur indépendant, au sens de la loi no 716/1977 (paragraphe 12 ci-dessus), et que celle du 13 avril 1983 ne jouait donc pas en l’espèce. L’A.O.E.K. se pourvut en cassation le 7 juillet 1987. Cinq jours auparavant, l’intéressé avait à nouveau invité la T.E.E. à introduire les demandes additionnelles susmentionnées (paragraphe 16 ci-dessus). Le 24 juillet, il se plaignit auprès d’elle de ce qu’elle n’avait pas encore encaissé la somme allouée le 30 novembre 1981 (paragraphe 15 ci-dessus); selon lui, le pourvoi de l’A.O.E.K. ne faisait pas obstacle à l’exécution de l’arrêt d’appel confirmant le jugement de première instance. Il protestait aussi contre l’absence de réponse à ses démarches antérieures. Par une quatrième lettre, du 8 septembre 1987, M. Philis imputa à la T.E.E. la lenteur de la procédure en appel et lui réclama des explications sur la manière dont elle s’acquittait de sa tâche. Dans une note du 24 novembre 1987 au conseiller juridique de la T.E.E., communiquée au requérant, l’avocat chargé de l’affaire s’exprima ainsi: "(...) a) La T.E.E. n’a jamais engagé d’action en capitalisation d’intérêts contre l’État ou une personne morale de droit public. b) Le décret no 676/1987 ne prévoit pas l’ajustement d’honoraires. Certes, l’arrêt précité de la cour d’appel (le seul qui nous soit favorable) admet que les projets litigieux tombaient sous le coup de la loi no 716/1977 qui, elle, ménage une telle possibilité, mais la conclusion de la cour d’appel me paraît contraire à l’article 29 par. 5 de la loi no 1346/1983 (...). Les termes de cette disposition laissent présager la cassation de l’arrêt. c) Plus de 20 actions intentées par nous-mêmes et M. Philis ont déjà été définitivement rejetées. d) La T.E.E. a déjà déboursé beaucoup pour ces affaires et elle a été condamnée à plusieurs reprises aux dépens. e) L’issue de l’affaire pendante devant la Cour de cassation est incertaine; nous perdrons probablement. Pour les raisons énoncées ci-dessus, il me semble que la T.E.E. aurait tort de s’exposer moralement et financièrement en engageant une action en capitalisation des intérêts et en réajustement de la créance sur la base de la loi no 716/1977 avant que la Cour de cassation n’ait statué." L’intéressé s’adressa derechef à la T.E.E. les 10 décembre 1987 et 15 janvier 1988. Par un arrêt du 17 janvier 1989 (no 24/1989), la Cour de cassation jugea que la loi no 1346/1983 ne s’appliquait pas et débouta l’A.O.E.K. de son pourvoi. Le 8 février 1989, M. Philis somma la T.E.E. de lui verser le montant accordé le 30 novembre 1981, plus les intérêts, ainsi que diverses autres sommes, de l’ordre de 13 000 000 drachmes, qu’elle n’avait pas incluses dans les réclamations présentées au début de la procédure. Le 18 avril 1989, elle lui écrivit que la législation en vigueur ne lui permettait pas d’engager une procédure d’exécution forcée contre l’A.O.E.K., qu’une demande en réajustement de la créance serait illégale et qu’une action en consolidation des intérêts "s’avérerait manifestement dépourvue de toute base morale". Jusqu’au prononcé de l’arrêt no 24/1989, ajouta-t-elle, des doutes sérieux avaient régné quant au résultat de la procédure au principal, ce qui l’avait empêchée de présenter de telles demandes, mais l’intéressé pouvait les former lui-même au moyen d’une action oblique (article 72 du code de procédure civile, paragraphe 51 ci-dessous). La deuxième procédure Le 27 mars 1984, la T.E.E. réintroduisit, à la lumière de la nouvelle législation, deux des actions qu’elle avait intentées le 24 décembre 1982 (paragraphe 10 ci-dessus) devant le juge unique de première instance d’Athènes. M. Philis intervint dans la procédure. A l’audience du 23 avril 1985, la T.E.E. les convertit en actions déclaratoires. Le juge donna gain de cause au requérant, par deux jugements du 15 novembre 1985 (no 384/1985 et 385/1985), mais les 19 et 24 novembre 1986 la cour d’appel d’Athènes accueillit le recours de l’A.O.E.K. (arrêts no 9908/1986 et 10040/1986). Elle constata la prescription des droits de l’intéressé, au motif que plus de cinq ans s’étaient écoulés entre la fin de l’année budgétaire au cours de laquelle ils avaient commencé à exister et la date de la nouvelle saisine du tribunal. En réponse à la thèse contraire de la T.E.E., elle releva que les demandes initiales reposaient sur une base légale différente et n’avaient donc pu interrompre le cours de la prescription. Le 6 avril 1987, M. Philis reprocha à la T.E.E. d’avoir mal défendu ses intérêts. Comme elle se refusait à se pourvoir en cassation, il le fit lui-même le 17 juin. Dans son mémoire, il précisa que le recours était dirigé aussi bien contre elle que contre l’A.O.E.K. Par deux arrêts des 7 mars (no 213/1989) et 1er mai 1989 (no 450/1989), la Cour de cassation déclara irrecevables les moyens concernant la T.E.E. et rejeta le pourvoi comme mal fondé pour le surplus. La troisième procédure La T.E.E. ayant réintroduit, le 2 avril 1984, l’une de ses actions du 24 décembre 1982 (paragraphe 10 ci-dessus), le juge unique de première instance d’Athènes se borna à constater la prescription (jugement no 326/1985 du 16 septembre 1986). Le 19 novembre 1986 (arrêt no 8671/1986), la cour d’appel d’Athènes rejeta le recours de la T.E.E. Le requérant se pourvut lui-même en cassation. Son mémoire, rédigé par un avocat de son choix, contenait un certain nombre de griefs quant à la manière dont la T.E.E. assumait ses devoirs de subrogée. Par un arrêt du 7 mars 1989 (no 214/1989), la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable pour autant qu’il concernait la T.E.E. et mal fondé pour le surplus. La quatrième procédure En novembre 1984, l’intéressé invita la T.E.E. à intenter à nouveau certaines des actions qu’elle avait engagées de 1977 à 1980 (paragraphe 9 ci-dessus). Dans un rapport du 18 novembre 1984 au chef du service juridique de la T.E.E., l’avocat chargé de l’affaire estima suffisantes les chances de succès et souligna qu’aucune question d’autorité de la chose jugée ne se trouvait posée par les arrêts no 919/1984 et 1597/1984 (paragraphe 14 ci-dessus) de la Cour de cassation. Le 20 février 1986, M. Philis réitéra sa démarche et mit la T.E.E. en garde contre le risque de prescription des droits litigieux. Elle saisit le tribunal le 26 février, mais attribua aux actions ainsi engagées un caractère déclaratoire. Le requérant intervint dans la procédure. Le 27 mai, le tribunal rejeta la demande par des motifs identiques à ceux des arrêts d’appel de novembre 1986 (paragraphe 25 ci-dessus). L’appel formé par l’intéressé le 7 octobre 1986 demeure pendant. B. La procédure relative au litige avec l’hôpital pour enfants de Penteli (Paidiko Nosokomeio Pentelis -"P.N.P.") Le 30 octobre 1981, la Fondation nationale d’assistance et de prévention sociales (Patriotiko Idryma Koinonikis Pronoias Kai Antilipseos - "P.I.K.P.A."), organisme public dépendant du ministère de la Santé et de la Prévoyance sociale, confia à M. Philis la conception d’un projet d’extension de la chaufferie d’un de ses hôpitaux, l’hôpital pour enfants de Penteli. Devenu dans l’intervalle une personne morale de droit public, ce dernier demanda au requérant, le 23 février 1983, de modifier ses plans. Le projet, soumis dans les délais fixés, fut approuvé le 13 avril 1983. Estimant arbitraire une réduction d’honoraires opérée par le P.N.P., le requérant pria celui-ci de réviser le mode de calcul, mais en vain. Le 24 février 1984, il s’adressa au service compétent du ministère de la Santé et de Prévoyance sociale. N’ayant pas obtenu satisfaction, il assigna le P.I.K.P.A. et le P.N.P. devant la cour d’appel d’Athènes le 1er août 1984, en vertu de l’article 61 de la "loi introductive" (Eisagogikos Nomos) au code de procédure civile. Ainsi qu’elle l’y avait invité le 26 février 1985, il lui fournit, le 13 janvier 1986, la preuve de son inscription au registre des dépenses publiques, condition permettant à un ingénieur d’exécuter des travaux publics. Le 15 juillet 1986, la cour le débouta de son action contre le P.I.K.P.A., au motif que tous les droits et obligations de ce dernier avaient été transférés au P.N.P.; elle ordonna en outre aux parties de produire des expertises relatives aux travaux accomplis par M. Philis. A la demande de celui-ci, la cour d’appel tint une seconde audience le 22 septembre 1987. Elle rejeta le recours par un arrêt qui devint définitif le 16 novembre 1987: elle jugea qu’en vertu du décret royal no 30/1956, seule la T.E.E. avait qualité pour agir en recouvrement d’honoraires en se substituant à l’ingénieur (paragraphe 45 ci-dessous); elle admit cependant que le requérant pouvait raisonnablement se croire habilité à la saisir lui-même et condamna les deux parties aux frais de justice. C. La procédure relative au litige avec A.S. En novembre 1980, un entrepreneur de travaux publics, A.S., chargea l’intéressé d’élaborer un projet pour l’installation d’un système d’égouts dans la ville d’Amfilohia. Par une lettre du 30 juin 1981, M. Philis sollicita le concours de la T.E.E. car A.S. avait refusé le projet et n’avait pas versé la rémunération convenue. En septembre 1981, la T.E.E. lui répondit qu’elle souhaitait régler le différend à l’amiable. Les négociations n’ayant pas abouti, le requérant la pressa, le 20 janvier 1982, d’agir en justice. Le 30 mars 1983, il réitéra sa démarche et invita la T.E.E. à réévaluer les sommes réclamées. Le 23 janvier 1984, il lui reprocha de ne pas avoir encore engagé l’action et d’avoir mal calculé les honoraires. 4O. La T.E.E. saisit le juge unique de première instance d’Athènes le 16 décembre 1985. Le 26 avril 1986, il lui donna en partie gain de cause; cette fois, l’intéressé n’était pas intervenu au procès. La T.E.E. et A.S. attaquèrent le jugement devant la cour d’appel d’Athènes. Le 11 juin 1987, elle condamna le second à payer à la première 139 336 drachmes plus les intérêts; elle rejeta toutefois la prétention relative au réajustement de la créance, faute de précisions sur le montant sollicité (arrêt no 7439/1987). Le 10 juillet 1987, M. Philis fit grief à la T.E.E. d’avoir omis de mentionner dans son mémoire les indices permettant de calculer le coefficient dudit réajustement; il lui demanda en outre d’engager une procédure d’exécution forcée de l’arrêt du 11 juin 1987. Le 9 mai 1988, il s’adressa de nouveau à elle; il l’accusait d’avoir tergiversé pendant quatre ans et demi avant d’introduire l’instance, d’avoir mal calculé ses honoraires et de ne pas avoir mené à terme la procédure d’exécution forcée, de sorte qu’il n’avait rien touché. Le 6 juillet 1988, la T.E.E. lui répondit qu’on ne pouvait la taxer de négligence et qu’il ne démontrait pas avoir subi un dommage. Elle releva qu’A.S. avait déjà payé les intérêts, ainsi que les frais de justice, et avait sollicité l’autorisation de régler le restant en dix mensualités. Elle ajouta enfin qu’il appartenait à M. Philis lui-même d’indiquer les biens saisissables d’A.S. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Constitution Aux termes de l’article 20 par. 1 de la Constitution, "chacun a droit à trouver une protection légale auprès des tribunaux et peut leur exposer ses vues sur ses droits et intérêts conformément aux prescriptions de la loi". B. Le décret royal no 30 du 31 mai 1956, réglementant le mode de paiement de la rémunération des ingénieurs en général Entrent ici en ligne de compte les dispositions suivantes du décret royal susmentionné du 31 mai 1956, telles qu’elles s’appliquaient à l’époque des faits: Article 1 "1. Les ingénieurs diplômés de l’École nationale polytechnique (...), membres de la chambre technique de Grèce (T.E.E.), ainsi que ceux qui exercent, à temps plein ou partiel, (...) conformément à la loi no 6422/1934, la profession d’ingénieur et d’architecte naval, chargés de concevoir un projet, communiquent à la T.E.E. (...) une attestation établissant leur désignation par l’auteur de la commande ainsi qu’une déclaration selon laquelle ils assument le projet; dans le cas où ce dernier est commandé par l’État ou une personne morale de droit public, [ils communiquent à la T.E.E.] la copie du document autorisant l’attribution du projet (...). (...)." Article 2 "1. Quiconque charge les personnes visées à l’article 1 de concevoir un projet (...), dépose auprès de la T.E.E ou d’un mandataire de celle-ci (...) la totalité de la rémunération, celle-ci étant fixée par le ministère compétent ou par la T.E.E. de la manière décrite ci-après. Il ne peut la verser directement à l’ayant droit. (...) En cas de refus, entrave ou retard dans le dépôt des acomptes ou le paiement de la rémunération, la T.E.E. a qualité pour la recouvrer par la voie judiciaire (...) en étant subrogée d’office aux droits de l’ayant droit. Dans ce cas, la T.E.E. doit informer l’ayant droit de l’introduction de l’instance, après quoi elle se dégage de toute responsabilité envers lui, notamment de toute obligation d’indemnisation. L’ayant droit ou la T.E.E. ont à tout moment le droit d’intervenir dans la procédure." Article 3 "1. Les honoraires perçus sont versés par la T.E.E. sur un compte spécial. Le compte de la T.E.E. auprès de la Banque de Grèce est crédité d’une somme équivalant à 2 % de la rémunération totale. (...) Après déduction des pourcentages retenus et de la taxe de licence professionnelle, la T.E.E., ou son mandataire, verse à l’ayant droit le restant de la rémunération sans intérêts. (...) L’État verse directement aux ayants droit la rémunération qu’il leur doit après avoir prélevé, au bénéfice de la T.E.E., un pourcentage de 2 % de celle-ci." A l’origine, le système de subrogation institué par le décret royal no 30/1956 était destiné à protéger les ingénieurs contre les pressions tendant à réduire leurs honoraires à l’excès, mais aussi - et cela reste vrai - à garantir à leur fonds d’assurance la contribution obligatoire de 10 %, ramenée depuis lors à 2 % (article 3). Il n’entre en jeu que pour le recouvrement d’honoraires dus pour la conception de projets et non pour la direction des travaux (article 1). Il appartient à la T.E.E. d’introduire une instance sur la base des renseignements fournis par l’ingénieur. Une fois l’action engagée, celui-ci peut intervenir (article 2) et, par le dépôt de mémoires ou même par sa présence, appuyer l’argumentation de la T.E.E. qui demeure la partie principale. L’intervention confère à l’ingénieur la faculté d’exercer lui-même les voies de recours. Par un arrêt du 17 avril 1986 (no 2827/1986) la cour d’appel d’Athènes a jugé: "(...) il s’ensuit que les dispositions précitées [article 2 paras. 4 et 5 du décret royal no 30/1956] créent non seulement un droit (pouvoir discrétionnaire), mais une obligation pour la T.E.E. de poursuivre en justice, en se substituant à l’ingénieur, le recouvrement des honoraires. Cette interprétation (...) s’accorde avec la jurisprudence dominante selon laquelle l’ayant droit n’a en aucun cas la capacité d’ester en justice pour réclamer sa rémunération. (...) Par conséquent, la T.E.E., en se conformant à cette obligation, agit non comme le représentant de l’ingénieur, mais en tant qu’autorité exerçant un droit souverain et exclusif que lui a conféré la loi (...)." De son côté, la Cour de cassation, dans un arrêt no 309/1986, s’est exprimée en ces termes: "(...) il ressort (...) des articles 1 et 2 du décret royal no 30 du 31 mai 1956 (...) que la Chambre technique de Grèce, seule habilitée à encaisser la rémunération litigieuse, est subrogée aux droits des ingénieurs sans qu’il soit nécessaire que ceux-ci en soient membres. La conclusion contraire aurait pour conséquence de déjouer le but poursuivi par les dispositions susmentionnées, qui consiste à sauvegarder les intérêts de la profession et à dissuader, en matière d’honoraires, toute concurrence nuisible à la qualité des projets conçus par les ingénieurs." Par contre, dans un arrêt no 8/1988 la cour d’appel administrative de Larissa a relevé: "(...) le décret royal no 30 du 31 mai 1956 (...) prévoit aux paragraphes 4 et 5 de son article 2: ‘(...) 5. Dans ce cas, la T.E.E. doit informer l’ayant droit de l’introduction de l’instance (...). L’ayant droit ou la T.E.E. ont à tout moment le droit d’intervenir dans la procédure.’ De ces dispositions, il résulte que la T.E.E. se trouve habilitée à poursuivre par voie judiciaire le versement de la rémunération due à un de ses membres pour la conception d’un projet seulement lorsque ce dernier ne l’a pas réclamé lui-même. Si l’ayant droit poursuit personnellement le recouvrement de ses honoraires, la T.E.E. n’a le droit que d’intervenir dans la procédure (...)." La Cour de cassation a eu à se prononcer sur la demande d’indemnité d’un ingénieur qui reprochait à la T.E.E. de n’avoir pas engagé à temps, pour éviter la prescription, une action en recouvrement de ses honoraires. Elle a estimé que pareille négligence ouvrait un droit à réparation, mais seulement à partir du moment où l’action se trouvait prescrite et où la T.E.E. ne pouvait donc plus l’intenter (arrêt no 25/1988). C. Le code de procédure civile (Kodikas politikis dikonomias) De son côté, le code de procédure civile dispose: Article 68 "Qualité pour agir des parties Quiconque justifie d’un intérêt direct légitime peut demander la protection judiciaire." Article 72 "Action oblique (plagiastiki agogi) Les créanciers peuvent demander la protection judiciaire et exercer les droits de leurs débiteurs qui n’en usent pas, sauf les droits étroitement liés à la personne." Article 80 "Intervention accessoire (apli prostheti paremvasi) Si, lors d’un procès pendant, un tiers a intérêt à ce que l’une des parties l’emporte, il peut intervenir pour appuyer les prétentions de celle-ci jusqu’au moment du prononcé d’une décision définitive." Article 82 "Situation procédurale de l’intervenant L’intervenant peut effectuer tous les actes de procédure dans l’intérêt de la partie qu’il soutient et s’oblige à entériner tous ceux qui ont déjà été accomplis avant l’intervention. Ses actes sont valides tant qu’ils sont compatibles avec ceux de la partie principale (...)." Article 83 "Intervention ‘autonome’ (aftotelis prostheti paremvasi) Si la décision rendue dans l’instance principale affecte les rapports entre l’intervenant et la partie adverse, les dispositions des articles 76 à 78 "- portant sur la communauté d’intérêts (‘omodikia’) - "s’appliquent." D. La jurisprudence en matière d’action oblique Introduite en 1834 dans le droit grec au Livre 5 du code de procédure civile, l’action oblique tendait à l’adoption de mesures provisoires et d’ordonnances de référé. Elle se trouve actuellement régie par les dispositions générales du Livre 1er du code. On s’accorde cependant à la considérer comme une action sui generis permettant de garantir au demandeur les biens de son débiteur. Celui qui l’intente doit prouver qu’il est créancier d’un débiteur négligent; l’insolvabilité de ce dernier n’entre pas en ligne de compte pour le déclenchement de l’action. Dans un arrêt du 6 juin 1988 (no 7892/1988) relatif à une procédure d’exécution forcée contre un débiteur, personne privée, qui venait de perdre son procès contre la T.E.E., la cour d’appel d’Athènes s’est exprimée ainsi: "(...) il existe alors entre la T.E.E. et l’ingénieur un ‘quasi’-rapport de débiteur (la T.E.E.) à créancier (l’ingénieur), qui dure aussi longtemps que la T.E.E. a, de par la loi, l’obligation de poursuivre le recouvrement de la rémunération et de la verser par la suite au véritable ayant droit, l’ingénieur (...). (...) il résulte des dispositions précitées (article 72 du code de procédure civile) que si la T.E.E. néglige de poursuivre en justice le recouvrement des honoraires, ou d’engager une procédure d’exécution forcée pour les encaisser, (...) l’ingénieur, en qualité d’ayant droit, a un intérêt légitime à le faire à condition de préciser dans sa requête que la rémunération sera versée à la T.E.E. (...)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Philis a saisi la Commission les 5 janvier 1987 (requête no 12750/87), 6 avril 1988 (requête no 13780/88) et 24 juin 1988 (requête no 14003/88). Il invoquait les articles 6, 13 et 14 (art. 6, art. 13, art. 14) de la Convention ainsi que l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1). Au sujet de l’article 6 (art. 6), il prétendait n’avoir pas bénéficié d’un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial et dans un délai raisonnable; il dénonçait en outre une atteinte à son droit d’accès à un tribunal, au motif que la T.E.E. lui avait été d’office subrogée pour réclamer la rémunération due au titre d’une série de projets qu’il avait conçus. La Commission a statué sur la recevabilité des trois requêtes les 7 décembre 1988 et 11 octobre 1989. Elle a retenu les griefs relatifs au droit d’accès à un tribunal et à la durée de l’examen de la cause (article 6) (art. 6) ainsi que celui concernant l’article 13 (art. 13); elle a déclaré les autres irrecevables. Le 8 mars 1990, elle a ordonné la jonction des requêtes en vertu de l’article 29 de son règlement intérieur. Dans son rapport du même jour (article 31) (art. 31) elle conclut: - à l’unanimité, qu’il y a eu violation du droit d’accès du requérant à un tribunal; - par onze voix contre deux, que la cause n’a pas été entendue dans un délai raisonnable (requête no 13780/88); - à l’unanimité, que nulle question distincte ne se pose sur le terrain de l’article 13 (art. 13). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE Le 20 septembre 1972, au cours d’une attaque à main armée dans la province de Bergame, deux malfaiteurs masqués tuèrent une personne et en blessèrent grièvement une autre, après quoi ils prirent la fuite dans une voiture conduite par un complice. Parmi les suspects, rapidement identifiés, figurait le requérant. A. Le procès Appréhendé en Suisse le 9 novembre 1973 et extradé à l’Italie le 19 février 1974, M. F.C.B. fut accusé de vol à main armée, meurtre et tentative de meurtre, aggravés par la circonstance qu’il les avait commis à un moment où il se soustrayait à l’exécution d’autres mandats d’arrêt. Le 10 novembre 1977, la cour d’assises de Bergame le reconnut coupable - avec ses quatre coaccusés - et lui infligea, notamment, une peine de vingt-quatre ans de réclusion. Sur recours du requérant et de trois autres condamnés, la cour d’assises d’appel de Brescia les acquitta au bénéfice du doute le 26 mars 1980. M. F.C.B. recouvra la liberté le lendemain; conformément à l’article 171 du code de procédure pénale (paragraphe 25 ci-dessous), il déclara son domicile. Le procureur général de la République et trois intéressés - dont le requérant - se pourvurent en cassation; le 5 avril 1980, la déclaration de pourvoi du parquet général fut remise en mains propres à M. F.C.B. au domicile indiqué par lui et qui était également celui de sa mère. Le 13 avril 1983, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant mais accueillit celui du parquet; elle renvoya l’affaire devant la cour d’assises d’appel de Milan. B. Le comportement du requérant après sa mise en liberté le 27 mars 1980 Entre-temps, M. F.C.B. avait gagné la République fédérale d’Allemagne le 24 avril 1980. Il s’établit à Constance où, le 29 septembre 1980, on lui délivra un permis de séjour. Il aurait informé le consulat d’Italie à Fribourg de son nouveau lieu de résidence afin que celui-ci fût communiqué aux autorités italiennes pour "transcription dans les registres de l’état civil". Il ne leur adressa cependant pas une version modifiée de sa déclaration du 27 mars 1980 (paragraphe 12 ci-dessus). Le 19 décembre 1982, il fut appréhendé à Bruxelles en vertu d’un mandat décerné aux Pays-Bas dans le cadre de poursuites relatives au rapt d’une Néerlandaise. Selon lui, après son extradition aux Pays-Bas les autorités de cet État se procurèrent un extrait de son casier judiciaire; en outre, le juge compétent s’assura la collaboration de ses collègues italiens de Milan et de Bergame pour des investigations à mener en Italie et demanda au parquet général de Milan de faire procéder à la fouille des habitations du requérant, de sa soeur et de sa belle-soeur. Le Gouvernement ne le conteste pas; il se borne à déclarer qu’il ne possède pas de "précisions particulières". M. F.C.B. affirme être demeuré au secret du 19 décembre 1982 au 19 février 1985, date à laquelle devint définitif un arrêt de condamnation rendu contre lui par la cour d’appel de Bois-le-Duc; il aurait donc subi, en matière de correspondance, de visite et de contacts avec ses codétenus, certaines restrictions qui s’assouplirent à la longue. C. Le procès sur renvoi après cassation et le nouveau pourvoi Le 25 novembre 1983, le président de la cour d’assises d’appel de Milan essaya en vain de faire notifier au requérant, au domicile élu lors de son élargissement, une citation à comparaître devant elle: ni l’intéressé ni sa mère n’y habitaient plus. Ladite citation fut délivrée à la mère de M. F.C.B. - dont on avait découvert la nouvelle adresse dans l’intervalle - le 15 décembre 1983. La date de l’audience avait aussi été communiquée, dès le 23 octobre 1983, à l’avocat du requérant. Les débats se déroulèrent le 9 avril 1984, en l’absence de M. F.C.B. Son conseil avisa la cour que son client, d’après ses proches, se trouvait détenu à Maastricht; il ajouta toutefois qu’il ne pouvait fournir de pièces à ce propos. Estimant que nul élément objectif ne démontrait la détention du requérant, le parquet général invita la juridiction à statuer par contumace. Elle résolut de le faire, mais le défenseur d’un coaccusé lui demanda de contrôler l’exactitude des renseignements concernant l’empêchement du requérant, car la présence de ce dernier pouvait se révéler importante pour son client. D’autre part, celui-ci et un autre coaccusé confirmèrent l’incarcération de M. F.C.B. aux Pays-Bas: le premier l’avait apprise par la presse et le second avait reçu du requérant une lettre expédiée de la prison de Maastricht. De son côté, le parquet réitéra ses conclusions. Après en avoir délibéré en chambre du conseil, la cour d’assises d’appel confirma la déclaration de contumace, l’intéressé n’ayant pas justifié son empêchement bien qu’averti en temps utile de l’ouverture du procès. Le 10 avril 1984, elle lui infligea vingt-quatre ans de réclusion et décerna contre lui un mandat d’arrêt. Le 26 avril, l’avocat néerlandais de M. F.C.B. envoya à son confrère italien la copie de documents - deux mandats de comparution devant des juridictions néerlandaises - attestant de la détention de son client; une traduction en fut communiquée à la cour le 26 mai. Le conseil du requérant se pourvut en cassation; il déposa ses moyens en février 1985. Il reprochait à la cour d’assises d’appel d’avoir déclaré M. F.C.B. contumax et discutait le bien-fondé en droit de l’arrêt. Sur le premier point, il arguait de la nullité de la décision en elle-même et de la procédure ultérieure, car son client avait été dans l’impossibilité de participer aux audiences. D’après lui, seul un excès de formalisme avait amené la cour d’assises d’appel à ne pas constater un empêchement dont témoignaient plusieurs affirmations concordantes. La Cour de cassation rejeta le pourvoi le 13 novembre 1985. Elle releva d’abord que la juridiction d’appel avait eu raison de juger M. F.C.B. par contumace, car rien n’établissait l’empêchement invoqué. Les pièces fournies le 26 mai 1984 (paragraphe 20 ci-dessus) constituaient une preuve ex post, donc dépourvue de valeur; avec plus de diligence, la défense aurait pu la fournir avant l’audience. Il ressortait du pourvoi que le requérant, détenu aux Pays-Bas bien avant la notification de la citation à comparaître, en aurait eu le loisir. La Cour de cassation conclut qu’il revenait à la cour d’assises d’appel d’apprécier l’empêchement allégué et qu’elle avait dûment motivé sa décision. D. Le refus d’extrader le requérant vers l’Italie Le 5 septembre 1984, les autorités italiennes avaient sollicité l’extradition de M. F.C.B. pour les besoins de l’instruction pendante contre lui. Le 17 juin 1985, le tribunal de Maastricht avait toutefois rejeté la demande comme irrecevable, la cour d’assises d’appel de Milan ayant déjà statué sur le fond le 10 avril 1984 (paragraphe 19 ci-dessus); surabondamment, il avait précisé qu’il réexaminerait la question en cas de reprise de l’instruction à la suite d’un renvoi après cassation ou pour une autre cause. Les Pays-Bas ayant accordé l’extradition de M. F.C.B. vers la Belgique, ce dernier s’y trouve actuellement détenu. D’après les renseignements fournis à la Cour par le conseil du requérant, celui-ci devrait retourner aux Pays-Bas pour y purger un an d’emprisonnement puis subir en Italie, si les autorités italiennes obtiennent son extradition, six ans et six mois de la peine de réclusion infligée par la cour d’assises d’appel de Milan. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE Dans ses arrêts Foti et autres du 10 décembre 1982, Colozza du 12 février 1985 et Brozicek du 19 décembre 1989 (série A no 56, p. 12, paras. 33-36; no 89, p. 11, par. 18, et p. 12, paras. 21-22; no 167, p. 13, par. 26), la Cour a donné un aperçu de la législation italienne en vigueur à l’époque en matière de notifications et de procès par défaut ou par contumace (contumacia). En ce qui concerne les notifications à un inculpé remis en liberté mais non encore jugé de manière définitive, il y a lieu de citer ici les troisième et quatrième alinéas de l’article 171 du code de procédure pénale, ainsi libellés (traduction de l’italien): "L’inculpé détenu qui doit être mis en liberté pour un motif différent d’un acquittement définitif (...) a, au moment de la libération (...), l’obligation de déclarer ou d’élire un domicile [pour les notifications] par un acte déposé auprès du directeur de l’établissement. Le directeur inscrit les déclarations reçues dans le registre indiqué à l’article 80 et il en informe immédiatement l’autorité judiciaire qui a ordonné la libération (...). Tout changement concernant le lieu déclaré ou le domicile élu doit être communiqué par le suspect ou inculpé à l’autorité saisie de l’affaire, selon les modalités prévues au premier alinéa. Les notifications opérées au domicile précédemment déclaré ou élu sont valables jusqu’à réception de cette communication." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 9 mai 1986 à la Commission (no 12151/86), M. F.C.B. se plaignait d’une atteinte aux droits de la défense: considéré à tort comme contumax, il n’aurait pas bénéficié d’un procès équitable. Il invoquait l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 16 mars 1989. Dans son rapport du 17 mai 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu infraction à l’article 6 paras. 1 et 3 c) (art. 6-1, art. 6-3-c). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent rapport.
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I. LES CIRCONSTANCES DE LA CAUSE Ressortissants italiens, M. Generoso Vernillo et son épouse Maria, née Siciliano, résident à Pomigliano d’Arco, près de Naples. A. La genèse de l’affaire Le 10 octobre 1967, ils achetèrent à M. Ange Torzuoli et à son épouse, leur tante, un appartement de trois pièces à Nice moyennant la somme de 10 000 francs français (f.), complétée par une rente mensuelle de 100 f. au profit des vendeurs pendant leur vie et du survivant, sans réduction au décès du premier mourant. Le montant devait être majoré si l’indice national des prix à la consommation familiale venait à augmenter de 5 % ou plus. A défaut de règlement à l’échéance d’un seul terme et un mois après un simple commandement de payer demeuré sans effet, le contrat se trouverait résolu de plein droit si les crédirentiers le souhaitaient. Le 18 juillet 1977, un commandement de payer somma les requérants de leur verser des arrérages et charges de copropriété, soit 7 000 f. environ, mais il resta sans suite. B. La procédure de première instance Le 12 décembre 1977, M. et Mme Torzuoli assignèrent M. et Mme Vernillo devant le tribunal de grande instance de Nice. Ils l’invitaient à constater la résolution de plein droit de la vente aux torts des défendeurs. Ces derniers déposèrent leurs conclusions le 5 mai 1978, leurs adversaires - à qui le juge de la mise en état avait par trois fois consenti des prorogations de délai - le 20 septembre 1978. Les requérants présentèrent le 27 mars 1979 des conclusions en réplique. Leur avocat étant décédé, ils en constituèrent un autre. M. Torzuoli mourut le 20 juin 1979. Le 21 octobre 1980, sa veuve pria le tribunal de lui donner acte de sa volonté de reprendre l’instance. Le 14 janvier 1981, le juge de la mise en état rendit une ordonnance de clôture. L’audience publique se déroula le 10 mars 1981. Par un jugement du 16 juin 1981, le tribunal refusa de prononcer la résolution du contrat. C. La procédure d’appel Mme Torzuoli ayant interjeté appel le 31 juillet 1981, l’affaire fut inscrite au rôle le 28 septembre 1981. Les intimés formulèrent leurs conclusions le 11 mars 1982, l’appelante les 13 avril et 27 juillet 1982. L’ordonnance de clôture intervint le 18 mars 1983 et les débats se tinrent le 27 avril 1983. Le 29 juin 1983, la cour d’Aix-en-Provence, infirmant la décision attaquée, prononça la résolution de la vente aux torts des requérants. D. La procédure de cassation Après avoir reçu signification de l’arrêt, M. et Mme Vernillo se pourvurent en cassation le 6 janvier 1984. Déposé le 4 juin 1984, leur mémoire ampliatif fut communiqué le 18 juin à la partie adverse qui y répondit le 2 novembre 1984. Le même mois, le dossier fut attribué à la 3ème chambre civile et le conseiller rapporteur désigné. Celui-ci remit son rapport le 7 décembre 1984 et l’avocat général chargé de l’affaire fut nommé le 29 janvier 1985. Le 5 juin 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi par les motifs suivants: "(...) Attendu, d’une part, qu’après avoir constaté que les époux Vernillo n’avaient pas déféré dans le mois à la sommation de payer du 18 juillet 1977 contenant rappel de la clause résolutoire de plein droit et n’avaient pas fait dans le même délai des offres réelles et sérieuses de paiement correspondant au moins aux sommes qu’ils reconnaissaient devoir, l’arrêt, répondant aux conclusions et hors la dénaturation du décompte produit par les époux Vernillo, a décidé à bon droit que la vente était résolue; Attendu, d’autre part, qu’après avoir relevé qu’aux termes de l’acte de vente, en cas de résolution de celle-ci, toutes sommes ou arrérages qui auraient été versés jusqu’à la date du commandement de payer demeureraient, à titre d’indemnité, la propriété des crédirentiers, sans préjudice pour ceux-ci de poursuivre le recouvrement de tous arrérages échus ou exigibles, l’arrêt a fait application sans les dénaturer de ces dispositions contractuelles; Que par ces motifs, la cour d’appel a légalement justifié sa décision. (...)." II. LA LEGISLATION ET LA JURISPRUDENCE PERTINENTES A. Les dispositions du nouveau code de procédure civile Le Gouvernement tire argument des trois dispositions suivantes du nouveau code de procédure civile: Article 373 "L’instance peut être volontairement reprise dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense. A défaut de reprise volontaire, elle peut l’être par voie de citation." Article 780 "Si l’un des avocats n’a pas accompli les actes de la procédure dans le délai imparti, le renvoi devant le tribunal et la clôture de l’instruction peuvent être décidés par le juge, d’office ou à la demande d’une autre partie, sauf, en ce dernier cas, la possibilité pour le juge de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours." Article 910 "L’affaire est instruite sous le contrôle d’un magistrat de la chambre à laquelle elle est distribuée, dans les conditions prévues par les articles 763 à 787 et par les dispositions qui suivent. (D. no 85-1330, 17 déc. 1985, art. 12, à compter du 1er janvier 1986) Lorsque l’affaire semble présenter un caractère d’urgence ou pouvoir être jugée à bref délai, le président de la chambre à laquelle elle est distribuée fixe les jour et heure auxquels elle sera appelée; au jour indiqué, il est procédé selon les modalités prévues aux articles 760 à 762." B. Le recours prévu par l’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire Aux termes de l’article L 781-1 du code de l’organisation judiciaire, "L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. (...)." Ce texte peut être invoqué non seulement dans un recours gracieux au ministre de la Justice, mais aussi - ultérieurement ou d’emblée - par la voie contentieuse. Selon les statistiques du ministère de la Justice, de 1973 à 1987 la Chancellerie a reçu 267 requêtes gracieuses: 97 ont abouti, 134 ont été rejetées, 15 n’ont eu aucune suite et 21 se trouvaient en cours d’examen au 31 décembre 1987. Six d’entre elles - dont cinq avaient échoué et la dernière demeurait en instance - dénonçaient la longueur d’une procédure. D’autre part, et toujours d’après le ministère de la Justice, les juridictions ont eu pendant la même période à connaître de 77 affaires. Elles ont débouté 25 demandeurs et accordé gain de cause à 19 autres, les indemnités allouées atteignant 16 294 573 f. au total. Deux litiges ont donné lieu à une transaction et 31 restaient à juger. Dans une affaire de faillite qui avait duré environ dix-sept ans (Fuchs c. agent judiciaire du Trésor public), la cour d’appel de Paris a condamné l’État à payer 50 000 f. de dommages-intérêts. Son arrêt du 10 mai 1983 contenait les motifs que voici: "Considérant que le retard apporté par le tribunal à statuer ainsi que le silence que le juge commissaire et cette juridiction ont opposé avec persistance au syndic de la société Fuchs ont constitué une abstention fautive et que la décision rendue ensuite le 3 juin 1975 procède d’une erreur d’appréciation de la situation soumise au tribunal; Considérant que cette abstention et cette erreur d’appréciation ont une gravité particulière en raison des circonstances de fait et de procédure, bien connues de la juridiction, et qui commandaient à l’évidence de mettre rapidement fin à une faillite désormais dépourvue de tout fondement; qu’il s’agit de manquements grossiers qui caractérisent la faute lourde dans le fonctionnement du service de la justice, et engagent la responsabilité de l’État; (...)." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Vernillo ont saisi la Commission le 22 novembre 1985. Ils se plaignaient de la durée de la procédure civile engagée contre eux devant le tribunal de grande instance de Nice le 12 décembre 1977; ils l’estimaient incompatible avec l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 11889/85) le 10 mars 1989. Dans son rapport du 6 février 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Johannes Oerlemans habite à Hogerheide, commune de Woensdrecht (Pays-Bas). Depuis 1968, il pratique l’élevage sur une ferme de quelque 110 hectares (ha) que son père a exploitée avant lui. Dans le domaine figure une parcelle d’environ 64 ha 5, enregistrée au cadastre de la commune de Woensdrecht sous la section G, no 1836. M. Oerlemans en partage la propriété avec la Stichting Het Brabants Landschap, fondation créée dans un but de protection de la nature. Située jadis au-delà d’une digue qui courait le long de l’extrémité est de l’Escaut oriental, un bras de la Mer du Nord, elle lui appartient pour un sixième. Le côté est de l’Escaut oriental a été séparé de la mer par une série de digues destinées à renforcer les défenses contre celle-ci plutôt qu’à conquérir des terres. Auparavant, la zone comprenant ledit fonds consistait en un complexe d’eaux libres et en des laisses de boue et de schorre entrecoupées de criques et recouvertes soit par chaque marée haute, soit par les marées de vives eaux (slikken en schorren), ainsi qu’en de petites dunes adossées à des falaises. Les eaux libres étaient un mélange d’eau salée et d’eau douce. Dans ces conditions, la parcelle ne se prêtait qu’à un usage limité. La digue enfermant les terres dans lesquelles elle se trouvait incluse - dénommée "Markiezaatskade" d’après le secteur local du delta connu sous le nom de "Markiezaatsmeer" - fut terminée en août 1983. Par la suite, la disparition des marées et la prédominance d’eau douce entraîna un assèchement progressif du sol, d’où des modifications dans la faune et la flore du site, notamment une prolifération de chardons. A l’heure actuelle, le Markiezaatsmeer, qui se compose de quelque 700 ha de terres et 800 ha d’eau, constitue pour partie un "site naturel protégé", au sens de l’article 7 de la loi de 1967 sur la protection de la nature (Natuurbeschermingswet, "la loi de 1967"), et pour le surplus une "réserve naturelle nationale", au sens de l’article 21 de la même loi (paragraphes 15-19 ci-dessous). La Stichting Het Brabants Landschap agit en tant qu’administrateur pour la zone. A. L’arrêté de classement Par un arrêté du 20 septembre 1982, donc antérieur à l’achèvement de la Markiezaatskade, le ministre de la Culture, des Loisirs et des Travaux publics classa comme "site naturel protégé", en vertu de l’article 7 de la loi de 1967, l’aire englobant la parcelle en cause. Les points 2 et 3 d’une note explicative y annexée décrivaient en détail l’importance spéciale, pour la science et l’environnement, du secteur tel qu’il se présentait alors. Le point 4 annonçait l’évolution à laquelle il fallait s’attendre après la fin des travaux: cessation graduelle de l’influence des marées, transformation en un milieu d’eau douce, assèchement des terres et changements appréciables dans le biotope existant. Le point 6 précisait que "l’exploitation traditionnelle des terres [pourrait] se poursuivre normalement", mais qu’"un certain nombre d’activités exigeraient une autorisation", tels "l’emploi de méthodes destinées ou de nature à modifier ou intensifier l’usage actuel du sol", "les opérations d’excavation et de déblai, d’abaissement du sol, (...) de remblai, de nivellement, de défrichement et de labour" et "le recours à des herbicides ou à des produits propres à favoriser ou contrarier la croissance". B. Recours du requérant à la Couronne Le 30 octobre 1982, le requérant attaqua l’arrêté devant la Couronne en vertu de l’article 19 de la loi de 1967 (paragraphe 18 ci-dessous). Il soulignait que certaines des terres classées servaient de pâturage à son bétail et alléguait que l’arrêté les convertirait en espaces incultes. D’après lui, la préservation de la nature n’y gagnerait rien et il subirait un préjudice économique considérable. En outre, la protection de la zone en tant que site naturel se trouvait déjà assez assurée par le plan de développement régional du Brabant occidental et le plan de la commune de Woendsrecht relatif à l’utilisation des sols, tous deux respectant les droits des fermiers. Il concluait que l’arrêté se fondait sur des motifs à la fois insuffisants et superflus, de sorte qu’il y avait lieu de l’annuler. La section du contentieux administratif du Conseil d’État (Afdeling Geschillen van Bestuur van de Raad van State, paragraphes 36 et 37 ci-dessous) examina le recours le 8 novembre 1985. Conformément à l’avis consultatif rendu par elle, il fut rejeté par le décret royal no 38 du 14 mars 1986 (Administratiefrechtelijke Beslissingen (Décisions administratives) 1986, p. 484). La Couronne releva tout d’abord que la zone répondait aux conditions de l’article 1, alinéa b), de la loi de 1967. Elle étudia ensuite, et repoussa, l’argument selon lequel il n’en allait pas de même de l’article 7 en ce que la protection du secteur était déjà garantie d’une autre manière. Quant à la crainte de voir indûment restreindre l’utilisation de la parcelle G no 1836 comme pacage, la Couronne estima établi par les débats que la façon dont le requérant exploitait les terres en question ne portait pas atteinte aux caractéristiques essentielles du site, si bien qu’il pouvait continuer son activité sans avoir besoin d’autorisation. Elle jugea dénuée de fondement l’allégation d’après laquelle le domaine se transformerait en aire inculte, car il se prêtait à un emploi évitant ce risque. Enfin, elle considéra que l’intérêt d’un classement comme "site naturel protégé", en vertu de la loi sur la protection de la nature, prévalait sur les intérêts du requérant. C. Les recours ultérieurs de M. Oerlemans contre des mesures prises au titre de la loi sur la protection de la nature En 1987, l’intéressé fit niveler quelque 15 ha de sa parcelle et combler plusieurs criques. Lorsque cela se sut, un arrêté du ministre de l’Agriculture et de la Pêche ordonna, le 2 juillet 1987, la cessation des travaux en vertu de l’article 29 de la loi de 1967. M. Oerlemans saisit alors la section juridictionnelle du Conseil d’État (Afdeling Rechtspraak, paragraphe 27 ci-dessous) et sollicita du président un sursis. A la suite du rejet de cette demande le 18 août 1987, un arrêté ministériel du 23 février 1988 indiqua les mesures de remise en état à prendre par le requérant. Il précisait que si ce dernier ne les exécutait pas avant le 1er septembre 1988, on y procéderait à ses frais. L’intéressé s’adressa derechef à la section juridictionnelle, affirmant que les travaux litigieux avaient pour but d’éliminer les chardons proliférant sur sa parcelle, ainsi que le lui avaient prescrit les autorités municipales de Woensdrecht. Ladite section joignit les recours et les repoussa le 26 novembre 1990. Le 8 mars 1988, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche refusa au requérant l’autorisation d’user de moyens mécaniques pour détruire les chardons sur une partie des terres. M. Oerlemans s’en plaignit à la Couronne. En application de l’article 1 par. 1 de la loi temporaire sur les recours à la Couronne (Tijdelijke wet Kroongeschillen), le recours fut renvoyé pour décision à la section du contentieux administratif du Conseil d’État, laquelle le rejeta le 15 septembre 1989. Le 22 janvier 1988, l’intéressé réclama une indemnité de 200 000 florins en vertu de l’article 18 de la loi de 1967. Il se prétendait lésé par le mode de gestion du site naturel. Les chardons étaient devenus si abondants que toute autre croissance avait cessé et que les terres ne pouvaient plus servir de pâturage. A l’appui de sa demande, il alléguait qu’à partir de 1984, il avait eu l’intention de consacrer sa parcelle à de l’élevage intensif, portant le nombre de têtes de bétail à deux cents. Le ministre le débouta le 16 mai 1989. Il souligna, entre autres, que le requérant n’avait pu raisonnablement s’attendre à voir la fermeture de la Markiezaatskade lui permettre une exploitation plus poussée du fonds: il devait avoir su bien à l’avance que la zone serait classée comme site naturel protégé. Le 10 juillet 1989, M. Oerlemans attaqua cette décision auprès de la Couronne. A la date de l’audience de la Cour, le recours demeurait pendant devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État. II. DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi du 15 novembre 1967 sur la protection de la nature L’article 1, alinéa b), de la loi de 1967 définit un site naturel comme un espace composé de terres et d’eaux revêtant un intérêt général en raison de la beauté de leur paysage ou de leur valeur scientifique. Aux termes de l’article 7, le ministre de la Culture, des Loisirs et des Travaux publics peut, en accord avec le ministre chargé de l’aménagement du territoire (ruimtelijke ordening), classer comme site naturel protégé (beschermd natuurmonument) un site naturel non protégé d’une autre manière. Le classement s’opère par une décision motivée qui précise les parcelles cadastrales visées. L’article 12 par. 1 interdit d’accomplir, sans l’autorisation du ministre ou au mépris des conditions de celle-ci, des actes dommageables à la beauté ou à l’intérêt scientifique d’un site naturel protégé, ou propres à le défigurer. D’après le paragraphe 2, il faut entendre par là ceux qui portent atteinte aux caractéristiques essentielles du site, telles que les décrit l’arrêté de classement. L’article 18 ménage la possibilité d’obtenir une indemnité pour le préjudice causé par un arrêté de classement, un refus d’autorisation ou les conditions dont s’accompagne une autorisation. Selon l’article 19, les intéressés ne peuvent attaquer devant la Couronne que les arrêtés de classement (article 7), le retrait d’un tel arrêté (article 11), les décisions en matière d’autorisation (article 13) et les décisions en matière d’indemnisation (article 18). L’article 21 habilite le ministre de la Culture, des Loisirs et des Travaux publics à désigner comme "réserve naturelle nationale" (staatsnatuurmonument) un site naturel appartenant à l’État. Les articles 26 à 29 prévoient diverses sanctions pénales ou mesures de contrainte pour les actes contraires aux dispositions de la loi. B. Principes généraux et pratique relatifs aux recours contre l’administration en droit néerlandais - répercussions de l’arrêt Benthem La compétence des cours et tribunaux civils en matière d’actions contre l’administration En droit néerlandais, les cours et tribunaux civils connaissent traditionnellement des actions contre l’administration pour autant que n’existe aucun autre recours. Ils tirent cette compétence de la Constitution et de la loi de 1827 sur l’organisation judiciaire (Wet op de rechterlijke organisatie, la "RO"). D’après l’article 112 par. 1 de la Constitution, il incombe au pouvoir judiciaire de trancher des "contestations sur des droits civils et des obligations". Le "pouvoir judiciaire" chargé d’administrer la justice en matière civile se compose de la Cour de cassation, des cours d’appel et des tribunaux d’arrondissement et de canton. L’article 2 de la RO dispose: "Le pouvoir judiciaire connaît seul des litiges concernant la propriété ou les droits en dérivant, des obligations ou des droits civils (...)" Les principales décisions relatives à l’interprétation de l’article 2 sont les arrêts de la Cour de cassation des 31 décembre 1915 et 18 août 1944. Dans l’un (Nederlandse Jurisprudentie (NJ) 1916, p. 407), on pouvait lire: "aux termes de l’article 2 de la RO, la compétence exclusive du pouvoir judiciaire dépend de l’objet du litige, c’est-à-dire du droit dont le demandeur réclame la protection, et non de la nature du droit sur lequel se fonde l’argumentation du défendeur." L’autre (NJ 1944/45, no 598) concernait l’action engagée par une commune contre une province qui n’avait pas voulu lui fournir de l’électricité. La première alléguait, en ordre principal, qu’elle avait droit à être approvisionnée en vertu d’une obligation quasi-contractuelle incombant à la seconde et, en ordre subsidiaire, que le refus incriminé constituait une faute, car il allait à l’encontre d’une obligation de droit public. Elle sollicitait à la fois un jugement le déclarant illégal et une injonction de livrer. Quant au premier moyen, la Cour de cassation, réitérant sa décision de 1915, jugea notamment que "pour savoir s’il existe une obligation au sens de l’article 2 de la RO], peu importe qu’elle relève du droit public ou du droit privé (...)". Quant au second, elle constata que les prétentions formulées s’appuyaient sur l’article 1401 du code civil et ajouta: "la protection assurée par cet article ne se limite pas au droit à réparation qu’il prévoit explicitement; elle s’étend aussi aux mesures préventives en cas de risque immédiat qu’une injustice soit commise." Relativement à ce moyen, elle conclut que le "litige" avait pour "objet" une obligation découlant de l’article 1401 du code civil; dès lors, l’affaire concernait un droit civil au sens de l’article 2 de la RO et il n’y avait pas lieu de rechercher, du point de vue de la compétence des tribunaux civils, si l’obligation de fournir l’électricité ressortissait ou non au droit public. On déduit de cette jurisprudence que si un particulier fonde ses griefs contre l’administration sur l’allégation d’une faute commise par elle envers lui, les juridictions civiles ont en principe compétence pour connaître de l’affaire. Il échet enfin de noter que ladite compétence implique celle du président du tribunal d’arrondissement statuant en référé (kort geding - sur le rôle de cette procédure aux Pays-Bas, voir l’arrêt Keus du 25 octobre 1990, série A no 185, p. 64, par. 17). a) Contrôle judiciaire des juridictions civiles sur les actes administratifs Aux termes de l’article 120 de la Constitution, tel que l’interprète la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le pouvoir judiciaire n’a pas à contrôler la constitutionnalité des lois. En revanche, il peut apprécier la légalité de tous les actes administratifs, y compris ceux qui revêtent un caractère général tels les décrets, arrêtés, plans ou directives. Un acte administratif est illégal (onrechtmatig), au sens de l’article 1401 du code civil, quand il viole un droit du demandeur, se heurte à une norme de droit international ou interne destinée à protéger ses intérêts ou transgresse les principes généraux d’une saine administration: prohibition du détournement de pouvoir, proportionnalité, obligation de motiver les décisions et de prendre en compte, avant d’en adopter une, toutes les considérations pertinentes. b) Recours au titre de l’article 1401 du code civil L’article 1401 du code civil reconnaît à la victime d’une faute un droit à réparation, mais les droits qu’il lui garantit ne s’arrêtent pas là. Elle peut demander un jugement déclaratoire ou une injonction interdisant ou ordonnant au défendeur de faire quelque chose (voir aussi le paragraphe 21 ci-dessus). Partant, si un acte administratif vous paraît constituer une faute, vous pouvez inviter le tribunal ou son président, au besoin par la voie du référé, à empêcher l’administration, par exemple, de l’exécuter ou faire exécuter (Cour de cassation, arrêt du 1er juillet 1983, NJ 1984, no 360). En ce sens les tribunaux, bien que non compétents pour annuler les actes administratifs, peuvent, comme la Cour de cassation l’a expliqué dans son arrêt du 1er juillet 1983, en rendre certains "inopérants". Alors que les actions en responsabilité de la puissance publique se prescrivent par cinq ans aux termes d’une loi spéciale du 31 octobre 1924, les autres formes de recours offertes contre l’administration par l’article 1401 du code civil doivent être exercées dans le délai de droit commun de trente ans, prévu à l’article 2004. Autres voies de droit ouvertes contre l’administration: la saisine d’un tribunal administratif et le recours hiérarchique Le droit néerlandais ouvre deux autres voies de droit contre l’administration. a) La saisine d’un tribunal administratif En premier lieu, la saisine d’un tribunal administratif compétent pour trancher. Elle est en principe possible dans des domaines tels le droit fiscal, le droit de la sécurité sociale et le droit de la fonction publique, l’examen des affaires relevant tantôt de tribunaux administratifs spéciaux, tantôt de sections spéciales des juridictions civiles. Depuis le 1er juillet 1976, date d’entrée en vigueur de la loi sur la justice administrative en matière de décisions de la puissance publique (Wet administratieve rechtspraak overheidsbeschikkingen, la "loi AROB"), il existe en outre une juridiction administrative plus générale: la section juridictionnelle (Afdeling Rechtspraak) du Conseil d’État, compétente uniquement pour les décisions administratives. Désormais, on peut contester devant elle ceux des arrêtés pris en vertu de la loi sur la protection de la nature qui, d’après l’article 19, ne se prêtent pas à un recours à la Couronne (paragraphes 12, 18 et 20 ci-dessus). b) Le recours hiérarchique Le droit néerlandais antérieur à la promulgation de la loi temporaire sur les recours à la Couronne (paragraphe 40 ci-dessous) ouvrait une seconde voie de droit spéciale contre l’administration: le recours hiérarchique. Il habilitait un particulier lésé par une décision administrative à l’attaquer devant une autorité administrative supérieure qui, si elle accueillait les griefs, avait compétence pour prendre elle-même la décision adéquate. Le recours à la Couronne introduit contre l’arrêté ministériel de classement, en vertu de l’article 19 de la loi sur la protection de la nature (paragraphe 18 ci-dessus), en fournit une illustration. Autre exemple, que l’on rencontre dans les arrêts de la Cour de cassation des 22 février 1957 (NJ 1957, no 310) et 26 mars 1976 (NJ 1976, no 375): un recours au conseil municipal contre une décision de l’exécutif municipal (paragraphe 30 in fine ci-dessous). La doctrine de la compétence des juridictions civiles là où existe une possibilité de recours hiérarchique Dans un arrêt du 9 mars 1938 (NJ 1938, no 1000), la Cour de cassation rechercha si la juridiction inférieure avait eu raison de refuser d’examiner la légalité d’un plan municipal de développement. Elle rappela que l’on pouvait saisir la Couronne une fois un tel plan approuvé par le conseil municipal puis par le conseil provincial. Elle ajouta qu’en pareil cas la section du contentieux administratif du Conseil d’État émettait un avis consultatif et qu’un "examen contradictoire" du litige se trouvait donc "assuré". Et de conclure: "en instituant la procédure administrative décrite ci-dessus, la loi entoure le contenu du plan municipal de développement de garanties telles pour tous les intéressés qu’un plan officiellement adopté dans le respect de la loi doit être réputé définitif pour chacun (...); dès lors, il faut exclure toute action en nullité devant le juge civil fondée sur l’illégalité alléguée du contenu du plan." Par son arrêt précité du 22 février 1957 (NJ 1957, no 310), elle se prononça dans le sens opposé au sujet du recours hiérarchique en cause: "(...) la possibilité légale de se pourvoir devant le conseil municipal n’offre pas assez de garanties pour qu’il faille la considérer comme une voie de recours spéciale excluant la saisine des juridictions civiles (...)" Dans un arrêt du 26 mars 1976 (NJ 1976, no 375), elle jugea de même: "si le demandeur d’un permis de construire estime avoir essuyé un refus contraire à l’article 48 de la loi sur le logement, il peut, d’après l’article 1401 du code civil, réclamer la réparation du préjudice subi. Le juge doit alors contrôler la légalité du refus car la procédure permettant d’attaquer pareille décision n’offre pas assez de garanties pour qu’il faille la considérer comme une voie de recours spéciale excluant un examen sur le terrain de l’article 1401 du code civil." Les arrêts précités font partie d’une jurisprudence abondante selon laquelle, si un recours hiérarchique fournit des garanties suffisantes d’équité de la procédure, les cours et tribunaux civils, tout en demeurant en principe compétents, doivent s’abstenir de contrôler la légalité de la décision administrative susceptible d’un tel recours; il en va autrement dans le cas contraire. Conséquences de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention sur la doctrine de la compétence des juridictions civiles là où existe une possibilité de recours hiérarchique En 1979, dans un article fort remarqué (Non sine causa, Opstellen aangeboden aan Prof. Mr G.J. Scholten, pp. 459 et suiv.), G.J. Wiarda exprima l’opinion que la Couronne ne remplissait pas les conditions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Soulignant que ce dernier pouvait trouver à s’appliquer à beaucoup de recours à la Couronne, il préconisait la révision de la procédure en question. L’arrêt Benthem du 23 octobre 1985 (série A no 97) confirma la justesse de son analyse. Auparavant, plusieurs auteurs - dont un membre de la Cour de cassation - avaient déjà déclaré que si la proposition ci-dessus était exacte, il en résulterait une double conséquence: le recours à la Couronne ne pourrait plus passer pour un recours administratif "offrant des garanties suffisantes" d’équité de la procédure; partant, et en vertu de la doctrine exposée aux paragraphes 30 et 31 ci-dessus, les juridictions civiles seraient libres de contrôler la légalité de toute décision administrative relevant de l’article 6 (art. 6) de la Convention et susceptible de recours à la Couronne (voir notamment B.W.N. de Waard, Tijdschrift voor Openbaar Bestuur, 1980, pp. 551 et s.; A.R. Bloembergen, Bouwrecht, 1981, p. 284; E.M.H. Hirsch Ballin, Preadvies voor de Nederlandse Juristenvereniging, HNJV 1983, I.2., p. 48; J.A.E. van der Does & J.L. de Wijkerslooth, Onrechtmatige Overheidsdaad, 1985, p. 33). Après l’arrêt Benthem, les nombreux commentateurs qui en étudièrent les répercussions sur le système néerlandais de recours contre l’administration se rallièrent en général à cette thèse (voir notamment J.M. Polak, Nederlands Juristenblad 1985, p. 1197; P.J.J. van Buren, ibidem, p. 1301; B.F. de Jong, Nederlands Juristenblad 1986, p. 813; "Kroonberoep en Art. 6 ECRM", 1986, pp. 29, 63, 70 et 71; E.M.H. Hirsch Ballin, dans sa note sur l’arrêt Benthem, Administratiefrechtelijke Beslissingen 1986, no 1; De Haan et Drupsteen, Bestuursrecht in de sociale rechtsstaat, II, p. 289). Le seul point controversé consistait à savoir s’il faudrait ou non saisir la Couronne avant de porter le litige devant un tribunal civil. Par une décision de référé du 17 février 1986, la cour d’appel d’Arnhem adhéra elle aussi à la doctrine ainsi élaborée quant à la compétence des juridictions civiles (Kort Geding 1986, no 138). La Cour de cassation trancha pour la première fois la question par un arrêt du 12 décembre 1986 (NJ 1987, no 381). Il s’agissait d’une décision de fermeture d’établissement, prise par les autorités municipales en vertu de la loi de 1952 sur les nuisances (Hinderwet). D’après celle-ci, le requérant aurait pu introduire un recours hiérarchique devant la Couronne et, dans ce contexte, solliciter des mesures provisoires auprès du président de la section du contentieux administratif du Conseil d’État, mais il choisit d’engager une instance en référé (kort geding) devant le président d’un tribunal civil. Tant ce magistrat que la cour d’appel estimèrent qu’il aurait dû s’adresser à la Couronne et déclarèrent l’action irrecevable. La Cour de cassation rejeta le pourvoi sur les conclusions conformes du parquet général. Elle rappela d’abord que "si, aux termes de l’article 2 de la RO, les tribunaux civils ont compétence pour connaître d’une action fondée sur l’article 1401 du code civil, ils peuvent néanmoins refuser de l’examiner au motif, en bref, qu’il existe une autre voie de recours assortie de garanties suffisantes". Elle constata ensuite qu’il y en avait bien une: le requérant aurait pu se tourner vers le président de la section du contentieux administratif du Conseil d’État; dès lors, le président du tribunal civil n’était pas le juge approprié en la matière. Les réquisitions de M. Bloembergen, conseiller à la Cour de cassation faisant fonction de procureur général, montrent que cette décision cadrait avec la doctrine résumée aux paragraphes 30 et 31 ci-dessus. Il y discutait cependant aussi du point de savoir si l’on pouvait maintenir ladite doctrine après l’arrêt Benthem que, selon lui, on devait prendre en compte. Il répondait ainsi: "même après l’arrêt Benthem, il faudra en principe commencer par s’adresser à la Couronne; on pourra ensuite saisir les tribunaux civils " (NJ 1987, no 1375, par. 5.3). La Cour de cassation estima l’arrêt Benthem dénué de pertinence, car il s’agissait d’une instance en référé non destinée à voir trancher une contestation sur des droits de caractère civil du demandeur. Elle ajouta: "Certes, on ne pourrait guère admettre l’exclusion précitée du président en tant que juge de référé s’il était loisible, dans les affaires relatives à des droits de caractère civil au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, de demander directement aux juridictions civiles de statuer sur le fond. Le système actuel doit cependant s’interpréter, pour éviter des complications d’ordre procédural, comme autorisant à saisir les tribunaux civils après seulement qu’il a été statué sur le recours à la Couronne." Dans son commentaire, le professeur Scheltema souligna que l’on pouvait s’attendre à un tel arrêt eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation: "on ne doit plus considérer que le recours à la Couronne offre des garanties suffisantes; dès lors, les tribunaux civils auront un rôle à jouer aussi longtemps que la loi temporaire sur les recours à la Couronne n’aura pas érigé en tribunal, dans la plupart des cas, la section du contentieux administratif." La Cour de cassation consacra cette interprétation par un arrêt du 6 février 1987 (NJ 1988, no 926). La demanderesse au pourvoi - la compagnie Aral - avait sollicité, en vertu de la loi de 1952 sur les nuisances, une nouvelle autorisation afin d’agrandir et aménager une station-service. Pensant l’obtenir, elle avait reconstruit en 1976 ses installations dans la station, au su et avec l’aval du chef de la section municipale "Loi sur les nuisances". En 1979, toutefois, le conseil municipal lui opposa un refus et ordonna en même temps la fermeture de toutes les installations de la société. Sur recours, la Couronne annula ces décisions et délivra l’autorisation. Là-dessus, Aral introduisit une action civile en réparation. La cour d’appel jugea que la défenderesse avait commis une faute et la condamna au paiement de dommages-intérêts. La Cour de cassation rejeta le pourvoi de la commune. Celle-ci reprochait à la cour d’appel de s’être déclarée liée par la décision de la Couronne. La Cour de cassation rappela la doctrine résumée plus haut (paragraphes 30 et 31). Elle estima que le recours à la Couronne devait, au regard du droit néerlandais, être considéré comme une procédure administrative offrant des garanties suffisantes. La décision de la Couronne liait donc, en principe, les juridictions civiles. La haute juridiction ajouta toutefois: "En raison de l’arrêt Benthem de la Cour européenne des Droits de l’Homme, du 23 octobre 1985, NJ 1986, 102, la règle souffre une exception et cesse de s’appliquer si ‘le détenteur de l’autorisation ou celui qui exploite l’installation’ plaide que la Couronne ne constitue pas un tribunal remplissant les conditions de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme; en pareil cas, il incombe au juge civil de statuer aussi en pleine indépendance sur la question déjà tranchée par la Couronne. Il n’apparaît pourtant pas qu’Aral ait invoqué la clause précitée de la Convention et la commune ne peut quant à elle s’en prévaloir." Elle confirma par la suite cette solution par un arrêt du 28 avril 1989 (NJ 1990, no 213). C. Les dispositions relatives à la procédure de recours à la Couronne (Kroonberoep) Avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 1987 D’après la Constitution, le Roi - ou la Reine - est inviolable. Il prend ses décisions sous la responsabilité d’un ministre qui doit apposer son contreseing. Dans le langage courant, l’expression "la Couronne" désigne le Roi et le ou les ministres dans l’exercice de leurs pouvoirs de décision. La Couronne tranche les litiges administratifs dont elle connaît sur recours. Elle ne statue qu’après instruction de l’affaire, puis rédaction d’un projet de décision, par la section du contentieux administratif du Conseil d’État (article 26 par. 1 de la loi sur le Conseil d’État). La Couronne fixe les effectifs de la section, laquelle doit comprendre cinq membres au moins, dont le président; elle les choisit au sein et sur la recommandation du Conseil d’État. De la section du contentieux, il importe de distinguer la section juridictionnelle qui se prononce elle-même sur les affaires relevant de sa compétence. Le président de la section demande le dépôt des rapports officiels nécessaires et informe en conséquence le ministre concerné (article 32 c) par. 1). Les intéressés peuvent produire les preuves documentaires qu’ils estiment nécessaires (article 34). Une audience publique leur permet de défendre leur thèse s’ils le désirent (article 45). Ils ont la faculté, comme le président de la section, de citer des témoins et experts, les questionner et commenter toute déposition (articles 41 par. 4, 46 paras. 5 et 6, et 48). La section délibère à huis clos (article 51); elle peut se transporter sur les lieux (article 52), se procurer d’autres rapports officiels, sur lesquels les intéressés peuvent présenter leurs observations (article 54), et tenir de nouveaux débats (article 55). Elle élabore ensuite un projet de décret royal qu’elle adresse à la Couronne avec son avis (article 56). Le ministre compétent dispose de six mois pour communiquer à la section ses objections éventuelles et la prier de réexaminer l’affaire (article 57). Après avoir reçu l’avis ou le complément d’avis, la Couronne prend un décret royal dans les six mois. Ce délai peut être prolongé de moitié (article 58 par. 1). Après son expiration, la Couronne doit se conformer à l’avis de la section (article 58 a)). Jusque-là elle peut s’en écarter, mais seulement si le ministre compétent a consulté au préalable le ministre de la Justice ou, s’il s’agit de ce dernier, le Premier ministre (articles 57 et 58 par. 2 a) et b)). En pratique cela n’arrive que très rarement. La décision de la Couronne peut se fonder sur des considérations de droit ou d’opportunité. Sous réserve de la compétence des juridictions civiles (paragraphes 32-35 ci-dessus), aucun recours ne s’ouvre contre elle. Motivé, le décret est immédiatement adressé aux intéressés et à la section, puis mis à la disposition du public pendant un mois au secrétariat du Conseil d’État (article 59 par. 2). S’il va à l’encontre de l’avis, il paraît au Journal officiel (Staatsblad) en même temps que le rapport du ministre, lequel comprend le projet de la section et la correspondance du ministre avec cette dernière et avec le ministre de la Justice ou le Premier ministre (article 58 par. 3). La loi temporaire sur les recours à la Couronne Adoptée le 18 juin 1987 pour donner effet à l’arrêt Benthem, la loi temporaire sur les recours à la Couronne est entrée en vigueur le 1er janvier 1988 et expirera cinq ans plus tard (article 11). Pour la suite, on pense instituer au sein du Conseil d’État une section administrative, compétente pour tous les recours administratifs, et créer des chambres administratives au sein des tribunaux régionaux. Aux termes de l’article 1 par. 1, la section du contentieux administratif du Conseil d’État tranche tous les litiges qui relevaient de la compétence de la Couronne. Le paragraphe 2 précise néanmoins, notamment, que cet amendement ne s’applique pas aux "décisions de caractère général". Ladite section a jugé par trois fois qu’un arrêté de classement adopté en vertu de l’article 7 de la loi sur la protection de la nature ne revêt pas un tel "caractère général"; en conséquence, c’est elle désormais qui connaît d’un recours contre pareil arrêté (décision non publiée du 31 mai 1988 en l’affaire "Limitische Heide"; décision du 26 octobre 1988 en l’affaire "Tafelberg- en Blaricummerheide (Administratiefrechtelijke Beslissingen 1989, no 41; Milieu en Recht 1989, p. 274); décision non publiée du 2 novembre 1988 en l’affaire "Busummer- en Westerheide"). Dans un cas elle a annulé l’arrêté ministériel (décision du 26 octobre 1988), dans les deux autres elle a rejeté le recours. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Oerlemans a saisi la Commission le 24 novembre 1986 (requête no 12565/86). Il alléguait des violations des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention et 1 du Protocole no 1 (P1-1). Le 10 juillet 1989, la Commission a retenu le grief tiré de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) et a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 3 avril 1990 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut par quinze voix contre deux à la méconnaissance de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l’audience du 22 mai 1991, le Gouvernement a plaidé que "l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention n’a pas été enfreint en l’espèce".
