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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’association requérante et le Mouvement raëlien Créée en 1977, la requérante est une association à but non lucratif ayant son siège à Rennaz (canton de Vaud). Elle constitue la branche suisse du « Mouvement raëlien », organisation basée à Genève et fondée en 1976 par Claude Vorilhon, dit Raël. Selon ses statuts, elle a pour but « d’assurer les premiers contacts et d’établir de bonnes relations avec les extraterrestres ». D’après les renseignements disponibles sur le site Internet de l’association requérante au moment de l’adoption du présent arrêt, la doctrine du Mouvement raëlien se base sur le contact qu’aurait eu Raël avec des extraterrestres « techniquement avancés », les « elohim », qui auraient créé la vie sur Terre et plusieurs religions du monde comme le christianisme, le judaïsme ou encore l’islam. Les adeptes du Mouvement raëlien accordent une importance fondamentale aux avancées scientifiques et techniques et considèrent que le clonage et le « transfert de la conscience » permettraient d’accéder à l’immortalité. A ce titre, le Mouvement raëlien a déjà exprimé des opinions favorables au clonage humain. Certains textes du Mouvement raëlien ou de Raël lui-même défendent un système de gouvernement dénommé « géniocratie », doctrine selon laquelle le pouvoir devrait être exercé seulement par des individus ayant un coefficient intellectuel élevé. Dans son ouvrage intitulé « La méditation sensuelle », Raël définit ce concept comme un « mode d’emploi » qui aurait été donné aux humains par les extraterrestres et qui permettrait à chacun de « découvrir son corps et d’apprendre comment jouir des sons, des couleurs, des odeurs, des goûts, des caresses et plus particulièrement d’une sexualité ressentie avec tous ses sens, de manière à expérimenter l’orgasme cosmique, infini et absolu qui illumine l’esprit en reliant celui qui l’atteint à l’univers qui le compose et dont il est composé ». B. La procédure litigieuse Le 7 mars 2001, l’association requérante demanda à la direction de la police de la ville de Neuchâtel (« la direction de la police ») l’autorisation de mener une campagne d’affichage pour la période comprise entre le 2 et le 13 avril 2001. L’affiche en question, d’un format de 97 x 69 cm, comportait dans sa partie supérieure l’inscription suivante en grands caractères jaunes sur fond bleu foncé : « Le Message donné par les extraterrestres » ; au bas de l’affiche, en caractères de même taille mais plus épais, figurait l’adresse du site Internet du Mouvement raëlien ainsi qu’un numéro de téléphone en France ; tout en bas de l’affiche on pouvait lire « La science remplace enfin la religion ». Le centre de l’affiche était occupé par des visages d’extraterrestres ainsi que par une pyramide. On distinguait aussi une soucoupe volante et la Terre. Le 29 mars 2001, la direction de la police refusa l’autorisation demandée en se référant à deux précédents refus. Il ressortait d’un rapport parlementaire français sur les sectes datant de 1995, ainsi que d’un jugement du président du tribunal civil de l’arrondissement de la Sarine (canton de Fribourg), que le Mouvement raëlien se livrait à des activités contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Par une décision du 19 décembre 2001, le conseil communal de Neuchâtel rejeta un recours formé par l’association requérante, estimant que celle-ci ne pouvait pas se prévaloir de la liberté de religion car elle devait être considérée comme une secte à caractère dangereux. L’atteinte à la liberté d’expression était fondée sur l’article 19 du règlement de police de la ville de Neuchâtel (« le règlement ») ; elle visait à protéger l’intérêt public et était proportionnée, dans la mesure où l’organisation prônait notamment le clonage, la « géniocratie » et la « méditation sensuelle ». Par une décision du 27 octobre 2003, le département neuchâtelois de la gestion du territoire confirma cette décision. Il nota que, pour le Mouvement raëlien, la vie sur Terre avait été créée par des extraterrestres, également fondateurs des différentes religions et susceptibles de sauver le monde, et admit qu’il s’agissait là d’une conviction religieuse protégée par la liberté de conscience et de croyance. Il admit également que le règlement constituait une base légale suffisante en la matière. Il observa que ni le texte ni l’image de l’affiche, pas plus que l’allusion aux extraterrestres, ne contenaient quoi que ce soit de choquant. Toutefois, il releva que le Mouvement raëlien prônait la « géniocratie » (modèle politique basé sur le coefficient intellectuel), ainsi que le clonage des êtres humains. De surcroît, selon un jugement du tribunal cantonal fribourgeois du 13 février 1998, il était exact d’affirmer que le Mouvement prônait aussi « théoriquement » la pédophilie et l’inceste, notamment dans les ouvrages de Raël lui-même. La pratique de la « méditation sensuelle » pouvait aussi mener facilement à des excès. Par ailleurs, le site Internet de la société Clonaid, accessible depuis le site du Mouvement raëlien, proposait des services précis dans le domaine du clonage ; or l’eugénisme était quant à lui contraire au principe de non-discrimination. Le département conclut que la campagne d’affichage impliquait des atteintes à la moralité et aux droits d’autrui et que, au demeurant, le Mouvement raëlien disposait d’autres moyens pour diffuser ses idées. L’association requérante saisit le tribunal administratif du canton de Neuchâtel. Elle affirmait en particulier que la simple défense de la « géniocratie », du clonage et de la méditation sensuelle n’avait rien de choquant. Par ailleurs, elle soutenait que le Mouvement dénonçait la pédophilie par le biais de l’association « Nopedo ». Le refus d’affichage était donc selon elle une censure pure et simple, d’autant plus que son site Internet était de toute façon accessible par le biais d’un moteur de recherche. Par un arrêt du 22 avril 2005, le tribunal administratif rejeta le recours, après avoir cependant admis que l’association requérante défendait une vision globale du monde et pouvait se prévaloir tant de la liberté d’opinion que de la liberté de religion. Il considéra d’abord que la mesure litigieuse se fondait sur le règlement de police, qui était bien une loi au sens matériel du terme, et que l’affiche devait être évaluée en tenant compte du message véhiculé dans les ouvrages et les sites accessibles depuis celui du Mouvement. Or les services proposés par Clonaid étaient manifestement contraires à l’ordre public suisse. Le tribunal rappela en outre que le Mouvement raëlien avait fait l’objet de plaintes pénales dénonçant des pratiques sexuelles visant à corrompre systématiquement de jeunes adolescents. Les propos tenus dans les ouvrages sur la « géniocratie » et la « méditation sensuelle » pouvaient conduire certains adultes à des dérives sexuelles envers des enfants mineurs, l’enfant étant qualifié dans certains ouvrages d’« objet sexuel privilégié ». Les propos sur la « géniocratie » et les critiques à l’égard des démocraties actuelles étaient susceptibles de porter atteinte à l’ordre, à la sécurité et à la moralité publics. Pour ces raisons, le tribunal administratif conclut qu’il ne se justifiait pas d’autoriser la diffusion de ces idées sur la voie publique. L’association requérante forma devant le Tribunal fédéral un recours de droit public contre ce dernier arrêt, demandant son annulation et le renvoi de la cause à l’autorité intimée pour nouvelle décision. Par un arrêt du 20 septembre 2005, notifié à l’association requérante le 10 octobre 2005, le Tribunal fédéral rejeta le recours. Les extraits pertinents se lisent comme suit : « Le Département, puis le Tribunal administratif, ont admis que l’association [requérante] pouvait se prévaloir de la liberté religieuse (art. 15 Constitution [ciaprès : « Cst. »], 9 CEDH et 18 Pacte ONU II), dans la mesure où elle défendait une vision globale du monde, notamment quant à sa création et à l’origine des différentes religions. La Ville de Neuchâtel le conteste, en relevant que le but de l’association [requérante], défini à l’art. 2 de ses statuts, n’est pas de caractère religieux. Selon un rapport sur les sectes établi en 1995 à l’intention de l’Assemblée Nationale française, le Mouvement raëlien ferait partie des mouvements présentant des dangers pour l’individu, notamment en raison des exigences financières exorbitantes à l’égard de ses membres et des pratiques portant atteinte à leur intégrité physique, ainsi que des dangers pour la collectivité, en particulier par un discours antisocial. De nombreux textes publiés par le Mouvement comporteraient des passages choquants. Point n’est besoin de rechercher si un mouvement religieux peut, en raison des dangers qu’il représente, se voir empêché de se prévaloir de la liberté de religion, et si l’association [requérante] présente de tels dangers. En effet, les parties s’accordent à reconnaître à la [requérante] la faculté d’invoquer la liberté d’opinion. Les conditions de restrictions de cette liberté, telles que posées à l’art. 36 Cst, ne diffèrent guère selon qu’est invoqué l’art. 15 ou 16 Cst. (cf. également les art. 9 § 2 et 10 § 2 CEDH). La [requérante] ne soutient pas que la mesure contestée porterait atteinte à l’essence même de la liberté religieuse, ni que les restrictions portées à cette dernière seraient, dans les circonstances du cas d’espèce, soumises à des conditions plus strictes. Au contraire, la [requérante] invoque les principes de proportionnalité et d’intérêt public, sans distinction quant au droit constitutionnel invoqué. (...) 2 Selon la jurisprudence, les administrés ne disposent pas d’un droit inconditionnel à l’usage accru du domaine public, en particulier s’agissant de la mise en place de procédés publicitaires sur le domaine public impliquant une activité d’une certaine importance, durable et excluant toute utilisation semblable par des tiers (ATF 128 I 295 consid. 3c/aa p. 300 et les arrêts cités). Lorsqu’il entend accorder une autorisation d’usage accru ou privatif du domaine public, ou lorsqu’il contrôle les modalités d’usage d’une concession, l’Etat doit néanmoins tenir compte, dans la balance des intérêts en présence, du contenu à caractère idéal de la liberté d’expression (ATF 100 Ia 392 consid. 5 p. 402). 3 En l’occurrence, les motifs retenus par la cour cantonale pour confirmer le refus de la Ville de Neuchâtel tiennent au respect de la moralité et de l’ordre légal suisse. Le Tribunal administratif a considéré qu’il fallait tenir compte non seulement du contenu de l’affiche, mais également des idées véhiculées par le Mouvement raëlien, ainsi que des ouvrages et sites Internet accessibles depuis celui du Mouvement. Il est ainsi fait trois sortes de reproches à l’association [requérante]. Premièrement, le site de l’association [requérante] renvoie à celui de Clonaid, où cette société offre des services précis au public, en matière de clonage, et avait annoncé, au début 2003, la naissance d’enfants clonés. Or, le clonage est interdit en droit suisse, selon l’art. 119 Cst. et la loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA ; RS 814.90). Deuxièmement, le Tribunal administratif s’est référé à un jugement du Tribunal d’arrondissement de la Sarine faisant état de dérives sexuelles possibles à l’égard d’enfants mineurs. De nombreux membres du Mouvement avaient en outre occupé la police en raison de leurs pratiques sexuelles. Troisièmement, le soutien à la « géniocratie », soit la doctrine selon laquelle le pouvoir devrait être donné aux individus ayant un coefficient intellectuel élevé, et la critique adressée en conséquence aux démocraties actuelles, était susceptible de porter atteinte au maintien de l’ordre, de la sécurité et de la morale publics. 4 La [requérante] ne conteste plus, à ce stade, l’existence d’une base légale suffisante, soit en l’occurrence l’art. 19 du règlement. Un acte législatif communal offre en effet les mêmes garanties, du point de vue de la légitimité démocratique, qu’une loi cantonale, et constitue par conséquent une base légale suffisante (arrêt 1P.293/2004 du 31 mai 2005 consid. 4.3 ATF 131 I xxx ; ATF 122 I 305 consid. 5a p. 312 ; 120 Ia 265 consid. 2a p. 266/267 et les références citées). La [requérante] invoque en revanche le principe de l’intérêt public, et reproche aux autorités intimées de s’être écartées du contenu de l’affiche, pour se livrer à une appréciation des activités de l’association [requérante]. Or, si cette dernière se livrait de manière générale à des agissements contraires aux bonnes moeurs ou à l’ordre public, elle aurait pu être dissoute par voie judiciaire en application de l’art. 78 CC [code civil]. En l’absence de toute décision dans ce sens, il ne serait pas possible de lui interdire de rendre publique sa philosophie et sa vision du monde. 5 L’affiche en elle-même ne comporte rien, ni dans son texte ni dans ses illustrations, qui soit illicite ou qui puisse choquer le public. Au-dessus du dessin central représentant des extraterrestres figure l’inscription « Le message donné par les extraterrestres », sans autre explication. Au-dessous, en caractères plus gras, figure l’adresse du site Internet de l’association [requérante], ainsi qu’un numéro de téléphone. La phrase « La science remplace enfin la religion », est certes susceptible d’offenser les convictions religieuses de certaines personnes ; elle est toutefois la simple expression de la doctrine du Mouvement et ne revêt pas de caractère particulièrement provoquant. L’ensemble de l’affiche peut ainsi clairement se comprendre comme une invitation à visiter le site Internet de l’association [requérante], ou à contacter celle-ci par téléphone. Face à une telle publicité, l’autorité doit examiner non seulement l’admissibilité du message publicitaire proprement dit, mais aussi celle de son contenu. Il est par conséquent légitime de rechercher si le site en question pouvait contenir des informations, des données ou des liens susceptibles de choquer ou de contrevenir au droit. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la [requérante], une association peut se voir reprocher des opinions ou des activités qui, sans constituer des motifs de dissolution au sens de l’art. 78 CC, justifient néanmoins une restriction de publicité. 5.1 A propos du clonage, ce ne sont pas les opinions manifestées par l’association [requérante] en faveur de cette pratique (notamment dans l’ouvrage « Oui au clonage humain », publié en 2001 et proposé sur le site de la [requérante]) qui ont été sanctionnées, mais le lien avec la société Clonaid, qu’elle a elle-même créée et qui propose divers services concrets et payants dans ce domaine. Il ne s’agit donc pas simplement, contrairement à ce que soutient la [requérante], de l’expression d’une opinion favorable au clonage, protégée par l’art. 16 Cst., mais de la pratique de cette activité, pourtant interdite en vertu de l’art. 119 al. 2 let. a Cst. Cette disposition, acceptée en 1992 par la majorité du peuple et des cantons suisses (sous la forme de l’art. 24novies a Cst.), s’inscrit notamment dans une politique de protection de la dignité humaine, telle qu’elle correspond à la conception généralement partagée dans ce pays (FF 1996 III 278 ; cf. également la réponse du Conseil fédéral à une interpellation de R. Gonseth du 9 juin 1997). La [requérante] ne conteste pas le caractère illicite du clonage humain, à plus forte raison à des fins commerciales (art. 36 al. LPMA ; art. 119 al. 2 let. e Cst.). Elle ne saurait non plus contester sérieusement que la mise en lien du site de Clonaid contribue à la promotion d’une activité illicite, et va plus loin que la simple affirmation d’une opinion. Sur ce premier point, qui justifie déjà la décision attaquée, la [requérante] ne présente guère d’argument pertinent au sens de l’art. 90 al. 1 let. b OJ. 5.2 Le 15 octobre 2003, le centre intercantonal d’information sur les croyances a fourni des informations sur le Mouvement raëlien. Il en ressort notamment que ce dernier serait investi d’une mission politique. Attaquant avec virulence les démocraties, traitées de « médiocraties », il défend la « géniocratie », modèle politique basé sur le coefficient intellectuel des individus. Un gouvernement mondial serait composé de génies, élus par des individus dont l’intelligence serait supérieure de 10% à la moyenne. Certes, la « géniocratie » est vécue comme une utopie, et non comme un véritable projet politique ; contrairement à ce que soutient le Tribunal administratif, cette doctrine n’apparaît pas propre à troubler l’ordre ou la sécurité publics. Toutefois, outre qu’elle apparaît d’inspiration largement eugéniste, elle est manifestement de nature à choquer les convictions démocratiques et antidiscriminatoires qui sont à la base d’un Etat de droit (cf. notamment le libellé du préambule de la Constitution fédérale du 18 avril 1999, ainsi que l’art. 8 Cst. relatif à l’égalité et à l’interdiction de toute discrimination). 5.3 Enfin, selon l’arrêt attaqué, on ne saurait retenir que le Mouvement raëlien prône la pédophilie. Toutefois, de nombreux membres auraient occupé les services de police en raison de leurs pratiques sexuelles. Selon un jugement rendu le 28 novembre 1997 par le Tribunal d’arrondissement de la Sarine, relatif à un droit de réponse requis par le Mouvement raëlien suisse, les propos tenus par Raël dans ses ouvrages pourraient conduire certains adultes à des dérives sexuelles à l’égard d’enfants mineurs. Ce jugement cite des extraits d’ouvrages de Raël, que l’on peut télécharger depuis le site de l’association [requérante], selon lesquels l’éducation sexuelle des enfants ne devrait pas être seulement théorique, mais consister en une éducation sensuelle destinée à leur montrer comment en retirer du plaisir. Ce même jugement retient aussi que, malgré le désaveu exprimé après coup sur ce point, certains articles parus dans le bulletin trimestriel de liaison « Apocalypse » décrivaient l’enfant comme un « objet sexuel privilégié ». Il est enfin fait état d’une condamnation d’un sympathisant et d’un membre du Mouvement raëlien, par la Cour d’assises du Vaucluse, à cinq ans de prison pour agression sexuelle sur une fillette de douze ans. Cet arrêt a été confirmé le 13 février 1998 par le Tribunal cantonal fribourgeois. Un recours en réforme et un recours de droit public interjetés par le Mouvement raëlien ont été rejetés le 24 août 1998 par le Tribunal fédéral, compte tenu notamment des écrits équivoques du fondateur ou des membres du Mouvement (arrêts 5P.172/1998 et 5C.104/1998). Le dossier contient par ailleurs divers documents concernant des poursuites contre des membres de l’association [requérante] pour des agressions sexuelles ; un arrêt du 24 janvier 2002 de la Cour d’appel de Lyon fait clairement état d’abus sexuels commis par des responsables du Mouvement sur des mineurs de quinze ans ; les cadres du Mouvement prôneraient ainsi « une grande liberté sexuelle fortement incitatrice au passage à l’acte » ; ils avaient ainsi corrompu de jeunes adolescentes par des discours prétendument philosophiques, par des caresses sexuelles de plus en plus précises et par des incitations toujours plus pressantes, pour ensuite assouvir « leurs besoins et leurs caprices sexuels avec des jeunes filles venant d’atteindre l’âge de quinze ans qui allaient très rapidement d’un partenaire à l’autre ». Le fait que les articles incriminés datent des années 80 et qu’aucune condamnation n’ait été prononcée en Suisse ne change rien à l’implication de membres de l’association [requérante] dans des agissements pénalement réprimés. La [requérante] ne conteste d’ailleurs nullement le fait que certains passages des livres proposés sur son site pourraient conduire des adultes à des abus envers des mineurs. Sur ce point également, l’argumentation de la [requérante] ne répond pas aux motifs retenus dans la décision attaquée. Dans la mesure où des abus ont effectivement pu être constatés de la part de certains raëliens, il n’est pas déterminant que la pédophilie soit fermement condamnée par la doctrine officielle du Mouvement. 6 Sur le vu de ce qui précède, le refus opposé à la [requérante] apparaît fondé sur des motifs d’intérêt public suffisants puisqu’il s’agit de prévenir la commission d’actes constitutifs d’infractions pénales selon le droit suisse (clonage reproductif et actes d’ordre sexuel avec des enfants). Par ailleurs, la lecture de certains passages des ouvrages proposés sur le site de la [requérante] (en particulier l’« éveil sensuel » des enfants, la « géniocratie ») est susceptible de choquer gravement leurs lecteurs. 7 La [requérante] invoque le principe de la proportionnalité. Elle rappelle que l’affiche elle-même ne contient rien qui soit contraire à l’ordre public, et conteste que la mesure soit propre à parvenir au but recherché. 7.1 Selon l’art. 36 al. 3 Cst., toute restriction à un droit fondamental doit être proportionnée au but visé. Elle doit être propre à atteindre ce but, et se limiter à l’atteinte la moins grave possible aux intérêts privés (ATF 125 I 474 consid. 3 p. 482 et les références citées). 7.2 En l’espèce, l’intérêt public ne consiste pas seulement à limiter la publicité donnée au site de l’association [requérante], compte tenu des réserves exprimées cidessus à propos de l’ordre et de la moralité publics. Il s’agit plus encore d’éviter que l’Etat ne prête son concours à une telle publicité en mettant à disposition une partie du domaine public, pouvant laisser croire ainsi qu’il cautionne ou tolère les opinions et les agissements en cause. De ce point de vue, l’interdiction d’affichage est propre à atteindre le but visé. Pour le surplus, la mesure critiquée par la [requérante] est limitée à l’affichage sur le domaine public. L’association [requérante] demeure libre d’exprimer ses convictions par les nombreux autres moyens de communication à sa disposition (cf. arrêt Murphy du 10 juillet 2003, Recueil CourEDH 2003-IX p. 33, § 74). 7.3 La [requérante] estime que l’autorité aurait dû lui proposer les modifications à apporter sur l’affiche afin d’en rendre le contenu admissible. Toutefois, dans la mesure où elle connaissait les objections élevées à l’encontre de sa campagne d’affichage, la [requérante] elle-même n’a jamais proposé une version de l’affiche susceptible d’être autorisée. Le Tribunal administratif a pour sa part estimé que l’affiche devrait être interdite même sans référence au site Internet, ce qui paraît discutable ; il est incontestable en revanche que la suppression de l’adresse en question ferait perdre son objet à la campagne d’affichage puisqu’il s’agit essentiellement, comme on l’a vu, d’une publicité pour le site lui-même. On ne voit pas, par conséquent, quel sens compréhensible pourrait conserver l’affiche sans cette référence au site et au numéro de téléphone. 7.4 La mesure contestée respecte donc le principe de la proportionnalité, sous tous ses aspects. Elle constitue, pour les mêmes motifs, une restriction nécessaire « dans une société démocratique », en particulier à la protection de la morale, au sens des art. 9 § 2 et 10 § 2 CEDH. » C. Les campagnes d’affichage de l’association requérante dans d’autres villes suisses Des affiches similaires à celle qui fait l’objet de la présente affaire – contenant également l’adresse du site Internet du Mouvement raëlien et un numéro de téléphone mais un texte différent, à savoir « Le vrai visage de Dieu » – ont été autorisées en décembre 1999 dans plusieurs villes suisses telles que Zurich et Lausanne. L’association requérante a pu également mener d’autres campagnes avec des affiches différentes de celle en cause en l’espèce – dont certaines comportant l’adresse du site Internet du Mouvement raëlien – entre 2004 et 2006 dans plusieurs villes suisses sauf Neuchâtel. En revanche, en octobre 2004, le conseil communal de Delémont refusa d’autoriser une campagne d’affichage souhaitée par la requérante et concernant une affiche comportant l’affirmation « Dieu n’existe pas ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS A. Le droit interne La Constitution L’article 119 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 traite de la procréation médicalement assistée et du génie génétique dans le domaine humain. Cette disposition est libellée comme suit : « L’être humain doit être protégé contre les abus en matière de procréation médicalement assistée et de génie génétique. La Confédération légifère sur l’utilisation du patrimoine germinal et génétique humain. Ce faisant, elle veille à assurer la protection de la dignité humaine, de la personnalité et de la famille et respecte notamment les principes suivants : a. toute forme de clonage et toute intervention dans le patrimoine génétique de gamètes et d’embryons humains sont interdites ; b. le patrimoine génétique et germinal non humain ne peut être ni transféré dans le patrimoine germinal humain ni fusionné avec celui-ci ; c. le recours aux méthodes de procréation médicalement assistée n’est autorisé que lorsque la stérilité ou le danger de transmission d’une grave maladie ne peuvent être écartés d’une autre manière, et non pour développer chez l’enfant certaines qualités ou pour faire de la recherche ; la fécondation d’ovules humains hors du corps de la femme n’est autorisée qu’aux conditions prévues par la loi ; ne peuvent être développés hors du corps de la femme jusqu’au stade d’embryon que le nombre d’ovules humains pouvant être immédiatement implantés ; d. le don d’embryons et toutes les formes de maternité de substitution sont interdits ; e. il ne peut être fait commerce du matériel germinal humain ni des produits résultant d’embryons ; f. le patrimoine génétique d’une personne ne peut être analysé, enregistré et communiqué qu’avec le consentement de celle-ci ou en vertu d’une loi ; g. toute personne a accès aux données relatives à son ascendance. » Interpellé par un parlementaire suisse sur la question de savoir s’il y avait lieu de prendre des mesures à l’égard du Mouvement raëlien en se fondant sur l’alinéa a) de cette disposition, le Conseil fédéral suisse a déclaré, le 21 mai 2003 : « Dans la mesure où, en Suisse, le mouvement Raël se borne à militer pour une reconnaissance sociale des techniques de clonage – ou encore pour la levée de l’interdiction du clonage – son activité relève de la liberté d’opinion (...) » Le règlement de police de Neuchâtel A Neuchâtel, comme dans d’autres villes suisses, la gestion de l’affichage sur le domaine public revient à une société commerciale privée, à laquelle le conseil communal a octroyé une concession en vertu du règlement de police de la ville du 17 janvier 2000. Les dispositions pertinentes de ce règlement sont les suivantes : Article 18 « 1. L’installation de supports destinés à l’affichage et de réclames, sur domaine public et privé visible du domaine public, est soumise à autorisation. Celle-ci n’est accordée que si les conditions en matière d’urbanisme et de sécurité sont respectées. » Article 19 « 1. La Direction de la police peut interdire les affiches illicites ou contraires aux bonnes mœurs. L’affichage sauvage est interdit. » Article 20 « Le droit exclusif d’affichage sur le domaine communal peut être concédé par le Conseil communal. » B. Le droit international La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, dite aussi « Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine », ouverte à la signature le 4 avril 1997 à Oviedo (« Convention d’Oviedo »), est entrée en vigueur le 1er décembre 1999. Elle s’applique à la Suisse depuis le 1er novembre 2008. Le Protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, ouvert à la signature le 12 janvier 1998 à Paris, entré en vigueur le 1er mai 2006 et applicable à la Suisse depuis le 1er mars 2010, interdit « toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1967 et 1958 et résident à Strasbourg. Ils sont fonctionnaires au Conseil de l’Europe. Par décret présidentiel nº 154/2007 du 18 août 2007, l’Assemblée nationale de la République hellénique fut dissoute et la tenue d’élections générales fixée au 16 septembre 2007. Par une lettre du 10 septembre 2007 adressée par télécopie à l’ambassadeur de Grèce en France, les requérants, résidents permanents en France, exprimèrent leur souhait d’exercer leur droit de vote en France lors des élections du 16 septembre 2007. Le 12 septembre 2007, s’appuyant sur les instructions et informations que lui avait communiquées le ministère des Affaires intérieures, l’ambassadeur leur répondit : « [L’Etat grec] confirme sa volonté – souvent exprimée au niveau institutionnel – de donner la faculté aux citoyens grecs résidant à l’étranger de voter depuis leur lieu de résidence. Cependant, il est évident que cette question nécessite des règles fixées par la loi, qui n’existent pas à l’heure actuelle. En effet, de telles règles ne pourraient émaner d’un simple acte administratif, des mesures spéciales devant être prises pour la mise en place de centres électoraux au sein des ambassades et des consulats (...) A la lumière de ce qui précède et malgré la volonté exprimée par l’Etat, votre demande ne pourra pas être satisfaite pour des raisons objectives en ce qui concerne les prochaines élections. » Le 16 septembre 2007, les élections générales eurent lieu. Les requérants, qui ne se rendirent pas en Grèce, n’exercèrent pas leur droit de vote. II. LES DROIT ET PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Les droit et pratique internes La Constitution grecque de 1975 Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi : Article premier « (...) La souveraineté populaire constitue le fondement du régime politique. Tous les pouvoirs émanent du peuple, existent pour lui et la nation, et ils sont exercés ainsi qu’il est prescrit par la Constitution. » Article 51 (avant la révision constitutionnelle de 2001) « 1. Le nombre des députés est fixé par la loi, sans pouvoir toutefois être inférieur à deux cents ni supérieur à trois cents. Les députés représentent la nation. Les députés sont élus au suffrage direct, universel et secret par les citoyens ayant le droit de vote, ainsi qu’il est prescrit par la loi. La loi ne peut restreindre le droit de vote du citoyen que s’il n’a pas atteint l’âge légal minimum, ou pour des raisons d’incapacité d’exercice ou par l’effet d’une condamnation pénale irrévocable pour certains délits. Les élections législatives ont lieu simultanément sur l’ensemble du territoire. La loi peut fixer les modalités d’exercice du droit de vote par les électeurs qui se trouvent en dehors du territoire national. L’exercice du droit de vote est obligatoire. La loi fixe chaque fois les exceptions et les sanctions pénales. » Article 54 « 1. Le régime électoral et les circonscriptions électorales sont fixés par une loi qui s’applique aux élections qui ont lieu aussitôt après les suivantes, à moins qu’une disposition explicite adoptée à la majorité des deux tiers du nombre total des députés prévoie son application immédiate aux élections consécutives. Le nombre de députés de chaque circonscription est fixé par décret présidentiel sur la base de la population légale de la circonscription, établie, selon les résultats du dernier recensement, en fonction du nombre de personnes enregistrées sur les listes municipales correspondantes, ainsi qu’il est prévu par la loi. Les résultats du recensement pris en considération sont ceux publiés sur la base des données du service compétent, un an après le dernier jour du recensement. Une partie de la Chambre des députés, non supérieure au vingtième du nombre total des députés, peut être élue pour l’ensemble du territoire en fonction de la force électorale totale de chaque parti dans le pays et de manière uniforme, ainsi qu’il est prescrit par la loi. » Article 108 « 1. L’Etat veille aux conditions de vie de la diaspora hellénique et au maintien de ses liens avec la Mère Patrie. Il veille également à l’instruction et à la promotion sociale et professionnelle des Hellènes qui travaillent en dehors du territoire national. La loi détermine les modalités d’organisation et de fonctionnement ainsi que les attributions du Conseil des Grecs de l’étranger, qui a pour mission d’exprimer toutes les forces de l’hellénisme où qu’il soit. » Le second paragraphe de l’article 108 fut introduit lors de la révision constitutionnelle de 2001. En 2001, le paragraphe 4 de l’article 51 fut modifié comme suit : « Les élections législatives ont lieu simultanément sur l’ensemble du territoire. Les modalités d’exercice du droit de vote par les électeurs résidant en dehors du territoire national peuvent être fixées par une loi adoptée à la majorité des deux tiers du nombre total des députés. Concernant ces personnes, le principe du vote simultané n’exclut pas l’exercice du droit de vote par la voie postale ou par un autre moyen approprié, à condition que le décompte des suffrages et la proclamation des résultats soient achevés en même temps que dans le pays. » La loi électorale en vigueur à l’époque des faits A l’époque des élections législatives en question, le décret présidentiel no 96/2007 – le texte régissant le régime électoral en vigueur – prévoyait : Article 4 – Droit de vote « 1. Tout ressortissant grec, âgé de 18 ans révolus a le droit de voter. (...) » Article 5 – Déchéance du droit « Est déchue de son droit de vote : a) Toute personne mise sous curatelle, conformément aux dispositions du code civil. b) Toute personne frappée d’une telle déchéance concomitamment à une condamnation pénale irrévocable pour un délit prévu par le code pénal ou par le code pénal militaire, pendant toute la durée de la peine prononcée. » Article 6 – Exercice du droit « 1. Le droit de voter dans une circonscription électorale est réservé aux personnes inscrites sur les listes électorales d’une municipalité ou d’une commune de cette circonscription. L’exercice du droit de vote est obligatoire. » Le projet de loi intitulé « Exercice du droit de vote aux élections législatives par les électeurs grecs résidant à l’étranger » Dans le rapport dudit projet déposé le 19 février 2009 au Parlement par les ministres des Affaires intérieures, de la Justice et de l’Economie, il est relevé que le texte visait à satisfaire « une obligation historique majeure incombant au gouvernement qui, incontestablement, renforce les liens des Grecs expatriés avec la patrie ». Le rapport indiquait que la consécration du droit de vote pour les Grecs résidant à l’étranger découlait tant de l’article 108 que de l’article 51 § 4 de la Constitution. Il soulignait en particulier que l’article 108 « consacr[ait] un « droit social » aux Grecs expatriés. Ladite disposition oblige[ait] l’Etat hellénique à prendre toutes les mesures nécessaires au maintien du lien des Grecs expatriés avec la Grèce, à veiller à leur éducation grecque et à prévoir comme devoir étatique l’ascension sociale et professionnelle des Grecs travaillant en dehors du pays. La réglementation des modalités d’exercice du droit de vote des Grecs expatriés aux élections législatives en Grèce contribu[ait] incontestablement au tissage de liens réels entre les Grecs expatriés et leur patrie ». Se référant ensuite à la disposition constitutionnelle spéciale sur ce sujet, à savoir l’article 51 § 4, le rapport qualifiait la loi visée par ledit article de loi d’exécution de la Constitution. Enfin, il considérait que, « à l’époque de la mondialisation, il n’[était] pas possible que les Grecs expatriés n’[euss]ent pas une voix au chapitre décisive quant à l’évolution de leur propre pays ». Le Conseil scientifique (Επιστημονικό Συμβούλιο) du Parlement est un organe à caractère consultatif dépendant du président du Parlement. Il est constitué de dix membres, parmi lesquels des professeurs de droit, de sciences politiques, d’économie, de statistiques, d’informatique et un spécialiste en relations internationales. Ledit organe dressa un rapport, daté du 31 mars 2009, sur le projet de loi précité. Il y observait qu’une partie de la doctrine avait par le passé soutenu que l’article 51 § 4 de la Constitution mettait à la charge du législateur une obligation d’autoriser l’exercice du droit de vote depuis l’étranger pour les Grecs expatriés. Néanmoins, faisant référence à une autre partie de la doctrine et aux travaux préparatoires de l’article 51 § 4 de la Constitution, il affirmait que l’autorisation d’exercer le droit de vote depuis l’étranger était facultative et non pas obligatoire pour le législateur. Il estimait aussi que la révision constitutionnelle de 2001 n’avait rien changé au caractère facultatif de ladite disposition constitutionnelle. Le 7 avril 2009, le projet de loi fut rejeté par le Parlement, faute d’avoir atteint la majorité des deux tiers du nombre total des députés requise par l’article 51 § 4 de la Constitution. Les membres du Parlement, et notamment ceux de l’opposition, avaient en particulier invoqué le nombre de citoyens grecs vivant à l’étranger par rapport à ceux résidant en Grèce et les conséquences qui en auraient résulté sur la composition de l’organe législatif. B. Les droit et pratique internationaux Les textes adoptés par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe Les textes pertinents adoptés par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe se lisent ainsi : a) La Résolution 1459 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – Abolition des restrictions au droit de vote « (...) Conformément à l’avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) adopté en décembre 2004, l’Assemblée parlementaire invite (...) les Etats membres et observateurs auprès de l’Organisation à réexaminer l’ensemble des restrictions existantes aux droits électoraux et à abolir toutes celles qui ne sont plus nécessaires ni proportionnées à la poursuite d’un objectif légitime. L’Assemblée estime que, en principe, la priorité devrait être donnée à l’octroi de droits électoraux effectifs, libres et égaux au plus grand nombre de citoyens, sans tenir compte de leur origine ethnique, de leur santé, de leur statut de membre des forces armées ou de leur casier judiciaire. Il convient de tenir pleinement compte des droits de vote des citoyens domiciliés à l’étranger. (...) Etant donné l’importance du droit de vote dans une société démocratique, les pays membres du Conseil de l’Europe devraient permettre à leurs citoyens vivant à l’étranger de voter aux élections nationales en tenant compte de la complexité des différents systèmes électoraux. Ils devraient prendre les mesures appropriées pour faciliter autant que possible l’exercice de ce droit, notamment en considérant le vote par correspondance (par courrier), le vote auprès d’un consulat ou le vote électronique, conformément à la Recommandation Rec(2004)11 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les normes juridiques, opérationnelles et techniques relatives au vote électronique. Les Etats membres devraient coopérer entre eux à cette fin et éviter d’entraver inutilement l’exercice effectif des droits de vote des ressortissants étrangers résidant sur leurs territoires. (...) Par conséquent, l’Assemblée invite : i. les Etats membres du Conseil de l’Europe et observateurs concernés : (...) b. à accorder des droits électoraux à tous leurs citoyens (ressortissants), sans imposer de condition de résidence ; c. à faciliter l’exercice des droits électoraux des expatriés en instaurant des procédures de vote par correspondance (par courrier et/ou auprès d’un consulat) et en envisageant l’introduction du vote électronique conformément à la Recommandation Rec(2004)11 du Comité des Ministres, et, à cette fin, à coopérer entre eux ; (...) » b) La Recommandation 1714 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe – Abolition des restrictions au droit de vote « 4. Renvoyant à sa Résolution 1459 (2005) sur l’abolition des restrictions au droit de vote, l’Assemblée parlementaire invite le Comité des Ministres : i. à demander instamment aux Etats membres et observateurs : a. de signer et de ratifier la Convention de 1992 du Conseil de l’Europe sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local (STE no 144), et d’accorder des droits électoraux actifs et passifs aux élections locales à tous les résidents légaux ; et b. de réexaminer les restrictions existantes aux droits électoraux des détenus et des membres des forces armées afin d’abolir toutes celles qui ne sont plus nécessaires ni proportionnées dans la poursuite d’un objectif légitime ; ii. à demander aux services compétents du Conseil de l’Europe, notamment la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et son Conseil des élections démocratiques, de développer leurs activités d’amélioration des conditions permettant l’exercice effectif des droits électoraux des groupes rencontrant des difficultés particulières, comme les expatriés, les détenus, les personnes condamnées pour une infraction pénale, les personnes vivant dans des établissements d’hébergement médicalisé, les militaires ou les groupes nomades ; iii. à analyser les instruments existants afin d’évaluer la nécessité éventuelle d’une convention du Conseil de l’Europe destinée à améliorer la coopération internationale, cela dans le but de faciliter l’exercice des droits électoraux des expatriés. » Les textes adoptés par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise) a) Le code de bonne conduite en matière électorale (avis no 190/2002) Le code précise que « le droit de vote et d’éligibilité peut être accordé aux citoyens résidant à l’étranger » (point I.1.a.cc.v.). Le rapport explicatif indique à cet égard : « (...) des conditions de résidence peuvent être imposées aussi bien en matière de droit de vote que d’éligibilité ; la résidence est comprise comme la résidence habituelle. (...) A l’inverse, un bon nombre d’Etats octroient le droit de vote, voire l’éligibilité, à leurs ressortissants résidant à l’étranger. Cette pratique peut s’avérer abusive dans certaines situations particulières, lorsque la nationalité est accordée sur une base ethnique par exemple. » Les autres parties pertinentes du code prévoient ce qui suit : « (...) b. La libre expression de la volonté de l’électeur et la lutte contre la fraude électorale i. la procédure de vote doit être simple ; ii. dans tous les cas, le vote dans un bureau de vote doit être possible ; d’autres modalités de vote sont admissibles aux conditions suivantes : iii. le vote par correspondance ne doit être admis que si le service postal est sûr et fiable ; il peut être limité aux personnes hospitalisées, aux détenus, aux personnes à mobilité réduite et aux électeurs résidant à l’étranger ; la fraude et l’intimidation ne doivent pas être possibles ; iv. le vote électronique ne doit être admis que s’il est sûr et fiable ; en particulier, l’électeur doit pouvoir obtenir confirmation de son vote et le corriger, si nécessaire, dans le respect du secret du vote ; la transparence du système doit être garantie ; v. le vote par procuration ne peut être autorisé que s’il est soumis à des règles très strictes ; le nombre de procurations détenues par un électeur doit être limité ; (...) » b) Le rapport de 2006 sur le droit électoral et l’administration des élections en Europe (étude no 352/2005) Le rapport relève, entre autres, ce qui suit : « Droits de vote octroyés aux ressortissants vivant à l’étranger Le droit de voter depuis l’étranger est un phénomène relativement nouveau. Même dans les démocraties bien établies, les ressortissants vivant à l’étranger ont dû attendre les années 1980 (par exemple en République fédérale allemande ou au Royaume-Uni) ou 1990 (par exemple au Canada et au Japon) pour se voir accorder ce droit. Entre temps, cependant, nombre de démocraties nouvelles ou émergentes en Europe ont introduit des dispositions juridiques instituant ce droit de voter hors du pays. Bien que n’étant pas encore très répandu sur le continent, ledit droit mérite qu’on s’y attache et doit notamment être entouré de certaines garanties en matière d’intégrité du suffrage (...) (...) 152. Plusieurs démocraties bien établies d’Europe de l’Ouest autorisent le vote par correspondance dont l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande, la Suisse (...) En vue d’une participation maximale, le processus électoral prévoit le vote par correspondance. Ce vote a également été utilisé entre autres en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo afin d’assurer une participation maximale au processus électoral (CG/BUR (11) 74). Cependant, il ne devrait être permis qu’en présence d’un service postal sûr et fiable. Chaque cas doit être évalué individuellement pour déterminer les risques de fraude et de manipulation inhérents au vote par correspondance. (...) » c) Le rapport de 2011 sur le vote à l’étranger (étude no 580/2010) La conclusion de ce rapport est la suivante : « 91. Les pratiques nationales concernant le droit de vote des citoyens à l’étranger et son exercice sont loin d’être uniformes en Europe. Toutefois, l’évolution des législations, comme l’arrêt rendu récemment par la Cour européenne des droits de l’homme concernant la Grèce – non encore définitif , montrent une tendance favorable au droit de vote des citoyens à l’étranger, du moins pour les élections nationales, s’agissant des citoyens qui ont maintenu des liens avec leur Etat d’origine. Cela est en tout cas vrai en ce qui concerne les personnes séjournant temporairement à l’étranger. La définition du caractère temporaire d’un séjour est toutefois très variable et il convient donc, si ce critère est retenu, qu’il soit précisé. Une distinction doit aussi être faite selon les types d’élections. Les scrutins nationaux dans une circonscription unique sont les plus faciles à ouvrir aux citoyens résidant à l’étranger, tandis que les élections locales leur sont généralement fermées, du fait notamment de leur lien ténu avec la politique locale. La proportion de citoyens à l’étranger peut aussi beaucoup varier entre les différents Etats. Lorsqu’ils sont nombreux, le poids des citoyens à l’étranger sur le résultat de l’élection peut être décisif, ce qui peut justifier la mise en place de modalités spécifiques. Il est tout à fait légitime de demander aux électeurs à l’étranger de s’inscrire sur un registre pour pouvoir voter, même si l’inscription est automatique pour les résidents. L’obligation de voter dans une ambassade ou un consulat peut en pratique limiter fortement le droit de vote des citoyens à l’étranger. Cette limitation peut être justifiée au motif que les autres modalités de vote (par correspondance, par procuration, par voie électronique) ne sont pas toujours sûres et fiables. En résumé, si le refus du droit de vote aux citoyens résidant à l’étranger ou les limitations à ce droit constituent une restriction au principe du suffrage universel, la Commission ne considère pas à ce stade que l’introduction d’un tel droit soit imposée par les principes du patrimoine électoral européen. Bien que l’introduction du droit de vote des citoyens résidant à l’étranger ne soit pas imposé par les principes du droit du patrimoine électoral européen, la Commission européenne pour la démocratie par le droit propose que les Etats, compte tenu de la mobilité européenne des citoyens, et en conformité avec la situation particulière de certains Etats, adoptent une approche positive relative au droit de vote des citoyens résidant à l’étranger, puisque ce droit contribue à l’expansion de la citoyenneté nationale et européenne. » Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques Le droit de vote est consacré à l’article 25 du Pacte, dont voici les parties pertinentes : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables : (...) b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; (...) » Lors de l’élaboration de l’observation générale sur l’article 25 du Pacte, publiée le 12 juillet 1996 par le Comité des droits de l’homme, il avait été proposé d’inviter les Etats à permettre à leurs ressortissants résidant à l’étranger de faire usage des systèmes de vote postal mis à la disposition des électeurs absents. Cette proposition n’ayant pas été acceptée par le Comité des droits de l’homme, elle ne figure pas dans son observation générale. La Convention américaine relative aux droits de l’homme L’article 23 de ladite convention dispose : « 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés : a. De participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement élus; b. d’élire et d’être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs, et c. d’accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays. La loi peut réglementer l’exercice des droits et facultés mentionnés au paragraphe précédent, et ce exclusivement pour des motifs d’âge, de nationalité, de résidence, de langue, de capacité de lire et d’écrire, de capacité civile ou mentale, ou dans le cas d’une condamnation au criminel prononcée par un juge compétent. » Le droit de vote au sens de l’article 23 n’est pas absolu. Il peut faire l’objet de restrictions pour les motifs expressément indiqués au paragraphe 2 de cet article. Ce dernier prévoit la « résidence » parmi l’un des motifs de restriction possibles. Cependant, toute restriction au droit de vote fondée sur la résidence n’est pas justifiée. Dans l’affaire Statehood Solidarity Committee c. Etats-Unis (affaire 11.204, rapport no 98/03, 29 décembre 2003) la Commission interaméricaine des droits de l’homme a considéré que ces modalités d’interprétation et d’application du droit énoncé à l’article 23 de la Convention américaine étaient conformes à la jurisprudence des autres systèmes internationaux de protection des droits de l’homme dont les traités offrent des garanties similaires. A cet égard, elle s’est référée à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et du Comité des droits de l’homme : « 93. (...) A l’instar de la Cour européenne et de la Commission de céans, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a reconnu que les droits protégés par l’article 25 du Pacte n’étaient pas absolus, mais que toute condition à l’exercice du droit à la participation politique protégé par l’article 25 doit être fondée sur des « critères objectifs et raisonnables ». Le Comité a également jugé que, à la lumière du principe fondamental de proportionnalité, de plus lourdes restrictions aux droits politiques exigeaient une justification spéciale. » Le système de protection des droits de l’homme fondé sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples L’article 13 § 1 de ladite charte est ainsi libellé : « Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi. » Ayant considéré que cette disposition était similaire en substance à celle énoncée à l’article 25 du Pacte, la Commission africaine a interprété l’article 13 de la Charte à la lumière de l’observation générale du Comité des droits de l’homme sur l’article 25. Elle en a conclu que toute condition imposée à l’exercice de ce droit devait être fondée sur des critères objectifs et raisonnables établis par la loi (Purohit et Moore c. Gambie, communication no 241/2001, § 76). C. Eléments de droit comparé Selon les éléments de droit comparé dont dispose la Cour sur la législation des Etats membres du Conseil de l’Europe en matière de vote à l’étranger, la majorité de ces pays autorise et met en œuvre des procédures permettant à leurs ressortissants résidant à l’étranger de voter aux élections législatives. En même temps, on constate une grande variété de situations. Ainsi, les différents cas de figure ne se prêtent pas facilement à un classement en catégories bien distinctes. Toutefois, deux catégories peuvent schématiquement être distinguées, à savoir celle des Etats qui autorisent, selon différentes modalités, leurs ressortissants à voter à l’étranger et celle des Etats membres où ce type de vote n’est en principe pas autorisé. Enfin, la plupart des Etats membres qui autorisent ce vote prévoient des démarches administratives pour l’inscription des expatriés sur les listes électorales. Modalités d’exercice du vote à l’étranger dans les pays qui l’autorisent en principe Trente-sept Etats membres l’autorisent : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Hongrie, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, la République de Moldova, Monaco, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine. Les pays ci-dessus prévoient le vote dans des bureaux de vote installés à l’étranger, le vote par correspondance ou ces deux possibilités. Les dix-sept pays suivants permettent de voter dans des ambassades ou consulats ou dans des bureaux de vote ouverts ailleurs : la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, la Finlande, la France, la Géorgie, la Hongrie, l’Islande, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », la République de Moldova, la Norvège, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Russie, la Serbie et l’Ukraine. Huit pays permettent de voter à l’étranger par correspondance seulement, que ce soit par l’intermédiaire d’une représentation ou par un courrier directement adressé à l’autorité nationale compétente : l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, le Liechtenstein, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et la Slovaquie. La possibilité de voter soit dans une ambassade (ou un consulat) soit par correspondance est autorisée par la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, l’Espagne, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovénie et la Suède. Un petit nombre de pays prévoient aussi le vote par procuration : la Belgique, la France, les Pays-Bas, la Suisse et le Royaume-Uni. A Monaco, le vote par procuration est la seule manière de voter à l’étranger pour les ressortissants de ce pays. Quelques pays autorisent le vote par Internet : les Pays-Bas et la Suisse. Ce procédé est déjà prévu dans la loi et utilisé en Estonie, tandis qu’il est à l’étude en Espagne. Dans cinq Etats membres, seules peuvent voter à l’étranger les personnes vivant temporairement hors de leur pays. Il s’agit de la Bosnie-Herzégovine, du Danemark, de la Hongrie, du Liechtenstein et de « l’ex-République yougoslave de Macédoine ». Dans ce dernier pays, la loi vise explicitement les citoyens résidant ou travaillant temporairement à l’étranger. Dans certains pays, les expatriés perdent le droit de vote après un certain délai. Au Royaume-Uni, ce délai est de quinze ans tandis que, en Allemagne, il est de vingt-cinq ans. Certains pays tels que l’Autriche, la Hongrie, la Slovénie et l’Ukraine n’autorisent le vote à l’étranger qu’avec la permission du pays hôte. Dans quatre pays – la Croatie, la France, l’Italie et le Portugal –, les expatriés peuvent élire leurs propres représentants au parlement national dans des circonscriptions électorales créées à l’étranger. Au Portugal, chacune des deux circonscriptions élit un député. Les citoyens français vivant à l’étranger participent à l’élection de douze sénateurs par l’intermédiaire de l’Assemblée des Français de l’étranger, composée de cent cinquante membres. A compter de 2012, ils pourront aussi élire onze députés à l’Assemblée nationale. En Croatie et en Italie, le nombre de sièges au Parlement alloués aux circonscriptions de l’étranger est lié au nombre de suffrages exprimés. Les pays qui n’autorisent pas ou restreignent considérablement le droit de vote à l’étranger Huit Etats membres, à savoir l’Albanie, Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, Chypre, Malte, le Monténégro et Saint-Marin n’autorisent pas le droit de vote aux élections législatives depuis l’étranger. En particulier, en Albanie, le code électoral en vigueur ne contient aucune disposition sur le vote à l’étranger. Par ailleurs, l’Irlande encadre strictement cette possibilité. La faculté de voter par correspondance pour les électeurs résidant à l’étranger est réservée aux membres de la police et des forces de défense ainsi qu’aux diplomates irlandais et à leurs conjoints. Ce droit est ainsi limité à un groupe spécifique et très réduit de personnes. En vertu de la législation du Monténégro et de Saint-Marin, les personnes résidant à l’étranger ne peuvent voter que dans leur propre pays. Les démarches administratives à effectuer pour l’inscription des expatriés sur les listes électorales Dans au moins vingt-deux des Etats membres qui autorisent le vote à l’étranger, les personnes qui souhaitent se prévaloir de cette possibilité doivent auparavant demander à être inscrites sur les listes électorales, et ce avant une certaine date, auprès soit des autorités du pays d’origine soit des représentations diplomatiques ou consulaires à l’étranger. En Bosnie-Herzégovine, la demande d’inscription doit être soumise pour chaque élection à la commission électorale centrale du pays. Au Danemark, les personnes ayant le droit de voter doivent l’adresser à leur dernière commune de résidence. En Hongrie, elles peuvent le faire dans les représentations à l’étranger en remplissant dans les délais prescrits une demande au bureau électoral local. En Allemagne et au Luxembourg, il faut soumettre la demande à l’administration locale. En Slovaquie, les électeurs résidant à l’étranger doivent demander leur inscription sur un registre spécial tenu par la mairie de Bratislava-Petržalka. En Slovénie, les personnes votant à l’étranger doivent envoyer une notification à la commission électorale nationale. En Serbie, les personnes intéressées doivent adresser une demande d’inscription sur les listes électorales en tant que résidents étrangers. En Espagne, les électeurs doivent présenter une demande d’inscription sur la liste électorale spéciale des résidents absents à la délégation provinciale compétente du bureau des listes électorales. Au Royaume-Uni, les électeurs résidant à l’étranger doivent renouveler chaque année leur inscription auprès du bureau électoral local. Dans un certain nombre de pays, les demandes sont à adresser aux missions diplomatiques ou consulaires qui soit dressent elles-mêmes les listes électorales soit font suivre les demandes à l’autorité responsable dans leur pays. Les citoyens belges figurant sur les registres de la population des postes diplomatiques ou consulaires doivent remplir un formulaire indiquant dans quelle commune ils souhaitent être inscrits et quelle méthode ils utiliseront pour voter. Le formulaire est ensuite envoyé à la commune concernée et la personne est ajoutée à la liste des électeurs votant à l’étranger. En Bulgarie, en Pologne, en République tchèque et en Russie, les listes électorales pour les expatriés sont établies par les missions diplomatiques ou consulaires à l’étranger sur la base des demandes formulées par les électeurs. Les citoyens croates souhaitant voter à l’étranger doivent quant à eux s’inscrire auprès des représentations croates à l’étranger. Les électeurs lettons qui souhaitent voter par correspondance doivent soumettre une demande à la mission diplomatique ou consulaire concernée, où ils sont inscrits sur une liste spéciale. Aux Pays-Bas, tout expatrié pouvant et souhaitant voter doit demander son inscription sur la liste des ressortissants néerlandais résidant à l’étranger auprès du chef de la mission consulaire, qui la transmet à La Haye. Au Portugal, le vote à l’étranger suppose l’inscription au préalable sur une liste électorale consulaire. Les citoyens suisses résidant à l’étranger doivent faire une demande auprès de la représentation suisse où ils sont inscrits. Cette demande est transmise à la localité où la personne vote habituellement et celle-ci sera inscrite sur la liste électorale. Dans « l’ex-République yougoslave de Macédoine », les personnes votant à l’étranger sont inscrites sur la liste électorale du pays dès qu’elles en font la demande auprès des représentations diplomatiques et consulaires. En Turquie, les électeurs résidant à l’étranger doivent s’inscrire sur une liste spéciale en présentant une déclaration de résidence au consulat le plus proche. Dans certains pays, les électeurs résidant à l’étranger n’ont aucune démarche à effectuer pour être inscrits sur la liste électorale, les autorités le faisant automatiquement sur la base des registres existants. C’est le cas en Estonie, en Finlande, en France, en Géorgie, en Islande, en Italie, en Lituanie, en République de Moldova, en Norvège, en Roumanie, en Suède et en Ukraine. Les électeurs qui ne figurent pas sur les listes électorales peuvent s’y faire inscrire à leur demande (par exemple en France, en Géorgie, en Italie et en Ukraine). En Islande, l’inscription sur la liste électorale nationale doit être renouvelée au bout de huit ans de résidence à l’étranger ; en Norvège et en Suède, ce délai est de dix ans. Dans certains pays ayant un système d’inscription automatique, les expatriés doivent faire certaines démarches s’ils souhaitent voter dans leur pays d’origine. Par exemple, les électeurs italiens résidant à l’étranger mais souhaitant voter en Italie doivent en informer par écrit le bureau consulaire compétent. Les expatriés français doivent demander leur inscription sur les listes électorales en France s’ils souhaitent voter dans le pays.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956 et réside à Bucarest. En 1985, il devint agent de la police de Bucarest puis, en 1995, officier de police judiciaire au sein de la section no 5 de la police de Bucarest. A. Les circonstances entourant le premier placement en détention provisoire du requérant La version du requérant Dans son formulaire de requête, le requérant affirme que, le 16 juillet 2003, il fut informé par son supérieur hiérarchique qu’il devait se présenter au siège du Parquet national anti-corruption (« PNA ») pour y être interrogé. Dans ses observations écrites devant la Grande Chambre datées du 10 février 2011, le requérant affirme que, le 15 juillet 2003, vers 17 heures, alors qu’il était en congé, un collègue de la section no 5 de la police de Bucarest l’informa par téléphone qu’il devait se présenter le lendemain au PNA, sans donner plus de précisions. Le 16 juillet 2003, vers 8 h 45, le requérant aurait rencontré vingtcinq collègues dans la cour du siège du PNA. Tous auraient été ensuite invités à pénétrer dans le bâtiment aux environs de 9 heures. A l’entrée, un agent de police aurait noté les coordonnées du requérant et de ses collègues dans un registre d’accès. Le requérant et ses collègues auraient été conduits dans une salle de réunion située au rez-de-chaussée du bâtiment. Peu de temps après, le procureur militaire V.D. serait entré et leur aurait demandé de faire des déclarations écrites sur les circonstances dans lesquelles ils avaient connu trois personnes, I.D., S.B. et M.I. Il aurait ensuite quitté la salle et y serait revenu vers 9 h 30 – 9 h 40 afin de récupérer les déclarations. Après avoir lu celles-ci, il aurait commencé à menacer le requérant et ses collègues de les placer en détention provisoire. Il aurait alors quitté de nouveau la salle. Quatre ou cinq gendarmes cagoulés et armés y auraient fait irruption. Le requérant et ses collègues auraient été priés par l’un de ces gendarmes de sortir leurs téléphones portables et de les poser sur une table qui se trouvait à côté d’un autre gendarme. Ils auraient également été informés qu’ils étaient autorisés à quitter la salle pour aller aux toilettes ou fumer une cigarette, mais uniquement un par un et accompagnés par un gendarme armé. Vers 15 heures, le requérant et ses collègues auraient demandé l’autorisation de quitter la salle afin de se procurer de l’eau et de la nourriture. Après avoir obtenu l’accord du procureur, un gendarme aurait collecté l’argent des agents de police et serait allé acheter les provisions demandées. Pendant tout ce temps, le requérant n’aurait reçu aucune assistance d’un avocat, de son choix ou commis d’office. Il n’aurait pu contacter personne à l’extérieur. Dans le formulaire de requête, le requérant affirme être parvenu à prendre contact avec un avocat aux environs de 20 heures. Dans ses observations écrites devant la Grande Chambre, le requérant allègue que, vers 23 heures, on le conduisit avec un de ses collègues dans le bureau du procureur, situé au premier étage, où auraient été présents le procureur, un autre homme et deux femmes. Le procureur lui aurait suggéré de déclarer que les officiers à la tête de la section no 5 de la police de Bucarest étaient coupables de corruption. Il aurait ajouté que, en échange, l’intéressé ne serait pas placé en détention provisoire et pourrait revoir sa famille rapidement. Le requérant aurait demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix. Le procureur aurait répliqué que les deux femmes présentes étaient des avocates commises d’office et l’aurait invité à choisir l’une d’elles pour l’assister. Le requérant s’y serait opposé. Selon lui, le procureur aurait commencé à « mal lui parler » et à le menacer en lui disant que, s’il ne coopérait pas, il serait placé en détention avec interdiction de visite de sa famille. Le requérant aurait été conduit à l’extérieur du bureau par un gendarme qui aurait reçu pour instruction de lui interdire de parler avec d’autres personnes et d’aller aux toilettes sans l’autorisation du procureur. Lors de l’audience publique du 30 mars 2011, le requérant a affirmé qu’à une heure non précisée, sa famille, qui savait qu’il devait se présenter ce jour-là au PNA et ne le voyait pas rentrer à la maison, avait pris contact avec l’avocat C.N., qui aurait demandé à son confrère, Me Cus, d’assister le requérant devant le parquet. Me Cus y serait arrivé à 22 heures et aurait eu alors la possibilité de rencontrer le requérant. Le 17 juillet 2003, vers 1 h 15-1 h 30, le requérant aurait été conduit à nouveau dans le bureau du procureur. Ce dernier aurait complété un formulaire pré-imprimé mentionnant les accusations portées contre l’intéressé et en aurait donné lecture à ce dernier. En réponse, le requérant aurait affirmé qu’il ne reconnaissait pas les faits qui lui étaient reprochés et qu’il s’en tenait à sa déclaration initiale. En présence d’une avocate commise d’office, Me M.S., il aurait signé le formulaire. Le procureur lui aurait également notifié le mandat de détention provisoire délivré à son encontre le 16 juillet 2003 et mentionnant que sa détention avait été ordonnée pour une durée de trois jours, à savoir du 16 au 18 juillet 2003. Vers 1 h 40, le procureur aurait informé le requérant, en présence de l’avocat choisi par ce dernier, Me Cus, de l’ordonnance prononçant son placement en détention provisoire. Il lui aurait également présenté les preuves à charge qui justifiaient cette mesure, à savoir les déclarations de ses collègues. L’ordonnance aurait été fondée sur l’article 148 § 1 h) du code de procédure pénale (« le CPP »). Se référant aux textes de loi pertinents, le procureur aurait indiqué que les faits imputés au requérant étaient constitutifs des délits d’association de malfaiteurs, de corruption passive et de complicité de vol qualifié. La partie pertinente de l’ordonnance était rédigée comme suit : « A une date non précisée en 1999 ou en 2000, date qui sera déterminée avec exactitude [ultérieurement], [le requérant], avec plusieurs collègues de la section no 5 de la police, a pris sur le fait, dans le quartier Bucurestii Noi, plusieurs personnes qui transportaient à l’intérieur d’une camionnette de marque Dacia plus de deux tonnes d’essence soustraites d’oléoducs. Ils ont alors demandé à S.B. et M.I. et reçu de leurs mains la somme de 20 000 000 lei pour ne pas ouvrir d’enquête pénale contre eux et pour les laisser poursuivre leur activité délictueuse. Les pièces suivantes prouvent que le suspect/inculpé est l’auteur de ces faits pénaux : - des déclarations de témoins ; - des procès-verbaux de confrontations ; - les déclarations des inculpés ; - des enregistrements audio ; - des photographies ; - des procès-verbaux d’identification à partir de clichés. Vu que les conditions requises par l’article 148 § 1 h) du CPP sont remplies en l’espèce, en ce que l’infraction commise est punie de quatre à dix-huit ans d’emprisonnement et que la mise en liberté de l’inculpé représenterait un danger pour l’ordre public et pour le bon déroulement de l’enquête dans la présente affaire étant donné la qualité de policier dont il peut se prévaloir afin d’influencer les personnes qui doivent être interrogées ; Sur la base des articles 136 § 5, 146 § 1, 148 § 1 h), 1491, 151 du CPP [le procureur] décide : (1) La mise en détention préventive à titre provisoire du suspect/inculpé (...) pour une durée de trois jours ; (2) En vertu des articles 146 § 3 et 1491 § 3 du CPP, la détention mentionnée au point précédent commence le 16 juillet 2003, à 22 heures, et prend fin le 18 juillet 2003, à 22 heures. (3) Un mandat de placement en détention préventive à titre provisoire sera délivré (...) à partir du 16 juillet 2003 (...) » Vers 2 h 30, le requérant aurait été conduit dans une salle au sous-sol du bâtiment où se seraient trouvés treize autres collègues. Peu de temps après, il aurait été transféré à la maison d’arrêt de Rahova. La version du Gouvernement En automne 2002, le PNA aurait été saisi de faits de vols de produits pétroliers dans des oléoducs de la société Petrotrans S.A., aux alentours de Bucarest, commis en étroite collaboration avec des gendarmes et des agents de police. Il serait ressorti de l’audition de plusieurs personnes les 9 et 11 juillet 2003 et d’une identification photographique que le requérant était impliqué dans l’opération. Le procureur V.D., chargé de l’affaire, aurait décidé de citer une cinquantaine de personnes pour déposer le 16 juillet 2003. Le 15 juillet 2003, le requérant ainsi que seize collègues policiers auraient été cités sur leur lieu de travail (la section no 5 de la police de Bucarest) pour comparaître devant le PNA afin de déposer pour les besoins de cette enquête pénale. Le chef de la police du 1er arrondissement de Bucarest en aurait également été informé afin de le prévenir de l’absence des policiers le lendemain et d’assurer la présence de ceux-ci au parquet. Le lendemain matin, à 9 heures, le requérant et ses collègues se seraient présentés dans les locaux du PNA. Le procureur militaire V.D. les aurait accueillis dans une salle située au rez-de-chaussée du bâtiment et les aurait informés qu’ils seraient interrogés dans le cadre d’une enquête préliminaire (acte premergătoare) au sujet de leur implication dans la soustraction frauduleuse de produits pétroliers dans des oléoducs. Tous les agents de police auraient verbalement nié toute implication dans cette activité, mais auraient consenti à faire une déclaration écrite à ce sujet. En conséquence, ils auraient reçu un questionnaire de dix questions auquel ils auraient répondu sur papier libre. Pendant ce temps, le procureur aurait quitté la salle et se serait rendu dans son bureau situé au premier étage du bâtiment afin de continuer de prendre des actes de procédure à l’égard d’autres personnes impliquées dans l’affaire. Vers 12 heures, lorsque tous les agents eurent fini de rédiger leurs déclarations, le procureur serait revenu dans la salle et les aurait informés que, par une décision prise le même jour, des poursuites pénales avaient été ouvertes en l’espèce contre dix d’entre eux, dont le requérant, pour corruption passive, complicité de vol qualifié et association de malfaiteurs. Les sept autres agents auraient été libres de quitter les locaux du parquet. Le procureur aurait demandé à ces dix agents de police de déposer à nouveau et d’être confrontés à d’autres personnes. Il les aurait également informés qu’ils avaient le droit d’être assistés par des avocats de leur choix. Une partie des agents auraient contacté des avocats alors que, pour les autres, y compris le requérant, le parquet aurait fait appel au barreau de Bucarest afin que des avocats leur fussent commis d’office. Le requérant aurait attendu volontairement dans les locaux du PNA dans le but de clarifier sa situation juridique. Il n’aurait pas été obligé d’y rester, étant libre de quitter les lieux à tout moment, par exemple pour acheter de l’eau ou des cigarettes ; d’ailleurs, deux policiers, A.A. et G.C., seraient sortis le même jour sans revenir. Le requérant n’aurait jamais été surveillé ni gardé. Des gendarmes n’auraient été présents dans les locaux du PNA ce jour-là qu’aux seules fins d’assurer le maintien de l’ordre. Par ailleurs, il n’y aurait pas eu d’entrée séparée ou de pièce spéciale pour les personnes placées en garde à vue ou en détention provisoire. Vers 13-14 heures, après l’arrivée au siège du PNA des avocats choisis (pour cinq agents de police) ou commis d’office, le procureur commença l’audition des agents à tour de rôle. L’audition dura trois à quatre heures. A une heure non précisée, lors de son audition, le requérant, assisté par l’avocate commise d’office M.S., aurait complété sa déclaration initiale faite sur papier libre, confirmant qu’il était le collègue des policiers C.D. et M.G.M. et qu’il avait une relation normale avec ces derniers. A cette occasion, le procureur aurait ajouté sur le papier que la première déclaration avait été faite à 10 heures. A une heure non précisée, le requérant aurait fait une nouvelle déclaration en présence de la même avocate commise d’office, rédigée cette fois-ci sur un formulaire pré-imprimé portant la mention « suspect/inculpé ». Il serait ressorti de ce formulaire que le requérant avait été informé des faits qui lui étaient reprochés et de leur qualification juridique, ainsi que de ses droits procéduraux. Un procès-verbal aurait été établi à cette fin et signé par le procureur, le requérant et l’avocate commise d’office. Le procureur aurait ultérieurement conduit plusieurs confrontations entre suspects, inculpés et témoins. A 22 heures, par une ordonnance, le procureur aurait inculpé plusieurs agents de police, dont le requérant, pour corruption passive, complicité de vol qualifié et association de malfaiteurs. A la même heure, le procureur aurait prononcé, par une ordonnance, le placement en détention préventive à titre provisoire du requérant. Un mandat de détention provisoire aurait été délivré et communiqué au requérant à une heure non précisée. Dans la nuit du 16 au 17 juillet 2003, le requérant aurait été transféré à la maison d’arrêt de Rahova. Le Gouvernement fait observer que les registres consignant les entrées et sorties des locaux du PNA en 2003 ont été détruits bien avant la communication de la présente requête, le 19 février 2009, le délai de conservation étant, selon les normes en vigueur, de trois à cinq ans. B. La remise en liberté du requérant Le 17 juillet 2003, se fondant sur l’article 148 § 1 c), d) et h) du CPP, le PNA demanda au tribunal militaire de Bucarest de prolonger de vingt-sept jours la détention provisoire du requérant et de ses treize coinculpés, à compter du 19 juillet 2003. Le 18 juillet 2003, à 10 heures, le requérant fut conduit devant le tribunal. Selon lui, son avocat n’eut accès au dossier qu’au moment où le parquet plaidait sa demande de prolongation de la détention provisoire. Le tribunal militaire ordonna le renvoi de l’affaire devant la cour militaire d’appel, la juridiction compétente en raison du grade militaire de l’un des coinculpés. Par un jugement rendu le même jour en chambre du conseil, la cour militaire d’appel, dans une formation de juge unique, accueillit la demande du parquet et prolongea de vingt-sept jours la détention provisoire du requérant et des autres coinculpés. La cour militaire d’appel retint que, au vu du dossier, il existait des indices montrant que les inculpés avaient commis les délits d’association de malfaiteurs, de corruption passive, de complicité de vol qualifié et d’instigation au faux témoignage. Elle jugea que la détention provisoire des inculpés était nécessaire pour des raisons d’ordre public, soulignant qu’ils pouvaient influencer les témoins et qu’ils avaient pris des initiatives pour se soustraire aux poursuites pénales et à l’exécution de la peine. Elle nota enfin que la complexité de l’affaire, le grand nombre d’inculpés et la difficulté à recueillir des preuves devaient également être pris en compte. Le même jour, un mandat de détention provisoire identique à celui du 16 juillet 2003 fut délivré à l’encontre du requérant. Le requérant et les autres coinculpés formèrent un recours contre ce jugement, soutenant que la formation qui l’avait prononcé n’avait pas été légalement constituée. Le parquet plaida lui aussi la constitution irrégulière de la formation de jugement. Par un arrêt définitif rendu le 21 juillet 2003, la Cour suprême de justice fit droit à ce recours, cassa le jugement et ordonna la remise en liberté du requérant et des autres coïnculpés. Elle jugea qu’afin d’assurer une meilleure transparence dans la lutte contre la corruption, la loi no 161 du 21 avril 2003 avait apporté des modifications d’application immédiate aux dispositions procédurales de la loi no 78/2000 sur la prévention, la découverte et la punition des faits de corruption (« la loi no 78/2000 »). Ainsi l’article 29 §§ 1 et 2 de la loi no 78/2000 prévoyait que la formation de jugement statuant en premier ressort sur les infractions prévues par cette loi devait être constituée de deux juges. Les motifs de cet arrêt ne furent pas communiqués au requérant. Le requérant fut remis en liberté le même jour. C. Le recours en annulation formé par le procureur général contre la décision de remise en liberté A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma devant la Cour suprême de justice un recours en annulation contre l’arrêt définitif du 21 juillet 2003. Il estimait que, dans son interprétation de la législation interne, la Cour suprême de justice avait commis de graves erreurs de droit ayant conduit à une solution erronée du litige. Le requérant dit n’avoir pris connaissance que le 24 juillet 2003, par l’intermédiaire des médias, de l’existence du recours en annulation et de la fixation de la date de l’audience pour le 25 juillet 2003. A cette dernière date, à 9 h 30, il se présenta à l’audience accompagné de deux avocats qui demandèrent l’ajournement de l’affaire pour défaut de communication à leur client des motifs de l’arrêt du 21 juillet 2003 et de la demande de recours en annulation. La Cour suprême de justice fit droit à cette demande et, invoquant l’urgence de l’affaire, l’ajourna à 12 h 30. Lors de la reprise des débats, le requérant soutint que l’arrêt définitif du 21 juillet 2003 ne pouvait faire l’objet que d’un recours dans l’intérêt de la loi et non d’un recours en annulation, et qu’aucune raison plausible ne justifiait sa détention provisoire. Par un arrêt définitif rendu le 25 juillet 2003, la Cour suprême de justice, dans une formation de neuf juges, fit droit au recours en annulation, cassa l’arrêt du 21 juillet 2003 et, sur le fond, débouta le requérant au motif que cet arrêt avait fait une mauvaise interprétation de l’article 29 §§ 1 et 2 de la loi no 78/2000. Elle estima que l’application des modifications apportées à la loi no 78/2000 et au CPP menait à la conclusion que la volonté du législateur était d’assurer un régime unique pour la détention provisoire, à savoir que celle-ci soit ordonnée en chambre du conseil par une formation de juge unique, quelle que soit la nature de l’infraction. La Cour suprême de justice jugea également que, au vu du dossier, qui renfermait des renseignements suffisants permettant de croire que chacune des personnes poursuivies pénalement aurait pu commettre les faits qui lui étaient reprochés, leur détention provisoire était justifiée. Le 25 juillet 2003, le requérant fut placé en détention provisoire. Par un jugement avant dire droit rendu le 29 juin 2004 et confirmé le 2 juillet 2004 par la cour militaire d’appel, le tribunal militaire territorial ordonna la remise en liberté du requérant, en remplaçant la détention provisoire par l’interdiction de quitter le pays. Par un arrêt rendu le 22 juillet 2010, la cour d’appel de Bucarest condamna le requérant à une peine de trois ans de prison avec sursis pour corruption passive (article 254 § 2 du code pénal combiné avec l’article 7 de la loi no 78/2000) et recel de malfaiteurs (article 264 du code pénal). Par le même arrêt, M.T. et G.S., dont les témoignages ont été produits par le requérant, furent condamnés respectivement à deux et à cinq ans de prison, pour corruption passive et association de malfaiteurs, et corruption passive et recel de malfaiteurs. D. Témoignages écrits produits par le requérant A la demande de la Cour, le requérant a produit, le 8 mars 2011, les déclarations de deux collègues policiers, M.T. et G.S., qui étaient eux aussi présents dans les locaux du PNA le 16 juillet 2003. Ces déclarations avaient été recueillies par son avocat le 3 mars 2011. La déclaration de M.T. est ainsi libellée : « Le 15 juillet 2003, vers 21 h 30, l’officier de garde de la section no 5 de la police m’annonça par téléphone que je devais me présenter le 16 juillet 2003, à 9 heures, au PNA (), sans plus de précisions. Le 16 juillet 2003, à 8 h 45, devant les locaux du PNA, je rencontrai plusieurs collègues, dont Creangă Sorin. Peu de temps après, nous fûmes invités à pénétrer à l’intérieur des locaux. A l’entrée, un gendarme nous demanda de présenter nos pièces d’identité afin de noter nos coordonnées dans le registre d’accès. Je fus conduit avec mes collègues dans une salle située au rezdechaussée de l’immeuble. Peu de temps après, une personne entra dans la salle et se présenta comme étant le procureur militaire V.D. Il nous donna des feuilles de papier et des stylos et nous invita à déclarer si et dans quelles circonstances nous avions connu trois personnes, I.D., S.B. et M.I. Il quitta la salle, nous laissant seuls. Après une quarantaine de minutes, le procureur V.D. revint dans la salle et ramassa les déclarations. [Après avoir lu les déclarations] et constaté que certains [d’entre nous] avaient répondu par la négative, fâché et très nerveux, il nous menaça de nous placer en détention avec nos collègues déjà arrêtés, et quitta la salle. Quatre ou cinq gendarmes équipés (cagoulés et munis de pistolets-mitrailleurs et de gilets pare-balles) firent irruption. L’un des gendarmes, ayant le rang d’officier, nous demanda de sortir nos téléphones portables et de les poser sur une table qui se trouvait à côté d’un autre gendarme ; on nous informa également que nous étions autorisés à quitter la salle uniquement accompagnés par un gendarme. Cette situation perdura jusqu’à 17 heures, lorsque nous demandâmes l’autorisation de quitter la salle afin de nous procurer de l’eau et de la nourriture. Nous fûmes invités à collecter de l’argent afin qu’un gendarme aille acheter les provisions demandées. Il nous fut interdit de contacter nos familles ou quiconque à l’extérieur. Jusqu’à 22 heures, nous ne fûmes autorisés à quitter la salle pour aller aux toilettes qu’un par un et accompagnés par un gendarme armé. Nous ne fûmes assistés par aucun avocat, de notre choix ou commis d’office. Vers 22 h 30 – 23 heures, un gendarme me conduisit avec Creangă Sorin dans un bureau au premier étage, où étaient présents le procureur V.D., la personne qui nous avait conduits dans les locaux du PNA, un autre homme et deux femmes. Le procureur nous suggéra, à moi et à Creangă Sorin, de déclarer que les officiers à la tête de la section no 5 de la police étaient coupables de corruption et recevaient des pots-de-vin de la main de voleurs (...) et nous assura que, si nous déposions dans ce sens, rien ne serait fait contre nous. Dans le cas contraire, nous serions arrêtés. Cela étant, mon collègue Creangă Sorin demanda à bénéficier de l’assistance d’un avocat de son choix. Le procureur répliqua que les deux femmes présentes, qui étaient des avocates commises d’office, les assisteraient. Creangă Sorin refusa leur assistance et indiqua qu’il ne ferait aucune déclaration. Le procureur commença à l’injurier, le traitant de rustre, et lui dit qu’il serait arrêté même s’il ne faisait pas de déclaration, et qu’il ne reverrait plus sa famille s’il ne coopérait pas. Creangă Sorin fut conduit à l’extérieur du bureau. Après une quarantaine de minutes, alors que j’étais conduit dans une pièce au soussol de l’immeuble, je vis Creangă Sorin dans le couloir, près de la porte du bureau du procureur, surveillé de près par un gendarme armé. Le 17 juillet 2003, vers 2 h 30, Creangă Sorin fut conduit dans la pièce au sous-sol. Peu de temps après, nous montâmes dans un véhicule sans vitres et fûmes conduits au centre de détention de Rahova, à Bucarest, sous l’escorte de gendarmes. Je souligne que je n’ai pas été autorisé à prendre contact avec ma famille ni à me faire assister par un avocat de mon choix. » Dans sa déclaration, S.G. confirme la véracité de la déclaration de M.T. et décrit le déroulement des faits après le 16 juillet 2003. E. Déclaration du procureur V.D. produite par le Gouvernement A la demande de la Cour, le Gouvernement a produit, le 7 mars 2011, la déclaration du procureur V.D., chargé de la procédure diligentée contre le requérant. Datée du 17 janvier 2011, elle est ainsi libellée dans ses parties pertinentes : « Après avoir consulté « la trace » du dossier des poursuites pénales, je tiens à apporter les précisions suivantes : - Par une demande écrite adressée au chef de la police du 1er arrondissement de Bucarest, furent cités à la date susmentionnée [16 juillet 2003] les « făptuitori » [« auteurs allégués des faits » ou « suspects », à un stade antérieur à l’ouverture des poursuites contre eux] suivants, agents de la section no 5 de police : G.S., D.M., Sorin Creangă, M.T., C.M., C.O., L.S., S.T., D.A., M.G., S.T., C.B., N.T., C.S., G.R., L.C. et G.D. - Il fut indiqué aux personnes susmentionnées qu’elles seraient interrogées en tant que « făptuitori » (dans le cadre de l’enquête préliminaire) au sujet de leur implication dans la soustraction frauduleuse de produits pétroliers dans des oléoducs. Dès le début, tous les agents convoqués nièrent verbalement toute implication dans ces activités mais consentirent à faire une déclaration à ce sujet. En conséquence, ils reçurent un questionnaire de dix questions auquel ils répondirent par écrit. Après avoir obtenu leur accord et dans l’intérêt de l’efficacité de l’enquête, je décidai que les déclarations seraient faites en même temps dans la salle de réunion du PNA, parce que leur interrogatoire à tour de rôle aurait pris des heures. Je sortis de la salle le temps que les déclarations fussent rédigées car, étant le seul procureur dans l’affaire, il me fallait accomplir d’autres actes de poursuite dans mon bureau. - Vers 12 heures, lorsque tous les agents eurent fini de rédiger de leurs déclarations, je revins dans la salle et je les informai que des poursuites pénales avaient été engagées en l’affaire contre G.S., D.M., Sorin Creangă, M.T., C.M., C.O., L.S., S.T., D.A., et M.G. Je demandai à ces derniers de faire de nouvelles déclarations et de participer à des confrontations et je leur expliquai qu’ils avaient le droit d’être assistés par des avocats de leur choix et que, pour ceux qui n’en avaient pas, des avocats commis d’office seraient sollicités auprès du barreau de Bucarest. Ainsi, les personnes qui entendaient se faire assister par un avocat de leur choix eurent la permission de contacter leurs avocats, et pour les autres, des avocats commis d’office furent sollicités auprès du barreau de Bucarest. Les premiers avocats se présentèrent au siège du parquet une heure après avoir été contactés, et on leur permit de s’entretenir dans les couloirs du bâtiment avec leurs clients avant les auditions et les confrontations. Les agents de police contre lesquels des poursuites pénales n’avaient pas été ouvertes furent libres de quitter le PNA et de retourner sur leur lieu de travail. - Outre les « făptuitori » susmentionnés, les agents D.M., C.M.E., I.E. et D.C.B. furent cités au siège du parquet au cours de la même matinée, toujours en qualité de « făptuitori » La même procédure fut appliquée à leur égard, des poursuites pénales ayant également été ouvertes à leur encontre. - Avant l’arrivée des avocats des 14 agents de police poursuivis (soit avant 13 heures), j’accomplis dans mon bureau des actes de procédure à l’égard d’autres personnes, notamment M.I., S.B., D.C., G.M.M. et G.A. – certains étant déjà en détention provisoire –, par exemple leur audition, leur nouvelle audition ou leur confrontation. - Le même jour furent cités dans le cadre de la même affaire, une série de témoins, dont M.P., M.B. et D.A.I. - A partir de 13 – 14 heures, je commençai l’audition, en tant que suspects, des 14 agents, en présence de leurs avocats. Chaque suspect fit deux déclarations distinctes (une manuscrite sur papier libre et une autre sur le formulaire destiné aux suspects), signées par leurs avocats. Je me rappelle qu’aucun des 14 suspects n’a reconnu avoir été mêlé aux activités délictueuses en question, bien que leur implication ressortît des preuves recueillies auparavant. L’audition des 14 suspects dura au moins 3 à 4 heures. - Plusieurs confrontations s’imposant, les 14 suspects, assistés d’avocats de leur choix ou commis d’office, participèrent de leur plein gré à au moins 20 confrontations, au cours desquelles des extraits de transcriptions de leurs conversations téléphoniques interceptées et enregistrées leur furent présentés. Les confrontations durèrent plusieurs heures, jusqu’à 22 heures, lorsque l’action pénale fut déclenchée contre les 14 suspects et leur placement en garde à vue ordonné. Observation : La nature particulière des poursuites pénales dans cette affaire imposa la tenue, pendant la journée en cause, de multiples auditions et confrontations, la vérité ne pouvant être établie que de cette manière. Un autre motif qui a justifié l’exécution de toutes ces mesures en une seule journée était la nécessité d’assurer la confidentialité des résultats de l’enquête, parce qu’il existait déjà auparavant des preuves sérieuses que les suspects et les inculpés se communiquaient des informations sur l’enquête, dans le but de cacher la vérité et d’entraver l’enquête pénale. - (...) pour autant que je me rappelle, en 2003 – tout comme aujourd’hui d’ailleurs –, les cartes d’identité des personnes citées au bureau du procureur n’avaient pas été retenues à l’entrée car, avant chaque audition, leur identité devait être établie par le procureur. - (...) l’inculpé Creangă Sorin a accompli les démarches décrites ci-dessus (...) Ainsi, jusqu’à 11 – 12 heures, il rédigea, avec ses autres collègues, sa première déclaration, sans que le procureur fût présent dans la salle ; la salle était située au rez-de-chaussée du bâtiment ; ensuite, Creangă Sorin attendit l’arrivée de son avocat ; après celle-ci, il participa à deux auditions et à plusieurs confrontations (les forces de la gendarmerie étaient bien présentes, mais dans le but d’assurer le respect de l’ordre, aucune personne n’étant individuellement gardée ; chacun pouvait, sans être surveillé et sans prévenir, quitter le siège du parquet, aucune permission n’étant exigée à la sortie). Pour ce qui me concerne, en tant que procureur, je ne me rappelle pas le nom des deux policiers qui, pendant cette période-là, quittèrent le siège du parquet sans prévenir, mais je me rappelle qu’ils disparurent et ne purent être retrouvés, ce qui explique l’avis de recherche général émis à leur encontre sur tout le territoire du pays. Après quelques jours, ils furent retrouvés puis présentés au parquet, qui les retint, avant d’être conduits devant le tribunal, qui ordonna leur détention provisoire. - (...) il n’y avait pas en 2003 – pas plus qu’il n’y a aujourd’hui – d’entrée séparée pour les personnes faisant l’objet d’une enquête ou retenues ni de pièce spéciale dans laquelle elles peuvent attendre d’être appelées dans le bureau du procureur dans le cadre de l’exécution d’une mesure relevant de poursuites pénales. - (...) l’inculpé Creangă Sorin fut cité le 16 juillet 2003, par une lettre adressée par le PNA au chef de la police du 1er arrondissement de Bucarest (jointe en copie au présent rapport). Il s’agit d’un mode légal de citation prévu par le code de procédure pénale. Creangă Sorin bénéficia de l’assistance juridique, après sa mise en accusation, en conformité avec les exigences procédurales, sachant qu’avant le début des poursuites pénales, la loi n’imposait pas la présence d’un avocat et qu’il n’avait pas demandé l’assistance d’un avocat. Par ailleurs, lorsqu’ils rédigèrent leur première déclaration, les autres agents de police ne demandèrent pas non plus à être assistés par un avocat. Creangă Sorin ne demanda pas expressément l’autorisation de quitter le siège du PNA parce qu’il n’avait aucune obligation de le faire et que les personnes qui souhaitaient quitter lesdits locaux sans en informer le procureur enquêteur ne faisaient l’objet d’aucun contrôle. Il ne fut donc jamais indiqué expressément à Creangă Sorin qu’il pouvait quitter le siège du PNA, mais on lui demanda, comme aux autres agents de police, de participer à l’exécution de mesures prises dans le cadre de poursuites pénales et il y consentit. (...) Creangă Sorin reçut les informations et l’assistance juridique auxquelles la loi lui donnait droit ; il consentit à participer à l’exécution de mesures prises dans le cadre de poursuites pénales. Avant la mise en accusation de Creangă Sorin, plusieurs autres inculpés, notamment S.B., M.I., G.F.P., V.B.D., D.C., G.M.M., G.A.A., F.C., A.G.B., C.U., M.L., M.V., N.B., L.S., I.D., avaient reconnu avoir commis les faits qu’on leur reprochait et confirmé l’existence des faits commis par Creangă Sorin. - (...) dans ce dossier j’ai travaillé seul, le l6 juillet 2003, sans être aidé par d’autres procureurs ou policiers. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, en vigueur à l’époque des faits, sont ainsi libellées : A. Le commencement du procès pénal, les parties et les autres participants au procès pénal Article 23 L’inculpé « La personne contre laquelle l’action pénale a été déclenchée est une partie au procès pénal appelée inculpé. » Article 78 Le témoin « Quiconque connaît un fait ou une circonstance de nature à servir l’établissement de la vérité dans le procès pénal peut être entendu en qualité de témoin. » Article 224 §§ 1 et 3 L’enquête préliminaire « 1. L’autorité de poursuite peut prendre toute mesure d’enquête préliminaire. (...) Le procès-verbal constatant l’exécution d’une mesure d’enquête préliminaire constitue un moyen de preuve. » Article 228 § 1 L’ouverture des poursuites pénales « L’autorité de poursuite saisie selon l’une des modalités prévues à l’article 221, ordonne, par décision (rezoluţie), l’ouverture des poursuites pénales, lorsque ne ressort du contenu de l’acte de saisine ou de l’enquête préliminaire aucune des causes de nature à empêcher l’action pénale, régies par l’article 10, à l’exception de celle prévue par son alinéa b)1. » Article 229 Le suspect (învinuitul) « Le suspect est la personne contre laquelle ont été ouvertes des poursuites pénales autres qu’une action pénale. » Article 235 §§ 1 et 2 Le déclenchement de l’action pénale « 1. Le procureur décide de la mise en marche de l’action pénale [sur proposition de l’autorité de poursuite] après examen du dossier. Si le procureur est d’accord avec la proposition, il déclenche l’action pénale par une ordonnance (ordonanţă). » B. La comparution des témoins, des suspects ou des inculpés Article 83 L’obligation de comparution [des témoins] « Une personne appelée à déposer en qualité de témoin doit comparaître au lieu, au jour et à l’heure indiqués dans la citation. Elle est tenue de dire tout ce qu’elle sait des faits de l’affaire. » Article 176 § 1 b) Le contenu de la citation « 1. La citation (...) comporte les mentions suivantes : (...) b) le nom et le prénom de la personne citée, à quel titre elle est convoquée et l’objet de la cause. » Article 183 Le mandat de comparution « Une personne qui, bien que déjà citée à comparaître, ne s’est pas présentée et dont l’audition est jugée nécessaire, peut être amenée devant l’autorité de poursuite ou devant un tribunal en vertu d’un mandat de comparution rédigé selon les prescriptions de l’article 176 du CPP. Le suspect ou l’inculpé peut être amené en vertu d’un mandat de comparution avant même d’avoir été convoqué par citation, si l’autorité de poursuite ou le tribunal constate, par décision motivée, que cette mesure s’impose. [Disposition insérée par la loi no 281/2003, en vigueur au 1er janvier 2004] Les personnes comparaissant en vertu du mandat visé aux alinéas 1 et 2 du présent article ne peuvent rester à la disposition des autorités judiciaires que le temps nécessaire à leur audition, sauf lorsque leur placement en garde à vue ou leur détention provisoire a été ordonné. » C. Le placement en garde à vue et la détention provisoire Article 136 §§ 1, 3, 5 et 8 Les catégories de mesures préventives et leur finalité « 1. Dans les affaires relatives aux infractions punissables de la détention à vie ou d’une peine d’emprisonnement, afin d’assurer le bon déroulement du procès pénal et d’empêcher que le suspect ou l’inculpé ne se soustraie aux poursuites pénales, au jugement ou à l’exécution de la peine, l’une des mesures préventives suivantes peut être adoptée à son encontre : a) la garde à vue ; b) l’interdiction de quitter la localité ; c) l’interdiction de quitter le pays ; d) la détention. (...) La mesure prévue au paragraphe 1, alinéa a), du présent article peut être prise par l’autorité de poursuite ou par le procureur. (...) La mesure prévue au paragraphe 1, alinéa d), du présent article peut être prise par le tribunal ou, dans les cas prévus par la loi, à titre provisoire, par le procureur dans le cadre de poursuites pénales. (...) Lorsqu’elles choisissent la mesure à adopter, les autorités en cause tiennent compte de son but, du degré de danger social de l’infraction, ainsi que de la santé, de l’âge et des antécédents de la personne visée par cette mesure et d’autres circonstances la concernant. » Article 137 Le contenu de l’acte portant adoption d’une mesure préventive « L’acte portant adoption d’une mesure préventive énumère les faits qui font l’objet de l’accusation, son fondement légal, la peine prévue par la loi pour l’infraction en cause et les motifs concrets qui justifient l’adoption de la mesure provisoire. » Article 1371 § 1 La communication des motifs des mesures préventives et des chefs d’accusation « La personne placée en garde à vue ou en détention préventive est immédiatement informée des motifs justifiant cette mesure. Les chefs d’accusation sont portés à sa connaissance dans les meilleurs délais, en présence d’un avocat. » Article 143 La garde à vue « 1. L’autorité de poursuite peut placer une personne en garde à vue si des preuves ou indices raisonnables montrent que celle-ci a commis un fait prohibé par la loi pénale. La garde à vue doit être prononcée dans les cas prévus par l’article 148, quelle que soit la durée de la peine applicable pour le fait reproché. Il existe des indices raisonnables si, au vu des données de la cause, la personne faisant l’objet de poursuites peut être soupçonnée d’avoir commis le fait reproché. » Article 144 La durée de la garde à vue « 1. La garde à vue peut durer 24 heures au maximum. De la durée de la garde à vue doit être déduite la durée de la privation de liberté de l’intéressé causée par la mesure administrative de conduite au siège de la police, tel que prévue par la loi no 218/2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine. L’ordonnance de mise en garde à vue doit préciser le jour et l’heure du commencement de la garde à vue et l’ordonnance de mise en liberté le jour et l’heure de la cessation de la garde à vue. Si l’autorité de poursuite considère que la mise en détention provisoire est nécessaire, elle saisit le procureur dans les 10 premières heures de la garde à vue (...) par proposition motivée. Si le procureur estime que les conditions prévues par la loi sont remplies, il ordonne la détention provisoire dans le délai prévu au paragraphe 1 de l’article 146. Lorsque la garde à vue a été décidée par le procureur, si ce dernier estime que la détention provisoire s’impose, il doit ordonner celle-ci dans un délai de 10 heures à partir du commencement de la garde à vue, conformément à l’article 146. » Article 146 §§ 1, 2, 3 et 11 La détention du suspect au cours des poursuites pénales « 1. Lorsque les conditions requises par l’article 143 sont réunies, que l’un des cas prévus par l’article 148 est avéré, et qu’il le considère nécessaire aux fins des poursuites pénales, le procureur, d’office ou sur demande de l’autorité de poursuite, peut, par une ordonnance motivée indiquant les raisons qui justifient la prise de cette mesure ainsi que sa durée et après avoir entendu le suspect en présence de son avocat, prononcer le placement en détention préventive à titre provisoire de l’intéressé, pour une durée qui ne peut excéder trois jours. Le procureur établit également le mandat de détention préventive à titre provisoire du suspect. (...) Si le suspect est déjà en garde à vue, les trois jours sont calculés à partir de la date du mandat de garde à vue. Dans un délai de 24 heures après la délivrance du mandat de détention préventive à titre provisoire, le procureur présente le dossier au tribunal (...), avec une proposition motivée visant au placement en détention préventive (...) Si les conditions indiquées au paragraphe 1 du présent article sont réunies, le juge ordonne, par jugement avant dire droit, la détention préventive du suspect, avant l’expiration de la durée de la détention ordonnée par le procureur, en indiquant concrètement les raisons justifiant cette mesure et la durée de celle-ci, qui ne peut dépasser 10 jours. » Article 148 § 1 Conditions à remplir et cas où s’impose la détention de l’inculpé « 1. La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée si les conditions prévues par l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas suivants : (...) d) l’existence d’éléments suffisants permettant de conclure que l’inculpé a essayé d’empêcher la découverte de la vérité en exerçant des pressions sur un témoin ou un expert, en détruisant ou altérant des moyens de preuve matériels ou en se livrant à d’autres faits similaires ; e) la perpétration par l’inculpé d’une nouvelle infraction ou l’existence d’éléments faisant craindre qu’il en commette une autre ; (...) h) la perpétration par l’inculpé d’un crime ou d’un délit pour lequel la loi prévoit une peine d’emprisonnement supérieure à 4 ans et l’existence de preuves certaines que son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. » Article 149 § 1 Durée de la détention de l’inculpé « La durée de la détention préventive de l’inculpé ne peut dépasser 30 jours, sauf dans les cas où elle est prolongée selon les voies légales (...) » Article 1491 - 1 La détention de l’inculpé au cours des poursuites pénales « 1. Lorsque les conditions requises par l’article 143 sont réunies, que l’un des cas prévus par l’article 148 est avéré, et qu’il le considère nécessaire aux fins des poursuites pénales, le procureur, d’office ou sur demande de l’autorité de poursuite, peut, par une ordonnance motivée indiquant les raisons qui justifient la prise de cette mesure ainsi que sa durée et après avoir entendu l’inculpé en présence de son avocat, prononcer le placement en détention préventive à titre provisoire de l’intéressé, pour une durée qui ne peut excéder trois jours. » Article 150 § 1 L’audition de l’inculpé « Le placement en détention de l’inculpé ne peut être ordonné qu’après son audition par le procureur et par le juge, sauf si l’inculpé a disparu, se trouve à l’étranger ou se soustrait aux poursuites ou au jugement (...) » D. L’assistance par un avocat Article 6 Garantie des droits de la défense « 1. Les droits de la défense sont garantis au suspect, à l’inculpé et aux autres parties au cours du procès pénal. Au cours du procès pénal, les autorités judiciaires assurent aux parties le plein exercice des droits processuels, dans les conditions prévues par la loi, et administrent les preuves nécessaires à leur défense. Les autorités judiciaires informent [aussitôt et avant son audition - disposition insérée par la loi no 281/2003, en vigueur au 1er janvier 2004] le suspect ou l’inculpé des faits qui leur sont reprochés et de la qualification juridique de ceux-ci et leur assurent à l’un et à l’autre la possibilité de préparer et d’exercer leur défense. Toute partie a le droit d’être assistée par un défenseur au cours du procès pénal. Les autorités judiciaires signifient au suspect ou à l’inculpé, avant sa première déclaration, son droit d’être assisté par un défenseur et le consignent dans le procès-verbal d’audition. Dans les conditions et les cas prévus par la loi, les autorités judiciaires prennent toute mesure permettant d’assurer l’assistance juridique du suspect ou de l’inculpé, si l’un ou l’autre n’a pas choisi de défenseur. Article 171 §§ 1, 2 et 4 Assistance du suspect ou de l’inculpé « 1. Le suspect ou l’inculpé a le droit d’être assisté par un défenseur dans le cadre de poursuites pénales et devant le tribunal ; les organes judiciaires lui signifient ce droit. L’assistance juridique est obligatoire lorsque le suspect ou l’inculpé est mineur, effectue son service militaire, est un réserviste appelé, est un élève d’un établissement militaire, est interné dans un centre de rééducation ou dans un institut médico-éducatif ou se trouve en détention, même dans le cadre d’une autre affaire. (...) Lorsque l’assistance juridique est obligatoire et que le suspect ou l’inculpé n’a pas fait le nécessaire pour choisir son défenseur, des mesures sont prises en vue de la désignation d’un avocat commis d’office. » Article 172 §§ 2, 4 et 8 Droits du défenseur « 2. Lorsque l’assistance juridique est obligatoire, l’autorité de poursuite s’assure de la présence du défenseur de l’inculpé pendant l’audition de ce dernier. (...) L’inculpé placé en détention provisoire a le droit de prendre contact avec son avocat. Exceptionnellement et dans l’intérêt des poursuites, le procureur, d’office ou sur demande de l’autorité de poursuite peut, par une ordonnance motivée, lui interdire de prendre contact avec son avocat, une seule fois et pour une durée maximale de 5 jours. (...) Le défenseur choisi par le suspect ou l’inculpé ou commis d’office est tenu d’assurer l’assistance juridique de celui-ci. L’autorité de poursuite ou le tribunal peut signaler tout manquement à cette obligation au barreau des avocats afin que des mesures soient prises. » E. Le recours en annulation Article 409 Le recours en annulation « Le procureur général près la Cour suprême de justice peut introduire devant celle-ci, d’office ou à la demande du ministre de la Justice, un recours en annulation contre toute décision définitive ». Article 410 § 2 Les cas dans lesquels un recours en annulation peut être formé « Les décisions définitives autres que celles prévues au paragraphe 1 du présent article [cette disposition vise les décisions de condamnation, d’acquittement ou de classement] ne peuvent être contestées par voie de recours en annulation que si elles sont contraires à la loi. » Les articles du CPP régissant le recours en annulation ont été abrogés par la loi no 576 du 14 décembre 2004, publiée au Journal officiel du 20 décembre 2004 et entrée en vigueur le 23 décembre 2004. S’agissant de l’enquête préliminaire (acte premergătoare), l’autorité de poursuite n’a pas l’obligation d’assurer à ce stade à la personne visée, qui a alors la qualité de « făptuitor », l’assistance d’un avocat lors des mesures prises pendant cette période. Cette obligation ne naît qu’après l’ouverture des poursuites pénales au cours desquelles l’intéressé acquiert la qualité de suspect ou d’inculpé (arrêts no 2501 du 14 avril 2005 et no 3637 du 7 juin 2006 de la Haute Cour de cassation et de justice, section pénale). Au stade de l’enquête préliminaire, les autorités sont autorisées non pas à effectuer des actes de poursuite, mais uniquement à prendre des mesures qui ne requièrent pas la prise d’un acte juridique proprement dit (arrêt no 5532 du 26 septembre 2006 de la Haute Cour de cassation et de justice, section pénale). L’administration de toute preuve à ce stade, par exemple des dépositions de témoins, l’audition de l’inculpé ou des expertises judiciaires, entraîne la nullité de la procédure (arrêt no 806/2006 de la Haute Cour de cassation et de justice, section pénale). La Cour constitutionnelle a confirmé à plusieurs reprises que l’autorité de poursuite n’a pas l’obligation d’assurer l’assistance par un avocat dans le cadre des mesures prises au stade de l’enquête préliminaire, au motif qu’aucune preuve susceptible d’être utilisée pendant le procès pénal ultérieur ne peut être administrée à ce stade (arrêts nos 141/1999, 210/2000 et 582/2005). Elle s’est en revanche abstenue de se prononcer sur la pratique des autorités consistant à prendre des actes de poursuite pendant l’enquête préliminaire, ayant estimé qu’il s’agissait là d’une question non pas de constitutionnalité mais d’application de la loi pénale (arrêt no 113/2006).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1930 et est actuellement incarcéré à la prison de Larissa. A. Les procédures pénales dirigées contre le requérant et les demandes de sursis à exécution de la peine qui lui a été infligée par l’arrêt du 11 mai 2009 Le 26 février 1998, la cour d’appel criminelle d’Athènes, composée de cinq juges, condamna le requérant à une peine de réclusion de onze ans pour fraude et faux en écriture. Le 19 mars 2007, la cour d’appel d’Athènes, composée de trois juges, le condamna à une peine d’emprisonnement de huit mois pour usage de faux commis de manière répétitive. Par un arrêt du 11 mai 2009, la cour d’appel criminelle d’Athènes, siégeant en formation de trois juges, condamna le requérant à une peine de réclusion criminelle à perpétuité et à la privation à vie de ses droits politiques pour a) faux et usage de faux contre l’Etat, commis de manière répétitive, « par profession et habitude », et ayant entraîné un dommage supérieur à 150 000 euros, b) fraudes à répétition devant le tribunal ayant entraîné un dommage supérieur à 150 000 euros et c) instigation à porter un faux témoignage. La cour d’appel criminelle décida aussi que l’appel que pourrait interjeter le requérant n’aurait pas d’effet suspensif. Le même jour, le requérant interjeta appel de cet arrêt devant la cour d’appel criminelle d’Athènes, composée de cinq juges. Le 18 décembre 2009, le requérant déposa devant la section des sursis de la cour d’appel criminelle d’Athènes, composée de cinq juges, une demande de sursis à exécution de sa peine jusqu’à la décision de la juridiction d’appel. Dans cette demande, il arguait qu’il n’était ni un criminel ni un récidiviste et qu’il ne risquait pas de fuir ou de commettre de nouvelles infractions. Il se plaignait d’avoir été condamné en vertu de la loi relative au détournement de fonds publics, soutenant d’une part qu’il s’agissait d’une loi inconstitutionnelle et d’autre part que l’Etat ne lui avait jamais confié de fonds qu’il puisse détourner. Il soulignait qu’en principe, en droit grec, la règle était d’exécuter les décisions de condamnation qui étaient définitives, tandis que celles qui n’étaient pas définitives n’étaient qu’exceptionnellement exécutées, le but étant d’éviter que des accusés pour lesquels il existait des possibilités sérieuses d’être acquittés en appel ne soient injustement incarcérés. Il alléguait en outre que la prolongation de sa détention aggraverait son état de santé, qui était déjà sérieusement altéré : il souffrait notamment de diabète et d’hypertension, d’une maladie cardio-vasculaire pour laquelle il avait dû subir un triple pontage, d’insuffisance cardiaque et rénale, d’anémie, de lésions à la colonne vertébrale, d’un début de maladie de Barrett, de lésions neurologiques affectant ses quatre membres et causant une paralysie de ses membres inférieurs, ainsi que d’évanouissements fréquents dus à des crises d’hypoglycémie. Il faisait valoir que toutes ces pathologies étaient confirmées par des certificats médicaux délivrés par plusieurs hôpitaux dont l’hôpital Saint-Paul de la prison, et arguait que son âge augmentait les risques pour sa vie et que chaque jour supplémentaire qu’il passait en prison était susceptible d’aboutir à un incident cardiaque ou hypoglycémique fatal. Soulignant qu’il était détenu depuis le 17 novembre 2006, il concluait que dans n’importe quelle société civilisée l’exécution de sa peine aurait été transformée en détention dans une résidence surveillée. Le 15 mars 2010, le requérant comparut devant la section des sursis de la cour d’appel criminelle, siégeant en formation de cinq juges. Il produisit vingt-cinq certificats médicaux délivrés par plusieurs hôpitaux et s’exprima devant les juges. Il déclara, entre autres, qu’il devait prendre régulièrement trois médicaments et que, à la prison de Korydallos, où il était incarcéré, un seul de ces médicaments était disponible et sa date limite de consommation était dépassée. Il remit au tribunal la boîte du médicament. Il ajouta qu’il souffrait de troubles neurologiques aux bras et aux pieds et ne pouvait pas bouger quatre de ses doigts, qu’une hernie discale lui causait une quasi-paralysie des jambes, et que, en raison de fréquents évanouissements dus au diabète et à l’anémie, il ne pouvait de toute façon pas marcher. Le procureur proposa d’accueillir la demande du requérant, sous condition de dépôt d’une garantie de 5 000 euros et de présentation mensuelle de l’intéressé au poste de police du lieu de sa résidence. Par une décision du même jour, la section des sursis de la cour d’appel criminelle rejeta la demande en ces termes : « En l’occurrence, l’accusé a été condamné à une peine de réclusion à perpétuité (...) par décision de la cour d’appel criminelle d’Athènes. Il a formé un appel contre cette décision, dans les délais et de manière recevable, mais cet appel n’a pas d’effet suspensif. Par sa demande du 18 décembre 2009, il sollicite le sursis à exécution de la décision jusqu’au prononcé d’un arrêt définitif, en soutenant que les conditions de l’article 497 § 7 du code de procédure pénale sont réunies. (...) Il ressort de la déposition du témoin, des documents lus à l’audience, des éléments de preuve et des allégations de l’accusé que les conditions nécessaires pour accorder le sursis à exécution (...) ne sont pas réunies et la demande doit être rejetée, car l’intéressé est particulièrement dangereux et il existe des raisons fondées de craindre qu’il ne commette de nouvelles infractions. L’exécution de la peine jusqu’au prononcé de l’arrêt d’appel, dont l’audience est fixée au 6 décembre 2010, n’entraînera un dommage excessif et irréparable ni pour lui-même ni pour sa famille. » Le 19 juillet 2010, le requérant déposa une nouvelle demande de sursis à exécution, fondée sur l’article 497 § 7 du code de procédure pénale. Il exposait de manière détaillée ses pathologies et soulignait que chaque jour de détention supplémentaire aggravait sa santé fragile et pourrait conduire à son décès en raison de la probabilité d’un incident cardiaque ou hypoglycémique. Le 18 octobre 2010, la cour d’appel criminelle, siégeant à cinq juges, section de sursis, rejeta à nouveau cette demande, après avoir entendu un témoin, un ancien codétenu du requérant (le même que celui examiné le 15 mars 2010) qui s’exprima sur l’état de santé de ce dernier, et pris connaissance de vingt-trois certificats médicaux déposés par le requérant. Elle considéra que les conditions pour autoriser un sursis à exécution ne se trouvaient pas réunies en l’espèce. La procureure avait aussi proposé le rejet de la demande. Le requérant continue à purger sa peine, l’article 56 du code de procédure pénale, entré en vigueur le 23 décembre 2010, ne pouvant s’appliquer qu’en matière de condamnation pour des infractions délictuelles (punies de peines d’emprisonnement) et non criminelles (punies de peines de réclusion). Par un arrêt du 27 mai 2011, la cour d’appel criminelle d’Athènes, composée de cinq juges, confirma le jugement de première instance. Elle condamna le requérant à une peine de réclusion de vingt-cinq ans et six mois et à la privation de ses droits politiques pour une durée de cinq ans. B. Les conditions de détention du requérant Le requérant fut détenu du 17 novembre 2006 au 17 mai 2008 en vertu d’un mandat de détention provisoire du 22 novembre 2006. Le 13 mars 2009, le procureur près la cour d’appel d’Athènes ordonna qu’il purge le reliquat (3 ans, 5 mois et 21 jours) de la peine infligée par l’arrêt du 26 février 1998, qui avait été suspendue. Cette décision était fondée sur l’article 108 du code pénal et sur le fait que le requérant avait commis dans un délai de trois ans après sa libération une infraction ayant entraîné une peine d’emprisonnement. Le requérant fut détenu dans un premier temps à la prison de Korydallos. Depuis le 23 juin 2009, il est incarcéré, en vertu d’une décision du ministère de la Justice, à la prison de Larissa, dans un dortoir qu’il partage avec une cinquantaine d’autres détenus. Son espace personnel s’élève à 5 m². Ayant été condamné à une peine de réclusion, il est toujours incarcéré dans cette prison et l’article 56 du code pénal (paragraphe 27 cidessous) ne peut pas s’appliquer dans son cas. Pour des raisons afférentes à la procédure judiciaire dirigée contre lui, il a depuis son arrivée à la prison de Larissa été transféré à sept reprises à la prison de Korydallos, où il a séjourné du 11 au 24 septembre 2009, du 20 janvier au 8 février 2010, du 5 au 23 mars 2010, du 14 au 23 septembre 2010, du 3 au 16 décembre 2010, du 1er au 7 avril 2011 et du 29 avril au 30 mai 2011. Par ailleurs, il a été hospitalisé au dispensaire de la prison de Korydallos du 17 au 28 mars 2007, du 12 au 25 avril 2007, du 5 juin au 13 août 2007, du 5 au 20 mai 2008 et du 11 au 13 août 2008 ; et il a fait l’objet de soins et d’examens le 30 mars 2007, le 15 janvier 2009 et le 23 mars 2009 au dispensaire de la prison de Korydallos, et le 25 février 2008, le 14 avril 2008 (échographie du cœur), le 15 janvier 2009 (analyses de sang), le 6 avril 2009 (analyses de sang) et le 9 avril 2009 (triplex du cœur) dans des hôpitaux publics (l’hôpital Tzaneio au Pirée et l’hôpital de Nikaïa). C. L’état de santé du requérant Le requérant souffre de diabète traité par insuline, de troubles coronariens, de reflux gastro-œsophagien, d’œsophagite avec reflux gastroœsophagien, d’hyperlipidémie, de tension artérielle et d’anémie ferriprive. Dans un document du 5 juillet 2011 adressé au ministère de la Justice, le médecin de la prison de Larissa énumérait les pathologies du requérant et affirmait que celui-ci était traité et soumis à un contrôle médical fréquent tant par les médecins de la prison que par ceux de l’hôpital général de Larissa et de l’hôpital universitaire de Larissa, situés à une distance de 300 mètres de la prison. Il précisait qu’en cas de besoin urgent de transfert du requérant à l’hôpital afin que celui-ci soit examiné par des spécialistes, l’intéressé pouvait, comme du reste tous les autres détenus, être transféré immédiatement. Il concluait que, malgré le grand nombre des pathologies dont souffrait l’intéressé et son âge avancé, son état général était « bon ». Le 30 novembre 2010, la commission spéciale de certification d’invalidité de l’hôpital général de Larissa déclara le requérant invalide à 70 %. II. LE DROIT INTERNE ET LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne pertinent Les articles pertinents du code pénal sont ainsi libellés : Article 56 « Lorsqu’un individu condamné à une peine d’emprisonnement a dépassé l’âge de soixante-quinze ans, il purge sa peine ou le reliquat de sa peine à son domicile, sauf s’il est estimé, motivation expresse à l’appui, que l’exécution de la peine dans un centre de détention est absolument nécessaire pour l’empêcher de commettre d’autres infractions de gravité similaire. Si la limite d’âge susmentionnée est atteinte au cours du procès, le tribunal qui statue est celui qui se prononce sur la peine. Dans les autres cas, la décision est prise par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel, sur demande du condamné, qui est alors tenu de se présenter le premier jour de chaque mois au poste de police de son lieu de résidence. S’il se soustrait à cette obligation, le procureur compétent pour l’exécution de la peine peut, après avoir apprécié la fréquence de l’omission de se présenter et les motifs qui l’ont justifiée : a) adresser au condamné un avertissement quant aux conséquences de la soustraction à cette obligation ; b) ordonner qu’une partie de la peine soit purgée au centre de détention pour une durée ne pouvant pas dépasser un mois ; ou c) ordonner que la peine soit purgée au centre de détention. L’article 105 s’applique ici par analogie. » Article 105 « 1. Les individus condamnés à une peine privative de liberté peuvent être libérés sous condition conformément aux dispositions ci-dessous à condition d’avoir purgé : a) les deux cinquièmes de leur peine en cas d’emprisonnement, b) les trois cinquièmes de leur peine en cas de réclusion criminelle simple, c) vingt ans au moins, en cas de réclusion criminelle à perpétuité. Il n’est pas nécessaire que la condamnation soit irrévocable pour que la libération conditionnelle soit ordonnée. Si le condamné a dépassé soixante-dix ans, la durée des trois cinquièmes est portée à deux cinquièmes de la peine imposée et, en cas de réclusion à perpétuité, la durée de vingt ans est portée à seize ans, majorés de deux cinquièmes des autres peines qui ont le cas échéant été prononcées dans le cas où elles concourent de manière cumulative. Dans tous les cas, le condamné peut être libéré s’il a purgé vingt ans de sa peine. Pour le condamné qui a atteint soixante-cinq ans, chaque jour passé au centre de détention compte à son bénéfice pour deux jours de peine purgée. S’il travaille, chaque jour de travail compte comme une demi-journée supplémentaire. Si d’autres dispositions prévoient un calcul plus bénéfique pour ces condamnés, ces dispositions s’appliquent. (...) Lorsqu’un cinquième des peines d’emprisonnement qui n’ont pas été commuées a été purgé de quelque manière que ce soit, le tribunal correctionnel du lieu de détention transforme le cinquième suivant de ces peines en une sanction pécuniaire et ordonne la libération du détenu, sauf si, au vu du comportement de l’intéressé pendant l’exécution de la peine, il considère, motivation expresse à l’appui, que la sanction pécuniaire ne suffirait pas à le dissuader de commettre d’autres actes répréhensibles. Le condamné peut interjeter appel de pareille décision. Si le tribunal estime que le condamné se trouve dans l’impossibilité financière absolue de s’acquitter de la sanction pécuniaire, il la commue en peine de travaux d’intérêt général (...). En cas de concours de plusieurs peines cumulatives, le condamné peut être libéré sous condition s’il a purgé le total des parties des peines prévues au premier paragraphe du présent article. Dans tous les cas, il peut être libéré s’il a purgé vingtcinq ans de ses peines et lorsque le total susmentionné dépasse cette limite. (...) Pour les détenus qui sont atteints d’hémiplégie, de paraplégie ou de sclérose en plaques, qui ont subi une opération de greffe du cœur, du foie, des reins ou de la moelle ou qui souffrent de néoplasmes malins, d’insuffisance rénale imposant une hémodialyse régulière ou de tuberculose, chaque jour de détention dans un établissement pénitentiaire pendant le traitement compte comme deux jours de peine purgée. Il en va de même : a) pour toute pathologie qui entraîne un pourcentage d’invalidité, constaté par une commission sanitaire, équivalent ou supérieur à 80 %, b) pour les mères détenues pour toute la période pendant laquelle elles sont avec leurs enfants mineurs. Le magistrat compétent selon le code pénitentiaire décide d’appliquer les calculs avantageux sur demande du détenu et au vu d’une proposition du conseil de travail des détenus. (...) » Article 110A « 1. La libération conditionnelle est accordée indépendamment de la réalisation des conditions visées aux articles 105 et 106 si le condamné souffre du syndrome d’immunodéficience acquise, d’insuffisance rénale chronique imposant une hémodialyse régulière ou de tuberculose tenace, s’il est tétraplégique, s’il est atteint d’une cirrhose du foie ayant entraîné une invalidité de plus de 67 %, s’il souffre de démence sénile et qu’il a dépassé l’âge de quatre-vingts ans révolus, ou s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale. La vérification des conditions du premier paragraphe est faite, à la demande du condamné, par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent, qui ordonne une expertise spéciale dont le déroulement est fixé par une décision commune des ministres de la Justice et de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale. La libération conditionnelle décidée en vertu du premier paragraphe du présent article est inscrite au casier judiciaire et est accordée une seule fois. » Les articles 56 et 105 dans leur version actuelle sont entrés en vigueur le 23 décembre 2010, à la suite de l’adoption de la loi no 3904/2010 portant rationalisation et amélioration de l’administration de la justice. L’article 497 § 7 du code de procédure pénale dispose : « Lorsque l’accusé a été condamné par un jugement d’une juridiction de première instance à une peine privative de liberté et qu’il a formé un appel n’ayant pas d’effet suspensif, le procureur ou lui-même peuvent demander qu’il soit sursis à l’exécution du jugement jusqu’à ce que la juridiction d’appel se prononce de manière définitive. La demande est adressée soit à la juridiction d’appel soit, si le jugement est rendu par la cour d’appel criminelle, à la cour d’appel criminelle siégeant en formation de cinq juges. Le sursis est ordonné si l’accusé n’est ni particulièrement dangereux ni récidiviste, s’il ne risque pas de fuir, en l’absence de craintes sérieuses qu’il ne commette de nouvelles infractions, et si les conséquences qu’emporterait pour lui ou pour sa famille l’exécution de la peine jusqu’au prononcé de l’arrêt d’appel sont excessives et irréparables. L’accusé peut être libéré sous condition (...). » Il n’y a pas de pourvoi en cassation prévu contre ce type de décision. B. Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) La visite de 2009 Lors de sa visite en Grèce de 2009 (du 17 au 29 septembre), le CPT s’est rendu à la prison pour hommes de Korydallos. Il y a constaté que la capacité officielle de la prison était de 700 détenus et que le taux d’occupation n’avait pas baissé depuis ses visites antérieures (en 2005 et 2007), l’établissement hébergeant dans les faits 2 100 détenus. Il a observé que, bien qu’il ait précédemment recommandé que des efforts sérieux soient faits pour limiter à deux le nombre de détenus par cellule, la même situation persistait et des cellules de 9,5 m² accueillaient trois voire quatre détenus. Il a noté également que la situation en matière de soins était elle aussi restée la même qu’en 2005 et en 2007 : il n’y avait toujours pas de médecins à plein temps dans l’établissement, alors que celui-ci accueillait 2 100 détenus, mais seulement un médecin de permanence tous les jours de 15 h à 23 h, ainsi que des spécialistes (cardiologue, dermatologue, dentiste, orthopédiste, psychiatre, neurologue) qui assuraient des consultations deux à quatre fois par semaine pendant quelques heures. L’infirmerie était gérée par neuf gardiens qui travaillaient comme assistants médicaux et qui étaient chargés notamment du pré-accueil des prisonniers et de la distribution des médicaments. Il y avait aussi trois infirmières professionnelles du lundi au vendredi : deux étaient présentes le matin, la troisième l’après-midi. La visite de 2011 Lors de sa visite de 2011 à la prison pour hommes de Korydallos, le CPT a relevé que celle-ci accueillait 2 345 détenus. Dans son rapport du 10 janvier 2012, le CPT notait qu’en dépit de ses recommandations (depuis 1993) pour réduire le nombre des détenus par cellule (9,5 m²) à deux, il a constaté que les cellules continuaient à être partagées par trois, quatre voire cinq détenus. Le nombre du personnel de santé avait augmenté depuis la dernière visite en 2009. Il y avait trois médecins généralistes, et un médecin de garde présent sept jours sur sept, de 15 h à 23 h. Des médecins de diverses spécialités étaient aussi présents, deux à quatre fois par semaine pour quelques heures. Toutefois, le nombre d’infirmiers était insuffisant pour une prison de cette taille.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside à Stutensee. A. Les terrains du requérant En vertu de la loi fédérale sur la chasse (Bundesjagdgesetz), les propriétaires de terrains de chasse d’une surface inférieure à 75 hectares sont, de droit, membres d’une association de chasse (Jagdgenossenschaft), tandis que les propriétaires de terres plus vastes gèrent leur propre district de chasse. Le requérant possède dans le Land de Rhénanie-Palatinat deux fonds d’une superficie de moins de 75 hectares chacun, dont il a hérité en 1993 au décès de sa mère. Il est donc, de droit, membre d’une association de chasse, en l’occurrence celle de la commune de Langsur. B. Les demandes formées par le requérant devant les autorités administratives et judiciaires Le 14 février 2003, le requérant, qui est opposé à la chasse pour des motifs d’ordre éthique, invita l’autorité de la chasse à le radier de l’association de chasse. L’autorité rejeta sa demande au motif que son adhésion était imposée par la loi et qu’il n’existait pas de disposition prévoyant pareille possibilité de radiation. Le requérant engagea une procédure devant le tribunal administratif de Trêves. Invoquant notamment l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Chassagnou et autres c. France ([GC], nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, CEDH 1999III), il priait le tribunal d’établir qu’il n’était pas membre de l’association de chasse de Langsur. Le 14 janvier 2004, le tribunal administratif débouta le requérant, considérant que la loi fédérale sur la chasse ne violait pas ses droits. Concernant l’arrêt Chassagnou, il estima que la situation en Allemagne différait de celle qui prévalait en France. Il observa notamment que, du fait de leur adhésion à une association de chasse, les propriétaires allemands de terrains de chasse étaient en mesure d’influer sur les décisions prises quant aux modalités d’exercice du droit de chasse, qu’ils avaient en outre le droit de percevoir une part des bénéfices découlant de l’exercice de ce droit, et que tous les propriétaires de terrains trop petits pour permettre une bonne gestion du droit de chasse étaient membres d’une association de chasse. Le tribunal releva également que les associations de chasse ne se bornaient pas à défendre les intérêts des personnes pratiquant la chasse comme un loisir mais leur imposaient aussi certaines obligations servant l’intérêt général, notamment celles de gérer le patrimoine cynégétique pour préserver la variété et la bonne santé des populations de gibier et d’empêcher que les animaux sauvages ne causent des dégâts. Il observa que ces associations devaient aussi respecter certains quotas fixés par les autorités pour la chasse au gibier. Enfin, il rappela que ces obligations s’appliquaient également aux propriétaires de terrains de chasse de plus de 75 hectares, nonobstant le fait que ces domaines plus vastes n’étaient pas regroupés en districts de chasse communs. Le 13 juillet 2004 et le 14 avril 2005 respectivement, la cour administrative d’appel de Rhénanie-Palatinat et la Cour administrative fédérale rejetèrent les recours formés par le requérant pour des motifs identiques à ceux avancés par le tribunal administratif. C. La décision de la Cour constitutionnelle fédérale Le 13 décembre 2006, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas retenir le recours constitutionnel que lui avait soumis le requérant (décision no 1 BvR 2084/05). Elle jugea d’emblée que les dispositions de la loi sur la chasse ne violaient pas le droit de l’intéressé au respect de ses biens mais en définissaient et en limitaient l’exercice de façon proportionnée, qu’elles visaient des buts légitimes, qu’elles étaient nécessaires et qu’elles n’imposaient pas une charge excessive aux propriétaires terriens. La haute juridiction expliqua que, lorsqu’il définissait la teneur et les limites du droit de propriété, le législateur devait mettre en balance l’intérêt légitime des propriétaires et l’intérêt général et, en particulier, respecter les principes de proportionnalité et d’égalité de traitement. Elle précisa que les restrictions imposées à l’exercice du droit de propriété ne devaient pas empiéter sur la substance du droit protégé et que, par ailleurs, la marge d’appréciation accordée au législateur était fonction du contexte : plus l’intérêt de la société était fort, plus la marge d’appréciation était ample. Appliquant ces principes au cas d’espèce, la Cour constitutionnelle fédérale considéra que l’obligation pour le requérant d’appartenir à une association de chasse ne violait pas son droit de propriété car la substance de ce droit n’était pas touchée. Pour la haute juridiction, la loi fédérale sur la chasse visait des buts légitimes, à savoir la protection du gibier de manière adaptée à la vie rurale et à la culture locale et la préservation de la variété et de la bonne santé de la faune – objectifs relevant de la notion de « gestion et protection du patrimoine cynégétique » (Hege) –, et la gestion du gibier y était envisagée non seulement comme un moyen d’empêcher que les animaux sauvages ne causent des dégâts mais encore comme un outil de prévention de toute gêne à l’agriculture, à la sylviculture et à la pêche, buts qu’elle estimait servir l’intérêt général. La Cour constitutionnelle fédérale estima que la mise en place d’une obligation d’appartenance à une association de chasse constituait une mesure adéquate et nécessaire pour atteindre ces buts. Se référant au paragraphe 79 de l’arrêt Chassagnou (précité), elle observa que la Cour avait reconnu qu’il était assurément dans l’intérêt général d’éviter une pratique anarchique de la chasse et de favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique. A son avis, la mesure était également proportionnée : l’impact sur le droit de propriété n’était pas particulièrement notable et ne prenait pas le pas sur l’intérêt général que représentait une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique ; de plus, la loi fédérale sur la chasse conférait à tout membre d’une association de chasse le droit de participer à la prise de décisions au sein de l’association et de percevoir une part des bénéfices tirés de la location du droit de chasse. La Cour constitutionnelle jugea en outre qu’il n’y avait pas violation de la liberté de conscience du requérant. Elle observa qu’au paragraphe 114 de l’arrêt Chassagnou, la Cour avait admis que les convictions des requérants atteignaient un certain degré de force, de cohérence et d’importance et méritaient donc le respect dans une société démocratique. Sans se prononcer sur le point de savoir si cette appréciation valait pour M. Herrmann, elle accepta de partir du principe que tel était le cas, considérant qu’en tout état de cause il n’y avait pas violation de l’article 4 de la Loi fondamentale (paragraphe 25 ci-dessous). Elle doutait qu’il y eût une ingérence dans le droit du requérant à la liberté de conscience mais estimait que, même à supposer que ce fût le cas, l’ingérence éventuelle n’était pas particulièrement grave : le requérant n’étant pas forcé de participer lui-même à la chasse et n’ayant pas à prendre de décision à cet égard, il n’était pas, selon elle, soumis à un conflit de conscience. Elle précisa de surcroît que le droit d’un individu à la liberté de conscience n’englobait pas un droit à obtenir que l’ordre juridique tout entier fût soumis à ses propres principes éthiques, que si l’ordre juridique conférait à plusieurs personnes le droit d’exploiter un certain bien, la conscience du propriétaire ne l’emportait pas nécessairement sur les droits constitutionnels des autres titulaires de ce droit, et que si les terres du requérant – et celles des autres propriétaires opposés à la chasse – étaient retirées des districts de chasse communs en raison des convictions de leurs propriétaires, l’ensemble du système de propriété foncière et de gestion du patrimoine cynégétique serait mis en péril. La haute juridiction conclut qu’en l’espèce, le droit à la liberté de conscience ne l’emportait pas sur l’intérêt général. Elle considéra par ailleurs que le grief du requérant ne relevait pas du droit à la liberté d’association étant donné que les associations de chasse allemandes étaient des organismes de droit public. Elle estima à cet égard que dès lors que les associations de chasse étaient dotées de prérogatives administratives, réglementaires et disciplinaires et qu’elles étaient intégrées aux structures de l’Etat, il ne faisait aucun doute que cette qualification d’organismes de droit public ne leur avait pas été conférée dans le simple but de les soustraire à la portée de l’article 11 de la Convention. La Cour constitutionnelle fédérale jugea qu’il n’y avait pas non plus violation du droit du requérant à l’égalité de traitement. Elle estima que les juridictions administratives avaient avancé des motifs pertinents à l’appui de la distinction établie entre les propriétaires de terres de moins de 75 hectares et ceux de domaines de plus de 75 hectares (paragraphe 11 ci-dessus). Elle rappela que, contrairement à la loi française, que la Cour avait examinée dans l’arrêt Chassagnou, la loi fédérale sur la chasse s’appliquait à la totalité du territoire allemand et s’imposait à tous les propriétaires terriens, les propriétaires de domaines de plus de 75 hectares ayant les mêmes obligations en matière de gestion du gibier que ceux qui étaient membres d’une association de chasse. Enfin, la Cour constitutionnelle fédérale observa que les juridictions administratives avaient pris en compte l’arrêt Chassagnou et mis en lumière les différences existant entre la loi allemande et la loi française qui était en vigueur à l’époque. D. L’utilisation faite des terrains du requérant Invité par le président de la Grande Chambre à communiquer à la Cour des informations supplémentaires sur l’utilisation réellement faite des terrains appartenant au requérant, le Gouvernement a produit une déclaration de l’agricultrice qui loue les terres agricoles dont font partie les terrains du requérant. Celle-ci y indiquait qu’elle utilisait les terres en question pour y élever du bétail destiné à l’abattage, ce que le maire de Langsur a confirmé dans une déclaration écrite. Le requérant indique pour sa part qu’il s’est rendu sur les lieux plusieurs fois au cours des dernières années sans jamais y voir de bétail. Il n’aurait jamais donné l’autorisation d’utiliser ses terres aux fins en question et n’hésiterait pas, le cas échéant, à engager une action en justice contre tout abus éventuel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Loi fondamentale La Loi fondamentale dispose : Article 4 [Liberté de croyance et de conscience] « 1) La liberté de croyance et de conscience et la liberté de professer des croyances religieuses et philosophiques sont inviolables. (...) » Article 14 [Propriété, droit d’héritage et expropriation] « 1) La propriété et le droit d’héritage sont garantis. Leur contenu et leurs limites sont fixés par la loi. 2) La propriété emporte des obligations. Son usage doit contribuer en même temps au bien de la collectivité. (...) » Article 20a (dans sa version en vigueur depuis le 1er août 2002) [Protection des fondements naturels de la vie et des animaux] « Assumant ainsi également sa responsabilité envers les générations futures, l’Etat protège les fondements naturels de la vie et les animaux par l’exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l’ordre constitutionnel, et par l’exercice des pouvoirs exécutif et judiciaire, dans le respect de la loi et du droit. » Article 72 (dans sa version en vigueur depuis le 1er septembre 2006) [Compétence législative concurrente] « 1) Dans le domaine de la compétence législative concurrente, les Länder ont le pouvoir de légiférer aussi longtemps et pour autant que la Fédération n’a pas fait usage de sa compétence législative en adoptant une loi. 2) (...) 3) Lorsque la Fédération a fait usage de sa compétence législative, les Länder peuvent adopter des dispositions législatives qui s’écartent des lois fédérales en matière de : chasse (sauf en ce qui concerne les permis de chasse) ; (...) Les lois fédérales dans ces domaines entrent en vigueur au plus tôt six mois après leur promulgation, sauf dispositions contraires adoptées avec l’approbation du Bundesrat. Pour ce qui concerne le rapport entre la législation fédérale et la législation des Länder dans les matières visées à la première phrase, la loi la plus récente l’emporte. » B. Le code civil L’article 960 § 1 (1) du code civil dispose : « Les animaux sauvages n’ont pas de propriétaire tant qu’ils ne sont pas en captivité. (...) » C. La loi fédérale sur la chasse L’article 1 de la loi fédérale sur la chasse (Bundesjagdgesetz) se lit ainsi : « 1) Le droit de chasse comprend le droit exclusif de protéger, chasser et acquérir du gibier sauvage dans une zone donnée. Il est lié à l’obligation de gérer et protéger le patrimoine cynégétique (Pflicht zur Hege). 2) La gestion du patrimoine cynégétique vise à conserver des populations de gibier variées et en bonne santé à un niveau compatible avec l’entretien des terres et la culture locale et à empêcher que le gibier ne cause des dégâts (...) 3) Les individus pratiquant la chasse sont tenus de respecter les normes communément admises des principes éthiques allemands régissant la chasse (deutsche Weidgerechtigkeit). 4) La chasse consiste à rechercher, poursuivre, tuer ou attraper du gibier sauvage. (...) » La loi fédérale sur la chasse établit une distinction entre le droit de chasse (Jagdrecht) et l’exercice du droit de chasse (Ausübung des Jagdrechts). Un propriétaire a le droit de chasse sur ses terres. L’exercice de ce droit est réglementé par les dispositions ci-dessous de la loi. Article 4 « Le droit de chasse s’exerce soit dans les districts de chasse privés (article 7) soit dans les districts de chasse communs (article 8). » Article 6 (terrains clos, suspension de la chasse) « La chasse est suspendue sur les terrains qui ne font pas partie d’un district de chasse et sur les terrains clos (befriedete Bezirke). Un exercice limité du droit de chasse peut y être autorisé. La présente loi ne s’applique pas aux jardins zoologiques. » L’article 7 dispose notamment que les parcelles d’une surface minimale de 75 hectares pouvant être exploitées pour l’agriculture, la sylviculture ou la pêche et appartenant à un propriétaire unique constituent un district de chasse privé. L’article 8 prévoit que toutes les terres qui ne font pas partie d’un district de chasse privé forment un district de chasse commun si elles représentent au total une surface de 150 hectares au moins. Les propriétaires de terrains relevant d’un district de chasse commun sont, de droit, membres d’une association de chasse, conformément aux dispositions ci-dessous : Article 9 § 1 « Les propriétaires de terres appartenant à un district de chasse commun forment une association de chasse. Les propriétaires de terres sur lesquelles la chasse est interdite n’appartiennent pas à une association de chasse. » Article 10 « 1) L’association de chasse exploite en général le droit de chasse en le louant, le cas échéant aux seuls membres de l’association. 2) L’association de chasse est autorisée à louer le droit de chasse de sa propre initiative. Avec l’accord de l’autorité compétente, elle peut décider de suspendre la chasse (Ruhen der Jagd). 3) L’association décide de l’utilisation qui sera faite des bénéfices dégagés par la chasse. Si elle décide de ne pas les distribuer aux propriétaires des terrains de chasse en fonction de la surface qu’ils possèdent, tout propriétaire contestant cette décision peut réclamer sa part. (...) » La pratique de la chasse est régie par les règles suivantes : Article 20 « 1) La chasse est interdite dans les zones où sa pratique aurait pour effet, en raison de circonstances particulières, de troubler l’ordre ou la sécurité publics ou de mettre en danger la vie humaine. 2) La pratique de la chasse dans les zones où la nature et la faune sauvage sont protégées et dans les parcs nationaux et réserves naturelles est réglementée par chaque Land. » Article 21 § 1 « L’abattage du gibier est réglementé de manière à garantir pleinement l’intérêt légitime qu’il y a à protéger l’agriculture, la pêche et la sylviculture des dégâts causés par les animaux sauvages dans le respect des nécessités de la protection de la nature et de la préservation du paysage. A l’intérieur de ces limites, la réglementation de l’abattage du gibier contribue au maintien d’une population suffisante et en bonne santé de toutes les espèces locales de gibier et, en particulier, à la protection des espèces menacées. » La responsabilité en cas de dommages causés par le gibier est régie par la disposition ci-dessous : Article 29 § 1 « Si un terrain appartenant ou incorporé à un district de chasse commun est endommagé par du gibier à sabots fendus, des lapins de garenne ou des faisans, l’association de chasse indemnise le propriétaire du terrain. Le coût de l’indemnisation est supporté par les membres de l’association au prorata de la taille de leurs parcelles respectives. Si le locataire du droit de chasse s’est engagé à assumer tout ou partie de la responsabilité découlant des dommages causés par le gibier, c’est lui qui indemnise. L’association de chasse reste néanmoins tenue d’indemniser la personne lésée si celle-ci ne parvient pas à obtenir réparation auprès du locataire du droit de chasse. » D. La loi sur la chasse du Land de Rhénanie-Palatinat En ses dispositions pertinentes, la loi sur la chasse du Land de Rhénanie-Palatinat – celui où se situent les terres du requérant – est ainsi libellée : Article 7 « 1) Une association de chasse est un organisme de droit public soumis au contrôle de l’Etat, lequel est exercé par l’autorité de chasse locale (...) Chaque association de chasse doit établir ses propres statuts internes (Satzung). Ces statuts doivent être approuvés par l’autorité de contrôle, sauf s’ils sont conformes à un modèle émis par l’autorité supérieure de la chasse, auquel cas ils doivent être notifiés à l’autorité de chasse locale. Si une association de chasse n’établit pas ses statuts dans un délai d’un an après l’émission du modèle, l’autorité de contrôle les établit et les publie (...) aux frais de l’association. (...) 4) Les avis de sommes à payer (Umlageforderungen) sont exécutés conformément aux dispositions de la loi sur l’exécution des actes administratifs. L’exécution est effectuée par le Trésor public de la commune à laquelle l’association est rattachée. (...) » III. DROIT COMPARÉ Les recherches menées par la Cour sur les législations de quarante Etats membres du Conseil de l’Europe montrent que l’adhésion à une association de chasse est facultative dans trente-quatre pays (Albanie, Azerbaïdjan, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Estonie, « ex-République yougoslave de Macédoine », Finlande, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldova, Monténégro, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Turquie et Ukraine). En Autriche, en France et en Suède, pareille adhésion est en principe obligatoire. En Géorgie et en Suisse, la législation ne contient pas de dispositions sur les associations de chasse. Enfin, la chasse n’est pas pratiquée à Monaco. Il existe des différences considérables entre les législations de ces Etats quant à l’obligation pour les propriétaires fonciers de tolérer la chasse sur leurs terres. Sur les trente-neuf Etats membres étudiés dans lesquels la chasse est pratiquée, dix-huit (Albanie, Azerbaïdjan, Belgique, Estonie, « ex-République yougoslave de Macédoine », Finlande, Géorgie, Hongrie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldova, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Ukraine) n’obligent pas les propriétaires fonciers à tolérer la chasse et dix-huit (Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Grèce, Italie, Monténégro, Pologne, Roumanie, Russie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède et Turquie) le font. Toutefois, les uns comme les autres prévoient des exceptions plus ou moins larges aux règles qu’ils appliquent. En France et en République tchèque, l’obligation de tolérer la chasse dépend des circonstances propres au terrain et de décisions administratives. En Suisse, il n’existe pas de loi régissant cette obligation. Dans quatre Etats membres, la législation ou la jurisprudence ont été modifiées à la suite de l’adoption de l’arrêt Chassagnou (précité). En France, la loi Voynet du 26 juillet 2000 prévoit que les propriétaires fonciers qui sont opposés à la chasse pour des raisons éthiques peuvent, sous certaines conditions, demander leur radiation d’une association de chasse. En Lituanie, l’article 13 § 2 de la loi sur la chasse a cessé de s’appliquer le 19 mai 2005, à la suite d’un arrêt de la Cour constitutionnelle. Cette disposition permettait aux propriétaires fonciers de s’opposer à la chasse sur leurs terres uniquement dans les cas où cette pratique risquait d’endommager leurs cultures ou leurs forêts. Au Luxembourg, après l’adoption des arrêts Schneider c. Luxembourg (no 2113/04, 10 juillet 2007) et Chassagnou (précité), la loi sur la chasse du 20 juillet 1929 a été abrogée et remplacée par une nouvelle loi, entrée en vigueur le 31 mai 2011, qui prévoit que les propriétaires fonciers opposés à la chasse sur leurs terres peuvent, sous certaines conditions, demander de ne pas faire partie d’une association de chasse. En République tchèque, enfin, la Cour constitutionnelle a jugé le 13 décembre 2006 que l’autorité administrative devait décider si des terres pouvaient être incluses dans un district de chasse en soupesant les différents intérêts en jeu à la lumière des principes énoncés dans l’arrêt Chassagnou.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Istanbul. Le 29 août 2002, vers 11 h 30, la police fut avertie qu’un groupe de quatre-vingts personnes, dont le requérant, s’était réuni pour déposer au Consulat général de France d’Istanbul une lettre dénonçant les prisons de type F en Turquie et pour faire une déclaration publique. Selon le procès-verbal d’arrestation, établi à 12 h 10, les événements se déroulèrent ainsi : la police demanda aux responsables du Consulat général de France s’ils souhaitaient rencontrer le groupe ; le consulat refusa l’entrée du groupe dans l’enceinte du bâtiment, et demanda que la lettre fût déposée par une seule personne et que l’accès devant le consulat fût libéré. Une fois la lettre remise, la police somma plusieurs fois les manifestants de se disperser ; ceux-ci refusèrent d’obtempérer et insistèrent pour faire leur déclaration publique devant le consulat. La présence du groupe gênant la circulation dans la rue d’İstiklal, les forces de l’ordre réitérèrent les sommations et tentèrent de rétablir la circulation en repoussant les manifestants pour dégager la rue. Le groupe se mit à scander des slogans et refusa toujours de se disperser malgré les sommations des forces de l’ordre. Un affrontement éclata, au cours duquel les manifestants furent interpellés d’une manière musclée, le gaz lacrymogène fut utilisé et trente-trois personnes, dont le requérant, furent placées en garde à vue. Un commissaire fut également blessé lors de l’incident. Le requérant refusa de signer le procès-verbal d’arrestation et de fouille corporelle. Le même jour, à 13 heures, la police établit un deuxième procès-verbal à l’intention du parquet, aux termes duquel les manifestants avaient poursuivi leurs agissements dans le local de garde à vue, s’étaient jetés contre les barreaux et avaient détérioré les lieux. Selon le rapport médical établi à 15 h 25, le requérant présentait des écorchures sur les bras et un œdème de 3 x 1 cm sur une pommette. Il ne se plaignit de rien au médecin. Remis en liberté sur autorisation du parquet, les manifestants quittèrent le commissariat le même jour, à 17 h 30. A. La plainte déposée par les manifestants devant le parquet A une date non indiquée, le requérant et douze autres personnes, invoquant la Constitution ainsi que les articles 10 et 11 de la Convention, déposèrent une plainte pénale devant le parquet de Beyoğlu pour atteinte à leur droit de manifester, pour mauvais traitements, placement en garde à vue, et fouille corporelle. Ils dénoncèrent en particulier une utilisation disproportionnée de la force pour disperser le rassemblement. Le 27 mai 2003, le parquet rendit une décision de non-lieu, au motif que les intéressés avaient été arrêtés dans le respect de la loi et que l’intervention des forces de l’ordre était légale, dans la mesure où l’article 24 de la loi no 2911 prévoyait la dispersion musclée des manifestations contraires à la loi. Dans sa décision, le procureur soulignait que cet article n’indiquait « ni le degré ni la définition du recours à la force ». Quant aux griefs relatifs au placement en garde à vue et à la fouille corporelle, le parquet les rejeta pour défaut de preuves. Par un arrêt du 10 septembre 2003, notifié au requérant le 3 octobre 2003, le président de la cour d’assises d’Istanbul confirma la décision de non-lieu. B. Le procès pénal engagé contre les manifestants Le 10 mars 2003, le parquet de Beyoğlu, par un acte d’accusation, intenta une action pénale contre les manifestants, dont le requérant, pour non-respect de la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques et pour vandalisme des biens publics, infraction prévue à l’article 516/3 du code pénal. Le 27 janvier 2004, le tribunal correctionnel de Beyoğlu examina l’affaire sous l’angle de la loi no 2911 et acquitta les manifestants, y compris le requérant. Le tribunal souligna que les forces de l’ordre n’avaient pas permis aux manifestants d’expliquer le contenu de leur lettre par une déclaration de presse, et rappela que la tenue d’une déclaration de presse était un droit constitutionnel reconnu par la jurisprudence de la Cour de cassation et qu’elle ne constituait pas une infraction à la loi. Il constata en outre que la police n’avait pas accordé un délai suffisant pour permettre aux manifestants de se disperser. Il jugea que les éléments constitutifs de l’infraction reprochée n’étaient pas réunis. Faute de pourvoi, le jugement devint définitif. II. LE DROIT PERTINENT Aux termes de l’article 24 de la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques : « Si une réunion ou une manifestation débutée dans le respect de la loi (...) se transforme en une réunion ou manifestation contraire à la loi : (...) b) Le commandant civil local le plus important (...) envoie les commandants locaux de la sûreté ou l’un d’eux sur les lieux des événements. Ce commandant avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force (...) Dans les situations décrites (...) en cas d’attaque ou de résistance effective contre les forces de l’ordre ou les lieux et personnes qu’elles protègent, il sera fait recours à la force sans qu’il soit besoin [de procéder à] un avertissement. (...) Si une réunion ou une manifestation débute contrairement à la loi (...) les forces de l’ordre (...) prennent les précautions nécessaires. Le commandant des forces de l’ordre avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1929 et réside à Castelpagano. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant était propriétaire d’un terrain sis à Castelpagano et enregistré au cadastre, feuille 30, parcelle 353. Par un arrêté du 6 septembre 1989, la communauté (comunità montana) d’Alto Tammaro approuva le projet de construction d’une route sur ce terrain. Le 23 octobre 1989, une partie du terrain de la requérante, soit 305 mètres carrés, fut matériellement occupée par la société T., à laquelle la communauté d’Alto Tammaro avait confié le soin d’effectuer les travaux de construction de la route. Par un arrêté du 10 mai 1990, la municipalité de Castelpagano autorisa la communauté d’Alto Tammaro à occuper d’urgence le terrain du requérant en vue de son expropriation. Le 18 mai 1992, la municipalité de Castelpagano versa au requérant la somme de 483 000 ITL (249,45 EUR, environ) à titre d’acompte sur l’indemnité d’expropriation. Par un arrêté du 27 mai 1995, la municipalité de Castelpagano décréta l’expropriation de la partie du terrain qui avait déjà été occupée. La procédure principale Entre-temps, par un acte d’assignation notifié le 12 septembre 1992, le requérant avait introduit une action en dommages-intérêts à l’encontre de la communauté d’Alto Tammaro devant le tribunal de Bénévent. Il faisait valoir que l’occupation du terrain était illégale dès le début, au motif qu’elle s’était produite avant l’adoption de l’arrêté qui l’autorisait. A la lumière de ces considérations, il demandait notamment un dédommagement pour la perte de la partie du terrain qui avait été occupée, ainsi qu’une indemnité pour la perte de valeur de la partie restante du terrain et une indemnité pour la destruction au cours des travaux des cultures existant sur le terrain. Au cours du procès, une expertise fut déposée au greffe. L’expert évalua la valeur vénale de la partie du terrain, qui avait été occupée, à 5 000 ITL (2, 58 EUR, environ) le mètre carré en 1989 et à 6 256 ITL (3, 23 EUR, environ) le mètre carré en 1994. Par un jugement déposé au greffe le 8 avril 2003, le tribunal rejeta les demandes du requérant, au motif que ce dernier avait donné son consentement à l’occupation du terrain et par conséquent, avait conclu une transaction avec l’administration. Par un acte du 13 octobre 2003, le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Naples. La communauté d’Alto Tammaro et la société T. se constituèrent dans la procédure. Par un arrêt déposé au greffe le 3 novembre 2004, la cour d’appel déclara d’abord le défaut de légitimation passive de la société T., au motif que cette dernière n’avait pas été partie à la procédure devant le tribunal de Bénévent, et condamna le requérant à rembourser à la société T. les frais de procédure. En outre, la cour d’appel déclara que la propriété du terrain avait été transférée à l’administration en vertu du principe de l’expropriation indirecte à compter du 16 décembre 1991, date de sa transformation irréversible. Par conséquent, le décret d’expropriation du 27 mai 1995 était tardif. A la lumière de ces considérations, la cour d’appel condamna la communauté d’Alto Tammaro à verser au requérant un dédommagement de 675 EUR plus intérêts, égal à la différence entre la valeur vénale du terrain en 1994 réévaluée au jour du prononcé et la somme déjà reçue par le requérant à titre d’acompte sur l’indemnité d’expropriation. D’après le requérant, la partie de cet arrêt concernant la condamnation au dédommagement, suite à la perte du terrain, a acquis force de chose jugée le 19 décembre 2005. Par un recours notifié le 17 décembre 2005, le requérant introduisit devant la cour d’appel de Naples une action en révocation ayant pour objet l’arrêt de la même cour d’appel déposé au greffe le 3 novembre 2004, uniquement en ce qui concerne la condamnation au remboursement des frais de procédure à la société T. Il ressort du dossier que cette procédure en révocation est toujours pendante. La procédure « Pinto » Par un recours du 13 avril 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée de la procédure devant le tribunal de Bénévent décrite ci-dessus. Il demanda à la cour d’appel de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’État italien au versement de 18 550 EUR au titre de dédommagement des préjudices matériels et moraux subis. Par une décision déposée au greffe le 17 avril 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle rejeta la demande relative au dommage matériel au motif que celle-ci n’était pas étayée, accorda 1 400 EUR comme réption du dommage moral, 500 EUR pour frais et dépens en ce qui concerne la procédure interne et 700 EUR pour frais et dépens devant la Cour. Il ressort du dossier que cette décision fut notifiée à l’administration le 24 décembre 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 23 février 2004. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » sont décrits dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, CEDH 2006V.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1940. Il est actuellement assigné à résidence à l’hôpital de San Secondo – Fidenza (Parme). A. La procédure pénale diligentée à l’encontre du requérant Le 2 septembre 1999, à l’issue d’une violente altercation familiale, le requérant tua son épouse et blessa l’un de ses fils. Il fut arrêté le lendemain. Au terme de l’enquête, le parquet de Rome demanda le renvoi du requérant en jugement pour meurtre, tentative de meurtre, mauvais traitements infligés aux membres de sa famille et port d’arme prohibé. Le 24 novembre 2000, à l’issue d’une procédure abrégée dont le requérant avait demandé l’application, le juge de l’audience préliminaire (giudice dell’udienza preliminare, ci-après « le GUP ») de Rome le déclara coupable de tous les chefs d’accusation retenus contre lui et constata qu’il devait être condamné à la réclusion à perpétuité. Cependant, en raison de l’adoption de la procédure abrégée, il fixa la peine à trente ans d’emprisonnement et prononça contre l’intéressé une interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques en application de l’article 29 du code pénal (« le CP » – paragraphe 36 ci-dessous). Le juge releva que le requérant avait d’abord tenté d’étrangler sa femme avec le câble du téléphone qu’elle avait utilisé pour appeler la police puis, alors qu’elle fuyait de l’appartement avec ses enfants en courant dans les escaliers de l’immeuble, il avait tiré plusieurs fois sur son épouse à courte distance, ainsi que sur l’un de ses fils qui était remonté pour porter secours à sa mère après l’avoir précédée. Pour fixer la peine, le GUP retint des circonstances aggravantes, relevant à ce titre que le comportement délictueux du requérant avait visé des membres de sa famille et qu’il avait été déclenché par un motif futile, à savoir la conviction de l’intéressé que ses enfants étaient responsables de la panne de son téléphone portable. Le GUP ne tint pas compte du fait que le casier judiciaire de l’intéressé était vierge, élément invoqué par celui-ci à titre de circonstance atténuante. Il releva que le comportement du requérant, qui niait une partie de faits et tendait à en attribuer la responsabilité aux membres de sa famille, à qui il reprochait de s’être rebellés contre son autorité, était de nature à exclure toute volonté de repentir. Il constata enfin que, d’après les témoignages recueillis, le requérant s’était rendu responsable d’autres épisodes de violence – injures, coups, menaces avec armes – à l’encontre de son épouse et de ses enfants au cours des vingt années précédentes. Les recours respectivement formés par le parquet général et le requérant contre ce jugement furent portés devant la cour d’assises d’appel de Rome qui, par un arrêt du 10 janvier 2002, condamna l’intéressé à la réclusion à perpétuité. La cour d’assises confirma les conclusions du GUP quant aux circonstances tant aggravantes qu’atténuantes à prendre en compte dans l’affaire. Par un arrêt déposé au greffe le 20 janvier 2003, la Cour de cassation rejeta le pourvoi que le requérant avait formé devant elle. En application de l’article 29 du CP, la condamnation du requérant à perpétuité fut assortie d’une peine accessoire d’interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques, en conséquence de quoi l’intéressé fut privé définitivement de son droit de vote, conformément à l’article 2 du décret du Président de la République no 223 du 20 mars 1967 (« le D.P.R. no 223/1967 » – paragraphe 33 ci-dessous). Les arrêts concluant à la condamnation du requérant ne mentionnèrent pas que celui-ci avait été privé de son droit de vote. B. La procédure introduite par le requérant en vue de recouvrer son droit de vote Le 2 avril 2003, la commission électorale compétente raya le nom du requérant des listes électorales, en application de l’article 32 du D.P.R. no 223/1967 (paragraphe 35 ci-dessous). Le 30 juin 2004, l’intéressé introduisit un recours devant la commission électorale. S’appuyant, entre autres, sur l’arrêt Hirst c. Royaume-Uni (no 2) (no 74025/01, 30 mars 2004), il alléguait que la privation de son droit de vote était incompatible avec l’article 3 du Protocole no 1. Débouté de son recours, le requérant saisit la cour d’appel de Rome le 16 juillet 2004, soutenant que la radiation de son nom des listes électorales qui découlait de plein droit de sa condamnation à la réclusion à perpétuité et de l’interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques emportait violation de son droit de vote tel que garanti par l’article 3 du Protocole no 1. Par un arrêt déposé le 29 novembre 2004, la cour d’appel débouta l’intéressé. Elle souligna que, en droit italien, la mesure litigieuse n’était appliquée que pour les délits les plus graves passibles des sanctions les plus lourdes, notamment la réclusion à perpétuité, tandis que la privation du droit de vote en cause dans l’affaire Hirst no 2 (précitée) était applicable à toute personne condamnée à une peine de réclusion et n’impliquait pas une mise en balance des intérêts concurrents et de la proportionnalité de l’interdiction. Elle en conclut que l’automaticité de l’application de l’interdiction incriminée à toute peine de réclusion faisait défaut dans l’affaire concernant le requérant. Le requérant se pourvut en cassation, alléguant notamment que la privation du droit de vote était une conséquence de la peine accessoire d’interdiction d’exercer des fonctions publiques, qui découlait elle-même de la peine principale infligée. Selon lui, la privation litigieuse était donc sans rapport avec le délit commis et l’application de cette mesure échappait totalement au pouvoir d’appréciation de l’autorité judiciaire. Par un arrêt déposé le 17 janvier 2006, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Elle rappela tout d’abord que, dans son arrêt Hirst no 2 du 6 octobre 2005 (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 77, CEDH 2005-IX), la Grande Chambre avait noté que la privation du droit de vote au Royaume-Uni « concern[ait] (...) une grande fraction des personnes incarcérées et toutes sortes de peines d’emprisonnement, allant d’un jour à la réclusion à perpétuité, et d’infractions allant d’actes relativement mineurs aux actes les plus graves ». Se référant à l’article 29 du CP, elle releva ensuite que, en droit italien, la privation du droit de vote n’était appliquée qu’en cas de condamnation à une peine privative de liberté d’au moins trois ans, que cette mesure ne durait que cinq ans lorsque la peine infligée était inférieure à cinq ans d’emprisonnement, et qu’elle ne pouvait revêtir un caractère définitif qu’en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans ou à la réclusion à perpétuité. C. La réduction de la peine du requérant consécutive à l’arrêt Scoppola c. Italie (no 2) Le 24 mars 2003, le requérant introduisit une requête devant la Cour, alléguant notamment que sa condamnation à perpétuité enfreignait les articles 6 et 7 de la Convention. Par un arrêt du 17 septembre 2009, la Grande Chambre de la Cour conclut à la violation de ces dispositions (voir Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009). Sur le terrain de l’article 46 de la Convention, elle s’exprima ainsi : « eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et au besoin urgent de mettre fin à la violation des articles 6 et 7 de la Convention, la Cour estime donc qu’il incombe à l’Etat défendeur d’assurer que la réclusion criminelle à perpétuité infligée au requérant soit remplacée par une peine conforme aux principes énoncés dans le présent arrêt, à savoir une peine n’excédant pas trente ans d’emprisonnement » (Scoppola no 2 précité, § 154). Donnant suite à cette décision par un arrêt déposé au greffe le 28 avril 2010, la Cour de cassation rabattit son arrêt du 20 janvier 2003 (paragraphe 20 ci-dessus), annula l’arrêt rendu par la cour d’assises d’appel de Rome le 10 janvier 2002 (paragraphe 19 ci-dessus) pour autant qu’il concernait la peine applicable et fixa la peine du requérant à trente ans de réclusion. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. L’interdiction du droit de vote En droit italien, l’interdiction d’exercer des fonctions publiques (article 28 du CP), qui emporte déchéance du droit de vote (D.P.R. no 223/1967), est une peine accessoire qui accompagne les peines – quelle qu’en soit la durée – infligées pour certaines infractions bien précises, telles que le péculat, la malversation, la concussion et l’agiotage (délits punis par les articles 314, 316 bis, 317 et 501 du CP respectivement), pour des atteintes à l’administration de la justice – telles que le faux serment d’une partie, la fausse expertise, la fausse traduction, l’entrave à la justice et l’assistance déloyale (délits punis par les articles 371, 373, 377 et 380 du CP respectivement), et pour des infractions liées à un abus ou à un détournement de pouvoirs de puissance publique (article 31 du CP). En outre, toute condamnation pour une infraction punie d’une peine privative de liberté est assortie de l’interdiction d’exercer des fonctions publiques. Celle-ci est temporaire lorsque la peine infligée est d’une durée non inférieure à trois ans, ou définitive lorsque la peine est d’une durée non inférieure à cinq ans ainsi qu’en cas de condamnation à la réclusion à perpétuité. Les dispositions pertinentes du droit interne sont exposées ci-après. Les passages pertinents du D.P.R. no 223/1967 (portant approbation du texte unique des lois pour l’organisation de l’électorat actif et pour la tenue et la révision des listes électorales) se lisent comme suit : Article 2 « 1. Ne peuvent voter : (...) d) les personnes condamnées à une peine emportant interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques (...). e) les personnes frappées par une interdiction temporaire d’exercer des fonctions publiques, pour la durée de celle-ci. Les jugements au pénal n’emportent perte du droit électoral qu’à partir du moment où ils ont acquis force de chose jugée. » Article 32 « 1. Aucune modification ne peut être apportée aux listes électorales (...) sauf dans le cas [suivants] : (...). 3) perte du droit électoral en vertu d’un jugement ou d’autres mesures émanant d’une autorité judiciaire. (...). 7) Les décisions de modification des listes électorales sont susceptibles de recours devant la commission électorale compétente dans un délai de dix jours. La commission statue dans un délai de quinze jours (...). » Article 42 « Les décisions de la commission électorale (...) sont susceptibles de recours devant la cour d’appel compétente. » Les dispositions pertinentes du CP sont ainsi libellées : Article 28 (Interdiction d’exercer des fonctions publiques) « L’interdiction d’exercer des fonctions publiques est définitive ou temporaire. A moins que la loi n’en dispose autrement, l’interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques entraîne la déchéance, pour la personne condamnée : 1) du droit de vote et d’éligibilité dans tout groupe électoral (comizio elettorale) ainsi que de tout autre droit politique. (...). » Article 29 (Cas dans lesquels une condamnation emporte interdiction d’exercer des fonctions publiques) « La condamnation à une peine de réclusion à perpétuité et la condamnation à une peine de réclusion d’une durée non inférieure à cinq ans emportent, pour la personne condamnée, interdiction définitive d’exercer des fonctions publiques ; la condamnation à une peine de réclusion d’une durée non inférieure à trois ans emporte interdiction d’exercer des fonctions publiques pour une durée de cinq ans (...). » B. Dispositions applicables à la fixation de la peine Les articles 132 et 133 du CP contiennent des dispositions visant à guider le juge du fond dans l’exercice de son pouvoir de fixation de la peine. Ils se lisent comme suit : Article 132 (Pouvoir discrétionnaire du juge dans la fixation de la peine: limites) « Dans les limites fixées par la loi, le juge fixe la peine de façon discrétionnaire. Il doit indiquer les motifs propres à justifier l’usage dudit pouvoir discrétionnaire. Il peut augmenter ou réduire la peine établie par la loi sans toutefois pouvoir excéder les limites établies par elle pour chaque catégorie de peine, sauf dans les cas expressément prévus par la loi. » Article 133 (Gravité de l’infraction : évaluation des effets de la peine) « Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire mentionné à l’article précédent, le juge doit tenir compte de la gravité de l’infraction selon : 1) la nature, le type, les moyens, l’objet, le temps, le lieu et toute autre modalité de l’acte délictueux ; 2) la gravité du préjudice ou du danger causé à la victime de l’infraction ; 3) l’intensité de l’élément intentionnel ou le degré de culpabilité. Le juge doit également tenir compte de l’aptitude à commettre un crime (capacità a delinquere) de l’auteur de l’infraction eu égard : 1) aux mobiles de l’infraction (motivi a delinquere) et à l’intention de l’auteur de celle-ci (reo) ; 2) aux antécédents pénaux et judiciaires et, en général, à la conduite et à la vie de l’auteur de l’infraction avant la commission de celle-ci ; 3) à la conduite de l’auteur de l’infraction pendant et après la commission de celle-ci; 4) aux conditions de vie personnelle, familiale et sociale de l’auteur de l’infraction. » C. La réhabilitation du condamné Les articles 178 et 179 du CP contiennent des dispositions en matière de réhabilitation de la personne condamnée. Leurs passages pertinents se lisent comme suit : Article 178 (La réhabilitation) « La réhabilitation met fin aux peines accessoires et à tout autre effet pénal de la condamnation, sauf si la loi en dispose autrement. » Article 179 (Conditions de la réhabilitation) « La réhabilitation peut être accordée trois ans après le jour où la peine principale a été exécutée ou s’est autrement éteinte et lorsque la personne qui a été condamnée a fait preuve d’une bonne conduite effective et constante. (...). » D. La loi no 354 de 1975 La loi no 354 du 26 juillet 1975 prévoit, entre autres, la possibilité d’une libération anticipée des condamnés. Dans ses parties pertinentes, son article 54 § 1 se lit comme suit : « En vue d’une meilleure réinsertion dans la société, la personne condamnée à une peine de réclusion ayant fait preuve de participation au projet de réadaptation peut bénéficier d’une réduction de peine de quarante-cinq jours pour chaque semestre de peine purgée (...). » III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX ET EUROPÉENS PERTINENTS A. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (adopté par l’Assemblée Générale des Nations unies le 16 décembre 1966) Les dispositions pertinentes du Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont ainsi libellées : Article 10 « 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. (...) Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. (...). » Article 25 « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 [race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou autre, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation] et sans restrictions déraisonnables : a) de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; b) de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs; c) d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. » B. Comité des droits de l’homme des Nations unies Dans son observation générale no 25 (1996) sur l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le comité s’est exprimé ainsi : « 14. Dans leurs rapports, les Etats parties devraient préciser les motifs de privation du droit de vote et les expliquer. Ces motifs devraient être objectifs et raisonnables. Si le fait d’avoir été condamné pour une infraction est un motif de privation du droit de vote, la période pendant laquelle l’interdiction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence. Les personnes privées de leur liberté qui n’ont pas été condamnées ne devraient pas être déchues du droit de vote. » Dans l’affaire Yevdokimov et Rezanov c. Fédération de Russie (communication no 1410/2005, du 21 mars 2011), le comité, se référant à l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Hirst (no2) [GC] (précité), a déclaré ce qui suit : « (...) l’Etat partie, dont la législation prévoit que toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement est automatiquement privée du droit de vote, n’a avancé aucun argument montrant qu’en l’espèce les restrictions présentaient le caractère raisonnable qu’exige le Pacte. Compte tenu des faits de l’espèce, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 25 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte (...) ». C. Convention américaine relative aux droits de l’homme du 22 novembre 1969 L’article 23 de la Convention américaine, intitulé « droits politiques », se lit ainsi : « 1. Tous les citoyens doivent jouir des droits et facultés ci-après énumérés : a. de participer à la direction des affaires publiques, directement ou par l’intermédiaire de représentants librement élus; b. d’élire et d’être élus dans le cadre de consultations périodiques authentiques, tenues au suffrage universel et égal, et par scrutin secret garantissant la libre expression de la volonté des électeurs, et c. d’accéder, à égalité de conditions générales, aux fonctions publiques de leur pays. La loi peut réglementer l’exercice des droits et facultés mentionnés au paragraphe précédent, et ce exclusivement pour des motifs d’âge, de nationalité, de résidence, de langue, de capacité de lire et d’écrire, de capacité civile ou mentale, ou dans le cas d’une condamnation au criminel prononcée par un juge compétent. » D. Code de bonne conduite en matière électorale (Commission de Venise) Ce document, adopté par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« la Commission de Venise ») lors de sa 51e session plénière (5-6 juillet 2002) et soumis à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 6 novembre 2002, contient les lignes directrices élaborées par la Commission sur les circonstances dans lesquelles il peut y avoir privation du droit de vote ou d’éligibilité. Ses passages pertinents se lisent comme suit : « i. une exclusion du droit de vote et de l’éligibilité peut être prévue, mais elle est soumise aux conditions cumulatives suivantes : ii. elle doit être prévue par la loi ; iii. elle doit respecter le principe de la proportionnalité ; l’exclusion de l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droit de vote ; iv. elle doit être motivée par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou des condamnations pénales pour des délits graves ; v. en outre, l’exclusion des droits politiques ou l’interdiction pour motifs liés à la santé mentale doivent être prononcées par un tribunal dans une décision spécifique. » IV. