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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975 et réside à Sosnowiec. À l’époque des faits, il était détenu à la maison d’arrêt de Mysłowice. En novembre 2012, le requérant engagea à l’encontre de l’État une action visant à l’indemnisation du préjudice qu’il estimait avoir subi en raison des conditions de son incarcération. Il sollicitait l’octroi de 250 000 zlotys polonais (PLN) (soit environ 62 500 euros (EUR)) en réparation de ce préjudice. En parallèle, il demanda au tribunal de l’exonérer du paiement des frais de justice, qui se chiffraient à 12 500 PLN (soit environ 3 125 EUR). À l’appui de sa demande, il présentait une déclaration de ressources d’après laquelle il n’exerçait aucun emploi et ne disposait d’aucune épargne ni d’aucun objet de valeur. En réponse à une lettre du tribunal le priant d’étayer sa demande, le requérant présenta d’autres éléments concernant sa situation financière, selon lesquels il n’exerçait aucun emploi en prison – en raison, à ses dires, d’une absence de possibilité en ce sens – et était redevable de la somme de 1 735 PLN dans le cadre d’une procédure d’exécution dirigée contre lui. Le 18 mars 2013, le référendaire judiciaire auprès du tribunal régional de Varsovie accorda au requérant une exonération partielle des frais de procédure, laissant à sa charge la somme de 130 PLN (environ 32 EUR), soit environ 1 % des frais exigibles de lui pour l’introduction de son action en indemnisation. Dans ses motifs, le référendaire judiciaire indiquait que seules les personnes n’ayant aucune capacité d’épargne pouvaient prétendre à l’exonération du paiement des frais de justice dans leur totalité et que le requérant ne remplissait pas cette condition. Il considérait dans ce contexte que, puisque la demande du requérant concernait les conditions de son incarcération à partir de 2001, celui-ci aurait dû mettre de l’argent de côté en prévision du paiement des frais de justice. Il notait que, d’après le relevé des opérations effectuées sur le compte du requérant, celui-ci avait perçu au cours de six mois ayant précédé sa demande une aide financière de 700 PLN, dont 330 PLN auraient été déboursés à la cantine carcérale. Il soulignait que, par ailleurs, le requérant était entièrement pris en charge par l’administration pénitentiaire. Le 25 mars 2013, le requérant déposa un recours contre la décision du 18 mars 2013. Il réfutait l’argument du tribunal selon lequel il aurait dû économiser des fonds en prévision des frais de justice, alléguant que ses ressources étaient très modestes et qu’il en avait déboursé la majeure partie à la cantine de la prison pour acheter des produits alimentaires et des articles d’hygiène de première nécessité. Il indiquait que les prix pratiqués à la cantine étaient élevés et que les articles en question étaient destinés à améliorer ses conditions d’incarcération. Il ajoutait qu’il n’était pas dépensier et qu’il gérait son budget modeste de manière raisonnable. Le 11 avril 2013, le tribunal régional de Varsovie débouta le requérant de son recours. Il relevait que le requérant n’exerçait aucun emploi, n’avait aucun revenu, ne disposait certes d’aucun objet de valeur ni de biens immobiliers et qu’il était, en outre, redevable d’une somme d’argent dans le cadre d’une procédure d’exécution. Il confirmait cependant la décision du 18 mars 2013 au motif que la procédure d’exécution dirigée contre le requérant avait pris fin le 21 janvier 2013, que celui-ci était entièrement pris en charge par l’administration pénitentiaire, et qu’il n’était donc pas obligé de dépenser de l’argent à la cantine carcérale pour subvenir à ses besoins alimentaires et sanitaires. Le requérant ne paya pas au tribunal le montant requis de 130 PLN. En conséquence, le 23 mai 2013, le tribunal régional de Varsovie, statuant en application de l’article 130 2 § 1 du code de procédure civile, ordonna le renvoi au requérant de sa demande initiale, privant cette dernière d’effet juridique, ce qui signifiait que la procédure en question était considérée, à toutes fins légales et pratiques, comme n’ayant jamais été engagée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT En droit polonais, tout demandeur est tenu de payer une taxe judiciaire lors du dépôt d’un acte introductif d’instance auprès d’un tribunal et, en cours de procédure, chaque partie doit, le cas échéant, acquitter des frais supplémentaires, notamment lorsqu’elle interjette appel ou forme un pourvoi en cassation, à moins d’être exonérée du paiement de ces frais. En règle générale, une taxe judiciaire représente un pourcentage ou une fraction de la somme en jeu. Selon l’article 13 de la loi du 28 juillet 2005 relative aux frais de justice en matière civile (Ustawa o kosztach sądowych w sprawach cywilnych), une taxe judiciaire dans les affaires patrimoniales représente 5 % de la somme en jeu, et ne peut être inférieure à 30 PLN ni excéder 100 000 PLN. Selon l’article 102 de la loi susvisée, une personne peut solliciter une exonération des frais de justice à condition de soumettre au tribunal une déclaration exposant que le paiement des frais réclamés entraînerait une baisse importante de son niveau de vie et de celui de sa famille. Cette déclaration doit renfermer des précisions concernant la famille, les biens et les ressources de l’intéressé. Selon l’article 109 de la loi précitée, en cas de doute au sujet de la situation financière de la partie sollicitant l’exonération des frais de justice, le tribunal peut ordonner une vérification de sa déclaration de ressources. Selon les articles 100, alinéa 1, et 101, alinéa 1, de cette même loi, l’exonération des frais de justice peut être accordée en totalité ou en partie. Selon l’article 110 de cette loi, le tribunal annule l’exonération des frais de justice en totalité ou en partie lorsque les circonstances ayant justifié son octroi n’existaient pas ou ont cessé d’exister ; la partie concernée devra alors acquitter les frais et dépens dus dans son affaire. Enfin, selon l’article 130 § 2 du code de la procédure civile, un acte renvoyé à une partie pour défaut de paiement des frais de justice y afférents est dépourvu d’effet juridique.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1937 et réside à Ceira. A. Genèse de l’affaire Le fils de la requérante, A.J., était né en 1964. Il souffrait de troubles mentaux et d’un problème de dépendance à la drogue et à l’alcool, et, à partir de 1984, avait séjourné plusieurs fois à l’hôpital psychiatrique Sobral Cid (« le HSC ») à Coimbra : du 5 au 8 août 1984, du 15 mars au 3 avril 1985, du 15 au 28 novembre 1985, du 10 au 18 janvier 1993, du 1er au 3 septembre 1999, du 12 décembre 1999 au 14 janvier 2000, et du 2 au 27 avril 2000. Il ressort du dossier médical de A.J. qu’en septembre 1999 les médecins conseillèrent à la requérante de demander une décision d’internement d’office. Pendant l’hospitalisation de A.J. de décembre 1999, le médecin qui s’occupait de lui donna des instructions afin qu’il ne fût pas autorisé à quitter l’unité où il était placé. Pendant au moins deux de ses hospitalisations, A.J. fut autorisé à passer des week-ends chez lui en famille : trois week-ends pendant la période du 12 décembre 1999 au 14 janvier 2000, et deux weekends pendant la période du 2 au 27 avril 2000. Au cours de ces deux périodes, A.J. s’enfuit également à plusieurs reprises du HSC et quelquefois se rendit chez la requérante. B. Le décès du fils de la requérante Le 1er avril 2000, A.J. fut admis au HSC, sur avis médical et avec son consentement, consécutivement à une tentative de suicide. Le 25 avril 2000, A.J. rentra chez lui pour passer le week-end de Pâques avec la requérante et d’autres membres de sa famille, malgré la réticence du médecin. Vers 22 h 30, la requérante emmena A.J. au service des urgences de l’hôpital universitaire de Coimbra après qu’il avait bu une grande quantité d’alcool. Selon la fiche d’observation remplie aux urgences, A.J. s’était conduit de manière imprudente pendant le week-end du fait qu’il s’était enivré. Il était indiqué également que, bien que A.J. eût des antécédents de faiblesse mentale, d’épisodes dépressifs et de tentatives de suicide récurrentes, ces caractéristiques n’avaient pas été observées pendant ce week-end. Plus tard, A.J. fut renvoyé dans le service du HSC où il était hospitalisé. Pendant toute la journée du 26 avril 2000, A.J. fut maintenu sous surveillance médicale. On lui administra des médicaments et son état de santé s’améliora. Il se leva pour dîner et pour accueillir des proches qui lui rendaient visite. Le 27 avril 2000, le personnel de l’hôpital remarqua qu’entre 8 heures et 16 heures A.J. s’était montré calme et avait marché aux alentours de l’unité où il séjournait. Il avait déjeuné et pris une collation dans l’après-midi. Vers 16 heures, la requérante appela l’hôpital. On lui indiqua que son fils n’était pas dans le bâtiment à ce moment-là et qu’elle devait donc rappeler plus tard, pendant la collation. On lui assura que quelques minutes plus tôt son fils s’était trouvé près de la porte et avait semblé bien se porter. Vers 19 heures, on remarqua que A.J. n’était pas reparu pour le dîner, et une infirmière informa l’infirmière en chef de son absence. Le personnel de l’hôpital lança alors des recherches dans les zones du HSC où les patients étaient autorisés à se déplacer librement, comme le réfectoire et le parc. Vers 20 heures, l’infirmier coordinateur (enfermeiro coordenador) téléphona à la requérante pour l’informer que A.J. n’était pas revenu pour le dîner. À un moment compris entre 19 heures et 20 heures, l’hôpital signala la disparition de A.J. à la garde nationale républicaine (Guarda Nacional Republicana) et à la requérante. On ignore à quelle heure A.J. avait quitté l’hôpital et suivi un chemin qui menait à la maison de la requérante. Vers 17 h 37, il avait mis fin à ses jours en se jetant devant un train, non loin du HSC. C. La procédure interne contre l’hôpital Le 17 mars 2003, la requérante engagea auprès du tribunal administratif de Coimbra (Tribunal Administrativo do Círculo de Coimbra) une action civile contre le HSC sur le fondement de la loi sur la responsabilité de l’État (ação de responsabilidade civil extracontratual por ato de gestão pública) ; elle demandait 100 403 euros (EUR) pour dommage matériel et moral. La requérante exposa que son fils avait été soigné à plusieurs reprises au HSC pour des troubles mentaux et que sa première véritable hospitalisation remontait à 1993. Elle ajouta qu’il avait été admis à l’hôpital le 1er avril 2000, à la suite d’une tentative de suicide. Elle indiqua que le fait que son fils eût pu quitter l’établissement le 27 avril 2000 alors qu’il était interné l’amenait à conclure que le personnel de l’hôpital avait fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions. Elle estimait que, compte tenu de ses tentatives de suicide antérieures et de son état de santé mentale, son fils aurait dû être placé sous surveillance médicale et que le personnel aurait dû l’empêcher de quitter l’établissement. Elle déclara aussi que le HSC aurait dû clôturer son périmètre pour empêcher les patients de partir. Le fait que ces obligations n’eussent pas été remplies reflétait à ses yeux la façon médiocre dont les services du HSC étaient organisés. Enfin, elle soutint que le HSC n’avait pas de dispositif de contrôle de la présence des patients ni de procédure d’urgence à même de détecter l’absence de l’un d’eux et de permettre à l’hôpital de prendre les mesures nécessaires pour qu’un patient puisse revenir indemne. Le 29 octobre 2003, le tribunal rendit une décision préliminaire (despacho saneador) indiquant quels étaient les faits tenus pour établis et les faits qui restaient à déterminer. Le 5 juillet 2005, le tribunal ordonna une expertise sur l’état clinique de A.J. et les mesures de surveillance requises par cet état. Le 27 septembre 2006, un psychiatre désigné par l’ordre des médecins (Ordem dos Médicos) remit son rapport, dont les parties pertinentes se lisent ainsi : « (...) Si la dépendance à l’alcool était le diagnostic prédominant, plusieurs autres diagnostics ont été envisagés. En particulier, un trouble de la personnalité dépendante [personalidade dependente], des accès de délire [surto delirante], la schizophrénie, une psychose maniaco-dépressive [psicose maníaco-depressiva] (...) Au vu de ses antécédents cliniques, A.J. peut être considéré comme une personne malade qui retombait de façon récurrente dans la consommation excessive d’alcool (...), mais qui présentait aussi d’autres types de symptômes (...) Son dossier médical ne contient pas de référence précise à son état psychopathologique du 26 avril 2000 (...) Le fils de la [demanderesse] était atteint de troubles qui entraînaient un comportement dépressif associé à d’importantes tendances suicidaires. Au vu des pièces du dossier médical, son état clinique était susceptible de le conduire à une nouvelle tentative de suicide, et cela s’est avéré fatal. Il faut de plus souligner le polymorphisme de l’état de santé psychiatrique du patient. Un état psychopathologique tel que celui du patient implique un pronostic défavorable, et le suicide est fréquemment précédé par une ou plusieurs tentatives (...) Précisons (...) qu’il convient aussi de former l’hypothèse d’un diagnostic de trouble de la personnalité limite [perturbação de personalidade borderline] (...) Il est fait référence à de multiples diagnostics, tous susceptibles d’aggraver le risque de suicide (et de comportement suicidaire) du patient. (...) Pour les raisons déjà indiquées, les antécédents cliniques et le tableau psychopathologique [quadro psicopatológico] du patient étaient de nature à laisser présager un comportement suicidaire ; la survenance du suicide n’est donc pas surprenante. En matière de prévention, il faut assurément adopter des mesures de confinement et de surveillance. Mais avec un patient comme celui-ci, de telles mesures sont difficiles à mettre en place (nous nous référons par exemple aux demandes qu’il a formées pour pouvoir quitter l’hôpital, contre l’avis – justifié – du médecin) et sont toujours insuffisantes compte tenu du risque élevé de suicide. (...) Le fait que le patient ait été sous traitement antidépresseur depuis plus de deux semaines, qu’il ait flâné aux alentours de l’hôpital sans jamais mettre sa vie en danger (...) ne signifie pas que la probabilité de cet événement (le suicide) était négligeable. Il était cependant difficilement évitable. » La première audience eut lieu le 8 octobre 2008. La requérante et l’auteur de l’expertise psychiatrique témoignèrent. Au cours de cinq audiences, le tribunal entendit les témoignages de différentes personnes, notamment : la fille de la requérante (la sœur de A.J.) ; des infirmières, des médecins et des auxiliaires médicaux qui avaient travaillé ou travaillaient encore pour le HSC, dont certains avaient pris leur service à 16 heures le 27 avril 2000 ; un assistant social qui était employé par le HSC depuis 1995 et qui avait eu des contacts avec A.J ; le conducteur du train. Par ailleurs, le tribunal analysa divers documents joints au dossier médical de A.J. fourni par le HSC. Le 9 mars 2009, le tribunal procéda à une inspection des lieux. Le 7 janvier 2010, le tribunal tint une audience au cours de laquelle il adopta une décision concernant les faits. Le 25 avril 2011, le tribunal administratif de Coimbra rendit un jugement par lequel il déboutait la requérante. Il estima que, malgré les troubles mentaux du fils de l’intéressée, il n’y avait pas de lien de causalité entre son suicide totalement inattendu et la violation alléguée du devoir de vigilance du personnel hospitalier. Il releva en particulier que le fils de la requérante souffrait de troubles psychiatriques qui n’avaient jamais été réellement diagnostiqués, soit en raison de la complexité des symptômes soit en raison de sa dépendance à l’alcool et à la drogue. Il souligna à cet égard que pendant des années les médecins avaient diagnostiqué chez le patient une schizophrénie et une dépression, et que c’était seulement après son décès et à la suite de l’établissement d’une expertise demandée à l’ordre des médecins pendant la procédure (paragraphe 23 cidessus) que l’on avait retenu le diagnostic de graves troubles de la personnalité. Le tribunal établit que la dernière admission du patient à l’hôpital était consécutive à une tentative de suicide. Il considéra toutefois que, malgré le risque de suicide d’une personne chez qui on a diagnostiqué une maladie mentale comme celle du fils de la requérante, au cours des derniers jours ayant précédé son décès l’intéressé n’avait montré ni comportement ni humeur susceptibles d’amener le personnel de l’hôpital à penser que le 27 avril 2000 serait différent des jours précédents. Le tribunal parvint donc à la conclusion que le personnel de l’hôpital ne pouvait prévoir le suicide du fils de la requérante et que le comportement de celui-ci avait été totalement inattendu et imprévisible. Répondant à l’argument de la requérante selon lequel l’hôpital aurait dû surveiller son fils plus efficacement et ériger des clôtures ou d’autres barrières autour des bâtiments de l’hôpital, le tribunal releva que le modèle alors en vigueur pour le traitement des patients atteints de maladie mentale consistait à encourager l’interaction sociale. Pour le tribunal, la présence de clôtures était de nature à conduire à la stigmatisation et à l’isolement des patients handicapés mentaux et, dans le même esprit, toute surveillance des malades devait rester discrète. Le tribunal ajouta que le HSC disposait d’une procédure de surveillance revenant à vérifier la présence des patients aux heures des repas et des prises de médicaments et que cela correspondait à l’état de la science psychiatrique et respectait le droit des patients à la vie privée. S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la procédure d’urgence était inexistante, le tribunal observa que celle-ci consistait à alerter la police et la famille du patient. Le tribunal constata donc qu’il n’y avait pas eu de manquement au devoir de vigilance de l’hôpital. Le 12 mai 2011, la requérante saisit la Cour administrative suprême, alléguant que la juridiction de première instance avait mal apprécié les éléments de preuve, que ses constatations factuelles étaient erronées et qu’elle avait mal interprété la loi. Le 26 septembre 2012, le parquet général près la Cour administrative suprême, appelé à formuler un avis sur le recours, déclara qu’il y avait lieu d’infirmer le jugement de première instance. Il estima que, dès lors que le dossier médical de A.J. indiquait que celui-ci avait plusieurs fois tenté de mettre fin à ses jours, et considérant que sa dernière admission à l’hôpital était consécutive à une tentative de suicide, une nouvelle tentative de suicide était probable et aurait dû être anticipée. Le parquet général observa que l’hôpital n’avait pas mis en œuvre de régime de surveillance capable d’empêcher le fils de la requérante de quitter l’établissement. Il releva également qu’une surveillance accrue du patient faisait partie du devoir de vigilance de l’hôpital et ne faisait pas obstacle au régime « ouvert ». Il parvint à la conclusion que les mesures de contrôle mises en place par le HSC étaient inadéquates pour un établissement appartenant à la catégorie des hôpitaux psychiatriques ou pour un patient présentant les caractéristiques de A.J. Le 29 mai 2014, la Cour administrative suprême écarta le recours de la requérante par deux voix contre une, confirmant les constats factuels et juridiques du tribunal administratif de Coimbra. La juridiction suprême déclara qu’aucun élément n’aurait pu conduire le personnel de l’hôpital à penser que le fils de la requérante tenterait de mettre fin à ses jours, notamment en quittant l’hôpital, et qu’en conséquence le HSC n’avait manqué à aucun devoir de vigilance. La Cour suprême tint compte du fait que, lors de précédentes hospitalisations, le fils de la requérante avait également quitté l’établissement et qu’aucun lien n’avait été établi entre ces « fugues » et un risque particulier de suicide dès lors que l’on n’avait pu constater que l’existence d’une unique tentative de suicide, le 1er avril 2000. La haute juridiction estima que le comptage des patients aux heures des repas et des prises de médicaments était suffisant et avait permis au personnel de l’hôpital de s’assurer de la présence de A.J. lors du déjeuner et de la collation de l’après-midi, le 27 avril 2000. Elle formula la conclusion qu’il n’y avait pas eu d’anomalie dans le fonctionnement du HSC et que l’on ne pouvait en déduire aucune de l’absence de clôtures ou murs de sécurité, ou de la méthode de comptage des patients. Dans une opinion dissidente, l’un des juges estima que l’hôpital aurait dû sécuriser les bâtiments d’une manière ou d’une autre pour satisfaire à ses devoirs de vigilance et de surveillance. Il ajouta qu’en omettant de le faire l’hôpital avait permis aux patients de partir facilement sans y avoir été autorisés, ce qui était contraire aux obligations en question. À ce titre, selon le juge, cette omission était la cause de la « fugue » et du suicide du fils de la requérante. D. Informations générales sur l’hôpital psychiatrique Sobral Cid Le HSC se situe en dehors de la ville de Coimbra et occupe un terrain de dix-sept hectares, loin de toute zone urbaine ou industrielle. Il fait partie du Centre hospitalier universitaire de Coimbra. Selon une inspection des lieux effectuée par le tribunal administratif de Coimbra le 9 mars 2009 dans le cadre de la procédure intentée contre l’hôpital, le HSC comporte dix-huit bâtiments, dédiés à chaque service de l’hôpital. Le terrain occupé par le HSC n’est doté d’aucune sorte de clôtures ou de murs de sécurité. Des espaces verts constitués d’arbres et d’autres types de végétation entourent les différents bâtiments, auxquels on accède par des chaussées (arruamentos) et des chemins (passeios), également entourés d’arbres et autres végétaux. L’entrée principale du HSC est équipée d’une barrière (cancela) et surveillée par un agent de sécurité. L’une des issues de l’hôpital débouche sur un raccourci qui mène à un quai de gare ferroviaire (apeadeiro ferroviário). On accède à ce raccourci en empruntant la route qui passe à l’arrière du bâtiment no 9. Le quai de gare se trouve à environ quinze-vingt minutes à pied de cette zone de l’hôpital. Le règlement établi par le HSC indique que les repas sont pris au réfectoire de l’hôpital et que les patients doivent y rester jusqu’à la fin du repas. Les patients ne sont pas autorisés à quitter le service sans en informer par avance l’infirmière compétente. Une collation est généralement servie vers 16 h 45. Divers articles parus dans la presse ces dernières années indiquent que, depuis au moins 2007, plusieurs patients sont parvenus à s’enfuir des locaux du HSC. Si certains ont été retrouvés et ramenés à l’hôpital, d’autres ont été découverts morts. Différents médias locaux et nationaux ont ainsi rapporté ce qui suit : i) le 9 mars 2008, le cadavre d’un patient qui avait fugué deux semaines plus tôt fut découvert non loin de l’hôpital (Diário de Coimbra) ; ii) le 29 octobre 2008, un homme fugua du HSC et fut percuté par une voiture après s’être jeté devant celle-ci (Diário das Beiras) ; iii) le 31 juillet 2008, le cadavre d’un patient qui s’était enfui de l’hôpital le mois précédent fut découvert dans une rivière (Diário de Coimbra) ; iv) le 14 août 2008, un patient qui avait été hospitalisé sans son consentement s’enfuit du HSC (Diário de Coimbra) ; v) début mars 2010, trois patients différents s’enfuirent de l’hôpital ; l’un d’eux fut localisé par la police après avoir volé une voiture et un autre fut retrouvé mort dans une rivière située non loin de là (bombeirospontopt) ; vi) le 16 octobre 2011, un patient s’enfuit du HSC et agressa deux policiers à l’aide d’une houe (Correio da Manhã); vii) le 1er mars 2015, deux patients s’enfuirent du HSC et volèrent une voiture après en avoir expulsé le conducteur (Tvi24). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit interne La loi sur la santé La loi sur la santé (loi no 48/90 du 24 août 1990) dispose que les soins de santé sont dispensés par les services et établissements de l’État et par d’autres entités, publiques ou privées, à but lucratif ou non lucratif, sous le contrôle de l’État. Selon le Principe fondamental XIV de la loi, les usagers du système de santé ont, notamment, le droit de choisir librement leur médecin et leur établissement de santé, le droit de recevoir ou de refuser le traitement proposé, le droit d’être soignés de manière appropriée et humaine, promptement et avec respect, le droit d’être informés de leur état de santé, de l’existence d’autres traitements possibles et de l’évolution probable de leur état de santé, et le droit de se plaindre de la manière dont ils ont été soignés et d’être indemnisés pour tout dommage subi. La loi sur la santé est régie par le décret-loi no 11/93 du 15 janvier 1993, qui a approuvé la réglementation sur le système national de santé (Estatuto do sistema nacional de saúde). L’article 38 indique que le rôle de l’État est de superviser les établissements de santé et que le ministère de la Santé est responsable de la définition de normes en matière de santé, sans préjudice des fonctions attribuées à l’ordre des médecins et à l’ordre des pharmaciens. La loi sur la santé mentale La loi sur la santé mentale (loi no 36/98 du 24 juillet 1998, modifiée par la loi no 101/99 du 26 juillet 1999) énonce les principes généraux de la politique en matière de santé mentale et régit l’internement d’office des personnes atteintes de troubles psychiatriques. Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi libellées : Article 3 – Principes généraux relatifs à la santé mentale « (...) a) Pour éviter de sortir les patients de leur cadre habituel et faciliter leur réadaptation et leur intégration sociale, les soins de santé mentale sont dispensés au niveau local ; b) Les soins de santé mentale sont dispensés dans le cadre le moins restrictif possible. (...) » Article 7 – Définitions « (...) a) L’internement d’office est une hospitalisation [ordonnée] au moyen d’une décision judiciaire concernant un patient atteint de graves troubles mentaux ; b) L’internement consenti est une hospitalisation à la demande du patient atteint de troubles mentaux ou à la demande du représentant légal d’un enfant de moins de quatorze ans. » Le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967 Le décret-loi no 48051, en vigueur à l’époque où la procédure fut engagée par la requérante, régissait la responsabilité civile non contractuelle de l’État. Ses dispositions présentant un intérêt pour la présente affaire étaient ainsi libellées : Article 2 § 1 « L’État et les autres entités de droit public sont civilement responsables à l’égard des tiers de toute atteinte aux droits de ceux-ci ou aux dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts résultant d’une faute [culpa] illicite commise par l’État ou des organismes publics ou par des agents de l’État agissant dans l’exercice de leurs fonctions ou en conséquence de celles-ci. » Article 4 « 1. La responsabilité pour dommage résultant d’une faute [culpa] commise par un organisme public ou un agent de l’État est appréciée sur le fondement de l’article 487 du code civil. Au cas où il y a pluralité de personnes responsables, l’article 497 du code civil est applicable. » Article 6 « Aux fins du présent décret-loi, les actes juridiques qui enfreignent les lois et règlements ou les principes généraux pertinents sont réputés illicites, de même que les actes matériels qui enfreignent lesdits textes et principes ou les règles techniques ou les principes relatifs à la prudence requise qui doivent être pris en compte. » La jurisprudence relative à la responsabilité non contractuelle de l’État considère que ce dernier n’est tenu à réparation que s’il y a une faute illicite et un lien de causalité entre l’acte et le dommage allégué. Le code civil portugais La disposition pertinente du code se lit ainsi : Article 487 « 1. Il incombe à la partie ayant subi le préjudice de prouver la responsabilité pour faute [culpa], à moins que celle-ci ne fasse l’objet d’une présomption légale. En l’absence de tout autre critère juridique, la faute s’apprécie par référence à la diligence que l’on peut attendre d’un bon père de famille, au vu des circonstances de la cause. » La jurisprudence de la Cour suprême de justice et de la Cour administrative suprême Dans un arrêt du 25 juillet 1985, la Cour suprême de justice analysa l’obligation de surveiller les patients atteints de maladie mentale qui sont hospitalisés. Elle déclara que lorsqu’un tel patient était hospitalisé et recevait un traitement, l’hôpital était tenu de remplir ses obligations médicales et de surveillance. Or, dans l’affaire en question, la juridiction suprême estima que l’hôpital avait manqué à cette obligation en laissant un patient handicapé mental quitter les lieux sans autorisation et en négligeant de déployer tous les efforts requis pour assurer son retour immédiat. Dans un arrêt du 25 novembre 1998, la Cour suprême de justice rechercha si, en négligeant de s’opposer à ce qu’une patiente quittât le département de psychiatrie, l’hôpital avait manqué à son devoir de surveillance. Elle répondit par la négative dans l’affaire en cause, considérant établi notamment i) que le département de psychiatrie de l’hôpital fonctionnait en régime « ouvert », ii) que les services sanitaires n’avaient pas donné l’ordre exprès d’empêcher la patiente de quitter le département, iii) que les médecins avaient estimé inopportun de restreindre la liberté de circulation de la patiente, iv) que le jour de sa tentative de suicide la patiente avait semblé se conduire normalement, et v) que le comportement de celle-ci ne permettait pas de prévoir sa tentative de suicide. Dans son arrêt du 29 janvier 2009, concernant un patient atteint de maladie mentale qui avait sauté par la fenêtre de sa chambre, la Cour administrative suprême estima qu’il n’y avait pas eu manquement au devoir de surveillance. Elle releva notamment que le devoir de surveillance existait uniquement en cas de risques susceptibles d’être établis par un observateur raisonnable. Dans l’affaire examinée, il n’y avait aucun élément permettant de soupçonner que le patient risquât de faire une tentative de suicide. Ainsi, le niveau de surveillance adopté avait été conforme à cette condition et aux risques prévisibles. En conséquence, l’hôpital n’était pas responsable du fait que le patient eût subitement sauté par la fenêtre. B. Le droit international Les Nations unies La Résolution de l’Assemblée générale A/RES/46/119 du 17 décembre 1991 a énoncé des Principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale. Les principes pertinents sont les suivants : Principe 8 Normes de soins « 1. Tout patient a droit à des soins et à une protection sociale appropriés aux besoins de sa santé, et à des soins et des traitements conformes aux mêmes normes que les autres malades. Tout patient doit être protégé des atteintes que pourraient lui causer notamment les médicaments injustifiés, les mauvais traitements provenant d’autres patients, du personnel du service ou d’autres personnes, ou les autres actes de nature à entraîner une souffrance mentale ou physique. » Principe 9 Traitement « 1. Tout patient a le droit d’être traité dans l’environnement le moins restrictif possible et selon le traitement le moins restrictif ou portant atteinte à l’intégrité du patient répondant à ses besoins de santé et à la nécessité d’assurer la sécurité physique d’autrui. (...) Les soins de santé mentale doivent, toujours, être dispensés conformément aux normes d’éthique applicables aux praticiens de santé mentale (...) Le traitement de tout patient doit tendre à préserver et à renforcer son autonomie personnelle. » Principe 15 Principes de placement « (...) L’admission dans un service de santé mentale est administrée de la même manière que l’admission dans tout autre service pour toute autre maladie. Tout patient qui n’est pas placé d’office dans un service de santé mentale a le droit de le quitter à tout moment, à moins que ne soient réunies les conditions justifiant son maintien d’office (...) et il doit être informé de ce droit. » La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006, Résolution A/RES/61/106) a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque. Cette Convention a actualisé et révisé les normes établies par la résolution précitée de l’Assemblée générale. Elle a été ratifiée par le Portugal le 23 septembre 2009. Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées : Article 10 Droit à la vie « Les États Parties réaffirment que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et prennent toutes mesures nécessaires pour en assurer aux personnes handicapées la jouissance effective, sur la base de l’égalité avec les autres. » Article 14 Liberté et sécurité de la personne « 1. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres : a) Jouissent du droit à la liberté et à la sûreté de leur personne ; b) Ne soient pas privées de leur liberté de façon illégale ou arbitraire ; ils veillent en outre à ce que toute privation de liberté soit conforme à la loi et à ce qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, si elles sont privées de leur liberté à l’issue d’une quelconque procédure, aient droit, sur la base de l’égalité avec les autres, aux garanties prévues par le droit international des droits de l’homme et soient traitées conformément aux buts et principes de la présente Convention, y compris en bénéficiant d’aménagements raisonnables. » En septembre 2014, le Haut Commissariat des Nations unies aux les droits de l’homme publia la déclaration suivante concernant l’article 14 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées : [Traduction du greffe] « La liberté et la sécurité font partie des droits les plus précieux qui sont reconnus à toute personne. Ainsi, toutes les personnes handicapées, en particulier celles atteintes d’un handicap mental ou psychosocial, ont droit à la liberté en vertu de l’article 14 de la Convention. Depuis qu’il a commencé à examiner les rapports établis par les États parties, lors de sa cinquième session tenue en avril 2011, le comité des droits des personnes handicapées appelle systématiquement l’attention des États parties sur la nécessité d’appliquer correctement ce droit garanti par la Convention. La jurisprudence du comité relative à l’article 14 est plus facile à saisir si l’on analyse comme suit ses divers éléments : L’interdiction absolue de la détention fondée sur le handicap. Il subsiste des pratiques dans le cadre desquelles des États parties autorisent la privation de liberté fondée sur un handicap, réel ou supposé. À cet égard, le comité a établi que l’article 14 n’autorise pas de dérogation qui permettrait de détenir une personne en raison d’un handicap, réel ou supposé. La législation de plusieurs États parties – notamment les lois sur la santé mentale – continue cependant de fournir des exemples de cas dans lesquels il est possible de détenir une personne en raison d’un handicap réel ou supposé dès lors qu’il y a d’autres raisons à sa détention, notamment la dangerosité pour elle-même ou pour autrui. Cette pratique est incompatible avec l’article 14 tel qu’interprété par la jurisprudence du comité. Les lois sur la santé mentale autorisant la détention d’une personne handicapée sur le fondement du danger allégué de celle-ci pour elle-même ou pour autrui. Dans tous les examens de rapports émanant d’États parties, le comité a établi qu’il est contraire à l’article 14 d’autoriser la détention d’une personne handicapée sur le fondement d’une dangerosité supposée de celle-ci pour elle-même ou pour autrui. La détention non consentie d’une personne handicapée fondée sur des présomptions de risque ou de dangerosité liées à l’étiquette du handicap est contraire au droit à la liberté. Il est inapproprié, par exemple, de mettre en détention une personne pour la simple raison que les médecins ont diagnostiqué chez elle une schizophrénie paranoïaque. (...) » Le Rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint, M. Dainius Pūras, a établi comme étant « [l’]une [de ses] priorités (...) d’examiner le rôle du secteur de la santé et des professionnels de la santé dans l’application des buts ambitieux établis par la Convention relative aux droits des personnes handicapées ». Le 2 avril 2015, il a présenté un rapport sur le droit à la santé de toute personne handicapée et a examiné de près la pratique relative à la privation de liberté dans les établissements psychiatriques fermés : « 96. La Convention remet en question les pratiques traditionnelles de la psychiatrie, tant au plan scientifique qu’à celui de la pratique clinique. À cet égard, il est particulièrement nécessaire d’examiner les questions liées aux droits de l’homme dans le domaine de la psychiatrie et d’élaborer des mécanismes pour la protection efficace des droits des personnes atteintes de handicaps mentaux. L’histoire de la psychiatrie montre que les bonnes intentions des prestataires de services peuvent conduire à des violations des droits de l’homme des utilisateurs de services. Les arguments classiques qui limitent les droits de l’homme des personnes diagnostiquées avec des handicaps psychosociaux et intellectuels, qui reposent sur la nécessité médicale de fournir à ces personnes le traitement nécessaire et/ou de protéger leur sécurité personnelle ou la sécurité publique, sont aujourd’hui sérieusement remis en question car ils ne sont pas conformes à la Convention. (...) Un grand nombre de personnes atteintes de handicaps psychosociaux sont privées de leur liberté dans des établissements fermés et sont privées de capacité juridique au motif de leur diagnostic médical. On a là une illustration du dévoiement de la science et la pratique de la médecine, qui montre la nécessité de réévaluer la prééminence du modèle biomédical actuel dans le domaine de la santé mentale. D’autres modèles, axés résolument sur les droits de la personne et les expériences et les relations humaines, et qui tiennent compte des contextes sociaux, doivent être envisagés pour faire avancer la recherche et la pratique actuelles. (...) » Le Conseil de l’Europe Le 22 septembre 2004, le Comité des Ministres adopta la Recommandation Rec(2004)10 relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. Les dispositions pertinentes de cette recommandation sont les suivantes : Article 7 – Protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux « 1. Les États membres devraient s’assurer de l’existence de mécanismes de protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux, en particulier de celles qui n’ont pas la capacité de consentir ou qui peuvent ne pas être capables de s’opposer à des violations des droits de l’homme dont elles feraient l’objet. La loi devrait prévoir des mesures pour protéger, le cas échéant, les intérêts économiques des personnes atteintes de troubles mentaux. » Article 8 – Principe de la restriction minimale « Les personnes atteintes de troubles mentaux devraient avoir le droit d’être soignées dans l’environnement disponible le moins restrictif possible et de bénéficier du traitement disponible le moins restrictif possible ou impliquant la moindre intrusion, tout en tenant compte des exigences liées à leur santé et à la sécurité d’autrui. » Article 9 – Environnement et conditions de vie « 1. Les établissements destinés au placement des personnes atteintes de troubles mentaux devraient assurer à chacune de ces personnes, en tenant compte de leur état de santé et des exigences liées à la sécurité d’autrui, un environnement et des conditions de vie aussi proches que possible de ceux dont bénéficient dans la société les personnes d’âge, de sexe et de culture similaires. Des mesures de réadaptation professionnelle visant à faciliter l’insertion de ces personnes dans la société devraient également être proposées. » L’exposé des motifs de la recommandation indique que « le principe de la restriction minimale » est fondamental. Il implique que, lorsque la maladie d’une personne évolue positivement, cette personne soit transférée dans un environnement moins restrictif si une telle mesure cadre avec les exigences liées à sa santé. L’article 17 de la recommandation énonce les critères régissant le placement involontaire et indique qu’une personne ne peut fait l’objet d’une telle mesure que si elle est atteinte d’un trouble mental et représente un risque réel pour elle-même ou pour autrui et si le placement a notamment un but thérapeutique, si aucun autre moyen moins restrictif n’est disponible, et si l’avis de la personne concernée a été pris en considération.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante, Mme Virginia Arnoldi, est née en 1946 et réside à Bergame. A. La procédure principale Le 8 février 1990, la requérante s’adressa à la police et à la mairie de Taleggio (Bergame) pour demander la démolition d’une cheminée qui aurait été construite sans permis par l’un de ses voisins sur un immeuble dont elle-même était propriétaire. Le 9 juin 1990, le géomètre de la municipalité recommanda la démolition de la cheminée. Au mois de septembre 1994, la municipalité communiqua à la requérante sa décision de ne pas démolir la cheminée, estimant qu’il ne s’agissait pas d’une construction illégale. Elle l’informa que, selon une déclaration sous serment faite le 23 septembre 1994 par la propriétaire de l’appartement voisin et par quatre autres témoins, la cheminée existait depuis très longtemps. Le 9 octobre 1995, la requérante porta plainte contre sa voisine et les autres témoins pour faux en écriture (Falsità ideologica commessa dal privato in atto pubblico, article 483 du code pénal). Dans ladite plainte, elle exposait en particulier avoir subi une atteinte à son droit de propriété en raison de la déclaration susmentionnée. Il ressort du dossier qu’une procédure pénale a été entamée (no 13249/95 R.G.N.R.) Par des lettres du 14 mai 1997, du 20 mai 1998 et du 29 septembre 1999, la requérante sollicita la conclusion rapide de la procédure. Le 20 septembre 1999 eut lieu l’interrogatoire des accusés, lesquels décidèrent de garder le silence. Le 22 janvier 2003, à la demande du parquet, le juge ordonna le classement sans suite de la plainte en raison de la prescription. B. La procédure « Pinto » Le 22 juillet 2003, la requérante saisit la cour d’appel de Venise au sens de la loi « Pinto » afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure pénale et de demander la réparation des dommages matériel et moral. Par une décision déposée le 31 octobre 2003, la cour d’appel déclara le recours irrecevable. Elle indiqua que la phase des investigations préliminaires faisait partie de la procédure pénale et que la durée excessive de cette phase pouvait effectivement entraîner une violation du droit à un délai raisonnable. Toutefois, elle précisa que, pour la partie lésée, la période à prendre en compte aux fins du calcul de la durée courait à partir de la date de la constitution formelle comme partie civile. Par conséquent, selon la cour d’appel, la requérante – partie lésée mais non encore constituée formellement partie civile – ne pouvait pas être considérée comme une vraie « partie » à cette procédure et elle ne pouvait dès lors pas se plaindre de la durée excessive de celle-ci. La cour d’appel admit que c’était bien à cause du délai non raisonnable des investigations préliminaires que la requérante n’avait pas pu se constituer partie civile. Toutefois, elle souligna que c’était le choix de la requérante de suivre la seule voie pénale et que, aux fins de protéger ses droits, elle aurait pu intenter une action autonome au civil, sans nécessairement attendre la fin de la phase des investigations préliminaires dans le cadre de la procédure pénale, ce qu’elle n’avait pas fait. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Sur le statut de la personne lésée Selon la Cour constitutionnelle, la partie lésée n’a pas le statut de « partie » dans la procédure pénale, mais seulement celui de « sujet éventuel » (ordonnance no 254 de 2011 et arrêt no 23 de 2015). Aux termes de l’article 79 du code de procédure pénale (CPP), la partie lésée peut se constituer partie civile à compter de l’audience préliminaire, celle-ci étant l’audience pendant laquelle le juge est appelé à décider si l’accusé doit être renvoyé en jugement. Avant cette audience, ou dans les cas où celle-ci n’a pas lieu pour cause de classement de l’affaire à un stade antérieur, la partie lésée peut exercer certaines facultés (article 90 du CPP) dont les autorités nationales sont ténues de l’informer promptement (article 90bis du CPP, entré en vigueur le 20 janvier 2016). Entre autres, elle a le droit de recevoir des informations sur l’existence et la modalité d’exercice de ces facultés et sur la possibilité d’obtenir un dédommagement pour la violation de ses droits de caractère civil et sur l’identité de la personne mise en examen. Elle a, en outre, au terme d’un délai de six mois après le dépôt de la plainte et sans préjudice du secret de l’enquête le droit d’être informée de l’état de la procédure (article 335 § 3ter du CPP entré en vigueur le 3 août 2017), celui de mener des investigations indépendamment de celles menées par le procureur et l’accusé (article 327bis du CPP, entré en vigueur le 18 janvier 2001), ainsi que le droit à être représentée et à l’aide juridictionnel (article 101 § 1 du CPP, entré en vigueur le 17 août 2013). Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP se lisent comme suit : Article 90 « La partie lésée exerce les droits et les facultés qui lui sont expressément reconnus par la loi et peut en outre, à tout stade de la procédure, présenter des mémoires et, excepté en cassation, indiquer des éléments de preuve. » Article 101 « La partie lésée peut nommer un représentant légal pour l’exercice des droits et des facultés dont elle jouit (...) » Article 359 § 1 « Lorsqu’il procède à des vérifications (...) ou à toute autre opération technique exigeant des compétences spécifiques, le parquet peut nommer (...) des experts, qui ne peuvent pas refuser leur contribution. » Article 360 « 1. Si les vérifications prévues à l’article 359 concernent des personnes, des choses ou des lieux dont l’état est susceptible de se modifier, le parquet informe sans délai le prévenu, la partie lésée et les défenseurs du jour, de l’heure et du lieu fixés pour l’attribution du mandat, et de leur faculté de nommer des experts. (...) Les défenseurs et les experts nommés le cas échéant peuvent assister à l’attribution du mandat, participer aux vérifications et formuler des observations et des réserves. » Article 394 « 1. La partie lésée peut demander au ministère public de solliciter un incident probatoire. Si le parquet ne fait pas droit à cette demande, il doit motiver sa décision et la notifier à la partie lésée. » Le parquet ne peut pas décider de classer une affaire, mais il doit demander au juge des investigations préliminaires (« GIP ») de le faire. Lorsque le parquet demande de classer une affaire, la partie lésée qui le requiert a le droit d’en être informée (article 408 § 2 du CPP). La partie lésée dispose de vingt ou trente jours, selon la typologie d’infraction (article 408 §§ 3 et 3bis du CPP; avant l’entrée en vigueur de la loi no 103 de 2017, les délais étaient respectivement de dix et vingt jours) pour s’opposer à cette demande. La décision de classement sans suite peut être attaquée devant le tribunal uniquement pour les causes de nullité prévues par l’article 410 bis (introduit par la loi no 103 de 2017). Avant l’entrée en vigueur de cet article, la personne lésée pouvait uniquement saisir la Cour de cassation (voir article 409 § 6 ci-dessous). Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP sont les suivantes : Article 409 « 1. Hormis dans l’hypothèse de l’opposition visée à l’article 410, le juge, s’il accepte la demande de classement, émet une ordonnance motivée et restitue le dossier au parquet. (...) S’il n’accueille pas la demande [de classement], le juge fixe la date de l’audience en chambre du conseil et en informe le parquet, le prévenu et la partie lésée. La procédure se déroule conformément à l’article 127. Les actes sont déposés au greffe jusqu’au jour de l’audience, et le défenseur peut en obtenir copie. (...) À la suite de l’audience, le juge, s’il estime nécessaires des investigations ultérieures, les indique par ordonnance au parquet, en fixant un délai contraignant pour leur accomplissement (...). En dehors du cas prévu au paragraphe 4, le juge, s’il n’accueille pas la demande de classement, indique par ordonnance que, dans un délai de dix jours, le parquet doit formuler l’accusation. (...) La décision de classement sans suite ne peut être attaquée devant la Cour de cassation que pour les causes de nullité prévues par l’article 127 § 5 [notamment le non-respect des dispositions procédurales concernant la tenue des audiences en chambre du conseil] » (paragraphe abrogé par la loi no 103 de 2017). » Article 410 « 1. En s’opposant à la demande de classement sans suite, la partie lésée demande que l’enquête se poursuive, en indiquant, sous peine d’irrecevabilité, l’objet du complément d’enquête et les moyens de preuve qui s’y rapportent Si l’opposition est irrecevable et les accusations non fondées, le juge classe la procédure sans suite par ordonnance et restitue le dossier au parquet. (...) » La Cour de cassation reconnaît le statut de personne lésée aux individus dont les intérêts ont été atteints par une infraction – telle que le délit de faux – visant la protection de la confiance publique, et leur reconnaît le droit de s’opposer à la demande de classement de l’affaire (assemblée plénière, arrêt no 46982 du 18 décembre 2007). En outre, la Cour de cassation a affirmé que les délits portant atteinte à la confiance publique visent à la protection d’une pluralité de biens juridiques. Par conséquent, ce type de délit protège non seulement l’intérêt public au caractère véridique de certains documents, mais également l’intérêt des individus frappés par les effets juridiques des documents prétendument faux. Ces individus peuvent donc, le moment venu, se constituer partie civile (arrêt no 3067 du 23 janvier 2017). Aux termes de l’article 112 de la Constitution italienne, « Le ministère public a l’obligation d’exercer l’action pénale. » B. Sur le recours indemnitaire pour violation du droit à un procès dans un délai raisonnable En ce qui concerne en général la réparation d’une violation du délai raisonnable au niveau national, le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 2331, CEDH 2006-V). Pour ce qui est de la possibilité pour la partie lésée qui ne s’est pas constituée partie civile de demander la réparation d’une violation du délai raisonnable au sens de la loi « Pinto », selon la jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, la partie lésée qui ne s’est pas (ou ne s’est pas encore) constituée partie civile à la procédure pénale ne peut pas se prétendre victime de la violation du délai raisonnable pour la période antérieure à la constitution, et elle ne peut dès lors pas demander la réparation des dommages subis en raison de la durée de cette procédure (voir, parmi d’autres, Cour de cassation, arrêt du 30 janvier 2003, no 1405 ; Cour de cassation, arrêt du 19 septembre 2003, no 13889 ; Cour de cassation, arrêt du 24 juillet 2003, no 11480 ; Cour de cassation, arrêt du 12 janvier 2007, et, plus récemment, Cour de cassation, arrêt du 3 avril 2012, no 5294, Cour de cassation, assemblée plénière, du 24 septembre 2013 no 19663, Cour de cassation, assemblée plénière, no 19663 de 2014, et Cour de cassation, arrêt du 27 avril 2016, no 8291).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1978 et réside à Sângeorgiu de Mureş. Entre 1994 et 2007, le requérant fut condamné à plusieurs reprises pour des vols commis en état de récidive. Il fut détenu pour des périodes allant de quelques mois à plusieurs années. Le 30 mars 2007, il bénéficia d’une mesure de remise en liberté conditionnelle. Le 22 mai 2008, le requérant fut arrêté et accusé de plusieurs vols, de violation de domicile et de conduite d’un véhicule sans permis. La police le soupçonnait d’avoir fait partie d’un groupe de cinq personnes qui avait cambriolé, entre janvier et mai 2008, plusieurs appartements dans la ville de Bistriţa. Le requérant reconnut avoir conduit sans permis, mais nia avoir participé aux vols. Le même jour, le parquet près le tribunal de première instance de Bistriţa (« le parquet ») demanda le placement en détention provisoire du requérant au motif que l’enquête était toujours en cours. Par une décision du même jour, le tribunal de première instance de Bistriţa (« le tribunal ») fit droit à cette demande. Par la suite, invoquant la nécessité d’élargir l’enquête à d’autres cambriolages commis selon le même mode opératoire dans d’autres villes, le parquet demanda, à intervalles réguliers, la prolongation de la détention provisoire du requérant. Le tribunal fit droit à chacune de ces demandes. Par un réquisitoire du 8 septembre 2008, le parquet renvoya le requérant et les quatre autres accusés devant le tribunal pour répondre des chefs d’accusation susmentionnés. Le parquet fonda son réquisitoire sur de nombreux éléments de preuve, dont des déclarations de témoins, une transcription des conversations téléphoniques entre les accusés et la saisie d’objets volés. À la première audience du tribunal, le 11 septembre 2008, le parquet demanda la prolongation de la détention provisoire du requérant. Le tribunal fit droit à cette demande estimant « qu’il y avait des indices et des preuves solides montrant que [le requérant] avait commis les infractions qui lui étaient reprochées ». Entre le 11 septembre 2008 et le 7 février 2011, au cours de vingt audiences, le tribunal examina l’opportunité du maintien du requérant en détention. À chacune de ces audiences, il ordonna la prolongation de la détention au motif que « les raisons qui avaient justifié la détention subsistaient ». À l’audience du 8 mai 2009, le tribunal invoqua également le risque de fuite du requérant et le risque que ce dernier influençât des témoins. Les arguments du requérant, tirés de la jurisprudence de la Cour, concernant la durée de la détention provisoire furent écartés par le tribunal qui estima que, en l’espèce, la durée de la détention n’avait pas dépassé un délai raisonnable. Le requérant interjeta appel de la plupart de ces décisions. Ses appels furent rejetés par le tribunal départemental de Bistriţa-Năsăud. Le requérant contesta également les dispositions du code de procédure pénale (ci-après « le CPP ») en vertu desquelles sa détention était prolongée. Par une décision du 2 novembre 2010, la Cour constitutionnelle le débouta. L’appel interjeté par le requérant contre la dernière décision de prolongation, rendue le 7 février 2011 par le tribunal (paragraphe 10 cidessus), fut accueilli par une décision du 16 février 2011 du tribunal départemental. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, et observant que le requérant était en détention provisoire depuis plus de deux ans, le tribunal départemental estima que la mesure n’était plus justifiée. Par conséquent, il ordonna la remise en liberté du requérant, assortie de l’obligation de ne pas quitter le pays. Le 14 novembre 2011, le tribunal condamna le requérant à une peine de six ans de prison pour les infractions dont il était accusé. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du CPP concernant le placement en garde à vue et la détention provisoire sont résumées dans l’arrêt Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 58, 23 février 2012.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Moscou. Le requérant est un activiste politique, un leader de l’opposition, un militant contre la corruption et un blogueur populaire. Les cinq requêtes en l’espèce concernent son arrestation à sept reprises à l’occasion de différents événements publics. Les faits de l’espèce, tel qu’exposés par les parties, peuvent être résumés comme suit. A. L’arrestation du requérant le 5 mars 2012 Le 5 mars 2012, le requérant participa à un rassemblement à Moscou, place Pouchkine, qui débuta à 19 heures. Consacré aux fraudes dont auraient été entachées les élections présidentielles russes, ce rassemblement avait été autorisé par les instances municipales. À la fin du rassemblement, à 21 heures, M. P., député de la Douma d’État, s’adressa aux participants, invitant chacun à rester après le rassemblement pour des débats informels, lesquels commencèrent vers 21 h 30 et réunirent environ 500 personnes. Le requérant affirme qu’il est resté avec d’autres personnes sur la place Pouchkine pour s’entretenir avec le député et que les participants sont restés pacifiquement dans la zone piétonne de cette place sans en gêner le trafic ou l’accès. Le Gouvernement affirme que le requérant conduisait un rassemblement irrégulier en l’absence de notification préalable et scandait des slogans politiques. À 22 h 45, la police arriva et arrêta le requérant, ainsi que de nombreuses autres personnes. Le requérant fut emmené au poste de police du district Tverskoy. Le même soir, deux policiers dressèrent un procès-verbal d’infraction administrative, indiquant que le requérant avait été arrêté à 22 h 45 « dans une fontaine » de la place Pouchkine ; qu’il avait participé à un rassemblement public irrégulier ; et qu’il avait refusé d’obtempérer à des sommations policières de dispersion. Le requérant fut inculpé de nonrespect de la procédure établie pour la conduite d’événements dans un lieu public, une infraction réprimée par l’article 20.2 du code des infractions administratives. Il fut libéré le 6 mars 2012, à 0 h 15. Le 15 mars 2012, le juge de paix du circuit no 369 du district Tverskoy examina les chefs d’infractions administratives retenus contre le requérant. Ce dernier contesta l’authenticité des rapports de police et la déposition des deux policiers parce que, selon lui, il avait été arrêté par d’autres agents, mais son objection fut écartée. Sur la base des dépositions écrites et des témoignages des deux policiers, le juge de paix le déclara coupable de participation à un rassemblement public irrégulier conduit en l’absence de notification préalable et le condamna, en vertu de l’article 20.2 du code des infractions administratives, à une amende de 1 000 roubles russes (RUB), soit environ 25 euros (EUR) courants. Le 10 avril 2012, le tribunal du district Tverskoy de Moscou examina l’appel formé par le requérant qui, bien qu’absent, était représenté par un avocat. Le tribunal entendit un autre témoin oculaire, un journaliste, qui déclara que le requérant, avant son arrestation, se tenait « dans une fontaine, tenant les mains d’autres personnes » et scandait des slogans politiques. Ce témoin ajouta que les policiers qui avaient mis le requérant dans le fourgon policier étaient les mêmes qui avaient signé le procès-verbal et comparu en première instance. Le tribunal visionna deux enregistrements vidéo produits par le requérant. S’il constata que le député de la Douma d’État avait effectivement appelé à un rassemblement public, il conclut néanmoins que le requérant, au moment de son arrestation, ne s’entretenait pas avec le député mais participait à un rassemblement de protestation. Il confirma le jugement du 15 mars 2012. B. Les deux arrestations du requérant le 8 mai 2012 Le 8 mai 2012, le requérant participa à une « marche » nocturne, un rassemblement informel d’activistes s’entretenant de l’actualité dans un lieu public. À cette occasion, plusieurs dizaines d’activistes se réunirent pour discuter de l’investiture de M. Poutine dans ses fonctions de président de la Fédération de Russie, intervenue la veille. À cette même date, la circulation des véhicules et des piétons dans certaines zones du centre de Moscou avait été restreinte en raison des festivités organisées à l’occasion de l’investiture du président et de la Journée de la victoire. À 4 h 30 selon le requérant, ou à 4 heures selon le Gouvernement, le requérant descendait le passage Lubyanskiy, accompagné d’environ 170 personnes. Le groupe s’arrêta sur les marches d’un bâtiment public pour prendre une photographie de groupe. Alors que le requérant prenait ce cliché, il fut arrêté par la police antiémeute. À 8 heures, il fut conduit dans un poste de police, où fut dressé un procès-verbal d’infraction administrative. Il fut inculpé de non-respect de la procédure établie pour la conduite d’événements dans un lieu public, une infraction réprimée par l’article 20.2 du code des infractions administratives. Il fut libéré ce même jour, à 10 h 50. Toujours le 8 mai 2012, à 23 h 55 selon le Gouvernement ou à 23 heures selon le requérant, celui-ci descendait la rue Bolshaya Nikitskaya au sein d’un groupe d’une cinquantaine de personnes. D’après le requérant, ces personnes restèrent sur le trottoir, ne déployèrent aucune banderole, n’utilisèrent aucun matériel de sonorisation et ne causèrent aucun trouble. Elles furent encerclées par la police antiémeute et le requérant fut arrêté sans sommation ni avertissement. Ce même soir, à 23 h 58, le requérant fut conduit dans un poste de police, où fut dressé un procès-verbal d’infraction administrative. Il était inculpé de non-respect de la procédure établie pour la conduite d’événements dans un lieu public, une infraction réprimée par l’article 20.2 du code des infractions administratives. Il fut libéré le 9 mai 2012, à 2 h 50. Le 30 mai 2012, la juge de paix du circuit no 387 du district Basmannyy examina les chefs d’infractions administratives retenus contre le requérant pour les faits survenus dans le passage Lubyanskiy. Le requérant ne comparut pas mais fut représenté par son avocat, qui nia toute participation de son client à un rassemblement irrégulier et affirma que ce dernier n’avait scandé aucun slogan. L’avocat demanda à la juge de paix de verser au dossier certains enregistrements vidéo et d’entendre certains témoins, mais elle le refusa. Sur la base des dépositions écrites de deux policiers, la juge de paix reconnut le requérant coupable d’avoir participé à un rassemblement conduit avant 7 heures, en violation des règles, et le condamna, en vertu de l’article 20.2 du code des infractions administratives, à une amende de 1 000 RUB. Ce jugement fut prononcé en intégralité le 1er juin 2012. Il fut confirmé le 6 juillet 2012 par le tribunal du district Basmannyy de Moscou. Le 1er juin 2012, le juge de paix du circuit no 380 du district Presnenskiy de Moscou examina les chefs d’infractions administratives retenus contre le requérant pour les faits survenus rue Bolshaya Nikitskaya. Le requérant ne comparut pas mais fut représenté par son avocat, qui nia toute participation de son client à un rassemblement irrégulier et plaida que ce dernier n’avait scandé aucun slogan. Le juge interrogea le policier qui avait arrêté le requérant, ainsi que trois témoins oculaires. Le policier déclara qu’il avait arrêté le requérant parce que celui-ci marchait au sein d’un important groupe de personnes qui gênaient la circulation et scandaient des slogans politiques. Les témoins oculaires déclarèrent que le requérant était descendu la rue parmi une cinquantaine ou une soixantaine de personnes ; que la police leur avait barré la route et les avait arrêtées sans avertissement ; et qu’ils n’avaient entendu ni slogans ni sons amplifiés. Le juge refusa de verser au dossier des enregistrements vidéo et d’entendre certains témoins oculaires, estimant ceux-ci partiaux parce qu’ils étaient vraisemblablement des partisans du requérant. Ce dernier fut reconnu coupable d’avoir participé à un rassemblement conduit au mépris des règles et condamné, en vertu de l’article 20.2 du code des infractions administratives, à une amende de 1 000 RUB. Ce jugement fut confirmé le 25 juin 2012 par le tribunal du district Presnenskiy de Moscou. C. L’arrestation du requérant le 9 mai 2012 Le 9 mai 2012, le requérant se rendit à 5 heures place Kudrinskaya, à Moscou, afin de participer à un rassemblement informel avec un député de la Douma d’État et d’assister aux festivités de la Journée de la victoire. Cette « marche » rassemblait 50 à 100 personnes discutant de l’actualité. Selon le requérant, ce rassemblement n’était pas une manifestation : il n’y avait aucune banderole, aucun bruit et personne ne scandait de slogan ni ne tenait de discours. Ce même jour, à 6 heures, la police antiémeute se rendit sur les lieux et arrêta le requérant sans sommation ni avertissement, ce dont le requérant produira un enregistrement vidéo. Ce même jour, à 8 h 50, le requérant fut conduit au poste de police du district Strogino À 11 h 50, il fut fouillé puis un procès-verbal d’infraction administrative fut dressé. Il dit avoir été détenu au poste de police pendant plus de trois heures avant d’être conduit devant un juge de paix. Le Gouvernement confirme qu’il a bien été détenu en instance de jugement, mais sans préciser combien de temps. Ce même jour, à une heure non précisée, le requérant fut conduit devant le juge de paix du circuit no 375 du district Presnenskiy de Moscou. Le juge de paix rejeta ses demandes tendant à faire comparaître et entendre les policiers qui l’avaient arrêté et à verser au dossier des enregistrements vidéo, mais fit droit à sa demande tendant à convoquer trois témoins oculaires. Ces derniers déclarèrent qu’un rassemblement public avait été conduit avec un député de la Douma d’État afin de discuter de l’actualité politique ; que personne n’avait scandé des slogans, fait du bruit ni gêné la circulation ; et que la police n’avait formulé aucune sommation ni aucun avertissement avant d’arrêter le requérant. Sur la base des dépositions écrites de deux policiers, le juge estima établi que le requérant avait pris part à un rassemblement public irrégulier et n’avait pas obtempéré à une sommation policière légale de dispersion. Il conclut également que le requérant avait scandé les slogans « la Russie sans Poutine ! » et « Poutine, voleur ! » et refusé de quitter les lieux, qu’il fallait évacuer pour les festivités de la Journée de la victoire. Il écarta les déclarations des trois témoins oculaires au motif qu’ils avaient différemment estimé le nombre des personnes présentes sur les lieux, le nombre des policiers qui avaient arrêté le requérant et l’heure d’arrivée de celui-ci au rassemblement. Le requérant fut reconnu coupable de refus d’obtempérer à une sommation légale de la police, en violation de l’article 19.3 du code des infractions administratives, et condamné à 15 jours de détention administrative. Le 10 mai 2012, le requérant fit appel. Le 12 décembre 2012, le tribunal du district Presnenskiy de Moscou statua en appel. Le requérant demanda à faire entendre les policiers sur la base des procès-verbaux et des dépositions desquels le juge de paix avait fondé son jugement, ainsi que huit témoins oculaires, et à faire verser au dossier l’enregistrement vidéo de son arrestation. Le tribunal rejeta ces demandes et confirma le jugement du 9 mai 2012. D. L’arrestation du requérant le 27 octobre 2012 Le 27 octobre 2012, le requérant prit part à une manifestation statique, ou « piquet » (пикетирование), dans le cadre d’une série d’événements de ce type tenus à Moscou devant le Comité d’investigation russe pour protester « contre les répressions et la torture ». Selon le requérant, cette action était un piquet en solo (одиночное пикетирование) qui n’avait pas à être préalablement notifié à l’autorité publique compétente. Au total, une trentaine de personnes y prirent consécutivement part. À 15 h 30, la police arrêta le requérant. Ce dernier affirma que, au moment de son arrestation, il avait fini son piquet et qu’il descendait la rue sur le trottoir ; qu’il ne scandait aucun slogan et ne portait aucune banderole, mais qu’il était suivi par des gens, notamment des journalistes, dont il estimait le nombre à « une vingtaine ». Selon le Gouvernement, le requérant avait participé à une marche irrégulière en l’absence de notification préalable. Il fut emmené au poste de police à 16 h 10. Il fut inculpé de nonrespect de la procédure établie pour la conduite d’événements dans un lieu public, une infraction réprimée par l’article 20.2 du code des infractions administratives. Il fut libéré ce même jour à 19 h 17. Le 30 octobre 2012, la juge de paix du circuit no 387 du district Basmannyy examina les chefs d’infractions. Elle interrogea trois témoins oculaires convoqués à la demande du requérant, mais la demande formée par lui tendant à faire entendre les policiers qui l’avaient arrêté fut rejetée. Il demanda également, en vain, le versement au dossier d’un enregistrement vidéo des événements en cause, ainsi qu’un rapport écrit d’une ONG qui avait observé les piquets. À la demande du requérant, la juge de paix entendit trois témoins oculaires, qui déclarèrent que celui-ci, après avoir quitté son piquet, avait descendu la rue, entouré de journalistes, en compagnie d’un autre activiste avec qui il discutait ; qu’il était resté sur le trottoir sans scander de slogans et sans déployer de banderoles ; que plusieurs autres participants au piquet étaient restés debout avec leurs banderoles, à une certaine distance les uns des autres ; et que la police avait arrêté le requérant sans avertissement ni explication. Sur la base des procèsverbaux écrits de deux policiers, elle déclara le requérant coupable d’avoir participé à une marche qui n’avait pas été dûment notifiée aux autorités et le condamna, en vertu de l’article 20.2 du code des infractions administratives, à une amende de 30 000 RUB (soit environ 740 EUR courants). Elle écarta les témoignages en faveur du requérant au motif qu’ils contredisaient les pièces du dossier. Le 7 décembre 2012, le tribunal du district Basmannyy confirma le jugement du 30 octobre 2012. E. Les deux arrestations du requérant le 24 février 2014 Le 24 février 2014, à midi, le requérant se rendit au tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou pour assister au procès des activistes jugés pour avoir participé à de graves troubles survenus place Bolotnaya, à Moscou, le 6 mai 2012. Ce jour-là, le jugement fut prononcé en audience publique. L’enceinte du tribunal était entourée d’un cordon de policiers et le requérant ne put y pénétrer. Il resta donc à l’extérieur, avec d’autres personnes qui souhaitaient assister à l’audience. Selon lui, alors qu’il se tenait debout en silence, la police, qui s’était soudain ruée dans la foule, l’arrêta en l’absence de sommation, d’avertissement ou de motif. Selon la version officielle, il avait conduit un rassemblement irrégulier et scandé des slogans politiques. Le même jour, à 12 h 50, le requérant fut conduit au poste de police. Il fut inculpé de non-respect de la procédure établie pour la conduite d’événements dans un lieu public, une infraction réprimée par l’article 20.2 du code des infractions administratives. Il fut libéré le même jour à 15 heures. Plus tard ce jour-là, vers 19 h 45, le requérant participa à un rassemblement public à la suite du prononcé du jugement concernant les graves troubles de la place Bolotnaya, par lequel plusieurs activistes avaient été condamnés à des peines d’emprisonnement. Le rassemblement, auquel prirent part environ 150 personnes, eut lieu rue Tverskaya. Le requérant fut arrêté alors qu’il discutait avec un journaliste sur le trottoir. Selon lui, il n’avait reçu aucune sommation ni aucun avertissement et il n’avait pas résisté à la police. Selon le procès-verbal de la police, lorsqu’il était assis dans le véhicule de police, il faisait des signes de la main en direction de la foule pour essayer d’attirer l’attention des médias, démontrant ainsi qu’il avait refusé d’obtempérer à une sommation de la police et résisté à des agents dans l’exercice de leurs fonctions. Ce même jour, à 20 h 20, le requérant fut conduit au poste de police Tverskoy, où fut dressé un procès-verbal d’infraction administrative. Il était inculpé de refus d’obtempérer à une sommation légale de la police, une infraction réprimée par l’article 19.3 du code des infractions administratives. Il fut placé en détention. Le lendemain, le 25 février 2014, à une heure non précisée, le requérant fut conduit devant le juge du tribunal du district Tverskoy, qui examina les charges retenues sur la base de l’article 19.3 du code des infractions administratives. La demande du requérant tendant à faire entendre deux témoins oculaires fut accordée. Ces derniers déclarèrent que la police n’avait donné au requérant aucune sommation ni aucun avertissement avant de l’arrêter. Le juge versa au dossier et visionna l’enregistrement des événements litigieux et interrogea les deux policiers sur la base des procès-verbaux desquels les charges étaient fondées. Il estima établi que le requérant avait participé à un rassemblement irrégulier et refusé d’obtempérer à une sommation policière légale de dispersion. Le requérant fut reconnu coupable de refus d’obtempérer à une sommation légale de la police, en violation de l’article 19.3 du code des infractions administratives, et condamné à sept jours de détention administrative. Le 7 mars 2014, le tribunal du district Zamoskvoretskiy de Moscou examina les charges se rapportant à la participation alléguée du requérant, le 27 février 2014, à un rassemblement public non autorisé devant l’enceinte du même tribunal. Le requérant demanda à faire entendre deux témoins oculaires présents au tribunal ce jour-là et les deux policiers sur la base des rapports desquels les charges étaient fondées. Ces demandes furent rejetées. Le tribunal versa au dossier un enregistrement vidéo des événements litigieux mais décida de ne pas prendre connaissance de sa teneur au motif que l’enregistrement n’était pas daté et ne retraçait pas les événements dans leur séquence complète. Se fondant sur les procès-verbaux rédigés par deux policiers, il déclara le requérant coupable de participation à un rassemblement non notifié à l’autorité compétente conformément à la procédure établie par la loi, et le condamna, sur la base de l’article 20.2 du code des infractions administratives, à une amende de 10 000 RUB (soit l’équivalent de 200 EUR). Le 24 mars 2014, la Cour de la ville de Moscou confirma le jugement du 25 février 2014. Le 22 mai 2014, la Cour de la ville de Moscou confirma le jugement du 7 mars 2014. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour un exposé du droit interne pertinent, voir les arrêts Kasparov et autres c. Russie (no 21613/07, § 35, 3 octobre 2013), Navalnyy et Yashin c. Russie (no 76204/11, §§ 43-44, 4 décembre 2014), et Novikova et autres c. Russie (nos 25501/07, 57569/11, 80153/12, 5790/13 et 35015/13, §§ 67-69, 26 avril 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est le propriétaire et le rédacteur en chef de la revue mensuelle Genç Bakış (Regard jeune), dont le siège se trouve à Istanbul. En avril 2004, la revue Genç Bakış publia, dans son numéro 37, deux articles intitulés respectivement « Sur ces terres, nous avons créé des printemps dignes de l’individu libre » (Bu topraklarda özgür insana layık baharları yarattık) et « Les meurtriers n’ont pas été punis, ils ont été récompensés » (Katiller cezalandırılmadı, ödüllendirildi). Le premier article contenait un extrait d’un texte rédigé par Abdullah Öcalan en mars 1998 dans lequel ce dernier s’adressait aux militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce texte, qui lance un appel aux jeunes militants du PKK, se lit comme suit en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) Vous êtes les plus jeunes. Nous vous donnons aussi les armes puissantes du PKK. Je vous le dis, faites comme vous voulez et autant que vous pouvez. (...) Vous êtes militants du PKK. Les militants du PKK n’ont jamais peur. Les militants du PKK jouissent d’une réputation mondiale, ils n’ont jamais peur, ils sont indulgents, talentueux. (...) Vous ne mourez pas de façon naturelle. Nous ne pouvons pas accepter cette façon de mourir. Si vous continuez à mourir ainsi, ne faites pas la guerre. Si vous la faites, sachez que vous devez éclater comme des volcans. (...) Ce sont les principes du PKK. Le principe militaire du PKK est également ainsi. » Le deuxième article rapportait une déclaration faite à la presse par un membre de la famille des défunts à l’occasion de la commémoration annuelle des évènements ayant eu lieu à Gazi le 12 mars 1995. La déclaration en question était ainsi libellée, en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) En 1995, des bandes de contre-guérilléros, assoiffées de sang, ont mitraillé les cafés et le cemevi entraînant la mort de Halil dede et causant des blessures à une dizaine de personnes. On a tiré sur les civils innocents qui réagissaient à ces évènements. Les agents de l’État, chargés de la protection des citoyens, ont fait couler du sang dans les rues de Gazi. Ils jetaient à la poubelle les corps sans vie de nos enfants qu’ils avaient massacrés en les traînant par terre. Au total 23 personnes, dont 17 à Gazi et 6 à Ümraniye, ont été tuées. (...) Les responsables de cette atrocité sont des agents de l’État de cette époque, N.M., le ministre de l’intérieur, H.K., le préfet d’Istanbul et N.M., le chef de la police. Au lieu de demander des comptes aux responsables de cette barbarie, on a récompensé ces meurtriers (cani) en les nommant député et ministre. » Par un acte d’accusation du 30 avril 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Istanbul inculpa le requérant pour avoir publié des déclarations émanant d’une organisation terroriste et pour avoir désigné comme cible des agents publics ayant pris part à la lutte contre le terrorisme, infractions sanctionnées par l’article 6 §§ 1, 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »), pour la publication des articles intitulés respectivement « Sur ces terres, nous avons créé des printemps dignes de l’individu libre » et « Les meurtriers n’ont pas été punis, ils ont été récompensés ». Le 28 février 2007, la cour d’assises d’Istanbul jugea le requérant coupable des infractions ci-dessus et le condamna pour chacun des deux articles litigieux à une amende de 1 125 livres turques (TRY), soit environ 600 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à l’époque des faits. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi. Le 22 mars 2007, le procureur général et, à une date non spécifiée dans le dossier, le requérant lui-même, se pourvurent en cassation. Dans son mémoire, le requérant se prévalait des articles 6 et 10 de la Convention. Le 4 mars 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif que, le montant des amendes infligées étant inférieur à la limite légale pour former un pourvoi, l’arrêt contesté était définitif. Le 14 mai 2010, le procureur général d’Istanbul établit un avis de recouvrement pour chacune des deux amendes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait, en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes est puni d’une amende de 5 à 10 millions de livres turques. (...) Lorsque les faits décrits aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi no 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à 90 % de la moyenne du chiffre des ventes du mois précédent si la fréquence de parution du périodique est inférieure à un mois, ou du chiffre des ventes réalisé par le dernier numéro du périodique si celui-ci paraît une fois par mois ou moins fréquemment (...) Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à 50 millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur. » À la suite de modifications apportées par la loi no 5532 du 29 juin 2006 et par la loi no 6459 du 11 avril 2013, l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 se lit désormais ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes légitimant ou faisant l’apologie des méthodes de contrainte, de violence ou de menace de pareilles organisations ou incite à l’utilisation de telles méthodes est puni d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans. (...) Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie de la presse et de la publication, les responsables de la publication des organes de presse et de publication n’ayant pas participé à la commission de l’infraction sont également condamnés à une peine de 1 000 à 10 000 jours-amende. » En 2015, la Cour constitutionnelle a statué dans deux affaires concernant la condamnation de responsables d’organes de presse en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 (Ali Gürbüz et Hasan Bayar, no 2013/568, 24 juin 2015, et Ali Gürbüz, no 2013/724, 25 juin 2015). Dans ces deux affaires, elle a conclu à la violation de la liberté d’expression des intéressés au motif que les déclarations litigieuses ne contenaient aucun appel à la violence, à la haine ou au soulèvement armé. Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt Ali Gürbüz et Hasan Bayar (précité) se lisent ainsi : « Le constat selon lequel la publication des considérations d’Abdullah Öcalan sur certains sujets constitue l’infraction de « publication de déclarations d’organisations terroristes » et la décision subséquente de suspension des poursuites doivent être analysés. Une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées ne peut être justifiée uniquement par une considération liée à la personnalité d’un individu. De même, le fait de publier des opinions et des idées d’un membre ou d’un dirigeant d’une organisation illégale ne peut, à lui seul, justifier une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées. En effet, une telle approche ferait obstacle à l’exercice des droits constitutionnels et priverait certaines personnes ou certains groupes de personnes de la jouissance des droits protégés par l’article 26 de la Constitution (Abdullah Öcalan, § 101). Il faut souligner que les autorités publiques disposent d’une marge d’appréciation très étroite lorsqu’il s’agit de condamner des « déclarations de presse », tel l’article publié par les requérants. Les idées qui ne sont pas accueillies favorablement par les autorités publiques ou par une partie de la population ne peuvent faire l’objet de restrictions tant qu’elles n’incitent pas à la violence, ne légitiment pas les actes terroristes et n’encouragent pas les discours de haine. Lu dans son ensemble, l’article en cause ne peut être considéré comme faisant l’apologie de la violence et incitant à l’adoption de méthodes terroristes, autrement dit à la violence, à la haine, à la vengeance ou à la résistance armée. (...) » L’article 6 § 1 de la loi no 3713 réprime le fait de divulguer ou de publier l’identité d’agents publics ayant pris part à la lutte contre le terrorisme et de les désigner comme cible.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1964 et réside à Istanbul. À l’époque des faits, il purgeait une peine de réclusion dans la prison d’Ermenek (Karaman). Le 20 décembre 2000, une altercation eut lieu entre le requérant et les agents pénitentiaires à l’occasion d’une fouille corporelle. Le 21 décembre 2000, l’administration pénitentiaire dressa un procès-verbal au sujet de ces faits. Le 3 janvier 2001, le requérant porta plainte contre plusieurs fonctionnaires de la prison d’Ermenek, dont le directeur et le directeur adjoint. Il alléguait que ces personnes l’avaient injurié et frappé avec des bâtons lors de leur intervention du 20 décembre 2000. Le 2 février 2001, le procureur de la République d’Ermenek (« le procureur ») entendit le requérant en qualité de plaignant, sans l’assistance d’un avocat. Le requérant relata sa version des faits relative à la querelle du 20 décembre 2000 et affirma qu’il avait été insulté et frappé par le personnel pénitentiaire. Par un acte d’accusation du 29 mars 2001, le procureur inculpa le requérant d’outrage et résistance à fonctionnaire. Il y précisait ce qui suit : une dispute avait eu lieu le 20 décembre 2000 dans la prison d’Ermenek entre le directeur adjoint de la prison et le requérant ; ce dernier avait insulté le directeur adjoint ; pour rétablir l’ordre, le directeur adjoint, accompagné d’autres fonctionnaires, avait tenté d’entrer dans la cellule ; le requérant et ses trois codétenus avaient alors jeté des portes de placard, des chaises, des verres et d’autres objets sur le directeur adjoint et les fonctionnaires. Le procureur engagea également des poursuites pénales contre le directeur adjoint de la prison, Y.I., et le gardien en chef de la prison, H.Ş., pour coups et blessures sur la personne du requérant. En outre, le même jour, il rendit une décision de non-lieu contre S.K., le directeur de la prison, pour absence d’éléments de preuve. La procédure pénale débuta devant le tribunal correctionnel d’Ermenek. Lors de la première audience, le 11 mai 2001, après avoir été informé de ses droits conformément à l’article 135 du code de procédure pénale (« l’ancien CPP »), le requérant refusa l’assistance d’un avocat et déclara vouloir se défendre lui-même. Il exposa sa version des faits et demanda au tribunal d’organiser une visite sur les lieux des faits pour faire constater que, selon lui, il lui aurait été impossible d’utiliser un placard comme barricade lors de l’altercation. Il confirma en outre le contenu de sa déposition faite devant le procureur en qualité de plaignant ainsi que celui de la plainte pénale qu’il avait adressée au procureur. Il ajouta que le procès-verbal dressé par l’administration pénitentiaire ne rendait pas correctement compte des faits. Enfin, il demanda à être dispensé d’assister aux audiences, demande qui fut acceptée par le tribunal. Le 20 septembre 2001, le tribunal correctionnel d’Ermenek décida de convoquer le requérant à l’audience suivante afin de lui accorder une nouvelle possibilité de se défendre au regard de nouveaux éléments intervenus dans le dossier. Le requérant assista donc à l’audience du 27 septembre 2001 : les déclarations de témoins entendus en son absence lors des audiences précédentes furent lues. Il réitéra ses moyens de défense antérieurs, réfuta l’accusation et contesta les passages des déclarations qui lui étaient défavorables. Par un jugement du 27 décembre 2001, le tribunal correctionnel d’Ermenek condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de sept mois et dix jours et à une amende de 83 655 000 anciennes livres turques (TRL) pour outrage et résistance à fonctionnaire. Pour établir la culpabilité du requérant, il s’était appuyé sur le procès-verbal du 21 décembre 2000 et sur les déclarations des témoins. Il acquitta Y.I. et H.Ş. pour absence de preuves. Le 21 janvier 2002, le requérant forma un pourvoi devant la Cour de cassation. Il contestait notamment l’appréciation des faits et des éléments de preuve à laquelle le tribunal correctionnel avait procédé et affirmait avoir fait l’objet de mauvais traitements. Il reprochait en outre au tribunal de première instance de ne pas avoir tenu compte de sa demande de visite sur les lieux, laquelle, à ses yeux, aurait contredit l’allégation selon laquelle il avait utilisé un placard comme barricade lors de l’altercation du 20 décembre 2000. Par un arrêt du 8 mai 2002, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal correctionnel du 27 décembre 2001 s’agissant de la condamnation du requérant du chef d’outrage à fonctionnaire. La Haute Cour relevait que tous les éléments de preuve, les arguments de l’accusation et les moyens de défense avaient été exposés et discutés par le tribunal de première instance, et que le verdict de culpabilité s’appuyait sur des données exactes et cohérentes. S’agissant du chef de résistance à fonctionnaire, la Cour de cassation infirma le jugement au motif que le tribunal correctionnel n’avait pas examiné la question de savoir si les actes du requérant pouvaient constituer l’infraction de rébellion contre l’administration pénitentiaire. Enfin, elle confirma le jugement en ce qu’il avait prononcé l’acquittement de Y.I. et de H.Ş. La procédure pénale reprit devant le tribunal correctionnel d’Ermenek en l’absence du requérant. Le 20 décembre 2002, le tribunal correctionnel d’Ermenek adressa une commission rogatoire au tribunal correctionnel de Nazilli afin d’obtenir la déposition en défense du requérant, lequel avait entre-temps été transféré à la prison de Nazilli. Le 6 mars 2003, le requérant fit une déposition devant le tribunal correctionnel de Nazilli. Après avoir été informé de ses droits de la défense conformément à l’article 135 de l’ancien CPP, il refusa l’assistance d’un avocat et déclara vouloir se défendre lui-même. Il demanda également à être dispensé de présence aux audiences. En outre, il fit savoir qu’il ne sollicitait pas de délai supplémentaire pour sa défense et réitéra les déclarations qu’il avait faites à l’audience du 11 mai 2002. Il précisait en particulier qu’il lui aurait été impossible d’édifier une barricade lors de l’altercation du 20 décembre 2000 parce que, selon lui, il n’y avait pas de meuble dans sa cellule. Le requérant n’assista à aucune des vingt audiences tenues par le tribunal correctionnel d’Ermenek. À l’issue de l’audience du 31 mars 2005, ce dernier condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de cinq mois et quinze jours pour résistance à fonctionnaire. Il considérait que, lors de l’altercation entre le requérant et le personnel pénitentiaire, le requérant et ses codétenus avaient créé une barricade en plaçant des placards derrière la porte de leur cellule et que, par la suite, ils avaient jeté des objets sur les fonctionnaires entrés dans la cellule. Le 26 avril 2005, le requérant se pourvut en cassation. En se référant à ses moyens de défense antérieurs, il contestait le jugement du tribunal correctionnel d’Ermenek. Par un arrêt du 6 décembre 2006, la Cour de cassation infirma le jugement du 31 mars 2005 en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du nouveau code pénal et du nouveau CPP. Entre-temps, le requérant fut remis en liberté à une date non précisée. La procédure pénale reprit devant le tribunal correctionnel d’Ermenek. Le 10 janvier 2007, ce dernier délivra une commission rogatoire pour obtenir la déposition en défense du requérant au sujet de l’arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2006. Le 14 mai 2007, le requérant se présenta au tribunal correctionnel de Kartal (Istanbul). Ce tribunal, agissant sur commission rogatoire, informa le requérant de son droit d’être assisté par un avocat choisi par lui ou commis d’office. L’intéressé refusa l’assistance d’un avocat, déclara vouloir se défendre lui-même et demanda à être dispensé d’assister aux audiences. Présentant une nouvelle fois ses moyens de défense antérieurs, il demanda l’organisation d’une visite sur les lieux qui, selon lui, établirait qu’il lui aurait été impossible d’utiliser un placard comme barricade. Par un jugement du 4 juillet 2007, le tribunal correctionnel d’Ermenek réitéra son jugement du 31 mars 2005. Le 4 août 2007, le requérant se pourvut en cassation. Il répéta sa version des faits et contesta l’appréciation des faits telle qu’elle avait été effectuée par le tribunal. Il dénonça en outre l’absence d’organisation d’une visite sur les lieux. Par un arrêt du 12 juin 2008, la Cour de cassation confirma le jugement du tribunal correctionnel d’Ermenek du 4 juillet 2007. La Haute Cour releva que tous les éléments de preuve, les arguments de l’accusation et les moyens de défense avaient été exposés et discutés par le tribunal de première instance, et que le verdict de culpabilité s’appuyait sur des données exactes et cohérentes. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 135 de l’ancien CPP, issu de la loi no 1412 du 4 avril 1929 – abrogée par la loi no 5271 entrée en vigueur le 1er juin 2005, – se lisait comme suit en ses passages pertinents en l’espèce : « Lors des dépositions effectuées (...) devant le procureur de la République ou devant un juge (...) la procédure suivante est observée : (...) La personne soupçonnée ou accusée est informée de l’accusation portée contre elle. La personne soupçonnée ou accusée est informée de son droit à être assisté par un avocat, et, si elle n’a pas les moyens d’en nommer un, de son droit à demander [l’assistance d’]un avocat nommé par le barreau (...). Elle est informée de son droit (...) de ne donner aucune explication sur l’infraction qui lui est reprochée. Il lui est rappelé qu’elle a le droit de demander à ce que des preuves concrètes soient recueillies en vue de son acquittement (...) et qu’elle a la possibilité de [contester] les (...) [éléments] qui lui sont défavorables et d’exposer des éléments en sa faveur. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1968 et réside à Istanbul. À l’époque des faits, elle était la rédactrice en chef de la revue Posture révolutionnaire prolétaire. Par un acte d’accusation du 6 juin 2001, le procureur de la République d’Istanbul inculpa la requérante de dénigrement de la République et de dénigrement des forces armées en raison de certains articles publiés dans le numéro de février 2001 de ladite revue et requit la condamnation de l’intéressée en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal. Le 15 novembre 2002, la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») reconnut la requérante coupable des chefs de dénigrement de la République et de dénigrement des forces armées et la condamna pour chaque chef à dix mois d’emprisonnement, en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal. Ces peines furent commuées en une amende judiciaire de 2 847 312 000 anciennes livres turques (TRL) avec sursis à l’exécution. Le 8 mars 2004, la Cour de cassation infirma l’arrêt de la cour d’assises en raison, notamment, des modifications législatives intervenues à l’article 159 de l’ancien code pénal. Le 10 septembre 2004, la cour d’assises condamna à nouveau la requérante à cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République et à cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement des forces armées, en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal. Ces peines furent commuées en une amende judiciaire de 1 423 500 000 TRL avec sursis à l’exécution. La requérante se pourvut en cassation. Le 8 novembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation renvoya le dossier de l’affaire à la cour d’assises pour réexamen au regard du nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er juin 2005. Le 31 mars 2006, la cour d’assises rendit son jugement. Retenant les dispositions de l’ancien code pénal, plus favorables à l’accusée, elle appliqua l’article 159 § 1 de ce code et condamna une nouvelle fois l’intéressée pour dénigrement de la République et pour dénigrement des forces armées à cinq mois de réclusion pour chaque chef. Elle convertit cette peine en amende. La requérante se vit donc infliger une amende judiciaire de 1 200 nouvelles livres turques (TRY) (environ 736 euros (EUR) à la date du prononcé du jugement) avec sursis à l’exécution. Dans sa motivation, la cour d’assises constata que la requérante était la rédactrice en chef de la revue concernée et qu’elle n’avait présenté aucun document révélant l’identité des auteurs des articles litigieux dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet. Elle nota aussi que la requérante avait déclaré, à l’audience du 1er mars 2002, que les articles litigieux lui avaient été envoyés de l’étranger et qu’elle les avait publiés en les considérant comme des textes critiques écrits dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression. La cour d’assises estima que certains passages des articles litigieux étaient de nature à dénigrer la République et les forces armées et qu’ils ne constituaient ni une critique ni l’expression d’une opinion. Les passages retenus par la cour d’assises à l’appui de cette conclusion se lisent comme suit : « Le régime fasciste a attaqué, exactement comme il le voulait, avec témérité, pour faire taire toute voix par un carnage, (...) Il faut créer des fonds pour subvenir aux besoins des captifs, il faut collecter des vêtements, des médicaments et de l’argent sur ces fonds communs, il faut envoyer des lettres et des cartes aux détenus pour montrer à l’État fasciste qu’ils ne sont pas seuls (...) Les forces souveraines ont utilisé en dernier ressort l’institution fasciste la plus solide de l’État, l’armée ; les généraux fascistes, dès qu’ils sont arrivés, se sont mobilisés en menaçant, en interdisant les associations légales et toute résistance, afin de noyer dans le sang les associations révolutionnaires et leurs partisans. » Le 24 septembre 2007, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’assises. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 159 § 1 de l’ancien code pénal (la loi no 765 du 1er mars 1926), qui était en vigueur jusqu’au 1er juin 2005, disposait ce qui suit : « 1. Est passible d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement toute personne qui, publiquement, dénigre ou présente comme étant dénigrés (tahkir ve tezyif edenler) la turcité, la République ou la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie, les organes judiciaires, les forces armées ou la sûreté de l’État (Devletin askeri veya emniyet muhafaza kuvvetleri). (...) L’expression d’opinions critiques, en l’absence d’intention de dénigrer, de présenter comme étant dénigré ou d’insulter, ne constitue pas un délit. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1942 et réside à Kocaeli. Le 3 juillet 2007, une quinzaine de personnes, dont le requérant, se réunirent devant la prison de Gebze pour exprimer, dans une déclaration de presse, leur soutien à la candidature aux élections législatives de S.T., qui, à l’époque, était détenue dans cet établissement. Lors de ce rassemblement, le requérant prononça le discours suivant : « Puis-je faire une déclaration, les amis ? J’ai posé ma candidature aux élections législatives comme candidat socialiste indépendant à la 3e circonscription d’Istanbul. Mais les lois de l’État fasciste m’ont condamné et puni pour l’expression de mes pensées ; j’ai été privé de mon droit de vote et d’éligibilité. Mais, à la différence d’autres personnes, j’ai mené une bataille juridique et acquis mes droits. Je me suis porté candidat socialiste indépendant à la 3e circonscription d’Istanbul, où S.T. était également candidate. J’ai donc retiré ma candidature en faveur de S.T. pour le peuple kurde et pour les femmes prolétaires kurdes, et en réaction aux serviteurs de la T.C. [République de Turquie], aux serviteurs de Büyükanıt [ex-chef de l’état-major des armées], à la terreur que les enfants de l’ordre font régner au Kurdistan, aux pressions et à la violence. Je me suis retiré pour être à côté du peuple kurde contre la sale guerre, pour exprimer ma volonté en faveur de l’exercice des libertés et des droits démocratiques, pour conduire S.T. de la prison à l’Assemblée en réponse à l’envoi de L.Z. [parlementaire turque] de l’Assemblée à la prison. J’ai laissé ma place à S.T., je suis à côté d’elle, je vais travailler avec elle. Le 24 juillet, on va envoyer S.T. à l’Assemblée (...). Je m’appelle İsmet Yurtsever. » Le 17 novembre 2007, le procureur de la République de Gebze inculpa le requérant pour dénigrement de la turcité et des organes de l’État en raison de ce discours, et il requit sa condamnation sur le fondement de l’article 301 du code pénal (CP). Le 9 avril 2008, la procédure pénale débuta devant le tribunal correctionnel de Gebze. Le 20 mai 2008, ledit tribunal suspendit la procédure pour demander l’autorisation du ministre de la Justice, rendue nécessaire pour l’engagement des poursuites prévues à l’article 301 du CP, en vertu d’une modification législative adoptée le 30 avril 2008. Le 26 août 2008, le ministre de la Justice accorda l’autorisation requise. La procédure pénale reprit devant le tribunal correctionnel. À l’audience du 30 décembre 2008, le requérant déclara que, lors de la réunion du 3 juillet 2007, il s’était borné à prononcer un discours de soutien à S.T. Il rejeta donc l’accusation formulée à son encontre et demanda son acquittement. Dans le mémoire en défense qu’il soumit au tribunal le 6 octobre 2009, le requérant expliqua qu’il était contre la guerre et la violence et que, par l’expression « État fasciste » employée dans son discours, il entendait critiquer les politiques de pression et de torture qu’aurait conduites l’État. Il indiqua qu’il avait utilisé l’expression « les serviteurs de Büyükanıt » pour critiquer les propos de ce dernier concernant les personnes soupçonnées dans une affaire de bombe ayant explosé dans une librairie. Il soutint ce qui suit : son discours ne contenait pas d’insulte ni de diffamation ; il s’agissait d’un discours tenu dans le cadre d’une critique, et donc de l’expression d’une pensée ; et ce discours ne comportait pas de connotation dégradante ou péjorative. Le requérant nia en conséquence avoir commis l’infraction reprochée et demanda à être acquitté. Le 7 octobre 2009, le tribunal correctionnel de Gebze rendit son jugement. Il condamna le requérant à cinq mois d’emprisonnement, considérant que les termes utilisés par l’intéressé dans son discours dépassaient les limites de la critique, et il décida de surseoir au prononcé de ce jugement. Le 25 novembre 2009, le requérant forma une opposition contre cette décision. Il soutenait que ses propos ne contenaient pas d’insulte ni de dénigrement et qu’il avait seulement voulu exprimer son soutien à S.T. en vue des élections législatives. Il estimait que, en tenant ces propos, il n’avait fait qu’exercer sa liberté d’expression, telle que définie dans la jurisprudence de la Cour. Le 10 décembre 2009, la cour d’assises de Gebze rejeta cette opposition. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 301 du CP, tel que modifié par la loi no 5759 du 30 avril 2008, se lit comme suit : « Est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement quiconque dénigre (aşağılayan) publiquement la nation turque, l’État de la République de Turquie, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie et les organes judiciaires de l’État. Est sanctionné selon les dispositions du premier paragraphe quiconque dénigre (aşağılayan) publiquement les forces de l’armée ou les forces de l’ordre de l’État. L’expression d’opinions critiques ne constitue pas un délit. L’engagement de poursuites contre ce délit est subordonné à l’autorisation du ministre de la Justice. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1964 et réside à Istanbul. À l’époque des faits, il était le rédacteur en chef de la revue « Yeni Dünya için Ҫağrı » (Appel pour un nouveau monde). Par un acte d’accusation du 30 décembre 2003, le procureur de la République d’Istanbul inculpa le requérant de dénigrement de l’État et du gouvernement en raison du contenu d’un article intitulé « Irak’ta İşgal Ortaklığına Hayır » (Non au partenariat d’occupation en Irak), publié dans l’édition de novembre 2003 de la revue en question. Il exposa que, le nom de l’auteur de l’article n’étant pas mentionné, le requérant, en sa qualité de rédacteur en chef, devait assumer devant les autorités judiciaires la responsabilité au titre de cet article. Il précisa qu’il avait obtenu le 18 décembre 2003 l’accord du ministre de la Justice pour l’ouverture d’une procédure pénale. Il requit la condamnation de l’intéressé en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal (CP). Le 22 décembre 2005, le tribunal correctionnel d’Istanbul (« le tribunal correctionnel ») reconnut le requérant coupable des chefs de dénigrement de l’État et de dénigrement du gouvernement et le condamna, en application de l’article 301 du nouveau code pénal (NCP) entré en vigueur le 1er juin 2005, à deux peines cumulées de cinq mois d’emprisonnement, soit dix mois en tout. Il commua ces peines en une amende judiciaire de six mille livres turques au total. Il considéra que l’article en cause dépassait les limites de la critique admissible et était constitutif des infractions de dénigrement de la République et de dénigrement du gouvernement. Le 8 octobre 2007, la Cour de cassation infirma le jugement entrepris au motif que, après l’entrée en vigueur du NCP, la loi la plus favorable n’avait pas été appliquée pour la détermination des peines, ces dernières ayant été cumulées avant de devenir définitives. La procédure pénale reprit devant le tribunal correctionnel. Le 4 novembre 2008, le tribunal correctionnel reconnut de nouveau le requérant coupable de dénigrement de la République et du gouvernement et le condamna, en application de l’article 301 du NCP, à dix mois d’emprisonnement. Cette peine fut commuée en une amende judiciaire de deux mille sept cents livres turques (environ 1 775 euros (EUR) à la date du prononcé du jugement) au total. À l’appui de son jugement, le tribunal correctionnel retint les passages suivants de l’article litigieux : « Le gouvernement AKP [Parti de la justice et du développement] ment pour cacher son visage de collaborateur ! L’approbation du mémorandum [permettant à l’armée turque d’intervenir en Irak et de recevoir des troupes étrangères sur le sol turc dans ce but] est la preuve que le gouvernement AKP présidé par Recep Tayyip Erdoğan est un gouvernement qui collabore avec l’impérialisme comme tous les gouvernements précédents. (...) En réalité, sur des questions telles que les services [rendus] à l’impérialisme, la protection des intérêts des classes dominantes turques et l’expansionnisme, ces groupes opposants ne sont pas, au fond, différents du gouvernement AKP. Allez, exaltons la lutte révolutionnaire contre l’État turc fasciste, occupant et expansionniste qui refuse la moindre de nos revendications de droits au moyen de sa police, de ses soldats et de son despotisme. » Le 21 février 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par le requérant et confirma le jugement du 4 novembre 2008. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 159 § 1 de l’ancien code pénal (CP) (loi no 765 du 1er mars 1926) en vigueur jusqu’au 1er juin 2005, disposait ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « Est passible d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement toute personne qui, publiquement, dénigre ou présente comme dénigrés (tahkir ve tezyif edenler) la turcité, la République, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie, les organes judiciaires, les forces armées ou la sûreté de l’État (Devletin askeri veya emniyet muhafaza kuvvetleri). (...) L’expression d’opinions critiques, en l’absence d’intention de dénigrer, de présenter comme dénigré ou d’insulter, ne constitue pas un délit. » L’article 301 du nouveau code pénal (NCP) (loi no 5237 du 26 septembre 2004 entrée en vigueur le 1er juin 2005), tel qu’amendé par la loi no 5759 du 30 avril 2008, se lit comme suit : « Est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement quiconque dénigre publiquement la nation turque, la République de Turquie, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie et les organes judiciaires de l’État. Est sanctionné selon les dispositions du premier paragraphe quiconque dénigre publiquement les forces militaires ou la sûreté de l’État. L’expression d’opinions critiques ne constitue pas un délit. La poursuite de ce délit est subordonnée à l’autorisation du ministre de la Justice. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Requête no 31386/09 Les requérants sont, d’une part, la SARL Le Club, société à responsabilité limitée de droit français ayant son siège social à Nice, représentée par son liquidateur amiable, M. Henri Ribes, et, d’autre part, M. Henri Ribes, né en 1953 et Mme Annie Buffin, résidant ensemble à Nice. Le contexte La société requérante exploitait un établissement de restauration dans un centre commercial à Nice. M. Ribes en était le gérant ; Mme Buffin et luimême en étaient les deux associés. À l’issue d’une vérification de comptabilité de la société requérante, l’administration fiscale lui adressa en 1985 une notification de redressements au titre de l’impôt sur les sociétés et de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée). Ces impositions furent mises en recouvrement en 1988. Le 19 juillet 1991, la société requérante saisit le tribunal administratif de Nice d’un recours en vue de la décharge des impositions en cause. L’administration fiscale ayant décidé d’en accorder le dégrèvement, le tribunal dit n’y avoir lieu à statuer par jugement du 28 septembre 1995. Entre temps, l’administration fiscale avait inscrit un privilège du Trésor pour un montant de 500 690 francs français (FRF), soit 76 329, 80 euros (EUR). Le 12 avril 1994, l’administration fiscale notifia un avis à tiers détenteur entre les mains du séquestre du prix de vente du fonds de commerce pour un montant de 2 000 000 FRF (304 898, 44 EUR) correspondant à l’intégralité du prix de vente. L’URSSAF (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales), également créancière de la société, n’ayant pu de ce fait récupérer sa créance sur le prix de vente, l’assigna en redressement judiciaire devant le tribunal de commerce de Nice. Par jugements des 1er décembre 1994 et 6 avril 1995, le tribunal plaça la société requérante en redressement puis en liquidation judiciaires et désigna un liquidateur. Le 19 mars 1996, le tribunal prononça la clôture de la liquidation pour extinction du passif. En vertu d’une assemblée générale extraordinaire du 20 mars 1996, le requérant fut nommé liquidateur amiable de la société requérante. Les procédures principales a) Première procédure Le 14 septembre 1995, le requérant et la société requérante, représentée par son liquidateur, adressèrent au ministère des finances une demande préalable d’indemnisation en raison des fautes commises par l’administration fiscale, qui avaient selon eux entraîné la liquidation de la société. Cette demande ayant fait l’objet d’un rejet implicite, les requérants saisirent le 20 février 1996 le tribunal administratif de Nice d’un recours visant la condamnation de l’État à leur verser diverses sommes au titre du préjudice d’exploitation, de la perte subie sur la vente du fonds de commerce, ainsi que des autres préjudices. Par mémoire du 3 décembre 1996, le ministre délégué au budget conclut au rejet des demandes. L’audience fut fixée au 9 avril 1998. Par jugement du 30 avril 1998, le tribunal rejeta le recours. Le 31 juillet 1998, les requérants firent appel devant la cour administrative d’appel de Marseille. Ils produisirent le 25 avril 2000 un mémoire auquel le ministre répondit le 3 août 2000. L’audience eut lieu le 8 janvier 2001. Par arrêt du 22 janvier 2001, la cour administrative d’appel retint que l’administration avait commis des erreurs cumulées constitutives d’une faute lourde de nature à engager sa responsabilité. En conséquence, la cour annula le jugement, condamna l’État à verser au requérant en sa qualité d’ancien gérant la somme de 50 000 FRF (7 622 EUR) et rejeta les autres chefs de demande. b) Seconde procédure Le 24 juin 1996, la société requérante, représentée par le requérant ès qualités de liquidateur amiable, saisit le tribunal administratif de Nice d’un recours visant, d’une part, l’annulation d’une décision de l’administration fiscale du 23 avril 1996 maintenant un avis à tiers détenteur délivré pour le recouvrement d’une somme de 55 630 FRF (8 481 EUR) et, d’autre part, le remboursement par l’État de la somme de 46 441 FRF (7 080 EUR). L’audience eut lieu le 23 mai 2001. Par jugement du 14 mars 2002, le tribunal rejeta le recours. Le 11 juin 2002, la société requérante fit appel devant la cour administrative d’appel de Marseille. Le 7 mars 2003, le ministre de l’économie et des finances produisit un mémoire en défense, auquel la société requérante répliqua le 10 avril 2003. L’audience eut lieu le 2 mars 2004. Par arrêt du 30 mars 2004, la cour annula le jugement et, après avoir évoqué l’affaire, rejeta le recours. La procédure en indemnisation Le 19 septembre 2002, les requérants adressèrent au ministre de la justice une demande préalable d’indemnisation en raison de la durée selon eux déraisonnable des deux procédures résumées aux paragraphes 11 à 19 cidessus. S’agissant de la seconde procédure, les requérants ne mettaient en cause que la durée de la procédure devant le tribunal administratif. Leur demande ayant fait l’objet d’un refus implicite du ministre, ils saisirent le 15 janvier 2003 le tribunal administratif de Paris d’un recours tendant à ce que l’État soit condamné à leur verser la somme de 10 000 000 EUR en réparation des préjudices financiers et moraux résultant des délais en cause. Le 25 février 2003, le tribunal administratif de Paris transmit le recours au Conseil d’État pour désignation du tribunal compétent. Par ordonnance du 26 mars 2003, le président de la section du contentieux du Conseil d’État attribua l’affaire au tribunal administratif de Lyon, qui l’enregistra le 11 avril 2003. Le 15 décembre 2003, le ministre de la justice produisit un mémoire auquel les requérants répliquèrent le 30 janvier 2004. La clôture fut fixée au 3 février 2004 et l’audience eut lieu le 31 mars 2005. Par jugement du 14 avril 2005, le tribunal considéra que la durée de la première procédure, à savoir quatre ans et sept mois pour deux degrés de juridiction, n’était pas excessive et n’était pas de nature à constituer une faute du service public de la justice. En revanche, s’agissant de la seconde procédure, le tribunal estima que la durée de cinq ans et neuf mois devant le tribunal administratif était excessive eu égard à l’absence de complexité de la requête ou d’attitude dilatoire des requérants et qu’elle constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l’État. Le tribunal jugea toutefois que les requérants n’établissaient pas que cette durée leur aurait causé un préjudice quelconque et rejeta leurs demandes d’indemnisation. Le 13 juin 2005, les requérants firent appel devant la cour administrative d’appel de Lyon. Le ministre de la justice déposa le 6 février 2006 un mémoire auquel les requérants répliquèrent le 20 avril 2006. L’audience eut lieu le 15 juin 2006. Par arrêt du 20 juillet 2006, la cour administrative d’appel rejeta les demandes des requérants. Elle releva que la clôture pour extinction du passif de la liquidation de la société requérante avait été prononcée le 19 mars 1996, qu’à la date d’enregistrement de la demande de première instance elle n’avait plus d’existence légale ni aucun représentant qui puisse agir en son nom, et jugea que la qualité de liquidateur amiable du requérant ne lui donnait pas qualité pour présenter une demande au nom de la société. La cour estima par ailleurs que le requérant lui-même n’invoquait la réalité d’aucun préjudice à l’encontre de l’État. Les requérants formèrent le 16 octobre 2006 un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État et déposèrent un mémoire complémentaire le 16 janvier 2007. L’audience se tint le 22 octobre 2008. Par arrêt du 28 novembre 2008, le Conseil d’État annula l’arrêt du 20 juillet 2006, au motif que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en jugeant, d’une part, que la circonstance que le requérant aurait été liquidateur amiable ne lui donnait pas qualité pour présenter une demande au nom de la société requérante et, d’autre part, qu’il n’établissait la réalité d’aucun préjudice, alors que les requérants invoquaient un préjudice moral qui, sauf démonstration contraire, est présumé en pareille circonstance. Réglant ensuite l’affaire au fond, le Conseil d’État statua sur les demandes des requérants dans les termes suivants : « Considérant (...) que la SARL Le Club, M. Ribes et Mme Buffin ont déposé le 20 février 1996 une requête au greffe du tribunal administratif de Nice tendant à faire reconnaître la responsabilité de l’État du fait d’une faute commise par les services fiscaux ; que la cour administrative d’appel de Marseille, saisie le 31 juillet 1998 de l’appel formé par les requérants contre le jugement rendu le 30 avril 1998 par le tribunal administratif de Nice, a rendu son arrêt le 22 janvier 2001 ; que le délai total de jugement de quatre ans et sept mois de la première instance et de l’appel ne révèle pas en l’espèce une méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement ; que c’est par suite à bon droit que le tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions des requérants tendant à ce que la responsabilité de l’État soit engagée de ce chef ; Considérant, en deuxième lieu, que le délai de cinq ans et neuf mois mis par le tribunal administratif de Nice pour statuer sur la requête des intéressés introduite (...) le 24 juin 1996 tendant à obtenir l’annulation d’un avis à tiers détenteur délivré pour le recouvrement d’une somme de 55 630 [FRF] revêtait, eu égard à l’absence de complexité particulière de la requête ou d’attitudes dilatoires des requérants, un caractère excessif. » Le Conseil d’État estima que les requérants n’établissaient pas que l’allongement excessif du délai de jugement leur aurait causé un préjudice matériel et rejeta leurs demandes à ce titre. Il accorda à M. Ribes et à Mme Buffin 3 500 EUR chacun au titre du préjudice moral, ainsi qu’une somme globale de 6 000 EUR au titre des frais. Quant à la société requérante, le Conseil d’État releva que sa liquidation avait été prononcée avant l’introduction de l’instance et considéra qu’il n’était pas établi qu’elle aurait subi un préjudice moral. B. Requête no 22854/11 Le requérant, M. Jean-Marie Faure, est né en 1950 et réside à Périgueux. Employé comme technicien par la direction départementale de l’équipement (DDE) de la Dordogne, il fut victime le 13 août 1984 sur son lieu de travail d’un accident à la main gauche, dans lequel il perdit trois doigts, alors qu’il utilisait une machine en dehors de son temps de travail, mais avec l’autorisation de son supérieur hiérarchique. La procédure principale Le 5 octobre 1995, le requérant adressa au directeur départemental de l’équipement une demande préalable d’indemnisation qui fit l’objet d’une décision implicite de rejet. Le 5 avril 1996, il saisit le tribunal administratif de Bordeaux d’un recours visant l’annulation de cette décision et la condamnation de l’État à lui verser 480 000 FRF (73 175 EUR) à titre de dommagesintérêts. Il produisit un mémoire complémentaire le 24 mai 1996. À une date non précisée, le préfet de la Dordogne déposa un mémoire en défense auquel le requérant répliqua le 30 juin 2000. L’audience eut lieu le 6 juillet 2000. Par jugement du 3 août 2000, le tribunal rejeta le recours. Le 27 octobre 2000, le requérant fit appel devant la cour administrative d’appel de Bordeaux. Le 10 octobre 2001, cette dernière mit en demeure le ministre de l’équipement de produire son mémoire en défense. Le 5 décembre 2002, le requérant déposa un mémoire complémentaire. Le 6 décembre 2002, la cour administrative d’appel adressa une nouvelle mise en demeure au ministre, qui produisit son mémoire en défense le 5 mars 2003. La clôture de l’instruction fut fixée au 28 novembre 2003 et l’audience au 11 janvier 2005. Par arrêt du 8 février 2005, la cour administrative d’appel rejeta le recours du requérant. Ce dernier forma le 8 avril 2005 un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, et déposa un mémoire complémentaire le 8 juin 2005. Le 16 novembre 2005, le Conseil d’État rendit une décision de non-admission du pourvoi. La requête devant la Cour Le 9 mai 2006, le requérant saisit la Cour d’une requête (no 19777/06), dans laquelle il se plaignait notamment de la durée de la procédure. Cette requête fut déclarée irrecevable le 27 mars 2008 par une décision d’un comité de trois juges, au motif que la Cour n’avait relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles. En réponse à une demande du requérant, le greffe l’informa par lettre du 22 août 2008 qu’en ce qui concernait le grief tiré de la durée de la procédure, la Cour, se référant à l’arrêt Broca et Texier-Micault c. France, (nos 27928/02 et 31694/02, § 22, 21 octobre 2003), avait constaté qu’il n’avait pas exercé le recours prévu en droit français pour se plaindre de la durée d’une procédure administrative. La procédure en indemnisation Le 26 août 2009, l’avocat du requérant adressa à la ministre de la justice une demande préalable d’indemnisation en raison de la durée excessive de la procédure. Par lettre du 8 octobre 2009, le ministère lui opposa un refus, au motif que la Cour avait elle-même conclu à l’absence de violation des droits et libertés du requérant, dont le droit à voir sa cause jugée dans un délai raisonnable. Le 2 décembre 2009, le requérant forma devant le Conseil d’État un recours tendant à la condamnation de l’État à lui verser 20 000 EUR en réparation du préjudice résultant de la durée excessive de la procédure. L’audience eut lieu le 23 septembre 2010. Par arrêt du 13 octobre 2010, le Conseil d’État jugea excessive la durée de neuf ans et trois mois mise par la juridiction administrative pour statuer sur l’affaire du requérant, qui ne présentait pas de difficulté particulière et dans laquelle il n’avait pas eu de comportement dilatoire. En conséquence, le Conseil d’ État condamna l’État à lui verser 2 500 EUR au titre du préjudice moral et 3 000 EUR au titre des frais. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du droit interne sont exposées dans l’arrêt Veriter c. France (no 31508/07, §§ 49-51, 14 octobre 2010). En vertu de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’État peut, lorsqu’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1946, 1944 et 1948 et résidant à Caltanissetta. Les requérants étaient copropriétaires d’un terrain de 1 500 mètres carrés sis à Canicattí, enregistré au cadastre feuille 67, parcelle 14. Par un arrêté du 3 juillet 1975, la municipalité de Canicattì autorisa l’Institut autonome de gestion des habitations à loyer modéré (« HLM ») (IACP) à occuper d’urgence le terrain pour une période de cinq ans, en vue de son expropriation, afin d’y construire des HLM. Le terrain fut occupé matériellement le 30 juillet 1975. Les travaux de construction s’achevèrent le 18 juillet 1977. Le 13 février 1981, l’administration offrit une somme à titre d’acompte sur l’indemnité d’expropriation, qu’elle fixa à 2 213 250 lires (ITL) (environ 1 143 euros, « EUR »). Le 27 mars 1985, la somme fut déposée auprès de la Caisse des dépôts et des prêts. Par un arrêté du 14 janvier 1986, la municipalité déclara l’expropriation formelle du terrain. Par un acte notifié le 11 janvier 1991, les requérants introduisirent devant le tribunal d’Agrigente un recours en dommages-intérêts à l’encontre de la ville de Canicattí et de l’IACP. Ils alléguaient que l’occupation du terrain était illégale et que les travaux de construction s’étaient terminés sans procédure d’expropriation formelle du terrain et sans le paiement d’une indemnité. Ils réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale du terrain et une indemnité d’occupation. Au cours de la procédure, une expertise technique fut ordonnée par le tribunal. Selon l’expert, la période d’occupation autorisée s’était terminée le 30 juillet 1980 et, par conséquent, l’expropriation formelle du terrain était tardive. La valeur vénale du terrain à cette date était de 60 000 ITL (environ 31 EUR) le mètre carré. Par un jugement du 23 janvier 1997, déposé au greffe le 31 janvier 1997, le tribunal d’Agrigente constata que la transformation du terrain avait eu lieu pendant la période d’occupation légitime et que la réalisation des HLM avait entraîné le transfert de propriété du terrain à l’administration, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte. Toutefois, le tribunal statua qu’aucune indemnité n’était due aux requérants au motif que l’action en dommagesintérêts était soumise à un délai de prescription de cinq ans commençant à courir à partir de la date d’expiration de la période d’occupation autorisée, le 30 juillet 1980. Le 17 mars 1998, les requérants saisirent la cour d’appel de Palerme. Par un arrêt du 7 avril 2000, déposé au greffe le 27 décembre 2000, la cour rejeta l’appel des requérants. Elle affirma que la date à partir de laquelle le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir était le 27 mars 1985, soit le jour où l’administration avait versé l’acompte sur l’indemnité d’expropriation. La cour d’appel conclut partant à la prescription du droit des requérants à un dédommagement. Les requérants se pourvurent en cassation. Ils se plaignaient du défaut de motivation de l’arrêt de la cour d’appel sur le calcul du délai de prescription et aussi de l’institut de l’expropriation indirecte qui était, selon eux, contraire à la Convention Par un arrêt du 14 décembre 2004, la Cour de cassation cassa l’arrêt de deuxième instance et renvoya l’affaire devant une autre section de la cour d’appel de Palerme. Elle affirma que la cour d’appel n’avait pas suffisamment motivé sa décision quant au moment à partir duquel le délai de prescription avait commencé à courir. S’agissant, en revanche, de l’institut de l’expropriation indirecte, la Cour de cassation affirma que selon une lecture de la jurisprudence en la matière, il n’était pas possible de déduire qu’il était contraire à la Convention. Par un arrêt du 22 juin 2012, la cour d’appel de Palerme considéra que le droit des requérants au dédommagement ne pouvait pas se considérer comme prescrit, le 14 janvier 1986 étant la date correcte à laquelle avait commencé à courir le délai de prescription pour réclamer des dommagesintérêts. Elle constata ensuite que le dédommagement dû aux requérants devait être à hauteur de la valeur vénale du terrain exproprié. Par conséquent, se basant sur l’expertise déposée pendant la procédure devant le tribunal de Agrigente (paragraphe 11 ci-dessus), la cour d’appel condamna l’IACP à payer aux requérants 35 960 EUR à titre de dommage matériel pour la perte du terrain ainsi que 8 500 EUR à titre de dommage subi à cause de la perte de valeur de la partie restante du terrain, plus les intérêts et la réévaluation. La cour estima qu’aucune somme était due à titre d’indemnité d’occupation légitime car une demande à ce titre avait été proposée pour la première fois dans le cadre de la procédure de renvoi après cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le principe de l’expropriation indirecte (« occupazione acquisitiva » ou « accessione invertita ») Le droit interne pertinent relatif à l’expropriation indirecte se trouve décrit dans l’arrêt Guiso-Gallisay c. Italie (satisfaction équitable) [GC], §§ 18-48 no 58858/00, 22 décembre 2009. B. Les arrêts de la Cour constitutionnelle nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 Par les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007 (dits également les « arrêts jumeaux » – sentenze gemelle) la Cour constitutionnelle a : a) rappelé que l’article 117 § 1 de la Constitution affirme que « lepouvoir législatif est exercé (...) en respectant (...) les obligations internationales » ; b) dit que le devoir de respecter ces obligations a une incidence sur le contenu de la loi ; c) dit que la Convention « concrétise la consistance » de ces obligations ; d) estimé qu’en ratifiant la Convention, l’Italie s’était engagée à conformer son système juridique avec les dispositions de celle-ci, telles qu’interprétées par la Cour européenne des droits de l’homme ; e) considéré que, dans le système italien des sources du droit, la Convention est une « norme sous-constitutionnelle » (norma subcostituzionale), ayant une force intermédiaire entre la loi et la Constitution ; f) dit qu’en cas de conflit potentiel entre la Convention et la loi interne, le juge doit d’abord vérifier si cette dernière peut être interprétée de manière conforme à la Convention ; dans la négative, il doit soulever un incident de constitutionnalité, demandant à la Cour constitutionnelle de vérifier si l’éventuelle incompatibilité entre la loi interne et la « norme interposée » (norma interposta) représentée par la Convention a violé l’article 117 § 1 de la Constitution. Par ces deux arrêts la Haute Juridiction a déclaré inconstitutionnelles certaines dispositions en matière d’indemnité d’expropriation contenues dans le décret-loi no 333 du 11 juillet 1992, dans la loi no 662 de 1996 et dans le décret du président de la République no 327 du 8 juin 2001. En particulier, dans l’arrêt no 349 la Cour constitutionnelle a relevé que le niveau insuffisant d’indemnisation prévu par la loi de 1996 était contraire à l’article 1 du Protocole no 1 et par conséquent à l’article 117 § 1 de la Constitution italienne, lequel prévoit le respect des obligations internationales. Suite aux arrêts de la Cour constitutionnelle, des modifications législatives sont intervenues en droit interne. L’article 2/89 e) de la loi de finances no 244 de 2007 a établi que dans un cas d’expropriation indirecte le dédommagement doit correspondre à la valeur vénale des biens, aucune réduction n’étant admise. Cette disposition a été appliquée à toutes les procédures en cours au 1er janvier 2008, sauf celles où la décision sur l’indemnité d’expropriation ou sur le dédommagement avait été acceptée ou était devenue définitive.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPECE Le requérant est né en 1937 et réside à Athènes. Le 4 novembre 1996, le requérant, officier de l’armée en retraite, saisit la « caisse de solidarité de l’armée » (ταμείο αλληλοβοηθείας στρατού) d’une demande tendant à obtenir un montant de 2 632 352 drachmes (soit 7 725 EUR environ), correspondant aux intérêts moratoires sur une indemnité complémentaire (συμπληρωματικό εφάπαξ βοήθημα) qui lui avait été allouée. Le 23 décembre 1996, le requérant saisit le tribunal administratif d’un recours contre l’omission de la caisse de répondre à sa demande et le rejet tacite de cette dernière. Le 29 octobre 1998, le tribunal administratif rejeta le recours du requérant (décision no 10837/1998). Le 4 mars 1999, le requérant interjeta appel de ladite décision. Le 31 octobre 2001, la cour administrative d’appel, rejeta l’appel du requérant (arrêt no 4913/2001). Le 30 décembre 2001, le requérant se pourvut en cassation devant le Conseil d’État. Le 6 juillet 2011, le Conseil d’État, après plusieurs ajournements, par une décision avant dire droit renvoya l’affaire devant sa formation plénière, en raison de l’importance des questions soulevées en l’espèce (décision no 2094/2011). Le 6 juin 2014, la formation plénière du Conseil d’État rejeta le pourvoi (arrêt no 2115/2014). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi no 4055/2012, intitulée « procès équitable et durée raisonnable » et entrée en vigueur le 2 avril 2012, a introduit, en ses articles 53 à 58, un nouveau recours indemnitaire visant à l’octroi d’une satisfaction équitable en cas de prolongation injustifiée d’une procédure administrative. L’article 55 § 1 de cette loi dispose ce qui suit: « Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le demandeur, excessive. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1941 et réside à Ankara. À l’époque des faits, il était enseignant-chercheur dans une université et chroniqueur pour un hebdomadaire. Dans l’édition du 10 au 16 janvier 2003 de l’hebdomadaire en question, un article rédigé par le requérant et intitulé « Teferruatta batıyoruz » (« Nous sombrons dans les détails ») fut publié. Par un acte d’accusation du 14 avril 2003, le procureur de la République de Bağcılar inculpa le requérant de dénigrement des forces armées par voie de presse et requit la condamnation de l’intéressé en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal (CP) en raison des passages et expressions ci-dessous, contenus dans ledit article : « (...) Les putschistes et leurs serviteurs interviennent à propos de notre tenue vestimentaire. Afin d’exercer une pression sur nous, ils nous menacent de nouveaux coups d’État, de tortures et de persécutions illégales. Ils n’ont que la force brute (...) Ils sont la nouvelle version des anciens janissaires (...) Ils sont en réalité comme Saddam ou comme le général Milos (...) les tueurs putschistes (...) un tapis rouge sous les taureaux cruels (...) ils idolâtrent les fétiches (...) » La procédure pénale débuta devant le tribunal correctionnel de Bağcılar. Le 2 décembre 2004, celui-ci demanda par commission rogatoire au tribunal correctionnel d’Ankara de recueillir la déposition du requérant. Dans sa déposition faite devant le tribunal correctionnel d’Ankara le 31 octobre 2005, le requérant nia avoir commis l’infraction qui lui était reprochée. Il soutint qu’il n’avait pas eu l’intention de dénigrer qui que ce fût, qu’il n’avait cité les honorables forces armées dans aucun passage de son article et qu’il avait seulement critiqué la mentalité des putschistes. Le 16 juin 2006, le tribunal correctionnel de Bağcılar, faisant cette fois référence à l’article 301 § 2 du nouveau code pénal (NCP) entré en vigueur le 1er juin 2005, demanda par commission rogatoire au tribunal correctionnel d’Ankara de recueillir une déposition complémentaire du requérant. La convocation envoyée et le mandat d’amener délivré par le tribunal d’Ankara à cet effet restèrent infructueux, le requérant étant introuvable à l’adresse à laquelle il avait déclaré habiter. Le 12 octobre 2006, le tribunal correctionnel de Bağcılar, constatant que la seconde commission rogatoire n’avait pu aboutir, émit un mandat d’arrêt à l’égard du requérant afin de recueillir la déposition complémentaire en question. Le 27 décembre 2006, le requérant fut arrêté par la police et traduit devant le tribunal correctionnel d’Ankara. Devant ce tribunal, il réitéra sa première déposition faite devant le tribunal précité, nia avoir dénigré les forces armées et soutint que les éléments constitutifs de l’infraction qui lui était reprochée n’étaient pas réunis. Il demanda par conséquent son acquittement. Après avoir recueilli la déposition du requérant, le tribunal ordonna sa remise en liberté et la levée du mandat d’arrêt. Le 3 mai 2007, le tribunal correctionnel de Bağcılar reconnut le requérant coupable de l’infraction de dénigrement des forces armées et le condamna à une amende judiciaire de 1 620 livres turques (TRY), soit 882,40 euros (EUR) à cette date, en application de l’article 159 § 1 du CP, jugé plus favorable à l’intéressé que l’article 302 § 1 du NCP. Le 16 décembre 2009, la Cour de cassation infirma le jugement de première instance au motif que l’applicabilité de la mesure de sursis au prononcé du jugement n’avait pas été prise en considération par le tribunal correctionnel de Bağcılar. En raison de la fermeture du palais de justice de Bağcılar, le dossier du requérant fut transféré au tribunal correctionnel de Bakırköy. Le 27 septembre 2010, le tribunal correctionnel de Bakırköy raya l’affaire du rôle pour prescription. En l’absence d’appel formé par les parties, cette décision devint définitive. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 159 § 1 du CP (loi no 765 du 1er mars 1926), en vigueur jusqu’au 1er juin 2005, se lisait ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « Est passible d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement toute personne qui, publiquement, dénigre ou présente comme dénigrés (tahkir ve tezyif edenler) la turcité, la République, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie, les organes judiciaires, les forces armées ou la sûreté de l’État (Devletin askeri veya emniyet muhafaza kuvvetleri). (...) L’expression d’opinions critiques, en l’absence d’intention de dénigrer, de présenter comme dénigré ou d’insulter, ne constitue pas un délit. » L’article 301 du NCP (loi no 5237 du 26 septembre 2004, entrée en vigueur le 1er juin 2005), tel qu’amendé par la loi no 5759 du 30 avril 2008, se lit comme suit : « Est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement quiconque dénigre publiquement la nation turque, la République de Turquie, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie et les organes judiciaires de l’État. Est sanctionné selon les dispositions du premier paragraphe quiconque dénigre publiquement les forces militaires ou la sûreté de l’État. L’expression d’opinions critiques ne constitue pas un délit. La poursuite de ce délit est subordonnée à l’autorisation du ministre de la Justice. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1968 et réside à Istanbul. À l’époque des faits, elle était éditrice du magazine Proleter Devrimci Duruş (« Posture révolutionnaire prolétaire ») et propriétaire de la maison d’édition Yediveren. Plusieurs procédures pénales furent diligentées à son encontre en raison du contenu des articles publiés dans le magazine susmentionné et d’un livre publié par la maison d’édition en question. A. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans les éditions d’avril et de mai 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş Par un acte d’accusation du 17 octobre 2000, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans les éditions d’avril et de mai 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées et du gouvernement et requit sa condamnation en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal (CP). Le 15 novembre 2002, la cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises ») reconnut la requérante coupable de dénigrement de la République, des forces armées et du gouvernement et la condamna à trois fois dix mois d’emprisonnement. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 2 737 800 000 livres turques (TRL), soit 1 686,03 euros (EUR) à cette date avec sursis. La cour d’assises estima que certains passages des articles litigieux et expressions utilisées dans ceux-ci en cause constituaient des critiques ou des commentaires sous forme d’insultes graves, plutôt que d’informations, et qu’ils ne pouvaient être considérés comme étant protégés par le droit à la liberté de recevoir des informations. À cet égard, elle se référa notamment aux passages suivants des articles en question, qui, selon elle, dénigraient la République, les forces armées et le gouvernement : « (...) le fait que l’État a fait preuve d’une agressivité téméraire et tué 36 révolutionnaires démocrates visait entièrement à détruire cette confiance en soi » ; « ce vers quoi les sociétés civiles ont pointé leurs armes a été le socialisme plutôt que le régime fasciste » ; « la responsabilité d’éveiller la conscience du peuple afin de demander des comptes au régime fasciste » ; « le terme d’État démocratique a été énoncé comme étant l’une des qualités de l’État fasciste dans les constitutions de 1961 et de 1982 » ; « le fait que le mouvement national kurde des travailleurs commençait à porter des coups à l’État fasciste et qu’il le faisait en demandant davantage de liberté exigeait d’enrayer ce mouvement » ; « la constitution de 1982 reflète la force étatique, [la conception sacrée de l’État], son racisme et son hostilité aux libertés » ; « À bas la dictature fasciste ! Non à l’esclavage impérialiste ! » ; « en attribuant au Hizbullah la responsabilité de la sale guerre et de la terreur subies par les mouvements populaires et les intellectuels libéraux, l’État a été acquitté » ; « la raison pour laquelle le coup d’État fasciste du 12 septembre s’est inventé une apparence légale est l’institutionnalisation et la légitimation » ; « l’établissement du gouvernement actuel d’agression ». Le 6 septembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation décida de ne pas transférer l’arrêt de la cour d’assises à la Cour de cassation et renvoya l’affaire devant la cour d’assises pour réexamen, en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du nouveau code pénal (NCP). Le 9 décembre 2005, la cour d’assises, réitérant les motifs exposés dans son arrêt du 15 novembre 2002, reconnut la requérante coupable des infractions de dénigrement de la République, du gouvernement et des forces armées. Elle la condamna à cinq mois d’emprisonnement pour chacune des trois infractions en application de l’article 159 § 1 du CP, jugé plus favorable à l’intéressée que l’article 301 du NCP. Ces peines furent ensuite commuées en des amendes judiciaires avec sursis d’un montant total de 1 350 livres turques (TRY), soit 848,90 EUR à cette date. Le 12 avril 2007, la Cour de cassation infirma ce jugement pour insuffisance de motivation. Le 26 décembre 2007, la cour d’assises raya l’affaire du rôle en raison de l’expiration du délai légal de prescription. B. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans les éditions d’août 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş Par un acte d’accusation du 27 mars 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans l’édition d’août 2000 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées, des forces de sécurité et du gouvernement et requit sa condamnation en application de l’article 159 § 1 du CP. Le 14 mai 2004, la cour d’assises condamna la requérante à quatre fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées, du gouvernement et des forces de sécurité, et commua ces peines en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 825 200 000 TRL (999,91 EUR à cette date) assorties d’un sursis. Elle considéra que certains des propos contenus dans les articles litigieux dépassaient les limites de la critique admissible. Le 6 septembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation décida de ne pas transférer l’arrêt du 14 mai 2004 à la Cour de cassation et renvoya l’affaire devant la cour d’assises pour réexamen, en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du NCP. Le 9 décembre 2005, la cour d’assises, réitérant les motifs exposés dans son arrêt du 14 mai 2004, reconnut la requérante coupable des infractions de dénigrement de la République, des forces armées, des forces de sécurité et du gouvernement. Elle la condamna de nouveau à cinq mois d’emprisonnement pour chacune des infractions susmentionnées, en application de l’article 159 § 1 du CP, jugé plus favorable à l’intéressée que l’article 301 du NCP. Ces peines furent ensuite commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (1131,86 EUR à cette date), assorties d’un sursis. Le 14 juin 2007, la Cour de cassation infirma l’arrêt de la cour d’assises au motif que cette dernière n’avait pas indiqué avec précision les expressions par lesquelles la requérante aurait dénigré la République et les forces armées. Le 3 octobre 2007, la cour d’assises condamna la requérante à quatre fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées, des forces de sécurité et du gouvernement. Elle commua ces peines en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (1058,26 EUR à cette date) avec sursis. La cour d’assises considéra que le passage ci-dessous constituait un dénigrement de la République : « Le régime fasciste, qui ne cesse de se référer aux droits de l’homme et à la démocratie dans le processus d’adhésion à l’Union européenne, cherche à dissimuler ses crimes derrière les critères de Copenhague. Il continue à mettre en œuvre tous les moyens pour soumettre les détenus révolutionnaires et communistes. La résistance militante de ces derniers, qui agace la clique fasciste, a été une gifle donnée au régime fasciste. Que la dictature fasciste commette ce type d’agression n’a rien d’improbable. » La cour d’assises estima en outre que la phrase ci-dessous, tirée du même article, dénigrait les forces armées et les forces de sécurité : « (...) [le pouvoir] a fait un essai de massacre à la prison de Burdur avec ses milliers de soldats et de policiers féroces armés de bombes et de bulldozers. » La cour d’assises considéra également que la phrase ci-dessous dénigrait le gouvernement : « [Nous sommes] furieux que le gouvernement fasciste se mette au service de Cottarelli [alors directeur du Fonds monétaire international pour la Turquie]. » Le 25 novembre 2008, la Cour de cassation infirma l’arrêt de la cour d’assises et raya l’affaire du rôle en raison de l’expiration du délai légal de prescription. C. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans l’édition de janvier 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş Par un acte d’accusation du 5 juin 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu de trois articles publiés dans l’édition de janvier 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République et des forces armées et requit la condamnation de l’intéressée en application de l’article 159 § 1 du CP. Le 15 novembre 2002, la cour d’assises reconnut la requérante coupable des infractions de dénigrement de la République et des forces armées et la condamna à deux fois dix mois d’emprisonnement, en application de l’article 159 § 1 du CP. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires avec sursis d’un montant total de 2 847 312 000 TRL (1753,41 EUR à cette date). La cour d’assises estima que certains passages et expressions des articles litigieux constituaient des critiques ou des commentaires sous forme d’insultes graves, plutôt que d’informations, et qu’ils ne pouvaient être considérés comme étant protégés par le droit à la liberté de recevoir des informations. Ainsi, elle estima que la République de Turquie et les forces armées avaient été dénigrées par ces articles. Elle se référa notamment aux passages suivants des articles susmentionnés : « (...) afin de dégainer les armes contre toutes les lois fascistes, il faut mobiliser les travailleurs, les fonctionnaires, la jeunesse, les chômeurs et les paysans dans le sens de leurs demandes. » ; « la dictature fasciste a, encore une fois, vomi la mort sur les révolutionnaires et les communistes dans ses geôles (...) » ; « la clique fasciste entre à l’intérieur et commence à nous matraquer et à nous traîner par les cheveux (...) de l’eau est versée sur nous (...) ». Le 6 septembre 2005, le procureur général près la Cour de cassation renvoya l’affaire devant la cour d’assises pour réexamen en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, du NCP. Le 9 décembre 2005, la cour d’assises, réitérant les motifs qu’elle avait exposés dans son arrêt du 15 novembre 2002, reconnut de nouveau la requérante coupable de dénigrement de la République et des forces armées. Elle la condamna, en application de l’article 159 § 1 du CP, jugé plus favorable à l’intéressée que l’article 301 du NCP, à deux fois cinq mois d’emprisonnement. Ces peines furent commuées en des amendes d’un montant total de 1 200 TRY (754,57 EUR à cette date) avec sursis. Le 20 juin 2007, la Cour de cassation confirma ce jugement. D. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans l’édition de juin 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş Par un acte d’accusation du 25 décembre 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans l’édition de juin 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées et du gouvernement et requit la condamnation de l’intéressée en application de l’article 159 § 1 du CP. Le 16 octobre 2008, la cour d’assises condamna la requérante à trois fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, du gouvernement et des forces armées. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (950,82 EUR à cette date) avec sursis. La cour d’assises exposa que le passage ci-dessous constituait un dénigrement de la République : « Ainsi, le régime fasciste a empêché, d’une manière ou d’une autre, la transmission par la classe prolétaire de Turquie de l’héritage des périodes les plus prospères de la révolution et de la politisation. » Elle considéra en outre que le passage ci-dessous dénigrait le gouvernement : « Comme elles [les forces capitalistes] ne peuvent pas trouver de gouvernement alternatif pour remplacer le gouvernement fasciste d’Ecevit qui essuie partout des échecs, elles le forcent à survivre et cherchent à le maintenir au pouvoir pendant encore un certain temps. » Elle exposa enfin que le passage ci-dessous dénigrait les forces armées : « La classe ouvrière (...) a produit les exemples de masse les plus vivants de la lutte des classes avant la junte fasciste du 12 septembre. » Le 11 octobre 2010, la Cour de cassation infirma le jugement de la cour d’assises précité et raya l’affaire du rôle en raison de l’expiration du délai légal de prescription. E. La procédure pénale diligentée en raison des articles publiés dans l’édition de septembre 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş Par un acte d’accusation du 25 décembre 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en raison du contenu des articles publiés dans l’édition de septembre 2001 du magazine Proleter Devrimci Duruş. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, de la Grande Assemblée nationale de Turquie et des forces armées, et requit sa condamnation en application de l’article 159 § 1 du CP. Le 16 mai 2008, la cour d’assises condamna la requérante à trois fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées et de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Elle commua ces peines en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 800 TRY (432,45 EUR à cette date) avec sursis. Elle estima que les passages ci-dessous, contenus dans l’édition en cause du magazine, dénigraient la République : « (...) après deux cent cinquante jours et bien que soixante prisonniers et proches de prisonniers aient été martyrisés, il n’y a pas encore de réaction du côté du régime fasciste (...) dans des pays comme la Turquie où les dictatures fascistes règnent, les caractéristiques de l’atrocité du fascisme sont visibles (...), la torture dans les hôpitaux constitue un aspect du visage sombre du fascisme (...) ; l’État cherche encore à monter nos familles contre nous (...). Alors, nous allons nous souder sur tous les points ; notre amitié, notre solidarité et notre action contre le fascisme se renforceront (...) » Elle considéra que la phrase ci-dessous constituait un dénigrement des forces armées : « Les chefs prolétaires turcs se sont chargés de créer un soutien populaire à tous les partis au pouvoir, y compris la junte militaire fasciste du 12 septembre (...) » En outre, elle jugea que le passage ci-dessous dénigrait la Grande Assemblée nationale de Turquie : « Comme on ne peut attendre des bandes d’assassins aucune réforme législative pour améliorer les conditions des travailleurs, il faut considérer ce fait comme un élément révélant la nature du fascisme hostile à la classe prolétaire et en tirer parti pour organiser les masses exploitées. » Le 26 février 2009, la Cour de cassation infirma l’arrêt du 16 mai 2008 rendu par la cour d’assises. Le 8 juillet 2009, la cour d’assises décida de rayer l’affaire du rôle pour expiration du délai légal de prescription. Le 5 mars 2012, la Cour de cassation confirma ce jugement. F. La procédure pénale diligentée en raison d’un livre publié par la maison d’édition Yediveren Par un acte d’accusation du 19 juillet 2001, le procureur de la République d’Istanbul engagea une action pénale contre la requérante en sa qualité de propriétaire de la maison d’édition Yediveren, en raison du contenu d’un livre, intitulé Yol Ayrımı (« Bifurcation de la voie »), publié en septembre 2000 par cette maison d’édition. Il inculpa la requérante de dénigrement de la République, des forces armées et des organes judiciaires, et requit la condamnation de l’intéressée en application de l’article 159 § 1 du CP. Le 17 novembre 2006, la cour d’assises, considérant que la requérante était responsable du contenu de cette publication puisque l’auteur de celle-ci, résidant à l’étranger, ne pouvait pas être jugé, la condamna à trois fois cinq mois d’emprisonnement pour dénigrement de la République, des forces armées et des organes judiciaires. Ces peines furent commuées en des amendes judiciaires d’un montant total de 1 350 TRY (735,69 EUR à cette date) avec sursis. La cour d’assises considéra que les passages ci-dessous du livre litigieux « dépassaient les limites de la critique admissible » et dénigraient la République : « Le régime bourgeois fasciste, avec l’expérience acquise lors de la lutte des classes, ne commettait pas ces attaques seulement par le biais de violences, mais il se servait aussi des sociaux-démocrates, partenaires du pouvoir, et des dirigeants de syndicats, traîtres à titre accessoire (...). Le capital monopoliste effectuait ses attaques (...) contre la classe ouvrière plus facilement, d’une part, en utilisant le pouvoir et les moyens du mécanisme étatique fasciste, et, d’autre part, à l’aide de la coalition qu’il avait formée avec les chefs des syndicats traîtres Türk-İş et Disk, selon des méthodes nouvelles qu’il avait développées dans de nouveaux contextes. » Elle estima aussi que les passages suivants du livre « dépassaient les limites de la critique admissible » et dénigraient les organes judiciaires : « Ceux qui sont tombés dans la reddition la plus honteuse dès le 12 septembre [le coup d’État du 12 septembre 1980] ont porté leurs idées destructrices jusque dans les tribunaux fascistes. » Elle jugea enfin que la phrase suivante du livre dépassait aussi « les limites de la critique admissible » et dénigrait les forces armées : « La dictature fasciste et militaire du 12 septembre a prétendu que les tribunaux étaient indépendants. » Le 3 octobre 2007, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’assises s’agissant de l’établissement de la culpabilité du chef de dénigrement de la République, mais elle l’infirma quant à l’établissement de la culpabilité du chef de dénigrement des forces armées et des organes judiciaires, au motif que les éléments constitutifs de ces deux infractions n’étaient pas réunis. Par un arrêt du 19 novembre 2007, la cour d’assises acquitta la requérante des infractions de dénigrement des forces armées et des organes judiciaires au motif que le contenu du livre en cause n’était pas constitutif de ces infractions. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 159 § 1 du CP (loi no 765 du 1er mars 1926), en vigueur jusqu’au 1er juin 2005, disposait ce qui suit en ses parties pertinentes en l’espèce : « Est passible d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement toute personne qui, publiquement, dénigre ou présente comme dénigrés (tahkir ve tezyif edenler) la turcité, la République, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie, les organes judiciaires, les forces armées ou la sûreté de l’État (Devletin askeri veya emniyet muhafaza kuvvetleri). (...) L’expression d’opinions critiques, en l’absence d’intention de dénigrer, de présenter comme dénigré ou d’insulter, ne constitue pas un délit. » L’article 301 du NCP (loi no 5237 du 26 septembre 2004 entrée en vigueur le 1er juin 2005), tel qu’amendé par la loi no 5759 du 30 avril 2008, se lit comme suit : « Est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement quiconque dénigre publiquement la nation turque, la République de Turquie, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie et les organes judiciaires de l’État. Est sanctionné selon les dispositions du premier paragraphe quiconque dénigre publiquement les forces militaires ou la sûreté de l’État. L’expression d’opinions critiques ne constitue pas un délit. La poursuite de ce délit est subordonnée à l’autorisation du ministre de la Justice. » La loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme a été adoptée par la Grande Assemblée nationale de Turquie le 9 janvier 2013 et est entrée en vigueur le 19 janvier 2013 (pour des informations plus détaillées concernant cette loi, voir Turgut et autres c. Turquie (déc.), no 4860/09, §§ 19-26, 26 mars 2013).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1967 et réside à Ankara. Il est l’auteur d’un livre sur les insurrections survenues dans le département d’Ağrı en 1930 et intitulé Ararat’taki esir generalden kan çiçekleri (« Les fleurs de sang de la part du général captif à Ararat »), publié en août 2002. Le 28 août 2002, la cour de sûreté de l’État ordonna la saisie de cet ouvrage. Par un acte d’accusation du 7 novembre 2002, le procureur de la République de Beyoğlu inculpa le requérant de dénigrement, par voie de presse, de la République et des forces armées de l’État et requit sa condamnation en application de l’article 159 § 1 de l’ancien code pénal (CP). Les passages incriminés du livre, retenus dans l’acte d’accusation, se lisent comme suit : – dans la partie intitulée « Le général Salih Omurtmak est capturé » : « Cheikh Zahir, chef des rebelles : (...) Nous sommes partis dans les montagnes afin d’échapper à vos persécutions. Nous nous battons comme des hommes. Quand nous capturons vos soldats, nous les libérons ensuite. Vous, vous exécutez les rebelles capturés. Qu’est-ce que vous voulez du peuple civil ? Vous avez tué des milliers de civils. Nous sommes au courant de tout ce que vous avez fait, [vos actes] ne resteront pas impunis. Vous brûlez tous les villages sur votre passage, vous torturez les gens. Votre État est le plus lâche et le plus barbare du monde. Ce que vous faites s’appelle de la persécution et est une insulte à notre peuple. Il y a un honneur guerrier et des règles de guerre à respecter (...) » « Un État qui ne respecte pas les traités internationaux respecterait-il ce bout de papier ? » – dans la partie intitulée « Le meurtre de Cheikh Yusuf » : « (...) La plupart des rebelles ont brisé l’encerclement et ont réussi à s’enfuir. Quatre rebelles ont été tués. Trois rebelles, y compris Cheikh Yusuf, ont été capturés et réunis sur la place du village, pieds nus dans la neige. Ces trois personnes ont subi des tortures inouïes. Quand les soldats ont compris que Cheikh Yusuf était le frère aîné de Cheikh Zahir, les deux autres rebelles capturés ont été mitraillés. Il ne restait que Cheikh Yusuf (...) » « (...) Oui, les fleurs rouges que formaient les gouttes de sang versées sur la neige sont les fleurs de sang que le général a offertes à Cheikh Zahir beaucoup plus tard. En effet, Cheikh Zahir, après avoir capturé le général, l’avait remis en liberté, et le général avait offert en contrepartie les fleurs que sa propre femme tenait dans ses mains lors de sa captivité, tout cela de manière hypocrite. Arriva le moment où le général devait offrir des fleurs chargées de haine et de sang. Les soldats ont tabassé les villageois sans pouvoir leur extorquer d’information concernant la présence d’autres rebelles dans d’autres villages, et ils ont quitté le village cette nuit-là (...) » – dans la partie intitulée « Le meurtre de Cheikh Habib » : « (...) L’année 1930 a été l’année où l’État a durci le ton et où les atrocités et les massacres sont devenus l’ordinaire. Les villages étaient pris d’assaut par les soldats et les gens étaient torturés pour rien. » « Le voyageur sur la route, le berger sur son plateau, le fermier dans son champ, tous ceux qui rencontraient les soldats subissaient des tortures et des intimidations. Face à cette sauvagerie, des milliers de gens ont été obligés de trouver refuge dans les montagnes. » « Les populations civiles, y compris les enfants, qui s’étaient réfugiées dans la montagne d’Ağrı ont été la cible des soldats et ont été massacrées. La population civile qui essayait d’émigrer vers l’Iran a été encerclée par les militaires et est restée prise au piège dans la haute montagne. » « On s’est occupé de Cheikh Habib en dernier. Un feu a été allumé sur la place du village et une tôle, de celle qu’on utilise pour faire le pain, a été posée dessus. Cheikh Habib a été complètement déshabillé, ses mains et ses pieds ont été attachés à une longue barre et son corps a été placé sur la tôle brûlante. » – dans la partie intitulée « Le meurtre de Cheikh Tahir » : « Environ 500 balles ont touché le corps sans vie de Cheikh Tahir, qui était resté sous une pluie de balles tirées sur ordre du capitaine İbrahim. Comme si cela n’était pas suffisant, le capitaine s’est placé à côté du défunt, accompagné d’une escouade de soldats. Ce n’est qu’après avoir fait tirer près de 200 balles supplémentaires que son instinct primitif a été satisfait. » « Un rebelle aguerri comme Cheikh Tahir savait sûrement qu’il allait mourir. Il a pris sa place respectable dans le cœur du peuple kurde. Son âme est en paix puisqu’il a mis fin à sa lutte armée dans le triomphe, en tuant lui-même six gendarmes avant de tomber. » « Le capitaine İbrahim, après avoir ainsi affronté et tué une seule personne, entouré de ses 150 soldats, s’est retiré au poste de Goleser pour fêter son triomphe sans partage. » – dans la partie intitulée « Les actions entreprises sur Katip » : « (...) J’ai vu les traces de l’escadron de cavalerie de Taşburun (l’escadron qui décapite) (...) » « (...) Quand je regardais les murs, je frémissais en pensant au nombre [de gens massacrés] et de quelle manière le capitaine Kemal (le boucher) les avait massacrés à cet endroit. C’était comme si le capitaine Kemal décapitait les gens à la main avec une scie et comme si j’entendais résonner les cris des gens qui voulaient lui échapper et sauver leur vie (...) » « (...) [Le capitaine Kemal] racontait avec des éclats de rire que les militaires décapitaient les rebelles dans ce poste militaire et que les têtes coupées étaient enterrées dans un dépôt à cinquante mètres du poste. » « (...) En somme, le soldat Salman était comme une copie des gens racistes et chauvinistes, très éloignés de la civilisation, qui donnaient des leçons de patriotisme, qui avaient du mal à s’adapter à l’époque moderne et qui donnaient l’impression que la mentalité oppressive n’avait pas du tout changé depuis soixante-dix ans (...) » Par un jugement du 29 juin 2006, le tribunal correctionnel de Beyoğlu, considérant que les expressions et les qualifications contenues dans le livre en cause dénigraient et insultaient ouvertement et publiquement la République de Turquie et les forces armées de l’État, reconnut le requérant coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Il le condamna, en application de l’article 301 du nouveau code pénal (NCP) entré en vigueur le 1er juin 2005, à une amende judiciaire avec sursis de 1 800 livres turques (TRY), soit 888,84 euros (EUR) à cette date. Par un arrêt du 31 mars 2009, la Cour de cassation infirma le jugement de première instance au motif que l’amendement législatif du 29 avril 2008 conditionnait la poursuite des infractions énoncées par l’article 301 du NCP à l’autorisation du ministre de la Justice. À la suite du refus du ministre de la Justice d’autoriser les poursuites à l’encontre du requérant, le tribunal correctionnel, par une décision du 26 mars 2010, raya l’affaire du rôle. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 159 § 1 du CP (loi no 765 du 1er mars 1926), en vigueur jusqu’au 1er juin 2005, disposait ce qui suit en ses parties pertinentes en l’espèce : « Est passible d’une peine de six mois à trois ans d’emprisonnement toute personne qui, publiquement, dénigre ou présente comme dénigrés (tahkir ve tezyif edenler) la turcité, la République, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie, les organes judiciaires, les forces armées ou la sûreté de l’État (Devletin askeri veya emniyet muhafaza kuvvetleri). (...) L’expression d’opinions critiques, en l’absence d’intention de dénigrer, de présenter comme dénigré ou d’insulter, ne constitue pas un délit. » L’article 301 du NCP (loi no 5237 du 26 septembre 2004 entrée en vigueur le 1er juin 2005), tel qu’amendé par la loi no 5759 du 30 avril 2008, se lit comme suit : « Est passible d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement quiconque dénigre publiquement la nation turque, la République de Turquie, la Grande Assemblée nationale de Turquie, le gouvernement de la République de Turquie et les organes judiciaires de l’État. Est sanctionné selon les dispositions du premier paragraphe quiconque dénigre publiquement les forces militaires ou la sûreté de l’État. L’expression d’opinions critiques ne constitue pas un délit. La poursuite de ce délit est subordonnée à l’autorisation du ministre de la Justice. » La loi no 6384 relative au règlement, par l’octroi d’une indemnité, de certaines affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme a été adoptée par la Grande Assemblée nationale de Turquie le 9 janvier 2013 et est entrée en vigueur le 19 janvier 2013 (pour des informations plus détaillées concernant cette loi, voir Turgut et autres c. Turquie (déc.), no 4860/09, §§ 19-26, 26 mars 2013).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Athènes. Le requérant est un homme d’affaires, président d’une société anonyme. Le 23 septembre 2010, le procureur près la cour d’appel d’Athènes ordonna à la Direction de la police de l’Attique, dans le cadre d’une enquête préliminaire conduite dans une affaire concernant S.G. et I.G. ainsi que d’autres personnes qui n’étaient pas nommées, de procéder à des perquisitions à l’adresse de quinze résidences et bureaux situés dans différents endroits à Athènes et dans l’Attique, dont celle du requérant. Le requérant n’était pas nommément mentionné comme étant suspecté d’avoir commis les infractions précitées. L’ordre du procureur était ainsi libellé : « Sur le fondement de la décision no 2940/29-7-2010 du procureur près la Cour de cassation, nous effectuons une enquête pour vérifier si des infractions criminelles ont été commises, notamment celle de constitution d’une organisation criminelle (article 187 du code pénal) par S.G. et I.G. ainsi que par d’autres personnes liées à eux et agissant de pair avec eux. Au vu des éléments rassemblés jusqu’à présent et afin de ne pas risquer de perdre des éléments de preuve déterminants, nous ordonnons des perquisitions, en application des articles 253-259 du code de procédure pénale, aux domiciles et aux bureaux sis dans les rues suivantes : 28-30 rue Meletopoulou, Palaio Psychiko ; (...) En outre, si vous l’estimez nécessaire, effectuez des fouilles corporelles des personnes qui se trouveront dans ces domiciles et bureaux. Dans tous les cas, saisissez tout objet ou document qui s’y trouve et qui, à votre avis, a un lien avec l’affaire sous examen, et rédigez les rapports y relatifs que vous nous soumettrez par la suite dans les meilleurs délais (...) » Le 24 septembre 2010, un officier de police, accompagné d’un procureur adjoint, se rendit au domicile du requérant. Comme ce dernier était absent, l’officier et le procureur firent appel à un serrurier qui ouvrit la porte d’entrée. En présence d’un témoin (une voisine, ressortissante néerlandaise), ils procédèrent à la perquisition et à la saisie de plusieurs objets (deux ordinateurs et des centaines de documents). La perquisition dura douze heures et demie. Une liste des pièces et documents, longue de 41 pages, fut dressée. En mai 2012, après la fin de l’enquête préliminaire, le procureur près la cour d’appel d’Athènes engagea des poursuites contre plusieurs personnes, dont le requérant, pour participation à une organisation criminelle. Le 8 novembre 2012, le requérant saisit la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes d’une requête tendant à faire constater la nullité de la perquisition, et à faire ordonner la levée de la saisie et la restitution des objets saisis. Le 13 février 2013, la chambre d’accusation rejeta la requête. La question principale qu’elle examina était celle de savoir s’il était possible de procéder à une perquisition et à une saisie dans le cadre d’une enquête préliminaire. Elle releva que l’enquête préliminaire (προκαταρκτική εξέταση) et l’instruction préparatoire (προανάκριση) poursuivaient un but commun : la recherche de la vérité. Elle indiqua que la seule différence entre elles résidait dans le fait que, lors de la deuxième, il y avait un « accusé » alors que, lors de la première, il y avait un « suspect », lequel, selon elle, bénéficiait néanmoins de tous les droits accordés à l’accusé. Elle estima que cette différence ne pouvait priver les organes chargés de l’examen d’une affaire d’une arme importante pour la découverte des éléments de preuve déterminants, sinon il y aurait un risque sérieux d’aboutir à un non-lieu sans que les autorités eussent épuisé toutes les possibilités d’enquête qu’elles avaient à leur disposition. Se référant à un avis juridique des professeurs D. Tsatsos, A. Papadima et K. Chrysogonos (publié dans la revue Poiniki Dikaiosyni 7/2003, pp. 813 et suivantes), la chambre d’accusation indiqua que l’enquête préliminaire avait un caractère judiciaire et non administratif et qu’elle constituait une étape de la procédure pénale. La chambre d’accusation nota encore que l’enquête préliminaire s’effectuait selon la procédure de l’instruction préparatoire, une référence expresse étant d’ailleurs faite aux articles 240 et 241 du code de procédure pénale (CPP). Pour la chambre, cela signifiait que, pour décider s’il devait y avoir engagement des poursuites, le ministère public devait utiliser tous les moyens lui permettant de recueillir des preuves, selon l’article 178 du CPP et la procédure applicable à l’instruction préparatoire, à l’exception des preuves incompatibles avec la nature de l’enquête préliminaire (entre autres plaidoyer de l’accusé et émission d’un mandat d’arrêt). La chambre d’accusation considéra que l’article 256 du CPP, prévoyant le droit de l’occupant du lieu perquisitionné d’être présent, ne consacrait pas l’obligation pour celui qui menait la perquisition d’attendre ou d’inviter l’occupant à être présent, et que, en cas d’absence de l’occupant, la présence d’un voisin était suffisante. Quant au refus des autorités de restituer les objets saisis, la chambre d’accusation indiqua que, lors des perquisitions effectuées au domicile du requérant, mais aussi au domicile des autres personnes concernées, un grand nombre d’éléments de preuve avaient été découverts et que ceux-ci fournissaient suffisamment d’indices relatifs à l’existence d’une organisation criminelle à laquelle auraient participé plusieurs personnes ayant commis des infractions graves, pour la plupart des crimes, pour lesquels des poursuites auraient été engagées. Elle exposa que toute procédure ultérieure aurait été impossible si ces éléments de preuve n’avaient pas été rassemblés, et que, ces éléments étant particulièrement déterminants et indispensables à l’instruction de l’affaire, ils devaient rester conservés dans le dossier. Le 12 mars 2013, le requérant invita le procureur près la Cour de cassation à se pourvoir contre la décision de la chambre d’accusation. Le 13 mars 2013, le procureur rejeta la demande. Il estima que les conditions pour former un pourvoi n’étaient pas remplies au motif que la décision attaquée de la chambre d’accusation était pleinement motivée et que, dès lors qu’il n’y aurait pas eu d’autres actes d’instruction, une décision de la chambre d’accusation de la cour d’appel n’était pas nécessaire pour les approuver. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP, telles qu’amendées, énoncent : Article 178 « Les moyens de preuve principaux dans la procédure pénale sont les suivants : a) les indices ; b) l’inspection des lieux ; c) l’expertise ; d) l’aveu ; e) les témoins et f) les documents. » Article 240 « Il n’y a aucune limite concernant le lieu et le moment de l’instruction. Toutefois, celle-ci ne peut pas s’effectuer dans un lieu et à un moment inapproprié. Elle peut être effectuée pendant la nuit, le dimanche et les jours fériés. » Article 241 « L’instruction est toujours effectuée par écrit et sans publicité, en présence d’un greffier ou d’un deuxième instructeur, ou, si ceux-ci ne sont pas disponibles, en présence des deux témoins qui remplissent les conditions de l’article 150. (...) Pour chaque acte d’instruction, un rapport est rédigé conformément aux formalités légales. » Article 243 § 2 « Lorsqu’un retard risque de créer un danger immédiat, ou lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit à juger en comparution immédiate, tous les enquêteurs sont tenus d’accomplir les actes nécessaires pour vérifier la commission de l’infraction et en découvrir l’auteur, et ce même en l’absence de décision préalable du procureur (...). » Article 253 « Pendant l’instruction d’un crime ou d’un délit, une perquisition est effectuée lorsqu’il est présumé de manière fondée que la constatation du crime ainsi que la découverte ou l’arrestation des auteurs de celui-ci (...) peuvent être réalisées ou facilitées uniquement au moyen de cette perquisition. » Article 253A « 1. Spécialement en ce qui concerne les infractions prévues aux articles 187 §§ 1 et 2 (...), l’enquête préliminaire peut inclure : a) l’utilisation de mesures d’instruction intrusives [ανακριτική διείσδυση] (...) ; b) le contrôle de transports (...) ; c) la levée du secret (...) ; d) l’enregistrement au moyen d’appareils auditifs ou photographiques d’activités ou de faits ayant lieu en dehors du domicile (...) ; e) la corrélation ou la combinaison des données personnelles (...). La chambre d’accusation compétente décide, sur proposition du procureur, de la nécessité d’effectuer les actes d’instruction mentionnés au paragraphe 1 ainsi que de la durée indispensable de mise en œuvre requise pour atteindre le but poursuivi. Dans des cas particulièrement urgents, le procureur ou l’enquêteur peut ordonner ces actes, mais, dans ce cas, il est tenu d’informer la chambre d’accusation dans un délai de trois jours. Autrement, la validité de sa décision expire d’office à l’échéance dudit délai. » Article 256 « (...) Celui qui mène la perquisition doit inviter l’occupant des appartements perquisitionnés à être présent lors du déroulement de celle-ci. S’il est absent, un voisin est invité à y assister. » En outre, l’article 31 §§ 1 et 2 du même code, tel qu’amendé par les lois no 3160/2003 et 3346/2005, dispose : « 1. Le procureur près le tribunal correctionnel a le droit d’effectuer : a) une enquête préliminaire afin de vérifier s’il y a lieu d’engager des poursuites ; b) une instruction préparatoire afin de constater qu’une infraction a été commise. (...) L’enquête préliminaire est menée conformément aux articles 240 et 241. Si l’enquête a lieu à la suite d’une plainte ou si pendant l’enquête la commission d’une infraction est attribuable à une personne déterminée, cette personne est convoquée pour s’expliquer dans un délai de quarante-huit heures et elle est entendue sans avoir prêté serment. Elle a le droit d’être accompagnée d’un avocat, de refuser totalement ou partiellement de s’expliquer et de bénéficier d’un délai de quarante-huit heures pour le faire, délai qui peut être prolongé. En outre, elle a le droit de demander copie du dossier, de proposer des témoins et de déposer des preuves pour réfuter les accusations émises contre elle. Elle peut exercer les droits précités soit personnellement soit par l’intermédiaire d’un avocat (...), sauf si celui qui mène l’enquête considère que la comparution personnelle est nécessaire. » Dans un avis juridique au sujet de « La légalité de la perquisition à domicile et de la saisie dans le cadre de l’enquête préliminaire et leurs conséquences dans le procès pénal », publié dans la revue Poiniki Dikaiosyni (7/2003, pp. 813 et suivantes), les professeurs D. Tsatsos, A. Papadimas et K. Chrysogonos concluaient que « la perquisition à domicile dans le cadre de l’enquête préliminaire [était] inadmissible sur le plan juridique et procédural », que « la perquisition à domicile dans le cadre de l’enquête préliminaire n’[était] pas prévue » et que « si par hasard elle [était] effectuée, elle serait un acte d’instruction illégal et nul sur le plan de la procédure ». Dans un arrêt no 1328/2003 du 16 mai 2003, la Cour de cassation a considéré que la perquisition effectuée pendant l’enquête préliminaire pour permettre au procureur de décider s’il doit engager des poursuites n’était pas permise et que, si elle avait été effectuée, elle était illégale et nulle. Elle a indiqué que l’enquête préliminaire ne figurait pas parmi les cas dans lesquels, selon l’article 251 du CPP, la perquisition était prévue et qu’il n’existait aucune disposition prévoyant que la perquisition fût permise pendant l’enquête préliminaire. Elle a ajouté que, dès lors que la perquisition portait atteinte à des droits individuels, il devait être admis qu’elle n’était pas permise à cette étape de la procédure. Selon la Cour de cassation, une approche différente se heurterait au principe de la spécialité imposant que les atteintes procédurales aux droits individuels, telles que l’inviolabilité du domicile et de la vie privée et familiale, ainsi que les droits de la défense de l’accusé et leurs modalités d’exercice, fassent l’objet de dispositions expresses et spécifiques. Le 5 février 2009, le procureur près la Cour de cassation a envoyé aux parquets auprès toutes les cours d’appel et tous les tribunaux de première instance une circulaire ayant trait notamment aux perquisitions menées lors de l’enquête préliminaire. Le procureur passait en revue les dispositions législatives pertinentes et en particulier l’article 31 du code pénal et certains autres articles du code de procédure pénale. Il soulignait qu’il ressortait de ces dispositions que l’enquête préliminaire et l’instruction préparatoire s’identifiaient du point de vue du but et de la manière d’agir. Se fondant sur la loi no 3346/2005 et son rapport explicatif, il précisait qu’aux fins du bon déroulement de l’enquête préliminaire, le « suspect » bénéficiait des mêmes droits que l’accusé et que l’instruction devait être accélérée afin d’éviter de répéter des actes d’instruction surtout lorsqu’il y a eu un examen approfondi des accusations au stade de l’enquête préliminaire. Il n’y avait plus aucun doute que l’enquête préliminaire revêtait un caractère judiciaire et non administratif et constituait une étape de la procédure pénale. Le procureur ajoutait qu’à la suite de la réforme législative, pour engager une procédure pénale en matière criminelle, il fallait dorénavant non seulement de simples suppositions, mais l’existence d’indices suffisants qui résulteraient de l’enquête préliminaire qui devenait obligatoire. Comme il existait une référence directe aux articles 240 et 241 du code de procédure pénale, cette enquête était effectuée selon la procédure applicable à l’instruction préparatoire et notamment avec l’utilisation des moyens prévus aux articles 178 et 251 et s. du code de procédure pénale, y compris donc la perquisition. La thèse soutenue sous le régime législatif antérieur à la réforme et selon laquelle une perquisition ne pouvait pas être effectuée pendant l’enquête préliminaire car elle constituait une ingérence à la vie privée de l’individu, ne pouvait plus être maintenue. Compte tenu du fait qu’à la suite de la loi no 3346/2005, le « suspect » était autorisé à prendre connaissance du dossier à un stade si précoce, et, par conséquent, réfuter toutes les accusations à son encontre avant que celle-ci soient formulées, il serait contraire au principe de la recherche de la vérité de ne pas permettre à la personne chargée de l’enquête de ne pas faire usage de tous les moyens d’instruction. L’approche décrite dans cette circulaire a été reprise par la Cour de cassation (statuant en chambre du conseil) dans une décision (no 1575/2012) du 12 décembre 2012. La Cour de cassation a indiqué que, à la suite des réformes législatives de 2003, 2005 et 2010 et après l’entrée en vigueur de la loi no 4055/2012, l’enquête préliminaire avait été rendue obligatoire en matière de crime et aux fins de la mise en œuvre de l’action publique, avait été revalorisée et était effectuée, tout comme l’instruction, avant l’engagement des poursuites, conformément aux articles 240 et 241 du CPP. Elle a précisé que cette enquête constituait une étape fondamentale de l’instruction, pendant laquelle étaient utilisés tous les moyens de preuve prévus à l’article 178 du CPP, et qu’elle tendait à vérifier si les conditions d’engagement des poursuites se trouvaient ou non réunies. Elle a ajouté que, compte tenu des modalités d’exécution et du but poursuivi, il n’y avait plus désormais de distinctions importantes entre l’enquête préliminaire et l’instruction préparatoire. La Cour de cassation a encore indiqué que, lors de l’enquête préliminaire, les suspects bénéficiaient de tous les droits des accusés, par exemple comparaître assistés d’un avocat ou être représentés par un avocat, recevoir copies de la plainte et de tous les documents du dossier, bénéficier d’un délai de quarante-huit heures pour préparer leur défense, proposer des témoins, etc. Elle a exposé que, au cours de l’enquête, dont la nature était judiciaire et pas seulement administrative, le procureur ou l’enquêteur pouvait avoir recours à tous les moyens de preuve mentionnés aux articles 178 et 253 du CPP et effectuer tous les actes d’instruction prévus par le CPP, tels que la perquisition, la saisie, l’expertise, la communication des demandes de coopération judiciaire, à l’exception des actes non compatibles avec la nature de l’enquête préliminaire, comme l’arrestation d’un suspect et l’invitation faite au suspect de présenter son plaidoyer.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les circonstances de l’espèce À partir des années 1980, les sociétés agricoles italiennes, dont les requérantes, bénéficièrent d’une double réduction au travers d’avantages et d’exonérations des cotisations de sécurité sociale qu’elles versaient pour leurs employés. En juillet 1988, l’Institut national de la sécurité sociale (INPS) publia une circulaire selon laquelle les avantages et les exonérations n’étaient pas cumulatifs mais alternatifs (pour une analyse plus détaillée du contexte pertinent, voir l’arrêt Azienda Agricola Silverfunghi S.a.s. et autres c. Italie (nos 48357/07, 52677/07, 52687/07 et 52701/07, §§ 5-15, 24 juin 2014). À des dates diverses, les requérantes engagèrent des procédures contre l’INPS en contestant l’application de la circulaire. Une parties des requérantes obtinrent gain de cause en première instance (voir annexe I, requêtes indiquées aux nos 1 à 23). Les tribunaux ne précisèrent pas le montant exact du dédommagement mais ils indiquèrent les critères à adopter pour le calculer. En novembre 2003, alors que les procédures entamées par les requérantes étaient pendantes, le législateur italien adopta la loi no 326/2003, qui énonçait expressément que les avantages et les exonérations n’étaient pas cumulatifs, mais alternatifs. Les juridictions internes, en application de ladite loi, rejetèrent les demandes des requérantes (voir annexe I, requêtes nos 1 à 23). Les requérantes restantes (voir annexe I, requérantes indiquées aux nos 24 à 39) furent déboutées en première instance en raison de l’application de la loi litigieuse. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents se trouvent décrits dans l’arrêt Azienda Agricola Silverfunghi S.a.s. (précité).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne. À l’époque des faits, il était le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem. Le 5 septembre 2004, un article intitulé « l’indignation provoquée par le tribunal (Mahkemeden infial) » fut publié dans le numéro 189 du quotidien Ülkede Özgür Gündem. Cet article portait sur l’arrestation de trente-cinq personnes qui s’étaient servies de boucliers humains dans le sudest de la Turquie dans le but de dissuader les forces militaires turques de prendre pour cible les membres du PKK. Selon l’article en cause, les personnes arrêtées s’étaient vu reprocher d’avoir provoqué de l’indignation au sein de la société. L’article se terminait par une déclaration émanant du HPG (Forces de défense populaire, une branche armée du PKK) par laquelle celui-ci qualifiait l’usage de boucliers humains d’action pacifique et considérait que la jeunesse devait faire avancer la lutte pour la démocratie au travers d’actions « créatives » du même type. Le HPG estimait en outre que la guérilla était, elle aussi, un bouclier humain pour protéger le peuple. Des poursuites furent engagées contre le requérant. Par un jugement du 14 mai 2008, la cour d’assises d’Istanbul condamna ce dernier au paiement d’une amende de 1 591 livres turques (TRY) (soit environ 825 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à l’époque pertinente) sur le fondement de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Le requérant se pourvut contre cette décision. Le 31 octobre 2011, la Cour de cassation rejeta la demande de pourvoi au motif que le jugement en cause était définitif au moment de son prononcé, le montant de l’amende infligée étant en dessous de la limite légale autorisant un pourvoi. Le 17 juillet 2012, la cour d’assises d’Istanbul réexamina la condamnation du requérant. Se fondant sur la loi no 6352, entrée en vigueur le 5 juillet 2012, elle sursit à l’exécution de la peine prononcée à l’encontre de celui-ci. Elle ordonna, par ailleurs, le placement de l’intéressé sous contrôle judiciaire durant trois ans.
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Le requérant est né en 1978 et réside à İzmir. Le 5 janvier 2001, il fut accidentellement blessé au bras gauche lors de l’accomplissement de son service militaire obligatoire. Une complication infectieuse survint alors que sa blessure était soignée par le port d’une attelle. La gangrène s’étant déclarée, il fut amputé du bras gauche le 13 janvier 2001. Saisi d’une plainte du requérant, le parquet ouvrit une enquête pénale et décida de poursuivre le médecin orthopédiste devant le tribunal correctionnel d’İzmir. Par un jugement du 9 novembre 2006, ce dernier estima que le médecin orthopédiste ayant soigné le requérant s’était rendu coupable de négligence dans l’exercice de sa profession. Il le condamna à une peine d’emprisonnement d’un mois et quinze jours, laquelle fut commuée en une peine d’amende de 250 livres turques (TRY), soit environ 140 euros (EUR) à l’époque des faits, assortie d’un sursis à exécution. Dans l’intervalle, le requérant avait introduit un recours en dommages et intérêts contre le ministère de la Défense. Le 18 janvier 2006, la Haute Cour administrative militaire (« la Haute Cour ») avait conclu à la responsabilité de l’administration pour faute de service. À cet égard, elle avait considéré qu’il y avait eu négligence de la part du médecin orthopédiste de l’hôpital militaire en ce qu’il n’aurait pas correctement examiné le patient et que ce dernier avait par la suite développé au bras gauche un syndrome des loges irréversible. Elle avait estimé que cette situation, consistant en un dysfonctionnement des services de santé, avait directement porté préjudice au requérant. Elle avait accueilli partiellement les demandes en indemnisation, en tenant notamment compte d’une expertise qu’elle avait ordonnée durant la procédure. Elle avait octroyé ainsi à l’intéressé 20 000 TRY (environ 12 500 EUR à l’époque des faits) plus les intérêts moratoires à compter de la date de l’événement et jusqu’à la date de paiement. Elle n’avait alloué aucune somme pour dommage matériel au motif que celle que le requérant devait percevoir à titre de pension d’invalidité (254 779 TRY, soit environ 159 236 EUR à l’époque des faits) était supérieure au montant du dommage matériel subi (154 296 TRY, soit environ 96 435 EUR à l’époque des faits) tel qu’évalué par l’expertise judiciaire dont les conclusions n’avaient pas été contestées par les parties. Saisie par le requérant d’un recours en rectification de l’arrêt, la Haute Cour le rejeta le 28 juin 2006.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La liste des requérants figure en annexe. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. Le contexte du litige L’article 12 de la loi du 1er juin 1977 « relative à l’organisation des transports urbains de la capitale » institua l’Entreprise des transports urbains (« l’EAS »), une entreprise publique placée sous la tutelle du ministère des Transports. L’EAS fonctionna pendant quinze ans, jusqu’au 12 août 1992, date à laquelle fut publiée la loi no 2078/1992, intitulée « Transports et bus thermiques dans la région d’Athènes-Pirée et environs », qui privatisait les transports publics. En application de cette loi, l’EAS fut dissoute et son personnel licencié. La loi no 2078/1992 prévoyait en outre que les services d’autobus seraient assurés jusqu’au 31 décembre 2006 par des entreprises de transport relevant du droit privé, les « SEP », qui devaient être instituées par une décision ministérielle et qui se répartiraient les lignes de bus de la région d’Athènes-Pirée et environs. Par la suite, la loi no 2175/1993 institua l’Organisme des transports urbains d’Athènes (« l’OASA »), une personne morale de droit privé constituée sous la forme d’une société anonyme et placée sous tutelle étatique. Les entreprises de transport créées sous l’empire de la loi no 2078/1992 furent alors dissoutes et mises en liquidation ; toutes les SEP furent ainsi placées sous le contrôle de l’État sans que celui-ci ne versât aucune indemnité aux anciens actionnaires de celles-ci, parmi lesquels les requérants. B. Les procédures litigieuses Il ressort du dossier que les noms des requérants mentionnés sous les numéros 14, 15, 16, 18, 19, 29, 30, 31, 85, 86, 87, 101, 138, 139, 140, 141, 142, 149, 151, 154, 155, 156, 157, 158, 171 (paragraphe 3 cidessus), 174, 175, 176, 177, 215, 216, 217, 218, 219, 227, 228, 229, 249, 250, 251, 259, 260, 261, 262, 302, 303, 304, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 369, 370, 390, 391 et 392 ne correspondent à aucun nom figurant dans les copies des pourvois déposés devant la Cour de cassation dans le cadre des procédures internes décrites ci-après. La première procédure devant la cour d’appel d’Athènes, concernant la demande introduite par les requérants figurant sous les numéros 1 à 13, 17, 20 à 28, 32 à 84, 88 à 100, 102 à 137, 143 à 148, 150, 152, 153, 159 à 170, 172, 173, 178 à 214, 220 à 226, 230 à 248, 252 à 258, 261, 263 à 301, 305 à 311, 318 à 368, 371 à 389 et 393 à 398 (« la première procédure ») Le 17 juillet 1995, les requérants figurant sous les numéros 1 à 13, 17, 20 à 28, 32 à 84, 88 à 100, 102 à 137, 143 à 148, 150, 152, 153, 159 à 170, 172, 173, 178 à 214, 220 à 226, 230 à 248, 252 à 258, 261, 263 à 301, 305 à 311, 318 à 368, 371 à 389 et 393 à 398 introduisirent une demande devant la cour d’appel d’Athènes (« la cour d’appel ») tendant à la fixation du montant unitaire d’une indemnité à la suite du placement des SEP sous le contrôle de l’État. Le 21 mars 1996, la cour d’appel décida d’office l’ajournement des audiences (décisions nos 3410/1996 et 3411/1996), en attendant l’issue d’une autre procédure pendante devant la formation plénière du Conseil d’État, dont l’objet portait sur l’éligibilité de transporteurs privés à une indemnisation. Le 26 septembre 1997, la formation plénière du Conseil d’État rendit ses arrêts concernant la procédure en question (arrêts nos 3818/1997, 3819/1997 et 3820/1997). Le 20 décembre 2000, la cour d’appel rejeta la demande des requérants susmentionnés (arrêt no 9672/2000). Le 8 avril 2003, lesdits requérants se pourvurent en cassation. Les audiences du 2 avril 2004 et du 2 décembre 2005 furent ajournées. Aucun des intéressés ne demanda par la suite la fixation d’une nouvelle date d’audience. Il ressort du dossier que la procédure est toujours pendante devant la Cour de cassation. La seconde procédure devant la cour d’appel d’Athènes, concernant la demande introduite par les requérants figurant sous les numéros 396 et 397 (« la seconde procédure ») Le 16 octobre 1996, les requérants figurant sous les numéros 396 et 397 introduisirent une nouvelle demande devant la cour d’appel tendant à la fixation du montant unitaire d’une indemnité à la suite du placement des SEP sous le contrôle de l’État. À une date non précisée en 1997, la cour d’appel décida d’office l’ajournement de l’audience (décision no 5440/1997), en attendant l’issue d’une autre procédure pendante devant la formation plénière du Conseil d’État, dont l’objet portait sur l’éligibilité de transporteurs privés à une indemnisation. Le 26 septembre 1997, la formation plénière du Conseil d’État rendit ses arrêts concernant ladite procédure (arrêts nos 3818/1997 et 3819/1997). Le 31 décembre 1999, les deux requérants susmentionnés demandèrent la fixation d’une date d’audience devant la cour d’appel, qui fut arrêtée au 10 octobre 2000. Le 20 décembre 2000, la cour d’appel rejeta la demande desdits requérants (arrêt no 9673/2000). Le 8 avril 2003, ces derniers se pourvurent en cassation. Il ressort du dossier que la procédure est toujours pendante devant la Cour de cassation. Les autres procédures judiciaires Le 20 décembre 2000, dans des affaires dans lesquelles les requérants n’étaient pas parties, la cour d’appel rejeta des demandes introduites par des transporteurs privés (arrêts nos 9674/2000 et 9675/2000), similaires à celles formulées par les requérants en l’espèce. Le 8 avril 2003, lesdits transporteurs privés se pourvurent en cassation. Il ressort du dossier que ces procédures sont toujours pendantes devant la Cour de cassation.