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Citoyen italien, M. Nicola Vocaturo habitait Rome jusqu'à son décès. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 15-20 de son rapport - paragraphe 11 ci-dessous): "15. Le 26 juin 1973, M. B. assigna devant le tribunal de Rome l''Istituto Nazionale delle Assicurazioni' (I.N.A.) et le requérant, gérant des immeubles de l'I.N.A. Il demanda la reconnaissance de sa qualité de travailleur salarié ainsi que la condamnation de l'I.N.A. et du requérant, en tant qu'employeurs, au paiement des différences de rétribution auxquelles il affirmait avoir droit pour le travail effectué entre 1969 et 1972 auprès du bureau d'administration des immeubles de l'I.N.A. Deux audiences eurent lieu devant le juge d'instruction les 2 octobre et 4 décembre 1973. Une troisième audience, fixée au 30 avril 1974, n'eut pas lieu, l'examen de l'affaire ayant été suspendu à la suite de l'entrée en vigueur de la loi n° 533/1973. Cette loi a réformé la procédure en matière de travail et modifié la compétence à connaître des différends s'y rapportant, l'attribuant au 'pretore' en première instance et au tribunal en appel. En ce qui concerne les procès en cours, l'article 20 de ladite loi les a soustraits à la modification de la compétence, et a habilité le juge d'instruction à trancher lui-même, en qualité de juge unique, les affaires pendantes en première instance devant le tribunal et non encore parvenues au stade de la décision. L'examen de la cause ne reprit que le 6 février 1978; le 25 septembre 1978, le requérant fut condamné au paiement de 3 524 395 lires italiennes, réévaluées et majorées des intérêts légaux. Le 17 octobre 1979, le requérant interjeta appel devant la cour d'appel de Rome. Le 28 mars 1980, celle-ci le débouta et le condamna solidairement avec l'I.N.A. au paiement de 7 133 925 lires, réévaluées et majorées des intérêts légaux. Le 20 mars 1981, le requérant se pourvut en cassation. L'audience devant la Cour de cassation eut lieu le 29 avril 1985. A l'issue de l'audience, la Cour rejeta le pourvoi. Le texte de l'arrêt fut déposé au greffe le 27 novembre 1985." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 septembre 1985 à la Commission (n° 11891/85), M. Vocaturo se plaignait de la durée de la procédure civile engagée contre lui par M. B. Il invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 10 mars 1989. Dans son rapport du 6 mars 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité, qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 206-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement a confirmé à l'audience du 22 janvier 1991 les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les poursuites et l’instruction Né à Messine, M. Salvatore Isgrò se trouvait détenu à la prison de Porto Azzurro (Livourne) à l’époque des derniers renseignements fournis à la Cour. Le 11 novembre 1978, le parquet de Monza ordonna son arrestation en même temps que celle d’autres personnes; il les soupçonnait d’avoir trempé dans l’enlèvement et le décès du jeune G., kidnappé le 9 et retrouvé mort le lendemain pour avoir absorbé une dose trop forte de chloroforme. A la base de sa décision figuraient les déclarations d’un certain D. qui, invité par les organisateurs à les seconder à titre de gardien de la victime, avait résolu de coopérer avec les carabiniers. Entendu par ces derniers les 11, 13 et 16 novembre, ainsi que le 14 par le ministère public, M. D. fournit des indications sur la préparation du rapt et sur les contacts qu’il aurait eus à l’époque avec M. Isgrò et un nommé L. Il prétendit aussi avoir reçu des menaces pour ne pas avoir voulu participer au crime. Le 16 novembre 1978, au cours d’un interrogatoire par le parquet, le requérant admit connaître M. D., mais nia lui avoir demandé de s’associer à l’infraction; il démentit en outre l’existence d’une inimitié entre eux. Devant le juge d’instruction, qui à son tour le questionna le 23 février 1979, il fit état de différends avec M. D.; il ajouta que celui-ci l’avait engagé à collaborer à un enlèvement, mais qu’il s’y était refusé. Le 10 avril 1979, le même magistrat ouït M. D. qui confirma ses dépositions précédentes et donna quelques précisions sur ses conversations avec MM. Isgrò et L., dont une rencontre du 10 novembre 1978 avec le premier. Toujours le 10 avril 1979, le juge d’instruction confronta M. D. avec le requérant qui, conformément au droit en vigueur (paragraphe 23 ci-dessous), n’était pas assisté de son avocat. Chacun d’eux réitéra sa propre version. Le procès-verbal de confrontation était ainsi rédigé (traduction de l’italien): "(...) D. à Isgrò (...): Je confirme les déclarations faites aux carabiniers et au magistrat. Je confirme notamment que dans les premiers jours du mois d’octobre, tu m’as proposé de prendre part à un enlèvement. Auparavant, il y a quelques mois, tu avais fait une allusion générale à la possibilité de ramasser un peu d’argent. Isgrò (...) à D.: Ce que tu dis est faux, il n’est pas vrai que je t’aie offert de participer à un enlèvement. C’est justement l’inverse qui s’est passé. Tu es venu chez moi - je ne me souviens pas exactement quand - et tu m’as offert de garder une personne séquestrée. Je n’ai même pas voulu t’entendre et je t’ai mis à la porte. D. à Isgrò (...): Tout cela est faux, ce que je viens de dire est vrai. Isgrò (..) à D.: Tu dis ce que tu viens de dire parce que tu es en colère contre moi depuis qu’à la demande de ta tante M., j’ai évité une dispute entre toi et un certain N. D. à Isgrò (...): Je confirme également que je t’ai rencontré, le jour de l’enlèvement, dans le bar (...) de Malnate. A cette occasion tu m’as expliqué comment je devrais me comporter pendant la détention de la personne séquestrée, et notamment comment je devrais lui faire écrire les messages à la famille. Tu m’avais également recommandé de me montrer à l’extérieur comme d’habitude. Isgrò (...) à D.: Les jours précédant mon arrestation, je m’étais en effet rendu une fois au bar (...) de Malnate avec ma famille et une tante que j’avais emmenées en Suisse pour une excursion. Si je ne me trompe pas, il s’agissait précisément du 9 novembre, je ne me souviens pas de l’heure. J’avais accompagné ma tante qui devait téléphoner en Sicile, mais je ne me souviens absolument pas de t’avoir vu et encore moins de t’avoir parlé. D. à Isgrò (...): Je réitère ce que j’ai affirmé auparavant, je t’ai vu un peu avant 12 h. Isgrò (...) à D.: Ce n’est pas vrai, je n’étais pas au bar à cette heure-là, je ne me souviens pas exactement où j’étais, mais je me souviens de m’être rendu au bar dans l’après-midi seulement. D. à Isgrò (...): Je confirme que tu connais les frères L. et notamment que j’ai vu P.L. se rendre chez toi. Isgrò (...) à D.: Il n’est absolument pas vrai que j’aie connu les [frères] L. Ce que tu dis est faux. D. à Isgrò (...): Je réitère que toi-même, tu m’as dit qu’il y a quelques années tu fréquentais la Pizzeria (...) de Malnate en compagnie des [frères] L. Isgrò (...) à D.: Tout cela est faux. Tu veux me ruiner parce que tu ne m’as jamais pardonné de ne pas t’avoir appuyé dans tes trafics louches. (...) D. à Isgrò (...): Moi-même je t’ai vu en compagnie des [frères] L. à la Pizzeria (...) de Malnate. (...) Isgrò (...) à D.: Je réitère que ce n’est pas vrai. Je n’ai jamais vu les [frères] L. (...)" Le même jour, le juge d’instruction confronta M. D. avec un autre accusé, à savoir l’un des frères L. Le 31 mai 1979, ledit magistrat entendit une dernière fois M. D., lequel maintint ses allégations. Le 9 janvier 1980, il renvoya en jugement M. Isgrò et neuf coaccusés devant le tribunal de Monza. B. Le procès À la demande du parquet, le président du tribunal ordonna de citer M. D., en qualité de témoin, à l’audience du 19 février 1980. Informé, le 14, que l’intéressé était introuvable depuis plusieurs mois, il prescrivit des recherches immédiates. Menées en quatre endroits différents, elles restèrent vaines alors pourtant que M. D. appela au téléphone les carabiniers le 1er mars et le juge d’instruction le 3. Les débats se déroulèrent en douze séances, du 18 février au 4 mars 1980. Le tribunal ouït notamment le requérant, son épouse et certains témoins. Il refusa cependant de convoquer une personne déjà interrogée par le magistrat instructeur: le conseil de M. Isgrò souhaitait la voir comparaître au sujet de faits, relatifs à la conduite de M. D. le jour de l’enlèvement, qu’elle avait appris à Mme Isgrò selon les déclarations de celle-ci à la barre, mais aux yeux du tribunal les éléments du dossier privaient cette déposition de toute importance. M. D. demeurant introuvable, la lecture du procès-verbal de chacune de ses auditions et de la confrontation du 10 avril 1979 (paragraphe 13 ci-dessus) eut lieu le 26 février; le tribunal l’avait décidée en vertu de l’article 462, premier paragraphe, alinéa 3, du code de procédure pénale (paragraphe 24 ci-dessous), passant outre aux objections des avocats de deux coaccusés du requérant. Les 29 février et 3 mars, le conseil de M. Isgrò signala que la femme de son client avait rencontré M. D. dans la rue à Malnate, commune où il logeait depuis quelques jours chez sa mère. Le président du tribunal ordonna d’en aviser aussitôt la police. Le 5 mars 1980, le tribunal condamna le requérant à trente ans de réclusion. Dans les motifs de son jugement, il se fonda sur les assertions de M. D. et non sur les dénégations de l’intéressé. Ayant interjeté appel, ce dernier sollicita la citation de M. D. comme témoin. La cour d’appel de Milan la prescrivit pour le 25 novembre 1981 - le surlendemain de sa première audience -, mais de nouvelles recherches, opérées en deux endroits dont l’un avait été indiqué, une fois encore, par Mme Isgrò, restèrent infructueuses. Le 1er décembre 1981, la cour confirma le verdict de culpabilité mais ramena la peine à vingt ans. Elle se fonda notamment sur les déclarations passées de M. D. D’après elle, celui-ci se cachait par peur de représailles, crainte qu’elle estima pleinement justifiée. M. Isgrò se pourvut en cassation. Il se plaignait d’avoir été condamné sur la base d’un témoignage recueilli pendant l’instruction, sans que son avocat eût pu en interroger l’auteur, et contestait l’admissibilité d’un tel moyen de preuve dans la procédure de jugement. La Cour de cassation rejeta le recours le 23 mars 1984, au motif qu’il tendait à mettre en cause l’appréciation souveraine des preuves par les juges du fond. II. LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE L’article 304 bis du code de procédure pénale en vigueur à l’époque énumérait les actes de l’instruction auxquels pouvait assister l’avocat d’un inculpé; il ne mentionnait pas la confrontation entre celui-ci et un témoin. L’article 462 fournissait la liste des dépositions dont les juridictions de jugement étaient autorisées, sous certaines conditions, à ordonner la lecture pendant les débats; y figuraient celles qu’un juge d’instruction avait recueillies lors d’une confrontation entre un témoin et un inculpé. L’alinéa 3 du premier paragraphe permettait pareille lecture dans le cas, notamment, d’un témoin devenu introuvable. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Isgrò a saisi la Commission le 12 septembre 1984. Se plaignant d’avoir été condamné sur la foi des déclarations d’un témoin demeuré introuvable pendant le procès et que son avocat n’avait jamais eu l’occasion d’interroger, il invoquait les paragraphes 1, 2 et 3 d) de l’article 6 (art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-d) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 11339/85) le 9 novembre 1988. Dans son rapport du 14 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle relève, par dix voix contre trois, une infraction à l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d) de la Convention. Le texte intégral de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience du 24 septembre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu’il n’y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Anders Fredin, ingénieur agronome, et son épouse, Mme Maria Fredin, sont propriétaires de plusieurs parcelles de terre sises dans la commune de Botkyrka qui englobent une ferme et une gravière. La parcelle où se trouve cette dernière a une contenance de 27 hectares et porte la dénomination Ström 1:3. Elle fut spécifiquement constituée en 1969, par prélèvement sur les autres, en vue de l’utilisation de la gravière. Lorsque la mère de M. Fredin acquit le terrain en 1960, l’exploitation commerciale de la carrière était suspendue depuis le milieu des années 50. Dans l’intervalle, le gravier avait uniquement servi à la ferme. Désireux de reprendre l’exploitation, les Fredin conclurent avec deux sociétés ("les Jehanders"), le 20 mars 1960, un contrat qui donnait à celles-ci le droit exclusif d’extraire du gravier pendant cinquante ans moyennant une redevance annuelle. Elles achetèrent par la suite plusieurs autres gravières dans le voisinage, ce qui leur conféra, d’après les requérants, un quasi-monopole pour la production de gravier dans la région. En 1963, un amendement à la loi de 1952 sur la sauvegarde de la nature (naturskyddslagen 1952:688) interdit d’extraire du gravier sans autorisation. Le 11 décembre 1963, la préfecture (länsstyrelsen) du comté de Stockholm accorda aux parents de M. Fredin le permis nécessaire. Il prévoyait notamment que l’exploitation devait se conformer à un plan élaboré en mai 1962. Spécialement, elle devait s’opérer en trois étapes dont aucune ne dépasserait dix ans ; en outre, des travaux de restauration devaient se dérouler de manière continue durant chacune d’elles et une garantie financière être déposée pour en couvrir les frais. Le 4 septembre 1969, M. Fredin devint propriétaire d’un cinquième du terrain par donation de sa mère. Le 1er juillet 1973, un amendement à la loi de 1964 sur la sauvegarde de la nature (naturvårdslagen 1964:822 - la "loi de 1964") - qui avait maintenu l’exigence d’un permis - habilita la préfecture à retirer des autorisations octroyées plus de dix ans auparavant (paragraphe 35 ci-dessous). Le 31 juillet 1977 les requérants achetèrent le reste du bien-fonds, qui désormais leur appartint à raison des deux tiers pour M. Fredin et d’un tiers pour son épouse. La préfecture en fut informée. Les Jehanders n’avaient alors toujours pas entrepris l’exploitation commerciale de la gravière, bien qu’on les y eût invités plusieurs fois au fil des ans. En conséquence, les Fredin introduisirent une instance pour rupture de contrat, mais le litige se régla à l’amiable : la concession fut réputée avoir expiré le 1er octobre 1979. Le 3 octobre 1979, les requérants sollicitèrent le transfert officiel du permis à leur nom. Ils commencèrent à exploiter la gravière en 1980 - pour partie par les soins d’un nouveau concessionnaire - avec le consentement des parents de M. Fredin. Vers cette époque, la préfecture leur proposa de lui rétrocéder le permis à un prix se situant, selon eux, aux alentours de 50 000 couronnes suédoises, mais ils s’y refusèrent. A compter de 1983, ils assumèrent eux-mêmes la gestion d’une fraction de l’affaire par le truchement d’une société à responsabilité limitée qu’ils contrôlaient, la Kagghamra Grus AB. Le 30 mai 1980, la préfecture les autorisa - par dérogation à l’interdiction générale de bâtir sur le littoral, résultant de la loi de 1964 - à construire un quai doté d’équipements pour le chargement de bateaux. La dérogation valait jusqu’à nouvel ordre, mais sa durée ne devait pas excéder celle du permis d’exploitation. Elle n’impliquait pas, précisa la préfecture, "qu’une position quelconque [eût] été adoptée quant à l’éventualité d’un réexamen ultérieur des activités d’extraction de gravier sur la propriété". Les requérants firent aménager un quai pour 1 000 000 couronnes et investirent aussi, de 1980 à 1983, environ 1 250 000 couronnes dans leur entreprise. Le 24 avril 1981, la préfecture leur demanda une garantie de 40 000 couronnes pour couvrir les frais de restauration du site, montant porté par la suite à 75 000 couronnes. Les intéressés ayant fourni le cautionnement voulu, elle leur transféra le permis par une "décision partielle" du 14 avril 1983 qui modifiait celle du 11 décembre 1963 (paragraphe 10 ci-dessus). Elle ajoutait qu’elle avait l’intention de formuler de nouvelles directives concernant les travaux de remise en état et que, eu égard à l’amendement de 1973 à la loi de 1964 (paragraphe 12 ci-dessus), elle se proposait de réétudier en 1983 la question du permis dans la perspective d’une cessation éventuelle des activités. Le 25 août 1983, la préfecture signala aux requérants que, dans l’intérêt de la sauvegarde de la nature, elle songeait à remanier le permis en fixant au 1er juin 1984 la fin de l’extraction de gravier. Dans une note du 14 mai 1984, elle indiqua deux manières possibles d’interrompre l’exploitation de la gravière : arrêter l’extraction au plus vite, en raison de la dégradation de l’environnement et de l’existence de ressources suffisantes en gravier dans la région, ou la poursuivre pendant quelques années, grâce à quoi l’on pourrait rendre au site un aspect naturel. La note fut communiquée à la direction nationale de la protection de l’environnement (naturvårdsverket) et à la municipalité de Botkyrka. Le 18 septembre 1984, la direction se prononça pour la première solution ; d’après elle, l’exploitation avait pu continuer pendant une durée normale puisque le permis était resté valable vingt ans. Le 1er octobre, la municipalité estima préférable de prévoir une période de fermeture progressive car elle faciliterait la remise en état du paysage. Par une nouvelle "décision partielle" du 19 décembre 1984, la préfecture déclara notamment a) que l’exploitation devait cesser dans les trois ans, soit pour la fin de 1987, moment où la zone devrait avoir été remise en état ; b) que la poursuite de l’extraction était dès à présent prohibée dans certaines parties de la gravière ; c) que les requérants devaient élever le montant du cautionnement à 200 000 couronnes avant le 1er mars 1985, pour couvrir les frais de restauration que risquait d’entraîner l’activité croissante dans la gravière ; qu’il leur fallait aussi élaborer un nouveau plan de travaux, afin que la préfecture pût fixer les conditions de la dernière phase de l’exploitation ainsi que de la remise en état. Les requérants introduisirent un recours devant le gouvernement. D’après eux, a) la préfecture se fondait sur une étude scientifique en partie insuffisante; b) elle n’aurait pas dû suivre l’avis de la commune de Botkyrka (paragraphe 20 ci-dessus), eu égard à sa portée limitée ; c) sa décision, et l’opinion de la direction nationale de la protection de l’environnement, auraient dû s’appuyer sur le rapport d’un expert géologue ; d) elle n’avait pas assez pris en compte les intérêts des requérants et n’avait pas ménagé une période raisonnable de fermeture ; e) l’ordre de présenter un nouveau plan d’extraction et de verser une garantie de 200 000 couronnes constituait une sanction financière ; f) l’interdiction immédiate de l’extraction dans certaines parties de la gravière était illégale, car elle équivalait à stopper 90 % des activités ; g) en vertu de la loi de 1964, interprétée à la lumière de la loi de 1969 sur la protection de l’environnement (miljöskyddslagen 1969:387) et de la loi de 1918 sur les eaux (vattenlagen 1918:533), ils devaient jouir du droit d’exploiter la gravière pendant au moins dix ans à partir du transfert du permis le 14 avril 1983. Le 26 mars 1985, la préfecture se prononça sur le recours ; grâce à ses contacts avec les Jehanders (paragraphe 9 ci-dessus), affirmait-elle notamment, elle savait que nulle exploitation de la gravière n’était imminente. Le Gouvernement (ministère de l’Agriculture) rejeta le recours le 12 décembre 1985, en marquant son accord avec la préfecture. Toutefois, il prorogea jusqu’au 1er juin 1988 la validité du permis et jusqu’au 1er mars 1986 le délai de versement de la caution. Le 9 mars 1987, la préfecture adopta un plan de remise en état de la gravière. Les requérants sollicitèrent par deux fois de nouveaux permis avant la date d’expiration fixée, mais en vain ; la préfecture repoussa leur seconde demande le 18 mai 1987. Le 9 juin 1988, le Gouvernement les débouta de leur recours mais reporta l’échéance au 1er décembre 1988. À cette date, l’extraction de gravier cessa. Les intéressés avaient alors presque atteint le terme de la première des trois phases que prévoyait le plan joint au permis du 11 décembre 1963 (paragraphe 10 ci-dessus). Le 9 février 1989, la préfecture invita le parquet à poursuivre M. Fredin au pénal, pour infraction à la loi de 1964, en ce qu’il n’avait pas restauré la gravière comme l’exigeait le permis. La procédure demeure pendante et les travaux de remise en état n’ont toujours pas eu lieu. Le 14 mars 1989, la préfecture refusa aux requérants un permis d’extraction spécial qu’ils avaient exprimé le souhait d’obtenir pour se conformer au plan de remise en état de 1987 (paragraphe 25 ci-dessus). Le Gouvernement écarta leur recours le 21 juin 1989. De son côté, la Cour suprême administrative a rejeté, le 13 décembre 1990, l’appel dont ils l’avaient saisie en vertu de la nouvelle loi sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives (lag om rättsprövning av vissa förvaltningsbeslut 1988:205), entrée en vigueur le 1er juin 1988. Cette procédure ne se trouve pas ici en cause. En ce qui concerne les incidences du retrait du permis sur la valeur de leur propriété et de Kagghamra Grus AB, société concessionnaire qu’ils contrôlent entièrement, les requérants ont produit trois attestations. Selon la première, délivrée le 17 mars 1987 par M. Lars Carlsson, expert consultant, les comptes de cette société montrent qu’elle ferait faillite sans les recettes provenant de la gravière. D’après la deuxième, établie le 1er septembre 1988 par M. Nils Olof Rydstern, économiste, ladite société aurait eu en 1988 une valeur marchande de l’ordre de 14 à 18 millions de couronnes si les requérants avaient pu extraire du gravier à partir de 1980 sans intervention des autorités. M. Rydstern souligne qu’il ne s’agit pas de la valeur de liquidation. Dans le troisième certificat, daté du 14 septembre 1988, M. Hans Lagerqvist, géomètre-expert de la direction générale des services cadastraux (överlantmäterimyndigheten), relève qu’en raison du retrait du permis la gravière a été estimée en 1988 à moins de 1000 couronnes suédoises aux fins de l’impôt foncier. Pour ses propres calculs, M. Lagerqvist part notamment de l’hypothèse que l’exploitation de la gravière aurait continué sur la base du permis de 1963 ; il conclut que la valeur marchande de la propriété a baissé de 15 500 000 couronnes suédoises à cause du retrait du permis. Eu égard à l’évaluation de M. Rydstern, la perte totale subie par les requérants atteindrait de 28 à 31 millions de couronnes environ. Les intéressés ont produit en outre un rapport de M. Dick Karlsson, expert consultant, selon lequel la préfecture n’a pas prescrit la restauration des gravières dans nombre de cas de retrait de permis à des affaires fonctionnant depuis plusieurs années. Elle aurait aussi donné aux titulaires des permis en question la possibilité de s’en procurer de nouveaux si l’approvisionnement en gravier devait fléchir. M. Karlsson précise que lesdites autorisations étaient détenues par deux sociétés, dont l’un des Jehanders (paragraphe 9 ci-dessus). Il en déduit que la décision de la préfecture relative aux requérants revêtit un caractère exceptionnel en ce qu’elle arrêta en pleine activité une entreprise rentable. II. DROIT INTERNE PERTINENT La loi de 1964 constitue le texte fondamental en matière de protection de la nature. Aux termes de l’article 1, chacun doit témoigner de respect et de prudence dans ses rapports avec la nature. En outre, toutes les mesures nécessaires doivent être adoptées pour limiter ou combattre les atteintes à l’environnement provoquées par des travaux ou d’une autre manière. Selon l’article 3, en tranchant des questions de sauvegarde de la nature il faut prendre en considération les autres intérêts publics et privés. L’article 18 de la loi interdit notamment d’extraire du gravier, à d’autres fins que les besoins domestiques du propriétaire, sans un permis préfectoral. Il ajoute : "La préfecture peut inviter quiconque sollicite un permis d’exploitation à fournir, sous peine de rejet de la demande, des pièces établissant la nécessité de l’extraction, ainsi qu’un plan d’activités suffisamment détaillé. L’autorisation s’accompagne des conditions voulues pour limiter ou combattre les effets néfastes des opérations sur l’environnement naturel. Sauf raisons particulières, la validité du permis dépend du dépôt d’une garantie financière devant assurer le respect réel des conditions fixées. Si la garantie donnée se révèle trop faible, la préfecture peut subordonner l’entrée en vigueur de l’autorisation au versement d’un montant supplémentaire. Si une mesure prescrite relève d’un tiers, le propriétaire du terrain doit la laisser prendre. Une fois écoulées dix années depuis qu’un permis d’exploitation est devenu valide, la préfecture peut soit le retirer en tout ou partie, soit en assujettir le renouvellement à des conditions révisées. S’il appert que les exigences fixées ne limitent ou ne combattent pas assez les effets néfastes que les activités en question risquent d’avoir sur l’environnement naturel, la préfecture peut, avant la fin de la période indiquée, assortir le permis des conditions supplémentaires qu’elle jugerait nécessaires." L’insertion de ce dernier alinéa remonte au 1er juillet 1973. Auparavant, on ne pouvait retirer un permis d’exploitation que moyennant une indemnité au propriétaire si les conditions prescrites avaient été observées. D’après les clauses transitoires, le délai de dix ans devait, pour les permis valides au 1er juillet 1973, se calculer à partir de cette date. L’amendement abrogeait aussi certaines dispositions aux termes desquelles un propriétaire foncier pouvait se voir dédommager en cas de refus de permis. Contre les décisions de la préfecture, l’article 40 § 2 de la loi ouvre un recours auprès du Gouvernement. Les actes de ce dernier ne pouvaient être attaqués en justice au moment où il statua définitivement, le 12 décembre 1985, sur le retrait litigieux (paragraphe 24 ci-dessus), mais on peut en contester la légalité devant la Cour suprême administrative depuis l’entrée en vigueur, le 1er juin 1988, de la loi sur le contrôle judiciaire de certaines décisions administratives. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. et Mme Fredin ont saisi la Commission le 5 mars 1986. Ils alléguaient, d’abord, que le retrait du permis d’exploitation constituait une privation de propriété contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1) ; en second lieu, qu’au mépris de l’article 6 (art. 6) de la Convention ils n’avaient aucun accès à un tribunal pour combattre certaines des décisions du Gouvernement ; enfin, que la préfecture avait enfreint l’article 14 de la Convention, combiné avec l’article 1 précité (art. 14+P1-1), en adoptant envers eux une attitude discriminatoire fondée sur leur qualité de seuls exploitants indépendants de la région. La Commission a retenu la requête (no 12033/86) le 14 décembre 1987. Dans son rapport du 6 novembre 1989 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut à l’unanimité à la violation de l’article 6 § 1 (art. 6-1) mais non de l’article 1 du Protocole no 1 (P1-1), pris isolément ou combiné avec l’article 14 (art. 14+P1-1) de la Convention. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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De nationalité italienne, M. Luciano Motta exerce à Carlentini (Syracuse) la profession de médecin. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 17-25 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous): "17. Les griefs du requérant ont pour objet des procédures qui s'inscrivent dans le cadre de ses rapports avec l'INAM (Institut national d'assurance maladie). En vertu du système d'assurance maladie adopté par l'Italie, les assurés jouissent d'une assistance directe. Aussi ne sont-ils pas appelés à effectuer le paiement des actes médicaux directement aux prestataires (médecins, pharmaciens et autres). Ceux-ci sont remboursés par l'INAM sur la base de la présentation de notes d'honoraires. En l'espèce l'INAM refusa de payer une note d'honoraires présentée par le requérant, estimant qu'elle ne correspondait pas à des actes médicaux réellement effectués. Le 15 juin 1979, le requérant s'adressa donc au pretore, juge du travail, de Lentini pour lui demander d'enjoindre à l'INAM de lui payer les prestations effectuées au cours de la période de septembre 1978 à janvier 1979. Le 10 juillet 1979, l'INAM s'opposa à l'injonction et fit état d'irrégularités qui auraient été constatées par ses services concernant les prestations effectuées. Vu la gravité des faits évoqués par l'INAM, le juge du travail transmit les actes au procureur de la République de Syracuse afin que, le cas échéant, celui-ci ouvrît une instruction pénale. Le 11 septembre 1979, le procureur de la République de Syracuse transmit les actes au juge d'instruction. Le 8 octobre 1979, le pretore décida de suspendre la procédure civile en attendant l'issue des poursuites pénales, conformément à l'article 295 du code de procédure civile. Le 20 octobre 1979, le juge d'instruction près le tribunal pénal de Syracuse communiqua au requérant qu'une information était ouverte contre lui du chef de faux et d'escroquerie pour des faits qui s'étaient déroulés le 16 juillet 1979 (date de la présentation de la note d'honoraires pour les prestations litigieuses s'étalant de septembre 1978 à janvier 1979). Le 30 octobre 1979, le juge d'instruction procéda à l'interrogatoire du requérant puis, le 30 novembre 1979, à celui des patients indiqués comme destinataires des actes médicaux litigieux. Le 18 janvier 1980, l'INAM présenta un rapport complémentaire au procureur de la République. Le 20 mars 1980, l'INAM se constitua partie civile dans la procédure pénale. Le 6 juin 1980, le juge d'instruction décida de renvoyer le requérant en jugement devant le tribunal pénal de Syracuse. Selon les affirmations du requérant, le procès aurait dû avoir lieu à l'automne 1981. En septembre 1981, le requérant demanda par écrit la fixation d'une audience. Le 10 novembre 1981, le requérant fut cité à comparaître à une audience fixée au 26 janvier 1982 qui dut être reportée au 4 juin 1982 parce que le requérant avait révoqué le mandat donné à son défenseur et que le nouveau défenseur n'était pas disponible. Le ministère public ne s'étant pas opposé à la demande, le tribunal accepta de remettre l'audience. Le 4 juin 1982, il fut procédé à l'interrogatoire de l'accusé et de vingt témoins. La défense ayant demandé la production de divers documents, la poursuite de l'examen de l'affaire fut reportée au 26 octobre 1982, date à laquelle elle fut ajournée parce que la section du tribunal qui était chargée de l'affaire était composée différemment. L'audience nouvellement fixée au 10 décembre 1982 fut ajournée à la demande de l'avocat de l'Etat et reportée au 18 mars 1983, puis sine die. En effet, la composition de la section du tribunal n'était pas la même qu'au début du procès et ne pouvait être reconstituée parce que l'un des magistrats qui la composait - pretore adjoint honoraire - n'exerçait plus cette fonction. Le 21 mars 1983, le requérant présenta une nouvelle demande de fixation de l'audience. Le 12 avril 1983, le requérant fut cité à comparaître à l'audience du 13 juin 1983, date à laquelle fut prononcé le jugement, déposé au greffe le 20 juin 1983. Par ce jugement, le tribunal déclara que les poursuites devaient être interrompues du fait de l'existence d'une amnistie. Le requérant interjeta appel. Le dossier fut transmis à la cour d'appel de Catane le 8 novembre 1983. Le requérant demanda à deux reprises la fixation de l'audience. Le président de la cour d'appel fixa cette dernière au 9 février 1984. A cette date, l'avocat du requérant étant absent, et le président de la cour n'ayant pas autorisé l'accusé à se défendre en personne, la cause fut renvoyée à l'audience du 6 avril 1984 où elle fut jugée. L'arrêt du même jour, déposé au greffe de la cour le 18 mai 1984, confirma le jugement de première instance. Le requérant se pourvut en cassation. Son pourvoi fut rejeté par arrêt du 27 avril 1987 de la Cour de cassation, déposé au greffe le 4 décembre 1987. Il ressort d'une attestation fournie par le requérant que la procédure civile n'a pas été reprise depuis (article 297 du code de procédure civile)." A l'audience du 1er octobre 1990 (paragraphe 8 ci-dessus), le requérant a confirmé qu'il en va bien ainsi. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 avril 1985 à la Commission (n° 11557/85), M. Motta se plaignait de la durée de trois procédures - deux civiles et une pénale -, d'une atteinte aux droits de la défense, du caractère arbitraire des poursuites pénales ouvertes à son encontre et de la méconnaissance de son droit au respect de ses biens; il invoquait les articles 6 de la Convention et 1 du Protocole n° 1 (art. 6, P1-1). Le 14 décembre 1988, la Commission a retenu la requête quant à la durée de deux procédures seulement et l'a déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 6 novembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à une double violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention (unanimité pour la procédure pénale et quatorze voix contre trois pour l'instance civile). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 195-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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De nationalité française, M. Michel Kemmache subit actuellement une peine de onze ans de réclusion criminelle. Domicilié auparavant à Pantin, il y occupait un emploi de réceptionniste d'un hôtel. Jadis, il en avait été le gérant après avoir exploité plusieurs sociétés dont il possédait des actions: entreprises de jeux de hasard, hôtels et restaurants. Son casier judiciaire signalait trois condamnations, dont une à cinq ans d'emprisonnement pour vol qualifié. I. Les circonstances de la cause A. Les procédures Les procédures d'instruction a) L'information criminelle des chefs d'introduction de monnaie contrefaite sur le territoire national ainsi que d'usage et de circulation irrégulière de fausses coupures Le 6 juillet 1981, MM. Klaushofer, Autrichien résidant au Liechtenstein, et Ceccio, Italien vivant en Suisse, furent interpellés à l'aéroport de Nice alors qu'ils tentaient de changer dans une des banques de l'aéroport un billet contrefait de cent dollars des Etats-Unis. Les deux hommes circulaient à bord d'un véhicule volé aux Pays-Bas et faussement immatriculé au Portugal. On découvrit dans leurs bagages 4 500 autres fausses coupures de 100 dollars et de quoi enliasser le double; le 8 juillet 1981, les intéressés se virent inculper d'introduction en France de monnaie contrefaite, ainsi que d'usage et de circulation irrégulière de fausses coupures, et placer sous mandat de dépôt. L'information s'orienta vers le requérant et un Espagnol, M. Hernandez, que MM. Klaushofer et Ceccio auraient rencontrés à Monaco par l'entremise d'un malfaiteur italien, M. Caudullo. M. Kemmache fut ainsi inculpé, le 16 février 1983, des mêmes infractions que les susnommés et placé à son tour sous mandat de dépôt (paragraphe 25 ci-dessous). Le 24 février 1984, M. Ceccio révéla au magistrat instructeur qu'il lui avait mensongèrement affirmé, sur les directives de son avocat et en contrepartie d'une rémunération versée par le requérant, ne pas connaître ce dernier. Ledit magistrat convoqua M. Kemmache - élargi entre temps sous contrôle judiciaire (paragraphe 25 ci-dessous) - pour l'entendre le 13 mars 1984, réunion reportée au 20 mars 1984. Le requérant ne comparut pas le jour dit. L'un de ses conseils déclara au juge d'instruction avoir reçu de quelqu'un, dont il ne pouvait préciser l'identité, un appel téléphonique selon lequel un accident de circulation sur l'autoroute empêchait M. Kemmache de se présenter. Un témoin ouï le 23 mars, M. Fernandez, indiqua toutefois que le requérant et lui-même étaient arrivés à Nice par la route, sans encombre, dans la soirée du 19 et que son compagnon de voyage s'y trouvait bien le lendemain jusque vers 17 h. Quoi qu'il en soit, M. Kemmache fut à nouveau écroué le 22 mars (paragraphe 26 ci-dessous). Le 29 juin 1984, le juge d'instruction rendit une ordonnance de clôture de l'information criminelle et transmit le dossier au parquet. b) L'information correctionnelle des chefs de subornation d'autrui et complicité de subornation d'autrui Les déclarations de M. Ceccio (paragraphe 11 ci-dessus) entraînèrent l'ouverture, le 18 juin 1984, d'une deuxième information judiciaire contre M. Kemmache et deux autres personnes, pour subornation d'autrui et complicité de subornation d'autrui. Le 20 février 1986, le magistrat instructeur, après avoir interrogé le requérant, l'inculpa de complicité de subornation d'autrui. Le 2 octobre 1986, il rendit une ordonnance de soit-communiqué de la procédure pour règlement. Les procédures de jugement a) Dans l'affaire criminelle Le 28 août 1984, la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence prononça la mise en accusation de M. Kemmache pour introduction sur le territoire français de monnaie contrefaite, usage et circulation irrégulière de fausses coupures, et le renvoya devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes. Sur pourvoi de l'intéressé, la Cour de cassation annula cet arrêt le 20 novembre 1984: la chambre d'accusation avait méconnu les articles 83 et 84 du code de procédure pénale en s'abstenant de constater le défaut de désignation du magistrat instructeur qui avait poursuivi l'information, le premier juge d'instruction ayant changé de poste. Statuant sur renvoi le 7 janvier 1985, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble déféra le requérant, pour jugement, à la cour d'assises des Alpes-Maritimes. Sur pourvoi de l'intéressé, la Cour de cassation annula cet arrêt le 26 mars 1985 parce que non motivé. A nouveau, le 15 mai 1985, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble, statuant sur renvoi dans une autre composition, déféra M. Kemmache, pour jugement, à la cour d'assises des Alpes-Maritimes. Toutefois, sur pourvoi de l'intéressé, la Cour de cassation annula cet arrêt le 17 juillet 1985: la chambre d'accusation avait violé l'article 202 du code de procédure pénale en retenant des faits non compris dans la saisine du juge d'instruction, sans avoir ordonné un supplément d'information ni fait procéder à l'inculpation de l'intéressé. Statuant sur renvoi le 13 août 1985, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon déféra M. Kemmache en jugement devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes, du chef du crime de complicité, avec connaissance, par aide et assistance, d'introduction et d'exposition sur le territoire français de billets de banque étrangers contrefaits, ainsi que du délit connexe de circulation irrégulière de ces faux billets dans le rayon douanier. Le 29 octobre 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. La cause devait se débattre devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes au premier trimestre 1986, mais par une ordonnance du 11 mars 1986 le président de celle-ci la reporta à une session ultérieure: le requérant avait été inculpé du délit de complicité de subornation d'autrui (paragraphe 13 ci-dessus) et il existait un lien de corrélation entre les procédures criminelle et correctionnelle. Le 19 novembre 1986, les autorités françaises remirent provisoirement MM. Klaushofer et Ceccio à la Suisse, en vertu de l'article 8 de la loi du 10 mars 1927 relative à l'extradition des étrangers (paragraphe 38 ci-dessous), aux fins d'une instruction menée dans ce pays pour assassinat et dans laquelle ils se trouvaient impliqués. Le premier fut renvoyé en France le 26 février 1990 une fois condamné en Suisse à vingt ans de réclusion criminelle, le second dès le 25 janvier 1988 après avoir bénéficié d'un non-lieu. Le 12 juin 1990, la cour d'assises des Alpes-Maritimes disjoignit les poursuites exercées contre le requérant et M. Klaushofer de celles dirigées contre M. Ceccio, et renvoya l'examen des premières à une session ultérieure. Elle accueillait ainsi une demande du conseil de M. Klaushofer, appuyée par les avocats du requérant, ainsi qu'il ressort du passage ci-après de sa décision: "(...) Me Boncompagni, conseil de l'accusé Klaushofer Stephan, sollicite le renvoi de l'affaire, au motif principal que, désignée d'office le 8 juin 1990, elle n'a pas eu le temps matériel d'étudier complètement le dossier, que, par ailleurs, l'accusé a saisi un autre conseil, Me Vergès, pour assurer sa défense; Me Peyrat et Me Méral, conseils de l'accusé Kemmache Michel, s'associent à cette demande, faisant état 'de l'indissociabilité des causes des accusés'; (...)" Avisé que les audiences auraient lieu les 13 et 14 décembre 1990, et invité à se présenter la veille à la maison d'arrêt de Nice pour exécution de la prise de corps, le requérant produisit le 10 décembre un certificat mentionnant son entrée au centre hospitalier spécialisé de Ville Evrard (Neuilly-sur-Marne), le 5, à la suite d'une agression subie par lui à Nice quelques jours auparavant. Par une ordonnance du 13 décembre 1990, le président de la cour d'assises des Alpes-Maritimes releva que M. Kemmache ne s'était pas constitué prisonnier en dépit des conclusions d'un rapport médical établi à la demande du procureur général et déposé le 11, selon lesquelles son état psychologique et mental lui permettait de comparaître normalement devant la cour d'assises; il prescrivit d'autre part la disjonction des poursuites intentées contre le requérant de celles menées contre M. Klaushofer, et renvoya la cause à une session ultérieure. Le 25 avril 1991, la cour d'assises des Alpes-Maritimes a condamné le requérant - arrêté à nouveau le 14 mars 1991 en vertu de l'ordonnance de prise de corps rendue le 13 août 1985 par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon (paragraphe 17 ci-dessus) - à onze ans de réclusion criminelle et à 2 600 000 francs français (f.) d'amende. Le lendemain, celui-ci a formé un pourvoi en cassation qui demeure en instance. b) Dans l'affaire correctionnelle Le 4 mars 1987, le juge d'instruction de Nice déféra M. Kemmache et un coïnculpé, du chef de subornation d'autrui et complicité de subornation d'autrui, au tribunal correctionnel de la même ville, pour jugement. Le 20 octobre 1987, ce dernier les relaxa tous deux. B. Les mises en détention provisoire Pendant les procédures susmentionnées, le requérant resta en détention provisoire plus de trois ans au total. La première détention (16 février - 29 mars 1983) Le jour de son inculpation criminelle, le 16 février 1983 (paragraphe 10 ci-dessus), M. Kemmache fut placé sous mandat de dépôt à la maison d'arrêt de Nice. Le 29 mars 1983, il recouvra la liberté sous contrôle judiciaire, moyennant le versement d'une caution de 500 000 f.; le juge d'instruction avait rejeté une première demande d'élargissement le 25 février 1983. La deuxième détention (22 mars 1984 - 19 décembre 1986) En exécution d'un mandat d'amener du 22 mars 1984, le requérant se vit appréhender à la frontière franco-monégasque et déférer au juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Nice. Le jour même, celui-ci le plaça à nouveau sous mandat de dépôt à la maison d'arrêt et, le 26 mars 1984, l'appela à comparaître. Selon lui, les révélations de M. Ceccio autorisaient à craindre un risque de pressions sur les témoins (paragraphe 11 ci-dessus) et M. Kemmache ne s'était pas présenté à la convocation du 20 mars (ibidem). Le requérant introduisit alors de nombreuses demandes d'élargissement; protestant de son innocence, il soutenait que nul fait nouveau ne justifiait la délivrance du second mandat, qu'il n'existait aucun danger de fuite, qu'il n'avait pas cherché à se soustraire à l'action de la justice et que sa présence à la tête de ses affaires était nécessaire; il offrait de consigner, à titre de caution complémentaire, la somme qu'il plairait aux juridictions de fixer. Dans les mémoires qu'il présenta lors des audiences des 10 mai 1984, 13 août 1985 et 28 octobre 1986, il insista sur les raisons de sa non-comparution le 20 mars 1984 (paragraphes 11 et 26 ci-dessus). Dans le premier, il affirmait "(...) qu'il s'était conformé jusqu'au 20 mars 1984 aux obligations de contrôle judiciaire auquel il avait été soumis et qu'à cette date, il [était] venu à Nice où il [était] arrivé le 18 mars 1984 pour répondre à une convocation du magistrat instructeur qui devait l'interroger le 20 mars à 15 heures, que le lundi 19 mars en se rendant à Miramas auprès de la femme de son associé il a[vait] été victime d'incidents mécaniques qui l'[avaient] empêché de se rendre à la convocation fixée". Dans le deuxième, il expliquait que seul "un malencontreux concours de circonstances, sur lequel il s'était longuement expliqué", l'avait empêché de se présenter chez le magistrat instructeur. Dans le troisième, il indiquait: "(...) la bonne foi de Michel Kemmache est totale et ne saurait être mise en doute dans la mesure où (...) il entendait bien se présenter au magistrat instructeur. (...) c'est ainsi qu'il s'est rendu à Nice, dès le 18 mars 1984, en vue d'un interrogatoire prévu pour le 20 mars 1984. (...) à cet égard, (...) dans le cadre de la sommation interpellative qui lui a été délivrée le 11 avril 1984, Mme Evelyne Monod, gérant de l'hôtel King George à Nice, déclaré que Michel Kemmache avait séjourné deux nuits dans son hôtel, qu'étant arrivé le 18 mars 1984, il était reparti le 19 mars 1984, dans l'après-midi. (...) qu'il a également été établi, par une attestation de M. Charles Kaiser, en date du 17 juillet 1984, que Michel Kemmache devait se rendre chez lui à Miramas, dans la soirée du 19 mars 1984, et y demeurer jusqu'au 20 mars 1984 au matin. Or, (...) en raison d'incidents mécaniques affectant son véhicule, il s'est trouvé empêché de regagner Nice aux date et heure prévues pour l'interrogatoire. (...) une attestation du concessionnaire B.M.W. à Pavillon-sous-Bois, le garage Bessin, établit le fait que le véhicule de Michel Kemmache avait été gardé en observation du 24 novembre 1983 au 10 février 1984, soit près de trois mois, car il avait déjà auparavant présenté des défaillances. Mais (...) en dépit de ces avatars Michel Kemmache s'est rendu dès le lendemain matin, c'est-à-dire le 21 mars au matin, chez le juge d'instruction qui a préféré reporter à une date ultérieure l'interrogatoire de Michel Kemmache. (...)" Les juridictions saisies rendirent une série de décisions de rejet motivées pour l'essentiel par l'absence de garanties de représentation, l'accusé ayant déjà tenté de se soustraire aux obligations du contrôle judiciaire, et par le risque de pressions sur les témoins, eu égard aux révélations de M. Ceccio. Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 10 mai 1984 "(...) Attendu qu'il apparaît que les résultats de vérifications opérées pour vérifier l'emploi du temps de Kemmache durant les journées des 19, 20 et 21 mars 1984, en particulier les déclarations de Fernandez qui se trouvait à ses côtés durant ces trois jours, loin de corroborer les explications de l'inculpé, les contredisent, en particulier quant à l'allégation d'un déplacement vers Miramas au cours duquel se serait produit un incident mécanique inopiné; Attendu que les déclarations de Ceccio sur les faits de subornation imputés par celui-ci à Kemmache se trouvent quant à elles apparemment corroborées par divers talons de mandats annexés au dossier et que ces faits sont pour le moins révélateurs d'une détermination de l'inculpé d'échapper par tous moyens aux responsabilités qu'il est susceptible d'encourir en l'état des éléments réunis à sa charge par l'information; Attendu qu'au vu de ces éléments Kemmache encourt une peine criminelle, et qu'une mise en liberté serait de nature à permettre à Kemmache, à l'instar de ce qu'il a déjà tenté à l'égard de Ceccio, ce qu'ignorait le magistrat instructeur lorsqu'il avait placé l'inculpé sous contrôle judiciaire, d'exercer des pressions sur des témoins et de se concerter avec des tiers au détriment de la manifestation de la vérité; Attendu que le maintien en détention apparaît également s'imposer pour préserver l'ordre public du grave trouble causé par les faits poursuivis relevant d'un trafic international de fausse monnaie, apanage d'un banditisme organisé; Attendu en outre que déjà condamné, Kemmache, eu égard à la rigueur de la nouvelle répression qu'il encourt et des derniers développements de son comportement, ne paraît pas offrir de garanties suffisantes de représentation et que sa détention se révèle désormais comme le seul moyen d'assurer avec certitude son maintien à la disposition de la justice; (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 24 juillet 1984 "(...) Attendu que les faits sont très graves, s'agissant d'un trafic de fausse monnaie à partir d'un pays étranger; (...) Attendu que dans un mémoire déposé au greffe le 10 juillet 1984 par son conseil, il fait valoir qu'il est régulièrement domicilié, commerçant, chargé de famille et offre ainsi toutes garanties de représentation; (...) Attendu que de lourdes charges pèsent à l'encontre de l'inculpé qui a été gravement mis en cause au cours de la procédure d'information; Attendu que placé sous contrôle judiciaire avec paiement d'une caution, pour s'occuper de ses affaires commerciales à Paris il s'est déplacé sans autorisation et sans motif valable; Attendu qu'il n'a pas répondu à la convocation du juge d'instruction qui a dû le faire écrouer à nouveau; Attendu qu'il n'offre ainsi aucune garantie suffisante de représentation; Qu'il peut parfaitement se soustraire à une comparution devant la cour d'assises, la perspective d'une peine criminelle pouvant l'inciter à prendre la fuite; Attendu que sa détention est nécessaire à titre de sûreté; (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 7 août 1984 "(...) Attendu qu'il se trouve cependant impliqué dans un important trafic de faux dollars U.S. où il aurait joué un rôle important, que de lourdes charges existent contre lui et qu'il n'offre pas de garanties de représentation; (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 28 août 1984 "(...) Attendu que les présomptions qui pèsent sur l'accusé sont lourdes et se rapportent à des faits graves de nature à troubler l'ordre public qu'il importe de préserver; Que ces charges résultent des déclarations d'un coïnculpé Ceccio qui l'a formellement mis en cause, mais aussi des témoignages et de sa présence dans un restaurant de Monaco avec les autres mis en cause dans cette affaire le jour de la réception des faux billets; Attendu que Kemmache Michel a déjà été condamné, que les garanties de représentation offertes sont aléatoires; Que son maintien en détention est nécessaire pour garantir sa représentation en justice; Qu'ainsi il échet de rejeter sa demande de mise en liberté; (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 9 octobre 1984 "(...) Attendu que (...) de lourdes charges pèsent contre cet accusé qui encourt de ce fait une peine criminelle; Attendu qu'une mise en liberté serait de nature à permettre à Kemmache d'exercer des pressions sur les témoins et de se concerter frauduleusement avec des tiers au détriment de la manifestation de la vérité, dans le sens des démarches rapportées à cet égard par son coïnculpé Ceccio; Attendu que le maintien en détention apparaît également s'imposer pour préserver l'ordre public du grave trouble causé par les faits poursuivis de participation à un trafic international de fausse monnaie, apanage du grand banditisme; Attendu en outre que déjà condamné et en considération de la répression qu'il encourt, Kemmache, qui précédemment placé sous contrôle judiciaire a été interpellé en dernier lieu le 22 mars 1984 à la frontière franco-monégasque, n'offre pas de garanties suffisantes de représentation et que sa détention est nécessaire pour assurer son maintien à la disposition de la justice; (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, du 13 novembre 1984 "(...) Attendu que (...) de lourdes présomptions pèsent sur cet accusé qui encourt de ce fait une peine criminelle; Attendu qu'en l'état des contestations par Kemmache de toute implication frauduleuse dans les faits poursuivis, une mise en liberté serait de nature à permettre à celui-ci, qui a déjà tenté des démarches en ce sens auprès de son coïnculpé Ceccio qui les rapporte, d'exercer des pressions sur les témoins et de se concerter frauduleusement avec des tiers au détriment de la manifestation de la vérité; Attendu que le maintien en détention apparaît également s'imposer pour préserver l'ordre public du grave trouble causé par les faits poursuivis de participation à un trafic international de fausse monnaie, apanage du grand banditisme; Attendu en outre que déjà condamné et eu égard à la rigueur de la répression qu'il encourt, Kemmache qui, placé sous contrôle judiciaire, a été interpellé en dernier lieu le 22 mars 1984 à la frontière franco- monégasque, n'offre pas de garanties suffisantes de représentation et que sa détention est nécessaire pour assurer son maintien à la disposition de la justice; (...)" Arrêts de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble, des 23 mai et 18 juin 1985 "(...) Attendu que malgré les dénégations de Michel Kemmache il existe contre lui de lourdes charges de culpabilité qui ont été relevées dans l'arrêt du 15 mai 1985, renvoyant cet inculpé devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes du chef de: usage sur le territoire français et à Monaco de monnaie étrangère contrefaite et (...) circulation irrégulière de fausses coupures dans le rayon douanier; Attendu que les faits ont par leur gravité profondément et durablement perturbé l'ordre public; que Michel Kemmache a été placé en détention une deuxième fois car il n'avait pas répondu à une convocation du juge d'instruction; Qu'il risquerait, s'il était remis en liberté, de se soustraire à l'autorité de la justice; Qu'il pourrait également, comme il l'a déjà fait à l'égard de Ceccio, exercer des pressions sur des témoins; Qu'il convient en conséquence de rejeter la demande de mise en liberté formée par Michel Kemmache; (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon, du 13 août 1985 "(...) Attendu que les faits à propos desquels existent à l'encontre de Kemmache des indices graves et concordants de culpabilité ne sont pas comme il l'affirme des faits bénins, mais particulièrement graves, qui ont apporté un trouble important à l'ordre public; Que Kemmache sans doute est domicilié, mais qu'il a déjà fait l'objet à deux reprises de condamnations à de lourdes peines d'emprisonnement pour vol; Que les garanties de représentation qu'il prétend certaines sont d'autant plus douteuses qu'il a déjà dû être remis en détention après une période de liberté pour n'avoir pas répondu aux convocations du juge d'instruction; Qu'il convient dans ces conditions de rejeter la demande de mise en liberté qu'il a présentée, tant pour maintenir à la disposition de la justice un inculpé contre lequel existent des indices graves de culpabilité et qui n'offre pas de garanties réelles de représentation que pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction et éviter le renouvellement de celle-ci; (...)" La chambre criminelle de la Cour de cassation annula, les 17 juillet et 3 septembre 1985, les deux arrêts de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble des 23 mai et 18 juin 1985, parce que rendus dans une composition irrégulière, mais rejeta le 29 octobre 1985 un pourvoi formé contre l'arrêt prononcé à Lyon le 13 août 1985. Le 18 avril 1986, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon repoussa une nouvelle demande, déposée devant elle le 1er avril et fondée sur l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention. Elle releva ce qui suit: "(...) Attendu qu'en cet état de la procédure, il [existe] des charges suffisantes contre l'accusé d'avoir commis les faits en question, c'est-à-dire d'avoir été, indépendamment de subornation d'autrui, l'un des organisateurs d'un important trafic de faux dollars; Attendu que de tels faits ont causé à l'ordre public, fondé pour une part essentielle sur la confiance que les particuliers, les commerçants, les banquiers et toutes autres personnes doivent accorder à la monnaie, un trouble dont seule la détention peut le protéger; Que compte tenu de la complexité des faits, de leur particulière gravité et de la sévère répression encourue, une détention de deux à trois ans n'est pas anormale, compte tenu des derniers pourvois formés qui ont été rejetés, qu'ainsi le droit de l'inculpé d'être jugé dans un délai raisonnable n'a pas été violé, d'autant plus qu'il ne paraît pas étranger au renvoi par le président de la cour d'assises; (...) Attendu, d'autre part, qu'au regard de la sévère répression encourue, seule la détention peut assurer la représentation en justice de cet accusé comme seule elle peut éviter à cet individu, déjà deux fois condamné, la tentation de reprendre une vie délinquante et d'exercer des pressions sur les témoins et les coïnculpés dont la prochaine libération est annoncée de manière peut-être hasardeuse; Attendu ainsi que tant pour protéger l'ordre public du trouble causé par le trafic de faux billets et empêcher le renouvellement de l'infraction que pour assurer la représentation en justice et éviter des pressions sur les témoins et les coïnculpés, la détention reste nécessaire; (...)" Le 16 juillet 1986, la chambre criminelle de la Cour de cassation écarta le pourvoi du requérant contre cet arrêt: "(...) en l'état de ces motifs et en considération du fait nouveau qui a motivé le renvoi de l'affaire par le président de la cour d'assises dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la chambre d'accusation, abstraction faite d'énonciations surabondantes, a pu estimer comme elle l'a fait que le droit pour l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable n'avait pas été méconnu en l'espèce; (...)" D'autres décisions de rejet intervinrent par la suite: Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon, du 5 septembre 1986 "(...) Attendu qu'ainsi que la chambre d'accusation l'a déjà jugé le 18 avril 1986, à l'occasion d'une précédente demande analogue et en des motifs qui conservent toute leur valeur, il ressort de l'arrêt de renvoi l'existence de charges suffisantes contre l'accusé, dont la situation personnelle doit seule être prise en considération, d'avoir commis les faits en question, c'est-à-dire d'avoir été, indépendamment de subornation d'autrui, l'un des organisateurs d'un important trafic de faux dollars; Attendu que de tels faits ont causé à l'ordre public fondé, pour une part essentielle, sur la confiance que les particuliers, les commerçants, les banquiers et toutes autres personnes doivent accorder à la monnaie, un trouble dont, seule, la détention peut le protéger; Que compte tenu de la complexité des faits, de leur particulière gravité et de la sévère répression encourue, une détention de deux ou trois ans n'est pas anormale, compte tenu des derniers pourvois formés qui ont été rejetés; qu'ainsi le droit de l'inculpé d'être jugé dans un délai raisonnable n'a pas été violé, d'autant plus qu'il ne paraît pas étranger au renvoi par le président de la cour d'assises; (...) Attendu, d'autre part, qu'au regard de la sévère répression encourue, seule la détention peut assurer la représentation en justice de cet accusé comme, seule, elle peut éviter à cet individu, déjà deux fois condamné, la tentation de reprendre une vie délinquante et d'exercer des pressions sur les témoins et les coïnculpés; Attendu ainsi que, tant pour protéger l'ordre public du trouble causé par le trafic de faux billets et empêcher le renouvellement de l'infraction, que pour assurer la représentation en justice et éviter des pressions sur les témoins et les coïnculpés, la détention reste nécessaire. (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon, du 20 septembre 1986 "(...) Attendu, sur les faits, qu'il résulte de la procédure, à l'encontre de Kemmache, des indices sérieux et concordants d'avoir été l'un des organisateurs d'un trafic très important de faux billets de 100 dollars U.S., les dires de Ceccio et de Klaushofer étant confortés par les déclarations concordantes de la demoiselle Busson, de Brahim et d'autres et par les constatations matérielles et renseignements recueillis; Que de tels faits ont causé à l'ordre public, fondé pour une part essentielle sur la confiance que les particuliers, les banquiers et autres personnes doivent accorder à la monnaie, un trouble que seule la détention peut apaiser; Que son passé judiciaire (deux condamnations) permet de craindre la reprise d'une vie délinquante; Qu'au regard de la sévère répression encourue, les garanties de représentation sont très insuffisantes; Qu'enfin, s'il était libéré, Kemmache pourrait être tenté de continuer ses pressions sur ses coïnculpés et d'en exercer sur les témoins; Qu'ainsi, tant pour apaiser le trouble causé à l'ordre public par l'infraction que pour assurer la représentation en justice de l'inculpé, qui, déjà dans le passé, ne s'est pas présenté, éviter la reprise d'une vie délinquante et des pressions sur les témoins et sur ses coïnculpés, la détention demeure nécessaire; (...)" Arrêt de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon, du 28 octobre 1986 "(...) Attendu que si la détention a été effectivement longue, la nature et la complexité de l'affaire, la multiplicité des recours, le développement d'une affaire de subornation incidente expliquent le retard apporté au règlement de la procédure et à la comparution de l'accusé devant la juridiction de jugement; Qu'il n'apparaît cependant pas, eu égard à tous les éléments, que les délais aient été anormaux et que les droits de l'accusé énumérés par la Convention visée aient été méconnus; Attendu, sur les garanties de représentation de Kemmache, que Kemmache justifie d'un domicile où sa femme se déclare prête à l'accueillir et apporte trois attestations d'employeurs qui se disent prêts à l'embaucher; Qu'il expose que, remis en liberté le 29 mars 1983 par le magistrat instructeur après son incarcération du 16 février 1983, sous contrôle judiciaire, il a été réincarcéré le 22 mars 1984 pour n'avoir pas respecté les obligations à lui imparties, que ce comportement ne saurait lui être reproché, une erreur de date qui ne lui est pas imputable en étant à l'origine; Attendu que les justifications fournies par Kemmache apparaissent sincères même si la multiplicité des promesses immédiates d'embauche est quelque peu anormale à une époque où sévit le chômage; Que, cependant, les antécédents judiciaires de Kemmache et la gravité de la peine encourue laissent redouter que l'accusé, dont les relations à l'étranger sont certaines, ne tente de se soustraire à l'action de la justice; Attendu qu'étant donnée la nature de l'infraction, son renouvellement est également à craindre; Attendu dans ces conditions qu'il y a lieu de maintenir par la détention l'inculpé à la disposition de la justice et de rejeter la demande de mise en liberté qui n'est pas fondée; (...)" Les 9 octobre et 6 novembre 1986, la cour d'assises des Alpes-Maritimes repoussa, par des arrêts identiquement motivés, deux nouvelles demandes de mise en liberté: "(...) Attendu que Kemmache (...) n'invoque aucun moyen nouveau au soutien de sa nouvelle demande; Que les faits reprochés à Kemmache sont graves; qu'il encourt une lourde peine; qu'il a déjà été condamné pour vol qualifié; qu'il est à craindre, s'il était remis en liberté, qu'il fasse pression sur les témoins et tente de se soustraire à l'action de la justice; Que le maintien en détention est nécessaire pour éviter les pressions sur les témoins et garantir le maintien de l'accusé à la disposition de la justice; (...)" Le 8 décembre 1986 en revanche, elle ordonna l'élargissement de M. Kemmache sous contrôle judiciaire pour les raisons suivantes: "(...) Attendu que l'information est terminée et que, certains coaccusés ayant été extradés vers des pays étrangers, cette affaire ne pourra être évoquée devant la cour d'assises avant longtemps; Qu'il est opportun, dans ces conditions, compte tenu des garanties de représentation présentées par Kemmache, et conformément aux réquisitions de M. l'avocat général qui a déclaré ne pas s'opposer à la mesure de faveur sollicitée, d'ordonner la mise en liberté provisoire de Kemmache, tout en l'assortissant d'un contrôle judiciaire et du versement d'une caution qu'il y a lieu de fixer à la somme de 300 000 francs; (...)" Le requérant recouvra la liberté le 19 décembre. Les 7 et 20 juillet 1988, il sollicita auprès des chambres d'accusation des cours d'appel de Lyon et d'Aix-en-Provence, respectivement, le remboursement des cautions de 500 000 et 300 000 f. versées par lui (paragraphes 25 et 31 ci-dessus). Le 4 octobre 1988, la cour d'assises des Alpes-Maritimes en ordonna la restitution ainsi que la mainlevée totale du contrôle judiciaire. La troisième détention (11 juin - 10 août 1990) Cité à comparaître les 12, 13 et 14 juin 1990 devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes, le requérant se présenta le 11 juin pour se constituer prisonnier, en vertu d'une ordonnance de prise de corps. Par son arrêt de renvoi et de disjonction du 12 juin 1990 (paragraphe 20 ci-dessus), la cour d'assises prescrivit de le reconduire à la maison d'arrêt de Nice. L'intéressé forma en vain plusieurs demandes de mise en liberté, mais, pour finir, la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Aix-en-Provence lui accorda, le 4 juillet 1990, son élargissement sous contrôle judiciaire moyennant le versement d'une caution de 800 000 f. qu'elle consentit, le 26, à diviser en huit fractions de 100 000 f. chacune. Reprochant à la chambre d'accusation de lui avoir imposé un contrôle judiciaire, il attaqua l'arrêt du 4 juillet 1990; il invoquait, notamment, l'article 5 paras. 