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ A. Le cadre législatif dans les Etats contractants Sur les quarante-trois Etats contractants ayant fait l’objet d’une étude de droit comparé, dix-neuf n’appliquent aucune restriction au droit de vote des détenus (Albanie, Azerbaïdjan, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Lettonie, Lituanie, ex-République yougoslave de Macédoine, Moldova, Monténégro, République tchèque, Serbie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine). Sept Etats prévoient la suppression automatique du droit de vote pour tous les détenus condamnés qui purgent une peine de prison (Arménie, Bulgarie, Estonie, Géorgie, Hongrie, Royaume-Uni et Russie). Les seize Etats restants (Allemagne, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, France, Grèce, Luxembourg, Malte, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Saint-Marin, Slovaquie et Turquie) forment une catégorie intermédiaire dans laquelle la privation du droit de vote est appliquée en fonction du type d’infraction et/ou à partir d’un certain seuil de gravité de la peine privative de liberté (lié à sa durée). La législation italienne en la matière se rapproche des systèmes de ce groupe de pays. Dans certains Etats appartenant à cette dernière catégorie (Allemagne, Autriche, Belgique, France, Grèce, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie et Saint-Marin), l’application de l’interdiction du droit de vote au condamné relève du pouvoir d’appréciation du juge pénal. En Grèce et au Luxembourg, la déchéance du droit de vote s’applique de plein droit pour les infractions particulièrement graves. B. Autres éléments jurisprudentiels pertinents Canada En 1992, la Cour suprême du Canada avait annulé à l’unanimité une disposition législative interdisant à tous les détenus de voter (Sauvé c. Canada (no 1), Recueil de la Cour suprême, 1992, vol. 2, p. 438). Des amendements furent introduits pour limiter l’interdiction aux détenus purgeant une peine de deux ans ou plus. La Cour d’appel fédérale confirma cette disposition. Toutefois, la Cour suprême a dit le 31 octobre 2002 dans l’affaire Sauvé c. le procureur général du Canada (no 2), par cinq voix contre quatre, que l’alinéa 51 e) de la loi électorale du Canada de 1985, qui prive du droit de vote toute personne détenue dans un établissement correctionnel pour y purger une peine de deux ans ou plus, était inconstitutionnel, car contraire aux articles 1 et 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, aux termes desquels : « 1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. » « 3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. » Selon la juge en chef Beverley McLachlin, qui s’exprimait au nom de la majorité, le droit de vote est un droit fondamental pour la démocratie canadienne et la prééminence du droit, et il ne peut être écarté à la légère. Les restrictions à ce droit exigent non pas une retenue judiciaire, mais un examen approfondi. La majorité a estimé que le gouvernement n’avait pas réussi à cerner les problèmes spécifiques nécessitant la privation du droit de vote et que cette mesure ne répondait pas au critère de la proportionnalité, en particulier parce que le gouvernement n’était pas parvenu à établir un lien rationnel entre la privation du droit de vote et les objectifs poursuivis par la mesure, à savoir, accroître le sens civique et le respect de l’Etat de droit et infliger une sanction appropriée. Selon l’opinion de la minorité, exprimée par le juge Gonthier, les objectifs de la mesure étaient urgents et réels et se fondaient sur une philosophie sociale ou politique à la fois raisonnable et rationnelle (pour plus de détails sur ces opinions, notamment en ce qui concerne les objectifs poursuivis par la mesure litigieuse, voir Hirst (no 2) [GC] précité, §§ 36-37). Afrique du Sud a) L’affaire August and Another v. Electoral Commission and Others (CCT8/99:1999 (3) SA 1) Le 1er avril 1999, la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a examiné la demande que des détenus avaient présentée pour obtenir une déclaration et une ordonnance contraignant la Commission électorale à prendre des mesures qui leur permettent, ainsi qu’à d’autres détenus, de s’inscrire sur les listes électorales et de voter pendant leur séjour en prison. Elle a relevé que dans la Constitution sud-africaine le droit de tout citoyen adulte de participer aux élections législatives était énoncé de manière absolue et elle a souligné l’importance de ce droit : « L’universalité du droit de vote est importante non pas seulement pour la nation et la démocratie. Le fait que tous les citoyens sans exception jouissent du droit de vote est une marque de reconnaissance de la dignité et de l’importance de la personne. Au sens littéral, cela signifie que chacun compte. » La Cour constitutionnelle a jugé que, par sa nature même, le droit de vote entraînait des obligations positives pour les pouvoirs législatif et exécutif et que la loi électorale devait être interprétée de manière à donner effet aux déclarations, garanties et responsabilités constitutionnelles. Elle a relevé que beaucoup de sociétés démocratiques limitaient le droit de vote de certaines catégories de détenus. Bien que la Constitution ne renferme aucune disposition de ce genre, elle a reconnu qu’il était possible d’instaurer des restrictions à l’exercice des droits fondamentaux, à condition que celles-ci soient notamment raisonnables et justifiables. La question de savoir si la législation frappant les détenus d’interdiction était justifiée au regard de la Constitution n’a pas été soulevée dans la procédure et la Cour constitutionnelle a souligné que son arrêt ne devait pas être interprété comme empêchant le Parlement de priver certaines catégories de détenus du droit de vote. En l’absence d’une telle législation, les détenus disposaient du droit constitutionnel de voter et ni la commission électorale ni elle-même n’avaient le pouvoir de les en priver. Elle a conclu que la Commission était tenue de prendre des mesures raisonnables afin de permettre aux détenus de voter. b) L’affaire Minister of Home Affairs v. National Institute for Crime Prevention and the Reintegration of Offenders (NICRO) (no 3/04 du 3 mars 2004) La Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a été saisie de la question de savoir si l’amendement de 2003 à la loi électorale prévoyant la suppression du droit de vote des personnes détenues condamnées à une peine de prison ferme sans possibilité de s’acquitter d’une amende en contrepartie de leur remise en liberté (person serving a sentence of imprisonment without the option of a fine) était compatible avec la Constitution. Par neuf voix contre deux, la Cour constitutionnelle a conclu à l’inconstitutionnalité de la mesure en question et a ordonné à la commission électorale de prendre les mesures nécessaires afin de permettre aux détenus de voter aux élections. L’un des juges majoritaires, le juge Chaskalson, a estimé que dans des affaires de ce genre, où était en cause une interdiction de voter dont l’objectif n’allait pas de soi et qui était imposée par le gouvernement à un groupe de citoyens, il était nécessaire de fournir à la Cour constitutionnelle des informations suffisantes afin qu’elle comprenne quel était le but de ladite interdiction. Il a ajouté que, lorsque le gouvernement invoquait des considérations d’ordre politique (policy considerations), la Cour devait être suffisamment informée pour pouvoir examiner et évaluer la politique en question (points nos 65 et 67 de l’arrêt). Il a également relevé qu’il s’agissait d’une interdiction absolue (blanket exclusion) frappant toute personne condamnée à une peine de prison ferme, et qu’aucune information concernant la gravité de l’infraction, les personnes pouvant faire l’objet d’une telle mesure et le nombre de celles qui pouvaient être déchues de leur droit de vote pour des infractions mineures n’avait été donnée à la Cour. L’un des juges minoritaires, le juge Madala, a considéré que la déchéance temporaire du droit de vote et le rétablissement de celui-ci après la remise en liberté répondaient à l’objectif du gouvernement de ménager un juste équilibre entre la jouissance des droits individuels et le respect des valeurs primordiales de la société, tout particulièrement dans un pays au taux de criminalité très élevé tel que l’Afrique du Sud (points nos 116 et 117 de l’arrêt). Australie La High Court d’Australie a annulé par quatre voix contre deux l’interdiction générale du droit de vote qui avait remplacé l’interdiction prévue par la législation antérieure, laquelle ne s’appliquait qu’aux condamnations d’une durée égale ou supérieure à trois ans (voir Roach v. Electoral Commissioner [2007] HCA 43 (26 septembre 2007)). Pour se prononcer ainsi, la High Court a relevé notamment que l’ancienne législation tenait compte de la gravité de l’infraction commise en tant qu’indice de la culpabilité et de l’incapacité temporaire de la personne condamnée à participer au processus électoral, au-delà du simple fait de son emprisonnement (point no 98 de l’arrêt).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1925 et réside à Benevento. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par la requérante, peuvent se résumer comme suit. La requérante était propriétaire d’un terrain agricole sis à Bénévent et enregistré au cadastre, feuille 16, parcelles 52, 53, 79, 225 et 227. Par un arrêté du 11 mars 1988, le ministère des Travaux publics approuva le projet de construction d’une route sur une partie du terrain de la requérante. Par un arrêté du 9 juin 1993, le préfet de Bénévent autorisa l’Institut national des routes (ANAS) à occuper d’urgence 2 174 mètres carrés de terrain pour une période maximale de cinq ans en vue de son expropriation pour cause d’utilité publique. Le 21 juillet 1993, l’ANAS procéda à l’occupation matérielle du terrain. Par un acte d’assignation notifié le 3 février 1997, la requérante introduisit une action en dommages-intérêts à l’encontre de l’ANAS devant le tribunal de Bénévent. Elle alléguait que son terrain avait été de fait irréversiblement transformé sans qu’un décret d’expropriation et une indemnisation n’interviennent. Le 5 mai 1999, une expertise fut déposée au greffe du tribunal. Selon l’expert, la valeur vénale du terrain pouvait être estimée entre 20 000 ITL et 30 000 ITL le mètre carré, à savoir entre 10, 33 EUR et 15, 49 EUR le mètre carré. Par un jugement déposé au greffe le 17 décembre 2002, le tribunal de Bénévent constata que l’occupation était devenue sans titre à compter du 21 juillet 1998 et qu’à cette époque, le terrain était irréversiblement transformé. De ce fait, le tribunal déclara que la requérante devait être considérée comme privée de son terrain à compter du 21 juillet 1998, en vertu du principe de l’expropriation indirecte. Le tribunal condamna l’ANAS à payer à la requérante un dédommagement correspondant à la valeur vénale du terrain, à savoir 23 240,56 EUR, à indexer à partir du 21 juillet 1998. Il condamna, en outre, l’ANAS à verser à la requérante 12 394,97 EUR, à titre d’indemnité d’occupation. Ce jugement du tribunal de Bénévent devint définitif le 31 janvier 2004. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1948 et réside à Krasnodar. A. Action en recouvrement d’avoirs contre la banque Le 15 avril 1994, le requérant déposa de l’argent sur un compte d’épargne ouvert à la banque commerciale Yurak (« la banque »). Après l’annonce par cette dernière de la modification du taux d’intérêt, il demanda en août 1994 la fermeture de son compte, mais la banque lui fit savoir que, faute de fonds suffisants, elle était dans l’incapacité de lui restituer le montant initial de son dépôt et de lui payer les intérêts dus. Il assigna la banque en justice, demandant le recouvrement du montant initial du dépôt, augmenté des intérêts, ainsi que le versement de pénalités de retard et d’une indemnité pour dommages matériel et moral. Le 20 février 1995, le tribunal du district Oktyabrskiy de la ville de Krasnodar (« le tribunal de district ») fit partiellement droit à ces demandes et condamna la banque à verser au requérant 10 156 roubles russes (RUB), somme englobant le montant du dépôt, les intérêts, une indemnité pour dommage moral et des pénalités. Le 21 mars 1995, cette décision fut confirmée en dernier ressort et devint définitive. Par un jugement du 5 avril 1996, le tribunal de district recalcula ladite somme en prenant en compte le taux d’inflation, ce qui la porta à 17 983 RUB. Entre-temps, le 16 juin 1995, à la demande de la Banque centrale russe et de la Banque d’épargne russe, le tribunal de commerce de la région de Krasnodar (« le tribunal régional de commerce ») avait déclaré la banque insolvable. Le 19 juillet 1995, il ouvrit une procédure de faillite visant cette dernière et désigna un liquidateur pour contrôler l’administration de la banque dans ce cadre. B. Distribution du produit de la vente des actifs de la banque Le 11 janvier 1996, le tribunal régional de commerce homologua le bilan provisoire de liquidation fondé sur l’état de trésorerie de la banque au 28 décembre 1995. A la suite de la vente des actifs de l’établissement, 2 305 000 RUB avaient été versés sur le compte de celui-ci. Selon le Gouvernement, la banque comptait 7 567 créanciers de premier rang, dont les créances s’élevaient à 24 875 000 roubles. En vertu de la loi définissant l’ordre de distribution des actifs des personnes morales insolvables, le requérant faisait partie des créanciers de premier rang, qui devaient être désintéressés avant les autres. Or, le 18 janvier et le 13 mars 1996, l’organe représentatif des créanciers de la banque créa un groupe spécial de créanciers, dits « privilégiés », parmi les créanciers de premier rang. En faisaient partie les handicapés, les anciens combattants, les indigents et les personnes ayant prêté un concours actif au liquidateur dans la procédure de faillite. Les créanciers « privilégiés » devaient être désintéressés en intégralité avant les autres créanciers de même rang (le premier). De ce fait, la quasi-totalité des fonds recueillis au cours de la procédure de liquidation servit à payer ces créanciers « privilégiés », auxquels le liquidateur remboursa en totalité les montants qui leur étaient dus. Le 6 avril 1998, le requérant reçut 140 RUB, soit moins de 1 % de la somme de 17 983 RUB que la banque lui devait en vertu du jugement de 1996. C. Première action formée contre le liquidateur Le 22 avril 1998, le requérant contesta devant le tribunal régional de commerce le remboursement intégral des autres créanciers alors que luimême avait reçu moins de 1 % de la somme qui lui était due. Invoquant les articles 15 et 30 de la loi de 1992 sur l’insolvabilité des sociétés (« la loi de 1992 »), il soutenait qu’il était du même rang que les créanciers « privilégiés » et que les actifs de la banque auraient dû être répartis également. Il demanda le remboursement du reliquat de sa créance conformément au principe de la répartition proportionnelle des actifs de la banque entre créanciers de même rang. Le 6 juillet 1998, le requérant fut débouté en première instance. Dans un jugement du 26 août 1998 infirmant celui de première instance, le tribunal régional de commerce considéra que, en décidant de désintéresser intégralement certaines catégories de créanciers, l’organe représentatif des créanciers avait outrepassé les limites des pouvoirs que lui conférait l’article 23 de la loi de 1992 et que, en exécutant cette décision et en répartissant les actifs selon les modalités qu’elle prévoyait, le liquidateur avait quant à lui méconnu les exigences des articles 15 et 30 de ce même texte. Soulignant que l’article 30 de cette loi ne se prêtait pas à une interprétation extensive, le tribunal régional de commerce enjoignit au liquidateur de remédier dans un délai d’un mois aux irrégularités constatées et de l’informer des mesures prises à cet égard. Le liquidateur se pourvut en cassation devant le tribunal fédéral de commerce du Caucase du Nord. Il soutenait qu’il avait distribué les actifs conformément à la décision de l’organe représentatif des créanciers, que cette opération s’était déroulée dans le respect de l’article 64 du code civil et qu’il n’avait donc pas méconnu les exigences de l’article 30 de la loi de 1992. Le 12 novembre 1998, son pourvoi fut rejeté. Confirmant le jugement du 26 août 1998, la juridiction de cassation conclut que le liquidateur n’aurait pas dû exécuter une décision prise par l’organe représentatif des créanciers en violation de la loi. Il apparaît que l’exécution du jugement du 26 août 1998 (confirmé en dernier ressort le 12 novembre 1998) et, en particulier, le versement au requérant des sommes dues, se révélèrent impossibles, la banque n’ayant plus d’actifs. D. Seconde action formée contre le liquidateur L’inexécution du jugement du 26 août 1998 conduisit le requérant à déposer le 2 septembre 1998 devant le tribunal régional de commerce un recours qu’il compléta le 27 janvier 1999. Il demandait que le liquidateur lui versât sur ses propres deniers le reliquat de sa créance de 17 983 RUB constatée en 1995, majoré d’intérêts, ainsi qu’une indemnité pour dommage moral et perte de temps, soit un montant total de 22 844 RUB. Par une décision du 4 février 1999 statuant sur les demandes cidessus dans le cadre de la procédure de faillite ouverte contre la banque et examinant par la même occasion le bilan de la banque produit par le liquidateur, le tribunal régional de commerce débouta le requérant. Un représentant de la banque centrale de Russie avait assisté à l’audience. Le tribunal régional de commerce estima que, le tribunal de district ayant déjà, dans ses jugements du 20 février 1995 et du 5 avril 1996, alloué au requérant une somme de 17 983 RUB, englobant le montant de sa créance ainsi qu’une indemnité et des pénalités, il ne pouvait se prononcer de nouveau sur les mêmes demandes. Il établit en outre que le requérant portait le numéro 519 sur la liste des créanciers et que, au titre de son dépôt initial, la banque lui devait un reliquat de 8 813 RUB. Il observa que cette somme pouvait être versée à l’intéressé selon les modalités prévues à l’article 64 du code civil. Il refusa également l’octroi de dommages-intérêts pour perte de temps au motif que la législation applicable ne prévoyait pas ce chef d’indemnisation. Il considéra par ailleurs que le requérant n’était pas parvenu à « prouver que ses pertes [eussent] été causées par le fait du liquidateur ». Le 31 mars 1999, le tribunal régional de commerce, statuant en appel, confirma la décision du 4 février 1999. Il estima tout d’abord que les demandes formulées par le requérant contre le liquidateur étaient des « prétentions indépendantes, examinées par le juge de première instance (...) et rejetées à juste titre ». Il s’exprima comme suit : « La loi en vigueur prévoit le paiement des seules créances nées lors de la période d’activité de la banque, et non de celles nées lors de la procédure de faillite (...) Lorsqu’une banque est déclarée insolvable, ses dettes sont réputées exigibles, mais les actifs réalisés lors de la procédure de faillite doivent être répartis pour rembourser les créances nées antérieurement à cette procédure. En outre, [le requérant] s’est déjà vu reconnaître le droit de recouvrer auprès de la banque [la somme initialement accordée par le juge] ; en conséquence, satisfaire les demandes qu’il formule [contre le liquidateur] reviendrait à lui verser de nouveau le même montant, cette fois sous la forme de dommages-intérêts, ce qui n’est pas justifié. [Dans la décision de justice initiale, le requérant] s’était également vu octroyer une somme pour dommage moral ; or, au vu de ce qui précède, pareille indemnisation ne peut être accordée pour une nouvelle période. Aucune règle de droit civil en vigueur ne prévoit de dommages-intérêts pour perte de temps. La juridiction d’appel tient également compte du fait que le défaut de paiement des sommes [dues au requérant] a pour cause l’absence [de fonds] (...), la banque n’ayant pas dégagé de nouveaux actifs après le prononcé du jugement d’appel du 26 août 1998 (...), comme le montre à l’évidence le rapport communiqué par le liquidateur sur les travaux du comité de liquidation et les pièces qui y sont jointes. » Le requérant forma contre ce jugement un pourvoi en cassation, que le tribunal fédéral de commerce du Caucase du Nord rejeta le 9 juin 1999 pour les motifs suivants : « Bien qu’effectivement contraires au principe du règlement proportionnel des créanciers de même rang, la décision de l’organe représentatif des créanciers et l’action du liquidateur (...) n’ont pas causé [au requérant] le préjudice allégué, la satisfaction en intégralité de l’ensemble des créanciers de premier rang n’étant pas possible faute d’actifs disponibles en suffisance. La somme remboursée [au requérant] a donc été calculée proportionnellement au montant de sa créance et à la masse financière dégagée lors de la liquidation. Sachant que la procédure de faillite était en cours au moment de l’examen du litige, c’est à juste titre que les juges de première instance et d’appel ont évoqué la possibilité pour [le requérant] de recevoir sur la base de l’article 64 du code civil de la Fédération de Russie le reliquat de la créance qui lui était due. Les demandes d’indemnisation pour dommage moral et perte de temps ont été rejetées à juste titre pour les motifs exposés dans les décisions judiciaires antérieures. Au vu de ce qui précède, [la juridiction de cassation] conclut que le rejet des demandes [du requérant] par les juges de première instance et d’appel était fondé. Rien ne permet d’infirmer ou de réformer les décisions antérieures. » Le 17 juin 1999, le tribunal régional de commerce homologua le bilan de liquidation présenté par le liquidateur et approuvé par l’organe représentatif des créanciers, et prononça la clôture de la procédure de faillite pour insuffisance d’actifs. Le requérant ne chercha pas à formuler de nouvelles réclamations contre le liquidateur. E. Procédures de supervision Après la communication de la requête au Gouvernement, le président du Tribunal supérieur de commerce de la Fédération de Russie forma, le 31 janvier 2001, un recours en supervision (protest) contre les jugements des 4 février, 31 mars et 9 juin 1999, soutenant qu’elles avaient été rendues au mépris de l’article 22 du code de procédure commerciale, qui définissait la compétence des tribunaux de commerce. Il estimait notamment que les demandes formulées par le requérant contre le liquidateur dans le cadre de la procédure de faillite ouverte contre la banque avaient été examinées en violation de la loi de 1992, le texte qui régissait à l’époque ce type de procédure. Il ajoutait que, s’inscrivant dans un litige qui opposait l’intéressé au liquidateur, ces demandes étaient sans rapport avec la procédure de faillite elle-même et que le requérant aurait dû en saisir une juridiction de droit commun. Pour ces motifs, il demandait l’annulation des décisions en cause et la clôture de l’instance concernant ces demandes. Par une décision du 17 avril 2001, le Présidium du Tribunal supérieur de commerce jugea fondés les moyens soulevés dans le recours en supervision et donna gain de cause au demandeur sur tous les points. Il conclut que les tribunaux de commerce étaient incompétents pour connaître de l’action en responsabilité dirigée contre le liquidateur à titre personnel, annula la décision rendue en 1999 et prononça la clôture de l’instance. Le 1er juin 2001, le requérant saisit le même Présidium d’une demande en supervision de la décision du 17 avril 2001. Le 4 juillet 2001, le vice-président du Tribunal supérieur de commerce rejeta cette demande pour défaut de fondement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX ET INTERNES PERTINENTS A. L’attribution de la responsabilité internationale de l’Etat Le projet d’articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, adopté par la Commission du droit international (« la CDI ») en 2001 (Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie), ainsi que les commentaires y afférents, ont codifié les principes dégagés par le droit international moderne concernant la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite. Dans ses commentaires, la CDI dit notamment ceci (voir le paragraphe 6 du commentaire relatif au chapitre II) : « Le droit interne et la pratique de chaque État jouent un rôle décisif dans la détermination de ce qui constitue un organe de l’État. La structure de l’État et les fonctions de ses organes ne sont pas, en règle générale, régies par le droit international. Il appartient à chaque État de décider de la structure de son appareil administratif et des fonctions qui doivent être assumées par les pouvoirs publics. Mais s’il est vrai que l’État demeure libre de déterminer sa structure et ses fonctions internes selon ses lois et sa pratique, le droit international joue un rôle distinct. Par exemple, le comportement de certaines institutions assumant des fonctions publiques et exerçant des prérogatives de puissance publique (comme la police) est attribué à l’État même si, en droit interne, elles sont réputées être autonomes et indépendantes du pouvoir exécutif (...) » Dans ce même commentaire, la CDI décrit ainsi le phénomène dit des « entités paraétatiques » (paragraphe 3 du commentaire relatif à l’article 5) : « Le fait qu’une entité puisse être qualifiée de publique ou de privée d’après les critères d’un système juridique donné, le fait que l’État détienne une part plus ou moins grande de son capital ou, de manière plus générale, de ses actifs, et le fait qu’elle soit ou non soumise au contrôle du pouvoir exécutif ne sont pas des critères décisifs pour déterminer si le comportement de cette entité peut être attribué à l’État. L’article 5 renvoie par contre à la vraie caractéristique commune de ces entités, à savoir qu’elles sont habilitées, même dans une mesure limitée ou dans un domaine spécifique, à exercer certaines prérogatives de puissance publique. » Comme la CDI le reconnaît également au paragraphe 6 du commentaire relatif à l’article 5 : « (...) [p]assé un certain point, ce qui est considéré comme «public» relève de chaque société, de son histoire et de ses traditions. Particulièrement importants seront non seulement le contenu des prérogatives, mais aussi la manière dont elles sont conférées à une entité, les fins auxquelles elles vont être exercées et la mesure dans laquelle l’entité doit rendre compte de leur exercice à l’Etat. (...) » B. La procédure de faillite en Russie Le code civil de 1994 Conformément à l’article 63 du code civil, après l’expiration du délai imparti aux créanciers pour déposer leurs demandes de recouvrement, le comité de liquidation établit un bilan provisoire de liquidation où sont exposées des informations sur le patrimoine de la société en faillite, les demandes de recouvrement présentées par les créanciers et les conclusions de l’examen de ces demandes. Ce bilan doit être approuvé par l’organe qui a ordonné la liquidation de la société. Si la masse pécuniaire dont cette dernière dispose n’est pas suffisante pour satisfaire les demandes des créanciers, le comité de liquidation procède à la vente par adjudication du patrimoine de la société. La répartition du produit de cette vente entre les créanciers peut commencer conformément au bilan provisoire une fois celui-ci approuvé, sauf pour les créanciers de cinquième rang, qui ne peuvent être désintéressés qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à partir de la date d’approbation du bilan. Une fois toutes les opérations de paiement accomplies, le bilan définitif de liquidation est dressé et approuvé selon les mêmes modalités. En cas d’insuffisance d’actifs, les créanciers non remboursés peuvent demander aux tribunaux d’enjoindre au propriétaire de la société de les désintéresser sur ses propres deniers. L’article 64 du code civil, tel qu’en vigueur avant le 20 février 1996, distinguait cinq catégories de créanciers, chacune ne devant être désintéressée qu’après la catégorie de rang précédent. Selon ce classement, le requérant relevait de la cinquième catégorie, dite des « autres créanciers ». L’article 64 ne faisait nulle mention d’une catégorie de créanciers comprenant les retraités, les anciens combattants, les indigents ou les personnes ayant aidé le liquidateur dans la procédure de faillite. Un nouvel alinéa inséré dans cet article le 20 février 1996 prévoit que, lorsque l’on procède à la liquidation d’une banque ou d’un autre établissement de crédit, les particuliers y ayant déposé de l’argent doivent être remboursés en premier lieu. L’article 64 précise en outre qu’en cas d’insuffisance d’actifs de la personne morale en liquidation, les actifs disponibles doivent être répartis entre les créanciers de même rang au prorata du montant de leurs créances respectives. La loi du 19 novembre 1992 relative à l’insolvabilité des sociétés (faillite), applicable aux procédures de faillite ouvertes avant le 1er mars 1998 (« la loi de 1992 ») L’article 3 §§ 1 et 2 de la loi de 1992 donnait compétence en matière de faillite aux tribunaux de commerce, qui devaient examiner ce type d’affaires selon les règles énoncées dans cette même loi et, dans les cas non prévus par elle, conformément aux dispositions du code de procédure commerciale de la Fédération de Russie. L’article 15 de la loi de 1992 prévoyait que la procédure de faillite visait à désintéresser les créanciers sur une base proportionnelle, à libérer la société en faillite de ses obligations et à protéger les parties d’actions illicites qu’elles pourraient intenter les unes contre les autres. En vertu de l’article 18 § 2, dès lors qu’une société était déclarée insolvable et qu’une procédure de faillite était ouverte à son égard, toute demande d’ordre pécuniaire ne pouvait être dirigée contre elle que dans le cadre de cette procédure. Aux termes de l’article 20, les différents participants à la procédure de faillite étaient notamment le liquidateur, l’assemblée générale des créanciers, le comité des créanciers et les créanciers. L’assemblée générale des créanciers pouvait former un comité des créanciers et en définir les attributions (article 23 § 2). La Cour emploiera l’expression « organe représentatif des créanciers » pour désigner indifféremment l’un ou l’autre de ces organes. L’organe représentatif des créanciers choisissait un candidat aux fonctions de liquidateur qu’il soumettait pour approbation au juge commercial (article 23 § 2), ce dernier procédant ensuite à la désignation du liquidateur (article 19). En vertu de l’article 21 § 1, le liquidateur prenait en charge l’administration de la société en faillite, convoquait l’assemblée des créanciers, prenait le contrôle du patrimoine de la société en faillite, analysait la situation financière de celle-ci, examinait le bien-fondé des réclamations des créanciers, acceptait ou rejetait celles-ci, supervisait la procédure de liquidation en vue de la réalisation des actifs, et formait et présidait le comité de liquidation. Conformément à l’article 21 § 2 combiné avec l’article 12 § 4, les candidats à la fonction de liquidateur devaient être économistes ou juristes ou être forts d’une expérience en gestion d’entreprise. Leur casier judiciaire devait être vierge. Ne pouvait être désigné comme liquidateur quiconque exerçait des responsabilités au sein d’une société débitrice ou créancière de la société en faillite. Les candidats devaient produire une déclaration de revenus et de patrimoine. Dans les cas prévus par cette loi, les tribunaux de commerce examinaient la légalité de tous les actes accomplis par les personnes ayant participé à la procédure de faillite (article 19). L’article 21 § 3 permettait au liquidateur de contester en justice toute décision de l’organe représentatif des créanciers qu’il estimait prise en dehors des attributions de celui-ci. En vertu de l’article 27 § 1, après l’expiration d’un délai de deux mois dans lequel les créanciers devaient présenter leurs demandes de recouvrement contre la société en faillite, le liquidateur dressait une liste des demandes admises et des demandes rejetées, faisant apparaître le montant correspondant à celles admises ainsi que le rang de priorité de chacune d’elles. Cette liste devait être adressée aux créanciers dans un délai de deux mois. L’article 30 définissait les différents rangs de priorité aux fins de la répartition du produit de la liquidation. Il n’était procédé au versement des sommes dues aux créanciers d’un rang donné qu’après le désintéressement des créanciers du rang précédent (paragraphe 3). En cas d’insuffisance des actifs réalisés pour satisfaire intégralement les créanciers d’un rang donné, ceux-ci étaient désintéressés au prorata du montant de leurs créances respectives (paragraphe 4). L’article 30 ne faisait nulle mention d’une catégorie de créanciers regroupant les handicapés, les anciens combattants, les indigents ou les personnes ayant aidé le liquidateur. Son paragraphe 1 disposait que les frais afférents à la liquidation, à la rémunération du liquidateur et à la poursuite des activités de la société débitrice étaient prioritaires par rapport aux créances du premier rang. L’article 31 permettait aux créanciers de contester devant les juridictions commerciales toute décision du liquidateur qu’ils estimaient contraire à leurs droits et intérêts légitimes. En vertu de l’article 35 § 3, les créances impayées en raison de l’insuffisance du produit de la liquidation étaient réputées éteintes. L’article 38 disposait que la société en faillite était déclarée liquidée dès sa radiation du registre national correspondant, en application de la décision du tribunal de commerce prononçant la clôture de la procédure de faillite. Les lois fédérales relatives à l’insolvabilité du 8 janvier 1998 (« la loi de 1998 ») et du 26 octobre 2002 (« la loi de 2002 ») Le 8 janvier 1998 fut adoptée une nouvelle loi sur l’insolvabilité. Elle remplaçait la loi de 1992 et était applicable aux procédures de faillite ouvertes après le 1er mars 1998. Son article 21 § 3 permettait aux créanciers de demander au liquidateur réparation de tout dommage que leur aurait causé une action ou omission illégale de sa part. L’article 114 prévoyait les mêmes principes de répartition et de proportionnalité que ceux énoncés à l’article 30 de la loi de 1992. Conformément à l’alinéa 7 de l’article 98 § 1 de cette loi, une demande de recouvrement dirigée contre la société en faillite ne pouvait être présentée que dans le cadre de la procédure de faillite (voir aussi l’article 18 § 2 de la loi de 1992). La dernière loi en date relative à l’insolvabilité, qui remplaçait la loi de 1998, a été adoptée le 26 octobre 2002. Un certain nombre de modifications y ont été apportées au cours des années suivantes. Son article 20-4 § 4 prévoit la responsabilité du liquidateur lorsque celui-ci a commis une faute professionnelle qui a causé un dommage aux créanciers et que cette faute a été constatée par un jugement définitif. L’article 20 de la loi de 2002 dispose qu’un liquidateur doit prendre une assurance professionnelle pour couvrir sa responsabilité envers les créanciers. Les articles 32 et 33 donnent compétence aux tribunaux de commerce en matière de faillite quel que soit le statut des créanciers. Aux termes de l’article 20 § 12, « tout litige relatif aux activités professionnelles du [liquidateur] (...) relève de la compétence des tribunaux de commerce ». En vertu de l’article 60, le créancier d’une société en faillite peut saisir le juge commercial de toute action ou omission du liquidateur intervenue dans le cadre de la procédure de faillite. C. Examen des litiges survenant dans le cadre de procédures de faillite Les lois de 1992 et 1998 relatives à l’insolvabilité, la loi de 1999 relative à l’insolvabilité des banques, le code de procédure commerciale de 1995 et le code de procédure civile de 1964 Depuis les années 1990, le système judiciaire russe comporte trois ordres de juridiction : les tribunaux de droit commun, les tribunaux de commerce et les tribunaux constitutionnels. L’article 25 § 1 du code de procédure civile de 1964 (en vigueur au moment des faits) donnait compétence au juge de droit commun dans les affaires civiles où l’une des parties au moins était une personne physique (et non une personne morale telle une société). En vertu de l’article 22 § 1 du code de procédure commerciale de 1995 (no 70-FZ du 5 mai 1995, en vigueur au moment des faits), les tribunaux de commerce pouvaient trancher les « litiges pécuniaires nés de relations juridiques de nature civile, administrative ou autre (...) opposant des personnes morales (...) et des entrepreneurs individuels (...) ». L’article 22 § 3 leur donnait compétence pour connaître d’autres types d’affaires, à savoir celles concernant « l’insolvabilité (faillite) des personnes morales et des personnes physiques ». L’article 22 § 4 leur donnait aussi compétence à l’égard des personnes physiques (n’ayant pas le statut d’entrepreneur individuel) dans les cas prévus par le code lui-même ou par une autre loi fédérale. L’article 31 du code de procédure commerciale était ainsi libellé : « (...) Tout créancier s’estimant lésé dans ses droits ou dans ses intérêts légitimes par une décision du liquidateur peut former un recours (zayavlenie) devant le tribunal de commerce, qui, après examen, rend la décision qui convient ». L’article 143 de ce même code disposait que les affaires de faillite devaient être examinées par les tribunaux de commerce au regard de ses propres dispositions et des clauses spéciales de la législation sur l’insolvabilité. L’article 3 de la loi de 1992 donnait compétence aux tribunaux de commerce en matière de faillite. La loi de 1998 renfermait des dispositions similaires. Ses articles 5 et 29 prévoyaient que les affaires de faillite où le débiteur était une personne morale (et non une personne physique) relevaient de la compétence des tribunaux de commerce. L’article 55 donnait compétence à ces mêmes tribunaux pour connaître des recours formés par les créanciers s’estimant lésés dans leurs droits ou dans leurs intérêts légitimes par le liquidateur. Les articles 5, 34 et 50 de la loi de 1999 relative à l’insolvabilité des banques prévoyaient que les tribunaux de commerce étaient compétents dans les procédures de faillite bancaire ; ils comportaient également des renvois aux dispositions du code de procédure commerciale. La position de la Cour constitutionnelle Dans un arrêt du 12 mars 2001, la Cour constitutionnelle a notamment examiné certaines questions se rapportant à l’accès aux tribunaux dans les procédures de faillite. Au paragraphe 4, consacré à la constitutionnalité de l’article 18 § 2 de la loi de 1992 (article 98 § 1 combiné avec les articles 15 § 4 et 55 § 1 de la loi de 1998), elle s’est exprimée ainsi : « (...) lorsqu’ils connaissent des demandes des créanciers personnes physiques (...), les tribunaux de commerce n’ont pas compétence pour donner au liquidateur des instructions contraignantes à caractère pécuniaire qui reconnaîtraient l’existence d’une créance ou d’un droit en faveur de ces créanciers (...). Cette limitation (...) ne doit pas s’interpréter comme empêchant le juge de droit commun d’examiner au fond les demandes d’ordre pécuniaire (...) de ces créanciers (...), conformément à la législation sur l’insolvabilité. Par ailleurs, rien dans les dispositions en cause n’empêche les tribunaux de commerce de rendre des décisions garantissant pleinement aux intéressés leur droit à la protection judiciaire dans le cadre de la procédure de faillite, d’autant plus que d’autres dispositions de la loi fédérale relative à l’insolvabilité (faillite) prévoient justement le règlement des litiges par la voie judiciaire (articles 41, 44, 57, 107, 108 et suiv.). Le refus d’examen d’une demande pour incompétence opposé par un tribunal de commerce (...) ne fait pas obstacle à la saisine du juge de droit commun par le créancier aux fins de la protection de ses droits (...). Le droit à la protection judiciaire, consacré par la Constitution, doit être garanti même en l’absence de normes législatives répartissant les compétences entre les tribunaux de commerce et les juridictions de droit commun. Il découle de cette interprétation que [les dispositions en question] n’empêchent ni le juge de droit commun d’examiner les demandes en réparation d’un dommage (...) dirigées contre le liquidateur par des créanciers qui ne sont pas des personnes morales, ni les tribunaux de commerce d’assurer l’exécution, conformément à la loi fédérale précitée, des décisions rendues par le juge de droit commun. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1969 et réside à Bois-le-Duc. Dans la nuit du 9 au 10 mai 2004, un homme fut tué par balles dans un café de cette ville par M. A., supposé être le compagnon de l’intéressée, mais qui n’est pas marié avec elle. La requérante se trouvait, semble-t-il, en compagnie de M. A. au moment des faits. Selon le Gouvernement, M. A. avait été condamné pour des faits similaires en 1998, puis en 2003, année où il avait été reconnu coupable de tentative de meurtre par arme à feu. Alors qu’il purgeait la peine qui lui avait été infligée pour ce crime, M. A. se serait vu accorder une permission de sortie de fin de semaine, au cours de laquelle les coups de feu mortels auraient été tirés. Le 25 mai 2004, citée à comparaître en qualité de témoin dans le cadre d’une information judiciaire visant M. A., la requérante se présenta devant un juge d’instruction (rechter-commissaris) mais refusa de témoigner. Pour justifier ce refus, elle expliqua que, bien qu’elle n’eût pas contracté mariage ni conclu de partenariat civil enregistré (geregistreerd partnerschap) avec M. A., elle vivait avec lui depuis dix-huit ans et avait eu avec lui deux enfants qu’il avait reconnus. Compte tenu de cette relation, l’intéressée estimait pouvoir bénéficier du droit de refuser de témoigner (verschoningsrecht) que la phrase introductive et le troisième alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering – paragraphe 24 ci-dessous) accordaient aux époux et aux partenaires civils enregistrés. Le juge d’instruction considéra que la requérante ne pouvait prétendre à ce droit mais, jugeant que l’intérêt personnel de celle-ci à rester en liberté l’emportait sur les intérêts du ministère public, il rejeta la demande par laquelle celui-ci avait sollicité l’incarcération de l’intéressée pour refus d’obtempérer à un ordre de la justice (gijzeling). Le procureur fit appel de cette décision devant le tribunal d’arrondissement (rechtbank) de Bois-le-Duc. Le 2 juin 2004, le tribunal d’arrondissement siégeant en chambre du conseil (raadkamer) annula la décision rendue par le juge d’instruction le 25 mai 2004 et ordonna le placement de la requérante en détention pour refus d’obtempérer à un ordre de la justice. Il releva que l’intéressée était vraisemblablement en mesure de témoigner au sujet des faits et gestes de M. A. avant, pendant et après les coups de feu. Il observa également que, d’après la phrase introductive et le troisième alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale en vigueur depuis le 1er janvier 1998, l’(ex-)conjoint ou l’(ex-)partenaire civil enregistré d’un suspect pouvaient témoigner mais ne pouvaient y être contraints, bénéficiant autrement dit du droit de refuser de témoigner. Et le tribunal d’ajouter : « Il ressort du libellé et des travaux préparatoires de [la phrase introductive et du troisième alinéa de l’article 217] que le législateur a décidé assez récemment et sans ambiguïté de ne pas étendre le champ de [la dispense prévue par la phrase introductive et le troisième alinéa de l’article 217] à d’autres catégories de partenaires que les (ex)conjoints et les (ex-)partenaires enregistrés. [La requérante] et le suspect n’ayant apparemment pas contracté mariage ni conclu de partenariat enregistré, [l’intéressée] ne peut se prévaloir du droit de refuser de témoigner prévu par l’article 217 du code de procédure pénale. Le fait que [l’intéressée] et le suspect aient longtemps vécu ensemble selon d’autres modalités n’y change rien. Contrairement à ce que soutient l’avocat de [la requérante], les articles 8 et 14 de la Convention n’interdisent pas au législateur néerlandais de restreindre le cercle des personnes (liées à un suspect) bénéficiant du droit de refuser de témoigner. En outre, eu égard à l’ampleur des conséquences de pareille mesure, seul le législateur peut décider d’élargir ce cercle, semblable décision excédant le pouvoir de création du droit (rechtsvormende taak) reconnu au juge. » Se livrant ensuite à un exercice de mise en balance des intérêts concurrents en jeu, le tribunal releva que les faits de l’espèce concernaient l’une des infractions les plus graves réprimées par le code pénal (Wetboek van Strafrecht) et conclut que l’intérêt général à l’établissement de la vérité primait les intérêts personnels de la requérante. Il ajouta que le fait que l’intéressée et M. A. eussent vécu ensemble de la même manière que s’ils avaient contracté mariage ou conclu un partenariat enregistré était sans incidence sur l’exercice de mise en balance, précisant que le rejet d’une demande de placement en détention fondé sur cette circonstance aurait eu pour effet de reconnaître à la requérante un droit de refuser de témoigner non prévu par l’article 217 du code de procédure pénale et contraire au choix du législateur. Le même jour, à savoir le 2 juin 2004, vers 15 h 30, la requérante fut placée en détention pour refus d’obtempérer à un ordre de la justice. Le 3 juin 2004, conformément à l’article 221 du code de procédure pénale (paragraphe 26 ci-dessous), elle fut entendue en présence de son avocat par un juge d’instruction. Celui-ci rejeta la demande de mise en liberté présentée par l’avocat de la requérante et informa le tribunal d’arrondissement de sa décision dans le délai de vingt-quatre heures à compter de la mise en détention imparti par la loi. Le 4 juin 2004, le tribunal examina en chambre du conseil la question du maintien de l’intéressée en détention. A cette occasion, il entendit la requérante, qui persista dans son refus de témoigner dans le cadre de l’enquête pénale dont M. A. faisait l’objet. Il confirma sa décision rendue en chambre du conseil le 2 juin 2004, par laquelle il avait refusé à la requérante le bénéfice du droit de refuser de témoigner. Jugeant que l’intérêt du ministère public à faire témoigner l’intéressée primait les intérêts qui avaient été invoqués au nom de celle-ci, il décida de la maintenir en détention pendant douze jours, avec possibilité de prorogation. La requérante saisit la cour d’appel (gerechtshof) de Bois-le-Duc d’un recours contre cette décision. Le 15 juin 2004, le tribunal d’arrondissement examina en chambre du conseil une demande de prolongation de la détention de la requérante présentée la veille par le procureur. Après avoir entendu celui-ci ainsi que la requérante et son avocat, il ordonna la libération immédiate de l’intéressée. Il estima que l’intérêt personnel de la requérante à recouvrer la liberté l’emportait sur l’intérêt qu’il y avait à établir la vérité dans l’affaire pénale dirigée contre M. A., relevant en outre que l’incarcération de l’intéressée s’analysait en une atteinte à ses droits au titre de l’article 8 de la Convention (« mede gelet op het feit dat de vrijheidsbenemening van de getuige een inbreuk op artikel 8 van het EVRM tot gevolg heeft »). Le 24 juin 2004, la cour d’appel de Bois-le-Duc débouta la requérante de son recours (hoger beroep) et confirma la décision rendue le 4 juin 2004. Le 31 mai 2005, notant que la requérante avait été libérée le 15 juin 2004, la Cour suprême (Hoge Raad) déclara irrecevable pour défaut d’intérêt le pourvoi en cassation (cassatie) dont l’intéressée l’avait ultérieurement saisie. Elle jugea cependant utile d’examiner le premier moyen de la requérante selon lequel c’était à tort que la cour d’appel avait confirmé la décision du tribunal d’arrondissement lui ayant refusé le bénéfice de la dispense de l’obligation de témoigner prévue par la phrase introductive et le troisième alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale, ainsi que le second moyen de l’intéressée, selon lequel ce refus était contraire aux articles 8 et 14 de la Convention. Se référant au libellé de la phrase introductive et du troisième alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale tel qu’en vigueur depuis le 1er janvier 1998, la Cour de cassation rejeta le premier moyen. Quant au grief tiré des articles 8 et 14 de la Convention, elle s’exprima ainsi : « La dispense de l’obligation de témoigner prévue par la phrase introductive et le troisième alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale vise à protéger la « vie familiale » – au sens de l’article 8 de la Convention – des conjoints et des partenaires mentionnés dans cette disposition. En accordant cette dispense aux conjoints et aux partenaires enregistrés et en la refusant aux partenaires n’ayant pas le même statut – même à ceux qui, à l’instar de la demanderesse et de son compagnon, vivent ensemble depuis longtemps –, le législateur a établi une distinction entre les différentes formes de vie commune dont il est ici question. Dans ces conditions, même à supposer que cette distinction puisse passer pour un cas de traitement différencié de personnes se trouvant dans une situation identique, la différence de traitement repose sur une justification raisonnable et objective, dès lors que l’octroi aux conjoints et aux partenaires enregistrés du droit de refuser de témoigner constitue une exception à l’obligation légale de témoigner, exception qui subordonne l’intérêt d’établir la vérité aux intérêts des relations concernées, et que cette exception est délimitée de manière claire et pragmatique par des dispositions légales qui contribuent ainsi à préserver la sécurité juridique. » La décision de la Cour suprême était insusceptible de recours. II. LE droit interne et LE droit comparé pertinentS A. Le droit et la pratique internes Le droit de refuser de témoigner Contrairement aux suspects, les témoins cités dans le cadre d’une instruction pénale sont tenus de répondre aux questions qui leur sont posées dès lors qu’ils ont prêté serment. Le refus délibéré de s’acquitter de cette obligation est érigé en infraction par l’article 192 du code pénal. Toutefois, l’article 217 du code de procédure pénale confère à certains proches des suspects le droit de ne pas témoigner. L’article 217 du code de procédure pénale est ainsi libellé : « Sont dispensés de l’obligation de témoigner ou de répondre à certaines questions : les ascendants et les descendants par le sang ou par alliance d’un suspect ou d’un cosuspect ; les collatéraux [c’est-à-dire les frères et sœurs, les oncles, les tantes, les neveux et nièces, etc.] par le sang ou par alliance d’un suspect ou d’un cosuspect, jusqu’au troisième degré de parenté inclus ; le conjoint, l’ex-conjoint, le partenaire enregistré ou l’ex-partenaire enregistré d’un suspect ou d’un cosuspect. » Autrefois, le troisième alinéa de l’article 217 ne s’appliquait qu’à l’époux ou à l’ex-époux d’un suspect ou d’un cosuspect. Des modifications étendant le bénéfice de la dispense de l’obligation de témoigner au partenaire (ou à l’ex-partenaire) enregistré d’un suspect ou d’un cosuspect furent apportées à cette disposition. Elles entrèrent en vigueur le 1er janvier 1998, en même temps que la loi sur le partenariat enregistré (Wet geregistreerd partnerschap) et de la loi portant adaptation de la législation à l’introduction du partenariat enregistré dans le livre 1 du code civil (Wet tot aanpassing van wetgeving aan de invoering van het geregistreerd partnerschap in Boek 1 van het Burgerlijk Wetboek). Il ressort de l’exposé des motifs (Memorie van Toelichting) de l’article 217 du code de procédure pénale (documents parlementaires, Chambre basse du Parlement (Kamerstukken II) 1913/14, 286, no 3, p. 108) ainsi que d’un avis consultatif de l’avocat général suivi par la Cour suprême dans un arrêt rendu le 7 décembre 1999 (Numéro de jurisprudence nationale ZD1719, publié au Nederlandse Jurisprudentie (Recueil de jurisprudence néerlandaise) 2000, no 163) que la dispense de l’obligation de témoigner trouve sa raison d’être dans la protection des relations familiales. En reconnaissant à certaines personnes le droit de ne pas témoigner contre un parent, un conjoint ou un partenaire enregistré, le législateur a sanctionné l’importance sociale de ces relations et a voulu éviter aux personnes concernées le dilemme moral auquel elles seraient confrontées si elles devaient choisir entre témoigner au risque de mettre en péril leur relation avec le suspect et se parjurer afin de préserver cette relation. La procédure applicable aux témoins qui refusent de répondre aux questions qui leur sont posées au cours de l’instruction judiciaire préparatoire L’article 221 du code de procédure pénale est ainsi libellé : « 1. Si, au cours d’un interrogatoire, un témoin refuse, sans raison légitime, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de faire la déclaration, le serment ou la promesse qui lui sont demandés, le juge d’instruction ordonne, d’office ou sur réquisition du procureur ou à la demande de la défense, le placement de l’intéressé en détention pour refus d’obtempérer à un ordre de la justice si pareille mesure est requise d’urgence dans l’intérêt de l’enquête, jusqu’à ce que le tribunal d’arrondissement statue sur cette question. Le juge d’instruction notifie sa décision au tribunal d’arrondissement dans un délai de vingt-quatre heures à compter du début de la détention, à moins que le témoin n’ait été libéré avant. Le tribunal d’arrondissement se prononce dans un délai de quarante-huit heures [à compter de la notification] sur le point de savoir si le témoin doit être maintenu en détention ou libéré. » L’article 222 du même code se lit ainsi : « 1. La durée de validité de l’ordonnance de maintien en détention d’un témoin prononcée par le tribunal d’arrondissement est limitée à douze jours. Toutefois, tant que l’instruction judiciaire préparatoire (gerechtelijk vooronderzoek) se poursuit, le tribunal peut prolonger chaque fois (telkens) l’ordonnance de douze jours en douze jours sur la base des conclusions du juge d’instruction ou des réquisitions du procureur après avoir entendu le témoin concerné. » L’article 223 dispose : « 1. Le juge d’instruction ordonne la remise en liberté du témoin aussitôt que celuici a satisfait à son obligation ou que son témoignage n’est plus nécessaire. Le tribunal d’arrondissement peut à tout moment ordonner la remise en liberté du témoin, soit sur la base des conclusions du juge d’instruction, soit d’office, soit sur réquisition du procureur ou à la demande de la défense. Le témoin doit être entendu ou convoqué au préalable. Un témoin dont la demande de remise en liberté a été rejetée peut interjeter appel dans un délai de trois jours à compter de la notification officielle de la décision de rejet. S’il est débouté de son appel, il peut se pourvoir en cassation dans le même délai. En tout état de cause, le procureur ordonne la remise en liberté du témoin dès la clôture ou la fin de l’instruction judiciaire préparatoire. » Le partenariat enregistré L’enregistrement d’un partenariat s’accomplit au moyen d’un document établi par le fonctionnaire de l’état civil (ambtenaar van de burgerlijke stand – article 1:80a § 2 du code civil) et est subordonné à des conditions de forme analogues à celles du mariage. Le partenariat enregistré peut être dissous par consentement mutuel, par l’enregistrement d’une déclaration de dissolution signée par les deux partenaires et cosignée par un avocat ou un notaire, ou par une ordonnance judiciaire délivrée à la demande de l’un des partenaires (article 1:80c du code civil). Les dispositions du code civil exposant les effets juridiques du mariage s’appliquent par analogie au partenariat enregistré, à l’exception de certaines règles régissant l’établissement des liens juridiques familiaux (familierechtelijke betrekkingen) avec les descendants (article 1:80b du code civil). Informations fournies par le Gouvernement à la demande de la Cour Le 1er juin 2011, en réponse à une demande formulée par la Cour pendant l’audience (paragraphe 9 ci-dessus), le Gouvernement a apporté les précisions suivantes : « En 1997/1998, le législateur a modifié l’article 217 du code de procédure pénale (le « CPP ») pour étendre la dispense de l’obligation de témoigner au partenaire enregistré d’un suspect. La question de savoir si le bénéfice de cette dispense devait aussi être accordé à d’autres catégories de partenaires n’a pas été soulevée lors de la discussion à laquelle cette modification a donné lieu. Cela dit, cette modification était une conséquence parmi beaucoup d’autres de la création du partenariat enregistré, qui avait elle-même été précédée d’une étude approfondie (achevée en 1985 [documents parlementaires, Chambre basse du Parlement, 15401, no5]) de toutes les dispositions législatives établissant une distinction entre les couples mariés et les couples non mariés. Cette étude indiquait notamment qu’il fallait envisager de modifier l’article 217 du CPP pour l’appliquer aux personnes vivant en couple (p.16). A la suite de cette étude, la commission Kortmann [chargée du contrôle des projets de loi, elle a pris le nom de son président, le professeur S.C.J.J. Kortmann] avait présenté au conseil des ministres un rapport intitulé « partenariats » (Leefvormen, 20 décembre 1991), d’où il ressortait que la meilleure solution pour supprimer toutes les distinctions existant à l’époque pertinente consistait à ajouter au mariage deux nouvelles catégories d’union officiellement reconnues. Le rapport en question précisait que la plupart des dispositions légales attachant des effets juridiques à différentes formes de vie commune pourraient se référer à ces trois catégories d’union. Après de nouveaux débats parlementaires ([documents parlementaires, Chambre basse du Parlement, 15401, nos 9, 10 et 11]), le Gouvernement avait décidé de ne reconnaître qu’une seule nouvelle forme d’union officielle – qualifiée par la suite de « partenariat enregistré » – tout en indiquant que des dispositions spéciales pourraient s’avérer nécessaires dans certains cas pour prendre en compte des situations familiales ne relevant pas des catégories reconnues. Toutefois, de telles dispositions n’avaient pas été jugées utiles en ce qui concerne l’article 217 du CPP. » B. Le droit de refuser de témoigner dans les autres Etats membres du Conseil de l’Europe Dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, la question de savoir si le conjoint d’une personne faisant l’objet de poursuites peut être contraint de témoigner trouve une réponse dans la loi. L’aperçu, forcément sommaire, donné ci-après des solutions adoptées par les ordres juridiques des Etats membres du Conseil de l’Europe a été établi à partir des informations dont la Cour disposait au moment où elle a tenu son audience (paragraphe 8 ci-dessus). Hormis la France et le Luxembourg, aucun des Etats membres n’oblige le conjoint d’un suspect à témoigner dans le cadre de poursuites dirigées contre celui-ci. La Belgique, Malte et la Norvège sont les seuls pays à exclure automatiquement le témoignage du conjoint d’un suspect. En règle générale, le conjoint invité à faire une déposition est libre de témoigner ou d’invoquer une dispense ou une exception concernant l’obligation de témoigner. L’institution du partenariat enregistré existe en Allemagne, en Autriche, en Belgique, au Danemark, en Espagne (dans certaines communautés autonomes), en Finlande, en France, en Grèce, en Hongrie, en Irlande, en Islande, au Luxembourg, en Norvège, au Pays-Bas, en République tchèque, au Royaume-Uni, en Slovénie, en Suède, en Suisse et en Ukraine. Dans certains de ces Etats – Allemagne, Autriche, Danemark, Finlande, Hongrie, Slovénie et Suède – le partenariat enregistré n’est ouvert qu’aux partenaires de même sexe. Les autres offrent aux couples formés d’un homme et d’une femme la possibilité de conclure un partenariat enregistré au lieu de se marier. Sur les vingt Etats membres qui connaissent l’institution du partenariat enregistré, treize dispensent le partenaire enregistré d’un suspect de l’obligation de témoigner contre lui. Il s’agit, d’une part, de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de l’Islande, des Pays-Bas et de la République tchèque, dont les législations prévoient expressément cette dispense, et, d’autre part, du Danemark, de la Finlande, de la Hongrie, de la Norvège, du Royaume-Uni, de la Suède et de la Suisse, dont les législations assimilent le partenariat enregistré au mariage à cet égard comme à d’autres. La Grèce et l’Irlande n’étendent pas la dispense de témoignage aux partenaires enregistrés. La France et le Luxembourg ne prévoient aucune dispense. Une minorité d’Etats membres – Allemagne, Andorre, Autriche, Finlande, Géorgie, Hongrie, Islande, Liechtenstein, Lituanie, Norvège, Pologne, Portugal, Slovaquie, Suède, Turquie et Ukraine – dispensent le fiancé d’un suspect de l’obligation de témoigner. Toutefois, les Etats en question – à l’exception de l’Allemagne, de la Finlande, de la Hongrie, de l’Islande, de la Norvège, de la Suède et de la Turquie – subordonnent l’octroi de cette dispense à la preuve d’une relation assimilable à un mariage, telle qu’une cohabitation stable ou un enfant issu de la relation en question. Il semble que l’Albanie, Andorre, la Lituanie et la Moldova soient les seuls Etats membres du Conseil de l’Europe à dispenser inconditionnellement de l’obligation de témoigner la personne qui cohabite avec un suspect hors des liens du mariage, des fiançailles ou du partenariat enregistré. Pour leur part, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », la Hongrie, l’Islande, l’Italie, le Liechtenstein, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, la République tchèque, la Serbie, la Slovaquie, la Suède et la Suisse exigent de cette personne qu’elle prouve l’existence d’une relation assimilable à un mariage, généralement en démontrant qu’un enfant est né de la relation en question, que des dispositions pécuniaires ont effectivement été prises ou que la communauté de vie revêt un caractère durable. Il apparaît que les autres Etats membres du Conseil de l’Europe ne reconnaissent pas au simple concubin d’un suspect le droit de ne pas témoigner.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant et la requérante sont nés respectivement en 1951 et 1952 et résident à Sofia. A l’époque des faits, le requérant, D.M.T., travaillait au sein du ministère de l’Intérieur. Il occupait le poste de chef du département de la criminalité économique à la direction régionale du ministère, à Sofia. La requérante, D.K.I., est son épouse. A. L’arrestation et la détention de D.M.T. Le 28 juillet 1999, un homme d’affaires, dénommé E.D., prit contact avec le service national de la lutte contre le crime organisé (« le SNLCO ») auquel il affirma que le requérant l’avait approché par l’intermédiaire d’un de ses subordonnés et de son avocat et qu’il lui avait demandé une importante somme d’argent. Le SNLCO ouvrit un dossier sur les faits signalés par E.D. et entreprit des démarches afin de vérifier les dires de celui-ci. Les agents du SNLCO obtinrent les autorisations nécessaires du tribunal de la ville de Sofia et du ministère de l’Intérieur et mirent en place un dispositif technique en vue de l’écoute et de l’enregistrement audio et vidéo des rencontres qui eurent lieu par la suite entre E.D. et D.M.T. Le SNLCO prêta à E.D. les 75 000 dollars américains (USD) que ce dernier devait remettre à D.M.T. Le 4 août 1999, E.D. rencontra D.M.T. dans un café du centre de Sofia. Vers la fin de l’entretien, une équipe d’intervention du SNLCO pénétra dans le café et arrêta le requérant. L’intéressé, soupçonné d’avoir commis l’infraction pénale de corruption passive (подкуп), fut détenu sur ordre de l’enquêteur et du procureur militaire. Le 5 août 1999, le requérant fut conduit dans le quartier de détention du service national de l’instruction où il fut incarcéré dans une cellule individuelle. Il y passa quatre-vingts jours. Il allègue devant la Cour que la fenêtre de sa cellule était couverte d’une plaque en métal empêchant la lumière du jour de pénétrer. Pendant les premiers deux mois, il n’aurait pas quitté sa cellule pour bénéficier d’exercices en plein air, tandis que le troisième mois il n’aurait quitté sa cellule qu’à cinq ou six reprises pour seulement dix minutes chaque fois. Pendant la même période, au cours des entretiens avec ses avocats, il aurait été enfermé dans un espace clos et grillagé d’à peine 1 m², sous la surveillance permanente d’un vigile. Il aurait été en outre soumis à une pression psychologique de la part des organes d’enquête pour passer aux aveux. Sa santé se serait détériorée. Le 3 novembre 1999, les autorités compétentes prirent la décision de l’assigner à domicile à cause de ses problèmes de santé et, le 20 janvier 2000, cette dernière mesure de contrôle judiciaire fut remplacée par un cautionnement. B. Les poursuites pénales engagées contre D.M.T. Le 4 août 1999, un enquêteur militaire ouvrit des poursuites pénales contre le requérant, suspecté notamment d’avoir extorqué la somme de 75 000 USD à E.D. en abusant de sa position de fonctionnaire. Il qualifia les faits comme tombant sous le coup des articles 302a, 302, points 1 et 2, et 301, alinéa 1, du code pénal (CP). Au cours de l’instruction préliminaire, l’enquêteur militaire interrogea les requérants et plusieurs témoins, rassembla des preuves documentaires et matérielles, et recueillit les enregistrements audio et vidéo effectués par le SNLCO. Le 21 janvier 2000 et le 7 mai 2001, le dossier fut renvoyé pour des compléments d’enquête par le juge rapporteur du tribunal de première instance en raison de manquements procéduraux de la part de l’enquêteur : ce dernier avait omis de présenter toutes les pièces du dossier au requérant et de rassembler les éléments de preuve indiqués par celui-ci. A la suite de ces renvois, l’enquêteur effectua des mesures d’instruction supplémentaires et, à la fin de 2001, le parquet militaire de Sofia dressa l’acte d’accusation et renvoya D.M.T. en jugement. Dans son acte d’accusation, le procureur militaire reprit la même qualification juridique des faits que celle retenue par l’enquêteur militaire : corruption passive par extorsion de fonds et par abus de l’autorité conférée par le statut de fonctionnaire, infraction pénale réprimée par les articles 302a, 302, points 1 et 2, et 301, alinéa 1, du CP. Devant le tribunal de première instance, le requérant soutint que les faits en cause révélaient un comportement répréhensible de la part d’E.D., qui se serait rendu coupable d’une provocation à la corruption, un comportement puni par le code pénal. Par un jugement du 30 octobre 2002, le tribunal militaire de Sofia, retenant la qualification juridique des faits proposée par le parquet, reconnut le requérant coupable des charges portées contre lui, le condamna à vingt ans d’emprisonnement et à la confiscation de la totalité de ses biens et lui interdit d’occuper un poste de fonctionnaire durant les trois ans suivant sa remise en liberté. Sur la base des preuves rassemblées au cours de l’enquête et recueillies lors des audiences devant lui, le tribunal militaire établit les faits de la cause comme suit. Le requérant était responsable des enquêtes menées en matière de criminalité économique à Sofia. Le témoin E.D. était le fondateur et le dirigeant de deux compagnies qui travaillaient dans le secteur de la production et de la distribution de disques compacts (CD). Le service du requérant menait une enquête au sujet d’un crédit bancaire obtenu par l’une des entreprises d’E.D. et sur une fraude douanière impliquant l’importation de matériels de production de CD au profit de la deuxième entreprise de la même personne. Le requérant avait rassemblé des informations sur les activités de ces deux entités juridiques et était arrivé à la conclusion que celles-ci réalisaient des profits considérables. Il avait pris la décision d’extorquer de l’argent à E.D. Par le biais de l’agent responsable desdites enquêtes et de l’avocat d’E.D., il avait demandé à ce dernier la somme initiale de 150 000 USD, plus 100 000 USD par mois pour une période indéterminée, prétextant que l’argent était destiné à de hauts responsables politiques. E.D. avait alors contacté le SNLCO, qui avait pris les mesures nécessaires pour recueillir les preuves et arrêter le requérant. L’arrestation avait été effectuée juste après la réception de 75 000 USD par le requérant. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il contesta l’admissibilité des preuves recueillies lors de l’enquête – dénonçant un certain nombre de manquements de procédure et de forme – ainsi que l’appréciation des preuves effectuée par le tribunal militaire. La cour militaire d’appel tint plusieurs audiences en cette affaire. L’audience du 31 mars 2003 fut reportée au 2 avril 2003 à raison de l’absence du défenseur du requérant. Le 2 juin 2003, la cour militaire d’appel confirma le jugement de première instance et souscrivit pleinement aux motifs de celui-ci concernant l’établissement des faits, leur qualification juridique et les sanctions imposées. Le requérant présenta des objections qui furent rejetées. Il se pourvut en cassation. Le parquet contesta également le jugement de deuxième instance et requit une peine plus sévère. La Cour suprême de cassation examina l’affaire entre le 21 janvier et le 28 avril 2004. Les audiences du 21 janvier et du 25 février 2004 furent reportées à la demande du requérant. Le 14 juillet 2004, la Cour suprême de cassation infirma le jugement de deuxième instance et renvoya l’affaire devant la cour militaire d’appel pour un nouvel examen. La haute juridiction ne retint aucun des moyens soulevés par les parties, mais estima que la juridiction inférieure n’avait pas correctement qualifié les faits reprochés au requérant. Elle estima qu’il s’agissait en l’espèce d’une escroquerie, réprimée par les articles 209 et suivants du CP, dans la mesure où le requérant avait prétendu devant la victime que les sommes en cause avaient été demandées par de hauts responsables politiques. La haute juridiction observa qu’il pouvait se révéler nécessaire de recueillir de nouveaux éléments de preuve afin de déterminer s’il s’agissait d’une escroquerie consommée ou d’une tentative d’escroquerie et s’il y avait un dommage matériel, et, dans l’affirmative, à qui celui-ci avait été causé. Elle indiqua que, le tribunal de dernière instance ne pouvant procéder au rassemblement de nouvelles preuves, cela rendait nécessaire le renvoi de l’affaire devant la juridiction d’appel pour réexamen. Au cours du réexamen de l’affaire devant la cour militaire d’appel, la défense du requérant demanda l’interrogatoire de deux témoins et le rassemblement d’un certain nombre de preuves documentaires concernant l’organisation interne de la police dans le cadre de la lutte contre la contrefaçon de CD. La juridiction d’appel rejeta ces demandes au motif que les faits de l’espèce étaient établis. Le procureur militaire reprit les charges de corruption passive, telles que formulées par l’enquêteur et par le parquet militaire dans l’acte d’accusation. Il demanda la peine maximale en raison de la dangerosité du comportement de l’accusé et de sa position de haut responsable dans la hiérarchie de la police nationale. Le défenseur du requérant demanda à la cour d’appel de renvoyer l’affaire au stade de l’instruction préliminaire au motif que la Cour suprême de cassation avait qualifié les faits reprochés au requérant non de corruption, mais d’escroquerie. Il observait d’abord que le droit interne ne permettait pas la modification des chefs d’accusation devant la deuxième instance. Il contestait ensuite les conclusions auxquelles le tribunal de première instance était parvenu, notamment son appréciation des preuves recueillies au cours de l’enquête. Il estimait en outre que l’écoute et l’enregistrement audio et vidéo des rencontres entre le requérant et E.D. n’avaient pas été autorisés de manière conforme à la loi, ce qui, selon lui, disqualifiait les preuves recueillies grâce à ces procédés techniques. Il soutenait de surcroît que la saisie de l’argent retrouvé à côté du requérant lors de son arrestation n’avait pas été effectuée par l’enquêteur. De plus, la défense de l’intéressé n’aurait pas eu la possibilité de prendre part à la mise en œuvre des mesures d’instruction effectuées par l’enquêteur. Enfin, E.D., aidé pour ce faire par le SNLCO, se serait rendu coupable d’une provocation à la corruption. Par un jugement du 31 janvier 2005, la cour militaire d’appel confirma une nouvelle fois le jugement de première instance et souscrivit pleinement aux conclusions de celui-ci. Elle retint la qualification de corruption passive par extorsion de fonds et par abus de l’autorité conférée par le statut de fonctionnaire. Elle rejeta les autres objections de la défense. Le requérant se pourvut en cassation. Devant la Cour suprême de cassation, le défenseur de l’intéressé réitéra les arguments déjà exposés devant le tribunal de deuxième instance et contesta le refus de la cour d’appel de rassembler les nouveaux éléments de preuve demandés par le requérant. Le parquet maintint les charges de corruption passive. Par un arrêt du 21 octobre 2005, la Cour suprême de cassation modifia le jugement du tribunal inférieur. Elle acquitta le requérant des charges de corruption passive. Elle estima que les faits établis par les instances inférieures devaient être qualifiés de tentative d’escroquerie. Selon elle, en effet, le requérant avait tenté de soustraire une importante somme d’argent à la victime en faisant croire à celle-ci que la somme en question était destinée à de hauts responsables du gouvernement et que, en contrepartie, E.D. serait protégé contre des poursuites pénales en rapport avec les activités de ses entreprises. La Cour suprême de cassation retint la qualification d’infraction pénale sous l’angle des articles 211, 210, alinéa 1, point 1, 209, alinéa 1, et 18, alinéa 1, du CP. Elle rejeta les autres arguments de la défense pour des motifs identiques à ceux des juridictions inférieures. Elle estima de surcroît que les preuves demandées pour la première fois pendant le deuxième examen en appel de l’affaire (voir paragraphe 25 ci-dessus) tendaient à démontrer que le requérant à lui seul n’avait pas le pouvoir de faire cesser toutes les poursuites pénales engagées contre la victime. Ainsi, selon la Cour suprême de cassation, ces éléments de preuve avaient une certaine pertinence s’agissant de combattre les charges de corruption passive, mais non pas celles d’escroquerie qui étaient celles finalement retenues. Le requérant fut condamné à sept ans d’emprisonnement et à la confiscation de la moitié de sa quote-part du logement familial et il lui fut temporairement interdit d’occuper un poste au ministère de l’Intérieur. C. La suspension de D.M.T. de ses fonctions Entre-temps, par une ordonnance du 11 août 1999, le directeur du service régional du ministère de l’Intérieur, agissant à la demande de l’enquêteur militaire, avait suspendu le requérant de ses fonctions en raison de la détention de ce dernier et des poursuites pénales contre lui. L’ordonnance en cause reposait sur les dispositions de l’article 259 de la loi sur le ministère de l’Intérieur et de l’article 392 du code de procédure pénale. Le 9 novembre 1999, le requérant demanda au ministre de l’Intérieur la cessation de ses fonctions afin de faire valoir ses droits au départ à la retraite. Cette demande ne reçut pas de suite favorable en raison de la mesure de suspension appliquée au requérant et de l’avis négatif émis par ses supérieurs. Le 22 janvier 2001, le requérant demanda au tribunal militaire de Sofia d’annuler la mesure de suspension dont il faisait l’objet. Sa plainte lui fut renvoyée par le tribunal militaire au motif qu’il s’agissait d’un acte administratif devant être contesté non pas devant les juridictions militaires, mais devant les tribunaux administratifs. Le 13 février 2001, le requérant déposa un recours devant le tribunal de la ville de Sofia tendant à l’annulation de l’ordonnance de suspension de ses fonctions. Le 23 octobre 2001, le tribunal de la ville de Sofia déclara son recours irrecevable au motif que la législation interne ne prévoyait pas de contrôle judiciaire sur la légalité des ordonnances de suspension d’un fonctionnaire du ministère de l’Intérieur. Le requérant ne contesta pas ladite décision devant la Cour administrative suprême. Entre temps, en janvier et juin 2001, il demanda au ministre de l’Intérieur d’être réintégré dans son poste. Il fut informé que l’annulation de la mesure en cause était de la compétence du parquet militaire, qui avait été saisi par les responsables du ministère mais ne s’était pas encore prononcé. Par ailleurs, les lettres du ministère rappelaient au requérant qu’il n’avait le droit d’exercer aucune activité rémunérée jusqu’à la levée de la suspension de ses fonctions, hormis dans les domaines de l’éducation et de la recherche. Une nouvelle demande d’annulation de la mesure litigieuse fut présentée par le requérant le 18 décembre 2001. Elle fut rejetée le 28 décembre 2001 par le tribunal militaire de Sofia, qui se déclara incompétent pour examiner la demande du requérant au motif qu’il s’agissait non pas d’une mesure coercitive prise dans le cadre des poursuites pénales dirigées contre lui, mais d’une mesure administrative prise par le supérieur hiérarchique du requérant. Celui-ci interjeta appel devant la cour militaire d’appel. Le 5 février 2002, la cour militaire d’appel annula la décision du tribunal inférieur et lui enjoignit d’examiner la demande du requérant sur le fond. La demande d’annulation de ladite mesure coercitive fut jointe au dossier de l’affaire pénale sans avoir été examinée par le tribunal militaire de Sofia. Dans son mémoire en défense présenté devant le tribunal de première instance, la défense du requérant réitéra sa demande d’annulation de la mesure coercitive. Dans son jugement du 30 octobre 2002, le tribunal militaire de Sofia refusa de se prononcer sur cette question au motif qu’il avait déjà imposé au requérant, en guise de peine supplémentaire, une interdiction d’occuper un poste au ministère de l’Intérieur. Il ajouta que, par ailleurs, la législation interne ne prévoyait pas la possibilité pour les tribunaux de se prononcer sur une telle mesure coercitive dans leurs arrêts sur le fond des affaires pénales. Le 9 décembre 2005, à l’issue du procès pénal, le ministre de l’Intérieur démit le requérant de ses fonctions. Il motiva son ordonnance par la condamnation au pénal du requérant et par le fait que les tribunaux pénaux avaient interdit au requérant d’occuper un poste de fonctionnaire au sein du ministère de l’Intérieur. Devant la Cour, le requérant expose qu’il n’a pas reçu sa paye au cours de sa suspension et que les seuls revenus réguliers de sa famille pendant cette période étaient le salaire et les allocations perçus par son épouse, qui étaient, selon lui, très insuffisants pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Les époux se seraient vus obligés d’emprunter de l’argent à leurs proches afin de pouvoir payer les factures et assurer leur subsistance. D. La rétention de l’argent des requérants et la confiscation d’une quote-part de leur appartement Auparavant, le 6 août 1999, lors d’une perquisition au cabinet de D.M.T. effectuée dans le cadre des poursuites pénales ouvertes contre lui, l’enquêteur avait saisi 508 nouveaux levs bulgares, 250 000 anciens levs bulgares (l’équivalent de 250 nouveaux levs), 720 marks allemands, 14 244 USD et 100 francs suisses. Dans leurs jugements du 30 octobre 2002 et du 31 janvier 2005, les tribunaux militaires de premier et deuxième ressort condamnèrent le requérant, entre autres, à la confiscation de la totalité de ses biens, y compris les sommes saisies à son bureau et sa quote-part dans le logement familial, un appartement sis à Sofia. Dans son arrêt du 21 octobre 2005, la Cour suprême de cassation ordonna uniquement la confiscation de la moitié de la quote-part du requérant dans l’appartement en cause. Toutefois, par une lettre du 4 novembre 2005, le président du tribunal militaire de Sofia envoya le dossier de l’affaire à l’Agence nationale des revenus en lui demandant de prendre les mesures d’exécution nécessaires aux fins de la confiscation au profit de l’Etat de la quote-part de D.M.T. dans l’appartement familial et de l’argent saisi le 6 août 1999. Le 2 décembre 2005, l’argent fut remis aux organes de l’agence nationale qui, après conversion des devises étrangères, estima le montant à 25 200,71 levs bulgares. Les 9 et 29 décembre 2005, la requérante, D.K.I., agissant en son nom propre et comme représentante de son époux, demanda au tribunal militaire de Sofia de lui restituer l’argent saisi dans le bureau de son mari. Le 3 janvier 2006, le président du tribunal militaire demanda à l’Agence nationale des revenus de lui envoyer la somme d’argent saisie. Le 13 janvier 2006, le directeur de la direction régionale de l’Agence des revenus refusa d’envoyer l’argent en cause jusqu’à la présentation d’un acte judiciaire indiquant clairement l’objet de la confiscation ordonnée par la Cour suprême de cassation. Les requérants saisirent la Cour suprême de cassation d’une demande d’interprétation de l’arrêt du 21 octobre 2005 dans la partie concernant la confiscation des biens de D.M.T. Par un arrêt du 27 février 2006, la haute juridiction précisa que son arrêt n’ordonnait que la confiscation de la moitié de la quote-part de D.M.T. dans le logement familial et que les sommes d’argent saisies devaient être restituées. Le 18 avril 2006, D.K.I. reçut du greffe du tribunal militaire de Sofia la somme de 25 500,71 levs bulgares. La requérante utilisa la plus grande partie de l’argent restitué, 20 100 levs bulgares, pour racheter à l’Etat la quote-part confisquée du logement familial. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénal L’article 301 du code pénal (CP) définit l’infraction pénale de corruption passive comme le fait pour un fonctionnaire de demander ou d’accepter une quelconque rétribution indue en contrepartie d’une action ou d’une omission dans le cadre de ses fonctions. L’auteur encourt une peine d’emprisonnement allant de trois mois à six ans. Les articles 302 et 302a du CP prévoient des sanctions alourdies pour la corruption passive par extorsion de fonds et par abus de l’autorité conférée par le statut de fonctionnaire, ainsi que dans les cas où les rétributions demandées ou reçues sont très élevées, à savoir une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trente ans et la confiscation de la totalité des biens de l’auteur. L’article 209 du CP définit le délit d’escroquerie comme le fait de créer une fausse perception de certains faits par la victime dans le but d’obtenir pour soi-même ou pour autrui un ou plusieurs biens matériels et résultant en un dommage matériel pour la victime ou les tiers. L’escroquerie est punie par une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à six ans. Les articles 210, alinéa 1, et 211 du CP prévoient des sanctions plus lourdes s’il existe des circonstances aggravantes comme le fait pour l’auteur de prétendre qu’il agit au nom des autorités publiques ou si le dommage causé est d’une valeur considérable, à savoir jusqu’à dix ans d’emprisonnement et la confiscation de la moitié des biens matériels de l’auteur. Selon l’article 18, alinéa 1, du CP, la « tentative » est l’accomplissement d’une part ou de toutes les actions ou omissions constitutives d’une infraction pénale sans la réalisation du résultat de l’infraction. L’alinéa 2 du même article prévoit pour la tentative les mêmes sanctions que celles prévues pour l’infraction pénale elle-même. B. L’examen des pourvois en cassation et la requalification des faits par les tribunaux pénaux A l’époque concernée, le déroulement des poursuites pénales était régi par l’ancien code de procédure pénale de 1974 (« l’ancien CPP ») qui fut abrogé en avril 2006. En vertu de l’article 388 de l’ancien CPP, les tribunaux militaires étaient compétents pour examiner en première instance et en appel les affaires pénales lorsque l’accusé était fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. En vertu de l’article 357, alinéa 1, de l’ancien CPP, la Cour suprême de cassation avait, en matière d’examen des pourvois en cassation, les compétences suivantes : confirmer le jugement attaqué ; infirmer le jugement attaqué et mettre fin aux poursuites pénales ou acquitter l’accusé ; modifier le jugement du tribunal inférieur ; infirmer le jugement attaqué et renvoyer l’affaire devant le tribunal inférieur pour réexamen. En cas de renvoi de l’affaire pour réexamen, le tribunal inférieur était obligé de suivre les instructions de la Cour suprême de cassation quant à l’application de la loi pénale sauf s’il découvrait de nouvelles circonstances factuelles (article 358, alinéa 1, point 2, de l’ancien CPP). La Cour suprême de cassation pouvait modifier le jugement de l’instance inférieure sans renvoyer l’affaire pénale pour réexamen lorsqu’elle estimait qu’il fallait diminuer la peine imposée ou que les faits constituaient une autre infraction pénale pour laquelle la loi pénale prévoyait la même peine ou une peine plus clémente que celle imposée par le tribunal inférieur (article 357, alinéa 2, points 1 et 2, de l’ancien CPP). En vertu de l’article 285, alinéa 1, de l’ancien CPP, le procureur devait introduire un nouvel acte d’accusation si, au cours de l’examen de l’affaire pénale, il apparaissait que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient les charges devaient être considérablement modifiées ou si les faits étaient constitutifs d’une infraction pénale plus grave. Lorsqu’une telle modification de l’accusation s’avérait nécessaire, le tribunal était obligé d’ajourner l’audience, si les parties le lui demandaient (alinéa 3 du même article). C. La suspension d’un fonctionnaire de ses fonctions au cours des poursuites pénales dirigées contre lui En vertu de l’article 392, alinéa 1, de l’ancien CPP, lorsque l’inculpé était fonctionnaire au ministère de l’Intérieur et qu’il était placé en détention provisoire ou assigné à domicile, son supérieur hiérarchique le suspendait temporairement de ses fonctions. Par ailleurs, l’article 154 de l’ancien CPP permettait au tribunal de première instance d’imposer cette même mesure coercitive à la demande du parquet si les charges portées contre l’inculpé étaient liées à l’exercice de ses fonctions et s’il existait un risque d’entrave à l’enquête. La mesure prise par un tribunal pouvait être levée par le procureur ou par le tribunal lui-même si elle n’était plus nécessaire. En vertu de l’article 141, alinéa 2 du règlement d’application de la loi de 1997 sur le ministère de l’Intérieur, les agents suspendus de leurs fonctions ne recevaient pas de salaire pendant la période de leur suspension. Selon l’article 213 de la loi de 1997 sur le ministère de l’Intérieur, les agents de ce ministère ne pouvaient pas être nommés dans un autre emploi public ni exercer une activité commerciale ou salariée, exception faite de la profession d’enseignant ou d’une activité dans le domaine de la recherche. Ces restrictions s’appliquaient également pendant la période de suspension d’un agent de ses fonctions après l’ouverture de poursuites pénales contre lui. Les autres dispositions du droit interne relatives à la suspension des fonctions d’un agent du ministère de l’Intérieur ont été résumées dans l’arrêt Karov c. Bulgarie (no 45964/99, §§ 48-52, 16 novembre 2006). D. Autre législation pertinente Entré en vigueur en juin 2003 (et repris en substance à l’article 368 du nouveau CPP), l’article 239a de l’ancien CPP permettait à la personne inculpée de demander au tribunal de première instance d’ordonner son renvoi en jugement si l’enquête pénale dirigée contre elle avait duré plus de deux ans pour les infractions pénales graves ou plus d’un an pour toutes les autres infractions. Le tribunal se prononçait dans un délai de sept jours et pouvait soit ordonner au procureur de renvoyer l’intéressé en jugement dans un délai de deux mois, soit prononcer le renvoi de l’intéressé en jugement, soit mettre un terme aux poursuites. Si le procureur n’exerçait pas ses prérogatives dans un délai de deux mois, le tribunal clôturait la procédure pénale. L’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’Etat et des communes pour dommage prévoit la possibilité pour les personnes physiques ou morales d’engager la responsabilité de l’Etat et des communes pour les dommages subis du fait des actes, actions ou omissions de leurs fonctionnaires dans le cadre de l’accomplissement de la fonction administrative. L’article 2 de la même loi énumère les situations dans lesquelles une personne qui s’estime lésée par les agissements des organes chargés de l’instruction pénale et des tribunaux peut obtenir réparation des dommages subis. En vertu de cette disposition, la responsabilité de l’Etat peut être engagée dans les cas suivants : placement en détention provisoire quand celui-ci a été reconnu illégal par les tribunaux ; inculpation d’une infraction pénale quand la personne a été acquittée ou relaxée par la suite ; condamnation au pénal ou à une sanction administrative quand la personne a été acquittée par la suite ou que la sanction administrative a été annulée ; placement judiciaire dans un établissement de santé ou application d’une autre mesure médicale coercitive quand la mesure en cause a été annulée par la suite ; application d’une autre mesure administrative coercitive par décision d’un tribunal si celle-ci a été annulée par la suite ; application d’une peine au-delà des délais ou limites initialement fixés.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1934 et réside à Airvault. Le requérant a hérité de deux parcelles situées sur le territoire de la commune de Louin (département des Deux-Sèvres), d’une superficie totale d’environ dix hectares, lesquelles sont incluses dans le périmètre de l’association communale de chasse agréée (« ACCA ») de Louin. Il est titulaire du permis de chasser. En France, le droit de chasse appartient en principe aux propriétaires fonciers sur leurs terres. La loi no 64-696 du 10 juillet 1964, dite « loi Verdeille », prévoit cependant le regroupement des territoires de chasse au sein d’ACCA. L’institution de telles associations est obligatoire dans toutes les communes de vingt-neuf des quatre-vingt-treize départements métropolitains autres que ceux du Rhin et de la Moselle, dont le département des Deux-Sèvres ; elle est facultative dans les autres communes de ces quatre-vingt-treize départements. Les propriétaires dont le fonds est ainsi inclus dans le périmètre d’une ACCA sont de droit membres de celle-ci ; ils perdent leur droit de chasse exclusif sur leur fonds, mais ont le droit de chasser sur toute la surface comprise dans ce périmètre. Les propriétaires disposant d’une surface supérieur à un certain seuil peuvent toutefois s’opposer à l’inclusion de leur fonds dans le périmètre de l’ACCA ou en demander le retrait (dans le département des Deux-Sèvres, ce seuil est de vingt hectares, ce qui correspond à la surface minimale de référence). Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2000-698 du 26 juillet 2000, les propriétaires fonciers « qui, au nom de convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse, interdisent, y compris pour eux-mêmes, l’exercice de la chasse sur leurs biens », ont cette même faculté, quelle que soit la superficie de leur fonds (paragraphes 18-23 ci-dessous). Par une lettre du 12 août 2002, le requérant informa le préfet des Deux-Sèvres de son souhait de « faire opposition à la pratique de la chasse de l’ACCA de Louin sur [ses] parcelles », « au nom de [ses] convictions personnelles ». Le 23 septembre 2002, le préfet l’informa des démarches à effectuer afin d’obtenir le retrait de ses terres du périmètre de l’ACCA dans le cadre d’une opposition de conscience à la chasse. Le 17 décembre 2003, le requérant envoya une nouvelle lettre au préfet, dans laquelle il indiquait formuler une demande de retrait de ses terrains du périmètre de l’ACCA de Louin. Il précisait ce qui suit : « (...) Cette demande de retrait est fondée, non pas sur des convictions personnelles, mais en raison du fait que la Cour européenne des Droits de l’Homme, puis des juridictions administratives nationales, ont considéré (...) que « si le fait de traiter différemment des personnes placées dans un situation comparable peut être justifié par l’intérêt général résultant notamment de la nécessité d’assurer une gestion cynégétique cohérente et efficace, il n’apparaît pas que des raisons objectives et raisonnables justifient de contraindre, par la voie de l’apport forcé, ceux de ces propriétaires qui ne le souhaitent pas à adhérer aux associations communales de chasse agréées ». Il résulte de ces diverses décisions jurisprudentielles, qu’il ne peut être opéré de différence de traitement entre les grands et petits propriétaires, par des dispositions contraires à l’article 1er du Protocole [no 1] combiné avec l’article 14 de [la] Convention. N’étant propriétaire que de 10 hectares, 12 ares et 74 centiares, je sollicite qu’il vous plaise de bien vouloir, par décision administrative motivée, m’autoriser à retirer immédiatement du périmètre de l’ACCA de Louin, les parcelles cadastrées sous la section (...) » Le 6 février 2004, le directeur départemental de l’agriculture et de la forêt de la préfecture des Deux-Sèvres informa le requérant de sa décision de rejeter la demande. Relevant que le requérant était revenu sur son motif initial tenant de convictions personnelles et qu’il invoquait désormais les articles 14 de la Convention et 1 du Protocole no 1, le directeur départemental soulignait ce qui suit : « (...) les dispositions de la loi du 26 juillet 2000 et du code de l’environnement, notamment les articles L. 422-10 et L. 422-13, ont eu pour objet de mettre le droit interne en conformité avec la jurisprudence de la Cour (...) en reconnaissant un droit à l’opposition cynégétique aux seuls propriétaires non chasseurs, opposés à la pratique de la chasse par convictions personnelles, sans considération de superficie mais en maintenant l’obligation d’apport au territoire des ACCA, pour les chasseurs propriétaires de terrains dont la superficie reste en-deçà d’un certain seuil (20 hectares pour les Deux-Sèvres). Or, après enquête, il est avéré que vous êtes détenteur du permis de chasser validé pour la campagne de chasse en cours. En conséquence (...), en application de l’article L. 422-13 du code de l’environnement, je vous informe que je ne peux donner une suite favorable à votre demande et que les terrains dont vous sollicitez le retrait restent soumis à l’action de chasse de l’ACCA de Louin. (...) » Le 23 mars 2004, le requérant introduisit un recours gracieux auprès du préfet des Deux-Sèvres. Le 6 avril 2004, n’ayant pas obtenu de réponse, il saisit le tribunal administratif de Poitiers d’une requête tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence du préfet ainsi que de la décision du 6 février 2004. Le 23 mars 2005, le tribunal administratif de Poitiers fit droit à la demande du requérant par un jugement ainsi motivé : « (...) si le fait de traiter différemment des personnes placées dans une situation comparable peut être justifié par l’intérêt général résultant notamment de la nécessité d’assurer une gestion cynégétique cohérente et efficace, il n’apparaît pas que des raisons objectives et raisonnables justifient de contraindre, par la voie de l’apport forcé, les propriétaires, qui ne le souhaitent pas, à adhérer aux associations communales de chasse agréées ; (...) ainsi, la différence de traitement opérée entre les grands et les petits propriétaires est contraire à l’article 1 du Protocole [no 1] combiné avec l’article 14 de [la] Convention ; (...) » L’ACCA de Louin saisit la cour administrative d’appel de Bordeaux d’une demande d’annulation de ce jugement, soutenant qu’étant chasseur, le requérant ne pouvait se dire victime d’une violation de la Convention. La cour administrative d’appel rejeta cette requête par un arrêt du 18 juillet 2006. Elle considéra que le directeur départemental de l’agriculture et de la forêt n’était pas compétent pour signer la décision du 6 février 2004, laquelle était en conséquence illégale tout comme la décision implicite de rejet. Elle en déduisit que l’ACCA de Louin n’était pas fondée à se plaindre de l’annulation de ces décisions. Saisi par l’ACCA de Louin, le Conseil d’Etat annula l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux par un arrêt du 16 juin 2008. Il considéra qu’elle avait commis une erreur de droit en jugeant que le directeur départemental de l’agriculture et de la forêt n’était pas compétent pour signer la décision dont il s’agissait, alors qu’il avait valablement reçu délégation de signature dans le domaine considéré. Ensuite, réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat annula le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 23 mars 2005 et rejeta la demande d’annulation du requérant. Il retint notamment ce qui suit : « (...) Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. Chabauty, propriétaire de parcelles d’une superficie inférieure à celles mentionnées au 3o de l’article L. 422-10 du code de l’environnement, a demandé le retrait de ses terrains non pas en se fondant sur des convictions personnelles opposées à la chasse, comme le permet le 5o du même article, mais en se fondant sur sa volonté de conserver le droit de chasse attaché à ses terrains pour son usage propre, sans permettre aux membre de l’ACCA d’en bénéficier ; Considérant que le régime des associations de chasse agréées répond à un motif d’intérêt général, visant à prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique ; que les propriétaires adeptes de la chasse qui apportent leurs terrains bénéficient, conformément à l’article L. 422-21 du code de l’environnement, d’une admission de droit à l’association de chasse et, par conséquent, du droit de chasse sur l’ensemble du territoire de l’association ; qu’ainsi, les propriétaires de terrains d’une superficie inférieure à celles mentionnées au 3o de l’article L. 422-10 du même code se trouvent placés devant l’alternative de renoncer à leur droit de chasse en invoquant des convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse ou d’apporter leurs terrains à l’ACCA, tout en bénéficiant des compensations qui viennent d’être rappelées ; qu’ainsi, ce système ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété, et ne méconnaît pas les stipulations de l’article 1er du [Protocole no 1] ; Considérant que la différence de traitement entre les petits et les grands propriétaires qu’opère la loi est instituée dans l’intérêt des chasseurs propriétaires de petites parcelles, qui peuvent ainsi se regrouper pour pouvoir disposer d’un territoire de chasse plus grand ; qu’ainsi cette différence de traitement est objective et raisonnable et, dès lors que les propriétaires de petites parcelles ont toujours la possibilité d’affecter leur terrain à un usage conforme à leur choix de conscience, le système en cause ne méconnaît pas les stipulations de l’article 1er du [Protocole no 1] combinées avec celles de l’article 14 de [la] Convention ; qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif s’est fondé sur la violation de [ces dispositions] pour annuler les décisions attaquées (...) » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit de chasse appartient en principe aux propriétaires fonciers sur leurs terres : aux termes de l’article L. 422-1 du code de l’environnement, « nul n’a la faculté de chasser sur la propriété d’autrui sans le consentement du propriétaire ou de ses ayants droit ». Le législateur a cependant jugé nécessaire de procéder dans certains cas au « regroupement » des territoires de chasse. Tel est l’objet de la loi no 64-696 du 10 juillet 1964, dite « loi Verdeille », qui, applicable dans les départements métropolitains autres que le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, crée les associations communales et intercommunales de chasse agréées (« ACCA » et « AICA »). Les ACCA regroupent les territoires de chasse à l’échelle communale. Selon l’article L. 422-2 du code de l’environnement, dans sa version applicable à l’époque des faits de l’espèce, « [elles] ont pour but « d’assurer une bonne organisation technique de la chasse [ ;] elles favorisent sur leur territoire le développement du gibier et de la faune sauvage dans le respect d’un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique, l’éducation cynégétique de leurs membres, la régulation des animaux nuisibles et veillent au respect des plans de chasse [ ;] elles ont également pour objet d’apporter la contribution des chasseurs à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages ». Les ACCA sont régies par le droit commun des associations (loi du 1er juillet 1901) ainsi que par les dispositions spéciales de la loi Verdeille et des textes réglementaires pris en son application (articles L. 422-1 et suivants et R. 422–1 et suivants du code de l’environnement). L’agrément est délivré par le préfet après vérification par celui-ci de l’accomplissement des formalités requises et de la conformité des statuts et du règlement intérieur aux prescriptions légales (articles L. 422-3 et R. 422-39 du code de l’environnement). Le préfet assure la tutelle des ACCA ; toute modification apportée aux statuts, au règlement intérieur et au règlement de chasse doit être soumise à son approbation (articles R. 422-1 et R. 422-2 du code de l’environnement). Par ailleurs, en cas notamment de violation par une ACCA de ses statuts ou de son règlement de chasse, d’atteinte aux propriétés, aux récoltes, aux libertés publiques ou, d’une manière générale, de violation des dispositions réglementaires pertinentes (articles R. 422-1 et suivants du code de l’environnement), le préfet peut prendre des mesures provisoires telles que la suspension de l’exercice de la chasse sur tout ou partie du territoire de l’association et la dissolution de son conseil d’administration (article R. 422-3 du code de l’environnement). L’institution d’ACCA n’est obligatoire que dans certains départements, dont la liste est arrêtée par le ministre chargé de la chasse sur proposition des représentants de l’Etat dans lesdits départements et après avis conforme des conseils généraux et consultation des chambres d’agriculture et des fédérations départementales des chasseurs (article L. 422-6 du code de l’environnement) ; vingt-neuf des quatre-vingt-treize départements métropolitains autres que le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle sont concernés. Dans les autres de ces quatre-vingt-treize départements, le représentant de l’Etat arrête la liste des communes où sera créée une ACCA ; l’arrêté est pris à la demande de quiconque justifie de l’accord amiable pour une période d’au moins cinq années, de 60 % des propriétaires représentant 60 % de la superficie du territoire de la commune (article L. 422-7 du code de l’environnement) Les propriétaires dont le fonds est inclus dans le périmètre d’une ACCA sont de droit membres de celle-ci (article L. 422-21 du code de l’environnement) ; ils perdent leur droit de chasse exclusif sur leur fonds mais ont, en leur qualité de membre, le droit de chasser sur l’ensemble du territoire de chasse de l’ACCA conformément à son règlement (articles L. 422-16 et L. 422-22 du code de l’environnement). L’apport donne lieu à indemnité, à charge de l’ACCA, si le propriétaire subit une perte de recettes provenant de la privation de revenus antérieurs. L’ACCA est de plus tenue d’indemniser le détenteur du droit de chasse « qui a apporté des améliorations sur le territoire dont il a la jouissance cynégétique » (article L. 422-17 du code de l’environnement). Aux termes de l’article L. 422-10 du code de l’environnement, « L’association communale est constituée sur les terrains autres que ceux : 1o Situés dans un rayon de 150 mètres autour de toute habitation ; 2o Entourés d’une clôture telle que définie par l’article L. 424-3 [L’article L. 424-3 dispose que « (...) le propriétaire ou possesseur peut, en tout temps, chasser ou faire chasser le gibier à poil dans ses possessions attenant à une habitation et entourées d’une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage de ce gibier et celui de l’homme ».] ; 3o Ayant fait l’objet de l’opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse sur des superficies d’un seul tenant supérieures aux superficies minimales mentionnées à l’article L. 422-13 ; 4o Faisant partie du domaine public de l’Etat, des départements et des communes, des forêts domaniales ou des emprises de Réseau ferré de France et de la Société nationale des chemins de fer français ; 5o Ayant fait l’objet de l’opposition de propriétaires, de l’unanimité des copropriétaires indivis qui, au nom de convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse, interdisent, y compris pour eux-mêmes, l’exercice de la chasse sur leurs biens, sans préjudice des conséquences liées à la responsabilité du propriétaire, notamment pour les dégâts qui pourraient être causés par le gibier provenant de ses fonds. (...) » Le cinquième alinéa a été ajouté par la loi no 2000-698 du 26 juillet 2000 (publiée au Journal Officiel le 27 juillet 2000), aux fins de l’exécution de l’arrêt Chassagnou et autres c. France [GC] du 29 avril 1999 (nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, CEDH 1999-III) (paragraphe 24 ci-dessous). Les articles L. 422-13, L. 422-14 et L. 422-15 du code de l’environnement apportent les précisions suivantes : Article L. 422-13 « I. Pour être recevable, l’opposition des propriétaires ou détenteurs de droits de chasse mentionnés au 3o de l’article L. 422-10 doit porter sur des terrains d’un seul tenant et d’une superficie minimum de vingt hectares. II. Ce minimum est abaissé pour la chasse au gibier d’eau : 1o A trois hectares pour les marais non asséchés ; 2o A un hectare pour les étangs isolés ; 3o A cinquante ares pour les étangs dans lesquels existaient, au 1er septembre 1963, des installations fixes, huttes et gabions. III. Ce minimum est abaissé pour la chasse aux colombidés à un hectare sur les terrains où existaient, au 1er septembre 1963, des postes fixes destinés à cette chasse. IV. Ce minimum est porté à cent hectares pour les terrains situés en montagne au-dessus de la limite de la végétation forestière. V. Des arrêtés pris, par département, dans les conditions prévues à l’article L. 422-6 peuvent augmenter les superficies minimales ainsi définies. Les augmentations ne peuvent excéder le double des minima fixés. » Article L. 422-14 « L’opposition mentionnée au 5o de l’article L. 422-10 est recevable à la condition que cette opposition porte sur l’ensemble des terrains appartenant aux propriétaires ou copropriétaires en cause. Cette opposition vaut renonciation à l’exercice du droit de chasse sur ces terrains (...) » Article L. 422-15 « La personne ayant formé opposition est tenue de procéder à la signalisation de son terrain matérialisant l’interdiction de chasser. Le propriétaire ou le détenteur du droit de chasse ayant fait opposition est tenu de procéder ou de faire procéder à la destruction des animaux nuisibles et à la régulation des espèces présentes sur son fonds qui causent des dégâts. Le passage des chiens courants sur des territoires bénéficiant du statut de réserve ou d’opposition au titre des 3o et 5o de l’article L. 422-10 ne peut être considéré comme chasse sur réserve ou chasse sur autrui, sauf si le chasseur a poussé les chiens à le faire. » Le Gouvernement indique que, lors de la constitution d’une ACCA, les propriétaires ou détenteurs de droits de chasse sur des terrains dont la superficie est inférieure au seuil légal peuvent éviter l’inclusion de leurs terrains dans le périmètre de celle-ci en se regroupant de manière à constituer une surface d’un seul tenant supérieure audit seuil (articles L. 422-10 3o, R. 422-21 et R. 422-22 I 2o du code de l’environnement). III. LA RÉSOLUTION DU COMITÉ DES MINISTRES DU CONSEIL DE L’EUROPE RELATIVE À L’EXÉCUTION DE L’ARRÊT CHASSAGNOU ET AUTRES c. FRANCE Le 25 avril 2005, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la résolution suivante (ResDH(2005)26) : « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales telle qu’amendée par le Protocole no 11 (ci-après dénommée «la Convention»), Vu l’arrêt définitif de la Cour européenne des Droits de l’Homme rendu le 29 avril 1999 dans l’affaire Chassagnou et autres (...) Vu les Règles adoptées par le Comité des Ministres relatives à l’application de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention ; Ayant invité le gouvernement de l’Etat défendeur à l’informer des mesures prises à la suite de l’arrêt du 29 avril 1999, eu égard à l’obligation qu’a la France de s’y conformer selon l’article 46, paragraphe 1, de la Convention ; Considérant que lors de l’examen de cette affaire par le Comité des Ministres, le gouvernement de l’Etat défendeur a donné à celui-ci des informations sur les mesures d’ordre individuel et général prises, notamment la modification de la loi no 64-696 du 10 juillet 1964 (dite Loi Verdeille) incriminée par la Cour dans son arrêt dans le sens d’une objection de conscience cynégétique, permettant ainsi d’éviter de nouvelles violations similaires à celles constatées par la Cour à l’égard d’opposants à la chasse (voir l’annexe à la présente Résolution) ; (...) Déclare, après avoir examiné les informations fournies par le Gouvernement de la France, qu’il a rempli ses fonctions en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention dans la présente affaire. Annexe à la Résolution ResDH(2005)26 Informations fournies par le Gouvernement de la France lors de l’examen de l’affaire Chassagnou et autres par le Comité des Ministres. (...) afin de donner plein effet à l’arrêt de la Cour, la loi no 64-696 du 10 juillet 1964 (dite Loi Verdeille) incriminée par la Cour a été modifiée par la création d’une possibilité d’objection de conscience cynégétique au profit des opposants à la chasse. La loi no 2000-698 relative à la chasse, introduisant cet amendement, a été adoptée le 26 juillet 2000 et publiée au Journal Officiel le 27 juillet 2000. En vertu de l’article 14 de cette loi (actuel article L422-10 du Code de l’Environnement) : « L’association communale [de chasse agréée – ACCA] est constituée sur les terrains autres que ceux : (...) 5º Ayant fait l’objet de l’opposition de propriétaires, de l’unanimité des copropriétaires indivis qui, au nom de convictions personnelles opposées à la pratique de la chasse, interdisent, y compris pour eux-mêmes, l’exercice de la chasse sur leurs biens, sans préjudice des conséquences liées à la responsabilité du propriétaire, notamment pour les dégâts qui pourraient être causés par le gibier provenant de ses fonds. Lorsque le propriétaire est une personne morale, l’opposition peut être formulée par le responsable de l’organe délibérant mandaté par celui-ci. » Le Gouvernement note, par ailleurs, que l’application des dispositions relatives aux ACCA, telles qu’amendées par la loi du 26 juillet 2002 précitée, semble avoir encore posé quelques problèmes s’agissant des possibilités de retrait d’une ACCA pour les personnes ne désirant pas se prévaloir d’une objection de conscience. Ces questions ont donné lieu à un certain nombre de procédures, actuellement encore pendantes en appel, mais dans lesquelles les tribunaux administratifs ont statué en première instance en s’inspirant des principes se dégageant de la jurisprudence de Strasbourg et de l’arrêt Chassagnou en particulier. En tout état de cause, le Gouvernement estime que, vu l’effet direct de la Convention européenne des Droits de l’Homme et de la jurisprudence de la Cour européenne en droit français, il n’y a plus de risque de nouvelles violations semblables à celles constatées à l’égard des requérants opposants à la chasse dans l’arrêt Chassagnou. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1964 et 1959 et résident à Stara Zagora. A. L’établissement et le séjour du requérant en Bulgarie Le requérant arriva en Bulgarie en 1994 pour y exercer une activité commerciale et obtint un permis de séjour qui expira en 1996. Le 23 juin 1999, il demanda à bénéficier du statut de réfugié et se vit octroyer un permis de séjour temporaire à ce titre. Ce permis expira le 21 octobre 2001. Il rencontra la requérante en 2001. Ils se marièrent le 10 avril 2002 à Sofia. Peu après, le passeport algérien du requérant arriva à expiration et il demanda la délivrance d’un nouveau passeport à l’ambassade d’Algérie. Il obtint un tel passeport le 21 mars 2003 et sollicita alors une nouvelle autorisation de séjour. Peu de temps avant cette date, le 16 janvier 2003, un fonctionnaire de la police régionale de Stara Zagora dressa un procès-verbal d’infraction administrative, constatant que le requérant demeurait irrégulièrement sur le territoire depuis l’expiration de son permis de séjour. Par une décision du chef de la police auprès de la Direction régionale des affaires intérieures (DRAI) de Stara Zagora, dont il reçut notification le 26 janvier 2004, le requérant se vit infliger une amende de 1 000 levs bulgares (BGN), soit environ 500 euros (EUR). Selon les requérants, ils n’étaient pas en mesure de payer cette amende en raison des problèmes de santé de la requérante et des difficultés financières qu’ils connaissaient à cette époque. Ils réglèrent toutefois l’amende par la suite, le 9 mars 2006. Le 15 janvier 2004, le requérant se vit accorder un permis de séjour pour une durée d’un an. Le requérant indique avoir sollicité la prolongation de son permis en janvier 2005 mais s’être heurté à un refus au motif qu’il n’avait pas payé l’amende imposée en 2004. Il ressort toutefois des décisions judiciaires rendues sur son recours contre la mesure de reconduite à la frontière (paragraphe 12 ci-dessous) qu’aucune demande de ce genre n’a été formulée auprès des autorités compétentes. B. La mesure de reconduite à la frontière prise à l’encontre du requérant Par un arrêté du 11 avril 2005, le directeur régional des affaires intérieures de Stara Zagora ordonna la reconduite à la frontière du requérant au motif que l’intéressé demeurait irrégulièrement sur le territoire depuis l’expiration de son permis de séjour le 15 janvier 2005. Les références du passeport algérien du requérant, valable jusqu’au 21 mars 2008, étaient mentionnées dans l’arrêté. Le requérant introduisit un recours judiciaire en annulation de l’arrêté. Par un jugement du 24 novembre 2005, le tribunal régional de Stara Zagora rejeta le recours, jugeant que les conditions pour l’imposition d’une telle mesure étaient remplies étant donné que le requérant n’avait pas quitté le territoire suite à l’expiration de son autorisation de séjour le 15 janvier 2005. Le tribunal nota que l’objet de la procédure se limitait à la régularité de l’acte attaqué et ne concernait pas un refus de prolongation de l’autorisation de séjour du requérant, prolongation que l’intéressé n’avait au demeurant pas sollicitée. Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 16 mai 2006, la Cour administrative suprême confirma les termes du jugement. Elle estima que l’autorité administrative qui constatait la présence de l’une des hypothèses visées par la loi était tenue d’imposer la mesure en question ; elle considéra comme étrangères au litige les circonstances invoquées par le requérant, à savoir qu’il était marié avec une ressortissante bulgare ou que la famille connaissait des difficultés en raison des problèmes de santé de cette dernière. C. La rétention du requérant Le 5 août 2005, le requérant fut placé dans un centre de placement pour adultes à Plovdiv. Le procès-verbal dressé à cette occasion indiquait que le requérant était retenu sur la base d’une décision de placement et faisait référence à l’arrêté de reconduite à la frontière du 15 janvier 2005. Il faisait également mention d’un procès-verbal de vagabondage. Le 14 février 2006, le requérant, par l’intermédiaire de son avocate, s’adressa au directeur régional des affaires intérieures de Stara Zagora pour demander l’annulation de la mesure de placement. Par une lettre du 15 février 2006, le directeur régional répondit que ce n’était pas lui qui avait ordonné le placement du requérant et qu’il ne pouvait dès lors lever cette mesure. Suite à une nouvelle demande du requérant, dans une lettre du 10 mars 2006, le directeur régional considéra qu’il n’avait pas à se prononcer en l’absence d’éléments nouveaux. Lorsque l’arrêté de reconduite à la frontière devint définitif à la suite du rejet du recours du requérant par l’arrêt du 16 mai 2006, par un arrêté du 15 juin 2006 le directeur régional des affaires intérieures de Stara Zagora constata que la reconduite ne pouvait être immédiatement exécutée dans la mesure où l’intéressé ne disposait pas de papiers d’identité, ni de ressources suffisantes et de moyens pour assurer le retour dans son pays. En conséquence, il ordonna le placement de l’intéressé dans le centre de rétention temporaire pour étrangers de Bousmantzi, dans la région de Sofia, jusqu’à ce que l’exécution de la mesure devienne possible. L’arrêté fut notifié au requérant le 22 juin 2006. Il ne contenait aucune indication quant aux voies de recours disponibles. Le même jour, le requérant fut transféré dans le centre de Bousmantzi. Le 30 juin 2006, puis à plusieurs autres reprises, les requérants s’adressèrent au service de l’immigration du ministère de l’Intérieur pour solliciter la levée de la mesure de placement. La requérante présenta à l’occasion de ces demandes une déclaration de prise en charge financière de son mari et un document attestant qu’elle était propriétaire de son logement. Par des lettres datées respectivement des 24 juillet 2006, 27 novembre 2006 et 1er février 2007, il leur fut répondu que seul le directeur régional de Stara Zagora, auteur de l’arrêté de placement, était compétent pour le modifier, et que la demande serait transmise à ce service. Par une autre lettre du 29 décembre 2006, le service national de l’immigration se prononça toutefois sur le fond et considéra qu’il n’y avait pas de motif pour modifier la mesure. Il ressort également des documents produits devant la Cour que le requérant a introduit, à des dates qui n’ont pas été précisées, deux recours judiciaires contre la décision de placement du 15 juin 2006, qui ont été déclarés irrecevables par le tribunal régional de Stara Zagora pour cause de tardiveté (paragraphe 21 ci-dessous). D. Les recours ultérieurs introduits par le requérant Le 13 février 2007, le requérant déposa à la DRAI de Stara Zagora deux demandes afin de solliciter l’abrogation, d’une part, de la mesure de reconduite à la frontière et, d’autre part, de l’arrêté de placement en centre de rétention, en tirant argument de la nouvelle loi sur l’entrée, le séjour et le départ des ressortissants de l’Union européenne (UE) et des membres de leurs familles. En l’absence de réponse, le 13 mars 2007, le requérant introduisit deux recours judiciaires contre le rejet implicite de ses demandes, recours qui furent enregistrés au tribunal administratif de Stara Zagora sous les numéros 54/2007 et 53/2007, respectivement. Les pièces des deux dossiers furent apparemment confondues puisque par une ordonnance du 2 mai 2007, le tribunal, statuant dans la procédure 54/2007 et portant sur la demande d’abrogation de l’arrêté de reconduite à la frontière, déclara le recours irrecevable au motif qu’il ne disposait pas de la demande du requérant. Ce dernier se pourvut en cassation et le 6 juin 2007 la Cour administrative suprême annula l’ordonnance et retourna le dossier au tribunal administratif. Par une nouvelle ordonnance du 16 octobre 2007, le tribunal administratif déclara le recours irrecevable, considérant que l’arrêté de reconduite à la frontière était devenu définitif suite au rejet du recours du requérant le 16 mai 2006 et que l’autorité auteur de l’acte n’avait plus compétence pour l’abroger ; son silence n’était dès lors pas constitutif d’une décision implicite de rejet. Sur pourvoi du requérant, cette décision fut confirmée par la Cour administrative suprême le 13 décembre 2007. La Cour administrative suprême nota dans sa décision que des faits nouveaux, tels que le mariage du requérant avec une ressortissante bulgare, pouvaient justifier le commencement d’une procédure en vue de la délivrance d’un nouveau permis de séjour au requérant mais non l’abrogation d’un acte administratif définitif. Dans la procédure 53/2007 portant sur la demande d’abrogation de la mesure de placement en centre de rétention, le tribunal administratif rendit une ordonnance le 15 mai 2007 par laquelle il déclara le recours irrecevable. Le tribunal constata que l’arrêté de placement du 15 juin 2006 était devenu définitif en l’absence de recours de la part de l’intéressé. Il nota à cet égard que deux recours judiciaires introduits par le requérant avaient été déclarés irrecevables pour cause de tardiveté par deux ordonnances no 103/2006 et no 147/2006 de ce même tribunal. L’acte administratif étant définitif, l’autorité auteur de l’acte ne pouvait pas l’abroger et en l’absence d’obligation de se prononcer, le silence de l’administration n’était dès lors pas constitutif d’une décision implicite de rejet. Le tribunal admit que l’autorité administrative supérieure – en l’occurrence le directeur du service national de la police – était compétente pour abroger l’acte et que le directeur régional de Stara Zagora était dans l’obligation de lui transmettre la demande. Le tribunal ordonna la transmission du dossier au service national de la police afin que celui-ci se prononçât sur la demande du requérant. Par une lettre du 22 juin 2007, le directeur dudit service rejeta la demande, considérant que le requérant ne pouvait se prévaloir de la loi relative aux ressortissants de l’UE, celle-ci étant applicable uniquement aux membres de la famille des ressortissants européens non bulgares, alors que l’épouse du requérant était de nationalité bulgare ; son cas relevait dès lors de la loi sur les étrangers de 1998. Le requérant introduisit un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de Sofia, en soutenant notamment que, du fait de sa durée excessive, sa détention ne pouvait être considérée comme s’inscrivant dans le cadre de l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière et constituait une privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 f) de la Convention. Une audience fut tenue devant le tribunal administratif de Sofia le 15 octobre 2007 et l’affaire fut mise en délibéré. Le 9 novembre 2007, le tribunal décida toutefois de rouvrir les débats au motif que des éléments de preuve, concernant notamment les faits allégués par le requérant, manquaient au dossier. Par un jugement du 8 janvier 2008, le tribunal administratif de Sofia confirma le constat du directeur national de la police selon lequel la loi relative aux ressortissants de l’UE ne s’appliquait pas au cas du requérant. Il considéra toutefois que les motifs invoqués dans l’arrêté du 15 juin 2006 pour justifier le placement du requérant n’étaient pas établis, étant donné que le requérant avait un passeport algérien en cours de validité et que son épouse avait déclaré disposer de ressources suffisantes pour assurer sa prise en charge. Il estima donc qu’il n’y avait pas de motifs empêchant l’exécution de la mesure de reconduite à la frontière et que la détention de l’intéressé sur cette base était donc injustifiée. Le tribunal considéra également que le défaut d’exécution de l’arrêté de reconduite pendant plus d’un an rendait la détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 f) de la Convention. En conséquence, il annula le refus du directeur de la police du 22 juin 2007 et renvoya le dossier à l’administration afin que celle-ci se prononçât de nouveau sur la demande de libération du requérant. En l’absence de recours, ce jugement devint définitif le 5 février 2008. Le 15 janvier 2008, puis le 8 février 2008, le requérant demanda au directeur national de la police sa remise en liberté en exécution du jugement du 8 janvier 2008. Le 21 février, l’avocate du requérant saisit le tribunal administratif de Sofia en référé en vertu de l’article 250 du code de procédure administrative et réclama que celui-ci fasse injonction à l’administration de remettre le requérant en liberté. Par une ordonnance du 22 février 2008, le tribunal administratif rejeta cette demande au motif que les circonstances de l’espèce ne révélaient pas un défaut d’exécution d’une action matérielle justifiant l’imposition d’une injonction à l’administration en vertu de l’article 250 du code ; il nota qu’il s’agissait éventuellement d’un défaut d’exécution d’un jugement, qui pouvait faire l’objet d’autres voies de recours. Par un arrêté du 2 avril 2008, le directeur du service national de la police constata que pour des motifs d’ordre technique l’exécution de l’arrêté de reconduite à la frontière n’était pas possible et ordonna le sursis à l’exécution de la mesure jusqu’à ce que les causes l’empêchant disparaissent. Par cette même décision, il annula la mesure de placement en centre de rétention et imposa au requérant, à titre de contrôle administratif, l’obligation de se présenter tous les jours au commissariat de son domicile. Le requérant fut remis en liberté le 4 avril 2008. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’entrée et le séjour des ressortissants étrangers Selon l’article 23 de la loi de 1998 sur les étrangers en République de Bulgarie (закон за чужденците в Република България), les ressortissants étrangers séjournant en Bulgarie plus de 90 jours doivent disposer d’un permis de séjour continu (d’une durée maximale d’un an), de longue durée (d’une durée de cinq ans) ou permanent. Les ressortissants étrangers membres de la famille d’un citoyen bulgare peuvent obtenir un permis de séjour continu si leurs logement, moyens de subsistance et couverture sociale sont assurés (article 24 alinéa 1 (18)). Ils ont droit à un permis de séjour permanent s’ils résident dans le pays depuis cinq ans (article 25 (11) ; ce délai était de deux ans avant les modifications introduites en avril 2007). La délivrance d’un visa ou d’un permis de séjour peut être refusée lorsque, entre autres, l’intéressé s’est vu imposer une sanction administrative en application de cette loi et que l’amende n’a pas été payée ou encore qu’il ne dispose pas de moyens suffisants pour assurer sa subsistance pendant son séjour ou son retour (article 11 (8) et (9)). En vertu de l’article 34 de la loi, les ressortissants étrangers doivent quitter le territoire avant l’expiration de leur permis de séjour. Le fait de demeurer sur le territoire après l’expiration de celui-ci constitue une infraction administrative passible d’une amende de 500 à 5 000 BGN (article 48). En vertu de l’article 41 alinéa 2, l’étranger qui n’a pas quitté le territoire à l’expiration de son autorisation de séjour se voit imposer une mesure de reconduite à la frontière. A la suite d’une réforme de la loi entrée en vigueur le 18 mai 2009, transposant la directive européenne 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, l’article 44 alinéa 2 dispose désormais que lors de l’application d’une mesure coercitive, et notamment d’une reconduite à la frontière, les autorités compétentes doivent tenir compte de la durée du séjour en Bulgarie de l’intéressé, de sa situation familiale et de l’existence de liens familiaux, culturels et sociaux avec le pays d’origine. Les arrêtés de reconduite à la frontière sont susceptibles d’un recours administratif devant l’autorité hiérarchique et d’un recours judiciaire (article 46). B. La rétention administrative en vertu de la loi sur les étrangers L’état de la législation au moment de la détention du requérant En vertu de l’article 44 alinéa 5 de la loi sur les étrangers, si l’exécution immédiate d’une mesure coercitive n’était pas possible, l’autorité compétente soumettait les personnes concernées, à titre de contrôle administratif, à l’obligation de se présenter tous les jours au commissariat de leur domicile. Selon l’article 44 alinéa 6, dans sa rédaction en vigueur à l’époque pertinente, l’autorité administrative pouvait, si elle l’estimait nécessaire, ordonner le placement des intéressés en centre de rétention, jusqu’à ce que la cause de l’empêchement disparaisse. Le placement en rétention était effectué sur décision écrite et motivée quant à la nécessité de celui-ci (article 44 alinéa 10 (ancien alinéa 8)). Le placement est effectué dans des centres spécialisés de rétention temporaire des étrangers (специални домове за временно настаняване на чужденци) (article 44 alinéa 7). Il apparaît qu’avant la création de tels centres, la pratique était de placer les étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement dans des centres de placement pour adultes (домове за временно настаняване на пълнолетни лица), destinés au placement temporaire de vagabonds ou de mendiants. Concernant les voies de recours contre les mesures de placement, l’article 46 de la loi sur les étrangers disposait que les actes pris pour son application étaient susceptibles, par renvoi au régime général des actes administratifs, d’un recours administratif devant l’autorité hiérarchique et d’un recours judiciaire. Sur la base de ce texte, la Cour administrative suprême examinait les recours introduits contre des mesures de placement en rétention en application de l’article 44, alinéa 6 de la loi (реш. № 2048 от 8.03.2005 по адм. д. № 7396/2004, ВАС ; реш. № 12844 от 17.12.2007 по адм. д. № 4761/2007, ВАС). La Cour administrative suprême a toutefois remis cette jurisprudence en question en 2008, en considérant que dans la mesure où les décisions de placement n’étaient pas expressément visées par l’article 46 et où elles revêtaient un caractère accessoire à la mesure de reconduite ou d’expulsion, elles ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle séparé (реш. № 3529 от 26.03.2008 по адм. д. № 9216/2007, ВАС ; реш. № 8117 от 2.07.2008 по адм. д. № 4959/2007, ВАС). Compte tenu de la divergence de jurisprudence existante, la Cour administrative suprême fut saisie d’une demande d’interprétation pour trancher cette question. Toutefois, suite aux changements législatifs intervenus en mai 2009 (voir ci-dessus), le 16 juillet 2009 la Cour estima qu’elle n’avait pas à se prononcer (опр. № 3 от 16.07.2009 по тълк. д. № 5/2008). Par ailleurs, en vertu du décret no I-213 du 17 septembre 2003 (наредба № I-213 за [...] домовете за временно настаняване на пълнолетни лица), les placements en centres pour adultes étaient susceptibles d’un recours judiciaire selon le régime général des actes administratifs (article 23, alinéa 1 (7) du décret). La réforme de la loi sur les étrangers adoptée en mai 2009 A la suite des modifications de la loi sur les étrangers adoptées le 15 mai 2009 en transposition de la directive 2008/115/CE, l’article 44, alinéa 6 prévoit désormais que le placement en rétention n’est possible que dans les cas suivants : lorsque l’identité de la personne concernée n’est pas établie, ou que celle-ci entrave l’exécution de la mesure ou risque de s’y soustraire. Selon le nouvel alinéa 8 de l’article 44, la rétention est maintenue tant que ces conditions sont réunies. La durée maximum de la rétention est fixée à six mois. Elle peut être prolongée dans certaines circonstances pour une durée allant jusqu’à douze mois. Le nouvel article 46a instaure un contrôle judiciaire des arrêtés de placement en centre de rétention. Ces décisions sont susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif dans un délai de trois jours suivant le placement. Le recours n’a pas d’effet suspensif. Le tribunal examine le recours en audience publique et doit rendre une décision dans un délai d’un mois suivant le dépôt du recours. En outre, un contrôle automatique de la nécessité de la détention est effectué tous les six mois par le tribunal administratif, qui décide de prolonger la mesure ou d’y mettre fin. Lorsque le tribunal annule un arrêté de placement ou décide de mettre fin à la mesure, la personne concernée est immédiatement remise en liberté. C. La loi sur l’entrée, le séjour et le départ des ressortissants de l’Union européenne (UE) et des membres de leurs familles (закон за влизането, пребиваването и напускането на Република България на гражданите на Европейския съюз и членовете на техните семейства) Ce texte, entré en vigueur au moment de l’adhésion de la Bulgarie à l’UE le 1er janvier 2007, prévoit que les ressortissants européens et les membres de leur famille qui ne sont pas citoyens de l’UE ont le droit d’obtenir un permis de séjour en Bulgarie (article 10). Ce droit peut être limité uniquement pour des motifs liés à la sécurité nationale, au respect de l’ordre public ou à la santé publique. Par ailleurs, pour apprécier l’opportunité d’une mesure de retrait de permis de séjour, d’expulsion ou d’interdiction d’entrée sur le territoire à l’encontre d’une telle personne, l’autorité compétente doit tenir compte de la durée du séjour de l’intéressé en Bulgarie, de son âge, de son état de santé, de sa situation financière et familiale, ainsi que de son intégration sociale et culturelle et de ses liens avec son pays d’origine (article 22). D. La responsabilité délictuelle des personnes publiques L’article 1 de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat et des communes pour dommage (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди) dispose que l’Etat et les communes sont responsables du préjudice matériel et moral causé par les actes, actions ou inactions illégaux de leurs organes ou agents à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. La responsabilité de l’autorité publique à raison d’un acte administratif illégal pouvait être engagée après que celui-ci ait préalablement été annulé selon les procédures applicables. Depuis l’entrée en vigueur des dispositions pertinentes du code de procédure administrative le 1er mars 2007, il est également possible d’introduire un recours en annulation et une action en responsabilité simultanément (article 204, alinéa 2 du code). Le caractère illégal de l’action ou inaction en cause doit quant à lui être constaté dans le cadre de l’action en responsabilité (article 204, alinéa 4 du code). Aux termes de l’article 110 de la loi sur les obligations et les contrats (Закон за задълженията и договорите) l’action en responsabilité délictuelle se prescrit dans un délai de cinq ans. E. Le code de procédure administrative L’article 250 du code de procédure administrative prévoit la possibilité de saisir le juge administratif en référé pour faire cesser une voie de fait, c’est-à-dire une action matérielle d’un organe ou d’un agent de l’administration qui ne trouverait pas de fondement dans un acte administratif ou dans la loi. L’article 256 prévoit une telle possibilité en cas de défaut d’exécution par l’administration d’une action matérielle qu’elle est tenue d’exécuter en vertu de la loi. Le tribunal peut alors enjoindre à l’administration d’exécuter l’action en question dans un délai déterminé. D’autres dispositions du code régissent les procédures d’exécution des jugements rendus en matière administrative, avec notamment la possibilité de demander l’imposition d’une astreinte aux fonctionnaires responsables et d’introduire un recours judiciaire contre les actions ou l’inaction de l’autorité chargée de l’exécution (articles 290 et 294).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1960 et 1963 et résident à Chania (Crète). Ils sont mari et femme. A. Le meurtre du fils des requérants et la procédure pénale engagée contre l’auteur présumé du crime Le 16 mai 2008, Emmanuel Choreftakis, le fils des requérants, âgé de 21 ans, fut tué en pleine rue. En particulier, la victime, en compagnie d’autres personnes, passa tard le soir devant un restaurant (« Το βρώμικο ») dans la ville de Rethymno, lorsqu’un sandwich provenant d’un groupe d’hommes dont Z.L. faisait partie, atterrit sur ses pieds. E. Choreftakis se dirigea vers le groupe d’hommes qui se trouvait sur la terrasse du restaurant pour exiger des explications. E. Choreftakis fut attaqué par Z.L. et prit la fuite. Z.L. le pousuivit dans les rues de Rethymno et finit par lui planter un couteau dans le cœur. La victime décéda sur le champ. Z.L., fut arrêté par la police deux jours plus tard et des poursuites pénales furent engagées à son encontre. Les requérants se constituèrent parties civiles. Lors de sa déposition, Z.L. reconnut être l’auteur du coup de couteau, mais affirma qu’il n’avait pas eu l’intention de tuer le fils des requérants. A l’issue de l’instruction, en mars 2009, Z.L. fut renvoyé en jugement. Selon une expertise datée du 14 novembre 2008 et établie par le psychiatre M.M. pour le compte des requérants, qui s’étaient constitués partie civile au procès, Z.L. ne souffrait pas de troubles psychiques. Le rapport concluait qu’il était pour autant une personnalité antisociale dont les agissements se caractérisaient en général par une tendance à l’indifférence face aux normes sociales. Le 30 septembre 2009, la cour d’assises d’Héraklion déclara Z.L. coupable et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité, ainsi qu’au versement à chacun des requérants de la somme de quarante-quatre euros au titre de leur préjudice moral. La cour d’assises décida en outre que l’appel de Z.L. n’aurait pas d’effet suspensif (arrêt no 74-79/209). Z.L. interjeta appel de cet arrêt. Il ressort du dossier que l’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel de Crète. B. Le passé judiciaire et pénitentiaire de l’auteur présumé du crime Auparavant, Z.L. avait fait l’objet de plusieurs condamnations pénales. En particulier, le 10 novembre 1998, la cour d’assises de la Canée l’avait condamné à la réclusion à perpétuité assortie d’une peine secondaire de dix ans et neuf mois pour homicide volontaire par co-auteur, tentative de vol avec violences, détention et port d’armes illégaux, ainsi que conduite de véhicule sans permis de conduire. En particulier, la cour d’assises admit, entre autres, que le 7 décembre 1997 Z.L. se rendit en compagnie d’autres personnes, muni d’une arme à feu de 9 mm, au domicile de I.K., président d’une coopérative agricole en Crète, avec l’intention de lui soustraire la somme que ce dernier avait en sa possession et qui correspondait à des subventions pour la production d’huile d’olive. La cour d’assises releva que Z.L., de sang-froid et avec l’intention de tuer, a tiré à plusieurs fois sur I.K., acte qui entraîna sa mort (jugement nos 53-58/1998). Le 22 septembre 2005, la cour d’appel de Crète avait confirmé les faits incriminés, tels établis par la cour d’assises mais avait réduit la peine à vingt-trois ans et trois mois de réclusion (arrêt nos 55-57/2005). Le 26 janvier 2006, la cour d’assises de Crète examina la demande de Z.L. de cumul des peines imposées tant par l’arrêt 55-57/2005 de la cour d’appel de Crète que dans le cadre d’autres procédures pénales pour vols aggravés, menaces et infractions du code de la route. Elle fixa la peine encore à purger à vingt-six ans, dix mois et dix jours (décision no 7/2006). Le 29 août 2007, le directeur de la prison d’Alikarnassos soumit, en son propre nom, au procureur près le tribunal correctionnel d’Héraklion une demande portant sur la libération conditionnelle de Z.L. Il relevait dans son rapport que Z.L. avait un très bon comportement en prison depuis 2004. Le 8 novembre 2007, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Héraklion rejeta la demande. En faisant notamment référence à des sanctions disciplinaires qui lui avaient été imposées pendant son incarcération, la chambre d’accusation admit que Z.L. présentait une propension à la délinquance et l’irrespect envers le système légal (décision no 383/2007). A une date non précisée, Z.L. interjeta appel contre la décision no 383/2007. Le 23 janvier 2008, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Crète infirma la décision no 383/2007 et fit droit à la demande du directeur de la prison d’Alikarnassos que Z.L. soit libéré sous condition (υπό όρο απόλυση), avec l’obligation de se présenter tous les cinq premiers jours du mois au commissariat de son lieu de résidence et de ne pas quitter le pays. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Crète, en renvoyant à la proposition du procureur, nota que Z.L. avait purgé dix ans, un mois et vingt jours de la peine imposée. La chambre d’accusation prit aussi en compte le temps que Z.L. avait travaillé en prison, ce qui, selon la législation interne, équivalait à quatre ans, dix mois et onze jours de réclusion. Au total, la chambre d’accusation estima que Z.L. avait purgé quinze ans et un jour de sa peine, à savoir les trois cinquièmes de celle-ci. Ladite juridiction rappela que des sanctions disciplinaires lui avaient été infligées dans le passé, à savoir en 1998, 1999, 2001, 2002 et 2004. En particulier, la chambre d’accusation cita les décisions suivantes prises par des conseils disciplinaires de prison à l’encontre de Z.L. : la décision no 1/1998 du conseil disciplinaire de la prison judiciaire de Neapoli qui avait infligé une réprobation orale pour avoir agressé physiquement un codétenu ; la décision no 6/1999 du conseil disciplinaire de la prison d’Alikarnassos qui avait infligé une réprobation orale pour possession d’une batte et d’un poinçon ; la décision no 3/2001 du conseil disciplinaire de la prison d’Alikarnassos l’avait privé de la possibilité de travailler en prison pour une période de six mois pour utilisation de téléphone portable en prison ; la décision no 1/2002 du conseil disciplinaire de la prison d’Alikarnassos qui avait imposé sa mise en cellule disciplinaire pour une période de dix jours pour avoir attaqué l’un de ses codétenus en le frappant avec une pièce de bois sur la tête ; la décision no 10/2004 du conseil disciplinaire de la prison qui avait infligé sa mise en cellule disciplinaire pour huit jours en raison de la possession de deux couteaux fabriqués par lui-même, d’un canif et d’un téléphone portable en prison. La chambre d’accusation nota qu’en vertu du code pénitentiaire, les sanctions disciplinaires précitées avaient été rayées de la fiche individuelle de Z.L. et qu’elles ne pouvaient donc pas être prises en compte dans sa décision de libérer le détenu sous condition. La chambre d’accusation releva en outre qu’en 2007 une autre peine disciplinaire avait été infligée à Z.L. pour insoumission, mais que cette peine avait été par la suite annulée par ordonnance de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Héraklion. La chambre d’accusation se référa également au rapport, daté du 29 août 2007, du directeur de la prison où Z.L. était incarcéré, rédigé en ces termes : « Le détenu en question a été puni pour divers délits disciplinaires qui ont été commis en raison de son jeune âge et qui ont été rayés de sa fiche individuelle. D’août 2004 à ce jour, il n’a pas été puni disciplinairement et son comportement est très bon, ainsi que son assiduité. Il respecte les agents pénitentiaires et ses codétenus, et il ressort de sa façon de vivre en prison en général qu’il s’est repenti des infractions commises et qu’il ne va plus occuper les autorités judiciaires en sortant de la prison. Lorsqu’il sera libéré, il résidera avec sa famille à (...) et exercera le métier de berger. Pour ces motifs, nous proposons sa libération sous condition, selon les articles 105110 du code pénal. » La chambre d’accusation conclut que : « Sur la base du rapport en date du 29 août 2007 établi par le directeur de la prison d’Alikarnassos, le détenu fait preuve, depuis août 2004, d’une très bonne conduite et d’assiduité, et n’a pas été puni disciplinairement. Ce seul critère (bonne ou mauvaise conduite) est celui qui détermine [la nécessité ou non d’empêcher] le détenu de commettre probablement de nouvelles infractions. Dès lors, la seule condition (bonne conduite) prévue par la loi pour libérer [le requérant] sous condition se trouve remplie en l’espèce, puisque les peines disciplinaires qui lui avaient été infligées ne peuvent pas être prises en considération pour qualifier son comportement comme non convenable. » (ordonnance no 20/2008) Le 1er septembre 2009, les requérants demandèrent la révocation de l’ordonnance no 20/2008 et de la mesure de libération conditionnelle dont Z.L. avait bénéficié en vertu de cette ordonnance. Il ressort du dossier que cette demande est pendante devant le parquet près la cour d’appel de Crète. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi : Article 105 « 1. Ceux qui ont été condamnés à une peine privative de liberté peuvent être libérés sous réserve de révocation conformément aux dispositions suivantes et à condition qu’ils aient purgé : a) les deux tiers de leur peine s’il s’agit d’une peine d’emprisonnement, b) les trois cinquièmes de sa peine s’il s’agit d’une peine de réclusion, c) au moins vingt ans s’il s’agit d’une peine de réclusion à perpétuité. (...) Pour bénéficier d’une libération conditionnelle, est considérée comme peine servie celle qui a été calculée de manière favorable au détenu selon la loi no 2058/52 (...) » Article 106 « 1. La libération conditionnelle est accordée dans tous les cas (« οπωσδήποτε »), sauf s’il a été jugé par motivation spéciale que le comportement du détenu, au cours de l’exécution de sa peine, rend strictement nécessaire la continuation de sa détention pour l’empêcher de commettre de nouvelles infractions. Certaines obligations peuvent être imposées au détenu à libérer concernant son mode de vie et notamment le lieu de sa résidence. Ces obligations peuvent à tout moment être révoquées ou modifiées sur demande du libéré. » L’article précité fut modifié par la loi no 2172/1993. Dans l’ancienne version, il était stipulé que pour décider de libérer sous condition un détenu, il fallait vérifier que celui-ci avait « rempli dans la mesure où il le pouvait ses obligations à l’égard de la victime (...) » et s’assurer que « l’examen de sa vie antérieure, de sa situation personnelle et sociale en général et de son caractère (...) laiss[ait] espérer qu’il mèner[ait] une vie honnête à l’avenir ». Selon la jurisprudence, la « bonne conduite » du détenu est désormais le seul et unique critère d’évaluation de sa personnalité morale. La libération conditionnelle n’est pas une mesure de grâce, mais une mesure correctionnelle « qui met en place une façon spéciale de purger une peine en dehors de la prison, dans une situation de liberté limitée ; elle constitue ainsi une période d’essai, un stade préparatoire pour la liberté finale, qui vise à l’amélioration morale du condamné et à sa réhabilitation sociale, en contribuant ainsi à l’exercice satisfaisant de la politique criminelle » (décision no 102/1996 de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Patras). Dans ce contexte, il a été jugé que « la loi ne fait pas dépendre la mise en liberté conditionnelle de la commission d’infractions disciplinaires ou même d’actes réprimés pénalement lors de la détention ; si de tels actes ont eu lieu, cela sera pris en compte par la chambre d’accusation pour former son opinion si la continuation de la détention du condamné est justifiée » (décision no 247/1996 de la cour d’appel de Patras). Selon la jurisprudence, les éléments sur lesquels la chambre d’accusation peut évaluer la « bonne conduite » de l’intéressé sont, entre autres, la commission ou non de fautes disciplinaires, l’adaptation du détenu au règlement pénitentiaire et sa conduite lors de congés pénitentiaires (décision no 138/2006 de la chambre d’accusation de la cour d’appel du Pirée). Article 107 § 1 « La libération conditionnelle peut être révoquée si le libéré ne se conforme pas aux obligations qui lui ont été imposées lors de sa libération. » Selon la jurisprudence, la révocation est aussi possible si des événements ultérieurs justifient une évaluation différente (chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée, no 1859/2001). Article 110 « L’octroi ou la révocation de la liberté conditionnelle est décidé par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée. » Selon les dispositions pertinentes du code pénitentiaire (loi no 2776/1999), les peines disciplinaires sont rayées de la fiche individuelle du détenu dans un délai allant de six mois à deux ans après leur imposition et ne sont pas prises en compte dans la décision de lui accorder une libération conditionnelle (article 69 § 4). En particulier, ledit article dispose : « 1. Les sanctions disciplinaires infligées au détenu pour les fautes prévues par l’article précédent sont exécutées soit dans l’établissement pénitentiaire où le détenu purge sa peine soit dans un autre établissement où il peut être transféré à titre exceptionnel. Il s’agit des sanctions suivantes : a) le confinement en une cellule disciplinaire pour une durée allant d’un à dix jours (...) ; b) le transfert vers un autre établissement pénitentiaire ( ...) ; c) peines s’échelonnant de 1 à 30 points ; d) la privation de la participation à des programmes de travail en prison et de formation professionnelle. (...) Les peines disciplinaires prévues par le présent article sont rayées de la fiche individuelle de contrôle disciplinaire du détenu, et ne sont pas prises en compte pour l’octroi des congés pénitentiaires et de libération conditionnelle, de la manière suivante : a) dans le cas prévu par le paragraphe 1 a), deux ans après l’infliction de la peine ; b) dans le cas prévu par le paragraphe 1 b), un an après l’infliction de peine, et c) dans le cas du paragraphe 1 c), six mois après l’infliction de la peine (...). Entre également en ligne de compte la disposition suivante de la loi d’accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil : Article 105 « L’Etat est tenu à réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux ayant causé un préjudice matériel ou moral à l’administré. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission. Selon la jurisprudence des tribunaux administratifs, le dépassement des limites du pouvoir discrétionnaire de l’administration ou la méconnaissance des principes généraux de la bonne administration sont susceptibles d’engager sa responsabilité extracontractuelle (voir, parmi d’autres, cour administrative d’appel d’Athènes, arrêts nos 1605/93 et 1427/1998, Dioikitiki Diki 1994, p. 369, et 1998, p. 963). B. Les textes du Conseil de l’Europe Les parties pertinentes de la Recommandation Rec(2003)22 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la libération conditionnelle (adoptée le 24 septembre 2003), prévoient ce qui suit : « Le Comité des Ministres (...) recommande aux gouvernements des Etats membres: d’introduire la mesure de libération conditionnelle dans leur législation si celle-ci ne la prévoit pas encore ; d’orienter leur législation, leur politique et leur pratique concernant la mesure de libération conditionnelle selon les principes énoncés à l’annexe de la présente recommandation ; et d’assurer la diffusion la plus large possible de la présente recommandation concernant la libération conditionnelle, et de son exposé des motifs. Annexe à la Recommandation Rec(2003)22 I. Définition de la libération conditionnelle Aux fins de la présente recommandation, on entend par libération conditionnelle la mise en liberté anticipée de détenus condamnés, assortie de conditions individualisées après leur sortie de prison. Les amnisties et les grâces ne sont pas couvertes par cette définition. La libération conditionnelle constitue l’une des mesures appliquées dans la communauté. Son introduction dans la législation et son application aux cas individuels sont régies par les Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté figurant dans la Recommandation no R (92) 16, ainsi que par la Recommandation Rec2000(22) concernant l’amélioration de la mise en œuvre des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté. II. Principes généraux La libération conditionnelle devrait viser à aider les détenus à réussir la transition de la vie carcérale à la vie dans la communauté dans le respect des lois, moyennant des conditions et des mesures de prise en charge après la libération visant cet objectif et contribuant à la sécurité publique et à la diminution de la délinquance au sein de la société. a. Afin de réduire les effets délétères de la détention et de favoriser la réinsertion des détenus dans des conditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle. b. Si les peines sont trop courtes pour permettre la libération conditionnelle, il conviendrait de trouver d’autres moyens pour atteindre ces objectifs. Au commencement de l’exécution de leur peine, les détenus devraient connaître le moment où la libération conditionnelle pourra leur être accordée du fait d’avoir purgé une période minimale (définie en termes absolus et/ou par référence à une proportion de la peine) et les critères utilisés pour déterminer s’ils peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle («système de libération discrétionnaire») ou bien, le moment où celle-ci leur sera accordée de droit du fait d’avoir purgé une période fixe définie en termes absolus et/ou par référence à une proportion de la peine («système de libération d’office»). La période minimale ou fixe ne devrait pas être si longue que l’objectif de la libération conditionnelle ne pourrait être atteint. Il conviendrait de prendre en considération les économies de ressources qui peuvent être réalisées en appliquant le système de libération d’office aux peines pour lesquelles une évaluation individualisée négative ne reporterait que légèrement la date de libération. Afin de réduire le risque de récidive des détenus bénéficiant d’une libération conditionnelle, il devrait être possible de leur imposer des conditions individualisées telles que: – la réparation du tort causé aux victimes, ou le versement d’un dédommagement ; – l’engagement de se soumettre à une thérapie, en cas de toxicomanie ou d’alcoolisme, ou dans le cas de toute autre affection se prêtant à un traitement et manifestement liée à la perpétration du crime ; – l’engagement de travailler ou de se livrer à une autre occupation agréée, par exemple suivre des cours ou une formation professionnelle ; – la participation à des programmes d’évolution personnelle ; – l’interdiction de résider ou de se rendre dans certains lieux. En principe, la libération conditionnelle devrait également être accompagnée d’une prise en charge, sous la forme de mesures d’assistance et de contrôle. La nature, la durée et l’intensité de cette prise en charge devraient être adaptées à chaque individu. Des aménagements devraient pouvoir être effectués durant toute la période de liberté conditionnelle. Les conditions et les mesures de prise en charge devraient être imposées pendant une durée qui ne doit pas être disproportionnée par rapport à celle de la peine restant à purger. Les conditions et les mesures de prise en charge d’une durée indéterminée ne devraient s’appliquer qu’en cas de nécessité absolue aux fins de la protection de la société et conformément aux garanties énoncées dans la Règle 5 des Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, telle que révisée dans la Recommandation Rec2000(22). (...) IV. Octroi de la libération conditionnelle Système de libération discrétionnaire La période minimale que les détenus doivent purger avant de pouvoir prétendre à la libération conditionnelle devrait être définie en conformité avec la loi. Les autorités compétentes devraient engager la procédure nécessaire pour que la décision concernant la libération conditionnelle puisse être rendue dès que le détenu a purgé la période minimale requise. Les critères que les détenus doivent remplir pour pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle devraient être clairs et explicites. Ils devraient également être réalistes en ce sens qu’ils devraient tenir compte de la personnalité des détenus, de leur situation socio-économique et de l’existence de programmes de réinsertion. L’absence de possibilité d’emploi au moment de la libération ne devrait pas constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Des efforts devraient être déployés pour trouver d’autres formes d’activité. Le fait de ne pas disposer d’un logement permanent ne devrait pas non plus constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Il conviendrait plutôt de trouver une solution provisoire d’hébergement. Les critères d’octroi de la libération conditionnelle devraient être appliqués de telle sorte que celle-ci puisse être accordée à tous les détenus dont on considère qu’ils remplissent le niveau minimal de garanties pour devenir des citoyens respectueux des lois. Il devrait incomber aux autorités de démontrer qu’un détenu n’a pas rempli les critères. Si l’instance de décision rend une décision négative, elle devrait fixer une date en vue du réexamen de la question. En toute hypothèse, les détenus devraient pouvoir saisir une nouvelle fois l’instance de décision dès l’apparition d’une amélioration notable de leur situation. Système de libération d’office La période de la peine que les détenus doivent purger avant que la libération conditionnelle leur soit accordée de droit devrait être fixée par la loi. Un report du moment de la libération ne devrait être possible que dans des circonstances exceptionnelles définies par la loi. La décision de report de la libération devrait être l’occasion de fixer une nouvelle date de libération. V. Conditions imposées Au moment d’examiner les conditions à imposer et la nécessité d’une prise en charge, l’instance de décision devrait disposer de comptes rendus – y compris du témoignage verbal – d’intervenants travaillant en milieu fermé connaissant bien le détenu et sa situation personnelle. Les professionnels intervenant dans la prise en charge du détenu après sa libération ou d’autres personnes connaissant sa situation sociale devraient aussi fournir des informations. L’instance de décision devrait s’assurer que les détenus comprennent les conditions imposées, l’aide qui peut leur être apportée, les obligations de contrôle et les conséquences éventuelles du non-respect des conditions fixées. (...) IX. Méthodes destinées à améliorer la prise de décision Il conviendrait d’encourager l’utilisation et le développement d’instruments fiables d’évaluation des risques et des besoins, qui, associés à d’autres méthodes, pourraient constituer une aide à la prise de décision. Des séances d’information et/ou des programmes de formation devraient être organisés à l’intention des décideurs, avec la participation de spécialistes en droit et en sciences sociales, et de tous les intervenants dans le domaine de la réinsertion des détenus libérés sous condition. Des mesures devraient être adoptées afin d’assurer une certaine cohérence dans la prise de décision. (...) » La partie pertinente de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006) prévoit ce qui suit : « (...) Libération des détenus condamnés 107.1 Les détenus condamnés doivent être aidés, au moment opportun et avant leur libération, par des procédures et des programmes spécialement conçus pour leur permettre de faire la transition entre la vie carcérale et une vie respectueuse du droit interne au sein de la collectivité. 107.2 Concernant plus spécialement les détenus condamnés à des peines de plus longue durée, des mesures doivent être prises pour leur assurer un retour progressif à la vie en milieu libre. 107.3 Ce but peut être atteint grâce à un programme de préparation à la libération, ou à une libération conditionnelle sous contrôle, assortie d’une assistance sociale efficace. 107.4 Les autorités pénitentiaires doivent travailler en étroite coopération avec les services sociaux et les organismes qui accompagnent et aident les détenus libérés à retrouver une place dans la société, en particulier en renouant avec la vie familiale et en trouvant un travail. 107.5 Les représentants de ces services ou organismes sociaux doivent pouvoir se rendre dans la prison autant que nécessaire et s’entretenir avec les détenus afin de les aider à préparer leur libération et à planifier leur assistance postpénale. » C. Le droit comparé Selon des éléments de droit comparé disponibles à la Cour sur les législations des Etats membres du Conseil de l’Europe, la plupart de ceux-ci ont instauré dans leur législation un dispositif de libération conditionnelle. Parmi ces Etats membres, une très large majorité confère un pouvoir discrétionnaire à l’autorité compétente pour accorder une libération conditionnelle après que celle-ci aura constaté que les conditions préalables étaient satisfaites. En particulier, dans ce cas les autorités habilitées à se prononcer sur l’octroi d’une libération conditionnelle prennent toutes en considération un double critère. Le premier critère est relatif aux éléments, de caractère objectif, caractérisant la situation pénale du détenu intéressé par la mesure de libération et concerne l’accomplissement par le détenu d’une période de sûreté ainsi que l’importance du reliquat de la peine. Le second critère vise certaines caractéristiques propres au statut pénal du détenu potentiellement bénéficiaire d’une libération conditionnelle et présente donc un caractère subjectif. En ce qui concerne le critère objectif, la plupart des pays exigent que le détenu ait accompli au moins la moitié de sa peine avant de pouvoir prétendre bénéficier d’une libération conditionnelle. Il en est ainsi en Autriche, en Bosnie-Herzégovine, en Bulgarie, à Chypre, en France (avec des exceptions pour certains détenus), en Géorgie, en Islande, en Irlande, en Lituanie, en République tchèque, en Slovaquie ou en Ukraine. Certains des Etats prévoient un premier palier inférieur en exigeant l’accomplissement du tiers de la peine par l’intéressé et à condition qu’il reste une certaine durée à accomplir en fonction de la gravité de la peine, comme à Malte ou en Russie. D’autres pays connaissent un seuil plus élevé en demandant que l’intéressé ait accompli les deux-tiers au moins de la durée de sa peine : Allemagne Danemark, Espagne (3/4) Finlande, Hongrie (où il est, en outre, tenu compte de la nature du régime pénitentiaire), Moldova, Norvège, Portugal, Suède, Suisse. Les deux conditions tenant à la durée effectivement accomplie par le détenu et à la proportion présentée par cette durée au regard de la peine infligée peuvent être requises cumulativement : tel est le cas en Belgique, en Italie, en ex-République yougoslave de Macédoine, en Norvège ou en Pologne. Dans certains systèmes législatifs, la situation pénale du condamné est aussi prise en compte. A titre d’exemple, lorsque le détenu est mineur, les conditions permettant d’accorder une libération conditionnelle sont moins contraignantes dans la mesure où la durée afférente au temps d’épreuve est réduite par rapport à celle exigée pour un majeur (cf. entre autres les exemples de la Bulgarie, de la Finlande pour la personne âgée de moins de 21 ans , de l’Hongrie ou de la Turquie). A l’inverse, si le détenu est récidiviste, le temps d’épreuve sera d’une durée plus longue que celle impartie à un prisonnier « ordinaire » (Bulgarie, France, Pologne). Un condamné à perpétuité peut être exclu du bénéfice de ce dispositif : Albanie, Bulgarie, Turquie (si la condamnation est justifiée par des activités dans une organisation illégale, de crime contre la sûreté de l’Etat, l’ordre constitutionnel ou la défense nationale). Quant aux éléments subjectifs qui peuvent être pris en compte, ils ont trait au constat d’un amendement du comportement du prisonnier permettant de penser que sa réinsertion dans la société est réaliste sans risque pour les tiers. Une telle appréciation du comportement revêt nécessairement un caractère très large. Elle intègre, de manière extensive, nombre d’éléments susceptibles d’être pris en considération sans qu’une liste exhaustive puisse être établie. Le fait qu’un élément ne soit pas énuméré par une législation n’implique nullement qu’il ne puisse être pris en considération dans la mesure où il peut nécessairement entrer dans le critère tenant au comportement de la personne en cause. Ainsi, pour apprécier ce comportement, il sera tenu compte de la mise en œuvre, par l’intéressé, d’un programme de formation générale ou professionnelle, d’activités à caractère professionnel, d’un suivi médical, du constat de sa capacité à respecter les règles de la vie en société tout comme les conditions assortissant la mesure de libération conditionnelle (Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Espagne, Finlande, France, Géorgie, Islande, Monaco, Norvège, Pologne, République tchèque, Russie, Slovaquie, Slovénie, Ukraine), de l’existence de raisons personnelles ou familiales justifiant la mesure (Chypre), de la dangerosité de l’intéressé, de la nature et de la gravité de l’infraction commise, de l’absence de risques pour les tiers ou les victimes (Belgique, Danemark, Estonie, Lituanie, Irlande), de l’autonomie du détenu hors de l’institution pénitentiaire (Belgique), de l’existence de motifs particuliers d’accorder une telle libération (Albanie), du fait qu’il n’apparait plus nécessaire que le détenu accomplisse sa peine en prison (Arménie), ou du constat de la réparation du dommage causé (Arménie, Lituanie, Moldova). Un second groupe d’Etats membres prévoit que l’autorité décisionnaire doit accorder la libération conditionnelle lorsque des conditions légales prédéterminées sont satisfaites. Dans certains pays, la libération conditionnelle est accordée par principe. A titre d’exemple, en Suède, un refus de libération conditionnelle ne peut être opposé que dans des circonstances particulières comme en cas de grave méconnaissance des conditions d’application de la peine (de simples violations peuvent entraîner un report de la mesure ou des restrictions d’accès à certains droits). Le refus sera décidé par l’administration pénitentiaire centrale. L’autorité compétente dispose de la faculté de décider sur les conditions pouvant être imposées au détenu après sa libération. En Autriche, la personne ayant effectué la moitié de sa peine (s’agissant des infractions les moins graves) sera libérée de manière anticipée s’il est considéré qu’elle ne commettra pas d’autres crimes. Celui qui a effectué les 2/3 de sa peine bénéficiera d’une libération anticipée, indépendamment de la gravité du crime commis, sauf s’il risque de commettre de nouveaux crimes. Dans d’autres Etats membres, lorsque les conditions légales en matière de libération conditionnelle sont remplies, l’autorité décisionnaire sera alors tenue d’accorder la mesure en cause. Toutefois, il convient d’observer que tous les prisonniers ne sont pas nécessairement éligibles à ce dispositif. A titre d’exemple, aux Pays-Bas, une personne ayant effectué au moins un an de prison et dont le reliquat de la condamnation n’est que du tiers pour une peine de prison comprise entre 1 et 2 ans, ou après les 2/3 de sa peine pour une peine de plus de 2 ans, sera libérée. Cependant, la libération conditionnelle ne peut être accordée si la personne a bénéficié d’un sursis partiel ou si le juge a ordonné l’exécution de la partie de la peine ayant donné lieu à un sursis. Une période d’essai peut être prévue et des conditions particulières peuvent aussi être imposées. En outre, au Portugal, l’octroi de la libération conditionnelle est automatique lorsque le détenu, condamné à plus de 6 ans d’emprisonnement a effectué les 5/6èmes de sa peine. Hors de cette situation, la mesure de libération conditionnelle est soumise à des conditions de fond et de forme et son octroi ne revêt qu’un caractère facultatif.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’évolution de la situation de l’école primaire d’Aspropyrgos depuis les faits de l’arrêt Sampanis et autres c. Grèce du 5 juin 2008 Les requérants, tous d’origine rom, résidaient, à l’époque des faits, sur l’aire de Psari, près d’Aspropyrgos. Quatre-vingt-dix-huit requérants étaient des enfants âgés de cinq ans et demi à quinze ans scolarisables en 20082009 et 2009-2010. Quarante-deux requérants sont des adultes, parents ou tuteurs des autres requérants. Les requérants appartiennent à trente-huit familles. Certains d’entre eux étaient requérants dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt Sampanis et autres c. Grèce (no 32526/05, 5 juin 2008). Les requérants se réfèrent aux circonstances de fait de cet arrêt pour la période allant jusqu’à octobre 2007 et notamment à ce qui suit : « 29. Le 20 juin 2006, la 3e circonscription du Conseil éducatif de l’éducation primaire de l’Attique de l’Ouest adressa une lettre au directeur de la périphérie de l’Attique. Elle l’y informait que, pour l’année scolaire 2005-2006, cinquante-quatre élèves d’origine rom avaient été inscrits à la 10e école primaire d’Aspropyrgos. Elle précisait que « des classes préparatoires [avaient] été prévues pour les élèves d’origine rom, en vue d’assurer leur adaptation à l’environnement scolaire, compte tenu des déficiences dont ils souffr[aient] et de diverses autres raisons rendant impossible leur intégration dans les classes ordinaires ». Elle ajoutait que « malgré les progrès effectués par les élèves roms dans les classes préparatoires, l’ensemble des ces élèves n’[étaient] pas encore aptes à intégrer les classes ordinaires. Le 5 avril 2007, les salles préfabriquées de la 10e école primaire furent incendiées par des inconnus. Il ressort du dossier qu’en septembre 2007 les deux salles ont été remplacées mais qu’en raison de problèmes d’infrastructure elles n’étaient pas opérationnelles. En septembre 2007 fut créée à Aspropyrgos une 12e école primaire, vers laquelle les enfants roms furent transférés. Il ressort du dossier qu’en octobre 2007 cette école n’était pas encore opérationnelle, en raison de problèmes d’infrastructure. Le Gouvernement allègue que la création de la 12e école primaire d’Aspropyrgos ne visait qu’à décongestionner la 10e école primaire. » Par une décision no 10781/D4/2008 du 25 janvier 2008, publiée au Journal officiel du 30 janvier 2008, les ministres de l’Education et des Finances créèrent la 12e école primaire d’Aspropyrgos, qui était censée accueillir indistinctement des élèves roms et non roms. Durant l’année scolaire 2007-2008, les enfants roms étaient encore scolarisés dans un bâtiment annexe au bâtiment principal de la 10e école. Pendant les vacances de Noël, les salles du bâtiment annexe furent endommagées. Le 8 janvier 2008, à la suite d’une plainte déposée par le directeur de l’école, la police assura qu’elle allait saisir le procureur. Selon les informations fournies par la 12e école primaire, à la fin de l’année scolaire 2008, soixante élèves y étaient inscrits en début d’année, dix-huit avaient suivi les cours occasionnellement, neuf avaient fini l’année avec beaucoup d’absences et, à l’issue d’un test, trois d’entre eux avaient été considérés comme ayant l’âge et le niveau requis pour être intégrés dans des classes ordinaires. Le 3 mars 2008, la mairie d’Aspropyrgos convoqua les directeurs des écoles primaires et les invita à redéfinir la carte scolaire et les zones de recrutement des écoles. Ceux-ci attribuèrent la même zone de recrutement aux 9e, 10e et 12e écoles. Le 11 mars 2008, une réunion eut lieu à la 10e école, organisée par le médiateur, entre la direction de cette école, la préfecture, l’association des parents d’élèves (non roms) et le médiateur. Le but était de convaincre les parents d’élèves de renoncer à leur opposition à l’intégration des élèves roms dans des classes ordinaires. Toutefois, une intervention du maire d’Aspropyrgos ne permit pas à cette réunion d’aboutir et il ne fut pas possible non plus d’inscrire dans les classes ordinaires trois élèves roms qui avaient un niveau scolaire suffisant. Le 8 avril 2008, la direction de l’éducation primaire de l’Attique de l’Ouest définit la zone de recrutement de chacune des douze écoles de la région. L’aire de Psari, où les requérants résidaient, fut rattachée à la 12e école. Le 24 juin 2008, à la suite d’un rapport du comité chargé du contrôle de la conformité des bâtiments scolaires aux dispositions en vigueur, le préfet de l’Attique de l’Ouest décida d’utiliser provisoirement, pour les locaux de la 12e école, le bâtiment préfabriqué qui jouxtait la 10e école et qui avait servi, en 2005, à accueillir des classes de soutien. Ces locaux de la 12e école subirent à nouveau des dégradations pendant les vacances d’été 2008 et tout le matériel fut dérobé. Le 8 septembre 2008, le directeur de la 12e école rapporta en détail aux autorités régionales du ministère de l’Education les dommages causés au bâtiment et conclut que celui-ci n’était pas en état d’accueillir des élèves. Il affirma que l’état des installations ne permettait pas de couvrir les besoins élémentaires de l’école et mettrait en péril la sécurité des élèves et du personnel enseignant. Toutefois, le 10 septembre 2008, à la veille de la rentrée scolaire, les familles roms furent informées que la 12e école ouvrirait ses portes, dans les locaux jouxtant la 10e. Le 22 septembre 2008, une délégation de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe se rendit en visite, entre autres, auprès de la communauté rom de Psari et à la 12e école. Le 24 septembre et le 8 octobre 2008, les services du ministère de l’Education invitèrent le maire d’Aspropyrgos et le préfet de l’Attique de l’Ouest à autoriser la fusion de la 12e et de la 11e école, en attirant l’attention sur le fait que cette affaire était suivie par les institutions européennes à la suite de plaintes portées contre la Grèce. Une lettre envoyée le 26 septembre 2008 au ministre de l’Education par le maire d’Aspropyrgos et les parents d’élèves non roms se lisait ainsi : « La création de la 12e école primaire ne visait pas (...) à exercer une ségrégation entre les enfants roms et les autres élèves des écoles du district. Elle est cependant devenue une nécessité inévitable parce que des Tsiganes vivant dans des tentes ont choisi de vivre une vie nomade, dans des décharges qu’ils ont eux-mêmes créées, sans se soucier des standards élémentaires d’hygiène, et en s’adonnant à des activités illégales qui ont un impact négatif sur des groupes sociaux vulnérables ainsi que, de manière plus générale, sur les habitants d’Aspropyrgos. (...) En dépit de tout cela, [les enfants roms] osent exiger de partager les mêmes salles de classe que les autres élèves d’Aspropyrgos, dont un pourcentage considérable fait partie des groupes sociaux sensibles ou sont des enfants d’immigrés économiques (...) » Le 17 octobre 2008, le préfet de l’Attique de l’Ouest refusa l’autorisation demandée (paragraphe 18 ci-dessus) au motif qu’il souhaitait éviter de créer des problèmes d’ordre social, culturel et éducatif. Il releva en outre que la 12e école était plus proche du lieu d’habitation des élèves roms que la 11e. Le 8 décembre 2008, le médiateur de la République adressa au préfet de l’Attique de l’Ouest une lettre l’incitant à revenir sur sa décision du 17 octobre 2008. Il précisait entre autres ce qui suit : « La 12e école d’Aspropyrgos a une histoire d’incendies volontaires et de vandalismes qu’il est inutile de vous rappeler. On souhaiterait cependant attirer votre attention sur l’état de cette école tel qu’il a été décrit dans la lettre du 8 septembre 2008 envoyée par le directeur de cette école au chef du 1er bureau de l’éducation régionale de l’Attique de l’Ouest, car ce document ne vous a pas été soumis avant que vous preniez votre décision. L’aspect sombre des installations comprend entre autres : s’agissant de la cour de l’école : la clôture à certains endroits peut être dangereuse pour les enfants. De plus, les balançoires et les paniers de basket sont détruits. S’agissant des toilettes : il n’existe pas actuellement de toilettes en état de fonctionnement dans l’école. Elles ont été toutes pillées : les robinets, les luminaires, les câbles, les poignées de porte et une partie de porte ont été volés. S’agissant des salles de cours : les portes, les fenêtres, les câbles, le tableau électrique, les luminaires, les bancs et les chaises ont été volés. Il n’y a plus aucun appareil de refroidissement de l’air ou de chauffage. S’agissant de la salle des professeurs : tout ce qui existait dans cette salle a été dérobé. A la lumière de ce qui précède, je considère que les installations de la 12e école primaire d’Aspropyrgos, telles qu’elles se présentent aujourd’hui, ne sont pas en mesure de couvrir même de manière élémentaire les besoins d’une unité scolaire et qu’elles mettent en danger la sécurité des élèves et du personnel enseignant. » Le médiateur souligna que, en dépit du fait que la zone de recrutement de la 12e école englobait une population scolaire importante, tous les élèves inscrits pour l’année 2008-2009 appartenaient à la communauté rom, alors que le décret présidentiel no 201/1998 disposait qu’il était obligatoire de transférer tous les élèves résidant dans la zone de recrutement d’une école à l’école en cause et que le transfert devait s’effectuer même en l’absence de demande des parents. Le médiateur reconnaissait que la préfecture n’était pas responsable de la non-application du décret mais il incitait celle-ci à prendre en considération, dans l’exercice de ses fonctions, le fait que la non-application du décret avait eu pour effet de transformer la 12e école en une « école ghetto », compte tenu du fait qu’aucun élève non rom de la région n’y était inscrit. Le médiateur rappela également que le ministère de l’Education était favorable à l’intégration des élèves roms dans le système éducatif ordinaire et qu’une circulaire du 10 septembre 2008, intitulée « Inscription et scolarité des Roms » recommandait que, dans chaque classe, le pourcentage d’élèves d’une autre culture ne dépassât pas 50 %. Le médiateur affirma qu’il existait des problèmes d’intolérance de la part de la population non rom et que l’association des parents d’élèves avait créé des problèmes en 2005. Il reconnut que l’annexe de la 10e école, rebaptisée 12e école, avait été créée sous la pression des incidents qui avaient été provoqués par les parents d’élèves non roms et qui avaient conduit à la condamnation de la Grèce dans l’arrêt de la Cour Sampanis et autres (précité). Il souligna que le maintien de la décision refusant d’autoriser la fusion de la 12e et de la 11e école constituait une discrimination injustifiée à l’égard des élèves roms, car il les empêchait de se fondre dans l’environnement culturel de la région et était motivé uniquement par le souci du préfet d’éviter de nouveaux incidents, cette fois de la part des parents d’élèves de la 11e école. Le 17 mars 2009, le directeur de la 12e école écrivit au maire d’Aspropyrgos, l’invitant à équiper d’eau courante le camp de Roms, car, selon lui, l’absence d’installations influait négativement sur la santé et la propreté des élèves, et par conséquent sur leur capacité à poursuivre leur scolarité. Par une réponse du 31 mars 2009, le maire rejeta la demande au motif que les propriétaires du terrain sur lequel les Roms étaient installés essayaient d’obtenir l’expulsion de ceux-ci et l’avaient menacé de poursuites s’il accueillait la demande en question. Le 30 mai et le 20 juillet 2009, les requérants adressèrent deux lettres aux services compétents du ministère de l’Education et au ministre lui-même, les invitant à autoriser les enfants roms à fréquenter la 10e école et à établir pour eux un programme d’études qui aurait été conçu pour les Roms musulmans de Thrace et qui se serait révélé efficace. Ils ne reçurent aucune réponse. Le 11 juin 2009, le directeur de la 12e école informa les services du ministère de l’Education que les livres scolaires étaient inappropriés pour les Roms dont la langue maternelle n’était pas le grec. Le 23 juillet 2009, le médiateur écrivit à nouveau au ministère de l’Education. Il informait celui-ci que le préfet, qui avait, le 17 octobre 2008, refusé d’autoriser la fusion des 12e et 11e écoles, ne souhaitait pas revenir sur cette décision. Il soulignait que le fonctionnement de cette école ghetto réservée aux élèves roms était contraire à la position du ministère, défavorable aux écoles « exclusivement réservées aux élèves tsiganes ». Il se prévalait de la lettre du 8 septembre 2008 du directeur de la 12e école, selon laquelle l’état des installations n’aurait pas permis de couvrir les besoins élémentaires d’une école et aurait mis en péril la sécurité des élèves et du personnel enseignant. Il ajoutait que les besoins ne pouvaient pas être satisfaits par la mairie d’Aspropyrgos qui aurait ouvertement déclaré, le 26 septembre 2008, que les enfants roms « os[aient] exiger de partager les mêmes salles de classe que les autres élèves d’Aspropyrgos ». Il soulignait que le maire avait ignoré une invitation des autorités régionales du ministère à « faire le nécessaire pour la remise en état immédiate » de la 12e école. Il attirait l’attention sur le fait que la Grèce était « sous contrôle » dans le cadre de l’exécution de l’arrêt Sampanis et autres et qu’elle n’avait pas fait jusqu’alors preuve de progrès à ce sujet. Le 1er août 2009, les requérants portèrent plainte avec constitution de partie civile contre les directions de la 10e et de la 12e école pour manquement aux devoirs de la fonction. L’examen de la plainte était encore pendant à la date du dépôt à la Cour, le 10 octobre 2011, de leurs observations en réponse à celles du Gouvernement. Il ressort des pièces du dossier que, entre octobre 2008 et juin 2009, le directeur de la 12e école a envoyé plusieurs lettres aux autorités régionales de l’éducation, au préfet et au maire d’Aspropyrgos pour les alerter sur les carences auxquelles l’école aurait fait face, notamment en ce qui concernait l’itinéraire du bus scolaire affecté à l’école, la construction d’un préau, l’installation du chauffage et de toilettes supplémentaires, la construction de deux salles de classe supplémentaires, la création d’un jardin d’enfants et l’abandon des cours par certains élèves à partir d’avril 2009. B. Situation générale de la 12e école d’Aspropyrgos Thèse du Gouvernement Selon le Gouvernement, le bâtiment préfabriqué dans lequel la 12e école avait été installée disposait de quatre salles de cours, d’un bureau des enseignants, de quatre toilettes, de deux salles de douches, d’une cantine et d’une cour aménagée. Trois classes auraient été créées alors que la capacité officielle de l’école aurait été de six classes. Il ressortirait d’un document établi par le ministère de l’Education le 12 juillet 2011 et versé au dossier par le Gouvernement que, pendant la période de fonctionnement de la 12e école (2008-2011), deux élèves avaient obtenu leur diplôme de fin d’études primaires. A partir de 2009, l’école aurait disposé d’un fax, d’un photocopieur, d’un ordinateur et d’une bibliothèque. Il y aurait eu cinq enseignants : quatre instituteurs et un professeur de gymnastique. Le nombre d’élèves inscrits à l’époque des faits (2008-2009) aurait été de 226. La scolarité des élèves aurait été irrégulière, le nombre de présents variant de trente à soixante par jour en raison du mode de vie des familles de ces élèves, fréquemment en déplacement pour des travaux saisonniers. Le fait que l’ensemble des élèves de la 12e école était d’origine rom aurait été dû à l’attitude de la société locale et non pas à l’Etat grec. Le ministère de l’Education aurait demandé à la direction de l’école de procéder à l’inscription immédiate des enfants non roms dont le domicile se situait dans la zone de recrutement de cette école, et ce même en l’absence de demande de la part des parents concernés, mais l’on aurait constaté que ces enfants étaient déjà inscrits dans d’autres écoles, publiques ou privées. Thèse des requérants Se fondant sur des documents officiels versés au dossier, les requérants contestent plusieurs des affirmations du Gouvernement, notamment celles relatives à la configuration et à la superficie de l’école ainsi qu’au nombre de classes en service. Selon leur version, l’extension de l’école à sa taille actuelle avait eu lieu en décembre 2009, mais sa capacité était encore insuffisante pour les 200 élèves environ qui y auraient été inscrits. Par une lettre du 29 septembre 2009, le directeur de la 12e école aurait informé les autorités compétentes du ministère de l’Education que seulement deux enseignants débutants, sans aucune expérience, étaient affectés à l’école. Or, selon les requérants qui se réfèrent à une décision ministérielle du 25 septembre 2006, l’école aurait dû être pourvue, en plus du directeur, d’au moins quatre enseignants pour l’année scolaire 2008-2009 pour le nombre de 226 élèves qu’aurait fourni le Gouvernement et qui serait inexact. L’absentéisme scolaire des élèves roms aurait été dû à l’emplacement de l’arrêt de bus, situé loin de l’école, et à l’impossibilité pour les enfants roms de marcher dans le froid et sous la pluie sans vêtements adaptés. Ceux-ci auraient dû en plus traverser le quartier dans lequel s’étaient déroulés en 2004-2005 les incidents racistes à l’origine de la création de l’annexe préfabriquée de la 10e école réservée aux élèves roms. Toujours selon les requérants, à la suite de la fixation de la carte scolaire, en avril 2008, la direction de la 10e école aurait dû fournir à la 12e école les noms des élèves scolarisés dans la 10e et qui, d’après la nouvelle délimitation, devaient être transférés à la 12e pour l’année scolaire 2008-2009. Les intéressés précisent que, si ce transfert avait eu lieu, la 12e école aurait eu dès le début de son fonctionnement des centaines d’élèves non roms en plus des élèves roms, et aurait ainsi été une école ordinaire. Cela ne se serait jamais produit, car la nouvelle école aurait été conçue pour fonctionner seulement avec des élèves roms. C. Situation individuelle des élèves requérants Thèse du Gouvernement a) Année scolaire 2008/2009 Selon le Gouvernement, les requérants Zografo Sampani, Andreas Sampanis, Georgia Sampani, Ioanna Sampani et Thomas Christakis avaient une scolarité qualifiée de « suffisante » du point de vue de leur participation aux cours. Les requérants Ioannis Sampanis, Christos Sampanis, Kyprianos Velios, Christina Veliou, Panayotis Liakopoulos, Kyriakos Sampanis, Panayota Passiou, Ekias Bantis, Ako Passiou, Kyriaki Karahaliou, Vasilios Sampanis, Maria Sampani, Ako Sampani, Giannoula Sampani, Nikolaos Mouratis, Ako Tsakiris, Ako Tsakiri et Antonios Karagounis auraient eu une scolarité qualifiée d’« occasionnelle » : ils se seraient rendus en classe de temps à autre, de sorte que leur scolarité aurait été interrompue par de longues périodes d’absence. Les autres enfants requérants, soit 75 enfants sur 98, n’auraient pas été inscrits à l’école et n’auraient pas eu la qualité d’élève de la 12e école. b) Année scolaire 2009/2010 Sur l’intervention du Greek Helsinki Monitor et de son directeur exécutif agissant en sa qualité de représentant des parents, la 12e école aurait procédé à l’inscription de l’ensemble des enfants requérants, à l’exception d’Ako Sampani, de Vasiliki Sampani, d’Ako Pasios et de Paraskevi Sampani. Cette dernière avait achevé son cycle primaire en 2008 dans une école autre que la 12e école d’Aspropyrgos. Parmi les élèves inscrits, 59 auraient abandonné l’école en cours d’année. La scolarité des 35 autres aurait été occasionnelle. Thèse des requérants En premier lieu, les requérants allèguent que la divulgation par le Gouvernement des éléments ci-dessus les concernant personnellement constitue une violation de la loi no 2472/1997 relative à la protection des données personnelles, et de l’article 8 de la Convention. En deuxième lieu, ils indiquent que ces éléments ne sont pas fiables : les termes employés par le Gouvernement, tels que scolarité « suffisante » et « occasionnelle », seraient vagues, ce qui indiquerait que les autorités de la 12e école n’avaient pas un aperçu précis de la scolarité des requérants mais qu’elles se fondaient sur des impressions. De plus, les informations fournies par le Gouvernement quant à certains des élèves requérants auraient contredit celles produites par le Gouvernement dans le cadre de l’exécution de l’arrêt Sampanis et autres c. Grèce (précité). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les articles pertinents en l’espèce du décret législatif no 18/1989 sur la codification des dispositions des lois sur le Conseil d’Etat se lisent comme suit : Article 45 Actes incriminés « 1. Le recours en annulation pour excès de pouvoir ou violation de la loi est recevable uniquement contre les actes exécutoires des autorités administratives et des personnes morales de droit public qui ne sont susceptibles de recours devant aucune autre juridiction. (...) Dans les cas où la loi impose à une autorité de régler une question déterminée en édictant un acte exécutoire soumis aux dispositions du paragraphe 1, le recours en annulation est recevable même contre la carence de cette autorité à édicter un tel acte. L’autorité est présumée refuser d’édicter l’acte soit lorsque le délai spécial fixé le cas échéant par la loi arrive à expiration, soit après l’écoulement d’un délai de trois mois à partir du dépôt de la requête auprès de l’administration, qui est tenue de délivrer un accusé de réception (...) indiquant le jour dudit dépôt. Le recours en annulation exercé avant l’expiration des délais susmentionnés est irrecevable. Le recours en annulation valablement introduit contre un refus implicite [de l’administration] vaut également recours contre l’acte négatif qui serait, le cas échéant, adopté ultérieurement par l’administration ; toutefois, cet acte peut aussi être attaqué séparément. » Article 48 « Les moyens d’un recours en annulation sont : l’incompétence de l’autorité administrative ayant émis l’acte administratif ; le vice de forme ; l’excès de pouvoir ; le détournement de pouvoir, lorsque l’acte administratif possède tous les éléments de la légalité, mais vise un autre but que celui pour lequel il a été adopté. » III. LES TEXTES INTERNATIONAUX A. La Résolution CM/ResDH(2011)119, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 14 septembre 2011 lors de la 1120e réunion des délégués des Ministres En surveillant l’exécution de l’arrêt Sampanis et autres précité, le Comité des Ministres a adopté la Résolution qui clôturait l’examen de l’affaire dans les termes suivants : « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prévoit que le Comité surveille l’exécution des arrêts définitifs de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après nommées « la Convention » et « la Cour ») ; Vu l’arrêt transmis par la Cour au Comité une fois définitif ; Rappelant que les violations de la Convention constatées par la Cour dans cette affaire concernent la non-scolarisation des enfants des requérants d’origine rom, puis leur scolarisation dans des classes préparatoires spéciales, ainsi que le défaut de recours effectif pour obtenir un redressement à cet égard (violation de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 et violation de l’article 13) (voir détails dans l’Annexe) ; Ayant invité le gouvernement de l’Etat défendeur à l’informer des mesures qu’il a prises pour se conformer à l’arrêt de la Cour en vertu de l’obligation qui lui incombe au regard de l’article 46, paragraphe 1, de la Convention ; Ayant examiné les informations transmises par le gouvernement conformément aux Règles du Comité pour l’application de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention ; S’étant assuré que, dans le délai imparti, l’Etat défendeur a versé à la partie requérante, la satisfaction équitable prévue dans l’arrêt (voir détails dans l’Annexe), Rappelant que les constats de violation par la Cour exigent, outre le paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour dans ses arrêts, l’adoption par l’Etat défendeur, si nécessaire : – de mesures individuelles mettant fin aux violations et en effaçant les conséquences, si possible par restitutio in integrum ; et – de mesures générales, permettant de prévenir des violations semblables ; Rappelant que les décisions du Comité des Ministres en vertu de l’article 46, paragraphe 2 de la Convention ne préjugent en rien l’examen par la Cour d’autres affaires actuellement pendantes devant elle ; Déclare, après avoir examiné les mesures prises par l’Etat défendeur (voir Annexe), qu’il a rempli ses fonctions en vertu de l’article 46, paragraphe 2, de la Convention dans la présente affaire et Décide d’en clore l’examen. Annexe à la Résolution CM/ResDH(2011)119 Informations sur les mesures prises afin de se conformer à l’arrêt dans l’affaire Sampanis et autres c. Grèce Résumé introductif de l’affaire L’affaire concerne la non-scolarisation des enfants des requérants pour l’année scolaire 2004-2005, puis leur scolarisation, en 2005, dans des classes préparatoires spéciales. En particulier, la Cour a conclu qu’en dépit de la volonté des autorités de scolariser les enfants roms, les modalités d’inscription de ces enfants à l’école et leur affectation dans des classes préparatoires spéciales – dans une annexe au bâtiment principal de l’école – ont en définitive eu pour résultat de les discriminer (violation de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole no 1). L’affaire concerne également l’absence de recours effectif pour obtenir un redressement à cet égard. En particulier, la Cour a noté que le gouvernement grec n’avait produit aucun exemple jurisprudentiel propre à démontrer que l’utilisation d’un tel recours aurait pu entraîner l’annulation de l’omission alléguée de l’administration de procéder à l’inscription des enfants (violation de l’article 13). S’agissant de la non-scolarisation des enfants en 2004-2005, la Cour a noté que le droit grec reconnaît la particularité de la situation des Roms, en facilitant la procédure d’inscription de leurs enfants à l’école. Dans le cas d’espèce, les autorités auraient dû reconnaître la particularité de la situation de la communauté rom et faciliter l’inscription à l’école primaire. Or, même si les autorités n’ont pas explicitement refusé d’inscrire les enfants, elles ont omis d’y procéder, en dépit de la volonté explicite des parents de les scolariser, manifestée auprès des autorités scolaires compétentes. Quant aux classes préparatoires spéciales situées dans une annexe de la 10e école primaire d’Aspropyrgos, dans lesquelles les enfants des requérants avaient été placés en 2005, la Cour a estimé que les autorités compétentes ne s’étaient pas fondées sur un critère unique et clair pour le placement des enfants. Elle a noté en particulier que les autorités n’avaient pas fait état de tests adéquats auxquels les enfants concernés auraient été soumis aux fins d’évaluation de leurs aptitudes ou de leurs difficultés éventuelles d’apprentissage. En outre, bien que l’objectif affiché de ces classes fût que les élèves concernés se retrouvent à niveau pour intégrer en temps utile les classes ordinaires, aucun exemple d’élève n’a été cité (parmi les 50 élèves concernés) qui aurait intégré les classes ordinaires de l’école primaire d’Aspropyrgos. De surcroît, il n’avait pas été établi qu’il existait des tests d’évaluation auxquels les élèves roms auraient dû être périodiquement soumis pour permettre aux autorités scolaires d’apprécier leur aptitude à intégrer les classes ordinaires, sur la base de données objectives et non d’évaluations approximatives. I. Paiement de la satisfaction équitable et mesures individuelles (...) b) Mesures individuelles Les classes préparatoires spéciales situées dans une annexe de la 10e école primaire d’Aspropyrgos ont été supprimées. Les autorités grecques ont adopté des mesures pour faciliter l’inscription des enfants des requérants dans une école ordinaire à la suite de l’arrêt de la Cour. Une nouvelle école primaire ordinaire (la 12e école primaire d’Aspropyrgos) a été créée en vertu de la décision ministérielle no10781/D4/2008. L’école qui est censée accueillir tant des enfants roms que des enfants non roms, couvre le secteur dans lequel réside essentiellement la communauté rom d’Aspropyrgos. Ces mesures étaient ainsi destinées à assurer la scolarisation des enfants des requérants dans une école ordinaire. A la suite de l’arrêt de la Cour, presque tous les enfants des requérants ont été inscrits dans la 12e école primaire d’Aspropyrgos. Toutefois, ils ne se sont pas rendus régulièrement à l’école. Trois enfants ont atteint l’âge à partir duquel la scolarisation n’est plus obligatoire. Par ailleurs, les parents n’ont pas inscrit quatre autres enfants à l’école tandis qu’un enfant avait déjà achevé sa scolarité dans une autre école primaire. II. Mesures générales 1) Concernant la violation de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole no 1 Les autorités grecques ont fourni de nombreuses informations dans le cadre de leur plan d’action consolidé (DHDD(2011)52) ainsi que des informations supplémentaires par la suite. Ces informations sont résumées ci-dessous : Mesures concernant l’inscription et la scolarisation des enfants roms Des mesures spécifiques ont été adoptées pour faciliter l’inscription des élèves roms à l’école primaire. Contrairement aux autres élèves, les enfants roms sont inscrits en primaire selon une procédure simplifiée sur la base d’une simple déclaration, sans qu’il soit nécessaire de fournir des certificats. Les autorités ont publié plusieurs circulaires visant à donner des instructions aux administrations des écoles sur l’inscription simplifiée des enfants roms et à contrôler que ces derniers suivent régulièrement les cours (nos F.1.T.Y./1073/117052/G1/23-9-2009, F.3/960/102679/G1/20-8-2010, 114893/G2/14-9-2010). Les autorités grecques ont également adopté un certain nombre de mesures pour intégrer les enfants roms dans l’éducation nationale et mettre fin à la discrimination dont ils font l’objet dans ce domaine. Ces mesures incluent en particulier la mise en place d’une nouvelle politique d’éducation fondée sur le modèle français des « Zones d’éducation prioritaire ». Ces zones – y compris dans la région d’Aspropyrgos – visent à renforcer l’intégration des groupes sociaux les plus vulnérables (Roms, migrants, etc.) par le biais de plusieurs actions et au moyen de l’éducation (décision ministérielle AF.821/3412P/157476/Z1/31-12/2010). Par ailleurs, la campagne de sensibilisation Dosta ! promue par le Conseil de l’Europe et visant à combattre les stéréotypes et les préjugés concernant les Roms a également été lancée en Grèce par le ministère de l’Education en février 2011. La campagne grecque se concentre sur l’enseignement primaire et secondaire. En outre, les autorités ont lancé, à partir de l’année scolaire 2010-2011, un programme spécifique en faveur de l’adhésion active des enfants roms à l’éducation nationale, qui sera mis en œuvre par deux grandes universités grecques. Conformément audit programme, les autorités ont mis en place des médiateurs spéciaux parlant couramment le romani, afin qu’ils aident les familles roms pour la scolarité de leurs enfants. Elles ont ainsi recruté 15 médiateurs dans la région de l’Attique, dont un dans la région d’Aspropyrgos. Le Conseil de l’Europe est en train d’organiser un certain nombre de formations à leur intention dans le cadre de son programme de formation européen pour les médiateurs roms (ROMED). Conformément au programme « Education pour les enfants roms », les autorités ont également mis en place des travailleurs sociaux chargés d’apporter un soutien psychologique aux familles roms. L’une des tâches des travailleurs sociaux est de se rendre dans les écoles comprenant des élèves roms et dans les campements roms afin d’identifier les enfants roms qui devraient aller à l’école et d’inciter leurs parents à les y envoyer. Un soutien scolaire est proposé aux enfants roms ayant des difficultés d’apprentissage, par le biais d’activités extrascolaires de soutien (cours supplémentaires et activités scolaires renforcées), y compris dans la région d’Aspropyrgos. Les autorités ont également dispensé des formations spéciales sur l’éducation interculturelle aux enseignants. Au début de l’année 2011, le ministère de l’Education a créé un Comité consultatif pour le programme « Education pour les enfants roms » qui joue un rôle consultatif sur les questions pertinentes mais aussi un rôle de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre et de l’avancement du programme « Education pour les enfants roms ». Ce comité comprend des représentants du Conseil de l’Europe, de la Commission européenne, de l’OSCE/BIDDH et d’autres acteurs majeurs. Les autorités grecques ont également créé trois centres éducatifs pour l’éducation des adultes – l’Institut de formation continue pour adultes, le Centre de formation pour adultes et l’Ecole des parents. Les personnes d’origine rom peuvent y participer dès l’âge de 15 ans. Enfin, les autorités grecques ont régulièrement fourni des informations sur les mesures prises visant à améliorer les installations et les conditions de travail de la 12e école primaire d’Aspropyrgos, tout en notant que les questions liées au fonctionnement de ladite école sont à présent examinées par la Cour européenne dans le cadre d’une nouvelle requête (requête no 59608/09, communiquée aux autorités le 11/04/2011). 2) Concernant la violation de l’article 13 relative à l’omission des autorités d’inscrire les enfants des requérants Les autorités grecques ont indiqué que les actes ou omissions des autorités scolaires sont en fait des actes administratifs. Ces derniers peuvent être contestés dans le cadre d’une procédure administrative (devant les cours administratives d’appel en première instance et devant le Conseil d’Etat en seconde instance). Dans la présente affaire, la Cour a conclu à une violation du fait de l’absence de recours effectif, les autorités n’ayant pu produire des exemples jurisprudentiels dans un contexte similaire. Ces dernières indiquent qu’une telle jurisprudence ad hoc n’existe pas encore. Toutefois, les tribunaux internes ont jugé dans une série de décisions rendues après l’arrêt de la Cour, que la cour administrative d’appel était compétente pour examiner les requêtes tendant à l’annulation des actes administratifs pris en application de la législation sur l’éducation (par exemple, décisions des autorités scolaires ordonnant le changement d’environnement scolaire de certains élèves suite à leur conduite ; décision de non-inscription suite à une interruption des études ; décision de ne pas accepter un élève à un degré précis du collège suite aux examens de qualification). » B. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance Le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la Grèce, adopté le 2 avril 2009 et publié le 15 septembre 2009, précisait ce qui suit : « 52. Dans son troisième rapport, l’ECRI a vivement recommandé aux autorités grecques de promouvoir l’égalité des chances en matière d’accès à l’éducation des enfants de groupes minoritaires en organisant notamment des cours de grec, des cours de rattrapage et en assurant l’accès de ces enfants à un enseignement dispensé dans leur langue maternelle. L’ECRI note avec préoccupation que les Roms continuent d’être défavorisés en matière d’éducation. Certaines écoles refusent toujours d’inscrire des enfants roms, ce qui peut parfois s’expliquer par la pression exercée par les parents d’élèves non roms. L’ECRI est profondément préoccupée par le fait que dans certains cas, les enfants roms sont séparés des autres enfants, au sein de l’établissement même ou à proximité. Dans un cas, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la Grèce avait violé l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la discrimination dans la jouissance des droits énoncés dans la Convention) pris ensemble avec l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme (droit à l’éducation). L’ECRI a appris qu’à Spata, où des enfants roms s’étaient tout d’abord vu refuser l’inscription à l’école, une classe séparée a été créée pour les accueillir afin de leur permettre de s’adapter progressivement à l’environnement scolaire. Tout en étant consciente de la nécessité d’une intégration progressive dans le système scolaire, l’ECRI voudrait attirer l’attention des autorités grecques sur son point de vue sur cette question, tel qu’énoncé dans sa Recommandation de politique générale no 10 sur le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire. Dans cette recommandation de politique générale, elle recommande la création, dans des cas particuliers et limités dans le temps, de classes préparatoires pour les élèves issus de groupes minoritaires, si un tel besoin est justifié par des critères objectifs et raisonnables et si l’intérêt supérieur de l’enfant le commande. Comme les autorités grecques l’ont elles-mêmes relevé et comme l’Ombudsman l’a confirmé, le taux d’abandon scolaire parmi les élèves roms est très élevé. Les autorités ont signalé que des programmes spéciaux prévoyant un soutien psychologique et une aide sociale, y compris une éducation interculturelle, avaient été mis sur pied pour traiter ce problème. Toutefois, en l’absence de données ventilées sur la situation des élèves roms, il est difficile de procéder à une évaluation approfondie et de concevoir des programmes visant spécifiquement ce groupe. A ce sujet, l’ECRI voudrait attirer l’attention des autorités grecques sur sa Recommandation de politique générale no 10 sur la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire, dans laquelle elle recommande que soient effectuées, en collaboration avec la société civile, des études sur la situation des enfants issus de groupes minoritaires dans le système scolaire en recueillant des données statistiques sur : 1) leur taux de fréquentation et de réussite ; 2) leur taux d’abandon ; 3) leurs résultats scolaires et 4) leurs progrès. Dans cette Recommandation de politique générale, l’ECRI recommande aux Etats membres de collecter les informations nécessaires pour prendre la mesure des problèmes auxquels sont confrontés les élèves issus de groupes minoritaires dans le domaine de l’éducation scolaire en vue de mettre en place des politiques pour résoudre ces problèmes. Les autorités ont fait savoir qu’un programme, cofinancé par l’Union européenne et l’Etat grec, traite des questions telles que des cours de rattrapage de grec, de mathématiques et d’histoire pour les enfants roms et prévoit en outre la formation continue des enseignants. L’ECRI a toutefois été informée des besoins en classes préparatoires pour les élèves roms et en professeurs formés de manière adéquate. Cela est d’autant plus nécessaire que les avantages qui en découlent pour les enfants roms sont significatifs. L’éducation est l’un des objectifs du Programme d’action intégré pour l’insertion sociale des Roms adopté en 2002. Cependant, davantage de mesures doivent être adoptées afin, notamment, que les difficultés rencontrées par les Roms dans le domaine de l’éducation soient traitées dans le cadre de ce programme. Une commission interministérielle coordonne, au sein du ministère de l’Intérieur, les activités de tous les ministères qui participent à l’application du Programme d’action intégré pour l’insertion sociale des Roms. Il est d’une importance cruciale que tous les ministères concernés travaillent de concert, dans la mesure où la situation des enfants roms dans le système scolaire est inextricablement liée à leur situation socio-économique, y compris leurs conditions de logement et le taux élevé de chômage de leurs parents. L’ECRI exhorte les autorités grecques à renforcer les mesures prises pour faire face aux difficultés que les enfants roms rencontrent dans le domaine de l’éducation, notamment l’exclusion, la discrimination et le faible taux de réussite, conformément à, entre autres, l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme sur la question et sa Recommandation de politique générale no 10 sur la lutte contre le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire. Elle leur recommande en outre d’adopter une démarche globale pour traiter ces difficultés, notamment par l’intermédiaire de la commission interministérielle sur les questions roms. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants furent incarcérés à différentes dates à la prison d’Ioannina pour une durée moyenne supérieure à quinze mois. Certains d’entre eux y sont toujours détenus. A. Le cas particulier de chaque requérant M. Dimitrios Samaras fut détenu à la prison d’Ioannina du 1er août 2007 au 30 août 2010 (trois ans et un mois environ), puis il fut transféré à la prison de Grevena. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla pendant les périodes suivantes : du 1er juin 2008 au 1er septembre 2008, du 1er novembre 2008 au 1er février 2009, du 1er mai 2009 au 1er août 2009, du 1er septembre 2009 au 1er décembre 2009 et du 1er juillet 2010 au 30 août 2010 (soit seize mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. M. Danis Ramadanoglou fut détenu du 1er mars 2007 au 4 juin 2009 (deux ans et trois mois environ), date à laquelle il fut libéré après avoir racheté le reliquat sa peine. Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises et il ne travailla pas car il n’avait pas déposé de demande à cet égard. A la date de son admission, il subit un examen médical, fut reconnu comme étant en bonne santé et fut vacciné contre l’hépatite A. M. Ioannis Karapanos fut détenu du 10 avril 2007 au 23 décembre 2008 (un an et huit mois environ), date à laquelle il fut libéré sous condition. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er juin 2007 au 1er novembre 2007 et du 1er juin 2008 au 1er décembre 2008 (soit onze mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Lors d’un examen médical à l’hôpital Hadjicosta d’Ioannina, on diagnostiqua une insuffisance respiratoire, pour laquelle un traitement adéquat fut administré. M. Giounay Housein fut détenu du 31 décembre 2007 au 9 avril 2009 (un an et trois mois environ), puis il fut transféré à la prison de Patras. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er janvier 2009 au 1er avril 2009 (soit trois mois). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Il suivit un traitement pour troubles psychiatriques. M. Stylianos Aspiotis fut détenu du 28 octobre 2007 au 3 avril 2009 (un an et cinq mois environ). Pendant son incarcération, il travailla du 1er novembre 2008 au 1er février 2009 et du 1er avril 2009 au 3 avril 2009 (soit trois mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Il suivit un traitement pour dépendance aux stupéfiants et à l’alcool ainsi que pour un syndrome cervical. Le 9 novembre 2007, il subit un examen neurologique à l’hôpital d’Ioannina qui ne révéla aucune pathologie. Il fut vacciné contre l’hépatite A et B. M. Konstantinos Zygouris fut détenu du 25 avril 2007 au 20 février 2009 (un an et dix mois environ), date à laquelle il bénéficia d’un sursis à l’exécution du reliquat de sa peine. Pendant son incarcération, il travailla pendant les périodes suivantes : du 1er octobre 2007 au 1er février 2008, du 1er juillet 2008 au 1er octobre 2008 et du 1er janvier 2009 au 1er mars 2009 (soit neuf mois au total). Il bénéficia d’une permission de sortie. M. Andreas Papazoglou fut détenu du 2 mars 2007 au 5 juin 2009 (deux ans et trois mois environ), date à laquelle il bénéficia d’un sursis à l’exécution du reliquat de sa peine. Pendant son incarcération, il travailla du 1er septembre 2007 au 1er juin 2009 (soit vingt et un mois au total). Il bénéficia de deux permissions de sortie. M. Abdel Moneim Al Abid el Hilal fut détenu du 2 avril 2008 au 18 juin 2009 (un an et deux mois environ), puis il fut transféré à la prison de Patras. Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises et il ne travailla pas car il n’avait pas déposé de demande à cet égard. M. Daniil Garnavos fut détenu du 22 février 2008 au 21 janvier 2009 (onze mois). Pendant son incarcération, il travailla du 1er septembre 2008 au 1er décembre 2008 et du 1er janvier 2009 au 1er février 2009 (soit six mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. Toxicomane, il présenta, lors de son admission, un syndrome de sevrage. Un traitement pharmaceutique provisoire lui fut administré jusqu’à ce qu’un traitement plus adapté lui fût prescrit après un examen au dispensaire psychiatrique de la prison de Korydallos à Athènes. M. Kosmas Bazakas fut détenu du 26 septembre 2007 au 27 février 2009 (un an et cinq mois environ), puis il fut transféré à la prison de Grevena. Pendant son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er novembre 2007 au 1er janvier 2008 et du 1er mai 2008 au 1er août 2008 (soit quatre mois au total). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. M. Antonios Boulios fut incarcéré le 29 décembre 2007 à la prison d’Ioannina et y est toujours détenu à ce jour. Il travailla pendant les périodes suivantes : du 1er août 2008 au 1er novembre 2008, du 1er janvier 2009 au 1er mars 2009, du 1er avril 2009 au 1er juillet 2009 et du 1er septembre 2009 au 1er novembre 2009 (soit onze mois au total). Il bénéficia d’une permission de sortie. M. Aggelos Bikas fut détenu du 7 avril 2008 au 19 février 2009 (dix mois environ), date à laquelle il bénéficia d’un sursis à l’exécution du reliquat de sa peine. Pendant son incarcération, il travailla du 1er août 2008 au 1er novembre 2008 (soit trois mois). Il ne bénéficia d’aucune permission de sortie car il ne remplissait pas les conditions requises. M. Alexios Dimitriadis fut détenu du 1er août 2007 au 20 février 2009 (un an et six mois environ), puis il fut transféré à la prison agricole de Kassandra pour y travailler. Il fut libéré le 27 janvier 2010. Lors de son incarcération à la prison d’Ioannina, il travailla du 1er novembre 2008 au 1er février 2009 (soit trois mois). Il bénéficia d’une permission de sortie. Il fut traité pour des troubles de la digestion et des douleurs épigastriques ainsi que pour des manifestations d’angoisse et des insomnies. B. Les démarches entreprises par les détenus à la prison d’Ioannina au sujet de leurs conditions de détention Le 28 janvier 2009, soixante-quatorze détenus adressèrent au conseil de la prison, sur le fondement de l’article 6 de la loi no 2776/1999 (code pénitentiaire), une requête dans laquelle ils exposaient leurs doléances quant à leurs conditions de détention. Ils soulignaient que celles-ci étaient contraires tant à la loi no 2776/1999 qu’à la Convention européenne. Ils mentionnaient en particulier ce qui suit : « L’article 21 § 4 de la loi [no 2776/1999] n’est pas appliqué. Selon cet article, les dortoirs doivent avoir une superficie d’au moins 6 m² pour chaque détenu et être équipés de tables et de chaises en nombre proportionnel à celui des détenus. Mais, en raison de la surpopulation, chaque détenu ne dispose que d’environ 1 m² d’espace personnel. Certains d’entre nous n’ont pas de place dans les dortoirs et sont installés dans les couloirs, sans les chaises et les tables prévues par la loi. En raison de l’entassement des détenus dans un espace réduit, nous courons le risque de contracter une maladie, compte tenu du fait que plusieurs codétenus souffrent de maladies contagieuses, et ceux qui sont malades courent le risque de voir leur état de santé se détériorer. Enfin, il n’existe aucune possibilité de nous occuper de manière constructive, de développer et d’exercer des activités en accord avec nos préférences et intérêts, de nous instruire, de nous former professionnellement et de nous distraire. » Il ressort du dossier que le conseil de la prison ne répondit pas à cette requête. Le 3 février 2009, ces mêmes soixante-quatorze détenus saisirent le procureur près le tribunal correctionnel d’Ioannina d’une requête ayant le même contenu que celle du 28 janvier 2009. A nouveau, aucune suite ne fut donnée à cette requête. C. La version des requérants Dans leur requête, les requérants soulignent qu’ils séjournent et dorment dans des dortoirs et des cellules exigus et surpeuplées. Aucun dortoir ne dispose de chaises ou de table et du moindre espace libre ; les détenus, qui passent dix-huit heures confinés dans les dortoirs, sont obligés de rester sur leurs lits ; plusieurs d’entre eux souffrent de maladies graves pour lesquelles ils ne sont pas traités et ceux qui sont encore en bonne santé risquent d’être contaminés du fait de la promiscuité régnant à la prison d’Ioannina. Quant aux malades, ils ne bénéficient pas de soins satisfaisants à l’intérieur de la prison ; les toxicomanes, les détenus qui souffrent de maladies chroniques et ceux dont l’état nécessite une opération ne font l’objet d’aucun soin. Les requérants exposent en outre que tant le ministère de la Justice que la direction de la prison connaissaient déjà la situation par le biais de requêtes antérieures et d’un mouvement des détenus qui, en novembre 2008, avaient, dans toutes les prisons grecques, décidé de boycotter le réfectoire. De plus, par une lettre du 19 janvier 2008, le médecin de la prison d’Ioannina avait informé le directeur de la prison que les détenus couraient un risque accru de troubles psychiatriques et de maladies physiques à cause de la surpopulation carcérale et du manque d’exercice physique. D. La version du Gouvernement Le Gouvernement expose les conditions de détention dans la prison d’Ioannina. D’après lui, cette prison accueille des détenus hommes condamnés à des peines d’emprisonnement et non de réclusion. Toutefois, certains détenus condamnés à des peines de réclusion y séjourneraient avant d’être transférés vers d’autres prisons. Selon le Gouvernement, chaque dortoir serait équipé de deux toilettes, de trois urinoirs et d’un évier avec cinq robinets. Les dortoirs seraient suffisamment aérés et éclairés par la lumière naturelle. La prison disposerait d’un dispensaire fonctionnant avec un médecin généraliste, un médecin stagiaire, trois infirmiers diplômés et deux gardiens. Pendant la période considérée en l’espèce, le médecin aurait donné 1 501 consultations et ordonné 211 transferts dans les hôpitaux de la région. La prison collaborerait avec l’hôpital universitaire et l’hôpital Hadjicosta d’Ioannina, ce dernier disposant d’une salle spécialement aménagée pour les détenus malades. Toujours selon le Gouvernement, la prison, d’une capacité de 85 détenus, en accueillait 225 les derniers mois de l’année 2009, dont 121 dans les dortoirs. Aujourd’hui, elle en accueillerait 211, dont 57 travailleraient dans les ateliers et les cuisines. Ces derniers passeraient une grande partie de la journée sur les lieux de travail. Le Gouvernement précise que les conditions de détention à la prison d’Ioannina ont fait à deux reprises l’objet de rapports du médiateur de la République. En ce qui concerne le premier rapport, du 4 avril 2000, il indique ce qui suit : pour le médiateur, le problème le plus important était la surpopulation et l’entassement des détenus, ce qui rendait les conditions de détention dégradantes notamment pour les détenus qui vivaient dans les couloirs de la prison ; le médiateur constatait en outre que les soins médicaux prodigués aux détenus étaient satisfaisants, malgré l’absence d’un psychiatre, ce qui obligeait à transférer les détenus souffrant des problèmes psychiatriques vers d’autres prisons ; les lieux étaient en général propres, y compris les douches et les toilettes, et la nourriture suffisante et de bonne qualité ; il y avait aussi un espace destiné à la formation professionnelle et à l’initiation à l’informatique. Le Gouvernement indique ensuite que le deuxième rapport, du 23 septembre 2009, réitérait de manière plus critique les constats quant à la surpopulation et à l’entassement des détenus, notamment ceux vivant dans les couloirs. Ce rapport aurait constaté que 57 des 248 détenus travaillaient, que la nourriture et les soins médicaux étaient bons, et qu’il n’y avait en revanche pas d’espace permettant de faire de l’exercice physique. Pendant les neuf premiers mois de 2009, 220 demandes de permission de sortie auraient été déposées, dont 143 auraient été accueillies. Quant aux détenus étrangers, ils se verraient accorder plus difficilement de telles permissions dès lors qu’ils ne remplissaient pas les conditions requises par la loi, notamment l’existence d’une famille installée en Grèce de manière durable. Parmi les requérants, onze ont séjourné dans les dortoirs et seulement deux dans les couloirs (MM. Karapanos et Al Abid el Hilal). Onze ont travaillé pendant la plus grande partie de leur incarcération et deux n’ont pas déposé de demande en ce sens. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne et la pratique nationale Le droit national L’article 572 du code de procédure pénale dispose : « 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il rencontre les détenus qui ont préalablement demandé à être entendus. » Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi : Article 6 « 1. Les détenus ont le droit de s’adresser par écrit et à des intervalles raisonnables au Conseil de la prison, en cas d’actes ou d’ordres illégaux pris à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal compétent de l’exécution des peines. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de pallier l’acte ou l’ordre illégal (...) » Article 21 « 1. Chaque maison d’arrêt (...) est divisée en plusieurs secteurs, sans possibilité de communication entre les détenus qui y sont placés. Ces secteurs peuvent inclure des cellules et, de manière exceptionnelle, des dortoirs, de préférence d’une capacité maximum de six personnes. (...) Les dortoirs doivent être d’une superficie d’au moins 6 mètres carrés pour chaque détenu et être équipés de lits, d’armoires et de tables d’une surface suffisante ainsi que du nombre suffisant de chaises. Les cellules individuelles et les dortoirs ont leurs propres installations de chauffage et d’hygiène (lavabos, toilettes). Chaque installation sanitaire doit servir au maximum à trois détenus. L’existence d’une douche dans les cellules et les dortoirs n’est pas nécessaire s’il y a un nombre suffisant d’installations communes, avec eau froide et chaude, pour l’hygiène individuelle et la propreté de chaque détenu. (...) » Article 86 « (...) Chaque tribunal de l’exécution des peines est compétent pour les affaires concernant les détenus dans sa juridiction (...) » Il ressort de la jurisprudence que tant la demande devant le conseil de la prison que l’appel devant le tribunal d’exécution des peines peuvent porter sur les conditions d’incarcération dans l’établissement pénitentiaire, telles que, à titre d’exemple, la surface de la cellule, le caractère adéquat des systèmes d’aération et de chauffage et les modalités de communication de l’intéressé avec des tierces personnes (voir, parmi d’autres, les décisions nos 2075/2002 et 175/2003 de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée). Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’arrêté ministériel no 58819/2003, du 7 avril 2003, se lisent ainsi : Article 6 « 1. Le contrôle de légalité sur l’exécution des peines privatives de liberté (...) est exercé par le procureur-superviseur compétent. Ce contrôle comprend (...) b) la garantie d’un juste traitement et de la protection judiciaire pour l’ensemble des détenus et c) l’information des autorités judiciaires et administratives compétentes sur le contenu des auditions ou des rapports de détenus ou de membres du personnel pénitentiaire qui font apparaître des indices que des actes répréhensibles ou des infractions disciplinaires ont été commis par ceux-ci. » Article 7 « 1. Dans le cadre de la supervision, le procureur collabore avec le directeur et les chefs hiérarchiques des différents secteurs de l’établissement pénitentiaire et fait des recommandations sur des questions qui concernent l’exécution des peines. Le procureur-superviseur ou son adjoint exercent des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle. En particulier, le procureur : Veille à l’application des dispositions en vigueur concernant le traitement des détenus ainsi que de celles du code pénal et des lois spéciales relatives à l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté. (...) Entend les détenus, leurs proches et les avocats des premiers, à leur demande. (...) Examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre et fait suivre aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus (...) » Article 25 « Afin d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, les jours et heures d’audition des détenus sont fixés comme suit : a. Le procureur-superviseur auditionne des détenus pendant au moins deux heures une fois par semaine afin de garantir leur traitement équitable et leur protection judiciaire. b. Le directeur auditionne les détenus, si besoin, pour des questions qui relèvent de sa compétence. » Article 32 « En sus des droits mentionnés à l’article précédent, l’exercice par les détenus de leurs droits est facilité par l’adoption de mesures qui visent à réduire les effets négatifs de l’exécution des peines privatives de liberté. En particulier les détenus peuvent : (...) 3. se procurer auprès de la direction de la maison pénitentiaire tout produit nécessaire à leur hygiène et propreté personnelles ainsi que les vêtements nécessaires. » Article 37 § 10 « Le directeur de l’établissement pénitentiaire prend les mesures nécessaires pour réduire les conséquences négatives résultant de l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté. » Le rapport annuel du médiateur de la République pour l’année 2009 Dans son rapport annuel de 2009 (pp. 37-38), le médiateur de la République soulignait, dans le chapitre « Aggravation des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires », ce qui suit : ( du greffe) « La raison principale de l’aggravation des conditions de détention est certainement le problème de la surpopulation. Un exemple représentatif est fourni par la prison d’Ioannina, où les conditions pour qualifier la situation de « traitement inhumain et dégradant » selon la Convention européenne des droits de l’homme (affaire no 20503/2008) se trouvent remplies. Le problème le plus important est celui du nombre de détenus par rapport aux infrastructures existantes. Les détenus sont amassés dans les dortoirs, les cellules et les couloirs, ce qui a pour résultat de créer une atmosphère étouffante. Les exigences pour l’espace minimum prévu (6 m² par détenu et jusqu’à 6 détenus par dortoir) ne sont pas respectées car les dortoirs accueillent un nombre de détenus de loin supérieur. Les cellules d’isolement (...) ne sont pas utilisées pour l’exécution des peines disciplinaires mais pour le placement du surplus de détenus ou pour la protection de certains détenus contre des agressions éventuelles de leurs codétenus. Un cas emblématique, auquel il faut remédier immédiatement, est le fameux « couloir » de la prison d’Ioannina. La situation y est vraiment intenable du fait que des dizaines de détenus vivent dans des conditions absolument étouffantes dans les couloirs du bâtiment, où il n’existe même pas un mètre carré disponible pour qu’ils puissent se tenir debout. Des lits sont placés des deux côtés du couloir, de sorte qu’il reste très peu d’espace pour le passage de ceux qui se rendent à leurs cellules. Il n’existe pas de sanitaires dans les couloirs et les détenus font leurs besoins dans ceux des cellules attenantes. » Le rapport soulignait aussi que, si l’alimentation ne présentait pas de problème particulier quant à sa qualité et sa quantité, il manquait pour les détenus un espace approprié pour manger (un réfectoire) ou du moins pourvu des équipements indispensables, tels que des chaises et des tables. Selon le rapport, les détenus ne pouvaient manger que sur leur lit en tenant leur assiette entre les mains. Par ailleurs, la proportion de détenus autorisés à travailler par rapport à l’ensemble de la population carcérale (57/248) était jugée non satisfaisante dans le rapport. A cet égard, il était indiqué qu’aucun détenu étranger ne travaillait car il ne disposait pas des garanties de sécurité requises pour être placé à un poste de travail. Enfin, en raison du manque d’espace, il n’existait pas non plus de cour permettant l’exercice physique. Le rapport concluait que, compte tenu du nombre des détenus, les dortoirs et les cellules étaient « absolument insuffisants », et que la proportion espace/nombre des détenus était « absolument intolérable ». Il indiquait par conséquent que les conditions de vie des détenus pouvaient être considérées comme constituant « un traitement inhumain et dégradant et une dégradation de leur dignité ». Les constatations du médiateur de la République sont corroborées par le rapport du 10 avril 2008 de la Commission nationale pour les droits de l’homme relatif aux droits des détenus et aux conditions de détention dans les prisons grecques. B. Les normes du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) Extrait du 2e rapport général d’activités du CPT (CPT/Inf(92)3) du 13 avril 1992 « 46. La question du surpeuplement relève directement du mandat du CPT. Tous les services et activités à l’intérieur d’une prison seront touchés si elle doit prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a été prévue. La qualité générale de la vie dans l’établissement s’en ressentira, et peut-être dans une mesure significative. De plus, le degré de surpeuplement d’une prison, ou dans une partie de celle-ci, peut être tel qu’il constitue, à lui seul, un traitement inhumain ou dégradant. Un programme satisfaisant d’activités (travail, enseignement et sport) revêt une importance capitale pour le bien-être des prisonniers. Cela est valable pour tous les établissements, qu’ils soient d’exécution des peines ou de détention provisoire. Le CPT a relevé que les activités dans beaucoup de prisons de détention provisoire sont extrêmement limitées. L’organisation de programmes d’activités dans de tels établissements, qui connaissent une rotation assez rapide des détenus, n’est pas matière aisée. Il ne peut, à l’évidence, être question de programmes de traitement individualisé du type de ceux que l’on pourrait attendre d’un établissement d’exécution des peines. Toutefois, les prisonniers ne peuvent être simplement laissés à leur sort, à languir pendant des semaines, parfois des mois, confinés dans leur cellule, quand bien même les conditions matérielles seraient bonnes. Le CPT considère que l’objectif devrait être d’assurer que les détenus dans les établissements de détention provisoire soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée. Dans les établissements pour prisonniers condamnés, évidemment, les régimes devraient être d’un niveau encore plus élevé. L’exercice en plein air demande une mention spécifique. L’exigence d’après laquelle les prisonniers doivent être autorisés chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air est largement admise comme une garantie fondamentale (de préférence, elle devrait faire partie intégrante d’un programme plus étendu d’activités). Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception (y compris ceux soumis à un isolement cellulaire à titre de sanction) devraient bénéficier quotidiennement d’un exercice en plein air. Il est également évident que les aires d’exercice extérieures devraient être raisonnablement spacieuses et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempéries. (...) Les prisonniers devraient aussi avoir un accès régulier aux douches ou aux bains. De plus, il est souhaitable que les locaux cellulaires soient équipés de l’eau courante. Le CPT souhaite ajouter qu’il est particulièrement préoccupé lorsqu’il constate dans un même établissement une combinaison de surpeuplement, de régimes pauvres en activités et d’un accès inadéquat aux toilettes ou locaux sanitaires. L’effet cumulé de telles conditions peut s’avérer extrêmement néfaste pour les prisonniers. » Extraits du 7e rapport général d’activités (CPT/Inf(97)10) du 22 août 1997 « 13. Ainsi que le CPT l’a souligné dans son , la question du surpeuplement relève directement du mandat du Comité (cf. CPT/Inf (92) 3, paragraphe 46). Une prison surpeuplée signifie, pour le détenu, être à l’étroit dans des espaces resserrés et insalubres ; une absence constante d’intimité (cela même lorsqu’il s’agit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activités hors cellule limitées à cause d’une demande qui dépasse le personnel et les infrastructures disponibles ; des services de santé surchargés ; une tension accrue et, partant, plus de violence entre détenus comme entre détenus et personnel. Cette énumération est loin d’être exhaustive. A plus d’une reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes du surpeuplement avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes. » Extraits du 11e rapport général d’activités (CPT/Inf(2001)16) du 3 septembre 2001 « Surpeuplement carcéral Le phénomène du surpeuplement carcéral continue de ronger les systèmes pénitentiaires à travers l’Europe et mine gravement les tentatives faites pour améliorer les conditions de détention. Les effets négatifs du surpeuplement carcéral ont déjà été mis en exergue dans des rapports généraux d’activités précédents. (...) Grands dortoirs Dans un certain nombre de pays visités par le CPT, et notamment en Europe centrale et orientale, les détenus sont souvent hébergés dans des grands dortoirs comportant la totalité ou la plupart des installations dont se servent quotidiennement les détenus, comme les aires pour dormir et de séjour ainsi que les installations sanitaires. Le CPT a des objections quant au principe même de telles modalités d’hébergement dans des prisons fermées et, ses objections sont encore plus fortes lorsque, comme cela est fréquemment le cas, les dortoirs en question hébergent des détenus dans des espaces extrêmement exigus et insalubres. A n’en point douter, divers facteurs – dont ceux d’ordre culturel – peuvent rendre préférables, dans certains pays, des lieux de détention collectifs plutôt que des cellules individuelles. Toutefois, il n’y a pas grand-chose à dire en faveur – et il y a beaucoup de choses à dire en défaveur – d’un système qui fait vivre et dormir ensemble dans le même dortoir des dizaines et des dizaines de détenus. De grands dortoirs impliquent inévitablement un manque d’intimité dans la vie quotidienne des détenus. En outre, le risque d’intimidation et de violence est élevé. De telles modalités d’hébergement peuvent faciliter le développement de sous-cultures criminogènes et faciliter le maintien de la cohésion d’organisations criminelles. Elles peuvent également rendre le contrôle effectif par le personnel extrêmement difficile, voire impossible ; en particulier, en cas de troubles en prison, il est extrêmement difficile d’éviter des interventions extérieures impliquant un recours considérable à la force. Avec de telles modalités, une répartition appropriée des détenus, basée sur une évaluation au cas par cas des risques et des besoins, devient également un exercice quasiment impossible. Tous ces problèmes sont exacerbés lorsque le nombre de détenus dépasse un taux d’occupation raisonnable ; en outre, dans une telle situation, la charge excessive pesant sur les installations communes comme les lavabos et les toilettes ainsi qu’une aération insuffisante pour un si grand nombre de personnes mènera souvent à des conditions de détention déplorables. Le CPT doit cependant souligner que le passage de grands dortoirs vers des unités de vie plus petites doit être accompagné de mesures visant à garantir que les détenus passent une partie raisonnable de la journée en dehors de leur unité de vie, occupés à des activités motivantes de nature variée. (...) Maladies transmissibles La propagation des maladies transmissibles et, notamment, de la tuberculose, de l’hépatite et du VIH/SIDA est devenue une préoccupation de santé publique majeure dans un certain nombre de pays européens. Bien que ces maladies affectent aussi la population en général, elles sont devenues un problème dramatique pour certains systèmes pénitentiaires. A cet égard, le CPT s’est vu, à plusieurs reprises, contraint d’exprimer de sérieuses préoccupations sur l’inadéquation des mesures mises en œuvre pour traiter ce problème. De plus, il a souvent été constaté que les conditions matérielles dans lesquelles les détenus étaient hébergés ne pouvaient que favoriser la propagation de ces maladies. Le CPT reconnaît qu’en période de difficultés économiques – comme celles que connaissent aujourd’hui nombre de pays visités par le CPT – il faut faire des sacrifices, y compris dans les établissements pénitentiaires. Cependant, quelles que soient les difficultés rencontrées à un moment donné, le fait de priver une personne de sa liberté implique toujours l’obligation de la prendre en charge ; cette obligation impose des méthodes efficaces de prévention, de dépistage et de traitement. Le respect de cette obligation par les autorités publiques est d’autant plus important lorsqu’il est question de traiter des maladies risquant d’être fatales. L’utilisation de méthodes actualisées de dépistage, l’approvisionnement régulier en médicaments et autres produits connexes, la disponibilité du personnel pour veiller à ce que les détenus prennent les médicaments prescrits aux bonnes doses et aux bons intervalles, ainsi que, le cas échéant, des régimes alimentaires spécifiques, constituent les éléments essentiels d’une stratégie efficace visant à combattre les maladies susmentionnées et à prodiguer des soins appropriés aux détenus concernés. De même, les conditions matérielles d’hébergement des détenus atteints de maladies transmissibles doivent être propices à l’amélioration de leur état de santé ; outre la lumière du jour et une bonne aération, il doit y avoir des conditions d’hygiène satisfaisantes, et absence de surpeuplement. De plus, les détenus concernés ne doivent pas être séparés du reste de la population carcérale, à moins qu’une telle mesure ne soit rendue strictement nécessaire pour des raisons médicales ou autres. A cet égard, le CPT tient à souligner plus particulièrement qu’il n’y a aucune justification médicale à la ségrégation d’un détenu au seul motif qu’il est séropositif au VIH. Afin de dissiper tout malentendu sur ces questions, il incombe aux autorités nationales de faire en sorte qu’un programme complet d’éducation au sujet des maladies transmissibles soit en place tant à l’intention des détenus que du personnel. Un tel programme devrait traiter des modes de transmission et des moyens de protection ainsi que de la mise en œuvre de mesures préventives adéquates. Il convient, plus particulièrement, de mettre l’accent sur les risques de transmission du VIH et des hépatites B/C par voie sexuelle et la toxicomanie intraveineuse, et d’expliquer le rôle des fluides corporels comme vecteurs du VIH et des virus de l’hépatite. Il faut également souligner que des informations et conseils adéquats avant – et en cas de résultat positif après – tout test de dépistage doivent être donnés. En outre, il va de soi que les informations relatives aux patients doivent être couvertes par le secret médical. Par principe, toutes interventions en ce domaine doivent être fondées sur le consentement éclairé des personnes concernées. En outre, pour que le contrôle des maladies susmentionnées soit effectif, tous les ministères et organismes travaillant dans ce domaine dans un pays donné doivent veiller à une coordination optimale de leurs efforts. A cet égard, le CPT tient à souligner que la continuité des traitements doit être garantie après la libération. » C. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe Les parties pertinentes de la Recommandation du Comité des Ministres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006 lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres) disposent : « Principes fondamentaux Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme. Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire. Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées. Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme. La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison. (...) 1 Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération. (...) 4 Le droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral. 5 Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus. 6 Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter. (...) »
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Le requérant est né en 1952 et réside à Hakkari. Le 19 avril 2003, deux individus furent blessés par arme à feu dans une rue de la ville de Van. Les victimes auraient indiqué à la police qu’ils avaient pu identifier leurs agresseurs. Il s’agissait du requérant et de Z.E. Ce dernier avait déjà été condamné pour homicide volontaire après avoir tué leur oncle. Il avait ensuite été libéré à la faveur d’une loi d’amnistie. A une date non précisée, Z.E. fut arrêté et placé en détention. Le 21 avril 2003, un mandat d’arrêt fut émis à l’encontre du requérant Le 7 mai 2003, les deux intéressés furent mis en accusation pour tentative de double homicide volontaire. A l’audience du 12 mai 2003, la cour d’assises de Van rendit une ordonnance de placement en détention in absentia à l’encontre du requérant. Entre cette date et le 26 février 2004, elle tint sept audiences au cours desquels elle procéda à divers actes d’instructions. A l’issue de chacune de ces audiences, elle décida de maintenir la décision de placement en détention du requérant, eu égard à l’état des preuves, de la nature de l’infraction et de la sanction encourue. Après son arrestation, le requérant fut présenté à la cour d’assises à l’audience du 15 avril 2004. Celle-ci décida de le maintenir en détention en se fondant sur l’état des preuves, l’état du dossier, la nature de l’infraction et la peine encourue. Lors des trois audiences qui suivirent (18 mai, 8 juin et 1er juillet 2004), la cour d’assises ordonna le maintien du requérant en détention en se fondant sur des motifs similaires. Elle ordonna par ailleurs diverses mesures d’instruction. Le requérant fit opposition à la décision de maintien du 1er juillet 2004. Celle-ci fut rejetée le 2 juillet 2004 par deux voix contre une, à la suite d’un examen sur dossier. Le 27 juillet 2004, considérant que l’ensemble des éléments de preuves avait désormais été recueilli, la cour d’assises ordonna la libération du requérant.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1967 et purge actuellement une peine d’emprisonnement dans la colonie pénitentiaire no IK-19, à Tavda, dans la région de Sverdlovsk. A. La procédure pénale dirigée contre le requérant Le 11 juin 1999, le requérant fut arrêté pour enlèvement commis en bande organisée et placé en garde à vue. Trois jours plus tard, il fut mis en détention provisoire par le procureur compétent. Le 18 juin 1999, il fut formellement inculpé. Le 6 janvier 2000, il fit l’objet d’une inculpation complémentaire pour enlèvement, extorsion et acquisition et possession illégales d’armes à feu et de stupéfiants. Le 10 mars 2000, le dossier fut communiqué au tribunal du district Meshchanski de Moscou, qui le renvoya au parquet en signalant que l’acte d’accusation n’avait pas été intégralement traduit en langue tchétchène. Le 7 avril 2000, le parquet communiqua l’acte d’accusation modifié et le dossier au tribunal de district, où ils parvinrent le 10 avril 2000. Une semaine plus tard, l’affaire fut renvoyée devant le tribunal du district Kuntsevski de Moscou. La première audience du procès, fixée au 22 mai 2000, fut ajournée en raison de la non-comparution des avocats des autres accusés. Il en alla de même de l’audience suivante, prévue pour le 16 juin 2000. Sur les trois audiences suivantes, deux furent ajournées à la demande du requérant et une pour défaut de comparution de la victime et des témoins. Par une décision du 12 septembre 2000, le tribunal du district Kuntsevski renvoya l’affaire au parquet de Moscou pour complément d’instruction. Le 9 juillet 2001, le tribunal du district Khamovnicheski de Moscou fut saisi de l’affaire pour jugement. L’audience fixée au 24 août 2001 fut ajournée pour défaut de comparution des témoins et de l’avocat du requérant. Les huit audiences suivantes prévues entre cette dernière date et le 20 mai 2002 furent elles aussi ajournées : deux pour défaut de comparution du requérant, qui avait été libéré sous caution le 6 juillet 2001, trois pour défaut de comparution des accusés, de leurs avocats et de certains témoins, et trois au motif que la présidente de la formation de jugement (« la présidente ») siégeait à un autre procès. Par une décision du 21 mai 2002, le tribunal du district Khamovnicheski renvoya le dossier au parquet de Moscou pour complément d’instruction. Le 24 juillet 2002, le tribunal de Moscou, saisi en appel par le parquet, annula cette décision et renvoya l’affaire devant le tribunal du district Khamovnicheski. La première audience après le renvoi devant le tribunal du district Khamovnicheski était prévue pour le 13 septembre 2002. Elle n’eut pas lieu, la présidente ayant été appelée à siéger à un autre procès. Les vingttrois audiences suivantes fixées entre cette dernière date et le 3 novembre 2003 (date de la dernière audience) ne se tinrent pas comme prévu. Deux furent reportées parce que, une nouvelle fois, la présidente siégeait à un autre procès et quatre le furent parce que soit le procureur, soit certains des accusés étaient malades. Six autres ajournements furent prononcés, cinq à la demande de la défense, y compris l’avocat du requérant, et un à la demande de l’accusation. Neuf audiences furent ajournées pour non-comparution de plusieurs participants. Le requérant, qui avait été remis en détention dans l’intervalle, s’abstint à deux reprises de se présenter. Un autre ajournement fut prononcé car son avocat avait quitté la salle d’audience sans autorisation. Une autre audience fut ajournée pour des raisons qui ne ressortent pas clairement du dossier. En février 2003, le tribunal prononça la disjonction de l’instance à l’égard de deux coaccusés du requérant et poursuivit l’examen de l’affaire de ce dernier. Par une décision du 29 août 2003, il décida de disjoindre les instances dirigées contre deux autres coaccusés. Les audiences susmentionnées portaient toutes sur des points de procédure. La première audience sur le fond se déroula le 17 septembre 2003. Au début de celle-ci, le requérant chercha plusieurs fois à récuser la présidente en mettant en cause son impartialité. La présidente ordonna son expulsion de la salle d’audience pour comportement inapproprié. Le requérant chercha à récuser son avocat, mais la présidente refusa d’y donner suite et son conseil continua de le représenter. Le 23 septembre, les 4, 30 et 31 octobre et le 3 novembre 2003, le tribunal entendit les témoins et examina les pièces du dossier. Une fois l’examen des preuves achevé et le procureur et l’avocat de la défense entendus en leurs conclusions, l’intéressé fut autorisé à réintégrer la salle d’audience pour y prononcer sa déclaration finale. Par un jugement du 24 novembre 2003, le tribunal du district Khamovnicheski déclara le requérant coupable d’enlèvement, d’extorsion et d’acquisition et de possession illégales d’armes à feu et de stupéfiants. Il le condamna à une peine de quinze ans d’emprisonnement. Il ordonna par ailleurs le remboursement de la caution à l’épouse de l’intéressé (paragraphe 29 ci–dessous). Le 4 décembre 2003, l’avocat du requérant fit appel de ce jugement. Par une décision du 18 mai 2004, le tribunal de Moscou accueillit pour manque de preuves l’appel concernant le chef d’acquisition et de possession illégales de stupéfiants. Il maintint en substance le verdict concernant les autres chefs et réduisit la peine à dix ans d’emprisonnement. Par une décision du 27 novembre 2007, le tribunal de la ville de Vyazniki (région de Vladimir) mit le requérant en liberté conditionnelle. Il apparaît que, en juillet 2008, le requérant fut une nouvelle fois arrêté puis condamné pour une infraction pénale. Il purge actuellement une peine d’emprisonnement. B. La détention provisoire subie par le requérant A la suite de l’arrestation du requérant le 11 juin 1999 (paragraphe 9 ci-dessus), l’enquêteur principal autorisa sa mise en détention provisoire pendant la durée de l’instruction par une décision du 14 juin 1999, qui indiquait en particulier qu’il avait été tenu compte « (...) du fait que [le requérant était] soupçonné d’avoir commis une infraction extrêmement grave punissable d’une peine d’emprisonnement et que, s’il [était] élargi, il risqu[ait] de se soustraire à la justice et, ainsi, de faire obstacle à l’établissement de la vérité ou de commettre une autre infraction ». Par une décision du 10 août 1999, le parquet maintint le requérant et ses cinq coaccusés en détention jusqu’au 11 septembre 1999. Les motifs invoqués dans cette décision étaient la gravité des charges retenues contre eux ainsi que les risques de fuite, d’entrave au cours de la justice, de subornation de témoin et de récidive. Par des décisions du 31 août et du 6 décembre 1999, le parquet maintint en détention l’ensemble des six coaccusés jusqu’au 11 décembre 1999 et jusqu’au 11 mars 2000 respectivement. Ces décisions étaient libellées de la même manière que celle du 10 août 1999. Aucune décision ne paraît avoir formellement autorisé la détention du requérant entre le 11 mars et le 10 mai 2000. A cette dernière date, le tribunal du district Kuntsevski de Moscou reçut le dossier, fixa au 22 mai 2000 la date du procès et jugea que « la mesure privative de liberté [dont faisaient l’objet les accusés] n’avait pas lieu d’être modifiée ». Le 12 septembre 2000, lorsqu’il renvoya l’affaire au parquet, ce même tribunal ordonna le maintien en détention du requérant et de ses cinq coaccusés. Sa décision n’était pas motivée. Le 25 janvier 2001, le tribunal de Moscou la confirma en appel. Le 26 février et le 23 mars 2001, le parquet, reprenant le raisonnement des décisions du 10 août et du 6 décembre 1999, ordonna le maintien en détention du requérant et de ses coaccusés jusqu’au 9 avril et jusqu’au 9 juillet 2001 respectivement. Le 6 juillet 2001, l’enquêteur saisi du dossier ordonna la mise en liberté sous caution du requérant par une décision ainsi libellée dans sa partie pertinente : « L’instruction étant achevée, [le requérant] ne pourra pas entraver le cours de la justice et sa comparution au tribunal pourra être garantie par le versement d’une caution d’un montant de 100 000 roubles ». Par une décision du 29 octobre 2002 rendue au cours du procès, le tribunal du district Khamovnicheski mit fin à la liberté sous caution du requérant et ordonna sa remise en détention, en relevant notamment ceci : « Ainsi qu’il ressort du dossier, [le requérant] est accusé de plusieurs infractions très graves punissables d’une peine d’emprisonnement, [il] a essayé plusieurs fois de retarder la procédure, ce qui, aux yeux du tribunal, constitue une tentative d’obstruction à l’établissement de la vérité et une marque d’irrespect envers le tribunal ». Le 30 octobre 2002, le requérant fit appel de la décision du 29 octobre 2002 qui, le 22 janvier 2003, fut confirmée par le tribunal de Moscou. Il ne comparut pas à l’audience, mais son avocat y assista. Le 24 avril 2003, le tribunal de district prolongea la détention du requérant jusqu’au 29 juillet 2003. Il s’appuya sur la gravité des charges, sans tenir compte de l’objection de l’intéressé selon laquelle il avait une épouse et deux enfants mineurs à charge. Le requérant fit appel le 25 avril 2003. Le 16 juin 2003, le tribunal de Moscou, en l’absence du requérant et de son avocat, confirma le maintien en détention. Le 19 juin 2003, le tribunal de district prolongea à nouveau la détention du requérant jusqu’au 29 octobre 2003, en relevant notamment ceci : « Compte tenu du comportement singulier [du requérant], de son état de santé et de la gravité des charges, [le tribunal] doute de sa capacité à comprendre les tenants et aboutissants de son procès et à témoigner. Conformément à la loi, (...) il est déterminant, pour un bon examen du dossier, de faire la lumière sur l’état de santé physique et mental [du requérant]. La détention [du requérant] se termine le 29 juillet 2003. Or une expertise psychiatrique prend beaucoup de temps. Aussi le tribunal juge-t-il nécessaire de maintenir [le requérant] en détention. » Le requérant interjeta appel le 24 juin 2003. Le 6 août 2003, statuant en l’absence de l’intéressé, le tribunal de Moscou annula le maintien en détention prononcé le 19 juin 2003 et renvoya le dossier à la juridiction de jugement pour examen au fond. Par une décision du 13 août 2003, le tribunal de district ordonna une nouvelle fois le maintien en détention du requérant. Le motif invoqué était la gravité des charges. Le 14 août 2003, l’intéressé fit appel de cette décision, mais il fut débouté par le tribunal de Moscou le 2 octobre 2003. Il ne comparut pas à l’audience, mais son avocat y assista. Par une décision du 28 octobre 2003, le tribunal de district, s’appuyant sur la gravité des charges, prolongea la détention du requérant jusqu’au 19 janvier 2004. La défense avait plaidé que l’intéressé avait un lieu de résidence permanent à Moscou et invoqué les lenteurs du procès, mais en vain. Le requérant fit appel le 31 octobre 2003. Il fut déclaré coupable le 24 novembre 2003 (paragraphe 19 ci-dessus). Son maintien en détention fut confirmé en appel le 12 février 2004. Il ne comparut pas à l’audience, mais son avocat y assista. C. Les conditions de détention du requérant et ses conditions de transport vers et depuis le tribunal La détention à la maison d’arrêt no IZ-77/2 de Moscou Le requérant fut détenu à la maison d’arrêt no IZ-77/2 de Moscou du 29 octobre 2002 au 20 décembre 2003. Il fut transféré d’une cellule à une autre à de nombreuses reprises. Le tableau qu’il brosse de ses conditions de détention diffère de celui décrit par le Gouvernement. a) Nombre de détenus par cellule i. Le Gouvernement Le Gouvernement a communiqué les éléments d’information suivants concernant les conditions de détention du requérant à la maison d’arrêt no IZ77/2 de Moscou : En outre, selon le Gouvernement, le requérant a disposé à tout moment de sa détention d’un emplacement individuel pour dormir, de draps et de couverts. ii. Le requérant Le requérant confirme les informations fournies par le Gouvernement en ce qui concerne le numéro et la superficie des cellules où il a été détenu. Il ne les conteste pas non plus pour ce qui est du nombre de lits superposés par cellule. Il affirme toutefois que les cellules où il a séjourné ont toujours été fortement surpeuplées. Le nombre de ses codétenus aurait été deux à trois fois supérieur à la capacité des cellules. Il n’y aurait jamais eu dans aucune d’elles moins de trente-cinq détenus. Le requérant dit qu’il n’a jamais disposé d’un emplacement individuel pour dormir, et que ses codétenus et lui étaient obligés de dormir à tour de rôle. Il ajoute que certains détenus devaient dormir sous les lits, à même le sol. Mis à part son heure quotidienne d’exercice, il aurait été enfermé dans ces conditions pendant tout le reste du temps, sauf lors des rares occasions où il s’entretenait avec son avocat ou pendant les quinze minutes hebdomadaires prévues pour la douche. b) La fréquence des exercices en plein air, la superficie de la cour de promenade et sa toiture i. Le Gouvernement Selon le Gouvernement, le requérant pouvait faire une heure d’exercice par jour. La maison d’arrêt aurait été dotée de 68 cours de promenade d’une superficie de 10 m² (pour les petites cellules) et de 52,8 m² (pour les grandes cellules). Ces cours auraient été aménagées de manière à permettre aux détenus d’y faire de l’exercice physique. Elles auraient été équipées de bancs et protégées de la pluie. ii. Le requérant D’après le requérant, l’heure quotidienne d’exercice se déroulait dans une cour d’une superficie de 30 m2. Trente-cinq à cent détenus y auraient été conduits en même temps. Les cours auraient été couvertes de toits de tôles fixées à des armatures métalliques, ce qui aurait nettement réduit l’accès à la lumière du jour. c) L’alimentation et les conditions d’hygiène dans les cellules où le requérant a séjourné i. Le Gouvernement Selon le Gouvernement, le requérant pouvait prendre une douche par semaine. A cette occasion, on lui aurait fourni des draps propres. Les douches auraient fonctionné correctement, sans coupure d’eau. Les détenus se seraient vu remettre des seaux et de la lessive pour laver leur linge. Le requérant aurait par ailleurs reçu chaque jour trois repas de qualité satisfaisante. Les cellules auraient été dotées d’une ventilation naturelle et artificielle fonctionnant correctement. La température et l’humidité y auraient été conformes aux normes en vigueur en matière d’habitabilité et d’hygiène. Les cellules auraient été équipées d’un chauffage central et d’un robinet d’eau froide. Les détenus auraient eu la possibilité de se servir de bouilloires ou de thermoplongeurs électriques pour faire chauffer de l’eau. L’éclairage artificiel dans les cellules aurait été conforme aux normes applicables et aurait fonctionné de 6 heures à 22 heures. La nuit, des lampes de faible intensité seraient restées allumées pour maintenir un éclairage dans la cellule. Dans les cellules nos 134, 140, 141, 155, 159 et 160, la cuvette des toilettes aurait été complètement séparée de l’espace de vie par un mur de briques et une porte. La distance entre les toilettes et la table aurait été d’au moins 2 mètres. Le lit le plus proche se serait trouvé à environ 1,50 m des toilettes. Dans les cellules nos 50, 36, 43, 52 et 298, la cuvette des toilettes aurait été séparée du reste de la cellule par un mur de briques de 1,35 m de hauteur. La distance entre les toilettes et la table aurait été d’au moins 1 mètre. Le lit le plus proche se serait trouvé à environ 50 cm des toilettes. Les cellules auraient été désinfectées tous les trois mois ou plus fréquemment si nécessaire. Au cours de son séjour dans la maison d’arrêt, le requérant n’aurait formulé aucune plainte faisant état par exemple d’une présence de rats, de parasites ou de punaises. ii. Le requérant Le requérant conteste la véracité des observations du Gouvernement pour ce qui est de l’aspect sanitaire de ses conditions de détention. Selon lui, la ventilation était inadéquate. La plupart de ses codétenus auraient fumé et il aurait été exposé au tabagisme passif. Le requérant affirme qu’il y avait si peu d’oxygène dans la cellule que la flamme d’une allumette s’y éteignait tout de suite. L’air aurait été presque irrespirable. Les fenêtres des cellules auraient été couvertes de plaques de métal qui auraient empêché la lumière du jour d’entrer. Les cellules auraient ainsi été insuffisamment éclairées pour lire. Une lumière électrique y serait restée allumée en permanence. Les cellules auraient été très bruyantes. De plus, elles auraient été sales et auraient eu besoin d’être rénovées. Elles auraient été infestées de cafards, de punaises et de poux. Située près de la table, la cuvette des toilettes n’aurait offert aucune intimité. Il aurait fallu faire la queue pour l’utiliser. La nourriture servie aurait été peu abondante et peu variée. Les conditions de détention au tribunal et les conditions de transport vers et depuis ce lieu Le Gouvernement et le requérant divergent sur la plupart des points quant aux conditions de détention au tribunal du district Khamovnicheski et de transport vers et depuis ce lieu. a) Le Gouvernement Le Gouvernement a communiqué les éléments suivants. i. Les conditions de transport vers et depuis le tribunal Le ministère de l’Intérieur aurait utilisé trois types de véhicules pour transporter les prévenus au tribunal et les en ramener. Le fourgon de marque ZIL aurait fait 4,70 m de long, 2,40 m de large et 1,64 m de haut, et il aurait disposé de quatre compartiments pouvant accueillir trente-six personnes assises. Les fourgons de marque GAZ auraient fait 3,80 de long, 2,35 m de large et 1,60 m de haut, et ils auraient disposé de trois compartiments pouvant accueillir vingt-cinq personnes assises. Ces véhicules auraient été aérés par une ouverture dans la porte et par des orifices dans le toit. Ils auraient été dotés d’un chauffage et d’un éclairage. Ils auraient été nettoyés chaque jour et désinfectés chaque semaine. Le trajet entre la maison d’arrêt et le tribunal aurait été long d’environ 7 km et il n’aurait pas duré plus d’une heure. Les jours d’audience, le réveil du requérant aurait été fixé à 6 heures et un petit déjeuner lui aurait été servi. Un panier repas lui aurait également été remis pour la journée au tribunal. ii. Les conditions de détention au tribunal Le dépôt du tribunal aurait été doté de six cellules d’une superficie totale de 31 m². Ces cellules auraient été correctement aérées et éclairées et dotées de portes métalliques munies de judas à des fins de surveillance. Les bancs auraient été fixés au sol. Il aurait été possible d’accéder aux sanitaires. b) Le requérant Le requérant décrit comme suit les conditions de détention au tribunal et ses conditions de transport vers et depuis ce lieu. i. Les conditions de transport Le requérant aurait fait l’aller et retour entre la maison d’arrêt et le tribunal à une quinzaine de reprises. Ces jours-là, il aurait été réveillé en général à 5 heures et aucun petit déjeuner ne lui aurait été servi. Le fourgon cellulaire aurait fait au total 3,80 m de long, 2,35 m de large et 1,60 m de haut, et il aurait disposé de trois compartiments. Deux d’entre eux auraient été prévus pour accueillir chacun douze personnes et le troisième aurait été conçu pour une seule personne. Il y aurait généralement eu dix-huit détenus dans chacun des deux grands compartiments. Il n’y aurait pas eu assez de sièges pour tout le monde et certains détenus auraient été obligés de rester debout ou de s’asseoir sur les genoux de quelqu’un d’autre. Le requérant aurait été transporté une fois dans le compartiment individuel, à l’issue du prononcé du verdict dans son procès, le 24 novembre 2003. La ventilation naturelle dans les fourgons par les orifices d’aération aurait été insuffisante et il y aurait régné une chaleur étouffante en été. En hiver, les véhicules n’auraient pas été chauffés quand le moteur n’était pas en marche. Le sol des fourgons aurait été extrêmement sale. Il aurait été couvert de mégots de cigarettes, de miettes de nourriture, de bouteilles en plastique et de sacs d’urine. Il aurait été impossible d’utiliser les toilettes pendant le transport. Les véhicules n’auraient eu ni fenêtres ni éclairage intérieur. Le requérant explique que le fourgon passait prendre des détenus dans différents établissements pénitentiaires et qu’il les déposait à différents tribunaux. De ce fait, les trajets de la maison d’arrêt jusqu’au tribunal auraient pris à chaque fois une heure et demie à deux heures. Les voyages retour auraient duré jusqu’à cinq heures. Les jours d’audience, aucune nourriture n’aurait été servie au requérant. ii. Les conditions de détention au tribunal Le requérant dit que les cellules du dépôt du tribunal étaient surpeuplées, sales, mal éclairées et non aérées, et qu’elles ne faisaient pas plus de 5 m² de superficie. Il n’y aurait obtenu aucune nourriture lors de ses séjours. Les cellules n’auraient pas non plus été dotées de toilettes. A deux reprises au moins, lorsque l’audience dans son affaire avait été ajournée, il aurait été détenu dans ces conditions jusqu’à quinze heures d’affilée. Les autres fois, il aurait séjourné plusieurs heures dans ces cellules avant et après l’audience. D. Les mauvais traitements allégués Le requérant affirme avoir été battu par des gardiens le 24 novembre 2003 alors qu’il était détenu au tribunal et avoir cherché en vain à s’en plaindre devant la juridiction de jugement. Le 25 janvier 2004, il dénonça ces mauvais traitements auprès du parquet. Par une décision du 5 avril 2004, le procureur refusa de mettre en mouvement l’action pénale contre l’auteur allégué des faits au motif qu’il n’existait pas de commencement de preuve de mauvais traitements. Le requérant ne fit pas appel. Le requérant dit que, à une date non précisée, la décision du 5 avril 2004 fut annulée par un procureur de rang supérieur qui ordonna un complément d’instruction sur ses allégations. Cependant, le 26 février 2007, le procureur compétent rejeta une nouvelle fois ces dernières au motif qu’elles n’étaient pas suffisamment étayées. L’intéressé ne fit pas appel. E. La correspondance du requérant avec la Cour Le requérant allègue que l’administration de l’établissement pénitentiaire no IK-6 de la région de Vladimir, où il a purgé une peine d’emprisonnement de 2004 à 2006, a ouvert certaines des lettres que la Cour lui avait adressées. Le Gouvernement reconnaît que les lettres du 8 juillet 2005 et du 11 mai 2006 adressées par la Cour au requérant ont été ouvertes par des agents de cet établissement et tamponnées avec le cachet de celui-ci. Le 9 août 2011, le requérant pria l’administration de l’établissement pénitentiaire no IK-19, où il purgeait alors une peine d’emprisonnement, d’adresser à ses représentants devant la Cour certaines pièces, notamment ses demandes au titre de la satisfaction équitable et sa demande d’obtention de l’assistance judiciaire. Le directeur par intérim des services intérieurs expédia ces documents avec une lettre d’accompagnement qui indiquait : « Veuillez trouver ci-joint la lettre [du requérant] concernant une violation de ses droits. (...) Pièces jointes (11 pages) (Signature) » Le requérant estime que, en agissant ainsi, les autorités russes ont méconnu leurs obligations découlant de l’article 34 de la Convention et ont porté atteinte à son droit au respect de sa correspondance. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les conditions de détention provisoire L’article 23 de la loi du 15 juillet 1995 sur la détention des suspects prévoit que les détenus doivent être incarcérés dans des conditions conformes aux normes sanitaires et hygiéniques. Ils doivent disposer d’un emplacement individuel pour dormir, de draps et de couvertures, de vaisselle et d’articles de toilette. Chacun d’eux doit disposer d’au moins 4 m² d’espace personnel dans sa cellule. De plus, tout détenu doit recevoir gratuitement une alimentation suffisante pour rester en bonne santé, conformément aux normes établies par le gouvernement de la Fédération de Russie (article 22 de cette même loi). B. La détention provisoire et les autres mesures préventives L’article 255 § 1 du code russe de procédure pénale (« le CPP ») prévoit que le juge peut ordonner, modifier ou lever toute mesure préventive, y compris la détention provisoire, à tout stade de la procédure judiciaire. La mise en détention provisoire d’un prévenu au cours de la procédure ne peut en principe durer plus de six mois. Toutefois, si l’affaire porte sur des infractions pénales graves ou particulièrement graves, la juridiction de jugement peut prolonger une ou plusieurs fois cette mesure pour une durée maximum de trois mois à chaque fois (article 255 §§ 2 et 3). Pareille décision est susceptible d’appel devant une juridiction supérieure (article 255 § 4). C. Les pouvoirs de coercition du tribunal L’article 111 du CPP dispose que, pour assurer une bonne administration de la justice pénale, le tribunal peut prendre des mesures pour contraindre les parties au procès à coopérer, par exemple ordonner leur comparution forcée ou leur infliger une amende. La première mesure peut être prise à l’égard de témoins qui, sans raison valable, n’ont pas obtempéré à une citation à comparaître (article 113). Quant à la seconde, une amende peut être infligée à toute partie ayant manqué à ses obligations procédurales (article 117). L’article 258 du CPP énonce les sanctions que le juge peut prendre à l’encontre de toute partie – y compris le prévenu – dont le comportement a troublé l’ordre dans la salle d’audience : (1) un avertissement, (2) l’expulsion de la salle d’audience ou (3) une amende. Son paragraphe 3 ajoute que le procès, y compris l’exposé des conclusions finales des parties, peut se dérouler en l’absence du prévenu. En pareil cas, celui-ci doit être reconduit en salle d’audience pour y faire sa déclaration finale. Le jugement doit toujours être prononcé en sa présence. D. L’examen en appel L’article 373 du CPP dispose que la juridiction d’appel qui statue sur une condamnation en examine la légalité, la validité et l’équité. L’article 374 du CPP impose à la juridiction d’appel d’entamer son examen dans le mois qui suit sa saisine. L’article 377 du CPP est ainsi libellé dans ses parties pertinentes : « 4. La juridiction d’appel peut se livrer à sa propre appréciation des preuves, si les parties en font la demande, conformément aux [règles de procédure pénale applicables en première instance]. Pour étayer ou réfuter tout moyen soulevé dans l’acte introductif d’appel, les parties peuvent présenter tout élément nouveau qui sera examiné par le juge d’appel. » Dans sa résolution no 1 du 5 mars 2004 (applicable au moment des faits), la Cour suprême de la Fédération de Russie, interprétant l’article 377, a précisé que l’analyse des éléments nouveaux se limitait à un réexamen des preuves déjà appréciées par la juridiction de jugement, ce qui englobe entre autres les dépositions des témoins. E. La correspondance des détenus L’article 91 § 2 du code russe de l’exécution des peines et l’article 53 du règlement intérieur des établissements pénitentiaires, adopté le 3 novembre 2005 par l’arrêté no 205 du ministère de la Justice, disposent que le courrier envoyé et reçu par tous les détenus fait l’objet d’une censure de la part de l’administration de l’établissement pénitentiaire, à l’exception de la correspondance avec les tribunaux, le parquet, l’administration pénitentiaire, le médiateur, le comité public de surveillance et la Cour européenne des droits de l’homme.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1963 et réside à Montreuil-sous-Bois. Le 18 octobre 1986, la requérante épousa T.P. Ils eurent trois enfants, âgés aujourd’hui de 28, 24 et 15 ans. En juillet 2001, les époux se séparèrent. La requérante quitta le domicile conjugal. Elle indique qu’elle continua d’assurer les tâches quotidiennes pour ses enfants. Au début de l’année 2002, la requérante fut enceinte de D.B. En février 2002, elle loua une maison à Saint-Jacques-sur-Darnetal. Le 31 mars 2002, D.B. mit fin à ses jours. Affectée par cette disparition, la requérante fut hospitalisée dans une clinique et y resta durant une période de temps non précisée. Le 16 septembre 2002, la requérante accoucha prématurément d’une fille, G., et demanda le secret de la naissance. G. fut aussitôt admise comme pupille de l’État à titre provisoire et confiée à l’Aide sociale à l’enfance du Cher. Jusqu’au 30 octobre 2002, elle fut hospitalisée en service de néonatologie. Par la suite, elle fut admise à la pouponnière du centre départemental de l’enfance et de la famille. Le 8 octobre 2002, la requérante signa un compromis de vente afin d’acquérir une maison à Saint Jacques Sur Darnetal et d’y vivre avec ses enfants, y compris G. Le 15 novembre 2002, la requérante reconnut G. sous son nom de jeune fille. Le 22 novembre 2002, le divorce de la requérante et de T.P. fut prononcé. Le 24 décembre 2002, un signalement au sujet de G. fut adressé au procureur de la République. Le 28 janvier 2003, la requérante rendit visite à G. à la pouponnière. A. Hospitalisations et mise sous curatelle de la requérante Au début du mois de février 2003, s’inquiétant de l’état de santé de la requérante, sa fille aînée l’accompagna chez un médecin. Celui-ci l’aurait informée qu’elle était gravement malade et qu’elle était en danger, ce qui nécessitait une hospitalisation. Le 8 février 2003, la requérante fut hospitalisée au centre hospitalier universitaire (« CHU ») de Rouen, à la demande de sa fille. Les médecins constatèrent qu’elle menaçait de se suicider et qu’elle était sujette à des angoisses massives. Le 7 mars 2003, la requérante sortit du CHU. Elle prit contact avec le notaire chargé de la vente de la maison, mais ne put s’y installer. Elle loua une chambre d’hôte, tenue par O.B., située près de sa maison. Le 29 avril 2003, la requérante fut à nouveau hospitalisée au CHU de Rouen. Les médecins du centre hospitalier relevèrent un état dépressif avec tentative de suicide, une personnalité névrotique, ainsi qu’un déni de son état mental et physique. Entre mai et juin 2003, les médecins du centre conclurent à la nécessité de maintenir le placement de la requérante. Le 22 juin 2003, lors d’un congé d’essai, la requérante s’enfuit et ne réintégra pas le CHU. Elle fut retrouvée par les forces de police, adressée au centre hospitalier de Bourges et transférée au CHU de Rouen. Le 25 juin 2003, après avoir examiné la requérante, un médecin du centre délivra un « certificat de retour d’évasion ». Le 15 juillet 2003, un certificat de levée d’hospitalisation fut délivré. Le 18 juillet 2003, la requérante sortit du CHU. Il était prévu qu’elle intégrât une maison de repos. Le 21 juillet 2003, les parents de la requérante demandèrent à ce qu’elle soit placée sous curatelle renforcée et qu’O.B. soit nommée en qualité de curatrice. Par une lettre du 10 septembre 2003 adressée au juge des tutelles, les parents de la requérante renouvelèrent leur demande du 21 juillet 2003, précisant que leur fille était dans l’incapacité intellectuelle de gérer son patrimoine. Le 8 octobre 2003, la requérante fut placée sous le régime de l’hospitalisation sur demande d’un tiers au sein du service psychiatrique de l’hôpital Ambroise Paré de Boulogne. Les médecins de l’hôpital l’ayant examinée constatèrent ce qui suit : « Incurie, retrouvée errante par la police, incohérente par moment, symptomatologie dépressive sévère. Antécédents : plusieurs hospitalisations en psychiatrie, rupture de soins, déni de ses troubles. (...) Etat dépressif sévère avec perplexité, incohérence et troubles du sommeil. (...) Cet état mental impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier. Rend impossible son consentement à une hospitalisation. Nécessite une hospitalisation selon les termes de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. ». Le 20 octobre 2003, un médecin de l’hôpital constata chez la requérante un risque suicidaire important. Le 20 novembre 2003, le rapport d’examen psychologique de la requérante fut déposé. L’expert conclut à l’existence d’un trouble psychique chez l’intéressée, caractérisé par une décompensation psychotique. Il constata son absence de désir concernant l’avenir de G. et la nécessité d’envisager celui-ci sans référence à la « génitrice » de l’enfant. Le 8 décembre 2003, un médecin de l’hôpital constata une amélioration significative de l’état dépressif de la requérante et délivra un certificat de sortie en congé d’essai. Le 12 janvier 2004, constatant l’altération des facultés mentales de la requérante, le juge des tutelles du tribunal d’instance de Rouen prononça son placement sous curatelle renforcée et nomma O.B. en qualité de curatrice. Le 20 janvier 2004, un médecin de l’hôpital délivra un certificat de retour de congé d’essai, constatant que la requérante présentait « un état d’incurie avec repli clinophile » et qu’elle refusait tout traitement en rapport avec une rechute d’un état mélancolique avec idées d’incurabilité face à la mise en danger d’elle-même et au refus des soins. Les 22 février et 22 mars 2004, les médecins de l’hôpital constatèrent une amélioration significative de l’état dépressif de la requérante, malgré la persistance des angoisses de mort et des difficultés d’adaptation lors des sorties, ainsi qu’une amélioration du contact avec la réalité et une diminution des conduites d’auto-agression. Le 25 mars 2004, un médecin de l’hôpital accorda un congé d’essai de deux jours à la requérante. Le 29 mars 2004, après avoir constaté que l’état mélancolique de la requérante s’était notablement amélioré sous traitement et qu’elle acceptait un suivi ambulatoire, le médecin hospitalier délivra un certificat de sortie en congé d’essai. Le 11 avril 2004, à la suite de la réapparition d’angoisses, la requérante réintégra le service psychiatrique de l’hôpital Ambroise Paré. Le 23 avril 2004, le médecin de l’hôpital constata chez la requérante une amélioration significative de son état dépressif. Le 13 mai 2004, la requérante se vit délivrer un certificat de sortie en congé d’essai. Le 13 août 2004, constatant que la requérante montrait une grande stabilité de son état thymique, qu’elle suivait un traitement ambulatoire et qu’elle semblait avoir compris la nécessité d’un traitement au long cours de sa pathologie bipolaire, le médecin de l’hôpital autorisa la levée de son hospitalisation. Le 27 novembre 2004, la requérante fit l’objet d’une hospitalisation d’office, en application de l’article L. 3213-2 du code de la santé publique. Le 9 décembre 2004, les médecins de l’hôpital conclurent à la nécessité du maintien de l’hospitalisation de la requérante. Le 4 janvier 2005, un certificat de sortie temporaire fut délivré à la requérante, afin qu’elle puisse se présenter au juge des libertés et de la détention le 7 janvier 2005. Le même jour, le médecin constata que la requérante présentait des troubles majeurs du comportement avec excitation psychomotrice, fuite des idées, euphorie de toute puissance, que ses troubles étaient en rapport avec une pathologie chronique de l’humeur faisant alterner des phases mélancoliques et des phases maniaques, et qu’ils induisaient une dangerosité pour l’ordre public. Le 14 janvier 2005, le médecin de l’hôpital autorisa un congé d’essai à la requérante, après avoir constaté que le traitement avait normalisé ses troubles bipolaires. Les 26 janvier, 25 février, 25 mars et 15 avril 2005, le médecin de l’hôpital constata chez la requérante un comportement calme et adapté, ainsi qu’une normalisation des troubles bipolaires. Le 21 mars 2005, le médecin J.-A. A., psychiatre judiciairement désigné afin de procéder à un examen psychiatrique de la requérante en vue de la levée de la mesure de curatelle renforcée, la rencontra. Le 25 avril 2005, la levée de l’hospitalisation d’office de la requérante fut autorisée. Le 17 août 2005, la requérante fut hospitalisée au sein du service psychiatrique du CHU de Rouen. Elle en sortit le 9 septembre suivant. Le 14 octobre 2005, la requérante fut hospitalisée au sein du centre hospitalier du Rouvray. Elle en sortit le 28 octobre suivant. Le 17 janvier 2006, la requérante fut hospitalisée au sein du service psychiatrique du CHU de Rouen. Elle en sortit le 6 février suivant. Le 31 mars 2006, la requérante fut hospitalisée au sein du service psychiatrique du CHU de Rouen. Elle en sortit le 17 avril suivant. Le 11 septembre 2006, le tribunal de grande instance de Rouen prononça la levée de la mesure de curatelle prononcée à l’égard de la requérante. Le 13 février 2007, la requérante fut hospitalisée à la demande d’un tiers au sein du centre hospitalier du Rouvray. Le 23 février 2007, la levée de l’hospitalisation de la requérante fut autorisée. Le 17 avril 2007, la requérante sortit du centre. B. Le placement, la déclaration judiciaire d’abandon et l’adoption plénière de G. Le 3 avril 2003, le juge des enfants du tribunal de grande instance de Rouen ordonna le placement provisoire de G. pour une période de six mois, outre un examen psychologique de la requérante. Le 7 octobre 2003, l’assistance sociale de la Direction de la prévention et du développement social (« DPDS ») déposa un rapport de situation concernant G., dans lequel elle précisa avoir été mise en garde par la sœur de la requérante sur la dangerosité de cette dernière et préconisa le maintien du placement de G. en famille d’accueil dans le Cher, loin des turbulences maternelles. Le 21 octobre 2003, le juge des enfants de Rouen ordonna le placement provisoire de G. pour une période de dix-huit mois. Le 14 avril 2004, sur le fondement de l’article 350 du code civil, la DPDS du Cher demanda au procureur de la République de Bourges de faire constater le désintérêt de la requérante à l’égard de G., de consentir à ce que l’enfant soit admis en qualité de pupille de l’État et de déléguer l’autorité parentale sur cet enfant au service de l’Aide sociale à l’enfance. Le 16 septembre 2004, la requérante fit parvenir à l’enfant une carte accompagnée d’un colis d’anniversaire. Le 6 octobre 2004, la requérante se vit octroyer, par ordonnance du juge des enfants, un droit de visite médiatisé sur G., une fois tous les deux mois. Le 10 novembre 2004, elle écrivit au magistrat pour accuser réception de cette décision et annoncer qu’elle chargeait son avocat de diverses démarches en rapport avec cette procédure. Au mois de décembre 2004, les médecins mentionnèrent sur le dossier médical d’hospitalisation de la requérante que celle-ci évoquait sa fille et prévoyait de lui rendre visite le 4 janvier 2005. Cette rencontre fut finalement repoussée au 17 janvier 2005. L’intéressée bénéficia d’une permission de sortie exceptionnelle, mais ne se rendit pas au rendez-vous en invoquant une panne de véhicule. Le 5 janvier 2005, le juge des enfants émit un avis favorable à l’application de l’article 350 du Code civil. Le 6 avril 2005, le tribunal de grande instance de Bourges, statuant sur la requête du 14 avril 2004, constata le désintérêt de la requérante à l’égard de G., consentit à ce que l’enfant soit admis en qualité de pupille de l’État et délégua l’autorité parentale au service de l’Aide sociale à l’enfance. Le 12 avril 2005, le médecin psychiatre J.-A. A. déposa son rapport, dans lequel il constata notamment que la requérante s’était trouvée dans une période de dépression profonde. Le 22 juillet 2005, le juge des enfants ordonna la mainlevée du placement de G. Le 5 avril 2006, le tribunal de grande instance de Bourges prononça l’adoption plénière de G au profit de la famille d’accueil de l’enfant. Le 29 août 2006, à la demande du procureur de la République, l’acte de naissance de G. fut rectifié pour y faire apparaître sa nouvelle filiation. Le 22 octobre 2008, la requérante interjeta appel du jugement du 6 avril 2005. Par un arrêt du 16 avril 2009, la cour d’appel de Bourges déclara l’appel de la requérante recevable et annula le jugement du 6 avril 2005, en raison de l’absence de convocation du curateur de la requérante à l’audience. Sur la requête en abandon judiciaire, elle déclara l’enfant G. abandonnée et délégua l’autorité parentale sur cet enfant à l’aide sociale à l’enfance du Cher. Elle releva que si l’appelante, comparant en personne assistée de son avocat, contestait avoir reçu notification du jugement de première instance dès le 10 mai 2005, elle n’apportait pas la preuve que la signature apposée sur l’accusé de réception correspondant, très ressemblante à celles figurant sur les autres documents signés de sa main, n’était pas la sienne. Elle estima que, depuis la naissance de G., et pendant l’année qui avait précédé la requête en abandon judiciaire, la requérante s’était manifestement désintéressée de l’enfant en n’entretenant pas avec elle les relations nécessaires à l’instauration et au maintien de liens affectifs. À cet égard, elle observa notamment que celle-ci ne s’était pas présentée aux convocations du juge des enfants, le 21 octobre 2003 et le 27 janvier 2004, et qu’ elle s’était, dans un courrier adressé à ce dernier le 3 décembre 2003, exprimée en ces termes : « après mûres réflexions, je souhaite qu’un projet d’adoption soit mis en place pour G. ». Concernant les troubles psychologiques de la requérante prenant la forme d’une dépression, elle considéra, d’une part, que les pièces versées par l’intéressée ne démontraient pas que ceux-ci l’empêchaient de marquer un intérêt pour sa fille et de chercher à établir avec elle des liens affectifs et, d’autre part, que l’examen psychiatrique auquel il avait été procédé à sa demande en avril 2005 ne permettait pas de conclure que la dépression profonde qu’elle avait connue à la suite du suicide de son compagnon avait été de nature à troubler son jugement et sa volonté dans ses décisions concernant le sort de G. La requérante se pourvut en cassation, dénonçant une violation de l’article 8 de la Convention. Par un arrêt du 23 juin 2010, la Cour de cassation rejeta son pourvoi. C. Autres procédures Recours administratifs Les 19 mai et 5 août 2008, la requérante saisit le juge des référés du tribunal administratif de Rouen d’un recours en responsabilité contre le centre hospitalier de Rouvray, alléguant une détention arbitraire et des conditions de détention inhumaines. Par une ordonnance du 28 octobre 2008, sa requête fut rejetée. La requérante interjeta appel. Le 23 décembre 2008, la cour administrative d’appel de Douai rejeta sa requête, celle-ci n’ayant pas été régularisée. Plainte avec constitution de partie civile Le 16 septembre 2009, la requérante déposa une plainte avec constitution de partie civile contre son ex-époux, sa sœur et ses parents auprès du juge d’instruction du tribunal de grande instance de Rouen, notamment pour coups et blessures, maltraitance physique et psychologique, organisation d’internement arbitraire, participation à atteinte à l’état civil d’un enfant et violation de vie privée. Le 9 août 2010, le juge d’instruction rendit une ordonnance de refus d’informer et de non-lieu partiel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code civil, applicables à l’époque des faits, se lisent comme suit : Article 347 Peuvent être adoptés : 1o Les enfants pour lesquels les père et mère ou le conseil de famille ont valablement consenti à l’adoption ; 2o Les pupilles de l’Etat ; 3o Les enfants déclarés abandonnés dans les conditions prévues par l’article 350. Article 350 L’enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l’aide sociale à l’enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration d’abandon, est déclaré abandonné par le tribunal de grande instance sauf le cas de grande détresse des parents et sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa. La demande en déclaration d’abandon est obligatoirement transmise par le particulier, l’établissement ou le service de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant à l’expiration du délai d’un an dès lors que les parents se sont manifestement désintéressés de l’enfant. Sont considérés comme s’étant manifestement désintéressés de leur enfant les parents qui n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs. La simple rétractation du consentement à l’adoption, la demande de nouvelles ou l’intention exprimée mais non suivie d’effet de reprendre l’enfant n’est pas une marque d’intérêt suffisante pour motiver de plein droit le rejet d’une demande en déclaration d’abandon. Ces démarches n’interrompent pas le délai figurant au premier alinéa. L’abandon n’est pas déclaré si, au cours du délai prévu au premier alinéa du présent article, un membre de la famille a demandé à assumer la charge de l’enfant et si cette demande est jugée conforme à l’intérêt de ce dernier. Lorsqu’il déclare l’enfant abandonné, le tribunal délègue par la même décision les droits d’autorité parentale sur l’enfant au service de l’aide sociale à l’enfance, à l’établissement ou au particulier qui a recueilli l’enfant ou à qui ce dernier a été confié. La tierce opposition n’est recevable qu’en cas de dol, de fraude ou d’erreur sur l’identité de l’enfant. Article 492 Une tutelle est ouverte quand un majeur, pour l’une des causes prévues à l’article 490, a besoin d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile. Article 508 Lorsqu’un majeur, pour l’une des causes prévues à l’article 490, sans être hors d’état d’agir lui-même, a besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile, il peut être placé sous un régime de curatelle. Les dispositions pertinentes du code de la santé publique, applicables à l’époque des faits, se lisent comme suit : Article L. 3213-1 A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l’Etat prononcent par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié, l’hospitalisation d’office dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement accueillant le malade. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’hospitalisation nécessaire. Dans les vingt-quatre heures suivant l’admission, le directeur de l’établissement d’accueil transmet au représentant de l’Etat dans le département et à la commission mentionnée à l’article L. 3222-5 un certificat médical établi par un psychiatre de l’établissement. Ces arrêtés ainsi que ceux qui sont pris en application des articles L. 3213-2, L. 3213-4 à L. 3213-7 et les sorties effectuées en application de l’article L. 3211-11 sont inscrits sur un registre semblable à celui qui est prescrit par l’article L. 3212-11, dont toutes les dispositions sont applicables aux personnes hospitalisées d’office. Article L. 3213-1 En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical ou, à défaut, par la notoriété publique, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l’égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d’en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l’Etat dans le département qui statue sans délai et prononce, s’il y a lieu, un arrêté d’hospitalisation d’office dans les formes prévues à l’article L. 3213-1. Faute de décision du représentant de l’Etat, ces mesures provisoires sont caduques au terme d’une durée de quarante-huit heures.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une société anonyme de droit portugais ayant son siège à Cascais (Portugal). A. La genèse de l’affaire Le 6 octobre 1976, la requérante acheta, dans le cadre d’une vente judiciaire, un terrain de 11 780 m² sis à Oeiras, qu’elle inscrivit au registre foncier le 23 novembre 1978. En juin 1991, la mairie d’Oeiras fit construire sur une partie de ce terrain un viaduc routier, une voie d’accès et un passage piéton. Ces constructions occupaient une parcelle de 6 639 m² du terrain de la requérante ainsi qu’un terrain voisin, propriété de la mairie. Ayant appris que son terrain venait d’être classé en zone urbaine par le plan d’urbanisme (plano director municipal) d’Oeiras, le 26 avril 1994, la requérante adressa une lettre à la mairie d’Oeiras, demandant des renseignements sur les possibilités de construction qu’offrait son terrain. Elle n’obtint cependant aucune réponse. Elle prit alors connaissance que des travaux avaient été effectués par la mairie d’Oeiras sur le terrain. La requérante allègue avoir entrepris, entre 1994 et 1998, des démarches en vue d’un règlement amiable de l’affaire auprès de la mairie, sans succès, la mairie soutenant être la propriétaire du terrain en question. B. La procédure devant les juridictions administratives Le 10 juillet 1998, la requérante saisit le tribunal administratif de Lisbonne d’une action visant la reconnaissance de ses droits contre la mairie d’Oeiras. Elle allégua que, sans qu’elle en ait eu connaissance, cette dernière avait, notamment, érigé un viaduc routier sur son terrain alors qu’aucune procédure d’expropriation n’avait été entamée. La requérante réclama la reconnaissance de son droit de propriété sur ledit terrain et demanda au tribunal d’ordonner à la mairie d’Oeiras de détruire le viaduc routier. Le 2 décembre 1998, la mairie contesta le droit de propriété de la requérante sur la partie du terrain en cause. Le 20 septembre 1999, elle présenta ses conclusions, excipant de l’incompétence ratione materiae du tribunal. Par un jugement du 12 mai 2000, le tribunal administratif de Lisbonne fit droit à l’exception soulevée, s’estimant incompétent ratione materiae. A l’appui de sa décision, il releva ce qui suit : « (...) Dans le cas d’espèce, (...) la demanderesse demande aussi, du moins de façon implicite, que soit reconnu son droit de propriété sur la partie du terrain où la mairie d’Oeiras a entrepris la construction d’un viaduc. (...) contrairement à ce qu’allègue la demanderesse, le droit de propriété de la requérante n’est pas incontesté. (...) Il n’est pas établi qu’elle est propriétaire de la partie du terrain où a été construit le viaduc à l’initiative de la mairie défenderesse. C’est précisément ce qui se discute ici : si cette partie de terrain fait partie ou non de la propriété de la demanderesse. (...) la demande de reconnaissance de son droit à obtenir la démolition du viaduc aux frais de la défenderesse n’est pas (...) substantiellement distincte de la demande visant la reconnaissance du droit de propriété. (...) La compétence des tribunaux administratifs et fiscaux se limite au champ des relations juridiques administratives et fiscales, tel qu’il est indiqué à l’article 3 du statut des tribunaux administratifs et fiscaux. En accord avec ce principe, l’article 4 § 1 f) du statut des tribunaux administratifs et fiscaux stipule que toutes les questions de droit privé sont exclues de cette juridiction, même si l’une des parties est une personne de droit public. La question qui se pose est donc de savoir si nous sommes en l’espèce devant une relation juridique privée ou devant une relation juridique administrative. Or, la situation exposée par la demanderesse ne se distingue pas d’une relation entre personnes de droit privé, même si elle implique ici une personne de droit public : l’une invoque le droit de propriété sur un immeuble déterminé et l’autre, supposément, en violation de ce droit, entreprend une construction que, la première, en invoquant son droit de propriété, veut voir démolie. En réalité, l’autorité demandée n’a pas pratiqué un acte d’autorité publique, comme ce serait le cas s’il elle avait procédé à l’expropriation du terrain. Elle s’est limitée, en ce qui concerne la partie du terrain litigieux, à construire sur celui-ci, en partant du principe qu’il lui appartenait. L’exception d’incompétence matérielle est donc recevable. (...) » La requérante ne fit pas appel de cette décision. C. La procédure devant les juridictions civiles Le 7 février 2003, la requérante introduisit devant le tribunal d’Oeiras une action civile contre la mairie d’Oeiras. Elle demanda la reconnaissance de son droit de propriété sur le terrain en cause, la restitution du terrain dans l’état où il se trouvait avant les travaux et une indemnisation pour les préjudices subis en raison de l’invasion et l’occupation de son terrain. Elle allégua également n’avoir pu vendre ledit terrain en 1994 en raison de cette occupation et, avoir, en conséquence, perdu un profit dont le montant actuel resterait à déterminer lors d’une procédure ultérieure d’exécution. La mairie d’Oeiras présenta son mémoire en défense. Elle allégua être propriétaire du terrain litigieux en vertu d’une donation par acte notarié du 26 août 1975. Elle fit également valoir qu’elle occupait celui-ci de façon pacifique et en toute bonne foi en relevant que la requérante n’avait jamais agi comme propriétaire pendant vingt ans et qu’elle n’avait, en l’occurrence, pris connaissance des travaux qu’en 1994. Par un jugement du 29 juin 2006, le tribunal d’Oeiras fit partiellement droit à la demande de la requérante. Il reconnut son droit de propriété sur le terrain de 11 780 m² situé à Oeiras, ordonnant à la mairie d’Oeiras de rendre une parcelle correspondant à 6 639 m² dans l’état où elle se trouvait avant les travaux. Le tribunal condamna également la mairie à verser à la requérante une indemnisation correspondant à la valeur de ce terrain, mise à jour de 1994 à 2002, pour réparer les préjudices subis, renvoyant la fixation de l’indemnisation à une procédure ultérieure d’exécution. La mairie d’Oeiras interjeta appel du jugement devant la cour d’appel de Lisbonne. Contestant l’appréciation des preuves faite par le tribunal d’Oeiras, elle réitéra être propriétaire et en possession du terrain sur lequel avait été construit le viaduc routier depuis 1975. Elle fit également valoir que la requérante n’avait jamais manifesté d’opposition à cet égard, même après le lancement des travaux en 1986. Elle en déduisit que les conditions de la prescription acquisitive étaient remplies. Par un arrêt du 24 janvier 2008, la cour d’appel rejeta le recours et confirma le jugement attaqué en toutes ces dispositions. Elle considéra que les faits avaient été correctement établis en tenant compte des moyens de preuves qui avaient été présentés par les parties. Elle releva ainsi que le terrain donné à la mairie d’Oeiras en 1975 était distinct de celui que la requérante avait acquis en 1976 et que le viaduc litigieux avait été construit sur une partie du terrain de la requérante, occupant 6 639 m² de celui-ci. La cour d’appel rejeta également l’argument portant sur l’acquisition prescriptive du terrain sur lequel avait été construit le viaduc. La mairie d’Oeiras se pourvut en cassation devant la Cour suprême. Elle réitéra qu’elle occupait de façon continue le terrain litigieux depuis 1975 sans que la requérante n’ait manifesté la moindre opposition à cet égard, ni même après la construction en 1986 du viaduc, les conditions de la prescription acquisitive étant donc remplies. Par un arrêt du 24 juin 2008, la Cour suprême annula les décisions des instances a quo et rejeta les demandes de la requérante, sans pour autant faire droit aux moyens de la mairie. La haute juridiction considéra d’abord qu’il y avait eu en l’espèce une expropriation de fait et que la partie du terrain de la requérante en cause appartenait dorénavant au domaine public. Elle estima que, si un tel acte ouvrait un droit à une indemnisation dans le chef de la requérante, il n’était toutefois plus possible de restituer le terrain en l’état initial à la requérante car la privation de propriété en cause poursuivait un objectif social. En l’occurrence, la Cour suprême s’exprima ainsi : « (...) devant une situation de fait accompli comme celle du cas d’espèce, où le terrain a été intégré dans le domaine public (...) nous ne voyons pas comment il serait possible de le soustraire de celui-ci par la voie d’une action en revendication de propriété. Aussi, la solution à l’affaire doit passer par la reconnaissance de cette réalité, ce qui veut dire qu’il faut avoir recours à la responsabilité civile pour acte illicites, en tirant de là toutes les conséquences. (...) Il est établi que la requérante a été privée définitivement d’une partie de sa propriété en raison d’un acte de l’administration de la mairie d’Oeiras. Si nous acceptons la conversion de l’acte de la municipalité en un simple acte d’expropriation, bien qu’à la marge des propres règles, nous devons aussi admettre, sous peine de grave injustice et de consécration de la confiscation, que la demanderesse a droit à une indemnisation. Celle-ci, toutefois, devra reposer sur les hypothèses qui déterminent l’expropriation (Cf. Article 23 du code des expropriations) et non, comme en l’espèce, partant du principe que la partie du terrain occupée doit revenir à la demanderesse et que les préjudices subis dérivent à peine de « l’occupation illégitime ». Une juste indemnisation ne pourra être obtenue en suivant le mode proposé de simple calcul basé sur une occupation injustifiée mais, en revanche, sur la base de la perte définitive du bien et en tenant compte des critères prévus aux articles 23 et suivants du code des expropriations. (...) » Le 10 juillet 2008, la requérante déposa une demande en éclaircissement de l’arrêt de la Cour suprême concernant la légalité de l’acquisition, par la mairie, du droit de propriété sur le terrain en cause et la nature du dédommagement auquel elle aurait droit. Par un arrêt du 23 septembre 2008, porté à la connaissance de la requérante le 29 septembre 2008, la Cour suprême précisa avoir considéré que la mairie avait pris possession du terrain litigieux suite à une situation de fait et non en vertu d’une disposition légale. S’agissant du droit à l’indemnisation de la requérante, la Cour suprême s’exprima ainsi : « Concernant les conditions de dédommagement, on peut dire que l’indemnisation qui était réclamée en l’espèce partait du principe que le terrain litigieux serait restitué à la requérante. Ceci ne pouvant avoir lieu, la requérante devra donc, si elle considère avoir droit à une autre forme de dédommagement (effective ou complémentaire) que celle fixée conformément au code des expropriations, chercher à exercer ses droits éventuels. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La compétence des tribunaux administratifs et fiscaux Au moment de l’introduction de l’action administrative, le statut des tribunaux administratifs et fiscaux était régi par le décret-loi no 129/84 du 27 avril 1984, lequel en ses parties pertinentes disposait : Article 3 Fonction juridictionnelle « Il appartient aux tribunaux administratifs et fiscaux, dans l’administration de la justice, d’assurer la défense des droits et intérêts légalement protégés, de réprimer la violation de la légalité et de trancher les conflits d’intérêts publics et privés dans le cadre des relations juridiques administratives et fiscales. » Article 4 Limites de la juridiction « 1. Sont exclus de la juridiction administrative et fiscale, les recours et actions ayant pour objet : (...) f) Des questions relevant du droit privé, même si l’une des parties est une personne de droit public ; (...). » Le décret-loi no 129/84 du 27 avril 1984 a été abrogé par la loi no 13/2002 du 19 février 2002, laquelle a approuvé le nouveau statut des tribunaux administratifs et fiscaux. Cette loi est entrée en vigueur le 19 février 2003. Elle a été amendée par la loi no 4-A/2003 du 19 février 2003, la loi no 107-D/2003 du 31 décembre 2003 et la loi no 52/2008 du 28 août 2008. L’article 4 de la loi no 13/2002 du 19 février 2002 dispose : « 1. Il appartient aux tribunaux de la juridiction administrative et fiscale d’apprécier les litiges ayant pour objet : (...) g) Des questions engageant, conformément à la loi, la responsabilité civile extracontractuelle des personnes morales de droit public, ce qui inclut celle découlant de l’exercice de la fonction juridictionnelle et de la fonction législative ; (...). » B. La responsabilité civile extracontractuelle de l’Etat La responsabilité civile extracontractuelle de l’Etat a été successivement régie par le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967 et, depuis le 1er février 2008, par la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007. Tant ce dernier décret que l’antérieur disposaient qu’étaient réputés illicites les actes juridiques enfreignant les normes légales et réglementaires ou les principes généraux généralement applicables. Les dispositions pertinentes de la loi no 67/2007 se lisent ainsi : Article 1 Champ d’application « 1. La responsabilité civile extracontractuelle de l’Etat et des autres personnes morales de droit public pour dommages découlant de l’exercice de la fonction législative, juridictionnelle et administrative est régie par les dispositions de la présente loi, à l’exception de ce qui est prévu dans une loi spéciale. Aux fins des dispositions du paragraphe précédent, l’exercice de la fonction administrative correspond aux actions et omissions adoptées dans l’exercice de prérogatives de pouvoir public ou réglées par des dispositions ou principes de droit administratif. (...) » Article 3 Obligation d’indemniser « 1. Conformément aux dispositions de la présente loi, l’obligation de réparer un dommage détermine la reconstitution de la situation qui existerait si l’évènement qui oblige à la réparation ne s’était pas produit. L’indemnisation est fixée en argent lorsque la reconstitution naturelle n’est pas possible, ne répare pas intégralement les dommages ou serait excessivement onéreuse. La responsabilité prévue dans la présente loi comprend les dommages patrimoniaux et non patrimoniaux, les dommages déjà produits et les dommages futurs, conformément aux prévisions générales du droit. » Article 5 Prescription « Le droit à l’indemnisation pour responsabilité civile extracontractuelle de l’Etat, des autres personnes morales de droit public et des titulaires des organes respectifs, fonctionnaires et agents et le droit de retour prescrivent conformément à l’article 498 du code civil. Les dispositions du même code en matière de suspension et interruption de la prescription leur sont applicables. » Article 7 Responsabilité exclusive de l’Etat et des autres personnes morales de droit public « 1. L’Etat et les autres personnes morales de droit public sont exclusivement responsables des dommages qui découlent d’actions ou d’omissions illicites, commises en raison d’une faute légère, par les titulaires de ses organes, fonctionnaires ou agents dans l’exercice de la fonction administrative et à cause de cet exercice. (...) L’Etat et les autres personnes morales de droit public sont également responsables lorsque les dommages ne sont pas le résultat du comportement concret d’un titulaire d’un organe, fonctionnaire ou agent déterminé, ou lorsqu’il n’est pas possible de prouver qui a été l’auteur de l’action ou l’omission, mais doivent être attribués au fonctionnement anormal d’un service. Un service fonctionne de façon anormale lorsque, en tenant compte des circonstances et des schémas de résultats moyens, il serait raisonnable d’exiger du service une forme d’action pouvant éviter les dommages produits. » Article 9 Illicéité « 1. Toute action ou omission des titulaires d’organes, fonctionnaires ou agents qui violent les dispositions ou principes constitutionnels, légaux ou réglementaires ou qui enfreignent les règles d’ordre technique ou les devoirs objectifs de précaution et dont il découle une atteinte des droits ou intérêts légalement protégés, est considérée illicite. Il y a également illicéité quand l’atteinte aux droits ou intérêts légalement protégés découle du fonctionnement anormal du service, conformément à l’article 7 § 3. » C. Le code des expropriations Les articles 23 et 24 du code des expropriations portent sur le droit à l’indemnisation suite à une expropriation pour cause d’utilité publique. Ces dispositions ont subi plusieurs modifications tout au long de la période en cause en l’espèce. Dans leur version en vigueur actuellement (ainsi qu’au moment du prononcé de l’arrêt de la Cour suprême du 24 juin 2008), elles se lisent ainsi : Article 23 Juste indemnisation « 1. La juste indemnisation ne vise pas à compenser le bénéfice de l’entité expropriante mais à rembourser le dommage découlant de l’expropriation, lequel correspond à la valeur réelle et courante du bien, selon son affectation effective et possible dans un usage économique normal, à la date de publication de la déclaration d’utilité publique, compte tenu des conditions de fait existant à cette dernière date. Dans la détermination de la valeur du bien, l’on ne saurait prendre en considération la plus value résultant : a) de la déclaration d’utilité publique de l’expropriation elle-même ; b) des travaux ou des travaux publics achevés il y a moins de cinq ans, si les charges entraînées par la plus value n’ont pas été liquidées et uniquement dans cette mesure ; c) des impenses voluptuaires ou utiles ultérieures à la notification mentionnée au paragraphe 5 de l’article 10 [intention d’exproprier] ; d) des informations de viabilité, des permis ou autorisations administratives demandées après la notification mentionnée au paragraphe 5 de l’article 10 [intention d’exproprier]. L’on ne saurait prendre en considération, dans la détermination de la juste indemnisation, aucun élément, circonstance ou situation créée dans le but d’augmenter le montant de la compensation. (...) » Article 24 Calcul du montant de l’indemnisation « 1. Le montant de l’indemnisation se calcule par référence à la date de la déclaration d’utilité publique ; il est mis à jour à la date de la décision finale de la procédure d’expropriation selon l’indice des prix à la consommation hors habitation. (...) » D. Autres dispositions pertinentes Les dispositions pertinentes du code civil se lisent ainsi : Article 498 Prescription « 1. Le droit à l’indemnisation prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle la personne lésée a eu connaissance du droit qui lui revient, même si elle ignore le responsable et l’étendue des dommages, sous réserve de la prescription ordinaire si le délai respectif à compter du fait dommageable a déjà découlé. (...) La prescription du droit à l’indemnisation n’emporte pas la prescription de l’action en revendication ni de l’action en restitution pour enrichissement sans cause, si l’une d’elles a lieu. » Article 563 Principe général « Quiconque est contraint de réparer un dommage doit reconstituer la situation qui existerait si l’évènement qui oblige à la réparation ne s’était pas produit. » Article 566 Indemnisation en argent « 1. L’indemnisation est fixée en argent si la reconstitution naturelle n’est pas possible, ne répare pas intégralement les dommages ou est excessivement onéreuse pour le débiteur. Sous réserve d’autres dispositions, l’indemnisation en argent est le résultat de la différence entre la situation patrimoniale de la personne lésée, à la date la plus récente pouvant être considérée par le tribunal, et celle qu’elle aurait à cette date si les dommages n’existaient pas. Si le tribunal n’est pas en mesure de vérifier le montant exact des dommages, il jugera équitablement dans les limites qu’il tient pour établies. » L’article 62 de la Constitution portugaise se lit ainsi : « 1. Toute personne dispose du droit de propriété et à sa transmission entre vifs ou à cause de mort, dans les conditions prévues par la loi. Les actes ayant pour objet la réquisition ou l’expropriation pour cause d’utilité publique sont légalement fondés et entraînent le versement d’une juste indemnité. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1976 et en 2010 et résident respectivement à Moscou et à Osseyevo (région de Moscou). En février 2010, la requérante contracta un mariage avec A.Z. De cette union naquit, le 7 juin 2010, le requérant. Les relations entre les époux se dégradèrent et, le 14 juillet 2010, A.Z. chassa la requérante hors de sa maison. A.Z. garda le nourrisson en interdisant à la requérante tous contacts avec celui-ci. Le 2 août 2010, la requérante intenta une action judiciaire par laquelle elle réclamait le divorce et la fixation de la résidence de l’enfant à son domicile. Le 30 novembre 2010, le tribunal du district de Shchelkovo, dans la région de Moscou (« le tribunal de Shchelkovo »), prononça la dissolution du mariage et fixa la résidence du requérant au domicile de la requérante. Il motiva son jugement en ces termes : « Considérant que le choix du lieu de résidence de l’enfant doit être dicté par les intérêts de l’enfant, prenant en compte qu’il s’agit d’un enfant en bas âge pour le développement duquel les soins et l’affection maternels ont une importance fondamentale, et considérant que A.Z. fait obstacle à la mise en œuvre des droits parentaux de Mme Zeleneva, le tribunal conclut en faveur de la requérante (...) » Le 10 mars 2011, la cour régionale de Moscou confirma, en cassation, la décision du 30 novembre 2010. A. La première tentative d’exécution Confrontée au refus d’A.Z. d’exécuter la décision de son plein gré, la requérante demanda au tribunal le 11 avril 2011 de lui délivrer un titre exécutoire. Une fois le titre obtenu, elle le transmit au service des huissiers de justice du district de Shchelkovo. Par une décision du 21 avril 2011, l’huissier, Mme L., refusa l’ouverture de la procédure d’exécution au motif que le dispositif du jugement ne renfermait aucune obligation pour A.Z. d’accomplir un quelconque acte au profit de la requérante. De ce fait, la requérante déposa un recours judiciaire visant à la clarification de la décision du 30 novembre 2010. Le 26 avril 2011, le tribunal de Shchelkovo rejeta sa demande au motif que la décision contestée était suffisamment claire. Le 28 avril 2011, la requérante intenta un recours judiciaire en contestation de la décision de l’huissier du 21 avril 2011. Ce recours demeura sans examen pendant cinq mois et, le 12 septembre 2011, le tribunal de Shchelkovo le déclara irrecevable sans fournir de motivation. Le 24 janvier 2012, la cour régionale de Moscou annula la décision du 12 septembre 2011 et renvoya l’affaire devant le même tribunal qui, par une décision du 22 mars 2012, fit droit à la demande de la requérante. Le tribunal jugea que la décision du 30 novembre 2010 n’avait pas reçu exécution en raison de l’inertie de l’huissier. Aux yeux du tribunal, l’huissier n’avait aucune raison légale de refuser l’ouverture de la procédure d’exécution, le titre exécutoire étant conforme aux lois en vigueur. Le tribunal reprocha à l’huissier de ne pas avoir utilisé son pouvoir de former un recours judiciaire afin de clarifier les modalités d’exécution du jugement en question. Partant, il annula la décision contestée de l’huissier. D’après le Gouvernement, cette décision a par la suite été annulée en appel. Une copie de la décision du 22 mars 2012 présentée par le Gouvernement portait une écriture du tribunal de Shchelkovo, selon laquelle cette décision était devenue définitive le 24 avril 2012. B. La deuxième tentative d’exécution Entre-temps, confrontée au défaut d’exécution du jugement du 30 novembre 2010, la requérante avait intenté, le 12 mai 2011, une action judiciaire visant à enjoindre à A.Z. de lui remettre l’enfant dans un délai d’une semaine. L’examen de ce recours fut reporté plusieurs fois pour noncomparution d’A.Z. Finalement, le 17 août 2011, le tribunal de Shchelkovo fit droit à la demande de la requérante et ordonna que A.Z. remît dans un délai de dix jours l’enfant à la requérante à une adresse qu’il précisa dans le jugement. Il ordonna en outre l’exécution immédiate de la décision. Le même jour, un titre d’exécution fut délivré à la requérante. Le 18 août 2011, l’huissier L. ordonna l’ouverture de la procédure d’exécution. Le même jour, L., son collègue, M. N., et la requérante se rendirent au domicile d’A.Z. aux fins de l’exécution de la décision. Ils n’y trouvèrent personne. L. laissa un avis de passage et une copie de sa décision du 18 août. Le 18 août 2011, A.Z. se présenta au service des huissiers, signa les documents requis et expliqua qu’il avait l’intention de saisir la justice d’une action visant à l’obtention de la fixation de la résidence de son fils à son domicile et qu’il ne remettrait pas son fils à son ex-épouse avant que la justice eût statué sur son action. Le 19 août 2011, l’huissier rendit une décision ordonnant à A.Z. le paiement de la taxe d’exécution (исполнительский сбор) due en raison de son refus de se conformer au jugement. Selon le Gouvernement, le même jour A.Z. s’était présenté spontanément avec l’enfant au domicile de la requérante à l’adresse indiquée dans le jugement. Il n’y aurait pas trouvé la requérante, mais la famille de celle-ci (son père, sa mère, sa fille, sa sœur et son neveu). Les membres de la famille de la requérante auraient affirmé que l’intéressée n’habitait plus à cette adresse depuis 1998. A.Z. aurait vainement attendu la requérante pendant trois jours et, après avoir dressé un acte de tentative de remise de l’enfant, il aurait quitté l’appartement. Le 29 août 2011, l’huissier verbalisa A.Z. pour défaut d’exécution du jugement. Le 30 septembre 2011, l’huissier se rendit au domicile d’A.Z. Celuici lui présenta l’attestation d’exécution volontaire, datée du 19 août 2011 et portant la signature de la mère de la plaignante. La requérante affirme n’avoir appris cette information que le 20 octobre 2011, lors de sa visite à l’huissier. À cette occasion, elle confirma avoir résidé pendant six mois dans un autre endroit et laissa ses nouvelles coordonnées. La requérante intenta un recours judiciaire pour se plaindre de l’inertie du service des huissiers. Par un jugement du 17 janvier 2012, le tribunal de Shchelkovo, statuant en l’absence de la requérante, des huissiers et d’A.Z., rejeta le recours comme dénué de tout fondement. Il établit que l’intéressée ne résidait plus depuis 1998 à l’adresse indiquée dans le jugement du 17 août 2011, mais qu’elle habitait dans un cabanon à la campagne. Il constata que l’absence de la requérante au domicile indiqué dans le jugement avait rendu l’exécution impossible. Il observa qu’au demeurant ni les autorités compétentes ni la justice n’avaient examiné si les conditions sanitaires offertes par le cabanon étaient satisfaisantes pour l’enfant. Le dossier ne contient pas d’information relative à la date de remise de ce jugement à la requérante ou à un éventuel appel contre ce jugement. L’huissier S. saisit la justice d’un recours visant à suspendre la procédure d’exécution du jugement du 17 août 2011 au motif que A.Z. avait introduit un nouveau recours par lequel il demandait que l’enfant résidât avec lui. Par une décision du 28 décembre 2011, le tribunal de Shchelkovo rejeta ce recours, indiquant qu’aux termes de la loi l’introduction d’une nouvelle action n’avait pas d’effet suspensif sur l’exécution du jugement du 17 août 2011. Procédure d’infraction administrative dirigée contre A.Z. pour son refus de se conformer au jugement Auparavant, le 10 novembre 2011, la commission chargée de la protection des mineurs (комиссия по делам несовершеннолетних) de l’administration de Shchelkovo (« la commission »), se fondant sur l’article 5.35 du code des infractions administratives, avait dressé contre A.Z. un procès-verbal d’infraction administrative pour son refus d’exécuter le jugement ordonnant la remise de l’enfant à la mère ainsi que pour son opposition à toute visite de la requérante à l’enfant. A.Z. s’exprima contre cette inculpation. Il argua que, malgré son désaccord avec les jugements du 30 novembre 2010 et du 17 août 2011, il avait tenté de les exécuter et qu’il s’était présenté au domicile de la requérante. Il dit pour conclure que sa volonté d’exécution avait échoué par la faute de son ex-épouse. Le 7 décembre 2011, la commission se réunit, en l’absence de la requérante, pour entendre A.Z. ainsi que la mère et la sœur de la requérante. Elle prit bonne note des explications données par A.Z. et par deux témoins, selon lesquelles la requérante ne se trouvait pas à l’adresse indiquée dans le jugement au moment de la venue d’A.Z. et que, au demeurant, elle n’habitait plus à cette adresse depuis dix ans. La commission conclut à l’absence d’infraction administrative et mit fin à la procédure dirigée contre A.Z. Décision de l’autorité de tutelle Le 28 décembre 2011, la requérante intenta un recours administratif auprès du département de tutelle, organe de l’administration de Shchelkovo, (« l’autorité de tutelle »). Se fondant sur l’article 77 du code de la famille, elle demandait que l’enfant fût retiré à son père. Le 30 décembre 2011, le chef de l’autorité de tutelle, après avoir visité le domicile d’A.Z., répondit à la requérante que les conditions de vie de l’enfant étaient satisfaisantes et qu’il n’y avait pas lieu de retirer l’enfant à son père. Refus de poursuivre A.Z. au pénal Entre-temps, le 30 juin 2011, la requérante avait demandé à la police la mise en examen d’A.Z. pour enlèvement de l’enfant. Le 9 juillet 2011, le bureau de police du district Lossino-Petrovski, district de Shchelkovo, rejeta cette demande et conclut à l’absence de délit. Il indiqua que, interrogé par les policiers dans le cadre de l’enquête préliminaire, A.Z. avait expliqué que, après la naissance de l’enfant, la requérante les avait délaissés, lui-même et leur fils, qu’elle s’était installée dans son cabanon à la campagne, dans la région de Moscou. Pour A.Z., il ne faisait aucun doute que la requérante résidait toujours dans ce cabanon et non dans son appartement moscovite, car elle avait, selon lui, des relations difficiles avec sa mère. Par une décision du 2 novembre 2011, l’officier de police du district Lossino-Petrovski refusa de poursuivre A.Z. au pénal. Par la suite, le procureur annula cette décision et ordonna un complément d’enquête. La procédure est toujours pendante à ce jour. C. La troisième tentative d’exécution Par des lettres du 1er novembre 2011, du 16 février 2011, du 14 mars 2012 et du 28 mai 2012, l’huissier L. rappela à A.Z. son obligation d’exécuter le jugement du 17 août 2011 et l’informa qu’en cas de défaut d’exécution des poursuites administratives seraient engagées. A.Z. accusa réception de ces lettres. Le 29 août 2011, le 14 mars 2012 et le 30 mars 2012, L. inculpa A.Z. de l’infraction administrative prévue par l’article 17.15 du code des infractions administratives pour son refus de se conformer au jugement et le condamna chaque fois au paiement d’une amende. A.Z. ne recourut pas contre ces décisions de l’huissier et acquitta les amendes en question. Par une décision du 4 avril 2012, L. délivra une commission rogatoire au service des huissiers de Moscou aux fins de l’établissement du lieu de résidence de la requérante. En attendant le résultat de la commission rogatoire, elle suspendit la procédure d’exécution. Par une décision du 25 mai 2012, L., constatant le défaut d’exécution du jugement, décida d’appliquer des « mesures coercitives » et ordonna la reprise de la procédure d’exécution. D. Le recours judiciaire d’A.Z. visant à la fixation de la résidence du requérant au domicile paternel À une date non précisée, A.Z. saisit le tribunal de Shchelkovo d’une demande visant à la fixation de la résidence du requérant au domicile paternel. Par une décision avant dire droit du 6 juin 2012, le tribunal prononça un non-lieu à examiner le recours au motif que le demandeur avait omis de se présenter aux audiences malgré deux convocations. Saisi d’un recours d’A.Z., le tribunal annula cette décision le 5 décembre 2012 et renvoya l’affaire pour examen au fond. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi fédérale no 229-FZ du 2 octobre 2007 relative aux procédures d’exécution dispose que l’huissier doit, dans un délai de trois jours à partir de la réception du titre exécutoire, ordonner ou refuser l’ouverture de la procédure d’exécution (article 30 § 8 de la loi). Le demandeur, le défendeur et l’huissier peuvent faire un recours devant le tribunal qui a émis le titre exécutoire aux fins de clarifier les termes de celui-ci ainsi que l’ordre et les modalités de l’exécution (article 32 § 1). Le tribunal met fin à la procédure d’exécution : a) en cas de décès de l’une des parties de la procédure d’exécution ; b) en cas d’impossibilité d’exécuter le titre exécutoire portant sur une obligation extrapatrimoniale ; c) en cas de refus du demandeur d’accepter l’objet saisi du défendeur lorsque le titre exécutoire ordonne le transfert de cet objet au demandeur ; et d) dans d’autres cas prévus par la loi (article 43 § 1). Lorsque la procédure d’exécution est clôturée, le titre exécutoire est conservé dans le dossier et ne peut être réintroduit aux fins d’exécution (article 44 § 5). Le titre exécutoire peut être retourné au demandeur si ce dernier entrave l’exécution (article 46 § 1 b)). Dans ce cas, l’huissier doit dresser un acte faisant état des entraves en question et prononcer une décision ordonnant la clôture de la procédure d’exécution (article 46 §§ 2 et 3). Si le titre est retourné au demandeur, celui-ci peut demander la réouverture de la procédure d’exécution. L’huissier met fin à la procédure d’exécution lorsque l’acte ordonné par la justice et contenu dans le titre exécutoire a été exécuté (article 47 § 1 (1)). Si le défendeur ne se conforme pas de son plein gré à l’obligation contenue dans le titre exécutoire dans le délai fixé pour l’exécution volontaire ou dans un délai d’un jour dans le cas de l’exécution immédiate, l’huissier ordonne le paiement de la taxe d’exécution et fixe un nouveau délai pour l’exécution (article 105 § 1). Si le défendeur omet une nouvelle fois d’exécuter le titre exécutoire, l’huissier dresse un procès-verbal conformément au code des infractions administratives et fixe un nouveau délai d’exécution (article 105 § 2). Le code des infractions administratives du 30 décembre 2001 prévoit une responsabilité administrative pour violation par les parents des droits de mineurs (article 5.35). Cette violation prend, notamment, la forme d’un empêchement fait à un enfant mineur de communiquer avec ses parents ou d’une inexécution par l’un des parents d’un jugement relatif à la résidence de l’enfant. Cette infraction est passible d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 3 000 roubles russes (RUB). Selon l’article 17.15 du même code, le défaut d’exécution du titre exécutoire portant sur une obligation extrapatrimoniale est passible d’une peine d’amende allant de RUB 1 000 à RUB 2 500 et de RUB 2 000 à RUB 2 500 en cas de récidive. En cas de danger imminent pour la vie ou la santé de l’enfant, l’autorité de tutelle a compétence pour retirer l’enfant à ses parents. Ce faisant, elle est obligée d’en informer le procureur, d’assurer un hébergement temporaire de l’enfant et de saisir la justice d’un recours dirigé contre le(s) parent(s) visant à les déchoir de l’autorité parentale (article 77 du code de la famille). La loi fédérale nº 68-FZ du 30 avril 2010 dispose qu’une partie au litige a droit à une compensation en cas de violation de son droit à un procès dans un délai raisonnable. Elle dispose que, pour obtenir cette compensation, la partie lésée doit introduire une demande par la voie prévue par le code de procédure civile.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1973, 1985 et 1968 et résident à Mardin. Le 23 novembre 2003, les requérants, suspectés d’avoir participé à un attentat contre des policiers du commissariat de Derik, furent placés en garde à vue. Ils y restèrent pendant 24 heures. Avant leur placement, ils furent examinés par un médecin. Le rapport médical établi ne fit état d’aucune trace de coups ou de blessures. Il ressort des procès-verbaux que lors des interrogatoires, ils refusèrent l’assistance d’un avocat, souhaitant assurer leur défense eux-mêmes. Dans leurs dépositions, ils affirmèrent que des militants du PKK les avaient menacés et obligés à participer à un certain nombre d’activités, notamment à l’attentat commis contre trois policiers en leur transmettant des informations sur ces derniers. Ils signèrent leurs dépositions, qui comprenaient des aveux et informations concernant le PKK, une organisation illégale armée. Le 24 novembre 2003, à l’issue de leur garde à vue, les requérants furent présentés à un médecin. Le rapport rendu par celui-ci ne fit état d’aucune trace de coups ou de blessures sur le corps des requérants. Le même jour, ils furent présentés à un procureur puis à un juge de paix qui les plaça en détention provisoire. Devant ces deux magistrats, ils refusèrent de nouveau l’assistance d’un avocat, déclarant vouloir se défendre eux-mêmes. Ils affirmèrent que leurs dépositions avaient été recueillies par les policiers sans aucune contrainte et en confirmèrent le contenu. Ils donnèrent des informations concernant leur engagement au sein du PKK, et ne se plaignirent d’aucun mauvais traitement. Ils affirmèrent que toutes leurs dépositions portaient des aveux sincères et des révélations librement consenties. Ils furent conduits à la maison d’arrêt. Le 1er décembre 2003, l’avocat des requérants déposa une plainte au parquet à l’encontre des policiers pour torture et mauvais traitements. Le 3 décembre 2003, les requérants furent entendus par le parquet au sujet de leurs allégations de mauvais traitements en garde à vue. Serhat Aksin relata que les policiers lui avaient couvert la tête avec son blouson et l’avaient battu sur tout le corps. Il avait reçu un coup de poing sur la pommette, et on lui aurait infligé des chocs électriques. Il avait toujours des saignements intestinaux et des saignements dans la gorge. Il affirma que le médecin, par peur des policiers, n’avait pas mentionné dans son rapport les traces de coups qu’il avait observées sur son visage. Il se plaignait également que les policiers ne lui avaient pas rendu son argent et son téléphone portable. Bülent Özcan allégua avoir eu le nez et un doigt cassés, et subi des pressions sur les organes génitaux. Mehmet Başaran se plaignait quant à lui d’avoir subi des sévices sur ses organes génitaux et d’avoir été battu par trois ou quatre policiers. Le parquet demanda que les requérants soient examinés à l’hôpital civil de Mardin. Le rapport dressé le 5 janvier 2004 à l’issue de l’examen ne fit état d’aucune trace de coups ou d’anomalies sur les corps de Mehmet Başaran et Bülent Özcan. Concernant Serhan Aksin, le médecin constata une sensibilité au toucher cervical à l’arrière de la tête et nota dans le rapport l’absence d’autre symptôme tel qu’un œdème ou une ecchymose. Il décida son transfert vers les services de neurologie. Le neurologue constata dans son rapport une sensibilité dans la région cervicale et une fracture spinale de la 7e cervicale à l’arrière de la tête de Serhan Aksin et préconisa quinze jours d’arrêt de travail. Le 22 janvier 2004, soulignant l’insuffisance du rapport médical, le parquet demanda le transfert de Serhan Aksin auprès d’un médecin légiste aux fins de vérifier s’il existait d’autres traces de mauvais traitements sur son corps ainsi que de déterminer l’origine de la maladie qui justifiait l’arrêt de travail et sa date de survenance. Le rapport dressé le 23 février 2004 confirma les résultats de l’examen neurologique. Le médecin indiqua en outre l’impossibilité de déterminer la date de survenance de la lésion, en raison de l’absence d’œdème ou d’ecchymose, ou d’autre signe de traumatisme. Il préconisa le transfert du dossier au conseil médicolégal pour déterminer l’origine de la lésion. Il confirma l’absence de trace de mauvais traitements. Le procureur demanda à l’institut médicolégal de fournir des informations détaillées concernant l’origine de la lésion identifiée sur le corps de Serhan Aksin et la date à laquelle elle aurait pu survenir. Le 3 mai 2004, Serhan Aksin fut examiné à l’institut médicolégal de Diyarbakır, qui affirma l’impossibilité d’établir médicalement la date exacte de la fracture spinale. Il attesta également l’absence de trace de mauvais traitements sur le corps de Serhan Aksin. Le parquet interrogea les onze policiers du commissariat de Derik en service à la date des mauvais traitements allégués. Les policiers ayant participé aux interrogatoires des inculpés affirmèrent que les requérants avaient été arrêtés et interrogés dans le respect des lois et que les requérants eux-mêmes avaient affirmé n’avoir subi aucun mauvais traitement devant le procureur ainsi que devant le juge. Le 16 juin 2004, le parquet rendit une décision de non-lieu. Dans les motifs de la décision, le procureur souligna que les requérants, lorsqu’ils furent présentés, à la fin de leur garde à vue, au procureur et au juge de paix, avaient affirmé devant ces magistrats ne pas avoir subi de mauvais traitements. Ils avaient reconnu la véracité de leurs dépositions recueillies par les policiers. Le procureur nota que les requérants avaient réitéré leurs aveux devant ces magistrats afin d’obtenir une certaine bienveillance en leur faveur, et qu’ils avaient refusé l’assistance d’un avocat en affirmant souhaiter assurer leur défense eux-mêmes. Il mentionna que les rapports médicaux concernant Mehmet Başaran et Bülent Özcan ne faisaient état d’aucun élément corroborant les allégations des plaignants. Il conclut que malgré le rapport médical daté du 5 janvier 2004 concernant Serhan Aksin, l’origine et la date de provenance de la lésion à l’arrière de sa tête restait inexpliquée pour l’institut de la médecine légale. Le procureur rappela qu’au début et au terme de la garde à vue les requérants furent examinés par un médecin qui ne constata aucune trace de mauvais traitements. Le procureur se référa enfin à la tardivité de leurs plaintes. Il conclut à l’absence d’élément matériel permettant l’ouverture à l’encontre des policiers d’une action publique pour mauvais traitements. Le 22 juillet 2004, la cour d’assises de Midyat rejeta l’opposition des requérants se fondant sur les mêmes motifs que la décision de non-lieu. Le 21 septembre 2006 la cour d’assises de Diyarbakır reconnut les requérants coupables d’appartenir au PKK, et d’avoir mené diverses actions armées pour le compte de celui-ci. Elle les condamna en conséquence à des peines de prison à perpétuité aggravée. Lors de la procédure devant la cour d’assises les requérants furent assistés par des avocats. Ils rejetèrent les accusations portées contre eux et renièrent leurs dépositions faites en garde à vue, en affirmant avoir subi des mauvais traitements, sans donner des détails. Ils affirmèrent avoir été contraints sous la menace par les terroristes du PKK de participer à l’attentat organisé contre trois policiers, et donnèrent toutes les informations concernant leurs activités, les lieux utilisés par le PKK, ainsi que l’identité d’autres personnes inculpées par ailleurs, informations qui s’avérèrent exactes. La cour d’assises ramena la peine de prison à la perpétuité simple en raison de la coopération des accusés et au regard de la sincérité de leurs dépositions. Outre leurs aveux, la cour d’assises se fonda sur une liste détaillée de preuves matérielles. Concernant leurs allégations de mauvais traitements, la cour se référa au contenu du dossier de l’instruction qui avait été ouverte à la suite de leur plainte et close par une décision de non-lieu en raison de l’absence de preuves matérielles ; elle estima en conséquence leurs allégations dénuées de fondement. Le 27 février 2007, la Cour de cassation approuva le jugement de condamnation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS ET LE DROIT INTERNATIONAL Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans l’arrêt Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, §§ 95100, CEDH 2004IV (extraits)) ainsi que dans l’arrêt Yoldaş c. Turquie, (no 27503/04 §§ 23-28, 23 février 2010). Document du Comité des droits de l’homme des Nations unies : Observations générales no 32 sur l’article 14 relatif au droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable : « 37. Deuxièmement, le droit de toute personne accusée d’un crime de se défendre elle-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, et d’être informée de ce droit, comme prévu à l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14, fait référence à deux types de défense qui ne sont pas incompatibles. Les personnes qui se font aider par un avocat ont le droit de donner des instructions à celui-ci sur la conduite de la défense, dans les limites de la responsabilité professionnelle, et de témoigner en leur nom propre. En même temps, le texte du Pacte est clair dans toutes les langues officielles, puisqu.il dispose que l’accusé peut se défendre lui-même « ou » voir l’assistance d’un défenseur de son choix, ce qui lui laisse la possibilité de refuser l’assistance d’un conseil. Le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est cependant pas absolu. L’intérêt de la justice peut, dans certaines circonstances, nécessiter la commission d’office d’un avocat contre le gré de l’accusé, en particulier si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer ou les manœuvres d’intimidation qu’il pourrait exercer contre eux en les interrogeant lui-même. Cependant, les restrictions du droit de l’accusé d’assurer sa propre défense doivent servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice. Par conséquent, la législation interne devrait éviter d’exclure purement et simplement le droit d’assurer sa propre défense dans une procédure pénale, sans l’assistance d’un conseil. » Communication no 1123/2002 du Comité des droits de l’homme des Nations unies, dans l’affaire Correia de Matos c. Portugal : « 7.5 Le Comité considère qu’il appartient aux tribunaux compétents de déterminer si dans une affaire précise, la commission d’office d’un avocat est nécessaire dans l’intérêt de la justice, dans la mesure où l’accusé qui fait l’objet de poursuites pénales peut ne pas être capable d’évaluer correctement les intérêts en jeu, et donc d’assurer le plus efficacement possible sa défense. Toutefois, dans le cas présent, la législation de l’État partie et la jurisprudence de la Cour Suprême prévoient que l’accusé ne peut jamais être libéré de l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale, même s’il est lui-même avocat, et que la loi ne prend pas en compte la gravité des accusations ou le comportement de l’accusé. De plus, l’État partie n’a pas avancé de raisons objectives et suffisamment importantes qui expliqueraient pourquoi, en l’espèce, dans une affaire relativement simple, l’absence d’avocat commis d’office aurait porté atteinte aux intérêts de la justice, et pourquoi il faudrait restreindre le droit qu’a l’auteur d’assurer sa propre défense. Le Comité conclut que le droit de se défendre soi-même qui est garanti au paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte, n’a pas été respecté. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Né en 1973, le requérant purge actuellement une peine de vingt ans de réclusion criminelle à la prison de Bacău. Dès son enfance, une oligophrénie, maladie ayant entraîné un retard important de son développement mental et physique, a été diagnostiquée. En raison de cette pathologie sévère, handicapante et irréversible, le requérant bénéficie d’une allocation sociale. Il n’a jamais suivi de scolarité ou de formation professionnelle, et il est analphabète. Il a vécu auprès de ses parents qu’il aidait pour les tâches domestiques. A. La procédure pénale à l’encontre du requérant En novembre 2003, le requérant fut arrêté et accusé d’avoir participé à un vol avec violences ayant entraîné le décès de la victime. L’expertise psychiatrique effectuée au cours de la procédure pénale conclut que les capacités intellectuelles du requérant étaient extrêmement réduites, mais que son discernement n’était pas totalement aboli et qu’il se rendait compte de ses actes et de leurs conséquences. Le 15 octobre 2004, devant la Haute Cour de cassation et de justice et en présence de son avocat commis d’office, le requérant renonça à se pourvoir contre le jugement du tribunal de Neamţ rendu en première instance le condamnant à vingt ans de réclusion criminelle. En 2009, le requérant demanda la révision de ce jugement, alléguant que le tribunal de Neamţ n’avait pas dûment pris en considération son état mental lors de sa participation à l’infraction. Le 6 mai 2009, le tribunal de Neamţ rejeta cette demande de révision au motif qu’une expertise psychiatrique avait déjà été effectuée. B. La détention du requérant Les conditions de détention Le requérant purgea sa peine successivement dans les prisons de Bacău, Jilava, Iaşi et Giurgiu. Les versions relatives aux conditions de détention dans ces prisons divergent selon les parties. Le requérant affirme avoir été détenu dans des cellules surpeuplées, sans pouvoir bénéficier de conditions d’hygiène minimales, et également avoir été privé de toute activité sportive ou sociale. Le Gouvernement indique que le requérant a pu disposer d’un espace personnel variant de 1,58 m2 pour les cellules normales à 4 m2 pour celles de l’infirmerie à la prison de Bacău, et il ajoute que cet espace était en moyenne de 1,56 m2 à la prison de Iaşi et de 3,62 m2 à la prison de Giurgiu. Concernant les données pour la prison de Jilava, le Gouvernement ajoute qu’elles ne sont plus disponibles. Le Gouvernement expose que les cellules étaient équipées de toilettes séparées et disposaient de l’eau courante, du chauffage, de la ventilation et d’un accès à la lumière naturelle. D’après lui, elles étaient meublées convenablement et étaient régulièrement nettoyées. En ce qui concerne l’hygiène corporelle, le Gouvernement précise que les détenus avaient accès à des douches communes une à deux fois par semaine, au minimum pendant quinze minutes. Le Gouvernement affirme que le requérant avait la possibilité de participer à des activités socio-éducatives, de lire des journaux et de regarder la télévision. D’après lui, l’intéressé a participé à la prison de Iaşi à un programme d’alphabétisation, ainsi qu’à des campagnes d’information, d’éducation et de communication sur les thèmes de la santé, de la morale et de la religion. Le Gouvernement précise que, dans toutes les prisons, le requérant pouvait se promener quotidiennement dans la cour pendant une durée comprise entre trente minutes et deux heures, et que la nourriture était adaptée à ses problèmes de santé. Le suivi de l’état de santé du requérant et son traitement médical Le requérant fut hospitalisé au moins à treize reprises dans des hôpitaux pénitentiaires. Il est en permanence sous traitement par neuroleptiques. En décembre 2003 et en février 2004, il fut soumis à des examens cliniques pour des hématomes et des traumatismes aux jambes. En mai 2004, à l’occasion d’un contrôle médical, il affirma être victime d’agressions de la part de codétenus. La même année, il fut hospitalisé plusieurs fois pour des troubles psychiatriques et intestinaux, et pour diverses infections. Une expertise médico-légale en date du 16 janvier 2006 conclut que, malgré la pathologie complexe du requérant, ses troubles pouvaient être soignés dans les hôpitaux pénitentiaires. En janvier 2006, le requérant fit une décompensation dépressive et ingéra une grande quantité de médicaments. Il fut hospitalisé à plusieurs reprises dans les services de psychiatrie des hôpitaux pénitentiaires. En mars 2006, il fut hospitalisé pour une fracture du bras gauche, et plusieurs interventions chirurgicales reconstructives du coude furent pratiquées. En 2007, le requérant fut soumis à des examens d’endocrinologie, génétiques et neurologiques. Ces examens établirent qu’il souffrait, en plus de son oligophrénie, d’une maladie génétique, le syndrome de Klinefelter, qui avait aggravé son retard mental et physique et qui avait également provoqué l’inversion de certains de ses caractères sexuels morphologiques. La demande de remise en liberté pour raisons médicales En 2007, le requérant, assisté par un avocat, demanda sa remise en liberté au motif que les maladies dont il souffrait étaient incompatibles avec un régime de détention. En juillet 2008, il fut soumis à une expertise auprès d’un institut départemental de médecine légale. Cet institut conclut que ses troubles psychiatriques n’étaient pas incompatibles avec un régime de détention, à condition qu’il fût suivi par des médecins psychiatres et qu’il reçût en permanence un traitement médicamenteux. S’agissant du syndrome de Klinefelter dont souffrait le requérant, la commission d’expertise ajouta que cette pathologie pouvait être, en principe, également soignée dans les hôpitaux pénitentiaires. Elle recommanda cependant la consultation de médecins endocrinologues et la poursuite des examens médicaux pour définir le traitement adapté. A l’occasion de cette expertise, le requérant se plaignit de violentes agressions sexuelles de la part de codétenus. Par un jugement du 23 septembre 2008, le tribunal départemental de Bacău rejeta la demande de remise en liberté au motif que le requérant pouvait être soigné dans le réseau hospitalier pénitentiaire. La cour d’appel de Bacău, saisie d’un recours par le requérant, confirma ce jugement dans un arrêt définitif du 20 novembre 2008. Les plaintes du requérant concernant les agressions de la part de codétenus Outre les plaintes exprimées lors des deux examens médicaux effectués en mai 2004 et en juillet 2008, le requérant signala à plusieurs reprises aux autorités pénitentiaires qu’il était victime d’agressions de la part de codétenus. Le 28 février 2006, il se plaignit d’avoir été battu par deux de ses codétenus de la prison de Bacău. Ces derniers reconnurent les faits et furent sanctionnés par une commission disciplinaire qui suspendit leur droit de visite pendant un mois. Le 8 juillet 2009, le directeur de la prison de Iași informa le parquet que le requérant se plaignait d’une agression. Le parquet enregistra la doléance et demanda si le requérant souhaitait porter formellement plainte contre son agresseur. En réponse à cette demande, le parquet reçut une lettre portant, en bas de page, la mention « [je] ne porte pas plainte ». Aucune suite ne fut donnée par le parquet. Le 14 mars 2010, le requérant déclara avoir subi une agression de la part du détenu D.F. Le 16 mars 2010 il fut examiné par un médecin légiste qui ne décela aucune trace de violence, mais qui précisa qu’il n’excluait pas l’éventualité d’une agression. Le parquet, informé par le directeur de la prison de Iasi, demanda à nouveau si le requérant souhaitait porter plainte. Au bas de la lettre adressée au parquet, il était mentionné « [je] porte plainte ». Aucune suite ne fut donnée par le parquet. Le 31 mars 2010, le requérant déclara avoir été victime d’une agression de la part du détenu S.B. Le directeur de la prison de Iaşi informa le parquet qu’il n’y avait aucun détenu nommé S.B. dans cette prison. Il ajouta qu’un officier de police avait interrogé le requérant et que ce dernier avait retiré sa plainte. Le 20 mai 2010, le parquet classa l’affaire sans suite au motif que les faits dénoncés n’existaient pas. Le 1er juin 2010, le requérant déclara avoir subi une nouvelle agression à la prison de Iași. Le médecin de la prison et un médecin légiste constatèrent des traces de violence sur son visage. Le parquet enregistra la plainte, mais ne donna aucune suite. Le 2 juillet 2010, le requérant déclara avoir subi une nouvelle agression à la prison de Iași. Le médecin de la prison constata des traces de violence sur son bras droit. Le parquet enregistra la plainte, mais ne donna aucune suite. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT En vertu des dispositions des articles 63, 180 et 181 du code pénal en vigueur à l’époque des faits, les coups ou les actes de violence étaient passibles d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement. La possibilité de contester devant les tribunaux une décision de classement sans suite du parquet ou une ordonnance de non-lieu est prévue par l’article 278-1 du code de procédure pénale, à la suite de la modification de ce code par la loi no 281 du 24 juin 2003, entrée en vigueur le 1er janvier 2004. III. TEXTES DU CONSEIL DE L’EUROPE Les observations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (le « CPT »), à la suite de visites effectuées dans des prisons de Roumanie, sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Le CPT a constaté certaines défaillances dans le fonctionnement des services de santé. Dans certains cas, il a été relevé que l’accès à un médecin, y compris à un médecin légiste, était différé, voire refusé, et que les examens médicaux effectués étaient sommaires et menés de manière formelle (voir les rapports CPT/Inf(2003)25, § 30 ; CPT/Inf(2004)10, § 44, et CPT/Inf(2008)41, § 19). Eu égard à ces constats, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre les mesures adéquates pour que tout détenu présentant des traces de violence fût toujours examiné par un médecin. La Recommandation R (98) 7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire et la Recommandation Rec(2006)2 sur les Règles pénitentiaires européennes, préconisent de placer et de soigner les détenus souffrant de troubles mentaux graves dans un service hospitalier disposant d’un équipement adéquat et d’un personnel qualifié (voir les articles 55 de la Recommandation R (98) 7 et 47.1 et 47.2 de la Recommandation Rec (2006) 2).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953 et réside à Nancy. Le requérant fut placé en détention provisoire du 15 janvier 2003 au 30 mars 2006 pour des faits de meurtre. Dans l’attente de son jugement il fut placé sous surveillance électronique du 30 mars 2006 jusqu’au jour de sa condamnation. Par un jugement du 24 mai 2006 le requérant fut condamné à huit ans d’emprisonnement et immédiatement incarcéré à la maison d’arrêt de Nancy. Le 13 juin 2006 les services pénitentiaires procédèrent à une fouille générale de la cellule 214 A que le requérant partageait avec un autre prisonnier. Le balai dont ils disposaient jusqu’alors aux fins d’entretien de leur cellule leur fut retiré à cette occasion. Le 15 juin 2006 le requérant adressa à la directrice de l’établissement pénitentiaire et au surveillant-chef une demande écrite aux fins d’installation d’une porte aux toilettes de la cellule de réparation de ces toilettes en raison d’une fuite et d’un manque de pression de la chasse d’eau et enfin de réparation de prises électriques situées à proximité du lavabo. Il ne reçut alors aucune réponse. Il réitéra oralement sa demande aux surveillants d’étage sans obtenir de réponse. Le 3 juillet 2006 il renouvela sa demande par écrit auprès du surveillant. A cette occasion il fit valoir que « son collègue et lui même étaient dans un état d’hygiène pitoyable ». Il demanda un balai, un balai brosse et des produits d’entretien. Le 25 juillet 2006 le requérant déposa plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Nancy dans le but de contester ses conditions de détention (pas de porte de WC fuite de la chasse d’eau et manque de pression fixation d’une planchette murale pour les ustensiles de cuisine fixation du plateau de la table remise en état de la pile électrique située près du lavabo). Il visa à l’appui de sa plainte les articles 225-14 du code pénal (paragraphe 22 cidessous) et 3 de la Convention. Le 23 août 2006 le doyen des juges d’instruction invita le requérant à lui envoyer copie des courriers adressés à la direction de la maison d’arrêt de Nancy et à étayer les faits dénoncés, notamment en précisant en quoi ils seraient constitutifs d’une infraction à l’article 225-14 du code pénal. Le 25 septembre 2006 le requérant répondit au juge d’instruction par une lettre rédigée pour l’essentiel comme suit : « (...) Les articles D. 176 à D. 179 (...) [du code de procédure pénale] font obligation aux autorités judiciaires de visiter et de se tenir informées sur les établissements pénitentiaires. Si vous avez un doute sur le bien-fondé de ma plainte il vous est possible de visiter ou de faire visiter l’établissement incriminé à tout moment (...) (...) Ce qui est inhumain c’est de faire ses besoins à la vue de tous. Le manque de pression de la chasse d’eau m’oblige à réduire les excréments afin qu’ils puissent s’écouler normalement dans l’évacuation. La prise électrique (qui est déboîtée) crée un risque évident d’électrocution car proche du lavabo source d’eau (...) Dans l’espoir de vous avoir informé au plus juste (...) » Le 10 octobre 2006, la directrice de la maison d’arrêt de Nancy fit parvenir au juge d’instruction ses observations sur l’état de la cellule 214 A en y joignant un livret de treize photos. Elle précisa que la cellule avait été rénovée en 2005. Concernant la porte des toilettes, elle fit valoir qu’elle existait mais qu’elle avait été détruite par des détenus et que le budget ne permettait pas de supporter le coût des réparations. En revanche, la chasse d’eau était en état de fonctionnement et une prise électrique sur deux était en bon état. En conclusion, elle fit valoir que la cellule, notamment les murs et le mobilier, était déjà fort dégradée pour une cellule refaite deux ans auparavant et que les meubles avaient été arrachés de leur support. Par une ordonnance du 31 octobre 2006 le doyen des juges d’instruction rendit une ordonnance d’irrecevabilité au motif qu’à la supposer établie l’infraction devait être reprochée à l’administration pénitentiaire et était donc du ressort de la juridiction administrative. Le 6 novembre 2006 le requérant interjeta appel de cette ordonnance. Dans ses écritures devant la cour d’appel il se plaignit également de la surpopulation carcérale estimant que sa cellule n’était pas adaptée au regard du nombre de personnes qui y vivaient. Le 22 novembre 2006 le requérant fut transféré au centre de détention d’Ecouvres. Par un arrêt du 1er mars 2007 la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy estima que le juge d’instruction était compétent pour connaître des faits mentionnés dans la plainte et infirma l’ordonnance de refus d’informer prise le 31 octobre 2006. Elle considéra que les faits dénoncés pouvaient entrer dans le champ d’application de l’article 225-14 du code pénal dans la mesure où : - la personne détenue est du fait de la privation de sa liberté d’aller et venir incontestablement en situation de vulnérabilité au point que des droits spécifiques ont été édictés en sa faveur par le législateur pour compenser son état d’infériorité et que l’article préliminaire du code de procédure pénale lui garantit que les mesures de contrainte dont elle fait l’objet ne doivent pas porter atteinte à sa dignité - sa détention s’analyse au moins en partie, comme un hébergement ainsi qu’il ressort des articles D. 342 à D. 348 du code de procédure pénale relatifs à l’entretien des détenus et des articles D. 349 à D. 359 relatifs aux conditions d’hygiène dont ils doivent bénéficier en particulier en ce qui concerne la literie la salubrité et la propreté des locaux. Par une ordonnance du 24 mai 2007 la chambre de l’instruction releva que le juge d’instruction avait demandé à être déchargé du dossier et en désigna un autre en ses lieu et place afin de poursuivre l’instruction. Le 12 février 2008, le requérant fut auditionné par le juge d’instruction chargé de l’affaire. Il déclara ce qui suit : « (...) Il n’y avait pas de porte pour les toilettes. On mettait une couverture pour avoir de l’intimité mais les surveillants nous la faisaient ôter parce que c’était interdit. Il y avait un muret qui séparait le WC du reste de la cellule, et comme la fenêtre était du côté des WC, nous avions très peu de lumière dans la cellule. La lumière était obstruée par le muret, les barreaux, les grilles et l’étroitesse de la fenêtre. Près du lavabo, il y avait une prise électrique qui pendait, cela présentait des risques car elle se trouvait à 50-60 cm du lavabo. Les armoires qui devaient être fixées au mur en hauteur, étaient posées au sol et n’avaient plus de portes, si bien que nos affaires traînaient par terre. J’estime la taille de la cellule à 9 m² ou 9.5 m². La fenêtre devait faire 1 m² environ. Les lits superposés qui étaient normalement scellés au mur, ne l’étaient plus et il y avait des risques de chute. Lorsqu’il fait chaud, il n’y avait pas d’air, car nous étions tout en haut de la maison d’arrêt. Je restais environ 23 heures dans ma cellule. J’avais fait la demande à mon arrivée pour travailler en mais je n’ai pas eu de réponse. En général, je sortais pendant l’heure de la promenade, soit le matin, soit l’après-midi. Les promenades se faisaient dans des cours d’une cinquantaine de mètres carré. J’ai demandé à plusieurs reprises, oralement et par écrit aux surveillants, au surveillant-chef, à la directrice, plusieurs choses : la réparation de la prise, de la porte des WC qui existait à l’origine puisqu’il y avait l’encadrement, des produits d’entretien, un balai car le plafond étant très haut, il était impossible d’enlever les toiles d’araignée avec la pelle et la balayette. Un mois, un mois et demi avant de partir, on nous a donné des produits d’entretien. La prise électrique n’a jamais été refaite du temps de mon séjour, et la porte des WC non plus. Lorsque j’ai quitté la cellule, elle était dans le même état que lorsque je suis arrivé. Il y avait la chasse d’eau qui fuyait, ce qui fait qu’il n’y avait pas de pression et que rien ne s’évacuait. Cela non plus, n’a jamais été réparé. Les murs étaient très sales. Il y avait des trous. C’était décrépi. La peinture s’écaillait. Le local des douches était très sale. Ça sentait mauvais. Il y avait une petite fenêtre dans le fond. Il n’y avait aucun système d’aération. Il y avait des cafards qui couraient partout. Il y avait un auxiliaire qui devait nettoyer les douches, ce n’est pas à nous de le faire. Ma vue a baissé sans doute à cause de la lumière artificielle. Question de Me Mercier : « Buviez-vous l’eau du robinet ? » Réponse de M. Canali : « Oui, je buvais l’eau du robinet. Il n’y avait que de l’eau froide dans la cellule. (...) » Le 12 février 2008, la vice-présidente du tribunal de grande instance d’Epinal délivra une commission rogatoire au service régional de police judiciaire (SRPJ) de Nancy. Selon un procès-verbal du 28 septembre 2008, ce juge demanda la transmission de l’intégralité de la procédure judiciaire au SRPJ afin « d’envisager si nécessaire la poursuite des investigations ». Plusieurs personnes détenues ou anciennement détenues furent entendues sur procès verbal entre septembre et novembre 2008. En juillet et septembre 2009, le SRPJ recueillit également les témoignages d’un détenu incarcéré à la maison d’arrêt de Nancy de 2004 à 2008 et de surveillants pénitentiaires ayant exercé dans cet établissement. Aucune information ne figure au dossier sur les suites de la procédure mais le requérant précisa dans son formulaire de requête que, suite à la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 20 janvier 2009 (paragraphe 23 ci-dessous), « le juge d’instruction (...) ne pourra que rendre une décision disant n’y avoir lieu à informer ». Selon le Gouvernement le requérant était déjà libéré à la date de l’introduction de la requête. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 225-14 du code pénal est libellé comme suit : « Le fait de soumettre une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. » L’article 86 du code de procédure pénale se lit comme suit : « Le juge d’instruction ordonne communication de la plainte au procureur de la République pour que ce magistrat prenne ses réquisitions. (...) Le procureur de la République ne peut saisir le juge d’instruction de réquisitions de non informer que si pour des causes affectant l’action publique elle-même les faits ne peuvent légalement comporter une poursuite ou si à supposer ces faits démontrés ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale (...). » Dans un arrêt du 20 janvier 2009 (Bull. crim. 2009 no 18) la chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé à propos du dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile pour des faits relatifs à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine pendant la détention en maison d’arrêt que ces faits n’entraient pas dans les prévisions de l’article 225-14 du code pénal et ne pouvaient admettre aucune qualification pénale. Elle s’est exprimée en ces termes : « Justifie sa décision au regard de l’article 86 du code de procédure pénale la chambre de l’instruction qui confirme l’ordonnance d’un juge d’instruction ayant dit n’y avoir lieu à informer sur la plainte d’une personne détenue soutenant avoir été soumise pendant sa détention en maison d’arrêt à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine dès lors que les faits dénoncés n’entrent pas dans les prévisions de l’article 225-14 du code pénal et ne peuvent admettre aucune qualification pénale. » Dans cette affaire par un arrêt du 3 avril 2008 la cour d’appel de Rouen à la différence de l’arrêt de la cour d’appel de Nancy dans le cas d’espèce (paragraphe 17 ci-dessus) avait confirmé le refus d’instruire la plainte déposée par un détenu contre X du chef d’hébergement contraire à la dignité humaine ; de surcroît l’intéressé avait auparavant obtenu la condamnation de l’Etat à raison des conditions de détention au sein de la maison d’arrêt de Rouen par un jugement du tribunal administratif de cette ville (TA Rouen 27 mars 2008 ; voir la rubrique « droit interne pertinent » de la décision Lienhardt c. France, no 12139/10 du 13 septembre 2011 et les autres décisions qui y sont citées s’agissant de la condamnation de l’Etat à indemniser des détenus au titre de sa responsabilité pour manquements à assurer des conditions de détention compatibles avec le respect de la dignité humaine). La partie pertinente du répertoire Dalloz sur « la responsabilité de la puissance publique » et en particulier celle relative au délai qui enferme l’action en responsabilité se lit ainsi : « 95. Le droit de créance que détient la victime à l’encontre de l’administration responsable ne peut faire l’objet d’une action en réparation que s’il n’est pas éteint par une prescription. S’agissant des créances indemnitaires sur les personnes publiques la prescription quadriennale est la règle de principe. En effet et selon l’article 1er de la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968 (JO 3 janv. 1969) relative à la prescription des créances sur l’État les départements les communes et les établissements publics « sont prescrites au profit de l’État des départements et des communes sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. (...) Conformément à l’article 2 de la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968 la prescription quadriennale est interrompue par « toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur à l’existence, au montant ou au paiement de la créance alors même que l’administration saisie n’est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. » La prison de Nancy Charles III, construite en 1857, a fermé ses portes en raison de son extrême vétusté en 2009. Déjà en l’an 2000, le rapport sur la situation dans les prisons françaises de l’Assemblée Nationale parlait de « conditions d’accueil inacceptables des détenus masculins à la maison d’arrêt de Nancy où existent encore des dortoirs de seize places dans lesquels les détenus s’isolent par des serviettes de bain ». De même, le Garde des Sceaux de l’époque, M. Clément, a prononcé en 2005 un discours dans lequel, s’exprimant sur le projet de construction d’un nouveau centre pénitentiaire à Nancy-Maxéville, il tenait les propos suivants : « Je pense que vous êtes tous convaincus de l’urgence qui s’attache à la fermeture de la vieille prison Charles III. Cet établissement a fait son temps. Je tiens à remercier l’action du maire de Nancy, des responsables politiques, du Préfet et de tous les acteurs qui ont permis que ce projet avance rapidement car il y a en la matière, je le répète, urgence ». Enfin, la Commission nationale de réparation des détentions placée auprès de la Cour de Cassation, dans une décision du 29 mai 2006, a considéré qu’il y avait lieu de relever le montant de l’indemnisation de la détention provisoire injustifiée allouée en appel à un ancien détenu à Nancy en raison notamment des « conditions de vétusté de cette prison » (05CRD077). Dans un article intitulé « Surpopulation, vétusté, problème d’accès aux soins... état des lieux sans concession de la prison Charles III » par quatre juges nancéiens du Syndicat de la magistrature (l’Est républicain, 23 décembre 2008), il est indiqué ce qui suit : « 260 places, 320 détenus Cette prison souffre comme la plupart des maisons d’arrêt de la surpopulation puisque 320 détenus y sont incarcérés pour une capacité de 260 places. Cette surpopulation n’est pas sans incidence sur les risques de violences au sein de l’établissement puisque les tensions s’accroissent inévitablement à raison de la promiscuité et du manque de place engendrés dans les cellules, et ce alors même que les surveillants ne sont pas à effectif complet (106 agents au lieu de 115). Les douches ne peuvent se prendre qu’une fois tous les deux jours, même si les surveillants accordent dans la mesure du possible une douche supplémentaire avant un parloir ou une audience. Par ailleurs, ils en accordent par principe une après une séance de travail ou de sport. C’est la vétusté de l’établissement qui nous a le plus frappés et c’est un véritable soulagement de savoir que la maison d’arrêt Charles III va fermer définitivement ses portes en juin 2009. Dans l’ensemble des cellules, on a pu constater la présence d’humidité, une propreté variable et un défaut d’éclairage naturel criant. » A deux dans neuf mètres carrés Il existe des cellules très exiguës de deux détenus (9 m2) seulement percées d’une petite lucarne incapable d’assurer un éclairage naturel satisfaisant. A l’opposé, il existe des cellules de neuf personnes particulièrement vétustes où on ne trouve qu’un seul cabinet de toilette et où l’intimité ne peut être assurée que par l’installation de draps pendant sur les lits superposés. Le matériel est très ancien (lits en fer). Lors d’échanges avec les détenus, ceux-ci se sont plaints des conditions de détention, la plupart soulignant qu’ils avaient froid l’hiver, ou très chaud l’été. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1986 et était détenu à la maison d’arrêt de Nice au moment de l’introduction de sa requête devant la Cour. Le 14 septembre 2006, à la suite de la disparition des époux G., une information judiciaire fut ouverte. Le 15 septembre 2006, le requérant, ainsi que d’autres individus, furent interpellés et placés en garde à vue pour enlèvement, détention, séquestration de plusieurs personnes en bande organisée, en vue d’obtenir l’exécution d’un ordre ou d’une condition, notamment le versement d’une rançon, violences en réunion avec arme, viol et tentative de viol. Le 19 septembre 2006, le requérant et quatre autres individus furent placés en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Nice. Les 29 septembre 2006 et le 30 octobre 2006, deux des protagonistes furent libérés et placés sous contrôle judiciaire. Les 5 septembre 2007 et 4 mars 2008, la détention provisoire du requérant fut prolongée pour une durée de six mois. Le 28 avril 2008, le juge d’instruction rendit une ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes à l’encontre du requérant et de six autres individus. Deux prévenus interjetèrent appel de l’ordonnance. Le 17 juillet 2008, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rendit un arrêt avant-dire droit, ordonnant un supplément d’information concernant trois des co-accusés. La détention provisoire du requérant fut à nouveau prolongée. Par un arrêt du 2 décembre 2008, la chambre de l’instruction infirma partiellement l’ordonnance du 28 avril 2008, prononçant un non-lieu à l’égard du prévenu J.-F. D. Pour le surplus, elle prononça la mise en accusation des six autres individus, dont le requérant, et les renvoya devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes. Le 25 février 2009, le requérant déposa une demande de mise en liberté. Il argua qu’il n’avait fait l’objet que d’une condamnation par le tribunal pour enfants, qu’il n’y avait pas de risque de renouvellement de l’infraction ni de non représentation, et il produisit une attestation d’hébergement de sa mère habitant dans le Var, ainsi qu’une promesse d’embauche. Sa demande fut rejetée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 10 mars 2009. Elle considéra que le requérant avait participé avec un groupe à l’enlèvement et à la séquestration d’un couple pour lui soustraire une forte somme d’argent ; elle jugea qu’en raison de la détermination des auteurs, de la durée des faits criminels et des violences commises le trouble à l’ordre public était exceptionnel et persistant. Elle considérait que la détention provisoire était l’unique moyen de répondre à ces exigences, que les mesures de contrôle judiciaire étaient insuffisantes et que les garanties de représentation offertes ne répondaient pas à ces préoccupations. Le 8 juillet 2009, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rejeta une deuxième demande de mise en liberté. Rappelant que l’information avait réuni à l’encontre du requérant de lourdes charges d’avoir participé, avec un groupe, à l’enlèvement et la séquestration d’un couple pour lui soustraire une forte somme d’argent, elle estima qu’il convenait de préserver la sincérité et la sécurité du débat oral contradictoire au cours duquel les faits devraient être examinés. La violence utilisée par les individus pour parvenir à leurs fins montrerait qu’ils étaient capables de pressions ou de concertation frauduleuse. Leur détermination criminelle, la gravité de la peine encourue, l’absence d’obligations personnelles contraignantes du requérant obéreraient ses garanties de représentation. La chambre de l’instruction conclut à l’existence d’un trouble exceptionnel et persistant de l’ordre public, au vu des faits reprochés et des traumatismes créés aux victimes, ainsi qu’à un risque de non-exécution, en cas de libération prématurée, d’une sanction éventuellement prononcée. Ainsi, elle jugea un contrôle judiciaire inopérant. Une troisième demande de mise en liberté fut rejetée le 22 septembre 2009. La chambre de l’instruction adopta des motifs similaires à ceux de l’arrêt du 8 juillet 2009, sauf à rajouter l’existence d’un risque de récidive, le requérant n’ayant pas tenu compte de l’avertissement solennel qui lui avait été donné du fait de sa condamnation en 2005 à six mois d’emprisonnement avec sursis pour violence et vol en réunion. Elle précisa en outre que la détention provisoire, qui restait nécessaire à titre de sûreté, n’excédait pas un délai raisonnable compte tenu du nombre des personnes mises en examen et des recours exercés. Le 28 octobre 2009, la Cour de cassation cassa et annula l’arrêt du 2 décembre 2008 en ce qu’il concernait le non-lieu de J.