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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956 et réside à Figueira Da Foz. A. Contexte de l’affaire Le requérant, historien de profession, signa, en tant que directeur d’une association d’études historiques, un accord avec la mairie de Montemor-o-Velho et une autre association visant à, entre autres, divulguer l’œuvre littéraire d’un poète de la région, Afonso Duarte. Dans ce contexte, un premier volume d’un recueil de l’œuvre poétique d’Afonso Duarte fut publié en 2003. Le 8 septembre 2005, la mairie de Montemor-o-Velho lança un autre ouvrage sur la poésie d’Afonso Duarte dont l’auteur, A.R.M., avait gagné un prix littéraire. Estimant qu’en publiant ce deuxième ouvrage la mairie de MontemoroVelho ne s’était pas comportée correctement à l’égard de l’association qu’il présidait et avec laquelle elle avait conclu un accord, le requérant adressa, le 16 septembre 2005, une lettre à cette dernière ainsi qu’à d’autres personnalités de la ville, s’exprimant notamment ainsi : « Le 8 septembre 2003, la mairie de Montemor-o-Velho avait lancé dans ce même hôtel de ville, lors d’une cérémonie alors marquée par la dignité, la neutralité et le pluralisme, le livre de 194 pages (...). Cela veut dire que, alors même que la préparation du deuxième volume d’un ouvrage désintéressé sur Afonso Duarte est en cours (...), l’une des trois parties au partenariat en cours (celle qui s’appelle mairie de Montemor-o-Velho), au mépris de l’accord de partenariat signé le 9 décembre 1999 et des obligations les plus élémentaires de loyauté envers ses partenaires, vient lancer elle-même un autre livre sur Afonso Duarte. (...) On aurait dû peut-être s’attendre à une telle bassesse de la part de la municipalité dirigée à l’heure actuelle par (...). Mais on n’a rien à voir avec cette initiative pré-électorale de septembre 2005. Il s’agit ici (...) de dénoncer que l’entité publique qui est la mairie de Montemor-o-Velho récidive dans une falsification : celle de publier un ouvrage payé avec des deniers publics. (...) Monsieur le maire a ramené dans cette ville son partenaire politique (...) afin d’y présenter (...) un livre financé par des fonds publics, annoncé comme étant édité par une collectivité locale et dont la fiche technique même affiche que l’édition est le fait d’une société privée visant le profit (...) La situation en question devra être l’objet d’une investigation d’autant plus que s’y mêlent des deniers publics et des intérêts privés (...) et à trente jours seulement des élections municipales. » En octobre 2005, le requérant fit publier, dans le journal régional Baixo Mondego, un article d’opinion dont le contenu était presque identique à celui de la lettre susmentionnée. B. La procédure pénale contre le requérant Lors de sa réunion du 30 septembre 2005, le conseil municipal de Montemor-o-Velho décida de saisir le parquet d’une plainte pénale contre le requérant. Suite au dépôt d’une telle plainte, le ministère public près le tribunal de Montemor-o-Velho ouvrit des poursuites contre le requérant, celui-ci ayant été mis en examen (arguido) le 15 décembre 2005. Le 15 février 2007, le ministère public présenta ses réquisitions contre le requérant, qui était accusé de l’infraction d’offense à personne morale exerçant l’autorité publique. Par la suite, la mairie de MontemoroVelho se constitua assistente (auxiliaire du ministère public) et déposa une demande en dommages et intérêts. L’audience était fixée au 9 juillet 2007 mais fut reportée au 29 octobre 2007. Le requérant demanda au juge l’audition anticipée de deux de ses témoins pour motifs de santé. Le 1er octobre 2007, le tribunal invita le requérant à joindre des documents attestant des problèmes de santé en cause. En réponse, le requérant adressa au tribunal le certificat de décès de l’un des témoins, qui avait eu lieu le 6 août 2007. A une date non précisée, le requérant demanda l’audition en tant qu’experts de fonctionnaires de l’agence portugaise ISBN et de la Bibliothèque Nationale afin d’établir que l’ouvrage dont il critiquait l’édition était en fait de la responsabilité d’une maison d’éditions privée et non pas de la mairie de Montemor-o-Velho. Par une ordonnance du 22 octobre 2007, le juge accepta l’audition des personnes en cause mais en tant que témoins et non pas en tant qu’experts. Le tribunal de Montemor-o-Velho rendit son jugement le 26 mars 2008. Il donna pour établi que, s’il était vrai que le numéro ISBN de l’ouvrage en question était celui d’une maison d’éditions privée, cela était dû à un simple lapsus matériel, corrigé par la suite. Pour le tribunal, le requérant savait ou aurait dû savoir, dans ces circonstances, que qualifier l’édition d’un tel ouvrage de « falsification » portait atteinte à la réputation de la mairie. Le tribunal jugea ainsi le requérant coupable de deux infractions d’offense à personne morale exerçant l’autorité publique et le condamna, en cumul juridique, à 290 jours-amende, correspondant à un montant total de 2 320 euros (EUR). Il condamna par ailleurs le requérant au paiement de 1 000 EUR pour dommages et intérêts à la mairie ainsi qu’à la publication, à ses propres frais, d’une annonce dans la presse régionale faisant état de la condamnation. Le requérant fit appel devant la cour d’appel de Coimbra, alléguant notamment qu’il avait réussi à apporter la preuve que les faits qu’il avait mis en exergue étaient vrais ou, à tout le moins, qu’il y avait des raisons sérieuses de croire qu’ils le fussent. S’étant borné à exercer sa liberté d’expression, ces agissement n’étaient pas punissables aux termes de l’article 187 du Code pénal. Dans son recours, le requérant ne présenta aucun moyen concernant des défauts de procédure ou alléguant la violation du droit à un procès équitable. Par un arrêt du 19 novembre 2008, la cour d’appel de Coimbra rejeta le recours et confirma le jugement attaqué. La cour d’appel souligna qu’en l’occurrence le droit de la mairie à la préservation de sa réputation prévalait sur le droit du requérant à la liberté d’expression. Pour la cour d’appel, il résultait des faits établis que le requérant n’était pas de bonne foi et qu’il avait uniquement voulu porter atteinte, par la médisance, à l’image de la mairie. C. La plainte pénale déposée par le requérant Le 16 septembre 2005, le requérant déposa une plainte pénale devant le parquet de Montemor-o-Velho contre la mairie de cette ville, des chefs notamment de faux en écriture, de contrefaçon et d’usurpation. Le 18 juillet 2006, le procureur chargé de l’affaire rendit une ordonnance de classement sans suites, estimant n’avoir décelé aucun indice de la commission d’une infraction pénale. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 182 qui étend la qualification du délit d’injure se lit ainsi : « À la diffamation et à l’injure verbales sont assimilées celles faites par écrit, gestes, images ou tout autre moyen d’expression. » L’article 187 (offense à personne morale exerçant l’autorité publique), en sa version en vigueur à l’époque des faits, se lisait ainsi : « 1. Quiconque affirme ou répand – sans en avoir le fondement pour, de bonne foi, les croire vrais – des faits mensongers susceptibles d’affecter la crédibilité, le prestige ou la confiance dus à une personne morale, institution, corporation, organe ou service exerçant l’autorité publique est puni d’une peine d’emprisonnement jusqu’à six mois ou d’une peine jusqu’à 240 jours-amende. Est par conséquent applicable ce qui est prévu : a) À l’article 183 et b) À l’article 186 § 1 et 2. » D’après une jurisprudence interne uniforme, l’article 187 du Code pénal ne réprime que la propagation de « faits mensongers » et non les jugements de valeur (voir, entre autres, les arrêts de la cour d’appel de Porto du 6 décembre 2006 (procédure no 0643716), du 15 octobre 2007 (procédure no 0743317), du 14 Septembre 2011 (procédure 19460/09.8TDPRT.P1), du 14 novembre 2012 (procédure 15722/10.0TDPRT.P1) et du 30 octobre 2013 (procédure no 1087/12.9TAMTS.P1) ou les arrêts de la cour d’appel de Lisbonne du 8 septembre 2010 (procédure no 4962/08.1TDLSB.L1-3) et du 29 juin 2012, in CJ, XXXVII, 3, 159). Cette disposition vise à protéger la crédibilité, le prestige ou la confiance dus à une personne morale, institution, corporation, organe ou service (voir, entre autres, l’arrêt de la cour d’appel de Coimbra du 12 mai 2010 (procédure no 88/08.6TATBU.C1) ou l’arrêt de la cour d’appel d’Évora du 24 septembre 2013 (procédure no 6/11.4TAOLH.E1)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La procédure en paiement des dommages et intérêts Le requérant, né en 1951, réside à Łanięta. En février 2006, le requérant, ancien dirigeant d’une grande société pharmaceutique, engagea à l’encontre de celle-ci une action en paiement de dommages et intérêts d’un montant s’élevant à 2 060 917,97 zlotys polonais (PLN) (environ 515 000 euros (EUR)). Il tirait ses prétentions du refus de la société défenderesse, selon lui contraire à la décision prise par l’assemblée de ses actionnaires, de lui accorder la possibilité d’acheter des actions (opcje menadzerskie). En se fondant sur les dispositions pertinentes du code du travail en vigueur à l’époque des faits, selon lesquelles l’employé qui intentait une action relative à des prétentions découlant d’une relation de travail était exonéré du paiement des frais y afférents, le requérant ne paya pas les frais de dépôt de sa demande auprès du tribunal de première instance. Par un jugement du 3 avril 2007, le tribunal régional de Łódź rejeta la demande du requérant, au motif que la créance dont il s’estimait titulaire et le dommage dont il se prévalait en raison du fait que la partie défenderesse serait restée en défaut de l’honorer n’avaient pas été établis. Le tribunal notait que, en dépit des affirmations du requérant, ladite créance ne pouvait pas naître d’une décision de l’assemblée des actionnaires de la société défenderesse, cette dernière ne l’ayant pas mandaté pour s’engager en son nom et pour son compte envers des tiers. En outre, selon la décision en question, la possibilité d’acheter des actions n’était accordée que sous certaines conditions, entre autres sous réserve d’un accord préalable à cet égard entre le conseil de surveillance et l’éventuel bénéficiaire de cette possibilité. Or, aucun accord de cette nature n’avait été conclu en l’espèce. En marge de ses motifs, le tribunal régional observa que le montant des prétentions formulées par le requérant dans le litige avait été fixé d’une manière arbitraire. Le requérant interjeta appel devant la cour d’appel contre le jugement du 3 avril 2007. Il demandait en même temps à être exonéré du paiement des frais afférents à son recours qui s’élevaient à environ 103 000 PLN, soit dans leur totalité soit pour la partie excédant 10 000 PLN. Il soutenait qu’il n’était pas en mesure d’acquitter les frais exigés sans subir une baisse importante de son niveau de vie et de celui de sa famille. Dans sa déclaration de ressources jointe au dossier, le requérant exposait qu’il était propriétaire d’une maison familiale, d’une valeur d’environ 40 000 PLN, avec des terrains attenants, dont des terrains forestiers d’une surface d’environ 22 000 m², et qu’il possédait en outre un appartement d’une valeur d’environ 100 000 PLN et deux véhicules d’une valeur totale d’environ 50 000 PLN. Il soulignait que, depuis 2005, il n’exerçait aucun emploi et vivait uniquement des revenus de son épargne, constituée à ses dires d’un portefeuille de 2 600 titres dans deux fonds d’investissement et d’une somme de 6 500 PLN. Il indiquait que ces revenus servaient à couvrir les dépenses de son ménage d’un montant d’environ 5 000 PLN par mois, les frais d’entretien de son patrimoine et le coût du traitement anticancéreux qui aurait été dispensé à son épouse. Le 11 juin 2007, le tribunal régional de Łódź, prenant en compte la situation familiale et financière du requérant, en particulier le traitement onéreux dispensé à son épouse, exonéra l’intéressé du paiement de la part excédant 10 000 PLN des frais exigibles pour le dépôt de l’appel. Par un arrêt du 4 septembre 2007, la cour d’appel de Łódź rejeta l’appel du requérant, en confirmant le jugement du tribunal régional de Łódź du 3 avril 2007. En décembre 2007, le requérant se pourvut en cassation devant la Cour suprême. Il demandait en même temps à être exonéré du paiement des frais afférents à son recours s’élevant à environ 100 000 PLN, soit dans leur totalité soit de la part excédant 5 000 PLN. Il soutenait que sa situation financière s’était détériorée à la suite du décès récent de son épouse, son patrimoine ayant été incorporé dans la masse successorale à répartir entre les héritiers de la défunte, à savoir lui-même et ses trois enfants. Il précisait en outre que, hormis les biens indiqués dans sa précédente déclaration de ressources, il disposait d’un portefeuille d’environ 2 275 titres dans un fond d’investissement et d’une somme de 7 600 PLN. Le 27 décembre 2007, la cour d’appel de Łódź refusa d’exonérer le requérant du paiement des frais exigibles pour le dépôt du pourvoi en cassation, au motif que sa situation financière ne le justifiait pas. Elle observait que le requérant était propriétaire de biens immobiliers et qu’il disposait de revenus d’épargne lui permettant de rémunérer un avocat et de débourser environ 5 000 PLN par mois pour les dépenses de son ménage. Elle estimait en outre que le requérant aurait dû gérer ses dépenses de manière à disposer des moyens financiers nécessaires à la procédure. Le 16 mai 2008, la Cour suprême déclara irrecevable le recours que le requérant avait formé contre la décision du 27 décembre 2007, au motif que la décision en question était insusceptible de recours. L’intéressé fut invité à payer sous sept jours les frais exigibles pour le dépôt du pourvoi en cassation. Le 8 septembre 2008, le requérant déposa une nouvelle demande d’exonération du paiement des frais en question. Il soutenait que, à la suite du décès de son épouse, après versement aux autres ayants droit des sommes correspondant à leurs parts dans l’héritage, son épargne, d’un montant de 250 000 PLN auparavant, n’était plus que de 33 000 PLN et qu’en outre son mauvais état de santé l’empêchait de reprendre son activité professionnelle. Il précisait enfin que les dépenses mensuelles de son ménage s’élevaient à environ 4 000 PLN. Le 18 septembre 2008, la cour d’appel déclara irrecevable cette demande au motif qu’elle était identique à celle rejetée le 27 décembre 2007, ainsi que le pourvoi en cassation du requérant au motif que les frais exigibles pour le dépôt dudit recours n’avaient pas été acquittés. Le 13 octobre 2008, le requérant forma un recours contre la décision du 18 septembre 2008 et présenta parallèlement une demande d’exonération du paiement des frais y afférents d’un montant de 20 000 PLN. Il soutenait notamment que l’obligation de payer 100 000 PLN pour le dépôt du pourvoi en cassation lui imposait une charge excessive, dans la mesure où, pour s’en acquitter, il aurait dû, selon lui, sacrifier la majeure partie de ses économies et vendre ses biens immobiliers. Il estimait que, dans la mesure où il n’était pas un entrepreneur, n’exerçait aucune activité rémunérée et ne bénéficiait d’aucune aide sociale, on ne pouvait le contraindre à réunir lesdits fonds en prévision d’un éventuel litige. Le requérant indiquait que la cour d’appel n’avait pas tenu compte de la détérioration de sa situation financière, qui, à ses dires, était consécutive à la dépréciation qu’aurait subie son portefeuille de titres, dont la valeur aurait été réduite de 377 000 à 250 000 PLN entre décembre 2007 et septembre 2008. Il reprochait également à la cour d’appel d’avoir retenu en sa défaveur le fait qu’il rémunérait un avocat, alors même que son ministère aurait été obligatoire devant la Cour suprême. Il était d’avis que sa seconde demande d’exonération du paiement des frais exigibles pour le dépôt du pourvoi en cassation avait été rejetée à tort, sans qu’il eût été tenu compte de la détérioration de sa situation financière à la suite du décès de son épouse. Il soutenait enfin que les questions soulevées dans son pourvoi en cassation méritaient d’être examinées par la Cour suprême. Le 23 octobre 2008, la cour d’appel de Łódź déclara irrecevable le recours du requérant pour autant qu’il concernait la déclaration d’irrecevabilité de sa seconde demande visant l’exonération du paiement des frais exigibles pour le dépôt du pourvoi en cassation. En revanche, elle l’exonéra du paiement de la part excédant 1 000 PLN des frais correspondant à son recours formé contre la déclaration d’irrecevabilité du pourvoi en cassation. Le 6 février 2009, la Cour suprême rejeta le recours que le requérant avait formé contre cette dernière décision. B. La procédure tendant à la liquidation de la communauté des biens entre époux et à la répartition de la succession de l’épouse défunte du requérant entre les ayants droit Dans l’entretemps, en octobre 2008, à la suite du décès de son épouse, le requérant avait engagé une action tendant à la liquidation de la communauté des biens entre époux et à la répartition de la succession entre les ayants droit. Le 12 novembre 2008, statuant sur la demande du requérant, le tribunal de district de Kutno lui attribua à titre exclusif un appartement d’une valeur de 160 000 PLN et les titres dans un fond d’investissement d’une valeur d’environ 247 000 PLN, ainsi qu’un quart en indivision de la maison familiale et les cinq huitièmes en indivision des véhicules appartenant à la famille. Le requérant se vit imposer le versement aux autres ayants droits d’une somme de 90 000 PLN. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les dispositions pertinentes de la loi sur les frais de justice en matière civile (Ustawa o kosztach sądowych w sprawach cywilnych) En droit polonais, tout demandeur est tenu de payer des frais de procédure lors du dépôt d’un acte introductif d’instance auprès d’un tribunal. Au fur et à mesure du déroulement de la procédure, chaque partie doit payer des frais supplémentaires lorsqu’elle interjette appel ou forme un recours constitutionnel, à moins d’une exonération de ces frais. Les frais de procédure représentent un pourcentage (lorsqu’il s’agit d’une demande ou d’un appel) ou une fraction (lorsqu’il s’agit d’un appel incident) de la somme en jeu. Selon l’article 13 de la loi sur les frais de justice en matière civile (Ustawa o kosztach sądowych w sprawach cywilnych), les frais de procédure dans des litiges en matière patrimoniale (sprawy o prawa majątkowe) représentent 5 % de la somme en jeu et ne peuvent être inférieurs à 30 PLN ni excéder 100 000 PLN. Selon l’article 15 de la loi, lorsque la valeur de l’objet du litige portant sur les prétentions patrimoniales ne peut être déterminée à l’ouverture du litige, le président fixe les frais temporaires (opłata tymczasowa) exigibles pour le dépôt d’un acte introductif d’instance. Les frais en question s’élèvent à un montant compris entre 30 et 1 000 PLN en cas d’action individuelle et entre 100 et 10 000 PLN en cas d’action collective. Les frais définitifs sont fixés dans une décision mettant fin à la procédure en première instance. Les justiciables appartenant à certaines catégories sont exonérés du paiement des frais de procédure. Ainsi, selon l’article 96 § 1 de la loi susvisée, sont dispensés du paiement des frais de procédure, entre autres, un employé engageant une action auprès d’une juridiction du travail (sous réserve des articles 35 et 36 de cette loi) et « toute partie exonérée des frais de procédure par la juridiction compétente ». L’article 35 de la loi prévoit que certains recours dans des litiges en matière de droit du travail, dont un appel, un recours incident, un pourvoi en cassation et un recours tendant à remettre en cause la légalité d’une décision définitive, sont soumis au paiement des frais dits « de base » (opłata podstawowa) de 30 PLN. Toutefois, lorsque la somme en jeu est supérieure à 50 000 PLN, les frais afférents à ces recours représentent un pourcentage de la somme en question. Selon l’article 102 de la loi, une personne dont la déclaration de ressources fait apparaître que les frais de procédure qui lui sont réclamés entraîneraient une baisse importante de son niveau de vie et de celui de sa famille peut demander au tribunal de l’en exonérer. Une telle déclaration doit comporter certaines informations relatives à la famille de l’intéressé, aux biens qu’il possède et aux revenus dont il dispose. Selon l’article 109, alinéa 1, de la loi, en cas de doute au sujet de la véritable situation financière du demandeur, le tribunal peut ordonner la vérification de sa déclaration. Selon l’article 109, alinéa 2, de la loi, le tribunal refuse d’accorder l’exonération si le recours présente un caractère manifestement infondé. Dans le cas contraire, selon les articles 100, alinéa 1, et 101, alinéa 1, de la loi, il peut l’accorder dans sa totalité ou en partie. Selon l’article 101 alinéa 2 de la loi, le tribunal peut accorder l’exonération d’une part excédant une certaine somme ou une fraction ou un pourcentage des frais exigibles ou l’exonération de certains frais et dépens. L’exonération peut s’appliquer à une partie de la demande ou à certaines demandes revendiquées conjointement. Enfin, selon l’article 107, alinéa 2, de la loi, une demande d’exonération des frais de justice fondée sur les mêmes circonstances que sa demande antérieure est irrecevable. La déclaration d’irrecevabilité est insusceptible de recours. B. Les dispositions pertinentes du code de procédure civile (CPC) concernant le pourvoi en cassation (skarga kasacyjna) Le pourvoi en cassation (skarga kasacyjna), tel qu’il est réglementé en droit polonais, est un recours extraordinaire. Selon l’article 398, alinéa 1, du code de procédure civile (CPC), un jugement définitif du tribunal de seconde instance tout comme une décision mettant fin à la procédure par le constat d’irrecevabilité d’une demande ou par un non-lieu sont susceptibles d’un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, qui peut être formé par une partie à la procédure, par le procureur général ou par le médiateur, sauf en cas de disposition contraire de la loi. Selon l’article 398 (3) §§ 1 et 3 du CPC, le pourvoi en cassation peut être formé en cas de violation alléguée de la loi résultant d’une erreur d’interprétation ou d’application des dispositions de celle-ci ainsi que/ou en cas de violation alléguée des règles de procédure susceptible d’avoir une incidence significative sur la résolution de l’affaire. Le pourvoi en cassation ne peut pas porter sur une erreur dans l’établissement des faits ou dans l’appréciation des éléments de preuve. Selon l’article 398 (9) § 1 du CPC, la Cour suprême n’examine un pourvoi en cassation que s’il soulève une question importante de droit ou s’il se justifie par la nécessité d’interpréter des dispositions d’une loi lorsqu’elles sont très controversées ou sont appliquées de manière divergente par les juridictions inférieures. Elle statue en outre sur les pourvois en cassation manifestement bien fondés et en cas de nullité d’une procédure. Aux termes de l’article 398. 14 du CPC, la Cour suprême rejette le pourvoi en cassation lorsqu’il est dépourvu de fondement ou lorsque le jugement attaqué respecte la loi malgré une erreur de motivation. Selon l’article 398. 15 du CPC, lorsqu’elle accueille le pourvoi en cassation, la Cour suprême casse la décision attaquée dans sa totalité ou en partie et renvoie l’affaire pour réexamen à la juridiction qui l’a rendue.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Vratsa. Avant les faits de la présente espèce, le requérant avait servi pendant plusieurs années dans la police nationale. Entre 2005 et septembre 2009, il avait occupé successivement les postes de chef de deux commissariats de police, à Kozloduy et à Byala Slatina. A. Le placement en détention du requérant et l’examen de ses demandes de libération Le 19 décembre 2009, le requérant fut arrêté par la police pour des soupçons d’avoir participé à un groupe criminel, soupçonné de cambriolages dans différentes localités sur le territoire du pays. Le 21 décembre 2009, un enquêteur du service de l’investigation près du parquet régional de Plovdiv inculpa le requérant de participation, en sa qualité de fonctionnaire public, à une organisation de malfaiteurs pendant la période comprise entre avril et décembre 2009, infraction pénale réprimée par l’article 321, alinéa 3 du code pénal (ci-après le CP). L’acte d’inculpation énumérait en particulier : les noms, patronymes et prénoms des neuf autres membres présumés du groupe, ainsi que leur numéros uniques personnels d’identification ; les sept villes et villages où le groupe aurait été actif, à savoir Plovdiv, Sofia, Haskovo, Merichleri, Troyan, Kozloduy et Trud ; l’activité criminelle principale du groupe, à savoir la commission de vols aggravés. Le 22 décembre 2009, les dix membres présumés du groupe en cause, y compris le requérant, furent traduits devant le tribunal régional de Plovdiv. Les avocats de neuf des suspects, y compris ceux du requérant, contestèrent la compétence territoriale du tribunal régional de Plovdiv au motif que les dispositions du code de procédure pénale (ci-après le CPP) attribuaient l’examen de la question relative au placement en détention provisoire aux tribunaux d’une autre région du pays. Le tribunal régional rejeta cette exception d’incompétence territoriale en se référant aux dispositions des articles 36, 194 et 195 du CPP. Les deux avocates du requérant soutinrent devant le tribunal régional que les preuves présentées à l’encontre de leur client, notamment des transcriptions d’écoutes téléphoniques et les dépositions de deux témoins anonymes, étaient irrecevables et insuffisantes pour justifier son placement en détention. Elles invoquèrent également les arrêts Ilijkov c. Bulgarie, no 33977/96, 26 juillet 2001, et Danov c. Bulgarie, no 56796/00, 26 octobre 2006, rendus par Cour. Plusieurs circonstances démontraient que leur client ne risquait pas de se soustraire à la justice ou de commettre des infractions pénales s’il était laissé en liberté : il n’avait pas d’antécédents judiciaires ; il jouissait d’une bonne réputation ; il avait un domicile bien établi ; il avait des problèmes de santé et les membres de sa famille avaient besoin de son soutien financier. Par une décision rendue à l’issue de l’audience en cause, le tribunal régional décida de placer tous les dix suspects en détention provisoire. S’appuyant sur les preuves rassemblées au cours de l’enquête – les dépositions des témoins anonymes, les preuves documentaires et matérielles, les transcriptions des écoutes téléphoniques des conversations entre les suspects – le tribunal jugea qu’il existait des raisons plausibles de soupçonner tous les suspects de faire partie d’un groupe criminel organisé qui avait commis plusieurs vols aggravés dans plusieurs villes et villages différents en l’espace de quelques mois. Concernant le requérant, le tribunal observa qu’il était soupçonné d’avoir participé aux préparatifs de ces vols et d’avoir pris part à l’organisation criminelle en question en sa qualité de fonctionnaire de police. Le tribunal estima qu’il existait un risque de commission de nouvelles infractions de la part de tous les suspects, y compris le requérant, compte tenu de la gravité des faits reprochés, du mode opératoire du groupe criminel présumé, de la période et de l’étendue territoriale de son activité. Concernant le requérant, le tribunal estima également que l’absence d’antécédents judiciaires, ses situations familiale, personnelle et professionnelle et son état de santé ne suffisaient pas pour justifier l’imposition d’une mesure de contrôle judiciaire moins contraignante à celui-ci. Le 29 décembre 2009, statuant sur le recours formé par le requérant, la cour d’appel de Plovdiv confirma la décision du tribunal inférieur en reprenant les motifs de celle-ci. La juridiction d’appel prit également en compte le fait que le requérant était fonctionnaire de police, ce qui, à la lumière des autres preuves recueillies, notamment des écoutes téléphoniques effectuées au cours de l’enquête, aurait démontré, dans son chef, l’existence d’un risque de nouvelles infractions. Elle estima par ailleurs qu’en vertu de l’article 41, alinéa 2 du CPP, les tribunaux de Plovdiv avaient la compétence territoriale nécessaire pour statuer sur le placement en détention de tous les suspects : deux des actes criminels les plus graves reprochés aux complices présumés auraient été commis dans cette région du pays. Le 19 mars 2010, le tribunal régional rejeta la première demande de libération du requérant. Celui-ci interjeta appel. Le 24 mars 2010, l’avocate du requérant se rendit au greffe de la cour d’appel et consulta les transcriptions des écoutes téléphoniques versées au dossier. Elle voulut prendre des notes, mais la greffière lui expliqua que, en raison du caractère confidentiel de cette information, toute note manuscrite concernant ces documents devait être écrite dans un cahier spécial enregistré et gardé au greffe du tribunal. Elle ajouta que les notes qu’elle aurait éventuellement prises pouvaient lui être envoyées à son cabinet si elle tenait un registre des informations confidentielles et disposait d’un employé chargé de garder ce type de documents. À l’audience du 25 mars 2010, l’avocate du requérant déclara devant la cour d’appel de Plovdiv qu’elle avait pris connaissance de toutes les pièces du dossier. Elle soutint que les preuves rassemblées ne pouvaient pas servir de base suffisante pour conclure que son client avait probablement commis les infractions pénales en question. Elle soutint également qu’il n’existait aucun risque que son client prît la fuite ou commît de nouvelles infractions. Par une décision rendue le même jour, la cour d’appel confirma la décision du tribunal inférieur. Elle estima que les soupçons de commission d’une infraction pénale qui pesaient sur le requérant persistaient. Elle observa à cet égard que les organes d’enquête avaient entre-temps rassemblé des preuves supplémentaires, notamment les dépositions de quelques témoins, qui corroborant les preuves déjà versées au dossier. Elle indiqua que le risque de commission de nouvelles infractions était toujours présent : selon la juridiction d’appel, le fait que le requérant encourait une peine d’emprisonnement lourde laissait à penser qu’il pouvait commettre de nouvelles infractions, voire chercher à freiner le cours de l’enquête. La cour d’appel constata que l’enquête pénale en cause était menée avec la diligence particulière requise parce que plusieurs nouvelles mesures d’instruction avaient été réalisées voire planifiées. Elle conclut que la durée de la détention du requérant n’était pas allée au-delà du délai raisonnable. Le 16 avril 2010, le requérant forma devant le tribunal régional de Plovdiv un nouveau recours visant à sa remise en liberté. Il demanda et obtint la récusation de la juge M.B. qui avait examiné ses deux recours précédents. Le 23 avril 2010, l’avocate du requérant se rendit au greffe du tribunal régional et consulta les transcriptions des écoutes téléphoniques contenues dans le dossier de l’enquête. Lorsqu’elle demanda à pouvoir prendre des notes, la greffière lui répondit que, en raison du caractère confidentiel de l’information en cause, cela ne pourrait être fait que dans un cahier enregistré et gardé au greffe du tribunal. Le même jour, à 13 h 30, le tribunal régional examina la demande de libération du requérant. L’avocate de l’intéressé mit en cause l’impossibilité qui lui avait été faite de prendre librement des notes sur les documents versés au dossier. Elle contesta la recevabilité et la pertinence des écoutes téléphoniques et des témoignages de divers agents de police pour l’examen de la légalité de la détention de son client. Elle soutint encore qu’il n’y avait aucune raison de considérer que son client pût commettre d’autres infractions pénales s’il était remis en liberté. Les deux autres représentantes du requérant plaidèrent que son maintien en détention n’était pas nécessaire. Par une décision du même jour, le tribunal régional rejeta la demande de libération du requérant. Il estima que les soupçons vis-à-vis du requérant étaient fondés sur les témoignages d’un certain nombre d’agents de police et sur les écoutes de ses conversations téléphoniques avec l’un des autres suspects. Il ajouta que la dangerosité des infractions reprochées, vue à la lumière de la fonction exercée par le requérant à l’époque des faits, démontrait l’existence d’un danger réel de perpétration de nouvelles infractions. Le requérant interjeta appel. Il demanda et obtint la récusation de la juge V.S. au motif que celle-ci avait participé à l’examen par la cour d’appel de ses deux recours précédents visant à sa remise en liberté. À l’audience d’appel du 4 mai 2010, la défense du requérant réitéra les arguments déjà exposés devant le tribunal régional. Par une décision rendue le même jour, la cour d’appel rejeta la demande de libération. Elle observa d’emblée que la participation d’un même juge dans la formation appelée à statuer sur les demandes successives de libération du requérant ne justifiait pas à elle seule la récusation de ce juge. Elle indiqua qu’il n’existait aucun indice de l’existence d’un parti pris des membres de la formation de jugement. Elle estima ensuite que les preuves recueillies au cours de l’enquête, en particulier les dépositions de deux agents de police et les conversations interceptées entre le requérant et l’un de ses complices présumés, étaient des indices suffisants pour que l’on pût soupçonner l’intéressé de participation à une organisation de malfaiteurs. Elle ajouta qu’il s’agissait d’éléments de preuve recevables et pertinents pour l’affaire. Elle considéra de surcroît qu’il existait suffisamment d’indices démontrant la persistance d’un risque de commission de nouvelles infractions : le requérant encourait une peine d’emprisonnement ; l’activité du groupe de malfaiteurs présumés était de grande envergure ; les actes reprochés avaient été commis avec une persévérance particulière ; en sa qualité de fonctionnaire de police, le requérant avait eu des contacts réguliers avec l’un des autres suspects qui était directement impliqué dans les vols reprochés au groupe. La cour d’appel ajouta enfin que les données personnelles positives recueillies au sujet du requérant, sa situation familiale et ses difficultés financières n’étaient pas suffisantes pour justifier une mesure de contrôle judiciaire moins contraignante à son égard. Entre-temps, l’avocate du requérant s’était plainte auprès des présidents du tribunal régional et de la cour d’appel de Plovdiv de l’impossibilité de prendre des notes écrites sur le contenu des transcriptions des conversations téléphoniques des suspects. Par deux lettres datées du 23 et du 26 avril 2010, les présidents des deux tribunaux lui répondirent qu’il s’agissait de mesures imposées par la loi sur la protection de l’information classifiée, qu’elle avait plein accès aux documents en question et qu’elle aurait pu prendre des notes dans des cahiers spéciaux gardés aux greffes respectifs de ces juridictions. Dès lors, elle n’aurait été nullement empêchée de préparer la défense de son client. Par ailleurs, il existait la possibilité de lui envoyer ses notes dans son cabinet d’avocat si elle tenait un registre des informations confidentielles et disposait d’un employé chargé de garder ce type de documents. Le 17 juin 2010, l’avocate du requérant demanda au procureur régional de libérer son client sous caution. Elle fit valoir que, compte tenu du stade avancé de la procédure pénale, il n’existait plus aucun danger de fuite ou de commission de nouvelles infractions de la part du requérant. Par une ordonnance du 23 juin 2010, le procureur régional de Plovdiv accueillit cette demande pour les motifs suivants : « A la lumière des résultats de l’enquête menée jusqu’à présent, il convient d’accepter qu’il existe encore des soupçons raisonnables à l’encontre de l’inculpé Kostadinov qu’il a commis les infractions pénales pour lesquelles il est poursuivi pénalement. Cependant, au bout des six mois de détention, pendant lesquels l’inculpé a enduré les contraintes de la mesure de contrôle judiciaire la plus sévère, l’existence de ces soupçons ne suffit plus. Il faut également que le danger de soustraction à la justice ou de commission de nouvelles infractions persiste. Compte tenu de l’absence d’antécédents judiciaires de l’inculpé, du degré de son implication dans les actes incriminés (il transmettait de l’information qu’il connaissait en sa qualité de fonctionnaire à l’inculpé A. sans pour autant participer directement à l’accomplissement des atteintes criminelles à la propriété), au vu du stade avancé de l’enquête (...) qui ne pourrait plus être influencée de manière négative par lui, au vu du domicile bien établi, du statut social et du profil personnel positif de l’inculpé, il convient d’accepter que le danger de soustraction à la justice ou de commission de nouvelles infractions par celui-ci ne persiste plus. (...) » Le procureur imposa au requérant une caution de 1 000 levs bulgares (environ 511 euros). L’intéressé fut libéré le même jour, après le paiement de cette somme. B. Les propos du ministre de l’Intérieur Le 20 décembre 2009, soit le lendemain de l’arrestation du requérant, le commissaire en chef de la police à Plovdiv et le ministre de l’Intérieur donnèrent une conférence de presse à l’occasion de l’arrestation de l’intéressé et de ses complices présumés. Lors de l’ouverture de la conférence de presse, il fut annoncé aux journalistes que Toni Kostadinov, ex-chef de commissariat de police à Byala Slatina, avait été arrêté pour participation à une bande qui avait commis des cambriolages dans différentes banques et bureaux d’entreprises. Le ministre de l’Intérieur tint les propos suivants : « Toni Kostadinov a collaboré [avec les cambrioleurs] et a fourni des informations sur la succursale de la banque CCB à Kozloduy qui a été cambriolée en août dernier et d’où ont disparu 80 000 levs, ainsi que sur d’autres établissements à Mizia. (...) Il s’est montré tellement arrogant que, juste avant son anniversaire, il a pointé du doigt un établissement à Mizia en disant : « Allez-y, dépêchez-vous, faites-moi plaisir avec quelque chose. » La conférence de presse fut largement médiatisée et les propos du ministre furent publiés le lendemain dans la presse écrite. Le 5 mars 2010, le ministre de l’Intérieur donna une interview dans le cadre de l’émission « Panorama » de la première chaîne de la télévision nationale. Le présentateur lui posa plusieurs questions sur l’actualité politique et judiciaire. Répondant à une série de questions sur les relations entre son ministère et le pouvoir judiciaire, le ministre tint les propos suivants concernant les tribunaux à Plovdiv : « (...) S.T. est un juge brillant et je dois vous dire que, en ce qui concerne les personnes qui sont détenues à Plovdiv, on est plus tranquille concernant les décisions judiciaires. (...) Là, où nous avons commis des imperfections, nous acceptons les décisions des tribunaux comme objectives et continuons à travailler sans se heurter [à eux] (...) » C. La procédure pénale menée contre le requérant Le 17 décembre 2010, le parquet régional de Plovdiv dressa un acte d’accusation et renvoya le requérant et ses complices présumés en jugement devant le tribunal régional de Plovdiv. L’intéressé fut accusé, en vertu de l’article 321 du CP, d’avoir participé à une organisation de malfaiteurs et, sur la base de l’article 387, alinéa 2 du CP, d’avoir enfreint ses devoirs de fonctionnaires en servant d’informateur de personnes impliquées dans la commission d’infractions pénales et en omettant d’informer ses supérieurs de ses contacts avec des personnes exerçant des activités criminelles. Le tribunal régional examina l’affaire pénale entre mars 2011 et mai 2012. À l’audience du 14 mai 2012, le procureur régional déclara qu’il ne maintenait plus la charge de participation à une organisation de malfaiteurs soulevée à l’encontre du requérant. La partie pertinente de sa plaidoirie se lit comme suit : « Je ne maintiens plus la charge de participation à une organisation de malfaiteurs à l’encontre de l’accusé Toni Kostadinov (...). Des preuves dans ce sens n’ont pas été réunies et je ne soutiens plus cette accusation. Il est établi que Toni Kostadinov a contacté uniquement l’accusé A. (...) Ce qui est important dans le cas d’espèce c’est le degré de connaissance de l’activité du groupe organisé et le degré d’implication de l’accusé dans l’activité de ce groupe. (...) Pour que je retienne la charge de participation à une organisation criminelle il faudrait que l’accusé Kostadinov ait disposé d’informations pertinentes ou ait participé dans la commission d’un acte criminel concret commis par les autres accusés. Je ne pourrais par me permettre de garder ce chef d’accusation étant donné que Kostadinov a affirmé qu’il avait entretenu des contacts personnels uniquement avec l’accusé A. et que le contenu de leurs conversations ne démontre pas que l’accusé Kostadinov était au courant des activités criminelles de l’accusé A. (...) » Le procureur poursuivit néanmoins les charges de manquement aux devoirs d’un fonctionnaire contre le requérant. Par un jugement du 19 mai 2012, le tribunal régional de Plovdiv acquitta le requérant des charges de participation à une organisation de malfaiteurs et d’avoir fourni de l’information au leader présumé de la bande criminelle en question. L’intéressé fut reconnu coupable de manquements à ses devoirs de fonctionnaire : il n’avait pas informé ses supérieurs de ses contacts réguliers avec des personnes impliquées dans des activités criminelles. Le tribunal régional imposa au requérant une sanction administrative : il fut condamné au paiement d’une amende de 500 BGN (l’équivalent d’environ 250 euros). Trois des coaccusés du requérant furent reconnus coupables de participation à une organisation de malfaiteurs. Trois autres accusés furent reconnus coupables d’avoir participé à une tentative de vol aggravé. Le parquet interjeta appel sans contester pour autant l’acquittement du requérant des charges de participation à une organisation de malfaiteurs. Le requérant interjeta appel en contestant sa condamnation pour manquement aux devoirs d’un fonctionnaire. Par un jugement du 11 février 2013, la Cour d’appel de Plovdiv acquitta le requérant de tous les chefs d’accusation. Le parquet introduisit un pourvoi en cassation. D’après l’information disponible dans la base de données publiques de la Cour suprême de cassation, , par un arrêt du 24 janvier 2014, la Cour suprême de cassation infirma le jugement de la cour d’appel et lui renvoya l’affaire pénale pour réexamen. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La détention provisoire et les recours en libération L’article 63, alinéa 1 du CPP prévoit la possibilité de placer un prévenu en détention provisoire lorsqu’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis une infraction pénale et s’il existe un risque réel de le voir se soustraire à la justice ou commettre d’autres infractions pénales. La détention provisoire est ordonnée par le tribunal de première instance à l’issue d’une audience publique tenue en présence du procureur, du prévenu et de son défenseur (article 64, alinéas 1 et 3, du CPP). En vertu de l’article 36, alinéa 1 du CPP, le tribunal territorialement compétent à examiner une affaire pénale est celui du lieu de la commission de l’infraction pénale en cause. L’article 41, alinéa 1 du même code permet le regroupement des affaires pénales liées qui sont alors examinées par un seul tribunal. Dans ce cas de figure, le tribunal compétent est celui de degré supérieur ou celui dans le ressort duquel a été commise la plus grave des infractions poursuivies (article 41, alinéa 2 du CPP). La personne placée en détention provisoire peut former à tout moment une demande de mise en liberté qui sera examinée par le tribunal pénal de première instance en audience publique, en présence du procureur, du prévenu et de son défenseur (article 65, alinéas 1 et 3, du CPP). La décision du tribunal de première instance peut être attaquée devant le tribunal supérieur (article 65, alinéa 7, du CPP). En vertu de l’article 63, alinéa 6, du CPP, le procureur peut décider de libérer la personne placée en détention provisoire s’il estime que le risque de commission de nouvelles infractions ou de soustraction à la justice n’est plus présent. B. L’accès à l’information classifiée dans le cadre de la procédure pénale En vertu de l’article 39, alinéa 3, point 3, de la loi sur la protection de l’information classifiée, les juges, procureurs, enquêteurs et avocats ont accès d’office aux informations secrètes contenues dans le dossier de l’affaire sur laquelle ils travaillent, dans le respect du principe de la « nécessité de savoir ». La même règle s’applique à tout particulier pour autant que l’accès à l’information classifiée se révèle nécessaire à l’exercice de son droit constitutionnel de défense (article 39a de la loi), notamment dans le cadre d’une procédure pénale. En vertu de l’article 107 du règlement d’application de la loi sur la protection de l’information classifiée, les notes manuscrites concernant le contenu de documents classifiés peuvent être prises dans des cahiers prévus à cet effet, qui sont enregistrés et conservés au greffe ou au secrétariat de l’organisation gardant les documents secrets. C. La présomption d’innocence En vertu de l’article 31, alinéa 3 de la Constitution et de l’article 16 du CPP, l’inculpé est présumé innocent jusqu’à l’établissement du contraire par un jugement définitif. L’article 147 du CP, réprimant la diffamation, est libellé comme suit : « (1) Quiconque énonce une circonstance déshonorante pour autrui, voire lui impute une infraction pénale, est puni, pour diffamation, d’une amende allant de trois mille à sept mille levs et d’une réprimande. (2) L’auteur n’est pas puni si la véracité des circonstances ou infractions pénales imputées est prouvée. » L’article 148, alinéa 2, du CP prévoit une amende de cinq mille à quinze mille levs et une réprimande si la diffamation a été commise publiquement, disséminée par des médias ou commise par un fonctionnaire dans le cadre de ses fonctions. Aux termes de l’article 161 du CP, la diffamation n’est pas une infraction pénale poursuivie d’office. Les poursuites pénales pour ce chef doivent être engagées par le dépôt d’une plainte pénale, par la victime et directement auprès des tribunaux. La plainte peut être accompagnée d’une action en dommages et intérêts (article 84, alinéa 1, du CPP). D. La loi sur la responsabilité de l’État Les dispositions pertinentes de la loi sur la responsabilité de l’Etat pour dommages tels qu’elles étaient en vigueur jusqu’au mois de décembre 2012, ainsi que la jurisprudence des tribunaux internes en la matière, ont été résumées dans les arrêts Kandjov c. Bulgarie, nº 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008 et Botchev c. Bulgarie, nº 73481/01, §§ 37-39, 13 novembre 2008. Le 23 juillet 2012, un projet de loi portant modification de la loi sur la responsabilité de l’État fut introduit à l’Assemblé nationale par le Conseil des ministres. La partie pertinente des motifs de ce projet se lit comme suit : « L’analyse des arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour) à l’encontre de la Bulgarie fait apparaître l’existence de violations répétées en raison de l’absence de voies de recours internes permettant la protection des personnes concernées. En particulier, il s’agit de créer une voie de recours interne permettant aux personnes concernées d’obtenir réparation du préjudice subi en raison de la violation d’un des droits garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention) perpétrée par l’État, ses organes ou ses fonctionnaires. Le constat, fait par la Cour, de l’absence de telles voies de recours en droit bulgare impose l’instauration de ceux-ci par l’intermédiaire d’une extension du champ d’application de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage (la loi sur la responsabilité de l’État). Ainsi, l’approche précédente de la loi, consistant à engager la responsabilité de l’État dans des circonstances énumérées de manière exhaustive, et qui a donné lieu à l’adoption de multiples arrêts de violation contre la Bulgarie, est abandonnée. Pour ces raisons, il est proposé d’apporter les modifications suivantes à la loi : Les amendements proposés de l’article 2, alinéa 1, points 1 et 2 de la loi donnent la possibilité d’obtenir un dédommagement pour violation des droits garantis par l’article 5 de la Convention. Il existe une multitude d’arrêts de la Cour de Strasbourg où l’État a été condamné pour absence de droit d’indemnisation ou pour comparution tardive devant un tribunal compétent pour examiner la nécessité de la mesure de contrôle judiciaire. Les tribunaux détermineront si, en ordonnant une détention conformément à la loi interne, les organes compétents ont violé les paragraphes 2-4 de l’article 5 : information dans une langue compréhensible des raisons de l’arrestation, prompte comparution devant un tribunal et examen de la détention dans un délai raisonnable, droit de contester la légalité de la détention, etc. Toute détention qui contredit les critères de l’article 5 de la Convention doit engager la responsabilité de l’État. En examinant les dispositions de la loi sur la responsabilité de l’État sous l’angle de l’article 5 § 5 de la Convention, la Cour a constaté que, lorsque la détention a été ordonnée conformément aux exigences du code de procédure pénale, l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État ne trouve pas à s’appliquer et le droit à réparation n’est assuré par aucune autre disposition du droit interne – « En vertu de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, la personne qui a été placée en détention provisoire peut réclamer un dédommagement seulement si la détention a été annulée en raison de « l’absence de fondement légal ». Il apparaît que cette dernière expression fait référence à « l’illégalité » en vertu du droit (les arrêts Yankov, Belchev, Hamanov). À titre d’exemple, dans l’affaire Stoitchkov, la Cour a constaté que : « Etant donné que la détention du requérant n’était pas contraire à la législation interne, il n’a pas droit à réparation en vertu de la loi sur la responsabilité de l’État, parce que l’article 2 de la loi prévoit un dédommagement seulement quand la détention a été « illégale » (paragraphe 74 de l’arrêt). La référence directe aux dispositions de la Convention vise à éviter l’application restrictive de la loi sur la responsabilité de l’État uniquement aux cas de figure énumérés de manière exhaustive par la loi et de donner la possibilité au tribunal compétent d’apprécier les actes des autorités nationales à l’aune de la Convention et de la jurisprudence de la Cour parce que les hypothèses d’application peuvent être diverses et variées. » Le projet de loi fut adopté par l’Assemblée nationale et, le 11 décembre 2012, la disposition nouvellement amendée de l’article 2 de ladite loi fut publiée au Journal officiel. La partie pertinente de cet article se lit désormais comme suit : Article 2 « (1) L’état est responsable du dommage causé aux particuliers par les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux en cas de : Placement en détention provisoire (...) ou assignation à résidence, quand ces mesures ont été annulées, (...) ainsi que pour toute autre privation de liberté imposée en violation de l’article 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, ciaprès la Convention ; Violation des droits garantis par l’article 5 §§ 2-4 de la Convention (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants ont été détenus dans différents commissariats de police. Tous, à l’exception du troisième requérant, furent détenus au commissariat de Drapetsona. Plus particulièrement : A. Les conditions de détention selon les requérants Tigran Chazaryan Le 6 juillet 2012, le requérant fut arrêté et détenu en vue de son expulsion administrative, décidée par le chef de la sous-direction des étrangers de l’Attique, le 9 juillet 2012. Sa détention commença dans les locaux du commissariat du Pirée et dura deux jours. Il fut placé dans une cellule de 16 m² avec dix autres personnes. La cellule n’avait ni toilette ni chaises, et il était impossible de fermer les fenêtres. Par la suite, il fut transféré dans les locaux du commissariat de Kaminia où il fut détenu pendant un mois et demi dans une cellule de 30 m² avec quatorze autres personnes. Tous les détenus disposaient d’un lit. Il y avait deux toilettes dont une seule fonctionnait. Il n’y avait pas d’eau chaude et il était impossible de sortir à l’extérieur. Il y avait de temps en temps une désinfection mais tout de suite après, les détenus rentraient dans la cellule où les vapeurs résultant de la pulvérisation provoquaient des crises d’étouffement. Par la suite, il fut transféré dans les locaux du commissariat de Drapetsona où il fut détenu pendant un mois et demi. Le 2 octobre 2012, il déposa une demande d’asile. Le même jour, le directeur de la Direction des étrangers de l’Attique ordonna son maintien en détention pour une période de quatre-vingt-dix jours au motif qu’il ne possédait pas de titre établissant son identité et constituait un danger pour l’ordre public et que la détention était nécessaire pour l’examen rapide et efficace de la demande d’asile. Dans le commissariat de Drapetsona, il fut détenu avec six ou sept autres personnes dans une cellule de 50 m² environ située en sous-sol. Il n’y avait aucune fenêtre et seulement une porte avec des barreaux qui donnait sur un couloir sombre. La douche était bouchée et il n’y avait pas d’eau chaude. L’air était étouffant et la cellule infestée de cafards et de puces. Certains détenus avaient la gale, mais il fallut beaucoup d’exhortations de la part des détenus pour faire venir un médecin. Le requérant souffrit de maux de dent, mais les autorités mirent un mois pour le transférer à l’hôpital de Nikaia pour des soins. Par la suite, le requérant fut à nouveau transféré au commissariat de Kaminia pour un séjour de trois jours. Les antibiotiques prescrits restèrent au commissariat de Drapetsona et l’intervention prévue pour l’extraction dentaire n’eut pas lieu. La cellule, qui dans le passé accueillait quinze personnes, en accueillait trente. Le requérant entama une grève de la faim. Par la suite, le requérant fut transféré dans les locaux du commissariat du Pirée où il resta quatre ou cinq jours. Il fut placé dans une cellule de 16 m² qui accueillait vingt ou vingt-cinq personnes et où il n’y avait que trois lits. Une seule toilette fonctionnait. La cellule était infestée de cafards, de puces et de poux. Un policier frappait sans raison les détenus, ce qui conduisit six ou sept d’entre eux à entamer une grève de la faim dans afin que ce policier soit éloigné. Le 21 octobre 2012, le requérant fut transféré de nouveau au commissariat de Drapetsona. Le 29 octobre 2012, épuisé par sa grève de la faim, il fut transféré à l’hôpital où on le mit sous perfusion. Il retourna au commissariat et quelques jours plus tard à la sous-direction des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli). Chaque cellule avait de cinq à huit lits et disposait d’eau chaude. Deux fois par semaine, il sortait pendant une heure avec les autres détenus sur la terrasse du bâtiment. La toilette dans l’aile où le requérant était placé ne fonctionnait pas, de sorte que les détenus devaient être conduits par les gardiens aux toilettes des autres ailes du bâtiment. Comme la nuit les portes étaient fermées, ils devaient uriner dans des bouteilles en plastique. Entretemps, le ministère de l’Intérieur avait informé la sous-direction des étrangers de l’Attique que le requérant pouvait bénéficier du statut d’apatride et ne devrait pas être détenu aux fins de son expulsion. Son avocate se rendit à la sous-direction pour déposer une demande à cet effet mais on lui demanda de revenir le lendemain. Le lendemain, le requérant fut transféré, sans préavis, à l’école de police de Komotini, au nord de la Grèce, qui servait de lieu de détention pour clandestins. Quelques jours avant le transfert du requérant, une émeute y avait eu lieu ayant provoqué des dégâts considérables : il n’y avait ni eau, ni électricité ; les fenêtres, les lits, les plafonds et les sanitaires étaient cassés. Le 5 décembre 2012, le requérant fut transféré au centre de rétention de Venna où il resta jusqu’au soir car le centre ferma ses portes. Le lendemain, il fut transféré au centre de rétention de Paranesti de Drama. Une demande de mise en liberté fut à nouveau déposée au ministère de l’Intérieur. Le centre de rétention demanda à la sous-direction des étrangers de l’Attique de récupérer le requérant. Le requérant passa les trois derniers jours de sa détention dans les locaux de la sous-direction précitée. Gheorge Nikola Le 4 août 2012, le requérant fut arrêté et placé en détention en vue de son expulsion vers la Roumanie. Le requérant fut d’abord détenu au commissariat de Moshato (du 7 août au 3 septembre 2012) dans une cellule, située au sous-sol, de 25 m² environ avec treize autres personnes. La cellule avait huit lits individuels et un lit double sur lequel dormaient trois détenus. Trois autres détenus dormaient par terre. Le 3 septembre 2012, le requérant fut transféré au commissariat de Drapetsona. L’atmosphère était étouffante à cause des fumeurs et la cellule infestée de cafards. Le robinet du lavabo ne fonctionnait pas. La majorité des détenus avaient des érythèmes sur les parties non couvertes de leurs corps provoqués par des puces et des punaises. Les autorités distribuèrent des pommades mais sans se préoccuper de connaître l’origine de l’affection. Pendant toute cette période de détention, le requérant ne reçut pas son traitement pour sa pathologie mentale et, malgré ses demandes répétées, ne put se faire examiner par un médecin. Il prétend qu’il était en grande dépression et avait des tendances suicidaires. Le 30 septembre 2012, le requérant fut transféré à la sous-direction des étrangers de l’Attique en vue de son expulsion vers la Roumanie laquelle ne fut cependant pas effectuée. Rezai Mohamad À une date non précisée, le requérant, né en 1996, arriva en Grèce où il fut arrêté. Le 23 septembre 2011, la Direction de police d’Orestiada ordonna son expulsion et son inscription au registre des personnes indésirables. Le 14 janvier 2012, il fut envoyé par l’entremise du Conseil Hellénique pour les Réfugiés aux consultations externes de l’hôpital Syggros afin de subir des examens médicaux en vue de son admission dans une structure d’accueil pour mineurs. La note d’envoi indiquait qu’une demande d’asile n’avait pas encore été déposée et elle le serait lorsque la question d’hébergement serait réglée. Le 16 juin 2012, le requérant fut arrêté par des policiers du commissariat de Korydallos car il ne possédait pas de titre de séjour. Le requérant fut placé en détention dans le commissariat de Korydallos – en vue de son expulsion – avec des dizaines d’adultes détenus dans le cadre d’une procédure pénale ou dans le cadre d’une procédure d’expulsion. La majorité des détenus, dont le requérant, avaient des problèmes dermatologiques. La cellule était infestée de cafards. Les lits étaient en ciment et les matelas vétustes et très sales. Il n’y avait ni lumière naturelle ni aération. Le 19 septembre 2012, l’avocate du requérant se rendit au commissariat, souligna la qualité de mineur du requérant et obtint sa mise en liberté, effectuée le 21 septembre. La durée de détention du requérant dépasse quatre-vingt-dix jours. Georgios Livanos Le requérant purgea une peine de vingt-quatre mois d’emprisonnement dans la prison de Kassavetia pour vol et atteintes à la propriété. Le 20 février 2012, en application d’une décision du procureur de la ville de Volos, il fut mis en liberté sous condition notamment de résider dans la commune de Drapetsona et de se présenter au commissariat de ce quartier au début de chaque mois. Le 1er avril 2012, le requérant fut arrêté en exécution d’un jugement du tribunal correctionnel du Pirée le condamnant à douze mois d’emprisonnement pour vol. Il fut placé dans la prison rurale d’Aghia d’où il fut libéré le 10 mai 2012 par décision du procureur de la ville de la Canée. Étant détenu dans cette prison, il ne pouvait plus se présenter au commissariat de Drapetsona. Il fut alors considéré comme fugitif. Arrêté le 4 août 2012, il fut emmené au commissariat précité où il resta détenu pendant trois mois environ dans les mêmes conditions que celles dénoncées par les autres requérants. Le 25 septembre 2012, il déposa auprès du commissariat une demande visant à se faire assister par un avocat d’office car il était indigent. Toutefois, il ne fut jamais informé de la suite donnée à cette demande. Davies-Adebayo Akinola Le requérant qui résidait régulièrement sur le territoire grec vit son titre de séjour révoqué après avoir été accusé d’une infraction pénale. Il fut détenu à compter du 30 août 2012 au commissariat de Drapetsona. L’atmosphère dans la cellule était étouffante, en raison de la surpopulation, de la fumée de cigarettes, du manque de fenêtres et d’aération. Il était impossible de se rendre compte s’il faisait jour ou nuit à l’extérieur. Le requérant avait des éruptions cutanées provoquées par des piqûres de punaises, de puces et de cafards. Il précise que tout son séjour se déroula dans la cellule nommée « cellule des musulmans », alors qu’il n’est pas musulman. Le requérant fut libéré le 2 novembre 2012. Andon Cuni Le requérant et son épouse arrivèrent en Grèce en 1991. Depuis 1997, ils y résidaient légalement et leurs enfants y firent toute leur scolarité. En raison de la crise économique en Grèce, le requérant ne put rassembler les vignettes de cotisation à la sécurité sociale suffisantes pour renouveler son titre de séjour. Le 7 septembre 2012, le requérant fit l’objet d’un contrôle de police dans la rue et fut arrêté car il résidait de manière illégale sur le territoire. Il fut détenu au commissariat de Drapetsona jusqu’au 21 septembre 2012, date à laquelle la détention fut levée et le requérant ordonné de quitter le territoire dans un délai de trente jours, ce qu’il fit en octobre 2012. Asif Cheema Le requérant est demandeur d’asile en Grèce. Il fut détenu pendant deux mois au commissariat de Drapetsona (dans la « cellule des musulmans »), soit du 2 septembre au 30 octobre 2012, date à laquelle sa détention fut levée et la mesure d’expulsion suspendue. Le requérant fait aussi état de surpopulation, d’atmosphère étouffante, de manque de lumière naturelle, d’aération, de produits d’hygiène personnelle et d’eau chaude, de maladies dermatologiques. Ibrahim Adel Le requérant est demandeur d’asile en Grèce. Le 28 mai 2010, il fit l’objet d’une décision d’expulsion qui fut suspendue pour trois mois car elle n’était pas immédiatement réalisable. Le 11 septembre 2012, il fut arrêté car il ne possédait pas de documents permettant de l’identifier. Ayant été considéré comme dangereux pour l’ordre public (article 76 §§ 1 b) et c) et 3 de la loi no 3386/2005) en raison du fait qu’une procédure d’expulsion était pendante contre lui et était signalé pour infraction aux articles 187 (participation à une organisation criminelle) du code pénal et 88 (entrée illégale dans le territoire) de la loi précitée, il fut placé en détention au commissariat de Drapetsona, dans la « cellule des musulmans ». Le 21 septembre 2012, il déposa avec l’aide de son avocate une demande d’asile. Le directeur de la Direction des étrangers de l’Attique ordonna son maintien en détention jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’asile, car il ne possédait pas de documents de voyage ou les avait détruits et il était nécessaire de vérifier son identité. Le requérant précise qu’il était placé dans la « cellule des musulmans » où chaque détenu disposait de moins de 3 m² d’espace personnel. Il affirme que pendant la plus grande partie de sa détention, il dormait sur le sol en ciment et sur une couverture sale. Il fait aussi état de maladies dermatologiques, du manque d’eau chaude, d’aération et de lumière naturelle. Il porta les mêmes vêtements durant toute sa détention. Le requérant fut détenu jusqu’au 20 décembre 2012 dans le commissariat précité. B. Les conditions de détention des requérants selon le Gouvernement Le commissariat de Drapetsona contient dix-neuf cellules d’une superficie totale de 580 m² et d’une capacité de 76 personnes. Il existe aussi quatorze toilettes et quatorze douches. La nourriture des détenus est préparée sur une base quotidienne au mess de la Direction de police du Pirée. Les conditions d’hygiène sont de haut niveau, car les cellules sont nettoyées quotidiennement par des sociétés privées de nettoyage, liées par contrat avec la Direction de police du Pirée. Dans ses observations du 12 septembre 2014, le Gouvernement précise que le commissariat fit récemment l’objet de plusieurs améliorations. Ainsi, un système d’aération, un téléphone à carte et des canalisations permettant d’avoir de l’eau chaude et du chauffage 24h/24 y furent installés. Un espace de visite fut créé et l’éclairage artificiel fut amélioré. Chaque détenu dispose désormais d’un lit avec un matelas et des couvertures. En cas de problème médical, des dispositions ont été prises pour transférer immédiatement le détenu concerné à l’hôpital. Tous les jours, des psychologues, des assistants sociaux et des traducteurs se rendent au commissariat pour prêter assistance aux détenus. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents voir les arrêts A.F. c. Grèce (no 53709/11, §§ 22-32, 13 juin 2013) et de los Santos et de la Cruz c. Grèce (no 2134/12 et 2161/12, §§ 21-25, 26 juin 2014). L’article 66 § 6 du décret présidentiel no 141/1991 est ainsi libellé : « Il n’est pas permis de détenir des prévenus et des condamnés dans les commissariats de police, excepté pendant le temps absolument nécessaire à leur transfert en prison ou lorsque leur transfert immédiat vers une prison n’est pas possible. » III. LES CONSTATS DU COMITE EUROPEEN POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS Dans son rapport du 5 juillet 2013, suite à sa visite en Grèce du 4 au 16 avril 2013, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants soulignaient qu’il avait à plusieurs reprises constaté que les espaces de détention dans les commissariats de police du centre d’Athènes étaient totalement inappropriés pour détenir des personnes pour des périodes supérieures à 24 heures. Toutefois, des personnes continuaient à séjourner dans ces commissariats pendant plusieurs mois. Des mesures urgentes s’imposaient pour remédier à cette situation. Plus précisément, il indiquait ce qui suit au sujet des conditions de détention dans les commissariats de Drapetsona et de Korydallos. En ce qui concerne le commissariat de Drapetsona : le commissariat était composé de deux quartiers (A et B). Le quartier A était composé de cinq cellules et hébergeait 17 détenus alors que le quartier B en accueillait 60. Il y avait aussi une cellule supplémentaire à côté du quartier B qui accueillait 6 personnes. Les conditions dans le quartier B n’étaient pas bonnes. Les cellules étaient sales et mal odorantes (les toilettes étant inondées et délabrées) mal éclairées (naturellement et artificiellement) et n’étaient pas toutes équipées de matelas ou de couvertures propres). Les conditions d’hygiène étaient particulièrement pauvres : plusieurs détenus avaient des rougeurs et des traces de morsures et se plaignaient du manque d’eau chaude. Bien que les portes des cellules étaient ouvertes et que les détenus pouvaient se promener dans le couloir qui était relativement spacieux, ils ne pouvaient s’adonner à aucune activité ni faire de l’exercice à l’extérieur. Plusieurs détenus y séjournaient depuis plus de sept mois. En ce qui concerne le commissariat de Korydallos : l’espace de détention du sous-sol était sévèrement surpeuplé, accueillant 13 personnes dans une cellule de 18 m² et 3 personnes dans une autre cellule de 7,5 m². Dans la plus grande cellule, faute d’espace sur le sol, un homme de 70 ans avait dormi sur une chaise pendant trois nuits, avant la visite de la délégation du CPT. La lumière naturelle était minime, l’aération insuffisante, les conditions d’hygiène pauvres et les toilettes mal odorantes et présentant des fuites. Il n’y avait pas de cour extérieure pour faire de l’exercice. Plusieurs détenus y séjournaient depuis plus de six mois. Dans le même rapport, le CPT décrivait ainsi les conditions de détention dans le centre de détention de Paranesti à Drama. Chacun des deux bâtiments contenait six chambrées d’une superficie de 45 m² environ. Les chambrées étaient équipées de lits superposés et accueillaient jusqu’à 30 détenus. Il n’y avait ni casiers, ni chaises, ni tables. Il y avait des moisissures sur les murs au-dessus des fenêtres et l’eau fuyait dans les toilettes. Plusieurs personnes se plaignaient du manque de produits d’hygiène et de l’impossibilité de laver leurs vêtements. La vie à l’étroit dans les chambrées était aggravée par le fait que les détenus n’étaient autorisés à sortir dans une cour certes assez large seulement pendant une heure et demie par jour et qu’ils n’avaient aucune distraction (sport, télévision ou activités récréatives). Les conditions dans le bâtiment C qui venait d’ouvrir étaient satisfaisantes à la date de la visite. Toutefois, l’espace de vie pour chaque détenu était inférieur à 2 m². En outre, vingt séries de lits superposés étaient placées dans un espace de 50 m².
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1958 et réside à Cluj-Napoca. A. Le contexte à l’origine des deux requêtes En 1992, le père de la requérante acquit une maison ainsi que le terrain avoisinant, sis rue Aurel Vlaicu à Cluj-Napoca. Au décès de son père, la requérante, unique héritière, reçut ces biens en succession. Elle commença à utiliser le terrain. À partir de 1995, plusieurs litiges civils opposèrent la requérante au conseil local de Cluj-Napoca (« le conseil local »), ce dernier ayant occupé une partie de 767 m2 du terrain pour des travaux publics d’aménagement d’un carrefour, sans expropriation préalable. Par un jugement définitif du 9 février 1996, le tribunal de première instance de Cluj-Napoca (« le tribunal de première instance ») rejeta une action du conseil local introduite en vue d’obtenir la radiation du registre foncier du droit de propriété de la requérante. Le tribunal retint que le conseil local n’avait pas prouvé avoir un droit de propriété sur le terrain. Par un jugement définitif du 19 février 1997, le tribunal de première instance fit droit à l’action de la requérante et condamna le conseil local à remettre la requérante en possession de son terrain, à arrêter les travaux susmentionnés et à s’abstenir de tout acte pouvant troubler la possession. Par un jugement du 28 avril 1999, le tribunal de première instance condamna le conseil local à payer à la requérante la somme de 30 000 000 lei anciens à titre de réparation pour la privation de l’usage du terrain en cause. La requérante encaissa cette somme. Par un jugement définitif du 24 octobre 2000, rendu en référé, le tribunal de première instance ordonna au conseil local et à la régie autonome chargée de la gestion du domaine public d’arrêter tous les travaux sur le terrain de la requérante. Par un arrêt définitif du 7 décembre 2001, la cour d’appel de Cluj (« la cour d’appel ») condamna le conseil local à payer à la requérante la somme de 268 002 000 lei anciens à titre de réparation pour la privation de l’usage du terrain en cause. Se fondant sur une expertise, la cour d’appel conclut, entre autres, que la requérante avait subi un préjudice en raison d’un manque d’utilisation du terrain (lipsa de folosinţă a terenului). Elle releva que, en fait, le terrain ne pouvait plus être remis dans son état d’origine et que la requérante, même si elle restait en théorie propriétaire, ne pouvait pas exercer son droit de propriété. Elle indiqua que le préjudice de l’intéressée n’avait été que partiellement couvert par le jugement du 28 avril 1999 susmentionné. La requérante encaissa la somme ainsi allouée. B. L’action visant à la condamnation des autorités locales à entreprendre les démarches requises en vue de la déclaration d’utilité publique (requête no 24362/11) Le 10 juin 2004, la requérante saisit le tribunal départemental de Cluj (« le tribunal départemental ») d’une action contre le conseil local de Cluj (« le conseil local ») et contre le conseil départemental de Cluj (« le conseil départemental »), aux fins de condamnation de ces autorités à engager la procédure de déclaration d’utilité publique de travaux sur la partie de 767 m2 de son terrain, en application de la loi no 33/1994 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique (« la loi no 33/1994 »). Par un jugement du 28 juin 2005, le tribunal départemental fit droit à son action et condamna les deux conseils à entreprendre toutes les démarches prévues par la loi no 33/1994. Se fondant sur l’expertise topographique menée en l’espèce, le tribunal départemental constata que les 767 m2 en question étaient occupés par un chantier public, sans l’accord de la requérante et sans expropriation préalable. Le tribunal indiqua aussi qu’en application de la loi no 33/1994 il incombait au conseil local d’inscrire les travaux litigieux dans les plans d’urbanisme et d’aménagement du territoire et au conseil départemental d’en déclarer l’utilité publique. Ce jugement fut confirmé par des arrêts du 16 septembre 2005 et du 31 mars 2006 rendus respectivement par la cour d’appel et la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »). La cour d’appel releva, entre autres, que la requérante avait un intérêt à agir en l’espèce puisque, figurant en tant que propriétaire du terrain sur le registre foncier, elle était obligée de payer des impôts et pouvait être tenue pour responsable par des tiers. Le conseil local n’entreprit pas les démarches ordonnées par le jugement du 28 juin 2005 susmentionné. La requérante s’adressa à M.B., huissier de justice, en vue d’une exécution forcée. Le 13 août 2008, ce dernier mit en demeure le conseil local d’exécuter le jugement en cause dans les dix jours. À une date non précisée, le conseil local forma une contestation à l’exécution et demanda également des éclaircissements sur le dispositif du jugement du 28 juin 2005. S’agissant des éclaircissements demandés, par un jugement du 10 février 2009, le tribunal départemental précisa que le conseil local devait, préalablement à l’expropriation, engager les démarches en vue de la déclaration d’utilité publique des travaux et il indiqua quels étaient les articles de la loi no 33/1994 applicables. La requérante interjeta appel et invoqua la mauvaise foi du conseil local qui, selon elle, était censé connaître ses obligations légales. Par un arrêt du 15 mai 2009, la cour d’appel fit droit à son appel et rejeta la demande du conseil local. Sur pourvoi en recours du conseil local, cet arrêt fut confirmé par un arrêt du 27 janvier 2010 de la Haute Cour. S’agissant de la contestation à l’exécution, le tribunal de première instance la rejeta par un jugement du 5 mai 2010 après avoir constaté la régularité de la mise en demeure du conseil local. Ce dernier forma un pourvoi en recours ; celui-ci fut annulé pour non-paiement des droits de timbre par un arrêt du 18 août 2010 du tribunal départemental. Ni le conseil local ni le conseil départemental n’exécutèrent le jugement du 28 juin 2005. C. L’action en indemnisation (requête no 52339/12) À une date non précisée, la requérante saisit le tribunal de première instance d’une action civile contre le conseil local ; elle réclamait des dommages et intérêts pour la privation de l’usage des 767 m2 de son terrain susmentionnés subie entre 2005 et 2007. Par un jugement du 1er juin 2011, le tribunal fit droit à son action et condamna le conseil local à lui payer la somme de 11 140 lei roumains. Par un jugement avant dire droit du 19 octobre 2011, le tribunal rectifia une erreur matérielle dans le jugement du 1er juin 2011 et porta le montant de l’indemnisation à 16 027,52 lei roumains. Le conseil local forma un pourvoi en recours. Par un arrêt du 25 janvier 2012, le tribunal départemental fit droit au pourvoi et rejeta l’action en dommages et intérêts de la requérante. Le tribunal releva que la requérante figurait toujours comme propriétaire du terrain dans le registre foncier et que le terrain était occupé par l’État et ne pouvait plus être remis dans son état d’origine. Toutefois, en se référant à l’arrêt définitif du 7 décembre 2001 de la cour d’appel, le tribunal jugea que la requérante avait déjà reçu une indemnisation pour son terrain. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 33/1994 sont ainsi libellées : Article 1 « L’expropriation, totale ou partielle, ne peut se faire que pour cause d’utilité publique, après [le paiement] d’une juste et préalable indemnisation, par une décision de justice. » Article 3 « Les juridictions compétentes ne peuvent décider de l’expropriation qu’une fois l’utilité publique déclarée [conformément à] la présente loi. » Article 6 « Sont d’utilité publique les travaux relatifs : (...) aux voies de communication, l’ouverture, l’alignement et l’élargissement des rues (...) » Article 7 « L’utilité publique est déclarée (...) par les conseils départementaux (...) pour les travaux d’intérêt local. » Article 8 « La déclaration d’utilité publique ne peut se faire qu’après une recherche préalable et sous condition d’enregistrement des travaux dans les plans d’urbanisme et d’aménagement du territoire (...) » Article 22 « La compétence pour se prononcer sur les demandes d’expropriation relève du tribunal départemental (...) dans la circonscription duquel se trouve l’immeuble proposé à l’expropriation. » Article 23 « 2. Le tribunal vérifie si les conditions requises par la loi pour l’expropriation sont remplies et décide du montant de l’indemnisation (...) La décision est soumise aux voies de recours prévues par la loi. » Article 25 « Pour décider [du montant] de l’indemnisation, le tribunal convoque une commission d’experts [dont l’un est] désigné par le tribunal, un [autre] par l’expropriateur et un [dernier par les] personnes [touchées par] l’expropriation. » Article 26 « 1. L’indemnisation [couvre] la valeur réelle de l’immeuble et le préjudice causé au propriétaire ou à d’autres personnes ayant un droit. Pour calculer le montant de l’indemnisation, les experts, de même que le tribunal, tiennent compte du prix de vente habituel des immeubles similaires (...) à la date de la rédaction du rapport d’expertise ainsi que du préjudice causé au propriétaire (...) »
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Le requérant est né en 1947 et réside à Denizli. Le 5 février 2001, l’épouse du requérant, G.Ö., se rendit à l’hôpital public de Denizli, où elle fut examinée par le médecin gynécologue D.P., qui diagnostiqua la présence d’un fibrome utérin, une tumeur bénigne développée à partir des fibres musculaires de l’utérus. Il lui indiqua qu’en raison d’une hémorragie importante, un traitement médicamenteux était d’abord nécessaire avant de procéder par la suite à une intervention chirurgicale. Le même jour, elle fut examinée par le médecin gynécologue M.E.S. à l’hôpital universitaire de Pamukkale, qui confirma le diagnostic de son confrère. Il estima cependant que l’intéressée devait se faire opérer d’urgence. Le 6 février 2001, G.Ö. subit à l’hôpital une hystérectomie vaginale effectuée par le médecin M.E.S. Le 8 février 2001, elle fut renvoyée chez elle. Le 10 février 2001, elle se rendit à l’hôpital pour un examen postopératoire, qui ne révéla pas d’anomalie. Le 12 février 2001, souffrant d’une fièvre élevée et de nausées, G.Ö. se rendit à nouveau à l’hôpital, où elle fut hospitalisée. Les jours suivants, son état de santé empira. Le 18 février 2001, G.Ö. fut transférée à l’hôpital universitaire de l’Égée à İzmir. Le 20 février 2001, elle y décéda d’une hépatite toxique et d’un sepsis. A. La procédure pénale intentée contre le médecin mis en cause Le 21 mars 2001, le requérant déposa une plainte pénale auprès du parquet de Denizli contre le médecin M.E.S., pour négligence et imprudence ayant entraîné le décès de son épouse G.Ö. Le 25 octobre 2001, le rectorat de l’Université de Pamukkale refusa d’accorder l’autorisation d’engager des poursuites contre le médecin M.E.S. Le requérant fit opposition contre cette décision devant le Conseil d’État. Le 23 octobre 2002, le Conseil d’État autorisa les poursuites pénales et transmit le dossier au parquet. Le requérant se constitua partie intervenante à la procédure pénale entamée devant le tribunal correctionnel de Denizli contre le médecin M.E.S. Les juges décidèrent de saisir le Conseil supérieur de la santé pour expertise. Le 3 décembre 2004, le Conseil supérieur de la santé rendit son rapport, concluant que le médecin M.E.S. avait commis une faute professionnelle. Le passage pertinent en l’espèce de ce rapport se lisait comme suit : « Au vu des éléments du dossier médical et compte tenu de l’absence d’autopsie, la cause exacte du décès de Mme G.Ö. n’a pas pu être établie de manière définitive. Le diagnostic posé et le traitement chirurgical proposé au patient étaient conformes aux règles médicales. La technique opératoire choisie était cependant erronée. En effet, la taille du fibrome était beaucoup trop importante pour envisager une hystérectomie par voie vaginale. La surveillance postopératoire était insuffisante. La patiente avait été amenée à quitter l’hôpital de façon précoce, sans que les analyses nécessaires aient été effectuées. Nous estimons que le médecin mis en cause est fautif pour une part de 2/8. Le reste de la responsabilité est imputable à des facteurs externes à celui du fonctionnement du service médical. » Le médecin mis en cause contesta les conclusions du Conseil supérieur de la santé. Le tribunal demanda alors une contre-expertise à la chambre spécialisée de l’institut médicolégal. La chambre spécialisée de l’institut médicolégal rendit son rapport définitif le 18 juillet 2007. La partie pertinente en l’espèce dudit rapport se lisait comme suit : « Le diagnostic de fibrome utérin était correct. L’indication d’une hystérectomie était appropriée. L’hystérectomie par voie vaginale pouvait être privilégiée par un médecin expérimenté. L’opération avait été réalisée avec succès. Au vu de l’absence de complication postopératoire, l’intervention chirurgicale [a eu lieu] en conformité avec les règles médicales. Il n’y avait pas d’obstacle médical à ce que la patiente quitte l’hôpital après l’opération. Les médicaments utilisés lors de l’anesthésie étaient conformes aux règles médicales. Le traitement médical administré à la patiente lorsqu’elle est arrivée dans un état fiévreux à l’hôpital le 12 février 2001 était conforme aux règles médicales. Nous estimons à l’unanimité que le médecin mis en cause n’est pas fautif. » Par un jugement du 13 novembre 2007, le tribunal correctionnel de Denizli décida, sur le fondement du rapport d’expertise du 3 décembre 2004, de condamner le médecin M.E.S. à une peine d’emprisonnement de six mois, laquelle fut commuée en une peine d’amende de 575 YTL (soit environ 340 euros (EUR) à l’époque des faits), assortie d’un sursis à exécution. Par un arrêt du 7 octobre 2008, la Cour de cassation cassa le jugement du 13 novembre 2007. Elle estima que la juridiction de première instance aurait dû décider de surseoir au prononcé du jugement pour une période de cinq ans, en vertu de l’article 231 du code de procédure pénale. Le 29 janvier 2009, le tribunal correctionnel de Denizli, statuant sur renvoi, constata que le délai de prescription était échu et déclara la procédure pénale éteinte. B. La procédure disciplinaire Sur plainte du requérant, le Conseil de l’Ordre des Médecins examina l’affaire. Un médecin inspecteur fut alors désigné à cet égard. Le médecin mis en cause ne se rendit pas à la convocation du médecin inspecteur. Le médecin inspecteur rendit son rapport le 2 août 2001. Le 17 juillet 2003, le haut conseil de l’Ordre des médecins infligea au médecin M.E.S. une interdiction d’exercer d’une durée d’un mois pour manquement à ses obligations professionnelles de diligence. Dans ses motifs, le haut conseil retint : – que l’intéressé n’avait pas suffisamment pris en considération l’avis de son confrère D.P., qui avait estimé qu’un traitement médicamenteux était nécessaire préalablement à toute intervention chirurgicale ; – que la patiente n’avait pas été suffisamment informée du choix de type de l’opération ; – que les examens et préparations préopératoires étaient insuffisants ; – et que la sortie de la patiente de l’hôpital après l’opération était prématurée. Cette décision fut notifiée au médecin M.E.S. le 10 septembre 2003. Le médecin M.E.S. continua d’exercer en dépit de la décision d’interdiction le concernant. Il fut alors condamné à une peine d’amende par le haut conseil de l’Ordre des médecins. Selon les éléments du dossier, le requérant fut informé de l’issue de cette procédure disciplinaire le 5 février 2007. C. La procédure indemnitaire initiée contre le médecin mis en cause Parallèlement à la procédure pénale, le 17 juin 2005, le requérant introduisit une action en indemnisation devant le tribunal de grande instance de Denizli à l’encontre du médecin M.E.S. Le tribunal ordonna une expertise auprès de trois professeurs en médecine qui rendirent leur rapport le 15 juillet 2009. Ils estimèrent à l’unanimité : – qu’en raison de l’absence d’une autopsie, la cause du décès de l’épouse du requérant ne pouvait être établie avec exactitude ; – que l’indication d’une intervention chirurgicale était appropriée ; – qu’il n’était pas possible, sur un plan médical, d’établir un lien de causalité entre le décès de la patiente et l’opération qu’elle avait subie ; – qu’aucune responsabilité fautive n’était imputable au médecin M.E.S. Le 1er octobre 2010, le tribunal débouta le requérant de sa demande d’indemnisation. Le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement. Par un arrêt du 2 février 2012, la Cour de cassation confirma en toutes ses dispositions le jugement attaqué, au motif qu’il était conforme aux règles matérielles et procédurales applicables. Le requérant forma un recours en rectification de l’arrêt. Le 14 juin 2012, la Cour de cassation rejeta également ce recours. D. La procédure devant la Cour constitutionnelle Le 1er octobre 2012, le requérant saisit la Cour constitutionnelle turque d’un recours individuel, alléguant que le décès de son épouse était dû à une erreur médicale commise lors de l’opération chirurgicale effectuée à l’hôpital, et que les recours intentés devant les tribunaux avaient été ineffectifs. La Cour constitutionnelle turque rejeta ledit recours pour incompétence ratione temporis, en application de l’article 148 § 3 de la Constitution et de l’article 1 § 8 des dispositions transitoires de la loi no 6216 sur la Cour constitutionnelle.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1967 et réside à Adana. Un arrêté préfectoral du 26 novembre 2009 a fixé les conditions et les lieux publics où peuvent se tenir des déclarations à la presse à Adana. Le requérant, fonctionnaire de son état, est membre de la section locale du syndicat Eğitim-Sen (« Eğitim ve Bilim Emekçiler Sendikası », le Syndicat des agents de l’éducation, de la science et de la culture) rattaché à la KESK (« Kamu Emekçileri Sendikaları Konfederasyonu », la Confédération syndicale des salariés du secteur public). Le requérant participa le 13 octobre 2010 à une manifestation devant le palais de Justice d’Adana, organisée par Eğitim-Sen. Une déclaration à la presse y a été lue, dans laquelle les manifestants demandaient la création d’une crèche dans leur établissement. Selon les dires du requérant, la déclaration à la presse se déroula sans incident et de manière pacifique. Le procès-verbal établi par la direction de la sûreté d’Adana le 13 octobre 2010 indique que quarante-cinq personnes appartenant à la section locale de la KESK à Adana s’étaient réunies devant les escaliers de l’entrée du palais de justice. Le 8 novembre 2010, sur le fondement de l’article 32 de la loi no 5326, le préfet de police infligea au requérant une amende de 143 livres turques (TRY) pour avoir participé à cette déclaration à la presse, tenue devant les escaliers de l’entrée du palais de justice, en violation de l’arrêté préfectoral du 26 novembre 2009. Le 1er décembre 2010, le requérant contesta l’amende infligée devant le tribunal correctionnel d’Adana. Par un jugement du 15 mai 2011, sans avoir tenu d’audience et après avoir conclu qu’elle avait une base légale, le tribunal correctionnel d’Adana confirma l’amende infligée au requérant. Ce jugement était définitif. Selon l’article 28 § 10 de la loi no 5326, modifié le 6 décembre 2006, les amendes d’un montant inférieur à 3 000 TRY ne peuvent pas faire l’objet d’un appel : le tribunal correctionnel statue en premier et dernier ressort. À une date non précisée, le requérant paya le montant de l’amende de 143 TRY. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution L’article 25 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée et d’opinion. Nul ne peut être contraint de divulguer ses pensées et opinions ni être blâmé ou inculpé pour quelque motif que ce soit du fait de ses pensées et opinions. » L’article 26 : « Chacun est libre d’exprimer et de divulguer, individuellement ou collectivement, sa pensée et ses convictions par la parole, la plume, l’image ou d’autres moyens. Cette liberté comprend celle de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques. Les dispositions du présent alinéa n’empêchent pas de soumettre la radiodiffusion, le cinéma, la télévision ou les médias analogues à un régime d’autorisation. L’exercice de ces libertés peut être restreint dans le but de prévenir et réprimer les infractions, d’empêcher la divulgation de renseignements régulièrement qualifiés de secrets d’État, de protéger la réputation, les droits, la vie privée et familiale d’autrui ou ses secrets professionnels prévus par la loi ou de permettre au pouvoir judiciaire de mener à bien sa tâche. (...) Les dispositions légales qui régissent l’utilisation des moyens de diffusion des informations et des idées ne peuvent être considérées comme restrictives des libertés d’expression et de diffusion de la pensée tant qu’elles ne font pas obstacle à cette diffusion. » L’article 34 : « Chacun a le droit d’organiser des réunions et des manifestations pacifiques et non armées sans autorisation préalable. Le droit d’organiser des réunions et des manifestations ne peut être limité qu’en vertu de la loi et pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public ou dans le but d’empêcher la commission d’un délit, de préserver la santé publique ou les bonnes mœurs ou de protéger les droits et libertés d’autrui. Les formes, conditions et procédures applicables à l’exercice du droit d’organiser des réunions et des manifestations sont fixées par la loi. » B. La loi no 2991 relative au déroulement des réunions et manifestations L’article 3 de cette loi précise que l’organisation d’une réunion ou d’une manifestation sans armes et sans violences, conformément à la loi, ne requiert aucune autorisation préalable. L’article 6 de cette loi donne compétence au préfet ou au sous-préfet pour réglementer le lieu et l’itinéraire que doivent emprunter les participants à la réunion ou à la manifestation. L’article 10 prévoit que le préfet ou le sous-préfet doit être informé au moins quarante-huit heures avant la manifestation. L’avis d’information contient, en particulier, le but de la manifestation, le lieu, le jour ainsi que l’heure de début et de fin de la manifestation. L’article 22 précise qu’il est interdit de manifester sur les routes, les autoroutes et dans les parcs publics, devant les temples, devant les bâtiments et les infrastructures assurant un service public ainsi que leurs dépendances. Il est également interdit de manifester à une distance de moins d’un kilomètre de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Les manifestants doivent se conformer aux mesures prises par le préfet ou le sous-préfet pour assurer le bon déroulement de la circulation des personnes et des véhicules de transports. L’article 23 punit le port d’armes à feu - même celles faisant l’objet d’une autorisation - ou de produits explosifs, lors des réunions et manifestations. Aux termes de l’article 24 de la loi no 2911 sur les réunions et manifestations (Kop c. Turquie, no 12728/05, § 15, 20 octobre 2009) : « Si une réunion ou une manifestation débutée dans le respect de la loi (...) se transforme en une réunion ou manifestation contraire à la loi : (...) b) La plus haute autorité civile locale (...) envoie les commandants locaux de la sûreté ou l’un d’eux sur les lieux des évènements. Ce commandant avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force (...) (...) En cas d’attaque ou de résistance active contre les forces de l’ordre ou les lieux et personnes qu’elles protègent, il sera recouru à la force sans qu’il soit besoin [de procéder à] un avertissement. (...) Si une réunion ou une manifestation débutent contrairement à la loi (...) les forces de l’ordre (...) prennent les précautions nécessaires. Le commandant des forces de l’ordre avertit la foule qu’elle doit se disperser conformément à la loi et qu’en cas de non-dispersion, il sera fait usage de la force. Si la foule ne se disperse pas, elle sera dispersée par le recours à la force. » C. La loi no 5326 relative aux fautes administratives L’article 28 § 4 dispose, notamment, que le tribunal transmet à la partie défenderesse une copie du mémoire en réplique ; une audience peut être fixée, à un jour et à une heure déterminés, soit d’office soit sur demande de la partie défenderesse. L’article 32 § 1 dispose qu’il peut être infligé une amende de cent quarante-trois livres turques à toute personne qui agit en méconnaissance d’un arrêté (« emre aykırı bir davranış »). L’article 28 § 10 dispose que les amendes d’un montant inférieur à 3 000 TRY ne peuvent pas faire l’objet d’un appel. D. L’arrêté du préfet d’Adana du 26 novembre 2009 L’arrêté préfectoral du 26 novembre 2009 fixe les lieux précis à Adana où des déclarations à la presse et des collectes de signatures peuvent être tenues, sans perturber la circulation des véhicules, porter atteinte à l’environnement, paralyser le déroulement normal de la vie quotidienne ou appeler à la violence. Un de ces lieux est le parc Inönü. Ensuite, l’arrêté énumère un nombre de catégories de lieux où des déclarations à la presse ou des collectes de signatures ne peuvent pas être tenues. Une de ces catégories est constituée par les bâtiments militaires, judiciaires et de sécurité. E. Autres lois pertinentes en l’espèce Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 5442 relative à l’ordre dans les villes (il idaresi kurulu) et de la circulaire no 2004/100 du ministère de l’Intérieur figurent aux paragraphes 18 à 20 de l’arrêt Yılmaz Yıldız et autres c. Turquie, no 4524/06, 14 octobre 2014.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975 et réside à Vaslui. A. L’interpellation du requérant le 18 août 2009 Les incidents dénoncés par le requérant sont intervenus selon ses dires dans le contexte suivant : – Le 18 août 2009, vers 22 heures, il accompagnait son frère qui conduisait une voiture dans la ville de Vaslui. En raison d’une panne, son frère arrêta la voiture, la gara et partit chercher une clé pour les écrous antivol de la roue. Lui-même resta près de la voiture dans l’attente de son frère. Quant aux incidents allégués, le requérant les décrit en substance comme suit : – Peu de temps après, deux policiers s’arrêtèrent. Ils lui indiquèrent qu’il avait garé la voiture dans une zone où l’arrêt était interdit, et lui demandèrent de présenter une pièce d’identité. Il expliqua aux policiers que la voiture était en panne et qu’il ne pouvait pas présenter sa carte d’identité car il l’avait remise à l’autorité locale en vue de son renouvellement. Il leur indiqua toutefois son nom et l’adresse de son domicile. Refusant de croire les affirmations du requérant, un des policiers appela par téléphone leur supérieur hiérarchique, et deux gendarmes arrivèrent tout de suite sur les lieux. Après leur arrivée, le policier C.D. sortit son pistolet et le lui pointa vers la tête en lui disant « Je t’aurai ! » (Îţi vin de hac !). Le policier et les deux gendarmes lui portèrent ensuite des coups de poing et de pied au visage, au thorax et aux pieds. Sur ordre du supérieur hiérarchique, qui cria « Emmenez Poede à la police ! », les deux gendarmes le plaquèrent au sol et le menottèrent. Il fut ensuite placé dans la voiture de police et conduit au siège de la police. Une fois arrivé, alors qu’il était tenu par le bras par un gendarme, le policier C.D. lui frappa la tête contre un mur et continua à lui porter des coups de poing et de pied au visage et au thorax. Le 19 août 2009 fut établi un certificat médicolégal indiquant : – que le requérant présentait une entorse et une tuméfaction au genou gauche, une ecchymose au niveau pariéto-temporal, une tuméfaction au niveau du sourcil droit, ainsi que de multiples ecchymoses et excoriations au niveau du sourcil gauche, sur les régions cervicale et deltoïdienne, sur les mains, les bras et sur les jambes ; – que ces lésions appelaient 16 à 18 jours de soins médicaux ; – qu’elles avaient été causées par des coups portés avec des objets contondants, ou un choc contre semblables objets. B. Les amendes contraventionnelles infligées au requérant Par un procès-verbal dressé le 18 août 2009, le requérant se vit infliger une amende contraventionnelle, pour stationnement de véhicule dans une zone interdite à cet usage et pour refus de présenter sa carte d’identité. Par un deuxième procès-verbal, le requérant se vit infliger une deuxième amende, pour scandale sur la voie publique et pour refus de présenter sa carte d’identité. Par une décision du 24 novembre 2009 – devenue définitive –, le tribunal de première instance de Vaslui annula le deuxième procès-verbal, qu’il estima illégal au motif qu’il prévoyait une seule sanction pour deux contraventions distinctes. Par une décision du 16 février 2010 – devenue définitive –, le même tribunal annula le premier procès-verbal après avoir conclu, sur la base des témoignages et documents produits : – que le requérant n’avait pas conduit le véhicule stationné dans une zone interdite à cet usage ; – qu’il n’était pas en possession de sa carte d’identité, qui n’avait été renouvelée par l’autorité compétente que le 21 août 2009. C. La première procédure pénale engagée par le requérant En avril 2010, le requérant déposa devant le parquet près le tribunal départemental de Vaslui et la direction départementale de la police deux plaintes distinctes du chef de comportement abusif, selon l’article 250 § 3 du code pénal), contre les deux gendarmes et l’agent de police C.D. impliqués dans les événements du 18 août 2009. Il se constitua partie civile et demanda l’audition de deux témoins oculaires. Le parquet ouvrit une enquête préliminaire (acte premergătoare). Le 3 mai 2010, le parquet entendit le requérant, qui présenta sa version des faits. En avril et mai 2010, le parquet entendit également les policiers et les gendarmes ayant participé à l’interpellation du requérant. L’agent de police C.D. affirma que le requérant était au volant de la voiture, qui était garée dans une zone interdite à cet usage, et qu’il avait déclaré en être le propriétaire. Les autres agents de l’État affirmèrent que C.D. n’avait aucunement menacé ou agressé le requérant. S’il avait, effectivement, demandé l’aide des gendarmes et de son supérieur hiérarchique, c’était parce que le requérant avait refusé de présenter sa carte d’identité ou de donner ses coordonnées et avait commencé à l’injurier et à le menacer. Plusieurs personnes s’étant rassemblées autour d’eux, le requérant avait été invité à les accompagner au siège de la police à des fins d’identification, mais celui-ci s’y était opposé. En conséquence, les gendarmes avaient essayé de lui passer les menottes, mais le requérant avait commencé à vociférer contre eux et à gesticuler violemment. Afin de l’immobiliser, les gendarmes l’avaient plaqué au sol sur le ventre en le poussant par la nuque et l’avaient menotté dans le dos. Au cours de l’immobilisation, le requérant s’était blessé au genou. Une fois immobilisé, il s’était égratigné le visage en tentant de se lever. Le requérant avait ensuite été transporté au siège de la police locale. La déclaration d’un des gendarmes avait été recueillie sur le formulaire spécifique en usage pour les dépositions de témoins. Le 11 mai 2010, le parquet entendit un témoin proposé par le requérant, qui confirma la version des faits exposée par les policiers et les gendarmes. Le deuxième témoin proposé par le requérant fut cité à comparaître une seule fois par affichage sur la porte de son appartement, mais il ne se présenta pas. Par une décision du 18 mai 2010, le parquet près le tribunal départemental de Vaslui rendit un non-lieu. S’agissant des gendarmes, le parquet estima que leur comportement s’était bien inscrit dans le cadre des dispositions légales régissant l’activité des forces de l’ordre (article 31 a) et b) de la loi no 218/2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine). Il retint au soutien de cette conclusion : – que l’emploi de la force et l’utilisation des menottes pour maîtriser le requérant avait fait suite au refus de celui-ci de présenter sa carte d’identité ou de donner ses coordonnées, bien qu’on lui eût indiqué que sa voiture était arrêtée dans une zone interdite à cet usage ; – que le requérant avait provoqué un tapage, troublant ainsi l’ordre public ; – que les lésions subies par le requérant, eu égard à leur typologie et à leur emplacement, avaient été provoquées au cours de l’immobilisation ; – que les circonstances de l’espèce correspondaient ainsi aux hypothèses dans lesquelles l’utilisation de la force est autorisée par la loi ; – que l’utilisation de la force en l’espèce avait respecté les conditions posées par la loi ; – que les gendarmes avaient donc correctement rempli leurs obligations professionnelles. Quant au policier C.D., aucune pièce du dossier ne confirmait, selon le parquet, les actes qui lui étaient reprochés. Le requérant contesta cette décision. Il reprocha au parquet de ne pas avoir identifié et entendu les témoins oculaires des événements et réclama un complément d’enquête pour pallier cette carence. Il demanda l’audition de plusieurs témoins oculaires, qui avaient déjà fait des déclarations devant le parquet militaire dans une procédure parallèle initiée par le requérant (paragraphe 24 ci-dessous), et qui avaient confirmé ses allégations. Il mit également en exergue le fait que les gendarmes avaient été entendus en leur qualité de simples « témoins » des événements. Par une décision du 8 juillet 2010, le procureur en chef du parquet rejeta l’offre de preuve, estimant que les preuves instruites étaient suffisantes, et confirma le non-lieu du 18 mai 2010. Cette décision fut confirmée ultérieurement par le tribunal départemental de Vaslui et la cour d’appel d’Iaşi respectivement par des décisions du 6 octobre 2010 et du 1er février 2011. Devant les tribunaux, le requérant demanda la suspension des procédures jusqu’à l’achèvement de la procédure engagée devant le parquet militaire (paragraphe 20 ci-dessous), mais il se heurta à un refus. D. La deuxième procédure pénale engagée par le requérant En juin et juillet 2010, le requérant déposa de nouvelles plaintes pénales devant le parquet militaire du chef d’abus d’autorité (article 246 du code pénal) et de comportement abusif (article 250 § 3 du code pénal) contre les policiers et les gendarmes impliqués dans l’incident du 18 août 2009. Il se constitua partie civile. Il compléta au cours de la procédure ses plaintes en ajoutant l’accusation de faux et usage de faux (articles 289 et 291 du code pénal) ainsi que de faux témoignage (article 260 du code pénal). Outre son agression, le requérant reprochait en effet aux policiers et gendarmes l’inscription de fausses mentions dans les procès-verbaux de contravention dressés le jour des faits puis de fausses déclarations dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte à la suite de sa première plainte pénale. Il étendit sa plainte au supérieur hiérarchique des policiers, du chef d’incitation à l’abus d’autorité et au comportement abusif. Il se constitua partie civile. Le parquet ouvrit une enquête préliminaire. Les 16 juillet et 2 septembre 2010, le parquet entendit le requérant. Ce dernier demanda l’audition de six témoins. Le requérant produisit un nouveau certificat médicolégal, dressé le 14 septembre 2010 et qui attestait qu’il souffrait d’une hydarthrose au genou et d’un traumatisme du ligament croisé. Le nombre de jours de soins médicaux était porté à 24-26. Au cours de l’enquête, le parquet militaire entendit plusieurs témoins oculaires de l’incident du 18 août 2009. Quatre d’entre eux, parmi lesquels le frère et la belle-sœur du requérant, confirmèrent que le policier C.D. avait bien menacé le requérant avec un pistolet et que ce dernier avait été roué de coups de poing et de pied par les policiers et les gendarmes. Le témoin I.O., qui avait été entendu aussi dans la première procédure, déclara qu’il était assis à une table sur une terrasse quand la voiture du frère du requérant s’était arrêtée. Il avait vu le requérant se pencher pour montrer aux membres des forces de l’ordre la roue de la voiture, mais comme il était de l’autre côté de la voiture, il n’avait pas vu les circonstances dans lesquelles celui-ci avait été menotté ni s’il avait été frappé. Le 18 octobre 2010, l’affaire fut renvoyée au parquet près la cour d’appel de Iaşi. Celle-ci demanda au parquet près le tribunal départemental de Vaslui de lui communiquer les décisions adoptées par lui dans le cadre de la première procédure introduite par le requérant. Le 27 janvier 2011, le parquet entendit les policiers impliqués dans l’incident du 18 août 2009 ainsi que leur supérieur hiérarchique. Quatre témoins oculaires refusèrent de comparaître devant le parquet en vue de leur confrontation avec les membres des forces de l’ordre. Ces quatre témoins déclarèrent que les agents de l’État étaient des personnes violentes qui faisaient la une de la presse locale et qui avaient infligé abusivement des amendes contraventionnelles au requérant. En revanche, ils se disaient prêts à répondre aux éventuelles questions posées par un tribunal. Le 17 février 2011 eut lieu la seule confrontation, avec d’un côté le frère du requérant, et de l’autre le supérieur hiérarchique des policiers. Chacun maintint sa version des faits. Le 23 février 2011, le parquet près la cour d’appel de Iaşi rendit un non-lieu à l’égard du supérieur hiérarchique des policiers et renvoya le restant de l’affaire au parquet près le tribunal départemental de Vaslui. Il estima que les pièces du dossier ne permettaient pas d’affirmer que le supérieur hiérarchique aurait incité ses subordonnés à injurier le requérant ou à exercer des actes de violence à son encontre. La décision du 6 octobre 2010 du tribunal départemental de Vaslui et celle du 1er février 2011 de la cour d’appel de Iaşi furent versés au dossier, sur demande du procureur en charge de l’affaire. Par une décision du 11 avril 2011, le parquet près le tribunal départemental de Vaslui rendit un non-lieu dans l’affaire. À la lumière des décisions adoptées dans la première procédure engagée par le requérant, et de l’absence selon lui de tout fait ou circonstance nouveaux depuis lors, il estima que les éléments caractérisant les infractions d’abus d’autorité et de comportement abusif n’étaient pas réunis. Il conclut en outre que les accusations de faux, usage de faux et faux témoignage n’étaient étayées par aucune pièce du dossier. Cette décision fut confirmée par le procureur en chef du parquet le 16 mai 2011. Le requérant contesta les décisions de non-lieu. Il fit valoir, au sujet des événements du 18 août 2009, que le procureur ayant rendu la décision de non-lieu du 11 avril 2011 n’avait ni entendu en personne les témoins qu’il avait proposés ni pris en considération leurs dépositions faites devant le parquet militaire (paragraphe 24 ci-dessus). Par une décision du 23 novembre 2011, le tribunal départemental de Vaslui rejeta la contestation du requérant, aux motifs : – qu’à part des déclarations de témoins, le requérant n’avait pas apporté de faits ou circonstances nouveaux par rapport à ceux qui avaient été pris en compte dans la première procédure engagée contre les agents de l’État ; – que l’absence d’audition des témoins proposés ne constituait pas un argument pertinent, dès lors que le parquet militaire avait déjà entendu ces témoins avant que l’affaire soit renvoyée devant le parquet près la cour d’appel de Vaslui, ce qui était suffisant pour les besoins de l’enquête ; – que, partant, la décision de non-lieu du parquet, fondée sur les pièces du dossier, était légale et bien fondée. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code pénal, telles qu’en vigueur au moment des faits, se lisent ainsi : Article 246 : Abus d’autorité contre les particuliers « Le fait pour un fonctionnaire public, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de s’abstenir d’accomplir un acte ou de l’accomplir sciemment de manière défectueuse [au détriment] des intérêts légitimes d’une personne, est puni d’une peine de trois mois à deux ans d’emprisonnement ou d’une amende. » Article 250 : Comportement abusif « 1. L’emploi d’expressions injurieuses contre une personne par un fonctionnaire public dans l’exercice de ses attributions est puni d’une peine d’un mois à un an d’emprisonnement ou d’une amende. La profération de menaces par un fonctionnaire dans les conditions prévues au premier alinéa est punie d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement ou d’une amende. Les coups ou les autres actes de violence de la part d’un fonctionnaire public dans les conditions prévues au premier alinéa sont punis d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement ou d’une amende. (...) » L’article 2781 du code de procédure pénale, en vigueur au moment des faits, permet à tout intéressé mécontent d’une décision de non-lieu rendue par le procureur de s’en plaindre devant le tribunal. Dans l’hypothèse, prévue par l’alinéa 8, où le tribunal rejette semblable contestation, l’alinéa 11 garantit alors à la personne bénéficiaire du non-lieu ainsi confirmé qu’elle ne pourra faire l’objet d’une enquête pour les mêmes faits qu’en cas de découverte de nouveaux faits ou circonstances qui n’étaient pas connus des autorités de poursuite à l’époque du non-lieu. Les dispositions légales et la jurisprudence interne concernant la recevabilité des preuves au stade de l’enquête préliminaire (acte premergătoare), dans le cadre du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits, figurent dans les arrêts Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, §§ 58 et 60, 23 février 2012, Niculescu c. Roumanie, no 25333/03, §§ 61-62, 25 juin 2013, et Blaj c. Roumanie, no 36259/04, § 65, 8 avril 2014. La Cour constitutionnelle, en particulier, s’est exprimée en ces termes dans son arrêt no 962 du 25 juin 2009 relatif à la constitutionnalité de l’article 911 du code de procédure pénale visant les interceptions téléphoniques : « Les actes de l’enquête préliminaire ont une nature propre qui ne peut pas être [assimilée] à la nature précise et bien déterminée d’autres institutions ; [ces actes] ont pour but la vérification et la consolidation des informations obtenues par les autorités [chargées] des poursuites pénales en vue de fonder leur conviction relative à l’opportunité de l’ouverture des poursuites pénales. [Ces actes] ayant un caractère sui generis, échappant aux garanties propres à l’étape des poursuites pénales, il est unanimement admis que, dans le cadre des investigations préalables, on ne peut pas prendre de mesures processuelles ou instruire des preuves [car cela] présuppose l’existence des poursuites pénales. » L’article 31 de la loi no 218/2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine est ainsi libellé : « (1) Dans l’exercice de ses attributions légales, le policier est investi de l’exercice de la puissance publique et a les droits et obligations principaux suivants : a) [il peut] vérifier et établir l’identité de toute personne qui méconnaît les dispositions légales ou dont il y a des indices qu’elle prépare ou a commis un fait illégal ; b) [il peut] conduire au siège de la police les personnes qui, par leurs actions, mettent en danger la vie d’autres personnes, l’ordre public ou d’autres valeurs sociales ainsi que les personnes soupçonnées d’avoir commis des actes illégaux [et] dont l’identité n’a pas pu être établie dans les conditions de la loi ; en cas de non-respect des ordres donnés par le policier, celui-ci est autorisé à user de la force ; la vérification de la situation de ces catégories de personnes ainsi que la prise de toute mesure légale doivent être faites dans les 24 heures qui suivent, en tant que mesure administrative ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975 et réside à Briansk. A. Les poursuites pénales et la détention provisoire du requérant Le 12 novembre 2003, le requérant, policier à l’époque des faits, fut arrêté car il était soupçonné de possession illégale d’une arme à feu. Le 14 novembre 2003, le tribunal de l’arrondissement Tverskoï de la ville de Moscou autorisa son placement en détention provisoire. Il motiva celui-ci par la gravité des charges pesant sur le requérant ainsi que par le souci d’éviter toute entrave au cours de la justice que l’intéressé aurait pu exercer compte tenu de son statut de policier. Par une décision du 12 janvier 2004, le même tribunal prolongea la détention du requérant jusqu’au 12 mars 2004 en la motivant de la même façon. Le 5 mars 2004, le tribunal examina la nécessité de prolonger une nouvelle fois la détention du requérant. Le parquet demanda le maintien de cette mesure pour les motifs suivants : selon lui, le requérant n’habitait pas de manière permanente à Moscou, lieu de l’investigation ; policier de profession, il avait connaissance des méthodes d’investigation ; il avait eu accès aux informations à usage restreint de la police et pouvait en user pour entraver l’enquête ; il avait commis une infraction pénale passible de quatre ans d’emprisonnement ; il avait exercé des pressions sur un autre accusé ; il risquait de fuir ou d’entraver l’enquête. Le tribunal rejeta tous ces arguments comme non étayés et ordonna l’élargissement du requérant, qui fut libéré le jour même. Le 9 mars 2004, le parquet ajouta à l’encontre du requérant l’accusation de complicité de vol. Par une décision rendue le même jour, le tribunal de l’arrondissement Khamovnicheski de la ville de Moscou autorisa un nouveau placement en détention du requérant. Les passages pertinents de la décision se lisent comme suit : « (...)[Le requérant] est accusé d’infractions passibles de peines d’emprisonnement allant de deux à six ans ; ayant longtemps travaillé en tant qu’officier du département pour la lutte contre le crime organisé de la Direction de police de la région de Briansk (УБОП при УВД Брянской области), il est familier des méthodes de l’activité opérationnelle ; une fois en liberté, il peut se soustraire à l’enquête et aux poursuites judiciaires, persévérer dans l’activité criminelle, menacer les témoins, les victimes ou d’autres parties à la procédure pénale, ou entraver le cours de la justice d’une autre manière. » Par une décision du 10 mars 2004, le tribunal de l’arrondissement Khamovnicheski prolongea la détention du requérant jusqu’au 13 avril 2004. Il réitéra les motifs précédemment retenus en reproduisant le passage de sa décision du 9 mars (paragraphe 10 ci-dessus). Dans la partie descriptive de sa décision, il évoquait les déclarations d’un coaccusé qui, le 17 octobre 2003, aurait affirmé « craindre la vengeance du requérant ». Enfin, le tribunal motivait le placement en détention par la nécessité pour l’enquêteur de procéder aux mesures d’instruction supplémentaires, ainsi décrites : « (...) procéder à une nouvelle audition des témoins V.M., E.S., N.S., D.K. et autres ; auditionner les témoins V.M. et S.Ts. ; prélever les empreintes digitales du requérant, du coaccusé K. et du témoin M. et faire une expertise dactylographique (...) ; procéder à une confrontation entre le requérant, le coaccusé K. et le témoin M. ; mener une investigation afin d’identifier d’éventuels coauteurs des infractions ; obtenir et analyser la liste détaillée des appels téléphoniques du requérant, du coaccusé K. et du témoin M. ; décider de l’opportunité de la mise en accusation du témoin M. du chef de participation au vol incriminé ; prendre les autres mesures nécessaires pour clore l’enquête. » Le 6 avril 2004, le tribunal de l’arrondissement Khamovnicheski prolongea à nouveau la détention provisoire du requérant. Il reprit le raisonnement suivi dans sa décision du 10 mars 2004, y compris dans la partie décrivant les mesures d’instruction supplémentaires à prendre. La liste de ces dernières ne subit pas de changement, si ce n’est la suppression de la mention concernant l’expertise dactylographique. Le 13 juillet 2004, le tribunal de l’arrondissement Tverskoï de Moscou ordonna le transfert de l’examen de l’affaire pénale auprès de la juridiction territoriale compétente. Par la même décision, il prolongea la détention du requérant sans indiquer la durée de la mesure ni les motifs la sous-tendant. Le 19 août 2014, le tribunal du district Babininski de la région de Kaluga reconduisit la détention provisoire du requérant sans préciser les motifs de la prolongation. Par une décision du 30 août 2004, le même tribunal renvoya l’affaire au parquet pour défaut de procédure. Il prolongea la détention du requérant en indiquant que « les circonstances (...) ayant servi de fondement pour le placement en détention du requérant n’avaient pas disparu ». Toujours sur la base de ce raisonnement, le tribunal du district Babininski maintint la détention provisoire du requérant par des décisions du 5 octobre et du 22 décembre 2004 et des 27 et 31 janvier 2005. Le 22 février 2005, le requérant fut reconnu coupable de possession illégale d’arme à feu et de recel et condamné à une peine d’emprisonnement. Le 20 mai 2005, la cour régionale de Kalouga rejeta le pourvoi formé par le requérant contre la décision du 31 janvier 2005 en faisant siennes les conclusions du tribunal du district Babininski. B. Les conditions de détention Le requérant fut détenu à la maison d’arrêt no IZ-40/1 de Kaluga et à l’unité de détention temporaire du poste de police du district Babininski de la région de Kaluga (« IVS »). Les conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-40/1 a) La version du requérant Le requérant soutient qu’il a été détenu dans les cellules nos 77, 79 et 119 dans lesquelles le nombre de détenus aurait atteint treize pour huit lits, et dans les cellules nos 91, 97 et 104 où ce nombre aurait été de trois pour deux lits. Il précise que les occupants des cellules devaient dormir à tour de rôle et que les malades n’étaient pas séparés des autres détenus. Il indique que, dans les cellules nos 91, 97 et 104, les toilettes se trouvaient à moins de 1,5 mètre de la table et des lits, qu’elles n’étaient pas pourvues de portes et qu’il était interdit de les fermer avec d’autres dispositifs, ce qui aurait exclu toute intimité. Il ajoute qu’il n’avait eu droit qu’à une heure quotidienne d’exercice en plein air. b) La version du Gouvernement En s’appuyant sur les attestations qui ont été établies le 3 février 2011 par l’administration de la maison d’arrêt no IZ-40/1 et qui figurent au dossier soumis à la Cour, le Gouvernement indique que le requérant a été détenu dans des cellules qui auraient présenté les caractéristiques suivantes : Il ressort des mêmes attestations que les registres consignant les personnes détenues dans chacune des cellules susmentionnées (книга количественного учета лиц, содержащихся в следственном изоляторе) pendant la période couvrant les dates de la détention du requérant ont été détruits conformément à des instructions internes. Le Gouvernement renvoie à cet effet à l’acte établi le 12 janvier 2007 par l’administration de la maison d’arrêt no IZ-40/1 qui certifie la destruction de deux registres couvrant la période du 3 juin 2004 au 12 juillet 2005. Il ressort de cet acte que les registres en question ont été détruits après avoir été conservés pendant un an. En s’appuyant toujours sur les attestations du 3 février 2011, le Gouvernement soutient que le nombre de détenus dans les cellules susmentionnées n’a jamais été supérieur au nombre de lits. En outre, il indique que toutes les cellules disposaient d’un lavabo, que les toilettes se trouvaient à côté de l’entrée des cellules et derrière une séparation constituée par une cloison de brique d’au moins 1,5 mètre de hauteur et munie de portes en métal, et que la distance entre, d’un côté, les toilettes et, de l’autre, la table et les lits variait entre 2,1 et 2,6 mètres. Enfin, selon le Gouvernement, tous les détenus bénéficiaient d’au moins une heure d’exercice par jour dans des cours aménagées en plein air. Les conditions de détention à l’IVS a) La version du requérant Le requérant affirme qu’il a été détenu dans les cellules nos 1, 2, 3 et 4 de l’IVS. À ses dires, celles-ci n’étaient pourvues ni de lits, ni de matelas, ni de linge de lit. Le requérant aurait dormi sur des châlits en planches. Il indique que les cellules nos 1, 2 et 3 n’avaient pas de fenêtre ; que la fenêtre de la cellule no 4 était peinte avec une teinte foncée qui aurait fait écran à la lumière naturelle ; qu’il n’y avait pas de douches ; que les toilettes n’étaient pas cloisonnées ; qu’il n’y avait pas de système de ventilation et qu’aucune cellule ne disposait d’un accès à l’eau potable. Enfin, le requérant allègue qu’il ne faisait pas de promenade faute d’endroit réservé à cet usage et qu’il n’était nourri qu’une fois par jour. b) La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que le requérant a été détenu à l’IVS dans la cellule no 1 (du 29 août au 1er septembre, du 29 novembre au 5 décembre et du 7 au 13 décembre 2004, puis du 5 au 9 février et du 17 au 25 février 2005) ; dans la cellule no 2 (du 5 au 9 octobre et du 1er au 5 novembre 2004) ; dans la cellule no 3 (du 17 au 21 octobre et du 21 au 25 décembre 2004, puis du 29 janvier au 1er février 2005) ; et dans la cellule n 4 (le 6 décembre 2004). Il soutient que la législation nationale ne prévoyait pas d’enregistrement journalier du nombre de détenus par cellule dans les unités de détention temporaires, mais que le requérant a été détenu seul ou avec une autre personne pendant certaines périodes. Il admet qu’à l’époque des faits l’IVS ne disposait pas de cour pour l’exercice en plein air. Il soumet également un plan et une description technique de l’IVS, établis en 2005, ainsi que des contrats de prestations de restauration. Il ressort de ces documents que les cellules nos 1, 2 et 3 n’avaient pas de fenêtre et qu’elles étaient équipées de châlits en planches. Enfin, en se référant aux attestations établies en février 2011 par l’administration de l’IVS, le Gouvernement indique que le requérant disposait de linge de lit. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents concernant les conditions de détention sont résumés dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 25-54, 10 janvier 2012). Le droit interne pertinent concernant la durée de la détention provisoire est résumé dans l’arrêt Lind c. Russie (no 25664/05, §§ 47-52, 6 décembre 2007).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956 et réside à Teslui. A. Le contexte de l’affaire Entre 1992 et 2007, le requérant était inspecteur de la direction générale des finances publiques d’Olt. En cette qualité, il était chargé du contrôle des documents comptables et financiers de sociétés commerciales et pouvait infliger des sanctions contraventionnelles ou administratives. Le 3 juillet 2006 au soir, G.S., une collègue du requérant, fut prise en flagrant délit de réception d’une somme d’argent de la part de l’administrateur d’une société commerciale. Le 4 juillet 2006, G.S. fut entendue par les policiers de l’inspection départementale de la police d’Olt en l’absence d’un avocat : elle reconnut avoir accepté, avec le requérant, des sommes d’argent de la part de l’administrateur susmentionné ainsi que d’autres administrateurs de sociétés pour les exonérer de leur responsabilité contraventionnelle. Le requérant fut entendu en même temps, également en l’absence d’un avocat : il nia avoir reçu de l’argent. Le 5 juillet 2006, l’affaire fut renvoyée au parquet près le tribunal départemental d’Olt (« le parquet »), auquel revenait la compétence légale de poursuivre les faits de corruption. Le 31 juillet 2006, le requérant fut entendu par un procureur au sujet des mêmes faits. Assisté par un avocat, il continua à nier les faits qui lui étaient reprochés et contesta les accusations portées à son encontre. G.S. fut elle aussi de nouveau entendue, le 28 septembre 2006. En la présence de l’avocat de son choix, elle modifia sa déclaration, nia les faits qui lui étaient reprochés et affirma avoir fait la déclaration du 4 juillet 2006 « sous pression ». Par la suite, le requérant et G.S. firent l’objet de trois procédures pénales distinctes. B. La première procédure pénale La première procédure était relative aux plaintes pénales des administrateurs de deux sociétés commerciales, dont les époux C. – Mme F.C. et M. M.C. –, qui avaient accusé G.S. et le requérant de leur avoir demandé une somme d’argent et une cartouche de cigarettes en contrepartie de l’infliction d’un avertissement en lieu et place de l’infliction d’une amende. Sur réquisitoire du parquet, l’affaire fut enregistrée par le tribunal départemental d’Olt (« le tribunal départemental »), qui entendit le requérant et G.S. Le requérant nia les faits qui lui étaient reprochés, de même que G.S. qui réitéra sa position selon laquelle elle avait fait sa déclaration à la police « sous pression » et en l’absence d’un avocat. Le tribunal entendit également les époux C. en qualité de dénonciateurs (martori denunţători) et quatre de leurs employés en tant que témoins. Par un jugement du 26 mars 2007, le tribunal départemental acquitta le requérant du chef de corruption active et le condamna à payer une amende administrative. Se fondant sur la déclaration de G.S. devant la police et sur les dépositions des témoins, le tribunal estima que les faits reprochés au requérant étaient prouvés, mais qu’ils ne présentaient pas le « danger social » d’une infraction. S’agissant de l’argument tiré de l’absence d’un avocat lors de l’interrogatoire de G.S. par la police, le tribunal l’écarta, au motif que l’intéressée avait eu accès à un avocat lorsqu’elle avait été interrogée par le parquet, précisant que ce dernier était en réalité l’autorité responsable de l’enquête dans les affaires de ce type. Sur appel du parquet, la cour d’appel de Craiova (« la cour d’appel »), après avoir entendu G.S. et le requérant, condamna ce dernier à une peine d’un an de prison ferme par un arrêt du 1er novembre 2007. La cour d’appel se fonda principalement sur la déclaration de G.S. devant la police et sur les dépositions des époux C. Les parties pertinentes en l’espèce de l’arrêt sont ainsi rédigées : « Ainsi, dans sa déclaration du 4 juillet 2006 (feuille 19 du dossier de l’enquête), l’inculpée G.S. décrit en détail les événements lors du contrôle de la société commerciale F., appartenant aux époux C., en exposant des aspects que même les dénonciateurs n’ont pas présentés ou que ces derniers ne connaissaient pas ; plus précisément[, G.S. a déclaré que] "les [dénonciateurs] nous ont demandé si on ne pouvait pas s’entendre autrement, sans leur appliquer une amende, et mon collègue leur a répondu que c’était exactement ce qu’il voulait entendre et qu’il était d’accord avec leur proposition" et [que] "avant de descendre de la voiture de mon collègue, [celui-ci] m’a rendu la somme de 1 000 000 de lei de l’argent qu’il avait reçu des [dénonciateurs]." Dans ces conditions, l’on ne saurait retenir que cette déclaration a été faite sous pression (...) L’inculpée a fait des déclarations devant [la police], lors de l’enquête préliminaire, par lesquelles elle a exprimé son point de vue sur les allégations du dénonciateur [M.C.], dans un cadre légal, lors d’une activité inhérente [au rôle de la police] pour apprécier l’existence de faits de nature pénale et décider de la question de la compétence ; il n’existe pas, dès lors, de raisons d’écarter ces déclarations (...) Il est vrai que l’inculpée "ne s’est pas souvenue" ultérieurement de ses déclarations devant la police, mais l’inculpé Mateiuc Ilie, dans ses déclarations (feuilles 68 et 76 du dossier de l’enquête) confirme les déclarations de [l’inculpée] du 4 juillet 2006, à l’exception du fait d’avoir reçu de l’argent ; cette situation de fait est corroborée par les déclarations de dénonciateurs, des témoins et, en partie, par les déclarations des inculpés devant la juridiction du fond (feuilles 43 et 44). » Le requérant forma un pourvoi en recours, plaidant une illégalité de l’enquête, en ce qu’elle n’avait pas été menée par le parquet, et faisant valoir l’absence d’un avocat lors de l’interrogatoire de G.S devant la police. Par un arrêt du 21 avril 2008, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») rejeta son pourvoi. La Haute Cour admit que l’enquête relevait de la compétence du procureur, mais constata que la police était intervenue pour établir s’il y avait un minimum d’éléments de preuve relatifs aux infractions en cause et qu’elle avait ensuite renvoyé le dossier au parquet compétent. Quant à l’absence de l’avocat lors de l’interrogatoire de G.S., la Haute Cour constata que sa présence n’était pas requise par le droit interne. S’agissant de la demande du requérant de joindre à ce dossier le dossier de la deuxième procédure pénale (paragraphes 19-22 ci-dessous), la Haute Cour la rejeta au motif que les conditions de l’article 34 du code de procédure pénale (« le CPP ») n’étaient pas remplies. C. La deuxième procédure pénale La deuxième procédure était relative à la plainte pénale de l’administratrice d’une société commerciale qui avait accusé le requérant et G.S. de lui avoir demandé une somme d’argent en échange d’une exonération de sa responsabilité contraventionnelle. Par un jugement du 26 mars 2007, le tribunal départemental acquitta le requérant, au motif que les faits reprochés ne présentaient pas le « danger social » d’une infraction, et le condamna à payer une amende administrative. Par un arrêt du 6 novembre 2007, la cour d’appel confirma l’acquittement, jugeant que les faits reprochés ne constituaient pas une infraction. La cour d’appel retint que « la seule preuve de la culpabilité » était la déclaration de G.S. faite devant la police et elle l’écarta pour nullité absolue, au motif qu’elle avait été faite devant une autorité qui n’était pas compétente pour mener l’enquête. Elle nota par ailleurs que la dénonciation faite en l’espèce n’était corroborée par aucun autre élément de preuve. Par un arrêt du 5 septembre 2008, la Haute Cour rejeta le pourvoi en recours formé par le parquet et confirma l’arrêt de la cour d’appel. D. La troisième procédure pénale La troisième procédure était relative à la plainte pénale de l’administrateur qui avait participé à la procédure de flagrance (paragraphe 7 ci-dessus). Par un jugement du 26 octobre 2007, le tribunal départemental condamna le requérant à une peine de trois ans de prison. Le requérant interjeta appel. Par un arrêt du 29 février 2008, la cour d’appel fit droit à son appel et l’acquitta. La cour d’appel écarta la déclaration de G.S. faite devant la police, au motif qu’elle avait été effectuée devant une autorité qui n’était pas compétente pour mener l’enquête et en l’absence d’un avocat. La cour d’appel conclut qu’il n’y avait pas de preuves certaines de la culpabilité du requérant, la déclaration faite par G.S. devant le tribunal ainsi que celle du requérant étant corroborées par celle d’un témoin. Par un arrêt du 21 octobre 2008, la Haute Cour rejeta le pourvoi en recours formé par le parquet et jugea que la cour d’appel avait à juste titre écarté la déclaration que G.S. avait faite devant la police, au motif que cette preuve méconnaissait les normes légales relatives à la compétence matérielle exclusive du procureur ainsi que les droits de la défense. II. LE DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions du CPP relatives à l’assistance judiciaire d’office ainsi que la pratique de la Cour constitutionnelle en la matière sont décrites dans l’affaire Blaj c. Roumanie (no 36259/04, §§ 58-59, 8 avril 2014). Selon l’article 209 du CPP, l’enquête pour faits de corruption relève de la compétence du procureur. Selon l’article 213 du même code, dans toutes les affaires urgentes, la police doit accomplir tous les actes d’enquête qui ne peuvent pas être reportés (actele de cercetare ce nu suferă amânare) et doit les transmettre aussitôt au procureur compétent. Selon l’article 34 du CPP, il y a lieu de joindre les dossiers lorsqu’une ou plusieurs personnes ont commis plusieurs infractions, en même temps et au même endroit ou bien dans des endroits différents et à des moments différents sur une entente préalable. Il y a aussi lieu de joindre les dossiers lorsqu’il y a un lien entre les infractions et que la jonction s’impose pour une bonne administration de la justice.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1957, en 1978, en 1980 et en 1961, et résident à Ankara. Ils sont respectivement le père, les frères et la mère de Tuncay Tanışma, décédé le 18 avril 2003 alors qu’il effectuait son service militaire à Istanbul. A. La genèse de l’affaire Tuncay Tanışma se fit inscrire au bureau des appelés de Mamak (Ankara) le 1er novembre 2002. Le 22 novembre 2002, il rejoignit l’unité de formation militaire des nouvelles recrues à Istanbul. Le 28 novembre 2002, il répondit aux soixante-dix questions du formulaire de renseignements destiné aux appelés sans informer les autorités d’un problème autre que le goitre qui aurait affecté sa mère, ses dettes à lui et son amour platonique pour une femme. D’après les éléments du dossier, à une date non précisée Tuncay Tanışma commença son service militaire en tant que caissier aux services sociaux du commandement des académies militaires à Istanbul. Le 8 janvier 2003, la psychologue L.K.M. eut un entretien avec Tuncay Tanışma. Elle conclut que l’appelé n’avait aucun problème psychologique et qu’il était « normal ». Le 16 avril 2003, l’adjudant-chef M.Y. infligea à Tuncay Tanışma des coups et blessures et l’insulta en présence de ses camarades et d’autres sous-officiers et agents civils. Le 18 avril 2003, à 6 h 15, Tuncay Tanışma fut trouvé mort, pendu dans les locaux de la cantine. B. La procédure pénale concernant le suicide de Tuncay Tanışma Le 18 avril 2003, une commission d’enquête, composée de quatre officiers et d’appelés et présidée par le capitaine H.E. (président des services sociaux), se rendit immédiatement sur place, fit un premier constat, prit des clichés et fit des croquis du lieu de l’incident, dressa le procès-verbal et interdit l’accès aux lieux jusqu’à l’arrivé du procureur militaire. Le même jour, le procureur, accompagné des témoins appelés à identifier le corps et d’experts, recueillit tous les éléments de preuve, identifia Tuncay Tanışma et dressa le procès-verbal de l’examen externe du corps. Il ouvrit ensuite une instruction pénale. Toujours le même jour, une autopsie classique fut pratiquée sur le corps du défunt. Elle permit de conclure qu’il s’agissait d’un suicide par pendaison. Il fut également constaté que la pendaison avait eu lieu dans un laps de temps compris entre huit et trente-six heures avant 15 heures et que l’acte de pendaison avait été accompli alors que Tuncay Tanışma était vivant. Dans le cadre de l’enquête pénale, le procureur entendit des appelés et des sous-officiers. Les passages pertinents en l’espèce des auditions se lisent comme suit : D.B., appelé : « Je suis un ami proche [de Tuncay]. Il me racontait tous ses soucis. À ma connaissance, il avait des dettes à cause de sa facture de téléphone portable, dont il n’avait payé qu’une partie. C’était son seul souci. Il semble avoir eu des discussions avec sa famille à ce sujet. Je l’ai vu [hier soir] à 23 heures. Je sortais de la salle de bains. Il m’a demandé un rasoir. Je le lui ai donné. Ensuite je ne l’ai plus revu. Je ne sais pas s’il avait une petite amie. Il avait travaillé à l’armée avant de commencer son service militaire. À ma connaissance, il n’est pas parti en congé pendant sa période de formation. Il y a vingt jours, il avait demandé au commandant de la division et au chef de la section une autorisation de congé. Mais, en raison du manque de personnel, il ne l’a pas obtenue. Jusqu’à notre dernière rencontre, il a fait montre d’un caractère joyeux. Il n’a pas subi de mauvais traitements de la part de ses supérieurs ni de ses amis. » M.E., appelé : « Nous étions bons amis. Je l’ai vu pour la dernière fois [hier soir] à 23 h 30. Il m’a dit qu’il avait un découvert de 35 à 40 millions de livres turques [20 à 23 euros à l’époque des faits] et qu’il allait faire des comptes. Alors, je l’ai laissé seul. À ma connaissance, il n’est pas parti en congé pendant la période de formation, il avait demandé un congé, mais, en raison du manque du personnel, il ne l’a pas obtenu. (...) Il était quelqu’un de joyeux. » K.K., appelé : « Je suis son meilleur ami. Je travaille à la pâtisserie. [Hier] soir, [Tuncay] est venu à la pâtisserie, après le bain. Il m’a dit qu’il devait faire certains calculs et il y est resté. Je lui ai dit de ne pas y rester, j’ai dit « sinon, tu vas te faire gronder par l’adjudant-chef ». Je lui ai dit que j’allais partir en congé et lui ai demandé ce qu’il en était pour lui. Il m’a dit qu’on ne le laissait pas partir en congé, qu’il en avait marre et qu’il allait déserter. Je lui ai dit en me fâchant que ce serait dommage pour les mois de service militaire déjà effectués. Après, Tuncay est allé aux lavabos et je suis sorti. Quand je suis revenu, il n’y était plus. Je l’ai cherché chez le coiffeur, il n’y était pas. C’est donc comme ça que je l’ai vu pour la dernière fois. À ma connaissance, le bureau d’exécution a fait une saisie chez eux, ses parents ont failli divorcer à cause de cela. Son frère aurait quitté ses parents, il vivrait à Istanbul. Il y a deux ou trois jours, [Tuncay] serait allé voir l’adjudant-chef Muhittin, il se serait adressé à lui en disant « mon adjudant-chef Muhittin », et celui-ci l’aurait frappé. Le conducteur de la [voiture] Kango, l’appelé Firat, aurait été témoin de la scène. [Tuncay] aurait pleuré après cet incident. C’était un type sympathique et souriant. D’après ce que j’ai pu constater, il essayait de garder ses problèmes pour lui, il était du genre à ne pas les montrer aux autres. » F.A., caporal : « Il y a deux ou trois jours, Tuncay est allé voir l’adjudant-chef Muhittin. Quand il l’a appelé « mon adjudant-chef Muhittin », celui-ci a saisi Tuncay par le cou, il l’a fait se tourner vers lui et lui a donné deux gifles et un coup de pied en disant : « Fils de l’un et de l’autre, je suis l’adjudant-chef du grand État, comment peux-tu t’adresser à moi de cette manière ? » L’adjudant-chef Şerafet, l’adjudant-chef Kemal et l’agente civile Mme Sibel ont aussi assisté à l’incident. D’après ce que j’ai entendu dire, hier l’adjudant-chef Muhittin a appelé Tuncay dans son bureau à cause de certains problèmes au niveau des comptes. Il aurait frappé Tuncay à cause de cela. À ma connaissance, Tuncay avait des problèmes, parce qu’il n’était pas parti en congé après les classes préparatoires. Il aurait demandé un congé, mais l’adjudant-chef Muhittin et l’adjudant-chef Erdal ne le lui auraient pas accordé. Cela ne se serait pas passé qu’une seule fois, il aurait fait la même demande de dix à quinze fois. Mais chaque fois, il aurait eu des réponses négatives. » K.K., sous-officier, major : « C’est à partir du 1er avril 2003 que Tuncay est passé sous mes ordres. Après cette date, il n’y a eu aucune demande de congé de sa part. S’il avait fait une telle demande, je lui aurais accordé un congé. Chez nous, la procédure de congé se déroule ainsi : d’abord, les demandes de congé sont adressées au chef de la section puis elles nous sont transmises. Et nous, on s’entretient avec le directeur puis la décision est prise. Le chef de section de Tuncay est le sous-officier E.D. J’ai trente-cinq ans d’ancienneté dans le métier. Pendant toute ma vie professionnelle, j’ai bien observé les soldats, et je comprends ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas. Je n’ai vu aucun problème chez Tuncay. Il était joyeux, calme, il exécutait les ordres mot à mot. Maintenant, j’apprends par des appelés qu’il avait des problèmes financiers et familiaux. Je lui ai fait trop confiance. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il a fait une telle chose. J’ai été choqué quand j’ai appris la nouvelle ce matin. » E.D., adjudant-chef : « Je suis le chef de la section de la restauration à la présidence des établissements sociaux. Il y a quinze jours, Tuncay est venu me demander un congé en raison de certains problèmes qu’il disait avoir. Je lui ai dit que, vu le manque de personnel, il pourrait partir en congé seulement à la fin du mois. Il n’a pas fait d’autre demande. Il était d’une nature calme et silencieuse, il obéissait aux ordres. Il s’entendait bien avec ses amis. Quand il m’a demandé le congé, il a dit que c’était pour régler des problèmes personnels. En dehors de cela, il n’est jamais venu me faire part de problèmes. Je ne sais pas pourquoi il s’est suicidé. Cela m’a surpris. Je ne pense pas qu’il ait subi des pressions de la part du personnel. (...) Il avait une mission confortable au sein des établissements sociaux. (...) Il est allé voir la psychologue, Mme L., à plusieurs reprises. Mais aucun signe [d’un quelconque problème] n’a été décelé. Si cela avait été le cas, Mme L. nous en aurait fait part. Et cela aurait été indiqué dans les formulaires. » Le 5 septembre 2003, le procureur militaire de Hasdal (Istanbul), estimant qu’il s’agissait d’un suicide, rendit un non-lieu. Il considéra que le suicide avait eu pour cause des problèmes financiers et familiaux et que, d’après le rapport d’autopsie, l’acte de pendaison avait été commis alors que Tuncay Tanışma était vivant. Il indiqua par ailleurs que l’enquête avait révélé que l’adjudant-chef M.Y. avait frappé Tuncay Tanışma et qu’une procédure pour coups et blessures sur la personne d’un subordonné était pendante. C. La procédure pénale engagée contre l’adjudant-chef M.Y. pour coups et blessures Entre-temps, par un acte d’accusation déposé le 3 juin 2003, le procureur militaire avait, sur le fondement de l’article 117 § 1 du code pénal militaire, inculpé l’adjudant-chef M.Y. pour coups et blessures commis sur la personne d’un subordonné. Lors des audiences devant le tribunal militaire, l’accusé nia avoir frappé Tuncay Tanışma et soutint avoir dit : « Je ne suis pas ton adjudant-chef, je suis l’adjudant-chef de l’État. Va-t’en. » Certains témoins indiquèrent qu’ils n’avaient pas assisté à la scène, mais qu’ils avaient entendu dire par d’autres que l’adjudant-chef M.Y. avait frappé Tuncay Tanışma. Les appelés C.D. et F.A. confirmèrent que Tuncay Tanışma avait demandé du papier pour photocopie à M.Y. en appelant celui-ci « mon adjudant-chef » et que M.Y. avait frappé Tuncay Tanışma et l’avait traité de « fils de l’un et de l’autre ». Le 22 octobre 2003, le tribunal militaire, prenant en compte le caractère bénin de la blessure occasionnée ainsi que d’autres circonstances atténuantes, commua en amende la peine prévue à l’article 117 § 1 du code pénal militaire pour coups et blessures commis sur la personne d’un subordonné. L’adjudant-chef M.Y. fut ainsi condamné à une peine d’amende de 57 785 000 anciennes livres turques (soit environ 28 euros (EUR) à l’époque des faits). Le tribunal militaire décida de surseoir à l’exécution de la peine d’amende en application de l’article 6 de loi no 647 sur l’exécution des peines à raison de l’absence de casier judiciaire et de la bonne conduite de l’accusé. D. La procédure en dommages et intérêts Le 1er juin 2004, les requérants assignèrent le ministère de la Défense nationale devant la Haute Cour administrative militaire (« la Haute Cour ») en vue d’obtenir des dommages et intérêts. Le ministère de la Défense nationale demanda à la Haute Cour de rejeter la demande des requérants, entre autres, pour faute de Tuncay Tanışma du fait de son suicide. Le procureur général près la Haute Cour émit un avis favorable à l’octroi de dommages et intérêts. Par un arrêt du 9 mars 2005, se fondant principalement sur l’ordonnance de non-lieu du 5 septembre 2003 du procureur militaire de Hasdal, la Haute Cour débouta les requérants de leur demande, par trois voix (celles du président – juge militaire – et des deux officiers de carrière) contre deux (celles des deux autres juges militaires). La majorité considérait que la thèse du suicide de Tuncay Tanışma pour cause de problèmes financiers et familiaux était avérée, qu’il n’y avait aucun lien de causalité entre le suicide de l’appelé et le comportement du supérieur hiérarchique qui l’avait frappé deux jours avant l’incident, que le suicide ne découlait pas d’un acte ou d’une décision administrative de nature à engager la responsabilité pour faute de service ou la responsabilité sans cause de l’administration militaire. Les deux juges militaires qui avaient voté contre le rejet exposaient dans leur opinion dissidente qu’il y avait un lien de causalité entre le traitement infligé par l’adjudant-chef M.Y. et le suicide de Tuncay Tanışma. Ils indiquaient que, selon l’enquête, l’appelé n’avait pas de problème psychologique et qu’il s’était suicidé deux jours après l’infliction de coups par son supérieur. Ils considéraient par ailleurs que l’administration militaire, qui avait estimé qu’il y avait eu faute contributive de l’appelé, avait en quelque sorte implicitement admis sa propre responsabilité. Les intéressés firent un recours en rectification de cet arrêt. Le 4 mai 2005, la Haute Cour rejeta ce recours, confirmant ainsi l’arrêt attaqué en toutes ses dispositions. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code pénal militaire L’article 117 § 1 du code pénal militaire se lit ainsi : « Quiconque, qu’il soit commandant ou supérieur hiérarchique, brutalise ou frappe volontairement un subordonné (...) est puni d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. » B. Le code pénal L’article 454 du code pénal réprime le fait pour une personne d’avoir poussé ou aidé une autre personne à se donner la mort, lorsqu’il y a effectivement eu suicide. D’après la jurisprudence pertinente en l’espèce de la Cour de cassation, l’expression « pousser au suicide » doit s’entendre comme une incitation à commettre l’acte de suicide, une simple provocation ne suffisant pas à remplir ce critère ; de plus, il faut que l’auteur ait agi en vue de faciliter matériellement l’acte de suicide. En tout état de cause, l’acte doit être intentionnel. Les actes de suicide commis à la suite de coups et blessures ou de mauvais traitements infligés par autrui font l’objet d’une jurisprudence quelque peu divergente. Toutefois, il est généralement admis qu’il ne suffit pas d’établir que la victime s’est réellement suicidée à la suite de mauvais traitements infligés par une autre personne ; encore faut-il prouver que cette dernière a agi en toute connaissance de cause et dans le but de pousser au suicide. C. La loi sur le fonctionnement interne des forces armées turques L’article 17 de la loi no 211 sur le fonctionnement interne des forces armées turques dispose : « Le supérieur hiérarchique se doit d’inspirer respect et confiance à ses subordonnés. Il doit en permanence surveiller et protéger leur état moral, physique et psychique (...) » Lue en relation avec, notamment, l’article 13 du règlement portant application de la loi no 211, cette disposition exige que la situation personnelle, l’aptitude et l’état de santé des appelés soient surveillés de près par leurs supérieurs, qui sont responsables de leur bien-être et donc de l’accomplissement de leurs obligations sous les drapeaux dans les meilleures conditions. L’objet et l’étendue des devoirs incombant à ce titre aux supérieurs hiérarchiques varient selon les circonstances dans lesquelles pareils devoirs s’imposent (Kılınç et autres c. Turquie, no 40145/98, §§ 32 et 33, 7 juin 2005, et Salgın c. Turquie, no 46748/99, § 53, 20 février 2007). D. La Constitution Les passages pertinents des dispositions de la Constitution en vigueur à l’époque des faits se lisent comme suit : Article 9 « Le pouvoir judiciaire est exercé au nom de la nation turque par des tribunaux indépendants. » Article 138 « Les juges sont indépendants dans l’exercice de leurs fonctions ; ils statuent selon leur intime conviction, conformément à la Constitution, à la loi et au droit. Aucun organe, aucune autorité, aucune instance ni aucun individu ne peut donner d’ordre ou de directive aux tribunaux ou aux juges dans l’exercice de leur pouvoir juridictionnel ni leur adresser de circulaire ou leur faire des recommandations ou des suggestions. » Article 139 « Les juges et les procureurs sont inamovibles et ne peuvent être mis à la retraite avant l’âge fixé par la Constitution, à moins qu’ils n’y consentent ; ils ne peuvent être privés de leurs traitements, indemnités et autres droits prévus par leur statut, pas même en cas de suppression d’un tribunal ou d’un poste. (...) La loi réglemente, eu égard aux nécessités de la fonction militaire, la création et le fonctionnement des organes de la juridiction militaire, les questions de statut des juges militaires, les relations des juges militaires assumant des fonctions de procureur militaire avec le commandement dont dépend le tribunal où ils exercent leurs fonctions, l’indépendance des tribunaux et la garantie dont jouissent les juges. La loi détermine en outre les relations des juges militaires avec le commandement militaire dont ils dépendent eu égard aux nécessités de la fonction militaire, du point de vue de leurs fonctions militaires extrajudiciaires. » Article 157 « La Haute Cour administrative militaire est la juridiction chargée du contrôle juridictionnel en premier et en dernier ressort des litiges résultant des décisions et actes administratifs qui se rapportent tant à des militaires qu’à la fonction militaire, même s’ils émanent d’autorités non militaires. Toutefois, lorsque le litige a trait à l’obligation de service militaire, la qualité de militaire n’est pas requise. Les membres de la Haute Cour administrative militaire qui sont des juges militaires sont désignés par le Président de la République, après présentation, par le président et les membres de la Cour qui sont également des juges militaires, de trois candidats pour chaque poste à pourvoir, lesquels sont élus au scrutin secret et à la majorité absolue parmi les juges militaires de première classe ; les membres [de la Haute Cour] qui ne sont pas des juges militaires sont désignés par le Président de la République, après présentation, par la présidence de l’état-major général, de trois candidats pour chaque poste à pouvoir, lesquels sont choisis parmi les officiers possédant les grades et qualités fixés par la loi. La durée maximale du mandat des membres qui ne sont pas des juges militaires est de quatre ans. Les présidents, le Procureur général et les présidents de section de la [Haute] Cour [administrative militaire] sont nommés, selon leur grade et leur ancienneté, parmi les membres qui sont des juges militaires. L’organisation et le fonctionnement de la Haute Cour, les règles de procédure qui y sont applicables et les questions disciplinaires et de statut de ses membres sont réglementés par la loi dans le respect du principe de l’indépendance des tribunaux et dans celui des garanties attachées à la fonction de juge, et conformément aux nécessités de la fonction militaire. » Le dernier alinéa de l’article 157 de la Constitution a été modifié par l’article 21 de la loi no 5982 du 7 mai 2010. La partie de la phrase « conformément aux nécessités de la fonction militaire » a été supprimée dans la nouvelle version. L’alinéa se lit comme suit : « L’organisation et le fonctionnement de la Haute Cour, les règles de procédure qui y sont applicables et les questions disciplinaires et de statut de ses membres sont réglementés par la loi dans le respect du principe de l’indépendance des tribunaux et dans celui des garanties attachées à la fonction de juge. » E. Les règles législatives et la pratique pertinentes relatives à la Haute Cour administrative militaire Le droit interne pertinent en l’espèce relatif à la Haute Cour est en grande partie décrit dans la décision Yavuz et autres c. Turquie ((déc.), no 29870/96, 25 mai 2000). Les passages pertinents en l’espèce d’autres dispositions de la loi no 1602 du 4 juillet 1972 sur la Haute Cour se lisent comme suit : Article premier « La Haute Cour administrative militaire est une haute cour indépendante établie par la Constitution de la République de Turquie. » Article 9 « Le président, le procureur général, les présidents des chambres et les membres de la Haute Cour sont nommés, selon le grade et l’ancienneté, par un décret signé par le ministère de la Défense et le Premier ministre, et approuvé par le Président de la République. Les nominations sont publiées au Journal officiel. Le président, le procureur général et les présidents des chambres sont impérativement des juges militaires. » Article 10 « La durée du mandat des membres [de la Haute Cour] qui ne sont pas des juges militaires ne peut pas excéder quatre ans. » Article 28 « Le haut conseil de discipline est chargé des enquêtes disciplinaires relatives aux agissements du président, du procureur général, des présidents des chambres et des membres de la Haute Cour qui pourraient être de nature à entacher leur dignité et leur honneur de juge et de militaire, et de nature à compromettre leur dignité personnelle et leur réputation, et il prend à leur encontre, en fonction de la gravité de l’acte en question, l’une des mesures suivantes : a) un avertissement, b) un blâme, c) une invitation à renoncer à leur fonction. » Article 80 « a) Le président, le procureur général, les présidents des chambres et les membres de la Haute Cour qui sont des juges militaires sont soumis au même régime que le président, le procureur général, les présidents des chambres et les membres de la Cour de cassation militaire en matière de salaire, d’échelon supplémentaire, d’allocation, de promotion et de limite d’âge, de retraite et d’autres droits personnels. b) Les membres qui ne sont pas des juges militaires sont soumis au même régime que les officiers de même rang en matière de salaire, d’échelon supplémentaire, d’avantages sociaux, d’allocation liée à la fonction, de promotion et de limite d’âge, de retraite et d’autres droits personnels. Toutefois, si, après le cumul des divers revenus découlant des droits susmentionnés, les montants nets des traitements mensuels de ces membres sont inférieurs à ceux des membres qui sont des juges militaires et dont l’ancienneté et le grade sont identiques, la différence leur sera versée sous forme d’indemnité. » La question de l’indépendance et de l’impartialité de la Haute Cour a été examinée par la Cour constitutionnelle à l’occasion de deux recours individuels. Dans ses deux décisions du 16 mai 2013 (no 2013/1134) et du 19 décembre 2013 (no 2012/989), après avoir cité l’article 157 de la Constitution (dans sa nouvelle version, qui ne contient plus la partie de la phrase « conformément aux nécessités de la fonction militaire » depuis la modification de 2010) et l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi que l’arrêt de la Cour de Strasbourg Gürkan c. Turquie (no 10987/10, 3 juillet 2012), la Cour constitutionnelle a constaté que l’indépendance des juges militaires siégeant au sein de la Haute Cour était garantie par la Constitution et les dispositions légales pertinentes, qu’aucun aspect lié à leur nomination et aux modalités de la procédure ne pouvait nuire à leur indépendance, que ces juges n’avaient pas à rendre compte à l’administration de leurs décisions, et que les questions relatives à la discipline étaient examinées et tranchées par le haut conseil de discipline de la Haute Cour. S’agissant du statut des officiers de carrière, la Cour constitutionnelle s’est référée à la jurisprudence de la Cour dans les affaires Yavuz et autres (décision précitée) et Bek c. Turquie ((déc.), no 23522/05, 20 avril 2010), et elle a fait le constat suivant : « On ne saurait prétendre que leur indépendance est compromise au seul motif qu’ils sont choisis parmi les trois candidats proposés par l’état-major général. L’autorité ultime pour nommer les membres [de la Haute Cour] qui sont officiers de carrière est détenue par le Président de la République. Dès leur nomination, les membres qui sont des officiers de carrière, tout comme les membres qui sont des juges militaires, bénéficient de la garantie constitutionnelle contre toute ingérence extérieure dans l’exercice de leurs fonctions. Pendant leur mandat [au sein de la Haute Cour], ils ne peuvent pas être révoqués par les organes militaires ou administratifs. Leur indépendance à l’égard de l’exécutif est renforcée par le fait que la durée maximale de leur mandat est de quatre ans, qu’ils continuent à relever du haut conseil de discipline susmentionné en matière disciplinaire et qu’ils ne sont soumis à aucune évaluation par l’exécutif ou par les autorités militaires au cours de leur mandat. » F. Les règles législatives pertinentes relatives aux juges militaires La loi no 357 relative aux « juges militaires » pose le principe de l’indépendance de la magistrature et reprend les termes des articles 138 et 139 de la Constitution. L’article 16 du même texte prévoit que les juges et procureurs militaires sont mutés par un décret signé par le ministre de la Défense et le Premier ministre et approuvé par le président de la République (« décret tripartite »). Il précise en outre les périodes dans la carrière des intéressés durant lesquelles les mutations ne peuvent avoir lieu. L’article 232 du code pénal en vigueur à l’époque des faits incriminait la tentative d’influencer, de donner des ordres ou d’excercer des pressions sur les juges. La peine prévue variait selon les circonstances entre six mois et cinq ans d’emprisonnement. Lorsque l’auteur de l’infraction était un fonctionnaire, la peine devait être assortie d’une interdiction d’exercer toute fonction publique. La même incrimination a été reprise dans l’article 277 du nouveau code pénal qui érige en infraction « la tentative d’influencer les personnes exerçant une fonction judiciaire ». Toutefois, la loi no 357 prévoit la possibilité pour le ministre de la Défense d’ordonner à un procureur militaire qui aurait rendu un non-lieu de traduire le suspect devant le tribunal, qui appréciera l’innocence ou la culpabilité de l’intéressé. G. La composition des tribunaux militaires L’article 2 de la loi no 353 relative aux tribunaux militaires, tel qu’applicable à l’époque des faits, se lisait ainsi : « Sauf dispositions contraires de la présente loi, les tribunaux militaires se composent de deux magistrats militaires et d’un officier (subay üye, « membre officier »). » Les termes « et d’un officier » ont été annulés par la Cour constitutionnelle, statuant sur un recours en annulation, dans une décision du 7 mai 2009, publiée au Journal officiel le 7 octobre 2009. La Cour constitutionnelle a estimé que le juge officier, contrairement aux magistrats militaires, ne présentait pas toutes les garanties requises dans la mesure où il n’était pas dispensé de ses obligations militaires durant son mandat et qu’il était soumis à l’autorité de ses supérieurs. Par ailleurs, elle a jugé incompatible avec l’article 9 de la Constitution le fait qu’aucune disposition n’empêchait les autorités militaires de nommer un officier différent pour chaque affaire. À la suite de cet arrêt, la législation a été modifiée. L’article 2 de la loi no 353 se lit désormais comme suit : « Sauf dispositions contraires de la présente loi, les tribunaux militaires se composent de trois magistrats militaires. » H. L’appréciation des juges et procureurs militaires Selon l’article 12 de la loi no 357 relative aux « juges militaires » tel qu’en vigueur à l’époque des faits, la promotion, l’avancement et le passage d’échelons des « juges militaires » (aussi bien du siège que du parquet) étaient fonction de leurs fiches d’appréciation, et notamment de la « fiche d’appréciation professionnelle » (mesleki sicil belgesi) et de la « fiche d’appréciation d’officier » (subay sicil belgesi). Cette disposition prévoyait que, relativement à « la fiche d’appréciation d’officier », les juges et procureurs étaient soumis à l’appréciation du commandant de l’unité militaire au sein de laquelle se trouvait le tribunal. Elle indiquait également que les juges expérimentés étaient les appréciateurs directs des juges qui travaillaient avec eux et que les procureurs étaient les appréciateurs directs de leurs adjoints et substituts. Les compétences qui devaient faire l’objet de la « fiche d’appréciation officier » étaient décrites comme suit : « 1. L’apparence générale, la situation sociale et la capacité à représenter l’institution ; la conformité aux principes de justice et d’équité ; la conformité et la soumission aux règles de la discipline militaire ; les connaissances professionnelles, les connaissances militaires de base et la culture générale ; l’esprit d’équipe et la capacité à former, à expliquer et à convaincre ; la vitalité, la résistance, la volonté et la persévérance ; les facultés intellectuelles et la capacité à juger et décider ; la capacité à planifier, exécuter, suivre et surveiller les tâches ; la liberté et la créativité ; la capacité à diriger et le leadership. » Par un arrêt du 8 octobre 2009 (no 2006/105 E. et no 2009/142 K.), la Cour constitutionnelle a jugé contraire au principe de l’indépendance des tribunaux (mahkemelerin bağımsızlığı) une partie de ce dispositif et a annulé les dispositions de l’article 12 de la loi no 357 concernant la « fiche d’appréciation officier ». La Cour constitutionnelle avait été saisie par voie d’exception d’inconstitutionnalité par la Haute Cour dans le cadre de trois recours introduits par des magistrats militaires qui contestaient leur appréciation d’officier et en demandaient l’annulation. Les intéressés considéraient que même la simple éventualité qu’un haut gradé pût être tenté d’exercer une influence indue sur les magistrats par le biais de « la fiche d’appréciation officier » portait atteinte à l’apparence d’indépendance que la justice se devait de présenter. La Cour constitutionnelle a relevé que les juges militaires étaient soumis à une notation des chambres militaires de la Cour de cassation appelées à exercer un contrôle sur leurs jugements. Elle a constaté que, si cette notation constituait leur appréciation professionnelle et visait à vérifier leur compétence, l’appréciation « administrative » (fiche d’appréciation officier) émanant des juges expérimentés et des officiers suscitait quant à elle des inquiétudes quant au respect de l’exigence d’indépendance des tribunaux inscrite dans la Constitution. Partant, selon la haute juridiction, ce dispositif était contraire à la Constitution et devait être annulé pour autant qu’il concernait les magistrats du siège. La Cour constitutionnelle a en effet estimé qu’il n’était pas nécessaire de statuer sur la conformité à la Constitution du système d’appréciation des procureurs, étant donné que la réponse à cette question n’était pas utile à la résolution des affaires dont se trouvait saisie la Haute Cour. L’arrêt a été publié au Journal officiel le 8 janvier 2010 et a produit ses effets le même jour. Le 22 avril 2012, l’article 12 de la loi no 357 a été modifié de façon à mettre en conformité avec la Constitution l’appréciation des procureurs militaires.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Giuseppe Mazzoni, est un ressortissant italien, né en 1940 et résidant à Udine. A. Les procédures relatives à la responsabilité pénale et civile du requérant et la procédure « Pinto » y relative La procédure pénale En 1973, le requérant, à l’époque militaire en service, et d’autres personnes furent accusés de péculat au détriment du ministère de la Défense et relevés provisoirement de leurs fonctions. Par un jugement du 14 mars 1980, le tribunal de Pordenone reconnut les prévenus coupables et les condamna au dédommagement du préjudice causé à l’État, notamment au ministère de la Défense constitué partie civile, à quantifier par la suite. La décision fut confirmée en appel et devint définitive, suite au rejet du pourvoi formé par le requérant, par un arrêt de la Cour de cassation déposé au greffe le 2 mai 1983. La procédure pour la détermination des dommages subis par le Trésor Public Suite au jugement du tribunal de Pordenone, le ministère de la Défense, en 1984 et 1985, nomma deux commissions d’enquête administrative dans le but d’évaluer les dommages subis. Le 11 août 1987, le procureur général près la Cour des comptes assigna le requérant devant la Cour des comptes afin de le voir condamner au versement de certains sommes à titre de dédommagement. Il demanda également la saisie conservatoire de l’indemnité de fin de service qui fut confirmée par ordonnance de la section juridictionnelle du 25 mars 1988. Par un arrêt du 20 octobre 1995, déposé le 1er avril 1996, la Cour des comptes reconnut le requérant responsable des faits à sa charge et le condamna à verser 699 952 euros (EUR) au Trésor Public. Le 14 juin 1996, le requérant interjeta appel devant les chambres réunies de la Cour des comptes. Par arrêt déposé le 6 octobre 1998, la formation plénière de la Cour de comptes rejeta l’appel. À une date non précisée, la saisie du cinquième des revenus du requérant fut ordonnée en exécution de l’arrêt. La procédure « Pinto » Après avoir introduit une première requête devant la Cour le 21 février 1998 (Mazzoni c. Italie, no 62355/00), en 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Rome au sens de la loi « Pinto ». Le requérant demanda à la cour d’affirmer qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner le gouvernement italien au dédommagement des préjudices subis. Le requérant demanda notamment 30 000 EUR à titre de dommage moral et matériel. Par une décision du 29 mai 2003, déposée au greffe le 19 juin 2003, la cour d’appel considéra séparément chaque phase et instance de la procédure. Elle jugea que la durée de chaque degré de la procédure pénale n’avait pas été déraisonnable, eu égard aussi à la complexité de l’affaire, et qu’en tout état de cause le requérant n’avait pas prouvé avoir subi des dommages patrimoniaux. Elle ne se prononça pas sur le dommage moral. Quant à la période s’étant écoulée pour la procédure ministérielle d’enquête, la cour jugea qu’elle n’entrait pas en ligne de compte aux fins du délai raisonnable, les commissions chargées de l’enquête ayant une nature administrative et non judiciaire. Quant aux deux degrés de la procédure devant la Cour des comptes, elle constata aussi que la durée avait été raisonnable et exclut aussi l’existence d’un quelconque préjudice pour le requérant. Par une lettre du 29 septembre 2003, le requérant informa la Cour du fait que la cour d’appel avait rejeté son recours et qu’il n’avait pas l’intention de se pourvoir en cassation. La première requête du requérant fut ainsi déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (Mazzoni c. Italie (déc.), no 62355/00, 25 mars 2004). Le 22 juin 2004, le requérant se pourvu en cassation alléguant, notamment, que la cour d’appel avait méconnu la jurisprudence de la Cour au motif qu’elle avait considéré raisonnable la durée des procédures pénale et comptable et n’avait pas pris en compte la durée de la phase administrative devant les deux commissions d’enquête. Il en inférait la violation de son droit à être indemnisé. Par un arrêt du 22 juin 2005, déposé au greffe le 17 novembre 2005, le Cour de cassation déclara le pourvoi irrecevable. Ayant confirmé la décision de la cour d’appel quant à l’impossibilité de réparer le dommage découlant de la durée de la procédure devant les autorités administratives, elle releva que les griefs du requérant ne visaient pas les considérations de la cour d’appel selon lesquelles le requérant n’avait subi ni un dommage patrimonial à cause de la durée de la procédure pénale, ni un dommage matériel ou moral à cause de la durée de la procédure devant les juridictions comptables. Suivant sa jurisprudence bien établie, la Cour de cassation jugea que, même à supposer bien fondé le grief du requérant, la décision entreprise pouvait être considérée comme se fondant sur l’autre ratio decidendi de la motivation, à savoir l’exclusion du dommage moral, en l’espèce non contestée. Elle ajouta qu’aucun poids ne pouvait être attribué au fait que la cour d’appel, quant à la durée de la procédure pénale, avait omis de se prononcer sur le dommage moral, le requérant n’ayant pas soulevé ce grief. B. La reconnaissance de la créance du requérant envers le ministère de la Défense et la compensation de celle-ci Entretemps, par un jugement du 23 mars 2001, le tribunal administratif régional (TAR) du Frioul avait reconnu le droit du requérant à percevoir des arriérés de salaire. Le ministère de la Défense examina préalablement la possibilité de procéder à la compensation entre la créance du requérant et la somme dont celui-ci était débiteur suite à l’arrêt de la Cour des comptes et qui, par l’effet de la réévaluation et des intérêts, avait atteint 1 373 188 EUR. Interpellé à ce sujet, le 30 mai 2004, le bureau des Avocats de l’État donna son avis. Il conclut que la créance du requérant, bien que relative à des arriérés, avait une nature salariale. La compensation ne pouvait avoir lieu que dans les limites prévues par l’article 1246 du code civil (excluant la possibilité de compenser « les créances insaisissables »), en combinaison avec les articles 1 et 2 du décret du Président de la République no 180 du 5 janvier 1950 (aux termes desquels les salaires et les pensions des fonctionnaires publiques sont saisissables seulement « à concurrence d’un cinquième, pour dettes envers [l’Administration] découlant du rapport d’emploi »). Par un arrêté du 5 juillet 2004, le ministère de la Défense ordonna la compensation des sommes dues au requérant dans les limites légales. À une date non précisée, le TAR du Frioul fixa à 149 300,06 EUR le montant de la créance du requérant. En novembre 2004 et en janvier 2007, le ministère de la Défense s’adressa à nouveau au bureau des Avocats de l’État sur le même sujet. Le bureau donna deux opinions favorables à la possibilité de compensation intégrale. À cet égard, il se fonda sur deux ordres de considérations, en relevant, d’une part, que la nature de la créance permettait d’exclure l’application des limites légales du cinquième et, d’autre part, que dans le cas d’espèce la jurisprudence de la Cour de cassation sur la compensation a-technique (compensazione atecnica) pouvait trouver application. Selon cette jurisprudence bien établie, la compensation a-technique est possible lorsque la dette et la créance trouvent leur origine dans le même rapport juridique (notamment le rapport de travail). Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une compensation au sens propre mais d’une simple « vérification comptable des actifs et passifs avec neutralisation automatique des créances respectives » (définie compensazione atecnica), ce qui exclut l’applicabilité des limites légales à la compensation. Le bureau des Avocats de l’État suggéra au ministère de procéder à la compensation intégrale et de défendre cette position dans un éventuel contentieux. Par un arrêté du 26 juin 2007, estimant que les limites à la compensation n’étaient pas applicable en l’espèce, le ministère ordonna la retenue du total de la somme due au requérant en compensation partielle de la somme dont celui-ci était débiteur. Le 7 novembre 2007, le requérant saisit le TAR du Frioul d’une requête en annulation. Premièrement, il soutenait que la dette opposée en compensation était prescrite. Deuxièmement, il alléguait que la créance portant sur des arriérés de salaire, elle ne pouvait faire l’objet de compensation qu’à concurrence d’un cinquième de son montant total. Troisièmement, il soutenait que le ministère était forclos à exciper la compensation du total car il l’avait exclue dans un premier temps. Par un jugement du 21 mai 2008, déposé au greffe le 11 juillet 2008, le TAR du Frioul débouta le requérant. Ayant rejeté les premier et troisième griefs pour défaut manifeste de fondement, le TAR jugea que les limites à la compensation des créances de nature salariale ne trouvaient pas application en l’espèce. D’une part, le TAR releva que, bien que de nature salariale, les sommes litigieuses portaient sur des arriérés et avaient ainsi perdu le caractère de créance vitale justifiant l’insaisissabilité. D’autre part, le TAR se fonda sur la jurisprudence relative à la compensation a-technique. Par un arrêt du 17 avril 2009, le Conseil d’état rejeta le recours du requérant pour les mêmes motifs. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Sur le recours indemnitaire pour violation du droit à un procès dans un délai raisonnable Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006V). B. En matière de compensation et saisie des salaires, pensions et autres sommes assimilées L’article 1246, alinéa 1, no3 du code civil italien exclut la compensation d’une dette avec une « créance déclarée insaisissable ». La saisie des salaires et des pensions dans le cadre du rapport de travail de droit privé En matière de rapport de travail de droit privé, les limites à la saisie des salaires sont prévues à l’article 545, quatrième alinéa, du code de procédure civile, aux termes duquel les sommes dues à titre de salaire ou autre indemnité relative au rapport de travail peuvent être saisies pour créances (autre que les créances vitales) envers le travailleur dans la limite d’un cinquième de leur montant. Dans ce cadre normatif, la jurisprudence établie de la Cour de cassation (voir, entre autres, les arrêts nos 9904/03, déposé au greffe le 20 juin 2003, et 7337/04, déposé au greffe le 17 avril 2004), a jugé que la dette de l’employeur à titre de salaire et celle du travailleur à titre de dédommagement pour acte illicite commis dans le cadre de ses fonctions doivent être considérées comme ayant leur source dans le même rapport juridique. Par conséquent, il n’y a, dans ce cas, qu’une vérification comptable des actifs et passifs avec neutralisation automatique des créances respectives et les limites à la compensation établies par le code civil ne s’appliquent pas. La compensation au sens propre peut avoir lieu, et ses limites peuvent trouver application, seulement si les rapports juridiques sur lesquelles les dettes réciproques se fondent sont autonomes. Par l’arrêt no 259 du 21 juin-4 juillet 2007, la Cour Constitutionnelle a jugé que cette interprétation de l’article 545 du code de procédure civile n’était pas incompatible avec les articles 3 (principe d’égalité) et 36 (droit à une rémunération proportionnée et adéquate) de la Constitution. La saisie des salaires et des pensions des fonctionnaires publics Le décret du Président de la République no 180/1950, établit en général l’insaisissabilité des salaires, des pensions et d’autres sommes assimilées des fonctionnaires publiques (article 1) sauf dans certains cas et dans certaines limites. Notamment, ces créances peuvent faire l’objet de saisie jusqu’à concurrence d’un cinquième de leur montant pour « dettes envers l’administration, en qualité d’employeur, ayant leur source dans le rapport de travail » (article 2, alinéa 1, no 2 dudit décret). Dans le cas particulier de créance de l’État envers le fonctionnaire ou l’ancien fonctionnaire au titre de dédommagement du préjudice que celui-ci a causé au Trésor Public, le libellé des articles 4 de la loi no 424 du 8 juin 1966 et 21 du décret du Président de la République no 1032 du 29 décembre 1973 prévoyait la possibilité de saisir ou retenir les sommes dues à titre de pensions et de toute autre indemnité ou somme à liquider en conséquence de la cessation du rapport de travail. Seule la pension au sens propre ne pouvait être saisie et retenue qu’à concurrence du cinquième de son montant. Néanmoins, la Cour Constitutionnelle a étendu cette disposition aux indemnités de départ des fonctionnaires de l’État (arrêt no 225 du 19 juin - 4 juillet 1997) et d’autres fonctionnaires publiques (arrêt no 438 du 30 novembre - 9 décembre 2005). En particulier, la Cour Constitutionnelle a jugé que : « on ne peut pas affirmer que l’absence de limites à la saisie [de l’indemnité de départ] puisse être justifiée par l’exigence de protection renforcée dont jouit le Trésor Public, dans les cas de dédommagement pour préjudice causé par des fonctionnaires déloyaux ou incapables, puisque (...) ce privilège ne peut pas primer sur le droit du fonctionnaire publique ou du travailleur privé, à percevoir l’indemnité de départ ». La Cour des comptes, juridiction compétente en matière de pensions des fonctionnaires publiques, se prononçant sur la possibilité de compenser intégralement des arriérés de pension avec une créance au titre de la responsabilité civile de l’ancien fonctionnaire, a jugé dans une affaire que : « [l]e fait qu’il s’agit en l’espèce d’arriérés payés en une seule tranche n’autorise pas une compensation excédant le cinquième des sommes dues. En fait, il est clair que la circonstance que les émoluments à titre de salaire ou de pension soient payés en retard par l’Administration n’engendre pas la mutation de leur nature – à laquelle est liée l’insaisissabilité légale – et, par conséquent, ne justifie aucune dérogation à la règle [prévoyant leur insaisissabilité relative] ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1939 et réside à Bursa. Le 7 juillet 1999, selon les dires du requérant, il aurait été blessé à la tête par T.A.E. et T.E.E. dans une bagarre, alors qu’il essayait d’aider son frère, qu’ils étaient en train de battre. De son côté, il aurait blessé l’une des tierces personnes, T.E.E. Le 15 juillet 1999, le procureur de la République de Bursa intenta une action pénale contre quatre personnes, dont le requérant, pour atteinte à l’intégrité physique d’autrui par exposition à un risque vital. Le rapport d’expertise médicale du 28 septembre 1999 concernant T.E.E. établit que celui-ci avait une blessure au dos ne présentant pas de danger pour sa vie, mais nécessitant un arrêt de travail de sept jours. Le 14 octobre 1999 le bureau de la médecine légale de Bursa établit un rapport d’expertise indiquant que le requérant avait des ecchymoses et des déchirures aux alentours de l’œil gauche et une fracture à l’orbite gauche, que ces blessures ne présentaient pas un danger pour sa vie mais nécessitaient un arrêt de travail de quinze jours. Par un jugement du 12 avril 2001, le tribunal correctionnel de Bursa (« le tribunal ») condamna T.A.E. et T.E.E. pour coups et blessures sur le requérant à une peine d’emprisonnement avec sursis. En outre, le tribunal condamna le requérant à une amende avec sursis pour coups et blessures sur T.E.E. Par un arrêt du 23 septembre 2002, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance quant à la condamnation du requérant, mais elle le cassa en ce qui concernait la condamnation de T.A.E. et T.E.E. Elle considéra qu’une enquête plus approfondie était nécessaire afin de savoir qui de T.A.E. et de T.E.E. était responsable des lésions sur le corps du requérant. Par un jugement du 2 avril 2003, le tribunal précisa que T.A.E. avait renversé le requérant en lui donnant un coup de tête au visage et T.E.E., le responsable principal, avait donné des coups de pied au visage du requérant lorsque ce dernier se trouvait à terre. Il les condamna à des peines d’emprisonnement. Par un arrêt du 3 octobre 2005, à la suite de l’entrée en vigueur le 1er juin 2005 du nouveau code pénal, la Cour de cassation cassa le jugement du 2 avril 2003 en vue d’un réexamen des infractions reprochées à T.A.E. et à T.E.E. Par un jugement du 14 décembre 2006, le tribunal condamna T.E.E. à une peine d’emprisonnement après avoir établi que les coups et blessures qu’il avait infligés au requérant avaient causé une séquelle permanente sur le visage de ce dernier. Il condamna aussi T.A.E. à une peine d’emprisonnement, commuée en une amende de 100 livres turques (environ 55 euros à l’époque des faits). Par un arrêt rendu le 25 mars 2009, versé le 8 juin 2009 au dossier de l’affaire se trouvant devant le tribunal correctionnel de Bursa, la Cour de cassation cassa le jugement du 14 décembre 2006 au motif qu’il y avait extinction de l’action publique en raison de la prescription des faits, conformément aux articles 102 alinéa 4 et 104 alinéa 2 du code pénal en vigueur à l’époque. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT En ce qui concerne le droit interne en vigueur à l’époque des faits, la Cour se réfère à l’aperçu du droit interne exposé dans les arrêts Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, §§ 96-100, CEDH 2004IV (extraits), et Ciğerhun Öner c. Turquie (no 2), no 2858/07, §§ 72-76, 23 novembre 2010). Aux termes de l’article 66 § 1 d) du nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er juin 2005, il y a extinction de l’action publique en raison de la prescription des faits quinze ans après la commission des infractions pour lesquelles la peine encourue est supérieure à cinq années de prison et inférieure à vingt ans de réclusion criminelle.