1, 3 et 4 (art. 5-1, art. 5-3, art. 5-4) de la Convention ainsi que l'article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2). La chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi le 22 novembre 1990. M. Kemmache paya une première tranche de 100 000 f. le 10 août 1990, puis une deuxième le 10 septembre. Comme sa situation financière ne lui permettait pas de faire face aux échéances suivantes, il se présenta le 10 septembre devant le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, se déclarant prêt à se constituer prisonnier; il le lui confirma par lettre d'huissier le 10 octobre. Entre temps, il avait réclamé par deux fois la mainlevée du contrôle judiciaire consistant dans le versement du cautionnement. La chambre d'accusation la lui refusa les 8 août et 5 septembre 1990. Il s'en plaignit auprès de la Cour de cassation sur la base, entre autres, de l'article 5 paras. 1, 3 et 4 (art. 5-1, art. 5-3, art. 5-4) de la Convention tout comme de l'article 6 paras. 1 et 2 (art. 6-1, art. 6-2); elle le débouta de ses recours les 22 novembre et 20 décembre 1990. II. La législation pertinente A. La détention provisoire Les dispositions du code de procédure pénale relatives à la détention provisoire et applicables à l'époque des faits de la cause sont les suivantes: Article 144 "En matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure soit à un an d'emprisonnement en cas de délit flagrant, soit à deux ans d'emprisonnement dans les autres cas et si les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l'article 137, la détention provisoire peut être ordonnée ou maintenue: 1° Lorsque la détention provisoire de l'inculpé est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices; 2° Lorsque cette détention est nécessaire pour préserver l'ordre public du trouble causé par l'infraction ou pour protéger l'inculpé, pour mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l'inculpé à la disposition de la justice. (...)" (Une loi du 6 juillet 1989 a rendu l'article 144 expressément applicable en matière criminelle.) Article 145 "En matière correctionnelle, le placement en détention provisoire est prescrit par une ordonnance qui peut être rendue en tout état de l'information et doit être spécialement motivée d'après les éléments de l'espèce par référence aux dispositions de l'article 144; cette ordonnance est notifiée verbalement à l'inculpé qui en reçoit copie intégrale contre émargement au dossier de la procédure. En matière criminelle, il est prescrit par mandat, sans ordonnance préalable. (...) Le juge d'instruction statue en audience de cabinet, après un débat contradictoire au cours duquel il entend les réquisitions du ministère public, puis les observations de l'inculpé et, le cas échéant, celles de son conseil. (...)" Article 148 "En toute matière, la mise en liberté peut être demandée à tout moment au juge d'instruction par l'inculpé ou son conseil, sous les obligations prévues à l'article précédent [à savoir: l'engagement de l'intéressé 'de se représenter à tous les actes de la procédure aussitôt qu'il en sera requis et de tenir informé le magistrat instructeur de tous ses déplacements']. Le juge d'instruction communique immédiatement le dossier au procureur de la République aux fins de réquisitions. Il avise en même temps, par tout moyen, la partie civile qui peut présenter des observations. (...) Le juge d'instruction doit statuer, par ordonnance spécialement motivée dans les conditions prévues à l'article 145-1, au plus tard dans les cinq jours de la communication au procureur de la République. (...) La mise en liberté, lorsqu'elle est accordée, peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire. (...)" B. L'extradition des étrangers L'article 8 de la loi du 10 mars 1927 relative à l'extradition des étrangers dispose: "Dans le cas où un étranger est poursuivi ou a été condamné en France, et où son extradition est demandée au gouvernement français à raison d'une infraction différente, la remise n'est effectuée qu'après que la poursuite est terminée, et, en cas de condamnation, après que la peine a été exécutée. Toutefois, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que l'étranger puisse être envoyé temporairement pour comparaître devant les tribunaux de l'Etat requérant, sous la condition expresse qu'il sera renvoyé dès que la justice étrangère aura statué. (...)" PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans ses requêtes des 1er août 1986 et 28 avril 1989 à la Commission (n°s 12325/86 et 14992/89), M. Kemmache alléguait la violation, respectivement: - de l'article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention, affirmant n'avoir pas été informé "dans le plus court délai (...) des raisons de son arrestation et [des] accusation[s] portée[s] contre [lui]"; de l'article 5 par. 3 (art. 5-3), eu égard à la longueur de sa détention provisoire; et de l'article 6 par. 2 (art. 6-2), car il y aurait eu atteinte à la présomption d'innocence; - de l'article 6 par. 1 (art. 6-1), en ce que la durée de la procédure criminelle aurait dépassé le "délai raisonnable". Il ne s'en prenait pas à celle des poursuites correctionnelles. Le 10 mars 1989, la Commission a déclaré irrecevables les griefs tirés des articles 5 par. 2 (art. 5-2) (pour non- épuisement des voies de recours internes) et 6 par. 2 (pour défaut manifeste de fondement); le même jour, elle a retenu le restant de la première requête (article 5 par. 3) (art. 5-3), puis, le 7 juin 1990, la totalité de la seconde (article 6 par. 1) (art. 6-1). Dans ses rapports des 8 juin et 3 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut, par treize voix contre trois, à la violation de l'article 5 par. 3 (art. 5-3) et, à l'unanimité, à celle de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de ses avis et de l'opinion dissidente dont s'accompagne le premier d'entre eux, figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 218 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ Les 18 décembre 1990 et 11 avril 1991, M. Kemmache a saisi la Commission de deux nouvelles requêtes (n° 17621/91 et 18159/91). Dans la première il se plaint de sa troisième détention (paragraphes 33-36 ci-dessus); dans la seconde il dénonce, comme arbitraire, sa réarrestation le 14 mars 1991 (paragraphe 22 ci-dessus). CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 19 mars 1991, l'agent du Gouvernement a confirmé les conclusions de ses mémoires. Elles invitaient la Cour à constater l'absence de manquement aux exigences des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1). Le conseil du requérant a, pour son compte, demandé à la Cour de relever une infraction à ces mêmes dispositions et d'octroyer à son client l'indemnité réclamée.
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Citoyen italien, M. Vincenzo Pugliese habite Rome où il exerce la profession de journaliste. Le 6 février 1984, il obtint du président du tribunal de Rome une injonction de payer contre la Società generale per lavori agricoli ed industriali (Sogelai), à laquelle il la notifia le 8 mars 1984. Elle portait sur 27 712 545 lires italiennes, correspondant au remboursement des frais qu'il avait supportés en sa qualité d'administrateur de ladite société. Le 26 mars, cette dernière forma opposition et cita M. Pugliese à comparaître le 25 juin 1984 devant le tribunal de Rome. Le 26 juin 1984 eut lieu une première audience d'instruction devant le juge de la mise en état (giudice istruttore) ; une certaine Mme F. intervint dans le procès et revendiqua pour elle-même le montant réclamé par le requérant ; elle affirmait avoir racheté les parts de celui-ci dans la Sogelai. Le magistrat fixa une deuxième audience au 19 octobre 1984. Le 22 mai 1985, lors de la troisième, les parties lui présentèrent leurs conclusions ; il les renvoya devant le tribunal et précisa que les débats se dérouleraient le 21 avril 1987. Adopté le 22 mai 1987, le jugement fut déposé au greffe le 10 juillet 1987. Le tribunal déclarait non valable l'injonction litigieuse et décidait que Mme F. pouvait prétendre à la somme en question ; en conséquence, il condamnait la Sogelai à la verser à Mme F. et M. Pugliese aux dépens. Le jugement revêtit un caractère définitif un an après son prononcé, soit le 10 juillet 1988. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 29 juin 1985 à la Commission (n° 11671/85), M. Pugliese se plaignait de la durée de la procédure civile engagée contre lui par la Sogelai. Il s'appuyait sur l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 10 mars 1989. Dans son rapport du 6 mars 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 206-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Le Gouvernement a confirmé à l'audience du 22 janvier 1991 les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Ressortissant autrichien, M. Johann Asch réside à Laaben, en Autriche. Dans la nuit du 5 au 6 juillet 1985, une dispute éclata entre lui et sa compagne, Mme J. L., laquelle quitta la maison et alla se réfugier chez sa mère. Le lendemain matin, elle consulta un médecin. Il l’envoya le même jour à l’hôpital de St-Pölten puis adressa à celui-ci un certificat, du 9 juillet, attestant qu’elle souffrait de contusions multiples et de migraines. Un rapport de cet établissement, du 11 juillet, constatait qu’elle disait avoir été frappée d’une ceinture et présentait plusieurs contusions sur le corps et une à la tête. Le soir du 6 juillet, Mme J. L. relata l’incident au poste de gendarmerie de Brand-Laaben. Selon elle, le requérant avait menacé d’user de violence à son égard si elle ne déguerpissait pas aussitôt. Comme elle refusait d’obtempérer, il l’aurait frappée, à l’aide d’une ceinture, au dos, aux bras et aux jambes; le voyant saisir un fusil, elle aurait tenté de le raisonner et profité d’une accalmie pour s’enfuir. L’officier de gendarmerie qui avait consigné les déclarations, l’inspecteur B., prévint le soir même, par téléphone, le parquet de St-Pölten; il en reçut l’ordre de dénoncer (anzeigen) M. Asch, sans toutefois l’arrêter. Le 10 juillet au matin, Mme J. L. se rendit au même poste de gendarmerie pour y faire part de sa réconciliation avec le requérant, chez qui elle habitait à nouveau depuis le 7 juillet. Elle exprima le désir de retirer sa plainte. Interrogé audit poste dans la soirée, l’intéressé nia avoir brutalisé Mme J. L. ou l’avoir menacée d’un fusil. D’après lui, elle n’avait qu’une égratignure au dos; en outre, elle lui avait expliqué avoir porté plainte parce qu’elle était furieuse contre lui. Le 16 juillet 1985, la gendarmerie de Brand-Laaben dénonça M. Asch auprès du tribunal de district de Neulengbach. Elle reprenait largement les allégations de Mme J. L. et produisait le certificat médical du 9 juillet, le rapport de l’hôpital, du 11 juillet, ainsi que les procès-verbaux des déclarations de l’intéressé et de sa compagne, des 6 et 10 juillet (paragraphes 9-10 et 13 ci-dessus). Le 7 août 1985, le parquet de St-Pölten renvoya le requérant devant le tribunal régional (Kreisgericht) de cette ville pour intimidation (Nötigung, article 105 du code pénal) et coups et blessures (Körperverletzung, article 83). A l’audience du 15 novembre 1985, M. Asch protesta de son innocence; selon lui, Mme J. L. s’était blessée elle-même dans la nuit du 5 au 6 juillet en heurtant le bout du lit. Il reconnut toutefois l’avoir agressée et repoussée. Interrogée par le tribunal, Mme J. L. usa de son droit de refuser de témoigner (paragraphe 20 ci-dessous). On entendit ensuite l’inspecteur B. Relatant les dépositions faites par elle devant lui le 6 juillet 1985, il précisa qu’elle lui avait paru en proie à la peur; elle lui avait montré ses blessures au bras et le bandage qui lui recouvrait une partie du dos. En l’absence d’autres demandes, le juge fit lire la dénonciation du 16 juillet, le procès-verbal du 6 juillet 1985 (paragraphes 10-11 et 14 ci-dessus) et un extrait du casier judiciaire de M. Asch. Le 15 novembre 1985, le tribunal condamna ce dernier, pour intimidation et coups et blessures, à 180 jours-amendes de 80 schillings chacun. S’appuyant sur les déclarations à l’audience du prévenu et de l’inspecteur B., sur l’enquête de la gendarmerie et sur les autres pièces du dossier, il tint pour établis les faits tels que Mme J. L. les avait décrits le 6 juillet. D’après le jugement, ils se trouvaient corroborés par le diagnostic du médecin; en outre, le dossier révélait le tempérament irascible et imprévisible de M. Asch et rendait ainsi vraisemblable la version présentée par l’intéressée. Quant aux affirmations du prévenu selon lesquelles celle-ci l’avait accusé pour le calomnier, le juge ne les estima pas crédibles. Le requérant releva appel. Il reprochait notamment au tribunal d’avoir fait lire à l’audience le procès-verbal des dépositions de sa compagne (paragraphes 10-11 ci-dessus), sans l’avoir invité à commenter ce document ni les avoir interrogés, lui-même ou Mme J. L. Il priait en outre la juridiction de recours d’ordonner une expertise médicale et de procéder à une descente sur les lieux, comme aurait dû le faire selon lui le premier juge. Il soutenait aussi que le retrait de la plainte de Mme J. L. avait privé de base légale les poursuites engagées contre lui. Le 19 mars 1986, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Vienne confirma le jugement attaqué. Elle précisa entre autres que d’après une jurisprudence bien établie, l’article 252 par. 2 du code de procédure pénale (paragraphe 21 ci-dessous) oblige la juridiction saisie à faire lire à l’audience les dépositions extrajudiciaires de témoins ayant refusé de comparaître à la barre lorsqu’elles ont trait à des points importants. Quant à l’offre de preuve de M. Asch, la cour la tint pour insuffisamment motivée, faute d’indications permettant de douter de l’origine des blessures de la victime. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 152 par. 1, alinéa 1, du code de procédure pénale dispense de l’obligation de témoigner les membres de la famille de l’inculpé, visés à l’article 72 du code pénal, y compris les concubins. Les paragraphes 2 et 3 de l’article 252 du code de procédure pénale se lisent ainsi: "2. Sauf si les deux parties y renoncent d’un commun accord, sont lus à l’audience les procès-verbaux des transports sur les lieux et des constats, les antécédents pénaux du prévenu et tous autres documents ou écrits pertinents en l’espèce. Après chaque lecture, il est demandé au prévenu s’il désire présenter des observations." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 22 août 1986 à la Commission (no 12398/86), M. Asch se plaignait d’avoir été condamné sur la seule foi des déclarations de Mme J. L., que le tribunal régional n’avait pas entendue; il invoquait l’article 6 paras. 1 et 3 d) (art. 6-1, art. 6- 3-d) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 10 juillet 1989. Dans son rapport du 3 avril 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut par douze voix contre cinq à la violation du paragraphe 1 de l’article 6, combiné avec le paragraphe 3 d) (art. 6-1, art. 6-3-d). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen suédois et homme d’affaires, M. Hans Fejde réside à Västra Frölunda, dans le sud-ouest de la Suède. En 1984, dans le contexte de la faillite de son entreprise de déménagement, on découvrit un fusil lors de l’inventaire. Après une enquête de la police, au cours de laquelle on nota l’absence de bloc de culasse, l’intéressé fut inculpé, le 2 mars 1984, de détention illicite d’une arme (olaga vapeninnehav), en violation de la loi de 1973 régissant la matière (vapenlagen no 1176 de 1973, "la loi de 1973"). L’article 1 par. 2 de ladite loi englobait expressément dans son champ d’application les armes hors d’usage mais pouvant resservir une fois remises en état. M. Fejde fut cité à comparaître (huvudförhandling) le 27 août 1984 devant le tribunal de première instance (tingsrätten) de Göteborg qui, dans son jugement du même jour, s’exprima ainsi: "[Le prévenu] a contesté sa responsabilité pénale pour les raisons suivantes: l’arme litigieuse appartenait au mari de sa mère, R.T., décédé. Quand celle-ci a déménagé il y a environ dix ans, l’arme a échoué dans le garde-meubles [du prévenu] avec du mobilier pour lequel le nouveau domicile de sa mère manquait de place. On l’y a découverte à l’occasion de la faillite [du prévenu]. Il savait qu’elle n’avait cessé de se trouver là, mais il ne voyait pas en elle une arme. Le fusil n’a pas de bloc de culasse et il n’y a jamais eu de munitions. [Le prévenu] ne s’en considère pas comme le propriétaire puisque c’est sa mère, aujourd’hui âgée de 82 ans, qui en est le propriétaire officiel. Le tribunal estime inévitable de [le] juger responsable de la détention de l’arme, mais l’infraction à la loi sur les armes revêt un caractère mineur." Le tribunal lui infligea trente jours-amendes (dagsböter) de dix couronnes suédoises chacun, soit 300 couronnes en tout. Il fixa le montant quotidien de l’amende en fonction de la situation financière de l’intéressé. En outre, il confirma la confiscation du fusil, décidée antérieurement par la police. Le 4 septembre 1984, le requérant saisit la cour d’appel (hovrätten) de Suède occidentale en invoquant les moyens suivants: a) l’enquête de police n’avait pas été assez approfondie; b) bien que sachant le fusil sous la garde de son entreprise de déménagement, il se demandait si celle-ci avait le devoir de s’assurer de l’existence d’un permis valide; c) des faits nouveaux étaient apparus, à savoir que l’arme appartenait en réalité non à la mère de M. Fejde, mais au fils de feu son beau-père; d) la peine prononcée en première instance était beaucoup trop sévère: inscrite au casier judiciaire, elle le léserait dans son avenir et notamment dans ses perspectives d’emploi; e) la loi de 1973 avait été mal appliquée dans son cas: non muni d’un bloc de culasse, ce dont sa mère et son demi-frère pouvaient attester, le fusil en question ne constituait pas une arme au sens de la loi. Par une lettre du 23 octobre 1984, la cour d’appel l’avisa qu’aux termes du chapitre 51, article 21, du code de procédure judiciaire, elle pouvait statuer sans débats; elle l’invitait à s’exprimer, dans la quinzaine, sur la nécessité d’une audience. A défaut, il pouvait présenter ses observations écrites finales dans le même délai. Elle lui demandait aussi d’indiquer dans sa réponse sur quels éléments de preuve il comptait s’appuyer. M. Fejde lui écrivit, le 24 octobre 1984, qu’une audience lui paraissait s’imposer; il la priait de le doter d’un avocat au titre de l’assistance judiciaire gratuite. Dans une nouvelle lettre, du 15 février 1985, il l’informa en outre que le jugement de première instance lui avait causé un préjudice en amenant plusieurs employeurs éventuels à écarter sa candidature. D’après une note du 4 mars 1985, rédigée par un fonctionnaire de la cour après un entretien téléphonique avec le requérant, celui-ci déclara ne pas insister sur la citation de témoins, l’absence de bloc de culasse ne prêtant plus à contestation. Le 6 mars 1985, la cour d’appel refusa de nommer un défenseur à M. Fejde. Le même jour, elle l’avertit aussi que comme elle pouvait trancher sans débats, il devrait produire ses observations écrites définitives dans les dix jours. Dans une lettre du 11 mars 1985, il répéta que le fusil ne pouvait passer pour une arme au sens de la loi de 1973 et offrit derechef le témoignage de son demi-frère sur ce point. De plus, il se plaignit du refus de lui désigner un conseil. Y voyant une demande d’autorisation de pourvoi, la cour d’appel la déféra à la Cour suprême (högsta domstolen) qui rendit une décision négative le 19 juin 1985. La cour d’appel examina l’affaire le 22 août 1985. En vertu du chapitre 51, article 21, premier alinéa, point 4, et troisième alinéa, du code de procédure judiciaire, elle écarta la demande d’audience formulée par le requérant, estimant de tels débats manifestement superflus (paragraphe 21 ci-dessous). Son arrêt devint public le 2 octobre 1985, avec son prononcé. En voici le texte: "[L’appelant] a fourni à la cour les renseignements déjà mentionnés dans le jugement de première instance. Il a ajouté: quand [son beau-père] et sa mère se sont séparés, [le premier] a oublié le fusil au domicile de [la seconde] à Furuby. A la suite de son décès, c’est à son fils (...) qu’appartient le fusil. Que [l’appelant] ait détenu le fusil sans permis n’est pas contesté. Dès lors, il échet de le déclarer coupable d’infraction à la loi sur les armes, de quelque manière qu’il ait acquis la possession de l’arme et quel qu’en soit le propriétaire. La peine doit être [celle fixée] par le tribunal de première instance. La cour d’appel admet les explications données par [l’intéressé] sur la façon dont il est entré en possession du fusil; elle constate qu’il n’en est pas le propriétaire. En conséquence, la question de la confiscation concerne une personne non inculpée en l’espèce. Une action en confiscation devrait être dirigée contre le propriétaire du fusil, par application de l’article 17 de la loi de 1946 sur la promulgation du nouveau code de procédure judiciaire. Pareille action n’ayant pas été engagée en l’occurrence, il y a lieu de rejeter la requête en confiscation." Le 12 octobre 1985, M. Fejde sollicita auprès de la Cour suprême l’autorisation de la saisir. Il affirmait notamment que tribunal de première instance et cour d’appel avaient négligé un élément essentiel: le fusil ne possédait pas de bloc de culasse, de sorte qu’on ne pouvait le considérer comme une arme au sens de la loi de 1973. Selon lui, il eût été aisé de le prouver si la cour d’appel avait accueilli sa demande de débats et d’audition de témoins. La Cour suprême lui opposa un refus le 3 mars 1986. Le 15 avril 1986, elle écarta un recours en révision exercé par lui. II. LE CODE DE PROCÉDURE JUDICIAIRE D’après le chapitre 21 du code de procédure judiciaire, les juridictions inférieures ne se prononcent pas au pénal, en principe, sans que l’accusé ait pu se défendre lors d’une audience contradictoire. Il existe pourtant des exceptions, surtout en appel. Ainsi, le chapitre 51 du même code dispose en son article 21, tel que la loi no 131 de 1984 l’a modifié avec effet au 1er juillet 1984: "La cour d’appel peut statuer au fond sans audience: si le parquet interjette appel dans le seul intérêt du prévenu, si la partie adverse se rallie à l’appel du prévenu, si l’appel est manifestement mal fondé, s’il n’existe aucune raison de tenir le prévenu pour juridiquement responsable, ni de lui infliger une sanction, ou une sanction autre qu’une amende ou une peine avec sursis, ou encore une combinaison des deux. (...) Si, dans un cas visé [plus haut], une partie demande une audience, celle-ci a lieu à moins d’être manifestement superflue. (...) Une décision ne portant pas sur le fond peut se prendre sans audience." La cour d’appel connaît du fait comme du droit, mais sa plénitude de juridiction a ses limites. D’après l’article 23 du chapitre 51, par exemple, elle ne peut en principe modifier au détriment du prévenu l’appréciation des preuves opérée en première instance sans que celles-ci soient produites devant elle; en son article 25 (tel que l’ont amendé les lois no 22 et 228 de 1981), le chapitre 51 lui interdit d’infliger sur appel du prévenu, ou du parquet dans l’intérêt du prévenu, une peine pouvant passer pour plus lourde que celle prononcée en première instance. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 28 juillet 1986 à la Commission (no 12631/87), le requérant alléguait que sa condamnation constituait une peine et un traitement dégradants et qu’il n’avait pas bénéficié d’un procès équitable devant les juridictions suédoises (paragraphes 11-20 ci-dessus). Il invoquait les articles 3, 6 paras. 1, 2, 3 c) et d) et 13 (art. 3, art. 6-1, art. 6-2, art. 6-3-c, art. 6-3-d, art. 13) de la Convention. Le 4 octobre 1989, la Commission a retenu le grief selon lequel la cause n’avait pas été "entendue équitablement [et] publiquement", au sens de l’article 6 (art. 6) de la Convention; elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 8 mai 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut par dix-sept voix contre deux à la violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de l’avis de la Commission et de l’opinion séparée dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Citoyen italien, M. Emanuele Triggiani habite Rome. Au moment où commença la procédure pénale engagée contre lui, il était employé de banque. En application de l'article 31 § 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 12-23 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous) : "12. Le requérant fut arrêté le 18 août 1975, sur mandat d'arrêt du 14 août 1975, émis par le juge d'instruction de Rome, du chef d'escroquerie, faux et usage de faux et association de malfaiteurs. Au requérant, qui était employé de banque, il était reproché de s'être procuré divers carnets de chèques relatifs au compte d'un client de l'agence de la banque où il travaillait, et de les avoir remis à des complices qui, falsifiant la signature du client, avaient ainsi pu encaisser, sur des comptes ouverts sous une fausse identité, de très importantes sommes d'argent. A l'origine des accusations formulées contre le requérant se trouve le rapport de police établi à la suite de l'enquête ouverte sur plainte du titulaire du compte. Ce rapport fut transmis au parquet de Rome le 8 mars 1975. Après son arrestation, le requérant fut interrogé à deux reprises par le juge d'instruction de Rome, les 19 août et 18 octobre 1975. Aucun autre acte d'instruction ne fut accompli en ce qui concerne le requérant. Toutefois, étant donné que les poursuites concernent plusieurs autres accusés, le dossier comporte plusieurs actes relatifs à la situation juridique de ces derniers. Le requérant fut maintenu en détention jusqu'à l'échéance des délais maxima de détention préventive. Sa libération fut ordonnée le 18 février 1976. Le requérant fut renvoyé en jugement le 12 mai 1978. Le 14 juillet 1978, le tribunal de Rome le cita à comparaître à l'audience du 22 janvier 1979. Le procès, qui concernait en tout douze accusés, se déroula du 22 janvier 1979 au 30 septembre 1981. Il nécessita la fixation de quatorze audiences (22 janvier 1979, 26 mars 1979, 9 avril 1979, 30 juin 1979, 24 novembre 1979, 13 février 1980, 7 mai 1980, 9 juillet 1980, 26 novembre 1980, 25 mars 1981, 3 juin 1981, 17 juin 1981, 3 juillet 1981, 30 septembre 1981). Toutes ne furent cependant pas consacrées à l'examen de l'affaire : sept audiences furent ajournées pour des motifs d'organisation interne du tribunal. Ainsi, à l'audience du 9 avril 1979 le tribunal décida de remettre l'audience au 30 juin 1979 avec l'accord des parties, 'compte tenu de la nécessité de traiter de nombreux autres procès concernant des accusés détenus et pour permettre aux parties de traiter l'affaire de façon adéquate (...)'. Le 30 juin 1979, les parties demandèrent que les plaidoiries eussent lieu sans solution de continuité. Cela s'étant avéré impossible, le tribunal ajourna l'audience au 24 novembre 1979 en demandant au greffe de ne plus inscrire d'autres procès à l'ordre du jour. Le 24 novembre 1979, l'audience ne put avoir lieu car le tribunal était différemment constitué. Il en alla de même le 7 mai 1980. Le 9 juillet 1980, le tribunal remit d'office l'audience au 26 novembre 1980. Le 25 mars 1981, le tribunal, devant traiter par priorité des procès concernant des accusés détenus, remit encore une fois l'audience. Il en advint de même pour l'audience du 3 juillet 1981. Deux audiences furent ajournées en raison de mouvements de protestation tantôt des magistrats, tantôt des avocats. Une audience fut ajournée à la demande de l'avocat d'un des accusés (le 17 juin 1981). En tout, les audiences réellement consacrées à l'examen de l'affaire furent celles du 22 janvier 1979, d'une durée d'une heure et 45 minutes, du 26 mars 1979, d'une durée de 30 minutes, du 3 juin 1981, d'une durée d'une heure et 5 minutes, enfin celle du 30 septembre 1981, commencée à 15 heures et qui se termina à 21 h 30, après délibération du jugement en chambre du conseil. Le 30 septembre 1981, le requérant fut relaxé au bénéfice du doute. Le jugement fut déposé au greffe du tribunal le 11 novembre 1981. Le requérant interjeta appel du jugement, estimant qu'il devait être mis totalement hors de cause. Le 3 septembre 1985, il fut cité à comparaître devant la cour d'appel de Rome à l'audience du 21 octobre 1985. Seule la dernière des cinq audiences qui furent successivement fixées pour l'examen de l'affaire (21 octobre 1985, 31 janvier 1986, 31 octobre 1986, 3 mars 1987, 28 octobre 1987) eut effectivement lieu, les autres ayant dû être reportées pour des raisons diverses non imputables aux accusés. Par arrêt du 28 octobre 1987, déposé au greffe à une date qui n'a pas été précisée, la cour d'appel de Rome déclara le requérant non coupable pour n'avoir pas commis les faits qui lui étaient reprochés. Entre-temps, le requérant, suspendu de ses fonctions le 12 septembre 1978, avait perdu définitivement son emploi au mois de novembre 1978. Par ailleurs, l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de pourvoir aux besoins de sa famille et les soupçons qui pesaient sur lui auraient conduit son épouse à demander le divorce. La séparation fut prononcée le 27 juillet 1977." Selon les renseignements fournis à la Cour, l'arrêt d'appel du 28 octobre 1987, devenu définitif pour le requérant dès le 1er novembre 1987, a été déposé au greffe le 30 mai 1988. D'autre part, il appert que M. Triggiani a contesté en justice la validité de son licenciement. Le 2 mars 1979, le juge du travail a sursis à statuer en application de l'article 3 du code de procédure pénale, la décision à rendre dépendant de l'issue des poursuites ouvertes contre le requérant. Il a repris l'examen de l'affaire le 15 mars 1988. La prochaine audience devait se tenir le 9 novembre 1990. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 19 novembre 1987 à la Commission (n° 13509/88), M. Triggiani s'élevait contre son arrestation et contre l'absence d'un recours effectif (article 5 §§ 1, 2 et 4 de la Convention) (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4). Il se plaignait aussi de la durée de la procédure (article 6 § 1) (art. 6-1). La Commission a retenu ce dernier grief le 5 septembre 1989 ; le 7 octobre 1988, elle avait déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 197-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen autrichien domicilié à Graz, M. Stefan Toth est plongeur de restaurant. Le 1er juin 1984, le tribunal régional (Landesgericht) de Salzbourg délivra contre lui un mandat d’arrêt (Haftbefehl). Il le soupçonnait en effet d’avoir commis une escroquerie qualifiée (schwerer Betrug) avec la complicité d’un certain J. M., sous la forme notamment de chèques sans provision tirés sur des comptes ouverts par J. M., puis encaissés dans diverses banques. Le mandat relevait un danger de fuite (Fluchtgefahr), car on ignorait l’adresse de M. Toth, et de répétition d’infractions (Wiederholungsgefahr), l’intéressé ayant déjà subi plusieurs condamnations. Le 24 août 1984, le même tribunal lança un mandat d’arrêt international (Steckbrief) contre le requérant. Il mentionnait onze cas de tentative d’escroquerie simple ou qualifiée portant sur plus d’un million de schillings autrichiens et touchant des établissements financiers de diverses villes d’Allemagne et d’Autriche. Il désignait un certain B. comme troisième coïnculpé. Le 11 janvier 1985 à 23 h, la gendarmerie arrêta M. Toth à l’aéroport de Graz, ville où il résidait sans y être dûment enregistré, alors qu’il attendait un ami. Elle le conduisit ensuite à Feldkirchen. A. La procédure d’instruction La garde à vue Un juge d’instruction près le tribunal régional de Graz entendit le requérant le lendemain à 10 h 40. D’après le document intitulé "Interrogatoire de l’inculpé" (Vernehmung des Beschuldigten), il l’informa que les mandats d’arrêt se fondaient sur des soupçons d’escroquerie qualifiée et que la garde à vue (Verwahrungshaft) visait à parer aux risques de fuite et de collusion (Verabredungsgefahr). M. Toth fut transféré le 17 janvier 1985 à Vienne, puis le 22 à Salzbourg. La phase initiale de la détention provisoire Le 23 janvier 1985, il fut entendu par un juge d’instruction près le tribunal régional de Salzbourg. Il signa le document "Interrogatoire de l’inculpé", lequel indiquait l’ouverture d’une instruction préliminaire (vorläufige Untersuchung) et annonçait le placement en détention provisoire, en raison des dangers de fuite et de répétition d’infractions (article 180 paras. 1 et 2 du code de procédure pénale). Le même jour, le tribunal ordonna sa mise en détention provisoire pour les motifs déjà invoqués. M. Toth avait auparavant essayé d’échapper aux poursuites en changeant de résidence, de sorte que libéré il risquait de se soustraire à la justice ou de se cacher en prévision de sa future condamnation; en outre, il n’était pas socialement intégré et se trouvait sans emploi, ce qui laissait craindre de nouvelles infractions, lourdes de conséquences, du genre de celles qui lui avaient déjà valu deux condamnations. Le juge d’instruction interrogea M. Toth les 25, 28, 29, 30 et 31 janvier ainsi que le 1er février. Le 7 février, les autorités suisses indiquèrent par télex qu’elles envisageaient d’inviter l’Autriche à poursuivre le requérant pour des délits commis en Suisse. La demande d’élargissement du 15 février 1985 Le 15 février 1985, M. Toth demanda son élargissement; il affirmait pouvoir fournir la preuve à la fois d’une résidence permanente chez sa soeur et de perspectives d’emploi. Le même jour, le magistrat instructeur prit en compte une plainte supplémentaire. Le 19 février, il chargea la police d’entamer des recherches au sujet des infractions que le requérant aurait accomplies en Suisse, et pria le tribunal pénal régional de Vienne de lui fournir un dossier. Le Gouvernement ne donne pas de précisions sur ces différents points. La chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal régional de Salzbourg rejeta la demande de mise en liberté le 27 février, après une audience à laquelle l’intéressé comparut avec son avocat. Elle reprenait les raisons figurant dans la décision du 23 janvier et ajoutait que d’autres mesures moins rigoureuses que la détention ne permettraient pas d’atteindre les objectifs de celle-ci. Restitué au juge d’instruction le 1er mars 1985, le dossier fut confié au ministère public de Salzbourg et à la cour d’appel de Linz du 6 au 19, en vue de la prolongation de la détention provisoire du coïnculpé J. M., avant de retourner au tribunal de Salzbourg. Absent pour cause de vacances du 20 mars au 15 avril, le magistrat instructeur interrogea M. Toth, le 30 avril, au sujet de J. M. Le 15 mai, il sollicita des documents auprès de deux banques de Munich. Du 26 avril au 1er mai, le requérant purgea une peine d’emprisonnement que le tribunal de district de Salzbourg lui avait infligée pour une infraction douanière. La première prolongation de la détention provisoire (19 juin 1985) Sur une demande du juge d’instruction, formulée le 7 juin 1985, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Linz décida le 19, à huis clos, de porter la durée maximale de la détention provisoire à huit mois à compter du 23 janvier 1985. L’escroquerie qualifiée dont on soupçonnait fortement l’intéressé entraînait un préjudice de plus de deux millions de schillings autrichiens. Le dossier était devenu extraordinairement volumineux en raison de la multiplicité des faits et des contradictions dans les déclarations de M. Toth et de son coïnculpé. Les derniers résultats des investigations, ainsi que l’ampleur et la complexité de l’affaire, exigeaient de laisser au ministère public un délai suffisant pour préparer l’acte d’accusation et, éventuellement, la procédure ultérieure devant la cour d’assises. On pouvait redouter de voir l’intéressé se soustraire à la justice et se livrer à de nouveaux agissements délictueux. Enfin, des mesures moins sévères que la détention se révéleraient insuffisantes. Le 24 juin, le magistrat instructeur écrivit à nouveau à l’une des deux banques de Munich. Le 9 juillet 1985, M. Toth attaqua la décision de la cour d’appel devant la Cour suprême (Oberster Gerichtshof), en invoquant une adresse permanente en Autriche, ses perspectives d’emploi et son grand attachement à sa compagne. Le 16, il insista pour obtenir l’envoi de son dossier, bien que le juge lui eût signalé l’inanité de sa démarche. Le 22 août, la Cour suprême jugea le recours irrecevable. Le dossier fut retourné au magistrat instructeur le 11 septembre. La demande d’élargissement du 12 septembre 1985 Le 12 septembre 1985, M. Toth invita le tribunal régional de Salzbourg à l’élargir, la période de huit mois fixée par la cour d’appel de Linz ayant expiré. La Cour ignore la suite réservée à cette demande. La deuxième prolongation de la détention provisoire (18 septembre 1985) Le 18 septembre 1985, la cour d’appel de Linz, siégeant à huis clos, porta la durée maximale de la détention provisoire à onze mois ainsi que le juge d’instruction l’y avait engagée le 9 septembre. Au sujet des dangers de fuite et de répétition d’infractions, elle ne relevait aucun changement de circonstances et se référait donc aux motifs des décisions des 27 février et 19 juin 1985. Elle estimait aussi que ces derniers excluaient d’autres mesures moins sévères que la détention. Le 24 septembre, le tribunal régional de Salzbourg étendit l’instruction à un incendie volontaire allumé en Suisse. Contre cette décision, M. Toth forma un recours (Beschwerde) que la chambre du conseil rejeta le 2 octobre 1985, notamment faute de moyens à l’appui. Une fois l’instruction préliminaire considérée par le magistrat instructeur comme terminée, le dossier fut envoyé le 2 octobre 1985 au ministère public (Staatsanwaltschaft) de Salzbourg. Le 31, ce dernier réclama des compléments d’information; il les obtint les 7, 15 et 19 novembre. Le dossier fut transmis le 3 décembre à la cour d’appel de Linz pour qu’elle pût se prononcer sur la détention provisoire de M. Toth. La demande d’élargissement du 26 septembre 1985 Le 26 septembre 1985, M. Toth présenta une demande d’élargissement à la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof), qui la déclara irrecevable le 28 février 1986. La troisième prolongation de la détention provisoire (11 décembre 1985) Le 11 décembre 1985, à l’invitation du juge d’instruction et du ministère public, la cour d’appel de Linz, siégeant à huis clos, porta la durée maximale de la détention à quinze mois. A la motivation des décisions antérieures, elle ajoutait que l’on soupçonnait aussi le prévenu d’avoir incité une autre personne à incendier un restaurant en Suisse, causant un dommage de 300 000 francs suisses. Elle notait en outre que l’instruction n’était pas encore achevée, en raison de l’ampleur du dossier. La demande d’élargissement du 13 décembre 1985 Le 13 décembre 1985, le requérant sollicita derechef son élargissement. Saisie du dossier le 20, la chambre du conseil du tribunal régional de Salzbourg repoussa la demande le 2 janvier 1986, au terme d’une audience à laquelle assistèrent M. Toth et son avocat. L’instruction menée à ce jour étayait les soupçons de faux et d’émission de chèques sans provision pour deux millions de schillings autrichiens, pesant sur l’intéressé. Quant aux risques de fuite et de répétition d’infractions, la situation n’avait pas évolué depuis la décision du 11 décembre 1985. Le même jour, le juge d’instruction interrogea le requérant sur les déclarations de S. R., un autre coïnculpé qui le mettait en cause, et le confronta avec celui-ci. Le 16 janvier 1986, M. Toth attaqua la décision du 2 janvier devant la cour d’appel de Linz. Cette dernière rejeta le recours le 22 à huis clos, "après audition du parquet général" ("nach Anhörung der Oberstaatsanwaltschaft") mais sans avoir convoqué ni entendu le prévenu et son avocat. Elle redoutait un danger de fuite et de passage clandestin de la frontière; peu importait de savoir si, comme il l’affirmait, l’intéressé ne possédait pas de papiers lui permettant de se rendre en Allemagne, y était interdit de séjour et faisait l’objet de poursuites en Suisse. Il existait aussi un risque de répétition d’infractions, le requérant ayant déjà subi cinq condamnations, dont une à vingt mois d’emprisonnement infligée par le tribunal de Stuttgart pour escroquerie et faux. La cour d’appel ne trouvait pas encore exagérée la durée de la détention, eu égard à la peine à prévoir en cas de condamnation, et jugeait les motifs de détention assez sérieux pour exclure d’autres mesures moins sévères. Le juge d’instruction questionna une dernière fois le requérant le 22 janvier 1986 puis il partit en congé, du 1er au 14 février. Le 19, il écrivit à une banque autrichienne pour obtenir certaines pièces. La clôture de l’instruction Le magistrat chargé du dossier clôtura l’instruction préliminaire par une décision du 26 février 1986. B. La procédure de jugement La mise en accusation Le 12 mars 1986, le parquet de Salzbourg mit M. Toth en accusation pour tentatives d’escroquerie qualifiée et escroqueries qualifiées, ainsi que pour falsification d’un "document spécialement protégé" (besonders geschützte Urkunde). Selon l’acte d’accusation, long de dix-sept pages, le requérant avait tiré des chèques sur diverses banques d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse; il avait chargé B. et J. M. de les encaisser dans d’autres banques de ces pays; le dommage causé s’élevait à 950 000 schillings autrichiens pour les escroqueries qualifiées et à 1 250 000 pour les tentatives; le prévenu avait déjà subi deux condamnations pour escroquerie et recel de biens volés et il était poursuivi en Allemagne pour dix-neuf émissions frauduleuses de chèques. Le parquet annonçait de nouvelles investigations car il soupçonnait le requérant d’un incendie volontaire ainsi que d’autres escroqueries qualifiées. L’acte d’accusation lui ayant été communiqué le 19 mars, M. Toth l’attaqua le 4 avril, mais en vain: le 11, la cour d’appel de Linz estima que les conclusions de l’instruction suffisaient à étayer les charges pesant sur l’intéressé; elle le renvoya donc en jugement. La quatrième prolongation de la détention provisoire (11 avril 1986) Le même jour mais par une décision distincte, la cour d’appel se prononça à huis clos sur une demande du juge d’instruction, du 4 avril; elle porta la durée maximale de la détention provisoire à dix-sept mois, eu égard à l’ampleur et à la complexité de l’instruction. D’après elle, aucun élément nouveau favorable à M. Toth n’était apparu depuis le 22 janvier 1986. Le 30 avril, le dossier fut transmis à la juridiction de jugement, le tribunal régional de Salzbourg, qui, le 23 mai, fixa au 11 juin 1986 le début du procès. Le 5 juin, l’avocat de l’intéressé indiqua qu’il cessait de représenter ce dernier; toutefois, on le pria de ne pas se retirer avant le 11 juin. Le procès de M. Toth s’ouvrit le jour dit, mais le tribunal l’ajourna sine die à l’issue d’une première audience, en vue d’un complément d’instruction, et désigna un avocat d’office. Le compte rendu des débats comportait 116 pages. La demande d’élargissement du 16 juin 1986 Le requérant réclama une fois encore son élargissement le 16 juin 1986; il alléguait qu’il avait une résidence permanente en Autriche et la confirmation d’un emploi stable. La chambre du conseil du tribunal régional de Salzbourg puis la cour d’appel de Linz, à laquelle le dossier avait été envoyé le 3, rejetèrent la demande les 25 juin et 9 juillet. Elles avancèrent les mêmes raisons qu’auparavant. La seconde statua à huis clos, "après audition du parquet général". Le 24 juillet, dix jours après le retour du dossier, le tribunal régional de Salzbourg se renseigna auprès de celui de Vienne au sujet de la date prévue pour la libération de B. Le 29, il pria une juridiction allemande de lui communiquer une décision, qui arriva le 18 août. La demande d’élargissement du 25 juillet 1986 Se prétendant économiquement et socialement intégré et démuni des moyens financiers nécessaires pour s’enfuir, M. Toth formula une nouvelle demande de mise en liberté le 25 juillet 1986. La chambre du conseil du tribunal régional de Salzbourg la rejeta le 30 juillet et la cour d’appel de Linz le 20 août, cette dernière "après audition du parquet général". Les deux juridictions reprenaient leur motivation précédente. Le 22 septembre, le tribunal régional prit contact avec le centre de détention de Hirtenberg afin qu’il lui indiquât la date probable de libération de B. et son adresse après celle-ci. Le même jour, il envoya des commissions rogatoires à l’Office fédéral suisse de la police et au tribunal cantonal d’Aschaffenburg (Allemagne) au sujet du témoin D. Le 15 octobre, le tribunal cantonal d’Aschaffenburg répondit qu’il ignorait l’adresse de D. Le 20, le tribunal régional de Salzbourg se la procura en téléphonant à la prison de Francfort et invita le tribunal cantonal de cette ville à interroger D. Le dossier avait été communiqué le 25 septembre à un expert judiciaire qui avait déposé son rapport sur J. M. le 8 octobre. La demande d’élargissement du 28 octobre 1986 Statuant à huis clos le 12 novembre 1986 et s’appuyant sur les mêmes raisons que dans ses décisions antérieures, la chambre du conseil du tribunal régional de Salzbourg refusa d’élargir M. Toth, qui avait sollicité sa libération le 28 octobre. Le 17 novembre, ce dernier forma un recours que la cour d’appel de Linz rejeta le 26, "après audition du parquet général". Elle notait que J. M. avait mis en cause le requérant, qui n’avait pas dissipé les soupçons pesant sur lui. Pour le reste, elle répétait en substance sa motivation précédente. Le dossier revint au tribunal de Salzbourg le 1er décembre. Entre-temps, le 12 novembre, M. Toth avait déclaré vouloir renoncer aux services de son avocat d’office. Le 16 décembre, le barreau fit savoir qu’il n’apercevait aucune raison de désigner un autre défenseur. Le 17 novembre, le requérant se plaignit de ce qu’aucune date d’audience n’avait été fixée. On l’informa que l’on attendait l’interrogatoire de D. qui devait avoir lieu le 27 devant le tribunal cantonal de Francfort. Le 3 décembre, ce dernier communiqua aux autorités autrichiennes le compte rendu de l’interrogatoire de D. Les 12 et 16 décembre 1986, la juridiction de jugement invita les gendarmeries de Dornbirn et Bregenz à lui fournir les adresses de B. et S. R.; le 22 janvier 1987, elle se renseigna sur le premier auprès de la direction de la police fédérale de Salzbourg. La demande d’élargissement du 31 décembre 1986 Le 31 décembre 1986, M. Toth réclama une fois de plus son élargissement. La chambre du conseil du tribunal régional de Salzbourg le lui refusa le 21 janvier 1987. L’élargissement du requérant À nouveau saisie le 21 janvier 1987 d’une demande de mise en liberté, la chambre du conseil du tribunal régional de Salzbourg la repoussa le 28. Le 18 février, la cour d’appel de Linz accueillit le recours de M. Toth, introduit le 3. Elle estimait en effet que près de vingt-cinq mois de détention avaient sensiblement atténué les dangers de fuite et de répétition d’infractions et permettaient des mesures plus clémentes. Elle assortissait l’élargissement de plusieurs conditions: engagement de ne pas se soustraire à la justice, de ne pas se cacher avant l’issue du procès ni d’entraver l’instruction; obligation de choisir une résidence permanente en Autriche et de la signaler à la cour ainsi que de se présenter tous les deux jours à la police; saisie provisoire des pièces d’identité. Le requérant recouvra la liberté le jour même. L’acte d’accusation supplémentaire Le 9 juillet 1987, le parquet de Salzbourg dressa un acte d’accusation supplémentaire long de neuf pages. Il reprochait à M. Toth d’avoir, avec la complicité de S. R., commis d’autres escroqueries en tentant d’encaisser frauduleusement en Allemagne, en Autriche et en Suisse des chèques sans provision, ce qui aurait causé un préjudice d’environ 800 000 schillings autrichiens. Il s’agissait donc d’infractions punissables d’un emprisonnement d’un à dix ans (article 147 par. 3 du code pénal). Contre ce nouvel acte d’accusation, l’inculpé exerça un recours que la cour d’appel de Linz repoussa le 30 septembre. Le même jour, le tribunal régional de Salzbourg accueillit, mais en partie seulement, une demande de M. Toth relative aux conditions qui lui avaient été imposées: elle l’autorisait à ne plus se présenter qu’une fois par semaine à la police. L’intéressé saisit la cour d’appel de Linz, qui le débouta le 4 novembre 1987. Le procès Le 22 février 1988, le tribunal régional de Salzbourg fixa le procès aux 25 et 26 mai. A cette dernière date, il reconnut l’accusé coupable d’escroquerie qualifiée et lui infligea quatre ans et demi d’emprisonnement, la détention provisoire s’imputant de plein droit sur la peine. Le texte du jugement comprenait soixante-neuf pages. Par un arrêt du 23 février 1989, la cour d’appel de Linz réduisit la peine à quatre ans. Le tribunal régional de Salzbourg en suspendit l’exécution le 6 mai 1990. II. LE DROIT INTERNE APPLICABLE A. La détention provisoire L’article 180 paras. 1 et 2 du code de procédure pénale, dans sa version du 2 mars 1983, permet de placer une personne en détention provisoire - s’il existe des raisons sérieuses de la soupçonner d’avoir commis une infraction pénale - en cas de danger de fuite, de collusion ou de répétition d’infractions. Un risque de fuite ne peut se présumer si l’inculpé encourt une peine égale ou inférieure à cinq ans d’emprisonnement, s’il vit dans des conditions normales et s’il a une résidence permanente en Autriche, sauf s’il a déjà tenté de se soustraire à la justice (par. 3). D’après l’article 193, la détention ne peut durer plus de deux mois si elle ne repose que sur le danger de collusion, ni plus de six dans les autres hypothèses. La juridiction de deuxième instance peut cependant, si le juge d’instruction ou le ministère public l’y invitent et si la difficulté ou l’ampleur de l’enquête l’exigent, la prolonger jusqu’à un maximum de trois mois dans le premier cas et, dans le second, d’un an, ou même de deux si la peine encourue dépasse cinq ans (paras. 3 et 4). En la matière, elle siège à huis clos, en l’absence du détenu et de son avocat; elle donne au représentant du parquet général l’occasion de s’exprimer (par. 2). La détention fondée sur un motif autre que le seul danger de collusion échappe à toute limite de durée aussitôt ouverts les débats (par. 5). L’accusé peut à tout moment introduire une demande d’élargissement (article 194 par. 2). Selon les articles 194 et 195, pareille demande est examinée par la chambre du conseil du tribunal régional en audience non publique, en présence du prévenu ou de son avocat; devant la cour d’appel - saisie par le détenu ou le ministère public -, les débats se déroulent également à huis clos, en présence d’un magistrat du parquet général mais en l’absence de l’inculpé et de son avocat. A défaut d’une telle initiative de l’intéressé, la chambre du conseil contrôle d’office la détention quand celle-ci a duré deux mois ou lorsque trois mois se sont écoulés depuis la dernière audience et que le prévenu n’a pas d’avocat (article 194 par. 3). La mise définitive en accusation ou la fixation de la date d’ouverture du procès entraînent la suppression des audiences de contrôle; les décisions sur le maintien en détention incombent désormais à la chambre du conseil siégeant à huis clos (article 194 par. 4). La détention provisoire prend fin au plus tard au moment où le condamné commence à purger sa peine, sur la durée de laquelle elle s’impute de plein droit (article 38 du code pénal). B. Les substituts de la détention provisoire L’article 180 par. 4 du code de procédure pénale impose de ne pas prolonger la détention provisoire quand on peut en atteindre les buts par une ou plusieurs mesures plus clémentes. Les principales d’entre elles sont les suivantes (article 180 par. 5): engagement de ne pas s’enfuir et de ne pas se cacher, ni quitter sa résidence, sans l’autorisation du juge d’instruction; promesse de ne pas entraver l’enquête; obligation de résider dans un lieu déterminé ou d’éviter une localité donnée; interdiction de consommer des boissons alcoolisées; devoir de signaler ses changements de résidence; retrait temporaire du passeport ou du permis de conduire; cautionnement; désignation provisoire d’un agent de probation. L’article 190 ménage la possibilité d’une mise en liberté sous caution dans le cas d’une infraction punissable d’un emprisonnement égal ou inférieur à dix ans et si la détention provisoire a été ordonnée pour parer au danger de fuite. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 12 octobre 1985 à la Commission (no 11894/85), M. Toth formulait une série de griefs relatifs à son arrestation et à sa détention provisoire ainsi qu’à la durée de la procédure pénale et au comportement des autorités et juridictions autrichiennes. Le 8 mai 1989, la Commission a retenu la requête quant à la durée de la détention provisoire et à la procédure devant la cour d’appel de Linz. Dans son rapport du 3 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation des paragraphes 3 et 4 de l’article 5 (art. 5-3, art. 5-4). Le texte intégral de son avis, unanime, et de l’opinion concordante dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt.