-F. D. et maintint les autres dispositions. Le 30 octobre 2009, le ministère public requit la prolongation de la détention provisoire du requérant. Ce dernier sollicita sa mise en liberté, faisant valoir notamment qu’il avait mis à profit sa détention pour passer avec succès son brevet d’études professionnelles de comptabilité et préparer le baccalauréat sciences et technologies de la gestion auquel il avait été admis à la session de juin 2009 et que l’un de ses professeurs attestait de son sérieux et de son assiduité pour préparer sa réinsertion. Il poursuivit qu’eu égard à sa reconnaissance des faits et aux éléments de personnalité relevés par l’expert psychologue, il n’existait aucun risque de renouvellement de l’infraction ni de pressions sur les parties civiles, témoins ou autres personnes mises en examen, et qu’il était prêt à remettre son passeport aux autorités judiciaires, à se rendre toutes les semaines au commissariat ou à la gendarmerie et à ne pas sortir des limites du département du Var. Le 17 novembre 2009, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois. Elle indiqua qu’en raison du renvoi de la procédure devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes en ce qui concernait J.-F.D., l’affaire ne pourrait être jugée avant l’expiration du délai d’un an prévu par l’article 181 du code de procédure pénale. Pour le surplus, elle adopta des motifs analogues à ceux de l’arrêt du 22 septembre 2009. Le 13 avril 2010, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nîmes ordonna la mise en accusation de J.-F.D. Celui-ci se pourvut en cassation. Le 21 avril 2010, le ministère public requit la prolongation de la détention provisoire du requérant. Ce dernier réitéra ses arguments présentés aux magistrats en novembre 2009 et invoqua l’article 5 § 3 de la Convention. Le 27 avril 2010, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’AixenProvence ordonna, à titre exceptionnel et en application de l’article 181 du code de procédure pénale, une seconde et ultime prolongation de six mois de la détention provisoire du requérant, à compter du 2 juin 2010 à 0 heures. La motivation de cet arrêt fut identique à celle du 17 novembre 2009, à ceci près que les magistrats intégrèrent les éléments nouveaux issus de la procédure principale, qu’ils estimèrent une assignation à résidence avec surveillance électronique inopérante, et qu’ils jugèrent important que, pour une bonne administration de la justice, les faits puissent être jugés au fond dans leur ensemble. Le requérant se pourvut en cassation. Dans son mémoire en cassation, il reprocha à la chambre de l’instruction d’avoir prolongé sa détention provisoire et dénonça une violation de certaines dispositions nationales et de l’article 5 § 3 de la Convention. Il estima notamment que la chambre de l’instruction aurait dû motiver spécialement sa décision au regard des objections qu’il avait formulées. Le 4 août 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, au motif qu’en se déterminant, par des considérants de droit et de fait répondant aux exigences des articles pertinents, la chambre de l’instruction avait justifié sa décision. Le 4 novembre 2010, la cour d’assises ordonna le renvoi de l’affaire au 10 janvier 2011. Le même jour, elle ordonna le maintien en détention de quatre accusés, dont le requérant, et le maintien sous contrôle judiciaire de trois autres accusés jusqu’à leur comparution au fond de l’affaire. Le requérant déposa une nouvelle demande de mise en liberté devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Constatant que le requérant n’avait pas encore comparu devant la cour d’assises à l’issue de la dernière prolongation de sa détention provisoire, c’est-à-dire avant le 2 décembre 2010 à minuit, la chambre de l’instruction ordonna sa remise en liberté le 16 décembre 2010. Le 21 janvier 2011, la cour d’assises déclara le requérant coupable des faits reprochés, le condamna à six ans de réclusion criminelle et décerna un mandat de dépôt à son encontre. Suite à cet arrêt, le requérant fut de nouveau écroué. Le ministère public et un des co-accusés interjetèrent appel de l’arrêt. Le 12 avril 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence fit droit à une demande de mise en liberté du requérant, « eu égard à la durée de la détention provisoire déjà effectuée, aux garanties présentées par [le requérant] et, sans préjuger de la décision à intervenir en cause d’appel, au quantum de la peine prononcée en première instance ». La mise en liberté sous contrôle judiciaire fut assortie de l’obligation pour le requérant de demeurer chez sa mère, de ne pas entrer en relation avec les victimes et les autres mis en examen et de se présenter tous les quinze jours à la gendarmerie. La Cour n’a pas été informée de l’issue du procès devant la cour d’assises statuant en appel, qui devrait avoir eu lieu au mois de décembre 2011. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles pertinents disposent ce qui suit : Article 149 du code procédure pénale « Sans préjudice de l’application des dispositions des articles L. 141-2 et L. 141-3 du code de l’organisation judiciaire, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive a droit, à sa demande, à réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Toutefois, aucune réparation n’est due lorsque cette décision a pour seul fondement la reconnaissance de son irresponsabilité au sens de l’article 122-1 du code pénal, une amnistie postérieure à la mise en détention provisoire, ou la prescription de l’action publique intervenue après la libération de la personne, lorsque la personne était dans le même temps détenue pour une autre cause, ou lorsque la personne a fait l’objet d’une détention provisoire pour s’être librement et volontairement accusée ou laissé accuser à tort en vue de faire échapper l’auteur des faits aux poursuites. A la demande de l’intéressé, le préjudice est évalué par expertise contradictoire réalisée dans les conditions des articles 156 et suivants. Lorsque la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement lui est notifiée, la personne est avisée de son droit de demander réparation, ainsi que des dispositions des articles 149-1 à 149-3 (premier alinéa). » Article 149-1 du code de procédure pénale « La réparation prévue à l’article précédent est allouée par décision du premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle a été prononcée la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement. » Article 149-2 du code de procédure pénale « Le premier président de la cour d’appel, saisi par voie de requête dans le délai de six mois de la décision de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, statue par une décision motivée. » Article 181 du code de procédure pénale « (...) L’accusé détenu en raison des faits pour lesquels il est renvoyé devant la cour d’assises est immédiatement remis en liberté s’il n’a pas comparu devant celle-ci à l’expiration d’un délai d’un an à compter soit de la date à laquelle la décision de mise en accusation est devenue définitive s’il était alors détenu, soit de la date à laquelle il a été ultérieurement placé en détention provisoire. Toutefois, si l’audience sur le fond ne peut débuter avant l’expiration de ce délai, la chambre de l’instruction peut, à titre exceptionnel, par une décision rendue conformément à l’article 144 et mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l’affaire, ordonner la prolongation de la détention provisoire pour une nouvelle durée de six mois. La comparution de l’accusé est de droit si lui-même ou son avocat en font la demande. Cette prolongation peut être renouvelée une fois dans les mêmes formes. Si l’accusé n’a pas comparu devant la cour d’assises à l’issue de cette nouvelle prolongation, il est immédiatement remis en liberté. (...) » Article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976. Il est détenu au centre pénitentiaire de Luxembourg (ci-après « CPL »). Les 24, 25 et 26 février 2010 il devait se rendre au tribunal d’arrondissement de Luxembourg afin de se constituer partie civile dans un dossier relatif à la mort d’un tiers. En vue de ces transferts du CPL au tribunal, le requérant fut soumis à des fouilles corporelles. Le requérant indique avoir été contraint, lors de la fouille du 24 février, à se dévêtir entièrement dans un lieu à proximité de la salle du guichet du CPL. Il relève qu’il était possible, tant en théorie qu’en pratique, qu’une femme travaillant à la prison ait assisté à la fouille. Le 28 février 2010, le requérant s’adressa à la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement pour faire état d’irrégularités qui seraient survenues lors des transferts des 24, 25 et 26 février 2010. A. Enquête interne menée par les autorités du CPL Dans le cadre d’une enquête interne, les responsables et les gardiens en charge des transports concernés (sachant qu’il y avait trois gardiens pour chaque transport) furent interrogés. Un rapport de l’administration pénitentiaire du 17 mars 2010 conclut que les fouilles avaient été menées conformément à l’instruction de service DIS01. Le 19 mars 2010, le délégué du Procureur Général d’Etat pour la direction générale des établissements pénitentiaires (ci-après le « Délégué du Procureur Général ») fit informer le requérant qu’à la suite d’une enquête il s’était avéré que les reproches formulés dans sa requête n’étaient pas fondés et que le personnel du CPL avait agi dans le strict respect des dispositions applicables. B. Plainte avec constitution de partie civile du 26 mars 2010 Le 26 mars 2010, le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile contre inconnu, contre le Délégué du Procureur Général, le directeur du CPL, ainsi que cinq autres agents du CPL, pour des faits de torture ou de traitement inhumain, cruel ou dégradant. Par un courrier du 31 mars 2010, l’avocat du requérant se plaignit auprès du directeur du CPL que son client lui aurait expliqué avoir été contraint, les 24 et 26 février 2010, de se déshabiller entièrement et passer nu devant plusieurs gardiens pour se rendre d’une pièce à l’autre. Dans une ordonnance du 4 juin 2010, un juge d’instruction du tribunal d’arrondissement se déclara incompétent pour instruire à l’encontre du Délégué du Procureur Général. Puis, le 7 juin 2010, le même juge d’instruction rendit une ordonnance de non-informer contre les autres personnes visées dans la plainte du requérant. Il estima que les faits dénoncés étaient conformes aux dispositions règlementaires et que l’action publique engagée par la plainte avec constitution de partie civile n’avait pas de fondement susceptible de justifier une information judiciaire. C. Saisine du Médiateur du Grand-Duché de Luxembourg À une date non déterminée, le requérant adressa une réclamation au Médiateur du Grand-Duché de Luxembourg. Celui-ci lui répondit le 8 novembre 2010 que ses recherches avaient fait apparaître qu’au moment de la fouille corporelle du 24 février 2010, un nombre de gardiens anormalement élevé était présent, sans qu’il lui soit possible de déterminer leur nombre exact. Il ajouta que, selon les plans de service de l’époque en question, trois à quatre gardiens auraient pu être présents dans le local jouxtant la salle d’attente. Il indiqua que deux gardiennes étaient de service au greffe au moment de la fouille, sans qu’il soit toutefois en mesure de confirmer leur présence physique effective dans les locaux du greffe au moment de la fouille. D. Plainte avec constitution de partie civile du 30 août 2010 Ordonnance du juge d’instruction du 25 octobre 2010 Le 30 août 2010, le requérant déposa une nouvelle plainte contre le directeur du CPL, ainsi que contre quatre autres agents du CPL, pour des faits de torture. Il se plaignit uniquement de la fouille corporelle du 24 février 2010, qui se serait déroulée en présence de huit gardiens et où il aurait été obligé de sortir nu de la cabine de fouille à proximité du guichet où se trouvaient des agents de sexe féminin. Le 25 octobre 2010, un nouveau juge d’instruction rendit une ordonnance de non-informer, au motif que les faits dont se plaignait le requérant n’étaient pas susceptibles de revêtir une qualification pénale. Le 27 octobre 2010, le requérant releva appel de cette ordonnance. Arrêt de la chambre du conseil de la cour d’appel du 7 décembre 2010 Par un arrêt du 7 décembre 2010, la chambre du conseil de la cour d’appel réforma l’ordonnance du 25 octobre 2010. Elle décida qu’une fouille corporelle, au cas où elle aurait effectivement été pratiquée en présence de huit personnes de la façon exposée par le requérant et où elle aurait causé à celui-ci une atteinte à son intégrité psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique, était susceptible d’être qualifiée de coups et blessures volontaires, sinon involontaires. En conséquence, elle ordonna au juge d’instruction d’instruire les faits énoncés dans la plainte du requérant et renvoya la cause devant le juge d’instruction directeur. Enquête menée par les autorités judiciaires Le 13 décembre 2010, une information judiciaire fut ouverte. Les responsables ainsi que les agents du « Service Escortes » et du greffe du CPL en service le 24 février 2010 furent entendus, à l’exception de ceux qui étaient affectés à des missions manifestement étrangères à celle faisant l’objet de l’information judiciaire. Différents documents, tel le plan de service (« Dienstplan ») du greffe du CPL et du « Service Escortes » du mois de février 2010, furent saisis. L’officier de police judiciaire prit des clichés photographiques, qui montrent la salle d’accueil du greffe du CPL avec les deux cabines adjacentes au sein desquelles se pratiquent les fouilles, puis la salle dans laquelle se trouve le bureau du greffe du CPL (qui est pourvue d’un guichet en verre donnant sur la salle d’accueil) et en dernier lieu le couloir (à côté du greffe) dans lequel les agents attendent leur tour pour prendre en charge le détenu qu’ils contrôlent et transportent. Le 20 novembre 2011, le commissaire enquêteur du service de police judiciaire dressa son rapport. Il relata que le directeur du CPL lui avait remis un extrait de la note de service DIS01 du 20 avril 2009, qui avait été fournie à l’ensemble des agents du CPL et leur précisait les modalités selon lesquelles devait se dérouler une fouille corporelle. Le commissaire rapporta que le 24 février 2010, le requérant devait être au tribunal pour 9 heures. Selon un registre conservé au greffe du CPL, le matin en question dix détenus étaient à transporter vers différents lieux à l’extérieur du CPL, entre 7h30 et 9h30. Ils étaient amenés par les agents des différents blocs de la prison vers la salle d’attente du greffe. Un à un, ils étaient sortis de la salle d’attente, fouillés par l’agent du « Service Escortes» compétent, puis emmenés pour leur transport. Cette procédure se déroulait rapidement et de manière routinière, la plupart des détenus, dont le requérant, connaissant la procédure pour avoir déjà été transportés. Il arrivait qu’un gardien se rende dans la salle d’accueil pendant les fouilles, pour vérifier que tout se déroulait sans accrocs. Aux fins d’une parfaite compréhension de la situation et des lieux, le commissaire joignit le descriptif photographique des lieux (« Fotobildmappe », paragraphe 24 cidessus). Il relata ensuite les témoignages livrés par les trois gardiens impliqués dans la fouille litigieuse. Ils avaient expliqué, de manière concordante, que l’escorte s’était déroulée de manière positive et sans incident du début à la fin, sans que le requérant se soit plaint à aucun moment (alors que, selon un des agents, le requérant n’hésitait pas à s’exprimer dans le milieu carcéral en cas de désaccord). Ainsi, après avoir été appelé en salle d’attente, le requérant était arrivé dans la salle d’accueil, puis avait été amené dans la cabine gauche, où il s’était dévêtu et avait donné ses vêtements aux deux agents C. et D. qui les avaient contrôlés et les avaient posés ensuite dans la cabine droite afin de garder une vue d’ensemble (« um die Übersicht zu behalten »). À ce sujet, les agents avaient précisé que le caleçon était toujours le dernier vêtement à être contrôlé et était rendu au détenu pendant qu’il était encore dans la cabine gauche, afin qu’il soit entièrement nu le moins longtemps possible. Ensuite, le requérant se rendait dans la cabine droite où il se rhabillait entièrement, puis quittait la salle en vue de l’escorte. Sur question, l’agent K. avait expliqué qu’une fouille corporelle durait en moyenne dix minutes. Toujours sur question, l’agent C. avait confirmé avoir procédé à un contrôle visuel de l’anus du requérant, ceci faisant partie du contrôle pour tout détenu quittant le CPL ; il avait précisé que le requérant n’étant pas contrôlé pour la première fois - n’avait pas soulevé d’objection. Le chef du « Service Escortes » avait expliqué que les fouilles se pratiquaient une par une, gardiens et détenus attendant respectivement dans la salle d’accueil du greffe et dans le couloir. Si d’habitude il n’était pas présent lors des fouilles, il se tenait, le 24 février 2010, dans une zone limitrophe du greffe, vu le nombre élevé de détenus devant être escortés le matin en question ; il n’avait remarqué, à aucun moment, une quelconque irrégularité ni plainte de la part d’un des détenus. Les agents en charge de la fouille du requérant le 24 février 2010 avaient confirmé qu’il y avait plusieurs escortes ce matin-là et que les gardiens (deux ou trois selon l’agent C.) qui attendaient de procéder à la fouille du prochain détenu à escorter se trouvaient dans la salle d’accueil au moment de la fouille du requérant. Le commissaire retraça ensuite les résultats de son enquête au sujet de la présence de personnel féminin lors de la fouille. Comme il résultait du plan de service (« Dienstplan ») qu’une des deux agentes du greffe était en congé le 24 février 2010, celle en service le matin litigieux fut seule interrogée. Elle avait expliqué avoir reçu, dès son entrée en fonction, des instructions claires et précises de la part du préposé-adjoint du greffe quant au comportement à adopter lors des fouilles : dès que le début des fouilles était annoncé, elle devait rester assise à son bureau, qui était disposé de telle manière qu’elle tournait le dos au guichet. En plus et de toute façon, les fouilles se déroulaient rapidement et à l’intérieur des cabines prévues à cet effet sans que les détenus ne doivent traverser la salle, de sorte qu’il était impossible de les voir depuis le bureau du greffe. Elle avait ajouté que le 24 février 2010, elle s’était tenu, comme d’habitude, aux instructions strictes de son chef et qu’elle n’avait pas remarqué le moindre incident. Le commissaire précisa avoir contacté le membre du personnel du Médiateur qui, selon le requérant, aurait « enquêté suite à [ses] griefs et [qui aurait] récupéré des éléments que les deux femmes travaillant au guichet étaient bien sur leur lieu de travail ». La personne en question lui avait assuré ne pas avoir transmis pareils éléments au requérant et avait confirmé, après avoir vérifié ses pièces, le constat du commissaire selon lequel une seule des deux agentes travaillait le jour en question. Pour finir, l’enquêteur se prononça sur l’affirmation du requérant selon laquelle il « était obligé de sortir complètement nu de la première salle pour se rendre dans l’autre salle, en passant de la salle d’entrée en proximité du guichet ». Le commissaire nota qu’en lisant cette énonciation, on pouvait croire que les deux cabines, que le requérant désigne comme « salles », se trouvaient à une certaine distance l’une de l’autre. Toutefois, sur base des clichés photographiques et d’un plan contenant les mesures des locaux, il ne faisait pas de doute que cette formulation de la part du requérant ne correspondait pas à la vérité. En effet, le mur séparant les deux cabines adjacentes mesurait 34,5 cm. La salle d’accueil faisait 3,46 mètres sur 3,92 mètres, le guichet étant ainsi large de 3,46 mètres et à une hauteur de 110 cm. Il résultait des témoignages des gardiens et des clichés photographiques que les deux portes des cabines étaient ouvertes de manière à ce que la vue dans les cabines soit entravée lors de la fouille ; le détenu ne devait ainsi en aucun cas passer devant le guichet. Le commissaire conclut que les résultats de l’enquête étaient aux antipodes des allégations du plaignant. Décisions rendues suite à l’instruction judiciaire Le 10 janvier 2012, le parquet requit un non-lieu à poursuivre, les faits tels qu’ils résultaient de l’instruction n’étant susceptibles d’aucune qualification pénale. Le 16 janvier 2012, le juge d’instruction conclut à un non-lieu à poursuivre. Il renvoya en fait au dossier répressif quant à l’ensemble des devoirs exécutés au cours de l’instruction et se rallia en droit aux conclusions du ministère public. Dans son mémoire devant la chambre du conseil, le requérant contesta la véracité des déclarations des témoins et des constatations reprises dans les procès-verbaux et rapports de police ; à titre subsidiaire, il demanda « de confirmer qu’il s’agit d’une inefficacité de l’enquête menée par l’OPJ et le juge d’instruction sur la manifestation de la vérité ». Le 15 février 2012, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg estima que les faits tels qu’ils résultaient de l’instruction ne présentaient aucune qualification pénale. Décidant d’adopter les conclusions du ministère public et de ne pas faire droit à celles développées par le requérant dans son mémoire, elle prononça un non-lieu à poursuivre. Sur appel du requérant, une audience eut lieu devant la chambre du conseil de la cour d’appel le 24 avril 2012. Le requérant avait souhaité se rendre à cette audience. A cette fin, un transport fut prévu pour l’amener du CPL à la cour d’appel à 8 heures. Estimant que ce transport était trop en avance par rapport à l’audience (qui était prévue à 9.50 heures), le requérant interrogea le gardien en charge sur les causes de cette prématurité. Le gardien ne lui donnant pas de réponse satisfaisante, le requérant déclara qu’il n’acceptait pas de se faire transporter par la police et retourna à sa section. Lorsqu’il changea d’avis et retourna au lieu d’embarquement, il fut informé que la camionnette était désormais partie. Le 24 avril 2012, la chambre du conseil de la cour d’appel rejeta le recours du requérant contre l’ordonnance du 15 février 2012. Le requérant releva opposition de l’arrêt du 24 avril 2012 et formula une « réclamation » à l’encontre de cet arrêt auprès de la chambre du conseil de la cour d’appel au motif de son absence à l’audience en question. Par deux arrêts du 27 juin 2012, la chambre du conseil de la cour d’appel rejeta tant son opposition que sa « réclamation », aux motifs notamment que ces recours n’existaient pas en l’espèce. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Législation relative aux plaintes dirigées contre le personnel pénitentiaire Les dispositions pertinentes du code pénal disposent que : Art. 260-1 « Toute personne, dépositaire ou agent de l’autorité ou de la force publiques, toute personne chargée d’un service public ou toute personne agissant à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite de l’une de ces personnes, qui aura intentionnellement infligé à une personne des actes de torture au sens de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en lui causant une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, est punie de la peine de réclusion de cinq à dix ans. » Article 398 « Quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups sera puni d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 euros à 1.000 euros, ou d’une de ces peines seulement. En cas de préméditation, le coupable sera condamné à un emprisonnement d’un mois à un an et à une amende de 500 euros à 2.000 euros. » Article 418 « Est coupable d’homicide ou de lésions involontaires, celui qui a causé le mal par défaut de prévoyance ou de précaution, mais sans intention d’attenter à la personne d’autrui. » Article 420 « S’il n’est résulté du défaut de prévoyance ou de précaution que des coups ou des blessures, le coupable sera puni d’un emprisonnement de huit jours à deux mois et d’une amende de 500 euros à 5.000 euros, ou d’une de ces peines seulement. » B. Législation et pratique relatives aux fouilles des détenus Une note de service DIS01 du centre pénitentiaire de Luxembourg, intitulée « Fouilles corporelles », rappelle en premier lieu les dispositions nationales et européennes applicables en la matière : « 1. Références - RGD89 [Règlement grand-ducal du 24 mars 1989 concernant l’administration et le régime interne des établissements pénitentiaires] : Article 119 « Les détenus sont soumis à une visite corporelle aussi souvent que le directeur ou le chef des services de garde estime cette mesure nécessaire. Au centre pénitentiaire de Luxembourg les détenus le sont notamment à leur entrée dans l’établissement et chaque fois qu’ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit. Ils peuvent également être l’objet d’une visite corporelle avant et après tout parloir ou visite quelconque. » Article 120 « Les opérations prévues aux articles (...) 119 ne peuvent être faites que par deux agents au moins. Les détenus ne peuvent être fouillés que par des personnes de leur sexe. » - RPE [Règles pénitentiaires européennes] Art. 54.1 « Le personnel doit suivre des procédures détaillées lorsqu’il fouille : (...) b) des détenus: (...) Art. 54.2 « Les situations dans lesquelles ces fouilles s’imposent, ainsi que leur nature, doivent être définies par le droit interne.» Art. 54.3 « Le personnel doit être formé à mener ces fouilles en vue de détecter et de prévenir les tentatives d’évasion ou de dissimulation d’objets entrés en fraude, tout en respectant la dignité des personnes fouillées et leurs effets personnels.» Art. 54.4 « Les personnes fouillées ne doivent pas être humiliées par le processus de fouille. » Art. 54.5 «Les personnes peuvent uniquement être fouillées par un membre du personnel du même sexe. » Art. 54.6 « Aucun examen des cavités corporelles ne peut être effectué par le personnel pénitentiaire. » Art. 54.7 « Un examen intime dans le cadre d’une fouille ne peut être réalisé que par un médecin. » La note précise ensuite les objectifs que doivent poursuivre les fouilles et donne des instructions au personnel pénitentiaire, quant aux modalités pratiques à respecter. La note prévoit ceci : « 2. Objectifs Les fouilles sont ordonnées dans l’intérêt de la sécurité et de la sûreté, pour vérifier le respect de l’ordre et de la discipline et pour prévenir et constater d’éventuelles infractions. Contrôle simple Le contrôle simple consiste dans l’un ou plusieurs des procédés suivants : - le passage du détenu sous le portique détenteur de métaux - la palpation des vêtements sur le corps - la vérification du contenu des poches et des sacs ou objets que le détenu transporte. Le contrôle simple peut être effectué par tout agent préposé à la surveillance d’un détenu durant un déplacement ou une activité organisée (gardien, chef d’ateliers, moniteur sportif) en présence d’un deuxième agent. La palpation ne peut se faire que par un agent du même sexe. Il est prescrit à chaque mouvement vers ou au retour d’un atelier, d’une visite, d’un service religieux, d’un cours de formation, d’une activité sportive ou plus généralement d’une activité organisée. Fouille corporelle La fouille corporelle n’est effectuée que par deux agents au moins des services de garde, du même sexe que la personne contrôlée, et à l’abri du regard de tiers. Les agents portent obligatoirement des gants de protection. Elle est ordonnée par la direction, les chefs de service de garde ou de détention et leurs adjoints, les contrôleurs et le chef de l’équipe de nuit à chaque fois qu’ils la jugent indiquée et nécessaire. Le détenu y est soumis d’office : • au moment de son admission au CPL • avant et après chaque extraction • au retour d’un congé pénal et de la semi-liberté • avant le placement en cellule vidéo, de sécurité ou de punition ou en régime cellulaire strict • en cas de flagrant délit ou incident disciplinaire • en cas de signal persistant au portique détenteur de métaux • à chaque fouille de cellule approfondie • avant le test d’urine Il y est soumis de façon aléatoire (Stichproben) après les visites. Après un contrôle simple, l’agent procède au contrôle visuel de la cavité buccale, des oreilles et des mains, suivi du passage de la main dans les cheveux et derrière les oreilles. Le détenu enlève alors ses vêtements, qui sont vérifiés en détail. Les jambes écartées et les mains à plat contre le mur, il se penche vers l’avant, permettant ainsi le contrôle visuel de l’entrejambe et des aisselles, de la plante des pieds et des espaces entre les orteils. Le cas échéant, la détenue est priée de relever ses seins. Le détenu peut être invité à tousser, sous condition que les mesures d’hygiène nécessaires puissent être garanties. Hormis la tête, les mains et les pieds, le gardien ne touchera pas le détenu qui coopère. Tout refus d’obtempérer est signalé immédiatement au chef des services de garde, aux contrôleurs respectivement au chef de l’équipe de nuit, qui décidera des mesures à prendre. En cas de résistance passive ou active, le détenu sera contraint par la force. Le cas échéant, il revêtira des vêtements mis à la disposition par l’administration. Règles de conduite Les agents effectuant les fouilles corporelles sont tenus au respect strict de la dignité des personnes contrôlées. Aucune forme d’humiliation ou de voyeurisme ne peut être tolérée. Toute irrégularité est à rapporter au chef des services de garde. Tout incident est à consigner dans un compte-rendu d’incident et à signaler sans délai au chef des services de garde qui en informe la direction. Examen intime Un examen des parties intimes ou des cavités corporelles dans le cadre d’une fouille ne peut être réalisé que par un médecin. Un tel examen ne peut être ordonné que par le directeur, le chef des services de garde ou leurs adjoints conformément aux dispositions de l’art. 4 de la loi modifiée du 19/2/1973 concernant [...] la toxicomanie. » Une réforme pénitentiaire est actuellement en cours. Elle comprend un projet de loi portant réforme de l’administration pénitentiaire, approuvé par le Gouvernement en conseil le 16 décembre 2011, qui prévoit, sous un chapitre dédié à la sécurité des établissements pénitentiaires, ceci : « Art. 38. (1) Le directeur de chaque établissement pénitentiaire est responsable de la sûreté et de la sécurité de son établissement à l’intérieur du périmètre tel que défini par le plan de gestion des crises visé à l’article 39 (3). (2) L’accès de toute personne à un établissement pénitentiaire peut être soumis à un contrôle de sécurité et de sûreté de la personne, de son identité, de ses bagages et effets personnels, ainsi que du véhicule et de son chargement. Ces contrôles peuvent être effectués par des moyens techniques et par des palpations corporelles ou par un de ces moyens, et doivent être réalisés, le cas échéant, dans le respect du secret professionnel auquel cette personne est tenue. Les palpations corporelles ne peuvent être effectuées que par un membre du personnel pénitentiaire du même sexe que la personne contrôlée. (3) En cas de nécessité et sur ordre du directeur, les détenus peuvent en outre être soumis à une fouille corporelle, qui ne peut être effectuée que par deux membres au moins du personnel du même sexe que le détenu et à l’abri de la vue d’autres personnes, ainsi qu’à une fouille intime qui ne peut être effectuée que par un médecin autre que son médecin traitant. (4) Les contrôles de sécurité et de sûreté prévus au présent article doivent être organisés de façon non discriminatoire et dans le respect de la dignité humaine. Sur ordre du directeur de l’établissement, ils peuvent être effectués de façon aléatoire ou sur base d’informations déterminées permettant de croire que des objets ou substances prohibées par la loi ou par la réglementation pénitentiaire sont en cause. Par ailleurs, le directeur de l’établissement pénitentiaire et le directeur de l’administration pénitentiaire peuvent ordonner un contrôle généralisé de toute personne, aux dates et heures qu’ils indiquent. (5) L’accès à l’établissement pénitentiaire est refusé à toute personne qui ne se soumet pas aux contrôles prévus par le présent article. (6) Les modalités d’exécution des contrôles visés au présent article sont déterminées par règlement grand-ducal ; elles peuvent prévoir des modalités particulières pour les contrôles auxquels sont soumis les détenus, y compris leurs cellules. » Dans son avis du 19 février 2013, la Médiateure du Grand-Duché de Luxembourg s’est exprimée comme suit : « (...) A l’heure actuelle, une fouille corporelle est exercée sur la personne des détenus à l’occasion de chaque extraction, voire de chaque transfèrement. Une fouille intime peut y être ajoutée en cas de suspicion de transport d’objets ou de substances illicites. En règle générale, les normes établies par le CPT en cette matière délicate sont observées. Si des considérations de sécurité et de sûreté imposent la fouille corporelle lors de la première entrée du détenu en milieu carcéral, la Médiateure a des doutes sérieux sur la légitimité de cette pratique, en dehors de tout élément de suspicion, lors des extractions et des transfèrements. A cet égard, elle est d’avis que du moins les contrôles effectués lors du retour du détenu devraient pouvoir être allégés. En tout état de cause, la Médiateure recommande avec insistance que les normes les plus nouvelles du CPT en matière de fouille corporelle soient mises en œuvre. La procédure préconisée par le CPT est novatrice alors qu’elle recommande un déshabillement en deux temps. Le détenu est d’abord invité à se mettre torse nu afin de pouvoir permettre les contrôles qui s’imposent. Après avoir pu se rhabiller, il devra mettre à nu la partie inférieure de son corps aux mêmes fins. Cette manière de procéder est de nature à éviter en tout temps que le détenu se trouve complètement à nu devant les agents préposés au contrôle. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les premier et deuxième requérants résident à Marbella et le troisième réside à Madrid. Le Ministère public porta plainte à l’encontre de plusieurs conseillers municipaux de la ville de Marbella, dont les requérants, auteurs présumés de délits relatifs à l’aménagement du territoire. Les accusés auraient, en particulier, participé à l’octroi de permis de construire illégaux. Les accusations furent portées contre une dizaine d’individus. Certains partis politiques de l’opposition municipale se constituèrent en accusation populaire. Par un jugement rendu le 21 juillet 2006 après la tenue d’une audience publique, le juge pénal no 2 de Malaga acquitta l’ensemble des accusés. Il constata d’emblée l’existence d’une « confusion normative » sur le sujet litigieux, reconnue par ailleurs par plusieurs juridictions internes. Le juge considéra que les requérants ignoraient l’illégalité desdits permis de construire. Dans la mesure où le délit de l’article 320 du code pénal, pour lequel ils étaient accusés, exigeait le dol direct de l’auteur, le juge pénal conclut que les éléments pour l’existence de ce délit n’étaient pas remplis, les faits pouvant, le cas échéant, être qualifiés d’infraction administrative sans pertinence pénale. Le juge parvint à sa conclusion après l’administration de certaines preuves, dont l’examen des dossiers administratifs relatifs aux permis de construire, le procès-verbal de la réunion municipale où ces permis furent accordés, ainsi que les dépositions des accusés et de plusieurs témoins dont celle du secrétaire et du chef du service juridique de la mairie de Marbella. Le Ministère public et l’accusation populaire firent appel. Le 30 novembre 2006 l’Audiencia Provincial de Malaga décida qu’il serait utile de tenir une audience. Les deuxième et troisième requérants sollicitèrent la récusation de deux magistrates de l’Audiencia Provincial, au motif qu’ils avaient entamé une procédure de responsabilité civile à leur encontre pour mauvais exercice de leurs fonctions dans le cadre d’un précédent procès les impliquant. Cette procédure se trouvait encore pendante. Par une décision du 9 février 2007, la tenue de l’audience fut suspendue en attente de la décision sur la récusation. Le 13 mars 2007 le Tribunal supérieur de justice d’Andalousie rejeta la demande de récusation du deuxième requérant au motif qu’il y avait une erreur dans la disposition légale sur laquelle elle était fondée. Par une décision du 14 mars 2007 l’Audiencia Provincial fixa la tenue de l’audience relative à la procédure pénale à l’encontre des requérants pour le 22 mars 2007. Lors de cette audience, au cours de laquelle les requérants ne furent pas entendus, le troisième requérant souleva une exception préliminaire au motif que sa demande de récusation se trouvait toujours pendante. L’Audiencia Provincial rejeta cette prétention et se prononça sur le fond du recours d’appel. Sans avoir administré de nouvelles preuves, l’Audiencia Provincial de Malaga rendit un arrêt le 25 avril 2007 condamnant les requérants à une peine de douze mois de prison et à l’interdiction d’exercer en tant que conseillers municipaux pendant huit ans, pour un délit contre l’aménagement du territoire dans sa modalité de corruption urbanistique. La peine fut réduite en raison de la durée excessive de la procédure. L’Audiencia expliqua que les permis de construire litigieux étaient contraires à plusieurs instruments législatifs, à savoir la loi générale du sol de 1992 (Ley sobre el Régimen del Suelo y Ordenación Urbana) et la loi andalouse du sol et de l’aménagement du territoire de 1997. Ils enfreignaient également de nombreux règlements dont celui sur la discipline urbanistique. Par ailleurs, l’Audiencia trouva également que le plan général sur l’aménagement du territoire de la ville de Marbella de 1986 était applicable. Après avoir modifié partiellement les faits déclarés prouvés par le juge a quo, l’Audiencia rappela la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et signala que l’annulation d’un jugement absolutoire n’impliquait pas une atteinte aux droits fondamentaux lorsque, comme en l’espèce, l’annulation était fondée sur une question de droit, à savoir une erreur présumée dans l’appréciation ou la qualification juridique du résultat des preuves administrées en première instance, ledit résultat demeurant inchangé. S’agissant plus particulièrement des arguments utilisés par le juge pénal no 2 de Malaga pour parvenir à sa conclusion, la cour d’appel considéra qu’il était nécessaire d’approfondir la question de la « confusion normative ». À cet égard, l’Audiencia considéra que celle-ci avait été provoquée par les propres membres de la municipalité, les requérants ne pouvant dès lors invoquer leur méconnaissance de l’illégalité des permis de construire. En effet, ils faisaient partie de la commission du gouvernement de la ville de Marbella et étaient donc censés connaître cette illégalité. S’agissant des moyens de preuve administrés lors de l’audience publique devant le juge pénal, à savoir les documents et les dépositions des accusés et des témoins, l’Audiencia signala qu’il ne lui appartenait pas de se pencher sur leur crédibilité mais qu’il lui était impossible d’accepter que les conseillers municipaux ne fussent pas au courant de certaines informations relatives aux activités urbanistiques de la ville. Parallèlement, par deux jugements du 14 juin et 9 juillet 2007, le Tribunal supérieur de justice d’Andalousie rejeta les demandes de responsabilité civile interjetées par les deuxième et troisième requérants contre les deux magistrates visées comme étant manifestement mal fondées. En particulier, il releva que le comportement critiqué ne révélait aucun indice de négligence et que les requérants se limitaient à contester l’interprétation effectuée des questions juridiques soulevées, laquelle, en l’espèce, ne pouvait être qualifiée de déraisonnable ou arbitraire. Invoquant les articles 24 §§ 1 et 2 (droit à un procès équitable, au juge impartial, à la présomption d’innocence) et 25 (principe de légalité pénale) de la Constitution, les requérants formèrent un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. D’une part, les requérants se plaignirent de l’absence d’administration de preuves devant l’Audiencia Provincial. D’autre part, ils estimèrent que leur condamnation portait atteinte au principe de la présomption d’innocence. Ils contestèrent en outre l’impartialité de deux magistrates de l’Audiencia. Finalement, les requérants se plaignirent que la juridiction d’appel n’avait pas suffisamment spécifié la réglementation urbanistique applicable au cas d’espèce, portant ainsi atteinte au principe de légalité pénale. Pour ce qui est du premier requérant, par une décision du 27 octobre 2008, notifiée le 7 novembre 2008, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable. S’agissant premièrement du prétendu manque d’impartialité de certains des magistrats de l’Audiencia Provincial, la haute juridiction rejeta le grief au motif que le requérant l’avait soulevé tardivement. En ce qui concerne le grief tiré du principe de légalité pénale, le Tribunal signala qu’il faisait référence à l’absence, dans l’arrêt de condamnation, de la législation urbanistique applicable en l’espèce. À cet égard, il considéra que les mentions des différentes normes applicables étaient suffisamment claires et détaillées et remplissaient les exigences de prévisibilité. Le Tribunal constitutionnel examina ensuite les allégations relatives à la présomption d’innocence et conclut à l’existence d’un ensemble d’éléments indiciaires suffisants pour parvenir à la décision de condamnation, laquelle ne pouvait pas être qualifiée d’arbitraire ou déraisonnable. Finalement, la haute juridiction se pencha sur la question du respect du principe d’immédiateté et rappela que l’exigence d’administrer des preuves en appel dépendait des circonstances de chaque affaire et de la nature des questions devant être examinées. Ainsi, elle n’était pas nécessaire lorsque la question relevait exclusivement d’une divergence quant à la qualification juridique des faits déclarés prouvés par la première instance et qui n’avaient pas été modifiés par la juridiction d’appel. Dans ces cas, la question pouvait être résolue sur la base du dossier. Le Tribunal constitutionnel releva qu’il était question en l’espèce d’un changement dans l’inférence que l’Audiencia Provincial avait effectué des mêmes faits déclarés prouvés par le juge pénal, sur la base d’une déduction conforme à des règles de logique et d’expérience. Le contact direct avec les différentes parties n’aurait rien apporté en termes de garanties constitutionnelles supplémentaires. En outre, la haute juridiction signala qu’à la différence des affirmations du requérant, sa condamnation ne s’était pas fondée sur les déclarations des témoins mais sur la pondération juridique entre la législation urbanistique applicable et l’appréciation des preuves documentaires présentes dans le dossier. Au demeurant, elle considéra que la modification des faits était mineure et n’avait pas impliqué un changement substantiel du sens du récit déclaré prouvé en première instance. Par une décision notifiée le 11 février 2009, le Tribunal constitutionnel déclara le recours des deuxième et troisième requérants irrecevable au motif qu’ils n’en avaient pas suffisamment justifié la pertinence constitutionnelle. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Constitution Article 24 « 1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre. » (...) B. Code pénal Article 320 « 1. L’autorité ou fonctionnaire public qui, consciemment, informe favorablement [sur] des projets de construction ou [sur] la concession de permis contraires au règles d’urbanisme en vigueur sera puni avec la peine établie à l’article 404 de ce code ainsi qu’à [une peine de] six mois à deux ans de prison ou une amende de douze à vingtquatre mois ». Article 404 « L’autorité ou fonctionnaire public qui, consciemment, rend une décision administrative arbitraire sera puni avec une peine d’interdiction spéciale d’exercer des fonctions publiques pour une durée de sept à dix ans ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Lors de l’introduction de leurs requêtes, les requérants purgeaient des peines de réclusion dans les établissements pénitentiaires de Busto Arsizio ou de Piacenza. A. Les conditions de détention dénoncées par les requérants Les requérants détenus à la prison de Busto Arsizio (requêtes nos 43517/09, 46882/09 et 55400/09) M. Torreggiani (requête no 43517/09) fut détenu à la prison de Busto Arsizio du 13 novembre 2006 au 7 mars 2011, M. Bamba (requête no 46882/09) du 20 mars 2008 au 23 juin 2011 et M. Biondi (requête no 55400/09) du 29 juin 2009 au 21 juin 2011. Chacun d’entre eux occupait une cellule de 9 m² avec deux autres personnes, et disposait donc d’un espace personnel de 3 m². Dans leurs requêtes, les requérants soutenaient en outre que l’accès à la douche à la prison de Busto Arsizio était limité en raison de la pénurie d’eau chaude dans l’établissement. Les requérants détenus à la prison de Piacenza (requêtes nos 57875/09, 35315/10, 37818/10 et 61535/09) M. Sela (requête no 57875/09) fut détenu à Piacenza du 14 février 2009 au 19 avril 2010, M. El Haili (requête no 35315/10) du 15 février 2008 au 8 juillet 2010 et M. Hajjoubi (requête no 37818/10) du 19 octobre 2009 au 30 mars 2011. M. Ghisoni (requête no 61535/09), incarcéré le 13 septembre 2007, est toujours détenu dans cet établissement. Les quatre requérants affirment avoir occupé des cellules de 9 m² avec deux autres détenus. Ils dénoncent également un manque d’eau chaude dans l’établissement, qui les aurait empêchés pendant plusieurs mois de faire usage régulièrement de la douche, et un éclairage insuffisant des cellules en raison des barreaux métalliques apposés aux fenêtres. Selon le Gouvernement, les cellules occupées à Piacenza par les requérants ont une superficie de 11 m². B. Les ordonnances du tribunal d’application des peines de Reggio Emilia Le 10 avril 2010, M. Ghisoni (no 61535/09) et deux autres détenus à la prison de Piacenza saisirent le juge d’application des peines de Reggio Emilia, soutenant que leurs conditions de détention étaient médiocres en raison du surpeuplement dans la prison de Piacenza et dénonçant une violation du principe de l’égalité de traitement entre les détenus, garanti par l’article 3 de la loi no 354 de 1975 sur l’administration pénitentiaire. Par des ordonnances des 16, 20 et 24 août 2010, le magistrat accueillit les réclamations du requérant et de ses codétenus. Il observa que les intéressés occupaient des cellules qui avaient été conçues pour un seul détenu et qui, en raison de la situation de surpeuplement dans la prison de Piacenza, accueillaient alors chacune trois personnes. Le magistrat constata que la quasi-totalité des cellules de l’établissement avaient une superficie de 9 m² et qu’au cours de l’année 2010, l’établissement avait hébergé entre 411 et 415 personnes, alors qu’il était prévu pour accueillir 178 détenus, pour une capacité maximale tolérable (capienza tollerabile) de 376 personnes. Faisant référence à l’arrêt Sulejmanovic c. Italie (no 22635/03, 16 juillet 2009) et aux principes de jurisprudence concernant la compatibilité entre les conditions de détention et le respect des droits garantis par l’article 3 de la Convention, le juge d’application des peines conclut que les réclamants étaient exposés à des traitements inhumains du fait qu’ils devaient partager avec deux autres détenus des cellules exigües, et faisaient l’objet d’une discrimination par rapport aux détenus partageant le même type de cellule avec une seule personne. Le magistrat transmit ainsi les réclamations du requérant et des autres détenus à la direction de la prison de Piacenza, au ministère de la Justice et à l’administration pénitentiaire compétente, afin que chacun puisse adopter d’urgence les mesures adéquates dans le cadre de ses compétences. En février 2011, M. Ghisoni fut transféré dans une cellule conçue pour deux personnes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi sur l’administration pénitentiaire L’article 6 de la loi no 354 du 26 juillet 1975 (« la loi sur l’administration pénitentiaire »), se lit comme suit : « Les locaux dans lesquels se déroule la vie des détenus doivent être suffisamment spacieux et éclairés par la lumière naturelle ou artificielle de manière à permettre le travail et la lecture ; [ils doivent être] aérés, chauffés lorsque les conditions climatiques l’exigent et équipés de services sanitaires privés, décents et de type rationnel. [Ils] doivent être entretenus et nettoyés correctement. Les locaux où les prisonniers passent la nuit sont des cellules individuelles ou collectives. Un soin particulier doit présider au choix des personnes qui sont placées dans des cellules collectives. Les personnes en détention provisoire doivent pouvoir bénéficier d’un séjour en cellule individuelle à moins que la situation particulière de l’établissement ne le permette pas. Chaque détenu (...) dispose du linge de lit nécessaire. » Aux termes de l’article 35 de la loi no 354 de 1975, les détenus peuvent adresser des demandes ou des réclamations orales ou écrites, même sous pli scellé, au juge de l’application des peines ; au directeur de l’établissement pénitentiaire, ainsi qu’aux inspecteurs, au directeur général des instituts de détention et de prévention et au ministre de la Justice ; aux autorités judiciaires et sanitaires qui visitent l’institut ; au président du Conseil régional et au chef de l’État. Selon l’article 69 de cette même loi, le juge d’application des peines est compétent pour contrôler l’organisation des instituts de prévention et de détention et pour communiquer au ministre (de la Justice) les besoins des différents services, notamment en ce qui concerne la mise en place du programme de rééducation des personnes détenues (alinéa 1). Il veille également à ce que la surveillance des prévenus soit exercée en conformité avec les lois et les règlements (alinéa 2). Par ailleurs, il a le pouvoir de prescrire des dispositions visant à éliminer d’éventuelles violations des droits des personnes condamnées et internées (alinéa 5). Le juge statue sur la réclamation par une ordonnance, contre laquelle l’intéressé peut se pourvoir en cassation. B. Jurisprudence interne relative à la possibilité pour les détenus de solliciter l’octroi d’une réparation en cas de mauvaises conditions de détention Par l’ordonnance no 17 du 9 juin 2011, le juge d’application des peines de Lecce accueillit la réclamation d’A.S., un détenu se plaignant de ses conditions de détention, inhumaines, en raison du surpeuplement régnant à la prison de Lecce. L’intéressé avait également demandé une indemnisation pour le préjudice moral subi. Le juge constata que le requérant avait partagé avec deux autres personnes une cellule mal chauffée et dépourvue d’eau chaude, qui mesurait 11,5 m² toilettes comprises. En outre, le lit occupé par A.S. était à seulement 50 centimètres du plafond. Le requérant était obligé de passer 19 heures et demie par jour sur son lit en raison de l’absence d’activités sociales organisées à l’extérieur de la cellule. Par son ordonnance, le juge d’application des peines estima que les conditions de détention de l’intéressé étaient contraires à la dignité humaine et qu’elles emportaient violation tant de la loi italienne sur l’administration pénitentiaire que des normes fixées par le CPT du Conseil de l’Europe et par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En outre, pour la première fois en Italie, il décida que l’administration pénitentiaire devait indemniser le détenu à hauteur de 220 EUR pour le préjudice « existentiel » (danno esistenziale) découlant de la détention. Le 30 septembre 2011, le ministère de la Justice se pourvut en cassation contre l’ordonnance du juge d’application des peines, soulevant notamment l’incompétence de ce juge en matière d’indemnisation des détenus. Par un arrêt du 5 juin 2012, la Cour de cassation déclara le recours de l’administration irrecevable pour tardiveté, étant donné qu’il avait été introduit au-delà du délai de 10 jours prévu par les dispositions légales pertinentes. Par conséquent, l’ordonnance du juge d’application des peines acquit l’autorité de la chose jugée. Cette jurisprudence du juge d’application des peines de Lecce, reconnaissant aux détenus une indemnisation pour le préjudice existentiel découlant des conditions de détention, est restée isolée en Italie. D’autres juges d’application des peines ont en effet considéré qu’il n’entrait pas dans leurs prérogatives de condamner l’administration à dédommager les détenus pour le préjudice subi pendant la détention (voir, en ce sens, par exemple, les ordonnances des juges d’application des peines d’Udine et de Vercelli des 24 décembre 2011 et 18 avril 2012 respectivement). III. MESURES PRISES PAR L’ETAT POUR REMÉDIER AU PROBLÈME DU SURPEUPLEMENT CARCÉRAL En 2010, il y avait 67 961 personnes détenues dans les 206 prisons italiennes, pour une capacité maximale prévue de 45 000 personnes. Le taux national de surpeuplement était de 151 %. Par un décret du 13 janvier 2010, le président du Conseil des ministres déclara l’état d’urgence au niveau national pour une durée d’un an en raison du surpeuplement dans les établissements pénitentiaires italiens. Par l’ordonnance no 3861 du 19 mars 2010, intitulée « Dispositions urgentes de protection civile du fait du surpeuplement carcéral », le président du Conseil des ministres nomma un Commissaire délégué au ministère de la Justice chargé d’élaborer un plan d’intervention pour les prisons (« Piano carceri »). Le 29 juin 2010, un Comité constitué du ministre de la Justice, du ministre des Infrastructures économiques et du chef du département de la Protection civile approuva le plan d’intervention présenté par le Commissaire délégué. Ledit plan prévoyait tout d’abord la construction de 11 nouveaux établissements pénitentiaires et de 20 annexes aux établissements déjà existants, ce qui impliquait la création de 9 150 places de détention supplémentaires et le recrutement de 2 000 nouveaux agents de police pénitentiaire. Le délai pour la fin des travaux de construction était fixé au 31 décembre 2012. En outre, par la loi no 199 du 26 novembre 2010 furent adoptées des dispositions extraordinaires en matière d’exécution des peines. Ladite loi prévoit notamment que les peines de détention inférieures à douze mois, même si elles représentent des fractions de peines plus sévères restant à exécuter, peuvent être purgées au domicile de la personne condamnée ou dans un autre lieu d’accueil, public ou privé, hormis pour certaines exceptions liées à la gravité des délits. Cette loi restera en vigueur le temps nécessaire pour la mise en œuvre du plan d’intervention pour les prisons mais en aucun cas au-delà du 31 décembre 2013. L’état d’urgence au niveau national, initialement déclaré jusqu’au 31 décembre 2010, a été prorogé à deux reprises. Il est actuellement en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012. A la date du 13 avril 2012, les prisons italiennes accueillaient 66 585 détenus, soit un taux de surpeuplement de 148 %. 42 % des détenus sont en attente d’être jugés et sont placés en détention provisoire. IV. TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS Les parties pertinentes des rapports généraux du Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants (« CPT ») se lisent ainsi : Deuxième rapport général (CPT/Inf (92) 3) : « 46. La question du surpeuplement relève directement du mandat du CPT. Tous les services et activités à l’intérieur d’une prison seront touchés si elle doit prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a été prévue. La qualité générale de la vie dans l’établissement s’en ressentira, et peut-être dans une mesure significative. De plus, le degré de surpeuplement d’une prison, ou dans une partie de celle-ci, peut être tel qu’il constitue, à lui seul, un traitement inhumain ou dégradant. Un programme satisfaisant d’activités (travail, enseignement et sport) revêt une importance capitale pour le bien-être des prisonniers. Cela est valable pour tous les établissements, qu’ils soient d’exécution des peines ou de détention provisoire. Le CPT a relevé que les activités dans beaucoup de prisons de détention provisoire sont extrêmement limitées. L’organisation de programmes d’activités dans de tels établissements, qui connaissent une rotation assez rapide des détenus, n’est pas matière aisée. Il ne peut, à l’évidence, être question de programmes de traitement individualisé du type de ceux que l’on pourrait attendre d’un établissement d’exécution des peines. Toutefois, les prisonniers ne peuvent être simplement laissés à leur sort, à languir pendant des semaines, parfois des mois, confinés dans leur cellule, quand bien même les conditions matérielles seraient bonnes. Le CPT considère que l’objectif devrait être d’assurer que les détenus dans les établissements de détention provisoire soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée. Dans les établissements pour prisonniers condamnés, évidemment, les régimes devraient être d’un niveau encore plus élevé. L’exercice en plein air demande une mention spécifique. L’exigence d’après laquelle les prisonniers doivent être autorisés chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air, est largement admise comme une garantie fondamentale (de préférence, elle devrait faire partie intégrante d’un programme plus étendu d’activités). Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception (y compris ceux soumis à un isolement cellulaire à titre de sanction) devraient bénéficier quotidiennement d’un exercice en plein air. Il est également évident que les aires d’exercice extérieures devraient être raisonnablement spacieuses et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempéries. L’accès, au moment voulu, à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain. A cet égard, le CPT doit souligner qu’il n’apprécie pas la pratique, constatée dans certains pays, de prisonniers devant satisfaire leurs besoins naturels en utilisant des seaux dans leur cellule, lesquels sont, par la suite, vidés à heures fixes. Ou bien une toilette devrait être installée dans les locaux cellulaires (de préférence dans une annexe sanitaire), ou bien des moyens devraient être mis en œuvre qui permettraient aux prisonniers de sortir de leur cellule à tout moment (y compris la nuit) pour se rendre aux toilettes, sans délai indu. Les prisonniers devraient aussi avoir un accès régulier aux douches ou aux bains. De plus, il est souhaitable que les locaux cellulaires soient équipés de l’eau courante. Le CPT souhaite ajouter qu’il est particulièrement préoccupé lorsqu’il constate dans un même établissement une combinaison de surpeuplement, de régimes pauvres en activités et d’un accès inadéquat aux toilettes ou locaux sanitaires. L’effet cumulé de telles conditions peut s’avérer extrêmement néfaste pour les prisonniers. » Septième rapport général (CPT/Inf (97) 10) « 13. Ainsi que le CPT l’a souligné dans son , la question du surpeuplement relève directement du mandat du Comité (cf. CPT/Inf (92) 3, paragraphe 46). Une prison surpeuplée signifie, pour le détenu, être à l’étroit dans des espaces resserrés et insalubres ; une absence constante d’intimité (cela même lorsqu’il s’agit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activités hors cellule limitées à cause d’une demande qui dépasse le personnel et les infrastructures disponibles ; des services de santé surchargés ; une tension accrue et, partant, plus de violence entre détenus comme entre détenus et personnel. Cette énumération est loin d’être exhaustive. A plus d’une reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes du surpeuplement avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes. » Le 30 septembre 1999, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta la Recommandation Rec(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Ladite recommandation établit en particulier ce qui suit : « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, Considérant que le surpeuplement des prisons et la croissance de la population carcérale constituent un défi majeur pour les administrations pénitentiaires et l’ensemble du système de justice pénale sous l’angle tant des droits de l’homme que de la gestion efficace des établissements pénitentiaires ; Considérant que la gestion efficace de la population carcérale est subordonnée à certaines circonstances telles que la situation globale de la criminalité, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, l’éventail des peines prévues par les textes législatifs, la sévérité des peines prononcées, la fréquence du recours aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté, l’usage de la détention provisoire, l’efficience et l’efficacité des organes de la justice pénale et, en particulier, l’attitude du public vis-à-vis de la criminalité et de sa répression ; (...) Recommande aux gouvernements des Etats membres : - de prendre toutes les mesures appropriées, lorsqu’ils revoient leur législation et leur pratique relatives au surpeuplement des prisons et à l’inflation carcérale, en vue d’appliquer les principes énoncés dans l’Annexe à la présente Recommandation ; Annexe à la Recommandation no R (99) 22 I. Principes de base La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate. L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement. Les pays dont la capacité carcérale pourrait être globalement suffisante mais mal adaptée aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir à une répartition plus rationnelle de cette capacité. Il convient de prévoir un ensemble approprié de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, éventuellement graduées en termes de sévérité ; il y a lieu d’inciter les procureurs et les juges à y recourir aussi largement que possible. Les États membres devraient examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté. Afin de concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, une analyse détaillée des principaux facteurs contribuant à ces phénomènes devrait être menée. Une telle analyse devrait porter, notamment, sur les catégories d’infractions susceptibles d’entraîner de longues peines de prison, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, les attitudes et préoccupations du public ainsi que les pratiques existantes en matière de prononcé des peines. (...) III. Mesures à mettre en œuvre avant le procès pénal Éviter l’action pénale – Réduire le recours à la détention provisoire Des mesures appropriées devraient être prises en vue de l’application intégrale des principes énoncés dans la Recommandation no (87) 18 concernant la simplification de la justice pénale, ce qui implique, en particulier, que les États membres, tout en tenant compte de leurs principes constitutionnels ou de leur tradition juridique propres, appliquent le principe de l’opportunité des poursuites (ou des mesures ayant le même objectif) et recourent aux procédures simplifiées et aux transactions en tant qu’alternatives aux poursuites dans les cas appropriés, en vue d’éviter une procédure pénale complète. L’application de la détention provisoire et sa durée devraient être réduites au minimum compatible avec les intérêts de la justice. Les États membres devraient, à cet effet, s’assurer que leur législation et leur pratique sont conformes aux dispositions pertinentes de la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la jurisprudence de ses organes de contrôle et se laisser guider par les principes énoncés dans la Recommandation no R (80) 11 concernant la détention provisoire s’agissant, en particulier, des motifs permettant d’ordonner la mise en détention provisoire. Il convient de faire un usage aussi large que possible des alternatives à la détention provisoire, telles que l’obligation, pour le suspect, de résider à une adresse spécifiée, l’interdiction de quitter ou de gagner un lieu déterminé sans autorisation, la mise en liberté sous caution, ou le contrôle et le soutien d’un organisme spécifié par l’autorité judiciaire. A cet égard, il convient d’être attentif aux possibilités de contrôler au moyen de systèmes de surveillance électroniques l’obligation de demeurer dans un lieu stipulé. Il s’impose, pour soutenir le recours efficace et humain à la détention provisoire, de dégager les ressources financières et humaines nécessaires et, le cas échéant, de mettre au point les moyens procéduraux et les techniques de gestion appropriés. (...) V. Mesures à mettre en œuvre au-delà du procès pénal La mise en œuvre des sanctions et mesures appliquées dans la communauté – L’exécution des peines privatives de liberté Pour faire des sanctions et des mesures appliquées dans la communauté des alternatives crédibles aux peines d’emprisonnement de courte durée, il convient d’assurer leur mise en œuvre efficiente, notamment : – en mettant en place l’infrastructure requise pour l’exécution et le suivi de ces sanctions communautaires, en particulier en vue de rassurer les juges et les procureurs sur leur efficacité ; – en mettant au point et en appliquant des techniques fiables de prévision et d’évaluation des risques ainsi que des stratégies de supervision, afin d’identifier le risque de récidive du délinquant et de garantir la protection et la sécurité du public. Il conviendrait de favoriser le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées, telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du surpeuplement carcéral (grâces collectives, amnisties). La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté. Il faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle, créer dans la communauté les meilleures conditions de soutien et d’aide au délinquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d’amener les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette mesure comme une option valable et responsable. Des programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrôle et de traitement au-delà de la libération devraient être conçus et mis en œuvre de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer la sécurité et la protection du public et à inciter les juges et procureurs à considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, comme des options constructives et responsables. » La deuxième partie de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006, lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres) est dédiée aux conditions de détention. Dans ses passages pertinents en l’espèce, elle se lit comme suit : « 18.1 Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération. 2 Dans tous les bâtiments où des détenus sont appelés à vivre, à travailler ou à se réunir : a. les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrée d’air frais, sauf s’il existe un système de climatisation approprié ; b. la lumière artificielle doit être conforme aux normes techniques reconnues en la matière ; et c. un système d’alarme doit permettre aux détenus de contacter le personnel immédiatement. 3 Le droit interne doit définir les conditions minimales requises concernant les points répertoriés aux paragraphes 1 et 2. 4 Le droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral. 5 Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus. 6 Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter. 7 Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit. 8 La décision de placer un détenu dans une prison ou une partie de prison particulière doit tenir compte de la nécessité de séparer : a. les prévenus des détenus condamnés ; b. les détenus de sexe masculin des détenus de sexe féminin ; et c. les jeunes détenus adultes des détenus plus âgés. 9 Il peut être dérogé aux dispositions du paragraphe 8 en matière de séparation des détenus afin de permettre à ces derniers de participer ensemble à des activités organisées. Cependant les groupes visés doivent toujours être séparés la nuit, à moins que les intéressés ne consentent à cohabiter et que les autorités pénitentiaires estiment que cette mesure s’inscrit dans l’intérêt de tous les détenus concernés. 10 Les conditions de logement des détenus doivent satisfaire aux mesures de sécurité les moins restrictives possible et compatibles avec le risque que les intéressés s’évadent, se blessent ou blessent d’autres personnes. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1981 et réside à Antalya. En 1995, il entra dans un lycée professionnel de communication. A ses dires, son intention était de faire, après avoir obtenu son baccalauréat, des études universitaires en sciences de la communication et d’embrasser ensuite la profession de journaliste. A cette époque, les bacheliers issus de lycées professionnels pouvaient s’orienter, après avoir concouru à égalité avec les bacheliers issus des lycées d’enseignement général, vers des programmes de licence universitaire d’une durée de quatre ans au sein de facultés des sciences de la communication. Les étudiants diplômés de ces facultés étaient généralement destinés à occuper des postes à responsabilités dans les médias. Le 30 juillet 1998, alors que le requérant débutait sa dernière année scolaire au sein de son lycée professionnel, le Conseil de l’enseignement supérieur (Yüksek Öğretim Kurulu – « le conseil ») émit une circulaire, fondée sur la loi no 2547, mettant en place un nouveau système qui modifiait les règles d’admission à l’université et, notamment, le concours national d’accès à l’enseignement supérieur (Öğrenci Seçme Sınavı – ÖSS). En ce qui concernait le concours d’entrée dans les facultés des sciences de la communication, la note finale se composait des notes obtenues aux épreuves du concours à un taux de 79 % et de la moyenne des notes obtenues au lycée, à un taux de 21 %. Le nouveau système appliquait à la moyenne obtenue au lycée un coefficient de 0,5 pour les bacheliers issus des lycées d’enseignement général et ayant acquis des connaissances dans les domaines qui, selon la circulaire, concordaient avec les matières enseignées dans les facultés des sciences de la communication, et un coefficient de 0,2 pour les bacheliers issus des lycées professionnels de communication et ayant acquis des connaissances dans des matières « qui ne concordaient pas » avec celles enseignées dans les facultés en question. Le requérant estimait que l’application d’un coefficient de pondération à la moyenne des notes entrant dans le calcul des résultats du concours favorisait les bacheliers issus des lycées d’enseignement général par rapport aux bacheliers issus des lycées professionnels de communication. D’après lui, le nouveau système de sélection orientait les bacheliers des lycées professionnels de communication plutôt vers les programmes de formation à vocation technique sur deux ans au sein d’écoles professionnelles supérieures (Meslek Yüksek Okulu), dont les diplômés ne pouvaient prétendre en principe à des postes à responsabilités dans les médias. Le requérant demanda alors l’autorisation de quitter le lycée professionnel dans lequel il était inscrit pour suivre, à distance, le programme des lycées d’enseignement général (açık öğretim lisesi) en vue de l’obtention d’un baccalauréat général. Sa demande fut rejetée par le ministère de l’Education nationale au motif que la législation n’autorisait pas le passage des élèves scolarisés dans un lycée professionnel ou technique à un lycée d’enseignement général. Le 6 juin 1999, le requérant, titulaire du baccalauréat, passa les épreuves du concours national d’accès à l’enseignement supérieur. Le 6 septembre 1999, il obtint ses résultats, qui ne lui permettaient pas d’intégrer une faculté des sciences de la communication. Il calcula que, sans l’application du coefficient de 0,2 à la moyenne de ses notes du lycée et, partant, sans les modifications apportées par le nouveau système, le nombre de points qu’il avait obtenu au concours aurait été suffisant pour qu’il fût autorisé à s’inscrire à la faculté des sciences de la communication de son choix. Le 20 septembre 1999, l’intéressé exerça un recours en annulation devant le Conseil d’État. Il invoqua notamment le principe de l’égalité entre les titulaires des différents baccalauréats, et dénonça le caractère imprévisible des modifications apportées par la réforme instaurée au cours de son année en classe de terminale de lycée ainsi que l’absence de toute période transitoire ou clause de rétroactivité. Le procureur près le Conseil d’État invita la chambre concernée du Conseil d’État à annuler les clauses concernant la mise en application de la circulaire du 30 juillet 1998. Il soutenait que la mise en œuvre immédiate des nouvelles règles d’orientation professionnelle et l’absence d’une période transitoire avaient affecté défavorablement les élèves des lycées professionnels. Selon le procureur, l’administration aurait dû prévoir des mesures transitoires afin de protéger ces élèves, qui avaient fait le choix de leur orientation avant les nouvelles mesures, et elle aurait dû mettre à profit ce délai pour mieux informer les élèves sur les différentes possibilités d’orientation professionnelle. Le 1er mai 2001, la 8e chambre du Conseil d’État rejeta le recours du requérant. Elle exposa en premier lieu que le changement introduit à partir de l’année scolaire 1998-1999 procurait, en matière d’entrée à l’université, un avantage aux élèves qui s’orientaient vers une formation universitaire dans un domaine en continuité avec leurs études de lycée. Elle considéra que le nouveau système tenait compte des changements dans les conditions économiques et sociales de la société, auxquels répondrait par exemple la nouvelle exigence de bons résultats en mathématiques et en littérature pour les études en droit, en gestion publique et en sciences politiques ou sociales. Quant à l’absence d’une période transitoire, la 8e chambre du Conseil d’État estima que la mise en œuvre immédiate des nouvelles dispositions avait pour but un traitement égalitaire des élèves et une prompte amélioration du niveau des études dans l’enseignement supérieur. Elle ajouta que le ministère de l’Education nationale avait octroyé aux élèves concernés, à titre de mesure transitoire, la possibilité d’intégrer en cours d’année un lycée correspondant mieux à leur orientation. Par arrêt du 20 novembre 2003, notifié au requérant le 25 février 2004, les chambres réunies du Conseil d’État, faisant leurs les arguments de la 8e chambre, rejeta le pourvoi formé par le requérant. Entre temps, à partir de la rentrée 2000-2001, alors que le requérant avait terminé ses études secondaires depuis plus d’un an, le Conseil de l’enseignement supérieur mit en place la possibilité de passer, sous certaines conditions, d’un lycée professionnel à un lycée d’enseignement général, le conseil ayant reconnu que l’absence de mesures transitoires avait des conséquences défavorables pour les élèves des lycées professionnels. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS L’article 42 de la Constitution turque dispose que nul ne peut être privé de son droit à l’éducation ou à l’instruction. Aux termes de l’article 10 de la loi de 1981 sur l’enseignement supérieur (loi no 2547), le centre de sélection et de placement des étudiants (ÖSYM) est un organisme qui, dans le cadre des principes établis par le Conseil de l’enseignement supérieur et aux fins de la sélection des candidats à l’enseignement supérieur, prépare des tests, les administre, en évalue les résultats et, en fonction des préférences exprimées par les candidats reçus, procède à leur admission dans les universités et autres établissements d’enseignement supérieur. L’article 45 de la loi no 2547 de 1982 sur la réforme de l’enseignement supérieur, en ses parties pertinentes en l’espèce, dispose : « Les étudiants sont admis dans les établissements d’enseignement supérieur après avoir réussi un concours dont les principes sont déterminés par le Conseil de l’enseignement supérieur. Il est tenu compte, dans l’évaluation des résultats du concours, de la moyenne des notes obtenues par les intéressés au lycée (...) » A l’époque des faits, dans les lycées professionnels de communication, l’enseignement des matières fondamentales comme les mathématiques, les sciences techniques (physique, chimie, biologie) ou les sciences sociales (philosophie, littérature, histoire, géographie) avait diminué progressivement jusqu’à disparaître du programme des deux dernières années. Ces établissements procuraient à leurs élèves, notamment dans les deux dernières années du cycle, un programme comprenant des cours sur les divers aspects du journalisme et présentant de grandes ressemblances, tant du point de vue du libellé des cours que de leur contenu, avec les programmes dispensés en première année dans les facultés des sciences de la communication. Dans l’annexe à sa recommandation no R (98) 3 aux États membres sur l’accès à l’enseignement supérieur, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe recommande ce qui suit aux gouvernements et aux établissements d’enseignement supérieur : « 4. Buts et objectifs (...) 1. Toute personne capable et désireuse de poursuivre avec succès des études supérieures devrait pouvoir le faire dans des conditions d’équité et d’égalité. (...) Admissions (...) 1. Les critères et procédures d’admission devraient tenir compte des différences d’antécédents et de culture des candidats, et viser à accepter tous ceux qui sont susceptibles de tirer profit d’études supérieures. 2. La gamme des voies d’accès devrait être élargie en étendant les critères d’admission à d’autres possibilités que celle, classique, du diplôme de fin d’études secondaires. Il conviendrait en particulier : – de reconnaître la formation professionnelle de haut niveau comme une préparation appropriée à l’enseignement supérieur ; – de tenir dûment compte des acquis professionnels ; – de donner aux candidats ayant un bon bagage général mais des lacunes dans certains domaines la possibilité de suivre des cours de rattrapage dans l’enseignement supérieur ou postscolaire. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est un ressortissant burkinabé, né en 1975 et résidant à Genève. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le 2 mai 2005, le requérant fut approché par deux gendarmes pour un contrôle d’identité alors qu’il attendait un ami sur le site d’Artamis, à Genève. Il allègue avoir subi, lors de ce contrôle, de mauvais traitements physiques ainsi que des injures à caractère raciste et des menaces de mort. Alors même qu’il aurait obtempéré aux demandes des gendarmes en présentant ses papiers d’identité, ces derniers lui auraient enjoint de se coucher par terre et, face à son refus, auraient commencé à le frapper avec leurs matraques, dont l’une se brisa. En tentant de s’éloigner, le requérant aurait été rattrapé par l’un des gendarmes qui l’aurait saisi au cou provoquant sa chute. Le gendarme l’aurait ensuite maintenu au sol en l’étranglant, en le menaçant de mort et en proférant des injures à caractère raciste, tandis que son collègue aurait continué à le frapper. Afin de faire lâcher prise au gendarme qui l’immobilisait, le requérant lui aurait mordu l’avant-bras. Les deux gendarmes auraient finalement réussi à menotter le requérant et à l’embarquer dans leur voiture de service, rejoints, entre-temps, par d’autres gendarmes. Pendant le transport au poste de police, l’un des gendarmes aurait continué à frapper le requérant, notamment en lui tapant fortement la tête contre une vitre de la voiture, et à proférer des insultes à caractère raciste à son encontre. Les coups et les injures auraient continué même après l’arrivée au poste de police. Après que le requérant se fut plaint de douleurs à l’épaule, il fut emmené à l’Hôpital Universitaire de Genève où il fut examiné par un médecin urgentiste. Un constat médical daté du 4 mai 2005 indique que, lors de la consultation du 2 mai 2005, le requérant avait fait état de violences policières subies lors d’un contrôle d’identité et s’était plaint « de douleurs et d’une impotence de l’épaule droite ». Le constat relève une fracture distale de la clavicule droite mais ne fait référence à aucun autre type de blessure ou contusions sur aucune autre partie du corps. Une copie de ce même certificat, réédité le 30 mars 2009 à la demande de la juge d’instruction saisie de l’enquête visant les deux gendarmes (voir paragraphes 22-25 ci-dessous), fait également état d’une dermabrasion sur la face postérieure de l’épaule droite. Lors de son retour au poste de police, le requérant fut interrogé, sans la présence d’un avocat. Les deux gendarmes qui avaient procédé à l’interpellation du requérant portèrent plainte contre lui pour opposition aux actes de l’autorité et lésions corporelles simples. Dans leurs dépositions respectives, qui divergent sensiblement de celle du requérant, ils allèguent que le requérant aurait refusé de présenter ses papiers d’identité, aurait à trois reprises refusé de jeter la cigarette allumée qu’il tenait en main et se serait énervé en vociférant et gesticulant dès que l’un d’entre eux eut saisi la cigarette pour la jeter. Face à cette résistance, l’un des gendarmes aurait tenté d’effectuer un balayage des jambes avec sa matraque ainsi qu’une prise « de transport » au bras du requérant pour l’emmener au véhicule de police. Cette manœuvre, ainsi qu’une deuxième de même nature auraient échoué et le requérant aurait réussi à se dégager. Après plusieurs tentatives, au cours desquelles la matraque de l’un d’entre eux se serait brisée, les deux gendarmes, ensembles, seraient enfin parvenus à maîtriser le requérant. C’est à ce moment-là que celui-ci aurait mordu à l’avant-bras le gendarme qui le plaquait au sol. Le soir du 2 mai 2005, les deux gendarmes furent examinés par un médecin à la clinique de Carouge. Les constats médicaux établis à cette occasion font état de lésions à un bras et au cou pour l’un des gendarmes et d’une plaie superficielle avec réaction inflammatoire à l’avant-bras pour l’autre gendarme. Les blessures occasionnées par l’intervention des gendarmes ont causé un arrêt de travail du requérant, qui était initialement fixé à 21 jours. Le 3 mai 2005, une procédure pénale fut ouverte contre le requérant pour opposition aux actes d’autorité et lésions corporelles simples. Le même jour, le requérant fut entendu par le juge d’instruction, sans l’assistance d’un avocat, et remis en liberté. Le 10 mai 2005, le requérant de son côté porta plainte, pour mauvais traitements, contre les deux gendarmes qui l’avaient interpellé. Le 6 juin 2005, une audience d’instruction eut lieu dans le cadre de la procédure pénale contre le requérant, à laquelle le requérant assista avec son avocat. Par ordonnance du 14 juin 2005, le procureur général ordonna la suspension de la procédure dirigée contre les gendarmes dans l’attente du dénouement de la procédure visant le requérant. En octobre 2005, après cinq mois d’arrêt de travail, le requérant reprit son activité de bagagiste dans l’hôtel où il travaillait. Le 14 décembre 2005 il reçut toutefois une lettre de licenciement faisant expressément référence aux nombreuses absences occasionnées par la dégradation de son état physique suite à l’incident du 2 mai. Le licenciement prit effet au 31 janvier 2006 et le requérant resta sans emploi jusqu’au 6 septembre 2007. Pendant cette période, il perçut régulièrement des indemnités de chômage et bénéficia d’un « placement en emploi temporaire » auprès du Canton de Genève. Le 31 juillet 2006, la juge d’instruction convoqua une audience d’instruction dans le cadre de la procédure contre le requérant pour le 13 septembre 2006. Le 10 août 2006, l’audience du 13 septembre 2006 fut annulée et reportée au 5 octobre 2006. Le 5 octobre 2006, une seconde audience d’instruction eut lieu en présence du requérant et de son avocat, ainsi que des deux gendarmes. Suite à cette audience, le 6 novembre 2006, la juge d’instruction communiqua la procédure contre le requérant au procureur général. Le 11 janvier 2007, le procureur général ordonna la suspension de la procédure contre le requérant, dans l’attente du résultat de la procédure contre les gendarmes sans rouvrir cette deuxième procédure. Par ordonnance du 27 août 2007, le Procureur général classa la procédure contre les gendarmes, faute de preuves suffisantes, se fondant sur les informations récoltées dans le cadre de la procédure contre le requérant. Le 9 janvier 2008, la Chambre d’accusation rejeta le recours formé par le requérant contre la décision de classement du Procureur général. Le 11 février 2008, le requérant saisit le Tribunal fédéral et invoqua une violation des articles 12, 13 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 ainsi que de l’article 3 la Convention. Par arrêt du 27 novembre 2008, le Tribunal fédéral annula l’ordonnance de la Chambre d’accusation en constatant que l’enquête exigée par l’article 3 de la Convention n’avait pas été suffisamment approfondie dans la mesure où les preuves ayant amené au classement de l’enquête étaient insuffisantes. Le Tribunal fédéral ordonna la réouverture de l’enquête estimant qu’il « y avait notamment lieu de contrôler si les médecins ayant constaté la blessure à l’épaule avaient aussi examiné les autres parties du corps. » Le 16 décembre 2008, le Procureur général transmit le dossier à la juge d’instruction, lui demandant de procéder à des compléments d’enquête. Le 12 octobre 2009, en présence du requérant et de son avocat, qui put poser des questions, la juge d’instruction entendit, en qualité de témoin assermenté, le médecin qui avait examiné le requérant à l’Hôpital Universitaire de Genève le 2 mai 2005 et qui avait établi le constat médical. En ce qui concerne la fracture de la clavicule, dont avait été victime le requérant, le médecin déclara que ces fractures étaient le plus souvent dues à des coups reçus perpendiculairement et qu’elles étaient fréquentes chez les adeptes des deux-roues lors de chutes en avant. Il confirma par ailleurs que s’il avait remarqué d’autres blessures, y compris « un œil au beurre noir », ou si le requérant s’était plaint d’autres douleurs, il en aurait fait mention dans le constat. L’infirmier qui avait accueilli le requérant, également entendu en qualité de témoin assermenté, confirma lui aussi que si le requérant s’était plaint de douleurs au dos ou aux jambes, il en aurait informé le médecin et l’aurait indiqué sur le document d’admission à l’hôpital. Une deuxième infirmière fut également entendue le même jour. Les 2 et 12 mars 2010, la juge d’instruction entendit, en qualité de témoins assermentés, respectivement l’épouse et un ami du requérant qui était arrivé sur la scène de l’interpellation au moment où le requérant était déjà dans la voiture de police. La déposition de l’épouse du requérant fait état de blessures diverses au visage, à la tête, au dos et à une jambe, dont il n’y a pas de trace dans le constat médical établi à l’Hôpital Universitaire de Genève. Selon le deuxième témoin, après les faits, le requérant ne se plaignait que de la fracture à la clavicule. Les deux dépositions, recueillies en l’absence du requérant ou de son avocat, sont particulièrement circonstanciées. Enfin, à la demande de l’avocat du requérant, la juge d’instruction ordonna la production des dossiers personnels des deux gendarmes visés par l’enquête, dont il ressortait qu’aucun d’entre eux n’avait jamais fait l’objet de plaintes pour violences ou injures à caractère raciste. Le 28 juillet 2010, la juge d’instruction communiqua la procédure, sans inculpation. Le 22 novembre 2010, le Procureur général classa l’affaire sans suite en constatant que l’instruction complémentaire n’avait pas permis d’établir que le requérant avait subi d’autres lésions que la fracture de la clavicule. Le 4 février 2011, la Chambre d’accusation confirma la décision du Procureur général. Selon elle, les gendarmes avaient agi dans le cadre de leurs prérogatives et usé de la contrainte de manière justifiée et proportionnée. Le comportement du requérant, notamment son opposition au contrôle et le fait qu’il avait mordu l’un des gendarmes, justifiait le recours à la force et la conduite au poste. La fracture de la clavicule était due à une chute du requérant dans la mêlée, d’autres blessures n’ayant pas été constatées lors de l’examen médical à l’hôpital. De surcroît, un gendarme stagiaire présent sur les lieux aurait démenti les insultes et mauvais traitements. Par ailleurs, les autorités judiciaires avaient traité l’affaire sans relâche et n’avaient pas tardé à procéder aux actes d’enquêtes nécessaires. Quant aux autres actes d’instruction sollicités par le requérant, la Chambre d’accusation considéra qu’ils n’étaient pas nécessaires, au vu des éléments dont elle disposait. En particulier, elle ne jugea pas nécessaire une contre-expertise de la matraque brisée. Cet aspect de l’incident avait déjà fait l’objet d’un rapport officiel de la cellule Tactique et Technique d’Intervention de la Police genevoise qui avait conclu à un défaut de fabrication. Pour la Chambre d’accusation, une expertise indépendante était inutile car elle n’aurait pas permis de déterminer le nombre et l’intensité des coups prétendument portés contre le requérant. Le 7 mars 2011, le requérant saisit à nouveau le Tribunal fédéral en invoquant une violation des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants du 10 décembre 1984 et des articles 3, 6 et 13 de la Convention. D’une part, il reprocha à la cour cantonale d’avoir mélangé les faits et le droit et d’avoir établi les faits pertinents de manière arbitraire et/ou manifestement inexacte, notamment en ce qui concerne le prétendu refus du requérant de présenter ses papiers d’identité et les coups qu’il déclarait avoir subi de la part des gendarmes, d’autre part, il contesta, à nouveau, l’immédiateté, la célérité et l’efficacité de l’enquête pénale. Le 14 septembre 2011, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant considérant que l’arrêt de la Chambre d’accusation respectait les garanties de formes, ne mélangeait nullement le fait et le droit et était suffisamment motivé. Le Tribunal fédéral rejeta également le grief selon lequel la cour cantonale n’aurait pas établi l’ensemble des faits pertinents. Selon le Tribunal fédéral, la décision de la Chambre d’accusation était fondée précisément sur les faits attestés par le personnel de l’hôpital. Le Tribunal fédéral fut également d’avis que le requérant se plaignait en vain d’une violation du principe de célérité, les preuves essentielles ayant été administrées sans retard et, même si l’instruction avait connu quelques périodes d’inactivité (du 6 juin 2005 au 5 octobre 2006, puis du 6 novembre 2006 au 27 août 2007), il n’en résultait aucune disparition ou altération des preuves essentielles. Selon le Tribunal fédéral, les investigations complémentaires qu’il avait exigées dans son précédent arrêt du 27 novembre 2008 avaient été effectuées : les dossiers médicaux avaient été produits et le personnel de l’hôpital entendu. Si le requérant n’avait pas pu participer aux auditions de son épouse et de son ami il avait néanmoins pu soulever ses objections dans le cadre de la procédure de recours contre le classement sans suite devant la Chambre d’accusation, ce qui aurait satisfait à son droit d’être entendu. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (rédaction en vigueur en février 2011) Article 14– 3. Actes licites et culpabilité/Actes autorisés par la loi Quiconque agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte de manière licite, même si l’acte est punissable en vertu du présent code ou d’une autre loi. Article 123 - Lésions corporelles simples Celui qui, intentionnellement, aura fait subir à une personne une autre atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Dans les cas de peu de gravité, le juge pourra atténuer la peine (Article 48a). La peine sera une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire et la poursuite aura lieu d’office, [...] Article 181 - Contrainte Celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Article 312 - Abus d’autorité Les membres d’une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, auront abusé des pouvoirs de leur charge, seront punis d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. B. Ancien Code de procédure pénale du Canton de Genève du 29 septembre 1977, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2010 Article 106A - Activité 1 La police judiciaire recherche et signale immédiatement à l’autorité compétente les infractions poursuivies d’office. 2 Elle peut aussi être mise en œuvre par une dénonciation ou par une plainte. 3 Elle procède au contrôle d’identité, à la fouille des personnes, des véhicules et des contenants en conformité de la loi sur la police, du 26 octobre 1957. Article 107 - Recherches et constatations 1 Lorsque la police judiciaire apprend qu’une infraction a été commise, elle procède aux premières recherches. Elle relève les traces de l’infraction et prend toutes les mesures utiles pour la conservation du corps du délit et la découverte de l’auteur. 2 Elle s’assure des pièces à conviction et des objets provenant de l’infraction, qui en sont le produit ou qui ont servi à la commettre. Elle en dresse un inventaire détaillé. 3 Elle entend et l’auteur présumé de l’infraction et les autres personnes, ces dernières à titre de renseignements. Article 107A - Droits de la personne entendue par la police 1 Dans le cadre de ses auditions, la police indique à la personne entendue qu’elle doit se soumettre aux mesures nécessaires au contrôle de son identité. Elle doit porter à sa connaissance sans délai si elle est entendue à titre de renseignements ou d’auteur présumé de l’infraction. 2 Lorsqu’une personne est entendue à titre de renseignements, les articles 46 à 49 sont applicables par analogie. 3 Lorsqu’une personne est entendue comme auteur présumé d’une infraction elle est rendue attentive, sans délai, par la remise d’une copie du présent article dans une langue comprise par elle, à ce : [...] b) qu’elle peut demander à tout moment pendant la durée de son interrogatoire et au moment de quitter les locaux de police à faire l’objet d’un examen médical et qu’un tel examen a également lieu sur demande de la police [...] Article 110A - Visites médicales à la police 1 Toute personne retenue par la police comme auteur présumé d’une infraction peut demander à tout moment pendant la durée de son interrogatoire et au moment de quitter les locaux de police à faire l’objet d’un examen médical; un tel examen a également lieu sur demande de la police. 2 Si la personne s’oppose à l’examen demandé par la police, mention en est faite dans le rapport de police. 3 Tout constat relatif à des allégations de mauvais traitements est joint au rapport de police. [...] Article 112 - Rapport écrit La police judiciaire dresse un rapport écrit des opérations auxquelles elle a procédé et l’adresse sans retard au procureur général. Ce rapport doit être accompagné du procès-verbal des opérations et de l’inventaire détaillé des objets saisis. Article 114A - Plainte contre les interventions de la police 1 Toute personne directement touchée par : a) une mesure de contrainte ordonnée par la police en vertu des articles 32, 107, alinéa 2, 110, alinéa 1, 111A, 112A, 122, 179, alinéa 3, et 182, b) une intervention de la police fondée sur les articles 16 à 22B de la loi sur la police, du 26 octobre 1957, peut se plaindre, par écrit, d’une violation de la loi auprès du procureur général. 2 Le procureur général donne connaissance de la plainte au chef de la police qui lui communique ses observations par écrit. Article - 114B Décision 1 Le procureur général rend une décision succinctement motivée et notifiée aux parties. 2 Si une disposition de la loi a été violée, le procureur général le constate. 3 Il ordonne les mesures propres à assurer le respect de la loi. 4 Il peut allouer une indemnité équitable en observant les limites fixées par l’article 379. Article 115 - Ouverture de la procédure 1 Lorsqu’il est avisé qu’une infraction a été commise, le procureur général vérifie si les faits qui lui sont signalés constituent un crime, un délit ou une contravention. [...] Article 116 - Classement 1 Lorsqu’il existe un obstacle à l’exercice de l’action publique, que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction ou que les circonstances ne justifient pas l’exercice de l’action publique, le procureur général classe l’affaire, sous réserve de faits nouveaux ou de circonstances nouvelles. 2 La procédure de recours est réglée par les articles 190 à 196 et 198, alinéa 2. Article 118 - En général 1 L’instruction préparatoire a pour but de recueillir les indices, de rassembler les preuves à charge et à décharge et de faire toutes les recherches qui peuvent conduire à la découverte de la vérité. [...] Article 134 - Inculpation 1 Dès que l’enquête révèle des charges suffisantes, le juge d’instruction inculpe la personne faisant l’objet de son instruction. 2 Cette décision est inscrite au procès-verbal. Article 164 - Règle générale Le juge d’instruction recourt à tous les moyens de preuve prévus par le présent code, dans la mesure où ils paraissent utiles à la découverte de la vérité. Article 190A - Contre les décisions du procureur général 1 Les parties peuvent recourir à la Chambre d’accusation contre les décisions du procureur général fondées sur les articles 32, 90, 96, 110, alinéa 1, 112A, 114B, 115A, 116, 161 à 163, 179, alinéa 3, 182 et 198. 2 Dans le cas visé par l’article 10d de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions, du 4 octobre 1991, les parties peuvent également recourir contre les décisions du procureur général fondées sur les articles 115, alinéa 3, 199 et 200. Article 191 - Personnes assimilées aux parties 1 En matière de recours et de procédure devant la Chambre d’accusation, sont assimilés aux parties : a) le plaignant ou le lésé, dans les cas des articles 67, 96, 116 et 198 ; [...] Article 192 - Forme et délai 1 Le recours est formé par des conclusions motivées adressées au greffe de la Chambre d’accusation; les pièces invoquées à l’appui du recours sont jointes. 2 Le délai de recours est de 10 jours à partir de la notification de la décision. Article 198 - Classement 1 Lorsqu’il existe un obstacle à l’exercice de l’action publique, que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction ou que les circonstances ne justifient pas l’exercice de l’action publique, le procureur général classe l’affaire, sous réserve de faits nouveaux ou de circonstances nouvelles. 2 En cas de recours, la chambre peut renvoyer la procédure au juge d’instruction, maintenir le classement ou ordonner au procureur général de prendre des réquisitions motivées. C. Loi sur la Police du 26 octobre 1957 Article 16 Légitimation et identification 1 L’uniforme sert de légitimation; sur demande, les fonctionnaires indiquent leur numéro de matricule, sauf si des circonstances exceptionnelles les en empêchent. 2 Les fonctionnaires en civil se légitiment et s’identifient au moyen de leur carte de police lors de leurs interventions officielles, sauf si des circonstances exceptionnelles les en empêchent. Article 17 Contrôle d’identité 1 Les fonctionnaires de police ont le droit d’exiger de toute personne qu’ils interpellent dans l’exercice de leurs fonctions au sens de l’article 3, alinéa 1, lettres b à e, et alinéas 2 et 3, qu’elle justifie de son identité. [...] Article 18 Mesures sur la personne 1 Les personnes prévenues ou suspectes d’avoir commis un crime ou un délit peuvent être soumises à des mesures d’identification telles que prise de photographie ou d’empreintes, propres à établir leur identité ou leur culpabilité. 2 Il en est de même en cas de besoin et sur décision d’un officier de police pour les personnes dont l’identité est douteuse et ne peut être établie par aucun autre moyen, en particulier lorsque ces personnes sont soupçonnées de donner des indications inexactes. [...] Article 20 Fouille des personnes 1 Dans l’exercice de leurs fonctions au sens de l’article 3, alinéa 1, lettres b à e, et alinéas 2 et 3, les fonctionnaires de police peuvent procéder à la fouille de personnes : a) qui sont retenues dans le cadre de l’article 17, si la fouille est nécessaire pour établir leur identité; b) qui sont inconscientes, en état de détresse ou décédées, si la fouille est nécessaire pour établir leur identité; c) lorsque des raisons de sécurité le justifient. 2 Lorsqu’elle s’avère nécessaire, la fouille doit être adaptée aux circonstances et être aussi prévenante et décente que possible. 3 Sauf si la sécurité immédiate l’exige, les personnes fouillées ne doivent l’être que par des fonctionnaires de police du même sexe. Article 21 Personne dangereuse pour elle-même ou pour autrui ou perturbant l’ordre public Lorsqu’une personne ivre ou droguée cause du scandale sur la voie publique, elle peut être placée dans les locaux de la police sur ordre d’un officier, pour la durée la plus brève possible. Lorsqu’elle présente un danger, pour elle-même ou pour autrui, elle est examinée sans délai par un médecin. Article 22 Section 2 Mesures d’éloignement Article 22A Motifs La police peut éloigner une personne d’un lieu ou d’un périmètre déterminé, si : [...] d) elle participe à des transactions portant sur des biens dont le commerce est prohibé, notamment des stupéfiants. III. LA PRATIQUE INTERNATIONALE PERTINENTE Quatrième rapport sur la Suisse de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) adopté le 2 avril 2009 et publié le 15 septembre 2009, dont la partie pertinente se lit ainsi : « 176. (...) L’ECRI tient à exprimer sa profonde inquiétude face aux allégations émanant de sources variées et sérieuses selon lesquelles il existe encore des cas de comportements abusifs de la police à l’encontre de non-ressortissants, de demandeurs d’asile, de Noirs et autres groupes minoritaires. De l’avis général, ce sont surtout les jeunes hommes noirs ou les personnes paraissant être d’origine étrangère qui risquent de souffrir de tels abus. 177. Les allégations de comportements abusifs de la part de policiers concernent l’usage excessif de la force notamment dans le cadre d’intervention policière dans les centres pour demandeurs d’asile ou lors d’expulsion de non-ressortissants, des excès verbaux à contenu raciste ou discriminatoire et une attitude dénuée de tact et agressive. (...) 178. Un problème souvent évoqué par les ONG de droits de l’homme est celui du profilage racial. Le profilage racial consiste en l’utilisation par la police, sans justification objective et raisonnable, de motifs tels que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique dans des activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation. Il arrive que les polices en Suisse admettent que dans le cadre d’opération visant à lutter contre le trafic de drogues, elles procèdent à des contrôles d’identité visant en particulier les Noirs qui circulent dans certains quartiers connus pour être des lieux de commerce de stupéfiants et où il a été démontré que le trafic de drogues est contrôlé par des personnes d’une origine donnée. L’explication la plus fréquemment donnée est que les réseaux de drogues seraient principalement tenus par des Noirs, notamment demandeurs d’asile. Cette information est difficile à vérifier et, de l’avis d’organisations de la société civile, repose essentiellement sur des préjugés et des stéréotypes courants en Suisse, y compris au sein de la police. Cette dernière affirmation est également difficile à vérifier. » Rapport au Conseil fédéral suisse relatif à la visite effectuée en par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 10 au 20 octobre 2011, dont les extraits pertinents se lisent ainsi. « 2. Mauvais traitements Au cours de la visite, la délégation a accordé une attention particulière au comportement des membres des services de police dans le canton de Genève. Certaines informations recueillies laissent penser que le phénomène des violences policières observées par le CPT dans le passé restait d’actualité. En effet, une proportion préoccupante de personnes détenues entendues par la délégation se sont plaintes de mauvais traitements physiques par des fonctionnaires de la police cantonale dans les quelques mois qui ont précédé la visite. Les coups allégués auraient essentiellement consisté en des coups de poing et/ou des coups de pied, sans qu’elles aient opposé – selon elles – de résistance, et ce en majeure partie dans le cadre d’une « appréhension » (sur le lieu de l’appréhension proprement dite, dans le véhicule les emmenant au poste de police et/ou lors d’un premier interrogatoire au poste de police). Ces allégations étaient le plus souvent étayées par des données médicales précises, figurant dans les constats de lésions traumatiques établis à la prison de Champ-Dollon. Dans certains cas isolés, les mauvais traitements allégués auraient été infligés par du personnel en tenue civile et cagoulé qui ne se serait présenté comme appartenant aux forces de police qu’une fois dans leur véhicule ou à l’arrivée au poste. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1986 et séjourne à Rijeka. Le 13 mars 2007, entre 2 heures et 3 h 30, à Vežica, un quartier résidentiel de Rijeka, trois meurtres, un vol avec voies de fait et un incendie criminel furent perpétrés. Ce même jour, plusieurs habitants de ce quartier furent conduits au troisième poste de police de Rijeka du département de la police de Primorje-Gorski (Policijska uprava Primorsko-goranska, Treća policijska postaja Rijeka ; « le poste de police de Rijeka ») pour y être interrogés. Toujours ce même jour, vers 13 heures, le requérant fut conduit au poste de police de Rijeka pour y être interrogé. Des échantillons de son sang furent prélevés aux fins d’une analyse d’ADN et la police perquisitionna son appartement, analysa son téléphone portable et saisit certains de ses effets personnels. Le requérant fut détenu au poste de police de Rijeka jusqu’à son arrestation le 14 mars 2007 à 9 h 50 pour les faits délictueux susmentionnés. Dès son arrivée au poste de police de Rijeka, il fut, selon ses dires, placé dans une cellule sans fenêtre et non éclairée, et n’y reçut ni nourriture ni eau jusqu’à environ 18 heures ce même jour. Selon le Gouvernement, le requérant fut placé dans une salle de détention, bien qu’il ait passé la plupart du temps dans une salle d’interrogatoire. Le Gouvernement dit qu’il y avait une caméra de surveillance dans la salle de détention. Il ajoute que, dans la salle d’interrogatoire, l’intéressé était constamment sous la garde d’un policier et qu’il aurait donc pu à tout moment demander à manger ou à boire ou se rendre aux toilettes. La salle de détention aurait été dotée de sanitaires et d’un éclairage artificiel, mais aussi d’une fenêtre sécurisée à l’aide de barreaux métalliques. Il y aurait eu aussi un lit et plusieurs couvertures pour le repos. Un repas chaud et des boissons auraient été servis au requérant et le Gouvernement a produit les reçus des commandes passées à cette fin. Parallèlement, le 14 mars 2007, les parents du requérant engagèrent, aux fins de sa représentation, un avocat, Me G.M. Cependant, la police refusa à ce dernier l’accès à l’intéressé (paragraphe 21 ci-dessous). Ce même jour, à 18 heures, le requérant accepta d’être représenté par Me M.R., un avocat qui arriva au poste de police de Rijeka vers 19 h 45. Son interrogatoire débuta à 20 h 10. Selon le procès-verbal de l’interrogatoire, l’intéressé fut informé par la police de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le silence et il indiqua expressément que son avocat était Me M.R. En la présence de Me M.R., de trois policiers et du procureur de joupanie à Rijeka (Županijski državni odvjetnik u Rijeci ; « le procureur de joupanie »), le requérant avoua que, de concert avec L.O. et R.L.J., il s’était rendu dans l’appartement de Đ.V. à Vežica la nuit du 13 mars 2007, qu’il y avait volé à Đ.V. une certaine somme d’argent puis qu’il avait abattu ce dernier ainsi que sa compagne et son père, et qu’il avait ensuite mis le feu à l’appartement de manière à détruire toute trace de sa présence là-bas. Il déclara en outre avoir promis à L.O. et R.L.J. qu’il avouerait les crimes et porterait le chapeau s’ils venaient à être arrêtés. Il ajouta qu’il avait avoué les crimes de son plein gré, sans pression ni contrainte de quelque forme que ce fût. En signant le procès-verbal de sa déposition, il attestait en outre avoir été averti de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination. L’interrogatoire du requérant, entrecoupé d’une courte pause au cours de laquelle il se rendit aux toilettes, prit fin à 23 heures. Le 15 mars 2007, Me G.M., l’avocat engagé par les parents du requérant, demanda au tribunal de joupanie à Rijeka (Županijski sud u Rijeci ; « le tribunal de joupanie ») qu’il lui fût permis de prendre contact avec le requérant. Le 15 mars 2007, la police de Rijeka saisit le parquet de joupanie à Rijeka (Županijsko državno odvjetništvo u Rijeci ; « le parquet de joupanie ») d’une plainte pénale contre le requérant, L.O. et R.L.J. au sujet des trois meurtres, du vol avec voies de fait et de l’incendie susmentionnés. À cette même date, le requérant fut conduit devant un juge d’instruction du tribunal de joupanie. Prié par ce dernier de dire si son avocat était Me M.R., présent au cours de son interrogatoire par la police, ou Me G.M., muni d’une procuration signée par les parents du requérant, ce dernier déclara qu’il révoquait le mandat donné à Me M.R. et le donnait à Me G.M. en signant la procuration lui-même. Au cours de son interrogatoire devant le juge d’instruction, le requérant se plaignit qu’il n’avait jamais engagé Me M.R. et qu’il avait expressément demandé aux policiers de joindre Me G.M. Or il dit n’avoir jamais été informé que Me G.M. s’était rendu au poste de police. Il alléguait aussi qu’il avait été privé de nourriture jusqu’à ce qu’il déposât et que, lors de son arrestation, il se trouvait sous l’empire de la drogue et de l’alcool. Le 16 mars 2007, le parquet de joupanie pria le juge d’instruction d’ouvrir une enquête concernant le requérant, L.O. et R.L.J., soupçonnés de trois meurtres aggravés et d’un incendie à Vežica, commis le 13 mars 2007. Le 16 mars 2007 en la présence de Me G.M, le juge d’instruction entendit une nouvelle fois le requérant. Celui-ci garda le silence et refusa de répondre à toute question posée à lui par ce juge ou par l’accusation. À cette même date, Me G.M. demanda auprès du juge d’instruction la récusation du procureur de joupanie et de tous ses substituts. Le juge d’instruction fit suivre la demande au parquet de joupanie. En voici les extraits pertinents : « Il y a une trentaine de minutes, l’avocat de la défense a appris que le procureur de joupanie à Rijeka, D.H., était présent au cours de l’interrogatoire d’Ivan Dvorski par des policiers en tant que suspect au poste de police de Rijeka le 14 mars 2007 vers 19 heures et en présence de Me M.R., présenté comme étant l’« avocat de la défense ». Ce même jour, vers 10 h 40, la mère d’Ivan Dvorski, L.J.D., qui habite et travaille en Italie, avait appelé [Me G.M.] et lui avait demandé de défendre son fils Ivan, soupçonné de l’infraction de meurtre aggravé. Vers 10 h 45, l’avocat de la défense se rendit au poste de police de Rijeka mais les policiers refusèrent de le laisser voir Ivan Dvorski et ils ne dirent pas non plus [à Ivan Dvorski] que sa mère avait engagé un avocat. L’avocat de la défense resta au poste de police de Rijeka jusqu’à midi. Il voulait porter plainte contre X. pour abus de pouvoir et extorsion d’aveux mais les policiers refusèrent d’enregistrer cette plainte au motif qu’il n’était muni d’aucune procuration et le firent sortir du poste de police. L’avocat de la défense informa aussitôt de l’incident les substituts du procureur de joupanie à Rijeka, D.K. et I.B., et ces derniers en prirent officiellement note dans leur dossier. En conséquence, vers 12 h 30, le procureur de joupanie à Rijeka savait déjà que [Me G.M.] avait été engagé par la mère d’[Ivan Dvorski] et qu’il ne pouvait pas contacter son client. Le tribunal de joupanie [à Rijeka] en fut lui aussi aussitôt informé. Vers 13 h 30, le père d’Ivan Dvorski signa une procuration pour la défense de son fils. Un stagiaire, B.P., chercha [alors] à remettre cette procuration à la police mais on lui dit d’« aller se faire foutre avec cette procuration », qui ne fut donc pas remise. Vers 15 heures-15 h 30, l’avocat de la défense [G.]M. chercha une nouvelle fois à joindre son client au poste de police de Rijeka mais l’accès à celui-ci lui fut refusé (...) Or l’accusé ne fut jamais informé qu’un avocat avait été engagé pour sa défense et que ce dernier s’était rendu au poste de police de Rijeka. Vers 15 h 30, l’avocat de la défense informa le directeur du département de la police de Primorje-Gorski (...), M. V., qui apparemment prit officiellement note de leur conversation. Or jamais l’accusé ne fut informé qu’un avocat de la défense avait été engagé ni non plus prié de dire s’il souhaitait être représenté par l’avocat retenu par sa famille. Par ailleurs, dès son arrivée au poste de police de Rijeka, [Ivan Dvorski] demanda plusieurs fois que [Me G.M.] fût joint par téléphone mais des policiers lui dirent qu’ils avaient essayé mais que personne ne répondait. Lorsqu’il fut conduit au poste de police, des échantillons de son sang furent prélevés. Ces derniers montrent qu’il avait un taux élevé d’alcool et de stupéfiants dans le sang. Entre le 13 mars 2007, à 13 heures, et le 14 mars 2007, vers 19 heures (ces heures n’étant connues de l’avocat de la défense que par des sources informelles car il n’avait pas accès au dossier du parquet de joupanie à Rijeka), aucune nourriture ne fut servie à l’accusé. Il apparaît clairement que, alors que tous ces faits étaient connus du procureur de joupanie à Rijeka, D.H., celui-ci n’en a tenu aucun compte et que, bien qu’ayant personnellement assisté à l’interrogatoire de l’accusé, il a autorisé celui-ci en la présence d’un avocat qui [n’avait été ni sollicité par l’accusé] ni (...) engagé par sa famille. Il y a donc eu extorsion d’aveux, en violation de l’article 225 § 8 du code de procédure pénale. Plus précisément, le procureur de joupanie à Rijeka savait, depuis environ 12 h 30 [le 14 mars 2007] qui était l’avocat de la défense. À cette même date, l’avocat de la défense communiqua la procuration au département de la police de Primorje-Gorski et des plaintes écrites furent également adressées à la Cour suprême de la République de Croatie, au procureur général de la République de Croatie, au parquet de joupanie à Rijeka, à l’Association du barreau croate, au ministère de la Justice, au ministère de l’Intérieur, au directeur du département de la police de Primorje-Gorski et au tribunal de joupanie à Rijeka (...) » Toujours le 16 mars 2007, une enquête fut ouverte concernant le requérant, L.O. et R.L.J., en leur qualité de suspects des trois meurtres aggravés et de l’incendie perpétrés le 13 mars 2007 à Vežica. Le 23 mars 2007, le procureur général de la République de Croatie (Glavni državni odvjetnik Republike Hrvatske) rejeta, pour défaut de fondement, la demande de Me G.M. tendant à la récusation du procureur de joupanie. Le 26 mars 2007, ce dernier rejeta pour le même motif la demande tendant à la récusation de ses substituts. Le 28 mars 2007, Me G.M. informa le tribunal de joupanie qu’il ne représenterait plus le requérant et, le 30 mars 2007, le président du tribunal de joupanie désigna une avocate de l’aide judiciaire, Me S.M.Č., pour représenter le requérant. Au cours de l’instruction, un certain nombre de témoins furent entendus et le juge d’instruction fit établir un procès-verbal de l’inspection du lieu du crime et de la perquisition, ainsi que des rapports d’experts en médecine légale, en pyrotechnie et en balistique. Le 12 juillet 2007, devant le tribunal de joupanie, le parquet de joupanie inculpa le requérant, L.O. et R.L.J. de trois chefs de meurtre aggravé et d’un chef d’incendie perpétrés le 13 mars 2007 à Vežica. Le 27 juillet 2007, devant le tribunal de joupanie, le requérant, représenté par Me S.M.Č., fit opposition à l’acte d’accusation, soutenant que celui-ci était entaché de divers vices de fond et de forme. Il disait en outre avoir déposé devant la police sous l’empire de l’alcool et de la drogue. Le 28 août 2007, le tribunal de joupanie, en formation de trois juges, rejeta pour défaut de fondement l’opposition formée par le requérant à l’acte d’accusation. Le 9 octobre 2007, premier jour du procès, le requérant et ses coaccusés plaidèrent non coupable de tous les chefs et la juridiction de jugement entendit sept témoins. Une autre audience fut tenue le 11 octobre 2007, au cours de laquelle la juridiction de jugement examina des enregistrements vidéo de l’inspection du lieu du crime et le rapport de l’autopsie des victimes. D’autres audiences furent tenues le 12 novembre 2007 et le 11 janvier 2008, lors desquelles la juridiction de jugement entendit neuf témoins. Au cours d’une audience tenue le 14 janvier 2008, deux experts en toxicologie, un expert en dactyloscopie, un expert en balistique et un expert en génétique déposèrent. La défense ne fit aucune objection à leurs déclarations. Lors de la même audience, quatre autres témoins furent entendus. Au cours d’une audience tenue le 15 janvier 2008, la juridiction de jugement entendit un autre expert en toxicologie et un pathologiste, ainsi que treize autres témoins. La défense n’émit aucune objection aux dépositions des experts mais pria la juridiction de jugement d’ordonner une expertise psychologique du requérant. Au cours de la même audience, l’avocate de la défense demanda une expertise graphologique de la signature apposée sur le procès-verbal de la déclaration faite par le requérant à la police le 14 mars 2007. Elle affirmait que ce dernier n’avait signé aucun procès-verbal lors de son interrogatoire par la police. Ayant jugé que, pour le moment, il n’était pas nécessaire d’ordonner une expertise psychiatrique, la juridiction de jugement rejeta la demande formulée par le requérant à cette fin. Cependant, elle ordonna une expertise graphologique de la signature apposée sur le procès-verbal de la déclaration faite par le requérant à la police. Le 23 janvier 2008, la graphologue produisit son rapport, dans lequel elle concluait que le requérant avait bien signé le procès-verbal de sa déclaration faite à la police le 14 mars 2007. Une autre audience fut tenue le 12 mars 2008, au cours de laquelle un expert en médecine légale, un expert en pyrotechnie et un autre témoin déposèrent. La graphologue fut entendue elle aussi et confirma ses conclusions présentées auparavant. L’avocate du requérant en contesta le bien-fondé et demanda une contre-expertise, mais la juridiction de jugement la refusa. Lors de la même audience, cette dernière ordonna une expertise psychiatrique du requérant et de ses co-accusés. Le 2 avril 2008, le requérant pria le tribunal de joupanie de convoquer Me G.M. afin qu’il témoignât de l’extorsion d’aveux dont la police se serait rendue coupable à son encontre. Il soulignait que Me G.M. n’avait pas été autorisé à le voir pendant qu’il se trouvait en garde à vue et affirmait que des policiers l’avaient forcé à avouer. Le 24 avril 2008, les deux experts psychiatres communiquèrent leur rapport au tribunal de joupanie. Ils constataient que le requérant souffrait de troubles de la personnalité limite et de dépendance à l’héroïne et à l’alcool. Cependant, ils ne virent chez lui ni trouble ni maladie mentaux. Ils concluaient que, quand bien même il eût été en état d’ébriété au moment de la perpétration des meurtres, il avait toujours la capacité mentale – quoiqu’amoindrie – de comprendre la nature de ses actes. Quant à sa capacité mentale eu égard au chef d’incendie, ils estimaient que, au moment de la commission de l’infraction, le requérant était à même de comprendre la nature de ses actes et de contrôler ses actions. Lors d’une audience tenue le 26 juin 2008, les experts psychiatres confirmèrent leurs conclusions et les parties n’y firent aucune objection. La juridiction de jugement rejeta en outre la demande du requérant tendant à l’audition de Me G.M. en qualité de témoin au motif que tous les faits pertinents avaient d’ores et déjà été établis. Au cours de la même audience, l’un des accusés, R.L.J., confirma le déroulement des événements tel qu’exposé par le requérant dans sa déclaration faite à la police le 14 mars 2007. Il affirma toutefois ne pas avoir pris part personnellement aux meurtres car il dit avoir paniqué et quitté l’appartement lorsqu’il entendit qu’on se battait. Après la déposition de R.L.J., le substitut du procureur de joupanie modifia l’acte d’accusation. Le requérant était inculpé de trois meurtres aggravés, de vol avec voies de fait et d’incendie, tandis que L.O. et R.L.J. étaient inculpés de vol avec voies de fait et de complicité. Le requérant et ses coaccusés plaidèrent non coupable des charges énoncées dans l’acte d’accusation modifié. Le 27 juin 2008, L.O. témoigna, confirmant le déroulement des événements tel qu’exposé par R.L.J. Il déclara que, après que le requérant avait commencé à se battre avec Đ.V., il avait entendu des coups de feu, puis paniqué et quitté l’appartement. Lors de la même audience, les parties se livrèrent à leurs plaidoiries finales. L’avocate du requérant argua qu’il n’avait pas été établi que ce dernier fût l’auteur des infractions dont il était inculpé. Elle souligna toutefois que, au cas où la juridiction de jugement en déciderait autrement, les aveux formulés par son client devant la police et ses regrets sincères devraient alors être pris en considération dans la fixation de sa peine. Le 30 juin 2008, le tribunal de joupanie jugea le requérant coupable de trois chefs de meurtre aggravé et des chefs de vol avec voies de fait et d’incendie et le condamna à quarante ans d’emprisonnement. Il compara tout d’abord les aveux de l’intéressé à ceux de ses coaccusés L.O. et R.L.J., pour en conclure que les premiers cadraient globalement avec les dépositions des coaccusés. Le verdict de culpabilité du requérant tenait compte des aveux de ce dernier, considérés à l’aune des pièces du dossier. La juridiction de jugement s’appuya en particulier sur le procèsverbal de perquisition et sur les photographies montrant l’accusé L.O. tenant une arme à feu de même type que celle utilisée pour les meurtres. Sur la base des témoignages et d’une vidéo tirée d’une caméra de surveillance à proximité, elle conclut que le requérant et ses coaccusés s’étaient rendus dans l’appartement de Đ.V. à la date en question. De plus, elle releva que l’expertise balistique et le procès-verbal de l’inspection du lieu du crime indiquaient que les détails donnés par le requérant et ses coaccusés dans leurs dépositions étaient exacts et que le déroulement des événements était confirmé par les expertises pyrotechnique, balistique et psychologique ainsi que par l’analyse d’ADN. Elle conclut aussi que les déclarations des accusés quant au mode de perpétration des meurtres étaient corroborées par le rapport d’autopsie, par le témoignage du pathologiste au procès, par le procès-verbal de l’inspection du lieu du crime et par les témoignages faisant état de coups de feu tirés dans l’appartement de Đ.V. De plus, pour ce qui est des chefs d’incendie, elle examina les éléments tirés dudit procès-verbal et des dépositions des experts en pyrotechnie, ainsi que les documents médicaux, les relevés des blessures subies par les victimes et les dépositions de certains résidents du bâtiment où le feu avait pris. S’agissant de la demande de la défense tendant à faire entendre Me G.M. (paragraphes 38 et 39 ci-dessus), le tribunal de joupanie dit ceci : « La demande formulée par la défense [d’Ivan Dvorski] tendant à faire entendre Me G.M. en qualité de témoin (...) a été rejetée pour défaut de pertinence. Plus précisément, aucun élément du dossier ne fait état d’une quelconque extorsion d’aveux par la police : il n’y a qu’[une mention] de l’heure à laquelle Me [M.]R. s’était rendu [au poste de police], postérieurement à laquelle l’interrogatoire d’[Ivan Dvorski] commença en la présence de l’avocat à qui il avait donné procuration (...) Personne, pas même l’avocat de la défense d’[Ivan Dvorski] qui était présent au cours de l’interrogatoire de police – Me [M.]R. – n’a fait état d’aveux extorqués et il n’en est nulle part fait mention dans le procès-verbal de déposition d’Ivan Dvorski, [qui] à l’époque [n’était] qu’un suspect. » Le 6 novembre 2008, le requérant fit appel du jugement de première instance devant la Cour suprême de la République de Croatie (Vrhovni sud Republike Hrvatske ; « la Cour suprême »). Il soutenait notamment que sa condamnation reposait sur ses aveux devant la police, formulés selon lui en la présence d’un avocat non pas de son choix (Me G.M.), mais proposé à lui par la police (M.R.) Il évoquait aussi la demande tendant à la récusation du procureur de joupanie et de tous ses substituts, formulée par Me G.M. le 16 mars 2007, en en soulignant la partie indiquant qu’il avait été privé d’alimentation pendant sa garde à vue. Par un arrêt du 8 avril 2009, la Cour suprême rejeta pour défaut de fondement l’appel formé par le requérant. Sur le moyen tiré par ce dernier de ses déclarations faites devant la police, elle releva ceci : « (...) L’appelant ne remet pas en cause la régularité [de sa déclaration faite à la police] lorsqu’il soutient que son avocat était Me G.M., engagé par son père et sa mère le même jour, et non pas M.R., ni lorsqu’il se plaint d’avoir été privé d’alimentation entre le 13 mars 2007, à 13 heures, et le 14 mars 2007, à 19 heures, jusqu’à ce qu’il accepte d’engager Me M.R., le procès-verbal de son arrestation (pages ...) indiquant qu’il a été arrêté le 14 mars 2007 à 9 h 50 et que Me M.R. est arrivé [au poste de police] ce même jour à 18 h 45 ». Le 14 septembre 2009, le requérant forma devant la Cour suprême un recours contre l’arrêt d’appel, reprenant les mêmes moyens. Par un arrêt du 17 décembre 2009, la Cour suprême, en dernière instance, rejeta pour défaut de fondement le recours formé par le requérant. Elle soulignait qu’il ressortait de la déposition de l’intéressé qu’il avait choisi Me M.R. pour le représenter au cours de son interrogatoire de police et que cet avocat l’avait adéquatement conseillé. En outre, rien dans le dossier n’indiquait selon elle que le requérant eût été maltraité ou forcé à avouer. Le 11 mars 2010, le requérant saisit la Cour constitutionnelle (Ustavni sud Republike Hrvatske) d’un recours. Il soutenait notamment qu’il avait été maltraité au cours de sa garde à vue et forcé à avouer. Il estimait en outre qu’on lui avait refusé la possibilité d’assurer sa défense par un avocat de son choix. Le 16 septembre 2010, la Cour constitutionnelle rejeta ce recours. Faisant sien le raisonnement de la Cour suprême, elle conclut que la procédure, dans son ensemble, avait été équitable et que rien dans le dossier n’indiquait que le requérant eût été maltraité pendant sa garde à vue. II. LE DROIT PERTINENT A. Droit interne Voici les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Croatie (Ustav Republike Hrvatske, Journal officiel nos 56/1990, 135/1997, 113/2000, 28/2001, 76/2010) : Article 23 « Nul ne peut être soumis à une quelconque forme de mauvais traitement (...) » Article 29 « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, légalement établi, qui décidera dans un délai raisonnable du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Toute personne faisant l’objet de soupçons, d’une enquête ou d’une inculpation en matière pénale a le droit : (...) - de se défendre elle-même ou d’avoir l’assistance d’un avocat de son choix et, si elle n’a pas les moyens de rémunérer un avocat, de pouvoir être assistée gratuitement par un avocat d’office, dans les conditions prescrites par la loi, (...) » Voici les dispositions pertinentes du code pénal (Kazneni zakon, Journal officiel nos 110/1997, 27/1998, 129/2000, 51/2001, 105/2004, 84/2005, 71/2006) MEURTRE AGGRAVÉ Article 91 « Est passible d’au moins dix ans de prison ou d’une peine d’emprisonnement de longue durée quiconque : (...) commet un meurtre afin de perpétrer ou de couvrir une autre infraction pénale, (...) » VOL AVEC VOIES DE FAIT Article 218 « 1. Est passible de un à dix ans de prison quiconque, en usant de la force contre une personne ou en la menaçant d’une atteinte directe à sa vie ou à son intégrité physique, lui soustrait un bien meuble afin de se l’approprier frauduleusement. Est passible de trois à quinze ans de prison quiconque commet un vol avec voies de fait en tant que membre d’une bande ou d’une organisation criminelle, ou en faisant usage d’une arme ou d’un instrument dangereux. » MISE EN DANGER DE LA VIE OU DE BIENS PAR DES ACTES OU MOYENS DANGEREUX Article 263 « 1. Est passible de six mois à cinq ans de prison quiconque met en danger la vie ou l’intégrité physique d’autrui ou des biens d’une valeur considérable au moyen d’un incendie ». (...) Si l’infraction pénale visée au paragraphe 1 et 2 du présent article est commise en un lieu où plusieurs personnes sont rassemblées, (...) son auteur est passible de un à huit ans d’emprisonnement. (...) » INFRACTIONS PÉNALES AGGRAVÉES CONTRE L’ORDRE PUBLIC Article 271 « 1. Est passible de un à huit ans de prison quiconque cause de graves blessures à autrui ou de lourds dommages matériels en commettant l’infraction pénale visée à l’article 263 § 1 du présent code ». Voici les dispositions pertinentes de la loi portant code de procédure pénale (Zakon o kaznenom postupku, Journal officiel nos 110/1997, 27/1998, 58/1999, 112/1999, 58/2002, 143/2002 et 62/2003) : Article 62 « 1. L’accusé peut être représenté par un avocat à tout stade de la procédure ainsi qu’avant l’ouverture de celle-ci dans les cas où le prescrit la présente loi (...) Le tuteur, le conjoint ou le/la concubin(e), le parent en ligne directe, le parent ou enfant adoptif, le frère ou la sœur ou le parent d’accueil de l’accusé peut engager pour celui-ci un avocat, sauf s’il le refuse expressément. (...) Tout avocat de la défense doit présenter sa procuration aux autorités conduisant la procédure. L’accusé peut également donner verbalement mandat à un avocat devant l’autorité conduisant la procédure, auquel cas il doit en être pris acte. » Article 177 « (...) 5. Au cours de l’enquête, les autorités policières informent le suspect conformément à l’article 237 § 2 du présent code. Si le suspect en fait la demande, elles l’autorisent à engager un avocat et, à cette fin, cessent d’interroger le suspect jusqu’à ce que l’avocat arrive, ou au moins pendant trois heures à compter du moment où le suspect formule cette demande (...) Si, au vu des circonstances, l’avocat choisi n’est pas en mesure de se présenter pendant ce délai, les autorités policières permettent au suspect de désigner un avocat à partir de la liste d’avocats de permanence adressée à l’autorité policière compétente par la section locale du barreau croate (...) Si le suspect n’engage aucun avocat ou si l’avocat sollicité ne se présente pas dans le délai prévu, elles peuvent reprendre son interrogatoire (...) Le procureur peut assister à l’interrogatoire. Le procès-verbal de [toute] déposition faite par l’accusé devant les autorités policières en présence d’un avocat peut être retenu à titre de preuve au cours de la procédure pénale. » B. Éléments pertinents de droit international Droit d’accès à l’avocat de son choix en garde à vue a) Conseil de l’Europe Les règles adoptées par le Comité des Ministres La règle 93 de l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus (Résolution (73) 5 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe) dit ceci : « [u]n prévenu doit, dès son incarcération, pouvoir choisir son avocat (...) et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles, et en recevoir. Sur sa demande, toute facilité doit lui être accordée à cette fin (...) Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de la vue, mais ne peuvent pas être à portée d’ouïe directe ou indirecte d’un fonctionnaire de la police ou de l’établissement. » Par ailleurs, voici les extraits pertinents de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres du Conseil de l’Europe sur les Règles pénitentiaires européennes (Rec (2006)2), adoptée le 11 janvier 2006 lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres : « Conseils juridiques 1 Tout détenu a le droit de solliciter des conseils juridiques et les autorités pénitentiaires doivent raisonnablement l’aider à avoir accès à de tels conseils. 2 Tout détenu a le droit de consulter à ses frais un avocat de son choix sur n’importe quel point de droit. (...) 5 Une autorité judiciaire peut, dans des circonstances exceptionnelles, autoriser des dérogations à ce principe de confidentialité dans le but d’éviter la perpétration d’un délit grave ou une atteinte majeure à la sécurité et à la sûreté de la prison. » b) Nations unies Pacte international relatif aux droits civils et politiques L’article 14 § 3 b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit « [à] disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le cadre législatif et jurisprudentiel de l’affaire Les dates de naissance et les lieux de résidence des requérants figurent dans la liste annexée au présent arrêt. Les requérants ou leurs de cujus ont été tous contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine (« VIH »), de l’hépatite B ou de l’hépatite C à la suite de transfusions ou de l’administration de produits dérivés du sang. Quarante personnes parmi les requérants ou leurs de cujus souffrent (ou souffraient) d’hémophilie, une pathologie qui nécessite de fréquentes transfusions de sang. Les autres requérants ont été contaminés dans le cadre de transfusions effectuées lors d’hospitalisations pour divers motifs. La loi no 210 du 25 février 1992 (« loi no 210/1992 ») En vertu de cette loi, les requérants ou leurs de cujus perçoivent (ou percevaient) du ministère de la Santé une indemnité pour les dommages à caractère permanent qu’ils avaient subis à la suite de leur contamination. L’article 2 de cette loi indique que le montant global de l’indemnité comporte deux volets : une indemnité fixe et une indemnité complémentaire (indennità integrativa speciale, ci-après, l’« IIS » – paragraphe 42 ci-dessous). La loi no 229 du 29 octobre 2005 (« loi no 229/2005 ») Selon cette loi, une indemnité supplémentaire (« indennizzo ulteriore »), qui s’ajoute à celle prévue par la loi no 210/1992, est accordée aux personnes ayant subi un dommage à la suite de vaccinations obligatoires. L’alinéa 4 du premier article de cette loi dispose que cette indemnité supplémentaire est soumise à une réévaluation annuelle basée sur le taux d’inflation. La loi no 244 du 24 décembre 2007 (« loi no 244/2007 ») et le décret no 163 pris par le ministère du Travail le 2 octobre 2009 (« décret no 163/2009) Aux termes de l’article 2 alinéa 363 de la loi no 244/2007, publiée au Journal Officiel le 28 décembre 2007, l’indemnisation prévue par la loi no 229/2005 est reconnue également aux personnes affectées par le « syndrome de la thalidomide ». Selon le décret du ministère du Travail no 163/2009, ces personnes bénéficient d’une indemnité supplémentaire qui vient s’ajouter à celle prévue par la loi no 210/1992. Cette indemnité supplémentaire est soumise à une réévaluation annuelle basée sur le taux d’inflation. La première interprétation jurisprudentielle de la loi no 210/1992 Par un arrêt déposé le 28 juillet 2005 (no 15894/2005), la Cour de cassation déclara qu’il fallait interpréter l’article 2 de la loi no 210/1992 comme signifiant que les deux volets de l’indemnité en question (c’est-à-dire le montant fixe et l’IIS) étaient soumis à réévaluation sur la base du taux annuel d’inflation. Les requérants ont produit une liste d’environ cent trente décisions (jugements de tribunaux de première instance et arrêts de cours d’appel) rendues entre 2005 et 2009, par lesquelles le ministère de la Santé a été condamné au paiement intégral de l’indemnité prévue par la loi no 210/1992, y compris donc de la partie correspondant à la réévaluation de l’IIS. Le revirement de jurisprudence Par un revirement de jurisprudence ultérieur, la Cour de cassation (arrêt no 2170/2009, déposé au greffe le 13 octobre 2009), revint sur son interprétation précédente, notamment pour trois raisons. Tout d’abord, elle estima que le texte même de la loi ne prévoyait la réévaluation annuelle que pour l’indemnité de base, et non pas pour l’IIS (article 2, alinéa 1 in fine de la loi no 210/1992, paragraphe 42 ci-dessous). Elle ajouta que l’IIS visait à prévenir ou réduire les effets de la dévaluation monétaire : le législateur n’aurait donc pas, à juste titre, prévu sa réévaluation. Enfin, de l’avis de la Cour de cassation, l’article 32 de la Constitution garantissait la protection du droit à la santé en ce sens que l’indemnité devait être équitable et raisonnable ; il n’imposait pas pour autant au législateur une option donnée quant au montant à accorder. Les requérants ont produit une liste de trente-sept décisions (jugements de tribunaux de première instance et arrêts de cours d’appel) prises entre janvier et mai 2010, dans lesquelles c’est la première interprétation de la Cour de cassation de la loi no 210/1992 (arrêt no 15894/2005) qui est retenue. Le décret-loi no 78 du 31 mai 2010 (« décret-loi no 78/2010 ») Par un décret-loi d’urgence no 78/2010, entré en vigueur le 31 mai 2010, le Gouvernement intervint sur la question de la réévaluation de l’IIS. Il indiqua que l’article 2 de la loi no 210/1992 devait être interprété dans le sens d’une impossibilité de réévaluer le montant correspondant à l’IIS sur la base du taux d’inflation (article 11, alinéa 13, du décret). De plus, il précisa que les mesures prises en vertu d’un titre exécutoire aboutissant à la réévaluation du montant visé à l’alinéa 13 cessaient d’avoir effet à compter de la date de l’entrée en vigueur dudit décret (article 11, alinéa 14, du décret). L’arrêt de la Cour constitutionnelle no 293, publié au Journal Officiel le 9 novembre 2011 (arrêt no 293/2011) Au courant de l’année 2010, plusieurs tribunaux saisirent la Cour constitutionnelle d’une question de constitutionnalité concernant l’article 11, alinéas 13 et 14, du décret-loi no 78/2010. Par l’arrêt no 293/2011, la Cour constitutionnelle estima que les dispositions en cause étaient contraires au principe d’égalité établi par l’article 3 de la Constitution, compte tenu notamment de ce qu’elles prévoyaient un traitement discriminatoire entre deux catégories de personnes bénéficiant de l’indemnité prévue par la loi no 210/1992, à savoir, d’une part, les personnes affectées par le « syndrome de la thalidomide » et, de l’autre part, celles affectées par des hépatites post-transfusionnelles. La haute juridiction précisa qu’en effet l’IIS était réévaluée annuellement sur la base du taux d’inflation pour la première catégorie, en application de la loi no 244/2007 et du décret no 163/2009 (paragraphes 14 et 15 ci-dessus), mais non pour la deuxième. La Cour constitutionnelle releva aussi qu’aucune disparité de traitement ne pouvait être décelée entre les personnes affectées par des hépatites post-transfusionnelles et celles ayant subi un dommage permanent à la suite de vaccinations obligatoires (cette dernière catégorie bénéficiant également de la réévaluation de l’IIS en application de la loi no 229/2005 - paragraphes 12 et 13 ci-dessus), puisqu’il s’agissait de deux situations qui n’étaient pas comparables. Dans ce contexte, la haute juridiction se référa à son arrêt no 423/2000, déposé au greffe le 16 octobre 2000, dans lequel elle avait estimé que la vaccination obligatoire, qui dérivait de l’existence d’un intérêt public à la santé collective, impliquait que la collectivité participât aux difficultés dans lesquelles un individu ayant coopéré à la poursuite d’un tel intérêt pouvait se trouver. De l’avis de la Cour constitutionnelle, il n’en allait pas de même pour les personnes infectées à la suite de transfusions, pour lesquelles une obligation générale de solidarité de la société ne pouvait pas être imposée. La jurisprudence interne postérieure à l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 293/2011 Le Gouvernement a produit plusieurs décisions dans lesquelles les juridictions internes ont tenu compte de l’arrêt no 293/2011 de la Cour constitutionnelle et ont reconnu aux demandeurs le bénéfice de la réévaluation de l’IIS. L’ordonnance de la Cour de cassation no 10769 du 21 juin 2012 Par cette ordonnance, prononcée dans le cadre d’une procédure visant l’obtention de la réévaluation de l’IIS, la Cour de cassation a clarifié la question de l’effet rétroactif de l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 293/2011. Elle a ainsi rejeté l’interprétation du ministère de la Santé selon laquelle ledit arrêt n’avait un effet rétroactif qu’à partir du 28 décembre 2007, date de l’entrée en vigueur de la loi no 244/2007 garantissant le bénéfice de l’indemnité prévue par la loi no 210/1992 aux personnes affectées par le « syndrome de la thalidomide ». Ainsi, d’après la Cour de cassation, l’arrêt de la Cour constitutionnelle devait être interprété comme ayant effet rétroactif également pour la période antérieure à cette date. B. La répartition des requérants en différentes catégories En fonction de la situation propre à chacun des cent soixante-deux requérants, ces derniers peuvent être divisés en cinq groupes : 1) Les requérants qui ont obtenu la réévaluation en question en application d’une décision interne définitive. Parmi ceux-ci, deux sous-groupes sont à distinguer : a. Les requérants qui, à la suite de l’entrée en vigueur du décret-loi no 78/2010, ont perdu le bénéfice de la réévaluation à compter de la date de l’entrée en vigueur dudit décret (requérants nos 1 à 91 dans la liste annexée). b. Les requérants nos 92 à 102, à propos desquels il était indiqué dans le formulaire de requête qu’ils n’avaient pas perdu cet avantage à la suite de l’entrée en vigueur du décret-loi litigieux, mais pour lesquels il a été précisé ultérieurement dans les observations de la partie requérante qu’après le dépôt de leur requête devant la Cour, à partir du mois de janvier 2011, ils avaient perdu le bénéfice de la réévaluation litigieuse, ou ne l’avaient conservé qu’en partie, pour des montants différents au cas par cas et à compter de dates différentes. Les requérants ont produit la copie de documents à l’appui de leurs allégations, notamment pour les requérants nos 93, 94, 96 à 100 et 102 dans la liste. 2) Les requérants ayant obtenu une décision interne définitive qui reconnaît leur droit à la réévaluation litigieuse mais qui n’a pas été exécutée. Ces requérants ont introduit des procédures d’exécution (requérants nos 103 à 112). A ce groupe de requérants s’ajoute la requérante no 132, qui a obtenu une décision interne lui reconnaissant le droit à la réévaluation de l’IIS après la communication de la requête au gouvernement défendeur. 3) Les requérants pour lesquels la procédure entamée en vue d’obtenir la réévaluation est pendante à ce jour (requérants nos 113 à 145 dans la liste, à l’exception des requérants nos 117, 124, 127, 128, 131, et 141 dont le recours introduit afin d’obtenir la réévaluation de l’IIS a été rejeté après la communication de la requête au gouvernement défendeur. Ces requérants font donc partie du groupe 4 ci-dessous). 4) Les requérantes qui ont introduit un recours afin d’obtenir l’indemnité litigieuse y compris la réévaluation de l’IIS et qui ont été destinataires d’une décision interne définitive leur reconnaissant l’indemnité, mais sans la réévaluation, issue avant l’entrée en vigueur du décret-loi no 78/2010, (nos 146 à 148 dans la liste). Selon les informations fournies par les représentants des requérantes, ces dernières n’ont pas interjeté appel contre ces décisions car, le décret-loi litigieux étant entré en vigueur entre-temps, elles ont estimé qu’un éventuel recours n’aurait eu aucune chance de succès. Les requérantes nos 146 et 148 n’ont pas encore obtenu l’exécution des jugements définitifs rendus en leur faveur et ont partant introduit une procédure d’exécution des décisions les concernant. De ce groupe font également partie les requérants nos 117, 124, 127, 128, 131 et 141 dont le recours introduit afin d’obtenir la réévaluation de l’IIS a été rejeté après la communication de la requête au gouvernement défendeur et à une date postérieure à celle de l’entrée en vigueur du décret-loi no 78/2010. 5) Les requérants qui n’ont jamais obtenu la réévaluation litigieuse et qui n’ont pas introduit de recours visant à l’obtention de celle-ci (requérants nos 149 à 162). C. Les développements ultérieurs à la communication de la requête au Gouvernement La situation des requérants ou de leurs de cujus Six requérants sont décédés après la communication de la présente requête au gouvernement défendeur. Leurs héritiers se sont constitués dans la procédure devant la Cour. Selon les informations fournies par les requérants, plusieurs d’entre eux ont connu une grave dégradation de leur état de santé, les virus qui les ont contaminés ayant entraîné chez certains des cirrhoses du foie, des cancers du foie, ou un ensemble de plusieurs pathologies (chez certains, le SIDA et l’hépatite, accompagnés dans certains cas d’hémophilie). Un requérant souffre d’une dépression nerveuse et a tenté plusieurs fois de se suicider. Les requérants ont produit la copie des certificats médicaux pertinents. Ils ont en outre transmis une expertise médicale faisant état de l’espérance de vie réduite des personnes contaminées par le virus de l’hépatite et par le VIH et indiquant que le pronostic concernant leurs chances de survie et de rétablissement est strictement lié au bénéfice des indemnités. La réévaluation de l’IIS après l’arrêt de la Cour constitutionnelle a) La version des faits des requérants Les requérants relèvent qu’après la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 11, alinéas 13 et 14, du décret-loi no 78/2010, ils n’ont pas pour autant bénéficié de la réévaluation de l’IIS. A l’appui de leurs allégations, cent trente-neuf requérants ont produit la copie de reçus de virements bancaires attestant que les montants de leurs indemnités sont restés inchangés à des dates postérieures à l’adoption de l’arrêt de la Cour constitutionnelle. Le 29 mars 2012, Me Massimo Dragone, conseil des requérants, constata qu’au courant des années 2011 et 2012 l’ULSS – l’Unité locale socio-sanitaire – de Padoue avait intégralement omis de verser l’indemnité prévue par la loi no 210/1992 à un groupe de quarante-deux requérants sans fournir à ceux-ci aucune information à ce sujet. Il invita donc plusieurs autorités (parmi lesquelles, le Président de la région de la Vénétie, le président de la République et le ministre de la Santé) à payer sans délai les indemnités auxquelles ces requérants avaient droit. Par un courrier du 28 juin 2012, les autorités régionales indiquèrent que l’indemnité avait été intégralement payée pour l’année 2011 et que, pour 2012, les versements pour les mois de janvier et février avaient été effectués en retard mais que les paiements ultérieurs avaient été opérés dans les délais. Le 15 décembre 2012, Me Massimo Dragone, conseil des requérants, envoya au nom de tous ses clients une injonction à plusieurs administrations (ministère de la Santé, ministère de l’Économie et des Finances, ULSS) afin d’obtenir, entre autres, la réévaluation de l’IIS, compte tenu notamment de l’arrêt que la Cour constitutionnelle avait adopté entre-temps. Cette injonction resta sans réponse. D’après les requérants, l’IIS représente entre 90 % et 95 % du montant global de l’indemnité prévue par la loi no 210/1992. Les requérants indiquent que le montant de l’indemnité initialement prévu par la loi no 210/1992 s’élève à 6 171,96 euros (EUR) par an, ce qui, compte tenu des effets de l’inflation correspondrait en fait à un montant de 3 867,37 EUR en 2010. b) La version des faits du gouvernement défendeur Le Gouvernement explique qu’en application des lois concernant la répartition des fonctions entre Etat et régions en matière de santé, le paiement de la réévaluation de l’IIS des requérants relève, pour la plupart d’entre eux, de la compétence de la région de la Vénétie et, pour une minorité, de celle du ministère de la Santé. Quant au paiement de la réévaluation pour l’année 2012, le Gouvernement indique que, « contrairement aux personnes parmi les requérants dont la situation relève de la compétence dudit ministère, qui ont bénéficié de la réévaluation de l’IIS, les requérants pour lesquels la réévaluation en question était de la compétence de la région de la Vénétie n’ont pas obtenu satisfaction ». Le Gouvernement a indiqué que des informations supplémentaires sur les versements litigieux avaient été demandées à la région de la Vénétie ; ces données ne seraient toutefois pas parvenues au Gouvernement dans les délais fixés par la Cour pour la présentation des observations. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi no 210/1992 (telle que modifiée par la loi no 238 du 25 juillet 1997) Cette loi dispose ainsi dans ses parties pertinentes : Article 1 Quiconque a subi des lésions ou infirmités à la suite de vaccinations obligatoires (...) ayant entraîné un dommage permanent de l’intégrité psychologique et physique a droit à une indemnisation de la part de l’Etat (...). Les personnes ayant été contaminées par le VIH à la suite de l’administration de produits dérivés du sang (...) ont également droit à l’indemnisation visée à l’alinéa 1 (...). Les personnes ayant subi des dommages irréversibles dus à des hépatites post-transfusionnelles ont aussi droit à l’indemnité en cause (...) Article 2 Cette indemnité consiste en une allocation transférable (assegno reversibile) pendant une durée de quinze ans, fixée selon les critères établis dans le tableau B annexé à la loi no 177 du 29 avril 1976 [qui régit la réévaluation des pensions de retraite], telle que modifiée par la loi no 111 du 2 mai 1984 sur la majoration desdites pensions] [...], cumulable avec toute autre indemnité perçue à différents titres et réévaluée annuellement selon le taux d’inflation programmé (tasso di inflazione programmato). L’indemnité visée à l’alinéa 1 est complétée par une somme correspondant au montant de [l’IIS] prévue par la loi no 324 du 27 mai 1959, telle que modifiée ultérieurement (...). En cas de décès de la personne en raison de la vaccination ou des suites des pathologies visées à la présente loi, les personnes qui étaient à la charge de celle-ci peuvent percevoir soit l’indemnité visée à l’alinéa 1, soit une allocation de 150 000 000 lires italiennes (...). Lorsque la personne décédée est mineure, les parents ou les personnes exerçant l’autorité parentale ont droit à l’indemnité. (...). Article 3 Les personnes souhaitant obtenir l’indemnité décrite à l’article 1, alinéa 1 introduisent leur demande devant l’Unité sanitaire locale compétente dans un délai de trois ans pour les cas de contaminations à la suite de vaccinations obligatoires et les hépatites post-transfusionnelles et de dix ans en cas de contamination par le VIH. Les délais courent (...) à partir du moment où l’ayant droit à eu connaissance du préjudice (...). Dans les quatre-vingt-dix jours à partir de la présentation de la demande, l’Unité sanitaire locale procède à l’instruction des demandes et la collecte des évaluations décrites à l’article 4 (...). Article 4 L’évaluation du lien de causalité entre, d’une part, la vaccination, la transfusion ou l’administration de produits sanguins et, d’autre part, l’atteinte à l’intégrité psychologique et physique ou la mort de l’intéressé est menée par une commission médicale [...].
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, Mme M.B., est une ressortissante roumaine, née en 1958 et résidant à Bacău. A aucun moment elle n’a été représentée par un avocat devant la Cour, ni devant les juridictions internes. Elle est admise depuis 1996 au bénéfice d’une aide sociale, comme personne handicapée inapte pour exercer un travail. Le 14 septembre 2000, elle a été diagnostiquée comme atteinte de « schizophrénie paranoïde ». Depuis cette date, elle figure dans les fichiers de plusieurs établissements psychiatriques. La requérante est la mère de trois enfants, dont deux, C.-L. et C.-I., nés en 1992 et 1994 respectivement, étaient mineurs à l’époque des faits. Elle avait, en outre, une fille aînée majeure. Une lettre du 18 janvier 2011 de l’autorité des tutelles près la mairie de Bacău, adressée à l’agent du Gouvernement roumain auprès de la Cour, précise que « d’après les vérifications dans la base de données de la section de l’autorité des tutelles (Compartimentul Autoritate Tutelară) près la mairie de Bacău, aucune mesure de protection des intérêts de Mme [M.B.] – personne malade ayant un diagnostic de schizophrénie paranoïde – n’a été mise en place (nu s-a instituit) ni par curatelle, ni par tutelle ». Cette lettre ajoute que « de même pour ses deux enfants, aucune curatelle n’a été mise en place afin de les assister ou de protéger leurs intérêts pendant la période d’internement de leur mère ». A. Les admissions de la requérante à l’hôpital psychiatrique Depuis 2000, la requérante a été conduite à plusieurs reprises, le plus souvent par la police, dans le service psychiatrique de l’hôpital de Bacău et dans le centre psychiatrique de Socola où elle a séjourné. Tel a été le cas pendant les périodes du 14 septembre au 13 octobre 2000, du 1er au 15 mai 2002, du 21 janvier au 17 février 2003, du 12 mai au 2 juin 2004, du 26 octobre au 4 novembre 2005, du 18 au 31 mars, du 21 juillet au 8 août et du 25 août au 13 septembre 2006, et du 8 au 22 octobre 2007. Ainsi, par exemple, par une lettre du 11 janvier 2003, la police d’Izvoru Bereheciului demanda à l’hôpital de Bacău l’admission de la requérante au motif qu’« elle a été trouvée mal nourrie (subnutrită), habitant dans une chambre sans chauffage et sans aucune aide matérielle ». La lettre s’achevait par la phrase suivante : « nous vous saurions gré de prendre des mesures médicales car elle a un comportement antisocial ». La fiche d’admission de la requérante à l’hôpital, en service psychiatrique, du 12 mai 2004, indiquait à la rubrique « type d’internement » que c’était la police qui l’avait déposée en urgence. Une lettre de la police datée du même jour indique comme raison de son transport le fait qu’elle « représentait un danger pour ses voisins du village, car elle avait l’habitude d’allumer du feu dans la cour de sa maison, elle entrait dans les institutions de la commune et, en se manifestant violemment, elle faisait peur aux enfants passant dans la rue ». De même, la fiche de sortie de l’hôpital datée du 8 août 2006 précise que la requérante avait été « réadmise à l’hôpital après y avoir été emmenée par la police (se reinternează adusă de poliţie) », le 21 juillet 2006. Une lettre signée par la requérante, mais non datée, demandant son admission à l’hôpital, fut classée avec sa fiche d’admission du 21 juillet 2006. Cette lettre indiquait qu’en cas de besoin, ses enfants pouvaient être contactés au foyer d’accueil dont elle indiquait l’adresse. La même mention « type d’internement : police » figure sur la fiche d’admission datée du 25 août 2006. Une lettre de la police datée du même jour reprenait les mêmes raisons que celles contenues dans la lettre du 12 mai 2004. Cette lettre ajoutait qu’il paraissait qu’elle avait « aussi été victime d’un viol pendant la nuit du 24 au 25 août 2006 ». Ces faits ont été à l’origine de l’affaire B. c. Roumanie (no 42390/07, 10 janvier 2012). Il ressort des documents envoyés que la requérante est sortie de l’hôpital après des périodes de longueur variable suivant chaque admission. D’après les données fournies par le Gouvernement, au cours de l’année 2008, la requérante a été admise à l’hôpital à quatre reprises et a passé, au total, cinq mois dans le service de psychiatrie pour malades chroniques. En 2009, elle a été admise à l’hôpital à six reprises et a passé, au total, dix mois et demi dans le service de psychiatrie pour malades chroniques de l’hôpital de Buhuşi. En, 2010, elle a également été internée à sept reprises, ayant passé, au total, plus de onze mois à l’hôpital. La requérante estime qu’elle a été « définitivement internée » par les autorités. Elle n’a pas indiqué à la Cour si elle a contesté ces mesures en vertu de la loi nº 487/2002 sur la santé mentale et la protection des personnes présentant des troubles psychiques. Dans une lettre du 31 janvier 2011, adressée à l’agent du Gouvernement roumain, le directeur de l’hôpital de Buhuşi assura que la requérante était hospitalisée dans de bonnes conditions. Les autres parties pertinentes de cette lettre se lisent ainsi : « En réponse à votre lettre no 319 du 21 janvier 2011, relative au cas [M.B.] nous revenons avec les précisions suivantes : (...) [M.B.] est une patiente chronique internée dans des cliniques de psychiatrie depuis 2000 ; elle présente des idées délirantes de persécution et de préjudice. Elle a le droit d’être informée, pour preuve sa correspondance qu’elle entretient depuis des années avec la CEDH. Pour nous, il est surprenant que ses accusations à caractère bizarre, délirant, incohérent, l’œuvre d’une malade psychique chronique, soient prises en compte, nous obligeant en permanence à des réponses et lettres officielles de plusieurs dizaines de pages, au total, incluant des documents d’archives et un travail soutenu afin d’infirmer ses mensonges flagrants. (...) [M.B.] n’est pas une victime de l’État roumain mais de la maladie dont elle souffre. » B. Le placement des deux enfants mineurs de la requérante A partir de 2000 les deux enfants mineurs n’habitaient plus avec la requérante et avaient été placés, à cause de sa maladie, dans un centre d’accueil pour les enfants abandonnés, par décision de la commission pour la protection de l’enfant de Bacău. Les procédures de placement Deux articles publiés les 9 et 12 septembre 2000 dans le quotidien local Deşteptarea décrivaient les conditions insalubres dans lesquelles vivaient la requérante et ses deux enfants mineurs. Le lendemain de la parution de ces articles, les autorités furent informées que les deux enfants étaient nourris « avec de l’herbe, des châtaignes, des feuilles de plantain et des champignons ramassés dans les parcs publics ». De plus, leur mère avait refusé de les inscrire à l’école. Le 12 septembre 2000, poussée par les s sociaux, ainsi qu’il ressort du rapport du 13 septembre 2000, la mère de la requérante, et grand-mère des enfants, sollicita l’aide des services sociaux (Direcţia Generală de Asistenţă Socială şi Protecţia Copilului – ci-après « la DGASPC ») de Bacău afin de faire admettre la requérante dans un hôpital spécialisé, en raison de sa maladie psychique et de son comportement violent. La grandmère des enfants précisa que les deux enfants n’étaient pas scolarisés, se trouvaient parfois sans nourriture, ni surveillance et exprima son accord pour leur placement dans un centre d’accueil. A l’époque des faits, les enfants avaient huit et six ans respectivement. Le même jour, quatre fonctionnaires des services d’assistance sociale, dont deux de la DGASPC et deux d’un centre d’accueil pour enfants, accompagnés par un policier, se déplacèrent au domicile de la requérante. Dans le rapport du 13 septembre 2000 rédigé à la suite de cette visite, il était indiqué que la maladie de la requérante « était évidente », ainsi que le manque de nourriture dans la maison et les conditions de vie inadéquates, comme l’absence de chauffage et d’électricité. Ledit rapport proposa le placement d’urgence des enfants dans le centre d’accueil, au motif que « leur mère représentait un danger pour eux ». Le service social recueillit les déclarations de trois voisins de la requérante qui décrivirent les conditions déplorables dans lesquelles les deux enfants vivaient avec leur mère. Le jour même, les assistants sociaux ramenèrent les enfants au centre d’accueil, après avoir obtenu l’accord écrit de leur grand-mère. Deux enquêtes psychosociales furent conduites. Les rapports en découlant exposaient la situation familiale, sociale, matérielle et affective des enfants, soulignant le danger dans lequel ils se trouvaient. Les rapports précisaient que depuis le 15 septembre 2000, la requérante avait été internée dans un hôpital psychiatrique. Par les décisions nos 978 et 979 du 26 septembre 2000, la commission pour la protection de l’enfant de Bacău ordonna le placement des enfants dans un centre d’accueil dénommé « Les tulipes » (Centrul Lalelelor). La requérante ne forma pas de recours contre ces arrêtés. Par les décisions nos 1374 et 1375 du 5 décembre 2000 de la même commission, les mineurs furent transférés dans le centre d’accueil dénommé « Le pré aux fleurs » (Poiana Florilor) de Humeiuş. La requérante ne forma pas de recours contre cette décision. Le maintien du placement des enfants Saisi par la Direction départementale de Bacău pour l’assistance sociale et la protection de l’enfant, le tribunal départemental de Bacău ordonna par jugements des 14 décembre 2005 et 27 janvier 2006 que le placement des enfants se poursuive. Par ces jugements, il fut décidé de déléguer l’exercice des droits parentaux au directeur du centre. La requérante n’était pas présente, ni représentée devant le tribunal. Les enfants furent entendus par le tribunal en présence d’un assistant social du centre d’accueil. Le tribunal constata qu’en septembre 2000, les enfants avaient été trouvés dans la maison de leur mère dans un état de misère, sans lumière et sans nourriture et qu’ils n’étaient pas scolarisés. Il ajouta ensuite que la grandmère maternelle était trop âgée pour les prendre en charge. Le tribunal estima que cette mesure était dans l’intérêt des enfants, tout en notant que depuis leur placement ils recevaient régulièrement la visite de leur mère. La requérante ne forma pas de pourvoi en recours contre ces jugements. Par la suite, elle adressa en vain plusieurs demandes à diverses autorités afin de récupérer la garde de ses enfants. Par deux jugements du 17 août 2007 du tribunal départemental de Bacău, les deux enfants furent transférés au centre d’accueil dénommé « SOS Village d’enfants » (SOS Satul Copiilor) de Humeiuş, à la suite d’une réorganisation des centres d’accueil. Le tribunal justifia cette mesure de placement par le fait que les deux enfants avaient été abusés émotionnellement par leur mère au moment de leur placement initial le 12 septembre 2000. La requérante ne forma pas de recours contre ces jugements. Il ressort des rapports communiqués par la direction d’assistance sociale et de protection de l’enfant et de ceux rédigés périodiquement par les délégués de la mairie d’Izvorul Berheciului que les enfants ont été souvent visités par leur mère. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La législation relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques et la pratique interne pertinente La législation en vigueur à la date de l’introduction de la présente requête et la pratique interne pertinente relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques sont, en partie, décrites dans les arrêts C.B. c. Roumanie (no 21207/03, § 37, 20 avril 2010), Parascineti c. Roumanie, (no 32060/05, §§ 25 et 29, 13 mars 2012) et Cristian Teodorescu c. Roumanie (no 22883/05, §§ 30-40, 19 juin 2012). La loi sur la santé mentale dans sa version initiale L’internement psychiatrique est régi par les dispositions de la loi no 487 du 11 juillet 2002 sur la santé mentale et la protection des personnes ayant des troubles psychiques (« la loi no 487/2002 »), publiée au Journal Officiel no 589 du 8 août 2002. Cette loi fait la distinction entre l’internement volontaire et l’internement d’office d’une personne. Les articles 12 et 13 de cette loi prévoient que l’évaluation de l’état de santé mentale d’une personne, dans le but d’établir un diagnostic ou de déterminer si l’intéressé a du discernement, a lieu par le biais d’un examen direct, par un médecin psychiatre, à la demande de la personne en cause lors d’un internement volontaire ou à la demande d’une autorité ou d’une personne habilitée dans le cas d’un internement d’office. En vertu de l’article 29 de ladite loi, le médecin psychiatre est tenu d’obtenir le consentement de l’intéressé pour le traitement et de respecter le droit de ce dernier d’être assisté lorsqu’il exprime son consentement (dreptul acestuia de a fi asistat în acordarea consimţământului). Le consentement peut être retiré à tout moment par le patient ou par son représentant (article 30). Lorsque le médecin soupçonne l’existence d’un conflit d’intérêts entre le patient et son représentant, il doit saisir le parquet afin de démarrer la procédure de désignation d’un représentant légal (article 31). Lors de son internement, chaque personne doit être informée dès que possible sur ses droits et doit bénéficier d’explications qu’elle puisse comprendre sur les modalités d’exercice de ses droits. Si la personne n’est pas en mesure de comprendre ces informations, c’est son représentant légal ou personnel qui doit en être informé (article 38). S’agissant de l’internement volontaire, tout patient concerné a le droit de quitter l’hôpital psychiatrique sur simple demande et à tout moment (article 43). La procédure précitée relative à l’internement psychiatrique d’office s’applique aussi dans le cas où une personne qui avait initialement donné son accord pour l’internement le retire par la suite (article 55). La loi prévoit, dans ses articles 44 à 53, les hypothèses dans lesquelles l’internement d’office est autorisé, à la suite d’un examen psychiatrique, ainsi que la procédure pour sa mise en œuvre (demande motivée de la part de la famille, de la police ou du médecin traitant, entre autres ; notification de la décision prise par le médecin au malade, à son représentant et à sa famille, ainsi qu’au parquet et à une commission médicale, pour confirmation). La décision relative à l’internement d’office est susceptible d’un recours judiciaire « auprès du tribunal compétent selon la loi », formé par le malade ou par son représentant (article 54). Les autorités, et notamment le ministère de la Santé, devaient prendre les mesures nécessaires pour la mise en application de la loi (article 63), ce que le ministère en cause a fait par les normes d’application du 10 avril 2006. Ces normes prévoyaient, entre autres, la désignation dans un délai de trente jours des hôpitaux habilités à procéder à des internements d’office (article 27). Elles prévoyaient aussi l’obligation pour le médecin d’informer le patient, sa famille et son représentant du droit de contester la décision d’internement et de la procédure applicable (article 28), et fournissaient les formulaires types pour la notification de la décision, telle qu’exigée par la loi no 487/2002. Les modifications apportées à la loi sur la santé mentale La loi no 487/2002 a été modifiée par la loi no 600/2004, publiée au Journal Officiel no 1228 du 21 décembre 2004, puis par la loi no 129/2012, publiée au Journal Officiel no 487 du 17 juillet 2012. La loi no 129/2012 ajoute un nouvel article 381 régissant le droit de toute personne intéressée, ayant conservé tous ses droits, de désigner un représentant conventionnel à titre gratuit afin de se faire assister ou représenter pendant toute la durée du traitement psychiatrique. Cette nouvelle disposition prévoit que si le patient n’a pas de représentant légal et qu’il n’a pas pu désigner un représentant conventionnel en raison de son incapacité psychique, l’hôpital est tenu de le notifier aussitôt (de îndată) à l’autorité de tutelle du domicile de l’intéressé, ou lorsque son domicile est inconnu, à celle de la commune où se trouve l’hôpital, afin que les mesures de protection juridique puissent être mises en place. L’arrêté du ministre de la Santé du 10 avril 2006 sur l’application de la loi sur la santé mentale no 487/2002 Cet arrêté, entré en vigueur le 2 mai 2006, régit la procédure d’application de la loi sur la santé mentale no 487/2002. L’article 29 prévoit que la demande d’internement d’office doit être faite par l’une des personnes ou des autorités habilitées par l’article 47 de la loi no 487/2002 au moment où elle se présente à l’hôpital ; cette demande doit être formulée par écrit et signée par le demandeur, qui doit indiquer les raisons qui, selon lui, la justifient. L’article 28 indique que le psychiatre, qui considère que les conditions de l’internement obligatoire sont remplies, est tenu d’informer la personne concernée de son droit de contester la décision prise à son égard, en lui indiquant les démarches à suivre. L’article 33 prévoit l’obligation des hôpitaux psychiatriques de tenir un registre destiné exclusivement aux informations relatives aux personnes internées contre leur gré, registre qui doit contenir toutes les décisions prises à leur égard. L’article 34 prévoit les conditions de forme que le médecin qui prend une décision d’internement d’office et la commission qui la valide sont tenus de respecter pour notifier leurs décisions au parquet. La loi sur la protection des personnes atteintes d’un handicap La loi no 448/2006 sur la sauvegarde des droits des personnes atteintes d’un handicap (legea privind protecţia şi promovarea drepturilor persoanelor cu handicap) a été publiée au Journal Officiel no 1006 du 18 décembre 2006. Elle a été par la suite modifiée et sa version refondue a été publiée au Journal Officiel no 1 du 3 janvier 2008. En vertu de l’article 25 de la version refondue de cette loi, les personnes atteintes d’un handicap bénéficient d’une protection contre la négligence et les abus, sans distinction aucune fondée sur l’endroit où elles se trouvent. Si une personne est dans l’incapacité totale ou partielle d’administrer ses biens, elle bénéficie d’une protection juridique sous la forme de la tutelle ou de la curatelle et aussi d’assistance juridique. Si la personne atteinte d’un handicap n’a pas de parents et qu’il n’y a personne qui puisse accepter de prendre en charge sa tutelle, le tribunal pourra nommer comme tuteur l’autorité de l’administration publique locale ou la personne morale de droit privé qui prodige des soins à l’intéressé. Les rapports des organisations non-gouvernementales au sujet de l’application de la loi sur la santé mentale Un rapport sur le respect des droits des personnes internées dans les hôpitaux psychiatriques établi en octobre 2009 par une organisation non gouvernementale, le Centre de ressources juridiques (Centrul de Resurse Juridice - CRJ), nota que les autorités n’avaient toujours pas désigné les hôpitaux habilités à procéder à des internements d’office, ce qui – ajouté à la connaissance précaire par le personnel médical des procédures précitées – rendait l’application effective de la loi no 487/2002 difficile et divergente (pour la partie pertinente du rapport voir l’arrêt Parascineti (précité, § 30)). En réponse à un mémorandum d’Amnesty International, publié le 4 mai 2004, au sujet de la méconnaissance, selon cette organisation, des standards internationaux en matière de placement et des conditions d’internement psychiatrique en Roumanie, le gouvernement roumain a contesté, par un communiqué de presse diffusé le jour même, l’idée que la loi no 487/2002 ne serait pas applicable avant l’adoption des normes d’application. Selon le Gouvernement, plusieurs procédures dans lesquelles les intéressés contestaient une mesure d’internement d’office auraient d’ailleurs été pendantes à l’époque devant les tribunaux internes. Le même mémorandum indique que lors d’une visite faite en novembre 2003, un représentant d’Amnesty International, qui avait visité un pavillon fermé pour les hommes de l’hôpital psychiatrique Obregia de Bucarest, a recueilli des informations selon lesquelles beaucoup de ceux qui avaient été amenés à l’hôpital avaient initialement refusé l’internement, mais avaient, par la suite, été « persuadés » que c’était dans leur intérêt, afin qu’ils signent un formulaire de consentement au traitement. Ainsi, vingt hommes retenus dans le pavillon fermé étaient considérés comme des « internements volontaires ». Certains s’étaient plaints de ce qu’ils souhaitaient quitter l’hôpital, mais que cela ne leur était pas permis. B. Le code de la famille et le nouveau code civil Dispositions sur l’autorité parentale et l’autorité de tutelle Les dispositions pertinentes du code de la famille, en vigueur à l’époque des faits et jusqu’au 1er octobre 2011 (date d’entrée en vigueur du nouveau code civil), concernant les attributions générales de l’autorité de tutelle en ce qui concerne les enfants sont décrites dans l’affaire Amanalachioai c. Roumanie (no 4023/04, §§ 5456, 26 mai 2009). Les dispositions pertinentes du code de la famille, en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées : Article 97 § 2 « Les parents exercent leurs droits parentaux dans l’intérêt de l’enfant. » Article 98 « Les mesures concernant la personne de l’enfant et ses biens sont prises par les parents, d’un commun accord. (...) » Article 100 §§ 1 et 3 « L’enfant mineur habite chez ses parents (...). En cas de mésentente entre les parents, le tribunal, après avoir entendu l’autorité de tutelle et l’enfant, s’il a atteint l’âge de dix ans, décide, en tenant compte de l’intérêt de l’enfant. » Article 103 « Les parents ont le droit de demander que leur enfant leur soit remis par toute personne le gardant sans en avoir le droit. Les tribunaux rejettent la demande de retour si elle est contraire aux intérêts de l’enfant. Celui-ci est entendu après l’âge de dix ans. » Article 108 « L’autorité de tutelle [autoritatea tutelară] doit exercer un contrôle effectif et continu sur la manière dont les parents s’acquittent de leurs obligations concernant la personne et les biens de l’enfant. Les délégués de l’autorité de tutelle ont le droit de rendre visite aux enfants chez eux et de se renseigner par tous les moyens sur la manière dont les personnes qui en ont la charge s’occupent d’eux, sur leur santé et leur développement physique, leur éducation (...) ; au besoin, ils donnent les instructions nécessaires. » L’autorité de tutelle peut être aidée dans son travail par des collectifs de soutien. Ces collectifs sont composés de députés, enseignants, juristes, responsables de la croix rouge, etc. Les Directions départementales pour la protection des droits de l’enfant sont des institutions publiques au niveau départemental, avec personnalité morale, sous l’autorité du conseil départemental. Le rôle de ces institutions est d’assurer aux enfants en difficulté la protection et l’assistance nécessaires pour bénéficier de leurs droits et de leur fournir soutien et conseils pour prévenir les situations qui mettent en danger la sécurité et le développement de l’enfant. Dispositions sur l’interdiction civile, la tutelle et la curatelle Les dispositions du code de la famille concernant les personnes mises sous interdiction civile, en vigueur à l’époque des faits, peuvent se lire comme suit. Article 142 « Celui qui n’a pas le discernement afin de faire valoir ses intérêts, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, sera mis sous interdiction. (...) » Article 149 « Le tuteur a l’obligation de prendre soin de celui qui est mis sous interdiction afin d’accélérer sa récupération et d’améliorer ses conditions de vie (...) ». L’autorité de tutelle, en accord avec le service de santé publique compétent et en fonction des circonstances, devra décider si la personne incapable sera soignée à son domicile ou dans une institution médicale. » Article 152 « En dehors des autres situations prévues par la loi, l’autorité de tutelle doit nommer un curateur dans les cas suivants : (...) (b) Lorsqu’en raison de sa maladie ou pour d’autres motifs une personne même capable n’est pas en mesure, ni personnellement, ni par le biais d’un représentant, de prendre des mesures nécessaires dans des situations qui réclament l’urgence. » Dispositions du nouveau code civil sur l’interdiction civile, la tutelle et la curatelle Le nouveau code civil a été publié au Journal officiel no 511 du 24 juillet 2009, puis republié au Journal officiel no 505 du 15 juillet 2011. Il est entré en vigueur le 1er octobre 2011. Le titre III du nouveau code civil régit, entre autres, les mesures de protection des majeurs qui sont dans l’impossibilité de pourvoir seuls à leurs intérêts. L’article 164 reprend, pour l’essentiel, l’ancien article 142 du code de la famille. Il est statué que « celui qui n’a pas le discernement afin de faire valoir ses intérêts, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, sera mis sous interdiction par décision de justice (interdicţie judecătorească) ». L’article 170 statue que le juge des tutelles (instanţa de tutelă) doit désigner un tuteur par la décision de justice ordonnant l’interdiction. L’article 178 régit la curatelle qui doit être instituée entre autres si, en raison de la maladie, une personne, quoique capable, n’est pas en mesure de défendre ses intérêts de manière adéquate et, pour des raisons objectives, elle n’est pas en mesure de désigner elle-même un représentant. C. Autres dispositions pertinentes au sujet du placement des enfants Le règlement d’urgence du Gouvernement no 26 du 9 juin 1997 sur la protection de l’enfant en difficulté a été publié au Journal officiel du 12 juin 1997. Il a été abrogé et remplacé par la loi no 272/2004, publiée au Journal officiel du 23 juin 2004. Les dispositions du règlement d’urgence, en vigueur à l’époque du placement initial des deux enfants mineurs de la requérante, se lisaient ainsi : Article 7 « Afin d’assurer le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant en difficulté, la Commission pour la protection de l’enfant peut ordonner : (...) e) le placement de l’enfant auprès d’un service public de protection spécialisé ou auprès d’un établissement privé agréé. » Article 8 « Si l’enfant a été déclaré abandonné par décision judiciaire définitive (...) les droits parentaux sont exercés par le conseil départemental, par le biais de la Commission pour la protection de l’enfant. » Selon l’article 14 de l’ordonnance d’urgence précitée, les autorités sont obligées de favoriser le maintien des relations familiales, dans la mesure où celles-ci étaient dans l’intérêt supérieur des enfants. Conformément à l’article 14 de l’ordonnance, les parents gardent les droits et obligations parentaux pendant toute la durée du placement, sauf ceux qui sont incompatibles avec la mesure de protection.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1929 et réside à Bucarest. Par un arrêt définitif du 17 juin 2002, le tribunal départemental de Mureș condamna les autorités départementales à octroyer au requérant et à ses frères et sœurs un titre de propriété sur un terrain de 8 700 m2 situé dans la ville de Sighişoara et qui avait appartenu, avant sa nationalisation, à leurs aïeuls. Le 2 octobre 2003, le titre de propriété fut délivré. Le requérant et les autres propriétaires furent empêchés de prendre possession de leur bien en raison de l’existence, sur une partie du terrain, de plusieurs constructions appartenant à deux sociétés coopératives : Prestarea Sighişoara (« la société P. ») et Sinco Sighişoara (« la société S. »). Ces constructions avaient été érigées avant l’octroi du titre de propriété sur la base d’un droit d’usage gratuit au profit des sociétés coopératives. La demande d’inscription du terrain de 8 700 m2 sur le livre foncier fut rejetée par un arrêt définitif prononcé le 6 octobre 2006 par la cour d’appel de Târgu-Mureş au motif qu’une partie du terrain était occupée par les immeubles appartenant aux deux sociétés et que des litiges entre ces dernières et le requérant étaient en cours (voir ci-dessous). Les deux sociétés demandèrent l’annulation du titre de propriété. Dans le cadre du litige qui l’opposait à la société P., le requérant forma une demande reconventionnelle, réclamant le paiement d’un loyer mensuel pour l’occupation du terrain. Devant le refus du requérant d’acquitter le droit de timbre au motif que les demandes relatives au domaine foncier en auraient été exonérées, le tribunal rejeta sans examen la demande reconventionnelle par un jugement du 24 mai 2006. Le requérant n’interjeta pas appel. Par deux arrêts définitifs du 7 mai 2007 et du 14 février 2008, le tribunal départemental de Mureş rejeta les demandes d’annulation du titre de propriété et confirma la validité de celui-ci. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions et la pratique internes pertinentes en l’espèce sont résumées dans l’arrêt Moculescu c. Roumanie (no 15636/04, §§ 16 et suivants, 2 mars 2010). La loi no 109/1996 a établi le cadre législatif du fonctionnement des sociétés coopératives, créées principalement dans le domaine des services. Celles-ci ont acquis le statut de personnes morales de droit privé et ont été affranchies de la tutelle que l’Etat exerçait pendant le régime communiste. Concernant leur patrimoine, l’article 187 de la loi disposait : « Les terrains dont l’usage a été gratuitement transféré pour une durée indéterminée à des sociétés coopératives afin que ces dernières y construisent des immeubles pour leurs activités restent en leur possession, dans les mêmes conditions, aussi longtemps que le droit de propriété sur ces immeubles demeure dans leur patrimoine. » La loi no 1/2005 est entrée en vigueur le 3 mars 2005. Elle a remplacé la loi no 109/1996 et a maintenu le droit d’usage gratuit des terrains occupés par les constructions appartenant à des sociétés coopératives, à la condition que ces terrains ne soient pas revendiqués.