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Le requérant est né en 1975 et réside à Etxarri Aranatz (Navarre). I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Pendant la nuit du 18 janvier 2011 vers 3 heures du matin, le requérant fut arrêté à son domicile par des agents de la garde civile dans le cadre d’une enquête judiciaire portant sur un délit présumé d’appartenance à l’organisation EKIN, organisation faisant partie du groupe terroriste ETA. Cinq autres personnes furent également arrêtées le même jour. Un agent de la garde civile portant une cagoule lut ses droits au requérant, en présence du greffier du tribunal, et l’informa qu’il était détenu au secret. Une perquisition eut lieu à son domicile ainsi que dans le bar où il travaillait. L’arrestation fut communiquée par le ministère de l’intérieur et diffusée par les médias le même jour. Le requérant fut transféré à l’Audiencia provincial de Pampelune, où ses empreintes digitales furent prises et où il se prêta à un prélèvement d’ADN. À 12 heures 40, il fut examiné par un médecin légiste qui constata une ecchymose sur les poignets. Le requérant lui signala avoir mal à l’épaule droite en raison des menottes et lui indiqua que l’arrestation s’était déroulée sans violence et qu’il n’avait pas opposé de résistance. Le même jour, le requérant fut conduit en voiture à Madrid dans les locaux de la Direction générale de la Garde civile – il fut placé en garde à vue au secret. Pendant le trajet, le requérant indique avoir porté un masque sur les yeux, avoir été menotté et avoir été soumis à des menaces. Pendant son placement en garde à vue, le requérant fut interrogé à plusieurs reprises et affirme avoir fait l’objet de menaces et d’insultes. Le requérant soutient que ses jambes et bras furent enveloppés avec de la mousse et qu’il fut attaché à une chaise et soumis à six ou sept sessions d’asphyxie au moyen d’un sachet plastique lui recouvrant la tête. Il dit avoir reçu des coups dans les testicules et avoir été enveloppé dans une couverture ajustée près du corps avec du ruban adhésif et jeté sur un matelas. Il indique avoir de nouveau subi des séances d’asphyxie au moyen d’un sac plastique lui recouvrant la tête pendant des heures. Arrivé dans les locaux de la Direction générale de la Garde civile, le requérant fut examiné à 20 heures par le médecin légiste affecté au tribunal central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional, qui constata des marques d’ecchymoses sur les poignets du requérant compatibles avec le port des menottes pendant son transfert à Madrid. Le requérant indiqua ne pas avoir subi de mauvais traitements physiques ni psychiques pendant le trajet et refusa d’être examiné. Le 19 janvier 2011, le requérant fut examiné à 10 heures 35 et à 19 heures 35 par le médecin légiste près l’Audiencia Nacional. Dans son rapport consécutif à cette visite, le médecin légiste indiqua que le requérant affirmait avoir mal à la tête, au visage et au cou mais ne pas vouloir en parler. Le requérant ne répondit pas aux questions du médecin légiste sur la question de savoir s’il avait subi des mauvais traitements. Lors du second examen, le requérant refusa d’être examiné. Pendant la nuit du 19 janvier 2011, les chevilles du requérant auraient été, selon ses dires, attachées et on lui aurait imposé des flexions. Il affirme avoir été dénudé, soumis à des menaces de placement d’électrodes sur les testicules ; son pénis aurait été introduit dans une bouteille plastique remplie d’eau. Le 20 janvier 2011, le requérant fut examiné par un médecin légiste à deux reprises, à 10 heures 30 et à 20 heures 10. Le médecin légiste indiqua dans son rapport que le requérant fit valoir qu’il ne se sentait pas bien, qu’il avait mal aux yeux, au cou et à la mandibule et qu’il n’avait pas beaucoup dormi et avait entendu des cris. Il ne répondit toutefois pas aux questions du médecin légiste sur d’éventuels mauvais traitements. Il souhaita être examiné lors de la première visite mais refusa d’être examiné lors de la seconde. À la suite des visites du médecin légiste, le requérant aurait été soumis à deux interrogatoires-test afin qu’il apprenne par cœur les réponses qu’il devait donner aux questions qui lui seraient posées lors de sa déclaration policière. Le 21 janvier 2011, à 2 heures 40, le requérant fit une déclaration qu’il aurait d’abord été contraint d’apprendre par cœur, en présence d’un avocat commis d’office et de deux gardes civiles, dont l’un portait une cagoule. Il signa sa déclaration avec le mot « Aztnugal », c’est-à-dire « laguntza » à l’envers, qui signifie « aide » en langue basque. À 9 heures 50 et à 21 heures, le requérant rencontra de nouveau le médecin légiste. Il lui signala qu’il ne se sentait pas bien et qu’il avait peu dormi. Il ne répondit pas aux questions sur d’éventuels mauvais traitements subis et indiqua qu’il ne souhaitait pas être examiné. Le 22 janvier 2011, toujours en situation de garde à vue au secret, le requérant fut traduit, devant le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional. Il fit sa déclaration en présence du même avocat commis d’office qui l’avait assisté pendant la déclaration en garde à vue. Il soutient qu’il informa le juge des mauvais traitements subis. Le juge central d’instruction ordonna le placement du requérant en détention provisoire. Il fut remis en liberté sous caution le 26 juillet 2012. Le 11 mars 2011, le requérant porta plainte devant la juge de garde de Pampelune, alléguant avoir subi des mauvais traitements pendant sa garde à vue au secret. Il fut assisté par une avocate de son choix, Me L. Bilbao Gredilla, qui le représente maintenant devant la Cour. Il demanda à être entendu par le juge, ainsi que la production des copies des rapports des médecins légistes, de ses déclarations devant la garde civile pendant sa garde à vue au secret et devant le juge central d’instruction près l’Audiencia Nacional, et des éventuels enregistrements des caméras de sécurité des locaux où il était placé en garde à vue. Il sollicita l’identification des agents intervenus pendant sa garde à vue ainsi que l’audition par le juge des agents ainsi identifiés. Il demanda en outre l’audition, en tant que témoins, des médecins légistes l’ayant examiné et de l’avocat commis d’office présent lors de ses dépositions. Il demanda à être soumis à un examen physique et psychologique afin d’établir l’existence d’éventuelles lésions ou séquelles psychologiques. Par une ordonnance du 3 mai 2011, le juge d’instruction no 3 de Pampelune considéra que le juge compétent était le juge doyen de Madrid. Par une décision du 28 octobre 2011, l’Audiencia provincial de Madrid fit droit au requérant et décida que sa plainte devait être examinée par le juge d’instruction no 3 de Pampelune. Le 30 décembre 2011, faisant suite à une ordonnance rendue le 13 décembre 2011 par le juge d’instruction no 3 de Pampelune, le requérant fit sa déposition par vidéo-conférence depuis le centre pénitentiaire où il était détenu. Le 22 février 2012, la clinique médico-légiste de Pampelune et le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional remirent au juge d’instruction no 3 de Pampelune le rapport daté du 18 janvier 2011 qui avait été établi par le médecin légiste de Pampelune avant le transfert du requérant à Madrid, ainsi que les rapports des 18, 19, 20 et 21 janvier 2011 établis par le médecin légiste près l’Audiencia Nacional qui examina le requérant pendant sa garde à vue au secret. Par une ordonnance de non-lieu du 27 février 2012, le juge d’instruction no 3 de Pampelune considéra, au vu des rapports des médecins légistes au sujet du requérant et la déposition de ce dernier par vidéo-conférence, qu’il n’y avait pas d’indices démontrant que les mauvais traitements qu’il dénonçait eussent été réellement infligés. Le 6 mars 2012, le requérant fit appel. Par une décision du 29 juin 2012, l’Audiencia Provincial de Navarre confirma l’ordonnance de non-lieu. Le 15 octobre 2012, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision du 6 mars 2013, notifiée le 15 mars 2013, la haute juridiction déclara le recours irrecevable. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS La Cour renvoie aux parties « droit interne pertinent » et « rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) et du Commissaires aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe » de l’arrêt Etxebarria Caballero c. Espagne, no 74016/12, §§ 26-32, 7 octobre 2014). L’article 479 de la Loi organique 1/1985 relative au pouvoir Judiciaire (LOPJ) est libellé comme suit : « 1. Les médecins légistes sont des fonctionnaires intégrés dans le Corps National de Diplômés Supérieurs au service de l’Administration de la Justice. Les fonctions qui relèvent des médecins légistes sont : l’assistance technique aux juges, tribunaux, ministère public et bureaux du registre civil dans les matières de leur profession, tant dans le cadre de la pathologie légiste et pratiques thanatologiques que de l’assistance et la surveillance médicale des détenus, blessés ou malades qui se trouvent sous la juridiction de ces derniers, dans les cas et la forme que les lois déterminent. À cet effet ils rédigent des rapports et formulent des opinions médico-légales dans le cadre des procédures judiciaires, ils effectuent le contrôle périodique des blessés et l’appréciation des dommages corporels qui font l’objet de procédures. Ils ont également des fonctions d’enquête et de collaboration découlant de leurs fonctions. Au cours des procédures judiciaires ou d’enquête de toute nature entamées par le ministère public, ils sont sous l’autorité des juges, des magistrats, des procureurs et des chargés du registre civil et exercent leur fonction en toute indépendance et sous des critères strictement scientifiques. Les médecins légistes sont affectés à un Institut de Médecine légale ou à l’Institut National de Toxicologie et Sciences Légistes. Exceptionnellement, et lorsque les besoins du service le requièrent, ils peuvent être affectés à des organes juridictionnelles, bureaux du ministère public ou bureaux du registre civil. (...) ». L’arrêt 12/2013 du Tribunal constitutionnel, du 28 janvier 2013 dispose, dans ses parties pertinentes, comme suit : “2. (...) Les instruments internationaux [mentionnés] établissent certaines obligations que les États doivent respecter afin d’assurer la protection contre la torture. De cette manière, et en ce qui concerne le présent recours d’amparo, l’article 12 de la Convention contre la torture signale que « tout État partie veille à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction ». Dans le même sens, l’article 9 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture dispose que « Chaque fois qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture, tel qu’il est défini à l’article premier, a été commis, les autorités compétentes de l’État considéré procèdent d’office et sans retard à une enquête impartiale ». Pour sa part, la Cour Européenne des Droits de l’Homme considère que lorsqu’une personne affirme « de manière crédible (Corsacov c. Moldova, no 18944/02, § 68, 4 avril 2006, Dzeladinov et autres c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 13252/02, § 69, 10 avril 2008) ou de manière défendable avoir subi, de la part de la police ou d’autres services de l’État, des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cette disposition (...) requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective » (Stanchev c. Bulgarie, no 8682/02, § 67, 1er octobre 2009, § 67; San Argimiro Isasa c. Espagne, no 2507/07, § 34, 28 septembre 2010, et Otamendi Egiguren c. Espagne, no 47303/08, § 38, 16 octobre 2012). Il a été ainsi considéré « défendable » ou « crédible » que les tortures ou mauvais traitements allégués aient été causés par la police ou par d’autres services de l’État lorsque les requérants fournissent des photographies des blessures subies et des certificats médicaux comme preuve (Dzeladinov et autres c. Macédoine, § 72, 10 avril 2008) ; lorsqu’il s’avère que tous les rapports du médecin légiste signalent que le requérant s’était plaint d’avoir subi des mauvais traitements et qu’était constatée une érosion malaire de 1,5 cm sur le côté droit du visage du requérant, dont l’origine n’a pas été établie (Beristain Ukar c. Espagne, § 30, 8 mars 2011) ; lorsque dans les rapports du médecin légiste sont constatés des blessures et des hématomes et même une tentative de suicide de la part d’un des requérants (Martínez Sala et autres c. Espagne, §§ 156 et 160, 2 novembre 2004) ; lorsque les rapports médicaux réalisés pendant la durée de la détention font état de divers hématomes et d’une côte cassée (San Argimiro Isasa, précité, § 59) ; lorsque, selon le certificat médical correspondant, l’intéressé présentait un hématome au niveau lombaire de trois à quatre centimètres, les lèvres cassées et que de plus il a dû rester sous supervision médicale pendant une semaine avant d’être à nouveau transféré à la prison (Dimitar Dimitrov c. Bulgarie, § 45, 3 avril 2012); lorsque les accusations portant sur des mauvais traitements sont étayées par un rapport médical confirmant l’existence d’un œdème post-traumatique sur le visage et fracture du cou (Pascari c. Moldova, § 45, 20 décembre 2011); lorsque d’après le certificat médical produit par l’intéressé il est attesté qu’il avait plusieurs ecchymoses et enflures superficielles à divers endroits de son corps (Boyko Ivanov c. Bulgarie, § 38, 22 juillet 2008) ; ou lorsque, étant placé en garde à vue, le requérant s’est plaint à deux reprises d’avoir fait l’objet de mauvais traitements, d’avoir été menotté et d’avoir eu sa tête couverte avec un sac en matière plastique (Otamendi Egiguren, précité, § 39). Dans ces circonstances, et une fois que les requérants ont apporté des éléments suffisants dont il découle qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les tortures ou mauvais traitements allégués auraient pu être causés par des agents policiers, la Cour Européenne des Droits de l’Homme considère que les autorités sont obligées de mener à bout une enquête efficace pour trouver une preuve quelconque qui confirme ou contredise le récit des faits signalés par les requérants. Par ailleurs, la Cour Européenne des Droits de l’Homme fait la distinction entre l’éventuelle violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ») dans son volet substantiel et l’éventuelle violation de cette disposition dans son volet procédural. Pour déclarer une violation substantielle de l’article 3 de la Convention, on doit apprécier, au-delà de tout doute raisonnable, que le requérant a été soumis à des mauvais traitements, atteignant un minimum de gravité. Dans ce sens, les allégations de mauvais traitements doivent être étayées devant la Cour « par des éléments de preuve appropriés », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (San Argimiro Isasa, précité, § 58). Le volet procédural de l’article 3 acquiert de l’importance « lorsque la Cour ne peut parvenir à aucune conclusion sur la question de savoir s’il y a eu, on non, des traitements prohibés par l’article 3 de la Convention, en raison, au moins en partie, du fait que les autorités n’ont pas, à l’époque pertinente, réagi d’une façon effective aux griefs formulés par les plaignants » (Danelia c. Georgie, § 45, 17 octobre 2006). En effet, à de nombreuses reprises, en raison de l’absence d’éléments probatoires suffisants, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a conclu ne pas pouvoir affirmer avec certitude, conformément à sa propre jurisprudence, que le requérant a été soumis, pendant son arrestation et détention, aux mauvais traitements allégués. Or, quand l’impossibilité de déterminer, au-delà de tout doute raisonnable, que le requérant a été soumis à des mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention Européenne « découle, en grande partie, de l’absence d’une enquête approfondie et effective par les autorités nationales suite à la plainte présentée par le requérant pour mauvais traitements », la Cour Européenne des Droits de l’Homme déclare la violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural (Beristain Ukar c. Espagne, précité, §§ 39, 41 et 42 ; San Argimiro Isasa, précité, § 65; et Martínez Sala et autres, précité, §§ 156 et 160) ». Les parties pertinentes du rapport du 30 avril 2013 adressé au gouvernement espagnol par le CPT à la suite des visites effectuées par celui-ci entre mai et juin 2011 se lisent comme suit : « (...) ii. Garanties spéciales concernant les personnes détenues au secret (...) il est fait référence à un ensemble de diverses mesures (...) prévoyant des garanties spéciales à appliquer aux personnes qui font l’objet d’une détention au secret, et ce dès le moment où celle-ci est autorisée. Ces garanties sont les suivantes : notification à la famille du fait qu’il y a détention et du lieu où se trouve le détenu ; possibilité de recevoir la visite d’un médecin personnel ainsi que du médecin légiste désigné par le juge d’instruction ; surveillance audio et vidéo constante des zones de détention. À l’époque de la visite de 2011, trois des six juges d’instruction de l’Audiencia Nacional appliquaient systématiquement ces mesures. Cependant, la délégation a observé que pendant les cinq premiers mois de l’année 2011 toutes les détentions au secret avaient été autorisées par un juge qui n’appliquait aucune de ces garanties, ce qui est assez surprenant. (...) iii. Décisions de mise en détention au secret et prolongations de la garde à vue Pour le CPT, la détention au secret doit être une mesure exceptionnelle et limitée, utilisée lorsque des investigations complexes et secrètes exigent l’isolement physique de suspects pour des motifs liés à l’ordre public et à la stabilité internes. Le Tribunal constitutionnel espagnol a également souligné la nécessité que les décisions de mise en détention au secret soient motivées juridiquement et que leur application soit contrôlée par le juge d’instruction. Or l’analyse des décisions de mise en détention au secret publiée dans les premiers mois de l’année 2011 indique que le juge concerné n’a pas procédé à un contrôle rigoureux de la nécessité d’une telle mesure. Ainsi, les arguments juridiques étaient répétitifs et témoignaient d’une tendance à approuver de manière routinière les demandes de mise en détention au secret formées par la garde civile chaque fois que l’infraction pénale en question avait trait à un acte de terrorisme. (...) (...) Le CPT réitère sa recommandation selon laquelle les individus visés par l’article 520 bis du code de procédure pénale doivent systématiquement être conduits en personne devant le juge compétent avant l’adoption de toute décision relative à la prolongation de la garde à vue au-delà de soixante-douze heures. Si nécessaire, la législation pertinente devra être modifiée. iv. Accès à un avocat (...) Le CPT réitère sa recommandation selon laquelle les autorités espagnoles doivent prendre les mesures nécessaires pour que les personnes détenues au secret puissent s’entretenir avec un avocat en privé, dès le début de leur détention puis par la suite au besoin. Ces personnes doivent aussi avoir droit à la présence d’un avocat lors de tout interrogatoire par des agents de la force publique. v. Accès à un médecin, notamment de son choix (...) Le CPT (...) recommande que des rapports médicolégaux soient rédigés par le médecin et remis au juge (...) En outre, il doit toujours y avoir une conclusion du médecin quant à la compatibilité entre les constats opérés et les allégations formulées. (...) vi. Procédures d’interrogatoire (...) Le CPT invite les autorités espagnoles à établir pour les interrogatoires un code de conduite s’appuyant sur les règles et règlements en vigueur. De plus, le bandage des yeux ou l’encapuchonnement des personnes placées en garde à vue, notamment pendant les interrogatoires, doit être expressément interdit. De même, le code doit expressément prohiber le fait de forcer une personne détenue à effectuer des exercices physiques ou à rester debout pendant des périodes prolongées. (...) Le CPT engage les autorités espagnoles à procéder sans délai à la rénovation des cellules de détention de Calle Guzman el Bueno. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1981 et réside à Bucarest. A. L’incident du 3 janvier 2001 La version de la requérante Le soir du 3 janvier 2001, la requérante reçut un appel téléphonique de H.R.A., son futur époux à l’époque. Ce dernier lui demanda de le rejoindre devant l’hôtel où ils séjournaient, avec ses documents d’identité à lui, lesquels auraient été demandés par des policiers à la suite de son interpellation lors d’un incident avec un chauffeur de taxi survenu à proximité de la gare de la ville de Predeal. La requérante rejoignit H.R.A. près de la gare, mais, une fois arrivée sur place, H.R.A. et son cousin U.N. furent amenés au commissariat et elle-même les y rejoignit à la demande des policiers. Un policier habillé en civil entra brusquement dans le bureau de police où ils avaient été conduits et commença à frapper H.R.A. La requérante se rapprocha de ce policier en lui demandant d’arrêter, mais celui-ci l’injuria et lui jeta un téléphone portable au visage, puis il la prit par les cheveux et la projeta contre un bureau. H.R.A., qui tentait de lui venir en aide, fut de nouveau frappé par le policier en civil avec l’aide de deux autres policiers. Ces faits se seraient déroulés en présence de quatre policiers. La requérante réussit à joindre ses parents à partir de son téléphone portable, mais leur conversation fut interrompue par les policiers qui lui saisirent son téléphone et la menacèrent de la placer en garde à vue pour quarante-huit heures. Le soir même, elle fut envoyée par les policiers à l’hôpital de Predeal en raison de ses blessures. Le certificat médical délivré à l’issue de l’examen indiqua un traumatisme crânien facial, une contusion de la pyramide nasale et une bosse « séro-sanguine » frontale gauche, provoqués par une agression. A son retour au commissariat, malgré l’insistance des policiers, la requérante refusa de faire des déclarations au sujet d’un incident impliquant H.R.A. et survenu à proximité de la gare de Predeal, en expliquant qu’elle n’y avait pas assisté. Elle demanda à plusieurs reprises le nom de l’agent de police qui l’avait frappée, mais les policiers refusèrent de le lui donner et lui répondirent qu’elle méritait ce traitement pour avoir osé intervenir en faveur de H.R.A. et que de toute façon elle s’était frappée elle-même la tête contre le bureau. La requérante demanda en vain à faire une déclaration à ce sujet. Quelque temps après, elle apprit que l’agent de police en question s’appelait L.I. et qu’il était affecté au commissariat de Predeal. La version du Gouvernement Au moment des faits, H.R.A. et L.I. se trouvaient dans le bureau du commissariat. À un certain moment, dérangé par l’attitude impertinente et ironique de H.R.A., le policier L.I. empoigna ce dernier par le bras en le bousculant. À cet instant précis, la requérante entra dans le bureau et commença à tirer L.I. par ses vêtements en essayant de le frapper. L.I. saisit la requérante par le bras et la frappa au visage afin de l’écarter et parer son agression soudaine, sans lui porter d’autres coups par la suite. Ainsi, d’après le Gouvernement, l’incident avait été causé par la réaction violente de la requérante face au policier L.I., lequel aurait été amené à utiliser la force afin d’immobiliser l’intéressée. B. L’enquête pénale concernant les allégations de mauvais traitements subis par la requérante Au lendemain de l’incident, soit le 4 janvier 2001, la requérante déposa une plainte pénale pour comportement abusif auprès du commissariat départemental de Brașov et se constitua partie civile. Le même jour, elle se présenta à l’institut de médecine légale, où elle fut examinée. Le certificat établi à cette occasion mentionnait : « – excoriation linéaire frontale gauche de 1 cm, sous laquelle il y a une excoriation de 1 x 0,5 cm, sur fond d’un hématome de 4 x 3 x 0,5 cm ; – excoriation palpébrale supérieure de l’œil gauche de 0,8 x 0,4 cm ; – excoriation de la base de la pyramide nasale de 0,5 x 0,2 cm ; – [aux dires de l’intéressée,] douleurs thoraciques bilatérales au niveau postérieur ; – [aux dires de l’intéressée,] épistaxis arrêtée spontanément. (...) Conclusions : [La patiente] présente des lésions traumatiques produites par l’impact avec un corps dur, pouvant [remonter au] 3 janvier 2001, pour lesquelles elle nécessite (...) douze à quatorze jours de soins médicaux si aucune complication ne survient. » Par une lettre du 23 janvier 2001 adressée au procureur en chef du parquet militaire territorial, la requérante réitéra sa plainte pénale et sa constitution de partie civile. Le 7 février 2001, la plainte fut renvoyée au parquet militaire de Brașov, avec pour instruction de finaliser l’enquête jusqu’au 28 mars 2001. Le dossier fut transmis le 15 février 2001 au bureau de police de Brașov, qui devait finaliser les actes d’instruction avant le 20 mars 2001. Par des lettres des 15 mai et 19 juin 2001, le parquet militaire de Brașov demanda au bureau de police de Brașov de finaliser l’instruction et de lui renvoyer le dossier. Entre le 21 juin et le 13 juillet 2001, cinq policiers, parmi lesquels le policier L.I., furent entendus au bureau de police de Brașov au sujet de l’incident du 3 janvier 2001. Le policier L.I. se refera à l’incident survenu à proximité de la gare de Predeal, mais ne fit aucune déclaration au sujet des allégations de la requérante. Dans des déclarations rédigées en des termes très proches, les quatre autres policiers nièrent toute agression contre la requérante. Le 13 septembre 2001, le parquet militaire de Brașov demanda à nouveau au bureau de police de Brașov de procéder à la fin de l’instruction et de lui renvoyer le dossier. Le 3 octobre 2001, un agent dudit bureau de police dressa un rapport proposant l’abandon des poursuites. Par une résolution du 19 février 2002, des poursuites du chef de comportement abusif (sur la base l’article 250 du code pénal) furent engagées contre le policier L.I., soupçonné d’avoir frappé la requérante. Le même jour, un procureur du parquet militaire de Brașov entendit les policiers impliqués dans l’incident, un médecin et une infirmière de l’hôpital de Predeal, ainsi que d’autres témoins. Tous nièrent avoir observé des traces d’agression sur la personne de la requérante. Citée à comparaître, la requérante fit une déclaration le 4 mars 2002 au parquet militaire près le tribunal militaire territorial où elle réitéra sa plainte. Le 9 avril 2002, le policier L.I. fit une nouvelle déclaration devant le procureur du parquet militaire territorial, précisant que la requérante, entrée à l’improviste dans le bureau où il se trouvait avec H.R.A., l’avait attaqué et que sa réaction avait été de se défendre. Il admit avoir été à l’origine de coups portés à la requérante au niveau soit de son visage soit de ses épaules. Deux témoins proposés par la requérante furent cités à comparaître par le procureur du parquet militaire territorial à la même date, mais ils ne purent être entendus, l’agent en charge de les amener ne les ayant pas trouvés chez eux. Par une ordonnance du 19 avril 2002, le procureur du parquet militaire territorial abandonna les poursuites du chef de comportement abusif pour absence de gravité des faits au sens de l’article 181 du code pénal (CP) corroboré avec l’article 10 alinéa 1 b1) du code de procédure pénale (CPP) et condamna le policier L.I. au paiement d’une amende administrative en vertu de l’article 91 du code pénal. S’agissant des autres policiers, le procureur rendit un non-lieu. Selon le parquet, le policier L.I. avait été « provoqué par le comportement violent et très impertinent des victimes ». Cette décision fut notifiée à la requérante le 26 juin 2003. Celle-ci la contesta. À une date imprécisée, entre 2003 et 2004, le policier L.I. bénéficia d’une promotion dans la fonction d’agent en chef principal. Par une ordonnance du 21 avril 2004, un procureur militaire du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice annula l’ordonnance du 19 avril 2002 en ce qu’elle concernait le policier L.I. et renvoya l’affaire devant le parquet près le tribunal de première instance de Brașov. Il estima que les actes du policier L.I. étaient « assez graves, d’autant plus que l’altercation n’avait pas eu lieu dans la rue mais dans le bureau de police, où normalement pareils comportements ne sont aucunement justifiés ». À l’issue de renvois pour des questions de compétence, le procureur du parquet près le tribunal départemental de Brașov entendit le policier L.I. le 26 juillet 2004 et la requérante le 28 juillet 2004. À cette occasion, le policier L.I. indiqua que, lors de l’incident, la requérante se trouvait déjà dans le bureau de police, qu’au moment où il y était entré, il avait trébuché sur un tapis et avait fait tomber un téléphone portable en s’appuyant sur la table située en face et que la requérante, en essayant d’attraper ce téléphone, s’était heurté le visage contre le coin de la table. Les 16 et 19 novembre 2004, le procureur entendit également les autres policiers présents dans le bureau pendant l’incident ; ces derniers maintinrent leurs déclarations précédentes. Le chauffeur de taxi impliqué dans l’incident survenu à la gare de Predeal fut également entendu. Par une ordonnance du 27 décembre 2006, le parquet près le tribunal départemental de Brașov renvoya l’affaire au parquet près le tribunal de première instance de Brașov pour incompétence ratione personae. En raison de la complexité de l’affaire, de la charge de travail et du manque de personnel, le 21 septembre 2007, le premier procureur de ce parquet renvoya l’affaire au parquet près la cour d’appel de Brașov, qui entendit à son tour la requérante le 26 octobre 2007. Le 14 novembre 2007, le parquet près la cour d’appel de Brașov ordonna l’arrêt des poursuites pénales contre L.I. au motif que les faits n’atteignaient pas le niveau de gravité requis pour l’application de la loi pénale au sens de l’article 181 du code pénal (CP) corroboré avec l’article 10 alinéa 1 b1) du code de procédure pénale (CPP), et il condamna celui-ci au paiement d’une amende administrative de 700 lei (RON), soit environ 200 euros (EUR), estimant ce qui suit : « [l]es victimes se sont montrées indignées d’avoir été emmenées au commissariat et ont eu une attitude verbale agressive envers les policiers, spécialement envers L.I., ce qui a conduit celui-ci à gifler les victimes, leur causant les lésions mentionnées dans les certificats médicolégaux (...) Vu les circonstances concrètes dans lesquelles ont été commis les faits, déterminés par le comportement des victimes qui se sont montrées récalcitrantes et provocantes à l’égard des policiers, nous estimons que les agissements dénoncés sont manifestement dénués d’importance et qu’ils ne présentent pas le degré de danger social requis ; l’application d’une sanction administrative donnera une "leçon suffisante" (...) [au policier] mis en cause. » Sur recours de la requérante et du policier L.I., le 18 décembre 2007, le procureur hiérarchiquement supérieur confirma l’arrêt des poursuites pénales et annula l’amende infligée à L.I. La requérante contesta cette mesure devant le tribunal départemental de Brașov, qui, par un jugement du 5 mars 2008, renvoya l’affaire devant le tribunal de première instance de Brașov. Par un jugement du 24 avril 2008, le tribunal de première instance de Brașov rejeta le recours de la requérante. Pour ce faire, il constata ce qui suit : « Vu les circonstances concrètes dans lesquelles ont été commis les faits, déterminés par le comportement des victimes qui se sont montrées récalcitrantes et provocantes à l’égard des policiers, nous estimons que les agissements de l’accusé sont manifestement dénués d’importance et qu’ils ne présentent pas le degré de danger social requis (...) » Par un arrêt définitif du 30 juin 2008, le pourvoi en cassation de la requérante fut rejeté par le tribunal départemental de Brașov, qui jugea, sans autres précisions, que l’intéressée disposait d’autres moyens de procédure pour obtenir un dédommagement des préjudices qu’elle estimait avoir subis. Le tribunal la condamna aussi à payer les frais de justice. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénal (CP), tels qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisent ainsi : Article 181 « (1) Ne constitue pas une infraction l’acte réprimé par la loi pénale, s’il ne présente pas le degré de gravité requis pour l’existence d’une infraction, et est manifestement dépourvu d’importance en raison de l’atteinte minimale à l’une des valeurs protégées par la loi pénale, et de son contenu concret (...) (3) Le procureur ou le tribunal applique à un tel acte l’une des sanctions administratives prévues par l’article 91. » Article 91 « Lorsque le tribunal estime [que les faits ne présentent pas le degré de gravité requis pour l’existence d’une infraction], il inflige l’une des sanctions administratives qui suivent : (...) c) une amende d’un montant de 100 000 ROL à 10 000 000 ROL. » Article 246 « Un fonctionnaire public qui, agissant dans l’exercice de ses fonctions, porte préjudice aux intérêts légaux d’une personne en s’abstenant sciemment d’accomplir un acte ou en l’effectuant sciemment de manière défectueuse, est passible d’une peine d’emprisonnement [d’une durée] comprise entre six mois et trois ans. » Article 250 « Un fonctionnaire public qui emploie, dans l’exercice de ses fonctions, des termes offensants à l’égard d’une personne est passible d’une peine d’emprisonnement [d’une durée] comprise entre trois mois et trois ans ou d’une amende. Les coups et les autres violences commis dans les conditions du premier paragraphe sont passibles d’une peine d’emprisonnement [d’une durée] comprise entre cinq mois et six ans. » Les articles pertinents en l’espèce du code de procédure pénale (CPP), tels qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisaient ainsi : Article 10 « L’action pénale (...) ne peut plus être poursuivie si : (...) b) les faits ne sont pas prévus par la loi pénale ; b1) les faits ne présentent pas le danger social d’une infraction. » Article 346 « 2. Lorsque le tribunal prononce un acquittement fondé sur l’article 10 alinéa 1 b1) (...), il peut ordonner la réparation du préjudice matériel et moral, selon les dispositions de la loi civile. » Les dispositions pertinentes en l’espèce du droit interne concernant le statut des policiers et des procureurs militaires figurent au paragraphe 40 de l’arrêt Barbu Anghelescu c. Roumanie (no 46430/99, 5 octobre 2004). Les dispositions du code civil concernant la responsabilité civile délictuelle sont décrites au paragraphe 142 de l’arrêt Iambor c. Roumanie (no 1)(no 64536/01, 24 juin 2008).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1964 et réside à Voronej (région de Voronej). A. Les mauvais traitements allégués et le décès du fils de la requérante La version des faits présentée par la requérante Le 9 septembre 2009, entre 10 et 11 heures, le fils de la requérante, M. Sergueï Lykov, et son ami P. furent interpellés par des policiers à un arrêt de bus à Voronej. Aucun motif ne leur fut donné. Sergueï Lykov et P. furent alors emmenés dans les locaux du département no 6 de la police criminelle de la région de Voronej (оперативно-розыскная часть № 6 криминальной милиции главного управления внутренних дел по Воронежской области) (ciaprès « le commissariat de police »). À l’intérieur dudit commissariat, un policier, S., donna ordre à d’autres policiers présents de déshabiller M. Lykov et P. et de leur lier les pieds et les mains au moyen d’une bande adhésive. S. se mit à frapper M. Lykov et P. à coups de poing à la tête, les exhortant à avouer tous les vols qu’ils auraient commis. Devant leur silence, S. et un autre policier se mirent à leur cogner violemment à chacun la tête contre le sol, ainsi que contre une armoire et une table. Après 15 minutes, ils arrêtèrent de frapper et S. ordonna à un des policiers de « faire [à P.] une coupe à la mode » en lui coupant des mèches de cheveux au moyen d’un couteau. S. et d’autres policiers mirent ensuite des sacs en plastique autour de la tête de M. Lykov et de P. pour les asphyxier. Devant la répétition de ces actes, Sergueï Lykov, épuisé, demanda à S. de lui dire ce qu’il voulait. S. lui redemanda d’avouer les prétendus vols. M. Lykov admit alors qu’ils avaient cambriolé un appartement en 2007. S. ordonna à des policiers d’emmener Sergueï Lykov dans un autre bureau. Les policiers continuèrent à torturer P. à l’électricité. Quelques minutes plus tard, des policiers ramenèrent Sergueï Lykov dans le bureau. Selon P., Sergueï Lykov était en « mauvais état », bien qu’il n’eût pas de lésions corporelles apparentes. P. fut emmené dans un autre bureau, où il se mit à écrire des aveux. Alors qu’il écrivait, il commença à entendre Sergueï Lykov crier. Selon P., les cris de ce dernier durèrent une bonne heure. Peu après, un policier entra dans le bureau où P. se trouvait et lui annonça qu’ils allaient se déplacer sur le lieu du cambriolage de 2007. Selon P., Sergueï Lykov n’était pas avec eux lors de cette visite et il ne l’avait plus revu depuis. P. fut finalement emmené au centre de détention temporaire, où il fut examiné par un médecin qui constata plusieurs lésions corporelles (ecchymoses et égratignures sur les bras). P. apprit plus tard que M. Lykov s’était défénestré. La version des faits présentée par le Gouvernement Le 7 septembre 2009 fut adoptée une décision ordonnant l’arrestation de P. (постановление о приводе) en vue de son interrogatoire en qualité de témoin. Le 9 septembre 2009, des policiers localisèrent P. dans une rue de Voronej, en compagnie de Sergueï Lykov. Ils demandèrent aux deux amis de les suivre au commissariat de police. M. Lykov fut invité en vue, notamment, de « fournir des informations utiles », selon l’article 11 paragraphe 4 de la loi sur la police du 18 avril 1991, alors en vigueur. Sergueï Lykov accepta l’invitation de son plein gré. Après avoir discuté avec le policier T. au commissariat de police, Sergueï Lykov décida d’avouer un vol prétendument commis le 4 septembre 2009, et fit une déclaration écrite en ce sens. T. avertit M. Lykov de son droit constitutionnel de ne pas contribuer à sa propre incrimination. À 18 h 50, après avoir terminé d’écrire les aveux, brusquement, Sergueï Lykov se défenestra par la fenêtre ouverte du bureau de T., qui était situé au cinquième étage. La suite des évènements À 19 h 50, M. Lykov arriva à l’hôpital avec une équipe de l’aide médicale d’urgence. Le 10 septembre 2009, à 1 h 10, il décéda. Restée sans nouvelles de Sergueï Lykov, sa cousine I. fit des recherches, et, le 10 septembre 2009, elle trouva finalement son cadavre à la morgue de Voronej. Après avoir examiné le corps, I. constata qu’il présentait de multiples lésions corporelles, notamment un hématome audessus du sourcil gauche, des blessures au visage, des hématomes sur les poignets. Le 13 septembre 2009, I. adressa une demande écrite au Procureur général de Russie tendant à l’ouverture d’une enquête sur le décès de Sergueï Lykov. Elle informa le Procureur que son cousin avait été arrêté le 9 septembre 2009 alors qu’il se trouvait avec son ami P. Le 22 septembre 2009, le policier B. du commissariat de police du district Tsentralny de Voronej rendit une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale concernant le supposé vol de téléphone portable commis dans la rue dont Sergueï Lykov avait fait l’aveu : B. constata en effet que l’infraction de vol avouée n’avait jamais été consignée dans les registres de plaintes des victimes d’infractions tenus par la police. B. L’enquête préliminaire relative au décès de Sergueï Lykov La première phase de l’enquête Une heure après l’incident (à 20 heures), une enquêtrice Ia. du département du district Leninski de Voronej du Comité d’instruction se rendit sur place et procéda à l’examen des lieux, notamment du bureau no 55, d’où était tombé M. Lykov. L’enquêtrice saisit sur les lieux un masque à gaz et un appareil téléphonique, ainsi que la feuille avec les aveux écrits de Sergueï Lykov. Elle indiqua ne pas avoir découvert de traces de sang dans le bureau, mais seulement sur le gazon en contrebas du bureau. Par une décision du 21 septembre 2009, l’enquêteur L. du même département refusa d’ouvrir une enquête pénale sur le décès de la victime. Se référant à l’article 24 § 1 point 1 du code russe de procédure pénale, il conclut à l’absence de délit. L’enquêteur récapitula les explications du policier T., qui avait déclaré que : – le 9 septembre 2009 à 15 heures, Sergueï Lykov et son ami P. avaient été emmenés au commissariat de police par les policiers S. et F., le second (P.) étant recherché car soupçonné de vols ; – lors d’un entretien entre T. et M. Lykov, ce dernier avait avoué de son plein gré un vol. Alors qu’il s’était mis à écrire des aveux, tout d’un coup M. Lykov s’était levé et était monté sur une chaise, puis sur la table qui se trouvait à côté de la fenêtre ouverte, et avait finalement sauté par cette fenêtre ; – T. s’était précipité pour l’empêcher de sauter, mais trop tard ; – aucun policier n’avait frappé Sergueï Lykov ni ne l’avait contraint à avouer l’infraction. Selon T., Sergueï Lykov ne présentait aucune lésion corporelle ; – lors de l’entretien, M. Lykov était tranquille, mais s’était plaint à T. que sa vie était dure, car il devait soigner sa mère malade. L’enquêteur récapitula également l’explication du policier Sa., qui avait déclaré que : – le 9 septembre 2009 à 14 heures, lui et deux autres policiers, en patrouille en ville, avaient vu deux personnes en scooter. Comme ils avaient un renseignement selon lequel une personne soupçonnée de vol se déplaçait en scooter, ils avaient interpellé ces personnes pour un contrôle d’identité. Ils avaient invité Sergueï Lykov et P. à les suivre au commissariat de police et ces derniers y avaient consenti ; – à leur arrivée au commissariat, M. Lykov et P. avaient été séparés. Sa. et F. s’étaient entretenus avec P., alors que T. avait discuté avec M. Lykov ; – entré ensuite dans le bureau de T., Sa. avait pu observer que Sergueï Lykov n’était pas menotté et qu’il n’avait pas été frappé. Il avait entendu M. Lykov avouer le vol d’un téléphone portable ; – il n’avait pas entendu Sergueï Lykov se plaindre d’un quelconque mauvais traitement ; – plus tard, il avait appris que M. Lykov avait tenté de se suicider. L’enquêteur releva de même qu’en réponse à ses questions, le policier S. avait nié toute implication dans des mauvais traitements sur la personne de Sergueï Lykov. De l’autre côté, l’enquêteur nota les déclarations de P., selon lesquelles : – le 9 septembre 2009, entre midi et 13 heures, lui-même et Sergueï Lykov se trouvaient au centre-ville lorsque des policiers s’étaient approchés, s’étaient présentés et leur avaient demandé de les suivre au commissariat de police. Ils avaient accepté ; – au commissariat de police, Sergueï Lykov et lui s’étaient trouvés séparés, placés dans des bureaux différents. Peu de temps après, en passant dans le couloir, il avait vu Sergueï Lykov assis à une table en train d’écrire quelque chose. Il n’avait pas vu Sergueï Lykov être frappé, ne l’avait pas entendu crier et n’avait remarqué aucune lésion corporelle sur lui ; – il avait entendu Sergueï Lykov se plaindre de douleurs cardiaques, mais jamais faire état d’intentions suicidaires. L’enquêteur prit note des déclarations de la requérante, ainsi que des proches parents de la victime, selon lesquelles ce dernier n’avait jamais exprimé d’idées de suicide. L’enquêteur releva la présence, dans le dossier, des aveux écrits de M. Lykov qu’il avait rédigés peu avant son décès. S’appuyant sur les informations communiquées par l’hôpital où M. Lykov fut soigné après sa chute, l’enquêteur établit que le décès avait été le résultat de la chute de l’intéressé du cinquième étage. Aucune lésion pouvant attester de coups de pied ou de poing, ou encore de l’usage de menottes, n’avait été relevée sur le cadavre. L’enquêteur releva enfin le contenu du procèsverbal de l’examen des lieux effectué le 9 septembre 2009 (paragraphe 17 ci-dessus). Le 28 juin 2010, la décision du 21 septembre 2009 fut annulée par un fonctionnaire hiérarchiquement supérieur, qui ordonna un complément d’enquête, en indiquant notamment qu’il fallait : – trouver des témoins susceptibles de confirmer que Sergueï Lykov avait des idées de suicide ; – vérifier si les policiers qui avaient emmené Sergueï Lykov au commissariat de police avaient agi conformément à la loi ; – envisager la question de la responsabilité pénale des policiers qui n’avaient pas assuré la sécurité de la victime au commissariat de police. Entre-temps, le 27 octobre 2009, une autopsie du corps, ordonnée par l’enquêteur L., fut pratiquée et un rapport d’examen médicolégal fut dressé. Dans cet acte, le médecin légiste constata que la mort était le résultat de multiples fractures de la tête, de la poitrine et de la colonne vertébrale, ainsi que de la base et de la voûte du crâne. Selon l’expert, la localisation des lésions identifiées, ainsi que la prépondérance des lésions intérieures par rapport aux lésions extérieures, permettaient de conclure que ces lésions trouvaient leur source dans sa défenestration du cinquième étage. L’expert conclut que les autres lésions (hématomes et égratignures sur le tronc et les membres inférieurs et supérieurs, à savoir, un hématome dans le pli du coude droit mesurant 4 sur 3 cm, une égratignure sur l’avant-bras droit mesurant 6 sur 0,7 cm, un hématome sur le carpe droit mesurant 4,5 sur 2 cm, un hématome sur l’épaule gauche mesurant 18 sur 14 cm sur lequel il y avait des égratignures mesurant 5 sur 2,5 cm, un hématome sur le genou gauche mesurant 7 sur 6 cm, sur cet hématome il y avait une égratignure mesurant 1,5 sur 1 cm, une égratignure de forme ovale sur la cheville gauche mesurant 2 sur 1,5 cm) n’avaient pas de rapport de cause à effet avec la mort. En réponse à la question de la présence de traces de lutte ou d’autodéfense, le médecin indiqua qu’en médecine légale il était communément admis de qualifier comme telles les lésions localisées sur les bras et les poignets. Il certifia ainsi la présence d’une ecchymose sur le carpe droit, et d’une égratignure sur l’avant-bras droit. Il ajouta qu’il lui était impossible de juger du mécanisme d’apparition de ces lésions. Enfin, le médecin nota que le cadavre avait été déposé à la morgue sans vêtements. La seconde phase de l’enquête Par une décision du 8 juillet 2010, l’enquêteur Ko. du même département refusa derechef l’ouverture d’une enquête pénale. Dans ses motifs, il reprit les déclarations des policiers T., Sa., S., du témoin P., ainsi que de la requérante et des proches parents du défunt, déjà citées dans la décision du 21 septembre 2009 (paragraphe 18 ci-dessus). L’enquêteur interrogea, par ailleurs, des personnes qui auraient fait connaissance avec Sergueï Lykov dans un café où ils prenaient des boissons alcoolisées ensemble. Ces personnes expliquèrent que lorsque Sergueï Lykov avait consommé de l’alcool, il devenait bavard et que, dans cet état d’ébriété, il s’était plaint de l’absence d’argent, et des difficultés avec sa mère invalide. Il avait également confié à ses compagnons qu’il avait commis des vols et qu’en cas d’arrestation, il « se ferait mal ». L’enquêteur releva également une directive classée secrète, destinée aux policiers. Selon cette directive, les policiers n’étaient pas personnellement responsables de la vie et de la santé des personnes ayant consenti librement à se présenter au commissariat de police pour entretien, « sauf en cas de violation des droits et libertés des citoyens proclamés dans la Constitution russe ». Compte tenu de cette directive et des faits relevés, l’enquêteur conclut que l’officier T. ne pouvait pas être tenu responsable d’un délit de négligence. L’enquêteur conclut que le décès de Sergueï Lykov avait été le résultat de l’acte volontaire de ce dernier. Par conséquent, l’enquêteur refusa l’ouverture d’une enquête pénale contre les policiers F., B., Sa. et T. pour excès de pouvoir, au motif que, d’une part, l’arrestation de Sergueï Lykov n’était pas illégale, et que, d’autre part, les policiers ne l’avaient pas maltraité. Il conclut également qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre les policiers pour homicide, voies de fait ou provocation au suicide, étant donné que la mort de Sergueï Lykov « n’était pas violente ». Le 11 février 2011, la requérante forma un recours judiciaire contre cette décision. Elle se plaignit, entre autres, que son fils avait été mis en détention sans que cet évènement ait été enregistré proprement ; et que, de ce fait, son fils avait été privé d’assistance juridique. D’autre part, elle se plaignit que l’enquête menée avait été incomplète et orientée vers la thèse favorable aux policiers. En effet, elle reprochait aux autorités chargées de l’enquête de ne pas avoir procédé à une expertise criminalistique sur le masque à gaz saisi dans le commissariat de police en vue d’y prélever des empreintes génétiques, le cas échéant celles de son fils. Selon la requérante, il aurait fallu aussi ordonner une expertise graphologique afin de déterminer l’état psychologique de son fils au moment où il avait rédigé le texte des aveux. Ensuite, faisant référence au résultat de l’autopsie, selon laquelle le cadavre présentait des lésions pouvant s’interpréter comme des traces de lutte ou d’autodéfense, la requérante reprocha aux autorités ne pas avoir expliqué l’origine de ces traces, ainsi que la cause du décès de son fils. Le 18 avril 2011, le tribunal du district Leninski de Voronej confirma la décision attaquée de l’enquêteur. Dans ses motifs, le tribunal réitéra les arguments exposés dans la décision de l’enquêteur et estima que l’enquête avait été complète et approfondie. En réponse aux arguments de la requérante, le tribunal exprima l’avis qu’une expertise graphologique n’était pas nécessaire car la famille du défunt avait confirmé l’authenticité de l’écriture. De même, une expertise ADN à partir du masque à gaz n’était pas nécessaire car le décès de Sergueï Lykov n’était pas dû à une asphyxie. Ainsi, le tribunal conclut qu’il n’y avait pas de preuves accréditant l’idée que le défunt ait été soumis à des mauvais traitements de la part des policiers ou qu’il ait été interpellé et détenu illégalement. Le 11 août 2011, la cour régionale de Voronej confirma la décision, en cassation, par les mêmes motifs. Le 11 octobre 2012, l’avocate de la requérante envoya au chef du Comité d’instruction de Russie une lettre lui demandant d’ouvrir une nouvelle enquête pénale sur le décès de M. Lykov et de confier cette enquête au département des enquêtes sur les infractions commises par des fonctionnaires des forces de l’ordre, département faisant partie du Comité d’instruction de Russie dans la circonscription fédérale Tsentralny. L’avocate exprima la crainte que si l’enquête demandée était effectuée par des enquêteurs du département régional de Voronej du Comité d’instruction, cette enquête soit ineffective. En effet, elle argua que, faute d’avoir à leur disposition des agents de terrain pour le recueil des informations nécessaires, les enquêteurs de ce dernier département n’ont pas d’autre choix que de recourir à des agents du ministère de l’Intérieur, parmi lesquels peuvent se trouver ceux impliqués dans le décès de la victime. Le 14 novembre 2012, le département régional de Voronej du Comité d’instruction rejeta cette demande, considérant que la décision du 8 juillet 2010 était conforme à la loi et qu’il n’y avait aucun motif pour la révoquer et ouvrir une instruction pénale. C. Les témoignages de P. et les évènements le concernant Le lendemain de son arrestation, le 10 septembre 2009, P. fut amené au centre de détention temporaire (« l’IVS »). Lors de son admission, un aidemédecin constata sur lui les lésions corporelles suivantes : une ecchymose sur l’omoplate gauche, des égratignures sur les coudes et les genoux, et une ecchymose sur l’oreille droite. L’aidemédecin dressa un acte dans lequel il consigna les lésions et nota que ces lésions étaient le résultat d’un accident de la route survenu le 9 septembre 2009. L’examen médical eut lieu en présence des policiers ayant pris part au passage à tabac. Selon P., ce sont les policiers qui donnèrent à l’aidemédecin la version faisant référence à l’accident de la route, tandis que lui-même, par crainte de représailles, avait été contraint de la confirmer. Le 11 septembre 2009, P. fut transféré à la maison d’arrêt no 1 de Voronej. Lors de son admission, il fut examiné par un médecin, qui constata les mêmes lésions que celles relevées à l’IVS. À une date non précisée en septembre 2009, P. porta plainte, dénonçant des mauvais traitements qui auraient eu lieu au commissariat de police. Selon les dires de P., cette plainte lui aurait valu d’être amené dès le lendemain au commissariat de police, où il aurait été battu en représailles. Alors – toujours selon ses dires –, par crainte pour sa vie, P. retira sa plainte, lorsque l’enquêtrice Ia. s’était présenté à la maison d’arrêt pour interroger P. sur les circonstances des mauvais traitements. Selon P., à sa question relative à des éventuelles conséquences pour les policiers impliqués au passage à tabac de M. Lykov et de lui-même, l’enquêtrice A. aurait répondu que, de toute manière, ils n’en auraient eu aucune. Le 5 octobre 2009, l’enquêtrice Ia., du département régional de Voronej du Comité d’instruction, rendit une décision relative au refus d’ouvrir une instruction pénale. Elle relata l’explication du policier Sa., qui avait nié tous mauvais traitements, et, ayant pris note du retrait par P. de sa plainte, conclut à l’absence de mauvais traitements. Entre-temps, l’enquête pénale dirigée contre P. suivit son chemin et aboutit à un examen sur le fond par la cour régionale de Voronej. À l’audience publique du 1er février 2011, P. fit une déclaration. Il rétracta ses explications données dans le cadre de l’enquête relative au décès de Sergueï Lykov. P. décrivit les évènements du 9 septembre 2009, tels que présentés dans les paragraphes 6-8 du présent arrêt. Il ajouta que le policier S. lui avait adressé des menaces en cas de rétractation de ses aveux de vols ou de révélations sur les faits relatifs à l’arrestation et au décès de M. Lykov. Il ajouta que S. l’avait battu encore une fois avant l’audience du tribunal sur la demande de mise en détention provisoire, en vue de l’empêcher de porter plainte auprès du juge. Il se plaignit également d’avoir fait l’objet d’attaques gratuites de la part de l’administration de la maison d’arrêt où il était détenu. P. demanda à être placé sous protection, en tant que témoin des mauvais traitements sur la personne de Sergueï Lykov de la part des policiers. De même, il demanda que l’on poursuive au pénal le policier S. pour excès de pouvoir et pour meurtre sur la personne de M. Lykov. P. suggéra de rouvrir l’enquête pénale relative au décès. La juge ordonna que la déclaration écrite de P. soit versée au dossier. En ce qui concernait les demandes de P. relatives à S. et à M. Lykov, la juge répondit que le décès de ce dernier n’avait pas de rapport avec le procès en cours ; et que S., quant à lui, n’était pas partie au procès. Aussi, elle rejeta ces demandes. À l’une des audiences suivantes, P. se plaignit qu’après cette déclaration, l’administration de la maison d’arrêt l’avait menacé. Le 30 juin 2011, le procureur du district Leninski de Voronej annula la décision par laquelle l’ouverture d’une enquête pénale contre les tortionnaires supposés de P. avait été refusée. Le procureur ordonna un complément d’enquête. Le résultat de cette enquête n’a pas été communiqué à la Cour. Après avoir purgé sa peine, P. retrouva la liberté. Selon ses dires, il reçut plusieurs fois des menaces au sujet de la présente affaire. Par crainte de représailles, il émigra en Suède. Dans sa lettre du 20 avril 2014 au Comité d’instruction, envoyée depuis l’étranger, P. se proposa comme témoin, mais il ne fut jamais interrogé. D. Les évènements postérieurs à la communication de la requête au Gouvernement Le 23 décembre 2013, un fonctionnaire hiérarchiquement supérieur du département régional de Voronej du Comité d’instruction a annulé la décision du 8 juillet 2010, en relevant que le département avait reçu de la Cour européenne des droits de l’homme de nouvelles informations relatives à la disparition de Sergueï Lykov. Il a ordonné un complément d’enquête pour, notamment, interroger P. et vérifier ses allégations de mauvais traitements. Le 10 janvier 2014, l’adjoint du chef du département régional de Voronej du Comité d’instruction a ordonné l’ouverture d’une instruction pénale au sens de l’article 146 du code de procédure pénale. Dans ses motifs, il a observé que la requête de Mme Lykova en cours d’examen par la Cour européenne des droits de l’homme contenait des éléments laissant à croire que M. Lykov avait subi des mauvais traitements de la part des policiers. Le 16 janvier 2014, l’enquêteur L. du Comité d’instruction a ordonné une contre-expertise médicolégale pour répondre notamment aux questions de savoir : si le corps de M. Lykov présentait des lésions corporelles et, dans l’affirmative, à quel endroit ; si le corps présentait des lésions dues à une lutte, à des mauvais traitements, à l’usage de menottes ou à une attache des membres supérieurs et inférieurs au moyen d’une bande adhésive ; et s’il y avait des traces d’électrocution. Le Gouvernement n’a pas indiqué si cette expertise a eu lieu. En tout état de cause, aucun rapport d’expertise n’est joint à ses observations. L’enquêteur a interrogé les policiers Sa. et F. ; le premier a réitéré son explication de 2009 (paragraphe 17 ci-dessus), le second a donné des explications similaires. L’enquêteur a également interrogé un certain V., qui aurait expliqué avoir occasionnellement consommé en compagnie de Sergueï Lykov des boissons alcoolisées et aurait indiqué que ce dernier était toxicomane, qu’il commettait des vols pour obtenir de l’argent, et qu’il lui avait parlé des difficultés qu’il rencontrait avec sa mère invalide. Selon V., Sergueï lui aurait confié qu’en cas d’arrestation, il « se ferait mal ». L’enquêteur a interrogé la grand-mère et la cousine du défunt, qui ont expliqué que, à leur connaissance, Sergueï ne se droguait pas, n’abusait pas de l’alcool et n’avait jamais exprimé d’idées de suicide. Le 13 janvier 2014, l’enquêteur rendit une décision accordant la qualité de victime à la requérante. E. L’enquête interne au sein du ministère de l’Intérieur Le 27 octobre 2009, au terme d’une enquête interne relative à la conduite des policiers, le service de sécurité interne du département régional de Voronej dressa un rapport dont les conclusions peuvent se résumer comme suit. Se référant à la décision du 21 septembre 2009 (paragraphe 17 cidessus), le département régional a estimé que Sergueï Lykov s’était bien donné lui-même la mort et qu’aucune faute des policiers n’avait été établie. En même temps, le service a qualifié de manque de professionnalisme le fait que le policier T. n’ait pas suffisamment veillé à contrôler la conduite de M. Lykov, carence qui avait permis à ce dernier de se défenestrer. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit interne pertinent concernant la responsabilité pénale pour meurtre, incitation au suicide ou abus de fonction, ainsi que la procédure pénale, voir l’arrêt Keller c. Russie, no 26824/04, §§ 54-61 et 6773, 17 octobre 2013. En ce qui concerne le descriptif des pouvoirs de la police donné dans l’article 11 de la loi sur la police du 18 avril 1992, voir l’arrêt Shimovolos c. Russie, no 30194/09, §§ 33-34, 21 juin 2011. En ce qui concerne le descriptif du statut du département spécial chargé, au sein du Comité d’instruction de Russie, d’enquêter sur les infractions commises par des fonctionnaires des forces de l’ordre, voir l’arrêt Razzakov c. Russie, no 57519/09, § 43, 5 février 2015. Selon l’article 19.3 du code des infractions administratives, hormis le cas où cet ordre serait entaché d’illégalité, le refus d’obéir à un ordre donné par un policier agissant dans l’exercice de sa mission de protection de l’ordre public est passible d’une amende administrative allant de 500 à 1000 roubles ou d’un emprisonnement administratif allant jusqu’à 15 jours. Selon la directive conjointe du 29 décembre 2005 du service du Procureur général de Russie (no 39), du ministère de l’Intérieur (no 1070), du ministère des Situations d’urgence (no 1021), du ministère de la Justice (no 253, du Service fédéral de sécurité (no 780), du ministère du Développement économique (no 353) et du Comité de contrôle de la circulation des drogues (no 399), relative à l’enregistrement unifié des infractions (« О едином учете преступлений») (ci-après « l’instruction no 39), les juges sont habilités à prendre note d’une déclaration verbale dénonçant une infraction pénale lorsque pareille déclaration est faite à l’audience, tandis que les procureurs et les enquêteurs sont habilités à le faire dans toutes les autres circonstances (§ 7). L’extrait pertinent des procèsverbaux est ensuite porté à la connaissance de l’autorité compétente pour contrôler les faits dénoncés. Cette autorité doit enregistrer les indications y figurant (§ 22). Aucun fonctionnaire ayant la compétence de prendre des mesures pour enregistrer ces déclarations verbales ne peut s’abstenir de le faire (§ 24).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1926 et réside à Paris. La cause s’inscrit dans le contexte de l’affaire dite Grégory, qui a défrayé la chronique française durant plusieurs années. A. L’affaire Grégory et la publication du livre intitulé « Affaire Grégory : la justice a-t-elle dit son dernier mot ? » Le 16 octobre 1984, Grégory Villemin, âgé de quatre ans, fut découvert mort dans une rivière, mains et jambes liées. Le père de la victime (Jean-Marie Villemin) reçut le lendemain une lettre anonyme revendiquant le crime et évoquant une vengeance. Un cousin de Jean-Marie Villemin, Bernard Laroche, fut inculpé de l’assassinat en novembre 1984. Le père de l’enfant tua Bernard Laroche chez lui d’un coup de fusil le 29 mars 1985 (il fut condamné pour ces faits le 16 décembre 1993). En juillet 1985, la mère de l’enfant (Christine Villemin) fut inculpée de l’assassinat de celui-ci. Elle bénéficia d’un non-lieu le 3 février 1993. Les circonstances de l’assassinat de Grégory Villemin ne sont pas élucidées à ce jour. Ancien avocat de Bernard Laroche, le requérant publia le 17 février 2007 un livre intitulé « Affaire Grégory : la justice a-t-elle dit son dernier mot ? ». Il indique l’avoir écrit pour répondre aux attaques médiatiques contre son ancien client, et pour défendre son honneur d’avocat face à la présentation qu’il estimait diffamatoire de sa mission dans divers ouvrages ainsi que dans un téléfilm diffusé en 2006. B. La condamnation du requérant pour diffamation Le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 27 octobre 2008 Les époux Villemin firent assigner le requérant, l’éditeur et la société d’édition en diffamation pour vingt-huit passages de ce livre (certains étaient poursuivis par les époux Villemin, d’autres par l’un d’entre eux), dont les trois passages suivants : « Deux estafettes de gendarmes se trouveront à Granges-sur-Vologne à proximité de la maison de Jacquel lorsque vers 18 heures, Jean-Marie Villemin se présentera chez lui, pour l’abattre. Il fera demi-tour. (...) Jacquel sera entendu pendant plusieurs heures et placé en garde à vue par les gendarmes de Corcieux. Cela le mettra à l’abri de la folie meurtrière de Jean-Marie Villemin et permettra aussi (et surtout) aux gendarmes de vérifier son alibi et celui de sa famille pendant la journée du 16 octobre. (...) le résultat de l’expertise (...) désignera comme suspect celui que Jean-Marie Villemin avait choisi et voulu tuer le 16 octobre à 18 heures, Roger Jacquel ». [passage poursuivi par M. Villemin] « Sébastien, âgé de 5 ans, est là, qui assiste en direct à l’assassinat de son père, se jette désespérément sur sa poitrine en criant « Papa, papa ! ». Il est repoussé par le sang qui jaillit des poumons. (...) L’horreur de l’assassinat de Laroche à son domicile, sous les yeux (...) de son fils Sébastien (...) ». [passage poursuivi par M. Villemin] « ... deux journalistes d’Europe 1 (...) conseillent aux époux Villemin de se constituer partie civile. La station, qui cherche par tous les moyens à concurrencer RTL, se chargera elle-même de demander à Me [G.], choisi en qualité d’avocat de Légitime Défense et vice-président de cette association de s’occuper du dossier. Très vite Me [G.], qui accepte, constitue comme correspondant à Épinal le bâtonnier en exercice, Me [C.], l’un des dirigeants départementaux du RPR. Pourquoi cette hâte ? Il est vrai que ce 23 octobre, Christine Villemin, dont la présence a été remarquée par trois de ses camarades de travail au bureau de poste de Lépanges vers 17 heures, le 16 octobre, apparaît susceptible d’avoir posté la lettre anonyme. Elle vient d’être entendue par les gendarmes. Mais après avoir nié sa présence à la poste, répondant aux questions des gendarmes qui reprennent des ragots recueillis hors procès-verbal, elle a fait état, spontanément, « d’attitudes interprétées par elle comme des avances amoureuses de Bernard Laroche lors d’une réunion de famille chez les Villemin, remontant il est vrai à plusieurs années et antérieures à son mariage avec Jean-Marie. (...) Les époux Villemin se sont constitués partie civile le 27 octobre 1984, c’est-à-dire quatre jours après que les époux Laroche ont été mis pour la première fois en garde à vue, suite à l’audition de Christine Villemin par la gendarmerie, au cours de laquelle elle avait fait état de prétendues avances amoureuses de Bernard Laroche lors d’une fête de famille remontant à plusieurs années. Mais également après le témoignage de trois collègues de travail de Christine, venue témoigner spontanément à la gendarmerie de sa présence devant le bureau de poste de Lépanges le 16 octobre, un peu avant 17 heures. » [passage poursuivi par Mme Villemin] Le 27 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Paris jugea que les défendeurs avaient publiquement diffamé M. Villemin en lui imputant dans cet ouvrage d’avoir voulu tuer un autre protagoniste de l’affaire (Roger Jacquel) et d’avoir tué Bernard Laroche sous les yeux de son fils (il s’agit des deux premiers extraits cités au paragraphe 10 ci-dessus). Le jugement contient un résumé détaillé de l’ouvrage. Le tribunal condamna les défendeurs in solidum à payer 3 000 EUR à M. Villemin à titre de dommages et intérêts et 2 500 EUR sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile (frais non compris dans les dépens). Il ordonna en outre, « à titre de réparation complémentaire, l’insertion, dans toute nouvelle impression ou édition de l’ouvrage, sur la page précédant le début de celui-ci, en caractère de même police que le corps du texte, et sous le titre, en caractère de même police que les titres des différents chapitres, « Avertissement judiciaire à la demande de JeanMarie Villemin », du communiqué judiciaire suivant : « Par jugement en date du 27 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Paris, chambre civile de la presse, a condamné [le requérant, l’éditeur et la société d’édition], pour avoir publiquement diffamé Jean-Marie Villemin en publiant et écrivant le présent ouvrage, en lui imputant d’avoir voulu tuer Roger Jacquel et d’avoir assassiné Bernard Laroche sous les yeux de son fils Sébastien. » Le tribunal débouta M. Villemin pour les autres passages dont il se plaignait, ainsi que Mme Villemin. L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 7 avril 2010 Le requérant, l’éditeur et la société d’édition ainsi que Mme Villemin interjetèrent appel. Par un arrêt du 7 avril 2010, la cour d’appel de Paris confirma le jugement du tribunal de grande instance de Paris s’agissant des passages du livre dont il avait retenu le caractère diffamatoire à l’égard de M. Villemin. La cour d’appel rappela que les prévenus, dont l’intention de nuire est présumée en matière de diffamation, sont admis à faire preuve de leur bonne foi en établissant que l’auteur des passages incriminés poursuivait un but légitime, exclusif de toute animosité personnelle, et avait usé d’une expression prudente et mesurée, et que les propos litigieux s’appuyaient sur une enquête sérieuse. Elle jugea incontestable que le requérant avait poursuivi un but légitime en écrivant et publiant, comme beaucoup d’autres acteurs de cette affaire l’avaient fait avant lui, un ouvrage destiné à donner au public le point de vue de l’avocat de la famille Laroche. Elle nota ensuite qu’il n’exprimait aucune animosité personnelle à l’égard des époux Villemin. La cour d’appel releva cependant que les allégations figurant dans le premier extrait précité reposaient essentiellement sur les craintes de Mme Villemin, alarmée de voir son mari partir avec une carabine. Selon la cour d’appel, s’il n’était pas contesté que ce dernier se fût rendu avec une arme au domicile de Roger Jacquel dans l’intention de le faire « parler », rien n’établissait qu’il était animé d’une intention homicide à son égard. Elle considéra qu’ « en imputant à Jean-Marie Villemin d’avoir tenté de commettre un meurtre, voire un assassinat, la préméditation étant suggérée, manifestée par un commencement d’exécution qui n’a[vait] manqué son effet qu’en raison de la présence des gendarmes qui [avaient] contrarié son projet, [le requérant], avocat, [avait] accus[é] sans prudence, ce qui ne lui permet[ait] pas (...) d’être admis sur ce point au bénéfice de la bonne foi ». S’agissant du second des passages précités, la cour d’appel considéra que les pièces de la procédure démontraient certes que le fils de Bernard Laroche se trouvait au domicile familial au moment du meurtre de ce dernier, mais n’établissaient pas qu’il avait assisté « en direct à l’assassinat ». Elle estima en outre que, si des attestations établies par la veuve Laroche et son frère, produites pour la première fois en cause d’appel, confirmaient la présence de l’enfant dans la maison, elles n’établissaient pas que l’acte criminel avait été accompli sous ses yeux. Elle conclut qu’« en ajoutant du drame au drame, [le requérant], qui avait une connaissance complète de la procédure en raison de son mandat, s’[était] privé, là encore, de la possibilité de se voir reconnaître le bénéfice de la bonne foi ». La cour d’appel infirma en revanche le jugement en ce qu’il déclarait non diffamatoire le troisième des passages précités, dénoncé par Mme Villemin, qui insinuait qu’elle et son mari s’étaient constitués parties civiles par stratégie, en raison de témoignages recueillis susceptibles de la mettre en cause alors qu’elle avait tenté de faire porter les soupçons sur Bernard Laroche. Elle le confirma quant au caractère non diffamatoire des vingt-cinq autres passages dénoncés. Elle condamna les intéressés in solidum à payer : à M. Villemin, 4 000 EUR à titre de dommages et intérêts et 5 000 EUR sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; à Mme Villemin, 2 000 EUR à titre de dommages et intérêts et 2 500 EUR sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. Elle ordonna en outre l’insertion dans toute nouvelle impression ou édition de l’ouvrage d’un avertissement judiciaire semblable à celui prévu par le jugement du 27 octobre 2008. L’arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 4 novembre 2011 Invoquant notamment l’article 10 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation. Les époux Villemin formèrent un pourvoi incident. Ils reprochaient à la cour d’appel d’avoir débouté Mme Villemin de certaines de ses prétentions en considérant que certains passages du livre en question n’étaient pas diffamatoires à son égard, et d’avoir rejeté leurs prétentions relatives à d’autres passages. Par un arrêt du 4 novembre 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation rejeta le pourvoi incident. Elle rejeta également le pourvoi principal en ce qu’il contestait les conclusions de la cour d’appel relatives au caractère diffamatoire des passages imputant à M. Villemin d’avoir voulu tuer Roger Jacquel et d’avoir tué Bernard Laroche sous les yeux de son fis Sébastien. Elle l’accueillit en revanche en ce qu’il visait les conclusions relatives au passage imputant à Mme Villemin de s’être constituée partie civile dans un but contraire à la manifestation de la vérité. L’arrêt est ainsi libellé : « (...) Attendu que pour déclarer diffamatoires les passages poursuivis par Mme Villemin (...), la cour d’appel a énoncé que ces propos insinuent que Mme Villemin et son époux se seraient constitués parties civiles le 27 octobre 1984, non par souci de participer à la manifestation de la vérité, mais, par stratégie, en raison de témoignages recueillis susceptibles de mettre en cause Mme Villemin, alors que celle-ci avait tenté, lors d’une audition à la gendarmerie, de faire porter les soupçons sur Bernard Laroche en faisant état de prétendues avances amoureuses de ce dernier à son égard plusieurs années auparavant ; Qu’en statuant ainsi, quand l’auteur se bornait à relever des coïncidences chronologiques entre des déclarations et cette constitution de partie civile à laquelle il était raisonnable de s’attendre sans en tirer aucune conséquence, ni articuler à cet égard aucun fait précis de nature à être sans difficulté l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; Par ces motifs : [La Cour] casse et annule, sauf en ce qu’il déclare que [le requérant, l’éditeur et la société d’édition] ont (...) publiquement diffamé M. Jean-Marie Villemin en lui imputant d’avoir voulu tuer M. Jean-Marie [sic] Jacquel et d’avoir tué Bernard Laroche sous les yeux de son fis Sébastien et confirme le jugement en en ce qu’il a rejeté les prétentions des époux Villemin, ensemble ou séparément, relatives aux passages poursuivis autres que celui imputant à Mme Villemin de s’être constituée partie civile dans un but contraire à la manifestation de la vérité, l’arrêt rendu le 7 avril 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elle se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Versailles ; (...) » L’avocat général avait conclu à la cassation sans renvoi sur le pourvoi principal, au motif, s’agissant des deux passages qui visaient M. Villemin, que la cour d’appel avait fait une confusion entre exigence de bonne foi et preuve de la vérité des faits avancés. Les parties ne saisirent pas la cour de renvoi, et Mme Villemin se désista de son appel à l’encontre du jugement du 27 octobre 2008 et remboursa les sommes que lui avait accordées l’arrêt du 7 avril 2010, soit 2 000 EUR à titre de dommages et intérêts et 2 500 EUR sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile (paragraphe 20 ci-dessus). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse se lisent comme suit : Article 29 « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. (...) » Article 32 « La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera punie d’une amende de 12 000 euros. (...) » La responsabilité pénale de l’auteur d’une allégation ou d’une imputation diffamatoires peut être exclue si l’intéressé est en mesure de justifier des faits justificatifs suivant : l’exception de vérité (article 35 de la loi du 29 juillet 1881) et la bonne foi de l’auteur. Création jurisprudentielle, le fait justificatif de bonne foi « se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que le respect du devoir d’enquête préalable » (Cour de cassation, première chambre civile, 17 mars 2011, 10-11.784, Bulletin 2011, I, no 58).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1982 et 1990. Les requérants furent arrêtés le 7 août 2005 pour actes de terrorisme et placés en détention provisoire le 8 août 2005. Le 22 août 2005, le procureur les inculpa pour appartenance à une organisation terroriste et attentat à l’explosif. Le procès du requérant commença devant la cour d’assises d’Istanbul tandis que celui-ci de la requérante débuta devant la cour d’assises pour mineur. Le 10 octobre 2006, la requérante fut libérée. Le 27 décembre 2012, la cour d’assises d’Istanbul reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à trois ans et neuf mois d’emprisonnement. Le requérant fut détenu tout au long de son procès. Le 14 novembre 2013, la Cour de cassation confirma la condamnation du requérant. Quant à la requérante, elle fut acquittée le 11 mars 2014. Son acquittement ne fit pas l’objet d’un pourvoi en cassation.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1916, 1951, 1942, 1959, 1958, 1920, 1925 et résident à Niscemi. A. L’occupation d’urgence du terrain et les procédures y relatives Les requérants étaient propriétaires d’un terrain sis à Niscemi d’environ 16.000 mètres carrés. Par deux arrêtés du 24 juin 1973 et du 5 avril 1977, la municipalité autorisa l’occupation d’urgence d’une partie du terrain des requérants, pour une période maximale de cinq ans, en vue de son expropriation, pour permettre à l’Institut autonome de gestion des HLM (« IACP ») de procéder à la construction des habitations à loyer modéré. Les requérants introduisirent un recours devant le tribunal administratif de Catane (« T.A.R. »), faisant valoir que les arrêtés autorisant l’occupation du terrain étaient entaché de nullité. Par un jugement du 19 mars 1984, le tribunal administratif annula tous les actes de la procédure d’occupation du terrain. L’administration attaqua ledit jugement devant le Conseil de justice administrative pour la Sicile. Par un arrêt du 27 janvier 1989, le Conseil de justice rejeta le recours de l’administration. Entre-temps, le 17 janvier 1984, les requérants introduisirent devant le tribunal de Caltagirone une action en dommages-intérêts à l’encontre de la municipalité et du IACP. Ils faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale, étant donné que celle-ci s’était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans mise en œuvre d’une procédure d’expropriation et versement d’une indemnité et demandaient un dédommagement pour la perte du terrain. De plus, les requérants faisaient valoir que l’occupation du terrain en vue de son expropriation était illégale, puisque, conformément au jugement du T.A.R., les actes de la procédure d’occupation étaient inefficaces. Des trente audiences fixées entre le 5 avril 1984 et le 6 juin 2001, six ne se tinrent pas pour des raisons non précisées, deux furent renvoyées en raison de l’absence de l’expert, une au motif que ce dernier n’avait pas déposé son rapport, une d’office, cinq à la demande des parties, dont quatre afin d’examiner les rapports d’expertise, deux concernèrent la constitution des parties dans la procédure, quatre le dépôt de mémoires et documents, cinq l’expertise, trois la présentation des conclusions, une les plaidoiries. Par un jugement du 2 février 2002, le tribunal affirma que le terrain était passé à l’administration par effet de l’expropriation indirecte et condamna l’administration ainsi que le IACP à payer aux requérants une indemnité calculée selon la loi no 662 de 1996 entre-temps entrée en vigueur, à savoir 958 450 354 ITL (494 998 EUR), plus 453 514 795 ITL (234 221 EUR) pour indemnité d’occupation. Ces sommes devaient être réévaluées et assorties d’intérêts à partir de 1999. En outre, elles étaient soumises à un impôt à la source de 20%, prévu par la loi no 413 de 1991. Le 25 février 2003, l’administration attaqua le jugement du tribunal devant la cour d’appel de Catane. Entre-temps, le 25 mai 2005 les requérants introduisirent un recours afin de contester l’application de l’impôt prévu par la loi no 413 de 1991 devant la commission tributaire provinciale de Caltanissetta. L’issue de cette procédure n’est pas connue. Par un arrêt déposé au greffe le 7 juin 2010, la cour d’appel de Catane estima qu’il s’agissait en l’espèce d’une expropriation illégitime ab initio, au motif que l’arrêté d’occupation n’était pas conforme à la loi. La cour d’appel souligna que, à la lumière des arrêts no 348 et 349 de 2007 de la Cour constitutionnelle déclarant l’inconstitutionnalité de l’article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996, l’expropriation indirecte était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour, et entraînent l’obligation pour l’administration publique de verser aux intéressés un dédommagement à hauteur de la valeur vénale du terrain exproprié sur la base de la nouvelle expertise ordonnée par la cour. Dès lors, la cour d’appel accorda aux requérants un dédommagement de 459 485,81 EUR plus réévaluation et intérêts. B. La procédure « Pinto » À une date non précisée en 2003, les requérants saisirent la cour d’appel de Messine au sens de la loi « Pinto », demandant à être dédommagés pour la durée excessive de la procédure devant le tribunal de Caltagirone. Par une décision du 5 juin 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 25 juillet 2003, la cour d’appel conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et accorda 4 000 EUR à chaque requérant pour dommage moral, et 1 818 EUR conjointement pour frais et dépens. Il ressort du décret de la cour d’appel que cette décision fut notifiée au ministère de la Justice le 6 octobre 2003. La décision devint ainsi définitive le 6 décembre 2003. À une date non précisée en 2004, les requérants entamèrent une procédure d’exécution devant le tribunal de Caltanissetta afin d’obtenir le paiement de l’indemnisation octroyée par la cour d’appel. Le 18 mai 2004, le juge de l’exécution assigna aux requérants les sommes objet de leur saisie. Les requérants reçurent lesdites sommes le 27 juillet 2004. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009 (§§ 16-48). En particulier, quant aux derniers développements intervenus en droit interne, la Cour note que par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007, la Cour Constitutionnelle a jugé que la loi interne doit être compatible avec la Convention dans l’interprétation donnée par la jurisprudence de la Cour et, par conséquent, a déclaré inconstitutionnel l’article 5 bis du décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, tel que modifié par la loi no 662 de 1996. La Cour Constitutionnelle, dans l’arrêt no 349, a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l’article 117 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales. Suite aux arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n’étant admise. Cette disposition est applicable à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement a été acceptée ou est devenue définitive. Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto » figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953 et réside à Aydın. Genèse de l’affaire Au moment des faits, le requérant travaillait comme ouvrier de construction à Milas. Le 6 mars 2000, aux environs de 16 heures, une violente altercation entre deux groupes d’ouvriers, dont le requérant, eut lieu devant le palais de justice de Milas. Le procès-verbal d’incident dressé par les policiers et signé par les personnes ayant participé à l’altercation relate en substance les faits comme suit : - Arrivés à la suite du déclenchement d’une bagarre à coups de poing, les policiers arrivés sur les lieux embarquèrent les sieurs M.Y. (le requérant), S.O., Y.Y., M.R.K., H.K., R.S., A.S., S.S., V.S. et H.S., qui furent emmenés au commissariat de police central de Milas. Ce document ne comporte aucune précision sur les blessures éventuellement causées aux intéressés lors de la bagarre ou de leur arrestation. Le requérant donne en substance le récit suivant : - Les policiers arrêtèrent tous les protagonistes et les conduisirent au commissariat de police central de Milas. Les policiers lui infligèrent des brutalités. Le même jour, à cause de l’aggravation de son état de santé, il fut conduit à l’hôpital public de Milas pour une intervention médicale de deux heures. Par la suite, il fut de nouveau reconduit au commissariat de police. La version du Gouvernement se résume comme suit : - Au moment de l’altercation, les protagonistes échangèrent des coups. Le requérant fut blessé. Alertés, les policiers en service intervinrent. Ils engagèrent une enquête à l’encontre des personnes qui s’étaient mêlées à la bagarre, et ce, à la suite des instructions du parquet de Milas. Par la suite, le requérant ainsi que les autres suspects furent collectivement conduits à l’hôpital public de Milas afin d’y passer un examen médicolégal. Le 6 mars 2000, à une heure non précisée, le requérant fut transféré à l’hôpital public de Milas, à la demande du commissaire divisionnaire. Il ressort des registres de l’hôpital public de Milas que le requérant fut conduit à l’hôpital aux environs de 18 heures avec les autres personnes interpellées. À l’hôpital public de Milas, le requérant fut examiné par un médecin. Le rapport rédigé à cet égard peut se lire comme suit : « (...) Le contrôle médical de M.Y. révèle que l’état général du patient est normal, que celui-ci est conscient, coopératif (...), que sa respiration est normale. Une enflure et des rougeurs périorbitaires à l’œil gauche. Une enflure [illisible] à la tête. Le pronostic vital du patient n’est pas engagé. Rapport médical provisoire (...) ». Le médecin décida également de le placer sous surveillance médicale pendant une certaine période et recommanda que le patient fût examiné par un chirurgien généraliste et un ophtalmologue. Après l’examen médical, le requérant fut reconduit au commissariat de police central de Milas. Selon le procès-verbal établi par les autorités, il fut placé en garde à vue pour un maximum de 24 heures. Par ailleurs, il ressort également de ce document qu’il avait été arrêté à 16 h 15, et que le procureur de la République avait été informé de cette arrestation à 19 heures. Dans sa déposition du 6 mars 2000 recueillie à une heure non précisée dans les locaux du commissariat de police central de Milas, le requérant déclara qu’une bagarre s’était produite et que les protagonistes avaient échangé des coups de poing. Le 7 mars 2000, à la suite de la fin de la garde à vue du requérant à 16 heures et sur demande du commissaire de police, le requérant fut conduit à l’hôpital public de Milas afin d’être soumis à un nouvel examen médical. À l’hôpital, le requérant fut examiné respectivement par un médecin généraliste dans le service de neurologie et par un ophtalmologue. Les parties pertinentes du nouveau rapport médical rédigé après cet examen se lisent comme suit : « (...) Le patient se plaint de douleurs au dos et de cervicalgies. Contrôle ophtalmologique du patient : – œil droit : acuité visuelle complète, les segments antérieurs et postérieurs sont normaux. – œil gauche : acuité visuelle complète. Ecchymose et œdème sur les paupières inférieure et supérieure (...). Rapport médical définitif attestant une incapacité temporaire de travail de trois jours. (...) Selon les éléments mentionnés dans le rapport provisoire, l’état neurochirurgical du patient se présente comme suit : Le pronostic vital n’est pas engagé. Incapacité temporaire de travail de cinq jours. Le patient sera rétabli dans sept jours. Rapport définitif. » Le 11 septembre 2003, suite à la demande du requérant, la Fondation pour les droits de l’homme d’İzmir établit une épicrise dont les conclusions se lisent comme suit : « (...) au contrôle physique du patient : (05.06.2000) difficultés pour marcher dues à des douleurs à la jambe gauche, cervicalgies, apathie des doigts, sensibilité à la sciatique gauche (...) Au contrôle orthopédique : douleurs à l’épaule droite lorsqu’il bouge le cou. Apathie aux doigts 3-4-5. (...) Réflexes supérieurs normaux. Contracture de Dupuytren (...) Consultation neurochirurgicale (06.07.2000) : le patient avait des douleurs généralisées, ses douleurs à la jambe gauche ont commencé lorsqu’il était interné à l’hôpital public d’Aydın (...) » Le 16 octobre 2006, suite à une demande du tribunal correctionnel de Milas faite le 22 août 2006 dans le cadre de l’action pénale engagée contre les policiers (paragraphe 30 et suivants), l’institut de médecine légale établit un rapport médical. Les parties pertinentes de ses conclusions peuvent se traduire ainsi : « Il est établi que M.Y. s’est trouvé mêlé à une altercation en date du 6 mars 2000, qu’il a été placé en garde à vue et que sa garde à vue a pris fin le 7 mars 2000. Selon le contrôle médical du 6 mars 2000, des rougeurs et une enflure périorbitaire à l’œil gauche et une enflure de 1 x 1 centimètre à la tête ont été détectées. Selon le contrôle médical du 7 mars 2000, ecchymose et œdème sur les paupières de l’œil gauche et des douleurs au dos (...) Les discopathies constatées chez le patient n’ont pas pour origine le traumatisme que le patient a subi, elles sont congénitales. (...) Les blessures du 6 mars 2000 n’engagent pas le pronostic vital. Celles-ci ont entraîné une incapacité temporaire de travail. Elles étaient de nature à être traitées par une intervention chirurgicale simple (...) » La procédure pénale engagée à l’encontre des policiers Le 17 mai 2000, le requérant porta plainte devant le parquet de Milas à l’encontre des policiers pour mauvais traitements. Dans cette plainte, il décrivait les faits comme suit : - Les policiers qui l’avaient conduit à la direction de la sûreté de Milas lui avaient donné des coups à la tête et sur le corps et l’avaient insulté. Ensuite, à la suite de l’aggravation de son état de santé, les policiers l’avaient conduit à l’hôpital et ils avaient empêché l’établissement d’un rapport médical. Il ajoutait qu’il portait plainte à l’encontre des policiers de service lors de sa garde à vue le 6 mars 2000 et demandait l’organisation d’une confrontation afin d’identifier les responsables. Le 4 juillet 2000, le parquet entendit Y.Y., H.K. et M.R.K. en tant que témoins de l’incident. Ils déposèrent en ce sens : - Quatre policiers avaient placé le requérant dans une pièce séparée pour lui donner des coups de poing et des coups de pied. Les 26 septembre, 2 octobre, 1er novembre 2000, O.E., Y.D., M.P., S.I., policiers responsables de la garde à vue du requérant, furent entendus par le procureur. Ils déposèrent en ce sens : - C’était lors de la bagarre entre particuliers que le requérant avait été blessé ; les policiers ne lui avaient pas infligé de mauvais traitements. De même, le 1er novembre 2000, le médecin ayant établi le rapport du 6 mars 2000 fut entendu par le procureur. Il déposa en ce sens : - Il avait mentionné les traces de blessures relevées sur le corps du requérant et n’avait à ce sujet subi aucune entrave de la part des policiers. Il avait placé le requérant sous surveillance médicale pendant quelques heures, étant donné qu’il était blessé à la tête. Les 4 et 9 mai 2001, les témoins A.S., S.S. et H.S., qui s’étaient mêlés avec le requérant à l’altercation et avaient été gardés à vue en même temps que lui, déposèrent en ce sens : - Les policiers n’avaient battu personne pendant leur garde à vue. Les 2 et 4 janvier 2002, Y.Y., H.K. et M.R.K. furent de nouveau entendus par le parquet. Ils réitérèrent leurs dépositions antérieures (paragraphe 20 ci-dessus). Le 12 avril 2002, le parquet de Milas rendit un non-lieu pour insuffisance de preuves de nature à démontrer que les policiers avaient infligé des mauvais traitements au requérant. Pour arriver à cette conclusion, il tint compte notamment des déclarations du requérant obtenues le jour de l’incident, dans lesquelles il avait lui-même affirmé avoir été blessé lors de l’altercation entre particuliers. Le 17 juin 2002, le requérant contesta cette décision devant la cour d’assises. Le 18 juillet 2002, la cour d’assises de Muğla annula le non-lieu du 12 avril 2002 et ordonna l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre des policiers. Par un acte d’accusation du 20 août 2002, le procureur de la République de Muğla engagea une action pénale à l’encontre des policiers pour mauvais traitements et torture. Le 16 septembre 2002, le requérant présenta à la cour d’assises de Muğla une lettre dans laquelle il demandait à être constitué partie intervenante à la procédure devant elle. Il ressort du dossier que cette demande fut accueillie. Le 15 novembre 2002, la cour d’assises se déclara incompétente pour connaître de l’affaire et la renvoya devant le tribunal correctionnel de Milas (« le tribunal »). À l’audience du 17 juin 2003, le tribunal entendit le requérant. Celui-ci reconnut comme authentique sa signature figurant sur la déposition du 6 mars 2000, mais contesta les propos qui s’y trouvaient consignés : il n’avait, indiqua-t-il, aucun souvenir d’avoir dit s’être mêlé à une bagarre. S’agissant du déroulement des faits, le requérant le présenta comme suit : - Il avait été conduit au commissariat de police central de Milas, où les policiers leur avaient donné des coups de poing, à lui ainsi qu’à H.K., M.R.K., Y.Y. et S.O. Ensuite, il avait été conduit dans une pièce séparée, où quatre policiers lui avaient donné des coups de pied. Le tribunal entendit également S.O., une des personnes arrêtées avec le requérant. Celui-ci confirma les déclarations du requérant et déclara l’avoir vu subir des brutalités de la part des policiers lorsqu’ils étaient dans les locaux du commissariat de police central. Les témoins Y.Y., M.R.K. et H.K., entendus lors de la même audience, confirmèrent les déclarations du requérant, ainsi que celles de S.O. À l’audience du 6 avril 2004, une identification à partir des photographies des policiers responsables de la garde à vue fut organisée : – le requérant déclara reconnaître les policiers H.Ç. et Y.D. ; – les témoins S.O., H.K. et M.R.K. reconnurent également les policiers en cause comme étant les responsables des brutalités infligées au requérant. Le 17 avril 2007, le tribunal correctionnel acquitta les policiers pour insuffisance des preuves. Le 21 juin 2007, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation. Le 7 juin 2012, la Cour de cassation infirma le jugement du 17 avril 2007 au motif que les actes reprochés aux policiers relevaient de la compétence de la cour d’assises et non du tribunal correctionnel. Par un jugement du 26 février 2013, le tribunal correctionnel se déclara incompétent pour connaître de l’affaire et la renvoya à la cour d’assises de Milas. Par un arrêt du 6 septembre 2013, la cour d’assises de Milas décida de mettre fin à la procédure diligentée à l’encontre des accusés, au motif : – que l’article 103 § 4 et 104 § 2 du code pénal avait fixé à sept ans et six mois le délai de prescription pour l’infraction imputée aux accusés ; – que, par conséquent, l’action pénale était prescrite depuis le 6 septembre 2007. Le dossier ne permet pas d’établir si le requérant a formé ou non un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’assises. La procédure pénale engagée contre certains protagonistes de l’altercation entre particuliers du 6 mars 2000 Par un acte d’accusation du 24 mai 2000, le parquet engagea une action pénale à l’encontre de certains des protagonistes de l’incident du 6 mars 2000, dont le requérant. Il leur était reproché d’avoir grièvement blessé une personne au cours de la bagarre. Par un jugement rendu le 17 janvier 2002, le tribunal correctionnel de Milas condamna entre autres le requérant à une peine d’amende pour s’être rendu coupable de coups et blessures sur la personne de S.S. avec la complicité de ses amis. Le 5 novembre 2003, la Cour de cassation confirma ce jugement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1968 et réside à Vladikavkaz, république d’Ossétie du Nord-Alanie. A. L’interpellation du requérant et les mauvais traitements allégués L’interpellation du requérant et les événements subséquents Le 21 mai 2003 aux alentours de vingt heures, le cadavre de la demoiselle M. fut découvert dans sa résidence secondaire. La mère de la victime se rendit sur les lieux avec des agents de police et indiqua qu’elle soupçonnait le requérant d’avoir commis le meurtre. Elle les accompagna à son autre appartement, qu’elle avait temporairement mis à la disposition du requérant. Le soir même, à 21 h 30 environ, le requérant fut interpellé par les agents de police S. et Ya. à l’adresse indiquée par la mère de la victime. Il fut conduit au commissariat de police Zaterechniy de la ville de Vladikavkaz. À 22 h 20, un assistant paramédical de la clinique antitoxicomanie locale examina le requérant pour déterminer son état d’ébriété. Selon le rapport dressé (no 1240), le requérant ne présentait aucune blessure ni lésion corporelle au moment de l’examen. À 23 heures, le procureur D. du parquet du district Zaterechniy ouvrit une information pour homicide. Le requérant fut ensuite reconduit au commissariat de police. Selon ses dires, il fut placé par les agents de police B. et To. dans une pièce au quatrième étage. Là, ceux-ci l’auraient sévèrement battu, en insistant pour qu’il avoue le meurtre. Le passage à tabac aurait duré cinq ou six heures. Le requérant n’avoua pas, mais donna un compte rendu détaillé de ce qu’il avait fait au cours de la journée où la demoiselle M. avait été tuée. Ses déclarations ont été consignées par écrit dans un document en date du 21 mai 2003 établi par l’agent B. et signé par le requérant. Le 22 mai 2003, à 1 heure du matin, le procès-verbal de l’interpellation du requérant fut dressé par un enquêteur du parquet Zaterechniy, M. D. Le procès-verbal indiquait que le requérant avait été interpellé à 22 h 20 et mentionnait qu’il avait déclaré n’avoir tué personne. Vers 5 heures du matin, les agents de police firent descendre le requérant au bureau de l’agent de police de permanence, au premier étage. Selon ses dires, le requérant perdit connaissance plusieurs fois et une ambulance fut appelée. On l’amena à l’hôpital. Après quelques examens, il fut ramené au commissariat de police. Toujours selon ses dires, le requérant fut de nouveau placé par les agents de police B. et To. dans une pièce au quatrième étage, où ils l’auraient battu. Le requérant précise que l’enquêtrice G., du parquet, était au courant de son passage à tabac. Le même jour de 11 h 50 à 12 h 15, le requérant fut interrogé par l’enquêtrice G., responsable de l’enquête sur l’homicide de la demoiselle M., en présence d’un avocat commis d’office, M. Kh. Le requérant choisit de garder le silence. Dans la nuit du 22 au 23 mai 2003, le requérant fut transféré au centre de détention temporaire de la république d’Ossétie du Nord-Alanie. À 19 heures, une ambulance fut appelée pour lui. Le requérant fut de nouveau amené à l’hôpital pour des examens complémentaires. Malgré les recommandations du médecin, il fut reconduit au centre de détention temporaire. Le 23 mai 2003, le requérant fut présenté au juge compétent, qui décida de prolonger sa garde à vue de soixante-douze heures avant décision sur son éventuel placement en détention. Selon ses dires, le requérant se plaignit à l’audience des mauvais traitements qu’il aurait subis. Il ajoute que le juge ne pouvait pas ne pas voir les blessures qu’il avait au visage. Le 24 mai 2003, une ambulance fut appelée pour le requérant à trois reprises. Le jour même, le requérant fut transféré au centre de détention provisoire IZ-15/1 de la république d’Ossétie du Nord-Alanie. Le 26 mai 2003, le juge du district Sovetskiy de Vladikavkaz ordonna le placement du requérant en détention provisoire. Les documents médicaux attestant des lésions corporelles du requérant a) Documents concernant l’état du requérant le 22 mai 2003 Dans une attestation du 18 novembre 2004, établie à la suite d’une demande de l’avocat du requérant du 16 novembre 2004, le chef des urgences, M. B., indiqua en substance ceci : – Le 22 mai 2003 à 14 h 56, une ambulance avait été appelée pour le requérant au commissariat Zaterechny. Le diagnostic préliminaire était une contusion du thorax, une fracture des sixième, septième et huitième côtes gauches et une commotion cérébrale. D’après un extrait du livre-journal du cabinet radiographique no 7 du service des urgences de l’hôpital pour la période du 20 mai au 26 juin 2003, le requérant fut examiné le 22 mai 2003 à 16 heures. Cet examen fit apparaître une fracture de la dixième côte gauche. Cet extrait fut signé par le chef du service de radiologie, Mme K., le 9 mars 2004. b) Attestations concernant l’état du requérant le 23 mai 2003 Dans une attestation établie à une date non spécifiée et contresignée par le chef de service, le neurochirurgien de permanence, M. R., indiqua en substance ceci : – Le 23 mai 2003, le requérant avait été amené à l’hôpital régional avec le diagnostic suivant : traumatisme crânien interne, commotion cérébrale et fracture de compression de la sixième cervicale sans troubles neurologiques. Selon toute vraisemblance, le requérant fut également examiné par un autre neurochirurgien de permanence, M. D., qui délivra un certificat selon lequel les blessures du requérant n’étaient pas incompatibles avec la détention dans un établissement pénitentiaire. Apparemment toujours, ce certificat médical fut versé à son dossier médical au centre de détention IZ 15/1, puisqu’il en porte le tampon. Dans une attestation du 19 mars 2004, établie à la suite d’une demande de la juge du tribunal du district Sovetskiy du même jour, le chef du centre de détention temporaire M. A. indiqua en substance ce qui suit : – Le requérant avait été transféré dans ce centre le 23 mai 2003 à 1 h 20. Lors de son examen médical, le requérant s’était plaint de nausées, d’un mal de tête et de douleurs du côté gauche du thorax. Le 24 mai 2003, des équipes d’ambulance lui administrèrent des soins médicaux, ainsi qu’il fut consigné dans le journal de suivi médical des personnes détenues sous les numéros 382, 384 et 386. Dans une attestation du 14 juillet 2003, établie à la suite d’une demande de l’avocat du requérant du 7 juillet 2003, le chef des urgences, M. B., indiqua en substance ceci : – Le 23 mai 2003 à 19 h 34, une équipe du médecin-ambulancier Mme B. avait examiné le requérant au centre de détention temporaire. Le diagnostic établi était : traumatisme crânien interne, commotion cérébrale, fracture de la dixième côte gauche. Après l’administration d’antalgiques, le patient avait été transporté à l’hôpital régional. c) Documents concernant l’état du requérant le 24 mai 2003 Dans une attestation du 19 mars 2004, établie à la suite d’une demande de la juge du tribunal du district Sovetskiy du même jour, le chef par intérim du centre de détention provisoire IZ-15/1, M. S., indiqua en substance ce qui suit : – Le requérant avait été transféré dans ce centre le 24 mai 2003. Au moment de son admission, il avait des ecchymoses sous l’œil droit et des éraflures sur la partie gauche du thorax. Il avait été examiné le 22 mai 2003 par un neurochirurgien de permanence de l’hôpital régional. Le diagnostic était le suivant : traumatisme crânien interne, commotion cérébrale et fracture de compression de la sixième cervicale sans troubles neurologiques. Apparemment, des extraits du dossier médical du requérant étaient annexés à cette attestation. d) D’autres documents Dans une attestation du 18 novembre 2004, établie à la suite d’une demande de l’avocat du requérant du 16 novembre 2004, le chef des urgences, M. B, indiqua en substance ceci : – Une ambulance avait été appelée pour le requérant le 3 novembre 2004 à la Cour suprême de l’Ossétie du Nord-Alanie. Le diagnostic posé était le suivant : séquelles du traumatisme crânien et fracture de compression de la sixième cervicale avec dysfonctionnement des symptômes neurologiques. B. L’enquête sur les mauvais traitements allégués L’enquête préliminaire sur les allégations de mauvais traitements du requérant Le 30 mai 2003, le requérant prit un avocat. Le 29 juillet 2003, il porta plainte auprès du parquet concernant les mauvais traitements subis. Une enquête préliminaire fut lancée. a) Le refus d’informer du 24 août 2003 et son annulation par un procureur supérieur le 29 octobre 2003 Le 24 août 2003, le substitut du procureur du district Zaterechniy de Vladikavkaz refusa d’ouvrir une information. Dans ses motifs, le substitut retint en substance les éléments suivants sur le plan médicolégal : – Selon un rapport médicolégal no 1666 non daté, le requérant présentait quelques écorchures sur les poignets, qui pouvaient avoir été causées par des objets contondants à facettes tels que les menottes qu’on lui avait passées lors de son interpellation du 21 mai 2003, décrites comme « ne portant pas atteinte à sa santé ». Bien que différents certificats médicaux versés par le requérant aient indiqué une commotion cérébrale, l’expert médicolégal n’en avait pas tenu compte dans l’évaluation de la gravité des dommages, au motif qu’ils ne contenaient pas de constats cliniques adéquats ni la transcription de symptômes. Compte tenu de l’absence de radios dans le dossier médical, il était impossible d’établir si le requérant avait effectivement eu une fracture de la dixième côte et une fracture de compression de la sixième cervicale. L’expert médicolégal avait néanmoins précisé que des blessures telles que celles décrites dans les certificats médicaux ne pouvaient pas être auto-infligées. Quant aux personnes entendues, ce que le substitut retint de leurs dépositions pouvait se résumer comme suit : – pour les agents To., B. et Kh. : – Ils n’avaient pas utilisé de force physique contre le requérant et n’avaient pas vu d’autres policiers le faire. – pour les policiers Ya., S. et Tu. : – Le requérant étant suspecté d’un crime grave, ayant un casier de criminel dangereux et étant susceptible d’avoir gardé sur lui « l’arme du crime », la force physique avait été utilisée contre lui lors de son interpellation. Il avait été plaqué au sol et menotté. Le 29 octobre 2003, le procureur par intérim du district Zaterechniy annula la décision de refus d’informer du 24 août 2003. Il estima en effet : – qu’il était nécessaire de trouver les radios concernant la fracture de la dixième côte et celle de compression de la sixième vertèbre afin de les analyser ; – qu’il était également nécessaire d’identifier des témoins oculaires de l’interpellation du requérant afin de clarifier davantage les circonstances dans lesquelles les lésions corporelles constatées lui avaient été causées, et notamment de décrire comment le requérant avait résisté et de détailler les mesures prises par chacun des policiers pour le maîtriser. b) Le contrôle juridictionnel du refus d’informer du 24 août 2003 Le 11 novembre 2003, le tribunal du district Sovetskiy de Vladikavkaz (« le tribunal de district ») rejeta le recours formé par le requérant à l’encontre du refus d’informer du 24 août 2003 en raison de l’annulation de celui-ci par le procureur supérieur. Le 17 décembre 2003, la Cour suprême de l’Ossétie du Nord-Alanie (ci-après la « Cour suprême ») confirma cette décision. Le complément d’enquête concernant les allégations de mauvais traitements du requérant a) Le nouveau refus d’informer du 6 novembre 2003, son annulation par un procureur supérieur suivie d’un autre refus du 22 novembre 2003 Le 6 novembre 2003, l’enquêteur du parquet du district Zaterechniy rendit un nouveau refus d’informer s’agissant des allégations de mauvais traitements du requérant. Reprenant ses précédents constats, faits dans la décision du 24 août 2003, il motiva en substance sa décision comme suit : – Au vu du registre de radiographie de l’hôpital pour le 23 mai 2003, le requérant avait eu une radiographie du crâne et du rachis cervical. Les dossiers de l’hôpital indiquaient qu’aucune fracture n’avait été identifiée. Quant aux radios elles-mêmes, elles furent remises le 26 août 2003 à une personne non identifiée. Le radiologue confirma au cours de l’enquête qu’il avait consigné dans les registres de l’hôpital que le requérant avait une fracture de la dixième côte. Les agents de police Ya. et S. précisèrent, afin de compléter leur précédent témoignage, que compte tenu de la dangerosité du requérant, ils l’avaient plaqué ensemble au sol, que celui-ci avait fait plusieurs tentatives pour se relever pendant qu’ils essayaient de ramener ses bras derrière lui pour le menotter. Le requérant avait cependant fini par se relever. C’est alors que l’agent de police S. avait réussi à lui passer les menottes. L’enquêteur ne s’attacha qu’aux blessures constatées par l’expert médicolégal dans son rapport no 1666 et conclut qu’elles avaient été causées au requérant lors de son interpellation en réponse à sa résistance. L’affaire fut donc classée sans suite. Le 18 novembre 2003, cette décision fut annulée par un procureur supérieur et un autre complément d’enquête fut demandé. Le 22 novembre 2003, le même enquêteur refusa de nouveau d’ouvrir une information, toujours au motif que les blessures - sans qu’il soit précisé lesquelles - avaient été causées au requérant lors de son interpellation et que l’usage de la force par les policiers à cette occasion avait été légitime. Outre les éléments figurant déjà dans la décision du 6 novembre 2003, cette décision du 22 novembre 2003 se référait aux explications données par les membres de l’équipe d’ambulance, Mme B., le médecin, et Mme M., l’aide-soignante, qui avaient examiné le requérant au centre de détention temporaire, explications qui se résumaient comme suit : – Elles confirmaient le diagnostic indiqué dans les certificats médicaux et les circonstances de l’hospitalisation du requérant. Elles ne se souvenaient plus si le requérant leur avait donné des indications sur l’origine de ses blessures. b) Le contrôle juridictionnel du refus d’informer du 6 novembre 2003 Le 17 décembre 2003, le tribunal de district rejeta le recours du requérant à l’encontre de la décision du 6 novembre 2003. Dans ses motifs, le tribunal releva d’abord que l’expert médicolégal n’avait constaté aucune blessure, à part des écorchures aux poignets. En outre, les agents de police avaient eu raison de recourir à la force physique contre le requérant, étant donné qu’il était impliqué dans un meurtre. Le tribunal considéra ensuite que, bien que les agents Ya. et S. interrogés en tant que témoins n’aient pas indiqué que le requérant avait opposé une résistance, ce fait n’impliquait pas à lui seul qu’il ne leur ait pas résisté. Le 25 février 2004, la Cour suprême annula le jugement du tribunal de district et renvoya l’affaire pour nouvel examen. Sa décision était motivée comme suit : – premièrement, le tribunal de district n’avait tenu aucun compte des constats médicaux concernant la fracture de la dixième côte gauche, d’un traumatisme crânien interne, de la commotion cérébrale et d’une fracture de compression de la sixième cervicale ; – deuxièmement, les conclusions du tribunal de district relatives au rapport d’expert no 1666 étaient contradictoires. Bien que l’expert ait déclaré qu’il était impossible d’établir l’existence d’une fracture de la dixième côte gauche ainsi que d’une fracture de compression de la sixième vertèbre en l’absence de radios, il avait exclu la possibilité que de telles blessures puissent être auto-infligées ; – troisièmement, le tribunal de district avait mentionné l’avocat du requérant parmi les personnes présentes ce jour-là à l’audience, alors que celui-ci était absent. Le 9 avril 2004, le tribunal de district examina de nouveau l’affaire et rejeta le recours du requérant contre la décision du 6 novembre 2003. Les motifs de cette décision du tribunal de district peuvent être résumés comme suit. Tout d’abord, après avoir interrogé le requérant, son avocat, le procureur et un certain nombre de témoins, le tribunal de district recensa en substance comme suit les différentes blessures du requérant : – Le 22 mai 2003, une ambulance avait été appelée pour le requérant par le centre de détention temporaire. L’équipe de l’ambulance avait posé le diagnostic préliminaire suivant : commotion cérébrale, traumatisme crânien interne, fracture de la dixième côte. Le 22 mai 2003, le requérant avait été amené à l’hôpital où, lors d’une radioscopie, une fracture de la dixième côte gauche avait été constatée sans toutefois qu’une radiographie ait été faite. Le 23 mai 2003, le requérant avait été amené à l’hôpital régional par une ambulance avec le diagnostic suivant : commotion cérébrale, trauma crânien interne, fracture de compression de la sixième cervicale sans dysfonctionnements neurologiques. Ensuite, le tribunal de district se pencha sur chacune de ces blessures. S’agissant du trauma crânien interne et de la fracture de la sixième vertèbre, il estima qu’ils n’avaient pas pu être confirmés. Ses motifs à ce sujet se lisaient en substance comme suit : – D’une part, le certificat médical les attestant avait été délivré par le neurochirurgien M. R., qui n’avait commencé à travailler à l’hôpital qu’à partir du 15 juillet 2003. D’autre part, le requérant avait présenté à l’audience une radiographie du crâne en deux projections datant du 23 mai 2003. Enfin, selon le certificat établi par le chef du service de neurochirurgie de l’hôpital régional, M. Kh., les radiographies n’avaient montré aucun traumatisme osseux. S’agissant des ecchymoses sous l’œil droit et des éraflures sur le thorax constatées au moment de l’admission du requérant au centre de détention provisoire (voir le paragraphe 29 ci-dessus), le tribunal de district se prononça en substance comme suit : – Comme il n’y avait pas eu d’examen médical du requérant, aucune description de ses blessures n’avait été faite. Par conséquent, il était impossible de déterminer le mécanisme de leur formation et leur ancienneté ainsi que leur étendue. En même temps, les agents de police, T., S. et Ya, avaient admis avoir utilisé la force lors de son interpellation. S’agissant de la fracture de la dixième côte et de la commotion cérébrale, le tribunal de district conclut que la thèse du requérant selon laquelle ces blessures étaient le résultat des mauvais traitements infligés par les policiers n’avait pas pu être confirmée. Ses motifs à ce sujet pouvaient se résumer comme suit : – La mère de la victime avait indiqué que cette fracture pouvait avoir été causée au requérant en janvier-février 2003, où il avait eu un conflit avec Ts. Un rapport médicolégal dressé à la suite de cet incident, à savoir le 23 janvier 2003, à la demande du requérant avait établi la présence d’une commotion cérébrale. S’agissant d’un examen médicolégal plus récent qui a donné lieu au rapport no1666, l’expert qui l’avait apparemment dressé avait témoigné dans le sens que lors de cet examen, il n’avait pas constaté d’autres lésions. Il avait également indiqué qu’une autre radiographie des côtes du requérant serait inutile, compte tenu du temps passé depuis l’incident. Enfin, il avait expliqué qu’il n’avait pas tenu compte de la commotion cérébrale du requérant puisque les certificats médicaux l’attestant n’en donnaient pas un compte rendu exhaustif. Le tribunal de district releva enfin qu’au moment de son interpellation le requérant était assisté d’un avocat. Or, ni son avocat ni le requérant lui-même n’avaient soulevé la question des mauvais traitements allégués devant les autorités. Les explications avancées par l’avocat du requérant – selon lesquelles il n’avait pas soulevé cette question avant juillet 2003 parce que (1) il n’avait pris la défense de son client que le 30 mai 2003, (2) celui-ci n’avait aucune trace visible de mauvais traitements à cette époque et (3) une fois informé à ce sujet, il avait dû attendre les rapports médicaux, qui ne lui étaient parvenus que le 29 juillet 2003, pour porter plainte – ne lui parurent pas convaincantes. Le tribunal ne fut pas non plus convaincu par la déclaration de la mère du requérant selon laquelle celle-ci n’avait vu aucune lésion sur lui le jour de son interpellation, ni par celle de son frère selon laquelle le requérant s’était plaint des mauvais traitements le 22 mai 2003 quand il lui avait rendu visite à l’hôpital. Le requérant fit appel de cette décision. Le 22 septembre 2004, la Cour suprême confirma la décision du tribunal de district, considérant que celui-ci avait examiné tous les éléments pertinents et dûment motivé ses conclusions. C. Les poursuites diligentées contre le requérant Examen des allégations de mauvais traitements dans le cadre de l’instruction menée contre le requérant Les 6 et 8 octobre 2003 respectivement, les agents de police Ya. et S. fussent interrogés par l’enquêtrice G. à propos des circonstances de l’interpellation du requérant dans le cadre de l’instruction sur l’homicide de la demoiselle M. Les deux agents de police furent avertis au préalable de leur responsabilité en cas de faux témoignage. Aucun des deux ne fit état d’un usage de la force ni d’une résistance du requérant au moment de son interpellation. Le 25 novembre 2003, l’agent S., interrogé en tant que témoin, indiqua que le requérant n’avait pas opposé de résistance au moment de son interpellation. L’agent Ya. indiqua qu’il avait cru que le requérant détenait une arme car il tenait à la main un cutter. L’agent B. confirma qu’il avait dit au frère du requérant qu’il l’avait battu. Premier arrêt de condamnation, rendu le 23 décembre 2003 Par un arrêt du 23 décembre 2003, la Cour suprême reconnut le requérant coupable d’homicide volontaire sur la personne de la demoiselle M. et le condamna à quatorze ans d’emprisonnement. Dans ses motifs, elle concéda qu’il n’avait certes jamais admis sa culpabilité, mais nota qu’il avait bénéficié de l’assistance d’un avocat pendant toute la durée de la procédure. Elle fonda le constat de culpabilité du requérant sur un faisceau de preuves indirectes, telles que : le témoignage d’une amie de la victime, qui l’avait vue avant le meurtre et à qui celle-ci avait indiqué qu’elle allait voir le requérant ; une empreinte partielle de celui-ci trouvée dans la maison de campagne où la victime avait été assassinée ; les résultats de l’expertise balistique, selon lesquels des balles identiques à celles extraites du corps de la victime avaient été trouvées au domicile du requérant. La Cour suprême écarta l’alibi avancé par le requérant au cours du procès, estimant qu’il était en contradiction avec ses déclarations faites au stade de l’enquête, et en particulier le 21 mai 2003 à la suite de son interpellation. S’agissant de la déposition du témoin, M. D., cité par le requérant à l’appui de son alibi au moment du meurtre, la Cour suprême estima qu’elle était en contradiction avec les témoignages des autres personnes, notamment des membres de la famille du requérant, qui l’avaient vu ce jour-là mais pas aux heures indiquées par celui-ci. Toutes ces contradictions relatives à son emploi du temps furent considérées comme une preuve supplémentaire de sa culpabilité. Quant à ses allégations de mauvais traitements par la police, la Cour suprême indiqua qu’elles avaient été examinés dans le cadre d’une procédure séparée ayant donné lieu à une décision appropriée, sans incidence pour la présente affaire. Le 15 juin 2004, sur appel du requérant, la Cour suprême de la Fédération de Russie annula l’arrêt de condamnation et renvoya l’affaire pour nouvel examen, au motif qu’il était nécessaire de lever un certain nombre de contradictions notamment dans les témoignages du requérant et de certains témoins. Elle releva à cet égard que le requérant avait toujours nié sa culpabilité et expliquait les contradictions dans ses déclarations par les mauvais traitements dont il avait fait l’objet après son interpellation. Deuxième arrêt de condamnation, rendu le 30 décembre 2004 Dans le cadre du nouvel examen de l’affaire, la Cour suprême ordonna, à la demande du requérant, une nouvelle expertise des empreintes et une nouvelle analyse graphologique. Par un arrêt du 30 décembre 2004, la Cour suprême reconnut le requérant coupable d’homicide volontaire sur la personne de la demoiselle M. et le condamna à treize ans d’emprisonnement. S’agissant de l’alibi du requérant et de ses allégations de mauvais traitements, elle réitéra les constats faits dans son arrêt du 23 décembre 2003. Selon le requérant, après sa dernière prise de parole, le président de la formation de jugement, le juge D., se retira dans son bureau et non en chambre de conseil. Pendant les deux jours suivants, il aurait reçu la visite de représentants du parquet. Selon le requérant, son procès constituait l’objet de ces visites. Le juge aurait également été interrogé par le Président de la Cour suprême à propos de son procès. Le 25 mai 2005, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma l’arrêt du 30 décembre 2004. Troisième arrêt de condamnation, rendu le 15 octobre 2009 Le 5 février 2009, la Cour communiqua la requête au Gouvernement. Le 10 avril 2009, le Procureur général adjoint saisit le Présidium de la Cour suprême de la Fédération de Russie d’un recours en contrôle révisionnel. Le Procureur général adjoint demanda l’annulation de l’arrêt de la Cour suprême du 25 mai 2005 au motif qu’elle s’était fondée sur les déclarations faites par le requérant au stade initial de l’enquête en l’absence d’un avocat et à la suite de mauvais traitements, sans avoir examiné au préalable la question de leur recevabilité. Le 15 juillet 2009, le Présidium de la Cour suprême de Russie annula l’arrêt du 25 mai 2005 et renvoya l’affaire devant l’instance de cassation au sein de cette même cour. Il semblerait qu’à une date non précisée, le requérant présenta un pourvoi de cassation additionnel dans lequel il réitéra ses griefs tirés de l’utilisation à charge de ses déclarations faites à la police en l’absence d’un avocat et à la suite de mauvais traitements ainsi que de l’absence d’accès au dossier après l’annulation de sa première condamnation. Le 12 août 2009, la chambre criminelle de la Cour suprême de Russie accéda à la demande du requérant tendant à assister à l’audience de réexamen. Il fut donc transféré à Moscou. Par notification du 1er octobre 2009 reçue le 6 octobre 2009, la date de l’audience du 15 octobre 2009 fut signifiée au requérant et à son défenseur. Le 15 octobre 2009, la chambre criminelle de la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma l’arrêt de condamnation rendu le 30 décembre 2004 par la Cour suprême. Elle estima que la culpabilité du requérant était confirmée par les témoignages et par les autres preuves décrites dans l’arrêt de condamnation et analysées par les juridictions inférieures. Quant aux moyens de défense soulevés par le requérant lors de son procès, elle se borna à indiquer sans donner d’autres détails qu’ils avaient été examinés lors du procès et que leur rejet avait été dûment motivé. La chambre criminelle confirma le caractère infondé des allégations de mauvais traitements du requérant par la police en se référant aux conclusions de l’enquête préliminaire et des premiers juges. Enfin, elle rejeta les moyens du requérant tirés de la violation alléguée des droits à la défense à raison du refus des juridictions de lui accorder l’accès au dossier. Elle releva à cet égard que s’agissant de l’accès au dossier, le requérant en avait pris pleinement connaissance à la fin de l’instruction. Quant au procès-verbal d’audience, elle nota qu’il avait pu présenter ses commentaires, examinés par le juge et rejetés. Le requérant assista à l’audience du 15 octobre 2009. Son défenseur en était absent. Il semblerait que le requérant n’en a pas tiré grief ni n’a requis de report d’audience pour ce motif. Quatrième arrêt de condamnation, rendu le 29 décembre 2010 Le 16 février 2010, la Cour invita les parties, en vertu de l’article 54 § 2 (c) de son règlement, à fournir des observations complémentaires concernant la procédure qui a abouti à l’arrêt du 15 octobre 2009. Le 27 octobre 2010, le Présidium de la Cour Suprême de la Fédération de Russie annula l’arrêt de la chambre criminelle de cette même cour rendu le 15 octobre 2009 et renvoya l’affaire pour nouvel examen. Il semblerait qu’à une date non précisée, le requérant déposa un pourvoi en cassation contre l’arrêt de condamnation rendu par la Cour suprême le 30 décembre 2004. Il insista de nouveau sur l’utilisation aux fins de sa condamnation des déclarations qu’il avait faites en l’absence d’un avocat et à la suite de mauvais traitements. Il renouvela également ses griefs concernant l’absence d’accès au dossier après l’annulation de sa première condamnation. Le 29 décembre 2010, la chambre criminelle de la Cour Suprême de la Fédération de Russie examina ce pourvoi en présence du défenseur du requérant et du procureur. Le requérant participa à l’audience par voie de vidéoconférence. La chambre criminelle confirma l’arrêt de condamnation du 30 décembre 2004. S’agissant de l’alibi du requérant au moment du meurtre, elle confirma son rejet par les premiers juges mais au motif qu’il était en contradiction avec les dépositions des autres témoins, notamment des membres de sa famille, supprimant ainsi toute référence aux déclarations faites par le requérant aux policiers concernant son emploi du temps le jour du meurtre. S’agissant des allégations de mauvais traitements du requérant par la police, la chambre criminelle confirma les conclusions de l’enquête et des premiers juges concernant leur caractère infondé. Enfin, s’agissant de l’absence d’accès au dossier après l’annulation de sa première condamnation, la chambre criminelle rappela que le requérant et son défenseur avaient eu l’accès au dossier après la fin de l’instruction et avaient la possibilité par la suite de demander l’accès aux pièces nécessaires. D. Les publications concernant le procès du requérant Les articles de presse concernant le procès du requérant Le 4 mars 2004, le journal régional Severnaya Ossetia (Ossétie du Nord) publia un article intitulé « Si je ne peux pas t’avoir, alors personne ne t’aura » [Так не доставайся же ты никому!]. L’auteur de l’article était M. Isayev, chef du parquet de la république d’Ossétie du Nord-Alanie. L’article parlait de la condamnation du requérant pour le meurtre de la demoiselle M., expliquant comment le requérant avait planifié son crime et comment son « mur de mensonges » avait été « détricoté » à l’audience par le procureur et le juge. L’auteur dressait un portrait psychologique du requérant et explorait ses motivations profondes : le requérant était qualifié de « possessif », d’« égocentrique profond » et de « coureur de jupons invétéré ». Le 10 mars 2004, le journal Territorya 02 (« Territoire 02 »), appartenant au ministère de l’Intérieur de la république d’Ossétie du Nord-Alanie, publia un article intitulé « Je ne suis pas coupable » ([Невиноватый я]). Selon l’article, le requérant avait cherché à lancer l’enquête sur une fausse piste et à se créer un alibi pour le jour du meurtre en essayant d’être vu le plus possible, ce qui avait au contraire attiré sur lui l’attention des policiers. D’après les auteurs, ces efforts s’étaient révélés vains puisque l’expertise avait confirmé que l’écriture observée sur un paquet de cigarettes abandonné sur le lieu du crime était la sienne et que des cartouches identiques à celles utilisées par le meurtrier auraient été trouvées chez sa femme lors d’une perquisition. L’action engagée par le requérant contre les journaux À une date non spécifiée, le requérant engagea une action civile en diffamation à l’encontre du journal Severnay Ossetia devant le tribunal du district Sovetskiy de Vladikavkaz. Il soutenait que l’article avait été publié sans son consentement, avait cité son nom sans coupures et l’avait présenté comme coupable avant que la décision du 23 décembre 2003 ne devînt définitive. Le requérant considérait qu’une telle publication portait atteinte au principe de la présomption innocence et violait l’article 6 § 2 de la Convention. Le 16 août 2005, le tribunal de district rejeta l’action du requérant. Dans ses motifs, après avoir relevé que celui-ci s’était finalement vu condamner pour assassinat, le tribunal de district n’estima pas utile d’examiner la question de savoir si la publication de l’article avait eu lieu avant ou après le prononcé de la condamnation du requérant. Le dossier ne dit pas clairement si le requérant a fait appel de cette décision. E. La situation médicale du requérant en prison Par lettre du 8 septembre 2009, le requérant s’est plaint à la Cour du défaut d’assistance médicale à raison de son transfert de la colonie pénitentiaire où il a été détenu vers une autre destination inconnue. Le 7 octobre 2009, la Cour, se fondant sur l’article 49 § 3 a) de son règlement, a invité le Gouvernement à indiquer, dans un délai échéant le 18 novembre 2009, quel était l’état de santé du requérant et, en particulier, s’il exigeait un traitement ou une surveillance médicale permanente. Auquel cas, le Gouvernement était invité à fournir des informations plus détaillées sur le traitement administré au requérant. Le 18 novembre 2009, le Gouvernement a précisé que le transfert du requérant a été opéré conformément à la décision du 12 août 2009 rendue par la Cour Suprême de Russie faisant droit à la demande du requérant d’être présent à l’audience de réouverture. S’agissant de l’état de santé du requérant, le Gouvernement a indiqué qu’il souffre d’une maladie chronique, ostéochondrose du rachis cervical. Le 23 septembre 2009, le requérant a été examiné par les médecins spécialistes du centre pénitentiaire IZ-77/3 de Moscou. Les médecins ont confirmé son diagnostic, à savoir ostéochondrose du rachis cervical avec brachialgie corticale du côté droit, et un traitement lui a été administré. Le 20 octobre 2009, le requérant a été examiné par un autre médecin, il n’a formulé aucune plainte lors de cet examen. L’état de santé du requérant fut jugé satisfaisant et aucun traitement régulier ne lui a été prescrit. Le 1 décembre 2009, la réponse du Gouvernement a été transférée au requérant qui a été invité à commenter ces informations dans un délai échéant le 20 janvier 2010. Le requérant n’a présenté aucune observation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Sur l’usage de la force par la police La loi sur la police de 1991 (la loi fédérale no 1026-I du 18 avril 1991) autorise les agents de police à utiliser la force physique, notamment les techniques de combat, pour mettre fin à une infraction pénale ou interpeller un suspect, ou en cas de résistance à un ordre légal, à condition qu’une mesure moins intrusive n’eût pas permis au policier d’atteindre le but recherché (article 13 de la loi). Tout ordre légal donné par un policier doit être obéi par chacun. Quiconque refuse d’obtempérer ou fait obstruction à un tel ordre engage sa responsabilité légale. Nul policier ne peut être tenu pour responsable d’un préjudice matériel ou moral ou d’un préjudice pour la santé causé par l’emploi de la force physique, pour autant que le recours à la force contre la personne concernée ait été proportionnée (article 23 de la loi). En vertu du règlement de la gendarmerie approuvé par l’ordre du ministère de l’Intérieur no 17 du 18 janvier 1993 relatif aux mesures visant à améliorer l’organisation de la police, les policiers n’ont le droit d’employer la force physique, les moyens spéciaux ou les armes que dans les cas visés par la loi sur la police et conformément à la procédure prévue dans ce texte (§ 163). Tout recours à la force physique, à des moyens spéciaux ou à des armes donne lieu à l’établissement d’un rapport adressé à un officier supérieur (§ 164). B. Sur l’examen médical des personnes détenues par la police Le paragraphe 16 de l’instruction aux agents de permanence dans les commissariats de police approuvées par l’ordre no 389 du ministère de l’Intérieur, pris le 30 avril 2012, disposent que toute blessure visible constatée sur une personne arrêtée, lors de son arrivée dans un commissariat de police, doit être consignée et signalée à un officier supérieur. La personne concernée doit en donner les raisons et recevoir des soins médicaux si nécessaire. Toute blessure résultant d’un acte de violence doit être consignée dans un registre des incidents criminels. L’instruction a repris des règles similaires déjà existant avant son adoption. Selon les paragraphes 2 et 3 de l’instruction sur la procédure d’interaction entre les hôpitaux civils et les organes du ministère de l’Intérieur, approuvée par un arrêté conjoint du ministère de la Santé et du ministère de l’Intérieur en date du 9 janvier 1998, en cas d’admission de personnes victimes de coups et blessures volontaires, les hôpitaux doivent immédiatement en informer la police. D’après le règlement interne pour les centres de détention temporaire, adopté par le ministère de l’Intérieur le 26 janvier 1996, l’officier de garde dans un centre de détention doit interroger chaque détenu à son arrivée quant à son état de santé et à ses plaintes éventuelles. Si une plainte est formulée, ou si le détenu présente des blessures ou symptômes visibles, l’officier doit immédiatement appeler une ambulance. Tous ces éléments doivent être consignés dans le journal pertinent. Tout détenu ayant subi des blessures physiques doit sans retard faire l’objet d’un examen médical dans un hôpital ou un autre établissement médical s’il en fait la demande (§ 9.3). 100. D’après le règlement interne pour les centres de détention provisoire, adopté par le ministère de l’Intérieur le 12 mai 2000 et modifié en 2002, tout détenu doit, à son arrivée au centre de détention, subir un contrôle médical (§§ 16 et 130). Si des blessures physiques sont constatées, le personnel médical délivre un certificat et une enquête est ordonnée. Ses conclusions doivent être communiquées à un procureur, qui pourra décider ou non d’ouvrir un dossier pénal (§§ 16 et 137). C. Sur le droit d’accès à un avocat pour les personnes interpellées 101. L’article 49 § 3 du code de procédure pénale prévoit qu’un avocat participe à la procédure dès l’interpellation de facto d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, dans les cas prévus par les articles 91 et 92 du même code. 102. L’article 91 prévoit l’interpellation du suspect s’il est surpris au moment de la commission de l’infraction ou immédiatement après, ou si les victimes ou les témoins oculaires le désignent comme l’auteur de l’infraction, ou si traces évidentes de l’infraction sont trouvées sur lui ou sur ses vêtements ou ses affaires ou à son domicile. 103. L’article 92 prévoit que la personne interpellée est amenée devant l’autorité chargée de l’enquête. Celle-ci doit alors, dans les trois heures suivant la présentation de la personne devant elle, dresser le procès-verbal d’interpellation et lui notifier ses droits. Le suspect doit être interrogé. Avant son interrogatoire, le suspect peut, à sa demande, s’entretenir avec un avocat. 104. Dans une décision (no 11-P) du 27 juin 2000, la Cour constitutionnelle de Russie a énoncé les considérations de principe suivantes : « [É]tant donné que le droit constitutionnel à un avocat (défenseur) ne peut pas être limité par une loi fédérale et afin de garantir sa réalisation effective, les termes “personne interpellée”, “accusé”, et “mise en accusation” doivent être compris dans leur sens constitutionnel et non pas dans le sens plus restreint qui leur est attribué par le code de procédure pénale. Afin de garantir l’effectivité de ce droit constitutionnel, il est nécessaire de tenir compte non seulement du statut procédural formel de la personne visée par l’action publique mais aussi de son statut de facto. Dans ce contexte, le fait qu’une personne se trouve placée – de jure ou de facto – en position d’accusé peut être révélé par l’existence d’une décision d’ouverture de poursuites à l’encontre de cette personne, ou l’adoption de mesures d’instruction la visant (perquisition, identification, interrogatoire, etc.), ou encore de toute autre mesure visant à l’établissement de sa culpabilité ou démontrant l’existence de soupçons pesant sur elle (notamment la notification, conformément à l’article 51 § 1 de la Constitution de la Russie, du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination). Étant donné que ce type de mesures a pour objectif d’établir des éléments à charge contre la personne visée par l’action publique, la possibilité doit lui être immédiatement donnée de contacter un avocat (défenseur). Ainsi, la personne sera en mesure d’avoir une idée de ses droits et obligations, de l’accusation portée contre elle et, par conséquent, sera en mesure de se défendre de manière effective. Le risque de voir ultérieurement les preuves recueillies au stade de l’enquête déclarées irrecevables sera ainsi également prévenu (l’article 50 § 2 de la Constitution) ». D. Sur la réouverture de la procédure 105. L’article 413 du code de procédure pénale, qui définit les modalités de réouverture des affaires pénales, énonce en ses passages pertinents : « En cas de faits nouveaux ou nouvellement découverts, les jugements et décisions de justice passés en force de chose jugée doivent être annulés et la procédure pénale doit être rouverte. (...) Par faits nouveaux il faut entendre : (...) 2) une violation d’une disposition de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales commise par une juridiction de la Fédération de Russie au cours de l’examen d’une affaire pénale et constatée par la Cour européenne des droits de l’homme, à raison de : a) l’application d’une loi fédérale allant à l’encontre des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; b) d’autres violations des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1972 et 1971 et résident à Ankara. Ils sont fonctionnaires de l’État et exercent le métier de professeur dans les écoles publiques du ministère de l’Éducation nationale. Ils sont également membres d’un syndicat établi dans le domaine de l’éducation (Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası - Eğitim-Sen, [Syndicat des salariés de l’éducation et de la science]). Le 15 février 2005, les requérants assistèrent à une manifestation ayant pour thème « La paix mondiale contre la guerre mondiale » et organisée par la Plateforme de la démocratie de Şanlıurfa – groupement civil rassemblant divers syndicats, associations et partis politiques, y compris le syndicat auquel ils sont affiliés. Une enquête disciplinaire fut diligentée contre eux en raison de leur participation à ladite manifestation. Par des décisions du comité de discipline départemental de la direction de l’éducation nationale de Şanlıurfa en date du 14 juin 2005, les requérants reçurent une sanction disciplinaire consistant en un gel de leur avancement de grade pendant une année, en application de l’article 125/D-o de la loi relative aux fonctionnaires de l’État. Les décisions de sanction indiquaient que les requérants avaient participé à une manifestation non autorisée organisée le 15 février 2005 à l’occasion de l’anniversaire de l’arrestation du chef d’une organisation illégale, qu’ils étaient des militants d’un parti politique et qu’ils agissaient en faveur de ce parti politique. Les requérants furent également mutés dans d’autres villes à la suite de l’enquête disciplinaire diligentée à leur encontre. À différentes dates, les requérants introduisirent devant les tribunaux administratifs des actions en annulation contre les sanctions disciplinaires reçues. Le 20 juin 2006 et le 19 septembre 2006, le tribunal administratif de Gaziantep conclut qu’il s’agissait en fait d’une manifestation organisée par un parti politique. Dans ses motifs, il constata que les requérants avaient participé à cette manifestation non autorisée organisée par la Plateforme de la démocratie de Şanlıurfa et au cours de laquelle l’arrestation du chef d’une organisation illégale devait être commémorée, que les manifestants étaient des militants d’un parti politique et que la déclaration de presse au nom de la susdite plateforme était prononcée par le représentant d’un parti politique. Considérant que les requérants avaient commis l’acte décrit à l’article 125/D-o de la loi no 657 relative aux fonctionnaires de l’État, à savoir « agir en faveur ou en défaveur d’un parti politique », le tribunal administratif confirma les sanctions disciplinaires. Les requérants se pourvurent en cassation. Par des arrêts des 30 octobre 2008 et 22 octobre 2008, notifiés aux requérants le 28 novembre 2008, le Conseil d’État confirma les jugements attaqués. Avant la délibération de ces arrêts, le juge rapporteur et le procureur près le Conseil d’État, sans apporter aucun nouvel argument, avaient émis les avis selon lesquels il n’y avait aucune raison légale pour infirmer les arrêts de première instance. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 125 de la loi no 657 du 14 juillet 1965 sur les fonctionnaires de l’État dispose : « Les sanctions disciplinaires infligeables aux fonctionnaires de l’État ainsi que les actes et situations appelant leur infliction sont ceux qui suivent : (...) D - Gel de l’avancement de grade : Le gel de l’avancement de grade du fonctionnaire d’un à trois ans en fonction de la gravité de son acte. Les actes et situations à sanctionner par le gel de l’avancement de grade sont les suivants : (...) o) l’action en faveur ou en défaveur d’un parti politique ; (...) »
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La requérante est née en 1959 et réside à Saint-Maurice-sur-Dargoire. Par une ordonnance de mise en accusation du 15 avril 2008, la requérante, qui « [niait] avec véhémence les faits » reprochés, fut renvoyée devant la cour d’assises de l’Isère pour le meurtre de son époux, retrouvé mort dans son véhicule stationné sur un quai de Grenoble. Le 6 mars 2009, la cour d’assises de l’Isère l’acquitta. Le ministère public interjeta appel. Par un arrêt du 10 décembre 2010, après plusieurs jours d’audience et une seule question ayant été posée au jury, la cour d’assises d’appel de la Drôme la déclara coupable et la condamna à dix années de réclusion criminelle. L’unique question posée se lisait comme suit : « L’accusée Teldja HADDAD est-elle coupable d’avoir à GRENOBLE (38), entre le 17 et le 18 août 2006, volontairement donné la mort à [M.L.] ? » Le 19 septembre 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Grenoble ordonna la mise en liberté de la requérante, celle-ci ayant été victime d’un problème de santé majeur ayant entraîné des lésions cérébrales rendant son état de santé incompatible avec la détention. Par un jugement du 20 octobre 2011, le tribunal d’instance de Lyon la plaça sous tutelle. Par un arrêt du 23 mai 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la requérante formé contre l’arrêt du 15 décembre 2010. Cet arrêt fut notifié à la requérante, par l’intermédiaire de l’infirmière chargée de s’occuper d’elle dans un centre de rééducation, le 4 août 2012.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Mehmet Çelebi Çalan (requête no 53658/07) Le requérant est né en 1967. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F d’Ankara. Le 5 septembre 2007, la commission disciplinaire de la prison de type F de Bolu décida d’envoyer une lettre du requérant écrite en kurde adressée à un tiers, après avoir biffé certains passages, au motif qu’elle ne disposait pas du personnel compétent pour effectuer la traduction et donc pour vérifier si son contenu était ou non « gênant ». Le 18 septembre 2007, le juge de l’exécution de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la procédure et à la loi. Il précisa notamment que la lettre était écrite dans une langue autre que le turc et il était dès lors impossible d’évaluer son contenu d’après les critères prévus à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Le 3 octobre 2007, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant. Après avoir relevé que la lettre n’était pas écrite en turc et dans la mesure où l’établissement pénitentiaire ne disposait pas d’un personnel pouvant effectuer une traduction, elle estima que la décision du juge de l’exécution était conforme à la loi. B. Lütfi Yoldaş (requête no 19227/08) Le requérant est né en 1982. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Tekirdağ. Le 21 septembre 2007, la commission disciplinaire de la prison de type F de Tekirdağ décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde en soulignant qu’elle ne pourrait être expédiée qu’après avoir été traduite, aux frais du requérant, par un traducteur assermenté et estimée « non gênante » par la commission disciplinaire après examen de son contenu. Le 6 novembre 2007, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la procédure et à la loi. Il souligna qu’aucune obligation légale ne pouvait être affectée à l’établissement pénitentiaire de payer les frais afférents à une traduction et nota que l’intéressé avait refusé d’assumer lui-même les frais de la traduction. Le 19 novembre 2007, statuant sur pièces, la cour d’assises de Tekirdağ rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la procédure et à la loi. C. Fermani Çetin (requête no 35095/08) Le requérant est né en 1972. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu. Le 14 mai 2008, la commission disciplinaire de la prison de type F de Bolu décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde. Pour ce faire, elle souligna qu’en l’absence en son sein de personnel compétent pour effectuer une traduction, le contenu de celle-ci demeurait incompréhensible et qu’il n’était donc pas possible de vérifier s’il était ou non « gênant ». Le 28 mai 2008, le juge de l’exécution de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant. Il observa pour ce faire que si le droit au respect de la correspondance était garanti, ce droit n’était pas illimité et qu’en l’occurrence il n’était pas possible de vérifier si le contenu de la lettre respectait les limitations prévues à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Il souligna que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas du personnel compétent pour effectuer la traduction de la lettre rédigée dans une autre langue que le turc. Le 25 juin 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était ni contraire ni à la procédure ni à la loi. D. Sakɪp Hazman (requête no 42613/08) Le requérant est né en 1965. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu. Le 26 mai 2008, la commission disciplinaire de la prison de type F de Bolu décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde. Elle souligna qu’en absence de personnel compétent en son sein pour effectuer une traduction, le contenu de celle-ci demeurait incompréhensible et qu’il n’était donc pas possible de vérifier s’il était ou non « gênant ». Le 9 juin 2008, le juge de l’exécution de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant. Après avoir constaté que la correspondance en question contenait des lettres autres que celles de l’alphabet latin, il observa que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas du personnel compétent pour effectuer la traduction et donc de vérifier si le contenu de la lettre respectait les limitations prévues à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Le 4 juillet 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était pas contraire à la loi. E. Mehmet Faruk Aydɪn (requête no 56044/08) Le requérant est né en 1973. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Tekirdağ. Le 23 juin 2008, la commission disciplinaire de la prison de type F de Tekirdağ décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde au motif qu’en absence de personnel compétent en son sein pour effectuer une traduction, le contenu de celle-ci demeurait incompréhensible. Le 7 août 2008, le juge de l’exécution de Tekirdağ rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Le 26 août 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Tekirdağ rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était pas contraire à la loi. Elle souligna qu’il ne fallait pas percevoir cette mesure des autorités pénitentiaires comme une interdiction de la langue kurde. Selon elle, le recours à des expressions en kurde, non compréhensibles pour l’administration pénitentiaire, s’interprétait comme une tentative de la part de l’intéressé de faire échapper sa correspondance à tout contrôle. F. Nidai Tezer (requête no 59545/08) Le requérant est né en 1973. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu. Le 2 avril 2008, la commission disciplinaire de prison de type F de Bolu décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde au motif qu’en absence en son sein de personnel compétent pour effectuer une traduction, le contenu de celle-ci demeurait incompréhensible et qu’il n’était donc pas possible de vérifier s’il était ou non « gênant ». Le 21 mai 2008, le juge de l’exécution de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Pour ce faire, après avoir constaté que la correspondance en question contenait des lettres autres que celles de l’alphabet latin, il observa que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas du personnel compétent pour effectuer la traduction et donc de vérifier si le contenu de la lettre respectait les limitations prévues à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Le 11 juin 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était pas contraire à la loi. G. Hüseyin Ayyɪldɪz (requête no 57/09) Le requérant est né en 1966. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu. Le 2 avril 2008, la commission disciplinaire de la prison de type F de Bolu décida de ne pas envoyer une lettre en kurde rédigée par le requérant au motif qu’en absence en son sein de personnel compétent pour effectuer une traduction, le contenu de celle-ci demeurait incompréhensible et qu’il n’était donc pas possible de vérifier s’il était ou non « gênant ». Le 20 mai 2008, le juge de l’exécution de Bolu rejet l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Après avoir constaté que la correspondance en question contenait des lettres autres que celles de l’alphabet latin, il souligna que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas du personnel compétent pour effectuer la traduction de la lettre en question et qu’il n’était pas possible de vérifier si le contenu de la lettre respectait les limitations prévues à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Le 9 juin 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge d’instruction. H. İdris Çalɪşkan (requête no 226/09) Le requérant est né en 1973. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu. Le 20 mai 2008, la commission disciplinaire de la prison de type F de Bolu décida de ne pas envoyer une lettre en kurde rédigée par le requérant au motif qu’en absence en son sein de personnel compétent pour effectuer une traduction, le contenu de celle-ci demeurait incompréhensible et qu’il n’était donc pas possible de vérifier s’il était ou non « gênant ». Le 3 juin 2008, le juge de l’exécution de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Pour ce faire, après avoir constaté que la correspondance en question contenait des lettres autres que celles de l’alphabet latin, il souligna que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas du personnel compétent pour effectuer la traduction de la lettre en question, qu’il n’était pas possible de vérifier si le contenu de la lettre respectait les limitations prévues à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Le 23 juin 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge d’instruction. I. Abdurrahman Yɪldɪrɪm (requête no 6773/09) Le requérant est né en 1974. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu. Le 12 mai 2008, la commission disciplinaire de la prison de type F de Bolu décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde. Elle souligna qu’en l’absence en son sein de personnel compétent pour effectuer une traduction, le teneur de celle-ci demeurait incompréhensible et qu’il n’était donc pas possible de vérifier s’il était ou non « gênant ». Le 29 mai 2008, le juge de l’exécution de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Pour ce faire, après avoir constaté que la correspondance en question contenait des lettres autres que celles de l’alphabet latin, il observa que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas du personnel compétent pour effectuer la traduction et donc vérifier si le contenu de la lettre respectait les limitations prévues à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Le 20 juin 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était pas contraire à la loi. J. Ramazan Kɪran (requête no 6841/09) Le requérant est né en 1966. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type H d’Erzurum. Le 24 octobre 2008, la commission disciplinaire de la prison de type H d’Erzurum décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde. Il décida en conséquence de conserver la lettre jusqu’à ce que le requérant prenne en charge le coût de sa traduction pour permettre à la commission de déterminer son contenu. Le 5 novembre 2008, le juge de l’exécution d’Erzurum rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Le 18 novembre 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises d’Erzurum rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était pas contraire à la loi. K. Nedim Özalp (requête no 6844/09) Le requérant est né en 1963. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F de Bolu. Le 14 mai 2008, la commission disciplinaire de prison de type F de Bolu décida de ne pas envoyer une lettre du requérant écrite en kurde au motif qu’en l’absence en son sein de personnel compétent pour effectuer une traduction, le teneur de celle-ci demeurait incompréhensible et qu’il n’était donc pas possible de vérifier s’il était ou non « gênant ». Le 28 mai 2008, le juge de l’exécution de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Pour ce faire, après avoir constaté que la correspondance en question contenait des lettres autres que celles de l’alphabet latin, il observa que l’établissement pénitentiaire ne disposait pas du personnel en mesure d’effectuer la traduction de la lettre en question et qu’il n’était pas dès lors possible de vérifier si le contenu de la lettre respectait les limitations prévues à l’article 68 § 3 de la loi no 5275. Le 25 juin 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Bolu rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était pas contraire à la loi. L. Abdulhakim Özdemir (requête no 7726/09) Le requérant est né en 1975. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type H de Gaziantep. Le 26 mars 2008, la commission disciplinaire de la prison de type H de Gaziantep décida de retourner au requérant une lettre de ce dernier au motif qu’elle était jugée comme gênante en vertu de l’article 68 § 3 de la loi no 5275 et de l’article 91 § 3 du règlement. Elle souligna que celle-ci pourrait être envoyée une fois sa traduction effectuée, sur demande du requérant à ses frais, par un traducteur assermenté. Le 10 avril 2008, le juge de l’exécution de Gaziantep rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Le 1er mai 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Gaziantep rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge d’instruction. M. Cuma Özkan (requête no 7730/09) Le requérant est né en 1966. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type H de Gaziantep. Le 26 mars 2008, la commission disciplinaire de la prison de type H de Gaziantep décida de retourner au requérant une lettre de ce dernier écrite en kurde au motif qu’elle était jugée comme gênante en vertu de l’article 68 § 3 de la loi no 5275 et de l’article 91 § 3 du règlement. Elle souligna que celle-ci pourrait être envoyée une fois sa traduction effectuée aux frais du requérant par un traducteur assermenté mandaté par lui. Le 10 avril 2008, le juge de l’exécution de Gaziantep rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Le 28 avril 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Gaziantep rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge d’instruction. N. Ali Koç (requête no 7735/09) Le requérant est né en 1971. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type H de Gaziantep. Le 26 mars 2008, la commission disciplinaire de la prison de type H de Gaziantep décida de retourner au requérant une lettre de ce dernier écrite en kurde au motif qu’elle était jugée comme gênante en vertu de l’article 68 § 3 de la loi no 5275 et de l’article 91 § 3 du règlement. Elle souligna que celle-ci pourrait être envoyée une fois sa traduction effectuée, sur demande du requérant, à ses frais, par un traducteur assermenté. Le 10 avril 2008, le juge de l’exécution de Gaziantep rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la procédure et à la loi. Le 1er mai 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises de Gaziantep rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge de l’instruction. O. Metin Atmɪş (requête no 8015/09) Le requérant est né en 1976. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type H d’Erzurum. Le 10 octobre 2008, la commission disciplinaire de la prison de type H d’Erzurum décida de ne pas envoyer au requérant une lettre de ce dernier écrite en kurde. Elle souligna qu’en l’absence de personnel compétent pour effectuer la traduction, elle ne pourrait être expédiée qu’après avoir été traduite aux frais du requérant par un traducteur assermenté et estimée « non gênante » par la commission disciplinaire, après examen de son contenu. Le 21 octobre 2008, le juge de l’exécution d’Erzurum rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la pratique de l’administration pénitentiaire était conforme à la loi. Le 6 novembre 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises d’Erzurum rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’avait été contraire ni à la procédure ni à la loi. P. Mustafa Geylan (requête no 10097/09) Le requérant est né en 1969. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type H d’Erzurum. Le 10 octobre 2008, la commission disciplinaire de la prison de type H d’Erzurum décida de ne pas envoyer au requérant sa lettre écrite en kurde. Elle souligna qu’en absence en son sein de personnel compétent pour effectuer une traduction, elle ne pourrait être expédiée qu’après avoir été traduite aux frais du requérant par un traducteur assermenté et estimée « non gênante » après examen de son contenu. Le 21 octobre 2008, le juge de l’exécution d’Erzurum rejeta l’opposition formée par le requérant. Le 6 novembre 2008, statuant sur pièces, la cour d’assises d’Erzurum rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la décision du juge de l’exécution n’était pas contraire à la loi. R. Ali Murat Çelik (requête no 28604/09) Le requérant est né en 1968. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F d’Ankara. Le 30 décembre 2008, la commission disciplinaire de la prison de type F d’Ankara décida de détruire la lettre du requérant rédigée dans une langue autre que le turc en raison du refus de l’intéressé d’assumer la traduction de celle-ci. Le 29 décembre 2008, le juge de l’exécution d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la lettre litigieuse ne pourrait être expédiée qu’après avoir été traduite aux frais du requérant par un traducteur assermenté et estimée « non gênante » après examen de son contenu. Le 21 janvier 2009, statuant sur pièces, la cour d’assises d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge de l’instruction. S. Tevfik Miho (requête no 36876/09) Le requérant est né en 1973. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F d’Ankara. Le 17 décembre 2008, la commission disciplinaire de la prison informa le requérant que sa lettre écrite en kurde et destinée à sa mère ne pourrait être envoyée à condition que celui-ci prenne en charge les frais de traduction et si le contenu est estimé « non gênant ». Elle souligna qu’elle ne disposait pas du personnel compétent pour une telle traduction. Le 11 février 2009, le juge de l’exécution d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la lettre litigieuse ne pourrait être expédiée qu’après avoir été traduite aux frais du requérant par un traducteur assermenté et estimée « non gênante » après examen de son contenu. Le 26 février 2009, statuant sur pièces, la cour d’assises d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge de l’instruction. T. Yaşar Aslan (requête no 39115/09) Le requérant est né en 1973. Lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de type F d’Ankara. Le 24 décembre 2008, la commission disciplinaire de la prison informa le requérant que sa lettre, écrite en kurde, ne pourrait être envoyée qu’à condition que celui-ci prenne en charge les frais de traduction et si le contenu de la traduction est estimé « non gênant ». Le 6 janvier 2009, le juge de l’exécution d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant estimant que la lettre litigieuse ne pourrait être expédiée qu’après avoir été traduite aux frais du requérant par un traducteur assermenté et estimée « non gênante » après examen de son contenu. Le 21 janvier 2009, statuant sur pièces, la cour d’assises d’Ankara rejeta l’opposition formée par le requérant estimant qu’il n’y avait aucune irrégularité dans la décision du juge de l’instruction. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit interne et les textes internationaux pertinents, voir l’arrêt Mehmet Nuri Özen et autres c. Turquie, (nos 15672/08, 24462/08, 27559/08, 28302/08, 28312/08, 34823/08, 40738/08, 41124/08, 43197/08, 51938/08 et 58170/08, §§ 30-34, 11 janvier 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont tous détenus aux diverses prisons turques de haute sécurité. Ils se sont tous heurtés au refus des autorités pénitentiaires de les autoriser à tenir des conversations téléphoniques en kurde avec leurs proches. À diverses dates (voir l’annexe), les requérants saisirent les juridictions nationales afin de contester les mesures pénitentiaires en question. Aux termes de leur examen portant sur le refus d’autoriser les conversations téléphoniques en kurde, les instances nationales estimèrent que la pratique suivie par les autorités pénitentiaires était conforme aux dispositions législatives et règlementaires applicables. Pour ce faire, elles soulignèrent notamment qu’en vertu de l’article 88 § 2 p) du règlement relatif à l’exécution des peines et des mesures préventives, un prisonnier pouvait être autorisé à parler une langue autre que le turc après qu’il ait été établi par les autorités locales compétentes que les personnes avec lesquelles il souhaitait s’entretenir ne parlaient ou ne comprenaient pas le turc. II. LE DROIT INTERNE ET LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS Pour le droit interne et les textes internationaux pertinents, voir l’arrêt et autres c. Turquie (nos 43750/06, 43752/06, 32054/08, 37753/08 et 60915/08, §§ 22-25, CEDH 2014 (extraits)).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1946 et réside à Celorico de Basto. A. La procédure civile devant le tribunal de Celorico de Basto Le 3 octobre 2002, la requérante et son époux saisirent le tribunal de Celorico de Basto d’une action en revendication d’une propriété contre la mairie de Celorico de Basto, réclamant des dommages et intérêts pour les préjudices subis (procédure no 477/2002). La procédure fut conclue par un jugement du 8 avril 2005 leur faisant partiellement droit. Le 28 octobre 2005, la requérante et son époux introduisirent devant le tribunal de Celorico de Basto une action en exécution du jugement du 8 avril 2005, demandant au tribunal de fixer au préalable la somme réclamée au titre des dommages et intérêts (procédure en exécution no 477-A/2002). Les 28 janvier 2008, 16 septembre 2008, 10 mars 2009 et 23 septembre 2009, ils requirent au tribunal de Celorico de Basto la suspension de l’instance en vue d’un règlement amiable du litige si bien que l’audience fut reportée à quatre reprises. Le 21 avril 2015, le tribunal prononça son jugement portant sur la fixation du montant de l’indemnisation. Aux dernières informations reçues, lesquelles remontent au 11 mai 2015, la procédure en exécution était toujours pendante. B. La requête no 33100/12 devant la Cour Le 25 mai 2012, l’époux de la requérante, M. António Cunha Moura avait saisi la Cour en dénonçant la durée excessive des procédures nos 477/2002 et 477-A/2002. Il se plaignait aussi de l’absence au niveau interne d’un recours efficace pour agir à cet égard. Par une décision du 26 mars 2013, la Cour radia l’affaire du rôle au motif que les parties avaient conclu un règlement amiable de l’affaire dont les termes se lisaient ainsi : « Par ces déclarations, le Gouvernement s’est engagé à verser au requérant la somme de 5 200 (cinq mille deux cents) euros pour dommage moral et 1 000 (mille) euros pour frais et dépens et le requérant a renoncé à toute autre prétention à l’encontre du Portugal à propos des faits à l’origine de sa requête. Lesdites sommes seront payées dans les trois mois suivant la date de la notification de la décision de la Cour rendue conformément à l’article 37 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. » Le 12 juin 2013, lesdites sommes furent versés à l’époux de la requérante. Par la résolution CM/ResDH(2013)265 du 20 décembre 2013, le Comité des Ministres a clôturé la surveillance de l’exécution de la décision qui avait été adoptée par la Cour.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1925, 1961, 1959, 1967, 1964 et 1935 et résidant à San Giovanni Gemini. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Le premier requérant et M. Pellitteri Francesco, de cujus des cinq derniers requérants, étaient propriétaires d’un terrain de 155 m² sis à San Giovanni Gemini et enregistré au cadastre feuille 9, parcelle 89/C3. Par un arrêté du 24 avril 1997, la municipalité de San Giovanni Gemini autorisa l’occupation d’urgence d’une partie du terrain, à savoir 75,092 m², en vue de son expropriation, afin d’y aménager un espace public. Le terrain fut occupé le 13 février 1998. Entre-temps, le 5 janvier 1998, M. Pellitteri Francesco décéda et les cinq derniers requérants héritèrent sa quote-part du terrain. Par un acte du 20 octobre 1999, les requérants introduisirent un recours en dommages-intérêts devant le tribunal d’Agrigente. Ils firent valoir que l’occupation de leur terrain était illégitime ab initio, en raison de l’irrégularité de l’arrêté du 24 avril 1997 et demandèrent un dédommagement égal à la valeur marchande du terrain. Le 27 novembre 2001, le tribunal ordonna une expertise technique. Dans son rapport, déposé le 31 janvier 2003, l’expert releva qu’en 1999 à la date de l’introduction du recours devant le tribunal, les travaux de constructions étaient terminés. En outre, l’expert estima que la valeur vénale du terrain au moment de l’occupation, en février 1998, était de 200 000 ITL/m², soit 103 EUR/m² environ. Par un jugement du 20 avril 2005, déposé le 30 avril 2005, le tribunal déclara que l’occupation du terrain devait être considérée comme illégale ab initio, car l’arrêté de la municipalité ne fixait pas un terme pour l’occupation d’urgence. Nonobstant l’illégalité commise, le tribunal estima que la propriété du terrain était passée à l’administration à la suite de la construction de l’ouvrage public. Il décida que l’administration devait payer aux requérants une somme correspondante à la valeur marchande du terrain au moment de la perte de la propriété. Le tribunal estima que la valeur du terrain litigieux en 1998 était de 52 EUR/m², réduisant ainsi le montant fixé par l’expert, et condamna ainsi l’administration à payer 3 900 EUR au titre de dédommagement et 515 EUR pour la réévaluation. Ces sommes devaient être assorties des intérêts légaux. Le jugement du tribunal ne fut pas attaqué en appel et acquit l’autorité de la chose jugée le 15 juin 2006. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1993 et réside à Istanbul. Le 23 octobre 2009, le requérant, alors mineur, fut arrêté parce qu’il était soupçonné d’avoir commis un vol et conduit à la brigade des mineurs. Le même jour, il fut traduit devant le juge pénal de Bakırköy sans avoir été interrogé ni par la police ni par le procureur de la République. Au terme de son audition, le juge ordonna son placement en détention provisoire se fondant sur la nature de l’infraction reprochée, l’état des preuves et l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction par l’intéressé. Le 30 octobre 2009, le requérant fut inculpé de vol, de détérioration de biens et de violation de domicile. Le 5 novembre 2009, à l’issue d’un examen sur dossier, le juge pour enfants de Bakırköy ordonna le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature de l’infraction reprochée, du laps de temps passé en détention, de l’état des preuves, du risque de fuite et du fait que l’intéressé n’avait pas encore été entendu en sa défense, et considéra qu’une mesure de contrôle judiciaire s’avérait insuffisante. Le juge fonda le risque de fuite sur les modalités de commission de l’infraction, l’importance du préjudice et la peine encourue. Le 6 novembre 2009, l’avocat du requérant forma opposition contre la décision de maintien en détention provisoire de son client. Le 9 novembre 2009, à l’issue d’un examen sur dossier, la cour d’assises pour mineurs rejeta l’opposition conformément à l’avis écrit du procureur de la République, lequel avis ne fut pas communiqué au requérant ou à son avocat. La cour d’assises pour mineurs considéra que la décision attaquée était conforme à la procédure et à la loi. Le 3 décembre 2009, le tribunal pour mineurs de Bakırköy reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna au total à un an, deux mois et vingt jours d’emprisonnement. Cette peine fut commuée en une amende de 8 800 livres turques (TRY). Au terme de l’audience, le tribunal ordonna la libération du requérant. Le 23 décembre 2013, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1984 et réside à Bucarest. Soupçonné de vol par la police, il aurait été soumis à des mauvais traitements le 26 août 2010, alors qu’il se trouvait entre les mains de la police. A. Les actes de violence que le requérant aurait subis le 26 août 2010 Le 26 août 2010, à 6 heures du matin, soupçonnant le requérant et d’autres personnes de plusieurs infractions de vol, une équipe de policiers portant des cagoules se rendit au domicile de B., voisine du requérant. Les policiers emmenèrent ce dernier, dans une voiture, au siège de la police départementale d’Ilfov. Selon la décision de non-lieu rendue le 23 novembre 2011, sept autres suspects avaient été retenus au cours de la même opération de police, qui avait donné lieu à vingt et une perquisitions avec la participation de soixante-trois policiers. Au cours du trajet en voiture, le policier B.A.M., assis sur la banquette arrière avec le requérant, aurait frappé ce dernier à coups de poing dans l’estomac. Une fois arrivés au siège de la police, un autre policier, V.V., se serait mis à frapper le requérant à coups de poing et de pied. Ce policier aurait été rejoint tout de suite par d’autres agents. Ceux-ci se seraient également mis à frapper le requérant à coups de câbles métalliques et B.A.M. lui aurait infligé des chocs électriques. Alors que le requérant se serait trouvé à terre et aurait été encore frappé par les policiers, ceux-ci lui auraient demandé de dire ce qu’il avait volé. Deux autres policiers, A.D.S. et G.A.I., auraient alors fait leur apparition et se seraient mis à le frapper au niveau du foie. Pendant la nuit du 26 au 27 août 2010, le requérant fut examiné par un infirmier (asistent medical) avant d’être placé en garde à vue pour vol avec violence. L’infirmier fit mention dans la fiche médicale de signes d’agression sur la personne du requérant, à savoir des excoriations dans la partie supérieure du dos. Le requérant et d’autres personnes soupçonnées furent inculpés et placés en détention provisoire. Le 28 août 2010, le requérant et un de ses coïnculpés se plaignirent de malaises et furent présentés aux urgences de l’hôpital Elias de Bucarest. Une expertise médicolégale établit, par la suite, l’existence de lésions chez le requérant. Les conclusions du rapport d’expertise étaient ainsi rédigées : « Multiples contusions par agression [pour lesquelles le patient] affirme qu’elles ont été causées vingt-quatre heures plus tôt. Traumatisme crânien cérébral mineur. Contusion thoracique et abdominale mineure. Contusion au poignet droit. Contusion à la jambe droite avec plaie ouverte à ce niveau. Il ressort des documents médicaux susmentionnés (...) que ces lésions peuvent avoir été produites le plus probablement le 26 août 2010 par des coups portés avec des objets durs. Sept à huit jours de soins médicaux sont nécessaires. Ni l’examen clinique dont il a été fait mention ni d’autres éléments objectifs n’ont donné lieu à des constats au sujet de l’éventuelle application d’électrochocs. » B. L’enquête sur les allégations de mauvais traitements concernant principalement quatre policiers de rang supérieur Le 15 septembre 2010, le parquet près la cour d’appel de Bucarest ouvrit d’office une enquête au sujet de faits signalés par quatre délégués du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (« le CPT ») qui, au cours de leur visite dans plusieurs centres de détention de Roumanie, dont celui où se trouvait le requérant, avaient rencontré ce dernier. Le 8 octobre 2010, le requérant porta plainte au sujet des violences auxquelles il aurait été soumis le 26 août 2010. Les preuves recueillies par les enquêteurs en rapport direct avec la plainte du requérant étaient : sa déclaration, celles des policiers mis en cause, un rapport médicolégal et un procès-verbal de reconnaissance des suspects sur photos. Le requérant ne connaissant pas les noms des policiers qu’il estimait coupables de mauvais traitements envers lui, les enquêteurs lui présentèrent une série de plus de soixante photos ; le requérant indiqua alors reconnaître cinq policiers, à savoir B.A.M., V.V., D.I., G.A.I. et A.D.S. Les cinq policiers désignés nièrent avoir commis les faits reprochés. Par une décision du 25 octobre 2011, le parquet près la cour d’appel de Bucarest rendit un non-lieu à l’égard de quatre policiers de grade supérieur, dont A.D.S. et G.A.I., pour plusieurs chefs d’accusation, entre autres celui de mauvais traitements (article 267 du code pénal), au motif que les faits dénoncés n’existaient pas ou que les éléments constitutifs des infractions reprochées n’étaient pas réunis en l’espèce. Par la même décision, le parquet ordonna également l’ouverture d’un nouveau dossier d’enquête, ainsi que la continuation des poursuites à l’encontre de V.V., B.A.M., D.I. et onze autres agents de police au sujet des allégations de violences subies par le requérant et d’autres personnes interpellées le 26 août 2010. L’affaire fut renvoyée devant le parquet près le tribunal de Bucarest (voir la section C ci-dessous). Sur contestation du requérant, le 23 novembre 2011, le procureur en chef confirma la décision du 25 octobre 2011, au motif que « la présomption d’innocence dont jouissaient les agents de police en question n’avait pas été renversée ». Cette décision ne faisait aucune référence aux lésions constatées chez le requérant juste après son interpellation, le 26 août 2010. Le requérant forma un recours devant la cour d’appel de Bucarest en se plaignant d’une absence d’investigations sérieuses, de la part du parquet, au sujet de sa plainte. Par une décision définitive du 7 juin 2012, la cour d’appel rejeta ce recours, considérant que des investigations avaient bien été menées et relevant qu’elles avaient consisté en l’audition des quatre policiers de rang supérieur poursuivis. C. Le non-lieu concernant les trois autres agents de police mis en cause par le requérant Entretemps, par une décision du 4 janvier 2012, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest avait rendu un non-lieu à l’égard de quatorze agents de police mis en cause dans l’affaire au sujet de différentes plaintes formées par plusieurs des huit suspects interpellés le 26 août 2010, dont celle introduite par le requérant pour mauvais traitements. Parmi les quatorze agents de police mis en cause se trouvaient les policiers B.A.M., V.V. et D.I. identifiés par le requérant (paragraphe 20 ci-dessus). Dans cette décision, le parquet constatait qu’il n’y avait aucune preuve directe d’une agression du requérant et des autres plaignants par les policiers soupçonnés. D’après le Gouvernement, le requérant n’a pas contesté ce non-lieu. Le requérant affirme s’être opposé à ce non-lieu en envoyant sa contestation par la poste, puisqu’il se serait trouvé incarcéré à ce moment-là, et il indique ne pas avoir reçu de réponse à sa contestation. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS A. Le droit interne pertinent Les dispositions du droit interne pertinentes en l’espèce, notamment celles du code pénal et du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, sont décrites dans l’arrêt Antochi c. Roumanie (no 36632/04, §§ 2834, 12 juillet 2011). B. Le droit international pertinent Les documents du CPT Les constatations et les recommandations du CPT pertinentes en l’espèce sont résumées dans les arrêts Antochi (ibidem, §§ 35-36) et Carabulea c. Roumanie (no 45661/99, § 82, 13 juillet 2010). Le rapport du CPT du 19 février 1998, cité dans l’arrêt Carabulea (ibidem, § 82), fait mention du peu d’intérêt que les procureurs attachent aux allégations de mauvais traitements émises par des suspects. L’extrait pertinent en l’espèce du rapport se lit ainsi : « 26. Il convient d’insister particulièrement sur le rôle crucial qui incombe aux procureurs dans la prévention des mauvais traitements. Ils sont chargés de diriger et de contrôler le travail de la police à l’occasion de poursuites pénales et c’est à eux que doivent être adressées en premier lieu les plaintes contre des mesures ou des actes de la poursuite pénale (article 275 du code de procédure pénale). Il semblerait qu’il y ait matière à amélioration dans ce domaine. De nombreuses personnes avec lesquelles la délégation s’est entretenue et qui ont allégué avoir été maltraitées ont affirmé qu’elles avaient eu trop peur de mentionner ce fait au procureur, la police les ayant averties que ceci ne serait pas dans leur intérêt – ces avertissements étaient pris d’autant plus au sérieux qu’il était fort probable que ces personnes retournent dans des lieux de détention de la police (cf. paragraphe 14). D’autres personnes ont affirmé qu’elles avaient informé le procureur des mauvais traitements qu’elles avaient subis mais que celui-ci n’avait témoigné que peu d’intérêt à l’examen de la question, faisant même parfois montre d’une attitude ouvertement partisane en faveur de la police. Le CPT doit souligner que l’entretien que sa délégation a eu avec un procureur attaché à une section de la police à Bucarest a ajouté foi aux exposés que les détenus ont faits de leur expérience. Lorsqu’on a demandé à ce procureur comment il agirait en présence d’un suspect alléguant avoir été maltraité par la police, la réponse suivante a été donnée : "Les policiers sont mes collègues. Je considérerais cette allégation comme un mensonge d’un récidiviste". » Les documents du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe L’avis du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur le règlement indépendant et efficace des plaintes contre la police, publié le 12 mars 2009 (CommDH(2009)4), est ainsi libellé : « 29. Un système indépendant et efficace de plaintes contre la police est essentiel pour obtenir et préserver la confiance du public dans la police, et constitue une protection essentielle contre les mauvais traitements et comportements répréhensibles. Le mécanisme indépendant de plaintes contre la police devrait être le pivot du système évoqué ci-dessus. Cinq principes définissant l’efficacité des enquêtes sur les plaintes contre la police ressortent de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur les articles 2 ou 3 de la Convention européenne des droits de l’homme : Indépendance: il ne doit pas y avoir de lien institutionnel ou hiérarchique entre l’enquêteur et le fonctionnaire visé par la plainte et l’indépendance concrète doit prévaloir dans la pratique ; (...) La loi devrait prévoir la mise en place d’un mécanisme indépendant de plaintes contre la police, doté de larges compétences en matière de contrôle du système de plaintes contre la police ; elle devrait également énoncer l’obligation de diligenter des enquêtes sur les plaintes relatives aux articles 2 et 3, menées conformément au principe d’indépendance consacré par la Cour européenne des droits de l’homme. Des dispositions, qui peuvent par exemple revêtir la forme de décrets d’application, de textes réglementaires, de directives contraignantes ou de protocoles, seront nécessaires pour permettre à la police et au mécanisme indépendant de plaintes contre la police de travailler ensemble, dans le cadre d’un partenariat, pour veiller à ce que toutes les plaintes soient traitées selon les principes d’équité, d’indépendance et d’efficacité. La structure institutionnelle des mécanismes indépendants de plaintes contre la police qui ont récemment été mis en place dans un certain nombre d’États européens sont des médiateurs spécialisés ou à défaut, des commissions permanentes. La nomination d’un Médiateur de la police ou d’une Commission des plaintes contre la police comprenant un certain nombre de commissaires ou membres dont les actions respectives sont coordonnées par un Président, sont autant de moyens de surveiller l’équité, l’indépendance et l’efficacité du système de plaintes. Les Principes des Nations Unies concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme (Principes de Paris) sont également utiles pour évaluer l’indépendance et le fonctionnement des mécanismes indépendants de plaintes contre la police. (...) La transparence doit présider au fonctionnement du mécanisme indépendant de plaintes contre la police, qui doit être tenu d’une obligation de rendre compte. Tout médiateur de la police ou commissaire aux plaintes contre la police devrait être nommé par le Parlement et responsable devant lui, ou par un Comité composé de représentants élus qui ne soient pas expressément chargés de la prestation de services de police et responsable devant lui. Le mécanisme indépendant de plaintes contre la police doit se voir allouer un budget suffisant pour lui permettre de s’acquitter de ses fonctions d’enquête et de contrôle. Pour qu’ils soient à même de mener des enquêtes équitables, indépendantes et efficaces[,] les enquêteurs du mécanisme indépendant de plaintes contre la police doivent se voir attribuer toute la gamme des pouvoirs dont bénéficie la police. Le mécanisme indépendant de plaintes contre la police devrait être représentatif de la diversité de la population et prendre des mesures pour consulter l’ensemble des acteurs concernés au sein du système de plaintes contre la police, notamment : les plaignants et leurs représentants, les membres des services de police et des associations de représentants du personnel, les départements des autorités centrales ou locales dotés de responsabilités en matière de police, les procureurs, les organisations locales et organisations non gouvernementales concernées par les activités de police. Le mécanisme indépendant de plaintes contre la police devrait respecter l’indépendance fonctionnelle de la police et apporter son soutien au chef de la police en sa qualité d’autorité disciplinaire. Les responsabilités devraient être clairement réparties entre le mécanisme indépendant de plaintes contre la police et la police, celle-ci apportant au mécanisme indépendant de plaintes son entier soutien, afin de favoriser le maintien de normes élevées de conduite et d’améliorer la performance de la police. Le mécanisme indépendant de plaintes contre la police devrait être chargé de mener l’enquête en cas de plaintes concernant : - L’article 2 ou 3 de la Convention européenne des droits de l’homme; (...) » Dans son rapport établi à la suite de sa visite en Roumanie du 31 mars au 4 avril 2014, publié le 8 juillet 2014 (CommDH(2009)4), le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe considère qu’il est crucial que la Roumanie établisse un mécanisme indépendant et efficace en matière de plaintes contre la police.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont les sociétés de droit français Bouygues Construction, GFC Construction et Quille, dont les sièges sociaux respectifs sont situés à Guyancourt, Caluire et Rouen. Par une ordonnance du 5 octobre 2007, le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Paris autorisa les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à procéder à des visites et saisies, notamment dans les locaux des requérantes, sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce, dans le cadre d’une enquête ouverte le 28 septembre 2007 par le ministre de l’Économie, des Finances et de l’Emploi, afin de rechercher la preuve d’agissements prohibés par ce code dans le secteur de la construction et de la rénovation des établissements de santé. Les opérations de visite eurent lieu le 23 octobre 2007 dans les locaux des requérantes. De nombreux documents et fichiers informatiques, ainsi que l’intégralité des messageries électroniques de certains employés, furent saisis, y compris des pièces sans lien avec le secteur hospitalier visé par l’enquête. Le 21 décembre 2007, les requérantes présentèrent au JLD du tribunal de grande instance de Paris une requête en annulation de ces visites et saisies, ainsi qu’en restitution de certains fichiers et pièces. Par une ordonnance du 9 septembre 2008, le JLD constata que l’administration consentait à restituer certains documents et débouta les requérantes de leurs autres demandes. Il releva que si l’autorisation donnée par le JLD ne pouvait faire l’objet que d’un recours en cassation, les opérations de visites et de saisies pouvaient quant à elles être contestées devant le JLD et que celui-ci disposait d’une pleine compétence pour apprécier leur régularité en fait et en droit. Il considéra donc que la procédure était conforme à l’article 6 de la Convention. Le 8 avril 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des requérantes. Elle estima que le contrôle pouvant être exercé par le juge en application de l’article L. 450-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 13 novembre 2008, sur la régularité, tant des opérations de visites et de saisies effectuées que de l’ordonnance qui les a autorisées, satisfaisait aux exigences de la Convention. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code de commerce, applicables à l’époque des faits, étaient les suivantes : Article L. 450-4 « Les enquêteurs ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu’à la saisie de documents et de tout support d’information que dans le cadre d’enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l’économie ou le rapporteur général du Conseil de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d’information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. Lorsque ces lieux sont situés dans le ressort de plusieurs juridictions et qu’une action simultanée doit être menée dans chacun d’eux, une ordonnance unique peut être délivrée par l’un des présidents (1) compétents. Le juge doit vérifier que la demande d’autorisation qui lui est soumise est fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d’information en possession du demandeur de nature à justifier la visite. Lorsque la visite vise à permettre la constatation d’infractions aux dispositions du livre IV du présent code en train de se commettre, la demande d’autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer, en l’espèce, l’existence des pratiques dont la preuve est recherchée. (...) L’ordonnance mentionnée au premier alinéa du présent article n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale. Ce pourvoi n’est pas suspensif. (...) Le déroulement des opérations de visite ou saisie peut faire l’objet d’un recours auprès du juge les ayant autorisées dans un délai de deux mois qui court, pour les personnes occupant les lieux où ces opérations se sont déroulées, à compter de la notification de l’ordonnance les ayant autorisées et, pour les autres personnes mises en cause ultérieurement au moyen de pièces saisies au cours de ces opérations, à compter de la date à laquelle elles ont eu connaissance de l’existence de ces opérations et au plus tard à compter de la notification de griefs prévue à l’article L. 463-2. Le juge se prononce sur ce recours par voie d’une ordonnance, qui n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues au code de la procédure pénale. Ce pourvoi n’est pas suspensif. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953 et réside à Diyarbakır. Le 5 janvier 1994, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’İzmir (« la cour de sûreté ») délivra un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant, soupçonné d’appartenance au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation illégale armée). Le 23 mai 2001, à l’issue d’une opération des forces de sécurité de Diyarbakır, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue. Le 25 mai 2001, le requérant fut transféré par avion à İzmir et livré aux agents de la direction de la sûreté d’İzmir. Aucune trace de coups et blessures ne fut relevée sur le corps du requérant par les médecins des hôpitaux publics de Diyarbakır et d’İzmir dans leurs rapports médicaux établis les 23 et 25 mai 2001. Le 25 mai 2001, le procureur près la cour de sûreté prolongea la garde à vue du requérant jusqu’à l’expiration du délai légal de quatre jours. Le 26 mai 2001, le requérant participa, en l’absence d’un avocat, à une séance d’identification sur présentation de photographies. Le procès-verbal établi à cette occasion (fotoğraftan teşhis tutanağı) indiquait que, lors de sa garde à vue, le requérant avait reconnu avoir mené plusieurs activités au nom de l’organisation terroriste PKK entre 1991 et 1995, à İzmir, avec quinze autres personnes qu’il avait identifiées sur des photographies. Le procès-verbal contenait également des explications du requérant sur les activités menées par lui et ses amis au sein de l’organisation susmentionnée. Le 28 mai 2001, la police d’İzmir recueillit la déposition du requérant, également en l’absence d’un avocat. Lors de cette déposition, le requérant avoua être un membre du PKK et avoir participé à ses activités. Le même jour, le requérant, toujours en l’absence d’un avocat, fut entendu par le procureur de la République près la cour de sûreté. Il contesta les faits qui lui étaient reprochés, le procès-verbal d’identification sur présentation de photographies et sa déposition recueillie lors de sa garde à vue. Toujours le même jour, le requérant fut entendu par le juge assesseur près la cour de sûreté devant lequel il contesta à nouveau sa déposition recueillie par les policiers. Le juge ordonna la mise en détention provisoire de l’intéressé qui, de ce fait, fut transféré à la maison d’arrêt de Nazilli (district d’Aydın). Par un acte d’accusation du 26 juin 2001, le procureur de la République près la cour de sûreté engagea une action pénale contre le requérant devant ladite cour et requit sa condamnation pour appartenance à une organisation illégale en application de l’article 168 § 2 de l’ancien code pénal combiné avec l’article 5 de la loi no 3717 relative à la lutte contre le terrorisme. Il s’appuya essentiellement sur les déclarations de vingt-six personnes ayant été arrêtées avant le requérant et condamnées par la cour de sûreté, la déposition de l’intéressé recueillie par la police, ainsi que le procès-verbal d’identification sur présentation de photographies signé par le requérant lors de sa garde à vue. Le 14 août 2001, lors de la première audience devant la cour de sûreté, le requérant nia à nouveau les faits reprochés. Il déclara également que les actes accomplis par la police, à savoir sa déposition et le procèsverbal d’identification, avaient été préparés à l’avance et que les policiers les lui avaient fait signer sous la contrainte, précisant qu’il n’avait pas pu prendre connaissance de leur contenu. Toujours le 14 août 2001, l’avocat du requérant présenta une demande d’élargissement. En outre, dans son mémoire, il demanda à la cour de sûreté d’entendre les vingt-six personnes citées dans l’acte d’accusation comme témoins à charge. Le même jour, la cour de sûreté ordonna le maintien en détention provisoire du requérant et décida d’attendre que les dépositions des personnes concernées, recueillies lors de procédures pénales engagées à leur encontre, fussent versées au dossier avant de prendre une décision sur la demande de l’avocat du requérant. À l’audience du 21 mars 2002, constatant que les déclarations des témoins à charge figuraient dans le dossier, la cour de sûreté rejeta la demande du 14 août 2001 présentée par l’avocat du requérant. Elle estima que, eu égard aux éléments de preuve existant dans le dossier, ni l’audition de ces personnes ni leur confrontation avec le requérant ne contribueraient en aucune manière au procès. Par un jugement du 9 mai 2002, la cour de sûreté condamna le requérant à douze ans et six mois de réclusion criminelle en application de l’article 168 § 2 de l’ancien code pénal. Pour ce faire, elle se fonda plus particulièrement sur les dépositions des vingt-six personnes mentionnées dans l’acte d’accusation. Elle s’appuya également sur le procès-verbal d’identification sur présentation de photographies ainsi que sur la déposition du requérant recueillie lors de sa garde à vue. Tenant compte des éléments de preuve figurant dans le dossier, parmi lesquels les dépositions des vingtsix témoins à charge qui n’avaient pas été entendus durant ce procès, la cour de sûreté ne prit pas en considération les dépositions du requérant faites devant le procureur de la République, le juge assesseur et elle-même, par lesquelles l’intéressé niait les faits reprochés. Elle accorda foi aux aveux du requérant faits devant la police, qui à ses yeux correspondaient au contenu du dossier et étaient corroborés par les dépositions des témoins à charge faites lors de leur garde à vue. Le 10 mai 2002, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement. Le 16 décembre 2002, la Cour de cassation infirma le jugement du 9 mai 2002 pour erreur dans la qualification juridique des faits et précisa que les faits reprochés au requérant nécessitaient l’application de l’article 125 de l’ancien code pénal, et non pas de l’article 168 § 2 du même code. Par un arrêt du 1er avril 2003, la cour de sûreté, prenant en considération l’interdiction de la cassation au détriment de l’accusé lorsque le pourvoi n’a pas été formé par le procureur de la République et se fondant sur les mêmes preuves, condamna le requérant à nouveau à une peine de douze ans et six mois d’emprisonnement en application de l’article 125 de l’ancien code pénal – bien qu’une condamnation plus sévère fût prévue par cette disposition – pour avoir mené des actions visant la sécession d’une partie du territoire de la Turquie. À une date inconnue, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement. Le 29 septembre 2003, après avoir reçu l’avis du procureur général près la Cour de cassation – qui se prononça en faveur de la confirmation du jugement de la cour de sûreté et dont les conclusions écrites ne furent pas notifiées à la partie requérante –, la Cour de cassation confirma la décision attaquée. Il ressort d’un document fourni par le requérant – à savoir le procèsverbal d’une audience tenue devant la cour de sûreté dans le cadre d’une autre procédure pénale – que, parmi les vingtsix témoins à charge dont les déclarations recueillies par la police étaient citées comme des éléments de preuve dans l’arrêt de condamnation du requérant, trois d’entre eux avaient contesté leurs déclarations en précisant qu’ils avaient subi des pressions lors de leur garde à vue. Le 26 septembre 2004 fut adoptée la loi no 5237 portant nouveau code pénal. Ce dernier entra en vigueur le 1er juin 2005. D’après l’article 7 § 2 de ladite loi, en cas de divergence entre les dispositions législatives en vigueur à la date de commission d’une infraction et celles entrées en vigueur après cette date, il convenait d’appliquer la loi la plus favorable à l’auteur d’une infraction. À la suite de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, le procureur de la République saisit la cour d’assises d’İzmir d’une demande d’examen de la condamnation du requérant eu égard aux dispositions plus douces du nouveau code pénal. Par un jugement du 21 juillet 2005, adopté à la suite d’un examen sur dossier, la cour d’assises d’İzmir décida de ne pas modifier la peine infligée au requérant. Par un arrêt du 1er octobre 2007, la Cour de cassation infirma ce jugement. Le dossier ne contient pas d’informations sur la suite de la procédure. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 125 de l’ancien code pénal, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, était ainsi rédigé : « Quiconque commet un acte tendant à la soumission de tout ou partie du territoire de l’État à la domination d’un État étranger, à la diminution de son indépendance, à l’altération de son unité, ou tendant à la soustraction d’une partie du territoire à l’administration de l’État, sera passible de la réclusion à perpétuité aggravée. » L’article 168 de l’ancien code pénal se lisait ainsi : « Quiconque, en vue de commettre les infractions énoncées aux articles 125 (...), constitue une bande ou organisation armée ou en prend la direction et le commandement ou acquiert une responsabilité particulière dans une telle bande ou organisation sera condamné à une peine minimale de quinze ans d’emprisonnement. Les divers membres de la bande ou de l’organisation seront condamnés à une peine de cinq à quinze ans d’emprisonnement. » La loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme prévoit dans son article 5 une augmentation de moitié des peines prévues par le code pénal pour certaines infractions, énumérées aux articles 3 et 4 de ladite loi, au nombre desquelles figuraient les infractions susmentionnées. Un exposé des dispositions pertinentes en l’espèce du droit turc en vigueur à l’époque des faits et des amendements ultérieurs concernant la présence d’un avocat lors de la garde à vue figure entre autres dans l’arrêt Salduz c. Turquie ([GC], no 36391/02, §§ 27-31, CEDH 2008). Un résumé du droit et de la pratique concernant la présentation de l’avis du procureur général près la Cour de cassation, en vigueur à l’époque des faits, figure dans l’arrêt Göç c. Turquie ([GC], no 36590/97, § 34, CEDH 2002V).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants résident tous à Saint-Pétersbourg. À des dates différentes, une association régionale « les vétérans du service militaire – invalides du Tchernobyl » de Saint-Pétersbourg a saisi le tribunal d’arrondissement Oktyabrskiy de la même ville dans le but de voir accorder aux requérants les certificats d’incapacité leur ouvrant droit à un régime de retraite privilégié dont bénéficient les vétérans de la deuxième guerre mondiale. A. Requêtes nos 57019/08 et 57021/08 introduites par M. Adrian Pegov et par M. Leonid Rudenko, respectivement Le 9 juin 2006, le tribunal d’arrondissement Oktyabrskiy, s’appuyant sur l’interprétation combinée des différents actes législatifs et réglementaires, conclut que les requérants avaient droit aux certificats d’incapacité et ordonna au défendeur, le Commissariat militaire de la ville de Saint-Pétersbourg de les leur délivrer. Le 12 juillet 2006, la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg, statuant sur l’appel du Commissariat militaire, annula le jugement du 9 juin 2006 au motif que le tribunal de première instance avait fait une interprétation trop extensive de la législation et renvoya l’affaire pour un nouvel examen. À une date non spécifiée, les requérants déposèrent une demande en contrôle en révision devant le Présidium de la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg. Le 4 octobre 2006, le Présidium de la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg annula l’arrêt rendu par la cour en appel le 12 juillet 2006 et restaura le jugement du tribunal d’arrondissement Oktyabrskiy du 9 juin 2006. Le 9 juillet 2007, le Commissariat militaire déposa une demande de contrôle en révision à l’encontre de l’arrêt du Présidium de la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg et du jugement du tribunal d’arrondissement Oktyabrskiy devant la Cour Suprême de la Fédération de Russie. Le 4 juillet 2008, la Cour Suprême fédérale annula les décisions de justice faisant l’objet du recours et rejeta l’ensemble des demandes des requérants. La Cour Suprême releva que la législation prévoyant le régime privilégié pour les vétérans de la deuxième guerre mondiale avait été adoptée bien avant la catastrophe de Tchernobyl et que, depuis, aucun acte législatif ou réglementaire n’était venu étendre le bénéfice de ce régime privilégié aux victimes de la catastrophe en question. En l’absence de dispositions spécifiques à cet égard dans la législation en vigueur, la demande des requérants devait donc être rejetée. Le 10 octobre 2008, le Commissariat militaire annula les certificats d’incapacité des requérants délivrés en exécution de l’arrêt du Présidium de la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg et en informa le Fonds de pension. À compter du 1er novembre 2008, le Fonds de pension restaura la retraite des requérants dans le montant qu’ils touchaient avant l’arrêt du Présidium de la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg. B. Les autres requêtes Le 28 avril 2006, le tribunal d’arrondissement Oktyabrskiy accorda les demandes similaires introduites au nom et pour le compte des autres requérants. Le 31 mai 2006, la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg confirma ce jugement en appel. À des dates différentes en juillet et août 2006, le Commissariat militaire délivra aux requérants les certificats d’incapacité. Le 30 mai 2007, le Commissariat militaire déposa une demande de contrôle en révision. Le 29 août 2007, le Présidium de la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg décida de suspendre l’examen de cette demande en attendant l’issue d’une affaire similaire pendante devant la Cour Suprême fédérale. Le 17 septembre 2008, le Présidium de la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg annula les décisions de justice rendues par le tribunal d’arrondissement Oktyabrskiy et par la Cour de la ville de Saint-Pétersbourg et rejeta l’ensemble des demandes des requérants. Les requérants continuent à ce jour à percevoir la retraite privilégiée. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La procédure de contrôle en révision, telle qu’elle existait entre 2003 et 2008, est résumée dans les précédents décisions et arrêts de la Cour (voir Denisov v. Russia (déc.), no 21823/03, 27 janvier 2007 et Sobelin et autres c. Russie, nos 30672/03, 30673/03, 30678/03, 30682/03, 30692/03, 30707/03, 30713/03, 30734/03, 30736/03, 30779/03, 32080/03 et 34952/03, § 34, 3 mai 2007). Le 7 janvier 2008, la loi fédérale no 330-FZ du 4 décembre 2007 est entrée en vigueur. Les modifications de la procédure de contrôle en révision introduite par cette loi sont résumées dans la décision de la Cour rendue dans l’affaire Martynets c. Russie ((dec.), no 29612/09, 5 novembre 2009). Conformément aux dispositions transitoires contenues dans cette loi, les demandes de contrôle en révision présentées avant son entrée en vigueur devaient être examinées selon les dispositions applicables au moment de leur introduction (article 3 de ladite loi).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1983. A. L’arrestation du requérant et la procédure pénale menée à son encontre Le 15 février 2003 vers 20 heures, le requérant fut arrêté par des agents de police. Un procès-verbal d’arrestation fut établi à 20 h 30 et signé par l’intéressé ; les éléments exposés ci-après ressortent de ce procès-verbal. Le requérant fut surpris par la police en train de lancer un cocktail Molotov contre une banque, dans le quartier de Sultanbeyli à Istanbul, et il prit la fuite. Dans sa course, le requérant s’introduisit dans un immeuble en chantier ; alors qu’il montait les escaliers, il trébucha et tomba. Les policiers se jetèrent sur lui et firent usage de la force pour le maîtriser alors qu’il tentait de résister. Le requérant fut ensuite conduit à l’hôpital de Sultanbeyli. Le rapport médical établi à 21 h 20 indiquait la présence d’une coupure au niveau du sourcil droit, des égratignures au menton, ainsi qu’une ecchymose et un œdème au nez. Le médecin recommanda le transfert du requérant vers l’hôpital de Kartal pour des examens plus minutieux et une prise en charge médicale. À son arrivée à l’hôpital de Kartal vers 22 heures, le requérant fut pris en charge au service des urgences chirurgicales. Son examen révéla la présence d’une coupure et d’un hématome sur le côté du sourcil droit et une sensibilité à l’épaule droite et au fémur gauche. Le 16 février 2003, vers 14 heures, le requérant subit un examen médical à l’institut médicolégal de Fatih. Le médecin releva des blessures au sourcil – à savoir une coupure, qui avait été suturée, et une ecchymose –, une ecchymose de 2 x 2 cm sous l’œil droit et des égratignures au menton. Lors de son examen, le requérant se plaignit de douleurs au torse, ainsi que sur l’ensemble du corps et au fémur. Le même jour, le requérant s’entretint avec un avocat. Le dossier ne contient pas de document relatif à cet entretien. Le 17 février 2003, la police recueillit la déposition du requérant. Celui-ci reconnut sa participation à l’attaque au cocktail Molotov, commise avec un ami, ainsi que sa participation à trois manifestations de soutien au PKK (organisation armée illégale). À cette occasion, le requérant ne bénéficia pas de l’assistance d’un avocat. Le 18 février 2003, la police conduisit le requérant sur les lieux de l’attaque au cocktail Molotov et des manifestations, pour une reconstitution des faits. Pour chacun des transports sur les lieux, un procès-verbal, signé par le requérant, fut dressé. Lors de ces transports, le requérant ne fut pas assisté par un avocat. La police réalisa également un enregistrement vidéo de chaque visite des lieux. Le 19 février 2003, le requérant subit un nouvel examen à l’institut médicolégal. Le rapport établi au terme de son examen indiquait les mêmes blessures que celles relevées lors de l’examen effectué le 16 février 2003. Lors de son examen, le requérant indiqua avoir été frappé lors de son arrestation et précisa ne pas avoir subi de mauvais traitements après son arrivée au commissariat. Le même jour, le requérant fut présenté au procureur de la République, devant lequel il garda le silence sur les accusations portées contre lui. Interrogé sur les blessures relevées dans les rapports médicaux, il déclara qu’elles avaient été infligées par les policiers lors de son arrestation. Toujours le 19 février 2003, le requérant fut traduit devant le juge près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul, qui ordonna son placement en détention provisoire compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, des preuves recueillies et d’un risque de fuite. Devant le juge, le requérant, représenté par un avocat, revint sur ses déclarations faites devant la police : il affirma que les policiers l’avaient arrêté alors qu’il passait par là et l’avaient accusé d’avoir commis l’attaque au cocktail Molotov. Il indiqua que les policiers lui avaient fait signer le procès-verbal de déposition sans qu’il eût pu prendre connaissance de son contenu. Le 21 février 2003, le requérant fut inculpé du chef d’appartenance à une organisation illégale et d’usage de produits explosifs, sur le fondement des articles 168 § 2 et 264 §§ 6 et 8 de l’ancien code pénal. L’ami qui l’accompagnait lors de l’attaque au cocktail Molotov fut également inculpé. Le procès commença devant la cour de sûreté de l’État d’Istanbul. Après l’abolition des cours de sûreté de l’État, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises de cette ville. Lors de la première audience qui eut lieu le 16 mai 2003, la cour d’assises recueillit les déclarations du requérant. Celui-ci nia les faits qui lui étaient reprochés et contesta sa déposition faite devant la police au motif qu’elle avait été obtenue sous la contrainte. Il expliqua que le jour de l’incident les policiers avaient procédé à un contrôle d’identité et qu’il leur avait montré sa carte de membre d’un parti politique pro-kurde. Il ajouta ce qui suit : il avait été conduit au commissariat de Pendik par les policiers, puis ces derniers l’avaient emmené à un autre endroit, les yeux bandés ; là, ils lui avaient infligé toutes sortes de traitements et tortures ; puis, des policiers l’avaient conduit à un autre endroit où ils l’avaient blessé en heurtant sa tête sur le trottoir ; ensuite ils l’avaient conduit à la direction antiterroriste avant de le conduire à nouveau au commissariat où il avait passé la nuit ; le lendemain, il avait été à nouveau conduit à la direction antiterroriste où il avait été battu ; le surlendemain, il avait été interrogé et les policiers l’avaient obligé à signer la déposition sous la contrainte et la torture, sans qu’il eût pu prendre connaissance de son contenu. Au cours du procès, afin de vérifier les allégations de mauvais traitements du requérant, la cour d’assises demanda la transcription des enregistrements vidéo des transports sur les lieux et désigna un de ses membres pour visionner ces enregistrements. En outre, elle auditionna des policiers, dont certains par commission rogatoire : elle entendit les agents ayant procédé à l’arrestation du requérant ainsi que ceux ayant recueilli les déclarations de l’intéressé et accompagné celui-ci pour les visites des lieux. Les policiers donnèrent des explications sur les actes d’enquête accomplis concernant l’intéressé et rejetèrent les accusations de mauvais traitements. Les agents ayant procédé à l’arrestation exposèrent les circonstances de cette dernière. La cour d’assises s’enquit en outre de la procédure pénale diligentée contre certains policiers devant le tribunal correctionnel de Sultanbeyli (paragraphe 32 ci-dessous) et demanda la copie des dépositions des policiers poursuivis. Tout au long de la procédure, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, de l’état des preuves, de la date de placement en détention provisoire et de la persistance des motifs de détention. À quatre reprises, elle évoqua expressément un risque de fuite. À partir de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale (le CPP), elle se fonda aussi sur l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et sur le fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 dudit code. À deux reprises, elle se fonda sur le risque de fuite eu égard à la peine encourue. Le 26 mai 2006, au terme du procès, la cour d’assises reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés. Relevant que les dispositions du nouveau code pénal entré en vigueur au cours du procès étaient plus favorables au requérant, elle le condamna à dix ans et cinq mois d’emprisonnement pour appartenance à une organisation illégale et usage et possession d’explosifs, sur le fondement des articles 170 § 1 c), 174 § 1 et 314 § 2 du nouveau code pénal. Pour ce faire, la cour d’assises se fonda sur les déclarations faites par le requérant lors de sa garde à vue, sur les enregistrements vidéo relatifs aux visites des lieux, ainsi que sur les déclarations des policiers. Elle nota que, bien que l’intéressé avait affirmé avoir déposé sous la contrainte et que des blessures avaient été constatées sur son corps, il ressortait du dossier que le requérant avait chuté lors de sa fuite et que les policiers avaient usé de la force pour l’immobiliser. Elle nota aussi que le requérant avait déclaré devant le procureur de la République qu’il avait été blessé lors de son arrestation et que son coaccusé avait partiellement confirmé devant le juge sa propre déposition faite devant la police. Enfin, la cour d’assises indiqua que la défense du requérant consistant à nier les faits reprochés avait pour but d’échapper à une condamnation et elle décida de ne pas tenir compte de ladite défense sur ce point. Le requérant forma un pourvoi en cassation ; il se plaignit de sa condamnation en ce qu’elle aurait été fondée sur ses déclarations obtenues lors de sa garde à vue, à ses dires sous la contrainte. Le 12 décembre 2006, la Cour de cassation cassa l’arrêt de première instance pour vice de forme : elle releva que le procès-verbal de l’audience du 26 mai 2006 n’avait pas été signé par les juges. Elle renvoya le dossier devant la cour d’assises. Le 2 février 2007, la cour d’assises ordonna le maintien en détention du requérant, sans indication d’un quelconque motif. Le 7 mai 2007, se fondant sur la persistance d’un risque de fuite eu égard à la nature de l’infraction, sur le laps de temps passé en détention et la peine encourue, sur le fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du CPP, ainsi que sur l’existence de forts soupçons et un risque d’altération des preuves, la cour d’assises jugea qu’une mesure de contrôle judiciaire s’avérait insuffisante. Le 3 juillet 2007, elle ordonna la poursuite de la détention pour des motifs similaires. Le 25 juillet 2007, la cour d’assises libéra le requérant eu égard au laps de temps passé en détention, à l’état des preuves et au contenu du dossier. Le 31 octobre 2007, la cour d’assises réitéra la position qu’elle avait adoptée dans son jugement initial du 26 mai 2006. Le 29 septembre 2009, la Cour de cassation confirma la condamnation du requérant pour appartenance à une organisation illégale et possession d’explosifs. S’agissant de l’usage d’explosifs, elle cassa l’arrêt de première instance au motif qu’il y avait lieu de vérifier si l’article 231 du CPP, relatif au sursis au prononcé du jugement, pouvait s’appliquer dans les circonstances de l’affaire. Par un arrêt du 15 septembre 2010, la cour d’assises considéra qu’il n’y avait pas lieu de surseoir au prononcé du jugement dans sa partie concernant l’usage d’explosifs et elle réitéra la condamnation initiale. Le 5 décembre 2012, la Cour de cassation confirma cet arrêt. B. La procédure pénale diligentée contre les policiers ayant procédé à l’arrestation du requérant Les jours suivants l’arrestation du requérant, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul entama d’office une enquête à la suite des allégations de mauvais traitements de l’intéressé. Le 21 février 2003, il se déclara incompétent et transféra le dossier au parquet de Sultanbeyli. Le 20 mars 2003, le procureur de Sultanbeyli recueillit les déclarations des trois policiers ayant procédé à l’arrestation du requérant ; ceuxci expliquèrent les circonstances de l’arrestation en question, telles que décrites dans le procès-verbal. Ils précisèrent que lorsque le requérant avait chuté dans l’escalier, ne sachant pas s’il était armé ou pas, ils s’étaient jetés sur lui pour l’immobiliser, alors que l’intéressé tentait de résister. Une procédure pénale fut diligentée contre ces policiers devant le tribunal correctionnel de Sultanbeyli. Au cours du procès, le tribunal correctionnel entendit les policiers en leur défense et le requérant en ses déclarations, en ses qualités de victime et de partie intervenante. Le requérant, assisté d’un avocat dans le cadre de cette procédure, déclara que les policiers l’avaient interpellé alors qu’il se trouvait sur les lieux, l’avaient plaqué au sol, puis l’avaient conduit dans un endroit sombre pour le frapper. Par un jugement du 18 décembre 2003, le tribunal correctionnel acquitta les policiers. Au vu des éléments du dossier, il estima établi que le requérant avait pris la fuite et avait chuté lors de sa fuite, que les policiers avaient usé de la force pour le maîtriser et que l’intéressé avait été blessé à cette occasion, et il jugea que les allégations de mauvais traitements n’étaient pas établies. Cette décision fut prononcée lors de l’audience du 18 décembre 2003, en présence du requérant. Faute de pourvoi en cassation, elle devint définitive sept jours plus tard. En 2011, le requérant introduisit un pourvoi contre le jugement en question. Le 18 juin 2013, la Cour de cassation rejeta ce pourvoi pour forclusion. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 168 § 2 de l’ancien code pénal, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, punissait le délit d’appartenance à une organisation illégale d’une peine de dix à quinze ans d’emprisonnement. En vertu de l’article 264 §§ 6 et 8 de ce même code, l’usage de produits explosifs était puni d’une peine d’au moins de cinq ans d’emprisonnement et la peine pouvait être augmentée d’un tiers à moitié pour circonstances aggravantes. Le nouveau code pénal fut introduit par la loi no 5237 et est entré en vigueur le 1er juin 2005. Aux termes de l’article 7 § 2 du nouveau code pénal, en cas de différence entre les dispositions législatives en vigueur à la date de la commission d’une infraction et celles entrées en vigueur après cette date, c’est la loi la plus favorable qui doit être appliquée à l’auteur de l’infraction (pour des exemples relatives à l’application des dispositions plus douces du nouveau code pénal en cours de procédure, voir parmi beaucoup d’autres, les arrêts Bülent Kaya c. Turquie (no 52056/08, § 19, 22 octobre 2013), Alican Demir c. Turquie (no 41444/09, § 33, 25 février 2014), et İbrahim Demirtaş c. Turquie (no 25018/10, § 15, 28 octobre 2014). Selon l’article 170 § 1 c) du nouveau code pénal, l’utilisation de produits explosifs est punie d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement. Selon son article 174 § 1, la possession de produits explosifs est punie de trois à huit ans d’emprisonnement. Enfin, en vertu de l’article 314 du nouveau code pénal, le délit d’appartenance à une organisation illégale est puni de cinq à dix ans d’emprisonnement. En application de l’article 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, les peines prévues pour les infractions terroristes – dont l’infraction visée à l’article 168 de l’ancien code pénal et celle visée à l’article 314 du code nouveau pénal – sont augmentées de moitié. Le nouveau code de procédure pénale fut introduit par la loi no 5271 et il est entré en vigueur le 1er juin 2005. Les articles 100 et suivants de ce code régissent la détention provisoire. D’après l’article 100, une personne peut être détenue lorsqu’il existe des indices sérieux donnant à penser qu’elle a commis une infraction et que la détention provisoire est justifiée par l’un des motifs énumérés dans cette disposition. La détention provisoire est justifiée en cas de fuite et de risque de fuite, ou lorsque le suspect risque de dissimuler ou de modifier des preuves ou d’influencer des témoins. Lorsqu’il existe de forts soupçons que le suspect a commis certains crimes particulièrement graves, notamment contre la sécurité de l’État et l’ordre constitutionnel, l’article 100 § 3 présume l’existence des motifs de détention provisoire. L’article 141 § 1 d) du CPP prévoit la possibilité pour les personnes qui ont été jugées alors qu’elles se trouvaient en détention provisoire et qui n’ont pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander réparation du préjudice subi.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, sont nés respectivement en 1951, 1953, 1957, 1958 et 1961 et résident à Algés et Cascais. Ils sont les uniques héritiers de leurs parents, lesquels étaient propriétaires de deux terrains, d’une superficie totale de 24 375 m2, sis sur le territoire de la commune d’Oeiras. Le père des requérants était également le président du conseil d’administration de la société Habitat-Empreendimentos Imobiliários, SARL (ci-après « Habitat »). Le 2 mars 1962, la mairie d’Oeiras passa un contrat avec les parents des requérants et la société Habitat. Ce contrat prévoyait l’urbanisation du secteur de la vallée d’Algés, dans lequel se trouvaient lesdits terrains. Le 1er mars 1973, la mairie d’Oeiras signa un nouveau contrat avec les parents des requérants, la société Habitat, l’Institut de la famille et de l’action sociale et le Fonds de promotion de l’habitat. La clause no 2 du contrat renvoyait à une carte topographique en annexe ; l’exposé de présentation (memória justificativa) de cette carte prévoyait une surface de plancher constructible de 78 076 m². Par une ordonnance du 15 juillet 1976, le secrétaire d’État au Logement, à l’Urbanisme et à la Construction ordonna la suspension du contrat au motif qu’il était incompatible avec le plan local d’urbanisme, lequel fut publié au Journal officiel le 31 juillet 1976. Au cours de l’année 1976, la construction d’une école primaire fut entamée sur les terrains des requérants ; elle fut achevée l’année suivante. Le 10 octobre 1979, la société Habitat demanda à la mairie d’Oeiras de lever la suspension du contrat, arguant que celle-ci ne se justifiait plus, au vu, selon elle, d’une réforme législative récente. Par une ordonnance du 20 octobre 1980, le secrétaire d’État aux Travaux publics décida l’expropriation en urgence, pour cause d’utilité publique, des terrains appartenant aux parents des requérants (voir ci-dessus paragraphe 11) en faveur de la Direction générale des constructions scolaires (ci-après « la Direction générale »), entité correspondant à l’actuelle direction régionale de l’éducation de Lisbonne. L’ordonnance indiquait que l’expropriation visait à permettre la construction d’une école. Le 12 juillet 1982 fut rendu au sujet des terrains en cause un rapport d’expertise « pour mémoire » (vistoria ad perpetuam rei memoriam). Le 22 novembre 1982, une commission d’arbitrage fixa le montant de l’indemnité d’expropriation à 4 863 euros (EUR), en considérant que les terrains n’étaient utilisables qu’à des fins agricoles. Le 6 juin 1983, le directeur général des constructions scolaires du ministère du Logement, des Travaux publics et des Transports saisit le tribunal d’Oeiras d’une demande d’adjudication – c’est-à-dire de transfert de la propriété – des terrains visés par la décision d’exproprier (procédure interne no 67/83) contre paiement de l’indemnité établie par la commission d’arbitrage. Par une ordonnance du 30 octobre 1985, publiée au Journal officiel du 23 juin 1991, le secrétaire d’État au Logement et à l’Urbanisme approuva le plan d’épannelage (plano de pormenor) de la vallée d’Algés. À une date non précisée, à la suite du décès de leur époux et père, respectivement, la première requérante (décédée depuis lors) et les autres requérants demandèrent à lui être substitués dans le cadre de la procédure. Par une ordonnance du 26 avril 1990, le tribunal prononça l’adjudication des terrains en faveur de la Direction générale contre paiement de l’indemnité qui avait été fixée par la commission d’arbitrage (voir ci-dessus paragraphe 20). Les requérants contestèrent le montant de l’indemnité accordée. Ils estimaient que celle-ci était excessivement inférieure à la valeur réelle des terrains, arguant que ceux-ci étaient inclus dans un plan d’urbanisation et disposaient selon leurs dires d’un potentiel de constructibilité de 78 076 m2 de surface de plancher. À une date non précisée, cinq experts furent nommés. Conformément à l’article 78 du code des expropriations, dans sa rédaction alors en vigueur, trois d’entre eux furent désignés par le tribunal, un autre par la Direction générale, et le dernier par les requérants. Le 3 octobre 1991, les experts du tribunal et celui des requérants remirent un rapport commun d’expertise. Ses éléments essentiels étaient les suivants : – sans indiquer sur la base de quels éléments ils affirmaient cette constructibilité et parvenaient à ce chiffre, les experts estimaient que les terrains expropriés disposaient d’un potentiel constructible de 78 076 m² de surface de plancher ; – en partant d’un coût de la construction d’environ 600 EUR par mètre carré, ils en déduisaient (après réajustement à 15 % du coût total de construction, en application d’une disposition du code des expropriations) que la valeur marchande du terrain était de 7 009 946,03 EUR. S’appuyant sur ce rapport, les requérants réclamèrent une indemnité égale à ce montant. Le 13 juillet 1992, le tribunal d’Oeiras rendit son jugement. Tout d’abord, il autorisa les requérants à intervenir dans le cadre de la procédure au nom de leur père et époux, respectivement. En tenant compte notamment de la localisation du terrain, de la nature des sols, des infrastructures existantes et du potentiel des terrains en termes de construction, il fixa l’indemnité d’expropriation à 14 963 936 EUR. En représentation de l’État, le ministère public fit appel du jugement devant la cour d’appel de Lisbonne, dénonçant son absence de fondement, en fait comme en droit. Par un arrêt du 7 juillet 1993, la cour d’appel de Lisbonne fit partiellement droit au recours. Annulant le jugement, elle ordonna le renvoi de l’affaire devant le tribunal d’Oeiras afin que les experts confirment un certain nombre d’éléments, dont : – la nature du terrain ; – le nombre et les caractéristiques des lotissements qui étaient prévus sur les terrains ; – la densité d’occupation des sols. L’expert de la Direction générale présenta son rapport en novembre 1994. En tenant compte du rapport d’expertise pour mémoire (voir ci-dessus paragraphe 19), il estima que les terrains étaient de nature rurale et que ceux-ci ne disposaient ainsi que d’une vocation agricole. Dans une pièce commune datant du 10 janvier 1995, les experts du tribunal et celui des requérants répondirent comme suit aux questions qui avaient été formulées par le tribunal : – ils admirent que les terrains étaient de nature rurale, au vu du rapport d’expertise pour mémoire ; – sur la question de la capacité des terrains en termes de construction, en revanche, ils réaffirmèrent qu’en 1980 celle-ci était de 78 076 m² de surface de plancher, en expliquant que selon la carte topographique annexée au contrat, il était prévu d’y construire douze lotissements ; – sur la base de ce chiffre et d’un coût de la construction égal à 140 EUR par mètre carré, et après réajustement du coût total de construction pour la surface en question – selon le code des expropriations – , ils parvinrent à la conclusion que la valeur du terrain en 1980 était de 1 635 654,07 EUR. Le 14 juillet 1995, le tribunal d’Oeiras rendit un nouveau jugement. Se référant aux réponses apportées par les experts du tribunal et celui des requérants, il fixa l’indemnité à 10 797 314 EUR, somme correspondant au montant ci-dessus mis à jour en tenant compte du taux d’inflation depuis 1980. Le ministère public fit appel du jugement en dénonçant des erreurs et des contradictions. Les requérants attaquèrent également le jugement. Par un arrêt du 2 mai 1996, la cour d’appel de Lisbonne fit droit au recours du ministère public, aux motifs : – que l’expertise retenue par le tribunal avait suivi les critères établis par une disposition du code des expropriations qui avait été déclarée inconstitutionnelle par un arrêt du Tribunal constitutionnel ; – que les experts du tribunal et celui des requérants n’avaient pas présenté de rapport d’expertise (laudo) et s’étaient limités à répondre aux questions du tribunal, sans préciser les données, les calculs et les éléments qui leur avaient permis de parvenir au chiffre qu’ils avançaient pour la valeur réelle des terrains expropriés. La cour d’appel ordonna ainsi l’annulation du jugement et le renvoi de l’affaire devant le tribunal d’Oeiras en vue d’une nouvelle évaluation des terrains. Le 8 octobre 1996, les cinq experts remirent au tribunal un rapport commun d’expertise, adopté à l’unanimité. Ses éléments essentiels étaient les suivants : – sans davantage préciser sur quel élément objectif ils se fondaient, les experts considéraient comme précédemment que les terrains disposaient en 1980 d’une capacité, en termes de surface de plancher constructible, de 78 076 m² ; – partant d’un coût de la construction de 140 EUR par mètre carré, après réajustement à 25 % du coût total de construction obtenu, ils estimaient donc la valeur marchande du terrain en 1980 – qui déterminait l’indemnité à accorder – à 2 726 090,12 EUR. Par un jugement du 11 septembre 1997, en se référant au rapport d’expertise commun présenté par les cinq experts, le tribunal d’Oeiras estima que la valeur du terrain en 1980 était de 2 726 090,12 EUR. En procédant à une mise à jour de cette somme selon l’évolution de l’indice officiel et objectif des prix à la consommation, qui tenait compte de la dépréciation de la monnaie nationale, il fixa l’indemnité à 19 337 746 EUR. Tant le ministère public que les requérants interjetèrent appel du jugement devant la cour d’appel de Lisbonne. Par un arrêt du 7 mai 1998, la cour d’appel ordonna l’annulation du jugement et des expertises et renvoya l’affaire en première instance avec les instructions suivantes : « (...) pour calculer le montant de l’indemnisation à octroyer en l’espèce, il faut, en premier, rechercher si, à la date de la déclaration [d’utilité publique] de l’expropriation, un plan d’urbanisation était en vigueur et applicable au terrain, et, dans l’affirmative, vérifier quel était le volume et le type des constructions qui y étaient prévues, en calculant leur valeur à ce moment-là, sans compter le prix du terrain, en tenant compte du coût moyen correspondant au type de construction et à la région. S’il n’exist[ait] pas de disposition [de ce genre] quant au type et aux caractéristiques des constructions qui pouvaient y être réalisées, il faudra vérifier le type et les caractéristiques des constructions [qui auraient pu] être faites sur le terrain [en cause] à une fin économique normale, dans son état d’alors – à la date de la déclaration [d’utilité publique] de l’expropriation – en tenant compte du développement local et des règlements en vigueur. La valeur de ces constructions devra être calculée de la même façon. Une fois celle-ci déterminée, il faut calculer le pourcentage de ce total que vaut raisonnablement le terrain, les facteurs prévus à l’article 25 du nouveau code des expropriations pouvant donner une orientation à cet égard, comme l’ont d’ailleurs [retenu] les experts dans le cadre des évaluations au cours de la procédure. Ensuite, il faut calculer le coût des infrastructures que ladite construction eût exigé pour être menée à bien sur un terrain présentant les caractéristiques que le terrain exproprié avait lors de l’intervention de l’État sur le lieu [en question], qui n’était desservi par aucune infrastructure de quelque type que ce soit (...). (...) ce montant devra être déduit de la somme obtenue pour déterminer la valeur du terrain. Cette différence correspond à la juste indemnisation à attribuer aux expropriés. (...) » Dans ses motifs, la cour d’appel dénonçait le fait que l’expertise sur laquelle s’était fondée le tribunal d’Oeiras dans son jugement du 11 septembre 1997 n’ait pas déterminé s’il existait, au moment de l’expropriation, un plan d’urbanisation concernant ledit terrain et, le cas échéant, de ne pas avoir évalué le volume et le type de constructions qui auraient pu y être réalisés. Elle s’exprima ainsi : « (...) Vu l’exposé des paramètres légaux devant être observés dans le calcul de ladite indemnité, il convient d’examiner si ceux-ci ont été suivis par le jugement attaqué. Le jugement ayant accueilli le rapport unanime des experts, il reste à vérifier si ces derniers ont suivi les critères légaux susmentionnés. Nous dirons, d’ores et déjà, que nous ne sommes pas d’accord avec la méthode qu’ils ont utilisée pour déterminer le volume des constructions pouvant être érigées sur le terrain, puisque le type de construction n’a même pas été pris en compte. En effet, (...) les experts n’expliquent pas entièrement comment ils sont parvenus au volume de constructions admissible sur le terrain. Au cours – malheureusement - de la longue marche de la procédure, les expropriés ont argué avec insistance que la construction figurant sur la carte jointe à la page 144 du dossier avait été autorisée sur le terrain en cause. Cependant, cette carte ne porte aucune preuve de son approbation par une quelconque autorité habilitée à cette fin. [Or, de façon inexplicable], tous [les experts en question] ont admis ce volume de construction, sans aucun sens critique ni justification (...). À l’étude du dossier, il semble que, pour fonder la capacité de construction qu’ils invoquent pour leur terrain, les expropriés s’appuient sur un contrat (...) passé entre la mairie d’Oeiras, la société Habitat, les expropriés, l’Institut de la famille et de l’action sociale et le Fonds de promotion de l’habitat. (...) Cependant, comme indiqué dans la clause no 3 du contrat datant de 1973, la construction à établir dans lesdits terrains dépendait de l’approbation de la mairie d’Oeiras, [par la force des choses, tout comme d’un point de vue légal]. (...) Par ailleurs, ce contrat a été suspendu par une ordonnance du 15 juillet 1976 (...). Dès lors, il n’était pas en vigueur au moment de la déclaration d’ [utilité publique de l’] expropriation et même de l’occupation du terrain (...) (...) » À la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Lisbonne, le tribunal d’Oeiras requit une nouvelle expertise des terrains. Les 22 janvier 2001, les experts des requérants remirent leur rapport : – en se référant comme précédemment à la carte topographique qui était annexée au contrat d’urbanisation passé notamment avec la mairie d’Oeiras (voir ci-dessus paragraphe 13), ils évaluaient la surface de plancher constructible à 78 076 m² ; – partant d’un coût de la construction de 648 EUR/m², et après application d’un coefficient de 25 % au coût total de construction, ils concluaient que la valeur des terrains était de 12 656 747,24 EUR ; – après déduction du coût des infrastructures, ils estimaient donc à 12 516 235,87 EUR la somme à accorder aux requérants à titre d’indemnisation. Le 31 janvier 2001, les experts du tribunal et celui de la Direction générale présentèrent un rapport d’expertise commun au tribunal. En se référant au rapport d’expertise pour mémoire (vistoria ad perpetuam rei memoriam) du 12 juillet 1982, ils indiquèrent : – qu’il n’existait au moment de l’expropriation aucune construction ou voirie sur les terrains en cause, et que l’école qui y avait été construite se situait à 50 m de la voie publique la plus proche ; – que, vu le temps écoulé depuis la déclaration d’utilité publique, il n’était pas possible de définir avec certitude la densité de construction qui était autorisée sur les 24 375 m² de superficie des terrains au moment de l’expropriation ; – qu’il convenait, dès lors, d’opter pour une approche par densités « moyennes ». Cette approche par moyennes les conduisit à évaluer la surface de plancher constructible à 17 250 m². Partant d’un coût de la construction de 648 EUR/m², ils déterminèrent le prix total de construction, auquel ils appliquèrent un taux d’ajustement de 20 %. Sur la base de ces éléments, ils fixèrent la valeur du terrain à 2 269 530,43 EUR pour l’année de présentation de leur rapport, soit 2001. Le 15 décembre 2008, le tribunal d’Oeiras rendit son jugement ; il considéra : – qu’au moment de la déclaration d’utilité publique, en date du 20 octobre 1980, les terrains expropriés faisaient partie d’un plan d’urbanisation en vertu du contrat du 1er mars 1973 signé avec la mairie d’Oeiras et la société Habitat, contrat qui était bien valable ; que l’argumentation des requérants était donc fondée sur ce point ; – que, pour déterminer le volume et le type des constructions qui étaient prévues sur lesdits terrains, la carte topographique annexée au contrat d’urbanisation ne pouvait pas être retenue, les cinq experts n’ayant pas été unanimes à cet égard ; – qu’aucun élément du dossier ne corroborait le chiffre de « 78 076 m² de surface [de plancher] constructible » défendu par l’expert des expropriés, compte tenu de l’absence de documents établissant de façon irréfutable le quantum constructible autorisé sur les terrains, en termes de nombre d’appartements et de surface de plancher, avant la déclaration d’utilité publique en 1980, mais aussi du temps écoulé depuis celle-ci, et de la construction de l’école en 1976 ; – que l’expert des expropriés se fondait en effet sur la carte topographique annexée au contrat, que le tribunal venait de considérer comme étant à écarter, tandis que les experts du tribunal et celui de la Direction générale s’appuyaient sur le rapport d’évaluation de la commission d’arbitrage et sur des valeurs moyennes ; – qu’il y avait lieu de suivre l’opinion des experts majoritaires de l’instance (cette majorité étant formée en l’occurrence de ceux du tribunal et celui de la Direction générale), et de conclure ainsi que l’indemnité à accorder aux requérants devait être fixée à 2 269 530 EUR ; – que ce montant devrait être actualisé en tenant compte de l’évolution de l’indice des prix à la consommation depuis 2001, date du rapport des experts. Les requérants interjetèrent appel du jugement devant la cour d’appel de Lisbonne, en dénonçant des contradictions en fait et en droit. Ils se plaignaient aussi que le montant effectivement actualisé de l’indemnité, selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation depuis 2001, n’était pas mentionné dans le jugement. La cour d’appel de Lisbonne rendit son arrêt le 11 février 2010. Sur l’essentiel, elle estima que le jugement ne présentait pas de contradictions et avait, conformément à la jurisprudence, adopté les conclusions de l’expertise majoritaire obtenue dans le cadre de la procédure. Elle accueillit en revanche l’appel des requérants s’agissant de l’absence d’actualisation du montant de l’indemnité dans le dispositif du jugement. Au final, la cour d’appel ordonna le paiement de l’indemnité telle que calculée par l’expertise majoritaire, avec actualisation de son montant selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation depuis 2001 jusqu’au paiement intégral de l’indemnité. À une date non précisée de l’année 2010, une somme de 2 700 741 EUR fut versée aux requérants. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 62 de la Constitution garantit le droit de propriété ainsi que le droit à une juste indemnisation en cas d’expropriation. Au moment des faits, le code des expropriations applicable était celui adopté par le décret-loi no 845/76 du 11 décembre 1976, dont les dispositions pertinentes se lisaient ainsi : Article 27 « 1. Lors de l’expropriation pour cause d’utilité publique de tous biens ou droits, le droit à une juste indemnisation est garanti à l’exproprié. L’indemnité sera fixée sur la base de la valeur réelle des biens expropriés et devra être calculée en fonction de la pleine propriété, tous frais et charges devant être déduits (...). » Article 28 « 1. La juste indemnisation ne vise pas à compenser le bénéfice obtenu par l’expropriant, mais à réparer le préjudice subi par l’exproprié à raison de l’expropriation. Le préjudice pour l’exproprié est apprécié en tenant compte de la valeur réelle des biens expropriés [au moment de l’expropriation] et non des dépenses engagées pour obtenir le remplacement de la chose expropriée par une autre équivalente. (...) » Article 29 « 1. Pour la détermination de la valeur des biens, ne peuvent être prises en compte ni les plus-values résultant de travaux d’aménagement ou d’infrastructures à caractère public réalisés au cours des dix dernières années, ni la déclaration d’utilité publique de l’expropriation [elle-même], ni aucune autre circonstance postérieure à cette déclaration et dépendant de la volonté de l’exproprié ou d’un tiers. Aux fins du paragraphe précédent, sont considérées comme travaux d’aménagement ou infrastructures à caractère public toutes réalisations [de cette nature] ayant été financées ou majoritairement cofinancées, pécuniairement ou matériellement, par l’État ou ses organes autonomes, par les municipalités, par les sociétés concessionnaires de services publics, par des personnes morales d’utilité publique administrative ou par des entreprises publiques. » Article 33 « 1. La valeur des terrains situés en agglomération urbaine sera calculée conformément aux articles 27 et 28, mais ne pourra pas être supérieure à 15 % du coût probable des constructions possibles sur ceux-ci, calculé de la façon suivante : a) En premier lieu, il s’agit de calculer le volume et le type de constructions pouvant être réalisés sur le terrain, dans une optique de profit économique normal, dans l’état actuel [des choses], en tenant compte du développement local et des règlements en vigueur, sans qu’il y ait lieu de prendre en compte, à cet égard, tout projet, plan ou étude modifiant cette possibilité de quelque façon que ce soit ; b) Ensuite, il faut calculer le coût probable de la construction, sans tenir compte du terrain, en considérant le coût moyen correspondant au type de construction et à la région ; c) Si le coût de la construction doit être sensiblement aggravé en raison des conditions particulières affectant les lieux, l’importance de l’augmentation qui en résulte sera déduite de la valeur maximale à attribuer au terrain. Un décret ministériel pourra fixer : a) Les coefficients maximums d’occupation du sol en vue du calcul indiqué à l’alinéa a) du paragraphe précédent, à travers la définition du volume utile maximum d’occupation pour chaque mètre carré d’emprise possible, en tenant compte des règlements en vigueur, selon les zones ; b) Les prix moyens de construction pour le calcul mentionné à l’alinéa b) du paragraphe précédent, en fonction des divers types et catégories de construction et des diverses régions et localités. (...) » Article 78 « 1. L’évaluation est réalisée par cinq experts, de la façon suivante : a) Chaque partie désignera un expert et les trois autres seront nommés par le juge, deux d’entre eux étant choisis à partir de la liste officielle publiée par le ministère de la Justice et le troisième étant librement choisi ; (...) »
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Le requérant est né en 1981 et réside à Paris. Par une ordonnance de mise en accusation du 23 février 2005, le requérant fut renvoyé devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône pour le meurtre de la responsable d’une bijouterie, retrouvée morte par deux clients dans sa boutique, et des vols précédés, accompagnés ou suivis de violences ayant entraîné la mort de la victime. Le 13 octobre 2005, la cour d’assises des Bouches-du-Rhône l’acquitta. Le ministère public interjeta appel et la cour d’assises des Alpes-Maritimes fut désignée par la Cour de cassation pour statuer en appel. Le requérant, sans domicile fixe, ne pouvant tout d’abord être localisé, le procès en appel fut une première fois reporté en 2007. Lorsqu’il fut retrouvé, une nouvelle date fut fixée en janvier 2008, mais deux expertises psychiatriques du requérant, en date des 20 septembre et 27 décembre 2007 conclurent au fait qu’il ne disposait pas d’un discernement suffisant pour participer à son procès. Le procès fut renvoyé au mois de janvier 2010. Dans deux rapports des 21 septembre 2009 et 4 janvier 2010, un expert psychiatre estima son état mental incompatible avec sa comparution devant la cour d’assises. L’audience étant finalement fixée aux 20, 21 et 22 octobre 2010, une nouvelle expertise fut ordonnée par la présidente de la cour d’assises le 20 octobre 2010 pour dire si le requérant était en état de comparaître. Le jour même, l’expert psychiatre conclut que tel était le cas. Par un arrêt du 22 octobre 2010, après plusieurs jours d’audience et cinq questions ayant été posées au jury, deux autres étant sans objet, la cour d’assises d’appel des Alpes-Maritimes le déclara coupable et le condamna à vingt années de réclusion criminelle. Les questions posées et les réponses se lisaient comme suit : « Question no 1 : « L’accusé PEDUZZI Sébastien a-t-il à Marseille (Bouches du Rhône) le 23 novembre 2001, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, volontairement donné la mort à [S.] ? » Réponse : OUI à la majorité des 10 voix au moins Question no 2 : « L’accusé PEDUZZI Sébastien a-t-il à Marseille (Bouches du Rhône) le 23 novembre 2001 frauduleusement soustrait divers objets au préjudice de [S.] ? » Réponse : OUI à la majorité des 10 voix au moins Question no 3 : « Les faits spécifiés à la question no 2 ont-ils été commis avec l’usage d’une arme, en l’espèce une arme à canon rayé tirant des munitions de calibre 22 ? » Réponse : OUI à la majorité des 10 voix au moins Question no 4 : « Le meurtre spécifié à la question no 1 a-t-il précédé, accompagné ou suivi le crime spécifié à la question no 2 et qualifié à la question no 3 ? » Réponse : OUI à la majorité des 10 voix au moins Question no 5 : « Les faits spécifiés à la question no 2 ont-ils-été précédés, accompagnés ou suivis de violences ? » Réponse : sans objet Question no 6 : « Les violences spécifiées à la question no 5 ont-elles entraîné la mort de [S.] ? » Réponse : sans objet Question no 7 : « L’accusé PEDUZZI Sébastien bénéficie-t-il pour les faits spécifiés à la question no 1 et à la question no 2, qualifiée aux nos 3, 5 et 6 de la cause d’irresponsabilité pénale prévue à l’article 122-1 alinéa 1o du Code pénal, selon lequel n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ? » Réponse : NON à la majorité des 10 voix au moins » Le 29 septembre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1990 et réside à Şanlɪurfa. Le 20 mai 2010, le requérant fut arrêté parce qu’il était soupçonné d’être membre du PKK, une organisation illégale. Le 24 mai 2010, il a été traduit devant le juge, lequel ordonna son placement en détention provisoire. Le 31 mai 2010, le procureur de la République inculpa le requérant sur le fondement de l’article 314 § 2 du code pénal. Le procès commença devant la 12e chambre de la cour d’assises d’Istanbul. Le 23 février 2011, la cour d’assises tint la première audience au terme de laquelle elle ordonna le maintien en détention provisoire du requérant. Au terme de l’audience du 16 mai 2012, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire. Le 18 juin 2012, la 13e chambre de la cour d’assises d’Istanbul rejeta l’opposition formée par le requérant contre la décision de maintien en détention prise à l’issue de l’audience du 16 mai 2012. Elle statua sur dossier, conformément à l’avis écrit du procureur de la République. Le requérant fut libéré le 16 avril 2013. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Un exposé du droit et de la pratique internes pertinents figure dans l’arrêt Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011), et la décision Koçintar c. Turquie (no 77429/12, §§ 9-26, 1er juillet 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont nées respectivement en 1950 et 1955 et résident à Ciampino. Les requérantes étaient propriétaires d’un terrain constructible sis à Ciampino et enregistré au cadastre, feuille 7, parcelle 1 528. Par un arrêté du 4 novembre 1988, le conseil municipal de Ciampino approuva le projet de construction d’une route sur le terrain des requérantes. Par un arrêté du 5 avril 1989, le maire de Ciampino ordonna l’occupation d’urgence d’une partie du terrain des requérantes, à savoir 512 mètres carrés, en vue de son expropriation, afin de procéder à la construction de la route. L’occupation matérielle eut lieu le 16 mai 1989. Le 27 février 1996, les requérantes introduisirent devant le tribunal de Velletri une action en dommages-intérêts à l’encontre de la municipalité. Elles faisaient valoir que l’occupation du terrain était illégale, étant donné que celle-ci s’était poursuivie au-delà de la période autorisée, sans mise en œuvre d’une procédure d’expropriation et versement d’une indemnité et demandaient un dédommagement pour la perte du terrain. Une expertise technique fut ordonnée par le tribunal. Selon l’expert, la valeur vénale du terrain en 1998 était de 256 220 000 ITL (environ 132 000 EUR). Par un jugement du 19 septembre 2003, le tribunal affirma que le terrain était passé à l’administration par effet de l’expropriation indirecte. Selon le tribunal la valeur vénale du terrain était de 281 842 000 ITL ; toutefois, compte tenu de ce que le terrain était grevé d’une servitude d’usage et, plus particulièrement, d’une « servitude de pâturage, », la valeur vénale était de 277 490 000 ITL (143 311,62 EUR). Le tribunal condamna l’administration à payer aux requérantes une indemnité d’expropriation correspondante à la valeur marchande du terrain en 1992, à savoir 143 311,62 EUR, plus 31 626,71 EUR pour indemnité d’occupation. Ces sommes devaient être réévaluées et assorties d’intérêts. Il ressort du dossier que ce jugement acquit force de chose jugée le 1er octobre 2004. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La date de la naissance des requérants et des héritiers de Mehmet Nusrat Senyücel est comme suit. Les intéressés résident à Birecik. - Mustafa Senyücel : 1988 - Sürüye Şenyücel : 1931 - Mehmet Senyücel : 1999 - Aynizeliha Senyücel : 1959 - Zeynep Akdemir : 1992 - Türkan Senyücel : 1994 - Hatice Senyücel : 1997 Dans le cadre de la construction d’un barrage hydraulique, le ministère de l’Énergie et des Ressources Naturelles (« l’administration ») procéda à l’expropriation de plusieurs terrains dont les requérants étaient copropriétaires et leur versa des indemnités d’expropriation. En désaccord avec les montants payés par l’administration, les requérants engagèrent devant le tribunal de grande instance de Birecik (« le tribunal ») une action en augmentation des indemnités d’expropriation pour chacun des terrains. Le tribunal fit partiellement droit aux prétentions des requérants en octroyant des indemnités complémentaires. Les montants ainsi alloués furent assortis d’intérêts moratoires au taux légal en vigueur à l’époque des faits. La Cour de cassation confirma les jugements de première instance. L’administration versa les compléments d’indemnités et les intérêts moratoires dans les mois suivant les arrêts de la Cour de cassation. Les détails de la procédure en droit interne et les montants alloués par les juridictions et versés par l’administration figurent dans le tableau suivant : II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents en matière d’expropriation à l’époque des faits, voir l’arrêt Akkuş c. Turquie, no 19263/92, 9 juillet 1997, §§ 13 à 16, Recueil des arrêts et décisions 1997IV et l’arrêt Aka c. Turquie, 23 septembre 1998, §§ 17 à 25, Recueil des arrêts et décisions 1998VI.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1974. A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant Le 9 août 2010, le requérant arriva en Grèce et fut arrêté par la police dans la région de Soufli, à Evros. Le 12 août 2010, le procureur d’Alexandroupoli décida de ne pas engager de poursuites contre le requérant afin qu’il soit renvoyé dans son pays d’origine via la Turquie. Le même jour, le directeur de la Direction de la police des frontières de Soufli ordonna son renvoi vers la Turquie. Ce renvoi fut finalement reporté en raison du refus d’admission des autorités turques. Le 13 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli ordonna la mise en détention provisoire du requérant pour une période maximale de trois jours, jusqu’à la reddition de la décision de son expulsion (décision no 9760/20-3240/1-α’). Le requérant prétend que pendant sa détention, il n’avait reçu aucune information sur son statut, sur les raisons de sa détention ou sur les recours disponibles. Il se vit notifier la décision de détention mais sans aucune explication sur son contenu. La décision d’expulsion ne lui avait jamais été notifiée et il avait été obligé de signer des documents en grec dont il ne comprenait pas le contenu. Le centre de Soufli, où il fut détenu en vue de son expulsion, ne disposait d’aucun interprète. Le 17 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant, ainsi que son maintien en détention pour une période ne pouvant pas aller au-delà de six mois maximum à partir de sa mise en détention (décision no 9760/20-3240/1-β’). La décision constatait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures. Elle réitérait qu’il risquait de fuir. Enfin, elle prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours. À des dates non précisées en novembre et décembre 2010, les avocates du requérant lui rendirent visite à deux reprises au centre de rétention de Soufli afin de lui offrir une assistance judiciaire. Le 13 décembre 2010, par l’intermédiaire de ses avocates, le requérant formula des objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour, il invoquait notamment l’impossibilité de procéder à son expulsion, ainsi que les conditions inacceptables de sa détention à Soufli, à savoir le surpeuplement, le manque d’hygiène et d’accès à la lumière naturelle. Il invoquait également la lettre du représentant en Grèce du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés faisant état des constats lors d’une visite au poste frontière de Soufli, effectuée du 29 septembre au 1er octobre 2010. Le 17 décembre 2010, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli rejeta les objections. Il releva notamment que le requérant présentait un risque de fuite, compte tenu de la manière dont il était entré sur le territoire, des conditions de son arrestation, ainsi que du manque d’éléments permettant d’établir son identité. Quant aux doléances du requérant relatives aux conditions de sa détention, ledit tribunal considéra qu’elles étaient soulevées sans preuves et, en tout état de cause, de manière irrecevable (αλυσιτελώς) (décision P202/2010). Le 27 décembre 2010, le requérant sollicita la révocation de la décision P202/2010. Il releva notamment que sa détention n’était pas nécessaire car il pouvait être hébergé à Athènes par une organisation non-gouvernementale et que ses conditions de détention se dégradaient. Le 4 janvier 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli fit droit à sa demande. Il considéra que la continuation de la détention du requérant n’était pas légale, compte tenu du fait qu’il pouvait être accueilli par une organisation non-gouvernementale (décision P16/2011). Le 5 janvier 2011, le requérant fut remis en liberté. B. Les conditions de détention du requérant La version du requérant Le requérant fut détenu pendant cinq mois environ au centre de rétention de Soufli. Il prétend que pendant toute la durée de sa détention, il ne put jamais sortir à l’extérieur du bâtiment, ne fit aucun exercice physique et ne vit jamais le soleil ou le ciel. La surpopulation était telle qu’il dormait assis à même le sol sur des cartons, à côté de détritus ou d’eaux usées. L’espace de détention, prévu pour 45 personnes, en accueillait entre 150 et 200. Il n’y avait ni table, ni chaises, ni armoires. Les matelas et les couvertures étaient crasseux. Le dortoir n’était pas chauffé et ne fut jamais nettoyé pendant les cinq mois où le requérant y séjourna. Le requérant n’eut ni brosse à dent et dentifrice, ni savon, ni shampoing, ni papier toilette. La version du Gouvernement Le Gouvernement décrit le centre de rétention de Soufli, dans lequel le requérant a séjourné, comme suit. La capacité du poste-frontière de Soufli s’élevait, à l’époque des faits, à 25 personnes. La nourriture des détenus était fournie trois fois par jour par la préfecture d’Evros qui recourait aux services d’une société privée de restauration. Cette société prenait soin d’éviter d’y intégrer des aliments dont la consommation était contraire aux convictions religieuses de certains détenus. En ce qui concerne les soins médicaux, deux unités médicales mobiles étaient actives dans le secteur. Dans les lieux de détention, il y avait une présence quotidienne de personnel médical de la région de l’Évros. Les détenus qui ne pouvaient être traités sur place étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. Le nettoyage des cellules était assuré quotidiennement par des sociétés privées. À des intervalles réguliers, tant les autorités que l’organisation « Médecins sans frontières » fournissaient aux détenus des articles de toilette et d’hygiène personnelle. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), A.F. c. Grèce (no 53709/11, 13 juin 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013). III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES ET NATIONALES A. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), dans le rapport du 10 janvier 2012, établi suite à la visite du 19 au 27 janvier 2011 Le commissariat de police et le poste frontière de Soufli consistaient en un bâtiment d’un étage destiné à la détention. Le bâtiment incluait deux dortoirs étroits séparés par un paravent ; chacun d’eux avait une plateforme surélevée sur laquelle les détenus dormaient. Il y avait aussi un espace commun donnant accès à une salle de douche et une toilette. La superficie totale de l’espace de détention était de 110 m². Le jour de la visite de la délégation du CPT, 146 hommes y étaient détenus. Pour accéder aux dortoirs, il fallait enjamber des corps car chaque centimètre carré du sol était occupé. Certains détenus dormaient même dans l’espace situé entre le plafond de la douche et le toit. L’odeur des corps était accablante. Une seule toilette fonctionnait, ainsi qu’une douche à l’eau froide. Plusieurs personnes ont rapporté à la délégation qu’elles urinaient le matin dans des bouteilles ou des sacs en plastique. L’éclairage et la ventilation étaient insuffisants. Il n’y avait pas de possibilité d’exercice physique à l’extérieur. La nourriture était aussi insuffisante et il y avait des plaintes que les plus forts parmi les détenus empêchaient d’autres de manger leur ration. Environ 65 personnes avaient été détenues dans le centre pour plus de quatre semaines et 13 pour plus de trois mois et demi. B. Les constats de la Commission nationale pour les droits de l’homme et du Médiateur de la République Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements d’Evros et de Rodopi afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile. Selon le directeur du centre de rétention de Soufli, sa capacité maximale était de 36 personnes et à condition que la détention ne dure que quelques jours, le centre ne se prêtant pas pour des détentions de longue durée. À la date de la visite de la Commission, le centre en accueillait 56, dont la plupart étaient détenus pendant trois ou quatre mois. Dans un passé récent, le nombre avoisinait les 150 personnes. Les conditions de détention étaient « inadmissibles ». Le plus grand nombre de détenus dormait par terre dans les dortoirs mais aussi dans le hall qui servait pour la promenade de détenus. L’une des deux installations sanitaires (comprenant des toilettes et douches) était en panne. Ainsi, l’ensemble des détenus utilisait l’autre installation, avec toutes les conséquences que cela pouvait entraîner d’un point de vue hygiénique. La promenade dans la cour extérieure du centre dépendait du nombre des détenus, car celui des gardiens ne suffisait pas pour assurer la sécurité et empêcher les évasions. La Commission et le Médiateur concluaient que la présence d’un médecin, d’un psychologue et d’une infirmière ne pouvait pas compenser les conditions de détentions inhumaines et dégradantes.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1985 et réside à Bruxelles. Au cours de la nuit du 13 au 14 août 2005, D. a été agressé à Bruxelles par quatre individus qui lui dérobèrent, sous la menace, son téléphone portable et son portefeuille. D. appela les services de police qui, arrivant sur les lieux quelques instants après les faits, l’embarquèrent dans leur voiture pour faire avec lui le tour du quartier dans l’espoir de retrouver les agresseurs. D. reconnut au moins un de ses agresseurs dans un groupe de personnes. La police arrêta trois de ces personnes, dont le requérant. Ces trois individus furent ensuite présentés à des fins de reconnaissance à D. derrière une vitre sans tain. D. identifia ces trois personnes, dont le requérant, formellement comme ses agresseurs. Il les reconnaissait tant à leur physionomie qu’à leur habillement et l’intonation de leur voix, et indiqua le rôle de chacun d’eux au cours de l’agression qu’il avait subie. Il confirma ses déclarations devant le juge d’instruction. Par jugement par défaut du 13 mars 2008, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamna le requérant à dix-huit mois de prison ferme. D., partie civile, bien que régulièrement cité, ne comparut pas à l’audience. Statuant sur l’opposition formée par le requérant, qui ne comparut cependant pas, le tribunal correctionnel de Bruxelles le condamna à nouveau par jugement du 10 décembre 2009 à dix-huit mois de prison ferme. Le requérant fut privé de liberté le 2 février 2010. Suite à l’appel interjeté par le requérant, la cour d’appel de Bruxelles tint une audience le 29 mars 2010 et refixa l’affaire au 31 mars 2010, audience à laquelle le requérant ne fut cependant pas conduit, de sorte que son avocat décida de le représenter afin d’éviter un report d’audience. Dans ses conclusions d’appel, le requérant demanda à titre principal son acquittement et sollicita à titre subsidiaire, pour le cas où la cour d’appel devrait estimer « qu’il n’y [avait] pas suffisamment d’éléments pour conclure que les faits reprochés au requérant [n’étaient] pas établis », la convocation de D. comme témoin. Par arrêt du 27 avril 2010, la cour d’appel de Bruxelles confirma la condamnation du requérant. La cour d’appel ne convoqua pas D. et ne fit par ailleurs pas droit à la demande du requérant de procéder à son audition. La cour d’appel considéra que la culpabilité du requérant résultait à suffisance de la déposition circonstanciée, précise et nuancée de D. auprès de la police et de la confirmation de ses déclarations lors d’une audition par le juge d’instruction. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il formula notamment un grief tiré de la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention et reprocha à la cour d’appel de l’avoir condamné sur base de la seule déposition de la victime D. sans qu’il n’ait jamais eu la possibilité d’interroger ou faire interroger ce dernier. Par arrêt du 30 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant notamment en ces termes : « Il ne résulte pas de [l’article 6 § 3 d) de la Convention] que le prévenu dispose d’un droit absolu d’obtenir la convocation de témoins devant la justice. Les juges d’appel ont considéré que la victime avait fait une déposition circonstanciée, précise et nuancée concernant l’implication du demandeur dans l’agression. Ils ont en outre relevé qu’à l’occasion de sa déposition devant le juge d’instruction, elle était demeurée tout aussi affirmative. Ainsi, ils ont estimé que l’audition sollicitée n’était pas nécessaire à la manifestation de la vérité. Pour apprécier si une cause a été entendue équitablement, il convient de l’examiner dans son ensemble. Dès lors que le demandeur a eu la possibilité de contredire librement, devant la juridiction de jugement, les éléments apportés contre lui par la partie poursuivante, il ne pourrait prétendre qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Il résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’en matière répressive, la preuve du fait litigieux peut être établie par toutes voies de droit (Cass., 2 janvier 2003, no C.01.0188.F), et que lorsque la loi n’établit pas un mode spécial de preuve, le juge du fond apprécie en fait la valeur probante des éléments sur lesquels il fonde sa conviction et que les parties ont pu librement contredire (voir, parmi d’autres, Cass., 5 janvier 2000, no P.99.1085.F, Cass., 27 février 2002, no P.02.0072.F, Cass., 23 janvier 2008, no P.07.1437.F, et Cass., 17 décembre 2008, no P.08.1223.F). La loi du 1er avril 2007 modifiant le code d’instruction criminelle (« CIC ») en vue de la réouverture de la procédure en matière pénale permet aux condamnés de solliciter la réouverture de la procédure à la suite d’un arrêt de la Cour constatant une violation de la Convention. Les dispositions pertinentes figurent dans les articles 442bis à 442octies du CIC.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1951 et réside à Madrid. Il est journaliste. Le 27 juin 2006, R. G., alors maire de Madrid, porta plainte au pénal contre le requérant devant le juge d’instruction no 2 de Madrid, pour un délit présumé d’injures proférées dans le cadre de l’émission radiophonique « La mañana », dont le requérant était le directeur, diffusée par la chaîne de radio « Cadena de ondas populares (COPE) ». Les injures en question auraient été proférées par le requérant les 8, 9, 10 et 12 juin 2006 et auraient porté sur des déclarations effectuées par R.G. le 7 juin 2006 et sur les activités politiques de ce dernier en rapport avec les attentats terroristes qui avaient eu lieu à Madrid le 11 mars 2004 (attentats désignés sous le nom de « 11M »), trois jours avant les élections législatives du 14 mars 2004, remportées par le parti socialiste (PSOE) face au parti populaire (PP) jusqu’alors au pouvoir. Les 18 et 29 septembre, le 20 octobre et le 1er décembre 2006, R.G. étendit sa plainte à des injures qui auraient été proférées par le requérant les 13, 15 et 21 septembre, le 9 octobre et les 28 et 29 novembre 2006. Par un jugement du 11 juin 2008, le juge pénal no 6 de Madrid considéra le requérant coupable d’un délit continu d’injures graves assorties de publicité, infraction régie par les articles 208, 209, 211 et 74 du code pénal. L’intéressé fut condamné à une peine d’amende de 100 euros (EUR) par jour pendant douze mois, assortie d’une peine de substitution de privation de liberté dont les modalités étaient les suivantes : le nonversement du montant de l’amende dû pour deux jours, soit 200 EUR, entraînait une privation de liberté d’un jour. Le juge pénal expliqua dans son jugement le contexte dans lequel se produisirent les déclarations de R.G. auxquelles le requérant se référait dans les programmes de radio litigieux. Le jugement considéra prouvé ce qui suit : « (...) Le mercredi 7 juin 2006, lors d’un acte convoqué par le quotidien ABC, la question suivante fut posée à R.G.: « indépendamment de la situation concrète de Madrid, [j’aimerais savoir], comme réflexion générale pour le centre-droit en Espagne si, lors de votre intervention, vous avez misé sur le modérantisme (du moins, j’y ai pu voir quelques éléments idéologiques et d’autres qui seraient stratégiques) ; il semblerait que vous avez fait référence à la question de ne pas vous contaminer avec le radicalisme de la gauche au pouvoir. Je crois que vous avez aussi exposé une stratégie lorsque vous avez dit qu’il ne faut pas insister sur les jours précédant le 14 mars. Croyez-vous que ceci est une idée largement partagée dans le Parti Populaire [ci-après, PP] ou bien, y a-t-il toujours, tant dans la question idéologique du modérantisme que dans la question tactique, des divergences de ce qui a précédé le 14 mars [2004, date des élections législatives] ? » [R.G.] répondit: (...) et en second lieu, il y a le 14 mars. Je crois que nous devons remplacer ce gouvernement [socialiste] en raison de la mauvaise gestion qu’il a faite de la confiance que la majorité des espagnols lui avait accordée le 14 mars. Je crois que revenir sur le débat de pourquoi cette confiance lui avait été accordée pourrait produire l’effet pervers de distraire [les espagnols] des erreurs profondes de gestion que le gouvernement a commises depuis le 14 mars. Insister [sur ce qui s’est passé] du 11 au 14, pourrait faire penser à certains citoyens que nous n’avons pas d’arguments du 14 jusqu’ici pour proposer un remplacement du gouvernement. Et nous en avons de très solides. Je crois que dans une démocratie, indépendamment de ce que peuvent être les circonstances - et nous savons tous desquelles circonstances on parle - je crois que ce gouvernement ne mérite pas de rester encore quatre années, car il a dilapidé cette confiance qui lui avait été accordée par les citoyens. Je crois, et ceci est la troisième branche de mon discours, qu’en plus de construire avec modération, qu’en plus de discuter les erreurs du gouvernement, nous devons faire une proposition d’avenir. Les citoyens votent pour l’avenir. Dans toutes les élections il y a toujours deux partis, l’un qui représente le passé et perd [les élections] ; et l’autre qui représente l’avenir et les emporte. Ceci arrive dans tous les systèmes démocratiques. Nous devons convoquer les espagnols pour l’avenir et seulement à partir de cet appel pour l’avenir sur la base des idées, des projets avalisés par les équipes et par la gestion dans des secteurs où nous avons eu des responsabilités de gouvernement, à partir uniquement de cet appel pour l’avenir, nous réussirons à faire en sorte que ceux qui nous soutiennent soient plus nombreux que ceux qui se démarquent. Est-ce que cela veut dire qu’on approuve ce qui s’est passé entre le 11 et le 14 ? Non. Est-ce que cela veut dire qu’on ne peut pas insister sur les erreurs du Gouvernement ? Catégoriquement, non, c’est notre obligation de le faire. Cela veut dire que lorsqu’on prétend gouverner l’Espagne, il faut faire appel à un projet qui œuvre dès la génération actuelle pour la génération suivante, et ne pas tomber (et je reviens ici sur l’effet mimétique du radicalisme), dans des révisionnismes historiques ou dans des regards tournés vers le passé, qui font plutôt partie du bagage sentimental de chacun ou du travail des chaires d’investigation (...) ». Le jugement comportait des passages reprenant les expressions utilisées par le requérant lors des émissions de radio litigieuses : « CINQUIÈMEMENT : (...) Le 8 juin 2006 : « Ce que tu dis, toi, maire, toi, R.G., est que cela t’est égal qu’il y ait 200 morts, 1 500 blessés et un coup brutal pour écarter ton parti du gouvernement ; cela t’est égal pourvu que toi, tu arrives au pouvoir. (...) On te connaît depuis tellement longtemps, tu as été un parfait traître à ton parti dans le fond et dans les formes (...) Et comme cela faisait déjà deux mois qu’il n’avait pas montré qu’il voulait arriver à La Moncloa à tout prix, comme Zapatero, il montre maintenant qu’il est prêt à tout pour y arriver, et ce malgré les 192 morts. Voyons, le premier argument, R.G., le premier argument mis en avant par le parti de l’opposition est d’être décent, honnête, de respecter les citoyens, de ne pas être un serviteur de l’opposition ou du gouvernement ou de P, ce qui t’importe peu. Ce que le PP doit faire en premier lieu est de démontrer qu’il est capable de demander que justice soit faite pour les 200 morts et 1 500 blessés de ta ville ; maire, tu devrais avoir honte, dans ta ville, qui est la nôtre, qui est la capitale d’Espagne. Ah, ah, ah, celui-ci [R.G.] ne ment pas davantage, parce qu’il n’a pas le temps, il est toujours pressé. La seule chose qui m’embête c’est qu’un mec qui va ouvertement à l’encontre de l’AVT [Association des victimes du terrorisme] aille à la manifestation pour monter un petit numéro du genre de « B.». Le 9 juin 2006 : « Hier, nous commentions les déclarations de R.G. au quotidien ABC, dans lesquelles il disait que le 11-M ce n’était rien, qu’il fallait tourner la page, oublier, qu’il fallait regarder vers le futur, c’est-à-dire [oublier] 200 morts, 1 500 blessés ; mais comment vas-tu oublier 3 000 morts (sic) ? Mais comment vas-tu oublier ces 200 morts si tu es le maire de Madrid ? Pourquoi R.G. le fait-il ? Pour lécher les bottes de P. et du PSOE [Parti socialiste]. Il peut être content que les terroristes se lient avec le PSOE et fêtent la suppression des gardes du corps pour six mois (on verra combien de temps ça dure). Mais nous, nous serons toujours du côté des victimes du terrorisme. Ceci est, naturellement, difficile à comprendre pour un parfait hypocrite. Le maire de Madrid annonce le dépôt d’une plainte criminelle contre [moi]. Criminel ! Criminel moi ! Ah, ah, ah ! Ce pauvre type (...). Ce que j’ai dit c’est qu’un type dit, en tant que maire de Madrid, qu’il ne faut pas enquêter sur le 11-M, lorsqu’il est évident qu’on a été trompés, que [l’auteur des attentats] n’était pas AlQaïda, que nous ne savons pas qui en est [l’auteur], mais nous savons qui a diffusé de fausses preuves dans le dossier d’instruction et nous savons qui a bénéficié du massacre. Nous le savons parfaitement, il est à La Moncloa et ils sont au Pays basque, donnant des ordres (...). Maire, 200 morts, 1 500 blessés, et un coup brutal pour écarter ton parti du gouvernement. Cela t’est égal, R.G., pourvu que tu arrives au pouvoir. Où est [ma conduite] criminelle ? Si tu as dit qu’il ne fallait pas enquêter sur le 11-M ! » Le 12 juin 2006 : « Il a fallu que je m’interroge, après le petit numéro qu’il avait monté pour faire du zèle auprès de PRISA, parce que cet hypocrite – il n’est qu’un pauvre hypocrite qui tolère que les acteurs l’attaquent, l’injurient, lui jettent des pierres, lui crachent dessus au siège de son parti, l’appellent « assassin », appellent « assassin », ainsi que « bouclier », sa conseillère municipale A.B., otage de A., pour que ce dernier parvienne à la présidence du PP. [R.G.] ne permet ou n’accepte pas que la COPE lui dise une chose qui saute aux yeux de tous, surtout après ses déclarations [faites] deux jours plus tôt : il s’entête à outrager, à manipuler vilement l’Association des victimes du terrorisme, et il ne veut pas enquêter sur le 11-M. C’est-à-dire, peu importe qu’il y ait 200 morts ou 500 morts. Vas-tu comparer 200 morts, 1 500 blessés et un coup politico-médiatique brutal pour changer la politique espagnole, vas-tu comparer cela avec la carrière politique de R.B. ? De grâce ... ! Mais il y a une partie de l’Espagne qui n’accepte pas qu’on lui fasse prendre des vessies pour des lanternes et qui n’accepte pas non plus qu’il n’y ait pas d’enquête sur le 11-M, je répète, qui n’accepte pas qu’il n’y ait pas d’enquête sur le 11-M, je répète une nouvelle fois, qui n’accepte pas qu’il n’y ait pas d’enquête sur le 11-M pour que l’assassinat de 192 personnes ne reste pas impuni, 1 500 blessés et un changement brutal pour écarter le PP du gouvernement. Ceci nous semble mauvais presque à tous, sauf à R.G. C’est pour cela qu’il est si important que R.G. tente de cacher ce mécanisme misérable, abject, illégal et immoral d’occultation du massacre, de ne pas enquêter sur le massacre qui a provoqué un changement brutal et radical de toute la politique espagnole, de faire en sorte que les auteurs des 192 assassinats et des 1 500 blessés s’en sortent en toute impunité. Mais ils mentent, mentent, mentent. Le 11-M, c’est 200 morts, 1 500 blessés et un authentique coup d’État postmoderne, politique et médiatique qui a mené le Parti populaire du pouvoir à l’opposition. Depuis, tout a changé en Espagne, à commencer par l’Espagne elle-même, qui n’existe plus. Et R.G. veut, et [le quotidien] ABC veut, l’Abecedón veut, le Gallardecé veut, ils veulent tous les deux, c’est-à-dire P. veut et eux aussi parce qu’ils le suivent –, que ce soit occulté. Et R.G. épaule le gouvernement pour que l’on n’enquête pas sur l’assassinat de 192 personnes dont le but était de changer le gouvernement espagnol, moyennant une manipulation préalable de la Cadena SER. Pourquoi tu ne veux pas enquêter R.G. ? Qu’attends-tu ? Qu’est-ce que tu crains qu’ils trouvent ? Pourquoi épaules-tu un juge qui n’instruit pas le dossier ? Ça t’est égal 192 morts, 1 500 blessés et un coup de pied au derrière de ce qui est supposé être ton parti ... pour le chasser du pouvoir, ça t’est égal ? » Le 13 septembre 2006 : « Mais le pire c’est le sale boulot du journal ABC qui considère à nouveau R.G. comme un modèle pour qu’on ne regarde pas le 11-M, un maire de Madrid qui ne veut pas savoir qui a tué 192 personnes et qui ensuite porte plainte contre moi parce que je dis que le pouvoir lui importe davantage. Mais p’tit maire, que fais-tu sinon dire de ne pas enquêter ? Ou crois-tu que nous sommes tous des idiots ? (...) Il faut voir M., il faut voir M. et la nouvelle recrue du PP qui vient d’arriver (...) d’aspect bien plus agréable que R.G., qui a de plus en plus une tête de bantou en colère, plus en colère, de plus en plus en colère (...). Tandis que toi, tu appartiens à P., tu es un élément étranger au PP, tu es une entrave, tu es une calamité, tu n’es pas un maire, tu es un obstacle à l’enquête sur le 11-M. Le 21 septembre 2006 : « Est-ce qu’un monsieur qui dit qu’il ne faut pas enquêter sur le plus grand massacre qui s’est produit à Madrid et dans l’histoire de l’Espagne peut être candidat au poste de maire ? Hier, on a confirmé que R.G. serait candidat à la mairie de Madrid, ça doit être à cause de son refus, en tant que maire, d’enquêter sur le massacre de Madrid du 11M. » Le 9 octobre 2006 : « Le problème est que le maire de Madrid s’acharne toujours à défendre la position du PSOE par rapport au 11-M, c’est-à-dire à mentir à tort et à travers, à duper les juges, à inventer des rapports et à les falsifier. Nous savons déjà que les victimes vous inquiètent énormément, tant et si bien que votre désir fondamental est celui d’enterrer l’affaire. » Le 28 novembre 2006 : « R.G., maire de Madrid, nous voulons savoir qui a tué 200 personnes et en a blessé et mutilé 1 500 pour chasser le PP du gouvernement espagnol et changer la politique antiterroriste, nous voulons savoir. Toi, tu ne veux pas, mais les Espagnols honnêtes, dans leur majorité, veulent savoir. R.G., le maire de Madrid qui ne voulait rien savoir du 11-M. » Le 29 novembre 2006 : « Il se trouve que même les compliments adressés à P. devraient avoir des limites, il se trouve que la génuflexion face à l’hypocrisie devrait avoir une limite ne serait-ce qu’esthétique, monsieur le maire, serait-ce trop vous demander que d’avoir un minimum de dignité et de respect pour les victimes du 11M, 200 morts et 1 500 blessés et mutilés. R.G. ne peut pas continuer à dire ... ne peut pas continuer à travailler avec ABC pour dénigrer les policiers honnêtes... Peut-être que le maire s’est infligé comme pénitence de lire le dossier d’instruction et, à partir de là, de commencer à agir décemment en tant que représentant de la ville où le massacre a été commis. » Concernant la véracité des imputations formulées à l’encontre de R.G., le juge pénal no 6 de Madrid examina les commentaires effectués par le requérant dans les émissions en cause et considéra que ladite véracité n’avait pas été prouvée. Il s’exprima dans les termes suivants : « QUATRIÈMEMENT : Il ressort du récit factuel que l’accusé a proféré des paroles dans lesquelles il impute des faits [à R.G.] : [l’accusé a soutenu que], lors du forum [du quotidien] ABC, R.G. avait dit qu’il ne fallait pas enquêter sur le 11-M, qu’il fallait l’oublier et qu’il fallait occulter le 11-M. Selon lui, [R.G.] aurait dépensé l’argent des contribuables dans le dépôt de la plainte. Le 9 juin 2006, [l’accusé] a dit : « hier, nous commentions les déclarations de R.G. au quotidien ABC, dans lesquelles il disait que le 11-M ce n’était rien, qu’il fallait tourner la page, oublier et regarder vers le futur » et « qui est le criminel ? Tu as même dit de ne pas enquêter sur le 11M ! » ; le 12 juin, [l’accusé a dit] : « C’est pour cela qu’il est si important que R.G. tente de cacher ce mécanisme (...) d’occultation du massacre » et « R.G. veut (...) que l’on cache le 11-M », « R.G. épaule le gouvernement pour ne pas enquêter sur l’assassinat de 192 personnes » ; le 15 septembre 2006, [l’accusé a dit] : « Beaucoup de liberté d’expression, tu parles ! Mais dès que quelqu’un, dans un média, le contredit, allez ! Il dépose une plainte, il dépense l’argent des contribuables ». Le juge justifia sa conclusion sur l’absence de véracité des allégations du requérant de la façon suivante : En l’espèce, la véracité des imputations n’a pas été prouvée. Dans le document nº 2 (CD) fourni avec la plainte (feuillet 34 du dossier judiciaire) figure la question posée à R.G. lors du forum du quotidien ABC du 7 juin 2005. Sa réponse a été entendue à l’audience et il en résulte que l’on attribue à R.G. des choses qu’il n’a pas dites. Interrogé par la partie défenderesse, lors de la procédure orale, sur la question de savoir si ces déclarations avaient été faites à l’encontre de la politique de son parti, qui était de continuer à enquêter sur le 11-M, R.G. répondit que c’était faux, qu’il faisait [ces déclarations] en appuyant cette politique de son parti, en défendant l’enquête [judiciaire] sur le 11-M et la commission d’enquête du Parlement, en soutenant expressément la conduite des procédures judiciaires par les juges et les procureurs et en affirmant qu’il fallait construire un projet d’avenir. Lorsque le défendeur lui demanda : (a) si ses affirmations signifiaient éluder les évènements du 11-M, [R.G.] répondit que non ; (b) si ses déclarations à ABC se référaient au besoin de changer d’attitude politique par rapport à l’enquête sur le 11-M, afin d’attirer des votes du centre gauche et quelques votes du PSOE, il répondit que les affirmations du défendeur étaient fausses, qu’il avait dit qu’il fallait établir un projet d’avenir visant les nouvelles générations et qu’en déduire qu’il souhaitait aboutir à l’impunité des auteurs de 192 assassinats, tel que l’accusé l’avait réitéré à maintes reprises, était gravement injurieux. (...) Le témoin [R.G.] indiqua qu’il était à Atocha où il avait vu mourir beaucoup de personnes, qu’il était avec les familles à la morgue improvisée à Ifema, que tous les moyens avaient été mis en place pour atténuer la douleur des victimes et collaborer avec la justice et que l’accusation selon laquelle il tentait d’occulter le 11-M et qu’il essayait de faire en sorte que les auteurs des 192 assassinats ne soient pas jugés, qu’ils s’en sortent libres, était la chose la plus offensante qu’on ait dite de lui dans sa vie politique. (...) D’après les documents fournis par l’accusé, le 8 juin 2006, le quotidien ABC indiquait dans ses titres « R.G. invite son parti à éluder le 11-M et à s’écarter de sa radicalisation » et, le 9 juin 2006, le quotidien El Mundo indiquait que « A. a rétorqué à R.G. que dans le PP on parle avec modération. Le vice-président de Madrid contredit aussi le maire dans son souhait d’oublier le 11-M ». Le document numéro 2 fourni par le plaignant et les dépositions des témoins proposés par l’accusé, E.A., I.G., E.Z. et A.A., montrent bien que les titres des journaux partent d’un fait non véridique : R.G. n’avait pas dit qu’il fallait éluder le 11-M (...) Pour leur part, les témoins F.J.A.M, P.J.R.C. et L.F.H-T.A. ont interprété les déclarations du plaignant [R.G] dans le même sens que ABC et El Mundo (...) [Leurs] dépositions montrent que les témoins ont interprété les déclarations du plaignant [R.G] dans le même sens que le quotidien ABC et l’accusé ». Concernant le caractère injurieux des propos tenus par le requérant, le juge pénal rappela la jurisprudence du Tribunal constitutionnel selon laquelle étaient protégées par la liberté d’expression non seulement les critiques inoffensives ou indifférentes mais aussi celles qui pouvaient gêner, inquiéter ou déplaire. Il nota toutefois qu’en l’espèce l’accusé avait utilisé des expressions insultantes et inutiles dans le cadre de l’exercice de sa liberté d’expression. Il releva aussi qu’il n’y avait aucun doute que les affirmations faites par le requérant et les qualificatifs employés par lui étaient formellement vexatoires dans n’importe quel contexte et que les propos en cause avaient été utilisés, eu regard de la tâche d’information ou de formation de l’opinion, de manière gratuite et avaient de surcroît causé un tort injustifié à la dignité du plaignant. Le juge rappela que la Constitution ne reconnaissait pas un prétendu droit à l’insulte, précisant que celui-ci serait d’ailleurs incompatible avec la dignité de la personne garantie en son article 10 § 1, et il nota que ni la nature politique de la critique ni certains styles journalistiques ne pouvaient justifier de tels propos. Le juge précisa que certaines des expressions litigieuses (paragraphe 10 ci-dessus) avaient « clairement franchi les limites de la liberté d’expression ». Il jugea, en l’espèce, ce qui suit : « les paroles proférées, en raison de leur sens (...), sont clairement insultantes ou blessantes (...) ; il ne fait aucun doute qu’elles [avaient pour buts de] ternir l’image et la dignité de R.G. de manière inutile et gratuite et [de] discréditer publiquement [ce dernier] en sa qualité de maire de Madrid et de membre du PP ». Le juge conclut que la conduite du requérant n’était pas protégée par l’article 20 § 1 de la Constitution et qu’elle était constitutive du délit prévu par l’article 208 du code pénal. Le requérant fit appel. Par un arrêt du 14 mai 2009, l’Audiencia provincial de Madrid confirma le jugement attaqué. Le requérant saisit alors le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo, qui fut déclaré irrecevable par une décision du 29 mars 2010. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT ET LES INSTRUMENTS PERTINENTS ADOPTÉS DANS LE CADRE DU CONSEIL DE L’EUROPE Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution espagnole sont ainsi libellées: Article 18 « 1. Le droit à l’honneur, à la vie privée et familiale (intimidad personal y familiar) et à l’image est garanti ». Article 20 « 1. Sont reconnus et protégés les droits suivants : a) droit d’exprimer et de diffuser librement les pensées, les idées et les opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction ; (...) d) droit de communiquer et de recevoir librement des informations vraies par tout moyen de diffusion. (...) L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune forme de censure préalable. (...) Ces libertés sont limitées par le respect des droits reconnus au titre 1, par les dispositions des lois d’application et, en particulier, par le droit à l’honneur, à la vie privée, à l’image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance ». Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénal (tel que modifié par la loi organique 10/1995 du 23 novembre 1995) disposent ce qui suit : Article 80 « 1. Les juges et tribunaux peuvent, par décision motivée, surseoir à l’exécution d’une peine privative de liberté si elle est inférieure à deux ans, en tenant compte fondamentalement de la dangerosité criminelle du sujet. (...) ». Article 81 « Les conditions nécessaires pour surseoir à l’exécution d’une peine sont les suivantes : ª qu’il s’agisse de la première condamnation du prévenu. À cet effet, ne seront pas pris en compte les condamnations antérieures pour délit commis par imprudence ni le casier judiciaire qui a été effacé ou qui aurait dû l’être (...). ª que la peine infligée, ou la totalité des peines infligées dans un même arrêt, soit inférieure à deux ans de privation de liberté. ª que [le versement des sommes allouées à la suite de l’établissement des] responsabilités civiles [ait été effectué] (...) ». Article 208 « Constitue une injure l’action ou l’expression qui blesse la dignité d’autrui en portant atteinte à sa réputation ou à son estime de soi. Seule est constitutive de délit l’injure qui, par sa nature, ses effets et son contexte, est considérée, selon le sens commun, comme étant grave. Les injures qui consistent en l’imputation de faits ne sont pas considérées comme graves, à moins qu’elles n’aient été proférées en sachant qu’elles sont fausses ou en mépris flagrant de la vérité ». Article 209 « L’injure grave à caractère public est punie d’une peine de six à quatorze moisamende et, autrement, d’une peine de trois à sept mois-amende ». Article 211 « Les calomnies et les injures sont réputées assorties de publicité lorsqu’elles sont répandues au moyen de l’imprimerie, la radiodiffusion ou tout autre moyen d’efficacité similaire. » Dans son Avis no 715/2013 du 9 décembre 2013, la Commission de Venise expose la position du Conseil de l’Europe sur les sanctions pour diffamation et se réfère aux documents pertinents du Conseil des Ministres et de l’Assemblée parlementaire. Elle s’exprime comme suit : « (...) 33. Dans sa Déclaration sur la liberté du discours politique dans les médias (2004), le Comité des Ministres souligne que « la diffamation ou l’insulte par les médias ne devrait pas entraîner de peine de prison, sauf si cette peine est strictement nécessaire et proportionnée au regard de la gravité de la violation des droits ou de la réputation d’autrui, en particulier si d’autres droits fondamentaux ont été sérieusement violés à travers des déclarations diffamatoires ou insultantes dans les médias, comme le discours de haine ». Dans sa Recommandation CM/Rec (2011) 7 aux États membres sur une nouvelle conception des médias, le Comité des Ministres souligne que toute action menée contre un média s’agissant du contenu diffusé doit respecter strictement les lois en vigueur et en premier lieu le droit international des droits de l’homme, en particulier la CEDH, et satisfaire aux garanties procédurales, et que « la liberté d’expression et d’information, ainsi que la liberté des médias, devraient être présumées ». Dans ses Recommandations 1506 (2001) et 1589 (2003) et, plus récemment, dans la Recommandation 1814 (2007) et la Résolution 1577 (2007) vers une dépénalisation de la diffamation, ainsi que dans la Résolution 1920 (2013) sur l’état de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée parlementaire invite les États à abroger ou à modifier les dispositions en matière de diffamation et à abolir les peines de prison. Dénonçant « le recours abusif à des dommages et intérêts démesurés en matière de diffamation », elle souligne que les journalistes poursuivis pour diffamation doivent pouvoir taire leurs sources. (...). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1955 et 1961 et résident à Denizli. Ils sont le père et la mère d’Ömer Sürer, décédé le 29 février 2004 alors qu’il effectuait son service militaire. A. L’enquête pénale menée sur le décès d’Ömer Sürer Les 10 juillet 2001, 22 août 2001 et 22 novembre 2002, Ömer Sürer, se vit notifier des appels pour effectuer son service militaire. Ces lettres indiquaient, entre autres : « Veuillez apporter (...) votre rapport d’examen sur la tuberculose (...). Afin que votre état de santé puisse être exactement établi, veuillez présenter (...) vos rapports médicaux et documents sur vos traitements antérieurs aux médecins qui vous examineront. » Elles mentionnaient aussi un numéro de téléphone pour contacter les services concernés en cas de besoin. À une date non précisée, Ömer Sürer se présenta aux bureaux de l’armée à Denizli. Il ne communiqua aucun rapport médical. À l’issue d’un examen médical, le bureau conclut à son aptitude au service militaire. Après avoir effectué sa formation de base, Ömer Sürer fut placé dans les effectifs du 17e bataillon d’Adaklı, à Bingöl. Le 29 février 2004, alors qu’il se rendait à son poste de garde vers 3 heures du matin, Ömer Sürer eut une crise cardiaque. Les premiers secours lui furent prodigués aussitôt à l’infirmerie de la caserne par un médecin, mais cela ne permit pas de lui sauver la vie. Le rapport du médecin militaire qui effectua les interventions indique ce qui suit : – L’intéressé a été amené à l’infirmerie à 3 h 05, la prise de pouls ne permettait pas de sentir un battement de cœur, les pupilles étaient fixes et dilatées. Un massage cardiaque a aussitôt été entamé, l’intéressé a été intubé, une injection d’un milligramme d’adrénaline a été administrée par voie intraveineuse directe. Vu l’absence de réaction du corps, un milligramme d’adrénaline supplémentaire a été administré par voie souscutanée, la tentative de réanimation par un massage cardiovasculaire a été poursuivie pendant 45 minutes environ et le décès a été constaté à 3 h 50. Le rapport de l’autopsie réalisée à 11 heures indique que : – le décès était imputable à une insuffisance cardiaque due à une coarctation (rétrécissement) de l’aorte et à une hypertrophie du cœur, qui avait atteint 710 grammes ; – cette anomalie de l’aorte était congénitale ; – c’était cette affection de naissance qui avait entraîné l’hypertrophie du cœur et l’insuffisance cardiaque fatale. Le procureur militaire d’Elazığ recueillit les dépositions des camarades d’Ömer Sürer : – deux d’entre eux affirmèrent qu’Ömer Sürer se trouvait dans la salle de coiffure de la caserne, dont il était le responsable, et qu’il était allé récupérer ses armes et vêtements pour monter la garde de 3 heures à 5 heures, qu’il allait bien et qu’ils ne lui connaissaient pas d’antécédents sur le plan de la santé ; – son camarade de garde, qui l’accompagnait pour aller sur les lieux de la garde, expliqua qu’Ömer Sürer avait monté plusieurs marches d’escalier en courant, puis que, après avoir marché quelques mètres, il s’était effondré ; que lui-même avait appelé à l’aide, puis qu’Ömer Sürer avait été transporté à l’infirmerie ; – deux autres personnes qui étaient arrivées sur les lieux confirmèrent cette dernière partie des faits et expliquèrent qu’Ömer Sürer ne leur répondait pas et que son pouls était très faible. Le procureur militaire consulta également le registre de visites médicales de l’intéressé : il constata qu’Ömer Sürer s’était rendu à l’infirmerie les 19, 24 et 26 décembre 2002, ainsi que les 23 octobre, 3 novembre et 24 décembre 2003 pour une myalgie (douleurs musculaires), une dermite de contact, une pyodermite (problèmes épidermiques) et une grippe. Le 4 mars 2004, le procureur militaire d’Elazığ se référa aux éléments susmentionnés et rendit un non-lieu, au motif notamment : – qu’aucune faute attribuable à une tierce personne n’avait été établie dans le décès ; – qu’à l’examen du dossier personnel du soldat, il apparaissait que celui-ci n’avait jamais consulté les médecins de l’infirmerie pour un problème cardiovasculaire. Les requérants n’ont pas fait opposition à cette décision. B. L’action en dommages-intérêts devant la Haute Cour administrative militaire À une date non précisée, les requérants s’adressèrent au ministère de la Défense pour réclamer des indemnités à raison du décès de leur fils durant son service militaire obligatoire. Ils demandèrent l’application de la loi no 2330 sur l’allocation d’une indemnité ou d’un salaire pour les proches des personnes blessées ou décédées lors de l’exercice d’une fonction de sûreté. Le 21 février 2005, le ministère rejeta cette demande. Le 20 mai 2005, les requérants intentèrent devant la Haute Cour administrative militaire un recours en annulation de cette décision. Par un arrêt du 24 novembre 2005, la Haute Cour débouta les requérants de leur action, en concluant à l’absence d’un lien de causalité entre le décès d’Ömer Sürer et ses fonctions lors de son service militaire. Le 16 février 2006, cette instance rejeta également le recours en rectification d’arrêt formé par les requérants. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS S’agissant du mécanisme prévu pour la protection de l’intégrité physique et psychique des appelés, la Cour renvoie à son arrêt Abdullah Yılmaz c. Turquie (no 21899/02, §§ 32-39, 17 juin 2008). Le règlement des forces armées turques sur l’aptitude au service militaire du point de vue de la santé (règlement no 86/11092 du 24 novembre 1986 – TSK Sağlık Yeteneği Yönetmeliği) précise notamment que, dans le cas où une maladie ou une invalidité est constatée chez un appelé, des mesures d’exemption, d’ajournement du service ou mesures de mise en congé sont prises. Pour la législation concernant la Haute Cour administrative militaire et la composition de cette instance, la Cour renvoie à son arrêt Tanışma c. Turquie (no 32219/05, §§ 29-50, 17 novembre 2015).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1974 et est actuellement détenu au pénitencier de Lecce. A. Les accusations contre le requérant et les investigations préliminaires Le 23 novembre 2008, A, une ressortissante roumaine, porta plainte contre le requérant. Elle affirma que ce dernier avait proposé de l’accompagner chez elle à bord de sa voiture ; cependant, il l’avait conduite à la campagne et l’avait menacée, battue et violée. A ne s’était pas physiquement opposée au viol par crainte de subir des violences ultérieures. À bord de la voiture se trouvait également un autre ressortissant marocain, B, qui s’était toutefois éloigné au moment de la commission du viol. B fut interrogé par les carabiniers de Lesina (Foggia) le 23 novembre 2008. Il déclara que le requérant avait emprunté une route de campagne et avait fait des avances sexuelles explicites à A, qui les avait refusées et, avec un prétexte, s’était éloignée de la voiture. B confirma que le requérant avait battu A, l’obligeant à regagner l’intérieur de la voiture. Connaissant le caractère violent du requérant, B était sorti du véhicule et n’avait pas pu voir ce qui se passait à l’intérieur. Cependant, il avait constaté que celui-ci « oscillait ». Lorsqu’il était remonté en voiture, B avait vu que A pleurait. À la lumière de ces dépositions, le requérant fut accusé de viol, coups et blessures et actes libidineux dans un lieu public. Le 9 février 2009, A fut interrogée dans le cadre d’une audience ad hoc (incidente probatorio) devant le juge des investigations préliminaires (ci-après le « GIP ») de Lucera (Foggia). Le défenseur du requérant était présent à cette audience et eut la faculté de poser des questions à A. Cette dernière confirma les accusations contre le requérant. Le 16 février 2009, le GIP de Lucera renvoya le requérant en jugement devant le tribunal de cette même ville. B. Le procès de première instance Aux audiences des 9 juillet et 8 octobre 2009, un carabinier ayant recueilli la plainte de A et le fiancé de cette dernière furent entendus. Avec l’accord du requérant, le parquet renonça à l’audition de A. L’audience du 14 janvier 2010 devait être consacrée, entre autres, à l’audition de B. Cependant, ce témoin ne se présenta pas. Le tribunal, s’appuyant sur l’article 512 du code de procédure pénale (le « CPP » – paragraphe 28 ci-après) et en dépit de l’opposition de la défense, ordonna la lecture de la déposition que B avait faite aux carabiniers de Lesina le 23 novembre 2008 (paragraphe 7 ci-dessus). Suite à sa lecture, cette déposition fut acquise au dossier du juge (fascicolo per il dibattimento). Au cours de la même audience, le requérant et d’autres témoins furent entendus. Le 6 mai 2010, un gynécologue ayant examiné A fut interrogé et le requérant fit des déclarations spontanées. Par un jugement du 23 septembre 2010, dont le texte fut déposé au greffe le 8 octobre 2010, le tribunal de Lucera condamna le requérant à une peine de sept ans d’emprisonnement. Cette décision se fonda sur les déclarations faites par A au cours de l’audience ad hoc du 9 février 2009 (paragraphe 9 ci-dessus), estimées précises, crédibles et corroborées par d’autres éléments. Parmi ceux-ci figuraient les déclarations de B. Le tribunal précisa que la circonstance qu’un témoin était devenu introuvable s’analysait en une « impossibilité objective » de l’interroger aux débats, ce qui, aux termes de l’article 512 du CPP (paragraphe 28 ci-après), lu à la lumière de l’article 111 de la Constitution (paragraphe 30 ci-après), permettait d’utiliser pour décider sur le bien-fondé des accusations toute déposition faite avant le procès. Le tribunal estima que l’absence de B n’était pas prévisible, étant donné qu’il avait élu un domicile et travaillait en Italie. La circonstance qu’il n’était pas un ressortissant de l’Union européenne ne changeait rien à cette conclusion. Le tribunal estima également que les examens gynécologiques effectués sur A n’étaient pas de nature à démentir la version des faits de la victime. En effet, l’absence de lésions significatives était compatible avec un viol perpétré avec menace et A n’avait pas indiqué les modalités de l’éjaculation. Par ailleurs, le gynécologue n’avait pas vérifié la présence de liquide séminal. Enfin, le carabinier ayant recueilli la plainte de A avait pu constater que cette dernière était un état de choc et se plaignait de douleurs abdominales. C. L’appel Le requérant interjeta appel. Il contesta l’évaluation des preuves à sa charge et s’opposa à l’utilisation de la déposition de B. Il observa que ce dernier était un ressortissant non-communautaire sans permis de séjour, qui n’avait fourni ni d’adresse fixe ni de numéro de téléphone. Dès lors, son absence aux débats était non seulement prévisible, mais très probable. Il aurait donc dû être entendu dans le cadre d’une audience ad hoc. Par ailleurs, B était apparemment retourné au Maroc, ce qui amenait à penser qu’il s’était volontairement soustrait à l’interrogatoire. Or, aux termes de l’article 526 § 1bis du CPP (paragraphe 29 ci-après), la culpabilité de l’accusé ne pouvait pas être prouvée sur la base des déclarations faites par ceux qui, de leur plein gré, s’étaient toujours soustraits à l’examen par le prévenu ou son défenseur. Par un arrêt du 14 juin 2011, dont le texte fut déposé au greffe le 12 septembre 2011, la cour d’appel de Bari réduisit la peine infligée au requérant à six ans d’emprisonnement. La cour d’appel releva que lorsque, le 23 novembre 2008, il avait été interrogé par les carabiniers de Lesina (paragraphe 7 ci-dessus), B avait élu domicile auprès du siège de la société de transports pour laquelle il travaillait. Les autorités avaient ensuite à plusieurs reprises et en vain essayé de lui signifier la citation à comparaître auprès de ce domicile. Le 17 décembre 2009, les carabiniers avaient rédigé un procès-verbal de recherches vaines (verbale di vane ricerche). Au moment de son interrogatoire par les carabiniers, B avait un travail stable et régulier en Italie, et rien ne permettait de penser qu’il y aurait renoncé quelques mois plus tard, retournant au Maroc sans laisser d’adresse et se rendant ainsi introuvable. Ceci était d’autant plus vrai si l’on songeait aux faits que B s’était montré disposé à collaborer avec les autorités et qu’il avait un intérêt concret à garder sa source de revenus. Il s’ensuivait que son absence aux débats n’était pas prévisible. La lecture et l’utilisation de la déposition faite aux carabiniers étaient donc légitimes. La cour d’appel ajouta qu’il n’était pas possible d’effectuer des recherches ultérieures dans le lieu de naissance ou de dernière résidence à l’étranger de B car il s’agissait d’un homme né à Casablanca et dont l’adresse au Maroc était inconnue. La cour d’appel nota ensuite que les déclarations de A pouvaient être utilisées comme preuve à charge ; cependant, s’agissant d’un témoignage provenant de la victime, sa crédibilité devait être vérifiée avec rigueur. Or, la version de A était crédible et les examens médicaux effectués sur elle, qui faisaient uniquement état d’une excoriation au genou, étaient compatibles avec un viol perpétré avec menace de mort. Rien ne donnait à penser que A avait menti, d’autant plus que sa version était confirmée par B, qui n’avait aucune raison pour accuser le requérant, qui était un concitoyen marocain et un collègue de travail. De plus, avant les faits délictueux, A et B ne se connaissaient pas. Enfin, la version de A était corroborée par le témoignage du carabinier ayant recueilli sa plainte, et la circonstance que l’examen gynécologique n’avait pas révélé la présence de liquide séminal n’était pas de nature à innocenter le requérant, étant donné que les modalités de l’éjaculation demeuraient inconnues. D. Le pourvoi en cassation Le requérant se pourvut en cassation, réitérant ses allégations concernant l’impossibilité d’utiliser la déposition de B. Il affirma en outre que la crédibilité de A n’avait pas été dûment évaluée et que les examens gynécologiques tendaient à exclure l’existence de tout rapport sexuel entre lui et la victime présumée. Par un arrêt du 13 juin 2012, dont le texte fut déposé au greffe le 25 juillet 2012, la Cour de cassation, estimant que la cour d’appel avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta le requérant de son pourvoi. La Cour de cassation observa que la cour d’appel avait clarifié que des recherches ultérieures et efficaces de B s’avéraient impossibles. Se conformant à la jurisprudence en la matière, elle avait établi : a) que ce témoin était introuvable, b) que l’impossibilité de réitérer son témoignage n’était pas prévisible, et c) que l’absence du témoin n’était pas due au libre choix de ce dernier de se soustraire à l’interrogatoire. En particulier, les autorités avaient essayé de notifier à B la citation à comparaître auprès du domicile qu’il avait élu et un procès-verbal de recherches vaines avait été rédigé. De plus, B était d’origine marocaine et son lieu de résidence était inconnu. Par ailleurs, il avait séjourné longtemps en Italie et y exerçait un travail régulier et stable, ce qui ne permettait pas de qualifier son absence de « prévisible ». Enfin, rien ne permettait de penser que B avait l’intention de se soustraire à l’interrogatoire. Au demeurant, la Cour de cassation observa que la cour d’appel avait examiné les déclarations de A, les estimant crédibles et corroborées par celles de B et du carabinier qui avait recueilli la plainte de la victime. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 512 du CPP se lit ainsi : « Le juge, à la demande des parties, ordonne la lecture des actes accomplis par la police judiciaire, par le parquet, par les défenseurs des parties privées et par le juge dans le cadre de l’audience préliminaire lorsque, pour des faits ou circonstances imprévisibles, leur réitération est devenue impossible. » Aux termes de l’article 526 §§ 1 et 1bis du CPP, « 1. Le juge ne peut pas utiliser pour sa décision des preuves autres que celles légitimement acquises au cours des débats. 1bis. La culpabilité du prévenu ne peut pas être établie sur la base des déclarations faites par les personnes qui, par leur libre choix, se sont toujours et volontairement soustraites à l’interrogatoire par l’accusé ou son défenseur. » En 1999, le Parlement a décidé d’insérer le principe du procès équitable dans la Constitution elle-même (voir la loi constitutionnelle no 2 du 23 novembre 1999). L’article 111 de la Constitution, dans sa nouvelle formulation et dans ses parties pertinentes, se lit ainsi : « (...) Dans le cadre du procès pénal, la loi garantit que la personne accusée d’une infraction (...) a la faculté, devant le juge, d’interroger ou de faire interroger toute personne formulant des déclarations à charge (...). La culpabilité de l’accusé ne peut pas être prouvée sur la base de déclarations faites par une personne qui s’est toujours librement et volontairement soustraite à l’interrogatoire par l’accusé ou son défenseur. La loi réglemente les cas où un examen contradictoire des moyens de preuve n’a pas lieu, avec le consentement de l’accusé ou en raison d’une impossibilité objective dûment prouvée ou encore en raison d’un comportement illicite dûment prouvé. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1936 et 1972 et résident à Vila Nova de Gaia. Ils sont père et fils. Le 2 janvier 2008, le premier requérant et son épouse introduisirent une action en revendication d’un immeuble devant le tribunal de Viseu (procédure interne no 12/08.6TBVIS). Par une ordonnance du 6 octobre 2008, le tribunal de Viseu fixa les faits établis et ceux restant à établir (despacho saneador). Suite au décès de l’épouse du premier requérant, par un jugement du 7 décembre 2009, le tribunal de Viseu admit les requérants à poursuivre l’instance en tant qu’héritiers de la demanderesse décédée. En 2010, l’un des défendeurs décéda. Le 6 février 2012, les requérants demandèrent la transmission de l’action à ses héritiers (habilitação de herdeiros). Par un jugement du 10 mai 2012, le tribunal de Viseu fit droit à cette demande. À une date non précisée, suite au remplacement de l’un des juges de la formation collégiale, le tribunal de Viseu décida de rouvrir l’audience. Des huit audiences qui eurent lieu entre le 8 mai 2009 et le 27 janvier 2014, l’une fut reportée en conséquence du décès de l’épouse du premier requérant, une autre à la demande des requérants, et une troisième en raison du décès de l’un des défendeurs. Le 20 septembre 2013, une expertise portant sur l’immeuble litigieux fut versée au dossier. Le 21 juin 2016, la procédure était toujours pendante.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La requête no 66602/09 La procédure pénale Le premier requérant est né en 1962 et réside à Acharnai. Jusqu’en 1989, il résidait dans l’ex-Union des républiques soviétiques socialistes. La même année, il transféra sa résidence principale en Grèce et bénéficia des dispositions fiscales de la législation interne sur les émigrants et rapatriés pour importer une voiture avec exonération du paiement des droits et taxes normalement exigibles. Le 29 janvier 1990, le premier requérant transféra le véhicule à N.T. sur la base d’un contrat de prêt qui conférait à N.T. le droit de vendre la voiture en cause à un tiers ou à lui-même en cas d’omission du requérant de lui rembourser en temps utile l’emprunt. Le 27 décembre 1994, des poursuites pénales furent exercées contre le premier requérant et N.T. du chef de contrebande. Le 4 juillet 1995, le tribunal correctionnel de Corinthe les condamna à une peine de seize mois d’emprisonnement (jugement no 2553/1995). À une date non précisée, le premier requérant et N.T. interjetèrent appel. Le 15 avril 1997, la cour d’appel de Nauplie les acquitta. Elle estima que suite à l’administration des preuves, notamment l’examen des documents soumis devant le tribunal correctionnel et ladite juridiction ainsi que l’examen des témoins, la culpabilité des accusés ne pouvait pas être établie (arrêt no 540/1997). Cet arrêt devint définitif. La procédure administrative Entretemps, le 17 septembre 1996, suite à une enquête des services douaniers sur la nature de la transaction entre le premier requérant et N.T., le directeur des services douaniers considéra que la transaction entre eux était fictive et visait uniquement à contourner la législation fiscale et permettre à N.T. de se soustraire au paiement des taxes dues pour l’achat de la voiture en cause. Le directeur des services douaniers leur imposa le paiement d’une somme de 24 000 000 de drachmes (70 433 euros environ) à titre de taxes de douanes non payées, y compris une majoration (deux fois environ la somme due à titre de taxes de douanes) pour contrebande, aux termes du Code des douanes (acte no 550/94/1996). Le 25 octobre 1996, le premier requérant saisit le tribunal administratif du Pirée contre l’acte no 550/94/1996 du directeur des services douaniers. Le 30 octobre 1998, le tribunal administratif du Pirée fit droit au recours et annula l’acte attaqué. Il considéra, entre autres, que les services douaniers avaient présumé la commission de contrebande par le premier requérant et N.T., puisque leurs conclusions ne se fondaient pas sur des actes ou des omissions concrets des intéressés. Le tribunal administratif prit en compte en ce sens l’arrêt no 540/1997 de la cour d’appel de Nauplie ayant acquitté le premier requérant et N.T. du délit de contrebande (décision no 3476/1998). Le 8 février 1999, l’État interjeta appel. Le 5 février 2003, la cour administrative d’appel du Pirée infirma la décision no 3476/1998 et confirma partiellement, dans le cas du premier requérant, la somme imposée par le directeur des services douaniers à la hauteur de 5 000 000 drachmes (14 674 euros environ). En particulier, la cour administrative d’appel admit que les pièces du dossier établissaient que le premier requérant et N.T. avaient procédé à une transaction fictive dans le but de se soustraire à l’obligation de s’acquitter des taxes de douanes prévues pour l’importation de la voiture en cause. S’agissant de l’arrêt no 540/1997 de la cour d’appel de Nauplie, produit par le premier requérant, la cour administrative d’appel considéra que la juridiction pénale n’avait pas pris en compte des éléments qui démontraient l’intention du premier requérant et de N.T. d’importer la voiture en cause sans s’acquitter des taxes de douanes. La cour administrative d’appel admit aussi que les dépositions des témoins à décharge devant la cour d’appel de Nauplie contredisaient les pièces du dossier et conclut que le premier requérant et N.T. avaient commis le délit de contrebande (arrêt no 208/2003). Le 17 juillet 2003, le premier requérant se pourvut en cassation. Il affirma, entre autres, devant le Conseil d’État que les autorités fiscales lui avaient infligé une peine pour contrebande alors que les juridictions pénales l’avaient déjà irrévocablement acquitté à l’égard du même délit. Le 20 mai 2009, le Conseil d’État rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt no 208/2003 de la cour administrative d’appel. La haute juridiction administrative considéra que la procédure administrative relative à l’infliction d’une sanction administrative pour contrebande était autonome par rapport à la procédure pénale sur le même délit. Il admit aussi, à la majorité, que les juridictions administratives n’étaient pas liées par les jugements d’acquittement des juridictions pénales mais devaient simplement les prendre en compte dans l’appréciation des faits du litige, ce qui n’était pas contraire à l’article 4 du Protocole no 7. De surcroît, le Conseil d’État jugea, à la majorité, que la cour administrative d’appel avait suffisamment pris en compte le verdict des juridictions pénales. Il estima, enfin, que ladite juridiction avait justement jugé que des documents importants n’avaient pas été soumis devant la cour d’appel de Nauplie et que la juridiction pénale avait principalement fondé son appréciation sur les témoignages à décharge, ce qui contredisait les autres pièces du dossier. Un juge soutint que si la procédure devant les juridictions pénales avait été achevée par un jugement d’acquittement devenu définitif, le principe ne bis in idem imposait à la juridiction administrative de clôturer la procédure devant elle soit en annulant l’amende administrative imposée soit en confirmant l’arrêt de la juridiction administrative inférieure ayant déjà annulé l’amende en cause (arrêt no 1734/2009). B. La requête no 71879/12 La procédure pénale En 1998, des poursuites pénales pour contrebande furent déclenchées contre le second requérant. En particulier, il fut accusé d’avoir importé en 1993 quatre-vingt-seize motocyclettes du Japon en Grèce et d’avoir déclaré aux douanes une somme inférieure que celle réellement payée pour les acquérir. En vertu de la décision no 6424/1998 du tribunal correctionnel d’Athènes, le second requérant fut acquitté du chef d’accusation précitée d’importation de trente-deux motocyclettes et condamné à quatorze mois d’emprisonnement pour le prix déclaré lors de l’importation des soixante-quatre restantes. Après avoir interjeté appel, le 10 février 1999, la cour d’appel de Thessalonique infirma la décision no 6424/1998. Elle acquitta le second requérant du chef de contrebande après avoir exprimé des doutes quant à sa culpabilité (arrêt no 501/1999). Cet arrêt est devenu définitif. La procédure administrative Entre-temps, le 29 novembre 1996, le directeur des services des douanes de Macédoine centrale et de l’ouest imposa au second requérant une amende fiscale de 8 485 368 drachmes au total (24 902 euros environ) -deux fois environ la somme due à titre de taxes de douanes- pour avoir commis le délit fiscal de contrebande en raison de l’importation des marchandises précitées à un prix inférieur à celui réellement payé pour leur acquisition. Le fisc imposa aussi au second requérant le paiement de taxes de douanes supplémentaires pour la même cause (acte no 56/94/29.11.1996). Le 19 décembre 1996, le second requérant saisit le tribunal administratif de Thessalonique d’un recours visant à l’annulation de l’acte no 56/94/29.11.1996. Le 30 juin 2000, le tribunal administratif de Thessalonique annula partiellement l’acte attaqué (décision no 2608/2000). Les 1er et 16 mars 2001, le second requérant et l’État grec interjetèrent appel de la décision no 2608/2000. Le 8 octobre 2003, la cour administrative d’appel de Thessalonique rejeta l’appel du second requérant, fit droit à celui de l’État grec, réexamina le recours en cause et le rejeta comme infondé. En particulier, la cour administrative d’appel de Thessalonique releva que l’acquittement du second requérant in dubio pro reo en vertu de l’arrêt no 501/1999 était exclusivement fondé sur les dépositions des témoins convoqués. Pour sa part, la cour administrative d’appel considéra comme preuve prépondérante une télécopie (fax) repérée, lors d’une inspection du service des douanes, dans le coffre-fort de l’entreprise du requérant. Ladite juridiction considéra que les tarifs inscrits sur cette télécopie correspondaient aux sommes dont le second requérant s’était en réalité acquitté pour l’achat des marchandises en cause et prouvaient la commission du délit fiscal de contrebande (arrêt no 1907/2003). Le 11 novembre 2004, le second requérant se pourvut en cassation. Le 29 février 2012, le Conseil d’État rejeta son recours. En particulier, après avoir fait référence à l’arrêt de la Cour Vassilios Stavropoulos c. Grèce (no 35522/04, 27 septembre 2007), il considéra entre autres que l’article 6 § 2 de la Convention ne saurait être interprété comme interdisant à la juridiction administrative de parvenir à une position différente de celle précédemment adoptée par la juridiction pénale, en cas d’acquittement de l’intéressé. Selon la haute juridiction administrative, une telle position contredirait les articles 94 et 96 de la Constitution hellénique, déterminant, entre autres, la compétence des juridictions administratives. Se tournant vers les faits du litige, le Conseil d’État confirma l’arrêt attaqué de la cour administrative d’appel. Il considéra qu’elle n’était pas liée par les conclusions des juridictions pénales, mais devait uniquement les prendre en compte dans l’examen du recours introduit par le second requérant (arrêt no 735/2012). Il ressort du dossier que cet arrêt fut mis au net et certifié conforme en mai 2012. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPÉENS PERTINENTS En ce qui concerne le droit et la pratique internes pertinents ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative au principe ne bis in idem, la Cour renvoie à la partie pertinente de l’arrêt Kapetanios et autres c. Grèce, (nos 3453/12, 42941/12 et 9028/13, §§ 36-47, 30 avril 2015). L’article 473 du Code de procédure pénale prévoit ce qui suit : « 1. Lorsqu’une loi ne prévoit pas un délai spécifique, le délai d’exercice des voies de recours internes est de dix jours à compter du prononcé du jugement. Si la personne concernée n’est pas présente au prononcé du jugement, le délai susmentionné est également de dix jours, sauf si elle réside à l’étranger ou si son domicile n’est pas connu ; dans ce cas, le délai est de trente jours et court à compter de la notification du jugement (...). Le pourvoi en cassation contre une décision portant condamnation peut être formé par la personne condamnée (...) dans un délai de vingt jours qui débute selon le paragraphe 1 (...). Le délai de pourvoi en cassation court à partir de la transcription de la décision définitive, mise au net, au registre spécial tenu au greffe de la juridiction pénale. La décision doit être mise au net dans un délai de quinze jours, sans quoi le président de la juridiction pénale encourt des sanctions disciplinaires. » La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Du mariage du requérant avec N.R. naquit une enfant, S., le 11 septembre 2004. Le 1er mai 2007, N.R. quitta le domicile familial avec l’enfant et alla vivre chez sa famille à Piombino. Dès son départ, N.R. manifesta une forte opposition à toute relation entre le requérant et S., âgée alors de trois ans. Une procédure civile a été menée (A) en parallèle à deux procédures pénales (B et C). A. Procédure tendant à l’établissement des modalités d’exercice du droit de visite du requérant à l’égard de sa fille Le 21 mai 2007, N.R. saisit le tribunal pour enfants de Florence d’une demande d’adoption de mesures urgentes concernant S., sur le fondement de l’article 333 du code civil. Elle soutenait que sa fille était victime de maltraitance de la part du requérant. Le 3 juillet 2007, N.R. déposa une plainte contre le requérant pour violence sexuelle sur l’enfant. Le requérant s’opposa à cette demande, se plaignant que N.R. souhaitait l’interruption de tout contact entre lui et S. Il demanda au tribunal pour enfants d’établir un calendrier de rencontres en milieu protégé au motif qu’il n’avait pas pu exercer son droit de visite jusque-là. Le 15 novembre 2007, le tribunal ordonna la tenue de rencontres en milieu protégé entre le requérant et sa fille. Entre-temps, les 21 septembre, 1er octobre et 2 novembre 2007, le requérant, qui se plaignait d’un refus de N.R. de faire vacciner leur fille, avait saisi le tribunal pour enfants d’une demande visant à ce que la vaccination de S. fût ordonnée. Le 27 novembre 2007, le tribunal ordonna aux services sociaux de Pise d’organiser les rencontres en milieu protégé entre le requérant et S. et d’évaluer les capacités parentales du requérant et de N.R. Selon le rapport remis par les services sociaux le 18 février 2008, il existait un lien fort entre le requérant et S., celle-ci se montrant heureuse de rencontrer son père et de jouer avec lui. D’après les services sociaux, il fallait intervenir de manière urgente afin de préserver le lien entre S. et le requérant, en élargissant le droit de visite de ce dernier, en raison d’une opposition de N.R. aux rencontres. Entre-temps, en 2007, le requérant avait demandé la séparation de corps et la garde exclusive de S. au tribunal de Pise. Au cours de la première audience devant le président du tribunal de Pise pour la procédure de séparation de corps, tenue le 3 mars 2008, la question de la compétence du tribunal pour enfants de Florence fut soulevée. Le 12 mars 2008, les services sociaux déposèrent un rapport devant le tribunal pour enfants de Florence. Il ressortait de ce document que S. n’avait pas pu rencontrer son père en raison d’une opposition de N.R., qu’elle-même manifestait désormais un comportement hostile envers l’intéressé et que N.R. n’aidait pas sa fille à surmonter ses difficultés avec celui-ci. Les services sociaux demandaient au tribunal l’adoption de mesures concrètes afin de favoriser les relations entre le requérant et S. Le 8 avril 2008, le tribunal pour enfants de Florence déclara son incompétence. Il transféra le dossier au tribunal de Pise. Le 11 avril 2008, une deuxième audience eut lieu devant le président du tribunal de Pise. Celui-ci chargea les services sociaux de Piombino d’organiser des rencontres en milieu protégé entre le père et sa fille et des rencontres en milieu non protégé entre les grands-parents paternels et l’enfant. Ces prescriptions ne furent pas respectées ; le requérant put rencontrer S. seulement à quelques reprises dans des lieux publics. Le 30 juin 2008, une troisième audience se déroula devant le président du tribunal de Pise, lequel décida à nouveau que S. devait rencontrer plus souvent son père et ses grands-parents paternels. Eu égard aux difficultés rencontrées par le requérant dans l’exercice de son droit de visite, le 23 juillet 2008, le président du tribunal de Pise demanda aux services sociaux d’augmenter le nombre des rencontres. Le 14 octobre 2008, il confia la garde de l’enfant conjointement aux deux parents et fixa sa résidence chez N.R. Selon le rapport des services sociaux, lors des rencontres, la mère était toujours présente et S. avait une attitude hostile et agressive envers le requérant. D’après les assistants sociaux, le comportement de N.R. dénotait l’intention de cette dernière d’exclure le requérant de la vie de l’enfant. Se trouvant toujours dans l’impossibilité de rencontrer sa fille librement, le requérant demanda au tribunal de Pise d’intervenir et d’ordonner une expertise sur l’état psychologique de S. À une date non précisée, le tribunal de Pise ordonna aux services sociaux de mener deux expertises, l’une portant sur l’état psychologique de l’enfant et l’autre portant sur son état de santé afin de déterminer si les vaccinations que la mère refusait devaient être pratiquées. Entre-temps, N.R. avait déposé un recours aux fins de contestation de la décision du tribunal sur la garde de l’enfant. Le tribunal et la cour d’appel rejetèrent ce recours. Le 4 février 2009, N.R. indiqua aux services sociaux que S. avait subi des attouchements sexuels de la part du requérant. Le même jour, les services sociaux informèrent le procureur de la République de la situation de l’enfant. Le 13 février 2009, ils demandèrent au juge de réduire le nombre de rencontres en milieu protégé entre l’enfant et le requérant. Le juge décida de restreindre le droit de visite de ce dernier, portant le nombre de rencontres à une par semaine, et imposa à N.R. l’obligation de laisser l’enfant seule avec le père et les assistants sociaux lors de ces visites. Le 12 mars 2009, N.R., agissant sans autorisation, fit examiner S. par un gynécologue afin de prouver que celle-ci avait subi des attouchements sexuels de la part du requérant. Le 2 avril 2009 N.R. déposa alors une plainte pénale. Entre-temps, la tenue des rencontres avait été difficile en raison du refus de S. de voir le requérant et de la présence constante de N.R. lors des visites. Le 12 juin 2009, le gynécologue consulté par N.R. attesta que S. avait subi des attouchements sexuels. Par conséquent, une expertise médicale de S. fut ordonnée. Par la suite, dans un rapport du 10 juillet 2009, les services sociaux signalèrent au tribunal des difficultés dans le déroulement des rencontres. Ils demandaient au tribunal de suspendre celles-ci dans l’attente de l’aboutissement de l’enquête pénale portant sur les attouchements sexuels allégués. Dans le cadre de l’enquête pénale, une visite gynécologique fut fixée en juillet 2009. N.R. ne présenta pas sa fille à cet examen. Le 13 août 2009, le tribunal condamna N.R. au paiement d’une amende de 1 500 euros (EUR) pour avoir soumis sa fille à l’examen gynécologique réalisé en mars 2009. Le 9 novembre 2009, l’enfant fut examinée par le gynécologue nommé par le tribunal. Selon le rapport déposé par ce médecin, S. n’avait subi aucun attouchement sexuel. Le 18 novembre 2009, le tribunal de Pise ordonna que S. fût vaccinée. D’après le requérant, le déroulement des rencontres était toujours difficile puisque, selon lui, S. ne voulait pas le voir et elle quittait la pièce où se déroulaient les visites quand il arrivait. Le 7 janvier 2010, un rapport d’expertise psychologique fut remis au tribunal. L’expert concluait que le comportement de N.R. avait été préjudiciable à S. puisqu’il aurait empêché celle-ci d’établir une relation avec le requérant. Il indiquait que les déclarations de S. aux services sociaux étaient le résultat d’une manipulation psychique exercée par la mère. Il précisait qu’il n’y avait pas encore en l’espèce de syndrome d’aliénation parentale mais qu’il était nécessaire de mettre en place un soutien psychologique pour l’enfant. Il ajoutait que S. vivait toujours avec N.R. et que, par conséquent, les mesures prises par le tribunal n’étaient pas effectives. Il indiquait enfin que la solution consisterait en l’octroi de la garde de S. aux grands-parents paternels, parallèlement à la mise en place du soutien psychologique préconisé. Le 26 février 2010, le tribunal de Pise prononça la séparation de corps entre le requérant et N.R. et confia la garde de S. aux deux parents conjointement. Il fixa toutefois la résidence principale de l’enfant chez N.R., après avoir observé que cette dernière était la personne de référence pour S. et que l’intérêt de l’enfant était de rester avec sa mère. En outre, relevant que le père était en mesure d’exercer son rôle parental et de comprendre les besoins de S., le tribunal ordonna l’élargissement du droit de visite et d’hébergement du requérant et, à cet effet, il établit un calendrier des rencontres. Enfin, le tribunal souligna que, en cas de non-respect de ces prescriptions par la mère, la garde de l’enfant serait exclusivement confiée au père. Le requérant ne réussit pas à exercer son droit de visite en raison du comportement de N.R., laquelle s’opposait à tout contact entre lui et l’enfant. Le 3 août 2010, le requérant demanda l’exécution du jugement du tribunal de Pise. Par une décision du même jour, celui-ci accueillit sa demande et établit que l’intéressé pouvait solliciter l’aide de la police pour faire respecter son droit de visite tel qu’il avait été déterminé dans le jugement en question. Le tribunal enjoignit à N.R. de respecter ses prescriptions. N.R. interjeta appel du jugement en question et de la décision qui rendait celui-ci exécutoire. Le 22 octobre 2010, le requérant saisit le tribunal pour enfants de Florence d’une demande de déchéance de l’autorité parentale de N.R. aux motifs qu’il était dans l’impossibilité d’exercer son droit de visite et que S. se trouvait dans une situation critique. Par un arrêt du 12 novembre 2010, la cour d’appel de Florence réforma le jugement du tribunal de Pise du 26 février 2010. Elle rappelait d’abord que N.R. avait déposé une plainte pour des abus sexuels qui n’avaient pas été prouvés, qu’elle avait été sanctionnée pour avoir soumis sa fille à un examen gynécologique, qu’elle n’avait pas voulu faire vacciner celle-ci – ce qui avait nécessité une intervention du tribunal – et, enfin, qu’elle s’était opposée aux rencontres entre le requérant et l’enfant. Toutefois, la cour d’appel estimait que l’octroi de la garde au père n’était pas dans l’intérêt de la mineure eu égard au lien très étroit existant entre celle-ci et sa mère. Par conséquent, elle confia la garde de l’enfant aux services sociaux et fixa la résidence principale de cette dernière chez la mère. En outre, elle décida la mise en place d’un soutien psychologique pour la mineure, octroya un droit de visite et d’hébergement au requérant et ordonna aux services sociaux de surveiller le comportement des deux parents. N.R. se pourvut en cassation, en contestant la motivation de l’arrêt du 12 novembre 2010. Le 24 janvier 2011, les services sociaux déposèrent un rapport d’évaluation portant sur les parents et la mineure devant la cour d’appel. Dans ce rapport, ils indiquaient que la situation avait empiré en raison d’une absence de collaboration de N.R. à la psychothérapie et qu’un syndrome d’aliénation parentale commençait à se profiler. Les services sociaux soulignaient que S. vivait dans un environnement hostile au requérant et qu’il fallait par conséquent la protéger. Le 27 septembre 2011, après avoir pris en compte la situation dans laquelle se trouvait l’enfant – estimée être dangereuse pour celle-ci – et le rapport déposé par les services sociaux, le tribunal pour enfants de Florence ordonna deux expertises, l’une portant sur la capacité du requérant et de N.R. à exercer leur rôle parental et l’autre sur l’état de S., afin de déterminer si celle-ci avait développé un syndrome d’aliénation parentale. N.R. s’opposa à cette décision : elle déposa un recours devant le tribunal pour enfants de Florence, lui demandant la reformulation des questions posées à l’expert. Cette demande fut rejetée. N.R. interjeta appel, en sollicitant une suspension du travail de l’expert dans l’attente de la décision de la cour d’appel sur le fond de l’affaire. Le 16 février 2012, le président de la cour d’appel de Florence fit droit à la demande de N.R. Par une décision du 4 avril 2012, la cour d’appel déclara le recours de N.R. irrecevable ; l’expert put par conséquent reprendre son travail. Le 20 novembre 2012, un rapport d’expertise psychologique fut rédigé et remis au tribunal pour enfants de Florence. Selon ce rapport, la famille se trouvait dans une situation de « triangle pervers » dans laquelle prévalaient le dénigrement et le rejet du parent injustement accusé d’attouchements sexuels (voir paragraphes 66-70 ci-dessous). D’après les psychologues, N.R. avait une attitude défensive très rigide. Toujours selon eux, la mineure était quant à elle victime d’un abus émotionnel et, par ailleurs, le lien symbiotique existant entre elle et sa mère l’empêchait d’avoir un développement adéquat et compromettait ainsi l’évolution de ses relations avec le requérant. Par conséquent, les experts conseillaient une reprise immédiate des contacts entre S. et le requérant afin de préserver le développement de l’enfant. Ils préconisaient aussi le suivi d’une thérapie psychologique par N.R. afin de normaliser le lien entre celle-ci et sa fille. Le rapport concluait en suggérant le placement de S. chez ses grands-parents paternels pour permettre à l’enfant de se rapprocher de son père et d’établir des relations plus équilibrées avec sa mère. À défaut, selon les psychologues, la seule solution était de déchoir la mère de son autorité parentale. Le 22 janvier 2013, le procureur demanda au tribunal pour enfants de Florence de décider le placement de l’enfant chez ses grands-parents et de prévoir des rencontres en milieu protégé avec les deux parents. Par une décision du 16 avril 2013, le tribunal pour enfants constata tout d’abord que S. ne pouvait ni grandir ni franchir toutes les étapes du développement librement. Selon le tribunal, la situation durait depuis trop longtemps et les dangers pour S. étaient très élevés. Le tribunal décida toutefois de ne pas déchoir la mère de son autorité parentale, et ce afin de ne pas traumatiser l’enfant, et il ordonna que celle-ci demeurât chez sa mère et qu’elle fût suivie par des psychologues et les services sociaux afin de permettre une restauration de la relation avec le père. Il enjoignit à N.R. de respecter ces prescriptions : à défaut, celle-ci serait déchue de son autorité parentale et l’enfant ferait l’objet d’un placement. En outre, le tribunal demanda aux services sociaux de rédiger un rapport dans les six mois. Aucune indication quant aux rencontres avec le requérant ne fut donnée. À une date non précisée, le requérant interjeta appel de cette décision. Selon un rapport des services sociaux de 2013, plusieurs rencontres eurent lieu entre le requérant et l’enfant. D’après ce rapport, le requérant avait tenté de donner un cadeau à sa fille à l’occasion de son anniversaire mais n’y était pas parvenu, et ce en dépit de la coopération de la mère, et, à cette occasion, l’enfant avait commencé à crier et demandé à partir. Entre octobre 2013 et janvier 2014, quelques rencontres eurent lieu, mais l’enfant ne parlait jamais spontanément de son père. Par une décision du 25 février 2014, la cour d’appel confirma tout d’abord sa compétence, contestée par N.R., en raison entre autres de la gravité de la situation de l’enfant, qui perdurait depuis longtemps. Elle se pencha ensuite sur ladite situation. Elle relevait ainsi que, après les deux rencontres de 2008, la mineure avait commencé à refuser de voir le requérant et à utiliser un langage très agressif à son égard. Elle notait également que, d’après l’expert mandaté en 2010, l’enfant était en situation de détresse émotionnelle. Elle observait aussi que les différents experts nommés par les juridictions n’avaient pas pu rencontrer l’enfant seule en raison d’une opposition de la mère et que cette dernière avait développé un lien symbiotique avec l’enfant et avait projeté ses peurs et ses angoisses sur celle-ci. Elle relevait enfin que, selon un autre expert, l’enfant était entravée dans son développement psychique. La cour d’appel ordonna par conséquent aux services sociaux de prendre des mesures dans l’intérêt de l’enfant, y compris de procéder à l’éloignement de la mineure du domicile de la mère si nécessaire. Elle décida aussi de suspendre l’autorité parentale de la mère, jugeant que cette dernière n’était pas capable d’assurer à sa fille un développement psychique adéquat en raison de la manipulation qu’elle exerçait sur celle-ci et de la dénégation constante de la figure paternelle à laquelle elle se livrait. Selon la cour d’appel, la suspension de l’autorité parentale de la mère était une mesure suffisante pour permettre aux services sociaux de prendre soin de l’enfant. En sus de la suspension de l’autorité parentale de la mère, la cour d’appel décida l’organisation de rencontres entre le requérant et sa fille. N.R. se pourvut en cassation contre la décision de la cour d’appel. De son côté, le requérant déposa un nouveau recours devant le tribunal pour enfants afin de demander la déchéance de l’autorité parentale de N.R. Le tribunal pour enfants entendit le requérant et N.R. lors de l’audience du 10 juin 2014. Il entendit l’enfant le 24 octobre 2014. Celle-ci déclara qu’elle ne voulait pas parler avec son père et qu’elle se souvenait d’épisodes traumatisants de son enfance. Un rapport des services sociaux faisant état de la situation de l’enfant entre septembre 2014 et janvier 2015 fut déposé devant le tribunal pour enfants. Il ressortait de ce rapport que la mineure avait accepté la psychothérapie mais refusé de voir son père, que les deux seules rencontres qui avaient eu lieu en décembre 2014 et janvier 2015 s’étaient déroulées difficilement à cause de la réaction de rejet manifestée par l’enfant vis-à-vis du requérant et que les services sociaux préconisaient d’intensifier les rencontres et les séances de psychothérapie. Un autre rapport fut déposé le 10 mars 2015, indiquant qu’une seule rencontre avait eu lieu et que la mère y avait assisté. Selon ce rapport, pendant cette rencontre, l’enfant avait demandé en sanglotant à son père qu’il s’excusât auprès d’elle pour les abus qu’elle aurait subis étant plus jeune. Entre mars et avril 2015, neuf rencontres eurent lieu, en présence de la mère, au cours desquelles l’enfant put rencontrer ses grands-parents paternels. Le 31 juillet 2015, les services sociaux signalèrent au tribunal pour enfants que la situation avait soudainement changé. La dernière rencontre datée du 20 juillet 2015 se serait déroulée de manière désastreuse : l’enfant aurait refusé tout contact avec ses grands-parents et son père, et elle n’aurait pas voulu descendre de la voiture pour rencontrer ceux-ci. Selon les psychologues, la meilleure solution pour l’enfant consisterait en son placement dans un institut, afin de la soustraire à l’influence maternelle et de remédier à l’impossibilité pour la mère de protéger et d’accompagner sa fille dans le processus de rapprochement avec le père. Dans l’intervalle, par une ordonnance du 25 février 2015, la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi introduit par N.R. contre l’arrêt rendu le 25 février 2014 par la cour d’appel de Florence. Par ailleurs, à la suite du pourvoi formé par N.R. contre l’arrêt prononcé le 12 novembre 2010 par la cour d’appel de Florence (voir paragraphe 41), par une ordonnance du 22 avril 2015, la Cour de cassation avait renvoyé l’affaire pour un examen en audience publique. Il ressort du dossier que cette procédure est actuellement pendante. B. Procédures pénales à l’encontre du requérant Comme indiquée ci-dessus, le 3 juillet 2007, N.R. porta à l’encontre du requérant des accusations de violences sexuelles, maltraitance et enlèvement. Le 4 mai 2012, le tribunal acquitta le requérant. N.R. fit appel de ce jugement. Par un arrêt du 20 juillet 2015, la cour d’appel de Florence rejeta le recours de N.R. comme étant manifestement mal fondé, et elle acquitta le requérant. Dans l’intervalle, le 2 avril 2009, N.R. avait déposé une plainte pour attouchements sexuels sur sa fille. Le 23 février 2011, le juge chargé des investigations préliminaires avait classé la plainte sans suite. C. Procédure pénale à l’encontre de N.R. Il ressort du dossier que, suite à une plainte déposée par le requérant en 2013 et d’après une enquête approfondie, N.R. avait sérieusement entravé le développement psychologique de sa fille et affecté la relation de celle-ci avec son père. Pour ces raisons, N.R. fut renvoyée en jugement pour les délits de nonrespect d’une décision judiciaire (article 388 du code pénal) et de maltraitance familiale ou sur mineur (article 572 § 1 du code pénal). La première audience eut lieu le 6 juillet 2015. La procédure est actuellement pendante. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Une partie du droit interne pertinent se trouve décrite dans l’arrêt Errico c. Italie, no 29768/05, §§ 23-26, 24 février 2009. Le décret législatif no 154 du 28 décembre 2013 a introduit dans le code civil des nouvelles dispositions relatives à l’exercice de l’autorité parentale à la suite d’une séparation, d’un divorce ou de l’annulation d’un mariage. Ces dispositions s’appliquent également dans le cadre des litiges concernant des enfants nés hors mariage. Aux termes de l’article 337ter, en cas de séparation, l’autorité parentale est exercée par les deux parents. Le juge peut modifier les modalités de garde et prendre acte des différents accords intervenus entre les parties. Le juge peut établir les modalités de garde et le montant de la pension alimentaire. Selon l’article 337quater, le juge peut confier la garde des enfants à l’un des parents lorsqu’il estime que l’attribution de la garde à l’autre parent est contraire à l’intérêt de l’enfant. Chacun des parents peut également demander à tout moment la garde exclusive. Le parent qui a la garde exclusive de l’enfant exerce également l’autorité parentale exclusive. Sauf indication contraire, les décisions qui présentent un intérêt majeur pour les enfants sont prises conjointement par les parents. Le parent qui n’a pas la garde a le droit et le devoir de veiller à l’éducation des enfants. Il peut saisir le juge quand il estime que des décisions contraires à l’intérêt des enfants sont prises. Selon l’article 337quinquies, les parents peuvent à tout moment demander la révision des modalités concernant la garde des enfants et l’attribution de l’autorité parentale. Aux termes de l’article 337octies, avant de prendre les décisions mentionnées à l’article 337ter, le juge peut admettre des moyens de preuves et utiliser l’avis d’un expert. Il peut également : 1) procéder à l’audition d’un enfant âgé de douze ans ou plus jeune et ce en fonction de sa capacité de discernement ; 2) différer, après avoir obtenu le consentement des parties, l’adoption des décisions mentionnées à l’article 337ter et ordonner aux parties de suivre une procédure de médiation familiale afin de parvenir à un accord dans l’intérêt moral et matériel des enfants.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1960 et en 1970 et résident à Split. A. Genèse de l’affaire La législation de l’ex-Yougoslavie, plus précisément l’article 29 de la loi fondamentale de 1980 sur la propriété (paragraphe 25 ci-dessous – « la loi de 1980 »), interdisait l’acquisition par usucapion (dosjelost) des biens en propriété sociale. Le 8 octobre 1991, à l’occasion de la transposition de la loi de 1980 dans l’ordre juridique croate, le parlement croate abrogea cette disposition (paragraphe 26 ci-dessous). Par la suite, la nouvelle loi sur la propriété, adoptée en 1996 et entrée en vigueur le 1er janvier 1997, prévoyait que la période antérieure au 8 octobre 1991 devait être prise en compte dans le calcul du délai d’acquisition par usucapion des biens immobiliers en propriété sociale (paragraphe 28 ci-dessous). Le 8 juillet 1999, la Cour constitutionnelle de la République croate (Ustavni sud Republike Hrvatske – « la Cour constitutionnelle ») accepta de se saisir de plusieurs pétitions en contrôle de constitutionnalité in abstracto (prijedlog za ocjenu ustavnosti) présentées par d’anciens propriétaires de biens réattribués à l’époque du régime socialiste, afin d’examiner la constitutionnalité de l’article 388 § 4 de la loi de 1996 sur la propriété. Par une décision du 17 novembre 1999, la Cour constitutionnelle invalida l’article 388 § 4 de la loi de 1996 sur la propriété. Elle jugea que la disposition litigieuse avait un effet rétroactif qui lésait dans leurs droits les tiers (surtout ceux qui, en vertu de la législation de restitution, avaient droit à la restitution de biens réattribués à l’époque du régime communiste) et était donc anticonstitutionnelle (pour la partie pertinente de cette décision, voir Trgo c. Croatie, no 35298/04, § 17, 11 juin 2009). Cette décision prit effet le 14 décembre 1999, date de sa publication au Journal officiel. B. Procédure en l’espèce Le 25 mai 1993, le 21 février 1996 et le 20 juillet 1999, respectivement, les requérants achetèrent trois terrains à différentes personnes. Or, les terrains étaient inscrits au livre foncier sous le nom de la commune de Stobreč, dont la ville de Split était le continuateur en droit. Le 4 avril 2002, les requérants assignèrent au civil devant le tribunal municipal de Split (Općinski sud u Splitu) la ville de Split (Grad Split – « les autorités locales »), demandant la reconnaissance de leur droit de propriété sur les trois terrains et l’inscription de ces biens sous leurs noms au livre foncier. Ils soutenaient que les biens litigieux, bien qu’inscrits à ce livre sous le nom de la commune de Stobreč en tant que continuateur en droit de la ville de Split, s’étaient trouvés sous la possession de leurs prédécesseurs en titre pendant plus d’un siècle. Ils estimaient que la possession de ces biens avait atteint la durée légale d’usucapion et que, en les achetant, ils en étaient donc légitimement devenus propriétaires. Par un jugement du 1er juin 2007, le tribunal municipal donna gain de cause aux requérants. Il constata tout d’abord que, au 8 octobre 1991, les terrains en question étaient des biens en propriété sociale et que la législation applicable ne permettait d’acquérir la propriété de tels biens par usucapion avant cette date que si les conditions légales en la matière avaient été remplies au 6 avril 1941 (paragraphes 19, 25 et 31-32 cidessous). Il estima toutefois que les requérants avaient établi que leurs prédécesseurs en titre avaient possédé de manière continue et de bonne foi les trois terrains pendant plus de quarante ans avant le 6 avril 1941 et qu’ils avaient continué à le faire jusqu’à la date de la vente des biens aux requérants (paragraphe 11 ci-dessus). Il en conclut que, par l’effet de l’article 1472 du code civil de 1811 (applicable en Croatie de 1852 à 1980 – paragraphes 18-20 et 22 ci-dessous), lesdits prédécesseurs avaient déjà acquis les terrains par usucapion avant cette date. Par un jugement du 29 mai 2008 rendu à la suite d’un appel formé par l’autorité défenderesse, le tribunal de comté de Split (Županijski sud u Splitu) infirma le jugement de première instance et débouta les requérants. Il jugea que, si le tribunal municipal avait certes correctement établi les faits, les prédécesseurs en titre n’avaient été en possession des terrains en question (de manière continue et de bonne foi) qu’à partir de 1912. Il en conclut que le délai d’usucapion de quarante ans fixé par l’article 1472 du code civil de 1811 n’avait pas expiré au 6 avril 1941 (paragraphe 22 cidessous). Il releva que, pendant la période comprise entre cette dernière date et le 8 octobre 1991, la législation applicable interdisait l’acquisition de biens en propriété sociale par usucapion (paragraphes 6 ci-dessus et 25 ci-dessous). Selon lui, le délai légal qui avait commencé à courir avant le 6 avril 1941 n’avait pas été suspendu mais s’en était trouvé interrompu et, de ce fait, il avait effectivement recommencé à courir après le 8 octobre 1991. Les requérants formèrent ensuite un recours constitutionnel contre le jugement de seconde instance, alléguant des violations de leurs droits constitutionnels à l’égalité devant la loi, à l’égalité devant les tribunaux et à un procès équitable. Par une décision du 15 septembre 2011, la Cour constitutionnelle rejeta ce recours et, le 4 octobre 2011, elle signifia cette décision au représentant des requérants. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi relative à la Cour constitutionnelle La disposition pertinente de la loi constitutionnelle de 1999 relative à la Cour constitutionnelle (Ustavni zakon o Ustavnom sudu Republike Hrvatske, Journal officiel no 99/99, avec des modifications ultérieures), en vigueur depuis le 24 septembre 1999 est ainsi libellée : Article 53 « 1. La Cour constitutionnelle invalide [ukinuti] toute loi ou disposition d’une loi qu’elle jugerait incompatible avec la Constitution (...) Sauf si la Cour constitutionnelle en décide autrement, la loi ou les dispositions invalidée(s) cesse(nt) de produire leurs effets dès la date de publication au Journal officiel de la décision de la Cour constitutionnelle [c’est-à-dire pour l’avenir]. » B. Législation et pratique en matière de propriété Le code civil de 1811 Le code civil général autrichien de 1811 (Opći građanski zakonik – « le code civil de 1811 ») entra en vigueur sur le territoire actuel de la Croatie le 1er mai 1853. La loi d’invalidation de la législation promulguée avant le 6 avril 1941 et pendant l’occupation ennemie (Zakon o nevažnosti pravnih propisa donesenih prije 6. aprila 1941. i za vrijeme neprijateljske okupacije, Journal officiel de la République populaire fédérative de Yougoslavie nos 86/46 et 105/47), promulguée en 1946, priva de tout effet juridique la totalité des lois en vigueur au 6 avril 1941, y compris le code civil. Toutefois, elle permettait l’application de la législation d’avant-guerre pourvu que celle-ci ne fût pas contraire à la Constitution de la Yougoslavie ou de ses républiques constitutives, ou à la législation en vigueur. Les règles du code civil en matière immobilière demeurèrent donc applicables sous ces conditions jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de 1980 (paragraphe 23 ci-dessous), dont les dispositions pertinentes sont exposées ci-dessous. L’article 1468 disposait que le possesseur d’un bien immobilier inscrit au livre foncier sous le nom d’une autre personne pouvait l’acquérir par usucapion au bout de trente ans. L’article 1472 disposait que le possesseur d’un bien immobilier appartenant à une autorité étatique, municipale ou ecclésiastique pouvait en devenir le propriétaire par usucapion au bout de quarante ans. La loi de 1980 sur la propriété La loi sur les relations de propriété élémentaires (Zakon o osnovnim vlasničkopravnim odnosima, Journal officiel de la République socialiste fédérative de Yougoslavie nos 6/1980 et 36/1990 – « la loi de 1980 ») entra en vigueur le 1er septembre 1980. Son article 28 disposait que le possesseur de bonne foi d’un bien immobilier propriété d’autrui pouvait l’acquérir par usucapion au bout de vingt ans. Son article 29 interdisait l’acquisition par usucapion de la propriété des biens en propriété sociale. L’article 3 de la loi sur la transposition des relations de propriété élémentaires (Zakon o preuzimanju zakona o osnovnim vlasničkopravnim odnosima, Journal officiel de la République de Croatie no 53/1991 du 8 octobre 1991), entrée en vigueur le 8 octobre 1991, abrogea l’article 29 de la loi de 1980. La loi de 1996 sur la propriété Les dispositions pertinentes de la loi sur la propriété et autres droits réels (Zakon o vlasništvu i drugim stvarnim pravima, Journal officiel no 91/96, avec des modifications ultérieures – « la loi de 1996 »), en vigueur depuis le 1er janvier 1997, sont libellées ainsi : Troisième partie DROIT DE PROPRIÉTÉ (...) Chapitre 6 ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ Moyens juridiques d’acquisition Article 114 « 1. La propriété peut être acquise en vertu d’un accord juridique, par l’effet d’une décision d’une autorité publique, judiciaire ou autre, par voie de succession ou par l’effet de la loi. » Acquisition [de la propriété] par l’effet de la loi (...) d) Acquisition par usucapion Article 159 « 1. Le possesseur exclusif d’un bien [donné] peut l’acquérir par usucapion (...) s’il a exercé sa possession de manière continue pendant un certain délai fixé par la loi et s’il a la capacité d’en devenir le propriétaire. Le possesseur exclusif d’un bien, s’il a exercé sa possession sur la base d’un juste titre, de bonne foi et en l’absence de tout vice, peut l’acquérir par usucapion au bout de trois ans si c’est un meuble et au bout de dix ans si c’est un immeuble. Le possesseur exclusif d’un bien, s’il a exercé sa possession à tout le moins de bonne foi et de manière continue (...), peut l’acquérir par usucapion au bout de dix ans si c’est un meuble et au bout de vingt ans si c’est un immeuble. Le possesseur exclusif d’un bien propriété de la République de Croatie (...) peut l’acquérir par usucapion (...) s’il a exercé sa possession de manière continue pendant un certain délai deux fois plus long que ceux fixés aux paragraphes 2 et 3 du présent article. » L’article 388 de la loi de 1996 était initialement libellé ainsi : Article 388 « 1. L’acquisition, la modification, les effets juridiques et l’extinction des droits réels postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi sont régis par les dispositions de celle-ci (...) L’acquisition, la modification, les effets juridiques et l’extinction des droits réels antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi sont régis par les règles applicables à la date de l’acquisition, de la modification, de la prise d’effet ou de l’extinction de ces droits. Tout délai d’acquisition ou d’extinction d’un droit réel fixé par la présente loi qui aurait commencé à courir avant l’entrée en vigueur de celle-ci se poursuivra conformément au paragraphe 2 du présent article (...) Dans le calcul du délai d’acquisition par usucapion des biens immobiliers en propriété sociale détenus au 8 octobre 1991 et d’acquisition d’[autres] droits réels sur les biens de ce type, le temps écoulé avant cette date est aussi pris en compte. » Après l’invalidation par la Cour constitutionnelle le 17 novembre 1999 du paragraphe 4 de l’article 388 de la loi de 1996, jugé inconstitutionnel (paragraphe 17 ci-dessus), cette disposition fut remaniée par la loi de 2001 portant modification de la loi de 1996 (Zakon o izmjeni i dopuni Zakona vlasništvu i drugim stvarnim pravima, Journal officiel no 114/01), entrée en vigueur le 20 décembre 2001. Voici le nouveau texte du paragraphe 4 : « Dans le calcul du délai d’acquisition par usucapion des biens immobiliers en propriété sociale détenus au 8 octobre 1991 et d’acquisition d’[autres] droits réels sur les biens de ce type, le temps écoulé avant cette date n’est pas pris en compte. » La pratique pertinente Selon l’interprétation retenue lors de la séance plénière élargie de la Cour suprême fédérale de Yougoslavie tenue le 4 avril 1960, le possesseur de bonne foi d’un bien immobilier pouvait en devenir le propriétaire par usucapion au bout de vingt ans. Dans huit de ses décisions, la Cour suprême a jugé que cette interprétation était le reflet du droit de l’époque. Dans l’affaire Rev 250/03-2 (16 juin 2004), elle a dit ceci : « Étant établi que le bien litigieux était au 8 octobre 1991 un bien en propriété sociale (...), il faut, afin de déterminer si le bien a été acquis par usucapion au regard du paragraphe 4 de l’article 388 de la loi [de 1996] sur la propriété, rechercher si le demandeur, par le biais des prédécesseurs en titre, s’était trouvé en possession du bien litigieux avant le 6 avril 1941 [donc pendant une durée suffisante] pour en devenir le propriétaire par usucapion conformément aux dispositions applicables à l’époque et à la manière dont elles étaient appliquées sur la base de l’interprétation retenue lors de la séance plénière élargie de la Cour suprême fédérale de Yougoslavie tenue le 4 avril 1960. » Dans l’affaire Rev-x 51/13-2 (23 juillet 2014), la Cour suprême a dit ceci : « Les juridictions inférieures ont débouté le demandeur au motif qu’il avait commencé à acquérir (...) la propriété du bien par usucapion dès sa vente en [1969], à l’époque où celui-ci était [encore] propriété privée. Le [délai d’acquisition de la propriété] par usucapion avait donc commencé [à courir] avant l’entrée en vigueur de la loi [de 1980] sur la propriété, à une époque où les règles de l’ancien code civil [de 1811] étaient toujours applicables. En vertu de l’article 1468 du code civil [de 1811], le délai de trente ans, ou de vingt ans selon l’interprétation retenue lors de la séance plénière élargie de la Cour suprême fédérale de Yougoslavie tenue le 4 avril 1960, était le délai d’usucapion à retenir. Or il n’avait pas expiré à la date de l’entrée en vigueur de la loi [de 1980] sur la propriété et il a donc continué à courir [conformément à cette loi]. Le délai nécessaire d’acquisition de la propriété du bien litigieux par usucapion aurait dû expirer en 1989. [Or, à ce moment-là, ce bien, cédé en 1983, était déjà devenu un bien en propriété sociale]. Étant donné que, au moment où le bien est devenu un bien en propriété sociale (en 1983), le délai d’acquisition de la propriété par usucapion, d’une durée de vingt ans, n’avait pas expiré puisque la période allant de 1983 au 8 octobre 1991 (date d’abrogation de l’article 29 de la loi [de 1980] sur la propriété) ne pouvait être comptabilisée pour le calcul du délai nécessaire à l’acquisition de la propriété par usucapion, le demandeur n’avait pas acquis la propriété du bien par ce biais. » C. Autre texte pertinent La loi relative à la procédure civile Les dispositions pertinentes de la loi relative à la procédure civile (Zakon o parničnom postupku, Journal officiel de la République fédérative socialiste de Yougoslavie no 4/1977, avec des modifications ultérieures, et Journal officiel de la République de Croatie no 53/91, avec des modifications ultérieures), étaient ainsi libellées : 5a) Réouverture d’un procès à la suite d’un arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg constatant une violation d’un droit de l’homme ou d’une liberté fondamentale Article 428a « 1. À la suite d’un constat par la Cour européenne des droits de l’homme d’une violation d’un droit de l’homme ou d’une liberté fondamentale garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou par un Protocole additionnel à celle-ci, ratifié par la République de Croatie, une partie peut, dans les trente jours à compter de la date où l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme sera devenu définitif, demander au tribunal de la République de Croatie qui avait tranché en première instance le litige dans le cadre duquel la décision contraire au droit de l’homme ou à la liberté fondamentale avait été rendue, d’annuler la décision [en question]. La procédure exposée au paragraphe 1 du présent article est conduite en appliquant, mutatis mutandis, les dispositions régissant la réouverture des procès. Dans le cadre du nouveau procès, les tribunaux sont tenus de se conformer aux motifs de droit exposés dans l’arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme constatant une violation d’un droit de l’homme ou d’une liberté fondamentale. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Hasan Mızrak (« le premier requérant ») est né en 1958, Mme Besire Mızrak (« la deuxième requérante ») est née en 1957, M. Mazlum Mızrak (« le troisième requérant ») est né en 1997, Mme Deniz Mızrak (« la quatrième requérante ») est née en 1985 et Mme Derya Atay (« la cinquième requérante ») est née en 1983. À l’exception de la cinquième requérante, qui réside à Adana, les requérants résident à Diyarbakır. Les deux premiers requérants sont le père et la mère de Mahsum Mızrak, né en 1989 et décédé le 30 mars 2006. Les trois derniers requérants sont respectivement son frère et ses sœurs. A. Les circonstances de l’espèce L’incident du 30 mars 2006 À la suite du décès de quatorze membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation armée illégale, lors d’une confrontation armée ayant eu lieu le 24 mars 2006, de nombreuses manifestations furent organisées sans autorisation à Diyarbakır entre le 28 et le 31 mars 2006. Onze manifestants y trouvèrent la mort. Le 30 mars 2006, Mahsum Mızrak se trouvait sur les lieux d’une manifestation. Il fut blessé à la tête par une grenade lacrymogène qui aurait été tirée par des policiers et succomba à cette blessure. Le même jour, à 22 h 50, une autopsie classique fut pratiquée à l’hôpital civil de Diyarbakır, en présence du procureur de la République, par quatre experts et deux assistants. Le rapport établi à la suite de cette autopsie faisait état d’un orifice d’entrée de 4 x 3 cm de diamètre, situé audessus du sourcil droit. Selon les conclusions de ce rapport, le décès résultait d’une hémorragie et des dommages cérébraux provoqués par une grenade lacrymogène qui avait fracturé le crâne. Il précisait également que, compte tenu de l’impact constaté sur le corps du jeune homme, il s’agissait probablement d’un tir à longue distance. En outre, le rapport indiquait qu’un projectile mesurant 7,5 x 4 cm et portant les indications suivantes : 40 MMX46rp 707-CS 7, 0 LOT DFPF 01/97, avait été extrait de la tête du défunt. Procédure pénale engagée à l’encontre des policiers Il ressort du dossier que le parquet de Diyarbakır engagea d’office une enquête au sujet du décès de Mahsum Mızrak. Le 3 avril 2006, le premier requérant identifia le corps de son fils. Selon un rapport d’expertise du 13 avril 2006, le projectile extrait de la tête du défunt était une capsule contenant du gaz lacrymogène. Le 19 avril 2006, le premier requérant demanda au parquet de Diyarbakır l’élargissement de l’enquête afin de déterminer notamment l’origine du projectile ayant causé le décès de son fils. Le 8 mai 2006, le parquet de Diyarbakır adressa une lettre à la direction de la sûreté de Diyarbakır dans le but d’obtenir des renseignements notamment sur l’origine de la grenade lacrymogène ayant atteint Mahsum Mızrak et l’identité des policiers qui l’avaient tirée. Par une lettre du 21 juin 2006, la direction de la sûreté de Diyarbakır répondit au parquet de Diyarbakır. Elle confirma que la police avait utilisé des grenades lacrymogènes lors des manifestations qui avaient eu lieu entre le 28 et le 31 mars 2006. Elle cita le nom de trois policiers, à savoir B.O., N.O. et H.A. Le 11 décembre 2006, le parquet de Diyarbakır adressa une nouvelle lettre à la direction de la sûreté de Diyarbakır aux fins d’obtenir des renseignements complémentaires. Le 31 janvier 2007, les deux premiers requérants renouvelèrent auprès du parquet de Diyarbakır leur demande d’élargissement de l’enquête. Le même jour, le premier requérant fut entendu par le procureur de la République. Il demanda que les responsables du décès de son fils fussent identifiés et punis. Selon un rapport du 10 avril 2007, le projectile ayant atteint Mahsum Mızrak avait été tiré par un lance-grenade dont le type demeurait inconnu. Le rapport précisait que cette sorte de matériel pouvait causer la mort s’il atteignait un être vivant. Il ajoutait que la distance de tir ne pouvait être déterminée. Dans une lettre du 16 mai 2007, la direction de la sûreté de Diyarbakır réitéra le contenu de sa réponse du 21 juin 2006. Le 6 juillet 2007, dans le cadre d’une enquête engagée pour éclaircir les circonstances des évènements survenus entre le 28 et le 31 mars 2006, le procureur de la République entendit, en qualité de plaignants, les policiers S.S., S.B., H.U., A.K., N.Y., Y.S. et B.C., qui avaient participé à l’opération du 30 mars 2006. Ils déclarèrent que plusieurs policiers avaient utilisé des grenades lacrymogènes durant l’opération. Le 15 novembre 2007, le procureur de la République auditionna, en qualité de témoin, K.A. et O.G., deux autres policiers ayant participé à l’opération du 30 mars 2006. Ils dirent avoir utilisé des grenades lacrymogènes dans le respect de la réglementation, sans viser personne. Au cours des années 2007, 2008 et 2009, plusieurs autres policiers ayant participé à l’opération du 30 mars 2006 furent également entendus par le procureur de la République. Il ressort du dossier devant la Cour que, le 30 mai 2008, le parquet de Diyarbakır transmit le dossier d’enquête à la préfecture de Diyarbakır et lui demanda l’autorisation d’entamer une action pénale contre les fonctionnaires de police ayant fait usage de grenades lacrymogènes. Dans le cadre de l’enquête administrative menée par la préfecture de Diyarbakır, les 30 janvier, 2 février et 4 février 2009, les dépositions de trois policiers ayant fait usage de grenades lacrymogènes, à savoir B.O., N.O., et H.A., furent respectivement recueillies sur commission rogatoire. Ils déclarèrent qu’ils avaient exercé leurs fonctions dans le respect des règles établies en la matière et qu’ils n’avaient pas lancé de grenades directement vers les manifestants. Le 19 février 2009, sur la base d’un rapport dressé par M.T., chef de police à la direction de la sûreté de Diyarbakır, la préfecture décida de ne pas autoriser le déclenchement de poursuites pénales contre les trois policiers en question au motif que ceux-ci avaient agi dans le cadre de leurs fonctions et n’avaient pas tiré de grenades lacrymogènes directement vers les manifestants. Le 26 mars 2009, le premier requérant forma opposition contre cette décision devant le tribunal administratif régional de Diyarbakır. Il expliqua notamment que son fils avait été atteint à la tête au niveau du sourcil droit par une grenade tirée par un policier. Il soutenait que, si les policiers avaient fait un usage des grenades conforme à la réglementation, l’impact aurait dû se produire au niveau de la calotte crânienne. Le 8 avril 2009, le tribunal accueillit favorablement l’opposition du premier requérant et infirma la décision de la préfecture. Le 3 novembre 2009, le parquet de Diyarbakır engagea une action publique pour homicide volontaire contre B.O., N.O. et H.A. devant la cour d’assises de Diyarbakır. À l’audience du 14 janvier 2010, la cour d’assises entendit les trois accusés ainsi que les deux premiers requérants, qui s’étaient constitués partie intervenante à la procédure pénale. Elle ordonna une expertise pour déterminer la manière dont la grenade fatale avait été tirée. Le 21 juillet 2010, l’institut médicolégal dressa un rapport sur l’origine du projectile extrait de la tête de Mahsum Mızrak. Ce rapport exposait que la munition fatale n’avait pas été fabriquée pour blesser ou tuer, et mentionnait que la documentation relative à l’utilisation de ce matériel était rare. Il concluait qu’il était impossible de donner un avis définitif sur la manière dont la grenade avait été tirée et sur la distance de tir. Le 30 septembre 2011, le laboratoire criminel régional de la gendarmerie de Van dressa un rapport au sujet des trois lance-grenades utilisés par les policiers mis en cause. Le rapport indiquait que le projectile extrait de la tête du défunt ne pouvait avoir été tiré avec l’un des lancegrenades soumis à examen, car ceux-ci n’étaient pas compatibles avec les munitions de ce calibre. En outre, un autre rapport, établi le 31 octobre 2011 par l’institut médicolégal, fut versé au dossier. Il précisait qu’il n’était pas possible de déterminer à qui appartenait le lanceur au moyen duquel la grenade fatale avait été tirée. Lors d’une audience du 15 mars 2012, la cour d’assises constata que le projectile extrait de la tête du défunt avait été égaré. Elle demanda l’ouverture d’une instruction pénale à ce sujet. Selon les dernières informations fournies par les parties, l’affaire était toujours pendante devant les instances internes au 10 juin 2014. Procédure devant les tribunaux administratifs À une date non précisée, les deux premiers requérants engagèrent devant les tribunaux administratifs une action en dommages-intérêts contre le ministère de l’Intérieur. Par un jugement du 5 novembre 2009, le tribunal administratif de Diyarbakır considéra qu’il pouvait passer pour établi que l’administration avait commis une faute dans le décès de Mahsum Mızrak, puisque les forces de l’ordre avaient utilisé le matériel de manière disproportionnée. Il estimait que les forces de l’ordre et Mahsum Mızrak (qui avait participé à une manifestation illégale) étaient mutuellement responsables à hauteur de 50 %, et décida d’accorder aux deux requérants une indemnité pour préjudice matériel de 14 533,08 livres turques (TRY), soit environ 6 608 euros (EUR) selon le taux de change de l’époque, ce montant correspondant à la perte de revenus résultant du décès de Mahsum Mızrak. En outre, il alloua aux requérants une somme totale de 5 000 TRY (environ 2 272 EUR selon le taux de change de l’époque) pour préjudice moral. Ce jugement a fait l’objet d’un pourvoi qui, selon les dernières informations fournies par les parties, était toujours pendant devant le Conseil d’État au 10 juin 2014. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Abdullah Yaşa et autres c. Turquie (no 44827/08, §§ 28-28, 16 juillet 2013) et Ataykaya c. Turquie (no 50275/08, §§ 30-35, 22 juillet 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1974. A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant Le 31 juillet 2010, le requérant entra en Grèce, dans la région d’Evros. Le même jour, il fut arrêté par la police des frontières d’Orestiada et y fut amené pour l’enregistrement de son identité. Le directeur de la Direction de police d’Orestiada ordonna la mise en détention provisoire du requérant pour une période maximale de trois jours, jusqu’à l’adoption de la décision de son expulsion (décision no 9135/1-A/2320-ρ’). À une date non précisée, le requérant fut renvoyé devant le procureur près le tribunal correctionnel d’Orestiada pour entrée illégale dans le territoire. Le 3 août 2010, le directeur de la Direction de police d’Orestiada ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois (décision no 9135/1-A/2320-ρζ). La décision constatait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures et qu’il risquait de fuir. Le requérant fut placé en détention dans les locaux de la police des frontières de Fylakio. Il prétend qu’aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile. Le 24 août 2010, l’avocate du requérant lui rendit visite au centre de rétention de Fylakio. Le 1er septembre 2010, par l’intermédiaire de son avocate, le requérant soumit une demande de révocation de la décision ordonnant son expulsion et sa détention devant le ministre de la Protection du citoyen par l’intermédiaire du directeur de police de Macédoine de l’Est et de Thrace. Il affirma qu’en cas d’expulsion il pouvait faire l’objet de persécution pour des raisons politiques dans son pays d’origine et que son expulsion immédiate n’était pas possible. Il souligna que les conditions de détention à Fylakio étaient inacceptables et contraires à l’article 3 de la Convention. Il dénonça notamment le surpeuplement, les mauvaises conditions d’hygiène ainsi que le fait qu’il n’y avait aucune possibilité de s’exposer au soleil et de se promener. Le 6 septembre 2010, l’avocate du requérant saisit le Médiateur de la République, avec notification au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, dénonçant notamment les conditions de détention du requérant dans le centre de rétention de Fylakio, ainsi que l’absence des garanties procédurales, ce qui rendait impossible l’exercice des recours prévus par la loi. Elle sollicitait son intervention afin de faire lever la détention du requérant et l’informait que dans les centres de rétention de la région d’Evros la majorité des détenus n’avaient pas la possibilité d’être représentés par un avocat. Le 9 septembre 2010, le directeur de police de Macédoine de l’Est et de Thrace rejeta la demande de révocation de la décision ordonnant l’expulsion et la détention du requérant. Il admit notamment que l’expulsion pouvait s’effectuer, que celui-ci disposait d’une pièce d’identité gambienne et que les ressortissants gambiens étaient, en règle générale, amenés par les autorités grecques à l’ambassade de leur pays à Athènes, afin que celle-ci leur fournisse des documents de voyage. Il précisa aussi que le requérant avait la possibilité d’introduire un recours contre cette décision devant le tribunal administratif compétent (décision no 40022/10/594013). Il ressort du dossier qu’un tel recours ne fut pas introduit. Le 10 septembre 2010, le tribunal correctionnel d’Orestiada le condamna à trois mois d’emprisonnement et une amende de 1 500 euros pour entrée illégale dans le territoire (arrêt no 1391/2010). Le 11 septembre 2010, le requérant fut transféré à la Direction des étrangers de la région d’Attique et par la suite au centre de rétention d’Aspropyrgos. Le 22 septembre 2010, par l’intermédiaire du Conseil grec pour les réfugiés, il déposa une demande d’asile. Le 12 novembre 2010, il fut remis en liberté. Le 22 novembre 2010, les autorités lui accordèrent la carte de demandeur d’asile (récépissé no 116123). Le requérant allègue que pendant sa détention, ainsi que lors du dépôt de sa demande d’asile et de sa libération, il n’a pas été informé de son droit de déposer une demande des conditions d’accueil (αίτηση για παροχή υλικών συνθηκών υποδοχής). Au contraire, les autorités lui demandèrent de déclarer obligatoirement une adresse de séjour. Le 24 novembre 2010, le requérant déclara être sans abri. Se prévalant de son indigence, il demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil, ou de bénéficier d’une assistance matérielle et financière, conformément au décret présidentiel no 220/2007. Il ressort du dossier que les autorités ne répondirent pas à cette demande. Le requérant allègue qu’à partir de sa libération, il séjourna à Athènes sans domicile fixe et sans pouvoir bénéficier d’une structure d’accueil. Il prétend qu’il vécut comme un sans-abri, s’installant dans la rue ou dans des bâtiments désaffectés. Il n’avait accès ni à de la nourriture, ni à de l’eau potable, ni à des toilettes. Le 8 février 2011, le requérant eut un entretien en vue de l’obtention de l’asile devant la Service d’Asile Politique de la Direction des étrangers d’Attique. Le 13 mars 2012, sa demande d’asile fut rejetée. Cette décision lui fut notifiée le 24 mai 2012. Le même jour, le requérant introduisit un recours contre cette décision. Il ressort du dossier que ce recours était pendant devant la commission des recours de deuxième degré au moins jusqu’au 3 décembre 2013, date du dépôt des observations de l’intéressé devant la Cour. B. Les conditions de détention du requérant La version du requérant Dans le centre de rétention de Fylakio, le requérant était entassé dans une cellule avec cent cinquante autres personnes. En général, les cellules étaient sales, sans chaises ni tables, les détenus n’avaient ni linge de lit, ni produit d’hygiène personnelle. Il n’y avait pas d’eau chaude et les toilettes étaient bouchées en permanence. Le requérant était obligé de rester toute la journée dans sa cellule et il n’y avait aucune possibilité de promenade ou d’une quelconque forme de divertissement. Des conditions similaires régnaient dans le centre de rétention d’Aspropyrgos. La version du Gouvernement Le Gouvernement décrit les centres de rétention dans lesquelles le requérant a séjourné comme suit. Le centre de rétention de Fylakio fonctionnait, à l’époque des faits, comme lieu de premier accueil et lieu de détention. Le centre disposait de sept chambrées, d’une capacité totale de 374 personnes. Dans chaque chambrée, il y avait un téléphone à carte. Les sanitaires étaient en nombre suffisant, ce nombre étant proportionnel à la capacité de chaque dortoir. À intervalles réguliers, des désinfections étaient effectuées par une entreprise privée et les murs étaient repeints. Le chauffage était assuré par un système de chauffage central et une chaudière permettait l’approvisionnement en eau chaude 24 heures sur 24. La sortie des détenus dans la cour était effectuée par dortoir et durait une heure chaque jour. Des soins médicaux étaient dispensés par le Centre de contrôle et de prévention des maladies (KE.EL.P.NO.). Lorsque les détenus avaient besoin de soins plus spécifiques, ils étaient transférés aux hôpitaux de Didymoteicho et d’Alexandroupoli. L’alimentation des détenus était assurée par les soins de la préfecture de l’Évros, qui avait conclu un contrat avec une société de restauration. Les détenus recevaient trois repas par jour et toutes les portions pesaient de 450 à 500 grammes. Le sandwich pesait 200 grammes et chaque détenu recevait avec le déjeuner un pain de 350 grammes. Dans le cas où certains détenus estimaient que la quantité ne leur suffisait pas, ils pouvaient demander des sandwiches supplémentaires. Le fonctionnement du centre a été suspendu du 8 mars au 25 mai 2012 pour des travaux de rénovation, afin d’améliorer les conditions de détention. Le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos disposait de deux étages d’une surface habitable de 240 m² chacun. Chaque étage disposait de quatre dortoirs, pouvant accueillir respectivement 21, 20, 20 et 10 personnes. Pour l’hygiène personnelle des détenus, il y avait 10 WC et 8 douches par étage. À chaque étage, il existait un espace qui servait de cour intérieure. Cet espace était à la disposition des détenus, soit pour utiliser les téléphones à carte qui s’y trouvaient soit pour s’informer sur leurs droits et les procédures existantes au moyen de brochures en plusieurs langues. Les détenus recevaient trois repas par jour. Des soins médicaux étaient dispensés, au besoin, dans les hôpitaux publics. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011), Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013). III. LES RAPPORTS DES INSTANCES INTERNATIONALES A. Les constats du rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants Lors de sa visite au centre de rétention de Fylakio, le 12 octobre 2010, le rapporteur spécial, M. Manfred Nowak, a constaté que le centre, d’une capacité de 379 personnes en accueillait 486. Il lui fut reporté que, pendant certaines périodes, le nombre des détenus s’élevait à plus de 550. En raison de la surpopulation, le centre était dans un très mauvais état à la date de la visite. Il n’y avait pas assez de lits et les détenus étaient obligés de les partager ou de dormir par terre. Les lits, les couvertures et les oreillers étaient très sales. Les installations sanitaires et les murs étaient aussi sales et l’eau coulait hors des douches et des toilettes. Les cellules étaient humides et les sols sales. Plusieurs lampes du plafond étaient cassées et il n’y avait pas de lumière naturelle. Il y avait peu d’espace entre les lits pour permettre aux détenus de circuler. Les détenus n’avaient pas non plus accès à l’extérieur du bâtiment. La cellule semi ouverte où étaient reçus les nouveaux arrivants était dans un état encore pire. Les toilettes étaient bouchées et l’eau et les excréments stagnaient dans l’espace de la salle d’eau. Les détenus déféquaient dans le couloir de la salle d’eau et l’eau sale coulait dans les dortoirs et créait une odeur nauséabonde. Plusieurs nouveaux arrivants préféraient dormir à l’extérieur. B. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Suite à sa visite en Grèce, du 20 au 27 février 2007, le CPT notait dans son rapport du 8 février 2008 que le centre de répression de l’immigration clandestine d’Aspropyrgos comportait huit cellules sur deux étages et accueillait 110 personnes. Les cellules étaient sombres, mal aérées et très sales et la lumière naturelle et l’éclairage étaient insuffisants. L’accès aux produits d’hygiène personnelle était limité. Aucune cellule n’offrait plus de 3 m² d’espace par détenu. Aucune possibilité d’exercice physique ou d’autre activité n’était offerte aux détenus. À la suite de sa visite en Grèce du 20 au 27 janvier 2011, le CPT, dans son rapport publié le 10 janvier 2012, relevait (paragraphe 13 du rapport) que la conception des centres de rétention pour étrangers irréguliers ne se conformait pas aux standards du CPT, élaborés déjà en 1997. La conception, entre autres, des centres d’Aspropyrgos et de Fylakio était totalement inappropriée, en raison notamment du fait qu’il y avait des barreaux du sol au plafond, ce qui excluait toute intimité et que la communication avec les gardiens se faisait à travers les barreaux. D’autres défauts étaient le manque d’entretien des bâtiments (notamment les sanitaires), le mauvais éclairage et la mauvaise ventilation, l’insuffisance des produits pour l’hygiène personnelle et le nettoyage, l’impossibilité d’avoir des vêtements de rechange, le manque d’information aux détenus, le manque d’accès à de l’exercice physique et l’insuffisance de la nourriture. La situation était aggravée par la surpopulation existante dans la plupart de ces centres et en particulier par rapport aux conditions d’hygiène et à l’accès aux soins médicaux.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les lieux et durée de détention des requérants Tous les requérants, excepté le requérant no 18, étaient détenus à la prison de Larissa à la date d’introduction de la requête. En outre, selon les informations fournies par le Gouvernement, le requérant no 1 y est détenu depuis le 7 avril 2011. À la date d’introduction des observations des parties, il était placé dans l’aile B. Le requérant no 2 est détenu depuis le 22 octobre 2012. À la date du dépôt des observations des parties, il était placé dans l’aile B. Le requérant no 3 est détenu depuis le 2 août 2010. À la date du dépôt des observations des parties, il était placé dans l’aile B. Le requérant no 4 est détenu depuis le 28 novembre 2011 dans l’aile C. Le requérant no 5 est détenu depuis le 3 février 2012. À la date du dépôt des observations des parties, il se trouvait dans l’aile B de la prison. Le requérant no 6 est détenu depuis le 23 novembre 2011. À la date du dépôt des observations des parties, il se trouvait dans l’aile B de la prison. Le requérant no 7 fut détenu du 12 avril 2012 au 15 avril 2014, date à laquelle il fut remis en liberté. Il fut détenu dans la chambrée no 1 réservée aux détenus qui exerçaient une activité en prison. Le requérant no 8 est détenu depuis le 25 février 2011 dans l’aile B de la prison. Le requérant no 9 était détenu dans l’aile A de la prison du 1er juillet 2008 au 25 septembre 2008, date depuis laquelle il est détenu dans l’aile B. Le requérant no 10 est détenu depuis le 23 octobre 2010. Il fut initialement placé dans l’aile B. Du 22 janvier au 19 mars 2013, il était détenu dans l’aile C. Par la suite, il fut transféré dans l’aile E de la prison. Il s’y trouvait à la date du dépôt des observations des parties. Le requérant no 11 est détenu depuis le 10 novembre 2011. À partir de cette date et jusqu’au 2 juillet 2013, il fut placé dans l’aile B de la prison. Ensuite il fut transféré à la chambrée réservée aux détenus qui exercent une activité. C’est dans ce lieu qu’il était détenu à la date du dépôt des observations des parties. Le requérant no 12 était détenu du 20 novembre 2012 au 22 janvier 2014. Initialement, il fut placé dans l’aile B de la prison. Du 31 décembre 2012 au 22 janvier 2014, date à laquelle il fut remis en liberté, il fut détenu dans l’aile E de la prison. Le requérant no 13 est détenu depuis le 13 août 2012. À la date du dépôt des observations des parties, il se trouvait dans l’aile B de la prison. Le requérant no 14 est détenu du 23 avril 2012. À la date du dépôt des observations des parties, il était détenu dans l’aile C de la prison. Le requérant no 15 est détenu depuis le 21 mai 2012. Il fut initialement placé dans l’aile B de la prison et, depuis le 13 février 2014, il est détenu dans l’aile A. Le requérant no 16 est détenu depuis le 3 juin 2008 dans l’aile B de la prison. Le requérant no 17 est détenu depuis le 6 février 2012. Il fut initialement placé dans l’aile B de la prison et, ensuite, du 30 janvier 2013 au 10 décembre 2013, dans la chambrée réservée aux détenus qui exerçaient une activité en prison. Le 10 décembre 2013, il fut placé dans l’aile A. Il s’y trouvait à la date du dépôt des observations des parties. Le requérant no 18 fut détenu dans la prison de Larissa du 28 février au 13 décembre 2013, date à laquelle il fut transféré à la prison de Korydallos. Le requérant no 19 est détenu depuis le 30 août 2012. Il fut initialement placé dans l’aile B. Du 4 juillet au 22 juillet 2013, il fut transféré à l’aile E de la prison. De cette dernière au dépôt des observations des parties, il se trouvait dans l’aile B. Le requérant no 20 est détenu dans l’aile B depuis le 12 février 2013. Le requérant no 21 est détenu depuis le 28 février 2013. Du 24 avril au 10 octobre 2013, il fut placé dans l’aile A de la prison. De la dernière date au dépôt des observations des parties, il se trouvait dans l’aile E. Le requérant no 22 est détenu depuis le 31 juillet 2012. Il fut initialement placé dans l’aile C de la prison. Du 9 août 2012 et à la date du dépôt des observations des parties, il se trouvait dans l’aile B de la prison. Le requérant no 23 est détenu depuis le 3 février 2009. Il fut initialement placé dans l’aile B. Du 3 septembre au 14 décembre 2013, il se trouvait dans la chambrée réservée aux détenus qui exerçaient une activité en prison. Ensuite, il fut détenu dans l’aile B de la prison où il séjournait à la date du dépôt des observations des parties. B. Les conditions de détention des requérants La version des requérants Tous les requérants dénoncent leurs conditions de détention à la prison de Larissa. En se référant à un document produit par son directeur, ils indiquent que la prison de Larissa a une capacité de 550 détenus. Or, selon ce document, au cours de la période litigieuse, elle hébergeait entre 780 et 942 personnes. Ceux des requérants, détenus dans les ailes A, B et C., étaient placés dans des cellules d’une superficie de 23,25 m2. Selon eux, il faut déduire 5 m2, à savoir l’espace dédié aux toilettes et aux douches ainsi que celui occupé par les tables et chaises qui étaient installées dans les cellules. Ils déclarent partager leurs cellules avec 7 à 9 autres personnes. Quant aux requérants placés dans la chambrée no 1, ils devaient partager un espace de 321 m2 avec 75 à 90 autres personnes. Par ailleurs, dans la chambrée no 2 dédiée aux détenus exerçant une activité en prison, les requérants devaient partager un espace de 206 m2 avec 40 à 56 autres personnes. Les requérants notent que dans ces espaces, les lits, tables et chaises occupaient une superficie de 70 et 40 m2 respectivement. Les requérants se plaignent aussi de l’hygiène générale dans la prison, notamment du manque de matelas, couvertures et draps propres. Ils dénoncent aussi l’insuffisance de chauffage et d’eau chaude. Enfin, ils soutiennent que la prison ne disposait pas de personnel médical suffisant. La version du Gouvernement Selon le Gouvernement, une grande partie des détenus était logée dans les ailes A, B et C. Les cellules mesurent 5 m x 4,65 m. Une pièce de 5 m x 1 m, dédiée aux toilettes et aux douches est attenante à chaque cellule. Les requérants partageaient leurs cellules avec 6 à 9 autres personnes et, partant, le nombre des détenus n’excédait pas la capacité pour laquelle les cellules étaient conçues. Les requérants détenus dans une cellule de l’aile E, vivaient dans un espace mesurant 5,50 m x 2,85 m. Aux cellules est annexée une pièce mesurant 1 m x 2 m et dédiée aux toilettes et douches. Ceux des requérants logés dans un dortoir de l’aile E, vivaient dans un espace mesurant 7 m x 5,50 m. Une pièce mesurant 1,40 m x 0,85 m, dédiée aux toilettes et douches, est attenante à chaque cellule. Les détenus placés dans une cellule ou un dortoir de l’aile E partageaient les espaces susmentionnés avec 3 à 11 autres personnes au maximum. Les requérants placés dans la chambrée no 1 occupée par ceux qui exerçaient une activité en prison, vivaient dans un espace de 26 m x 13 m. Au sein de cette pièce, un espace de 3 m x 2,50 m était occupé par les douches. Il y avait aussi neuf toilettes de 1,20 m x 0,9 m chacune. Les requérants partageaient cet espace avec 75 à 90 autres personnes. Les requérants placés dans la chambrée no 2 également occupée par ceux qui exerçaient une activité en prison, vivaient dans un espace de 17 m x 13 m. Au sein de cette pièce, un espace de 10 m2 environ était dédié aux toilettes et aux douches. Les requérants partageaient leur espace avec 40 à 56 autres personnes. Le Gouvernement indique que chaque cellule dans les ailes A, B et C dispose de cinq lits superposés, d’un téléviseur, d’une ou deux tables en plastique, de trois à cinq tabourets et cinq à sept chevets. Dans les chambrées nos 1 et 2 occupées par les détenus exerçant une activité en prison, il y a 45 et 28 lits superposés respectivement. De plus, dans chacune des chambrées, il y a une table à raison de quatre personnes, un téléviseur par lit, des tabourets pour la plupart des détenus, un chevet pour chacun d’eux et un réfrigérateur. Enfin, chaque cellule et chaque dortoir de l’aile E dispose d’une à deux tables en plastique, des tabourets et de chevets. Le Gouvernement relève notamment qu’en hiver les radiateurs installés au sein des cellules et dortoirs fonctionnent une heure le matin et une heure et demi le soir. Par temps particulièrement froid, le chauffage fonctionne une heure supplémentaire le matin. Il est noté que le budget prévu pour le chauffage des cellules a subi des réductions en raison de la crise économique. Le Gouvernement allègue que les cellules sont aérées et éclairées. L’eau chaude est disponible de 19 h à 19 h 30 et de 20 h 30 à 21 h en hiver et de 12 h à 13 h et de 20 h à 21 h en été. Les détenus reçoivent à intervalles réguliers du papier hygiénique, du savon et des produits d’entretien. En raison de la crise économique actuelle et pour faire face aux restrictions budgétaires de la prison, le service social de la prison, en collaboration avec des organisations de charité, fournissent aux détenus indigents et étrangers des produits d’hygiène corporelle. Le Gouvernement affirme que des désinfections et des dératisations sont effectuées régulièrement dans la prison par une entreprise extérieure et que le linge de lit est nettoyé à la laverie de la prison. Le Gouvernement fournit, à titre d’exemple, des menus hebdomadaires prévus pour les détenus pendant la période d’incarcération des requérants et précise que l’eau potable dans la prison est la même que celle qui alimente la ville de Larissa. Pour leur divertissement, les détenus peuvent regarder la télévision ou faire du sport (basketball, football) et de l’exercice dans la cour de la prison ou dans la salle de sport qui est dotée d’équipements d’haltérophilie et d’un sac de boxe. En outre, au deuxième étage de chaque aile, il y a une table de tennis de table. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013), et à l’arrêt Tsokas et autres c. Grèce (no 41513/12, §§ 60-64, 28 mai 2014). III. LES CONSTATS DU COMITÉ POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT) Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait ce qui suit en ce qui concerne la prison de Larissa. La prison était constituée de cinq ailes et avait une capacité officielle de 600 détenus. À l’époque de la visite, elle accueillait 892 détenus. La surpopulation était apparente à travers l’ensemble de la prison. Les ailes A, B et C accueillaient entre 220 et 270 personnes chacune dans des cellules. Une cellule ordinaire avait une surface de 23 m² et était équipée de cinq lits superposés, une table et quelques chaises. Dans l’aile A, la délégation du CPT a constaté que dans certaines cellules séjournaient jusqu’à douze détenus et qu’en conséquence certains dormaient sur des matelas posés à même le sol ou à deux sur les lits. Un certain nombre de cellules étaient humides et avaient besoin de travaux d’entretien (peinture murale écaillée, vitres cassées) et plusieurs autres de réparations plus importantes. Chaque cellule disposait d’un espace supplémentaire de 5 m² contenant un WC, une douche et un robinet. L’aile D accueillait dans deux chambrées environ 135 détenus qui travaillaient au sein de la prison ou qui avaient un certain âge. Les chambrées avaient des rangées de lits superposés, qui laissaient à chaque détenu un espace personnel de 3 m². À côté de chaque lit, il y avait une table et deux tabourets. La salle d’eau adjacente contenait six douches, six WC et quatre robinets. Toutefois, le CPT a constaté que les ailes de la prison étaient infestées d’insectes et de poux et que les conditions d’hygiène n’étaient pas satisfaisantes. Les détenus se sont aussi plaints auprès des représentants du CPT que les matelas et les couvertures fournis étaient sales, ce que ces derniers ont pu constater par eux-mêmes. Des produits d’hygiène corporelle n’étaient pas fournis ou alors fournis en quantité limitée, de sorte que les détenus étaient obligés de les acheter eux-mêmes au magasin de la prison ou demander à la famille ou des amis d’en apporter lors de leurs visites. Enfin, le chauffage était allumé pour des périodes très courtes pendant les mois d’hiver, ce qui obligeait les détenus à dormir avec leurs vêtements.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants furent ou sont encore détenus dans la prison de Diavata de Thessalonique, en tant que prévenus ou en tant que condamnés. Parmi eux, quatre requérant furent mis en liberté aux dates suivantes : le requérant no 28 le 10 janvier 2013 ; le requérant no 37 le 5 mars 2013 ; le requérant no 38 le 5 février 2013 ; le requérant no 39 le 8 mars 2013. En outre, huit autres requérants furent transférés dans d’autres prisons : le requérant no 9 le 1er février 2013 à la prison de Nigrita ; le requérant no 10 le 13 décembre 2012 à la prison de Kassandra ; le requérant no 12 le 24 décembre 2012 à la prison de Nigrita ; le requérant no 13 le 18 janvier 2013 à la prison de Larissa ; le requérant no 31 le 20 mars 2013 à la prison de Korydallos ; le requérant no 41 le 13 février 2013 à la prison de Kassandra ; le requérant no 52 le 11 février 2013 à la prison de Kassandra ; le requérant no 53 le 18 janvier 2013 à la prison de Nigrita. Le requérant no 4 fut détenu du 1er août au 24 décembre 2012 dans les locaux de la Direction de police de Thessalonique avant d’être transféré à la prison de Diavata. A. Les conditions de détention dans la prison de Diavata selon la version des requérants Les requérants allèguent notamment que l’espace pour chacun d’eux ne dépasse pas les 3 m². L’état des toilettes et des douches ne correspond pas aux règles d’hygiène. Un espace de toilettes sert à dix personnes environ. Les cellules sont insuffisamment chauffées et, de plus, les requérants qui ne sont pas des fumeurs sont exposés au tabagisme passif. En outre, les requérants toxicomanes se plaignent du fait que dès leur incarcération, ils furent soumis à un processus de désintoxication sans être suivis par un médecin spécialiste et un psychologue. Pendant les premiers jours, ils étaient complétement privés de substances (ce qui leur provoqua des crises de panique, de fortes douleurs dans les os, des nausées et des vomissements, voire des crises d’épilepsie pour ceux qui faisaient usage de barbituriques). Après le quatrième jour, ils reçurent des substances de substitution, à des quantités de loin inférieures à celle qu’ils auraient reçues s’ils avaient été traités en dehors de la prison. B. Les conditions de détention dans la prison de Diavata selon la version du Gouvernement Le Gouvernement affirme que la superficie de chaque chambrée de la prison s’élève à 23,68 m². Cette superficie inclut une toilette de 2,77 m². La chambrée contient cinq lits superposés, une table de nuit pour chaque détenu, une table et des chaises où les détenus prennent leurs repas et un téléviseur. Elle accueille dix personnes. En fonction de besoins, il peut y avoir des chambrées non-fumeurs. Le nettoyage des chambrées (deux fois par jour) incombe aux détenus dont la plupart ont travaillé à cette tâche. Le système central de chauffage fonctionne une heure le matin (de 6 h à 7 h) et deux heures le soir (20 h à 22 h). Dans la partie ancienne de la prison, l’eau chaude est fournie de 13 h à 14 h et de 16 h à 00 h 30 et dans la nouvelle de 6 h à 7 h, de 13 h à 13 h 30 et de 20 h à 22 h. Le Gouvernement fournit quelques exemples hebdomadaires de menus pour démontrer que les repas des détenus sont équilibrés et contiennent tous les aliments nécessaires. La prison est équipée d’un dispensaire où travaillent en permanence quatre infirmiers professionnels qui sont responsables pour administrer les traitements médicaux prescrits aux détenus et faire des actes médicaux simples. Un médecin généraliste visite la prison trois fois par semaine et un dentiste une fois par semaine. Une antenne du Centre de traitement des personnes dépendantes fonctionne aussi au sein de la prison. Chaque étage dispose de sa propre cour afin d’éviter le contact entre personnes détenues dans des ailes différentes. Les détenus peuvent y rester de six à huit heures par jour. Chaque cour peut accueillir 120 détenus. Les détenus ont la possibilité de s’activer physiquement en jouant au basket-ball, au volley-ball out au football. Des animations musicales ou théâtrales ont lieu périodiquement par des bénévoles. Au sein de la prison fonctionne aussi une bibliothèque et une école de la « deuxième chance ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013). III. LES CONSTATS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES A. Les constats du médiateur de la République Dans un rapport du 31 juillet 2014, établi à la suite de sa visite du 2 juillet 2013, le médiateur de la République notait que la prison de Diavata avait une capacité de 360 détenus, mais à la date de la visite elle en accueillait 597. Il soulignait que les cellules ayant une capacité de 4 détenus, en accueillait dix et celles conçues pour un détenu en accueillait 4. Le chauffage et la fourniture d’eau chaude semblaient insuffisants d’après les informations fournies par les détenus. Le personnel pénitentiaire invoqua l’insuffisance des crédits pour la réalisation des travaux de chauffage, pour l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux, mais aussi pour couvrir les frais de fonctionnement et d’entretien. La prison ne disposait pas de réfectoire et les repas étaient distribués en cellule et consommés sur les lits. Un des plus grands problèmes de la prison consistait en la réduction considérable de son budget, notamment en ce qui concernait la nourriture des détenus. Quant aux besoins en vêtements des détenus et en produits d’hygiène corporelle, un effort était fait pour que les coûts soient pris en charge par un fonds de solidarité. Toutefois, les sommes obtenues étaient particulièrement modiques et ne suffisaient pas à couvrir les besoins basiques des détenus. Dans ses conclusions, le médiateur soulignait que la prison était confrontée à un grand problème de surpopulation. En dépit des efforts déployés pour en atténuer les effets, la situation dans les chambrées et les cellules était particulièrement difficile, voire étouffante, en raison du grand nombre de détenus et, par conséquent, des mauvaises conditions d’hygiène et de l’absence de ventilation. B. Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Diavata, d’une capacité officielle de 250 détenus, en accueillait 590. La prison dispose de 53 cellules mesurant chacune 24 m² et accueillant chacune 10 détenus, de 10 cellules de 11 m² chacune et accueillant chacune 4 détenus et de 3 cellules où séjournent 34 détenues femmes. L’accès à la lumière naturelle et l’aération dans les cellules sont satisfaisants et il y a quelques tabourets. Les salles d’eau contiennent quatre toilettes ainsi qu’un évier qui sert aussi pour laver le linge et faire la vaisselle.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1974 et réside à Rtishchevo (région de Saratov). Le requérant, en sa qualité de policier, aurait tenté d’extorquer un potdevin à un certain V. Ce dernier avait dénoncé le requérant au Service fédéral de sécurité (le « FSB »). Le FSB avait alors commencé une opération d’investigation en vue de recueillir des preuves contre le requérant. Lors des rencontres entre le requérant et V., ce dernier avait enregistré ses conversations avec le requérant sur une bande magnétique au moyen d’un magnétophone dissimulé sur lui. Le premier enregistrement avait été effectué par la victime de sa propre initiative. Les autres conversations furent enregistrées par la victime sur les instructions du FSB. A. Les mauvais traitements allégués et l’enquête préliminaire y afférente Les mauvais traitements allégués Le 3 février 2006, le requérant fut interpellé par des officiers du FSB sur la base du soupçon de fraude susmentionné. L’arrestation eut lieu dans le bâtiment d’une école publique, où travaillait par ailleurs l’épouse du requérant, au moment où la victime transmettait les fonds à ce dernier. Plusieurs personnes étaient alors présentes, notamment, l’épouse du requérant (Mme O.), la directrice de l’école (K.), la victime (V.), ainsi que les témoins instrumentaires (понятые) (M. et G). Le requérant fut alors amené au département du FSB de la région de Saratov. Selon ses dires, il y passa une bonne partie de la nuit sans qu’aucun document autorisant sa détention ne soit dressé. L’intéressé dit aussi avoir demandé en vain à ce que l’on fasse venir un avocat. Toujours selon ses dires, pendant cette détention, des officiers du FSB le battirent sévèrement dans le but de lui extorquer des aveux. Le 4 février 2006, après avoir été libéré, le requérant s’adressa à l’hôpital pour des soins médicaux. Le dossier donne les informations suivantes : – selon un extrait de la fiche médicale du 4 février 2006, le requérant avait des contusions sur le visage, ainsi qu’une contusion et un traumatisme fermé de la cage thoracique, mais aucune fracture ne fut détectée à la radiographie ; – selon un certificat médical délivré le 6 février 2006 par le médecin S., le requérant s’était fait soigner par un médecin le 4 février 2006, lequel avait constaté des ecchymoses sur la cage thoracique, sur le cou, le front, l’avantbras gauche et sur la main gauche. L’enquête préliminaire sur l’allégation de mauvais traitements Le 5 février 2006, le requérant porta plainte auprès du procureur militaire de la garnison de Saratov, demandant l’ouverture d’une enquête pénale pour mauvais traitements sur sa personne dans les locaux du FSB. Il décrivait les faits comme suit : – les mauvais traitements lui avaient été infligés les 3 et 4 février entre 18 heures et 5 heures du matin, par deux officiers FSB ; – on l’avait frappé à coups de poing ou au moyen d’une bouteille plastique remplie d’eau à la poitrine, à la tête – au front et à la nuque –, ainsi qu’au niveau des lombaires, des pieds, des hanches, et de l’avant-bras ; l’un de ces officiers l’avait fait tomber par terre en lui tordant un bras, puis lui avait mis son genou sur la gorge pour l’asphyxier ; le même officier l’avait ensuite remis debout et laissé s’asseoir, puis avait continué à frapper ; après quoi, le même l’avait attrapé par un pan du col de ses vêtements et, en tirant vers lui, avait tenté de l’asphyxier ; – vers 5 heures du matin, on l’avait laissé quitter les locaux du FSB et on l’avait déposé en voiture à une station-service, en lui ordonnant de revenir vers midi ; ensuite, il était allé chez lui pour dormir et, au réveil, il s’était présenté à l’hôpital. Par une décision du 25 février 2006, l’adjoint au procureur militaire de la garnison de Saratov refusa l’ouverture d’une enquête contre les officiers du FSB, en se fondant : – sur l’article 14 § 2 du code pénal russe, considérant que les faits allégués n’avaient pas la gravité requise pour justifier une poursuite pénale (в силу малозначительности) ; – sur l’article 38 § 1 du même code, considérant que l’usage de la force par les officiers de l’État était légitime. Quant aux motifs de fait, la décision retenait : – que le requérant avait résisté à son arrestation, ce qui avait obligé les officiers du FSB à le menotter ; – que le colonel S., entendu, avait expliqué : que le 3 février 2006, il avait participé, avec d’autres officiers du FSB et du service du procureur régional de Saratov, à l’interpellation du requérant ; que face à la résistance de l’intéressé, ils avaient dû recourir à la force et lui passer les menottes ; que le requérant avait ensuite été amené dans les locaux du département régional du FSB, où il avait été interrogé par des officiers du FSB et du service du procureur ; que ses allégations de mauvais traitements étaient mensongères ; – que les lésions corporelles du requérant avaient été causées dans une situation inconnue, non liée à l’arrestation. Le requérant forma un recours judiciaire contre cette décision. Il se plaignit, entre autres, de l’irrégularité de la détention pendant 15 heures après son arrestation le 3 février 2006. Par une décision du 5 juin 2007, le tribunal militaire de la garnison de Saratov rejeta ce recours. Le requérant se pourvut en cassation. Le 14 août 2007, la cour militaire de la circonscription Privoljski confirma la décision contestée. Dans ses motifs, la cour retint : – que le requérant avait été condamné pour fraude, aux termes d’un jugement qui avait acquis l’autorité de la chose jugée ; – que, par conséquent, l’intéressé était dépourvu du droit d’attaquer en justice les décisions du procureur en rapport avec ce procès pénal, car le contraire conduirait à réexaminer un jugement définitif ; – que, le cas échéant, le requérant pourrait attaquer le jugement le condamnant par la voie du contrôle en révision en exposant ses arguments contre la décision du procureur. Entre-temps, le 24 août 2006, le procureur de la circonscription militaire de l’Oural avait annulé la décision du 25 février 2006 (paragraphe 12 ci-dessus) et ordonné un complément d’enquête. Le 25 octobre 2006, l’adjoint du procureur de la garnison de Saratov refusa l’ouverture d’une enquête pour les mêmes motifs que ceux de la décision du 25 février 2006. Dans sa décision, l’adjoint du procureur cita les explications du colonel S., qui étaient identiques à celles présentées dans cette dernière décision. Cependant, dans la dernière version, le colonel ajoutait que ses services avaient laissé le requérant repartir chez lui vers 4 heures du matin (le 4 février 2006). B. Le procès pénal dirigé contre le requérant Le 6 octobre 2006, le tribunal de la ville de Rtischevo condamna le requérant à deux ans d’emprisonnement pour fraude. Au nombre des éléments sur lesquels le tribunal fonda son jugement figuraient entre autres : – les dépositions de la victime V. et des témoins, qui attestaient selon lui aussi bien de la sollicitation que de la transmission des fonds ; – les procès-verbaux de la saisie des billets de banque remis par V. et dont les numéros avaient été préalablement notés par le FSB ; – accessoirement, l’enregistrement des conversations entre l’accusé et la victime, qui à ses yeux corroboraient l’accusation. Le requérant se pourvut en cassation. Il contestait, entre autres, la recevabilité de l’enregistrement comme élément de preuve. Le 26 décembre 2006, la cour de la région de Saratov, statuant comme juge de cassation, rejeta le pourvoi. S’agissant du moyen relatif à la recevabilité des preuves, la cour considéra : – que le jugement attaqué avait statué sur l’ensemble des preuves corroborant l’accusation, dont l’enregistrement des conversations ; – que cet enregistrement avait été obtenu au moyen d’une « opération test » conforme aux exigences de la loi sur les mesures opérationnelles d’investigation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions pertinentes au regard du grief tiré de l’article 3 de la Convention Les dispositions du code de procédure pénale russe relatives à l’enquête préliminaire, à l’ouverture de l’instruction pénale et à l’examen judiciaire des recours formés par la voie prévue par l’article 125 dudit code contre les décisions des autorités chargées de l’instruction sont décrites dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014). Selon l’article 14 § 2 du code pénal, n’est pas punissable l’acte qui, bien qu’il réunisse les éléments constitutifs d’un délit prévu par le code, ne présente, en raison de son faible niveau de gravité, aucun danger pour l’ordre public (малозначительность). Selon l’article 38 § 1 dudit code, ne peut être reproché à son auteur le dommage à un délinquant causé lors de son arrestation en vue de le traduire devant l’autorité compétente ou de prévenir des infractions ultérieures, à condition qu’il n’y ait pas d’autres moyens d’arrêter ce délinquant et que les limites de la légitime défense ne soient pas franchies. B. Les dispositions se rapportant au grief tiré de l’article 8 de la Convention Les dispositions pertinentes régissant l’exécution des mesures opérationnelles d’investigation sont décrites dans l’arrêt Bykov c. Russie ([GC], no 4378/02, § 56, 10 mars 2009). Dans sa décision du 17 juillet 2007 no 597-o-o, la Cour constitutionnelle de Russie a examiné la conformité à la Constitution russe des articles 8 et 11 de la loi du 12 août 1995 (no 144-FZ) sur les mesures opérationnelles d’investigation. Analysant le cas qui lui était soumis, la Cour constitutionnelle a relevé qu’en l’occurrence, la victime avait procédé par ses propres moyens à l’enregistrement audio de ses conversations avec l’auteur du pourvoi et l’avait transmis à l’autorité compétente, diffusant ainsi volontairement leur contenu. En droit, la Cour constitutionnelle a considéré : – qu’au sens de la loi fédérale susmentionnée, l’usage de moyens techniques, y compris de moyens d’enregistrement audio, doit suivre la procédure ordinaire prévue par ladite loi, mais qu’il n’exige pas en luimême une décision judiciaire spéciale ; – qu’une autorisation judiciaire est obligatoire pour mettre en œuvre certaines mesures opérationnelles d’investigation entraînant une atteinte aux droits constitutionnels d’une personne, mais non pour fixer le déroulement ou les résultats de telles mesures. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour constitutionnelle a conclu qu’il n’y avait pas de raisons de supposer que les droits constitutionnels du plaignant avaient été violés par les dispositions contestées. Elle a indiqué, enfin, que le contrôle de la légalité de la mesure opérationnelle d’investigation et l’utilisation de ses résultats dans le cadre de la procédure pénale relevait de la compétence des tribunaux de droit commun.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982. Il purge actuellement sa peine d’emprisonnement dans la colonie pénitentiaire IK-8, dans la région d’Orenbourg. A. Les mauvais traitements allégués et l’enquête y afférente Selon l’intéressé, le 11 février 2004, à 20 heures, soupçonné de meurtre et de cambriolage, il a été arrêté par des policiers et conduit au commissariat de police du district Dzerjinski d’Orenbourg (région d’Orenbourg). Selon le Gouvernement, il est impossible d’identifier l’heure de l’arrivée du requérant au commissariat, car tous les registres pertinents auraient été détruits en 2013. Le même jour, à 23 heures, le procès-verbal d’arrestation du requérant fut dressé et celui-ci fut informé de ses droits en tant que suspect. À ce moment-là, un avocat, V., invité par les policiers, fut admis aux fins de représentation du requérant. Selon le requérant, dans l’intervalle entre sa présentation au commissariat, qui serait survenue à 20 heures, et la rédaction du procèsverbal à 23 heures, des policiers l’ont sévèrement battu dans le but de lui extorquer des aveux – ce que le Gouvernement conteste. L’intéressé indique que les policiers l’ont frappé avec leurs pieds et leurs mains ainsi qu’avec une bouteille remplie d’eau à la tête, aux jambes et au niveau des lombaires. De même, il allègue que les policiers l’ont torturé avec du courant électrique, en utilisant les électrodes d’un appareil téléphonique, et qu’ils l’ont aussi asphyxié en plaçant un sac plastique autour de sa tête. Après minuit, à la suite d’une séance de torture qualifiée de longue par lui, le requérant se serait senti abattu et aurait finalement signé un procès-verbal d’interrogatoire dressé par l’enquêteur M. sans même prendre connaissance de son contenu. Le requérant aurait alors dit à l’avocat V. qu’il niait toute implication dans l’infraction incriminée. L’avocat aurait transmis ce message aux policiers et serait parti. Toujours selon le requérant, les policiers se sont remis à le frapper, de manière intermittente, jusqu’à son placement au centre de détention temporaire (изолятор временного содержания) (ci-après « l’IVS »), qui a eu lieu le 13 février 2004, à 1 h 35. À l’admission à l’IVS d’Orenbourg, une aide-médecin examina le requérant et consigna dans le registre tenu sur place une ancienne fracture de l’index droit et un hématome cicatrisé sur le dos. L’audience relative à la mise en détention provisoire du requérant Le 13 février 2004, à l’audience du tribunal du district Dzerjinski d’Orenbourg saisi d’une demande de mise en détention provisoire, le requérant revint sur ses aveux faits après son arrestation, arguant qu’ils avaient été extorqués sous la torture. Le tribunal ordonna la détention provisoire du requérant. Le 16 février 2004, ce dernier fut transféré à la maison d’arrêt d’Orenbourg (IZ-56/1). Lors de son séjour à la maison d’arrêt, le 17 février 2004, le requérant sollicita une assistance médicale. Le médecin A. l’examina et constata les lésions corporelles suivantes : des hématomes de couleur bleujaune dans la zone de la crête iliaque droite, sur la ligne axillaire antérieure entre la cinquième côte et la sixième côte, dans la région axillaire droite, ainsi que dans la zone périorbitaire droite, et une égratignure sur la cheville gauche. Le médecin situa l’apparition de ces lésions à deux à trois jours avant l’examen. Il consigna ces lésions dans le registre médical tenu par la maison d’arrêt sous le numéro 26 et dressa un acte d’examen médical. De même, l’officier S. de la maison d’arrêt dressa un procès-verbal à ce sujet et expliqua que tous les documents (son procèsverbal et l’acte d’examen médical) seraient soumis à l’attention du procureur du district Dzerjinski d’Orenbourg. L’enquête préliminaire relative aux mauvais traitements allégués Afin de vérifier l’allégation de mauvais traitements formulée par le requérant, le procureur du district Dzerjinski d’Orenbourg procéda à une enquête préliminaire. Le 17 mars 2004, il ordonna une expertise médicolégale. Le médecin légiste P. du bureau régional de médecine légale effectua cette expertise en se fondant sur l’extrait du registre de l’IVS du 13 février 2004. Dans son rapport d’expertise no 1555 du 22 mars 2004, le médecin légiste constata que, selon les documents médicaux, le requérant présentait un hématome cicatrisé sur le dos. L’expert indiqua qu’il lui était impossible de déterminer la date d’apparition de cette lésion eu égard à une insuffisance de description de celle-ci. Le médecin indiqua par ailleurs qu’une radiographie de l’index était nécessaire pour confirmer la fracture de ce doigt et décrire celle-ci. À plusieurs reprises, notamment par des décisions des 31 mars, 19 août et 20 septembre 2004 et des 16 mai et 14 juillet 2005 (ces décisions n’ont pas été versées au dossier constitué devant la Cour), le service du procureur du district Dzerjinski d’Orenbourg refusa l’ouverture d’une instruction pénale. Toutes ces décisions furent par la suite annulées par le procureur de district, lequel ordonna des compléments d’enquête. L’enquête préliminaire diligentée par le procureur se poursuivit. Entre-temps, le 11 avril 2005, le juge J. de la cour régionale d’Orenbourg, saisi de l’examen des accusations dirigées contre le requérant, avait pris une décision aux fins de contrôle de l’allégation de mauvais traitements. Le 6 mai 2005, le procureur de district avait également refusé l’ouverture d’une instruction pénale. Le 12 août 2005, le procureur régional annula cette dernière décision, ainsi que celle du 14 juillet 2005, et ordonna un complément d’enquête. Par une décision du 9 septembre 2005, l’enquêteur L. du bureau du procureur régional d’Orenbourg refusa d’ouvrir une instruction pénale en application de l’article 24 § 1 (2) du code de procédure pénale. L’enquêteur interrogea les policiers du commissariat de police Dzerjinski d’Orenbourg accusés par le requérant, ainsi que des fonctionnaires du service du procureur de ce district. Toutes ces personnes nièrent l’allégation formulée par le requérant et affirmèrent que ce dernier avait avoué les faits reprochés de son plein gré, en présence d’un avocat. S’agissant des lésions corporelles du requérant, l’enquêteur releva, d’une part, que, selon le certificat médical, à son admission à l’IVS d’Orenbourg, le 13 février 2004, le requérant présentait une ancienne fracture de l’index droit et un hématome cicatrisé sur le dos. L’enquêteur nota que, aux dires du requérant, l’hématome avait été occasionné dans des circonstances étrangères à l’arrestation, à savoir en raison de la chute d’un toboggan. Il évoqua le rapport de l’expertise médicolégale no 1555, pratiquée le 22 mars 2004 (paragraphe 15 ci-dessus), selon laquelle la date d’apparition de cet hématome ne pouvait être établie, eu égard à l’absence de description de cette lésion dans le certificat. L’enquêteur conclut que le rapport du médecin légiste confirmait les explications du requérant selon lesquelles l’hématome était apparu dans des circonstances étrangères à l’arrestation de l’intéressé. Il conclut également que, même en admettant la version de mauvais traitements infligés par des policiers les 11 et 12 février 2004, la cicatrisation de l’hématome dans un délai si court paraissait invraisemblable. L’enquêteur constata d’autre part que le lendemain de l’admission du requérant dans la maison d’arrêt, le 17 février 2004, à 14 h 30, certaines lésions – notamment des contusions du visage, du thorax, du bassin et une égratignure sur la cheville gauche – avaient été consignées dans le registre des examens médicaux primaires par le médecin A. L’enquêteur confronta ces données avec celles consignées dans la fiche médicale du requérant tenue par la maison d’arrêt et releva que selon cette fiche, lors de l’examen médical de l’intéressé ayant eu lieu le 19 février 2004, aucune lésion n’avait été constatée. L’enquêteur conclut que la disparition des lésions dans un délai si court était impossible. L’enquêteur conclut que l’allégation du requérant était dénuée de tout fondement. B. Le procès pénal dirigé contre le requérant Le 10 janvier 2006, le juge J., saisi de l’affaire pénale dirigée contre le requérant, ordonna une expertise médicolégale. Dans le rapport d’expertise du 13 janvier 2006, le médecin légiste T. du bureau régional de médecine légale, se fondant sur le rapport d’expertise médicolégale no 1555 du 22 mars 2004 et sur l’acte médical du 17 février 2004, constata les lésions suivantes : des hématomes de couleur bleu-jaune dans la zone de la crête iliaque droite, sur la ligne axillaire antérieure entre la cinquième côte et la sixième côte, dans la région axillaire droite, ainsi que dans la zone périorbitaire droite, et une égratignure sur la cheville gauche. Selon le médecin légiste, ces lésions avaient pu être causées aussi bien par des coups administrés par des objets contondants que par contact volontaire avec de tels objets. En outre, le médecin légiste situa l’apparition de ces lésions à trois à cinq jours avant le 17 février 2004, date de l’examen par le médecin de la maison d’arrêt. En ce qui concernait l’égratignure sur la cheville gauche et l’hématome sur le dos, l’expert ne put établir la date d’apparition de ces lésions. En outre, il constata que, d’après le dossier médical du requérant, la fracture d’une phalange d’un doigt de la main droite avait été occasionnée en 2003. Examinant les accusations portées contre le requérant, la cour régionale d’Orenbourg se pencha, entre autres, sur l’allégation de mauvais traitements subis au commissariat de police formulée par l’intéressé. Elle établit que les documents médicaux dressés lors de l’admission du requérant à l’IVS (le 13 février 2004) et à la maison d’arrêt (le 16 février 2004) indiquaient la présence d’une ancienne fracture de l’index droit et d’un hématome cicatrisé sur le dos. La cour régionale remarqua que ces documents ne contenaient aucune information quant aux lésions corporelles décrites par le médecin A. le 17 février 2004. Elle releva que, après être passé aux aveux les 12 et 13 février 2004, le requérant avait été reconduit à l’IVS, où aucune lésion corporelle n’avait été identifiée. Elle cita l’aidemédecin qui avait examiné le requérant le 13 février 2004, selon laquelle l’intéressé ne s’était pas plaint de mauvais traitements et avait affirmé que l’hématome avait été le résultat d’une chute de toboggan survenue trois jours avant l’admission à l’IVS. La cour régionale établit en outre que le requérant n’avait quitté l’IVS qu’une seule fois, le 13 février 2004, pour être interrogé en qualité de prévenu et qu’à son retour à l’IVS il ne présentait pas de lésions autres que celles constatées lors de son admission dans cet établissement le même jour. La cour régionale souligna que, après cette date, le requérant avait quitté l’IVS le 16 février 2004 pour être transféré à la maison d’arrêt. Elle releva que, lors de son admission dans celle-ci, aucun acte relevant des lésions n’avait été dressé, ce qui signifiait l’absence de nouvelles lésions, précisant qu’en cas contraire le requérant n’aurait pu être admis à la maison d’arrêt. Eu égard à ces considérations, la cour régionale remit en cause le rapport du médecin A. et souligna que les doutes pesant sur ce document se trouvaient confortés par le fait que deux jours après l’examen par ce médecin, le 19 février 2004, le requérant avait été examiné par un thérapeute et un dermatologue qui n’avaient pas relevé les lésions corporelles constatées par leur confrère. De plus, la cour régionale constata que les photographies en couleurs du requérant, faites le jour de l’admission de ce dernier à la maison d’arrêt, ne contenaient aucun signe objectif démontrant l’existence des lésions corporelles susmentionnées. Ainsi, la cour régionale écarta le rapport établi par le médecin A., un certificat délivré par la maison d’arrêt daté du 13 décembre 2005 et une déposition faite par un témoin, S., attestant de la présence des lésions corporelles en question le jour de l’admission à la maison d’arrêt. Par conséquent, elle rejeta l’allégation de mauvais traitements, la considérant comme dénuée de tout fondement. Le 3 mai 2006, la cour régionale condamna le requérant à une peine de vingt-trois ans d’emprisonnement pour les faits incriminés. Le requérant se pourvut en cassation, en se plaignant, entre autres, d’avoir subi des mauvais traitements au commissariat de police immédiatement après son arrestation. Le 27 octobre 2006, la Cour suprême de Russie, statuant en cassation, confirma la décision de la cour régionale. C. Le procès dirigé contre le médecin A. Le 21 février 2008, le tribunal du district Leninski d’Orenbourg condamna le médecin A. pour faux témoignage. Le tribunal établit que les données relatives aux lésions corporelles consignées par ce médecin dans son rapport étaient fausses étant donné les conclusions auxquelles était arrivée la cour régionale. Le 4 mars 2008, le jugement de cette juridiction acquit l’autorité de la chose jugée. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions du code de procédure pénale russe relatives à l’enquête préliminaire, à l’ouverture de l’instruction pénale et à l’examen judiciaire des recours formés sur le fondement de l’article 125 du même code contre les décisions des autorités chargées de l’instruction sont décrites dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014). Les dispositions pertinentes en l’espèce relatives aux pouvoirs du tribunal en cas de découverte de violations de la loi sont résumées dans l’arrêt Zayev c. Russie (no 36552/05, §§ 60-63, 16 avril 2015)
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont nées respectivement en 1959, en 1947, en 1950, en 1949 et en 1950 et résident à Istanbul. A. Les travaux des requérantes et l’Association de soutien à la vie moderne À l’époque des faits, la première requérante était membre du conseil d’administration du groupe de médias Doğan (Doğan Medya Grubu), lequel fournissait un soutien financier à une campagne intitulée « Papa, envoie-moi à l’école » (« Baba beni okula gönder ») organisée par l’Association de soutien à la vie moderne (Çağdaş Yaşamı Destekleme Derneği, « le ÇYDD » ou « l’Association »). Elle n’était pas membre de cette association. La deuxième requérante est une institutrice à la retraite. À l’époque des faits, elle était la présidente de la succursale d’Avcılar de l’Association. La troisième requérante est l’ancienne présidente de la succursale de Kağıthane de l’Association. À l’époque des faits, elle occupait un poste de trésorière au sein de cette dernière. La quatrième requérante était, à l’époque des faits, l’ancienne présidente de la succursale de Kartal de l’Association. Quant à la cinquième requérante, elle travaillait bénévolement pour l’Association. L’Association, fondée en 1989, dont l’objectif est de promouvoir l’éducation des jeunes filles, a offert à ce jour des bourses d’études à des milliers d’élèves et d’étudiants. Les travaux de l’Association ont été couronnés par au moins treize prix au niveau international. Sur le plan politique, l’Association vise à la mise en place d’une société en accord avec les principes de Mustafa Kemal Atatürk et elle est strictement attachée au principe de laïcité. La fondatrice de l’Association, T.S., avait pris part à l’organisation des grandes manifestations républicaines de 2007, dont les participants avaient accusé le parti au pouvoir de vouloir renforcer la place de l’Islam dans les institutions étatiques. Certains des organisateurs de ces manifestations litigieuses avaient été mis en détention provisoire dans le cadre de l’enquête pénale Ergenekon. B. Le procès Ergenekon En 2007, le parquet d’Istanbul engagea une enquête pénale contre les membres présumés d’une organisation criminelle du nom de Ergenekon, tous soupçonnés de se livrer à des activités visant au renversement du gouvernement par la force et la violence. Selon les actes d’accusation établis par le parquet, les accusés avaient planifié et commis des actes de provocation tels que des attentats contre des personnalités connues du public et des attentats à la bombe dans des endroits sensibles comme des sanctuaires ou le siège de hautes juridictions. Les accusés auraient ainsi cherché à créer une atmosphère de peur et de panique dans l’opinion publique et par là même à générer un climat d’insécurité, de manière à ouvrir la voie à un coup d’État militaire (pour des informations plus détaillées concernant l’affaire Ergenekon et les plans d’action relatifs à celle-ci, voir Tekin c. Turquie (déc.), no 3501/09, §§ 3-17, 18 novembre 2014). S’agissant des membres de l’Association, par un acte d’accusation du 25 novembre 2010, le parquet d’Istanbul engagea une action pénale devant la cour d’assises d’Istanbul à l’encontre de huit personnes placées en garde à vue dans le cadre de la même enquête pénale menée contre les requérantes. Il était reproché à ces personnes d’être membres d’une organisation terroriste. À une date non précisée, le procès fut transféré à la cour d’assises d’Anadolu. Par un arrêt du 2 octobre 2015, la cour d’assises d’Anadolu acquitta tous les membres de l’Association, ainsi que les autres accusés, au motif qu’ils n’avaient commis aucune infraction. Estimant qu’une partie des preuves contenues dans le dossier avaient été falsifiées, elle décida à cet égard de porter plainte contre les responsables présumés de cette falsification. Les autres procédures pénales engagées dans le cadre de l’enquête pénale Ergenekon restent à ce jour pendantes devant les juridictions nationales. C. L’opération menée contre les membres de l’Association et l’arrestation des requérantes Par une lettre du 10 avril 2009, la direction de la sûreté d’Istanbul sollicita une autorisation de perquisition et de saisie concernant certaines personnes, dont les requérantes, au motif qu’il apparaissait que ces personnes avaient un lien avec les membres de l’organisation illégale Ergenekon. Le 12 avril 2009, la cour d’assises d’Istanbul ordonna la perquisition des domiciles et des lieux de travail de soixante-trois personnes, dont ceux des intéressées. Le 13 avril 2009, les officiers de police d’Istanbul menèrent des perquisitions aux domiciles et lieux de travail des requérantes. Le même jour, les intéressées furent placées en garde à vue. Les policiers les informèrent qu’il leur était reproché d’être membres de l’organisation illégale Ergenekon. Dans les locaux de la police, la première requérante fut interrogée sur les accusations portées à son encontre. Les policiers lui posèrent des questions sur d’autres suspects dans le cadre de l’enquête pénale Ergenekon. En particulier, ils citèrent le nom de deux cent cinquante personnes soupçonnées d’avoir un lien avec l’organisation illégale Ergenekon et demandèrent à la requérante si elle connaissait ces suspects. L’intéressée déclara qu’elle avait connu une des personnes mentionnées par les policiers au cours de ses études universitaires et qu’elle n’avait plus aucune relation avec celle-ci depuis des années. Elle ajouta également qu’elle connaissait cinq autres personnes citées par la police, précisant que celles-ci travaillaient pour l’Association, et qu’elle les avait connues durant les travaux menés pour la campagne « Papa, envoie-moi à l’école ». Les passages pertinents en l’espèce du procès-verbal d’interrogation de la première requérante se lisaient comme suit : « (...) Question : Êtes-vous membre d’une organisation non gouvernementale, d’une fondation ou d’une association ? Expliquez. Réponse : Lorsque je travaillais au Bilkom, j’étais membre de « l’Association des hommes d’affaires dans le secteur informatique de Turquie ». (...) Je suis également membre de la « Fondation informatique de Turquie », de « l’Association des entrepreneurs féminins » et de « l’Association succès jeune ». Je suis membre du conseil d’administration de « l’Association succès jeune ». (...) Question : Êtes-vous membre de l’Association de soutien à la vie moderne ? Si vous en êtes membre, avez-vous une fonction au sein de [cette] association ? Avezvous participé à des activités ou projets réalisés par le ÇYDD ? Réponse : Je ne suis pas membre du ÇYDD. Je n’ai [participé à] aucune activité. On n’a fait que coopérer avec le ÇYDD dans le cadre de la campagne intitulée « Papa, envoie-moi à l’école ». Je n’ai pas d’autre lien [avec cette association]. Question : Dans le cadre de l’enquête [Ergenekon], il était fait mention dans les documents saisis chez les suspects, notamment dans le document intitulé « Ergenekon », portant constitution de l’organisation, ainsi que dans beaucoup d’autres documents, aux organisations non gouvernementales ; on y exposait l’importance, la fonction et les effets de celles-ci sur la société, [et on y expliquait] que l’organisation devait créer ses propres organisations non gouvernementales et qu’il fallait qu’elle prenne le contrôle des organisations non gouvernementales existantes dans notre pays. Connaissez-vous le document intitulé « Ergenekon » et son contenu ? Réponse : Je n’ai aucune information sur un tel document ou sur son contenu. Question : Également, dans le document intitulé « Lobi » (« lobby »), issu de l’organisation, il était indiqué que, au cours des activités de lobbying à l’intention des masses, les étudiants (...) et les jeunes sans espoir qui habitaient dans les quartiers défavorisés des grandes villes et au sud-est de l’Anatolie devaient être organisés en ligne avec l’idéologie kémaliste et les intérêts du pays. Connaissez-vous le document intitulé « Lobi » et son contenu ? Réponse : Je n’ai aucune information sur un tel document ou sur son contenu. Question : Dans les documents intitulés « Dinamik – Ulusal Güç Birliği » (« Dynamique – Union du pouvoir national »), « Kemalist Hareket » (« Mouvement kémaliste ») et « Devletin Yeniden Yapılandırılması » (« Restructuration de l’État »), il était indiqué que l’on devait reconquérir la jeunesse turque par le biais des organisations non gouvernementales, que l’organisation du peuple allait se réaliser suivant deux voies, que la première [voie visait] le pouvoir politique et [que] la seconde [voie consisterait en] la mise en place d’organisations populaires – notamment des syndicats de travailleurs et de fonctionnaires [ainsi que] des chambres d’artisans, de médecins, d’ingénieurs, d’architectes et d’avocats – qui serviraient d’intermédiaires [avec] les organisations « précurseurs » afin que ces dernières puissent agir comme meneurs à l’instar des organisations Atatürkçü Düşünce Derneği (« l’Association pour la pensée d’Atatürk ») et l’Association de soutien à la vie moderne. Avez-vous des informations sur les buts et objectifs du ÇYDD ? Réponse : Je vous ai expliqué ci-dessus mon lien avec le ÇYDD. À part cela, je n’ai aucun lien avec l’Association. (...) Ainsi, j’aimerais bien déclarer que la campagne « Papa, envoie-moi à l’école » a été très utile. Presque huit mille filles en ont profité. Par conséquent, en 2007, [la campagne] a été couronnée par le prix de l’UNICEF. Question : Il ressort des preuves saisies jusqu’à présent dans le cadre de l’enquête [Ergenekon] que l’organisation avait fondé, contrôlé ou dirigé plusieurs associations, notamment celles dénommées A.D.D., K.M.D., V.K.G.B.D., B.H.B., ainsi que U.B.H.P., A.U.U.D.P., Ç.Y.P., B.K.K.P. et U.P.G.B., et, dans ce contexte, des opérations [policières] ont été menées à l’encontre des membres présumés de l’organisation terroriste Ergenekon. Y a-t-il une coopération formelle ou informelle (notamment l’organisation d’un rassemblement commun, d’une marche, etc.) entre l’Association de soutien à la vie moderne et les associations mentionnées ci-dessus ou une autre institution ? Réponse : Je n’ai aucune information à ce sujet. Je vous ai exposé ci-dessus mon lien avec le ÇYDD. Question : Dans le cadre de l’enquête, il a été constaté que les manifestations connues sous le nom des manifestations républicaines (« Cumhuriyet Mitingleri ») avaient été réalisées à la suite des décisions prises par des dirigeants de l’organisation terroriste Ergenekon. Il a été constaté que certaines manifestations républicaines avaient été organisées par les dirigeants du ÇYDD et de la ÇEV (« la Fondation à l’éducation moderne ») et que les succursales du ÇYDD et de la ÇEV y avaient participé ensemble. Avez-vous participé aux manifestations républicaines ? Avez-vous eu un rôle dans le cadre de ces manifestations ? Réponse : Je n’ai pas participé à ces manifestations. Je n’ai pas exercé d’activité au sein de l’Association. Question : Êtes-vous au courant du projet intitulé « les foyers Ata » (« Ata Evleri Projesi ») ? Avez-vous participé à une quelconque activité dans ce cadre ? Réponse : Je n’ai aucune information sur le projet intitulé « les foyers Ata ». Question : Un document intitulé « le projet des foyers Ata », composé de huit pages et établi par Ö.S.O. et G.E., a été découvert et saisi chez l’accusé M.A., arrêté dans le cadre de l’enquête menée contre l’organisation terroriste armée Ergenekon. À la lecture du document en question, il a été constaté que, dans la crainte que les cadres religieux aient pris le pouvoir étatique durant ces dernières années, il avait été indiqué qu’il était nécessaire de trouver des étudiants au revenu modeste parmi ceux qui avaient une idéologie opposée, de les placer dans les foyers qui seraient soutenus par différents moyens et de former les étudiants les plus jeunes selon une certaine idéologie. Pour ce projet, il était envisagé [de faire] ouvrir un compte commun par les associations locales dans les endroits où il était nécessaire de mettre en œuvre le projet, [sur lequel] les dons conditionnels seraient versés au profit des « foyers Ata ». Il s’agissait d’une organisation dont les tâches étaient bien définies et hiérarchisées. Il était nécessaire que les responsables de ce projet fissent un effort pour assurer la continuation du financement en prenant contact avec les associations, les organisations non gouvernementales et les hommes d’affaires ainsi que leurs entourages. Êtes-vous au courant [de l’existence] du document intitulé « les foyers Ata » et connaissez-vous la personne qui l’a préparé ? Réponse : Je n’ai aucune information sur le document en question. (...) Question : Dans le fichier « Tübider-Kosgeb-Istanbul(1)09.05.04.xls » se trouvant dans le CD no 117 découvert sur le lieu de travail de H.A.Y., il a été constaté que votre nom figurait comme étant « 154. Bilkom Bilişim Hizmetleri A.Ş. – Tijen Mergen - Üsküdar – Istanbul ». Qui est le propriétaire de la société Bilkom ? Quelle est votre fonction dans cette société ? Dans quel secteur cette société mène-t-elle ses activités ? Qui sont les associés de la société, s’il y en a ? Réponse : Bilkom A.Ş. appartient au groupe de Koç. Le groupe de Koç a acheté cette société à H.K. en décembre 2000. Je vous ai expliqué [quels sont] le secteur [d’activité] de la société et ma fonction au sein de cette dernière ci-dessus. (...) » Au poste de police, les autres requérantes déclarèrent se prévaloir de leur droit de garder le silence. Le 15 avril 2009, les requérantes comparurent devant le procureur de la République d’Istanbul (« le procureur de la République»). Celui-ci cita le nom de plus de deux cent trente personnes, toutes soupçonnées d’avoir un lien avec l’organisation Ergenekon, et demanda aux requérantes si elles connaissaient ces suspects. Celles-ci affirmèrent qu’elles ne connaissaient que les personnes qui travaillaient pour l’Association. Dans sa déposition, la première requérante indiqua que sa déclaration faite devant la police était exacte et, tout en en réitérant la teneur, elle en présenta un bref résumé. Les passages pertinents en l’espèce du procès-verbal d’interrogation des quatre autres requérantes étaient rédigés comme suit. S’agissant de la requérante ayant introduit la requête no 55832/09 « Je me suis prévalue de mon droit de garder le silence au poste de police, maintenant je veux bien faire une déposition devant vous. (...) Question : Depuis quand êtes-vous membre de l’Association de soutien à la vie moderne et quelle [est] votre fonction [au sein de cette association] ? Réponse : Je suis institutrice à la retraite. Actuellement, je suis présidente de la succursale d’Avcılar du ÇYDD. Question : Dans le cadre de l’enquête [Ergenekon], il était fait mention dans les documents saisis chez les suspects, notamment dans le document intitulé « Ergenekon », portant constitution de l’organisation, ainsi que dans beaucoup d’autres documents, aux organisations non gouvernementales ; on y exposait l’importance, la fonction et les effets de celles-ci sur la société, [et on y expliquait] que l’organisation devait créer ses propres organisations non gouvernementales et qu’il fallait qu’elle prenne le contrôle des organisations non gouvernementales existantes dans notre pays. Connaissez-vous le document intitulé « Ergenekon » et son contenu ? Réponse : Je ne l’ai [pas vu et je n’en ai pas entendu parler]. Question : Également, dans le document intitulé « Lobi », issu de l’organisation, il était indiqué que, au cours des activités de lobbying à l’intention des masses, les étudiants universitaires et les jeunes sans espoir qui habitaient dans les quartiers défavorisés des grandes villes et au sud-est de l’Anatolie devaient être organisés en ligne avec l’idéologie kémaliste et les intérêts du pays. Connaissez-vous le document intitulé « Lobi » et son contenu ? Réponse : Je n’ai pas d’informations [sur ce document]. Je [n’en ai pas entendu parler], je ne le connais pas. Question : Dans les documents intitulés « Dinamik – Ulusal Güç Birliği » (« Dynamique – Union du pouvoir national »), « Kemalist Hareket » (« Mouvement kémaliste ») et « Devletin Yeniden Yapılandırılması » (« Restructuration de l’État »), il était indiqué que l’on devait reconquérir la jeunesse turque par le biais des organisations non gouvernementales, que l’organisation du peuple allait se réaliser suivant deux voies, que la première [voie visait] le pouvoir politique et [que] la seconde [voie consisterait en] la mise en place d’organisations populaires – notamment des syndicats de travailleurs et de fonctionnaires [ainsi que] des chambres d’artisans, de médecins, d’ingénieurs, d’architectes et d’avocats – qui serviraient d’intermédiaires [avec] les organisations « précurseurs » afin que ces dernières puissent agir comme meneurs à l’instar des organisations Atatürkçü Düşünce Derneği (« l’Association pour la pensée d’Atatürk ») et l’Association de soutien à la vie moderne. L’Association de soutien à la vie moderne [au sein de] laquelle vous êtes présidente de succursale a-t-elle un but tel qu’il a été expliqué ci-dessus ? En tant qu’Association de soutien à la vie moderne, avez-vous participé à des activités visant à l’organisation des peuples et des masses ? Dans l’affirmative, quelles sont ces activités et qui a donné l’instruction [pour les mettre en œuvre] ? Réponse : À ma connaissance, non. Question : Il ressort des preuves saisies jusqu’à présent dans le cadre de l’enquête [Ergenekon] que l’organisation avait fondé, contrôlé ou dirigé plusieurs associations, notamment celles dénommées A.D.D., K.M.D., V.K.G.B.D., B.H.B., ainsi que U.B.H.P., A.U.U.D.P., Ç.Y.P., B.K.K.P. et U.P.G.B., et, dans ce contexte, des opérations [policières] ont été menées à l’encontre des membres présumés de l’organisation terroriste Ergenekon. Y a-t-il une coopération formelle ou informelle (notamment l’organisation d’un rassemblement commun, d’une marche, etc.) entre l’Association de soutien à la vie moderne et les associations mentionnées ci-dessus ou une autre institution ? Réponse : À ma connaissance, une telle coopération n’existe pas. Question : À quelles activités (manifestations, marches, etc.) organisées par l’Association de soutien à la vie moderne avez-vous participé ? Quel était le but de ces activités et qui était responsable de l’organisation de celles-ci ? Avez-vous eu un rôle dans ces activités ? Réponse : Non, nous n’avons pas eu de rôle. Comme mentionné dans les statuts [de l’Association], nous avons participé aux activités spéciales, notamment aux colloques d’étudiants, aux cérémonies de [remise de] diplômes, aux réunions d’information. J’ai participé à certaines manifestations. Je n’étais pas au comité d’organisation. Je n’y ai pas participé en application d’une décision de l’Association. Question : Un document intitulé « la réunion du comité de science et conseil », découvert parmi les données saisies chez l’accusé Ş.E., indiquait les sujets discutés lors de la réunion. Il a été constaté qu’il était inscrit [ce qui suit] : « la prochaine fonction principale est l’élection du président de la République », « prenant en compte le temps, il faut déterminer une stratégie et préparer et appliquer un plan d’action pour l’élection du président de la République », « il est d’une grande importance d’informer le peuple de la manifestation qui sera réalisée [dans ce cadre] et il est primordial que la participation soit accrue. À cette fin, toute sorte de soutien des écrivains, des médias et des autres institutions doit être assuré ». (...) Dans ce contexte, il a été constaté que les manifestations connues sous le nom des manifestations républicaines avaient été réalisées à la suite de leur planification et coordination par des dirigeants de l’organisation terroriste Ergenekon. Avez-vous participé à ces manifestations ? Avez-vous eu une quelconque activité lors de ces manifestations ? Savez-vous que ces manifestations [républicaines] ont été organisées à la suite des décisions prises par les dirigeants de l’organisation terroriste armée Ergenekon ? Réponse : Je n’ai aucune information à ce sujet. Question : Quel type d’aide la succursale d’Avcılar du ÇYDD apporte-t-elle aux étudiants ? Quels sont les critères [d’éligibilité] pour les étudiants auxquels vous [êtes susceptibles d’apporter] une aide ? Qui choisit les étudiants boursiers, comment ? Réponse : En tant que succursale d’Avcılar, on offre des bourses aux étudiants et on organise des séminaires sur les sujets d’actualité. Chaque succursale de l’Association a des commissions de bourses. Ce sont ces commissions qui évaluent [les demandes de bourses] selon [des principes] prédéterminés. Les principes sont fixés et inscrits dans les statuts par la direction générale [de l’Association], et on décide selon [ces principes]. Question : Êtes-vous au courant du projet intitulé « les foyers Ata » ? Avez-vous participé à une quelconque activité dans ce cadre ? Réponse : Je n’ai pas entendu [parler d’]un projet intitulé « les foyers Ata ». Question : Un document intitulé « le projet des foyers Ata », composé de huit pages et établi par Ö.S.O et G.E., a été découvert et saisi chez l’accusé M.A., arrêté dans le cadre de l’enquête menée contre l’organisation terroriste armée Ergenekon. À la lecture du document en question, il a été constaté que, dans la crainte que les cadres religieux aient pris le pouvoir étatique durant ces dernières années, il avait été indiqué qu’il était nécessaire de trouver des étudiants au revenu modeste parmi ceux qui avaient une idéologie opposée, de les placer dans les foyers qui seraient soutenus par différents moyens et de former les étudiants les plus jeunes selon une certaine idéologie. Pour ce projet, il était envisagé [de faire] ouvrir un compte commun par les associations locales dans les endroits où il était nécessaire de mettre en œuvre le projet, [sur lequel] les dons conditionnels seraient versés au profit des « foyers Ata ». Il s’agissait d’une organisation dont les tâches étaient bien définies et hiérarchisées. Il était nécessaire que les responsables de ce projet fissent un effort pour assurer la continuation du financement en prenant contact avec les associations, les organisations non gouvernementales et les hommes d’affaires ainsi que leurs entourages. Êtes-vous au courant [de l’existence] du document intitulé « les foyers Ata » et connaissez-vous la personne qui l’a préparé ? Réponse : Je ne connais pas la personne qui s’appelle M.A. Je n’ai pas d’informations sur ce projet. (...) Question : Comment assurez-vous le financement des activités menées par [votre] association [et quelle en est la provenance] ? Réponse : Nous l’assurons principalement grâce aux dons. (...) Question : L’Association de soutien à la vie moderne reçoit-elle ou a-t-elle jamais reçu une aide d’une personne, d’une entité ou d’un établissement étrangers ? Réponse : Il n’y a pas un financeur précis dans le pays. Ainsi, à ma connaissance, on n’a pas reçu d’aide de l’étranger. Question : Dans les lettres de dénonciation rédigées par des personnes diverses et saisies chez T.Ö., les activités illégales du ÇYDD et de la ÇEV étaient expliquées. Dans ce contexte, il était mentionné que des anciens militants appartenant à DEVGENÇ (« la Voie révolutionnaire ») et des membres de l’organisation terroriste PKK dominaient au sein du ÇYDD et de la ÇEV, que [ces associations] offraient des bourses de manière abusive aux membres de l’organisation PKK et qu[e ceux-ci] recevaient des aides financières de « l’Union des Églises mondiales » (« Dünya Kiliseler Birliği ») et de plusieurs institutions étrangères. Avez-vous des informations sur les bourses offertes aux membres de l’organisation terroriste PKK et aux militants de DEV-GENÇ ? Le ÇYDD a-t-il un lien avec « l’Union des Églises mondiales » ? Si oui, quelle est la portée de ce lien ? Réponse : Je n’ai pas d’informations. Il n’y a aucun lien avec « l’Union des Églises mondiales ». Question : Le 25 septembre 2008, dans un courriel de dénonciation envoyé sous le nom de R.K. par l’adresse (...)@gmail.com, transmis à la ligne téléphonique de dénonciation du 155, l’intéressé précisait qu’il était un étudiant d’origine kurde, qu’il avait commencé à questionner les mouvements kurdes en raison des événements actuels, qu’il avait compris la véritable intention de certains de ses amis avec lesquels il avait lutté, qu’il souhaitait expliquer la situation de certains de ses amis (...) qui faisaient partie de la branche jeunesse de l’organisation, que l’Association de soutien à la vie moderne essayait d’orienter secrètement leurs actions, qu’il savait que S.I., qui avait été arrêté (...), avait incendié des véhicules, que ce dernier (S.I.) et beaucoup d’autres avaient reçu une bourse de la part de l’Association de soutien à la vie moderne, qu’il savait [par ailleurs] que S.A., qui avait aussi été arrêté alors qu’il incendiait des véhicules, avait également auparavant reçu une bourse de la part de cette association et que, lorsqu’on [s’intéresserait aux] personnes servant de référence [pour l’obtention d’une bourse], [on découvrirait] la raison pour laquelle les Kurdes avaient été utilisés par des membres de Ergenekon. Avez-vous une quelconque information à ce sujet ? Réponse : Cela n’a aucun rapport avec nous, je n’accepte pas cette dénonciation. Question : À la suite de l’examen des photographies saisies à votre domicile, il a été constaté que vous avez participé à la manifestation républicaine organisée le 14 avril 2007 à Tandoğan, Ankara, par l’organisation terroriste Ergenekon. Pourquoi avez-vous participé à cette manifestation ? Qui vous a demandé de participer à cette manifestation ? Avec qui y êtes-vous allée ? Réponse : La photographie m’appartient. Je suis allée à la manifestation à Tandoğan. Ce n’était pas une manifestation républicaine, c’était une manifestation concernant la semaine [pour la commémoration] d’Atatürk. (...) » S’agissant de la requérante ayant introduit la requête no 55834/09 « Je me suis prévalue de mon droit de garder le silence au poste de police, maintenant je veux bien faire une déposition devant vous. (...) Je n’ai aucune information sur l’organisation terroriste Ergenekon. Je n’ai aucun lien avec cette organisation. Je ne suis pas au courant que Ergenekon oriente et dirige les organisations non gouvernementales. Je suis trésorière au sein du ÇYDD. (...) Question : Depuis quand êtes-vous membre de l’Association de soutien à la vie moderne et quelle [est] votre fonction [au sein de cette association] ? Réponse : En 1996, j’étais présidente de la succursale de Kağıthane du ÇYDD. En 1998, je suis devenue trésorière auprès de la direction générale. C’est actuellement ma fonction. Question : Dans le cadre de l’enquête [Ergenekon], il était fait mention dans les documents saisis chez les suspects, notamment dans le document intitulé « Ergenekon », portant constitution de l’organisation, ainsi que dans beaucoup d’autres documents, aux organisations non gouvernementales ; on y exposait l’importance, la fonction et les effets de celles-ci sur la société, [et on y expliquait] que l’organisation devait créer ses propres organisations non gouvernementales et qu’il fallait qu’elle prenne le contrôle des organisations non gouvernementales existantes dans notre pays. Avez-vous joué un rôle à cette fin ? Réponse : Je n’ai pas d’informations, je ne [sais rien]. Question : Dans les documents intitulés « Dinamik – Ulusal Güç Birliği » (« Dynamique – Union du pouvoir national »), « Kemalist Hareket » (« Mouvement kémaliste ») et « Devletin Yeniden Yapılandırılması » (« Restructuration de l’État »), il était indiqué que l’on devait reconquérir la jeunesse turque par le biais des organisations non gouvernementales, que l’organisation du peuple allait se réaliser suivant deux voies, que la première [voie visait] le pouvoir politique et [que] la seconde [voie consisterait en] la mise en place d’organisations populaires – notamment des syndicats de travailleurs et de fonctionnaires [ainsi que] des chambres d’artisans, de médecins, d’ingénieurs, d’architectes et d’avocats – qui serviraient d’intermédiaires [avec] les organisations « précurseurs » afin que ces dernières puissent agir comme meneurs à l’instar des organisations Atatürkçü Düşünce Derneği (« l’Association pour la pensée d’Atatürk ») et l’Association de soutien à la vie moderne. L’Association de soutien à la vie moderne [au sein de] laquelle vous êtes trésorière a-t-elle un but tel qu’il a été expliqué ci-dessus ? En tant que Çağdaş Yaşamı Destekleme Derneği, avez-vous participé à des activités visant à l’organisation des peuples et des masses ? Dans l’affirmative, quelles sont ces activités et qui a donné l’instruction [pour les mettre en œuvre] ? Réponse : Je ne suis pas au courant que le ÇYDD agissait dans le cadre de Ergenekon. Je ne pense pas qu’il [a un lien avec Ergenekon]. Je n’ai pas exercé de rôle à cette fin. Question : Il ressort des preuves saisies jusqu’à présent dans le cadre de l’enquête [Ergenekon] que l’organisation avait fondé, contrôlé ou dirigé plusieurs associations, notamment celles dénommées A.D.D., K.M.D., V.K.G.B.D., B.H.B., ainsi que U.B.H.P., A.U.U.D.P., Ç.Y.P., B.K.K.P. et U.P.G.B. et, dans ce contexte, des opérations [policières] ont été menées à l’encontre des membres présumés de l’organisation terroriste Ergenekon. Y a-t-il une coopération formelle ou informelle (notamment l’organisation d’un rassemblement commun, d’une marche, etc.) entre l’Association de soutien à la vie moderne et les associations mentionnées ci-dessus ou une autre institution ? Réponse : Notre association n’a aucune activité commune avec une autre association. Question : À quelles activités (manifestations, marches, etc.) organisées par l’Association de soutien à la vie moderne avez-vous participé ? Quel était le but de ces activités et qui était responsable de l’organisation de celles-ci ? Avez-vous exercé un rôle dans ces activités ? Réponse : Notre association n’a pas elle-même organisé de manifestation. Je n’ai participé qu’à la manifestation républicaine organisée à Istanbul. J’y ai participé personnellement. L’Association n’y a pas participé. (...) Question : Un document intitulé « la réunion du comité scientifique et du conseil », découvert parmi les données saisies chez l’accusé Ş.E. indiquait les sujets discutés lors de la réunion. Il a été constaté qu’il était inscrit [ce qui suit] : « le prochain [objectif] principal est l’élection du président de la République », « prenant en compte le temps, il faut déterminer une stratégie et préparer et appliquer un plan d’action pour l’élection du président de la République », « il est d’une grande importance d’informer le peuple de la manifestation qui sera réalisée [dans ce cadre] et il est primordial que la participation soit accrue. À cette fin, toute sorte de soutien des écrivains, des médias et des autres institutions doit être assuré ». (...) Dans ce contexte, il a été constaté que les manifestations connues sous le nom des manifestations républicaines avaient été réalisées à la suite de leur planification et coordination par des dirigeants de l’organisation terroriste Ergenekon. Avez-vous des informations à ce sujet ? Réponse : Je n’ai pas d’informations à ce sujet, je n’ai pas exercé de fonction [à cet égard]. (...) Question : Qui a financé les manifestations républicaines ? Le ÇYDD [au sein duquel] vous êtes trésorière a-t-il eu un rôle pour le financement ? Expliquez. Réponse : Non [l’Association n’a pas eu un tel rôle]. Question : Comment assurez-vous le financement des activités menées par [votre] association [et quelle en est la provenance] ? Réponse : Nous les assurons par le biais des dons. Question : Combien de comptes bancaires le ÇYDD a-t-il ? (...) Réponse : L’Association a plus de trente comptes bancaires. (...) Question : Expliquez la campagne « Papa, envoie-moi à l’école ». Qui a assuré son financement ? Depuis quand est-elle [mise en œuvre] ? Réponse : Le financement de ce projet est assuré par le biais des dons. (...) Question : Également, dans le document intitulé « Lobi », issu de l’organisation, il était indiqué que, au cours des activités de lobbying à l’intention des masses, les étudiants universitaires et les jeunes sans espoir qui habitaient dans les quartiers défavorisés des grandes villes et au sud-est de l’Anatolie devaient être organisés en ligne avec l’idéologie kémaliste et les intérêts du pays. Connaissez-vous le document intitulé « Lobi » et son contenu ? Réponse : Je ne le connais pas. Question : À qui et dans quelles conditions votre association offre-t-elle des bourses ? Quels sont les critères [d’éligibilité] pour les personnes auxquelles vous [êtes susceptibles d’accorder une bourse] ? Y a-t-il une discrimination fondée sur la région ou la langue ? Réponse : Il n’y a aucune discrimination fondée sur la région, la race, la religion, etc. J’aurais bien aimé offrir des bourses à tous ceux qui [en demandaient une]. [Les demandeurs] postulent en remplissant un formulaire. Et on offre des bourses aux étudiants qui [vont] dans les universités publiques, en particulier à ceux qui viennent d’Anatolie et qui sont dans le besoin. (...) Question : Le ÇYDD a-t-il un lien avec « l’Union des Églises mondiales » ? Si oui, quelle est la portée de ce lien ? Réponse : Nous n’avons aucun lien. Question : Les activités illégales du ÇYDD et de la ÇEV étaient expliquées dans les lettres de dénonciation rédigées par certaines personnes et trouvées parmi les documents saisis chez le suspect T.Ö. Dans ce contexte, il était mentionné que des anciens militants appartenant à DEV-GENÇ et des membres de l’organisation terroriste PKK dominaient au sein du ÇYDD et de la ÇEV, que [ces associations] offraient des bourses [de manière abusive] aux membres de l’organisation PKK et qu[e ceux-ci] recevaient des aides financières de « l’Union des Églises mondiales » et de plusieurs institutions étrangères. Au sujet des bourses offertes aux membres de l’organisation terroriste PKK et aux militants de DEV-GENÇ, de quoi s’agit-il ? Le ÇYDD [au sein duquel] vous êtes membre et trésorière a-t-il eu une activité à cette fin ? Réponse : Je n’accepte pas ces éléments. Nous n’avons pas eu une telle activité. (...) Question : Le 25 septembre 2008, dans un courriel de dénonciation envoyé sous le nom de R.K. par l’adresse (...)@gmail.com, transmis à la ligne téléphonique de dénonciation du 155, l’intéressé précisait qu’il était un étudiant d’origine kurde, qu’il avait commencé à questionner les mouvements kurdes en raison des événements actuels, qu’il avait compris la véritable intention de certains de ses amis avec lesquels il avait lutté, qu’il souhaitait expliquer la situation de certains de ses amis (...) qui faisaient partie de la branche jeunesse de l’organisation, que l’Association de soutien à la vie moderne essayait d’orienter secrètement leurs actions, qu’il savait que S.I., qui avait été arrêté (...), avait incendié des véhicules, que ce dernier (S.I.) et beaucoup d’autres avaient reçu une bourse de la part de l’Association de soutien à la vie moderne, qu’il savait [par ailleurs] que S.A., qui avait aussi été arrêté alors qu’il incendiait des véhicules, avait également auparavant reçu une bourse de la part de cette association et que, lorsqu’on [s’intéresserait aux] personnes servant de référence [pour l’obtention d’une bourse], [on découvrirait] la raison pour laquelle les Kurdes avaient été utilisés par des membres de Ergenekon. (...) Connaissez-vous les personnes nommées S.I. et S.A. ? Expliquez le lien entre ces personnes et le ÇYDD. Réponse : Nous n’avons aucun lien avec ces personnes. Je réfute ces allégations. Nous n’avons pas offert de bourse ou d’aide aux membres d’une organisation terroriste. Je ne connais pas ces personnes. Question : [Savez-vous] si ces personnes reçoivent des bourses ? Réponse : Je ne sais pas si des bourses ont été offertes ou non. (...) Question : Un document intitulé « le projet des foyers Ata », composé de huit pages, a été découvert et saisi chez l’accusé M.A., arrêté dans le cadre de l’enquête menée contre l’organisation terroriste armée Ergenekon. (...) À la lecture du document en question, il a été constaté que, dans la crainte que les cadres religieux aient pris le pouvoir étatique durant ces dernières années, il avait été indiqué qu’il était nécessaire de trouver des étudiants au revenu modeste parmi ceux qui avaient une idéologie opposée, de les placer dans les foyers qui seraient soutenus par différents moyens et de former les étudiants les plus jeunes selon une certaine idéologie. Pour ce projet, il était envisagé [de faire] ouvrir un compte commun par les associations locales dans les endroits où il était nécessaire de mettre en œuvre le projet, [sur lequel] les dons conditionnels seraient versés au profit des « foyers Ata ». Il s’agissait d’une organisation dont les tâches étaient bien définies et hiérarchisées. Il était nécessaire que les responsables de ce projet fissent un effort pour assurer la continuation du financement en prenant contact avec les associations, les organisations non gouvernementales et les hommes d’affaires ainsi que leurs entourages. Êtes-vous au courant [de l’existence] du document intitulé « les foyers Ata » ou de ce projet ? Avez-vous exercé une activité à cette fin ? Réponse : Je n’ai aucune information à ce sujet. Je n’ai pas entendu parler du projet des « foyers Ata ». (...) » S’agissant de la requérante ayant introduit la requête no 55841/09 « Je n’ai pas fait de déposition au poste de police, je me suis prévalue de mon droit de garder le silence ; maintenant je veux bien faire une déposition devant vous. Je suis l’ancienne présidente de la succursale de Kartal du ÇYDD et ma fonction a pris fin en janvier 2009. Je n’ai pas de relation proche avec les personnes placées en garde à vue ou en détention dans le cadre de l’enquête Ergenekon ; il y a pourtant parmi elles [des personnes] dont j’ai [déjà] entendu les noms. Je ne suis pas au courant que le nom du ÇYDD, au sein duquel j’étais présidente [de succursale], figurait dans les plans de coups d’État préparés en 2003 et 2004 et qu[e le ÇYDD] était l’instrument civil de ces plans. Je ne sais pas si le ÇYDD a ou non un lien avec « l’Union des Églises mondiales » ou bien s’il bénéficie ou non d’une aide de cette dernière. Question : Le 25 septembre 2008, dans un courriel de dénonciation envoyé sous le nom de R.K. par l’adresse (...)@gmail.com, transmis à la ligne téléphonique de dénonciation du 155, l’intéressé précisait qu’il était un étudiant d’origine kurde, qu’il avait commencé à questionner les mouvements kurdes en raison des événements actuels, qu’il avait compris la véritable intention de certains de ses amis avec lesquels il avait lutté, qu’il souhaitait expliquer la situation de certains de ses amis (...) qui faisaient partie de la branche jeunesse de l’organisation, que l’Association de soutien à la vie moderne essayait d’orienter secrètement leurs actions, qu’il savait que S.I., qui avait été arrêté (...), avait incendié des véhicules, que ce dernier (S.I.) et beaucoup d’autres avaient reçu une bourse de la part de l’Association de soutien à la vie moderne, qu’il savait [par ailleurs] que S.A., qui avait aussi été arrêté alors qu’il incendiait des véhicules, avait également auparavant reçu une bourse de la part de cette association (...) Par conséquent, il ressort de toutes ces données que le ÇYDD et la ÇEV, en plus de leurs activités relatives aux organisations non gouvernementales, menaient aussi des activités dans le but de diriger et de prendre le contrôle de l’organisation terroriste PKK au nom de l’organisation terroriste Ergenekon. Connaissez-vous les personnes mentionnées dans ladite dénonciation ? En ce qui concerne cette allégation et les allégations similaires, une bourse ou des aides quelconques ont-elles été octroyées aux personnes de ce genre lorsque vous meniez des activités au sein de l’Association ? Réponse : Je ne connais pas ces personnes ; lorsque j’étais dirigeante au sein de l’Association, [il n’y a pas eu de tels octrois] et je ne crois pas que [cela s’est déjà produit]. Question : Durant la perquisition effectuée au domicile de l’accusé M.A. [dans le cadre de la procédure pénale Ergenekon], un document intitulé « Ö.S.O. 6e zone de la sous-préfecture de Kadıköy de l’Association des amoureux du pays », établi par S.O., qui a également établi le document intitulé « le projet des foyers Ata », a été trouvé. Il a été constaté [dans ce document] que les intentions et les objectifs des « foyers du peuple républicain » avaient été mentionnés. Avez-vous mené des activités quelconques au sujet des « foyers du peuple républicain » ? Avez-vous mené des activités avec les personnes mentionnées dans les documents saisis chez vous et chez M.A. ? Réponse : Je ne connais pas de personne qui s’appelle M.A., je n’ai aucune information sur « les foyers Ata » et « les foyers du peuple républicain ». Question : Connaissez-vous les personnes qui ont choisi les étudiants qui seront placés dans « les foyers Ata » ? Avez-vous eu un rôle dans le choix des étudiants qui seront hébergés dans ces foyers ? Quel est le but de ce projet ? Réponse : Je n’ai pas d’informations à ce sujet. Question : Les notes figurant dans l’agenda intitulé « Elmeksan », saisi lors de la perquisition effectuée à votre domicile, [vous] ont été montrées et [vous avez] dit que l’agenda et les notes y figurant [vous] appartenaient. La note qui se lit comme suit lui a été posée (sic) : « les préparations seront effectuées pour les foyers du peuple républicain ». Réponse : « Le foyer du peuple républicain » mentionné plus haut n’a aucune relation avec notre association ; il y a un « foyer du peuple républicain » appartenant au Parti du peuple républicain (« CHP ») à Fındıklı, Maltepe, et la note concerne ce [foyer]. La succursale dont j’étais la présidente n’a pas de moyens ni d’activités [lui permettant de] louer un appartement aux étudiants [et] je ne sais pas si la direction générale de l’Association a un tel projet. Question : Dans une des pages de l’agenda intitulé « Elmeksan » saisi lors de la perquisition effectuée à votre domicile, sous le titre « des choses à faire de nos jours », les expressions manuscrites suivantes ont été constatées : au point 4 de la page 23 : « bizkackisiyiz.com ? Nous sommes à côté de Kanaltürk T.Ö. [un journaliste accusé dans le cadre de l’affaire Ergenekon] », au point 5 : « envoi d’une burqa et d’un turban aux députés de l’AKP (« Parti de la justice et du développement ») et du MHP (« Parti du mouvement nationaliste ») », au point 6 : « soutien pour la fondation d’un parti [politique] avec T.Ö. », au point 9 : « il faut prendre des mesures [de manière anticipée] contre les plans de l’AKP », au point 16 : « Union de la gauche – T.Ö. + syndicats », au point 21 : « Le 9 février, nous sommes à Ankara ». Qu’est-ce que signifie votre soutien politique à T.Ö., accusé dans le cadre de la même enquête ? L’un des buts de l’organisation terroriste Ergenekon est notamment d’orienter la politique. En tant qu’Association [de soutien à la vie moderne], eu égard aux notes que vous avez prises, [avezvous pour but de] donner une orientation à la politique ? Expliquez vos notes [mentionnées] ci-dessus. Réponse : Les notes manuscrites figurant dans mon agenda m’appartiennent et je les ai prises au cours d’une réunion, mais je ne me souviens plus de quelle réunion il s’agissait. Les autres notes se trouvant dans mon agenda sont aussi des notes que j’avais prises durant une réunion. Question : Lors de votre conversation téléphonique datée du 19 janvier 2009 à 11 h 41 avec [une certaine] Fatma, il a été constaté que vous lui avez demandé « quand es-tu arrivée ? Tu rentres quand ? », que Fatma vous a dit « je suis chez Oya ; la semaine prochaine, soit le 28, soit le 29, nous sommes chez Nurten », que vous lui avez dit « OK, chez Fatma », qu’elle vous a dit « parce que tu n’as pas pu y aller », que vous lui avez dit « tu es restée pendant une longue durée chez Oya ... est-elle arrivée? », que Fatma a dit « elle n’est pas arrivée, ils vont arriver et puis aller en Angleterre et je vais y aller par la suite » et qu’après Fatma a dit « alors pas ce mercredi, mercredi prochain » et que vous avez dit « autour du 28, OK » et que Fatma a dit « soit le 28, soit le 29. Le matin, Nurten m’a appelée et elle a dit qu’elle n’avait pas le numéro de Belkıs ». Qui est cette Fatma avec laquelle vous avez parlé ? Quel est votre lien avec elle ? Qui sont Oya et Nurten dont vous avez parlé ? Quel est votre lien avec elles ? Quelles sont les personnes qui, selon les propos de Fatma, vont aller en Angleterre ? Quels sont leurs liens avec le ÇYDD ? Quel était le but de votre rencontre ? Réponse : Fatma, Oya et Nurten sont mes amies, elles sont plus âgées que moi et elles n’ont aucun lien avec le ÇYDD. (...) » S’agissant de la requérante ayant introduit la requête no 55844/09 « J’ai compris mes droits. Au poste de police, je me suis prévalue de mon droit de garder le silence, maintenant je veux bien faire une déposition. Question : Dans le cadre de l’enquête [Ergenekon], il était fait mention dans les documents saisis chez les suspects, notamment dans le document intitulé « Ergenekon », portant constitution de l’organisation, ainsi que dans beaucoup d’autres documents, aux organisations non gouvernementales ; on y exposait l’importance, la fonction et les effets de celles-ci sur la société, [et on y expliquait] que l’organisation devait créer ses propres organisations non gouvernementales et qu’il fallait qu’elle prenne le contrôle des organisations non gouvernementales existantes dans notre pays. Dans le document intitulé « Lobi », issu de l’organisation, il était indiqué que, au cours des activités de lobbying à l’intention des masses, les étudiants universitaires et les jeunes sans espoir qui habitaient dans les quartiers défavorisés des grandes villes et au sud-est de l’Anatolie devaient être organisés en ligne avec l’idéologie kémaliste et les intérêts du pays. Dans les documents intitulés « Dinamik – Ulusal Güç Birliği » (« Dynamique – Union du pouvoir national »), « Kemalist Hareket » (« Mouvement kémaliste ») et « Devletin Yeniden Yapılandırılması » (« Restructuration de l’État »), il était indiqué que l’on devait reconquérir la jeunesse turque par le biais des organisations non gouvernementales, que l’organisation du peuple allait se réaliser suivant deux voies, que la première [voie visait] le pouvoir politique et [que] la seconde [voie consisterait en] la mise en place d’organisations populaires – notamment des syndicats de travailleurs et de fonctionnaires [ainsi que] des chambres d’artisans, de médecins, d’ingénieurs, d’architectes et d’avocats – qui serviraient d’intermédiaires [avec] les organisations « précurseurs » afin que ces dernières puissent agir comme meneurs à l’instar des organisations Atatürkçü Düşünce Derneği (« l’Association pour la pensée d’Atatürk ») et l’Association de soutien à la vie moderne. Réponse : Je [ne sais rien] par rapport aux documents que vous m’avez lus, j’en entends [parler] pour la première fois. Question : En tant qu’Association de soutien à la vie moderne, avez-vous participé à des activités visant à l’organisation des peuples et des masses ? Dans l’affirmative, quelles sont ces activités et qui a donné l’instruction [pour les mettre en œuvre] ? Réponse : Le but de l’association à laquelle j’appartiens est la réalisation d’activités éducatives, et elle l’accomplit en pleine conformité avec les lois. Elle n’a pas d’activité relative à l’organisation du peuple. (...) Question : À quelles activités (manifestations, marches, etc.) organisées par l’Association de soutien à la vie moderne avez-vous participé ? Réponse : J’ai participé à la manifestation [républicaine] organisée en avril 2007 à Çağlayan et puis aux manifestations de drapeaux organisées à Samsun. Je ne connais pas le statut officiel de l’Association de soutien à la vie moderne dans ces manifestations. Question : Quel est le but de ces activités et qui était responsable de la coordination de celles-ci ? Réponse : L’annonce de ces manifestations a été faite par le biais de la messagerie électronique et les membres [de l’Association] ont été invités. Je ne sais pas qui était responsable de la coordination. Question : Il ressort des preuves saisies jusqu’à présent dans le cadre de l’enquête [Ergenekon] que l’organisation avait fondé, contrôlé ou dirigé plusieurs associations, notamment celles dénommées A.D.D., K.M.D., V.K.G.B.D., B.H.B., ainsi que U.B.H.P., A.U.U.D.P., Ç.Y.P., B.K.K.P. et U.P.G.B. et, dans ce contexte, des opérations [policières] ont été menées à l’encontre des membres présumés de l’organisation terroriste Ergenekon. Y a-t-il une coopération formelle ou informelle (notamment l’organisation d’un rassemblement commun, d’une marche, etc.) entre l’Association de soutien à la vie moderne et les associations mentionnées ci-dessus ou une autre institution ? Réponse : Je n’ai pas d’informations à ce sujet. (...) Question : Avez-vous des informations sur le Cumhuriyet Çalışma Grubu (« le Groupe de travail républicain ») ? Expliquez. Réponse : J’entends ce terme pour la première fois. (...) Question : Savez-vous que ces manifestations [républicaines] ont été organisées à la suite des décisions prises par les dirigeants de l’organisation terroriste armée Ergenekon ? Réponse : J’ai participé à ces manifestations en tant que citoyenne sensibilisée. [Ce n’est pas parce qu’une quelconque organisation a pris une décision que j’y ai participé]. (...) Question : Comment assurez-vous le financement des activités menées par [votre] association [et quelle en est la provenance] ? Réponse : Le ÇYDD mène des activités éducatives. [Ses travaux consistent en] l’offre de bourses, la création d’écoles maternelles et de parcs d’enfants et la construction d’écoles publiques. Pour réaliser ces travaux, on prend contact avec les grandes sociétés pour que celles-ci [les] sponsorisent. (...) En outre, je sais que [l’Association] accepte des dons personnels. Question : À qui et dans quelles conditions votre association offre-t-elle des bourses ? Quels sont les critères [d’éligibilité] pour les personnes auxquelles vous [êtes susceptibles d’accorder une bourse] ? Réponse : L’Association offre des bourses d’études à tous les élèves à la condition que ceux-ci soient issus d’une famille avec plusieurs enfants et qu’ils soient pauvres. (...) Question : Deux lettres destinées au président de la République ont été trouvées parmi les documents saisis chez le suspect T.Ö. Dans ces lettres, les activités illégales du ÇYDD et de la ÇEV étaient expliquées. Dans ce contexte, il était mentionné que des anciens militants appartenant à DEVGENÇ et des membres de l’organisation terroriste PKK dominaient au sein du ÇYDD et de la ÇEV, que [ces associations] offraient des bourses [de manière abusive] aux membres de l’organisation PKK et qu[e ceux-ci] recevaient des aides financières de « l’Union des Églises mondiales » et de plusieurs institutions étrangères. Avez-vous des informations sur les bourses offertes aux membres de l’organisation terroriste PKK et aux militants de DEV-GENÇ ? Réponse : Je n’ai pas d’informations sur le fait qu’il existe des membres ou des boursiers de l’Association qui appartiennent à une organisation illégale. Question : À l’époque où vous étiez au sein de l’Association, avez-vous été témoin de l’octroi de bourses ou d’autres aides aux personnes [membres des organisations illégales] ? Avez-vous eu des informations quelconques en ce sens ? Réponse : Je n’ai pas d’informations [quant à l’octroi par le ÇYDD de] bourses aux personnes liées aux organisations illégales. Question : Le ÇYDD a-t-il un lien avec « l’Union des Églises mondiales » ? Si oui, quelle est la portée de ce lien ? Réponse : Je n’ai pas d’information [à ce sujet]. Question : Lors de votre conversation datée du 9 mai 2008 à 13 h 24 avec T.S., vous avez parlé d’un rendez-vous avec un Rotary Club (...) Il ressort de cette conversation que votre association planifie un projet commun avec un Rotary Club. Comment expliquez-vous ce projet et son financement ? Réponse : Dans le cadre des activités de l’Association, de temps en temps, les Rotary Clubs et Lions Clubs offrent des travaux communs qui sont sponsorisés [par eux]. Je ne me souviens pas exactement des détails de cette conversation. Cependant, [il pouvait s’agir] d’une offre du Rotary Club qui voulait faire construire un foyer pour les étudiants. (...) Question : D’après les termes des statuts du ÇYDD, celui-ci peut-il fonder des foyers [d’étudiants] ? (...) Réponse : Je n’ai pas d’informations à ce sujet. Question : Connaissez-vous Ö.S.O. et H.G.E. ? Avez-vous un quelconque lien [avec ces personnes] ? Réponse : Je ne connais ni Ö.S.O. ni H.G.E. Question : Un document intitulé « le projet des foyers Ata », composé de huit pages, a été découvert et saisi chez l’accusé M.A., arrêté dans le cadre de l’enquête menée contre l’organisation terroriste armée Ergenekon. Il a été constaté que le nom de Ö.S.O., modérateur de la Plateforme de communication pour la République, et le nom de G.E., secrétaire général de l’Union des associations nationales des organisations non gouvernementales, figuraient parmi les noms des personnes qui avaient établi le document [intitulé « le projet des foyers Ata »]. À la lecture du document en question, il a été constaté que, dans la crainte que les cadres religieux aient pris le pouvoir étatique durant ces dernières années, il avait été indiqué qu’il était nécessaire de trouver des étudiants au revenu modeste parmi ceux qui avaient une idéologie opposée, de les placer dans les foyers qui seraient soutenus par différents moyens et de former les étudiants les plus jeunes selon une certaine idéologie. Pour ce projet, il était envisagé [de faire] ouvrir un compte commun par les associations locales dans les endroits où il était nécessaire de mettre en œuvre le projet, [sur lequel] les dons conditionnels seraient versés au profit des « foyers Ata ». Il s’agissait d’une organisation dont les tâches étaient bien définies et hiérarchisées. Il était nécessaire que les responsables de ce projet fissent un effort pour assurer la continuation du financement en prenant contact avec les associations, les organisations non gouvernementales et les hommes d’affaires ainsi que leurs entourages. Êtes-vous au courant [de l’existence] du document intitulé « les foyers Ata » ou du projet mentionné ? Avez-vous participé à une quelconque activité dans ce cadre ? Réponse : Je n’ai aucune information sur ce projet. (...) » En résumé, les requérantes nièrent appartenir à une organisation illégale et demandèrent leur remise en liberté. À la suite de leur interrogatoire, le 15 avril 2009, le procureur de la République ordonna la mise en liberté des intéressées. Par une ordonnance de non-lieu du 2 novembre 2010, le procureur de la République conclut à l’absence de preuves démontrant que les requérantes étaient membres d’une organisation illégale. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 91 § 2 du code de procédure pénale (CPP) tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits disposait : « Le placement en garde à vue dépend de la nécessité de cette mesure pour l’enquête et des indices permettant de croire que l’intéressé a commis une infraction. » L’article 141 § 1 d) et e) du CPP se lisent comme suit : « 1) Dans le cadre d’une enquête ou d’un procès relatifs à une infraction, les personnes qui, : (...) d) ont été même régulièrement placées en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, et qui ne sont pas traduites dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et au sujet desquelles une décision sur le fond n’est pas rendue dans ce même délai, e) ont été régulièrement arrêtées ou placées en détention provisoire mais qu’elles ont bénéficié d’un non-lieu ou d’un acquittement, (...) peuvent demander à l’État l’indemnisation de tous leurs préjudices matériels et moraux. » Conformément à l’article 142 du même code, le recours en indemnisation peut être intenté dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé du caractère définitif de la décision ou du jugement et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou le jugement est devenu définitif.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La première requérante est née en 1975 et réside à Loures. La seconde requérante est née en 1963 et réside à Lisbonne. A. La requête no 9023/13 Le 6 juillet 2010, le Conseil supérieur de la magistrature (Conselho Superior da Magistratura), ci-après « CSM », décida l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la première requérante, alors juge au tribunal du travail de Lisbonne. Le 8 novembre 2010, le juge de la cour d’appel chargé de l’instruction de l’affaire forma les réquisitions à l’encontre de la requérante, à laquelle il était reproché un manquement à ses devoirs de poursuite de l’intérêt général et de zèle, pouvant donner lieu à une sanction allant de l’avertissement à la révocation. Le 13 décembre 2010, celle-ci présenta son mémoire en défense. Le 20 septembre 2011, l’assemblée plénière du CSM imposa à la requérante une peine disciplinaire de 25 jours-amende, correspondant à 25 jours de salaire, pour violation de ses devoirs de poursuite de l’intérêt général et de zèle. Dans sa décision du 20 septembre 2011, l’assemblée plénière du CSM considéra que la requérante avait enfreint son devoir de convoquer des audiences dans les dossiers à sa charge dans le plus bref délai et qu’elle manquait de productivité. Le 31 octobre 2011, la requérante forma un recours devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice (Secção do Contencioso do Supremo Tribunal de Justiça) contestant la peine disciplinaire appliquée. Dans son mémoire en recours, la requérante invoqua la pleine juridiction de la Cour suprême de justice, demandant le réexamen des faits qui avaient été considérés comme établis. La requérante y invoqua que le CSM n’avait pas dûment apprécié tous les moyens et documents déposés par elle, faisant valoir notamment : - que le nombre d’audiences, prétendument tenues par la requérante, retenu par le CSM dans la décision condamnatoire était manifestement erroné, celle-ci ayant présidé à un nombre supérieur d’audiences ; - que le nombre de jugements rédigés par la requérante retenu par le CSM était lui aussi inférieur à la productivité réelle de la requérante. Par un arrêt du 5 juillet 2012, la Cour suprême de justice rejeta à l’unanimité l’appel de la requérante. Elle considéra qu’il ne lui incombait pas de faire un réexamen des faits, sa tâche se bornant à rechercher si la décision du CSM était entachée par un raisonnement contradictoire ou d’arbitraire. Se penchant sur le moyen du défaut d’examen des documents soumis par la requérante, la Cour suprême de justice statua que ce moyen ne mettait pas en cause la suffisance des preuves mais que la requérante avait uniquement attaqué l’appréciation et l’établissement des preuves par le CSM. À une date non précisée, les autorités procédèrent à la mise en œuvre de la peine disciplinaire à l’encontre de la première requérante. Dans ses parties pertinentes, l’arrêt de la Cour suprême de justice du 5 juillet 2012 se lit comme suit : « D’emblée, il faut dire que le pouvoir d’appréciation portant sur l’établissement des faits de cette cour se borne à l’examen des vices de la matière factuelle. Elle ne saurait réexaminer les éléments de la preuve afin de former un nouveau verdict sur les faits. C’est-à-dire : il est du ressort de la Cour suprême non pas la formulation d’un nouveau jugement portant sur l’appréciation des preuves mais uniquement l’appréciation de la validité et de la légalité des preuves, d’une part, et du caractère raisonnable et de la cohérence des faits établis, d’autre part. Dans ce domaine, il lui incombe donc de rechercher des contradictions, des insuffisances de la preuve, des erreurs manifestes dans son examen. Ce sont là les erreurs de fait dont cette Cour suprême peut connaître. Elle ne peut pas, et on le réitère, réexaminer la preuve recueillie pour former un jugement autonome à son égard. Il s’agit là de la thèse uniformément adoptée par cette section. (...) Il ressort des faits allégués par la requérante qu’elle s’oppose à l’appréciation [du CSM] sur les preuves, or cette appréciation échappe au contrôle de cette Cour suprême. Elle n’invoque point de contradictions ou d’incohérences dans l’établissement des faits. On constate tout simplement un désaccord de la requérante au regard de l’établissement des faits avérés. Et son désaccord face à l’absence d’appréciation d’autres faits qui, à son avis, méritaient l’examen par le CSM, notamment ceux allégués par la défense. En conclusion, ce que la requérante combat en vérité c’est l’appréciation portant sur les faits par [le CSM]. Toutefois, et on le réitère, cette appréciation n’est pas soumise au contrôle [de la Cour suprême de justice]. (...) Cette Cour suprême a les compétences pour apprécier le respect du principe de la proportionnalité [par le CSM], qui est enfreint lorsque la sanction se montre inadéquate ou excessive eu égard aux faits établis. (...) » B. La requête no 78077/13 Par un arrêt du 7 juin 2011, l’assemblée plénière du Conseil supérieur de la magistrature appliqua à la seconde requérante, alors juge au tribunal du travail de Lisbonne, une peine disciplinaire de 50 jours-amende, correspondant à 50 jours de salaire, pour violation de ses devoirs de poursuite de l’intérêt général, de zèle, de loyauté et d’information. À une date non précisée, la seconde requérante forma un appel contre cet arrêt devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice, contestant les faits considérés comme établis. Elle attaquait notamment l’établissement des faits par le CSM concernant son taux de productivité. Par le biais de documents statistiques, la seconde requérante faisait valoir que cette instance disciplinaire n’avait pas pris en compte que certaines sections du tribunal du travail de Lisbonne avaient été supprimées par la loi et que, par conséquent, la requérante et les autres juges de ce tribunal étaient surmenés, affectant ainsi son taux de productivité. Elle alléguait en outre l’inconstitutionnalité de l’article 168 § 1 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire au motif que l’article 212 § 3 de la Constitution exigeait l’attribution aux juridictions administratives la compétence de statuer sur les relations administratives. La seconde requérante allégua de surcroît que l’attribution de compétence à la Cour suprême de justice pour connaître des recours attaquant les décisions du CSM mettait en cause son droit à un tribunal impartial, compte tenu du fait que les juges de la Cour suprême de justice étaient, eux-aussi, soumis à la juridiction disciplinaire du CSM. Le 15 décembre 2011, la section du contentieux de la Cour suprême de justice confirma la décision du 7 juin 2011. Elle considéra que la nomination des juges siégeant à la section du contentieux de la Cour suprême de justice obéissait à des critères objectifs établis par la loi. Elle estima que l’article 212 § 3 de la Constitution n’imposait pas la saisine des tribunaux administratifs pour tout litige portant sur une relation administrative (rejetant l’invocation de l’inconstitutionnalité de l’article 168 § 1 de la loi relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire). Enfin, elle jugea que la section du contentieux de la Cour suprême de justice ne pouvait pas faire un réexamen des faits établis en première instance. S’agissant du réexamen des faits de la cause établis par le CSM, l’arrêt du 15 décembre 2011 se lit comme suit : « (...) [I]l n’est pas du ressort de la section du contentieux de la Cour suprême de justice d’examiner les critères quantitatifs et qualitatifs portant sur des jugements techniques discrétionnaires, ayant trait à un mode particulier d’organisation, de fonctionnement et de gestion internes du [CSM], tels le caractère adéquat, le volume de travail, la productivité ou les exigences concrètes de performance quantitative de la [requérante] (...). » (...) « Pour ce qui est du refus de dépôt au dossier des statistiques de la Direction générale de l’administration de la justice (...), les faits décrits dans les réquisitions (...), portant sur la productivité de la [requérante] (...), ont eu lieu entre le 1er septembre 2006 et le 31 décembre 2009 et pas le 12 avril 2010 (...). Or, la [requérante] voulait mettre en cause les statistiques officielles, découlant par ailleurs du traitement informatique [des données de la justice] (...) » Dès lors, le refus d’inviter la Direction générale de l’administration de la justice à déposer les éléments demandés par la [requérante] n’a pas représenté une omission d’un acte important pour la défense, susceptible d’invalider la présente procédure disciplinaire. » À une date non précisée, la requérante forma un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel, invoquant l’inconstitutionnalité des paragraphes 1 et 2 de l’article 168 de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire. Le 12 juin 2013, le Tribunal constitutionnel prononça un arrêt de rejet. Il fit valoir que le législateur pouvait, sous certaines conditions, soumettre des litiges portant sur des relations administratives à des juridictions non administratives. Il estima que le fait que les juges qui forment la section du contentieux de la Cour suprême de justice sont soumis au pouvoir disciplinaire du CSM ne remet pas en cause leur impartialité. D’une part, ces juges n’ont pas à suivre des consignes du CSM, d’autre part leur nomination est effectuée par le président de la Cour suprême de justice (et du CSM) compte tenu de leur ancienneté et parmi chacune des sections de la Cour suprême de justice. À une date non précisée, les autorités procédèrent à la mise en œuvre de la peine disciplinaire à l’encontre de la requérante. La partie pertinente de l’arrêt du 12 juin 2013, citant l’arrêt no 277/11 du Tribunal constitutionnel, se lit comme suit : « (...) Le fait que les juges qui composent la section du contentieux de la Cour suprême de justice pour connaître des recours attaquant les décisions du Conseil supérieur de la magistrature, notamment sur le terrain disciplinaire, sont soumis à la gestion et à la discipline de cet organe ne saurait être objectivement envisagé comme étant un facteur susceptible d’influer sur leurs décisions dans ce type d’affaires. Les rapports entre cet organe et les juges ne sont pas des rapports de subordination, les juges jouissant non seulement d’une indépendance face aux autres pouvoirs de l’État mais aussi d’une « indépendance interne », leur gestion et discipline étant attribués au CSM en vertu de dispositions abstraites fixées au préalable. Dès lors, la circonstance que la décision attaquée soit rendue par le CSM ne saurait soumettre à caution la possibilité de ces juges de trancher les affaires disciplinaires hors de toute influence étrangère à la loi et à la justice. Le fait que ces juges, à l’exception du vice-président de la section du contentieux de la Cour suprême de justice, soient désignés par le président ne remet pas en cause leur impartialité, du fait que leur désignation est faite par le président en vertu d’un critère objectif et lié par la loi : il doit être désigné un juge de chacune des quatre sections [de la Cour suprême de justice] en fonction de leur ancienneté. Les juges désignés sont les juges les plus anciens de chacune de ces sections. Le président de la Cour suprême de justice et, par inhérence, du Conseil supérieur de la magistrature, ne fait pas de sélection à sa guise des juges qui composent cette section, les conditions régissant leur désignation étant établies dans la loi sans aucune marge d’appréciation. Aussi, l’impartialité de ces juges vis-à-vis du Conseil supérieur de la magistrature ou de son président ne saurait soulever aucun doute. Compte tenu des considérations précédentes, l’attribution à une section de la Cour suprême de justice des pouvoirs pour apprécier les recours attaquant les décisions du CSM, notamment en matière de discipline, n’enfreint pas les principes constitutionnels invoqués par la [requérante], en particulier le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et par un tribunal impartial. » Le Tribunal constitutionnel considéra également que le principe de la présomption d’innocence valait en général dans le domaine disciplinaire mais que les garanties maximales de la défense n’étaient pas applicables dans les procédures disciplinaires. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La Constitution établit la composition du Conseil supérieur de la magistrature, composé de dix-sept membres, comme suit : Article 218 « 1. Le Conseil supérieur de la magistrature, sous la présidence du Président de la Cour suprême de justice, est composé des membres suivants : a) deux nommés par le Président de la République ; b) sept élus par l’Assemblée de la République ; c) sept juges élus par les juges (...) (...) ». Le règlement (Regimento) de l’Assemblée de la République no 1/2007 du 20 août 2007 se lit comme suit dans sa partie pertinente : Article 257 « L’assemblée de la République procède à l’audition des candidats aux postes suivants (...) dont la nomination est de son ressort : (...) e) sept membres du Conseil supérieur de la magistrature ». Le règlement du Conseil supérieur de la magistrature, publié le 27 avril 1993 dans le journal officiel (Diário da República), se lit comme suit dans sa partie pertinente : Article 12 « 1. Les délibérations sont prises à la majorité des voix, avec la présence de la majorité du nombre légal des membres du Conseil supérieur de la magistrature, le président disposant d’une voix prépondérante. (...) » Les dispositions pertinentes de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985, relative au statut des magistrats de l’ordre judiciaire (Estatuto dos Magistrados Judiciais), se lisent comme suit : Article 85 « 1. Les magistrats sont soumis aux peines suivantes : a) l’avertissement ; b) l’amende ; c) la mutation ; d) la suspension de l’exercice ; e) l’inactivité ; f) la retraite anticipée ; g) la révocation. » Article 87 « L’amende est fixée en jours, pouvant aller de 5 à 90 jours. » Article 92 « La peine d’amende est applicable aux situations de négligence ou de manque d’intérêt par le respect des devoirs inhérents au poste. » Article 102 « L’amende est mise en œuvre par le prélèvement dans le salaire du magistrat du montant correspondant au nombre de jours appliqué. » Article 110 « (...) (...) [L]a procédure disciplinaire est écrite et ne dépend d’aucune formalité, hormis l’audience avec la possibilité de défense de l’accusé. » Article 111 « Il incombe au Conseil supérieur de la magistrature l’instauration de procédures disciplinaires contre les juges. » Article 113 « 1. La procédure disciplinaire est confidentielle jusqu’à la décision finale (...). Sous demande motivée de l’accusé, [le CSM] peut lui remettre des copies du dossier pourvu qu’elles soient utiles à la défense d’intérêts légitimes. » Article 115 « (...) Le [juge] instructeur peut rejeter une demande d’audition de témoins (...) dès lors qu’il considère suffisantes les preuves produites. » Article 120 « Pendant le délai imparti pour la présentation de la défense, l’accusé, son défenseur commis d’office ou son conseil peuvent consulter le dossier dans les locaux [du CSM]. » Article 131 « Les normes régissant le statut des fonctionnaires (...) sont applicables à titre subsidiaire, aussi bien que le code pénal, le code de procédure pénale (...) » Article 137 « 1. Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la Cour suprême de justice et composé des membres suivants : a) Deux désignés par le Président de la République ; b) Sept élus par le Parlement ; c) Sept élus parmi et par les magistrats. Le poste de membre du Conseil supérieur de la magistrature ne peut pas être refusé par les juges. » Article 138 « 1. Le vice-président du Conseil supérieur de la magistrature est le juge mentionné à l’alinéa 2 de l’article 141 et il exerce ses fonctions à plein temps. (...) » Article 141 « 1. L’élection des membres indiqués à l’alinéa c) de l’article 137 § 2 s’effectue à partir de listes établies par un minimum de 20 électeurs. Les listes incluent un suppléant par rapport à chaque candidat effectif, chaque liste devant comporter un juge de la Cour suprême de justice, deux juges de la cour d’appel et un juge de chaque district judiciaire. (...) » Article 153 « 1. Il incombe au Président du Conseil supérieur de la magistrature de : a) représenter le Conseil ; b) exercer les fonctions déléguées par le Conseil, avec possibilité de subdélégation au président adjoint ; c) recevoir le serment du président adjoint, des inspecteurs judiciaires et du secrétaire ; d) diriger et coordonner les services d’inspection ; e) élaborer, sous proposition du secrétaire, des circulaires ; f) exercer les autres fonctions attribuées par la loi. Le président peut déléguer au vice-président la compétence pour recevoir le serment des inspecteurs judiciaires et du secrétaire, aussi bien que les compétences prévues à l’alinéa d) et e). » Article 168 « 1. Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature sont susceptibles de recours devant la Cour suprême de justice. Aux fins de l’examen du recours cité au paragraphe précédent, la Cour suprême de justice fonctionne par le biais d’une formation constituée du plus ancien de ses viceprésidents, disposant d’une voix prépondérante, et d’un juge de chacune des sections, chacun nommé annuellement et successivement compte tenu de son ancienneté. (...) Les fondements du recours sont ceux prévus par la loi pour attaquer les actes du Gouvernement. » Article 178 « Les normes régissant les recours contentieux formés devant la Cour administrative suprême sont applicables à titre subsidiaire. » (...) » L’article 3 § 2 de la loi no 58/2008 du 9 septembre 2008 régissant la discipline des fonctionnaires dispose: « (...) Les devoirs généraux des fonctionnaires sont : a) le devoir de poursuite de l’intérêt général ; (...) d) le devoir d’information ; e) le devoir de zèle ; (...) g) le devoir de loyauté ; (...) » Le recours attaquant une décision du Conseil supérieur de la magistrature devant la section du contentieux de la Cour suprême de justice a pour objet l’annulation de la décision du CSM. Dans un arrêt du 15 décembre 2011, la section du contentieux de la Cour suprême de justice a considéré que ce recours était une « action administrative spéciale » (ação administrativa especial) par laquelle l’intéressé demande l’annulation, la déclaration de la nullité ou de l’inexistence juridique de l’acte administratif attaqué. Cette formation a considéré ce qui suit : « (...) La sauvegarde judiciaire des droits des administrés en vertu de l’article 268 § 4 de la Constitution supposant l’annulation de tout acte administratif censé leur porter préjudice, quelle que soit sa forme, doit être conforme à l’article 3 du code de procédure devant les tribunaux administratifs et fiscaux, selon lequel « dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs, les tribunaux administratifs contrôlent la compatibilité de l’action de l’administration avec les dispositions et les principes juridiques qui la lient et non pas en fonction d’une appréciation d’opportunité ». D’une part, on voit en cette nouvelle disposition un élargissement des compétences des tribunaux administratifs eu égard à la législation précédente mais, d’autre part, les pouvoirs de pleine juridiction dorénavant octroyés ne sauraient faire oublier les limitations inhérentes à la sauvegarde des pouvoirs discrétionnaires de l’administration. Or, les pouvoirs du CSM échappent au contrôle du tribunal lorsque [l’organe disciplinaire] statue sur une conduite prétendument incompatible avec le devoir de diligence d’un magistrat. Sous une autre perspective, conduisant néanmoins au même résultat, l’instance du recours doit, sur la base d’une légalité au sens large, contrôler le respect de l’article 266 § 2 de la Constitution, en vertu duquel l’administration doit exercer ses pouvoirs respectant, entre autres, le principe de la proportionnalité, constituant en des termes simples une prohibition de l’excès (proibição do excesso). » Dans un arrêt du 21 mars 2013, la Cour suprême de justice a statué comme suit sur la nature du contrôle exercé sur les décisions du CSM en matière disciplinaire : « La suffisance des preuves et de l’établissement des faits qui motivent une décision punitive dans le cadre d’une procédure disciplinaire peuvent faire l’objet d’un recours contentieux (...) Cependant, le contrôle de la suffisance des preuves ne constitue pas, dans le cadre d’un recours contentieux, un réexamen de celles-ci mais une appréciation de [l’éventuel] caractère raisonnable et de la cohérence du rapport entre, d’une part, les faits que l’entité administrative a établis et, d’autre part, les preuves sur la base de son verdict (...). La Cour suprême de justice ne procède pas au contrôle de l’examen et de l’appréciation des preuves. Elle se borne, dans une démarche de légalité, à apprécier la régularité de l’indication, du recueil et de la production des preuves. (...) Il lui sied uniquement, compte tenu des preuves retenues dans le dossier, d’apprécier le caractère raisonnable du verdict final et de contrôler si l’entité administrative a examiné les faits recueillis par l’accusateur et les faits apportés par la défense, motivant dûment ce verdict. (...) » III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS Les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985, et confirmés par l’Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 se lisent ainsi dans ses parties pertinentes : « (...) Mesures disciplinaires, suspension et destitution Toute accusation ou plainte portée contre un juge dans l’exercice de ses fonctions judiciaires et professionnelles doit être entendue rapidement et équitablement selon la procédure appropriée. Le juge a le droit de répondre, sa cause doit être entendue équitablement. La phase initiale de l’affaire doit rester confidentielle, à moins que le juge ne demande qu’il en soit autrement. (...) Dans toute procédure disciplinaire, de suspension ou de destitution, les décisions sont prises en fonction des règles établies en matière de conduite des magistrats. Des dispositions appropriées doivent être prises pour qu’un organe indépendant ait compétence pour réviser les décisions rendues en matière disciplinaire, de suspension ou de destitution. Ce principe peut ne pas s’appliquer aux décisions rendues par une juridiction suprême ou par le pouvoir législatif dans le cadre d’une procédure quasi judiciaire. » La Charte européenne sur le statut des juges (Direction des affaires juridiques du Conseil de l’Europe, 8-10 juillet 1998, DAJ/DOC (98)23), en ses extraits pertinents, le chapitre 5 intitulé « Responsabilité », est ainsi libellé : « 5.1. Le manquement par un juge ou une juge à l’un des devoirs expressément définis par le statut ne peut donner lieu à une sanction que sur la décision, suivant la proposition, la recommandation ou avec l’accord d’une juridiction ou d’une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, dans le cadre d’une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. L’échelle des sanctions susceptibles d’être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. La décision d’une autorité exécutive, d’une juridiction ou d’une instance visée au présent point prononçant une sanction est susceptible d’un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel. » La Commission de Venise, dans son rapport sur l’indépendance du système judiciaire – Partie I : L’indépendance des juges, du 12-13 mars 2010 (CDL-AD (2010) 004), a adopté la conclusion suivante : « (...) « 6. Les conseils de la magistrature, ou les juridictions disciplinaires, devraient jouer un rôle déterminant dans les procédures disciplinaires. Il devrait être possible de faire appel des décisions des instances disciplinaires. (...) » La Recommandation CM/Rec(2010)12 du Comité des Ministres aux États membres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (adoptée par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, lors de la 1098e réunion des Délégués des Ministres) se lit comme suit dans ses parties pertinentes : « (...) Chapitre IV – Conseils de la justice Les conseils de la justice sont des instances indépendantes, établies par la loi ou la Constitution, qui visent à garantir l’indépendance de la justice et celle de chaque juge et ainsi promouvoir le fonctionnement efficace du système judiciaire. Les conseils de la justice devraient faire preuve du plus haut niveau de transparence envers les juges et la société, par le développement de procédures préétablies et la motivation de leurs décisions. Chapitre VII – Devoirs et responsabilités (...) Responsabilité et procédures disciplinaires (...) Une procédure disciplinaire peut être exercée à l’encontre des juges qui ne s’acquittent pas de leurs obligations de manière efficace et adéquate. Cette procédure devrait être conduite par une autorité indépendante ou un tribunal avec toutes les garanties d’un procès équitable et accorder aux juges le droit d’exercer un recours contre la décision et la sanction. Les sanctions disciplinaires devraient être proportionnelles à la faute commise. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants dans la requête no 40886/06 étaient père et fils. M. Henri Malfatto, né en 1929 et décédé en 2012, résidait à AixenProvence. MM. JeanMichel et Alain Malfatto, nés respectivement en 1958 et 1964, résident également à Aix-en-Provence. Le requérant dans la requête no 51946/07, M. Jean-Claude Mieille, est né en 1955 et réside à Cabries. A. Le contexte M. Henri Malfatto était propriétaire d’un terrain d’une superficie d’environ 63 000 m2 situé en bord de mer dans la calanque de l’Anthénor sur le territoire de la commune d’Ensuès-la-Redonne, dans le département des Bouches-du-Rhône Par arrêté du 14 mai 1964, le préfet des Bouches-du-Rhône (ci-après le préfet) l’autorisa à y créer un lotissement comprenant trente lots. Conformément aux prescriptions de l’arrêté, il entreprit divers travaux de viabilisation du terrain (notamment voirie, adduction d’eau et éclairage). Par arrêté préfectoral du 28 juillet 1970, M. Henri Malfatto fut autorisé à vendre les lots avant le complet achèvement des travaux. Aux termes d’une donationpartage devant notaire du 22 décembre 1978, il attribua trois lots à ses fils, à savoir un lot à M. Jean-Michel Malfatto et deux lots à M. Alain Malfatto. Par acte notarié du 14 décembre 1979, M. Henri Malfatto vendit à M. Mieille un lot, en nature de terrain à bâtir, pour une somme de 90 000 francs français - FRF (soit environ 14 000 euros - EUR) ; un certificat d’urbanisme établi par l’administration et joint à l’acte notarié indiquait que le lot était constructible. Il ressort du dossier qu’un cinquième lot avait été vendu, le 29 mars 1972, à un tiers, M.T., qui y construisit une maison qu’il habite depuis lors. Par arrêté du 1er février 1982, le préfet rendit public le plan d’occupation des sols (ci-après le POS) de la commune. En application de la directive sur la protection et l’aménagement du littoral (voir paragraphe 34 ci-dessous), le POS rendait inconstructibles les terrains situés dans une bande de cent mètres du littoral. Le 24 novembre 1984, le tribunal administratif de Marseille fit droit au recours de M. Henri Malfatto et annula le POS. Le 18 novembre 1988, le Conseil d’État rejeta le recours du ministre de l’urbanisme et du logement contre ce jugement. Entre temps était entrée en vigueur la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (« loi littoral », voir paragraphes 33 et 35 ci-dessous), qui prohibait toute édification nouvelle sur une bande littorale de cent mètres à compter du rivage. Le 12 janvier 1989, M. Henri Malfatto sollicita un permis de construire une maison individuelle, qui fut refusé par le maire de la commune par arrêté du 3 mars 1989. Par jugement du 22 mars 1991, le tribunal administratif rejeta le recours en annulation qu’il avait formé contre cet arrêté. Par arrêt du 15 janvier 1997, le Conseil d’État rejeta son appel contre ce jugement, au motif que la demande de permis de construire portait sur un terrain situé en deçà de la limite des cent mètres et ne faisant pas partie d’un espace urbanisé, même s’il était desservi par certains équipements publics. Par arrêté du 7 décembre 1995, le maire d’Ensuès-la-Redonne rendit public le POS de la commune classant l’ensemble du lotissement en zone naturelle et inconstructible sur le fondement de la « loi littoral ». Par jugement du 7 octobre 1999, le tribunal administratif rejeta le recours en annulation de M. Henri Malfatto contre cet arrêté. B. La procédure en indemnisation devant les juridictions administratives En juillet 1998 et février 1999, les requérants adressèrent au préfet des demandes préalables d’indemnisation pour atteinte à leurs droits acquis, au motif que les lots leur appartenant étaient frappés d’une servitude d’urbanisme les rendant inconstructibles. Les jugements du tribunal administratif de Marseille À la suite du rejet implicite de leurs demandes résultant du silence du préfet, les requérants saisirent en décembre 1998 et août 1999 le tribunal administratif de recours tendant à ce que l’État soit condamné, sur le fondement de l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme et de l’article 1 du Protocole no 1, à réparer le préjudice subi du fait de l’atteinte aux droits acquis qu’ils tenaient de l’autorisation de lotir. M. Henri Malfatto sollicitait le paiement d’une indemnité correspondant au montant total des travaux de viabilité effectués pour les vingt-cinq lots dont il restait propriétaire, à savoir 7 035 004 FRF (soit 1 072 479 EUR), ainsi qu’une indemnité correspondant à la perte de valeur vénale des lots. MM. Jean-Michel et Alain Malfatto et M. Mieille demandaient, pour leur part, des indemnités correspondant au prorata du coût des travaux de viabilisation des lots dont ils étaient propriétaires, ainsi qu’à leur perte de valeur vénale. Par quatre jugements du 22 mars 2001, le tribunal administratif rejeta leurs recours. Il reconnut tout d’abord que le placement des terrains en cause en zone inconstructible constituait une servitude, au sens de l’article L. 1605 du code de l’urbanisme, qui portait atteinte aux droits acquis des requérants et ouvrait ainsi droit à réparation de l’ensemble des préjudices directs, matériels et certains en résultant. À cet égard, le tribunal estima, d’une part, que si M. Henri Malfatto faisait état de dépenses engagées au titre d’études et de travaux préparatoires et de la viabilisation du lotissement, il se bornait à produire des devis estimatifs actualisés en 1997 et que, dès lors, il ne justifiait pas du préjudice allégué. D’autre part, il considéra que MM. Jean-Michel et Alain Malfatto, qui étaient devenus propriétaires par voie de donation à titre gratuit, ne justifiaient d’aucune dépense. De même, s’agissant de M. Mieille, le tribunal considéra que, s’il faisait état de dépenses engagées au titre d’études et de travaux préparatoires et de la viabilisation du lotissement, il ne justifiait pas en avoir personnellement supporté la charge. Le tribunal rappela ensuite qu’il résultait des dispositions de l’article 1 du Protocole no 1 que le propriétaire d’un bien frappé d’une servitude pouvait prétendre à une indemnisation « dans le cas exceptionnel où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en œuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ». Dans le cas d’espèce, le tribunal considéra que la servitude d’urbanisme, qui poursuivait un objectif d’intérêt général – la protection des zones littorales – s’appliquait à l’ensemble des terrains situés dans les zones précitées et qu’ainsi la charge supportée par les requérants résultant de l’inconstructibilité des parcelles leur appartenant ne pouvait être regardée comme spéciale. Les arrêts de la cour administrative d’appel de Marseille Les requérants firent appel et soutinrent notamment, en mentionnant l’article 1 du Protocole no 1, que le préjudice subi tenant à la perte de valeur vénale des lots revêtait un caractère spécial et exorbitant, dès lors que le lotissement était le seul de l’ensemble du secteur côtier à avoir été gelé et que la zone considérée était largement construite et traversée par la voie ferrée et une route au trafic important. La cour administrative d’appel de Marseille rejeta leurs appels par quatre arrêts du 3 mars 2005. S’agissant de M. Henri Malfatto, la cour releva que, s’il avait engagé entre 1965 et 1972 des travaux préparatoires et de viabilisation du lotissement, il n’avait engagé, entre 1972 et 1989, date à laquelle il s’était vu opposer un refus de permis de construire, aucune action tendant à la mise en œuvre des droits qu’il détenait de l’autorisation de lotir dont il bénéficiait depuis 1964 et à la réalisation de laquelle la servitude d’urbanisme aurait pu être opposée. Elle en déduisit qu’il ne démontrait pas que l’absence de réalisation complète de l’opération de lotissement résultait de l’inconstructibilité des terrains en cause en raison de l’intervention de la directive d’aménagement du littoral de 1979 et de la loi du 3 janvier 1986. La cour en conclut que le lien de causalité directe entre les préjudices allégués et l’institution de la servitude d’urbanisme incriminée n’était pas établi. S’agissant des trois autres requérants, la cour confirma les jugements du tribunal administratif sur leurs demandes d’indemnités correspondant au prorata du coût des travaux de viabilisation, au motif qu’ils ne justifiaient d’aucun préjudice personnel de ce chef. Elle considéra ensuite que si la délivrance d’une autorisation de lotir était susceptible de créer des droits, elle n’emportait pas, par elle-même, droit de construire. Dès lors, la perte de valeur vénale des lots concernés consécutive à l’institution de la servitude d’urbanisme ne constituait pas, selon la cour, une atteinte à un droit qu’auraient acquis les intéressés au sens de l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme. En outre, la cour releva que la servitude en cause était applicable sur tout le territoire national à l’ensemble des terrains situés dans la bande des cent mètres du rivage, sans que les intéressés puissent invoquer leur situation dans un secteur particulier. Elle estima que, dans ces conditions, les requérants n’établissaient pas que, par son contenu ou par les conditions dans lesquelles elle était intervenue, l’institution de cette servitude aurait fait peser sur eux une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec les justifications d’intérêt général sur lesquelles elle reposait. Les décisions du Conseil d’État Les requérants saisirent le Conseil d’État de pourvois en cassation contre ces arrêts, en se fondant notamment sur l’article 1 du Protocole no 1 et sur la jurisprudence de la Cour. Par arrêt du 27 juin 2007, le Conseil d’État rejeta le pourvoi formé par M. Mieille. Il approuva en premier lieu la cour administrative d’appel d’avoir jugé qu’il n’avait pas supporté personnellement les dépenses d’équipement et de desserte du lotissement et que les dispositions de l’article L. 160-5 du code faisaient obstacle à l’indemnisation de la perte de valeur vénale du terrain, cette valeur comprenant notamment la part des dépenses d’équipement supportées par le vendeur du lot et répercutée dans le prix de vente du terrain. Rappelant par ailleurs sa jurisprudence en la matière (voir paragraphe 37 ci-dessous), le Conseil d’État considéra que c’était à bon droit que la cour avait jugé que le requérant ne pouvait prétendre avoir subi une charge spéciale et exorbitante, compte tenu de ce que la servitude s’appliquait à l’ensemble des terrains situés dans la bande de cent mètres du rivage. Entre temps, par trois décisions du 22 mars 2006, le Conseil d’État avait déclaré non admis les pourvois des consorts Malfatto, au motif qu’aucun des moyens de cassation qu’ils soulevaient n’était de nature à en permettre l’admission. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La « loi littoral » et les textes antérieurs Les principales dispositions de la loi no 86-2 du 3 janvier 1986 dite « loi littoral » relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral sont résumées dans les arrêts Depalle c. France ([GC], no 34044/02, §§ 45-51, CEDH 2010) et Brosset-Triboulet et autres c. France ([GC], no 34078/02, §§ 45-51, 29 mars 2010). Cette loi a été précédée par différents textes et notamment par une directive d’aménagement national du 25 août 1979. Cette directive, dite « directive d’Ornano », relative à la protection et à l’aménagement du littoral, prévoyait notamment la préservation d’une bande littorale d’une profondeur de cent mètres le long du rivage. Elle a été introduite dans le code de l’urbanisme (ci-après le code) par le décret 79-716 du 25 août 1979. Afin de préserver les espaces naturels, la « loi littoral » a instauré une « inconstructibilité » à l’intérieur d’une bande de cent mètres, hors agglomération, à partir du rivage et imposé une urbanisation limitée des espaces proches du rivage (Depalle, précité, § 46). L’article L. 146-4 III, introduit dans le code par cette loi (entre temps abrogé mais dont les dispositions sont reprises à l’article L. 121-16 du code), se lit ainsi : « En dehors des espaces urbanisés, les constructions ou installations sont interdites sur une bande littorale de cent mètres à compter de la limite haute du rivage (...) » B. Les conditions d’indemnisation des servitudes d’urbanisme L’article L. 160-5 du code de l’urbanisme dispose : « N’ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées (...) concernant, notamment, (...) l’interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies (...). Toutefois, une indemnité est due s’il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l’état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d’accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d’occupation des sols rendu public ou du plan local d’urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu. » Dans un arrêt du 3 juillet 1998, dont la solution a été réitérée de façon constante (Bitouzet, Recueil Lebon p. 228), le Conseil d’État a interprété cet article à la lumière de l’article 1 du Protocole no 1 et a précisé qu’il ne s’agissait pas d’un principe général et absolu, en droit français, de nonindemnisation des servitudes d’urbanisme. Le Conseil d’État a en effet affirmé ce qui suit : « Considérant que si les stipulations (...) [de l’article 1 du Protocole no 1] ont pour objet d’assurer un juste équilibre entre l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde du droit de propriété, elles laissent au législateur une marge d’appréciation étendue, en particulier pour mener une politique d’urbanisme, tant pour choisir les modalités de mise en œuvre d’une telle politique que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre les objectifs poursuivis par la loi ; Considérant que, d’une part, l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme subordonne le principe qu’il édicte de nonindemnisation des servitudes d’urbanisme à la condition que cellesci aient été instituées légalement, aux fins de mener une politique d’urbanisme conforme à l’intérêt général et dans le respect des règles de compétence, de procédure et de forme prévues par la loi ; que, d’autre part, cet article ne pose pas un principe général et absolu, mais l’assortit expressément de deux exceptions touchant aux droits acquis par les propriétaires et à la modification de l’état antérieur des lieux ; qu’enfin, cet article ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d’une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l’ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en œuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi ; que dans ces conditions le requérant n’est pas fondé à soutenir que l’article L. 160-5 du code de l’urbanisme serait incompatible avec les stipulations de l’article 1er du protocole additionnel à la Convention (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et est détenu à la prison de Drobeta Turnu Severin. Le 28 octobre 2009, le requérant fut placé en détention à la suite de sa condamnation pénale à une peine d’emprisonnement de dix ans pour viol. Depuis cette date, il a purgé sa peine dans plusieurs prisons de Roumanie. A. Les conditions de détention à la prison de Bucarest-Jilava Le requérant a été détenu à la prison de Bucarest-Jilava du 14 septembre 2012 au 6 juin 2014, à l’exception des périodes pendant lesquelles il a été admis à l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava (paragraphes 16, 20 et 26 ci-dessous). Il a été par la suite transféré à la prison de Drobeta Turnu Severin. Le 28 août 2014, le requérant a été réincarcéré à la prison de Bucarest-Jilava. Le 20 août 2015, le requérant fut transféré à nouveau à la prison de Drobeta Turnu Severin. Les conditions matérielles de détention telles que décrites par le requérant Le requérant indique que, à la prison de Bucarest-Jilava, il a été détenu dans une cellule de 33,96 m² occupée par vingt-sept détenus. La cellule aurait été pourvue de quatre tables et six chaises. Les repas auraient été servis dans la cellule et les deux plats les composant auraient été présentés simultanément aux détenus. Le nombre de tables et de chaises aurait été insuffisant et l’espace aurait été très réduit, de sorte que le requérant aurait été obligé de prendre ses repas dans des conditions pénibles. Le requérant indique que la cellule disposait d’une salle de bains dotée de deux toilettes, de deux lavabos et de deux douches. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement Le Gouvernement indique que, pendant sa détention à la prison de Bucarest-Jilava jusqu’au 6 juin 2014, le requérant a été détenu successivement dans dixhuit cellules d’une superficie comprise entre 34,78 m² et 72,85 m², qu’il a dû partager avec un nombre variable de détenus allant de quatorze à quarantecinq. Ainsi, par exemple, le requérant aurait partagé pendant sept jours une cellule de 72,85 m² accueillant entre quatorze et quarante-cinq détenus. De même, pendant neuf mois, le requérant aurait été détenu dans une cellule de 43,43 m² en même temps que vingt-trois à vingt-sept détenus. Le Gouvernement précise que le requérant a été détenu sous le régime dit « semi-ouvert ». Le Gouvernement fournit les dimensions des fenêtres de chaque cellule. Il indique que les cellules étaient dotées de lits en métal disposant de matelas, de tables, de chaises et d’étagères. Il indique aussi que, à partir de l’année 2011, plusieurs travaux de modernisation ont été entrepris dans la prison, comme par exemple, la rénovation des installations électriques, de la tuyauterie, des cadres des portes et des fenêtres. De même, dans le cadre de ces travaux, les espaces sanitaires auraient été séparés des espaces de vie des cellules et les installations sanitaires auraient été remplacées. Le Gouvernement expose que les cellules bénéficiaient de lumière naturelle et artificielle et que des actions de désinsectisation et de dératisation étaient menées régulièrement. D’après le Gouvernement, l’eau froide était disponible en continu et les détenus pouvaient bénéficier de l’eau chaude dans les espaces communs auxquels ils auraient eu accès deux fois par semaine. Le Gouvernement indique que, le 19 mars 2015, l’administration de la prison a proposé au requérant de le transférer dans une autre cellule et que, par une note signée par lui, l’intéressé a répondu qu’il souhaitait rester dans la cellule E4.32, où il se trouvait, et conserver le lit qui lui avait été attribué. B. Le suivi de l’état de santé du requérant Il ressort de la fiche médicale établie lors du placement en détention du requérant, le 28 octobre 2009, que ce dernier était « cliniquement sain » (clinic aparent sănătos). Du 26 mai au 9 juin 2011, le requérant fut hospitalisé à l’hôpitalprison de Bucarest-Rahova où il subit, le 3 juin 2011, une intervention chirurgicale pour une hernie inguinale droite. Du 2 au 8 octobre 2012, le requérant fut hospitalisé au service de médecine interne de l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava pour des troubles digestifs. Il fut intégré dans un programme de dépistage des affections digestives et hépatiques. À la suite d’un contrôle médical réalisé pour évaluer les marqueurs viraux des hépatites, il fut établi que le requérant souffrait de l’hépatite virale C (purtator VHC). Une analyse biochimique du sang fut réalisée ; ses résultats relevèrent que les valeurs des enzymes ALAT, ASAT et GGT et de la bilirubine totale étaient normales. Dans une note résumant les examens médicaux réalisés pendant l’hospitalisation du requérant (scrisoare medicală), le médecin qui avait suivi l’intéressé indiqua que celui-ci présentait une bonne évolution de ses affections et qu’aucun examen supplémentaire n’était nécessaire à ce stadelà. Il recommanda au requérant de suivre une diète alimentaire et d’éviter de fumer. Il lui prescrivit un traitement médical symptomatique, des hépatoprotecteurs et une vitaminothérapie, avec la mention que ceux-ci devaient être administrés « en cas de besoin » (la nevoie). Une réévaluation de l’état de santé du requérant fut prévue dans les six mois. Le requérant bénéficia d’un régime alimentaire spécifique pour les personnes malades (norma 18). Pendant les mois de janvier, de février et de mars 2013, il reçut un traitement avec des hépatoprotecteurs. Le 21 février 2013, le requérant refusa d’être hospitalisé pour la réévaluation de son état de santé. Il ne ressort pas de sa fiche médicale quelles étaient les raisons invoquées par lui pour justifier son refus. Il en ressort en revanche que son état de santé devait être réévalué dans les six mois. Du 5 au 8 août 2013, le requérant fut hospitalisé au service de médecine interne de l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava pour un réexamen de ses fonctions hépatiques. Les analyses de sang réalisées relevèrent que les valeurs des enzymes ALAT et ASAT étaient légèrement supérieures à la normale. Lors de la sortie de l’hôpital, il fut recommandé au requérant de suivre un traitement avec des hépatoprotecteurs, une vitaminothérapie et un traitement symptomatique, à administrer en cas de besoin. Il lui fut également conseillé une réévaluation de son état de santé dans les six mois. Le requérant continua à bénéficier du régime alimentaire spécifique pour les personnes malades. Pendant les mois d’août, d’octobre et de décembre 2013, il bénéficia d’un traitement avec des hépatoprotecteurs. Il ressort de la liste des consultations médicales du requérant que, à la suite d’un examen médical du 9 décembre 2013 à la prison de Bucarest-Jilava, il avait été recommandé à l’intéressé une consultation médicale pour l’hépatite C à l’hôpital public Ion Cantacusino. À la fin du mois de décembre 2013 et en janvier 2014, le requérant reçut un traitement avec un hépatoprotecteur et des vitamines. Le 14 janvier 2014, le requérant refusa d’être hospitalisé pour la réévaluation de son état concernant l’hépatite C. Le 19 janvier 2014, le requérant fut examiné par un médecin spécialisé en maladies internes qui nota qu’il présentait un bon état général. Le 28 janvier 2014, le requérant fut examiné par le médecin de la prison. Celui-ci nota le diagnostic de « hépatopathie en observation » et indiqua que le requérant affirmait avoir eu des vomissements. Un traitement avec un antispasmodique fut prescrit et administré au requérant. Le 13 février 2014, le requérant se plaignit de palpitations. Il fut examiné par le médecin de la prison qui lui recommanda un examen cardiologique. Du 18 au 21 février 2014, le requérant fut hospitalisé au service de médecine interne et de cardiologie de l’hôpital-prison de Bucarest-Jilava au motif qu’il nécessitait une surveillance médicale pour des douleurs rétrosternales et qu’il était un patient présentant un facteur de risque étant donné qu’il était fumeur. Un électrocardiogramme et une prise de sang furent réalisés. L’analyse biochimique du sang révéla que l’enzyme ALAT atteignait une fois et demie la limite supérieure de la normale, que l’enzyme ASAT était légèrement supérieure à la normale et que la valeur de l’enzyme GGT était normale. Une attestation médicale établie à la fin de l’hospitalisation indiqua que le requérant présentait un angor intriqué (angor intricat de novo) et une hépatopathie probablement toxique (hepatopatie posibil toxică). Le requérant se vit prescrire un traitement pour son affection cardiaque, ainsi qu’un traitement avec un hépatoprotecteur pendant un mois. En mars 2014, la prison fit les démarches nécessaires pour l’achat de l’hépatoprotecteur qui fut effectivement administré au requérant au début et à la fin du mois de mai 2014. Il ressort du dossier médical du requérant que celui-ci avait reçu un traitement médical à base d’hépatoprotecteurs en juin et juillet 2014. C. La plainte du requérant auprès du juge délégué de la prison de Bucarest-Jilava Entre-temps, le 2 août 2013, le requérant avait saisi le juge délégué auprès de la prison de Bucarest-Jilava d’une plainte pour dénoncer les conditions matérielles de sa détention et une absence de traitement médical pour l’hépatite C. Par une décision du 19 août 2013, le juge délégué rejeta sa plainte. Il confirma les allégations du requérant selon lesquelles l’intéressé était détenu dans une cellule de 33,96 m² occupée par vingt-sept détenus et dotée de quatre tables et six chaises. Il estima ensuite que l’administration de la prison avait fait des efforts pour aménager la cellule, relevant que celle-ci avait été rénovée récemment. Il indiqua que le groupe sanitaire était séparé de la cellule et que cette dernière bénéficiait de lumière naturelle et artificielle. Il releva que l’existence des lits superposés à trois niveaux dans la cellule était due à une cause objective, à savoir à l’augmentation du nombre des personnes détenues et non pas à la mauvaise volonté de l’administration de la prison. Pour ce qui était du traitement médical accordé au requérant, le juge nota que l’intéressé bénéficiait du régime alimentaire spécifique accordé aux personnes malades et qu’un traitement et une vitaminothérapie allaient lui être administrés. Sur contestation du requérant, par un arrêt définitif du 4 décembre 2013, le tribunal de première instance de Bucarest confirma la décision susmentionnée du juge délégué en date du 19 août 2013. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce ainsi que les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) rendues à la suite de plusieurs visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme ses observations à caractère général, sont résumés dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 113-129, 24 juillet 2012). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines ainsi que la jurisprudence fournie par le Gouvernement sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT précisa : « § 70 : (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit. En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. » Dans son rapport, publié le 24 novembre 2011 à la suite de sa visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires, le CPT a conclu que le taux de surpopulation des établissements pénitentiaires restait un problème majeur en Roumanie. Selon les statistiques fournies par les autorités roumaines, les quarante-deux établissements pénitentiaires du pays, d’une capacité totale de 16 898 places, comptaient 25 543 détenus au début de l’année 2010 et 26 971 détenus en août 2010 et le taux d’occupation était très élevé (150 % ou plus) dans la quasi-totalité de ces établissements. Dans son dernier rapport publié le 24 septembre 2015 à la suite de sa visite du 5 au 17 juin 2014 dans trois prisons de Roumanie, le CPT a relevé que le surpeuplement demeurait un problème important dans les établissements pénitentiaires du pays. Il nota qu’au moment de la visite, la population carcérale s’élevait à 32 428 détenus pour 19 427 places et fit appel aux autorités roumaines afin de prendre les mesures qui s’imposaient en vue de respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu en cellules collectives dans deux des trois prisons visitées.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et réside à Bucarest. Accusé d’avoir tué sa compagne, il fut placé en garde à vue le 9 juin 1993, puis en détention provisoire. Le 30 mai 1997, alors que son pourvoi contre la décision l’ayant condamné du chef de meurtre aggravé était pendant devant la Cour suprême de justice, le requérant fut remis en liberté en raison de la gravité de son état de santé, eu égard notamment aux suites d’une opération d’un carcinome et à ses maladies oculaires (pour plus de détails, voir Bragadireanu c. Roumanie, no 22088/04, §§ 48-68, 6 décembre 2007). En août 2003, une commission d’invalidité délivra un certificat au requérant. Ce document attestait que celui-ci était atteint d’un handicap grave et précisait que, selon la loi, ce handicap donnait le droit à l’intéressé de bénéficier d’un assistant personnel. Le 10 mars 2004, le requérant fut réincarcéré après sa condamnation définitive à une peine de vingt ans de prison ferme par la Cour suprême de justice le 12 février 2004. A. L’assistance médicale fournie au requérant Depuis le 8 juillet 2009, le requérant est incarcéré à la prison de Jilava. Selon les documents médicaux versés au dossier, il souffre, entre autres (paragraphe 7 ci-dessus), d’une duodénite et de diabète. Le 24 octobre 2011, le requérant, à qui il manquait la plupart de ses dents, sollicita la pose d’une prothèse dentaire. Pour les soins préparatoires et en l’absence de l’équipement nécessaire, il fut envoyé pendant de longues périodes à l’hôpital militaire de Bucarest pour des extractions des racines dentaires. Il subit ainsi des interventions chirurgicales les 16 et 18 janvier 2012 et le 27 février 2012. Il vit plusieurs autres interventions être ajournées pour différentes raisons : les 29 février et 12 mai 2012 en raison de l’indisponibilité du moyen de transport de la prison ; les 9 et 18 avril 2012 en raison du retard avec lequel il avait été déposé à l’hôpital ; le 7 mai 2012 en raison de ses problèmes de nature cardiaque ; et le 15 novembre 2012 en raison du retard avec lequel il avait été informé du rendez-vous médical, qui l’aurait mis dans l’impossibilité d’arrêter son traitement anticoagulant. En 2012, une tumeur bénigne au niveau d’une dent fut décelée lors d’un contrôle et une intervention chirurgicale fut envisagée. Le 15 juillet 2013, le requérant demanda la continuation du traitement opératoire à l’hôpital militaire. Le 13 août 2013, après avoir examiné le requérant, le médecin stomatologue de la prison proposa à ce dernier de continuer le traitement opératoire dans le cabinet de la prison. Le requérant déclina cette proposition au motif qu’il souffrait d’affections graves, que celles-ci constituaient un risque sérieux pour toute intervention chirurgicale et que le cabinet en question était sous-équipé. Le 3 octobre 2013, le requérant fut soumis à un examen radiologique à l’hôpital militaire. S’agissant de la tumeur bénigne identifiée en 2012 (paragraphe 12 ci-dessus), une nouvelle intervention chirurgicale fut proposée à l’intéressé, mais celui-ci s’y opposa. Selon le requérant, le médecin stomatologue l’avait informé à cette occasion que l’ablation de la tumeur devait être suivie d’une procédure d’ossification artificielle qui n’aurait pu être effectuée que dans une clinique spécialisée. Eu égard au coût de cette intervention – qui aurait été d’environ 600-700 euros (EUR) – et à la circonstance que la commission chargée d’examiner la possibilité d’une libération conditionnelle se réunissait dans quelques mois, le requérant décida de reporter cette intervention après sa libération. Ayant été informé que l’intervention en question n’était pas indispensable pour la réalisation de la prothèse dentaire, et compte tenu de ses problèmes digestifs, il demanda au médecin l’accélération du traitement en vue de la pose d’une prothèse dentaire. Le 7 octobre 2013, le requérant subit une nouvelle extraction dentaire à l’hôpital militaire. Le 8 octobre 2013, il sollicita à nouveau la pose d’une prothèse dentaire. À la suite de sa demande, il fut examiné le 24 octobre 2013 par le médecin dentiste de la prison. Celui-ci attira son attention sur la nécessité de procéder à une extraction supplémentaire. Le requérant demanda un autre rendez-vous à cette fin. D’après une lettre envoyée par l’Administration nationale des prisons (« l’ANP ») le 13 février 2015 à l’agent du Gouvernement, la prothèse dentaire ne pouvait être réalisée faute de matériaux nécessaires. Le 9 janvier 2014, le requérant saisit le juge d’application des peines pour se plaindre d’une absence de démarches de la part des autorités pénitentiaires en vue de la continuation du traitement dentaire. Sur demande du juge, les autorités pénitentiaires de la prison de Jilava informèrent ce dernier que le requérant avait été examiné le 24 octobre 2013 (paragraphe 17 ci-dessus) et qu’il lui avait été indiqué à cette occasion qu’une nouvelle extraction dentaire s’imposait en raison de la présence d’une carie compliquée. Elles précisaient que l’intéressé avait refusé de donner son accord à cette intervention au motif qu’il n’était pas psychologiquement prêt à subir une nouvelle extraction et qu’il solliciterait un rendez-vous quand son état de santé le permettrait. Le requérant aurait été informé en outre de ce que, en attendant la finalisation des soins préparatoires, le laboratoire était en train de se procurer les matériaux nécessaires pour la prothèse. Par ailleurs, le requérant n’aurait pas demandé la poursuite des soins après la date susmentionnée. Par une décision du 21 janvier 2014, sur la base des informations fournies par les autorités pénitentiaires, le juge d’application des peines rejeta la plainte du requérant. Le requérant contesta cette décision. En réponse aux informations fournies par les autorités de la prison de Jilava (paragraphe 19 ci-dessus), il soutenait qu’il avait demandé l’ajournement de l’extraction en raison d’une nécessité pour lui d’interrompre son traitement anticoagulant quelques jours avant une telle intervention, et non pas parce qu’il n’aurait pas été psychologiquement prêt. Il affirmait également que, après octobre 2013, il avait demandé à plusieurs reprises au surveillant de section de la prison de téléphoner pendant les heures d’ouverture au cabinet de stomatologie, qui aurait été joignable uniquement le mardi pendant deux heures, ce que ledit surveillant aurait fait, mais sans succès. Par une décision définitive du 19 mars 2014, le tribunal de première instance du 4e arrondissement de Bucarest confirma la décision du juge d’application des peines du 21 janvier 2014 (paragraphe 20 ci-dessus). Il observait que, le 5 février 2014, le requérant avait déposé une nouvelle demande pour la pose de deux prothèses dentaires et que, le 11 février 2014, le médecin de la prison avait indiqué que le détenu devait avoir sur son compte la somme correspondant au coût des deux prothèses, à savoir 1 200 lei roumains (RON – soit environ 300 EUR). Le tribunal constatait ensuite que le détenu, dont la fonction masticatoire était gravement altérée et qui souffrait en conséquence de problèmes digestifs, ne disposait pas de la somme correspondant à sa quote-part du coût du traitement prothétique, et il relevait que, selon les dispositions légales en vigueur, le coût des soins et/ou de la prothèse devait être supporté par les autorités dans la mesure des fonds disponibles. À cet égard, il notait que le requérant avait produit devant lui un document délivré par les autorités financières attestant qu’il n’avait pas de revenus, mais qu’il ne ressortait pas du dossier qu’il avait fourni le même document aux autorités pénitentiaires. En septembre et octobre 2014, le requérant subit, à sa demande, de nouveaux examens à l’hôpital militaire de Bucarest. Le 11 janvier 2015, il fut soumis à un contrôle approfondi à l’hôpital pénitentiaire de Jilava. À cette occasion, un protocole thérapeutique comprenant un assainissement global de la cavité buccale et la réalisation de prothèses dentaires fut établi, et le médecin nota que le requérant demandait le report de l’ablation de la tumeur bénigne (paragraphes 12 et 15 ci-dessus). Faute de disponibilité d’un médecin stomatologue à la prison de Jilava, les examens suivants furent réalisés à l’hôpital militaire de Bucarest. Le 25 mars 2015, le requérant fut à nouveau examiné par un médecin stomatologue, qui conseilla l’assainissement global de la cavité buccale ; il demanda le report de toute intervention après le 16 avril 2015. Un autre examen fut prévu pour la date du 12 mai 2015. Toutefois, selon le requérant, l’examen a été reporté au motif que deux radiographies manquaient. Le 24 juin 2015, le requérant fut soumis à un nouvel examen. Par une lettre du 26 juin 2015, l’ANP informa l’agent du Gouvernement que le versement des frais nécessaires pour la réalisation des prothèses dentaires sollicitée par le requérant « serait approuvé après le début de l’intervention ». Un examen qui avait été prévu pour le 19 juillet 2015 fut également reporté. À cet égard, le requérant indique que l’ambulance de la prison était indisponible ce jour-là, qu’il lui avait été proposé d’être transporté dans un autre véhicule avec deux autres détenus et qu’il s’y était refusé aux motifs qu’il avait une autorisation pour un transport individuel et qu’il régnait une forte chaleur qui, finalement, aurait déterminé les deux autres détenus à renoncer au transport. Un nouvel examen fut fixé pour le mois d’août 2015. Le 23 juillet 2015, le requérant se vit octroyer la libération conditionnelle. D’après le registre de la prison de Jilava, entre janvier 2014 et mars 2015, le requérant a reçu plusieurs sommes d’argent, comprises entre 100 et 900 RON par mois (environ entre 20 et 200 EUR), de la part de sa famille. Ces sommes auraient été utilisées dans leur intégralité pour des achats réalisés dans le magasin de la prison ou des communications téléphoniques. B. La demande de sortie de prison pour les obsèques de la mère du requérant Le 9 décembre 2013, le requérant demanda à la direction de la prison de Jilava l’autorisation de sortir afin de pouvoir assister aux obsèques de sa mère, qui devaient avoir lieu le 11 décembre 2013. Le 11 décembre 2013, la « commission des récompenses » de la prison rejeta la demande au motif que, eu égard au crime pour lequel le requérant avait été condamné, à savoir un meurtre aggravé, il y avait un risque que l’intéressé commît à nouveau des infractions. Il ressortait de la décision de la commission que le requérant avait jusque-là reçu de nombreuses récompenses pour bon comportement et que le chef de la section de la prison où il était incarcéré avait donné un avis favorable à sa demande. Par une décision du 22 janvier 2014, le juge d’application des peines rejeta la plainte que le requérant avait formée contre la décision susmentionnée. Pour ce faire, le juge notait que, selon les normes d’application de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 275/2006 » – paragraphes 38-39 ci-après), l’autorisation de sortie était accordée en tant que récompense en cas de conduite constamment positive et s’il existait la conviction qu’une nouvelle infraction n’allait pas être perpétrée. Le juge estimait que, en l’espèce, le requérant avait fait preuve d’une conduite constamment positive étant donné qu’il ne s’était vu infliger aucune sanction au cours de ses quatorze années d’emprisonnement à la prison de Jilava, qu’il avait reçu plusieurs récompenses pour comportement adéquat et qu’il bénéficiait d’un régime « semi-ouvert ». Il considérait toutefois que, eu égard à la condamnation du requérant à une peine de vingt ans de prison ferme pour meurtre aggravé (paragraphe 9 ci-dessus), l’on ne pouvait pas accorder à l’intéressé, de manière suffisante, le crédit qu’il ne commettrait pas une nouvelle infraction. Le juge soulignait en outre que l’autorisation de sortie était une simple possibilité dont l’opportunité était appréciée par la « commission des récompenses », et non un droit pour le détenu. Le 5 mars 2014, sur recours du requérant, le tribunal de première instance du 4e arrondissement de Bucarest confirma la décision du 22 janvier 2014 (paragraphe 35 ci-dessus). Le tribunal soulignait lui aussi que l’autorisation de sortie était une simple possibilité pour le détenu et précisait que le droit d’accorder une telle récompense appartenait, bien que de manière non discrétionnaire, à la commission compétente de la prison. Il mentionnait aussi les antécédents pénaux du requérant, sans plus de précisions. Il ajoutait que les réglementations en vigueur en la matière avaient été respectées et que la loi no 254/2013 sur l’application des peines, qui avait remplacé la loi no 275/2006, contenait des dispositions identiques en matière d’autorisation de sortie de la prison. Enfin, renvoyant à l’affaire Maiorano et autres c. Italie (no 28634/06, § 111, 15 décembre 2009), le tribunal relevait que, lorsqu’une personne purgeait une peine d’emprisonnement pour avoir commis un crime violent, la nature de l’infraction en cause et les antécédents pénaux de l’intéressé étaient suffisants pour faire naître dans le chef des autorités nationales l’obligation positive d’assurer une protection générale de la société contre les agissements éventuels de cette personne. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce en matière d’assistance médicale dentaire en prison sont décrites dans l’affaire Drăgan c. Roumanie (no 65158/09, §§ 56-59, 2 février 2016). Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sont ainsi libellées : Chapitre IX Récompenses, fautes disciplinaires et sanctions Article 68 §§ 1 et 2 (Les récompenses) « 1. Les personnes condamnées ayant une bonne conduite et qui ont fait preuve d’assiduité dans le travail ou dans le cadre des activités éducatives, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle peuvent se voir accorder les récompenses suivantes : (...) e) l’autorisation de sortie de la prison pour un jour, mais pas plus de quinze jours par an ; f) l’autorisation de sortie de la prison pendant une période de cinq jours au maximum, mais pas plus de vingt-cinq jours par an ; g) l’autorisation de sortie de la prison pour une période de dix jours au maximum, mais pas plus de trente jours par an. Les récompenses énumérées [au point] e) [du premier alinéa] peuvent être accordées par une commission comprenant le directeur [de la prison], le directeur adjoint pour la sécurité de la détention et le régime pénitentiaire ainsi que le directeur adjoint pour l’éducation et l’assistance psychosociale, sur proposition du personnel menant des activités directes avec les personnes condamnées et de celui du département de la production, et après obtention de l’avis du chef de la section de la prison où est incarcéré l’intéressé (...). » Article 69 §§ 1 et 5 (L’autorisation de sortie de la prison) « 1. L’autorisation de sortie de la prison peut être accordée, sur la base de l’article 68, dans les cas suivants : (...) c) pour le maintien des relations de famille de la personne condamnée ; (...) e) pour la participation de la personne condamnée aux obsèques du mari, de la femme, de l’enfant, du parent, du frère, de la sœur, du grand-père ou de la grand-mère. (...) L’autorisation de sortie de la prison pour le cas prévu au point e) du premier alinéa peut être accordée pour une durée maximale de cinq jours à toute personne condamnée, indifféremment du régime de l’exécution de la peine, si elle remplit les conditions prévues à l’article 68 § 1. » L’article 147 des normes d’application de la loi no 275/2006, approuvées par l’arrêté du Gouvernement no 1897/2006, était ainsi libellé : L’octroi de la récompense consistant en l’autorisation de sortie du centre de détention « L’autorisation de sortie du centre de détention prévue à l’article 68 § 1 e) -g) de la loi peut être accordée uniquement aux personnes privées de liberté qui ont eu une conduite constamment positive et à qui l’on peut accorder, de manière suffisante, le crédit qu’elles ne commettront pas une nouvelle infraction. La commission prévue à l’article 68 § 2 de la loi octroie la récompense prévue à l’article 68 § 1 e) de la loi (...) après examen approfondi, selon la procédure fixée par une décision du directeur général de l’Administration nationale des prisons. » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la « procédure relative à l’octroi des récompenses sur la base d’un système de crédits », adoptée par l’ANP, en vigueur du 14 juin 2013 au 10 avril 2016, étaient ainsi libellées à l’époque des faits : Article 2 « Le détenu se voit octroyer une seule récompense au cours d’un mois, à l’exception des situations prévues à l’article 69 § 1 (...) e) (...). » Article 4 « 1. Lors de l’examen des propositions d’octroi de la récompense consistant en l’autorisation de sortie de la prison, il est pris en compte dans quelle mesure les détenus : a) ont une conduite constamment positive ; b) démontrent de l’assiduité dans leur travail ; c) participent activement aux activités éducatives, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle ; d) [se voient accorder le crédit] qu’ils ne commettront pas une nouvelle infraction ; e) ne sont pas poursuivis dans d’autres affaires ; f) sont visés par des affaires judiciaires [qui sont] inscrites au rôle des autorités [judiciaires et] dont l’objet peut influencer leur conduite ou leur comportement au cours de l’autorisation de sortie de la prison ; g) sont classés dans la catégorie des personnes à risque pour la sécurité de la prison. Afin d’établir si les conditions et critères cumulatifs prévus par la loi sont réunis, les éléments suivants concernant la personne du détenu seront pris en compte également : a) la nature de l’infraction ; b) la durée de la peine ; c) le régime d’exécution ; d) le nombre et la nature des récompenses déjà accordées ; e) la durée de la peine déjà purgée par rapport au restant à purger jusqu’à l’examen par la commission de la libération conditionnelle ; f) les antécédents pénaux ; g) l’appartenance à des groupes de crime organisé ; h) le comportement lors de la réincarcération après une autorisation de sortie de la prison accordée antérieurement ; i) le comportement avant l’arrestation et l’image du détenu dans la communauté ; seront prises en compte notamment les données inscrites dans le dossier personnel de la personne privée de liberté ; j) le maintien des liens familiaux ; k) l’existence de soupçons quant à la possession, la consommation ou le trafic d’objets ou de substances interdits. » Selon le règlement relatif à la sécurité des centres de détention relevant de l’ANP, adopté le 24 juin 2010, les personnes privées de liberté peuvent faire l’objet d’une escorte aux fins de leur présentation devant les autorités judiciaires, sur leur lieu de travail, aux cliniques, hôpitaux ou à d’autres endroits extérieurs au centre de détention, établis par le directeur du centre (article 146).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, Hasan Yaşar (né en 1944), Ayişe Yaşar (née en 1952), Halime Yaşar (née en 1980), Harun Yaşar (né en 2002) et Devran Yaşar (né en 2004), sont des ressortissants turcs. M. Hasan et Mme Ayişe Yaşar sont respectivement le père et la mère de İkbal Yaşar (né en 1979 et décédé le 23 mars 2008). Mme Halime Yaşar est la veuve de İkbal Yaşar. Quant à MM. Harun et Devran Yaşar, ils sont les fils de celui-ci. A. L’incident du 23 mars 2008 Le Gouvernement indique que, le 22 mars 2008, vers 21 h 10, la police avait reçu un appel anonyme selon lequel, au cours des manifestations devant se dérouler le lendemain, des provocateurs, infiltrés parmi les manifestants, tireraient sur des personnes considérées par l’organisation illégale armée PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) comme étant des « espions à la solde de l’État ». Il ajoute que, les 23 et 24 mars 2008, de nombreuses manifestations illégales avaient été organisées dans différents quartiers de Yüksekova (Hakkari) à l’occasion des célébrations de la fête du Nevruz. Il expose notamment que des personnes au visage caché avaient bloqué des routes, dressé des barricades et attaqué les forces de l’ordre en lançant des pierres et des cocktails Molotov. Il précise que les forces de l’ordre avaient utilisé des canons à eau et du gaz lacrymogène contre les manifestants. Lors des manifestations qui eurent lieu le 23 mars 2008, İkbal Yaşar fut atteint par une balle. Il succomba à ses blessures lors de son transfert à l’hôpital public de Yüksekova. Les éléments suivants ressortent du dossier. Le jour de l’incident, les proches de İkbal Yaşar – à savoir S.Y., son oncle, et Sa.Y., B.Y. et Ca.Y., ses cousins –, ayant remarqué que leur parent était blessé, tentèrent d’emmener ce dernier à l’hôpital public de Yüksekova dans un taxi conduit par C.Y. Toutefois, sur la route de l’hôpital, au niveau de l’avenue Cengiz Topel, les forces de l’ordre firent signe à C.Y. de s’arrêter. Celui-ci refusa d’obtempérer et les policiers arrêtèrent le véhicule en brisant son pare-brise. Ensuite, İkbal Yaşar fut transféré à l’hôpital dans une ambulance. Au moment où celle-ci arriva à l’hôpital, İkbal Yaşar était déjà décédé. Le même jour, les policiers établirent un procès-verbal d’incident et d’arrestation. Ce document donnait la version des faits suivante. Le 23 mars 2008, à partir de 7 h 30, les forces de l’ordre avaient été déployées à proximité des points sensibles du centre-ville pour faire face à une manifestation non autorisée. Les manifestants s’étant mis à scander des slogans en faveur d’une organisation illégale, à attaquer les forces de l’ordre par des jets de pierres et de cocktails Molotov et à dresser des barricades dans les rues situées à proximité du quartier de Kuruköy, les forces de l’ordre étaient intervenues avec des canons à eau et du gaz lacrymogène. Vers 12 h 15, une voiture en provenance de la route de Şemdinli avait refusé d’obtempérer à une injonction de s’arrêter ; sur ce, elle avait été arrêtée par un coup sur le pare-brise. Trois personnes étaient descendues de la voiture et avaient tenté de prendre la fuite, puis avaient été arrêtées par la police. La présence d’un blessé ayant été remarquée sur le siège arrière du véhicule, celui-ci avait été transféré dans une ambulance et immédiatement conduit à l’hôpital. Après leur identification, les personnes arrêtées (Ca.Y., S.Y., Sa.Y. et B.Y.) avaient été relâchées par la police. B. L’enquête menée par le parquet Le procureur de la République de Yüksekova engagea immédiatement une enquête pénale au sujet du décès de İkbal Yaşar et demanda aux forces de l’ordre de délimiter et d’inspecter les lieux de l’incident. En dépit de l’ordre du procureur de la République de Yüksekova, les forces de l’ordre ne purent se rendre sur les lieux de l’incident le jour même à cause d’un appel anonyme selon lequel les membres de l’organisation terroriste PKK avaient posé une bombe à l’endroit où İkbal Yaşar avait été blessé et projetaient de l’exploser lorsque les experts se rendraient sur place. Toujours le 23 mars 2008, une autopsie fut réalisée en présence du procureur de la République de Yüksekova et d’un médecin légiste. Le rapport mentionnait la présence d’un orifice d’entrée de balle dans la région paravertébrale dorsale droite (dos) et d’un orifice de sortie de balle dans la zone pectorale droite (épaule). Selon le rapport, la blessure des organes internes avait été causée par une balle qui provenait d’une arme à canon long et qui avait été tirée depuis une distance de plus de 75 cm, considérée comme longue pour les armes de ce type. Le rapport mentionnait qu’aucune balle n’avait toutefois été extraite du corps du défunt. Il concluait que le décès résultait d’une hémorragie intérieure et extérieure provoquée par la balle, qui avait causé une fragmentation osseuse. Le même jour, la section antiterroriste de la direction de la sûreté de Yüksekova recueillit les dépositions de S.Y., B.Y., C.Y., Ca.Y. et Sa.Y. S.Y. fit la déclaration suivante : il était chez lui lors des manifestations ; aux environs de 11 heures, il avait entendu un vacarme et avait vu des gens qui couraient ; on lui avait dit que İkbal Yaşar était blessé, et il avait vu des personnes portant son neveu sur leur dos ; il avait appelé un taxi et entrepris de conduire le blessé à l’hôpital avec Ca.Y., Sa.Y. et B.Y. ; sur la route de l’hôpital, un véhicule militaire avait voulu arrêter le taxi, mais celui-ci ne s’était pas arrêté en raison de l’urgence due à l’état de İkbal Yaşar; les militaires, qui avaient barricadé la route, avaient arrêté le taxi par la force ; ensuite, İkbal Yaşar avait été conduit à l’hôpital. S.Y. précisa qu’il n’avait pas vu où İkbal Yaşar était blessé. En réponse à une question, il indiqua également ne pas avoir remarqué auparavant des ecchymoses ou des bleus sur le visage de İkbal Yaşar. B.Y. confirma la déposition de S.Y., en ajoutant ce qui suit : il avait reçu un coup de fil de la part de son cousin, qui lui aurait dit que İkbal Yaşar était blessé ; il s’était rendu sur les lieux et avait tenté de conduire İkbal Yaşar rapidement à l’hôpital. Sa.Y. confirma les déclarations de S.Y. et B.Y. Il déclara notamment ceci : alors qu’il se trouvait à l’intérieur d’un bâtiment, il avait entendu, aux environs de 12 heures, un vacarme qui venait de l’extérieur ; il avait ensuite quitté le bâtiment et avait vu un groupe composé de 150200 personnes qui marchaient en scandant des slogans en faveur du PKK ; il avait également vu un blessé être transporté par un petit groupe de personnes et avait constaté qu’il s’agissait de son cousin İkbal Yaşar; il avait alors tenté d’emmener le blessé à l’hôpital. Ca.Y. déposa comme suit : le jour de l’incident, il assistait aux cérémonies du Nevruz ; en repartant vers son domicile, il avait rencontré son cousin İkbal Yaşar ; tous deux avaient commencé à regarder un groupe de personnes qui scandaient des slogans en faveur du PKK ; eux-mêmes ne s’étaient pas mêlés au groupe de manifestants et s’étaient arrêtés devant un mur ; İkbal Yaşar s’était placé devant lui, à deux-trois mètres de distance, en lui tournant le dos et en regardant dans la direction des manifestants ; puis, vers 12 h 30, des coups de feu avaient retenti et quelques personnes avaient pris la fuite vers une zone arborée ; il avait vu İkbal Yaşar tomber par terre et avait ensuite tenté de l’emmener à l’hôpital. C.Y., conducteur de taxi, déclara ce qui suit : le jour de l’incident, aux environs de 13 heures, trois personnes lui avaient demandé de conduire un blessé à l’hôpital ; alors qu’il conduisait le blessé et les trois autres personnes vers l’hôpital, les militaires avaient tenté d’arrêter son taxi ; les passagers n’avaient pas voulu qu’il s’arrêtât, et il avait été obligé de poursuivre sa route ; puis, en se dirigeant vers l’hôpital, le pare-brise de son véhicule avait été brisé et il avait dû s’arrêter ; les trois personnes susmentionnées avaient voulu prendre la fuite et les policiers les avaient arrêtées. Le 17 avril 2008, le procureur de la République de Yüksekova recueillit les dispositions de proches du défunt, Halime Yaşar, sa veuve, Fazile Yaşar, sa sœur, et Hasan Yaşar, son père, au sujet d’hématomes et ecchymoses antérieurs à l’incident observés sur le visage de İkbal Yaşar. Tous les témoins indiquèrent qu’ils ne les avaient pas remarqués auparavant. Par ailleurs, Ca.Y. fut entendu à nouveau par le procureur de la République de Yüksekova. Il réitéra sa déclaration faite le 23 mars 2008. En outre, il ajouta ce qui suit : « [Lors de l’incident,] la distance qui séparait les manifestants et la police était de 100150 mètres environ. Nous nous trouvions derrière les manifestants à une distance de 50 mètres et [les policiers avaient] le visage tourné vers nous. Les manifestants scandaient des slogans et lançaient des pierres vers la police depuis leur barricade. De son côté, la police répliquait par des jets de gaz lacrymogène. Alors que [nous observions ce qui se passait], [nous avons] entendu un coup de feu provenant de la zone arborée qui se trouvait juste en face de moi. J’ai également vu quelques personnes prendre la fuite (...) J’ai vu İkbal Yaşar tomber par terre (...) » Le 26 mars 2008, la section antiterroriste de la direction de la sûreté de Yüksekova adressa au parquet de Yüksekova une lettre dans laquelle elle précisait que, en dépit de toutes les recherches effectuées, les personnes ayant causé le décès de İkbal Yaşar n’avaient pas pu être identifiées. Le 28 mars 2008, deux policiers se rendirent à l’endroit où le proche des requérants avait été blessé et dressèrent un procès-verbal de reconnaissance des lieux. Ils précisaient dans ce document que, du 23 mars au 28 mars 2008, aucune autorité d’enquête n’avait pu se rendre sur les lieux de l’incident pour des raisons de sécurité liées au climat, qualifié de tendu, qui y régnait. Aucun élément de preuve ne fut retrouvé. Des photographies des lieux furent prises. Le 28 avril 2008, le parquet de Yüksekova demanda aux chaînes télévisées de lui adresser les enregistrements vidéo des manifestations qui avaient eu lieu les 23 et 24 mars 2008. Se référant à un rapport d’inspection du 12 mai 2008 établi par un inspecteur du ministère de l’Intérieur et un inspecteur de la police, le Gouvernement indique que ceux-ci sont parvenus à la conclusion que les forces de l’ordre n’avaient pas employé une force excessive lors des manifestations des 23 et 24 mars 2008. Il précise qu’il ressort en particulier de ce rapport que de nombreuses barricades avaient été dressées dans différents quartiers du district et que les manifestants avaient violemment attaqué les forces de l’ordre en lançant des pierres et des cocktails Molotov. Il ajoute que ces attaques étaient dirigées vers les logements des forces de l’ordre et que, compte tenu de la gravité de la situation, ces dernières avaient été obligées d’intervenir non seulement en utilisant des véhicules blindés et des bombes lacrymogènes mais aussi en tirant des coups de semonce. Il indique aussi que, lors de ces événements, vingt-et-un policiers avaient été blessés et de nombreux véhicules de police endommagés. Le 21 mai 2008, le procureur de la République de Yüksekova entendit B.Y., S.Y. et Sa.Y. Ceux-ci déclarèrent ne pas avoir vu la manière dont İkbal Yaşar avait été blessé. Le 22 mai 2008, le procureur de la République de Yüksekova entendit de nouveau C.Y., conducteur de taxi. Celui-ci déclara à son tour ne pas avoir vu la manière dont İkbal Yaşar avait été blessé. À la suite d’une demande du parquet de Yüksekova formulée le 26 mai 2008, des experts établirent des relevés des enregistrements vidéo des manifestations litigieuses et ceux-ci furent versés au dossier. Dans leur rapport, les experts précisaient que de nombreux manifestants avaient couvert leur visage et qu’il n’existait pas d’images nettes concernant İkbal Yaşar et l’incident. Il ressortait également de ce rapport que de nombreux manifestants avaient lancé des pierres contre les forces de l’ordre et que celles-ci avaient utilisé des armes à feu dans différents quartiers, dont celui de Kuruköy, où İkbal Yaşar avait été blessé par balle. Le 2 juin 2008, un rapport balistique sur les vêtements de İkbal Yaşar réalisé par la section spécialisée en physique de l’institut médicolégal fut versé au dossier. Selon ce rapport, le tir en cause n’était pas un tir à courte distance, mais il était impossible d’en déterminer la distance exacte. Toujours selon ce rapport, aucune trace de poudre n’avait été relevée sur les vêtements du défunt. Le 5 juin 2008, le laboratoire rattaché au service criminel régional de la gendarmerie dressa un rapport, lequel faisait état de l’absence de traces de poudre sur les mains de S.Y., Ca.Y., Sa.Y. et B.Y. À la demande du procureur de la République de Yüksekova, le 7 juillet 2008, le même laboratoire établit un rapport d’expertise. Celui-ci faisait état de l’absence de traces de poudre sur les mains du défunt. Le 5 août 2008, le procureur de la République de Yüksekova se déclara incompétent et transmit le dossier au procureur de la République de Van, qui, d’après l’article 250 du code de procédure pénale, était compétent pour enquêter sur les infractions à caractère terroriste ou séparatiste. À l’appui de cette décision, il considérait notamment que İkbal Yaşar avait probablement été tué dans le cadre des activités du PKK/Kongra-Gel. Le 19 mars 2009, le procureur de la République de Van, se référant au contenu du dossier, se déclara à son tour incompétent et renvoya le dossier au parquet de Yüksekova. Il estimait en particulier que les motifs de renvoi étaient manifestement insuffisants et qu’ils n’étaient étayés par aucune preuve matérielle. Pour ce faire, il avançait ce qui suit : a) le dossier ne contenait aucun élément de preuve donnant à penser que le proche des requérants avait été tué dans le cadre des activités terroristes du PKK ; b) il était impossible de déterminer la manière dont l’appel anonyme selon lequel des membres du PKK allaient tirer sur des personnes (paragraphe 6 ci-dessus) avait été obtenu et l’origine de celui-ci ; par ailleurs, la teneur de cet appel était très vague ; c) même à supposer que le contenu de cet appel fût véridique, il n’existait pas d’élément de preuve matérielle permettant d’établir un lien entre l’incident en question et l’information communiquée ; d) même à supposer que le PKK eût projeté de tuer des personnes infiltrées dans l’organisation, aucune recherche aux fins d’établissement d’un lien entre cette information et İkbal Yaşar n’avait été menée ; e) il n’avait pas non plus été recherché si les personnes ayant tiré à partir de la zone arborée étaient des membres du PKK ; f) alors qu’il ressortait des enregistrements vidéo des manifestations que les forces de l’ordre avaient utilisé des armes à feu, il avait été admis que İkbal Yaşar n’avait pas été tué par lesdites forces, et ce sans qu’aucune enquête eût été conduite sur la question de savoir si le décès avait été causé par celles-ci ou non ; g) l’hypothèse selon laquelle le défunt avait été tué par des membres du PKK n’avait pas été étayée par des preuves matérielles et concrètes. Le 10 septembre 2009, se fondant notamment sur la décision de renvoi du 19 mars 2009, l’avocat des requérants demanda l’extension de l’enquête aux fins d’établissement de la manière dont les forces de l’ordre avaient utilisé des armes à feu dans la zone où İkbal Yaşar. avait été blessé par balle, et ce en tenant compte de la probabilité d’une participation active du proche des requérants aux manifestations en question. Le 8 janvier 2010, le procureur de la République de Yüksekova lança un avis de recherche permanent, en raison d’une impossibilité d’identifier les responsables du décès de İkbal Yaşar en dépit des recherches menées, et l’envoya à la direction de la sûreté pour qu’elle tînt compte du délai de prescription. À ce jour, l’enquête demeure toujours en cours auprès du parquet de Yüksekova. Les requérants ont versé au dossier une photographie prise lors des manifestations et allèguent que celle-ci montre leur proche en train de lancer des pierres contre les forces de l’ordre.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Mme Iglesias Casarrubios et ses deux enfants sont nées respectivement en 1964, en 1993 et en 1996, et résident à Madrid. Le 16 octobre 1999, l’époux de Mme Iglesias Casarrubios saisit le juge de première instance no 24 de Madrid d’une demande de séparation de corps. Le rapport d’expertise psychologique sollicité par l’époux de la requérante fut présenté devant le juge le 28 janvier 2000. Par un jugement du 30 juin 2000, ce dernier prononça la séparation de corps, attribua à la requérante la garde de ses filles mineures avec partage de l’autorité parentale et accorda au père un droit de visite. Entre-temps, le juge d’instruction no 5 de Madrid avait condamné l’époux de la requérante à des contraventions pour coups et blessures et menaces, et la requérante elle-même pour menaces. Celle-ci indique que deux autres plaintes pénales ont été déposées contre son époux pour mauvais traitements familiaux et qu’elles n’ont pas abouti à la condamnation de celui-ci. À la suite d’un coup de cravache au visage donné par ce dernier à sa fille aînée, alors âgée de 7 ans, le juge sollicita auprès de la clinique médicolégale de Madrid un rapport psychologique concernant les deux mineures. Daté du 10 décembre 2001, ce rapport faisait état de « manipulations des mineures [par la mère contre le père] », et notait que « le fait [pour le père] de frapper [sa fille aînée] avec une cravache sembl[ait] démesuré » et qu’il « exist[ait] une éventualité de perte de contrôle occasionnelle du père due à des pulsions (et devant être corrigée), éventualité accrue par la situation d’affrontement entre les parents et par la séparation de corps. » Le 2 février 2003, le droit de visite de l’époux de la requérante à ses enfants fut suspendu. Par des décisions du juge de première instance no 24 de Madrid des 2 avril et 13 décembre 2004 et du 12 décembre 2005, la suspension du droit de visite fut prorogée, sur la base des divers rapports d’expertise psychologique, dont un rapport du 2 août 2007, et eu égard à la difficulté relationnelle de la requérante et de son époux ainsi qu’à la prolongation de leurs mésententes dans le temps, ce qui aurait influencé leurs enfants de façon négative. En 2006, l’époux de la requérante entama une procédure de divorce. La requérante s’opposa à la demande de son époux tant en raison des conséquences économiques du divorce que pour ce qui est des mesures concernant la garde des enfants. Dans son opposition à la demande de divorce du 28 février 2007 et, selon ses dires, lors des audiences des 5 juin et 11 septembre 2007, elle demanda que « les deux mineures, âgées de 13 et 11 ans, fussent entendues au cours de la procédure ». Le juge ordonna que les enfants fussent entendues par l’équipe psychosociale rattachée au tribunal, mais il ne les entendit pas personnellement. La fille cadette de la requérante, alors âgée de 11 ans, demanda « de manière catégorique et impérative » que l’entretien avec l’équipe psychosociale fût enregistré. L’équipe en cause ayant refusé l’enregistrement, l’entretien n’eut pas lieu. Par un jugement du 17 septembre 2007, le juge de première instance no 24 de Madrid prononça le divorce et accorda à la requérante le droit de garde de ses filles, avec partage de l’autorité parentale. Il attribua au père un droit de visite restreint, consistant en deux heures par jour les samedis et les dimanches une semaine sur deux, dans l’espace de rencontre parent-enfant le plus proche du domicile des mineures, à l’horaire indiqué par le personnel de cet espace et sous sa supervision. La requérante fit appel de ce jugement devant l’Audiencia provincial de Madrid. Sur le fondement de l’article 12 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (paragraphe 21 ci-dessous), elle se plaignait que sa fille cadette n’avait pas été entendue par le juge ni même par l’équipe psychosociale rattachée au tribunal de première instance, celle-ci ayant refusé, en dépit de la demande de l’enfant dans ce sens, d’enregistrer l’entretien. Par une ordonnance du 12 juin 2008, eu égard aux mésententes des géniteurs des mineures sur la question du paiement de la thérapie à suivre par les parties, le juge de première instance no 24 de Madrid demanda aux services sociaux un rapport sur la pertinence de l’attribution de la garde des mineures à leur père, à un tiers ou à une institution publique d’accueil. Le 25 juin 2008, la requérante forma un recours en reposición contre cette ordonnance devant le même juge. Audit recours furent jointes deux lettres adressées au juge de première instance par les enfants de la requérante, datées du 23 juin et du 24 juin 2008. Les jeunes filles y décrivaient leur angoisse face aux possibilités de garde évoquées dans l’ordonnance en question, et elles se plaignaient que le juge ne les avait pas entendues personnellement dans le cadre de la procédure et qu’il ne connaissait leurs rapports avec leur père que par le biais de tierces personnes. La requérante indiquait dans son recours en reposición que ses deux filles – âgées de presque 15 ans et de 12 ans et 3 mois – souhaitaient être entendues par le juge et par le ministère public, et précisait que la plus jeune n’avait même pas été examinée par l’équipe psychosociale. Aucune réponse du juge de première instance aux lettres des deux mineures ni au recours en reposición formé par leur mère ne figure au dossier. Selon la requérante, ces lettres ont aussi été annexées à son appel (paragraphe 11 ci-dessus). Par un arrêt du 30 septembre 2010, l’Audiencia provincial de Madrid rejeta l’appel de la requérante et confirma le jugement attaqué. L’arrêt ne se prononçait pas sur l’absence d’audition de la fille cadette de la requérante par le juge et par les membres de l’équipe psychosociale. Par une décision du 12 novembre 2010, l’Audiencia provincial déclara irrecevable le recours extraordinaire formé par la requérante pour infraction aux règles de procédure, dans lequel était expressément invoqué le droit des mineures à être entendues personnellement par le juge. Le recours d’amparo présenté par la requérante devant le Tribunal constitutionnel sur le fondement des griefs soulevés devant la Cour fut déclaré irrecevable le 19 octobre 2011 au motif qu’il ne revêtait pas une importance constitutionnelle spéciale. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil sont libellées comme suit : Article 92 « (...) En tout état de cause, avant d’accorder le régime de garde, le juge demandera l’avis du ministère public, entendra les mineurs capables de discernement lorsque cela sera jugé nécessaire, soit d’office, soit à la demande du ministère public, des parties, des membres de l’équipe technique du tribunal ou du mineur lui-même, et il appréciera les allégations des parties et les preuves versées lors de la comparution, ainsi que les rapports des parents entre eux et des parents avec leurs enfants, afin de déterminer l’aptitude des parents à bénéficier du droit de garde. » Article 163 « Si, dans une affaire, il existe un conflit d’intérêts entre [, d’une part,] le père et la mère et [, d’autre part,] les enfants non émancipés, un défenseur des mineurs sera désigné (...) Si le conflit d’intérêts ne concerne que l’un des géniteurs, c’est l’autre parent qui, de plein droit et sans avoir besoin de se faire expressément habiliter à cet effet, représentera le mineur ou suppléera à son incapacité. » La disposition pertinente en l’espèce du code de procédure civile énonce notamment que : Article 770 « Les demandes de séparation de corps et de divorce (...) suivent les (...) règles que voici : (...) 4e. (...) En cas de procédure contentieuse et si cela est estimé nécessaire d’office ou à la demande du ministère public ou des membres de l’équipe technique du tribunal ou du mineur, les enfants mineurs ou incapables seront entendus [par le juge] s’ils sont capables de discernement et, dans tous les cas, les mineurs âgés de 12 ans et plus le seront. Concernant les examens des mineurs au sein des procédures civiles, le juge assure au mineur son droit à être entendu dans des conditions idoines pour la défense de ses intérêts, sans ingérence de la part d’autres personnes, et demande exceptionnellement l’aide de spécialistes si cela se révèle nécessaire. (...) » L’article 9 de la loi organique 1/1996 du 15 janvier 1996 relative à la protection juridique du mineur dispose, dans ses parties pertinentes en l’espèce, que : « 1. Le mineur a le droit d’être entendu, tant dans le cadre familial que dans toute procédure administrative ou judiciaire dans laquelle il est directement impliqué et qui conduit à une décision affectant sa sphère personnelle, familiale ou sociale. (...) Lorsque le mineur demande à être entendu directement ou par l’intermédiaire de son représentant, le refus d’audition sera motivé et communiqué au ministère public [et au mineur et à son représentant]. » La jurisprudence du Tribunal constitutionnel en la matière prévoit ce qui suit : Arrêt no 163/09 du 29 juin 2009 (mineur âgé de 11 ans lors du jugement de première instance) « (...) 3. La partie requérante soutient que l’audition devant le juge est obligatoire dans le cadre des procédures de modification de mesures concernant des enfants, même en l’absence de demande par les parties. Cette obligation résulte de l’application systématique et intégrée de l’article 9 de la loi organique 1/1996 relative à la protection juridique des mineurs, de l’article 12 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, et des articles 92 § 6 et 159 du code civil. La requête reproduit les arrêts du Tribunal constitutionnel no 221/2002 du 25 novembre 2002, no 152/2005 du 2 juin 2005 et no 17/2006 du 30 janvier 2006, qui considèrent que l’audition du mineur dans ce type de procédure est essentielle et que son omission peut porter atteinte au droit fondamental à un procès équitable (article 24 § 1 de la Constitution). À cet égard, le fondement juridique no 5 de l’arrêt du Tribunal constitutionnel (STC) no 221/2002 du 25 novembre 2002 énonce que « dans la mesure où il s’agit, en l’espèce, d’une affaire touchant à la sphère personnelle et familiale d’une mineure qui, en raison de son âge à l’époque, était suffisamment capable de discernement pour que l’Audiencia provincial procédât à son audition afin de rendre effectif son droit à être entendue, droit que l’article 9 de la loi organique relative à la protection juridique des mineurs reconnaît à ces derniers dans toute procédure judiciaire où ils sont directement impliqués et dont la décision à rendre touche à leur sphère familiale ou sociale (...), [l’Audiencia provincial] aurait dû entendre la mineure avant de statuer sur l’appel interjeté. Par ce motif, la violation de l’article 24 § 1 de la Constitution doit aussi être appréciée. (...) » La requête soutient que, en l’espèce, le mineur était suffisamment capable de discernement pour être entendu, puisqu’il était âgé d’environ 11 ans quand le jugement de première instance et l’arrêt d’appel ont été rendus. Par ailleurs, la requête affirme que le mineur avait exprimé son refus du régime de visites attribué par le juge à son père biologique. Cette circonstance est à l’origine, chez le mineur, de sérieux dommages et souffrances psychologiques, et d’une atteinte à son intégrité morale (article 15 de la Constitution) et à sa dignité (article 10 de la Constitution). Cependant, comme le signale le ministère public, une modification législative portant sur le régime juridique auquel la requête a trait a eu lieu en 2005. La loi organique 15/2005 du 8 juillet 2005, qui entraînait modification du code civil et du code de procédure civile en matière de séparation de corps et de divorce, a donné une nouvelle rédaction à l’article 92 du code civil. Le paragraphe 6 de ce dernier prévoit ce qui suit : « En tout état de cause, avant d’accorder le régime de garde, le juge demandera l’avis du ministère public, entendra les mineurs capables de discernement lorsque cela sera jugé nécessaire, soit d’office, soit à la demande du ministère public, des parties, des membres de l’équipe technique du tribunal ou du mineur lui-même, et il appréciera les allégations des parties et les preuves versées lors de la comparution, ainsi que les rapports des parents entre eux et des parents avec leurs enfants, afin de déterminer l’aptitude des parents à bénéficier du droit de garde. » Cette disposition est complétée par l’article 9 de la loi organique 1/1996 du 15 janvier 1996 relative à la protection juridique des mineurs (...) qui garantit le droit du mineur à être entendu. Le paragraphe 2 de cet article prévoit que le mineur peut exercer ce droit « par lui-même ou par l’intermédiaire de la personne qu’il désigne pour le représenter, lorsqu’il a une capacité de jugement suffisante » et que « lorsque cela n’est pas possible ou que cela n’est pas commandé par l’intérêt du mineur, son avis pourra être transmis par l’intermédiaire de ses représentants légaux, pourvu qu’ils ne soient pas partie intéressée et qu’ils n’aient pas d’intérêts opposés à ceux du mineur, ou bien par l’intermédiaire d’autres personnes qui, en raison de leur profession ou de leur relation de confiance spéciale avec le mineur, puissent transmettre cet avis objectivement ». Les décisions judiciaires à l’origine du présent recours d’amparo ont été rendues après la publication de la loi organique 15/2005. Cette dernière constitue donc la loi applicable par les organes judiciaires en l’espèce. L’[Audiencia provincial de Valladolid] indique que, dans la mesure où la prétention de Mme S. est que le droit de visite ne soit pas accordé au père, l’objectif essentiel de la proposition d’audition est de connaître l’avis du mineur sur le régime des visites et de savoir s’il souhaite maintenir des contacts avec son père. Cet avis est déjà connu par la chambre, car il figure dans les commentaires dont le mineur a fait part à l’équipe psychosociale qui a rédigé le rapport. Il n’est donc pas nécessaire en l’espèce de procéder à l’audition du mineur. Cette argumentation (...) est cohérente avec la législation applicable en l’espèce, selon laquelle les organes judiciaires estiment que l’audition du mineur n’a pas un caractère essentiel, l’opinion de celui-ci pouvant être connue par l’intermédiaire de certaines personnes (article 9 de la loi organique 1/1996). L’audition devient ainsi obligatoire uniquement lorsqu’elle est jugée nécessaire d’office, à la demande du ministère public, des parties ou des membres de l’équipe technique du tribunal ou du mineur lui-même (article 92 § 6 du code civil). (...) » L’article 12 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989 et ratifiée par l’Espagne le 30 novembre 1990, se lit comme suit : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont quatre ressortissants ghanéens qui ont fui leur pays en raison d’affrontements interreligieux et qui sont arrivés en Italie en juin 2008. Le 20 novembre 2008, le préfet de Caserte notifia des décrets d’expulsion aux requérants. Ces décrets prévoyaient que les requérants devaient être reconduits à la frontière une fois ces décisions validées par le juge de paix. Le même jour, la préfecture imposa aux requérants un placement dans le centre de rétention temporaire (dit aussi « centre d’expulsion et d’identification » – « le CIE ») de Ponte Galeria, à Rome, afin de procéder à leur identification. Le 24 novembre 2008, le juge de paix de Rome valida le placement dans le CIE. Le 11 décembre 2008, le chef de la police (questore) demanda au juge de paix de Rome de proroger le placement des requérants de trente jours. Le 15 décembre 2008, les requérants introduisirent une demande officielle de protection internationale. Le 17 décembre 2008, sans prévenir ni les requérants ni leur avocat, le juge de paix de Rome prorogea ledit placement jusqu’au 23 janvier 2009 au motif que la procédure d’identification des intéressés n’avait pas été achevée. Les requérants reçurent la notification de la décision de prolongation, qui se lisait ainsi : « Après avoir lu la requête formulée par le préfet de police de Rome, concernant la prolongation de la période visée à l’article 14 alinéa 5 du décret législatif no286 de 1998, modifié par la loi 189 de 2002, considérant que les éléments requis à cette fin existent et que les vérifications concernant le ressortissant étranger sont encore en cours, le juge de paix proroge le placement dans le centre de rétention pour une période de trente jours. J’ai lu et signé la mesure adoptée à mon égard et j’ai reçu une copie de ce document traduit en anglais, français et espagnol. » Le 14 janvier 2009, les requérants furent libérés en raison de l’introduction de leur demande de protection internationale. Le 23 janvier 2009, ils furent convoqués devant le chef de la police pour formaliser ladite demande et l’audience devant la commission pour l’octroi du statut de réfugié fut fixée au 19 mars 2009. Le 16 février 2009, les requérants saisirent la Cour de cassation d’un recours visant à l’annulation de la décision du juge de paix de Rome du 17 décembre 2008. Le 5 juin 2009, le juge de paix de Caserte annula les décrets d’expulsion. Par un arrêt du 8 juin 2010, la Cour de cassation accueillit le pourvoi des requérants, cassa la décision du juge de paix de Rome et déclara nulle la décision de placement en rétention au motif qu’elle avait été adoptée de plano, sans audience et sans la participation des requérants et de leur avocat. Dans sa décision, la haute juridiction rappelait qu’elle avait déjà affirmé en 2010 que les principes fixés à l’article 14, alinéas 5 et 6 du décret-loi no 286/98 s’appliquaient également à la prolongation de la mesure de placement en rétention et que par conséquent la décision du juge de paix adoptée de plano, sans respect du principe du contradictoire, était nulle. Ensuite, la Cour de cassation rappelait que la Cour constitutionnelle, qui s’était penchée sur la constitutionnalité de l’article 13, alinéa 5 bis du décret-loi no 286/98, avait déclaré, dans son arrêt no 222 de 2004, que cette disposition était inconstitutionnelle au motif qu’elle ne prévoyait pas que la validation de la décision de placement en détention devait se dérouler dans le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense et que, en outre, ces principes devaient s’appliquer même en cas de prolongation de la mesure. Le 3 février 2011, les requérants introduisirent quatre actions civiles devant le tribunal de Rome contre l’État, dirigées contre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice, en réparation du préjudice qu’ils estimaient avoir subi en raison de leur placement en détention du 24 novembre 2008 au 14 janvier 2009. Le tribunal de Rome se prononça sur ces actions par plusieurs décisions datées de septembre 2014 et juin 2016. S’agissant de la mise en cause du ministère de l’Intérieur, le tribunal rejeta les recours des requérants au motif que le chef de la police de Rome s’était limité à donner exécution à une décision de l’autorité judiciaire. Quant à la responsabilité du ministère de la Justice, il jugea que la demande des requérants était irrecevable et qu’il convenait d’introduire une action en responsabilité civile contre les magistrats. En particulier, dans une de ses décisions (en date du 26 juin 2016), le tribunal de Rome soulignait, en se référant à la jurisprudence de la Cour, que la légalité de la détention initiale n’était pas, en tant que telle, affectée par la seule circonstance que la décision du juge de paix de prolonger la rétention des requérants avait été annulée par la suite. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le décret-loi (decreto legislativo) no 286/98 (« Texte unique des dispositions concernant la règlementation de l’immigration et les normes sur le statut des étrangers ») Aux termes de l’article 5 du décret-loi no 286/98 : « L’étranger qui est resté sur le territoire de l’État alors que son permis de séjour a expiré depuis plus de soixante jours sans qu’une demande de renouvellement ait été formulée fait l’objet d’une mesure d’expulsion contenant l’ordre de quitter le territoire de l’État dans un délai de quinze jours. Lorsque, selon le préfet, il existe un risque de soustraction à l’exécution de la mesure d’expulsion, le commissaire de police (questore) ordonne la reconduite immédiate de l’étranger à la frontière. » L’article 13 du même texte dispose ce qui suit : « 1. Pour des raisons d’ordre public ou de sécurité de l’État, le ministre de l’Intérieur peut ordonner l’expulsion de l’étranger même si celui-ci n’est pas résident sur le territoire de l’État, en informant préalablement le président du Conseil des ministres et le ministre des Affaires étrangères. Le préfet ordonne l’expulsion lorsque l’étranger : a) est rentré sur le territoire de l’État en se soustrayant aux contrôles de frontière (...) ; b) est resté sur le territoire de l’État sans avoir demandé de permis de séjour dans le délai imparti, sauf si le retard est dû à des raisons de force majeure, ou bien [s’y est maintenu] alors que le permis a été révoqué ou annulé ou qu’il a expiré depuis plus de soixante jours et que son renouvellement n’a pas été demandé (...) » L’article 13 susmentionné prévoit également ce qui suit : « [L’étranger visé par un] décret d’expulsion peut uniquement présenter un recours devant le juge de paix du lieu où l’autorité qui a ordonné l’expulsion a son siège. Le délai est de soixante jours à partir de la date de la mesure d’expulsion. Le juge de paix fait droit à la demande, ou la rejette, par une décision prise dans les vingt jours à partir du dépôt du recours. [La requête] peut être signée personnellement et être présentée par l’intermédiaire de la représentation diplomatique ou consulaire italienne du pays de destination. (...) Le juge doit valider la décision de placement dans les quarante-huit heures par une décision motivée après avoir entendu l’intéressé si celui-ci est présent. L’étranger expulsé ne peut pas revenir sur le territoire de l’État sans une autorisation spéciale du ministre de l’Intérieur. En cas de violation de cette disposition, l’étranger est puni de un à quatre ans de réclusion et il est à nouveau expulsé avec reconduite immédiate à la frontière. » L’article 14 du décret-loi no 286/98 est ainsi rédigé dans ses parties pertinentes en l’espèce : « 1. Lorsqu’il n’est pas possible d’exécuter immédiatement l’expulsion par la reconduite à la frontière ou le refoulement, en raison de situations transitoires qui font obstacle à la préparation du retour ou de l’éloignement, le commissaire de police décide de placer l’étranger en rétention pendant la durée strictement nécessaire dans le centre de rétention le plus proche (...) Le commissaire de police transmet le dossier au juge de paix pour validation, dans les quarante-huit heures, de la décision de placement. L’audience [tenue aux fins de validation du] placement se déroule en chambre du conseil avec la participation obligatoire d’un avocat. L’intéressé doit être informé et conduit à l’audience. Le juge doit valider la décision de placement dans les quarante-huit heures par une décision motivée après avoir entendu l’intéressé si celui-ci est présent. La décision ne produit pas d’effets si elle n’est pas validée dans les quarante-huit heures. La durée de la détention est, dans une première phase, limitée à un maximum de trente jours. À la demande du préfet, la période de détention peut être prolongée de trente jours par le juge si l’administration n’a pas réussi à déterminer l’identité et la nationalité de la personne ou si l’expulsion n’a pas pu avoir lieu pour des raisons techniques. Les décisions de placement et de prolongation peuvent faire l’objet d’un recours non suspensif en cassation. » B. Les dispositions en matière de réparation pour détention irrégulière (ou détention « injuste ») et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle L’article 314 du code de procédure pénale (CPP) prévoit un droit à la réparation dans deux cas distincts : lorsque l’accusé est acquitté à l’issue de la procédure pénale sur le fond (réparation pour injustice dite «substantielle », prévue par l’alinéa 1) ou lorsqu’il est établi que le suspect a été placé ou maintenu en détention provisoire au mépris des articles 273 et 280 du CPP (réparation pour injustice dite « formelle », prévue par l’alinéa 2). L’article 314 du CPP se lit comme suit : « Quiconque est relaxé par un jugement définitif au motif que les faits reprochés ne se sont pas produits, qu’il n’a pas commis les faits ou que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction ou ne sont pas érigés en infraction par la loi a droit à une réparation pour la détention provisoire subie, à condition de ne pas avoir provoqué [sa détention] ou contribué à la provoquer intentionnellement ou par faute lourde. Le même droit est garanti à toute personne relaxée pour quelque motif que ce soit et à toute personne condamnée qui, au cours du procès, a fait l’objet d’une détention provisoire, lorsqu’il est établi par une décision définitive que l’acte ayant ordonné la mesure a été pris ou prorogé alors que les conditions d’applicabilité prévues aux articles 273 et 280 n’étaient pas réunies » Par son arrêt no 310 de 1996, la Cour constitutionnelle a établi que, au-delà des cas prévus par l’article 314 du CPP, les individus ont droit à une réparation également dans le cas où la détention « injuste » est la conséquence de l’illégitimité d’un ordre d’exécution de la peine. Ensuite, dans son arrêt no 284 de 2003, la Cour constitutionnelle a précisé que le droit à la réparation pour détention « injuste » n’est pas exclu pour la seule raison que l’ordre d’exécution est légitime ou que la détention est la conséquence d’un comportement légal des autorités internes. Elle a ainsi souligné que, ce qui importe, c’est l’« injustice objective » (obiettiva ingiustizia) de la privation de liberté. C. La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la réparation des dommages causés dans l’exercice de fonctions juridictionnelles et la responsabilité civile des magistrats (« la loi no 117/88 ») Aux termes de l’article 1, paragraphe 1, de la loi no 117/88, celle-ci s’applique « à tous les membres des magistratures de droit commun, administrative, financière, militaire et spéciale, qui exercent une activité juridictionnelle, indépendamment de la nature des fonctions, ainsi qu’aux autres personnes qui participent à l’exercice de la fonction juridictionnelle ». L’article 2 de la loi no 117/88 énonce ce qui suit : « 1. Toute personne ayant subi un dommage injustifié en raison d’un comportement, d’un acte ou d’une mesure judiciaire d’un magistrat qui s’est rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, ou en raison d’un déni de justice, peut agir contre l’État pour obtenir réparation des dommages patrimoniaux qu’elle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui découlent de la privation de liberté personnelle. Dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, l’interprétation des règles de droit et l’appréciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu à responsabilité. Sont constitutifs d’une faute grave : a) une violation grave de la loi résultant d’une négligence inexcusable ; b) l’affirmation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement réfutée par les pièces du dossier ; c) la négation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement établie par les pièces du dossier ; d) l’adoption d’une mesure concernant la liberté personnelle en dehors des cas prévus par la loi ou sans motivation. » Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, première phrase, de la loi no 117/88, constituent par ailleurs un déni de justice « le refus, l’omission ou le retard du magistrat dans l’accomplissement des actes relevant de sa compétence lorsque, après expiration du délai légal prévu pour l’accomplissement [d’un acte], la partie concernée a présenté une demande en vue de l’[exécution de cet] acte et que, sans raison valable, aucune mesure n’a été prise dans les trente jours consécutifs au dépôt de cette demande au greffe ». Les articles suivants de la loi no 117/88 précisent les conditions et les modalités selon lesquelles une action en réparation peut être engagée au titre de l’article 2 ou de l’article 3 de cette loi, ainsi que les actions qui peuvent être intentées a posteriori contre le magistrat qui s’est rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, voire d’un déni de justice. Aux termes de l’article 4 de la loi no 117/88, l’action peut être introduite après épuisement des voies de recours permettant d’attaquer la mesure litigieuse et en tout état de cause seulement lorsque celle-ci n’est plus modifiable ou révocable. III. LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (« la directive retour ») La « directive retour » régit l’éloignement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, encadre le placement en détention de ces personnes lorsqu’il s’avère nécessaire et met en place des garanties procédurales.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1984 et réside à Ploieşti. A. La plainte pénale du requérant Le 14 novembre 2012, le requérant déposa une plainte pénale du chef de comportement abusif (article 250 du code pénal) auprès du parquet près la cour d’appel de Ploieşti. Il se constitua également partie civile. Il indiqua que, dans la nuit du 10 au 11 novembre 2012, vers 1 h 30 du matin, alors qu’il se trouvait en face du bâtiment dans lequel il habitait, il avait été interpellé par une patrouille de police constituée de deux agents de police et de deux gendarmes qui l’avaient sommé de présenter ses papiers d’identité. Il déclara qu’il avait demandé des informations supplémentaires sur les raisons de son interpellation et avait finalement refusé de présenter un quelconque document, mais qu’il avait en revanche précisé aux agents de la patrouille qu’il pouvait les renseigner oralement quant à son identité et ses coordonnées. Selon lui, puisqu’il refusait de présenter ses papiers d’identité, deux des membres de la patrouille l’immobilisèrent et le poussèrent, d’un coup porté à la poitrine, à l’intérieur d’une voiture de police. Il indiqua qu’il avait été emmené au siège du commissariat de police no 2 de Ploieşti et que, à son arrivée au commissariat, alors qu’il était toujours immobilisé, il avait été poussé dans une pièce où on lui avait crié « couché, sur le ventre ». Il ajouta qu’on l’avait fait trébucher et qu’il s’était retrouvé par terre. L’agent de police V.P. aurait alors commencé à lui donner des coups de pied. On lui aurait demandé de se lever et d’aller se laver, ce qu’il aurait refusé, arguant qu’il allait déposer une plainte pour violences. Le requérant expliqua qu’il avait à nouveau été immobilisé et conduit dans la salle d’eau, où il avait reçu un coup de poing dans la partie droite du corps et avait été forcé de se laver le visage. N’étant plus capable de marcher, il aurait ensuite été soutenu par les bras pour être installé dans une pièce. Il déclara qu’il avait accepté d’écrire une déclaration sous la dictée d’un policier car il avait été menacé d’autres violences. Selon lui, les forces de l’ordre avaient exigé qu’il attende que le policier en question ait fini d’écrire un document avant de lui notifier un procès-verbal de contravention dressé par l’agent de police M.S., contravention le sanctionnant pour avoir uriné sur la voie publique. Le requérant indiqua qu’il avait été contraint de signer ledit procès-verbal et qu’il avait ensuite été informé qu’il devait attendre le retour de deux policiers partis acheter des bretzels qui devaient le raccompagner à son domicile. Dans sa plainte, le requérant demandait l’audition des agents de police impliqués dans l’incident, des confrontations, la soumission au test du polygraphe des personnes impliquées ainsi que la perquisition de la voiture qui l’avait emmené au siège du commissariat de police et de la pièce dans laquelle il avait été installé afin de recueillir des preuves biologiques. Le requérant produisit un certificat médicolégal daté du 12 novembre 2012 attestant que, à cette date, il présentait une plaie contuse punctiforme sur la partie dorsale du nez et une tuméfaction de la pyramide nasale avec déviation. Ce certificat fut complété, signalant que, du 13 au 19 novembre 2012, le requérant avait séjourné à l’hôpital départemental de Prahova et que cet hôpital avait établi le diagnostic suivant : « fracture de la pyramide nasale avec déviation ; hémorragie postérieure du nez ; traumatisme cranio-facial ; agression ». En outre, le requérant y avait subi une intervention chirurgicale pour redresser sa pyramide nasale et que, le 20 novembre 2012, l’examen effectué lors de sa sortie de l’hôpital avait révélé une contusion lombaire bilatérale et une ecchymose dans la région lombaire gauche. Le certificat médicolégal concluait que les lésions pouvaient dater du 11 novembre 2012 et qu’elles avaient pu être causées par des coups portés avec des objets durs. Selon le certificat, les lésions nécessitaient de quatorze à seize jours de soins. Le requérant versa également au dossier le procès-verbal du 11 novembre 2012, par lequel il s’était vu infliger une amende contraventionnelle à hauteur de 300 lei roumains (RON) pour avoir uriné sur la voie publique et pour avoir refusé de présenter sa carte d’identité ou de décliner oralement son identité. Selon le procès-verbal, ces délits avaient été commis à 1 h 40 du matin. Les 22 novembre 2012 et 24 février 2013, le requérant réitéra sa plainte auprès de la police judiciaire. En plus de sa plainte initiale, le requérant ajoutait qu’il ne s’était pas opposé aux agents de la patrouille au moment de son interpellation et que, alors qu’il se trouvait dans la voiture de police, il avait reçu un coup de poing sur le nez de la part de l’agent de police V.P. Il indiquait en outre que, lorsqu’on lui avait donné des coups de pied au commissariat de police, il s’était protégé la tête et le visage avec les mains. Après s’être vu attribuer le dossier, le parquet près le tribunal de première instance de Ploieşti ouvrit une instruction préliminaire à l’égard des quatre agents impliqués dans l’incident du 11 novembre 2012. Le 17 juillet 2013, le requérant fut entendu par le procureur. En juillet et août 2013, les agents de police et les gendarmes impliqués dans les événements furent à leur tour entendus par le parquet. Ils nièrent avoir agressé ou insulté le requérant ou avoir proféré des menaces à son encontre. Ils déclarèrent que le requérant était en état d’ébriété, qu’il avait proféré des injures à leur égard et qu’il avait refusé de décliner son identité. Seul l’agent de police M.S. indiqua que le requérant s’était borné à décliner oralement son état civil. Le gendarme G.P. déclara que le requérant présentait une lésion au niveau du nez et du sang séché sur le visage. Interrogé sur l’origine de sa blessure et du sang, le requérant aurait refusé d’y répondre. L’agent de police V.P. et le deuxième gendarme déclarèrent que le requérant avait affirmé que sa lésion était due à une chute à la sortie d’un bar où il avait consommé de l’alcool. Entendu le 7 août 2013, O.M.C., un témoin proposé par le requérant, déclara que, dans la nuit du 10 au 11 novembre 2012, ils avaient regardé ensemble un match de boxe à la télévision et que le requérant avait consommé deux ou trois bières. Il indiqua que, vers une heure du matin, il avait accompagné le requérant jusqu’à l’arrière du bâtiment dans lequel celui-ci habitait. Il ajouta que le requérant ne portait pas de traces de violence ni de sang et que personne ne se trouvait dans la rue à cette heure-là. Il déclara qu’il n’avait pas non plus aperçu d’agents de police ou de gendarmes. Par une décision du 8 août 2013, le parquet près le tribunal de première instance de Ploieşti prononça un non-lieu. Renvoyant aux déclarations des agents de police et des gendarmes, il conclut que ceux-ci n’avaient pas agressé le requérant et que les lésions de celui-ci auraient pu être provoquées avant l’arrivée de la patrouille de police. Le parquet nota, entre autres, que les agents de l’État avaient nié avoir insulté ou menacé le requérant. Il considéra que les agissements des agents de l’État étaient conformes aux dispositions de l’article 26 de la loi no 218/2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine, qui confiait aux patrouilles de police le rôle de défense et de maintien de l’ordre public. En outre, il ajouta que l’article 31 a) et b) de la même loi autorisait les agents à emmener le requérant au siège de la police aux fins de son identification et de l’application des mesures légales et que, en conclusion, la conduite au poste de police du requérant s’était avérée nécessaire. Le 19 septembre 2013, le procureur en chef du parquet confirma cette décision. Il estima que le requérant avait en effet pu être agressé par quelqu’un d’autre ou être tombé avant l’arrivée de la patrouille de police. En outre, il souligna que le médecin légiste, qui n’avait pas à sa disposition tous les éléments de l’instruction, avait conclu que les lésions du requérant avaient été provoquées par des coups portés avec des objets durs uniquement sur la base des propos de ce dernier. Enfin, il conclut que si le requérant avait eu un comportement irréprochable, il n’aurait pas été interpellé par les forces de l’ordre. En effet, selon lui, les agents de l’État avaient à juste raison appréhendé le requérant qui urinait sur la voie publique. Le requérant contesta le non-lieu devant le tribunal de première instance. Il argua que, s’il avait effectivement été agressé par une tierce personne, comme l’avançait le procureur, les agents de l’État auraient dû, eu égard à son état, appeler les urgences afin qu’il fût soigné. Il ajouta que, aux yeux du procureur, une chute aurait pu être susceptible de causer les lésions identifiées par le certificat médicolégal du 12 novembre 2012 (paragraphe 7 ci-dessus). En outre, il soutint qu’il s’était retrouvé seul face à plusieurs agents de l’État et dénonça l’emploi d’une force excessive par les forces de l’ordre en l’espèce. Il argua enfin que le non-lieu prononcé par le parquet constituait un vote de confiance en faveur des agents de l’État qui seraient ainsi encouragés à employer la force indifféremment des circonstances ou du comportement de la personne soumise à leur contrôle. Le requérant réitéra sa demande visant à soumettre les agents au test du polygraphe. Par une décision du 6 janvier 2014, le tribunal de première instance de Ploieşti confirma le non-lieu prononcé par le parquet. B. Les autres procédures concernant le requérant Le requérant forma une contestation contre le procès-verbal du 11 novembre 2012 (paragraphe 8 ci-dessus). D’après le Gouvernement, le requérant avait ensuite renoncé à poursuivre cette action en justice. Une enquête du chef d’outrage fut engagée à l’encontre du requérant. Dans un procès-verbal séparé concernant son interpellation qui avait été dressé le 12 novembre 2012, il était mentionné que le requérant était en état d’ébriété, qu’il avait proféré des injures à l’encontre des agents de l’État et qu’il avait refusé de décliner son identité. Le procès-verbal indiquait également que le requérant présentait des traces de sang sur le visage causées par des égratignures au niveau du nez. La Cour n’a pas été informée de l’issue de cette procédure.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1986. Incarcéré depuis le 27 juillet 2012 dans différentes prisons, il est actuellement détenu à la prison d’Alikarnassos. Il fut condamné à quatre reprises à la réclusion criminelle à perpétuité et à sept ans d’emprisonnement. Porteur du VIH, sa santé se serait détériorée depuis son incarcération : il aurait développé le syndrome d’immunodéficience acquise (le sida) et serait en phase terminale (stade C de la maladie). Ayant été en contact avec des détenus porteurs de la tuberculose, le requérant serait également atteint d’une tuberculose hautement contagieuse et résistant au traitement. Il aurait aussi des tendances suicidaires et souffrirait de dépression sévère et de crises de panique. D’après deux certificats médicaux, l’un établi par l’hôpital de la prison de Korydallos le 27 mai 2014 et l’autre par l’hôpital général des maladies du thorax d’Athènes, le requérant était atteint du VIH et il semblait avoir développé la maladie du sida (νοσεί) ainsi qu’une tuberculose résistant au traitement. A. Le recours du requérant tendant à sa mise en liberté en raison de son état de santé Au cours de sa détention à la prison de Grevena, le 10 juin 2014, alors qu’il avait été admis à l’hôpital de la prison de Korydallos, le requérant introduisit une demande de mise en liberté sous condition sur le fondement de l’article 110A du code pénal (CP). Par une décision no 626/2014, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée ordonna une expertise, conformément à l’article 110A § 2 du CP, afin de vérifier si le requérant avait ou non développé le sida. Le 12 septembre 2014, le médecin expert, généraliste au service des maladies vénériennes et dermatologiques de l’hôpital Andreas Syggros, présenta son rapport dans lequel il affirmait que le requérant avait effectivement développé (νοσεί) le syndrome d’immunodéficience acquise et souffrait aussi d’une tuberculose résistant au traitement. Par une décision du 20 octobre 2014, la chambre d’accusation ordonna la rectification du rapport précité afin qu’il y fût inclus un certificat établi par le directeur de l’hôpital Andreas Syggros, où le requérant avait été admis. Dans son certificat daté du 8 janvier 2015, ledit directeur concluait lui aussi que le requérant avait développé (νοσεί) le syndrome d’immunodéficience acquise et souffrait d’une tuberculose résistant au traitement. Par une décision no 52/2015, après avoir constaté que le requérant avait été transféré à la prison de Corfou le 27 janvier 2015, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel du Pirée se déclara incompétente et transmit la demande de l’intéressé à la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Corfou. Par une décision du 8 avril 2015, la chambre d’accusation de cette juridiction rejeta la demande du requérant. Elle notait que l’expert susmentionné avait rapporté que l’infection VIH était divisée en trois stades de gravité et que le stade C’était le plus grave. Elle relevait toutefois qu’il n’avait fait aucune référence aux critères qui permettaient de distinguer un porteur du virus d’une personne qui avait développé la maladie. Elle observait aussi qu’il ressortait de différents certificats médicaux concernant le requérant que celui-ci avait été diagnostiqué séropositif et qu’il était soumis à un traitement médicamenteux pour cette raison. Elle notait en outre que, selon le rapport, tel que complété le 8 janvier 2015, la coexistence de la tuberculose et de l’infection VIH conduisait à la conclusion que le requérant avait développé le syndrome d’immunodéficience acquise et était atteint d’une tuberculose résistant au traitement. Pour autant, elle considérait que le contenu de ce document n’ébranlait pas sa conviction selon laquelle le requérant était seulement séropositif et n’avait pas développé le sida. À cet égard, elle constatait que les symptômes cliniques qui caractérisaient cette maladie étaient, d’après la littérature médicale internationale, la toxoplasmose du cerveau, la mycose de l’œsophage, de la trachée et des bronches et le sarcome de Kaposi, que le requérant ne présentait pas ces symptômes et que, par conséquent, la conclusion susmentionnée ne trouvait pas de fondement dans cette littérature. Elle estimait ainsi que les conditions substantielles pour accorder la mise en liberté sous condition ne se trouvaient pas réunies dans le cas du requérant. La chambre d’accusation se référait aussi à l’avis rendu par le procureur sur la demande du requérant. Selon cet avis, le rapport d’expertise, qualifié de lacunaire par le procureur, ne contenait ni une description suffisante de la maladie, du stade auquel le requérant se serait trouvé, des symptômes qu’il aurait présentés et du traitement médicamenteux qu’il aurait reçu, ni un exposé détaillé des examens auxquels l’intéressé aurait été soumis et sur lesquels le rapport aurait été fondé, ni une explication des résultats – alors que, d’après le procureur, ces éléments auraient pu permettre d’établir si le requérant était simple porteur du virus ou s’il avait développé le sida. Également d’après cet avis, il avait été procédé à une appréciation globale des documents déposés par le requérant et il en ressortait clairement que ce dernier était simple porteur du virus et bénéficiait pour cette raison d’un aménagement de sa peine. Enfin, toujours selon cet avis, pour que le dispositif humanitaire prévu à l’article 110A du CP pût s’appliquer, il eût fallu que le contenu du rapport précité eût été plus circonstancié, eu égard au fait que le requérant purgeait une peine de réclusion pour des infractions d’une extrême gravité. La décision de la chambre d’accusation du tribunal correctionnel de Corfou était insusceptible de recours. Le 13 janvier 2016, le requérant fut transféré à la prison de Larissa. Initialement détenu dans une cellule du quartier disciplinaire, il fut placé dans une autre cellule, située dans l’aile centrale de la prison, à la suite de protestations de sa part. Le 22 janvier 2016, le conseil de la prison de Larissa demanda le transfert immédiat du requérant dans un autre établissement pénitentiaire, aux motifs qu’il existait « un grand risque de transmission de maladie contagieuse (le sida) » et que la prison ne disposait pas d’un lieu spécial de détention où les prisonniers atteints du sida pouvaient bénéficier des mêmes conditions de détention que les autres détenus. Le 5 février 2016, la Commission spéciale des transferts se prononça sur cette demande et autorisa le transfert. Le 10 février 2016, le requérant fut transféré à la prison d’Alikarnassos, située en Crète. À une date non précisée en 2016, le requérant déposa une nouvelle demande de mise en liberté sur le fondement de l’article 110A du CP. Le 11 avril 2016, le procureur près le tribunal correctionnel de Héraklion ordonna une expertise et désigna comme expert un professeur en médecine, directeur de l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion. Celui-ci remit son rapport le 25 mai 2016. B. La requête du requérant au procureur superviseur de la prison de Grevena Par une lettre du 28 octobre 2015, et alors que le Gouvernement s’était déjà vu indiquer une mesure provisoire par la Cour en application de l’article 39 du règlement, le requérant saisit le procureur superviseur de la prison de Grevena sur le fondement de l’article 572 du code de procédure pénale (CPP). Dans cette lettre, il informait ledit procureur que sa situation n’avait pas changé depuis l’intervention de la Cour. Il ajoutait qu’il n’avait pas reçu de traitement alors qu’il aurait pris froid et aurait été fiévreux, qu’il continuait à mettre la santé de ses codétenus en danger en raison de la tuberculose dont il disait souffrir et, enfin, que son maintien en prison diminuait davantage son espérance de vie, précisant que celle-ci était déjà courte eu égard à son état de santé. Il invitait le procureur superviseur à organiser son transfert à l’hôpital dans les vingt-quatre heures et à prendre toutes les mesures appropriées afin que ses conditions de détention fussent compatibles avec les articles 2, 3, 5, 8, 10, 13 et 14 de la Convention ainsi qu’avec la mesure provisoire indiquée par la Cour. Le requérant ne reçut aucune réponse du procureur. Le 15 décembre 2015, le requérant demanda au ministre de la Justice de le transférer dans « n’importe quel établissement où sa santé serait préservée, y compris à l’hôpital de la prison de Korydallos ». C. La détention du requérant à la prison de Grevena La version du requérant Le requérant indique qu’il a été incarcéré à la prison de Grevena le 3 avril 2014. Il affirme avoir été placé dans une cellule du quartier disciplinaire où il aurait bénéficié d’un espace personnel inférieur à 2 m² et où il n’aurait disposé ni d’un lit (il aurait dormi par terre) ni d’une chaise, alors que, à ses dires, il ne pouvait pas se tenir debout pendant plus de quelques minutes ni être autonome. Par conséquent, il n’aurait pas eu la possibilité de s’asseoir pendant toute la journée et il aurait également été obligé de manger par terre. Le requérant ajoute qu’il n’y avait pas de bancs, ni même d’endroits à l’ombre, dans la cour du quartier disciplinaire et que son état de santé le contraignait à y rester assis à même le sol en ciment. La cellule susmentionnée n’aurait pas été aérée, faute d’accès à l’air frais. Le requérant indique qu’il y a été placé avec un autre détenu séropositif et que, de ce fait, ce dernier a été exposé à un risque accru de se faire contaminer par la tuberculose dont lui-même aurait souffert. La cellule aurait été équipée d’une salle d’eau dépourvue d’une tuyauterie adéquate, et les détenus auraient ainsi été obligés de se laver en se servant de tasses. La salle d’eau n’aurait pas disposé de fenêtre et n’aurait pas été ventilée, et les odeurs des toilettes auraient été nauséabondes. Les vêtements et le linge auraient été lavés dans un seau et mis à sécher dans une petite cour adjacente. La cellule aurait été froide en hiver et chaude en été. Aucune activité récréative n’aurait été proposée dans la prison. Le requérant qualifie la nourriture reçue comme étant « impossible à sentir et à avaler ». Il aurait été sous-alimenté et « ses os [seraient devenus] visibles à l’œil nu ». Le budget consacré à la nourriture se serait élevé à 1 euro (EUR) par jour et par détenu. Le requérant affirme qu’il ne recevait rien pour la tuberculose résistant au traitement et les troubles psychiatriques dont il disait souffrir et que, de surcroît, il n’avait été soumis à aucun examen pour sa tumeur à la poitrine. Le requérant indique aussi que la présence continue d’un médecin n’était pas assurée au sein de la prison. Il précise qu’un médecin généraliste visitait celle-ci une fois par mois environ et que, eu égard au nombre de détenus dans cette prison, qu’il qualifie d’élevé, sa présence était symbolique. Il ajoute que la prison avait passé un contrat avec un médecin de Grevena, pour que celui-ci visitât la prison deux fois par semaine, uniquement à partir de septembre 2015. Il affirme aussi que les détenus ne pouvaient d’ailleurs pas se prévaloir des demandes d’examen médical faites par eux car celles-ci n’auraient pas été enregistrées. Le requérant soutient également que l’employé de l’infirmerie chargé de lui administrer son traitement antiviral dans sa cellule était un simple agent pénitentiaire dépourvu de toute formation en la matière. Il indique par ailleurs que, à l’occasion de son transfert à l’hôpital de Thessalonique, il a été contraint de passer plusieurs jours dans une cellule surpeuplée du centre de transfert dans des conditions qui auraient été très dures (à ses dires, sans lit, sans chaise, sans lumière naturelle et sans promenade) et qu’en outre l’hôpital n’a pas examiné sa tumeur à la poitrine au motif qu’il « ne se trouvait pas dans le service compétent ». Qui plus est, lors de ses transferts aux hôpitaux de Thessalonique et de Korydallos, la durée des trajets aurait été très longue, les transferts auraient toujours été réalisés au moyen de véhicules cellulaires bondés et l’intéressé aurait toujours été transporté menotté et sans précaution particulière au regard de son état de santé. Le requérant affirme enfin que, à l’occasion d’un transfert à l’hôpital de Grevena, un médecin lui avait dit que l’hôpital n’était pas équipé pour traiter des cas de cancer et qu’il devait être hospitalisé dans une unité de soins spécialisée. Il soutient que c’est pour cette raison qu’il avait refusé de se rendre à nouveau à l’hôpital de Grevena, le 6 août 2015, pour un contrôle de sa tumeur. La version du Gouvernement À la suite de la décision de la Cour d’appliquer l’article 39 du règlement dans le cas du requérant, le Gouvernement a informé celle-ci que l’intéressé avait bénéficié de conditions de détention appropriées à la prison de Grevena, qu’il décrit comme suit : deux fois par jour un employé de l’infirmerie de la prison se rendait dans la cellule du requérant et prodiguait à ce dernier le traitement pharmaceutique prescrit ; le requérant se faisait examiner par le médecin de la prison chaque fois qu’il le demandait et, en cas de besoin, il était transféré en urgence à l’hôpital de Grevena ; tous les transferts s’effectuaient dans des conditions adéquates. Le Gouvernement fournit par ailleurs un rapport établi par le directeur de la prison de Grevena, selon lequel : le requérant était placé dans une cellule de 11,04 m² (qui incluait les toilettes, une table, deux chaises et deux lits), équipée d’une fenêtre de 1 m x 1,10 m ; la cellule était située dans le quartier disciplinaire de la prison et était spécialement aménagée pour les détenus présentant de graves problèmes de santé ; le quartier disciplinaire accueillait des détenus qui devaient être protégés, et non des détenus sanctionnés disciplinairement ; le requérant avait été placé dans la cellule en question à sa demande, avec un autre détenu qui avait la même nationalité que lui et qui souffrait du même problème médical que lui. Le Gouvernement expose également ce qui suit : la cellule disposait du chauffage central et était chauffée par un deuxième radiateur électrique, et celui-ci fonctionnait toute la journée ; l’eau chaude était fournie pendant une heure le matin et une heure le soir ; le requérant avait la possibilité de confier son linge à la laverie de la prison, mais il préférait laver lui-même ses vêtements dans sa cellule et les faire sécher dans la cour. Le Gouvernement indique aussi que la cour du quartier disciplinaire était de dimension réduite mais adaptée au nombre de détenus amenés à se trouver dans cet espace – nombre qu’il qualifie de peu élevé. Cette cour aurait été équipée de chaises et il y aurait toujours eu de l’ombre au moins à l’un de ses quatre côtés en raison de la hauteur des murs (qui aurait été de six mètres). Le Gouvernement affirme que le requérant devait suivre un régime particulier en fonction des instructions des médecins. Il estime que les assertions de l’intéressé selon lesquelles celui-ci était sous-alimenté et avait perdu du poids au point de ne plus pouvoir se tenir debout sont non fondées. Le Gouvernement considère aussi que l’état de santé du requérant n’était pas inquiétant. Il est d’avis que le comportement du requérant est significatif à cet égard, et il se réfère en cela au refus de celui-ci de se rendre à l’hôpital de Grevena le 6 août 2015 et à une déclaration sur l’honneur signée par l’intéressé quant à une mastographie et une échographie de la poitrine qui auraient été prévues ce jour-là. De plus, d’après le Gouvernement, il ressort du dossier médical du requérant que, à l’époque des faits, ce dernier ne souffrait plus de tuberculose et, par conséquent, n’avait plus besoin d’être traité pour cette maladie et ne risquait plus de contaminer ses codétenus. En ce sens, un certificat médical établi par l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion aurait attesté de la fin du traitement contre la tuberculose en 2014. Par ailleurs, selon le Gouvernement, deux psychologues de la prison de Grevena ont eu un entretien avec le requérant et n’ont pas constaté à cette occasion l’existence de problèmes psychologiques ou le besoin d’un suivi psychologique. Ces spécialistes auraient été quotidiennement présents à la prison, mais le requérant n’aurait jamais sollicité leur assistance. Quant aux suivi et soins médicaux assurés au requérant, le Gouvernement expose ce qui suit, en se fondant sur une note d’information émise par le dispensaire de la prison de Grevena : – du 10 au 14 mai 2015, le requérant a été hospitalisé à l’hôpital de Thessalonique ; – le 28 mai 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui a établi la présence d’une douleur à la poitrine, du côté droit, et à l’hypocondre droit ; – du 5 au 8 juin 2015, il a été hospitalisé à l’hôpital de la prison de Korydallos ; – le 18 juin 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui lui a prescrit un médicament (Lonarid) et a diminué le dosage d’un autre médicament (Lyrica) ; – le 8 juillet 2015, il s’est vu prescrire un nouveau traitement (2 BT Atripla) par l’hôpital ACHEPA ; – le 9 juillet 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui lui a prescrit des contrôles mastologique et hématologique. Il s’est rendu à l’hôpital de Grevena le 22 juillet 2015 pour le deuxième examen, puis à l’hôpital Papanikolaou le 23 juillet 2015 pour le premier. Il est reparti de cet établissement le 30 juillet 2015 avec une prescription pour une mastographie et une échographie de la poitrine ; – le 6 août 2015, il a refusé d’aller à l’hôpital de Grevena pour subir ces examens ; – du 24 septembre au 1er octobre 2015, il a été hospitalisé à la clinique des infections spéciales de Thessalonique ; – le 11 novembre 2015, il a été examiné par le médecin de la prison, qui lui a prescrit une mastographie et une échographie de la poitrine, auxquelles il s’est soumis le 18 novembre 2015 ; – du 26 novembre au 2 décembre 2015, il a été hospitalisé à l’hôpital de Thessalonique. Le Gouvernement indique également que le médecin de la prison de Grevena était présent dans cet établissement deux à trois fois par semaine, et ce plus de huit heures chaque jour, et qu’il était possible de prendre contact avec lui les autres jours de la semaine. Il ajoute que ce médecin suivait régulièrement le requérant. Il indique aussi que, en cas d’urgence ou lorsque le requérant déclarait ne pas se sentir bien pendant les périodes d’absence du médecin, l’intéressé était transféré immédiatement à l’hôpital de Grevena. Enfin, il affirme que l’infirmier chargé d’administrer son traitement au requérant avait une formation en la matière et qu’il ne s’agissait pas d’un simple employé de la prison. D. La détention du requérant dans les prisons de Larissa et d’Alikarnassos La version du requérant Le requérant se plaint qu’aucune des mesures indiquées par la Cour au Gouvernement n’ait été mise en œuvre et que les autorités aient procédé à son transfert à la prison de Larissa dans des circonstances critiquables puisque ledit transfert aurait été effectué au moyen d’un fourgon cellulaire bondé et qu’il aurait été menotté à cette occasion. Par ailleurs, indiquant qu’il a vécu pendant environ un mois à la prison de Larissa, il dénonce les conditions de détention dans cet établissement, au sujet desquelles la Cour aurait dans plusieurs cas conclu à des violations de l’article 3 de la Convention. Il se plaint notamment de l’état de surpopulation auquel il aurait été confronté : à ses dires, il séjournait dans une cellule de 25 m², occupée par dix à douze autres détenus, qui aurait de surcroît été enfumée. Le requérant affirme que, après avoir passé quelques jours dans le centre de transfert d’Athènes dans une cellule qui aurait été surpeuplée, il a été transféré le 10 février 2016 à la prison d’Alikarnassos, après avoir été menotté, dans des conditions qui auraient été éprouvantes. Il indique que, dans cet établissement, les conditions de détention étaient encore plus humiliantes et dégradantes. Il expose qu’il y a été placé dans le quartier disciplinaire, dans une cellule qui aurait été sombre, qui aurait mesuré un peu plus de 6 m² (avec, à ses dires, des toilettes non séparées) et qu’il aurait partagée avec un autre détenu séropositif. Il précise que les lits et les toilettes occupaient des surfaces respectives de 2 m² et de 3 m², que son codétenu et lui disposaient ensemble d’un espace personnel de 1 m² et que l’odeur de la cellule était insupportable. Il ajoute avoir eu le sentiment que les autorités le laisseraient « mourir dans ses excréments », et ce en dépit de l’indication des mesures provisoires à deux reprises par la Cour. La version du Gouvernement Le Gouvernement réplique que l’intéressé était placé dans un espace spécialement aménagé au rez-de-chaussée de la prison d’Alikarnassos, sortait dans la cour avec les autres détenus, s’alimentait normalement et vivait comme tous les autres prisonniers. S’agissant des allégations du requérant concernant une insuffisance d’éclairage et de ventilation, le Gouvernement estime qu’elles sont contredites par les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). Il précise que celui-ci a visité la prison en cause en avril 2015 et qu’il a conclu que les cellules étaient suffisamment éclairées par la lumière naturelle et artificielle, qu’elles étaient suffisamment aérées et que les espaces communs et les toilettes étaient propres. Le Gouvernement indique que le CPT a visité les cellules du quartier disciplinaire de la prison d’Alikarnassos (occupées à l’époque de cette visite par d’autres détenus), et non l’aile centrale de la prison, où, à ses dires, le requérant a séjourné. Quant à l’allégation du requérant selon laquelle celui-ci a fait l’objet de soins médicaux insuffisants, le Gouvernement affirme que, depuis son transfert à la prison d’Alikarnassos, le requérant est suivi systématiquement par l’unité des infections spéciales de l’hôpital universitaire de Héraklion, dont les médecins lui auraient prescrit un traitement. Il précise que l’intéressé a été transféré dans cette unité à plusieurs reprises, notamment les 19, 21 et 26 février 2016, le 1er mars 2016, le 15 avril 2016, les 11, 13 et 25 mai 2016 et le 20 juillet 2016. Il ajoute que, dans un rapport du 1er mars 2016, un médecin de cette unité concluait que la numération des cellules CD4 classait le requérant au stade C2 de la maladie. Il indique aussi que, dans un autre rapport, daté du 25 mai 2016 et ordonné dans le cadre de la nouvelle demande du requérant fondée sur l’article 110A du CP, l’expert désigné par le procureur près le tribunal correctionnel de Héraklion concluait que l’examen clinique ne démontrait pas de persistance de la tuberculose et relevait, s’agissant du VIH, que la numération des cellules CD4 classait le requérant au stade C3 de la maladie et que celui-ci réagissait bien au traitement antiviral. Enfin, d’après le Gouvernement, le requérant n’a jamais informé les autorités qu’il était fiévreux ou qu’il vomissait plusieurs fois dans la journée ou qu’il ne pouvait pas rester debout, comme il le soutiendrait maintenant devant la Cour. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 110A du CP dispose ce qui suit : « 1. La libération conditionnelle est accordée, indépendamment de la réalisation des conditions énoncées aux articles 105 et 106, si le condamné a développé (νοσεί) le syndrome d’immunodéficience acquise, s’il souffre d’une insuffisance rénale chronique nécessitant une hémodialyse à intervalles réguliers ou d’une tuberculose résistant au traitement, s’il est tétraplégique, s’il est atteint d’une cirrhose du foie ayant entraîné une invalidité d’un taux supérieur à 67 %, si, ayant dépassé l’âge de quatre-vingts ans, il souffre de démence sénile, ou s’il est atteint de néoplasmes malins en phase terminale. La vérification des conditions du premier paragraphe est faite, à la demande du condamné, par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent, qui ordonne une expertise spéciale dont le déroulement est fixé par une décision commune du ministre de la Justice et du ministre de la Santé, de la Prévoyance et de la Sécurité sociale. La libération conditionnelle décidée en vertu du premier paragraphe du présent article est inscrite au casier judiciaire du condamné, est accordée une seule fois et s’étend d’office à toutes les peines prononcées si une peine globale peut être fixée en application de l’article 551 du code de procédure pénale. La condamnation prononcée pendant la période de sursis avec mise à l’épreuve pour une infraction qui a été commise avant le début de l’exécution de la peine et pour laquelle la libération conditionnelle a été décidée n’entraîne pas l’annulation de cette libération. » La procédure prévue à l’article 110A du CP est engagée lorsque la personne condamnée décide de déposer une demande à cet effet. Dans ce cas, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel compétent désigne un expert, qui est appelé à vérifier que les conditions de cette disposition se trouvent réunies. La procédure prévoit : a) le dépôt auprès du directeur de la prison d’une demande de transfert immédiat du détenu à un hôpital public ou, si cela n’est pas possible, à l’hôpital de la prison de Korydallos ; b) l’examen clinique et biologique du détenu selon les instructions du directeur de l’hôpital ; c) la rédaction d’un rapport et la délivrance d’un certificat médical par ce même directeur ; d) la transmission du dossier médical du détenu à l’expert désigné, lequel rédige son rapport d’expertise en tenant compte de l’ensemble du dossier (décision ministérielle no 164484/2010 du 25 janvier 2010). III. LES CONSTATS DU COMITÉ POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS Dans son rapport relatif à sa visite en Grèce du 14 au 23 avril 2015, le CPT a procédé aux constats suivants dans la prison d’Alikarnassos. À la date de la visite, la prison, d’une capacité officielle de 105 détenus, en accueillait 233. Les semaines précédant la visite avaient vu le nombre de prisonniers diminuer de cinquante. La grande majorité des détenus purgeaient de longues peines. Les bâtiments de la prison, construite en 1932, étaient dans un stade de décrépitude avancé malgré les efforts déployés pour les maintenir dans un état décent. L’espace de détention était réparti sur trois étages, comprenant chacun trente-cinq cellules. Les cellules, conçues pour accueillir une personne, étaient occupées par trois voire quatre détenus. Chaque cellule mesurait 8 m² et était équipée de deux ou trois lits superposés et d’un lit supplémentaire, d’un évier, d’une table et de chaises, ainsi que de toilettes partiellement séparées. La lumière naturelle et artificielle ainsi que l’aération étaient satisfaisantes. Les espaces communs, y compris les douches et les toilettes, étaient propres. La prison bénéficiait de la présence à plein temps d’un médecin généraliste et d’une infirmière, qui était assistée par un employé de la prison. Un dentiste visitait la prison tous les mercredis, et un psychiatre faisait de même tous les samedis matin. Eu égard au nombre de détenus, le CPT préconisait l’augmentation du nombre d’infirmières à au moins quatre. La délégation du CPT avait rencontré deux détenus séropositifs. Ceux-ci étaient placés depuis six mois dans une cellule de 7 m² située dans le quartier disciplinaire. Pendant les trois premières semaines de leur séjour dans cette cellule, ils avaient dormi sur des matelas par terre avant que des lits superposés ne fussent installés. Pendant la journée, ils étaient confinés dans un couloir étroit longeant le quartier disciplinaire. Ils n’avaient été autorisés à sortir dans la petite cour de ce quartier que pendant trois jours avant la visite de la délégation. La cellule n’avait pas d’accès à la lumière naturelle, l’aération y était insuffisante et la lumière artificielle (éclairage par une ampoule nue) y était permanente. Les toilettes, qui se trouvaient dans la cellule, n’étaient pas séparées et les détenus utilisaient en journée la douche et les toilettes situées dans le couloir ; la nuit, les détenus ne pouvaient pas être en contact avec les gardiens et ne pouvaient donc pas demander à sortir de leurs cellules. Dans ses constats, le CPT soulignait que la séparation des détenus séropositifs des autres prisonniers était une pratique bien établie dans les prisons grecques. Il indiquait que, à la prison d’Alikarnassos, il aurait été possible pour les deux détenus séropositifs susmentionnés de partager une cellule dans l’aile principale de la prison et de bénéficier du même régime de détention que les autres prisonniers. Il relevait cependant que ces deux détenus étaient séparés des autres prisonniers et vivaient dans des conditions bien plus dures que ceux-ci en raison de préjugés existant à leur encontre. Le CPT recommandait aux autorités grecques de ne plus mettre de détenus séropositifs dans le quartier disciplinaire de la prison dans la mesure où les cellules de ce quartier ne permettaient pas à ces détenus de bénéficier des mêmes conditions de vie que celles offertes aux autres prisonniers dans les cellules ordinaires. IV. LES CONSTATS DU MÉDIATEUR DE LA RÉPUBLIQUE À la suite d’une plainte collective portant sur les conditions de détention déposée par trente et un détenus par l’intermédiaire de l’organisation non gouvernementale « Action grecque pour les droits de l’homme », le médiateur de la République a effectué une inspection de la prison de Grevena le 1er juillet 2013. Dans son rapport du 16 décembre 2013, le médiateur notait que cette prison avait une capacité officielle de 600 détenus, qu’elle accueillait 732 personnes à la date de son inspection et que ce nombre s’était élevé par le passé à 800 personnes. Le médiateur observait que le plus grand problème rencontré dans cette prison consistait en la surpopulation. Il constatait en effet que les détenus en surnombre dormaient sur des matelas par terre et que les cellules disciplinaires et la cellule d’accueil des nouveaux admis étaient transformées en lieux de détention ordinaire. Il précisait ainsi que dix cellules disciplinaires accueillaient trente détenus qui n’étaient pas soumis à une peine disciplinaire. Il estimait que l’utilisation des cellules disciplinaires pour le séjour continu des détenus constituait un point qui devait être revu. Le médiateur soulignait en outre que l’alimentation des détenus était problématique en raison du montant insuffisant du budget accordé (2,20 EUR par détenu). Il indiquait que le menu comprenait un petit-déjeuner (thé ou lait), un déjeuner (pâtes, légumes secs et viande : deux fois par semaine ; légumes frais et salade : une fois par semaine) et un dîner. Il notait aussi que les cuisines de la prison étaient propres et bien équipées. Par ailleurs, le médiateur observait que le réseau d’approvisionnement en eau du secteur de la prison présentait des problèmes, de sorte que l’eau froide n’était pas fournie en continu, et que, en revanche, il n’y avait pas de problème pour la fourniture d’eau chaude. Le médiateur concluait que le nombre élevé de détenus rendait difficile la cohabitation dans la prison et que, de ce point de vue-là, les exigences du droit interne et du droit international n’étaient pas respectées en ce qui concernait l’espace personnel minimal requis pour chaque détenu.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née le 6 décembre 1984 et réside à Istanbul. Le 7 octobre 2002 vers 22 heures, la mère de la requérante signala à la police la disparition de cette dernière, qui avait quitté la maison le matin pour se rendre au lycée et n’était toujours pas rentrée. Le lendemain, la mère de la requérante retourna au poste de police. Elle expliqua que, d’après ses recherches personnelles, sa fille avait été enlevée sous la menace par un dénommé F.T. Le 9 octobre 2002, vers 17 heures, la requérante se présenta au commissariat de police, accompagnée de sa mère. Elle expliqua avoir fugué parce qu’elle était victime de viols commis par son beau-père, M.S. Vers 19 heures, la police procéda à l’arrestation de M.S. Suivant les indications données par celui-ci, des policiers se rendirent à son domicile pour y saisir l’arme avec laquelle la requérante avait indiqué avoir été menacée. Au commissariat, celle-ci reconnut le pistolet à grenaille rapporté par la police comme étant l’arme avec laquelle son beau-père l’avait menacée. Vers 20 h 30, la requérante fut conduite à l’hôpital pour y subir un examen qui révéla une rupture ancienne de l’hymen, impossible à dater. Le rapport indiquait une absence de trace physique de viol sur le corps de l’intéressée. Vers 22 h 45, deux agents de police recueillirent la déposition de la requérante. Celle-ci expliqua que, depuis environ un an, lorsque sa mère et sa sœur n’étaient pas à la maison, son beau-père la regardait d’une manière qui la gênait et qu’elle ressentait comme du harcèlement. Elle indiqua que, environ quinze à vingt jours avant sa fugue, à son retour du lycée et en l’absence de sa mère et de sa sœur, son beau-père s’était mis à la fixer du regard. Elle lui aurait demandé pourquoi il la regardait ainsi et lui aurait dit que cela la gênait, puis elle serait allée dans sa chambre. Son beau-père l’y aurait suivie, se serait jeté sur elle, l’aurait dévêtue de force et l’aurait violée sans qu’elle pût l’en empêcher parce qu’il était, selon elle, plus fort qu’elle. Après le rapport sexuel, elle aurait saigné. Elle affirma qu’elle avait perdu sa virginité à cette occasion. Elle aurait pleuré et menacé de tout raconter à sa mère. Son beau-père aurait répondu que, si elle le faisait, leur famille éclaterait, que c’est elle et sa mère qui en pâtiraient et qu’elles se retrouveraient sans domicile puisque la maison dans laquelle ils vivaient était la sienne. Il aurait ensuite promis de la conduire chez un médecin pour procéder à une chirurgie réparatrice de l’hymen. La requérante ajouta que son beau-père avait menacé de la tuer avec une arme qu’il possédait. Après cette date, elle aurait eu des relations sexuelles forcées avec lui à trois ou quatre reprises. Elle se serait mise à le haïr et aurait décidé de fuguer. Le jour de sa fugue, elle aurait rejoint après les cours son petit ami, F.T., et lui aurait dit qu’elle ne retournerait plus à la maison, mais sans le mettre au courant des agissements de son beau-père. F.T. n’ayant pas réussi à la convaincre de rentrer chez elle, ils auraient alors passé la nuit à l’hôtel, sans avoir de relations sexuelles. La requérante souligna qu’elle n’avait été ni enlevée ni séquestrée par F.T. Elle aurait passé la nuit suivante chez une amie et aurait décidé de rentrer après avoir reçu un message de sa sœur sur son téléphone portable. Elle ajouta que, environ un an avant les faits dénoncés, son beau-père lui avait pincé la jambe et que sa mère, voyant cela, l’avait réprimandé en lui interdisant de recommencer. Elle confirma que c’était bien avec l’arme retrouvée à leur domicile que son beau-père l’avait menacée, précisant qu’elle n’en connaissait pas le nom et que c’était au commissariat qu’elle avait appris qu’il s’agissait d’un pistolet à grenaille. Dans sa déposition recueillie le même jour, la mère de la requérante déclara que sa fille lui avait relaté l’incident lorsqu’elle était rentrée de sa fugue et qu’elle l’avait alors aussitôt accompagnée au commissariat. Elle confirmait avoir surpris son mari en train de toucher et de pincer la jambe de sa fille dans leur chambre à coucher environ un an avant les faits dénoncés. Elle démentait les dires de son mari selon lesquels il était impuissant, affirmant qu’ils avaient des relations sexuelles tous les deux ou trois mois. Elle présentait sa fille comme une personne intelligente et ne racontant pas de mensonge. Elle précisait que, ces derniers temps, sa fille détestait M.S. et qu’elle le fuyait, qu’elle disait ne pas aimer cette maison et qu’elle lui avait demandé de divorcer. Elle indiquait aussi que, alors qu’elle sortait de la maison pour aller à la recherche de sa fille, son mari lui avait demandé de ne pas la conduire au commissariat mais de la ramener à la maison pour qu’il l’interroge et qu’il découvre avec qui elle avait traîné. Enfin, elle faisait part de sa volonté de porter plainte contre F.T. pour séquestration. Le 10 octobre 2002, la requérante fut soumise à un examen médical à l’institut médicolégal d’İzmir, examen qui confirma la présence d’une rupture ancienne de l’hymen, dont il était médicalement impossible de déterminer la date. Le médecin précisa que l’examen anal n’avait révélé aucune anomalie et que le corps de la requérante ne portait pas de trace de violence apparente. Le même jour, vers 18 heures, la police recueillit la déposition des deux suspects, M.S. et F.T. M.S. nia les faits qui lui étaient reprochés. Il expliqua souffrir d’impuissance depuis environ un an et n’avoir pas eu de relations sexuelles avec sa femme pendant cette période. Il déclara que la requérante avait une relation depuis près d’un an avec F.T. et qu’elle rentrait souvent tard. Il admit l’avoir frappée quelquefois pour cette raison. Il ajouta qu’il était âgé de 62 ans et qu’il tomberait si elle le poussait. F.T. déclara qu’il avait rejoint la requérante à la sortie du lycée. Celle-ci lui aurait expliqué que son beau-père la battait et qu’elle ne retournerait plus à la maison. Malgré ses tentatives pour la convaincre de rentrer, elle aurait refusé et ils auraient passé la nuit dans une chambre d’hôtel. Il précisa qu’il n’avait pas eu de relations sexuelles avec elle et qu’il ne l’avait pas séquestrée. Le lendemain, en quittant l’hôtel, la requérante lui aurait dit qu’elle partait au lycée. Le 9 octobre, apprenant qu’il était recherché par la police, il s’était présenté spontanément au commissariat. Au terme de leur garde à vue, les deux suspects furent placés en détention provisoire. Le 18 octobre 2002, le procureur de la République d’İzmir inculpa M.S. pour attouchements, viol et séquestration sur le fondement des articles 416, 417, 418 § 2 et 430 § 1 de l’ancien code pénal, et F.T. pour séquestration. Le procès s’ouvrit devant la cour d’assises d’İzmir. Le 22 octobre 2002, F.T. fut remis en liberté. Le 15 novembre 2002, l’avocat de la requérante sollicita le huis clos et présenta une demande de constitution de partie intervenante de la requérante et de sa mère. Il pria également la cour d’assises de prendre en compte l’avis du service de psychiatrie de l’hôpital universitaire d’İzmir en particulier celui d’une pédopsychiatre spécialisée en matière d’abus sexuels sur enfants en milieu familial quant à la manière d’appréhender les déclarations de mineurs victimes de tels abus, pour savoir si sa cliente avait réellement subi un traumatisme psychique et si ses déclarations étaient crédibles. Il demanda enfin que la requérante soit soumise à une série d’examens au service médicolégal de l’hôpital universitaire. Lors de la première audience, qui eut lieu le 18 novembre 2002, la cour d’assises accueillit la demande de constitution de partie intervenante. Elle entendit la requérante, sa mère et sa sœur ainsi que les accusés en leurs déclarations. M.S. nia les accusations portées à son encontre. Il précisa qu’il n’était pas en mesure d’accomplir son devoir conjugal en raison de son âge et que, par conséquent, il ne pouvait pas avoir commis le viol. Il ajouta que la requérante et sa mère l’avaient accusé à tort pour lui soustraire sa maison et son argent, et qu’elles avaient déjà obtenu de lui la cession de la maison, lui en laissant l’usufruit. La requérante fit des déclarations identiques à sa déposition recueillie par la police. Elle décrivit les circonstances de son agression en ces termes : « L’accusé M. est mon beau-père. Il me battait de temps en temps. Quand je rentrais tard, alors même que je lui expliquais la raison de mon retard, il me frappait quand même. L’école a commencé en septembre. Un jour, en rentrant de l’école, alors que l’accusé M. était seul à la maison, je suis allée dans la chambre à coucher pour enlever mon uniforme [de l’école]. L’accusé est arrivé dans la chambre. Je lui ai demandé de sortir. Il n’a pas voulu le faire. À cet instant, il a bloqué mes deux mains avec la sienne et il a retiré mon uniforme. Il n’a pas déshabillé le haut, il a juste retiré ma jupe, puis ma culotte. En tenant mes deux mains, il m’a couchée sur le lit et il m’a violée. (...) » La requérante se vit interroger sur la raison pour laquelle elle n’avait pas informé les autorités de cet incident sans délai, puisqu’elle était en mesure de comprendre ce qui s’était passé vu son âge et son niveau d’éducation. La requérante répondit en ces termes : « Je n’ai pu le dire à personne ». Le procès-verbal d’audience ne permet pas de savoir qui a posé cette question. L’avocat de M.S. indiqua que son client était un homme malade et âgé. Il affirma que la requérante ne disait pas la vérité : elle déclarait avoir été violée 10 à 12 jours avant sa fugue alors que le rapport médical indiquait que la rupture de l’hymen était ancienne. Il ajouta du reste qu’il y avait lieu de s’interroger sur la raison pour laquelle la requérante, lors de sa fugue, n’avait pas passé la nuit chez une amie mais avait rejoint son ami F.T. Il estimait que, si elle avait été capable d’une telle audace, aucune de ses déclarations ne reflétaient la vérité. La sœur de la requérante déclara que lorsqu’elle avait appelé celleci au téléphone après sa fugue, la requérante lui avait demandé de ne pas venir la chercher avec son père. Elle avait ensuite retrouvé la requérante au commissariat, où celle-ci lui avait indiqué pour la première fois avoir été violée par son beau-père. Elle ajouta que, six mois auparavant, ce dernier avait appris que la requérante fréquentait F.T. et qu’il l’avait frappée pour cette raison. Il lui aurait demandé de conduire la requérante à la maison avant de l’emmener au commissariat et aurait déclaré qu’il lui infligerait personnellement sa peine. À l’issue de l’audience, la cour d’assises releva que la requérante avait indiqué suivre une thérapie (tedavi) au service de psychiatrie de l’université Dokuz Eylül (İzmir) et décida de demander son dossier médical. Elle précisa qu’après réception de ce dossier, la requérante et M.S. devaient se présenter à l’institut médicolégal d’Istanbul pour qu’il fût vérifié si, compte tenu aussi de la corpulence (fiziksel yapısı) de la requérante, l’accusé était en mesure de la violer par la force, et si sa puissance sexuelle était suffisante pour un tel acte. Elle demanda aussi de rechercher si la requérante était en mesure de résister (karşı koyma konumunda olup olmadığı) à l’accusé et si elle souffrait d’une déficience ou d’une maladie mentale telle que visée par l’article 414 et 416 de l’ancien code pénal. Elle ordonna en outre la remise en liberté provisoire de M.S. La requérante et sa mère ne participèrent qu’à cette première audience. La cour d’assises ne se prononça pas sur la demande de huis clos. Au cours de cette première audience, la cour d’assises était composée des juges A.B., H.D. et M.R.B. Le 25 novembre 2002, l’avocat de la requérante présenta ses demandes chiffrées de dommages et intérêts. Dans un rapport du 27 février 2003 adressé à la cour d’assises, le chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital universitaire Dokuz Eylül d’İzmir indiqua que la requérante s’était présentée au service de pédopsychiatrie pour la première fois le 14 novembre 2002 pour des troubles apparus, selon ses indications, après le harcèlement sexuel dont elle avait été victime de la part de son beau-père. Les médecins diagnostiquèrent chez elle un stress post-traumatique et une dépression majeure et lui prescrivirent un traitement antidépresseur. Le rapport indiqua que l’intéressée faisait l’objet d’un suivi psychiatrique régulier et qu’elle avait été reçue en consultation à six reprises. Le 3 mars 2003, la cour d’assises tint sa deuxième audience. L’avocat de la requérante indiqua que même après sa libération, M.S. avait harcelé de temps en temps sa cliente. Le rapport du 27 février 2003 n’ayant pas encore été versé au dossier, la cour d’assises décida d’ajourner l’audience et nomma le juge H.D. comme juge assesseur en vue de l’exécution des actes de procédure décidés lors de la première audience. Le 30 avril 2003, la requérante subit un examen à l’institut médicolégal. Le 10 octobre 2003, la cour d’assises accusa réception de la réponse de l’institut médicolégal d’Istanbul indiquant que M.S. s’était présenté à l’institut puis avait été envoyé à l’hôpital universitaire Cerrahpaşa d’Istanbul en vue de l’obtention d’un rapport, lequel ne lui avait pas encore été envoyé. Le 8 mars 2004, la cour d’assises accusa réception de la réponse de l’institut médicolégal indiquant qu’il n’avait toujours pas reçu le rapport de l’hôpital universitaire Cerrahpaşa. Au cours de l’audience, l’avocat de M.S. expliqua que son client avait bien été admis au service de radiodiagnostic de l’hôpital universitaire pour y subir des examens conformément à la demande de l’institut médicolégal d’Istanbul et qu’un rapport avait été établi le 29 septembre 2003. Il produisit en audience la copie de ce rapport. À l’issue de l’audience, la cour d’assises décida de demander à l’hôpital universitaire de lui envoyer l’original du rapport en question et de le transmettre ensuite à l’institut médicolégal. Le 28 mai 2004, l’institut médicolégal demanda au parquet d’İzmir d’assurer la présentation de l’accusé M.S. à l’hôpital universitaire le plus proche pour des analyses complémentaires et la réalisation de tests de tumescence nocturne et de tests à la papavérine. Le même jour, l’institut médicolégal établit son rapport au sujet de la requérante. À la lumière des déclarations faites par celle-ci devant la cour d’assises le 18 novembre 2002, des rapports médicaux établis à son endroit ainsi que de l’examen médical subi par elle le 30 avril 2003 à l’institut, les médecins conclurent qu’elle était en mesure de comprendre le caractère immoral des faits et de résister à l’acte sur le plan psychique (olayın ahlaki redaetini idrak edip, fiile ruhsal yönden mukavemete muktedir olduğu). Lors de l’audience du 15 octobre 2004, l’avocat de la requérante présenta ses commentaires sur le rapport. Il affirma que l’examen de sa cliente effectué le 30 avril 2003 à l’institut avait duré seulement cinq minutes et que, à cette occasion, les médecins s’étaient bornés à lui poser quelques questions. Il estima en outre que la conclusion de ce rapport pouvait laisser croire que la requérante avait la capacité physique de résister à l’agression sexuelle mais qu’elle ne s’y était pas opposée. Selon lui, cette interprétation ne tenait pas compte du traumatisme vécu par l’intéressée. Il demanda que sa cliente fût soumise à un examen détaillé, à la lumière du rapport de l’hôpital universitaire du 27 février 2003, aux fins de déceler la présence de traumatismes psychiques et de séquelles consécutifs au viol. Il pria en particulier la cour d’assises de consulter le service de pédopsychiatrie de l’hôpital universitaire pour savoir si le stress posttraumatique et la dépression majeure observés chez la requérante étaient de nature à confirmer ses allégations, s’il s’agissait d’affections rencontrées fréquemment dans des cas de viol et si d’autres faits que le viol pouvaient avoir provoqué son traumatisme. Il ajouta que la requérante et sa mère avaient été contraintes de déménager à deux reprises puis de quitter la ville d’İzmir pour s’installer à Istanbul en raison des menaces proférées à leur encontre par M.S. La cour d’assises rejeta cette demande au motif que l’instance compétente en la matière – l’institut médicolégal – s’était déjà prononcée sur la question. Elle ordonna la présentation de M.S. au service d’urologie de l’un des hôpitaux universitaires d’İzmir pour le soumettre à des analyses et à des tests, conformément à la demande de l’institut médicolégal (paragraphe 32 ci-dessus). Le 18 juillet 2005, la cour d’assises fut informée par les hôpitaux universitaires d’İzmir qu’ils ne pouvaient pas réaliser le test de tumescence nocturne. Elle invita l’institut médicolégal à lui indiquer les hôpitaux de la région en mesure de faire ce test. Elle releva que les autres tests demandés par l’institut avaient déjà été réalisés. Le 2 novembre 2005, elle nota que l’institut avait indiqué que le test de tumescence nocturne pouvait être réalisé dans l’un des hôpitaux universitaires d’İzmir alors que les hôpitaux universitaires avaient indiqué le contraire. Par conséquent, elle demanda à l’institut s’il était possible d’établir un rapport sans effectuer ce test et, dans la négative, le pria de lui indiquer dans quel hôpital universitaire d’Istanbul ce test pouvait être fait. Le 30 décembre 2005, la cour d’assises ordonna la présentation de M.S. à l’hôpital universitaire Cerrahpaşa d’Istanbul pour réaliser le test en question. Le 5 avril 2006, la cour d’assises accusa réception du rapport de l’hôpital universitaire d’Istanbul. Elle releva que, selon ce rapport, l’accusé n’avait pas pu fournir une rigidité suffisante pour le test et que ce constat cadrait avec un dysfonctionnement organique. Le 26 juin 2006, l’avocat de la requérante mit de nouveau en cause la fiabilité de l’examen de sa cliente par l’institut ainsi que les conclusions du rapport du 28 mai 2004 la concernant. Il releva par ailleurs que le test concernant l’accusé avait été réalisé près de quatre ans après les faits et s’interrogea sur la possibilité de le considérer rétroactivement. À cet égard, il fit remarquer que la mère de la requérante avait indiqué dans sa déposition du 18 novembre 2002 avoir des relations avec l’accusé tous les deux mois. Il précisa en outre que, selon l’avis de plusieurs médecins, une érection complète n’était pas nécessaire pour une relation sexuelle. Enfin, il critiqua la durée excessive de la procédure et ajouta que pendant cette période la requérante avait été contrainte de déménager à Istanbul en raison des menaces de son beau-père. Le 30 juin 2006, la cour d’assises releva que le test de tumescence nocturne avait été réalisé et décida d’envoyer à nouveau le dossier à l’institut médicolégal d’Istanbul pour avis. Dans sa requête déposée le 6 juillet 2006 à la cour d’assises, l’avocat de la requérante demanda à nouveau que sa cliente soit soumise à un examen psychiatrique à l’institut médicolégal. Il pria également la cour d’assises de demander à l’institut si des examens sur la capacité sexuelle de l’accusé, réalisés quatre ans après l’incident, pouvaient permettre de constater son impuissance à la date des faits reprochés et si l’absence d’érection totale empêchait la pénétration. Lors de l’audience du 27 décembre 2006, la cour d’assises releva que, selon le rapport de l’institut médicolégal du 18 octobre 2006, l’accusé était impuissant. L’avocat de la requérante contesta ce rapport en précisant qu’il avait été délivré cinq ans après les faits dénoncés et que la capacité sexuelle de l’accusé avait très bien pu changer au cours de ce laps de temps. Il allégea aussi le caractère incomplet du rapport médical puisque l’institut n’avait pas pris en considération les points évoqués par lui dans sa requête du 6 juillet 2006 (paragraphe 42 ci-dessus), et demanda un complément d’enquête sur ce point. La cour d’assises écarta cette demande. À l’issue de l’audience, la cour d’assises prononça l’acquittement des accusés. Pour parvenir à cette conclusion, elle se fonda sur les déclarations des accusés, de la requérante, de sa mère et de sa sœur ainsi que sur les conclusions des rapports médicaux suivants : le rapport médical du 10 octobre 2002 concernant la perte de virginité, le rapport du 28 mai 2004 concluant que la requérante était en mesure de comprendre les faits et de résister sur le plan psychique, et enfin le rapport du 18 octobre 2006 concernant la puissance sexuelle de l’accusé. S’agissant de M.S., elle considéra à la lumière de l’ensemble des éléments du dossier que, à la date des faits dénoncés, il était impuissant et qu’il ne pouvait donc pas avoir commis les faits qui lui étaient reprochés. Le dispositif se lit comme suit dans sa partie concernant M.S. : « Bien que des actions pénales aient été ouvertes contre lui des chefs de (...), vu les déclarations constantes de l’accusé depuis le début, la corpulence de la victime et celle de l’accusé, les rapports obtenus dans les hôpitaux et dernièrement par le conseil de spécialistes [de l’institut médicolégal], une entière et intime conviction s’étant formée que l’accusé n’avait pas commis les infractions reprochées, que les déclarations de la victime et de la mère de celle-ci n’étaient ni sincères ni convaincantes, l’accusé est acquitté de toutes les accusations ; (...) » La composition de la cour d’assises au cours de cette audience était entièrement différente de celle qui avait tenu l’audience du 18 novembre 2002. La cour d’assises rejeta aussi la demande d’indemnisation de la requérante. Le 10 octobre 2011, la Cour de cassation confirma le jugement d’acquittement pour les infractions de viol et de séquestration reprochées à M.S. Pour l’infraction d’attouchements, elle releva que celle-ci était frappée de prescription. En conséquence, elle cassa ce jugement pour autant qu’il portait sur cette infraction et prononça l’extinction de l’action pénale. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’ancien code pénal turc (loi no 765), qui était en vigueur à l’époque des faits, réprimait le viol et les agressions sexuelles en opérant une distinction selon que la victime était âgée de plus de quinze ans ou de moins de quinze ans. Selon l’article 416 § 1 de l’ancien code pénal, le viol commis sur une personne âgée de plus de quinze ans, sous la contrainte, la violence ou la menace, était puni au minimum de sept ans d’emprisonnement. Lorsque le viol était commis sur une personne qui n’était pas en mesure de résister à l’acte en raison notamment d’une maladie physique ou mentale, l’existence de la contrainte, de la violence ou de la menace n’était pas exigée. L’agression sexuelle sur une personne âgée de plus de quinze ans était punie de trois à cinq ans d’emprisonnement (article 416 § 2 de l’ancien code pénal). Selon l’article 417 de l’ancien code pénal, le fait que l’infraction ait été commise par une personne ayant autorité sur la victime, tels les parents, constituait une circonstance aggravante ; la peine prévue était augmentée de moitié. L’article 430 § 1 de l’ancien code pénal punissait de cinq à dix ans d’emprisonnement la séquestration d’une personne mineure à des fins sexuelles. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il ne pouvait y avoir viol que par la pénétration partielle ou totale de l’organe sexuel masculin (arrêt du 4 juin 1990 rendu par les chambres criminelles réunies de la Cour de cassation, E.1990/5-101-K.1990/156). La pénétration avec toute autre partie du corps ou avec un objet était qualifiée d’agression sexuelle (voir, par exemple, les arrêts du 24 mai 1990 (E. 1990/1429-K. 1990/2913) et du 13 avril 2000 (E. 2000/2250-K. 2000/1197), tous deux rendus par la 5e chambre criminelle de la Cour de cassation). Le nouveau code pénal (loi no 5237), entré en vigueur le 1er juin 2005, définit le viol comme la pénétration du corps avec un organe ou tout autre objet. Selon l’article 102 § 2 du code pénal, le viol est passible d’au moins douze ans d’emprisonnement et selon l’article 103 § 2, lorsqu’il est commis sur un mineur, la peine minimale est portée à seize ans d’emprisonnement. L’agression sexuelle sur un mineur – autre que le viol – est punie de huit à quinze ans d’emprisonnement (article 103 § 1). Enfin, le fait que ces infractions aient été commises par une personne ayant autorité sur la victime, tels les parents, constitue une circonstance aggravante et la peine prévue est augmentée de moitié (article 103 § 3). Par un arrêt du 12 novembre 2016, publié au Journal officiel le 11 décembre 2015, la Cour constitutionnelle a annulé l’article 103 § 2 du nouveau code pénal (2015/26 E.-2015/100 K.). Elle a relevé que le fait d’imposer une peine minimale ôtait aux juges la possibilité de prononcer une peine adaptée aux circonstances de l’espèce et entraînait le prononcé de lourdes peines qui étaient de nature à rompre le juste équilibre devant exister entre l’infraction et la peine. L’instauration de peines-planchers aboutissait ainsi à prononcer des peines disproportionnées. Néanmoins, pour éviter un vide juridique à la suite de l’annulation de cette disposition, la Cour constitutionnelle a fixé la date d’entrée en vigueur de l’annulation à un an après la publication de l’arrêt dans le Journal officiel, soit le 11 décembre 2016, laissant ainsi au législateur le temps nécessaire pour adopter une nouvelle disposition. Par un arrêt du 26 mai 2016, publié au Journal officiel le 13 juillet 2016, la Cour constitutionnelle a annulé, pour les mêmes motifs, l’article 103 § 1 du nouveau code pénal (2015/108 E.-2016/46 K.) ; elle a fixé la date d’entrée en vigueur de l’annulation à six mois après la publication de l’arrêt au Journal officiel, soit le 13 janvier 2017. III. SOURCES INTERNATIONALES PERTINENTES La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels, adoptée par le Comité des Ministres le 12 juillet 2007 et entrée en vigueur le 1er juillet 2010, a été ratifiée par la Turquie le 7 décembre 2011. En ce qui concerne plus particulièrement les abus sexuels en milieu familial, le rapport explicatif de cette convention indique ce qui suit : « 3. (...) On sait aussi que, très souvent, les enfants victimes de violences sexuelles ont de très grandes difficultés à parler de ces actes lorsqu’ils sont commis par une personne appartenant à leur environnement social ou familial ou parce qu’ils sont menacés. Or, les données disponibles montrent que, dans les pays du Conseil de l’Europe, la majorité des abus sexuels commis à l’encontre d’enfants sont perpétrés dans le cadre familial, par des proches ou par des personnes appartenant à l’environnement social de l’enfant. (...) 124. Le deuxième tiret prévoit que les enfants, dans le cadre de certaines relations, doivent être protégés même lorsqu’ils ont déjà atteint l’âge légal pour entretenir des activités sexuelles et que la personne impliquée n’a recours ni à la coercition, ni à la force, ni à la menace. Il s’agit de situations dans lesquelles les personnes impliquées abusent d’une relation de confiance avec l’enfant résultant d’une autorité naturelle, sociale ou religieuse qui leur permet de contrôler, punir ou récompenser l’enfant, sur les plans émotionnel, économique ou même physique. De telles relations de confiance existent entre l’enfant et ses parents, les membres de sa famille (...) 125. Le texte comprend la mention « y compris au sein de la famille » pour clairement mettre l’accent sur l’abus sexuel commis dans la famille. La recherche a en effet démontré qu’il s’agit d’une des formes de violences sexuelles les plus fréquentes et les plus dévastatrices pour l’enfant sur le plan psychologique, entraînant des dommages durables pour la victime. De plus, le terme « famille » fait référence à la famille élargie. » En ce qui concerne les enquêtes, les poursuites et le droit procédural (articles 30 à 36 de la convention), le rapport explicatif indique : « 209. Dans ce chapitre consacré aux aspects relatifs aux phases d’enquête et de poursuites des faits d’exploitation et d’abus sexuels concernant des enfants, les négociateurs ont voulu souligner l’importance primordiale qui s’attache à faire en sorte que les procédures tiennent dûment compte de la particulière vulnérabilité des enfants qui y sont confrontés, en tant que victimes ou témoins (...). 214. La question essentielle concerne le recueil et la place de la parole de l’enfant, qui constituent un enjeu majeur des procédures dans de nombreux États, comme en témoignent certaines affaires fortement médiatisées et les évolutions que les systèmes de procédure pénale ont connu dans les dernières décennies. Dans ce contexte, il est apparu urgent que les États se dotent de règles de procédure permettant de garantir et de sécuriser le recueil de la parole de l’enfant. 215. Ainsi, les paragraphes 1 et 2 énoncent deux principes généraux selon lesquels les investigations et les procédures judiciaires portant sur des faits d’exploitation et abus sexuels concernant des enfants doivent toujours se dérouler dans l’intérêt supérieur et le respect des droits des enfants et doivent viser à éviter d’aggraver le traumatisme déjà subi par ceux-ci. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le contexte de l’affaire Le premier requérant est un consortium constitué des deuxième et troisième requérants. Par deux actes no 2740 du 7 décembre 1995 et no 561 du 5 mars 1996, le conseil municipal de la ville d’Athènes adjugea au premier requérant un contrat d’installation et d’exploitation des horodateurs et parcmètres de la ville pour le compte de la municipalité d’Athènes. Par un arrêt no 1934/1998, le Conseil d’État, siégeant en formation plénière, annula les actes d’adjudication du contrat précité ainsi que les termes de concession de la part de la municipalité d’Athènes au premier requérant pour l’exploitation de ce marché. Le Conseil d’État considéra d’une part, que l’acte d’adjudication n’avait pas été pris par le conseil municipal de la ville d’Athènes à la majorité requise des deux tiers et, d’autre part, que la concession d’exploitation des horodateurs et parcmètres se fondait sur des dispositions du Code des collectivités territoriales qui étaient inconstitutionnelles, car le consortium se voyait attribuer des compétences de police consistant à imposer des amendes et à procéder à l’immobilisation des véhicules des contrevenants. B. La procédure litigieuse Le 7 mai 1999, les requérants saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’une action en dommages-intérêts contre la municipalité d’Athènes et l’État grec. Ils sollicitaient, en vertu de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, leur indemnisation notamment pour le dommage matériel subi et la perte de chances en raison de l’annulation du contrat précité suite à l’arrêt no 1934/1998 du Conseil d’État. En particulier, ils soutenaient que la rupture prématurée du contrat passé avec la municipalité d’Athènes équivalait à un changement soudain et imprévisible des circonstances sur lesquelles le premier requérant avait basé son activité entrepreneuriale. Le 28 septembre 2000, le tribunal administratif d’Athènes rejeta la partie de l’action qui concernait l’État grec comme irrecevable, après avoir considéré que les requérants n’auraient pas dû cumuler dans le même recours des prétentions se dirigeant en même temps contre les deux parties défenderesses. S’agissant de la partie de la requête dirigée contre la municipalité d’Athènes, le tribunal administratif d’Athènes renvoya l’affaire devant la cour administrative d’appel (décision no 7317/2000). Cette décision devint définitive. Le 19 décembre 2001, la cour administrative d’appel d’Athènes constata son incompétence et renvoya l’affaire devant le tribunal administratif d’Athènes (arrêt no 6173/2001). Le 28 août 2003, par une décision avant dire droit, le tribunal administratif d’Athènes rejeta l’action comme irrecevable en ce qui concernait les deuxième et troisième requérants. Il constata que ceux-ci manquaient d’intérêt pour agir dans la mesure où ils avaient introduit le recours en tant que membres du premier requérant et non pas de manière autonome. Ledit tribunal demanda aussi l’administration des preuves (décision no 10648/2003), Le 29 octobre 2004, le tribunal administratif fit partiellement droit à l’action. En particulier, après avoir fait référence à la jurisprudence du Conseil d’État en la matière, il considéra qu’afin de statuer sur l’indemnité, il fallait calculer la différence entre la situation patrimoniale actuelle du premier requérant et celle à laquelle il se trouverait si le fait dommageable, à savoir la conclusion et l’exécution partielle du contrat en cause, n’avait pas eu lieu. Le tribunal administratif considéra que la municipalité d’Athènes était responsable pour la perte subie par le premier requérant en raison de l’annulation du contrat en cause. Il admit que cette perte correspondait notamment à l’investissement pour l’achat et l’installation des horodateurs et des parcmètres, les salaires des employés ainsi que les indemnités de licenciement. En même temps, ladite juridiction prit en compte le bénéfice réalisé par l’intéressé suite à l’exécution partiel du contrat et conclut que les gains réalisés compensaient la perte subie. En outre, le tribunal administratif rejeta les demandes d’indemnisation sur la base du manque à gagner et de l’enrichissement sans cause de la municipalité d’Athènes. Enfin, il fit droit à la demande du premier requérant de se voir allouer la somme qui résulterait des intérêts calculés sur la somme initiale investie, si elle avait été déposée sur un compte d’épargne. Il reconnut ainsi sur cette base que la municipalité d’Athènes était redevable de 452 283,57 euros au premier requérant à titre de dédommagement pour le préjudice subi (décision no 12658/2004). Les 26 décembre 2004 et 28 janvier 2005, tant les requérants que la municipalité d’Athènes interjetèrent appel. Le 11 novembre 2005, la cour administrative d’appel d’Athènes confirma la décision no 12658/2004. Elle déclara l’action en dommages-intérêts irrecevable quant au deuxième et troisième requérants après avoir relevé que ceux-ci avaient intenté l’action en tant que membres du premier requérant et non pas de manière autonome (arrêt no 3695/2005). Quant au fond, elle rejeta l’appel introduit par le premier requérant et fit droit à celui de la municipalité d’Athènes. En particulier, la cour administrative d’appel admit qu’en principe la responsabilité extracontractuelle de la municipalité d’Athènes était établie au sens de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil du fait, qu’après sa mise en œuvre pour une période environ de deux ans, le marché public avait été annulé portant ainsi atteinte aux principes de la confiance légitime et de la sécurité juridique au détriment des requérants. S’agissant des dommages-intérêts, la cour administrative d’appel nota, tout d’abord, que le premier requérant sollicitait 1 282 994 532 drachmes (3 765 208 euros environ) à titre de compensation pour la perte subie suite à l’annulation du contrat par le Conseil d’État, à savoir le dommage subi en raison de la perte du capital investi pour son exécution. Elle constata que le premier requérant avait concédé qu’en raison de l’exécution partielle du contrat en cause pendant une période de deux ans environ, il avait réalisé un bénéfice égal au préjudice subi, à savoir 1 308 578 492 drachmes (3 840 289 euros environ). Ladite juridiction considéra que les recettes réalisées et le préjudice pécuniaire subi entretenaient un lien de causalité avec l’élément préjudiciel en l’espèce, à savoir la conclusion et l’exécution pour une certaine période d’un contrat nul. Par conséquent, le bénéfice pécuniaire précité devait être déduit de la somme revendiquée par le premier requérant au titre du préjudice subi. Sur cette base, la cour d’appel conclut que la perte subie par le premier requérant avait été compensée par les gains obtenus et que ses revendications à ce titre étaient devenues nulles. S’agissant du manque à gagner, la cour administrative d’appel, après avoir fait référence aux articles 914, 297, 298 du code civil ainsi qu’à la jurisprudence des juridictions internes sur ce sujet, considéra qu’il n’était pas possible de réclamer de dédommagement pour perte de chance sur la base d’un contrat qui avait entre-temps été jugé caduc. Ladite juridiction releva que dans le cas contraire, l’intéressé pourrait solliciter son dédommagement pour des profits qui résulteraient d’une activité illégale. En outre, la cour administrative d’appel rejeta aussi comme infondée la demande du premier requérant, à titre accessoire, de se voir allouer une somme de 440 722 912 drachmes (1 293 391 euros environ) qui résulterait de l’investissement de la somme de 1 328 052 026 drachmes (3 897 438 euros environ) dépensé pour l’exécution du contrat dans des fonds communs de placement à revenu fixe pour la période allant du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1998. La cour administrative d’appel jugea que cette demande était, avant tout, non étayée, car le premier requérant n’avait pas établi qu’il possédait la totalité de la somme en cause au 1er janvier 1996 et que, par conséquent, il ne pouvait procéder à l’achat des bons de ces fonds d’une valeur équivalente. Enfin, la cour administrative d’appel rejeta comme infondée la demande du premier requérant de se voir allouer la somme de 1 581 187 680 drachmes (4 640 316 euros environ) à titre d’enrichissement sans cause, en raison des sommes encaissées par la municipalité d’Athènes pour les contraventions pour stationnement illégal établies pendant la période litigieuse. En particulier, la juridiction administrative releva, d’une part, que le premier requérant n’avait pas prouvé que ces sommes avaient été encaissées, ce que pour sa part la municipalité d’Athènes réfutait en relevant que les originaux des procès-verbaux ne lui avaient jamais été soumis par le premier requérant. En tout état de cause, selon la cour administrative d’appel, en cas d’enrichissement sans cause, seules les personnes contre lesquelles les procès-verbaux en cause avaient été établis auraient pu légitimement exiger leur remboursement pour paiement indu. Le 17 avril 2006, les requérants se pourvurent en cassation contre l’arrêt no 3695/2005. Après plusieurs ajournements de l’audience, le 21 mars 2011 le Conseil d’État rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt de la cour administrative d’appel (arrêt no 866/2011). S’agissant des deuxième et troisième requérants, elle confirma le rejet de leur action ratione personae. Quant au fond, le Conseil d’Etat jugea que l’indemnité due par l’Etat ou une personne morale de droit public, sur le fondement des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil, incluait la différence entre la situation patrimoniale de la personne lésée après l’avènement du fait dommageable et celle dans laquelle celle-ci se trouverait si le fait dommageable n’avait pas eu lieu. Si, toutefois, un avantage découlait aussi du fait dommageable, qui aurait un lien de causalité avec celui-ci, le dommage réellement subi serait celui calculé après déduction de cet avantage. Le Conseil d’Etat rajouta qu’au cas où la responsabilité de l’Etat était due à un acte favorable à la personne lésée mais émis sans que les conditions légales aient été respectées, cette responsabilité s’étendait au damnum emergens qui incluait tant le rétablissement du status quo ante patrimonial de la personne lésée (si l’acte illégal n’avait jamais existé), que les bénéfices que celle-ci aurait réalisés si elle ne s’était pas fiée à la validité de l’acte. Dans ce cas, une indemnité pour lucrum cessans n’était pas envisageable. Le Conseil d’Etat précisa notamment que les juridictions du fond avaient à juste titre tenu compte des gains réalisés par le consortium afin de déterminer son préjudice, d’autant plus que celui-ci avait confirmé qu’il avait réalisé des bénéfices pendant l’exécution partielle du contrat. En l’espèce, les conditions pour tenir compte simultanément du dommage et du bénéfice se trouvaient réunies car tant l’un que l’autre avaient la même cause, à savoir l’attribution illégale au consortium des compétences de police. Or, une telle prise en considération simultanée n’était pas contraire à la bonne foi. Le Conseil d’Etat précisa aussi que devait être pris en considération l’ensemble des recettes produites par l’activité du consortium et non seulement les gains nets de celui-ci, car c’étaient les recettes brutes qui allaient servir, entre autres, pour l’amortissement de l’investissement. Le Conseil d’Etat conclut qu’une telle manière de procéder afin de déterminer si le requérant devait ou non percevoir une indemnité n’était pas contraire à l’article 17 de la Constitution, ni à l’article 1 du Protocole no 1. En outre, le Conseil d’Etat considéra que la cour administrative d’appel avait à juste titre rejeté la demande du premier requérant relative à l’octroi d’une indemnité au titre du manque à gagner : la responsabilité de la municipalité d’Athènes découlant de l’attribution inconstitutionnelle des compétences de police au consortium et sans la majorité des deux tiers requise, ce dernier ne pouvait pas revendiquer, sur le fondement des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil, un manque à gagner du fait de la non-exécution du contrat. La détermination de l’étendue de l’obligation d’indemniser en fonction du motif de la responsabilité de l’administration ne contrevenait pas à l’article 17 de la Constitution et à l’article 1 du Protocole no 1. L’arrêt fut mis au net et certifié conforme le 21 juin 2011. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi d’accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil Les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil se lisent comme suit : Article 105 « L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » Article 106 « Les dispositions des deux articles précédents s’appliquent aussi en matière de responsabilité des collectivités territoriales ou d’autres personnes morales de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. » Cette disposition établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’État. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission. B. Le code civil Les dispositions pertinentes du code civil sont ainsi libellées : Article 297 « La personne redevable d’une indemnité doit la fournir en argent. Après avoir pris en compte les circonstances particulières, le tribunal peut ordonner le retour au statu quo ante si cette compensation ne se heurte pas aux intérêts du créancier. » Article 298 « L’indemnité comprend tant la réduction du patrimoine existant du créancier (perte subie) que le manque à gagner. Un tel gain et celui auquel on s’attend avec probabilité selon le cours habituel des choses ou les circonstances particulières, notamment les mesures préparatoires prises. » Article 914 « Celui qui, en violation de la loi, cause par sa faute un dommage à autrui est tenu à réparation. » C. La loi no 4055/2012 Cette loi, intitulée « procès équitable et durée raisonnable », est entrée en vigueur le 2 avril 2012. Les articles 53 à 58 de la loi précitée introduisent un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable causé par la prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 dispose: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes sont nées respectivement en 1958, en 1952 et en 1946 et résident à Istanbul. A. Les travaux des requérantes et l’Association de soutien à la vie moderne À l’époque des faits, la première requérante, professeur de santé publique au sein de la faculté de médecine de l’Université de Van 100. Yıl, occupait un poste de directrice à l’Association de soutien à la vie moderne (Çağdaş Yaşamı Destekleme Derneği, « le ÇYDD » ou « l’Association »). La deuxième requérante est une professeure de pharmacie. À l’époque des faits, elle était membre du conseil d’administration de l’Association. La troisième requérante est avocate. À l’époque des faits, elle était également membre du conseil d’administration de l’Association. L’Association, fondée en 1989, dont l’objectif est de promouvoir l’éducation des jeunes filles, a offert à ce jour des bourses d’études à des milliers d’élèves et d’étudiants. Les travaux de l’Association ont été couronnés par au moins treize prix au niveau international. Sur le plan politique, l’Association vise à la mise en place d’une société en accord avec les principes de Mustafa Kemal Atatürk et elle est strictement attachée au principe de laïcité. La fondatrice de l’Association, T.S., avait pris part à l’organisation des grandes manifestations républicaines de 2007, dont les participants avaient accusé le parti au pouvoir de vouloir renforcer la place de l’Islam dans les institutions étatiques. Certains des organisateurs de ces manifestations litigieuses avaient été mis en détention provisoire dans le cadre de l’enquête pénale Ergenekon. B. Le procès Ergenekon En 2007, le parquet d’Istanbul engagea une enquête pénale contre les membres présumés d’une organisation criminelle du nom de Ergenekon, tous soupçonnés de se livrer à des activités visant au renversement du gouvernement par la force et la violence. Selon les actes d’accusation établis par le parquet, les accusés avaient planifié et commis des actes de provocation tels que des attentats contre des personnalités connues du public et des attentats à la bombe dans des endroits sensibles comme des sanctuaires ou le siège de hautes juridictions. Les accusés auraient ainsi cherché à créer une atmosphère de peur et de panique dans l’opinion publique et par là même à générer un climat d’insécurité, de manière à ouvrir la voie à un coup d’État militaire (pour des informations plus détaillées concernant l’affaire Ergenekon et les plans d’action relatifs à celle-ci, voir Tekin c. Turquie (déc.), no 3501/09, §§ 3-17, 18 novembre 2014). D’après les éléments contenus dans le dossier, une grande partie des procédures pénales est toujours pendante devant les juridictions nationales. C. L’opération menée contre les membres de l’Association et l’arrestation et la mise en détention provisoire des requérantes Par une lettre du 10 avril 2009, la direction de la sûreté d’Istanbul sollicita une autorisation de perquisition et de saisie concernant certaines personnes, dont les requérantes, au motif qu’il apparaissait que ces personnes avaient un lien avec les membres de l’organisation illégale Ergenekon. Le 12 avril 2009, la cour d’assises d’Istanbul ordonna la perquisition des domiciles et des lieux de travail de soixante-trois personnes, dont ceux des intéressées. Le 13 avril 2009, les officiers de police d’Istanbul menèrent des perquisitions aux domiciles de trente-cinq personnes, dont ceux des requérantes, et dans les locaux des succursales de l’Association. Les policiers informèrent les requérantes qu’il leur était reproché d’être membres de l’organisation illégale Ergenekon. Lors de la perquisition effectuée au domicile de la requérante Ayşe Yüksel, la police saisit le disque dur de l’ordinateur de cette dernière et plusieurs documents, dont des cahiers contenant les notes de l’intéressée sur ses travaux au sein de l’université et sur la politique quotidienne du pays. Au cours de la perquisition effectuée au domicile de la requérante Halime Filiz Meriçli, la police saisit également plusieurs documents. Ceuxci, qui concernaient principalement les travaux de l’Association, comprenaient notamment les listes des noms des boursiers et le suivi des projets de cette dernière. Pendant la perquisition effectuée au domicile de la requérante Fatma Nur Gerçel, la police découvrit certains documents comportant également des informations sur les travaux et projets de l’Association. La police saisit ainsi plusieurs documents appartenant à la requérante contenant les notes de celle-ci sur ses travaux au sein de l’Association et sur la politique quotidienne du pays. Durant les perquisitions effectuées dans les locaux des vingt-cinq succursales de l’Association, la police trouva plusieurs documents contenant des données personnelles sur les opinions politiques et religieuses de tierces personnes. Elle saisit ainsi les listes des boursiers et les documents relatifs aux projets de l’Association. À la suite des perquisitions, les intéressées furent placées en garde à vue. Dans les locaux de la police, les deux premières requérantes déclarèrent se prévaloir de leur droit de garder le silence. Quant à la troisième requérante, elle fut interrogée sur les accusations portées à son encontre. Le 16 avril 2009, les requérantes comparurent devant le procureur de la République d’Istanbul (« le procureur de la République »), qui procéda à leur interrogatoire. Le procureur de la République leur posa des questions détaillées sur les activités de l’Association, en particulier sur les critères d’éligibilité pour les étudiants susceptibles de bénéficier d’une aide de l’Association. Il leur demanda en outre si elles disposaient d’informations sur les activités du « Groupe de travail républicain » (« Cumhuriyet Çalışma Grubu ») et « le projet des foyers Ata » (« Ata Evleri Projesi »). Le procureur de la République leur posa également des questions sur d’autres suspects dans le cadre de l’enquête pénale Ergenekon. Il indiqua aux intéressées qu’il détenait comme éléments de preuve à charge une dénonciation faite au moyen d’un message électronique anonyme, ainsi que des documents intitulés « Ergenekon » et « Lobi » exposant la stratégie de l’organisation Ergenekon concernant les organisations non gouvernementales et le rôle de celles-ci dans la préparation d’un coup d’État. Les requérantes ne purent examiner les pièces contenues dans le dossier d’enquête en raison de la confidentialité de cellesci. Au cours de leur comparution, les requérantes indiquèrent que l’Association était une association légale et qu’elle menait des activités dans le domaine de l’éducation. Par conséquent, elles nièrent appartenir à une organisation illégale. Elles précisèrent qu’elles ne connaissaient ni les documents « Ergenekon » et « Lobi », ni les dirigeants présumés de l’organisation Ergekenon, ni « le projet des foyers Ata », ni le « Groupe de travail républicain ». À la suite de leur interrogatoire, le procureur de la République demanda au juge assesseur de la cour d’assises d’Istanbul (« le juge assesseur ») de placer les requérantes en détention provisoire. Le 17 avril 2009, les requérantes comparurent devant le juge assesseur. Celui-ci ordonna la mise en détention provisoire de la requérante Ayşe Yüksel en application de l’article 100 du code de procédure pénale (CPP). Il ordonna en outre la mise en liberté provisoire des deux autres requérantes en l’assortissant d’une interdiction de sortie du territoire. Le 20 avril 2009, la requérante Ayşe Yüksel forma un recours contre la décision du 17 avril 2009 relative à sa mise en détention provisoire. Le 24 avril 2009, la cour d’assises d’Istanbul ordonna la mise en liberté provisoire de la première requérante eu égard à l’état des preuves. Par un acte d’accusation du 25 novembre 2010, le procureur de la République engagea une action pénale devant la cour d’assises d’Istanbul contre huit membres de l’Association, dont les requérantes. Le procureur de la République requit la condamnation de la première requérante en application de l’article 314 § 2 du code pénal (CP) et de l’article 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme pour cause d’appartenance à l’organisation illégale précitée. Il relevait que, parmi les boursiers de l’Association, il y avait des étudiants membres de l’Association des étudiants de l’Université de Van 100. Yıl (« le YÖDER »), qui, selon lui, était une organisation dont les membres avaient des opinions favorables à l’organisation terroriste PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Il estimait que la première requérante savait que ces boursiers étaient des sympathisants du PKK et que, en offrant des bourses aux étudiants membres du YÖDER, elle avait eu pour intention de se servir de ces derniers dans un but favorable à l’organisation Ergenekon. Le procureur de la République requit également la condamnation de la deuxième requérante en application de l’article 314 § 2 du CP et de l’article 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, reprochant à l’intéressée d’être membre de l’organisation illégale précitée. Le procureur affirmait que l’un des boursiers de l’Association avait été placé en détention provisoire en raison de l’existence de soupçons pesant sur lui d’appartenance à une autre organisation illégale et que la deuxième requérante, étant membre du conseil d’administration de l’Association qui avait offert une bourse à cet étudiant, avait eu pour intention de se servir de ce dernier dans un but favorable à l’organisation Ergenekon. En outre, le procureur de la République accusait l’intéressée d’essayer d’arranger des rencontres entre les boursières de l’Association et les jeunes officiers de l’armée. Enfin, la troisième requérante était accusée en application des articles 135 § 2, 314 § 2 et 327 § 2 du CP et de l’article 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Il lui était reproché tout d’abord d’être membre de l’organisation illégale Ergenekon. Reprenant les accusations formulées à l’encontre de la deuxième requérante, le procureur de la République soutenait que l’un des boursiers de l’Association avait été placé en détention provisoire en raison de l’existence de soupçons pesant sur lui d’appartenance à une organisation illégale et que la troisième requérante, étant elle aussi membre du conseil d’administration de l’Association qui avait offert une bourse à cet étudiant, avait eu pour intention de se servir de ce dernier dans un but favorable à l’organisation terroriste Ergenekon. En outre, le procureur de la République accusait la troisième requérante d’avoir pris part à l’organisation des grandes manifestations républicaines qui avaient eu lieu en 2007 (paragraphe 8 ci-dessus). De plus, selon le procureur de la République, l’intéressée était responsable des archives contenant des données personnelles et des informations sur les opinions politiques et religieuses de tierces personnes, notamment les boursiers de l’Association. Enfin, le procureur de la République accusait la requérante en question d’essayer d’arranger des rencontres entre les boursières de l’Association et les jeunes officiers de l’armée et, par ce moyen, de tenter d’obtenir des informations secrètes relevant de la sécurité de l’État. Dans l’acte d’accusation, le procureur de la République tenait notamment compte des éléments suivants : – un fichier électronique intitulé « Lobby, Top Secret – Décembre 1999/Istanbul », saisi lors des perquisitions effectuées au domicile et au lieu de travail d’une personne dénommée O.Y. ; la partie « introduction » de ce document se lisait comme suit : « (...) Il est indéniable que Ergenekon, qui mène des activités au sein des forces armées turques, doit impérativement organiser sa branche civile. » – un document de onze pages intitulé « sur la restructuration de l’État », découvert lors de la perquisition effectuée au domicile d’une personne accusée dans le cadre du procès Ergenekon ; les passages pertinents en l’espèce de ce document se lisaient comme suit : « (...) l’organisation du peuple allait se réaliser suivant deux voies, (...) la première [voie visait] le pouvoir politique et (...) la seconde [voie consisterait en] la mise en place d’organisations populaires – notamment des syndicats de travailleurs et de fonctionnaires [ainsi que] des chambres d’artisans, de médecins, d’ingénieurs, d’architectes et d’avocats – qui serviraient d’intermédiaires [avec] les organisations « précurseurs » afin que ces dernières puissent agir comme meneurs à l’instar des organisations Atatürkçü Düşünce Derneği (« l’Association pour la pensée d’Atatürk »), Cumhuriyet Kadınları Derneği (« l’Association des femmes républicaines »), l’Association de soutien à la vie moderne et Pir Sultan Abdal Kültür Derneği (« l’Association de culture de Pir Sultan Abdal ») et que [l’organisation du peuple] se réalise par le biais de l’organisation des masses de la jeunesse. » – un document intitulé « le projet des foyers Ata », découvert parmi les documents saisis chez M.A., accusé dans le cadre du procès Ergenekon ; selon le procureur de la République, « le projet des foyers Ata » avait été élaboré en vue de favoriser l’adhésion de nouveaux membres à l’organisation Ergenekon ; par le biais dudit projet, cette organisation aurait eu pour but de former du personnel soutenant son idéologie et l’Association aurait eu un rôle primordial dans l’élaboration de ce projet. – un document numérique intitulé « Lettre (T.S.).doc », saisi lors de la perquisition effectuée dans la succursale de Kadıköy de l’Association et contenant, selon le parquet, une lettre rédigée par le général S.O.K. et adressée à T.S., la présidente de l’Association ; le procureur de la République soutenait plus particulièrement que la demande de réactivation du projet des « foyers Ata », dans lesquels les étudiantes et les étudiants auraient été hébergés en milieu mixte, et l’envoi de dossiers confidentiels par un officier en activité à une personne civile montraient la volonté de l’organisation Ergenekon de placer les jeunes officiers de l’armée sous son contrôle ; les passages pertinents en l’espèce de ce document se lisaient comme suit : « Chère et très respectable Madame, [Il est indéniable] que les étudiants des écoles rattachées au Commandement de l’enseignement et de la formation maritime sont très importants pour l’avenir de notre République, ainsi que pour sa préservation. Votre succès et [les] travaux que vous réalisez pour former et parrainer les étudiants en question sont des faits incontestables. Il faut cependant que nous révisions nos travaux effectués à l’intention des étudiants des écoles militaires et il est nécessaire de corriger rapidement les dysfonctionnements. « Le projet de l’étoile de mer » (« Denizyıldızı Projesi ») est une grande réussite, nous attendons davantage de travaux actifs en collaboration avec les conseillers des forces navales affectés à ce projet. Il est nécessaire de mettre en place des alternatives comme la réactivation des foyers Ata et du « CPT ». Les dysfonctionnements peuvent se résumer comme suit : 1) Étape pour l’entrée dans les écoles militaires L’existence d’intrusion dans vos listes d’accès aux écoles militaires. L’existence de problèmes de santé chez de nombreux étudiants figurant sur vos listes. L’absence de préparation suffisante de ces étudiants aux entretiens et des déclarations conduisant à leur disqualification lors des entretiens ont été constatées. Il est nécessaire de faire passer un entretien aux étudiants qui vont figurer sur ces listes par le biais du personnel qui va nous assister et de nous communiquer les problèmes en les définissant avant l’étape des entretiens. 