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Tous trois de nationalité italienne et préposés des postes à Salerne, Mmes Anna et Maria Adiletta habitent dans cette ville et M. Aniello Agovino à Sarno. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 13-21 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous): "13. Le 23 juin 1974, les requérants reçurent un avis de poursuites (avviso di reato) par lequel ils apprirent qu'à la suite d'un rapport du 7 février 1974 du bureau d'inspection de la direction provinciale des postes et télécommunications de Salerne, ils faisaient l'objet de poursuites pour avoir signé les reçus de versement des pensions servies par l'Institut national de la prévoyance sociale, aux lieu et place des bénéficiaires, et pour ne pas avoir respecté les règlements relatifs aux procurations données à cette fin. Les poursuites concernaient également huit autres préposés des postes de Salerne. Une instruction fut ouverte par le parquet le 7 février 1974. Sur ordre du parquet du 13 février 1974 la police judiciaire procéda, le 24 avril 1974, à la saisie des reçus signés qui constituaient le corps du délit et à l'interrogatoire des prévenus et des témoins. Les requérants furent interrogés respectivement les 7, 25 et 26 novembre 1974. Le 18 décembre 1974, le rapport de la police judiciaire fut transmis au parquet. Le 18 janvier 1975, l'instruction fut confiée à un juge d'instruction. Le juge d'instruction procéda à l'interrogatoire des prévenus et des témoins les 21 janvier et 17 octobre 1980. Une expertise graphologique fut ensuite effectuée en un peu plus de deux mois. Par ailleurs, le 16 janvier 1981, le juge d'instruction renouvela au juge d'instance de Nocera Inferiore une commission rogatoire du 20 octobre 1980 afin qu'il interrogeât l'un des accusés qui, malade, n'avait pu comparaître devant lui. Le 29 avril 1981, les requérants furent renvoyés en jugement devant le tribunal de Salerne avec huit autres accusés. La décision de renvoi en jugement comporte trois pages. Lors de la première audience devant le tribunal de Salerne, fixée au 23 juillet 1981, l'affaire fut remise au rôle car la citation à comparaître concernant l'un des accusés, qui n'avait pas comparu, ne lui avait pas été notifiée. A l'audience suivante du 16 novembre 1981, l'examen de l'affaire fut reporté à la demande des défenseurs de l'un des requérants et de deux autres accusés. Il en alla de même à l'audience du 18 janvier 1982. Le 22 mars 1982, l'audience fut remise parce que certains des accusés étaient absents. Le 25 mai 1982, les défenseurs des accusés demandèrent la remise de l'audience afin d'interroger l'expert graphologue. Le 22 juin 1982, l'audience ne put avoir lieu car les magistrats de Salerne étaient réunis en assemblée. Le 25 octobre 1982, les défenseurs des accusés demandèrent une expertise graphologique collégiale. Le 30 novembre 1982, l'audience dut être remise car la composition du tribunal avait changé. Le 7 février 1983, l'audience dut être à nouveau remise car les experts désignés d'office n'avaient pas comparu. Le 7 mars 1983, le tribunal fixa le mandat des experts. L'expertise fut déposée le 15 avril 1983. Le 14 juin 1983, la défense demanda que d'autres actes d'instruction fussent diligentés. Le 15 novembre 1983, une nouvelle remise d'audience eut lieu avec l'accord des parties. Le 27 février 1984, l'affaire dut être remise au rôle car il était impossible de reconstituer le tribunal dans sa composition initiale du fait que le président avait été affecté à un autre poste. Le 24 septembre 1984, l'un des défenseurs des accusés excipa de la nullité de l'ordonnance de renvoi en jugement et le ministère public requit une inculpation pour 'faux' (falso ideologico). L'affaire fut renvoyée au juge d'instruction pour qu'il effectuât un supplément d'instruction. Les requérants et les autres accusés furent à nouveau renvoyés en jugement le 27 juin 1986. La décision de renvoi en jugement, qui concerne huit autres accusés, est longue de quatre pages. Le 16 septembre 1987, le tribunal de Salerne relaxa les requérants et les autres accusés vu l'absence de faits délictueux ('perché il fatto non sussiste'). Le jugement, manuscrit, comporte cinq pages. Le procureur de la République de Salerne et le procureur général près la cour d'appel de Salerne interjetèrent appel du jugement du tribunal, mais renoncèrent par la suite à poursuivre l'appel. Le jugement devint définitif le 23 novembre 1987." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leurs requêtes des 11 et 12 mars 1988 à la Commission (nos 13978/88, 14236/88 et 14237/88), Mmes Adiletta et M. Agovino se plaignaient de la durée de la procédure; ils invoquaient l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Après avoir prononcé la jonction des requêtes le 7 octobre 1988, la Commission les a retenues le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 197-E de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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Citoyen italien, M. Enrico Ferraro habite Rome. En application de l'article 31 § 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-21 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous) : "14. Le 3 février 1979, le requérant, qui était alors inspecteur au ministère des Transports, fut interrogé par la police dans le cadre d'une enquête sur des irrégularités qui auraient été commises dans les procédures d'essai et d'homologation de véhicules. A la suite de cet interrogatoire, le 7 février 1979, le requérant et de nombreuses autres personnes furent dénoncés au parquet. Le 8 février 1979, le parquet de Rome lança un mandat d'arrêt pour faux et corruption contre le requérant à qui il était reproché d'avoir faussement certifié avoir effectué le contrôle de certains véhicules en vue de leur homologation, et ce à la demande du dénommé M. qui, en contrepartie, lui aurait fourni des montres d'importation japonaises à écouler sur le marché italien. Le requérant fut arrêté à une date qui n'a pas été précisée et placé en détention jusqu'au 13 avril 1979, date à laquelle le juge d'instruction accueillit sa demande de mise en liberté provisoire. Le 8 mars 1979, le requérant fut suspendu de ses fonctions d'inspecteur principal au ministère des Transports, avec effet au 8 février 1979. Le requérant fut tout d'abord interrogé à deux reprises, les 12 et 26 février 1979, par le procureur de la République ; il fut ensuite interrogé le 6 mars 1979 par le juge d'instruction après que l'instruction eut été confiée à ce dernier, puis le 26 mars 1979. Le parquet de Rome prit ses réquisitions finales le 31 décembre 1981. Le requérant fut renvoyé en jugement le 21 juillet 1982. La première audience devant le tribunal de Rome, qui avait été fixée au 2 mai 1983, fut reportée au 31 janvier 1984, à cause d'irrégularités dans les notifications. Cette deuxième audience fut reportée au 7 février 1984, en raison du caractère 'précaire' de la composition du tribunal (l'un des magistrats composant la chambre avait obtenu une mutation). Le procès ne commença qu'à l'audience du 7 février 1984. L'audience suivante, fixée au 28 mai 1984, fut cependant reportée au 3 décembre 1984. En effet, le tribunal avait appris qu'un renvoi en jugement allait être bientôt prononcé dans une deuxième procédure, qui avait été engagée contre le requérant et d'autres personnes pour des faits analogues, et avait estimé qu'il était opportun de traiter conjointement les deux affaires. Cette deuxième procédure avait commencé à la suite d'un rapport de police du 12 avril 1980 et concernait les procédures d'essai de véhicules importés en Italie par la société V. L'instruction sur cette affaire était conduite par le même juge d'instruction à qui avait été confiée l'instruction de la première affaire. Ce magistrat interrogea le requérant sur les nouveaux chefs d'inculpation le 5 juin 1980. Le 23 février 1984, le parquet prit ses réquisitions finales et le renvoi en jugement fut décidé le 28 octobre 1984. Toutefois, à l'audience du 3 décembre 1984, qui avait été fixée en vue de la jonction des deux affaires, l'audience dut être ajournée sine die car le tribunal n'avait pas encore reçu le dossier concernant la deuxième affaire. Une audience fut fixée au 22 avril 1987. A cette date, le tribunal ordonna la jonction des procédures et, à la demande des avocats des accusés, l'examen de l'affaire fut reporté au 13 mai 1987. Le 13 mai 1987 le tribunal estima, vu la complexité de l'affaire, qu'il était opportun d'en reporter l'examen à l'audience du 22 mai 1987. Le procès se déroula les 22 mai, 27 mai et 3 juin 1987. A cette dernière audience, le tribunal rendit son jugement par lequel il relaxa purement et simplement le requérant. Dans les motifs de son jugement, le tribunal releva entre autres choses que la complexité technique et juridique des procédures d'essai de véhicules avait été à l'origine de nombreux malentendus au courant de l'instruction. Le jugement [fut] déposé au greffe le 17 juin 1987 (...). [La] suspension [du requérant] de la fonction publique ne fut révoquée que le 17 septembre 1987, suite à sa relaxe." Le jugement devint définitif à l'égard du requérant le 3 juillet 1987, date d'expiration du délai ouvert au parquet général pour interjeter appel (article 199 du code de procédure pénale). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 26 novembre 1987 à la Commission (n° 13440/87), M. Ferraro alléguait que sa détention provisoire n'avait pas été régulière (article 5 § 1 de la Convention) (art. 5-1) avait pas bénéficié d'un recours effectif (article 5 § 4) (art. 5-4). Il se plaignait aussi de la méconnaissance du principe de la présomption d'innocence (article 6 § 2) (art. 6-2), du caractère inéquitable de son procès et de la durée des poursuites (article 6 § 1) (art. 6-1). Le 5 septembre 1989, la Commission a retenu la requête quant à ce dernier grief ; le 7 octobre 1988, elle l'avait déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 § 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 197-A de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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Citoyen allemand né en 1926, M. Walter Stocké était propriétaire d'une entreprise de construction qui fit faillite en 1975. Soupçonné de fraude à la loi fiscale, il fut incarcéré, du 26 mars au 9 juillet 1976, en exécution d'un mandat (Haftbefehl) décerné par le tribunal d'instance (Amtsgericht) de Ludwigshafen. En novembre 1977, le tribunal ordonna la réincarcération de l'intéressé qui n'avait pas respecté les conditions de sa mise en liberté provisoire. Afin d'éviter l'arrestation, ce dernier s'enfuit en Suisse, puis à Strasbourg. En novembre 1977 fut délivré contre lui un mandat international de recherche. En 1978, M. Köster, un indicateur de la police judiciaire de Rhénanie-Palatinat, proposa au policier Hoff son concours pour retrouver M. Stocké et demanda à rencontrer le procureur compétent ; il se prétendait en mesure de prendre contact avec le requérant par l'intermédiaire d'un ancien collègue, M. Werner. M. Hoff en informa le policier Rittmeier, chargé de l'enquête contre le requérant, et son supérieur, M. Reuber, chef de la section des enquêtes générales de la police judiciaire de Rhénanie-Palatinat. A. La réunion au parquet de Kaiserslautern La réunion, qui dura une demi-heure environ, eut lieu à l'automne 1978 au bureau du procureur Wilhelm, chef de la section des délits économiques du parquet de Kaiserslautern. Auparavant, celui-ci s'était renseigné auprès du procureur Stepper, du parquet de Frankenthal, au sujet de la personne de M. Köster, lui-même poursuivi au pénal. Participèrent à la rencontre le procureur Henrich, chargé de l'instruction contre M. Stocké, les policiers Reuber et Rittmeier ainsi que M. Köster. Ce dernier réitéra sa proposition antérieure (paragraphe 10 ci-dessus) : il signala l'existence d'un projet de construction en Espagne, auquel pourrait s'intéresser le requérant, et un plan visant à faire expulser celui-ci du Luxembourg. Selon le procureur Wilhelm, M. Köster essaya d'emblée de savoir si les services ainsi rendus seraient récompensés ; le procureur lui répondit que le parquet ne disposait pas des fonds nécessaires pour rétribuer l'aide des particuliers pour la recherche de délinquants, mais que son concours pourrait entrer en ligne de compte, à titre de circonstance atténuante, lors de son propre procès ; il souligna cependant que toute action devrait être licite et destinée soit à découvrir l'adresse de l'intéressé à l'étranger, aux fins d'une procédure d'extradition, soit à l'inciter à retourner en République fédérale d'Allemagne de son plein gré (paragraphe 97 du rapport de la Commission). B. La tentative de faire expulser le requérant du Luxembourg Lors d'une réunion tenue dans un hôtel de Francfort, M. Köster présenta le policier Hoff à M. Werner comme une personne intéressée à investir dans le projet de construction en Espagne (paragraphe 11 ci-dessus). Toutefois, les participants décidèrent de se rencontrer derechef au Luxembourg car M. Hoff souhaitait poursuivre les discussions en présence de M. Stocké lui-même. La police judiciaire se renseigna auprès de la police luxembourgeoise sur la possibilité, pour celle-ci, d'arrêter le requérant au motif qu'il avait commis des infractions pénales au Grand-Duché et de l'expulser vers la République fédérale d'Allemagne. La direction de la police luxembourgeoise, auprès de laquelle M. Hoff s'était rendu dans ce but, l'informa que le droit en vigueur permettait à l'intéressé d'exiger son transfert à la frontière française ; elle ajouta que sans un mandat d'arrêt international, aucune action ne pouvait être engagée contre M. Stocké. Renonçant alors à se rendre à la réunion projetée (paragraphe 12 ci-dessus), M. Hoff entra en contact avec le requérant et prétendit avoir subi un accident de la circulation en République fédérale d'Allemagne. Il lui proposa, sans succès, de le rencontrer à Trèves. Le policier Reuber avisa le parquet de Kaiserslautern de l'échec du "plan de Luxembourg". C. L'arrestation du requérant à l'aéroport de Sarrebruck A l'initiative de M. Köster, les négociations devaient reprendre dans un hôtel de Strasbourg le 7 novembre 1978 (paragraphe 12 ci-dessus). Entre temps, le parquet de Kaiserslautern avait renouvelé le mandat international de recherche (paragraphe 9 ci-dessus) aux fins d'une demande d'extradition à adresser à la France. Le matin du 7 novembre 1978, M. Köster téléphona au policier K. Ebeling, de la police de Schifferstadt, pour le prier d'annoncer aux policiers Klemp et Höffel l'arrivée probable de M. Stocké, vers la fin de l'après-midi, à l'aéroport de Sarrebruck. Là-dessus, le chef de la direction de la police de Ludwigshafen ordonna aux trois policiers d'aller à Sarrebruck et de solliciter le concours de la police locale. Assistés des membres de la brigade d'intervention de la police de Sarrebruck, ils attendirent le requérant à l'aéroport. Le même jour, M. Köster, accompagné de M. Werner, rencontra, comme prévu, M. Stocké à Strasbourg (paragraphe 15 ci-dessus) ; il lui affirma que les autres personnes intéressées n'avaient pu venir mais les attendaient au Luxembourg et qu'il avait loué un avion pour les conduire auprès d'elles. Avant le départ, il invita en secret M. Marzina, l'un des deux pilotes, à faire escale à Sarrebruck. A 19h50, l'avion se posa à l'aéroport de Sarrebruck-Ensheim. Les pilotes avaient auparavant signalé un givrage du moteur et alerté les services de contrôle du trafic aérien de l'aéroport ; après l'atterrissage, ils ne sollicitèrent cependant aucune aide technique. Le requérant fut aussitôt arrêté et placé en détention préventive ; le mandat décerné contre lui en 1976 demeurait valable (paragraphe 9 ci-dessus). Le lendemain 8 novembre 1978, le policier Reuber en informa le procureur Wilhelm. Enfin, la direction de police de Ludwigshafen versa à M. Köster 500 DM puis, le 16 mars 1979, 500 DM au titre du remboursement de ses frais, en particulier pour l'affrètement de l'avion. D. Plaintes du requérant pour privation illégale de liberté Le 15 mai 1979, M. Stocké porta plainte contre M. Köster et contre "inconnu" pour privation illégale de liberté. Le parquet de Deux-Ponts (Zweibrücken) ouvrit une enquête contre "Köster et autres" et engagea des procédures disciplinaires contre M. Schnarr, directeur du parquet de Kaiserslautern, contre les procureurs Wilhelm et Henrich ainsi que contre les policiers mêlés à l'arrestation du requérant. Par déclaration officielle de septembre 1979, chacun des trois procureurs affirma n'avoir appris ladite arrestation que le 8 novembre 1978. Dans une note de juin 1979, le policier Adam, chef de la brigade d'intervention spéciale au commissariat de Sarrebruck, révéla que le procureur Henrich avait lancé des directives quant aux mesures de police à prendre en Sarre. Toutefois, le 24 septembre 1979, le parquet, estimant que M. Stocké avait été arrêté en vertu d'un mandat délivré conformément à l'article 112 du code de procédure pénale, décida de clore l'enquête ; selon lui, les faits dénoncés par l'intéressé ne constituaient pas une privation illégale de liberté au sens de l'article 239 du code pénal allemand. En même temps cessèrent les poursuites disciplinaires contre les trois procureurs. Le 7 octobre 1979, le requérant porta de nouveau plainte contre "inconnu" pour enlèvement ; il accusait le ministère public et M. Köster de collusion. En octobre et novembre 1979, les procureurs Schnarr, Wilhelm et Henrich réitérèrent leurs affirmations antérieures (paragraphe 21 ci-dessus). Quant aux policiers Lesmeister, Antes et Biesel, qui avaient participé à l'arrestation, ils déclarèrent que la police de Ludwigshafen avait demandé leur assistance dans la matinée du 7 novembre (paragraphe 17 ci-dessus) et que le policier Klemp avait précisé agir avec l'accord du parquet compétent. Le 5 février 1980, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Deux-Ponts, saisie du recours de M. Stocké contre la décision du 24 septembre 1979 (paragraphe 21 ci-dessus), prescrivit la reprise de l'enquête. En août 1980, les policiers Klemp, Höffel et K. Ebeling refusèrent de témoigner, au motif qu'ils risquaient de s'incriminer eux-mêmes (article 55 du code de procédure pénale) ; le policier Höffel invoqua en outre son obligation de réserve, les questions posées portant sur des aspects précis de stratégie policière. Le 15 novembre 1980, le requérant déposa une plainte contre les policiers Reuber, Klemp, Höffel et K. Ebeling pour privation illégale de liberté. En février et en mars 1981, ils refusèrent de témoigner. Le 23 septembre 1981, le directeur du parquet de Deux-Ponts rejeta une nouvelle plainte de l'intéressé contre certains procureurs et policiers mêlés à son retour de France. Le 10 novembre 1982, le parquet inculpa les pilotes Marzina et M. Ebeling, ainsi que les policiers Klemp, Höffel et K. Ebeling, de complicité de privation illégale de liberté. Le 26 juillet 1983, le tribunal régional (Landgericht) de Frankenthal décida cependant de ne pas ouvrir la procédure au principal, faute de raisons suffisantes de les soupçonner. Le parquet et M. Stocké formèrent des recours que la cour d'appel de Deux-Ponts repoussa le 6 avril 1984. D'après elle, les deux pilotes devaient être mis hors de cause car l'on ne pouvait réfuter leur version selon laquelle ils avaient tout ignoré du plan de M. Köster. En particulier, l'inculpation de M. Marzina s'appuyait sur les déclarations de M. Kummer (lui-même indicateur de police), qui prétendait avoir été présent au moment où M. Köster avait prié les deux pilotes de simuler un atterrissage forcé à Sarrebruck. Or elles manquaient de crédibilité pour des raisons tant objectives - apparentes contradictions et erreurs - que subjectives - rancoeur contre M. Köster et les officiers de police qui ne ménageaient pas leurs efforts pour le tirer d'affaire. En outre, le témoignage de M. Marzina, selon lequel l'atterrissage s'imposait en raison d'une défaillance technique, ne pouvait être contesté ; M. Werner avait lui-même entendu le moteur tousser. Quoi qu'il en fût, le pilote aurait de toute manière accepté de se poser à Sarrebruck puisque M. Köster, l'un de ses clients habituels, le lui avait demandé ; de plus, il ne pouvait se douter des arrière-pensées de ce dernier. Enfin, le requérant n'avait soulevé aucune objection lorsque le pilote l'informa qu'ils allaient survoler une petite partie du territoire allemand. Quant aux trois policiers, la cour d'appel releva qu'aucun comportement répréhensible ne résultait de leur simple connaissance de l'arrivée du requérant, ni de l'action qu'ils avaient menée pour l'appréhender ; leur complicité avec M. Köster se trouverait établie seulement s'ils avaient su que M. Stocké avait été conduit à Sarrebruck contre son gré et y avaient souscrit. La Cour souligna de nouveau le caractère vague et contradictoire des accusations portées contre eux par M. Kummer et n'ajouta pas foi aux déclarations d'autres témoins, au motif qu'elles reposaient sur ce qu'ils avaient ultérieurement entendu de M. Köster qui se vantait outre mesure de sa collaboration avec la police. Enfin, le fait que MM. Köster, Werner, Klemp, Höffel et Marzina avaient "sablé le champagne" après l'arrestation de M. Stocké, ne suffisait pas à établir que les officiers de police en eussent été avertis au préalable. Entre-temps, les poursuites engagées contre M. Köster se trouvèrent suspendues car il avait pris la fuite. Arrêté en Autriche en avril 1982, il fut extradé en République fédérale d'Allemagne du chef d'autres infractions, et non pour privation illégale de liberté : les autorités autrichiennes avaient estimé que M. Stocké avait été appréhendé en vertu d'un mandat valide et que, partant, sa détention n'était pas illégale au regard du droit autrichien. Par deux lettres adressées au policier Klemp et au procureur Wilhelm, en avril et novembre 1982 respectivement, M. Köster demanda leur assistance ; il invoqua les services rendus par lui en qualité d'indicateur de police, notamment dans l'affaire du requérant. Il précisa que l'opération avait été montée par le parquet de Kaiserslautern et la police judiciaire de Rhénanie-Palatinat, qui lui avait même indiqué le moment approprié pour agir. Dans sa première lettre, il nia avoir demandé aux pilotes de faire escale à Sarrebruck et en avoir informé les autorités, mais il se rétracta dans la seconde. Elargi en juillet 1983 sous la condition de ne pas quitter le pays, M. Köster s'enfuit à l'étranger. Il retourna en Allemagne en octobre 1987, à l'insu de la police, et fut arrêté en février 1988 pour diffusion de fausse monnaie. Le 14 novembre 1988, le tribunal régional de Frankenthal lui infligea quatre ans et six mois d'emprisonnement pour faux puis, le 16 mars 1989, huit ans pour escroquerie, mais il confondit ces deux peines en une peine globale (Gesamtstrafe) de neuf ans. E. Poursuites menées contre le requérant La procédure devant le tribunal régional de Kaiserslautern Le procès commença le 25 octobre 1979 devant le tribunal régional de Kaiserslautern. Le 17 mars 1981, le tribunal prescrivit la prolongation de la détention de M. Stocké. Celui-ci s'en plaignit à la cour d'appel de Deux-Ponts qui rejeta son recours le 16 avril 1981. Il saisit alors la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) qui, statuant en comité de trois juges, décida, le 26 août 1981, de ne pas retenir le recours parce que dénué de chances suffisantes de succès. Le 4 février 1982, le tribunal régional jugea l'intéressé coupable d'escroquerie dans deux affaires (et d'incitation à abus de confiance dans l'une d'elles) ainsi que d'évasion fiscale et de violation de l'obligation de tenir une comptabilité dans trois autres ; il le condamna à six ans d'emprisonnement. Longue de 399 pages, la décision estimait non établi que le parquet de Kaiserslautern eût encouragé le prétendu enlèvement de M. Stocké ou en eût pris connaissance au préalable : les déclarations officielles, catégoriques, des procureurs compétents sur ce point ne pouvaient être révoquées en doute. Il ne s'imposait donc pas de recueillir d'autres preuves à cet égard car ni l'enlèvement ni la violation alléguée du traité franco-allemand d'extradition en résultant ne pouvaient empêcher de poursuivre le requérant. L'arrestation de ce dernier sur le territoire allemand, en vertu d'un mandat valide et légal, ne se trouvait pas entachée d'illégalité et ne se heurtait pas au droit international même si les autorités de police avaient eu vent de cet "enlèvement privé" (private Entführung). A supposer que M. Köster eût agi à l'instigation et avec le concours de la police, M. Stocké demeurait justiciable des tribunaux allemands. Il ne pourrait pas non plus exciper de la méconnaissance du traité franco-allemand d'extradition, lequel ne créait de droits et d'obligations qu'entre les Etats contractants ; sa violation ne pouvait se répercuter que sur les relations mutuelles de ceux-ci et ne profitait pas à l'individu concerné. Le tribunal ajouta que l'article 25 de la Loi fondamentale (primauté des règles générales du droit international sur les lois fédérales) ne constituait pas non plus un obstacle aux poursuites en cours. Il appartenait à l'Etat lésé de se prévaloir de son droit de réclamer la remise de la personne enlevée. Or le gouvernement français ne l'avait pas fait. Au contraire, le parquet de Strasbourg, par une lettre du 30 octobre 1980, avait informé le procureur général de Kaiserslautern qu'il avait classé la plainte du requérant pour privation illégale de liberté car aucune infraction n'avait été commise sur le territoire français. Les vérifications opérées par lui, avait-il précisé, montraient que l'intéressé s'était embarqué dans l'avion de son plein gré. La procédure devant la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) Le requérant se pourvut en cassation devant la Cour fédérale de Justice. Entendu à la demande de celle-ci, le 25 juillet 1984, par la police de Mannheim, M. Kummer (paragraphe 27 ci-dessus) relata ses entretiens avec M. Köster, au cours desquels ce dernier lui avait révélé ses rencontres avec des policiers afin de ourdir un plan visant à ramener l'intéressé en République fédérale d'Allemagne par une supercherie ; en particulier, le procureur Stepper avait approuvé ledit plan, dont M. Köster avait fêté la réussite avec les policiers en cause dans un hôtel de Mannheim. Le 2 août 1984, la Cour fédérale rejeta le pourvoi et confirma le jugement du tribunal régional de Kaiserslautern, dont elle reprit pour l'essentiel les motifs. Elle souligna que l'accusé, citoyen allemand, relevait de la compétence des tribunaux allemands et n'appartenait pas à une catégorie de personnes pouvant exciper d'une cause personnelle d'immunité. La procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale Le 17 juillet 1985, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, repoussa comme dénué de chances de succès le recours de M. Stocké contre le jugement du 4 février 1982 et l'arrêt du 2 août 1984 (paragraphes 33 et 36 ci-dessus). D'après elle, aucune règle de droit international n'empêchait les juridictions d'un Etat de poursuivre une personne amenée devant elles en violation de la souveraineté territoriale d'un autre Etat ou d'un traité d'extradition. Il ressortait de la jurisprudence américaine, israélienne, française et britannique qu'un tribunal ne déclinait en pareille hypothèse sa compétence que si l'autre Etat avait protesté et réclamé la restitution de l'intéressé. L'existence de quelques décisions ayant prononcé l'abandon des poursuites ne suffisait pas à établir une véritable pratique en ce sens. La Cour constitutionnelle ajouta notamment que le requérant, alors qu'il résidait en France, ne se trouvait pas à l'abri de poursuites en République fédérale d'Allemagne ; le fait qu'il était accusé pour l'essentiel d'infractions fiscales n'excluait point son extradition. L'intéressé purgea le reliquat des deux tiers de sa peine du 10 juin au 6 décembre 1985 et fut libéré sous condition pour le restant. F. L'évolution des poursuites contre M. Köster pour privation illégale de liberté Le 9 décembre 1986, le procureur général de Deux-Ponts invita le procureur Stepper à présenter ses observations au sujet de sa participation aux poursuites ayant mené à l'arrestation de M. Stocké, ainsi qu'au sujet du témoignage de M. Kummer (paragraphe 35 ci-dessus). Dans une déclaration officielle du 7 août 1987, le procureur Wilhelm, en réponse aux allégations figurant dans la seconde lettre de M. Köster (paragraphe 29 ci-dessus), relata les discussions qui avaient eu lieu dans son bureau en 1978 (paragraphe 11 ci-dessus) ; il prétendit avoir signalé à M. Köster que le parquet ne pouvait lui donner aucune instruction quant au plan visant à l'expulsion du requérant hors du Luxembourg et souligna que son interlocuteur était demeuré libre de décider s'il entendait inciter l'intéressé à retourner en République fédérale d'Allemagne. Le 23 mars 1988, le parquet de Frankenthal inculpa M. Köster de privation illégale de liberté et en informa M. Stocké. Le 2 avril 1989, le tribunal régional de Frankenthal rejeta la demande du ministère public tendant à ouvrir le procès sur le chef d'accusation retenu : se référant à l'arrêt de la cour d'appel de Deux-Ponts du 6 avril 1984 (paragraphe 27 ci-dessus), il estima que les résultats de l'instruction ne permettaient pas de conclure à la culpabilité de M. Köster. Sur recours du parquet et du requérant, qui s'était constitué partie civile, la Cour d'appel de Deux-Ponts cassa cette décision le 15 novembre 1989 et ordonna l'ouverture du procès devant la troisième chambre criminelle du tribunal régional de Frankenthal conformément aux termes de l'acte d'accusation. D'après elle, il existait assez d'indices pour estimer que M. Köster avait commis l'infraction qui lui était reprochée. Elle ajouta que l'appréciation provisoire des éléments de preuve rassemblés laissait présager une condamnation ; selon beaucoup des vingt et quelques témoins entendus, il avait manoeuvré pour faire atterrir l'avion à Sarrebruck. Quant aux policiers mis en cause, la Cour releva que leur refus de témoigner ne pouvait plus se justifier car toute action pour complicité de privation illégale de liberté se trouvait prescrite (article 78 du code pénal). Par une lettre du 18 juillet 1990, le parquet de Frankenthal a invité le président de la troisième chambre criminelle à constater la prescription des poursuites, non sans préciser que sans cela M. Köster eût sans nul doute été condamné. Le tribunal régional de Frankenthal a fait droit à cette demande par une décision du 28 août 1990 que la cour d'appel de Deux-Ponts, sur recours du requérant, a confirmée le 26 octobre 1990. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 20 septembre 1985 à la Commission (n° 11755/85), M. Stocké invoquait l'article 5 § 1 (art. 5-1) de la Convention : à ses yeux, les circonstances de son arrestation rendaient celle-ci irrégulière de même que sa détention provisoire et sa détention après condamnation. Il affirmait en outre qu'elles l'avaient privé d'un procès équitable au regard de l'article 6 § 1 (art. 6-1). Après avoir examiné de nombreux témoignages, relatifs aux événements litigieux et recueillis tant au long des procédures nationales que devant elle, la Commission a retenu la requête le 9 juillet 1989. Dans son rapport du 12 octobre 1989 (article 31) (art. 31), elle exprime, par douze voix contre une, l'opinion qu'il n'y a pas eu infraction aux articles 5 § 1 et 6 § 1 (art. 5-1, art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 199 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR A l'audience du 23 octobre 1990, le Gouvernement a prié la Cour de "constater que la République fédérale d'Allemagne n'a pas violé la Convention en l'espèce".