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Le requérant est né en 1964 et réside à Lisbonne. Il est journaliste et ancien attaché de presse de l’équipe nationale portugaise de football professionnel. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En août 2006, le requérant publia un livre intitulé A Pátria fomos nós (« Nous fûmes la Patrie »). Dans cet ouvrage, tiré à 4 500 exemplaires, l’auteur donna ses impressions, sous forme de journal quotidien, sur le parcours de l’équipe nationale de football lors de la Coupe du Monde de 2006. Dans certains passages de ce livre, le requérant émit, sans jamais mentionner son nom, des considérations sur la personne de M.P.C., président d’un club de football professionnel très connu. Il décrivait notamment ce dernier comme étant un « ennemi juré » (inimigo figadal) de l’équipe nationale, envers laquelle il aurait éprouvé de la « haine ». Le requérant qualifiait également M.P.C. comme le « champion national des mis en examen (arguidos) du football portugais », se référant à des procédures pénales dans lesquelles M.P.C. aurait été impliqué. A une date non précisée, M.P.C. déposa une plainte pénale avec constitution d’assistente (auxiliaire du ministère public) devant le parquet de Vila Nova de Gaia. Il accusa le requérant de diffamation et demanda des dommages et intérêts. Par un jugement du 16 juillet 2009, le tribunal de Vila Nova de Gaia jugea le requérant coupable de diffamation et le condamna à une peine de 200 jours-amende au taux journalier de 13 euros (EUR) ainsi qu’au versement de 5 000 EUR à M.P.C. au titre de dommages et intérêts et au paiement des frais de justice. Le tribunal estima notamment que les propos du requérant qualifiant l’assistente d’« ennemi juré » de l’équipe nationale de football et de « champion national des mis en examen » étaient objectivement diffamatoires. Le requérant fit appel devant la Cour d’appel de Porto, invoquant notamment l’article 10 de la Convention. Par un arrêt du 17 février 2010, la cour d’appel confirma la peine et la décision en matière de dommages et intérêts. Se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, la cour d’appel reconnut que les expressions en cause étaient des jugements de valeur. Pour la cour d’appel, les propos du requérant qualifiant M.P.C. d’« ennemi juré » de l’équipe nationale de football ne pouvaient pas être considérés comme attentatoires de la réputation de ce dernier. Toutefois, le fait de désigner M.P.C. en tant que « champion national des mis en examen » revêtait un caractère diffamatoire. La cour d’appel s’exprima ainsi à cet égard : « Le sujet de l’ouvrage [du requérant] n’avait aucun rapport avec les procédures pendantes à l’encontre de l’assistente ; le [requérant] n’avait d’ailleurs nullement l’intention d’informer le public à cet égard : il fut établi que [le requérant] ne savait même pas dans combien de procédures l’assistente avait été mis en examen, l’expression champion des mis en examen ayant été utilisée hors contexte afin de qualifier de manière péjorative la situation vécue par lui à l’époque, dans le seul but de le dénigrer et de l’accabler. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 180 du Code pénal, qui réprime la diffamation, dispose notamment que : « 1. Celui qui, s’adressant à des tiers, accuse une autre personne d’un fait, même sous forme de soupçon, ou qui formule, à l’égard de cette personne, une opinion portant atteinte à son honneur et à sa considération, ou qui reproduit une telle accusation ou opinion, sera puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’à six mois ou d’une peine jusqu’à 240 jours-amende. La conduite n’est pas punissable : a) lorsque l’accusation est formulée en vue d’un intérêt légitime ; et b) si l’auteur prouve la véracité d’une telle accusation ou s’il a des raisons sérieuses de la croire vraie de bonne foi. (...) La bonne foi mentionnée à l’alinéa b) du paragraphe 2 est exclue lorsque l’auteur n’a pas respecté son obligation imposée par les circonstances de l’espèce de s’informer sur la véracité de l’accusation. » Aux termes de l’article 183 § 2 de ce même Code, lorsque l’infraction est commise par l’intermédiaire d’un organe de presse, la peine encourue peut atteindre deux ans d’emprisonnement ou une sanction non inférieure à 120 jours-amende.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1968. Son lieu de résidence actuel est inconnu. A. Le passé du requérant au Tadjikistan, son arrivée en Russie et les poursuites pénales engagées à son encontre au Tadjikistan En 1992, une guerre civile a éclaté au Tadjikistan. Après une trêve en 1997, le 14 mai 1999, le Parlement tadjik adopta une loi générale d’amnistie pour les infractions commises entre 1992 et 1997. Le requérant soutient qu’il aurait travaillé en tant que garde du corps d’un leader d’opposition tadjike M. Khodji Akbar Touradjonzody entre 1992 et 2001, tant avant qu’après la trêve, et qu’il aurait été amnistié. En mai 2001, le requérant quitta le Tadjikistan et entra sur le territoire russe. En Russie le requérant résida sous une fausse identité à Tcheliabinsk, Saint-Pétersbourg, Oufa et Volgograd. Le 20 août 2001, le bureau du procureur de Douchanbé (Tadjikistan) délivra à l’égard du requérant un mandat d’arrêt (постановление об объявлении розыска обвиняемого) pour enlèvement et rançonnement commis en réunion en décembre 1998. Le 16 octobre 2007, le bureau du procureur de Douchanbé délivra à l’égard de l’intéressé un mandat d’arrêt international (постановление об объявлении международного розыска обвиняемого) pour les mêmes agissements. Par une décision du 10 janvier 2011, l’enquêteur du bureau du procureur général du Tadjikistan mit en examen le requérant. Selon ce document, le requérant était accusé d’avoir mis sur pied une bande criminelle ayant fonctionné entre juillet 1998 et mai 2001 et d’avoir commis, en tant que dirigeant de cette bande, les infractions suivantes : enlèvement du directeur adjoint de la banque nationale du Tadjikistan en décembre 1998, prise d’otage avec rançonnement en 2000, terrorisme, tentative de meurtre d’un homme politique et destruction intentionnelle de la propriété d’autrui en 2001. B. La détention, l’extradition du requérant et les demandes d’asile Le 4 novembre 2010, le requérant fut arrêté à son domicile à Volgograd en exécution du mandat d’arrêt. La détention sous écrou extraditionnel Le 6 novembre 2010, le tribunal du district Traktorozavodskiy de Volgograd examina la requête du procureur visant à la mise en détention de l’intéressé sous écrou extraditionnel. Le tribunal établit que le requérant se trouvait clandestinement sur le territoire russe depuis 2001 et que, lorsqu’il s’était su accusé de délits graves par les autorités tadjikes, il avait pris la fuite. Le tribunal accueillit la demande du procureur. Le 29 décembre 2010, le tribunal du district Traktorozavodski de Volgograd examina une requête du procureur visant à la prolongation de la détention du requérant. Il établit que le 1er décembre 2010, le procureur général de Russie avait reçu de son homologue tadjik une demande d’extradition visant le requérant. Le tribunal releva, d’autre part, que le requérant se trouvait en situation irrégulière sur le territoire russe depuis 2001, qu’il n’avait ni travail officiel ni lieu de résidence permanent et que, par conséquent, il y avait un risque qu’une fois élargi, le requérant prenne la fuite. Le tribunal prit note de la déclaration du procureur que la procédure d’extradition était en cours et nécessitait du temps. Le tribunal rejeta comme dénué de tout fondement l’argument du requérant selon lequel les poursuites pénales au Tadjikistan avaient été engagées pour des motifs politiques. Le tribunal prorogea la détention jusqu’au 4 mai 2011. Le requérant forma un recours contre cette décision, reprochant au tribunal de ne pas avoir examiné la question de la motivation politique des poursuites pénales au Tadjikistan. Le 18 janvier 2011, la cour régionale de Volgograd examina le recours. Elle jugea que la détention du requérant était régulière car fondée sur une décision de justice dûment motivée. La cour rejeta par ailleurs l’allégation du motif politique des poursuites pénales comme dénuée de tout fondement. Elle confirma la décision attaquée, en cassation. Le 3 mai 2011, le tribunal du district Traktorozavodski de Volgograd examina une demande du procureur visant à la prolongation de la détention du requérant. Il releva que le requérant avait introduit une demande du statut de réfugié en Russie, qui était en cours d’examen. Le tribunal prorogea la détention du requérant jusqu’au 4 novembre 2011. Cette décision fut confirmée par un arrêt de la cour régionale de Volgograd rendu le 18 mai 2011. Le 26 octobre 2011, se référant à une décision de l’adjoint du procureur général de Russie en date du 24 août 2011 autorisant l’extradition du requérant (voir infra), la cour régionale de Volgograd prorogea la détention provisoire de ce dernier jusqu’au 4 mai 2012. Le requérant interjeta appel de cette décision ; mais, par une décision du 8 novembre 2011, le recours fut rejeté pour vice de forme. La procédure extraditionnelle à l’égard du requérant Entre-temps, le 22 novembre 2010, le procureur général tadjik adressa à son homologue en Russie une demande d’extradition du requérant pour différentes infractions qui auraient été commises par ce dernier entre 2000 et 2001. Le 24 janvier 2011, le procureur général tadjik compléta sa demande d’extradition en précisant les infractions pour lesquelles l’extradition était demandée. Le procureur général garantit par ailleurs que, en cas d’extradition, l’intéressé ne serait pas soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, et que son extradition n’était pas soustendue par des motifs politiques, religieux ou de nationalité. Le procureur nota, en outre, qu’en 2004 le Tadjikistan avait déclaré un moratoire sur la peine de mort et qu’ainsi, la peine de mort ne serait pas appliquée au requérant. Le procureur général mentionna, enfin, que le requérant serait poursuivi uniquement pour les faits pour lesquels l’extradition était demandée. Le 16 juin 2011, le procureur général tadjik compléta de nouveau sa demande d’extradition en mentionnant que la défense de l’intéressé serait assurée. Le 24 août 2011, le vice-procureur général de Russie accueillit partiellement la demande d’extradition du requérant. La décision d’extradition fut délivrée pour les faits de : banditisme, enlèvement, prise d’otage, rançonnement et tentative de meurtre d’un homme politique. Le requérant forma un recours contre cette décision, arguant notamment que la mise à exécution de la décision d’extradition l’exposerait à un risque de mauvais traitements au Tadjikistan. Il se référait à l’appui de sa thèse à des rapports d’organisations internationales et à la jurisprudence de la Cour. De même, le requérant objecta que les poursuites pénales engagées contre lui au Tadjikistan avaient un caractère politique ; il fit valoir notamment qu’il avait été amnistié pour les infractions alléguées. Le 4 octobre 2011, la cour régionale de Volgograd, dans une audience contradictoire, examina ce recours. Elle prit bonne note des assurances des autorités tadjikes ; selon celles-ci : l’intéressé ne serait pas soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, son extradition n’avait pas pour but de le poursuivre pour des motifs politiques, religieux ou de nationalité, et il ne serait poursuivi que pour les infractions mentionnées dans la demande d’extradition. Elle prit note également des informations fournies par l’État demandeur relativement au moratoire sur la peine de mort. La cour rejeta l’argument du requérant relatif à l’amnistie déclarée au Tadjikistan car les infractions visées par la demande d’extradition n’étaient pas couvertes par cette amnistie. La cour releva, par ailleurs, que les infractions imputées au requérant au Tadjikistan étaient également prévues par le code pénal russe et n’étaient prescrites ni en Russie, ni au Tadjikistan. En ce qui concerne le motif politique des poursuites, la cour releva tout d’abord que la demande du statut de réfugié avait été rejetée par les autorités russes. D’autre part, la cour observa ce que suit : « Les documents qui ont servi de base à la décision d’extradition de M. Latipov ne contenaient pas d’informations attestant la présence d’un risque personnel pour l’intéressé d’être soumis, en cas d’extradition, à la torture ou à un traitement inhumain ou dégradant. » Aux yeux de la cour, les arrêts de la Cour européenne rendus dans les affaires Gaforov (no 25404/09, 21 octobre 2010), Iskandarov (no 17185/05, 23 septembre 2010), et Khodzhayev (no 52466/08, 12 mai 2010) contre la Russie n’avaient constaté que des faits isolés de violation de la loi nationale et de la Convention à l’égard des intéressés, de sorte qu’ils ne pouvaient pas servir de base pour refuser l’extradition de M. Latipov. La cour conclut qu’étant donné l’absence d’autres preuves à l’appui de l’argument relatif à un risque de mauvais traitements, il lui était impossible de douter de la suffisance des garanties de la sécurité du requérant, présentées par l’État étranger. La cour confirma, ainsi, la décision contestée du procureur. Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 27 décembre 2011, la Cour suprême de Russie rejeta le recours formé par le requérant. Elle confirma l’argument de la cour régionale relatif à l’amnistie du requérant, en ajoutant que le requérant avait été amnistié conformément à la loi d’amnistie adoptée par le Parlement national tadjik le 14 mai 1999. Cette loi ne couvrait que les agissements commis entre 1992 et 1997 et non ceux imputés au requérant commis entre 1998 et 2001. La Cour suprême releva que les demandes du requérant visant à l’obtention du statut de réfugié et de l’asile « temporaire » en Russie avaient été rejetées. La Cour suprême réitéra l’argument de la cour régionale relatif à des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme et ajouta que le requérant n’avait pas versé au dossier de documents de nature à prouver que les violations alléguées des droits de l’homme persistaient et que le requérant serait susceptible d’en pâtir. La Cour suprême observa que la nature des accusations portées contre le requérant – atteinte à l’ordre constitutionnel, à la sécurité des personnes, et à la propriété – ne permettait pas de conclure que les poursuites pénales engagées contre lui avaient un caractère politique. La Cour suprême retint par ailleurs que la procédure judiciaire concernant l’extradition n’était pas entachée d’arbitraire, que le requérant bénéficiait d’un procès contradictoire, qu’il avait pris part à l’audience, avait pu présenter des preuves et arguments, et qu’il bénéficiait de l’assistance d’un interprète et d’un avocat. La Cour suprême confirma ainsi la décision contestée. La procédure de demande du statut de réfugié et d’asile temporaire a) Demande du statut de réfugié Entre-temps, le 22 décembre 2010, le requérant sollicita auprès de la direction régionale du Service fédéral des migrations (SFM) de Volgograd l’octroi du statut de réfugié au motif qu’au Tadjikistan il courait un risque d’être poursuivi comme partisan de M. Touradjonzody. Il se référait également à la situation déplorable du pays, où la pratique de mauvais traitements était monnaie courante, invoquant différentes sources internationales et régionales à l’appui de ses arguments. Le 2 juin 2011, la direction régionale du SFM de Volgograd rendit sa décision sur cette demande. Le SFM récapitula tout d’abord les explications du requérant, à savoir : qu’avant d’arriver en Russie, entre 1998 et 2001 il avait été garde du corps de M. Touradjonzody ; que contrairement à d’autres gardes du corps, D. et Kh., il l’avait fait à titre officieux, de sorte qu’il n’était pas en mesure de produire un document certifiant son service auprès de M. Touradjonzody ; qu’il n’avait fait partie d’aucun mouvement religieux ni politique ; qu’il avait quitté le Tadjikistan après plusieurs attentats à sa vie ; que ces tentatives auraient fait partie d’une campagne de persécution contre M. Touradjonzody ; qu’après avoir appris l’arrestation de D. et Kh. au Tadjikistan en 2009, il avait changé de passeport sous une fausse identité, à savoir Kholmourod Rouziyev ; que pendant son séjour en Russie, il n’avait pas fait de demande du statut de réfugié par crainte d’être extradé ; que les accusations portées contre lui au Tadjikistan avaient été falsifiées afin de permettre aux autorités d’obtenir son extradition ; qu’une fois de retour dans le pays, il serait forcé de témoigner contre M. Touradjonzody, et que, en cas de refus, des aveux lui seraient arrachés au moyen de la torture. À l’appui de ses allégations, le requérant avait cité une interview de M. Touradjonzody donnée en 2009 dans laquelle il critiquait le président tadjik en exercice. Le SFM releva ensuite que, d’une part, la demande d’extradition portait sur les infractions d’atteinte à la vie, à la liberté et la propriété d’autrui, qui n’avaient pas un caractère politique. Ces infractions auraient été commises entre 1998 et 2001 et le requérant était conscient de ces accusations depuis 2001. D’autre part, le requérant, qui séjournait en Russie sous de fausses identités – Kholmourod Rouziyev et Bakhtior Saïdov –, n’avait jamais saisi les autorités russes d’une demande d’asile, ce qui, à leur avis, confortait l’idée qu’il cherchait à échapper à la justice et non à des représailles politiques. En outre, le SFM rappela que dans le cadre de la Convention de 1951 le fait d’avoir des opinions politiques différentes de celles du gouvernement en place n’est pas en soi un motif suffisant pour demander la reconnaissance du statut de réfugié : le demandeur doit montrer qu’il a lieu de craindre d’être persécuté de ce fait. Cela suppose que les autorités aient connaissance de ses opinions politiques ou qu’elles les supputent. Appliquant ce critère, le SFM observa que le requérant n’avait pas été impliqué dans la vie politique tadjike puisque, selon ses dires mêmes, il n’avait fait partie d’aucun mouvement politique ni religieux au Tadjikistan, et n’avait pas quitté la Russie depuis 2001. En ce qui concernait la persécution alléguée du requérant comme partisan de M. Touradjonzody, le SFM observa que l’intéressé n’était pas en mesure de préciser la date du début de la campagne supposée contre cet homme politique. Quant à l’interview citée par le requérant à l’appui de son allégation, elle n’avait été donnée par M. Touradjonzody qu’en 2009, c’estàdire plus de huit ans après le début des poursuites pénales fondant la demande d’extradition. Enfin, le SFM releva que, selon les informations présentées par le ministère russe des Affaires étrangères et le Service fédéral de sécurité, il n’y avait pas de raisons empêchant le renvoi du requérant vers le Tadjikistan. Le SFM releva également que l’État demandeur avait donné l’assurance que le requérant ne serait pas condamné à la peine de mort, étant donné le moratoire sur cette peine au Tadjikistan. Le SFM conclut ainsi qu’il ne disposait d’aucune information susceptible d’appuyer l’allégation d’un risque de représailles politiques au Tadjikistan et rejeta la demande du requérant. Le requérant forma un recours judiciaire contre cette décision, qui fut rejeté par une décision du 20 juillet 2011 rendue par le tribunal du district Tsentralniy de Volgograd. Le requérant se pourvut en cassation, se plaignant de ce que ni le SFM ni le tribunal n’avaient examiné sa demande en profondeur. En particulier, il contesta l’argument relatif à la date de l’interview de M. Touradjonzody : les autorités tadjikes auraient antidaté le mandat d’arrêt et auraient constitué un faux dossier pénal afin d’écraser l’opposition. Par un arrêt du 22 août 2011, la cour régionale de Volgograd confirma la décision du 20 juillet 2011. La cour réitéra la conclusion du SFM et du tribunal du district selon laquelle le requérant s’opposait à son retour au Tadjikistan non par crainte de persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, mais en raison des poursuites pénales dirigées à son encontre. La cour souligna que le requérant n’avait ni cité de faits concrets de persécution ou de menaces de la part des autorités tadjikes à raison des opinions politiques ou de l’appartenance à un groupe social, ni présenté à la justice des preuves de telles persécutions. b) Demande d’asile temporaire Entre-temps, le 27 juin 2011, le requérant fit une demande visant à l’obtention d’un «asile temporaire » (временное убежище). Il décrivit à cet égard la situation des droits de l’homme au Tadjikistan comme déplorable et allégua qu’il y risquait d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants. Le 8 juillet 2011, la direction régionale du SFM de Volgograd rendit sa décision. Elle observa que le requérant était accusé d’infractions pénales au Tadjikistan ; que ses coaccusés avaient déjà été condamnés le 14 octobre 2002 ; et que le dossier du requérant, vu l’absence de celui-ci dans le pays, avait alors été disjoint pour un examen ultérieur. Elle prit note des dires du requérant, à savoir : qu’il n’avait fait partie d’aucun mouvement politique ni religieux au Tadjikistan ; qu’il n’avait pas participé à la vie politique lors son séjour en Russie ; et que les persécutions contre les partisans de M. Touradjonzody avaient commencé en 2009 lorsque son mandat de député avait pris fin. Le SFM considéra que le risque de mauvais traitements à l’État demandeur était un facteur pertinent à prendre en compte pour accorder un « asile temporaire » ; qu’il incombait toutefois au requérant de présenter des preuves d’un tel risque ; et que, s’il était certes indispensable d’avoir égard à la situation dans le pays, la situation instable du pays ne pouvait pas, en tant que telle, être une preuve d’usage de la torture ou des traitements inhumains. Le SFM releva que ni le ministère russe des Affaires étrangères, ni le Service fédéral de sécurité, ni le SFM ne disposaient d’informations objectives relatives à l’enquête pénale contre le requérant, ou à d’éventuels obstacles au retour de l’intéressé au Tadjikistan. Le requérant, quant à lui, n’avait pas présenté de preuves à l’appui de sa thèse d’un risque de mauvais traitements au Tadjikistan. Ainsi, le SFM rejeta la demande d’« asile temporaire ». Par une décision du 15 août 2011, le tribunal du district Tsentralniy de Volgograd refusa d’examiner au fond le recours formé contre la décision du SFM au motif que le requérant n’avait pas présenté de preuves d’un risque de mauvais traitements au Tadjikistan. Procédure de refoulement administratif Le 4 mai 2012, le requérant fut élargi au motif que la durée de la détention sous écrou extraditionnel avait atteint la limite de dix-huit mois prévue par le code de procédure pénale. Toutefois, dans la cour de la maison d’arrêt, il fut arrêté à nouveau pour violation de la législation sur l’immigration, infraction prévue par l’article 18.8 du code des infractions administratives. Le jour même, le tribunal du district Tsentralniy de Volgograd condamna le requérant de ce chef à une peine d’amende accompagnée de son refoulement administratif. En vue de l’exécution de cette mesure, le tribunal ordonna la mise en détention du requérant dans un centre de rétention des expulsés (спецприемник). Le tribunal motiva sa décision comme suit : « Le juge rejette, comme dénué de tout fondement, l’argument (...) selon lequel l’extradition du requérant vers le Tadjikistan serait impossible au motif qu’une requête de Latipov est en cours d’examen par la Cour européenne des droits de l’homme. La lettre présentée à l’audience ne comportait pas, [en effet], la description de l’objet et du contenu de cette requête. » Le 16 mai 2012, la cour régionale de Volgograd modifia la décision du 4 mai 2012 en supprimant la mesure de refoulement au motif que le tribunal du district n’en avait pas donné de justification. La cour confirma la décision pour le reste et ordonna la libération du requérant du centre de rétention. Le jour même, le procureur régional de Volgograd demanda l’annulation de la décision du 16 mai 2012 par la voie de contrôle en révision. Toujours le même jour, le juge Tch. de la cour régionale de Volgograd annula la décision du 16 mai 2012 et confirma la décision du 4 mai 2012. Le requérant attaqua cette décision par la voie du contrôle en révision. Le 21 août 2012, la Cour suprême de Russie annula la décision du juge Tch. pour vice de procédure. Le 15 octobre 2012, le procureur du district Traktorozavodski de Volgograd rendit une décision interdisant au requérant de quitter sa ville de résidence et lui imposant une obligation de « bonne conduite » (подписка о невыезде и надлежащем поведении). Par la même décision, il ordonna l’élargissement du requérant. C. L’enlèvement du requérant et l’enquête pénale y relative L’enlèvement du requérant Selon la version présentée par la représentante du requérant, le 20 octobre 2012, à 18 heures, des inconnus cagoulés et armés firent irruption au domicile du requérant et frappèrent ses deux invités, S. et D., à tel point que ces derniers perdirent connaissance. Lorsque S. et D. reprirent connaissance, le requérant et les inconnus avaient disparu. Le 23 octobre 2012, la concubine du requérant, M., porta plainte auprès de la police, demandant l’ouverture d’une enquête sur l’enlèvement forcé du requérant. L’enquête pénale relative à l’enlèvement Le 1er novembre 2012, Mme Ts., enquêtrice du Comité d’investigation de Russie, ordonna l’ouverture d’une enquête pénale pour enlèvement, en vertu de l’article 146 du code de procédure pénale. Elle envisagea d’examiner trois hypothèses comme pistes : un enlèvement commis par des agents des forces de l’ordre, un enlèvement commis par des inconnus et, enfin, une simulation d’enlèvement. Dans le cadre de cette enquête, les enquêteurs du Comité d’investigation interrogèrent les témoins D. et S., travailleurs saisonniers Tadjiks présents sur place au moment des faits, l’avocate du requérant, Me Aksenova, des voisins du requérant – propriétaires de maisons dans la copropriété horticole à laquelle appartenait la maison du requérant – et des gardiens à l’entrée de cette copropriété. Ils examinèrent le lieu du crime et prélevèrent des échantillons de sang ainsi qu’un morceau de la bande adhésive utilisée par les agresseurs pour attacher D. et S.. Ils firent des demandes auprès du ministère de l’Intérieur, du Service fédéral de sécurité, du Service fédéral de l’exécution des peines, du Bureau central national d’Interpol, en vue de savoir où se trouvait l’intéressé et, plus particulièrement, s’il avait traversé la frontière russe. En outre, ils firent une demande auprès des autorités tadjikes pour savoir si le requérant était retourné au Tadjikistan. Enfin, les enquêteurs élaborèrent une hypothèse supplémentaire : celle du décès du requérant. Ces actes d’instructions furent effectués les deux mois suivants l’incident. Selon les témoins D. et S., interrogés par les enquêteurs avec l’assistance d’un interprète, des hommes cagoulés, habillés en « uniforme » noir, armés de mitraillettes, avaient fait irruption dans la maison. Ils parlaient russe sans aucun accent, et communiquaient entre eux au moyen d’une radio. Après l’intrusion, ils avaient mis les témoins par terre, et leur avaient enroulés des chiffons autour de leurs têtes, qu’ils avaient fixé avec du ruban adhésif. Ensuite, ils avaient porté des coups de crosse à la tête de D. et S. pour les assommer. D. et S. affirmèrent n’avoir rien vu après ce moment – ni les visages des agresseurs, ni l’enlèvement du requérant. Après avoir repris connaissance, ils avaient constaté que les agresseurs avaient emmené le requérant et volé un ordinateur portable. L’expertise médicolégale, effectuée le 25 octobre 2012, avait noté des lésions corporelles sur la tête, le dos et le visage de ces témoins. Selon l’expert, ces lésions dataient de quatre ou cinq jours avant l’examen. Les voisins, propriétaires des maisons adjacentes à celle du requérant, avaient déclaré n’avoir vu ni policiers, ni personnes habillées en noir, ni véhicules inhabituels. Les gardiens à l’entrée de la propriété horticole l’avaient confirmé. Les expertises criminalistiques des échantillons prélevés sur les lieux ne permirent pas d’obtenir des empreintes digitales des agresseurs. Afin d’établir une relation entre les échantillons de sang prélevés sur place et le requérant, les enquêteurs demandèrent aux autorités tadjikes de prélever des échantillons de sang de personnes de la famille du requérant. Les ministères concernés avaient répondu aux enquêteurs que le requérant n’avait ni traversé la frontière russe, ni été mis en détention dans des établissements pénitentiaires russes, ni voyagé sur le territoire russe, et qu’il ne figurait pas parmi les personnes inconnues récemment enterrées aux frais de l’État. L’avocate indiqua dans sa déposition qu’elle avait vu le requérant pour la dernière fois le 15 octobre 2012 à la sortie du bureau du procureur. Le requérant lui avait communiqué ses coordonnées, avait dit qu’il souhaitait travailler et s’installer avec sa concubine, après l’arrivée de celleci, dans un autre appartement. L’avocate précisa qu’elle avait appris la nouvelle de la disparation de son client par sa concubine. Selon les informations données par le Gouvernement le 21 mars 2013, l’enquête était toujours pendante, et aucune décision définitive n’a été prise. Les autorités russes étaient toujours en attente d’une réponse des autorités tadjikes à la demande d’informations des enquêteurs. D. La lettre du greffier de la Cour et la déclaration d’Amnesty International Le 25 janvier 2012, le greffier de la Cour a adressé au gouvernement russe une lettre exprimant la profonde inquiétude du président de la Cour à propos des allégations répétées de transferts de requérants en secret depuis la Russie vers le Tadjikistan, en violation des mesures provisoires ordonnées en vertu de l’article 39 du Règlement de la Cour. Par cette lettre, les autorités russes ont été invitées à fournir à la Cour des informations exhaustives en ce qui concerne la suite donnée à ces incidents en Russie. Cette lettre a également attiré l’attention sur le fait que des mesures provisoires ont été appliquées dans vingt-cinq affaires d’extradition et d’expulsion, y compris la présente. Pour souligner l’importance qu’il attache à cette situation, le président de la Cour a demandé que le président du Comité des Ministres, le président de l’Assemblée Parlementaire et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe soient informés immédiatement (voir le texte intégral de la lettre dans l’arrêt Savriddin Dzhurayev c. Russie, no 71386/10, §§ 104-07, 25 avril 2013). Par une lettre du 25 octobre 2012, la Cour a rappelé le contenu de cette lettre et attiré l’attention du Gouvernement sur le cas du requérant. Le 5 novembre 2012, Amnesty International a fait la déclaration suivante : « Amnesty International craint pour la sécurité d’Abdoulvossi Latipov (également connu sous le nom de Kori Vosit), ancien membre de l’opposition tadjike unifiée qui aurait été renvoyé de force depuis la Russie vers le Tadjikistan à la fin du mois d’octobre 2012. Son avocat au Tadjikistan a déclaré à Amnesty International qu’il pensait qu’Abdoulvossi Latipov était détenu au secret par les forces de l’ordre dans la capitale du Tadjikistan, Douchanbé. Il craint que son client ne soit soumis à des tortures et à d’autres mauvais traitements visant à lui extorquer des aveux ou à le forcer à accuser d’autres personnes. Abdoulvossi Latipov a été arrêté en novembre 2010 par le Service fédéral de sécurité en Russie, à la suite d’une demande d’extradition émise par les autorités tadjikes. Selon Mémorial, une organisation russe de défense des droits humains, cette personne est accusée de différents crimes (enlèvement, dégradation de biens de l’Etat et actes terroristes). En août 2011, le procureur général de la Fédération de Russie a ordonné son extradition. Lorsque la demande d’asile d’Abdoulvossi Latipov a été refusée par la Russie, son représentant légal a adressé un recours à la Cour européenne des droits de l’homme. En décembre 2011, la Cour a ordonné des mesures provisoires [en vertu de l’article 39 de son règlement] impliquant que la Fédération de Russie ne devait pas extrader Abdoulvossi Latipov tant que son cas n’aurait pas été examiné de manière exhaustive par la Cour. Cette personne aurait été libérée le 15 octobre 2012 et, quelques jours plus tard, enlevée d’un appartement où elle séjournait par des hommes armés masqués et non identifiés. Au vu des précédentes affaires de disparition et de retour forcé de Tadjiks depuis la Russie vers le Tadjikistan, où ces personnes ont subi des tortures et d’autres mauvais traitements, Amnesty International craint qu’Abdoulvossi Latipov n’ait été transféré vers le Tadjikistan et soit actuellement détenu dans un lieu inconnu par les forces de sécurité tadjikes. Amnesty International pense qu’Abdoulvossi Latipov risque d’être torturé ou de subir des mauvais traitements lors de sa détention au secret au Tadjikistan. L’organisation appelle donc les autorités de ce pays à : - révéler où se trouve Abdoulvossi Latipov ; - veiller à ce qu’il ne soit ni torturé, ni soumis à d’autres formes de mauvais traitements ; - veiller à ce qu’il soit autorisé à entrer en contact avec un avocat désigné par sa famille. Complément d’information D’après les recherches menées par Amnesty International, les actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements sont fréquents au Tadjikistan. Les personnes accusées de crimes contre la sécurité publique risquent particulièrement d’être torturées et de subir d’autres violations des droits humains de la part des responsables de l’application des lois. Amnesty International a recensé un certain nombre de cas où des Tadjiks demandant asile en Russie ont été enlevés et renvoyés de force vers le Tadjikistan, puis torturés ou soumis à d’autres mauvais traitements et emprisonnés à l’issue de procès inéquitables. Savriddin Jouraïev a été relâché en Russie le 20 mai 2011 et aurait été enlevé le 31 octobre 2011. Le 1er novembre 2011, il aurait pris un vol de Moscou au Tadjikistan sans avoir de passeport, il n’avait qu’un certificat d’asile temporaire sur lui. Le 19 avril 2012, il a été condamné à 26 années d’emprisonnement, mais continue de clamer son innocence. Il aurait également été torturé et soumis à d’autres formes de mauvais traitements en détention. Un autre Tadjik, Nizomkhon Jouraïev, a disparu après avoir été libéré de sa détention temporaire en Russie le 29 mars 2012 et est réapparu plusieurs jours après à Douchanbé, alors que la Cour européenne des droits de l’homme examinait encore son cas. Anna Stavitskaïa, l’avocate russe qui a porté l’affaire de Nizomkhon Jouraïev devant la Cour européenne des droits de l’homme, a déclaré qu’elle doutait que cet homme (...) soit retourné volontairement au Tadjikistan étant donné qu’il se battait pour ne pas être renvoyé dans ce pays, où il risquait d’être victime de torture et autres mauvais traitements. L’avocate a en outre précisé que c’est encore elle qui a le passeport de son client. Sans passeport ni suffisamment d’argent, il aurait été extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, pour Nizomkhon Jouraïev de retourner au Tadjikistan. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne et international pertinent est exposé dans les arrêts récents de la Cour concernant l’extradition et l’expulsion depuis la Russie vers le Tadjikistan et l’Ouzbékistan (Abdulkhakov c. Russie, no 14743/11, §§ 9498, 2 octobre 2012). Les rapports relatifs à la situation au Tadjikistan sont résumés dans les arrêts Khodzhayev (précité, §§ 72-75) et Gaforov (précité, §§ 93-100), ainsi que dans l’arrêt le plus récent Savriddin Dzhurayev (précité, §§ 10407).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1959 et réside à Istanbul. Il est le père de Şenal Kaplan (« Şenal »), né le 18 septembre 1986 et décédé le 19 septembre 2006 pendant son service militaire obligatoire. Les faits de la cause peuvent se résumer comme suit. Le recensement concernant le contingent auquel le fils du requérant était rattaché eut lieu en 2006. Le jeune homme s’inscrivit au bureau des appelés. Avant de commencer son entraînement militaire, il fut soumis à la procédure habituelle d’examen médical comprenant entre autres un examen psychologique. Les médecins le déclarèrent apte à accomplir son service militaire. Ils mentionnèrent cependant qu’il ne devait pas faire d’exercice difficile en raison de son faible poids. Dans le formulaire de renseignements destiné aux autorités, Şenal avait informé celles-ci de sa consommation excessive de bière. Il n’avait signalé aucun autre problème particulier. Après avoir réussi sa formation militaire, il rejoignit un poste de gendarmerie, à Bayır (Diyarbakır-Kulp), le 20 août 2006. Le 19 septembre 2006, vers 12 h 50, pendant qu’il assurait son tour de garde, il fut découvert gravement blessé par une arme à feu. Il fut immédiatement transporté par hélicoptère à l’hôpital où son décès fut constaté par les médecins. Un examen externe du corps fut effectué en présence du substitut du procureur militaire de Diyarbakır. Il fut constaté à partir de la présence d’un orifice d’entrée d’un projectile sur la partie gauche de la tête et d’un orifice de sortie sur la partie droite que Şenal était décédé d’une balle tirée dans la tête. Aucune autre trace de coup ou de blessure ne fut relevée. Ces observations furent consignées dans un procès-verbal, lequel fut signé par l’ensemble des personnes présentes, à savoir le substitut du procureur militaire, son greffier, le médecin légiste G.B., un expert en pathologie médicolégale ainsi que deux assistants techniques d’autopsie. Par ailleurs, des photographies furent prises. Le même jour, sur instruction du substitut du procureur militaire, des experts de la police technique et scientifique examinèrent le corps du défunt. Ils constatèrent l’existence d’un orifice d’entrée d’un projectile sur le côté droit de la tête, situé juste au-dessus de l’oreille, les bords de la plaie étant d’aspect parcheminé, et celle d’un orifice de sortie sur le côté gauche. Ils procédèrent également à des prélèvements sur les mains et le visage du défunt. Les analyses effectuées par la suite sur ces prélèvements révélèrent la présence de résidus de tir sur le dos de la main gauche et sur la partie gauche du visage. Aussitôt après l’incident, les agents de la gendarmerie de Bayır établirent un procès-verbal de constat sur les lieux. Un croquis des lieux et des photographies furent également réalisés. Un fusil de type G3 appartenant à Şenal, une douille de balle, un chargeur et trois balles furent recueillis sur les lieux par les gendarmes de Bayır. A la même date, le substitut du procureur militaire informa le parquet de Kulp du décès de Şenal et lui demanda d’effectuer immédiatement les investigations nécessaires sur les lieux de l’incident. Cependant, pour des raisons de sécurité liées à la commission d’actes terroristes dans la zone concernée, le procureur de la République de Kulp ne put se déplacer sur les lieux que le 20 septembre 2006. A cette date, il constata que les lieux avaient été nettoyés, même si des traces de sang pouvaient encore être observées en divers endroits, et que la position du corps avait été tracée au sol. Il observa que le sergent-chef C.G. avait conservé le fusil ainsi que la douille en l’état et qu’il avait par ailleurs fait réaliser des photographies des lieux. Il apprit également que les gendarmes avaient trouvé quatre chargeurs dans le gilet du défunt, trois d’entre eux disposant de vingt balles et le quatrième en contenant seulement dix-neuf. Il nota que l’ensemble de ces éléments avait été consigné dans un procès-verbal. Il procéda de plus à l’audition de neuf témoins. Le sergent-chef C.G. remplaçait le commandant de la gendarmerie le jour de l’incident. Il déclara qu’il avait été réveillé vers 13 heures par le sergent M.O., que celui-ci lui avait dit qu’un soldat avait été touché par un tir, et que tous deux, pensant à une attaque terroriste, s’étaient rendus sur les lieux en courant. Il ajouta que plusieurs soldats étaient déjà sur les lieux, que le soldat K.D. prodiguait des soins au blessé et que ce dernier avait été placé à l’extérieur du périmètre de garde pour faciliter les gestes de premiers secours. Il expliqua que le cran de sécurité du fusil de type G3 n’était pas enclenché, qu’il était en position coup par coup et que le canon sentait la poudre. Il indiqua également qu’un hélicoptère était arrivé sur les lieux une cinquantaine de minutes après l’incident pour transférer le blessé à l’hôpital, et que, malgré un pouls faible, celui-ci était encore en vie lorsqu’il avait été placé dans l’appareil. Enfin, le sergent-chef précisa qu’à sa connaissance Şenal ne souffrait d’aucun problème psychologique et que son comportement avait toujours été normal. Les autres témoins déclarèrent avoir initialement pensé à une attaque armée en entendant le coup de feu puis en voyant le blessé au sol et ils indiquèrent avoir alors pris position aux postes de défense pour repousser d’éventuels assaillants. Ils ajoutèrent que le premier à s’être rendu sur les lieux de l’incident était le soldat V.M., suivi du sergent M.O., et ils confirmèrent que les gestes de premiers secours avaient effectivement été pratiqués par le soldat K.D. qui avait suivi une formation en secourisme. Ce dernier déclara notamment que la bretelle du fusil était enroulée autour du pied du blessé, et qu’il avait demandé aux autres soldats de la dérouler et d’enlever l’arme pour faciliter son intervention. Il précisa en outre avoir observé la présence d’un orifice d’entrée d’un projectile sur le côté droit de la tête et d’un orifice de sortie sur le côté gauche. Le soldat V.M. confirma les dires du soldat K.D. Il ajouta qu’il connaissait Şenal depuis leur période de formation militaire, qu’il n’avait pas remarqué chez lui de détérioration psychologique et que son comportement paraissait tout à fait normal. Le soldat M.D. déclara avoir entendu le coup de feu et s’être dirigé vers les lieux de l’incident. Il ajouta avoir croisé le soldat V.M. qui lui aurait dit qu’un soldat était à terre. Il indiqua également que le sergent M.O. était arrivé en courant et qu’il avait parlé d’une attaque à la vue du blessé. Il expliqua qu’il avait alors réveillé ses supérieurs puis pris son arme avant de se rendre à son poste. Les témoins affirmèrent tous que la vie militaire leur convenait et qu’ils étaient bien traités. Ils indiquèrent que Şenal n’avait pas de problème psychologique connu et qu’il avait un comportement normal. Ils précisèrent cependant qu’ils savaient que ses parents étaient séparés et que cette situation le contrariait. Toujours le 20 septembre 2006, une autopsie classique fut pratiquée en présence du substitut du procureur militaire. Elle permit de conclure que Şenal était décédé d’une balle tirée dans la tête à bout portant. Par la suite, le 23 janvier 2007, un procès-verbal rectificatif d’examen externe post mortem fut dressé. D’après ce procès-verbal, l’orifice d’entrée se situait non pas du côté gauche, mais du côté droit de la tête ; c’était donc par erreur qu’il avait été précédemment indiqué que la balle était entrée par le côté gauche et sortie par le côté droit de la tête. Ce point fut d’ailleurs confirmé par les photographies réalisées le jour de l’examen, lesquelles ne laissaient aucun doute à cet égard. Lesdites photographies furent annexées au procès-verbal. Ce document rectificatif fut signé par le substitut du procureur militaire de Diyarbakır, son greffier, l’expert en pathologie médicolégale et les assistants techniques d’autopsie, ces personnes ayant toutes été présentes lors de l’examen externe du corps. Il fut précisé que le premier médecin légiste, G.B., était en détachement à Diyarbakır à l’époque où il avait signé le procès-verbal du 19 septembre 2006, que son détachement avait pris fin et qu’il était depuis retourné à Istanbul. Ce fut ainsi le médecin légiste Ş.A.B., président de l’institut de médecine légale de Diyarbakır, qui, à la place de G.B., émit un avis et signa le procès-verbal rectificatif. Sur instruction du procureur de la République, une expertise balistique fut réalisée par le laboratoire de police criminelle de la direction de la sûreté de Diyarbakır. Les experts examinèrent le fusil de type G3 ayant causé la mort de Şenal ; ils conclurent qu’il était en bon état de fonctionnement et que la douille retrouvée sur les lieux de l’incident provenait bien de cette arme. Entre le 15 janvier et le 30 mars 2007, le substitut du procureur militaire de Diyarbakır procéda à l’audition de seize témoins. Le contenu de leurs dépositions fut similaire à celui des témoignages recueillis par le procureur de la République de Kulp : Şenal fut décrit comme étant un homme calme et joyeux qui n’avait pas rencontré de soucis d’adaptation à son arrivée à Kulp et qui ne semblait souffrir d’aucun problème particulier, mais qui paraissait néanmoins préoccupé par la séparation de ses parents. Plusieurs soldats signalèrent également que sa mère et son oncle lui avaient téléphoné la veille de l’incident à l’occasion de son anniversaire, mais que ni son père ni sa fiancée ne l’avaient appelé ce jour-là. Ils ajoutèrent que cette situation l’avait attristé et qu’il ne semblait pas être en forme le soir de son anniversaire. Son meilleur ami, M.Ş., indiqua que Şenal exploitait un débit de boissons dans le civil et disait consommer tous les jours beaucoup de bière, et également qu’il avait une amie avec laquelle il voulait se marier. Il ajouta que l’intéressé n’aimait pas discuter de sujets sérieux et qu’il parlait rarement de sa vie privée. Il précisa enfin qu’il jouait beaucoup avec son arme, qu’il n’écoutait pas les avertissements des commandants à ce sujet et qu’il n’en faisait qu’à sa tête. Selon M.Ş., aucun signe avant-coureur ne permettait d’envisager que Şenal ait pu vouloir se suicider. Certains soldats déclarèrent que Şenal avait des problèmes d’argent, précisant qu’il fumait énormément sans avoir toujours les moyens d’acheter des cigarettes et qu’il s’ennuyait. Un des soldats expliqua que Şenal s’était vexé d’avoir été surnommé « Lucky Luke » en raison de son faible poids et que plus personne ne l’avait appelé ainsi par la suite. Les supérieurs de Şenal indiquèrent qu’il s’était bien adapté à la vie militaire, qu’il était un bon soldat et qu’il s’entendait bien avec tout le monde. Ils ajoutèrent qu’il ne leur avait pas fait part d’un quelconque problème et qu’aucun signe n’avait permis de déceler chez lui une instabilité psychologique. Le père et la mère de Şenal furent également entendus. Ils déclarèrent que leur fils n’avait aucune raison de se suicider et qu’il ne s’était jamais plaint des conditions de son service militaire. Le substitut du procureur militaire de Diyarbakır ordonna une expertise afin de déterminer de quelle manière Şenal avait pu utiliser le fusil. L’expert désigné examina l’ensemble des pièces du dossier, à savoir les dépositions des témoins, le compte rendu du laboratoire de police criminelle, le rapport d’autopsie, les photographies et le croquis des lieux. Il indiqua que, au moment du tir, Şenal devait se trouver en position assise ou accroupie, qu’il avait posé la crosse du fusil au sol près de son pied droit et enroulé d’un tour la bretelle de l’arme autour de son genou afin de pouvoir la maintenir plus facilement. Il précisa que l’intéressé avait dû ensuite placer l’extrémité du canon près de sa tempe et, tout en tenant le canon avec sa main gauche, actionner la mise à feu avec sa main droite. Il conclut que ces déductions étaient confortées par l’ensemble des données recueillies, notamment l’emplacement de l’arme, du corps et des traces de sang, et qu’en tout état de cause aucun élément ne permettait de remettre en cause ou de faire douter de l’hypothèse selon laquelle l’intéressé lui-même avait procédé au tir mortel. Le substitut du procureur militaire de Diyarbakır recueillit également l’avis d’un expert psychiatrique. Celui-ci eut accès à l’ensemble du dossier d’instruction, notamment aux dépositions des témoins et des parents de Şenal. Cet expert conclut qu’aucun élément ne permettait de penser que ce dernier souffrait de problèmes psychologiques. Il indiqua cependant que, si un suicide trouvait souvent son origine dans une pathologie psychique ou psychiatrique sous-jacente, des sujets ne souffrant d’aucun trouble pouvaient faire preuve d’un comportement suicidaire sous l’effet d’une pulsion momentanée. Il précisa qu’en l’espèce rien ne permettait d’affirmer avec certitude s’il s’agissait ou non d’un suicide. Le 23 janvier 2007, la fondation Mehmetçik (fondation ayant pour vocation à aider les proches des soldats blessés ou décédés pendant leur service militaire) octroya une aide d’un montant de 6 216 livres turques (soit environ 2 650 euros) à la famille de Şenal. A l’issue de l’instruction pénale, le substitut du procureur militaire de Diyarbakır nota l’absence de preuves susceptibles d’indiquer qu’une tierce personne ait pu provoquer la mort de Şenal en l’incitant ou en l’aidant à se suicider, et il rendit une ordonnance de non-lieu le 17 mai 2007. Il considéra néanmoins que les circonstances du décès du jeune homme n’avaient pas pu être déterminées avec exactitude. A l’appui de sa décision, il releva notamment que le tir mortel avait été effectué à bout portant et il rappela que l’examen balistique avait mis en évidence que la douille retrouvée sur les lieux provenait bien du fusil du défunt. Le père et la mère de Şenal firent opposition à l’ordonnance susmentionnée. Ils soutinrent que leur fils n’avait aucun problème psychologique ni aucun souci familial et qu’il n’avait aucune raison de se suicider. Ils affirmèrent également que le soldat M.D. leur avait rendu visite ; ce dernier leur aurait déclaré que, lorsqu’il s’était rendu sur les lieux, contrairement à ce qui était mentionné dans les documents officiels, l’arme de Şenal n’était pas au sol, mais posée sur une grille, et il leur aurait indiqué que le sergent M.O. avait dit aux soldats que l’intéressé avait été touché par un projectile provenant d’un fusil de précision. Par ailleurs, ils reprochèrent au procureur en charge de l’affaire de ne s’être jamais rendu en personne sur les lieux de l’incident. Après examen du dossier, le 27 août 2007, le tribunal militaire de Diyarbakır rejeta l’opposition formée par les parents de Şenal, au motif qu’aucun manquement n’avait été décelé dans l’enquête. Cette décision fut notifiée au requérant le 24 octobre 2007.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1980 et réside à Diyarbakır. Le 15 juin 2001, dans le cadre d’une opération antiterroriste, le requérant fut arrêté par la police avec trois autres individus et placé en garde à vue pour enlèvement et séquestration d’une personne (K.M.) en vue d’obtenir des moyens financiers pour les activités de l’organisation illégale AMED (Union de la jeunesse), une branche du PKK. En garde à vue, il passa aux aveux, reconnut avoir participé à l’enlèvement et indiqua les locaux utilisés par l’organisation. Des perquisitions et d’autres arrestations en relation avec l’enlèvement furent effectuées par la police lors de l’opération. Le 22 juin 2001, à la fin de la garde à vue, le requérant fut entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (« le procureur », « la cour de sûreté »). Il reconnut avoir participé à la séquestration pour payer ses dettes personnelles et nia être membre du PKK. Il donna tous les détails sur l’enlèvement et affirma que durant sa garde à vue, on l’avait forcé à reconnaître une appartenance au PKK en lui faisant subir des électrochocs. Il fut ensuite traduit devant un juge assesseur de la cour de sûreté, qui ordonna son placement en détention provisoire. Il réitéra sa déposition faite devant le procureur, et reconnut de nouveau les faits reprochés. Il affirma regretter ses actes et ne se plaignit d’aucun mauvais traitement. Le requérant ne fut assisté par un avocat ni en garde à vue ni devant ces magistrats. Le 3 juillet 2001, par un acte d’accusation, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır reprocha au requérant et à sept autres personnes d’avoir organisé un enlèvement pour récolter des fonds pour le PKK et d’être membres de cette organisation. Il requit leur condamnation en vertu de l’article 125 de l’ancien code pénal. Lors de la procédure pénale, le requérant sollicita le bénéfice de la loi relative aux repentis. Il reconnut les faits reprochés et livra des informations sur le PKK. Le 8 février 2005, la cour d’assises de Diyarbakır condamna le requérant à la réclusion à perpétuité. Dans les motifs de son arrêt, la cour d’assises indiqua que la condamnation du requérant reposait non seulement sur sa déposition en garde à vue, mais aussi sur d’autres preuves, telles que ses dépositions devant les magistrats d’instruction préliminaire, les rapports médicaux de la garde à vue, les perquisitions effectuées sur indication de l’accusé, les procès-verbaux de saisie, les procès-verbaux d’identification, les procès-verbaux de confrontation, la déposition de K.M., les rapports d’expertise et les déclarations des coaccusés, ainsi que sur ses aveux réitérés devant la cour d’assises elle-même. Sur pourvoi du requérant, la Cour de cassation releva qu’ « en raison de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, la situation juridique du requérant nécessit[ait] un nouvel examen » et cassa le jugement. Le 24 novembre 2005, après réexamen du dossier, la cour d’assises de Diyarbakır prononça à l’égard du requérant la même peine que précédemment. Le nouveau pourvoi formé par le requérant fut rejeté par la Cour de cassation le 9 mai 2006. Le jugement de condamnation devint ainsi définitif. Il ressort des procès-verbaux versés au dossier que la cour de sûreté de l’Etat avait ordonné la convocation de K.M. au tout début des audiences. En revanche, lesdits procès-verbaux ne font apparaître aucune demande d’interrogatoire de K.M. venant des avocats du requérant pendant la procédure pénale. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Un exposé des dispositions pertinentes du droit turc figure entre autres dans les arrêts Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, §§ 2731, 27 novembre 2008).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1951 et réside à Nonette. A. La genèse de l’affaire Le 27 août 2005, à Nonette, un peu avant minuit, alors qu’il rentrait chez lui en voiture accompagné de son amie ainsi que d’un couple de connaissances et de leur fille âgée de huit ans, le requérant fit brusquement demi-tour à la vue d’un véhicule de gendarmerie. Celui-ci se trouvait en poste de surveillance devant une parcelle de maïs transgénique, une manifestation contre la culture d’organismes génétiquement modifiés ayant eu lieu ce jour-là sur le territoire de la commune. Actionnant leur avertisseur sonore et lumineux, les gendarmes – au nombre de quatre – se lancèrent à la poursuite du requérant qui, roulant à vive allure, omit de s’arrêter à un stop. Après environ deux kilomètres de course-poursuite, ils procédèrent à l’interception du véhicule et à l’arrestation du requérant. Si les documents relatifs à la procédure interne figurant au dossier montrent que les protagonistes n’ont pas donné exactement la même version des circonstances et modalités de cette arrestation, il en ressort du moins ce qui suit. A l’issue de la poursuite, le gendarme B.P. s’était avancé arme au poing vers le requérant, auquel il avait ordonné de mettre les mains sur le volant puis de sortir de la voiture. Le requérant n’ayant pas immédiatement obtempéré, B.P. l’en avait extrait de force avec l’aide de son collègue L.P. La main droite du requérant avait été immédiatement menottée mais, plaqué au sol, il avait résisté et avait refusé de placer ses mains dans le dos afin d’être complètement menotté. Les deux gendarmes l’avaient alors maîtrisé en pratiquant une clé à bras et en frappant son bras gauche avec un bâton de protection télescopique, pendant que les deux autres gendarmes surveillaient les passagers du véhicule. Cela dura plusieurs minutes. Le requérant fut ensuite placé en garde à vue durant deux heures – un dépistage d’alcoolémie réalisé à cette occasion révéla un taux de 0,33 mg d’alcool par litre d’air expiré – puis, suite à l’intervention du Dr B. (paragraphe 9 ci-dessous), conduit à l’hôpital pour une radiographie. Le requérant indique que les violences dont il fut victime lors de cette arrestation lui ont causé de nombreuses lésions, attestées par trois certificats médicaux. Le premier, établi le 28 août 2005 par le Dr B., médecin consultant, alors que le requérant se trouvait en garde à vue, constate ce qui suit : une dermabrasion superficielle de 1,5 x 1,5 cm au niveau de l’angle externe de l’œil gauche ; un œdème du bord radial du poignet droit, ainsi qu’une dermabrasion superficielle de l’épicondyle droit ; de multiples hématomes du membre supérieur gauche avec une impotence fonctionnelle partielle du membre ; un hématome de 1 cm2 de la partie supéro-externe du muscle deltoïde gauche ; un hématome de 8 x 2,5 cm du muscle deltoïdien sous le précédent ; un hématome de 5 x 1 cm sous l’hématome précédent avec éraflure du 1/3 moyen de la face externe du bras externe sur 5 cm de long et 1 cm de large ; un œdème avec hématome de 7 x 5 cm au niveau épicondylien gauche entraînant une impotence fonctionnelle du coude par flexion normale impossible, ainsi qu’une dermabrasion saignotante sur 1 cm2 de la pointe externe du coude gauche. Le certificat conclut que l’ « état actuel [du requérant n’était] pas compatible avec une garde à vue sans examen complémentaire et soins adaptés ». Le deuxième certificat médical, établi le 29 août 2005 par le Dr P., médecin du service de victimologie du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, relève « environ trente-cinq éléments contusionnels récents, dont [un] œdème de la styloïde radiale droite [et une] douleur de palpation de l’épicondyle du coude gauche associée à un hématome volumineux ». Le certificat précise que « les lésions des poignets, et notamment du poignet droit, sont très évocatrices de lésions de menottage », que « les ecchymoses linéaires dorsales gauches sont compatibles avec un choc avec un objet de forme correspondante », et que « l’érosion temporale gauche évoque un ripage vertical contre un plan irrégulier et dur ». Enfin, il établit une incapacité totale de travail de cinq jours, sous réserve de l’évolution favorable des lésions de la main droite et du coude gauche. Le troisième certificat médical, établi le 10 avril 2006 par le Dr S., médecin expert désigné par le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand dans le cadre de l’information diligentée suite à la plainte du requérant (paragraphe 17 ci-dessous), constate que l’état de ce dernier n’était pas consolidé à cette date, confirme l’incapacité totale de travail de cinq jours, évalue le pretium doloris à 1,5/7 au minimum et indique que les autres préjudices seront fixés après consolidation. Par ailleurs, un scanner réalisé le 8 septembre 2005 avait révélé une fracture non déplacée, transverse, du processus coronoïde du coude gauche, ainsi qu’un petit arrachement osseux de l’épicondyle médial de l’humérus. B. Les poursuites diligentées contre le requérant Par un jugement du 6 décembre 2005, le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand condamna le requérant à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à la suspension de son permis de conduire durant cinq mois et à une amende de 300 euros pour avoir « résisté avec violence » aux gendarmes B.P. et L.P., « personnes chargées d’une mission de service public, dépositaires de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de leurs fonctions », « omis sciemment d’obtempérer à une sommation de s’arrêter émanant d’un fonctionnaire ou agent chargé de constater les infraction et muni des insignes extérieurs et apparents de sa qualité », conduit sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par un taux d’alcool pur de 0,33 mg/litre, et omis de s’arrêter à un stop. Le tribunal le condamna en sus au paiement de cent euros à B.P. et L.P. chacun, parties civiles, à titre de dommages et intérêts. Saisie par le requérant et le ministère public, la cour d’appel de Riom, par un arrêt du 10 janvier 2007, relaxa le requérant du chef de rébellion. Elle rappela qu’aux termes de l’article 433-6 du code pénal, constitue une rébellion le fait d’opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l’autorité publique agissant dans l’exercice de ses fonctions et souligna que « la résistance violente s’oppose à la simple désobéissance aux ordres donnés ou à la résistance passive qui n’est pas constitutive de rébellion ». Elle constata ensuite que les éléments du dossier ne permettaient pas de considérer qu’il y avait eu résistance active de la part du requérant, après avoir souligné en particulier qu’à le supposer établi, le fait que le requérant s’était débattu lorsqu’il était au sol pouvait « s’expliquer par une attitude de protection d’un homme à terre ». Elle confirma en revanche la culpabilité du requérant des autres chefs, réduisit la peine d’emprisonnement à deux mois avec sursis et la durée de suspension du permis de conduire à deux mois, confirma le montant des amendes et débouta les deux gendarmes parties civiles de leurs demandes. Le pourvoi formé par ces derniers fut rejeté par la Cour de cassation le 26 septembre 2007. C. Les poursuites diligentées contre les gendarmes B.P. et L.P. Le 5 septembre 2005, le requérant déposa plainte devant le procureur de la République de Clermont-Ferrand pour les violences dont il estimait avoir été victime lors de son interpellation. Après audition des différents protagonistes, la plainte fut classée sans suite. Le 22 novembre 2005, le requérant déposa une plainte contre X avec constitution de partie civile, sur le fondement de l’article 222-13 7o du code pénal, du chef de violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique. Une information fut ouverte le 9 janvier 2006, dans le cadre de laquelle les protagonistes furent une nouvelle fois entendus. Le 12 décembre 2007, eu égard à « la multiplicité et l’importance des blessures subies par la victime et non sérieusement contestées », le juge d’instruction ordonna le renvoi des gendarmes B.P. et L.P devant le tribunal correctionnel du chef susmentionné. Ces derniers furent relaxés par un jugement du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand du 3 juillet 2008. Saisie par le requérant, la cour d’appel de Riom confirma ce jugement par un arrêt du 1er avril 2009. Elle indiqua que, saisie par le seul appel de la partie civile, elle ne pouvait prononcer une peine, mais qu’il lui revenait de rechercher si les faits constituaient une infraction pénale pour se prononcer en conséquence sur l’action civile. Elle souligna ensuite qu’il existait certes « des éléments (...) qui pourraient justifier un usage disproportionné de la force utilisée » : le requérant était interpellé et déjà menotté à la main droite, et les occupants du véhicule ne présentant aucun risque particulier, la surveillance de deux gendarmes suffisait à les contenir si nécessaire ; le bras du requérant avait présenté une fracture non déplacée, et le gendarme L.P. avait déclaré devant le tribunal qu’une clé à bras telle que celle pratiquée en l’espèce ne pouvait causer une fracture, ce qui indiquait qu’au moins un coup de bâton de protection télescopique avait été porté sur le requérant et lui avait causé cette fracture ; un seul gendarme à genoux sur le dos du requérant suffisait à le maintenir au sol ; le gendarme L.P. avait déclaré dans un premier temps avoir frappé sur les tibias pour faire lâcher le requérant qui, au sol, faisait une manœuvre de tenaille sur ses jambes, puis avait déclaré dans le cours de l’instruction – les rapports médicaux ne mentionnant pas de coup sur les jambes du requérant – que des coups avaient en fait été portés sur le coude, ajoutant qu’aucun coup n’avait été porté sur le dos du requérant, l’hématome à cet endroit étant certainement dû au transport avec les menottes dans le dos ; il ressortait des certificats médicaux que le requérant avait présenté plusieurs hématomes sur le haut du bras gauche, un important œdème sur le coude gauche et des ecchymoses linéaires dorsales compatibles avec un choc avec un objet de forme correspondante. Cependant, « au vu du contexte particulier et du comportement [du requérant] », la cour d’appel considéra qu’il n’était pas établi que les prévenus avaient fait usage disproportionné de la force. Elle releva à cet égard que, « même si [l’intéressé] « a[vait] adopté une attitude de résistance passive, il n’a[vait] pas accepté de se laisser passer les menottes, a[vait] replié ses bras sous lui et a[vait] résisté de telle sorte qu’il a[vait] fallu user de la force pour le contraindre à se laisser passer les menottes au poignet gauche[, et que] la clé pratiquée n’était possible que si les gendarmes parvenaient à lui maîtriser le bras ». Le pourvoi en cassation formé par le requérant fut déclaré non admis par une décision du 8 juillet 2009, notifiée aux parties le 22 septembre 2009. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 222-13 du code pénal est ainsi rédigé : « Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises : (...) 7o Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ; (...) ».
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1940 et réside à Tokmak. Par un jugement du tribunal de Tokmak du 8 octobre 1998, partiellement confirmé par un arrêt de la cour régionale de Zaporijjia du 11 novembre 1998, le fils du requérant, Shchokin Oleg (ci-après S.O.) fut déclaré coupable d’extorsion avec violence et condamné à la confiscation d’un quart de ses biens, ainsi qu’à une peine d’emprisonnement de trois ans. S.O. fut transféré dans une colonie correctionnelle de haute sécurité, la colonie nº 20 à Vilnyansk (ci-après « la colonie »), pour purger sa peine. Le 3 octobre 2000, il s’enfuit de la colonie. Le 17 octobre 2000, il fut retrouvé et appréhendé par les agents du département régional de l’exécution des peines. Il résulte des faits tels que décrits par les juridictions internes que, le 18 octobre 2000, S.O. fut ramené à la colonie, isolé du reste des prisonniers et placé dans un bureau de garde sous la surveillance de l’inspecteur S.A., lequel le menotta et l’attacha à un radiateur. Par la suite et pendant une longue période, l’inspecteur S.A. et sept prisonniers, assenèrent à S.O. de très nombreux coups, qui entraînèrent de multiples traumatismes, fractures et hémorragies internes chez ce dernier. En outre deux prisonniers le violèrent. Les 18 et 19 octobre 2000, les prisonniers et le personnel pénitentiaire donnèrent des explications sur les faits. Les prisonniers S.D., S.S., P.N., M.A., et B.V. avouèrent avoir battu S.O. en présence de l’inspecteur S.A. et l’avoir agressé sexuellement après l’avoir emmené aux toilettes. L’inspecteur S.A. fit valoir que S.O. avait été battu hors sa présence. Il soutint qu’il avait à deux reprises empêché des prisonniers de battre S.O., lequel se trouvait avec lui dans le bureau de garde. Il expliqua en outre avoir laissé des prisonniers, MM. B.V., S.S. et M.A., accompagner S.O. aux toilettes, mais avoir également constaté qu’ils y étaient restés environ vingt minutes, sans savoir ce qu’ils y faisaient. Le 19 octobre 2000, S. O. décéda de ses blessures dans le Centre régional de la médecine d’urgence. Le 20 octobre 2000, le parquet de Zaporijjia ouvrit une enquête pour violences graves ayant entraîné la mort de S.O. En octobre et novembre 2000, les prisonniers furent interrogés. Ils soutinrent que l’inspecteur S.A. avait participé aux violences infligées à S.O. Le 15 décembre 2000, le requérant intenta une action civile contre l’administration de la colonie, à laquelle il reprochait d’avoir été négligente et d’avoir ainsi laissé son fils se faire torturer. Le 27 février 2001, le parquet ouvrit une seconde procédure à l’encontre l’inspecteur S.A., ainsi que des prisonniers B.V., B.A., P.N et S.D. pour des faits d’ « hooliganisme malveillant ». Elle fut jointe à la procédure initiale. A une date et dans des circonstances non spécifiées, l’inspecteur S.A. s’enfuit. Le 22 mars 2001, le parquet décida de poursuivre l’inspecteur S.A. Le 23 mars 2001, un avis de recherche fut lancé à son encontre. Selon le Gouvernement, ses proches furent interrogés et son courrier fut intercepté. Le 13 avril 2001, l’enquêteur décida de suspendre les poursuites pénales contre l’inspecteur S.A., jusqu’à ce que celui-ci soit retrouvé. Il résulta des investigations que ce dernier avait participé aux violences sur S.O. et avait activement aidé les prisonniers S.D. et M.A. à commettre des abus sexuels sur lui. Par un jugement du 6 juin 2001, après avoir qualifié de tortures le traitement infligé au fils du requérant, le tribunal de Vilnyansk reconnut les sept prisonniers coupables de violences ayant entraîné des lésions corporelles graves et de hooliganisme et, pour deux d’entre eux, coupables de viol. Il les condamna aux peines d’emprisonnement suivantes : S.D. à 11 ans, B.V. à 10 ans, B.A., P.N., K.V. à 9 ans, M.A. à 4 ans et S.S. à 3 ans et 6 mois. Le tribunal les condamna en outre à payer au requérant, partie civile dans le procès, la somme de 30 000 UAH (environ 4 900 EUR) au titre de son dommage moral. La Cour ne dispose pas d’information sur l’exécution de ce paiement. Par ailleurs, le tribunal rejeta, sans l’examiner, l’action civile du requérant dirigée contre la colonie, au motif qu’une procédure pénale distincte avait été ouverte à l’encontre de l’inspecteur de la colonie en cause et que le requérant pourrait à nouveau se constituer partie civile dans le cadre de cette seconde procédure. Le requérant demanda au parquet de Zaporijjia de déposer une plainte contre la colonie en son nom. Par une lettre du 13 décembre 2001, le parquet répondit qu’il n’y avait pas lieu de déposer de plainte contre la colonie. Le 29 novembre 2001, le tribunal d’arrondissement de Leninski de Zaporijjia ordonna le placement en détention de l’inspecteur S.A. Par un arrêt du 6 novembre 2002, la cour régionale de Zaporijjia confirma pour l’essentiel le jugement du 6 juin 2001. Elle indiqua dans sa décision que les prisonniers et un inspecteur de la colonie, que la cour dénomma « la personne ayant fait l’objet de poursuites séparées », avaient souhaité « punir » S.O., après que celui-ci eut tenté de s’évader. Ces personnes avaient asséné de nombreux coups qu’elle qualifia de supplices et de sévices d’une cruauté particulière. Les individus avaient commencé par asséner de très nombreux coups à S.O. à l’intérieur du bureau de garde, armés notamment d’une matraque. La juridiction releva que S.O. avait subi de très nombreuses blessures : de multiples traumatismes, fractures, lésions internes et externes, ainsi que plusieurs hémorragies internes importantes. La cour de Zaporijjia releva également que ces violences durèrent un certain temps, puis que l’inspecteur, accompagné de l’un des prisonniers, avait conduit S. O. dans la salle d’eau du foyer et l’enferma avec trois prisonniers, et ce à la demande de ces derniers. La cour indiqua ensuite que l’un des prisonniers viola S.O. pendant qu’un autre le tenait menotté. La cour ajouta que l’inspecteur mena ensuite S.O. aux toilettes du foyer, où celui-ci fut attaché et violé une seconde fois par des prisonniers. La cour conclut par le rappel du décès de S.O., du fait de ses lésions corporelles, le 19 octobre 2000. Le 24 décembre 2002, le parquet régional de Zaporijjia informa par courrier le requérant que la recherche de l’inspecteur S.A. était toujours en cours et qu’il était impossible de terminer l’instruction dans son affaire pénale. Il précisa que des instructions avaient été adressées au directeur de la colonie afin d’accélérer les recherches. Le 27 octobre 2003, le directeur de la colonie informa le requérant que l’inspecteur S.A. faisait l’objet d’une recherche par les agents de la colonie, qu’un avis officiel avait été lancé à cette fin et que l’affaire était sous contrôle du parquet régional. Il ajouta qu’une demande avait été formée auprès du département régional du ministère de l’Intérieur, afin de lancer un avis de recherche inter-régional. Le directeur de la colonie refusa de donner au requérant le nom et les coordonnées des agents chargés de retrouver S.A. au motif que cela était interdit par la loi. La Cour ne dispose pas d’autres informations quant au développement de l’instruction dans l’affaire pénale diligentée à l’encontre de l’inspecteur S.A.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside à Diyarbakır. Le 4 août 1997, le quotidien Ülkede Gündem publia un article intitulé « Dersim’in dramı » (« Le Drame de Dersim »), rédigé par le requérant en sa qualité de président du DEP (Demokrasi Partisi : « Parti de la Démocratie »). Dans cet article, le requérant critiquait notamment la politique gouvernementale menée à Dersim, le trafic de stupéfiants qui s’y développait, ainsi que la situation économique de la ville. Il soutenait également que la population kurde de la région avait été victime d’une politique d’assimilation et d’un génocide. Les passages pertinents de l’article litigieux pouvaient se lire en ces termes : « Ces derniers jours, Dersim est à nouveau à l’ordre du jour avec une nouvelle politique spéciale de guerre(...) Cette fois, la méthode est encore plus sournoise. On veut faire tomber les jeunes de Dersim dans le piège de l’héroïne. Et on planifie d’assombrir l’avenir de Dersim (...) A première vue, on peut se demander comment des stupéfiants peuvent pénétrer dans une ville où il y a presque un policier ou un militaire par habitant, où cette force de 70 000 personnes exerce une vigilance de tous les instants (...) Mais tous ceux qui savent que la machine de guerre s’occupe aussi du commerce des stupéfiants, tous ceux qui sont conscients du grand danger que représentent les stupéfiants pour la société et tous ceux qui connaissent cette machine ainsi que ses buts, ses politiques et ses pratiques, savent aussi très bien par qui et dans quel but l’héroïne est introduite à Dersim. (...) les forces étatiques, par vengeance, incendièrent les villages un par un. Les villageois furent déplacés de leur terre (...) Ils firent l’objet d’une migration forcée. Les pressions, la prison, la torture, les meurtres aux coupables connus sont entrés dans leur vie (...) Leur but est de dépeupler cette région(...) Bien sûr, leur hostilité n’était pas uniquement dirigée contre le peuple kurde alevi. Ils étaient également hostiles à la géographie de Dersim(...) Ils ont bombardé ses montagnes, ses pierres. Ils ont brûlé ses belles vallées qualifiées de « parc national ». Ils ont brûlé les forêts. Ils ont utilisé des armes biologiques contre l’herbe et les arbres. Coupant le lien entre le centre des régions et les départements, ils ont détruit la liberté de voyager (...) (...) Selon les statistiques de 1995 du DIE [Institut des Statistiques de l’Etat] au sens économique, Dersim est le département qui régresse le plus (...) Selon les données du DIE, la population de Dersim qui comptait 104 000 personnes l’année dernière va tomber à 78 000 en 2000. Selon la carte économique de 1996 (...) les investissements à Dersim (...) pour les dépenses de personnel et pour la défense s’élevaient à 7 trillions de livres turques. Leur but, détruire définitivement Dersim. Comme on le sait, durant cette longue période, plusieurs guerres ont été menées à Dersim, mais aucune de ces guerres ne fut réellement un succès (...) Jusqu’au début du XIXe siècle, quand les autres provinces kurdes avaient un statut d’autonomie, Dersim vivait de manière indépendante (...) En 1937, aux termes des attaques commencées sur l’ordre de Mustafa Kemal et ayant duré près de deux ans, Dersim subit un véritable génocide et plus de dix mille Kurdes, parmi lesquels le leader de la résistance Seyid Rıza, furent tués. Tout comme aujourd’hui, les villages furent incendiés et Dersim fut mis en ruines. Même son nom ne fut pas supporté. Le nom de Dersim fut changé en Tunceli. Ensuite débuta la période du “massacre blanc” (...) Les enfants kurdes furent arrachés à leur famille et assimilés dans les internats des écoles régionales. Ils furent coupés de leurs racines et de leur identité. (...) A cette époque où les combats pour l’indépendance étaient si intenses, le fait même que ces personnes conditionnées par le kémalisme étaient aux ordres de la machine de guerre n’explique-t-il pas les buts de la politique de « turquisation » menée à Dersim ? Le plus tragique est peut-être le fait que le peuple alevi kurde, dont les intellectuels firent l’objet d’un génocide en 1937 sur ordre de Mustafa Kemal, et qui hier encore étaient brûlés vifs à Sivas, n’ait pas encore rejeté de son esprit les résidus du kémalisme (...) Malgré tout, nous gardons espoir. Nous souhaitons qu’il soit mis fin à ce positionnement (...) Que s’allume à nouveau la flamme de la vengeance du grand intellectuel résistant Nuri Dersim, (...) et que les appels à la résistance des fleurs des bois de Dersim trouvent enfin la réponse méritée(...) Malgré ce vœu et ces réalités (...) face aux attaques (...) dont Dersim est la cible depuis le début de l’année et aux pratiques consistant à faire tomber les jeunes dans le piège de l’héroïne, on ne peut pas dire que la réponse des instances démocratiques soit suffisante. Dès lors, il faut accroître la sensibilité. Il faut faire sentir au peuple de Dersim qui résiste qu’il n’est pas seul (...) Il faut organiser des campagnes de publicité [dénonçant] à l’échelle nationale et internationale les pratiques d’oppression. Face aux campagnes à Dersim et à la machine de guerre dont l’objet est la destruction (...) il faut que nous aussi menions des campagnes de paix et de liberté reposant sur la solidarité (...) » Le 9 janvier 1998, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır inculpa le requérant – qui purgeait alors une peine à la prison d’Ankara pour une autre infraction – pour incitation du peuple à la haine et à l’hostilité sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une race ou à une région et requit sa condamnation en vertu de l’article 312 § 2 du code pénal. Le 17 mars 1998, le requérant fut entendu en sa défense lors d’une audience devant la cour de sûreté de l’Etat. Il reconnut être l’auteur de l’article litigieux, et l’avoir écrit de sa propre volonté et en toute conscience. Le 2 avril 1998, au cours d’une audience tenue en l’absence du requérant, sa déposition recueillie sur commission rogatoire fut lue, et le procureur de la République présenta ses réquisitions sur le fond. Le 30 juin 1998, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine de deux ans d’emprisonnement et 1 720 000 anciennes livres turques (TRL) d’amende. La cour estima que le contenu de l’article litigieux dépassait les limites de la liberté d’expression et de pensée fixées à l’article 10 de la Convention en incitant le peuple à la haine et à l’hostilité. Le 21 juillet 1998, le requérant se pourvut en cassation. Il soutint notamment que les opinions et les pensées qui n’incitent pas à la discrimination raciale et à la guerre et leur expression ne constituaient pas une infraction, mais le simple exercice de la liberté de pensée. Le 7 octobre 1998, la Cour de cassation confirma le jugement. Le 29 septembre 1999, par suite de l’entrée en vigueur de la loi no 4454 relative à la suspension des procédures et des peines pour les infractions commises par voie de presse et de publication, la cour de sûreté de l’Etat décida le sursis à l’exécution de la peine du requérant. Le 19 février 2002, l’article 312 du code pénal fut amendé par la loi no 4744 portant modification de diverses lois. Le 19 mars 2002, se fondant sur l’amendement en question, le requérant introduisit un recours en révision de sa condamnation devant la cour de sûreté de l’Etat. Le 12 avril 2002, la cour de sûreté de l’Etat releva tout d’abord que la peine prononcée contre le requérant n’avait pas encore été exécutée. Elle estima que les conditions d’une révision du jugement en question, telles que définies par l’article 327 du code de procédure pénale, n’étaient pas réunies. Elle considéra toutefois qu’eu égard à la modification de l’article 312 du code pénal, il convenait de vérifier si cet article était applicable aux faits reprochés au requérant et, pour ce faire, de procéder à la réouverture de la procédure. Lors de l’audience du 20 juin 2002, le requérant soumit son mémoire en défense, dans lequel il soutenait notamment que l’écrit litigieux devait être lu dans son ensemble, qu’il ne comportait aucune incitation à la haine ou à l’hostilité, et qu’il ne créait pas non plus de risque quelconque pour l’ordre public. Il demanda en conséquence à être acquitté. Le 25 juin 2002, par un jugement additionnel, la cour de sûreté de l’Etat reconnut le requérant coupable d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité susceptible de représenter un danger pour l’ordre public. Elle le condamna en conséquence à une peine de deux ans d’emprisonnement en vertu de l’article 312 du code pénal tel qu’issu de la loi no 4744. Cette peine fut assortie d’un sursis en vertu de la loi no 4454. Dans ses motifs, la cour de sûreté de l’Etat énonça notamment : « L’accusé s’est toujours réclamé de la liberté d’expression (...) Or, la liberté d’expression et de pensée comporte des devoirs et des responsabilités. La liberté d’expression n’est pas un droit absolu. Dans une société démocratique, une lutte implacable contre le terrorisme est très importante (...) Comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a précisé dans ses affaires Zana, « lorsque, dans une telle société, la violence utilisée à des fins politiques représente une menace permanente pour la vie et la sécurité de la population et que les partisans de cette violence expriment leur soutien [de celle-ci] par l’intermédiaire des médias, il est impératif d’assurer un juste équilibre entre le droit à la liberté d’expression et le droit légitime de la collectivité de se protéger contre les agissements de groupes armés dont le but avoué ou caché est de renverser le régime démocratique garant des droits de l’homme (...) ». A la lumière de cette explication, au terme de l’examen de l’écrit en question (...) il apparaît que sous couvert de la liberté d’expression et des pensées est commis le crime d’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité sur la base d’une distinction fondée sur la race, la religion et la région, de nature à représenter un danger pour l’ordre (...) » Le 9 août 2002, se fondant notamment sur l’article 10 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation. Le 22 octobre 2002, le procureur de la République près la Cour de cassation demanda à cette dernière de confirmer la condamnation du requérant. Le 15 octobre 2003, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance. Par courrier en date du 11 janvier 2012, la direction générale du casier judiciaire et des statistiques du ministère de la Justice informa la direction générale du droit international et des affaires extérieures que la condamnation du requérant avait été retirée de son casier judiciaire. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est notamment décrit dans les arrêts İbrahim Aksoy c. Turquie, nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97, §§ 41-42, 10 octobre 2000, Veysel Turhan c. Turquie, no 53648/00, § 17, 20 septembre 2005 et Ergin c. Turquie (no 5), no 63925/00, § 13, 16 juin 2005.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, née en 1975, réside à Bielsko-Biała. Le 6 février 2006, les beaux-parents de la requérante formulèrent une demande tendant à leur désignation en tant que famille d’accueil pour leur petit-fils, fils unique de la requérante, âgé de 4 ans. Le 23 février 2006, le tribunal de district de Bielsko-Biała adopta une mesure conservatoire ordonnant l’hébergement de l’enfant chez ses grands-parents pendant la durée de la procédure. Il demanda en outre aux services sociaux de présenter un rapport sur l’aptitude des demandeurs à être famille d’accueil pour l’enfant. Les 16 mars et 1er juin 2006, le tribunal tint audience. Entretemps, le 21 avril 2006, le rapport des services sociaux fut versé au dossier. A l’audience du 4 juillet 2006, le tribunal adopta une mesure conservatoire relative au droit de visite de la requérante auprès de son fils, en ce sens qu’il autorisa les entrevues entre les intéressés une fois par semaine et pendant deux weekends par mois. Le tribunal demanda en outre à l’expert psychiatre et aux services sociaux de présenter les rapports sur la situation familiale des personnes impliquées dans la procédure. Il demanda également qu’une enquête soit effectuée par les services compétents au domicile de la requérante. Les 21 juillet et 4 septembre 2006, les conclusions d’expertise furent versées au dossier, suite à quoi une audience se tint le 19 octobre 2006. Compte tenu d’un recours formé par les demandeurs contre l’ordonnance du 4 juillet, le 15 septembre 2006, le dossier fut transféré au tribunal régional. Le 19 octobre 2006, le tribunal régional tint audience et rejeta le recours cinq jours plus tard. L’audience du 8 février 2007 fut reportée au 27 mars 2007 pour cause de non-comparution des avocats des parties. Les audiences des 17 avril, 24 mai, 26 juin et 31 juillet 2007 furent consacrées aux auditions des parties, des témoins et des experts. A cette époque l’enquête fut réalisée par les services sociaux au domicile de la requérante et l’expertise psychiatrique complémentaire fut versée au dossier. A l’audience du 31 juillet 2007, le tribunal adopta une mesure conservatoire pour autoriser les entrevues supplémentaires entre la requérante et son fils. Le 4 septembre 2007, un recours des demandeurs contre cette décision fut rejeté par le tribunal régional. A l’audience du 14 septembre 2007, le tribunal entendit le père de l’enfant et un témoin et examina les preuves documentaires. Il prit une nouvelle mesure conservatoire autorisant les entrevues supplémentaires entre la requérante et son fils. Le tribunal demanda à l’Institut d’expertises judiciaires de Cracovie de présenter un rapport concernant, entre autres, la question de savoir quelle partie à la procédure était la plus apte à s’occuper de l’enfant. Le 10 octobre 2007, la requérante se plaignit de la durée de la procédure, suite à quoi le dossier fut transféré au tribunal régional de Bielsko-Biała. Le 14 novembre 2007, le tribunal régional rejeta la plainte, considérant que le délai raisonnable avait été observé et que la durée de la procédure était imputable essentiellement à l’activité procédurale des parties. Le tribunal nota que la juridiction instruisant l’affaire avait effectué plusieurs actes en vue de la solution du litige dans l’intérêt de l’enfant. Tout en ayant observé que certains actions de la juridiction concernée avaient occasionné des retards, le tribunal régional refusa de les examiner, au motif que la requérante ne les avait pas explicités dans sa plainte. Suite au rejet à l’audience du 12 décembre 2007 d’un recours des parties contre l’ordonnance du 14 septembre 2007, le dossier fut transféré à l’Institut d’expertises judiciaires de Cracovie. En février 2008, l’Institut informa le tribunal que ses conclusions seraient présentées au plus tôt en octobre 2008. Le 14 mars 2008, le tribunal demanda aux experts de se prononcer dans les meilleurs délais. Le 18 avril 2008, le tribunal rejeta la demande de la requérante de récuser le juge instruisant l’affaire. Les 25 avril, 25 juin et 15 septembre 2008, le tribunal adopta une série de mesures conservatoires régissant les entrevues de l’enfant avec la requérante et son époux. Le 20 février 2009, les conclusions de l’Institut d’expertises judiciaires de Cracovie furent versées au dossier. Par une ordonnance prononcée à l’audience du 16 avril 2009, le tribunal statua sur le fond de l’affaire, en ce sens qu’il rejeta la demande des beaux-parents de la requérante de les désigner en tant que famille d’accueil pour le fils de cette dernière. Il jugea que, malgré les tensions existant entre les parties, les parents de l’enfant étaient aptes à exercer leur autorité parentale dans l’intérêt du mineur. Le tribunal maintint l’application des mesures conservatoires prises au cours de la procédure dans l’attente de l’issue de la procédure de divorce entre la requérante et son époux qui était en cours. Il nota que, hormis quelques difficultés initialement rencontrées par la requérante dans l’application de son droit de visite auprès de son fils, les mesures prises en la matière par les autorités étaient dans l’ensemble respectées par les intéressés. Le 23 juillet 2009, le tribunal régional rejeta l’appel des demandeurs interjeté à l’encontre de l’ordonnance du 16 avril.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et réside à Prague. Le requérant était représentant statutaire d’une société S. Le Fonds national d’environnement de la République tchèque (ci-après le « Fonds »), une autorité publique, avait consenti un prêt de 37 500 000 couronnes tchèques (CZK) à la société S. Le requérant s’était porté caution. En 1998, une procédure collective fut ouverte à l’égard de la société S. Le Fonds essayait alors d’obtenir le remboursement du prêt avec les intérêts, d’un montant total de presque 50 millions de CZK. Il ne réussit à recouvrer qu’une partie de sa créance (à savoir environ 3 120 000 CZK en 2002 et 1 220 000 en 2003). En janvier 2005, le Fonds assigna le requérant, en qualité de caution, en paiement du solde du prêt. Le Fonds demandait la condamnation du requérant à lui payer, d’une part, le solde de plus de 33 millions CZK, à savoir environ 1 300 000 euros (EUR), majoré d’intérêts moratoires, d’intérêts contractuels et de pénalités, au total un montant de 122 856 894 CZK (environ 4 730 000 EUR), et d’autre part, un montant de 63 000 000 CZK (environ 2 425 000 EUR), au titre de pénalités, majoré d’intérêts, au total un montant de 133 287 311 CZK (environ 5 131 000 EUR). Selon le requérant, l’action était entièrement prescrite, et donc irrecevable. Le 30 avril 2007, le tribunal d’arrondissement de Prague 1 déclara l’action recevable et partiellement fondée. Il condamna le requérant à payer la somme de 122 856 894 CZK, mais débouta le Fonds de sa demande portant sur le montant de 133 287 311 CZK. En ce qui concerne les frais de procédure, le tribunal fixa le montant des frais exposés par le requérant à 200 000 CZK au titre de frais d’avocat et à 40 657 CZK au titre de frais de transport et TVA, soit au total à un montant de 240 657 CZK (environ 9 265 EUR). Selon le tribunal, prenant en compte les sommes demandées par le Fonds et accordées ou rejetées par le tribunal, le requérant avait obtenu gain de cause à 52,04 % et le Fonds à 47,96 %. La différence étant de 4,07 % au profit du requérant, celui-ci fut considéré la partie gagnante du procès et le Fonds fut condamné à lui rembourser 4,07 % de ses frais, c’est-à-dire 9 800 CZK (environ 377 EUR). En ce qui concerne les frais de justice, le tribunal constata que le Fonds, en tant qu’autorité publique, en était exonéré. Le requérant, quant à lui, fut condamné à verser sur le compte du tribunal les frais de justice s’élevant à 1 000 000 CZK (presque 40 000 EUR), calculés en fonction de la somme qu’il devait payer au Fonds. A une date indéterminée, le requérant interjeta appel. Dans sa requête, il demanda au tribunal municipal de Prague de rejeter la demande du Fonds et de condamner celui-ci à lui rembourser les frais qu’il avait exposés. Le 8 juin 2007, il fut sommé par le tribunal d’arrondissement de payer 1 000 000 CZK (presque 40 000 EUR) au titre des frais d’appel. Le requérant réagit en demandant d’être exonéré du paiement de ces frais en raison de sa situation financière. Sur la base d’une déclaration de ressources et des autres informations soumises par le requérant, le tribunal d’arrondissement accéda partiellement à sa demande d’exonération en lui ordonnant de payer au titre des frais d’appel la somme de 300 000 CZK (presque 12 000 EUR). Le tribunal releva à cette occasion que le requérant bénéficiait d’un revenu régulier ainsi que d’une rémunération au titre de sa fonction d’organe statutaire dans deux sociétés, qu’il habitait une maison appartenant à sa famille et possédait de vastes terrains. Le requérant fit appel, en vain. Le 12 février 2009, le tribunal municipal de Prague tint une audience en l’affaire, en présence de l’avocat du requérant. Celui-ci renvoya à la requête d’appel et demanda de se voir accorder, en cas de succès, les frais à calculer selon le tarif plus TVA. A l’issue de cette audience, le tribunal municipal rendit le même jour un arrêt par lequel il réforma le jugement du 30 avril 2007 en rejetant, pour prescription, la demande du Fonds. Statuant sur les frais, le tribunal décida en premier lieu, eu égard au fait que le requérant avait obtenu gain de cause, d’annuler la décision du premier juge lui ordonnant de payer la somme de 1 000 000 CZK au titre des frais de justice en première instance. Quant aux frais de procédure exposés par le requérant tant en première instance (frais d’avocat, évalués par le requérant - dans la procédure devant la Cour - à 1 327 180 CZK) qu’en degré d’appel (frais de justice, c’est-à-dire frais d’appel s’élevant à 300 000 CZK, ainsi que frais d’avocat, évalués par le requérant – de nouveau, dans la procédure devant la Cour - à 1 327 180 CZK), soit un montant total de 2 954 360 CZK (environ 113 700 EUR), le tribunal décida d’appliquer en l’espèce l’article 150 du code de procédure civile (ci-après « CPC ») et donc, en dérogation à la règle générale prévue à l’article 142 § 1 du CPC, de ne pas accorder au requérant le droit au remboursement de ces frais. Cette dernière décision était fondée sur le fait que le requérant était représentant statutaire de la société S. qui avait reçu plusieurs dizaines de millions de couronnes du Fonds et que celui-ci n’en avait recouvré qu’une partie minime dans le cadre de la procédure collective. Le tribunal estima que dans ces conditions il serait contraire aux bonnes mœurs d’accorder au requérant le remboursement de ses frais, bien qu’il ait été fait droit à toutes ses autres demandes. Le requérant attaqua la décision du tribunal municipal sur les frais par un recours constitutionnel. Invoquant le droit à un procès équitable et le principe de l’égalité des parties, il contesta l’appréciation du tribunal municipal quant à l’existence de « raisons méritant une considération particulière » au sens de l’article 150 du CPC. Faisant référence aux arrêts de la Cour constitutionnelle II. ÚS 828/06, III. ÚS 1378/07 et IV. ÚS 215/09 (voir paragraphes 20 in fine et 21 ci-dessous), il se plaignit que le tribunal municipal ne lui avait pas donné la possibilité de s’exprimer sur l’application de l’article 150 du CPC. Par la décision I. ÚS 1589/09 du 13 août 2009, la Cour constitutionnelle rejeta le recours constitutionnel du requérant pour défaut manifeste de fondement. Elle s’exprima dans les termes suivants : « La Cour constitutionnelle indique constamment dans sa jurisprudence qu’un avis différent sur l’interprétation des dispositions inférieures à la Constitution ne peut pas en soi emporter violation du droit à la protection judiciaire ou à un procès équitable au sens de l’article 36 § 1 de la Charte [tchèque des droits et libertés fondamentaux]. Cela vaut également pour l’interprétation des dispositions procédurales relatives aux frais de procédure et à leur remboursement. C’est pourquoi la Cour constitutionnelle procède, en examinant la problématique des frais de procédure, à savoir une problématique essentiellement secondaire par rapport à l’objet de la procédure, avec un maximum de retenue et ne procède à l’annulation de la décision attaquée relative aux frais de procédure qu’exceptionnellement, par exemple lorsqu’elle constate une violation extrême du droit à un procès équitable et lorsqu’un autre droit, par exemple l’égalité des parties au sens de l’article 37 § 3 de la Charte, a également été violé (voir les décisions de la Cour constitutionnelle I. ÚS 351/05, I. ÚS 800/06, II. ÚS 198/07, III. ÚS 604/04). La question des frais de procédure ne peut revêtir une dimension constitutionnelle que lors d’un écart extrême des règles réglementant la procédure. Après avoir pris connaissance du contenu du recours constitutionnel et des griefs soulevés, la Cour constitutionnelle conclut que ce n’est pas le cas en l’espèce et que le recours est manifestement mal fondé. Le requérant voit la violation de ses droits dans la décision de la juridiction d’appel qui ne lui a pas accordé le remboursement des frais de procédure, en vertu de l’article 150 du CPC. La doctrine pertinente relative à l’application de l’article 150 du CPC indique qu’en examinant l’existence des raisons méritant une considération particulière, le tribunal tient compte notamment des conditions patrimoniales, sociales, personnelles et autres de toutes les parties à la procédure; ce faisant, il doit non seulement avoir égard à la situation de celui qui aurait dû supporter les frais de procédure mais il doit aussi considérer comment une telle décision affecterait la situation patrimoniale de l’ayant droit. Revêtent de l’importance également, en vue de l’application de l’article 150 du CPC, les circonstances ayant mené à l’ouverture de la procédure, l’attitude des parties à la procédure, etc. (...). Dans la décision I. ÚS 2862/07 du 5 novembre 2008, la Cour constitutionnelle a constaté que "le but de la disposition de l’article 150 du code de procédure civile n’est pas de réduire les disparités patrimoniales entre les parties à la procédure mais de résoudre une situation où il n’est pas juste que celui qui a à raison défendu ses droits ou intérêts légitimes obtienne le remboursement des frais raisonnablement exposés à cette fin. La décision en vertu de laquelle celui qui a eu gain de cause supporte lui-même ses frais apparaîtra juste notamment au vu des circonstances ayant précédé la procédure, du comportement des parties à ce stade, des circonstances entourant l’introduction de l’instance". Le principe du succès dans la procédure est profondément lié à la structure et à la fonction du contentieux civil, c’est pourquoi le tribunal devrait interpréter et appliquer l’article 150 du CPC - permettant de renverser ce principe dans un cas exceptionnel concret - de manière à ce que le non-octroi du remboursement des frais de procédure soit seulement exceptionnel et justifié par les raisons méritant une considération particulière. Dans la présente affaire, on ne peut cependant pas conclure qu’en décidant d’appliquer l’article 150 du CPC le tribunal municipal n’a pas pesé toutes les circonstances de l’affaire. Dans le cadre de sa discrétion il a examiné et le montant total des frais de procédure, et les conditions patrimoniales des parties et l’impact possible de l’octroi ou du non-octroi du remboursement des frais de procédure sur telle ou telle partie. Sa conduite est motivée de manière suffisamment convaincante, et on comprend à partir des motifs de son arrêt quel était son raisonnement. Sa conclusion, selon laquelle l’octroi du remboursement des frais de procédure au requérant - dans une situation où il avait en tant que représentant statutaire de la société S. obtenu du plaignant une somme de millions de CZK, recouvrée seulement dans une partie minime dans la procédure collective, serait contraire aux bonnes mœurs ne peut pas, compte tenu de ce qui a été dit (circonstances datant d’avant l’introduction de l’instance qui ont mené à la saisine du tribunal), être critiquée sur le plan constitutionnel. Pour ces motifs la Cour constitutionnelle a rejeté le recours sans audience et en l’absence des parties comme manifestement mal fondé, en vertu de l’article 43 § 2 a) de la loi sur la Cour constitutionnelle. » La Cour constitutionnelle ne se prononça pas explicitement sur le grief du requérant tiré de l’impossibilité de s’exprimer devant le tribunal municipal au sujet de l’application de l’article 150 du CPC. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Code de procédure civile L’article 137 du CPC dispose que les frais de procédure comprennent les frais engagés par les parties et leurs représentants, incluant les frais de justice, ainsi que, inter alia, la rémunération pour la représentation par un avocat. L’article 140 dispose que chaque partie paye ses propres frais de procédure et les frais de son représentant. L’article 142 § 1 dispose que le tribunal accorde à la partie ayant obtenu gain de cause le remboursement des frais nécessaires pour faire valoir ou défendre ses droits de manière effective contre la partie n’ayant pas obtenu gain de cause. En vertu de l’article 150, le tribunal n’est exceptionnellement pas tenu d’accorder à la partie gagnante le remboursement des frais de procédure lorsque cela est justifié par des raisons méritant une considération particulière. L’article 151 § 1 dispose que le tribunal statue sur l’obligation de rembourser les frais de procédure d’office, dans la décision par laquelle prend fin la procédure devant lui. Aux termes de l’article 151 § 2, en décidant du remboursement des frais de procédure, le tribunal fixe le montant de la rémunération pour la représentation par un avocat selon les forfaits prévus par une réglementation spéciale. B. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle concernant l’article 150 du CPC La Cour constitutionnelle s’est prononcée dans plusieurs affaires sur les conditions dans lesquelles les tribunaux du fond peuvent faire application de l’article 150 du CPC. Par exemple, dans l’arrêt no II. ÚS 153/06 du 29 juin 2006, la Cour constitutionnelle nota que la décision sur les frais de procédure devait être en accord avec le déroulement de la procédure et le raisonnement à la base de cette décision devait être donné, fût-ce brièvement. Dans l’arrêt no I. ÚS 2862/07 du 5 novembre 2008, la Cour constitutionnelle expliqua : « Le but de la disposition de l’article 150 du code de procédure civile n’est pas de réduire les disparités patrimoniales entre les parties à la procédure mais de résoudre une situation où il n’est pas juste que celui qui a à raison défendu ses droits ou intérêts légitimes obtienne le remboursement des frais exposés à cette fin. La décision en vertu de laquelle celui qui a eu gain de cause supporte lui-même ses frais apparaîtra juste notamment au vu des circonstances ayant précédé la procédure, du comportement des parties à ce stade, des circonstances entourant l’introduction de l’instance (...). L’application exceptionnelle de l’article 150 du code de procédure civile (...) commande que le tribunal pèse rigoureusement toutes les circonstances de l’affaire et qu’il expose dûment dans les motifs de sa décision pourquoi il considère comme juste, au vu de ces circonstances, de ne pas décider sur le remboursement des frais de procédure selon le principe du succès dans la procédure. Ce raisonnement doit naturellement se fonder sur les faits concrets reflétant les particularités de l’espèce. » Dans l’arrêt no IV. ÚS 215/09 du 3 mars 2009, la Cour constitutionnelle reprocha à un tribunal régional d’avoir décidé d’appliquer l’article 150 du CPC sans avoir examiné toutes les circonstances de l’affaire. Le tribunal n’avait notamment pas pris en compte le montant des frais de procédure ni n’avait établi quelle était la situation patrimoniale, sociale, personnelle et autre des parties à la procédure ni quel serait l’impact de la décision de rembourser ou non les frais de procédure sur telle ou telle partie. Dans d’autres arrêts, la Cour constitutionnelle a souligné que les parties aux procès devaient avoir la possibilité de s’exprimer sur l’application éventuelle de l’article 150 du CPC. C’est ainsi que dans l’arrêt no II. ÚS 828/06 du 6 février 2007 la Cour constitutionnelle considéra : « (...) il découle du droit à un procès équitable l’obligation pour le tribunal qui envisage d’avoir recours à l’article 150 du code de procédure de créer un espace procédural permettant aux parties à la procédure de s’exprimer sur une éventuelle mise en œuvre du droit modérateur prévu par l’article 150 et de soumettre leurs arguments et preuves susceptibles d’influencer l’application de cette disposition. Cette obligation s’impose encore davantage dans une procédure d’appel où la partie à la procédure ne dispose plus, après l’adoption de la décision, d’aucun instrument pour faire valoir ses objections. Il est d’autant plus important de se conformer à cette exigence dans la situation où la partie s’attend, au vu du déroulement de la procédure, à un certain résultat quant au fond de l’affaire qui est déterminant pour la décision sur le remboursement des frais de procédure, et où elle ne pouvait pas prévoir que le tribunal allait user de son droit modérateur, comme ce fut le cas en l’espèce où la juridiction d’appel était liée par l’avis juridique de la Cour suprême. Il y a lieu de souscrire à l’argument de la requérante selon lequel les motifs exposés par la juridiction d’appel dans la décision contestée existaient déjà au moment où la juridiction d’appel avait rendu sa première décision en l’affaire. (...) ces raisons entraînent une inégalité dans l’approche du tribunal à l’égard des parties à la procédure. Il n’y aurait pas lieu de parler d’une telle inégalité si seulement le tribunal régional avait motivé le recours à la modération par des raisons qui n’avaient pas existé au moment de sa première décision. » Par l’arrêt no III. ÚS 1378/07 du 31 octobre 2007, la Cour constitutionnelle annula, pour violation du droit à un procès équitable, l’arrêt par lequel la juridiction d’appel avait confirmé le jugement sur le fond rendu par le tribunal de première instance mais réformé sa décision sur les frais de procédure en décidant que le requérant n’avait pas droit au remboursement de ces frais. Enfin, dans un certain nombre d’arrêts la Cour constitutionnelle a souligné que son contrôle sur des décisions prises par les juridictions du fond sur les frais était limité. Ainsi, dans l’arrêt no III. ÚS 607/04 du 16 février 2006, la Cour constitutionnelle observa qu’il appartenait exclusivement aux tribunaux inférieurs d’apprécier le succès des parties en l’affaire et de décider sur les frais de procédure en conséquence. La Cour constitutionnelle n’était donc appelée à réexaminer ces décisions que lorsqu’elles étaient entachées d’un excès procédural caractérisé par un mépris extrême des principes de l’équité (par exemple lorsque la décision sur les frais ne correspondait manifestement pas à la décision sur le fond). Dans l’arrêt no II. ÚS 259/05 du 21 mars 2006, la Cour constitutionnelle considéra que le droit à l’octroi d’un remboursement de frais raisonnable (et prévu par la loi) engagés par la partie gagnante faisait partie du droit à un procès équitable et était lié, pour ce qui était concrètement des frais de représentation légale, au droit à une assistance juridique au sens de l’article 37 § 2 de la Charte tchèque des droits et libertés fondamentaux. Cependant un avis différent sur l’interprétation des dispositions inférieures à la Constitution ne pouvait pas en soi emporter violation du droit à la protection judiciaire ou à un procès équitable au sens de l’article 36 § 1 de la Charte. Cela valait également pour l’interprétation des dispositions procédurales relatives aux frais de procédure et à leur remboursement. C’était pourquoi la Cour constitutionnelle procédait, en examinant la problématique des frais de procédure, à savoir une problématique clairement secondaire par rapport à l’objet de la procédure, avec un maximum de retenue et n’annulait la décision attaquée relative aux frais de procédure qu’exceptionnellement, par exemple lorsqu’elle constatait une violation substantielle du droit à un procès équitable et lorsqu’un autre droit avait également été violé. Dans l’arrêt no I. ÚS 800/06 du 7 août 2007, la Cour constitutionnelle répéta qu’en examinant la problématique des frais de procédure, qui était secondaire par rapport à l’objet de la procédure devant les tribunaux inférieurs, elle agissait avec un maximum de retenue. En l’espèce, elle reprocha à la juridiction d’appel de ne pas avoir pris en compte l’argument de la requérante relatif à sa situation sociale difficile et de ne pas avoir du tout examiné sa situation personnelle et patrimoniale. Enfin, dans l’arrêt no II. ÚS 198/07 du 3 mai 2007, la Cour constitutionnelle répéta que la question des frais de procédure ne pouvait revêtir une dimension constitutionnelle que lors d’un écart extrême des règles réglementant la procédure. Le droit à un procès équitable au sens de l’article 36 § 1 de la Charte tchèque des droits et libertés fondamentaux était violé par un tribunal qui faisait une application manifestement erronée de l’article 142 § 2 du CPC, ou qui péchait par une motivation insuffisante. C. Loi sur la Cour constitutionnelle Les articles 119 et 119b de la loi sur la Cour constitutionnelle règlent la réouverture de la procédure devant la Cour constitutionnelle. L’article 119 §§ 1 et 2 dispose que, lorsque la Cour constitutionnelle avait statué dans une affaire dans laquelle une juridiction internationale a constaté une violation des droits de l’homme ou des libertés fondamentales, commise par une autorité publique au mépris d’un traité international, une demande en réouverture de la procédure peut être introduite au sujet d’une telle décision de la Cour constitutionnelle par celui qui a été partie à la procédure devant celle-ci et qui a obtenu une décision favorable de la juridiction internationale. Aux termes de l’article 119b § 1, la Cour constitutionnelle décide d’une demande en réouverture de la procédure sans tenir d’audience. Si sa décision est contraire à celle d’une juridiction internationale, elle l’annule ; si ce n’est pas le cas, elle rejette la demande. L’article 119b §§ 2 et 3 dispose que si, à la suite d’une demande en réouverture, la Cour constitutionnelle a annulé sa décision antérieure, elle examine le recours constitutionnel initial selon les dispositions de cette loi. Lors de cet examen, la Cour constitutionnelle est liée par l’opinion de la juridiction internationale.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 8 février 1996, l’administration de l’eau et des canalisations d’Istanbul (İSKİ) décida d’exproprier la requérante de deux parcelles dont elle était propriétaire. Le registre foncier fut annoté en conséquence. Il y fut mentionné que les terrains en question seraient expropriés par l’autorité administrative compétente. Cependant, l’İSKİ ne procéda pas à l’expropriation prévue. Le 16 juin 1999, elle émit un avis défavorable en ce qui concernait la construction, projetée par la requérante, d’une centrale à béton sur les terrains en question. Le 7 septembre 1999, le tribunal de grande instance de Kartal, saisi par la requérante, ordonna la suppression sur le registre foncier de la mention d’expropriation. Le 14 décembre 1999, la direction de la santé de la préfecture d’Istanbul délivra à la requérante une « autorisation d’ouvrir un établissement non sanitaire de deuxième catégorie ». Cette autorisation permettait notamment à la requérante de produire du béton prêt à l’emploi sur les deux parcelles en question. La requérante débuta les travaux de construction. Le 3 février 2000, une équipe de l’İSKİ se rendit sur le chantier pour démolir les installations. Le 7 février 2000, la requérante porta plainte devant le procureur de la République de Kartal contre l’équipe de l’İSKİ. Le même jour, le tribunal d’instance de Kartal ordonna une expertise visant à l’évaluation d’éventuels dégâts sur le chantier. Les experts rendirent leur rapport le 16 février 2000. Ils notèrent que le chantier avait été détérioré et que sa reprise nécessitait un mois de travaux. Ils évaluèrent le dommage matériel subi par la requérante à 20 400 000 000 de livres turques (TRL) (soit 36 860 euros (EUR) à l’époque des faits). Le 21 mars 2000, l’İSKİ écrivit à la préfecture d’Istanbul. Elle l’informa d’abord qu’elle avait entrepris la démolition du chantier de Bil İnşaat Taahhüt Ticaret Limited Şirketi pour faire cesser son activité qu’elle considérait comme non conforme à la législation environnementale. Elle exigea ensuite l’annulation de l’autorisation donnée à l’intéressée par la direction de la santé de la préfecture. Elle suggéra enfin à la préfecture de lui demander son avis avant d’accorder toute autorisation de ce type à l’avenir. Le 28 mars 2000, la requérante assigna l’İSKİ devant le tribunal administratif d’Istanbul aux fins d’obtenir des dommages et intérêts pour la détérioration de son chantier. Le 17 juillet 2000, conformément à la demande de l’İSKİ, la préfecture d’Istanbul annula l’autorisation qu’elle avait accordée à la requérante le 14 décembre 1999. Le 16 novembre 2000, le tribunal administratif d’Istanbul débouta la requérante au motif que ses parcelles étaient situées dans la zone de protection écologique et qu’elle-même avait construit les installations litigieuses sans autorisation, de manière illégale. S’agissant de l’autorisation du 14 décembre 1999, il nota qu’elle avait été annulée le 17 juillet 2000 par la préfecture d’Istanbul. Le 14 mars 2001, la requérante se pourvut en cassation. Elle déplora l’absence de prise en compte par les juges du fond de l’autorisation spécifique que lui avait accordée la direction de la santé de la préfecture d’Istanbul le 14 décembre 1999 et soutint que l’administration avait illégalement procédé à la démolition de ses installations. Elle allégua à cet égard que le jugement du tribunal administratif d’Istanbul n’avait pas de base légale au motif que l’annulation de l’autorisation en question était postérieure à la destruction de ses biens. Le 16 mai 2002, le Conseil d’Etat confirma le jugement attaqué dans toutes ses dispositions. Le 20 mars 2003, le Conseil d’Etat rejeta le recours en rectification de l’arrêt formé par la requérante.
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Le requérant est né en 1969 et réside à Diyarbakır. 5 Lors des élections locales du 28 mars 2004, le requérant était l’un des scrutateurs à Diyarbakır au nom du Parti social-démocrate populaire (« SHP »). A la fermeture des bureaux de vote, les partisans du DEHAP – un autre parti politique –, auraient vu entre les mains de policiers des sacs contenant des bulletins de vote. Pensant que les bulletins de vote avaient été volés, ils protestèrent contre les policiers. Un affrontement eut alors lieu entre les protagonistes. Les partisans du SHP essayèrent de les raisonner mais en vain. Les forces de l’ordre formèrent d’abord un cordon de sécurité puis firent usage de la force au motif que les partisans du DEHAP empêchaient la circulation en scandant des slogans. Le requérant, qui était sur les lieux, se retrouva soudain au milieu d’un affrontement. Il essaya de changer de direction pour s’éloigner mais les policiers l’appréhendèrent devant le commissariat de Yenişehir. Les policiers le frappèrent. L’intéressé perdit connaissance. Il fut transporté aux urgences de l’hôpital public de Diyarbakır par des personnes témoins de l’incident. Le requérant fut examiné par un médecin. Le rapport médical établi à 23h40 au terme de cet examen indique ce qui suit : « Le patient est conscient et coopère, Œdème et sensibilité sur la face antérieure du bras gauche, Œdème et sensibilité sur le thorax gauche, Œdème au niveau du vertex, Ecchymose sous l’œil droit, Fracture costale (10ème côte gauche), Fracture du quatrième métacarpien de la main gauche, Fracture du cinquième métacarpien de la main gauche. » Le 21 septembre 2004, par l’intermédiaire de son avocat, le requérant déposa une plainte pour mauvais traitements contre les policiers qui l’avaient battu. Le 12 novembre 2004, le dossier d’instruction du requérant fut joint à celui déjà ouvert sous le numéro no 2004/6312 devant le parquet de Diyarbakır. Le 19 novembre 2004, le procureur de la République de Diyarbakır entendit le requérant. Le requérant réitéra sa plainte et se plaignit d’avoir été violement battu par les policiers à coups de bâtons. Il affirma ne pas connaître les policiers qui l’avaient brutalisé. A la demande du procureur, le 15 décembre 2004, la direction de la sûreté de Diyarbakır fit parvenir au parquet la liste des agents de police qui étaient en patrouille sur le lieu de l’incident le 28 mars 2004. Le 29 novembre 2005, l’institut médicolégal de Diyarbakır rendit son rapport d’expertise médicale relatif au requérant. Il est rédigé en ces termes : « Le diagnostic établi selon le rapport médical du 28 mars 2004 a été analysé. Il en ressort que le patient Mehmet Hida Gülaydın souffrait d’un œdème avec sensibilité sur la face antérieure du bras gauche, d’un œdème avec sensibilité sur la partie gauche du thorax, d’une ecchymose sous l’œil droit, d’un œdème au niveau du vertex, d’une fracture de la dixième côte gauche, d’une fracture du quatrième et du cinquième métacarpien de la main gauche ». Conclusion : 1) Les blessures constatées chez le patient ne sont pas de nature à être soignées par une simple intervention médicale, 2) Elles ne mettent pas en danger la vie du patient, 3) Influence des fonctions vitales en raison des fractures : Moyen (Niveau 3) Le 19 septembre 2007, l’avocat du requérant s’informa par courrier auprès du procureur de l’évolution de l’enquête pénale. Il n’obtint aucune réponse. Le 23 juillet 2008, l’avocat du requérant réitéra sa demande d’information sur la suite réservée à sa plainte. Le procureur lui répondit que l’instruction était pendante. Entre temps, une enquête disciplinaire fut ouverte à l’encontre de 22 policiers. A l’issue de cette enquête, il fut conclu qu’aucune responsabilité des policiers mis en cause ne pouvait être engagée faute de preuve tangible. Le 16 mars 2012, le procureur rendit une ordonnance de non-lieu pour cause de prescription. Le 25 juin 2012, la cour d’assises de Siverek, statuant sur opposition du requérant, confirma l’ordonnance de non-lieu attaquée.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Şinasi Tur, est né en 1971. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type H de Gaziantep. A une date non précisée, il remit une lettre à l’administration pénitentiaire, adressée à la section turque de l’organisation Amnesty International. Par une décision du 12 novembre 2003, la commission disciplinaire de l’administration pénitentiaire refusa d’acheminer cette lettre, ainsi que les courriers de neuf autres détenus à leurs destinataires, au motif qu’ils tendaient à faire accepter à l’Etat des revendications pour un cessez-le-feu bilatéral émanant de l’organisation terroriste KADEK (PKK). Elle les considéra comme étant « gênants » en vertu de l’article 147 du règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines. A une date non précisée, le requérant forma opposition contre cette décision et demanda l’envoi de sa lettre à son destinataire. Par une décision du 2 décembre 2003, le juge de l’exécution de Gaziantep rejeta l’opposition ainsi formée. Le 26 décembre 2003, le requérant saisit la cour d’assises d’un recours contre cette décision. Il affirma que sa lettre ne contenait aucun élément de nature infractionnelle et que la décision de non-acheminement constituait une limitation de son droit à la correspondance. Le 9 janvier 2004, la cour d’assises de Gaziantep rejeta ce recours. Le 21 janvier 2004, le requérant fit à nouveau opposition contre la décision de la commission disciplinaire alléguant une atteinte à la liberté de correspondance. Le 11 février 2004, la cour d’assises rejeta ce recours au motif qu’il n’y avait pas lieu de statuer à nouveau sur la question. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents, tels qu’en vigueur à l’époque des faits, sont décrits dans l’arrêt Tan c. Turquie no 9460/03, §§ 13-14, 3 juillet 2007.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Wommelgem, en Belgique. Alors qu’il se trouvait en Belgique, par un arrêt du 14 juin 2007, la cour d’appel d’Anvers confirma la condamnation du requérant à une peine d’emprisonnement de cinq ans pour une infraction économique. Après avoir exécuté une partie de sa peine en prison, le requérant fut placé en détention à domicile, en Belgique, sous surveillance électronique. En mars 2009, il s’enfuit et rentra en Roumanie. Le 25 juillet 2009, le tribunal d’application des peines d’Anvers délivra un mandat d’arrêt européen contre le requérant. En exécution de ce mandat d’arrêt européen, le 18 août 2009, le parquet près la cour d’appel de Craiova ordonna la mise en garde à vue du requérant pour 24 heures. Le 19 août 2009, la cour d’appel ordonna son placement en détention. Le 11 septembre 2009, la cour d’appel de Craiova ordonna l’exécution du mandat d’arrêt européen, malgré l’opposition du requérant qui considérait avoir déjà exécuté sa peine en Belgique. Cette décision fut confirmée par un arrêt du 30 septembre 2009 de la Haute Cour de Cassation et de Justice. À partir de son arrestation le 19 août 2009 et jusqu’à sa remise aux autorités belges, le 9 octobre 2009, le requérant fut détenu à Craiova, dans les locaux de l’Inspection départementale de la police de Dolj (ci-après « dépôt de la police »). Il indique avoir dû y supporter des mauvaises conditions de détention. Il indique que la cellule était insalubre, sans eau courante, ni toilettes, et d’une superficie de 28 m². Huit lits y étaient installés. Le requérant devait partager la cellule avec sept autres détenus, dont au moins six étaient fumeurs, alors qu’il ne l’était pas. À part les lits, il n’y avait pas d’autres meubles dans la cellule, à savoir ni table, ni chaise. Il devait passer l’intégralité de la journée confiné dans cette cellule, ayant le droit de sortir environ trente minutes une fois par semaine, c’est-à-dire six fois pendant toute la période de sa détention. Le requérant dénonce, en outre, que la nourriture était servie dans des conditions impropres. Ces conditions de détention auraient nui à sa santé, en accentuant notamment son hypertension artérielle. D’après le Gouvernement, le requérant aurait passé 90 minutes par jour hors de sa cellule, dans la cour de promenade. Le Gouvernement confirme les informations sur la taille des cellules, le nombre de lits installés et leur taux d’occupation et indique que les détenus étaient responsables du nettoyage de leurs cellules respectives. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit et la pratique internationaux concernant les conditions générales de détention Le droit et la pratique internationaux pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Dans son rapport publié le 24 novembre 2011 à la suite de la visite en septembre 2010 de plusieurs établissements pénitentiaires et dépôts de police de Roumanie, le CPT dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents dépôts de la police qu’il a visités, dont celui de Craiova, où le requérant a séjourné un an avant cette visite. Dans ses constats, le CPT a relevé que les dépôts de police roumains, dont celui de Craiova, connaissaient des mauvaises conditions d’entretien et d’hygiène et un taux de surpeuplement élevé, ce qui impliquait que les détenus vivaient dans des espaces confinés et qu’ils subissaient un manque quasi total d’activités extérieures. Les extraits pertinents de ce rapport se lisent ainsi : « Les autorités roumaines ont informé la délégation qu’un certain nombre de dépôts en très mauvais état avaient été fermés depuis la visite du CPT de 2006. En septembre 2010, le pays comptait 52 dépôts totalisant une capacité de 2 237 places, calculée sur une base de 4 m² d’espace de vie par personne détenue et par cellule (et non plus 6 m3). En ce qui concerne les dépôts en service, les autorités ont indiqué que le programme de réfection débuté après la visite de 2006 avait été ralenti en raison de la situation économique difficile. (...) Des constatations faites lors de la visite de 2010 il ressort que très peu de progrès ont été réalisés s’agissant de la mise en œuvre des recommandations formulées de longue date par le CPT en vue d’améliorer les conditions matérielles de détention dans les dépôts de la police. Dans les quatre dépôts visités, le taux d’occupation de la quasi-totalité des cellules était trop élevé (par exemple, 4 lits dans les cellules de 9 à 10 m², 6 lits dans les cellules de 14 à 16 m², et 8 lits dans des cellules de 28 m² environ). (...) Au dépôt de Craiova, des travaux de rénovation avaient commencé mais le budget disponible avait permis, à ce stade, de ne restaurer totalement qu’une seule cellule (et celle-ci n’était pas encore en service). Les détenus étaient en conséquence hébergés dans des cellules en mauvais état d’entretien, parfois malodorantes, et où l’accès à la lumière naturelle, l’éclairage artificiel et l’aération étaient limités. La moitié des cellules environ étaient équipées de sanitaires ; les détenus hébergés dans les autres cellules pouvaient se rendre aux toilettes communes à tout moment (de jour comme de nuit) sur demande − il s’agit là d’un développement positif depuis la visite de 2006. La salle de douches était accessible deux fois par semaine. Les personnes détenues dans les dépôts de la police ne recevaient pas de produits pour l’hygiène corporelle. Les dispositions concernant la nourriture variaient d’un établissement à un autre. À titre d’exemple, au dépôt no 3 de Bucarest, les personnes détenues ne recevaient qu’un seul repas par jour. La délégation a recueilli de nombreuses plaintes concernant non seulement la quantité insuffisante mais aussi la mauvaise qualité de la nourriture. De plus, il n’y avait pas de régime alimentaire adapté pour les détenus souffrant de diabète. Le CPT a pris note des efforts qui ont été faits depuis la visite de 2006 au dépôt de la police de Craiova pour offrir davantage d’activités aux détenus. Ces derniers pouvaient passer trois à cinq heures par jour (au mieux) hors de leur cellule, dans l’une des quatre cours de promenades et dans une cellule (le "club") équipée d’un poste de télévision et de quelques jeux de société, livres et revues. (...) En revanche, dans les dépôts visités (...), la seule activité proposée hors des cellules consistait en une sortie d’une durée de 30 à 60 minutes par jour dans de petites cours austères et dénuées de tout équipement (lesquelles servaient parfois à entreposer les poubelles, comme au dépôt no 8 de Bucarest). Les détenus restaient donc 23 heures (ou plus) sur 24 enfermés dans leur cellule, dans un état d’oisiveté forcée. En résumé, les conditions qui régnaient dans les dépôts de la police visités rendaient ces derniers impropres à l’hébergement de longue durée de personnes privées de liberté (ce qui continuait d’être le cas pour de nombreux prévenus et condamnés, voir le paragraphe 11). Aussi longtemps que des personnes seront détenues pendant des périodes prolongées dans des dépôts de la police, les autorités roumaines doivent intensifier leurs efforts afin de répondre aux besoins fondamentaux et préserver la dignité des personnes détenues. Le CPT recommande, une fois encore, aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de garantir que, dans les dépôts de la police : - chaque personne détenue dispose d’un espace de vie d’au moins 4 m² dans les cellules collectives ; - chaque personne détenue dispose d’un matelas et de couvertures propres ; - l’accès à la lumière naturelle, l’éclairage artificiel et l’aération soient adéquats dans les cellules ; tout dispositif surnuméraire fixé aux fenêtres doit être enlevé ; - les toilettes intégrées dans les cellules soient cloisonnées ; - l’état d’entretien et de propreté des cellules et des installations sanitaires soit correct ; - les personnes détenues disposent de produits d’hygiène personnelle de base ; - une alimentation satisfaisante (du point de vue de la qualité et de la quantité) soit servie aux personnes détenues, conformément aux Règles pénitentiaires européennes ; - toutes les personnes détenues pendant plus de 24 heures bénéficient d’au moins une heure d’exercice en plein air chaque jour. Le CPT recommande en outre aux autorités roumaines de poursuivre leurs efforts afin de proposer une forme ou une autre d’activité, en plus de la promenade quotidienne, aux personnes détenues plus de quelques jours dans les dépôts de la police. » B. Le droit et la pratique internes pertinents Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues ainsi que la jurisprudence interne à laquelle se réfère le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). La pratique interne pertinente est résumée dans les arrêts Cucolaş c. Roumanie (no 17044/03, §§ 42-44, 26 octobre 2010) et Porumb c. Roumanie (no 19832/04, §§ 41-43, 7 décembre 2010). Le droit et la pratique internes pertinents au sujet du tabagisme passif en prison sont décrits dans l’arrêt Florea c. Roumanie (no 37186/03, §§ 2930, 14 septembre 2010).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1964 et réside à Didenheim. A. Sur les faits qui se sont déroulés en Iran Issu d’une famille très religieuse, le requérant se dit particulièrement attaché aux valeurs musulmanes et très fier de son pays. En 1978, quand la révolution islamique éclata, il se montra très actif dans différentes associations islamiques au sein de son lycée et, lors de la guerre Iran-Irak, il s’engagea volontairement sur le front à l’âge de quinze ans. Il explique que c’est dans ce cadre qu’il entra dans les services de renseignements iraniens et qu’il commença à collecter des informations pour eux, tout en poursuivant, en parallèle, des études d’électricien. À la fin de la guerre, en 1988, le requérant se réinséra dans la vie civile et créa sa propre société d’électricien dans la ville d’Ouroumieh. Il garda néanmoins des contacts réguliers avec « les Gardiens de la Révolution », une organisation paramilitaire iranienne. En 1990 il reçut, par l’intermédiaire de son beau-frère, une proposition de reprendre ses activités au sein des services de renseignements, ceux-ci ayant besoin de ses compétences et notamment de ses connaissances géographiques des régions iraniennes d’Azerbaïdjan et du Kurdistan. À côté de son activité d’électricien, il commença donc à travailler à mi-temps auprès du service des renseignements des Bassidjis (une des branches des Gardiens de la Révolution). Sa mission pour cette organisation consistait à recueillir des informations au sujet d’une liste de personnes de confession Baha’ie considérées comme les « ennemis de l’Islam » et à les transmettre à ses supérieurs hiérarchiques. Le requérant participait également, une fois par mois, à des réunions dont le but était, selon lui, principalement de rassurer les agents bassidjis et de les convaincre qu’ils agissaient pour le « bien » de leur pays. Le requérant explique avoir progressivement compris qu’il subissait une forme d’endoctrinement et de pression psychologique visant à diaboliser la foi Baha’ie et à justifier les arrestations de plusieurs membres de cette communauté. Les Baha’is lui apparurent pourtant rapidement comme « des gens respectables et inoffensifs qui ne troublaient pas l’ordre public », qui pratiquaient leur religion discrètement et non comme les activistes politiques qu’on lui avait décrits. Dans l’un des rapports qu’il transmit à son autorité hiérarchique, le requérant fit état de ses impressions et indiqua que, selon lui, les Baha’is ne constituaient un danger ni pour la Révolution ni pour la nation iranienne. Malgré cela, les arrestations de membres de la communauté Baha’ie continuèrent, ce qui incita le requérant, en 2005, à critiquer ouvertement le système en dénonçant le traitement infligé injustement aux Baha’is. En janvier 2006 il décida d’arrêter ses activités au sein des services de renseignements. Il reçut alors plusieurs avertissements de ses supérieurs hiérarchiques qui, dans un premier temps, l’exhortèrent à continuer à travailler pour eux puis le menacèrent de représailles s’il ne revenait pas. Selon le requérant, les services secrets ne pouvaient accepter qu’un ancien membre puisse circuler librement et critiquer le régime ; ils ne voulaient pas non plus prendre le risque que leur modus operandi et leurs identités soient rendus publics. Au mois de mai 2006 le requérant fut kidnappé par un ancien « collègue » qui l’emmena dans une petite maison en dehors de la ville d’Ouroumieh où il fut séquestré. Il fut pendu au plafond par les pieds et frappé avec une ceinture par trois personnes. Au cours des tortures, ses agresseurs le sommèrent de reprendre ses activités d’espionnage. Les circonstances de sa libération ne sont pas connues. À la suite de cet épisode, le requérant décida de quitter le pays, sur les conseils de son oncle, magistrat et membre du Sepah-Pasdaran. Après son départ, il fit l’objet de deux convocations à se présenter devant le tribunal révolutionnaire de la République islamique d’Ouroumieh (section no 3) les 26 août 2006 et 27 septembre 2007. La première fut adressée à sa femme, la deuxième à sa mère. Les convocations sont ainsi libellées : « Monsieur, vous êtes accusé de faire des activités contre le gouvernement islamique et contre la sécurité publique et l’ordre national. La conséquence de votre absence à la date indiquée sera votre arrestation. » B. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés suite au départ du requérant d’Iran Après avoir quitté l’Iran, le requérant se rendit en Turquie puis en Grèce où il demeura pendant un an sous couvert d’un faux passeport roumain. En août 2007, il se rendit en Angleterre en passant par l’Italie et la France et y déposa une demande d’asile qui fut rejetée le 21 décembre suivant. De retour en France, il fut interpellé à Chamonix par la Police de l’air et des frontières le 22 janvier 2008. Il fit, le même jour, l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière mais ne déféra pas à cette mesure et quitta la France pour se rendre en Italie puis en Grèce où il déposa une demande d’asile pour laquelle il n’obtint jamais de réponse des autorités grecques. Il quitta ensuite la Grèce pour la Belgique avec l’intention de se rendre en Angleterre mais fut interpellé à Calais et maintenu dans un centre de rétention, avant d’être renvoyé en Belgique. En septembre 2008, il se rendit en Suisse et fut placé au centre de rétention de Kreuzlingen pendant cinquante jours. Le 28 octobre 2008, il fut remis aux autorités françaises et placé en rétention administrative. Les circonstances de sa remise en liberté ne sont pas connues. Le 13 novembre 2008, le requérant demanda à être admis au séjour au titre de l’asile. Dans un courrier du 3 avril 2009, la préfecture du HautRhin enregistra sa demande en procédure prioritaire après avoir constaté qu’il avait omis de signaler qu’il avait déjà demandé l’asile au Royaume-Uni et en Grèce. Le 3 juin 2009, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (ci-après « OFPRA ») rejeta la demande au motif suivant : « A supposer établies ses activités de Bassidji en Iran, les déclarations écrites et orales de l’intéressé n’ont pas permis d’établir la réalité de son parcours professionnel et les persécutions dont il aurait été victime en 2006 du fait de sa volonté de quitter le groupe. » Le requérant interjeta appel de cette décision devant la Cour nationale du droit d’asile (ci-après « CNDA »). Il produisit, à cette occasion, deux certificats médicaux destinés à corroborer les allégations de mauvais traitements subis par le passé : le premier, en date du 10 juillet 2009 établi par un médecin du centre hospitalier de Mulhouse indique que « la cicatrice inter-fessière pourrait être mise en rapport avec les coups que K. aurait reçus sur le sacrum » ; le second, rédigé le 20 janvier 2010 par le docteur V., est ainsi libellé : « Ce suivi s’inscrit dans une poursuite d’un suivi psychiatrique. (...) Il nous dit avoir décidé de partir d’Iran en raison de ses idées et choix politiques. Il ne regrette ni sa décision ni ses choix mais vit très douloureusement la situation précaire dans laquelle il se trouve. Il présente une souffrance psychique importante (...). Il présente des troubles anxio-dépressifs et post-traumatiques avec, malgré le traitement, persistance d’insomnie avec cauchemars. Sur un fond d’anxiété chronique il présente des crises d’angoisse avec palpitations nausées et vertiges. (...) Son état justifie d’une prise en charge psychothérapique et d’un traitement (...) » Interpellé à nouveau le 14 mars 2011, le requérant fit l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et fut placé en rétention. Aucun arrêté fixant le pays de destination n’ayant été pris, le requérant ne contesta que l’arrêté de reconduite à la frontière devant le tribunal administratif de Strasbourg. Il invoqua, à l’appui de son recours, les mauvais traitements qu’il subirait en Grèce en tant que demandeur d’asile et en Iran du fait de son profil. Par un jugement du 17 mars 2011, le tribunal administratif rejeta son recours après avoir constaté que l’arrêté ne fixait pas de pays de destination. Entre-temps, par une décision du 16 mars 2011, confirmée en appel le 18 mars suivant, le juge des libertés et de la détention ordonna la prolongation du maintien en rétention du requérant pour une durée de quinze jours. Le 23 mars 2011, le requérant fut présenté aux autorités consulaires iraniennes lesquelles lui délivrèrent un laissez-passer. Le 24 mars 2011, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire en vue de faire suspendre son expulsion. Le même jour, la Cour décida d’indiquer au gouvernement français, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il était souhaitable de ne pas renvoyer le requérant vers l’Iran pour la durée de la procédure devant la Cour. Le 31 mai 2011, la CNDA rejeta son recours aux motifs suivants : « Considérant (...) que si le requérant invoque avoir appartenu à la milice des Bassidjis dès le début de la révolution islamique et d’avoir combattu lors de la guerre de son pays contre l’Irak, les déclarations trop peu circonstanciées faites à huis clos par l’intéressé, n’ont pas emporté la conviction de la Cour quant à sa qualité d’informateur des Bassidjis, aux critiques qu’il aurait exprimées à l’égard de cette milice à partir de 2005 et à la réalité des persécutions invoquées de ce fait ; que par ailleurs, les documents présentés comme deux convocations établies par le tribunal révolutionnaire de la République islamique à Ouroumieh, qui ne présentent pas de garanties suffisantes d’authenticité, ainsi que les témoignages produits, relatifs à la situation du requérant en France, ne sont pas de nature à corroborer ses allégations sur les persécutions ; que les certificats médicaux produits ne peuvent être regardés comme établissant un lien entre les constatations relevées lors de l’examen du requérant et les sévices dont celui-ci déclare avoir été victime ; que dès lors, ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites en séance devant la Cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées ni au regard des stipulations de l’article 1 A 2o de la Convention de Genève ni au regard des dispositions de l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers (...) » II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT A. Le droit français Les principes généraux régissant la procédure d’asile dite prioritaire appliquée aux demandeurs en rétention et le recours devant le tribunal administratif contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sont résumés dans l’arrêt I.M. c. France (no 9152/09, §§ 49-63 et §§ 64-74, 2 février 2012). L’article L. 513-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dispose : « Le recours contentieux contre la décision fixant le pays de renvoi n’est suspensif d’exécution, dans les conditions prévues au second alinéa de l’article L. 512-3, que s’il est présenté en même temps que le recours contre l’obligation de quitter le territoire français ou l’arrêté de reconduite à la frontière qu’elle vise à exécuter. » B. Texte de l’Union Européenne La directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres prévoit en son article 23 : Article 23 Procédure d’examen « 1. Les États membres traitent les demandes d’asile dans le cadre d’une procédure d’examen conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II. (...) Les États membres peuvent donner la priorité à une demande ou en accélérer l’examen dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, y compris lorsque la demande est susceptible d’être fondée ou dans les cas où le demandeur a des besoins particuliers. Les États membres peuvent également décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, qu’une procédure d’examen est prioritaire ou est accélérée lorsque : a) le demandeur n’a soulevé, en déposant sa demande et en exposant les faits, que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE; ou b) le demandeur qui manifestement ne peut être considéré comme un réfugié ou ne remplit pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié dans un État membre en vertu de la directive 2004/83/CE; ou c) la demande d’asile est considérée comme infondée i) parce que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens des articles 29, 30 et 31, ou ii) parce que le pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur sans préjudice de l’article 28, paragraphe 1, ou d) le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité et/ou sa nationalité et/ou l’authenticité de ses documents, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable, ou e) le demandeur a introduit une autre demande d’asile mentionnant d’autres données personnelles, ou f) le demandeur n’a produit aucune information permettant d’établir, avec une certitude suffisante, son identité ou sa nationalité, ou s’il est probable que, de mauvaise foi, il a procédé à la destruction ou s’est défait de pièces d’identité ou de titres de voyage qui auraient aidé à établir son identité ou sa nationalité, ou g) la demande formulée par le demandeur est manifestement peu convaincante en raison des déclarations incohérentes, contradictoires, peu plausibles ou insuffisantes qu’il a faites sur les persécutions dont il prétend avoir fait l’objet, visées dans la directive 2004/83/CE, ou h) le demandeur a introduit une demande ultérieure dans laquelle il n’invoque aucun élément nouveau pertinent par rapport à sa situation personnelle ou à la situation dans son pays d’origine, ou i) le demandeur n’a pas introduit plus tôt sa demande, sans motif valable, alors qu’il avait la possibilité de le faire, ou j) le demandeur ne dépose une demande qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son expulsion, ou k) sans motif valable, le demandeur n’a pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/83/CE, ou de l’article 11, paragraphe 2, points a) et b), et de l’article 20, paragraphe 1, de la présente directive, ou l) le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire de l’État membre et, sans motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités et/ou n’a pas introduit sa demande d’asile dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée sur le territoire, ou m) le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre; ou le demandeur a fait l’objet d’une décision d’éloignement forcé pour des motifs graves de sécurité nationale ou d’ordre public au regard du droit national, ou n) le demandeur refuse de se conformer à l’obligation de donner ses empreintes digitales conformément à la législation communautaire et/ou nationale pertinente, ou o) la demande a été introduite par un mineur non marié auquel l’article 6, paragraphe 4, point c), s’applique après que la demande déposée par le ou les parents responsables du mineur a été rejetée et aucun élément nouveau pertinent n’a été apporté en ce qui concerne la situation personnelle du demandeur ou la situation dans son pays d’origine. » III. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX A. Sur la situation générale dans le pays, notamment au regard de la minorité Baha’ie Dans ses rapports sur la situation des droits de l’Homme en Iran (USSD Human Rights report) en date des 8 avril 2011 et 24 mai 2012, le Département d’État américain indique que les libertés furent largement réduites en représailles aux manifestations ayant eu lieu à la suite de la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la tête de l’État, en juin 2009. A cette occasion, le gouvernement engagea une campagne de violence et d’intimidation, des exécutions extrajudiciaires d’individus ou de groupes furent rapportées ainsi que des condamnations à mort à l’issue de procès non équitables. Les forces de sécurité sous le contrôle de l’État se rendirent coupables de répressions et de violences politiquement motivées, de tortures et de viols. Les milices Bassidjis furent notoirement impliquées dans la commission d’actes de violence. Les autorités détinrent des prisonniers politiques, souvent incommunicado, et continuèrent la répression ciblant les défenseurs des droits des femmes et des minorités, les étudiants militants et les membres de minorités religieuses. Les rapports précités pointent, d’une part, l’absence d’indépendance de la justice, de publicité des procès et d’impartialité, d’autre part l’impunité qui règne quant aux crimes commis par les forces de police, militaires et paramilitaires et l’absence de mécanismes d’enquête concernant ces crimes. Les rapports citent plusieurs cas de condamnations à mort d’opposants politiques pour des motifs fallacieux comme le trafic de drogue. Le problème de la corruption à tous les niveaux de l’État est par ailleurs signalé. Les rapports observent enfin les restrictions sévères apportées au droit à la vie privée et aux libertés individuelles, notamment les libertés d’expression, de réunion, de mouvement et de religion. Dans son Operational Guidance Note sur l’Iran d’octobre 2012, le Home Office britannique recommande notamment d’accorder l’asile aux personnes pouvant être soupçonnées de critiquer le régime et aux membres de la communauté Baha’ie. Dans une résolution du 17 février 2012, l’Assemblée Générale de l’ONU (A/RES/66/175) prit acte des rapports, respectivement, du Secrétaire Général de l’Organisation (A/66/361) et du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme dans la République islamique d’Iran (A/66/374), desquels il ressort que la situation des droits de l’Homme dans ce pays continue de se dégrader. L’Assemblée constata les violations graves et répétées des droits de l’homme dans ce pays, notamment le recours à la torture et les peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que le nombre croissant d’exécutions et les méthodes employées (lapidation, pendaison). Elle mit aussi en lumière la recrudescence des persécutions et des violations des droits fondamentaux des personnes appartenant à la foi Baha’ie qui demeure une minorité religieuse non reconnue en Iran, la multiplication des attaques contre les adeptes de cette religion et leurs défenseurs (arrestations, détentions arbitraires, poursuites judiciaires et condamnations pénales). Plus généralement, l’Assemblée nota les graves limitations et restrictions imposées au droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction. Concernant les conditions de détention dans les prisons, l’Assemblée observa la violation persistante des droits des détenus, notamment la détention sans inculpation ou avec mise au secret, le recours systématique et arbitraire à l’isolement cellulaire de longue durée, les mauvaises conditions de détention (surpopulation carcérale, manque d’hygiène), la torture et les techniques brutales d’interrogatoire. Dans son rapport mondial publié le 22 janvier 2012, Human Rights Watch constata l’obstruction continue du gouvernement iranien qui refuse, depuis 2005, de laisser le Rapporteur spécial des Nations Unies accéder à son territoire. Le rapport fait aussi état de l’augmentation du recours à la peine de mort en Iran et des sanctions internationales prises contre des officiels iraniens (membres du corps judiciaire, des milices Bassidjies ou des Gardes de la Révolution) ayant commis des violations des droits de l’Homme. B. Sur la milice Bassidjie en particulier Concernant la milice Bassidjie à laquelle le requérant prétend appartenir, dans son rapport sur la situation en Iran (Country of Origin Information report) du 16 janvier 2013, le Home Office du Royaume-Uni met en lumière les risques de persécutions en cas de retour que courent les anciens membres des services de sécurité de l’Etat (Gardes de la Révolution ou Bassidjis) qui auraient publiquement pris position contre les abus commis par ces organisations. Le rapport apporte quelques précisions sur les Bassidjis, milice paramilitaire composée de volontaires et qui fonctionne sous la tutelle des Gardes de la Révolution. Qualifiés d’« yeux et oreilles du régime », les Bassidjis sont considérés comme un corps très loyal (paragraphe 9.19). Des branches de cette organisation se trouvent sur l’ensemble du territoire et dans chaque ville en Iran. Les Bassidjis tiennent un rôle très actif au sein des affaires de sécurité intérieure en Iran et sont présents dans les universités, les écoles, les ministères, les associations commerciales, les usines et les hôpitaux. Créée en 1979, après le siège de l’ambassade des États-Unis à Téhéran, la milice Bassidjie défend la République islamiste contre les « ennemis de l’intérieur » et les interventions étrangères (paragraphe 9.23). Le rapport énumère aussi les différents niveaux de participation dans la milice : les membres réguliers volontaires, les membres actifs rémunérés qui présentent un grand endoctrinement idéologique et politique, les membres spéciaux qui sont aussi des Gardes de la Révolution. C. Sur les risques d’interpellation à l’aéroport Concernant ce point, la Cour renvoie aux paragraphes 35 et 36 de l’arrêt R.C. c. Suède (no 41827/07, 9 mars 2010). Le dernier rapport du Service de l’immigration danois, publié le 26 février 2013, intitulé « Iran, On conversion to christianity, issues concerning Kurds and post-2009 election protestors as well as legal issues and exit procedures », témoigne de la persistance des risques d’interpellation à l’aéroport pour les personnes ayant quitté illégalement le territoire et voyageant avec un laissez-passer.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1950 et 1953 et résident à Juan-Les-Pins et Antibes. Le 1er mars 1991 l’Union de crédit pour le bâtiment (UCB) consentit un prêt de 2 250 000 francs à deux sociétés à responsabilité limitée (SARL), les sociétés M. et F. I., ainsi qu’à deux personnes physiques, tous emprunteurs solidaires, pour l’acquisition d’un bien immobilier à Antibes. Le premier requérant, gérant de la SARL M., et la seconde requérante, son épouse, se portèrent cautions personnelles et solidaires auprès de l’UCB. La SARL M. ayant fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, puis de liquidation judiciaire, l’UCB se retourna contre les requérants en leur qualité de caution. Par un jugement du 15 juin 2007 le tribunal de commerce d’Antibes les condamna à verser à l’UCB une somme de 609 414 euros au principal, suivant décompte de la créance arrêté au 30 juin 2005, outre des intérêts au taux légal et des intérêts de retard au taux conventionnel. En outre, le tribunal ordonna l’exécution provisoire du jugement. Le 10 juillet 2007 les requérants interjetèrent appel. Le 8 janvier 2008, l’UCB produisit ses conclusions au fond. Le 15 avril 2008, elle fit signifier des conclusions d’incident aux fins de radiation de l’appel des requérants, faute pour eux de s’être acquittés du paiement mis à leur charge par le jugement avec exécution provisoire, en application de l’article 526 du code de procédure civile. Le 2 septembre 2008 les requérants assignèrent l’UCB en référé devant le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en vue de faire suspendre l’exécution provisoire du jugement du 15 juin 2007, sur la base notamment de la nullité de ce dernier et des conséquences manifestement excessives en cas d’exécution provisoire. Par une ordonnance de référé du 31 octobre 2008 le magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence rejeta l’intégralité des demandes des intéressés. S’agissant des conséquences manifestement excessives invoquées par les requérants, il releva qu’ils disposaient de revenus, notamment fonciers, et qu’ils ne fournissaient aucune explication ou justification relatives à leurs éventuelles facultés d’endettement. Le 3 novembre 2008 les requérants déposèrent des conclusions d’incident tendant à faire rejeter la demande de radiation de l’appel, faisant à nouveau valoir la nullité du jugement du 15 juin 2007 et l’existence de conséquences manifestement excessives dans le cas d’une mise en œuvre de son exécution provisoire. Le 3 février 2009 le conseiller de la mise en état de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ordonna la radiation de l’appel du rôle de la cour d’appel sur la base de l’article 526 du code de procédure civile, après avoir relevé que si les requérants avaient versé à la procédure leurs avis d’imposition pour les revenus 2007, qui établissaient que des sommes importantes étaient prélevées à ce titre, ils ne fournissaient aucune explication et ne produisaient aucun justificatif de leurs situations actuelles, leurs revenus et leurs professions réciproques. Le 20 octobre 2010 les requérants présentèrent une requête en rétractation de cette ordonnance de radiation et en réinscription de l’affaire au rôle. Ils invoquèrent notamment leur droit d’accès à un tribunal, garanti par l’article 6 § 1 de la Convention. Le 10 janvier 2011, l’UCB déposa des conclusions d’incident en réponse, concluant au constat de la péremption de l’instance. Les requérants y répliquèrent le 11 janvier 2011. Le 5 avril 2011, le conseiller de la mise en état constata que depuis les conclusions d’incident des requérants du 3 novembre 2008, aucune des parties n’avait accompli de diligences. Il considéra notamment que l’acte tendant à faire réinscrire l’affaire au rôle ne constituait pas une diligence interruptive de péremption. Il conclut qu’en application de l’article 386 du code de procédure civile, la péremption de l’instance était acquise depuis le 3 novembre 2010 et, en conséquence, rejeta les demandes des requérants. Le 19 avril 2011, les requérants déférèrent l’ordonnance du 5 avril 2011 à la cour d’appel, afin de solliciter sa réformation, la rétractation de l’ordonnance de radiation du 3 février 2009 et le rétablissement de l’affaire au rôle de la cour d’appel. Le 9 février 2012, la cour d’appel considéra que si les dispositions de l’article 526 du code de procédure civile avaient pour effet de restreindre l’accès au juge, cette limitation poursuivait un but légitime et n’avait pas apporté en l’espèce une entrave disproportionnée au droit des requérants à un double degré de juridiction. À cet égard, elle releva qu’alors que ces derniers étaient autorisés à démontrer, pour échapper à la radiation, qu’ils se trouvaient dans l’impossibilité d’exécuter les causes du jugement du 15 juin 2007, ils s’étaient abstenus de justifier de la réalité de leur situation financière et patrimoniale. La cour d’appel observa par ailleurs que le premier requérant percevait des revenus fonciers au titre de parts détenues dans des sociétés civiles immobilières propriétaires de biens immobiliers et possédait à titre personnel un autre bien. Enfin, elle releva que les requérants avaient fait valoir, dans leurs écritures, en contradiction avec la position qu’ils soutenaient, que la banque aurait « dissimulé (...) qu’ils avaient apporté des garanties réelles sur leur patrimoine et qu’ils justifiaient de surcroît d’un commencement de l’exécution du jugement ». Considérant que la seule diligence interruptive de prescription ne pouvait être, de la part des requérants, que l’exécution du jugement frappé d’appel, la cour d’appel jugea que le conseiller de la mise en état avait à bon droit retenu que la péremption était acquise. Elle confirma donc l’ordonnance déférée et constata l’extinction de l’instance d’appel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code de procédure civile se lisent comme suit : Article 383 « La radiation et le retrait du rôle sont des mesures d’administration judiciaire. A moins que la péremption de l’instance ne soit acquise, l’affaire est rétablie, en cas de radiation, sur justification de l’accomplissement des diligences dont le défaut avait entraîné celle-ci ou, en cas de retrait du rôle, à la demande de l’une des parties. » Article 386 « L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. » Article 387 « La péremption peut être demandée par l’une quelconque des parties. Elle peut être opposée par voie d’exception à la partie qui accomplit un acte après l’expiration du délai de péremption. » Article 515 « Hors les cas où elle est de droit, l’exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d’office, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, à condition qu’elle ne soit pas interdite par la loi. Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation. » Article 524 « Lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d’appel, que par le premier président statuant en référé et dans les cas suivants : (...) 2o Si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ; (...). (...) Le premier président peut arrêter l’exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 et lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives. » Article 526 « Lorsque l’exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, le premier président ou, dès qu’il est saisi, le conseiller de la mise en état peut, en cas d’appel, décider, à la demande de l’intimé et après avoir recueilli les observations des parties, la radiation du rôle de l’affaire lorsque l’appelant ne justifie pas avoir exécuté la décision frappée d’appel ou avoir procédé à la consignation autorisée dans les conditions prévues à l’article 521, à moins qu’il lui apparaisse que l’exécution serait de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives ou que l’appelant est dans l’impossibilité d’exécuter la décision. Le premier président ou le conseiller chargé de la mise en état autorise, sauf s’il constate la péremption, la réinscription de l’affaire au rôle de la cour sur justification de l’exécution de la décision attaquée. » Article 537 « Les mesures d’administration judiciaire ne sont sujettes à aucun recours. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956 et réside à Satu Mare. À l’époque des faits il était le maire de la ville de Satu Mare. Le 8 novembre 2002, le procureur du parquet national anticorruption (« le procureur ») ouvrit des poursuites pénales contre le requérant pour des faits de corruption passive. Ces poursuites furent ultérieurement étendues à d’autres faits similaires et à d’autres personnes soupçonnées d’avoir participé à ces actes. À une date non précisée, après l’ouverture de l’enquête, il présenta sa démission en tant que maire. A. Placement du requérant en détention provisoire Par une ordonnance du 9 avril 2003, le procureur plaça le requérant en détention provisoire pour une durée de trente jours, sous l’accusation de corruption passive et d’abus de fonction. Se fondant sur l’article 148 h) du code de procédure pénale (« le CPP ») le procureur indiqua que la peine prévue par la loi pour les infractions dont le requérant était accusé était de plus de deux ans d’emprisonnement et que son maintien en liberté constituait un danger pour l’ordre public. Le 16 avril 2003, le requérant fit une objection contre cette ordonnance, conformément à l’article 1401 du CPP, en faisant valoir que le procureur n’avait pas établi de quelle manière il représentait un danger pour l’ordre public. Il se plaignit également, en vertu de l’article 150 § 1 du même code, de ce que son avocat n’avait pas été convoqué par le procureur à toutes les auditions des témoins. Sa plainte fut rejetée par un jugement du 25 avril 2003 du tribunal départemental de Satu-Mare, au motif que les raisons ayant justifié le placement en détention provisoire par le procureur demeuraient valables, compte tenu du retentissement de cette affaire dans l’opinion publique, du montant du préjudice et compte tenu de la politique pénale de l’État concernant les infractions de corruption. Sur pourvoi du requérant, la cour d’appel d’Oradea, par un arrêt du 22 mai 2003, renvoya l’affaire pour un nouveau jugement, au motif que la composition du tribunal avait été irrégulière en ce qu’elle ne tenait pas compte des modifications législative récentes en la matière. Par un jugement du 11 juillet 2003, le tribunal départemental de Satu Mare reprit le raisonnement sur le fond du jugement du 25 avril 2003. Sur pourvoi du requérant, par un arrêt définitif du 16 juillet 2003, la cour d’appel d’Oradea confirma le jugement du 11 juillet 2003. La cour estima que, compte tenu de la position que le requérant avait occupé dans la communauté avant sa mise en détention, il y avait un risque que le requérant essaye d’exercer de pressions sur les victimes ou les témoins. B. Prolongations de la détention provisoire Entre-temps, par un jugement du 8 mai 2003, le tribunal départemental de Bucarest prolongea pour trente jours la détention provisoire du requérant. Il nota que la mesure avait été prise en vertu de l’article 148 h) du CPP (paragraphe 31 ci-dessous), estima que les raisons qui avaient fondé son adoption étaient toujours valables et observa que, selon le procureur, des actes d’enquête étaient encore nécessaire en l’espèce, notamment des confrontations entre les accusés et des témoins, des expertises et un contrôle par la Cour des Comptes. Le 28 mai 2003, la cour d’appel de Bucarest confirma la décision de prolongation de la détention provisoire du requérant. Elle considéra aussi qu’il y avait dans le dossier des indices pertinents de la commission, par le requérant, des faits pénaux qui lui étaient reprochés et que les raisons initiales pour sa mise en détention étaient toujours valables. La détention provisoire du requérant fut ultérieurement prolongée pour plusieurs périodes successives de trente jours avant la saisine du tribunal et de moins de soixante jours après cette date par les jugements des tribunaux départementaux de Bucarest et de Satu Mare (confirmés par les cours d’appel de Bucarest ou Oradea) des 30 mai 2003 (pourvoi en recours rejeté le 30 juin 2003), 3 juillet 2003 (pourvoi en recours rejeté le 7 juillet 2003), 29 juillet 2003 (pourvoi en recours rejeté le 4 août 2003), 2 septembre (pourvoi en recours rejeté le 10 septembre 2003), 27 octobre 2003 (pourvoi en recours rejeté le 3 novembre 2003), 13 novembre 2003 (pourvoi en recours rejeté le 17 novembre 2003), 6 janvier 2004 (pourvoi en recours rejeté le 9 janvier 2004), 23 février 2004 (pourvoi en recours rejeté le 26 février 2004), 5 avril 2004 (pourvoi en recours rejeté le 8 avril 2004), 24 mai 2004 (pourvoi en recours rejeté le 28 mai 2004) et 5 juillet 2004. Le 11 décembre 2003, une demande de remise en liberté formulée par le requérant fut rejetée par le tribunal départemental de Satu Mare (pourvoi en recours rejeté le 22 décembre 2003). Pour chaque demande, les tribunaux invoquèrent un ou plusieurs des motifs suivants : des investigations étaient encore nécessaires ; il y avait des indices pertinents quant à la commission des faits pénaux imputés ; compte tenu de la gravité de ces faits, la remise en liberté du requérant aurait posé un danger pour l’ordre public ; et les raisons qui avaient justifié l’adoption de cette mesure subsistaient. Il ressort des procès-verbaux de ces audiences que le requérant y était présent, à l’exception de l’audience de la cour d’appel de Bucarest du 7 juillet 2003. Le procès-verbal de cette dernière audience ne comporte aucune mention quant aux raisons de l’absence du requérant et de ses avocats choisis, ou quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas été transféré de la prison de Satu Mare, où il était détenu à l’époque, à la cour d’appel de Bucarest. Ainsi qu’il ressort de l’arrêt rendu à cette occasion, un avocat commis d’office fut désigné par la cour d’appel pour défendre le requérant à l’audience. L’avocat commis d’office formula des conclusions orales en vue de la mise en liberté du requérant en soutenant que les motifs initiaux ne subsistaient plus. Le 7 juillet 2004, la cour d’appel d’Alba Iulia fit droit au pourvoi en recours du requérant contre la décision avant dire droit du 5 juillet 2004 et le remit en liberté avec l’obligation de ne pas quitter la localité. La cour d’appel observa que le requérant ne pouvait plus commettre de faits similaires, compte tenu de la cessation de ses fonctions de maire. En outre, la cour nota que les déclarations des dix-huit témoins entendus en l’espèce avaient jeté un doute sur le fait que le requérant ait commis une partie des faits retenus dans le réquisitoire du procureur. Elle conclut dès lors que les motifs ayant justifié l’adoption de la mesure de placement en détention provisoire contre le requérant ne subsistaient plus. C. Procédure pénale contre le requérant Les poursuites pénales contre le requérant visaient plusieurs actes de corruption qu’il était soupçonné d’avoir commis en sa qualité de maire de la ville de Satu Mare. Le 12 février 2003, le procureur informa le requérant des accusations à son encontre. Avant la mise en détention du requérant, le procureur recueillit plusieurs déclarations des hommes d’affaires ayant prétendument subi des préjudices à cause des actions du requérant, entendit des témoins ainsi que les accusés, y compris le requérant (les 18 février et 9 avril 2003) et vérifia d’autres aspects de l’activité du requérant et des coïnculpés qu’il estimait susceptibles d’avoir une incidence sur l’enquête en cours. Le 16 octobre 2003, le procureur présenta le dossier des poursuites au requérant qui nia les accusations à son encontre et demanda des confrontations avec les coïnculpés et les témoins ainsi qu’une nouvelle audition des témoins dont les déclarations avaient été entendues en l’absence de ses avocats. Le 17 octobre 2003, le procureur refusa de donner suite à ces demandes. Le procureur continua à recueillir des preuves après la mise en détention du requérant, notamment des déclarations de témoins, des confrontations entre eux et des expertises. Les avocats du requérant furent convoqués à chaque acte procédural. Par un réquisitoire du 17 octobre 2003, le procureur du parquet national anticorruption renvoya le requérant devant le tribunal départemental de Satu Mare pour corruption passive et comportement abusif. Le tribunal départemental de Satu Mare tint sa première audience sur le fond de l’affaire le 21 octobre 2003. Le 12 décembre 2003, la Haute Cour de cassation et justice renvoya l’affaire devant le tribunal départemental d’Alba Iulia. Par jugement du 28 février 2008, le tribunal départemental d’AlbaIulia relaxa le requérant. Ce jugement devint définitif le 19 novembre 2009, après le rejet par la Haute Cour des recours en cassation formés par les parties en l’espèce. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles pertinents du code de procédure pénale (le CPP) à l’époque des faits figurent dans l’arrêt Calmanovici c. Roumanie (no 42250/02, § 40-42, 1er juillet 2008). En outre, selon l’article IX § 2 de la loi no 281/2003 sur la modification du CCP entrée en vigueur depuis le 1 juillet 2003 : « L’ordonnance du procureur de mise en détention provisoire adoptée avant l’entrée en vigueur de cette loi reste valable après cette date. Si la détention provisoire n’a pas été vérifiée par un tribunal, le procureur doit présenter au tribunal [...], dans un délai de 24 heures après la date d’entrée en vigueur de la présente loi, une demande motivée de mise en détention pour la période restante après avoir enlevé de la période de 30 jours le nombre de jours passés en détention par l’intéressé (...) » L’article 148 du CPP relatif au placement en détention provisoire de l’inculpé, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits se lisait ainsi : « La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée [par le procureur] si les exigences prévues par l’article 143 sont remplies [cet article exige l’existence de preuves ou d’indices forts quant à la commission d’une infraction] et dans l’un des cas suivants : (...) h) l’inculpé a commis un crime ou un délit pour lequel la loi prévoit une peine de prison supérieure à deux ans et son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. » L’article 1401 du CPP était ainsi rédigé à l’époque des faits : Article 1401 (Plainte[-recours] contre la mise en détention provisoire par un procureur) « (1) Contre l’ordonnance de mise en détention provisoire (...) [l’intéressé] peut introduire une plainte auprès du tribunal compétent pour juger du bien-fondé de la cause (...) (5) Le tribunal se prononce le jour même, par un jugement avant dire droit, sur la légalité de la mesure provisoire, après avoir entendu le prévenu ou l’inculpé. (6) Le jugement avant dire droit est susceptible de recours. Le délai de recours est de trois jours [...] (8) Lorsque le tribunal estime que la mesure provisoire est illégale, il ordonne sa révocation et la mise en liberté du prévenu ou de l’inculpé [...] »