2) Les étudiants suivant leurs cours au sein des écoles militaires Lycée maritime : À la suite de l’ouverture du procès, il a été constaté qu’il existait des dysfonctionnements concernant la participation des étudiants figurant dans nos listes aux conférences et aux réunions. Il est nécessaire de veiller à ce que l’on augmente [le nombre] des réunions afin de renforcer le mental des étudiants et à ce que les groupes [d’étudiants] [ne comprennent pas plus] de trois étudiants. École militaire navale : Il est nécessaire de : ne pas entraver l’aide apportée aux étudiants responsables pour que les activités en groupe des étudiants de l’école militaire continuent ; ne pas empêcher les relations des étudiants avec les filles avec lesquelles ils ont fait connaissance ; ne pas retarder le soutien apporté pour l’augmentation du taux de réussite des étudiants (...) [plus particulièrement] au cours d’anglais ; permettre la rencontre des étudiants, sous forme de groupes, avec des journalistes, des bureaucrates et des professeurs d’université que l’on connaît afin de remonter leur moral. École supérieure des sous-officiers des forces navales : [Il est nécessaire] de ne pas retarder le soutien financier accordé aux étudiants qui ne figurent pas dans la liste et qui vont devenir sous-officiers et d’augmenter [le nombre] des soirées organisées pour ces étudiants. Jeunes lieutenants : Il y a eu des perturbations relatives aux rencontres des nouveaux diplômés et des lieutenants en formation avec des bureaucrates, des journalistes et des chargés de cours. Il est nécessaire que les filles, avec lesquelles [les lieutenants] ont fait connaissance lors de leur formation, se rendent fréquemment au domicile des lieutenants, ou bien de permettre [à ceux-ci] de rencontrer les filles de l’Université de Kocaeli tout en les plaçant sous contrôle. Afin de remédier aux dysfonctionnements identifiés et de revoir les listes, les étudiants en formation au sein de l’école militaire navale, du lycée maritime et de l’école supérieure des sous-officiers des forces navales ont été recensés avec des informations détaillées dans le dossier en annexe intitulé « les garçons ». La liste des étudiantes de l’école militaire navale se trouve dans la page intitulée « les filles ». La liste « D. Harp Mez. Erk. Listesi » est relative aux jeunes lieutenants (hommes) diplômés de l’école maritime navale durant l’année 2007-2008. La liste « D. Harp Mez. Kız. Listesi » est relative aux jeunes lieutenants (femmes) diplômées de l’école maritime navale durant l’année 2007-2008. Diverses notes ont été transcrites en haut des listes. Ces notes [concernent] d’une part le personnel militaire de référence de nos étudiants et d’autre part les étudiants qui doivent être suivis de près et avec lesquels des travaux communs sont ou peuvent être réalisés. Les étudiants qui sont indiqués en bleu [correspondent à ceux figurant dans] la version finale de la présente liste. (...) Note : Je vous rappelle, tout en m’excusant, que vous savez bien que les dossiers en question sont comme toujours très confidentiels et privés. Je vous remercie dès à présent de votre diligence. » À une date non précisée, le procès fut transféré à la cour d’assises d’Anadolu. Par un arrêt du 2 octobre 2015, la cour d’assises d’Anadolu acquitta tous les membres de l’Association, ainsi que les autres accusés, au motif qu’ils n’avaient commis aucune infraction. Estimant qu’une partie des preuves contenues dans le dossier avaient été falsifiées, elle décida à cet égard de porter plainte contre les responsables présumés de cette falsification. Selon les informations fournies par les parties, le procureur de la République ne forma pas de pourvoi contre cet arrêt. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 135 du CP se lit comme suit : « 1. Quiconque enregistre illégalement des données personnelles sera condamné à une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement. Quiconque enregistre illégalement des données personnelles sur les opinions politiques, philosophiques et religieuses des individus, sur l’origine de ceux-ci, leur morale, leur vie sexuelle, leur état de santé ou leurs liens syndicaux sera condamné à la même peine que celle prévue au précédent alinéa. » L’article 314 du CP, qui prévoit le délit d’appartenance à une organisation illégale, se lit comme suit en ses parties pertinentes en l’espèce : « 1. Quiconque constitue ou dirige une organisation en vue de commettre les infractions énoncées dans les quatrième et cinquième sections du présent chapitre sera condamné à une peine de dix à quinze ans d’emprisonnement. Tout membre d’une organisation [telle que mentionnée au premier alinéa] sera condamné à une peine de cinq à dix ans d’emprisonnement. » L’article 327 § 1 du CP se lit comme suit : « Quiconque se procure des informations qui doivent rester secrètes pour des raisons liées à la sécurité de l’État ou aux intérêts politiques extérieurs ou intérieurs de l’État sera condamné à une peine de trois à huit ans d’emprisonnement. » La loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme prévoit en son article 5 une augmentation de moitié des peines prévues par le CP pour certaines infractions, énumérées en ses articles 3 et 4, au nombre desquelles figure l’infraction prévue à l’article 314 du CP. L’article 91 § 2 du CPP tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits disposait : « Le placement en garde à vue dépend de la nécessité de cette mesure pour l’enquête et des indices permettant de croire que l’intéressé a commis une infraction. » La détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du CPP. D’après l’article 100 du CPP, une personne peut être placée en détention provisoire lorsqu’il existe des éléments factuels permettant de la soupçonner fortement d’avoir commis une infraction et que sa mise en détention est justifiée par l’un des motifs énumérés dans cette disposition, à savoir : la fuite ou le risque de fuite du suspect, et le risque que le suspect dissimule ou altère des preuves ou influence des témoins. Pour certains crimes, notamment ceux contre la sécurité de l’État et l’ordre constitutionnel, l’existence de forts soupçons pesant sur la personne suffit à justifier le placement en détention provisoire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants furent ou sont encore détenus dans la prison de Diavata à Thessalonique. Parmi eux, les requérants suivants furent mis en liberté aux dates suivantes : le requérant no 1 le 28 juin 2013 ; le requérant no 7 le 5 mai 2013 ; le requérant no 14 le 14 février 2013 ; le requérant no 21 le 17 mai 2013 ; le requérant no 26 le 8 juillet 2013 ; le requérant no 29 le 22 mars 2013 ; le requérant no 37 le 26 juillet 2013 ; le requérant no 43 le 5 juin 2013 ; le requérant no 45 le 3 juin 2013 et le requérant no 47 le 24 avril 2013. Le requérant no 9 fut transféré à la prison de Kassandra le 29 avril 2013 et le requérant no 36 à la prison de Korydallos le 27 mars 2013. Les requérants furent placés dans des chambrées où ils disposaient de moins de 3 m² d’espace personnel. Les cellules n’étaient pas ventilées. L’état des sanitaires et les conditions d’hygiène étaient selon eux exécrables. Dix détenus devaient partager une toilette. Les détenus devaient également partager les douches avec ceux qui souffraient de maladies infectieuses. Les détenus fumaient dans les cellules transformant ainsi les non-fumeurs en fumeurs passifs. Le coût de la nourriture prévu par détenu ne dépassait pas 2 euros par jour. Il n’y avait pas d’activités récréatives pour la plupart des détenus et l’accès à l’information était limité les coupant ainsi du monde extérieur. Le chauffage était insuffisant rendant de ce fait les nuits pénibles. Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur les conditions de détention dans la prison de Diavata. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013). III. LES CONSTATS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES A. Les constats du médiateur de la République Dans un rapport du 31 juillet 2014, établi à la suite de sa visite du 2 juillet 2013, le médiateur de la République notait que la prison de Diavata avait une capacité de 360 détenus, mais à la date de la visite elle en accueillait 597. Il soulignait que les cellules ayant une capacité de 4 détenus, en accueillait 10 et celles conçues pour un détenu en accueillaient 4. Le chauffage et la fourniture d’eau chaude semblaient insuffisants d’après les informations fournies par les détenus. Le personnel pénitentiaire invoqua l’insuffisance des crédits pour la réalisation des travaux de chauffage, d’approvisionnement en eau et du système d’évacuation des eaux, mais aussi pour couvrir les frais de fonctionnement et d’entretien. La prison ne disposait pas de réfectoire et les repas étaient distribués en cellule et consommés sur les lits. Un des plus grands problèmes de la prison consistait en la réduction considérable de son budget, notamment en ce qui concernait la nourriture de détenus. Quant aux besoins en vêtements pour les détenus et en produits d’hygiène corporelle, un effort était fait pour que les coûts soient pris en charge par un fonds de solidarité. Toutefois, les sommes obtenues étaient particulièrement modiques et ne suffisaient pas à couvrir les besoins basiques des détenus. Dans ses conclusions, le médiateur soulignait que la prison était confrontée à un grand problème de surpopulation. En dépit des efforts déployés pour en atténuer les effets, la situation dans les chambrées et les cellules était particulièrement difficile, voire étouffante, en raison du grand nombre de détenus et, par conséquent, des mauvaises conditions d’hygiène et de l’absence de ventilation. B. Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Diavata, d’une capacité officielle de 250 détenus, en accueillait 590. La prison dispose de 53 cellules mesurant chacune 24 m² et accueillant chacune 10 détenus, de 10 cellules de 11 m² chacune et accueillant chacune 4 détenus et de 3 cellules où séjournent 34 détenues femmes. L’accès à la lumière naturelle et l’aération dans les cellules sont satisfaisants et il y a quelques tabourets. Les salles d’eau contiennent quatre toilettes ainsi qu’un évier qui sert aussi pour laver le linge et faire la vaisselle.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1957 et est détenu à la prison de Râmnicu Vâlcea. À l’époque des faits, il était le maire de cette ville. Par un réquisitoire du 27 juillet 2006, le parquet renvoya en jugement le requérant pour corruption passive. Par le même réquisitoire, N.D., qui était le maire adjoint de la ville, fut renvoyé en jugement pour complicité de corruption passive. Le requérant était accusé d’avoir sollicité, entre avril et juillet 2006, une certaine somme d’argent à C.P., un homme d’affaires de Râmnicu Vâlcea, en échange d’un certificat d’urbanisme répondant aux critères souhaités par celui-ci. N.D. était accusé d’avoir reçu, à la suite d’une entente préalable conclue avec le requérant, deux parties de la somme demandée à C.P. Le réquisitoire était fondé sur les éléments suivants : les déclarations de C.P., qui avait dénoncé les faits au parquet ; le procès-verbal d’une opération de flagrant délit organisée par la police le 6 juillet 2006, au cours de laquelle C.P. avait remis à N.D., dans les toilettes d’un restaurant, la deuxième partie de la somme d’argent réclamée par le requérant ; plusieurs témoignages ; et des interceptions de communications téléphoniques et des enregistrements audio et vidéo des rencontres de C.P. avec le requérant et le maire adjoint. Par un jugement du 18 juin 2007, le tribunal départemental de Alba prononça l’acquittement du requérant et de N.D. du chef de corruption passive. Pour ce faire, le tribunal notait ce qui suit : C.P. avait effectué plusieurs démarches pour obtenir un certificat d’urbanisme en vue de la construction d’un bâtiment sur un terrain situé dans la rue C., et il avait à chaque fois reçu des certificats qui ne répondaient pas à ses demandes ; même s’il avait affirmé qu’il entendait construire finalement le bâtiment sur un autre terrain, situé dans la rue S., il n’avait déposé une demande en ce sens auprès des autorités qu’après le renvoi en jugement du maire et du maire adjoint ; dans ces conditions, le requérant ne pouvait se voir reprocher d’avoir demandé ou reçu de l’argent dans le cadre de l’exercice de ses fonctions et n’avait dès lors pas enfreint les dispositions nationales réprimant la corruption passive. Le tribunal observait aussi que C.P. s’était rendu au bureau du requérant après avoir remis la deuxième partie de la somme d’argent à N.D. au restaurant, et que, lorsqu’il avait essayé de parler au requérant de la somme ainsi remise, celui-ci avait prononcé le mot « non ». Selon lui, au-delà des gestes accompagnant ce mot, visibles sur un des enregistrements vidéo, la négation exprimée par le requérant devait être entendue comme une opposition de ce dernier à toute remise d’argent. Le tribunal estimait qu’il ne pouvait y avoir eu une entente préalable entre le requérant et N.D. quant à la réalisation de l’infraction reprochée puisqu’il ressortait des pièces du dossier que, à l’époque de l’opération de flagrant délit, C.P. voulait uniquement obtenir des informations quant aux exigences requises pour l’obtention d’un certificat d’urbanisme pour le terrain sis dans la rue S. Aux yeux du tribunal, toute demande concernant le terrain situé dans la rue C. ne revêtait donc plus aucune importance. Le tribunal relevait ensuite que les déclarations de C.P. manquaient de crédibilité. À cet égard, il notait ce qui suit : l’intéressé avait nié, d’une part, avoir eu des liens d’amitié avec N.D. selon lesquels les deux hommes s’accordaient des prêts et, d’autre part, s’être vu infliger une amende contraventionnelle par la mairie pour avoir bâti une construction sans autorisation préalable ; de même, il avait affirmé avoir demandé des conseils au directeur de la société commerciale dont il était le gérant quant à la somme à offrir « à la mairie » afin d’obtenir un certificat répondant à ses souhaits ; enfin, il avait allégué avoir déposé en juillet 2006 une demande de certificat d’urbanisme concernant le terrain sis dans la rue S. Or, pour le tribunal, toutes ces déclarations étaient contredites par les dépositions de plusieurs témoins ou les documents versés au dossier. Le tribunal considérait en outre que les éléments du dossier démontraient la volonté de C.P. de se venger du requérant. À ce titre, il retenait que, par le passé, ce dernier avait refusé de recevoir de l’argent de la part de C.P. et que cela était confirmé par la chef de son cabinet. Par ailleurs, il constatait que, eu égard aux pièces du dossier – et notamment les déclarations de deux témoins –, N.D. se trouvait dans une impasse financière et que, d’après un des témoins, il allait bénéficier d’un prêt de la part de C.P. Dès lors, pour le tribunal, la réception d’une somme lors de l’opération de flagrant délit du 6 juillet 2006 ne constituait pas un acte de complicité de corruption passive, puisque cette somme aurait été remise à N.D. à titre personnel. Enfin, le tribunal relevait que N.D. n’avait pas d’attribution professionnelle relativement à l’émission des certificats d’urbanisme et qu’aucun acte de corruption passive ne pouvait donc être retenu à son encontre. Par un arrêt du 10 décembre 2007, sur appel du parquet, la cour d’appel de Alba Iulia annula le jugement du tribunal départemental du 18 juin 2007 (paragraphe 7 ci-dessus), estimant que celui-ci avait manqué à son obligation de soumettre au débat des parties la requalification juridique des faits reprochés à N.D. en acte de corruption passive. Par un arrêt définitif du 28 mars 2008, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») annula cet arrêt et renvoya l’affaire à la cour d’appel pour réexamen. Par un arrêt du 10 avril 2009, la cour d’appel de Constanţa, à laquelle l’affaire avait entre-temps été attribuée, confirma le jugement du tribunal départemental de Alba. Dans sa décision, elle entérinait la version des faits exposée par les inculpés, relevant qu’elle était confirmée par les déclarations de plusieurs témoins et par les documents transmis par les autorités locales. Le parquet forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant la Haute Cour. Lors de l’audience du 9 novembre 2009, la haute juridiction procéda à l’audition des inculpés, qui firent usage de leur droit de garder le silence. Elle n’administra aucun moyen de preuve. Par un arrêt du 27 janvier 2010, la Haute Cour fit droit au recours formé par le parquet, cassa les décisions rendues en première instance et en appel et, statuant sur le fond, condamna le requérant et N.D. à trois ans et six mois de prison ferme chacun, pour corruption passive et complicité de corruption passive, respectivement. La Haute Cour estimait que les tribunaux inférieurs avaient commis une « grave erreur de fait » en se fiant de manière exagérée à certains éléments de preuve et en interprétant de manière tronquée ou en ignorant d’autres éléments. Elle fondait sa décision sur : a) les déclarations de C.P. et de cinq témoins entendus au cours de l’enquête et lors de l’examen de l’affaire en première instance ; b) des documents transmis par les autorités locales ; c) plusieurs enregistrements audio et vidéo des rencontres de C.P. avec le requérant et N.D. ; et d) des interceptions des communications téléphoniques que C.P. avait eues avec ceux-ci. La Haute Cour concluait ce qui suit : - les infractions reprochées au requérant et à N.D. étaient constituées dès lors que C.P., au début de ses démarches, avait entendu donner la première partie de la somme d’argent au requérant dans le bureau de ce dernier : en effet, à ce moment-là, le requérant avait donné comme instruction à C.P. de remettre la somme en question à N.D., avec lequel C.P. avait ultérieurement négocié la somme finale ; - l’absence d’une demande de certificat d’urbanisme pour le terrain sis dans la rue S. ne revêtait aucune importance en l’espèce pour autant que la délivrance de ce certificat rentrait dans les attributions du requérant ; - il ressortait des déclarations de plusieurs témoins que la première partie de la somme d’argent avait bien été remise à N.D. et que cette somme ne constituait pas un prêt ; - les enregistrements audio et vidéo des rencontres de C.P. avec le requérant et N.D. démontraient qu’il y avait bien eu une entente délictuelle entre ces deux derniers. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale (CPP), en vigueur à l’époque des faits et relatives aux pouvoirs des juridictions d’appel et de recours, sont décrites dans l’affaire Găitănaru c. Roumanie (no 26082/05, §§ 17-18, 26 juin 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1970 et en 1979. Le premier requérant réside à Hambourg, en Allemagne, et le second requérant à Potigrafu, en Roumanie. A. La requête no 7242/14 Au moment de l’introduction de sa requête devant la Cour, le premier requérant était détenu à la prison d’Aiud depuis le 16 décembre 2010. En septembre 2014, il fut transféré à la prison de Bistriţa, d’où il fut remis en liberté le 21 janvier 2015. Le premier requérant indique qu’il est de confession juive. Il soutient qu’il avait demandé à plusieurs reprises à voir un rabbin en prison et qu’il avait indiqué aux autorités pénitentiaires qu’il était prêt à assumer les coûts d’un tel déplacement, mais que ses demandes avaient été refusées. Il verse au dossier une copie de l’une de ses demandes adressées à la direction de la prison d’Aiud le 8 mars 2013. La réponse manuscrite de la direction se lit ainsi : « Le droit à la liberté de la conscience s’exerce individuellement. Vous pouvez contacter la communauté des juifs d’Alba Iulia à l’adresse : (...) » Le requérant allègue que le prêtre orthodoxe de la prison lui avait demandé à plusieurs reprises de se convertir. B. La requête no 7853/14 Le 18 juin 2013, le second requérant, soupçonné d’évasion fiscale, fut placé en garde à vue. Le 19 juin 2013, il fut mis en détention provisoire par une décision avant dire droit du tribunal départemental de Bucarest. Au moment de l’introduction de sa requête devant la Cour, la procédure pénale à son encontre était pendante devant la juridiction de première instance. Le second requérant n’a pas donné de précisions quant à l’issue de cette procédure. Il fut détenu du 19 juin au 27 août 2013 dans les locaux de détention de la police à Bucarest (centrul de reţinere şi arestare preventivă nr. 1). Le 27 août 2013, il fut transféré à la prison de BucarestRahova. Le 22 septembre 2014, il se vit accorder la détention à domicile. Les conditions de détention a) La version du second requérant Le second requérant indique avoir été détenu, dans les locaux de détention de la police, dans une cellule de 12 m2 surpeuplée qu’il devait partager avec quatre autres détenus et parfois plus. Selon lui, la cellule contenait huit lits superposés. Elle aurait été éclairée pendant la nuit et la source de lumière, située au-dessus de son lit, l’aurait empêché de dormir. Le second requérant ajoute que la cellule n’était pas correctement aérée, que les autres détenus fumaient et que les toilettes n’étaient pas séparées de l’espace de vie. Il argue que ses conditions de détention à la prison de BucarestRahova étaient similaires. Il indique que, dans l’une des cellules qu’il avait occupées dans cette prison, les lits étaient superposés sur trois niveaux et qu’il occupait un lit situé au dernier niveau. Cette situation était, selon lui, source de nombreuses difficultés quotidiennes. Il ajoute que cette cellule était insalubre, que les matelas étaient sales et infestés de parasites, notamment de punaises de lits. Il déclare enfin que la cellule n’était chauffée que de deux à quatre heures par jour en hiver et qu’elle n’était pas correctement aérée en été. b) La version du Gouvernement Le Gouvernement expose que le second requérant a bénéficié de conditions matérielles de détention adéquates dans les locaux de détention de la police à Bucarest, notamment en ce qui concerne l’éclairage et l’aération. Il indique que le requérant y disposait d’un espace de vie de 1,75 m2 mais que la capacité maximale de la cellule qu’il occupait n’avait jamais été atteinte pendant son séjour. Il ajoute que les conditions d’hygiène étaient également adéquates. S’agissant de la prison de Bucarest-Rahova, le Gouvernement soutient que l’espace de vie dont avait bénéficié le second requérant avait varié entre 2,44 m2 et 3,51 m2. Il indique que la cellule mentionnée par ce dernier comportait des lits superposés sur deux niveaux et que la propreté des cellules relevait de la responsabilité des personnes détenues, qui, selon lui, recevaient régulièrement des produits d’entretien pour y faire le ménage. Il ajoute que les cellules occupées par le requérant avaient fait l’objet de trois séances de désinsectisation et que l’aération et le chauffage des cellules de la prison se faisaient dans des conditions satisfaisantes. L’exercice de la liberté de religion Le second requérant est musulman. Il soutient que les repas qui lui étaient fournis lors de sa détention n’étaient pas conformes aux prescriptions de sa religion puisqu’ils étaient préparés avec de la viande ou de la graisse de porc. II. LE DROIT INTERNE ET LA PRATIQUE INTERNATIONALE PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi no 275/2006 relative aux droits des personnes détenues (« la loi no 275/2006 ») sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). Cette loi a été abrogée, le 1er février 2014, par l’entrée en vigueur de la loi no 254/2013 relative à l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté (« la loi no 254/2013 »). Celle-ci reprend les dispositions de la loi no 275/2006 en ce qui concerne la responsabilité du juge de surveillance de l’exécution des peines (judecătorul de supraveghere a privării de libertate) d’assurer le respect des droits des personnes condamnées (article 57). Aux termes de la loi no 254/2013, celui-ci demeure compétent pour examiner les contestations des personnes condamnées relatives à l’exercice de leurs droits (article 9 § 2 et article 56) et ses décisions sont susceptibles d’un recours devant le tribunal de première instance (article 56 § 9). La loi no 254/2013 comporte en outre les dispositions suivantes : Article 50 « 1. L’administration de chaque établissement pénitentiaire assure des conditions adéquates pour la préparation, la distribution et le service des repas conformément aux normes d’hygiène de l’alimentation, selon l’âge, l’état de santé, la nature du travail effectué [et] en respectant les convictions religieuses assumées par la personne condamnée par une déclaration sur l’honneur (declaraţie pe propria răspundere). » Article 58 « 1. La liberté de conscience et des opinions, ainsi que la liberté des convictions religieuses des personnes condamnées ne peuvent pas être restreintes (...) Les personnes condamnées peuvent participer, sur la base du libre consentement, aux services et réunions religieux organisés dans les établissements pénitentiaires, peuvent recevoir les visites des représentants du culte respectif et peuvent se procurer et détenir des publications à caractère religieux ainsi que des objets de culte. » Les rapports internationaux pertinents, dont ceux du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT »), sont décrits dans l’affaire Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-129, 24 juillet 2012). En particulier, les conclusions du CPT rendues à la suite des visites effectuées en 2010 dans les locaux de détention de la police à Bucarest sont résumées dans l’affaire Căşuneanu c. Roumanie (no 22018/10, § 43, 16 avril 2013).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971 et réside à Bacău. Le 24 septembre 2011, il fut arrêté, alors qu’il se trouvait au Royaume-Uni, en vue de son extradition vers la Roumanie, où il avait été condamné à une peine d’emprisonnement pour des faits d’escroquerie. Le 17 novembre 2011, il commença à purger sa peine en Roumanie. Il fut détenu dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains, dont la prison d’Iaşi où il demeura du 6 août 2013 au 13 mai 2015. A. Les conditions de détention à la prison d’Iaşi La version du requérant Le requérant indique avoir été détenu dans une cellule de 35 m2 avec vingt-cinq autres personnes. Il expose que les lits étaient superposés sur trois niveaux et que les matelas étaient en mauvais état et infestés de punaises de lit. Il ajoute que le mobilier de la cellule était réduit à une table pour quatre personnes et deux chaises. Le requérant indique aussi que l’éclairage de la cellule était artificiel et insuffisant, que les toilettes, qui auraient été des toilettes sans siège, étaient en mauvais état et que l’eau chaude n’était pas fournie. Il ajoute que l’accès aux douches ne se faisait que deux fois par semaine. En outre, la nourriture aurait été de mauvaise qualité et proposée en quantités insuffisantes, et elle n’aurait pas été préparée et distribuée dans des conditions d’hygiène adéquates. La version du Gouvernement Le Gouvernement se fonde sur les informations communiquées par l’Administration nationale des prisons (« l’ANP ») pour présenter sa version des conditions de détention. Il indique que le requérant a été logé dans plusieurs cellules, où il aurait bénéficié d’un espace de vie allant de 0,46 m2 à 1,99 m2. Il confirme l’existence de parasites dans les cellules, mais indique que leur présence avait beaucoup diminué à la suite de la réalisation d’opérations de désinsectisation. Il ajoute que l’accès aux douches était possible selon un calendrier et que l’aération et l’éclairage étaient adéquats. Le Gouvernement indique également que les meubles étaient suffisants et de qualité adéquate. Il admet que les lits étaient superposés sur trois niveaux dans l’un des bâtiments ayant accueilli le requérant. S’agissant de l’état des matelas, il précise qu’il s’expliquait par une utilisation inappropriée faite par les détenus. Il ajoute que les draps fournis aux détenus étaient en bon état et que le requérant utilisait ses draps personnels. Enfin, le Gouvernement indique que la qualité de la nourriture était conforme à la règlementation en la matière et qu’elle faisait l’objet de contrôles réguliers. B. L’état de santé du requérant La version du requérant Le requérant indique qu’il souffre de plusieurs maladies, dont une pathologie cardiaque, une hernie et une hépatite virale de type C. À cet égard, il précise qu’il occupe un lit situé au troisième niveau, qu’il y dort et que, en raison d’une absence de mobilier adéquat dans la cellule, il y prend aussi ses repas. Il soutient que l’effort quotidien nécessaire pour y monter et en descendre est dommageable pour sa santé en raison de la hernie dont il souffrirait et d’une opération pour déchirure du mésentère qu’il aurait subie avant son incarcération. Il indique que son état nécessite une nouvelle intervention chirurgicale et que l’administration de la prison d’Iaşi ne lui a pas proposé une telle opération au motif qu’elle ne relevait pas de la catégorie des urgences médicales. S’agissant de l’hépatite C, il indique qu’un traitement par interféron lui a été administré lors de son séjour au Royaume-Uni et qu’il a été mis fin à ce traitement au moment de son incarcération en Roumanie. Seuls des comprimés de silimarine, un médicament hépatoprotecteur, lui auraient été proposés. Il indique également avoir constamment demandé aux autorités pénitentiaires un régime alimentaire adapté à l’hépatite dont il souffre. Il ajoute qu’il a bénéficié de la « norme alimentaire no 18 » pour détenus malades (Vartic c. Roumanie (no 2), no 14150/08, § 11, 17 décembre 2013) et que ce régime alimentaire n’était pas adapté puisqu’il lui aurait été proposé de la viande de porc, des œufs ou du fromage salé. Il verse au dossier une demande faite par lui le 7 avril 2014 et adressée au cabinet médical de la prison d’Iaşi, dans laquelle il mentionnait la nature de sa maladie ainsi que les aliments qu’il estimait devoir éviter. Sa demande porte la mention manuscrite « Je propose d’approuver selon la recommandation du médecin en chef » (Propun la aprobare conform recomandării medicului şef), apposée le 14 avril 2014, ainsi qu’un tampon avec la mention « Approuvé. Directeur » (Se aprobă. Director) en date du 15 avril 2014. Le requérant soutient avoir continué à recevoir une diète non adaptée à sa maladie et avoir été informé par les autorités pénitentiaires que la règlementation applicable ne prévoyait pas de diète spéciale pour les malades souffrant d’une hépatite. La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que le requérant est enregistré dans la base de données du système pénitentiaire comme souffrant des maladies chroniques suivantes : hépatite C, gastroduodénite, cholécystite, pancréatite, bronchite, obésité, pression artérielle, hyperglycémie, arythmie et anxiété. Il précise que l’intéressé n’a jamais été enregistré comme souffrant d’une hernie ni au moment de l’incarcération ni après, au cours de sa détention, et qu’il ne s’est jamais plaint de douleurs lombaires. Il estime, sur la base des informations fournies par l’ANP, que l’obésité du requérant pourrait être à l’origine des douleurs lombaires qui auraient été ressenties par ce dernier. Le Gouvernement confirme que le requérant a bénéficié de la « norme alimentaire no 18 » pour détenus malades, qui aurait été adaptée à son état de santé. Il précise également que cette norme alimentaire était flexible et pouvait être ajustée en fonction des spécificités des maladies. S’agissant de l’hépatite C présentée par le requérant, le Gouvernement indique que ce dernier avait contracté le virus avant son placement en détention et que le dépistage de ce virus n’était pas obligatoire au moment de l’incarcération. Il précise que le requérant a bénéficié d’un bilan sanguin le 4 décembre 2011 et qu’il s’est vu recommander un traitement hépatoprotecteur et la « norme alimentaire no 18 ». C. Les constats de l’avocat du peuple roumain Le 12 mai 2014, une équipe de l’avocat du peuple se rendit à la prison d’Iaşi à la demande du requérant. Ses conclusions, communiquées au requérant le 19 août 2014, étaient ainsi rédigées dans leurs parties pertinentes en l’espèce : « En ce qui concerne le respect du droit à l’assistance médicale et à la protection de la santé, vos allégations sont manifestement fondées étant donné que vous n’avez pas bénéficié d’assistance médicale spécialisée ni d’examens médicaux spécifiques pour attester la présence/l’absence du virus de l’hépatite C. En ce sens, le représentant de l’établissement pénitentiaire a indiqué qu’il proposera une expertise et l’examen [du demandeur quant au] virus de l’hépatite C dès le lendemain matin. En ce qui concerne l’alimentation que [le demandeur] reçoit, dans la mesure où les examens médicaux mettent en évidence la présence du virus de l’hépatite C, elle ne cadre pas avec la norme no18 de la circulaire du ministre de la Justice no 3541/2013, ce qui impose l’adaptation du régime alimentaire pour cause de maladie. » D. Les développements ultérieurs Le 13 mai 2014, le requérant fut soumis à des examens médicaux, notamment à de prises de sang qui confirmèrent la présence du virus de l’hépatite C. Le 30 juillet 2014, la Caisse d’assurance de santé de la défense, de l’ordre public, de la sûreté nationale et de l’autorité judiciaire (« Casa Asigurărilor de Sănătate a Apărării, Ordinii Publice, Siguranţei Nationale şi Autorităţii Judecătoreşti – CASAOPSNAJ ») donna son accord pour un traitement du requérant par peginterféron et ribavirine pour une durée de quatre mois. L’indication de ce traitement fut renouvelée le 28 novembre 2014 pour une durée de trois mois. Le Gouvernement avance que, après avoir été inclus dans le programme national de traitement de l’hépatite par interféron, le requérant a refusé ce traitement à plusieurs reprises ; il estime que l’intéressé s’est ainsi privé de trois mois de traitement. Il indique se fonder sur des informations fournies par l’ANP selon lesquelles le requérant s’est refusé à suivre ledit traitement pendant les périodes suivantes : du 28 novembre au 23 décembre 2014, du 13 janvier au 10 février 2015 et du 27 février au 8 avril 2015. L’intéressé aurait continué à recevoir le traitement hépatoprotecteur par silimarine. En outre, il ressort des documents fournis par le Gouvernement que, le 15 octobre 2014, le requérant a demandé au médecin en chef et au directeur de la prison d’Iaşi à se voir proposer un régime alimentaire adapté à l’hépatite. La demande adressée au médecin en chef comportait la mention manuscrite « J’approuve le régime alimentaire conformément aux normes en vigueur » (Aprob regim alim[entar] conf[orm] normelor în vig[oare]). Il en ressort également que, le 10 novembre 2014, le requérant a formulé une demande d’interruption du traitement par interféron au motif que le régime alimentaire proposé n’était pas adapté à l’hépatite C. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 sur les droits des personnes détenues (« la loi no 275/2006 ») sont décrites dans l’affaire Cucu c. Roumanie (no 22362/06, § 56, 13 novembre 2012). La loi no 275/2006 a été abrogée, le 1er février 2014, par l’entrée en vigueur de la loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté (« la loi no 254/2013 »). La nouvelle loi reprend les dispositions de l’ancienne loi en ce qui concerne la responsabilité du juge chargé de la surveillance de la privation de liberté (judecătorul de supraveghere a privării de libertate) en matière de respect des droits des personnes condamnées (article 57). Elle comporte, en outre, les dispositions suivantes : Article 50 « 1. L’administration de chaque établissement pénitentiaire assure des conditions adéquates pour la préparation, la distribution et le service des repas conformément aux normes d’hygiène en matière d’alimentation, selon (...) l’état de santé [du détenu] (...) (...) Les normes alimentaires minimales obligatoires (normele minime obligatorii de hrană) sont établies, après la consultation de spécialistes en nutrition, par une circulaire du ministre de la Justice. » Selon l’ordonnance d’urgence no 48/2014 portant amendement de la loi no 35/1997 sur l’avocat du peuple, ce dernier est désigné comme étant le mécanisme national de prévention de la torture dans les lieux de détention, à la suite de la ratification par la Roumanie du Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture (article 291). Il lui incombe ainsi de visiter les lieux de détention, et ses recommandations aux autorités pénitentiaires ont force obligatoire lorsqu’elles portent sur des questions urgentes relatives à la vie ou à la santé des détenus (article 2914). Les rapports internationaux pertinents en l’espèce, dont ceux du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT »), sont décrits dans l’affaire Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, §§ 125-129, 24 juillet 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976. A. La procédure relative à l’expulsion et la détention du requérant Le requérant, d’origine kurde, quitta son pays lorsqu’il était mineur craignant pour sa sécurité en raison de l’activité politique de son père opposant au régime. À une date non précisée, il entra en Irak et fut placé dans un programme de protection par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Le requérant produit devant la Cour un document du HCR daté du 6 janvier 2011 qui atteste, entre autres, l’enregistrement de son père en Irak comme réfugié relevant de son mandat, ainsi que le regroupement du requérant avec son père en Irak « à cause du harcèlement continu de la part des services secrets iraniennes et de la saisie de leurs biens par le régime iranien ». En octobre 2010, le requérant arriva en Grèce et le 29 octobre 2010, il fut arrêté par les autorités de police d’Alexandroupoli pour entrée illégale sur le territoire grec. Le même jour, le requérant fut transféré et mis en détention au poste frontière de Tychero. Le 30 octobre 2010, le directeur adjoint de la police des frontières de Tychero ordonna le renvoi du requérant vers la Turquie. Ce renvoi fut reporté en raison du refus d’admission des autorités turques. Le même jour, le procureur près le tribunal correctionnel d’Alexandroupoli s’abstint de poursuivre le requérant afin que celui-ci soit renvoyé dans son pays d’origine. Le 31 octobre 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli décida de placer le requérant en détention provisoire jusqu’à ce qu’une décision concernant son expulsion soit prise dans un délai de trois jours (décision no 9760/20-3487/31-α’). Le 3 novembre 2010, le directeur de la Direction de police d’Alexandroupoli ordonna l’expulsion du requérant et son maintien en détention pour une période ne pouvant pas dépasser six mois au motif qu’il risquait de fuir (décision 9760/20-3487/31-β’). La décision relevait que le requérant n’avait pas déposé d’objections contre la décision d’expulsion dans un délai de quarante-huit heures et prévoyait que l’expulsion pouvait être suspendue au cas où le requérant introduirait un recours. Le requérant affirme qu’il ne reçut aucune brochure informative sur ses droits et les recours possibles ni d’information y relative dans une langue qu’il comprenait. Le requérant allègue que dès son arrestation, il formula une demande d’asile mais que celle-ci ne fut pas enregistrée. Le 6 novembre 2011, la Direction de police d’Alexandroupoli introduisit une demande auprès la Direction générale de la police afin que le requérant soit renvoyé vers la Turquie en vertu du Protocole de réadmission des ressortissants étrangers signé entre la Grèce et la Turquie. Le 19 novembre 2010, le Conseil grec pour les réfugiés, avec lequel le requérant avait entretemps pris contact, informa par fax les autorités de police d’Alexandroupoli que le requérant souhaitait déposer une demande d’asile et sollicita son enregistrement. Le fax précisa que le requérant était réfugié relevant du mandat du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Le même jour, le directeur du poste frontière de Tychero informa la sous-direction de sécurité d’Alexandroupoli de la volonté du requérant d’introduire une demande d’asile. Le 25 novembre 2010, les autorités enregistrèrent la demande d’asile du requérant. Les autorités de police d’Alexandroupoli informèrent le Conseil grec pour les réfugiés et le requérant que sa demande d’asile avait été enregistrée. Le 21 décembre 2010, le requérant, par l’intermédiaire des avocats du Conseil grec pour les réfugiés, demanda au ministère de la Solidarité sociale de lui trouver une structure d’accueil conformément au décret présidentiel no 220/2007. Le 5 janvier 2011, le requérant formula des objections contre sa détention devant le tribunal administratif d’Alexandroupoli. En premier lieu, il se plaignit de ses conditions de détention au poste frontière de Tychero. En particulier, il soutint que ces conditions étaient inappropriées pour des êtres humains et contraires à l’article 3 de la Convention, et ce en raison du surpeuplement, du manque de produits d’hygiène et de vêtements, de l’absence de chauffage, de la saleté, du manque d’espace pour dormir, marcher ou faire de l’exercice, ainsi que de la communication limitée avec le monde extérieur et de l’impossibilité d’avoir accès à un médecin ou à un soutien psychologique. Il affirma avoir soumis une demande des conditions d’accueil et que jusqu’à son installation dans un centre d’accueil il pouvait être hébergé par une organisation non-gouvernementale dans un hôtel à Athènes. Il dénonça en outre l’illégalité de sa détention, en raison notamment de l’impossibilité de faire examiner sa demande d’asile dans le délai légal de trois mois à compter de sa mise en détention et allégua une violation de l’article 5 de la Convention et de l’article 13 du décret présidentiel no 114/2010. Le 7 janvier 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli rejeta les objections. Il nota l’illégalité de l’entrée du requérant sur le territoire et sa mise en détention en raison d’un risque de fuite. Il ajouta que l’avocate qui avait signé les objections, ou un autre représentant, n’était pas présente lors de l’examen des objections et qu’aucun élément attestant les allégations du requérant n’avait été présenté devant lui. En particulier, il considéra que les éléments suivants n’avaient pas été établis : a) l’établissement des « relations de vie stables » (σταθερές βιοτικές σχέσεις) dans le pays, grâce auxquelles il pouvait être localisé par les autorités et ne pas être considéré comme présentant un risque de fuite b) la possibilité de mener une « vie légale » en évitant le recours aux « moyens illicites de subsistance » (πορισμός μέσων βιοπορισμού με παράνομο τρόπο) et sa caractérisation comme dangereux pour l’ordre publique c) la possibilité d’imposer des mesures moins restrictives que la détention d) le retard dans le déroulement de la procédure d’expulsion et e) la reconnaissance du statut de réfugié. Il ajouta qu’il ne ressortait pas du dossier que le requérant avait déposé une demande d’asile et que l’article 5 de la Convention permet la détention au cours de la procédure d’expulsion. Quant aux allégations du requérant relatives aux conditions de détention, le président du tribunal administratif releva notamment que la violation de l’article 3 de la Convention n’est pas établi seulement sur la base des effets négatifs sur l’état psychologique, inhérents aux mesures privatives de liberté. Il considéra que le caractère légal de la détention pouvait faire défaut si les autorités refusaient d’assurer un lieu de détention aéré, éclairé, chauffé, disposant de l’eau courante et lui offrant la possibilité de communiquer avec le monde extérieur et de pratiquer de l’exercice physique. Il estima que tel n’était pas le cas en l’espèce car le requérant aurait pu demander son transfert au centre de rétention de Fylakio, où les conditions auraient été meilleures. Il affirma enfin que l’administration ne s’était d’ailleurs pas opposée à un tel transfert (décision no P20/2011). Le 10 janvier 2011, le requérant fut expulsé vers la Turquie et mis en détention à Edirne. Les autorités turques admirent le requérant, à condition qu’il soit identifié par les autorités de son pays d’origine. Le Gouvernement affirme que cette expulsion fut effectuée « par inadvertance, à cause d’une erreur de classement de la correspondance y relative par les autorités de police compétentes» (εκ παραδρομής λόγω μη συσχέτισης της σχετικής αλληλογραφίας από τις αρμόδιες αστυνομικές αρχές). Il ajoute que quand les autorités grecques se rendirent compte de cette erreur, elles demandèrent aux autorités turques de renvoyer le requérant vers la Grèce. Le 20 janvier 2011, les autorités turques informèrent les autorités grecques que le requérant n’avait pas été identifié par les autorités de son pays d’origine. Le même jour, le requérant fut renvoyé vers la Grèce. Le 21 janvier 2011, le Conseil grec pour les réfugiés publia un communiqué de presse pour dénoncer le renvoi du requérant vers la Turquie. Le requérant affirme que le Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés et des organisations non gouvernementales intervinrent pour empêcher son renvoi vers l’Iran. Le 24 janvier 2011, le requérant fut renvoyé de la Turquie vers la Grèce et mis en détention au poste frontière de Tychero. Il affirme que le même jour, il fut informé du décès de son fils unique, âgé de cinq ans, qui résidait en Irak. Le 26 janvier 2011, un rapport établi par une psychologue suite à une visite de l’organisation Médecins sans Frontières constata que le requérant souffrait de symptômes dépressifs avec des épisodes d’auto-agression. Le 27 janvier 2011, le requérant signa une attestation sur l’honneur en grec où il exprima son souhait de retirer sa demande d’asile, afin de rentrer « dans son pays ». Le 1er février 2011, le requérant soumit, par l’intermédiaire de son avocate, une demande de révocation de la décision ordonnant son expulsion et sa détention devant le Ministre de la Protection du Citoyen par l’intermédiaire du directeur de police de Macédoine de l’Est et de Thrace. Il affirma qu’en cas d’expulsion vers l’Iran il pouvait faire l’objet de persécution pour des raisons politiques et subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il précisa que, suite au décès de son fils, il avait demandé aux autorités grecques de faciliter son retour en Irak afin d’assister à son enterrement. Les autorités lui auraient conseillé de retirer sa demande d’asile. Le requérant demanda enfin à être libéré afin de pouvoir rentrer en Irak. Le même jour, le requérant sollicita la révocation de la décision no P20/2011. Il releva notamment qu’il avait quitté l’Iran pour des raisons politiques et soumit au tribunal à cet égard le document du HCR du 6 janvier 2011 (voir paragraphe 6 ci-dessus). Il ajouta que, suite au décès de son fils, il souhaitait rentrer en Irak et non pas en Iran, où il encourait le risque de subir des mauvais traitements, et demanda la levée de sa détention afin que son retour soit matérialisé. Le 4 février 2011, le président du tribunal administratif d’Alexandroupoli fit droit à sa demande au motif qu’il ressortait des éléments du dossier que le requérant avait la volonté de quitter immédiatement le pays et ordonna la levée de sa détention (décision no P82/2011). Selon la même décision, le requérant devait quitter le territoire grec au bout d’une période de trente jours. Le même jour, le requérant fut remis en liberté. Le 8 février 2011, le Directeur de la Direction de police d’Orestiada rejeta la demande d’asile du requérant, au motif que l’intéressé avait exprimé le souhait de la retirer. B. Les conditions de détention du requérant La version du requérant Le requérant fut détenu au poste frontière de Tychero. Il souligne que les conditions de détention dans cet endroit rendent impossible même une détention de courte durée. Il prétend que pendant sa détention, il ne sortit jamais des bâtiments, ce qui eut une influence néfaste sur sa santé physique et psychologique. La plupart du temps, le poste frontière de Tychero accueillait entre 100-180 hommes, femmes et enfants dans un espace d’une capacité de 49 personnes. En raison du surpeuplement, certains détenus, dont lui-même, étaient obligés de dormir assis. L’accès au téléphone était très limité et il fallait se procurer une télécarte, ce qui dépendait de la volonté des gardiens. Dans les espaces de détention, il n’y avait ni chaises, ni tables, ni endroit pour ranger. Le requérant ne reçut aucun produit de toilette ou d’hygiène. Les quelques couvertures étaient sales, l’eau n’était pas potable et la nourriture était de très mauvaise qualité. Enfin, aucun interprète n’était présent et les détenus, comme le requérant, n’étaient pas informés des raisons et de la durée de leur détention. Aucune information n’était donnée concernant les droits des détenus et la procédure d’asile. La version du Gouvernement Le Gouvernement décrit le poste frontière de Tychero dans lequel le requérant a séjourné du 29 octobre 2010 au 10 janvier 2011 et du 24 janvier au 4 février 2011 comme suit. La capacité du poste frontière de Tychero s’élevait, à l’époque des faits, à 46 personnes. L’alimentation des détenus était assurée trois fois par jour par les soins de la préfecture de l’Évros, qui avait conclu un contrat avec une société de restauration. Cette société prenait soin d’éviter d’y intégrer des aliments dont la consommation était contraire aux convictions religieuses de certains détenus. Le nettoyage était assuré quotidiennement par une société privée. Les besoins des détenus, tels que les soins médicaux et pharmaceutiques, faisaient l’objet de programmes approuvés notamment par la Commission européenne. Deux équipes médicales mobiles étaient actives dans la région. Les cinq centres de rétention de la région disposaient en permanence d’un personnel médical. Les détenus qui ne pouvaient être traités sur place étaient transférés dans les centres de santé régionaux ou à l’hôpital universitaire d’Alexandroupoli. L’association « Médecins sans frontières » fournissait également des services médicaux aux détenus. Des téléphones publics à cartes fonctionnaient au sein du poste frontière de Tychero et la communication des détenus avec leurs avocats et leurs proches s’effectuait sans entraves. Le chauffage était assuré par un système central qui était toujours en fonction. La préfecture, ainsi que l’association « Médecins sans frontières » fournissaient des produits d’hygiène aux détenus. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont décrits dans les arrêts Bygylashvili c. Grèce (no 58164/10, 25 septembre 2012), Barjamaj c. Grèce (no 36657/11, 2 mai 2013), Horshill c. Grèce (no 70427/11, 1er août 2013), Khuroshvili c. Grèce (no 58165/10, 12 décembre 2013) et B.M. c. Grèce (no 53608/11, 19 décembre 2013). III. LES RAPPORTS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES A. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), dans le rapport du 10 janvier 2012, établi suite à la visite du 19 au 27 janvier 2011 Le CPT relevait que les conditions de détention au poste frontière de Tychero étaient mauvaises. Au temps de la visite, il y avait 139 personnes détenues et cent environ étaient « entassées » dans une chambre de 35 m2. L’annexe avec trois toilettes et une douche n’avait pas de lumière et était sale. Depuis décembre 2010, l’association « Médecins sans frontières » fournissait des services médicaux aux détenus. B. Les constats de la Commission nationale pour les droits de l’homme et du Médiateur de la République Du 18 au 20 mars 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme et le Médiateur de la République ont visité les centres de rétention des départements d’Evros et de Rodopi afin d’examiner les conditions de détention des étrangers et l’application de la législation relative à l’asile. En ce qui concerne le poste frontière de Tychero, le médiateur indiquait que la capacité maximale du centre était de 80 personnes. À la date de la visite de la Commission, le centre en accueillait 122, dans trois lieux séparés. Le premier espace, destiné aux détenus qui allaient être interviewés par FRONTEX (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures), accueillait des femmes et des hommes qui étaient assis ou allongés au sol. Les locaux n’étaient pas suffisamment éclairés, ventilés et chauffés, et l’atmosphère était étouffante. Un téléphone public à cartes fonctionnait dans cet espace. En raison de l’accès limité aux toilettes, les détenus sortaient dans la cour intérieure ou dans un couloir devant les cellules afin de faire leurs besoins. Les deux autres espaces, destinés aux demandeurs d’asile ou des personnes détenus en vue de leur expulsion, ne répondaient pas aux exigences des conditions de détention « même pas pour un jour », étant donné le manque d’éclairage et d’aération et des mauvaises conditions d’hygiène. Les autorités auraient affirmé à la Commission que les détenus ne restaient dans les lieux que de trois à quinze jours, à cause des mauvaises conditions de détention. Cependant, la Commission a constaté que plusieurs détenus y séjournaient depuis deux, trois et cinq mois. À cause du nombre insuffisant de policiers, il n’y avait aucune possibilité de se promener. Enfin, selon les autorités, un médecin et une infirmière fournissaient des soins médicaux et un assistant social et un psychologue visitaient le centre.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et, lors de l’introduction de la requête, il était détenu à la maison d’arrêt de Diyarbakır. Le requérant fut arrêté et placé en garde à vue le 12 septembre 1994 pour aide et appartenance à l’organisation illégale Hizbullah. Lors de son arrestation, la police saisit, dans sa voiture, deux pistolets. Le rapport médical du 17 septembre 1994 établi par le service des urgences de l’hôpital public de Diyarbakır indique que l’examen physique du requérant avait permis de constater qu’il avait sur l’avant-bras à hauteur du coude droit un œdème avec une légère hyperémie. La radiographie du bras indiqua l’absence de fracture. Le rapport conclut que le requérant avait un traumatisme du tissu mou. Le médecin ayant examiné le requérant demanda qu’il fût examiné, le 19 septembre 1994, par le service orthopédique de l’hôpital. Le dossier ne contient pas de rapport médical concernant l’examen médical du 19 septembre 1994. Le 22 septembre 1994, le procureur de la République de Diyarbakır effectua une reconstitution des faits en la présence du requérant. Celui-ci ne fut pas assisté par un avocat. Le 28 septembre 1994, le requérant fut entendu par la police en l’absence d’un avocat. Il reconnut être membre de l’organisation illégale Hizbullah et il donna des détails sur ses activités menées au sein de cette organisation. Le rapport médical collectif établi le 4 octobre 1994, au nom de 28 individus dont le requérant, par le médecin de garde de l’hôpital public de Diyarbakır indique l’absence de coups et de violences sur le corps des personnes examinées. Le 4 octobre 1994, toujours en l’absence d’un avocat, le requérant fut entendu par le juge près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır. Il contesta les charges retenues à son encontre. Il nia avoir participé à une quelconque action armée au nom de l’organisation Hizbullah. Il déclara que sa déposition faite lors de la garde à vue avait été obtenue sous la contrainte. Le même jour, le requérant fut placé en détention. Le 24 octobre 1994, le procureur de la République de Diyarbakır intenta une action pénale contre vingt-huit individus, dont le requérant, du chef d’appartenance à l’organisation armée illégale Hizbullah ainsi que pour atteinte à l’ordre constitutionnel établi. Selon les informations données par le requérant, à la suite d’une plainte déposée par lui à une date non précisée concernant ses allégations de mauvais traitements subis pendant la garde à vue, le procureur de la République rendit le 24 octobre 1995 une décision de non-lieu à poursuivre. Toujours selon les dires du requérant, il n’a pas contesté cette décision devant la cour d’assises compétente. La cause du requérant, représenté cette fois par un avocat, fut entendue par la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır (« la cour de sûreté de l’État »), composée de trois juges dont un juge militaire. À l’audience du 18 novembre 1994, la cour de sûreté de l’État entendit le requérant. Il contesta les faits qui lui étaient reprochés. En se référant aux rapports médicaux versés au dossier, le requérant déclara qu’il avait le bras invalide en raison des mauvais traitements qu’il avait subis pendant sa garde à vue. À l’audience du 17 mars 1995, la cour de sûreté de l’État constata qu’elle n’avait toujours pas reçu de réponse à sa demande concernant l’examen médical du requérant. Le rapport médical du 9 novembre 1995 établi par l’hôpital public de Diyarbakır indique que le requérant avait une perte de capacité de 80 % de son bras gauche. À l’audience du 26 janvier 1996, la cour de sûreté de l’État prit acte des allégations de mauvais traitements du requérant et lui demanda de déposer une plainte en ce sens devant le procureur de la République de Diyarbakır. À l’audience du 15 novembre 1996, la cour de sûreté de l’État entendit les témoins S.D. et M.H.B. Le 26 décembre 1996, le procureur de la République présenta ses réquisitions sur le fond. En se fondant sur les éléments de preuve obtenus pendant la garde à vue du requérant, il demanda la condamnation du requérant à la réclusion criminelle à perpétuité. Aux audiences des 16 novembre et 30 décembre 1997, la cour de sûreté de l’État constata que les témoins A.Ö., M.E.C., A.E., K.A., A.Y. et A.G. n’étaient pas présents et demanda leur comparution pour la prochaine audience. À l’audience du 5 mars 1998, le témoin A.Y. fut entendu par la cour de sûreté en la présence de l’avocat du requérant. À l’audience du 3 décembre 1998, la cour de sûreté de l’État entendit le témoin A.Ö. qui déclara qu’il était un homonyme d’A.Ö. Ce témoin précisa qu’il n’avait pas fait de déposition incriminant les accusés et qu’il ne les connaissait pas. Par la loi no 4390 du 22 juin 1999, il fut mis fin aux mandats des juges militaires et des procureurs militaires en fonction au sein des cours de sûreté de l’État. Le 18 juin 1999, à la suite de l’amendement de l’article 143 de la Constitution, le juge militaire siégeant au sein de la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır fut remplacé par un juge civil. Aux audiences du 3 mai 2001, du 17 avril 2003 et du 5 août 2003, la cour de sûreté de l’État entendit respectivement les témoins C.T., H.F., M.E.C., A.A., R.A., A.G., C.Y., H.O., M.L. et S.A. Par la loi no 5190 du 30 juin 2004, les cours de sûreté de l’État furent définitivement abolies. Le dossier fut, à partir de là, examiné par la cour d’assises de Diyarbakır. À l’audience du 1er décembre 2006, le requérant réitéra que sa déposition faite pendant la garde à vue avait été obtenue à la suite des mauvais traitements qu’il avait subis. Il fit valoir que sa déposition ne devait pas être versée au dossier. Dans son mémoire en défense présenté le 26 janvier 2007 devant la cour d’assises de Diyarbakır, le requérant, représenté par un avocat, contesta les faits et les infractions qui lui étaient reprochés. Il fit valoir en particulier qu’il avait subi des mauvais traitements par la police lors de sa garde à vue. En raison des mauvais traitements qu’il avait subis, il avait perdu l’usage de son bras et il était désormais invalide. Il présenta à la cour d’assises les rapports médicaux établis par l’institut médicolégal. Il avait été emmené au service des urgences pour y être soigné mais il n’avait pas été ramené au service d’orthopédie comme l’avait prescrit le médecin de garde. Le requérant avait reconnu les faits qui lui étaient reprochés pour ne plus subir des mauvais traitements par les policiers qui l’avaient interrogé pendant la garde à vue. Il avait signé sa déposition alors qu’il avait les yeux bandés. Par ailleurs, il précisa que la police avait fait pendant la garde à vue une parade de reconstitution des faits, alors qu’il n’était pas assisté par un avocat. Il fit valoir que l’acte d’accusation du procureur de la République était uniquement fondé sur les éléments de preuve obtenus pendant sa garde à vue. Enfin, conformément à l’article pertinent du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, il soutint que les éléments de preuve obtenus sous la contrainte pendant la garde à vue, et non confirmés par lui lors de la procédure postérieure, alors qu’il n’était pas assisté d’un avocat, ne devaient pas être pris en considération pour le condamner. Par un arrêt du 26 février 2007, en se fondant notamment sur la déposition du requérant obtenue pendant la garde à vue, la cour d’assises de Diyarbakır condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité pour atteinte à l’ordre constitutionnel établi. S’agissant des allégations de mauvais traitements, la cour d’assises nota que le requérant avait obtenu, à sa demande, quatorze mois après la garde à vue, c’est-à-dire le 9 novembre 1995, un rapport médical qui différait de celui établi le 4 octobre 1994 à l’issue de la garde à vue. Lors de la procédure de jugement, la cour d’assises avait demandé au procureur de la République de Diyarbakır de mener une enquête au sujet des allégations du requérant. Le procureur de la République avait rendu le 24 octobre 1995 une décision de ne pas poursuivre au motif qu’il n’avait pas été possible de réunir suffisamment d’éléments de preuve. La cour d’assises prit en considération ensemble le rapport médical du 4 octobre 1994 ainsi que la décision de non-lieu du 24 octobre 1995 pour rejeter les déclarations du requérant selon lesquelles il avait déposé sous la contrainte pendant la garde à vue. Le requérant se pourvut en cassation. Le 20 juin 2007 et le 25 février 2009, il présenta deux mémoires ampliatifs devant la Cour de cassation. En réitérant les moyens qu’il avait déjà soulevés dans son mémoire en défense présenté le 26 janvier 2007 devant la cour d’assises de Diyarbakır, le requérant fit valoir que les éléments de preuve sur lesquels s’était fondée la cour d’assises de Diyarbakır étaient sa déposition et celles des autres coaccusés obtenues sous la contrainte. Il indiqua que lui-même et les autres coaccusés avaient contesté ces dépositions par la suite devant le juge des libertés, la cour de sûreté de l’État et la cour d’assises. Il annexa à son mémoire les différents rapports médicaux qu’il avait présentés devant la cour de sûreté de l’État lors de son audience du 23 janvier 1995. En outre, en rappelant la jurisprudence constante de la Cour de cassation, en application des articles pertinents du code de procédure pénale en vigueur à l’époque des faits, le requérant fit valoir que ses déclarations, obtenues par des moyens d’interrogatoire illégaux, ne devaient pas être versées au dossier. Par un arrêt du 29 avril 2009, après avoir tenue une audience, la Cour de cassation rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt de la cour d’assises du 26 février 2007. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes de l’ancien code de procédure pénale (no 1412) en vigueur au moment des faits de l’espèce, à savoir ses articles 135, 136 et 138, prévoyaient que toute personne soupçonnée ou accusée d’une infraction pénale avait droit à l’assistance d’un avocat dès son placement en garde à vue. Toutefois, en vertu de l’article 31 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992, qui modifia les règles de procédure pénale, les dispositions précitées ne devaient pas être appliquées aux personnes accusées d’infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l’État (Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, §§ 28-31, 27 novembre 2008). Avant la loi no 4390 du 22 juin 1999, l’article 5 de la loi no 2845 prévoyait que, l’un des trois magistrats siégeant au sein des cours de sûreté de l’État, devait être un juge militaire. Après l’entrée en vigueur de la loi no 4390, aucun magistrat militaire ne siégea plus au sein des juridictions en question, lesquelles furent finalement abolies par la loi no 5190 du 16 juin 2004 (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, §§ 52-54, CEDH 2005IV). Le droit interne pertinent concernant l’utilisation de dépositions obtenues sous la contrainte pendant la garde à vue est décrit notamment dans les arrêts Örs et autres c. Turquie (no 46213/99, § 31, 20 juin 2006), Göçmen c. Turquie (no 72000/01, §§ 42 et 43, 17 octobre 2006) et Söylemez c. Turquie (no 46661/99, § 89, 21 septembre 2006). Il ressort des principes jurisprudentiels du droit pénal turc que l’interrogatoire d’un suspect est un moyen de défense devant profiter à ce dernier, et non une mesure destinée à obtenir des preuves à charge. Si les déclarations qui en sont issues peuvent entrer en ligne de compte dans l’appréciation par le juge de la réalité factuelle concernant une affaire, elles doivent néanmoins être faites de plein gré, étant entendu que toute déclaration extorquée par le recours à des pressions ou à la force n’a aucune valeur probante. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’ancien article 247 du code de procédure pénale, pour qu’un procès-verbal d’interrogatoire contenant des aveux faits à la police ou au parquet puisse constituer une preuve à charge, il est impératif que ceux-ci soient réitérés devant le juge. Sinon, la lecture lors de l’audience de pareils procès-verbaux à titre de preuve est prohibée et, dès lors, on ne saurait y puiser un motif pour fonder une condamnation. Cela dit, même un aveu réitéré à l’audience ne saurait passer, à lui seul, pour un élément de preuve déterminant : il faut qu’il soit étayé par des éléments de preuve complémentaires (Kolu c. Turquie, no 35811/97, § 44, 2 août 2005).
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Le requérant est né en 1975 et réside à Bucarest. A. L’incident du 16 octobre 2016 La version du requérant Le 16 octobre 2010, vers 16 h 30 ou 17 heures, le requérant, qui se serait trouvé sur un marché à Bucarest, aurait eu une dispute avec un inconnu. Il se serait dirigé vers deux policiers se trouvant à proximité pour leur demander de l’aide. Les policiers auraient manifesté une attitude agressive envers lui et lui auraient demandé de les suivre au commissariat le plus proche. Ils auraient ensuite proféré des insultes concernant l’appartenance du requérant à la communauté rom. Ils auraient été rejoints rapidement par deux autres policiers se trouvant à bord d’une voiture. Un de ces deux derniers policiers aurait frappé le requérant à coups de poing dans le dos et au niveau des côtes. Ensuite, les policiers auraient fait monter le requérant dans la voiture de police et l’auraient fait asseoir sur la banquette arrière, entre les deux premiers policiers. Ceux-ci auraient continué à frapper et à insulter le requérant. À l’arrivée au commissariat de police no 7 de Bucarest, le requérant aurait été transporté dans une pièce située au premier étage. Un des deux premiers policiers aurait commencé à le frapper avec une barre en fer. Le requérant aurait alors reçu de nombreux coups sur tout le corps, en particulier au bras gauche, dans le dos, au thorax et au visage. Il serait tombé par terre, et le policier aurait continué à le frapper à coups de pied. Le policier aurait ainsi frappé le requérant pendant environ vingt à trente minutes, puis il lui aurait demandé de partir. Le requérant n’aurait pu se relever, et l’agent de police l’aurait encore frappé. Ensuite, le policier aurait fait venir deux autres policiers, et ceux-ci auraient transporté le requérant à l’extérieur du commissariat et l’y auraient abandonné. Le requérant aurait mis un certain temps à reprendre ses esprits, puis il se serait dirigé vers un taxi. Celui-ci l’aurait conduit à son domicile, où l’intéressé aurait perdu connaissance. Des membres de la famille du requérant auraient appelé une ambulance et celle-ci aurait transporté leur proche aux urgences de l’hôpital universitaire de Bucarest. Le certificat médical dressé à l’arrivée du requérant aurait mentionné de multiples traumatismes, en particulier au niveau du thorax, du dos et du bras gauche, ainsi qu’une fracture ouverte de la mâchoire. La version du Gouvernement Se référant aux constats des autorités judiciaires nationales, le Gouvernement soutient que la dispute survenue entre le requérant et l’inconnu susmentionné avait dégénéré en violences physiques. Il affirme qu’à l’arrivée des deux premiers policiers l’inconnu était couché par terre et que le requérant, qui aurait eu le visage maculé de sang, le frappait au visage. Le Gouvernement indique aussi que, devant l’attitude du requérant, qui aurait refusé de décliner son identité, les policiers avaient appelé deux collègues en renfort. Il ajoute qu’ils avaient ensuite conduit l’intéressé au poste de police, où une amende contraventionnelle lui aurait été infligée pour refus de déclinaison d’identité et outrage aux forces de l’ordre. B. L’hospitalisation du requérant et le certificat médicolégal établi à la demande de ce dernier Le requérant fut hospitalisé du 16 au 21 octobre 2010 au service de chirurgie de l’hôpital universitaire de Bucarest en raison d’une accumulation d’air dans la cavité thoracique (pneumothorax) nécessitant un drainage chirurgical. Du 21 au 27 octobre 2010, il fut hospitalisé dans une clinique de chirurgie dentaire, où il subit plusieurs interventions en raison d’une fracture de la mâchoire. Le 1er novembre 2010, à la demande du requérant, un médecin de l’institut de médecine légale de Bucarest examina l’intéressé et les documents médicaux fournis par ce dernier. Dans le certificat médicolégal établi par lui, il constatait que le requérant avait fait l’objet d’une agression et que celle-ci avait provoqué un traumatisme thoracique, des ecchymoses sur le bras gauche, une fracture ouverte de la mâchoire et la perte de quatre dents. Le médecin précisait que les blessures avaient pu être provoquées par des coups portés le 16 octobre 2010 avec un objet contondant et qu’elles nécessitaient environ quarante à quarante-cinq jours de soins. C. La plainte pénale Le 25 novembre 2010, le requérant saisit le parquet près le tribunal de première instance de Bucarest d’une plainte contre les policiers qui l’auraient agressé le 16 octobre 2010. Le parquet entendit le requérant, sa compagne, les quatre policiers mis en cause et une tierce personne, A.B., collègue de la compagne du requérant, venue témoigner en faveur de ce dernier. Les policiers nièrent avoir agressé le requérant. Les deux premiers d’entre eux affirmèrent ce qui suit : ils avaient aperçu le requérant en train de frapper une personne se trouvant à terre ; l’intéressé ayant refusé de présenter une pièce d’identité, ils l’avaient immobilisé et conduit au commissariat ; au cours de leur intervention, ils avaient appelé une autre équipe de police en renfort. Les policiers susmentionnés précisèrent que, au moment de l’interpellation, le requérant saignait au niveau du visage et du thorax. Le parquet écarta la déclaration de la compagne du requérant aux motifs que celle-ci faisait montre d’une subjectivité et qu’elle n’avait pas assisté personnellement à l’incident. Quant au témoignage de A.B. – qui affirmait avoir vu, le 16 octobre 2010, alors qu’elle se serait trouvée dans un autobus, deux policiers transporter le requérant blessé à l’extérieur du commissariat –, le parquet l’écarta également en raison de sa non-pertinence pour l’établissement des faits. Le 27 juin 2012, le parquet rendit un non-lieu en faveur des policiers, estimant qu’il n’y avait pas d’indices suffisants de la culpabilité de ces derniers. Le requérant contesta ce non-lieu, lequel fut confirmé par le procureur en chef du parquet. Le requérant déposa une plainte devant le tribunal de première instance de Bucarest, estimant que l’enquête était incomplète. Il reprochait aux policiers de ne pas avoir identifié la personne impliquée dans la dispute à l’origine de l’incident. En outre, il indiquait que, à supposer que ses blessures eussent été la conséquence de cette altercation – comme l’auraient affirmé les policiers mis en cause –, ceux-ci auraient dû appeler une ambulance, et il leur reprochait ainsi d’avoir omis de le faire. Il affirmait que cette dispute avait eu un caractère verbal et que l’inconnu ne l’avait pas agressé physiquement. Il ajoutait que le parquet avait ignoré, d’une part, le certificat médicolégal qui attestait la gravité de ses blessures et, d’autre part, la possibilité que celles-ci eussent été provoquées par des coups portés avec un objet contondant, à savoir, à ses dires, la barre en fer dont un des policiers aurait fait usage à son encontre. Enfin, il soutenait que les témoignages qui lui étaient favorables avaient été écartés à tort. À l’audience du 31 octobre 2012, le requérant réitéra ses critiques à l’encontre de la décision de non-lieu et demanda le renvoi du dossier au parquet pour la poursuite de l’enquête. Les policiers présents à l’audience, au nombre de deux, ne firent aucune déclaration. Par un jugement définitif rendu le même jour, le tribunal rejeta la plainte du requérant. Il considérait que celui-ci n’étayait pas ses accusations et que les seuls éléments qui pouvaient corroborer ses allégations étaient les témoignages de sa compagne et de A.B. Or, selon le tribunal, les déclarations de ces témoins n’étaient pas fiables en raison de la subjectivité des intéressées. S’agissant de A.B., le tribunal relevait également des contradictions entre son témoignage et celui de la compagne du requérant. Par conséquent, notant que les policiers avaient fourni une explication plausible quant à l’origine des blessures du requérant – résidant en la dispute survenue entre celui-ci et une personne non identifiée – et que le requérant avait lui-même affirmé dans sa plainte pénale initiale qu’il avait été frappé au visage par cette personne, le tribunal estimait que la présomption d’innocence bénéficiant aux policiers n’avait pas été renversée. Par ailleurs, le tribunal constatait l’existence d’une méconnaissance par l’État de ses obligations découlant de l’article 3 de la Convention en raison de l’omission des policiers de consigner par écrit et de manière détaillée les blessures présentes sur le corps du requérant au moment de l’interpellation et de faire examiner l’intéressé par un médecin. Pour autant, tenant compte de la présomption d’innocence bénéficiant aux policiers et du passage du temps – qui, selon lui, avait effacé les traces de l’agression –, le tribunal concluait que la réouverture de l’enquête était inutile.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1969, en 1974, en 1976, en 1936 et en 1947 et résident à Mersin. Les trois premiers requérants sont les frères de M. Cevdet Güvener, les deux derniers sont ses parents. En 2006, alors qu’il effectuait son service militaire, Cevdet Güvener demanda à voir un psychiatre. Il fut examiné par le psychiatre de l’hôpital militaire de Diyarbakır. Celui-ci établit un rapport médical le 28 novembre 2006, indiquant que Cevdet Güvener souffrait d’un « problème d’adaptation », qu’un médicament nommé « Meresa » lui avait été prescrit et qu’un contrôle était à prévoir trois mois plus tard. Cevdet Güvener décéda le 23 février 2007. Les requérants allèguent que leur proche a été tué par l’un de ses supérieurs hiérarchiques après avoir été surpris endormi alors qu’il était supposé monter la garde. Les éléments exposés ci-après, comprenant notamment les détails et témoignages relatifs aux circonstances ayant entouré le décès du proche des requérants, ressortent des documents versés au dossier. Le 23 février 2007, vers 11 h 30, Cevdet Güvener et deux de ses camarades, S.M. et H.A., qui étaient de garde, de 9 à 13 heures, dans une guérite de contrôle frontalière à Şanlıurfa, s’endormirent. Ils furent réveillés à l’arrivée du commandant de bataillon, le colonel N.S., qui effectuait une inspection. Celui-ci, accompagné de son chauffeur et d’un autre soldat, nota les noms des trois hommes, leur demanda de faire venir leur commandant d’unité à son retour, puis s’éloigna. Cevdet Güvener appela son commandant d’unité par transmission radio, puis passa le message « adieu camarades » et se tira une balle dans la tête avec son fusil. Il fut immédiatement hospitalisé mais décéda. Une équipe de gendarmes de Ceylanpınar, chargée de l’examen des lieux, et le procureur de la République de la même ville se rendirent sur place vers 13 h 30. Un procès-verbal fut dressé ; il comportait notamment la description des lieux et indiquait la position de l’arme en cause, ainsi que la distance de celle-ci par rapport aux murs de la guérite et aux taches de sang se trouvant autour. D’après ce document, des photographies avaient été prises et les armes et munitions des trois soldats avaient été saisies. Des prélèvements pour une recherche de résidus de tir furent effectués sur les mains et le visage de S.M. et de H.A. Il fut établi que l’arme de S.M. était un fusil de type G3, portant le numéro de série 485812, et que son chargeur contenait vingt cartouches ; le chargeur était donc pleinement rempli (voir le paragraphe 50 ci-dessous). Il fut aussi établi que l’arme de H.A. était un fusil automatique de type MG-3, portant le numéro de série 28989, et qu’elle avait été retrouvée à côté d’une boîte contenant deux cent cinquante cartouches de 7,62 mm. Aucune empreinte digitale exploitable ne put être relevée sur l’arme du défunt. Aucune cartouche vide ne fut retrouvée sur les lieux, mais une cartouche pleine fut découverte sur le rebord du mur de la guérite. Il fut procédé à l’examen de l’arme du défunt, de type G-3 et portant le numéro de série 13L325 : le cran de sécurité de cette arme était positionné sur la cadence de tir à coup unique, une cartouche vide était coincée dans la fenêtre d’éjection (fişek atım yatağı) et une cartouche pleine était coincée entre la fenêtre d’éjection et le mécanisme ; le chargeur de ce fusil contenait dix-sept cartouches. Des tissus cellulaires ainsi que des taches de sang furent relevés sur les lieux. Il fut constaté une absence de fragments de vêtements ou autres tissus, ainsi qu’une absence de signes indiquant une altercation. Le procureur de la République fit brièvement état de ses propres constatations sur son procès-verbal et recueillit sur les lieux même des dépositions. S.M., affirma ce qui suit : Cevdet Güvener était paniqué après que ses camarades et lui eurent été surpris dans leur sommeil par le colonel ; il avait chargé son arme, puis l’avait menacé et avait passé une annonce radio pour dire « adieu camarades » ; ensuite, il avait placé la crosse de son fusil sur le sol, à côté du garde-fou d’un pont, et, se tenant debout, s’était tiré une balle dans le front. H.A. fit une déposition similaire à celle de S.M. En outre, il précisa ceci : lorsque Cevdet Güvener avait chargé son arme, il était intervenu pour le calmer ; une cartouche était tombée à terre lorsque Cevdet Güvener avait manipulé son arme ; il l’avait ramassée puis l’avait mise sur le rebord du mur de la guérite ; Cevdet Güvener avait ensuite remanié le levier d’armement de son fusil et avait dirigé l’arme d’abord vers S.M., puis vers lui ; il s’était ensuite éloigné vers le garde-fou du pont, avait passé une annonce radio en disant « adieu camarades », puis avait tiré en appuyant sa tête sur le canon de l’arme. Le procureur de la République recueillit aussi la déposition du commandant de bataillon, le colonel N.S., sur les lieux. Celui-ci affirma que, lors de son inspection, il avait observé que les trois soldats de garde étaient en train de dormir et avait demandé à son chauffeur de s’arrêter, qu’il avait alors noté les noms des soldats et leur avait donné l’ordre d’appeler leur commandant d’unité et d’être tous présents à son retour, puis qu’il était parti. Les personnes qui accompagnaient le commandant de bataillon, son chauffeur, N.Y., et son aide de camp, V.K., firent des déclarations similaires du moins sur cet épisode des faits. Par une lettre du 23 février 2007, le procureur militaire de Diyarbakır demanda au procureur de la République de Ceylanpınar d’accomplir certains actes dans le dossier, y compris les analyses des éléments recueillis sur les lieux. Ce document permet de comprendre que la balle ayant causé le décès ne fut pas trouvée sur les lieux puisqu’il soulignait le besoin de faire une recherche de la balle dans le corps aux fins d’expertise balistique. Le procès-verbal d’examen post mortem réalisé le jour du décès à la morgue de l’hôpital de Ceylanpınar faisait notamment état de la présence de résidus de tir et de brûlures commençant à un demi-centimètre sur le cuir chevelu frontal ainsi que de la destruction de la partie arrière du crâne. Il précisait qu’en raison de cette destruction il était impossible d’identifier l’orifice de sortie de la balle et que la radio effectuée permettait par ailleurs de conclure que la balle ne se trouvait pas dans le corps. Aucun signe de relation sexuelle anale ni aucune autre blessure ne furent constatés sur le corps et le médecin conclut à un tir à bout portant à la tête, excluant ainsi la nécessité de procéder à une autopsie classique. Par une pétition du 13 mars 2007, les requérants portèrent plainte devant le procureur militaire de Diyarbakır en indiquant que Cevdet Güvener n’avait aucune raison de se suicider et qu’il les avait appelés la veille de sa mort pour dire qu’il craignait d’être tué par l’un des commandants. Le 22 mars 2007, la division des laboratoires de la police criminelle rattachée à la direction générale de la sûreté du ministère de l’Intérieur (Emniyet Genel Müdürlüğü Kriminal Polis Laboratuvarları Dairesi Başkanlığı) rendit ses rapports d’expertise relatifs aux armes et munitions et aux prélèvements aux fins de recherche de résidus de poudre effectués sur les mains et le visage de Cevdet Güvener et de ses deux camarades de garde. Le rapport relatif aux armes et munitions indiquait d’abord que, lors de l’extraction des balles des chargeurs, une cartouche vide avait été découverte dans le chargeur de l’arme [de S.M.] dont le numéro de série était le 485812. Il indiquait ensuite que les traces relevées sur la cartouche vide qui avait été extraite de la fenêtre d’éjection de l’arme [de Cevdet Güvener] numérotée 13L325 et sur la cartouche pleine qui avait été découverte sur le rebord du mur de la guérite ne permettaient pas d’établir de quel chargeur celles-ci provenaient. Le rapport se poursuivait par une comparaison des deux cartouches vides et concluait que celles-ci n’avaient pas été tirées à partir de la même arme. Plus précisément, il indiquait que « la cartouche vide de 7,62 x 51 mm extraite de la fenêtre d’éjection de l’arme numérotée 13L325 avait été tirée à partir d’une arme compatible à ses type et diamètre et la cartouche vide de 7,62 x 51 mm extraite du chargeur de l’arme numérotée 485812 avait été tirée à partir d’une autre arme compatible ». Enfin, le rapport établissait que la première cartouche susmentionnée avait été tirée à partir de l’arme dont le numéro de série était le 13L325 et que la seconde avait été tirée à partir d’une autre arme qui ne figurait pas parmi les trois fusils recensés. Le rapport relatif aux prélèvements de résidus de tir indiquait qu’aucune trace de poudre n’avait été découverte sur les échantillons communiqués. Le 23 mars 2007, le procureur de la République de Ceylanpınar rendit une décision d’incompétence ratione materiae et transmit le dossier au procureur du parquet militaire du 7e corps de l’armée de terre situé à Diyarbakır (ciaprès « le procureur militaire »). Du 2 au 8 mai 2007, le procureur militaire recueillit les dépositions d’une dizaine de personnes, y compris S.M. et H.A. qui avaient déjà été interrogés par le procureur de la République. H.A. fut interrogé à deux reprises en raison des incohérences relevées entre sa déposition et celle de S.M. quant à l’endroit où ce dernier s’était endormi et à des injures qui auraient été proférées par Cevdet Güvener. Durant cet interrogatoire approfondi, S.M. fournissait des explications détaillées concernant l’emplacement des personnes et des armes, ainsi que le comportement de Cevdet Güvener, puis le transport de celui-ci à l’hôpital. Il affirmait aussi, en résumé : - le jour du décès, lui, H.A. et Cevdet Güvener étaient de garde de 9 à 13 heures dans la section « est 4 », sur le pont, entre deux postes-frontières, - il s’était réveillé et avait vu le commandant du bataillon en train de discuter avec H.A. et Cevdet Güvener. Il était descendu immédiatement de la tour sur un signe du chauffeur du commandant, pour se présenter. Le commandant avait ri et lui avait dit que, s’il ne s’était pas endormi dans la tour, il aurait pu le voir arriver et réveiller ses camarades ; puis le commandant avait noté leurs noms et leur avait ordonné d’appeler leur commandant d’unité pour que celui-ci fût présent à son retour, - Cevdet Güvener avait transmis l’ordre par radio puis avait insulté ses deux camarades en disant qu’il allait être puni à cause d’eux. Il avait chargé son fusil en manipulant le levier d’armement. Un moment plus tard, il s’était tiré une balle. - cinq minutes après leur appel par radio, leur commandant d’unité, le sergent M.U., était arrivé accompagné de deux soldats, l’un chauffeur et l’autre aide de camp. Le sergent avait vérifié le pouls de Cevdet Güvener, puis ils avaient tous ensemble transporté ce dernier dans le véhicule pour le conduire à l’hôpital, - Cevdet Güvener avait manié le levier d’armement de son fusil lorsqu’il l’avait pris en main et une cartouche était tombée ; H.A. avait ramassé cette cartouche puis l’avait mise sur rebord du mur de la guérite de droite. La déposition très détaillée du témoin H.A. était similaire à celle de S.M. Celui-ci indiquait aussi que Cevdet Güvener était très agité mais il ne les avait pas injuriés ; il disait seulement qu’il allait « être sévèrement sanctionné cette fois-ci ». Le procureur militaire recueillit aussi les dépositions du sergent M.Ç., du chauffeur, C.K., et de l’aide de camp, S.T., ces deux derniers ayant accompagné le sergent ce jour-là quand celui-ci s’était déplacé à la suite de l’appel radio de Cevdet Güvener. Le sergent affirma que ce dernier était un soldat qui entretenait de bonnes relations avec son entourage, qu’il n’avait pas eu d’ennuis depuis son arrivée le 13 janvier 2007 à ce poste-frontière, ni n’avait été menacé par qui que ce soit, qu’il y avait des notes de service indiquant qu’il « fumait de la drogue avant de [commencer son] service militaire » et qu’il prenait des médicaments depuis un passage au service de psychiatrie de l’hôpital de Diyarbakır. En réponse à une question du procureur militaire, C.K. affirma qu’il avait entendu Cevdet Güvener parler au téléphone avec sa famille un ou deux jours avant son décès et qu’il était assez joyeux. Il précisa qu’il n’y avait qu’une seule ligne à la centrale du poste-frontière, que les quarante soldats en fonction sur place utilisaient cette ligne et qu’il avait entendu Cevdet Güvener car il se serait trouvé dans la même pièce en attente d’un document. V.K., l’aide de camp du commandant de bataillon affirma que ce dernier lui avait donné l’ordre de rester sur les lieux après avoir fait monter H.A. dans son véhicule à leur arrivée au pont. N.Y., le chauffeur du commandant de bataillon, affirma que, à leur arrivée, Cevdet Güvener dormait à l’extérieur de la guérite et H.A. à l’intérieur, que leur commandant de bataillon était souriant et qu’il n’avait pas injurié les soldats. Le procureur interrogea aussi S.Ö., İ.G. et R.G. Ceux-ci, qui étaient de garde dans la deuxième tour de contrôle, avaient entendu par radio tous les messages, qu’ils relatèrent, ainsi que le coup de feu tiré par Cevdet Güvener après le message « adieu camarades ». Le procureur entendit également S.G., soldat en charge de la communication radio au poste-frontière. Celui-ci confirma les appels et conversations susmentionnés à l’exception du dernier message de Cevdet Güvener qu’il n’avait pas compris et pour lequel il avait rappelé à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’il fût joint pour appeler une ambulance. Il s’exprima aussi sur l’appel téléphonique passé par Cevdet Güvener la veille de son décès à sa famille : il indiqua qu’il avait compris que Cevdet Güvener parlait avec sa mère, son neveu et son frère, qu’il était assez joyeux et qu’il leur avait dit qu’il ne lui restait plus que cent soixante jours de service. En réponse à une question du procureur, il indiqua que lui-même et Cevdet Güvener étaient de proches amis, que ce dernier n’avait pas parlé à sa famille d’une menace formulée à son encontre et que si cela avait été le cas, soit il l’aurait su, soit il l’aurait entendu puisqu’il se serait trouvé juste à côté de Cevdet Güvener lors de son appel téléphonique passé à ses proches. Le procureur entendit aussi S.T., un sous-officier qui était en congé le jour de l’événement. Celui-ci expliqua qu’il s’entretenait avec chaque nouvelle recrue et remplissait les documents requis à l’arrivée de chaque nouveau soldat. Il indiqua qu’il avait ainsi eu un entretien avec Cevdet Güvener et que celui-ci lui avait expliqué qu’ils étaient quinze frères et sœurs, que sa famille n’avait pas pris soin de lui, qu’il fumait de la drogue avant de servir et qu’il s’était rendu auparavant à l’hôpital militaire de Diyarbakır. S.T. affirma qu’il conservait le psychotrope prescrit à Cevdet Güvener et qu’il lui en donnait un comprimé par jour. Il indiqua aussi qu’il avait observé un jour que Cevdet Güvener s’était fâché avec un camarade au sujet du nettoyage d’une pièce et qu’il avait ainsi rajouté sur les documents susmentionnés que Cevdet Güvener était d’habitude très joyeux mais qu’il semblait avoir une psychologie fragile et qu’il pouvait se fâcher très rapidement. Il ajouta que les soldats avaient la possibilité de téléphoner soit en passant par la centrale, soit durant leurs deux jours de congé mensuels lorsqu’ils étaient en ville et que le dernier jour de congé de Cevdet Güvener était le 30 janvier 2007. Le procureur versa aussi au dossier les relevés des communications téléphoniques sortantes du poste-frontière, obtenus de l’administration en charge des télécommunications. Ces relevés indiquaient une communication de trois minutes le 19 février 2007 à 20 h 20 et une communication de quatre minutes le 22 février 2007 à 13 h 23, toutes deux attribuées à Cevdet Güvener. Le procureur demanda la transmission du registre des gardes, ainsi que celle des documents attestant des entraînements de Cevdet Güvener sur le maniement des armes. Le 28 mai 2007, sur l’instruction du procureur militaire, la police de Tarsus recueillit la déposition des proches de Cevdet Güvener. Mme Sevda Güvener, la mère de Cevdet Güvener, affirma que la veille de sa mort, vers 20 heures, son fils avait appelé et dit ce qui suit : « J’ai été surpris [pendant mon] sommeil alors que je montais la garde. J’ai été menacé. Ils vont me tuer ce soir, venez me sauver. Le commandant gradé ne m’apprécie pas du tout ». M. Orhan Güvener, le frère de Cevdet Güvener affirma que deux jours avant sa mort, Cevdet Güvener lui avait dit au téléphone qu’il ne pouvait pas venir en congé car il avait été pris par un commandant en sommeil alors qu’il montait la garde ; il ne lui a pas dit quel commandant, ni n’a dit qu’il allait être tué. MM. Mehmet Güri Güvener et Bayram Güvener, respectivement père et frère de Cevdet Güvener, expliquèrent que ce n’est qu’après avoir été informés du décès de leur proche que Mme Sevda Güvener leur avait dit que Cevdet Güvener lui aurait expliqué au téléphone qu’il allait être tué. Par une lettre du 15 juin 2007, le procureur militaire demanda par commission rogatoire au procureur de la République de Ceylanpınar d’enquêter sur les allégations des proches de Cevdet Güvener, eu égard au contenu de leurs dépositions. Le 16 juillet 2007, le procureur de Ceylanpınar interrogea plusieurs soldats en fonction au même poste-frontière. E.E. expliqua ce qui suit : il avait monté la garde du soir du 13 février 2007 avec Cevdet Güvener et, le lieutenant F.A. les avait surpris dans leur sommeil ; le lieutenant leur avait dit de passer le voir pour recueillir leurs dépositions ; deux jours plus tard, Cevdet Güvener et lui étaient allés voir le lieutenant pour lui expliquer qu’ils étaient fatigués ce jour-là car ils avaient travaillé sur le chantier de rénovation du poste-frontière ; le lieutenant ne les avait ni menacés ni injuriés ; quelques jours plus tard, Cevdet Güvener lui avait dit que leur capitaine, H.Ç., n’allait pas les sanctionner et qu’il en était très heureux. Les témoignages d’autres soldats, S.G., Ş.D., M.U., M.S.K., V.D., E.B. et B.H., convergèrent dans ce sens. Ces soldats indiquèrent aussi qu’ils avaient entendu le capitaine dire à Cevdet Güvener qu’il le pardonnait pour cette fois-ci, qu’il n’allait pas le renvoyer devant le tribunal, qu’il allait décider d’une sanction luimême et que Cevdet Güvener était très heureux que cet événement se terminât ainsi. D’après les dépositions de ces soldats, quelques jours plus tard, le capitaine H.Ç. avait apporté un gâteau au postefrontière pour fêter l’anniversaire du lieutenant T.G., Cevdet Güvener avait été très honoré d’avoir été sollicité pour organiser l’événement et faire la distribution de ce gâteau, le capitaine avait dit que Cevdet Güvener devait avoir le plus gros morceau de gâteau et l’ambiance était ainsi très détendue. Le lieutenant T.G. confirma les faits ainsi exposés et rajouta qu’il organisait les gardes et qu’il veillait tout particulièrement à prévoir les tours de garde de manière à ne pas épuiser les soldats. Les dépositions du lieutenant F.A. et du capitaine H.Ç. étaient similaires à ce qui est décrit ci-dessus. Le champ de l’enquête fut étendu à la découverte d’une cartouche vide dans le chargeur de l’arme dont le numéro de série était le 485812, appartenant à S.M. (paragraphe 24 ci-dessus). Le 6 août 2007, les officiers B.S., E.O. et R.P., en fonction à la gendarmerie de Ceylanpınar et qui s’étaient rendus sur les lieux pour relever les preuves (paragraphe 12 cidessus), expliquèrent ne pas avoir extrait les cartouches des chargeurs mais avoir constaté que le chargeur susmentionné était plein en appuyant sur le bloc de cartouches et avoir ainsi relevé la présence de vingt cartouches. R.P. expliqua qu’il avait reçu le sac contenant les preuves, que ce sac était scellé et qu’il l’avait remis tel quel à la division des laboratoires de la police criminelle. Il ajouta que ses collègues et lui avaient ouvert ensemble ce sac avec les agents de la police pour faire le décompte, que, lorsque les cartouches avaient été extraites du chargeur en question, ils avaient constaté que la dernière cartouche située en dessous du bloc était vide et qu’ils avaient ainsi indiqué cette information dans le procès-verbal dressé à cet égard. Le 21 août 2007, le procureur militaire résuma tous les éléments susmentionnés et rendit une ordonnance de non-lieu, en concluant que Cevdet Güvener n’avait pas été menacé et qu’il s’était donné la mort sans qu’une responsabilité pénale ne pût être attribuée à quiconque. Le 3 septembre 2007, une copie de cette décision fut notifiée aux requérants, représentés par deux avocats. Le 17 septembre 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision. Ils alléguaient notamment que l’enquête ne répondait pas à leur allégation d’homicide, que les témoignages à cet égard n’étaient pas convaincants, que l’expertise balistique n’avait pas été faite sur la troisième arme présente sur les lieux, qu’aucune importance n’avait été attribuée à l’absence d’empreinte digitale sur l’arme de Cevdet Güvener et que les témoignages de S.M. et H.A. étaient incomplets quant à la réaction de ceuxci vis-à-vis de Cevdet Güvener au moment où celui-ci s’était montré énervé. Le 23 juillet 2008, le tribunal militaire du 2e corps d’armée aérien de Diyarbakır rejeta l’opposition formée par les requérants en reprenant les considérations exposées par le procureur militaire du 7e corps de l’armée de terre de Diyarbakır. Le 15 septembre 2008, la fondation Mehmetçik, une fondation publique de solidarité pour les proches des soldats morts au combat ou pour les soldats blessés, versa aux parents de Cevdet Güvener 20 864 livres turques (TRY - soit environ 11 650 euros (EUR) à cette date). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont exposés dans les arrêts Kılınç et autres c. Turquie (no 40145/98, § 33, 7 juin 2005), Salgın c. Turquie (no 46748/99, §§ 51-54, 20 février 2007), Abdullah Yılmaz c. Turquie (no 21899/02, §§ 32-39, 17 juin 2008), Yürekli c. Turquie (no 48913/99, §§ 30-32, 17 juillet 2008), et Dülek et autres c. Turquie (no 31149/09, §§ 28-29, 3 novembre 2011). Le règlement des forces armées turques sur l’aptitude au service militaire du point de vue de la santé (TSK Sağlık Yeteneği Yönetmeliği règlement no 86/11092 du 24 novembre 1986) précise notamment que, dans le cas où une maladie ou une invalidité est constatée chez un appelé, des mesures d’ajournement du service ou de mise en congé sont prises. La liste des maladies ou invalidités en question est donnée dans une annexe du règlement (Hastalık ve Arızalar Listesi) dont les articles 15 à 18 visent les différentes formes de troubles psychologiques ou psychiatriques, et notamment la dépression.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les années de naissance des requérants figurent en annexe. En octobre 2000, un nombre considérable de détenus dans différents établissements pénitentiaires de la Turquie entamèrent une grève de la faim et un « jeûne de la mort », essentiellement afin de protester contre le projet de prisons de « type F », lequel visait à mettre en place des unités de vie plus petites pour les détenus. Au cours du mois de décembre 2000, une équipe de médiateurs, composée de députés, de représentants d’organisations non gouvernementales et d’un groupe d’artistes et d’intellectuels connus, s’entretint avec les grévistes de la faim. Une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) se rendit aussi en Turquie aux fins de mener des entretiens, à l’invitation du gouvernement turc. Toutefois, aucune solution ne put être trouvée. Le 18 décembre 2000, le directeur de la prison de Bayrampaşa soumit à l’approbation du parquet d’Istanbul une demande d’intervention des forces de l’ordre. Il expliqua que quarante-cinq détenus observaient le « jeûne de la mort » et refusaient les examens médicaux quotidiens assurés par les médecins de la prison et les soins proposés par eux. Les prisonniers n’auraient pas renoncé à poursuivre leur jeûne malgré l’intervention de médiateurs, de leurs familles et des médecins. Le 15 décembre 2000, les prisonniers auraient refusé d’être examinés par des médecins envoyés par l’Ordre des médecins. Ces derniers auraient toutefois constaté une perte de poids alarmante chez ces prisonniers, ainsi qu’une détérioration de leur santé, et relevé que, dans les jours à venir, les fonctions vitales des intéressés seraient atteintes et que les premiers décès surviendraient. Pour le directeur de la prison, une intervention des forces de l’ordre permettrait de prodiguer aux prisonniers les soins nécessaires et de prévenir des décès. A. L’intervention des forces de l’ordre dans la prison de Bayrampaşa Le 19 décembre 2000, les forces de l’ordre intervinrent simultanément dans une vingtaine d’établissements pénitentiaires, dont la prison de Bayrampaşa où étaient détenus les requérants. Au cours de cette opération, baptisée « retour à la vie » (hayata dönüş), de violents heurts survinrent entre les forces de l’ordre et les prisonniers. À la prison de Bayrampaşa, l’opération visa le bloc C, composé de dix-huit dortoirs. Au cours de celle-ci, douze détenus trouvèrent la mort et une cinquantaine de détenus furent blessés, dont certains par arme à feu, parmi lesquels plusieurs requérants. Selon le procès-verbal de huit pages dressé à la suite de l’opération, l’intervention avait débuté vers 5 heures du matin pour se terminer vers 20 h 30 dans la soirée. À la suite de l’appel à la reddition lancé par les forces de l’ordre, certains prisonniers occupant certains dortoirs avaient accepté l’évacuation sans opposer de résistance. Les autres détenus avaient dressé des barricades derrière les portes des dortoirs et poursuivi leur résistance et leurs agressions en utilisant des armes à feu, des lance-flammes, des cocktails Molotov et des produits inflammables. Les forces de l’ordre avaient lancé des bombes lacrymogènes pour neutraliser les mutins et n’avaient utilisé leurs armes à feu qu’en cas de nécessité (pour une description plus détaillée du déroulement des faits tels qu’exposés dans ce procès-verbal, voir l’affaire İsmail Altun c. Turquie, no 22932/02, §§ 919, 21 septembre 2010). Selon un rapport rédigé par les pompiers, il était estimé (tahmin edilmektedir) qu’un incendie avait été déclenché par la mise à feu, par les détenus, des matelas et de la literie. Les flammes se seraient ensuite propagées dans tout le dortoir. B. La prise en charge médicale des requérants Après leur évacuation, les détenus qui n’étaient pas blessés et dont l’état de santé ne nécessitait pas une prise en charge furent directement transférés vers d’autres établissements pénitentiaires. S’agissant des requérants Mehmet Güvel, Kemal Ayhan, Murat Acar, Kenan Günyel, Mustafa Gök, Ali Yalçın et Süleyman Acar, l’examen médical pratiqué lors de leur admission à la prison d’Edirne ne révéla aucune trace de coups et blessures sur leurs corps. Le rapport médical concernant le requérant Rıza Yıldırım mentionne la présence d’une lésion de 0,5 cm sur sa pommette. Enfin, le rapport médical concernant le requérant Ercan Kartal mentionne la présence de blessures cicatrisantes au pied. Les requérants suivants bénéficièrent d’une prise en charge médicale à l’hôpital de Bayrampaşa : – Mehmet Kulaksız subit une intervention chirurgicale en raison de plusieurs impacts de plombs à différents endroit de son corps (cuisses et dos) ; – Serdal Karaçelik fut pris en charge au service d’orthopédie en raison de la présence de plombs et de balles dans les tissus mous de la cuisse droite ; – Bekir Şimşek fut hospitalisé au service d’orthopédie pour une blessure par balle au niveau de la cuisse et de la présence d’éclats d’explosifs ; – Münire Demirel fut admise à l’hôpital pour des brûlures au niveau du visage, du vertex et des mains ; elle bénéficia ensuite d’une prise en charge à l’hôpital universitaire de Cerrahpaşa ; – Gülizar Kesici, brûlée au cuir chevelu, au visage et au dos, reçut les premiers soins à l’hôpital de Bayrampaşa, avant d’être transférée dans la soirée à l’hôpital universitaire de Cerrahpaşa ; – Birsen Kars, brûlée au cuir chevelu, au dos et aux mains, reçut les premiers soins à l’hôpital de Bayrampasa avant d’être transférée à l’hôpital de Haseki ; – L’état de santé de Mesude Pehlivan, Filiz Gençer, Nursel Demirdöğücü et Hakkı Akça ne nécessitait pas d’hospitalisation ; le rapport les concernant mentionne la présence d’une sensibilité aux chevilles due à des coups pour la requérante Filiz Gençer, l’allégation de douleurs au dos et au pied gauche pour la requérante Nursel Demirdöğücü, la présence d’une blessure bénigne sur la cuisse gauche due à l’entrée et à la sortie d’une balle pour le requérant Hakkı Akça et enfin l’absence de trace de coups et blessures pour Mesude Pehlivan. Le 11 janvier 2001, l’institut médicolégal d’Eyüp (Istanbul) établit un rapport concluant que les blessures subies par la requérante Birsen Kars étaient de nature à engager le pronostic vital de l’intéressée et qu’elles nécessitaient une mise au repos de vingt-cinq jours. Le même rapport concluait que les blessures observées sur le corps de la requérante Gülizar Kesici n’avaient pas engagé son pronostic vital et qu’elles nécessitaient une mise au repos de quinze jours. Le 23 février 2001, l’institut médicolégal établit un rapport concluant que les blessures subies par la requérante Münire Demirel n’avaient pas engagé son pronostic vital et qu’elles nécessitaient une mise au repos de quinze jours. Le même rapport concluait que les blessures par arme à feu subies par les requérants Serdal Karaçelik, Mehmet Kulaksız et Bekir Şimşek n’avaient pas engagé le pronostic vital de ceux-ci et qu’elles nécessitaient respectivement une mise au repos de dix jours pour le premier et de quinze jours pour les deux derniers. C. Les enquêtes et procédures pénales relatives aux événements survenus à la prison de Bayrampaşa L’enquête et la procédure pénales ouvertes pour les blessures et les décès survenus pendant l’opération « retour à la vie » Le 21 décembre 2000, les forces de l’ordre procédèrent à une fouille du bloc C. Selon le procès-verbal de fouille, les forces de l’ordre avaient découvert à cette occasion un fusil d’assaut de type Kalachnikov avec quatre chargeurs ainsi que 78 balles et 57 douilles correspondant à cette arme. Elles avaient également trouvé quatre pistolets avec leurs chargeurs et des balles, une centaine d’objets tranchants, une antenne et un receveur satellites, des chargeurs, des adaptateurs, des arcs et de nombreuses flèches fabriquées avec des seringues, onze engins explosifs artisanaux, une perceuse, des scies, 58 masques à gaz artisanaux, des flacons d’acide et de produits inflammables, des masses, des équipements de son, des armes factices, ainsi qu’un très grand nombre de documentations, objets et enregistrements audio et vidéo relatifs à des organisations illégales. Le 22 décembre 2000 et le 19 janvier 2001, plusieurs experts de l’institut médicolégal procédèrent, sur demande du parquet d’Eyüp, à des recherches à la prison de Bayrampaşa aux fins d’expertise. Lors de leur visite, ils notèrent d’abord que les lieux n’étaient plus dans l’état dans lequel ils se trouvaient à l’issue de l’opération, en raison des opérations de fouille générale effectuée par les gendarmes. Ils firent ensuite le relevé des impacts de balles et des détériorations dans le couloir central et les dortoirs, et ils recueillirent sur place des dizaines de grenades lacrymogènes. Dans leur rapport rédigé le 14 février 2001, les experts relevèrent que les grenades de gaz lacrymogène contenaient 35 grammes de gaz CS (chlorobenzylidène malonitrile) et 0,21 grammes d’explosif. Ils précisèrent que, du fait de leur mouvement giratoire, une fois lancées, les grenades ne pouvaient en principe pas être récupérées et renvoyées par les personnes présentes. Ils indiquèrent que le gaz pouvait donner lieu à des sensations de brûlure aux yeux et sur la peau, à des inflammations, à des brûlures des voies respiratoires et à un état de panique lié à la sensation d’étouffement, à des nausées, des vertiges et des maux de tête, à un état de fébrilité et à une réduction de la mobilité. Les experts conclurent, au vu de la surface du dortoir concerné (C1) et du nombre de grenades retrouvées sur les lieux (quarante-cinq), que la quantité de gaz lacrymogène utilisée dans le dortoir en question était largement supérieure au seuil mortel. Ils relevèrent aussi que les grenades retrouvées dans ce dortoir comportaient l’indication suivante : « Ne pas utiliser dans des espaces confinés, veiller à ce qu’il y ait suffisamment de courants d’air (...). Lancer la grenade à un endroit où il n’y a pas d’êtres humains ni de matériaux inflammables ». Ils notèrent la présence dans le dortoir de matériaux inflammables tels que du papier, des vêtements, des matelas en mousse mais aussi une bouteille en plastique avec des restes de solvants organiques (benzène et toluène). Ils indiquèrent que l’examen des échantillons de vêtements et de tissus prélevés sur les restes calcinés de certaines détenues avait révélé la présence de solvants organiques, dont de l’éthanol et du méthanol. Ils précisèrent qu’il était impossible de déterminer avec exactitude l’origine des incendies, ceux-ci pouvant avoir eu pour cause l’utilisation excessive de grenades lacrymogènes dans un espace contenant des matériaux inflammables ou avoir été le fait des détenues (autoimmolations ou incendies volontaires). Les experts ajoutèrent que les impacts sur les murs du couloir principal montraient que les tirs provenaient d’un seul et même côté, à savoir des locaux de l’administration, et étaient orientés vers le dortoir no 19 qui se trouvait au fond du couloir central. Quant aux impacts observés sur les murs de la cour et les murs intérieurs des dortoirs, ils provenaient, d’après le rapport, de tirs effectués depuis les toits des dortoirs d’en face et les meurtrières des murs intérieurs de la cour. Le 1er novembre 2001, le procureur de la République d’Eyüp procéda à une nouvelle visite à la prison de Bayrampaşa, accompagné de quatre experts médicolégaux, pour clarifier les points restés incomplets lors des deux précédentes visites des lieux. Les recherches se concentrèrent sur le couloir principal. Les experts y relevèrent en détail le nombre d’impacts, leur localisation précise dans le couloir, leurs dimensions et caractéristiques, ainsi que les sens des tirs. Le 16 mai 2002, le commandement régional de la gendarmerie d’Istanbul donna des informations au parquet d’Eyüp au sujet du plan d’intervention des forces de l’ordre. Il précisa que l’intervention avait été réalisée en quatre étapes, indiqua quelles unités avaient participé à l’opération et donna des explications sur la mission attribuée à chacune d’elles. Le 8 mai 2003, le procureur de la République d’Eyüp saisit le préfet d’Istanbul d’une demande d’autorisation de poursuites contre les agents des forces de l’ordre ayant participé à l’opération au sein de la prison de Bayrampaşa. Le 25 août 2003, le préfet refusa d’accorder l’autorisation sollicitée. Le 16 mars 2004, le tribunal administratif d’Istanbul (« le tribunal administratif ») annula la décision litigieuse aux motifs que l’identité des agents ayant participé à l’opération n’avait pas été déterminée et que leurs dépositions n’avaient pas été recueillies. Le 2 avril 2005, le préfet réitéra son refus d’autoriser les poursuites. Le 28 juin 2005, le tribunal administratif annula également cette décision pour les mêmes motifs que ceux précédemment retenus, et il renvoya l’affaire au préfet. Le 10 avril 2006, le préfet réitéra son refus d’autoriser les poursuites. Le 21 septembre 2006, le tribunal administratif annula également la décision du préfet en date du 10 avril 2006. Il releva que, selon l’article 2 de la loi no 4483 relative à la poursuite des fonctionnaires, il n’était pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de la hiérarchie pour poursuivre les fonctionnaires pour des infractions de torture et de mauvais traitements. Il estima que la décision du préfet était contraire à la loi et à la procédure, et il renvoya le dossier à la préfecture en vue de sa transmission au parquet pour instruction de l’affaire. Le 1er avril 2010, le procureur de la République d’Eyüp, relevant que l’identité de certains gendarmes ayant participé à l’opération n’avait toujours pas été déterminée, décida de disjoindre la partie de l’enquête les concernant du reste de l’enquête. Le 2 avril 2010, il rendit une ordonnance de non-lieu concernant 214 gendarmes qui n’avaient pas été missionnés à la prison de Bayrampaşa ou bien qui avaient assuré seulement les transferts des détenus vers les prisons et les hôpitaux. Il releva que les allégations de mauvais traitements lors des transferts n’étaient aucunement étayées, et il ajouta que la procédure pénale y afférente s’était terminée par la prescription (paragraphe 45 ci-dessous). Le même jour, le procureur de la République d’Eyüp transmit le dossier d’enquête au parquet de Bakırköy pour l’ouverture d’une action pénale contre trente-neuf gendarmes identifiés comme ayant participé à l’opération. Le 20 avril 2010, le procureur de la République de Bakırköy inculpa les trente-neuf gendarmes en question du chef d’homicide et de tentative d’homicide dans l’exercice de leurs fonctions. Il leur reprocha d’avoir outrepassé les pouvoirs que leur conféraient leurs fonctions par un usage excessif de la force et d’armes, usage qui avait entraîné la mort de douze détenus et occasionné des blessures à vingt-neuf détenus. Le procès s’ouvrit devant la cour d’assises de Bakırköy. La première audience eut lieu le 23 novembre 2010. Au cours de cette audience, la cour d’assises recueillit les déclarations de vingtsept accusés, lesquels étaient tous des gendarmes appartenant au bataillon de gendarmes commandos d’Elazığ arrivés à Istanbul quelques jours avant l’opération. Certains des accusés affirmèrent être intervenus uniquement à la prison d’Ümraniye (Istanbul), et non à la prison de Bayrampaşa ; interrogés sur les contradictions avec leurs dépositions précédentes, ils répondirent s’être trompés dans leurs déclarations. Certains gendarmes ayant pris part à l’opération menée à la prison de Bayrampaşa affirmèrent que, au moment des faits, ils avaient été affectés au groupe de réserve et que leurs fonctions s’étaient limitées à assurer l’évacuation des prisonniers. D’autres expliquèrent qu’ils avaient été affectés à la sécurité extérieure de la prison pour la durée de l’opération. Tous les accusés affirmèrent qu’ils n’étaient pas armés. Parfois, ils revinrent sur leurs déclarations précédentes ; certains nièrent ainsi être intervenus dans l’enceinte de la prison. Interrogés directement par les avocats des plaignants, les gendarmes donnèrent des réponses générales ou évasives ou indiquèrent ne rien savoir ou ne plus se souvenir du déroulement de l’opération. Au cours de cette même audience, la cour d’assises entendit également une victime plaignante en ses déclarations. Celle-ci identifia un des agents présents à l’audience et déclara qu’il figurait parmi les agents intervenus dans son dortoir pendant l’opération, alors que l’intéressé avait indiqué être intervenu à Ümraniye. Lors de l’audience tenue le lendemain, le 24 novembre 2010, la cour d’assises poursuivit l’audition de neuf plaignants, qui décrivirent le déroulement de l’opération et firent état d’un usage excessif d’armes à feu et de gaz par les forces de l’ordre. Les plaignants démentirent que des armes à feu et d’autres armes eussent été utilisées par les prisonniers. Au terme de l’audience, la cour d’assises invita les autorités militaires à fournir des informations sur la planification de l’opération et à lui envoyer le plan d’intervention adopté le 15 décembre 2000. Elle invita également les autorités militaires à fournir, lorsqu’ils existaient, les enregistrements vidéo de l’opération. Elle émit un mandat d’amener contre les accusés absents et délivra des mandats d’amener pour les accusés introuvables à leur adresse. Elle réitéra ses demandes d’audition de certains témoins par commission rogatoire et elle délivra des mandats d’amener pour les témoins n’ayant pas répondu à la citation à comparaître. Le 22 mars 2011, le commandement de la gendarmerie d’Istanbul adressa à la cour d’assises de Bakırköy le plan d’intervention du 15 décembre 2000 sous forme de document classé « secret ». Il indiqua que le plan avait été retrouvé lors d’un rangement des archives. Ce document donnait des informations sur la situation de la prison de Bayrampaşa et le nombre de détenus. De même, il mentionnait l’absence d’emprise de l’État sur cette prison depuis de longues années, ainsi que la nécessité de libérer les détenus qui auraient été forcés à poursuivre leur « jeûne de la mort » et de les soustraire à l’emprise d’organisations illégales. Le plan abordait également de manière détaillée l’opposition susceptible d’être rencontrée par les gendarmes et les types d’armes pouvant être utilisés contre eux par les détenus. Selon ce plan, l’opération devait être menée au jour J et à l’heure H et se dérouler en quatre étapes. La première étape du plan consistait dans la formation des gendarmes devant intervenir lors de l’opération et devait être finalisée au jour J-2. La deuxième étape consistait dans le déploiement des forces de l’ordre à la prison et devait être finalisée au jour J à l’heure H-10. Le plan indiquait que des gendarmes appartenant à la section de sûreté spéciale des gendarmes commandos d’Ankara constituaient le groupe d’intervention et d’appui (fiili müdahale ve destek grubu), que des gendarmes appartenant au bataillon de gendarmes commandos de Halkalı et au bataillon de la prison devaient constituer le groupe de sécurité (emniyet grubu) chargé de circonscrire l’opération au bloc C et que des gendarmes appartenant à la compagnie de la rive européenne d’Istanbul devaient constituer le groupe de réserve (ihtiyat grubu). Pour le groupe d’évacuation et de garde (tayliye ve muhafaza grubu), une unité devait être constituée par le bataillon de la prison et le commandement de la gendarmerie d’Istanbul. Les unités de premiers secours devaient être constituées par des gendarmes du bataillon de la prison et, enfin, les unités de transport et de transfert (sevk ve nakil birlikleri) par des gendarmes du commandement régional d’Istanbul. Le plan indiquait également de quels armes et équipements chaque groupe serait pourvu. La troisième étape consistait en l’intervention elle-même. Il était prévu d’informer par mégaphone les détenus avant l’intervention et de lancer un appel à obtempérer et à ne pas résister. En cas de résistance, il était prévu de pratiquer des ouvertures dans le plafond et les murs et d’y jeter des grenades de gaz lacrymogène. Dans le même temps, des grenades lacrymogènes devaient être lancées par les portes des dortoirs et par toutes les ouvertures pour briser la résistance des détenus. Au besoin, il était prévu d’abattre les murs des dortoirs pour s’introduire dans ces derniers. Selon le plan, les forces de l’ordre devaient progresser étape après étape, sans précipitation, en sécurisant les zones au fur et à mesure de leur avancée. Lors de l’introduction dans le couloir, une utilisation massive de gaz lacrymogène et un usage proportionné des armes devaient permettre de briser la résistance des détenus. Les forces d’intervention devaient garder à l’esprit que les détenus pouvaient faire usage d’objets perforants et tranchants, de bombes artisanales, d’armes à feu et de lance-flammes artisanaux. Au cas où les détenus se disperseraient, les forces d’intervention devaient les neutraliser par groupes. Dans le cas contraire, la zone de regroupement des prisonniers devait être placée sous contrôle et le reste du bâtiment devait être sécurisé avant que les forces d’intervention ne se concentrent dans la zone de regroupement. Les détenus ainsi maîtrisés devaient être remis aux groupes d’appui aux fins de leur évacuation. Enfin la quatrième étape consistait en la fin de l’opération et le repli des forces de l’ordre. Le plan présentait ensuite les instructions détaillées pour chaque groupe devant participer à cette opération. S’agissant du groupe d’intervention et d’appui, le plan prévoyait la finalisation de sa formation au jour J-2 et indiquait que les forces d’intervention et d’appui devaient procéder à un exercice militaire dans des conditions réelles. Il indiquait en détail de quels armes et équipements lesdites forces disposeraient, prévoyait l’usage de la force et des armes selon le principe de proportionnalité et expliquait l’attitude à adopter dans les différents cas de figure possibles. En cas d’utilisation d’armes à feu par les détenus, les forces d’intervention devaient immédiatement faire usage de leurs armes. Le document indiquait aussi clairement la chaîne de commandement. Enfin, il comportait en annexe le plan du bloc C ainsi que le plan type d’un dortoir. Dans sa lettre du 22 mars 2011, le commandement de la gendarmerie d’Istanbul indiqua par ailleurs qu’il n’existait pas d’enregistrements vidéo de l’opération. Lors des audiences tenues les 6 avril et 27 juillet 2011, la cour d’assises poursuivit l’audition des accusés, des plaignants et des témoins. Elle versa au dossier les dépositions recueillies sur commission rogatoire et réitéra les actes de procédure n’ayant pas encore été exécutés. Il ne ressort du dossier aucun élément émanant des parties de nature à établir, ou même à laisser supposer, que la procédure devant les juridictions internes est en voie d’achèvement. Les procédures pénales menées contre le personnel de surveillance de la prison pour abus de pouvoir et contre les gendarmes intervenus lors de l’évacuation des détenus pour abus de pouvoir et mauvais traitements Le 16 juillet 2001, le procureur de la République inculpa 155 membres du personnel de la prison – surveillants de prison, gendarmes en fonction à la prison et responsables du détecteur de rayons X – pour abus de pouvoir, au motif qu’ils avaient permis l’introduction d’armes à feu dans l’établissement pénitentiaire. Il inculpa aussi 1 460 gendarmes ayant procédé à l’évacuation des détenus au terme de l’opération, leur reprochant des abus de pouvoir et l’infliction de mauvais traitements aux prisonniers lors de leur évacuation. Le 2 février 2007, le tribunal correctionnel d’Eyüp disjoignit la partie de la procédure diligentée contre le personnel de la prison de celle concernant les 1 460 gendarmes impliqués dans l’évacuation des détenus. Le 23 juin 2008, le tribunal correctionnel déclara l’action pénale diligentée contre les gendarmes éteinte pour prescription. Il releva que les faits qui étaient reprochés à ceux-ci remontaient au 19 décembre 2000 et que le délai de prescription avait été atteint le 19 juin 2008. Par un jugement distinct rendu le même jour, il mit également fin à l’action pénale diligentée contre le personnel de la prison pour le même motif. Aucun pourvoi ne fut formé contre cette décision. Le 31 mai 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi contre le jugement du tribunal correctionnel relatif aux gendarmes, et confirma ce jugement. La procédure pénale diligentée contre les prisonniers pour rébellion Le 27 février 2001, le procureur de la République d’Eyüp inculpa 167 détenus du chef de rébellion. Le 28 avril 2009, le tribunal correctionnel d’Eyüp mit fin à l’action pénale pour prescription. Le 4 mai 2009, les requérants Ercan Kartal, Şadi Naci Özpolat, Kenan Günyel, Serdal Karaçelik, Nursel Demirdöğücü, Mehmet Güvel, Filiz Gençer, Mehmet Kulaksız, Mesude Pehlivan, Bekir Şimşek et Münire Demirel formèrent un pourvoi en cassation contre cette décision, lequel était pendant lors de l’introduction de la requête. Le 13 février 2012, la Cour de cassation rejeta le pourvoi des intéressés et confirma le jugement de première instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce, en vigueur à l’époque des faits, sont décrits dans les arrêts Gömi et autres c. Turquie (no 35962/97, §§ 42-45, 21 décembre 2006), Ceyhan Demir et autres c. Turquie (no 34491/97, §§ 77-80, 13 janvier 2005), et Leyla Alp et autres c. Turquie (no 29675/02, §§ 54-56, 10 décembre 2013). Le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (« le CPT »), en date du 13 décembre 2001, relatif aux opérations menées par les forces de l’ordre le 19 décembre 2000 dans les prisons turques (CPT/Inf (2001) 31) figure dans l’arrêt İsmail Altun (précité, § 57).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE M. Popov et Mme Popova sont nés respectivement en 1962 et en 1969 et résident à Sofia. Le requérant est l’ex-secrétaire général du ministère des Finances. La requérante est l’épouse du requérant. Elle est notaire à Sofia. A. Le contexte général de l’affaire En 2009, à une date non communiquée, le parquet ouvrit des poursuites pénales contre X pour mauvaise gestion de fonds publics au sein du ministère de la Défense. L’enquête portait, en particulier, sur les clauses financières d’un important contrat passé par l’ex-ministre de la Défense, M. Nikolay Tsonev. L’enquêteur chargé de ce dossier alerta la police, indiquant qu’il avait été approché par le requérant et son beau-frère, P.S., juge au tribunal de la ville de Sofia, qui lui auraient proposé de l’argent pour influer sur l’issue de l’enquête. La police nationale mit en place une opération de surveillance des personnes en cause et prépara leurs arrestations. Selon les informations recueillies par la police, l’offre de pot-de-vin émanait de Nikolay Tsonev, et le requérant et son beau-frère, le juge P.S., avaient servi d’intermédiaires. Le requérant et ses deux complices présumés furent arrêtés le 1er avril 2010. B. L’arrestation du requérant et les poursuites pénales menées à son encontre Il ressort des pièces du dossier que le plan de l’opération policière visant à arrêter le requérant et ses deux complices présumés a été élaboré le 26 mars 2010. Le 1er avril 2010, vers 12 h 20, le requérant se trouvait dans l’étude notariale de son épouse à Sofia. Les deux assistantes de la notaire étaient également présentes. La requérante, quant à elle, était absente de son bureau. Les locaux de l’étude étaient équipés d’un système de vidéosurveillance qui enregistra l’intervention de l’équipe du ministère de l’Intérieur. Les requérants ont présenté à la Cour l’enregistrement de la caméra de vidéosurveillance qui se trouvait dans la salle d’attente de l’étude. Cet enregistrement est daté du 1er avril 2010 et commence à 12 h 18. La première des séquences pertinentes de cet enregistrement montre l’une des assistantes de la requérante qui se dirige vers la porte d’entrée de l’étude. Elle ouvre la porte. Apercevant un homme cagoulé, elle referme brusquement la porte et essaye de la bloquer en s’appuyant contre elle. La deuxième séquence montre un groupe de cinq hommes cagoulés, armés et vêtus de blousons noirs portant l’insigne du service de lutte contre le crime organisé du ministère de l’Intérieur sur le devant et sur le dos, qui pénètrent dans les locaux en repoussant la porte d’entrée. L’assistante se retrouve coincée derrière la porte. Le requérant se précipite alors vers la porte d’entrée. L’un des hommes cagoulés l’attrape par le cou et le fait pivoter vers la droite et vers le bas. Sa tête heurte la porte située à côté de la porte d’entrée et il est plaqué au sol, face contre terre. Les cinq hommes cagoulés et armés se trouvent dans la salle d’attente. Ils sont accompagnés d’un caméraman en tenue civile qui filme l’arrestation du requérant. L’un des agents cagoulés écarte les bras du requérant et bloque sa main gauche avec son pied. Un autre agent pointe son arme sur le requérant. Puis un troisième agent lui menotte les poignets dans le dos. Le requérant reste allongé, face contre terre. Les agents cagoulés, le caméraman et trois autres hommes en civil investissent les autres pièces de l’étude notariale. Au bout de trois minutes, l’un des agents cagoulés relève le requérant et l’emmène dans la pièce située à côté de la salle d’attente. Ils sont suivis par le caméraman qui continue de filmer la scène. La dernière séquence, filmée à 12 h 29, montre le requérant qui réapparaît dans la salle d’attente. Il ne porte plus de menottes et il discute avec un homme en tenue civile. Puis il s’installe sur le canapé dans la salle d’attente. Outre ces trois séquences d’enregistrement de vidéosurveillance, la partie requérante a présenté à la Cour quatre déclarations signées par le requérant, la requérante et les deux assistantes de celle-ci, E.S. et N.P. Dans sa déclaration, E.S. exposait ce qui suit : elle s’était dirigée vers la porte d’entrée de l’étude notariale pour répondre à un coup de sonnette ; en l’ouvrant, elle avait aperçu des hommes cagoulés et armés qui lui auraient crié de lever les mains en l’air et de se coucher au sol ; croyant qu’il s’agissait d’un braquage, elle avait essayé de refermer la porte et avait crié à sa collègue N.P. d’appeler la police ; les hommes cagoulés avaient forcé le passage et elle s’était retrouvée coincée derrière la porte ; elle avait ensuite vu le requérant couché au sol être menotté dans le dos par un policier. N.P. a fait la déclaration suivante : elle se trouvait dans l’une des pièces de l’étude notariale lorsqu’elle aurait entendu le bruit de la porte d’entrée que l’on forçait et le cri de sa collègue : « Appelez la police ! On se fait braquer ! » ; le requérant s’était alors précipité vers la porte tandis qu’elle aurait tenté, sans succès, d’appeler la police. Dans sa déclaration, signée par lui, le requérant expliquait qu’il avait entendu E.S. dire qu’il y avait un braquage et qu’il s’était précipité vers la porte d’entrée pour lui venir en aide. Il aurait entendu des cris et il aurait vu plusieurs hommes cagoulés. Sa tête ayant heurté la porte, il se serait évanoui. Il aurait repris connaissance au sol et aurait senti une douleur au front, aux côtes et au poignet gauche. Il aurait alors compris qu’il s’agissait d’une opération de police. On l’aurait remis debout et emmené dans une autre pièce où on l’aurait fait s’agenouiller et poser pour la caméra. Il aurait refusé d’être filmé et se serait tourné vers la caméra en exposant la blessure qu’il avait sur le front. Le caméraman l’aurait alors giflé et sa tête aurait pivoté, et il aurait ainsi pu être filmé sans montrer sa blessure. Peu après, on lui aurait enlevé les menottes et il aurait nettoyé sa blessure dans la salle de bains. La requérante exposait dans sa déclaration qu’elle s’était rendue à son étude notariale peu après l’intervention de la police. Elle y aurait trouvé des policiers en tenue civile et en uniforme ainsi qu’une enquêtrice du service de l’instruction de Sofia. Elle aurait demandé à l’enquêtrice si elle avait un mandat de perquisition et celle-ci lui aurait répondu par la négative, ajoutant qu’il s’agissait d’une mesure d’instruction urgente. Elle aurait demandé à l’enquêtrice ce qu’elle recherchait et aurait proposé de collaborer. L’enquêtrice lui aurait répondu qu’elle recherchait de l’argent, des pièces de monnaie et des antiquités. La requérante aurait ouvert le coffre qui se trouvait dans les archives et lui en aurait présenté le contenu. Elle lui aurait également montré l’argent qui se trouvait sur place et la collection de pièces de monnaie et d’objets anciens de son époux. Elle aurait refusé de livrer à la police et à l’enquêtrice ces derniers objets, ainsi que son téléphone portable, mais les responsables de l’enquête auraient néanmoins saisi deux téléphones portables appartenant à son époux. Quelques jours plus tard, la requérante aurait découvert, avec l’aide d’un spécialiste en informatique, que la mémoire de deux de ses ordinateurs contenait un logiciel qu’elle n’avait pas installé. Le jour de son arrestation, le 1er avril 2010, le requérant fut incarcéré dans un centre de détention provisoire. Le médecin pénitentiaire inscrivit dans le registre médical en date du 2 avril 2010 que le requérant présentait sur le front un hématome de la taille d’un poing d’enfant et une égratignure de 2 à 3 centimètres. L’opération policière attira l’attention des médias. L’enregistrement vidéo de l’arrestation, fait par le caméraman présent sur les lieux, fut mis à la disposition des médias qui l’utilisèrent dans leurs reportages. Des photographies du requérant en position allongée, face contre terre, les mains menottées dans le dos, furent publiées dans la presse écrite. Le 1er avril 2010, le requérant fut inculpé de corruption active d’un enquêteur sur le fondement de l’article 304a du code pénal. On lui reprochait d’avoir offert 30 000 euros (EUR) et 20 000 levs bulgares à l’enquêteur chargé de mener une enquête pénale pour inciter celui-ci à la conduire de manière à disculper l’ex-ministre de la Défense. Par un jugement du 29 octobre 2012, le tribunal de la ville de Sofia acquitta le requérant et ses deux coaccusés. Ce jugement fut confirmé, le 14 février 2014, par la cour d’appel de Sofia et, le 3 février 2015, par la Cour suprême de cassation. C. Les propos du procureur R.V., du ministre de l’Intérieur et du Premier ministre au sujet des poursuites pénales contre le requérant Le 1er avril 2010, dans une interview accordée à la radio nationale, le procureur R.V., qui supervisait l’enquête pénale menée contre le requérant et ses complices présumés, fit le commentaire suivant, qui fut largement diffusé par les journaux et les sites d’information en ligne : « Aujourd’hui, c’est jeudi saint selon le calendrier orthodoxe, une belle journée avant le vendredi saint. On va crucifier trois personnes : un ex-ministre, un juge et un ex-secrétaire général du ministère des Finances. » Le 2 avril 2010, plusieurs quotidiens citèrent les propos suivants, prononcés la veille, par le ministre de l’Intérieur : « Par les arrestations d’aujourd’hui, le ministère de l’Intérieur démontre qu’il suit une approche systématique et cohérente, qui n’est pas entachée de parti pris politique. Il s’agit, de toute évidence, d’un plan ayant pour but d’influer sur l’issue d’une procédure pénale. L’argent proposé par Tencho Popov était destiné au juge pour que l’affaire pénale ait une issue favorable à l’ex-ministre Nikolay Tsonev. » Le 5 avril 2010, le quotidien Télégraphe publia un commentaire du Premier ministre visant les propos que le procureur R.V. avait tenus lors de l’arrestation de l’ex-ministre de la Défense, l’un des deux complices présumés du requérant. Ce commentaire est le suivant : « Le procureur R.V. n’aurait pas dû dire cela parce que c’est lui qui maîtrise tout ce qui se passe entre l’arrestation et la demande de placement en détention. N’ayons pas autant de compassion pour des gens qui ont causé des préjudices énormes à l’État. » Le 19 mai 2011, le site d’information en ligne www.mediapool.bg publia un article consacré aux conclusions de l’inspectorat du ministère de l’Intérieur qui disculpait les agents ayant procédé à l’arrestation du requérant. La partie pertinente en l’espèce de l’article se lit comme suit : « [Le ministre de l’Intérieur] Ts.Ts. a dit que [le ministère] n’avait pas encore reçu l’enregistrement complet de la caméra de vidéosurveillance du bureau de Tencho Popov [notamment la partie] où l’on voit comment le pot-de-vin a été offert. Il a ensuite dévoilé les intentions des avocats de Popov et les a critiquées : « La défense voulait probablement attendre l’examen de l’affaire par les tribunaux afin d’utiliser [l’enregistrement vidéo] pour contrer l’argument de l’accusation, à savoir que Tencho Popov avait proposé un pot-de-vin, et non pas pour nous aider à prévenir de tels agissements de la part des agents du ministère (...) » Il a ainsi déclaré (...) que Popov était coupable de corruption. (...) » D. L’enquête menée sur les agissements des policiers À l’audience du 27 avril 2011 devant le tribunal de la ville de Sofia, deux enregistrements vidéo de l’arrestation du requérant furent projetés devant les parties à la procédure. À la suite de cette projection, le 4 mai 2011, le procureur adjoint de la ville de Sofia envoya les deux enregistrements au parquet de district de Sofia en demandant à celui-ci de prendre les mesures nécessaires pour vérifier si le recours à la force physique par les policiers était constitutif d’une infraction pénale. Le 9 mai 2011, le parquet de district de Sofia ouvrit une enquête préliminaire sur les événements ayant entouré l’arrestation du requérant. Par une ordonnance du 6 juillet 2011, le parquet de district de Sofia refusa d’ouvrir des poursuites pénales contre les officiers de police qui avaient arrêté le premier requérant. Se fondant sur toutes les preuves recueillies, à savoir les dépositions des policiers impliqués, du requérant et de l’assistante E.S., les deux enregistrements vidéo de l’arrestation et les preuves documentaires rassemblées par l’inspectorat du ministère de l’Intérieur, le procureur de district conclut qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments démontrant qu’une infraction pénale avait été commise en l’espèce. En particulier, le parquet estima que le policier V.S., qui, en immobilisant le requérant, lui avait causé un hématome et une égratignure au front, avait agi en état de légitime défense pour se protéger de l’attaque du requérant qui s’était précipité vers la porte d’entrée en agitant les bras. En tout état de cause, le parquet considéra que le heurt de la tête du requérant contre une porte était une circonstance purement fortuite qui ne pouvait pas engager la responsabilité pénale de l’agent V.S. Le 19 juillet 2011, le requérant contesta l’ordonnance de non-lieu devant le parquet de la ville de Sofia. Le 23 mars 2012, le parquet de la ville de Sofia accueillit le recours du requérant et ordonna au parquet de district d’ouvrir des poursuites pénales concernant les circonstances ayant entouré l’arrestation de l’intéressé. Le 29 mai 2012, le parquet de district de Sofia engagea des poursuites pénales contre X pour dommage corporel causé par un officier de police dans le cadre de ses fonctions, infraction pénale réprimée par l’article 131, point 2, du code pénal. Il ordonna à l’enquêteur d’interroger le requérant, l’assistante E.S. et les autres personnes présentes dans l’étude notariale lors de l’opération policière, ainsi que les policiers ayant participé à celle-ci. Il enjoignit à l’enquêteur d’ordonner des expertises techniques des enregistrements vidéo de l’opération policière et une expertise médicale pour établir l’origine et la nature des lésions causées au requérant. Le 29 juin 2012, l’enquêteur chargé de l’instruction ordonna une expertise des enregistrements vidéo de l’arrestation du requérant en demandant à l’expert de déterminer si le policier qui avait immobilisé le requérant pouvait être formellement identifié et, plus précisément, s’il s’agissait de l’agent V.S. Le 3 juillet 2012, l’expert rendit son rapport. Il conclut qu’il n’était pas possible d’identifier formellement l’agent qui avait immobilisé le requérant au motif que tous les policiers filmés portaient des cagoules et des blousons noirs dépourvus d’insignes personnels. Le 8 octobre 2012, l’enquêteur interrogea le requérant et l’assistante E.S. Le 23 octobre 2012, il obtint une copie du registre médical du centre de détention provisoire qui contenait les données relatives à l’examen médical du requérant effectué le 2 avril 2010. Les 28 et 29 novembre 2012, l’enquêteur interrogea deux personnes qui avaient été détenues en avril 2010 dans la même cellule que le requérant. Le 13 février 2013, le procureur de district chargé de surveiller l’enquête enjoignit à l’enquêteur d’effectuer un certain nombre de mesures d’instruction, à savoir interroger les cinq policiers et le caméraman qui avait filmé l’opération, procéder à un nouvel interrogatoire du requérant, organiser des confrontations entre les policiers, le requérant et l’assistante E.S., et ordonner une expertise médicale. Les 13 et 14 mars 2013, l’enquêteur interrogea les cinq policiers et le caméraman qui avaient participé à l’opération policière en cause. Dans sa déposition du 14 mars 2013, l’agent V.S. déclarait qu’il avait été le premier de son groupe d’intervention à entrer dans l’étude notariale et qu’il avait maîtrisé le requérant à l’aide d’une technique d’immobilisation. L’expertise médicale fut effectuée en juin 2013. Le 22 juillet 2013, l’enquêteur envoya le dossier de l’enquête au parquet de district en lui proposant de mettre fin aux poursuites pénales pour absence de preuve démontrant que le policier V.S. avait intentionnellement blessé le requérant. Par une ordonnance du 24 juillet 2013, le procureur de district suspendit le cours de l’enquête au motif que l’auteur de l’infraction n’avait pas été identifié. Le requérant contesta cette ordonnance devant le tribunal de district de Sofia. Par une décision du 9 septembre 2013, le tribunal de district de Sofia infirma l’ordonnance du procureur et lui renvoya le dossier pour complément d’enquête. Par une ordonnance du 21 mars 2014, le procureur de district de Sofia mit fin aux poursuites pénales pour prescription de l’action publique. Le procureur constata que le délai de prescription absolue était parvenu à échéance trois ans après les événements en cause, soit le 1er avril 2013. E. Le gel des biens des requérants en application de la loi de 2005 relative à la confiscation des produits d’activités criminelles (« la loi de 2005 ») Après l’ouverture des poursuites pénales contre le requérant, la commission chargée de l’application de la loi de 2005 (« la commission ») entama une procédure de confiscation de biens à l’encontre des requérants. Dans le cadre de cette procédure, le 4 août 2010, la commission demanda au tribunal de la ville de Sofia l’application de mesures conservatoires sur plusieurs biens appartenant aux requérants (comptes bancaires, biens immeubles, voitures) qui pouvaient faire l’objet d’une future confiscation en application de la loi de 2005. La demande de la commission fut examinée et accueillie par le tribunal de la ville de Sofia le 6 août 2010. L’appel des requérants contre cette décision fut rejeté le 4 octobre 2010 par la cour d’appel de Sofia et leur pourvoi en cassation fut déclaré irrecevable le 14 décembre 2010 par la Cour suprême de cassation. Les requérants n’ont pas précisé s’ils avaient demandé la levée des mesures conservatoires en cause après l’acquittement de M. Popov. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le régime de la perquisition et de la saisie Les articles 160 à 163 du code de procédure pénale (CPP) régissent la perquisition et la saisie effectuées au cours des poursuites pénales. Le texte de ces dispositions et un résumé de la jurisprudence interne concernant leur application peuvent se lire dans l’arrêt Gutsanovi c. Bulgarie (no 34529/10, §§ 59 et 60, CEDH 2013 (extraits)). B. La confiscation des produits d’activités criminelles La loi de 2005, en vigueur de mars 2005 à novembre 2012, fut remplacée en 2012 par une nouvelle loi relative à la confiscation des produits d’activités illégales (« la loi de 2012 »). D’après le paragraphe 5 des dispositions transitoires de la nouvelle loi, toutes les procédures de confiscation pendantes à la date de l’entrée en vigueur de ce texte continuaient à être régies par les dispositions de la loi de 2005. Celle-ci prévoyait des mesures et des procédures de gel et de confiscation des biens acquis directement ou indirectement par le biais d’activités criminelles. Un résumé des dispositions pertinentes de cette loi ainsi que de la jurisprudence interne pertinente concernant son application figure dans la décision Nedyalkov et autres c. Bulgarie ((déc.), no 663/11, §§ 33-61, 10 septembre 2013). L’article 32 de la loi de 2005 prévoyait que la responsabilité de l’État pour les dommages causés par ses organes et ses fonctionnaires au cours de la procédure de confiscation pouvait être engagée dans les cas prévus par la loi relative à la responsabilité de l’État. Dans une décision du 29 avril 2014, la Cour suprême de cassation a confirmé que la responsabilité de la commission spécialisée pour des dommages résultant de l’imposition de mesures conservatoires sur des biens pouvait être engagée devant les juridictions civiles sur la base de l’article 1 de la loi relative à la responsabilité de l’État (Определение № 305 от 29.04.2014г., на ВКС по ч. гр. д. № 2099/2014г., III г.о., ГК). La Cour suprême de cassation a entériné cette jurisprudence dans une décision du 9 juillet 2014 (Определение № 423 от 9.07.2014г., на ВКС по гр. д. № 3914/2014г., I г.о., ГК). C. La responsabilité de l’État pour dommages Un résumé des dispositions de la loi relative à la responsabilité de l’État et des communes pour dommages (« la loi relative à la responsabilité de l’État ») et de la jurisprudence des tribunaux internes pertinente en l’espèce en matière de compensation des dommages subis au cours d’une procédure de confiscation sous le régime de la loi de 2005 figure dans la décision Nedyalkov et autres (précitée, §§ 62-68). D. Autre législation pertinente Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce concernant le délit de diffamation sont résumés dans l’arrêt Gutsanovi (précité, §§ 70-74). Les articles 240 et 241 du CPP prévoient la possibilité de procéder à des enregistrements vidéo des interrogatoires et des autres mesures d’instruction (действия по разследването) effectuées au stade de l’instruction préliminaire. En vertu de l’article 198, alinéa 1, du CPP, les pièces du dossier de l’instruction ne peuvent pas être divulguées sans l’autorisation du procureur. En vertu de l’article 150з du règlement d’application de la loi de 2006 relative au ministère de l’Intérieur, en vigueur à l’époque des faits pertinents, la direction « service de presse et relations publiques » du ministère était chargée d’informer le public du fonctionnement du ministère et d’assurer la publicité et la transparence de ses activités.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, Mme Esma Altın et M. İsmail Kılıç, sont des ressortissants turcs, respectivement nés en 1966 et 1974 et résidant respectivement à Diyarbakır et à Aksaray. Mme Esma Altın est la sœur de Hüseyin Altın et M. İsmail Kılıç est le frère d’İbrahim Kılıç (« İ.K. »). Hüseyin Altın et İ.K. sont décédés le 3 décembre 2003 lors d’une opération policière dirigée contre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation armée illégale) à Diyarbakır. Les circonstances de l’espèce Le 3 décembre 2003, à la suite d’une dénonciation anonyme selon laquelle des terroristes se trouvaient dans un appartement situé au rez-de-chaussée d’un immeuble dans un quartier de Diyarbakır, le procureur de la République délivra un mandat de perquisition dudit appartement. Il ressort du procès-verbal d’incident signé par les policiers que, aux environs de 20 h 30, une équipe de quarante-deux policiers rattachés à la section de lutte contre le terrorisme de la direction de la sûreté de Diyarbakır est intervenue aux abords de l’appartement susmentionné. Les policiers, estimant que les suspects étaient armés et qu’ils projetaient de perpétrer un attentat à la bombe, encerclèrent l’appartement. Toutefois, les personnes qui s’y trouvaient les remarquèrent et ouvrirent le feu. Les policiers commencèrent par riposter aux tirs avant de lancer des avertissements verbaux en turc et en kurde pour inviter les suspects à se rendre. Par la suite, les forces de police forcèrent la porte de l’appartement. Alors qu’ils entraient dans le logement, des coups de feu furent tirés sur eux. Les policiers ripostèrent en tirant dans la direction d’où partaient les tirs sans viser de cible précise. Par la suite, ils s’aperçurent qu’une personne qui se trouvait dans la chambre située à droite de l’entrée de l’appartement s’apprêtait à lancer une grenade qu’elle tenait dans sa main droite. Les policiers ouvrirent le feu sur cette personne. L’affrontement armé se termina sur ces entrefaites et, lorsque les policiers fouillèrent l’appartement, ils retrouvèrent, outre le corps de la personne portant la grenade à main, celui d’une personne tenant un revolver dans la main droite. Par ailleurs, ils découvrirent deux autres grenades. Des croquis des lieux furent établis. En outre, deux impacts de balle furent relevés sur le bouclier de protection que portaient les policiers. Le même jour, à 22 heures, le procureur de la République de Diyarbakır (« le procureur de la République ») se rendit sur les lieux. Il désigna le policier H.S., qui avait participé à l’opération litigieuse, pour rédiger le procès-verbal de ladite opération. Aux termes de ce document, elle avait été menée à la suite d’un appel anonyme, reçu vers 17 heures par la section de lutte contre le terrorisme, selon lequel des terroristes se trouvaient à l’adresse en question. Le procureur constata la présence, à l’entrée de l’appartement, d’un corps à terre, un revolver dans la main droite. Par ailleurs, trois grenades, soixante douilles et quarante-sept balles furent trouvées sur les lieux de l’incident. Le procès-verbal fit également état de la présence de plusieurs impacts de balle sur les murs de l’appartement. Toujours le 3 décembre, à 23 h 30, le procureur de la République entendit Y.K., l’épouse du propriétaire de l’appartement en question, qui habitait dans le même bâtiment. Dans sa déposition, très sommaire, celle-ci indiquait avoir d’abord entendu des bruits puis des coups de feu. Un examen externe et une autopsie des corps des deux victimes, Hüseyin Altın et İ.K., furent réalisés. Dans son rapport établi le 4 décembre 2003, le médecin mentionnait, concernant Hüseyin Altın, la présence de deux orifices d’entrée de balle, l’un sur le front, avec une destruction partielle du crâne, et l’autre sur la partie droite du dos. Il estimait que la mort était due à la destruction du cerveau et à une hémorragie interne. Quant à İ.K., le médecin décela la présence de deux entrées et sorties de balles. Il conclut que la mort était due à la destruction du cerveau causée par la balle ayant atteint la tête ainsi qu’aux lésions causées par celle ayant touché le cœur et un poumon. Le 5 décembre 2003, M.K., le père de İ.K., fut entendu par la police. Il déclara qu’il n’avait pas vu son fils depuis 1998. Le 6 décembre 2003, S.K. fut entendu et identifia le corps de son frère. M.Ku., le propriétaire de l’appartement en question et époux de Y.K. (paragraphe 10 ci-dessus), fut également entendu. Il déclara ne pas avoir été présent dans l’immeuble lors de l’incident. Le 8 décembre 2003, le laboratoire rattaché à la direction de la police criminelle effectua une expertise balistique des armes, des douilles et des balles retrouvées sur les lieux de l’incident. Le rapport dressé à la suite de cet examen indiquait que, parmi les 60 douilles et 14 balles retrouvées sur les lieux, 8 douilles et une balle provenaient du revolver retrouvé dans la main droite de İ.K. Le rapport de l’expertise effectuée le 18 décembre 2003 sur le rideau de l’appartement faisait état de résidus de tirs et concluait qu’il s’agissait de tirs de longue distance. Toujours le 18 décembre 2003, la requérante, Mme Esma Altın, porta plainte auprès du procureur de la République de Diyarbakır contre les fonctionnaires de police ayant participé à l’opération en question. À la suite de sa plainte, elle fut entendue par le procureur de la République. Elle déclara que son frère n’était pas membre d’une organisation illégale et que, lorsqu’elle s’était rendue sur les lieux quelques jours après l’incident, une dame lui avait dit que son frère avait été tué à l’extérieur de l’immeuble avant d’y être ensuite transporté. Le même jour, le parquet près la cour de sûreté de l’État de Diyarbakır adopta une décision d’incompétence et renvoya l’affaire devant le parquet général de Diyarbakır. Le 24 décembre 2003, les empreintes digitales de Hüseyin Altın et de İ.K. furent examinées par le laboratoire de la police criminelle de Diyarbakır. D’après le rapport d’expertise, İ.K. avait des traces de poudre sur les deux mains. Pareilles traces ne furent trouvées que sur la main droite de Hüseyin Altın. Le 7 janvier 2005, le procureur entendit à nouveau le témoin Y.K., qui habitait dans le même bâtiment au moment des faits. Celle-ci compléta sa déposition initiale (paragraphe 10 ci-dessus), en déclarant que, lors de l’incident, elle regardait la télé et qu’elle avait d’abord entendu des coups de feu, puis une sommation de la police et à nouveau des coups de feu. Le 1er février 2005, U.O., un policier ayant participé à l’opération du 3 décembre 2003, fut entendu par le parquet. Il confirma le procès-verbal d’incident et déclara qu’il se trouvait à l’extérieur de l’immeuble lors de l’affrontement armé. Le 7 février 2005, N.K., un policier membre de la police scientifique fut entendu par le parquet. Il déclara avoir dessiné les croquis des lieux. Le 23 février 2005, V.I., un policier ayant participé à l’opération en question, fut entendu. Il déclara avoir lui-même lancé des avertissements verbaux et que, à la suite de ces sommations, des coups de feu provenant de l’appartement en question avaient été tirés vers lui, et qu’il était resté dans un véhicule de police lors de l’affrontement. Toujours le 23 février 2005, le parquet procéda à l’audition d’O.B., un policier ayant participé à l’opération. Ce dernier confirma le procès-verbal d’incident, déclara faire partie de l’équipe de police ayant pénétré dans l’immeuble, composée de cinq policiers, que deux de ses collègues portaient un bouclier de protection, que dès qu’il avait remarqué que Hüseyin Altın tenait à main une grenade, il l’avait averti, en disant « halte ! » et que, à la suite de l’absence de réaction de celui-ci, il lui avait tiré dans sa direction. Le 24 février 2005, A.Y.K. et C.A., deux policiers ayant participé à l’opération en question, furent entendus par le parquet. Ils confirmèrent le procès-verbal d’incident et déclarèrent qu’ils ne faisaient pas partie de l’équipe de police ayant pénétré dans l’appartement en question. Toujours le 24 février, Z.Y., un policier qui faisait partie de l’équipe ayant pénétré dans l’immeuble, fut entendu. Il confirma le procès-verbal d’incident et déclara qu’il était resté près des escaliers de l’immeuble sans rentrer dans l’appartement. Le 25 février 2005, M.K.O., H.A. et S.E., des policiers ayant participé à l’opération en question, furent entendus. M.K.O. déclara que, à la suite des avertissements verbaux, des coups de feu avaient été tirés depuis l’appartement en question et qu’il était resté dans un véhicule de police lors de l’affrontement. H.A. et S.E. affirmèrent qu’ils attendaient près du véhicule de police lors de l’affrontement. De même, le 28 février 2005, M.G., M.K.H., et E.B.K. furent entendus. M.G. et E.B.K. confirmèrent le procès-verbal d’incident et déclarèrent ne pas avoir pénétré dans l’appartement. M.K.H. affirma quant à lui qu’il faisait partie de l’équipe qui était entrée dans l’appartement. Il déclara que S.K., l’un des policiers qui était positionné derrière le bouclier de protection lors de l’intervention, avait été muté en Irak où il avait été tué. Le 1er mars 2005, A.S. fut entendu et déclara qu’il était posté près de l’immeuble en question pendant l’opération. Le 2 juin 2005, K.Y., un policier qui faisait partie de l’équipe ayant pénétré dans l’immeuble sans rentrer dans l’appartement, fut entendu. Il confirma le procès-verbal d’incident. Le 7 juin 2007, un expert chargé de procéder à l’examen des images filmées dans l’appartement en question rendit son rapport. Le 21 juin 2007, se fondant notamment sur les croquis des lieux et les procès-verbaux versés au dossier, les déclarations des accusés et des victimes, ainsi que sur les rapports d’expertises, le procureur de la République rendit un non-lieu au motif qu’il ressortait du dossier que le premier coup de feu était venu de l’intérieur de l’appartement et que les policiers avaient par conséquent agi en état de légitime défense conformément à l’article 16 de la loi no 2559 relative aux attributions et obligations de la police et à l’article 25 du nouveau code pénal. Le 13 juillet 2007, les requérants formèrent opposition contre cette décision. Ils soutinrent que leurs frères avaient été tués dans des conditions suspectes, puisqu’ils avaient tous les deux été touchés à la tête. Ils exposèrent que, pour déterminer la distance des tirs, il aurait fallu effectuer un examen des vêtements des personnes tuées, ce qui n’avait pas été fait. Par ailleurs, alors qu’ils avaient demandé qu’une reconstitution des faits fût organisée, aucune suite n’avait été donnée à cette demande. Ils soutinrent également que l’enquête n’aurait pas dû être confiée à la police de Diyarbakır, au motif que les agents enquêteurs étaient des collègues directs des personnes soupçonnées d’être les responsables du décès de leurs proches. Mme Altın réitéra que son frère n’était pas membre d’une organisation illégale et que, lorsqu’elle s’était rendue sur les lieux de l’incident quelques jours après, une dame lui avait dit que son frère avait été tué à l’extérieur de l’immeuble avant d’être transporté à l’intérieur. Or, le procureur de la République n’aurait pas essayé de recueillir des témoignages susceptibles de confirmer ou d’infirmer ces dires. Le 1er août 2007, le président de la cour d’assises de Siverek confirma le non-lieu attaqué, sans se prononcer sur les motifs invoqués par les requérants. Cette décision fut notifiée le 20 septembre 2007. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit et la pratique internes ainsi que le droit international et les éléments de droit comparé pertinents sont décrits dans les arrêts Perk et autres c. Turquie (no 50739/99, §§ 43-46, 28 mars 2006) et Ülüfer c. Turquie (no 23038/07, §§ 37-41, 5 juin 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les premier et deuxième requérants, ressortissants russes d’origine tchétchène, sont nés respectivement en 1984 et 1989. Le troisième requérant est né en France en 2013. A. Quant aux faits survenus en Fédération de Russie tels qu’exposés par les requérants Lors de la première guerre de Tchétchénie, un des frères du requérant, Ra., fut blessé par un éclat de roquette durant l’été 1995. Le 5 février 2000, le village natal du requérant, Novye Aldi, fut attaqué par les troupes russes. Les militaires battirent et assassinèrent deux de ses oncles, combattants, et sa grand-mère. Les autres membres de la famille, qui s’étaient cachés dans une cave, échappèrent à ces exactions, mais le domicile familial fut complètement détruit. Par la suite, Ra. évoqua à plusieurs reprises le projet de rejoindre la rébellion tchétchène et, en signe d’attachement à la cause wahhabite, il se laissa pousser la barbe. Les parents du requérant l’envoyèrent chez une autre partie de la famille pour le protéger. Le 20 juillet 2006, un autre frère du requérant, Ro., et un de ses cousins furent enlevés. Le cousin fut retrouvé mort, les recherches entamées auprès des différentes administrations pour retrouver Ro. demeurèrent vaines. Le 23 janvier 2009, le requérant fut enlevé à son domicile par plusieurs hommes masqués qui l’emmenèrent dans une cave. Il fut battu violemment, électrocuté et questionné au sujet de la rébellion tchétchène. Il fut libéré après neuf jours de détention. Il apprit plus tard que l’un de ses oncles travaillant au sein des forces de l’ordre avait pu retrouver sa trace et versé une rançon de 450 000 roubles. Sa convalescence à l’hôpital dura un mois. Dans un certificat médical du 20 février 2009, l’hôpital central du district d’Urous-Martan fait état de l’hospitalisation du requérant du 1er au 20 février 2009 pour « traumatisme crânien et cérébral, commotion cérébrale de gravité intermédiaire, contusions à la tête et à la ceinture rénale ». Le 2 octobre 2010, le requérant fut réveillé en pleine nuit par des hommes cagoulés qui le menottèrent, l’emmenèrent au commissariat de la ville et le placèrent dans un sous-sol. Il fut accusé de collaborer avec la rébellion et battu à coups de matraque. Le lendemain, l’un des hommes, tchétchène d’origine, lui offrit de collaborer avec les autorités en échange de sa liberté. Selon l’accord passé, le requérant devait apporter chaque semaine des informations sur les combattants. Craignant d’être persécuté par les autorités s’il ne tenait pas sa promesse ou par la rébellion tchétchène s’il collaborait avec les autorités, il quitta le pays avec sa famille. Le requérant rapporte que les forces de l’ordre viennent encore régulièrement rendre visite à ses parents et sont toujours à sa recherche. B. Quant aux faits survenus en France Arrivés sur le territoire français en octobre 2010, les requérants déposèrent une demande d’asile en juin 2011. Ayant déjà fait la même démarche en Pologne, ils furent placés en rétention et une procédure de réadmission vers ce pays fut mise en œuvre. À la suite de l’avis d’un médecin de l’agence régionale de la santé signalant l’état psychiatrique de la requérante, la procédure de réadmission fut abandonnée et les requérants furent remis en liberté. Le 30 novembre 2011, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) rejeta leur demande d’asile. Il reprocha notamment au premier requérant d’avoir un récit trop succinct, stéréotypé et impersonnel. En appel, les requérants produisirent notamment un certificat délivré par Médecins du Monde le 12 juillet 2012. Ce document atteste de la présence sur le corps du premier requérant des lésions suivantes : « - cicatrice d’un travers de doigt au niveau de la région temporale gauche, - discrète cicatrice sous l’angle interne de l’œil gauche, - cicatrice de deux travers de doigt au niveau de la région pariétale gauche, - cicatrice au niveau du tiers moyen de la face antérieure de l’avant-bras droit de 2 travers ½ de doigt (présence de cicatrices de deux points de suture), - fines cicatrices au niveau de la pulpe des 2è, 3è et 4è doigts de la main gauche, au niveau de la face dorsale de la 3è phalange de l’auriculaire gauche, cicatrice étoilée au niveau de la face dorsale du 3è métacarpien droit évoquant une brûlure de cigarette, cicatrice d’un travers de doigt, horizontale au niveau du tiers moyen de la face dorsale de l’index droit, deux cicatrices de deux travers de doigt au niveau de la paume de la main gauche, une cicatrice au niveau du tiers supérieur de l’éminence hypothénar gauche de un travers et demi de longueur et une cicatrice au niveau de la partie inférieure de cette même éminence, - cicatrice ronde de 2 cm de diamètre au niveau des deux crêtes tibiales à l’union du tiers supérieur et du tiers moyen, - cicatrice horizontale en regard de l’articulation métacarpo-phalangienne du gros orteil droit avec douleur à la pression et la mobilisation de cette articulation. » Les médecins conclurent que les nombreuses cicatrices présentes sur le corps du requérant étaient compatibles avec les mauvais traitements allégués. Le 28 septembre 2012, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) confirma la décision de l’OFPRA aux motifs suivants : « Considérant en premier lieu qu’il résulte de l’instruction que les circonstances des décès survenus dans la famille [du requérant] lors de l’attaque de son village natal Novye Aldi en février 2000 par l’armée russe peuvent être établies ; Considérant toutefois en deuxième lieu que s’agissant de Ra., l’un de ses frères, les déclarations du requérant n’ont pas permis de dresser le portrait ni d’un combattant, ni d’un homme soutenant de près ou de loin la rébellion tchétchène ; qu’en outre, elles ne sont pas de nature à démontrer que ce frère ait été un militant actif de la cause wahhabite ou qu’il aurait été fiché par les autorités et aurait rencontré des problèmes pour ce motif ; qu’aucune explication n’a été entendue pour préciser avec certitude le parcours de Ra. entre 2005 et 2009 ; que, s’agissant de Ro., un autre de ses frères, les déclarations du requérant au sujet de l’enlèvement de ce dernier sont apparues peu consistantes et en contradiction avec les informations consultées sur les pratiques du groupe d’Arbi Baraiev ; que, même à considérer cet événement comme établi, il n’est pas de nature à faire apparaître le frère du requérant comme lié aux combattants aux yeux des autorités locales ; que, concernant la disparition de Ro. en 2006, les propos tenus par le requérant en audience sont insuffisants pour attester de la réalité de cet épisode ; qu’en outre, aucun élément sérieux et objectif n’a été porté à la connaissance de la Cour permettant de croire que Ro. aurait rejoint le maquis à partir de cette date ; Considérant en troisième lieu que si les deux détentions évoquées par [le requérant] l’ont été de manière développée et illustrée, notamment sur les circonstances et conditions de celles-ci, en revanche la question des motifs de ses deux détentions n’a pas été éclairée des mêmes précisions et du même potentiel de conviction ; que le requérant n’a pas apporté de justification pertinente quant à l’acharnement dont il aurait été victime par les autorités ; qu’au contraire, son profil personnel et familial n’est pas celui d’un homme que les autorités locales pourraient soupçonner de collusion avec le mouvement indépendantiste ; qu’en effet, sa grand-mère et ses deux oncles sont morts lors du massacre de Novye Aldi et non du fait de leur statut de combattants ou de leur soutien à la rébellion ; que de même, il n’a pas été démontré que ses frères aient été des combattants ou aient apporté une aide matérielle ou autre à la rébellion ; qu’ainsi, ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites en séance publique devant la cour ne permettent de tenir pour établis les faits allégués et pour fondées les craintes énoncées ; que dès lors, le recours [du requérant] doit être rejeté ; Considérant que [la requérante] n’allègue pas de circonstances ou de faits distincts de ceux allégués par son époux et n’est dès lors pas fondée à soutenir que c’est à tort que le directeur général de l’OFPRA a rejeté sa propre demande d’asile ; » Le 5 novembre 2012, les requérants firent l’objet de deux arrêtés de refus de séjour assortis d’une obligation de quitter le territoire français. Par un jugement du 12 avril 2013, confirmé en appel le 18 décembre 2014, le tribunal administratif de Montpellier rejeta la requête en annulation des requérants contre ces arrêtés. Il releva que l’OFPRA et la CNDA avaient relevé le caractère trop peu crédible de leurs allégations et des craintes invoquées, et leur reprocha de n’apporter aucun élément réellement nouveau ou probant ou dont ils n’auraient pas été en mesure de faire état à l’occasion du traitement de leur demande d’asile. Le 13 novembre 2012, les requérants sollicitèrent le réexamen de leur demande d’asile. Ils firent valoir, attestations et courrier de leur avocat en Tchétchénie à l’appui, que, depuis son départ, les autorités s’étaient rendues plusieurs fois à leur domicile pour interroger les parents du requérant sur ses liens avec la rébellion tchétchène. Par une décision du 20 décembre 2012, confirmée en appel le 7 novembre 2013, l’OFPRA rejeta leur demande en considérant que les requérants n’apportaient pas d’éléments nouveaux. Le 31 juillet 2013, naquit A., l’enfant des requérants. Le 12 mai 2014, déférant à une convocation de la direction départementale de la police aux frontières, les requérants se virent notifier deux arrêtés, l’un portant obligation de quitter le territoire et l’autre les assignant à résidence. Saisi par les requérants, le tribunal administratif de Montpellier, par un jugement du 15 mai 2014, confirmé en appel le 18 décembre suivant, refusa d’annuler ces décisions. La mesure d’assignation à résidence fut prolongée à deux reprises, les 23 juin et 8 août 2014. Interpellés à leur domicile le 15 octobre 2014, les requérants furent conduits, dans le cadre de l’exécution de la mesure d’éloignement, à l’aéroport mais ils refusèrent d’embarquer. Le jour même, le préfet, considérant leur refus d’embarquer comme une volonté délibérée de se soustraire à l’exécution d’une mesure d’éloignement, abrogea l’arrêté d’assignation à résidence et ordonna leur placement en rétention. Les requérants furent ainsi placés, le 15 octobre 2014, au centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu. Ils contestèrent l’arrêté ordonnant leur placement en rétention. L’audience devant le tribunal administratif de Toulouse fut fixée le 17 octobre suivant. Le 17 octobre 2014 à 4 heures du matin, les requérants furent conduits à l’aéroport, ils refusèrent à nouveau d’embarquer. Le même jour, le tribunal administratif de Toulouse rejeta leur requête en annulation du placement en rétention. Le 17 octobre 2014, les requérants saisirent la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 20 octobre suivant, le juge faisant fonction de président décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas renvoyer les requérants vers la Fédération de Russie pour la durée de la procédure devant la Cour. Dans le courrier adressé aux parties, l’attention de ces dernières fut attirée sur le fait que cette décision avait été prise notamment à la lumière de l’arrêt Popov c. France (nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012). Par une ordonnance du 20 octobre 2014, le juge des libertés et de la détention ordonna la prolongation du maintien en rétention des requérants pour une durée de vingt jours. À cette occasion, il se déclara incompétent pour statuer sur la question de la rétention de l’enfant des requérants en vertu de la séparation des pouvoirs, l’appréciation de la régularité de cette privation de liberté au regard de la Convention ayant « nécessairement été abordée » par le juge administratif. Cette décision fut confirmée le lendemain par le premier président de la cour d’appel de Toulouse. Statuant sur la rétention de l’enfant des requérants, elle énonça : « Il doit être relevé que dans le cas d’espèce, [le requérant] a fait l’objet d’une assignation à résidence dans un hôtel à Perpignan (66), à compter du 12 mai 2014 avec son épouse et leur enfant mineur (...), mesure renouvelée jusqu’au 15 octobre 2014. Il s’avère qu’ayant refusé d’embarquer dans l’avion au départ de Toulouse à destination de son pays d’origine, son placement en rétention avec son épouse et leur enfant a été privilégié, plutôt que l’établissement d’une procédure pénale pour soustraction à l’exécution d’une mesure d’éloignement prévue et réprimée par l’article L. 624-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, procédure qui aurait eu pour effet de le soumettre à une éventuelle mesure de garde à vue, avant l’engagement de poursuites, ainsi que d’entraîner le placement provisoire de l’enfant dans un foyer habilité et donc une séparation d’avec ses parents, alors qu’eu égard à son très jeune âge, sa place est d’évidence auprès d’eux. En conséquence par la rétention critiquée, le mineur n’a été soumis à aucune torture ou traitement dégradant ; au regard de l’infraction commise par son père, il a été au contraire protégé, sa vie privée et familiale a été respectée et enfin sa sûreté et sa liberté ont été assurés, étant ajouté de surcroît qu’il ne pouvait en raison de son âge, exercer de choix propre. » Le 23 octobre 2014, l’OFPRA, saisi dans l’intervalle, rejeta la nouvelle demande de réexamen des requérants. Le 24 octobre 2014, le préfet abrogea l’arrêté de rétention des requérant et les assigna à résidence dans un hôtel pour une durée de six mois. Le 8 avril 2015, la CNDA rejeta le recours des requérants contre la décision de l’OFPRA du 23 octobre 2014, Après avoir considéré que l’application par la Cour de l’article 39 de son règlement constituait un élément nécessitant un nouvel examen des faits invoqués, elle nota en effet : « (...) que [les requérants] n’ont fourni au juge de l’asile aucun autre élément d’information sur la requête à titre principal qu’ils ont engagée auprès de la Cour européenne des droits de l’homme ; (...) qu’en réponse aux questions précises qui leur ont été posées par la Cour, [les requérants] n’ont apporté aucun élément circonstancié et pertinent de nature à justifier l’actualité de leurs craintes ; qu’au demeurant, les rapports médicaux de l’hôpital central du district d’Urous-Martan et de Médecins du Monde Marseille, respectivement datés du 20 février 2009 et du 12 juillet 2012, se rapportent à des faits précédemment jugés comme étant non établis par la Cour dans sa précédente décision ; qu’en tout état de cause, les appréciations d’ordre médical contenues dans ces documents ne permettent pas, à elles seules, d’établir un lien de causalité entre les constatations énoncées et les mauvais traitements susceptibles d’avoir été subis par les intéressés dans le contexte des faits antérieurement allégués à l’appui de la précédente demande de réexamen ; (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS A. Le droit français La rétention des étrangers en vue de leur expulsion est encadrée principalement, en droit interne, par les dispositions du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les dispositions pertinentes du CESEDA, la jurisprudence y afférente et les avis de plusieurs autorités administratives indépendantes sont résumés dans l’exposé du droit interne fait dans l’arrêt A.B. et autres c. France (no 11593/12, §§ 19-30 et 41-59). S’agissant plus précisément des conditions d’accueil au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, il est renvoyé aux paragraphes 31 à 40 de l’arrêt A.B. et autres c. France précité. B. Droit international pertinent et éléments de droit comparé Le droit international pertinent et les éléments de droit comparé relatifs à la rétention des mineurs étrangers sont présentés dans les paragraphes 60 à 91 de l’arrêt A.B. et autres c. France précité. III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX CONCERNANT LA SITUATION DANS LA RÉGION DU NORD CAUCASE Les principaux documents internationaux concernant la situation dans la région du Nord Caucase sont présentés dans les affaires Aslakhanova et autres c. Russie (nos 2944/06, 8300/07, 50184/07, 332/08 et 42509/10, §§ 43-59, 18 décembre 2012) et I c. Suède (no 61204/09, §§ 2739, 5 septembre 2013). Les données plus récentes disponibles confirment que la situation dans la région du Nord Caucase demeure très instable en raison des conflits persistants entre les forces gouvernementales et les rebelles. Dans un rapport intitulé Human Rights and Democracy: The 2012 Foreign & Commonwealth Office Report – Russia publié le 15 avril 2013, le Foreign and Commonwealth Office britannique relève : “Throughout the year, there were also reports of grave human rights violations committed by state security forces, including allegations of extrajudicial killings, torture and disappearances.” De même, le Département d’État américain, dans son Country Reports on Human Rights Practices – Russia, publié le 19 avril 2013, note : “Rule of law was particularly deficient in the North Caucasus, where conflict among government forces, insurgents, Islamist militants, and criminal forces led to numerous human rights abuses, including killings, torture, physical abuse, and politically motivated abductions. (...) Politically motivated disappearances in connection with the conflict in the Northern Caucasus continued (see section 1.g.). (...) Government forces engaged in the conflict in the North Caucasus reportedly tortured and otherwise mistreated civilians and participants in the conflict (see section 1.g.). (...) Some of the methods reportedly used included beatings with fists, batons, or other objects. In the Caucasus torture was reportedly committed by local law enforcement agencies as well as in some cases by federal security services. Reports from human rights groups claimed that electric shocks and suffocation were used most often, as those techniques are less prone to leave evidence.”