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Citoyen italien, M. Antonio Colacioppo habite Ascoli Piceno où il dirige l'Institut national de la prévoyance sociale. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-27 de son rapport - paragraphe 11 ci-dessous): "14. Le 1er septembre 1977, le requérant reçut une communication judiciaire du parquet d'Ascoli Piceno, l'informant qu'il faisait l'objet d'une information pour le délit de 'concussion' (concussione, article 317 du code pénal, 'CP') avec la circonstance aggravante de la continuation (article 81 du CP). Les poursuites se fondaient sur les conclusions d'un rapport de police du 30 août 1977, établi à la suite de plaintes déposées par les dames F. et T. qui affirmaient que le requérant, en sa qualité de responsable de l'organisation d'un cours de formation professionnelle subventionné par l'Etat, leur avait versé une rémunération inférieure à celle à laquelle elles avaient droit, tout en leur faisant signer des quittances pour des sommes nettement supérieures aux sommes réellement perçues. Le 28 novembre 1977, le parquet émit contre le requérant un mandat d'arrêt qui fut exécuté le jour même. Le requérant fut interrogé sur les faits qui lui étaient reprochés à une date qui n'est pas connue. Le 23 décembre 1977, le parquet transmit les actes au juge d'instruction pour qu'il procédât en l'espèce selon la procédure formelle. Le 24 décembre 1977, le juge d'instruction déposa ses conclusions et le ministère public prit ses réquisitions le 11 janvier 1978. Le requérant fut remis en liberté le 20 janvier 1978 en exécution d'une ordonnance du 13 janvier 1978 de la cour d'appel d'Ancône, statuant sur le recours qu'il avait présenté contre le refus du juge d'instruction de faire droit à sa demande de mise en liberté provisoire. Le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal d'Ascoli Piceno, par décision du 10 mars 1978 du juge d'instruction d'Ascoli Piceno, pour les délits de concussion (article 317 CP) et de malversation au détriment de particuliers (article 315 CP). Le requérant fut cité à comparaître à l'audience du 15 juin 1983 du tribunal d'Ascoli Piceno, par décision du 9 février 1983. Une seconde audience aurait dû avoir lieu le 30 novembre 1983, mais l'avocat du requérant demanda et obtint qu'elle fût remise. Quoi qu'il en soit, le 23 décembre 1983 le requérant demanda à la Cour de cassation de renvoyer l'affaire devant un autre tribunal. Il fit valoir que la manière dont étaient conduits ce procès et d'autres procédures connexes dans lesquelles il était soit accusé soit partie civile, ainsi que ses mauvaises relations avec un magistrat du parquet, pouvaient raisonnablement laisser supposer que le tribunal d'Ascoli Piceno manquait de la sérénité nécessaire pour traiter de son affaire en toute impartialité. Par arrêt du 24 février 1984, déposé au greffe le 10 avril 1984, la Cour de cassation rejeta cette demande. Par ailleurs, lors de l'audience du 11 avril 1984 la défense souleva diverses exceptions de nullité de la décision de renvoi en jugement et de la citation à comparaître, qui toutes furent rejetées par ordonnance du 11 avril 1984. Le tribunal d'Ascoli Piceno tint également audience les 18 avril et 4 juin 1984. Par jugement du 4 juin 1984, déposé au greffe le 30 juin 1984, le requérant, reconnu coupable de péculat (peculato) avec la circonstance aggravante de la continuation, fut condamné à deux ans et un mois d'emprisonnement et à 300 000 lires d'amende ainsi qu'à l'interdiction temporaire de toute charge publique pour une durée égale à la peine de prison qui lui avait été infligée. Le requérant interjeta appel du jugement. Par arrêt du 9 avril 1985 (déposé au greffe le 18 mai 1985), la cour d'appel d'Ancône acquitta le requérant au bénéfice du doute après avoir tenu deux audiences les 19 février et 9 avril 1985. L'arrêt fit l'objet d'un pourvoi en cassation du ministère public et de l'accusé. Le ministère public estimait que l'acquittement au bénéfice du doute n'était pas motivé. Le requérant fit valoir, quant à lui, que sur la base des preuves et témoignages recueillis il aurait dû être acquitté pour n'avoir pas commis les faits, en tout cas au motif que les jugements au fond auraient dû être annulés parce qu'il avait été jugé pour des faits autres que ceux pour lesquels il avait été renvoyé en jugement. Par arrêt du 10 avril 1986, déposé à son greffe le 25 août 1986, la Cour de cassation accueillit partiellement le pourvoi du requérant; elle annula en conséquence le jugement du tribunal d'Ascoli Piceno et l'arrêt de la cour d'appel. Elle ordonna la remise du dossier au parquet d'Ascoli Piceno pour les suites à donner à la procédure. Le requérant demanda alors que l'affaire fût renvoyée devant un autre tribunal, pour cause de suspicion légitime à l'encontre des autorités judiciaires d'Ascoli Piceno (article 55 du code de procédure pénale). Par ordonnance du 9 décembre 1986, la Cour de cassation fit droit à sa demande et renvoya l'affaire devant les autorités judiciaires de Pérouse. Le 12 novembre 1987, le juge d'instruction de Pérouse, faisant application d'une loi d'amnistie entre temps votée par le Parlement, prononça un non-lieu pour les motifs suivants: 'En l'espèce on ne saurait retenir l'hypothèse de péculat mais celle d'escroquerie avec une circonstance aggravante qui, bien que permettant d'engager des poursuites d'office, ne soustrait pas l'infraction à la dernière loi d'amnistie. L'extinction du délit pour amnistie fait obstacle à un approfondissement ultérieur du bien-fondé des poursuites; il n'est pas possible par ailleurs d'émettre l'un des prononcés prévus à l'article 152 du code de procédure pénale puisqu'il n'existe pas en l'espèce de preuves qui font apparaître à l'évidence que les faits n'existent pas, que l'accusé ne les a pas commis ou qu'ils ne sont pas punis par la loi (...)'." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 11 février 1987 à la Commission (n° 13593/88), M. Colacioppo s'en prenait à son arrestation et à son maintien en détention. Il se plaignait aussi de la durée de la procédure, invoquant l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu ce dernier grief le 5 septembre 1989; le 7 octobre 1988, elle avait déclaré la requête irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 197-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Citoyen italien, M. Vincenzo Pugliese réside à Rome où il exerce la profession de journaliste. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-24 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous) : "14. Dans le cadre de la réalisation d'un complexe touristique, la société S. s'était engagée envers la commune de Cittàreale à construire dans cette même localité un remonte-pente. Pour les besoins de cette construction, la commune avait constitué au profit de ladite société une servitude de passage sur les terrains communaux. La société avait procédé quant à elle à l'achat de ceux des terrains qui appartenaient à des particuliers. Puis la société S. avait effectué le bornage et avait entreposé sur les terrains des matériaux de construction. Toutefois, à une date qui n'a pas été précisée, le conseil communal dénonça les accords conclus avec la société S. par délibération n° 81 de 1980 et confia à la société SOGELAI, dont le requérant était l'administrateur unique, le soin de réaliser la construction du remonte-pente. Cette dernière société procéda au bornage des terrains, et après avoir en vain mis en demeure la société S. de débarrasser les terrains des matériaux qu'elle y avait entreposés, y procéda elle-même au début du mois de septembre 1981. Le 17 septembre 1981, la société S. déposa plainte contre les auteurs du bornage et de l'enlèvement des matériaux pour avoir envahi arbitrairement des terrains lui appartenant (article 633 du code pénal). Le 27 avril 1982, le juge d'instance ('pretore') de Borbona envoya au requérant une communication judiciaire l'informant que des poursuites pénales étaient en cours pour les faits ci-dessus. Cette communication judiciaire ne put être notifiée au requérant à l'adresse qu'il avait indiquée. Le Gouvernement a affirmé à cet égard que tout au long de l'instruction de l'affaire il fut impossible de joindre le requérant à l'adresse qu'il avait indiquée. Un rapport du 9 novembre 1982, adressé au juge d'instance de Borbona par la police du ressort du domicile déclaré par le requérant, indique que 'la personne susmentionnée, bien que se révélant avoir son domicile à Rome, via di Porta Cavalleggeri n° 13, est en fait introuvable. Il ressort des vérifications faites sur place que cette personne garde cette adresse pour y recevoir la correspondance, mais il n'a pas été possible de connaître son domicile actuel'. Après avoir vérifié que le requérant n'était pas détenu pour d'autres causes, le juge de Borbona le déclara 'introuvable'. En conséquence, il désigna au requérant un avocat d'office. Les actes de la procédure, notamment le mandat de comparution du 4 décembre 1982, furent notifiés au requérant par dépôt au greffe. Le requérant a fait valoir, quant à lui, qu'il a toujours eu son domicile à l'adresse indiquée et qu'après avoir pris connaissance du rapport de police du 9 novembre 1982, il avait porté plainte contre le signataire pour avoir faussement déclaré avoir effectué des vérifications sur les lieux. Dans ses observations du 24 novembre 1989, le Gouvernement a indiqué que cette plainte avait été classée après vérification par le parquet, que, contrairement à ses déclarations, le requérant n'avait pas son domicile réel à l'adresse indiquée, utilisée seulement pour la réception de la correspondance, et que c'était donc à juste titre que l'huissier de justice n'avait pas effectué la notification à cette adresse. Le 19 février 1983, le requérant fut cité à comparaître à l'audience du 16 avril 1983. Lors de l'audience le requérant, assisté de deux avocats, fut interrogé ainsi que les autres accusés et le plaignant. Puis l'audience fut suspendue et une nouvelle audience fut fixée au 2 juillet 1983. Lors de l'audience du 2 juillet 1983, à laquelle le requérant était présent, l'un des défenseurs des accusés souleva une exception de nullité de l'audience précédente au motif que l'avocat X, qui avait fait fonction de ministère public, n'avait pas les qualités requises pour exercer cette fonction. L'audience fut par conséquent annulée et l'affaire renvoyée à nouveau. L'audience suivante eut lieu le 3 mars 1984. Une citation fut ensuite envoyée au requérant pour le 12 avril 1984. Au cours de l'audience tenue à cette date le juge entendit les accusés et divers témoins, puis il fixa pour la suite du procès la date du 2 juin 1984. A l'issue de l'audience, le juge ordonna un supplément d'instruction. Il apparut en effet nécessaire d'établir qui était le propriétaire des terrains qui avaient été abusivement envahis. Un expert fut désigné le 7 juin 1984. Ce dernier, ne pouvant effectuer l'expertise dans les brefs délais qui lui avaient été impartis, dut être remplacé. Un second expert fut désigné et il déposa son rapport d'expertise le 30 janvier 1985. D'autres audiences eurent lieu par la suite à des dates qui n'ont pas été précisées. Le 5 octobre 1985, le juge d'instance condamna le requérant au paiement d'une amende de 800 000 lires et au versement de dommages et intérêts à liquider séparément. Le jugement fut déposé au greffe le 19 octobre 1985. Le requérant en releva appel le jour même. Il déposa son mémoire le 14 février 1986. Le 10 juillet 1987, le tribunal de Rieti prononça l'amnistie par application du décret n° 865 du président de la République, du 16 décembre 1986. Le requérant a fait valoir qu'à deux reprises, les 29 juin 1985 et 20 septembre 1985, il avait demandé au juge d'instance à pouvoir se défendre personnellement dans la procédure, en invoquant l'article 6 par. 3 c) (art. 6-3-c) de la Convention. Le juge aurait omis de se prononcer. Le 21 septembre 1985, il avait également demandé l'audition de trois témoins, demande sur laquelle le juge aurait également omis de se prononcer." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 14 octobre 1985 à la Commission (n° 11840/85), M. Pugliese invoquait l'article 6 paras. 1 et 3 c) et d) (art. 6-1, art. 6-3-c, art. 6-3-d) de la Convention. Il se plaignait de n'avoir pu se défendre en personne, de la non-audition de trois témoins à décharge et, enfin, de la durée de la procédure. Le 5 septembre 1989, la Commission a retenu la requête quant à ce dernier grief ; le 3 mai 1988, elle l'avait déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 195-C de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Journaliste autrichien résidant à Vienne, M. Oberschlick était à l’époque des faits rédacteur en chef de la revue Forum. A. Le contexte de l’affaire Le 29 mars 1983, pendant la campagne pour les élections parlementaires, une émission de télévision relata certaines déclarations de M. Walter Grabher-Meyer, alors secrétaire général du Parti libéral d’Autriche (FPÖ), membre de la coalition au pouvoir: il avait suggéré de relever de 50 % les allocations familiales des femmes autrichiennes, pour réduire chez elles le nombre des avortements motivés par des considérations financières, et de diminuer de moitié celles versées aux mères immigrées. L’intéressé avait invoqué l’exemple d’autres pays européens qui réserveraient un traitement discriminatoire aux familles immigrées. Le 20 avril 1983, le requérant et plusieurs autres personnes portèrent plainte (Strafanzeige) contre lui, mais le 1er juin 1983 le parquet de Vienne décida de ne pas le poursuivre. Le jour du dépôt de la plainte, M. Oberschlick en publia le texte complet dans Forum. La page de couverture du numéro en question contenait un sommaire où figurait le titre "Plainte contre le secrétaire général du parti libéral" (Strafanzeige gegen FPÖ-Generalsekretär). A la page 9 on pouvait lire (traduction): "PLAINTE contre WALTER GRABHER-MEYER Date de naissance inconnue, profession: secrétaire général, c/o FPÖ (Parti libéral), Bureau fédéral, 1010 Vienne, Kärtnerstrasse 28 SOUPÇONNE 1) du délit d’incitation à la haine, réprimé par l’article 283 du code pénal, 2) du délit de provocation au crime et d’apologie d’actes criminels, réprimé par l’article 282 du code pénal, et 3) du crime d’activités au sens des articles 3 et 3 d) de la loi constitutionnelle du 8 mai 1945, Journal Officiel no 13, relative à l’interdiction du parti national-socialiste (NSDAP - "la loi d’interdiction"). LES FAITS ‘Le secrétaire général du FPÖ, M. Walter Grabher-Meyer, a proposé aujourd’hui de relever de 50 % les allocations familiales des femmes autrichiennes, afin d’empêcher celles-ci de recourir à l’avortement pour des raisons financières. En même temps, il a exigé que l’État autrichien abaisse à 50 % du niveau actuel le montant des allocations familiales des mères de familles de travailleurs migrants (Gastarbeitermütter). D’autres États européens aussi réservent à ces familles un traitement moins favorable, a-t-il expliqué.’ ORF (Institut autrichien de radiodiffusion et de télévision) Première et deuxième chaînes Informations de fin de soirée du 29.3.1983 Quant au point 1 M. Walter Grabher-Meyer a formulé sa déclaration publique d’une manière qui insulte à la dignité humaine et vise un groupe de personnes définies par leur appartenance à un peuple, une race (Volkstamm) ou un État; en l’espèce, par le fait qu’elles n’ont pas la nationalité autrichienne. La mise en opposition des femmes autrichiennes, auxquelles des avantages financiers devraient épargner le recours à l’avortement, et des mères de familles de travailleurs migrants, qui non seulement n’y auraient pas droit mais perdraient la moitié de leurs allocations familiales (trop faibles, d’après M. Walter Grabher-Meyer, pour empêcher les avortements motivés par des considérations financières), donne l’impression, et l’intéressé l’a sans doute voulu, que les secondes et leurs enfants à naître constituent, dans l’ensemble de la population, des catégories inférieures, négligeables ou sans grande valeur et que les Autrichiens ont intérêt à voir lesdites mères se faire avorter. M. Walter Grabher-Meyer présente de la sorte les travailleurs migrants comme des êtres vils ou indignes de respect. Les auteurs de la présente plainte réprouvent et dénoncent cette attitude, qu’ils considèrent comme une incitation tendancieuse à la haine et au mépris envers la main-d’oeuvre étrangère en Autriche. Quant au point 2 M. Walter Grabher-Meyer préconise publiquement, et demande ainsi plus particulièrement au Conseil national (Nationalrat) autrichien et au gouvernement fédéral, d’arrêter des mesures qui constituent un exemple typique des activités criminelles visées aux articles 3 et 3 d) de la loi d’interdiction (voir ci-après). Quant au point 3 L’article 3 de la loi d’interdiction défend à chacun de se livrer à des activités favorisant le NSDAP ou ses objectifs, quand bien même elles s’exerceraient en dehors de cette organisation. Aux termes de l’article 3 d), quiconque cherche en public, ou en présence de plusieurs personnes, à provoquer, encourager ou favoriser des actes prohibés par les articles 1 ou 3, et notamment glorifie ou exalte à cette fin les objectifs, les institutions ou l’action du NSDAP, est passible d’une peine de prison de 10 à 20 ans et de la confiscation de tous ses biens, à moins qu’il ne commette ainsi une infraction plus sévèrement réprimée. A cet égard, les auteurs de la présente plainte se réfèrent aux 25 points du manifeste du NSDAP du 24 février 1920. Ils soulignent que jusqu’à l’adoption par le gouvernement provisoire, le 8 mai 1945, de la loi d’interdiction, ce manifeste est resté le seul programme du parti national-socialiste et en énonce donc les objectifs sous une forme authentique et complète. On y lit notamment: ‘5. Un non-ressortissant ne doit pouvoir vivre en Allemagne que comme visiteur et sa situation doit relever de la législation sur les étrangers. Nous exigeons que l’État s’engage à veiller par priorité aux possibilités d’emploi et aux moyens de subsistance de ses ressortissants. S’il n’est pas possible de nourrir l’ensemble de la population de l’État, il y a lieu d’expulser du Reich les ressortissants de pays étrangers (les non-ressortissants). Il faut empêcher toute nouvelle immigration de personnes non allemandes. Nous exigeons que toutes celles qui ont immigré en Allemagne depuis le 2 août 1914 soient contraintes incontinent de quitter le Reich.’ L’objectif essentiel du NSDAP et de sa politique consistait à engendrer une attitude hostile envers les ressortissants de pays étrangers (les non-ressortissants) et à les défavoriser au point de rendre pénible leur séjour dans le Reich et de les forcer à partir. La proposition de M. Walter Grabher-Meyer - augmenter de 50 % les allocations familiales des femmes autrichiennes, afin d’éviter chez elles les avortements motivés par des considérations financières, tout en réduisant de moitié celles actuellement versées aux mères de familles de travailleurs migrants - constitue un moyen cynique de chasser de la République d’Autriche les ressortissants des pays étrangers, et même d’amener à se faire avorter les femmes immigrées qui choisissent d’y rester; en accord et en conformité avec la philosophie et les objectifs du NSDAP, selon lesquels l’État doit ‘veiller par priorité aux possibilités d’emploi et aux moyens de subsistance de ses ressortissants’, les propositions de M. Walter Grabher-Meyer ont pour but, notamment, d’améliorer les conditions de vie des ressortissants (des mères autrichiennes) en détériorant celles des travailleurs migrants et d’empêcher en même temps toute immigration future de non-nationaux (voir plus haut les points 7 et 8 du programme du NSDAP). Il en résulte que M. Walter Grabher-Meyer a agi dans le sens des objectifs du NSDAP ou, à tout le moins, a loué, en proposant de les appliquer en Autriche, les mesures que ce parti préconisait contre les ressortissants de pays étrangers. A l’appui de leurs affirmations, les auteurs de la présente plainte invoquent leur propre témoignage, les manuscrits ayant servi à l’ORF pour les dernières informations diffusées sur les chaînes FS1 et FS2 le 29 mars 1983 et le programme du NSDAP du 24 février 1920. Plainte est dès lors déposée contre M. Walter Grabher-Meyer. Signé: ..., Gerhard Oberschlick" B. Procédures de citation directe contre le requérant Première procédure Le 22 avril 1983, M. Grabher-Meyer intenta une action en diffamation (üble Nachrede, article 111 du code pénal - paragraphe 25 ci-dessous) contre le requérant et les autres signataires de la plainte. Il demanda aussi la saisie immédiate du numéro en cause de Forum (articles 33 et 36 de la loi sur les media - Mediengesetz) et la condamnation des propriétaires du magazine à des dommages et intérêts (article 6 de la même loi, paragraphe 26 ci-dessous). Le même jour, la chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal correctionnel régional de Vienne (Landesgericht für Strafsachen - "le tribunal régional") prononça le non-lieu en vertu de l’article 485 par. 1, alinéa 4, du code de procédure pénale (paragraphe 28 ci-dessous). D’après elle, la publication litigieuse ne constituait pas l’infraction définie à l’article 111 du code pénal: il ne s’agissait pas de l’imputation injustifiée d’un certain comportement (condamnable), mais d’un simple jugement de valeur (Bewertung) sur un comportement qui, comme tel, avait été correctement relaté. Saisie par M. Grabher-Meyer, la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Vienne, composée de MM. Cortella, président, Schmidt et Hagen, annula cette décision le 31 mai 1983. Selon elle, la publication devait avoir donné au lecteur moyen l’impression que l’on reprochait à M. Grabher-Meyer une mentalité méprisable (verächtliche Gesinnung). Ses auteurs avaient méconnu la déontologie journalistique en allant au-delà d’une analyse comparative et critique des déclarations de l’intéressé et en lui prêtant des motifs qu’il n’avait pas exprimés, notamment en affirmant qu’il s’inspirait de l’idéologie nationale-socialiste. La cour d’appel renvoya donc l’affaire au tribunal régional. Seconde procédure a) Devant le tribunal régional Le 20 juillet 1983, le tribunal régional disjoignit les poursuites engagées contre les signataires de la plainte autres que M. Oberschlik, au motif qu’ils n’avaient rien eu à voir avec la publication litigieuse dans Forum, et soumit leur cas au tribunal correctionnel de district (Strafbezirksgericht) de Vienne. Ils bénéficièrent d’un non-lieu le 9 avril 1984. Le 25 juillet 1983, le tribunal régional ordonna la publication dans Forum d’un avis relatif à l’action en diffamation intentée contre le requérant (article 37 de la loi sur les media, paragraphe 26 ci-dessous), décision que la cour d’appel confirma le 7 septembre 1983. Le tribunal régional tint audience le 11 mai 1984; il entendit MM. Grabher-Meyer et Oberschlick. Le second offrit des preuves de l’exactitude de ce qu’il avait écrit (Wahrheitsbeweis); il prétendit qu’à cet égard il suffisait d’établir qu’une plainte avait effectivement été déposée dans les termes reproduits par Forum. Il estimait avoir rempli une obligation légale en révélant ses soupçons, de sorte qu’il se trouvait disculpé par le jeu de l’article 114 du code pénal (paragraphe 25 ci-dessous). A ses yeux, on ne pouvait retenir contre lui l’erreur éventuellement commise dans la qualification juridique des dires de M. Grabher-Meyer car il n’était pas juriste. Le même jour, le tribunal le condamna, pour diffamation (article 111 paras.1 et 2 du code pénal), à une amende de 4 000 schillings autrichiens ou, à défaut, à vingt-cinq jours d’emprisonnement. Il ordonna aussi les mesures suivantes à l’encontre des propriétaires (Medieninhaber) de Forum, à savoir l’Association (Verein) des rédacteurs et employés de la revue: saisie du numéro en cause, publication du jugement (articles 33 et 34 de la loi sur les media) et versement à M. Grabher-Meyer d’une indemnité de 5 000 schillings (article 6 de la loi). En outre, il déclara les intéressés solidairement responsables du paiement de l’amende (article 35 par. 1 de la loi, paragraphe 26 ci-dessous). Le tribunal s’estima lié par l’avis que la cour d’appel avait exprimé dans sa décision du 31 mai 1983 (paragraphe 16 ci-dessus). Dès lors, les éléments objectifs du délit de diffamation se trouvaient réunis. Il en allait de même des éléments subjectifs car M. Oberschlick reconnaissait avoir voulu attirer l’attention sur ce qu’il considérait comme la mentalité nationale-socialiste de M. Grabher-Meyer. Il n’avait cependant pas établi la véracité de ses allégations ni ne les avait justifiées. Aux yeux du tribunal, il ne suffisait pas que M. Grabher-Meyer se fût livré aux déclarations litigieuses et qu’une plainte eût été portée à leur sujet dans les termes cités par Forum. Elles ne trahissaient pas forcément les intentions que M. Oberschlick en avait inférées. Elles pouvaient aussi se comprendre comme une proposition visant à redistribuer en faveur des Autrichiens, afin d’endiguer l’afflux des travailleurs migrants, les ressources notoirement restreintes du Fonds des allocations familiales. Elles témoignaient sans conteste d’un mode de pensée xénophobe, mais ne s’analysaient pas en une attitude nationale-socialiste ni en une infraction pénale. Que la publication incriminée se bornât à reproduire la plainte ne disculpait nullement l’intéressé. Chacun était libre de signaler à la police des faits constituant selon lui une infraction pénale, mais insérer dans une revue le texte d’une plainte, ce qui le rendait accessible au grand public, dépassait de loin la simple mention de soupçons de pareille infraction. Rien ne justifiait une telle démarche. A cet égard le requérant ne pouvait invoquer, en vertu de l’article 114 du code pénal, une obligation légale: attirer l’attention du public sur la mentalité (prétendument) nazie d’un dirigeant d’un parti au pouvoir. Son allégation tombait sous le coup de la règle générale selon laquelle quiconque lance une attaque de ce genre au travers des media doit en démontrer le bien-fondé. M. Oberschlick sollicita par la suite à plusieurs reprises, mais en vain, une copie du procès-verbal de l’audience. Il semble n’avoir obtenu satisfaction qu’après la communication du jugement écrit, le 24 août 1984. Le 6 septembre, il sollicita une rectification car le procès-verbal, d’après lui, ne consignait pas certaines déclarations de M. Grabher-Meyer, importantes pour apprécier l’exactitude de ses propres allégations. L’intéressé aurait dit notamment, devant le tribunal, s’opposer à une immigration excessive (Überfremdung) et approuver, pour des raisons tactiques, la campagne "Halte aux étrangers" ("Ausländer Halt") menée par un parti de droite avant d’être prohibée. Il aurait aussi admis avoir envisagé des mesures de politique sociale dirigées contre les enfants de travailleurs étrangers dans les écoles autrichiennes. Le 4 octobre 1984, après avoir consulté le greffier, le tribunal régional repoussa la demande au motif qu’après cinq mois le juge ne se souvenait plus du détail des déclarations. Il précisa toutefois que si ces dernières ne figuraient pas dans les notes du greffier, on y trouvait quelque chose d’approchant. b) Devant la cour d’appel Le 17 décembre 1984, la cour d’appel de Vienne, composée des mêmes magistrats et à nouveau présidée par M. Cortella (paragraphe 16 ci-dessus), débouta le requérant de son recours (Berufung). Au sujet d’un grief relatif à la décision du tribunal régional du 4 octobre 1984 (paragraphe 21 ci-dessus), elle releva que celle-ci était définitive. Du reste, il n’apparaissait pas que le tribunal eût omis de statuer sur des demandes formulées pendant l’instance au sujet du procès-verbal. De toute manière, les déclarations en cause étaient dépourvues de pertinence pour le jugement au principal. Elle aborda ensuite le fond. D’après elle, son arrêt antérieur sur la qualification de l’infraction ne liait pas le tribunal régional. Toutefois, elle n’apercevait aucune raison de s’en écarter. Le point déterminant était que l’on prêtait à M. Grabher-Meyer des motifs qu’il n’avait pas lui-même exprimés. Il ne s’agissait donc pas de la qualification juridique (éventuellement erronée) de ses propos, mais d’allégations salissant sa personne et que l’on ne pouvait objectivement appuyer sur eux. Pour la cour d’appel, le tribunal régional avait conclu à juste titre qu’il eût fallu démontrer l’exactitude des imputations critiques de l’article quant à la personnalité de M. Grabher-Meyer et que le requérant n’en avait pas fourni la preuve. Le fait qu’un bref avis relatif à la plainte n’eût pas été punissable n’autorisait pas à considérer qu’il en allait de même d’une reproduction intégrale de celle-ci: la forme de publication devait imprimer dans l’esprit du lecteur moyen une marque particulièrement durable du trait de caractère reproché à M. Grabher-Meyer. Ni le droit de dénoncer une infraction pénale (article 86 par. 1 du code de procédure pénale, paragraphe 27 ci-dessous), ni l’exception prévue à l’article 114 par. 2 du code pénal (paragraphe 25 ci-dessous) ne légitimaient la publication car elle n’était pas adéquate (mangels Anlassadäquanz): elle laissait entendre, sans que les faits offrissent un appui suffisant à de telles insinuations, que M. Grabher-Meyer se comportait en national-socialiste. Une copie de l’arrêt fut communiquée au requérant le 7 janvier 1985. Le 25 septembre 1985 il invita le procureur général (Generalprokurator) à se pourvoir dans l’intérêt de la loi (Nichtigkeitsbeschwerde zur Wahrung des Gesetzes), mais le 9 janvier 1986 on l’informa que ledit magistrat n’entendait pas donner suite à sa démarche. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le droit matériel applicable L’infraction de diffamation L’article 111 du code pénal est ainsi libellé: "1. Est puni d’une peine privative de liberté de six mois au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque, d’une manière telle qu’un tiers peut le remarquer, accuse une autre personne d’un trait de caractère ou d’une disposition d’esprit méprisables ou la déclare coupable d’une attitude contraire à l’honneur ou aux bonnes moeurs et de nature à la rendre méprisable aux yeux de l’opinion publique ou à la rabaisser devant celle-ci. Est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire (...) quiconque commet l’acte dans un imprimé, par le moyen de la radiodiffusion ou d’une autre manière qui rend la diffamation accessible à un large public. L’auteur n’est pas puni si l’assertion est démontrée vraie. Dans le cas visé à l’alinéa 1, il ne l’est pas non plus si sont prouvées des circonstances lui ayant donné des raisons suffisantes de tenir l’assertion pour vraie." L’article 112 précise: "La preuve de la vérité et celle de la bonne foi ne sont admises que si l’auteur invoque l’exactitude de l’assertion ou sa bonne foi (...)". D’après le paragraphe 1 de l’article 114, "les actes visés à l’article 111 (...) sont légitimes s’ils constituent l’accomplissement d’une obligation légale ou l’exercice d’un droit". Aux termes du paragraphe 2, "n’est pas punissable la personne que des raisons spéciales forcent à présenter, sous la forme et de la manière choisies par elle, une allégation tombant sous le coup de l’article 111 (...), sauf s’il s’agit d’une affirmation inexacte et que l’auteur eût pu s’en rendre compte en s’entourant des précautions voulues (...)." Les dispositions pertinentes de la loi sur les media Selon l’article 6 de la loi sur les media, l’éditeur assume une responsabilité objective en matière de diffamation; la victime peut donc lui réclamer des dommages-intérêts. En outre, il peut se voir déclarer solidairement responsable, avec la personne condamnée pour une infraction à ladite loi, du paiement des amendes infligées et des frais de procédure (article 35). La personne diffamée peut demander la confiscation de la publication ayant servi à commettre l’infraction (article 33). En outre, l’article 36 l’autorise à en requérir la saisie immédiate s’il y a lieu de s’attendre à l’application ultérieure de l’article 33 et si la mesure ne doit pas entraîner des conséquences dommageables disproportionnées à l’intérêt juridique qu’elle vise à protéger. La saisie est exclue si l’on peut sauvegarder cet intérêt en publiant un avis qui signale l’ouverture de poursuites pénales (article 37). Enfin, la victime peut solliciter la publication du jugement pour autant qu’elle apparaisse nécessaire à l’information du public (article 34). B. Dispositions procédurales applicables Dénonciation d’une infraction pénale La première phrase de l’article 86 par. 1 du code de procédure pénale est ainsi libellée: "Quiconque a connaissance d’une infraction pénale à poursuivre d’office a le droit de la dénoncer." En outre, la loi d’interdiction rend obligatoire, par son article 3 g) par. 2, la dénonciation de manquements à ses dispositions dans certaines circonstances. Le non-respect de cette obligation est punissable d’un emprisonnement de cinq à dix ans. La procédure en diffamation Dans le cadre de la procédure spéciale simplifiée, appliquée en l’espèce, si un juge unique du tribunal régional estime que l’acte incriminé ne constitue pas une infraction pénale, il invite à statuer la chambre du conseil du même tribunal (article 485 par. 1, alinéa 4, du code de procédure pénale), laquelle prononce le non-lieu si elle partage son analyse (article 486 par. 3). Le parquet peut interjeter appel de pareille ordonnance (article 486 par. 4). Si la cour d’appel accueille le recours et renvoie l’affaire au tribunal régional, entrent en jeu les règles particulières suivantes: Article 486 par. 5 "La juridiction de jugement n’est pas liée par les décisions de la chambre du conseil, ou de la juridiction de seconde instance, déclarant (...) que l’acte constitue une infraction pénale (...)". Article 489 par. 3 "Sont également exclus des débats et de la décision sur un appel, les membres de la juridiction de seconde instance qui, au cours de la procédure antérieure, ont pris part à la décision de non-lieu rendue par la chambre du conseil ou à celle concernant le recours formé contre ledit non-lieu." Règles générales relatives à l’exclusion ou récusation des juges L’"exclusion" (Ausschliessung) des juges obéit aux dispositions ci-après du code de procédure pénale: Article 70 par. 1 "Le juge doit signaler immédiatement au président de la juridiction dont il est membre toute circonstance emportant son exclusion (...)" Article 71 "Tout membre d’une juridiction (Gerichtsperson) s’abstient, à peine de nullité, de tout acte judiciaire dès qu’il a connaissance d’une cause d’exclusion en sa personne. Il peut accomplir ceux qui revêtent un caractère d’urgence, mais uniquement s’il y a péril en la demeure et si l’on ne peut désigner immédiatement un autre juge ou greffier (...)" De son côté, l’article 72 autorise chaque partie à la procédure à récuser (ablehnen) un juge si elle peut démontrer l’existence de raisons de douter de son entière impartialité. Il vise expressément des motifs "autres [que ceux régissant l’exclusion]", mais les tribunaux ont coutume de l’étendre aux cas où une partie soulève une question relative à l’exclusion d’un juge. En effet, celle d’un juge de première instance ne peut se plaider ultérieurement au moyen d’un pourvoi en cassation si l’intéressé n’a pas été récusé avant ou pendant le procès, ou aussitôt après que le demandeur a eu connaissance du motif d’exclusion (article 281 par. 1, alinéa 1, du code de procédure pénale). La procédure applicable en la matière est la suivante: Article 73 "La demande par laquelle une partie récuse un juge peut à tout moment, mais au moins vingt-quatre heures avant les débats si elle vise un membre de la juridiction saisie, et au plus tard trois jours après la citation à comparaître si elle concerne une juridiction tout entière, être déposée auprès du tribunal auquel appartient le magistrat en cause, ou formulée oralement devant le greffier. Elle précise et, dans la mesure du possible, étaye les motifs de la récusation." Article 74 "1) Il incombe normalement au président de la juridiction à laquelle appartient la personne récusée de statuer sur la recevabilité de la récusation. 2) ... 3) Ces décisions sont sans appel (...)" Règles relatives aux procès-verbaux des audiences Les procès-verbaux des audiences des juridictions pénales d’Autriche revêtent en général une forme analytique. Le tribunal peut cependant ordonner, pour des raisons spéciales, l’établissement d’un compte rendu sténographique, auquel une partie a droit si elle le demande et verse par avance les frais correspondants (article 271 par. 4). Dans les autres cas, le procès-verbal se borne à noter l’accomplissement de toutes les formalités essentielles. Afin de préserver leurs droits, les parties peuvent réclamer la mention de points précis (article 271 par. 1, applicable aux procédures devant un juge unique en vertu de l’article 488). Lorsqu’il importe de reproduire la version littérale, le juge prescrit, si une partie l’y invite, la lecture immédiate de passages déterminés (article 271 par. 2). Les réponses de l’accusé et les dépositions des témoins ou experts ne sont relatées que si elles s’écartent des déclarations figurant au dossier, les modifient ou les complètent, ou s’il s’agit de la première audition des témoins ou experts en séance publique (article 271 par. 3). Les parties ont accès au texte définitif du procès-verbal, ainsi que de ses annexes, et peuvent en prendre des copies (article 271 par. 6). La jurisprudence leur reconnaît le droit de solliciter des ajouts ou des corrections pendant le procès, ou même après tant qu’un recours reste en instance (Evidenzblatt (EvBl.) 1948, p. 32, et Recueil des arrêts de la Cour suprême en matière pénale (SSt), 32/108). Le tribunal statue en dernier ressort sur semblable requête (Richterzeitung, 1967, p. 88, EvBl. 1948/243). Seule l’omission pure et simple de dresser le procès-verbal des audiences constitue une cause de nullité (article 281 par. 1, alinéa 3). Les autres vices éventuels de ce document ne peuvent être invoqués dans un pourvoi en cassation, sauf le défaut de statuer sur des demandes formulées à son sujet pendant les débats (article 281 par. 1, alinéa 4). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête (no 11662/85) du 16 juin 1985 à la Commission, M. Oberschlick se plaignait des poursuites en diffamation intentées contre lui et de sa condamnation subséquente; il les estimait contraires aux articles 6 par. 1 (art. 6-1) (droit à un procès équitable devant un tribunal impartial établi par la loi) et 10 (art. 10) (droit à la liberté d’expression) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 10 mai 1989. Dans son rapport du 14 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle aperçoit une infraction à l’article 10 (art. 10) (dix-neuf voix contre deux), ainsi qu’à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) quant à l’instance d’appel (vingt voix contre une) mais non quant à la procédure devant le tribunal régional (unanimité). Le texte complet de son avis et des deux opinions dissidentes dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire du 3 juillet 1990, le requérant a invité la Cour: à conclure a) que la condamnation prononcée contre lui a violé son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 (art. 10) de la Convention; b) que les procédures qui ont débouché sur elle, en première et en seconde instance, ont violé son droit à un procès équitable, protégé par l’article 6 par. 1 (art. 6-1); à enjoindre à la République d’Autriche d’annuler la saisie du no 352/353 de la revue Forum; à décider, en vertu de l’article 50 (art. 50), l’octroi d’une satisfaction équitable comprenant le remboursement de frais déterminés et la réparation du dommage moral causé par l’injustice dont il aurait été victime. Le Gouvernement a confirmé, à l’audience du 19 novembre 1990, les conclusions de son mémoire du 29 juin 1990. Elles demandaient à la Cour de rejeter la requête pour tardiveté (article 26 in fine) (art. 26), ou de constater l’absence d’infraction aux articles 6 par. 1 et 10 (art. 6-1, art. 10).
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Domicilié à Tocco Casauria (Pescara), M. Franco Santilli y créa en 1976 une entreprise de production alimentaire. Le 24 juillet 1979, un organisme de crédit lui prêta la somme de 100 000 000 lires sous la condition résolutoire qu'elle servirait exclusivement à l'équipement de l'entreprise. Le 11 septembre il la vira sur le compte du requérant, mais la banque l'utilisa pour compenser le solde débiteur. Le 27 septembre 1979, l'intéressé assigna sa banque devant le tribunal de Pescara tant par la voie du référé qu'au principal; il réclamait la possibilité d'investir le montant qu'il avait emprunté et la réparation du préjudice subi. I. La procédure de première instance Le président rejeta la demande en référé le 18 octobre 1979. Entre le 12 décembre 1979 (constitution du défendeur) et le 20 juin 1984 (mise en délibéré de l'affaire par le tribunal), le juge de la mise en état tint onze audiences. Cinq d'entre elles (26 mars et 20 novembre 1980, 18 mars, 1er juillet et 29 octobre 1981) furent consacrées à la discussion ou à l'accomplissement de mesures d'instruction (dépôt de documents, audition de témoins et rejet d'une demande d'expertise), trois autres aux plaidoiries (20 janvier, 25 mars et 23 juin 1982). A peine commencées, les trois dernières (9, 23 mars et 21 décembre 1983) furent ajournées en raison, notamment, de l'absence du juge de la mise en état puis de la nécessité de le remplacer. Le tribunal débouta le requérant de son action au principal par un jugement du 19 juillet 1984, déposé au greffe le 20 octobre suivant. II. La procédure d'appel Le syndic (curatore fallimentare) de l'intéressé (paragraphe 13 ci-dessous) ayant interjeté appel le 7 décembre 1984, quatre audiences se déroulèrent devant la cour de L''Aquila (5 février, 7 mai et 15 octobre 1985, 15 avril 1986). La première fut renvoyée à la demande des comparants. Par un arrêt du 6 mai 1986, déposé au greffe le 18 juin 1986, la cour confirma la décision attaquée. Le syndic ne se pourvut pas en cassation. III. La faillite du requérant Le 29 février 1980, M. Santilli avait sollicité le bénéfice d'un règlement judiciaire; il invoquait les difficultés financières liées à l'indisponibilité de l'argent emprunté. Le tribunal de Pescara lui avait donné satisfaction le 25 mars 1980. Cinq jours plus tard, l'organisme de crédit se prévalut de la clause résolutoire du contrat (paragraphe 9 ci-dessus) et exigea le remboursement immédiat du prêt. Le 12 juin 1982, le tribunal consentit au requérant un concordat judiciaire demandé par celui-ci le 22 mai. Il le déclara en faillite par un jugement du 26 juin 1984, déposé au greffe le 16 juillet. Conformément à la législation italienne, M. Santilli perdit ainsi, notamment, le droit d'ester lui-même en justice en matière patrimoniale, droit désormais transféré au syndic désigné par le tribunal. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 4 mars 1985 à la Commission (n° 11634/85), l'intéressé se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et de la méconnaissance de ses droits au respect de sa correspondance et de ses biens; il s'appuyait sur les articles 6 et 8 (art. 6, art. 8) de la Convention ainsi que sur l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le 10 mars 1989, la Commission a déclaré la requête irrecevable quant au second grief, mais l'a retenue quant aux deux autres. Dans son rapport du 6 novembre 1989 (article 31) (art. 31) elle conclut, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention, mais non de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 194-D de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 3 octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention ni du Protocole n° 1 dans la présente affaire".
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I. INTRODUCTION A. Les requérants Les requérants - désignés conjointement ci-après par "O. et G." - sont a) The Observer Ltd, propriétaire et éditeur de l’hebdomadaire national britannique du dimanche l’Observer, M. Donald Trelford, son rédacteur en chef, ainsi que MM. David Leigh et Paul Lashmar, deux de ses reporteurs; b) Guardian Newspapers Ltd, propriétaire et éditeur du quotidien national britannique The Guardian, M. Peter Preston, son rédacteur en chef, et M. Richard Norton-Taylor, l’un de ses reporteurs. Ils reprochent aux juridictions anglaises de leur avoir imposé des interdictions provisoires de publier des éléments du livre Spycatcher et des informations émanant de son auteur, M. Peter Wright. B. Les injonctions provisoires (interlocutory injunctions) Dans un procès, quand le demandeur sollicite le prononcé d’une injonction permanente contre le défendeur, les tribunaux anglais jouissent du pouvoir discrétionnaire de lui en accorder une de caractère provisoire; imposant une restriction temporaire, valable jusqu’à la décision au principal, elle a pour but de sauvegarder ses intérêts dans l’intervalle. En général, il se voit alors inviter à s’engager à verser des dommages et intérêts à la partie adverse au cas où celle-ci l’emporterait pour finir. Les principes régissant la délivrance de telles injonctions ont été mentionnés dans les instances suivies en l’espèce; définis dans l’affaire American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd (Appeal Cases 1975, p. 396), ils peuvent se résumer ainsi. a) Il n’appartient pas au tribunal, à ce stade, d’essayer de trancher des questions de fait controversées ou des points de droit délicats, exigeant une argumentation et une réflexion approfondies. b) A moins que le dossier ne révèle pas en l’état l’existence de chances réelles, pour le demandeur, d’obtenir l’injonction permanente souhaitée par lui, le tribunal doit rechercher, à la lumière des circonstances de la cause, si la balance des avantages et inconvénients (balance of convenience) penche pour ou contre l’octroi de la mesure provisoire réclamée. c) Il ne faut normalement pas prononcer d’injonction provisoire lorsqu’une indemnité fournirait au demandeur une réparation suffisante s’il gagnait le procès, mais rien ne s’oppose à la délivrance de pareille injonction lorsqu’il en va autrement et que les dommages et intérêts à verser par le demandeur conformément à sa promesse, s’il succombait, procureraient au défendeur une compensation appropriée. d) La question de la balance des avantages et inconvénients se pose s’il existe un doute quant à l’adéquation des possibilités d’indemnisation s’offrant à l’une des parties ou aux deux. e) Si les autres facteurs paraissent s’équilibrer, la prudence commande d’opter pour des mesures aptes à préserver le statu quo. C. Spycatcher M. Peter Wright travailla pour le gouvernement britannique comme agent haut placé des services britanniques de sécurité (MI5) de 1955 à 1976, année où il résigna ses fonctions. Par la suite, sans autorisation préalable de ses anciens employeurs, il écrivit ses mémoires, sous le titre Spycatcher, et prit des dispositions pour les faire publier en Australie, où il vivait alors. Le livre traitait des structures, des méthodes et du personnel du MI5. En outre, il relatait des activités prétendument illégales des services de sécurité: l’auteur affirmait notamment que le MI5 en avait mené pour ébranler le gouvernement travailliste de 1974-1979; qu’il avait cambriolé et truffé de micros les ambassades de pays alliés et hostiles; qu’il avait conçu et opéré d’autres activités illégales et secrètes dans le pays comme à l’étranger; et que Sir Roger Hollis, qui le dirigeait vers la fin de la carrière de l’intéressé, était un agent soviétique. Auparavant, M. Wright avait en vain cherché à persuader le gouvernement britannique de soumettre ces allégations à une enquête indépendante. Semblable enquête fut aussi demandée en 1987, notamment par diverses personnalités éminentes du gouvernement travailliste de 1974-1979, mais en pure perte. Une partie du contenu de Spycatcher avait déjà paru dans certains livres de M. Chapman Pincher sur les services de sécurité. De plus, en juillet 1984 M. Wright avait accordé à la "Granada Television", chaîne privée fonctionnant au Royaume-Uni, une assez longue interview - qui fut rediffusée en décembre 1986 - au sujet du travail des services en question. Vers la même époque, leurs méthodes et secrets firent l’objet d’autres ouvrages et d’une autre émission télévisée, sans grande réaction du gouvernement. D. La procédure engagée en Australie En septembre 1985, l’Attorney General d’Angleterre et du Pays de Galles ("l’Attorney General") introduisit au nom du gouvernement britannique, devant l’Equity Division de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud (Australie), une instance tendant à voir interdire la publication de Spycatcher ainsi que de tout renseignement y figurant et ayant sa source dans le travail de M. Wright pour les services de sécurité. Il se fondait non sur la notion de secret d’État, mais sur l’idée que la divulgation de tels renseignements par M. Wright constituerait un manquement, notamment, au devoir de discrétion résultant de son emploi passé. Le 17 septembre, l’intéressé et ses éditeurs, Heinemann Publishers Australia Pty Ltd, prirent l’engagement - qu’ils respectèrent - de ne rien publier en attendant l’examen de la demande du gouvernement. Tout au long de la procédure en Australie, ce dernier s’attaqua au livre comme tel; il refusa d’indiquer quels passages il jugeait nuisibles à la sécurité nationale. II. LA PROCÉDURE DE RÉFÉRÉ (INTERLOCUTORY PROCEEDINGS) EN ANGLETERRE ET LES ÉVÉNEMENTS AYANT MARQUÉ SON DÉROULEMENT A. Les articles de l’Observer et du Guardian; les injonctions prononcées à leur suite Alors que la procédure australienne demeurait pendante, l’Observer et The Guardian publièrent dans leurs pages intérieures, les dimanche 22 et lundi 23 juin 1986 respectivement, de brefs articles signalant l’audience à venir et donnant certains détails du contenu du manuscrit de Spycatcher. Depuis quelque temps, les deux journaux menaient campagne en faveur d’une enquête indépendante relative au fonctionnement des services de sécurité. Les indications fournies incluaient les allégations ci-après d’agissements irréguliers, délictueux et inconstitutionnels d’agents du MI5: a) le MI5 avait posé des micros clandestins lors de toutes les conférences diplomatiques organisées à Lancaster House, à Londres, dans les années 1950 et 1960, ainsi que lors des négociations de 1979 pour l’indépendance du Zimbabwe; b) il avait fait de même chez des diplomates français, allemands, grecs et indonésiens, ainsi que dans la suite d’hôtel occupée par M. Khrouchtchev pendant sa visite en Grande-Bretagne vers 1950, et s’était, de manière routinière, rendu coupable de cambriolages et de poses de micros (en particulier de pénétrations par effraction dans des consulats soviétiques à l’étranger); c) il avait en vain conspiré pour assassiner le président égyptien Nasser lors de la crise de Suez; d) il avait comploté contre Harold Wilson pendant son mandat de premier ministre de 1974 à 1976; e) il avait détourné (au mépris de ses instructions) une partie de ses crédits pour enquêter sur des groupes politiques de gauche en Grande-Bretagne. Les articles de l’Observer et du Guardian, rédigés respectivement par MM. Leigh et Lashmar et par M. Norton-Taylor, se fondaient sur les investigations menées par ceux-ci auprès de sources confidentielles, et non sur des communiqués de presse internationaux ou documents analogues accessibles à chacun. Cependant, une bonne partie des informations y figurant avait déjà paru ailleurs (paragraphe 12 ci-dessus). Les juridictions anglaises en inférèrent par la suite que les renseignements des journalistes émanaient très probablement des bureaux des éditeurs de Spycatcher ou des solicitors agissant en leur nom et au nom de l’auteur (voir la décision rendue le 21 décembre 1987 par le juge Scott, paragraphe 40 ci-dessous). L’Attorney General engagea contre O. et G., devant la Chancery Division de la High Court of Justice d’Angleterre et du Pays de Galles, une action pour manquement au devoir de discrétion; il demandait qu’on leur interdît à titre permanent de publier tout renseignement tiré de Spycatcher. Il se fondait sur l’idée que les informations contenues dans les mémoires revêtaient un caractère confidentiel; or si un tiers entrait en possession de renseignements qu’il savait provenir d’un manquement au devoir de discrétion, il assumait envers leur source première la même obligation que leur bénéficiaire originel. Il fut admis que l’octroi de dommages et intérêts eût constitué pour l’Attorney General une réparation insuffisante et inadéquate; seule une injonction répondrait à son attente. Les preuves produites à l’appui de la demande consistaient en deux attestations sous serment que Sir Robert Armstrong, secrétaire du Conseil des Ministres britannique, avait signées les 9 et 27 septembre 1985 pour la procédure pendante en Australie. Il y affirmait notamment que la publication de tout récit reposant sur des informations accessibles à M. Wright en sa qualité de membre des services de sécurité causerait des dommages incalculables, aussi bien aux services eux-mêmes qu’à leurs agents et aux autres personnes identifiées, en raison des indiscrétions qu’elle impliquait. Elle ébranlerait aussi la confiance des pays amis, ainsi que d’autres organisations et personnes, dans les services de sécurité et créerait le risque de voir d’autres agents ou ex-agents de ces derniers chercher à publier des renseignements analogues. Le 27 juin 1986, l’Attorney General obtint le prononcé d’ordonnances sur requête qui prohibaient pareille publication jusqu’à l’issue des procès au fond. Saisi par O. et G., le juge Millett, siégeant dans la Chancery Division, décida, après une audience contradictoire qui eut lieu le 11 juillet, qu’elles resteraient en vigueur sous réserve de quelques modifications. Il accorda aux défendeurs la faculté d’en solliciter l’amendement ou la levée moyennant un préavis de vingt-quatre heures. Les motifs sur lesquels il s’appuyait peuvent se résumer brièvement ainsi. a) À divulguer des informations acquises en qualité de membre des services de sécurité, M. Wright enfreindrait son devoir de discrétion. b) O. et G. voulaient publier d’autres renseignements - inédits ou non - provenant directement ou indirectement de M. Wright et révélant des activités prétendument illégales des services de sécurité. c) Ni le droit à la liberté d’expression, ni celui d’empêcher la divulgation d’informations reçues sous le sceau du secret n’étaient absolus. d) Appelé à résoudre un conflit entre deux intérêts publics - s’opposer à de telles divulgations ou les autoriser -, le tribunal devait avoir égard à toutes les considérations pertinentes, dont les faits suivants: il s’agissait d’une demande en référé et non du procès au principal; les injonctions sollicitées à ce stade n’étaient que temporaires; les refuser pourrait causer un tort irréparable et priver en pratique l’Attorney General de ses droits. Dans de telles circonstances, le tribunal devait trancher en faveur de l’interdiction sauf s’il constatait l’existence d’un moyen de défense d’ordre public et de nature à prospérer, par exemple si la publication projetée concernait des actes illégaux dont l’intérêt public exigeait la révélation. On pouvait voir dans cette démarche soit une exception aux principes "American Cyanamid" (paragraphe 10 ci-dessus), soit leur application à un cas d’espèce où chacune des deux parties invoquait l’intérêt général. e) L’Attorney General en avait moins à la diffusion d’assertions concernant les services de sécurité qu’à leur origine: elles émanaient d’un ancien agent desdits services. Or voilà le fait précis que souhaitaient publier O. et G. Des preuves crédibles - les deux attestations sous serment de Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus) - étayaient la thèse selon laquelle l’apparence de confidentialité était indispensable au fonctionnement des services de sécurité, lesquels ne pourraient s’acquitter efficacement de leur tâche, avec les risques qui en résulteraient pour la sécurité nationale, si l’on savait leurs membres haut placés libres de divulguer ce qu’ils avaient appris durant leur carrière. Sans doute fallait-il encore examiner ces preuves pendant le procès au fond, mais le refus de prononcer une injonction provisoire ouvrirait la porte à une publication indirecte et priverait à jamais l’Attorney General des droits qu’il pouvait invoquer devant le tribunal. Si l’on se souvenait, notamment, que les activités illégales alléguées avaient eu lieu dans un passé assez lointain, aucun intérêt impérieux n’exigeait du reste de les révéler sans plus tarder plutôt qu’après le procès. Par la suite, la cour d’appel (paragraphes 19 et 34 ci-dessous) puis, à l’unanimité, la commission de recours de la Chambre des Lords (paragraphes 35-36 ci-dessous) estimèrent que le juge Millett avait eu raison de rendre ces premières ordonnances sur requête. Le 25 juillet 1986, la cour d’appel débouta O. et G. d’un recours formé par eux et confirma les ordonnances, sous réserve de légères modifications. Se référant aux principes "American Cyanamid" (paragraphe 10 ci-dessus), elle considéra que le juge Millett ne s’était pas fourvoyé et n’avait pas usé de son pouvoir d’appréciation sur une base erronée. Elle refusa l’autorisation de saisir la Chambre des Lords et déclara que l’affaire pourrait se plaider à bref délai. Telles qu’elle les amenda, les ordonnances ("les ordonnances Millett") interdisaient à O. et G., jusqu’au procès au principal ou jusqu’à nouvel ordre, "1. de révéler ou publier, ou faire ou laisser révéler ou publier, à l’intention de quiconque, toute information recueillie par Peter Maurice Wright en sa qualité d’agent des services britanniques de sécurité et dont ils sav[ai]ent ou [avaient] des raisons de penser qu’elle prov[enait] ou [avait] été obtenue directement ou indirectement de lui; d’attribuer à l’intéressé, nommément ou non, dans toute révélation ou publication de leur part destinée à qui que ce [fût], tout renseignement relatif aux services britanniques de sécurité." Elles contenaient les tempéraments suivants: "1. la présente ordonnance n’interdit pas de citer textuellement des affirmations de Peter Maurice Wright, soit qu’elles figurent dans des ouvrages déjà publiés de M. Chapman Pincher, soit qu’il les ait proférées en personne dans une ou plusieurs émissions de la chaîne de télévision ‘Granada’; ne l’enfreindra pas la révélation ou publication de tout élément cité en audience publique devant la Cour suprême de Nouvelle-Galles du Sud, sauf si le juge y siégeant la prohibe, ou qu’il ne sera pas interdit de publier après le procès en cours devant celle-ci dans l’affaire no 4382 de 1985; ne l’enfreindra pas un compte rendu fidèle et objectif de débats a) de l’une quelconque des chambres du Parlement du Royaume-Uni si elle consent à leur publication; ou b) devant une juridiction du Royaume-Uni siégeant en audience publique." Le 6 novembre 1986, la commission de recours de la Chambre des Lords autorisa O. et G. à se pourvoir contre la décision de la cour d’appel. Ils se désistèrent par la suite à la lumière de son arrêt du 30 juillet 1987 (paragraphes 35-36 ci-dessous). B. Le jugement de première instance en Australie Le procès relatif à l’action intentée en Australie par le gouvernement britannique (paragraphe 13 ci-dessus) eut lieu en novembre et décembre 1986. Au Royaume-Uni et ailleurs, les media le rapportèrent en détail. Le 13 mars 1987, le juge Powell repoussa la demande de l’Attorney General contre M. Wright et ses éditeurs; il estima que beaucoup des informations données par Spycatcher n’étaient plus confidentielles et que la publication des autres ne léserait ni le gouvernement britannique ni les services de sécurité. Là-dessus, il rendit une ordonnance relevant les défendeurs de leur engagement de ne pas publier. L’Attorney General saisit alors la cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud qui, après avoir tenu audience dans la semaine du 27 juillet 1987, réserva sa décision. Les intimés avaient à nouveau promis de ne pas publier jusqu’à l’issue du recours. C. Les articles de presse ultérieurs concernant Spycatcher; l’affaire Independent Le 27 avril 1987, un long résumé de certaines des allégations figurant dans Spycatcher parut dans le quotidien national britannique The Independent; il prétendait se fonder sur une copie du manuscrit. Plus tard dans la même journée, le London Evening Standard et le London Daily News publièrent des articles tirés de ce résumé. Le lendemain, l’Attorney General sollicita devant la Queen’s Bench Division de la High Court l’autorisation de poursuivre les éditeurs et rédacteurs en chef de ces trois journaux pour contempt of court, c’est-à-dire à raison d’un comportement visant à entraver l’administration de la justice ou à lui nuire. Il l’obtint le 29 avril. Dans cette procédure ("l’affaire Independent"), il n’agissait pas - comme dans l’instance pendante contre O. et G. pour divulgation d’informations confidentielles - à titre de représentant du gouvernement, mais de manière indépendante et en sa qualité de "gardien de l’intérêt public à une bonne administration de la justice". Des articles analogues à ceux du 27 avril sortirent le 29 en Australie dans le Melbourne Age et le Canberra Times, puis le 3 mai aux États-Unis d’Amérique dans le Washington Post. Le 29 avril 1987, O. et G. réclamèrent la levée des ordonnances Millett (paragraphe 19 ci-dessus). D’après eux, les circonstances avaient nettement changé depuis lors; ils en voulaient pour preuve ce que la procédure australienne avait laissé filtrer et les articles insérés dans la presse britannique le 27 avril. Les débats relatifs à leurs demandes s’ouvrirent le 7 mai devant le vice-chancelier, Sir Nicolas Browne-Wilkinson, mais il les suspendit en attendant le règlement d’une question juridique préliminaire, soulevée dans l’affaire Independent (paragraphe 22 ci-dessus) et dont leur résultat lui semblait largement tributaire: "le fait, pour une personne, de se livrer à une publication en pleine connaissance d’une ordonnance rendue contre un tiers et que celui-ci enfreindrait s’il agissait de même, s’analyse-t-il en un délit de contempt of court au motif qu’il perturbe ou entrave le cours de la justice quant à ladite ordonnance?" Le 11 mai, à l’invitation du vice-chancelier, l’Attorney General poursuivit la procédure dans l’affaire Independent devant la Chancery Division de la High Court et le vice-chancelier résolut d’aborder la question préliminaire. Le 14 mai 1987, Viking Penguin Incorporated, qui avait acheté aux éditeurs australiens de M. Wright les droits de publication de Spycatcher aux États-Unis, exprima l’intention d’y publier le livre. Le 2 juin 1987, le vice-chancelier trancha la question préliminaire dans l’affaire Independent. Il jugea que les articles parus le 27 avril 1987 (paragraphe 22 ci-dessus) ne pouvaient, en droit, constituer un contempt of court: ils ne violaient pas les termes mêmes des ordonnances Millett et ni celles-ci, ni leur violation éventuelle par leurs destinataires ne concernaient directement les trois journaux en cause. L’Attorney General interjeta appel. Le 15 juin 1987, O. et G. sollicitèrent la reprise de l’instruction de leur demande de levée desdites ordonnances en invoquant le projet de publication aux États-Unis (paragraphe 23 ci-dessus). La question fut toutefois tenue en suspens jusqu’à l’issue du recours formé par l’Attorney General dans l’affaire Independent, dont l’examen débuta le 22 juin. D. Le Sunday Times commence à publier Spycatcher en feuilleton Le 12 juillet 1987, l’hebdomadaire national britannique du dimanche, Sunday Times, qui avait acheté aux éditeurs australiens de M. Wright les droits de publication par épisodes dans la presse britannique et s’était procuré une copie du manuscrit auprès de Viking Penguin Incorporated, aux États-Unis, inséra dans ses dernières éditions, afin d’éviter le risque d’une action en référé, une première série d’extraits de Spycatcher. Il expliqua que l’opération était programmée pour coïncider avec la publication du livre aux États-Unis, prévue pour le 14 juillet. Le 13 juillet, l’Attorney General assigna en justice, pour contempt of court, Times Newspapers Ltd, éditeur du Sunday Times, et M. Andrew Neil, rédacteur en chef (désignés conjointement ci-après par "S.T."), au motif que la publication déjouait le but des ordonnances Millett. E. La publication de Spycatcher aux États-Unis d’Amérique Le 14 juillet 1987, Viking Penguin Incorporated publia Spycatcher aux États-Unis d’Amérique; quelques exemplaires avaient été mis en vente dès la veille. Le livre connut d’emblée un énorme succès. Le gouvernement britannique, avisé qu’une action destinée à interdire la publication aux États-Unis n’aboutirait pas, n’entreprit rien en ce sens dans ce pays, ni au Canada où l’ouvrage devint aussi un "best seller". Un grand nombre d’exemplaires de Spycatcher furent alors importés au Royaume-Uni, notamment par des citoyens britanniques qui l’avaient acheté soit lors d’un séjour aux États-Unis soit, par téléphone ou par courrier, auprès de librairies américaines. Les numéros de téléphone et adresses de telles maisons, prêtes à l’envoyer au Royaume-Uni, y étaient largement diffusés par voie de publicité. Le gouvernement britannique jugea préférable de ne pas user de son pouvoir d’empêcher pareilles importations, estimant que la mesure avait de fortes chances de rester inefficace. En revanche, il fit en sorte que l’on ne pût trouver le livre dans les librairies ou bibliothèques publiques au Royaume-Uni. F. L’issue de l’affaire Independent Le 15 juillet 1987, la cour d’appel annonça qu’elle allait réformer la décision du vice-chancelier dans l’affaire Independent (paragraphe 25 ci-dessus). Ses motifs, communiqués le 17, étaient pour l’essentiel les suivants: les ordonnances Millett voulaient préserver la confidentialité des renseignements contenus dans Spycatcher, en attendant le résultat final des actions engagées contre O. et G.; le comportement de l’Independent, du London Evening Standard et du London Daily News pouvait, en droit, constituer un délit de contempt of court car la divulgation desdits renseignements supprimerait leur caractère confidentiel, priverait donc ces mêmes actions de leur objet et, dès lors, entraverait l’administration de la justice. La cour d’appel renvoya l’affaire à la High Court, qu’elle chargea de déterminer si les trois journaux avaient agi dans le dessein de provoquer pareille entrave (articles 2 par. 3 et 6 c) de la loi de 1981 sur le contempt of court). Elle refusa aux intimés l’autorisation de saisir la Chambre des Lords et ils ne la demandèrent pas directement auprès de cette dernière. Ils ne s’adressèrent pas davantage à la High Court afin qu’elle modifiât les ordonnances Millett. L’arrêt de la cour d’appel aboutit à rendre celles-ci obligatoires pour tous les media britanniques, y compris le Sunday Times. G. L’issue des procédures en référé dans les affaires Observer, Guardian et Sunday Times; le maintien des ordonnances Millett S.T. indiqua clairement que sauf à se le voir interdire en justice, il publierait le deuxième épisode du feuilleton Spycatcher le 19 juillet 1987. Le 16, l’Attorney General sollicita une injonction prohibant l’insertion de nouveaux extraits dans les colonnes de l’hebdomadaire, car elle constituerait un contempt of court en raison de l’effet combiné des ordonnances Millett et de la décision finale en l’affaire Independent (paragraphe 30 ci-dessus). Le vice-chancelier délivra le même jour une telle injonction, valable jusqu’au 21 juillet 1987. Il fut convenu qu’il examinerait, le 20, la requête d’O. et G. en mainlevée des ordonnances Millett (paragraphe 26 ci-dessus) et que S.T., lié en fait lui aussi par elles, aurait le droit de plaider à l’appui de ladite requête. Il fut en outre décidé que le vice-chancelier instruirait de surcroît la demande d’injonction contre S.T. formulée par l’Attorney General et qu’il la repousserait s’il rapportait les ordonnances Millett. Après avoir ouï les comparants du 20 au 22 juillet 1987, le vice-chancelier statua à cette dernière date, révoquant les ordonnances et rejetant la demande d’injonction. Les motifs de sa décision peuvent se résumer brièvement ainsi. a) Eu égard notamment à la publication aux États-Unis (paragraphes 28-29 ci-dessus), la situation avait subi un changement complet et il fallait rechercher si les injonctions se justifieraient dans les nouvelles circonstances. b) Vu la jurisprudence, et malgré la transformation du contexte, il fallait présumer que l’Attorney General disposait encore d’arguments défendables pour arriver à l’octroi d’une ordonnance contre O. et G. au moment du procès au fond; les principes "American Cyanamid" ordinaires (paragraphe 10 ci-dessus) trouvaient donc à s’appliquer. c) Comme une indemnité constituerait pour l’Attorney General une réparation inefficace et n’en fournirait aucune aux journaux, il y avait lieu de mettre en balance les avantages et inconvénients; la préservation de la confidentialité devait prévaloir sauf si un autre intérêt public pesait plus lourd. d) Pour le maintien des injonctions jouaient les éléments suivants: il ne s’agissait que d’une procédure de référé; il n’y avait rien de neuf ou d’urgent au sujet des allégations de M. Wright; les ordonnances lieraient tous les media, de sorte que ne surgirait aucun problème de discrimination; des promesses de ne pas publier demeuraient en vigueur en Australie; lever les injonctions signifierait que les tribunaux étaient incapables de sauvegarder la