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Le requérant est né en 1963 et réside à Araklı – Trabzon. Il souffre d’une déficience visuelle à 80 % due à une rétinite pigmentaire. A. L’arrestation du requérant et les certificats médicaux établis par la suite Le 7 avril 2007, vers 23 heures, le premier ministre de Turquie, M. Recep Tayyip Erdoğan, arriva à Araklı pour inaugurer une nouvelle route. A la fin du discours de M. Erdoğan, le requérant fut arrêté pour avoir publiquement injurié le premier ministre. Il ressort du procès-verbal d’incident établi par trois policiers le 8 avril 2007 que le requérant a été arrêté pour injure le 7 avril 2007, vers 23 h 15, par les gardes du corps du premier ministre et conduit en voiture au commissariat de police d’Araklı. Le 8 avril 2007, le requérant fut examiné à l’hôpital d’Araklı par un médecin auquel il se plaignit d’avoir reçu des coups à la tête. Le médecin observa que l’intéressé avait une égratignure de 1 centimètre sur l’oreille droite, une sensibilité au niveau de la zone zygomatique droite, une lésion érythémateuse localisée sur le côté droit du cou et une sensibilité à la palpation sur la zone pariétale droite. Dans la nuit du 8 avril 2007, vers 2 heures du matin, le requérant fut transféré à l’hôpital de Trabzon. Le médecin qui l’examina constata la présence d’un léger œdème et de rougeurs autour de l’oreille droite. Entendu par le procureur le même jour, le requérant nia les accusations portées contre lui. Il se borna à reconnaître avoir crié à la fin du discours du premier ministre et avoir lancé en guise de protestation : « Laisse tomber ce que tu racontes, parle-nous plutôt du prix de la noisette, tout le monde ici en pâtit. » Il se plaignit en revanche d’avoir été frappé par les gardes du corps du premier ministre dans la voiture 19, alléguant avoir notamment reçu des coups de poing sur le côté droit du visage. Toujours le 8 avril 2007, à 17 heures, le requérant fut libéré. Le 9 avril 2007, le requérant subit un contrôle neurologique à l’hôpital de Trabzon. Selon le rapport médical du 10 avril 2007, le patient ne présentait pas de fracture crânienne et son pronostic vital n’était pas engagé. Un ophtalmologue examina également le requérant sans relever aucune anomalie autre que la rétinite pigmentaire chronique dont l’intéressé souffrait. B. La procédure pénale diligentée contre le requérant Le procureur de la République d’Araklı requit la condamnation du requérant pour injure à l’égard du premier ministre. Le 21 janvier 2009, le tribunal de police d’Araklı relaxa le requérant. Le 20 février 2009, le procureur se pourvut en cassation contre cette décision. A ce jour, la procédure est toujours pendante devant la Cour de cassation. C. La plainte du requérant et l’enquête pénale sur les circonstances de son arrestation Entre-temps, le 11 avril 2007, le requérant avait déposé, par l’intermédiaire de son avocat, une plainte pour mauvais traitements contre les policiers responsables de son arrestation. Il alléguait avoir été frappé à coups de poing par les gardes du corps du premier ministre pendant le trajet en voiture jusqu’au commissariat. D’abord, le 19 avril 2007, le parquet d’Araklı, puis, le 13 juillet 2007, le parquet d’Of et, enfin, le 23 juillet 2007, le parquet de Rize se déclarèrent incompétents ratione loci. Finalement, le parquet d’Of se déclara compétent pour mener l’enquête pénale. Le 15 août 2007, le procureur de la République d’Of demanda au ministère de l’Intérieur de lui fournir la liste nominale des gardes du corps chargés de la protection du premier ministre le 7 avril 2007. Le 3 septembre 2007, le directeur adjoint du service de protection du premier ministre informa le procureur de la République d’Of que l’identité des gardes du corps qui avaient arrêté le requérant n’avait pas pu être déterminée. Le 11 septembre 2007, le procureur de la République d’Of demanda alors au parquet d’Ankara d’établir la liste nominale des gardes du corps en charge de la protection du premier ministre le 7 avril 2007. En l’absence de réponse du parquet d’Ankara, le 12 novembre 2007 le procureur de la République d’Of fit la même demande au parquet de Trabzon. Il ne reçut aucune réponse. Le 25 décembre 2007, il sollicita du parquet de Trabzon une réponse à sa demande du 12 novembre 2007, en vain. Le 9 juillet 2008, le procureur de la République d’Of s’adressa une nouvelle fois au parquet d’Ankara. Il lui demanda de lui fournir les noms des gardes du corps qui étaient en mission de protection du premier ministre dans la voiture 19. Aucune réponse ne lui fut donnée. Le 9 septembre et le 17 novembre 2008, le procureur de la République d’Of demanda une nouvelle fois au parquet d’Ankara de lui faire parvenir la liste en question. Le parquet d’Ankara ne lui répondit pas. Dans l’intervalle, le 2 novembre 2007 et le 21 janvier 2008, le procureur de la République avait entendu trois policiers. Ceux-ci avaient affirmé ne connaître ni les noms des gardes du corps qui avaient arrêté le requérant ni les circonstances de l’arrestation. Ils avaient soutenu que les gardes du corps les avaient informés de l’arrestation de Necati Yılmaz pour injure proférée publiquement contre le premier ministre à la fin du discours de celui-ci. Les gardes du corps auraient également soutenu que leur mission de protection du premier ministre ne leur avait pas laissé le temps d’établir immédiatement un procès-verbal d’arrestation. Le 3 avril et le 5 mai 2008, le requérant et deux policiers participèrent à une séance d’identification à partir de photographies. Le requérant affirma que sa déficience visuelle l’empêchait de reconnaître, à partir de photographies de ce format, les agents de sécurité qui l’avaient arrêté. La tentative d’identification par les policiers n’aboutit pas non plus. Le 8 juin 2010, le procureur de la République d’Of rendit une ordonnance de non-lieu. Il estima que les éléments du dossier n’étaient pas de nature à étayer les allégations du requérant et que les agissements des forces de l’ordre n’avaient pas été contraires à la loi. Le requérant fit opposition à cette décision par l’intermédiaire de son avocat. Le 4 août 2010, la cour d’assises de Rize annula l’ordonnance de non-lieu attaquée. Elle estima qu’il y avait suffisamment d’éléments dans le dossier d’enquête pénale prouvant que les agissements des gardes du corps du premier ministre étaient contraires à la loi. Elle déplora l’absence totale de référence aux rapports médicaux du requérant dans l’ordonnance de non-lieu et considéra cela comme un manquement essentiel dans l’appréciation des preuves. Elle critiqua également la non-prise en compte par le procureur de la République de la cohérence du récit du plaignant au regard de ses blessures attestées par des rapports médicaux. Selon les éléments du dossier, l’affaire est toujours pendante en droit interne. Par ailleurs, aucune nouvelle information concernant cette procédure n’a été fournie à la Cour.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Râșnov. A. La genèse de l’affaire Le 30 mai 2000, dans le cadre du processus de privatisation de la société commerciale ECTRANSPORT S.A. (« la société E. »), l’Autorité pour la privatisation et l’administration de participations de l’État (« l’APAPS ») organisa une enchère publique avec une adjudication à la baisse. Trois personnes juridiques furent admises à participer aux enchères, à savoir la société EREBIA S.R.L. représentée par le requérant, la société commerciale « Maftei Construct » représentée par M.M. et l’association des employés et des retraités de la société E., (« le PAS »), représentée par les représentants syndicaux P.C., S.S. et T.I. Au préalable, le requérant prêta au PAS une partie de la somme nécessaire à ce dernier pour verser la caution prévue par la loi pour assurer sa participation à l’enchère. Le requérant initia des rencontres et des négociations séparées avec M.M., P.C. et S.S. À la suite de leurs discussions, une convention fut élaborée selon laquelle, quel que soit le participant qui remporterait les enchères, un pourcentage de 7,5 % des actions serait cédé au PAS et l’usage d’une partie de l’actif de la société E. reviendrait à la société gérée par M.M. Le 30 mai 2000, avant le début des enchères, le requérant, P.C. et T.I. signèrent cette convention. M.M. signa la convention ultérieurement, en l’absence du requérant, et il y ajouta une clause finale, selon laquelle « il fut convenu de commun accord que M.M. ne participera plus aux enchères ». P.C., T.I., S.S. et le requérant furent présents dans la salle lors des enchères. Étant donné qu’aucun des participants n’offrit le prix de départ demandé, la commission des enchères baissa successivement le prix. Lorsque le prix atteignit le niveau minimum permis par la loi, à savoir la moitié du prix de départ, le requérant fit une offre et remporta les enchères. B. La procédure pénale contre le requérant À une date non précisée, le parquet près la cour d’appel de Braşov entama des poursuites pénales contre le requérant du chef, parmi d’autres, de tromperie, infraction prévue par l’article 215 alinéas 1 et 3 du code pénal. Le requérant était soupçonné d’avoir, lors de l’enchère publique du 30 mai 2000, conclu des ententes frauduleuses avec les autres participants à l’enchère afin d’acquérir la société E. au prix le plus bas possible. Le parquet entendit des témoins. Une confrontation eut lieu entre le requérant et M.M. afin de déterminer les circonstances dans lesquelles ce dernier avait ajouté la clause finale à la convention (paragraphe 9 ci-dessus). Il ressort du procès-verbal dressé à cette occasion que M.M. déclara avoir noté la clause finale en présence des témoins V.M., T.M. et P.E., après que le requérant ait signé le document. Par un réquisitoire du 28 août 2001, le parquet renvoya le requérant en jugement devant le tribunal de première instance de Braşov du chef de tromperie. L’acquittement du requérant par les juridictions de première instance et d’appel Sur demande du requérant, l’affaire fut transférée devant le tribunal de première instance d’Alba-Iulia. L’APAPS et le ministère des Finances se constituèrent parties civiles dans la procédure. Le tribunal de première instance entendit le requérant qui nia les faits reprochés. Interrogés par le tribunal, T.I., P.C. et S.S. déclarèrent qu’ils avaient participé à l’enchère avec l’intention de l’emporter, que la convention conclue entre les participants ne visait pas à contourner les dispositions légales et qu’ils n’avaient pas eu l’intention de « truquer » la vente. Ils voulaient surtout accroître le rôle du PAS dans la gestion de la société, quelle que soit l’issue de l’enchère. M.M. déclara devant le tribunal qu’il avait introduit la clause finale dans le texte de la convention avec l’accord des autres participants aux enchères. Deux expertises furent réalisées afin d’établir la valeur de l’éventuel préjudice subi par l’État. Ces expertises établirent qu’il y avait une différence entre le prix escompté et celui effectivement obtenu dans le processus de privatisation, sans que cette différence constitue un préjudice. Les débats eurent lieu le 20 janvier 2003. Par un jugement du 27 janvier 2003, le tribunal de première instance prononça l’acquittement du requérant du chef de tromperie, au motif que, d’après les preuves existant au dossier, les éléments matériel et intentionnel du délit n’étaient pas prouvés, et rejeta les prétentions des parties civiles. Il jugea que pour prouver l’existence d’une tromperie de l’État il fallait prouver l’entente frauduleuse des participants aux enchères dans le but de contourner les dispositions légales applicables. Or, d’après le réquisitoire, M.M., S.S. et T.I. n’avaient pas aidé le requérant à obtenir le plus bas prix possible, de sorte que la réalité de l’infraction n’était pas établie. Il nota également que les deux expertises réalisées avaient noté que la vente aux enchères avait été menée dans le respect des dispositions légales et jugea que la convention conclue entre les participants ne laissait pas entrevoir l’intention des signataires de diminuer le prix de vente. Le tribunal s’appuya sur les déclarations des témoins T.I., P.C., S.S. et celle de M.M. faites lors de sa confrontation avec le requérant (paragraphe 12 ci-dessus), sur les documents écrits et sur les rapports d’expertise réalisés en l’espèce. L’APAPS et le parquet près le tribunal d’Alba (« le parquet ») interjetèrent appel. Par un arrêt du 22 septembre 2003, le tribunal départemental d’Alba rejeta leurs appels et confirma le bien-fondé du jugement rendu en première instance. La condamnation du requérant par la juridiction de recours Le parquet et l’APAPS formèrent des recours. Les débats eurent lieu le 12 février 2004. Les plaidoiries de l’avocat du requérant et du procureur furent entendues. Le parquet soutint qu’il ressortait des preuves du dossier que le requérant, par des manœuvres frauduleuses, s’était assuré à l’avance de la possibilité d’emporter les enchères publiques du 30 mai 2000 au prix le plus bas possible. L’avocat du requérant sollicita le rejet des recours et la confirmation des décisions rendues dans l’affaire. Il renvoya également aux conclusions écrites qu’il avait versées au dossier. Le requérant, bien que présent à l’audience, ne fut pas entendu en personne par les juges. Aucun moyen de preuve ne fut administré. Le requérant, ayant la parole en dernier, déclara être innocent et acquiesça aux conclusions de son avocat. Par un arrêt définitif du 26 février 2004, la cour d’appel d’Alba-Iulia cassa les décisions rendues par les juridictions inférieures quant au chef d’accusation de tromperie. Se fondant sur l’article 38515 § 2 lettre d) du code de procédure pénale (« CPP »), après avoir examiné les preuves existant au dossier, la cour d’appel condamna le requérant du chef de tromperie à trois ans de prison ferme. Elle jugea que lors de la mise aux enchères de la société E., en utilisant des manœuvres frauduleuses, le requérant avait trompé l’APAPS afin de pouvoir acquérir le capital de la société E. à un prix très bas par rapport au prix initial. Elle nota à cet égard que le requérant avait déterminé le PAS et M.M. à ne pas surenchérir lors de la vente. De même, il s’était assuré de leur participation aux enchères pour qu’il ne soit pas l’unique enchérisseur, cas dans lequel le prix de départ ne pouvait pas être légalement diminué. Le requérant avait prêté de l’argent au PAS afin de s’assurer de sa participation aux enchères et il lui avait promis d’investir dans la société. Il avait promis au témoin M.M. de lui transmettre l’usage d’une partie de l’actif de la société E., après avoir remporté l’enchère. La cour d’appel estima enfin que le préjudice de l’APAPS résultait de la différence entre le prix de départ et le prix d’adjudication et condamna le requérant au paiement de 1 765 613 500 ROL au titre du dommage matériel en faveur de l’APAPS. Un mandat d’arrêt en vue de l’exécution de la peine fut émis au nom du requérant mais ne fut pas mis à exécution, le requérant s’étant soustrait à l’exécution de la peine. La réouverture de la procédure à la suite d’une contestation en annulation Le 12 septembre 2006, sur le fondement du nouvel article 386 e) du CPP, le requérant forma une contestation en annulation contre l’arrêt du 26 février 2004 de la cour d’appel d’Alba-Iulia. Il faisait valoir que la juridiction de recours l’avait condamné sans qu’il soit entendu en personne et sans qu’elle vérifie directement (nemijlocit) ses moyens de défense concernant le fond. Par un arrêt du 24 octobre 2006, la cour d’appel d’Alba-Iulia fit droit en principe à la demande de contestation en annulation et ajourna l’affaire. Elle ordonna le sursis à exécution de la peine fixée par l’arrêt du 26 février 2004. Par un arrêt définitif du 30 janvier 2007, la cour d’appel d’Alba-Iulia accueillit la contestation du requérant, annula l’arrêt du 26 février 2004 et ordonna le réexamen du recours. Pour ce faire, la cour d’appel nota que le requérant n’avait pas été entendu en personne, comme l’exigeait le nouvel article 38516 du CPP ainsi que la jurisprudence Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, CEDH 2000VIII) de la Cour. L’affaire fut reportée à plusieurs reprises sur demande de l’avocat du requérant qui était dans l’impossibilité de se présenter devant la cour ou en raison de l’absence du requérant à l’audience. Le 5 février 2008, le requérant comparut devant la cour d’appel qui l’entendit en audience publique. L’avocat du requérant et le représentant du parquet présentèrent leurs conclusions. Aucun témoin ne fut entendu par la cour d’appel. La cour d’appel mit l’affaire en délibéré et ajourna le prononcé en raison de sa complexité. Par un arrêt définitif du 14 février 2008, se fondant sur l’article 38515 § 2 lettre d) du CPP, la cour d’appel fit droit au recours du parquet, cassa partiellement les décisions rendues en première instance et appel, et, en jugeant à nouveau l’affaire, condamna le requérant du chef de tromperie à une peine de trois ans de prison avec sursis. Elle indiqua qu’il ressortait des preuves existant dans le dossier que le requérant, par des manœuvres frauduleuses, s’était assuré de la participation à la vente aux enchères du PAS et de M.M. qu’il avait déterminés à ne pas surenchérir afin de ne pas dépasser le prix que l’intéressé voulait offrir. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits ainsi que les modifications apportées par la loi no 356/2006 et entrées en vigueur le 7 septembre 2006, sont décrites dans l’affaire Flueraş c. Roumanie, (no 17520/04, §§ 30-31, 9 avril 2013).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont des ressortissants turcs résidant à Muş. Les informations les concernant sont exposées dans le tableau figurant en annexe. A. La genèse de l’affaire A une date non précisée, le proche des requérants, Selçuk Yabansu, né en 1986, fut incorporé au sein de la 3e compagnie d’infanterie motorisée de Şemdinli dans le cadre de son service militaire obligatoire. Le 24 février 2007, un autre appelé, M.F.E., rejoignit la compagnie. Ayant déclaré faire usage de produits stupéfiants, il fut envoyé, le 12 mars 2007, à la clinique psychiatrique de l’hôpital militaire de Van pour des examens. Les médecins décelèrent un comportement antisocial accompagné de troubles d’anxiété. Ils prescrivirent un traitement médicamenteux et indiquèrent dans leur rapport qu’il était préférable que M.F.E. servît sans arme et qu’il fût affecté à des tâches d’intendance (geri hizmet). Ils estimèrent en outre nécessaire de le soumettre à des examens réguliers. Le rapport fut envoyé aux autorités le 24 mars 2007. Le 26 mars 2007, après un entretien avec M.F.E., le commandant de la compagnie, le capitaine C.I., décida de ne pas lui faire porter d’arme et de le dispenser des obligations de garde. Il en informa ses subordonnés, dont le sergent-chef C.T. Le 29 mars suivant, le capitaine quitta la caserne avec la majorité de ses hommes pour une opération militaire devant durer cinquante jours. Il confia le commandement de la caserne et des quatorze soldats restants au sergent-chef C.T. En l’absence du capitaine, ce dernier décida que M.F.E. monterait la garde comme les autres soldats, qu’il disposerait d’une arme dont le chargeur serait vide, mais qu’un chargeur plein serait placé dans l’une des poches de son gilet tactique. Lors de ses dépositions devant les enquêteurs, le sergent-chef C.T. justifiera cette décision par le faible nombre d’hommes dont il disposait et les impératifs de sécurité. Le 15 avril 2007, après sa garde, M.F.E. s’en prit verbalement à l’appelé Selçuk Yabansu, l’accusant d’être responsable d’un retard dans la relève. Il l’insulta puis lui lança un ceinturon qu’il tenait à la main. Les personnes présentes s’interposèrent et l’affrontement en resta là. Le lendemain, les deux hommes montèrent la garde sur deux points très proches et aux mêmes heures. Vers 13 heures, un coup de feu fut tiré dans la zone des points de garde de M.F.E. et de Selçuk Yabansu. M.F.E. courut jusqu’à la caserne en criant que Selçuk s’était tiré dessus. Malgré les secours qui lui furent portés, le blessé décéda peu après l’incident. B. L’instruction menée par le parquet militaire M.F.E. fut placé en garde à vue le jour même de l’incident et en détention provisoire le lendemain. L’enquête diligentée par le parquet révéla que Selçuk avait été tué par M.F.E. : en effet, le défunt avait été trouvé avec sa propre arme à l’épaule, cran de sécurité enclenché, et aucun résidu de tir n’avait été découvert sur ses mains. En revanche, les prélèvements effectués sur les mains de M.F.E. ainsi que sur son arme avaient révélé la présence de résidus. De plus, Selçuk avait été tué avec l’arme de M.F.E., laquelle avait été retrouvée chargée près du corps du défunt. Par un acte d’accusation du 6 juillet 2007, le parquet militaire de Van renvoya M.F.E. et C.T. en jugement, le premier pour homicide volontaire et le second pour négligence dans l’exercice de ses fonctions. Quant au capitaine C.I., le parquet estima que, aucune faute ou négligence ne pouvant lui être imputée, il n’y avait pas lieu d’exercer des poursuites à son encontre. Faute d’opposition des requérants, le non-lieu concernant le capitaine devint définitif. C. La procédure pénale devant les juridictions militaires Lors de la première audience devant le tribunal militaire de Van, le 31 août 2007, le père du défunt se constitua partie intervenante. Par un arrêt du 25 juillet 2008, le tribunal prononça la relaxe du sergent-chef C.T. Il releva que la caserne se trouvait dans une zone à risque où plusieurs attaques contre des bases militaires avaient été essuyées peu de temps auparavant et que, n’ayant que peu d’hommes pour assurer la sécurité de la caserne, C.T. avait été contraint par les circonstances de faire également monter la garde à M.F.E. Il conclut qu’aucune négligence fautive ne pouvait être imputée à C.T., eu égard aux impératifs de sécurité inhérents à la région. En ce qui concernait M.F.E., le tribunal se déclara incompétent et renvoya l’affaire devant les juridictions répressives ordinaires. Le 28 juillet 2008, le père du défunt forma un pourvoi contre la partie du jugement concernant la relaxe de C.T. Dans ses observations du 30 août 2009, le parquet général près la Cour de cassation militaire conclut à la nécessité de censurer le jugement. Selon lui, l’instruction était incomplète en ce que les documents relatifs aux divers points de garde de la caserne n’avaient pas été demandés par le tribunal. Cette omission n’aurait pas permis de répondre à la question de savoir si le prévenu aurait ou non pu organiser le service de garde d’une autre manière, de façon à éviter de fournir une arme à M.F.E. tout en assurant un niveau de sécurité équivalent. Le pourvoi fut rejeté le 14 octobre 2009 par la haute juridiction militaire qui, prenant en compte les impératifs de sécurité, estima que l’élément intentionnel de l’infraction faisait défaut. D. Le procès de M.F.E. devant les juridictions répressives ordinaires Entre-temps, le 27 janvier 2009, la cour d’assises d’Ağrı avait reconnu M.F.E. coupable d’homicide volontaire et l’avait condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement. Elle s’était fondée notamment sur un rapport de l’institut de médecine légale concluant à la responsabilité pénale de l’accusé. L’affaire était pendante devant la Cour de cassation à la date à laquelle le Gouvernement a présenté ses observations. E. La demande d’indemnisation et la procédure y relative Parallèlement aux procédures pénales, les requérants formèrent un recours administratif préalable obligatoire auprès du ministère de la Défense en vue d’obtenir une indemnisation en raison du décès de leur proche. Leur demande fut adressée depuis Van par lettre recommandée avec accusé de réception le 14 avril 2008 et arriva à l’administration à Ankara le 21 avril suivant. Face au silence gardé par l’administration pendant plus de deux mois, valant refus implicite, ils introduisirent un recours de plein contentieux devant la Haute Cour administrative militaire. Ils reprochaient à l’administration d’avoir mis une arme entre les mains d’un appelé souffrant de troubles psychologiques malgré l’existence d’un rapport médical préconisant que l’intéressé fût cantonné à des missions d’intendance. Ils dénonçaient aussi bien une responsabilité pour faute qu’une responsabilité sans faute. Dans son mémoire en défense, l’administration soutenait que les requérants n’avaient pas respecté le délai d’un an imparti pour former le recours administratif préalable obligatoire et que leur action devait en conséquence être rejetée. Dans ses observations, le parquet général près la haute juridiction concluait qu’il convenait de faire droit à l’action des requérants. S’agissant de la recevabilité, il précisait que, même si l’administration n’avait reçu le recours préalable obligatoire que le 21 avril 2008, les requérants l’avaient posté le 14 avril 2008, soit avant l’expiration du délai d’un an prévu à l’article 43 de la loi no 1602 relative à la Haute Cour administrative militaire. Sur le fond, il estimait qu’il ne faisait aucun doute que l’administration avait commis une faute de service. En effet, il exposait qu’elle avait fait courir un risque au proche des requérants – risque qui s’était au demeurant réalisé – en confiant une arme à un soldat pour lequel il avait été établi par un rapport médical qu’il n’était pas apte à en porter une, et qu’il existait en outre un lien de causalité directe entre cette faute et le préjudice subi. Il ajoutait que, en tout état de cause, les conditions permettant de faire jouer la responsabilité sans faute de l’administration étaient également réunies. Le 28 janvier 2009, la Haute Cour administrative militaire rejeta le recours de plein contentieux pour non-respect du délai d’un an imparti pour former le recours administratif préalable obligatoire. Elle prit comme dies a quo du délai la date du décès de Selçuk. Quant à la détermination de la date d’introduction, elle considéra que la date du recours administratif préalable était non pas la date d’envoi de la demande par la poste, mais sa date d’arrivée à l’administration. Elle précisa qu’il s’agissait là non seulement de sa jurisprudence bien établie et constante, mais également d’un principe général de la justice administrative. Les requérants présentèrent une demande de rectification d’arrêt. Ils soutenaient que l’approche de la haute juridiction en ce qui concernait la date d’introduction ne reposait sur aucune base légale. A cet égard, ils argüaient qu’il n’existait aucun texte prévoyant que la date de recours était la date de réception du courrier par l’administration et non celle de son envoi. En outre, selon eux, en vertu de l’article 43 susmentionné, le délai ne courait qu’à partir de la date à laquelle le fait administratif préjudiciable avait été notifié à l’intéressé ou de celle à laquelle celui-ci en avait eu connaissance. Dès lors, toujours selon eux, le délai ne devait en l’espèce commencer à courir qu’à la date à laquelle ils s’étaient constitués partie intervenante à la procédure et à laquelle ils avaient pu prendre connaissance des éléments du dossier. S’agissant du fond, les requérants s’appuyaient aussi bien sur les principes régissant la responsabilité pour faute que sur ceux relatifs à la responsabilité sans faute. En vue de renforcer leurs thèses, ils joignaient à leur demande les copies d’un arrêt du Conseil d’Etat du 28 décembre 1993 (E.1993/2163 K.1993/3856) et de deux arrêts de la Haute Cour administrative militaire du 16 février 2000 (E.2000/114 – K.2000/120) et du 25 décembre 1991 (E.1990/249 – K.1990/446) (paragraphes 47, 49 et 50 ci-dessous). Dans ses observations du 7 avril 2009, le parquet général concluait en faveur du recours. Il observait que, en vertu des articles 41 et 43 in fine de la loi no1602, lorsqu’un recours contentieux relevant de la Haute Cour avait été engagé devant un tribunal incompétent et que celle-ci avait rendu une ordonnance d’incompétence, le recourant disposait d’un délai de trente jours pour saisir la Haute Cour et qu’il était dispensé d’exercer un recours administratif préalable. Il indiquait que, par conséquent, si les requérants avaient remis leurs recours à n’importe quel tribunal incompétent proche de chez eux plutôt que de le remettre aux services postaux, ils auraient pu voir leur recours examiné sur le fond par la Haute Cour. Dès lors, à ses yeux, il n’était ni juste ni équitable, ni conforme à l’esprit de la loi no 1602 de rejeter leur recours pour non-respect du délai. Il ajoutait que, par ailleurs, les requérants avaient exprimé leur volonté d’obtenir réparation de leur préjudice avant la fin du délai imparti en remettant leur recours aux services postaux et qu’il n’était pas équitable de leur tenir rigueur des délais d’acheminement desdits services. En conséquence, l’avocat général invitait la Haute Cour à faire droit au recours. La demande de rectification d’arrêt fut rejetée par la haute juridiction militaire le 15 avril 2009. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi no 1602 relative à la Haute Cour administrative militaire Les parties pertinentes de la loi no 1602 relative à la Haute Cour administrative militaire se lisent comme suit : La saisine de juridictions incompétentes Article 41 « Dans les affaires relevant de la compétence de la Haute Cour administrative militaire, lorsque les actions introduites devant les juridictions administratives ou judiciaires ont été déclarées irrecevables pour incompétence à raison de la matière, la Haute Cour administrative militaire pourra être saisie dans un délai de trente jours après notification de la décision (...). La date de saisine de ces juridictions vaudra date de saisine de la Haute Cour administrative militaire. (...) » L’introduction directe du recours de plein contentieux Article 43 « Les personnes ayant subi un préjudice en raison d’un fait administratif ne peuvent saisir la Haute Cour administrative militaire sans avoir au préalable demandé réparation à l’autorité administrative compétente dans un délai d’un an commençant à courir à la date de la notification du fait leur faisant grief ou à la date à laquelle elles ont appris l’existence du fait et, dans tous les cas, dans les cinq années suivant le fait. (...) Lorsque le recours est introduit devant la Haute Cour après une ordonnance d’incompétence rendue par un tribunal civil saisi d’un recours de pleine juridiction, le recours administratif préalable mentionné au premier alinéa n’est pas exigé. » B. Eléments jurisprudentiels présentés par les parties Le Gouvernement a présenté à la Cour des copies de plusieurs arrêts de la Haute Cour administrative militaire ayant trait à la détermination du dies a quo dans les affaires de décès au sein de l’armée. Ainsi, dans un arrêt du 3 décembre 2003 (E.2003/98 ; K.2003/897) concernant le meurtre du proche des recourants, la haute juridiction a rejeté le recours au motif que celui-ci avait été introduit tardivement. En effet, les intéressés n’avaient pas saisi les autorités compétentes dans le délai d’un an commençant à courir au plus tard à la date de mise en accusation des meurtriers par le parquet, date à laquelle ils avaient pu prendre connaissance des circonstances du décès. Dans un arrêt du 2 avril 2003 (E.2002/190 ; K.2003/264) concernant le décès du proche des recourants à la suite de l’explosion d’une arme hors inventaire qui lui avait été donnée par un autre soldat, la Haute Cour fit débuter le délai d’un an à la date du décès. Dans un arrêt du 16 février 2000 (E.2000/114 ; K.2000/120) concernant le décès du proche des recourants des suites d’une négligence commise par un autre soldat et du non-respect par celui-ci des instructions, la haute juridiction retint comme dies a quo la date à laquelle les intéressés s’étaient portés partie intervenante à la procédure pénale. Les requérants ont eux aussi présenté une copie de ce dernier arrêt. S’agissant de l’arrêt de la Haute Cour du 25 décembre 1991 (E.1990/249 ; K.1990/446) que les requérants avaient présenté au cours du recours de plein contentieux, une copie se trouve dans les documents relatifs à la procédure interne transmis à la Cour par le Gouvernement. Dans cette affaire, l’administration militaire avait informé le recourant le 27 février 1986 que son fils, qui effectuait son service militaire obligatoire, était décédé le 17 février 1986 de mort naturelle. Ce n’est qu’après avoir été invité comme témoin à une audience, tenue le 19 janvier 1990 dans le cadre de la procédure pénale qui avait été diligentée contre un sous-officier et qui n’avait pas été portée à la connaissance du recourant auparavant, que celui-ci avait découvert que son fils était mort sous les coups d’un autre militaire. Dès lors, le délai d’un an ne devait commencer à courir qu’à la date de cette audience, puisque c’était au cours de celle-ci que le recourant avait appris l’existence d’une faute d’un agent de l’administration dans la mort de son fils. Les requérants ont également fourni la copie d’un arrêt du Conseil d’Etat du 28 décembre 1993 (E.1993/2163 ; K.1993/3856) concernant la détermination de la date d’introduction des recours administratifs. Dans cet arrêt, la haute juridiction avait rejeté le pourvoi de l’administration contre un jugement du tribunal administratif ayant considéré qu’en matière d’amende fiscale la demande de conciliation était réputée avoir été faite à la date de la remise à la poste et non à la date d’arrivée à la commission administrative de conciliation. C. Dispositions pertinentes du code pénal Aux termes de l’article 257 § 2 du code pénal en vigueur à l’époque des faits, « dans les situations autres que celles qui sont constitutives d’une autre infraction au titre de la présente loi, tout agent public qui, en raison d’une négligence ou d’un retard dans l’exercice de ses fonctions, cause un tort à un individu ou un préjudice à l’administration ou procure un intérêt indu à quelqu’un est passible d’une peine d’emprisonnement allant de trois mois à un an ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside à Braşov. Le contexte de l’affaire En 2003, le requérant était directeur général de la société A. A une date non précisée, il fut mis en examen par le Parquet national anticorruption (« PNA »), pour avoir porté préjudice au budget de l’État pour un montant de 5 000 000 000 ROL et pour des faits liés à de la corruption. Le dossier pénal no 11/P/2003 fut ainsi constitué. Le 20 février 2003, T.C., commissaire de police au PNA, fit une perquisition au siège de la société A. dans le cadre du dossier no 11/P/2003. Après la perquisition, L.S. qui était un employé de la société A. et une connaissance de T.C., contacta ce dernier et l’informa que le requérant, avec qui il entretenait de bonnes relations, était inquiet à l’idée que le dossier de l’affaire soit transféré de la police de Brașov au PNA. L.S. demanda à T.C. s’il était possible de se rencontrer en présence d’un tiers, sans préciser de qui il s’agissait. T.C. soupçonna L.S. de vouloir intervenir auprès de lui pour qu’il favorise le requérant dans l’enquête pénale dirigée contre lui par le PNA. Par un rapport du 20 février 2003, T.C. informa sa hiérarchie qu’il avait été contacté par L.S. et de ses soupçons. Par une décision rendue le même jour, le procureur en chef du PNA autorisa T.C. à entrer en contact avec le requérant et L.S., en vue de recueillir des preuves concernant l’intention du requérant de corrompre le représentant de la police. Se fondant sur l’article 16 §§ 1 b) et 3 de l’Ordonnance d’urgence du Gouvernement no 43/2002 sur le PNA, le procureur autorisa également la mise sur écoute du numéro du téléphone de T.C. pour une période de trente jours, ainsi que l’enregistrement d’images vidéo. Lors de l’appel suivant de L.S., T.C. accepta de le rencontrer. Le 22 février 2003, T.C. rencontra L.S. et le requérant dans un restaurant. Lors de cette rencontre, alors que L.S. s’était absenté pour un court moment, le requérant mentionna qu’il était intéressé par une collaboration avec T.C. afin que son dossier soit renvoyé du PNA à la police de Braşov pour la poursuite de l’enquête. D’après les enregistrements mentionnées par les juridictions nationales (paragraphe 30 ci-dessous), le requérant indiqua qu’il avait « accès » à la police et que « le non-lieu était déjà rédigé ». Il mentionna comme contrepartie la somme de 1 000 dollars américains. Comme T.C. indiqua qu’il ne savait pas quelle somme serait appropriée mais qu’il travaillait avec trois autres personnes, le requérant lui proposa la somme de « 2 000 USD et une partie de pêche dans le Delta [du Danube] ». T.C. accepta l’offre. Le Service roumain de renseignements fit des enregistrements audio et vidéo des discussions entre le requérant, L.S. et T.C. Il enregistra également des conversations téléphoniques préalables entre L.S. et T.C. Il fut noté que L.S. avait appelé deux fois T.C. du numéro de portable du requérant en présence de ce dernier. Par une décision rendue le 22 février 2003, le PNA ordonna l’ouverture des poursuites pénales contre le requérant du chef de corruption active. Le 24 février 2003, le requérant appela T.C. pour établir la manière dont l’argent lui serait remis et en lui demandant s’il devait verser certains documents au dossier. T.C. lui indiqua qu’il ne devait pas se presser, d’autant plus qu’il appréhendait le « danger » auquel il s’exposait lui-même au cas où leur « arrangement » serait découvert par le PNA. Le 27 février 2003, le requérant rencontra T.C. afin de décider des documents à verser au dossier afin d’influencer le cours de l’enquête. Ces conversations furent également enregistrées sans que des images soit prises. Le 28 février 2003, le requérant transmit à T.C., par l’intermédiaire de L.S., une enveloppe contenant 2 000 USD. Le 14 mars 2003, se fondant sur l’article 224 du code de procédure pénale (« CPP »), le PNA rédigea un procès-verbal mentionnant les actes de l’enquête préliminaire, parmi lesquels l’autorisation de réaliser les enregistrements des conversations téléphoniques et la mise sur écoute de T.C. Le placement en détention provisoire du requérant Par une ordonnance du 28 février 2003, le PNA arrêta le requérant pour une durée de trente jours, pour corruption active. Le requérant contesta sa détention provisoire. Par un arrêt définitif du 12 mars 2003, la cour d’appel de Braşov (« la cour d’appel ») ordonna la remise du requérant en liberté, au motif que les procès-verbaux des écoutes ne mentionnaient pas les heures des conversations et les numéros de téléphone concernés par l’interception. Elle prit en compte également le fait que T.C. n’avait pas essayé de dissuader toute tentative de l’inculpé ou de son intermédiaire de commettre l’infraction, alors même que « la préparation » d’une éventuelle infraction de corruption active le visait directement. La condamnation pénale du requérant pour corruption active a) Le renvoi en jugement du requérant Se fondant sur la déclaration de T.C. et sur les transcriptions des enregistrements des conversations du requérant avec T.C. et L.S., le 28 février 2003, le PNA mit en mouvement l’action pénale à l’encontre du requérant du chef de corruption active. Le requérant, assisté par un avocat commis d’office, fut interrogé par le parquet et il nia les faits reprochés. Il déclara que l’argent qu’il avait donné à L.S. représentait le remboursement d’un prêt. T.C. fut interrogé et décrivit les faits comme relaté ci-dessus (paragraphes 8 à 15 ci-dessus). Interrogés par le parquet, L.S. et son épouse, L.M., déclarèrent qu’ils n’avaient jamais prêté de l’argent au requérant. L.S. affirma qu’il avait pris l’initiative d’organiser une rencontre entre T.C. et le requérant, sans que ce dernier le lui demande. Sur réquisitoire du 17 mars 2003, le PNA renvoya le requérant en jugement du chef de corruption active. Il était reproché à l’intéressé d’avoir promis, le 22 février 2003, au commissaire de police T.C. la somme de 2 000 USD pour qu’il agisse dans ses fonctions de manière à influencer le cours des poursuites dans le dossier no 11/P/2003. b) La procédure judiciaire Interrogé par le tribunal départemental de Braşov (« le tribunal départemental »), le requérant revint sur sa déclaration faite pendant les poursuites. En présence de l’avocat qu’il avait choisi, il déclara qu’il avait été provoqué par T.C. à commettre l’infraction dont il était accusé. Il admit avoir cédé aux pressions de T.C., alors qu’il savait que ce dernier ne jouait aucun rôle dans l’enquête menée contre lui. Il avait accepté de lui payer cette somme pour ne pas avoir « un ennemi » en la personne d’un commissaire de police. L.S. fut interrogé par le tribunal et il affirma qu’il ne se souvenait plus du montant que le requérant lui avait remis et déclara que T.C. lui avait demandé d’organiser une rencontre avec le requérant. Interrogés par le tribunal, T.C. et L.M. maintinrent leurs déclarations faites pendant les poursuites. Le 25 septembre 2003, le tribunal départemental fit droit à la demande du requérant et ordonna au parquet de verser au dossier les supports magnétiques des enregistrements réalisés dans l’affaire afin de pouvoir vérifier l’exactitude des transcriptions. Les 26 novembre 2003 et 5 février 2004, le tribunal départemental fit écouter aux parties, lors d’une séance à huis-clos, les cassettes enregistrées dans l’affaire. L’avocat du requérant releva que certains enregistrements ne contenaient pas d’indication des heures des conversations et des numéros de téléphone des personnes interceptées. Le parquet répliqua que ces renseignements figuraient sur les transcriptions de ces enregistrements. Par un jugement du 9 mars 2004, le tribunal départemental condamna le requérant à un an de prison avec sursis, pour corruption active. Le tribunal départemental jugea que les faits étaient prouvés par les déclarations de T.C. et de L.M. et par celle de L.S. faite pendant les poursuites, ainsi que par les transcriptions des enregistrements téléphoniques et vidéo. Il fonda également son jugement sur le procèsverbal réalisé à la fin de l’enquête préliminaire et le rapport rédigé par T.C. le 20 février 2003. Il estima que les déclarations du requérant et celle de L.S. faite devant le tribunal étaient contredites par les preuves existant dans le dossier. Concernant l’allégation du requérant selon laquelle il avait été provoqué à commettre l’infraction, le tribunal départemental releva qu’il ressortait des preuves que c’était le témoin L.S. et non pas T.C. qui avait eu l’initiative d’organiser la rencontre entre le requérant et T.C. Il nota de même que le requérant pouvait croire que T.C. jouait un rôle dans l’enquête ouverte contre lui dans le dossier no 11/P/2003 pour lui demander d’intervenir en sa faveur. Examinant le rapport rédigé par T.C. le 20 février 2003 (paragraphe 9 ci-dessus), le tribunal départemental estima que le parquet avait eu des raisons suffisantes de croire que le requérant avait l’intention de demander à T.C. de profiter de ses fonctions pour intervenir dans le dossier et avait à bon droit autorisé l’enregistrement de leurs conversations. Le tribunal départemental jugea ensuite qu’il n’était pas prouvé que T.C. avait contraint le requérant à lui promettre l’argent. D’après les enregistrements réalisés en l’affaire, c’était le requérant qui avait ouvert la discussion et avait promis à T.C. une somme d’argent sans que celle-ci lui soit demandée. Il nota que l’infraction de corruption active était consommée au moment de la promesse faite par le requérant. Par ailleurs, le fait pour les organes de poursuites de permettre ensuite la réalisation de l’infraction, à l’encontre des dispositions de l’article 68 § 2 du CPP, bien que regrettable, n’était pas de nature à effacer la responsabilité pénale du requérant. Quant aux allégations de l’intéressé concernant l’illégalité des enregistrements de ses conversations en raison de leur autorisation et réalisation avant l’ouverture des poursuites pénales, le tribunal précisa que les dispositions légales applicables n’imposaient pas que les enregistrements soient autorisés à un certain moment de la procédure. La loi applicable requérait qu’il y ait des indices convaincants quant à l’accomplissement d’une infraction, ce qui était le cas en l’espèce. Les enregistrements pouvaient être utilisés comme preuves si leur contenu pouvait contribuer à l’établissement de la vérité d’autant plus qu’ils avaient été réalisés après l’ouverture des poursuites pénales et que l’autorisation émise pour leur réalisation avait était mentionnée dans le procès-verbal constatant les actes d’enquête préliminaire. Le requérant interjeta appel contre ce jugement, alléguant, entre autres, qu’il avait été provoqué par T.C. à commettre l’infraction, étant donné que ce dernier avait laissé entendre qu’il avait une certaine compétence pour décider du sort du dossier pénal. Il faisait valoir également que les enregistrements réalisés étaient illégaux, au motif qu’ils avaient été autorisés et réalisés avant l’ouverture des poursuites pénales. Selon le requérant, ces enregistrements ne pouvaient pas être utilisés comme preuves dans la procédure pénale. Le parquet interjeta également appel et demanda l’augmentation de la peine infligée au requérant. Par un arrêt du 31 octobre 2004, la cour d’appel de Braşov rejeta l’appel du requérant. Elle s’appuya sur les déclarations de T.C. et sur les enregistrements audio effectués lors de l’enquête pénale qu’elle jugea conformes à la loi. Elle indiqua que la loi interne permettait l’autorisation des enregistrements avant l’ouverture des poursuites pénales. La cour d’appel fit droit à l’appel du parquet et porta la peine du requérant à trois ans de prison avec sursis. Le requérant forma un pourvoi en recours contre cet arrêt. Il allégua qu’à l’origine de la corruption se trouvait T.C., qui avait agi avec l’accord de sa hiérarchie et que les enregistrements faits étaient illégaux et sans valeur probante. Par un arrêt définitif du 10 décembre 2004, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta le pourvoi en recours du requérant. Elle jugea que le requérant avait fait l’objet d’une enquête pour corruption dans le dossier no 11/P/2003 et qu’il avait pris l’initiative pour rencontrer T.C. afin qu’il intervienne en sa faveur dans l’enquête. Elle estima que la culpabilité du requérant avait été pleinement démontrée par les preuves administrées devant les juridictions inférieures et qu’il n’y avait aucun indice de provocation de la part de T.C. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes en matière d’interception des conversations et des écoutes téléphoniques, telles qu’elles étaient rédigées avant la modification du code de procédure pénale (« CPP ») par la loi no 281/2003, ainsi qu’après cette modification, sont décrites dans les arrêts Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2) (no 71525/01, §§ 44 et suiv., 26 avril 2007) et Calmanovici c. Roumanie, no 42250/02, § 46, 1er juillet 2008). L’article 224 du CPP tel qu’en vigueur à l’époque des faits se lisait ainsi dans sa partie pertinente : « (1) Afin de commencer la poursuite pénale, l’organe de poursuite pénale peut réaliser des actes d’enquête préliminaire. (...) (3) Le procès-verbal qui constate la réalisation des actes d’enquête préliminaire peut constituer un moyen de preuve. » Les décisions pertinentes de la Haute Cour de cassation et de justice et de la Cour Constitutionnelle portant sur la légalité des mises sur écoute autorisées ou réalisées pendant l’enquête préliminaire et sur la possibilité de les utiliser comme preuve sont décrites dans l’affaire Niculescu c. Roumanie (no 25333/03, § 62, 25 juin 2013). L’article 16 de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 43/2002 sur le Parquet national Anti-corruption était ainsi rédigé à l’époque des faits : « (1) Lorsqu’il y a des indices convaincants de la commission d’une infraction relevant par la présente ordonnance de la compétence du Parquet national anti-corruption, afin de recueillir des preuves ou d’identifier l’auteur des faits (făptuitorul), les procureurs de ce parquet peuvent ordonner, pour une période ne pouvant pas dépasser trente jours : (...) b) la mise sous surveillance ou l’interception des communications (...). (3) Les dispositions des articles 911-915 du code de procédure pénale sont applicables. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1958 et est actuellement incarcéré à la prison d’Aiud. A. La condamnation du requérant Par un jugement du 3 octobre 2007, le tribunal départemental de Hunedoara condamna le requérant à 20 ans de prison ferme pour meurtre, peine assortie de peines complémentaires. Le tribunal jugea, après avoir analysé les preuves (procès-verbaux d’enquête, autopsie, témoignages, déclarations) que le requérant avait donné la mort à sa concubine. Afin de fixer la peine, le tribunal prit en compte le fait que le requérant était en état de récidive, ayant déjà été condamné à 10 ans de prison ferme pour un autre meurtre. Ce jugement fut confirmé par la cour d’appel d’Alba Iulia le 17 janvier 2008 sur appel du requérant puis par la Haute Cour de cassation et de justice le 21 avril 2008 sur pourvoi en recours, à l’exception des peines complémentaires qui furent annulées. Du 28 février au 19 juin 2008, le requérant fut incarcéré à la prison de Bucarest-Jilava. Depuis cette dernière date, le requérant purge sa peine à la prison d’Aiud. B. Les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava Les conditions de détention telles que décrites par le requérant Dans une lettre du 17 septembre 2008, le requérant affirme avoir été placé dans une cellule dans laquelle il y avait selon lui beaucoup de rats et des toilettes sans cloisons et sans eau. Il affirme également avoir été placé par la suite dans une autre cellule, où les toilettes n’avaient pas d’aération et n’étaient séparées du reste de l’espace par aucune cloison, de sorte que les odeurs se répandaient dans la cellule. Il y avait également beaucoup de rats et de punaises dans cette cellule. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement Le Gouvernement produit la copie d’une lettre du 3 février 2011 de l’administration nationale des prisons (ANP), qui confirme que le requérant a été placé, à la prison de Bucarest-Jilava, dans les cellules no 511 (du 28 février 2008 au 18 mai 2008) et no 403 (du 19 mai au 19 juin 2008). Selon le Gouvernement, la cellule no 511, qui bénéficiait d’une bonne ventilation, était pourvue de deux fenêtres (135 x 62 cm et 135 x 135 cm respectivement) qui assuraient un éclairage naturel, d’un espace de rangement pour la nourriture, de deux toilettes, dont une séparée par un mur pourvu d’une porte. D’après les mêmes informations, la prison bénéficiait d’un système de chauffage ; les détenus avaient accès, deux fois par semaine, à un espace douche (comprenant 19 douches). En ce qui concerne l’hygiène, le Gouvernement affirme que, selon les informations fournies par l’ANP, les détenus étaient obligés de garder une bonne hygiène de leurs cellules et des toilettes. Au moins une fois par trimestre, une désinfection a lieu dans la prison. Le régime alimentaire dont le requérant a bénéficié dans cette prison répondait, selon le Gouvernement, aux normes imposées par le ministère de la Justice. C. Les conditions de détention dans la prison d’Aiud Les conditions de détention telles que décrites par le requérant Dans la même lettre du 17 septembre 2008, le requérant dénonçait les mauvaises conditions de détention dans la prison d’Aiud, où il purge sa peine actuellement. Il se plaignait notamment de l’absence totale d’hygiène, d’une nourriture bonne « pour les cochons » et du très mauvais état des toilettes. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement S’appuyant sur les informations fournies par l’ANP, le Gouvernement affirme que le requérant a été placé dans les cellules nos 426 et 416, qui mesuraient 7,81 m² et 23,82 m² respectivement et qui bénéficiaient d’un éclairage naturel et d’une bonne ventilation. Selon le Gouvernement, les cellules étaient pourvues de lits superposés, avec matelas et draps, d’une toilette avec fenêtre, d’une douche (avec de l’eau chaude deux fois par semaine). L’eau fournie dans les cellules était propre à la consommation et à partir de l’année 2007, après une série de réparations, il n’y avait plus de rats ni d’insectes. La prison d’Aiud bénéficie d’un système de chauffage et chaque cellule est pourvue d’un mobilier adéquat (deux armoires, une table et deux chaises). À titre d’exemple, il verse au dossier 13 photographies montrant une cellule avec deux lits superposés et l’intérieur de la prison. Le régime alimentaire dont le requérant a bénéficié répondait, selon le Gouvernement, aux normes imposées par le ministère de la Justice. D. Les différentes plaintes formulées par le requérant Il ressort des informations fournies par le Gouvernement que le requérant formula plusieurs plaintes devant le juge délégué de la prison d’Aiud. Une plainte concernant la violation du secret de la correspondance par les employés de la prison d’Aiud fut rejetée comme manifestement mal fondée le 9 novembre 2010. Une autre plainte, portant sur le faible débit de l’eau courante (potable et ménagère) dans la cellule du requérant fut accueillie le 13 octobre 2010 par le juge délégué, qui ordonna à la prison d’Aiud de remédier à ce dysfonctionnement. Une nouvelle plainte concernant, entre autres, le faible débit de l’eau du robinet et une amélioration du planning d’accès aux douches fut rejetée le 30 novembre 2010. Le premier grief fut rejeté au motif de l’autorité de la chose jugée et le deuxième en raison du respect par l’administration du programme hebdomadaire d’accès à l’eau chaude établi pour l’ensemble de la prison (dix minutes, deux fois par semaine). Le 15 décembre 2012, le requérant formula une plainte dénonçant la présence de moisissures dans sa cellule, les murs en étant couverts, selon lui, dans une proportion de plus de 50 % de leur superficie. Sa plainte fut rejetée le 7 décembre 2010 sans examen au fond, au motif qu’entre-temps, le 27 novembre 2010, le requérant avait été transféré dans une autre cellule. Plusieurs plaintes tendant la mise à disposition d’enveloppes et de timbres par l’administration de la prison d’Aiud furent rejetées comme mal fondées par le juge délégué au motif que l’administration lui en fournissait déjà la quantité nécessaire et que, pour d’éventuels besoins supplémentaires, le requérant avait la possibilité de s’en procurer. Avec ses observations supplémentaires, le Gouvernement produit copie de plusieurs autres décisions de justice rendues à la suite de plaintes formulées par le requérant. Ainsi, le 9 juin 2011, le tribunal de première instance d’Aiud rejeta une demande du requérant visant au changement du régime d’exécution de sa peine de prison. Le 25 novembre 2011, le même tribunal ordonna au juge délégué de répondre à une demande d’informations formulée par le requérant, qui souhaitait connaître le nombre exact des plaintes de sa part enregistrées à partir de l’année 2009. Par un jugement du 18 janvier 2012, le tribunal de première instance accueillit partiellement une contestation du requérant visant à l’annulation d’une sanction disciplinaire et renvoya l’affaire devant le juge délégué pour examen d’une preuve. Le 25 janvier 2012, toujours à la demande du requérant, le tribunal de première instance annula une autre sanction disciplinaire (restriction du droit de visite). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues, ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumées dans les arrêts Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113129, 24 juillet 2012) et Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT s’est montré très préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules. La direction de la prison a attiré l’attention de la délégation du CPT sur le fait que les conditions matérielles étaient « extrêmement médiocres » dans l’ensemble de la prison. L’organisation APADOR-CH a effectué entre 2002 et 2011 des visites régulières dans plus de vingt prisons, y compris la prison d’Aiud. Un résumé de son rapport est disponible dans l’arrêt Iacov Stanciu précité (§§ 146-164). Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, né en 1975, réside à Varsovie. En 2009, une procédure pénale simplifiée (postępowanie uproszczone) fut ouverte contre le requérant. Elle donna lieu à sa condamnation, par un jugement du tribunal de district de Varsovie du 28 mai 2010, à une peine d’amende d’environ 500 euros pour exploitation irrégulière de jeux de hasard sur Internet, en l’occurrence des loteries, infraction punie par l’article 108 § 1 du code applicable aux infractions à la loi fiscale (Kodeks karny skarbowy). Un recours formé par le requérant contre le jugement du 28 mai 2010 en application de l’article 506 § 1 du CPP (voir, le droit interne ci-dessous, paragraphe 35) entraîna l’invalidation dudit jugement. L’affaire fut renvoyée en audience devant le tribunal de district de Varsovie fixée au 11 mars 2011. Ce jour-là, ni le requérant ni son avocat ne comparurent devant le tribunal. D’après le procès-verbal de l’audience, le requérant n’avait pas accusé réception de la citation à comparaître, expédiée à deux reprises à son domicile ; une autre convocation, expédiée à l’adresse indiquée par le requérant aux fins des notifications judiciaires, n’avait pas été notifiée régulièrement. Compte tenu de ces circonstances, le tribunal reporta l’audience au 17 mai 2011 et ordonna que la citation à comparaître fût notifiée au requérant par la police. Le procès-verbal de l’audience du 17 mai 2011 fait apparaître que le requérant n’a pas comparu ce jour-là mais que son avocat était présent. Il en ressort également que la police n’avait pas été en mesure de notifier la convocation à l’intéressé au motif que celui-ci, depuis octobre 2010, ne résidait plus à son domicile et avait cessé son activité professionnelle exercée à l’endroit indiqué aux autorités aux fins des notifications judiciaires. Par une ordonnance prononcée à l’issue de l’audience, en se basant sur les articles 249 § 1, 258 § 1 alinéa 1 et 279 § 1 du CPP, le tribunal émit un avis de recherche contre le requérant, ordonna son placement en détention provisoire pour une durée de trois mois et suspendit la procédure dans l’attente de son arrestation. Il nota que, au vu des éléments réunis par les autorités, le requérant pouvait être soupçonné d’avoir commis les agissements litigieux. Il indiqua que la détention provisoire était nécessaire pour préserver le bon déroulement de la procédure pénale à son encontre. En effet, dans la mesure où le requérant n’était domicilié à aucune des adresses qu’il avait indiquées aux autorités, il pouvait être soupçonné de vouloir se soustraire à la justice. Le 22 mai 2011, l’avocat du requérant demanda l’annulation de l’ordonnance du 17 mai. Il arguait du caractère disproportionné de la mesure prise contre son client, compte tenu du caractère vierge du casier judiciaire de celui-ci et du caractère mineur à ses yeux de l’infraction qui lui était reprochée, punie par une peine non privative de liberté. Il soutenait que, selon l’article 75 § 2 du code de procédure pénale (CPP), la comparution du requérant à l’audience aurait pu être assurée au moyen d’une mesure autre que la privation de liberté, telle que la conduite au tribunal sous contrainte. Le 26 mai 2011, le tribunal de district décida de ne pas accueillir le recours et transmit le dossier au tribunal régional de Varsovie. Le 30 mai 2011, l’avocat du requérant demanda au tribunal régional de surseoir à l’application de l’ordonnance du 17 mai 2011 et de procéder sans délai à l’examen de son recours contre cette dernière. Outre les arguments invoqués dans son recours antérieur, il souleva un motif de santé, à savoir la nécessité pour son client de poursuivre une thérapie antirétrovirale hors d’un milieu carcéral. Le même jour, le requérant fut arrêté et incarcéré à la maison d’arrêt de Varsovie. Dans un recours du 2 juin 2011, complétant celui du 22 mai 2011, l’avocat du requérant soutenait que la détention de son client était irrégulière au regard de l’article 259 § 2 du CPP. Il indiquait que la crainte des autorités de voir celui-ci se soustraire à la justice n’était pas étayée, assurant qu’il avait comparu régulièrement devant ce même tribunal dans le cadre d’autres procédures conduites contre lui parallèlement à la présente, notamment lors d’une audience tenue le 20 mai 2011, soit trois jours après l’adoption de l’ordonnance relative à sa détention provisoire. Il ajouta que la détention de son client n’était pas nécessaire, soutenant que sa domiciliation actuelle aurait pu être établie sans aucune difficulté sur la base des éléments dont les autorités disposaient d’office. Il affirma en particulier que le courrier officiel relatif à d’autres procédures menées devant cette même juridiction avait été notifié à l’adresse concernée, et que celle-ci était de plus répertoriée dans un registre des sociétés de la mairie, qui serait disponible sur Internet. Le 7 juin 2011, le tribunal régional rejeta le recours, estimant que la détention provisoire du requérant était l’unique moyen de préserver la bonne marche de la procédure, au motif que l’intéressé risquait de tenter de se soustraire à la justice et d’entraver le déroulement des poursuites. Il nota que l’adresse indiquée par son avocat dans le recours contre l’ordonnance du 17 mai 2011 ne correspondait pas à l’adresse du domicile du requérant mais à celle de l’endroit où il exerçait son activité professionnelle. Or, selon le tribunal, la loi exigeait de l’accusé qu’il révélât aux autorités l’adresse de son domicile, obligation à laquelle le requérant n’aurait pas satisfait en l’espèce. Le 9 juin 2011, l’avocat du requérant demanda au tribunal de reprendre la procédure pénale contre son client et d’annuler la détention provisoire de celui-ci. Il produisit un certificat établi par la mairie de Varsovie, faisant apparaître l’adresse à laquelle le requérant était domicilié (zameldowanie na pobyt stały) depuis le mois de mars 2010 et qui était identique à celle citée dans ses recours contre l’application de la détention provisoire. Le 10 juin 2011, le tribunal de district de Varsovie décida de rouvrir la procédure pénale contre le requérant. Le 14 juin 2011, à l’issue d’une séance tenue en présence de l’avocat du requérant, le tribunal ordonna la remise en liberté de ce dernier et remplaça sa détention provisoire par une mesure de surveillance lui imposant de se présenter au poste de police tous les sept jours. Pour ce faire, il prit en compte le motif de santé avancé par la défense et l’attestation de la mairie produite par l’avocat. Le requérant ne se présenta pas au poste de police aux dates fixées, soit les 20 et 27 juillet, le 3 août et les 21 et 28 septembre 2011. Il n’accusa pas non plus réception des lettres expédiées par les autorités à son domicile. Le 19 août 2011, le requérant réceptionna au siège du tribunal la citation à comparaître à l’audience du 6 octobre 2011. Il fut présent à cette audience ainsi qu’aux audiences suivantes du 25 janvier et du 21 mars 2012. Le 6 octobre 2011, la mesure de surveillance appliquée au requérant fut levée. Le 21 mars 2012, le tribunal de district de Varsovie prononça une ordonnance de non-lieu mettant fin aux poursuites contre le requérant eu égard à la faible gravité des faits (znikoma szkodliwość społeczna czynu) qui lui étaient reprochés. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions relatives à la détention provisoire Le code de procédure pénale (CPP) classe la détention provisoire parmi les « mesures préventives » (środki zapobiegawcze), avec la remise en liberté sous caution (poręczenie majątkowe), le contrôle judiciaire (dozór policji), la garantie fournie par une personne digne de foi (poręczenie osoby godnej zaufania), la garantie fournie par un organisme social (poręczenie społeczne), l’interdiction temporaire de se livrer à une activité donnée (zawieszenie oskarżonego w określonej działalności) et l’interdiction de quitter le territoire (zakaz opuszczania kraju). L’article 249 § 1 du CPP énonce les motifs généraux d’imposition de mesures préventives : « 1. Des mesures préventives peuvent être imposées pour assurer le bon déroulement de la procédure et, exceptionnellement, pour empêcher un accusé de commettre une autre infraction grave. Elles ne peuvent être imposées que si les éléments disponibles font apparaître une forte probabilité que l’accusé ait commis une infraction. » L’article 258 du CPP énumère les motifs de placement en détention provisoire. Il est ainsi libellé : « 1. La détention provisoire peut être imposée : 1) s’il y a un risque raisonnable que l’accusé s’enfuie ou se cache, en particulier lorsque son identité ne peut être établie ou qu’il n’a pas de domicile fixe [en Pologne] ; 2) s’il y a un risque raisonnable que l’accusé tente d’inciter [des témoins ou des coaccusés] à produire un faux témoignage ou à faire obstruction au bon déroulement de la procédure par tout autre moyen illégal ; Si les charges qui pèsent sur l’accusé concernent une infraction grave ou une infraction pour laquelle il encourt une peine dont le maximum légal est d’au moins huit années d’emprisonnement, ou si un tribunal de première instance a condamné l’intéressé à une peine d’au moins trois années d’emprisonnement, la nécessité de maintenir la détention afin d’assurer le bon déroulement de la procédure peut découler de la probabilité qu’une peine sévère soit prononcée. » Le CPP prévoit les limites dans lesquelles le tribunal peut prolonger chaque type de mesure préventive. L’article 257 du CPP dispose notamment : « 1. Le placement en détention provisoire ne peut être ordonné si une autre mesure préventive est suffisante. » L’article 259 § 1 du CPP dispose : « 1. En l’absence de raisons particulières l’interdisant, il est mis fin à la détention provisoire, en particulier si le fait de priver l’accusé de sa liberté : 1) mettrait sérieusement en danger sa vie ou sa santé ; ou 2) emporterait des conséquences excessivement graves pour lui-même ou pour sa famille. » L’article 259 § 3 du CPP est ainsi libellé : « La détention provisoire n’est pas imposée lorsque l’infraction est passible d’une peine d’emprisonnement ne dépassant pas un an, sauf si l’auteur de l’infraction en cause a été arrêté en flagrant délit ou juste après la commission de celle-ci. » L’article 259 § 4 du CPP précise que la règle énoncée à l’article 259 § 3 n’est pas applicable lorsque l’accusé se soustrait à la justice, persiste à ne pas répondre aux convocations ou entrave irrégulièrement la procédure d’une autre manière, ou lorsque son identité ne peut être établie. B. Obligations de l’accusé L’article 75 du CPP dispose que l’accusé qui n’a pas été privé de sa liberté est tenu de se présenter lorsqu’il reçoit une convocation relative à une affaire pénale. Il doit également informer l’autorité menant la procédure de tout changement de domicile et de toute absence de plus de sept jours. Il doit être avisé de ces obligations au moment du premier interrogatoire. Selon le paragraphe 2 de cet article, en cas de non-comparution injustifiée, l’accusé peut être arrêté et conduit au tribunal sous contrainte. C. L’indemnisation en cas de détention injustifiée Le chapitre 58 du CPP, intitulé « Indemnisation en cas de condamnation, de détention provisoire ou d’arrestation injustifiées », dispose que la responsabilité de l’Etat est engagée en cas de condamnation ou de mesure privative de liberté injustifiées prononcées dans le cadre d’une procédure pénale. Enfin, l’article 552 du CPP énonce : « 1. Lorsque, à l’issue de la réouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou d’un pourvoi en cassation, l’accusé est soit acquitté soit à nouveau condamné en vertu d’une disposition de fond plus clémente, il peut prétendre à une indemnisation du Trésor public pour le dommage matériel et moral que lui a causé l’exécution de tout ou partie de la peine qui lui avait été imposée à l’origine. (...) Peuvent également prétendre à une indemnisation pour dommage matériel et pour dommage moral les victimes d’une arrestation ou d’une détention provisoire manifestement injustifiées. » D. Les dispositions relatives à la procédure pénale simplifiée (postępowanie uproszczone) Le chapitre X du CPP règlemente les différents types de procédure simplifiée. L’une de ces procédures s’applique aux infractions punies au maximum par des mesures portant restriction à la liberté ou par une amende pouvant s’élever jusqu’à cent unité journalières (postepowanie nakazowe). L’article 500 § 1 du CPP prévoit qu’en présence d’infractions examinées dans le cadre de la procédure simplifiée, pouvant donner lieu à une peine portant restriction à la liberté ou à une amende, le tribunal peut rendre un jugement (wyrok nakazowy) sans tenir d’audience lorsqu’il estime que, compte tenu des éléments réunis durant l’instruction, la tenue de l’audience serait superflue. Selon l’article 506 §§ 1 et 3 du CPP, en cas d’adoption d’un jugement prévu à l’article 500 § 1 du CPP, tant le parquet que l’accusé peuvent faire recours auprès du tribunal l’ayant rendu dans le délai de sept jours suivant sa notification ; l’introduction du recours implique l’invalidation du jugement attaqué (utrata mocy prawnej) et l’examen de l’affaire selon les principes généraux applicables à l’ensemble des procès pénaux (na zasadach ogólnych).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1978 et réside dans le département du Val-de-Marne. A. Quant aux faits survenus au Sri Lanka tels qu’exposés par le requérant Le requérant, d’ethnie tamoule, est originaire de Batticaloa. Il explique avoir été persécuté par les autorités sri lankaises en raison de ses origines et de son engagement en faveur du mouvement des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE). Le requérant était trésorier d’un syndicat du bâtiment et versa, entre 2006 et 2010, une partie des avoirs du syndicat aux LTTE. Dénoncé par l’un de ses collègues, il fut interpellé en janvier 2011 par le Criminal Investigation Department (CID). Il fut alors emmené au camp de Boosa et détenu pendant sept jours, au cours desquels il fut interrogé sur ses liens avec les LTT, battu, maltraité et humilié. Il semble que le requérant ait ensuite été présenté devant un tribunal avant d’être libéré sous caution. Craignant pour sa vie, il décida alors de quitter le Sri Lanka et partit pour la France, via la Syrie. B. Quant aux faits survenus en France Le requérant arriva le 2 février 2011 à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle et sollicita aussitôt son admission sur le territoire français au titre de l’asile. Le même jour, il fut placé en zone d’attente pour une durée de quatre jours. Sur place, le 3 février 2011, il fut examiné par un médecin de l’« Unité médicale de la ZAPI (Zone d’attente pour personnes en instance) » qui établit un certificat médical dont les termes sont les suivants : « Plaies par brûlure datant de quelques semaines : -face antérieur avant bras droit : 1 plaie de 3,5 cm x 1 cm ; 1 plaie de 2,5 cm x 1 cm ; 4 plaies circulaires de 1 cm de diamètre – face antérieur avant bras gauche : 1 plaie de 3,5 cm x 2,5 cm – région pectorale gauche : 2 plaies circulaires de 1 cm de diamètre – face antérieur cuisse droite : 1 plaie de 12 cm x 2,5 cm, 1 plaie de 16 cm x 2,5 cm –face antérieur de cuisse gauche : 2 plaies de 12 cm x 2,5 cm ; 1 plaie de 6 op x 1,5 cm ; ces plaies lui occasionnent des douleurs importantes nécessitant un traitement local et par la bouche adaptée [sic] ». Le même jour, le requérant fut entendu, par téléphone, par un agent de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). A la même date, il se vit opposer une décision ministérielle de refus d’entrée en France au titre de l’asile ainsi qu’une décision de renvoi vers « la Syrie ou, le cas échéant, vers tout pays où il sera[it] légalement admissible ». Dans son rapport du 3 février 2011, l’agent de l’OFPRA observa notamment que « les déclarations lacunaires du requérant étaient dénuées d’éléments circonstanciés, que s’il affirmait avoir soutenu financièrement le LTTE, il n’apportait aucun élément précis à ce sujet ; qu’il soutenait ne pas avoir rencontré le moindre problème durant toute la période de son implication en faveur du LTTE, que s’il soutenait avoir été arrêté par des agents du Criminal Investigation Department (CID), il demeurait vague sur les motifs exacts et les circonstances de cette arrestation et qu’il n’était guère plus loquace sur les conditions de sa détention au camp de Boosa, qu’il restait évasif s’agissant de sa présentation au tribunal et sa libération sous caution en janvier 2011 ; que ses conditions de départ de son pays étaient des plus vagues ; que son récit était dépourvu d’éléments tangibles de nature à laisser penser que sa sécurité serait directement et personnellement menacée en cas de retour dans son pays d’origine, que l’ensemble de ses déclarations dénuées de substance ne permettait pas de faire ressortir un vécu personnalisé, ni de tenir pour crédible une menace actuelle et personnelle susceptible de justifier un examen approfondi de sa demande. » Le requérant contesta la décision ministérielle de refus d’admission sur le territoire devant le tribunal administratif de Paris qui rejeta sa demande le 7 février 2011. Le tribunal releva que, pour demander l’annulation de la décision contestée, le requérant avait fait état de ce que, dénoncé pour avoir versé de l’argent aux LTTE, il avait été arrêté et détenu pendant sept jours, au cours desquels il avait subi des mauvais traitements. Mais le tribunal retint toutefois que, s’il soutenait avoir été libéré sous caution par une décision de justice, il ne donnait aucun détail sur sa comparution devant un tribunal. Le requérant explique ne pas avoir fait appel de ce jugement du tribunal administratif, cette voie de recours étant dépourvue d’effet suspensif. Par deux décisions des 6 et 14 février 2011, le juge des libertés et de la détention autorisa le maintien du requérant en zone d’attente, respectivement pour huit jours puis pour quatre jours supplémentaires. Le 15 février 2011, les autorités françaises tentèrent, sans succès, de renvoyer le requérant vers la Syrie, celui-ci ayant résisté à l’embarquement. Le 16 février 2011, le requérant saisit la Cour et formula une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le même jour, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au gouvernement français, en application de la disposition précitée, de ne procéder au renvoi du requérant ni vers la Syrie, ni vers le Sri Lanka pour la durée de la procédure devant la Cour. Le 18 février 2011, le requérant fut autorisé à quitter la zone d’attente. Par un arrêté du 19 avril 2011, le Préfet du Val-de-Marne décida d’assigner le requérant à résidence dans les limites du département du Valde-Marne. Le 7 juin 2011, l’OFPRA rejeta la demande d’asile du requérant au motif que l’intéressé avait tenu des propos confus sur ses fonctions syndicales et sur le soutien qu’il aurait été contraint de fournir aux LTTE. En outre, ses déclarations sur les circonstances de son arrestation, ses conditions de détention et le déroulement de son évasion s’étaient révélées particulièrement évasives. A cet égard, l’OFPRA estima que l’attestation médicale délivrée le 3 février 2011 et versée au dossier, ne permettait pas d’infirmer cette analyse. Dès lors, aucun élément ne permettait d’établir la réalité des faits allégués et de conclure au bien-fondé de sa demande. Le 15 février 2012, la CNDA rejeta le recours du requérant au motif que « d’une part, il résulte de l’instruction que le requérant n’a pas été en mesure de fournir des explications convaincantes sur les circonstances dans lesquelles il aurait été contraint de fournir des vivres et de l’argent aux membres du LTTE dans le cadre de ses différentes activités professionnelles ; qu’à cet égard, l’attestation du 10 janvier 2012, rédigée par un ingénieur en chef du département des bâtiments de Batticaloa, ne permet pas d’infirmer cette analyse. Et d’autre part, que les descriptions imprécises et peu personnalisées que l’intéressé a données de son arrestation du 1er janvier 2011, par des individus et pour des motifs au demeurant non identifiés, ne permettent pas de tenir celle-ci pour établie ; que le certificat en date du 3 février 2011 ne peut être regardé comme justifiant de l’existence d’un lien entre les constatations relevées lors de l’examen médical du requérant et les sévices dont il déclare avoir été victime lors de sa détention. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique devant la Cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées, tant au regard des stipulations précitées de la convention de Genève qu’au regard des dispositions de l’article L. 712-I du code de l’entrée et du séjour de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile susvisé ». II. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX La Cour renvoie à l’affaire NA. c. Royaume-Uni (no 25904/07, §§ 53-83, 17 juillet 2008) concernant la situation au Sri Lanka avant la fin des hostilités et aux affaires T.N. c. Danemark (no 20594/08, §§ 36-66, 20 janvier 2011) et E.G. c. Royaume-Uni (no 41178/08, §§ 17-46, 31 mai 2011) pour une analyse extensive des sources pertinentes du droit international traitant de la situation dans le pays depuis la fin des hostilités en mai 2009. Une mise à jour concernant la situation au Sri Lanka peut être trouvée dans le rapport sur les droits de l’Homme au Sri Lanka du Département d’Etat américain publié le 8 avril 2011 et dans le Country of Origin Information Report du ministère de l’Intérieur britannique publié le 4 juillet 2011. A la lumière de ces rapports, il apparaît que les informations figurant dans les arrêts précités sont toujours d’actualité notamment en ce qui concerne le traitement des demandeurs d’asile tamouls déboutés renvoyés vers l’aéroport de Colombo.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1951 et réside à Bucarest. A. La demande auprès du Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate A plusieurs reprises en 2000 et 2001, la requérante s’adressa au Conseil national pour l’étude des archives de la Securitate (CNSAS), organisme créé par la loi no 187/1999 relative à l’accès des citoyens au dossier personnel tenu à leur sujet par les anciens services secrets du régime communiste (« la Securitate ») et demanda à avoir accès au dossier tenu par la Securitate concernant feu son père, N.T. A la demande du CNSAS du 22 janvier 2002, le Service roumain des renseignements (SRI) remit au CNSAS, le 15 octobre 2003, deux dossiers concernant N.T. Les dossiers en cause étaient : le dossier no 24618/Bucarest (dossier pénal) et no 6625/Bucarest (dossier de poursuites pénales). La requérante consulta ces dossiers les 4 mai et 16 novembre 2001 et le 24 mars 2003. Le contenu de ces dossiers révéla l’existence de deux autres dossiers concernant N.T., à savoir le dossier de « problème » (dosarul problema) no 129 et le dossier de fond opérationnel (dosar fond operativ) no 53172, tome 764. La requérante sollicita à maintes reprises auprès du CNSAS l’accès à ces deux autres dossiers. Elle faisait valoir qu’elle voulait découvrir les véritables causes du décès de son père, survenu dans des conditions suspectes alors qu’il faisait l’objet d’une enquête des services secrets pour son appartenance supposée à un mouvement légionnaire. Elle indiquait que les éléments qu’elle avait pu consulter suggéraient que son père s’était suicidé par pendaison, ce dont elle doutait fortement à la lumière des déclarations de plusieurs témoins qui avaient assisté à l’enterrement, et qui avaient pu constater que son front était criblé de balles. Par un courrier du 17 septembre 2003, le CNSAS demanda au SRI de lui transmettre tous les dossiers concernant N.T., en faisant référence aux deux autres dossiers identifiés par la requérante, différents de ceux déjà transmis. Le 15 octobre 2003, le SRI répondit au CNSAS qu’il n’avait pas identifié d’autres dossiers relatifs à N.T. en sus de ceux qu’il avait déjà transmis. Le CNSAS informa la requérante de la réponse reçue. La requérante formula une nouvelle demande directement après du SRI pour obtenir l’accès aux deux autres dossiers susceptibles de contenir des informations sur feu son père. Le 22 janvier 2004, le SRI lui répondit que les dossiers concernant son père avaient déjà été transférés au CNSAS. Il l’informa par la même occasion qu’il ne pouvait pas donner suite à ses demandes, expliquant que « les dossiers auxquels elle souhaitait avoir accès ne se trouvaient pas dans [ses] archives ou entraient dans le champ d’application de la loi concernant la protection des informations classifiées ». B. L’action en contentieux administratif Le 7 juillet 2003, la requérante saisit la cour d’appel de Bucarest d’une action dirigée contre le CNSAS, afin de lui assurer l’accès à tous les dossiers concernant N.T. Elle mentionna que le contenu des dossiers qu’elle avait consultés révélait l’existence d’autres dossiers concernant feu son père, à savoir le dossier de « problème » (dosarul problema) no 129 et le dossier de fond opérationnel (dosar fond operativ) no 53172, tome 764, auxquels elle n’avait pas obtenu l’accès. Elle indiquait qu’elle souhaitait ainsi éclaircir les circonstances du décès de son père, antérieurement visé par une enquête de la Securitate. Par un arrêt du 2 décembre 2003, la cour d’appel rejeta l’action de la requérante, en estimant que ses demandes auprès du CNSAS avaient été satisfaites. Elle renvoya à la lettre adressée par le SRI au CNSAS l’informant qu’il lui avait transmis deux dossiers concernant N.T., à savoir le dossier no 24618/Bucarest (dossier pénal) et no 6625/Bucarest (dossier de poursuites pénales) et qu’il n’avait pas identifié d’autres dossiers relatifs à N.T. (paragraphes 7 et 11 ci-dessus). La requérante se pourvut en recours contre cet arrêt. Elle reprochait à la cour d’appel d’avoir ignoré les demandes du CNSAS auprès du SRI faisant mention de deux autres dossiers. Elle considérait qu’il était nécessaire de vérifier si ces dossiers existaient réellement ou pas. Par un arrêt définitif du 5 octobre 2004, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta son pourvoi, en retenant que la requérante avait eu accès à tous les dossiers concernant son père identifiés par le SRI et transmis au CNSAS, à savoir le dossier no 24618/Bucarest (dossier pénal) et no 6625/Bucarest (dossier de poursuites pénales). Aucune mention ne fut faite des deux autres dossiers mentionnés par le CNSAS dans sa lettre du 17 septembre 2003 (paragraphe 10 ci-dessus). C. Les développements postérieurs à l’arrêt définitif du 5 octobre 2004 de la Haute Cour de cassation et de justice Par une lettre du 10 octobre 2011, le SRI, répondant à une demande d’informations de l’agent du gouvernement roumain, indiqua que le dossier de « problème » (dosarul problema) no 129 n’avait pas pu être identifié dans les archives qu’il avait reprises de l’ancienne Securitate. Quant au dossier de fond opérationnel (dosar fond operativ) no 53172, tome 764, il précisait que celui-ci avait fait partie, jusqu’en 2005, des dossiers touchant à la sûreté nationale et qu’il avait ensuite été déclassifié et transféré au CNSAS en décembre 2006. Par une lettre du 20 octobre 2011, le CNSAS, répondant à une demande d’informations de l’agent du Gouvernement, indiqua qu’il était en possession, depuis 2006, du dossier de fond opérationnel (dosar fond operativ) no 53172, tome 764. Ce dossier faisait partie des milliers de dossiers que le SRI lui avait transférés en 2006. Il précisait en outre qu’il avait récemment entrepris des vérifications dans le dossier en question et qu’il avait identifié une page où le nom du père de la requérante était mentionné. Il précisait que l’intéressée serait invitée à étudier le document en question. Par une lettre du 20 octobre 2011, le CNSAS informa la requérante qu’à la suite d’une vérification supplémentaire dans ses archives sur la base de la demande qu’elle avait faite en 2000, il avait identifié une nouvelle page où le nom de son père était mentionné. Il invita la requérante au siège du CNSAS pour qu’elle puisse l’étudier. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS En vertu de l’article premier de la loi no 187/1999 en vigueur à l’époque des faits, tout citoyen roumain a le droit de prendre connaissance du dossier établi à son sujet par les organes de la Securitate. Ce droit s’exerce par la voie d’une demande de l’intéressé auprès du CNSAS, et permet l’examen direct du dossier et l’obtention de copies de tout document figurant au dossier ou relatif à son contenu. Les bénéficiaires de ce droit sont le conjoint survivant et les parents de la personne décédée jusqu’au deuxième degré inclus. En vertu de l’article 20 de la loi, le CNSAS a été chargé de recevoir et de gérer tous les documents à l’égard desquels s’exercent les droits prévus dans la présente loi, à l’exception de ceux concernant la sécurité nationale. Selon le paragraphe 2 dudit article, les membres du CNSAS bénéficient d’un accès illimité (neîngrădit) aux archives visées par la loi, pour toute la période pendant laquelle elles sont conservées par le SRI ou d’autres institutions. D’après le paragraphe 3 dudit article, le SRI, les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense, les Archives nationales et toute institution qui détiendrait des documents de ce genre doivent garantir au CNSAS le droit d’accès et, sur demande, lui fournir les documents en question. Le paragraphe 6 dudit article prévoit qu’il appartient au CNSAS de décider, en accord avec la direction du SRI, si un dossier concernait ou non la sécurité nationale. En cas de divergence à ce sujet entre le SRI et le CNSAS, la compétence pour trancher la question de savoir si un dossier concernait la sécurité nationale appartient au Conseil supérieur de la défense nationale. Le premier rapport concernant l’activité du CNSAS, publié en 2002, et qui portait sur la période du 13 mars 2000 au 31 mai 2002, exposait dans son préambule les difficultés rencontrées dans son fonctionnement, dont notamment l’impossibilité d’avoir un accès direct aux archives se trouvant entre les mains des services secrets, réticents à les remettre. L’ordonnance gouvernementale d’urgence no 16/2006 portant modification de la loi no 187/1999 confiait, au paragraphe 7 de son article 20, à des commissions mixtes paritaires de membres du SRI et du CNSAS le soin de déterminer concrètement les dossiers et les autres documents des archives relevant de la sécurité nationale. En cas de divergence, la compétence pour décider si un dossier concernait la sécurité nationale appartient au Conseil supérieur de la défense nationale. Selon le rapport annuel du CNSAS publié en 2008, le Service roumain de renseignements a remis 15 500 dossiers au CNSAS en 2007. L’ordonnance gouvernementale d’urgence no 24/2008 sur l’accès de toute personne à son propre dossier, qui a remplacé la loi no 187/1999, a étendu le droit d’accès au dossier, en cas de décès de la personne concernée, à ses héritiers et aux membres de sa famille jusqu’au quatrième degré de parenté. L’ordonnance a maintenu les dispositions antérieures relatives à la compétence des commissions mixtes paritaires, composées de membres du SRI et du CNSAS, pour déterminer concrètement les dossiers et autres documents des archives relevant de la sécurité nationale. L’article 24 prévoit en outre qu’il est loisible au CNSAS de demander la déclassification des dossiers en question s’il estime que le maintien de leur caractère secret ne se justifie pas. Un inventaire plus exhaustif des dispositions législatives pertinentes en matière d’accès aux fichiers personnels tenus par les anciens services secrets du régime communiste ainsi que les dispositions concernant les données à caractère personnel est exposé dans les arrêts Haralambie c. Roumanie (no 21737/03, §§ 31-48, 27 octobre 2009), Rotaru c. Roumanie ([GC], no 28341/95, §§ 31-32, CEDH 2000V) et Petrina c. Roumanie (no 78060/01, §§ 17-18, 14 octobre 2008) et dans la décision Rad c. Roumanie ((déc.), no 9742/04, §§ 24-29, 9 juin 2009).
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Le requérant est né en 1939 et réside à Thiers, en France. Le 19 décembre 1978, un terrain d’une superficie de 500 m² (sur une superficie totale de 9 800 m²), fut inscrit au registre foncier au nom du requérant en y étant qualifié de vignoble. Le 31 août 1988, le rectorat de l’université d’Erciyes prit une décision d’expropriation du terrain en cause. Il ne procéda pas cependant à la notification en bonne et due forme de cette décision à M. Göçmen, qui habitait à l’étranger. A une date non précisée, l’administration délimita le terrain et l’entoura de barbelés. Ayant eu connaissance de cette occupation, M. Göçmen introduisit le 2 août 2004 une action en dommages et intérêts devant le tribunal de grande instance de Kayseri (« le tribunal ») en vue de la réparation du préjudice causé par l’expropriation de fait de son terrain. Par un jugement du 21 octobre 2005, le tribunal, après avoir pris connaissance du rapport de l’expertise qu’il avait ordonné, donna gain de cause au requérant. Il considéra d’abord que le terrain en question devait être qualifié de terrain à bâtir (arsa) et non de terrain agricole (arazi). Puis, il observa que l’administration avait pris physiquement possession du terrain sans notifier sa décision d’expropriation à l’intéressé. En conséquence, le tribunal estima que M. Göçmen avait droit à une indemnité pour expropriation de facto de son terrain d’un montant de 18 000 livres turques (TRL) (soit environ 11 000 EUR (euros) à l’époque des faits), augmentée d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 2 août 2004. Il ordonna également l’inscription du terrain litigieux au nom du rectorat. Par un arrêt du 27 juin 2006, la Cour de cassation cassa le jugement rendu par la juridiction de première instance au motif que le rapport d’expertise sur lequel le juge s’était fondé était erroné. Elle considéra notamment que le terrain litigieux devait être considéré comme terrain agricole et non comme terrain à bâtir. L’affaire lui ayant été renvoyée, le tribunal ordonna alors une nouvelle expertise. Les experts rendirent leur rapport le 1er février 2007. Ils qualifièrent le terrain de terrain agricole et estimèrent sa valeur à 754,29 TRL (soit environ 410 EUR à l’époque des faits). Pour parvenir à cette conclusion, les experts rappelèrent d’abord que la nature du terrain devait s’apprécier à la date de l’introduction de la requête, à savoir le 2 août 2004. Puis, ils notèrent que selon la réponse de la municipalité de Talas, à la date du 26 octobre 2004, le terrain en question n’était raccordé ni au réseau d’adduction d’eau potable ni au réseau d’évacuation des eaux usées et n’était pas desservi par les transports en commun. Enfin, ils observèrent que selon les informations fournies par la municipalité de Talas en date du 10 mai 2006, le terrain litigieux figurait dans le périmètre du plan d’urbanisme. Il était situé dans la zone du campus de l’université d’Erciyes. Après visite des lieux, les experts ajoutèrent que le terrain en cause n’était pas dans une zone habitable et n’était pas suffisamment desservi par les services publics. Le requérant s’opposa aux conclusions du rapport d’expertise du 1er février 2007 et exigea qu’une nouvelle expertise soit ordonnée. Il soutint qu’un terrain entouré d’immeubles d’habitation de plusieurs étages, relié directement à la route et faisant partie de la zone du campus universitaire devait être considéré comme un terrain à bâtir et non comme un terrain agricole. Il fit observer que le terrain relevait d’ailleurs du plan d’urbanisme. Il rappela également avoir payé de 1998 à 2003 la taxe foncière étatique sur la base d’une qualification de terrain à bâtir et non de terrain agricole. Il déplora enfin le caractère arbitraire de l’estimation faite par les experts de son terrain, qui ne correspondrait nullement à sa valeur marchande. L’intéressé ajouta que le terrain n’était plus cultivé depuis 20 ans, qu’il avait gagné de la valeur avec le développement urbain et que sa valeur marchande était bien plus élevée que 1,50 TRL (0,86 EUR) le mètre carré. Le 17 mai 2007, sans ordonner de nouvelle expertise, le tribunal condamna l’administration à payer au requérant la somme de 754,29 TRL (soit environ 420 EUR à l’époque des faits), augmentée d’intérêts moratoires au taux légal à compter de la date d’introduction de l’action. Il ordonna également l’inscription du terrain litigieux au nom de l’administration défenderesse. Etant donné que l’objet du litige n’atteignait pas la valeur minimale fixée par la loi pour ouvrir la possibilité d’un pourvoi en cassation, le jugement de première instance était définitif.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1981 et réside à Prague. A. Mise en détention du requérant Le 8 octobre 2007, le requérant fut arrêté et, le lendemain, des poursuites pénales furent engagées à son encontre pour vol à main armée, privation de liberté personnelle et extorsion. A cette occasion, il fut informé de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. Le 11 octobre 2007, le juge du tribunal d’arrondissement de Prague 4 décida, après l’avoir entendu, de placer le requérant en détention provisoire, avançant les risques de pression sur les témoins et de récidive au sens de l’article 67 b) et c) du code de procédure pénale (ci-après « CPP »). Le recours du requérant contre cette décision fut rejeté par le tribunal municipal de Prague, siégeant à huis clos sans audience, en date du 19 novembre 2007. Le 30 juin 2008, la Cour constitutionnelle rejeta, en partie comme irrecevables et en partie comme manifestement mal fondés, les griefs tirés par le requérant de la durée de l’examen dudit recours et de la motivation prétendument insuffisante des décisions susmentionnées. B. Maintien du requérant en détention (examen d’office en vertu de l’article 71 §§ 3 et 4 du CPP) Le 9 janvier 2008, le procureur municipal décida de maintenir le requérant en détention en vertu de l’article 67 c) du CPP, considérant que le risque de récidive persistait entre autres parce que le requérant faisait face à une nouvelle inculpation ; le risque de pression sur les témoins au sens de l’article 67 b) ne fut plus considéré comme pertinent. Le 15 janvier 2008, cette décision fut notifiée au requérant qui la contesta par un recours, considérant qu’elle n’était pas suffisamment motivée et individualisée et que l’argument du risque de récidive n’était pas étayé. Le 25 février 2008, le tribunal municipal de Prague entendit le requérant, après avoir donné lecture de l’essentiel du dossier. Le requérant déclara à cette occasion qu’il avait connaissance du recours introduit par son défenseur initial contre la décision du 9 janvier 2008. Le jour même, ce recours fut rejeté pour manque de fondement, le tribunal ayant relevé que les poursuites pénales étaient justifiées, que le risque de récidive se fondait sur des faits concrets, dont l’ampleur de l’activité criminelle, et que la décision du procureur était motivée de manière convaincante et suffisante. Le 9 avril 2008, le procureur décida de maintenir le requérant en détention ; le 7 mai 2008, le requérant fut entendu par le tribunal municipal au sujet de son recours contre cette décision, qui fut rejeté à cette date. Le 18 avril 2008, le requérant attaqua les décisions du 9 janvier 2008 et du 25 février 2008 par un recours constitutionnel, se plaignant que le tribunal municipal n’avait pas statué sur les autres garanties qu’il avait proposées en vue d’obtenir sa libération, qu’il n’avait pas respecté l’exigence de célérité et qu’il n’avait pas examiné toutes ses objections. Le requérant se plaignit également que les autorités ne lui aient pas permis de consulter le dossier. Le 3 juillet 2008, le procureur décida de maintenir le requérant en détention. Le 19 août 2008, la Cour constitutionnelle rejeta le recours du 18 avril 2008 pour défaut manifeste de fondement, considérant que les objections du requérant étaient réfutées par les observations présentées au sujet de ce recours par le procureur et le tribunal municipal. Dans celles-ci, le procureur avait indiqué les dates auxquelles la défense avait pu accéder au dossier, et le tribunal avait fait savoir que les autres garanties, présentées par le requérant plus tard, avaient fait l’objet d’une décision ultérieure et que le requérant n’avait pas demandé l’accès au dossier lors de son audition. La Cour constitutionnelle estima en outre que les décisions litigieuses n’étaient pas entachées d’arbitraire. Le 7 octobre 2008, la détention du requérant fut prolongée sur décision du procureur. C. Demandes de mise en liberté introduites par le requérant Le 21 janvier 2008, le requérant introduisit auprès du procureur une demande de mise en liberté et demanda d’être entendu. Le procureur n’ayant pas accepté cette demande, il la transmit au tribunal d’arrondissement pour décision, le 30 janvier 2008, et lui proposa de maintenir le requérant en détention. Le requérant et son avocat reçurent une copie de cette lettre de transmission. Le 28 janvier, le 3 février et le 10 février 2008, le requérant demanda à la police de lui permettre d’accéder au dossier, sans plus de précisions. Selon ses dires, ces demandes restèrent sans réponse et il ne put accéder à son dossier que le 26 février 2008. Le Gouvernement note que la demande du 10 février 2008 ne se trouve pas dans le dossier pénal du requérant, et soumet à la Cour des documents attestant que les avocats de ce dernier consultèrent le dossier les 9 et 18 octobre 2007 ainsi que le 13 février 2008. Le 15 février 2008, après avoir entendu le requérant, le tribunal d’arrondissement considéra que le risque de récidive, toujours pertinent, pouvait être compensé par la promesse écrite de l’intéressé et par la garantie offerte par son père et décida de mettre le requérant en liberté. Le 26 février 2008, le procureur municipal forma un recours contre cette décision, qu’il motiva le 4 mars 2008 en soutenant que les garanties offertes étaient insuffisantes notamment au vu de l’ampleur de l’activité criminelle. Ce recours ne fut pas communiqué au requérant. En outre, le procureur transmit au tribunal d’arrondissement une nouvelle demande de mise en liberté du requérant, datée du 27 février 2008, qu’il n’avait pas acceptée, et proposa d’étendre les motifs de sa détention au risque de fuite. Par une lettre du 10 mars 2008, le requérant fut informé de cette transmission. Le 7 mars 2008, l’avocat du requérant consulta le dossier. Le 26 mars 2008, le tribunal municipal, statuant au seul vu du dossier, accueillit le recours du procureur et annula la décision du 15 février 2008. Ainsi, il refusa les garanties offertes par le requérant et ses proches et rejeta sa demande de mise en liberté comme injustifiée. Il considéra que, au vu des derniers développements de l’affaire (dont une nouvelle inculpation portée contre le requérant le 21 mars 2008), le risque de récidive s’était accru. Il estima en revanche qu’il incombait au tribunal de première instance de décider d’étendre, le cas échéant, les motifs de détention comme proposé par le procureur. Le 7 mai 2008, le requérant forma une nouvelle demande de mise en liberté et demanda d’être entendu. Le 13 juin 2008 et le 6 août 2008, il en fut débouté par les tribunaux d’arrondissement et municipal, sans avoir été entendu. Le 28 mai 2008, la défense eut la possibilité de consulter le dossier. Le 9 juin 2008, le requérant attaqua la décision du 26 mars 2008 par un recours constitutionnel, se plaignant que sa demande de mise en liberté du 21 janvier 2008 n’avait pas été examinée avec la célérité nécessaire, que le tribunal municipal n’avait pas dûment motivé sa décision et que le principe du contradictoire avait été enfreint puisqu’il ne s’était pas vu notifier le recours du procureur du 26 février 2008. Le 17 septembre 2008, la Cour constitutionnelle rejeta ce recours pour défaut manifeste de fondement, considérant que la décision contestée était dépourvue d’arbitraire, qu’elle était motivée de manière compréhensible et qu’elle ne dépassait pas les limites de la marge d’appréciation accordée aux tribunaux. Selon la cour, le fait que le requérant ne s’était pas vu notifier le recours du procureur ne constituait pas un vice de procédure car le code de procédure pénale ne prévoyait pas une obligation de notification de cette sorte. Il ne pourrait y avoir de violation du principe de contradictoire que si le recours mentionnait un nouveau fait important, ce qui n’était pas le cas en l’espèce où le procureur avait seulement exposé son avis juridique sur les garanties offertes par le requérant, lequel avis pouvait être prévisible pour la défense. Le 24 octobre 2008, le requérant introduisit une nouvelle demande de mise en liberté (formellement datée du 13 octobre 2008), que le procureur transmit au tribunal d’arrondissement le 29 octobre 2008. Dans sa lettre d’accompagnement qui ne fut pas envoyée au requérant, le procureur expliqua qu’il n’avait pas accepté ladite demande et que le dossier se trouvait déjà devant le tribunal. Le 5 novembre 2008, le tribunal d’arrondissement rejeta cette demande sans audience, considérant, sur la base du dossier, que les risques de fuite et de récidive au sens de l’article 67 a) et c) du CPP étaient toujours pertinents. Il releva que le requérant était poursuivi pour plusieurs infractions graves, commises avec d’autres personnes et passibles d’une lourde peine. Le 24 novembre 2008, le requérant forma un recours contre cette décision, soulignant qu’il était passé aux aveux et qu’il coopérait avec les autorités d’enquête. Ce changement d’attitude démontrait selon lui que les risques de récidive et de fuite n’étaient plus pertinents. Le 17 décembre 2008, le tribunal municipal rejeta ce recours sans audience, pour manque de fondement. Se référant à ses décisions antérieures concernant la détention du requérant et se basant sur le dossier mis à jour, il conclut que le requérant n’était pas tout-à-fait passé aux aveux et que sa coopération avec les autorités ne pouvait pas justifier sa libération ; dès lors, les motifs de détention prévus à l’article 67 a) et c) du CPP persistaient. Cette décision fut notifiée au requérant le 20 janvier 2009. Le 9 mars 2009, le requérant attaqua les décisions du 5 novembre 2008 et du 17 décembre 2008 par un recours constitutionnel. Il se plaignit de ne pas avoir été entendu dans cette procédure, alors que sa dernière audition remontait au 7 mai 2008, que l’affaire avait connu des développements importants et qu’il souhaitait présenter de nouvelles garanties. Il contesta également l’existence des motifs de détention, considérant que les tribunaux s’étaient fondés uniquement sur la sévérité de la peine encourue. Dans ses observations présentées au sujet de ce recours, le tribunal d’arrondissement indiqua qu’il avait pris sa décision sur la base du dossier intégral et que le requérant n’avait pas demandé à être entendu. Le tribunal municipal releva que le requérant n’avait pas mentionné de nouveaux arguments contre son maintien en détention et qu’il avait été plusieurs fois entendu dans la procédure sur la prolongation d’office de la détention ; dès lors, son audition personnelle dans la procédure en question n’était pas nécessaire. Le requérant réagit en soutenant qu’il n’était pas obligé de formuler une demande explicite d’être entendu puisque l’audition était nécessaire du seul fait de l’introduction de la demande de mise en liberté. Par la décision du 30 avril 2009, la Cour constitutionnelle déclara irrecevable le grief tiré de l’absence d’audition du requérant, relevant qu’il ne l’avait pas soulevé devant les tribunaux inférieurs ni n’avait exprimé devant eux son intention de soumettre d’autres garanties. Le reste du recours fut déclaré manifestement mal fondé. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Code de procédure pénale, version en vigueur au moment des faits En vertu de l’article 67 § 1, un inculpé peut être mis en détention provisoire s’il existe des faits concrets justifiant la crainte : a) qu’il s’enfuie ou se cache pour éviter les poursuites pénales ou la peine, en particulier s’il ne peut pas être tout de suite identifié, s’il n’a pas de domicile fixe ou s’il court le risque de se voir infliger une peine de longue durée ; b) qu’il influence les témoins qui n’ont pas encore été auditionnés ou ses coïnculpés, ou qu’il fasse autrement échouer l’enquête ; ou c) qu’il continue l’activité délictueuse pour laquelle il est poursuivi, accomplisse l’infraction qu’il avait tenté de commettre, ou qu’il commette l’infraction qu’il avait préparée ou qui était l’objet de ses menaces. L’article 71 § 3 dispose que si la durée de la détention pendant la phase préparatoire atteint trois mois, le procureur est tenu de décider, dans les cinq jours suivant l’expiration de ce délai, si l’inculpé doit être maintenu en détention ou s’il peut être mis en liberté. L’article 71 § 4 dispose que, si le procureur a décidé de maintenir l’inculpé en détention, il doit dans les trois mois suivant la date à laquelle cette décision acquiert force de chose jugée se prononcer à nouveau sur le maintien en détention, qui ne peut être ordonné que si la procédure n’a pas pu être menée à bien dans ce délai en raison de la complexité de l’affaire ou pour d’autres motifs sérieux, et si la mise en liberté de l’inculpé risque de faire échouer ou de compliquer la procédure pénale Selon l’article 72 § 3, l’inculpé a le droit à tout moment de demander sa mise en liberté, auquel cas le tribunal doit se prononcer sans délai, et au plus tard dans les cinq jours ouvrés suivant l’introduction de la demande. Si la demande est rejetée, l’inculpé ne peut la réintroduire sans motif nouveau que quatorze jours après que la décision de rejet a acquis force de chose jugée. Aux termes de l’article 73b § 1, la décision sur la mise en détention incombe au tribunal ou, pendant la phase préparatoire, au juge qui décide sur demande du procureur. L’article 73b § 2 dispose que, lorsqu’il s’agit du maintien en détention, c’est le tribunal et, pendant la phase préparatoire, le procureur qui en décident. Selon le paragraphe 3 de l’article 73b, le procureur peut, pendant la phase préparatoire, décider de la mise en liberté de l’inculpé même sans demande et peut aussi remplacer la détention par des garanties. Si le procureur n’accède pas à la demande de mise en liberté, il doit la transmettre, au plus tard dans les cinq jours à compter de sa réception, au tribunal pour décision. L’article 240 dispose que, lorsque la loi ne prévoit pas la tenue d’une audience publique, le tribunal rend sa décision sans audience. Selon l’article 242 § 1, lorsque le tribunal décide sans audience, il siège en présence de tous les membres de la chambre et du greffier ; le paragraphe 2 de l’article 242 (annulé par l’arrêt no Pl. ÚS 45/04 avec effet au 17 juin 2005) précisait que toute autre personne était exclue de ces délibérations. L’article 243 dispose que s’il est nécessaire, lors d’une telle session à huis clos, d’administrer les preuves, le tribunal procède à la lecture des procès-verbaux et d’autres pièces écrites. B. Code de procédure pénale, version en vigueur au 1er janvier 2012 Les dispositions du code de procédure pénale relatives à la détention ont été substantiellement amendées par la loi no 459/2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2012. Depuis cette date, l’article 71a dispose que, une fois la décision sur la mise en détention passée en force de chose jugée, l’inculpé a le droit à tout moment de demander sa mise en liberté, auquel cas le tribunal doit se prononcer sans délai. Si la demande est rejetée, l’inculpé ne peut la réintroduire sans motif nouveau que trente jours après que la dernière décision rejetant une demande de mise en liberté ou prolongeant la détention a acquis force de chose jugée. L’article 72 dispose que pendant la phase préparatoire, le juge doit décider du maintien de l’inculpé en détention ou de sa libération au plus tard tous les trois mois après qu’une décision sur la détention a acquis force de chose jugée. Aux termes du nouvel article 73b § 1, la décision sur la mise en détention incombe au tribunal ou, pendant la phase préparatoire, au juge qui décide sur demande du procureur. Selon le paragraphe 2, les demandes de mise en liberté sont tranchées par le tribunal et, pendant la phase préparatoire, par le procureur. Si le procureur n’accède pas à la demande, il doit la transmettre, au plus tard dans les cinq jours à compter de sa réception, au juge pour décision ; il est notamment précisé qu’il en informe l’inculpé. Enfin, l’article 73b § 3 dispose que, lorsqu’il s’agit du maintien en détention, c’est le tribunal et, pendant la phase préparatoire, le juge qui en décident. Le nouvel article 73d introduit l’institution d’une « audience de détention », à laquelle doit toujours assister l’inculpé ; la présence du procureur et du défenseur n’est pas nécessaire. Selon les paragraphes 2 et 3, le juge décidant d’une mise en détention pendant la phase préparatoire doit toujours tenir une telle audience ; le tribunal doit également faire ainsi sauf s’il prend la décision lors d’une audience publique sur le fond de l’affaire. Dans des cas autres que la mise en détention, une audience de détention a lieu lorsque l’inculpé le demande expressément ou lorsque le juge ou le tribunal considèrent qu’une audition personnelle de l’inculpé est nécessaire aux fins de la décision sur la détention. Malgré une demande expresse de l’inculpé, l’audience de détention n’a toutefois pas lieu lorsque, entre autres, l’inculpé a été entendu au sujet de la détention dans les six dernières semaines et n’a pas fait état de nouveaux éléments décisifs pour la décision sur la détention, ou lorsque les éléments qu’il fait valoir ne peuvent manifestement pas justifier le changement de la décision sur la détention. C. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle Dans sa décision no III. ÚS 544/03 du 19 février 2004, la Cour constitutionnelle a formulé, quant au grief fait aux tribunaux par l’intéressé (placé en détention) de ne pas l’avoir entendu avant de rejeter sa demande de mise en liberté, les constatations suivantes : « Il y a d’abord lieu de constater que le code de procédure pénale en vigueur ne garantit pas le droit de l’inculpé d’être entendu par le juge dans le cadre de la procédure portant sur sa demande de mise en liberté ; un tel droit n’est prévu que pour la procédure relative à la mise en détention. (...) En l’occurrence, l’intéressé n’a pas été entendu avant le rejet de sa demande de mise en liberté, représenté par un avocat, il a pu présenter ses arguments par écrit, lesquels arguments ne différaient pas des faits connus au moment où il avait été décidé de sa mise en détention (...). Une nouvelle audition de l’inculpé n’était donc pas utile en l’espèce. Dans son recours constitutionnel, l’intéressé renvoie à la jurisprudence de la CEDH relative à l’interprétation de l’article 5 §§ 1 c), 3 et 4 et de l’article 6 de la Convention, en particulier à l’arrêt Nikolova c. Bulgarie (requête no 31195/96). De l’avis de la Cour constitutionnelle, ces conclusions ne sont pas applicables à la présente affaire, où la situation procédurale est différente. Dans l’affaire tranchée par la CEDH, la décision sur la mise en détention incombait, selon le code de procédure pénale bulgare, à l’enquêteur et au procureur, tandis que le contrôle juridictionnel ne portait que sur les questions de forme. Or, pour ce qui est des décisions sur le placement et le maintien en détention, la réglementation tchèque offre aux inculpés beaucoup plus d’instruments qui leur permettent de faire effectivement valoir leurs droits à la défense et à la protection judiciaire. (...) L’article 72 § 3 du CPP donnant à l’inculpé le droit de réitérer sa demande de mise en liberté tous les quatorze jours, l’exigence de faire à chaque fois entendre l’intéressé par le tribunal semblerait exagérée et inutile. Si une telle pratique devait devenir la règle, elle pourrait provoquer des retards considérables (...) susceptibles de paralyser le déroulement de la procédure pénale. (...) La Cour constitutionnelle estime néanmoins nécessaire de noter, obiter dictum, que dans la procédure portant sur la demande de mise en liberté au sens de l’article 72 § 3 du CPP, la demande de l’inculpé à être entendu ne saurait être automatiquement rejetée. Dans certains cas, une telle audition personnelle peut s’avérer souhaitable et appropriée, par exemple lorsque la demande contient de nouveaux arguments contre le maintien en détention ou lorsque de nouvelles preuves sont soumises à l’appui de la demande de mise en liberté. Afin de respecter les principes de l’égalité des armes et du contradictoire, une demande expresse de l’inculpé par laquelle il exprime la volonté d’être présent lors de l’administration des preuves relatives à la détention fait naître son droit d’être présent à l’audience. (...) » Par l’arrêt no I. ÚS 573/02 rendu le 23 mars 2004, la Cour constitutionnelle annula la décision d’une haute cour par laquelle celle-ci avait rejeté le recours de l’intéressé contre la décision du procureur de le maintenir en détention, ainsi que la décision par laquelle la haute cour avait débouté l’intéressé de sa demande de mise en liberté ; les deux décisions, adoptées sans tenir d’audience, étaient selon elle contraires aux exigences des articles 5 § 4 et 6 § 1 de la Convention. La cour constata à cette occasion : « La détention ordonnée pour les motifs prévus à l’article 67 du CPP tombe dans le champ d’application de l’article 5 § 1 c) de la Convention. L’article 5 § 4 de la Convention exige incontestablement que la personne concernée soit entendue dans la procédure portant sur le réexamen de la légalité de la détention. (...) Selon la jurisprudence de la CEDH, ces procédures de réexamen doivent respecter les mêmes exigences que celles applicables à la décision sur la privation de liberté initiale, qu’elles soient initiées par le procureur ou d’office. (...) Par ailleurs, étant donné que la procédure selon l’article 5 § 4 de la Convention doit revêtir un caractère judiciaire, la décision de maintenir l’inculpé en détention adoptée par le procureur n’est pas une décision au sens de l’article 5 § 4 (...) et, partant, la décision du tribunal sur le recours dirigé contre cette décision du procureur est une décision rendue en première instance. (...) Même les commentaires de la doctrine admettent que le droit de l’inculpé d’être entendu doit être respecté dans la procédure sur le maintien en détention. (...) Les considérations susmentionnées amènent la Cour constitutionnelle à la conclusion que, par ses décisions de maintenir l’intéressé en détention, la haute cour a violé l’article 5 § 4 de la Convention. Le droit de l’inculpé d’être entendu dans une procédure contradictoire portant sur la légalité de sa détention fait partie des garanties fondamentales de l’équité de la procédure sur la privation de liberté. Lorsque, dans le cadre d’une telle procédure, l’inculpé n’a pas la possibilité d’être entendu, une éventuelle poursuite de sa détention constitue une privation de liberté irrégulière. L’interprétation du code de procédure pénale à laquelle se livrent les tribunaux inférieurs ne permet pas d’entendre l’inculpé dans la procédure sur le maintien en détention. Cependant, lorsqu’un traité international dispose autrement que la loi, il y a lieu d’appliquer le traité international. Il est dès lors nécessaire d’interpréter le code de procédure pénale d’une manière conforme à la Constitution, ce qui veut dire, en l’espèce, de respecter l’interprétation constante et univoque faite de l’article 5 § 4 par la CEDH. Il incombe aux tribunaux de décider, à l’aide des mécanismes standard prévus pour l’unification de la jurisprudence, de quelle manière le droit de l’inculpé d’être entendu dans la procédure sur le maintien en détention sera garanti. L’état actuel est cependant contraire à la Constitution et devrait changer. » Le 22 mars 2005, l’assemblée plénière de la Cour constitutionnelle adopta l’arrêt no Pl. ÚS 45/04 (publié le 17 juin 2005 sous no 239/2005), par lequel elle annula la disposition de l’article 242 § 2 du CPP avec effet au 17 juin 2005 et constata que l’article 5 § 4 de la Convention exigeait que l’inculpé soit entendu par le tribunal avant que celui-ci ne décide de son recours contre la décision du procureur sur son maintien en détention. La juridiction constitutionnelle releva à cette occasion : « Selon la jurisprudence constante de la CEDH, les procédures portant sur le réexamen de la légalité de la détention doivent respecter les mêmes exigences que celles applicables à la décision sur la privation de liberté initiale, qu’elles soient initiées par le procureur ou d’office. (...) Même les commentaires de la doctrine admettent que le droit de l’inculpé d’être entendu doit être respecté dans la procédure sur le maintien en détention. Il ressort des considérations susmentionnées que même dans les conditions de l’ordre juridique tchèque, l’article 5 § 4 de la Convention exige que l’inculpé soit entendu par le tribunal avant que celui-ci ne décide de son recours contre la décision du procureur sur son maintien en détention. (...) Selon la législation en vigueur (article 240 du CPP), lorsque le tribunal statue sur le recours contre la décision du procureur de maintenir l’inculpé en détention, il décide sans audience. Or, une telle procédure ne satisfait à aucune des exigences découlant de l’article 5 § 4 de la Convention tel qu’interprété par la CEDH qui souligne le droit de l’inculpé d’être entendu comme partie à la procédure (...). Il ne s’agit donc pas de recueillir la déposition de l’inculpé comme un moyen de preuve, afin d’éclaircir l’état des faits, mais d’établir son avis sur la proposition ou la décision du procureur. (...) L’article 242 § 2 du CPP, excluant la comparution de l’inculpé (et de quiconque d’autre) devant le tribunal constitue ainsi un obstacle à ce que l’inculpé puisse être entendu avant que le tribunal ne décide de son recours contre la décision du procureur sur son maintien en détention. (...) La connaissance de l’opinion qu’a l’inculpé sur l’affaire, telle que présentée dans son recours écrit contre la décision du procureur, apparaît donc absolument insuffisante au vu des exigences de la Convention. L’audition des parties est un élément essentiel du contradictoire de la procédure. L’importance du droit d’être entendu, élément de la publicité de la procédure, est accentuée dans la procédure pénale où la position de l’inculpé est moins bonne par rapport à celle de la police et du parquet. Le fait que le tribunal décide de la légalité du maintien en détention d’office, ainsi que le fait qu’aucune des parties n’est présente devant le tribunal et que le principe de l’égalité des parties est donc formellement respecté, ne peuvent rien changer à ce déficit de la législation en vigueur. (...) Les tribunaux inférieurs ne sont donc pas en mesure d’interpréter les dispositions légales pertinentes de manière conforme à l’article 5 § 4 de la Convention. L’arrêt no I. ÚS 573/02 ne leur est d’aucune aide dans ce sens. (...) c’est pourquoi il y a lieu d’annuler la disposition légale qui est anticonstitutionnelle. (...) Sous forme de obiter dictum, la Cour constitutionnelle juge nécessaire d’ajouter (...) qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’une décision du tribunal sur la demande de mise en liberté formée par l’inculpé (...). La Cour constitutionnelle souligne à cet égard que les principes susmentionnés ne peuvent pas s’appliquer à une telle procédure, et qu’ils ne sont applicables qu’à la procédure portant sur le recours de l’inculpé contre la décision du procureur sur le maintien en détention (...) » Dans sa décision no I. ÚS 423/05 du 8 décembre 2005, la Cour constitutionnelle a constaté, quant au grief de l’intéressé se plaignant de ne pas avoir été entendu par les tribunaux statuant sur son maintien en détention, que l’audition personnelle n’était pas automatiquement nécessaire dans tous les cas. Certes, lors de chaque examen de la légalité d’une mesure privative de liberté, la personne concernée peut demander à être entendue avant que le tribunal ne décide. Une telle demande doit notamment spécifier les faits concrets et pertinents qui ne peuvent être éclaircis que par le biais d’une audition. Il relève toutefois du pouvoir discrétionnaire du tribunal s’il accepte ou non d’entendre l’intéressé ; lorsqu’il n’accède pas à la demande, le tribunal doit cependant en expliciter les motifs. Dans son arrêt no 2603/07 du 21 mai 2008, concernant l’absence d’audition de l’intéressé dans la procédure portant sur sa mise en détention, la Cour constitutionnelle observa (se référant à son arrêt no 573/02) que l’exigence d’audition personnelle établie par la jurisprudence univoque de la Cour s’appliquait et à la décision du procureur sur le maintien de l’inculpé en détention, ainsi qu’à une éventuelle procédure judiciaire portant sur le recours contre cette décision du procureur, et à la procédure judiciaire relative à la demande de mise en liberté de l’inculpé. Ces procédures de réexamen de la légalité de la détention exigeaient en effet les mêmes garanties que celles prévues pour les premières décisions sur la privation de liberté, et l’absence d’audition de l’inculpé entraînait une irrégularité de la poursuite de sa détention.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont nées en 1965 et 1962 respectivement et résident à Athènes. En 1984 et 1990 respectivement, elles furent embauchées par la compagnie aérienne Olympic Airways (ci-après « l’O.A. »), entreprise du secteur public à l’époque, en tant qu’hôtesses de l’air. L’époux de la première requérante travaillait dans le secteur public et l’époux de la seconde travaillait lui aussi à l’O.A. En septembre 1989 et mars 1996, elles eurent chacune un enfant. L’article 11 de la loi no 1505/1984, relative à la restructuration des échelles de salaire des fonctionnaires, telle que modifiée par la loi no 2470/1997, prévoyait que si l’un des époux était fonctionnaire du secteur public et que l’autre travaillait dans le « reste » du secteur public, comme le précisait l’article 6 § 1 de la loi no 1256/1982, l’allocation familiale ne serait perçue que par l’un des époux. Selon l’article 1 § 6 de la loi no 1256/1982, l’O.A. faisait partie du reste du secteur public. En vertu de la législation susmentionnée, l’O.A. ne versa pas l’allocation familiale aux requérantes. Les 12 février et 11 janvier 2001 respectivement, celles-ci saisirent les juridictions civiles de deux actions contre l’O.A. tendant à obtenir rétroactivement les sommes dues au titre de l’allocation familiale en cause ; 1 208 254 drachmes (3 545,87 euros) depuis le 30 septembre 1989 pour la première requérante et 478 406 drachmes (1 403,98 euros) depuis le 30 mars 1996 pour la seconde. Elles sollicitèrent en outre le versement anticipé d’une somme mensuelle de 12 371 drachmes (36,31 euros) et de 9 519 drachmes (27,94 euros) respectivement à partir de janvier 2001. Le 16 septembre 2002, le tribunal de première instance d’Athènes rejeta l’action de la première requérante comme infondée (décision no 2083/2002). Le 29 janvier 2003, celle-ci interjeta appel. Entre-temps, le 13 septembre 2002, le tribunal de première instance d’Athènes avait accueilli la demande de la seconde requérante. Cette juridiction avait rejeté l’objection de l’O.A., à savoir que l’exercice du droit en cause avait été fait de manière abusive (décision no 2061/2002). Le 26 novembre 2002, la partie adverse interjeta appel. Les 17 juin et 1er juillet 2003, la cour d’appel d’Athènes constata d’une part que les requérantes avaient droit à l’allocation demandée compte tenu du fait que, par son arrêt no 3/2001 du 7 mars 2001, la Cour suprême spéciale avait déclaré l’article 11 de la loi no 1505/1984 inconstitutionnel comme contraire au principe d’égalité. D’autre part, la cour d’appel se pencha sur les circonstances dans lesquelles les requérantes avaient revendiqué le droit de percevoir l’allocation en cause et examina si l’exercice dudit droit s’était fait de manière abusive, aux termes de l’article 281 du Code civil. En vertu de cette disposition, il n’est pas permis que l’exercice d’un droit dépasse les limites posées par la bonne foi, les bonnes mœurs et le but socioéconomique du droit en cause. En particulier, la cour d’appel releva que les requérantes recevaient chaque mois, durant les périodes litigieuses, leur fiche de paie sur laquelle apparaissaient de manière analytique leur salaire ainsi que leurs charges salariales. La cour d’appel nota que toutes les fiches de paie contenaient une notice selon laquelle, en cas de désaccord avec le calcul du salaire, les intéressées étaient invitées à faire part de leurs objections à l’employeur. Dans le cas contraire, il était mentionné que l’O.A. considérerait que les intéressées approuvaient le calcul du salaire tel qu’énoncé dans la fiche de paie. Ensuite, la cour d’appel nota que les requérantes n’avaient jamais, pendant une période respectivement de plus de dix et cinq ans environ et après la naissance de leurs enfants, soulevé d’objections auprès de leur employeur quant à l’absence de paiement de l’allocation en cause. De plus, ladite juridiction releva qu’au cours de la même période d’autres employés ayant des enfants s’étaient déjà plaints auprès de l’O.A. de son omission de leur verser l’allocation précitée. La cour d’appel conclut que l’attitude des requérantes pendant une période aussi longue avait légitimement permis à l’O.A. de conclure que la question de sa relation salariale avec les requérantes était réglée définitivement. Selon la cour d’appel, cet élément était prépondérant pour la gestion financière de l’entreprise ; en effet, l’O.A. avait intérêt à savoir en temps utile le nombre de ses employés qui n’étaient pas d’accord avec leur traitement salarial afin de projeter ses obligations financières dans le futur. La cour d’appel releva en ce sens que l’octroi rétroactif de l’allocation à tous les employés de l’O.A. qui y avaient droit, s’élèverait à plus de 5 000 000 000 drachmes (14 673 513 euros environ) et saperait la situation économique de la compagnie aérienne, qui se trouvait déjà confrontée à de graves problèmes financiers et était soumise à un plan d’assainissement financier en vertu des lois nos 2271/1994 et 2602/1998. Quant aux prétentions futures des requérantes, la cour d’appel rejeta cette partie de leurs actions comme prématurée (arrêts nos 5076/2003 et 5690/2003). Les 15 avril et 10 février 2006 respectivement, les requérantes se pourvurent en cassation. Par deux arrêts du 6 novembre 2007, la Cour de cassation confirma les arrêts attaqués et rejeta les pourvois des requérantes. En particulier, la haute juridiction civile jugea que la cour d’appel avait justement interprété l’article 281 du Code civil en considérant que l’exercice du droit reconnu aux requérantes avait été fait de manière abusive, au sens de la disposition susmentionnée (arrêts nos 1913/2007 et 1914/2007). Ces arrêts furent mis au net et certifiés conformes les 23 novembre et 11 décembre 2007 respectivement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 281 du Code civil se lit comme suit : « L’exercice d’un droit est interdit lorsqu’il dépasse de manière évidente les limites imposées par la bonne foi, les bonnes mœurs ou le but social et économique de ce même droit. » Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que l’application de l’article 281 du Code civil ne présuppose pas uniquement l’inertie de la part du bénéficiaire du droit en cause. Son attitude doit en plus faire ressortir, de manière objective et en toute bonne foi qu’il n’a pas l’intention d’exercer ce droit. Partant, la revendication ultérieure de ce droit, combinée à des conséquences graves sur la situation de la partie adverse, pourrait être considérée comme abusive (voir les arrêts de la Cour de cassation nos 1752/84 (plénière), 62/90 (plénière), 232/2001). Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la renonciation de la part de l’employé à son droit de recevoir sa rémunération est nulle, dans la mesure où elle concerne le salaire minimum prévu par la législation pertinente ou les conventions collectives de travail (voir, entre autres, l’arrêt no 1089/2006). En outre, selon la Cour de justice de l’Union européenne, l’invocation par un Etat des problèmes financiers auxquels il peut être confronté, ne suffit pas en soi pour le soustraire à son obligation de se conformer aux règles du droit de l’Union européenne relatives à l’égalité des sexes (voir, entre autres, les arrêts no C-187/98, 28.10.1999 et C-196/02, 10.3.2005). La disposition pertinente de la loi no 1505/1984, relative à la restructuration des échelles de salaire des fonctionnaires en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellée : Article 11 § 6 « (...) Si l’un des époux est fonctionnaire public ou employé d’une personne morale de droit public ou de l’administration locale, en activité ou à la retraite et l’autre est employé, en activité ou à la retraite : a) du reste du secteur public, comme précisé par l’article 6 § 1 de la loi no 1256/1982. b) des personnes morales de droit public qui ne sont pas incluses dans la notion de secteur public précitée mais qui fonctionnent néanmoins sous la forme d’organismes d’utilité publique ou d’entreprises étatiques, l’allocation familiale n’est octroyée qu’à l’un de deux époux, selon leur choix. » En vertu de l’arrêt no 3/2001, la Cour suprême spéciale jugea que l’article 11 de la loi no 1505/1984 était inconstitutionnel comme contraire au principe d’égalité. En particulier, cette juridiction considéra que la discrimination entre fonctionnaires qui se trouvent dans la même situation familiale, pour des raisons qui ne sont pas liées au travail produit par eux-mêmes mais au statut professionnel de leurs époux ou épouses, n’était pas conforme au principe d’égalité. En outre, la Cour suprême spéciale jugea qu’une telle différence de traitement était aussi contraire à l’article 21 de la Constitution, disposition qui consacre la protection de la famille, selon lequel la contribution des époux à leur famille doit être équitable.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1964 et réside à Sighetul Marmaţiei. A l’époque des faits, il était homme d’affaires et actionnaire principal d’une société commerciale qui possédait des cuves de stockage de carburant. A. La procédure pénale dirigée contre le requérant En 2002, le parquet près la Cour suprême de justice déclencha une enquête relative à des transactions commerciales qui avaient été effectuées entre plusieurs sociétés, dont celle du requérant, et qui portaient sur la distribution de carburant. L’enquête visait une dizaine de personnes, dont certaines furent placées en détention provisoire. Le 25 avril 2002, le parquet ordonna le placement en détention provisoire du requérant. Celui-ci était accusé d’avoir commis une escroquerie à l’occasion de la signature, en décembre 2001, d’un contrat de livraison de carburant, qui aurait provoqué pour une société commerciale un préjudice de 28 milliards de lei roumains (ROL), soit l’équivalent d’environ 1 million d’euros (EUR). Le requérant contesta son placement en détention. Par un arrêt du 29 avril 2002, le tribunal départemental de Prahova ordonna la libération de l’intéressé au motif qu’il n’y avait pas d’indices de culpabilité susceptibles de justifier une privation de sa liberté au cours de la procédure. Le 24 janvier 2003, le requérant fut à nouveau arrêté et placé en détention provisoire pour trente jours sur ordre du parquet qui l’accusait d’escroquerie et de faux en écritures. Il était soupçonné d’avoir participé à l’importation, entre octobre et décembre 2001, de plusieurs centaines de tonnes de carburant industriel qui avait été ensuite revendu comme étant du gazole à des sociétés commerciales. Le parquet estima la détention justifiée au motif qu’il y avait des indices permettant de penser que le requérant avait l’intention d’entraver l’enquête et que la peine encourue était supérieure à deux ans de prison. Le requérant entama une grève de la faim pour protester contre son incarcération et, le 28 janvier 2003, il contesta l’ordre de placement en détention émis par le parquet. Il allégua que les affirmations du parquet quant à son intention présumée d’entraver l’enquête étaient dépourvues de tout fondement. Il ajouta qu’il n’y avait aucun indice concret permettant de le soupçonner d’avoir commis ces infractions et que les accusations du parquet reposaient uniquement sur le témoignage d’un coïnculpé animé par la volonté de se disculper en rejetant la faute sur lui. La plainte du requérant fut envoyée au tribunal départemental de Prahova qui l’enregistra le 17 février 2003. Le 31 janvier 2003, le requérant, toujours en grève de la faim, fut transféré à l’hôpital de la prison de Jilava-Bucarest. Le 4 février 2003, le parquet demanda au tribunal départemental de Prahova la prolongation de la détention provisoire du requérant et de six autres personnes. Il indiqua que plusieurs contrôles des sociétés commerciales impliquées dans la commercialisation de carburant étaient en cours. Le requérant, toujours hospitalisé, n’assista pas à l’audience du tribunal du 6 février 2003. Il fut représenté par deux avocats de son choix qui s’opposèrent à la demande du parquet. Le tribunal accueillit la demande du parquet et prolongea la détention de l’ensemble des accusés. Il constata que les infractions qui étaient reprochées à ceux-ci étaient graves et qu’elles avaient causé un préjudice très important à des particuliers, à diverses sociétés commerciales et au budget de l’Etat. Il estima que les motifs qui avaient justifié le placement en détention étaient toujours valables et il qu’une éventuelle remise en liberté ébranlerait la confiance du public dans la justice. Le pourvoi que le requérant présenta contre cette décision du tribunal fut rejeté, en l’absence de l’intéressé qui était représenté par ses avocats, par un arrêt du 18 février 2003 de la cour d’appel de Ploieşti. Répondant à une lettre de l’épouse du requérant – qui était également son avocate – par laquelle celle-ci demandait l’octroi d’un droit de visite, le parquet l’informa que, tant que durerait sa grève de la faim, certains droits du requérant étaient suspendus, sans préciser quels étaient ces droits. Le 19 février 2003, le tribunal départemental de Prahova examina, en l’absence du requérant toujours hospitalisé, la plainte que celui-ci avait introduite le 28 janvier 2003 contre l’ordre de placement en détention. Il constata qu’il n’y avait pas d’indices permettant de conclure que le requérant eût l’intention d’entraver l’enquête, mais il rejeta toutefois la plainte au motif que les infractions qui étaient reprochées à l’intéressé étaient graves et que la peine encourue était supérieure à deux ans de prison. Il observa en tout état de cause qu’il n’y avait pas lieu d’examiner la question de la régularité du placement en détention dès lors que cette mesure avait déjà été prolongée le 6 février 2003. Le 20 février 2003, le requérant mit fin à la grève de la faim. Il demeura hospitalisé jusqu’au 26 février 2003 et bénéficia d’un régime adapté à la reprise progressive de l’alimentation. A cette dernière date, il fut transféré à la prison de Ploieşti. A l’audience du 26 février 2003, tenue en l’absence du requérant qui était représenté par ses avocats, la cour d’appel de Ploieşti rejeta le pourvoi formé contre le jugement du 19 février 2003. Ultérieurement, le tribunal départemental de Prahova puis le tribunal départemental de Bacău auquel l’affaire fut transférée sur demande du requérant prolongèrent tous les trente jours la détention provisoire du requérant et des autres accusés, estimant que, en raison de la gravité et de l’ampleur des faits qui étaient reprochés aux intéressés, leur remise en liberté heurterait l’opinion publique et affaiblirait sa confiance dans la justice. Les pourvois du requérant furent rejetés. L’intéressé, assisté de ses avocats, participa à ces audiences. Dans les décisions de prolongation de la détention rendues les 22 mai et 1er juillet 2003 on pouvait lire notamment : « Même si les inculpés apporteraient des garanties de présentation à chaque audience et jusqu’à la fin de la procédure, [leur libération] susciterait des commentaires défavorables à l’adresse de la justice et l’opinion publique aurait l’impression que la justice ne garde en détention que les voleurs de poules, alors que les personnes accusés d’avoir commis des fraudes de milliards sont libérés. » et « Certes, les gens honnêtes sont indignés et (...) dans cette période de pauvreté généralisée, quand les hôpitaux ferment en raison du manque de financement, le tribunal est obligé de tenir compte du pouls de l’opinion publique. » Le 21 mai 2003, le requérant fut transféré à la prison de Bacău. A l’occasion de l’examen des demandes du parquet visant à la prolongation de la détention provisoire du requérant, ce dernier récusa l’ensemble des juges du tribunal départemental de Bacău, exprimant des doutes quant à leur impartialité. Il récusa également l’ensemble des magistrats de la cour d’appel de Bacău, au motif qu’ils se seraient déjà prononcés sur sa culpabilité. Le dossier fut transmis à la Cour suprême de justice qui rejeta la demande de récusation, l’estimant non étayée et formulée dans des termes trop vagues. Par ailleurs, la Cour suprême infligea au requérant une amende civile de 5 millions de ROL, soit environ 130 EUR, pour abus de procédure, estimant que ses demandes répétées de récusation constituaient une entrave à la procédure. Le 29 août 2003, le requérant fut remis en liberté à la suite de l’admission, par la cour d’appel de Bacău, le 26 août 2003, de son pourvoi contre la dernière prolongation de la détention provisoire. Par un jugement du 3 mai 2005, le tribunal départemental de Braşov, auquel l’affaire avait été attribuée sur demande du requérant, renvoya le dossier au parquet et annula l’ensemble des actes déjà effectués au motif que l’enquête avait été menée de manière irrégulière et en contradiction flagrante avec les exigences du procès équitable. Par un réquisitoire du 4 avril 2008, le parquet renvoya le requérant devant le tribunal pour l’infraction d’escroquerie liée à l’importation et à la revente de carburant et retint le chef d’accusation d’escroquerie commise à la signature du contrat de livraison de carburant. Le 1er décembre 2010, le parquet mit fin aux poursuites concernant ce dernier chef d’accusation au motif que le requérant n’était nullement impliqué dans la signature et l’exécution dudit contrat. Par un jugement du 19 décembre 2012, le tribunal de première instance de Braşov relaxa le requérant au motif qu’il n’avait commis aucune infraction à l’occasion de l’importation et de la revente de carburant. Le parquet fit appel de ce jugement. A ce jour, la procédure est toujours pendante. B. Les conditions de détention à la prison de Bacău Le requérant a séjourné à la prison de Bacău du 21 mai 2003 au 29 août 2003, date de sa remise en liberté. Selon les informations fournies par le Gouvernement et non contestées par le requérant, celui-ci a occupé successivement deux cellules, chacune d’une superficie de 19,47 m2 et prévue pour quinze détenus. Le 5 juillet 2003, le requérant déclara qu’il commençait une grève de la faim pour protester contre les persécutions dont il estimait être l’objet. Le Gouvernement soutient que, après un entretien avec la direction de la prison, le requérant a renoncé à la grève. L’intéressé conteste cette affirmation, soutenant qu’il a poursuivi la grève et que la direction de la prison a refusé de lui octroyer une assistance médicale et de le transférer dans une cellule individuelle destinée aux détenus en grève de la faim. Les 15 et 17 juillet 2003, le requérant réitéra sa protestation et informa la direction de la prison qu’il était en grève de la faim depuis plusieurs jours et qu’il n’avait pas reçu de soins. Il fut transféré dans une cellule individuelle. Entre le 18 et le 30 juillet, date à laquelle il mit fin à la grève, il fut examiné quotidiennement par le médecin de la prison. Le requérant affirme que sa cellule était sale, qu’elle ne contenait qu’un lit en fer sans matelas et qu’il y a été amené sans vêtements et sans chaussures. Le Gouvernement soutient que la cellule était propre et meublée correctement et que l’état de santé du requérant a été quotidiennement surveillé. Par une action introduite devant le tribunal de première instance de Bacău, le requérant se plaignit de la limitation qui aurait été apportée à ses droits de la défense pendant sa grève de la faim. Il dénonçait également l’absence d’assistance médicale et le refus de le transférer dans une cellule individuelle pendant sa grève de la faim. Par un jugement du 4 mai 2004, le tribunal rejeta la plainte, estimant que les affirmations du requérant n’étaient pas étayées. L’intéressé n’interjeta pas appel contre ce jugement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions relatives aux modalités d’exécution des peines privatives de liberté et aux voies de recours, ainsi que les observations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants () rendues à la suite des visites qu’il a effectuées dans des prisons de Roumanie sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions relatives au placement en détention provisoire par un procureur et au maintien en détention provisoire au cours d’une procédure pénale, en vigueur à l’époque des faits, sont résumées dans l’arrêt Pantea c. Roumanie (no 33343/96, § 150, CEDH 2003VI).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à Piatra Neamţ. A l’époque des faits, le requérant était juge au tribunal de première instance de Piatra Neamţ. Dans une affaire pénale inscrite au rôle dudit tribunal figurait comme inculpé un certain B.C.V. A. L’interpellation du requérant à la suite d’un flagrant délit Le 18 octobre 2004, B.C.V. dénonça le requérant au siège local du Parquet national anticorruption à Bacău (« le PNA »), en indiquant que celui-ci lui avait demandé de l’argent pour rendre une décision qui lui fût favorable dans l’affaire pénale dans laquelle il était inculpé. Le PNA autorisa immédiatement l’enregistrement des conversations entre B.C.V. et le requérant. La somme d’argent que B.C.V. devait remettre au requérant fut traitée avec une substance fluorescente. Le même jour, les enquêteurs surprirent le requérant en flagrant délit alors qu’il recevait l’argent de B.C.V. Après avoir été surpris en flagrant délit, le requérant fut conduit au siège du parquet. Il fut informé des accusations portées contre lui et interrogé par la suite, en présence de son avocat. Le PNA entama des poursuites pénales contre le requérant du chef de corruption passive. B. La détention provisoire du requérant Le placement du requérant en détention provisoire Le 18 octobre 2004, à 23 h 50, le PNA ordonna le placement du requérant en garde à vue. Le requérant fut transféré en voiture du siège du parquet au dépôt de la police départementale de Bacău. Le requérant allègue qu’à sa sortie du siège du parquet, plusieurs représentants des médias l’auraient filmé et photographié, avant qu’il ne monte dans le véhicule, alors qu’il était menotté et entouré par des agents cagoulés. Le 19 octobre 2004, à la demande du PNA, la cour d’appel de Bacău ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de vingt-cinq jours. La prolongation de la détention provisoire du requérant le 12 novembre 2004 Le 12 novembre 2004, le PNA demanda à la cour d’appel de Bacău de prolonger la détention provisoire du requérant. Par un arrêt rendu le même jour à 12 heures, en présence du requérant et de l’avocat que celui-ci avait choisi, la cour d’appel rejeta la demande du PNA et révoqua la mesure de détention provisoire, au motif qu’il n’y avait pas de preuves que la remise en liberté du requérant présentait un danger pour l’ordre public. La cour d’appel ordonna la remise en liberté immédiate du requérant. Le même jour, à 14 h 30, le PNA forma un pourvoi en recours contre cet arrêt devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») de Bucarest, qui se trouvait à environ 290 km du lieu de détention du requérant. Etant donné que la base légale du maintien en détention du requérant arrivait à son terme le jour même, la Haute Cour devait rendre son jugement toujours le 12 novembre 2004. La citation à comparaître à l’audience fut transmise par la Haute Cour à l’administration du lieu de détention du requérant à 19 h 47. Elle indiquait que le requérant devait comparaître devant la Haute Cour le même jour à 19 heures. A 19 h 57, l’administration du lieu de détention informa par télécopie la Haute Cour qu’en raison du délai très court, le transfert de l’intéressé ne pouvait pas avoir lieu. La citation à comparaître fut remise effectivement au requérant à 20 heures. L’avocat choisi par le requérant ne fut pas cité à comparaître. La Haute Cour se réunit en audience à 21 heures afin de juger le recours du parquet. Constatant l’absence du requérant et de l’avocat qu’il avait choisi, la Haute Cour nomma un avocat commis d’office afin de représenter l’intéressé dans la procédure. Par un arrêt définitif rendu le 12 novembre 2004 à 21 heures, la Haute Cour accueillit le recours du PNA, cassa l’arrêt rendu par la cour d’appel et ordonna le maintien du requérant en détention provisoire pour soixante jours. La remise en liberté du requérant Par un arrêt définitif du 7 janvier 2005, la Haute Cour ordonna la remise en liberté du requérant. L’intéressé fut remis en liberté le jour même. C. Le communiqué de presse du 19 octobre 2004 Le 19 octobre 2004, le PNA rendit public un communiqué de presse concernant l’arrestation du requérant. Le communiqué de presse était rédigé dans les termes suivants : « Les procureurs du service départemental de Bacău du Parquet national anticorruption ont mis en examen, le 18 octobre 2004, le magistrat Catană Constantin Cristian, juge au tribunal de première instance de Piatra Neamţ, du chef de corruption passive. Ce dernier a été surpris en flagrant délit alors qu’il recevait 500 euros de la part d’une personne qui avait la qualité d’inculpé dans un dossier pénal (...) Il a été établi à partir des preuves instruites dans l’affaire que le juge Catană Constantin-Cristian a demandé (...) 600-700 euros (sur lesquels il a reçu effectivement 500 euros) à un homme d’affaires de Piatra Neamţ, en lui promettant une issue favorable dans une affaire pénale inscrite au rôle du tribunal de première instance. Avant de demander cette somme, le magistrat s’était renseigné auprès du défenseur de l’homme d’affaires sur sa situation sociale et matérielle, et dans un court délai, il avait contacté le dénonciateur afin de « mettre au point les termes de la négociation » (...). Ainsi, les deux se sont rencontrés dans un restaurant de Piatra Neamţ, où le juge a demandé de l’argent à titre de potde-vin, en fixant également la date à laquelle l’argent devait lui être remis (...) ». Dans un article publié le 20 octobre 2004, dans le journal local Monitorul, il fut noté que : « L’enquête menée hier au siège du parquet départemental de Neamţ s’est déroulée dans le plus grand secret, la presse n’était pas autorisée à entrer après 18 heures dans le siège de l’institution, les portes étant fermées avec des cadenas ; personne n’a voulu donner de renseignements. » D. Les conditions de détention Du 19 octobre 2004 au 7 janvier 2005, le requérant, qui souffrait de tuberculose, fut détenu au dépôt de la police départementale de Bacău. Pendant sa détention dans cet établissement, il fut placé dans une cellule dont la superficie était de 12,54 m², pour quatre lits. La version du requérant Le requérant indique que la cellule de détention n’était pas raccordée à l’eau et qu’elle ne bénéficiait pas d’un groupe sanitaire propre. Il avait accès aux toilettes trois fois par jour selon un horaire préétabli. Entre 22 heures et 5 heures du matin, l’accès au groupe sanitaire n’était pas permis. L’espace aménagé pour la douche n’était pas suffisamment chauffé, compte tenu des températures très basses en hiver. La cellule ne bénéficiait ni de lumière naturelle ni de lumière artificielle suffisantes. Le requérant indique que, pendant son séjour, il n’est jamais sorti en promenade en plein air. Il dit avoir été enfermé dans la cellule avec des détenus condamnés, alors qu’en raison de sa qualité de magistrat, il aurait dû être enfermé dans des locaux spéciaux. Il indique qu’il n’a été vu par un médecin qu’une seule fois pendant son séjour, et seulement à la suite d’une demande écrite à cette fin. Il souligne également que dans le dépôt de la police il n’y avait pas d’installation pour recevoir des visites autour d’une table (c’est-à-dire, dans un espace sans cloison). La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que la cellule dans laquelle le requérant a été détenu était chauffée, pourvue de lumière naturelle et artificielle, et aérée. Le mobilier et la literie étaient en bon état. Chaque détenu bénéficiait d’un espace de vie de 6 m3, étant donné que la cellule avait un volume de 37,62 m3. La salle d’eau accessible à partir du même couloir que la cellule était dotée de cinq lavabos, trois douches et quatre toilettes. Les détenus avaient accès aux sanitaires tous les jours pendant quinze minutes pour l’hygiène personnelle et avaient accès aux douches une fois par semaine. L’accès à la salle d’eau était interdit pendant la nuit. Les dispositions légales ne prévoyaient pas de modalités spéciales pour l’incarcération des magistrats par rapport à celles prévues pour les autres détenus. Le requérant bénéficiait d’une promenade journalière d’une heure dans la cour de la police. Tous les détenus étaient soumis à un contrôle médical lors du placement en détention et lorsqu’un diagnostic de tuberculose était posé, ils étaient transférés dans un hôpital-prison. E. La procédure pénale contre le requérant Par un réquisitoire du 10 novembre 2004, le PNA ordonna le renvoi en jugement du requérant pour corruption passive. Par un arrêt du 4 décembre 2006, la cour d’appel de Ploiesti condamna le requérant du chef de corruption passive à trois ans de prison avec sursis. Sur pourvoi en recours du requérant, par un arrêt définitif du 27 juin 2007, la Haute Cour confirma le bien-fondé de l’arrêt rendu par la cour d’appel. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT A. Rapports et normes émanant du Conseil de l’Europe Dans son rapport au gouvernement de la Roumanie en date du 11 décembre 2008, réalisé à la suite de sa visite dans le pays du 8 au 19 juin 2006, y compris au dépôt de la police départementale de Bacău, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») avait constaté que dans ce dépôt les détenus n’avaient accès aux toilettes que trois fois par jour et jamais pendant la nuit, ce qui les obligeait à utiliser des seaux pour satisfaire leurs besoins naturels. En outre, au dépôt de Bacău, les toilettes communes étaient ouvertes et la salle de douches était dans un état lamentable (voir le paragraphe 35 de ce rapport). Le CPT en appelait aux autorités roumaines pour qu’elles prennent des mesures immédiates afin que les détenus placés dans les dépôts de Bacău puissent toujours avoir accès aux toilettes lorsque nécessaire. En outre, le CPT recommandait que les dispositions qui s’imposent soient prises en vue de garantir que chaque détenu bénéficie d’au moins 4 m² d’espace de vie dans les cellules collectives. Il recommandait également la prise de mesures afin d’améliorer de manière significative les conditions matérielles dans les cellules, en mettant particulièrement l’accent sur l’accès à la lumière naturelle, l’aération, ainsi que l’état des douches. Les extraits pertinents de la Recommandation no(2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006, sont reproduits dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009-) et Rupa c. Roumanie (no 1) (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008). B. Droit interne Selon l’article 159 du code de procédure pénale, la présence de l’inculpé est obligatoire lors du jugement de tout recours formé contre une décision maintenant ou prolongeant sa détention provisoire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971. Lors de l’introduction de sa requête, il était détenu à la prison de type F de Kandıra (Kocaeli). A. La genèse de l’affaire A l’époque des faits, de nouveaux établissements pénitentiaires de haute sécurité, dits de type F, venaient d’être mis en service. Ces établissements, d’une structure uniforme dans tout le pays, prévoyaient des unités de vie d’une à trois personnes au lieu des dortoirs existant dans les établissements ordinaires, dont ceux de type E (pour une description plus complète des prisons de type F, voir par exemple, Tekin Yıldız c. Turquie, no 22913/04, § 36, 10 novembre 2005). Face au projet des autorités visant au transfert de certaines catégories de détenus dans les prisons de type F, des mouvements de grève et des actes de mutinerie furent déclenchés dans les prisons concernées en signe de protestation contre le nouveau régime carcéral, qui restreignait notamment les contacts entre les détenus. Le mouvement toucha la prison de type E d’Üsküdar à Ümraniye (İstanbul). Le 19 décembre 2000, vers 4 h 30, les forces de sécurité y effectuèrent une opération anti-émeute, appelée « Retour à la vie (Hayata dönüş) », qui dura trois jours et qui fut marquée par des montées de violence sporadiques. Au terme de l’opération, l’administration pénitentiaire d’Ümraniye procéda au transfèrement des détenus, dont le requérant, dans la prison de type F de Kandıra (Keser et Kömürcü c. Turquie, no 5981/03, §§ 8-10, 23 juin 2009). B. La situation individuelle du requérant Le 22 décembre 2000, le requérant fut transféré de la prison de type E d’Üsküdar à la prison de type F de Kandıra. Le rapport médical du 23 décembre 2000, établi à 3 heures par le médecin de la prison de Kandıra, indiquait que le requérant présentait des égratignures hémorragiques au-dessous et au-dessus de l’œil gauche, une égratignure sur la pommette droite, des égratignures et des ecchymoses sur le dos, et des œdèmes sur les deux poignets. Le 31 janvier 2001, le requérant déposa une plainte pénale devant le procureur de la République de Kocaeli en raison des mauvais traitements qu’il accusait les gardiens de la prison et les gendarmes de lui avoir infligés au cours de son transfert et lors de son admission à la prison de Kandıra. En particulier, il alléguait qu’il avait été frappé à la tête et que ses poignets avaient été entravés de manière très serrée. Le 1er février 2001, le procureur de la République de Kocaeli se déclara incompétent ratione loci et transmit la plainte du requérant au procureur de la République de Kandıra. Le 23 février 2001, celui-ci entendit le requérant, qui déclara avoir été frappé par les gendarmes et les gardiens à coups de poing, à coups de pied et à coups de matraque. Dans sa décision du 23 mars 2001, le procureur de la République se déclara incompétent ratione materiae en ce qui concernait la plainte pénale engagée contre les gendarmes en service à la prison de type F de Kandıra. Il renvoya cette partie de la plainte au préfet de Kocaeli. Celui-ci chargea le commandant de la gendarmerie de mener une enquête préliminaire au sujet des allégations du requérant selon lesquelles il avait subi des mauvais traitements lors de son transfert d’Üsküdar à Kandıra. Dans son rapport du 31 mai 2001, le commandant conclut que les blessures constatées sur le corps du requérant étaient la conséquence de sa résistance aux forces de l’ordre qui avaient mené l’opération du 19 décembre 2000 et que l’intéressé n’avait pas subi de mauvais traitements lors de son transport à Kandıra. En conséquence, le préfet de Kocaeli n’autorisa pas l’ouverture de poursuites contre les gendarmes incriminés. Le procureur de la République contesta cette décision devant le tribunal administratif régional de Sakarya, lequel confirma, le 21 janvier 2002, la décision du préfet de Kocaeli. Par un acte d’accusation du 28 mars 2001, le procureur de la République, se fondant sur l’article 245 de l’ancien code pénal, intenta une action pénale contre cinq gardiens de la prison de type F de Kandıra pour usage de la force contre quinze personnes, dont le requérant. Dans son acte d’accusation, il précisait que, le 22 décembre 2000, à la suite des événements survenus à la prison de type E d’Üsküdar, le requérant avait été transféré à la prison de type F de Kandıra et que, au cours de ce transfert, il avait subi des mauvais traitements. Le tribunal correctionnel de Kandıra fut chargé d’examiner l’action publique ouverte contre cinq gardiens de la prison. A l’audience du 16 mai 2001, le requérant déclara qu’à son arrivée à la prison de Kandıra on l’avait maintenu la tête baissée et qu’il n’avait pas pu voir ceux qui l’avaient frappé. Il précisa qu’il y avait des fonctionnaires en uniforme et en civil, qu’il n’avait pas vu leur visage et qu’il n’était donc pas en mesure de les identifier parmi les personnes présentes à l’audience. Il déclara en outre qu’il avait également été frappé dans la cellule par un gardien en présence du directeur de la prison et du directeur adjoint et que ce gardien n’était pas non plus présent à l’audience. Le 13 mai 2002, le requérant se constitua partie intervenante dans la procédure pénale engagée contre les gardiens. Il réserva ses droits civils. Lors de l’audience du même jour, le tribunal correctionnel de Kandıra accepta la constitution de partie intervenante du requérant. A la demande de celui-ci, le tribunal réclama au procureur de la République et à la direction de la prison de type F de Kandıra une copie des enregistrements de vidéo-surveillance de la prison correspondant au moment de l’arrivée du requérant ainsi que la copie de toute autre pièce utile. Le 15 novembre 2002, la direction de la prison de type F de Kandıra informa le procureur de la République que les enregistrements vidéo étaient effacés tous les trois mois et que la copie demandée ne pouvait être fournie. A l’audience du 25 septembre 2002, le tribunal correctionnel demanda au procureur de la République quelle était l’issue de la procédure engagée contre les gendarmes par le préfet de Kandıra. Par un jugement du 5 novembre 2003, le tribunal correctionnel de Kandıra acquitta les gardiens de la prison. Dans ses attendus, il mentionnait qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve autres que les allégations des plaignants. S’agissant du rapport médical faisant état des blessures du requérant, le tribunal indiquait que, lors de l’opération « Retour à la vie » conduite dans la prison d’Üsküdar, les condamnés et les détenus avaient résisté aux gardiens et aux forces de l’ordre, que des affrontements avaient ainsi eu lieu et que le requérant avait vraisemblablement été blessé au cours de cette opération. Il précisait que les enregistrements vidéo de la prison de type F de Kandıra, effacés tous les trois mois, n’étaient plus disponibles. Il ajoutait que le contenu de la déposition de l’intéressé n’était pas corroboré par le rapport médical le concernant quant aux traitements qu’il alléguait s’être vu infliger à son arrivée dans la prison de type F de Kandıra. Ce jugement fut prononcé en l’absence du requérant et de son représentant. Le 25 décembre 2003, le jugement du tribunal correctionnel de Kandıra fut notifié à l’avocat du requérant à son cabinet, à Istanbul. Le 29 décembre 2003, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement. Pour ce faire, il déposa son pourvoi devant le tribunal correctionnel de Beyoğlu chargé de le transmettre au tribunal correctionnel de Kandıra. Le 26 janvier 2004, le pourvoi fut inscrit au rôle du greffe du tribunal correctionnel de Kandıra en vue d’être transmis à la Cour de cassation. Dans son pourvoi, le requérant indiquait que, le 19 décembre 2000, une opération avait été menée à la demande du ministre de la Justice à la prison de type E d’Üsküdar. Le 22 décembre 2000, il aurait été transféré de cette prison à la prison de type F de Kandıra. Il réitérait qu’il avait été frappé dans la prison d’Üsküdar et dans celle de Kandıra ainsi que dans le véhicule dans lequel il avait été transporté. A son arrivée à la prison de Kandıra, il aurait été dévêtu complètement et fouillé, puis il aurait reçu des coups de poing, des coups de pied et des coups de matraque. A l’appui de ses dires, il fournissait le rapport médical du 23 décembre 2000. Il précisait qu’il n’avait pas été donné suite à sa demande visant à l’examen des enregistrements des caméras de surveillance de la prison dans la mesure où ces enregistrements avaient été effacés. Les autres plaignants se pourvurent également en cassation. Par un arrêt du 4 décembre 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi présenté par le requérant pour dépassement du délai légal. Elle rejeta également le pourvoi du requérant au motif que les moyens invoqués par l’intéressé n’étaient pas fondés et confirma le jugement du tribunal de première instance. Quant à l’action engagée par les autres plaignants contre les forces de l’ordre, la Cour de cassation conclut qu’elle était éteinte pour cause de prescription. Cet arrêt fut déposé au greffe du tribunal correctionnel de Kandıra le 19 janvier 2007. Le 4 mai 2007, à la demande du requérant, le greffe du tribunal correctionnel de Kandıra lui envoya copie de l’arrêt de la Cour de cassation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la législation en vigueur à l’époque des faits quant aux poursuites pour des actes de mauvais traitements infligés par des agents de l’Etat et quant aux voies de droit ouvertes en la matière figurent, entre autres, dans la décision Şahmo c. Turquie (no 37415/97, ler avril 2003) et dans l’arrêt Sunal c. Turquie (no 43918/98, §§ 35-37, 25 janvier 2005). L’article 365 du code de procédure civile, concernant le lieu où le pourvoi en cassation doit être présenté, dispose dans son deuxième alinéa que le pourvoi peut être déposé devant un tribunal autre que celui qui a rendu son jugement, et dans ce cas, le pourvoi est immédiatement envoyé au tribunal compétent. L’article 92 du règlement no 25832 du 1er juin 2005 relatif à la procédure judicaire, modifiant le règlement no 2992 du 29 mars 1984, dispose que sauf disposition contraire l’article cité au paragraphe 28 ci-dessus s’applique également pour la procédure judiciaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, tous agents de police et détenteurs d’un diplôme universitaire s’obtenant en quatre ans, souhaitèrent participer en 2001 à une formation de neuf mois afin de devenir d’abord commissaire adjoint et de pouvoir bénéficier ensuite de l’avancement de carrière d’un « commissaire de police de catégorie A ». Le 28 janvier 2001, un concours fut organisé à cet effet et les requérants furent acceptés à la « formation de commissaire ». La formation en question débuta le 5 février 2001 et prit fin le 24 octobre 2001. Tous les requérants terminèrent ladite formation avec succès et attendirent d’être affectés au « cadre des officiers de catégorie A ». Entre-temps, alors que les intéressés suivaient encore la formation concernée, le 6 avril 2001, le Parlement turc adopta la loi no 4638 portant modification de la loi no 3201 relative à l’organisation de la police nationale turque, adoptée le 4 juin 1937. L’article transitoire de la loi no 3201 (introduite par la loi no 4638), entré en vigueur le 21 avril 2001, prévoit, entre autres, qu’à partir de son entrée en vigueur, les agents de police suivant la formation de commissaire ne peuvent qu’être affectés au « cadre des officiers de catégorie B », quel que soit leur niveau d’études, universitaire ou enseignement supérieur de type court. Les requérants s’adressèrent à la direction générale de la Police nationale (« DGPN ») en demandant leur affectation au « cadre des officiers de catégorie A ». Cependant, leur demande fut rejetée à différentes dates en 2004 et 2005 (voir les dates dans l’annexe ci-jointe) par l’administration de la police sur la base de l’article transitoire 20 de la loi no 3201, modifiée par la loi no 4638, et ils furent affectés au « cadre des officiers de catégorie B ». Dans les soixante jours suivant la notification de la décision de rejet de leur demande, les requérants intentèrent des actions devant différents tribunaux administratifs pour obtenir l’annulation des décisions en question et acquérir le droit d’être affectés au « cadre des officiers de catégorie A ». Au cours des procédures, le représentant des requérants demanda aux tribunaux concernés de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle en vue de contester la constitutionnalité de l’article transitoire 20 de la loi no 3201 relative à l’organisation de la police nationale telle qu’amendée par la loi no 4638, au motif que ladite disposition méconnaissait notamment les principes de sécurité juridique, de confiance légitime et de protection des droits acquis. En 2005, cette demande fut accueillie par les tribunaux administratifs de Konya et d’Ordu. Sans attendre la décision de la Cour constitutionnelle, la plupart des tribunaux administratifs rejetèrent, au fond ou au motif du dépassement du délai procédural, à différentes dates en 2004, 2005 et 2006, les actions en annulation introduites (voir les dates des décisions rendues par les instances nationales dans l’annexe ci-jointe). A différentes dates, les requérants se pourvurent en cassation devant le Conseil d’État. Cependant, ce dernier confirma les jugements de première instance et rejeta par la suite les recours en rectification formés par les requérants (voir les dates des arrêts du Conseil d’Etat dans l’annexe ci-jointe), en se référant, entre autres, à l’avis du procureur, lequel n’avait pas été communiqué préalablement aux requérants. Par ailleurs, les jugements faisant droit à certains requérants furent infirmés par le Conseil d’État et les tribunaux concernés, saisis sur renvoi, se conformèrent à l’arrêt de la haute juridiction en rejetant les demandes des intéressés (voir les dates dans l’annexe ci-jointe). Le 7 février 2008, la Cour constitutionnelle annula la phrase mettant en cause l’affectation des requérants au « cadre des officiers de catégorie A » de l’article transitoire 20 de la loi no 3201, telle qu’amendée par la loi no 4638. Pour ce faire, la juridiction constitutionnelle fonda sa décision sur le fait « qu’une attente légitime a[vait] été suscitée par la direction générale de la police nationale dans le chef des agents de police ayant commencé la formation de commissaire après avoir réussi le concours organisé en 2001, d’être affectés au cadre des officiers de catégorie A. (...) Partant, l’exclusion des agents de police qui suivaient la formation en question au moment de l’entrée en vigueur de la loi no 4638 du « cadre des officiers de catégorie A » enfreint le principe de sécurité juridique et viole donc l’article 2 de la Constitution ». La Cour constitutionnelle décida également que son arrêt entrerait en vigueur un an après sa publication au Journal Officiel. Ledit arrêt fut publié le 8 avril 2008 au Journal Officiel et entra en vigueur le 8 avril 2009. Dans son arrêt du 17 juin 2008, le Conseil d’État rejeta le recours en rectification introduit par M. Solakoğlu, en considérant que le rejet de la demande du requérant était conforme à la loi en vigueur. Pour ce faire, il rappela principalement les termes de l’article 152 de la Constitution et considéra également que, vu l’arrêt du 7 février 2008 de la Cour constitutionnelle, il n’était pas convaincu que les agents de police suivant la formation de commissaire au moment de l’entrée en vigueur de l’article transitoire 20 de la loi no 3201 devraient se voir reconnaître la qualité de chef de police de grade A. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 2 de la Constitution précise que la République de Turquie est un État de droit et qu’elle est laïque, démocratique et sociale. L’article 152 est ainsi libellé : « Si un tribunal estime dans le cadre d’un procès que les dispositions de la loi ou du décret-loi à appliquer sont contraires à la Constitution ou que l’exception d’inconstitutionnalité invoquée par l’une des parties est sérieuse, il sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle se prononce à ce sujet. (...) La Cour constitutionnelle se prononce et rend son arrêt public dans les cinq mois de la date à laquelle elle a été saisie de l’affaire. Si l’arrêt n’a pas été rendu dans ledit délai, le tribunal statue sur l’affaire conformément aux dispositions de la loi en vigueur. Toutefois, si l’arrêt de la Cour constitutionnelle lui parvient avant que le jugement relatif au fond du procès ne soit devenu définitif, le tribunal est tenu de s’y conformer. » D’après l’article 153 de la Constitution, « les arrêts de la Cour constitutionnelle sont définitifs. (...) Lorsqu’elle annule une loi ou un décret-loi ou une de leurs dispositions, la Cour constitutionnelle ne peut pas se substituer au législateur en établissant une disposition susceptible d’entraîner une application nouvelle ». L’article 9 § 1 de la loi no 2575 sur le Conseil d’État, adoptée le 6 janvier 1982, prévoit que les trois quarts des membres du Conseil d’État sont choisis parmi les magistrats des juridictions de l’ordre administratif et qu’un quart est choisi parmi les autres fonctionnaires. L’organisation de la police nationale turque repose sur une hiérarchie centralisée. La hiérarchie dans la police turque, par ordre croissant de rang, est la suivante : « agent de police (polis memuru), commissaire adjoint (komiser yardımcısı), commissaire de police (komiser), commissaire principal (başkomiser), commandant de la sûreté (emniyet amiri), commandant de la sûreté de quatrième classe (4. sınıf emniyet amiri), commandant de la sûreté de troisième classe (3. sınıf emniyet amiri), commandant de la sûreté de deuxième classe (2. sınıf emniyet amiri), commandant de la sûreté de première classe (1. sınıf emniyet amiri) et directeur général de la police nationale (Emniyet Genel Müdürü) ». En Turquie, les personnels de la police nationale sont répartis en deux cadres, appelés « le cadre des officiers » et « le cadre des agents ». Le cadre des officiers regroupe le grade de commissaire adjoint et tous les grades supérieurs alors que le cadre d’agents est seulement composé des agents de police. Un agent de police remplissant les conditions requises peut devenir commissaire adjoint s’il termine une formation de commissaire avec succès. Les agents de police ayant terminé la formation de commissaire et détenteurs d’un diplôme universitaire s’obtenant en quatre ans, étaient classés dans le « cadre des officiers de catégorie A ». Le fait d’être affecté à cette catégorie de personnel permet aux intéressés de bénéficier d’un avancement de carrière jusqu’aux plus hauts rangs de la police nationale, en l’occurrence jusqu’au rang de directeur général de la police nationale. Les agents de police détenteurs d’un diplôme d’enseignement supérieur de type court et ayant terminé la formation requise étaient, eux, classés dans le « cadre des officiers de catégorie B ». Cela permettait aux intéressés d’être promus jusqu’au grade de commissaire principal mais ne leur permettait pas de bénéficier d’un avancement de carrière à partir de ce grade. Toutefois, cette distinction a été écartée avec l’adoption de la loi no 4638 en date du 6 avril 2001, entrée en vigueur le 21 avril 2001 et portant modification de la loi no 3201 du 4 juin 1937 relative à l’organisation de la police nationale. Désormais, tous les agents de police détenteurs d’un diplôme universitaire ou d’enseignement supérieur de type court et ayant terminé la formation de commissaire ne peuvent qu’être classés dans le « cadre des officiers de catégorie B » et ne peuvent plus bénéficier d’un avancement de carrière à partir du grade de commissaire principal.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Arad. Par un réquisitoire du parquet du 23 janvier 2001, le requérant et N.S. furent renvoyés en jugement du chef de trafic organisé de substances toxiques, sur le fondement de l’article 312 § 2 du code pénal. Ils étaient accusés d’avoir recruté, formé et financé M.M. et M.H. pour qu’elles rapportent de la cocaïne du Brésil, via Moscou, entre novembre 1996 et janvier 1997. Le réquisitoire était fondé sur les dépositions de M.M. et M.H., qui avaient témoigné de la participation du requérant, et en particulier du fait qu’il avait convaincu M.M. de faire partie de l’opération. Par ailleurs, M.M. et M.H. avaient déjà été condamnées par un tribunal de Moscou en janvier 1998 à des peines de prison du chef de contrebande et trafic de cocaïne après la découverte par les autorités russes d’environ un kilogramme de cocaïne dans leurs bagages. Plusieurs membres de la famille de M.M. déclarèrent qu’après l’arrestation de celle-ci en Russie, le requérant leur avait dit l’avoir convaincue de participer à l’opération, et que les parents du requérant leur avaient demandé de ne pas dénoncer leur fils et N.S. à la police. Le tribunal de première instance d’Arad procéda à l’audition des inculpés et des témoins. Le témoin M.H. retira sa déposition, indiquant qu’elle avait rencontré une seule fois le requérant lorsqu’il l’avait accompagnée à la gare pour prendre le bus pour Budapest, d’où M.M. et elle devaient partir pour Rio de Janeiro. Elle souligna que le requérant n’avait jamais participé à l’organisation de l’opération, laquelle avait été prise en mains uniquement par N.S. Malgré son refus initial de déposer, M.M. fit plusieurs déclarations contradictoires quant à la participation du requérant aux événements. Lors de l’audience publique du 10 février 2003, le tribunal souleva, en application de l’article 334 du code de procédure pénale (« CPP »), la question de la requalification juridique des faits compte tenu de l’entrée en vigueur, le 3 août 2000, de la loi no 143 du 26 juillet 2000 relative à la lutte contre le trafic et la consommation illicite de drogues (ci-après « la loi no 143/2000 »). Cette nouvelle loi abrogeait l’article 312 du code pénal en ce qui concernait les drogues. Le tribunal estimait que les faits incriminés s’apparentaient à une tentative d’infraction, réprimée par l’article 3 § 2 (le fait d’introduire ou de sortir du pays ainsi que d’importer ou d’exporter de manière illégale des drogues dures) combiné avec l’article 10 (la planification, la direction ou le financement des faits décrits dans plusieurs articles de la loi, dont l’article 3 précité) de la loi no 143/2000. Le tribunal fit valoir que cette dernière loi était plus favorable aux inculpés, compte tenu du montant des peines prévues, et que la requalification des faits était autorisée par l’article 13 du code pénal régissant l’application de la loi pénale plus douce aux intéressés. L’avocat du requérant acquiesça à la nouvelle qualification des faits et le requérant s’en remit au tribunal quant à cet aspect. Le parquet demanda la condamnation des inculpés pour l’infraction commise réprimée par les articles précités et non pour tentative d’infraction. Par un jugement du même jour, le tribunal de première instance d’Arad estima peu crédibles les dépositions contradictoires faites devant lui et acquitta le requérant du chef de l’infraction réprimée par l’article 312 § 2 du code pénal. En revanche, il condamna N.S. à huit ans de prison ferme pour tentative d’organisation d’introduction dans le pays de drogues dures, en application de l’article 10 combiné avec l’article 3 § 2 de la loi no 143/2000. Le parquet et N.S. interjetèrent appel auprès du tribunal départemental d’Arad. Le parquet demanda la condamnation des inculpés pour infraction consommée à la loi no 143/2000. Les débats eurent lieu le 10 septembre 2003. L’avocat du requérant demanda que l’appel soit rejeté et que le jugement rendu en première instance soit confirmé. Il déposa des conclusions écrites qui ne contenaient pas de commentaires explicites sur la requalification éventuelle des faits. Le requérant plaida à nouveau son innocence. Par un arrêt du 17 septembre 2003, le tribunal départemental d’Arad requalifia les faits reprochés au requérant en tentative d’infraction à la loi no 143/2000, et maintint son acquittement. Il confirma la condamnation de N.S. Le parquet et N.S. formèrent un recours. Le parquet demanda à nouveau la condamnation des inculpés pour infraction consommée à la loi no 143/2000. Les débats eurent lieu le 17 décembre 2003 devant la cour d’appel de Timişoara. L’avocat du requérant demanda que le recours soit rejeté et déposa des conclusions écrites qui ne contenaient pas de commentaires explicites sur la requalification éventuelle des faits. Le requérant eut l’occasion de s’exprimer en dernier et clama à nouveau son innocence. Par un arrêt du 18 décembre 2003, la cour d’appel accueillit le recours du parquet, annula le jugement du tribunal de première instance d’Arad et rejugea l’affaire sur le fond. Elle condamna le requérant et N.S. pour l’infraction prévue à l’article 10 combiné avec l’article 3 § 2 de la loi no 143/2000 à respectivement quinze et dix-sept ans de prison ferme et à l’interdiction de l’exercice de certains droits. La cour d’appel estima que la participation du requérant à la planification de l’opération était prouvée par les dépositions de M.H. devant le parquet et par celles de M.M. devant le parquet et le tribunal de première instance, dépositions corroborées par les déclarations des membres de la famille de M.M. Le 7 janvier 2004, un mandat d’arrêt fut émis au nom du requérant, mais il ne fut pas mis à exécution étant donné que le requérant avait quitté la Roumanie le 18 décembre 2003. En 2008, sur le fondement du nouvel article 386 e) du CPP, le requérant forma une contestation (contestaţie în anulare) contre l’arrêt du 18 décembre 2003. Il estimait que les dispositions de l’article 38516 du CPP avaient été méconnues étant donné que la juridiction de recours l’avait condamné sans qu’il soit entendu en personne et sans qu’aucune preuve ne soit administrée devant lui. Par un arrêt du 27 juin 2008, la cour d’appel de Timişoara accueillit la contestation du requérant, annula l’arrêt du 18 décembre 2003 et ordonna le réexamen du recours. Pour ce faire, la cour d’appel nota que le requérant n’avait pas été entendu en personne, comme l’exigeait le nouvel article 38516 du CPP, ainsi que par la jurisprudence Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, CEDH 2000-VIII) de la Cour. Lors du réexamen du recours, le requérant demanda à plusieurs reprises la citation de son coïnculpé, N.S., mais la cour d’appel lui opposa un refus, indiquant que la procédure avait été rouverte uniquement à son égard. Lors de l’audience du 26 janvier 2009, le requérant invoqua l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 38515 § 2 d) du CPP qu’il estima contraire à la Constitution, à l’article 2 § 1 du Protocole no 7 à la Convention et à l’article 14 § 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce qu’il permettait à la juridiction de recours de prononcer pour la première fois la condamnation d’une personne sur la base des preuves administrées uniquement devant les tribunaux inférieurs. Il invoqua à l’appui l’arrêt de la Cour adopté dans la requête Spînu c. Roumanie (no 32030/02, 29 avril 2008). La cour d’appel transmit l’exception soulevée à la Cour constitutionnelle, accompagnée de son point de vue. Elle estimait que l’article mentionné par le requérant était conforme à la Constitution en ce qu’il permettait à la juridiction de recours de réinterpréter les preuves administrées par les tribunaux inférieurs dans le but de découvrir la vérité. Par une décision du 19 mai 2009, la Cour constitutionnelle rejeta l’exception soulevée, estimant qu’il est loisible à l’intéressé de proposer la production de preuves utiles et pertinentes pour l’affaire au stade du recours et que le tribunal rend sa décision de condamnation après l’appréciation des preuves ainsi administrées. Lors de l’audience du 6 octobre 2009, le requérant invoqua également l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 392 § 1 du CPP régissant la contestation (contestaţie în anulare) qui dit que le tribunal, après avoir accueilli une telle voie de recours, procède soit tout de suite soit après avoir reporté l’audience, au réexamen de l’affaire. Le requérant estimait que cette disposition empêchait le tribunal de citer à comparaître toutes les parties à la procédure, et en particulier son coïnculpé, et cela en méconnaissance du principe du contradictoire et donc de son droit à un procès équitable au sens de l’arrêt adopté par la Cour dans la requête Spînu précitée. La cour d’appel refusa de saisir la Cour constitutionnelle de l’exception invoquée, considérant qu’elle ne concernait pas l’objet de la procédure. Lors de l’audience du 22 mars 2010, le requérant demanda que les pièces des dossiers dans les procédures à la fin desquelles M.M. et M.H. avaient été condamnées par les tribunaux russes, y compris les drogues confisquées par les autorités russes, soient versées au dossier. Il requit en outre que la procédure de reconnaissance officielle des décisions définitives de condamnation soit entamée. La cour d’appel estima que ces preuves n’étaient pas utiles pour l’affaire, étant donné le simple statut de témoins de M.M. et de M.H. dans l’affaire, et rejeta dès lors les demandes du requérant. L’affaire fut reportée à plusieurs reprises sur demande des avocats du requérant qui étaient dans l’impossibilité de se présenter devant la cour d’appel ou en raison de l’absence du requérant aux audiences. Une nouvelle demande de saisine de la Cour constitutionnelle d’une exception d’inconstitutionnalité, ainsi que deux demandes de dépaysement du requérant furent en outre rejetées. Le 31 janvier 2011, le requérant comparut devant la cour d’appel qui l’entendit en audience publique. Aucun témoin ne fut entendu par la cour d’appel. Par un arrêt du même jour, la cour d’appel de Timişoara condamna le requérant du chef de l’infraction prévue à l’article 10 combiné avec l’article 3 § 2 de la loi no 143/2000 à quinze ans de prison ferme et à l’interdiction de l’exercice de certains droits. La cour d’appel estima que la participation du requérant à la planification, à la direction et au financement de l’opération était prouvée par les dépositions de M.H. devant le parquet et par celles de M.M. devant le parquet et le tribunal de première instance, dépositions corroborées par les déclarations des membres de la famille de M.M.. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code de procédure pénale (« CPP ») en vigueur à l’époque des faits Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées : Article 341 « Avant de clore les débats, le président de la formation de jugement doit donner la parole en dernier à l’inculpé présent. Pendant que l’inculpé a la parole en dernier, il ne peut pas être interrogé. Si l’inculpé fait état de nouveaux faits ou circonstances, essentiels pour le jugement de l’affaire, le tribunal ordonne la reprise de l’enquête judiciaire. » Article 38514 « La juridiction statuant sur un pourvoi en recours examine l’arrêt attaqué en se fondant sur les pièces du dossier et sur tout autre écrit nouveau présenté devant elle. La juridiction de recours doit répondre à tous les moyens de recours invoqués par le procureur et les parties. » Article 38515 « Lorsqu’il statue sur le pourvoi en recours, le tribunal peut (...) faire droit au pourvoi, infirmer la décision attaquée et (...) a) confirmer le jugement rendu en premier ressort, lorsque l’appel a été illégalement admis (...) c) (...) lorsqu’il s’agit de la Cour suprême de justice [devenue la Haute Cour de cassation et de justice], renvoyer l’affaire pour jugement au tribunal dont la décision a été cassée, si l’administration de preuves s’impose (...) d) retenir l’affaire pour la juger à nouveau (...) » Article 38516 « Lorsque le tribunal ayant statué sur le pourvoi en recours retient l’affaire pour la juger à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats (...) » Article 38519 « Lorsqu’un premier jugement a été infirmé, le deuxième procès se déroule conformément aux dispositions des chapitres I (Le procès - Dispositions générales) et II (Le procès en première instance) du titre II, qui s’appliquent mutatis mutandis. » B. Les modifications du code de procédure pénale entrées en vigueur en septembre 2006 Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées : Article 38514 « 1. Lorsque le tribunal statue sur le pourvoi en recours, il doit interroger l’inculpé présent (...), lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. » Article 38516 « Lorsque le tribunal qui a statué sur le pourvoi en recours retient l’affaire pour la juger à nouveau conformément à l’article 385-15 par. 2 d), il se prononce également, par une décision, sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats. Lors des débats, le tribunal doit entendre l’inculpé présent, conformément aux dispositions prévues dans la Partie spéciale, Titre II, Chapitre II, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. » Article 386 e) « Une contestation peut être formée contre les décisions pénales définitives dans les cas suivants : (...) e) si, lors de l’examen ou du réexamen de l’affaire au stade du recours, l’inculpé qui était présent, n’a pas été entendu et que son audition était impérative conformément aux articles 38514 § 11 ou 38616 §1. » Article 4081 « 1. Les décisions définitives prononcées dans des affaires à l’égard desquelles la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation des droits et libertés fondamentaux peuvent faire l’objet d’une révision si les conséquences graves de cette violation perdurent et ne peuvent être supprimées que par la révision de la décision en cause. La révision peut être demandée par : a) la personne dont le droit a été méconnu ; b) l’époux ou les parents proches du condamné, même après le décès de ce dernier ; c) le procureur. La demande de révision est déposée auprès de la Haute Cour de cassation et de justice, qui statue en formation de neuf juges. Le délai de présentation de la demande de révision est d’un mois à partir de la date de la décision définitive de la Cour européenne des droits de l’homme. (...) Lorsque le tribunal constate que la demande est fondée, il : a) annule en partie la décision, en ce qu’elle affectait le droit méconnu, et statue sur le fond de l’affaire selon les dispositions du chapitre III, section II, en remédiant aux conséquences de la violation ; b) annule la décision et, si de nouvelles mesures d’instruction sont nécessaires, ordonne le réexamen de l’affaire par le tribunal dont la décision se trouve à l’origine de la violation, selon les dispositions du chapitre III, section II (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1945 et 1969 et résident à Bursa. Le 15 mars 1999, selon le procès-verbal établi le même jour à 14 h 30 par trois policiers, les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue. L’un des fils du premier requérant était recherché par la police. Le même jour, Fikret Dağabakan, un autre fils de Mehmet Dağabakan, fut également placé en garde à vue, puis libéré à 17 h 30. Le rapport médical collectif établi le 15 juin 1999 à 17 h 50 au nom de Çetin Yıldırım et de Fikret Dağabakan précisa qu’ils n’avaient pas de plaintes relatives à des violences. Le rapport mentionnait une « absence de [traces de] violence » (Darp izine rastlanmadı) sur leurs corps. Toujours le 15 juin 1999, les requérants déposèrent une plainte pénale pour mauvais traitements à l’encontre des responsables de leur garde à vue. Dans leur plainte, ils indiquaient ce qui suit : Bülent, un fils de Mehmet Dağabakan, était recherché pour escroquerie ; les policiers les avaient arrêtés ; ils avaient tous deux été frappés et injuriés par le commissaire de police M.D. Le rapport médical du 17 juin 1999 établi par l’institut médicolégal de Bursa indiqua que Çetin Yıldırım présentait sous le côté gauche du menton une enflure et une sensibilité ; l’institut demandait le transfert du requérant à l’hôpital public de Bursa pour examen puis son retour à l’institut avec le rapport correspondant aux examens effectués. Le 18 juin 1999, Çetin Yıldırım fut entendu par le procureur de la République de Bursa. Il déclara ceci : – Le 15 juin 1999 il se trouvait chez son oncle maternel Mehmet Dağabakan en compagnie de son fils Fikret Dağabakan. Puis sur appel téléphonique de la police, son oncle s’était rendu au commissariat. Peu de temps après, plusieurs policiers en tenue civile s’étaient rendus au domicile de son oncle pour les emmener, lui et Fikret Dağabakan, au commissariat de police. A son arrivée au commissariat de police, le commissaire M.D. l’avait frappé à coups de poings et de pieds. Ce commissaire avait également injurié son oncle. Puis, tous les trois avaient été placés dans une même cellule. Mehmet Dağabakan avait été mis en liberté aussitôt après, alors que Fikret Dağabakan et lui-même étaient restés en garde à vue. Le 21 juin 1999, le procureur de la République entendit Mehmet Dağabakan. Il fit la déposition suivante : – Il avait été convoqué au commissariat de police au sujet d’un de ses fils, qui était recherché par la police au motif qu’il aurait acheté une voiture sans avoir payé le vendeur. Le commissaire M.D. lui aurait ordonné de retrouver son fils et l’aurait injurié. Il portait plainte contre ce commissaire pour atteinte à sa dignité. Le 21 juin 1999, le procureur de la République entendit Fikret Dağabakan, qui réitéra la déposition de Çetin Yıldırım. Le rapport médical du 22 juin 1999 établi par l’hôpital public de Bursa indiqua que Çetin Yıldırım avait subi un examen radiologique et qu’il se plaignait de douleurs sur la mandibule gauche. Il précisait que l’avis médical définitif devait être rendu par l’institut médicolégal. A ce rapport étaient joints les radiographies et le rapport du radiologue. Le rapport médical du 3 août 1999 établi par l’institut médicolégal de Bursa indiqua que la radiographie de Çetin Yıldırım montrait sous le côté gauche du menton une enflure et une sensibilité. Il concluait à une incapacité de travail de trois jours. Par un acte d’accusation du 7 septembre 1999, le procureur de la République de Bursa engagea, sur le fondement de l’ancien article 245 du code pénal, une action pénale contre le commissaire M.D. Il indiquait dans cet acte que le commissaire avait placé les requérants en garde à vue pour les obliger à révéler l’endroit où se cachait Bülent ou à retrouver celui-ci et à le livrer à la police. Il mentionnait en outre que Çetin Yıldırım avait eu une incapacité temporaire de travail de trois jours. Lors de l’audience du 7 décembre 1999, Mehmet Dağabakan expliqua avoir été convoqué au commissariat à plusieurs reprises au sujet de son fils recherché par la police. Le 15 juin 1999, le commissaire, après lui avoir une nouvelle fois demandé l’endroit où se cachait son fils, l’aurait injurié puis placé en garde à vue. Le 7 décembre 1999, Mehmet Dağabakan et Çetin Yıldırım se constituèrent « partie intervenante » (müdahil) dans la procédure pénale engagée contre le commissaire en question, en réservant leurs droits personnels. Lors de l’audience du 5 avril 2000, le tribunal correctionnel entendit comme témoin Fikret Dağabakan, fils de Mehmet Dağabakan. Fikret Dağabakan déclara qu’il avait été emmené au commissariat avec Çetin Yıldırım, que celui-ci avait été battu par le commissaire M.D. et que le commissaire avait également injurié son père, Mehmet Dağabakan. Par un jugement du 6 juillet 2000, le 7e tribunal correctionnel de Bursa acquitta le commissaire de police pour absence de preuve déterminante et suffisante. Dans ses attendus, le tribunal indiquait ce qui suit : Mehmet Dağabakan n’avait subi aucun mauvais traitement ; le rapport médical établi le jour de l’arrestation indiquait qu’il n’y avait aucune trace de violence sur le corps de Çetin Yıldırım ; le rapport médical établi le 17 juin 1999, deux jours après la fin de la garde à vue, par l’institut médicolégal constatait que Çetin Yıldırım avait été blessé et qu’il avait besoin d’un arrêt de travail de trois jours. Toujours dans ses attendus, considérant que le témoin Fikret Dağabakan était un plaignant (olayın müştekisi olduğu), le tribunal ne prit pas en considération son témoignage. Le 15 août 2000, en leur qualité de « partie intervenante », les requérants formèrent un pourvoi contre ce jugement devant la Cour de cassation. Par un arrêt du 15 février 2002, la Cour de cassation infirma le jugement du tribunal correctionnel de Bursa du 6 juillet 2000. A l’audience du 24 septembre 2003, le tribunal correctionnel entendit le médecin A.