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et est détenu à Satu Mare. Le requérant fut placé en garde à vue le 20 août 2010. Il fut ensuite placé en détention provisoire. Par un arrêt définitif du 14 mars 2011, le tribunal départemental de Bihor le condamna à douze ans et demi de prison ferme du chef de tentative de meurtre aggravé. Après application des dispositions plus favorables du nouveau code pénal, entré en vigueur en 2014, cette peine fut réduite à dix ans. Par ailleurs, par une décision définitive du 11 septembre 2014, le tribunal de première instance d’Oradea condamna le requérant à huit mois de prison ferme du chef de menaces, après avoir constaté que l’intéressé avait proféré des menaces de mort, en mars 2013, à l’encontre de son ex-partenaire dans une lettre envoyée depuis la prison. A. Les conditions matérielles de détention du requérant Du 23 septembre 2010 au 4 août 2011, le requérant fut incarcéré à la prison d’Oradea, à l’exception de deux courtes périodes (du 24 janvier au 1er février 2011 et du 22 février au 7 mars 2011) pendant lesquelles il fut hospitalisé. Du 5 août au 28 novembre 2011, le requérant fut incarcéré à la prison de Rahova. Du 29 novembre 2011 au 25 avril 2016, le requérant fut incarcéré à la prison d’Oradea. Dans l’intervalle, il a été hospitalisé pour deux courtes périodes (du 27 novembre au 9 décembre 2014 et du 30 juillet au 14 août 2015). Depuis le 25 avril 2016, il est incarcéré à la prison de Satu Mare. Les conditions de détention telles que décrites par le requérant Le requérant décrit ses conditions de détention comme suit. Au cours de sa détention, il a été placé dans des cellules de 9 m² avec trois autres détenus. Les cellules étaient pourvues de toilettes d’une superficie de 1 m² et ne disposaient d’aucune aération. Elles étaient éclairées en continu par des tubes à néon, ce qui aurait provoqué chez le requérant une dégradation de la vue et l’apparition d’une calvitie. En mars 2014, le requérant a été incarcéré dans une cellule de 20 m² avec onze autres détenus. La cellule ne bénéficiait pas d’éclairage naturel ni d’un système d’aération et elle était pourvue de toilettes d’une superficie de 1 m². La nourriture était de très mauvaise qualité, ce qui aurait causé des problèmes digestifs au requérant. Depuis son incarcération, le requérant bénéficie d’une heure de promenade par jour. Les conditions de détention telles que décrites par le Gouvernement Se référant à une lettre envoyée par l’Administration nationale des prisons (« l’ANP »), le Gouvernement indique que, à la prison d’Oradea, le requérant a été incarcéré dans différentes cellules au sein desquelles le nombre de détenus n’aurait jamais dépassé celui de lits installés. Il précise que la surface et le nombre de lits étaient les suivants : les cellules de 16,60 m² étaient dotées de 8 lits, celles de 8,66 m² de 4 lits, celles de 40,32 m² de 14 ou 16 lits, celles de 36,16 m² de 18 lits et celles mesurant environ 26 m² de 11 ou 12 lits. Le Gouvernement ajoute que les cellules bénéficient d’une à plusieurs fenêtres, qui assureraient un éclairage et une aération naturels. Dans plusieurs des cellules susmentionnées, les toilettes ne seraient pas pourvues d’une fenêtre et l’aération s’y ferait après ouverture de la porte de cette pièce. S’agissant des conditions de détention à la prison de Rahova, le Gouvernement indique que le requérant a été incarcéré dans des cellules mesurant 19,58 m² et dotées 8 lits et que ces cellules bénéficiaient d’une aération et d’un éclairage naturels ainsi que d’un éclairage artificiel. La nourriture aurait été de bonne qualité et vérifiée quotidiennement par les responsables de la prison et des représentants des détenus. Le Gouvernement ajoute que le requérant bénéficie d’une heure de promenade à la prison d’Oradea et que le temps de promenade qui lui était accordé à la prison de Rahova était d’au moins deux heures. B. La demande de sortie pour les obsèques de la mère du requérant Le 21 mars 2014, le requérant demanda à la direction de la prison d’Oradea, par l’intermédiaire d’un proche, l’autorisation de sortir afin de pouvoir assister aux obsèques de sa mère, prévues le 24 mars 2014, à 12 heures. Le 24 mars 2014, à 9 heures, la « commission des récompenses » de la prison, se fondant sur les articles 98 § 1 e) et 99 § 1 e) de la loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal (« la loi no 254/2013 ») ainsi que sur les normes d’application de ces dispositions, rejeta la demande du requérant pour les motifs suivants : celui-ci était en train de purger une peine de douze ans et demi de prison ferme pour tentative de meurtre aggravé sous le régime du « milieu fermé » ; le restant de la peine à exécuter était trop important ; et l’intéressé avait déjà bénéficié d’une récompense au cours du même mois. La commission estima que le requérant pouvait en revanche bénéficier d’un droit supplémentaire de visite sans paroi de séparation. Il ressortait de la décision de la commission que, jusqu’à cette date-là, le requérant avait reçu de nombreuses récompenses pour bon comportement et que le chef de la section de la prison où il était incarcéré avait donné un avis favorable à la demande. Le 4 avril 2014, le requérant déposa une plainte pénale du chef d’abus d’autorité contre le directeur de la prison d’Oradea. Par une décision du 3 octobre 2014, le parquet près le tribunal de première instance d’Oradea prononça un non-lieu. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 254/2013 sont ainsi libellées : Chapitre V Les droits des personnes condamnées Article 56 (L’exercice des droits des personnes condamnées) « 1. L’exercice des droits de la personne condamnée ne peut être entravé que dans les limites et les conditions prévues par la Constitution et la loi. La personne condamnée peut déposer une plainte [pour contester] les mesures relatives à l’exercice des droits prévus par la présente loi prises par l’administration de la prison, devant le juge chargé du contrôle de la privation de liberté, dans un délai de 10 jours à compter de la date à laquelle elle a pris connaissance de la mesure. (...) Le juge chargé du contrôle de la privation de liberté statue sur la plainte par une décision motivée, dans un délai de 15 jours, [en décidant, parmi les solutions suivantes,] : a) [d’accueillir] la contestation, entièrement ou partiellement, et [d’ordonner] l’annulation ou la modification de la mesure prise par l’administration de la prison ou [de condamner] cette dernière à prendre les mesures légales qui s’imposent ; b) [de rejeter] la contestation si elle est mal fondée, sans objet, tardive ou irrecevable, selon le cas ; c) [de prendre] acte de la renonciation à la contestation. La décision du juge chargé du contrôle de la privation de liberté est notifiée à la personne condamnée et à l’administration de la prison dans un délai de 3 jours à compter du prononcé. La plainte est examinée par le juge chargé du contrôle de la privation de liberté près la prison qui a pris les mesures relatives à l’exercice des droits [de la personne condamnée]. La personne condamnée et l’administration de la prison peuvent former une contestation contre la décision du juge chargé du contrôle de la privation de liberté devant le tribunal de première instance sis dans l’arrondissement dans lequel se trouve la prison, dans un délai de 5 jours à compter de la notification de la décision. » Article 57 § 1 (Le respect des droits des personnes condamnées) « 1. Le respect des droits des personnes condamnées prévus par la loi est assuré par le juge chargé du contrôle de la privation de liberté. » Chapitre IX Récompenses, fautes disciplinaires et sanctions Article 98 §§ 1 et 2 (Les récompenses) « 1. Les personnes condamnées ayant une bonne conduite et qui ont fait preuve d’assiduité dans le travail ou dans le cadre des activités éducatives, morales et religieuses, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle peuvent se voir accorder les récompenses suivantes : (...) e) l’autorisation de sortie de la prison pour un jour, mais pas plus de quinze jours par an ; f) l’autorisation de sortie de la prison pendant une période de cinq jours au maximum, mais pas plus de vingt-cinq jours par an ; g) l’autorisation de sortie de la prison pour une période de dix jours au maximum, mais pas plus de trente jours par an. Les récompenses énumérées [au point] e) [du premier alinéa] peuvent être accordées par une commission comprenant le directeur [de la prison], qui est aussi le président de la commission, le directeur adjoint pour la sécurité de la détention et le régime pénitentiaire ainsi que le directeur adjoint pour l’éducation et l’assistance psychosociale, sur proposition du personnel qui mène des activités directes avec les personnes condamnées et après obtention de l’avis du chef de la section de la prison où est incarcéré l’intéressé (...). » Article 99 §§ 1, 5 et 6 (L’autorisation de sortie de la prison) « 1. L’autorisation de sortie de la prison peut être accordée, sur la base de l’article 98, dans les cas suivants : (...) c) pour le maintien des relations de famille de la personne condamnée ; (...) e) pour la participation de la personne condamnée aux obsèques de son mari, de sa femme, de l’enfant, du parent, du frère, de la sœur, du grand-père ou de la grand-mère. (...) L’autorisation de sortie de la prison pour le cas prévu au point e) du premier alinéa peut être accordée pour une durée maximale de cinq jours à toute personne condamnée, à l’exception de[s personnes qui purgent leur] peine sous le régime de haute sécurité, si elle remplit les conditions prévues à l’article 98 § 1. À l’occasion de sa demande d’autorisation de sortie de la prison, la personne détenue précise son lieu de destination, l’itinéraire [qui sera] emprunté, ainsi que les moyens financiers dont elle disposera au cours de sa sortie de prison. » À l’époque des faits, en l’absence d’un règlement d’application de la loi no 254/2013, les normes d’application de l’ancienne loi (la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté ordonnées par les autorités judiciaires au cours du procès pénal), approuvées par l’arrêté du Gouvernement no 1897/2006, étaient toujours en vigueur. L’article 147 de ces normes était ainsi libellé : Article 147 L’octroi de la récompense consistant en l’autorisation de sortie du centre de détention « L’autorisation de sortie du centre de détention prévue à l’article 68 § 1 e) -g) de la loi [dispositions correspondant à l’article 98 § 1 e)-g) de la loi no 254/2013] peut être accordée uniquement aux personnes privées de liberté qui ont eu une conduite constamment positive et à qui l’on peut accorder, de manière suffisante, le crédit qu’elles ne commettront pas une nouvelle infraction. La commission prévue à l’article 68 § 2 de la loi [actuellement l’article 98 § 2] octroie la récompense prévue à l’article 68 § 1 e) [actuellement l’article 98 § 1 e)] de la loi ou propose l’octroi des récompenses prévues à l’article 68 § 1 f) et g) [actuellement l’article 98 § 1 f) et g)] de la même loi, après examen approfondi, selon la procédure fixée par une décision du directeur général de l’Administration nationale des prisons. » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la « procédure relative à l’octroi des récompenses sur la base d’un système de crédits », adoptée par l’ANP, en vigueur du 14 juin 2013 au 10 avril 2016, étaient ainsi libellées : Article 2 « Le détenu se voit octroyer une seule récompense au cours d’un mois, à l’exception des situations prévues à l’article 69 § 1 (...) et e) [actuellement l’article 99 § 1 e) de la loi no 254/2013] (...). » Article 4 « 1. Lors de l’examen des propositions d’octroi de la récompense consistant en l’autorisation de sortie de la prison, il est pris en compte dans quelle mesure les détenus : a) ont une conduite constamment positive ; b) démontrent de l’assiduité dans leur travail ; c) participent activement aux activités éducatives, culturelles, thérapeutiques, de conciliation psychologique ou d’assistance sociale, d’enseignement ou de formation professionnelle. Afin d’établir si les conditions et critères cumulatifs prévus par la loi sont réunis, les éléments suivants concernant la personne du détenu seront pris en compte également : a) la nature de l’infraction ; b) la durée de la peine ; c) le régime d’exécution ; d) le nombre et la nature des récompenses déjà accordées ; e) la durée de la peine déjà purgée par rapport au restant à purger jusqu’à l’examen par la commission de la libération conditionnelle ; f) les antécédents pénaux ; g) l’appartenance à des groupes de crime organisé ; h) le comportement lors de la réincarcération après une autorisation de sortie de la prison accordée antérieurement ; i) le comportement avant l’arrestation et l’image du détenu dans la communauté ; seront prises en compte notamment les données inscrites dans le dossier personnel de la personne privée de liberté ; j) le maintien des liens familiaux ; k) l’existence de soupçons quant à la possession, la consommation ou le trafic d’objets ou de substances interdits. » Selon le règlement relatif à la sécurité des centres de détention relevant de l’ANP, adopté le 24 juin 2010, les personnes privées de liberté peuvent faire l’objet d’une escorte aux fins de leur présentation devant les autorités judiciaires, sur leur lieu de travail, aux cliniques, hôpitaux ou à d’autres endroits extérieurs au centre de détention, établis par le directeur du centre (article 146). Dans ses observations soumises à la Cour le 5 décembre 2015, le Gouvernement se réfère à plusieurs décisions de justice relatives à l’autorisation de sortie de la prison de détenus, et notamment en vue d’assister aux obsèques de proches (points b)-e)), présentées ci-après. a) Par une décision du 27 mai 2014, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Brăila accueillit la plainte introduite par un détenu contre une décision de la « commission des récompenses » qui octroyait à ce dernier un droit supplémentaire de recevoir des visites et des paquets de l’extérieur. Le détenu soutenait qu’il était en droit de recevoir une récompense sous la forme d’une autorisation de sortie de la prison. Précisant que, selon la loi, la récompense ne constituait pas un droit pour la personne condamnée, le juge considérait toutefois que tout acte d’une autorité publique devait être soumis au contrôle d’un juge. Par un jugement définitif du tribunal de première instance de Brăila du 26 août 2014, la décision précitée fut annulée et la demande de l’intéressé fut rejetée comme étant mal fondée. Le tribunal jugeait que la loi n’instaurait pas un droit pour les détenus à être récompensé, mais une simple possibilité, qu’en outre elle ne prévoyait aucune voie de recours contre la décision, souveraine à ses yeux, de la « commission des récompenses » et que le juge chargé du contrôle de la privation de liberté n’avait aucune attribution à cet égard. b) Par une décision du 22 janvier 2014, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Jilava rejeta comme étant mal fondée la plainte d’un détenu qui dénonçait le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à participer aux obsèques de sa mère, au motif que l’on ne pouvait pas accorder à l’intéressé, de manière suffisante, le crédit qu’il ne commettrait pas une nouvelle infraction. Le juge notait à cet égard que le détenu en question avait été condamné à une peine de vingt ans de prison ferme du chef de meurtre aggravé et que la loi ne prévoyait pas un droit pour le détenu à être récompensé, mais une simple possibilité. Cette décision fut confirmée par un jugement définitif du tribunal de première instance du 4e arrondissement de Bucarest, qui ajouta que le choix de la récompense à accorder à un détenu appartenait, bien que de manière non discrétionnaire, à la commission compétente de la prison. c) Par un jugement définitif du 25 juin 2014, le tribunal de première instance d’Iaşi rejeta comme étant mal fondée la plainte d’un détenu qui dénonçait l’omission de la prison où il était incarcéré temporairement de l’informer du décès de sa mère et de l’autoriser à participer aux obsèques de celle-ci. Le tribunal constatait qu’aucun document justificatif attestant le décès n’avait été produit auprès des autorités pénitentiaires et que la loi ne prévoyait pas de procédure d’urgence en vue de l’octroi d’une autorisation de sortie pour une personne qui, à l’instar du détenu en question, était détenue temporairement dans une autre prison. d) Par une décision définitive du 17 novembre 2014, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Brăila rejeta comme étant irrecevable la plainte d’un détenu qui contestait le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à sortir pour assister aux obsèques de son père au motif que l’octroi des récompenses ne constituait pas un droit pour les détenus. De plus, d’après ce juge, la décision de la « commission des récompenses » constituait un acte administratif qui ne faisait pas partie des actes qui, selon la loi, pouvaient être soumis au contrôle d’un juge. e) Par une décision définitive du 11 juin 2015, le juge chargé du contrôle de la privation de liberté de la prison de Giurgiu rejeta comme étant mal fondée, pour des motifs similaires, la plainte d’un détenu qui contestait le refus des autorités pénitentiaires de l’autoriser à sortir pour assister aux obsèques de son épouse. III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT La Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006) indique notamment ceci : Règle 24.7 « Lorsque les circonstances le permettent, le détenu doit être autorisé à quitter la prison – soit sous escorte, soit librement – pour rendre visite à un parent malade, assister à des obsèques ou pour d’autres raisons humanitaires. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1987 et réside à Marseille. A. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés avant son arrivée en France selon le requérant Le requérant est un ressortissant russe originaire de Tchétchénie. En 2004, l’un de ses amis d’enfance, T.I., rejoignit un groupe armé de rébellion tchétchène, les « Boeviks ». Devenu en peu de temps le chef (« émir ») d’un groupe de cinq à six combattants, T.I. fut notamment chargé de tendre des embuscades, d’attaquer les colonnes militaires du secteur et de fabriquer des mines antichars. Par crainte des représailles que sa famille pourrait subir, le requérant ne rejoignit jamais les Boeviks. Il hébergeait néanmoins son ami T.I. à chaque fois qu’il revenait dans son village et lui fournissait des vivres pour son groupe. Les deux amis communiquaient au moyen d’un téléphone portable et se servaient, entre eux, de noms de code, le requérant étant surnommé « I. ». Le 20 août 2005, T.I. et son groupe furent dénoncés par une personne inconnue et, alors qu’ils se rendaient en ville pour remplacer les piles de leurs radios, ils furent accueillis par les forces de l’ordre. Après un échange de tirs nourris, plusieurs d’entre eux, dont l’ami d’enfance du requérant, décédèrent. Les militaires récupérèrent sur les corps des défunts leurs portables et notamment celui avec lequel T.I. communiquait avec le requérant. À la suite de cette découverte, un avis de recherche fut lancé contre le requérant. Interpellé le 5 janvier 2006 sur une route à proximité de son village, le requérant fut frappé puis emmené cagoulé dans les locaux de l’OBR2 (un centre de garde à vue des autorités) à Grozny. Détenu pendant deux semaines, il fut interrogé, sous la torture, sur ses rapports avec T.I. et sur la localisation des autres membres du groupe. Il fut finalement relâché, à moitié mort, sur une route aux environs de Grozny et conduit par des passants à l’hôpital. Le 5 mai 2006, le requérant fut à nouveau arrêté et conduit dans un endroit inconnu où il fut torturé. Il fut relâché au bout de dix jours après le paiement d’une rançon par sa famille. Après cette détention, le requérant vécut sans encombres pendant un an et demi. Il se maria et reprit ses études. Le 15 novembre 2007, des hommes de Ramzan Kadyrov (actuel président de la République de Tchétchénie) pénétrèrent à son domicile. Ils frappèrent violemment la femme du requérant, alors enceinte, et enlevèrent le requérant. La femme du requérant fut hospitalisée au Centre républicain Clinique de protection de la santé de la mère et de l’enfant de Grozny, où, comme en attestent deux certificats médicaux versés aux débats, elle accoucha prématurément le 22 novembre suivant d’un enfant qui décéda quelques jours après. Le requérant fut, quant à lui, séquestré et torturé. Pour mettre fin à ses souffrances et craignant des représailles sur sa famille, il reconnut ses liens passés avec T.I. et accepta de devenir un indicateur pour les forces de l’ordre. Il fut finalement relâché, le 9 décembre 2007, après le paiement d’une nouvelle rançon par sa famille. À son arrivée à son domicile, il trouva une convocation émanant de la direction de lutte contre le crime organisé (ROUBOP). Il comprit qu’en acceptant de devenir un « indic », sa sécurité était irrémédiablement compromise. Pris entre les « Kadyrovski » d’un côté qui ne le lâcheraient pas s’il ne coopérait pas et les Boeviks qui n’hésiteraient pas à l’éliminer s’il le faisait, il décida de fuir le pays pour la Pologne en se résignant à partir sans sa femme, toujours hospitalisée à cette époque et ne pouvant se déplacer. À la frontière polonaise, des policiers saisirent le passeport du requérant et le conduisirent au camp de réfugiés de Dimbak pour déposer sa demande d’asile. Ayant appris que des « Kadyrovski » s’étaient infiltrés dans le camp pour identifier les tchétchènes recherchés par les autorités, le requérant préféra fuir le camp et partir pour la France. B. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés après l’arrivée en France du requérant Peu après son arrivée sur le territoire français le 20 janvier 2008, le requérant déposa une demande d’asile. Il produisit plusieurs documents à l’appui de sa demande, dont deux convocations le priant de se rendre dans les bureaux de la ROUBOP respectivement les 10 février et 10 mars 2008. Le 23 avril 2009, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) rejeta la demande d’asile du requérant aux motifs que ses déclarations étaient trop imprécises, voire contradictoires, et que les deux convocations ne présentaient pas de garanties suffisantes d’authenticité. Le requérant interjeta appel de cette décision. Il fournit à cette occasion, outre les convocations précédemment mentionnées, plusieurs témoignages de proches et attestations d’organisations non gouvernementales confirmant son récit et un certificat médical. Ce dernier document, daté du 29 novembre 2010, émane d’un médecin légiste du centre hospitalier universitaire de Nice et indique : « À ce jour, sur le plan clinique, j’ai constaté un état de tension nerveuse, des cicatrices contuses au niveau du crâne que le patient rapporte à des coups de crosse, ainsi qu’une cicatrice rectangulaire au niveau du membre inférieur gauche, rapportée à des coups de crosse. J’ai constaté par ailleurs des cicatrices plus fines, rapportées par le patient, à des plaies par arme blanche. Mes constatations cliniques sont compatibles avec les mécanismes qui m’ont été rapportés. » Le 17 octobre 2011, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) confirma la décision de l’OFPRA en énonçant : « Considérant toutefois que les déclarations de l’intéressé sont demeurées trop générales et imprécises pour emporter la conviction de la Cour quant à ses liens avec un combattant et qui seraient à l’origine des persécutions alléguées ; qu’en effet, il n’a été en mesure d’apporter aucune indication sur les activités de son ami en faveur des combattants tchétchènes et que ses déclarations sont demeurées très évasives sur l’aide qu’il aurait personnellement apportée à ce dernier ; que, par ailleurs, l’intéressé a livré un récit peu précis et insuffisamment circonstancié des arrestations dont il aurait été victime, et qu’il n’a apporté aucun élément convaincant sur les conditions dans lesquelles il aurait été détenu à trois reprises ; qu’ainsi, la réalité des soupçons de collusion avec la guérilla nord-caucasienne que les autorités russes nourriraient à son égard n’ont pas emporté la conviction de la cour ; que les deux convocations au ROUBOP versées au dossier ne présentent pas de garanties suffisantes d’authenticité ; que les divers témoignages produits par des proches, les attestations des organisations « Objektiv » et « Presse centre », ainsi que le certificat médical établi le 29 novembre 2010, ne permettent pas d’infirmer cette analyse, en l’absence de déclarations convaincantes ; qu’enfin, les articles de presse internet portant sur la mort de T.I. et sur la prolongation du conflit dans leur région d’origine ne permettent pas d’attester l’existence de craintes personnelles et actuelles du requérant en cas de retour en Tchétchénie ; (...) » En parallèle, le requérant fut condamné à quatre reprises entre 2009 et 2010 pour des faits, notamment, de conduite de véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, circulation avec un véhicule sans assurance, conduite d’un véhicule à moteur sans permis. Interpellé en 2011 pour des faits de violence, il fut condamné, le 12 février 2013, à une peine de quatre ans d’emprisonnement. Le 13 décembre 2011, un arrêté portant obligation de quitter le territoire fut pris à son encontre. Au cours de sa détention, le requérant forma une demande de réexamen de sa demande d’asile en indiquant être toujours recherché par les autorités de son pays. Il rapporta que son père et son oncle avaient été convoqués par le ROUBOP le 3 novembre 2008 et interrogés à son sujet, et il fournit certaines de ces convocations. Outre les documents déjà produits lors de sa précédente demande d’asile, il versa à son dossier deux certificats médicaux émanant du « Centre républicain Clinique de protection de la santé de la mère et de l’enfant » et relatifs à l’hospitalisation de son épouse et à la naissance prématurée de son enfant en novembre 2007. Le premier certificat est ainsi libellé : « Elle a été admise le 14 novembre 2007 à 11 heures au service de maternité du Centre républicain Clinique de protection de la santé de la mère et de l’enfant de la ville de Grozny. Le 22 novembre 2007 à 11 heures elle a accouché d’un enfant prématuré suite à des coups qu’elle avait reçus. » Le second certificat indique, entre autres, que la femme du requérant a accouché d’un enfant prématuré le 22 novembre 2007. Le requérant produisit, par ailleurs, de nouvelles attestations de proches et d’organisations non gouvernementales confirmant ses dires. En particulier, il versa aux débats deux témoignages. Le premier, rédigé par une de ses voisines en Tchétchénie, se lit comme suit : « En milieu de novembre 2007, à minuit, nous avons entendu des cris de secours, mais nous avons eu peur d’aller les aider. En regardant par la fenêtre, nous avons vu dans la cour des gens armés, en uniforme militaire et cagoulés. J’attendis leur départ, pour sortir et aller chez eux. Je suis rentrée chez eux et j’ai vu L. [la femme du requérant] allongée sur le sol sans connaissance. Son mari avait été enlevé et emmené vers une destination inconnue. J’ai appelé l’urgence, L. avait été emmenée sans connaissance à l’hôpital. Après quelques jours, elle a donné naissance à un prématuré de six mois. Douze jours après, elle a perdu son enfant. (...) » Le second émane de la mère de la femme du requérant, celle-ci indique : « En novembre 2007 ma fille a eu un choc nerveux très important, elle a subi des violences physiques. Suite à cela elle a accouché d’un enfant prématuré et a été hospitalisée. Son mari a dû quitter la Tchétchénie, ma fille est rentrée à la maison chez moi. Nous avons pensé qu’on allait laisser ma fille tranquille mais en 2008 les militaires sont venus nous voir pour nous interroger sur l’endroit où pourrait se trouver notre gendre. (...) » L’OFPRA, le 7 juin 2013, puis la CNDA, le 17 avril 2014, rejetèrent la demande de réexamen, estimant que le requérant n’invoquait aucun fait nouveau. À sa sortie de prison, le 3 décembre 2014, le requérant se vit notifier deux arrêtés, l’un portant obligation de quitter le territoire et l’autre ordonnant son placement en rétention, qu’il contesta immédiatement. Par un jugement du 6 décembre 2014, le tribunal administratif de Marseille rejeta son recours, estimant que les documents produits, antérieurs à 2007 en ce qui le concernait, n’établissaient pas la réalité de la menace actuelle, en cas de retour en Fédération de Russie, de subir des traitements inhumains ou dégradants. Le requérant interjeta appel de ce jugement, son recours est actuellement pendant. Il sollicita, à l’occasion de son placement en rétention, le 8 décembre 2014, le réexamen de sa demande d’asile en faisant état de l’interpellation de son père, le 4 décembre précédent, du fait des accusations portées contre lui. Par une décision du 19 décembre 2014, confirmée en appel le 11 juin 2015, l’OFPRA rejeta son recours. Le 22 décembre 2014, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le lendemain, le juge faisant fonction de président de la section à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, de ne pas renvoyer le requérant vers la Fédération de Russie pour la durée de la procédure devant la Cour. Le 10 mai 2016, la cour administrative d’appel, statuant sur appel du requérant, confirma le jugement du 6 décembre 2014. S’agissant des risques tirés de l’article 3 de la Convention, elle jugea que « le témoignage écrit du père du requérant, le certificat d’un psychiatre mentionnant un état traumatique et la lettre traduite de l’agence « Objectiv », agence indépendante d’information et d’analyse située à Grozny, ne sauraient suffire à établir la réalité d’une menace personnelle en cas de retour en Russie alors, par ailleurs, que la demande d’asile formulée par l’intéressé a été rejetée à deux reprises par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et par la Cour nationale du droit d’asile ». II. DONNÉES INTERNATIONALES Il est renvoyé à cet égard aux données internationales recensées dans l’arrêt M.V. et M.T. c. France (no 17897/09, §§ 23-25, 4 septembre 2014). Les données plus récentes disponibles confirment que la situation dans la région du Nord Caucase demeure très instable en raison des conflits persistants entre les forces gouvernementales et les membres de la lutte armée de résistance tchétchène. Dans un rapport intitulé “United Kingdom: Foreign and Commonwealth Office, Human Rights and Democracy Report –Russia” publié le 12 mars 2015, le Foreign and Commonwealth Office britannique relève : “There were also reports of grave human rights violations committed by state security forces, including allegations of extrajudicial killings, torture and disappearances (...)” De même, le Département d’État américain, dans son United States Country Reports on Human Rights Practices – Russia, publié le 27 février 2015 note : “The government failed to take adequate steps to prosecute or punish most officials who committed abuses, resulting in a climate of impunity. Rule of law was particularly deficient in the North Caucasus, where conflict among government forces, insurgents, Islamist militants, and criminal forces led to numerous human rights abuses, including killings, torture, physical abuse, and politically motivated abductions. (...) Government forces engaged in the conflict in the North Caucasus reportedly tortured and otherwise mistreated civilians and participants in the conflict (see section 1.g.). (...) Politically motivated disappearances in connection with the conflict in the Northern Caucasus continued (see section 1.g.).”
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants étaient ou sont encore détenus dans la prison de Diavata, à Thessalonique, et seraient d’après leurs dires placés chacun dans des cellules de 24 m² avec dix autres personnes. Á différentes dates, certains d’entre eux furent transférés vers une autre prison ou mis en liberté : les requérants nos 1 et 4 furent transférés à la prison de Kassandra respectivement les 27 mai 2013 et 12 novembre 2012. Les requérants nos 2, 3, 6, 7, 9 et 12 furent mis en liberté respectivement les 13 décembre, 12 juillet 2012, 27 février, 30 avril, 24 janvier et 27 juin 2013. A. La version des requérants concernant leurs conditions de détention Chaque cellule contient une seule toilette et des douches sans séparation. Les installations sanitaires sont vétustes et souvent en panne. L’eau chaude n’est disponible qu’une heure et demie par jour. Le radiateur ne chauffe qu’une heure par jour, de 21 h à 22 h. Les matelas sur les lits sont vieux, pourris et nauséabonds. Les requérants ne reçurent jamais de serviettes, de draps ou de taies d’oreiller. Les lits sont des couchettes superposées espacées de telle manière qu’il est impossible de s’asseoir sur les lits. Le manque d’espace dans les cellules, combiné avec la brièveté des heures où il est possible de circuler dans les couloirs de la prison (de 8 h 20 à 12 h 30 et de 14 h 20 à 17 h 45) aggrave le sentiment d’enfermement dans les cellules. Le problème de surpopulation devient plus pesant pendant les mois hivernaux : à cause du froid, il n’est pas possible d’ouvrir les fenêtres. La fumée des cigarettes rend l’atmosphère irrespirable. La lumière naturelle dans la cellule n’est pas suffisante, de sorte que l’éclairage doit être allumé même pendant la matinée. Au retour de permission de sortie et avant de regagner leurs cellules, certains des requérants furent placés pendant trois ou quatre jours dans de petites cellules de transit situées au sous-sol de la prison, sans lumière naturelle et sans toilettes. Le but officiel de cet enfermement est la recherche de drogue que les détenus pourraient introduire mais, selon les requérants, la mesure revêtirait un caractère de brimade. Un des requérants, qui est le cuisiner en chef de la prison, allègue que la nourriture fournie aux détenus est insuffisante tant du point de vue quantitatif que qualitatif. Les dépenses pour l’achat de nourriture auraient été réduites de 68 000 euros à 35 000 euros par mois. À partir de 2011, les portions sont devenues minuscules. Le petit déjeuner consiste en une tasse de lait. Le pain est distribué seulement le vendredi. Des fruits de très mauvaise qualité sont servis quatre fois par semaine, de la viande trois fois et du fromage trois fois. B. La version du Gouvernement concernant les conditions de détention Le Gouvernement ne présente pas d’observations sur les conditions de détention dans la prison de Diavata mais fournit un document établi par la prison de Diavata qui décrit les conditions de détention dans celle-ci ainsi que la situation personnelle de chacun des requérants. Dans ce document, les autorités de la prison affirment que le système de chauffage central, tant dans l’ancienne partie de la prison que dans la nouvelle, fonctionne une heure le matin (de 6 h à 7 h) et deux heures le soir (de 20 h à 22 h).Les horaires de fourniture d’eau chaude dans l’ancienne partie sont 13 h à 14 h et de 16 h à 0 h 30, et dans la nouvelle de 6 h à 7 h, de 13 h à 13 h 30 et de 20 h à 22 h. Les repas des détenus sont préparés dans les cuisines de la prison par les détenus qui y travaillent. Les autorités produisent à titre indicatif certains menus pour démontrer le caractère équilibré des repas fournis. Chaque aile de la prison dispose de sa propre cour pour la promenade des détenus (pouvant accueillir jusqu’à 120 personnes), afin d’éviter pour des raisons de sécurité la communication entre détenus placés dans des ailes différentes. Les durées de la promenade varient suivant la saison entre 6 h et 8 h par jour. Plus particulièrement, en ce qui concerne le requérant no 5, les autorités de la prison indiquent qu’il a été détenu dans une chambrée de 23,68 m², contenant cinq lits doubles, une table de chevet par détenu, une table avec des chaises pour que les détenus prennent leurs repas, un téléviseur et deux poubelles. La chambrée contient aussi une toilette de 2,77 m², avec douche, évier et une fenêtre de 0,50 m² pour l’aération. Le requérant no 5 n’a pas travaillé pendant la durée de sa détention dans cette prison (du 28 février 2012 au 30 août 2013, date de son transfert à la prison de Trikala). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013). III. LES CONSTATS DES INSTANCES NATIONALES ET INTERNATIONALES A. Les constats du médiateur de la République Dans un rapport du 31 juillet 2014, établi à la suite de sa visite du 2 juillet 2013, le médiateur de la République notait que la prison de Diavata avait une capacité de 360 détenus, mais à la date de la visite elle en accueillait 597. Il soulignait que les cellules ayant une capacité de 4 détenus, en accueillaient dix et celles conçues pour un détenu en accueillaient 4. Le chauffage et la fourniture d’eau chaude semblaient insuffisants d’après les informations fournies par les détenus. Le personnel pénitentiaire évoqua l’insuffisance des crédits pour la réalisation des travaux pour le chauffage, l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux, mais aussi pour couvrir les frais de fonctionnement et d’entretien. La prison ne disposait pas de réfectoire et les repas étaient distribués en cellule et consommés sur les lits. Un des plus grands problèmes de la prison consistait en la réduction considérable de son budget, notamment en ce qui concernait la nourriture de détenus. Quant aux besoins en vêtements de détenus et en produits d’hygiène corporelle, un effort était fait pour que les coûts soient pris en charge par un fonds de solidarité. Toutefois, les sommes obtenues étaient particulièrement modiques et ne suffisaient pas à couvrir les besoins basiques de détenus. Dans ses conclusions, le médiateur soulignait que la prison était confrontée à un grand problème de surpopulation. En dépit des efforts déployés pour en atténuer les effets, la situation des chambrées et cellules était particulièrement difficile, voire étouffante, en raison du grand nombre de détenus et, par conséquent, des mauvaises conditions d’hygiène et de l’absence de ventilation. B. Les constats du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Dans son rapport du 5 juillet 2013, établi à la suite de sa visite du 4 au 16 avril 2013, le CPT relevait que la prison de Diavata, d’une capacité officielle de 250 détenus, en accueillait 590. La prison dispose de 53 cellules mesurant chacune 24 m² et accueillant chacune 10 détenus, de 10 cellules de 11 m² chacune et accueillant chacune 4 détenus et de 3 cellules où séjournent 34 détenues femmes. L’accès à la lumière naturelle et l’aération dans les cellules sont satisfaisants et il y a quelques tabourets. Les salles d’eau contiennent quatre toilettes ainsi qu’un évier qui sert aussi pour laver le linge et faire la vaisselle.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, fondée en 1994, a son siège à Ankara. Elle vise à promouvoir les droits de la communauté lesbienne, gay, bisexuelle et transsexuelle (LGBT) en Turquie. Elle publie depuis 1994 un magazine trimestriel, Kaos GL, qui traite des sujets intéressant la communauté LGBT turque. A. Saisie du numéro 28 du magazine Kaos GL Le 21 juillet 2006, le procureur de la République d’Ankara, se fondant sur l’article 25 § 1 de la loi sur la presse, saisit trois exemplaires du numéro 28 du magazine Kaos GL avant sa diffusion. Le numéro en question était consacré au thème « Images de la sexualité, sexualité en images : pornographie » (« Cinselliğin görselliği, görselliğin cinselliği : pornografi »). Il contenait des articles et des interviews sur la pornographie en rapport avec l’homosexualité, illustrés par des images pour certaines explicites. Le même jour, le procureur de la République d’Ankara saisit le tribunal d’instance pénal d’Ankara pour obtenir, sur le fondement de l’article 28 de la Constitution et de l’article 162 du code de procédure pénale, une ordonnance de saisie de tous les exemplaires du numéro 28 du magazine Kaos GL avant sa diffusion. Toujours le même jour, le tribunal d’instance pénal fit droit à la demande du procureur et ordonna la saisie de tous les exemplaires du numéro 28 du magazine en vue d’une enquête pénale. Il considérait que le contenu de certains articles et de certaines images publiés dans le cadre du dossier « pornographie » de ce numéro allait à l’encontre du principe de protection de la morale publique. Le 24 juillet 2006, les 375 exemplaires du numéro 28 du magazine Kaos GL furent saisis. À une date non précisée, l’avocate de la requérante forma opposition contre cette décision devant le tribunal correctionnel d’Ankara. Elle soutenait d’abord que les articles litigieux étaient une critique scientifique, culturelle et artistique de la pornographie, et qu’ils contenaient une réflexion sur la nature de la pornographie et ses modes de création, sur les rapports entre pornographie et homosexualité, mais également sur le regard porté par les femmes sur la pornographie. Elle exposait que ce numéro avait permis à des journalistes, à des écrivains, à des académiciens et à des artistes de s’exprimer sur ce sujet et que les articles en question étaient donc protégés par le droit à la liberté d’expression garanti par la Convention. Faisant référence à la jurisprudence de la Cour en la matière, elle arguait que les interdictions relatives à la pornographie n’étaient acceptables que si elles avaient pour but d’empêcher la violence et l’exploitation sexuelle des personnes, particulièrement des mineurs. Elle alléguait en outre que la saisie des exemplaires du magazine était contraire à l’article 25 de la loi sur la presse. Elle indiquait que la disposition susmentionnée prévoyait deux possibilités de saisie des publications, à savoir, selon elle : d’une part, la saisie de trois exemplaires d’une publication par le procureur de la République ou la police en vue de l’ouverture d’une enquête pénale et, d’autre part, la saisie de tous les exemplaires d’une publication dans le cadre d’une enquête ou de poursuites pénales ouvertes pour les infractions commises à l’encontre d’Atatürk et les lois de réformes d’Atatürk, ainsi que pour les infractions de renversement de l’ordre constitutionnel, de non-obéissance aux lois militaires, d’incitation du peuple à ne pas effectuer son service militaire, et d’incitation du peuple à la haine, à l’hostilité et à la commission d’une infraction. Elle affirmait en outre que le délit d’obscénité n’était pas inclus dans la liste des infractions pouvant donner lieu à la saisie de tous les exemplaires d’un magazine. Enfin, l’avocate de la requérante reprochait au tribunal d’instance pénal de s’être fondé, dans sa décision de saisie des exemplaires du magazine, sur le motif de contrariété à la morale publique, selon elle trop abstrait. Elle arguait que le tribunal aurait dû préciser quel article et quelle image contenus dans la publication en cause étaient contraires à la morale publique et expliquer en quoi ils l’étaient. Le 28 juillet 2006, le tribunal correctionnel d’Ankara rejeta l’opposition. Dans ses motifs, il indiquait que, eu égard au contenu du dossier et à la motivation du tribunal d’instance pénal, la décision de saisie était conforme à la procédure et à la loi. B. Procédure pénale engagée contre le président de l’association et rédacteur en chef du magazine Par un acte d’accusation du 18 novembre 2006, le procureur de la République d’Ankara inculpa M. Umut Güner, président de l’association requérante et rédacteur en chef du magazine Kaos GL, pour publication d’images obscènes par voie de presse sur le fondement de l’article 226 § 2 du code pénal. Il considérait que la peinture reproduite à la page 15 du numéro 28 du magazine était de nature clairement obscène et pornographique et, selon lui, ne nécessitait pas une expertise. Il précisait que cette peinture représentait un acte sexuel entre deux hommes dont les organes sexuels étaient visibles et qu’elle illustrait un article dont le contenu était pourtant, aux yeux du procureur de la République, antipornographique. Le 8 février 2007, l’auteur de l’article et de la peinture litigieuse, M. Taner Ceylan, fit une déposition devant le tribunal correctionnel d’Ankara. Il déclara qu’il avait envoyé l’article et la peinture au magazine, que la peinture en question avait été exposée auparavant avec une mise en garde destinée aux moins de 18 ans, et qu’il n’avait pas donné au magazine son autorisation ou son approbation pour que le magazine publiât cette peinture sans l’accompagner d’une telle mise en garde. Le 28 février 2007, le tribunal correctionnel d’Ankara acquitta M. Umut Güner de l’infraction reprochée. Il estimait d’abord que, compte tenu des déclarations de l’auteur de la peinture, du contenu du dossier et de la jurisprudence bien établie en la matière de la Cour de cassation, le magazine aurait dû être publié avec une mise en garde destinée aux moins de 18 ans. Il considérait ensuite que les éléments constitutifs de l’infraction en cause n’étaient pas réunis puisque les exemplaires du magazine avaient été saisis avant d’être diffusés. Le tribunal ordonnait aussi la remise à l’accusé des 378 exemplaires saisis du magazine une fois la décision devenue définitive. Le 29 février 2012, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal correctionnel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Constitution Les articles 26, 27 et 28 de la Constitution, intitulés respectivement « Liberté d’expression et de propagation de la pensée », « Liberté scientifique et artistique » et « Liberté de la presse », sont libellés comme suit en leurs parties pertinentes en l’espèce : Article 26 « Chacun est libre d’exprimer et de divulguer, individuellement ou collectivement, sa pensée et ses convictions par la parole, la plume, l’image ou d’autres moyens. Cette liberté comprend celle de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques. L’exercice de ces libertés peut être restreint dans le but de préserver la sécurité nationale, l’ordre public, la sécurité publique, les caractéristiques fondamentales de la République et l’intégrité indivisible de l’État du point de vue de son territoire et de la nation, de réprimer les infractions, d’empêcher la divulgation de renseignements régulièrement qualifiés de secrets d’État, de protéger la réputation, les droits, la vie privée et familiale d’autrui ou les secrets professionnels prévus par la loi, ou de permettre au pouvoir judiciaire de mener à bien sa tâche. (...) » Article 27 « Chacun possède, en matière d’art et de science, le droit de s’instruire et d’enseigner, de s’exprimer, de diffuser et d’effectuer toutes espèces de recherches, et ce d’une manière libre. (...) » Article 28 « La presse est libre et ne peut être censurée. L’État prend les mesures propres à assurer la liberté de la presse et celle de l’information. Les articles 26 et 27 de la Constitution s’appliquent en matière de limitation de la liberté de la presse. (...) Les publications, périodiques ou non, peuvent être saisies en vertu d’une décision judiciaire dans les cas où une enquête ou des poursuites ont été entamées en raison d’une des infractions indiquées par la loi, et également en vertu d’un ordre de l’autorité expressément habilitée par la loi à cet effet lorsqu’un retard serait préjudiciable, sous l’angle de la sauvegarde de l’intégrité indivisible de l’État du point de vue de son territoire et de la nation, de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la morale publique ou de la prévention des infractions. L’autorité compétente ayant ordonné la saisie avise le juge compétent de sa décision au plus tard dans les vingt-quatre heures. Lorsque ladite décision n’est pas confirmée par le juge compétent dans les quarante-huit heures, elle est considérée comme nulle. En matière de saisie et de confiscation de publications, périodiques ou non, aux fins d’enquête ou de poursuites pénales, les dispositions générales s’appliquent (...) » B. Code de procédure pénale L’article 162 du code de procédure pénale, intitulé « Demande de décision adressée par le procureur de la République au juge dans le cadre d’une enquête pénale », énonce : « Lorsque le procureur de la République estime nécessaire l’adoption d’un acte d’enquête qui ne peut être décidé que par un juge, il en fait la demande auprès du juge d’instance pénal du lieu concerné. Le juge d’instance pénal, après un examen de légalité de l’acte demandé, statue sur la demande et fait exécuter sa décision. » C. Loi sur la presse L’article 25 de la loi sur la presse du 9 juin 2004, intitulé « Interdiction de saisie, de distribution et de vente » dispose en ses parties pertinentes en l’espèce : « Le procureur de la République, ou la police lorsqu’un retard serait préjudiciable, peuvent saisir jusqu’à trois exemplaires d’une publication comme éléments de preuve dans le cadre d’une enquête. Tous les exemplaires d’une publication peuvent être saisis sur décision d’un juge à condition qu’une enquête ou qu’une poursuite pénale ait déjà été engagée dans le cadre de l’une des infractions suivantes : infraction commise à l’encontre d’Atatürk (loi no 5816 du 25 juillet 1951), infraction aux lois de réformes (article 174 de la Constitution), infractions aux articles 146 § 2 (infraction à l’encontre des forces de l’État), 153 §§ 1 et 4 (infraction à l’encontre des lois militaires), 155 (incitation du peuple à désobéir à la loi et à ne pas effectuer son service militaire), 311 §§ 1 et 2 (incitation à la commission d’une infraction), 312 §§ 2 et 4 (incitation du peuple à la haine et à l’hostilité), et 312/a (menace publique dans le but de créer une panique au sein de la population) de la loi pénale no 765 et à l’article 7 §§ 2 et 5 (propagande en faveur d’une organisation terroriste) de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1959 et réside à Bijela (République du Monténégro). Le 29 septembre 1992, le beau-père de la requérante, Vu.Z, représenté par sa femme, K.Z., conclut un contrat prévoyant l’échange de sa maison sise à Dubrovnik (République de Croatie) pour une autre sise à Trebinje (Republika Sprska, Bosnie-Herzégovine), dont F.O. était propriétaire. En 2001, Vu.Z saisit le tribunal municipal de Trebinje (Osnovni sud u Trebinju) d’une action au civil dirigée contre les héritiers de F.O. et au travers de laquelle il souhaitait obtenir l’autorisation de se faire inscrire comme propriétaire (clausula intabulandi) de la maison sise à Trebinje. Le 20 avril 2001, le tribunal municipal de Trebinje ordonna aux héritiers de F.O. de délivrer une clausula intabulandi à Vu.Z. Les intéressés obtempérèrent. Vu.Z décéda à une date inconnue en 2001 ou 2002. Le 14 août 2002, M.Z., fils de Vu.Z et mari de la requérante, intenta devant le tribunal municipal de Dubrovnik (Općinski sud u Dubrovniku) une action au civil tendant à l’annulation du contrat d’échange des maisons. Invoquant la situation de guerre en Croatie, il soutenait que le contrat avait été signé sous la contrainte. Il alléguait également que la signature de son père, Vu.Z, qui figurait sur la procuration que sa mère (la femme de Vu.Z) avait utilisée pour conclure le contrat litigieux au nom de celui-ci, avait été falsifiée. Dans l’acte introductif d’instance, M.Z. indiquait que la valeur de l’objet du litige (vrijednost predmeta spora) s’élevait à 10 000 kunas croates (HRK) (environ 1 300 euros (EUR) à l’époque). Par la suite, au cours d’une audience tenue le 6 avril 2005, il affirma que la valeur de l’objet du litige était de 105 000 HRK (ce qui équivalait alors à environ 14 160 EUR). Les défendeurs s’opposèrent à cette augmentation Le 25 avril 2005, le tribunal municipal de Dubrovnik ordonna à M.Z. de payer un montant de 1 400 HRK (ce qui correspondait alors à environ 180 EUR) au titre des frais d’enregistrement de sa demande au civil. Le tribunal calcula ces frais sur la base du montant de 105 000 HRK indiqué pour la valeur du litige. Dans un jugement rendu le 27 septembre 2005, le tribunal municipal de Dubrovnik débouta M.Z. et le condamna à supporter tous les frais et dépens exposés par les parties adverses, à savoir 25 931,10 HRK (environ 3 480 EUR à l’époque). Il calcula le montant des frais sur la base de la valeur de l’objet du litige qui avait été indiquée lors de l’audience du 6 avril 2005, à savoir 105 000 HRK. La partie pertinente du jugement se lit ainsi : « (...) le remboursement des frais de justice a été accordé aux défendeurs [et le montant de ces frais a été évalué] en fonction (...) de la valeur du litige que le demandeur a indiquée (105 000 HRK – (page 58 [du dossier]) et que le tribunal [de première instance] a acceptée. » Le 12 décembre 2005, le tribunal de première instance condamna le demandeur à payer 1 400 HRK au titre du prononcé du jugement. Il fixa ce montant en se fondant là aussi sur le chiffre de 105 000 HRK qui avait été indiqué pour la valeur du litige. Le 1er octobre 2009, le tribunal de comté de Dubrovnik (Županijski sud u Dubrovniku) rejeta l’appel du demandeur et confirma le jugement de première instance. Le passage pertinent de l’arrêt d’appel dit ceci : « (...) la décision relative aux frais de justice est fondée sur le droit applicable et des motifs appropriés ont été fournis. » Le 24 mai 2010, M.Z. forma un pourvoi (revizija) devant la Cour suprême. Le 17 octobre 2010, M.Z. décéda. La procédure fut poursuivie par sa femme, Vesna Zubac, en qualité d’héritière (elle est aussi la requérante en l’espèce). Le 30 mars 2011, la Cour suprême déclara le pourvoi irrecevable au motif qu’il présentait une demande d’un montant inférieur à celui de 100 000 HRK qui déterminait le taux du ressort. Elle considéra que la valeur dont il fallait tenir compte pour l’objet du litige était celle que M.Z. avait indiquée dans sa demande initiale. La partie pertinente de l’arrêt de la Cour suprême se lit comme suit : « Selon l’article 40 § 3 de la loi sur la procédure civile, si, dans la situation décrite au paragraphe 2 [du même article], il est évident que la valeur de l’objet du litige indiquée par le demandeur est trop élevée ou trop faible, de telle sorte qu’une question se pose quant à la compétence à l’égard de l’objet du litige, quant à la composition de la juridiction, quant à la nature de la procédure, ou quant au droit de former un pourvoi, la juridiction vérifie de manière rapide et appropriée l’exactitude de la valeur indiquée, au plus tard lors de l’audience préparatoire ou, en l’absence d’une audience préparatoire, lors de l’audience principale, avant l’examen au fond. Il s’ensuit que, lorsque l’action ne concerne pas une somme d’argent, le demandeur doit indiquer la valeur de l’objet du litige civil et, une fois qu’il l’a fait, il n’est pas autorisé à modifier cette valeur. Au plus tard lors de l’audience préparatoire ou bien, si aucune audience préparatoire n’a été tenue, lors de l’audience principale dans le cadre d’un examen ayant lieu avant celui au fond, seule une juridiction peut fixer la valeur de l’objet du litige, d’office ou en cas d’objection soulevée par le défendeur, si elle constate que la valeur indiquée dans la demande civile est trop élevée ou trop faible. En l’espèce, la valeur de l’objet du litige qui était indiquée dans la demande initiale était de 10 000 kunas croates. Par la suite, lors de l’audience tenue le 6 avril 2005, le représentant du demandeur a indiqué que la valeur de l’objet du litige était de 105 000 kunas croates (...). Le demandeur n’a toutefois pas modifié sa demande en même temps. [Par conséquent,] le tribunal de première instance n’a pas pris une décision fixant une nouvelle valeur du litige, car les conditions procédurales énoncées à l’article 40 § 3 de la loi sur la procédure civile n’étaient pas remplies. Il en résulte que la valeur de l’objet du litige à prendre en compte est celle qui était indiquée dans la demande initiale, à savoir 10 000 kunas croates, parce que le demandeur ne pouvait modifier la valeur initialement indiquée que s’il modifiait sa demande en même temps. » Le 10 novembre 2011, la Cour constitutionnelle, considérant que l’affaire ne soulevait aucune question de constitutionnalité, déclara irrecevable le recours introduit par la requérante devant elle. Le 30 novembre 2011, elle notifia son arrêt au représentant de la requérante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi sur la procédure civile Les dispositions pertinentes de la loi sur la procédure civile (Zakon o parničnom postupku, Journal officiel nos 53/1991, 91/1992, 112/1999, 81/2001, 117/2003, 88/2005, 84/2008, 96/2008 et 123/2008), en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées : Article 40 « (...) 2) (...) lorsque l’action ne concerne pas une somme d’argent, la valeur à prendre en compte est celle de l’objet du litige (vrijednost predmeta spora) que le demandeur a indiquée dans la demande civile (u tužbi). 3) Si, dans la situation décrite au paragraphe 2, il est évident que la valeur de l’objet du litige indiquée par le demandeur est trop élevée ou trop faible, de telle sorte qu’une question se pose quant à la compétence à l’égard de l’objet du litige, quant à la composition de la juridiction, quant à la nature de la procédure, ou quant au droit de former un pourvoi, la juridiction vérifie de manière rapide et appropriée l’exactitude de la valeur indiquée, au plus tard lors de l’audience préparatoire ou, en l’absence d’une audience préparatoire, lors de l’audience principale, avant l’examen au fond. 4) Si, après que le défendeur a commencé à se défendre au fond, il est établi que le demandeur n’a pas indiqué la valeur de l’objet du litige, la juridiction de première instance, de manière rapide et appropriée mais après avoir donné aux parties la possibilité de s’exprimer à cet égard, fixe cette valeur par une décision contre laquelle aucun recours distinct n’est permis. 5) La juridiction suit également la procédure décrite au paragraphe 4 lorsqu’un appel a été interjeté ou un pourvoi formé, avant que l’affaire ne soit transmise à la juridiction supérieure qui statuera sur cet appel ou ce pourvoi, selon le cas. (...) » Article 382 « 1) Les parties peuvent former un pourvoi contre une décision rendue en deuxième instance : 1 si la valeur du litige telle qu’elle ressort de la partie contestée de la décision est supérieure à 100 000 HRK (...) » Un autre passage pertinent de la loi sur la procédure civile (Zakon o parničnom postupku, Journal officiel nos 53/1991, 91/1992, 112/1999, 81/2001, 117/2003, 88/2005, 84/2008, 96/2008 , 23/2008, 57/2011, 148/2011 – texte consolidé –, et 25/2013), est rédigé comme suit : Article 428a « 1) Lorsque la Cour européenne des droits de l’homme a constaté la violation d’une liberté ou d’un droit garantis par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou ses Protocoles additionnels que la République de Croatie a ratifiés, une partie peut, dans les trente jours suivant la date à laquelle l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme devient définitif, introduire une demande devant la juridiction de la République de Croatie ayant statué en première instance dans le cadre de la procédure dans laquelle la décision ayant violé la liberté fondamentale ou le droit de l’homme en question a été rendue ; cette demande tend à l’annulation de la décision ayant violé la liberté ou le droit en question. 2) La procédure décrite au paragraphe 1 du présent article se déroule mutatis mutandis suivant les dispositions relatives à la réouverture d’une procédure. 3) Dans le cadre de la procédure rouverte, les juridictions se conforment aux éléments de droit établis dans l’arrêt définitif de la Cour européenne des droits de l’homme ayant constaté une violation d’une liberté ou d’un droit fondamentaux. » B. La jurisprudence de la Cour suprême Le Gouvernement se réfère aux arrêts nos Rev 62/1994-2 du 23 février 1994, Rev 226/05-2 du 18 mai 2005, Rev 20/06-2 du 11 avril 2006, Rev 865/06-2 du 30 novembre 2006, Rev 694/07-2 du 19 septembre 2007, Rev 798/07-2 du 5 février 2008, Rev 1525/09-2 du 8 juin 2011, Rev 320/2010-2 du 8 septembre 2011, Rev 287/11-2 du 14 décembre 2011 et Rev 648/10-2 du 23 janvier 2013, rendus par la Cour suprême et déclarant des pourvois irrecevables au motif qu’ils présentaient des demandes d’un montant inférieur au taux du ressort. Dans chacune de ces affaires, la Cour suprême, relevant que la valeur de l’objet du litige ne pouvait pas être modifiée passé le stade de l’audience préparatoire ou, en l’absence d’une audience préparatoire, passé la phase préliminaire, avant l’examen au fond, de l’audience principale, a considéré que la valeur du litige dont il fallait tenir compte était celle qui avait été indiquée dans la demande initiale (dans les affaires en question, les valeurs initialement indiquées étaient inférieures au seuil légal). C. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle La requérante se réfère à l’arrêt no U-III-1041/2007 du 24 juin 2008, par lequel la Cour constitutionnelle a annulé une décision de la Cour suprême qui avait déclaré un pourvoi irrecevable au motif qu’il présentait une demande d’un montant inférieur au taux du ressort. Dans cette affaire, la Cour constitutionnelle a considéré que la Cour suprême avait abusivement appliqué les règles de la procédure de pourvoi en matière commerciale à une procédure qui s’était déroulée devant des juridictions non commerciales.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1970, 1996, 1998 et 1999 et résident à İzmir. Le 27 décembre 2001, à 8 h 55, Leyla Karataş, enceinte de neuf mois, compagne du requérant et mère d’Eylem, de Devrim et de Bahar Sayan, décéda à l’âge de 21 ans à l’hôpital d’enseignement et de recherche Yeşilyurt Atatürk d’İzmir (« l’hôpital Yeşilyurt Atatürk »), où elle s’était rendue pour être soignée. A. Les circonstances du décès de Leyla Karataş D’après un document hospitalier établi le 27 décembre 2001 à 7 h 15 décrivant le résultat de l’examen obstétrique de Mme Karataş, ses contractions avaient débuté le jour même, à 6 h 30, de manière spontanée. Ce document porte notamment la mention « ÇKS (+) » et indique que la patiente était venue à l’hôpital parce qu’elle ressentait de légères contractions irrégulières. À 8 h 30, un formulaire d’hospitalisation de la patiente au service d’obstétrique des urgences de l’hôpital fut établi. Ce formulaire porte la mention « avec engagement écrit ». Le jour même, le requérant signa un document par lequel il s’engageait à payer les frais médicaux afférents aux soins prodigués à sa compagne. Cet engagement écrit n’indique ni le nom de l’hôpital où il a été établi ni le montant d’une somme quelconque. Il comporte cependant un cachet mentionnant « chef de garde du service des urgences » assorti d’une signature. Cet engagement se présente sous la forme d’un formulaire préétabli pouvant notamment se lire comme suit : « J’ai été accepté à votre hôpital le ... Je n’ai aucune couverture sociale [ni]... au-delà de ... TL je n’ai pas les moyens matériels de faire face aux frais d’hôpital. Je [demande] à ce que tous mes frais médicaux, au terme des vérifications de la préfecture / du gouvernorat, soient pris en charge par le système d’avance fait au ministère de la Santé du fonds d’aide sociale et de solidarité du Premier ministre. À défaut, j’accepte et m’engage à rapporter à votre [service] de médecine en chef, au plus tard dans les 15 jours, le document qui sera établi par le fonds pour le recouvrement de tous les frais relatifs aux soins (...) » Au cours de la même journée, une fiche d’admission à l’hôpital fut établie au nom de Leyla Karataş. Cette fiche porte la mention manuscrite « qu’un engagement soit pris pour le reste » (« kalana taahhütname yapılsın ») suivi du nom et de la signature du docteur M.S., ainsi qu’un tampon indiquant « que le coût fasse l’objet d’un suivi » et une série de chiffres manuscrits. Le même jour, l’anesthésiste H.İ. écrivit ce qui suit sur une fiche de consultation : « 8 h 35, Anesthésie La patiente a été examinée dans la salle d’accouchement (...) [elle] a été intubée, la CPR a débuté. 4 mg d’adrénaline lui ont été administrés. Le bébé a été retiré par césarienne (battements de cœur ø, respiration spontanée ø (...) le bébé a été intubé, la CPR a débuté, de l’Aminocardol lui a été administré, et, faute de réponse à la CPR, il a été considéré comme ex. à 8 h 55. La mère a également été considérée comme ex. à 8 h 55. » Toujours le même jour, trois médecins établirent un procès-verbal de décès aux termes duquel Leyla Karataş avait été admise dans leur service à 7 heures, avait fait un arrêt cardiopulmonaire à 8 h 30 et, faute de réaction à la réanimation pratiquée, avait été déclarée morte à 8 h 55. Le dossier de suivi des naissances établi à la clinique de gynécologie et d’obstétrique indique que l’intéressée était arrivée à 7 h 05 et qu’une césarienne post mortem avait été pratiquée sur elle à 8 h 40. Le tableau des soins prodigués à la patiente mentionne également que celle-ci avait fait l’objet d’une césarienne post mortem et qu’elle était décédée. Sur ce tableau, la case « catégorie payante », relative au caractère payant ou non de l’hospitalisation, avait été cochée. Parmi les documents hospitaliers versés au dossier se trouve une note pouvant notamment se lire comme suit : « Le 27 décembre 2001, à 7 heures, [l’état de] la patiente a été évalué (...) ÇKS (+), deux contractions toutes les dix minutes (...), une consultation en médecine interne d’urgence a été demandée (...) L’interniste de garde arrivé à 7 h 15 a apprécié [l’état de] la patiente. Il a estimé qu’il pouvait s’agir d’une pneumonie ou d’une attaque d’asthme et a ordonné les examens et soins requis (...) à 8 h 15, lors de l’auscultation obstétrique, ÇKS (+) (...) à 8 h 25, parce que les ÇKS n’étaient plus détectables (...) on a voulu emmener la patiente faire une échographie et, lorsqu’elle a été placée sur une civière, elle a fait un arrêt cardiopulmonaire (...) [passage illisible]. [Le service] d’anesthésie et de réanimation a été prévenu. À 8 h 35, l’équipe d’anesthésie a intubé la patiente et a commencé la CPR. Dans ces conditions, une césarienne d’urgence a été pratiquée sur la mère [pour] faire naître le bébé à 8 h 40 avec un APGAR 0 (zéro). Le pédiatre a pratiqué une réanimation sur le bébé. Faute de réaction de la mère et du bébé à la CPR, ils ont tous les deux été considérés comme ex. à 8 h 55. » B. Les poursuites pénales diligentées contre le personnel hospitalier Le 27 décembre 2001, le requérant déposa plainte auprès de la direction départementale de la santé d’İzmir et du procureur de la République d’İzmir (« le procureur de la République »). Dans les deux formulaires de plainte qu’il déposa devant ces instances, il dénonçait les conditions de prise en charge médicale de sa compagne. Il affirmait qu’on lui avait réclamé une somme de 50 millions de livres turques (TRL, - environ 30 euros (EUR), selon le taux d’échange d’époque), dont il ne disposait pas, de sorte que sa compagne avait attendu sans recevoir de soins pendant plusieurs heures. Il alléguait que les médecins étaient responsables de sa mort parce qu’ils l’avaient laissée attendre sans la soigner, qu’ils avaient commis une erreur de diagnostic, qu’ils lui avaient administré un mauvais médicament et une dose de narcotique trop puissante compte tenu de son état. Il argua en outre que les médecins avaient méconnu leur serment d’Hippocrate et avaient traité sa compagne non comme un être humain mais comme une source de revenus. Le même jour, le procureur de la République recueillit la déposition du requérant. Celui-ci déclara notamment ce qui suit : « Je suis marié de manière non officielle avec Leyla (...) Mon épouse était enceinte de neuf mois (...) La nuit dernière, c’est-à-dire le 26 décembre 2001, elle s’est sentie mal. Elle m’a dit qu’elle avait mal à la gorge et des difficultés à respirer. Nous avons d’abord attendu un peu en espérant que ce mal-être allait passer. Mais cela s’est aggravé. Je l’ai alors conduite (...) au service des urgences de l’hôpital Yeşilyurt. Aux urgences, une femme et un homme médecins étaient de service (...) Il était environ 23 heures. Ces deux médecins ont ausculté mon épouse aux urgences. La femme médecin a rempli une ordonnance. Avec cette ordonnance, je me suis rendu dans une pharmacie située en face de l’hôpital (...) J’ai acheté l’un des médicaments. Il n’y avait pas le deuxième. Je suis revenu au service des urgences (...) [La femme médecin] m’a alors dit que, en fait, elle avait prescrit par erreur le médicament que j’avais acheté et qu’il allait falloir que je le change. Elle a rayé le nom de ce médicament sur l’ordonnance et en a écrit un autre. Je suis retourné à la pharmacie (...) J’ai acheté le médicament nouvellement prescrit (...) J’ai apporté les deux médicaments à l’hôpital (...) Dans l’intervalle, mon épouse était restée au service des urgences sous la surveillance de ces deux médecins. Lorsque je suis retourné à l’hôpital, ces deux médecins ont fait deux piqûres à mon épouse (...) Ils lui ont également donné un narcotique. Ils lui ont aussi administré les deux médicaments que j’avais achetés (...) Ensuite, ils ont transféré mon épouse au service d’obstétrique situé au deuxième étage (...) Je suis resté dans le couloir. Par la suite, ils m’ont envoyé au service des urgences où devaient être pratiqués des examens (...) Mon épouse m’a dit qu’elle allait mieux et « allez, partons ». Je l’ai conduite à la maison (...) Peu de temps après, elle s’est à nouveau sentie mal. Elle n’arrivait pas à respirer. Je l’ai conduite à la maternité de l’hôpital Konak (...) Ils m’ont demandé où elle avait été précédemment soignée. Je leur ai dit (...) Ils m’ont alors dit d’aller à l’hôpital Yeşilyurt. J’ai à nouveau conduit mon épouse à l’hôpital public Yeşilyurt. Ils l’ont admise aux urgences. Ils m’ont demandé de verser 50 millions de livres turques à la caisse. Je suis allé à la caisse. J’ai dit au caissier que je n’avais pas d’argent, que je pouvais laisser ma pièce d’identité. Cependant, le caissier a dit que sans le versement il ne ferait pas de quittance (...) Les agents en fonction au service d’obstétrique disaient que sans le versement de 50 millions ils ne pouvaient pas agir. Le temps passait. C’est pourquoi mon épouse est morte (...) » Le requérant conclut sa déposition en déclarant porter plainte contre les deux médecins du service des urgences, le caissier de l’hôpital et le personnel du service d’obstétrique. Au cours de cette même journée, le requérant remit au procureur de la République les deux ordonnances établies par les médecins de garde de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, la carte de demande de soins d’urgence établie dans cet hôpital ainsi que les boîtes des médicaments prescrits à sa compagne. Le 28 décembre 2001, un procès-verbal fut établi après la mort de Leyla Karataş. Il concluait à la nécessité d’autopsier les corps de la mère et de l’enfant mort-né. Ce procès-verbal comporte notamment les informations suivantes : « À l’examen des [rapports consécutifs à l’] auscultation (...) [de] Leyla Karataş à la clinique de gynécologie de l’hôpital (...) Atatürk (...) Leyla Karataş est arrivée le 27 décembre 2001 aux environs de 6 h 30, (...) dyspnéique (...) [et] tachycarde (...). Il a été établi qu’elle se plaignait depuis environ deux jours d’une infection des voies respiratoires, (...) ÇKS (+), deux contractions utérines constatées en dix minutes, au toucher vaginal ouverture cervicale de 3-4 cm (...) pas de saignements vaginaux (...) Des inhalations d’oxygène (...) ont été pratiquées, un NST a été conduit (...), une consultation d’urgence a été demandée en médecine interne. À 7 h 15, le médecin de garde en médecine interne a examiné la patiente et a estimé qu’il pouvait s’agir d’une crise de pneumonie (...) ou d’asthme. Il a ordonné les examens et les soins requis. Sur instruction du docteur en médecine interne, les inhalations d’oxygène ont été poursuivies, une ampoule (...) a été administrée, les gaz du sang ont été analysés et une échographie [a été réalisée], qui n’a permis de déceler aucune pathologie obstétrique. À 8 h 25, alors que la patiente était installée sur une civière pour être emmenée faire une échographie afin d’évaluer la situation du fœtus car les ÇKS n’étaient plus perceptibles, elle a fait un arrêt cardiopulmonaire. Sur ce, la réanimation cardiopulmonaire a débuté et le service d’anesthésie et de réanimation a été informé. À 8 h 35, l’équipe d’anesthésie a intubé la patiente et commencé la CPR (...) Une césarienne d’urgence a été pratiquée sur la mère et l’enfant a été mis au monde à 8 h 40 avec un APGAR « 0 » (zéro). L’équipe pédiatrique a pratiqué une réanimation sur l’enfant. En l’absence de réaction de la mère et du bébé à la CPR, ils ont tous deux été considérés comme morts à 8 h 55. Un garçon mort-né a été mis au monde par césarienne post-mortem (...) (...) À 8 h 40, le nouveau-né mis au monde en urgence par S.K. n’avait pas de respiration spontanée, son pouls cardiaque n’a pas été décelé, il a été immédiatement intubé, un massage cardiaque a été pratiqué et de l’adrénaline intratrachéale a été administrée. Le patient, [toujours intubé et sur lequel était toujours pratiqué un] massage cardiaque, ne présentait pas de pouls, et de l’adrénaline intratrachéale lui a été administrée. Cinq minutes plus tard, de l’adrénaline intratrachéale et de l’aminophylline lui ont de nouveau été administrés. Cependant, à 8 h 55, il a été considéré comme mort et il a été mis fin à la réanimation (...) » Le jour même, le procureur de la République transmit à la présidence de l’institut médicolégal d’İzmir le procès-verbal d’examen post-mortem, les photocopies des ordonnances et les fiches d’observations en demandant l’établissement d’un rapport d’autopsie. Toujours le même jour, l’institut médicolégal d’İzmir établit un procès-verbal d’autopsie de l’enfant constatant que ce dernier était mortné. Il rédigea un autre procès-verbal d’autopsie mentionnant que des prélèvements de sang et d’organes avaient été effectués sur la défunte. Le 10 janvier 2002, le procureur de la République écrivit au gouverneur du district de Konak pour solliciter l’autorisation d’engager des poursuites contre les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk en vertu de l’article 4/1 de la loi no 4483 relative aux poursuites dirigées contre les fonctionnaires et autres agents publics (« la loi no 4483 »). Le 23 janvier 2002, le préfet d’İzmir saisit le ministère de la Santé d’une demande tendant à ce que la question afférente à l’engagement éventuel de poursuites en vertu de la loi no 4483 fasse l’objet d’un examen préliminaire par l’inspection en chef du ministère de la Santé. Le 5 mars 2002, l’institut médicolégal d’İzmir établit un rapport d’autopsie qui concluait à l’impossibilité d’établir la cause définitive de la mort de Leyla Karataş et à la nécessité de transférer le dossier à l’institut médicolégal d’Istanbul pour avis. Le même jour, l’institut médicolégal d’İzmir établit un nouveau rapport d’autopsie concernant l’enfant, concluant qu’il était mort-né à terme. Le 12 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition du requérant. Le 13 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition d’une partie du personnel médical de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk ayant soigné Leyla Karataş, à savoir A.P., H.S., C.T., Se. Ç., Sa. Ç. et A.K. A.P., médecin assistant au service de médecine interne, fit la déclaration suivante : « (...) j’étais de garde au service des urgences en médecine interne le 26 décembre 2001 avec le docteur T.K. (...) [La patiente] nous a été envoyée vers minuit trente par le service des urgences externes [qui suspectaient de l’]asthme et des difficultés respiratoires (...) J’ai ausculté la patiente. Je lui ai administré de l’oxygène (...) Je lui ai administré de la Ventoline. Comme il n’y en avait pas à l’hôpital, j’ai prescrit par ordonnance un inhalateur de Ventoline et un inhalateur de Combivent et j’ai dit au proche de la patiente de les acheter. J’ai accompli toutes ces tâches en consultant notre spécialiste de garde, le docteur A.K. J’ai également prescrit ces médicaments en consultant par téléphone notre spécialiste (...) J’ai fait faire un ECG à la patiente (...) J’ai placé la patiente sous surveillance au service des urgences de médecine interne et je lui ai administré les médicaments. (...) sa respiration est redevenue normale mais elle avait tout de même un peu de difficulté à respirer. J’ai moi-même inscrit tout cela sur la carte rose (...) Comme la patiente était enceinte de neuf mois, je l’ai orientée vers le service de gynécologie. Le proche de la patiente a pris la carte rose et s’est rendu au service de gynécologie. La patiente est restée approximativement 2 heures - 2 h 30 au service des urgences de médecine interne (...) Il aurait fallu, une fois les démarches requises effectuées au service de gynécologie, que cela fût mentionné sur la carte rose et que la patiente revienne au service des urgences en médecine interne (...) » H.S., médecin assistant au service de gynécologie, s’exprima en ces termes : « (...) Leyla Karataş est venue depuis les urgences en salle d’accouchement, vers 3 heures, la nuit du 27 décembre 2001, déclarant être enceinte de neuf mois. Je faisais partie des médecins de garde (...) La patiente a été conduite dans notre salle d’accouchement à 3 h 45 avec la carte rose du service des urgences (la patiente est venue elle-même en marchant). Mon collègue, l’assistant de garde C.T. et moi l’avons auscultée (...) La patiente a dit qu’elle était enceinte de neuf mois et qu’on lui avait administré du sérum aux urgences. À l’examen, ÇKS (+) (...), pas de contractions, pas de perte de liquide amniotique. Nous avons inscrit sur la carte rose qu’il fallait pratiquer un NST et un UCG et l’avons remise au proche de la patiente pour qu’il procède aux formalités nécessaires à la caisse. Cette personne, dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait du mari de la patiente, a crié qu’il n’avait pas d’argent, (...) qu’il ne pouvait faire [ces examens] et est parti avec la patiente. Le matin, vers 7 heures, elle est revenue en salle d’accouchement en marchant, avec une nouvelle carte rose vierge des urgences (...) L’assistant de garde, le docteur Sa.Ç. et moi l’avons auscultée (...) nous avons constaté qu’elle avait des contractions, qu’on percevait les ÇKS, qu’elle perdait du liquide amniotique, (...) qu’il y avait une ouverture cervicale de 3 cm, une tension de 110/80. Nous l’avons hospitalisée dans le service. Elle avait quelques difficultés à respirer. Nous [avons procédé à une échographie] (...) et, parce qu’elle avait des difficultés à respirer, nous [l’avons installée pour procéder au] NST. J’ai téléphoné à 7 h 05 au service de médecine interne et j’ai demandé une consultation d’urgence. Cinq à dix minutes plus tard, le spécialiste de garde de médecine interne est venu et a procédé à une consultation. En plus des examens de routine, il a demandé une vérification des gaz du sang. Nous avons fait tout cela selon les instructions du spécialiste de garde, le docteur O.T. J’ai quitté le service à 8 heures (...) Ce sont alors les médecins C.T. et Se.Ç. qui ont continué à s’occuper de la patiente (...) » C.T., médecin assistant au service de gynécologie, déclara : « (...) Leyla Karataş s’est présentée en salle d’accouchement du service d’obstétrique vers 3 h 45 (...) L’autre médecin assistant de garde, H.S., et moi l’avons auscultée (...) la patiente nous a dit être venue aux urgences pour des problèmes respiratoires, qu’elle avait été soignée et qu’on lui avait administré des médicaments (...) La patiente n’avait pas de contractions, il n’y avait pas d’ouverture cervicale (...) La tension était normale, on entendait les battements de cœur de l’enfant. On a [prescrit] un NST et un UCG sur la carte rose des urgences. On a donné la carte au proche de la patiente pour [qu’il fasse les démarches nécessaires à la caisse] (...) une sage-femme m’a appris que la patiente était sortie de la salle d’accouchement (...) Lorsqu’elle est partie, nous n’avions plus aucune trace écrite. Le docteur H. et moi avons cherché la patiente et ne l’avons pas trouvée. Sur la carte rose, seuls les soins pratiqués aux urgences avaient été inscrits, le nom des médicaments administrés n’avait pas été mentionné. (...) nous n’avons pas pu faire d’échographie à la patiente. (...) Mes collègues m’apprirent que, vers 7 heures – 7 h 30, alors que j’étais occupée à d’autres tâches (...), la patiente était revenue en salle d’accouchement (...) Vers 8 h 15, je suis revenue dans la salle d’accouchement avec le docteur Se.Ç. (...) J’ai vu que la patiente avait des difficultés respiratoires, que son état général était mauvais, qu’elle avait commencé à bleuir. J’ai vérifié les battements de cœur du bébé et je n’ai pas pu percevoir de ÇKS. J’ai averti le docteur Se.Ç. Jusque-là, notre médecin spécialiste n’était pas à nos côtés. Alors qu’on transférait rapidement la patiente pour une échographie, elle a subitement perdu connaissance et j’ai remarqué qu’elle ne respirait plus. On a demandé à ce que notre médecin spécialiste et notre chef soient informés. Nous avons transporté à nouveau la patiente en salle d’accouchement et informé le [service] d’anesthésie et la médecine interne. Notre médecin spécialiste, L.H., est arrivé. Il a recherché les battements de cœur, a vérifié la respiration et la tension. Notre chef adjoint, le docteur L.Ç., et notre spécialiste, L.E., sont arrivés. Le docteur L.H. a pratiqué un massage cardiaque, l’assistant anesthésiste a commencé l’intubation, ils ont tenté de faire revenir la patiente mais elle n’a pas [réagi]. Notre chef adjoint L.Ç. et notre chef, le médecin F.S., ont décidé de pratiquer une césarienne sur la patiente, leur but étant de sauver le bébé (...) Par la suite, j’ai appris que la patiente était morte (...) » Le 14 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition de cinq autres médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk ayant également soigné la patiente, à savoir O.T., L.H., L.E., L.Ç. et H.İ. À cette occasion, O.T., obstétricien, déclara ceci : « (...) J’étais le spécialiste de garde au service de gynécologie le mercredi 26 décembre 2001 (...) le 27 décembre 2001, vers 7 heures – 7 h 30, le médecin assistant Se.Ç. m’a téléphoné (...) et m’a dit qu’ils avaient besoin de conseils concernant la patiente qui était en salle d’accouchement. Je me suis immédiatement rendu en salle d’accouchement. Le médecin assistant Se.Ç. m’a dit « c’est la deuxième admission de la patiente, lors de sa première venue elle n’a pas fait les examens prescrits, elle s’est enfuie avec la carte rose (...) parce qu’elle n’avait pas de protection sociale prenant en charge un NST et une échographie (...) ». J’ai ausculté la patiente (...) j’ai constaté une dilatation de 3 cm (...) et que les ÇKS étaient normaux. Pour le bien de l’enfant, j’ai demandé un NST. J’ai également demandé que ce qu’avait prescrit le docteur en médecine interne [ayant examiné la patiente] soit fait. Rien ne justifiait une intervention chirurgicale d’urgence. Vers 8 heures, j’ai décrit le cas de la patiente au chef-adjoint et à mes autres collègues qui reprenaient leur service (...) Vers 8 h 10, Se.Ç. nous a annoncé à tous que l’état de la patiente s’était dégradé. Le chef-adjoint L.Ç., les docteurs L.H., L.E. et moi-même nous sommes rendus au chevet de Leyla Karataş (...) À notre arrivée, elle était morte. Les techniciens anesthésistes et les spécialistes anesthésistes étaient arrivés. Une réanimation a été tentée mais comme Leyla Karataş ne réagissait pas, les médecins L.H. et L.E. ont pratiqué, sous la coordination du chef-adjoint L.Ç., une césarienne post-mortem pour tenter de sauver le bébé. Le bébé était mort-né (...) » Le 15 mars 2002, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé recueillit la déposition du personnel médical de l’hôpital de gynécologie et d’obstétrique Dr. Ekrem Hayri Üstündağ de Konak/İzmir. S.A., sage-femme au sein de cet hôpital, fit la déclaration suivante : « (...) J’étais de garde au service des urgences de notre hôpital la nuit du 26 décembre 2001 au 27 décembre 2001 (...) Je me souviens de (...) Leyla Karataş, enceinte de neuf mois, arrivée vers 5 h 55 dans notre polyclinique. J’ai ausculté la patiente (...) Comme je n’arrivais pas à percevoir les ÇKS et que l’accouchement avait commencé, j’ai informé le spécialiste et, sur ses directives, j’ai envoyé [la patiente] en salle d’accouchement. J’ai porté les mentions requises sur le registre de la polyclinique. J’ai été appelée par une sage-femme de la maternité dont, pour l’heure, je ne me souviens pas du nom, qui a dit « la patiente a des difficultés respiratoires, elle a été envoyée à l’hôpital public Yeşilyurt et son hospitalisation a été annulée ». (...) Je n’ai pas vu la patiente partir. Dans un tel cas, nous recueillons la signature de la patiente. Je ne sais pas si les spécialistes de garde ont vu la patiente et s’ils l’ont auscultée ou non. Toutefois, il n’est pas possible pour les sages-femmes travaillant à la maternité de décider elles-mêmes de transférer des patientes vers un autre hôpital (...) » R.B., gynécologue-obstétricien, déclara ne pas se souvenir de Leyla Karataş mais que, d’après le registre des urgences, son collègue D.İ. et lui étaient de garde le jour où elle s’était présentée à l’hôpital. Il expliqua que, parfois, les patientes qui présentaient certaines complications étaient transférées à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk avec un rapport d’épicrise se présentant sous la forme d’un formulaire standard, dès lors que son hôpital ne disposait pas de l’équipe ou des moyens pour les soigner. Ce fut, selon lui, également le cas de Leyla Karataş, sauf que les formalités à remplir pour ce transfert semblaient ne pas avoir été complétées comme il se devait. Il dit ne pas comprendre comment cela avait pu être possible. D.İ., gynécologue-obstétricien, affirma quant à lui ne pas se souvenir de la patiente et ne pas avoir été informé de sa présence à l’hôpital. Le 18 mars 2002, un procès-verbal de désignation d’un expert fut établi par l’inspecteur en chef du ministère de la Santé et deux professeurs du département de gynécologie et d’obstétrique de l’université Ege. Ce procès-verbal porte mention d’une note selon laquelle la carte rose, remise lors de l’admission de l’intéressée aux urgences de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, n’avait pas été retrouvée. Le 22 mars 2002, les deux professeurs du département de gynécologie et d’obstétrique de l’université Ege, qui avaient signé le procès-verbal de désignation d’un expert, écrivirent un courrier au doyen de la faculté de médecine, dans lequel ils spécifièrent que, après examen du dossier de Leyla Karataş, il leur semblait préférable d’attendre le rapport de l’institut médicolégal avant de se prononcer sur les causes du décès. Ce courrier mentionne notamment ceci : « (...) les symptômes de la patiente, tant lors de sa première [venue] à l’hôpital que de la seconde, font penser que le décès peut être dû à une pathologie du système respiratoire et circulatoire. Quant au décès du bébé, dans les cas de césarienne post-mortem (après le décès de la mère), la mort du bébé est inévitable lorsque le temps entre la mort de la mère et l’intervention chirurgicale augmente (...) » Le 26 mars 2002, l’inspecteur principal rattaché au ministère de la Santé établit un rapport d’enquête préliminaire concernant les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk et les médecins de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ. Ce rapport concluait que le dossier médical de la patiente à l’hôpital Yeşilyurt Atatürk, les témoignages, les rapports d’autopsie de l’institut médicolégal d’İzmir et les rapports d’expertise n’avaient pas permis de déterminer les causes de la mort de la patiente et qu’il fallait donc attendre le rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul pour savoir s’il y avait eu négligence ou faute de la part du personnel soignant. L’inspecteur estima que, sans ce rapport, il n’était pas possible de déterminer avec certitude les causes du décès. Il releva également qu’il n’y avait pas, en l’espèce, de preuves en faveur ou en défaveur des médecins ayant ausculté et soigné la patiente permettant de savoir s’ils avaient commis, par inexpérience ou incompétence, une négligence ou une faute. Soulignant que, en vertu de la loi no 4483, la durée de l’enquête préliminaire était de 45 jours et que l’obtention du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul allait dépasser ce délai, il conclut à la nécessité d’autoriser l’engagement de poursuites pour parvenir à une conclusion objective quant aux circonstances litigieuses et prendre ensuite les mesures nécessaires au regard des conclusions du rapport d’autopsie. Le 9 avril 2002, le gouvernorat de Konak estima que les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk et les médecins de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ avaient causé la mort de Leyla Karataş et étaient responsables du fait que le bébé était mort-né car ils ne leur avaient pas procuré, à temps, une assistance médicale suffisante. Il autorisa donc l’engagement de poursuites à leur encontre en vertu de l’article 6 de la loi no 4483. Les médecins D.İ., R.B. et A.P. formèrent opposition contre cette décision devant le tribunal administratif régional d’İzmir (« le tribunal administratif régional »). Dans son mémoire en opposition, A.P. déclara que Leyla Karataş était arrivée aux urgences de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk le 27 décembre 2001, souffrant de la gorge et respirant difficilement. Elle ajouta que, après avoir été auscultée et soignée au service des urgences, la patiente avait été envoyée au service d’obstétrique car elle était enceinte. Elle soutint que des difficultés étaient survenues lorsque la question du règlement des frais médicaux s’était posée et que les proches de la patiente l’avaient reconduite à son domicile. Elle avança que la responsabilité dans la survenance des faits litigieux incombait aux proches de Leyla Karataş, qui avaient interrompu son traitement pour la reconduire chez elle, et aux médecins de la maternité de Konak, qui avaient fait perdre du temps en refusant son admission dans leur hôpital. Le 12 juin 2002, le tribunal administratif régional releva que la présidence de la commission d’enquête rattachée au ministère de la Santé avait désigné un enquêteur pour procéder à une enquête préliminaire quant à la responsabilité des médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk. Il constata que l’enquêteur avait inclus dans son enquête préliminaire les médecins R.B. et D.İ., de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ, alors qu’ils ne figuraient pas dans le cadre de la mission d’enquête qui lui avait été confiée, et que le gouvernorat de Konak s’était fondé sur le rapport de l’enquêteur pour autoriser les poursuites à l’encontre des médecins susmentionnés. Il estima qu’il fallait en conséquence annuler la décision concernant lesdits médecins et que le gouvernorat pourrait adopter ultérieurement une décision de cet ordre sur le fondement d’un rapport d’enquête préliminaire qui serait établi, cette fois, dans le respect de la procédure. En revanche, le tribunal rejeta le recours d’A.P. après avoir relevé qu’il existait suffisamment d’éléments de preuve justifiant l’ouverture de poursuites à l’encontre des médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk. Le 15 octobre 2002, trois experts, désignés par l’inspecteur en chef du ministère de la Santé pour établir si des négligences ou des fautes du personnel de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ avaient pu être à l’origine du décès de Leyla Karataş et de son enfant établirent un rapport d’expertise. D’après ce rapport, les médecins R.B. et D.İ., de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ, n’avaient commis aucune faute ni négligence ayant pu causer les décès litigieux. Le 16 octobre 2002, la commission d’enquête rattachée au ministère de la Santé établit un nouveau rapport d’enquête préliminaire concernant les médecins R.B. et D.İ. de la maternité de l’hôpital Dr. Ekrem Hayri Üstündağ. Les conclusions de ce rapport sont les suivantes : « Le docteur R.B. a vu la patiente dans la salle d’accouchement, elle a été auscultée, elle venait de commencer le travail, la dilatation était de 2 cm, son état général était bon (...). [Parce qu’] elle avait des problèmes aux poumons et qu’il n’y avait pas de spécialistes en médecine interne et d’anesthésistes de garde à l’hôpital – les médecins de ces services exerçant leur garde par astreinte –, [il fut décidé] qu’elle serait transférée à l’hôpital Atatürk, doté de [davantage de] moyens et où elle avait précédemment reçu des soins. Toutefois, en ne remplissant pas comme il se devait le formulaire de transfert d’urgence existant dans l’institution, [R.B.] n’a pas respecté la procédure, donnant l’impression que la patiente avait été transférée après avoir été examinée seulement par une sage-femme et non par un médecin (...) Le docteur D.İ., de garde à l’hôpital le même jour, n’a pas été informé de [l’admission] de la patiente, de son auscultation ni des autres démarches, il n’a pas été impliqué (...) Pour les raisons exposées ci-dessus, les docteurs R.B. et D.İ. n’ont commis aucune négligence ni aucune faute (...) aucun soin n’a été prodigué par ces personnes et ce qu’ils ont fait était correct (...) » Le 30 octobre 2002, le gouvernorat de Konak adopta une décision par laquelle il refusa d’autoriser l’engagement de poursuites contre les médecins R.B. et D.İ. eu égard à la décision du tribunal administratif régional du 12 juin 2002. Le 19 mars 2003, l’institut médicolégal d’Istanbul établit un rapport d’expertise concluant qu’il fallait considérer que le décès de Leyla Karataş était dû à sa maladie des poumons préexistante et que les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk n’avaient pas commis de faute, les soins lui ayant été prodigués étant conformes aux règles médicales. Les passages pertinents de ce rapport se lisent comme suit : « 1. Au regard des documents hospitaliers et des constats de l’autopsie, il faut accepter que le décès de la personne résulte de la maladie pulmonaire [dont elle souffrait déjà] ; L’intéressée a bénéficié des soins et du traitement requis lors de ses deux admissions à l’hôpital (...) Atatürk. Le traitement pratiqué était conforme aux règles médicales. Aucune faute [n’est] imputable aux médecins L.Ç., O.T., L.H., L.E., A.K., A.P., H.S., Se.Ç., C.T., Şa.Ç. (...) » Le 8 mai 2003, se fondant notamment sur ce rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul, le procureur de la République adopta une décision de non-lieu à poursuivre les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk ainsi que les médecins R.B. et D.İ. Il releva pour ce faire que le gouvernorat de Konak n’avait pas autorisé les poursuites contre R.B. et D.İ. et qu’il avait été établi que les autres médecins n’avaient commis aucune faute de nature à causer le décès de Leyla Karataş et de son bébé. Le 21 août 2003, le requérant forma opposition contre cette décision. Dans son mémoire en opposition, son avocat critiqua le fait que le procureur ne puisse directement engager des poursuites contre les fonctionnaires en question. Il estima que l’obligation pour le procureur de recueillir une autorisation administrative pour engager des poursuites était contraire au principe d’égalité inscrit dans la Constitution, au droit à la vie protégé par la Convention et au droit à un procès équitable. Il critiqua le rapport d’autopsie sur lequel reposait la décision de non-lieu et souligna ses carences, relevant notamment qu’aucune appréciation n’avait été émise concernant l’absence alléguée de prise en charge de la patiente pendant trois heures. Invoquant les articles 2, 6 et 13 de la Convention à l’appui de son argumentation, il soutint que ce rapport était insuffisant et qu’il fallait rouvrir l’enquête. Il reprocha en outre au rapport de l’institut médicolégal de ne pas mentionner que le requérant s’était vu réclamer une somme de 500 millions de TRL, passée ensuite à 50 millions, dont celui-ci n’avait pu s’acquitter faute de moyens financiers. Il argua que les médecins n’étaient intervenus auprès de Leyla Karataş qu’après que le requérant eut brisé la vitre de la caisse pour qu’on accepte de lui faire signer un engagement et que cette intervention des médecins avait été tardive, puisque ni la mère ni l’enfant n’avaient pu être sauvés. Il ajouta que la sœur de la défunte et ses autres proches, présents à l’hôpital, avaient été témoins de ce qui s’était passé mais n’avaient pas été entendus. L’enquête présentait donc, selon lui, des carences. Il questionna en outre le fait qu’une femme âgée de 21 ans et son bébé aient pu trouver la mort alors qu’une dizaine de médecins présents sur place les avaient soi-disant bien soignés. Le 25 février 2004, la cour d’assises de Karşıyaka fit droit à ce recours et décida de déclencher des poursuites contre les médecins mis en cause, à l’exception de D.İ. et de R.B. La motivation de la cour d’assises, en ses passages pertinents en l’espèce, peut se lire comme suit : « Eu égard à l’ensemble des pièces du dossier, l’institut médicolégal ne s’est pas prononcé sur la question des soins prodigués à la patiente entre le moment où elle avait été admise à l’hôpital et son décès, sur la façon dont ces soins avaient été administrés par les médecins ni sur le lien de causalité entre son décès et ceux qui avaient prodigué des soins. Au demeurant, relève de la commission supérieure de la Santé l’établissement des actes et des soins prescrits ou non par les médecins et la faute. Ici, il est constaté qu’un rapport n’a pas été établi [par celle-ci]. La décision de non-lieu a été adoptée uniquement sur la base du rapport de l’institut médicolégal, de sorte que la faute des médecins ayant pris part aux soins n’a pas été recherchée par l’organe compétent (...) Il n’est pas possible de se prononcer s’agissant de la décision de non-lieu concernant les médecins D.İ. et R.B., le gouvernorat de Konak n’ayant pas autorisé l’engagement de poursuites à leur encontre. » Le 8 mars 2004, le procureur de la République écrivit au ministère de la Justice pour demander la levée de cette décision par voie d’injonction écrite. Il fit valoir que, en vertu de sa décision no 9628 des 25 et 26 décembre 1997, la commission supérieure de la Santé ne donnait d’avis qu’au moment du procès et non dans la phase d’instruction, de sorte qu’il n’existait pas, dans la phase de l’enquête préliminaire, d’experts plus compétents que ceux de l’institut médicolégal pour établir l’existence d’un lien de causalité et d’une faute éventuelle des médecins. Il ajouta que le rapport de l’institut médicolégal ayant conclu que les médecins n’étaient pas fautifs, une décision de non-lieu avait été adoptée. Il soutint que l’obligation de recueillir l’avis de la commission supérieure de la Santé signifierait l’engagement automatique de poursuites contre tous les médecins dont la responsabilité serait un jour éventuellement mise en cause. Le 29 mars 2004, la direction générale des affaires pénales du ministère de la Justice répondit qu’elle estimait que la question en litige pouvait être réglée par la voie judiciaire et refusa d’adopter la mesure demandée par le procureur de la République. Sur ce, le 20 avril 2004, le procureur de la République adopta un acte d’accusation à l’encontre des dix médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk mis en cause et requit leur condamnation pour homicide par imprudence et négligence, en vertu de l’article 455 § 1 du code pénal. Il mentionna cependant qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre leurs agissements et le décès litigieux et qu’ils n’avaient pas commis de faute. Les médecins furent poursuivis devant le tribunal correctionnel d’İzmir (« le tribunal correctionnel »). Le jour même, le procureur de la République adopta une décision additionnelle de non-lieu à poursuivre les médecins D.İ. et R.B., relevant que l’autorité compétente n’avait pas autorisé l’engagement de poursuites à leur encontre, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de le faire. Le 8 novembre 2004, le tribunal correctionnel fit droit à la demande de constitution de partie intervenante du requérant. Lors de l’audience du 6 juin 2005, le tribunal correctionnel procéda à l’audition des témoins. Au cours de cette audience, Y.T., sœur de la défunte, fit la déclaration suivante : « [Le mari de ma sœur,] Davut Sayan, et moi l’avons conduite à l’hôpital Atatürk (...) Ils ont dit qu’il fallait d’abord obtenir une fiche. Nous n’avions pas d’argent pour obtenir cette fiche. Nous l’avons dit à la personne qui était responsable de la délivrance des fiches. Ils ne nous ont pas écoutés, ils ont dit : « Apportez l’argent, que nous établissions la fiche ». Nous avons attendu longtemps. Puis, mon mari Z.T. a trouvé l’argent quelque part. Nous avons versé l’argent, pris la fiche (...) Nous avons conduit à pied la patiente à la maternité au 3e étage et là, nous avons encore attendu une demi-heure (...) » Z.T. s’exprima quant à lui en ces termes : « Nous avons conduit Leyla Karataş (...) à l’hôpital Atatürk (...) Alors que [les autres] étaient à l’intérieur au chevet de la malade, j’étais dehors (...) À un moment ils m’ont dit qu’on leur demandait de l’argent. Je sais qu’en raison de ce problème d’argent, ils ont attendu une demi-heure, peut-être une heure. Une heure après, je suis parti. Je ne sais pas ce qui s’est passé après (...) » K.K. fit la déclaration suivante : « [Le jour de l’incident], la nuit, vers 3 h 30, Leyla Karataş a eu des contractions c’est pourquoi Y.T., Z.T., son époux Davut Sayan et moi avons conduit Leyla à l’hôpital (...) Yeşilyurt Atatürk (...) Là, ils ont demandé 500 TRY. Le temps de trouver cet argent, la patiente et nous avons attendu, je ne sais pas, environ 2 heures. Je ne sais pas où l’argent a été trouvé et [à qui il a été] versé (...) » Dans un mémoire du 10 octobre 2005 déposé devant le tribunal correctionnel, l’avocat du requérant argua que l’enquête menée par le procureur de la République présentait des carences dès lors que ses conclusions et celles de l’institut médicolégal d’Istanbul avaient été rendues sans que ces derniers n’eussent pu examiner la carte des soins délivrée par le service des urgences ni l’ordonnance qui mentionnait le nom des médicaments administrés à la patiente. Il demanda que le dossier de l’affaire fût transmis à la commission supérieure de la Santé pour que celle-ci se prononçât sur les circonstances de l’incident. Le 27 mars 2007, le tribunal correctionnel acquitta les médecins poursuivis en se fondant sur les conclusions du rapport de l’institut médicolégal d’Istanbul (paragraphe 39 ci-dessus). Dans sa motivation, il relevait que, contrairement à ce que la cour d’assises lui avait reproché dans son jugement du 25 février 2004 (paragraphe 42 ci-dessus), ce rapport donnait un avis sur l’existence d’un lien de causalité. Il estima en outre que la commission supérieure de la Santé n’était pas l’instance de dernier recours en l’espèce. Le 10 avril 2007, le requérant se pourvut en cassation. Dans son mémoire en pourvoi, son avocat mentionna que son client s’était vu réclamer une somme d’argent à l’hôpital. Celui-ci n’étant pas parvenu à rassembler celle-ci, son épouse n’aurait pas été prise en charge pendant plusieurs heures. Ce n’était qu’après avoir convaincu le chef-adjoint du service et signé un engagement écrit que son épouse aurait été soignée. Il contesta le fait que la décision reposât sur un rapport de l’institut médicolégal établi en l’absence de documents importants, tels que les ordonnances et la carte des soins d’urgence. Il soutint qu’il eût fallu un rapport de la commission supérieure de la Santé et que le procureur n’avait pas pris en compte les témoignages des proches de la victime. Invoquant les articles 2 et 6 de la Convention, il souligna l’obligation pour les autorités de mener une enquête efficace et effective sur les causes d’une mort suspecte. Il fit également référence à l’article 75 de la loi no 1219 en vertu duquel, dans les affaires pénales relatives à la pratique de la profession médicale, il faut recueillir l’avis de la commission supérieure de la Santé puisqu’un rapport d’un institut médicolégal n’est pas de nature à faire la lumière sur les circonstances d’un décès. Le 1er octobre 2007, le procureur général près la Cour de cassation demanda à cette juridiction d’infirmer le jugement de première instance aux motifs, d’une part, qu’il avait été prononcé au terme d’une enquête insuffisante alors qu’il aurait fallu, selon lui, apprécier le cas des accusés après avoir obtenu un rapport de la commission supérieure de la Santé portant sur les causes de la mort de Leyla Karataş et sur la responsabilité des médecins et, d’autre part, en raison de l’absence d’audition de deux des accusés. Le 11 juin 2008, la Cour de cassation infirma le jugement attaqué après avoir relevé que deux des accusés n’avaient pas été interrogés et n’avaient pas présenté leur défense. Le 23 juillet 2009, le tribunal correctionnel mit un terme à la procédure pénale pour cause de prescription, en vertu des articles 102/4 et 104/2 de la loi pénale no 765. Le 2 septembre 2009, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement, alléguant que cette décision était contraire à la procédure et à l’équité. Faisant valoir que la juridiction de première instance avait agi comme s’il n’y avait eu qu’un seul mort, en ignorant le décès de l’enfant, il contesta la prescription. Selon lui, en application de l’article 455/2 de la loi pénale, la peine à infliger en l’occurrence pouvait être de cinq ans, mais lorsqu’était en cause la mort de plusieurs personnes, cette peine pouvait être portée à dix ans. En application des articles 102/3 et 104/2 de la loi pénale, la prescription devrait être portée à quinze ans. Il réitéra en outre les arguments qu’il avait soumis dans son précédent mémoire en pourvoi (paragraphe 51 ci-dessus). Le 10 février 2011, dans son avis sur le pourvoi, le procureur général près la Cour de cassation invita cette dernière à confirmer le jugement de première instance estimant que le délai de prescription était échu. Le 30 mai 2012, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance après rectification d’une erreur matérielle, remplaçant l’expression « levée de l’action pénale » par « fin de l’action pénale » puisque, en vertu de l’article 223/8 de la loi sur la procédure pénale no 5271, le délai de prescription était écoulé. C. L’action en indemnisation devant les juridictions administratives Le 8 avril 2003, le requérant saisit en son nom et au nom et pour le compte de ses enfants le tribunal administratif d’İzmir d’une action en indemnisation contre le ministère de la Santé en faisant valoir que sa compagne et mère de ses enfants ainsi que l’enfant qu’elle portait étaient morts des suites de fautes de service et de fonction commises par le personnel soignant de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk. Il réclamait 50 milliards TRL au titre du préjudice matériel et de la perte de soutien qu’il aurait subis et 40 milliards TRL pour préjudice moral. Dans son mémoire introductif d’instance, il invoquait l’article 2 de la Convention. Le 8 décembre 2004, le tribunal administratif rejeta l’action en indemnisation du requérant en se fondant sur le rapport de l’institut médicolégal qui avait conclu que le décès de Leyla Karataş était dû à la maladie des poumons dont elle souffrait déjà et que les médecins de l’hôpital Yeşilyurt Atatürk avaient agi selon les règles médicales, sans commettre de faute. Il décida que, par conséquent, il n’y avait pas eu de faute de service de l’administration et qu’il fallait rejeter la demande. Le 6 avril 2005, le requérant se pourvut devant le Conseil d’État. Dans son mémoire en pourvoi, il reprochait à la juridiction de première instance d’avoir statué uniquement à la lumière du rapport de l’institut médicolégal versé au dossier de la procédure pénale sans mener d’autres recherches et de ne pas avoir attendu l’issue de la procédure menée par l’ordre des médecins d’İzmir sur les circonstances de l’incident (paragraphes 64-66 ci-après). Il y arguait également que le rapport de l’institut médicolégal était insuffisant pour clarifier les circonstances litigieuses et il faisait valoir que la carte d’admission aux urgences de Leyla Karataş avait disparu du dossier d’instruction alors qu’il s’agissait, selon lui, d’un élément de preuve très important. Enfin, il reprochait au tribunal administratif de s’être prononcé alors que l’action pénale contre les médecins était pendante. Le 17 mars 2008, statuant à la lumière de l’avis du procureur général près le Conseil d’État qui estimait que le pourvoi devait être rejeté, le Conseil d’État confirma le jugement de première instance. Il releva pour ce faire que le tribunal correctionnel d’İzmir avait, par un jugement du 27 mars 2007 (paragraphe 50 ci-dessus), acquitté le personnel médical poursuivi, et que la décision contestée était conforme à la procédure et au droit. Le 9 juin 2008, le requérant saisit le Conseil d’État d’un recours en rectification contre ce jugement soutenant qu’il était contraire à l’équité de la procédure et au droit. Citant l’article 6 de la Convention, il allégua que le jugement n’était pas motivé et réitéra les arguments qu’il avait soumis au Conseil d’État lors de son pourvoi en cassation (paragraphe 60 ci-dessus). Le 15 juin 2009, le Conseil d’État rejeta ce recours. D. L’action devant les instances disciplinaires Le 16 octobre 2003, le requérant agissant en son nom et au nom et pour le compte de ses enfants saisit l’ordre des médecins d’İzmir pour demander l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre les médecins L.Ç., O.T., L.H., L.E., A.K., A.P., H.S., Se. Ç., C.T. et Sa. Ç. À une date non précisée, l’ordre des médecins d’İzmir adopta une décision par laquelle il estima, au vu du rapport de l’institut médicolégal, du rapport d’expertise de l’université Ege et du dossier médical de Leyla Karataş, qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites contre ces médecins. Le 11 octobre 2005, saisie d’un recours en opposition, la haute assemblée d’honneur de l’ordre des médecins d’İzmir considéra qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la décision contestée. Elle estima notamment : « (...) [qu’]il ressort[ait] du résumé que les médecins [n’étaient] pas responsables, que les négociations relatives aux frais d’hospitalisation avaient eu lieu [sans que] les médecins poursuivis [fussent impliqués] (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit interne pertinent, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, est décrit, en partie, dans la décision Sevim Güngör c. Turquie ((déc.), no 75173/01, 14 avril 2009). Le 15 décembre 2011, la direction générale des services de soins du ministère de la Santé adopta une circulaire (2011/62) aux termes de laquelle elle rappelait que le ministère de la Santé avait interdit de manière définitive, par la circulaire no 5089 (2004/47) du 30 mars 2004, que les administrations des hôpitaux demandent des documents tels que des engagements écrits aux patients ou à leurs proches au motif que ces derniers ne pouvaient assumer les frais d’auscultation, d’examen, d’analyses et/ou de soins. Elle réitéra que, en vertu des circulaires du cabinet du Premier ministre des 26 juin 2008 (2008/13) et 10 août 2010 (2010/16) relatives aux services d’urgence, il convenait de dispenser à toute personne se présentant aux urgences – sans rechercher si elle était ou non bénéficiaire d’une protection sociale – les soins d’urgence et les interventions chirurgicales requises, en priorité et sans conditions préalables. Enfin, elle mentionna que, en vertu de la circulaire no 4601 du ministère de la Santé du 31 janvier 2011 (2011/6), les caisses dans les services d’urgence des hôpitaux relevant du ministère avaient été supprimées pour empêcher que de l’argent puisse être réclamé à des patients. La direction générale releva enfin que, si des améliorations avaient été apportées dans ces domaines, elle avait appris par voie de presse et par le biais de plaintes déposées auprès du ministère que certaines administrations hospitalières demandaient encore des titres ou engagements écrits à leurs patients ou aux proches de ces derniers. Elle réclama en conséquence le respect des circulaires susmentionnées sous peine de sanctions administratives à l’endroit des contrevenants et demanda que les directions départementales de la santé et les directions des établissements hospitaliers surveillent attentivement la pratique en vigueur dans leur hôpital et prennent les mesures préventives requises.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Kirov (Russie). En septembre 2001, le requérant, juriste de profession, fut nommé administrateur d’une société en procédure de redressement judiciaire. A. Les poursuites pénales, la détention provisoire et la condamnation du requérant Les poursuites pénales Le 18 janvier 2006, le requérant fut mis en examen car il était soupçonné de détournement de fonds à hauteur de 429 264 roubles russes (RUB) (environ 10 750 euros (EUR) aux moments des faits), dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire de la société dont il avait été nommé administrateur. Le 2 février 2006, l’enquêteur chargé de l’instruction rédigea une note de procédure ainsi formulée : « (...) aujourd’hui à neuf heures du matin, Mme K. m’a téléphoné pour m’informer qu’elle venait d’être contactée par téléphone par [le requérant] qui lui avait demandé de lui parler des déclarations qu’elle avait faites lors de l’interrogatoire du 1er février 2006. Selon les dires [de Mme K.], [le requérant] s’était également montré préoccupé par le fait que Mme K. serait dorénavant amenée à participer à plusieurs interrogatoires et confrontations et [à se rendre] au tribunal. » Le requérant et son avocat, convoqués pour être entendus par l’enquêteur les 17, 22 et 26 février 2006, ne se rendirent pas à ces convocations. Le 28 février 2008, l’avocat du requérant adressa à l’enquêteur une lettre dans laquelle il affirmait que la convocation pour le 17 février 2006 à 9 heures ne lui était parvenue qu’à 15 heures le même jour et qu’il n’avait reçu celle pour le 26 février 2006 que le 1er mars. Enfin, il alléguait avoir prévenu par téléphone le jour même l’enquêteur de l’impossibilité de comparaître le 22 février 2006. Le 31 mai 2006, une autre procédure pénale fut engagée contre le requérant, qui fut mis en cause pour « actes illicites arbitraires » (самоуправство). Selon l’acte d’accusation, le requérant aurait refusé de payer les mensualités pour la location d’un véhicule loué à une société privée et de lui restituer ledit véhicule. Toujours le 31 mai 2006, les deux affaires pénales furent jointes et les autorités chargées de l’enquête demandèrent que le requérant fût placé en détention provisoire. La détention provisoire et la première condamnation du requérant Le 1er juin 2006, le tribunal du district Pervomayski de la ville de Kirov (« le tribunal du district »), autorisa la mise en détention du requérant. Le passage pertinent en l’espèce de cette décision se lit comme suit : « Il ressort de l’attestation de l’enquêteur du 2 février 2006 (...) et du procès-verbal de l’audition du témoin [Mme. K.] (...) que [le requérant] exerce une pression sur [elle] en exigeant [qu’elle lui fasse] part de ses déclarations à l’enquêteur. Cette circonstance est suffisante pour [considérer] que [le requérant] peut entraver l’enquête pénale si sa mise en détention n’était pas autorisée. Il ressort des pièces soumises (...) qu’à plusieurs reprises [le requérant] (...) ne s’est pas présenté à l’enquêteur. » Le 2 juin 2006, le requérant fut formellement notifié des accusations portées contre lui en présence d’un avocat choisi par l’enquêteur. À une date non spécifiée, le requérant fit appel contre la décision du 1er juin 2006. Il allégua, entre autres, que le but de son appel téléphonique à Mme K. était de savoir comment s’était passé l’entretien avec l’enquêteur et non de faire pression sur elle. Il indiqua qu’il ne s’était pas présenté à l’enquêteur car il avait reçu les convocations trop tardivement et qu’il avait à chaque fois téléphoné à l’enquêteur pour convenir d’une autre date. Le 13 juin 2006, la cour régionale de Kirov (« la cour régionale »), confirma la décision du 1er juin 2006 ayant rejeté les arguments du requérant comme étant mal fondés. Le 19 juillet 2006, le requérant fut traduit en justice. Mme K. ne figurait pas sur la liste des témoins à charge de l’acte d’accusation. Le 31 juillet 2006, le tribunal du district tint une audience préliminaire et décida de prolonger la détention provisoire du requérant en s’exprimant ainsi : « Au moment où la mesure provisoire a été prise [à l’encontre du requérant], le tribunal a pris en compte que [celui-ci] était accusé de deux infractions dont une grave et que, compte tenu de son comportement lors de l’instruction, il pouvait entraver l’enquête pénale une fois en liberté. Eu égard à ce qui précède, il n’y pas lieu de changer la mesure provisoire prise à l’encontre du [requérant]. » Le requérant interjeta appel contre la décision du 31 juillet 2006. Il alléguait que le tribunal du district n’avait pas donné de motifs suffisants pour justifier la reconduction de sa détention provisoire. Le 22 août 2006, la cour régionale confirma la décision du 31 juillet 2006 en rejetant l’appel du requérant de manière succincte. Le 26 septembre 2006, le requérant demanda au tribunal du district de substituer à sa détention provisoire une obligation de ne pas quitter Kirov et de comparaître au procès. En se référant à la jurisprudence de la Cour, il indiquait que le tribunal du district n’avait pas examiné la possibilité de choisir une autre mesure préventive. Il réitérait ses arguments quant à l’absence de pression exercée sur Mme K et au caractère tardif des convocations de l’enquêteur et soulignait que l’enquête était déjà terminée. Il arguait également que, étant en détention, il ne pouvait pas subvenir aux besoins de sa femme et de ses trois enfants à charge. Enfin, il déclarait souffrir du tabagisme passif en détention et soumit au tribunal une lettre dans laquelle l’administration de la maison d’arrêt indiquait ne pas pouvoir le placer dans une cellule pour nonfumeurs. Le même jour, le tribunal du district rejeta la demande du requérant en ces termes : « Les raisons pour lesquelles le tribunal avait ordonné le placement en détention [du requérant] n’ont pas changé. Il n’a pas été soumis à l’attention du tribunal d’éléments qui auraient démontré le besoin de [changer la mesure préventive] choisie. Le tribunal ne dispose pas d’informations [lui permettant de juger] que l’état de santé du requérant ne lui permet pas de rester en détention. Le tribunal n’a pas terminé l’examen de l’affaire pénale. Le requérant [n’a pas plaidé] coupable [et] les documents soumis à l’attention du tribunal n’ont pas été présentés lors de l’instruction préliminaire, c’est pourquoi [ce dernier] considère que l’accusé peut [entraver l’enquête] une fois en liberté. » Le requérant affirme que la décision du 26 septembre 2006 lui a été signifiée un mois après son émission. Il fit appel de ladite décision. Entre-temps, le 23 octobre 2006, le tribunal du district reconnut le requérant coupable de blanchiment d’argent à hauteur de 247 000 RUB (environ 6 200 EUR) et l’acquitta des autres charges. Mme K. ne faisait pas partie des témoins dont les déclarations ont été examinées par le tribunal. Le 28 novembre 2006, la cour régionale confirma en appel le jugement du 23 octobre 2006. Dans la même décision, elle rejeta l’appel du requérant contre la décision du 26 septembre 2006 portant sur la prolongation de sa détention provisoire. L’annulation des jugements des 23 octobre et 28 novembre 2006, la prolongation de la détention provisoire du requérant et sa nouvelle condamnation Le 31 janvier 2007, le présidium de la cour régionale, statuant en instance de révision, annula les jugements des 23 octobre et 28 novembre 2006 au motif que le requérant n’avait pas été assisté de l’avocat de son choix lors de la notification des charges pénales (paragraphe 13 ci-dessus), et qu’il avait émis des réserves quant à la nomination de l’avocat choisi par l’enquêteur. Le présidium renvoya l’affaire pénale au parquet et ordonna, en même temps, que « le requérant soit maintenu en détention provisoire » sans motiver sa décision ni assortir de délais la mesure prononcée. À une date non spécifiée, le requérant contesta, par voie de révision, l’ordre de son maintien en détention incorporé dans la décision du 31 janvier 2007. Le 19 février 2007, le tribunal du district prorogea la détention provisoire du requérant. Il rappela les motifs précédemment retenus dans les décisions des 31 juillet et 26 septembre 2006 et évoqua la gravité des charges portées contre l’intéressé. Le 13 mars 2007, la cour régionale confirma en appel la décision du 19 février 2007 en faisant siens les motifs invoqués par le tribunal du district. Le 14 mars 2007, le tribunal du district prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 27 avril 2007 et tint les propos suivants : « Pendant l’audience, [le tribunal] a établi que [le requérant] [était] accusé d’une infraction grave, qu’il [avait] entravé à plusieurs reprises [la mise en œuvre] de mesures de l’instruction préliminaire [en tentant de] retarder [celle-ci], qu’il [avait] fait pression sur un témoin. [Le tribunal] n’a pas identifié de nouvelles circonstances qui auraient appelé à modifier la mesure restrictive [de liberté]. » Le 27 mars 2007, la cour régionale rejeta l’appel du requérant contre la décision du 14 mars 2007. Elle reprenait les conclusions du tribunal du district et invoquait, en outre, le besoin pour l’accusation de mener à bien certaines mesures d’instruction et notamment de dresser l’acte d’accusation, de laisser l’accusé prendre connaissance du dossier pénal et de transmettre le dossier au tribunal. Le 13 avril 2007, le dossier pénal du requérant fut transmis au tribunal du district pour examen judiciaire. Le 20 avril 2007, le tribunal du district ordonna le maintien du requérant en détention provisoire pendant l’examen judiciaire de l’affaire. Le requérant fit appel de cette décision en invoquant, entre autres, une aggravation de son état de santé en détention provisoire et ses souffrances à cause du tabagisme passif. Il demanda également à bénéficier d’une libération sous caution. Par une décision du 24 avril 2007, le tribunal du district fixa la date de la prochaine audience. Il indiqua, entre autres, que la détention provisoire du requérant était dûment ordonnée par la décision du 20 avril 2007 et qu’il convenait de laisser cette dernière en vigueur. Par une décision du 7 mai 2007, le tribunal du district renvoya l’affaire pénale devant le parquet pour défaut de procédure. Par la même décision, il rejeta la demande du requérant tendant à son élargissement en invoquant les mêmes motifs que ceux contenus dans la décision du 14 mars 2007. Le 14 mai 2007, la Cour suprême russe, siégeant en formation de juge unique, rejeta la demande de réexamen par voie de révision de la décision du 31 janvier 2007 adoptée par le présidium de la cour régionale. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la décision se lisait ainsi : « Après examen, je considère qu’il n’y a pas de [raisons] de faire droit à la demande de révision introduite par le condamné [nom du requérant]. Ainsi qu’il ressort des éléments fournis, la mesure préventive choisie à l’égard [du requérant], est légale, bien fondée et répond aux intérêts de la justice. » Le 15 mai 2007, la cour régionale confirma la décision du 20 avril 2007. Elle considéra que les arguments du requérant, y compris ceux relatifs à son état de santé, n’étaient pas fondés. Par une décision du 24 mai 2007, le tribunal du district fixa la date de la prochaine audience en précisant que le procureur avait remédié au défaut de procédure constatée dans la décision du 7 mai 2007 et que l’affaire pénale était renvoyée devant ce tribunal pour examen judiciaire. Il indiqua, entre autres, que la détention provisoire du requérant était dûment fondée par la décision du 20 avril 2007 et qu’il convenait de laisser cette dernière en vigueur. Le 29 mai 2007, la cour régionale examina l’appel du requérant contre la décision du 7 mai 2007. Elle rejeta la demande de comparution de l’intéressé devant cette même cour en considérant que les motifs de l’appel étaient suffisamment exposés dans l’acte d’appel. Aucun des avocats du requérant n’était présent à l’audience ; il ne ressort pas de la décision, adoptée à cette même date, que le tribunal ait examiné les raisons de leur absence. Le procureur, présent à l’audience, s’opposa à la demande de comparution du requérant. À la fin de l’audience, le tribunal confirma la décision du 7 mai 2007. Le 30 mai 2007, la cour régionale, siégeant en formation de juge unique, rejeta les demandes introduites par le requérant en vue du réexamen, par voie de révision, des décisions des 20 avril et 15 mai 2007 du tribunal du district et de la cour régionale respectivement. La décision, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit ainsi : « Le tribunal a vérifié le bien-fondé et la légalité de la mesure préventive choisie en tenant compte de la gravité de l’infraction imputée [et] de la personnalité du coupable (...) [Le juge] décide de rejeter la demande du condamné [nom du requérant] (...) » Le 5 juin 2007, la cour régionale examina, en présence du requérant, son appel contre la décision du 24 avril 2007 et décida de ne pas examiner le fond. Elle expliqua que ladite décision n’était pas susceptible d’appel dans sa partie concernant le maintien de l’intéressé en détention provisoire, étant donné que celle-ci avait été dûment ordonnée par la décision du 20 avril 2007 et confirmée en appel le 15 mai 2007. Le 7 juin 2007, la cour régionale examina l’appel du requérant contre la décision du 24 mai 2007. La demande de comparution personnelle du requérant fut rejetée pour les mêmes motifs que ceux ayant été évoqués pendant l’audience du 29 mai 2007. Le procureur et l’avocat du requérant furent absents à l’audience. La cour régionale n’examina pas l’appel sur le fond, pour les mêmes motifs que ceux ayant été évoqués dans sa décision du 29 mai 2007. Le 3 juillet 2007, le tribunal du district reconnut le requérant coupable de détournement de fonds à hauteur de 247 000 RUB (environ 6 200 EUR) et le condamna à un an et six mois d’emprisonnement. Le 18 septembre 2007, la cour régionale confirma en appel le jugement du 3 juillet 2007. B. Les conditions de détention à la maison d’arrêt no IZ-43/1 et au tribunal du district Entre le 1er juin 2006 et le 30 novembre 2007, le requérant fut détenu dans la maison d’arrêt no IZ-43/1 de Kirov (« la maison d’arrêt »). Le requérant soutient avoir séjourné dans différentes cellules surpeuplées. Selon lui, la plupart de ses codétenus fumaient dans les cellules. Pendant sa détention, le requérant fut conduit vingt-huit fois de la maison d’arrêt au tribunal du district pour assister à des audiences qui portaient soit sur la prolongation de sa détention provisoire soit sur les accusations dirigées contre lui. Le requérant indique que les cellules du bâtiment du tribunal du district dans lesquelles il avait été détenu étaient dépourvues de fenêtres et de ventilation et qu’il aurait partagé ces cellules avec des fumeurs. Les jours où il était transféré, il aurait reçu une ration alimentaire lyophilisée dont la préparation nécessitait de l’eau chaude. Toutefois, selon une lettre du service de la police chargé du transport de détenus du 27 juin 2007, la distribution d’eau chaude n’était pas possible faute d’équipements nécessaires. Le requérant allègue que l’absence de repas le faisait souffrir puisqu’il était atteint d’un ulcère du duodénum. C. Les soins dentaires à la maison d’arrêt Le requérant soutient qu’il ne pouvait pas faire soigner ses dents dans la maison d’arrêt puisque le dentiste n’était pas disponible pendant une longue période. Un dentiste externe aurait été invité à se rendre une fois par semaine à la maison d’arrêt, mais ce dernier n’aurait proposé que l’extraction des dents. Le requérant a soumis les déclarations de trois codétenus, MM. K., T. et Kr., qui ont confirmé l’absence de soins dentaires à la maison d’arrêt. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents concernant les conditions de détention sont résumés dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 25-54, 10 janvier 2012). Le droit interne pertinent concernant la durée de la détention provisoire est résumé dans l’arrêt Lind c. Russie (no 25664/05, §§ 47-52, 6 décembre 2007).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est la Ligue portugaise de football professionnel (Liga Portuguesa de Futebol Profissional), association de droit privé portugais ayant son siège à Porto. Organisatrice des championnats professionnels de football au Portugal, elle a pour associés les clubs et sociétés sportives qui participent à ces championnats. A. La procédure devant le tribunal du travail de Lisbonne Le 25 mars 2002, un joueur professionnel de football, Monsieur R. (« le demandeur »), engagea à l’encontre de la requérante, devant le tribunal du travail de Lisbonne (Tribunal do Trabalho de Lisboa), une action en nullité concernant deux clauses d’une convention collective du 8 septembre 1999, notamment son article 52 § 1 (voir ci-après le « droit interne pertinent ») : le demandeur y voyait pour les joueurs professionnels une atteinte à la liberté du travail, garantie par les articles 47 et 58 de la Constitution, en cas de rupture de leurs liens contractuels avec un club. Le 15 mai 2002, la requérante fut invitée à présenter ses observations. Le 12 juin 2002, elle déposa son mémoire en réponse, dans lequel elle soutenait : – que les clauses des conventions collectives de travail relevaient de la liberté contractuelle ; – qu’elles ne pouvaient, dès lors, être soumises à un contrôle de constitutionnalité. Le 19 septembre 2005, le tribunal du travail de Lisbonne débouta le demandeur de ses prétentions, au motif : – que l’article 52 § 1 de la convention collective ne méconnaissait pas le droit au travail du joueur ; – que, par conséquent, cette clause n’était pas incompatible avec les articles 47 et 58 de la Constitution. B. La procédure devant la Cour suprême Le 12 octobre 2005, le demandeur se pourvut en cassation contre le jugement directement (per saltum) devant la Cour suprême de justice (Supremo Tribunal de Justiça). Il attaqua également le jugement devant la cour d’appel de Lisbonne, dans l’hypothèse où son pourvoi ne serait pas admis. Le 14 novembre 2005, le demandeur déposa son mémoire en cassation. La requérante y répondit le 21 novembre 2005. Par une ordonnance du 1er mars 2006, le tribunal du travail de Lisbonne jugea recevable le recours per saltum introduit par le demandeur. Le 3 mai 2006, le juge rapporteur chargé de l’affaire à la Cour suprême déclara à son tour le pourvoi recevable, considérant que la loi n’interdisait pas le recours per saltum dans le cadre du contentieux social. Le 23 mai 2006, la Cour suprême invita la requérante à compléter son mémoire en défense du 21 novembre 2005 contre le pourvoi, ce qu’elle fit le 6 juin 2006. Le 31 juillet 2006, le ministère public rendit son avis, concluant à la recevabilité partielle du pourvoi. Le 5 septembre 2006, les parties reçurent notification de l’avis du ministère public, dans lequel il était fait allusion à l’ordonnance du 3 mai 2006 admettant le recours. Le 7 mars 2007, la conférence (formation semi-plénière) de la Cour suprême rendit son arrêt. Les parties en reçurent notification le 9 mars 2007. L’arrêt faisait allusion à l’admission du recours per saltum par l’ordonnance du 3 mai 2006. Quant au fond, cet arrêt infirmait le jugement attaqué, en déclarant la nullité des deux clauses litigieuses de la convention collective de travail. Pour ce qui était de l’article 52 § 1, la conférence de la Cour suprême considéra notamment : – que le droit au libre choix d’une profession et le droit de l’exercer étaient du ressort exclusif du législateur ; – que, par conséquent, la clause en question empiétait sur la compétence du parlement. Lors de cette séance du 7 mars 2007 siégèrent à la conférence de la Cour suprême sept juges conseillers, dont le juge C.A.F.C. comme président. Le 23 mars 2007, la requérante forma une réclamation en nullité devant la Cour suprême. Elle soutenait : – que la notification tardive de l’ordonnance du 3 mai 2006 ne lui avait pas permis de contester l’admission du recours devant la section sociale de la Cour suprême ; – que la Cour suprême avait tranché la question litigieuse de façon inattendue, sur la base d’un moyen qui n’avait pas été discuté par les parties, à savoir l’inconstitutionnalité sous l’angle de la compétence, ou inconstitutionnalité « organique » (inconstitucionalidade orgânica). Le 29 mars 2007, le juge C.A.F.C. fut élu juge au Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional) par l’Assemblée de la République. Par une ordonnance du 15 mai 2007, la Cour suprême rejeta la réclamation de la requérante, en écartant ses deux moyens comme suit : – s’agissant du premier moyen, la Cour suprême reconnut que l’ordonnance du 3 mai 2006 ne lui avait pas été dûment notifiée, mais retint que la requérante n’avait pas formé de réclamation en nullité dans un délai de dix jours contre ce défaut de notification, comme le lui permettait la loi ; en tout état de cause, elle considéra que la requérante avait acquis connaissance de l’ordonnance via l’avis du ministère public, le 5 septembre 2006 ; – s’agissant du deuxième moyen, la Cour suprême considéra que sa démarche était légale en raison du rôle de maîtresse de la qualification juridique des faits qui lui était dévolu en vertu de l’article 664 du code de procédure civile (selon lequel elle n’est pas liée par les dires des parties à l’égard du droit) ; à ses yeux, donc, aucune méconnaissance du principe du contradictoire ne pouvait être déplorée. Le 1er juin 2007, la requérante forma une réclamation devant la conférence de la section sociale de la Cour suprême. Le 12 juillet 2007, la section sociale confirma l’ordonnance du 15 mai 2007 sur tous les points. Elle confirma notamment le rejet du second moyen soulevé par la requérante, en considérant en substance : – que le demandeur avait soulevé un problème général de constitutionnalité de la clause de l’article 52 § 1 de la convention collective de travail ; – que l’inconstitutionnalité pouvait porter sur le fond, mais aussi sur la violation des normes de compétence et des exigences formelles ; – que, compte tenu de l’allégation générale du demandeur, la constitutionnalité de la clause litigieuse pouvait être appréciée sous n’importe lequel de ces angles indifféremment. C. La procédure devant le Tribunal constitutionnel Le 27 juillet 2007, la requérante forma un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel. Le 5 septembre 2007, le demandeur déposa un mémoire en réponse concluant à l’irrecevabilité du recours en inconstitutionnalité. Par une ordonnance du 24 novembre 2008, le Tribunal constitutionnel ramena l’objet du recours en inconstitutionnalité à une seule question : déterminer si la Cour suprême pouvait trancher l’affaire au fond sur la base de motifs non soumis au débat contradictoire des parties. Le 8 janvier 2009, la requérante déposa son mémoire sur le fond. Le demandeur déclara le 15 janvier 2009 ne pas vouloir déposer de réplique. Par un arrêt du 13 janvier 2010, la troisième chambre du Tribunal constitutionnel considéra que la Cour suprême n’avait pas méconnu le principe du contradictoire, estimant que l’inconstitutionnalité sous l’angle de la compétence était une question susceptible d’être envisagée et anticipée par les parties. Le rapporteur de cet arrêt du 13 janvier 2010 était le juge C.A.F.C, en raison du fait que la proposition du rapporteur initial n’avait pas été approuvée par la formation du Tribunal constitutionnel. Le 9 février 2010, la requérante forma une réclamation en nullité devant le Tribunal constitutionnel. Elle faisait valoir, en premier lieu : – que le 7 mars 2007 le juge C.A.F.C. avait présidé la conférence de la Cour suprême ; – qu’ensuite, le même juge C.A.F.C. avait été le rapporteur dans l’arrêt du Tribunal constitutionnel du 13 janvier 2010. Dans son mémoire, la requérante se plaignit en second lieu du montant des frais de justice fixés par le Tribunal constitutionnel, qu’elle dénonçait comme une atteinte à son droit d’accès à un tribunal. Le 17 février 2010, le demandeur présenta son mémoire en réponse. Ce mémoire ne fut pas porté à la connaissance de la requérante. Le 25 mai 2010, le Tribunal constitutionnel rendit son arrêt. Dans ses motifs, il reconnut que le juge C.A.F.C. avait signé l’arrêt du 7 mars 2007 par lequel la Cour suprême avait statué sur le fond de l’affaire, mais considéra que la question à trancher dans l’arrêt rendu par le Tribunal constitutionnel était différente, en retenant : – que, dans l’arrêt au fond, la Cour suprême avait statué que la clause litigieuse de la convention collective de travail empiétait sur la compétence réservée du parlement national établie par la Constitution (inconstitutionnalité « organique ») ; – que, dans l’arrêt du 13 janvier 2010, le Tribunal constitutionnel s’était seulement prononcé sur la question de savoir si l’omission d’inviter les parties à se prononcer sur la question de l’inconstitutionnalité « organique » (c’est-à-dire en termes de compétence) des clauses d’une convention collective de travail, alors que la discussion entre les parties se limitait à leur inconstitutionnalité « matérielle », n’avait pas violé le principe du contradictoire. Comme le juge C.A.F.C. avait ainsi à ses yeux été appelé à trancher dans les deux instances successives des questions différentes, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours de la requérante. Le 7 juin 2010, la requérante forma une réclamation en nullité devant le Tribunal constitutionnel, exposant : – que la réponse de la partie adverse à sa demande en nullité pour non-déport du juge C.A.F.C. ne lui avait pas été communiquée par la haute juridiction ; – que cette communication s’imposait, puisque le Tribunal constitutionnel avait ensuite accueilli la thèse qui y était défendue quant à la nature différente des questions examinées par la Cour suprême et par le Tribunal constitutionnel. La partie adverse déposa son mémoire en réponse le 9 juin 2010. Le 14 juillet 2010, le Tribunal constitutionnel rejeta les divers chefs de réclamation de la requérante par les motifs suivants. S’agissant, premièrement, de l’omission de communiquer à la requérante le mémoire en réponse de la partie adverse, le Tribunal constitutionnel considéra : – que la loi n’autorisait pas la requérante à répliquer au mémoire en cause ; – que, partant, cette absence de notification n’avait privé la requérante d’aucun droit procédural. S’agissant de la deuxième question soulevée par la requérante le 9 février 2010, le Tribunal constitutionnel considéra : – que la fixation des frais de justice n’était pas soumise à une motivation spécifique ; – que ces frais avaient été fixés au regard de la complexité de l’affaire, qui était d’un niveau moyen. Par un arrêt du 9 novembre 2010, le Tribunal constitutionnel rejeta une nouvelle réclamation formée par la requérante au sujet de la fixation des frais de justice dans l’arrêt du 14 juillet 2010. Il estima en effet que leur montant était raisonnable, considérant : – que l’affaire présentait un niveau de complexité moyen ; – qu’il n’était pas allégué par la requérante que ces montants seraient de nature à mettre en péril son existence économique. D. La suite de la procédure Le 16 novembre 2010, la requérante forma un nouveau recours en inconstitutionnalité, en demandant au Tribunal constitutionnel de transmettre le dossier à la Cour suprême afin que celle-ci déclare ledit recours recevable. La partie adverse déposa son mémoire en réponse le 2 décembre 2010. Le dossier fut transmis à la Cour suprême le 14 décembre 2010. Le 14 décembre 2010, le Tribunal constitutionnel délivra le décompte des frais de justice, lesquels s’élevaient à 7 221,60 euros (EUR). Le 16 décembre 2010, la Cour suprême ordonna la transmission du dossier au tribunal du travail de Lisbonne ; ce qui fut fait le 17 décembre 2010. Le 13 janvier suivant, la Cour suprême pria le tribunal du travail de Lisbonne de lui transmettre à nouveau le dossier, du fait qu’une exception d’incompétence absolue avait été soulevée par la requérante le 7 janvier 2011. Le 18 janvier 2011, la partie adverse déposa ses observations sur l’exception d’incompétence absolue. Le 20 janvier 2011, le dossier fut transmis à la Cour suprême. Le 24 février 2011, la Cour suprême jugea recevable le recours en inconstitutionnalité et rejeta l’exception d’incompétence soulevée par la requérante. Le 25 février 2011, le dossier fut transmis au Tribunal constitutionnel. Le 14 mars 2011, en formation à juge unique, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours en inconstitutionnalité. Le 31 mars 2011, la requérante forma une réclamation en nullité contre cette décision. Le 1er avril 2011, elle attaqua la même décision devant la conférence de la Cour suprême. À la suite d’une ordonnance du Tribunal constitutionnel du 5 avril 2011, le dossier fut à nouveau transmis à la section sociale de la Cour suprême. Par un arrêt du 11 mai 2011, la formation collégiale de la Cour suprême rejeta la réclamation de la requérante, confirmant l’ordonnance attaquée. Le 18 mai 2011, la requérante déposa un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel. Le 24 mai 2011, la partie adverse se prononça pour le rejet du recours. Le 28 septembre 2011, la formation collégiale du Tribunal constitutionnel rejeta la réclamation de la requérante contre la décision du juge unique du 14 mars. Par une décision sommaire du 21 octobre 2011, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours en inconstitutionnalité de la requérante. Le 8 novembre 2011, la requérante forma une réclamation contre la décision du 21 octobre 2011. Le 15 décembre 2011, la formation collégiale du Tribunal constitutionnel rejeta sa réclamation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La Constitution de la République portugaise, dans sa partie pertinente, dispose : Article 277 « 1. Les règles enfreignant les dispositions de la Constitution ou les principes y établis sont inconstitutionnelles. L’inconstitutionnalité organique ou formelle de traités internationaux régulièrement ratifiés n’interdit pas l’application de leurs règles dans l’ordre juridique portugais, pourvu que ces règles soient applicables dans l’ordre juridique de l’autre partie contractante et sauf si l’inconstitutionnalité découle de la violation d’une disposition fondamentale. » Les dispositions pertinentes du code de procédure civile, telles qu’en vigueur au moment des faits, se lisaient comme suit : Article 3 « (...) Le juge est tenu de respecter et de faire appliquer, tout au long de la procédure, le principe du contradictoire. Il lui est interdit de trancher des questions de droit ou de fait sans avoir donné aux parties, à moins que ce ne soit manifestement inutile, la possibilité de se prononcer à leur égard, y compris pour celles dont le tribunal doit connaître d’office. (...) Article 201 « 1. L’omission d’un acte ou d’une formalité prescrite par la loi n’entraîne la nullité que si la loi le prévoit ou si une telle omission a une influence sur l’examen de l’affaire. » Article 205 « (...) Quant aux autres nullités, si, au moment de leur commission, la partie est présente, personnellement ou par le biais d’un conseil, elles peuvent être soulevées jusqu’à la conclusion de l’acte de procédure. Si la partie n’est pas présente, le délai pour former une réclamation en nullité court à compter du jour où, une fois la nullité commise, la partie est intervenue à un acte de procédure quelconque ou a reçu notification d’une quelconque démarche procédurale, à condition toutefois, dans ce dernier cas, que l’on puisse présumer qu’elle a acquis connaissance de cette nullité ou qu’elle aurait pu la connaître en agissant avec la diligence requise. (...) » Article 664 « Le juge n’est pas lié par les allégations des parties en ce qui concerne la recherche, l’interprétation et l’application des règles du droit. » Article 122 « Aucun juge ne peut exercer ses fonctions (...) : (...) e) à l’égard d’un recours interjeté dans le cadre d’une procédure où il est intervenu dans l’adoption de la décision attaquée en qualité de juge d’un autre tribunal ou a d’une [quelconque] autre manière pris position sur des questions soulevées par le recours. (...) » L’article 52 de la convention collective de travail signée entre la Ligue portugaise de football professionnel et le Syndicat des joueurs professionnels de football, publiée le 8 septembre 1999, se lit comme suit : « 1. Sans préjudice de [la question de] l’extinction du lien contractuel dans le cadre des relations de travail, la participation d’un joueur à des compétitions officielles au service d’un club tiers durant la même saison que celle où le contrat de travail sportif a été résilié à son initiative est subordonnée à la reconnaissance d’un motif légitime de résiliation ou à l’accord du club. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1983 et réside à Andorre-la-Vieille. Il fut arrêté le 5 décembre 2011 parce qu’il était soupçonné d’avoir commis un délit majeur de trafic de stupéfiants. Dans le rapport rédigé lors de son arrestation, la police demandait au juge (Batlle) chargé de l’instruction d’ordonner au service des télécommunications d’Andorre, Andorra Telecom, de communiquer la liste des appels entrants et sortants des deux lignes de téléphone portable du requérant pour la période comprise entre le 1er juin et le 4 décembre 2011. Une instruction fut ouverte à la suite de cette arrestation. Par une ordonnance du 30 août 2012, le Batlle chargé de l’instruction demanda à Andorra Telecom de lui fournir la liste des appels entrants et sortants correspondant aux deux numéros de téléphone du requérant pour la période du 15 août au 4 décembre 2011 et de lui indiquer l’identité des titulaires des numéros figurant sur ladite liste. Il fondait sa demande sur la commission présumée par ce dernier d’un délit majeur continu de trafic de produits stupéfiants prévu à l’article 283 § 1 a) et e) du code pénal, et sur les déclarations d’une autre personne arrêtée et inculpée en même temps que le requérant. Il indiquait par ailleurs que le requérant avait été arrêté dans sa voiture, précisément lors d’un échange présumé de drogue contre de l’argent. Dans son ordonnance, le Batlle rappelait ce qui suit : « (...) une telle mesure doit être adéquate, proportionnée et nécessaire, car il s’agit d’une ingérence dans le droit à l’intimité des personnes, lequel est constitutionnellement garanti et reconnu de manière concrète dans le [cadre des dispositions relatives au] secret des télécommunications. » Il ajoutait que cette mesure était en l’espèce : « particulièrement utile, adéquate et nécessaire pour connaître d’éléments d’une importance primordiale pour la bonne issue de l’enquête en cours [et, en particulier,] pour faire la lumière sur les faits objets de l’enquête, sur l’identité des auteurs de ces faits et/ou des éventuels participants (...). Cette mesure ne constitue en aucun cas une ingérence disproportionnée dans la sphère privée du (des) sujet(s) concerné(s) si l’on prend en considération la nature du droit dont le respect était menacé par les actes contestés et les indices de culpabilité (...) dont on dispose à l’heure actuelle (...) » Le requérant déposa un recours en nullité contre cette décision, alléguant qu’il avait subi une atteinte à son droit au secret des communications. Le 22 novembre 2012, le Batlle rejeta ce recours au motif que ce type de procédure ne convenait pas aux cas d’allégations d’ingérence dans le droit au respect de l’intimité garanti par la Constitution. Le requérant intenta alors une procédure d’urgence telle que prévue à l’article 41 § 1 de la Constitution, demandant qu’il fût mis un terme aux conséquences de l’utilisation, selon lui irrégulière, des données récoltées et qu’il fût procédé à la destruction des documents en question. Le Batlle de permanence débouta le requérant de sa demande par une décision du 8 mars 2013. Le requérant interjeta appel de cette décision. Par un jugement du 15 juillet 2013, le Tribunal supérieur de justice rejeta le recours. Il considéra que : « Il n’existe pas de motifs qui laisseraient penser que Andorra Telecom a agi de façon non conforme à la loi applicable lors du stockage des données. [La loi relative au stockage de données] l’autorise à conserver et à stocker les données relatives aux communications téléphoniques des usagers (...), avec pour finalité principale le traitement et la résolution des éventuelles plaintes et réclamations des clients au sujet de la facturation. Évidemment, la finalité (...) est également de collaborer avec l’administration de la justice (...). Ce Tribunal ne voit pas de motifs qui pourraient l’amener à douter de la constitutionnalité des règles relatives à la procédure suivie par Andorra Telecom. » Le requérant forma un recours en nullité contre ce jugement. Le Tribunal supérieur de justice le débouta de sa demande par une décision du 18 octobre 2013. Invoquant les articles 10 § 1 (droit à un procès équitable), 14 (droit à la vie privée) et 15 (droit au secret des communications) de la Constitution, le requérant forma alors un recours d’empara devant le Tribunal constitutionnel. Par un arrêt notifié le 19 mars 2014, celui-ci rejeta le recours. Dans un premier temps, il examina la question de la conformité avec la loi de la réglementation autorisant le stockage de données par Andorra Telecom et se demanda si cette réglementation devait porter le titre de loi qualifiée. À ce sujet, il nota que le grief aurait dû être formulé par un recours direct d’inconstitutionnalité (article 98 de la Constitution) ou par une question préalable d’inconstitutionnalité (article 100 de la Constitution). Il constata néanmoins que la conservation des données des clients était prévue par les conditions générales de vente de Andorra Telecom et que celles-ci étaient, en principe, acceptées lors de la souscription aux services de la compagnie téléphonique. Dans un deuxième temps, le Tribunal constitutionnel se pencha sur les griefs tirés du droit à la vie privée et au secret des communications. Il indiqua que ces griefs portaient sur la remise à la police, à la suite de la délivrance d’un mandat de justice, de données concernant les appels entrants et sortants de deux lignes téléphoniques. Il ajouta que Andorra Telecom n’était pas une personne morale de droit privé, mais une entreprise publique chargée de gérer le réseau des télécommunications sur l’ensemble du territoire national. Enfin, il releva que les conditions générales acceptées par les clients lors de la conclusion du contrat avec Andorra Telecom spécifiaient que les factures détaillées étaient conservées au moyen des techniques existantes et pendant le délai de contestation applicable aux prestations fournies. Il reprit sur ce point l’argument du ministère public et considéra que cette base contractuelle était identique quel que fût le service téléphonique souscrit. Par ailleurs, la haute juridiction énonça ce qui suit : « Les données de l’abonné (...) n’ont pas été fournies à l’initiative de Andorra Telecom ni à la demande d’un particulier ou d’une administration, ni même à la demande du service de police. La communication de la liste des appels du requérant avait été requise par une ordonnance judiciaire qui visait des numéros [de téléphone] précis et une période bien déterminée. En effet, (...) le juge d’instruction (...) a motivé sa demande en exposant qu’une enquête était en cours au sujet d’un délit majeur de trafic de marihuana que M. Figueiredo était soupçonné d’avoir commis. [Le juge d’instruction] avait ajouté que les données serviraient à « réunir les preuves et éléments nécessaires au bon déroulement de l’instruction ». Enfin, le fait que la demande de communication des données concernait la période comprise entre le mois d’août et le mois de décembre 2011 et que cette demande a été effectuée en août 2012, soit moins d’un an après les appels concernés, doit également être pris en compte. » Le Tribunal constitutionnel rappela en outre que l’article 5 de la loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles excluait de son champ d’application le traitement des données obtenues dans le cadre d’une enquête pénale. Il cita également les articles 47 et 87 du code de procédure pénale qui autorisaient le juge d’instruction à prendre les mesures nécessaires dans le cadre d’une enquête, y compris, sous certaines conditions, à demander l’interception des communications téléphoniques. Enfin, concernant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier l’arrêt Malone c. Royaume-Uni (2 août 1984, série A no 82), que le requérant invoquait à l’appui de sa demande, le Tribunal constitutionnel estima qu’elle ne pouvait s’appliquer au motif que, en l’espèce, c’était un juge d’instruction qui avait sollicité la communication des données litigieuses et non la police elle-même. Il ajouta que cet élément était essentiel et justifiait cette ingérence, dans une société démocratique, aux fins de la poursuite des auteurs de délits graves. Par un jugement du 29 septembre 2015, le tribunal de Corts condamna le requérant à une peine de quatre ans d’emprisonnement (dont deux ans fermes), pour commission d’un délit majeur de vente et de possession à des fins commerciales de grandes quantités de drogue (marihuana). Le requérant fit appel. Par un arrêt du 22 janvier 2016, le Tribunal supérieur de justice confirma le jugement contesté. Dans ses motifs, il exposait que plusieurs éléments de preuve avaient permis de conclure à la culpabilité : la déclaration d’un des clients du requérant, la découverte d’une balance de précision appartenant au requérant, les surveillances policières et les relevés des appels téléphoniques. Il indiquait que le Tribunal de Corts s’était également fondé sur l’absence, chez le requérant, d’un syndrome d’abstinence, et ce alors que l’intéressé affirmait que la drogue découverte était destinée à sa consommation personnelle qui atteignait, à ses dires, quinze cigarettes par jour. Il estimait enfin que les moyens de preuve avaient été obtenus à la suite de l’ordonnance du 30 août 2012 dans le respect de l’ensemble des garanties procédurales. Le 22 janvier 2016, le requérant sollicita la suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement ferme sur le fondement de l’article 39 du Règlement de la Cour. Par une décision du 25 janvier 2016, la Cour rejeta sa demande au motif qu’elle n’entrait manifestement pas dans le champ d’application de l’article 39 du règlement. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT Les dispositions pertinentes de la Constitution andorrane sont les suivantes : Article 10 « 1. Toute personne a le droit de porter un recours devant une juridiction, d’obtenir de celle-ci une décision fondée en droit et de bénéficier d’un procès équitable devant un tribunal impartial créé préalablement par la loi. » Article 14 « Toute personne a droit au respect de son intimité, de son honneur et de son image. Chacun a droit à la protection de la loi contre les intrusions illégitimes dans sa vie privée et familiale. » Article 15 « L’inviolabilité du domicile est garantie. Nul ne peut y entrer sans le consentement de l’intéressé ou sans un mandat judiciaire, sauf en cas de flagrant délit. Le secret des communications est également garanti sauf mandat judiciaire motivé. » Article 41 § 1 « Les droits et libertés reconnus aux chapitres III et IV sont contrôlés par les tribunaux ordinaires par le biais d’une procédure d’urgence et préférentielle qui est réglementée par la loi et qui, dans tous les cas, se déroulera devant deux instances. » L’article 9 § 3 de la Loi qualifiée sur la justice dispose: Article 9 § 3 « Les preuves ayant été obtenues directement ou indirectement moyennant une violation des droits et libertés fondamentaux des personnes ne seront pas admises et n’auront aucun effet [dans le procès] ». La loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles prévoit, dans ses parties pertinentes en l’espèce : Article 5 Domaines exclus du champ d’application de la loi « Est exclu du champ d’application de cette loi le traitement des données personnelles qui ont un lien avec les domaines suivants : sécurité de l’État, enquête et prévention relatives à des infractions pénales. » Article 15 Droit d’opposition « Toute personne a le droit de s’opposer à ce que les données la concernant soient traitées par un responsable de traitement lorsqu’elle ne les lui a pas transmis elle-même ces données. (...) » Article 16 Exceptions au droit d’opposition « L’article 15 n’est pas applicable lorsque la communication de données a lieu dans l’une des circonstances suivantes : (...) f) lorsque la communication est requise par une décision de justice. » Article 30 Normes de création de fichiers « La création, la modification ou la suppression de fichiers dont le traitement relève de l’administration publique doit être effectuée dans le respect d’une réglementation (...) qui doit avoir été approuvée par l’entité publique responsable du traitement et avoir été publiée dans le Bulletin officiel (Butlletí Oficial del Principat d’Andorra) avant la création, la modification ou la suppression du fichier. [Cette procédure d’approbation] (...) n’est pas nécessaire pour les fichiers de données personnelles provenant de registres publics, contrôlés par des entités publiques disposant de leur propre réglementation, ni pour ceux qui concernent des domaines exclus du cadre de cette loi en application de l’article 5. » Le code de procédure pénale en vigueur au moment des faits prévoyait, en ses dispositions pertinentes en l’espèce : Article 47 « Le Batlle doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éclaircir (...) les faits et les circonstances, adverses ou favorables, qui peuvent avoir une influence sur leur qualification, aux fins d’enquérir sur la vérité matérielle et réelle. (...) ». Article 87 « (...) En matière de délits majeurs (...), si l’interception de communications téléphoniques (...) est considérée comme utile pour la recherche de la vérité, le Batlle pourra autoriser cette mesure à tout moment de l’enquête, en respectant les conditions suivantes : a) L’autorisation doit prendre la forme d’une décision, qui doit immédiatement être notifiée au ministère public (...). b) La décision du Batlle doit préciser le délit majeur en cause, l’identité des personnes soupçonnées d’être impliquées (...), les motifs qui justifient cette procédure ainsi que tous les éléments d’identification de la communication qui doit être interceptée. La durée des écoutes ne peut dépasser deux mois. Elle peut être prorogée deux fois, dans les mêmes conditions, moyennant une décision motivée. (...) d) Les cassettes enregistrées ou les supports matériels ou informatiques sur lesquels sont stockées les communications doivent être totalement scellés (...). (...) En matière de délits majeurs, la collecte de preuves susceptibles d’affecter l’intégrité ou l’intimité des personnes sur lesquelles portent les investigations (...) devra être autorisée par une décision motivée. Cette décision devra prendre en compte (...) la nécessité de la mesure (...) et sa proportionnalité (...) eu égard aux indices obtenus, à la gravité du délit qui fait l’objet de l’enquête (...) et à l’importance de l’ingérence dans l’exercice d’un droit fondamental qui doit toujours être garanti dans son essence (...) » Le décret du 19 septembre 1996 relatif à l’établissement et à la modification des tarifs téléphoniques dispose en son article pertinent en l’espèce : Article 14 § 2 « Andorra Telecom met à la disposition de l’abonné tous les éléments justificatifs de la facture en utilisant les techniques existantes (...) » Le décret du 18 mars 2009, qui réglemente les fichiers de données personnelles « clients », « clients potentiels », « contrôle d’accès », « gestion de ressources humaines », « sélection de personnel » et « tiers et fournisseurs » de Andorra Telecom, se lit ainsi en ses dispositions pertinentes en l’espèce : « (...) Afin de rendre effectif le mandat légal [de l’article 30 de la loi qualifiée no 15/2003], (...) le gouvernement approuve le présent décret dont le contenu est le suivant : (...) » Article 2 Pour les fichiers créés, il conviendra d’établir en annexe (...) l’adresse à laquelle peuvent être exercés les droits d’accès et de rectification (...), la durée de conservation des données (...) conformément à l’article 12 de la loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles. » L’édit du 14 septembre 2011 relatif à la modification des conditions de vente des cartes prépayées, publié dans le Bulletin officiel du 21 septembre 2011, est ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce : Première condition générale « Andorra Telecom et les établissements ou points de vente de cartes prépayées Mobiland (...) doivent informer les clients, avant la vente, de l’existence et du contenu du registre et du fait que, en application de la loi qualifiée no 15/2003 du 18 décembre 2003 relative à la protection des données personnelles, leurs données seront enregistrées dans des fichiers informatiques de Andorra Telecom, où elles resteront à la disposition des autorités nationales compétentes conformément à la législation nationale. (...) » Troisième condition générale « Quant aux cartes prépayées CLIC Mobiland achetées avant la publication de cet édit, Andorra Telecom devra identifier leurs utilisateurs entre la date de la présente publication et le 30 novembre 2012. Après cette période, Andorra Telecom devra annuler ou désactiver les cartes prépayées dont les détenteurs n’auront pu être identifiés (...) » La Recommandation Rec(2005)10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative aux « techniques spéciales d’enquête » en relation avec des infractions graves y compris des actes de terrorisme, adoptée par le Comité des Ministres le 20 avril 2005 lors de leur 924e réunion des Délégués des Ministres, expose ce qui suit dans ses parties pertinentes en l’espèce : Chapitre I – Définitions et champ d’application « Aux fins de cette Recommandation, on entend par « techniques spéciales d’enquête », des techniques appliquées par les autorités compétentes dans le cadre d’enquêtes pénales cherchant à dépister ou à enquêter sur des infractions graves et des suspects, avec pour objectif de recueillir des informations de telle sorte que les personnes visées ne soient pas alertées. Aux fins de cette Recommandation, on entend par « autorités compétentes » les autorités judiciaires, les autorités en charge des poursuites et les autorités en charge des enquêtes, impliquées dans l’utilisation, dans la décision d’employer ou dans la supervision de la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête, conformément à la législation du pays. Chapitre II – Utilisation des techniques spéciales d’enquête au niveau national a. Principes généraux Les États membres devraient, en conformité avec les exigences de la Convention européenne des Droits de l’Homme (STE no 5), définir dans leur droit national les circonstances et les conditions dans lesquelles les autorités compétentes sont habilitées à recourir à l’utilisation des techniques spéciales d’enquête. Les États membres devraient prendre les mesures législatives appropriées pour permettre, en conformité avec le paragraphe 1, l’utilisation des techniques spéciales d’enquête afin que celles-ci soient mises à la disposition de leurs autorités compétentes dans la mesure où cela est nécessaire dans une société démocratique et considéré comme adéquat pour la conduite efficace d’enquêtes et de poursuites pénales. Les États membres devraient prendre des mesures législatives appropriées pour assurer que la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête fasse l’objet d’un contrôle adéquat par des autorités judiciaires ou d’autres organes indépendants par le biais d’une autorisation préalable, d’une supervision durant l’enquête ou d’un contrôle a posteriori. b. Conditions d’utilisation Les techniques spéciales d’enquête ne devraient être utilisées que lorsqu’il existe des raisons suffisantes de penser qu’une infraction grave a été commise ou préparée, ou est en cours de préparation, par une ou plusieurs personnes particulières, ou par un individu ou un groupe d’individus non encore identifié. La proportionnalité entre les conséquences de l’utilisation des techniques spéciales d’enquête et le but qui a été identifié devrait être garantie. À cet effet, au moment de décider de l’utilisation des techniques spéciales d’enquête, cette utilisation devrait être évaluée à la lumière de la gravité de l’infraction et en prenant en compte le caractère intrusif de la technique spéciale d’enquête particulière utilisée. Les États membres devraient assurer que les autorités compétentes appliquent des méthodes d’enquête moins intrusives que les techniques spéciales d’enquête si de telles méthodes permettent de découvrir l’infraction, de la prévenir ou d’en poursuivre l’auteur, avec une efficacité adéquate. Les États membres devraient, en principe, prendre les mesures législatives appropriées pour permettre la production devant les tribunaux de preuves obtenues grâce à l’utilisation des techniques spéciales d’enquête. Les règles procédurales visant la production et la recevabilité de telles preuves doivent garantir le droit de l’accusé à un procès équitable.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1980 et réside à Toulouse. La requérante arriva en France en 2012 et résida à Marseille chez sa belle-famille. Le 21 octobre 2012, la requérante fut arrêtée et placée en détention provisoire au centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses pour des faits de provocation directe de mineur à commettre habituellement des crimes ou des délits, participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un crime et recel en bande organisée de biens provenant d’un délit. L’enfant de la requérante, le second requérant, naquit au centre de détention le 11 décembre 2012. Le 19 novembre 2014, le tribunal correctionnel de Nîmes condamna l’intéressée à trois ans d’emprisonnement dont six mois avec sursis ainsi qu’à une peine d’interdiction du territoire français de dix ans. Par arrêté du 2 décembre 2014 notifié le même jour, le préfet ordonna le placement en rétention de la requérante au centre de rétention administrative de Toulouse-Cornebarrieu. Il motiva sa décision de ne pas recourir à une mesure moins coercitive par les circonstances que la requérante avait déclaré ne pas vouloir retourner immédiatement dans son pays d’origine, qu’elle avait été condamnée pénalement, qu’elle ne disposait pas de ressources licites et qu’elle n’avait pas indiqué le lieu de sa résidence auprès de l’autorité préfectorale puisqu’elle n’avait jamais effectué de démarche en vue de sa régularisation. Elle fut placée le jour même en rétention, accompagnée de son enfant. La requérante contesta la décision préfectorale devant le tribunal administratif de Toulouse qui rejeta sa requête par un jugement en date du 5 décembre 2014. Saisi par le préfet de Haute-Garonne, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Toulouse ordonna la prolongation de la rétention de la requérante, toujours accompagnée de son enfant. Le 10 décembre 2014 le premier président de la cour d’appel de Toulouse confirma cette ordonnance aux motifs notamment que : « V.C. âgé de deux ans pour être né le 11 décembre 2012, ne peut eu égard à son âge, qu’accompagner sa mère qui fait l’objet seule, de l’arrêté de placement en rétention et pour laquelle seule, se justifie donc la requête en prolongation du maintien en rétention, formée par l’autorité administrative devant le juge des libertés et de la détention. La procédure sur ce point n’encourt pas de critique. (...) R.C. n’a pas d’attaches en France, où selon ses propres déclarations, elle n’était entrée venant du Portugal que quelques semaines avant d’être interpellée pour les faits qui lui ont valu la condamnation à trois ans d’emprisonnement et à la peine d’interdiction du territoire français pendant dix ans. (...) D’autre part, l’essentiel de sa proche famille, en l’espèce ses deux parents, deux de ses enfants mineurs, ses frères, sœur et oncles vivent en Roumanie et il s’avère également qu’elle-même est très mobile, puisqu’avant son arrestation en 2012, elle circulait en Europe, notamment au Portugal et en France, ses trois enfants étant confiés à des membres de la famille, en Roumanie et en France. En outre, elle a déclaré au juge des libertés et de la détention qu’elle ne souhaitait pas repartir en Roumanie, faisant état notamment de son concubin toujours incarcéré en France. Au regard de ces éléments, l’attestation d’hébergement à Marseille établie au nom de [M.C.] pour lequel il n’est d’ailleurs fait état d’aucune activité professionnelle ni ressources licites en France, n’est pas suffisante à garantir sa représentation dans le cadre d’une assignation à résidence et un placement sous surveillance électronique ne permettrait pas d’empêcher le risque de fuite, ni de garantir sa présence à tous les actes de la procédure, alors dans ce cas précis, ces mesures, quelles qu’en soient leurs modalités, ne présentent pas un degré de coercition suffisant pour atteindre ces finalités. (...) » Le 10 décembre 2014, la requérante saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour. Le 11 décembre 2014, la présidente de la section a décidé d’indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 du règlement de la Cour « de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que la détention de la requérante et de son enfant, si elle se poursuit, est compatible avec les critères posés dans l’arrêt Popov c. France (nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012). » En exécution de cette mesure provisoire, le préfet de Haute-Garonne par arrêté du 12 décembre 2014, mit fin à la rétention de la requérante et l’assigna à résidence dans un hôtel pour une durée maximale de quarantecinq jours. Le consulat de Roumanie délivra le 19 décembre 2014 un laissez-passer consulaire pour la requérante et son enfant. Le 20 décembre 2014, la requérante et son enfant furent éloignés vers la Roumanie. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS A. Le droit français La rétention des étrangers en vue de leur expulsion est encadrée principalement, en droit interne, par les dispositions du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les dispositions pertinentes du CESEDA, la jurisprudence y afférente et les avis de plusieurs autorités administratives indépendantes sont résumés dans l’exposé du droit interne fait dans l’arrêt A.B. et autres c. France (no 11593/12, §§ 19-30 et 41-59). S’agissant plus précisément des conditions d’accueil au centre de rétention de Toulouse-Cornebarrieu, il est renvoyé aux paragraphes 31 à 40 de l’arrêt A.B. et autres précité. B. Droit international pertinent et éléments de droit comparé Le droit international pertinent et les éléments de droit comparé relatifs à la rétention des mineurs étrangers sont présentés dans les paragraphes 60 à 91 de l’arrêt A.B. et autres précité.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1975. Elle était détenue à Çankırı à la date de l’introduction de la requête. Le 26 décembre 2005, la requérante, fonctionnaire de l’État à la direction des douanes d’Edirne, fut arrêtée dans le cadre d’une enquête de corruption menée à l’encontre des agents douaniers. Le lendemain, elle fut entendue par le procureur de la République puis par le juge d’instance pénal. Celui-ci ordonna son placement en détention provisoire dans un centre pénitentiaire à Edirne. Par un acte d’accusation du 7 avril 2006, le procureur de la République engagea devant la cour d’assises d’Edirne (« la cour d’assises ») une action pénale à l’encontre de la requérante pour les infractions de corruption et d’appartenance à une organisation criminelle. Il requit la condamnation de l’intéressée sur le fondement des articles 220 et 250 du code pénal (CP). Le 8 mars 2006, la cour d’assises autorisa la mise en accusation et la procédure débuta devant cette juridiction. Entre le 17 avril 2006 et le 24 mai 2006, la cour d’assises tint sept audiences. À l’issue de l’audience ayant eu lieu à cette dernière date, elle reconnut la requérante coupable des infractions reprochées et la condamna au total à une peine d’emprisonnement de six ans et quinze jours en application des articles 220 et 250 du CP. Par un arrêt du 26 décembre 2006, la Cour de cassation confirma l’arrêt du 24 mai 2006. Après sa condamnation, la requérante purgea sa peine dans des centres pénitentiaires se trouvant à Çankırı et à Ankara. Le 11 juin 2007, la requérante remit aux autorités pénitentiaires de Çankırı une lettre, à destination de son avocat, qui portait sur le pouvoir de représentation à envoyer à la Cour dans le cadre de la présente requête. L’intéressée a produit une copie de cette lettre, sur laquelle figure un cachet comportant la mention « vu », apposée par la commission de l’administration pénitentiaire chargée de la lecture de la correspondance des détenus. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code pénal L’article 220 du CP du 26 septembre 2004 (loi no 5237), entré en vigueur le 1er juin 2005, prévoit l’infraction d’appartenance à une organisation criminelle. B. Le code de procédure pénale (CPP) Selon l’article 154 du CPP du 4 décembre 2004 (loi no 5271), entré en vigueur le 1er juin 2005, la correspondance d’une personne soupçonnée ou accusée avec son avocat ne peut être soumise à un contrôle. C. La loi relative à l’exécution des peines et des mesures préventives L’article 59 de la loi no 5275 du 13 décembre 2004 relative à l’exécution des peines et des mesures préventives (« la loi no 5275 »), entrée en vigueur le 1er juin 2005, se lit comme suit : « (...) 4. Les documents et dossiers des avocats relatifs à la défense [de leurs clients] et les enregistrements de leurs conversations avec leurs clients ne peuvent être soumis à un contrôle. Cependant, s’il y a des preuves et documents démontrant que les relations des détenus condamnés en application de l’article 220 de la loi no 5237 (...) avec leurs avocats servent à commettre des actes délictueux, à porter atteinte à la sécurité de l’établissement pénitentiaire, ou à assurer la communication entre les membres d’organisations terroristes ou d’autres organisations criminelles, à la demande du procureur de la République et sur la décision du juge de l’exécution, (...) les documents remis par ces détenus à leurs avocats et par leurs avocats aux détenus peuvent être examinés par le juge de l’exécution. Le juge de l’exécution décide de la remise ou non du document en partie ou en son intégralité. Les intéressés peuvent former une opposition (...) contre cette décision. (...) » Aux termes de l’article 68 de la même loi : « 1. En dehors des limitations prévues dans cet article, le condamné a le droit de recevoir et d’envoyer, à condition d’assumer les frais d’envoi, des lettres, télécopies et télégrammes. Les lettres, télécopies et télégrammes envoyés ou reçus par le condamné sont contrôlés par la commission de lecture dans les établissements dotés d’un tel organe ou, dans les établissements qui en sont dépourvus, par le plus haut responsable. Ne sont pas remis au condamné les lettres, télécopies et télégrammes qui portent atteinte à la sécurité et à l’ordre dans l’établissement, qui désignent comme cibles des agents en fonction, qui permettent la communication entre des organisations terroristes ou de malfaiteurs ou d’autres organisations criminelles, qui contiennent des informations mensongères et fausses de nature à susciter la panique [parmi les] individus ou [au sein] des institutions ou [qui comportent] des menaces ou insultes. Ne sont pas envoyés [de tels lettres, télécopies et télégrammes] écrits par le condamné. Ne sont pas soumis à un contrôle les lettres, télécopies et télégrammes envoyés par le condamné aux instances officielles et, en vue de sa défense, à son avocat. » D. Le règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines L’article 91 du règlement du 20 mars 2006 relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines, publié au Journal officiel le 6 avril 2006, est ainsi libellé : « 1. Le condamné a le droit [d’expédier, à condition d’en assumer les frais d’envoi, des lettres, télécopies et télégrammes et de recevoir ceux qui lui sont envoyés]. Les lettres, télécopies et télégrammes envoyés ou reçus par le condamné sont contrôlés par la commission de lecture dans les établissements dotés d’un tel organe ou, dans les établissements qui en sont dépourvus, par le plus haut responsable. Ne sont pas remis au condamné les lettres, télécopies et télégrammes qui portent atteinte à la sécurité et à l’ordre dans l’établissement, qui désignent comme cibles des agents en fonction, qui permettent la communication entre des organisations terroristes ou de malfaiteurs ou d’autres organisations criminelles, qui contiennent des informations mensongères et fausses de nature à susciter la panique [parmi les] individus ou [au sein] des institutions, ou [qui comportent] des menaces ou insultes. Ne sont pas soumis à un contrôle les lettres, télécopies et télégrammes envoyés par le condamné aux instances officielles et, en vue de sa défense, à son avocat. Cependant, si les conditions mentionnées au sous-paragraphe 2) de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 84 sont remplies, les principes et procédures prévus à cette disposition sont appliqués à l’égard des lettres, télécopies et télégrammes envoyés par le condamné à son avocat en vue de sa défense. » Aux termes du sous-paragraphe 2) de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 84 du même règlement : « Dans le cadre des relations des détenus condamnés en application de l’article 220 du code pénal (...) avec leurs avocats, les documents et les dossiers déclarés par l’avocat comme relevant de la défense peuvent être physiquement vérifiés. S’il y a des preuves et documents démontrant que ces relations servent à commettre des actes délictueux, à porter atteinte à la sécurité de l’établissement pénitentiaire, ou à assurer la communication entre les membres d’organisations terroristes ou d’autres organisations criminelles, à la demande du procureur de la République et sur la décision du juge de l’exécution, (...) les documents remis par ces détenus à leurs avocats et par leurs avocats aux détenus peuvent être examinés par le juge de l’exécution. Le juge de l’exécution décide de la remise ou non du document en partie ou en son intégralité. Les intéressés peuvent former une opposition (...) contre cette décision. » L’article 122 § 1 de ce règlement dispose ce qui suit : « Dans le cadre de l’exercice du droit de recevoir et d’envoyer du courrier en vertu de l’article 91, les lettres, télécopies et télégrammes écrits par les condamnés sont remis, enveloppes ouvertes, au personnel chargé de la surveillance et de la sécurité, qui les transmet à la commission de lecture de la correspondance (...) Le cachet « vu » est apposé sur les lettres dont, après examen, l’expédition n’apparaît pas gênante. [Les lettres] sont placées dans une enveloppe et remises aux services postaux (...) En ce qui concerne [les lettres, télécopies et télégrammes] envoyés aux instances officielles et, en vue de la défense, à l’avocat, le paragraphe 4 de l’article 91 s’applique. Les lettres, télécopies et télégrammes envoyés aux condamnés et qui, après examen, n’apparaissent pas gênants sont remis aux condamnés avec leurs enveloppes. » E. L’arrêt de la Cour de cassation du 23 février 2011 Dans un arrêt rendu le 23 février 2011 (E.2010/12814, K.2011/1204), la Cour de cassation a considéré qu’une lettre envoyée par un détenu condamné en application de l’article 220 du CP à son avocat devait être vérifiée physiquement sans être lue et examinée et qu’à cet effet elle devait être remise à l’administration pénitentiaire dans une enveloppe ouverte.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1972. Il est actuellement détenu à Zurich. À une date non précisée, il fut condamné à une peine de cinq ans et six mois de prison pour faux. Du 7 au 14 mars 2013, il fut détenu dans les locaux de détention de la police départementale de Buzău (centrul de reţinere şi arestare preventivă al IPJ Buzău). A. Les conditions de détention La version du requérant Le requérant expose qu’il a été placé dans la cellule no 2, que celle-ci mesurait 19 ou 20 m2 et qu’elle accueillait cinq autres détenus, dont trois fumeurs. Il ajoute qu’elle était située en demi-sous-sol et dépourvue de ventilation. Il indique que les barres et le filet installés sur la fenêtre étaient sales et couverts de toiles d’araignée, d’insectes morts et de poussières qui empêchaient l’air frais et la lumière d’entrer. Il affirme que les toilettes se trouvaient dans un coin de la cellule, qu’elles n’étaient séparées du reste de la pièce que par une cloison en plexiglas, qu’elles ne disposaient pas d’une fenêtre d’aération et que les odeurs se répandaient dans la cellule. Il explique que la chasse d’eau ne fonctionnait pas et que les détenus devaient évacuer le contenu des toilettes à l’aide d’une bassine d’eau. Enfin, il indique que la douche, située à côté des toilettes, était la seule arrivée d’eau potable de la cellule et que les détenus devaient donc l’utiliser lorsqu’ils voulaient boire. La version du Gouvernement Le Gouvernement expose que le requérant a été placé dans une cellule destinée aux personnes condamnées à des peines d’emprisonnement, que celle-ci mesurait 20 m2 et qu’elle était occupée par cinq autres détenus. Il ajoute que le requérant n’a pas demandé à être séparé des détenus fumeurs. Il indique que les conditions d’hygiène étaient adéquates, que les toilettes étaient dotées d’une ventilation électrique, qu’elles étaient séparées de la cellule par un mur, et que les toilettes et la douche étaient dotées d’un réservoir d’eau courante. Il précise que la cellule était pourvue d’une fenêtre qui s’ouvrait de l’intérieur et assurait une aération et un éclairage adéquats. Enfin, selon le Gouvernement, les toilettes disposaient également d’une fenêtre. B. La vidéosurveillance dans la cellule La cellule était équipée d’une caméra de vidéosurveillance. Le requérant indique qu’elle fonctionnait en permanence et qu’il pouvait ainsi être filmé pendant qu’il changeait ses vêtements ou lorsqu’il sortait de la douche, couvert seulement d’une serviette de bain. Le Gouvernement affirme que la caméra captait les images en temps réel, mais que ces images n’étaient pas sauvegardées. Il ajoute que la caméra ne captait pas les sons. C. La plainte devant le juge délégué à l’exécution des peines Par une décision avant dire droit du 2 avril 2013, le juge délégué à l’exécution des peines rejeta la plainte dans laquelle le requérant dénonçait ses conditions de détention ainsi que la vidéosurveillance dont il aurait fait l’objet. Les passages pertinents en l’espèce de cette décision sont ainsi rédigés : « S’agissant de l’organisation et de l’équipement du bloc sanitaire, nous constatons qu’il n’est pas doté d’un lavabo, les personnes privées de liberté [devant] utilis[er] la douche (...) dont on a ôté le pommeau. S’agissant de la présence dans toutes les cellules des locaux de détention de la police départementale de Buzău d’une caméra vidéo et de l’atteinte alléguée à l’intimité du demandeur, nous constatons que le système de surveillance vidéo ne permet ni de sauvegarder les images ni de capter les sons, son but étant de surveiller l’activité des personnes privées de liberté afin de prévenir les suicides et les fautes disciplinaires ; étant donné que le demandeur partageait la cellule avec cinq autres personnes privées de liberté, nous ne pouvons pas retenir que ce système [de surveillance] vidéo a porté atteinte à son intimité. » Par un arrêt du 3 juin 2013, le tribunal départemental de Focşani rejeta la contestation formée par le requérant et confirma la décision avant dire droit du juge délégué à l’exécution des peines. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 relative à l’exécution des peines (« la loi no 275/2006 ») ainsi que celles de son règlement d’application (« le règlement d’application ») sont résumées dans l’arrêt Constantin Nistor c. Roumanie (no 35091/12, §§ 1819, 16 juin 2015). Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’instruction du 24 juin 2010 du ministre de la Justice (ordinul Ministrului Justiţiei) portant approbation du règlement sur la sécurité des établissements subordonnés à l’Administration nationale des établissements pénitentiaires (« l’instruction du 24 juin 2010 ») sont ainsi libellées : Titre IV – La surveillance des personnes privées de liberté dans les lieux de détention Chapitre I – But et organisation Section 1 – Principes généraux Article 96 « La surveillance des personnes privées de liberté dans les lieux de détention a pour but de connaître en permanence leurs préoccupations en vue d’une application [adaptée] des régimes d’exécution des peines de privation de liberté, de [s’assurer] du respect par eux de leurs obligations légales, de les connaître et [d’adapter les mesures] d’éducation [destinées] à leur réintégration sociale, et [enfin] de prévenir les incidents. » Article 97 « 1. L’activité de surveillance est effectuée, principalement, par l’observation et l’écoute [directes]. Par observation et écoute on entend la totalité des actions que le surveillant entreprend pendant son service dans le but de vérifier en permanence le respect des règles applicables au lieu de détention. Les surveillants peuvent également procéder en secret, sans être vus ou entendus, à l’observation et à l’écoute afin de vérifier la présence des personnes privées de liberté et de connaître leurs préoccupations dans les lieux où elles se trouvent. [Le surveillant] s’approche des portes ou des [ouvertures] sans [faire de] bruit pour observer les personnes privées de liberté et [percevoir] leurs préoccupations, et ce dans le but de prévenir les actions interdites et les incidents. Si le surveillant détecte, par l’observation et l’écoute, des conversations ou des bruits suspects, il en informe aussitôt le chef de la section ou, en l’absence de ce dernier, le chef de quart. La surveillance des couloirs, des sections de détention, des salles d’attente, des cours de promenade, des allées pour les piétons, des salles d’activités sportives, des salles à manger, des clubs, des ateliers, des salles [où les détenus peuvent recevoir] des colis ou des visites et des espaces extérieurs des pavillons de détention peut se faire par le biais de systèmes électroniques de surveillance vidéo. Les images sont visionnées et sauvegardées au centre de surveillance électronique. » Article 98 « 1. La surveillance des personnes privées de liberté à l’intérieur du lieu de détention se fait, le cas échéant, dans les cellules, les cellules d’isolement, le hall d’entrée, le bloc alimentaire, le mess, les salles à manger, la salle de douches/la blanchisserie, les ateliers, les espaces de production, l’infirmerie, les cabinets médicaux, les cours de promenade, les salles d’activités sportives, les clubs dédiés aux activités socio-éducatives, les zones de travail et les salles [où les détenus peuvent recevoir] des colis ou des visites, mais également lorsque [les personnes privées de liberté font] des achats, et lorsqu’elles font l’objet d’un transport ou d’un accompagnement. Dans les salles à l’usage du juge délégué [à l’exécution des peines], dans les salles [où les détenus se voient octroyer le droit] de téléphoner ou dans celles où ont lieu des activités morales ou religieuses, la surveillance peut se faire visuellement ou par des systèmes électroniques de surveillance vidéo, dans des conditions respectant la confidentialité. Toutefois, à la demande du juge délégué à l’exécution des peines de privation de liberté ou du représentant du culte religieux [pour la durée de l’entretien avec la personne privée de liberté] et pour des raisons de sécurité, le directeur du lieu de détention peut autoriser une surveillance effectuée de la même manière que pour les lieux énoncés au premier paragraphe. » Article 99 « 1. La surveillance des personnes privées de liberté dans les cellules, les cellules d’isolement, l’infirmerie, les cabinets médicaux et les [salles de douches] se fait par des personnes du même sexe. Dans des cas justifiés, [la surveillance des lieux énumérés] au premier paragraphe, à l’exception des salles de douches, peut être effectuée par du personnel de sexe opposé, en présence d’au moins un membre du personnel de même sexe. » Les dispositions législatives particulières concernant la protection contre les effets du tabac dans le milieu pénitentiaire ainsi que la pratique pertinente en la matière des juridictions nationales sont résumées dans l’arrêt Florea c. Roumanie (no 37186/03, §§ 28-30, 14 septembre 2010). III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS Dans un rapport publié le 24 novembre 2011 à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 5 au 16 septembre 2010, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents locaux de détention de la police qu’il a visités. Un résumé de ce rapport se trouve dans l’arrêt Ghirogă c. Roumanie (no 53168/12, § 21, 16 juin 2015). Dans un autre rapport, publié le 24 septembre 2015 à la suite d’une nouvelle visite en Roumanie effectuée du 5 au 17 juin 2014, le CPT formule le constat suivant au sujet des locaux de détention de police qu’il a visités : « À l’exception d’un dépôt de police (celui d’Oradea qui avait été entièrement rénové récemment et offrait de très bonnes conditions de séjour), les conditions matérielles observées dans les autres dépôts visités restaient très médiocres et similaires à celles observées en 2010 (surpeuplement, vétusté, insalubrité, lumière naturelle et ventilation très insuffisantes). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1991 et vit à Moscou. Le 6 mai 2012, il fut arrêté pendant la dispersion d’un rassemblement à caractère politique qui se tenait sur la place Bolotnaïa, à Moscou. Il fut déclaré coupable de désobéissance à des ordres légitimes de la police, ce qui constituait une infraction en vertu de l’article 19 § 3 du code des infractions administratives, puis inculpé de participation à des troubles de grande ampleur et de violences contre des policiers, deux infractions pénales réprimées par les articles 212 § 2 et 318 § 1 du code pénal. Il fut placé en détention, jugé pour ces chefs d’inculpation et condamné à une peine de deux ans et trois mois d’emprisonnement. A. Le rassemblement public du 6 mai 2012 Le contexte relatif à la planification, au déroulement et à la dispersion du rassemblement de la place Bolotnaïa est décrit en détail dans l’arrêt Frumkin c. Russie (no 74568/12, §§ 7-65, CEDH 2016 (extraits)). Les observations des parties relatives aux circonstances directement pertinentes pour la présente affaire sont exposées ci-dessous. Le 23 avril 2012, cinq personnes (M. I. Bakirov, M. S. Davidis, Mme Y. Lukyanova, Mme N. Mityushkina et M. S. Udaltsov) remirent au maire de Moscou une déclaration préalable de manifestation publique. Aux termes de cette déclaration, la manifestation avait pour objet de « protester contre les irrégularités et les fraudes ayant entaché les élections à la Douma d’État ainsi que l’élection du président de la Fédération de Russie, et de réclamer des élections régulières ainsi que le respect des droits de l’homme, de l’état de droit et des obligations internationales contractées par la Fédération de Russie ». Le 3 mai 2012, le service régional de la sécurité de Moscou approuva le parcours de la manifestation, qui devait partir de la place Kaloujskaïa, descendre la rue Bolchaïa Iakimanka et la rue Bolchaïa Polianka et se terminer en un rassemblement sur la place Bolotnaïa. Le service nota que les organisateurs avaient fourni un projet détaillé pour les événements prévus. La marche devait commencer à 16 heures et le rassemblement avoir pris fin à 19 h 30. Il était prévu que cette manifestation réunirait 5 000 personnes. Le 4 mai 2012, le premier directeur adjoint du service régional de la sécurité de Moscou rencontra lors d’une réunion de travail les organisateurs de la manifestation de la place Bolotnaïa pour s’entretenir des questions de sécurité. Les organisateurs et les autorités convinrent que le périmètre de l’événement et les dispositifs de sécurité seraient identiques à ceux de la manifestation publique qui avait été précédemment organisée par le même groupe de militants de l’opposition le 4 février 2012. À cette occasion, le rassemblement s’était déroulé dans le parc de la place Bolotnaïa et sur le quai Bolotnaïa. Le 5 mai 2012, le parquet du district central (Tsentralni) de Moscou adressa à deux des organisateurs, M. Davidis et M. Udaltsov, un avertissement leur enjoignant de ne pas dépasser le nombre de participants déclaré et de ne pas installer de tentes de camping sur le lieu du rassemblement, les organisateurs ayant selon lui, pendant la réunion de travail, exprimé leur intention de le faire. Le même jour, la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou publia sur son site Internet des renseignements officiels à propos de la manifestation prévue pour le 6 mai 2012, et notamment une carte. Celle-ci indiquait le parcours du défilé, les restrictions à la circulation ainsi qu’un plan d’accès à la place Bolotnaïa ; elle délimitait le périmètre alloué au rassemblement, qui englobait le parc de la place Bolotnaïa. Elle indiquait également qu’il fallait traverser le parc pour se rendre au rassemblement. Le même jour, le chef de la police de la direction du ministère de l’Intérieur pour la ville de Moscou adopta un plan de maintien de l’ordre public à Moscou pour la journée du 6 mai 2012 (« le plan de sécurité »). Avant la manifestation qui était autorisée sur la place Bolotnaïa et en prévision des tentatives qui seraient éventuellement menées par d’autres groupes d’opposition pour organiser des rassemblements publics non autorisés, ce plan prévoyait des mesures de sécurité au centre de Moscou ainsi que la mise en place d’un commandement opérationnel chargé de les appliquer. Les unités de police ayant reçu la mission de faire respecter l’ordre pendant le défilé et le rassemblement comptaient 2 400 policiers antiémeute, dont 1 158 étaient positionnés sur la place Bolotnaïa. Ces policiers avaient notamment pour instruction de fouiller les manifestants afin de les empêcher d’introduire des tentes dans le périmètre du rassemblement. Ils devaient aussi interdire l’accès au pont Bolchoï Kamenny pour canaliser les manifestants vers le quai Bolotnaïa, où la réunion publique devait avoir lieu. Ils devaient également installer un cordon de sécurité autour du parc de la place Bolotnaïa, adjacent au quai. Le 6 mai 2012 vers 13 h 30, les organisateurs furent autorisés à accéder au site du rassemblement afin de monter la scène et d’installer le matériel de sonorisation. La police fouilla les véhicules qui livraient le matériel et y trouva trois tentes, qu’elle saisit. Elle arrêta plusieurs personnes pour avoir apporté ces tentes. Au début de la marche, les organisateurs signèrent un document par lequel ils s’engageaient à assurer l’ordre public pendant la manifestation et promirent à la police que le périmètre et les horaires accordés pour le rassemblement seraient respectés et qu’aucune tente ne serait montée sur la place Bolotnaïa. Le cortège démarra à 16 h 30 de la place Kaloujskaïa. Il descendit la rue Iakimanka dans le calme et sans causer de perturbations. Les participants étaient plus nombreux que prévu, mais leur chiffre exact ne fait pas consensus. Les autorités annoncèrent 8 000 participants, alors que les organisateurs estimaient qu’ils étaient environ 25 000. Les médias rapportèrent des chiffres différents, dont certains dépassaient nettement les estimations susmentionnées. Vers 17 heures, le cortège approcha de la place Bolotnaïa. Les chefs de file constatèrent que le périmètre du site du rassemblement et l’emplacement du cordon de police ne correspondaient pas à ce qu’ils avaient prévu. Contrairement à ce qui s’était passé lors de la manifestation du 4 février 2012, le parc de la place Bolotnaïa était exclu du périmètre alloué à la manifestation, lequel se limitait au quai Bolotnaïa. Se retrouvant face au cordon de police et dans l’impossibilité d’accéder au parc, les chefs de file du cortège, à savoir MM. S. Udaltsov, A. Navalnyy, B. Nemtsov et I. Yashin, s’arrêtèrent et demandèrent à la police d’ouvrir l’accès au parc. Les policiers formant le cordon n’engagèrent pas de discussion avec les chefs de file des manifestants et aucun gradé ne fut appelé à venir négocier avec ceux-ci. Après s’être efforcés pendant quinze minutes d’engager des pourparlers avec les policiers du cordon, à 17 h 16, les quatre chefs de file annoncèrent qu’ils allaient faire un « sit-in » et s’assirent par terre. Les personnes qui les suivaient s’arrêtèrent, mais certaines continuèrent d’avancer en direction de la scène. Entre 17 h 20 et 17 h 45, deux députés de la Douma d’État s’efforcèrent de négocier l’élargissement du périmètre réservé à la manifestation et d’obtenir que l’on repoussât le cordon de police derrière le parc, c’est-à-dire là où les organisateurs pensaient le trouver. Dans le même temps, le médiateur de la Fédération de Russie tenta, à la demande de la police, de persuader les chefs de file du sit-in de remettre le cortège en marche et de le diriger vers le site du rassemblement, sur le quai Bolotnaïa, où la scène avait été dressée. Pendant ce laps de temps, pas un officier supérieur de police ni un responsable municipal ne vint sur le site du sit-in et il n’y eut pas de communication directe entre les autorités et les chefs de file du sit-in. À 17 h 50, la foule se massa autour des manifestants assis par terre, ce qui entraîna des encombrements. Les chefs de file cessèrent alors leur protestation et se dirigèrent vers la scène, suivis par la foule. À 17 h 55, les médias rapportèrent que les autorités de police considéraient le sit-in comme une incitation à provoquer des troubles de grande ampleur et qu’elles envisageaient de poursuivre les responsables. Au même moment, il y eut une certaine agitation près du cordon de police, à l’endroit évacué par les participants au sit-in, et le cordon de police fut rompu en plusieurs points. Une foule d’une centaine de personnes s’éparpilla dans l’espace vide situé au-delà du cordon. En quelques secondes, la police reforma le cordon, qui fut renforcé par l’arrivée d’une unité antiémeute supplémentaire. Les personnes qui se retrouvèrent en dehors du cordon errèrent au hasard, ne sachant que faire. Plusieurs personnes furent appréhendées, d’autres furent repoussées à l’intérieur du cordon, et certaines s’attardèrent encore à l’extérieur ou se dirigèrent vers le parc. Le cordon de police commença à repousser la foule à l’intérieur du périmètre délimité et avança de plusieurs mètres, la comprimant à l’intérieur de cette zone. À 18 heures, sur instruction de la police, Mme Mityushkina annonça depuis la scène que le rassemblement était terminé, mais apparemment la plupart des manifestants ainsi que les envoyés spéciaux des médias retransmettant l’événement n’entendirent pas son message. Cette annonce ne figure pas sur la bande de la séquence filmée en direct par les équipes de la télévision, qui a été versée au dossier par les parties. Au même moment, à l’angle du pont Maly Kamenny, un cocktail Molotov fut lancé depuis la foule sur le cordon de police reformé. Il atterrit à l’extérieur du cordon et le pantalon d’un passant prit feu. La police éteignit promptement le feu. À 18 h 15, à ce même angle du pont Maly Kamenny, la police antiémeute chargea les manifestants afin de disperser la foule. Courant en formations serrées, les policiers séparèrent les manifestants, en arrêtèrent quelques-uns, en affrontèrent d’autres puis formèrent de nouveaux cordons afin de scinder les manifestants en groupes isolés. Certains manifestants s’emparèrent de barrières métalliques et les alignèrent de manière à pouvoir résister à la police, lancèrent divers projectiles sur des policiers en criant et en scandant « honte » ainsi que d’autres slogans, et tentèrent de ramener vers eux les manifestants qui se faisaient appréhender par les policiers. Les policiers appliquèrent des techniques de combat et firent usage de leurs matraques. À 18 h 20, M. Udaltsov monta sur la scène de l’autre côté de la place pour s’adresser aux participants au rassemblement. Il fut alors arrêté. M. Navalnyy tenta lui aussi de monter sur la scène, mais il fut également arrêté, de même que M. Nemtsov, cinq minutes plus tard. Pendant ce temps, au niveau du pont Maly Kamenny, la police continuait de scinder la foule en groupes et d’en écarter certains du site de la manifestation. Elle demandait, via des haut-parleurs, aux manifestants de se diriger vers la station de métro. Les opérations de dispersion se poursuivirent pendant encore au moins une heure jusqu’à l’évacuation totale du site. Le même jour, la commission d’enquête de la Fédération de Russie ouvrit une enquête pénale pour troubles de grande ampleur et violences contre la police (articles 212 § 2 et 318 § 1 du code pénal). Le 28 mai 2012, une enquête pénale fut également lancée pour organisation de troubles de grande ampleur (article 212 § 1 du code pénal). La jonction de ces deux affaires pénales fut décidée le même jour. Le 24 mai 2013, la première affaire pénale dirigée contre douze individus soupçonnés d’avoir pris part à des troubles de grande ampleur, dont le requérant, fut transférée au tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou, qui fut appelé à statuer sur les accusations en matière pénale dirigées contre eux (la première affaire « Bolotnaïa »). Le 21 février 2014, le tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou rendit son jugement dans la première affaire Bolotnaïa. Il déclara huit individus, dont le requérant, coupables de participation à des troubles de grande ampleur et de violences contre les forces de police à l’occasion du rassemblement public du 6 mai 2012, et les condamna à des peines allant de deux ans et demi à quatre ans d’emprisonnement ; l’un d’eux bénéficia d’une libération conditionnelle. Le requérant fut condamné à deux ans et six mois d’emprisonnement. Trois autres accusés avaient précédemment été graciés en vertu de la loi d’amnistie et une disjonction d’instance fut décidée pour un quatrième accusé. Ce jugement fut confirmé par le tribunal de Moscou le 20 juin 2014. Celui-ci ramena la peine infligée au requérant à deux ans et trois mois d’emprisonnement. Le 24 juillet 2014, le tribunal de Moscou jugea M. Udaltsov et M. Razvozzhayev coupables d’avoir organisé des troubles de grande ampleur le 6 mai 2012 et les condamna à quatre ans et demi d’emprisonnement. Le 18 mars 2015, la Cour Suprême de la Fédération de Russie confirma le jugement du 24 juillet 2014, en lui apportant des modifications. Le 18 août 2014, le tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou examina une autre affaire « Bolotnaïa » et déclara quatre personnes coupables d’avoir participé aux troubles de grande ampleur et commis des actes de violence contre des policiers pendant la manifestation du 6 mai 2012. Il les condamna à des peines allant de deux ans et demi à trois ans et demi d’emprisonnement ; l’une d’elles bénéficia d’une libération conditionnelle. Ce jugement fut confirmé par le tribunal de Moscou le 27 novembre 2014. B. L’arrestation et la détention provisoire du requérant Au moment de son arrestation, le requérant était étudiant à la faculté de sciences politiques de l’université d’État de Moscou et il vivait avec son épouse et leur enfant né en 2011. Le 6 mai 2012, il arriva sur la place Bolotnaïa pour participer à la manifestation mais il n’aurait pas selon lui pris part aux troubles ni aux affrontements avec la police, bien qu’il se trouvât dans la zone où ces heurts eurent lieu. À un moment pendant la dispersion de la manifestation, il ramassa sur le sol un petit objet sphérique jaune qu’il lança par-dessus la tête des manifestants dans la direction de la police. Il fut arrêté peu après. On ne sait pas s’il fut placé en détention ce jour-là. Le 17 mai 2012, le requérant fut accusé d’avoir désobéi à un ordre légitime donné par un agent de police le 6 mai 2012. Il fut reconnu coupable de l’infraction visée par l’article 19 § 3 du code des infractions administratives et condamné à vingt-quatre heures de détention. Jusqu’au 9 juin 2012, le requérant continua d’étudier à l’université et de vivre avec sa famille à son adresse habituelle. À cette date, il fut placé en détention car il était soupçonné d’avoir pris part aux troubles de grande ampleur du 6 mai 2012. (...) E. Les conditions dans le prétoire Le 6 juin 2013, le procès s’ouvrit dans la salle d’audience no 338 du tribunal de Moscou. Celui-ci avait prêté ses locaux au tribunal du district Zamoskvoretski afin qu’il pût accueillir tous les participants au procès ainsi que le public et la presse. Dans cette salle d’audience, les dix accusés se tenaient dans un box vitré mesurant 3,2 m x 1,7 m x 2,3 m (hauteur). Le Gouvernement soutient que ce box vitré était un aménagement permanent du prétoire et qu’il se composait d’une structure en acier et de parois en verre pare-balles, d’une cloison intérieure, d’un plafond en grillage d’acier et d’une porte blindée ; des bancs étaient disposés à l’intérieur. Les parois du box comportaient des ouvertures permettant aux accusés et à leurs avocats d’échanger des documents ; des bouches d’aération se situaient au niveau du sol et un climatiseur se trouvait près du banc des accusés. Le box était équipé de microphones permettant aux accusés de se concerter avec leurs avocats et de participer plus facilement aux débats. Le Gouvernement précise que des agents d’escorte, positionnés de part et d’autre du box, surveillaient les accusés et déjouaient toute tentative de « contact avec l’extérieur », mais que, avec l’autorisation du tribunal, les accusés pouvaient communiquer avec leurs avocats. Le requérant soutient que le box vitré était exigu, mal ventilé et presque complètement insonorisé, ce qui entravait selon lui la participation des accusés aux débats et leur communication avec leurs avocats. Il ajoute que les bancs étaient dépourvus de dossier et que faute d’espace, il était impossible aux accusés d’avoir des documents avec eux ; il dit aussi qu’il qu’il ne pouvait pas consulter son avocat ni les documents relatifs à l’affaire pendant l’audience. Il avance enfin qu’à cause de la distance qui séparait le box de l’écran ainsi que de sa vue défaillante, il n’a pas pu voir depuis le box la vidéo présentée pendant l’audience à titre de preuve. En août 2013, le procès se poursuivit dans la salle d’audience no 635 du tribunal de Moscou. Celle-ci était équipée de deux box vitrés similaires à celui qui se trouvait dans la salle d’audience no 338, à ceci près qu’ils ne comportaient pas d’ouverture permettant de faire passer les documents. Chaque box mesurait 4 m x 1,2 m x 2,3 m (hauteur). À partir du 2 août 2013, sous l’effet d’une modification de la mesure de contrainte le concernant, l’un des accusés ne fut plus placé dans le box vitré. Les neuf autres étaient répartis entre les deux box. De la mi-septembre 2013 à la fin de 2013, les audiences se poursuivirent dans les locaux du tribunal du district Nikulinskiy de Moscou (salle d’audience no 303) puis, en janvier et février 2014, dans ceux du tribunal du district Zamoskvoretski (salle d’audience no 410). Ces salles d’audience étaient dotées de cages métalliques dans lesquelles les neuf accusés (huit à compter du 19 décembre 2013), dont le requérant, étaient assis pendant les audiences. Selon les photographies fournies par le requérant, ces cages présentaient des dimensions similaires à celles des box vitrés décrits ci-dessus et renfermaient elles aussi des bancs pour tout mobilier. F. Le procès du requérant Le 6 juin 2013 s’ouvrit devant le tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou une audience préparatoire dans le procès pénal intenté contre dix participants au rassemblement public de la place Bolotnaïa qui étaient accusés d’avoir pris part à des troubles de grande ampleur et à des violences contre des policiers. Le 18 juin 2013, ce même tribunal ouvrit l’audience sur le fond de l’affaire. Le 13 novembre 2013, le policier F., qui se disait victime de voie de fait perpétrée par le requérant, fut entendu en qualité de témoin. Il déclara que le requérant avait lancé un objet jaune non identifié qui l’avait atteint à l’épaule en lui faisant mal. Le requérant demanda que les dépositions qu’avait faites F. pendant l’enquête, qui ne mentionnaient ni l’objet jaune ni le requérant, fussent lues à haute voix dans le prétoire. Le requérant observa que pendant l’enquête il n’avait pas été organisé de séance d’identification qui aurait permis à F. de reconnaître la personne qui l’avait agressé ; au contraire, le requérant et F. auraient été interrogés dans le cadre d’une confrontation à l’occasion de laquelle le requérant aurait été la seule personne présentée à F. comme étant susceptible d’avoir commis les faits. Le tribunal rejeta la demande du requérant tendant à la lecture à haute voix de la déposition de F. Le 21 février 2014, le tribunal du district Zamoskvoretski de Moscou rendit son jugement. Il formula notamment les constats suivants : « De 16 heures à 20 heures le 6 mai 2012 (...) sur la place Bolotnaïa (...) des personnes non identifiées (...) ont exhorté celles qui étaient présentes [sur le site] à sortir du périmètre convenu pour le rassemblement, à désobéir aux ordres légitimes de la police (...), à recourir à la violence (...) ce qui a entraîné des troubles de grande ampleur accompagnés d’usage de la violence contre des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions [et] la destruction de biens. Le même jour, à 17 heures au plus tard [les accusés] formèrent l’intention délictueuse de prendre part aux troubles de grande ampleur et de recourir à la violence (...) Ainsi, mû par cette intention délictueuse, à une heure et en un lieu indéterminés, M. Belousov se procura un objet solide sphérique non identifié de couleur jaune dans l’intention de l’utiliser pour perpétrer des violences contre des agents publics (...) (...) avec d’autres participants (...) M. Belousov ne cessait de scander des slogans hostiles au gouvernement. De plus (...) les participants aux troubles de grande ampleur jetèrent des blocs de macadam, des pierres, des bâtons et d’autres objets sur les policiers (...) les touchant ainsi en diverses parties du corps, et [les accusés] (...) [qui] participaient aux troubles de grande ampleur (...) mirent à exécution leur intention délictueuse de recourir à la violence contre des agents publics (...) en déployant une force physique qui n’a pas mis en danger la vie ou la santé de ces [agents publics] (...) M. Belousov usa de violence sans mettre en danger la vie ou la santé de [F.] (...) De 17 heures à 20 h 10 le 6 mai 2012 (...) des participants non identifiés aux troubles de grande ampleur portèrent délibérément au moins trois coups de poing et de pied à la tête, au corps et aux membres de [F.], puis M. Belousov (...), visant délibérément [F.], lança un objet solide sphérique non identifié de couleur jaune qui frappa [F.] sur le côté supérieur droit du torse, ce qui lui fit mal. À la suite des actes perpétrés par M. Belousov ainsi que par d’autres personnes non identifiées [F.] a souffert de douleurs physiques et de lésions revêtant la forme de contusions et d’écorchures au niveau des tissus mous de la région pariétale, de contusions sur (...) l’avant-bras gauche, d’écorchures sur le (...) tibia droit, lesquelles, considérées isolément ou cumulativement, constituaient toutes des lésions qui n’étaient pas de nature à mettre en danger la vie ou la santé, ni à entraîner de problèmes de santé à court terme ou d’incapacité de travail mineure de longue durée (...) M. Belousov (...) a plaidé non coupable et déclaré (...) qu’il avait voulu voir pourquoi le rassemblement ne commençait pas [et] s’était rendu au pont Maly Kamenny (...) où [il] avait vu le cordon de policiers antiémeute (...) [et des agents publics] arrêter certains [participants] (...) [qu’il] avait cherché à partir et avait rejoint le centre de la place Bolotnaïa où il avait vu une fille trébucher sur un objet et manquer de tomber. Il a précisé que, sans regarder vraiment ce dont il s’agissait, il avait ramassé cet objet, qui était mou et visqueux (...) et qu’il l’avait jeté au loin sans viser qui que ce fût (...) Il a dit avoir pris par la main d’autres manifestants qui scandaient « Un pour tous et tous pour un ! », et « Unis, nous sommes invincibles ! » et qu’à ce moment-là, trois policiers avaient couru vers lui, l’avaient saisi et l’avaient conduit jusqu’au véhicule de police (...) Dans sa déposition, le policier [F.] a déclaré (...) qu’après la reconstitution du cordon antiémeute (...) alors qu’il pénétrait dans la foule pour arrêter des délinquants (...) quelqu’un l’avait frappé trois fois à la tête (...) puis il avait senti un coup à l’épaule donné par un objet lourd. Il a dit avoir vu du coin de l’œil [M. Belousov] prendre de l’élan et jeter quelque chose (...) ressemblant à une boule de billard. (...) M. Belousov a été filmé au moment où il lançait un objet jaune sur des policiers (...) Le tribunal estime que l’argument avancé par les [accusés], selon lequel il n’y a pas eu de troubles de grande ampleur, est dénué de fondement parce que (...) en conséquence des actes prémédités d’un groupe d’individus qui a organisé (...) le blocage du cortège des manifestants qui se dirigeaient vers le lieu prévu pour le rassemblement et où avait été montée la scène, ce qui a engendré chez les manifestants un mécontentement à l’égard (...) de la police (...), les personnes qui se trouvaient en tête du cortège et qui pouvaient accéder librement au site du rassemblement ont changé de tactique et ont appelé à (...) un sit-in, espérant ainsi obtenir un déplacement du cordon antiémeute à leur avantage et faire repousser les limites du périmètre qui leur avait été alloué (...) Les manifestants forcèrent alors le passage à travers le cordon de police (...) l’ordre public fut perturbé (...) à cause de la foule qui était plus nombreuse que prévu, incontrôlable et galvanisée par des groupes organisés (...) créant ainsi les conditions pour faire naître chez les accusés l’intention de se joindre à ces actes, lors desquels des blocs de macadam et des bouteilles en plastique furent jetés sur des policiers, lesquels furent également victimes d’autres formes de violence. Conscients de ce qu’ils prenaient part à des troubles qui avaient éclaté de manière spontanée et souhaitant s’y joindre, les accusés se rallièrent au mouvement collectif (...) (...) le tribunal tient compte de la nature et du degré d’implication [du requérant] dans les troubles de grande ampleur (...) et juge possible de prononcer contre lui une peine inférieure à la peine minimale prévue par l’article 212 § 2. » Le requérant fut condamné à une peine de deux ans et six mois d’emprisonnement, calculée sur la base d’une peine de deux années d’emprisonnement prononcée au titre de l’article 212 du code pénal, en partie confondue avec une peine d’un an d’emprisonnement infligée au titre de l’article 318 du code pénal. La détention provisoire du requérant devait être décomptée de la peine restant à purger. Le requérant fit appel. Il contesta la conclusion rendue par le tribunal de première instance selon laquelle des troubles de grande ampleur avaient eu lieu et allégua que les faits s’étaient limités à des heurts isolés entre les manifestants et la police causés par la décision, prise à la dernière minute par les autorités, de modifier le périmètre du site du rassemblement et exacerbés par les mesures excessives adoptées par celles-ci pour canaliser la foule. Il nia que l’objet qu’il avait lancé eût touché qui que ce fût ; il argua que l’interrogatoire mené dans le cadre d’une confrontation avec la victime, le policier F., s’analysait en un vice de procédure et il se plaignit que le tribunal avait refusé de faire lire à haute voix le procès-verbal de l’interrogatoire du policier qui avait été effectué pendant l’enquête. Il dénonça également les conditions dans lesquelles il avait été escorté jusqu’au prétoire ainsi que le calendrier des audiences, très chargé, et se plaignit d’avoir été placé dans un box vitré pendant le procès, ce qui avait selon lui entravé sa communication avec son avocat. Le 20 juin 2014, le tribunal de Moscou confirma le jugement rendu en première instance, mais ramena la peine à deux ans et trois mois d’emprisonnement au total, à raison d’un an et neuf mois au titre de l’article 212 du code pénal et de neuf mois au titre de l’article 318 du code pénal, les deux peines étant en partie confondues. Le 8 septembre 2014, le requérant fut libéré après avoir purgé sa peine d’emprisonnement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS Le code pénal de la Fédération de Russie contient les dispositions suivantes : Article 212 – Troubles de grande ampleur « 1. L’organisation de troubles de grande ampleur accompagnés de violence, d’émeute, d’incendie volontaire, de destruction de biens, d’utilisation d’armes à feu, d’explosifs ou d’engins explosifs, et de résistance armée aux agents publics est punie d’une peine de quatre à dix ans de privation de liberté. La participation à des troubles de grande ampleur tels que définis au paragraphe 1 du présent article est punie d’une peine de trois à huit ans de privation de liberté. L’incitation à commettre des troubles de grande ampleur tels que définis au paragraphe 1 du présent article ou à y participer et l’incitation à la violence contre les citoyens sont punies d’une peine de restriction de liberté d’une durée maximale de deux ans ou d’une peine de travail d’intérêt général d’une durée maximale de deux ans ou d’une peine de privation de liberté d’une durée maximale de deux ans. » Article 318 – Recours à la violence contre un agent public « 1. Le recours à la violence qui ne met en danger ni la vie ni la santé, ou la menace de recours à la violence contre un agent public ou ses proches dans le cadre de l’exercice par celui-ci de ses fonctions, est puni d’une amende pouvant atteindre 200 000 roubles russes (RUB) ou dix-huit fois le salaire mensuel de la personne condamnée, ou d’une peine de travail d’intérêt général d’une durée maximale de cinq ans ou d’une peine de privation de liberté d’une durée maximale de cinq ans (...) » Pour un résumé des dispositions du droit interne régissant les conditions et la durée de la détention provisoire, voir les affaires Dolgova c. Russie (no 11886/05, §§ 26-31, 2 mars 2006) et Lind c. Russie (no 25664/05, §§ 47-52, 6 décembre 2007). Pour un résumé de la réglementation applicable et des normes européennes relatives aux conditions de détention, voir Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 55 et suiv., 10 janvier 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants ont été ou sont encore détenus dans la prison de Grevena, une prison qui accueille des condamnés à perpétuité ou à de longues peines. À la date de l’introduction de la requête, certains des requérants avaient déjà été libérés aux dates suivantes : le requérant no 16 le 23 juillet 2013 ; le requérant no 17 le 16 mai 2013 ; le requérant no 21 le 21 août 2013 ; le requérant no 27 le 17 mai 2013. Certains autres avaient été transférés dans une autre prison : le requérant no 1 le 25 juin 2013 à la prison de Korydallos ; le requérant no 6 le 30 mai 2013 à la prison de Kassandra ; le requérant no 9 le 6 août 2013 à la prison d’Aghias Hanion ; les requérants nos 23 et 24 le 20 mai 2013 à la prison de Korydallos ; le requérant no 25 le 20 août 2013 à la prison de Trikala. A. La version des requérants concernant leurs conditions de détention Les requérants furent placés dans des cellules de 12 m² qui accueillaient de trois à quatre détenus. Si le nombre des détenus passait à quatre, l’un d’eux dormait par terre. Les heures de visite de leurs proches étaient très brèves (15 minutes) et parmi les cinq téléphones à carte, il n’y avait qu’un seul qui fonctionnait. Ils devaient dépenser des sommes allant de 250 à 350 euros par mois pour acheter des produits d’hygiène corporelle et de la nourriture. Enfin, les prévenus n’étaient pas séparés des condamnés. La nourriture était de très mauvaise qualité et insuffisante. À titre d’exemple, le menu de la semaine du 15 au 21 avril 2013 comprenait : une fois au dîner du vendredi des saucisses ; haricots secs le lundi et le mardi ; épinards, riz et un fruit le samedi ; petits pois le jeudi ; riz et fromage le mercredi ; riz et œufs le dimanche. Un gâteau est distribué le dimanche. Le petit déjeuner consiste en du lait, trois fois par semaine, et du thé, quatre fois par semaine. En juin 2013, plusieurs détenus, dont les requérants, saisirent en vertu de l’article 572 du code de procédure pénale le procureur chargé de l’exécution des peines et de l’application des mesures de sécurité dans la prison de Grevena. Leur plainte faisait suite à d’autres plaintes déposées en avril 2013 et qui avaient pour but de dénoncer des mauvais traitements infligés par la police lors d’une fouille de leurs cellules. À cette occasion, les requérants se plaignaient également de leurs mauvaises conditions de détention en ces termes : « Cellules : à chaque détenu correspondent moins de 3 m² (au lieu de 6 m² prévus par le code pénitentiaire). Trois ou quatre personnes occupent un espace de 12 m² dans lequel il n’y a que trois lits, de sorte que le quatrième détenu dort par terre. Couverture médicale insuffisante : les malades reçoivent très peu de médicaments, tandis que ceux qui parmi nous ont manifesté des problèmes psychologiques suite aux mauvais traitements/tortures subis le 13.04.13, nous avons seulement reçu des antidouleurs. (...) Il faut souligner que la nourriture est peu variée et cela de manière accablante et de très mauvaise qualité. (...) Il existe aussi des problèmes dans notre communication avec nos proches. Les visites sont de courte durée (15 minutes), même lorsque les proches viennent de l’étranger pour voir un détenu étranger. (...) Un seul téléphone à carte, parmi les cinq existants, est en état de fonctionnement, ce qui provoque des « bagarres » entre détenus pour son utilisation. (...) Nous sommes obligés de verser des sommes de l’ordre de 200 à 300 euros par mois pour survivre dans la prison, car la vie ici est chère. Nous sommes obligés d’acheter des produits de première nécessité (rasoirs, détergents, savons, papier hygiénique etc.), mais aussi des suppléments de nourriture à des prix astronomiques. Le commerce qui a lieu dans la prison s’effectue sans aucun contrôle fiscal, c’est-à-dire qu’on ne nous donne pas de facture pour ce qu’on achète. On nous impose des dépenses pour l’achat de produits que l’Etat est chargé de nous procurer conformément au code pénitentiaire. (...) Compte tenu que la Grèce a été condamnée par plusieurs arrêts de la Cour pour des conditions de détention similaires aux nôtres. (..) Nous demandons La prise de mesures immédiate pour que nos conditions de détention soient conformes aux articles 2, 3, 5, 6, 8, 10, 13, 14 et 17 de la Convention, sous leurs volets matériel et procédural. (...) Le décongestionnement et l’assainissement immédiats des lieux de détention. (...) Autrement Votre mobilisation immédiate afin que soit suspendue la détention de ceux parmi nous pour lesquels l’Etat ne peux pas garantir que la privation de liberté ne soit pas assimilée à une torture ou à un traitement inhumain ou dégradant (...) » B. La version du Gouvernement concernant les conditions de détention dans la prison de Grevena Le Gouvernement précise que la prison de Grevena, un établissement pénitentiaire modèle, fut construite en 2007 et commença à fonctionner en juin 2008. Au 30 octobre 2013, la population carcérale s’élevait à 786 détenus et depuis elle varie autour de ce nombre, selon les informations fournies au Gouvernement par la direction de la prison. La prison comprend 200 cellules de 12 m² qui contiennent chacune trois lits dont deux superposés. L’aile A2 où furent détenus les requérants comprend 20 cellules dont certaines accueillaient occasionnellement quatre détenus au lieu de trois. Le quatrième dormait sur un matelas posé entre les lits. Afin de mettre un terme à cette situation, la direction de la prison fit usage des dix cellules disciplinaires pour placer de détenus. Chaque cellule contient un téléviseur qui permet aux détenus de capter 35 chaînes. Les repas des détenus sont préparés dans les cuisines de la prison. Le menu hebdomadaire est fixé par le conseil de la prison en tenant compte du budget accordé par le ministère de la Justice. La prison héberge un supermarché qui vend des produits de grande qualité à des prix raisonnables. Y fonctionne aussi une rôtisserie où les détenus peuvent se procurer quotidiennement des poulets rôtis, des brochettes et des frites à des prix très modiques, ainsi qu’une boulangerie qui fabrique toutes sortes de produits. Les détenus peuvent aussi acheter quotidiennement de la cantine de la prison des produits laitiers et des gâteaux et une fois par semaine des légumes et des fruits. Dans chaque aile, des fours à micro-ondes et des plaques électriques sont installés pour que les détenus puissent cuire un supplément de repas. Comme la prison est éloignée de la ville de Grevena, les visites aux détenus sont plus fréquentes et durent plus longtemps que dans d’autres prisons. Les conjoints, les enfants, les parents et les avocats des détenus peuvent leur rendre visite aussi souvent qu’ils le souhaitent et communiquer dans des espaces spécifiques sans séparation et sans récepteur téléphonique. Il existe dans chaque aile, qui accueille entre 120 et 150 détenus, 10 téléphones à carte. Les pannes éventuelles sont immédiatement réparées afin que la communication des détenus avec le monde extérieur ne soit pas interrompue. Les détenus peuvent acheter au supermarché de la prison des produits d’hygiène corporelle, des vêtements et des chaussures qui sont vendus par des commerçants de la ville de Grevena à des prix bas et stables. Pour les détenus indigents et dans la mesure du possible l’achat de certains articles est financé grâce à des dons d’associations caritatives. La prison dispose d’un cabinet médical, d’un dispensaire, d’un cabinet dentaire, d’une antenne consultative du Centre de désintoxication, d’une école, d’une salle d’informatique, d’une bibliothèque et d’installations pour la pratique sportive. Des désinfections ont lieu régulièrement tout au long de l’année par des entreprises privées. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents, se référer à la décision Chatzivasiliadis c. Grèce (no 51618/12, §§ 17-21, 26 novembre 2013). III. LES CONSTATS DU MEDIATEUR DE LA REPUBLIQUE Á la suite d’une plainte collective portant sur les conditions de détention, déposée par trente-et-un détenus par l’intermédiaire de l’organisation non-gouvernementale « Action grecque pour les droits de l’homme », le médiateur de la République effectua le 1er juillet 2013 une inspection de la prison. Dans son rapport du 16 décembre 2013, le médiateur notait que la prison, d’une capacité officielle de 600 détenus, accueillait à la date de l’inspection 732 personnes, nombre s’étant élevé dans le passé à 800 personnes. Le plus grand problème de la prison consistait en la surpopulation. Les détenus en surnombre dormaient sur des matelas par terre. Les cellules disciplinaires ainsi que la cellule d’accueil de nouveaux admis étaient transformées en lieux de détention ordinaire. Ainsi dix cellules disciplinaires accueillaient trente détenus sans que ceux-ci purgent une peine disciplinaire. L’état de propreté et le rangement des cellules étaient en général satisfaisants. Des désinfections avaient lieu quatre fois par an. Toutefois, il y a eu des doléances concernant le manque de détergents et de poubelles dans les différentes ailes. L’alimentation des détenus était problématique en raison du montant insuffisant du budget accordé (2,20 euros par détenu). Le menu hebdomadaire comprenait petit-déjeuner (thé ou lait), déjeuner (pâtes : deux fois ; légumes secs : deux fois ; viande : deux fois ; légumes frais et salade : une fois) et dîner. Les cuisines de la prison étaient propres et bien équipées. Les installations sportives ne fonctionnaient pas, de sorte que les exigences du code pénitentiaire pour l’existence de terrains de sports et de salles de gymnastique n’étaient pas respectées. Le réseau d’approvisionnement en eau du secteur de la prison présente des problèmes de sorte l’eau n’est pas fournie en continu. En revanche, il n’y a pas de problème pour la fourniture d’eau chaude. En raison de la distance qui sépare la prison des grandes villes voisines, les visites aux détenus sont difficiles, coûteuses et demandent beaucoup de temps à leurs proches. Par conséquent, la communication des détenus avec le monde extérieur se fait principalement par téléphone. Le rapport concluait que le grand nombre de détenus rendait difficile leur cohabitation dans la prison et de ce point de vue-là, les exigences du droit interne et international n’étaient pas respectées en ce qui concerne le minimum requis d’espace personnel pour chaque détenu. En outre, il relevait que la difficulté objective pour les proches des détenus de leur rendre visite imposait que des facilités soient accordées lorsqu’elles avaient lieu et que les communications téléphoniques soient améliorées. Enfin, l’usage des cellules disciplinaires pour le séjour continu des détenus constituait un point qui devait être revu.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1939 et réside à Gorna Beshovitsa. A. La lettre du requérant du 18 juin 2004 En 2003, un litige concernant le paiement d’une certaine somme d’argent opposa le requérant à la coopérative agricole de son village. À l’issue d’une procédure judiciaire, celle-ci fut condamnée à lui payer la somme de 1 232,62 levs bulgares (BGN), plus les intérêts. À la demande du requérant, le juge de l’exécution près le tribunal de district de Mezdra ouvrit une procédure d’exécution de la décision de condamnation de la coopérative. Au cours de cette procédure, le requérant adressa plusieurs demandes au juge de l’exécution et sollicita la saisie de dix tonnes de blé, d’un tracteur et d’une chargeuse appartenant au débiteur. Dans un procès-verbal rédigé le 27 mai 2004, le juge de l’exécution refusa d’accéder à ces demandes au motif que les deux machines avaient été transférées par le débiteur à une autre entité juridique et que les dix tonnes de blé n’avaient pas été retrouvées dans l’entrepôt de la coopérative. Le 18 juin 2004, le requérant déposa au greffe du service de l’exécution des jugements près le tribunal de district de Mezdra une lettre adressée au juge de l’exécution. Cette lettre se lisait comme suit : « Monsieur le Juge de l’exécution, Par votre procès-verbal du 27 mai 2004, vous vous obstinez à prouver que : « Je suis légalement puissant et je peux enfreindre la loi vis-à-vis de toi. », et vous mettez en œuvre votre menace : « Veux-tu ne rien obtenir pour ton titre exécutoire ? ». Vous confirmez ceci parce que : Vous n’avez pas pris en compte ma demande datée du 4 avril 2004 et les documents annexés à celle-ci. Vous avez enfreint l’article 360, alinéa 2 du code de procédure civile (CPC) (...). Vous avez enfreint l’article 367 du CPC en appliquant arbitrairement son alinéa 2, au profit du gendre d’un de vos employés, et son alinéa 3, au profit du gardien du bien en cause. Après avoir affirmé que le contrat de vente des biens était valable, vous avez refusé d’accepter ma demande de saisie du prix obtenu avec les mots « Arrêtez d’agiter cette feuille, elle ne vaut rien pour moi. » et vous avez procédé à la rédaction du procès-verbal. Vous avez constaté que les 10 000 kilos de blé ne se trouvaient pas dans l’entrepôt du débiteur, mais vous n’avez pas décrit la quantité de blé que vous y avez trouvée. Dans ma lettre datée du 28 avril 2004, je vous avais informé que le blé saisi [avait été] vendu. Je considère que vos actes sont incohérents et incompatibles avec [les devoirs] d’un juge [chargé de l’exécution des décisions judiciaires]. Je vous prie de bien vouloir prendre note des pièces ci-jointes et vous prononcer sur ma demande en appliquant les lois (...) vis-à-vis de ceux qui les enfreignent. » B. La procédure pénale en diffamation Le 30 juin 2004, T.M., juge de l’exécution près le tribunal de district de Mezdra, déposa une plainte pénale contre le requérant pour diffamation. Il exposait que la lettre de ce dernier datée du 18 juin 2004 contenait des propos diffamatoires et l’accusait d’avoir commis des infractions pénales dans le cadre de ses fonctions de juge de l’exécution. Il indiquait que cette lettre avait été déposée au greffe du service de l’exécution des jugements, qu’elle avait été jointe au dossier et qu’elle était accessible aux greffiers, aux experts et aux juges. Il demandait 1 500 BGN pour le préjudice moral qu’il disait avoir subi. Tous les juges du tribunal de district de Mezdra se déportèrent de l’examen de l’affaire au motif que le plaignant était leur collègue. À la demande du président du même tribunal, le 13 juillet 2004, le président du tribunal régional de Vratsa détacha un juge du tribunal de district de Vratsa pour examiner l’affaire pénale en cause. Le 7 décembre 2004, le tribunal de district reconnut le requérant coupable du délit de diffamation d’un fonctionnaire et le condamna au paiement d’une amende de 500 BGN et au versement de 1 500 BGN à titre de dédommagement du préjudice moral. Le 23 mars 2005, statuant sur l’appel du requérant, le tribunal régional de Vratsa constata que les motifs et le dispositif du jugement attaqué étaient contradictoires quant à la culpabilité du requérant et imprécis quant à l’identité du plaignant. Il infirma ledit jugement et renvoya l’affaire au tribunal de district pour réexamen. Le président du tribunal régional détacha un autre juge du tribunal de district de Vratsa pour examiner l’affaire pénale. Devant le tribunal de district, le plaignant expliqua qu’il était chargé du dossier du requérant en tant que juge de l’exécution. Il indiqua que le requérant lui avait demandé à plusieurs reprises de procéder à la saisie de biens qui n’auraient pas appartenu au débiteur. Il ajouta que le requérant avait déposé une lettre au greffe du service de l’exécution des jugements le 18 juin 2004 et que cette lettre contenait des assertions diffamatoires le visant. Il précisa que le requérant lui avait attribué des propos qu’il n’aurait jamais prononcés et l’avait accusé de la commission d’infractions pénales dans le cadre de ses fonctions. Il indiqua également que la lettre en question avait été lue par son assistante et qu’elle avait été jointe au dossier et donc mise à la disposition des parties, des experts et des magistrats amenés à statuer sur les éventuelles demandes des parties à la procédure. Le plaignant soumit quelques documents et obtint l’interrogatoire de deux témoins à charge. S.Y., assistante au service de l’exécution des jugements, expliqua qu’elle avait réceptionné la demande déposée par le requérant le 18 juin 2004 et qu’elle avait pris connaissance de son contenu afin de pouvoir l’enregistrer correctement. Elle ajouta qu’elle l’avait ensuite montrée au juge de l’exécution et que celui-ci l’avait alors lue et avait eu l’air troublé et indigné. D.M., maire du village, déclara qu’elle avait accompagné le juge de l’exécution et le requérant le 27 mai 2004 à l’entrepôt de la coopérative locale. Elle expliqua que le requérant avait demandé la saisie d’une certaine quantité de blé, d’un tracteur et d’autres machines agricoles, mais que le juge de l’exécution lui avait répondu ne pas pouvoir procéder à cette saisie. Elle précisa qu’elle n’avait pas entendu le juge prononcer des invectives à l’encontre du requérant. Le requérant soutint que sa lettre du 18 juin 2004 était adressée au plaignant en sa qualité de juge de l’exécution et qu’elle avait pour but d’exprimer son mécontentement face à la passivité alléguée de celui-ci dans le cadre de la procédure de recouvrement de sa créance. Le requérant expliqua qu’il n’avait eu aucune intention de nuire à la réputation du plaignant, ce qui était selon lui prouvé par la circonstance qu’il aurait adressé la lettre personnellement à ce dernier, et non pas à ses supérieurs, et que le contenu de celle-ci n’aurait pas été rendu public dans les médias locaux. Le requérant ajouta que la phrase « Je suis légalement puissant et je peux enfreindre la loi vis-à-vis de toi » n’avait pas été prononcée par le plaignant mais qu’elle exprimait sa propre perception des agissements de ce dernier. Il indiqua aussi que les phrases « Veux-tu ne rien obtenir pour ton titre exécutoire » et « Arrêtez d’agiter cette feuille, elle ne vaut rien pour moi », citées dans sa lettre, avaient été prononcées par le juge de l’exécution au cours d’une visite à l’entrepôt du débiteur. Il précisa que, à cette même occasion, le juge de l’exécution avait refusé d’accepter une de ses demandes écrites. Le requérant demanda l’interrogatoire d’un témoin oculaire, V.T., afin de prouver la véracité des faits exposés par lui. Lors de son interrogatoire, le témoin V.T. déclara qu’il avait assisté à la visite du 27 mai 2004 du juge de l’exécution à l’entrepôt de la coopérative. Il indiqua qu’il y avait eu une vive discussion entre le juge de l’exécution et le requérant au sujet de quelques demandes de ce dernier. Il ajouta qu’il avait également vu le requérant agiter une feuille et entendu le juge de l’exécution dire à ce dernier « Voulez-vous que je ne vous donne rien ». Le requérant présenta les copies de ses autres demandes écrites adressées au juge de l’exécution. La partie adverse présenta la copie d’une déposition écrite supposée avoir été faite par le témoin V.T. et soutint que celle-ci n’avait pas été rédigée par ce dernier. Interrogé par le juge, V.T. expliqua que l’écriture en question n’était pas la sienne. Le requérant réclama l’original de la déposition, mais le tribunal rejeta sa demande après avoir constaté que la partie adverse disposait uniquement d’une copie et non pas de l’original dudit document. Par un jugement du 23 juin 2005, le tribunal de district reconnut le requérant coupable de diffamation par écrit d’un fonctionnaire. Il constata que la lettre datée du 18 juin 2004, déposée par le requérant au greffe du service de l’exécution des jugements, attribuait au juge de l’exécution des propos déplacés que ce dernier n’avait jamais prononcés. Il releva aussi que le requérant avait reconnu avoir inventé la phrase « Je suis légalement puissant et je peux enfreindre la loi vis-à-vis de toi ». Pour ce qui était des deux autres phrases citées dans la lettre du requérant, à savoir « Veux-tu ne rien obtenir pour ton titre exécutoire » et « Arrêtez d’agiter cette feuille, elle ne vaut rien pour moi », le tribunal de district décida qu’il n’était pas prouvé que le juge de l’exécution avait effectivement tenu de tels propos vis-à-vis du requérant. Il donna crédit à cet effet à la déposition du témoin oculaire D.M., estimant que la déposition du témoin à décharge, V.T., était en contradiction avec la version donnée par le requérant lui-même quant au contenu exact des propos attribués au juge de l’exécution. Le tribunal de district nota que la lettre litigieuse contenait également une allégation mensongère selon laquelle le juge de l’exécution avait enfreint la législation interne et utilisé ses pouvoirs au profit de tiers, ce qui constituait une accusation calomnieuse de commission par le plaignant d’infractions pénales dans le cadre de ses fonctions. Il souligna que la lettre diffamatoire avait été rendue publique puisqu’elle avait été déposée au greffe du service de l’exécution des jugements, lue par l’assistante du juge mis en cause et jointe au dossier de la procédure d’exécution, ce qui l’avait rendue accessible aux parties, à leurs avocats, aux experts et aux magistrats amenés à contrôler la procédure d’exécution. Il conclut que le requérant avait agi intentionnellement, et ce dans le but de nuire à la bonne réputation du juge de l’exécution. S’agissant de la détermination de la sanction, le tribunal de district constata que la peine prévue par le code pénal (CP) pour l’infraction de diffamation d’un fonctionnaire était une amende allant de 5 000 à 15 000 BGN, que le requérant n’avait pas fait l’objet d’autres condamnations au pénal et que ses actes n’avaient pas causé de préjudice matériel à la victime. Il décida donc d’appliquer l’article 78a du CP et substitua à la sanction pénale une amende administrative d’un montant de 500 BGN. Il condamna aussi le requérant à payer 1 500 BGN au titre du préjudice moral et 412 BGN pour les frais et dépens, à la partie adverse, ainsi que 70 BGN à titre de taxe judiciaire, au Trésor public. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il réitéra ses arguments déjà exposés devant le tribunal de district. En outre, il sollicita la récusation de tous les juges du tribunal régional de Vratsa au motif que l’autre partie à la procédure, qui était le juge de l’exécution près le tribunal de district de Mezdra, exerçait ses fonctions dans la région couverte par la compétence territoriale du tribunal régional. Le requérant demanda également une expertise de la déposition écrite présentée comme émanant du témoin V.T., soumise par la partie adverse devant la première instance, afin de prouver que celui-ci n’avait pas rédigé ce document. Le tribunal régional rejeta les deux demandes de l’intéressé au motif qu’elles étaient mal fondées et sans pertinence pour l’établissement des faits. Par un jugement définitif du 14 octobre 2005, le tribunal régional de Vratsa confirma le jugement du tribunal de district. Il estimait que ce dernier avait correctement établi les faits et appliqué la loi pénale et que, par conséquent, la décision attaquée avait été rendue dans le respect des règles procédurales et des droits du requérant. C. Les événements ultérieurs à la procédure en diffamation Il ressort des pièces du dossier que le requérant perçoit une pension de retraite couplée à une pension d’invalidité. En 2007, le montant mensuel de ces pensions s’élevait à 269,87 BGN (environ 137,98 euros (EUR)). Après le prononcé du jugement du tribunal régional, T.M. demanda et obtint l’ouverture d’une procédure d’exécution auprès du juge de l’exécution rattaché au tribunal de district de Vratsa aux fins de recouvrement de toutes les sommes que le requérant avait été condamné à lui verser à l’issue du procès en diffamation. Il ressort des pièces du dossier qu’un montant supplémentaire de 300 BGN, à titre de frais d’avocat, est venu s’ajouter aux sommes initialement déterminées dans les jugements des tribunaux internes. À la date du 29 avril 2008, le requérant avait déjà payé 2 474 BGN (environ 1 264,93 EUR), y compris les intérêts et les frais de recouvrement, et il lui restait à régler la somme de 500,37 BGN (environ 255,83 EUR). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT En vertu de l’ancien code de procédure civile, abrogé en 2008, les juges de l’exécution avaient pour mission d’exécuter les décisions de justice rendues par les tribuaux. À la différence des juges, des procureurs et des enquêteurs, qui avaient le statut de magistrats et qui étaient nommés, promus, sanctionnés et relevés de leurs fonctions par le Conseil suprême de la magistratire (article 124 de la loi de 1994 sur le pouvoir judiciaire), les juges de l’exécution étaient des fonctionnaires publics nommés par le ministre de la Justice et ils étaient disciplinairement responsables devant lui (article 150 de la loi). Les dispositions du CP relatives au délit de diffamation d’un fonctionnaire et à la substitution d’une sanction administrative à une sanction pénale ont été résumées dans l’arrêt Kasabova c. Bulgarie (no 22385/03, §§ 34-40, 19 avril 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En octobre 2000, un nombre considérable de détenus dans différents établissements pénitentiaires de la Turquie entamèrent une grève de la faim et un « jeûne de la mort », essentiellement afin de protester contre le projet de prisons de « type F », lequel visait à mettre en place des unités de vie plus petites pour les détenus. Au cours du mois de décembre 2000, une équipe de médiateurs, composée de députés, de représentants d’organisations non gouvernementales et d’un groupe d’artistes et d’intellectuels connus, s’entretint avec les grévistes de la faim. Une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) se rendit aussi en Turquie aux fins de mener des entretiens, à l’invitation du gouvernement turc. Toutefois, aucune solution ne put être trouvée. Le 18 décembre 2000, le directeur de la prison de Bayrampaşa soumit à l’approbation du parquet d’Istanbul une demande d’intervention des forces de l’ordre. Il expliqua que quarante-cinq détenus observaient le « jeûne de la mort » et refusaient les examens médicaux quotidiens assurés par les médecins de la prison et les soins proposés par eux. Les prisonniers n’auraient pas renoncé à poursuivre leur jeûne malgré l’intervention de médiateurs, de leurs familles et des médecins. Le 15 décembre 2000, les prisonniers auraient refusé d’être examinés par des médecins envoyés par l’Ordre des médecins. Ces derniers auraient toutefois constaté une perte de poids alarmante chez ces prisonniers, ainsi qu’une détérioration de leur santé, et relevé que, dans les jours à venir, les fonctions vitales des intéressés seraient atteintes et que les premiers décès surviendraient. Pour le directeur de la prison, une intervention des forces de l’ordre permettrait de prodiguer aux prisonniers les soins nécessaires et de prévenir des décès. A. L’intervention des forces de l’ordre dans la prison de Bayrampaşa Le 19 décembre 2000, les forces de l’ordre intervinrent simultanément dans une vingtaine d’établissements pénitentiaires, dont la prison de Bayrampaşa où étaient détenus les proches des requérants. Au cours de cette opération, baptisée « retour à la vie » (hayata dönüş), de violents heurts survinrent entre les forces de l’ordre et les prisonniers. À la prison de Bayrampaşa, l’opération visa le bloc C, composé de dix-huit dortoirs. Au cours de celle-ci, douze détenus trouvèrent la mort parmi lesquels les proches des requérants, et une cinquantaine de détenus furent blessés, dont certains par arme à feu. Selon le procès-verbal de huit pages dressé à la suite de l’opération, l’intervention avait débuté vers 5 heures du matin pour se terminer vers 20 h 30 dans la soirée. À la suite de l’appel à la reddition lancé par les forces de l’ordre, certains prisonniers occupant certains dortoirs avaient accepté l’évacuation sans opposer de résistance. Les autres détenus avaient dressé des barricades derrière les portes des dortoirs et poursuivi leur résistance et leurs agressions en utilisant des armes à feu, des lance-flammes, des cocktails Molotov et des produits inflammables. Les forces de l’ordre avaient lancé des bombes lacrymogènes pour neutraliser les mutins et n’avaient utilisé leurs armes à feu qu’en cas de nécessité (pour une description plus détaillée du déroulement des faits tels qu’exposés dans ce procès-verbal, voir l’affaire İsmail Altun c. Turquie, no 22932/02, §§ 919, 21 septembre 2010). Selon un rapport rédigé par les pompiers, il était estimé qu’un incendie avait été déclenché par la mise à feu, par les détenus, des matelas et de la literie. Les flammes se seraient ensuite propagées dans tout le dortoir. D’après les rapports d’autopsie, les proches des requérants, Şefinur Tezgel, Yazgülü Güder, Seyhan Doğan, Gülser Tuzcu, Özlem Ercan, Nilüfer Alcan et Aşur Korkmaz, sont morts d’une intoxication au dioxyde de carbone, et Fırat Tavuk, Cengiz Çalıkopan, Ali Ateş et Mustafa Yılmaz ont été tués par balles et explosifs. B. Les enquêtes et procédures pénales relatives aux événements survenus à la prison de Bayrampaşa L’enquête et la procédure pénales ouvertes pour les blessures et les décès survenus pendant l’opération « retour à la vie » Le 21 décembre 2000, les forces de l’ordre procédèrent à une fouille du bloc C. Selon le procès-verbal de fouille, les forces de l’ordre avaient découvert à cette occasion un fusil d’assaut de type Kalachnikov avec quatre chargeurs ainsi que 78 balles et 57 douilles correspondant à cette arme. Elles avaient également trouvé quatre pistolets avec leurs chargeurs et des balles, une centaine d’objets tranchants, une antenne et un receveur satellites, des chargeurs, des adaptateurs, des arcs et de nombreuses flèches fabriquées avec des seringues, onze engins explosifs artisanaux, une perceuse, des scies, 58 masques à gaz artisanaux, des flacons d’acide et de produits inflammables, des masses, des équipements de son, des armes factices, ainsi qu’un très grand nombre de documentations, objets et enregistrements audio et vidéo relatifs à des organisations illégales. Le 22 décembre 2000 et le 19 janvier 2001, plusieurs experts de l’institut médicolégal procédèrent, sur demande du parquet d’Eyüp, à des recherches à la prison de Bayrampaşa aux fins d’expertise. Lors de leur visite, ils notèrent d’abord que les lieux n’étaient plus dans l’état dans lequel ils se trouvaient à l’issue de l’opération, en raison des opérations de fouille générale effectuée par les gendarmes. Ils firent ensuite le relevé des impacts de balles et des détériorations dans le couloir central et les dortoirs, et ils recueillirent sur place des dizaines de grenades lacrymogènes. Dans leur rapport rédigé le 14 février 2001, les experts relevèrent que les grenades de gaz lacrymogène contenaient 35 grammes de gaz CS (chlorobenzylidène malonitrile) et 0,21 grammes d’explosif. Les experts conclurent, au vu de la surface du dortoir concerné (C1) et du nombre de grenades retrouvées sur les lieux (quarante-cinq), que la quantité de gaz lacrymogène utilisée dans le dortoir en question était largement supérieure au seuil mortel. Ils précisèrent enfin qu’il était impossible de déterminer avec exactitude l’origine des incendies, ceux-ci pouvant avoir eu pour cause l’utilisation excessive de grenades lacrymogènes dans un espace contenant des matériaux inflammables ou avoir été le fait des détenues (autoimmolations ou incendies volontaires). Le 16 mai 2002, le commandement régional de la gendarmerie d’Istanbul donna des informations au parquet d’Eyüp au sujet du plan d’intervention des forces de l’ordre. Il précisa que l’intervention avait été réalisée en quatre étapes, indiqua quelles unités avaient participé à l’opération et donna des explications sur la mission attribuée à chacune d’elles. Le 8 mai 2003, le procureur de la République d’Eyüp saisit le préfet d’Istanbul d’une demande d’autorisation de poursuites contre les agents des forces de l’ordre ayant participé à l’opération au sein de la prison de Bayrampaşa. Le 25 août 2003, le préfet refusa d’accorder l’autorisation sollicitée. Le 16 mars 2004, le tribunal administratif d’Istanbul (« le tribunal administratif ») annula la décision litigieuse aux motifs que l’identité des agents ayant participé à l’opération n’avait pas été déterminée et que leurs dépositions n’avaient pas été recueillies. Le 2 avril 2005, le préfet réitéra son refus d’autoriser les poursuites. Le 28 juin 2005, le tribunal administratif annula également cette décision pour les mêmes motifs que ceux précédemment retenus, et il renvoya l’affaire au préfet. Le 10 avril 2006, le préfet réitéra son refus d’autoriser les poursuites. Le 21 septembre 2006, le tribunal administratif annula également la décision du préfet en date du 10 avril 2006. Il releva que, selon l’article 2 de la loi no 4483 relative à la poursuite des fonctionnaires, il n’était pas nécessaire d’obtenir l’autorisation de la hiérarchie pour poursuivre les fonctionnaires pour des infractions de torture et de mauvais traitements. Il estima que la décision du préfet était contraire à la loi et à la procédure, et il renvoya le dossier à la préfecture en vue de sa transmission au parquet pour instruction de l’affaire. Le 1er avril 2010, le procureur de la République d’Eyüp, relevant que l’identité de certains gendarmes ayant participé à l’opération n’avait toujours pas été déterminée, décida de disjoindre la partie de l’enquête les concernant du reste de l’enquête. Le 2 avril 2010, il rendit une ordonnance de non-lieu concernant 214 gendarmes qui n’avaient pas été missionnés à la prison de Bayrampaşa ou bien qui avaient assuré seulement les transferts des détenus vers les prisons et les hôpitaux. Le même jour, le procureur de la République d’Eyüp transmit le dossier d’enquête au parquet de Bakırköy pour l’ouverture d’une action pénale contre trente-neuf gendarmes identifiés comme ayant participé à l’opération. Le 20 avril 2010, le procureur de la République de Bakırköy inculpa les trente-neuf gendarmes en question du chef d’homicide et de tentative d’homicide dans l’exercice de leurs fonctions. Il leur reprocha d’avoir outrepassé les pouvoirs que leur conféraient leurs fonctions par un usage excessif de la force et d’armes, usage qui avait entraîné la mort de douze détenus et occasionné des blessures à vingt-neuf détenus. Le procès s’ouvrit devant la cour d’assises de Bakırköy. Lors des audiences tenues les 6 avril et 27 juillet 2011, la cour d’assises de Bakırköy poursuivit l’audition des accusés, des plaignants et des témoins. Elle versa au dossier les dépositions recueillies sur commission rogatoire et réitéra les actes de procédure n’ayant pas encore été exécutés. Le procès pénal est toujours en cours. Les procédures pénales menées contre le personnel de surveillance de la prison pour abus de pouvoir et contre les gendarmes intervenus lors de l’évacuation des détenus pour abus de pouvoir et mauvais traitements Le 16 juillet 2001, le procureur de la République inculpa 155 membres du personnel de la prison – surveillants de prison, gendarmes en fonction à la prison et responsables du détecteur de rayons X – pour abus de pouvoir, au motif qu’ils avaient permis l’introduction d’armes à feu dans l’établissement pénitentiaire. Il inculpa aussi 1 460 gendarmes ayant procédé à l’évacuation des détenus au terme de l’opération, leur reprochant des abus de pouvoir et l’infliction de mauvais traitements aux prisonniers lors de leur évacuation. Le 2 février 2007, le tribunal correctionnel d’Eyüp disjoignit la partie de la procédure diligentée contre le personnel de la prison de celle concernant les 1 460 gendarmes impliqués dans l’évacuation des détenus. Le 23 juin 2008, le tribunal correctionnel, dans deux jugements séparés, déclara éteinte pour prescription l’action pénale diligentée contre les gendarmes et contre le personnel de la prison. Le 31 mai 2011, par la confirmation de la Cour de cassation, les jugements devinrent définitifs. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce, en vigueur à l’époque des faits, sont décrits dans les arrêts Gömi et autres c. Turquie (no , §§ 42-45, 21 décembre 2006), et Leyla Alp et autres c. Turquie (no 29675/02, §§ 54-56, 10 décembre 2013). Une délégation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) s’est rendue en Turquie, à l’invitation du gouvernement turc, aux fins de mener des entretiens avec les prisonniers. Toutefois, aucune solution ne put être trouvée. Le rapport que le CPT rédigea à la suite de ces rencontres avec les prisonniers de plusieurs établissements pénitentiaires turcs, en décembre 2001, figure dans l’arrêt İsmail Altun (no 22932/02, § 57, précité).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1979. Il purge actuellement une peine d’emprisonnement dans la colonie pénitentiaire IK-12, à NijniTaghil, région de Sverdlovsk. A. L’arrestation du requérant et la procédure concernant les allégations de mauvais traitements Le 12 janvier 2005, à 20 heures, le requérant et sa compagne, Ch., soupçonnés de vols et cambriolages, furent interpellés par la police à leur domicile. Se trouvant tous les deux sous l’emprise de narcotiques, ils furent emmenés au bureau de police du district Verkh-Issetski de la ville d’Ekaterinbourg, région de Sverdlovsk (ci-après « le bureau de police »). Aux dires du requérant, pendant la période comprise entre le 12 janvier 2005 et le 14 janvier 2005, il s’était trouvé dans le bureau de police et des policiers l’avaient sévèrement battu, dans le but de lui extorquer des aveux. Ainsi, selon le requérant, le policier Kh. l’avait attaché à une chaise avec une ceinture, lui avait passé un masque à gaz autour de la tête et, en serrant le tuyau, avait coupé périodiquement l’arrivée de l’oxygène. De même, Kh. et d’autres policiers que le requérant disait ne pas avoir vus à cause du masque lui auraient donné des coups de poing sur le corps. Ensuite, selon l’intéressé, les policiers l’avaient détaché en lui demandant de signer des aveux. Le requérant aurait refusé et les policiers auraient continué à le battre. Les policiers Kh., G., P., K., S., qui se seraient trouvés sous l’emprise de l’alcool, auraient tenté d’introduire une bouteille de vodka dans la bouche du requérant et auraient ensuite donné à ce dernier des coups de pied et de poing. Les policiers auraient attaché des ceintures aux jambes du requérant et, tout en frappant celles-ci avec une batte, les auraient écartées en tirant par un des bouts des ceintures. Ensuite, selon le requérant, les policiers avaient menacé sa compagne, qui, d’après lui, était enceinte. Selon l’intéressé, par crainte pour elle, il avait signé les papiers remis par les policiers. Le requérant aurait ensuite été placé dans une cellule de détention temporaire et il y aurait passé la nuit. Le lendemain, le requérant aurait présenté un syndrome d’abstinence lié à l’interruption de la prise de narcotiques. Deux policiers l’auraient sorti de la cellule et il leur aurait demandé à ce moment de faire appel à un médecin. Les policiers auraient passé outre à sa demande et l’auraient frappé jusqu’à l’évanouissement. Puis le requérant aurait repris connaissance et les policiers seraient alors venus le chercher pour l’emmener devant le juge. Le 14 janvier 2005, vers 19 heures, le juge M. du tribunal du district Verkh-Issetski d’Ekaterinbourg (ci-après « le tribunal Verkh-Issetski ») ordonna la mise en détention du requérant. Celui-ci se plaignit de mauvais traitements infligés par des policiers et demanda un examen médical. Sa demande fut accueillie et il fut hospitalisé à l’hôpital civil no 36 d’Ekaterinbourg. Après avoir examiné le requérant, le médecin délivra à ce dernier le certificat suivant : « Zolotarev (...) s’est adressé au service de traumatologie no 2 le 14 janvier 2005, à 22 heures. Diagnostic : multiples hématomes des membres supérieurs et inférieurs. (...) » Le requérant fut ensuite transféré dans les locaux de détention temporaire d’Ekaterinbourg (изолятор временного содержания УВД г. Екатеринбурга) (ci-après « l’IVS »). Il se plaignit auprès de l’officier de garde d’avoir été battu par des policiers. L’officier prit note des lésions et fit un rapport au chef de l’IVS. Le 21 janvier 2005, le requérant fut transféré à la maison d’arrêt no 1 d’Ekaterinbourg où il fut examiné par un médecin qui releva de larges hématomes sur les membres inférieurs et un hématome autour de l’œil droit. L’enquête préliminaire sur l’allégation de mauvais traitements Le 28 janvier 2005, le requérant demanda l’ouverture d’une instruction pénale contre les policiers qui, à ses dires, l’avaient torturé. Le 30 janvier 2005, l’enquêteur M. du service du procureur du district Verkh-Issetski interrogea les policiers B., K. et P., qui nièrent les allégations du requérant, et refusa l’ouverture d’une enquête pénale au motif de l’absence de délit, ayant fait référence à l’article 24 § 1 – 1 du code de procédure pénale. Le requérant fit un recours gracieux auprès du procureur du district lui demandant de revenir sur sa décision et d’interroger des témoins qui auraient été présents lors de l’arrestation. D’après le requérant, ces témoins étaient susceptibles de confirmer que les policiers avaient commis un excès de pouvoir puisqu’ils l’auraient frappé alors qu’il n’aurait pas résisté à l’arrestation. L’annulation de la décision de l’enquêteur Le 13 octobre 2005, l’adjoint du procureur du district rejeta le recours. Il releva que le service du procureur avait déjà effectué une enquête sur l’allégation en question et que le recours ne faisait état d’aucun fait nouveau exigeant un complément d’enquête. Le 15 octobre 2005, le même adjoint revint sur sa décision du 13 octobre 2005 et ordonna un complément d’enquête, dont un interrogatoire des témoins B., J. et Z. Par une lettre du 24 novembre 2005, le chef d’un département du service du procureur régional de Sverdlovsk informa le requérant que l’enquête avait abouti à une décision du 4 novembre 2005, laquelle avait été, à son tour, annulée par une décision du 17 novembre 2005. L’intéressé fut informé qu’un complément d’enquête avait été ordonné. Il n’aurait pas reçu de copie de ces décisions. Le recours judiciaire Le requérant fit un recours judiciaire pour se plaindre d’une inertie du procureur. Par une décision du 13 janvier 2006, le tribunal VerkhIssetski déclara le recours irrecevable au motif que l’enquête pénale dirigée contre le requérant avait été achevée et que le dossier avait été transmis au tribunal pour un examen sur le fond. Le 26 janvier 2007, la cour régionale de Sverdlovsk annula cette décision et renvoya l’affaire devant le tribunal de district pour un examen sur le fond. Par une décision du 27 février 2007, le tribunal de district déclara le recours irrecevable pour le même motif que celui précédemment retenu. Le tribunal observa que le requérant avait été condamné au pénal et que le jugement de condamnation avait acquis force de chose jugée. Il nota que, dans le cadre de la procédure pénale, le tribunal amené à se prononcer avait examiné, entre autres, les allégations de mauvais traitements. Aux yeux du tribunal de district, la juridiction pénale, qui avait effectué cet examen, avait ainsi contrôlé la décision du 13 octobre 2005 (paragraphe 17 cidessus). Pour le tribunal, l’examen du recours introduit par le requérant serait revenu à remettre en cause ce jugement définitif. Le requérant attaqua cette décision en cassation. Par une décision avant dire droit du 5 février 2008, le tribunal de district rejeta ce recours pour tardiveté. Le 23 avril 2008, la cour régionale de Sverdlovsk confirma cette décision. B. Le procès pénal dirigé contre le requérant Entre-temps, par un jugement du 26 décembre 2005, le tribunal de district Verkh-Issetski d’Ekaterinbourg avait condamné le requérant pour les agissements qui lui étaient imputés. Dans le cadre de ce procès le tribunal examina la demande du requérant visant à l’exclusion de l’ensemble des preuves les aveux obtenus, selon ce dernier, en violation de la loi, car lesdits aveux auraient été arrachés par les policiers immédiatement après l’interpellation au moyen de mauvais traitements. Le tribunal rejeta cette demande comme dénuée de tout fondement. Le tribunal condamna le requérant à vingt ans d’emprisonnement et à une amende. Par un arrêt du 3 mai 2006, la cour régionale de Sverdlovsk, statuant en cassation, confirma le jugement. C. L’entrave alléguée à la communication du requérant avec la Cour Par des lettres du 26 octobre 2006, du 9 janvier 2007 et du 20 février 2008, le greffe de la Cour informa le requérant de la réception de sa requête et de ses lettres. L’intéressé affirme que les lettres du greffe lui sont parvenues sans enveloppe. À l’appui de ses dires, il a envoyé les photocopies de ces lettres, sur lesquelles figurent des cachets de pénitenciers. Le requérant soutient également que ses lettres adressées à la Cour ont été censurées, puisque l’administration pénitentiaire lui aurait demandé de les présenter dans des enveloppes ouvertes. Il allègue que ces demandes de l’administration ont causé un retard dans l’envoi de son courrier destiné à la Cour. Il affirme que, pour pouvoir déposer ses lettres dans des enveloppes ouvertes, il a dû attendre le jour suivant l’ouverture du guichet, ouverture qui aurait eu lieu quelques jours, voire une semaine, plus tard. Plusieurs de ces lettres, en date du 27 juillet 2006, des 21 août et 27 décembre 2007, des 29 avril et 6 septembre 2008, du 15 septembre 2009, du 1er février 2010 et du 17 octobre 2011, parvenues au greffe de la Cour, étaient accompagnées de certificats rédigés par l’administration pénitentiaire résumant leur contenu, et une autre de ces lettres, en date du 1er juin 2009, envoyée au greffe de la Cour, portait un cachet d’un établissement pénitentiaire. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions du code de procédure pénale russe relatives à l’enquête préliminaire, à l’ouverture de l’instruction pénale et à l’examen judiciaire des recours formés contre les décisions des autorités chargées de l’instruction sont décrites dans l’arrêt Lyapin (Lyapin c. Russie, no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014). Les dispositions pertinentes en l’espèce relatives à l’examen médical avant la privation de liberté sont résumées dans les arrêts Chernetskiy c. Russie (no 18339/04, §§ 48-50, 16 octobre 2014) et Shamardakov c. Russie (no 13810/04, §§ 97-100, 30 avril 2015).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, nés respectivement en 1976 et en 1975, résident respectivement à Morąg et à Bielsko-Biała. A. Le requérant Marek Siemaszko À la date d’introduction de la présente requête, le premier requérant purgeait, depuis une date non précisée, une peine de réclusion criminelle de seize ans. En juin 2000, alors qu’il était incarcéré à la prison de Poznań, l’administration pénitentiaire ouvrit pour le compte et au nom du requérant un livret dénommé « livret à vue » (konto bankowe z książeczką oszczędnościową płatną na żądanie) à la banque PKO BP. Entre le mois d’août 2000 et le mois de mars 2012, dix-neuf versements furent effectués sur ce livret, à la suite de quoi la valeur de son épargne avait atteint 1 600 zlotys polonais (PLN). À plusieurs reprises, le requérant se plaignit aux autorités que le taux d’intérêt du livret dont il était détenteur était le plus bas sur le marché. Il leur demanda de l’autoriser à placer son épargne sur un autre livret, susceptible de lui procurer une rémunération plus intéressante. Par des lettres qu’il fit parvenir au requérant les 4 novembre et 22 décembre 2008, le responsable de la prison de Barczewo informa l’intéressé que, en application de l’article 126 du code d’application des peines (« le CAP » – paragraphe 30 ci-dessous), les sommes accumulées sur son livret constituaient son pécule de libération – dit aussi « fonds d’accumulation » (fundusz akumulacyjny) –, soit une réserve dont il ne pouvait disposer pendant son incarcération. Le responsable de la prison de Barczewo souligna que, en application de l’article 113 § 3 du CAP (paragraphe 28 ci-dessous), le requérant pouvait disposer librement de son argent, à l’exception des sommes accumulées au titre de son pécule de libération dans la limite du salaire mensuel moyen, soit 2 986,55 PLN. Le responsable de la prison informa également le requérant que seule la PKO BP – et non pas l’administration pénitentiaire – était compétente pour fixer les conditions applicables au livret, y compris son taux d’intérêt. Entre-temps, dans une lettre qu’il avait fait parvenir au requérant le 26 novembre 2008, le médiateur l’avait informé que, selon l’article 126 alinéa 1 du CAP (paragraphe 30 ci-dessous), le pécule de libération était une réserve constituée sur les ressources du détenu dans le but de lui permettre de réaliser les dépenses en rapport avec sa libération à venir, telles que l’achat d’un titre de transport pour rejoindre son domicile, et de lui procurer des moyens de subsistance dans un premier temps après sa mise en liberté. Le médiateur indiquait que, dans la mesure où le fonds en question était indisponible pendant l’incarcération du détenu, le requérant ne pouvait transférer les sommes le constituant sur un livret de son choix. Il soulignait que, selon une enquête réalisée par ses services, le livret à vue était le mieux adapté au but du pécule de libération, compte tenu du fait qu’il garantissait la disponibilité continue et immédiate de l’épargne accumulée, y compris en cas de libération anticipée du détenu. En réponse, le 3 décembre 2008, le requérant s’était alors plaint au médiateur que le taux de rémunération du livret sur lequel les sommes constituant son pécule de libération étaient déposées était tellement faible que la valeur de ce pécule diminuait. Le requérant affirmait que, en plus d’être privé de sa liberté, il devait supporter une mesure désavantageuse et préjudiciable pour ses biens. Le requérant priait le médiateur d’intervenir auprès de l’administration pénitentiaire pour qu’il pût se rendre à la banque et ouvrir un autre livret. Par une lettre qu’il fit parvenir au requérant le 23 décembre 2008, le médiateur informa l’intéressé que les droits et libertés des détenus en tant que citoyens pouvaient faire l’objet des restrictions prévues par la loi ou par une décision de justice. Il indiquait que la mesure prévue par l’article 113 du CAP en était un exemple. Il précisait toutefois que cette mesure respectait les intérêts des détenus, étant donné qu’elle visait à la conservation de leur épargne dans l’attente de leur mise en liberté. Par ailleurs, entre le mois de mai 2008 et le mois de janvier 2009, le requérant avait fait parvenir à la PKO BP une série de lettres par lesquelles il lui demandait de le renseigner sur les produits d’épargne disponibles et mieux rémunérés que son livret. En communiquant en retour au requérant les éléments demandés, la PKO BP l’avait informé que la souscription à un livret d’épargne ne pouvait se faire qu’en présence du souscripteur dans l’une de ses agences. En outre, le 19 juin 2008, le requérant avait sollicité du juge d’application des peines une permission de sortie pour pouvoir se rendre à la banque et souscrire à un livret. Indiquant qu’il avait purgé pratiquement les trois quarts de sa peine, le requérant se plaignait du faible taux d’intérêt annuel du livret dont il était détenteur, en l’occurrence de 0,1 %. Il soutenait que le livret en question avait été ouvert par les autorités sans son consentement préalable et que, en outre, non seulement il ne lui procurait aucun bénéfice mais il lui occasionnait une perte financière. À une date non précisée dans la requête, la demande du requérant avait été rejetée. Le 9 septembre 2008, le tribunal régional d’Olsztyn avait confirmé cette décision, relevant que les conditions d’octroi d’une permission de sortie, au regard de l’article 141. a) du CAP (paragraphe 31 ci-dessous), n’étaient pas présentes. Le 9 février 2009, le requérant demanda à la direction de son établissement pénitentiaire de le conduire à la banque pour qu’il déposât un dossier d’ouverture d’un livret de son choix. La demande du requérant serait apparemment restée sans suite. Le 7 février 2012, l’administration pénitentiaire informa le requérant de la nouvelle formulation de l’article 126 du CAP, consécutive à l’amendement de ce code entré en vigueur le 1er janvier 2012 (paragraphe 30 ci-dessous). Le 13 février 2012, le requérant fut transféré à la prison de Kamińsk. Le 16 mars 2012, à la suite d’une demande du requérant similaire à celle formulée par lui le 9 février 2009, l’intéressé fut conduit à l’agence de la PKO BP la plus proche de son lieu d’incarcération. Il clôtura son livret et en ouvrit un autre de son choix sur lequel les sommes accumulées sur l’ancien livret furent transférées. À l’ouverture de ce nouveau livret, le requérant effectua une déclaration selon laquelle il s’engageait à utiliser son épargne uniquement dans le but prévu par l’article 126 § 1 du CAP. B. Le requérant Jan Olszyński À la date d’introduction de sa requête, le deuxième requérant purgeait une peine d’emprisonnement d’une durée non précisée, et ce depuis environ sept ans. En 2002, alors qu’il était incarcéré à la prison de Strzelce Opolskie, le requérant signa le dossier d’ouverture d’un livret à vue à la PKO BP, apparemment sans avoir été informé de son taux d’intérêt. À cette date, le requérant disposait d’environ 1 700 PLN d’épargne. Selon le requérant, ce n’est qu’en 2007, soit après son transfèrement à la prison de Cieszyn, qu’il a été informé par les autorités que le taux d’intérêt annuel de son livret était de 0,1 %. Une attestation établie en mars 2008 par la direction de la prison de Cieszyn confirma le taux d’intérêt susmentionné et fit apparaître que les sommes accumulées sur le livret du requérant avaient atteint un montant s’élevant à environ 2 700 PLN. En février et mai 2008, le requérant demanda à l’administration pénitentiaire de lui fournir des renseignements sur les produits d’épargne susceptibles de lui procurer une rémunération plus intéressante que le taux d’intérêt de son livret. Par une lettre qu’elle fit parvenir au requérant le 27 février 2008, l’administration pénitentiaire l’informa que, en vertu de la loi, les moyens de paiement appartenant à un détenu pouvaient être consignés à son établissement pénitentiaire ou bien être versés sur un livret d’épargne (książeczka oszczędnościowa). La plainte au parquet À une date non précisée dans sa requête, le requérant se plaignit au parquet de Cieszyn d’une mauvaise gestion de ses biens par l’administration pénitentiaire et par la PKO BP et d’un abus de faiblesse commis à son encontre par ces dernières. Il soutenait que, en raison de l’obligation lui ayant été faite de déposer les sommes constituant son pécule de libération sur un livret à la PKO BP, il avait subi un préjudice financier à hauteur de 3 000 PLN. Par une ordonnance du 3 mars 2009, le parquet de Cieszyn refusa d’ouvrir une enquête, considérant que les éléments constitutifs de l’abus de faiblesse puni par l’article 296 § 1 du code pénal (« le CP ») n’étaient pas réunis et qu’aucune infraction à cette disposition ne pouvait être retenue. Le 12 mai 2009, le tribunal de district de Cieszyn confirma la décision du parquet, en observant que, par leur conduite, les agents de l’État avaient respecté la loi. Le tribunal souligna que les autorités n’étaient pas tenues de faire fructifier l’épargne des détenus mais de veiller à ce qu’elle ne subisse pas de dégradation. Le tribunal releva en outre que l’article 113 § 3 du CAP (paragraphe 29 ci-dessous) ne pouvait être interprété comme impliquant l’obligation pour les autorités de placer l’argent du détenu sur un livret d’un type particulier. La plainte au défenseur des consommateurs (Rzecznik Praw Konsumenta) Dans une plainte qu’il fit parvenir au défenseur des consommateurs de Cieszyn, le requérant déclara qu’il avait été victime d’un abus de la part de la PKO BP en raison, à ses dires, de sa position dominante sur le marché des livrets et de son monopole en matière de gestion des moyens de paiement appartenant aux détenus. Le requérant soutenait que le taux d’intérêt appliqué par la banque en question aux livrets offerts à ces derniers était inférieur au taux d’inflation en vigueur et le plus bas sur le marché. Par une lettre qu’il fit parvenir au requérant le 30 décembre 2008, le défenseur des consommateurs lui transmit les observations présentées par la PKO BP en réponse à sa plainte. Il en ressortait notamment ce qui suit. La banque concernée ne détenait aucun monopole en matière de livrets d’épargne, étant donné qu’il pouvait être souscrit dans n’importe quelle banque. La rémunération du livret dont le requérant était détenteur était fixée par le conseil d’administration de la PKO BP selon des critères purement économiques, tels que la situation des marchés, le taux d’inflation et les taux de rémunération officiels des livrets. Le faible taux de rémunération du livret du requérant constituait une contrepartie de l’engagement de la banque aux termes duquel elle lui garantissait la disponibilité continue de son épargne, sans pouvoir l’investir. Le taux d’intérêt en question n’était pas imputable au fait que le détenteur du livret était privé de sa liberté. L’administration pénitentiaire était seule compétente en matière des fonds accumulés en application de l’article 126 du CAP. Plus particulièrement, elle seule décidait dans quelle banque et sur quel livret les fonds en question étaient placés. La PKO BP était tenue d’appliquer les instructions données en la matière par l’administration pénitentiaire. Le requérant, comme chaque client de la banque, pouvait luimême ou par le biais de son mandataire disposer des sommes accumulées sur son livret sous réserve d’être en possession d’un document que la banque lui avait remis à l’ouverture du livret. La banque elle-même ne pouvait appliquer aucune restriction particulière à l’accès des détenus aux services bancaires, seule l’administration pénitentiaire étant compétente en la matière. En marge de sa lettre, le défenseur des consommateurs informa le requérant de son intention d’intervenir auprès du ministère de la Justice en vue d’éventuels amendements de l’article 126 du CAP, compte tenu de sa formulation obsolète. L’action civile contre l’État, représenté par le ministre de la Justice Le 12 mars 2009, le requérant engagea une action civile dont la teneur n’est pas précisée dans sa requête à l’encontre de l’État, représenté par le ministre de la Justice. Environ trois mois plus tard, le requérant fut informé que son recours n’avait pas été examiné, en raison du défaut de paiement des frais y afférents. Le 5 octobre 2009, un recours subséquent du requérant fut rejeté. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution polonaise L’article 64 de la Constitution se lit comme suit : « 1. Toute personne dispose du droit de propriété et des autres droits patrimoniaux, ainsi que du droit de succession. La propriété, les autres droits patrimoniaux et le droit de succession sont juridiquement protégés, dans des conditions d’égalité. La propriété ne peut faire l’objet de restrictions que par la loi, dans la mesure où celle-ci ne porte pas atteinte à la nature du droit de propriété. » L’article 79 § 1 de la Constitution, qui traite des recours constitutionnels, est ainsi libellé : « Conformément aux principes fixés par la loi, toute personne dont les libertés ou les droits constitutionnels ont été violés peut saisir la Cour constitutionnelle afin d’obtenir une décision sur la conformité à la Constitution d’une loi ou de tout autre texte normatif ayant servi de fondement à une décision définitive rendue par un tribunal ou par un organe administratif au sujet de ses libertés, droits ou obligations tels qu’ils se trouvent définis par la Constitution. » B. Le code d’application des peines du 6 juin 1997 L’article 113 du CAP, en ses dispositions pertinentes en l’espèce, se lit ainsi : « § 1.Les sommes et les objets de valeur appartenant au détenu sont consignés à son établissement carcéral. Aucun taux de rémunération n’est appliqué auxdites sommes. § 2. Le détenu peut librement disposer de l’argent restant à sa disposition à condition qu’il ait satisfait aux obligations lui incombant en application d’une voie d’exécution, et après qu’il aura réuni les fonds dont il est question à l’article 126 § 1 du CAP. § 3. Les sommes susmentionnées au paragraphe 2 peuvent être versées sur un compte bancaire du choix du détenu ou sur un livret d’épargne (książeczka oszczędnościowa) ou bien être consignées à son établissement carcéral. (...) § 5. Sur demande écrite du détenu et aux frais de celui-ci, les sommes et les objets de valeur étant à sa disposition peuvent être remis aux personnes, aux institutions et aux organisations définies [comme suit] (...). § 6. Ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution : 1) les aides octroyées au détenu par le responsable de son établissement carcéral, (...) 3) les sommes affectées au paiement d’amendes converties en une peine d’emprisonnement ou en une mesure privative de liberté, 4) les sommes perçues par le détenu pendant un mois dans la limite de 10 % du salaire mensuel moyen. § 7. En cas de permission de sortie accordée au détenu et sur demande écrite de celui-ci, les sommes restant à sa disposition lui sont reversées. » L’article 126 du CAP a fait l’objet de diverses formulations consécutives aux amendements successifs de ce code. L’article 126 du CAP dans sa formulation initiale : « § 1. La rémunération perçue par le détenu et les sommes qui lui échoient d’un montant équivalant au salaire mensuel moyen sont affectées à la constitution de son pécule de libération qui lui est remis à la fin de son incarcération et qui est destiné à financer son retour au domicile et à lui procurer les moyens de subsistance [dans un premier temps après sa libération] ; les sommes constituant le pécule de libération ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution. § 2. Le ministre de la Justice déterminera par voie d’ordonnance les règles applicables au pécule de libération susmentionné au paragraphe 1. » L’article 126 du CAP dans sa formulation applicable à compter du 1er septembre 2003 : « § 1. Les sommes qui échoient au détenu hormis les allocations mentionnées à l’article 113 § 6.1 sont accumulées dans la limite du salaire mensuel moyen et lui sont reversées à sa libération de sorte qu’il puisse financer son retour au domicile et qu’il dispose de moyens de subsistance [à sa libération] ; les sommes en cause ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution et, sur demande du détenu, peuvent être versées sur un livret. § 2. Sont accumulées : 1) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite du salaire mensuel moyen, les sommes dont le détenu est porteur à sa mise sous écrou, 2) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limité de 4 % du salaire mensuel moyen, les sommes qui échoient au détenu au titre de sa rémunération, après soustraction des sommes dont il est redevable au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, 3) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite de 4 % du salaire mensuel moyen, toutes les sommes qui échoient au détenu, hormis celles mentionnées aux points 1 et 2. § 3. L’accumulation des sommes susmentionnées au paragraphe 2 alinéas 2 et 3 intervient après soustraction de celles qui font l’objet d’une [voie d’]exécution. § 4. En cas d’augmentation du salaire mensuel moyen, les sommes accumulées sont complétées (...). » L’article 126 du CAP dans sa formulation applicable à compter du 1er janvier 2012 : « § 1. Les sommes qui échoient au détenu, hormis les sommes mentionnées à l’article 113 § 6.1-3, sont accumulées dans la limite du salaire mensuel moyen et reversées au détenu à sa libération de sorte qu’il puisse financer son retour au domicile et disposer de moyens de subsistance [à sa libération] ; les sommes concernées ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution et, sur demande du détenu, peuvent être versées sur un compte bancaire de son choix ou sur un livret d’épargne. (...) » L’article 126 du CAP dans sa formulation applicable à compter du 1er juillet 2015 : « § 1. Les sommes qui échoient au détenu, hormis les sommes mentionnées à l’article 113 § 6.1-3, sont accumulées dans la limite du salaire mensuel moyen et reversées au détenu à sa libération de sorte qu’il puisse financer son retour au domicile et disposer de moyens de subsistance [à sa libération] ; les sommes concernées ne peuvent faire l’objet d’une saisie-exécution. § 2. Sont accumulées : 1) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite du salaire mensuel moyen, les sommes dont le détenu est porteur à sa mise sous écrou, 2) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limité de 4 % du salaire mensuel moyen, les sommes qui échoient au détenu au titre de sa rémunération, après soustraction des sommes dont il est redevable au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, 3) jusqu’à 50 % de leur valeur, et dans la limite de 4 % du salaire mensuel moyen, toutes les sommes qui échoient au détenu, autres que celles mentionnées aux points 1 et 2. § 3. Les sommes susmentionnées au paragraphe 2 alinéas 2 et 3 sont accumulées après soustraction de celles qui font l’objet d’une [voie d’] exécution. § 4. Les sommes accumulées de manière susmentionnée aux paragraphes 1-3 sont versées par les établissements pénitentiaires sur les comptes (rachunkach sum depozytowych) et reversées au détenu en leur valeur nominale majorée d’intérêts dus. § 5. Les comptes susmentionnés au paragraphe 4 sont ouverts à la banque Bank Gospodarstwa Krajowego séparément pour chaque établissement pénitentiaire sur la base des contrats conclus avec le responsables respectifs. § 6. La Bank Gospodarstwa Krajowego garantit en particulier: 1) la gestion analytique des actifs pour différents dépôts (micro-comptes) liés à chaque compte ; 2) le calcul journalier d’intérêts ainsi que la capitalisation régulière d’intérêts dus au titre des fonds accumulés sur chaque micro-compte ; 3) la possibilité d’échanger les informations avec les titulaires des comptes concernant la situation de chaque micro-compte (capital et intérêts) ainsi que les mouvements sur le compte (dépôts et retraits). § 7. Les fonds déposés sur le compte sont rémunérés au taux de la Banque nationale de Pologne (Narodowy Bank Polski). Les intérêts courus sur les sommes en dépôt sur les comptes des établissements pénitentiaires sont soumis à la capitalisation annuelle qui s’effectue au 31 décembre de chaque année civile ainsi qu’à la libération du détenu. § 8. En cas de transfèrement du détenu dans un autre établissement pénitentiaire, les actifs de son compte de dépôt, constitué selon la procédure mentionnée aux § 1-3, avec les intérêts y afférents, courus jusqu’à la veille de son transfèrement, sont transférés sur le compte de son nouvel établissement pénitentiaire. § 9. Les sommes accumulées sont automatiquement complétées en cas d’augmentation du salaire moyen. Elles sont complétées par les sommes échues au détenu à compter du premier jour du mois suivant la publication de la communication du Président de l’office statistique concernant les salaires moyens. (...). » L’article 141 a. du CAP prévoit : « En cas de circonstances particulièrement importantes pour le détenu, celui-ci peut se voir octroyer une permission de quitter son lieu d’incarcération pendant cinq jours au maximum, en cas de besoin sous l’escorte d’un gardien de la prison ou en étant accompagné d’une personne de confiance. » L’article 166 § 3 du CAP dispose : « Le détenu ne disposant pas de ressources suffisantes à sa libération et dont la subsistance n’est pas assurée peut recevoir du responsable de son établissement pénitentiaire une aide financière dans la limite d’un tiers du salaire mensuel moyen ou une prestation équivalente. » C. Le code civil (« le CC ») L’article 3581 § 3 du CC dispose que, en cas d’important changement du pouvoir d’achat d’une somme d’argent constituant l’objet d’une créance pécuniaire, le tribunal peut – en tenant compte des règles de vie en société et des intérêts des parties – modifier la valeur ou le mode d’exécution de ladite créance, y compris lorsqu’ils ont été déterminés par une décision de justice ou par une disposition contractuelle. L’article 388 §§ 1 et 2 du CC prévoit que, lorsqu’en abusant de la situation de faiblesse, de l’infirmité ou de l’état d’ignorance d’une personne, une partie au contrat accepte de recevoir pour elle-même ou pour autrui une prestation dont la valeur à la conclusion du contrat dépasse de manière flagrante celle de la prestation qu’elle-même offre en contrepartie, l’autre partie peut demander que sa propre prestation soit réduite ou que celle lui étant due soit augmentée, et, dans le cas où l’usage de chacune de ces facultés serait entaché d’une trop grande difficulté, elle peut demander que le contrat soit invalidé. Les droits susmentionnés peuvent être exercés pendant deux ans à compter de la conclusion dudit contrat. L’article 415 du CC dispose que celui qui cause un dommage à autrui par sa faute est tenu de le réparer. Selon l’article 4171 § 1 du CC, si le dommage a été causé par l’adoption d’un acte normatif, il peut être demandé réparation du dommage une fois établi dans la procédure pertinente que cet acte était contraire à la Constitution, à un traité international régulièrement ratifié ou à la loi. D. La loi du 16 février 2007 sur la concurrence et la protection des consommateurs (Ustawa o ochronie konkurencji i konsumentów) L’article 9 alinéa 1 de la loi du 16 février 2007 sur la concurrence et la protection des consommateurs interdit l’abus de position dominante sur un marché par un ou par plusieurs entrepreneurs. III. LES RÈGLES PÉNITENTIAIRES EUROPÉENNES Les Règles pénitentiaires européennes pertinentes en l’espèce prévoient ce qui suit: « Travail (...) 11 Les détenus doivent pouvoir consacrer au moins une partie de leur rémunération à l’achat d’objets autorisés destinés à leur usage personnel et à en envoyer une autre partie à leur famille. 12 Les détenus peuvent être incités à économiser une partie de leur rémunération et doivent pouvoir récupérer cette somme à leur sortie de prison ou l’affecter à d’autres usages autorisés. Objets appartenant aux détenus 1 Les objets qui ne peuvent pas rester en possession d’un détenu, en vertu du règlement intérieur, doivent être placés en lieu sûr lors de l’admission dans la prison. 2 Tout détenu dont les objets sont placés en lieu sûr doit signer un inventaire dressé en conséquence. 3 Des mesures doivent être prises pour conserver ces objets en bon état. Libération des détenus (...) 4 Lors de sa libération, tout détenu doit récupérer l’argent et les objets dont il a été dépossédé et qui ont été placés en lieu sûr, à l’exception des sommes qu’il a régulièrement prélevées, ainsi que des objets qu’il a été autorisé à envoyer à l’extérieur ou qui ont dû être détruits par mesure d’hygiène. (...) 8 Le détenu doit également être pourvu des moyens immédiatement nécessaires à sa subsistance, doté de vêtements convenables et appropriés au climat et à la saison, et doté des moyens suffisants pour arriver à destination. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1969 et en 1997, sont d’origine rom et résident à Făgăraș. Ils n’ont pas de lien de parenté. A. La plainte pénale des requérants Le 25 juin 2012, les deux requérants déposèrent des plaintes pénales contre cinq policiers du chef de comportement abusif (article 250 du code pénal). Ils soutenaient principalement que, le 12 juin 2012, les cinq policiers, au cours de leurs recherches pour retrouver I.G., le fils de la requérante, avaient pénétré dans la cour de la maison de la requérante et avaient frappé celle-ci au niveau de la poitrine et des jambes, lui causant une fracture de la jambe gauche et la faisant chuter à terre ; son mari et elle auraient ensuite été menottés et conduits au siège de la police. En outre, les policiers auraient immobilisé le requérant et auraient tenté de lui prendre le téléphone portable avec lequel il les avait filmés. Ils lui auraient aussi donné des coups de pied dans le dos et dans les côtes. La requérante joignit à sa plainte un certificat médico-légal délivré le 13 juin 2012. Celui-ci attestait la présence, au niveau du bras gauche et de la main droite, d’ecchymoses provoquées par une compression, d’un traumatisme à la cheville gauche ainsi que d’une fracture du péroné et de la malléole tibiale causée par une chute et un choc contre un objet ou une surface durs. Selon ce certificat, l’état de l’intéressée avait nécessité des soins médicaux pendant cinquante à cinquante-cinq jours et les lésions pouvaient effectivement dater du 12 juin 2012. Le requérant joignit lui aussi à sa plainte un certificat médico-légal daté du 13 juin 2012. Celui-ci décrivait quatre excoriations au niveau de l’avant-bras gauche, une excoriation au niveau de la cheville gauche, et un traumatisme à l’avant-bras droit qui pouvait avoir été causé par un coup donné avec un objet dur ou par un choc. Selon le certificat, ces lésions avaient nécessité des soins médicaux pendant quatre à cinq jours et elles pouvaient dater du 12 juin 2012. B. L’enquête préliminaire Le 17 juillet 2012, les plaintes furent transmises au parquet près la cour d’appel de Braşov, qui ouvrit une enquête préliminaire. Plusieurs documents, issus d’une procédure parallèle ouverte à l’encontre des requérants pour outrage à agents, furent versés au dossier de l’enquête préliminaire. Il s’agissait des dépositions des requérants ainsi que de celles du mari de la requérante, des rapports des policiers impliqués dans les événements, du procès-verbal de recherche sur les lieux et des photographies prises le jour des événements. L’audition des policiers Le 31 juillet 2012, sept policiers, parmi lesquels les cinq agents contre lesquels les requérants avaient porté plainte, furent entendus par le procureur au sujet de la plainte du requérant. Le policier N.B. déclara que, le 12 juin 2012, il s’était rendu avec un collègue dans la rue où demeuraient les requérants, qui était une rue habitée principalement par des personnes d’origine rom, pour rechercher et éventuellement identifier les témoins d’un incident dans lequel le fils de la requérante aurait été impliqué. Il expliqua que ce dernier était suspecté d’avoir pénétré dans une maison avec l’intention d’agresser ses habitants et d’avoir démoli la voiture de ces derniers à coups de matraque. N.B. ajouta que la requérante avait interrogé les policiers sur leur présence dans la rue, les avait menacés et leur avait demandé de laisser son fils tranquille ; ce dernier se serait approché et leur aurait demandé sur un ton agressif ce qu’ils lui reprochaient et les aurait menacés. N.B. déclara en outre que, dans un premier temps, son collègue et lui avaient essayé de le calmer et de l’inviter à les accompagner au siège de la police pour discuter. Eu égard à son agressivité, ils auraient tenté de le menotter, sans succès, et il aurait alors pris la fuite. N.B. déclara encore que, pendant ce temps, les voisins s’étaient rassemblés en grand nombre dans la rue en protestant bruyamment, ce qui aurait décidé son collègue à appeler des renforts. Plusieurs autres policiers seraient alors arrivés sur place. N.B. précisa que, parmi ces voisins, un jeune homme s’était montré plus agressif que les autres, qu’il les avait menacés et qu’il avait essayé de les photographier ou de les filmer avec son téléphone portable. N.B. raconta avoir essayé, avec l’aide de ses collègues, d’interpeller l’individu agressif aux fins d’identification, en vain ; son collègue et lui ainsi que plusieurs autres policiers arrivés sur les lieux entre-temps auraient été poussés par la foule dans la cour dans laquelle le jeune homme était entré. N.B. déclara avoir vu, quand il était entré à son tour dans cette cour, le requérant frapper un des policiers avec une caisse à bouteilles en plastique pour l’empêcher de l’appréhender. Il ajouta avoir aperçu ensuite un adulte armé d’un bâton se diriger vers eux en proférant des menaces de mort et une femme plus âgée se jeter à terre. Il déclara enfin que le requérant n’avait pas été agressé par les policiers et qu’un tel acte aurait certainement déclenché des représailles de la part de la foule rassemblée dans la rue. Les six autres policiers s’accordèrent à dire : – que de nombreux voisins – de 50 à 200 personnes d’après eux – s’étaient rassemblés dans la rue ; – que le requérant, qui se trouvait dans la rue, était très agressif et les injuriait ; – que certains policiers avaient tenté de l’immobiliser dans la rue, sans succès, car plusieurs membres de sa famille seraient venus à sa rescousse ; – que la foule les avait poussés vers la cour de la maison de la famille du requérant ; – qu’ils avaient tenté de l’immobiliser à nouveau dans la cour, en vain ; – que le requérant avait poussé une caisse à bouteilles vide vers eux ; – que le père du requérant avait fait irruption dans la cour armé d’un bâton et qu’il les avait menacés ; – qu’ils n’avaient pas agressé le requérant ; – que ce dernier avait finalement accepté d’aller au siège de la police, accompagné de sa mère, pour faire une déclaration. Le 3 septembre 2012, six policiers furent entendus par le procureur au sujet de la plainte de la requérante. N.B. compléta sa déclaration du 31 juillet 2012 et précisa que, au moment où il était entré avec son collègue dans la cour de la maison de la requérante, celle-ci s’était mise à crier, que son mari était sorti de la maison au moment où deux autres policiers arrivés en renfort faisaient irruption dans la cour, et que, alors qu’un agent de police tentait de l’immobiliser, il s’était emparé du bâton avec lequel un enfant voulait attaquer cet agent. Selon N.B., personne n’avait frappé la requérante. N.B. précisa qu’il y avait un espace près de la porte par lequel la foule rassemblée dans la rue pouvait voir ce qui se passait dans la cour et que, s’ils avaient agressé qui que ce fût, cela aurait déclenché les représailles de la foule. A.I.M. confirma la version des faits présentée par N.B. et ajouta qu’il avait demandé au mari de la requérante de les accompagner au siège de la police ; ce dernier ayant refusé obtempérer, il aurait vainement tenté, aidé par un troisième policier, de le menotter. C.M. déclara qu’au moment où il avait fait irruption dans la cour, le mari de la requérante avait déjà été immobilisé et que cette dernière criait « ils vont nous tuer ! ». Selon C.M., la requérante s’était dirigée vers le portail, avait glissé et était tombée ; il l’aurait aidée à se relever et l’aurait conduite jusqu’à la voiture de police. N.D.C. mentionna que, à son arrivée sur les lieux, ses collègues lui avaient demandé de conduire la requérante et son mari au siège de la police. Il déclara que ces derniers vociféraient, s’inquiétant des raisons pour lesquelles la police voulait emmener leur fils. Il précisa que la requérante ne s’était pas plainte de douleurs ni d’une fracture de la jambe. Deux autres policiers confirmèrent la version des faits donnée par leurs collègues et précisèrent que la requérante n’avait été aucunement agressée et qu’elle avait proféré des menaces à leur égard. L’audition des requérants et des témoins proposés par eux Les requérants furent également entendus par le parquet. Le 31 juillet 2012, le requérant déclara qu’il avait poussé une caisse à bouteilles vide vers les policiers quand ceux-ci l’avaient poursuivi dans la cour de la maison de sa famille, avant de l’appréhender et de le plaquer au sol. Il indiqua le nom des trois membres de sa famille qui se trouvaient dans la rue au moment de son interpellation. Entendue le même jour, la mère du requérant déclara que, à son retour chez elle, elle avait trouvé son fils plaqué au sol et immobilisé par quatre policiers : l’un d’entre eux lui aurait mis une main dans le dos, un autre l’aurait tenu par la nuque, un troisième lui aurait immobilisé l’autre main et le dernier l’aurait tenu par les jambes. Deux témoins proposés par le requérant déclarèrent qu’ils n’avaient pas assisté à l’interpellation de celui-ci, mais qu’ils avaient vu quatre policiers se lancer à sa poursuite parce qu’il les aurait filmés avec son téléphone portable. Le 5 septembre 2012, la requérante déclara qu’elle s’était opposée à l’interpellation de son fils, I.G., qui aurait réussi à s’enfuir. Elle dit avoir obéi aux policiers qui lui auraient demandé d’entrer dans la maison, où se trouvaient sa mère ainsi que quatre de ses fils, âgés de 4 à 10 ans. Elle ajouta que, après que son mari eût également pénétré dans la maison, l’un des policiers l’avait roué de coups jusqu’à ce qu’il tombât à terre. Elle précisa qu’un deuxième policier avait continué à lui porter des coups de pied à la tête et qu’elle-même avait été frappée. Elle ajouta qu’ils avaient été emmenés dans la cour de la maison, mais pas avant que les policiers n’eussent fermé le portail, et que l’un d’eux lui avait donné un coup de pied à l’intérieur de la jambe gauche. Selon elle, les policiers lui avaient cogné la tête contre les murs de la maison et l’un d’eux lui avait donné une claque et des coups au niveau du dos. Son mari et elle auraient été menottés et conduits au siège de la police. Lors de son audition, elle demanda que son mari et sa mère soient entendus par les autorités. Le 5 et le 11 septembre 2012, le procureur entendit respectivement le mari et la mère de la requérante, qui confirmèrent la version des faits de cette dernière. Les décisions des autorités judiciaires Par une décision du 11 septembre 2012, le parquet près la cour d’appel de Braşov prononça un non-lieu. Après avoir exposé le contenu des dépositions des parties et des différents témoins, il estima que l’application du principe in dubio pro reo s’imposait en l’espèce au bénéfice des policiers. Les requérants, par l’intermédiaire de leur avocat, contestèrent cette décision devant le procureur en chef du parquet. Ils dénoncèrent le refus du parquet d’accéder à la demande de leur avocat d’assister aux auditions, ce qui méconnaissait, à leurs yeux, les droits de la défense. Ils critiquèrent en outre l’interprétation faite par le parquet des dépositions recueillies en l’espèce. Par une décision du 19 octobre 2012, le procureur en chef du parquet près la cour d’appel de Braşov confirma la décision du 11 septembre 2012. Il estima en premier lieu que l’avocat n’avait pas été régulièrement mandaté à agir au nom des requérants. À titre subsidiaire, il confirma les conclusions exposées dans la décision susmentionnée et précisa que, en droit roumain, le droit d’assister aux mesures d’instruction, réclamé par l’avocat des requérants, était garanti uniquement au stade des poursuites pénales, poursuites qui n’avaient pas été engagées en l’espèce. Les requérants contestèrent devant la cour d’appel de Braşov la décision de non-lieu. Ils invoquèrent l’article 3 de la Convention et dénoncèrent une ineffectivité de l’enquête menée quant à leurs allégations selon lesquelles ils avaient subi le 12 juin 2012 des agressions qui constituaient, à leurs yeux, des traitements inhumains et dégradants. Ils critiquèrent en premier lieu le refus du parquet de faire droit à la demande de leur avocat d’assister aux mesures d’instruction, en méconnaissance, selon eux, des droits de la défense garantis par l’article 24 de la Constitution. Ils mentionnèrent en outre que le parquet avait écarté les dépositions des témoins qu’ils avaient proposés, les considérant comme dépourvues d’impartialité car provenant des membres de leur famille, mais qu’il avait pris en compte, en revanche, les déclarations des policiers, qui pourtant auraient eu tout autant un intérêt à la procédure. Ils soutinrent également que le parquet avait omis d’identifier et d’entendre d’autres voisins parmi ceux qui auraient assisté en grand nombre aux événements. Ils reprochèrent en outre au parquet d’avoir manqué à son obligation d’identifier les personnes responsables des mauvais traitements qu’ils auraient subis le 12 juin 2012. Enfin, ils alléguèrent que tant les violences subies que la décision de non-lieu adoptée en l’espèce étaient motivées par des considérations liées à leur origine rom. Par une décision définitive du 28 mars 2013, la cour d’appel de Braşov confirma le non-lieu rendu en l’espèce. En ce qui concernait le droit d’assister aux mesures d’instruction réclamé par l’avocat des requérants, la cour d’appel entérina l’approche du procureur en chef du parquet adoptée dans la décision du 19 octobre 2012. À cet égard, elle constata que, en l’occurrence, seule une enquête préliminaire avait été menée, enquête au cours de laquelle les requérants n’avaient pas eu la qualité de « parties à la procédure ». Sur le fond, la cour d’appel considéra que les pièces du dossier ne permettaient pas de conclure que les requérants avaient été agressés par les agents de police. À ses yeux, même à supposer que les lésions des requérants eussent été provoquées par l’action de ces agents, rien ne laissait apparaître une intention délibérée des policiers d’infliger des mauvais traitements. S’agissant du requérant, la cour d’appel estima que les lésions subies par celui-ci, eu égard à leur typologie et à leur emplacement, avaient été provoquées au cours de son immobilisation à terre. Elle nota que le requérant avait participé de sa propre initiative aux événements, qu’il avait agressé les policiers, qu’il avait refusé d’obtempérer lorsque ceux-ci lui avaient demandé de cesser d’être agressif à leur encontre et de décliner son identité, et qu’il avait pris la fuite en poussant une caisse à bouteilles vide vers les policiers. Elle considéra que ce comportement avait justifié la réaction des policiers qui l’avaient immobilisé et que, si la thèse du requérant avait été avérée, celui-ci aurait présenté plusieurs lésions à différents endroits du corps. Elle releva également que le requérant n’avait pas produit de nouvelles preuves. S’agissant de la requérante, la cour d’appel considéra que les lésions qu’elle avait subies au niveau des bras, eu égard à leur typologie et à leur emplacement, avaient été infligées au cours de son immobilisation. Quant à sa fracture de la jambe gauche, elle nota que le certificat médico-légal versé au dossier attestait qu’elle avait été causée par une chute et un choc contre un objet ou une surface durs et non par des coups portés par autrui. En outre, elle estima que, pour l’établissement des faits, il n’était pas nécessaire d’identifier d’autres personnes parmi celles présentes dans la rue lors des événements, dès lors que l’agression alléguée avait eu lieu dans la cour de la maison de la requérante et que toutes les personnes qui s’y trouvaient avaient été entendues par le procureur. Par ailleurs, elle nota que la requérante n’avait pas mentionné d’autres personnes susceptibles d’être entendues ou d’avoir eu connaissance d’éléments essentiels pour l’affaire. Compte tenu de ces éléments, la cour d’appel conclut que l’enquête menée en l’espèce, bien qu’elle fût restée au stade de l’enquête préliminaire, avait été effective et complète. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code pénal, telles qu’en vigueur au moment des faits, se lisent ainsi : Article 250 : Comportement abusif « 1. L’emploi d’expressions injurieuses contre une personne par un fonctionnaire public dans l’exercice de ses attributions est puni d’une peine d’emprisonnement d’un mois à un an ou d’une amende. La profération de menaces par un fonctionnaire dans les conditions prévues au premier alinéa est punie d’une peine d’emprisonnement de six mois à deux ans ou d’une amende. Les coups ou autres actes de violence de la part d’un fonctionnaire public dans les conditions prévues au premier alinéa sont punis d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans ou d’une amende. (...) » Les dispositions légales et la jurisprudence interne concernant la recevabilité des preuves au stade de l’enquête préliminaire (acte premergătoare), dans le cadre du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits, figurent dans les arrêts Creangă c. Roumanie ([GC], no 29226/03, §§ 58 et 60, 23 février 2012), Niculescu c. Roumanie (no 25333/03, §§ 61-62, 25 juin 2013) et Blaj c. Roumanie (no 36259/04, § 65, 8 avril 2014). La Cour constitutionnelle, en particulier, s’est exprimée en ces termes dans son arrêt no 962 du 25 juin 2009 relatif à la constitutionnalité de l’article 91 du code de procédure pénale visant les interceptions téléphoniques : « Les actes de l’enquête préliminaire ont une nature propre qui ne peut pas être [assimilée] à la nature précise et bien déterminée d’autres institutions ; [ces actes] ont pour but la vérification et la consolidation des informations obtenues par les autorités [chargées] des poursuites pénales en vue de fonder leur conviction quant à l’opportunité de l’ouverture des poursuites pénales. [Ces actes] ayant un caractère sui generis, échappant aux garanties propres à l’étape des poursuites pénales, il est unanimement admis que, dans le cadre des investigations préalables, on ne peut pas prendre de mesures de procédure ou instruire des preuves [car cela] présuppose l’existence des poursuites pénales. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1934 et réside à Matosinhos. A. La procédure devant la Cour administrative suprême Le requérant est un magistrat émérite à la retraite (jubilado), ancien juge conseiller à la Cour administrative suprême (Supremo Tribunal Administrativo)(« la CAS »). Le 5 avril et le 5 mai 1999, le requérant attaqua devant ladite Cour administrative suprême deux décisions du président de celle-ci, en date des 2 février et 1er mars 1999, qui lui refusaient le remboursement de frais de mission engagés dans le cadre de son activité d’inspecteur judiciaire, pour huit jours au mois de décembre 1998 et cinq jours au mois de janvier 1999, l’ensemble représentant un montant total de 750 euros. Outre la méconnaissance, sur le fond, de son supposé droit à être remboursé, le requérant soulevait deux autres moyens, à savoir : – d’une part, l’incompétence du président de la CAS pour statuer sur la question du remboursement des frais de mission ; – d’autre part, le fait de ne pas avoir été entendu dans le cadre de la procédure. Le 15 novembre 1999, la CAS décida de joindre les deux procédures. Par un arrêt du 13 novembre 2002, la CAS débouta le requérant de ses prétentions, au motif : – que le rejet de sa demande de versement des frais de mission litigieux était conforme à la loi ; – que le requérant avait eu au cours de la procédure la possibilité de se prononcer sur toutes les questions pertinentes et de soulever tous les moyens qui étaient à sa disposition. Le 28 novembre 2002, le requérant demanda à la CAS la clarification et la révision de l’arrêt du 13 novembre 2002. Le 16 janvier 2003, le ministère public produisit son mémoire en réponse. Le 19 mars 2003, la CAS rendit un arrêt rejetant la demande de clarification et de révision. Le 3 avril 2003, le requérant se pourvut en cassation devant la section plénière du contentieux administratif de la CAS, soulevant plusieurs chefs de nullité à l’encontre de l’arrêt du 19 mars 2003. Le 29 octobre 2003, la section plénière du contentieux administratif de la CAS rendit un arrêt rejetant tous les moyens soulevés par le requérant. À des dates non précisées, le requérant souleva devant la section plénière du contentieux administratif de la CAS divers chefs de nullité, non énumérés devant la Cour, portant sur le rejet de sa demande de frais de mission. Les mémoires y relatifs n’ont pas été communiqués à la Cour. Par un arrêt du 7 avril 2005, celle-ci écarta tous ses moyens. Le requérant forma devant la section plénière du contentieux administratif de la Cour administrative suprême (Pleno da Secção do Contencioso Administrativo do Supremo Tribunal Administrativo) un recours contre deux arrêts, du 13 novembre 2002 et du 7 avril 2005 respectivement. Dans ses motifs, outre, toujours, l’incompétence du président de la CAS pour statuer sur la question du remboursement des frais de mission, il dénonçait la violation de son droit à une audience (direito de audiência) dans le cadre de la procédure. Le 17 octobre 2006, la formation plénière de ladite section le débouta de ses prétentions, considérant : – qu’il n’y avait pas lieu de déclarer l’incompétence du président de la CAS ; – qu’il n’y avait eu aucune violation de la loi portant sur les frais de mission ; – que le requérant avait pu présenter ses arguments ; et que, par conséquent, son droit à une audience n’avait pas été méconnu. Au sein de cette formation plénière de la section du contentieux administratif de la Cour administrative suprême figuraient les juges R.D.J., A.S., A.D. et P.B., sous la présidence du premier (R.D.J.). À différentes dates, le requérant forma cinq requêtes demandant la clarification de l’arrêt du 17 octobre 2006. Le 23 janvier 2007, la section plénière du contentieux administratif de la CAS rejeta ses demandes. Le 9 février 2007, le requérant forma une réclamation en nullité contre l’arrêt du 23 janvier 2007, mais il fut débouté de sa demande par un arrêt du 20 mai 2007. Le 15 juin 2007, le requérant forma devant la section plénière du contentieux administratif de la CAS une demande en clarification et souleva divers chefs de nullité contre l’arrêt du 20 mai 2007. Le 15 juin 2007, le requérant forma un recours devant l’assemblée plénière de la Cour administrative suprême (Plenário do Supremo Tribunal Administrativo), contre l’arrêt du 17 octobre 2006, invoquant l’existence d’une divergence de jurisprudence au sein de la CAS sur la question du droit à une audience dans le cadre d’une procédure administrative. Il présentait, à l’appui, un arrêt qui lui paraissait en contradiction avec celui rendu dans son cas. Le 18 septembre 2007, la section plénière du contentieux administratif de la CAS rejeta la demande en clarification et la réclamation en nullité du 15 juin 2007. Le 5 novembre 2007, le requérant forma une réclamation en nullité, faisant valoir que l’arrêt du 18 septembre 2007 avait été signé par dix juges au lieu de neuf. Le 27 février 2008, faisant droit à la demande du requérant, la section plénière du contentieux administratif de la CAS rendit un nouvel arrêt signé par neuf juges, de même teneur que le précédent. Le 13 mars 2008, le requérant forma une réclamation en nullité contre l’arrêt du 27 février 2008. Le 2 juillet 2008, la formation plénière de la section du contentieux administratif de la CAS rejeta la demande du requérant et lui infligea une amende de 1 440 euros pour mauvaise foi procédurale (litigância de má fé), considérant que l’intéressé avait fait une utilisation abusive des demandes en clarification et des réclamations en nullité aux fins de retarder la procédure et d’éviter que la décision de rejet de sa demande de remboursement de frais de mission n’acquière force de chose jugée. Le 21 juillet 2008, le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt du 2 juillet 2008, en adressant son pourvoi à « la formation compétente de la Cour administrative suprême ». Par une ordonnance du 23 octobre 2008, la CAS jugea le recours irrecevable. Par un arrêt du 4 novembre 2009, l’assemblée plénière de la CAS rejeta le pourvoi du 15 juin 2007 (voir paragraphe 16 ci-dessus), au motif que l’arrêt présenté par le requérant pour fonder son recours portait sur une question différente, de sorte que la comparaison des deux arrêts ne pouvait révéler aucune divergence de jurisprudence au sein de la CAS, au sens de l’article 763 du code de procédure civile. L’assemblée plénière considéra que les arrêts litigieux n’avaient pas fait une interprétation différente du droit à une audience prévu par l’article 100 du code de procédure administrative, la différence se situant à ses yeux simplement au niveau des faits : contrairement au requérant, releva l’assemblée, l’intéressé dans le cadre de l’autre affaire n’avait pas eu la possibilité de produire ses observations, d’où le constat de la violation de son droit à être entendu. Ayant ainsi conclu à l’absence de divergence de jurisprudence, l’assemblée plénière de la CAS n’eut pas à se prononcer sur le fond de l’affaire. Toutefois, elle se prononça sur les faits comme suit : « Le [requérant] réalisa un service d’inspection concernant (...) une juge du tribunal de Lisbonne et le 26 janvier 1999 il initia le recueil d’information à l’égard d’un autre juge de Lisbonne. Le 27 janvier 1999, il déposa devant la section centrale de la Cour administrative suprême (...) une demande de remboursement de frais de mission engagés dans le cadre de son activité d’inspecteur judiciaire, portant sur son déplacement et son séjour à Lisbonne au mois de décembre 1998. Le 17 février 1999, il déposa devant le secrétaire de la Cour administrative suprême une demande de frais de mission concernant un service d’inspection réalisé en décembre 1998 et du 25 au 29 janvier 1999 (...) Le 2 février 1999 et le 1er mars 1999, la Cour administrative suprême rejeta les demandes du [requérant]. Le 13 avril 1999, le président de la Cour administrative suprême statua comme suit : Considérant les motifs indiqués dans l’ordonnance du 1er mars 1999, on réitère que [le requérant] n’a pas droit au versement des frais engagés avec l’utilisation de sa voiture personnelle dans le cadre du service d’inspection réalisé à Lisbonne. (...) » Dans la composition de l’assemblée plénière de la CAS figuraient les juges R.D.J., A.S., A.D. et P.B., le premier siégeant en qualité de président de la formation, et le second en tant que rapporteur. Le 15 décembre 2009, le requérant forma une réclamation en nullité contre l’arrêt de l’assemblée plénière de la CAS et demanda sa clarification. Le 16 décembre 2009, le requérant dénonça le défaut d’impartialité qui affectait selon lui les quatre juges susmentionnés de l’assemblée plénière. Par un arrêt du 26 mai 2010, l’assemblée plénière de la CAS rejeta la réclamation en nullité : s’agissant du défaut d’impartialité des juges R.D.J., A.S., A.D. et P.B., elle estima que la composition de la formation critiquée était conforme à la loi et que l’impartialité des juges concernés n’était pas compromise. B. La procédure devant le Tribunal constitutionnel Le 14 juin 2010, le requérant forma un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel (Tribunal Constitucional), portant sur la question de l’impartialité de l’assemblée plénière de la CAS tenant au fait que quatre des juges qui la composaient avaient déjà eu à statuer sur son affaire au sein de la formation plénière de la section du contentieux administratif de ladite CAS. Le 12 mai 2011, le requérant demanda au Tribunal constitutionnel la suspension de l’instance, alléguant qu’il avait demandé au président de la CAS la réappréciation de sa demande de remboursement de frais de mission, au vu d’une modification récente de la loi régissant le statut des juges. Le 3 juin 2011, il demanda la reprise de la procédure. Le Tribunal constitutionnel rendit son arrêt le 7 juin 2011. Dans ses motifs, il considéra tout d’abord que le recours dont il était saisi portait en partie, non sur une inconstitutionnalité normative (c’est-à-dire affectant une norme en tant que telle) mais simplement sur la décision de la CAS selon laquelle il n’y avait pas de contradiction entre les deux arrêts soumis par le requérant. Après avoir ainsi écarté cette partie du recours comme étrangère à ses attributions, le Tribunal constitutionnel ne déclara donc recevable que la partie du recours portant sur la violation supposée du principe de l’impartialité des juridictions et du droit à un procès équitable, à ses yeux seule à soulever un problème d’« inconstitutionnalité normative ». Quant au fond, le Tribunal constitutionnel écarta les moyens du requérant, en considérant : – que les questions sur lesquelles les quatre juges mentionnés s’étaient penchés lors de leur deuxième intervention dans la procédure étaient différentes de celles traitées la fois précédente ; – que l’intervention successive de juges identiques, dans un premier temps pour connaître du fond de l’affaire, puis à une seconde occasion pour apprécier une prétendue divergence de jurisprudence, n’était pas incompatible avec le principe de l’impartialité. Le Tribunal constitutionnel s’exprima comme suit : « (...) Le recours en divergence de jurisprudence est un recours de procédure revêtant une grande spécificité. Dans la phase pertinente en l’espèce, ce recours n’a pas pour but de trancher le fond de l’affaire, mais de déterminer l’existence d’une divergence (...). Il s’agit d’un recours visant à résoudre des situations de conflits découlant de contradictions sur une même question fondamentale de droit entre des arrêts de cours différentes, afin que soit assuré un traitement uniforme des cas identiques dans leur substance (...). (...) Pour ce faire, il est indispensable qu’un nombre élargi de juges [soient appelés à siéger], en vue de garantir que la formation représente véritablement l’opinion de la majorité. (...) ». À une date non précisée, le requérant demanda au Tribunal constitutionnel une copie du procès-verbal de l’audience tenue le 7 juin 2011. Le 21 juin 2011, la haute juridiction rejeta sa demande, au motif que l’arrêt rendu lui avait été dûment notifié. Le 5 septembre 2011, le requérant forma une réclamation contre la décision du 21 juin 2011. Cette réclamation fut rejetée par une décision du Tribunal constitutionnel du 11 octobre 2011. Le 28 octobre 2011, le requérant réitéra sa demande de communication du procès-verbal de l’audience tenue devant le Tribunal constitutionnel. Le 15 novembre 2011, celui-ci rejeta la demande, considérant que le requérant « visait à retarder sans motif sérieux la progression de la procédure ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code de procédure civile Au moment des faits, les dispositions pertinentes du code de procédure civile se lisaient comme suit : Article 122 Déport du juge « Aucun juge ne peut exercer ses fonctions (...) : (...) e) dans le cadre d’un recours [autre que celui devant l’assemblée plénière], lorsqu’il est intervenu en qualité de juge d’un autre tribunal ayant rendu la décision attaquée, ou a d’une quelconque autre manière pris position sur des questions soulevées par le recours. (...) » Article 763 Motifs de recours « 1. Si, dans le cadre d’une même législation, la Cour suprême rend deux arrêts qui, concernant la même question fondamentale de droit, retiennent des solutions opposées, l’assemblée plénière peut être saisie de l’arrêt rendu en dernier. (...) Seul un arrêt antérieur ayant acquis force de chose jugée peut être invoqué à l’appui du recours (...). (...) » Article 770 L’effet du recours (...) « 2. La décision qui constate une divergence de jurisprudence casse l’arrêt attaqué et le remplace par un autre arrêt tranchant la question litigieuse (...) » (...) » Les articles 122, 763 et 770 du code de procédure civile étaient applicables à la procédure devant la Cour administrative suprême en vertu de l’article 100 de la loi sur la procédure devant les tribunaux administratifs (décret-loi no 267/85 du 16 juillet 1985), qui y faisait expressément renvoi. B. La loi sur la procédure devant les tribunaux administratifs Au moment des faits, les dispositions pertinentes de la loi sur la procédure devant les tribunaux administratifs, approuvée par le décret-loi no 129/84 du 27 avril 1984, dans sa rédaction issue du décret-loi no 229/96 du 29 novembre 1996, se lisaient comme suit : Article 22 Compétence de l’assemblée plénière « Il incombe à l’assemblée plénière de la Cour administrative suprême de connaître : a) des recours contre les arrêts des sections ou des sections plénières respectives (...) qui, concernant la même question de droit et sous réserve d’une modification substantielle [du cadre] juridique, adoptent une solution contraire à celle d’un arrêt d’une autre section, ou de la section plénière respective ou de l’assemblée plénière de la Cour administrative suprême : a’) des recours contre les arrêts des sections plénières (...) qui, dans le cas prévu à l’alinéa précédent, adoptent une solution contraire à celle d’un arrêt de la même section plénière ou de la section respective : (...) b) du suivi des recours visés aux alinéas précédents, sans préjudice des pouvoirs du rapporteur en la matière ; (...) ». Article 23 Composition de l’assemblée plénière « 1. L’Assemblée plénière de la Cour administrative suprême se compose du président de la cour, des vice-présidents et, conformément aux paragraphes suivants, d’autres juges appartenant à ses deux sections. Pour l’exercice de la compétence prévue aux alinéas a) et a’) de l’article précédent, interviennent les sept juges les plus anciens de chaque section. Pour l’exercice de la compétence prévue aux alinéas b) et c) de l’article précédent, interviennent les deux juges les plus anciens de chaque section. La distribution [des sièges] est effectuée parmi les juges intervenus, à l’exclusion des rapporteurs des arrêts divergents dont découle le conflit. (...) »
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Le requérant est né en 1980 et réside à Pampelune. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Pendant la nuit du 17 au 18 janvier 2011, vers 2 heures du matin, le requérant fut arrêté à son domicile par des agents de la garde civile dans le cadre d’une enquête judiciaire portant sur un délit présumé d’appartenance à l’organisation EKIN, organisation faisant partie du groupe terroriste ETA. Une perquisition eut lieu à son domicile. La nouvelle de l’arrestation du requérant fut annoncée par le ministère de l’Intérieur et reprise aussitôt par les médias. Le même jour, à 7 h 35, le requérant fut examiné par le médecin légiste près l’Audiencia provincial à Pampelune. Le médecin constata une ecchymose sur les poignets. Le requérant indiquait toutefois avoir été arrêté sans violence et n’avoir pas été maltraité. Toujours le 18 janvier 2011, pendant le trajet en voiture vers Madrid le requérant, qui était menotté, aurait selon ses dires été soumis à des menaces et des insultes et reçu des coups au niveau de la tête, des testicules et des côtes de la part des quatre agents de la garde civile qui l’accompagnaient. Il soutient qu’une arme fut placée entre ses mains afin d’obtenir ses empreintes. Arrivé à Madrid, il fut conduit dans les locaux de la Direction générale de la garde civile. Dès son placement en garde à vue au secret, selon le régime applicable en l’espèce conformément à l’article 520 bis du code de procédure pénale (paragraphe 23 ci-dessous), un masque lui aurait été mis sur les yeux, il aurait été soumis à des sessions d’asphyxie au moyen d’un sachet plastique lui recouvrant la tête après avoir été contraint de faire des pompes, il aurait fait l’objet d’attouchements et été menacé de placement d’électrodes et d’introduction d’un bâton dans l’anus. Le 18 janvier 2011, à 20 heures, le requérant fut examiné par le médecin légiste affecté au tribunal central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional. Celui-ci constata des marques d’ecchymoses sur les poignets, qui lui parurent compatibles avec le port des menottes pendant le transfert à Madrid. Le requérant ne souhaita pas être examiné par le médecin légiste. Ce dernier nota que le requérant était tranquille et qu’il n’avait pas de traces de violences au niveau de la tête. Le 19 janvier 2011, le requérant fut examiné à 10 h 35 et à 19 h 35 par le médecin légiste. Dans ses rapports consécutifs à ces visites, le médecin légiste indiqua que le requérant avait refusé d’être examiné, à l’exception de ses genoux – le requérant soutenant qu’on lui avait imposé des flexions. Le médecin observa que la mobilité des genoux était conservée et qu’ils n’étaient pas douloureux. Le requérant affirme avoir été soumis à un interrogatoire, hors la présence d’un avocat et avoir reçu des tapes sur la nuque. Le 20 janvier 2011, le requérant fut examiné par le médecin légiste à deux reprises : à 10 h 30 puis à 20 h 10. Le médecin légiste nota dans son rapport que le requérant indiquait ne pas avoir subi de mauvais traitements, qu’il avait été soumis à un interrogatoire en présence d’un avocat commis d’office à 1 heure du matin et qu’il ne souhaitait pas être examiné. Le 21 janvier 2011, à 10 h 55 et à 21 heures, le requérant fut examiné par le médecin légiste. Il indiqua ne pas avoir été maltraité, hormis des gifles. Tel qu’il est indiqué dans le rapport du médecin légiste, le requérant signala à ce dernier que le premier jour, il avait été menacé de viol avec un bâton et qu’on lui avait recouvert la tête avec un sac en plastique, mais qu’il n’avait pas perdu connaissance. Il affirma avoir reçu des coups dans les côtes et montra au médecin ses côtes et ses lombaires, qui ne présentaient pas de traces de violence. Il refusa d’être examiné davantage. Vers 1 heure du matin, il fit sa déposition en présence d’un avocat commis d’office qui aurait été placé derrière lui et qu’il ne pouvait pas voir, ainsi que d’une personne portant une cagoule et d’un garde civil à la tête découverte. Ce même jour, à une heure qu’il ne précise pas, le requérant aurait reçu une déclaration consistant en vingt questions et vingt réponses déjà écrites, qu’il devait apprendre par cœur. Toujours le 21 janvier 2011, le requérant fut traduit devant le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional. Il fit sa déposition en présence d’un avocat commis d’office qui serait, selon le requérant, celui qui l’avait assisté pendant sa déclaration en garde à vue et avec qui il n’avait pas pu s’entretenir en raison du maintien du caractère secret de la détention. Dans sa déposition, le requérant renia le contenu de la déclaration qu’il avait signée peu de temps avant pendant sa garde à vue. Lorsqu’il commença à raconter les traitements subis aux mains des gardes civils, il aurait eu une crise d’anxiété et serait tombé de la chaise. L’avocat aurait indiqué avoir la certitude que le requérant avait fait sa déclaration sous la contrainte. Le juge central d’instruction n’ordonna aucune mesure d’investigation. Le requérant fut remis en liberté. Le 15 février 2011, le requérant fut examiné par une psychologue, qui remit son rapport le 13 février 2012, indiquant qu’il souffrait d’un symptôme de stress post-traumatique, d’anxiété et de troubles du sommeil. Le 24 février 2011, le requérant se fit examiner par son médecin généraliste, qui remit un rapport le 17 janvier 2012, concluant que le requérant souffrait d’un léger état d’anxiété. Le 16 mai 2011, assisté par deux avocates de son choix, le requérant porta plainte devant le juge de garde de Pampelune, alléguant avoir subi des mauvais traitements pendant sa garde à vue au secret. Il sollicita la production de copies des rapports des médecins légistes le concernant, des procès-verbaux de ses dépositions devant les agents de la garde civile pendant sa garde à vue au secret et devant le juge central d’instruction près l’Audiencia Nacional, ainsi que des éventuels enregistrements des caméras de sécurité des locaux où il avait été gardé. Il demanda l’identification des agents intervenus dans sa détention et de ceux chargés de sa surveillance pendant sa garde à vue et l’audition par le juge des agents ainsi identifiés, ainsi que des médecins légistes l’ayant examiné et de l’avocat commis d’office présent lors de ses dépositions. Il demanda en outre à être soumis à un examen physique et psychologique afin d’établir l’existence d’éventuelles lésions ou séquelles psychologiques, et à être entendu personnellement. Le 21 novembre 2011, la Direction générale de la garde civile informa le juge d’instruction de Pampelune qu’il n’existait pas d’enregistrement vidéo de la garde à vue du requérant, expliquant que les locaux n’étaient pas équipés à cette fin et que le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional n’avait rien ordonné en ce sens. Le 14 décembre 2011, le requérant fit sa déposition devant le juge d’instruction no 3 de Pampelune, confirmant sa plainte initiale. Le médecin légiste de Pampelune présenta devant le juge d’instruction no 3 de Pampelune le rapport établi le 18 janvier 2011 avant le transfert du requérant à Madrid, ainsi que les rapports des 18, 19, 20 et 21 janvier 2011 établis par le médecin légiste près l’Audiencia Nacional qui avait examiné le requérant pendant sa garde à vue au secret. Le juge disposa également des rapports du 13 février 2012, rédigé par une psychologue et du 17 janvier 2012, rédigé par le médecin généraliste du requérant. Par une ordonnance du 5 mars 2012, le juge d’instruction no 3 de Pampelune rendit un non-lieu provisoire. Il considéra qu’il n’y avait pas d’indices des mauvais traitements dénoncés par le requérant. Le requérant fit appel. Par une décision du 31 octobre 2012, l’Audiencia Provincial de Navarre nota que la gravité des délits objet de la plainte méritait une investigation approfondie, mais que cela n’impliquait pas toutefois un droit illimité pour le requérant à la pratique de tous les éléments de preuve proposés, et confirma l’ordonnance de non-lieu. Le 11 janvier 2013, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 22 novembre 2013, la haute juridiction déclara le recours irrecevable. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET LES INSTRUMENTS PERTINENTS ADOPTÉS DANS LE CADRE DU CONSEIL DE L’EUROPE Les dispositions du code de procédure pénale en vigueur au moment des faits relatives à la garde à vue au secret disposent comme suit : Article 520 bis «1. Toute personne détenue comme auteur présumé d’un des délits auxquels se réfère l’article 384 bis [commis par une personne intégrée ou en relation avec des bandes armées ou avec des individus terroristes] sera mise à la disposition du juge compétent dans les soixante-douze heures suivant la détention. Toutefois, la détention pourra être prolongée (...) jusqu’à une limite maximum de quarante-huit heures supplémentaires (...).» Lorsqu’une personne est détenue pour les motifs de l’alinéa précédent, il pourra être demandé au juge qu’il ordonne la [garde à vue au secret] de cette personne (...)» Les parties pertinentes du rapport du 30 avril 2013 adressé au gouvernement espagnol par le CPT à la suite des visites effectuées par celui-ci en mai-juin 2011, entre autres, au centre de détention où le requérant avait été détenu, se lisent comme suit : « (...) ii. Garanties spéciales concernant les personnes détenues au secret (...) il est fait référence à un ensemble de diverses mesures (...) prévoyant des garanties spéciales à appliquer aux personnes qui font l’objet d’une détention au secret, et ce dès le moment où celle-ci est autorisée. Ces garanties sont les suivantes : notification à la famille du fait qu’il y a détention et du lieu où se trouve le détenu ; possibilité de recevoir la visite d’un médecin personnel ainsi que du médecin légiste désigné par le juge d’instruction ; surveillance audio et vidéo constante des zones de détention. À l’époque de la visite de 2011, trois des six juges d’instruction de l’Audiencia Nacional appliquaient systématiquement ces mesures. Cependant, la délégation a observé que pendant les cinq premiers mois de l’année 2011 toutes les détentions au secret avaient été autorisées par un juge qui n’appliquait aucune de ces garanties, ce qui est assez surprenant. (...) iii. Décisions de mise en détention au secret et prolongations de la garde à vue Pour le CPT, la détention au secret doit être une mesure exceptionnelle et limitée, utilisée lorsque des investigations complexes et secrètes exigent l’isolement physique de suspects pour des motifs liés à l’ordre public et à la stabilité internes. Le Tribunal constitutionnel espagnol a également souligné la nécessité que les décisions de mise en détention au secret soient motivées juridiquement et que leur application soit contrôlée par le juge d’instruction. Or l’analyse des décisions de mise en détention au secret publiée dans les premiers mois de l’année 2011 indique que le juge concerné n’a pas procédé à un contrôle rigoureux de la nécessité d’une telle mesure. Ainsi, les arguments juridiques étaient répétitifs et témoignaient d’une tendance à approuver de manière routinière les demandes de mise en détention au secret formulées par la garde civile chaque fois que l’infraction pénale en question avait trait à un acte de terrorisme. (...) (...) Le CPT réitère sa recommandation selon laquelle les individus visés par l’article 520 bis du code de procédure pénale doivent systématiquement être conduits en personne devant le juge compétent avant l’adoption de toute décision relative à la prolongation de la garde à vue au-delà de soixante-douze heures. Si nécessaire, la législation pertinente devra être modifiée. iv. Accès à un avocat (...) Le CPT réitère sa recommandation selon laquelle les autorités espagnoles doivent prendre les mesures nécessaires pour que les personnes détenues au secret puissent s’entretenir avec un avocat en privé, dès le début de leur détention puis par la suite au besoin. Ces personnes doivent aussi avoir droit à la présence d’un avocat lors de tout interrogatoire par des agents de la force publique. v. Accès à un médecin, notamment de son choix (...) Le CPT (...) recommande que des rapports médicolégaux soient rédigés par le médecin et remis au juge (...) En outre, il doit toujours y avoir une conclusion du médecin quant à la compatibilité entre les constats opérés et les allégations formulées. (...) vi. Procédures d’interrogatoire (...) Le CPT invite les autorités espagnoles à établir pour les interrogatoires un code de conduite s’appuyant sur les règles et règlements en vigueur. De plus, le bandage des yeux ou l’encapuchonnement des personnes placées en garde à vue, notamment pendant les interrogatoires, doit être expressément interdit. De même, le code doit expressément prohiber le fait de forcer une personne détenue à effectuer des exercices physiques ou à rester debout pendant des périodes prolongées. (...) Le CPT engage les autorités espagnoles à procéder sans délai à la rénovation des cellules de détention de Calle Guzman el Bueno. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1970 et 1973 et résident à Plassac (Gironde). En mai 2004, les requérants déposèrent un dossier de demande de mariage auprès des services de l’état civil de la mairie de Bègles (Gironde). Le 25 mai 2004, l’officier d’état civil de la mairie publia les bans du mariage. Par actes d’huissier délivrés respectivement les 27 mai et 3 juin 2004, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux fit notifier son opposition au mariage à l’officier d’état civil de la commune de Bègles ainsi qu’aux requérants. Le 5 juin 2004, malgré cette opposition, le maire de Bègles, en sa qualité officier d’état civil, célébra le mariage des requérants et le transcrivit sur les registres de l’état civil. Le 22 juin 2004, le procureur de la République fit assigner à jour fixe les requérants devant le tribunal de grande instance de Bordeaux en vue de voir prononcer la nullité du mariage. Par jugement du 27 juillet 2004, le tribunal fit droit à cette demande. Il constata que selon le droit français la différence des sexes était une condition du mariage, estima que cette condition ne constituait pas une atteinte aux articles 12, 8 et 14 de la Convention tels qu’interprétés par la Cour et conclut que, si l’évolution des mœurs ou le respect d’un principe d’égalité pouvait conduire à une redéfinition du mariage, cette question devait faire l’objet d’un débat et nécessitait l’intervention du législateur. En conséquence, le tribunal annula le mariage des requérants et ordonna la transcription du jugement en marge de leurs actes de naissance et de l’acte de mariage. Par arrêt du 19 avril 2005, la cour d’appel de Bordeaux confirma le jugement. Elle constata en premier lieu, comme le tribunal, qu’en droit français la différence de sexe était une condition de l’existence du mariage. Examinant ensuite cette condition au regard des articles 12, 8 et 14 de la Convention, la cour d’appel releva tout d’abord que la législation française permettait, notamment au travers du concubinage et du pacte civil de solidarité, ouverts aux personnes de même sexe ou de sexe différent, « de multiples possibilités de vie en couple, avec ou sans enfant, la loi assurant une égale protection pour tous, avec jurisprudence adaptée, droits égaux pour les enfants », si bien qu’elle ne découvrait « aucune discrimination dans le droit de fonder un couple, de vivre en couple, de même sexe ou de sexe différent, ni de fonder une famille librement choisie naturelle ou légitime, avec possibilité d’adoption. » La cour d’appel ajouta ce qui suit : « La spécificité, et non pas discrimination, provient de ce que la nature n’a rendu potentiellement féconds que les couples de sexe différent et que le législateur (...) a désiré prendre en compte cette réalité biologique et « déterminer ses formes » en englobant le couple et sa conséquence prévisible, les enfants communs, dans une institution spécifique appelé mariage, choix législatif maintenu dans le temps (...) Tous les couples de sexe différent, ainsi concernés par une éventualité de filiation commune, sont traités à égalité puisqu’ils ont libre choix et libre accès au mariage. Certes, les couples de même sexe, et que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, ne sont en conséquence pas concernés par cette institution. En cela leur traitement juridique est différent, parce que leur situation n’est pas analogue. Mais ils disposent par ailleurs du droit de voir reconnaître leur union dans les mêmes conditions que tous les couples de sexe différent ne désirant pas se marier, si bien que la distinction résultant de cette spécificité est objectivement fondée, justifiée par un but légitime et respecte un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but visé. » Enfin, la cour d’appel examina les conséquences prévisibles – notamment sur plusieurs dispositions du code civil – de l’infirmation éventuelle du jugement, qui aboutirait, sans préparation législative, à un « bouleversement des principes » régissant les règles de la filiation et estima, comme le tribunal, qu’il ne lui appartenait pas de trancher un problème de société qui ne pouvait que faire l’objet d’un débat politique et d’une intervention du législateur. Les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire ampliatif, ils invoquèrent les articles 8, 12 et 14 de la Convention et se fondèrent sur la jurisprudence pertinente de la Cour. Par arrêt du 13 mars 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, en relevant notamment que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » et que ce principe n’était contredit par aucune des dispositions de la Convention et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont elle souligna qu’elle n’avait pas en France de force obligatoire. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS À l’époque des faits, l’article 144 du code civil était ainsi rédigé : « L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage. » Par ailleurs, l’article 75 du même code, relatif à la célébration du mariage, disposait en son dernier paragraphe que l’officier d’état civil devait recevoir de chaque partie « la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme. » Saisi le 16 novembre 2010 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions du code civil, le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution par décision du 28 janvier 2011. Il a notamment considéré que le droit de mener une vie familiale normale n’impliquait pas le droit de se marier pour les couples de même sexe, qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur avait estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme pouvait justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille et qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur. Après l’adoption de la loi no 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le nouvel article 143 du code civil se lit ainsi : « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. » Aux termes de l’article 515-1 du code civil, le pacte civil de solidarité (Pacs), institué par la loi du 15 novembre 1999, est « un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune. » Le Pacs implique pour les partenaires un certain nombre d’obligations, dont celles de maintenir une vie commune et de s’apporter une aide matérielle et une assistance réciproques. Le Pacs confère également aux partenaires certains droits en matière fiscale, patrimoniale et sociale. Les partenaires forment ainsi un seul foyer fiscal ; ils sont par ailleurs assimilés aux conjoints mariés pour l’exercice de certains droits, spécialement au titre de l’assurance maladie et maternité et de l’assurance décès. Certains effets propres au mariage restent inapplicables aux partenaires du Pacs, la loi notamment ne créant pas de lien d’alliance ou de vocation héréditaire entre partenaires. En particulier, la dissolution du Pacs échappe aux procédures judiciaires de divorce et peut intervenir sur simple déclaration conjointe des partenaires ou décision unilatérale de l’un d’eux signifiée à son cocontractant (article 515-7 du code civil). De plus, le Pacs n’a aucune incidence sur les dispositions du code civil relatives à la filiation adoptive et à l’autorité parentale (Gas et Dubois c. France, no 25951/07, § 24, CEDH 2012). Quant au concubinage, il est défini par l’article 515-8 du même code comme « une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple. » Un exposé du droit comparé en la matière, ainsi que des textes pertinents du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, se trouve dans l’arrêt Oliari et autres c. Italie (nos 18766/11 et 36030/11, §§ 53-64, 21 juillet 2015).
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