confidentialité; les maintenir dissuaderait les personnes tentées d’imiter M. Wright. e) En faveur de leur levée militaient les considérations ci-après: la publication aux États-Unis avait, dans une large mesure, privé d’objet les actions engagées par l’Attorney General; les publications dans la presse, surtout quand elles concernaient des allégations d’agissements illégaux dans les services publics, ne devaient être interdites que si l’on ne pouvait l’éviter; les tribunaux perdraient tout crédit s’ils rendaient des ordonnances manifestement inaptes à atteindre leur but. f) Les deux plateaux s’équilibraient assez bien et la décision n’était point évidente, mais non sans hésitation la balance penchait du côté de la levée des injonctions. L’Attorney General attaqua aussitôt la décision du vice-chancelier; les ordonnances contre O. et G., mais non contre S.T. (paragraphe 32 ci-dessus), restèrent en vigueur pendant l’examen du recours. Dans un arrêt du 24 juillet 1987, la cour d’appel déclara: a) que le vice-chancelier ayant commis plusieurs erreurs de droit, elle pouvait exercer son propre pouvoir d’appréciation; b) que la publication de Spycatcher aux États-Unis rendait inadéquat le maintien des ordonnances Millett dans leur forme originale; c) qu’il convenait, en revanche, de les amender de manière à interdire la publication, à titre professionnel, de tout ou partie du livre ou d’autres affirmations de M. Wright, ou à lui attribuées, sur des questions de sécurité, tout en permettant "un résumé" de ses allégations "en termes très généraux". D’après les membres de la cour d’appel, le maintien des ordonnances aiderait à restaurer la confiance dans les services de sécurité, en montrant que des mémoires ne pouvaient paraître sans autorisation (Sir John Donaldson, Master of the Rolls), et à protéger les droits de l’Attorney General jusqu’au procès (Lord Justice Ralph Gibson); il cadrerait avec l’obligation, pour les tribunaux, de décourager la diffusion de textes écrits au mépris du devoir de discrétion (Lord Justice Russell). La cour d’appel accorda aux parties le droit de saisir la Chambre des Lords. Après avoir entendu les parties du 27 au 29 juillet 1987 (aucune d’elles n’approuva la solution de compromis adoptée par la cour d’appel), la commission de recours (Appellate Committee) de la Chambre des Lords statua le 30 juillet. Par trois voix (Lord Brandon of Oakbrook, Lord Templeman et Lord Ackner) contre deux (Lord Bridge of Harwich, président sortant de la commission des affaires de sécurité, et Lord Oliver of Aylmerton), elle se prononça pour le maintien des ordonnances Millett. En réalité, elles demeurèrent en vigueur jusqu’à l’ouverture, le 23 novembre 1987, des audiences relatives au bien-fondé des actions intentées pour divulgation d’informations confidentielles (paragraphe 39 ci-dessous). La majorité décida en outre d’en élargir la portée en supprimant une partie des tempéraments qui avaient permis de rendre compte à certaines conditions de la procédure australienne (paragraphe 19 ci-dessus), car les injonctions risquaient d’être tournées si des journaux anglais reproduisaient des passages de Spycatcher lus en audience publique. D’après le Gouvernement, cet amendement n’eut aucune incidence pratique sur les articles consacrés à ladite procédure. Le 13 août 1987, les membres de la commission de recours donnèrent par écrit leurs motifs qui peuvent se résumer brièvement ainsi. a) Lord Brandon of Oakbrook i. Les actions de l’Attorney General contre O. et G. tendaient à sauvegarder un intérêt public important: préserver le plus possible le caractère secret des services de sécurité; comme le reconnaît l’article 10 par. 2 (art. 10-2) de la Convention, le droit à la liberté d’expression est sujet à certaines exceptions, dont la protection de la sécurité nationale. ii. Purement temporaires, les interdictions litigieuses avaient pour but d’assurer le statu quo jusqu’au procès, et leur maintien ne préjugeait pas de la décision à prendre au principal sur la demande d’injonctions permanentes. iii. On ne pouvait pas vraiment contester l’opinion, émise par les juridictions inférieures avant la publication aux États-Unis, selon laquelle l’Attorney General disposait d’arguments très valables pour obtenir de telles ordonnances au procès. iv. Ladite publication avait certes affaibli ces arguments, mais ils restaient défendables; on ne savait trop si, en droit, elle avait eu pour résultat de relever la presse de son devoir de non-divulgation. Sans doute les dommages potentiels signalés par Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus) s’étaient-ils déjà réalisés pour la plupart, mais les tribunaux demeuraient peut-être à même d’arrêter des mesures aptes à limiter le risque de voir d’autres agents des services de sécurité provoquer à l’avenir des préjudices analogues, danger si grave qu’ils devaient s’évertuer à le minimiser. v. Il existait un seul moyen de bien apprécier la valeur de la thèse de l’Attorney General et de ménager un juste équilibre entre les intérêts publics en jeu: organiser un procès sur le fond, au cours duquel des preuves seraient produites et soumises à une discussion contradictoire. vi. Un retrait immédiat des injonctions réduirait cette même thèse à néant au stade de la procédure de référé, sans que l’Attorney General eût eu l’occasion de l’exposer en s’appuyant sur des preuves appropriées. vii. Leur maintien jusqu’au procès ne ferait, en cas de rejet des demandes de l’Attorney General, que retarder, sans l’empêcher, l’exercice du droit des journaux à publier des informations qui, d’ailleurs, se rapportaient à des événements remontant à un passé lointain. viii. Entre une solution ne pouvant nuire à la cause de la presse que de manière temporaire et nullement irréparable, et une autre qui pouvait porter à celle de l’Attorney General un préjudice définitif, les intérêts généraux de la justice obligeaient à préférer la première. b) Lord Templeman (qui marquait son accord avec Lord Brandon et Lord Ackner) i. Le recours concernait un conflit entre le droit du public à être protégé par les services de sécurité et son droit à recevoir de la presse des informations complètes. Il amenait dès lors à prendre en compte la Convention; il s’agissait de savoir si l’ingérence découlant des ordonnances était, le 30 juillet 1987, nécessaire dans une société démocratique pour un ou plusieurs des motifs énumérés à l’article 10 par. 2 (art. 10-2). ii. Au regard de la Convention, les interdictions s’analysaient en mesures nécessaires à la sécurité nationale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles et pour garantir l’autorité du pouvoir judiciaire. Elles empêcheraient de léser les services de sécurité, notamment par la diffusion à grande échelle, aujourd’hui et demain, d’accusations auxquelles leurs membres ne pouvaient répondre. Leur levée eût doté la presse du pouvoir de se soustraire à une ordonnance judiciaire destinée à protéger la confidentialité des renseignements recueillis par un agent desdits services. c) Lord Ackner (qui approuvait Lord Templeman) i. Les membres de la commission de recours estimaient tous: que l’Attorney General disposait d’arguments défendables pour demander une injonction permanente; que des dommages-intérêts n’offriraient aucune utilité pour l’État: si les ordonnances Millett ne demeuraient pas en vigueur, il perdrait à jamais toute chance de voir prononcer des interdictions permanentes lors du procès; que le maintien desdites ordonnances ne constituait pas un "muselage définitif" de la presse: si elle gagnait le procès, elle acquerrait la faculté de publier des textes dénués pour l’instant de toute urgence; qu’il existait un intérêt public, réel et digne de protection, à un fonctionnement efficace des services de sécurité; qu’il commandait - les journaux ne le contestaient pas - de décourager l’utilisation du marché britannique pour répandre les mémoires non autorisés d’agents de ces services. ii. Il y aurait donc déni de justice à refuser de maintenir les ordonnances jusqu’au procès: on balayerait sans débat l’élément intérêt public et priverait l’Attorney General, de manière prématurée et permanente, de la protection des tribunaux. d) Lord Bridge of Harwich i. La thèse favorable au maintien des ordonnances Millett - appropriées à l’origine - n’aurait pas plus de force au moment du procès que dans l’immédiat; il serait absurde de les proroger à titre temporaire si l’on ne pouvait démontrer que des interdictions permanentes se justifiaient. ii. Le public ayant désormais libre accès aux allégations de Spycatcher, les ordonnances ne pouvaient manifestement plus servir l’intérêt de la sécurité nationale en protégeant des informations sensibles. iii. L’Attorney General pouvait probablement encore invoquer l’existence d’une obligation formelle à la charge des journaux, mais il s’agissait de savoir si les ordonnances Millett restaient aptes à protéger un intérêt de sécurité nationale assez impérieux pour légitimer l’atteinte à la liberté d’expression qui en résultait. L’argument tiré de l’effet dissuasif de leur maintien ne pesait pas lourd. iv. Essayer de priver le public britannique d’informations librement accessibles ailleurs constituait un net pas en arrière vers la censure, caractéristique d’un régime totalitaire, et conduirait, si l’on persistait, à la condamnation et à l’humiliation du Gouvernement par la Cour européenne des Droits de l’Homme. e) Lord Oliver of Aylmerton i. L’ordonnance initiale du juge Millett était entièrement fondée. ii. Au début, les interdictions visaient à préserver la confidentialité d’allégations alors non publiées, mais la publication de Spycatcher l’avait définitivement réduite à néant. On pouvait se demander s’il se justifiait de recourir à des injonctions contre les journaux (qui n’avaient contribué en rien à cette publication) pour atteindre l’ultime but qu’elles pouvaient servir: punir M. Wright et fournir un exemple pour d’autres. iii. Les journaux avaient présenté leur défense en partant de l’idée que l’Attorney General disposait toujours d’arguments solides pour obtenir des injonctions durables, et l’opinion selon laquelle le nouveau et délicat point de droit soulevé ne devrait pas se trancher sans un complément de discussion au procès ne manquait pas de valeur. Toutefois, eu égard à l’accessibilité générale des renseignements figurant dans Spycatcher, on n’apercevait guère le moyen de plaider avec succès que les journaux devaient se voir interdire en permanence de les publier, et la thèse de l’Attorney General avait peu de chances de se renforcer dans l’intervalle. Il ne subsistait donc aucune raison plausible de prononcer de telles interdictions au moment du procès, de sorte qu’il fallait lever les ordonnances Millett. H. L’issue de la procédure en Australie; la poursuite de la publication de Spycatcher Par un arrêt du 24 septembre 1987, la cour d’appel de Nouvelle-Galles du Sud rejeta le recours de l’Attorney General (paragraphe 21 ci-dessus); d’après la majorité, aucune juridiction australienne n’avait compétence pour en connaître car il s’analysait en une tentative visant à faire appliquer indirectement le droit public d’un État étranger, ou trancher le point de savoir si la publication nuirait à l’intérêt public au Royaume-Uni. L’Attorney General saisit la High Court d’Australie. En raison de la publication de Spycatcher aux États-Unis et ailleurs, elle refusa de la prohiber en Australie en attendant l’audience; l’ouvrage y parut le 13 octobre. Elle repoussa le pourvoi le 2 juin 1988: selon le droit international, les cours et tribunaux d’Australie ne pouvaient accueillir une demande - telle celle de l’Attorney General - destinée à sauvegarder les intérêts du gouvernement britannique concernant ses services de sécurité. D’autres procédures, engagées par l’Attorney General aux fins d’injonctions à adresser à des journaux, aboutirent à Hong-Kong mais non en Nouvelle-Zélande. Entre-temps, la publication et la diffusion de Spycatcher et de son contenu se poursuivaient à grande échelle, non seulement aux États-Unis (environ 715 000 exemplaires imprimés, presque tous vendus au 31 octobre 1987) et au Canada (environ 100 000 exemplaires imprimés), mais aussi en Australie (145 000 exemplaires imprimés, dont la moitié écoulés en un mois) et en Irlande (30 000 exemplaires imprimés et distribués). Près de 100 000 exemplaires furent envoyés dans divers pays européens autres que le Royaume-Uni, un certain nombre expédiés d’Australie vers des pays d’Asie. Le livre fit l’objet d’émissions radiodiffusées en anglais au Danemark et en Suède ainsi que de traductions en douze langues, dont dix européennes. III. LE PROCÈS AU FOND EN ANGLETERRE A. La divulgation d’informations confidentielles Le 27 octobre 1987, l’Attorney General assigna S.T. en justice pour divulgation d’informations confidentielles; outre la délivrance d’injonctions, il sollicitait un jugement déclaratoire et le versement des bénéfices engrangés par le défendeur (account of profits). Les débats relatifs au bien-fondé de cette action et de celles de l’intéressé contre O. et G. (paragraphe 15 ci-dessus) - dans lesquelles, par un amendement du 30 octobre, il réclamait à présent un jugement déclaratoire en sus d’une injonction - eurent lieu devant le juge Scott, de la High Court, en novembre-décembre 1987. Celui-ci entendit les témoins de chacune des parties, dont Sir Robert Armstrong (paragraphe 16 ci-dessus). En outre, il maintint les injonctions provisoires en attendant de statuer au principal. Dans sa décision, qu’il rendit le 21 décembre 1987, figuraient les observations et conclusions suivantes. a) À l’appui de sa demande d’injonctions permanentes, l’Attorney General invoquait le souci non plus de préserver le caractère confidentiel de certaines informations, mais de promouvoir l’efficacité et la réputation des services de sécurité. b) Lorsque l’on cherchait à contraindre au secret un journal entré en possession de renseignements réputés confidentiels, l’étendue de cette obligation dépendait du poids relatif des intérêts qu’elle était censée protéger et de ceux que servirait une divulgation. c) Il fallait prendre en compte l’article 10 (art. 10) de la Convention et les arrêts de la Cour européenne; il en ressortait qu’une restriction à la liberté d’expression dans l’intérêt de la sécurité nationale ne pouvait passer pour nécessaire si elle ne correspondait pas à un "besoin social impérieux" et n’apparaissait pas "proportionnée aux buts légitimes poursuivis". d) M. Wright avait envers l’État le devoir de ne dévoiler aucune information obtenue par lui au cours de sa carrière au sein du MI5. Il y avait failli en écrivant Spycatcher et en le présentant à la publication; l’édition et la diffusion subséquentes du livre s’analysaient en une violation supplémentaire, de sorte que l’Attorney General aurait droit à une ordonnance interdisant à M. Wright, ou à tout agent de l’intéressé, de publier Spycatcher au Royaume-Uni. e) O. et G. n’avaient pas enfreint l’obligation de discrétion qu’ils avaient assumée en recueillant les révélations non autorisées de M. Wright: leurs articles respectifs des 22 et 23 juin 1986 (paragraphe 14 ci-dessus) parlaient de manière honnête, et en termes généraux, du procès à venir en Australie; de surcroît, la divulgation de deux des affirmations de M. Wright se justifiait par un motif supplémentaire, tiré de l’allégation d’irrégularités ("iniquity"). f) S.T., lui, avait manqué à ladite obligation en publiant la première série d’extraits du livre le 12 juillet 1987 (paragraphe 27 ci-dessus): on y trouvait des passages qui ne soulevaient pas de questions d’intérêt public l’emportant sur celles de sécurité nationale. g) S.T. devait verser les bénéfices réalisés par lui grâce à la publication de ce premier épisode. h) Il y avait lieu de débouter l’Attorney General de ses demandes d’injonctions permanentes, car la publication et la diffusion à l’échelle mondiale de Spycatcher depuis juillet 1987 avaient eu pour résultat de relever les journaux et autres tiers de toute obligation de discrétion quant aux renseignements figurant dans l’ouvrage; à cet égard, une mise en balance des éléments de sécurité nationale invoqués et de l’intérêt public à la liberté de la presse montrait que ce dernier prédominait. i) L’Attorney General n’avait pas droit à une injonction générale qui prohibât la publication future d’informations provenant de M. Wright ou d’autres membres des services de sécurité. Après avoir ouï les parties, le juge Scott prononça de nouvelles interdictions temporaires valables jusqu’à un arrêt de la cour d’appel; elles comprenaient une disposition autorisant à rendre compte de la procédure australienne (paragraphes 19 et 35 ci-dessus). Sur recours de l’Attorney General et recours incident de S.T., la cour d’appel, composée de Sir John Donaldson, Master of the Rolls, du Lord Justice Dillon et du Lord Justice Bingham, confirma la décision du juge Scott le 10 février 1988. Néanmoins, Sir John Donaldson marqua son désaccord avec l’opinion de ce dernier selon laquelle l’Observer et le Guardian n’avaient pas manqué à leur obligation de discrétion et la demande d’injonction formée contre eux en juin 1986 n’était pas "proportionnée au but légitime poursuivi". Le Lord Justice Bingham, lui, désapprouva le juge Scott d’avoir estimé que S.T. avait failli à son obligation en publiant la première série d’extraits de Spycatcher, qu’il devait abandonner ses bénéfices et que l’Attorney General avait droit, dans les circonstances existant en juillet 1987, à des ordonnances empêchant d’insérer de nouveaux épisodes. Après audition des parties, la cour d’appel prononça elle aussi de nouvelles interdictions temporaires, valables jusqu’à un arrêt de la Chambre des Lords; elle autorisa O., G. et S.T. à en demander l’amendement ou la levée en cas de retard anormal. A son tour, la commission de recours de la Chambre des Lords - Lord Keith of Kinkel, Lord Brightman, Lord Griffiths, Lord Goff of Chieveley et Lord Jauncey of Tullichettle - confirma la décision du juge Scott le 13 octobre 1988. Rejetant un pourvoi de l’Attorney General et un pourvoi incident de S.T., elle considéra: "i. qu’une obligation de discrétion pouvait découler d’un contrat ou du principe d’équité (equity) et qu’une personne ayant acquis des informations dans des circonstances emportant pareille obligation devait être empêchée de les divulguer à autrui; qu’une telle obligation incombait à un tiers possédant des renseignements réputés confidentiels, sauf si elle se trouvait éteinte parce qu’ils étaient devenus accessibles au grand public ou si un intérêt public supérieur exigeait leur divulgation; que pour obtenir une ordonnance destinée à mettre obstacle à la révélation de secrets gouvernementaux, l’État devait prouver que celle-ci risquait de nuire ou avait nui à l’intérêt public; que les injonctions ne correspondaient plus à une nécessité, le contenu de Spycatcher ayant perdu tout caractère secret par sa diffusion à l’échelle mondiale et tout particulier désireux de se procurer un exemplaire du livre le pouvant aisément; que, dès lors, il y avait lieu de les lever; ii. (avec l’opinion dissidente de Lord Griffiths) que les articles des 22 et 23 juin [1986] ne renfermaient pas d’informations préjudiciables à l’intérêt public; qu’en les publiant l’Observer et le Guardian n’avaient pas violé leur obligation de discrétion; que l’État n’aurait donc pas eu droit à une injonction permanente contre eux; iii. qu’en publiant le premier épisode de Spycatcher le 12 juillet 1987, le Sunday Times avait méconnu son obligation de discrétion; qu’il ne pouvait exciper ni d’une publication antérieure, ni de la révélation d’agissements illégaux; que la parution imminente de l’ouvrage aux États-Unis ne constituait pas une justification; que, partant, le Sunday Times devait verser les bénéfices résultant de son infraction; iv. que l’atteinte à l’intérêt général ne pouvait pas s’aggraver, car les renseignements fournis par Spycatcher étaient dorénavant dans le domaine public et ne présentaient plus aucun caractère secret; qu’il ne fallait pas interdire à l’Observer et au Guardian de diffuser le contenu du livre, ni (Lord Griffiths marquant ici son désaccord) au Sunday Times d’en publier de nouveaux épisodes; v. que les agents et ex-agents des services de sécurité avaient envers l’État, leur vie durant, un devoir de discrétion et que comme dans leur grande majorité ils ne révéleraient pas à la presse de renseignements confidentiels, il ne convenait pas d’imposer à celle-ci une interdiction générale d’encore publier des informations livrées par l’un d’entre eux au sujet des assertions de Spycatcher." B. Contempt of court Le procès au fond relatif aux accusations de contempt of court portées par l’Attorney General contre l’Independent, le London Evening Standard, le London Daily News (paragraphe 22 ci-dessus), S.T. (paragraphe 27 ci-dessus) et certains autres journaux se déroula devant le juge Morritt, de la High Court, en avril 1989. Le 8 mai celui-ci constata, notamment, une telle infraction à la charge de l’Independent et de S.T., à chacun desquels il infligea une amende de 50 000 livres. Le 27 février 1990, la cour d’appel rejeta leur recours contre la déclaration de culpabilité mais conclut qu’il ne fallait pas prononcer d’amende. La commission de recours de la Chambre des Lords repoussa, le 11 avril 1991, un pourvoi de S.T. contre ladite déclaration. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 27 janvier 1988 à la Commission (no 13585/88), O. et G. alléguaient que les injonctions temporaires en cause constituaient une atteinte injustifiée à leur liberté d’expression, protégée par l’article 10 (art. 10) de la Convention. Ils soutenaient en outre qu’au mépris de l’article 13 (art. 13), aucun recours effectif devant une "instance" nationale ne s’ouvrait à eux pour leur grief tiré de l’article 10 (art. 10) et qu’ils subissaient une discrimination contraire à l’article 14 (art. 14). La Commission a retenu la requête le 5 octobre 1989. Dans son rapport du 12 juillet 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut: a) par six voix contre cinq, que les interdictions temporaires imposées à O. et G. du 11 juillet 1986 au 30 juillet 1987 ont enfreint l’article 10 (art. 10); b) à l’unanimité, à l’existence de pareille violation pour la période du 30 juillet 1987 au 13 octobre 1988; c) à l’unanimité, à l’absence de violation des articles 13 et 14 (art. 13, art. 14). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT Dans son mémoire puis à l’audience du 25 juin 1991, le Gouvernement a invité la Cour à constater qu’il n’y a pas eu méconnaissance des droits garantis à O. et G. par les articles 10, 13 et 14 (art. 10, art. 13, art. 14).
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Ressortissant italien, M. Antonio Viezzer réside à Rome. Au moment de l'introduction de sa requête, il était colonel des Carabinieri en service auxiliaire. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 13-21 de son rapport - paragraphe 12 ci-dessous) : "13. L'enquête sur l'assassinat du journaliste C. P., qui avait publié des articles mettant en cause un certain nombre de personnalités politiques italiennes, avait fait apparaître que les informations dont il disposait provenaient des archives des Services de sécurité de l'Etat. Les soupçons concernant la divulgation de ces informations se portèrent notamment sur le requérant qui avait servi pendant plus de 25 ans dans les Services de sécurité de la République italienne et avait été pendant les dernières années chef du secrétariat du Bureau D du SID (Service Informations Défense), qui se trouvait dissous à la date de la présentation de la requête. Le 21 mai 1981, le requérant fut arrêté sur ordre du substitut du procureur de la République de Rome (le mandat concernait également une autre personne), pour s'être procuré dans un but d'espionnage politique, alors qu'il servait dans les Services de sécurité de l'Etat, des documents classés secrets et s'être aussi rendu coupable de la divulgation d'informations qui auraient dû rester confidentielles dans l'intérêt politique interne et international de l'Etat (article 257 du code pénal). Interrogé à plusieurs reprises, il nia toutes les charges dont il faisait l'objet et s'éleva contre la formulation du chef d'accusation. Le requérant fut mis en liberté provisoire pour des raisons de santé, à une date qu'il n'a pas précisée. Il affirme que depuis le 20 juin 1981, date à laquelle il reçut un mandat de comparution daté du 19 juin, et jusqu'au 6 novembre 1986, date d'introduction de la requête à la Commission, aucune mesure d'instruction le concernant ne fut effectuée, à l'exception des interrogatoires dont il fit l'objet suite à sa présentation spontanée au juge d'instruction. Il fait aussi mention d'une expertise balistique, dont les résultats furent remis au juge d'instruction le 5 décembre 1984. Le 19 décembre 1984, le juge d'instruction décida de retarder le dépôt de l'expertise au greffe, dépôt qui, aux termes de l'article 320 du code de procédure pénale (C.P.P.), doit être effectué dans le délai de trois jours à partir de la remise de l'expertise (afin que l'avocat du requérant puisse en prendre connaissance). Le juge d'instruction fonda cette décision sur l'article 304 quater, cinquième alinéa, du C.P.P., qui autorise à retarder un tel dépôt 'pour de graves motifs'. Le requérant affirme qu'à la date de la présentation de la requête le rapport d'expertise n'avait pas encore été déposé. Le 26 juin 1989, le juge d'instruction près le tribunal de Rome modifia intégralement les accusations dont le requérant faisait l'objet, c'est-à-dire la qualification des faits et la date à laquelle ils auraient été commis. Le 12 juillet 1989, le requérant fut interrogé par le juge d'instruction. A l'issue de l'interrogatoire, le juge d'instruction modifia à nouveau la date des faits telle qu'elle était indiquée dans le mandat de comparution du 26 juin 1989. Le requérant a également affirmé que l'instruction n'a porté à ce jour que sur un seul chef d'accusation, alors qu'il a également été accusé d'escroquerie et d'espionnage pour des faits allant jusqu'au 19 mars 1979, enfin de soustraction frauduleuse d'actes publics. Par lettre du 23 octobre 1989, le requérant a également indiqué que le magistrat du ministère public chargé de cette affaire est en congé de maternité (le second au cours de cette instruction) et que son retour n'est pas prévu avant au moins six mois. Ainsi les réquisitions du ministère public ne pourront de toute manière être déposées avant une année encore." D'après les renseignements fournis à la Cour par le Gouvernement et le conseil du requérant, l'instruction demeure en instance. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 6 novembre 1986 à la Commission (n° 12598/86), M. Viezzer se plaignait de la durée de la procédure; il invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 5 septembre 1989. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier : Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 196-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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Citoyen italien, M. Giovanni Manzoni est né à Zenson di Piave (Trévise). En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 14-25 du rapport - paragraphe 13 ci-dessous): "14. Le requérant a été appréhendé le 9 janvier 1981 aux Pays-Bas, en même temps qu'un autre ressortissant italien, au terme d'une opération de la police de ce pays ayant abouti à la prise de 120 kg de haschich et à l'arrestation de douze personnes. Au cours de l'enquête menée par les autorités néerlandaises, il apparut que le chargement de haschich convoyé aux Pays-Bas depuis Arzano, dans la province de Naples, y avait été pris en charge par le requérant et des complices le 7 janvier 1981. La police néerlandaise alerta la police italienne en l'invitant par ailleurs à lui faire savoir si les autorités judiciaires italiennes avaient l'intention d'engager des poursuites en Italie contre le requérant et un autre ressortissant italien impliqué dans la même affaire. La police italienne procéda à une enquête. Se fondant sur les résultats de celle-ci, consignés dans un rapport du 21 février 1981 qui lui fut transmis le 29 juillet 1981, le parquet de Naples émit contre le requérant, le 19 août 1981, un mandat d'arrêt pour trafic de stupéfiants, détention abusive d'armes et association de malfaiteurs. Le 21 août 1981, le parquet demanda par ailleurs l'extradition du requérant, qui était également recherché par la justice italienne pour purger une peine de 21 ans de prison qui lui avait été infligée pour homicide volontaire et 8 mois de prison pour délit d'évasion. Le 25 septembre 1981, le ministère italien de la Justice transmit la demande d'extradition à l'ambassade d'Italie à La Haye. Le tribunal d'Amsterdam se prononça sur la demande d'extradition le 5 janvier 1982. Il accorda l'extradition du requérant pour les chefs d'accusation visés par la demande d'extradition, à l'exception de l'association de malfaiteurs. Le requérant se pourvut en cassation de cette décision. Son recours fut rejeté par la Cour de cassation des Pays-Bas le 8 juillet 1982. Le requérant fut extradé à l'Italie le 27 juillet 1982. Ecroué à la prison de Naples, le requérant fut interrogé pour la première fois par un magistrat du parquet de Naples le 10 août 1982. Il ressort du procès-verbal de l'interrogatoire que l'avocat qu'il avait désigné pour l'assister, pourtant dûment avisé de la date de l'interrogatoire, ne se présenta pas au jour donné. Le requérant consentit cependant à être interrogé. Il fut à nouveau interrogé par un magistrat du parquet le 16 août 1982. L'instruction fut confiée à un juge d'instruction le 30 août 1982. La communication officielle de la décision des Pays-Bas concernant l'extradition du requérant, qui contenait également une copie de la décision des tribunaux néerlandais à cet égard, parvint au juge d'instruction de Naples le 16 octobre 1982. Le 8 mars 1983, le juge d'instruction émit un mandat d'arrêt qui fut notifié à l'accusé en prison. Le coaccusé du requérant fut interrogé par le juge d'instruction les 7 et 13 septembre 1983. Par ailleurs, le 7 septembre 1983 le juge d'instruction demanda aux autorités néerlandaises de bien vouloir lui transmettre les actes relatifs aux poursuites engagées aux Pays-Bas contre les autres accusés. Le requérant fut à nouveau interrogé le 21 janvier 1984 par le juge d'instruction de Spolète, où le requérant était détenu, sur commission rogatoire du juge d'instruction de Naples. Le requérant se limita à se reporter au mémoire qu'il avait envoyé, à Naples, au juge d'instruction chargé de l'affaire. A une date qui n'a pas été précisée, le juge d'instruction transmit le dossier au ministère public pour qu'il prît ses réquisitions, ce qui fut fait le 2 février 1984. Cependant, le 22 février 1984 le défenseur du coaccusé du requérant demanda au juge d'instruction de surseoir à la clôture de l'instruction jusqu'à la réception des actes du procès qui avait eu lieu aux Pays-Bas. Le juge d'instruction accéda à cette demande. Il dut adresser trois rappels aux autorités concernées, respectivement les 21 mars, 31 août et 23 octobre 1984. Les actes du procès parvinrent au juge d'instruction le 14 novembre 1984. Leur traduction - par un traducteur assermenté - fut déposée le 15 janvier 1985. Le 21 février 1985, le ministère public confirma ses réquisitions du 2 février 1984. Le requérant et son coaccusé furent renvoyés en jugement devant le tribunal de Naples le 7 mars 1985. La première audience fut fixée au 25 juin 1985. L'un des défenseurs des deux accusés, engagé le même jour dans un autre procès pénal, demanda une remise d'audience qui fut accordée avec l'assentiment des accusés. L'audience fut reportée au 26 septembre 1985. A cette date elle dut encore une fois être reportée en raison d'un empêchement des défenseurs. Il en alla de même le 2 octobre 1985. A l'audience du 17 octobre 1985, le requérant renonça à comparaître. L'audience, ouverte à 12 h 20, fut close à 13 h 40. Le même jour le requérant fut condamné à quatre années de prison, à dix millions de lires d'amende, à l'interdiction des charges publiques pendant cinq ans et à l'interdiction de se rendre à l'étranger pour une durée de deux ans. Le requérant interjeta en appel en même temps que le ministère public. Les audiences devant la cour d'appel furent reportées à plusieurs reprises: le 20 mars 1986 en raison d'une grève de tous les avocats du barreau de Naples, le 1er juillet 1986 parce que le défenseur du coaccusé était engagé dans un autre procès, le 2 octobre 1986 à la demande du défenseur de l'accusé, empêché, et le 23 avril 1987 parce que le coaccusé du requérant, arrêté entre-temps pour d'autres faits, n'avait pu comparaître à l'audience. L'affaire fut reportée au 5 novembre 1987. Le 5 novembre 1987, la cour d'appel de Naples annula le jugement dans la mesure où le tribunal de première instance s'était prononcé sur des préventions pour lesquelles l'extradition n'avait pas été accordée. Il confirma le jugement de culpabilité pour les autres accusations et augmenta la peine infligée au requérant à six ans de prison, à seize millions de lires d'amende et à l'interdiction perpétuelle des charges publiques. L'arrêt fut déposé au greffe le 12 novembre 1987. Le requérant s'est pourvu en cassation pour défaut de motivation et violation de la loi en ce que la cour d'appel n'aurait pas motivé le rejet de la demande de renouvellement des débats, avancée par la défense pour pouvoir verser au dossier le jugement rendu contre l'accusé aux Pays-Bas et faire citer des témoins à décharge. Le pourvoi en cassation a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 1988. A la date du 2 juin 1989, l'arrêt motivé n'avait toujours pas été déposé au greffe de la Cour de cassation." D'après les renseignements fournis à la Cour par les comparants, M. Manzoni demanda quatre fois (18 juillet 1983, 17 mars, 10 et 14 juin 1984) aux autorités judiciaires d'accélérer l'examen de l'affaire. Il appert, en outre, que le dépôt de l'arrêt de la Cour de cassation a eu lieu le 6 octobre 1989. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 3 juin 1985 à la Commission (n° 11804/85), M. Manzoni invoquait l'article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention ainsi que l'article 6 paras. 1 et 3 (art. 6-1, art. 6-3). Il se plaignait de la durée de sa détention provisoire, du refus de lui accorder l'assistance judiciaire, d'une atteinte à son droit à un procès équitable, d'une violation des droits de la défense et, enfin, de la durée de la procédure. Le 5 septembre 1989, la Commission a retenu la requête quant à ce dernier grief; le 3 mai 1988, elle l'avait déclarée irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 5 décembre 1989 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu infraction à l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: Pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 195-B de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________ CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT A l'audience du 1er octobre 1990, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire, où il invitait la Cour à dire "qu'il n'y a pas eu violation de la Convention".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen hongrois, M. Istvan Herczegfalvy arriva en Autriche en 1964; il vit actuellement à Vienne. A. La procédure Du 13 mai 1972 au 13 mai 1977, il purgea successivement deux peines d’emprisonnement consécutives à des condamnations par le tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) de Vienne, en partie confirmées par la Cour suprême (Oberster Gerichtshof), notamment pour coups et blessures contre sa femme, des clients de son atelier de réparation de téléviseurs et des agents de l’État. Les 23 décembre 1975 et 3 novembre 1977, le tribunal de district de Vienne-centre (Bezirksgericht Wien Innere Stadt) puis le tribunal civil régional (Landesgericht für Zivilrechtssachen) de cette ville, agissant comme tribunal des tutelles (Pflegschaftsgericht), déclarèrent le requérant partiellement incapable (beschränkt entmündigt) et lui désignèrent un conseil judiciaire (Beistand). La mesure se fondait sur l’avis d’un psychiatre, rendu à la suite de nombreuses réclamations de l’intéressé contre ses conditions de détention. Le 9 août 1983, le tribunal de district nomma un autre conseil judiciaire, resté depuis lors en fonctions. D’après une décision du tribunal des tutelles du 19 juillet 1984, sa position correspondait, à compter du 1er juillet 1984, à celle d’un curateur (Sachwalter) au sens de l’article 273 par. 3 al. 3 du code civil (paragraphe 54 ci-dessous). Dans l’intervalle, M. Herczegfalvy fit l’objet de nouvelles poursuites pour coups et blessures contre des gardiens et codétenus et menaces graves proférées à l’adresse de magistrats. Le 10 mai 1977, le tribunal régional ordonna qu’après avoir purgé sa peine, le 13 mai (paragraphe 9 ci-dessus), le requérant demeurerait incarcéré en vertu de l’article 180 par. 2 al. 1 et 3 du code de procédure pénale (paragraphe 40 ci-dessous) car on devait craindre qu’il ne tentât de se soustraire à la justice et ne commît d’autres infractions. L’intéressé recourut en vain auprès de la chambre du conseil (Ratskammer) du tribunal puis de la cour d’appel (Oberlandesgericht) de Vienne, qui statuèrent les 18 mai et 21 juin respectivement. Le président du tribunal confirma la détention provisoire le 2 novembre 1977. Se rangeant à l’avis de plusieurs experts, il décida le 9 janvier 1978 le placement provisoire (vorläufige Unterbringung) de M. Herczegfalvy dans un établissement pour délinquants aliénés (article 438 du code de procédure pénale; paragraphe 44 ci-dessous). La chambre du conseil puis la cour d’appel ayant approuvé la mesure les 6 mars et 19 avril 1978, le requérant fut transféré à la prison spéciale de Vienne- Mittersteig. D’après les psychiatres qui l’examinèrent, il souffrait de paranoïa quérulente, équivalant à une maladie mentale, qui le rendait irresponsable; très agressif, il n’était pas capable de saisir l’illicéité de ses actes et sa présence à l’audience risquait de nuire à sa santé. A la suite de ce diagnostic, le parquet modifia, le 15 juin 1978, l’acte d’accusation pour requérir l’internement de M. Herczegfalvy au lieu de sa condamnation. La détention litigieuse se fonda désormais sur l’article 429 par. 4 du code de procédure pénale (paragraphe 44 ci-dessous). Le 30 août 1978, la cour d’appel rejeta le recours de l’intéressé contre le nouvel acte d’accusation. Les débats devant le tribunal régional se tinrent les 9 et 10 janvier 1979. Auparavant, des audiences fixées successivement pour les 14 décembre 1976, 3 mai, 25 octobre et 2 novembre 1977, 6 mars et 5 avril 1978 durent toutes être reportées en raison respectivement de la disparition du dossier, d’une demande du requérant tendant à l’audition de nouveaux témoins, de l’absence du président, de l’apparition de preuves supplémentaires, de négligences dans l’envoi des citations et de la circonstance que l’intéressé avait craché au visage du président, provoquant ainsi une révision de l’acte d’accusation (paragraphe 13 ci-dessus). Le 10 janvier 1979, le tribunal estima établis les faits mis à la charge de M. Herczegfalvy et prescrivit son internement au titre de l’article 21 par. 1 du code pénal (paragraphe 45 ci-dessous): il le considérait comme dangereux et pénalement irresponsable, eu égard à l’avis de trois psychiatres ayant chacun diagnostiqué une paranoïa quérulente qui, au moins depuis 1975, s’apparentait à une maladie mentale. Le requérant forma un recours en annulation (Nichtigkeitsbeschwerde) devant la Cour suprême. Le tribunal décida toutefois qu’en attendant qu’elle eût statué, l’intéressé demeurerait provisoirement interné en application de l’article 429 par. 4 du code de procédure pénale mais, sur recommandation du psychiatre, en maison d’arrêt. En vertu de l’article 50 de la loi sur les hôpitaux, le tribunal ordonna le 28 juin 1979, outre le maintien de l’incarcération, le transfert d’urgence de l’intéressé dans un hôpital psychiatrique en raison des soins que son état nécessitait. M. Herczegfalvy y resta du 29 juin au 23 juillet 1979, date à laquelle il regagna la prison. Saisie d’un appel du requérant, la cour de Vienne déclina sa compétence le 29 août 1979: seul l’article 429 par. 4 du code de procédure pénale pouvait entrer en jeu, en sorte qu’il appartenait à la chambre du conseil du tribunal de connaître du recours. Le 5 septembre 1979, cette dernière confirma la détention litigieuse. Se fondant sur l’article 429 par. 4 du code de procédure pénale, elle fit conduire M. Herczegfalvy à la clinique psychiatrique de Vienne pour qu’il y reçût d’urgence des soins, tant médicaux que socio- et psychothérapeutiques, indispensables à cause notamment de la grève de la faim observée par lui depuis le 2 août 1979. Amené le 10 septembre 1979 au pavillon 23 dudit établissement, il y séjourna jusqu’à son élargissement, le 28 novembre 1984. Le 8 octobre 1979, la cour de Vienne rejeta l’appel de l’intéressé contre cette décision. Entre-temps, le 3 octobre 1979, la Cour suprême avait partiellement réformé le jugement du 10 janvier 1979 (paragraphes 14-15 ci-dessus), annulé l’ordre d’internement et renvoyé l’affaire au tribunal régional. Le 4 décembre 1979, M. Herczegfalvy demanda sa mise en liberté. Le juge d’instruction lui répondit, le 14 décembre, qu’il demeurait interné conformément à l’article 429 par. 4 du code de procédure pénale. A la requête de ce magistrat, l’hôpital psychiatrique présenta un rapport, du 17 janvier 1980, concluant à l’impossibilité de se contenter d’une détention provisoire ordinaire, en raison des dangers que l’agressivité créait toujours pour son entourage. En vertu de l’article 429 par. 4, la chambre du conseil puis la cour d’appel prolongèrent l’internement litigieux en 1980. A l’issue de débats tenus les 20 mars et 9 avril 1980, le tribunal régional, statuant sur renvoi (paragraphe 18 ci- dessus), estima prouvés les faits reprochés à M. Herczegfalvy - dont de nouvelles menaces graves proférées le 24 décembre 1979 contre un juge - et le plaça, sur la base de l’article 21 par. 1 du code pénal, dans un établissement pour délinquants aliénés. Il s’appuyait sur le jugement du 10 janvier 1979, les trois expertises psychiatriques qui lui avaient servi de fondement (paragraphe 14 ci-dessus) et l’avis de leurs auteurs respectifs, entendus à l’audience et selon lesquels, malgré certaines améliorations, la situation n’avait pas changé fondamentalement. L’intéressé ayant renoncé à ses recours en annulation et en appel, le 30 octobre 1980 par écrit et le 6 novembre lors d’une audience, une ordonnance (Endverfügung) rendit le jugement définitif à cette dernière date et fixa au 1er octobre 1981 le prochain contrôle judiciaire de l’internement (article 25 par. 3 du code pénal; paragraphe 46 ci-dessous). Plus tard, le requérant contesta la validité de ses déclarations: il ne les aurait faites qu’en vue de son rapatriement en Hongrie, dont il fut question le 6 novembre 1980 mais qui ne se réalisa point. Le 8 février 1982, le tribunal régional prorogea, par application de l’article 21 par. 1 du code pénal, la détention de M. Herczegfalvy, considéré comme dangereux par un rapport psychiatrique établi à la demande de ladite juridiction. Il agissait en vertu de l’article 25 par. 3 du code pénal; un employé de l’hôpital psychiatrique lui avait signalé que le contrôle annuel de la légalité de l’internement aurait dû avoir lieu au plus tard pour le 1er octobre 1981 (paragraphe 20 ci-dessus). Le 13 juillet, le 19 septembre et en octobre 1983, l’intéressé sollicita son élargissement, notant que le délai pour l’exercice de l’examen annuel avait expiré le 8 février 1983. A la suite de la première requête, le tribunal consulta un psychiatre qui déposa, le 22 octobre, une analyse favorable à une mise en liberté sous surveillance (paragraphe 33 ci-dessous). Après que la cour d’appel, saisie d’un recours hiérarchique (Dienstaufsichtsbeschwerde), eut enjoint au tribunal régional de faire diligence, celui-ci ordonna le 16 février 1984 une deuxième prolongation de l’internement litigieux. Tenant compte des conclusions de l’expert- psychiatre et de celles du directeur de l’hôpital, déposées le 25 janvier 1984, il estima que l’état mental de M. Herczegfalvy n’avait pas fondamentalement changé. Souffrant toujours de paranoïa quérulente, le requérant refuserait sûrement, une fois relâché, de se prêter au traitement voulu et risquerait en conséquence d’introduire de nombreuses plaintes, voire de mettre à exécution les menaces proférées en particulier contre les gardiens de prison (paragraphe 33 ci-dessous). Le 4 avril 1984, la cour d’appel rejeta le recours de l’intéressé et confirma que les conditions d’une libération en vertu de l’article 47 par. 2 du code pénal ne se trouvaient pas réunies. M. Herczegfalvy présenta de nouvelles demandes d’élargissement les 6 juin et 23 septembre 1984. Il recouvra la liberté à titre conditionnel le 28 novembre, le tribunal en ayant décidé ainsi le 14 novembre, sur la base d’un rapport psychiatrique du 14 septembre (paragraphe 34 ci-dessous). La juridiction releva que la paranoïa de l’intéressé avait certes empiré, mais qu’elle résultait principalement de son incarcération (Haftquerulanz). Quant aux plaintes et pétitions vexatoires (Rechtsquerulanz), elles ne constituaient pas un danger au sens de l’article 21 du code pénal. Depuis qu’il était détenu, le requérant ne s’était montré vraiment agressif qu’en de rares occasions. Si l’on ne pouvait exclure qu’il le devînt en cas de frustration, son dossier psychiatrique n’autorisait pas à conclure que sa personnalité anormale l’entraînerait à se livrer à des infractions. Du reste, l’expert ne jugeait pas nécessaire, quoique recommandé, de continuer le traitement psychiatrique ou la pharmacothérapie. B. Le traitement médical Renvoyé en prison après son séjour à l’hôpital psychiatrique de Vienne du 29 juin au 23 juillet 1979 (paragraphe 16 ci-dessus), M. Herczegfalvy avait entamé le 2 août 1979 une grève de la faim pour protester contre sa détention et le refus de lui communiquer ses dossiers. Tombé d’inanition le 28 août, il fut transféré dans une clinique où on lui dispensa des soins médicaux intensifs; le 10 septembre 1979, il regagna l’hôpital psychiatrique de Vienne où il resta jusqu’à sa mise en liberté, le 28 novembre 1984 (paragraphe 23 ci-dessus). Comme l’intéressé était très affaibli à son retour, le directeur de l’établissement ordonna son alimentation forcée, par application de l’article 8 par. 3 de la loi sur les hôpitaux (paragraphe 51 ci-dessous). Rejetant tout contact et tout examen ou traitement médical, le requérant se vit en outre administrer contre son gré des sédatifs (trois doses de 30 mg de Taractan i.m.) puis, les 14 et 15 septembre, attacher à un lit de sûreté dont il réussit à sectionner le filet et les courroies. Le 17 septembre, il reçut un autre neuroleptique (Sordinol i.m.) car des infiltrations étaient apparues. Il cessa de repousser toute nourriture le 27 septembre 1979, après avoir obtenu une chambre individuelle et une partie de ses dossiers. M. Herczegfalvy observa une nouvelle grève de la faim du 26 novembre au 13 décembre 1979, date à laquelle il aurait finalement accepté de se faire nourrir par sonde une fois par jour (Sondenernährung); il conteste toutefois la validité de son accord. Devant la détérioration de son état physique et mental, on lui injecta de force, le 15 janvier 1980, 90 mg de Taractan afin de provoquer un état de somnolence (Dämmerschlaf) devant permettre un traitement par perfusion. Comme il s’y était violemment opposé, l’équipe de secours avait dû le maîtriser. Le 18 janvier, on le transféra dans le service des soins intensifs car il présentait des symptômes de pneumonie et de néphrite. Il y demeura jusqu’au 30 janvier 1980. Quand il le quitta, il n’était pas entièrement rétabli et devait toujours subir un traitement à base d’antibiotiques et de neuroleptiques. A son retour au quartier fermé, on lui mit des menottes et une courroie autour des chevilles en raison du risque d’agression et des menaces de mort qu’il proférait; il dut les garder jusqu’au 14 février 1980. D’après le Gouvernement, on les déplaça régulièrement pour éviter une paralysie nerveuse; le 12 février, l’intéressé aurait consenti à se faire nourrir par une femme médecin. Selon lui au contraire, d’autres courroies lui enserraient les cuisses et le ventre et ne furent desserrées pour la première fois que le 2 février. Dans le but d’obtenir ses dossiers et de quoi écrire ses plaintes, il aurait poursuivi sans relâche sa grève de la faim; il aurait été alimenté artificiellement pendant toute cette période. A partir du 19 février 1980, le requérant se calma et se montra plus coopérant. Il continua certes d’insulter épisodiquement le personnel, mais accepta de communiquer avec son entourage et consentit à ce qu’un médecin féminin le nourrît par sonde deux fois par semaine. Le 22 février, on lui donna du papier et un stylo à bille. À la suite d’un différend relatif à sa correspondance, M. Herczegfalvy se vit interdire, le 27 décembre 1980, de regarder la télévision. Comme sa résistance physique au traitement forcé par neuroleptiques s’était fréquemment révélée vaine et avait même entraîné des lésions (perte de dents, côtes cassées et hématomes), il portait plainte pour coups et blessures chaque fois qu’on lui administrait les médicaments. Ces lettres, d’après lui non communiquées aux autorités compétentes, remplirent six classeurs qu’on lui délivra lors de sa sortie. Pendant ce temps, il continua de refuser, au moins partiellement, de se faire sustenter autrement que par sonde mais le 12 novembre 1982 il déclara ne plus avoir besoin d’alimentation artificielle; un médecin l’aurait persuadé de cesser sa grève de la faim en lui expliquant qu’elle menaçait sa vie. Des rapports de la clinique avaient toutefois constaté qu’il paraissait suffisamment nourri. Dans un avis du 5 mars 1983, un expert estima possible de mettre le requérant en liberté conditionnelle moyennant certaines mesures d’accompagnement psychiatrique et social. Selon lui, le comportement de M. Herczegfalvy s’était beaucoup amélioré, au point de ne presque plus représenter de danger. A la suite d’une nouvelle série de plaintes considérées comme quérulentes, le tribunal régional consulta l’hôpital, le 28 juillet 1983, au sujet d’un éventuel élargissement de l’intéressé. Le 22 octobre 1983, un expert nota les progrès accomplis par le requérant et exprima l’opinion qu’un comportement quérulent ne constituait pas un danger au sens de l’article 21 du code pénal. Toutefois, dans une lettre du 25 janvier 1984, le directeur de l’hôpital déconseilla au tribunal de lever l’internement de M. Herczegfalvy: comme le traitement suivi, à base de médicaments, n’avait qu’un effet sédatif, on ne pouvait exclure qu’une fois relâché, l’intéressé ne redevînt agressif et dangereux. Là-dessus, le tribunal régional refusa le 16 février 1984 d’élargir le requérant (paragraphe 22 ci-dessus). Finalement, celui-ci recouvra la liberté le 28 novembre 1984, après un nouveau rapport d’expertise du 14 septembre 1984 (paragraphe 23 ci-dessus). C. Le contrôle de la correspondance Pendant sa détention, M. Herczegfalvy adressa à diverses autorités de très nombreuses plaintes et requêtes relatives notamment à sa thérapie et aux procédures engagées par lui. S’estimant dépourvu de l’argent nécessaire, il refusa plusieurs fois d’affranchir son courrier ou l’envoya à cette fin au ministère de la Justice. Pour endiguer pareil flot de correspondance, on le priva de temps à autre de matériel d’écriture et on lui retourna fréquemment ses missives quand elles ne portaient pas de timbre, sauf si elles étaient destinées aux pouvoirs publics et en particulier aux tribunaux. Quant au courrier rédigé à l’hôpital psychiatrique, la direction était convenue avec le curateur de l’intéressé qu’elle le lui transmettrait régulièrement, à charge pour lui de décider s’il fallait l’acheminer; seules feraient exception les lettres de M. Herczegfalvy à son avocat, à son conseil judiciaire et au tribunal des tutelles. Il se plaint que même elles ne furent pas toutes expédiées. En quittant la clinique, le requérant se vit remettre six classeurs contenant les originaux de ces lettres, ainsi qu’une cinquantaine de missives scellées dont le carnet postal révéla qu’elles n’avaient jamais été communiquées à leurs destinataires, en l’occurrence la police, le parquet et les tribunaux. D. Les restrictions à l’accès à l’information M. Herczegfalvy prétend aussi avoir été privé de lecture, de radio et de télévision pendant de longues périodes de sa détention, en particulier du 15 janvier 1980 à la fin du mois de février de la même année et à partir du 27 décembre 1980; à compter du 15 juin 1981, tant sa cellule que le pavillon auraient été dépourvus de téléviseur. Ces mesures n’auraient poursuivi qu’un but disciplinaire. D’après le Gouvernement, elles se fondaient sur l’article 51 par. 1 de la loi sur les hôpitaux (paragraphe 51 ci-dessous), se justifiaient pour des raisons thérapeutiques et ne valaient chaque fois que pour une courte durée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La privation de liberté La détention provisoire L’article 180 paras. 1 et 2 du code de procédure pénale, dans sa version applicable aux faits de la cause, permet de placer une personne en détention provisoire - s’il existe des raisons sérieuses de la soupçonner d’une infraction pénale - en cas de danger de fuite, de collusion ou de répétition d’infractions. Un risque de fuite ne peut se présumer si l’inculpé encourt une peine égale ou inférieure à cinq ans d’emprisonnement, vit dans des conditions normales et a une résidence permanente en Autriche, à moins qu’il n’ait déjà tenté de se soustraire à la justice (par. 3). L’accusé peut à tout moment introduire une demande d’élargissement (article 194 par. 2). Selon les articles 194 et 195, elle est examinée par la chambre du conseil du tribunal régional en audience non publique, en présence du prévenu ou de son avocat; devant la cour d’appel - saisie par le détenu ou le ministère public -, les débats se déroulent également à huis clos, en présence d’un magistrat du parquet général mais en l’absence de l’inculpé et de son avocat. A défaut d’une telle initiative de l’intéressé, la chambre du conseil contrôle d’office la détention quand celle-ci a duré deux mois ou lorsque trois mois se sont écoulés depuis la dernière audience et que le prévenu n’a pas d’avocat (article 194 par. 3). La mise définitive en accusation ou la fixation de la date d’ouverture du procès entraînent la suppression des audiences de contrôle; les décisions sur le maintien en détention incombent désormais, pendant les débats, à la juridiction de jugement et, en dehors de ceux-ci, à la chambre du conseil siégeant à huis clos (article 194 par. 4). La détention provisoire prend fin au plus tard au moment où le condamné commence à purger sa peine, sur la durée de laquelle elle s’impute de plein droit (article 38 du code pénal). Le placement provisoire dans un établissement pour délinquants aliénés Dans deux cas, envisagés aux articles 429 par. 4 et 438 du code de procédure pénale, la détention provisoire peut prendre la forme d’un placement dans un établissement pour délinquants aliénés: Article 429 par. 4 "S’il existe l’un des motifs de détention visés à l’article 180 paras. 2 ou 7, ou que le maintien en liberté de l’intéressé présente un risque pour lui-même ou pour autrui, ou que sa surveillance médicale soit nécessaire, son placement provisoire dans un établissement pour délinquants aliénés ou son internement dans un hôpital psychiatrique public est ordonné (...)" Article 438 "S’il y a des raisons suffisantes de considérer que les conditions de [l’article] 21 par. 2 (...) du code pénal se trouvent remplies et qu’il existe des motifs de détention (article 180 paras. 2 et 7), mais que l’accusé ne puisse être détenu sans difficulté dans la maison d’arrêt d’un tribunal, il est décidé de faire exécuter la détention provisoire sous la forme d’un placement provisoire dans un établissement pour délinquants aliénés (...)" La détention dans un établissement pour délinquants aliénés (mesures préventives de sûreté) Aux termes de l’article 21 du code pénal: "1. Si une personne commet une infraction passible d’une peine privative de liberté de plus d’un an mais ne peut être condamnée, au seul motif qu’elle l’a commise dans un état excluant sa responsabilité (article 11) et reposant sur une grave anomalie des facultés ou du psychisme, le tribunal ordonne de la placer dans un établissement pour délinquants aliénés si, compte tenu de sa personnalité, de son état et de la nature de l’acte, il y a lieu de craindre que sous l’influence de son anomalie mentale ou psychique, elle ne commette une infraction aux conséquences graves. Dans une telle éventualité, est placé aussi dans un établissement pour délinquants aliénés quiconque, sans être irresponsable, a commis sous l’influence d’une grave anomalie mentale ou psychique une infraction passible d’une peine privative de liberté de plus d’un an. En pareil cas, le placement est ordonné en même temps qu’il est statué sur la peine." La durée des mesures préventives de sûreté se trouve régie par l’article 25 du code pénal: "1. Les mesures préventives sont ordonnées pour une période indéterminée. Elles s’appliquent aussi longtemps que l’exige la réalisation de l’objectif visé (...). La décision de rapporter la mesure préventive appartient au tribunal. Le tribunal examine d’office, une fois par an au moins, la nécessité de maintenir le placement dans un établissement pour délinquants aliénés (...) (...)" B. Les conditions de détention Le régime de la détention provisoire L’article 184 du code de procédure pénale dispose: "La détention provisoire vise à prévenir les risques énoncés à l’article 180 par. 2. Dans le respect des lois et des autres dispositions fondées sur elles, les détenus ne sont soumis qu’aux restrictions propres à réaliser les objectifs de la détention et à maintenir l’ordre et la sécurité dans la prison. Ils sont traités avec calme, sérieux et détermination; le traitement doit être juste, respecter leur sens de l’honneur et leur dignité humaine et porter le moins possible atteinte à leur personne." Les articles 187 et 188 du code de procédure pénale régissent la correspondance des personnes en détention provisoire: Article 187 "1. Sans préjudice des dispositions de l’article 45 du présent code et des articles 85 et 88 de la loi sur l’application des peines, les détenus peuvent correspondre par écrit avec toute personne qui ne risque pas de compromettre l’objectif de la détention provisoire, et en recevoir des visites. Aucune restriction n’est imposée à la correspondance, à moins que la surveillance ne se trouve entravée par le volume exceptionnel du courrier d’un détenu. Dans ce cas, des restrictions sont ordonnées dans la mesure où l’exige une surveillance correcte. Toute correspondance de nature à compromettre l’objectif de la détention est retenue, sous réserve des dispositions relatives à la correspondance avec les autorités et les conseils (articles 88 et 90 par. 4 de la loi sur l’exécution des peines). Sont retenues toutes les lettres de détenus donnant à penser que par elles se commet une infraction à poursuivre d’office, sauf si elles sont adressées à une assemblée de représentation générale, un tribunal ou une administration nationaux, ou encore à la Commission européenne des Droits de l’Homme. (...)" Article 188 par. 1 "Toute décision sur le point de savoir avec qui les détenus peuvent correspondre et quelles visites ils peuvent recevoir, la surveillance du courrier et des visites ainsi que tous autres ordres et décisions concernant les relations des prisonniers avec l’extérieur (articles 86 à 100 de la loi sur l’exécution des peines), incombent, à l’exception du contrôle des colis, au juge d’instruction. Il n’est renoncé au contrôle de la correspondance que dans la mesure où aucune atteinte à l’objectif de la détention n’est à craindre." Le régime des établissements pour délinquants aliénés Sauf texte contraire, les dispositions que la loi sur l’application des peines (Strafvollzugsgesetz) consacre aux détenus en maison d’arrêt valent aussi, par analogie, pour les individus placés dans les établissements pour délinquants aliénés (article 167 par. 1 de ladite loi). Elles réglementent en détail, par exemple: - le droit au traitement médical indispensable (articles 66 et suivants) ainsi que le traitement médical et l’alimentation forcés (article 69); - le droit d’accès à l’information par des livres, des revues, des journaux, la radio et la télévision (articles 58 et suivants); - le droit de correspondre, notamment avec les proches, les tiers, les avocats, les tribunaux et autres autorités, les organes représentatifs, le médiateur, la Commission européenne des Droits de l’Homme et, dans le cas d’un ressortissant étranger, son consulat (articles 86 et suivants); - le droit de requête et de plainte (articles 119 et suivants). Les détenus peuvent présenter des requêtes à propos des conditions de leur détention (article 119) et se plaindre d’actes du personnel pénitentiaire qui selon eux portent atteinte à leurs droits (article 120). Ils doivent s’adresser au directeur de la prison ou, si leurs griefs sont dirigés contre lui, au ministre fédéral de la Justice (article 121), sans préjudice d’un contrôle par les Cours administrative et constitutionnelle (articles 130 et 144 de la Constitution fédérale). Les détenus peuvent faire valoir leurs requêtes et plaintes, sauf celles relatives à leur traitement médical, par la voie d’un recours hiérarchique, qui toutefois ne donne pas droit à une décision administrative (articles 120 par. 1, deuxième phrase, et 122). L’article 165 par. 1 n’autorise les restrictions aux droits des délinquants aliénés que dans la mesure nécessaire à la réalisation du but du placement et interdit toute atteinte à la dignité humaine de ceux-ci ainsi qu’aux droits que leur garantissent les articles 119 à 122. Il prescrit en outre de classer sans autres formalités les plaintes manifestement exercées sous le seul effet du trouble mental ou affectif de l’intéressé et non fondées sur une atteinte à ses droits. Le régime applicable dans le service fermé d’un hôpital psychiatrique Avant la création d’établissements spéciaux pour eux, les délinquants aliénés étaient placés dans le service fermé des hôpitaux psychiatriques publics, régis par la loi sur les hôpitaux (Krankenanstaltengesetz). Celle-ci dispose notamment: Article 8 "1. Le service médical de l’hôpital est organisé de façon à y assurer l’assistance à tout moment et sans délai. Les patients n’y sont traités que conformément aux principes et méthodes médicaux reconnus. Des traitements curatifs spéciaux, y compris des opérations chirurgicales, ne peuvent être pratiqués qu’avec l’accord du patient; s’il a moins de dix-huit ans ou ne peut, faute de maturité ou d’une bonne santé, apprécier la nécessité ou l’opportunité du traitement, celui-ci ne peut être pratiqué qu’avec l’assentiment de son représentant légal. Cet assentiment n’est pas nécessaire lorsque le traitement est à ce point urgent que le délai requis pour obtenir l’accord du patient, l’assentiment de son représentant légal ou la désignation d’un représentant compromettrait la vie du patient ou risquerait de porter gravement atteinte à sa santé. Le directeur médical de l’hôpital ou le chef de service compétent décide de la nécessité et de l’urgence d’un traitement." Article 51 par. 1 "La liberté de mouvement des patients internés d’office et leurs contacts avec l’extérieur (...) peuvent subir des restrictions." C. L’incapacité légale L’incapacité légale partielle du requérant, prononcée en 1975 (paragraphe 10 ci-dessus), se fondait sur les articles 1 par. 2 et 4 du décret de 1916 sur les incapables (Entmündigungsordnung): Article 1 par. 2 "Tout adulte incapable de prendre soin de ses propres intérêts et qui, à cause d’une maladie ou d’un handicap mental, a besoin de l’assistance d’un conseil judiciaire (Beistand) pour s’occuper correctement de ses intérêts, peut être partiellement privé de capacité légale." Article 4 "1. Quiconque est partiellement privé de capacité légale est assimilé à un mineur de plus de quatorze ans (mündiger Minderjähriger) et doté d’un conseil judiciaire. (...) Le conseil judiciaire a les droits et devoirs du tuteur (Vormund), mais le tribunal des tutelles peut réserver au conseil judiciaire le droit de disposer des revenus que la personne privée de capacité légale acquiert par son travail." Les fonctions du tuteur sont définies à l’article 188, première phrase, du code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch), ainsi libellé: "Un tuteur a pour devoir principal de veiller à la personne du mineur, mais aussi d’administrer son patrimoine." L’article 216 par. 1 précise que si le soin de la personne et de l’éducation du mineur n’incombe pas à une personne investie de l’autorité parentale, le tuteur en a la charge. Aux termes de la loi de 1983 sur la protection des handicapés (Sachwaltergesetz), les personnes déclarées totalement ou partiellement privées de capacité légale sont à considérer, à compter du 1er juillet 1984, comme assistées d’un curateur (Sachwalter) habilité par l’article 273 par. 3 al. 3 du code civil à gérer tous leurs intérêts. D’après l’article 282 du code civil, le curateur a les mêmes droits et obligations que le tuteur; il doit en outre veiller à la personne du handicapé, en particulier à sa prise en charge médicale et sociale, sauf décision contraire du tribunal. D. Recours devant les Cours administrative et constitutionnelle En principe, tout acte administratif, y compris l’exercice d’une contrainte administrative directe à l’égard d’une personne déterminée, peut être contesté, quant à sa légalité, devant la Cour administrative (Verwaltungsgerichtshof; article 130 de la Constitution fédérale) et, quant à sa constitutionnalité, devant la Cour constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof; article 144). Toutefois, la jurisprudence ne paraît pas offrir d’exemple de pareils recours dirigés contre des actes d’un hôpital psychiatrique, du genre de ceux qui se trouvent en cause dans la présente affaire. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 27 novembre 1978 à la Commission (no 10533/83), M. Herczegfalvy formulait une série de griefs relatifs à la légalité, à la longueur et au régime de sa détention ainsi qu’au traitement médical appliqué durant celle-ci. Le 10 mars 1988, la Commission a notamment déclaré irrecevables pour tardiveté (article 26 in fine de la Convention) (art. 26) ceux qui avaient trait à des faits antérieurs au 27 mai 1978. Le 4 octobre 1989, elle a retenu certains des autres et rejeté la requête pour le surplus. Dans son rapport du 1er mars 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation des articles 3 (art. 3) (unanimité), 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) (pour les périodes du 11 décembre 1981 au 8 février 1982 et du 8 février 1983 au 16 février 1984; unanimité), 5 par. 4 (art. 5-4) (unanimité), 8 (art. 8) (unanimité), 10 (art. 10) (unanimité) et 13 (art. 13) (dix-huit voix contre deux), mais non des articles 5 par. 1 c) (art. 5-1-c) (onze voix contre neuf), 5 par. 1 e) (art. 5-1-e) (pour les autres périodes; onze voix contre neuf) et 5 par. 3 (art. 5-3) (unanimité). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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Ressortissante italienne, Mme Angelina Monaco habite Subiaco (Rome) et se trouve au chômage. En application de l’article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-20 de son rapport): "16. Le 28 février 1985, la requérante assigna l’Istituto Nazionale della Previdenza Sociale (INPS) devant le juge d’instance (pretore) de Rome pour voir reconnaître son droit à une pension d’invalidité. L’instruction débuta à l’audience du 5 juin 1985, date à laquelle le juge d’instance ordonna l’accomplissement d’une expertise médicale. Le 25 octobre 1985, l’expertise fut déposée au greffe et, à l’issue de l’audience du 30 octobre 1985, le juge d’instance rejeta la demande de la requérante. Le texte de la décision fut déposé au greffe le jour même. Le 16 septembre 1986, la requérante interjeta appel contre cette décision et, le 29 septembre 1986, le président du tribunal de Rome fixa l’audience devant la chambre compétente du tribunal au 19 octobre 1988. A cette date, le tribunal ordonna l’accomplissement d’une nouvelle expertise médicale et renvoya l’affaire à l’audience du 1er mars 1989. A une date qui n’a pas été précisée" - d’après les renseignements fournis à la Cour par les comparants, il s’agit du 1er mars 1989 -, "le tribunal fit droit à la demande de la requérante. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 27 novembre 1989. Il ne ressort pas du dossier qu’un pourvoi en cassation ait été formé contre ce jugement." PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L’intéressée a saisi la Commission le 14 mai 1987. Elle se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par elle et invoquait l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (no 12923/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l’unanimité l’opinion qu’il y a eu violation de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT À l’audience, le Gouvernement a confirmé la conclusion de son mémoire; il y invitait la Cour à dire "qu’il n’y a pas eu violation de la Convention dans la présente affaire".