Ö., membre de l’institut médicolégal de Bursa. Il déclara que le rapport médical du 15 juin 1999 avait été établi sans que Çetin Yıldırım ait été correctement examiné par le médecin, alors que le rapport médical du 17 juin 1999 avait, lui, bien été établi après que Çetin Yıldırım ait été examiné correctement pour déterminer s’il avait subi des violences. Le médecin A.Ö. confirma les lésions constatées dans le rapport médical du 17 juin 1999. Par un jugement du 14 octobre 2003 le tribunal correctionnel de Bursa condamna le commissaire M.D. à une peine d’emprisonnement de six mois et à l’exclusion de la fonction publique pour une durée de six mois pour mauvais traitements. Considérant toutefois le comportement du policier et le fait que son casier judiciaire était vierge, et convaincu par là que l’intéressé ne commettrait plus d’infraction à l’avenir le tribunal se fondant sur l’article 6 de la loi no 647 ordonna le sursis à l’exécution de la peine (teciline). Par un arrêt du 26 janvier 2006, à la suite de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, la Cour de cassation infirma le jugement du tribunal correctionnel de Bursa du 14 octobre 2003. Par un jugement du 14 septembre 2006, le tribunal correctionnel de Bursa réitéra son jugement du 14 octobre 2003. Le 6 novembre 2006, les requérants déposèrent leur mémoire ampliatif devant la Cour de cassation. Par un arrêt du 11 juin 2008, la Cour de cassation déclara l’action publique éteinte par la prescription. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne en vigueur à l’époque des faits est présenté dans les arrêts Batı et autres c. Turquie (nos 33097/96 et 57834/00, §§ 96100, CEDH 2004IV) et Okkalı c. Turquie (no 52067/99, §§ 47-53, CEDH 2006XII). Il convient également d’avoir égard à la modification du code pénal entrée en vigueur le 1er juin 2005 Ciğerhun Öner c. Turquie (no 2), (no 2858/07, §§ 72-76, 23 novembre 2010). L’article 243 de l’ancien code pénal disposait : « Le président et les membres d’un tribunal ou d’un organisme officiel ou tout autre fonctionnaire qui, pour faire avouer des délits, torturent ou commettent des sévices, se rendent coupables d’actes inhumains ou violent la dignité humaine seront punis de cinq ans de réclusion au maximum et de l’interdiction à perpétuité ou à temps d’exercer des fonctions publiques. » L’article 6 § 1 de la loi no 647 sur l’exécution des peines se lit ainsi : « Quiconque n’ayant jamais été condamné (...) à une peine autre qu’une amende et se voyant infliger (...) une amende (...) et/ou une peine d’emprisonnement d’un an [maximum] peut bénéficier d’un sursis à l’exécution de cette peine, si le tribunal est convaincu que [l’auteur], compte tenu de [sa] tendance à transgresser la loi, se gardera de récidiver si on lui accorde un tel sursis (...) » Concernant les conditions dans lesquelles une victime peut devenir « partie intervenante » dans une action publique, la Cour se réfère à l’aperçu du droit interne figurant dans l’arrêt Beyazgül c. Turquie (no 27849/03, §§ 34-36, 22 septembre 2009).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Budapest. Il a indiqué que, né en Roumanie et appartenant à la minorité hongroise, il a quitté la Roumanie pour s’installer en Hongrie à une date qu’il n’a pas précisée. Il a affirmé qu’à l’époque des faits il ne maîtrisait plus la langue roumaine. A. Le placement du requérant en détention provisoire et la prolongation de cette mesure Le 13 mai 2006, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice (« le parquet ») ordonna le placement du requérant en garde à vue, au motif qu’il était soupçonné d’avoir commis le délit de trafic de drogue. Le 14 mai 2006, sur demande du parquet, le tribunal départemental de Harghita (« le tribunal départemental ») ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour vingt-neuf jours, au motif qu’il existait des éléments permettant de le soupçonner de trafic de drogue. Le tribunal départemental prolongea à plusieurs reprises, pendant sept mois, la détention provisoire du requérant, chaque fois en présence de l’intéressé et de l’avocat qu’il avait choisi. Par un jugement du 26 janvier 2007, le tribunal départemental condamna le requérant à dix ans de prison ferme du chef de trafic de drogue (paragraphe 16 ci-dessous). Le requérant interjeta appel devant la cour d’appel de Târgu-Mureş (« la cour d’appel »). Lors de l’audience du 23 mars 2007, la cour d’appel soumit au débat des parties la question de la nécessité de prolonger la détention provisoire du requérant. L’intéressé, présent à l’audience, était assisté par un avocat commis d’office. Par un jugement avant dire droit rendu le même jour, la cour d’appel prolongea la détention provisoire du requérant. Elle releva par ailleurs que celui-ci avait renoncé à bénéficier de l’assistance d’un interprète, au motif qu’il aurait maîtrisé suffisamment le roumain pour défendre ses droits. Le requérant forma un recours contre ce jugement avant dire droit, avançant que, lors de l’audience du 23 mars 2007, il n’avait pas été assisté par un interprète. Par un arrêt définitif du 4 avril 2007, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta le recours du requérant, au motif que l’intéressé avait déclaré n’avoir pas besoin de l’assistance d’un interprète et que ses droits avaient été défendus par un avocat commis d’office. B. La procédure pénale engagée contre le requérant Par un réquisitoire du 6 juin 2006, le parquet ordonna le renvoi en jugement du requérant devant le tribunal départemental du chef de trafic de drogue. Pendant la procédure en première instance, le requérant fut assisté par un avocat de son choix, S.F. Le 14 juillet 2006, il demanda au tribunal départemental de désigner un interprète de langue hongroise pour l’assister dans la procédure, alléguant qu’il n’était pas en mesure de s’exprimer en roumain. D’après le dossier, le tribunal départemental ne répondit pas à sa demande. Par un jugement du 26 janvier 2007, le tribunal départemental condamna le requérant à dix ans de prison ferme du chef de trafic de drogue. Il fonda sa décision sur les déclarations du requérant et celles d’autres inculpés, sur les procès-verbaux de flagrant délit et de perquisition et sur les conclusions d’une expertise technique. Le requérant interjeta appel. Il reprochait au tribunal départemental de l’avoir condamné à une peine très lourde sans avoir pris en compte qu’il aurait collaboré avec les enquêteurs et qu’il existerait des circonstances atténuantes. Le parquet interjeta également appel. L’affaire fut transférée devant la cour d’appel. Le requérant était représenté par un avocat de son choix et, le 29 juin 2007, un interprète de langue hongroise fut désigné pour l’assister dans la procédure. Par un arrêt du 29 octobre 2007, la cour d’appel fit partiellement droit à l’appel du parquet et condamna le requérant à une peine de quinze ans et quatre mois de prison du chef de trafic de drogue. Le requérant forma un recours devant la Haute Cour de cassation et de justice. Il alléguait que les accusations formées contre lui dans le réquisitoire n’avaient pas été soumises au débat des parties, que l’arrêt contesté n’était pas suffisamment motivé, que la cour d’appel n’avait pas examiné ses demandes visant à une réduction de la peine, que les dispositions légales régissant le concours d’infractions n’avaient pas été correctement appliquées, que les preuves n’avaient pas été correctement interprétées et que la peine infligée n’avait pas été correctement évaluée. Pendant la procédure de recours, le requérant fut représenté par un avocat de son choix et assisté d’un interprète. Les débats eurent lieu le 22 février 2008. Utilisant la possibilité de prendre la parole en dernier avant la clôture des débats, le requérant déclara qu’il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un interprète pendant les poursuites pénales et qu’il regrettait les faits. Par un arrêt définitif du 7 mars 2008, la Haute Cour de cassation et de justice fit droit au recours du requérant dans la mesure où elle concernait l’application des dispositions légales sur le concours d’infractions et sur l’évaluation de la peine, et le condamna à une peine de sept ans de prison pour trafic de drogue. C. Les conditions de détention du requérant Le 13 mai 2006, le requérant fut placé dans le dépôt de la police de Miercurea Ciuc. Il fut ensuite détenu dans la prison de Miercurea Ciuc du 11 juillet au 8 août 2006, du 4 septembre 2006 au 22 mars 2007 et du 5 juin 2008 au 28 septembre 2010. Il fut également détenu dans la prison de Bucarest-Jilava du 8 août au 4 septembre 2006 et du 4 décembre 2007 au 5 juin 2008. Du 22 mars au 4 décembre 2007, il fut détenu dans la prison de Târgu-Mureş. Le 28 septembre 2010, il fut mis en liberté conditionnelle. Les conditions de détention à la prison de Bucarest-Jilava a) La version du requérant Le requérant indique que, dans la prison de Bucarest-Jilava, les conditions de détention étaient très mauvaises. Il souligne que les cellules étaient infestées de parasites, notamment de punaises et de poux, et que l’on trouvait des rats et des souris tant dans les cellules que dans la cour de promenade. b) La version du Gouvernement Le Gouvernement affirme que, pendant sa première détention dans cette prison, le requérant a été placé dans une cellule de 44,98 m². Pendant sa deuxième détention dans cette prison, il aurait occupé successivement des cellules de 42,84 m², de 42,66 m², de 33,09 m² et de 44,98 m². L’administration de la prison ne serait pas en mesure d’indiquer le nombre de lits dans ces cellules en raison d’une fluctuation du nombre des détenus. Aux dires du Gouvernement, les détenus avaient accès aux douches deux fois par semaine pendant au moins quinze minutes chaque fois. Les vêtements des détenus auraient été lavés à leur demande à la laverie de la prison, selon un planning hebdomadaire. L’hygiène des cellules et des installations sanitaires aurait relevé de la responsabilité des détenus qui auraient reçu à cette fin des produits de nettoyage et des poubelles. Selon les besoins, les cellules et les installations sanitaires auraient été nettoyées avec, respectivement, de la chaux et du chlore. La désinsectisation et la dératisation des cellules auraient été réalisées par des sociétés spécialisées une fois par trimestre. Les matelas des détenus auraient été remplacés au fur et à mesure de leur dégradation. Il ressort de la lettre adressée par l’Administration nationale des prisons à l’agent du Gouvernement et jointe en annexe aux observations de ce dernier que des pièges avaient été placés dans la prison et qu’ils avaient permis d’éradiquer les populations de rats et de souris. Les conditions de détention dans la prison de Miercurea Ciuc a) La version du requérant Le requérant indique avoir été placé dans une cellule d’une superficie d’environ 30 m² occupée par vingt-cinq détenus. La cellule aurait disposé d’une fenêtre d’une surface d’environ 1 m². Cette fenêtre aurait été partiellement cachée par des lits superposés et, de ce fait, la cellule n’aurait pas bénéficié d’un bon éclairage naturel. Quant à l’éclairage artificiel, il n’y aurait eu que deux lampes équipées d’ampoules de 60 watts, dispensant selon le requérant un éclairage insuffisant. De plus, il aurait fait très froid dans la cellule pendant l’hiver : le chauffage n’aurait fonctionné que trois heures par jour, le sol en béton aurait été glacé et les détenus auraient souffert de problèmes rénaux. La nourriture aurait été de mauvaise qualité : elle aurait très souvent eu une mauvaise odeur et contenu des insectes et des vers. Enfin, en ce qui concernait l’hygiène, la cellule aurait été sale et les matelas très vieux, crasseux et pleins de poussière, ce qui aurait favorisé le développement de différentes allergies et l’apparition de maladies de la peau. b) La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que, du 5 juin 2008 au 8 avril 2009 et du 8 avril 2009 au 28 septembre 2010, le requérant a été détenu dans deux cellules respectivement de 39,50 m² (avec vingt-quatre lits pour vingt­deux à vingt-quatre détenus) et de 20,42 m² (avec douze lits pour dix détenus). Selon le Gouvernement, si lors de son placement en détention le requérant a été mis sous le régime dit « fermé », il a bénéficié du régime dit « semi-ouvert » à partir du 8 avril 2009 jusqu’à sa remise en liberté, le 28 septembre 2010. Sous ce dernier régime, la porte de la cellule aurait été ouverte tous les jours de 8 heures à 12 h 30, de 13 h 45 à 17 heures et de 19 h 45 à 21 h 30, et les détenus auraient bénéficié d’un accès quotidien aux cours de promenade de 8 heures à 12 h 30 et de 13 h 45 à 17 heures. La prison aurait été branchée au réseau public de distribution d’eau potable. La qualité de l’eau aurait été vérifiée régulièrement par les autorités. La nourriture aurait été préparée dans le respect des normes pénitentiaires en la matière. Les détenus auraient bénéficié de l’eau chaude deux jours par semaine, avec possibilité d’en voir prolonger la distribution afin que l’hygiène de tous les détenus fût assurée. La mise en route du chauffage aurait été fonction de la saison et de la météo. Pendant les périodes froides, des couvertures supplémentaires auraient été distribuées aux détenus. En ce qui concernait les conditions d’hygiène, les produits de nettoyage auraient été distribués aux détenus tous les mois par l’administration de la prison. Des sociétés spécialisées auraient été chargées de la désinfection trimestrielle des cellules. Les demandes adressées par le requérant aux autorités administratives des prisons et au juge délégué Le 30 avril 2008, le requérant demanda une audience devant le juge délégué auprès de la prison de Bucarest-Jilava pour « clarifier » son transfert dans la prison de Târgu-Mureş et discuter « des conditions de vie inhumaines qu’il subissait ». Le juge délégué informa le requérant que sa demande d’audience ne remplissait pas les conditions requises par la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et qu’il n’avait pas compétence pour ordonner ou contrôler le transfert de détenus. Le 20 novembre 2009, le requérant demanda à l’administration de la prison de Miercurea Ciuc de retirer trois lits de sa cellule pour cause de manque d’espace. L’administration rejeta sa demande au motif qu’il s’agissait de l’unique cellule de non-fumeurs existant au sein de la section III de la prison. Le 24 août 2010, le requérant, précisant qu’il travaillait à la récolte des pommes de terre, demanda à l’administration de la prison de Miercurea Ciuc de lui permettre de prendre une douche chaque jour. L’administration rejeta sa demande au motif qu’elle ne disposait pas des moyens (nu avem posibilități) permettant d’assurer des douches quotidiennes. D. Le suivi dentaire du requérant en prison Pendant sa détention, le requérant souffrit de maux de dents. Il fut conduit plusieurs fois au cabinet dentaire de la prison de Târgu-Mureş, où le dentiste lui obtura une dent. Pendant son séjour dans la prison de Bucarest-Jilava, le requérant fut traité le 12 décembre 2007 ainsi le 17 janvier et le 17 mars 2008 pour des caries et, le 13 mai 2008, il fut transféré à l’hôpital prison de Bucarest­Rahova pour une névralgie dentaire. Pendant sa détention à Miercurea Ciuc, le requérant fut présenté vingt-trois fois au cabinet dentaire de la prison. Insatisfait de la qualité des soins prodigués, il demanda à être transféré sous escorte dans un cabinet dentaire privé. Ayant été informé que, en vertu de l’article 28 de l’arrêté no 1897 du 21 décembre 2006, il aurait à supporter les coûts d’une telle intervention et ayant accepté ces conditions le 21 décembre 2009, il fut conduit, le 22 décembre 2009, sous escorte dans un cabinet privé pour un examen et des soins. Il fut ensuite suivi par le dentiste de la prison de Miercurea Ciuc. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes et internationaux concernant les conditions de détention Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, y compris la section des détenus dangereux de la prison de Bucarest-Jilava, le CPT a constaté que la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules avait été fixée à 4 m² ou 8 m3. Il a recommandé aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires au respect de cette norme dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. En revanche, le Comité s’est montré très gravement préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules. Rédigé à la suite d’une visite effectuée en Roumanie par les membres du Bureau du Commissaire aux Droits de l’Homme du 13 au 17 septembre 2004, un rapport, publié le 29 mars 2006, fournit des renseignements sur la prison de Bucarest-Jilava. Le rapport qualifie les conditions de détention dans cet établissement de « particulièrement difficiles » et la situation d’« alarmante ». Il y est souligné en outre que « toutes les installations étaient vétustes, les fenêtres incapables de filtrer le froid et le mobilier d’un autre temps ». Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux Etats membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008). B. Le code de procédure pénale Selon l’article 38510 du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, le pourvoi en recours devait être motivé par écrit dans un mémoire séparé et déposé auprès du tribunal ayant compétence pour juger ce pourvoi, et ce au moins cinq jours avant la date de la première audience.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Florea et Bucureşteanu, sont nés respectivement en 1953 et 1976 et résident à Târgovişte. Le deuxième requérant est le fils du premier requérant. A. L’agression de Bucureşteanu et la procédure pénale engagée Le 12 août 2000, le requérant fut agressé par plusieurs personnes. Il fut admis à l’hôpital des urgences de Bucarest, avec le diagnostic suivant : traumatisme crânio-cérébral, fracture des os de l’avant-bras droit, fracture des côtes et plaie au niveau des sourcils. Il quitta l’hôpital le 22 août 2000. Par un certificat du 30 octobre 2000, le laboratoire médico-légal de Dâmboviţa conclut que le requérant avait eu besoin de 80 à 85 jours de soins médicaux. Le 29 août 2000, le requérant porta plainte devant le parquet contre huit personnes du chef d’atteinte grave à l’intégrité corporelle, délit prévu par l’article 182 du code pénal (ci-après « CP »). Il réitéra sa plainte le 30 août 2000 devant la police. Le parquet entendit le requérant, ses parents, douze témoins, ainsi que sept des huit personnes indiquées par le requérant comme étant les agresseurs. Ces derniers nièrent avoir agressé le requérant. Par une décision du 9 août 2001, le parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte ordonna l’ouverture de poursuites contre quatre des personnes citées par le requérant et rendit un non-lieu pour les quatre autres. Néanmoins, le 30 novembre 2001, compte tenu des dépositions contradictoires des personnes entendues, le parquet décida la clôture des poursuites au motif que l’agression n’avait pas été commise par les personnes indiquées par le requérant. L’affaire fut renvoyée devant la police judiciaire pour la poursuite de l’instruction aux fins de l’identification des agresseurs. Le 28 février 2002, le requérant fit une offre de preuve par témoins, à savoir sa compagne et son oncle. Ceux-ci furent entendus par la police. Ils déclarèrent avoir assisté à l’agression du requérant et identifièrent plusieurs personnes qui avaient porté des coups à celui-ci. Le 12 juillet 2002, la police ouvrit des poursuites pénales in rem au sujet de l’agression du requérant. Faute de renseignements de la part des autorités sur le déroulement de l’enquête, le requérant et ses parents envoyèrent plusieurs lettres au parquet près la Haute Cour de cassation et de justice et à la direction générale de la police nationale afin de demander des informations supplémentaires quant au stade de l’enquête et de dénoncer la longueur de la procédure. Par une lettre du 16 octobre 2003, la direction générale de la police nationale les informa que l’enquête était en cours devant la police judiciaire de Târgovişte. Par un procès-verbal du 6 août 2004, les autorités d’enquête décidèrent la réouverture des poursuites à l’encontre de quatre des agresseurs présumés. En octobre 2004, la police judiciaire communiqua l’affaire au parquet avec une proposition de renvoi en jugement de quatre personnes qui avaient été reconnues par deux témoins, autres que la compagne et l’oncle du requérant, comme étant les agresseurs de ce dernier. Cependant, le 16 décembre 2004, le parquet décida à nouveau la clôture des poursuites à l’égard desdites personnes et le renvoi de l’affaire devant la police judiciaire pour la poursuite de l’instruction. Le parquet constata que la thèse de l’agression du requérant par les personnes qu’il avait indiquées comme étant ses agresseurs n’était confirmée que par un témoin, V.D., qui avait déjà été entendu les 20 avril et 16 septembre 2004. Le parquet décida toutefois d’écarter cette déposition au motif que le même témoin avait donné une version des faits différente lors de sa première audition, le 7 mai 2001. Le parquet mentionna également que la famille du requérant et celle des agresseurs présumés étaient connues dans la ville comme appartenant à des « groupes de délinquants». L’affaire fut réinscrite au rôle de la police judiciaire de Târgovişte. Le 15 mars 2006, la police judiciaire de Târgovişte demanda à la direction départementale de Prahova de soumettre un agresseur présumé au test du polygraphe. Il ne ressort pas des pièces du dossier si le test a effectivement été réalisé. Le 21 août 2006, trois des agresseurs présumés furent cités à comparaître devant la police pour être interrogés. Ceux-ci refusèrent de faire des déclarations écrites et mentionnèrent qu’ils maintenaient leurs déclarations antérieures. Le requérant et sa mère demandèrent à plusieurs reprises au cours des années 2004 – 2007 des renseignements sur l’affaire auprès de la police judiciaire de Târgovişte, du parquet national anti-corruption, du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice, de la direction d’investigation du crime organisé et du terrorisme, du ministère de la justice et du président de la République. A chaque reprise, les autorités leur répondirent que l’enquête était en cours. Dans une lettre du 22 juin 2006, la police judiciaire de Târgovişte les informa que l’enquête continuait étant donné que le parquet avait estimé que les pièces du dossier ne permettaient pas de conclure que les agresseurs présumés avaient commis les faits. Dans une lettre du 17 septembre 2007, la police ajouta que, malgré la poursuite de l’enquête, le dossier avait été enregistré dans la catégorie des affaires avec « auteur inconnu » eu égard aux décisions du parquet des 30 novembre 2001 et 16 décembre 2004 de clore les poursuites contre quatre des personnes qu’il avait indiquées dans sa plainte pénale comme étant les agresseurs. Le requérant affirme que pendant cette période les autorités ont refusé de lui fournir des photocopies des pièces du dossier. Les décisions du parquet du 30 novembre 2001 et du 16 décembre 2004 (paragraphes 11 et 17 ci-dessus), ne furent pas notifiées au requérant. Il prit connaissance de leur contenu par l’intermédiaire de son avocat, le 13 septembre 2010. Par une décision du 27 décembre 2010, le parquet classa l’affaire pour cause de prescription de la responsabilité pénale en vertu de l’article 122 § 1 c) du CP. Cette décision fut notifiée au requérant. Le Gouvernement produit devant la Cour une lettre de la direction départementale de police de Dâmboviţa du 18 mai 2012 attestant que toutes les pétitions et réclamations reçues pendant la période novembre 2001 – mars 2004 ont été détruites conformément aux dispositions légales concernant l’archivage des documents de la police. Il produit également deux lettres du parquet près le tribunal de première instance de Târgovişte des 15 et 18 mai 2012 attestant qu’aucune demande écrite de la part du requérant n’a été enregistrée pour la période novembre 2001 – mars 2004 et que ses décisions des 30 novembre 2001 et 16 décembre 2004 ont été communiquées à la demande de l’avocat du requérant, le 12 juillet 2011. B. La détention provisoire de Florea Bucureşteanu Le 17 juillet 2006, le domicile du requérant fut attaqué par les membres d’une « bande » qui auraient proféré des menaces et auraient tiré des coups de feu. En conséquence, la famille du requérant demanda l’aide de la police. Dans la nuit du 17 au 18 juillet 2006, une fusillade eut lieu dans les rues à proximité du domicile du requérant. Par une décision du procureur, à 5 h du matin le 18 juillet 2006, le requérant Florea Bucureşteanu fut placé en garde à vue. Par une décision du même jour, le parquet ouvrit des poursuites pénales et mit le requérant en examen du chef de tentative de meurtre (article 174-175 du CP) et de détention illégale d’armes (article 279 du CP). Le même jour, par une décision du tribunal départemental de Dâmboviţa, le requérant fut placé en détention provisoire pour une période de 29 jours, du 19 juillet au 16 août 2006. Il était accusé d’avoir tiré un coup de feu, avec un pistolet qu’il détenait illégalement, dans la direction d’une voiture dans laquelle se trouvaient quatre personnes, la balle ayant touché la fesse droite d’une d’entre-elles. Le tribunal jugea qu’il y avait des raisons plausibles de croire que le requérant avait commis les infractions de tentative de meurtre et de détention illégale d’armes. Le tribunal constata que trois témoins avaient déclaré avoir vu le requérant tirant avec un pistolet dans la direction d’une voiture. En outre, lors de la perquisition réalisée au domicile du requérant, la police avait trouvé plusieurs munitions. Le tribunal se référa également aux documents médicaux produits au dossier, au rapport d’expertise technique concernant la voiture impliquée dans l’incident et aux rapports de recherche sur les lieux. Le tribunal jugea également que la détention provisoire du requérant était justifiée, au sens de l’article 148 § 1 h) du code de procédure pénale, par des raisons d’ordre public, eu égard aux circonstances de faits, aux effets produits ou qui auraient pu se produire, au comportement extrêmement agressif du requérant, à son attitude non sincère et au fait qu’il avait attenté à la vie d’autrui. Le requérant, qui était assisté par deux avocats choisis, fut entendu par le tribunal. Par une décision du 21 juillet 2006, sur contestation du requérant, la cour d’appel de Ploieşti confirma la décision du tribunal départemental de Dâmboviţa du 18 juillet 2006. Le 21 août 2006, le parquet étendit les poursuites pénales contre le requérant du chef d’usage illégal d’arme létale (article 136 de la loi no 295/2004 sur le régime des armes et des munitions). La détention provisoire fut prolongée par le tribunal départemental de Dâmboviţa consécutivement les 11 août, 11 septembre, 3 octobre, 3 novembre, 4 décembre 2006, 8 janvier, 5 février, 6 mars, 3 avril, et 1er juin 2007, au motif que les raisons de placement en détention initiale persistaient. Lors des audiences des 15 septembre et 3 octobre 2006, et de celle du 1er juin 2007, le tribunal écarta les demandes du requérant tendant au remplacement de la détention provisoire par l’interdiction de quitter la ville ou le pays. Le requérant forma des recours contre les décisions des 11 septembre, 3 octobre et 4 décembre 2006, ainsi que contre celles des 8 janvier et 1er juin 2007. Les recours du requérant furent rejetés par la cour d’appel de Ploieşti qui constata que le requérant était récidiviste (ayant déjà été condamné pour vol), qu’il y avait des risques qu’il essaie d’entraver la recherche de la vérité en influençant certains témoins, compte tenu notamment du conflit entre la famille du requérant et le groupe dont faisait partie la victime. Elle releva également la nécessité de rechercher des preuves et d’entendre des témoins. Elle souligna enfin que la remise en liberté du requérant représentait un danger pour l’ordre public étant donné le sentiment d’insécurité qu’elle aurait provoqué dans le public, vu la gravité des infractions pour lesquelles il était inculpé et le fait que le requérant était suspecté d’avoir utilisé en public une arme à feu contre plusieurs personnes. Le requérant fut assisté par deux avocats choisis devant le tribunal départemental de Dâmboviţa et devant la cour d’appel de Ploieşti. Sur réquisitoire du 31 août 2006, le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal départemental de Dâmboviţa, du chef de tentative de meurtre et d’infractions au régime des armes et des munitions. Le tribunal reporta trois audiences sur demande de la victime en vue de son assistance par l’avocat de son choix, et sur demande du requérant ou de la victime en vue d’obtenir des renseignements sur la demande de dépaysement formée par la victime. Après plusieurs reports d’audience, dus au refus de plusieurs témoins de comparaître en vue de leur audition, le tribunal délivra des mandats de comparution et condamna l’un des témoins à une amende. Par un jugement du 13 juillet 2007, le tribunal départemental de Dâmboviţa condamna le requérant à sept ans et demi de prison ferme pour les délits pour lesquels il avait été renvoyé en jugement. Par un arrêt de la cour d’appel de Ploieşti du 12 novembre 2007, la peine du requérant fut réduite à trois ans et demi d’emprisonnement. Cet arrêt fut confirmé en dernier ressort par la Haute Cour de cassation et de justice le 11 mars 2008.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La société hôtelière S. était propriétaire d’un complexe hôtelier dénommé Hôtel Neptuno (ci-après « Hôtel »), situé à Monte Gordo, dans la municipalité de Vila Nova de Santo António, dans la région de l’Algarve. Cet hôtel comprenait 292 appartements, 3 discothèques, 38 locaux commerciaux et autres espaces de restauration et de loisirs. A différentes dates (entre 1989 et 1992), la société S. passa des promesses de vente (contrato promessa) ou de droits réels d’habitation périodique (direito real de habitação periódica) avec les requérants en ce qui concerne différents appartements. En contrepartie, les requérants lui versèrent des sommes au titre des arrhes. Le 22 juillet 1994, l’Associação dos Investidores do Hotel Apartamento Neptuno) - ci-après « l’Association » - fut constituée dans le but de représenter les différentes personnes ayant réalisé des investissements dans l’Hôtel. A. La procédure en redressement judiciaire (affaire interne no 106/93) Le 15 juillet 1993, la société S. demanda l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire (acção de recuperação de empresas) devant le tribunal de Lisbonne. Par une décision du 11 novembre 1993, le tribunal de Lisbonne déclara son incompétence territoriale et renvoya l’affaire devant le tribunal de Vila Real de Santo António. Le tribunal de Vila Real de Santo António informa l’ensemble des créanciers de la société S. de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Consécutivement à l’assemblée des créanciers (assembleia de credores), le tribunal prononça son jugement déclarant la faillite de la société S. le 3 mars 1994. Des créanciers firent appel du jugement devant la cour d’appel d’Évora. Par un arrêt du 17 novembre 1994, la cour d’appel annula le jugement et ordonna la reprise de l’assemblée des créanciers. Par un jugement du 6 novembre 1996, le tribunal de Vila Real de Santo António prononça à nouveau la faillite de S., fixant à 40 jours le délai de réclamation des créances. Dans son jugement, le tribunal nomma également M. A., administrateur judiciaire de la faillite. L’avis de la faillite fut publié au Journal officiel (Diário da República) le 11 décembre 1996. Il fixait au 20 janvier 1997 la date limite de réclamation des créances. B. La procédure de recouvrement des créances (affaire interne no106 B/93) Les requérants réclamèrent leurs créances aux dates indiquées dans le tableau en annexe II. Le 17 avril 1997, le rapport final de l’administrateur judiciaire fut conclu et joint au dossier de la procédure de réclamation des créances. Le 15 mai 1997, le tribunal établit le plan des créances ayant été réclamées. Conformément au nouveau Code de la procédure spéciale de récupération des entreprises (Código dos Processos Especiais de Recuperação da Empresa e de Falência- CPEREF, institué par le Décret loi no 132/93 du 23 avril 1993), par une ordonnance du 19 janvier 1998, le tribunal désigna M. N. comme liquidateur judiciaire, en remplacement de M. A. Au cours de l’année 1998, le liquidateur judiciaire ordonna la saisie de l’Hôtel. Le 25 mai 2001, l’Hôtel fut vendu à la société E., une société d’investissement immobilier. Par une ordonnance du 13 juillet 2001, le tribunal confirma l’adjudication de l’Hôtel à la société E. Certains requérants saisirent le tribunal de Vila Real de Santo António d’une réclamation contestant l’application par le tribunal du Code de la procédure spéciale de récupération des entreprises (ci-après « CPEREF ») dans le cadre de la procédure. N’ayant pas obtenu gain de cause devant le tribunal, ils saisirent la cour d’appel d’Evora, laquelle fit droit à leur demande, reconnaissant, par un arrêt du 27 septembre 2001, qu’en l’espèce, les dispositions du code de procédure civile en vigueur au 15 juillet 1993 devaient être appliquées et non ledit CPEREF. Cet arrêt fut ensuite confirmé par la Cour suprême par un arrêt du 4 juillet 2002. En conséquence, le tribunal de Vila Real de Santo António fut contraint de se prononcer à nouveau sur la validité de divers actes de procédure qui avaient été pratiqués en application du CPEREF. A une date non précisée, le tribunal ordonna l’extinction de la Commission de créanciers. Il déclara toutefois qu’il n’y avait pas lieu d’annuler les différents actes qui avaient été réalisés par le liquidateur judiciaire, notamment la saisie des biens de la société S. et les actes visant la liquidation de l’actif déjà réalisés. Le 5 mai 2009, le tribunal prononça une ordonnance (despacho saneador) portant sur les faits établis et ceux à établir. Dans une requête commune du 16 septembre 2009, les créanciers membres de l’Association contestèrent cette ordonnance. A la date d’introduction de la requête devant la Cour, la procédure était toujours pendante devant le tribunal de Vila Real de Santo António. C. Les procédures d’exécution de contrat La procédure introduite par le requérant M. José Augusto Machado Mota (affaire interne no 6480/04.8TVLSB) Le 8 mars 1992, le requérant M. José Augusto Machado Mota passa avec la société S. une promesse de vente en multipropriété (timeshare) de l’appartement no 907 de l’Hôtel. Le requérant ne réclama pas sa créance dans le cadre de la procédure devant le tribunal de Vila Nova de Santo António. Le 13 novembre 1998, il saisit néanmoins le tribunal d’une demande en exécution de ladite vente (execução específica) contre la masse en faillite et l’administrateur judiciaire. Les 13 et 25 juin 1999, les défendeurs présentèrent leurs défenses. Par une ordonnance du 3 mai 2000, le tribunal de Vila Real de Santo António se déclara territorialement incompétent et renvoya l’affaire devant le tribunal de Lisbonne. Le 6 décembre 2004, le tribunal de Lisbonne sollicita au requérant une copie du jugement du tribunal de Vila Real de Santo António ayant prononcé la faillite de la société S. Le 19 septembre 2005, ce document fut mis à la disposition du requérant, lequel renvoya cette copie au tribunal de Lisbonne. Le 21 septembre 2008, l’administrateur judiciaire décéda. Par une ordonnance du 23 septembre 2008, le tribunal de Lisbonne demanda au requérant de joindre ledit certificat de décès au procès-verbal de procédure. A une date non précisée, le requérant informa le tribunal qu’il ne connaissait pas les héritiers du défendeur en cause, lui demandant de notifier ces derniers par voie d’affichage public. Par une ordonnance du 18 mars 2010, le tribunal débouta le requérant de sa prétention. Par une ordonnance du 8 avril 2011, le tribunal interrompit l’instance en raison de l’absence d’initiative procédurale des parties. A une date non précisée, le requérant réitéra sa demande en vue de la notification, par voie d’affichage public, des héritiers du défendeur décédé. Celle-ci fut à nouveau rejetée par une ordonnance du tribunal du 11 mai 2011. A une date non précisée, le requérant fit appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Lisbonne. Le 30 janvier 2013, le requérant saisit à nouveau le tribunal de Lisbonne, lui demandant de notifier par voie d’affichage public les héritiers du défendeur dans la mesure où il n’avait pu les localiser, malgré diverses démarches entreprises auprès de l’ordre des notaires et le fisc. La procédure introduite par la requérante DIERA - Fábrica de revestimentos, colas e tintas, Lda (affaire interne no 362/98) Le 22 septembre 1998, la requérante DIERA - Fábrica de revestimentos saisit le Tribunal de Vila Real de Santo António d’une action en exécution du contrat de promesse d’achat contre l’administrateur et la masse en faillite. Le 12 novembre 1998, le liquidateur judiciaire présenta sa défense, au nom de la masse en faillite. A la date de l’introduction de la requête devant la Cour, la procédure était toujours pendante devant le tribunal de Vila Real de Santo António. D. Action en responsabilité civil extracontractuelle contre l’État (affaire interne no 433/07.1TBVRS) Le 28 juillet 2007, l’Association saisit le tribunal de Vila Real de Santo António d’une action en responsabilité civile extracontractuelle contre l’Etat portugais. En l’occurrence, elle se plaignait, au nom de ses associés, de la durée de la procédure de recouvrement de créances (affaire interne no 106/93) devant le tribunal de Vila Nova de Santo António et de la durée de la procédure d’exécution introduite par le requérant M. José Augusto Machado Mota devant le tribunal de Lisbonne (affaire interne no 6480/04.8TVLSB). Elle alléguait également que les actes ordonnés par le liquidateur judiciaire avaient porté atteinte au droit de propriété de ses associés, à leur droit au respect du domicile et, s’agissant de la requérante Mme Maria Odete Gonçalves Aguilar, à son droit à la liberté. Enfin, l’Association se plaignait des contradictions des jugements prononcés par les juridictions internes concernant les demandes de mesures conservatoires demandées par les requérants. Le 4 octobre 2007 l’Etat présenta son mémoire en défense. A la date d’introduction de la requête, la procédure était toujours pendante devant le tribunal de Vila Nova de Santo António.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952 et réside à Baditesti (Roumanie). A. L’interpellation et la condamnation pénale du requérant Le 23 juillet 2002, le requérant fut interpelé par les agents de la police d’Husnicioara. Le soir, il fut transféré au siège de la Police municipale d’Orşova. Le requérant soutient avoir été soumis à des mauvais traitements par les agents de police. Le mandat de dépôt délivré au nom du requérant mentionnait des soupçons d’escroquerie, faux et usage de faux. Le 24 juillet 2002, le requérant fut placé en détention provisoire en vertu d’une ordonnance d’un procureur près le tribunal départemental de Mehedinţi pour une période de 30 jours. Après avoir entendu deux témoins et la partie lésée, et avoir analysé des documents, par un jugement du 20 septembre 2002, le tribunal de première instance d’Orşova condamna le requérant à trois ans et demi de prison ferme pour escroquerie, faux et usage de faux. Le requérant et le parquet interjetèrent appel de ce jugement. Par un arrêt du 5 décembre 2002, le tribunal départemental de Mehedinţi rejeta l’appel du requérant, fit droit à l’appel du parquet et ordonna la confiscation d’une somme d’argent ayant appartenu au requérant. Sur recours du requérant, par un arrêt définitif du 17 mars 2003, mis au net le 22 janvier 2004, la cour d’appel de Craiova modifia l’arrêt du tribunal départemental afin d’annuler la sanction de la confiscation. B. Les conditions de détention subies par l’intéressé dans les différents établissements pénitentiaires Du 24 juillet au 28 août 2002, le requérant fut détenu dans le dépôt de l’Inspection départementale de Police de Mehedinţi (« le dépôt de la police de Mehedinţi »). Le 28 août 2002, il fut transféré dans la prison de Drobeta Turnu Severin où il purgea sa peine du 28 août 2002 au 14 février 2003, du 9 avril au 22 août 2003, du 1er au 31 octobre 2003, du 3 décembre 2003 au 26 février 2004 et du 26 mai au 23 novembre 2004. L’intéressé fut détenu dans la prison de Craiova du 14 février au 9 avril 2003. Entre ces périodes, il fut transféré à cinq reprises dans les hôpitaux-prisons de Colibaşi, de Rahova et de Bucarest-Jilava. Le 23 novembre 2004, le requérant fut remis en liberté. La version du requérant Le requérant affirme que pendant sa détention dans le dépôt de la police de Mehedinţi, il a été détenu dans la cellule no 11 dans des conditions de surpeuplement, en l’absence d’un système de ventilation et en devant supporter la fumée des détenus fumeurs. Il indique également qu’il devait satisfaire ses besoins naturels dans un seau qui était vidé une fois par jour. Dans la prison de Drobeta Turnu Severin, le requérant fut enfermé, entre autres, dans la cellule no 40. Selon le requérant, dans cette cellule il y avait 63 lits pour 102 détenus et des conditions d’hygiène déplorables. Il a été obligé de partager son lit avec un autre détenu. Il affirme avoir été contraint de supporter la fumée de cigarettes des autres détenus fumeurs. Le requérant fut transféré ensuite dans d’autres cellules surpeuplées, dont la cellule no 14. Dans la prison de Craiova, il occupa la cellule no 21 dans laquelle il fut contraint de partager son lit avec trois autres détenus. Outre le surpeuplement, il dénonce les mauvaises conditions d’hygiène, l’absence de chauffage pendant l’hiver et la fourniture de nourriture de mauvaise qualité. La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que, pour ce qui est de la détention du requérant dans le dépôt de la police de Mehedinţi, il ne dispose plus des documents concernant des renseignements sur les conditions de détention de l’intéressé, le délai de conservation de tels documents étant échu. Des renseignements toujours conservés, il ressort que le requérant fut détenu dans la cellule no 11, ayant une superficie de 14 m² pour huit lits. Les toilettes étaient communes pour plusieurs cellules et elles étaient dotées de lavabos et de douches. L’aération et l’éclairage des cellules se réalisaient par voie naturelle et artificielle. Le centre médical du dépôt veillait à ce que les normes d’hygiène soient respectées. Dans la prison de Drobeta Turnu Severin, l’intéressé a été détenu dans les cellules nos 44 (ayant une superficie de 19,44 m² pour dix lits et dix détenus), 40 (de 70,26 m² pour quarante lits dont uniquement trente étaient occupés) et 14 (de 14,27 m² pour six lits correspondant à six personnes). Cette dernière cellule était destinée aux non-fumeurs. Les groupes sanitaires afférents aux cellules étaient dotés de toilettes et de lavabos. Dans la prison de Craiova le requérant fut détenu dans la cellule no 21 ayant une superficie de 45 m² pour vingt-quatre lits. De février à avril 2003, vingt-six détenus furent enfermés dans cette cellule. Le mobilier de la cellule était composé d’une table, d’un banc et d’un support pour l’appareil de télévision. Le groupe sanitaire se trouvait dans une pièce séparée pourvue de deux toilettes, deux lavabos et deux douches. Dans tous les établissements pénitentiaires, le requérant bénéficia d’une promenade journalière de minimum une heure. C. L’état de santé du requérant Le 28 août 2002, au moment de son transfert à la prison de Drobeta Turnu Severin, le requérant fut soumis à un examen médical et la mention « apparemment cliniquement sain ; cardiopathie ischémique chronique douloureuse ; apte pour travaux légers » fut inscrite sur sa fiche médicale. Auparavant, le 5 août 2002, le requérant fut soumis à un examen radiologique qui fit état d’une image thoracique normale. A la suite de certains examen médicaux réalisés en août 2003, le requérant fut soupçonné de souffrir d’une tumeur rénale gauche. Du 22 août au 15 septembre 2003, il fut hospitalisé dans l’hôpital-prison de Colibaşi pour la réalisation d’examens médicaux plus approfondis. Un traitement médicamenteux lui fut accordé. Il fut ensuite transféré à l’hôpital prison de Bucarest-Rahova, avec la mention « rein gauche comportant plusieurs kystes » et « tumeur rénale ». Le 18 septembre 2003, il subit une intervention chirurgicale qui permit l’établissement du diagnostic de tuberculose rénale. A cette occasion, les médecins pratiquèrent une ablation du rein gauche. Le 26 février 2004, le requérant fut à nouveau transféré à l’hôpital-prison de Bucarest-Rahova, pour le traitement d’une tuberculose péritonéale. Les médecins y pratiquèrent, le 9 mars 2004, une intervention chirurgicale. Le 19 mars 2004, il fut transféré à l’hôpital-prison de Bucarest­Jilava, où il reçut un traitement antituberculeux jusqu’au 26 mai 2004, date de son transfert à la prison de Drobeta Turnu Severin où il reçut un traitement pendant quatre mois. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique interne pertinents ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie ( no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Un premier rapport du CPT publié en 2003 et rédigé à la suite d’une visite réalisée en 1999 à la prison de Craiova concluait à un surpeuplement très important (68 détenus partageaient des cellules de 66 m²), à l’absence d’activité physique, à des conditions de vie médiocres, à l’absence de cloisons dans les annexes sanitaires, aux coupures de chauffage et à des conditions d’hygiène insatisfaisantes. Un deuxième rapport concernant la même prison, publié le 11 décembre 2008, à la suite d’une visite réalisée en 2006, conclut à des conditions de surpeuplement particulièrement élevées et à des services de santé surchargés. Dans ce dernier rapport, le CPT précisa : « § 70 : (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit. En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. » Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006 sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009-...) et Rupa c. Roumanie (no 1), (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008). Un résumé du guide pour le contrôle des tuberculoses en prison, réalisé par l’Organisation mondiale de la Santé (« OMS ») et le Comité international de la Croix-Rouge (« CICR ») figure dans l’affaire Ghavtadze c. Georgie (no 23204/07, § 57, 3 mars 2009).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1991 et réside à Adana. A l’époque des faits le requérant était âgé de moins de dix-huit ans. A. Le déroulement de la manifestation Le 26 février 2009 vers 14 h 30, le DTP (Parti pour une société démocratique, mouvement pro-kurde de gauche) ouvrit une section locale à Adana, en présence de ses représentants nationaux et locaux. Selon les dires du requérant, un groupe d’une trentaine de personnes aurait jeté des pierres sur un bus de la municipalité. Le procès-verbal d’arrestation et d’incident relatif à Süleyman Oyğur, A.O., frère du requérant, et B.G., établi le 26 février 2009 à 15 heures par les policiers et signé par le requérant donne des évènements le compte rendu suivant : – à l’occasion de l’ouverture de la section locale du DTP, des policiers étaient présents sur les lieux. Un groupe de trois cents personnes s’était réuni et scandait des slogans au profit du PKK/KONGRA-GEL et de son chef Abdullah Öcalan, slogans tels que : « Vive le président Apo » ; « Le PKK est le peuple, le peuple est ici » ; « Que les mains qui s’élèvent contre Öcalan soient brisées » ; « Öcalan est notre volonté politique » ; « à bas la R.T. [République de Turquie] » ; « Vive l’Etat kurde » ; « Liberté pour les Kurdes » (« Biji serok Apo, PKK halktır halk burada, Öcalan’a uzanan eller kırılsın, Öcalan siyasi irademizdir, Kahrolsun T.C., Yaşasın Kürt devleti, Kürtlere Özgürlük »). Un groupe plus petit, d’une trentaine de personnes, jeta des pierres sur un autobus municipal qui passait par là. Les policiers intervinrent mais ce groupe, après avoir jeté des pierres sur les policiers, se dispersa dans les rues adjacentes. Les policiers coururent après ces personnes et attrapèrent notamment le requérant. Ce dernier s’opposa aux policiers, qui parvinrent à le maîtriser en faisant usage d’une force proportionnée. Une fois le requérant arrêté, les policiers constatèrent qu’il était blessé à la tête. Le 26 février 2009 à 15 h 30, à la suite de son placement en garde à vue, fut établi un procès-verbal de fouille corporelle du requérant indiquant la liste de ses objets personnels. Le rapport médical provisoire établi le 26 février 2009 à 19 h 55 par l’institut médicolégal d’Adana indique que le requérant avait à la tête sur le pariétal droit une lacération de 2 cm, sur l’occipital une lacération de 0,5 cm, une ecchymose de 2 cm sur l’omoplate et le triceps droit, une ecchymose de 1 cm sur le deltoïde gauche et une ecchymose de 5 cm sur la cuisse gauche. Le médecin demanda que le requérant soit transféré aux urgences de l’hôpital public d’Adana. Ce transfert n’eut pas lieu. Le procès-verbal de transcription de l’enregistrement vidéo du 26 février 2009 établi par la police indique que le jour de l’incident vers 14 h 30 le requérant avait jeté des pierres sur l’autobus municipal. Le 26 février 2009 à 22 h 45, le requérant et les autres mineurs arrêtés furent remis à la direction de la sûreté d’Adana, service des mineurs. Un CD de l’enregistrement vidéo de la manifestation, une photographie du requérant montrant qu’il avait participé à la manifestation et un procès-verbal de transcription dudit CD furent également remis à la direction de la sûreté. Selon les dires du Gouvernement, le 27 février 2009, le procureur de la République aurait entendu le requérant avec l’assistance d’un avocat. Il aurait reconnu être celui qui apparaissait sur les photographies qui lui avaient été montrées [ce procès-verbal n’est pas contenu dans le dossier de l’affaire]. Le 27 février 2009, la cour d’assises d’Adana ordonna le placement en détention du requérant, qui avait comparu assisté d’un avocat. Dans sa déposition, le requérant avait contesté les faits qui lui étaient reprochés. En particulier il avait nié avoir jeté des pierres sur l’autobus et déclaré qu’il n’était pas la personne qui figurait sur la photographie du groupe de manifestants. Le requérant avait signé le procès-verbal établi le même jour à 22 h 50. B. La plainte pénale déposée par le requérant contre les policiers Le 10 mars 2009, le requérant déposa une plainte pénale contre les policiers auteurs de son arrestation pour mauvais traitements et négligence. Précisant qu’il était âgé de moins de dix-huit ans à l’époque des faits, il décrivit les faits comme suit : – Travaillant dans le magasin de son frère, il se trouvait sur les lieux de l’incident pour y vendre des fruits et légumes. Selon ses dires, il était là en spectateur et ne faisait pas partie du groupe de personnes qui avaient jeté des pierres sur l’autobus. Les forces de sécurité intervinrent pour arrêter ce groupe de manifestants ainsi que lui-même. Les policiers l’arrêtèrent et le frappèrent, considérant qu’il faisait partie de ce groupe. Il précisait qu’il n’avait pas scandé de slogans ni jeté de pierres sur l’autobus municipal. Selon ses dires, il s’était retrouvé pris entre le groupe de manifestants et les policiers. Il précisait qu’il n’avait pas résisté aux policiers et que la force utilisée à son encontre était disproportionnée dans la mesure où les policiers l’avaient frappé à coup de matraque, de pieds et l’avaient giflé sur la tête et le corps ; or, indiquait-il, il était mineur à l’époque des faits, et de physique maigre. Selon lui, les policiers auraient pu l’arrêter sans utiliser de force à son encontre. En raison des coups qu’il avait reçus, il avait saigné de la tête et ses vêtements étaient maculés de sang (précisant avoir déposé ses vêtements à l’association des droits de l’homme d’Adana, il demandait au procureur de la République de les faire examiner). Enfin, ayant été arrêté à 15 heures, il n’avait été présenté à un médecin qu’à 19 h 55 alors qu’il saignait de la tête. A cet égard, il dénonçait une négligence de la part des autorités qui ne lui auraient pas prodigué les soins nécessaires en temps voulu. Selon les dires du Gouvernement, deux procès-verbaux établis le 9 avril 2009 indiqueraient que la comparaison visuelle entre, d’une part, la personne apparaissant sur les photographies prises le jour de l’incident et, d’autre part, le requérant, photographié après l’incident à son arrivée à la direction de la sûreté, amène à la conclusion que la personne en question n’est autre que le requérant [ces procès-verbaux ne figurent pas dans le dossier de l’affaire]. Le 10 avril 2009, à la demande du procureur de la République d’Adana du 30 mars 2009, le directeur de la section de la lutte contre le terrorisme établit un rapport (fezleke), dont il ressort notamment ce qui suit : – le jour de l’incident litigieux à 14 h 30, la manifestation avait commencé ; un groupe d’une trentaine de personnes avait attaqué l’autobus municipal avec des pierres ; à la suite de l’intervention de la police, le requérant, B.G. et A.O. avaient été arrêtés ; il ressortait des photographies prises de la manifestation que le requérant y avait participé, et du visionnage de l’enregistrement vidéo qu’il avait scandé des slogans ; – [concernant la plainte de l’intéressé selon laquelle il aurait été frappé par la police] au moment de son arrestation, le requérant avait attaqué les policiers avec des pierres ; les policiers avaient utilisé une force proportionnée pour l’immobiliser ; au moment de son arrestation, les policiers avaient constaté qu’il saignait de la tête ; le nécessaire avait été fait pour arrêter l’hémorragie. Le groupe dont le requérant faisait partie avait jeté sur l’autobus municipal des cageots de fruits et légumes, et au moment où ce même groupe avait mené des attaques avec des pierres et des bâtons, il avait reçu accidentellement sur la tête un cageot ; il avait ainsi été blessé à la tête et avait des traces sur son corps ; cela ressortait des dires du requérant aux policiers au moment de son arrestation ; – [concernant sa plainte selon laquelle il aurait été arrêté à 15 heures sans être présenté à un médecin avant 19 h 55, et serait resté sans soins durant ce temps alors qu’il saignait de la tête] le requérant avait été arrêté vers 15 heures mais les incidents avaient continué jusqu’à 18 heures ; la police avait fait le nécessaire pour arrêter l’hémorragie de la tête du requérant ; il avait deux lacérations distinctes sur la tête (çizik), mais pas de blessure sérieuse ; le véhicule qui devait transporter les personnes arrêtées à l’institut médicolégal étant tombé en panne, un autre véhicule avait été demandé pour emmener les personnes arrêtées à l’institut médicolégal ce qui avait entraîné un retard (un justificatif concernant l’intervention mécanique était annexé au rapport). Le 15 avril 2009, le procureur de la République d’Adana entendit le policier T.S. Celui-ci déclara notamment ce qui suit : – Après avoir protégé les passagers de l’autobus, une partie du groupe s’était retirée et une autre partie avait pris la fuite en se dispersant dans les rues adjacentes. Il avait poursuivi les personnes qui s’enfuyaient. Il avait attrapé le requérant avec le policier V.Ç. Le requérant se trouvait sur le côté avant gauche de l’autobus alors que V.Ç. se trouvait sur le côté arrière gauche. A ce moment-là, le requérant avait brisé la vitre de l’autobus avec une pierre ; par ailleurs il avait donné des coups de pied contre l’autobus. Au même moment, un cageot avait été jeté sur la vitre de l’autobus, à l’endroit où le requérant se trouvait. Puis le requérant avait ramassé une pierre et s’était dirigé vers lui, il avait mis la pierre dans sa main et tenté de le frapper, mais le policier V.Ç. avait attrapé le requérant par le poignet de la main dans laquelle il tenait la pierre ainsi que par le keffieh (poşu) qu’il portait autour du cou, et lui-même l’avait attrapé par l’autre bras. Il n’avait pas vu de blessures à la tête chez le requérant, mais quelques gouttes de sang sur sa chemise. Par la suite, la tête du requérant était recouverte de son keffieh. Il n’avait pas utilisé la force contre le requérant. De son côté, hormis en ce qui concernait l’incident susmentionné, le requérant ne lui avait pas résisté ni opposé de force physique. Le 15 avril 2009, le procureur de la République d’Adana entendit le policier V.Ç. Sa déposition confirma celle du policier T.S., en apportant les précisions suivantes : – Le côté droit de la tête du requérant était coupé de manière entrouverte et il saignait. A sa demande, le requérant lui avait dit qu’il avait reçu sur la tête par ricochet un cageot qui avait été jeté sur l’autobus. Il avait bandé la tête du requérant avec son keffieh et l’avait remis à ses collègues. Il ne savait pas ce qu’il s’était passé ensuite. Toujours le 15 avril 2009, le procureur de la République d’Adana entendit le policier K.D., qui déposa ainsi : – Au moment de son arrestation le requérant avait résisté aux policiers, il avait même une pierre dans la main. Il avait vu un policier qui était en train de faire un bandage sur la tête du requérant. Il lui avait demandé ce qu’il s’était passé et le requérant lui avait répondu que ce n’était pas les policiers mais qu’il avait reçu quelque chose sur la tête par derrière. Toujours le 15 avril 2009, le procureur de la République d’Adana entendit le policier M.G., qui déposa comme suit : – Il était en tenu civile le jour de l’incident et qu’il n’avait pas arrêté le requérant. Il avait vu qu’il avait la tête entourée d’un morceau de tissu. Le 15 avril 2009, le procureur de la République d’Adana entendit le policier F.Ç., dont la déposition se résumait comme suit : – Il n’avait pas arrêté le requérant et ne savait pas qui l’avait arrêté. Il avait vu que l’intéressé avait la tête entourée avec un morceau de tissu. Le rapport définitif établi le 24 avril 2009 par l’institut médicolégal d’Adana, qui vise le rapport médical du 26 février 2009, dresse comme suit le bilan de l’examen du requérant : – lacération du scalp de 1 cm sur la région pariétale droite ; lacération croûteuse des tissus de 2 cm sur le côté du poignet droit, de 0,5 cm sur l’avant-tibia droit, de 0,5 cm sur la cuisse droite et de 0,5 cm sur la cheville droite ; absence de lésions pathologiques ; aucun constat de fracture des os ; aucun affaiblissement ou perte d’usage des organes ou des sens ; en conclusion, la vie du requérant n’avait pas été mise en danger, et les blessures constatées pouvaient être guéries par une simple intervention médicale. Le 20 mai 2009, assisté par un avocat, le requérant fut entendu par le procureur de la République. Réitérant sa précédente déposition, il déclara en substance ceci : – Le jour de l’incident il vendait des fruits et légumes ; il avait vu un groupe de personnes qui se dirigeait vers lui ; le groupe scandait des slogans ; il s’était mis de côté : il avait entendu des bruits d’armes à feu provenant de derrière lui ; il avait été frappé par derrière sur la tête avec une matraque ; il avait été amené à la direction de la sûreté. Il n’avait pas participé à l’incident litigieux ; il n’avait pas non plus jeté de pierres sur l’autobus ni ne l’avait dégradé ; il n’avait pas non plus scandé de slogans. Il portait le keffieh car c’était à la mode. Il n’était pas la personne qu’on lui avait montrée sur l’enregistrement vidéo réalisé par la police. Quant à sa déposition obtenue pendant la garde à vue, elle s’expliquait par le fait qu’il avait été interrogé sous la contrainte. Par une ordonnance du 3 juin 2009, le procureur de la République rendit une ordonnance de non-lieu. Le procureur y notait : – que, dans sa plainte du 26 février 2009, le requérant avait exposé : qu’à l’occasion de l’ouverture de la section locale du DTP, un groupe d’une trentaine de personnes avait jeté des pierres sur un autobus municipal ; que lui-même ne se trouvait sur les lieux de l’incident que pour vendre des fruits et légumes ; qu’alors qu’il observait, en spectateur, l’ouverture de la section locale, les policiers l’avaient placé en garde à vue au motif qu’il avait participé aux jets de pierres ; que lors de son arrestation, il avait été frappé ; que bien qu’il n’ait montré aucune résistance ni tenté de s’enfuir, les policiers avaient utilisé à son encontre une force disproportionnée en le frappant sur différentes parties du corps à coups de pied, de gifles et de matraques ; – que dans sa déposition, le requérant avait déclaré : qu’il était sorti pour vendre des fruits et légumes ; qu’un groupe était venu vers lui en scandant des slogans ; qu’il s’était mis de côté mais avait été frappé à la tête à coups de matraque ; qu’il avait été emmené au poste de police ; qu’il n’avait pas jeté de pierres contre l’autobus ni scandé de slogans ; – que dans leurs dépositions, les policiers avaient déclaré : que le jour de l’incident un groupe de personnes, incluant le requérant, avaient scandé des slogans au profit du PKK et de son chef Abdullah Öcalan ; que ce groupe s’en était ensuite pris à un autobus municipal ; que sur ordre de leur supérieur hiérarchique, les policiers avaient d’abord sommé le groupe de ne pas jeter de pierres puis étaient intervenus ; que le requérant avait été arrêté en flagrant délit alors qu’il s’en prenait à l’autobus ; qu’il avait été blessé par les cageots jetés sur l’autobus ; et qu’ils n’avaient pas utilisé de force à son encontre pour l’arrêter ; – qu’une action pénale avait été engagée à l’encontre du requérant devant la cour d’assises d’Adana ; – qu’il ressortait de l’examen de l’enregistrement fait par les policiers : que le requérant ne vendait pas des fruits et légumes mais scandait des slogans au profit de l’organisation terroriste PKK et de son chef ; qu’il avait participé activement aux actions et aux slogans qui avaient été scandés ; et que l’autobus municipal avait été endommagé ; – que le requérant avait contesté l’enregistrement relatif à l’incident et avait soutenu que la personne présentée dans cet enregistrement ne correspondait pas à son signalement. Le procureur concluait qu’il n’y avait pas de preuves démontrant que les faits litigieux avaient été commis par les policiers ; que les déclarations du requérant étaient contradictoires et n’étaient pas convaincantes ; et que les déclarations des policiers concordaient avec l’enregistrement de l’incident ainsi qu’avec le procès-verbal d’arrestation. Le 1er juillet 2009, le requérant contesta l’ordonnance de non-lieu. Il réitéra le contenu de sa plainte. Par un arrêt du 21 août 2009, considérant que les motifs de la décision de non-lieu étaient détaillés, suffisants, et conformes au contenu du dossier, le président de la cour d’assises de Tarsus confirma l’ordonnance de non-lieu attaquée. Le 14 septembre 2009, cette décision fut notifiée au requérant. C. L’action pénale engagée contre le requérant Par un acte d’accusation du 9 mars 2009, une action pénale fut engagée contre le requérant devant la cour d’assises d’Adana pour propagande et infractions commises au profit d’une organisation terroriste, atteinte aux biens publics et résistance en vue d’empêcher l’action d’agents publics. Le 20 mai 2009, la cour d’assises d’Adana ordonna la mise en liberté du requérant. Par un arrêt du 17 mars 2010, la cour d’assises d’Adana acquitta le requérant du chef d’atteinte aux biens publics. Tenant compte du fait que le requérant était mineur au moment des faits, elle condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de huit mois et vingt-six jours pour résistance en vue d’empêcher l’action d’agents publics. Elle condamna également le requérant à une peine d’emprisonnement de six mois et vingt jours pour propagande au profit d’une organisation terroriste armée. Dans ses attendus, l’arrêt de la cour d’assises notait, notamment, les éléments de fait suivants : – Le 26 février 2009 un groupe de trente personnes avait jeté des pierres sur l’autobus municipal et les policiers étaient intervenus ; le groupe avait alors jeté des pierres sur les policiers ; après une course-poursuite, les policiers avaient arrêté le requérant, B.G. et A.O. Le requérant avait signé le procès-verbal établi après son arrestation. Dans sa déposition faite devant le procureur de la République, il avait déclaré être présent sur les lieux de l’incident pour y vendre des fruits et légumes, et s’être couvert la gorge et le visage en raison du froid ; il avait également déclaré être la personne figurant sur les photographies qui lui avaient été montrées ; il avait aussi reconnu être parmi les personnes qui tenaient dans les mains des tissus de couleur jaune, rouge et vert et qui avaient une partie de leurs visages cachés. Le requérant se pourvut en cassation. La procédure serait actuellement toujours pendante devant la Cour de cassation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations publiques figurent dans l’arrêt Kop c. Turquie (no 12728/05, § 15, 20 octobre 2009).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1979 et réside actuellement à Mioveni. Le requérant avait été incarcéré le 25 décembre 2001 à la prison de Colibaşi afin de purger une peine de 14 ans d’emprisonnement pour meurtre. Il fut mis en liberté conditionnelle le 17 décembre 2011. A. Les conditions de détention à la prison de Colibaşi Les conditions de détention telles que décrites par le requérant Dans son formulaire de requête envoyé en août 2010, le requérant indiquait être placé dans une cellule de 27 m² avec 23 autres détenus. En annexe à ce formulaire de requête, il joignait un état de l’occupation de la cellule no 403 révélant que cette cellule était dotée de 19 lits et qu’il y était placé avec 17 autres détenus. L’état était revêtu des signatures de ces détenus. Il souligna en outre qu’il était placé dans une autre cellule que celle mentionnée dans les documents de la prison. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement Le Gouvernement a envoyé une liste des cellules de la prison de Colibaşi dans lesquelles le requérant fut placé après février 2004, exposant leur superficie et le nombre et les dimensions des fenêtres. Il ressort également des informations fournies par le Gouvernement que, du 9 mars au 4 décembre 2010, le requérant fut incarcéré dans une cellule d’environ 35 m² pourvue d’une fenêtre de 1,5 m². A partir du 4 décembre 2010, le requérant fut placé dans une cellule d’environ 26 m² dotée de 17 lits et pourvue de deux fenêtres de 1,56 m², dans laquelle étaient placés, en moyenne, 12 détenus. La prison était en bon état, les cellules étaient propres et bénéficiaient d’une aération et d’un éclairage naturels, l’eau chaude était disponible pour la douche deux fois par semaine, la température dans les cellules s’élevait à 20oC pendant l’hiver, la nourriture était de bonne qualité et vérifiée quotidiennement par les responsables de la prison. B. L’assistance médicale La version du requérant Le requérant affirme qu’il a contracté plusieurs maladies pendant sa détention, qui se sont aggravées en raison de son état de stress. Il déclare également qu’il n’a pas demandé de contrôle de son état de santé par crainte de représailles de la part des autorités pénitentiaires. Il verse néanmoins au dossier une copie d’un certificat médical établi le 21 septembre 2010 qui atteste qu’il a été hospitalisé à l’hôpital pénitentiaire de Colibaşi, dans le service des maladies chroniques. A cette occasion, on diagnostiqua chez lui une hépatite B, une gastroduodénite, une rhinopharyngite aiguë et de l’urticaire. On lui prescrivit d’éviter de fumer ainsi que de consommer de l’alcool, du café, des condiments et des boissons gazeuses. La version du Gouvernement A l’occasion de son incarcération, le 25 décembre 2001, le requérant subit un contrôle médical au cours duquel il déclara être porteur du virus de l’hépatite B. Jusqu’au 21 septembre 2010, il fut hospitalisé à dix reprises et traité pour plusieurs affections, parmi lesquelles une hépatite B. D’après l’article 123 du règlement intérieur de la prison de Colibaşi approuvé par le directeur de la prison le 5 juin 2008, il était permis de fumer dans les groupes sanitaires de certaines cellules, à l’exception des cellules dans lesquelles étaient placés des non-fumeurs, des détenus malades et des détenus bénéficiant d’un régime de détention ouvert ou semi-ouvert. Les 3 mai, 11 septembre et 23 octobre 2008 et le 1er octobre 2010, le requérant fit des déclarations écrites attestant qu’il était fumeur. C. Le régime de détention La version du requérant Le 22 avril 2009, en application de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et des mesures adoptées au cours du procès pénal (« la loi no 275/2006 »), le requérant fut classé dans le régime de détention ouvert. Selon ce régime, le requérant est en droit de circuler librement à l’intérieur du bâtiment de la prison et dans la cour de la prison. Le requérant relève qu’il n’a pas été autorisé à quitter sa cellule et que malgré ses plaintes auprès du directeur de la prison, aucune suite n’a été donnée. La version du Gouvernement D’après un rapport de l’administration nationale des prisons (« ANP ») du 22 novembre 2011 soumis par le Gouvernement au sujet de la présente affaire, les portes de la cellule n’étant pas fermées, le requérant avait accès en permanence aux cours de la prison, conformément à son régime de détention. D. L’agression alléguée du requérant par les gardiens de la prison Le 23 mai 2008, le requérant porta plainte contre quatre gardiens de la prison de Colibaşi devant le parquet près la cour d’appel de Piteşti, faisant valoir que ceux-ci l’auraient agressé, insulté et menacé le 6 décembre 2007, à l’occasion d’une perquisition effectuée dans la cellule dans laquelle il avait été placé. Par une décision du 3 mars 2009, le parquet ordonna un non-lieu. Le parquet prit note du fait qu’immédiatement après la perquisition le requérant avait été accompagné au cabinet médical de la prison, où il avait été examiné. De la déclaration du médecin et de la feuille d’observations, il ressortait que le requérant présentait les traces d’une agression au niveau de la lèvre supérieure ainsi que d’autres lésions anciennes. Bien que le requérant ait été conduit à l’institut médicolégal en vue d’une expertise, il avait refusé d’être examiné, expliquant qu’il n’avait pas été agressé. Par ailleurs, le requérant avait déclaré devant le procureur qu’il entendait retirer sa plainte puisqu’en réalité, il n’avait pas été agressé. Devant la Cour, le requérant affirme qu’il a dû retirer sa plainte car il craignait les représailles des gardiens. E. Les études universitaires et les réductions de peine y relatives Le requérant s’inscrivit aux cours de la faculté de journalisme, communication et relations publiques de l’Université « Spiru Haret » de Piteşti. En janvier, février et juin 2009, en janvier, février, mars, juin, août et septembre 2010 et en janvier, février, mai, juin et juillet 2011, il fut accompagné dans les locaux de la faculté pour les besoins de ses études universitaires. A chaque transfèrement, on lui passa les menottes. D’après le rapport de l’ANP du 22 novembre 2011, le requérant était menotté uniquement lors de sa descente du véhicule pénitentiaire, jusqu’aux salles de cours, en vertu de l’article 159 § 2 du règlement d’application de la loi no 275/2006 et des articles 202 § 4 et 203 § d) du règlement du ministère de la Justice sur les mesures requises pour la sécurité des établissements pénitentiaires, adopté le 24 juin 2010. Le 17 décembre 2009, le requérant demanda au directeur de la prison qu’on l’accompagne à la faculté sans menottes et escorté par des gardiens habillés en vêtements civils. Par une décision du 21 décembre 2009, la demande du requérant fut rejetée au motif que les dispositions légales régissant l’escorte des détenus à l’extérieur des prisons s’y opposaient. Le requérant ne contesta pas cette décision devant le juge de l’application des peines. Dans les locaux de la prison, le requérant bénéficia également de deux heures d’étude par jour, du lundi au jeudi, dans une salle aménagée à cet effet. Le requérant allègue néanmoins que le temps d’étude qui lui fut accordé ne lui suffisait pas et que ses demandes en vue d’obtenir un temps d’étude plus étendu furent rejetées, et qu’elles constituèrent aussi le prétexte d’une sanction ou de transferts dans des cellules où étaient incarcérés des condamnés agressifs. En outre, il lui fut très difficile de se procureur les fournitures scolaires, et on lui refusa l’accès aux salles aménagées en studio audio-vidéo ou à la salle informatique. Par une décision du 14 décembre 2010, en application de la loi no 275/2006, le juge d’application des peines accorda au requérant une réduction de peine de 60 jours pour avoir terminé deux semestres universitaires au cours de l’année scolaire 2009-2010. Le juge prit note du fait que les dispositions pertinentes de la loi précitée avaient été modifiées par la loi no 83/2010 entrée en vigueur le 22 mai 2010, en abaissant le nombre de jours accordés à 30 par année universitaire, mais refusa d’appliquer ces dispositions, en invoquant le principe de l’application de la loi pénale la plus favorable. Par une décision définitive du 20 janvier 2011, le tribunal de première instance de Piteşti annula la décision du juge d’application des peines et n’octroya au requérant qu’une réduction de peine de 30 jours. Le tribunal fit valoir que le principe de l’application de la loi pénale la plus favorable ne pouvait être appliqué en l’espèce puisqu’il s’agissait de mettre en œuvre une disposition procédurale et non de trancher une accusation pénale ou d’appliquer une peine. Devant la Cour, le requérant expose, sans toutefois fournir de documents à l’appui, que les autorités de la prison de Colibaşi ont bien accordé des réductions de peine de 60 jours à d’autres détenus pour la même année universitaire. F. Le travail en détention Par une décision du directeur de la prison de Colibaşi du 8 décembre 2009, le requérant fut autorisé à travailler en prison dans la section de production de matelas. Toutefois, compte tenu du fait que la prison n’avait alors conclu aucun contrat de production de matelas, le requérant ne fut amené à effectuer aucune activité. Le 13 mai 2010, le requérant porta plainte devant le juge d’application des peines pour dénoncer, entre autres, l’impossibilité de travailler. Le requérant affirmait qu’on lui opposait un refus en raison de son conflit de longue date avec le gardien F.D. La Cour n’a pas été informée de l’issue de cette plainte. D’après un rapport de l’administration nationale des prisons du 22 novembre 2011 figurant dans le dossier, le requérant a effectué plusieurs activités productives au cours des années 2004, 2007, 2008, 2009, et de mars à octobre 2011. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Le droit et la pratique interne pertinents, les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, et les rapports du Commissaire aux droits de l’homme au sujet des conditions matérielles de détention sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (requête no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée le 11 janvier 2006 sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009-... et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La procédure introduite devant le juge d’instance de Bénévent Le 29 septembre 1984, le requérant, ancien salarié de la société C.T., assigna cette dernière devant le juge d’instance de Bénévent afin d’obtenir les rétributions non-payées auxquelles il estimait avoir droit ainsi que la prime d’ancienneté (trattamento di fine rapporto – T.F.R.). Le 9 octobre 1984, le juge fixa au 12 décembre 1984 l’audience de plaidoiries. Par un jugement déposé le 29 décembre 1984, le juge condamna la société défenderesse au paiement de 17 273 347 lires italiennes (ITL) en faveur du requérant. Le 30 avril 1985, le syndic de la faillite (voir ci-dessous) interjeta appel devant le tribunal de Bénévent afin d’obtenir la révocation du jugement déposé le 29 décembre 1984. Par un jugement déposé le 4 août 1986, le tribunal de Bénévent rejeta cette demande. La procédure de faillite Entre-temps, par un jugement déposé le 21 novembre 1984, le tribunal de Bénévent déclara la faillite de la société de fait existant entre M. C.T. et M. G.T. Le 14 janvier 1985, sur la base du jugement du juge d’instance de Bénévent déposé le 29 décembre 1984 (voir paragraphe 7 ci-dessus), le requérant introduisit une demande devant le tribunal afin d’être admis au passif de la faillite à la hauteur de la somme pour laquelle la société C.T. avait été condamnée. Le 23 octobre 1985, le tribunal rejeta la demande du requérant, alléguant que le jugement du juge d’instance était nul car successif à la déclaration de faillite de la société de fait existant entre M. C.T. et M. G.T. Le 24 mars 1986, l’état du passif de la faillite fut déclaré exécutoire et, le 8 avril 1986, le requérant fit opposition. Par un jugement déposé le 24 janvier 1992, le tribunal fit droit à la demande de ce dernier et admit celui-ci au passif de la faillite à la hauteur de 18 633 206 ITL. Le 16 mai 2002, la procédure de faillite fut close et, lors de la répartition finale de l’actif, le requérant obtint le paiement de 5 751, 84 euros (EUR). La procédure introduite conformément à la loi no 89 du 24 mars 2001 (« loi Pinto ») Le 16 octobre 2001, le requérant introduisit un recours devant la cour d’appel de Rome conformément à la « loi Pinto », se plaignant de la durée de la procédure et de la limitation de son droit au respect de ses biens. Par une décision déposée le 24 mars 2003, la cour d’appel condamna le ministère de la Justice au paiement de 1 000 EUR pour le dommage moral que le requérant avait subi. Cette décision devint définitive le 10 mai 2004. La procédure en exécution de la décision prise conformément à la « loi Pinto » Le ministère de la Justice n’ayant pas payé la somme accordée par la cour d’appel de Rome, le 11 novembre 2003 le requérant signifia au ministère une injonction de payer. Le 10 février 2004, le ministère de la Justice alloua au requérant 1 244,81 EUR.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1979 et réside à Valea Lupului. A. La procédure pénale pour vol avec violences Le 27 avril 2002, le requérant, accusé de complicité de vol avec violences commis le 18 avril 2002, fut interpellé par la police. Il fut d’abord interrogé en présence de son avocat de 7 h à 16 h et nia les faits qui lui étaient reprochés. Ensuite, il fut amené au siège de la police de Iaşi où les policiers lui demandèrent avec insistance, en l’absence de son avocat, de reconnaître qu’il avait participé à l’infraction en question. Il fut ensuite conduit dans plusieurs salles du poste de police. Dans l’une d’entre elle, une femme âgée pointa son doigt dans sa direction en guise de reconnaissance. Selon le requérant, en raison de son refus de reconnaître qu’il avait participé aux faits qui lui étaient reprochés par les policiers, ces derniers se mirent à le frapper. Le Gouvernement nie qu’il ait été frappé. Le 28 avril 2002, un procureur ordonna sa mise en détention provisoire pour une durée de trente jours. Dans la déclaration qu’il fit ce jour-là devant le procureur, il se plaignait d’avoir été frappé le jour d’avant par un policier qu’il aurait pu identifier et demandait à être examiné par un médecin. Il nia toute participation à l’infraction qui lui était reprochée et demanda l’audition de six témoins qui pouvaient confirmer l’avoir vu le 18 avril 2002. Le procureur chargé de l’enquête ne prit aucune mesure pour que le requérant soit examiné par un médecin. Il accepta, par une ordonnance du 20 mai 2002, de procéder à l’audition de deux des témoins à décharge indiqués par le requérant et rejeta sa demande pour le surplus, estimant qu’il ne s’agissait pas de preuves pertinentes. Il ressort des dépositions des deux témoins en question, qui étaient le père et la compagne du requérant, qu’à la date à laquelle avait eu lieu le vol avec violences pour lequel le requérant était poursuivi, soit le 18 avril 2002, celui-ci se trouvait à son domicile. A une date non précisée, la police organisa une reconstitution des faits. Le requérant n’était pas présent. Selon lui, les policiers et le parquet cherchaient à dissimuler les signes de violence sur son corps qu’auraient pu apercevoir les témoins assistant à la reconstitution. Par un réquisitoire du 22 mai 2002, G. et D. furent renvoyé en jugement du chef de vol avec violences et le requérant pour complicité. Le 13 juin 2002, lors de la première audience publique devant le tribunal départemental de Iaşi (« le tribunal »), G. et D. retirèrent leurs déclarations initiales faites devant les policiers, dans lesquelles ils avaient indiqué que le requérant avait participé aux faits qui leur étaient imputés. Ils reconnurent qu’ils étaient les auteurs des faits, mais nièrent toute implication du requérant. G. et D. expliquèrent ce changement d’attitude par la pression et les contraintes physiques exercées sur eux par les policiers lors des premiers interrogatoires, lesquels avaient eu lieu à une heure tardive dans la nuit, à un moment où ils étaient stressés, affamés et où ils n’étaient pas assistés par un avocat. Ils faisaient valoir que leurs dépositions initiales étaient justifiées par le fait que les policiers leur avaient indiqué que la victime avait reconnu le requérant. Lors de la même audience publique, le 13 juin 2002, le requérant réitéra qu’il n’avait pas commis les faits qui lui étaient imputés ; il indiqua qu’il connaissait les coïnculpés G. et D., qui étaient anciens amis qu’il ne voyait ces derniers temps que très rarement. Par un jugement du 19 décembre 2002, le tribunal départemental de Iaşi, acquitta le requérant et ordonna sa remise en liberté. Le tribunal releva que les allégations du requérant selon lesquelles il n’était pas présent sur les lieux de l’infraction étaient crédibles. Le tribunal se fonda sur les déclarations des témoins à décharge entendus devant lui, de celles des témoins ayant assisté à la reconstitution des faits, de celles des coïnculpés G. et D. faites également devant lui ainsi que sur les déclarations de la victime et de son fils relevées par les organes d’enquête. Le tribunal nota plus particulièrement que la reconstitution n’avait pas eu lieu en présence du requérant ; or, il releva que le seul élément qui restait à clarifier en l’espèce était celui de savoir si le requérant avait été ou non présent sur les lieux de l’infraction, puisque les deux autres coïnculpés avaient reconnu les faits qui leur étaient reprochés. Rappelant que la charge de la preuve de la culpabilité de l’accusé incombait aux organes d’enquête et au tribunal, il conclut que la responsabilité du requérant n’avait pas été établie sans équivoque par les preuves qui avaient été versées au dossier. Il acquitta le requérant en rappelant le principe in dubio pro reo. Dans les motifs du jugement du 19 décembre 2002, le tribunal retint, à la suite d’une erreur dactylographique, la date du 17 avril 2002 comme date à laquelle les témoins à décharge avaient déclaré avoir vu le requérant, alors qu’ils avaient indiqué la date du 18 avril 2002 dans leurs dépositions. Le requérant demanda au tribunal la rectification de cette erreur matérielle (voir la procédure sous 2 ci-après). Le parquet interjeta appel contre le jugement du 19 décembre 2002. Dans ses motifs d’appel il soulignait qu’il était inexplicable que le tribunal, pour fonder sa décision d’acquittement, ait pris en compte les déclarations des témoins qui auraient vu le requérant le 17 avril 2002, alors que l’infraction qui lui était reprochée avait eu lieu le 18 avril 2002. L’appel fut enregistré devant la cour d’appel de Iaşi (« la cour d’appel »). Le requérant comparut à toutes les audiences et y fut représenté par des avocats de son choix. Lors de l’audience du 30 octobre 2003, la cour d’appel entendit les plaidoiries de l’avocat, mais n’entendit pas le requérant. En application des règles procédurales, ce dernier put prendre la parole en dernier et clama son innocence. La cour d’appel ne procéda pas à l’audition des témoins qui avaient déposé devant le parquet et la juridiction de premier ressort. Par un arrêt du 4 novembre 2003, la cour d’appel de Iaşi fit droit à l’appel du parquet, annula le jugement rendu par le tribunal de première instance et condamna le requérant à une peine de cinq ans d’emprisonnement pour complicité de vol avec violence. Sans administrer de nouveaux éléments de preuve et se fondant exclusivement sur ceux qui avaient été versés au dossier par les autorités de l’enquête et par le tribunal départemental, la cour d’appel estima que les premiers juges avaient fait une interprétation erronée des éléments de preuve qui avaient été versés au dossier. La cour d’appel écarta notamment les déclarations du père et de la concubine du requérant, aux motifs qu’ils voulaient fournir un alibi au requérant et qu’ils n’avaient pas démontré comment ils s’étaient rappelé exactement la date de l’incident du 18 avril 2002. Le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement, alléguant qu’il n’avait pas commis les faits qui lui étaient reprochés. Par un arrêt définitif du 18 mai 2004, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») rejeta le pourvoi en recours et confirma la décision rendue en appel, sans administrer d’autres éléments de preuve. Devant cette juridiction, le requérant était présent et il fut représenté par un avocat. Lors de l’audience publique du 18 mai 2004, l’avocat du requérant plaida pour que la décision d’acquittement soit maintenue, l’estimant correcte et conforme aux preuves du dossier. La Haute Cour ne posa pas de questions au requérant et ne procéda pas à une nouvelle audition des témoins. Le requérant eut la parole en dernier et déclara qu’il n’était pas coupable. B. Demande de rectification de l’erreur matérielle Par un jugement du 27 octobre 2004, le tribunal rejeta la demande du requérant visant la rectification de l’erreur matérielle qui s’était glissée dans les motifs du jugement du 19 décembre 2002 du tribunal départemental de Iaşi, qui avait retenu la date de 17 avril 2002, au lieu du 18 avril 2002, comme date à laquelle les témoins à décharge auraient vu le requérant à son domicile. Ce jugement fut infirmé par un arrêt du 23 novembre 2004 de la cour d’appel de Iaşi, qui fit droit à la demande du requérant. Le requérant fit recours, demandant l’annulation de la demande d’appel formulée par le parquet contre le jugement du 19 décembre 2002 du tribunal départemental de Iaşi. Il faisait valoir que, s’il n’y avait pas eu l’erreur matérielle qui s’était glissée dans le jugement du 19 décembre 2002, le parquet n’aurait eu aucun argument pour interjeter appel contre cette décision. Les parties n’ont pas précisé quelles ont été les suites de cette procédure. C. Enquête concernant les allégations de mauvais traitement Le 5 août 2002, les parents du requérant saisirent le parquet militaire de Iaşi d’une plainte contre quatre policiers de la police de Iaşi qu’ils accusaient d’avoir frappé le requérant le 27 avril 2002. Le parquet militaire de Iaşi procéda à l’audition du requérant et de ses parents ainsi que des policiers. Le procès-verbal du 28 avril 2002 dressé lors de l’arrestation du requérant et qui ne faisait état d’aucune trace de violence sur son corps fut également versé au dossier du parquet militaire. Par une ordonnance du 4 septembre 2002, confirmée le 11 septembre 2002, le parquet militaire de Iaşi prononça un non-lieu, au motif que les éléments de preuve versés au dossier ne prouvaient pas que les policiers avaient frappé le requérant. Ni ses parents ni le requérant lui-même n’ont contesté l’ordonnance de non-lieu. D. Plainte pénale contre le procureur A une date non précisée en 2005, le requérant saisit le parquet près la cour d’appel d’une plainte pénale contre M., le procureur du parquet près le tribunal départemental qui avait rédigé les motifs d’appel du parquet contre le jugement d’acquittement. Le requérant l’accusait d’abus et négligence car son appel était essentiellement fondé sur l’erreur matérielle contenue dans le jugement. Par ordonnances des 25 mars et 3 juin 2005, le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice rejeta sa plainte, au motif que M. avait accompli son devoir professionnel et indiqué plusieurs motifs d’appel en dehors de celui soulevé par le requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le Code de procédure pénale règlementait, à l’époque des faits, à l’article 341, l’exercice par l’inculpé de son droit de prendre la parole en dernier (« ultimul cuvânt al inculpatului ») comme le moment final de la phase de l’enquête judiciaire (« cercetare judecătorească »). Le second paragraphe de cet article disposait plus précisément que : « Lorsque l’inculpé prend la parole en dernier, on ne peut pas lui poser des questions. Si l’inculpé expose des faits ou des circonstances nouveaux, essentiels pour la solution de l’affaire, le tribunal procède à la réouverture de l’enquête judiciaire ». Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale relatives aux pouvoirs de la juridiction d’appel étaient ainsi libellées à l’époque des faits : Article 378 « (1) La juridiction qui juge l’appel vérifie la décision contestée sur la base des éléments du dossier et de tout nouveau document écrit présenté devant la juridiction d’appel. (2) En vue de décider de l’appel, la juridiction peut faire une appréciation nouvelle des éléments de preuve dans le dossier de l’affaire et peut administrer tout nouvel élément de preuve qu’elle estime nécessaire (...) » Article 379 « La juridiction qui juge l’appel prononce une des décisions suivantes : (...) 2. fait droit à l’appel et : a) casse la décision de la juridiction de premier ressort en prononçant une nouvelle décision et procède selon l’article 345 et suiv. sur le jugement au fond (...) » Les dispositions pertinentes du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits relatives aux pouvoirs de la juridiction de recours ainsi que les modifications qui ont été apportées en septembre 2006 sont décrites dans l’affaire Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 17-18, 26 juin 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, relèvent du même contexte historique et concernent la même procédure interne que celle ayant fait l’objet de l’arrêt Şandru et autres c. Roumanie (no 22465/03, §§ 6-47, 8 décembre 2009). Ils peuvent se résumer comme suit. Les requérants sont des victimes ou des ayants droit des victimes de la répression armée des manifestations ayant commencé à Timişoara le 16 décembre 1989 à l’encontre du régime communiste dirigé par Nicolae Ceauşescu. En janvier 1990, après la mort de Nicolae Ceauşescu et la chute du régime, le parquet militaire de Timişoara ouvrit d’office une enquête concernant la répression des manifestations. Il ressort des documents du dossier que tous les requérants des présentes affaires furent identifiés au cours de l’enquête comme étant des victimes de la répression ou des ayants droit. Par un réquisitoire du 30 décembre 1997, le parquet renvoya en jugement devant la Cour suprême de justice deux généraux, V.A.S. et M.C., accusés de meurtre et de tentative de meurtre, en tant que principaux responsables de l’organisation de la répression armée des manifestations anticommunistes à Timişoara. Le réquisitoire indiquait qu’il était loisible aux victimes et aux ayants droit de se constituer parties civiles devant la Cour suprême de justice. Deux cent trente-quatre personnes se constituèrent parties civiles devant la juridiction suprême, dont plusieurs requérants des présentes affaires. Par un arrêt du 15 juillet 1999 rendu par une formation de trois juges, la Cour suprême de justice déclara les accusés coupables de la mort de soixante-douze personnes et de blessures infligées par différents moyens à des centaines d’autres et les condamna à une peine de quinze ans de réclusion criminelle, ainsi qu’au paiement, solidairement avec le ministère de la Défense, des dommages et intérêts alloués aux parties civiles. L’arrêt fut confirmé par un arrêt définitif du 25 février 2000 de la même cour statuant en formation de neuf juges. Le 18 octobre 2000, le ministère de la Défense versa aux parties civiles les dommages et intérêts auxquels il avait été condamné solidairement avec les deux généraux susmentionnés. Le 22 mars 2004, suite à un recours en annulation formé par le procureur général de la Roumanie, la Cour suprême de justice, statuant en une formation composée de soixante-quinze juges, cassa l’arrêt du 25 février 2000 et renvoya le dossier à une formation de trois juges de la même cour, en vue d’un nouvel examen du fond de l’affaire. Par un arrêt du 3 avril 2007, la Haute Cour de cassation et de justice (« HCCJ »), anciennement Cour suprême de justice, condamna les deux généraux à une peine de quinze ans de réclusion criminelle de différents chefs dont meurtre et tentative de meurtre pour avoir organisé et coordonné la répression des manifestations anticommunistes à Timişoara. Elle les condamna également à verser aux parties civiles les mêmes sommes que celles octroyées par le précédent jugement du 15 juillet 1999 et constata que ces sommes avaient déjà été versées par le ministère de la Défense. Par un arrêt définitif rendu le 15 octobre 2008, dont le texte fut mis au net à une date non précisée de 2009, la HCCJ confirma l’arrêt du 3 avril 2007. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon l’article 17 du code de procédure pénale, lorsque la personne ayant subi un préjudice du fait de la commission d’un acte contraire à la loi pénale est un mineur, l’action civile est exercée d’office. L’article 76 du code de procédure pénale prévoit : « L’organe d’enquête ou le tribunal ont l’obligation de citer à comparaître, aux fins d’audition, toute personne ayant subi un préjudice du fait de la commission d’un acte contraire à la loi pénale (infractiune)... Avant l’audition, la personne ayant subi un préjudice doit être informée de son droit de participer à la procédure en tant que victime ou, au cas où elle aurait aussi subi un dommage matériel ou moral, en tant que partie civile. Elle doit aussi être informée de ce qu’elle conserve le droit de faire une déclaration de participation à la procédure en tant que victime ou ayant droit [...] tout au long de la procédure devant les organes d’enquête et jusqu’à la lecture de l’acte d’accusation devant le tribunal. » D’autres dispositions du droit et de la pratique internes pertinents sont résumées dans les arrêts Şandru et autres c. Roumanie, no 22465/03, 8 décembre 2009 et Association « 21 Décembre 1989 » et autres c. Roumanie, nos 33810/07 et 18817/08, 24 mai 2011.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1962 et réside à Diyarbakır. A une date non précisée, M.K., une personne soupçonnée d’appartenance au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan - une organisation illégale armée), fut arrêtée dans le cadre d’une enquête pénale menée contre le PKK. Dans sa déposition, elle affirma que la requérante portait aide et assistance à ladite organisation. Le 22 décembre 2001, le commandement de la gendarmerie de Diyarbakır (« la gendarmerie ») émit un avis de recherche à l’encontre de la requérante. Le même jour, un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« la cour de sûreté de l’Etat ») ordonna l’arrestation de la requérante, la perquisition de son domicile et, le cas échéant, la saisie de tous éléments de preuve pertinents concernant l’enquête pénale. Toujours le 22 décembre 2001, les forces de l’ordre se présentèrent au domicile de Mme Demirci et l’arrêtèrent. La perquisition ne révéla aucun objet ou document illégal. D’après le procès-verbal dressé par les membres des forces de l’ordre et signé par la requérante, la décision de la cour de sûreté de l’Etat fut lue à la requérante et elle fut brièvement informée de la raison de son arrestation. Le même jour, à 15 heures, la requérante fut examinée par un médecin, qui constata une trace d’intervention chirurgicale au bas-ventre de la requérante. A la suite de son examen médical, la requérante fut conduite à la gendarmerie pour y être interrogée. Après lui avoir donné lecture des charges retenues à son encontre et lui avoir rappelé son droit d’être assistée par un avocat de son choix ou commis d’office, la gendarmerie fit signer à la requérante un formulaire relatif aux droits des accusés et personnes soupçonnées. Une copie de ce formulaire signée par elle-même fut remise à la requérante. Les interrogatoires durèrent jusqu’au 26 décembre 2001, date à laquelle la requérante signa une déposition reconnaissant son appartenance au PKK. Le 26 décembre 2001, à la fin de sa garde à vue, la requérante fut examinée par un médecin. Celui-ci releva seulement l’existence d’une trace ancienne au bas-ventre et conclut à l’absence de coups et blessures. Le même jour, la requérante fut traduite devant le procureur près la cour de sûreté de l’Etat (« le procureur ») et contesta sa déposition faite devant les gendarmes, affirmant n’avoir aucun lien avec le PKK. Elle exposa également avoir signé sa déposition à la gendarmerie sans en connaître le contenu. A la suite de sa déposition devant le procureur, la requérante comparut devant un juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat, devant lequel elle réitéra ses dires. Elle affirma avoir été obligée de faire confiance aux gendarmes pour transcrire ses dires sur le procès-verbal de déposition et de le signer tel qu’il avait été rédigé par ces derniers. Le juge assesseur ordonna la mise en détention provisoire de la requérante qui, de ce fait, fut transférée à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır. Toujours le 26 décembre 2001, sur demande du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence et du procureur, et sur le fondement de l’article 3 c) du décret-loi no 430 sur les mesures complémentaires à prendre dans le cadre de l’état d’urgence, le juge assesseur autorisa le renvoi de la requérante à la gendarmerie pour interrogatoire, pour une durée de dix jours. La requérante fut remise aux gendarmes le jour même. Le 28 décembre 2001, le représentant de la requérante forma opposition contre cette décision, soutenant notamment qu’une telle mesure était contraire à la Constitution et aux instruments internationaux pertinents en la matière. La demande fut écartée le même jour par la cour de sûreté de l’Etat. Toujours le 28 décembre 2001, le procureur mit la requérante en accusation pour appartenance à une bande armée, en application des articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme. Le 3 janvier 2002, la requérante fut reconduite à la maison d’arrêt de type E de Diyarbakır. Le même jour, la requérante fut examinée par un médecin, qui conclut à l’absence de coups et blessures sur son corps. Le 11 juillet 2002, la requérante fut mise en liberté provisoire. A la suite de l’abolition des cours de sûreté de l’Etat, le procès de la requérante se poursuivit devant la cour d’assises de Diyarbakır (« la cour d’assises »). Par un jugement du 24 mars 2005, la cour d’assises condamna la requérante à une peine d’emprisonnement de trois ans et neuf mois pour aide et soutien à une organisation illégale. Le 8 juin 2005, l’affaire fut renvoyée devant la cour d’assises pour reconsidération de l’affaire en raison de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal. Le 20 septembre 2005, la cour d’assises réitéra son jugement. Par un arrêt du 9 octobre 2006, la Cour de cassation confirma le jugement rendu en première instance. Le droit et la pratique internes Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans l’arrêt Emrullah Karagöz c. Turquie (no 78027/01, §§ 42-47, CEDH 2005X (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1935 et réside à Bénévent. En décembre 1993, la municipalité de Bénévent se déclara insolvable (stato di dissesto) conformément au décret législatif no 66 de 1989 (ensuite modifié par la loi no 68 du 19 mars 1993, puis par les décrets législatifs no 77 du 25 février 1995 et no 267 du 18 août 2000). Le 19 janvier 1994, la gestion financière de la ville fut alors confiée à une commission extraordinaire de liquidation (organo straordinario di liquidazione) (« l’OSL »), chargée d’établir la liste des créances pouvant être déclarées admises dans le cadre de la procédure d’apurement du passif. L’article 248 § 2 du décret législatif no 267 du 18 août 2000 (loi sur les collectivités locales en cessation de paiements – enti locali dissestati) prévoyait qu’à partir de la déclaration d’insolvabilité (dissesto) et jusqu’à l’approbation de la reddition des comptes (rendiconto), aucune procédure d’exécution ne pouvait être entamée ou poursuivie relativement aux créances figurant sur la liste établie par l’OSL. Aux termes du paragraphe 4 de cette même disposition, pendant la période en question, la collectivité en état d’insolvabilité ne pouvait se voir exiger sur ces créances des intérêts légaux ou une compensation au titre de l’inflation. La jurisprudence interne (voir la décision du Conseil d’Etat no 5778 du 30 octobre 2001) avait estimé que le décret législatif no 267 de 2000 ne s’appliquait pas aux créances sur une collectivité locale qui étaient considérées comme certaines et exigibles par un jugement prononcé après la déclaration d’insolvabilité, et ce même si ces créances étaient nées antérieurement. Dès lors, on pouvait entamer une procédure d’exécution concernant ces créances. Le 13 juin 2004 entra en vigueur la loi no 140 du 28 mai 2004. L’article 5 § 2 de celle-ci prévoit que les dispositions relatives aux collectivités locales en cessation de paiements s’appliquent dorénavant également aux créances nées avant le 31 décembre de l’année précédant celle du bilan rééquilibré (bilancio riequilibrato), et ce même lorsque ces créances ont été établies par une décision de justice postérieure à une telle date. Le Conseil d’Etat a fait application de cette disposition dans ses décisions no 3715 du 30 juillet 2004 et no 6438 du 21 novembre 2005. Le 15 janvier 1987, le requérant avait entamé une action en dommages-intérêts contre la municipalité de Bénévent. Il alléguait que cette dernière, en tant que locataire de son appartement, était responsable de dommages qui auraient été causés à son bien. Par un jugement du 21 juillet 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 17 décembre 2002, le tribunal de Bénévent avait accueilli le recours du requérant et condamné la municipalité à lui verser des dommages-intérêts s’élevant à 6 197,48 euros (EUR), auxquels s’ajoutaient les intérêts légaux et une somme à titre de compensation de l’inflation, calculés à compter d’avril 1986. Cet arrêt, notifié à la municipalité le 20 février 2003, devint définitif le 22 mars 2003. Le 21 juillet 2003, le requérant sollicita la saisie (pignoramento) de biens appartenant à la mairie. Le 23 janvier 2004, la mairie s’y opposa. Par la suite, le requérant renonça à la saisie. Le 29 juillet 2004, le requérant saisit le tribunal administratif régional (TAR) de Campanie d’un recours en exécution (ottemperanza) du jugement du 21 juillet 2002. Par un jugement du 28 janvier 2005, le TAR déclara ce recours irrecevable en application de l’article 5 de la loi no 140 de 2004 (paragraphe 9 ci-dessus). Par une délibération no 4023 du 19 mai 2005, l’OSL, suivant une procédure simplifiée adoptée dès 1998, reconnut l’existence d’une dette de la municipalité à l’égard du requérant d’un montant de 24 261,46 EUR. Le 7 février 2006, l’OSL proposa au requérant un règlement amiable de l’affaire, lui offrant le versement d’une somme correspondant à 80 % de sa créance (soit 19 409 EUR). Le requérant refusa cette offre. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Dans ses observations, le Gouvernement a décrit comme suit la procédure de redressement d’une collectivité locale. Le requérant a indiqué que cet aperçu était, pour l’essentiel, exact. La déclaration d’insolvabilité (stato di dissesto) d’une collectivité locale et la procédure de redressement qui s’ensuit correspondent pour l’essentiel à une procédure de faillite ordinaire et visent la satisfaction proportionnelle et à égalité de conditions des droits des créanciers (par condicio creditorum), ainsi que le redressement financier de la collectivité concernée. Cependant, à la différence d’une entreprise privée, la collectivité locale en cessation de paiements ne cesse pas d’exister et doit continuer à assumer ses tâches institutionnelles. Elle doit donc disposer des ressources nécessaires. L’OSL coexiste avec les organes ordinaires de la collectivité. Sa compétence est limitée à la période antérieure à la déclaration d’insolvabilité (autrement dit, aux créances antérieures au 31 décembre de l’année précédant la déclaration d’insolvabilité) et ne s’étend pas aux opérations financières postérieures. L’OSL a pour tâche de vérifier l’ensemble des dettes de la collectivité locale relatives à cette période et de déterminer l’actif disponible pour procéder à leur paiement. La vérification des dettes de la collectivité locale se fait par la voie administrative. Les créanciers doivent, dans un délai de soixante jours, déclarer leur créance, fournir les éléments prouvant son existence et démontrant qu’elle est certaine, liquide et exigible. En général, seules les dettes « hors budget » (fuori bilancio) – autrement dit les dettes concernant des opérations non inscrites au budget de la collectivité – nécessitent des vérifications approfondies. Elles se divisent en deux catégories : a) les dettes pour lesquelles les procédures comptables n’ont pas été respectées ou qui ont été contractées en dehors de toute légitimité administrative ; b) les dettes résultant d’une décision judiciaire et donc non prévisibles au moment de l’établissement du budget). Les vérifications sont beaucoup plus simples dans les cas figurant sous b). L’OSL doit faire une distinction nette entre les dettes de la collectivité qui ont conduit à l’état d’insolvabilité et les obligations qui relèvent de la nouvelle gestion. Afin de garantir le principe par condicio creditorum, il est interdit, après la déclaration d’insolvabilité, d’entamer ou de poursuivre toute action en exécution visant au recouvrement de créances nées avant le début de la procédure de redressement. Cependant, l’interdiction en question ne concerne pas les actions en exécution se rapportant à des créances nées en dehors de la période de compétence de l’OSL. L’exécution forcée par voie judiciaire redevient possible dès lors qu’une créance a été définitivement rejetée du passif (par exemple parce que l’OSL a établi qu’il s’agissait d’une dette non liée au fonctionnement de la collectivité). Lorsque, en application de l’interdiction décrite ci-dessus, l’OSL déclare l’extinction d’une procédure d’exécution, le juge indique les montants de la créance, des intérêts, de la somme à titre de compensation de l’inflation et des frais de justice, afin que ces montants soient inscrits au passif de l’administration. Il ressort de ce qui précède qu’une limite temporelle doit être tracée entre les dettes « passées » (qui relèvent de la compétence de l’OSL), et les dettes « présentes » ou « futures » (qui relèvent de la gestion ordinaire). Or, selon le Gouvernement, cette limite ne peut être établie que par rapport à la date à laquelle la créance est née, quel que soit le moment auquel elle a été certifiée par une décision de justice. Toutes les créances nées pendant la période de compétence de l’OSL sont donc traitées par celui-ci. Si une décision de justice a reconnu l’existence d’une créance de la collectivité, l’OSL ne peut pas ignorer une telle décision et doit inscrire la créance au passif de la gestion extraordinaire. Le créancier peut former contre toute décision de l’OSL un recours par voie hiérarchique (ricorso gerarchico) auprès du ministère de l’Intérieur. La décision de ce dernier peut être attaquée devant les juridictions administratives (TAR et Conseil d’Etat) pour, entre autres, vice de motivation et abus ou détournement de pouvoir. La Cour constitutionnelle (arrêt no 155 du 21 avril 1994) avait rejeté des exceptions d’inconstitutionnalité de la discipline antérieure analogue, estimant que, lorsqu’une procédure de redressement était en cours, il n’était pas nécessaire d’offrir aux créanciers les garanties d’une procédure juridictionnelle sous le contrôle d’un juge, le législateur étant libre de prévoir que les dettes de l’organisme en cessation de paiements pussent être réglées dans le cadre d’une procédure administrative. D’après elle, cela était d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, des intérêts publics étaient en jeu et que les dispositions législatives visaient à empêcher une détérioration encore plus importante de la situation financière de la collectivité. De plus, toujours selon elle, une fois la procédure de redressement entamée, on ne pouvait imputer au débiteur la non-exécution de ses obligations, ce qui justifiait le « blocage » (blocco) des intérêts légaux et de la somme à titre de compensation de l’inflation. La Cour constitutionnelle a en outre précisé que les actes de l’OSL n’étaient pas soustraits au contrôle des juridictions judiciaires lorsqu’ils portaient préjudice à des droits subjectifs parfaits (diritti soggettivi). L’OSL doit déposer auprès du ministère de l’Intérieur la liste des créances admises au passif. Après une vérification ministérielle, l’OSL peut demander un prêt à la Caisse des dépôts et consignations. Le montant de ce prêt s’ajoute aux autres ressources déjà versées à l’actif par l’OSL. L’OSL procède ensuite au paiement d’acomptes aux créanciers dont les revendications ont été inscrites au passif ; au fur et à mesure que des nouvelles ressources deviennent disponibles, l’OSL paie de nouveaux acomptes, si possible jusqu’à l’extinction complète des dettes inscrites au passif. La procédure se termine par le dépôt d’un plan d’extinction des dettes qui doit être approuvé par le ministère sur avis d’une commission spécialisée. Le ministère examine sur le fond les choix opérés par l’OSL et peut lui demander des explications et des vérifications supplémentaires. Il peut également refuser d’approuver le plan d’extinction. Afin d’accélérer la procédure, l’OSL peut proposer aux créanciers un règlement amiable en contrepartie d’une diminution du montant de leur créance. En cas d’acceptation de cette proposition, la somme résultant de la transaction est immédiatement payée au créancier qui, en même temps, renonce à toute prétention ultérieure à ce titre. Si la proposition est refusée, l’OSL procédera à un paiement proportionnel dans le respect du principe par condicio creditorum. Pendant la procédure de redressement, l’application du taux des intérêts et de la compensation de l’inflation est suspendue relativement aux créances inscrites au passif. Les intérêts et la compensation de l’inflation peuvent être réclamés à partir de la date de la clôture de la procédure de redressement. III. LE DROIT COMPARÉ Il ressort des informations de droit comparé dont dispose la Cour que vingt-cinq Etats membres du Conseil de l’Europe (Allemagne, Azerbaïdjan, Belgique, Bulgarie, Espagne, Estonie, France, Grèce, Lettonie, Luxembourg, ex-République yougoslave de Macédoine, Moldova, Monténégro, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie et Ukraine) ne semblent pas admettre qu’une administration locale puisse être déclarée insolvable (en Roumanie, une réglementation à cet égard avait été adoptée, mais son application a été suspendue). En revanche, en Autriche, une municipalité peut faire l’objet d’une procédure de faillite et, en Hongrie, la législation prévoit six cas dans lesquels une municipalité en état d’insolvabilité peut être soumise à une « procédure d’allégement de la dette municipale ». Sans reconnaître l’insolvabilité de la municipalité, huit Etats (Belgique, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Lettonie, Monténégro, Russie, Slovaquie et Suisse) prévoient que celle-ci peut être déclarée en situation de détresse financière, ce qui, en général, implique l’élaboration d’un plan de redressement. En Suisse, les créanciers de la municipalité peuvent être impliqués dans la procédure par le biais d’un concordat négocié avec la municipalité. Dans les Etats où il n’y a pas de déclaration d’insolvabilité ou de procédure de détresse financière, le paiement des créances semble devoir passer par l’exécution d’une décision judiciaire qui établit l’existence d’une somme due et exigible (Allemagne, Azerbaïdjan, Bulgarie, Espagne, Grèce, Moldova, Pologne, République tchèque, Roumanie, Serbie, Slovénie, Turquie et Ukraine). Des garanties procédurales en faveur des créanciers des municipalités sont prévues en Espagne, en Grèce, en Roumanie, au Royaume-Uni et en France. Certains Etats (Allemagne, Bulgarie, Monténégro, Royaume-Uni, Serbie, Slovénie et Suède) prévoient la possibilité de saisir les biens municipaux, bien qu’il existe des restrictions à cet égard telles que l’insaisissabilité des biens nécessaires à la continuité des services publics. Les deux Etats (Autriche et Hongrie) qui admettent la faillite d’une collectivité locale ont mis en place certaines garanties en faveur des créanciers. En Autriche, les fonctionnaires de la municipalité peuvent être tenus personnellement pour responsables en cas de négligence ou de faute et les biens de la municipalité non nécessaires au maintien des intérêts publics peuvent être saisis aux fins du paiement des créances. En Hongrie, le tribunal régional peut procéder à une répartition des biens municipaux tout en respectant un ordre de priorité des créanciers prévu par la loi. Quant à la possibilité que l’Etat intervienne pour payer les créanciers d’une municipalité, elle est complètement exclue dans onze Etats (Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Espagne, Hongrie, Luxembourg, Pologne, République tchèque, Suisse, Turquie et Ukraine) et admise seulement dans des cas très particuliers (par exemple, si l’Etat s’est porté garant) dans trois autres (Bulgarie, Moldova et Russie). L’Etat central peut aider financièrement une municipalité en Allemagne, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine et Serbie. Pour ce qui concerne les Etats non européens, en Afrique du Sud une municipalité faisant face à des problèmes financiers peut faire l’objet d’un plan de redressement et, si elle est dans l’incapacité de payer ses dettes, elle peut demander à la Haute Cour d’ordonner, pour une période n’excédant pas quatre-vingt-dix jours, la suspension de toutes les procédures judiciaires engagées par des créanciers et la suspension de tout ou partie de ses obligations financières. Si la Haute Cour accepte la demande, un plan de règlement partiel des créances est établi. Au Chili, lorsqu’un créancier engage une procédure civile contre une municipalité, les biens de celle-ci non nécessaires à son fonctionnement peuvent être saisis. Enfin, aux Etats-Unis d’Amérique, si une municipalité est insolvable et si l’Etat fédéré l’autorise, elle peut élaborer un plan pour faire face à ses dettes et demander à bénéficier de la protection de la loi sur la faillite, qui généralement consiste en une prolongation des échéances, une réduction du montant de la dette ou de ses intérêts et une obtention de prêts. Une commission a compétence pour examiner le plan de redressement, qui doit être non discriminatoire, juste et équitable. Selon les règles de priorité, certains créanciers doivent être payés en totalité, d’autres peuvent ne rien percevoir. Pour obtenir le paiement de la somme qui lui est due, un créancier privilégié bénéficie d’une garantie lui assurant une priorité de paiement en cas de difficultés du débiteur. Il évite ainsi la concurrence avec les créanciers chirographaires (créanciers simples, dépourvus d’une telle garantie). Les paiements doivent avoir été effectués en totalité pour chaque niveau de priorité pour que les créanciers du niveau suivant puissent commencer à être payés.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1984 et réside à Chișinău. Le 2 septembre 1997, elle fut victime d’un viol collectif commis par des adolescents qui s’étaient rassemblés dans un magasin désaffecté pour fêter un anniversaire et consommer de l’alcool. Parmi les jeunes présents sur les lieux se trouvaient I.M., A.G., D.B., A.M., I.B., M.S., S.C. et S.D. ; le plus âgé avait dix-sept ans à l’époque. La requérante était âgée de treize ans au moment des faits. A. L’enquête pénale Le 4 septembre 1997, la mère de la requérante déposa une plainte pour le viol de sa fille auprès du parquet de Buiucani. Le 5 septembre 1997, à la demande du parquet, un médecin légiste examina la requérante et constata la présence d’ecchymoses et d’excoriations sur plusieurs parties de son corps. Il releva également une déchirure de l’hymen qui, selon lui, remontait à une date antérieure aux événements visés et impossible à déterminer avec précision. Dans sa première déposition, la requérante déclara avoir été violée par I.M., D.B. et les autres jeunes qui se trouvaient dans le magasin. Dans leurs premières dépositions, A.M. et A.G. indiquèrent s’être trouvés dans le magasin et avoir consommé de l’alcool. Ils n’évoquèrent nullement le viol de la requérante. Le 7 octobre 1997, le parquet ouvrit une enquête pénale. A des dates non précisées, les autorités engagèrent des poursuites pénales à l’encontre de I.M., A.G., D.B., A.M., I.B., M.S., S.C. et S.D. Le 13 octobre 1997, le procureur entendit la requérante en présence de sa mère. Dans sa déposition, la requérante déclara qu’elle s’était rendue, le 2 septembre 1997, au magasin désaffecté afin de retrouver son petit ami, D.B. Elle ajouta que plusieurs adolescents, à savoir I.M., A.G., A.M., I.B. et un autre garçon qu’elle ne connaissait pas, se trouvaient sur place et que, plus tard, D.B. s’était joint à eux. Elle précisa que tous, y compris elle-même, avaient consommé de l’alcool. Elle indiqua que, par la suite, six jeunes, à savoir trois jeunes identifiés par elle par leurs prénoms, un jeune qu’elle connaissait de vue et deux inconnus, étaient également arrivés au magasin. Elle mentionna que D.B. et elle s’étaient rendus, à un moment donné, dans une pièce sombre où D.B. lui aurait proposé une relation sexuelle à laquelle elle se serait refusée. Elle ajouta que, tour à tour, d’autres adolescents étaient entrés dans la pièce en refermant la porte, qu’ils l’avaient alors déshabillée de force, et qu’ils l’avaient violée sur le sol en béton. Elle précisa que I.M. l’avait violée en premier, suivi par A.M., I.B. et les autres garçons présents dans le magasin. Elle aurait perdu connaissance plusieurs fois après le viol et aurait été raccompagnée à son domicile par deux jeunes. Sa mère aurait découvert des blessures sur son dos le lendemain et elle lui aurait alors raconté ce qui s’était passé. Le 14 octobre 1997, le procureur interrogea A.G. en présence de sa mère et d’un pédagogue. A.G. reconnut les faits. Il déclara que I.M. avait été le premier à violer la requérante, pendant que A.M. lui maintenait les jambes et quelqu’un d’autre les mains afin de l’immobiliser. D’après lui, tous, à savoir lui-même, D.B., A.M., I.B., M.S. et S.D., à tour de rôle, avaient ensuite violé la requérante pendant que les autres lui bloquaient les jambes et les mains. A.G. affirma également que, deux jours avant les faits, il avait décidé avec I.M. et D.B. de commettre le viol. Le même jour, le procureur interrogea A.M. en présence de sa mère. A.M. affirma s’être borné à consommer de l’alcool dans le magasin. Il déclara avoir appris quelques jours plus tard que la requérante avait été violée. Le 20 novembre 1997, le procureur interrogea D.B. Ce dernier reconnut que le viol avait eu lieu, mais qu’il n’avait pas eu de relations sexuelles avec la requérante. Il affirma lui avoir seulement immobilisé les mains et il désigna I.M., A.G., I.B. et A.M. comme étant les violeurs. Le 25 novembre 1997, entre 10 heures et 10 h 35, le procureur interrogea I.M. qui déclara avoir eu, le 2 septembre 1997, un rapport sexuel consenti avec la requérante. Une heure plus tard, le procureur interrogea de nouveau I.M. et celui-ci reconnut le viol. Il avoua avoir violé la requérante le premier et déclara que D.B avait été le deuxième. Il affirma ne pas être resté dans la pièce et ne pas savoir qui d’autre avait violé la requérante. Le 26 novembre 1997, le procureur interrogea A.M. en présence d’un pédagogue. A.M. reconnut que le viol avait eu lieu. Il affirma que la requérante criait et que les autres lui avaient immobilisé les jambes et les mains. Il déclara que I.M. avait été le premier à avoir un rapport sexuel avec la requérante, suivi, dans l’ordre, par D.B., A.G. et lui-même. Le 4 décembre 1997, le procureur confronta A.M. à la requérante. Celle-ci réitéra sa version des faits. A.M. la confirma en partie, déclarant notamment que I.M. puis lui-même et D.B. avaient eu des rapports sexuels avec la requérante contre son gré. Le même jour, le procureur confronta D.B. à la requérante. D.B. confirma le viol. Selon lui, I.M. avait été le premier à avoir des rapports sexuels avec la jeune fille, suivi par A.G., A.M. et lui-même. Il déclara qu’il n’avait toutefois fait que simuler l’acte sexuel. Il affirma enfin que I.B. n’avait pas participé au viol. La requérante quant à elle soutint que D.B. et I.B. l’avaient violée. Le 30 janvier 1998, le procureur recueillit une autre déposition de A.M. en présence de sa mère et d’un pédagogue. A.M. affirma cette fois-ci que I.M., qui aurait violé en premier la requérante, avait dit aux autres de faire de même et que A.G. avait alors obtempéré. Il ajoute que lui-même s’était ensuite exécuté mais en se bornant à simuler l’acte sexuel. Le 26 février 1998, le procureur confronta une deuxième fois D.B. à la requérante. Celle-ci réitéra sa version des faits. D.B. maintint ses affirmations, faites lors de la première confrontation du 4 décembre 1997, selon lesquelles il avait simulé l’acte sexuel. Le 10 mars 1998, le procureur confronta également une deuxième fois A.M. à la requérante. Celle-ci affirma de nouveau que I.M., A.G., A.M., D.B, I.B. et les autres l’avaient violée. A.M. déclara qu’il avait seulement simulé l’acte sexuel. Le 31 mars 1998, le procureur interrogea I.B. Ce dernier affirma avoir uniquement entendu les cris d’appel au secours de la requérante, en provenance de la pièce où elle se serait trouvée avec I.M. et D.B. Il déclara qu’il s’était ensuite absenté pendant environ deux heures et que, une fois revenu au magasin, il avait appris que la requérante avait été violée par I.M. et D.B. Le 28 avril 1998, le procureur en charge de l’affaire rendit une ordonnance de classement sans suite concernant D.B., A.M., I.B., M.S., S.D. et une personne non identifiée. Il prit en compte les dépositions de D.B. et A.M. selon lesquelles ils avaient simulé l’acte sexuel, et également la déclaration de I.B. selon laquelle il était absent du magasin au moment des faits. Le procureur souligna qu’il n’avait pas été possible, au cours de l’enquête préliminaire, d’interroger M.S., S.D. et un certain Sacha qui aurait été présent sur les lieux. Le procureur rédigea ses conclusions comme suit : « (...) compte tenu du fait qu’il n’a pas été possible d’obtenir suffisamment de preuves que D.B., A.M., I.B., M.S., S.D. et une certaine personne non identifiée, prénommée Sacha, eussent commis l’infraction réprimée par l’article 102 § 3 du code pénal, [le procureur décide] de clore la procédure pénale en raison de l’absence des éléments constitutifs de l’infraction. » A une date non spécifiée, le procureur inculpa I.M. Le 29 avril 1998, il inculpa A.G. Le 31 décembre 1998, il émit des avis de recherche à l’encontre de I.M et A.G. Par une ordonnance du même jour, il suspendit l’enquête contre eux. Le 19 juillet 1999, un autre procureur, hiérarchiquement supérieur, annula l’ordonnance de suspension de l’enquête préliminaire du 31 décembre 1998 (paragraphe 29 ci-dessus) aux motifs qu’elle avait été rendue prématurément, sans fondement et illégalement. Il motiva sa décision par la nécessité d’interroger les proches des deux personnes inculpées et recherchées, d’effectuer des confrontations entre ces deux personnes et tous les suspects, et d’inculper tous les suspects. A une date non spécifiée, A.G. fut retrouvé par les autorités. Le 28 juillet 1999, le procureur en charge de l’affaire interrogea M.S. Ce dernier affirma être arrivé au magasin après le viol. Le même jour, le procureur interrogea A.G. en présence de sa mère et d’un avocat. A.G. déclara que la requérante avait été violée d’abord par I.M., puis par A.M., D.B., lui-même, I.B., M.S., S.C. et S.D. Le 26 août 1999, le procureur confronta A.M. à A.G. Les deux suspects déclarèrent que I.M. avait été le premier à violer la requérante et A.G. le deuxième. A.M. affirma être sorti de la pièce pendant les rapports sexuels de A.G. avec la requérante. A.G. quant à lui reconnut avoir violé la requérante et déclara que A.M. n’était pas entré dans la pièce. A.G. soutint enfin qu’il avait seulement vu I.B., M.S., S.C. et S.D. entrer dans la pièce où se trouvait la requérante, mais qu’il ne savait pas s’ils l’avaient violée ou non. Le même jour, D.B. fut confronté à A.G. D.B. modifia ses dépositions précédentes quant à la participation de A.M. au viol, niant avoir vu ce dernier commettre l’infraction, et il maintint avoir simulé l’acte sexuel. A son tour, A.G. renouvela sa déposition telle que faite lors de la confrontation avec A.M. (paragraphe ci-dessus) et il ajouta qu’il avait entendu D.B. affirmer avoir violé la requérante, mais qu’il n’avait pas vu ce dernier commettre l’infraction. D.B. et A.G. ne s’accordèrent pas sur l’heure d’arrivée de I.B., M.S., S.C. et S.D. au magasin et sur la présence de ces derniers dans la pièce où se trouvait la requérante. Le 29 septembre 1999, le procureur prononça un classement sans suite concernant S.C. au motif que la requérante l’avait mis hors de cause. Les 29 et 30 septembre 1999, le procureur inculpa A.G., D.B., A.M., I.B., M.S. et S.D. pour viol collectif commis sur une personne mineure. Lors des interrogatoires auxquels ils furent soumis, M.S. et S.D. nièrent les faits. Le 30 septembre 1999, I.M. et D.B. étant introuvables, le procureur disjoignit la procédure les concernant des procédures visant les autres inculpés. La suite donnée à cette procédure n’est pas connue. Le 6 octobre 1999, le procureur dressa un réquisitoire à l’encontre de A.G., A.M., I.B., M.S. et S.D. Il fonda principalement ses accusations sur les dépositions de la requérante et sur celles de A.G. En 1999, à une date non spécifiée, le dossier fut renvoyé devant le tribunal de Buiucani. B. La procédure pénale devant les tribunaux nationaux Par un jugement avant dire droit du 13 septembre 2000, le tribunal de Buiucani émit un avis de recherche à l’encontre de S.D. Du fait de l’absence de celui-ci, la procédure se déroula par défaut. Durant le procès, les quatre autres accusés nièrent les faits, tandis que la requérante maintint avoir été violée par les cinq accusés. Le 27 janvier 2004, la requérante se constitua partie civile et demanda 100 000 lei moldaves (MDL) (environ 6 200 euros (EUR)) au titre de dommage moral ainsi que 5 000 MDL (environ 310 EUR) pour les frais et dépens. Par un jugement du 2 mars 2005, le tribunal de Buiucani reconnut A.G., A.M., I.B., M.S. et S.D. coupables de viol collectif sur une personne mineure (article 171 § 2 b et c du nouveau code pénal). Il fonda sa décision principalement sur la déposition de la requérante et sur le rapport médicolégal du 5 septembre 1997 (paragraphe 9 ci-dessus). Le tribunal condamna les cinq accusés à une peine de cinq ans d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve d’un an. En outre, il fit partiellement droit à l’action civile de la requérante et il condamna solidairement les accusés à verser à l’intéressée les sommes de 10 000 MDL (environ 620 EUR) et 1 500 MDL (environ 93 EUR), respectivement au titre de dommage moral et de frais et dépens. A.M. et I.B. interjetèrent appel. La requérante, considérant les peines comme clémentes, interjeta également appel. Par un arrêt du 7 juin 2005, la cour d’appel de Chişinău rejeta l’appel de la requérante au motif que les articles 276 et 401 du code de procédure pénale (CPP) restreignaient son droit à interjeter appel. Elle releva que, selon ces articles, une victime pouvait interjeter appel d’un jugement quant à son volet pénal lorsque la procédure pénale pouvait être engagée seulement après sa plainte préalable (plângere prealabilă). Elle indiqua que, étant donné que le viol ne figurait pas dans la liste des infractions à même d’être instruites uniquement après dépôt d’une telle plainte préalable, la requérante n’était pas autorisée à interjeter appel quant au volet pénal du jugement de première instance. La cour d’appel accueillit en revanche l’appel de A.M. et I.B. Elle nota que l’ordonnance de classement sans suite du 28 avril 1998 rendue à l’égard de D.B., A.M., I.B., M.S. et S.D. n’avait jamais été annulée (paragraphe 26 ci-dessus). Elle infirma dès lors le jugement du 2 mars 2005 et, invoquant le principe non bis in idem, elle clôtura la procédure pénale engagée à l’encontre de A.G., A.M., I.B., M.S. et S.D. Le 3 août 2005, la requérante forma un pourvoi contre la décision de la cour d’appel. Elle soutint, entre autres, que le classement sans suite du 28 avril 1998 ne concernait nullement A.G. et que, malgré cela, la cour d’appel avait décidé de clôturer la procédure à son encontre. Le 21 décembre 2005, faisant référence aux articles 401 et 421 du CPP (paragraphe 49 ci-dessous), la Cour suprême de justice rejeta le pourvoi au motif que la requérante, en tant que victime, n’avait pas le droit de contester l’arrêt de la cour d’appel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 102 § 3 du code pénal de 1961, en vigueur au moment des faits, était ainsi libellé : « Le viol commis en réunion ou le viol d’un mineur sont punis de cinq à quinze ans de privation de liberté. » Les passages pertinents en l’espèce de l’article 171 du nouveau code pénal en vigueur depuis le 16 juin 2003, dans sa rédaction antérieure au 24 mai 2009, se lisent comme suit : « (1) Le viol, c’est-à-dire le rapport sexuel obtenu en exerçant une contrainte physique ou psychique sur une personne ou en profitant de l’impossibilité pour celle-ci de se défendre ou d’exprimer sa volonté, est puni de trois à cinq ans d’emprisonnement. (2) Le viol : (...) b) commis en connaissance de cause sur un mineur ; c) commis par deux ou plusieurs personnes ; (...) est puni de cinq à quinze ans d’emprisonnement. » Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP sont ainsi libellées : Article 7 § 3 « Au cours d’un procès, lorsqu’un tribunal constate que la norme juridique applicable est contraire aux dispositions de la Constitution et que cette norme est comprise dans un acte juridique susceptible d’être soumis à un contrôle de constitutionnalité, l’examen de l’affaire est suspendu. La Cour suprême de justice en est informée et elle procède à la saisine de la Cour constitutionnelle. » Article 401 : Les personnes qui peuvent interjeter appel « (1) Peuvent interjeter appel : a) le procureur, concernant les volets pénal et civil d’un jugement ; b) l’accusé, concernant les volets pénal et civil d’un jugement (...) ; c) la victime, concernant le volet pénal d’un jugement dans les affaires où la procédure pénale peut être engagée seulement après sa plainte préalable (...) » Le 20 mai 2008, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnel le paragraphe 1 c) de l’article 401 du CPP ; désormais, les victimes de toutes les infractions peuvent interjeter appel d’un jugement en ce qui concerne son volet pénal. Article 421 : Les personnes qui peuvent former un recours « Peuvent former un recours le procureur et les personnes mentionnées à l’article 401. » Les autres dispositions internes pertinentes en l’espèce sont résumées dans l’affaire I.G. c. Moldova (no 53519/07, § 30, 15 mai 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1981 et résidait, à l’époque des faits, à Chișinău. A. Mauvais traitements allégués Le 26 janvier 2006, vers 23 heures, le requérant et son cousin furent arrêtés par la police à la suite d’une altercation dans la rue avec trois autres personnes et furent conduits de force à un des bureaux de police de l’arrondissement Buiucani de Chișinău. Au bureau de police, les trois personnes impliquées dans la bagarre déclarèrent qu’elles avaient été agressées par le requérant et son cousin et que ce dernier leur avait dérobé de l’argent. Les policiers fouillèrent le requérant et son cousin et trouvèrent entre autres sur celui-ci une bombe lacrymogène et une somme correspondant à l’argent qui aurait été volé. Le même jour, une procédure fut engagée à l’encontre du requérant pour troubles à l’ordre public, refus d’obtempérer lors de son arrestation, et outrages et violences envers des agents des forces de l’ordre. L’intéressé fut placé en garde à vue. D’après le requérant, dans le bureau de police, des policiers l’ont frappé à coups de poing et de pied sur la tête et sur d’autres parties du corps. Selon la version du Gouvernement, le requérant a été blessé seulement lors de la bagarre avec les trois personnes. Le 27 janvier 2006, le tribunal de Buiucani reconnut le requérant coupable des chefs d’inculpation (paragraphe 9 ci-dessus) et le condamna à une peine d’emprisonnement de cinq jours. Après l’audience, le requérant fut conduit à l’hôpital pour un examen médical. L’établissement lui délivra le 7 février 2006 un certificat faisant état des constats suivants : fracture du nez sans déplacement des structures osseuses, plaie contuse dans la région du pavillon de l’oreille droite, état d’ivresse. Le requérant purgea sa peine au commissariat de police de Buiucani et au commissariat général de police de Chișinău. Selon ses dires, au commissariat de police de Buiucani, des fonctionnaires de police l’ont frappé à coups de poing et de pied sur la tête, le corps et les jambes. Le 1er février 2006, le requérant fut remis en liberté. Le 2 février 2006, le requérant consulta un médecin légiste ; selon le rapport dressé par ce dernier, l’intéressé avait déclaré avoir été battu dans la rue par un inconnu le 26 janvier 2006, à 23 heures. Dans son rapport, le médecin faisait mention d’une ecchymose ovale autour de l’œil gauche de couleur violet jaunâtre et mesurant 5,5 cm sur 5 cm, de deux excoriations situées dans la région temporale et sur le pavillon de l’oreille droite, recouvertes de croûtes brunes et mesurant respectivement 1,5 cm sur 0,6 cm et 2 cm sur 0,1 cm, ainsi que d’une ecchymose jaunâtre de 3 cm sur 4 cm sur la joue droite. Il notait que les lésions avaient été causées par un objet dur, contondant, ayant une surface réduite, probablement dans les circonstances décrites par le requérant, et que les lésions corporelles constatées étaient sans préjudice pour la santé de ce dernier. Le 8 février 2006, le médecin légiste compléta son rapport médical en signalant la fracture du nez du requérant. Il qualifia les blessures de ce dernier de lésions légères nécessitant des soins médicaux sur une période allant de six à vingt et un jours. B. Plaintes pénales contre les trois particuliers et les policiers Le 9 février 2006, le requérant et son cousin portèrent plainte pour agression contre les trois personnes impliquées dans l’altercation. Le requérant joignit à sa plainte les attestations médicales qui lui avaient été délivrées les 2 et 7 février 2006 (paragraphes 12 et 16 ci-dessus). Son cousin quant à lui affirma entre autres avoir utilisé une bombe lacrymogène pour se défendre. Dans leurs dépositions des 20 février, 25 février et 6 mars 2006, les trois personnes visées par la plainte déclarèrent que le cousin du requérant les avait agressées avec une bombe lacrymogène et qu’il avait ensuite volé de l’argent à l’une d’entre elles. Elles reconnurent avoir riposté en utilisant la force physique contre le requérant et son cousin qui, d’après elles, se trouvaient en état d’ivresse. Elles ajoutèrent que les deux hommes avaient résisté aux policiers intervenus pour mettre fin à l’altercation et qu’ils avaient proféré des injures contre elles-mêmes et contre les policiers au commissariat. Par une lettre du 17 mars 2006, le commissaire de Buiucani informa le requérant que les trois personnes contre qui il avait porté plainte avaient agi en état de légitime défense et qu’elles n’encouraient aucune responsabilité. Le 12 mai 2006, le requérant déposa une plainte auprès du procureur général, dénonçant, entre autres, des mauvais traitements qui lui auraient été infligés au commissariat de police de Buiucani. Dans sa déposition faite le 30 mai 2006 auprès du parquet, il affirma que, le 26 janvier 2006, dans les locaux du bureau de police, des policiers lui avaient donné des coups sur le corps. Il déclara avoir été également maltraité le lendemain soir, au commissariat de police de Buiucani par des policiers, dans le but de lui faire avouer le vol qui aurait été commis par son cousin. Le même jour, le parquet recueillit également la déposition du cousin du requérant, qui soutint que les policiers l’avaient frappé le 26 janvier 2006 sur le trajet menant au bureau de police ainsi qu’à l’intérieur du bureau pour obtenir des aveux. Le cousin ajouta que le requérant avait lui aussi été frappé par des policiers dans ce bureau de police. A des dates non spécifiées, le parquet interrogea les trois personnes impliquées dans la bagarre. Celles-ci réitérèrent leurs précédentes dépositions (paragraphe 19 ci-dessus). Elles ajoutèrent qu’à aucun moment, ni sur le trajet menant au bureau de police ni à leur arrivée sur place, les policiers n’avaient maltraité le requérant et son cousin. A des dates différentes, le procureur en charge de l’affaire interrogea les deux policiers ayant arrêté le requérant et son cousin, le policier ayant mené l’enquête sur l’accusation de vol, un inspecteur supérieur de la police criminelle du commissariat de police de Buiucani et deux policiers de garde du commissariat général de police de Chișinău. Tous démentirent l’infliction de mauvais traitements au requérant et à son cousin. Le 7 juin 2006, le procureur émit une ordonnance de classement sans suite des plaintes du requérant au motif que les éléments constitutifs des infractions alléguées n’étaient pas réunis. Il conclut que les lésions corporelles du requérant mentionnées dans le rapport médicolégal du 2 février 2006 (paragraphe 16 ci-dessus) avaient été causées pendant la bagarre avant l’arrivée de la police et que les trois personnes impliquées dans l’altercation avaient agi en état de légitime défense. Le 16 juin 2006, le conseil du requérant contesta l’ordonnance susmentionnée. Par un non-lieu du 6 juillet 2006, le juge d’instruction du tribunal de Buiucani rejeta ce recours au motif qu’il était mal fondé et il confirma le classement sans suite. Les passages pertinents de sa décision se lisent comme suit : « (...) le [9] février 2006 [le requérant et son cousin] portèrent plainte contre [les trois personnes] au motif que celles-ci les avaient frappés le 26 janvier 2006, à 23 heures (...). Il ressort du rapport médicolégal du 2 février 2006 que [le requérant] a été battu dans la rue par des inconnus le 26 janvier 2006, à 23 heures, ce qui aurait provoqué des lésions corporelles légères (...). Ce n’est que dans leurs dépositions du 30 mai 2006 que [le requérant et son cousin] ont affirmé que (...) des agents de police leur avaient infligé des coups [dans l’enceinte du bureau de police]. Ayant été interrogés, [les policiers] ont déclaré que personne n’avait maltraité [le requérant et son cousin] à l’intérieur du bureau de police et que les blessures de ces derniers avaient été causées lors de la bagarre (...). Il ressort du classement sans suite du procureur du 7 juin 2006 que l’infliction de mauvais traitements par les agents de police n’a pas été établie, que les lésions corporelles [constatées] (...) avaient été causées lors de l’altercation avec [les trois personnes] (...) et que ces dernières avaient agi en état de légitime défense (...). Par ailleurs, il convient de considérer que les griefs tirés par [le requérant et son cousin] de l’infliction de mauvais traitements ont été introduits tardivement et à titre de moyen de défense dans le cadre de l’affaire pénale [concernant le vol] (...) » Le 6 septembre 2006, en vue de réunir tous les documents pertinents pour introduire sa requête devant la Cour, le représentant du requérant demanda au procureur de lui fournir une copie des dépositions de l’intéressé et de son cousin sur leurs allégations de mauvais traitements. Le 21 septembre 2006, le parquet lui envoya les documents demandés. C. Issue de la procédure pénale engagée à l’encontre du cousin du requérant Par une décision définitive de la Cour suprême de justice du 3 décembre 2008, le cousin du requérant fut condamné pour le vol commis le 26 janvier 2006 à une peine d’emprisonnement de quatre ans assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve de deux ans. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent en l’espèce est résumé dans l’arrêt Parnov c. Moldova (no 35208/06, § 17, 13 juillet 2010 – cet arrêt n’est disponible qu’en anglais).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1972 et réside à Istanbul. A la suite de la plainte déposée par une personne victime d’extorsion de fonds de la part d’individus s’étant présentés comme des agents de police, la direction de la sûreté d’Istanbul demanda l’autorisation de placer sur écoute les téléphones de plusieurs personnes, dont le requérant. Le 9 octobre 2006, le juge d’instance pénale de Bakırköy (« le juge d’instance pénale ») autorisa les écoutes téléphoniques des personnes suspectées pendant une période de trois mois, en application de l’article 135 du code de procédure pénale (« le CPP »). Le 16 octobre 2006, le requérant, alors agent de police, fut arrêté et placé en garde à vue avec plusieurs autres personnes parmi lesquelles figuraient des agents de police. Le 19 octobre 2006, le requérant fut traduit devant le juge d’instance pénale qui ordonna son placement en détention provisoire au vu de la nature de l’infraction reprochée, de l’état des preuves, du nombre de suspects, de la pluralité des faits reprochés, de la peine encourue, du risque de fuite ainsi que du risque d’altération des preuves. Le 30 octobre 2006, le parquet de Bakırköy se déclara incompétent au motif que, à la lumière des éléments recueillis lors de l’enquête préliminaire, l’infraction reprochée au requérant relevait de l’article 250 du CPP, et il transmit le dossier au parquet d’Istanbul compétent en vertu de cette disposition. Le 25 janvier 2007, le requérant fut inculpé avec dix autres personnes pour constitution d’une organisation illégale, appartenance à celle-ci, extorsion de fonds et abus de pouvoir. Le procès commença devant la 13e cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises »). Au terme des onze audiences tenues devant elle du 14 juin 2007 au 28 décembre 2010, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant eu égard au contenu du dossier et à la persistance de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée. Elle indiqua que ces motifs concernaient l’ensemble des accusés. Le 31 décembre 2010, le requérant adressa à la cour d’assises une demande d’élargissement. Il indiqua que, selon l’article 102 du CPP entré en vigueur le même jour, la durée maximale de la détention était de deux ans et que, en l’absence d’une décision portant prolongation de cette durée, la décision relative à sa détention devait être considérée comme levée. Le 27 janvier 2011, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire au motif que la durée de celle-ci pouvait aller jusqu’à cinq ans pour les infractions relevant de sa compétence. Le 3 février 2011, la 14e cour d’assises rejeta, après examen du dossier, l’opposition formée par le requérant contre la décision de maintien en détention décidée au terme de l’audience du 28 décembre 2010. Au terme de l’audience du 19 avril 2011, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant pour les motifs retenus précédemment, à savoir le contenu du dossier et la persistance de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée. L’opposition formée par le requérant contre cette décision fut rejetée par la 14e cour d’assises le 23 mai 2011, après examen du dossier. Le 21 juin 2011, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant pour les mêmes motifs que précédemment. Le 23 juin 2011, le requérant adressa une requête à la cour d’assises : il expliquait que la prochaine audience avait été fixée au 24 novembre 2011 et qu’à cette date la durée de sa détention provisoire excèderait la durée maximale de cinq ans prévue par l’article 102 du CPP, et il demandait par conséquent son élargissement. Le 17 octobre 2011, le requérant fut libéré en raison de la durée de sa détention provisoire qui avait atteint le maximum prévu en droit interne. A ce jour, la procédure est toujours pendante. A. Requête adressée au Conseil supérieur de la magistrature Dans une requête adressée au ministère de la Justice, le requérant demanda l’ouverture d’une enquête concernant le procureur de la République et le juge d’instance pénale. Il reprochait à ces derniers d’avoir respectivement demandé et ordonné son placement en détention provisoire alors que, d’après lui, ils n’avaient pas compétence pour le faire. Par une décision notifiée au requérant le 11 juillet 2011, le Conseil supérieur de la magistrature (« le Conseil ») rejeta la demande du requérant. Il releva qu’aux termes de l’article 251 § 2 du CPP, dans le cadre des enquêtes et procès relatifs à des infractions relevant de l’article 250 du CPP, lorsque les procureurs de la République avaient besoin qu’une décision soit prise par un juge, ils pouvaient s’adresser le cas échéant à la cour d’assises spéciale et à défaut au juge judiciaire compétent. Le Conseil nota qu’il n’y avait pas à Bakırköy de cour d’assises spéciale. Il ajouta qu’en conséquence les décisions devant être prises par un juge dans le cadre de l’enquête menée à Bakırköy pouvaient être demandées au juge d’instance pénale, même si les faits relevaient de l’article 250 du CPP. Le Conseil conclut ainsi que le procureur et le juge d’instance pénale de Bakırköy avaient agi dans le cadre de leurs compétences et qu’aucun abus de fonction n’avait été relevé à cette occasion. B. Action en réparation du préjudice subi en raison de la saisie du véhicule A l’issue de l’audience du 20 mars 2008, la cour d’assises ordonna la restitution au requérant de son véhicule qui avait fait l’objet d’une saisie. Selon le requérant, des frais de gardiennage lui avaient été réclamés lors de la restitution de sa voiture. Il introduisit une action en réparation du préjudice subi à ce titre. Le tribunal de grande instance de Fatih invita le requérant à régler les frais de procédure afférents à sa demande. Le requérant ne paya pas ces frais. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent est exposé dans l’affaire Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-30, 29 novembre 2011). L’article 102 § 2 du CPP, entré en vigueur le 31 décembre 2010, indique que la durée de la détention provisoire, en matière criminelle, ne peut dépasser deux ans. En cas de nécessité, cette période peut cependant être prolongée de trois ans. La durée de la détention provisoire ne peut donc excéder au total cinq ans dans les affaires relevant de la compétence des cours d’assises.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1956 et réside à Deva. Le 28 juillet 1999, Gheorghe Dambean, le mari de la requérante, décéda à la suite d’un accident de la route. Il conduisait une camionnette qui entra en collision avec un camion venant en direction opposée et qui était conduit par V.M., ressortissant bulgare. Le même jour, la police procéda à une enquête sur place et rendit son rapport. Des photos furent prises et le contrôle technique des deux véhicules réalisé. Le tachymètre de la camionnette fut saisi, mais pas celui du camion. Les 29 juillet et 2 août 1999, V.M. ainsi que le deuxième chauffeur du camion furent entendus par la police. Les 30 juillet et 17 août 1999, la police entendit également deux témoins qui étaient à bord de la camionnette au moment de l’accident. Le 20 août 1999, la police entendit la requérante. Elle déclara ne pas avoir de prétentions civiles. Le 7 septembre 1999, le rapport d’autopsie fut versé au dossier. Il conclut que la mort du mari était due à un traumatisme cranio-cérébral. Les cinq autres témoins présents dans la camionnette lors de l’accident furent entendus les 1er, 3 et 7 octobre 1999. Le 5 octobre 1999, la requérante revint sur sa déclaration initiale et réclama la réparation du préjudice causé par la mort de son mari. Elle demanda notamment le remboursement des frais du service religieux de l’enterrement, les coûts de réparation de la camionnette, la pension alimentaire due à ses deux enfants mineurs et la réparation du dommage moral que ses enfants et elle-même avaient subi. Le 14 janvier 2000, le parquet entendit, à la demande de la requérante, deux témoins présents sur le lieu de l’accident. Le 29 février 2000, la police entendit une deuxième fois, à la demande expresse de la requérante, quatre des témoins déjà entendus. L’avocat de la requérante était également présent lors de leur audition et put leur poser des questions. Le 14 mars 2000, la police demanda au service criminalistique de déterminer la position des deux véhicules avant l’accident en fonction des traces laissées sur la route. Le 20 mars 2000, le service criminalistique rendit son opinion et estima qu’il était impossible de déterminer la position des deux véhicules parce que les photos prises lors de l’enquête sur place avaient été réalisées en méconnaissance des normes méthodologiques. Le 31 mars 2000, un expert du Bureau local d’expertises judiciaires, que la requérante avait désigné et que la police avait approuvé, rendit son avis. Après avoir examiné l’épave de la camionnette et s’être rendu sur le lieu de l’accident en présence d’un officier de police, de la requérante et de son avocat ainsi que de deux témoins de l’accident, l’expert conclut que la camionnette conduite par le mari de la requérante roulait à 20 km/heure tandis que le camion roulait à 96 km/heure. Il se fonda sur le compteur de vitesse de la camionnette et, en l’absence du tachymètre du camion ou de toute mention à celui-ci dans le rapport d’enquête sur place, il estima la vitesse du camion en fonction d’un algorithme mathématique. Il conclut que le chauffeur du camion était responsable de l’accident. Les 17 mai et 12 juin 2000, l’expert compléta son rapport à la demande de la police et détailla ses conclusions. Le 19 mai 2000, la police ouvrit des poursuites pénales contre V.M. pour homicide involontaire. Le 22 mai 2000, la police entendit les six policiers qui avaient mené l’enquête sur place à la suite de l’accident (paragraphe 7 ci-dessus). Le 22 août 2000, le bureau Interpol du ministère de l’Intérieur informa les autorités de l’enquête que la société commerciale propriétaire du camion impliqué dans l’accident ne disposait plus du tachymètre du camion puisqu’il aurait été saisi lors de l’enquête sur le lieu de l’accident. Toutefois, en octobre 2000, cette société commerciale fournit à la police roumaine le tachymètre du camion. Par une ordonnance du 13 décembre 2000, le parquet près le tribunal départemental de Hunedoara décida la clôture des poursuites, estimant que la responsabilité de l’accident appartenait au mari de la requérante. Le parquet se fonda sur le rapport rédigé après l’enquête sur place et sur les déclarations des témoins et écarta comme erronées les conclusions du rapport d’expertise technique. Sur contestation de la requérante, le procureur en chef du parquet et le parquet près la cour d’appel d’Alba-Iulia confirmèrent cette ordonnance les 14 juin et 6 juillet 2001, respectivement. La requérante contesta en justice la clôture des poursuites devant le tribunal de première instance de Deva. Après deux renvois pour des motifs de compétence matérielle du tribunal, ce dernier rejeta sa contestation par un jugement du 20 novembre 2002 et confirma la solution du parquet. Le tribunal se fonda principalement sur les dépositions des témoins qu’il avait entendus à nouveau. La requérante interjeta appel. Par un arrêt du 19 mai 2003, le tribunal départemental de Hunedoara fit droit à son appel et renvoya l’affaire au parquet afin de poursuivre l’enquête contre V.M. Le tribunal constata que le parquet avait écarté les conclusions du rapport d’expertise sans s’appuyer sur une autre expertise scientifique, alors que certains témoins avaient confirmé ses conclusions. Le tribunal indiqua que l’avis de l’Institut national d’expertises criminalistiques (« l’institut ») à Bucarest était nécessaire en l’espèce. Le 27 février 2004, l’institut rendit son rapport d’expertise et le compléta, le 7 septembre 2004, afin de répondre aux questions supplémentaires de la requérante. L’institut conclut que son mari était responsable de l’accident, puisqu’il avait emprunté à contresens avec sa camionnette la voie où V.M. circulait correctement. Les 11 mai et 15 novembre 2004, la requérante saisit le parquet près le tribunal départemental de Hunedoara et contesta les conclusions du nouveau rapport d’expertise. Elle fit valoir que les experts qui l’avait rédigé n’avaient pas vu le lieu de l’accident et n’avaient pas expliqué pourquoi les conclusions du premier rapport devaient être écartées, alors que l’expert qui l’avait établi s’était rendu sur place. Par une ordonnance du 18 février 2005, le parquet près le tribunal départemental de Hunedoara décida à nouveau de clore les poursuites pénales contre V.M. Le parquet écarta les conclusions du premier rapport d’expertise pour manque de cohérence et se fonda plutôt sur les conclusions du rapport de l’institut et sur les déclarations des témoins. Le 22 mars 2005, cette ordonnance fut confirmée par le premier procureur du parquet. La requérante contesta devant les tribunaux internes l’ordonnance du parquet. Par un jugement du 13 mai 2005, le tribunal de première instance de Deva rejeta sa contestation, au motif que le parquet avait correctement établi la responsabilité de son mari. La requérante se pourvut en recours. Par un arrêt du 4 octobre 2005, le tribunal départemental de Hunedoara renvoya l’affaire au tribunal de première instance pour vice de procédure, au motif que V.M. n’avait pas été régulièrement cité à comparaître en Bulgarie. V.M. fut par la suite cité à comparaître, mais ne se présenta pas. Il choisit toutefois un avocat qui le représenta pendant la procédure ultérieure. La requérante s’adressa à plusieurs reprises aux tribunaux internes pour se plaindre de la durée de la procédure. Dans ses observations des 16 décembre 2005 et 6 avril 2006, elle fit notamment valoir qu’en raison de la durée excessive de la procédure, la responsabilité de V.M. risquait d’être prescrite. Par un jugement du 24 mars 2006, le tribunal de première instance de Deva rejeta, pour défaut de fondement, la contestation de la requérante contre l’ordonnance du 18 février 2005. La requérante se pourvut en recours, arguant que les deux rapports d’expertise rédigés en l’espèce étaient contradictoires et que ces contradictions devaient être expliquées. Elle demanda un nouveau rapport d’expertise. Par un arrêt définitif du 3 octobre 2006, le tribunal départemental de Hunedoara rejeta son pourvoi, au motif que les éléments de preuve versés au dossier soutenaient la thèse de la responsabilité de son mari et qu’un nouveau rapport d’expertise n’était pas nécessaire. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’essentiel des dispositions pertinentes du Code pénal régissant les infractions contre la vie est décrit dans l’arrêt Pantea c. Roumanie, (no 33343/96, § 154, CEDH 2003VI (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1977 et il est détenu à présent dans la prison de Giurgiu. Depuis le 4 avril 2003, le requérant purge une peine de dix ans et trois mois de prison pour trafic de drogue. Pendant sa détention, il fut transféré dans différentes prisons. A. Les conditions matérielles de détention Les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava Du 2 décembre 2008 et au 15 juillet 2010, le requérant fut incarcéré à la prison de Bucarest-Jilava. a) La version du requérant Le requérant indique qu’il avait été placé dans la cellule no 418 ayant un profil d’infirmerie. La superficie de la cellule était d’environ 20 m², pour quatorze lits. La cellule n’était pas raccordée à l’eau potable. Elle disposait d’un radiateur avec dix éléments ce qui, selon le requérant, n’était pas suffisant pour assurer le chauffage de la cellule pendant les saisons froides. La cellule disposait d’un groupe sanitaire séparé de la pièce principale par une porte en carton. Dans cet espace il y avait deux toilettes asiatiques, un lavabo en béton avec trois robinets dont un seul en état de fonctionnement. Cet espace était raccordé à l’eau froide qui était fournie de 6 h à 22 h, et il ne disposait d’aucune source de chauffage. Le requérant souligne qu’il y avait de fortes odeurs de moisissure, d’urine et de matières fécales, en raison de l’état déplorable des canalisations d’évacuation des eaux usées. Le programme de douche était fixé à deux fois par semaine, pour une durée de dix minutes. La cellule n’était pas suffisamment aérée et il y avait de la moisissure sur les murs. Aucun espace n’était disponible pour ranger les objets personnels. L’éclairage était assuré par une ampoule de quarante watts reliée de manière artisanale aux câbles électriques. L’éclairage ne fonctionnait pas pendant la nuit. Le requérant indique que sa cellule était située à cinq mètres environ des locaux de la cuisine de la prison d’où émanaient des odeurs très fortes de nourriture ainsi que du bruit produit tous les jours de 5 h à 17 h. À l’extérieur de la cellule, à un mètre environ de la fenêtre, se trouvaient deux bouches d’égout ouvertes d’où provenaient de manière permanente des odeurs fortes d’urine et de matières fécales. Ces odeurs étaient insupportables pendant l’été ce à quoi il faut ajouter les mouches, moustiques et autres insectes. Il souligne également que la cellule était infestée de parasites, notamment de punaises, de perce-oreilles, de poux, de souris et de rats. Les sorties en plein air avaient lieu tous les jours, de 15 à 17 h, sauf lorsque les conditions météorologiques étaient défavorables auquel cas aucune sortie n’était assurée. Dans la cour de promenade il y avait six bouches d’égout dont seulement trois étaient couvertes. Les trois autres débordaient de déchets ménagers, de matières fécales et de vers et dégageaient une odeur insupportable. Le requérant souligne enfin que bien qu’il ait bénéficié du régime alimentaire « hépatique », la nourriture n’était pas adaptée à son état de santé. Souvent les plats contenaient des aliments périmés, de la terre et parfois des insectes ou des souris. b) La version du Gouvernement Le requérant fut détenu dans la cellule no 418 d’une superficie de 34,34 m² laquelle de février à juin 2010 avait été dotée de quatorze lits pour autant de détenus. Le 21 juin 2010, le nombre de lits avait été réduit à dix et en juillet 2010 à huit, afin que sept ou huit détenus y soient logés. La prison était branchée au réseau public de distribution d’eau potable. L’eau chaude était fournie deux fois par semaine. La cellule bénéficiait d’un accès à une pièce séparée dotée de deux toilettes et un évier. Elle bénéficiait également d’illumination naturelle. La prison disposait de son propre système de chauffage. La désinfection et la désinsectisation des cellules étaient assurées régulièrement, comme en témoignent les procès-verbaux de constatation dressés à la fin de ces opérations datées de décembre 2010 à août 2011. Le nettoyage des cellules relevait de la responsabilité des détenus. La cuisine ne fonctionnait pas au moment où l’intéressé avait introduit sa requête devant la Cour, au motif qu’elle était en réparation. c) Les plaintes concernant les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Jilava En 2010, se fondant sur les dispositions de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues (« la loi no 275/2006 »), le requérant saisit le juge de l’exécution des peines, délégué auprès de la prison de BucarestJilava (« le juge délégué ») d’une plainte pour dénoncer les conditions de sa détention, telles que présentées devant la Cour. Par une décision du 14 mai 2010, le juge délégué rejeta sa plainte comme mal fondée. Il nota que le requérant était détenu dans une cellule de 37,28 m² pour quatorze lits et un nombre de détenus variable sans que le nombre de places ne soit dépassé. La cellule disposait, parmi d’autres éléments, d’un groupe sanitaire séparé par une porte. Dans ce dernier espace il y avait deux toilettes asiatiques et un lavabo en béton avec trois arrivées d’eau froide. Sur le plan de l’hygiène, le juge délégué nota que des contrats avaient été conclus avec différentes sociétés de dératisation, qui intervenaient au moins une fois par trimestre, avec des produits écologiques. La dernière intervention avait eu lieu en avril 2010. Le nettoyage des cellules et des groupes sanitaires était à la charge des détenus. L’administration pénitentiaire leur distribuait à cet effet des poubelles et des sacs poubelles. Les ordures ménagères étaient ramassées tous les jours par des détenus désignés pour ce faire. Les odeurs désagréables existant dans la cellule ne pouvaient pas être imputées à l’administration, mais aux autres détenus qui ne remplissaient pas leurs devoirs ménagers ou qui avait des habitudes malpropres, comme c’était le cas d’un codétenu du requérant qui changeait sa sonde urinaire dans la cellule. Le juge délégué nota ensuite que le programme de douche était établi à deux fois par semaine pour une durée d’au moins quinze minutes pour chaque cellule. Il indiqua également que le requérant pouvait sortir en promenade tous les jours, de 8 h à 9 h et de 13 h à 15 h. En raison de l’ancienneté du bâtiment, les tuyaux de distribution d’eau devaient être réparés souvent ce qui impliquait des coupures d’eaux. Le réseau de canalisation de la prison avait une ancienneté de plus de quarante ans, il était sous-dimensionné par rapport aux besoins, et était en réparation jusqu’à novembre 2010. La cuisine était également en réparation jusqu’à novembre 2010. Le juge délégué conclut que les normes minimales obligatoires concernant les conditions de détention étaient respectées. Sur contestation du requérant, par un arrêt définitif du 23 juin 2010, le tribunal de première instance de Bucarest confirma la décision du juge délégué. Le 3 juin 2010, le requérant saisit à nouveau le juge délégué auprès de la prison de Bucarest-Jilava d’une plainte concernant les mauvaises conditions de détention, notamment les conditions précaires d’hygiène. Il indiqua qu’une flaque d’eau s’était constituée sous son lit en raison des infiltrations du groupe sanitaire ce qui provoquait de fortes odeurs pestilentielles et qu’aucune mesure n’avait été prise par les autorités pour l’éliminer, alors qu’un état des lieux avait été dressé le 19 mai 2010. Il releva également la présence des rats et de souris dans la cour de promenade et l’existence de bouches d’égout ouvertes d’où émanaient de manière permanente de fortes odeurs. Par une décision du 6 juillet 2010, le juge délégué rejeta sa demande comme mal fondée. Pour ce qui est des conditions d’hygiène, il nota que des désinsectisations et des dératisations avaient lieu régulièrement, les dernières ayant eu lieu de janvier à avril 2010. La remise en liberté du requérant pour des raisons médicales Du 15 juillet au 21 septembre 2010, le requérant fut transféré à la prison de Giurgiu. Dans cette prison il aurait été détenu dans une cellule surpeuplée et sale qu’il aurait dû partager avec des détenus fumeurs. Après avoir formulé une plainte auprès de l’administration de la prison le 15 juillet 2010, l’intéressé fut transféré le 22 juillet 2010 dans une cellule sans détenus fumeurs. Le 21 septembre 2010, le requérant fut remis en liberté pour cause de suspension de sa peine afin de se soumettre à une intervention chirurgicale (paragraphe 38 ci-dessous). La détention du requérant dans la prison de Bucarest-Rahova, après sa réincarcération Après avoir subi l’intervention chirurgicale, le requérant fut réincarcéré du 10 février au 21 mai 2011 dans la prison de BucarestRahova. Pendant sa détention dans cette prison, le requérant contracta une maladie de la peau et fut hospitalisé pendant quelques jours au département de dermatologie de l’hôpital prison de Bucarest-Jilava. a) La version du requérant Le requérant indique avoir été détenu dans une cellule de 24 m² dotée de dix lits tous attribués. Il occupait lui-même un lit superposé ce qui l’obligeait de monter et de descendre du lit lui provoquant de fortes douleurs, en raison de son état de santé. La cellule ne bénéficiait d’aucun autre mobilier que les lits, ce qui obligeait les détenus à prendre leur repas sur le lit ou par terre. La cellule était infestée de parasites et de punaises. Le requérant indique que l’administration de la prison ne fournissait pas le matériel nécessaire pour le nettoyage de la cellule. Les fenêtres de la cellule ne fermaient pas correctement. Le loquet de la porte qui séparait les toilettes de la cellule, était cassé. Dès lors, les mauvaises odeurs entraient dans la cellule. Le chauffage n’était fourni qu’une heure par jour. b) La version du Gouvernement Le requérant était détenu dans une cellule de 24,59 m² qu’il partageait avec huit autres détenus. La cellule bénéficiait d’eau potable, d’un système de chauffage et d’un système d’illumination adéquat. Le nettoyage de la cellule relevait de la responsabilité des détenus. L’administration de la prison leur distribuait les produits nécessaires pour assurer l’hygiène personnelle et celle de la cellule. Des désinsectisations et des dératisations étaient assurées régulièrement. c) Les plaintes concernant les conditions de détention dans la prison de Bucarest-Rahova En avril 2011, le requérant saisit le juge délégué d’une plainte pour dénoncer les mauvaises conditions de détention. Par un jugement définitif du 18 août 2011, le tribunal de première instance de Bucarest fit partiellement droit à sa plainte et ordonna à l’administration de la prison de meubler la cellule du requérant d’une table et de bancs ou de chaises, dans la limite de l’espace disponible et de lui fournir un balai, une pelle, un seau avec une serpillère et des produits pour faire le ménage. Il ordonna également à l’administration de mettre à la disposition du requérant un lit situé au premier niveau. Quant aux allégations concernant le surpeuplement, le tribunal les rejeta comme mal fondées, au motif que lors d’un contrôle effectué par le juge délégué dans la cellule du requérant, seulement huit des dix lits existants dans la cellule étaient occupés. Le 12 mai 2011, après avoir contracté une maladie de la peau, le requérant demanda à l’administration de la prison la permission de se voir fournir par sa famille un oreiller et une couette, au motif que ceux fournis par la prison était très usés, sales et infestés par différents insectes. Sa demande fut rejetée. Le requérant contesta ce refus devant le tribunal de première instance de Bucarest. Par un jugement définitif du 19 juillet 2011, le tribunal de première instance confirma la décision de l’administration pénitentiaire, au motif que les objets sollicités ne figuraient pas sur la liste des « objets personnels » qui pouvaient être procurés de l’extérieur. Le tribunal de première instance nota toutefois que, compte tenu du risque de transmission des maladies par l’utilisation d’objets non nettoyés, la prison devait assurer le nettoyage des oreillers et des couettes attribués aux détenus. Les conditions matérielles de détention dans la prison de Giurgiu Le 21 mai 2011, le requérant fut transféré à la prison de Giurgiu située à environ 66 km de Bucarest où sa famille est domiciliée. Il est toujours détenu dans cette prison. a) La version du requérant Le requérant indique qu’il est logé dans la cellule no 108 qu’il partage avec des détenus fumeurs. Les lits sont superposés et un lit au niveau supérieur lui est assigné. La cellule est surpeuplée, les conditions d’hygiène sont mauvaises et la nourriture est de très mauvaise qualité. b) La version du Gouvernement Le requérant a été détenu successivement dans les cellules nos 2 (d’une superficie de 33,01 m² pour 7 détenus), 15 (21,27 m² pour 6 détenus), 9 (de 21,31 m² pour 6 détenus) et 8 (21,22 m² pour 6 détenus). La première cellule bénéficiait d’un accès aux toilettes situées dans une pièce séparée. Des produits pour assurer le ménage étaient distribués régulièrement aux détenus pour maintenir la propreté dans les cellules. Les poubelles des cellules étaient vidées deux fois par jour. Le nettoyage des parties communes était assuré par les détenus. Des désinsectisations et des dératisations étaient réalisées régulièrement. c) Les plaintes concernant les conditions de détention dans la prison de Giurgiu Après sa réincarcération dans la prison de Giurgiu, le requérant saisit le juge délégué d’une plainte pour dénoncer les conditions matérielles de détention et le surpeuplement. Sa demande fut rejetée. Sur contestation du requérant, par un arrêt définitif du 13 septembre 2011, le tribunal de première instance de Giurgiu rejeta son action, au motif que les conditions de détention devaient être examinées par rapport aux conditions de détention générales existant dans la prison. Le fait pour le requérant d’avoir partagé sa cellule avec d’autres détenus ne constituait pas une atteinte à son droit à l’intimité dans la mesure où il avait bénéficiait de son propre lit. Il prit note de ce que après sa plainte adressée aux autorités en 2010, le requérant avait été rapidement transféré dans une autre cellule (paragraphe 24 ci-dessus) et qu’en tout état de cause, l’espace individuel dont il avait bénéficiait n’était pas inférieur à 3 m², comme la Cour l’avait établi dans l’affaire Florea c. Roumanie, (no 37186/03, 14 septembre 2010). B. L’état de santé du requérant Le suivi des maladies cardiaques du requérant En 2009, le requérant contracta un « germe inconnu », qui aurait déclenché chez lui plusieurs maladies cardiaques, dont une endocardite infectieuse. Par un jugement du 6 septembre 2010, sur demande du requérant, le tribunal départemental de Bucarest ordonna l’interruption de l’exécution de sa peine pour une période de deux mois pour subir une intervention chirurgicale. Cette période fut prolongée ultérieurement de trois mois par un jugement du tribunal départemental de Bucarest du 10 novembre 2010 afin de permettre le rétablissement postopératoire du requérant. Le requérant fut remis en liberté le 21 septembre 2010 et il fut opéré le 8 novembre 2010. Le suivi médical de la maladie d’hépatite C Lors de son placement en détention, le 4 avril 2003, le requérant souffrait d’une hépatite C chronique. Une expertise médicale du 18 août 2004 établit qu’un traitement antiviral n’était pas nécessaire. En mai 2010, une nouvelle expertise médicale établit que le requérant devait suivre un traitement antiviral pour l’hépatite C pour une période allant de dix à douze mois. Ce traitement devait être administré après l’intervention chirurgicale qu’il devait subir (paragraphe 38 ci-dessus). En 2011, le requérant commença un traitement pour l’hépatite C qui aurait été interrompu pendant six semaines, à savoir du 12 août au 22 septembre 2011. D’après le dossier, après sa réincarcération à la suite de l’intervention chirurgicale, le requérant n’a pas formé de plainte auprès du juge délégué près de la prison de Giurgiu pour dénoncer l’absence de traitement médical. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumées dans les arrêts Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113129, 24 juillet 2012) et Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents établissements pénitentiaires roumains visités en janvier 1999 et en juin 2006, dont la prison de Bucarest-Jilava. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT a constaté que la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules avait été fixée à 4 m² ou 8 m3. Il a recommandé aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires au respect de cette norme dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. Le Comité s’est montré très préoccupé par le fait que le surpeuplement des prisons demeurait un problème persistant à l’échelon national. Qualifiant d’« atterrantes » les conditions matérielles de détention dans certaines cellules de la prison de Bucarest-Jilava en raison, notamment, du surpeuplement chronique, du manque constant de lits, des conditions d’hygiène déplorables et de l’insuffisance d’activités éducatives pour les détenus, le CPT a recommandé aux autorités roumaines de prendre des mesures immédiates afin de réduire de façon significative le taux d’occupation des cellules. La direction de la prison a attiré l’attention de la délégation du CPT sur le fait que les conditions matérielles étaient « extrêmement médiocres » dans l’ensemble de la prison. Les extraits pertinents de la Recommandation no (2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptées le 11 janvier 2006, sont décrites dans les arrêts Enea c. Italie ([GC], no 74912/01, § 48, CEDH 2009, et Rupa c. Roumanie (no 1), no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1966 et réside à Mannheim (Allemagne). Le 17 juillet 2003, le requérant fut placé en garde à vue en Roumanie pour une période de 24 heures, à la suite d’un flagrant délit dans le cadre d’une affaire de trafic de drogue. Le 18 juillet 2003, le requérant fut placé en détention provisoire pour une durée de trois jours. Le procureur M.M., du parquet près la cour d’appel d’Oradea, motiva la privation de liberté du requérant par l’application de l’article 148 § 1 h) du code de procédure pénale (« CPP »). Le même jour, le parquet ordonna l’ouverture des poursuites du chef de trafic de drogue à l’encontre du requérant (article 2 § 2 de la loi no 143 du 26 juillet 2000 relative à la lutte contre le trafic et la consommation illicite de drogues (ci-après « la loi no 143/2000 »). Le 18 juillet 2003, le parquet près la cour d’appel d’Oradea sollicita du tribunal départemental de Bihor le placement du requérant en détention provisoire. Par une décision du même jour, le tribunal départemental de Bihor ordonna le placement du requérant en détention provisoire du 20 juillet au 15 août 2003. Le tribunal estima que le requérant avait été arrêté lors d’un flagrant délit, au moment où il s’apprêtait à livrer une importante quantité d’héroïne, faits susceptibles d’entraîner une condamnation pour trafic de drogue. D’après le même tribunal, ces circonstances imposaient la détention provisoire du requérant en vertu de l’article 148 § 1 h) du CPP puisque sa mise en liberté constituait un danger pour l’ordre public. À une date non précisée, le parquet sollicita la prolongation de la détention provisoire du requérant, jusqu’au 14 septembre 2003. Par une décision du 7 août 2003, en vertu de l’article 148 § 1 h) du CPP, le tribunal départemental de Bihor fit droit à la demande du parquet et ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant du 16 août au 14 septembre 2003. Le tribunal nota que le requérant était accusé d’avoir commis une infraction grave. Il estima en outre que la prolongation de la détention se justifiait pour un bon déroulement du procès pénal et afin d’empêcher le requérant de se soustraire aux poursuites pénales. Le 14 août 2003, un coïnculpé du requérant fut appréhendé et placé en détention provisoire. Le 8 septembre 2003, sur demande du parquet, le tribunal départemental de Bihor ordonna, une nouvelle fois, la prolongation de la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé, du 15 septembre au 14 octobre 2003, invoquant la persistance des raisons ayant initialement justifié la privation de liberté. Par un réquisitoire du 3 octobre 2003, le requérant et son coïnculpé furent renvoyés en jugement du chef de trafic de drogue. Le requérant était également accusé d’avoir commis une infraction de faux et usage de faux. À une date non précisée, le parquet sollicita du tribunal départemental de Bihor la prolongation de la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé, invoquant la subsistance des raisons ayant initialement justifié leur privation de liberté. Par un jugement avant dire droit du 8 octobre 2003 la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé fut prolongée jusqu’au 13 novembre 2003, pour les raisons invoquées par le parquet. Le 10 novembre 2003, le même tribunal prolongea, avec la même motivation, la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé jusqu’au 19 décembre 2003. Le requérant forma un recours contre ce jugement. Devant la cour d’appel d’Oradea, il allégua l’absence d’indices confirmant son implication dans le trafic de drogue et l’application erronée de l’article 148 § 1 h) du CPP. Par une décision du 13 novembre 2003, la cour d’appel rejeta le recours du requérant comme mal fondé, jugeant que le requérant avait eu l’intention de transporter un sac contenant des drogues vers l’Allemagne, et que, de ce fait, le danger social des faits reprochés au requérant subsistait. Après le 15 décembre 2003, le tribunal départemental de Bihor saisi du jugement de l’affaire au fond, ajourna à plusieurs reprises l’instance. À chacune de ces audiences, la détention provisoire du requérant et de son coïnculpé fut prolongée de 30 jours, au motif que les raisons ayant initialement justifié leur privation de liberté demeuraient. Le tribunal se fonda sur les mêmes motifs pour rejeter les demandes de révocation de la mesure de détention ou celles de son remplacement par une simple interdiction de quitter la ville ou le pays, demandes formulées par le requérant lors des audiences des 15 décembre 2003, 1er juin, 13 juillet, 7 septembre, 5 octobre et 25 novembre 2004, 18 janvier, 15 février, 15 mars, 12 avril et 10 mai 2005. Le 29 juin 2004, un autre coïnculpé du requérant fut appréhendé et placé en détention provisoire. Le requérant forma un recours contre la décision de prolongation de de sa détention provisoire du 2 novembre 2004, soulignant qu’il n’y avait pas de preuves certaines démontrant qu’il avait commis les infractions reprochées ou que sa mise en liberté aurait constitué un danger pour l’ordre public. Par une décision définitive du 5 novembre 2004, la cour d’appel d’Oradea rejeta le recours du requérant comme mal fondé. La cour d’appel jugea que le danger public caractérisant les faits imputés au requérant imposait son maintien en détention provisoire. La détention provisoire du requérant fut ensuite prolongée à plusieurs reprises jusqu’au 24 juin 2005. La Cour n’est pas en possession des décisions prises après le 2 novembre 2004. Au cours de la procédure, les autorités judiciaires entendirent plusieurs témoins, réalisèrent des perquisitions domiciliaires et des expertises et plusieurs éléments de preuve furent recueillis par des commissions rogatoires. Le 24 juin 2005, le tribunal départemental de Bihor condamna le requérant à douze ans de prison ferme pour trafic de drogue, faux et usage de faux. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Par une décision du 3 novembre 2006, la cour d’appel d’Oradea accueillit partiellement l’appel du requérant, l’acquitta du chef de trafic de drogue, maintint sa condamnation pour faux et le condamna à un an de prison ferme pour faux et usage de faux. Le requérant fut remis en liberté à cette date. Le parquet et le requérant se pourvurent en cassation contre cette décision. Par un arrêt du 4 juin 2008, la Haute Cour de cassation et de justice accueillit le recours du parquet et, rejugeant l’affaire, condamna le requérant à six ans de prison ferme pour tentative de trafic de drogue. La Haute Cour rejeta le recours du requérant comme mal fondé. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale étaient ainsi libellées à l’époque des faits : Article 141 § 1 Le recours contre la décision concernant une mesure provisoire adoptée au cours du jugement par un tribunal « La décision avant dire droit rendue en première instance ou en appel, ordonnant, révoquant, remplaçant, mettant fin, maintenant ou constatant la cessation de droit d’une mesure de détention provisoire, peut faire l’objet d’un recours formé par l’inculpé, ou par le procureur, indépendamment du jugement sur le fond. (...) » Article 143 La garde à vue « 1. L’autorité de poursuite peut placer une personne en garde à vue si des preuves ou indices raisonnables montrent que celle-ci a commis un fait prohibé par la loi pénale. La garde à vue doit être prononcée dans les cas prévus par l’article 148, quelle que soit la durée de la peine applicable pour le fait reproché. Il existe des indices raisonnables si, au vu des données de la cause, la personne faisant l’objet de poursuites peut être soupçonnée d’avoir commis le fait reproché. » Article 148 § 1 Conditions à remplir et cas où s’impose la détention de l’inculpé « 1. La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée si les conditions prévues par l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas suivants : (...) h) la perpétration par l’inculpé d’un crime ou d’un délit pour lequel la loi prévoit une peine d’emprisonnement supérieure à 4 ans et l’existence de preuves certaines que son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. » Article 159 § 8 La prolongation de la détention provisoire au cours des poursuites pénales « Le procureur ou l’inculpé peuvent introduire un recours contre la décision avant dire droit par laquelle le tribunal a statué sur la prolongation de la durée de la détention provisoire dans un délai de vingt-quatre heures à partir de son prononcé ou de sa communication. Le recours doit être examiné avant l’expiration de la durée de la détention provisoire. » Conformément aux articles 160 b) et 160 c) du code de procédure pénale, le procureur ou l’inculpé peuvent introduire également un recours contre la décision avant dire droit par laquelle le tribunal a statué sur la prolongation de la durée de la détention provisoire après le renvoi en jugement, dans un délai de vingt-quatre heures à partir de son prononcé ou de sa communication. L’essentiel de la pratique interne relative à la notion de « danger pour l’ordre public » prévue par l’article 148 § 1 h) du CPP est décrit dans l’affaire Mujea c. Roumanie ((déc.), no 44696/98, 10 septembre 2002) et dans l’arrêt Calmanovici c. Roumanie (no 42250/02, § 41, 1er juillet 2008).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1981 et réside à Bucarest. A. L’interpellation du requérant La version du requérant Le 23 octobre 2003, le requérant demanda à R. de lui procurer de la drogue pour la consommer. Après avoir acheté deux doses qu’ils consommèrent ensemble, R. proposa au requérant de l’accompagner pour rencontrer l’une de ses amies, G.S., qui lui devait de l’argent. Le requérant accompagna R. au rendez-vous. Après avoir reçu l’argent de G.S., R. proposa au requérant d’aller ensemble acheter de la drogue. Le fils mineur de R., G.S. et l’ami de cette dernière, S.D., les auraient accompagnés. Arrivés devant l’immeuble du vendeur, R. et S.D. partirent ensemble acheter de la drogue alors que le requérant les attendait devant l’immeuble. G.S. et le fils de R. seraient restés dans le taxi qui les avait amenés. De retour avec la marchandise, S.D. et R. demandèrent au requérant d’aller vers le taxi, alors qu’ils se dirigeaient dans une autre direction. Le requérant constata qu’une voiture de la gendarmerie était stationnée près du taxi. Alors qu’il s’approchait de la voiture à côté de laquelle se trouvait G.S., des agents de la police interpelèrent le requérant. G.S. commença à parler avec les policiers et, d’après le requérant, ils avaient l’air de se connaître. S.D. apparut également et commença à discuter avec les agents de police. R. ne revint plus. Le requérant indique qu’il n’a pas été fouillé à corps après son interpellation et qu’il a été transféré au siège de la police où il a dû présenter ses objets personnels. Parmi ses objets personnels il y aurait eu une fiole vide avec des traces d’héroïne qui était destinée à sa propre consommation. Il aurait été par la suite transféré dans une autre pièce où il y avait des journalistes qui le questionnèrent sur le trafic de drogue. Sur une table à côté du requérant ses objets personnels aurait été exposés ainsi que trois sachets contenant une poudre blanchâtre. La version retenue dans les décisions de justice G.S. était consommatrice de drogue et se fournissait auprès du requérant depuis environ un an. Dans la soirée du 23 octobre 2003, G.S. appela le requérant pour qu’il lui procure trois doses d’héroïne. Ils fixèrent un lieu de rendez-vous. Alors que G.S. accompagnée de S.D. attendait le requérant pour lui livrer la marchandise, G.S. constata la présence d’une patrouille de police dans le secteur. Elle dénonça le requérant auprès des agents de police comme étant vendeur de drogue. Les agents interpelèrent le requérant lors de son arrivée. Un procès-verbal d’interpellation fut dressé par les agents de la police. Il faisait état de ce qu’alors qu’il était en patrouille, l’équipage avait été arrêté par G.S. qui l’aurait informé qu’elle devait rencontrer le requérant afin d’acheter trois doses d’héroïne mais qu’elle avait décidé de dénoncer ce dernier. Les agents de police décidèrent d’interpeller l’intéressé lorsqu’il s’approchait de G.S. A la suite d’une fouille, ils auraient trouvé sur le requérant trois sachets en plastique contenant une substance de couleur cendrée. Il était noté que le témoin S.D. était présent lors de cette opération. Ce procès-verbal fut signé par G.S. en qualité de « dénonciatrice », par S.D. en qualité de témoin et par les sept agents de la police qui avaient participé à l’opération. La signature du requérant ne figure pas sur le procès-verbal et aucune mention n’est faite de son éventuel refus de signer. B. L’instruction pénale de l’affaire Le 23 octobre 2003, le requérant, G.S. et S.D. furent transférés au siège de la police judiciaire (« la police ») où ils furent interrogés. Le requérant déclara qu’il était allé chercher R. chez lui et qu’ils étaient partis ensemble rencontrer G.S. Le requérant nia son implication dans la vente de drogue, et indiqua qu’il avait entendu G.S. parler avec les policiers, qu’elle aurait eu l’intention de dénoncer R. mais que, comme celui-ci ne revint pas et que les policiers lui auraient reproché de les avoir fait attendre pour rien, elle avait décidé de l’indiquer comme fournisseur. G.S. mentionna qu’elle achetait régulièrement de la drogue auprès du requérant et indiqua le numéro de téléphone où elle le joignait. Elle déclara avoir décidé d’arrêter la consommation de drogue et que, dans ce but, elle avait décidé de dénoncer le requérant qui était son fournisseur. Trois semaines auparavant, elle se serait dénoncée et dans ce contexte elle aurait dénoncé également le requérant. Elle expliqua ensuite que dans la soirée du 23 octobre 2003, alors qu’elle était avec le requérant qui devait lui vendre trois doses d’héroïne, elle avait remarqué par hasard quatre individus à qui elle avait fait signe de s’approcher. Ces derniers s’étaient approchés, se présentant comme étant des agents de police et demandèrent à G.S. et au requérant de décliner leurs identités, avant qu’elle ait parlé au requérant. Elle fut ensuite témoin de la fouille corporelle du requérant sur lequel trois doses d’héroïne furent retrouvées. Une autre personne aurait été témoin de ces faits et ils furent par la suite tous emmenés au siège de la police. S.D. déclara qu’il était de passage dans la zone où il avait observé que quatre agents de police avaient interpellé un homme et une femme. A la demande des agents de police il accepta d’être témoin de la fouille du requérant sur lequel trois doses de poudre furent retrouvées. Il déclara qu’il ne connaissait pas le requérant. Le 24 octobre 2003, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest (« le parquet ») se saisit de l’affaire et ouvrit des poursuites pénales contre le requérant des chefs de trafic de drogue et de possession de drogue en vue de sa consommation, délits punis par les articles 2 §§ 1 et 2, et 4 de la loi no 143/2000 sur la lutte contre le trafic et la consommation illicite de drogue (« la loi no 143/2000 »). Le parquet interrogea le requérant, G.S. et S.D. le même jour. Le requérant, assisté par un avocat commis d’office, présenta les faits tels que décrits ci-dessus (paragraphes 6 à 8 ci-dessus). Il nia que les doses d’héroïne se soient trouvées sur lui et indiqua qu’un policier les lui avait montrées au siège de la police. Il ajouta qu’il connaissait G.S. de vue depuis deux ou trois mois et qu’il l’avait vue chez R. Il admit être consommateur de drogue. G.S. déclara qu’elle avait déjà dénoncé le requérant environ trois semaines auparavant auprès du département anti-drogue de la police et que le flagrant délit qu’ils avaient organisé ensemble n’avait pas abouti, au motif que le requérant avait aperçu les policiers. Ultérieurement, le requérant aurait appris qu’une autre personne, F.P., l’avait dénoncé auprès de la police et il ne soupçonnait plus G.S. d’avoir voulu le dénoncer. Dans la soirée du 23 octobre 2003, elle devait rencontrer le requérant pour acheter trois doses de drogue. Alors qu’elle était en train de l’attendre, elle vit passer une voiture de police et décida sur le champ de dénoncer le requérant. Lorsque le requérant s’était approché d’elle, elle fit signe à la police, comme ils l’avaient prévu, à savoir en passant sa main dans ses cheveux. Elle mentionna que lors des fouilles, le requérant avait déclaré avoir reçu de l’argent de G.S. pour lui acheter de la drogue et que le requérant avait douze à quatorze clients auxquels il fournissait de la drogue. S.D. déclara au parquet que G.S. était sa compagne et que la veille il l’avait accompagnée pour qu’elle s’achète de la drogue auprès du requérant. Il indiqua également qu’une équipe de la police était de passage dans le secteur et que G.S. avait décidé de dénoncer le requérant. Un rapport d’expertise conclut que la substance trouvée sur le requérant était de l’héroïne. Sur réquisitoire du 16 janvier 2004, se fondant sur les déclarations de G.S., de S.D. et du requérant, sur le procès-verbal d’interpellation (paragraphe 11 ci-dessus), des procès-verbaux de vérification des antécédents pénaux des trois personnes impliquées et les conclusions du rapport d’expertise, le parquet renvoya le requérant en jugement devant le tribunal départemental de Bucarest (« le tribunal départemental ») des chefs de trafic de drogue et de possession de drogue en vue de sa consommation. C. La procédure devant les instances judiciaires Le 4 février 2004, le tribunal départemental ajourna l’affaire pour que le requérant puisse engager un avocat de son choix et pour qu’une copie du réquisitoire lui soit communiquée. Le 3 mars 2004, le tribunal départemental interrogea le requérant qui nia avoir commis l’infraction de trafic de drogue et avoua la possession de drogue en vue de sa consommation personnelle. Il affirma qu’il n’avait pas été fouillé à corps lors de son interpellation, que la drogue n’avait pas été trouvée sur lui et décrivit les faits présentés au paragraphe 9 ci-dessus. Il ajouta qu’il ne connaissait pas personnellement G.S., qu’elle était prostituée, et qu’il pensait qu’elle l’avait dénoncé afin de protéger son ami R. Lors de la même audience, le requérant demanda que les témoins à charge soient entendus et déclara qu’il n’avait plus de preuves à proposer. Les témoins G.S. et S.D. furent cités à plusieurs reprises à comparaître afin de déposer devant le tribunal mais ils ne se présentèrent pas aux audiences. Les citations furent retournées avec la mention «a déménagé ». Le tribunal départemental délivra des mandats d’amener à leurs noms, mais les organes chargés d’assurer leur comparution constatèrent qu’ils n’habitaient pas aux adresses qu’ils avaient indiquées au parquet et que leurs nouvelles adresses n’étaient pas connues par le service de l’état civil. Sur demande du tribunal, le service de l’état civil communiqua les adresses de G.S. et S.D. mais après citation, il s’avéra que ces derniers n’habitaient plus à ces adresses. S.D. fut également cité à la Direction générale des prisons mais la citation fut retournée au tribunal avec la mention qu’il n’était pas détenu. Le tribunal ordonna que les témoins soient cités par affichage au conseil municipal. Lors de l’audience du 23 juin 2004, le tribunal départemental constata que des démarches avaient été faites, sans succès, pour retrouver les témoins G.S. et S.D. Il décida dès lors de faire application de l’article 327 § 3 du code de procédure pénale et de donner lecture devant le tribunal de leurs déclarations faites pendant les poursuites pénales. Lors de la même audience, l’avocat du requérant releva qu’il ne lui avait pas été permis aux audiences précédentes de faire des demandes de preuve à décharge. Il sollicita du tribunal l’audition de deux témoins à décharge, l’un pour établir la situation de fait et un autre les circonstances de l’affaire (în circumstantiere). Il demanda également au tribunal de verser au dossier comme preuve un enregistrement réalisé par une chaîne de télévision. Le tribunal rejeta les preuves proposées par l’avocat du requérant, au motif qu’elles n’avaient pas été présentées pendant la phase de l’instruction judiciaire et qu’aucune prorogation de délai n’avait été décidée. Il accepta sur une nouvelle demande du requérant de verser au dossier un écrit décrivant sa personnalité. Par un jugement du 24 juin 2004, le tribunal départemental condamna le requérant du chef de possession de drogue en vue de sa consommation à une peine de trois ans de prison avec sursis. Pour ce qui était du chef d’accusation de trafic de drogue, le tribunal nota que les seules preuves du dossier attestant de l’éventuelle implication de l’intéressé dans ce crime étaient les déclarations de G.S. et S.D., déclarations qu’il considéra contradictoires. A cet égard, il releva que dans ses déclarations, G.S. avait présenté les faits de manière différente de sorte qu’il ne pouvait pas être établi si l’interpellation de l’intéressé avait été organisée par G.S. en collaboration avec la police ou si, en effet, il s’agissait d’une interpellation aléatoire. En outre, l’argent que G.S. indiquait avoir donné au requérant pour lui procurer de la drogue n’avait pas été retrouvé sur l’intéressé. Le tribunal releva également les contradictions existant entre les déclarations de S.D. qui avait nié connaître le requérant et G.S., pour admettre ensuite être le partenaire de cette dernière. Le tribunal jugea enfin que, étant donné qu’il n’avait pas pu interroger ces témoins afin de clarifier le contenu de leurs déclarations, il convenait de les écarter et de prononcer l’acquittement du requérant du chef de trafic de drogue, en application du principe in dubio pro reo. Le parquet interjeta appel, en faisant valoir qu’il ressortait des preuves instruites dans l’affaire pendant les poursuites pénales, à savoir les déclarations de G.S., de S.D. et le procès-verbal d’interpellation, que le requérant était coupable de trafic de drogue. Le fait que G.S. n’ait pas pu être interrogée par le tribunal, ne constituait pas un motif pour écarter du dossier les déclarations qu’elle avait faites pendant les poursuites pénales. Il releva que les déclarations de G.S. coïncidaient avec les déclarations de S.D. et le procès-verbal d’interpellation. Les débats eurent lieu le 20 septembre 2004. Le requérant releva dans ses observations en réponse qu’il n’y avait pas de preuve qu’il ait commis le crime de trafic de drogue. Il faisait valoir que le raisonnement du tribunal départemental était juste, que les déclarations de G.S. et S.D. avaient été écartées à bon droit et qu’il convenait de faire prévaloir la présomption d’innocence. Représenté par un avocat de son choix, le requérant ne demanda pas que des preuves soient instruites. Par un arrêt du 29 septembre 2004, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») accueillit l’appel du parquet et condamna le requérant du chef de trafic de drogue à une peine de dix ans de prison. Après avoir rappelé la nécessité d’instruire directement les preuves devant le tribunal, la cour d’appel indiqua que le tribunal départemental avait fait toutes les démarches prévues par la loi pour assurer la participation des témoins au procès. Après avoir constaté l’impossibilité d’interroger les témoins, le tribunal départemental avait à bon droit donné lecture des déclarations faites pendant les poursuites. Toutefois, à tort, le tribunal n’avait pas fondé son jugement sur ces déclarations, alors que la loi l’y autorisait. La cour d’appel se prononça comme suit : « Il ressort du procès-verbal d’interpellation, signé par la dénonciatrice G.S., par le témoin S.D. et par les sept membres d’une patrouille de gendarmes que, ces derniers avaient été informés par la dénonciatrice du fait qu’elle devait rencontrer l’inculpé [le requérant] (...) afin d’acheter trois doses d’héroïne ; l’inculpé fut identifié et soumis à une fouille corporelle à la suite de laquelle trois sachets en plastique contenant une substance de couleur grise furent découvertes sur lui. Ce procès-verbal est corroboré par les déclarations du témoin G.S. qui indique qu’elle était consommatrice de drogue, qu’elle avait pris la décision d’arrêter la consommation de drogue et, par conséquent, de dénoncer la personne qui lui offrait les doses d’héroïne. Le témoin a indiqué de manière correcte l’adresse de l’inculpé et le nombre de doses qu’elle devait acheter à celui-ci. Trois doses furent retrouvées sur l’inculpé, à savoir la quantité exacte demandée par le témoin. La déclaration du témoin S.D., le concubin du témoin [G.S.], (...) consignée dans le dossier d’instruction, qui n’était pas consommateur de drogue, corrobore la déclaration de G.S. et le procès-verbal d’interpellation ; il déclare que le témoin [G.S.] consommait trois à quatre doses par jour. L’inculpé a essayé de formuler une défense qui n’est corroborée par aucune autre preuve du dossier. Dans ses déclarations, il fait référence à des personnes dont l’identification n’a pas été possible, « R. » ou « le fils de R. », des personnes qui auraient pu confirmer ses allégations dans l’hypothèse où ces allégations étaient réelles. Le fait que le témoin S.D. a fait une déclaration d’où il ressort qu’il a été témoin assistant, qui n’était pas aussi complète que la première, n’est pas de nature a soutenir la conclusion qu’il y a des doutes pour ce qui est de la commission de l’infraction reprochée à l’inculpé. Ultérieurement, dans ses déclarations, probablement dans le but d’intimider les témoins, l’inculpé allègue sans l’étayer, que le témoin [G.S.] était « prostituée » et que S.D. était son proxénète. En conclusion, l’instance d’appel retient l’existence des éléments constitutifs de l’infraction de trafic de drogues à haut risque réprimée par l’article 2 (1) er (2) de la loi no 143/2000, dans le fait de l’offre illégale de Sică Auras à la dénonciatrice G.S., de trois doses d’héroïne (...) ». Le requérant forma un recours. Dans ses moyens de recours qu’il exposa oralement devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »), il fit valoir que dans son arrêt du 29 septembre 2004, la cour d’appel avait commis une erreur grave dans l’établissement des faits et avait établi illégalement sa culpabilité. Il demanda subsidiairement la diminution de la peine infligée. L’avocat commis d’office pour représenter le requérant, demanda à la Haute Cour de casser l’arrêt rendu en appel et de maintenir le jugement rendu en première instance, était légal et bien fondé. Par un arrêt définitif du 1er mars 2005, la Haute Cour admit le recours du requérant dans sa partie concernant la diminution de la peine infligée. Après avoir relevé que l’accomplissement du crime de trafic de drogue par le requérant ressortait du procès-verbal d’interpellation et des déclarations des témoins G.S. et S.D., la Haute Cour le condamna à une peine de huit ans de prison ferme. La Haute Cour se prononça ainsi : « (...) pendant la phase d’enquête judiciaire, en jouant un rôle actif, le tribunal, après avoir effectué des diligences pour faire interroger les témoins G.S. et S.D., a ordonné la lecture de leurs déclarations antérieures, en faisant application de l’article 327 alinéa 3 du code de procédure pénale. Il ressort de l’ensemble des preuves administrées, à savoir le procès-verbal d’interpellation signé par les deux témoins et par sept gendarmes, qu’à la suite de la dénonciation de G.S. qui devait rencontrer l’inculpé (...) pour acheter trois doses d’héroïne, ce dernier a été repéré et qu’à la suite de sa fouille, trois doses contenant une substance de couleur grise furent retrouvées sur lui. L’acte [le procès-verbal] corrobore la déclaration du témoin G.S. qui a indiqué de manière constante l’adresse, le nom de l’inculpé et le nombre de doses qu’elle devait acheter, le même nombre de doses ayant été trouvé sur l’inculpé. A son tour, le témoin S.D., qui ne consomme pas de drogue, a déclaré que son amie, G.S., consommait trois à quatre doses de drogue par jour. Il convient de noter que les allégations du requérant selon lesquelles il avait reçu la drogue de « R. » ou du « fils de R. » ne sont corroborées par aucune autre preuve, celui-ci n’ayant présenté aucun renseignement concret qui aurait pu mener à l’identification de la personne indiquée. Dès lors, à bon droit, la juridiction d’appel a établi les faits et la culpabilité de l’inculpé dans l’accomplissement de l’infraction (...). » Le requérant forma une demande en révision contre cet arrêt qui fut rejetée comme irrecevable, au motif qu’il n’y avait pas d’éléments nouveaux justifiant la réouverture de la procédure. A la suite de sa condamnation pénale, le requérant a été incarcéré et il a purgé sa peine jusqu’au 6 février 2010, date de sa remise en liberté conditionnelle. D. Développements ultérieurs dans l’affaire Le 17 décembre 2007, le requérant saisit la police de Giurgiu d’une plainte contre S.D. du chef de faux témoignage. Interrogé par la police, le requérant déclara qu’il était détenu à la prison de Giurgiu où S.D. était également détenu. Ce dernier lui aurait envoyé deux lettres pour s’excuser des déclarations mensongères qu’il avait dû faire en faveur de G.S. dans le cadre de la procédure pénale engagée contre le requérant. Le requérant demanda également à la police de lui fournir des copies des déclarations que S.D. avait faites pendant la procédure pénale. Par une lettre non datée, la police répondit au requérant qu’il aurait dû demander sa confrontation avec S.D. dans le cadre de la procédure pénale engagée contre lui ou prouver que S.D. avait fait une fausse déclaration. La police nota également qu’il ressortait du réquisitoire et du jugement du 23 juin 2004 du tribunal départemental de Bucarest que sa condamnation était fondée également sur d’autres preuves que la déclaration de S.D. Quant à sa demande d’obtenir des copies des déclarations de S.D., la police conseilla au requérant de faire une demande auprès du tribunal départemental. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles pertinents du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits étaient ainsi rédigés : Article 327 § 3 « Lorsque l’audition d’un témoin n’est plus possible, le tribunal ordonne la lecture de sa déclaration faite lors des poursuites pénales et en tient compte lors du jugement de l’affaire. » Article 329 § 3 « Lorsqu’au cours du jugement de l’affaire par le tribunal la présentation d’une preuve antérieurement admise parait inutile, le tribunal peut, après avoir entendu le parquet et les parties, décider que la preuve en cause ne sera plus présentée. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1953 et réside à Orleşti. Entre 1995 et 2001, la requérante a été la comptable d’une société commerciale dont l’administratrice et l’actionnaire principale était une dénommée G.V. A partir du mois de novembre 2000 et pendant une année, la requérante fut mandatée pour administrer la société en raison de l’état de santé de G.V., qui nécessitait des hospitalisations répétées. En janvier 2002, G.V. porta plainte pénale devant le parquet pour escroquerie, faux en écritures et gestion frauduleuse contre la requérante. Elle l’accusait d’avoir soustrait plusieurs sommes d’argent de la comptabilité de la société, et causé ainsi à cette dernière un préjudice d’environ 33 millions de lei (ROL), soit l’équivalent d’environ 1 000 euros (EUR). Ultérieurement, G.V. fit deux nouvelles déclarations au parquet indiquant que la requérante avait falsifié plusieurs ordres de paiement et qu’elle avait soustrait l’argent ainsi obtenu. Elle demanda une expertise comptable pour établir l’étendue du préjudice. La requérante nia devant le parquet l’ensemble des accusations. Elle affirma qu’elle avait remis l’argent provenant des ordres de paiement à G.V. au domicile de cette dernière. Elle précisa qu’en raison des liens de confiance et d’amitié qui la liaient à G.V. et compte tenu de son état de santé, elle ne lui avait pas demandé de signer ces ordres. Elle ajouta qu’une partie de l’argent avait été remise à G.I., l’époux de G.V. Enfin, elle demanda une nouvelle audition de G.V., une confrontation avec elle et l’audition des parents de G.V. qui, selon la requérante, avaient assisté plusieurs fois à la remise des sommes litigieuses. L’expert-comptable conclut qu’en établissant et en signant à la place de G.V. des ordres de paiement, la requérante aurait causé à la société un préjudice d’environ 78 millions de ROL, soit l’équivalent d’environ 2 000 EUR. Par un réquisitoire du 24 avril 2003, le parquet renvoya la requérante devant le tribunal de première instance de Vâlcea des chefs d’escroquerie, de faux en écritures et de gestion frauduleuse. Le parquet rejeta les demandes de la requérante, estimant qu’au regard des pièces du dossier et des déclarations des parties, la confrontation avec G.V., son audition et celle de ses parents étaient inutiles. Il proposa l’audition d’un seul témoin, G.I., l’époux de G.V. A l’audience du 25 juin 2003, G.I. fut interrogé en présence de la requérante et de son avocat. Il confirma l’existence de relations d’amitié avec la requérante et le fait que pendant la maladie de son épouse, la requérante lui avait plusieurs fois remis des sommes d’argent provenant de la société. Il précisa que pour ces sommes, il avait signé les ordres de paiement établis par la requérante, laquelle s’était également rendue plusieurs fois à leur domicile pour remettre des sommes d’argent à son épouse. G.V. fut présente à l’audience en qualité de représentante de la société. Sur demande de la requérante, une nouvelle expertise fut ordonnée. L’expert conclut que la gestion de la société pendant l’absence de G.V. n’avait provoqué aucun préjudice pour la société ni pour les associés. Une troisième expertise ordonnée par le tribunal arriva à la conclusion que le préjudice s’élevait à environ 73 millions de ROL, soit environ 1 900 EUR. Un des experts opina que le préjudice était moindre, à savoir environ 30 millions de ROL, soit environ 750 EUR. Le 9 juin 2004, la requérante demanda au tribunal l’audition de G.V. Elle exposa que les conclusions des trois expertises étaient contradictoires et estima que la convocation de G.V. était nécessaire afin d’éclaircir plusieurs éléments factuels concernant la gestion de la société, dont les circonstances dans lesquelles elle aurait porté au domicile de celle-ci l’argent manquant sur les comptes de la société. Elle fit également état de plusieurs critiques à l’égard des conclusions de la troisième expertise et demanda des explications quant à la méthode de calcul du préjudice. Le tribunal rejeta la demande d’audition de G.V. sans fournir aucun motif. Il rejeta également la demande concernant la troisième expertise. Par un jugement du 23 juin 2004, la requérante fut condamnée à des peines de prison avec sursis comprises entre 8 mois et 2 ans des chefs d’escroquerie, faux en écritures et gestion frauduleuse. Le tribunal confirma les accusations portées par G.V. contre la requérante et jugea que cette dernière avait rempli 19 ordres de paiement pour un montant total de 78 millions de ROL, somme qu’elle n’avait pas remise aux associés de la société et qu’elle s’était appropriée. La requérante fut condamnée à rembourser cette somme à titre de réparation du dommage matériel. La requérante fit appel de ce jugement, alléguant en particulier qu’elle n’avait pas eu la possibilité d’interroger G.V. pour démontrer qu’elle lui avait bien remis les sommes litigieuses. Elle rappela que G.V. n’avait été entendue que par le parquet en cela son absence, sans que le principe du contradictoire soit respecté. Elle cita l’article 6 § 3 d) de la Convention européenne des Droits de l’Homme à l’appui de cette demande. Le tribunal départemental de Vâlcea, compétent pour statuer en appel, accueillit la demande d’audition de G.V. Bien que régulièrement citée, celle-ci ne se présenta pas à l’audience du 10 novembre 2004. Elle versa au dossier un certificat médical et une lettre à l’attention du tribunal. Le certificat indiquait qu’elle suivait un traitement hormonal pour les suites d’un cancer du sein et qu’elle s’était vu recommander du repos. Dans la lettre, G.V. affirmait qu’elle était dans l’impossibilité de comparaître en raison de son état de santé et accusait la requérante d’avoir demandé son audition dans le seul but de nuire à sa santé et de chicaner. La requérante insista auprès du tribunal pour que G.V. soit entendue, en fournissant une déclaration extrajudiciaire d’une tierce personne dont il ressortait que G.V. avait été vue se déplaçant régulièrement à l’extérieur de son domicile. Le tribunal renonça à entendre G.V. au motif qu’elle était dans l’impossibilité de se présenter à l’audience. Par un arrêt du 24 novembre 2004, le tribunal maintint la condamnation, mais diminua la durée de la peine appliquée à la requérante. Il rappela que l’audition de G.V. n’avait pas été possible en raison de son état de santé, mais estima que ses allégations devant le parquet étaient corroborées par les autres pièces du dossier et en particulier par la première expertise comptable. La requérante forma un pourvoi en recours contre cet arrêt, invoquant à nouveau la méconnaissance du principe de l’égalité des armes garanti par l’article précité de la Convention du fait de l’impossibilité pour elle d’obtenir la convocation de G.V. Par un arrêt définitif du 15 février 2005, la cour d’appel de Piteşti rejeta le pourvoi. Elle estima qu’au vu des pièces du dossier « il n’y avait aucun doute que la requérante avait commis les faits pour lesquels elle a été condamnée ». Aucune mention ne figurait dans les motifs de l’arrêt quant à l’argument soulevé par la requérante relatif à la méconnaissance alléguée de l’article 6 § 3 d) de la Convention. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 63 du code de procédure pénale (CPP) n’attribue aucune valeur probante particulière aux éléments de preuve versés au dossier d’une enquête. Les tribunaux apprécient librement la valeur de chacun des éléments de preuve selon leur intime conviction et leur conscience, à la lumière de l’ensemble des preuves du dossier. Les articles 86 et 327 du CPP prévoient que le tribunal procède à l’audition des témoins après avoir entendu l’accusé et les autres participants à la procédure. Chaque témoin est invité à dire tout ce qu’il sait sur les faits qui font l’objet de l’affaire, ensuite le président et les autres membres de la formation de jugement, suivis par le procureur, peuvent lui poser des questions. Lorsqu’ils n’ont plus de questions à lui adresser, la partie qui a proposé de l’entendre et tous les autres participants à la procédure peuvent lui poser des questions. Si l’interrogatoire d’un témoin n’est pas possible, le tribunal ordonne que sa déclaration recueillie pendant les poursuites pénales soit lue en audience publique ; le tribunal peut en tenir compte pour déterminer l’issue de la cause. L’article 74 du CPP prévoit que si le témoin ne peut pas comparaitre en personne à l’audience, le tribunal peut décider de l’interroger à son domicile. Les participants à la procédure ou leurs représentants ont droit d’y assister et de poser des questions.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 13 juin 1997, la société anonyme Renault annonça son intention de céder à la première requérante, Sofiran, principal actionnaire de la seconde requérante, BDA, un établissement de commercialisation de véhicules situé à Béziers. Le nombre de salariés de cet établissement s’élevait à quatrevingt-douze personnes. A l’annonce de la vente, la moitié environ du personnel entreprit une grève et occupa les locaux. Le 20 juin 1997, le juge des référés du tribunal de grande instance de Béziers, saisi par la société Renault, ordonna à quatorze salariés de laisser libre l’accès aux locaux tant aux membres non-grévistes qu’aux clients de la succursale et à toute personne étrangère à l’entreprise désirant s’y rendre, ainsi qu’aux véhicules concernés. Le juge ajouta que « faute pour eux de le faire, [il ordonnait] leur expulsion sans délai avec au besoin le concours de la force publique ». Le 27 juin 1997, il rendit, à la demande de cette même société, une seconde ordonnance prescrivant le libre accès des locaux et, à défaut, l’expulsion de trois salariés et de tout autre occupant. Le tribunal prit en compte les constats d’un huissier faisant état de la fermeture totale de l’établissement, de l’impossibilité d’ouvrir les portes malgré la présence d’un serrurier, de la présence de personnes apparemment étrangères au personnel et d’autres créant « un climat paroxystique en montant cagoulés sur les toits de l’entreprise ». Selon le Gouvernement, un médiateur aurait alors été désigné afin de trouver une issue au conflit. Le 30 juin 1997, la société Renault saisit vainement la sous-préfecture de Béziers d’une demande de concours de la force publique. Le 22 juillet 1997, le préfet de l’Hérault envoya un courrier au président directeur général de Sofiran dans lequel il fit valoir que la situation était bloquée et qu’il organisait une nouvelle réunion entre syndicats et entreprises « afin que sous l’égide du directeur du travail, des voies nouvelles de négociation puissent être ouvertes. » La réunion eut lieu le 24 juillet. Selon un communiqué de presse du même jour, le préfet indiqua que « le ministère de l’industrie formule le vœu que le bon sens l’emporte et que l’on évite les épreuves de force ». Le 1er août 1997, la société BDA acquit l’établissement pour un montant de 2 000 000 de francs (FRF) (304 898,03 euros (EUR)). L’acte de vente stipulait que l’acquéreur fait « son affaire personnelle de l’expulsion des salariés qui occupent le site » et précisait que « toutefois, dans les cas où les salariés ayant occupé les locaux auraient dégradé les matériels et équipement vendus les empêchant de fonctionner, une indemnité fixée d’un commun accord entre les parties sera payée par Renault à l’acquéreur pour la remise en état de fonctionnement de ces matériels et équipements ». Il rendait également compte des résultats d’exploitation de l’établissement, tous négatifs depuis 1994. Le 13 août 1997, le maire de Béziers écrivit au secrétaire d’Etat chargé de l’Industrie pour lui indiquer « qu’il était urgent de trancher en utilisant la minorité de blocage (46 %) de l’Etat dans Renault et en obligeant la Régie à poursuivre l’activité de sa succursale ou en permettant à l’acheteur d’exercer librement dans les bâtiments que la Régie Renault lui a vendus. Toute hésitation complémentaire compromet gravement la poursuite de l’activité et donc l’emploi. Je ne doute pas que vous aurez le courage et la détermination nécessaires pour ne pas laisser pourrir un peu plus ce conflit qui n’a que trop duré ». Des procès-verbaux furent établis par un huissier à la demande de la société BDA en date des 1er, 11, 13, 14 et 19 août 1997. Tous firent état de la fermeture de l’ensemble des locaux couverts de banderoles et d’inscriptions à caractère revendicatif faisant allusion à la grève dont l’origine était la cession de l’entité Renault ; un procès-verbal relata la présence d’enfants et de femmes sur les lieux et un autre l’opposition physique violente de certains des grévistes. Selon le Gouvernement, une nouvelle table ronde fut organisée à l’initiative du secrétaire d’Etat à l’industrie le 20 août 1997. De plus, le 22 août, la mission parlementaire sur les perspectives de l’industrie automobile en France et en Europe se rendit sur les lieux. Le 28 août 1997, la préfecture aurait par ailleurs annoncé pour le lendemain une rencontre à Paris au siège de Renault. Le 29 août 1997, à la suite de l’assignation en référé de plusieurs salariés par BDA, le juge des référés rendit une ordonnance enjoignant aux grévistes de laisser le libre accès aux locaux, et à défaut, ordonnant leur expulsion. Il réitéra que les constats produits aux débats établissaient que le comportement des grévistes ne constituait pas une modalité obligatoire et inévitable du droit de grève et était constitutif d’une atteinte tant à la liberté du travail que de celle de la libre circulation des biens et des personnes. Le même jour, l’avocat de la société BDA adressa un courrier au préfet pour lui demander de lui accorder le concours de la force publique. Selon le Gouvernement, à compter du mois de septembre 1997, plusieurs réunions furent organisées dont une avec le secrétaire d’Etat à l’Industrie le 10 septembre, pour trouver une solution au conflit, en vain. Le 23 septembre 1997, les grévistes occupèrent la sous-préfecture et le recours à la force publique permit la libération des locaux. Le 2 octobre 1997, un administrateur judiciaire fut nommé par une ordonnance du tribunal de commerce de Béziers. Selon le Gouvernement, entre le 9 octobre 1997 et le 12 novembre 1997, huit réunions furent tenues au sein de la direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle entre les représentants des grévistes, leurs avocats, les dirigeants de BDA et Sofiran et les non grévistes, pour tenter de négocier puis pour envisager la présentation d’un plan social. Par un jugement du 21 novembre 1997, après avoir constaté que BDA se trouvait en état de cessation de paiement, le tribunal de commerce de Béziers la plaça en liquidation judiciaire avec date de cessation de paiement au 31 octobre 1997. Par une ordonnance du 27 janvier 1998, le juge des référés, saisi par le mandataire liquidateur agissant pour le compte de la société BDA, constata que les occupants avaient été licenciés, qu’ils avaient perdu leur qualité de salarié de l’entreprise et qu’ils occupaient sans droit ni titre les locaux. Il ordonna l’expulsion des quarante-six occupants. Le 19 mars 1998, l’huissier de la société BDA délivra aux grévistes un commandement de quitter les lieux qui resta sans suite. Il établit un procès-verbal relatant le refus d’un homme de le laisser entrer dans les locaux : « Nous refusons de partir ». Le 23 mars 1998, il requit le concours de la force publique auprès du sous-préfet de Béziers, demande à laquelle les autorités ne donnèrent pas suite. Le 30 mai 1998, l’occupation prit fin spontanément. Le 24 mars 1999, la société BDA, représentée par son mandataire liquidateur, et la société Sofiran firent auprès du préfet une demande préalable en indemnisation du préjudice résultant des crimes ou délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements, sur base de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT, paragraphe 34 ci-dessous). Le 11 octobre 1999, les deux requérantes, la société BDA agissant par l’intermédiaire de son mandataire liquidateur, demandèrent au tribunal administratif de Montpellier l’annulation de la décision implicite par laquelle le préfet avait rejeté leur demande indemnitaire et la condamnation de l’Etat au versement d’une indemnisation fondée sur sa responsabilité au titre, d’une part des dommages visés à l’article L. 2216-3 du CGCT, et d’autre part du refus d’accorder le concours de la force publique, visé à l’article 16 de la loi du 9 juillet 1991 (paragraphe 33 ci-dessous). La société BDA sollicita 3 333 461,86 EUR en réparation du préjudice commercial du fait de l’impossibilité d’exploiter et représentant « le montant provisoire du passif ». La société Sofiran demanda 4 947 500,04 EUR « représentant le montant provisoire des préjudices arrêtés avant la démolition de l’immeuble ». Le 29 mars 2005, le tribunal administratif de Montpellier rejeta les deux requêtes au fond. Concernant la société Sofiran et sur sa demande fondée sur l’article L. 2216-3 du CGCT, il estima que « l’occupation des locaux (...), ainsi que les dégradations légères qui y ont été constatées, ne peuvent être regardées comme des dommages résultant d’un attroupement ou d’un rassemblement (...) dès lors qu’elles présentent le caractère d’une action préméditée et concertée qui, d’une part, a nécessité la mise en place de moyens importants et adaptés afin de bloquer l’accès à l’établissement, les ouvriers grévistes ayant d’ailleurs été aidés par des syndicalistes extérieurs à l’entreprise, et qui, d’autre part, avait spécialement pour but d’empêcher la vente de l’établissement par la société Renault ». Sur sa demande formée en raison du refus du concours de la force publique, le tribunal estima qu’elle ne pouvait se prévaloir ni d’une ordonnance d’expulsion ni d’une demande d’exécution à son profit et qu’elle n’était donc pas fondée à demander réparation des préjudices qu’elle aurait subis. Concernant la société BDA, il s’exprima comme suit : « (...) Considérant en premier lieu, qu’il résulte de ce qui a été énoncé ci-dessus que la responsabilité de l’Etat ne saurait être recherchée au profit de la société BDA sur le fondement de l’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; Considérant en second lieu, que la société BDA soutient, comme la société Sofiran, que la responsabilité de l’Etat serait engagée sur le fondement de la carence fautive des autorités de l’Etat à exécuter des décisions de justice et sur celui de la rupture d’égalité devant les charges publiques résultant du refus du préfet de l’Hérault d’accorder le concours de la force publique pour assurer l’exécution de décisions de justice rendues à son profit. Considérant, d’une part, que, dans les circonstances de l’espèce, s’agissant d’un conflit collectif de travail, qui a donné lieu, de juin 1997 à mai 1998, à de nombreuses tentatives de conciliation de la part notamment du secrétaire d’Etat à l’industrie, du maire de Béziers et de membres de la Représentation nationale, restées infructueuses, et compte tenu à la fois du climat social particulièrement difficile résultat de l’intransigeance des grévistes refusant toute solution négociée et des troubles à l’ordre public que risquait d’entraîner l’expulsion forcée des grévistes, l’administration ne peut être regardée comme ayant commis une faute lourde de nature à engager envers la société requérante, sa responsabilité ; (...) Considérant, d’autre part (...) qu’il résulte de l’instruction que le préfet de l’Hérault, saisi le 23 mars 1998 par la société requérante d’une demande de concours de la force publique, n’a pris aucune mesure pour assurer l’exécution de la décision de justice du 27 janvier 1998 par laquelle le président du tribunal de grande instance de Béziers a ordonné l’expulsion des grévistes des locaux occupés ; que toutefois, il ressort de l’acte de vente en date du 6 août 1997 que celui-ci stipule notamment que « l’acquéreur achète le fond en l’état et fait son affaire personnelle de l’expulsion des salariés qui occupent actuellement le site depuis le 13 juin 1997, ce dont l’acquéreur reconnaît avoir eu parfaite connaissance » ; que la société BDA ne pouvait ignorer les risques que comportait le rachat d’un établissement occupé par les grévistes qui avaient, dès le mois de juin, exprimé leur volonté ferme de s’opposer audit rachat ni ceux résultant du refus déjà exprimé par le préfet de l’Hérault de prêter le concours de la force publique pour exécuter des ordonnances d’expulsion prononcées les 20 et 27 juin 1997 au profit de la société Renault ; qu’ainsi, après avoir accepté, en connaissance de cause, les risques de blocage de l’établissement et d’inexécution des décisions d’expulsion, les préjudices résultant d’une situation à laquelle la société BDA s’est sciemment exposée ne sauraient lui ouvrir droit à réparation. » Les requérantes firent appel de ce jugement. Le préfet fit valoir que l’expulsion présentait des risques pour l’ordre public et que « l’Etat avait, en refusant d’intervenir par la force, opté pour un règlement négocié dans un conflit lourd, médiatisé, et qui risquait de s’aggraver et de s’étendre ». Par deux arrêts du 27 février 2007, la cour administrative d’appel de Marseille jugea que les actions en responsabilité des deux requérantes sur le fondement de la loi de 1991 n’étaient pas susceptibles d’appel et relevaient de la compétence de cassation du Conseil d’Etat (article R. 811-1 du code de justice administrative). Dans la mesure où les conclusions des requêtes d’appel concernaient cette partie des demandes, elles furent transmises au Conseil d’Etat. S’agissant de la demande de la société BDA sur le fondement de l’article L. 2216-3 du CGCT, la cour considéra que cette société était en droit, en principe, de demander réparation à l’Etat des dommages résultant de l’occupation des locaux entre le 1er août 1997 et le 30 mai 1998, mais qu’elle n’avait pas suffisamment établi la réalité de son préjudice. En particulier, pour justifier de son préjudice évalué à 3 333 461,86 EUR, la cour nota que la société s’était bornée à produire un état des créances établi à la date du 6 novembre 1998 dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire, et que ces créances n’étaient pas de nature à démontrer des pertes consécutives à l’occupation du site. Quant à la société Sofiran, la cour estima que cette société ne pouvait pas se prévaloir de préjudices propres procédant directement de l’occupation des locaux du fonds de commerce acquis par la seule société BDA. Les sociétés Sofiran et BDA formèrent des pourvois contre les arrêts précités du 27 février 2007. Ces pourvois concernaient les décisions sur la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat au titre de l’article L. 2216-3 du CGCT. Par un arrêt du 3 décembre 2007, le Conseil d’Etat se prononça sur l’appel de la société Sofiran contre le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 29 mars 2005, dans la mesure où cet appel lui avait été transmis par la cour administrative d’appel de Marseille. Le Conseil d’Etat déclara la requête non admise, faute de moyens sérieux. Dans ses conclusions devant le Conseil d’Etat, le rapporteur public nota que la société BDA n’avait demandé le concours de la force publique qu’en mars 1998, soit plusieurs mois après l’acquisition du fonds de commerce et moins de trois mois avant la fin de l’occupation des locaux. Il ajouta que la société BDA pouvait se prévaloir d’un préjudice en lien direct avec cette occupation, sous réserve de produire les justificatifs, même si l’importance de ce préjudice devait être relativisée en raison de la situation déficitaire du fonds de commerce avant son acquisition (pertes d’un montant de 363 438, 46 EUR pour les cinq premiers mois de l’année 1997, avant le début de l’occupation, et supérieures aux pertes constatées pour toute l’année 1996). Par un arrêt du 18 mai 2009 (no 305135), le Conseil d’Etat, statuant sur le pourvoi formé par la société Sofiran contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en tant qu’il rejeta les conclusions tendant à la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat au titre de l’article L. 2216-3 du CGCT, annula l’arrêt d’appel en considérant que la cour avait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si la société Sofiran avait subi des préjudices propres indépendamment de ceux de sa filiale. Réglant l’affaire au fond, il rejeta l’appel de la société Sofiran contre le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 29 mars 2005, au motif que la poursuite de l’occupation ne pouvait être regardée comme ayant été le fait d’un rassemblement ou d’un attroupement. Il conclut que l’Etat n’était pas tenu à ce titre de réparer les préjudices que la société Sofiran aurait subis du fait de l’occupation des locaux de sa filiale. Par un arrêt du même jour (no 302090), le Conseil d’Etat, statuant sur l’affaire en tant qu’elle concernait la mise en cause de la responsabilité de l’Etat pour refus de concours de la force publique, constata que la cour administrative d’appel de Marseille lui avait renvoyé à tort les conclusions présentées devant elle par la société BDA et dirigées contre la partie du jugement statuant sur cette question. Le Conseil d’Etat décida toutefois de statuer sur le fond de cette partie de la demande, et donc de se prononcer sur l’appel de la société BDA contre la décision y relative du tribunal administratif de Montpellier. Le Conseil d’Etat considéra ensuite que la société BDA ne pouvait se prévaloir que de l’ordonnance de référé du 27 janvier 1998, les précédentes décisions ayant été rendues au bénéfice de la société Renault. Or, il releva que le concours de la force publique n’avait été sollicité au titre de cette ordonnance que le 23 mars 1998, alors que la société BDA avait été placée en liquidation judiciaire dès le 21 novembre 1997. Il en conclut que le rejet de cette demande ne pouvait être regardé comme la cause du préjudice dont la société poursuivait la réparation et que la responsabilité de l’Etat ne pouvait dès lors pas être engagée. Pour le reste, le Conseil d’Etat annula l’arrêt de la cour administrative d’appel en ce qu’il s’était prononcé sur la responsabilité de l’Etat au titre de l’article L. 2216-3 du CGCT et, évoquant l’affaire au fond, jugea que cette disposition n’était pas applicable (pour le même motif que celui indiqué ci-dessus au paragraphe 31). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La Cour renvoie à l’affaire Matheus c. France (no 62740/00, §§ 36 à 39, 31 mars 2005) en ce qui concerne la loi no 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution et la jurisprudence relative au refus du concours de la force publique. L’article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales prévoit que « l’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant de crimes et délits commis à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes soit contre les biens ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et réside à Suceava. Le 9 avril 2003, alors qu’il était commissaire-en-chef à la direction départementale de la police de Suceava, le requérant fut inculpé par le parquet national anticorruption (« le PNA ») du chef de plusieurs infractions de corruption et trafic d’influence. Le 10 avril 2003, par décision d’un procureur du PNA, il fut placé en détention provisoire pour une durée de trente jours. Par réquisitoire du 26 juin 2003, il fut renvoyé en jugement devant la cour d’appel de Târgu Mureş, qui le condamna à une peine de trois ans d’emprisonnement le 12 mai 2004. Par arrêt du 28 juillet 2004, la Haute Cour de Cassation et de Justice fit droit au pourvoi en cassation du PNA et, après avoir constaté l’omission de la cour d’appel de statuer sur un des chefs d’accusation, le condamna également de ce chef et aggrava la peine infligée au requérant, la portant à cinq ans d’emprisonnement. Il fut libéré conditionnellement le 8 août 2006. A. Conditions de détention et soins médicaux en prison Conditions de détention pendant la période antérieure au 13 juillet 2004 Dès son incarcération, le requérant aurait été obligé de se couper les cheveux, de revêtir des vêtements usés et trop petits, et aurait été exposé au harcèlement des autres détenus, en raison de sa qualité d’ancien responsable de la police. Le 30 mai 2003, il fut placé, au dépôt de la police de Suceava, dans une cellule surpeuplée qui ne disposait pas de toilettes. Le 30 juin 2003, il fut transféré à la prison de Botoşani, toujours dans une cellule surpeuplée, selon lui, qu’il partageait avec des fumeurs. Du 8 septembre 2003 au 13 juillet 2004, il fut incarcéré à la prison de Târgu Mureş, dans des conditions similaires. À cause de ces conditions de détention et notamment du tabagisme passif, le requérant aurait développé de l’hypertension artérielle. Du 13 juillet au 18 août 2004, il fut incarcéré à la prison de BucarestJilava. Le transport du requérant entre plusieurs centres pénitentiaires sis dans des endroits du pays éloignés les uns des autres, aurait été fait par des moyens rudimentaires et en compagnie de détenus fumeurs. Conditions de détention à la prison de Botoşani après le 18 août 2004 Le 18 août 2004, le requérant retourna à la prison de Botoşani. Le 27 août 2004, il obtint, à la suite de ses demandes répétées, d’être placé dans la cellule no 95, avec deux autres personnes, non-fumeurs. Il indique que l’espace dont il disposait dans cette cellule n’était que de 2 m² et qu’il y était confiné toute la journée, dans l’obscurité, ne pouvant pas sortir. D’après le Gouvernement, après un incident violent du 27 septembre 2004, dont le requérant fut victime, des mesures de protection furent prises à son égard, parce que les détenus le menaçaient et qu’il courait un risque d’agression. Ces mesures auraient consisté à le faire sortir de sa cellule à un autre moment que les autres. Le requérant soutient qu’à partir du 6 octobre 2004, pendant plusieurs périodes s’étalant sur 235 jours, au total, il n’aurait pas été autorisé à sortir de sa cellule pour faire sa promenade journalière. La plus longue période pendant laquelle il ne put sortir fut comprise entre les 15 février et 15 juin 2005. Il soutient également que pendant les soixante-douze dernières semaines de sa détention, il aurait seulement été autorisé à sortir sur le terrain de sport douze fois. Soins médicaux en prison Le 10 juin 2005, un rapport médicolégal établit que le requérant pouvait être soigné en prison pour ses maladies. Ainsi, le 5 octobre 2005, sa demande de libération conditionnelle pour raisons de santé fut rejetée. Par lettre du 30 juin 2005, l’Administration nationale des prisons informa les cabinets médicaux des prisons que, les ressources financières étant épuisées, la Caisse nationale d’assurance maladie ne pouvait plus assurer l’acquisition des médicaments nécessaires aux détenus, pendant les mois de juillet à septembre 2005. D’après le Gouvernement, la famille du requérant lui fournit les médicaments nécessaires pendant cette période. Le 12 décembre 2005, le requérant forma une requête concernant les mauvaises conditions de détention, le manque de médicaments et l’exposition au tabagisme passif, fondée sur le règlement d’urgence no 56/2003. Il se vit retourner cette requête par le tribunal, en raison du fait que la valeur des prétentions n’avait pas été précisée. Il la compléta et la présenta à nouveau le 4 janvier 2006. Après sept décisions déclinatoires de compétence, rendues par les tribunaux de première instance de Botoşani et de Bucarest, ainsi que par le tribunal départemental de Botoşani et la cour d’appel de Suceava, les 24 janvier, 23 mars, 21 juin, 27 juillet 2006 et 12 janvier, 20 avril et 8 juin 2007, cette requête fut finalement rejetée comme manifestement mal fondée, le 28 avril 2011. Conditions dans les cellules du palais de justice de Suceava Pour comparaître devant les tribunaux de première instance et départemental ainsi que devant la cour d’appel de Suceava, le requérant était amené au palais de justice de Suceava et gardé, en attendant sa comparution, dans une des trois cellules se trouvant au sous-sol du bâtiment ayant, selon le requérant, des dimensions d’environ 9 m², sans fenêtre ni possibilité d’aération, où quinze à vingt détenus étaient placés pendant six à neuf heures, correspondant à la durée d’une journée d’audiences. L’air aurait été irrespirable y compris à cause de la fumée de tabac provenant des détenus fumeurs. Selon le requérant, l’humidité, l’odeur irrespirable des toilettes improvisées sur une conduite d’évacuation des eaux usées et la présence de plusieurs personnes entassées dans un espace très réduit étaient tellement insupportables qu’elles causaient souvent l’évanouissement des détenus. D’après le requérant il fut exposé à ces conditions pendant environ quatre-vingt heures, au total, soit plus d’une dizaine de fois. Malgré ses réclamations auprès du ministère de la Justice, ces conditions restèrent inchangées. Par lettre du 6 octobre 2004, le vice-président de la cour d’appel de Suceava informa le requérant que les conditions dénoncées par lui étaient dues au fait que des travaux étaient en cours au siège des trois juridictions et qu’un nouveau local destiné à accueillir les détenus était en cours d’aménagement et devrait être finalisé en priorité. D’après le requérant, les travaux excédèrent trois ans durant lesquels les conditions ne s’améliorèrent pas. Par lettre du 22 mars 2011, le président du tribunal du département de Suceava informa l’agent du Gouvernement, aux fins de la présente affaire, que les travaux effectués dans les locaux destinés à accueillir les personnes privées de liberté qui comparaissaient devant le tribunal avaient pris fin en 2007. Il indiquait que pendant la durée des travaux, d’autres pièces du bâtiment du palais de justice avaient été utilisées pour garder les personnes détenues attendant leur comparution. Il mentionna que ces pièces pouvaient être aérées. L’incident violent du 27 septembre 2004 Le 27 septembre 2004, le requérant subit une agression de la part d’un codétenu, L.M., qui lui causa une contusion faciale et la perte d’une dent. Cette agression était apparemment motivée par le fait que le requérant, en tant qu’agent de police judiciaire, aurait enquêté sur L.M. en 2001. Il porta plainte contre l’agresseur, pour outrage contre un fonctionnaire public. Par jugement du 5 mai 2005 du tribunal de première instance de Botoşani et arrêt du 22 novembre 2005 du tribunal départemental de Botoşani, le non-lieu rendu par le parquet à l’égard de L.M. du chef d’outrage fut confirmé, car le requérant n’était plus en fonction. L’affaire fut renvoyée par le parquet au tribunal de première instance du chef de coups et blessures. Par jugement du 7 novembre 2005, le tribunal de première instance de Botoşani condamna L.M. à deux ans de prison pour l’agression du requérant. En outre, L.M. fut obligé à payer au requérant 1 000 nouveaux lei roumains (RON, ci-après) au titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral encouru. B. Immobilisation du requérant à l’hôpital et son exposition en public avec des menottes Les circonstances de l’immobilisation du requérant D’avril 2003 à juin 2005, le requérant fut présenté devant les tribunaux, le parquet, à l’hôpital et à l’institut médicolégal avec des menottes en présence d’un public nombreux. Pour la seule année 2005, il aurait ainsi été présenté à dix-neuf reprises. Du 30 mai 2005, à 13 heures au 31 mai 2005, à 11 heures 30, il fut hospitalisé à l’hôpital départemental de Botoşani. Un diagnostic de stéatose hépatique, hypersplénisme, pancréatite chronique, lithiase rénale, discopathie lombaire, varices aux membres inférieurs, hypertension artérielle de IIème degré et obésité commune de IIème degré fut établi. À cette occasion, il fut présenté pour examen à sept médecins et conduit menotté de l’un à l’autre, à travers les couloirs et les salles d’attente de l’hôpital, par deux gardiens de prison. Au cours de son hospitalisation, il fut immobilisé au lit, jour et nuit, avec des menottes et des chaînes, de sorte qu’il ne pouvait pas bouger. Ainsi, ses mains étaient attachées au lit avec une paire de menottes, alors qu’autour du thorax passait une ceinture en chaînes. De ce fait, le requérant ne pouvait faire aucun mouvement dans son lit. Il ressort du dossier que la « ceinture en chaîne » (curea lanţ) utilisée pour l’immobiliser mesurait 1,5 mètres et comportait deux rangées de chaines, une plus grosse, l’autre plus fine, dont les extrémités étaient fixées sur une menotte de chaque côté. Le requérant affirme qu’il ne fit jamais preuve d’un comportement dangereux, qui ait pu rendre son enchaînement au lit nécessaire. La plainte du requérant au sujet de son immobilisation Le 14 février 2006, il porta plainte pour son immobilisation avec des menottes et des chaînes. Le 7 mars 2006, un non-lieu fut rendu par le parquet près le tribunal départemental de Botoşani, au motif que son immobilisation, lors de son hospitalisation les 30 et 31 mai 2005, avait été exécutée en conformité avec le « plan-cadre » no 1165 du 19 mai 1997, ordonné par le directeur de l’Administration nationale des prisons, afin de l’empêcher de s’enfuir. Il fut aussi tenu compte du fait que son hospitalisation avait eu lieu dans des locaux partagés par des patients civils, et donc non-équipés de verrous et de barreaux aux fenêtres. Par jugement du 9 mai 2006, le tribunal départemental de Botoşani infirma le non-lieu et ordonna un complément d’enquête. Après ce complément d’enquête, le 15 août 2005, un non-lieu fut rendu en l’affaire. Le procureur constata que le moyen d’immobilisation utilisé sur la personne du requérant était « la ceinture en chaîne » composée de deux menottes liées par des chaînes qui devaient entourer la taille de la personne immobilisée. Il ajouta que ce mécanisme avait été homologué par l’Administration des prisons et devait être utilisé lors du traitement médical, sans considération de la dangerosité du patient détenu. Le non-lieu du 15 août 2005 fut infirmé le 24 septembre 2006 par le procureur-en-chef du parquet près le tribunal départemental de Botoşani. Après un nouveau complément d’enquête, un non-lieu fut rendu le 30 mars 2007 et confirmé le 15 juin 2007, au motif que l’immobilisation du requérant au lit jour et nuit avait été conforme aux dispositions réglementaires. Sur recours du requérant, par arrêt du 25 octobre 2007, la Haute Cour de Cassation et de Justice infirma le non-lieu du 30 mars 2007. La Haute Cour renvoya l’affaire devant le parquet et indiqua qu’il fallait chercher si l’immobilisation du requérant avait été rendue nécessaire par son comportement et si son état de santé était compatible avec les moyens d’immobilisation utilisés. Le 21 février 2008, le parquet près la cour d’appel de Suceava rendit un non-lieu dans cette affaire. Le requérant contesta ce non-lieu, qui fut infirmé par le procureur-en-chef, le 16 avril 2008, pour un vice de forme. Après d’autres investigations, le parquet rendit un cinquième nonlieu, le 13 août 2008, au motif que les mesures d’immobilisation en question avaient été prises en conformité avec l’article 22 de l’arrêté no 945 du 9 mars 2000, rendu par le directeur de l’Administration nationale de prisons et confirmé par le ministre de la Justice. À la suite des recours du requérant, ce non-lieu fut maintenu par décision de la cour d’appel de Suceava du 3 novembre 2008. La cour d’appel indiqua que les seuls moyens d’immobilisation dont l’Administration des prisons disposait à l’époque des faits étaient les menottes et les ceintures en chaînes. Elle conclut que, d’après une expérimentation judiciaire, qui avait été ordonnée dans le dossier, une personne ainsi immobilisée pouvait aisément bouger dans son lit. De plus, la cour d’appel indiqua que le cahier de consignes pour les gardiens accompagnant les personnes détenues à l’hôpital mentionnait que « sans distinction aucune relative au degré de dangerosité du détenu ou à son état de santé, des mesures d’immobilisation au lit devraient être prises, avec des moyens spécifiques conçus et réalisés de manière à ne pas entraver l’acte médical et à ne pas nuire à son état de santé ». Par un arrêt du 27 janvier 2009, la Haute Cour de Cassation et Justice entérina la décision de la cour d’appel. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit et la pratique concernant l’exécution des peines Les dispositions générales du droit interne pertinent concernant l’exécution des peines privatives de liberté, le droit des détenus à l’assistance médicale et leur couverture par le régime public de sécurité sociale sont partiellement décrites dans les arrêts Gagiu c. Roumanie (no 63258/00, §§ 41-42, 24 février 2009), Măciucă c. Roumanie (no 25763/03, § 14, 26 mai 2009) et V.D. c. Roumanie (no 7078/02, §§ 7379, 16 février 2010). Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) rendues à la suite des visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme les observations à caractère général du CPT, sont résumées dans les arrêts Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007) et Brânduşe c. Roumanie (no 6586/03, § 33, 7 avril 2009). Le rapport publié par le CPT en 2008 à l’égard de la Roumanie, à la suite de sa visite de 2006, fait état des conditions particulièrement préoccupantes dans les cellules situées en sous-sol d’un tribunal, à savoir celui de Piatra-Neamţ, ville située à environ 100 km de Suceava. Les extraits pertinents du rapport sont ainsi libellés : « Le CPT est particulièrement préoccupé par les conditions de détention dans les cellules situées en sous-sol au tribunal pénal de Piatra-Neamt. Les détenus provenant de Bicaz et de la prison de Bacău ayant une audience au tribunal étaient maintenus toute une journée dans l’une des trois cellules obscures, humides et privées d’aération. Des détenus hommes de la prison de Bacău se sont plaints qu’ils étaient plus d’une cinquantaine à être entassés dans la cellule la plus grande (mesurant 13,3 m²) sans pouvoir effectuer un seul mouvement, sans eau et sans nourriture. Dans les trois cellules, un seau était à la disposition des détenus pour faire leurs besoins. Si les allégations des détenus étaient avérées, de telles conditions pourraient à juste titre être qualifiées d’inhumaines et dégradantes. La présidente du tribunal a informé la délégation qu’elle était consciente de la situation et avait sollicité à quatre reprises le Ministère de la Justice à ce sujet. Dans le même temps, le Ministère aurait rencontré certaines difficultés à trouver une infrastructure de remplacement adaptée. » B. Le droit et la pratique concernant les conditions d’hospitalisation d’une personne détenue dans un hôpital civil Le droit et la pratique interne pertinents concernant les conditions d’hospitalisation dans un hôpital civil d’une personne détenue sont décrites dans l’arrêt Tănase c. Roumanie (no 5269/02, §§ 46-49, 12 mai 2009). L’arrêté no 945 du 9 mars 2000, pris par le directeur de l’Administration nationale de prisons et confirmé par le ministre de la Justice régissant l’immobilisation des personnes détenues, n’est pas publié au Journal Officiel. Selon la décision du 3 novembre 2009 de la cour d’appel de Suceava, rendue en l’espèce, l’article 22 de cet arrêté prévoyait que « pendant toute la période où une personne détenue se trouve hospitalisée dans un hôpital civil du réseau du ministère de la Santé, des moyens d’immobilisation doivent être appliqués sur elle, tant lors de ses déplacements en dehors de sa chambre, que lorsqu’elle est dans son lit ». Cet arrêté était en vigueur jusqu’au 28 octobre 2006, date de l’entrée en vigueur de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines. Les extraits pertinents des règles pénitentiaires européennes (la Recommandation no R (87) 3 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, adoptée par le Comité des Ministres le 12 février 1987, lors de la 404e réunion des Délégués des Ministres) sont décrits dans l’arrêt Rupa c. Roumanie (no 1) (no 58478/00, § 88, 16 décembre 2008). La partie pertinente est libellée comme suit : « Moyens de contrainte L’emploi de chaînes et de fers doit être prohibé. (...) » Dans son rapport relatif aux visites effectuées en Roumanie, du 16 au 25 septembre 2002 et du 9 au 11 février 2003, le Comité européen de prévention de la torture et de des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») a signalé la pratique du menottage au mobilier des détenus hospitalisés dans des hôpitaux civils et a demandé des commentaires au Gouvernement sur cet aspect (voir paragraphe 85 de ce rapport). Dans sa réponse au rapport précité du CPT, le Gouvernement a indiqué : « À l’égard de l’immobilisation des détenus hospitalisés dans les hôpitaux du réseau du ministère de la Santé, cette mesure a été imposée, exclusivement, par le degré augmenté de dangerosité posé par ceux-ci et par leurs maladies, corroboré au manque d’aménagements de sûreté dans les salons des hôpitaux. On fait la mention qu’il n’y a pas la possibilité de l’internement des détenus dans des salons individuels, dotés de systèmes spécifiques de sûreté, ceux-ci étant hospitalisés dans des chambres où des personnes non-privées de liberté s’y trouvent. La mesure de l’immobilisation est prise par le directeur de la prison, avec l’avis du médecin de l’hôpital où se trouve le détenu. Ayant en vue la mise en fonction du nouvel hôpital pénitencier Rahova, (...), la dotation d’autres hôpitaux pénitenciers d’appareils modernes et l’encadrement de personnel qualifié, le nombre de détenus qui seront internés dans les hôpitaux du réseau du ministère de la Santé sera réduit et, par suite, la mesure de l’immobilisation deviendra inefficiente (...). » La loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et des mesures ordonnées par les organes judiciaires dans le cadre du procès pénal, publiée au Journal officiel no 627 du 20 juillet 2006, est entrée en vigueur le 18 octobre 2006. L’article 159 § 3 du règlement d’application de cette loi, publié au Journal officiel no 24 du 16 janvier 2007, prévoit : « Les menottes métalliques ne peuvent pas être utilisées pour immobiliser les personnes privées de liberté qui se trouvent dans une unité sanitaire. Le modèle et le mode d’utilisation des moyens d’immobilisation utilisés dans les unités sanitaires sont établis par décision du directeur général de l’Administration nationale des prisons. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1923, 1948, 1955, 1969, 1974, 1916, 1957, 1953, 1969 et 1968 et résident à Ferreira do Alentejo, Lisbonne, Faro et Vendas Novas (Portugal). Les présentes requêtes concernent l’expropriation de divers terrains en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire au Portugal. La législation pertinente en la matière prévoyait que les propriétaires pouvaient, sous certaines conditions, exercer leur droit de « réserve » (direito de reserva) sur une partie des terrains afin d’y poursuivre leurs activités agricoles. Elle prévoyait par ailleurs l’indemnisation des intéressés. Le montant, le délai et les conditions de paiement d’une telle indemnisation restaient à définir. A. Requête no 23321/11 Les requérants Mme Maria da Nazaré Ramos Ferreira, M. António José Ramos Silvestre Ferreira, M. Pedro Manuel Ramos Silvestre Ferreira, Mme Ana Isabel Barros Silvestre Ferreira Bicó et M. Miguel Barros Silvestre Ferreira sont les héritiers de M. António Francisco Silvestre Ferreira, décédé le 2 avril 2010, lequel était propriétaire de plusieurs terrains d’une superficie totale de 3 291,17 hectares. Ceux-ci firent l’objet d’une expropriation en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire. A une date non précisée, ce dernier exerça son droit de réserve et récupéra l’ensemble des terrains, à l’exception de 30, 25 hectares. Les 22 mars 1999, 9 avril 2004 et 27 octobre 2005, le ministère de l’Agriculture proposa l’attribution d’une somme globale à titre d’indemnisation pour les dommages subis du fait de l’expropriation temporaire de ses propriétés et l’expropriation définitive d’une de ses parties. Le propriétaire originaire des terrains contesta successivement ces propositions. Par des arrêtés ministériels conjoints du ministre de l’Agriculture et du secrétaire d’Etat au Trésor en date du 10 mai 2010 et du 23 août 2010, respectivement, portés à la connaissance des requérants le 7 octobre 2010, une indemnisation définitive fut fixée à 136 769 543 escudos portugais (PTE), soit 682 203,60 euros (EUR). De cette somme devaient être déduits 4 992 878 PTE, soit 24 904,37 EUR et 7 674 826 PTE, soit 38 281,87 EUR qui avaient déjà été respectivement payés au propriétaire originaire, à titre d’indemnisation provisoire, et, en surplus, pendant l’exploitation des terrains en cause. Le 18 février 2011, l’indemnisation majorée de 530 916,05 EUR, à titre d’intérêts, fut versée aux requérants. B. Requête no 71007/11 Les requérantes Mme Carmina Cândida Correia Martins Caiado et Mme Maria Teresa Correia Martins Caiado Bolas sont les héritières de M. Virgílio Martins Caiado, décédé le 27 janvier 2001, lequel était propriétaire de plusieurs terrains d’une superficie totale de 2 038, 85 hectares. Ceux-ci firent l’objet d’une expropriation en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire. A une date non précisée, ce dernier exerça son droit de réserve et récupéra l’ensemble des terrains. Les 14 février 2002 et 18 juillet 2003, le ministère de l’Agriculture proposa l’attribution d’une somme globale à titre d’indemnisation pour les dommages subis du fait de l’expropriation temporaire des propriétés. Les requérantes contestèrent ces propositions. Par des arrêtés ministériels conjoints du ministre de l’Agriculture et du secrétaire d’Etat au Trésor en date du 16 février 2011 et du 12 avril 2011, respectivement, portés à la connaissance des requérantes le 4 juillet 2011, une indemnisation définitive fut fixée à 78 618 800 PTE, soit 392 148,92 EUR. Le 17 janvier 2012, l’indemnisation majorée de 367 389,35 EUR, à titre d’intérêts, fut versée aux requérantes. C. Requête no 23321/11 Les requérants M. Francisco José Martins Caiado, M. José Miguel André Martins Caiado et M. Paulo Jorge André Martins Caiado sont les héritiers de M. Horácio Martins Caiado, décédé le 6 mai 1994, lequel était propriétaire de plusieurs terrains d’une superficie totale de 2 636, 275 hectares. Ceux-ci firent l’objet d’une expropriation en 1975 dans le cadre de la politique relative à la réforme agraire. A une date non précisée, ce dernier exerça son droit de réserve et récupéra l’ensemble des terrains. Les 3 février 1999, 14 février 2002, 18 juillet 2003, le ministère de l’Agriculture proposa l’attribution d’une somme globale à titre d’indemnisation pour les dommages subis du fait de l’expropriation temporaire des propriétés. Les requérants contestèrent ces propositions. Par des arrêtés ministériels conjoints du ministre de l’Agriculture et du secrétaire d’Etat au Trésor en date du 16 février 2011 et du 12 avril 2011, respectivement, portés à la connaissance des requérants le 4 juillet 2011, une indemnisation définitive fut fixée à 74 259 542 PTE, soit 370 405,03 EUR. Le 12 mai 2011, l’indemnisation majorée de 352 451,82 EUR, à titre d’intérêts, fut versée aux requérantes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’arrêt Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal (nos 29813/96 et 30229/96, CEDH 2000-I) décrit, en ses paragraphes 31 à 37, le droit et la pratique internes pertinents en matière de réforme agraire. Il convient d’ajouter que le Tribunal constitutionnel a confirmé sa jurisprudence en la matière (arrêt Almeida Garrett précité, § 37) par son arrêt no 85/03/T du 12 février 2003.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956. Son avocat a fait savoir qu’il a été remis en liberté et qu’il vit en Italie. Avec plusieurs complices, dont M. Taxquet (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, CEDH 2010), le requérant fut accusé d’avoir commis l’assassinat d’un ministre d’Etat, AC, et de la tentative d’assassinat de la compagne de ce dernier, MHJ. L’acte d’accusation du 12 août 2003 relatait notamment que durant le mois de juin 1996 une personne, qualifiée de témoin anonyme, avait transmis certains renseignements aux enquêteurs. Le procès-verbal du 3 septembre 1996 faisait état de la volonté de cet informateur de conserver l’anonymat par crainte pour sa sécurité « eu égard à l’importance de ses informations et au déchaînement médiatique qui a toujours entouré l’affaire AC ». Cette personne ne fut jamais entendue par le juge d’instruction. Elle avait donné aux enquêteurs des informations recueillies à l’occasion de confidences émanant d’une autre personne dont elle refusait de dévoiler l’identité. Au cours des débats devant la cour d’assises, les enquêteurs furent interrogés à l’initiative de plusieurs accusés quant à l’identité de cet informateur. Ils précisèrent que leur informateur n’était pas l’un des accusés et qu’il n’avait pas été lui-même témoin des faits reprochés. Selon les informations fournies, présentées sous forme de quinze points, l’assassinat d’AC aurait été organisé par six personnes, ainsi qu’un autre personnage politique important. Le nom du requérant ne fut pas mentionné. Sur base de l’information ainsi reçue, le juge d’instruction poursuivit l’instruction. Le 11 janvier 2002, le procureur général près la cour d’appel de Liège demanda le renvoi de neuf personnes, dont le requérant, devant la cour d’assises. Par arrêt du 6 mai 2002, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège fit droit à cette demande en ce qui concernait huit inculpés, dont le requérant, après avoir constaté que l’action publique était éteinte à l’encontre du neuvième inculpé, décédé entre-temps. Selon les termes de l’acte d’accusation, il était reproché aux huit accusés d’avoir, à Liège, le 18 juillet 1991 : « comme auteurs ou coauteurs, soit exécuté ou coopéré directement à l’exécution des crimes, soit, par un fait quelconque, prêté pour l’exécution une aide telle que, sans leur assistance, les crimes n’eussent pu être commis, soit par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement provoqué aux crimes, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics ou des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques qui ont été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, directement provoqué à commettre les crimes, volontairement, avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [AC], avec la circonstance que le meurtre a été commis avec préméditation, crime qualifié d’assassinat par la loi ; tenté de, volontairement, avec l’intention de donner la mort et avec préméditation, commettre un homicide sur la personne de [MHJ], la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté des auteurs ; crime qualifié de tentative d’assassinat par la loi. » Les autorités belges n’ayant vraisemblablement pas notifié les actes de la procédure au domicile italien du requérant, celui-ci ne se constitua pas dans la procédure et fut considéré comme défaillant. Le jury fut appelé à répondre à trente-deux questions soumises par le président de la cour d’assises. Quatre d’entre elles concernaient le requérant. Ces questions étaient libellées comme suit (après chaque question, la réponse est également donnée) : « Question no 1 – FAIT PRINCIPAL CASTELLINO Domenico, accusé ici défaillant, est-il coupable, Comme auteur ou coauteur de l’infraction, – soit pour avoir exécuté l’infraction ou avoir coopéré directement à son exécution, – soit pour avoir, par un fait quelconque, prêté pour son exécution une aide telle que sans son assistance l’infraction n’eût pu être commise, – soit pour avoir par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement provoqué l’infraction, – soit pour avoir soit par des discours tenus dans des réunions ou des lieux publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou des emblèmes quelconques affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public directement provoqué à commettre l’infraction, D’avoir à Liège, le 18 juillet 1991, volontairement, avec l’intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [AC] ? REPONSE : oui Question no 2 – CIRCONSTANCE AGGRAVANTE : L’homicide volontaire avec l’intention de donner la mort repris à la question précédente a-t-il été commis avec préméditation ? REPONSE : oui Question no 3 – FAIT PRINCIPAL CASTELLINO Domenico, accusé ici défaillant, est-il coupable, Comme auteur ou coauteur de l’infraction, (...) D’avoir à Liège, le 18 juillet 1991, volontairement, avec l’intention de donner la mort, tenté de commettre un homicide sur la personne de [MHJ], la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de l’auteur ? REPONSE : oui Question no 4 – CIRCONSTANCE AGGRAVANTE : La tentative d’homicide volontaire avec l’intention de donner la mort reprise à la question précédente a-t-elle été commise avec préméditation ? REPONSE : oui » Le 7 janvier 2004, la cour d’assises de Liège condamna le requérant par défaut pour avoir, comme auteur ou coauteur, commis l’assassinat d’AC et tenté d’assassiner MHJ. La peine fut fixée à vingt ans d’emprisonnement. Dans l’émission « Questions à la Une » de la Radiotélévision Belge Francophone, diffusée au début 2006, l’un des coaccusés du requérant, SN, déclara avoir été l’informateur anonyme. Il dit avoir agi comme « intermédiaire » pour le compte du requérant, dont il aurait relayé les accusations. Au cours de l’émission, l’identité du témoin anonyme fut confirmée par celui qui était ministre de la Justice à l’époque des faits. SN indiqua avoir perçu de l’Etat belge, à titre de « commission d’intermédiaire », la somme de 3 000 000 francs belges (74 368,06 euros). Le requérant aurait perçu 5 000 000 francs belges (123 946,76 euros). Le 26 mars 2006, le requérant fut interpellé en Allemagne lors d’un contrôle de la police routière. Le 2 juin 2006, il fut extradé vers la Belgique et incarcéré à la prison de Lantin. Après avoir pris connaissance de sa condamnation par défaut, le requérant fit opposition, en alléguant ne pas avoir reçu signification de l’acte d’accusation à son domicile légal en Italie. Le 30 novembre 2006, constatant que l’acte d’accusation ne semblait pas avoir été notifié au domicile légal du requérant en Italie, la cour d’assises de Liège accueillit le recours en opposition et déclara la condamnation prononcée non avenue, tant au pénal qu’au civil. Le 29 décembre 2006, un nouvel acte d’accusation fut émis à l’égard du requérant. Aux termes de cet acte, le requérant était accusé d’avoir, à Liège, le 18 juillet 1991 : « comme auteurs ou coauteurs, soit exécuté ou coopéré directement à l’exécution des crimes, soit, par un fait quelconque, prêté pour l’exécution une aide telle que, sans leur assistance, les crimes n’eussent pu être commis, soit par dons, promesses, menaces, abus d’autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, directement provoqué aux crimes, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans des lieux publics ou des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques qui ont été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public, directement provoqué à commettre les crimes, volontairement, avec intention de donner la mort, commis un homicide sur la personne de [AC], avec la circonstance que le meurtre a été commis avec préméditation, crime qualifié d’assassinat par la loi ; tenté de, volontairement, avec l’intention de donner la mort et avec préméditation, commettre un homicide sur la personne de [MHJ], la résolution de commettre le crime ayant été manifestée par des actes extérieurs qui forment un commencement d’exécution de ce crime et qui n’ont été suspendus ou n’ont manqué leur effet que par des circonstances indépendantes de la volonté des auteurs ; crime qualifié tentative d’assassinat par la loi. » Le requérant fut renvoyé en jugement devant la cour d’assises de Liège. Celle-ci était composée de trois magistrats professionnels, dont deux avaient déjà siégé dans la procédure antérieure, et d’un jury populaire nouvellement formé. Les débats commencèrent le 5 mars 2007. Le 12 mars 2007, le conseil d’une partie civile déposa copie d’un article de presse daté du 16 mars 2006 et la retranscription du contenu de l’émission télévisée diffusée également en mars 2006. Ces documents relataient en particulier les déclarations de SN, qui affirmait avoir été témoin anonyme pour le compte du requérant, et celles de l’ancien ministre de la Justice, confirmant que SN avait été le témoin anonyme. Il ressort du dossier que le procèsverbal de l’audience mentionnait que le requérant et ses conseils furent entendus en leurs observations à ce sujet. La teneur de ces observations n’était toutefois pas précisée. Le président accepta de joindre au dossier les pièces litigieuses. Les débats se terminèrent le 15 mars 2007. Le jury était appelé à répondre à quatre questions, qui ne sont pas versées au dossier. Leur texte était vraisemblablement identique à celui des questions posées dans la première procédure. Le jury répondit oui aux trois premières questions et non à la quatrième, disqualifiant ainsi la tentative d’assassinat de MHJ en tentative de meurtre. Par un arrêt du 15 mars 2007, la cour d’assises de Liège condamna le requérant à vingt ans de réclusion. Lors de la fixation de la peine, la cour tint compte en particulier du rôle déterminant tenu par l’accusé dans le déroulement des faits tels qu’ils s’étaient produits. Le requérant fut également condamné à payer solidairement avec les autres condamnés les frais de la première procédure au motif que la cour tint le requérant pour responsable de sa défaillance au premier procès. Le requérant se pourvut en cassation. Invoquant les articles 6 et 7 de la Convention, il alléguait ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable. Il se plaignait du manque de motivation de l’arrêt de la cour d’assises, et arguait qu’il était contradictoire de lui prêter un rôle déterminant après que le jury eût disqualifié la tentative d’assassinat de MHJ en une tentative de meurtre. Ensuite, le requérant se plaignait que l’arrêt attaqué n’énumérait pas non plus les raisons pour lesquelles il avait été, à tort, considéré comme responsable de sa défaillance et condamné à payer les frais de son opposition et de la procédure par défaut. Le requérant alléguait par ailleurs que le jury n’avait pas disposé du temps suffisant pour lire tout le volumineux dossier et qu’il n’avait pas disposé de toutes les pièces de la procédure par défaut. En outre, il se plaignait de la nouvelle composition du jury par rapport à celui du procès par défaut, alors que deux magistrats professionnels, dont le président, avaient déjà siégé dans la première procédure. Enfin, la cour d’assises n’avait pas ordonné l’écartement de deux pièces, soit un article de presse et la transcription d’une émission télévisée, jointes au dossier par le président en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Le 27 juin 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Elle estima notamment qu’il n’y avait aucune contradiction entre l’attribution au requérant d’un rôle déterminant et la disqualification de la tentative de crime susmentionnée. Elle rejeta également les griefs dirigés contre la condamnation du requérant aux frais, tant de son opposition que du premier procès. Dans la mesure où le requérant se plaignait que les jurés n’avaient pas disposé de toutes les pièces du dossier constitué dans la procédure par défaut, ce point était également irrecevable car non soulevé devant la juridiction de fond. S’agissant de la courte durée du procès et de l’impossibilité pour les jurés de lire l’ensemble des pièces du dossier, ceci n’entraînait pas l’illégalité de l’arrêt vu le principe de l’oralité des débats. Quant au grief tiré du fait que la cour d’assises avait statué avec un jury différent de celui du premier procès, la Cour de cassation considéra que, aux termes des dispositions applicables, la décision de recevoir l’opposition et de déclarer la condamnation non avenue entraînait, sous peine de nullité, l’obligation de procéder à la formation d’un nouveau jury. S’agissant enfin des deux pièces que la cour d’assises n’avait pas écartées du dossier, la Cour releva que le procès-verbal de l’audience du 12 mars 2007 « ne précisait pas la teneur des observations du conseil du requérant et que celui-ci n’avait pas conclu. Il n’apparaissait dès lors pas que le requérant se soit opposé à la jonction des pièces ou qu’il ait sollicité les auditions ou les devoirs complémentaires qu’appelait leur dépôt. Ne trouvant pas d’appui dans les pièces de la procédure, le moyen manquait en fait. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents, y compris les développements récents, sont décrits dans Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, §§ 22-42, CEDH 2010. Il convient de rappeler la loi du 1er avril 2007 (publiée au Moniteur belge le 9 mai 2007 et entrée en vigueur le 1er décembre 2007) permettant aux condamnés de solliciter la réouverture de leur procès à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme constatant une violation de la Convention. Les dispositions pertinentes ont été insérées dans le code d’instruction criminelle. L’article 442bis du code d’instruction criminelle énonce : « S’il a été établi par un arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme que la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou des protocoles additionnels, ci-après la « Convention européenne », ont été violés, il peut être demandé la réouverture, en ce qui concerne la seule action publique, de la procédure qui a conduit à la condamnation du requérant dans l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme ou à la condamnation d’une autre personne pour le même fait et fondée sur les mêmes moyens de preuve. » L’article 442ter du même code dispose : « Le droit de demander la réouverture de la procédure appartient : 1o au condamné ; 2o si le condamné est décédé, si son interdiction a été prononcée ou s’il se trouve en état d’absence déclarée, à son conjoint, à la personne avec qui il cohabite légalement, à ses descendants, à ses frères et sœurs ; 3o au procureur général près la Cour de cassation, d’office ou à la demande du Ministre de la Justice. » L’article 442quinquies du même code dispose : « Lorsqu’il ressort de l’examen de la demande soit que la décision attaquée est contraire sur le fond à la Convention européenne, soit que la violation constatée est la conséquence d’erreurs ou de défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux existe quant au résultat de la procédure attaquée, la Cour de cassation ordonne la réouverture de la procédure pour autant que la partie condamnée ou les ayants droit prévus à l’article 442ter, 2o, continuent à souffrir des conséquences négatives très graves que seule une réouverture peut réparer. » Il convient également d’indiquer qu’une loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d’assises, entrée en vigueur le 21 janvier 2010, prévoit désormais l’obligation pour cette juridiction de formuler les principales raisons de son verdict.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1943 et réside à Paris. Le 26 juillet 2007, il eut une altercation avec un voisin de parking, qu’il blessa à l’œil en utilisant une bombe lacrymogène (qu’il présente comme une bombe « au poivre »). Le requérant soutient avoir lui-même été agressé et blessé au genou. Le 31 août 2007, le requérant comparut devant le tribunal correctionnel de Paris, assisté d’un avocat commis d’office, en raison, selon le requérant, de ce que l’avocat choisi par lui était en vacances. Il fut condamné à deux ans d’emprisonnement, dont quatorze mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans avec des obligations de soin, de fixer sa résidence en un lieu déterminé, et de justifier de l’indemnisation de la victime, pour violence en récidive avec usage ou menace d’une arme suivie d’une incapacité n’excédant pas huit jours. Le tribunal ordonna également une expertise de la victime. Le 5 septembre 2007, le requérant interjeta appel du jugement et, au cours du même mois, désigna un nouvel avocat, Me V. Le 16 février 2008, le requérant adressa un courrier à Me V. pour souligner qu’il lui avait déjà envoyé plusieurs lettres lui demandant de consulter le dossier et de préparer sa défense, et s’inquiéter de l’imminence de l’examen de l’affaire. Par un courrier adressé à la cour d’appel de Paris le 1er avril 2008, Me V. accusa réception d’un avis d’audience devant la cour d’appel daté du 11 mars précédent et précisa qu’il ne représentait plus le requérant. Le requérant adressa le même jour, par voie postale et par télécopie, un courrier au greffe de la cour d’appel. Se plaignant d’être laissé sans défense quelques jours avant l’audience, il sollicita le renvoi de celle-ci, afin de désigner un nouvel avocat. Le 10 avril 2008, l’audience eut lieu, en présence du requérant qui sollicita le renvoi de l’affaire pour se faire assister d’un conseil. Le requérant fut entendu en ses explications quant à sa demande de renvoi, ainsi que la partie civile et le ministère public qui s’opposaient à cette mesure. Après avoir indiqué sommairement les motifs de son appel, le requérant fut interrogé. Ayant entendu le rapport présenté par le président, le requérant contesta l’exactitude des notes d’audience, le rapport du contrôle judiciaire ainsi que les mentions de ses condamnations figurant au casier judiciaire. L’affaire fut ensuite mise en délibéré. Le requérant adressa à la juridiction plusieurs notes en délibéré, notamment pour rappeler les termes de son courrier du 1er avril. Par un arrêt du 22 mai 2008, la cour d’appel de Paris rejeta la demande de renvoi du requérant, la jugeant dilatoire. Elle précisa que Me V. n’avait demandé qu’une seule fois, en novembre 2007, à consulter le dossier pour ne plus se manifester par la suite et que le requérant ne s’était pas préoccupé de contacter un autre conseil qui aurait pu solliciter le renvoi. Sur le fond, elle confirma le jugement de première instance, portant la durée de la mise à l’épreuve à trois ans et ajoutant une obligation de ne pas paraître sur les lieux de l’infraction. Par ailleurs, les juges estimèrent que le requérant ne prouvait pas l’existence d’un lien de causalité entre les blessures qu’il disait avoir subies et les faits. Le 10 février 2009, la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant non admis. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La Cour renvoie pour l’essentiel à l’état du droit mentionné dans l’affaire Flandin c. France (no 77773/01, §§ 25 et 26, 28 novembre 2006). La Cour de cassation a rendu un arrêt relatif à l’application de l’article 417 du code de procédure pénale, précisant que « le prévenu, qui ne justifie pas avoir fait le choix d’un conseil pour l’assister et qui n’a pas sollicité qu’un avocat lui soit désigné, ne saurait se faire un grief des motifs par lesquels l’arrêt a écarté sa demande de renvoi de l’affaire à une date ultérieure » (Crim., 15 mai 2008, pourvoi no 07-87.284).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 1er janvier 1996, les époux Rivière (Solange et Henri) louèrent une parcelle située sur la commune d’Andouillé. Le bailleur les autorisa à effectuer quelques travaux d’aménagement et d’embellissement. Le 21 janvier 2000, le propriétaire vendit au fils des époux Rivière, Florestan Rivière, le terrain et un petit bâtiment qui s’y trouvait implanté. Entre 2005 et 2006, plusieurs procès-verbaux furent dressés par les agents de la direction départementale de l’Equipement de la Mayenne constatant l’édification, sans autorisation de constructions, d’une éolienne, d’un plan d’eau et d’une clôture grillagée. Les requérants furent cités devant le tribunal correctionnel de Laval pour exécution de travaux non autorisés par un permis de construire, infraction aux dispositions du plan local d’urbanisme ou du plan d’occupation des sols, édification irrégulière de clôture soumise à déclaration préalable et exécution sans autorisation de travaux nuisibles au débit des eaux ou au milieu aquatique, infractions prévues et réprimées par le code de l’urbanisme. Le 4 juillet 2008, à l’audience du tribunal, les requérants comparurent assistés de leur avocat. Par un jugement du 5 septembre 2008, le tribunal relaxa les requérants du chef d’exécution de travaux nuisibles ou modifiant le débit des eaux ou le milieu aquatique. Il les déclara coupables des autres infractions reprochées, les condamnant à une peine d’amende de 1 500 euros (EUR) chacun, ainsi qu’à 1 000 EUR de dommages-intérêts. Il ordonna également la remise en état des lieux sous astreinte de 75 EUR par jour de retard. Le 10 septembre 2008, les requérants interjetèrent appel. Le 18 novembre 2008, ils reçurent la citation à comparaître devant la cour d’appel d’Angers le 4 décembre 2008. La citation précisait, en cas d’impossibilité pour venir à l’audience : d’une part, qu’il fallait adresser une lettre au président de la chambre des appels correctionnels pour expliquer les raisons de cette absence et joindre des pièces justificatives ; d’autre part, au cas où, à l’audience, les raisons ne seraient pas admises par la cour d’appel, que l’affaire serait jugée malgré l’absence des prévenus. Dans une lettre datée du 26 novembre 2008, adressée au président de la cour d’appel d’Angers, les requérants sollicitèrent le report de l’audience en raison d’un empêchement, expliquant que Florestan Rivière était en mission en Guadeloupe, que Solange Rivière était en formation à Laval et avait un examen le jour de l’audience, et qu’Henri Rivière présentait un syndrome anxio-dépressif. Ils produisirent respectivement une attestation délivrée par le ministère de la Défense, un justificatif du centre de formation professionnelle et de promotion agricole de Laval et un certificat médical établi le 25 novembre 2008 par un médecin. Le 4 décembre 2008, l’audience d’appel se déroula en l’absence des requérants, qui n’y étaient pas représentés. Par un arrêt du 15 janvier 2009, la cour d’appel d’Angers confirma le jugement, après avoir décidé de retenir l’affaire malgré la demande de report d’audience. A ce dernier égard, elle se prononça comme suit : « Sur la demande de renvoi sollicitée par courrier, le Ministère public s’y oppose. La Cour après en avoir délibéré, retient l’affaire. » Les requérants se pourvurent en cassation, dénonçant une violation de l’article 6 de la Convention. Ils reprochèrent à la cour d’appel d’avoir rejeté leur demande de renvoi, sans justifier d’un motif impérieux susceptible de tenir en échec les droits fondamentaux de la défense et notamment le droit d’accès au juge. Par un arrêt du 9 février 2010, la Cour de cassation rejeta leur pourvoi, jugeant que la cour d’appel avait souverainement apprécié la valeur des arguments présentés. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La Cour renvoie pour l’essentiel à l’état du droit mentionné dans l’affaire Van Pelt c. France (no 31070/96, § 31, 23 mai 2000).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1967 et réside à Genève. La requérante vint pour la première fois en Suisse en 1995 afin d’y travailler pour le compte d’un diplomate. Le 7 octobre 2001, un enfant naquit d’une relation hors mariage de la requérante avec un ressortissant d’origine libanaise, ayant acquis, entretemps, la nationalité suisse. Le père reconnut l’enfant le 28 mars 2002. Les relations entre les parents se détériorèrent rapidement. Un important conflit s’ensuivit entre les parents, dans le cadre duquel le service social international et le service de protection des mineurs suisse dressèrent plusieurs rapports afin d’évaluer les conditions de vie de l’enfant auprès de chacun des parents, tant en Suisse qu’aux Philippines. Le 26 juin 2002, les parents signèrent une convention alimentaire en faveur de l’enfant, qui résidait à ce moment avec la requérante en Suisse. Le 21 août 2002, le tribunal tutélaire du canton de Genève instaura une curatelle d’organisation et de surveillance des relations personnelles entre le père et l’enfant. L’office cantonal de la population ayant pris une mesure de renvoi à l’égard de la requérante le 21 juin 2002, celle-ci rentra aux Philippines avec l’enfant le 22 septembre 2002. Le 19 juin 2003, le tribunal tutélaire refusa une demande du père en vue d’obtenir la garde de l’enfant. Le père se rendit aux Philippines début juillet 2004. Le 5 juillet 2004, la requérante signa un affidavit qui autorisait le père à reprendre son fils « pour des vacances » auprès de lui. Elle indique qu’elle accomplissait cette démarche afin de maintenir un lien entre l’enfant et son père, ce dernier s’étant engagé oralement à ramener l’enfant chez sa mère en mars 2005. Le 15 octobre 2004, le père se rendit en Suisse avec l’enfant. Le père ne renvoyant pas l’enfant aux Philippines, la requérante entreprit, dès le mois de mars 2005, de multiples démarches, notamment par le biais des autorités philippines à Genève, aux fins de rapatrier l’enfant (qui disposait d’une autorisation d’établissement en Suisse à partir du 28 janvier 2005). Elle précise que la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants ne fut d’aucun secours en la matière, l’Etat des Philippines n’y étant pas partie. Elle déposa également, le 14 juin 2006, une demande d’autorisation d’entrée et de séjour en Suisse afin de pouvoir vivre auprès de son fils en Suisse, sans qu’il ne soit privé de la présence de son père. Le 27 octobre 2006, le père déposa une requête tendant au retrait de l’autorité parentale de la requérante et au transfert de cette autorité à luimême. Le 23 avril 2007, l’autorité de surveillance des tutelles refusa la demande. Elle rappela que l’autorité parentale appartient à la mère non mariée selon la législation concernée et qu’un retrait de cette autorité, qui équivalait à la perte d’un droit élémentaire de la personnalité, n’était admissible que si d’autres mesures pour éviter le danger que courait l’enfant - à savoir les mesures protectrices, la curatelle d’assistance et le retrait du droit de garde - étaient d’emblée insuffisantes. Elle considéra qu’il n’existait pas, en l’espèce, de motifs justifiant qu’un retrait de l’autorité parentale soit prononcé à l’encontre de la mère. Elle précisa qu’un document tel l’affidavit n’équivalait ni à une renonciation à l’autorité parentale, ni à un transfert définitif de la garde, la mère affirmant avoir voulu remettre l’enfant à son père uniquement pour les vacances. La décision du 23 avril 2007 étant entrée en force (faute d’un recours), l’autorité compétente du canton de Genève transmit, le 21 août 2007, à l’office fédéral des migrations (ci-après « l’ODM ») le dossier, afin qu’il se détermine sur la proposition cantonale d’octroyer une autorisation de séjour en Suisse à la requérante. En attendant, la requérante saisit, le 16 novembre 2007, le tribunal tutélaire d’une requête urgente en placement de l’enfant en foyer, soit dans l’attente de l’arrivée de la mère à Genève, soit en vue de son rapatriement. Le 7 décembre 2007, le tribunal tutélaire, considérant que la mère, titulaire de l’autorité parentale et de la garde de l’enfant, se trouvait empêchée d’agir, faute d’autorisation de venir à Genève, pour préparer et organiser le retour de son fils aux Philippines, désigna à ces fins une curatrice en la personne de Mme B., juriste titulaire auprès du service de protection des mineurs. Le 6 février 2008, l’autorité de surveillance confirma l’ordonnance du 7 décembre 2007 et fit en outre interdiction au père de déplacer l’enfant hors de Suisse, l’enjoignant de déposer sans délai les papiers d’identité de son fils auprès du tribunal tutélaire. Parallèlement à cette procédure, le père demanda au tribunal tutélaire, le 21 décembre 2007, d’ouvrir une nouvelle instruction en vue de lui attribuer le droit de garde sur l’enfant, au motif qu’il l’exerçait en fait depuis 2004. Le 7 février 2008, le tribunal tutélaire refusa d’examiner la demande d’instruction formulée par le père. Par une décision du 2 avril 2008, l’autorité de surveillance rejeta, pour autant qu’il était recevable, le recours déposé par le père contre la décision du 7 février 2008. Sur recours du père, le Tribunal fédéral annula, par un arrêt du 9 juillet 2008, les décisions des 6 février 2008 et 2 avril 2008 et renvoya la cause au tribunal tutélaire pour qu’il statue sur la demande du père d’ouvrir une instruction en vue du retrait du droit de garde à la mère et son attribution au père. En conséquence, l’autorité de surveillance des tutelles retourna, le 12 septembre 2008, la cause au tribunal tutélaire pour instruction, et celui-ci releva, le 22 septembre 2008, Mme B. de ses fonctions de curatrice. L’ODM ayant entre-temps refusé sa demande d’autorisation de séjour le 7 mars 2008, la requérante formula, le 17 septembre 2008, une demande de réexamen de cette décision ; elle allégua, à titre d’élément nouveau, l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008 en tant qu’il ordonnait une nouvelle instruction de la cause, laquelle prolongeait la séparation avec son fils et la plaçait de ce fait dans une situation d’extrême gravité au sens de la loi sur les étrangers. Le 11 novembre 2008, l’ODM refusa de donner une suite favorable à cette requête. Le 18 décembre 2008, la requérante, se prévalant de l’article 8 de la Convention, recourut contre cette décision. Elle allégua notamment que l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008, en tant qu’il suspendait le processus de retour de son fils aux Philippines, la privait de tout contact avec son enfant pour une période indéterminée ; elle réaffirma qu’elle devait être autorisée à séjourner en Suisse auprès de son enfant, du moins aussi longtemps que celui-ci y résiderait. Par un arrêt du 15 décembre 2009, le tribunal administratif fédéral rejeta le recours de la requérante contre la décision de l’ODM du 11 novembre 2008. Il précisa d’abord, entre autres, ceci : « (...) les décisions de réexamen en matière d’exception aux mesures de limitation (actuellement : dérogation aux conditions d’admission) rendues par l’ODM sont susceptibles de recours au Tribunal [administratif fédéral], qui statue définitivement (...) ». Le tribunal administratif fédéral motiva sa décision notamment comme suit: « (...) L’examen du dossier amène le Tribunal à la conclusion que le fait nouveau sur lequel [la requérante] a fondé sa demande de réexamen du 17 septembre 2008, soit l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008 concernant, d’une part, la nomination d’une curatrice à l’enfant, d’autre part, le réexamen du droit de garde sur cet enfant, n’est pas de nature à justifier la reconsidération de la décision de l’ODM du 7 mars 2008. Il s’impose de constater en effet que l’arrêt de la Haute Cour du 9 juillet 2008 a eu pour seul effet de rouvrir les procédures portant sur les questions précitées. Dans la mesure où ces procédures sont encore en suspens, comme l’atteste la convocation du Tribunal tutélaire à une comparution personnelle le 19 janvier 2010, la recourante ne peut se prévaloir, en l’état, d’aucune modification substantielle de la situation juridique liée au droit de garde de son fils qui serait susceptible de justifier le réexamen de sa situation personnelle sous l’angle du cas personnel d’extrême gravité. Il convient de rappeler à ce propos que, dans sa précédente décision du 7 mars 2008, l’ODM a déjà examiné de manière approfondie la situation de [la requérante] et qu’il est arrivé à la conclusion que celle-ci n’était pas constitutive d’un cas personnel d’extrême gravité justifiant l’octroi d’une exception aux mesures de limitation (...), compte tenu notamment de ses faibles attaches socioprofessionnelles avec la Suisse, ainsi que de son comportement dans ce pays. Dans ces circonstances, si la réouverture des procédures relatives à la garde de l’enfant, issue de l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008, prolonge certes la période durant laquelle [la requérante] se retrouve dans l’incertitude au sujet d’une éventuelle reprise des relations familiales avec son fils, cette situation, par essence de nature temporaire, ne saurait nullement justifier, en elle-même, le réexamen du prononcé du 7 mars 2008. (...) » En parallèle, la procédure quant aux droits parentaux se déroula devant le tribunal tutélaire, à la suite de l’arrêt du 9 juillet 2008 (paragraphe 24). Ainsi, dans ses observations du 8 octobre 2008, la requérante sollicita, entre autres, que le tribunal tutélaire ordonne toutes mesures d’exécution utiles aux fins de sa réunion avec l’enfant dans les meilleurs délais. Dans un rapport du 16 décembre 2008, établi sur requête du tribunal tutélaire, le service de protection des mineurs conclut au retrait de la garde de l’enfant à la mère et au placement du mineur chez le père. Le service indiqua que les conditions de vie de l’enfant chez son père à Genève étaient confortables, tant sur les plans matériel, affectif qu’éducatif. Un retour aux Philippines représenterait un déracinement profond pour le mineur, dans la mesure où il était scolarisé à Genève et avait ses attaches sociales dans cette ville, où il vivait auprès de son père, sa belle-mère et son demi-frère. La requérante obtint un visa pour comparaître le 25 janvier 2010 devant le tribunal tutélaire. Lors de cette audience, elle expliqua que ces dernières années elle avait eu des contacts téléphoniques, une fois par semaine, avec son fils. Elle indiqua être d’accord avec un retrait de garde provisoire, jusqu’à ce que soit réglé la question de son séjour en Suisse. Elle sollicita une expertise des parents et de l’enfant et demanda que son droit aux relations personnelles avec l’enfant soit réglé. La requérante explique n’avoir pu, depuis ce séjour d’une semaine à Genève dans le cadre de l’audience, se résoudre à s’éloigner de son fils pour regagner seule les Philippines. Dans ses conclusions du 5 mai 2010, la requérante demanda au tribunal tutélaire, sur mesures provisoires, de lui donner acte de son accord que la garde sur l’enfant lui soit retirée provisoirement, de lui réserver un droit de visite sur son fils dans un point rencontre en Suisse, avec une curatelle d’organisation et de surveillance dudit droit. Elle souligna être d’accord que la garde lui soit retirée, de manière temporaire, le temps pour elle de stabiliser sa situation personnelle et administrative et de trouver un logement pour accueillir l’enfant. Le 4 juin 2010, le tribunal tutélaire rendit une ordonnance sur mesures provisoires. La garde fut retirée à la mère et le mineur fut placé chez son père ; le tribunal précisa qu’il ne se justifiait pas de retirer l’autorité parentale à la requérante. La mère se vit confier un droit de visite devant s’exercer en Suisse. Mme B. fut désignée aux fonctions de curatrice de l’enfant aux fins d’organiser et de surveiller le droit de visite entre l’enfant et la mère, en fonction des périodes et dates auxquelles la requérante serait présente à Genève. Pour motiver sa décision, le tribunal précisa, notamment, qu’il était dans l’intérêt du mineur qu’il puisse voir ses deux parents et que la situation soit réglée, à tout le moins de manière provisoire, avant qu’une décision au fond ne soit rendue. Il tint compte du fait que le service de protection des mineurs avait confirmé, dans son rapport du 16 décembre 2008, ainsi qu’à l’audience du 25 janvier 2010 au tribunal tutélaire, qu’il était conforme à l’intérêt du mineur qu’il puisse continuer à vivre chez son père à Genève. Quant au fond, le tribunal ordonna l’ouverture d’enquêtes. Selon sept procès-verbaux dressés entre les 16 juillet 2010 et 25 janvier 2011, le tribunal tutélaire procéda à l’audition de témoins. Par une lettre du 18 août 2010, le service de protection des mineurs avertit le tribunal tutélaire de ce qu’il ne pouvait organiser le droit de visite de la requérante, celle-ci faisant l’objet d’une interdiction d’entrer en Suisse. Le 20 août 2010, la requérante indiqua au tribunal tutélaire que le rendez-vous fixé avec le service de protection des mineurs avait été annulé, au motif qu’elle n’avait pas d’autorisation de séjour. Le 24 août 2010, le tribunal expliqua qu’il était certes dans l’intérêt de l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec sa mère mais qu’il n’avait pas la possibilité de s’opposer à un autre corps du droit l’empêchant de venir en Suisse pour y exercer son droit de visite. Suite à une requête sur mesures provisoires du 19 octobre 2010 de la requérante et sur base d’un rapport du 18 novembre 2010 du service de protection des mineurs, le tribunal tutélaire rendit une ordonnance le 14 décembre 2010. Il précisa, entre autres, que le fait que la requérante n’était pas au bénéfice d’une autorisation de séjour en Suisse n’était pas constitutif d’une mise en danger concrète du bien de l’enfant au sens de la loi, justifiant de la priver de son droit de visite. Il releva qu’il ressortait du dossier que depuis octobre 2004, les contacts entre la requérante et son fils étaient très irréguliers et que, par conséquent, même s’il était indiscutable qu’il était dans l’intérêt de l’enfant qu’il puisse reconstruire un lien avec sa mère, il semblait être indiqué que le droit de visite soit rétabli progressivement. Suivant les conclusions du service de protection des mineurs, le tribunal fixa le droit de visite de la requérante à deux heures par semaine au sein d’un « Point Rencontre », ce droit comprenant la possibilité pour la requérante de téléphoner à son fils deux soirs par semaine pendant dix minutes. A partir du 12 février 2011, la requérante exerça ainsi son droit de visite au sein du Point Rencontre à Genève. Dans une lettre du 23 décembre 2011 adressée au tribunal titulaire, le service de protection des mineurs relata que la requérante était impatiente de pouvoir passer du temps à l’extérieur avec son fils (qui avait entretemps acquis la nationalité suisse) et préconisa l’instauration du droit de visite à raison de deux heures toutes les deux semaines, par le biais d’un simple passage au Point Rencontre. Le service expliqua toutefois qu’il avait été rappelé à la requérante qu’il fallait impérativement rester sur le sol suisse lorsqu’elle serait en compagnie de son fils, dans la mesure où elle était toujours sans autorisation de séjour. Le même jour, le tribunal tutélaire autorisa la mesure. Vu l’évolution positive de la relation mère-fils, le tribunal tutélaire autorisa, le 13 août 2012, la requérante à rencontrer son enfant un samedi sur deux de 9 heures à 18 heures sans passage au Point Rencontre. Le 25 octobre 2012, la requérante se vit octroyer une autorisation de séjour valable jusqu’au 24 octobre 2013. Dans sa lettre adressée à ce sujet au conseil de la requérante, l’ODM précisa qu’à cette dernière échéance, il vérifierait l’évolution de la situation familiale de la requérante, avant de prolonger le cas échéant son autorisation pour une année supplémentaire. Dans un rapport du 24 avril 2013, le service de protection des mineurs relata que les parents avaient réussi à se dégager des conflits qui les opposaient et à rétablir une confiance mutuelle et que le père était d’accord que la requérante emmène l’enfant aux Philippines durant les vacances d’été, « ceci depuis qu[‘elle] a obtenu un permis de séjour en Suisse ». Le service préconisa d’autoriser le voyage, de donner acte à la requérante de son engagement à ramener l’enfant en Suisse et d’élargir le droit de visite, afin qu’il s’exerce en accord des parties. Le 11 juin 2013, le tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (anciennement tribunal tutélaire) autorisa les mesures en question. Selon les éléments fournis à la Cour, il n’apparaît pas qu’à l’heure actuelle, une décision ait été prise quant au fond de l’affaire, suite à l’arrêt du Tribunal fédéral du 9 juillet 2008 (paragraphes 24, 35 et 36 ci-dessus).
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Le requérant est né à Cuba en 1966 et réside à Bruxelles. A. Les évènements du 19 décembre 2003 Le requérant travaillait pour l’association sans but lucratif (« asbl ») « Les Petits Riens », dont l’objectif est d’aider les personnes démunies. Elle gère notamment des magasins de seconde main et une maison d’accueil de cent-vingt places. Le 19 décembre 2003, l’asbl organisa comme chaque année un réveillon de Noël réunissant son personnel et les résidents de la maison d’accueil. Une rixe impliquant plusieurs individus se déclencha au cours de la soirée. Un peu avant minuit, M. L.C., directeur de la filière textile de l’association, sollicita l’intervention de la police. Environ cent-cinquante personnes, dont le requérant, étaient alors présentes. Une première équipe composée de l’inspecteur D.V.B. et de l’inspectrice I.D. arriva rapidement sur place. D.V.B. reçut un coup de poing sur le nez de la part d’un certain L.B. Débordés par les évènements, D.V.B. et I.D. demandèrent du renfort. Les inspecteurs N.P. [Philippi], P.H. et F.F. furent sur les lieux vers minuit. Sept autres patrouilles arrivèrent ensuite, si bien que vingt policiers furent finalement sur place. L.B. fut interpellé. Un certain G.L., résident de la maison d’accueil, se présenta aux agents de police comme étant membre du service de sécurité et désigna le requérant comme étant l’un des principaux trouble-fêtes. Le requérant soutient qu’alors qu’il s’approchait des policiers pour comprendre ce qui se passait, l’un des policiers lui donna un coup au plexus, lui fit une clé à bras, lui donna un « coup de genou » et le fit tomber à terre. S’étant libéré en bousculant l’agent, il se trouva entouré de plusieurs policiers qui le frappèrent jusqu’à ce que ses collègues eussent informé ces derniers qu’il était un employé de l’association. Il se rendit alors dans une salle annexe, suivi par des agents de police, qui le mirent à terre et le frappèrent – à l’aide en particulier d’un bâton télescopique –, firent usage sur lui de gaz poivré et proférèrent des insultes racistes à son égard. Le requérant poursuit en indiquant que les menottes lui furent ensuite passées et qu’il fut conduit en ambulance à l’hôpital avant d’être emmené au commissariat. Il précise que les menottes étaient à ce point serrées qu’elles le blessèrent aux poignets – il en garderait des cicatrices –, et qu’elles ne lui furent retirées qu’au moment de son placement en cachot au commissariat. Le requérant souligne que des témoins ont déclaré avoir entendu ses cris lorsqu’il se trouvait dans la salle annexe et attesté qu’il avait des plaies importantes lorsqu’il en est ressorti. Il ajoute qu’il a entendu un coup de feu et que deux autres personnes ont fait une déclaration dans ce sens. Le Gouvernement donne une autre version des faits. Il indique qu’alors que l’inspecteur D.V.B. s’approchait de lui pour lui demander de quitter les lieux, le requérant l’a violemment poussé, le faisant chuter. Le requérant a alors été isolé dans une salle annexe, où quatre ou cinq autres agents sont intervenus afin de le maîtriser. Il continuait à se débattre en donnant des coups de poing et de pied et mordit l’inspecteur D.V.B. à l’index jusqu’à effusion de sang (ce qui nécessitera cinq points de sutures et entraînera un arrêt de travail de treize jours). Vu la carrure et la force physique du requérant, les policiers n’ont eu d’autre choix que de faire usage de gaz poivré alors qu’il était déjà au sol. Etant finalement parvenus à le menotter, ils ont attendu que le calme revienne pour le faire transporter à l’hôpital en ambulance. Le Gouvernement admet qu’il a été fait usage du bâton télescopique, mais souligne que cela avait été « rendu obligatoire » par la réaction violente du requérant à son arrestation. Il ne décrit pas les modalités de cet usage en l’espèce, mais indique que « généralement, cette arme est employée, en complément du balayage, pour faire plier les jambes de l’interpellé, l’amener au sol et, enfin, le stabiliser à l’aide de menottes ». Une fois interpellé, le requérant fut conduit en ambulance au service des urgences du centre hospitalier d’Ixelles. Le médecin qui l’examina signa un formulaire attestant – sans plus de détail – que son état ne justifiait pas une hospitalisation. Le requérant fut ensuite placé en garde à vue. Il soutient qu’il fut encore malmené lors de son transport vers le commissariat : les policiers l’auraient fait tomber à plusieurs reprises et l’auraient trainé au sol, tant et si bien que ses blue-jeans et son caleçon auraient été totalement déchirés au niveau des genoux, lesquels auraient été en sang. B. La situation médicale du requérant Le requérant indique que, les juridictions d’instruction n’ayant pas fait droit à ses demandes d’expertise médicale, il ne lui est pas possible de présenter un bilan détaillé des effets du traitement qu’il a subi sur son intégrité physique et sur sa santé. Il produit cependant divers documents – médicaux notamment – y relatifs. Il met en particulier l’accent sur deux certificats établis, l’un le 20 décembre 2003 par un médecin du service des urgences de la clinique de l’Europe à Bruxelles, et l’autre, le 22 décembre 2003, par un médecin généraliste. Le premier constate des douleurs au bras droit et aux genoux, des plaies aux genoux et une ecchymose brachiale droite, diagnostique des « polycontusions », prescrit des examens des genoux et du bras et fixe une incapacité de travail du 20 au 23 décembre 2003 (l’incapacité de travail sera ensuite prolongée jusqu’au 8 janvier 2004). Le deuxième indique notamment que le requérant présente des « signes compatibles avec des violences qu’il aurait subies le 19 décembre 2003 ». Il fait état d’ecchymoses à la face postérieure de l’épaule droite et au bras droit, de lésions plus discrètes à la jambe droite, d’une abrasion cutanée sensible aux deux genoux pré-rotuliens, d’une lésion cutanée superficielle de type abrasion à la lèvre inférieure (notant que l’intérieur de cette lèvre est également blessé), de traces de liens aux poignets, d’une petite cicatrice à l’avant-bras droit à hauteur du poignet qui « aurait été provoquée par une clé » et d’une plaie superficielle sensible au niveau du cuir chevelu en pariétal droit. Il indique en outre qu’une « perte de sensibilité est signalée par le patient à la face postérieure de la main au niveau des ... [la suite est illisible] » et que les coudes sont sensibles à la palpation. Le requérant signale que depuis les faits, il a dû consulter des médecins à de multiples reprises à cause de douleurs aux genoux. Il précise qu’il a souffert d’une récidive de gonalgies bilatérales en 2005 ; il a une nouvelle fois été mis en incapacité de travail et sous traitement médicamenteux antidouleur et, après une série d’examen, il a dû subir une méniscectomie par voie « artroscopique » sous anesthésie générale. Au début de l’année 2006, il a à nouveau subi des périodes d’incapacité de travail, et a dû recevoir des soins infirmiers et prendre des antidouleurs. Il souligne que sa santé s’est très nettement dégradée à la suite des évènements du 19 décembre 2003, à tel point qu’il a été reconnu inapte au travail le 18 avril 2005 et invalide à plus de 66 % du 18 avril 2006 au 29 octobre 2007. C. La condamnation du requérant des chefs de coups et blessures et de rébellion Le 20 décembre 2003 au matin, S.P., inspecteur principal de la police locale de « Bruxelles capitale Ixelles », entendit L.B. et le requérant sur les évènements de la veille. Le premier déclara qu’il était « saoul » et qu’il ne se souvenait de rien ; le second nia avoir agressé des policiers, affirmant avoir été lui-même agressé par un policier et s’être défendu. Le même jour, un procès-verbal initial fut dressé par le commissaire de police I.S.A. à charge du requérant et de L.B., du chef de rébellion non armée et coups et blessures envers un agent ou un officier de police judiciaire pendant ou à l’occasion de ses fonctions – désigné comme étant D.V.B. –, ayant entraîné une incapacité de travail de 13 jours. Le procès-verbal indique notamment que, lorsque les policiers sont arrivés sur les lieux, le requérant « a été désigné par le « responsable sécurité », L.G., comme étant l’un des principaux trouble-fête, et des plus agressifs, et de surcroît non résident dans le Home », et que ledit L.G. avait requis son expulsion. Il précise en particulier que D.V.B. et ses collègues de la brigade anti-agression se sont portés à la hauteur du requérant pour tenter de le convaincre de quitter les lieux, et que ce dernier a refusé et s’est violemment rebellé, repoussant D.V.B. de ses mains, appelant ainsi une riposte de la brigade. Il souligne que cette dernière a « fait usage de la force strictement nécessaire en vue de le maîtriser » et l’a mis au sol aux fins de le menotter, avec difficulté en raison de la « force physique non négligeable » de l’intéressé. Il ajoute qu’en tentant de s’emparer d’un des bras du suspect, [D.V.B.] s’est vu « mordre violemment » l’index de la main droite, jusqu’à effusion de sang, ce qui nécessitera cinq points de suture, et entraînera treize jours d’incapacité de travail, et que l’usage de gaz au poivre avait été nécessaire par la résistance du requérant. Des rapports d’intervention établis par l’inspecteur D.V.B. et l’inspecteur N.P. et annexés au procès-verbal donnent une version similaire des faits. Le procès-verbal indique également que le requérant « exhal[ait] de forts effluves d’alcool, titub[ait], a[vait] les yeux injectés de sang, et [avait] des difficultés à se situer dans le temps et l’espace[, et] a[vait] notamment les pupilles dilatées, et présent[ait] des symptômes qui donn[aient] à penser qu’il [avait] pu altérer sa conscience à l’aide de substances psychotropes ou apparentées, en combinaison avec l’alcool ». Toujours le 20 décembre 2003, le requérant fut inculpé de « rébellion » et « coups et blessures à agents avec effusion de sang et incapacité de travail ». Le même jour, le juge d’instruction prit une ordonnance de mise en liberté sous conditions, laquelle fut renouvelée à plusieurs reprises. Entre le 15 janvier et le 9 février 2004, B.D., inspecteur principal, officier de police judiciaire, entendit plusieurs personnes présentes lors des évènements : - J .C., directeur général de l’association « Les Petits Riens », qui, le 15 janvier, déclara notamment ceci : « [le requérant] était durant toute la soirée d’un calme. Je suis tout étonné qu’il avait mordu l’agent de police. Je n’ai pas vu entièrement la scène. J’ai remarqué à mon arrivée qu’il était par terre avec plusieurs agents lesquels essayaient de le maîtriser. Je pense que les renforts de vos services sont arrivés par la suite. [G.L.] s’est autoproclamé comme responsable ce qui n’était en réalité pas le cas. [Il] signalait que Fernandez était le trouble des faits, ce que je peux confirmer que c’était faux. Il était très calme. (...) ». - M.S., bénévole durant la soirée, qui mentionna un individu avec casquette qui avait frappé un agent de police et que les agents avaient eu du mal à maîtriser, et qui faisait tout ce qu’il pouvait pour se « défaire », notamment frapper et mordre. - L.C., directeur de la filière textile de l’association, qui décrivit ainsi l’attitude du requérant : « (...) Il est un fait que Pedro a durant l’intervention de la police, repoussé un des policiers ; je précise que Pedro a été interpellé par moi-même pour donner des explications. Ce n’est que dans la deuxième phase que Pedro a repoussé l’agent. Il n’a jamais frappé. Dû au fait que le policier est tombé, il se serait blessé à la main. (...) Malgré que Pedro était bien maintenu, la police utilisait plus de force que nécessaire. (...) ». - M.G., employé de l’association, qui ne dit rien à propos du requérant. - P.H., employé de l’association, qui déclara notamment avoir vu la police immobiliser une personne en utilisant la force. - G.L., qui indiqua se rappeler d’une « personne type latino » qui avait cherché des problèmes avec la police et qui avait « tout fait » pour résister à son interpellation, mais ne pouvoir dire si elle avait mordu un des agents. - T.J., employé de l’association, qui indiqua ne pas avoir vu grand-chose de l’intervention de la police, si ce n’est qu’un « latino » avait été emmené menotté. Le 16 février 2004, le juge d’instruction prit une ordonnance de soit-communiqué, clôturant ainsi son instruction. Le 15 juin 2004, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles ordonna le renvoi du requérant et de L.B. devant le tribunal correctionnel. Le 30 juin 2004, le procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles cita le requérant et L.B. à comparaître en correctionnel le 23 septembre 2004 devant cette juridiction. Tous deux étaient prévenus de coups à agent dépositaire de la force public (l’inspecteur D.V.B.) – avec la circonstance s’agissant du requérant que les coups avaient été la « cause d’effusion de sang, de blessure ou de maladie » – et de rébellion. Rien ne se passa durant des années. Il semble que les autorités judiciaires ont attendu le résultat de la procédure dirigée contre les policiers, suite à la plainte et la constitution de partie civile du requérant (paragraphes 25-44 ci-dessous). L’audience devant le tribunal eut finalement lieu le 27 février 2009. Par un jugement prononcé à cette date, le tribunal de première instance de Bruxelles acquitta les prévenus des premiers chefs. Il les déclara en revanche coupables de rébellion (tout en ordonnant pendant trois ans la suspension simple du prononcé de la condamnation). Précisant que cette prévention résultait implicitement des divers témoignages recueillis, le jugement relève notamment que l’arrivée des forces de police en fin de soirée n’avait pas été bien accueillie par les « turbulents participants » à la fête et que, si le requérant n’était pas à l’origine des faits mais était au contraire « très calme », il n’avait pas obtempéré spontanément aux injonctions des agents de sorte qu’il avait fallu « faire usage de la force dite nécessaire ». Par un arrêt du 13 novembre 2009, la cour d’appel de Bruxelles, saisie par le requérant et le ministère public, confirma le jugement sur ce dernier point. Le réformant pour le reste, elle déclara le requérant coupable également de coups sur l’inspecteur D.V.B. (tout en ordonnant pendant un an la suspension simple du prononcé de la condamnation du chef des deux préventions). L’arrêt est à cet égard libellé comme il suit : « (...) Alors [que les policiers] tentaient de persuader le prévenu de quitter les lieux, celui-ci se rebella, repoussant violemment le policier [D.V.B.]. Ils le mirent dès lors au sol afin de le menotter. Alors que ledit policier tentait de s’emparer et de maintenir un des bras du prévenu, celui-ci le mordit à l’index droit. Le prévenu fut enfin maîtrisé après qu’un policer eut utilisé une bonbonne de gaz au poivre. Selon les policiers, le prévenu était manifestement en état d’ivresse. La plaie saignante ainsi occasionnée au policier [D.V.B.] fit l’objet de cinq points de suture. Ces déclarations des policiers sont confortées par celles de plusieurs personnes : celles de [M.S.], barman lors de cette fête[, qui] exposa, en effet, que deux individus agressèrent les policiers et, parlant de l’un d’eux qui est manifestement le prévenu, il expliqua : « ils (les policiers) ont eu très dur à le maîtriser. Il a tout fait pour se défaire (frapper, mordre etc...) » ; celle de [L.C.], directeur de la filière textile de l’asbl, qui déclara que durant l’intervention des policier, le prévenu repoussa l’un de ceux-ci mais sans jamais avoir porté de coups ; celles de [G.L.] : « je me rappelle qu’une personne de type latino a commencé à chercher des problèmes avec la police. Lorsque la police a voulu l’intercepter, il a tout fait pour se défaire. Je ne sais pas vous dire si ce dernier a mordu l’agent de police » ; celles de [E.L.] qui déclara : « la police nous a demandé nos papiers mais ils n’ont pas eu le temps de tous nous contrôler parce que [le requérant] en sortant de la salle à manger a été retenu par un policier qui, à ses dires, l’aurait empoigné et ne sachant pour quelles raisons le policier lui a fait ça, il s’est débattu en bousculant violemment le policier (...) ». Certes, le directeur général de l’absl, [J .C.], déclara le 15 janvier 2004 que le prévenu avait été calme toute la soirée et qu’il était donc étonné que celui-ci ait mordu un policier. Il reconnaîtra cependant qu’il n’avait pas entièrement vu la scène et n’était en réalité arrivé qu’alors que le prévenu était déjà à terre avec plusieurs agents qui essayaient de le maîtriser. Il est ainsi vraisemblable qu’il soit arrivé après que le prévenu ait mordu le policier [D.V.B.]. C’est ce qu’il confirmera effectivement le 19 mai. Par ailleurs, rien ne permet de retenir la thèse d’une blessure occasionnée par des débris de verre lors de la chute qu’aurait faite l’agent de police [D.V.B.] à la suite de la poussée exercée par le prévenu. Cette version n’est accréditée que par le témoin [E.L.] précité. Elle est infirmée par celle du témoin [M.S.] relevée ci-dessus et par les déclarations de la victime qui n’avait d’ailleurs aucun intérêt quelconque à accuser le prévenu de l’avoir mordu, la blessure qu’elle a encourue étant de toute manière due à la rébellion de ce dernier. Aucun élément du dossier pénal ne permet de croire que les policiers « agressèrent » illégitimement le prévenu qui ne se serait alors débattu qu’en vue de se défendre contre ceux-ci. Il convient, enfin, de relever que le prévenu était en état d’ivresse manifeste lorsqu’il fut interpellé par les policiers. Ses déclarations et ses souvenirs sont donc sujets à caution, et ce d’autant plus qu’alors qu’il avait reconnu avoir été dans cet état lors de son audition du 20 décembre 2003, il le nia formellement devant le juge d’instruction quelques heures plus tard. (...) ». Par un arrêt du 17 mars 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant. D. La plainte et la constitution de partie civile du requérant Le 29 décembre 2003, le requérant déposa plainte devant le comité permanent de contrôle des services de police (« comité P ») contre « cinq policiers de la police locale d’Ixelles » pour coups et blessures. Il fut entendu par l’officier de police judiciaire G.V.L., auquel il exposa en détail sa version des évènements et du traitement qu’il avait subi. Il lui remit des photographies de ses blessures et de ses habits qui avaient été déchirés lors de son interpellation. Il lui remit également des déclarations écrites de trois témoins (MM. N.B. et E.L., et Mme S.D.M.) – établies les 22 et 23 décembre 2003, elles viennent à l’appui de la version des évènements exposée par le requérant – et requit l’audition de l’un des responsables des « Petits Riens », la vice-directrice, Mme V.S. Le 30 décembre 2003, l’officier G.V.L. établit à destination du procureur du Roi, un procès-verbal attestant de la saisie des photographies susmentionnées, d’un « caleçon long, blanc (...) présentant des trous au niveau des genoux, des traces de sang et de frottement », et d’un « pantalon (...) présentant des trous et des traces de frottement au niveau des genoux ». Le procès-verbal précise que « les traces des menottes, bien que pas très visibles sur les photographies (...) sont toutefois encore présentes le 29 décembre 2003 » ; il souligne de plus l’utilité d’identifier et d’entendre les témoins cités par le requérant, les policiers intervenus sur les lieux et le personnel ambulancier qui l’avait pris en charge, et de consulter le dossier relatif à l’instruction conduite contre lui. Le 29 avril 2004, le conseil du requérant écrivit au comité P afin de s’enquérir de l’avancement de l’enquête. Il joignit à son courrier une nouvelle copie des témoignages écrits de N.B., E.L. et S.D.M., une copie de la déclaration faite le 15 janvier 2004 par J .C., directeur général de l’asbl, dans le cadre de l’instruction conduite contre le requérant, ainsi que des déclarations écrites de trois autres témoins, A.S., S.P. et A.K. Le 19 mai 2004, S.E., membre du service d’enquêtes du comité P., entendit J.C. Il déclara notamment que, si lors de l’intervention, les agents de police avaient agi avec beaucoup de psychologie, il était surpris qu’ils s’en soient pris au requérant, « quelqu’un de très calme » selon lui. Il jugeait crédible que ce dernier se soit débattu, mais estimait que les policiers « y [avaient] peut-être été un peu fort ». Notant par ailleurs « la pression des autres sans-abris derrière », il supposait que le requérant avait empêché un des policiers d’intervenir et que c’est de là que tout était parti. Le 25 mai 2004, la même agente entendit E.L. Il déclara penser que le requérant ne s’était pas laissé faire parce qu’il n’était pas responsable de la rixe et trouvait l’attitude des policiers à son égard injuste. Il ajouta qu’il n’avait pas vu les échanges de coups entre le requérant et les agents, mais observé qu’une dizaine de ces derniers étaient sur lui pour le maîtriser alors qu’il était au sol. Il précisa que lorsque les policiers ont emmené le requérant pour l’embarquer dans une ambulance en « le traînaient au sol », que l’intéressé avait le visage en sang, que son pantalon était déchiré, qu’il avait une blessure à la jambe et qu’il pleurait, et que les policiers l’avaient mis sur la civière « vraiment comme si c’était le fautif ». S.E. entendit aussi V.S., qui fit des déclarations similaires, soulignant l’agressivité des policiers à l’encontre du requérant. S.E. entendit également les inspecteurs F.F., P.H. et N.P. le 3 juin 2004, et E.T., le 11 juin. Ils indiquèrent notamment que l’atmosphère de la soirée était très tendue lorsqu’ils sont arrivés sur les lieux et que le requérant s’était montré agressif à l’égard des agents de police, démentirent les allégations de ce dernier et donnèrent une version des faits similaire à celle figurant dans le procès-verbal initial du commissaire I.S.A. et dans le rapport d’intervention de l’inspecteur N.P. établis le 20 décembre 2003. La plainte du requérant ayant été transmise au procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles, celui-ci, le 14 juin 2004, demanda au comité P de poursuivre son enquête. Le 17 juin 2004, le requérant se constitua partie civile contre X entre les mains d’un juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles, du chef de « coups et blessures volontaires, atteintes arbitraires aux libertés fondamentales et abus d’autorité ». Il produisait notamment le procès-verbal de son audition par le comité P, des certificats médicaux ainsi que des déclarations écrites de six témoins : E.L., N.B., S.D.M., A.K., A.S. et S. L’instruction se poursuivant dorénavant sous la direction du juge d’instruction, celui-ci demanda au comité P de procéder à des devoirs complémentaires. Le 30 septembre 2004, S.E. entendit l’inspecteur D.V.B., lequel donna une version des faits similaire à celle figurant dans le procès-verbal initial du 20 décembre 2003 (paragraphe 16 ci-dessus) et démentit les allégations du requérant. Les 16, 24 et 29 novembre 2004, P.J., un autre membre du service d’enquêtes du comité P, entendit les inspecteurs B.B., T.V. et I.D., qui déposèrent dans le même sens. A une date non précisée, six des policiers qui étaient intervenus le 19 décembre 2003 (D.V.B., I.D., N.P., P.H., F.F., et E.T.) furent inculpés d’avoir « fait des blessures ou porté des coups qui ont causé une maladie ou une incapacité de travail personnel [au requérant] » et, « étant fonctionnaire ou officier public, dépositaire ou agent de l’autorité ou de la force publique, en l’espèce fonctionnaire de police, avoir ordonné ou exécuté un acte arbitraire ou attentatoire aux libertés et aux droits garantis par la constitution (...) au préjudice [du requérant] ». Le 30 décembre 2004, le juge d’instruction prit une ordonnance de soit-communiqué. Le 7 février 2006, l’avocat du requérant s’enquit des résultats de l’enquête auprès du juge d’instruction. Ce dernier lui répondit le lendemain que le dossier avait été « communiqué à toutes fins » au procureur du Roi le 11 février 2005. Le 27 avril 2007, le parquet dressa un réquisitoire de non-lieu. Le 12 novembre 2007, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles prit une ordonnance disant n’y avoir lieu à poursuivre. Le requérant interjeta appel devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles. Il demanda à titre principal que des devoirs complémentaires soient effectués : l’audition des cinq témoins parmi les six cités dans sa constitution de partie civile qui n’avaient pas été entendus lors de l’instruction (N.B., S.D.M., A.K., A.S. et S.), une expertise médicale du policier qu’il était supposé avoir mordu, une expertise médicale le concernant, une enquête visant à vérifier si un coup de feu avait été tiré et des confrontations entre lui et les deux agents qu’il avait identifiés comme étant ses agresseurs. A titre subsidiaire, il demandait le renvoi des inculpés devant le tribunal correctionnel. Le 2 avril 2008, la chambre des mises en accusation rejeta les demandes de devoirs complémentaires présentées par le requérant, considérant que l’instruction était complète et lui permettait de juger utilement, et observant que le requérant s’était abstenu, tant au cours de l’instruction que devant la chambre du conseil, de formuler pareille demande par le dépôt d’une requête sur le fondement de l’article 61 quinquies du code d’instruction criminelle. Elle dit l’appel non fondé et confirma l’ordonnance entreprise, retenant qu’il n’existait aucune charge de nature à justifier le renvoi des inculpés devant une juridiction de jugement. Elle releva à cet égard que tous les policiers qui étaient intervenus sur les lieux des faits ou qui avaient été témoins de ces faits, avaient été entendus de manière circonstanciée par le service d’enquête du comité P et que leurs déclarations étaient « tout à fait cohérentes et concordantes ». Elle estima en outre que le requérant n’avait pas démontré que le recours à la force n’avait pas été raisonnable dans les circonstances de l’espèce, soulignant qu’il était « un peu éméché » et qu’il avait notamment commis des violences qui avaient rendu nécessaires les mesures prises par les policiers en cause, et qu’il était lui-même poursuivi pour coups et blessures à l’égard d’un agent dépositaire de l’autorité et pour rébellion. Le requérant se pourvut en cassation ; invoquant notamment les articles 6 et 13 de la Convention, il reprochait aux juges d’appel d’avoir refusé d’ordonner des devoirs d’instruction complémentaires. La haute juridiction rejeta le pourvoi par un arrêt du 8 octobre 2008. Elle jugea notamment que les articles 6 et 13 de la Convention ne s’appliquaient pas aux juridictions d’instruction statuant sur le règlement de la procédure. Elle constata en outre que la chambre des mises en accusation avait régulièrement motivé et légalement justifié sa décision en retenant que les déclarations circonstanciées de tous les policiers intervenus sur les lieux ou témoins des faits étaient cohérentes et concordantes, que le demandeur n’avait pas sollicité de devoirs complémentaires jusqu’au moment du règlement de la procédure et que l’exécution des devoirs sollicités ne présentaient pas de pertinence pour la découverte de la vérité.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1977 et réside à Iaşi. A. La condamnation et l’incarcération du requérant Le 11 janvier 1999, le requérant fut placé en détention provisoire dans la prison de Iaşi. Il fut remis en liberté le 21 octobre 1999. Par un arrêt définitif du 27 mars 2002, la Cour suprême de justice condamna le requérant à huit ans de prison ferme pour escroquerie. Par des arrêts définitifs du 9 septembre 2003, du 22 septembre 2004 et du 24 janvier 2007, la Haute Cour de cassation et de justice rejeta, sans examen du fond, les contestations en annulation formées par le requérant contre l’arrêt du 27 mars 2002. Ainsi qu’il ressort d’un procès-verbal dressé par la police municipale de Iaşi, le requérant, qui faisait l’objet d’un mandat de dépôt consécutif à sa condamnation du 27 mars 2002, s’était soustrait à l’exécution de sa peine de prison. Il fut incarcéré le 30 juin 2007, date de son interpellation par la police de Iaşi. Par un arrêt définitif du 8 avril 2008, la cour d’appel de Iaşi rejeta la contestation à l’exécution de la peine présentée par le requérant, estimant que les motifs invoqués n’étaient pas pertinents. Entre-temps, en 2007, le requérant avait formé plusieurs plaintes pénales pour abus, sans constitution de partie civile, contre des policiers ayant enquêté sur l’affaire pénale le concernant. Toutes ces plaintes se terminèrent par des non-lieux. Certains non-lieux furent contestés par le requérant devant les tribunaux internes, qui les rejetèrent définitivement. B. Les conditions de détention dans la prison de Iaşi La version du requérant Le requérant dénonce les mauvaises conditions de détention qu’il subit en 1999, lors de son placement en détention provisoire dans la prison de Iaşi. Depuis son interpellation intervenue le 30 juin 2007, le requérant purge sa peine dans la même prison. Il indique y subir des mauvaises conditions de détention : à ses dires, sa cellule, d’une superficie de 30 m², est occupée par vingt détenus, dotée d’un seul évier et dépourvue de tout espace permettant de conserver les aliments. Il ne pourrait prendre que trois douches par semaine, d’une durée maximum de cinq minutes chacune. La version du Gouvernement Le Gouvernement affirme que, selon les informations contenues dans une lettre de l’Administration nationale des pénitenciers (« l’ANP »), le requérant a été successivement détenu dans sept cellules différentes. Toujours selon ces informations, les cellules auraient les superficies suivantes : 15,92 m² pour les cellules nos 94 et 109 (8 lits), 32,80 m² pour les cellules nos 40, 46 et 50 (26 lits), 39,40 m² pour la cellule no 49 (26 lits) 22,15 m² pour la cellule no 52 (10 lits). Selon les affirmations du signataire de cette lettre, le nombre de détenus de ces cellules n’aurait jamais dépassé le nombre de lits, et parfois même le nombre de détenus de certaines cellules aurait été inférieur au nombre de lits. Quant aux conditions d’hygiène, chacune des sept cellules était raccordée à l’eau froide et équipée de toilettes et d’une douche séparées du reste de la cellule par un mur doté d’une porte. Deux fois par semaine, les détenus (y compris le requérant) avaient accès à une douche d’eau chaude. Le nettoyage des cellules était assuré par les détenus eux-mêmes, lesquels disposaient de matériel fourni par la prison. Enfin, le requérant avait la possibilité d’effectuer deux heures de promenade quotidienne. C. Les soins médicaux La version du requérant Le requérant se plaint d’une assistance médicale précaire, notamment de la carence de certains médicaments et de l’absence de tout contrôle médical pendant vingt et un mois de détention. Dans une lettre du 29 septembre 2009, en réponse à une demande du greffe, le requérant a indiqué qu’il n’avait pas, comme le lui aurait permis la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines, formé auprès du juge délégué dans la prison de plainte pour défaut d’assistance médicale et pour contrôles et perquisitions abusifs par des agents de l’administration de la prison. La version du Gouvernement Le Gouvernement soutient que le requérant bénéficie de traitements médicaux adéquats et suffisants. Il indique que, selon les informations fournies par l’ANP, le requérant a été soigné pour différentes affections de nature ophtalmologique et pour des infections des voies respiratoires, a bénéficié d’examens radiologiques et d’analyses de sang dans trois centres médicaux (l’infirmerie de la prison de Iaşi, le laboratoire d’analyses T. du centre hospitalier no 1 de Iaşi et le centre MRF) et n’a pas été hospitalisé pendant sa détention. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions relatives aux modalités d’exécution des peines privatives de liberté et aux voies de recours, ainsi que les observations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT) rendues à la suite des visites qu’il a effectuées dans des prisons de Roumanie sont résumées dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1967 et 1961 et résident à Funchal (Portugal). A l’époque des faits, ils étaient directeur adjoint et directeur du journal satirique bimensuel Garajau, publié dans la région de Madère. A. Le contexte de l’affaire et l’article litigieux Le Garajau avait publié, en 2004, un article concernant le vice-président du Gouvernement de la région de Madère, C.S. L’article concernait l’achat d’un terrain par C.S, la présence de ce dernier en tant que représentant du Gouvernement de la région aux réunions d’une entreprise publique ainsi que sa participation en tant qu’associé à un cabinet d’avocats. L’article précisait que le Garajau avait contacté les services de C.S. pour obtenir sa version des faits mais que ceux-ci n’avaient pas souhaité réagir. Un deuxième article fut publié le 13 janvier 2006 sur le même sujet et faisait état du fait que C.S. avait entre-temps déposé une plainte pénale contre le Garajau, utilisant, à cette fin, les services de l’avocat G.P., lequel aurait été payé par des fonds publics et non pas par C.S. Il y était précisé, une fois de plus, que les personnes citées dans l’article n’avaient pas souhaité s’exprimer. Dans son édition du 23 février 2007, le Garajau publia en couverture la manchette « L’avocat du diable ». Dans le sous-titre, le journal énonça : « La police judiciaire enquête sur le vice-président [C.S.] à propos des « ruses » (maroscas) en vue de l’engagement millionnaire de [G.P.] ». L’article auquel renvoyait la manchette en cause se lisait notamment ainsi : « La police judiciaire (PJ) a très récemment enquêté sur la manière dont les services de consultation juridique prêtés à [C.S.], vice-président du Gouvernement de la région, ont été adjugés. Selon des sources proches de la vice-présidence, la PJ a demandé à ce département tous les documents relatifs aux contrats avec le cabinet d’avocats [de G.P.]. Cette enquête eut lieu suite à la publication d’un reportage du Garajau, le 13 janvier 2006, dans lequel on a dénoncé une « ruse » de la vice-présidence afin de pouvoir intégrer dans le budget des années 2005/2006 les fonds nécessaires au paiement des honoraires « millionnaires » à l’égard de deux procédures judiciaires introduites par [C.S.] contre le Garajau ainsi qu’une autre procédure concernant une dénonciation anonyme adressée au Procureur général de la République. » Suite à une dénonciation anonyme adressée au Procureur général de la République et à laquelle était jointe une copie de l’article du Garajau du 13 janvier 2006, des poursuites furent ouvertes contre X par le parquet de Lisbonne. Des fonctionnaires du Gouvernement de la région de Madère furent entendus. Le 1er février 2007, le procureur chargé de l’affaire rendit une ordonnance de classement sans suite, qui reconnut l’existence d’indices d’éléments objectifs constituant le délit de falsification de documents, sans qu’il fût possible d’établir les éléments subjectifs pertinents. B. La procédure pénale A une date non précisée, C.S. déposa une plainte pénale avec constitution d’assistente (auxiliaire du ministère public) contre les requérants devant le parquet de Funchal. Le ministère public accusa par la suite les requérants du chef de diffamation. Par un jugement du 17 mars 2010, le tribunal de Funchal acquitta les requérants. Il considéra que ceux-ci avaient agi en vue d’un intérêt légitime et dans le respect de la déontologie journalistique. L’exceptio veritatis prévue à l’article 180 § 2 du code pénal était dès lors applicable, les requérants ayant exercé leur droit à la liberté d’expression. C.S. fit appel devant la cour d’appel de Lisbonne. Celle-ci, par un arrêt du 13 octobre 2010, annula la décision de première instance et jugea les requérants coupables du chef de diffamation. Pour la cour d’appel, le droit à la liberté d’expression n’était pas absolu et, en l’espèce, le droit à la protection de la réputation de la personne lésée devait primer. La cour d’appel estima à cet égard que les requérants n’avaient pas réussi à prouver la véracité des faits sur lesquels se fondaient leurs accusations, l’exception de l’article 180 § 2 ne pouvant donc pas s’appliquer. La cour d’appel condamna ainsi le premier requérant à la peine de 140 jours-amende au taux journalier de 7 euros (EUR) et le deuxième requérant à celle de 220 jours-amende au taux journalier de 12 EUR. Elle condamna également les requérants au versement de 5 000 EUR à C.S. à titre de dommages et intérêts et au paiement des frais de justice. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 180 du Code pénal, qui concerne la diffamation, dispose notamment : « 1. Celui qui, s’adressant à des tiers, accuse une autre personne d’un fait, même sous forme de soupçon, ou qui formule, à l’égard de cette personne, une opinion portant atteinte à son honneur et à sa considération, ou qui reproduit une telle accusation ou opinion, sera puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’à six mois ou d’une peine jusqu’à 240 jours-amende. La conduite n’est pas punissable : a) lorsque l’accusation est formulée en vue d’un intérêt légitime ; et b) si l’auteur prouve la véracité d’une telle accusation ou s’il a des raisons sérieuses de la croire vraie de bonne foi. (...) La bonne foi mentionnée à l’alinéa b) du paragraphe 2 est exclue lorsque l’auteur n’a pas respecté son obligation imposée par les circonstances de l’espèce de s’informer sur la véracité de l’accusation. » Aux termes de l’article 183 § 2 du Code pénal, lorsque l’infraction est commise par l’intermédiaire d’un organe de presse, la peine encourue peut atteindre deux ans d’emprisonnement ou une sanction non inférieure à 120 jours-amende. Par ailleurs, l’article 184 du même Code augmente les peines en cause de moitié si la victime est un élu du peuple.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et est détenu à la prison de Gümüşhane. Le 3 décembre 2001, il fut arrêté et placé en garde à vue à Istanbul, dans le cadre d’une opération menée contre l’organisation illégale Hizbullah. Il était soupçonné d’être membre de cette organisation et d’avoir commis des crimes au nom de celle-ci. Selon le procès-verbal d’arrestation, la police a usé de la force pour appréhender le requérant qui aurait tenté, selon les agents, de prendre la fuite. Le même jour, le requérant fut soumis à un examen médical qui révéla la présence de blessures ecchymotiques, décrites comme étant vieilles de trois ou quatre jours, au niveau du sourcil droit et d’ecchymoses sur les deux mains. Le 5 décembre 2001, le requérant fut transféré à Batman. A son arrivée dans cette ville, il fut soumis à un nouvel examen médical. Celui-ci révéla la présence sur la tempe droite de l’intéressé de blessures qui auraient été datées d’environ dix jours et qui seraient en voie de guérison. Le 7 décembre 2001, le requérant fut traduit devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, qui ordonna son placement en détention provisoire. Il fut ensuite conduit à la maison d’arrêt de cette ville. Le 8 décembre 2001, le juge assesseur autorisa la reconduite du requérant dans les locaux de la direction de la sûreté de Diyarbakır pour interrogatoire. Le 10 décembre 2001, l’intéressé fut soumis à un nouvel examen médical avant d’être ramené à la prison. Le rapport médical correspondant indique la présence, au niveau de la zone frontale droite, de la cicatrice d’une blessure qui aurait été vieille de plusieurs mois. A. L’enquête relative aux allégations de mauvais traitements Le 14 décembre 2001, le requérant adressa une plainte au parquet de Diyarbakır pour mauvais traitements. Le même jour, il fut entendu par le procureur de la République sur ses allégations. Il déclara avoir été arrêté en réalité le 30 novembre 2001 et avoir fait l’objet d’une détention non reconnue jusqu’au 3 décembre 2001, date officielle de son arrestation. Il décrivit les traitements qu’il aurait subis à Istanbul. Le même jour, le procureur ordonna la présentation du requérant à l’hôpital de Diyarbakır pour un examen médical. Le rapport établi au terme de cet examen mentionnait la présence des traces suivantes sur le corps de l’intéressé : ecchymose de couleur violacée/jaune de 3 cm sur 10 sur le côté gauche du dos, ecchymoses étendues de couleur violacée/jaune sur l’omoplate droite et entre les omoplates, érosions et légères ecchymoses consécutives à des coups sur le poignet droit, au niveau du front, de l’œil droit, du premier orteil droit et des 2e et 3e orteils gauches. Le 28 décembre 2001, le procureur entendit les témoins cités par le requérant. L’un d’entre eux déclara que, lors de leur détention dans les locaux de la police à Istanbul, il avait vu le requérant en sang, couché sur le sol. Il précisa que, bien qu’ayant eu les yeux bandés, il pouvait voir pardessous le bord inférieur du bandeau. Il ajouta qu’il avait également entendu le requérant crier. Le 7 janvier 2002, l’institut médicolégal conclut que les blessures relevées dans le rapport médical du 14 décembre 2001 valaient une incapacité de travail de cinq jours. Le 14 janvier 2002, le parquet de Diyarbakır transféra le dossier d’enquête au parquet de Fatih (Istanbul) qui avait territorialement compétence pour connaître de l’affaire. Le procureur de Fatih recueillit les déclarations des policiers ayant procédé à l’interrogatoire du requérant. Le 7 mai 2002, ce procureur, se fondant sur l’ensemble des éléments du dossier, rendit une ordonnance de non-lieu. Le 24 septembre 2003, la cour d’assises de Beyoğlu rejeta l’opposition formée par le requérant contre cette ordonnance. Elle ordonna également que cette décision fût notifiée à l’intéressé par la voie du parquet. Le 10 novembre 2008, le requérant déposa également une plainte contre le personnel hospitalier, qu’il accusait d’avoir délibérément détruit un rapport médical qui avait, selon ses dires, été établi le 14 octobre 2001 à l’hôpital de Diyarbakır. Le 20 février 2009, le sous-préfet décida de ne pas autoriser l’ouverture d’une enquête pénale. Il releva que les rapports établis entre 2000 et 2004 avaient été détruits à la suite d’un dégât des eaux. Le tribunal administratif régional confirma la décision du sous-préfet. Enfin, le 22 mai 2009 et le 4 mai 2010, le procureur de la République rendit deux nouvelles ordonnances de non-lieu concernant les allégations de mauvais traitements du requérant. Il releva que les griefs de l’intéressé avaient déjà été examinés dans le cadre de l’enquête soldée par l’ordonnance de non-lieu du 7 mai 2002 et nota l’absence de nouveaux éléments de preuve de nature à remettre en question les conclusions de cette ordonnance. B. La procédure pénale diligentée contre le requérant Deux actions pénales distinctes furent diligentées contre le requérant pour appartenance au Hizbullah et pour crimes commis au nom de cette organisation, la première à Istanbul, la deuxième à Diyarbakır. Par la suite, les deux procédures furent jointes et la procédure se poursuivit devant la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Après la suppression des cours de sûreté de l’Etat, elle se poursuivit devant la cour d’assises spéciale de Diyarbakır (« la cour d’assises »). Tout au long de la procédure, au terme d’audiences qui furent tenues à intervalles réguliers, la cour de sûreté de l’Etat puis la cour d’assises ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée ainsi que de l’état des preuves. A partir de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale, la cour d’assises spéciale se fonda aussi sur l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et sur le fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Devant les juges, le requérant affirma avoir subi des mauvais traitements dans les locaux de la police et contesta la teneur de sa déposition recueillie pendant sa garde à vue. Le 30 décembre 2009, la cour d’assises reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité. Le 26 janvier 2011, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1969 et réside à Osmaniye. Après avoir réussi un concours général de la fonction publique, la requérante fut nommée au sein de la direction départementale des affaires sociales d’Osmaniye le 30 juin 1997. Le 8 octobre 1997, l’acte de nomination fut retiré par l’administration suite à la découverte d’une irrégularité dans la composition de la commission des concours. Le 7 novembre 1997, la requérante introduisit un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif d’Adana (« le tribunal administratif »). L’administration présenta sa réplique le 9 décembre 1997 à laquelle la requérante a répondu par sa duplique du 30 décembre 1997. Les 3 avril et 13 mai 1998, la requérante présenta ses observations complémentaires. Le tribunal administratif, considérant qu’un acte administratif favorable entaché d’illégalité ne pouvait plus être retiré par l’administration après un délai de soixante jours lorsque l’illégalité lui est imputable, annula l’acte déféré par un jugement du 21 mai 1998. A la suite de ce jugement, le 17 juillet 1998 la requérante reprit ses fonctions. L’administration forma un pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal administratif et présenta une demande de sursis à l’exécution de celui-ci. Le 5 novembre 1998, le Conseil d’Etat ordonna le sursis à l’exécution du jugement de première instance. Le 2 décembre 1998, la requérante présenta sa réplique au mémoire en pourvoi de l’administration. Le 14 décembre 1998, la requérante fut à nouveau contrainte de quitter son poste en application de la décision de sursis du 5 novembre 1998. Par un arrêt du 17 février 2000, après avoir entendu les observations du procureur, le Conseil d’Etat infirma le jugement déféré et renvoya l’affaire devant le tribunal administratif. Dans les motifs de son arrêt, le Conseil d’Etat indiqua qu’outre l’irrégularité dans la composition de la commission des concours, une irrégularité avait également été relevée dans la copie rendue par la requérante, et considéra qu’une nomination faite à la suite d’un concours entaché d’irrégularité violait le principe de l’égalité des chances et était de nature à porter atteinte à la confiance que se doivent d’inspirer l’Etat et les institutions. Le 22 novembre 2000, la juridiction de renvoi suivit la solution retenue par le Conseil d’Etat et débouta la requérante. Le 31 janvier 2001, la requérante forma un pourvoi en cassation. Le 30 mai 2001, l’administration présenta sa réplique. A une date non précisée, la requérante soumit, par écrit, ses observations complémentaires. Le Conseil d’Etat confirma ce jugement par un arrêt du 19 février 2003 rejetant le pourvoi de la requérante. Le 3 juillet 2003, la requérante demanda une rectification d’arrêt. Elle soutint à nouveau dans son mémoire que l’administration ne pouvait retirer un acte administratif favorable entaché d’illégalité lorsque que cette illégalité était imputable à l’administration. Ces deux demandes furent rejetées par un arrêt rendu le 15 juin 2004 et notifié à la requérante le 9 août 2004.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1972 et réside à Istanbul. A. Le déroulement de la manifestation à l’origine des faits litigieux Des ONG avaient appelé la population à manifester sur la place Beyazıt (Istanbul) le 16 mars 2004 à 13 heures pour protester contre les assassinats perpétrés en Syrie, commémorer les victimes du massacre d’ Halabja commis en 1988 et les victimes de l’explosion du 16 mars 1978. Une déclaration publique devait y être prononcée à l’intention de la presse. La requérante et son mari participèrent à cette manifestation. Ils arrivèrent sur les lieux après avoir été fouillés par les forces de l’ordre, qui avaient encerclé la place. Il ressort d’un rapport d’enquête établi par la police en mars 2004 que : – le 16 mars 2004, des étudiants d’extrême-gauche et des membres d’organisations illégales menèrent des actions sur la place Beyazıt à l’occasion de la commémoration de l’explosion du 16 mars 1978, qui avait causé la mort de sept étudiants devant la faculté de pharmacie d’Istanbul, et de l’utilisation d’armes chimiques à Halabja le 16 mars 1988 ; – le même jour, à 8 heures 20, neuf unités de la direction des forces spéciales arrivèrent sur la place Beyazıt et prirent des mesures de sécurisation des environs ; – vers 13 heures, une vingtaine d’étudiants sortirent par l’entrée principale de l’université d’Istanbul pour se diriger vers la place Beyazıt en brandissant une pancarte sur laquelle était inscrite « 16 Mart’ı ve Halepçe katliamını unutmadık unutturmayacağız » (nous n’avons pas oublié le 16 mars ni le massacre d’Halabja, et nous ne les oublierons pas) et en scandant des slogans ; près des arrêts de bus de la place se trouvaient, entre autres, le président de la section locale d’ÖTP (Özgür Toplum Partisi, le parti d’une société libre), les dirigeants de la section locale de DEHAP (Demokratik Halk Partisi, Parti démocratique du peuple) ainsi que la présidente de la section féminine de cette organisation, le président de l’association YAKAY-DER (Yakınlarını Kaybeden Ailelerle Yardımlaşma ve Dayanışma Derneği, l’association d’entraide aux familles ayant perdu un proche), les familles de l’association TAYAD (« Anadolu Tutuklu ve Hükümlü Aileleri Yardımlaşma Derneği », l’association anatolienne d’entraide aux familles des détenus et condamnés), le front « Halklar ve Özgürlükler » (les peuples et les libertés) ainsi que des individus de gauche porteurs de banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Devrim için düşenler kavgamızda yaşıyor » (ceux qui sont tombés pour la révolution vivent dans notre combat), « Devrimci proleter gençlik » (la jeunesse prolétaire révolutionnaire), « Öğrenciyiz haklıyız kazanacağız » (nous sommes étudiants, nous avons raison, nous vaincrons), « Halepçe’yi [...] unutmadık unutmayacağız » (nous n’avons pas oublié le massacre d’ Halabja, nous veillerons à ce qu’il ne soit pas oublié), « Kürt halkına imha dayatılamaz » (le peuple kurde ne peut être anéanti), « Devrim Şehitleri Ölümsüzdür » (les martyrs de la révolution sont immortels), « Suriye şaşırma sabrımızı taşırma » (Syrie, ne sois pas surprise, n’abuse pas de notre patience), « Suriye Kürtleri yalnız değildir » (Les kurdes de Syrie ne sont pas seuls), « Katil Esat halka hesap verecek » (le criminel Assad rendra des comptes au peuple), « 20 yıldır yılmadık yılmayacağız » (20 ans n’ont pas suffi à nous décourager, nous ne perdrons pas courage), « Tecride hayır Öcalan’a özgürlük » (non à l’isolement, liberté à Öcalan), « Selam selam İmralı’ya bin selam » (salut, salut, mille saluts à İmralı), « Biji serok Apo » (vive le président Apo [Öcalan]). Le groupe d’étudiants sortis de l’université d’Istanbul et les personnes proches des arrêts de bus se rejoignirent sur la place Beyazıt ; – s’adressant aux dirigeants des organisations susmentionnées et aux meneurs des quelque cinq cents manifestants qui se trouvaient là, les directeurs adjoints de la direction de la sûreté les informèrent que la manifestation n’avait pas été autorisée, qu’elle était illégale, qu’elle avait dépassé son objet en se transformant en appel à soutenir l’organisation terroriste PKK et son dirigeant Abdullah Öcalan. Ils les sommèrent à plusieurs reprises de cesser immédiatement leur action et de se disperser, les menaçant d’user de la force en cas de refus de leur part d’obtempérer. Les manifestants ayant scandé des slogans de soutien à Abdullah Öcalan et résisté aux forces de l’ordre, 22 femmes et 10 hommes furent placés en garde à vue sur l’ordre d’A.P., directeur adjoint de la sûreté. Cette intervention ne fit aucun blessé parmi les forces de l’ordre. Le 18 mars 2004, l’hôpital de Taksim établit un rapport médical où il était indiqué que la requérante avait un retard de règles de dix jours et qu’elle se plaignait de douleurs dorsales. Le 19 mars 2004, l’institut médicolégal d’Istanbul indiqua qu’il ressortait du rapport médical établi le 18 mars 2004 par l’hôpital « Taksim Eğitim ve Araştırma Hastanesi » qu’un examen gynécologique de la requérante avait révélé qu’elle avait eu des « pertes » après un retard de règles de dix jours, qu’elle avait des douleurs dorsales, qu’elle ne présentait pas d’hémorragie et qu’elle avait sur la cuisse droite une ecchymose de 5 x 6 cm ainsi que d’autres contusions sur différentes parties du corps. Le 23 mars 2004, la requérante se rendit dans une clinique privée (« Ekin patoloji-Stiloji »). Un rapport médical établi le lendemain après examen de la requérante mentionna des signes de fausse couche. B. La plainte pénale déposée par la requérante contre la police La requérante porta plainte à une date non précisée auprès du procureur de la République d’Istanbul. Dans cette plainte, elle expliquait qu’elle attendait avec son mari la lecture de la déclaration publique avec d’autres manifestants lorsque les policiers étaient intervenus sans sommation pour les disperser, utilisant contre eux des gaz lacrymogènes, des matraques et des chiens. Alors qu’elle tentait de s’enfuir avec son mari, elle tomba sur le sol, où elle fut piétinée par de nombreuses personnes. Elle y fut frappée par des policiers à coups de matraque sur les fesses, le dos, les jambes et le ventre. Ils lui administrèrent également des coups de pied et la traînèrent sur le sol avant de s’en prendre à d’autres manifestants, ce dont elle profita pour quitter les lieux de la manifestation. Son mari, qu’elle retrouva en l’appelant sur son téléphone portable, lui conseilla de se rendre à l’hôpital, mais elle était si fatiguée qu’elle préféra rentrer chez elle. Elle n’avait pas conscience de la gravité de son état. Durant la nuit, elle eut des saignements vaginaux et fit une fausse couche dont elle plaça les résidus dans un bocal. Le 18 mars 2004, elle se sentit mieux et se rendit au service gynécologique de l’hôpital « Taksim Eğitim ve Araştırma Hastanesi » (İstanbul) pour se faire examiner. Le médecin qui procéda à cet examen établit qu’elle était enceinte de quarante jours environ lorsque, le 16 mars 2004, elle avait fait une fausse couche après avoir reçu des coups de pied et de matraque. Elle demanda son transfert à l’institut médicolégal d’Istanbul en vue d’un examen. Le 12 avril 2004, l’institut médicolégal invita le procureur de la République à lui adresser le rapport médical établi le 18 mars 2004 par l’hôpital « Taksim Eğitim ve Araştırma Hastanesi » ainsi que les résidus de la fausse couche, le rapport histopathologique et les résultats de l’examen gynécologique effectué avant les faits litigieux. Le 8 juin 2004, le procureur de la République demanda au service de gynécologie et maternité de l’hôpital « Taksim Eğitim ve Araştırma Hastanesi » de lui communiquer le rapport médical établi le 18 mars 2004 ainsi que les résidus de la fausse couche et les résultats de l’examen gynécologique pratiqué pendant la grossesse de la requérante. Le 24 juin 2004, la requérante fut entendue par le procureur de la République. Elle lui demanda de l’autoriser à se rendre à l’institut médicolégal en vue d’un examen, alléguant qu’elle avait fait une fausse couche due aux coups reçus pendant la manifestation. Elle lui précisa qu’elle avait déjà adressé à l’institut médicolégal une demande en ce sens, qui avait été rejetée au motif que ce genre de demande devait émaner du procureur de la République. Le même jour, le procureur de la République invita l’institut médicolégal d’Istanbul à pratiquer les examens nécessaires. Il joignit à sa demande les différents rapports médicaux ainsi que les résidus que la requérante avait conservés. Le 14 juillet 2004, la direction de l’institut médicolégal établit un rapport médical où il était indiqué que les résidus analysés se caractérisaient par l’absence de chorion (koryon villus). Le 21 juillet 2005, au vu des allégations formulées dans la plainte de la requérante et du rapport d’enquête sur les faits litigieux établi par les forces de l’ordre en mars 2004, le procureur de la République d’Istanbul rendit une décision de classement sans suite de la plainte pour mauvais traitements présentée par la requérante et quarante-neuf autres manifestants. Il y était notamment précisé que les blessures infligées aux plaignants lors de leur placement en garde à vue par les brigades d’intervention rapide résultaient du recours à une force légitime, les intéressés ayant refusé d’obtempérer à un ordre de dispersion. Il y était également mentionné qu’aucun élément de preuve autre que les allégations des plaignants ne donnait à penser que les brigades d’intervention rapide avaient outrepassé le cadre légal de leurs fonctions en employant la force contre eux ou que celles-ci ne leur avaient pas adressé de sommation avant d’intervenir. Le 22 août 2005, la requérante introduisit devant le président de la cour d’assises de Beyoğlu un recours contre cette décision de classement sans suite, auquel elle joignit le rapport médical du 14 juillet 2004. Il y était notamment indiqué que, comme la requérante l’avait déjà expliqué dans sa plainte, elle s’était rendue place Beyazıt pour protester contre les assassinats perpétrés en Syrie et commémorer les victimes d’Halabja. La requérante arguait que, contrairement à ce que mentionnait la décision de classement sans suite, il n’était pas illégal de participer à une manifestation où devait être prononcée une déclaration publique car ce droit était garanti par la Constitution. Elle contestait la version des faits présentée dans le procès-verbal du 16 mars 2004 et réitérait ses allégations. Elle accusait le procureur de la République d’avoir mené une enquête incomplète, lui reprochant de ne pas avoir examiné les enregistrements de la manifestation ni recherché d’autres éléments de preuve et de s’être prononcé au seul vu du procès-verbal établi par la police. S’agissant de la thèse du procureur selon lequel les policiers mis en cause n’avaient pas outrepassé les limites de leurs fonctions lorsqu’ils avaient eu recours à la force, la requérante soutenait au contraire que ceux-ci auraient dû utiliser une force proportionnée et graduée par rapport à celle qui leur avait été opposée, précisant qu’ils avaient employé la force sans avertissement préalable et qu’ils avaient frappé les manifestants à coups de matraque et de pied, qu’ils les avaient aspergés de gaz lacrymogènes et qu’ils avaient lâché leurs chiens sur eux. Le 7 octobre 2005, le président de la cour d’assises de Beyoğlu confirma le classement sans suite prononcé le 21 juillet 2005. Cette décision fut notifiée à la requérante le 28 octobre 2005. La requérante ne fut pas poursuivie pour avoir participé à la manifestation litigieuse. C. L’examen médical des manifestants effectué à la suite des faits litigieux Le Gouvernement a communiqué à la Cour des copies des rapports médicaux concernant les autres manifestants arrêtés après la manifestation. Ces documents énumèrent les différentes lésions constatées sur les corps des intéressés et indiquent que chacun d’entre eux a subi une incapacité de travail temporaire de un à sept jours. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 2991 relative au déroulement des réunions et manifestations, de la loi no 2559 sur les fonctions et compétences de la police, de la directive relative aux forces d’intervention rapide (Polis Çevik Kuvvet Yönetmeliği) du 30 décembre 1982 qui fixent les principes régissant la surveillance, le contrôle et l’intervention des forces d’intervention rapide dans des situations de manifestation figurent aux paragraphes 15 à 19 de l’arrêt Kop c. Turquie (no 12728/05, §§ 15-19, 20 octobre 2009). A. La Constitution L’article 25 de la Constitution est ainsi libellé : « Toute personne a droit à la liberté de pensée et d’opinion. Nul ne peut être contraint de divulguer ses pensées et opinions ni être blâmé ou inculpé pour quelque motif que ce soit du fait de ses pensées et opinions. » L’article 26 du même texte se lit ainsi: « Chacun est libre d’exprimer et de divulguer, individuellement ou collectivement, sa pensée et ses convictions par la parole, l’écrit, l’image ou d’autres moyens. Cette liberté comprend celle de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques. Les dispositions du présent alinéa n’empêchent pas de soumettre la radiodiffusion, le cinéma, la télévision ou les médias analogues à un régime d’autorisation. L’exercice de ces libertés peut être restreint dans le but de prévenir ou réprimer les infractions, d’empêcher la divulgation de renseignements légalement protégés par le secret d’Etat, de protéger la réputation, les droits, la vie privée et familiale d’autrui ou ses secrets professionnels protégés par la loi ou de permettre au pouvoir judiciaire de mener à bien sa tâche. (...) Les dispositions légales qui régissent l’utilisation des moyens de diffusion des informations et des idées ne peuvent être considérées comme restrictives des libertés d’expression et de diffusion de la pensée aussi longtemps qu’elles ne font pas obstacle à cette diffusion. » B. La loi no 2991 relative au déroulement des réunions et manifestations L’article 3 de ce texte précise que toute personne peut organiser, sans autorisation préalable, une réunion ou une manifestation non armée et pacifique dans le respect de la loi. L’article 6 prévoit que le préfet ou le sous-préfet sont compétents pour réglementer le lieu et l’itinéraire que doivent emprunter les participants à une réunion ou une manifestation. L’article 10 énonce que le préfet ou le sous-préfet doivent être informés d’une manifestation au moins quarante-huit heures avant le déroulement de celle-ci. L’avis d’information doit notamment mentionner le but, le lieu et le jour de la manifestation, ainsi que l’heure de début et de fin de celle-ci. L’article 22 précise qu’il est interdit de manifester sur les routes et autoroutes, dans les parcs publics, devant les édifices religieux, devant les bâtiments et les infrastructures affectés à un service public ainsi que leurs dépendances. Il est également interdit de manifester à une distance de moins d’un kilomètre de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Les manifestants doivent se conformer aux mesures prises par le préfet ou le sous-préfet pour assurer le bon déroulement de la circulation des personnes et des véhicules de transport.
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