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyenne française née en 1935 à Sidi Bel Abbès, en Algérie, la requérante fut déclarée de sexe masculin à l’officier de l’état civil, sous les prénoms de Norbert et Antoine. A. La genèse de l’affaire Aînée de cinq enfants, Mlle B. adopta dès son plus jeune âge un comportement féminin. Considérée par ses frères et soeurs comme une fille, elle se serait mal adaptée à un milieu scolaire ignorant toute mixité. Elle accomplit en Algérie, en tant qu’homme, son service militaire, pendant lequel elle manifesta un comportement homosexuel. Après s’être vouée pendant cinq ans à l’alphabétisation de jeunes Kabyles, elle quitta l’Algérie en 1963 et s’établit à Paris, où elle travailla dans un cabaret sous un pseudonyme. Angoissée par sa féminité, elle souffrait de dépressions nerveuses qui culminèrent en 1967, époque à laquelle elle fut hospitalisée pendant un mois. Le médecin qui la soignait depuis 1963 observa une hypotrophie de ses organes génitaux masculins et prescrivit une hormonothérapie féminisante qui entraîna rapidement un développement mammaire et la féminisation de sa physionomie. La requérante adopta désormais un habillement féminin. En 1972, elle se soumit au Maroc à une intervention chirurgicale, consistant dans l’exérèse des organes génitaux externes et la création d’une cavité vaginale (paragraphe 18 ci-dessous). Mlle B. vit aujourd’hui avec un homme qu’elle a rencontré peu avant son opération et qu’elle a immédiatement informé de sa situation. Elle ne se produit plus sur scène et les réactions d’hostilité qu’elle susciterait l’auraient empêchée de trouver un emploi. B. L’action intentée par la requérante Devant le tribunal de grande instance de Libourne Désireuse d’épouser son compagnon, Mlle B. assigna en justice le procureur de la République de Libourne le 18 avril 1978 pour voir "dire et juger que déclaré[e] à l’état civil de son lieu de naissance du sexe masculin, [elle] présent[ait] en réalité une constitution féminine; dire et juger qu’[elle était] du sexe féminin; ordonner la rectification de son acte de naissance; dire qu’[elle] portera[it] désormais les prénoms de Lyne Antoinette". Le 22 novembre 1979, le tribunal de grande instance de Libourne la débouta pour les raisons ci-après: "(...) Attendu qu’il ressort clairement du rapport des experts et qu’il n’est d’ailleurs pas contesté que [B.], correctement déclaré à sa naissance de sexe masculin, a évolué vers une morphologie, un habitus et un comportement féminins en raison semble-t-il d’une hypogénésie congénitale (...) et de tendances psychiques après traitement hormonal et opérations chirurgicales; Qu’il apparaît ainsi que la mutation de sexe a été volontairement obtenue par des procédés artificiels; Qu’il ne peut être fait droit à la demande de Norbert [B.] sans porter atteinte au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes; (...)." Devant la cour d’appel de Bordeaux La requérante ayant interjeté appel, la cour de Bordeaux confirma le jugement de première instance le 30 mai 1985. Elle déclara notamment: "(...) contrairement (...) à ce que soutient Monsieur [B.], son état actuel n’est pas ‘le résultat d’éléments irréversibles et innés préexistants à l’opération et d’une intervention chirurgicale commandée par les nécessités thérapeutiques’ et l’on ne peut davantage considérer que les traitements auxquels s’est volontairement soumis Monsieur [B.] aient abouti à la révélation du véritable sexe caché de l’intéressé, mais ils relèvent au contraire d’une volonté délibérée du sujet sans qu’aucun traitement autre ait été tenté et sans que ces interventions aient été impérativement commandées par l’évolution biologique de Monsieur [B.]. (...)." Devant la Cour de cassation Mlle B. se pourvut en cassation. Son unique moyen était ainsi rédigé: "Le moyen reproche à l’arrêt attaqué d’avoir débouté l’exposant de sa demande en rectification d’état civil, Aux motifs que si, nonobstant le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, une modification peut intervenir lorsque la ‘nécessité irréversible et indépendante de l’individu y contraint’, ce qui peut être le cas des transsexuels vrais, celle-ci ne saurait être entérinée qu’après un long délai d’étude et de réflexion précédant la phase opératoire, pendant lequel une équipe médicale qualifiée pourra ‘acquérir progressivement la conviction que la situation est authentique et irréversible’; qu’en l’espèce (...) ‘aucune sorte de traitement psychologique ou psychiatrique n’a été tenté’; qu’’aucune observation prolongée n’a été faite par le premier médecin qui a prescrit un traitement hormonal, aucune garantie de cette même observation n’a été apportée avant l’intervention chirurgicale opérée à l’étranger’; que ‘le changement de sexe apparent n’a été obtenu que par la seule volonté de M. [B.], et il est évident que même après le traitement hormonal et l’intervention chirurgicale il continue à présenter les caractéristiques d’un sujet de sexe masculin dont l’aspect extérieur a été modifié par la grâce de la chirurgie esthétique et plastique’; qu’ainsi loin d’avoir abouti à la ‘révélation du véritable sexe caché de l’intéressé’, les traitements auxquels il s’est soumis relèvent d’une ‘volonté délibérée du sujet sans qu’aucun traitement autre ait été tenté et sans que ces opérations aient été impérativement commandées par l’évolution biologique de M. [B.]’ (...); Alors que l’identité sexuelle, droit fondamental de la personne, est constituée de composantes non seulement biologiques mais psychologiques; qu’en considérant comme inopérantes les interventions chirurgicales subies par un transsexuel pour mettre son anatomie en conformité avec son être, du seul fait qu’il n’en conservait pas moins ses caractéristiques génétiques et chromosomiques masculines, et abstraction faite de toute recherche - recherche que n’interdisait nullement l’absence de psychothérapie du sujet préalablement à l’intervention pratiquée compte tenu du rapport d’expertise judiciaire - d’un vécu psychologique opposé, la cour d’appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l’article 99 du code civil. (...)" Le mémoire ampliatif de la requérante débutait par la "présentation" suivante: "Une nouvelle occasion est ici donnée à la Cour de cassation de faire entrer les transsexuels dans la normalité, en leur accordant la rectification de leur état civil. La solution est juridiquement possible puisque la Commission européenne des Droits de l’Homme a érigé en droit fondamental de la personne l’identité sexuelle. Elle est humainement nécessaire afin que des êtres qui ne sont pas médicalement pervers, mais seulement victimes d’aberrations de la nature, puissent enfin vivre en harmonie avec eux-mêmes, et avec la société tout entière." Il comportait en outre un développement relatif à la Convention: "VI. L’ordre juridique européen a rallié totalement cette thèse [admettant le droit du transsexuel à la reconnaissance de sa véritable identité], suppléant ainsi l’absence de texte législatif français en la matière. La Commission européenne des Droits de l’Homme, saisie par un transsexuel qui avait vu sa demande rejetée par un arrêt définitif de la cour de Bruxelles, a estimé qu’en refusant de tenir compte des modifications licitement intervenues, l’État belge avait méconnu le respect dû à la vie privée du requérant au sens de l’article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention européenne des Droits de l’Homme; qu’en refusant de prendre en compte ‘l’identité sexuelle, telle qu’elle résulte de la morphologie modifiée, du psychisme du requérant, de son rôle social, (...) l’État belge avait traité l’intéressé comme un être ambigu, une apparence’ (...) C’est ce qui résulte d’un rapport en date du 1er mars 1979, qui reconnaît l’identité sexuelle comme un droit fondamental de la personne. La France y a expressément souscrit puisqu’elle a publié une déclaration [d’acceptation] du droit de recours individuel devant la Commission européenne des Droits de l’Homme (...)" La première chambre civile de la Cour de cassation rejeta le pourvoi le 31 mars 1987, par les motifs que voici: "Attendu, selon les énonciations des juges du fond, que Norbert [B.] a présenté requête au tribunal de grande instance afin de faire juger qu’il était de sexe féminin, qu’il y avait lieu en conséquence de modifier son acte de naissance et de l’autoriser à porter désormais les prénoms de Lyne Antoinette; que l’arrêt confirmatif attaqué l’a débouté de son action; Attendu que Norbert [B.] reproche à la cour d’appel (Bordeaux, 30 mai 1985) d’avoir ainsi statué alors que l’identité sexuelle est constituée non seulement de composantes biologiques mais aussi psychologiques, de sorte qu’en décidant sans procéder à aucune recherche sur son vécu psychologique, elle aurait privé sa décision de base légale; Mais attendu que la juridiction du second degré constate que, même après le traitement hormonal et l’intervention chirurgicale auxquels il s’est soumis, Norbert [B.] continue de présenter les caractéristiques d’un sujet du sexe masculin; qu’elle a estimé que, contrairement à ce que soutient l’intéressé, son état actuel n’est pas le résultat d’éléments préexistants à l’opération et d’une intervention chirurgicale commandée par des nécessités thérapeutiques mais relève d’une volonté délibérée du sujet; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision; que le moyen ne peut donc être accueilli; (...)" (Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambres civiles (Bull. civ.) I, 1987, no 116, p. 87) II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Traitement médical Les traitements hormonaux et chirurgicaux tendant à donner aux transsexuels les marques extérieures du sexe qu’ils souhaitent se voir reconnaître n’exigent aucune formalité juridique ni autorisation. Autrefois pratiquées à l’étranger, les opérations chirurgicales peuvent avoir lieu en France depuis 1979, sous contrôle médical. Le conseil national de l’Ordre des médecins ne s’y oppose pas et la Sécurité sociale prend en charge les frais de certaines d’entre elles. Les auteurs ou complices d’atteintes volontaires à l’intégrité physique d’un être humain encourent des sanctions pénales, mais les poursuites, bien que possibles, restent exceptionnelles en matière de transsexualisme. B. État civil Les événements se produisant dans la vie des personnes et ayant une incidence sur leur état donnent lieu à une mention en marge de l’acte de naissance ou à une transcription sur celui-ci: reconnaissance d’un enfant naturel (article 62 du code civil), adoption (article 354), mariage (article 75), divorce (article 1082 du nouveau code de procédure civile), décès (article 79 du code civil). Les officiers de l’état civil sont invités à réserver des espaces suffisants à ces fins (article 3 du décret 62-921 du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives à l’état civil). L’accès aux actes de l’état civil Aux termes de l’article 8, premier alinéa, du décret du 3 août 1962, "Les registres de l’état civil datant de moins de cent ans ne peuvent être directement consultés que par les agents de l’État habilités à cet effet et les personnes munies d’une autorisation écrite du procureur de la République." Toutefois, "La publicité des actes de l’état civil est assurée par la délivrance de copies intégrales ou d’extraits" (même article, deuxième alinéa). Les copies intégrales d’un acte de naissance ne peuvent être délivrées qu’à l’intéressé, ses ascendants ou descendants, son conjoint, son représentant légal, le procureur de la République ou toute personne autorisée par ce dernier (article 9, alinéas 1 et 3). En revanche, toute personne peut obtenir un extrait de l’acte de naissance d’un tiers (article 10). Les mentions figurant sur l’extrait de naissance font l’objet de certaines restrictions. Ainsi, en cas d’adoption plénière pareil extrait ne doit contenir aucune référence au jugement d’adoption ni à la famille d’origine (article 12). D’autre part, le décret du 26 septembre 1953 portant simplification des formalités administratives dispose que dans les procédures et instructions conduites par les administrations, services et établissements publics ou par les entreprises, les organismes et les caisses contrôlées par l’État, la présentation d’une fiche d’état civil remplace les extraits d’actes de l’état civil. Pareille fiche n’indique pas le sexe. La rectification des actes de l’état civil et le changement de prénoms a) Législation La rectification des actes de l’état civil obéit aux dispositions suivantes: Article 57 du code civil "L’acte de naissance énoncera le jour, l’heure et le lieu de la naissance, le sexe de l’enfant et les prénoms qui lui seront donnés, les prénoms, noms, âges, professions et domiciles des père et mère et, s’il y a lieu, ceux du déclarant. Si les père et mère de l’enfant naturel, ou l’un d’eux, ne sont pas désignés à l’officier de l’état civil, il ne sera fait sur les registres aucune mention à ce sujet. Si l’acte dressé concerne un enfant naturel, l’officier de l’état civil en donnera, dans le mois, avis au juge du tribunal d’instance du canton de la naissance. Les prénoms de l’enfant figurant dans son acte de naissance peuvent, en cas d’intérêt légitime, être modifiés par jugement du tribunal de grande instance prononcé à la requête de l’enfant ou, pendant la minorité de celui-ci, à la requête de son représentant légal. Le jugement est rendu et publié dans les conditions prévues aux articles 99 et 101 du présent code. L’adjonction de prénoms pourra pareillement être décidée." Article 99 du code civil (tel que l’a modifié le décret no 81-500 du 12 mai 1981) "La rectification des actes de l’état civil est ordonnée par le président du tribunal. La rectification des jugements déclaratifs ou supplétifs d’actes de l’état civil est ordonnée par le tribunal. La requête en rectification peut être présentée par toute personne intéressée ou par le procureur de la République; celui-ci est tenu d’agir d’office quand l’erreur ou l’omission porte sur une indication essentielle de l’acte ou de la décision qui en tient lieu. Le procureur de la République territorialement compétent peut procéder à la rectification administrative des erreurs et omissions purement matérielles des actes de l’état civil; à cet effet, il donne directement les instructions utiles aux dépositaires des registres." Article 1 de la loi du 6 fructidor an II "Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance: ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre." b) Jurisprudence Nombre de tribunaux de grande instance (T.G.I.) et cours d’appel (C.A.) de France ont accueilli des demandes tendant à voir modifier, sur les registres de l’état civil, les mentions relatives au sexe et au prénom (voir, entre autres, T.G.I. d’Amiens, 4.3.1981; d’Angoulême, 18.1.1984; de Créteil, 22.10.1981; de Lyon, 31.1.1986; de Montpellier, 6.5.1985; de Nanterre, 16.10.1980 et 21.4.1983; de Niort, 5.1.1983; de Paris, 24.11.1981, 16.11.1982, 9.7.1985 et 30.11.1988; de Périgueux, 10.9.1991; de Saint-Etienne, 11.7.1979; de Strasbourg, 20.11.1990; de Thionville, 28.5.1986; de Toulouse, 25.5.1978; C.A. d’Agen, 2.2.1983; de Colmar, 15.5 et 30.10.1991; de Nîmes, 2.7.1984; de Paris, 22.10.1987; de Toulouse, 10.9.1991; de Versailles, 21.11.1984) ou au second seulement (T.G.I. de Lyon, 9.11.1990; de Metz, 6.6.1991; de Paris, 30.5.1990; de Saint-Etienne, 26.3.1980; C.A. de Bordeaux, 18.3.1991). Certains d’entre eux précisent que la modification de l’état civil ne revêtira pas un caractère rétroactif, afin de ne pas porter atteinte aux actes et situations juridiques antérieurs. La grande majorité de ces décisions ont acquis force de chose jugée, le ministère public n’ayant pas utilisé les voies de recours qui s’offraient à lui. D’autres juridictions du fond ont toutefois statué dans le sens opposé (voir notamment T.G.I. de Bobigny, 18.9.1990 et de Paris, 7.12.1982; C.A. de Bordeaux, 13.6.1972 et 5.3.1987; de Lyon, 19.11.1987; de Nancy, 5.4.1973, 13.4.1977 et 22.4.1982; de Nîmes, 10.3 et 7.6.1986, 7.5 et 2.7.1987; de Rouen, 8.10.1986 et 26.10.1988). Quant à la Cour de cassation, de 1975 au 31 mai 1990 elle a eu l’occasion de statuer une douzaine de fois en la matière. Dans deux arrêts du 16 décembre 1975 (Bull. civ. I, no 374, p. 312, et no 376, p. 313; Recueil Dalloz Sirey (D.S.) 1976, p. 397, note Lindon; Juris-Classeur périodique (J.C.P.) 1976, II, 18503, note Penneau), elle a exclu toute possibilité de prendre en considération une modification des attributs du sexe consécutive à un traitement hormonal et chirurgical auquel l’intéressé s’était délibérément soumis (1er arrêt), mais elle a laissé entendre que les juges du fond pourraient tenir compte d’un changement morphologique involontaire consécutif à un traitement pratiqué dans un camp de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale (2e arrêt). Le 30 novembre 1983 (Bull. civ. I, no 284, p. 253; D.S. 1984, p. 165, note Edelman; J.C.P. 1984, II, 20222, conclusions de M. l’avocat général Sadon), elle a rejeté un pourvoi formé contre un arrêt qui avait refusé d’admettre le changement de sexe malgré un rapport médical favorable, car "la cour d’appel a[vait] relevé qu’en dépit des opérations auxquelles elle s’était soumise, Nadine V. n’était pas du sexe masculin". La Cour de cassation a rendu deux autres arrêts les 3 et 31 mars 1987 (Bull. civ. I, no 79, p. 59, et no 116, p. 87; D.S. 1987, p. 445, note Jourdain). Le second concerne la présente affaire (paragraphe 17 ci-dessus). Dans le premier, elle a eu à se prononcer sur la situation d’un transsexuel marié et père d’un enfant. Tout en reconnaissant que génétiquement celui-ci restait un homme, la cour d’appel de Nîmes avait ordonné, le 2 juillet 1984, la rectification de son acte de naissance et la modification des prénoms. Sur pourvoi du ministère public, la Cour de cassation a censuré l’arrêt car les constatations y figurant ne démontraient pas l’existence d’un changement de sexe par l’effet d’une cause étrangère à la volonté de l’intéressé. Les 7 mars 1988 (Bull. civ. I, no 176, p. 122), 7 juin 1988 (Gazette du Palais (G.P.) des 7-8 juin 1989, jurisprudence, p. 4) et 10 mai 1989 (Bull. civ. I, no 189, p. 125), elle a repoussé les pourvois de transsexuels n’ayant volontairement suivi que des traitements hormonaux: la cour d’appel avait constaté le caractère volontaire desdits traitements et pu estimer insuffisantes les considérations psychologiques et sociales invoquées. Le 21 mai 1990, la Cour de cassation a réservé le même sort à quatre pourvois (J.C.P. 1990, II, 21588, avec le rapport de M. Massip et les conclusions de Mme l’avocat général Flipo). Elle a déclaré notamment: "(...) le transsexualisme, même lorsqu’il est médicalement reconnu, ne peut s’analyser en un véritable changement de sexe, le transsexuel, bien qu’ayant perdu certains caractères de son sexe d’origine, n’ayant pas pour autant acquis ceux du sexe opposé; (...)" Le quatrième pourvoi reprochait à la cour d’appel de "n’avoir pas non plus recherché si, à défaut d’une rectification du sexe, il n’y avait pas lieu, à tout le moins, d’accueillir la substitution de prénoms demandée". La Cour suprême a répondu que la requérante "n’a[vait] demandé devant la cour d’appel le changement de ses prénoms que comme conséquence du changement de sexe dont elle se prévalait" et qu’elle "n’a[vait] pas soutenu avoir un intérêt légitime au sens de l’article 57, alinéa 3, du code civil à ce que ses prénoms [fussent] modifiés même si ce changement de sexe n’était pas reconnu". Elle rejeta donc le moyen, le considérant comme nouveau. C. Documents Les documents administratifs a) Les pièces d’identité En règle générale, les documents administratifs délivrés aux personnes physiques n’indiquent pas le sexe: carte nationale traditionnelle d’identité, passeport classique, permis de conduire, carte d’électeur, fiches de nationalité, etc. Toutefois, les nouvelles cartes d’identité informatisées le mentionnent afin de permettre l’identification de l’individu par la machine et de tenir compte de l’existence de prénoms ambivalents. Il en va de même des passeports de modèle "communautaire", appelés à remplacer progressivement les passeports "nationaux". b) Le numéro de l’INSEE L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) attribue à toute personne un numéro, qui contient en tête un chiffre spécificateur quant au sexe (1 pour le sexe masculin, 2 pour le sexe féminin) et figure dans le répertoire national d’identification des personnes physiques. La Sécurité sociale reprend ce numéro et le complète pour chaque assuré. Le droit d’utiliser le numéro en question se trouve réglementé par la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Par son article 8, elle subordonne à une autorisation par décret en Conseil d’État, adopté après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le recours au répertoire à des fins de traitement nominatif. Le décret no 82-103 du 22 janvier 1982 relatif audit répertoire dispose qu’"En dehors des cas expressément prévus par la loi, le répertoire ne peut servir à des fins de recherches de personnes" (article 7). Dans un avis de juin 1981, la CNIL a défini les grandes lignes de la doctrine qu’elle comptait suivre dans le contrôle de l’utilisation du répertoire et du numéro d’inscription à celui-ci. Elle a depuis lors donné des avis défavorables ou obtenu le retrait du numéro dans de nombreux cas concernant notamment le fisc et l’éducation nationale. En revanche, elle en a approuvé l’emploi pour contrôler l’identité des individus dans le cadre de la gestion automatisée du casier judiciaire et du fichier central des chèques de la Banque de France. Un décret du 11 avril 1985 a également autorisé la Sécurité sociale à se servir du numéro d’inscription au répertoire. La CNIL a aussi admis, lors de l’élaboration de plusieurs normes relatives à la paie du personnel, l’usage du numéro comme moyen de correspondre avec les organismes de sécurité sociale. Les documents privés Aucun texte n’impose aux établissements bancaires et postaux d’apposer la mention "Madame", "Mademoiselle" ou "Monsieur" sur la formule de chèque, mais en pratique elle y figure d’ordinaire. Chacun peut cependant exiger de n’y voir apparaître que ses nom et prénoms. Quant aux factures, elles doivent comporter le nom des personnes qu’elles concernent mais peuvent ne pas indiquer le sexe (article 3 de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans sa requête du 28 septembre 1987 à la Commission (no 13343/87), Mlle B. se plaignait du refus des autorités françaises de reconnaître sa véritable identité sexuelle et notamment de lui accorder la modification d’état civil qu’elle sollicitait. Elle invoquait les articles 3, 8 et 12 (art. 3, art. 8, art. 12) de la Convention. La Commission a retenu la requête le 13 février 1990 à l’exception du grief tiré de l’article 12 (art. 12), qu’elle a rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes. Dans son rapport du 6 septembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut à la violation de l’article 8 (art. 8) (dix-sept voix contre une), mais non de l’article 3 (art. 3) (quinze voix contre trois). Le texte intégral de son avis et de l’opinion dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à "rejeter [la] requête" pour non-épuisement des voies de recours internes, "au surplus et en tout état de cause", pour tardiveté (article 26 in fine de la Convention) (art. 26) et, "à titre purement subsidiaire", pour défaut de fondement. Quant à la requérante, elle a demandé à la Cour, dans son mémoire, de "- constater que l’État français a violé à son endroit les dispositions de l’article 8 par. 1 (art. 8-1) de la Convention (...); - condamner l’État français à lui verser la somme de 1 000 000 francs français (f.) en application de l’article 50 (art. 50) de la Convention (...) et la somme de 35 000 f. au titre des frais et dépens qu’elle a été contrainte d’exposer tant devant la Cour de cassation que devant la Commission et les instances européennes."
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyen grec et ingénieur aéronautique, M. Hadjianastassiou servait dans l’armée de l’air à l’époque des faits, avec le grade de capitaine. Responsable d’un programme (project officer) de conception et de production d’un missile téléguidé, il présenta au Centre des recherches technologiques de l’armée de l’air (le "K.E.T.A."), en 1982, une étude sur ledit missile. En janvier 1983, il soumit à une société privée ("ELFON S.A.R.L.") une autre étude technique sur des missiles téléguidés, rédigée par ses soins. A. La procédure devant le tribunal permanent de l’armée de l’air d’Athènes Le 4 juillet 1984, une chambre du tribunal permanent de l’armée de l’air d’Athènes (Diarkes Stratodikeio Athinon) inculpa le requérant et une autre personne de divulgation de secrets militaires (article 97 du code pénal militaire - paragraphe 21 ci-dessous). Le 22 octobre 1984, le tribunal reconnut M. Hadjianastassiou coupable d’avoir communiqué à ELFON une série de dix éléments ainsi que "toutes les autres données techniques et théoriques" figurant dans l’étude du K.E.T.A. Il lui infligea deux ans et six mois d’emprisonnement. B. La procédure devant la cour d’appel militaire Le condamné et le procureur près la cour d’appel militaire (Epitropos tou Anatheoritikou Dikastiriou) attaquèrent le jugement ainsi rendu. Après avoir tenu audience les 28 février et 1er mars 1985, la cour d’appel militaire désigna deux experts, professeurs à l’Ecole polytechnique d’Athènes, qui, avec deux autres nommés par l’intéressé, comparèrent les deux études. Dans leur rapport du 26 septembre 1985, les deux professeurs concluaient: "(...) à notre avis, les deux études du K.E.T.A. et d’ELFON suivent une méthodologie différente, les deux missiles diffèrent entre eux et le second n’est pas une copie du premier (...). Il existe, toutefois, à un certain degré, un transfert inévitable de savoir-faire technique (...). Il n’est pas possible de déterminer à quel point ce transfert eut lieu au-delà de ce qui est mentionné aux alinéas précédents b), c) et d), car l’étude d’ELFON et encore plus celle du K.E.T.A. sont rédigées de manière bâclée et comportent beaucoup d’obscurités et d’omissions; il importe de souligner que dans les deux études les données aérodynamiques sont erronées (...)" Ils relevèrent que M. Hadjianastassiou possédait un certain savoir-faire, acquis pendant ses études aux États-Unis. Toutefois, sa participation au programme du K.E.T.A. avait enrichi son expérience. Les composantes du missile, ainsi que certaines données théoriques contenues dans les deux études, apparaissaient dans divers manuels versés au dossier et considérés comme "bibliographie accessible". Il ne s’agissait pas de manuels classés "secrets", mais leur accessibilité aux simples particuliers n’était pas certaine. Lors de nouvelles audiences, les 21 et 22 novembre 1985, la cour d’appel militaire entendit dix-neuf témoins sur les points de savoir si les deux études renfermaient des données communes, si l’on pouvait avoir librement accès, dans la littérature scientifique, aux informations leur ayant servi de base et si l’étude destinée au K.E.T.A. était classée "secret militaire". Après les débats, la cour d’appel militaire délibéra en chambre du conseil et examina les questions suivantes, posées par son président: "1. Constantinos Hadjianastassiou est-il coupable d’avoir, entre octobre 1982 et mars 1983, communiqué et divulgué à des tiers, illégalement et délibérément, des plans et renseignements militaires classés secrets et devant conserver ce caractère au nom des intérêts militaires de l’État grec? [En particulier, est-il coupable d’avoir] (...) en octobre 1982, après avoir pris contact avec la société ELFON S.A.R.L. (...) pour concevoir et rédiger à l’intention de celle-ci une étude portant sur des missiles téléguidés, moyennant une rémunération à fixer avec elle pendant que les travaux seraient en cours, illégalement et délibérément, a) communiqué à ladite société des renseignements généraux relatifs au missile téléguidé sous étude au K.E.T.A. et à ses caractéristiques techniques, bien que sachant, comme officier chargé du programme de conception et de fabrication (project officer) du missile du K.E.T.A., que ces renseignements étaient secrets et que l’intérêt militaire de l’État grec exigeait la préservation de leur caractère secret; b) transmis à ladite société plusieurs éléments provenant de l’étude correspondante, et de même objet, du K.E.T.A. ainsi que de la totalité du programme de fabrication du missile téléguidé grec (laser kit) qui existait dans ce centre et qui concernait à titre principal les dimensions du missile, sa géométrie externe, son périmètre, ses éléments aérodynamiques, son type laser Nd-YAG, son modèle dynamique, son dôme, son diagramme électronique, son système de détection, ses données électroniques de base, ainsi que tous les autres éléments théoriques ou techniques compris dans l’étude d’ELFON S.A.R.L. (...), conçue dans son intégralité sur la base des éléments transmis et divulgués par lui à la société et provenant du programme et de l’étude correspondants du K.E.T.A., bien qu’il sût, en sa qualité de project officer du programme (...), que ces éléments étaient secrets et que l’intérêt militaire de l’État grec exigeait la préservation de leur caractère secret? Se trouve-t-il établi (...) qu’au moment de la divulgation de ces secrets militaires, l’accusé s’estimait, à tort, en droit de procéder à un tel acte ou [au contraire] se croyait à juste titre, pour avoir conçu l’étude du K.E.T.A. et utilisé ses propres connaissances, en droit d’élaborer une nouvelle étude et de la soumettre par l’intermédiaire de la société ELFON S.A.R.L. au Service de l’industrie d’armement? Cette illusion était- elle excusable? Se trouve-t-il établi (...) que les secrets militaires ainsi divulgués, à savoir les renseignements généraux que [l’accusé] a communiqués à la société ELFON au sujet du missile téléguidé (...) et de ses caractéristiques techniques, revêtent une importance mineure? Se trouve-t-il établi (...) que l’accusé pourrait bénéficier de circonstances atténuantes, ayant mené, jusqu’à l’accomplissement de l’acte susmentionné, une vie privée, familiale et professionnelle honnête et non point déréglée? (...)" Il ressort du procès-verbal des délibérations que la cour d’appel militaire répondit par l’affirmative aux questions 1 a) (quatre voix contre une), 3 et 4 (unanimité), par la négative aux questions 1 b) (quatre voix contre une) et 2 (trois voix contre deux). Statuant en présence de M. Hadjianastassiou le 22 novembre 1985, elle lui infligea une peine de cinq mois d’emprisonnement avec sursis - dont elle déduisit les quatre mois et quatorze jours de détention provisoire - pour divulgation de secrets militaires d’importance mineure (article 97 par. 2 du code pénal militaire, paragraphe 21 ci-dessous). Le président de la cour d’appel militaire donna lecture de l’arrêt, lequel ne mentionnait pas les questions posées aux membres de la juridiction. Afin de prendre connaissance de celles-ci, ainsi que des réponses données, l’intéressé demanda, le 23 novembre 1985, le texte du procès-verbal de l’audience. Le greffier lui aurait dit qu’il faudrait attendre la "mise au propre" de l’arrêt. C. La procédure devant la Cour de cassation Le 26 novembre 1985 - dans le délai de cinq jours prévu à l’article 425 par. 1 du code pénal militaire (paragraphe 24 ci- dessous) -, M. Hadjianastassiou se pourvut en cassation; dans son pourvoi, long d’une page, il alléguait "l’application et l’interprétation erronées des dispositions en vertu desquelles il a[vait] été condamné, à savoir l’article 97 par. 2 du code pénal militaire". Il reçut une copie de l’arrêt d’appel le 16 décembre; très bref et non motivé, celui-ci ne se référait qu’à la fixation de la peine. Le 23 décembre 1985, le requérant exigea derechef communication du procès-verbal; il l’obtint le 10 janvier 1986. Détaillé et reproduisant en entier les six questions et les réponses recueillies, ce document se terminait ainsi: "(...) La Cour, par quatre voix contre une (...), estime l’accusé Hadjianastassiou coupable de divulgation de secrets militaires, infraction commise en Attique entre octobre 1982 et mars 1983. La Cour, par trois voix contre deux (...), rejette la demande d’application de l’article 31 par. 2 du code pénal (non-culpabilité en cas d’erreur) présentée par la défense. La Cour, à l’unanimité, admet que les secrets militaires communiqués sont d’importance mineure. La Cour, à l’unanimité, accorde à l’accusé le bénéfice des circonstances atténuantes (article 84 par. 2 a) du code pénal). Vu les articles: (...) 97 par. 2 combiné avec le paragraphe 1 et avec l’article 98 e) (...), 366, 368 (...) du code pénal militaire, (...); (...) eu égard à la gravité des actes commis, à la personnalité de l’accusé, aux dommages causés par l’infraction, à la nature spécifique de celle-ci, aux circonstances particulières dans lesquelles elle a été perpétrée, au degré de l’intention criminelle de l’accusé, au caractère de celui-ci, à sa situation personnelle et sociale, à son comportement antérieur et postérieur à la commission de l’infraction; La Cour condamne l’accusé à cinq mois d’emprisonnement et aux dépens (...) Elle déduit de la peine susmentionnée (...) la période de quatre mois et quatorze jours de détention provisoire et fixe à seize jours le restant de la durée de l’emprisonnement. Considérant que dans le passé l’accusé n’a été ni reconnu coupable d’une infraction ni condamné à une peine d’emprisonnement, et eu égard aux circonstances de l’accomplissement de l’infraction, la Cour estime qu’il échet de surseoir à l’exécution du restant de la peine (...) Par ces motifs, Vu les articles 99, 100 et 104 du code pénal, La Cour ordonne qu’il soit sursis à l’exécution du restant de la peine pour une période de trois ans. (...)" L’audience eut lieu le 11 avril 1986 devant la Cour de cassation (Areios Pagos). Le 14 avril, M. Hadjianastassiou déposa un mémoire par lequel il étayait sa plaidoirie. Selon lui, la formulation de son recours suffisait à écarter tout risque de rejet pour cause d’imprécision. Dénonçant la brièveté du délai de pourvoi contre les décisions des tribunaux militaires et l’impossibilité, pour les intéressés, de prendre en temps utile connaissance du contenu des arrêts attaqués, il contestait le motif de sa condamnation: la communication de "renseignements généraux" sur le missile du K.E.T.A., retenue par la cour d’appel militaire, ne justifiait pas l’application de l’article 98 du code pénal militaire, lequel visait la divulgation de renseignements secrets de caractère militaire, accusation dont la cour d’appel l’avait acquitté par sa réponse à la question 1 b) (paragraphe 11 ci-dessus). Il estimait pouvoir tout au plus tomber sous le coup de l’article 96 (paragraphe 21 ci-dessous). Le 18 juin 1986, la Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable par les motifs suivants: "Du pourvoi litigieux (...), demandant la cassation de l’arrêt no 616/1985 de la cour d’appel militaire d’Athènes, il ressort que celui-ci est attaqué pour application et interprétation erronées des dispositions en vertu desquelles [le requérant] a été condamné, à savoir l’article 97 par. 2 du code pénal militaire. Toutefois, cet unique moyen de cassation, tel que formulé ci-dessus, est vague car il ne reproche à l’arrêt attaqué aucune erreur concrète et particulière pouvant fonder le grief tiré de l’application et de l’interprétation erronées de la disposition précitée; il échet donc de déclarer le pourvoi irrecevable, en vertu des articles 476 par. 1 et 513 par. 1 du code de procédure pénale." II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La divulgation de secrets militaires Le code pénal militaire dispose: Article 96 "Communication de renseignements militaires Tout militaire, ou toute personne appartenant aux services des forces armées, qui, sans l’assentiment des autorités militaires, communique ou rend publics, par n’importe quel moyen, des renseignements ou appréciations sur l’armée, est puni d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas six mois." Article 97 "Divulgation de secrets militaires Tout militaire, ou toute personne appartenant aux services des forces armées, qui, illégalement et délibérément, livre ou communique à des tiers, ou permet que soient livrés ou communiqués à des tiers, des documents, plans, autres objets ou renseignements secrets d’importance militaire, est passible de réclusion criminelle (katheirxi), ou, en cas de remise ou communication à un État étranger ou à un espion ou agent de celui-ci, de la peine de mort et de la destitution. (...) lorsque les [renseignements] communiqués présentent une importance mineure, le coupable est condamné à une peine d’emprisonnement (filakisi) de six mois au moins (...)" Article 98 "Renseignements secrets Sont considérés comme ‘renseignements secrets d’importance militaire’ ceux qui se réfèrent à l’État grec ou à ses alliés et qui concernent: (...) e) tout objet officiellement classé secret. (...)" B. L’obligation de motiver les décisions judiciaires Les dispositions pertinentes de la Constitution de 1975 se lisent ainsi: Article 93 par. 3 "Toute décision judiciaire doit être motivée de manière précise et circonstanciée; elle est prononcée en audience publique (...)" Article 96 "(...) Des lois spéciales régissent: a) Les tribunaux militaires de l’armée de terre, de mer et de l’air, devant lesquels ne peuvent être déférés des particuliers. b) Les tribunaux des prises. Les tribunaux mentionnés à l’alinéa a) du paragraphe précédent sont composés en majorité de membres du corps judiciaire des forces armées, qui jouissent des garanties d’indépendance personnelle et fonctionnelle prévues par l’article 87 par. 1 de la présente Constitution. Les dispositions des paragraphes 2 à 4 de l’article 93 sont applicables aux audiences et arrêts de ces tribunaux. Les modalités d’application des dispositions du présent paragraphe, ainsi que la date de la mise en vigueur, sont fixées par une loi." Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l’absence de motifs dans les décisions des juridictions militaires ne constitue pas une cause de cassation: l’application de l’article 93 par. 3 de la Constitution à ces juridictions dépend, d’après l’article 96 par. 5, de l’adoption de lois spéciales, laquelle n’a pas encore eu lieu (arrêts nos 470/1975, 483/1979, 18/1980, 647/1983, 531-535/1984 (Nomiko Vima 1984, p. 1070) et 1494/1986). Il suffit que pareille décision réponde aux questions posées par le président; elles doivent indiquer fidèlement l’ensemble des actes reprochés à l’accusé, afin de permettre le contrôle ultérieur, par cassation, de la bonne application des dispositions du droit pénal aux faits incriminés tels que les a établis le juge militaire du fond (arrêts nos 456/1986 et 1494/1986). C. Les recours contre les décisions des juridictions militaires Le code pénal militaire Entrent ici en ligne de compte les textes suivants: Article 366 "Formulation des questions. Question principale Le président pose les questions concernant chaque accusé. La question principale se fonde sur le dispositif de la décision de renvoi (...) et contient la question de savoir si l’accusé est coupable (...) de l’acte qui lui est reproché (...)" Article 368 "Questions complémentaires (Parepomena zitimata) Afin de compléter la question principale ou subsidiaire peuvent être posées des questions complémentaires relatives à l’imputation ainsi qu’à l’aggravation, l’atténuation (...) ou l’effacement (exalipsin) de l’acte punissable." Article 425 par. 1 "Délai Le délai de pourvoi en cassation (anairesi) est de cinq jours à compter du prononcé de l’arrêt ou, si celui-ci a été rendu en l’absence du condamné ou de son représentant, de sa notification (...)" Article 426 "Moyens de cassation Seuls peuvent être invoqués comme moyens de cassation: (...) B) L’application ou l’interprétation erronées des dispositions de fond du droit pénal." Le code de procédure pénale Le code de procédure pénale prévoit notamment: Article 473 par. 3 "Délai d’exercice des voies de recours Le délai de pourvoi en cassation court à partir de la date de la transcription de l’arrêt définitif au registre de la juridiction pénale. Cette transcription doit avoir lieu dans les quinze jours, sans quoi le président de la juridiction pénale encourt des sanctions disciplinaires." Article 509 par. 2 "Mémoire en cassation En sus des moyens invoqués dans le mémoire en cassation (...), des moyens additionnels peuvent être soulevés dans un mémoire ampliatif qui doit être déposé au greffe du procureur général près la Cour de cassation quinze jours au plus tard avant les audiences (...); passé ce délai, de tels moyens sont irrecevables (...)" La jurisprudence pertinente de la Cour de cassation Selon la jurisprudence de la Cour de cassation (arrêts nos 656/1985 (Nomiko Vima 1985, p. 891), 1768/1986, 205/1988 (Nomiko Vima 1988, p. 588) et 565/1988), l’article 473 par. 3 du code de procédure pénale ne vaut pas pour les pourvois formés contre les décisions des juridictions militaires, le délai applicable en pareil cas se trouvant fixé par l’article 425 du code pénal militaire (paragraphe 24 ci-dessus). Les moyens de cassation doivent figurer dans le mémoire introductif. En ce qui concerne "l’application ou l’interprétation erronées des dispositions de fond du droit pénal", le pourvoi doit préciser clairement les erreurs reprochées à la décision attaquée (arrêts nos 234/1968, 459/1987, 1366/1987 (Nomiko Vima 1987, p. 1659) et 1454/1987, ainsi que l’arrêt rendu en l’espèce par la Cour de cassation). Enfin, des moyens supplémentaires ne peuvent être pris en considération que si le mémoire introductif énonce au moins un moyen déclaré recevable et suffisamment étayé (arrêts nos 242/1951, 341/1952, 248/1958, 472/1970, 892/1974, 758/1979 (Nomiko Vima 1980, p. 56), 647/1983, 1438/1986 et 1453/1987). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Hadjianastassiou a saisi la Commission le 17 décembre 1986. S’appuyant sur l’article 6 (art. 6), il alléguait que le défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’appel militaire et la brièveté du délai de recours l’avaient empêché d’étayer davantage son pourvoi en cassation. Il affirmait en outre que sa condamnation pour divulgation de secrets militaires d’importance secondaire avait enfreint son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 (art. 10). La Commission a retenu la requête (no 12945/87) le 4 octobre 1990. Dans son rapport du 6 juin 1991 (article 31) (art. 31), elle relève, à l’unanimité, une violation de l’article 6 paras. 1 et 3 b) (art. 6-1, art. 6-3-b), mais non de l’article 10 (art. 10). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Introduction Citoyen algérien et mécanicien de profession, M. Mohand Beldjoudi est né le 23 mai 1950 en France, à Courbevoie (Hauts-de-Seine). Jusqu’en octobre 1969, il vécut dans la région parisienne chez ses parents. Ces derniers sont nés respectivement en 1909 et 1926 en Algérie, pays qui formait à l’époque un département français et a accédé à l’indépendance le 3 juillet 1962 après les "accords" d’Evian du 19 mars 1962. Tout comme leurs enfants, ils sont réputés avoir perdu la nationalité française au 1er janvier 1963 (loi du 20 décembre 1966 - paragraphe 58 ci-dessous), faute d’avoir souscrit avant le 27 mars 1967 une déclaration recognitive de ladite nationalité (article 2 de l’ordonnance du 21 juillet 1962 - paragraphe 57 ci-dessous). Le père est arrivé en métropole en 1926 et a servi dans l’armée française de 1931 à 1955. Ensuite et jusqu’à sa retraite en 1970, il a occupé à Paris un poste - réservé aux ressortissants français - d’auxiliaire puis d’employé au ministère de la Santé publique et de la Population. Il est décédé à Colombes (Hauts-de-Seine) en 1986. La mère de Mohand Beldjoudi, qui a quitté l’Algérie en 1948, et quatre des frères et soeurs de celui-ci, tous nés en France métropolitaine avant le 1er janvier 1963, possèdent chacun une carte nationale d’identité algérienne; ils demeurent en France et sont titulaires d’un certificat de résidence, valable dix ans et renouvelable. La soeur cadette a été réintégrée dans la nationalité française le 20 juillet 1988. Mme Martine Teychene est née en France le 8 novembre 1951 de deux parents français. De nationalité française, elle exerce la profession de secrétaire. Les requérants se marièrent le 11 avril 1970 à Colombes, après avoir cohabité quelque temps. Sans enfant, ils sont domiciliés à La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Au fil des ans, M. Beldjoudi s’est vu infliger les condamnations ci-après à des peines privatives de liberté: - le 27 mars 1969, huit mois d’emprisonnement pour coups et blessures volontaires (tribunal correctionnel de Paris); - le 29 juillet 1974, six mois d’emprisonnement pour conduite d’un véhicule sans permis et détention de munitions ou d’une arme de la première ou quatrième catégorie (même tribunal); - le 10 janvier 1976, dix-huit mois d’emprisonnement, dont quatorze avec sursis, et quatre ans de mise à l’épreuve pour vol (cour d’appel de Paris); - le 25 novembre 1977, huit ans de réclusion criminelle pour vol qualifié (cour d’assises des Hauts-de-Seine); - le 28 mars 1978, trois mois d’emprisonnement pour acquisition et détention de munitions ou d’une arme de la première ou quatrième catégorie (tribunal correctionnel de Nanterre); - le 4 février 1986, dix-huit mois d’emprisonnement, dont dix avec sursis, et cinq ans de mise à l’épreuve pour coups et blessures volontaires ainsi que pour destruction de biens mobiliers (même tribunal). Les périodes de privation de liberté subies par lui avant 1991, à titre provisoire ou après condamnation, sont les suivantes: - du 20 juillet au 17 septembre 1968, soit un mois et vingt-huit jours; - du 25 août au 8 octobre 1973, soit un mois et quatorze jours; - du 3 avril au 21 août 1974, soit quatre mois et dix-huit jours; - du 26 mars 1975 au 4 décembre 1981, soit six ans, huit mois et huit jours; - du 20 octobre 1985 au 25 avril 1986, soit six mois et cinq jours. Elles totalisent près de sept ans, dix mois et deux semaines. Le 17 janvier 1991, le requérant fut placé en détention provisoire à Fleury-Mérogis (Essonne) et son épouse sous contrôle judiciaire à Ecos (Eure), un juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Melun (Seine-et-Marne) les ayant inculpés tous deux de recel de vols aggravés. Par un arrêt du 23 janvier 1992, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris a ordonné l’élargissement de M. Beldjoudi sous contrôle judiciaire. B. La procédure d’expulsion L’arrêté d’expulsion Le 2 novembre 1979, le ministre de l’Intérieur avait pris contre M. Beldjoudi un arrêté d’expulsion, au motif que sa présence sur le territoire français était de nature à compromettre l’ordre public. Conforme à l’avis de la Commission d’expulsion des étrangers, ledit arrêté fut notifié à l’intéressé le 14 novembre 1979 au centre de détention de Melun. Les demandes de retrait Par cinq fois, M. Beldjoudi pria le ministre de l’Intérieur de rapporter l’arrêté. Seule sa dernière demande, du 8 août 1984, reçut une réponse, adressée à son conseil, le 4 décembre 1989, par le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur et ainsi conçue: "A la suite de la décision du 11 juillet 1989 rendue par la Commission européenne des Droits de l’Homme, déclarant recevable la requête de M. Beldjoudi [(paragraphe 62 ci-dessous)], vous avez à nouveau appelé mon attention sur le cas de votre client. Vous souhaitiez notamment savoir si le ministère serait disposé à envisager de régler cette affaire à l’amiable. Un réexamen très attentif du cas de M. Beldjoudi a conduit le ministre à prendre le 31 août 1989 un arrêté d’assignation à résidence, dans le département des Hauts-de-Seine où l’intéressé a son domicile habituel. Le titre de séjour qui lui a été délivré est assorti de l’autorisation d’exercer une activité salariée. Cette décision de bienveillance prise en faveur de M. Beldjoudi, en raison de ses attaches familiales, pourra être maintenue, si son comportement ne s’y oppose pas. En revanche, je vous confirme qu’il n’est pas apparu possible, compte tenu de la gravité comme de la multiplicité des faits commis par l’intéressé, d’abroger l’arrêté d’expulsion pris à l’encontre de M. Beldjoudi. (...)" La notification de l’arrêté d’assignation à résidence eut lieu en novembre 1989. Le recours en annulation a) Devant le tribunal administratif de Versailles Le 27 décembre 1979, M. Beldjoudi introduisit devant le tribunal administratif de Paris un recours en annulation contre l’arrêté d’expulsion. Né en France de parents eux- mêmes français à l’époque, il devait passer pour français et donc inexpulsable; en outre, il n’avait aucune attache avec l’Algérie et se trouvait marié à une Française depuis près de dix ans. Le Conseil d’État attribua l’affaire au tribunal administratif de Versailles, territorialement compétent. Le 27 novembre 1980, celui-ci ordonna un supplément d’information: il invita le ministre de l’Intérieur à présenter ses observations sur le dernier mémoire de l’intéressé et à produire une ampliation du décret du 16 septembre 1970 refusant à celui-ci la nationalité française (paragraphe 32 ci-dessous). Par un jugement avant dire droit du 14 octobre 1983, il décida de surseoir à statuer jusqu’à ce que l’autorité judiciaire eût tranché la question de la nationalité de M. Beldjoudi (paragraphes 34-35 ci-dessous). Le 8 février 1984, ce dernier refusa l’autorisation provisoire de séjour que la préfecture des Hauts-de-Seine lui avait proposée, au motif qu’en l’acceptant il se reconnaîtrait de nationalité algérienne. M. Beldjoudi reprit la procédure le 20 janvier 1988 en déposant un mémoire ampliatif, sans attendre l’issue de son pourvoi en cassation (paragraphe 41 ci-dessous). Il tirait argument d’une loi du 9 septembre 1986 qui avait modifié l’article 25, deuxième alinéa, de l’ordonnance de 1945 sur laquelle reposait l’arrêté d’expulsion: ayant sa résidence habituelle en France depuis sa naissance, il ne pouvait faire l’objet d’un tel arrêté puisqu’on ne l’avait pas condamné à un emprisonnement d’au moins six mois sans sursis ou un an avec sursis, pour des crimes ou délits commis après l’entrée en vigueur de la loi en question. Le 18 février, M. Beldjoudi compléta son mémoire ampliatif. Sur le terrain de l’article 8 (art. 8) de la Convention, il soutenait que la mise en oeuvre dudit arrêté porterait gravement atteinte au respect dû à sa vie privée et familiale; il rappelait à cet égard que, marié depuis 1970 à une Française, il était né en France, y avait résidé sans discontinuer et y avait reçu une culture et une éducation françaises. Le 21 avril 1988, le tribunal rejeta le recours par les motifs suivants: "Considérant que par l’arrêté en date du 2 novembre 1979, le ministre de l’Intérieur, suivant l’avis de la commission spéciale instituée par l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, a prononcé l’expulsion de M. Beldjoudi, ressortissant algérien, qui avait été condamné le 25 novembre 1977 par la juridiction pénale à une peine de huit ans de réclusion criminelle pour vol qualifié; Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en décidant que la présence de M. Beldjoudi constituait une menace pour l’ordre public et en prononçant en conséquence son expulsion, le ministre n’ait pas examiné l’ensemble des éléments relatifs au comportement du requérant, ni qu’il se soit livré à une appréciation de ce comportement qui serait entachée d’erreur manifeste; qu’il n’est pas allégué que cette appréciation repose sur des faits matériellement inexacts; Considérant que M. Beldjoudi n’est pas fondé à faire valoir des dispositions issues de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en invoquant à cet effet le bénéfice de dispositions de l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée dans une rédaction postérieure à la décision attaquée; qu’eu égard au caractère de nécessité pour la sûreté publique présenté par la mesure prise à son encontre, le requérant n’est pas recevable à se prévaloir des dispositions de l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales;" b) Devant le Conseil d’État M. Beldjoudi saisit le Conseil d’État le 17 juin 1988, afin qu’il annulât le jugement du 21 avril 1988 et, pour excès de pouvoir, l’arrêté du 2 novembre 1979. Le commissaire du gouvernement, M. Ronny Abraham, présenta les conclusions ci-après: "La plupart des moyens de la requête ne devraient pas vous retenir longtemps. L’un d’entre eux, toutefois, doit vous conduire à réexaminer, et selon nous à modifier, votre jurisprudence sur un point dont l’importance n’est pas négligeable. (...) Selon le requérant, la mesure d’expulsion qui le frappe méconnaît [l’]article 8 (art. 8) [de la Convention] car elle porte à sa vie familiale une atteinte excessive. M. Beldjoudi est marié à une Française depuis le 11 avril 1970; il l’était donc depuis plus de neuf ans à la date de l’arrêté attaqué. En l’état de votre jurisprudence, le moyen ainsi soulevé devrait être écarté comme inopérant. Vous avez jugé en effet dans une décision du 25 juillet 1980, Touami ben Abdeslem, aux [tables du Recueil Lebon], p. 820, et au JCP [Juris-Classeur périodique] 1981.II.19.613, note Pacteau, que l’étranger ‘ne peut utilement se prévaloir (...) des dispositions de l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (...) à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de la mesure d’expulsion dont il a fait l’objet’. Dans le même sens, mais avec une rédaction un peu différente, un arrêt Chrouki du 6 décembre 1985 relève que l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ne fait pas obstacle à l’exercice du pouvoir conféré au ministre de l’Intérieur par l’article 23 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, pour écarter le moyen sans autre examen (req. no 55912). Telle est bien la ligne dominante de votre jurisprudence, même si l’on relève aussi quelques décisions dans lesquelles vous avez paru vous placer plutôt sur le fond et dans les circonstances de l’espèce pour rejeter le moyen: par exemple, une décision Bahi du 6 février 1981 indique que les stipulations de l’article 8 (art. 8) de la Convention ne sauraient en l’espèce faire obstacle à une mesure d’expulsion, mais cette rédaction est trop lapidaire pour qu’on puisse y voir un véritable infléchissement de votre jurisprudence. Quoi qu’il en soit de ces incertitudes, nous allons vous proposer aujourd’hui d’abandonner clairement la solution consacrée par la décision Touami ben Abdeslem et d’adopter une démarche entièrement nouvelle sur la question qui nous occupe. Trois raisons majeures nous conduisent à vous proposer cette approche nouvelle. La première est négative: c’est que nous ne voyons pas très bien ce qui peut justifier la solution radicalement défavorable adoptée en 1980. Vous n’avez certes pas entendu dénier à l’article 8 (art. 8) de la Convention son caractère de norme directement applicable dans l’ordre interne. Toute votre jurisprudence est fixée dans le sens de l’effet direct de la Convention européenne des Droits de l’Homme, et la rédaction même de l’arrêt Touami ne suggère aucunement une telle interprétation, puisque l’article 8 (art. 8) n’est pas écarté en raison de sa nature propre, mais seulement dans la matière de l’éloignement des étrangers. Avez-vous entendu, plutôt, faire application de la technique de la ‘loi-écran’, et considérer que la loi définissant de façon complète et exclusive les conditions légales de l’expulsion, l’adjonction de conditions supplémentaires tirées de conventions internationales reviendrait à méconnaître la volonté du législateur ? Si telle était la justification de votre jurisprudence à l’époque, elle ne serait évidemment plus valable aujourd’hui, depuis votre décision d’Assemblée du 20 octobre 1989 dans l’affaire Nicolo, qui fait prévaloir les traités sur les lois même postérieures. Mais nous doutons même que ce fût l’explication de votre décision Touami: celle-ci est relative à un arrêté d’expulsion de 1978; or, à cette date, la législation interne applicable n’était pas postérieure, mais antérieure à la ratification par la France de la Convention et l’explication par la théorie de la ‘loi-écran’ ne tient donc pas. Plus simplement, il nous semble vraisemblable que vous avez estimé qu’une mesure d’expulsion n’était pas, par son objet même, de nature à porter atteinte à la vie familiale de l’étranger: si celui-ci a des attaches familiales sur le territoire français, rien n’interdit aux autres membres de la cellule familiale de quitter la France avec lui. Mais c’est là une vue bien théorique des choses. Il est sans doute exact que dans certains cas rien ne s’oppose à ce que la famille quitte le territoire; mais dans d’autres cas, et spécialement si l’étranger a un conjoint ou des enfants de nationalité française, il peut être pratiquement et même juridiquement difficile aux autres membres de sa famille de le suivre, si bien que la mesure d’éloignement compromet la poursuite d’une vie familiale normale. En tout cas, il est impossible d’affirmer, selon nous, qu’une mesure d’expulsion ne serait jamais, par nature, susceptible de porter atteinte à la vie familiale de l’intéressé, et il n’y a pas de raison d’écarter a priori comme inopérant le moyen tiré de l’article 8 (art. 8). Un deuxième motif nous renforce dans cette conviction: votre jurisprudence n’est pas du tout en harmonie avec celle qu’a développée, ces dernières années, la Cour européenne des Droits de l’Homme. C’est dans un arrêt Berrehab c. Pays-Bas, du 21 juin 1988, que la Cour de Strasbourg a été amenée à préciser, pour la première fois, les incidences que pouvait comporter l’article 8 (art. 8) dans la matière des mesures d’éloignement d’étrangers. Elle a jugé, en substance, que lorsque l’étranger possède sur le territoire de l’État où il réside des liens familiaux réels et que la mesure d’éloignement est de nature à compromettre le maintien de ces liens, cette mesure n’est justifiée au regard de l’article 8 (art. 8) que si elle est proportionnée au but légitime poursuivi, c’est-à- dire, en d’autres termes, si l’atteinte à la vie familiale qui en résulte n’est pas excessive eu égard à l’intérêt public qu’il s’agit de protéger. Cette balance entre l’intérêt public et l’intérêt privé a conduit la Cour, dans l’affaire Berrehab, à relever une violation de la Convention de la part des Pays-Bas, s’agissant d’un étranger père d’un enfant né d’un mariage - dissous - avec une Néerlandaise et auquel le renouvellement de son titre de séjour avait été refusé pour des raisons purement économiques, légitimes certes, mais aboutissant au cas d’espèce à des conséquences d’une gravité disproportionnée à l’intérêt public poursuivi. Une telle démarche intellectuelle ne devrait pas être de nature à vous déconcerter, et nous ne voyons pas ce qui s’opposerait à ce que vous la fassiez désormais vôtre en matière d’expulsion d’étrangers, pour autant bien sûr que l’article 8 (art. 8) de la Convention soit invoqué. Le contrôle de proportionnalité fait partie de vos techniques les plus éprouvées, et la notion de balance à établir entre des intérêts divergents, publics et privés, ne vous est certes pas inconnue, puisque vous la mettez en oeuvre couramment en certaines matières. Certes, le domaine de l’expulsion est plutôt, jusqu’à présent, dominé par la notion de pouvoir discrétionnaire et son corollaire, le contrôle restreint limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Mais même dans cette matière, vous pratiquez lorsque les textes l’exigent un contrôle entier - ainsi pour les notions d’’urgence absolue’ et de ‘nécessité impérieuse pour la sécurité nationale’ qui permettent exceptionnellement l’expulsion des étrangers appartenant à des catégories en principe à l’abri d’une telle mesure, sous l’empire de la législation postérieure à 1981 - et il doit en aller de même, selon nous, lorsqu’il s’agit de faire application de l’article 8 (art. 8) de la Convention. D’autant plus, et nous en venons à notre dernier argument, que le maintien de votre jurisprudence Touami ben Abdeslem aurait pour fâcheuse conséquence d’ouvrir directement le recours auprès des organes de Strasbourg aux étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement et se plaignant de l’atteinte portée à leur vie familiale, sans obligation pour eux d’avoir préalablement saisi les juridictions nationales. On sait en effet que selon la jurisprudence constante de la Commission européenne des Droits de l’Homme la règle de l’épuisement préalable des voies de recours internes, qui conditionne selon l’article 26 (art. 26) de la Convention la recevabilité des requêtes individuelles qui peuvent lui être présentées, doit s’entendre comme faisant seulement obligation au requérant de former préalablement les recours internes non dépourvus de chances raisonnables de succès, notamment eu égard à la jurisprudence des juridictions suprêmes, si bien qu’une jurisprudence fixée dans un sens défavorable a priori à la prise en compte de l’article 8 (art. 8) de la Convention autorise l’étranger à porter directement ses prétentions devant les organes européens. La présente affaire en fournit une parfaite illustration. Sans attendre votre décision, donc avant d’avoir épuisé toutes les ressources des voies de recours internes, M. Beldjoudi a saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme d’une requête dénonçant la violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention dont il soutient être victime. En dépit de la procédure encore pendante devant vous, la Commission européenne des Droits de l’Homme a déclaré la requête recevable, par une décision du 11 juillet 1989, en se référant notamment à votre jurisprudence Touami ben Abdeslem. Aussi la Commission européenne des Droits de l’Homme a-t-elle, après avoir adopté son rapport, transmis la requête à la Cour européenne des Droits de l’Homme, et la même affaire se trouve donc simultanément soumise à votre juridiction et à celle de Strasbourg, qui statuera sans doute dans l’année: situation exceptionnelle, et que l’on ne saurait regarder comme satisfaisante et normale au regard du mécanisme de contrôle institué par la Convention européenne des Droits de l’Homme, qui repose sur l’idée de subsidiarité du contrôle européen par rapport au contrôle national. La seule manière d’éviter le renouvellement d’une telle situation, et plus encore la dépossession pure et simple du juge national au profit du juge européen, consiste à exercer vous-mêmes le contrôle du respect de l’article 8 (art. 8) plutôt que d’en laisser la tâche aux organes de Strasbourg, auxquels vous rendriez d’ailleurs un bien mauvais service en permettant aux requérants d’y avoir immédiatement accès. Si vous nous suivez sur cette question de principe, vous devrez alors trancher deux points d’espèce: d’une part, l’expulsion de M. Beldjoudi constitue-t-elle, pour reprendre les termes de l’article 8 (art. 8), une ‘ingérence’ dans le ‘droit au respect de sa vie familiale’ ? D’autre part, cette ‘ingérence’ est-elle, dans les circonstances de l’espèce, nécessaire et proportionnée au but poursuivi? Nous vous proposons de répondre par l’affirmative à ces deux questions. Il n’est pas douteux, selon nous, que l’expulsion du requérant compromet dans une certaine mesure sa vie familiale. Sans doute n’est-il pas exclu que son épouse française puisse le suivre à l’étranger, c’est-à-dire pratiquement en Algérie. Mais il faut admettre que cela n’est guère facile et que des obstacles juridiques et pratiques pourraient compromettre l’installation du couple à l’étranger. Cependant la gravité des faits commis par l’intéressé nous paraît justifier la mesure d’expulsion décidée à son égard, et l’atteinte portée à la vie familiale du requérant n’est pas en l’espèce disproportionnée au regard de la menace pour l’ordre public que représentait le 2 novembre 1979, date à laquelle vous devez vous placer, la présence de l’intéressé sur le territoire français. Nous sommes loin en effet des circonstances qui ont donné lieu à l’arrêt Berrehab précité. A partir de 1969, dès l’âge de dix-neuf ans, M. Beldjoudi a commis plusieurs infractions qui lui ont valu diverses condamnations correctionnelles: coups et blessures volontaires, conduite d’un véhicule sans permis, port d’arme prohibé. Surtout, le 5 février 1975, il s’est introduit de nuit, en compagnie de complices, dans la résidence de deux personnes sur lesquelles les malfaiteurs ont exercé des violences en vue de leur soustraire leurs économies. Pour ces faits, le requérant a été condamné le 25 novembre 1977 à huit ans de réclusion criminelle pour vol qualifié. Dans ces conditions, la décision prise à son égard en 1979 ne nous paraît pas avoir été disproportionnée au but poursuivi, ni excessive compte tenu même des conséquences familiales qu’elle comporte pour l’intéressé. Sur un plateau de la balance, il faut placer l’intérêt public qui s’attache à éloigner un individu qui constitue une menace grave pour la sécurité des biens et des personnes. Sur l’autre, il faut tenir compte des difficultés qu’il y aurait pour M. Beldjoudi et son épouse - le couple est sans enfant - à se réinstaller à l’étranger sans rupture de la vie familiale. La balance nous paraît pencher dans le sens de l’intérêt public. Nous n’aurions aucun doute sur cette conclusion si, il nous faut vous en parler à présent, la Commission européenne des Droits de l’Homme n’avait adopté un point de vue inverse dans le rapport qu’elle a établi sur cette affaire en application de l’article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention et qu’elle a transmis à la Cour en même temps que la requête. Par douze voix contre cinq, la Commission a été d’avis que l’expulsion de M. Beldjoudi constituait une violation de l’article 8 (art. 8). Il faut évidemment tenir le plus grand compte d’un tel avis, mais il ne faut pas méconnaître cependant qu’il ne s’agit que d’une opinion, certes très autorisée et estimable, puisque la Commission exerce en quelque sorte devant la Cour la fonction de votre commissaire du gouvernement, ce qui suffit à en indiquer l’importance, mais que la Cour n’est pas tenue de suivre; aussi bien, dans le passé, la Cour s’est-elle à plusieurs reprises dissociée des conclusions de la Commission. Pour notre part, nous ne pouvons adhérer au raisonnement suivi par cette dernière. Il est évident, à la lecture de son rapport, qu’elle s’est fondée moins sur les liens matrimoniaux de M. Beldjoudi, que sur la circonstance que l’intéressé est né en France, qu’il y a toujours vécu, qu’il n’a semble-t-il pas de relations personnelles en Algérie, qu’il ne maîtrise pas la langue arabe, et que, comme l’écrit la Commission, ‘le lien de nationalité du requérant - s’il correspond à une donnée juridique - ne correspond toutefois à aucune réalité humaine concrète’ (paragraphe 64 du rapport). Nous comprenons l’importance humaine de ces éléments; sous l’empire de la législation postérieure à 1981, ils auraient peut-être mis M. Beldjoudi, en dépit de la gravité des faits commis par lui, à l’abri d’une mesure d’expulsion. Mais ils nous paraissent étrangers à la notion de ‘vie familiale’ protégée par l’article 8 (art. 8), et tout autant à celle de ‘vie privée’ sur laquelle deux membres de la Commission, dans une opinion concordante mais séparée, annexée au rapport, ont proposé de fonder de préférence le constat d’une violation de l’article 8 (art. 8). En réalité, ce que la Commission a entendu protéger, c’est non pas la ‘vie familiale’ ou la ‘vie privée’ mais plutôt la vie personnelle, la vie sociale du requérant. Mais cela nous paraît sortir du cadre de la disposition invoquée. Nous ajouterons pour votre complète information que l’expulsion de M. Beldjoudi n’a pas été matériellement exécutée et que, dans un souci de conciliation, l’administration l’a assigné à résidence dans le département des Hauts-de-Seine où il se trouve toujours. Par l’ensemble de ces motifs, nous concluons au rejet de la requête." Le 18 janvier 1991, le Conseil d’État suivit lesdites conclusions en se fondant sur les raisons que voici: "Sur la régularité du jugement attaqué Considérant, d’une part, que, contrairement à ce que soutient le requérant, le jugement attaqué n’a pas omis de statuer sur le moyen tiré de l’application de l’article 25 de l’ordonnance du 2 novembre 1945; Considérant, d’autre part, qu’il résulte d’un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 14 octobre 1987, rendu antérieurement au jugement attaqué, que l’intéressé est de nationalité algérienne; qu’ainsi le tribunal administratif a pu à bon droit considérer comme tranchée la question de nationalité sur laquelle il avait sursis à statuer par un précédent jugement et s’abstenir de répondre au moyen tiré de la nationalité française de M. Beldjoudi, que ce dernier avait abandonnée; Sur la légalité de l’arrêté du ministre de l’Intérieur du 2 novembre 1979 Considérant que M. Beldjoudi, qui n’a soulevé, devant le tribunal administratif, aucun moyen relatif à la légalité externe de l’arrêté ordonnant son expulsion, n’est, en tout état de cause, pas recevable à soulever, pour la première fois [en] appel, des moyens tirés du défaut de motivation de l’avis de la commission d’expulsion, de l’arrêté prononçant cette mesure et du bulletin qui en porte notification, qui reposent sur une cause juridique différente de celle qui fondait sa demande de première instance; Considérant qu’aux termes de l’article [23] de l’ordonnance du 2 novembre 1945, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, antérieure à la loi du 29 octobre 1981: ‘l’expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l’Intérieur si la présence de l’étranger sur le territoire français constitue une menace pour l’ordre public ou le crédit public’; qu’il ressort des pièces du dossier que la mesure précitée a été prise par le ministre de l’Intérieur après que celui-ci a pris en considération non les seules condamnations pénales encourues par M. Beldjoudi mais l’ensemble du comportement de l’intéressé; qu’elle n’est donc pas entachée d’erreur de droit; Considérant qu’aux termes de l’article 8 (art. 8) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales: ‘1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance - 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui’; que la mesure attaquée, fondée sur la défense de l’ordre public, était, eu égard au comportement du requérant et à la gravité des actes commis par lui, nécessaire pour la défense de cet ordre; que, dans ces conditions, elle n’a pas été prise en violation de l’article 8 (art. 8) de ladite Convention; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. Beldjoudi n’est pas fondé à demander l’annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté du ministre de l’Intérieur du 2 novembre 1979 lui enjoignant de quitter le territoire national;" (Recueil Lebon 1991, p. 18) Les requêtes en sursis à exécution Le 27 décembre 1979, M. Beldjoudi avait déposé au greffe du Conseil d’État une requête en sursis à exécution. La Haute Assemblée la rejeta le 16 mai 1980: à ses yeux, "aucun des moyens invoqués ne paraissait de nature à justifier l’annulation de l’arrêté d’expulsion". Pendant l’instruction de son recours en annulation devant le tribunal administratif de Versailles (paragraphes 18-25 ci- dessus), l’intéressé sollicita un tel sursis à deux reprises. Enregistrées les 26 mars 1986 et 22 février 1988, ses demandes furent jointes au fond et repoussées le 21 avril 1988 (paragraphe 25 ci-dessus). C. Les demandes de recouvrement ou de reconnaissance de la nationalité française La demande de recouvrement Le 1er avril 1970 - soit onze jours avant son mariage -, M. Beldjoudi souscrivit devant le tribunal d’instance de Colombes une déclaration en vue de recouvrer la nationalité française. Il invoquait l’article 3 de la loi du 20 décembre 1966 qui accordait une telle faculté aux enfants mineurs nés avant le 1er janvier 1963 et dont les parents n’avaient pas formulé pareille déclaration. Un décret du premier ministre, adopté le 16 septembre 1970 sur avis conforme du Conseil d’État et notifié le 3 février 1972, refusa de lui reconnaître ladite nationalité (article 4 du décret du 27 novembre 1962). Recensé à sa demande avec la classe 1973, le requérant obtint le 7 juillet 1971, à Blois, une attestation d’aptitude au service national, délivrée par le commandant du centre de sélection no 10 du contingent de l’armée française. Il n’accomplit pourtant pas le service en question: le 25 juin 1971, le commandant du bureau de recrutement de Versailles l’avait rayé des tableaux de recensement. La demande de reconnaissance a) Devant le tribunal d’instance de Colombes Le 17 juin 1983, M. Beldjoudi déposa une déclaration de nationalité devant le tribunal d’instance de Colombes, en l’accompagnant de justificatifs. Il affirmait avoir joui de façon constante de la possession d’état de Français. Le 15 juillet, le juge retourna le dossier à l’avocat du requérant et lui indiqua que ce dernier devait s’adresser à la préfecture des Hauts-de-Seine pour solliciter sa naturalisation. Le 21 décembre, M. Beldjoudi pria le juge en question de lui délivrer un certificat de nationalité française. Le magistrat s’y refusa par un avis du 28, les éléments fournis ne permettant pas de prouver que l’intéressé jouissait de la nationalité française. b) Devant le tribunal de grande instance de Nanterre Le 17 janvier 1984, le requérant assigna le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre afin de se voir reconnaître la nationalité française. Le tribunal rejeta la demande le 15 décembre 1985, au motif que l’intéressé avait perdu ladite nationalité le 1er janvier 1963, en application de l’article 1, deuxième alinéa, de la loi du 20 décembre 1966 (paragraphe 58 ci- dessous). c) Devant la cour d’appel de Versailles M. Beldjoudi attaqua le jugement devant la cour d’appel de Versailles le 7 mars 1986. Il soutenait que son père ne lui avait transmis aucun élément l’autorisant à se réclamer de l’identité algérienne par la culture et la langue, que la religion coranique lui était étrangère, qu’il avait la possession d’état de Français et que la contestation de sa nationalité française sur la base de son statut coranique représenterait une ingérence discriminatoire, manifestement contraire aux articles 3, 8, 9, 12 et 14 (art. 3, art. 8, art. 9, art. 12, art. 14) de la Convention, dans sa liberté de conscience et dans son droit à mener une vie familiale normale. La cour d’appel le débouta le 14 octobre 1987. Elle se fondait sur les raisons ci-après: "Considérant que le statut civil se transmet par la filiation; que l’enfant né de deux parents de statut civil de droit local possède ce statut; qu’antérieurement à l’indépendance de l’Algérie, M. Beldjoudi père, ainsi qu’il en avait la possibilité, n’a pas déclaré renoncer à son statut civil personnel de droit local pour accéder au statut civil de droit commun; que l’appartenance de M. Mohand Beldjoudi au statut civil de droit local musulman ne concernait que les règles applicables à l’exercice de ses droits civils mais respectait la liberté de ses convictions religieuses et n’impliquait pas la nécessité d’adhérer à la religion coranique; que contrairement à ses prétentions M. Beldjoudi ne peut revendiquer pour lui-même et son père la possession d’état de Français alors que selon une correspondance du préfet, commissaire de la République du département des Hauts-de-Seine du 4 juin 1984, son père, ses frères et soeurs sont tous titulaires depuis de nombreuses années de la carte nationale d’identité algérienne et de titres de séjour d’étrangers, et que lui-même n’a jamais eu, depuis l’indépendance de l’Algérie, de documents tels que carte nationale d’identité française, passeport français, justifiant de sa possession d’état de Français mais a fait l’objet le 2 novembre 1979 d’un arrêté d’expulsion qui apparemment ne lui a pas interdit jusqu’alors de mener en France une vie familiale normale; que dès lors, le dernier moyen qu’il invoque, tiré de la possession d’état de Français et de la violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme, d’ailleurs non en vigueur lorsqu’il a perdu la nationalité française, doit être écarté;" L’arrêt fut notifié à l’intéressé le 20 juillet 1989. d) Devant la Cour de cassation M. Beldjoudi avait formé dès le 15 février 1989 un pourvoi que la Cour de cassation (première chambre civile) repoussa le 12 mars 1991 par les motifs suivants: "Attendu, selon les énonciations de l’arrêt attaqué (Versailles, 14 octobre 1987), que M. Mohand Beldjoudi, né à Courbevoie le 23 mai 1950 de Seghir Beldjoudi, né le 9 avril 1909 à Sidi-Moufouk (Algérie), et de Hanifa Khalis, née en 1926 à Elflaya (Algérie), a engagé une instance pour se voir reconnaître la nationalité française; qu’il a été débouté de sa demande au motif que, mineur de dix-huit ans à l’entrée en vigueur de l’ordonnance no 62-825 du 21 juillet 1962, il avait suivi, en ce qui concerne les effets sur sa nationalité de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, la condition de ses parents, originaires de ce territoire et de statut civil de droit local, et que, n’ayant pas bénéficié de l’effet collectif d’une déclaration recognitive de nationalité souscrite par son père en temps utile, il était réputé avoir perdu la nationalité française au 1er janvier 1963, conformément à l’article 1er, alinéa 2, de la loi no 66-945 du 20 décembre 1966; Attendu que M. Beldjoudi fait grief à l’arrêt attaqué de s’être déterminé par un motif inopérant, selon lequel le contrôle de constitutionnalité de la loi du 20 décembre 1966 n’appartenait pas aux tribunaux judiciaires, pour écarter le moyen pris de ce que ce texte était contraire aux dispositions de l’article 5, d III, de la convention internationale du 7 mars 1966 pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, ratifiée par la France et publiée au Journal officiel du 10 novembre 1971, qui interdisait toute discrimination fondée sur les origines, notamment ethniques, pour l’attribution ou le retrait de leur nationalité aux ressortissants des États membres; Mais attendu que l’arrêt attaqué a relevé que la loi no 66-945 du 20 décembre 1966 se fondait, pour régler les conséquences sur la nationalité de l’accession de l’Algérie à l’indépendance, sur le statut civil des personnels originaires de ce territoire et non sur un critère prohibé par la convention précitée; D’où il suit que l’arrêt n’encourt pas le grief qui lui est fait par le moyen, lequel ne peut être accueilli;" II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. L’expulsion des étrangers L’expulsion des étrangers obéit aux dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Le texte de cette dernière a été remanié à plusieurs reprises, notamment après le 2 novembre 1979, date d’adoption de l’arrêté ministériel frappant le requérant (paragraphe 15 ci-dessus). Les lois en question ne comportaient pas de dispositions transitoires. Les motifs d’expulsion a) La situation en 1979 En 1979, l’article 23 de l’ordonnance de 1945 se lisait ainsi: "(...) l’expulsion peut être prononcée par arrêté du ministre de l’Intérieur si la présence de l’étranger sur le territoire français constitue une menace pour l’ordre public ou le crédit public." b) La situation après 1979 Une loi du 29 octobre 1981 modifia l’article 23, en subordonnant désormais l’expulsion à l’existence d’une menace "grave pour l’ordre public". Toutefois, et sauf pour les étrangers mineurs de dix-huit ans, l’article 26 de la nouvelle loi ménageait une dérogation: "En cas d’urgence absolue (...), l’expulsion peut être prononcée lorsqu’elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou pour la sécurité publique. (...)" Ces règles furent remaniées par une loi du 9 septembre 1986. L’article 23 reprit son libellé original, celui de 1945. Il ajouta cependant que "L’arrêté d’expulsion [pouvait] à tout moment être abrogé par le ministre de l’Intérieur". Quant à l’article 26, il précisa qu’"une menace [pour l’ordre public] présentant un caractère de particulière gravité" pouvait, en cas d’urgence absolue, justifier une expulsion. Une loi du 2 août 1989 est revenue aux textes de 1981. En 1990, le ministre de l’Intérieur a pris 383 arrêtés d’expulsion. Cent un d’entre eux se fondaient sur l’article 26 de l’ordonnance de 1945, dont 54 pour des crimes ou délits de droit commun et 47 pour des infractions contre la sûreté extérieure ou intérieure de l’État. Les sujets de l’expulsion a) La situation en 1979 L’ordonnance de 1945 ne définissait pas de catégories de personnes à l’abri de toute mesure d’expulsion. b) La situation après 1979 Une fois amendé par la loi du 29 octobre 1981, l’article 25 de ladite ordonnance indiquait en revanche: "Ne peuvent faire l’objet d’un arrêté d’expulsion, en application de l’article 23: 1o L’étranger mineur de dix-huit ans; 2o L’étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis qu’il a atteint au plus l’âge de dix ans; 3o L’étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis plus de quinze ans ainsi que l’étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans; 4o L’étranger marié depuis au moins six mois, dont le conjoint est de nationalité française; 5o L’étranger qui est père ou mère d’un enfant français résidant en France à la condition qu’il exerce, même partiellement, l’autorité parentale à l’égard de cet enfant ou qu’il subvienne effectivement à ses besoins; 6o L’étranger titulaire d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d’incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %; 7o L’étranger résidant régulièrement en France sous couvert de l’un des titres de séjour prévus par la présente ordonnance ou les conventions internationales qui n’a pas été condamné définitivement à une peine au moins égale à un an d’emprisonnement sans sursis. Toutefois par dérogation au 7o ci-dessus, peut être expulsé tout étranger qui a été condamné définitivement à une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée quelconque pour une infraction prévue aux articles 4 et 8 de la loi no 73-548 du 27 juin 1973 relative à l’hébergement collectif, à l’article L.364-2-1 du code du travail ou aux articles 334, 334-1 et 335 du code pénal. (...)" La loi du 9 septembre 1986 restreignait les cas de non- expulsion, mais la loi du 2 août 1989 a opéré un retour à la législation de 1981. L’exécution de l’expulsion En droit français, l’expulsion s’analyse en une mesure de police et non en une sanction pénale. L’étranger concerné ne bénéficie pas de la rétroactivité des dispositions nouvelles plus favorables. Il ne peut donc les invoquer à l’appui d’une requête en annulation de la décision qui le frappe. Adopté par le ministre de l’Intérieur, l’arrêté d’expulsion demeure en vigueur sans limite de temps. L’étranger visé peut à tout moment, et autant de fois qu’il le désire, en solliciter l’abrogation. Quand l’intéressé a quitté le territoire français depuis plus de cinq ans et entend obtenir pareille abrogation, une commission composée uniquement de magistrats examine sa demande. Si elle formule un avis favorable, il lie le ministre. Il arrive très souvent au ministre de l’Intérieur de renoncer à faire exécuter un arrêté d’expulsion tout en se refusant à l’abroger. En pareil cas, l’étranger est assigné à résidence dans l’espoir de sa réinsertion. S’il continue à troubler l’ordre public, il peut se voir expulser. Il s’agit alors d’une décision nouvelle, détachable de l’arrêté et attaquable en elle-même devant le juge administratif. S’il est saisi, ce dernier s’interroge sur le comportement de l’intéressé pendant le laps de temps où l’on a toléré sa présence sur le sol français. Pour apprécier la légalité de la mesure, il se place donc à la date à laquelle il statue. La jurisprudence du Conseil d’État Pendant une dizaine d’années, le Conseil d’État a considéré comme inopérant à l’encontre d’un arrêté d’expulsion le moyen tiré de l’article 8 (art. 8) de la Convention (voir par exemple les arrêts Touami ben Abdeslem du 25 juillet 1980, Recueil Lebon 1980, p. 820, et Juris-Classeur périodique 1981, jurisprudence, no 19613, avec la note de M. Bernard Pacteau, et Chrouki du 6 décembre 1985). Son arrêt Beldjoudi du 18 janvier 1991 (paragraphe 28 ci-dessus) marque l’abandon de cette jurisprudence. La Haute Assemblée accepte désormais de substituer au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation au regard de la seule menace pour l’ordre public un entier contrôle de proportionnalité, ce qui a parfois entraîné l’annulation d’arrêtés d’expulsion (voir par exemple l’arrêt Belgacem du 19 avril 1991 (Assemblée), avec les conclusions de M. le commissaire du gouvernement Ronny Abraham, Revue française de droit administratif 1991, pp. 497-510, et l’arrêt Hadad du 26 juillet 1991 (président de la section du contentieux), à paraître dans le Recueil Lebon). B. L’acquisition de la nationalité La reconnaissance de la nationalité a) La loi du 28 juillet 1960 La loi du 28 juillet 1960 a inséré dans le code de la nationalité un titre VII, "De la reconnaissance de la nationalité française". Limitée aux territoires d’outre-mer (T.O.M.), elle instituait au profit de certaines catégories de "domiciliés" et de leurs descendants un moyen original de se faire reconnaître la nationalité française, à la double condition de se fixer sur le sol français et de souscrire une déclaration. b) L’ordonnance du 21 juillet 1962 Lors de son accession à l’indépendance, l’Algérie ne possédait pas le statut de T.O.M. Cela conduisit le législateur français à édicter l’ordonnance du 21 juillet 1962 relative à certaines dispositions concernant la nationalité. En vertu de ce texte, ont conservé de plein droit la nationalité française les personnes de statut civil de droit commun, plus celles de statut civil de droit local auxquelles la loi algérienne n’a pas conféré la nationalité algérienne. Pour les autres personnes de statut civil de droit local - catégorie à laquelle appartient la famille du requérant -, l’article 21 prévoyait qu’à compter du 1er janvier 1963 elles ne pouvaient - de même que leurs enfants - établir leur nationalité française qu’en démontrant avoir souscrit une déclaration de "reconnaissance de la nationalité française". c) La loi du 20 décembre 1966 La loi du 20 décembre 1966 a mis un terme, à dater du 21 mars 1967, à l’application de l’ordonnance de 1962. Elle a rendu effective la perte de la nationalité française en l’absence de déclaration recognitive. Son article 1, alinéa 2 c), disposait: "Les personnes de statut civil de droit local originaires d’Algérie qui n’ont pas souscrit à cette date la déclaration prévue à l’article 152 du code de la nationalité sont réputées avoir perdu la nationalité française au 1er janvier 1963. Toutefois, les personnes de statut civil de droit local, originaires d’Algérie, conservent de plein droit la nationalité française si une autre nationalité ne leur a pas été conférée postérieurement au 3 juillet 1962." Son article 3 offrait néanmoins une possibilité de réintégration dans la nationalité française aux enfants mineurs nés avant le 1er janvier 1963 - tel le requérant - lorsque le parent dont ils suivaient la nationalité n’avait pas souscrit la déclaration recognitive. d) La loi du 9 janvier 1973 La loi du 9 janvier 1973 a supprimé l’institution de la reconnaissance et retiré ce mot du code de la nationalité. Le titre VIII de ce dernier, complètement réécrit, prévoit pour l’avenir des modalités particulières de réintégration en faveur de certaines catégories de personnes ayant perdu la nationalité française par suite de l’accession de leur pays à l’indépendance. La naturalisation La naturalisation est accordée par décret. Peut en bénéficier, entre autres, "le ressortissant ou ancien ressortissant des territoires ou États sur lesquels la France a exercé soit la souveraineté, soit un protectorat, un mandat ou une tutelle" (article 64, alinéa 5, du code de la nationalité). Toutefois, "L’étranger qui a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’un arrêté d’assignation à résidence, n’est susceptible d’être naturalisé que si cet arrêté a été rapporté dans les formes où il est intervenu" (article 65, premier alinéa). En outre, "Nul ne peut être naturalisé s’il n’est pas de bonne vie et moeurs ou s’il a fait l’objet de l’une des condamnations visées à l’article 79 (...)" (article 68). PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION Dans leur requête du 28 mars 1986 à la Commission (no 12083/86), M. et Mme Beldjoudi alléguaient que la mesure d’expulsion frappant le premier enfreignait plusieurs dispositions de la Convention: l’article 8 (art. 8), pour atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale; l’article 3 (art. 3), car le refus probable des autorités algériennes de délivrer à M. Beldjoudi un passeport lui permettant de quitter l’Algérie constituerait un traitement inhumain et dégradant; l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8), pour discrimination fondée sur les croyances religieuses ou l’origine ethnique de M. Beldjoudi; l’article 9 (art. 9), pour entrave à leur liberté de pensée, de conscience et de religion; l’article 12 (art. 12), pour méconnaissance de leur droit de se marier et de fonder une famille. La Commission a retenu la requête le 11 juillet 1989. Dans son rapport du 6 septembre 1990 (article 31) (art. 31), elle conclut a) que l’expulsion de M. Beldjoudi violerait le droit de celui-ci et de son épouse au respect de leur vie familiale au sens de l’article 8 (art. 8) (douze voix contre cinq), mais n’enfreindrait pas l’article 3 (art. 3) (unanimité); b) qu’il n’y a eu manquement aux exigences ni de l’article 14 combiné avec l’article 8 (art. 14+8) (unanimité) ni des articles 9 et 12 (art. 9, art. 12) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des deux opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR Dans son mémoire, le Gouvernement a demandé à la Cour "de bien vouloir juger qu’il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8 (art. 8) de la Convention ni des autres articles invoqués par les requérants". Quant au conseil des requérants, il a formulé ainsi ses conclusions: "M. et Mme Beldjoudi demandent qu’il plaise à la Cour, Dire que l’arrêté d’expulsion pris le 2 novembre 1979 par le gouvernement français contre M. Mohand Beldjoudi constitue une violation tant de l’article 8 (art. 8) de la Convention (...) que des articles 8 et 14 combinés de (art. 14+8) ladite Convention. Dans l’hypothèse où le gouvernement français s’abstiendrait de faire cesser sans délai cette violation, les époux Beldjoudi demandent, en réparation du préjudice résultant de ces violations, la condamnation de la France à leur payer la somme de 10 000 000 francs français de dommages et intérêts et celle de 100 000 francs français à titre de remboursement des frais irrépétibles exposés pour les besoins de leur défense devant la Commission et la Cour européennes des Droits de l’Homme."
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Ressortissant italien, M. Carlo Arena habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-20 de son rapport): "16. Le 22 mars 1982, le requérant fut victime d'un accident de la circulation provoqué par une motocyclette conduite par M. B., dont il était le passager. Le 20 mars 1984, le requérant engagea devant le tribunal de Rome une action en dommages et intérêts contre M. B. et la société d'assurance X, en demandant réparation du préjudice découlant de cet accident. L'instruction débuta à l'audience du 12 mai 1984, date à laquelle le juge d'instruction, après avoir constaté que les défendeurs avaient omis de se constituer, ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale. L'expert désigné prêta serment à l'audience du 23 janvier 1985. Le 12 mars 1985, l'expertise fut déposée au greffe. L'audience suivante eut lieu le 26 septembre 1985. Le requérant, absent à l'audience du 29 janvier 1986, présenta ses conclusions à l'audience du 19 juin 1986 et le juge d'instruction fixa au 5 février 1988 l'audience devant la chambre compétente du tribunal. A cette date, l'affaire fut mise en délibéré. Le 12 février 1988, le tribunal constata la nullité de l'assignation pour vice de forme. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 16 avril 1988. Il ne ressort pas du dossier que cette décision ait été frappée d'appel, ni que le requérant ait renouvelé l'assignation." Par une lettre du 28 septembre 1988, le conseil du requérant avait cependant annoncé à la Commission que son client avait repris l'instance et que la première audience aurait lieu le 2 décembre suivant. Le 6 décembre, il l'a informée que M. Arena allait interjeter appel dans son litige avec M. B., tandis que son action contre la société X se trouvait éteinte. Le 3 juillet 1991, ledit conseil a écrit à la Cour qu'il n'avait à fournir aucun élément ou document nouveau. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 10 septembre 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 13261/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle conclut à l'unanimité qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-H de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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A. Les poursuites intentées contre le requérant et la demande d’extradition En Italie Extradé de la Belgique vers l’Italie, M. Djula Kolompar se trouve en liberté depuis le 27 décembre 1990; il réside actuellement à Amsterdam. Le 13 juin 1980, la cour d’assises de Florence lui infligea, par contumace, dix-huit ans de prison pour avoir, entre autres, commis une tentative de viol et une tentative de meurtre le 24 décembre 1977. Par un arrêt du 8 mai 1981, qui devint définitif un mois plus tard, la cour d’assises d’appel de Florence, statuant elle aussi par contumace, ramena la peine à dix ans; l’accusé avait été déclaré introuvable (irreperibile), puis en fuite (latitante). En application d’un décret présidentiel de 1978, la cour d’assises d’appel de Florence puis la cour d’appel elle-même accordèrent au condamné, les 23 novembre 1981 et 8 mars 1982, une remise de peine s’élevant à un peu plus de deux ans et demi en tout. En 1982, l’Italie demanda l’extradition du requérant aux autorités des Pays-Bas. Elles la lui refusèrent en vertu d’un avis défavorable formulé le 14 octobre 1982 par le tribunal d’arrondissement (Arrondissementsrechtbank) de Rotterdam, lequel estimait non respecté le droit de l’intéressé à se défendre lui-même. En mai 1983, l’Italie saisit la Belgique d’une demande semblable, M. Kolompar séjournant dans ce pays à l’époque. Accompagnés d’une traduction officielle en néerlandais, l’arrêt du 8 mai 1981 et l’ordre d’écrou (ordine di carcerazione di condannato) lancé par le procureur général près la cour d’appel de Florence le 13 mars 1982 furent signifiés au requérant le 7 mars 1984 par exploit d’huissier, conformément à la loi belge du 15 mars 1874 sur les extraditions ("la loi du 15 mars 1874") et à la convention belgo-italienne d’extradition du 15 janvier 1875. Ledit exploit précisait que le requérant serait détenu en vue de son extradition. En Belgique Le 22 janvier 1984, M. Kolompar avait été appréhendé en Belgique pour des vols qualifiés et des tentatives de vol qu’on le soupçonnait d’y avoir commis; le lendemain un juge d’instruction d’Anvers l’avait placé de ce chef sous mandat d’arrêt. Ce magistrat donna mainlevée du mandat le 11 avril 1984, mais le requérant demeura incarcéré dans le cadre de la procédure d’extradition (paragraphe 11 ci-dessus). Le 4 janvier 1985, le tribunal correctionnel d’Anvers lui infligea un an d’emprisonnement pour les infractions accomplies en Belgique. La cour d’appel d’Anvers confirma ce jugement par un arrêt du 25 avril 1985 qui passa en force de chose jugée un mois après. Par une lettre du 4 juin 1985, le ministre de la Justice informa l’intéressé qu’eu égard à la détention subie depuis le 22 janvier 1984 (paragraphe 12 ci-dessus), l’exécution de la peine devait être réputée avoir pris fin le 20 janvier 1985. B. La suite de la procédure d’extradition La chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers ayant exprimé un avis favorable le 24 avril 1984, le ministre de la Justice de Belgique autorisa, le 2 mai 1984, l’extradition de M. Kolompar vers l’Italie. La demande de suspension, du 29 octobre 1984 Le 29 octobre 1984, ce dernier invita le ministre à reconsidérer sa décision et à suspendre l’extradition dans l’intervalle. Il invoquait l’avis du tribunal d’arrondissement de Rotterdam du 14 octobre 1982 (paragraphe 9 ci-dessus). Le 13 décembre 1984, il pria le ministre de confirmer par écrit que lors d’un entretien du 7 décembre 1984 avec son conseil, il avait déclaré pouvoir accueillir une requête en suspension de l’extradition. Le 17 décembre 1984, le ministre lui répondit que la question de l’extradition relevait des autorités italiennes, qui pouvaient éventuellement retirer leur demande. Il lui conseilla de s’adresser à elles sans délai à cette fin, ajoutant qu’il pourrait, si l’intéressé le sollicitait, différer l’exécution de la décision d’extradition, pareille mesure ne pouvant cependant pas excéder un délai raisonnable. La demande de suspension, du 2 janvier 1985 Par une lettre du 2 janvier 1985, M. Kolompar invita derechef le ministre de la Justice à surseoir à son extradition. Il fournissait, à l’appui, divers témoignages d’après lesquels il se trouvait au Danemark le 24 décembre 1977, date des faits qui lui avaient valu sa condamnation en Italie. Le ministre prit contact avec les autorités italiennes; portant à leur connaissance la version du requérant, il les priait de préciser si elles maintenaient leur demande d’extradition. Le directeur du service des extraditions de Rome lui répondit par l’affirmative le 28 mars 1985. Il soulignait que des preuves nouvelles pouvaient éventuellement servir de base à un recours en révision (article 553 du code italien de procédure pénale). Le 4 avril 1985, le ministre communiqua au requérant une copie de cette lettre en lui signalant que la procédure d’extradition se poursuivrait dès qu’il n’y aurait plus lieu de le laisser à la disposition des autorités belges pour les faits commis en Belgique (paragraphe 13 ci-dessus). Le 21 juin 1985, M. Kolompar écrivit au ministre de la Justice pour l’engager à se procurer auprès d’Interpol-Copenhague certains renseignements déjà réclamés en vain par lui-même au consulat général du Danemark à Rotterdam. En conséquence, le ministre chargea le parquet d’Anvers de contrôler l’exactitude des assertions de l’intéressé concernant sa présence passée au Danemark (paragraphe 17 ci-dessus). Un message d’Interpol-Copenhague à Interpol-Bruxelles, du 14 août 1985, indiqua que la police danoise avait interrogé le requérant le 12 avril 1978, alors qu’il se trouvait détenu à Gentofte pour faux, tentative de vol et recel; il avait déclaré être entré au Danemark le 10 avril 1978 et n’y avoir jamais séjourné auparavant. En juin 1978, son épouse avait allégué que sa propre arrivée dans le pays remontait au 23 mai 1978 et que sa famille avait habité longtemps aux environs de Rome. Toutefois, un autre Yougoslave résidant probablement aux Pays-Bas avait affirmé, en mai 1978, que les époux vivaient à l’époque en Italie et que le requérant lui avait rendu visite à plusieurs reprises. Un officier de police danois disait se souvenir de M. Kolompar, mais ne pouvait certifier l’avoir rencontré le 24 décembre 1977. Le texte du message fut transmis à la police judiciaire d’Anvers le 16 août 1985, après quoi le parquet général de cette ville adressa au ministre de la Justice, le 17 septembre 1985, un rapport sur les informations obtenues d’Interpol-Copenhague. Les demandes d’élargissement, du 15 juin 1985, et de suspension, du 21 juin 1985 Dans l’intervalle, M. Kolompar, averti oralement que son extradition pouvait avoir lieu le 25 juin 1985, avait saisi la chambre du conseil du tribunal de première instance d’Anvers, le 15 juin, d’une demande d’élargissement fondée, pour l’essentiel, sur l’illégitimité prétendue de pareille mesure. La chambre du conseil l’ayant déclarée irrecevable par une ordonnance du 21 juin, il interjeta aussitôt appel en invoquant les articles 3, 5 et 6 par. 1 (art. 3, art. 5, art. 6-1) de la Convention; en outre, il invita le ministre de la Justice, toujours le 21 juin, à surseoir à l’exécution de ladite mesure dans l’attente d’une décision définitive sur sa demande du 15. Le 24 juin, le ministre adressa au parquet général d’Anvers, par télex, des instructions en ce sens; le conseil du requérant en fut avisé par téléphone. Le 5 juillet 1985, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers confirma l’ordonnance du 21 juin 1985, s’estimant, entre autres, non habilitée à élargir l’intéressé. Elle nota que l’article 5, quatrième alinéa, de la loi du 15 mars 1874, qui prévoit la possibilité de solliciter la levée d’écrou auprès des juridictions d’instruction, cesse de s’appliquer dès le placement du détenu à la disposition du gouvernement aux fins d’extradition. Elle ajouta que les clauses de la Convention citées par M. Kolompar ne lui octroyaient point, par elles-mêmes, compétence pour statuer. Le 8 octobre 1985, la Cour de cassation rejeta le pourvoi que le requérant avait introduit le 8 juillet. Constatant l’absence de moyens présentés valablement et utilement, elle considéra que la chambre des mises en accusation avait observé les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité et que sa décision était conforme à la loi. La demande du 17 septembre 1985, tendant à voir interdire la mesure d’extradition et ordonner l’élargissement du requérant Le 17 septembre 1985, l’intéressé pria le président du tribunal de première instance de Bruxelles, par la voie du référé, d’interdire son extradition, contraire selon lui aux articles 6 par. 1, 3 et 14 (art. 6-1, art. 3, art. 14) de la Convention en raison, notamment, de l’incompatibilité avec celle-ci de la procédure suivie contre lui en Italie, et d’ordonner son élargissement immédiat, sa détention lui paraissant entachée elle aussi d’illégalité pour les raisons que son conseil avait développées devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’Anvers le 5 juillet 1985 (paragraphe 22 ci-dessus). Par une lettre du 4 novembre 1985, le ministre de la Justice attira l’attention du parquet général d’Anvers sur l’opportunité de surseoir à l’extradition jusqu’à une décision définitive sur le recours en question. L’État belge déposa ses conclusions le 24 décembre 1985; M. Kolompar présenta les siennes lors d’une audience qui se tint le 19 mars 1986. Le 21 mars, le président du tribunal de première instance de Bruxelles déclara n’y avoir lieu à référé. Il rappela que l’article 584, premier alinéa, du code judiciaire l’habilitait à statuer "au provisoire dans les cas dont il [reconnaissait] l’urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi [soustrayait] au pouvoir judiciaire", et que d’après la doctrine et la jurisprudence cette compétence s’étendait au cas d’actes illicites des autorités (onrechtmatige overheidsdaad). En l’espèce, toutefois, la détention litigieuse ne constituait pas un tel acte, parce qu’ordonnée légalement et légitimement dans le cadre d’une procédure d’extradition conforme à la loi du 15 mars 1874 et à la convention belgo-italienne d’extradition du 15 janvier 1875. Quant à l’extradition, le président estima qu’il ne lui appartenait pas de juger si la condamnation du requérant par la cour d’assises de Florence avait enfreint la Convention. Il ajouta que l’intéressé pouvait, comme l’avait signalé le directeur du service des extraditions de Rome (paragraphe 19 ci-dessus), introduire un recours en révision si les conditions définies à l’article 553 du code italien de procédure pénale se trouvaient réunies. M. Kolompar attaqua cette ordonnance, après que l’État belge la lui eut signifiée, par un acte déposé au greffe de la cour d’appel de Bruxelles le 12 juin 1986. Par une lettre enregistrée au greffe le 19, il demanda le renvoi de l’affaire au rôle. L’État belge présenta ses conclusions le 19 novembre 1986, mais la procédure demeura en instance. L’avocat belge chargé de défendre le requérant avait suspendu son intervention dans l’attente du versement d’une provision. Son client s’affirmait hors d’état de la payer, mais il n’en avait pas informé les autorités et n’avait pas davantage sollicité l’aide judiciaire. L’extradition du requérant (25 septembre 1987) Par une lettre de son conseil, datée du 13 septembre 1987, l’intéressé avisa le ministre de la Justice qu’il ne s’opposait plus à son extradition, eu égard à la longueur des procédures entamées à l’échelle tant nationale qu’internationale, et qu’il renonçait à se prévaloir de la promesse de ne pas le livrer à l’Italie dans l’attente du résultat des recours exercés en Belgique. Extradé vers l’Italie douze jours plus tard, il y recouvra la liberté le 27 décembre 1990, en vertu d’une amnistie. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION M. Kolompar a saisi la Commission le 10 juin 1985 (requête no 11613/85). Il alléguait des violations de l’article 5 paras. 1, 2 et 4 (art. 5-1, art. 5-2, art. 5-4) de la Convention par la Belgique et des articles 3 et 6 par. 1 (art. 3, art. 6-1) par l’Italie. Le 16 mai 1990, la Commission a retenu les griefs tirés de l’article 5 paras. 1 et 4 (art. 5-1, art. 5-4); elle a déclaré la requête irrecevable pour le surplus et notamment quant aux plaintes visant l’Italie. Dans son rapport du 26 février 1991 (article 31 de la Convention) (art. 31), elle conclut par huit voix contre trois à la méconnaissance de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) et, par dix voix contre une, à celle de l’article 5 par. 4 (art. 5-4). Le texte intégral de son avis et de l’opinion partiellement dissidente dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt. CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR À l’audience du 23 mars 1992, l’agent du Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Elles invitaient la Cour à décider: " - que le grief tiré de la violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) est irrecevable; qu’à tout le moins, il n’y a pas eu de violation de cette disposition; - qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention." Le conseil du requérant a, pour son compte, demandé à la Cour de relever une infraction à ces mêmes dispositions et d’octroyer à son client l’indemnité réclamée.
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Ressortissant italien, M. Aldo Andreucci habite Rome. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-19 de son rapport): "16. Le 18 mars 1985, le requérant saisit le tribunal de Rome d'une action en réparation des dommages résultant des coups et blessures subis au cours d'une altercation avec M. S. et ses parents. L'instruction débuta à l'audience du 30 avril 1985 et se poursuivit aux audiences des 21 octobre 1985 et 18 février 1986, date à laquelle le tribunal ordonna l'accomplissement d'une expertise médicale. L'audience du 11 mars 1986 fut reportée en raison de l'absence de l'expert désigné. Celui-ci prêta serment à l'audience du 19 mai 1986 et un délai de quatre-vingt-dix jours à compter du 5 juin 1986 lui fut imparti pour le dépôt de l'expertise. Le délai n'ayant pas été respecté, l'audience du 3 novembre 1986 fut reportée au 2 décembre 1986. A l'issue de l'audience du 9 février 1987, l'instruction fut close et le juge de la mise en état fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 22 février 1989. A une date qui n'a pas été précisée, le tribunal fit droit à la demande du requérant. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 15 octobre 1989. (...)" Devant la Cour, le requérant a confirmé que les défendeurs n'ont pas interjeté appel; le 14 novembre 1989, ils lui ont versé la somme que le tribunal leur avait ordonné de payer. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 23 mai 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12955/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 15 janvier 1991 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-G de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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Ressortissant italien, M. G. habitait Rome jusqu'à son décès. En application de l'article 31 par. 1 (art. 31-1) de la Convention, la Commission a constaté les faits suivants (paragraphes 16-20 de son rapport): "16. Le 27 juin 1985, le requérant assigna la société X devant le juge d'instance (pretore) de Rome. Il allégua que la société X, pour laquelle il avait travaillé jusqu'en octobre 1983, ne l'avait pas rétribué dans la mesure correspondant aux fonctions de dirigeant qu'il avait exercées et demanda qu'elle fût condamnée à lui payer 208 930 000 lires italiennes, réévaluées et majorées des intérêts légaux. L'instruction débuta à l'audience du 17 décembre 1985, suivie par les audiences des 9 janvier et 20 février 1986. A l'issue de l'audience du 28 avril 1986, le juge d'instance rejeta la demande du requérant. Le texte de la décision fut déposé au greffe le 29 avril 1986. Le 11 juillet 1986, le requérant interjeta appel contre cette décision et, le 14 juillet 1986, le président du tribunal de Rome fixa l'audience devant la chambre compétente du tribunal au 29 juin 1988. Une demande tendant à ce que la date fixée pour l'audience fût avancée, présentée par le requérant le 10 novembre 1986, fut rejetée le 30 mars 1987. L'audience eut lieu, en définitive, le 1er juillet 1988. A cette date, le tribunal rendit son jugement confirmant la décision du juge d'instance. Le texte du jugement fut déposé au greffe le 21 juillet 1988. (...)." D'après les renseignements fournis à la Cour par Mme G., aucun pourvoi en cassation n'a été formé. PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION L'intéressé a saisi la Commission le 6 mars 1987. Il se plaignait de la durée de la procédure civile engagée par lui et invoquait l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. La Commission a retenu la requête (n° 12787/87) le 11 mai 1990. Dans son rapport du 5 décembre 1990 (article 31) (art. 31), elle exprime à l'unanimité l'opinion qu'il y a eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1). Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt*. _______________ * Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 228-F de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe. _______________
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