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les deux requérantes appartiennent à l’Église roumaine unie à Rome, également dénommée Église gréco-catholique ou uniate. Elles ont leur siège à Orăştie. A. Le contexte historique de l’affaire De 1938 à 1948, l’Église gréco-catholique fit construire puis utilisa une église située à Orăştie. En 1948, à la suite de la dissolution du culte gréco-catholique par le décret-loi no 358/1948, l’église susmentionnée fut transférée, par le décret no 176/1948, dans le patrimoine de l’Église orthodoxe. Cette dernière inscrivit son droit de propriété relatif à ce lieu de culte sur le livre foncier. Après la chute du régime totalitaire, en décembre 1989, le culte uniate fut officiellement reconnu par le décret-loi no 126/1990 relatif à certaines mesures concernant l’Église roumaine unie à Rome (« le décret-loi no 126/1990 »). Les requérantes, légalement reconstituées, entamèrent sans succès des démarches non contentieuses visant à la restitution de l’église en question. B. L’action en restitution de l’église Le 29 mars 2006, les requérantes saisirent le tribunal départemental de Hunedoara (« le tribunal départemental ») d’une action en revendication de l’église susmentionnée fondée sur les dispositions du code civil et dirigée contre la paroisse orthodoxe de Orăştie III (« la paroisse orthodoxe »). Par un jugement du 21 février 2007, le tribunal départemental rejeta l’action au motif que, selon les mentions figurant sur le livre foncier, la partie défenderesse avait légalement inscrit son droit de propriété sur l’église en litige en respectant les dispositions légales en vigueur à l’époque du transfert du droit de propriété. Sur un appel des requérantes, par un arrêt du 13 septembre 2007, la cour d’appel d’Alba Iulia (« la cour d’appel ») annula le jugement du 21 février 2007 et fit droit à l’action des requérantes. Sur un recours de la paroisse orthodoxe, par un arrêt définitif du 25 novembre 2008, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour »), cassa l’arrêt du 13 septembre 2007 et renvoya l’affaire devant la cour d’appel pour un nouvel examen afin d’approfondir certains aspects juridiques liés au transfert de propriété de l’église litigieuse ainsi que des aspects factuels concernant les transformations éventuellement opérées lors des travaux entrepris dans ce lieu de culte à la suite de sa prise de possession par la paroisse orthodoxe. Lors d’une audience du 8 octobre 2009, la cour d’appel ordonna la réalisation d’une expertise afin d’évaluer les travaux d’amélioration réalisés dans l’église par la paroisse orthodoxe. Informée par les experts désignés de l’absence d’experts compétents pour effectuer l’expertise de peintures murales religieuses dans un lieu de culte, la cour d’appel fit, sans succès, des démarches auprès de plusieurs institutions afin de s’informer de la possibilité de faire réaliser une telle expertise. Lors d’une audience du 18 mars 2010, constatant l’impossibilité d’obtenir une expertise judiciaire spécialisée, la cour d’appel renonça à ordonner une expertise de ce type et invita les parties à verser des pièces au dossier et à réaliser ensemble une expertise extrajudiciaire. Au cours du déplacement sur le terrain en vue de la réalisation de celle-ci, les requérantes présentèrent un rapport d’expertise déjà rédigé auquel la paroisse orthodoxe s’opposa. Pour finir, chacune des parties versa au dossier un rapport d’expertise technique extrajudiciaire. Par un arrêt du 6 mai 2010, après avoir examiné les pièces du dossier, la cour d’appel compara les titres inscrits sur le livre foncier à l’égard des deux parties et jugea que celui des requérantes devait prévaloir sur celui de la paroisse orthodoxe. Cette dernière forma un recours (recurs) devant la Haute Cour, en alléguant notamment que, en matière de restitution de lieux de culte, il devait être fait application d’une « loi spéciale » et non pas des dispositions du code civil. Elle ajouta qu’elle était valablement inscrite dans le livre foncier comme étant la propriétaire de l’église en litige. Les requérantes s’opposèrent à ces arguments et soutinrent que, en vertu des dispositions du décret-loi no 126/1990, le code civil était applicable. D’après les pièces du dossier devant la Cour, elles n’invoquèrent pas à ce stade de la procédure une méconnaissance de leur droit à la liberté de religion ni une atteinte discriminatoire dans l’exercice de leurs droits. Par un arrêt définitif du 24 novembre 2011, la Haute Cour accueillit le recours (recurs) de la paroisse orthodoxe, cassa l’arrêt du 6 mai 2010 (paragraphe 13 ci-dessus) et confirma le bien-fondé du jugement du 21 février 2007 (paragraphe 8 ci-dessus). Pour se prononcer ainsi, la Haute Cour jugea que, lorsqu’elles étaient appelées à statuer sur une demande en restitution d’un lieu de culte, les juridictions internes ne pouvaient pas procéder à une simple comparaison des titres en application du code civil, mais devaient appliquer les dispositions de l’article 3 du décret-loi no 126/1990 selon lequel il convenait de tenir compte de la volonté de la communauté détentrice du lieu de culte. La Haute Cour analysa ensuite la structure de la communauté religieuse à Orăştie et nota que 90,71% de la population pratiquait le rite orthodoxe et 1,02 % le rite gréco-catholique. Elle rechercha enfin si, au moment de l’introduction de l’action, les requérantes avaient un droit de propriété sur l’église litigieuse. À cet égard, elle nota que ce lieu de culte, bien qu’ayant appartenu à l’Église gréco-catholique, était passé dans le patrimoine de l’Église orthodoxe en vertu des dispositions légales en vigueur en 1948 et que l’abrogation de ces dernières dispositions n’entraînait pas l’annulation du titre de propriété de l’Église orthodoxe. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents sont présentés dans l’arrêt Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 35 à 57, CEDH 2016 (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1946, 1944 et 1948 et résident à Caltanissetta. Les requérants étaient copropriétaires d’un terrain de 932 mètres carrés sis à Canicattí, enregistré au cadastre feuille 67, parcelle 14. Par un arrêté du 3 juillet 1975, la municipalité de Canicattí autorisa l’Institut autonome de gestion des HLM (IACP) à occuper d’urgence le terrain pour une période de cinq ans, en vue de son expropriation, afin d’y construire des habitations à loyer modéré. Le terrain fut occupé matériellement le 14 juillet 1975. Les travaux de construction s’achevèrent le 18 juillet 1977. Le 13 février 1981, l’administration offrit une somme à titre d’acompte sur l’indemnité d’expropriation, qu’elle fixa à 1 514 500 lires (ITL). Le 27 mars 1985, la somme fut versée à la Caisse des dépôts et des prêts. Par un arrêté du 14 janvier 1986, la municipalité déclara l’expropriation formelle du terrain. Par un acte notifié le 11 janvier 1991, les requérants introduisirent devant le tribunal d’Agrigente un recours en dommages-intérêts à l’encontre de la ville de Canicattí et de l’IACP. Ils alléguaient que l’occupation du terrain était illégale et que les travaux de construction s’étaient terminés sans procédure d’expropriation formelle du terrain et sans le paiement d’une indemnité. Ils réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale du terrain et une indemnité d’occupation. Au cours de la procédure, une expertise technique fut ordonnée par le tribunal. Le 21 janvier 1994, l’expertise fut déposée au greffe. Selon l’expert, la période d’occupation autorisée s’était terminée le 3 juillet 1980 et la valeur vénale du terrain à cette date était de 36,15 EUR par mètre carré, pour un total de 65 240 000 ITL (33 691 EUR). Par un jugement du 23 janvier 1997, le tribunal d’Agrigente constata que la transformation du terrain avait eu lieu pendant la période d’occupation légitime. De de ce fait, la propriété du terrain était passée à l’administration, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’expropriation indirecte, le 3 juillet 1980, à savoir la date d’expiration de la période d’occupation autorisée. Toutefois, le tribunal statua qu’aucune indemnité n’était due aux requérants au motif que l’action en dommages-intérêts était soumise à un délai de prescription de cinq ans commençant à courir le 3 juillet 1980. Le 17 mars 1998, les requérants interjetèrent appel. Par un arrêt du 7 avril 2000, la cour d’appel de Palerme rejeta l’appel. Elle affirma que la date à partir de laquelle le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir était le 27 mars 1985, soit le jour où l’administration avait versé l’acompte sur l’indemnité d’expropriation. Partant, le droit des requérant à un dédommagement était prescrit. Les requérants se pourvurent en cassation. Par un arrêt du 11 mars 2005, la Cour de cassation cassa l’arrêt de deuxième instance et renvoya l’affaire devant une autre section de la cour d’appel de Palerme. Elle affirma que la cour d’appel n’avait pas suffisamment motivé sa décision quant au moment à partir duquel le délai de prescription avait commencé à courir en l’espèce. Par un arrêt du 26 mars 2009, la cour d’appel de Palerme confirma l’arrêt du tribunal d’Agrigente du 31 janvier 1997. Faute de pourvoi en cassation, ledit arrêt devint définitif. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans la présente affaire, la Cour renvoie à l’arrêt Messana c. Italie, no 26128/04, §§ 17-20, 9 février 2017.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1946, 1944 et 1948 et résident à Caltanissetta. Les requérants étaient copropriétaires de deux terrains constructibles de 7 030 et 1 020 m² respectivement, sis à Canicattí et enregistrés au cadastre feuille 67, parcelles 217, 230 et 224 et feuille 67, parcelle 215. Par deux arrêtés des 14 janvier 1983 et 24 août 1984, la municipalité de Canicattí autorisa une entreprise de construction privée à occuper d’urgence les terrains des requérants, en vue de leur expropriation, afin d’y construire des habitations à loyer modéré (HLM). Les terrains furent occupés les 16 février 1983 et 20 septembre 1984 respectivement et les travaux de construction s’achevèrent le 3 décembre 1986. A. Procédure concernant l’indemnité d’expropriation Par des actes notifiés les 19 et 29 février 1996, les requérants introduisirent devant le tribunal d’Agrigente un recours en dommagesintérêts à l’encontre de la ville de Canicattí et de l’entreprise de construction. Ils alléguaient que l’occupation des terrains était illégale et que les travaux de construction s’étaient terminés sans procédure d’expropriation formelle des terrains. Ils réclamaient une somme correspondant à la valeur vénale des terrains à titre de dédommagement. Par un jugement du 7 mai 1998, le tribunal d’Agrigente déclara qu’aucune indemnité n’était due aux requérants au motif que l’action en dommages-intérêts était soumise à un délai de prescription de cinq ans commençant à courir à compter du 3 novembre 1988, soit la date d’entrée en vigueur de la loi no 458 de 1988, fixant le principe de l’expropriation indirecte et prévoyant un dédommagement pour les propriétaires des terrains utilisés pour la construction de bâtiments publics. Par un acte notifié le 6 mai 1999, les requérants interjetèrent appel de ce jugement devant la cour d’appel de Palerme. Le 14 novembre 2000, une expertise technique ordonnée par la cour d’appel fut déposée au greffe. Selon l’expert, les dates d’expiration des périodes d’occupation légitime pour les deux terrains étaient le 14 janvier 1993 et le 20 septembre 1994 respectivement. La valeur vénale des terrains à ces dates était de 1 043 158 716 ITL (539 158 EUR) pour le premier terrain et de 142 930 976 ITL (73 817 EUR) pour le second. Faisant application des critères introduits par la loi no 662 de 1996, l’expert calcula que l’indemnité due aux requérants était de 573 737 294 ITL (296 300 EUR) pour le premier terrain et de 78 612 037 ITL (40 599 EUR) pour le second. Par un arrêt du 6 décembre 2004, la cour d’appel de Palerme releva que l’occupation légitime avait pris fin les 14 janvier 1993 et le 20 septembre 1994 et, en faisant application du principe de l’expropriation indirecte, considéra les requérants privés de leurs terrains à compter de ces dates. Elle considéra également que le délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir à partir de cette même date. Les recours en dommages intérêts ayant été introduits devant le tribunal d’Agrigente en 1996, elle estima que le droit des intéressés n’était pas prescrit. Par conséquent, en application de la loi no 662 de 1996, la cour d’appel condamna la municipalité de Canicattí et l’entreprise de construction à verser aux requérants la somme globale de 892 412 578 ITL (460 892,63 EUR), correspondant aux sommes fixées par l’expert, réévaluées à la date de l’arrêt. Faute de pourvoi en cassation, ledit arrêt devint définitif le 21 janvier 2006. B. Procédure concernant l’indemnité d’occupation temporaire Par un acte d’assignation du 9 février 1996, les requérants introduisirent une action à l’encontre de la municipalité de Canicattì devant la cour d’appel de Palerme, en demandant l’octroi d’une indemnité d’occupation temporaire. Par un arrêt du 3 mai 2001, la cour d’appel de Palerme accorda aux requérants, conjointement, ITL 218 791 424 (112 996 EUR) à titre d’indemnité d’occupation, à majorer d’intérêts jusqu’à la date de paiement. Avec un mandat de paiement émis le 1er octobre 2003, la municipalité de Canicattì paya aux requérants 75 279,98 EUR chacun à titre d’indemnité d’occupation temporaire. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans la présente affaire, la Cour renvoie à l’arrêt Messana c. Italie, no 26128/04, §§ 17-20, 9 février 2017.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975 et réside à Tecuci. En 2006, il entra en possession d’un terrain appartenant à la ville de Tecuci en vue d’y construire sa maison. Le certificat d’urbanisme délivré au requérant mentionnait que le terrain bénéficiait d’un accès au réseau électrique. Le 31 août 2007, le requérant demanda à la société nationale de Distribution d’énergie électrique (« la société d’électricité ») de raccorder sa maison au réseau électrique de la ville. Face à l’inaction de la société d’électricité, le requérant assigna ladite société le 23 novembre 2007 devant le tribunal départemental de Galaţi (« le tribunal départemental »), afin de faire établir l’obligation de cette dernière de raccorder sa maison au réseau électrique de la ville. Par un jugement du 1er avril 2008, le tribunal départemental rejeta l’action du requérant. Il considéra que la société d’électricité avait rempli ses obligations en informant le requérant de la procédure à suivre pour obtenir le raccordement en question et que l’intéressé n’avait pas respecté la procédure en question. Le requérant forma un recours (recurs) contre ce jugement. Il arguait qu’il avait suivi la procédure indiquée par la société d’électricité et qu’il avait le droit de bénéficier sans discrimination d’un accès à l’énergie électrique (article 16 de la Constitution roumaine, consacrant l’égalité en droit des citoyens, et article 1 du règlement sur le raccordement des utilisateurs aux réseaux électriques d’intérêt public adopté par l’arrêté gouvernemental no 867/2003) (paragraphes 15 et 17 cidessous). Par un arrêt définitif du 20 novembre 2008, la cour d’appel de Galaţi (« la cour d’appel ») fit droit à ce recours et, par conséquent, à l’action initiale du requérant. Elle constata que la société d’électricité n’avait pas établi avoir correctement informé le requérant de la procédure à suivre et que, en tout état de cause, celui-ci avait renouvelé sa demande de raccordement en cours de procédure, mais que la société d’électricité l’avait rejetée, le 14 mars 2008, au motif qu’elle ne disposait pas des fonds nécessaires pour la réalisation des travaux. La cour d’appel estima que le manque de ressources n’était pas un argument valable, la société d’électricité ayant eu, depuis 2006, suffisamment de temps pour trouver les moyens nécessaires et le certificat d’urbanisme délivré au requérant ayant institué une obligation de raccorder la maison de ce dernier au réseau électrique. Dès lors, et se fondant sur l’article 16 de la Constitution et sur l’arrêté gouvernemental no 867/2003, la cour d’appel condamna la société d’électricité à raccorder la maison du requérant au réseau électrique de la ville. Les 24 novembre et 9 décembre 2008, le requérant enjoignit à la société d’électricité d’exécuter l’arrêt de la cour d’appel. Il déposa également une plainte pénale contre le directeur de cette société, qui fut rejetée, le 7 mai 2009, par le procureur près le tribunal de première instance de Tecuci, et il engagea une action en dédommagement contre la société d’électricité, qui fut également rejetée, le 13 mars 2009, par le même tribunal. Ses démarches n’aboutirent pas à l’exécution de l’arrêt du 20 novembre 2008. Le 6 février 2009, la société d’électricité formula une demande en révision de l’arrêt du 20 novembre 2008. Elle s’appuyait sur une lettre du 20 janvier 2009 par laquelle la mairie de Tecuci (« la mairie ») aurait demandé des fonds au ministère de l’Économie pour électrifier plusieurs quartiers de la ville, y compris celui habité par le requérant. Elle arguait ensuite qu’il ne lui était pas possible de fournir de l’électricité au requérant tant que le réseau électrique ne serait pas étendu jusqu’aux abords de la maison de l’intéressé. Elle contestait également la conclusion de la cour d’appel selon laquelle le requérant avait correctement suivi la procédure pour obtenir son raccordement au réseau électrique. Par un arrêt définitif du 23 avril 2009, la cour d’appel fit droit à la demande en révision de la société d’électricité et, par conséquent, rejeta le recours (recurs) du requérant, confirmant ainsi le jugement du 1er avril 2008 (paragraphe 7 ci-dessus). S’agissant de la recevabilité de la demande en révision, la cour d’appel estima que la lettre de la mairie du 20 janvier 2009 « constituait un élément de preuve au sens de l’article 322 § 5, première partie, du code de procédure civile » (le « CPC ») (paragraphe 16 ci-dessous). Sur le fond, la cour d’appel estima que, contrairement à ce qui avait été établi par l’arrêt du 20 novembre 2008 (paragraphe 9 ci-dessus), il n’y avait pas de réseau électrique accessible à proximité de la maison du requérant et que, dès lors, il n’y avait pas de raccordement possible. Elle estima également que le tribunal départemental avait conclu à juste titre que la société d’électricité ne pouvait pas être condamnée à électrifier la zone, aux motifs qu’elle n’avait pas, selon la loi, le pouvoir d’initier et d’accomplir ces travaux et qu’elle n’avait pas les fonds nécessaires pour les réaliser, la mise en œuvre de tels travaux étant conditionnée à l’existence de plans approuvés par la mairie et financés par le budget de cette dernière. Par une lettre du 17 août 2011, le requérant informa la Cour que sa maison avait été raccordée au réseau électrique de la ville, mais qu’il n’avait pas encore reçu le contrat de fourniture d’électricité. Dans ses observations du 10 avril 2015, le Gouvernement indiqua à la Cour que l’avis de raccordement avait été délivré au requérant par la société d’électricité le 19 novembre 2009 et que le contrat de fourniture d’électricité avait été conclu entre le requérant et la société d’électricité le 21 décembre 2009 à la suite du raccordement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 16 de la Constitution est ainsi rédigé, en ses parties pertinentes en l’espèce : « (1) Les citoyens sont égaux devant la loi et les autorités publiques, sans privilège ni discrimination. (2) Nul n’est au-dessus de la loi (...). » L’article 322 du CPC, relatif à la révision d’une décision judiciaire, était ainsi rédigé à l’époque des faits dans ses parties pertinentes en l’espèce : « 1. La révision d’une décision rendue en appel ou devenue définitive faute d’appel ainsi que d’une décision rendue en recours lorsqu’elle tranche le fond peut être demandée dans les cas suivants : (...). lorsque des preuves écrites (înscrisuri doveditoare), qui ont été retenues par la partie adverse ou qui n’ont pas pu être présentées au tribunal pour une raison indépendante de la volonté des parties, sont découvertes après le prononcé de la décision en cause (...). » L’article 1 du règlement sur le raccordement des utilisateurs aux réseaux électriques d’intérêt public, adopté par l’arrêté gouvernemental no 867/2003 et en vigueur jusqu’au 11 juin 2008, était ainsi libellé : « Ce [texte] réglemente les étapes et les procédures nécessaires pour assurer l’accès des utilisateurs, sans discrimination, aux réseaux électriques d’intérêt public pour le transport et la distribution d’électricité. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant est né en 1950 et réside à Francfort. Le deuxième requérant est né en 1966 et réside à Zurich. Le troisième requérant est né en 1955 et réside à Schliern bei Köniz. Le premier requérant, représentant européen du Parti des travailleurs de Turquie, s’exprima lors d’une conférence de presse qui eut lieu le 30 juin 2007 dans un hôtel à Winterthur devant les médias et une quarantaine de spectateurs. Les deuxième et troisième requérants étaient les organisateurs de cette conférence au nom de l’Association pour la pensée kémaliste (Gesellschaft für kemalistisches Denken). En vue de cet évènement, ils avaient notamment loué la salle, engagé l’intervenant et informé la presse par courrier électronique. Ils avaient également fait imprimer des affiches portant l’inscription « Le génocide arménien est un mensonge international ». Ils avaient annoncé dans un premier temps aux médias que M. Doğu Perinçek tiendrait la conférence mais, devant le refus des autorités suisses de laisser celui-ci entrer sur le territoire, ils l’avaient remplacé par le premier requérant. Lors de la conférence, celui-ci déclara que les massacres et déportations d’Arméniens commis par l’Empire ottoman en 1915 n’étaient pas constitutifs d’un génocide et que prétendre le contraire était un mensonge international et historique. Le 16 octobre 2008, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Winterthur reconnut le premier requérant coupable de discrimination raciale au sens de l’article 261bis al. 4 du code pénal (CP) (paragraphe 13 cidessous) et le condamna à une peine pécuniaire de 150 jours-amende (déduction faite de 1 jour de détention provisoire) au taux journalier de 30 francs suisses (CHF), dont 75 avec sursis, assortie d’une période de mise à l’épreuve de trois ans. Les deuxième et troisième requérants furent reconnus coupables de complicité de discrimination raciale au sens de l’article 261bis al. 4 du CP combiné avec l’article 25 CP (paragraphe 13 cidessous) et condamnés à des peines pécuniaires de 120 jours-amende au taux journalier de 30 CHF, dont 60 avec sursis (déduction faite, à l’égard du troisième requérant, de 1 jour de détention provisoire). Les requérants interjetèrent appel de ce jugement devant le tribunal cantonal (Obergericht) du canton de Zurich (« le tribunal cantonal »). Ils soutenaient que leur comportement n’était pas constitutif d’une infraction à l’article 261bis al. 4 du CP. Par une décision du 9 février 2010, le tribunal cantonal confirma la condamnation des requérants. Il estima, d’une part, qu’il était indubitablement établi que les évènements des années 1915 et suivantes étaient constitutifs d’un génocide au sens de l’article 261bis al. 4 CP et, d’autre part, qu’il existait un large consensus dans la société à cet égard, ainsi que le Tribunal fédéral l’aurait indiqué dans son arrêt du 19 décembre 2007 dans l’affaire Perinçek (arrêt du Tribunal fédéral, ATF 6B_398/2007). S’agissant des conditions subjectives de l’infraction, il expliqua que, selon la doctrine majoritaire, la négation d’un génocide est punissable même en l’absence d’un mobile discriminatoire. Par ailleurs, il rejeta l’argument selon lequel leur condamnation avait violé le droit des requérants à la liberté d’opinion et de recherche scientifique. Il estima enfin que l’article 261bis du CP était une base légale permettant une restriction des droits fondamentaux au sens de l’article 36 de la Constitution, et que la mesure prise était proportionnée au but visé et qu’elle était nécessaire. Les requérants formèrent un recours contre cette décision. Le Tribunal fédéral le rejeta le 16 septembre 2010, considérant que la présente cause ne se distinguait pas de l’affaire Perinçek. Il exposa notamment que, dans la présente cause, le requérant avait fait référence à un mensonge historique et international en relation avec le génocide arménien et que les Arméniens avaient été présentés comme des agresseurs. Il observa en outre que le requérant avait déclaré être venu en Suisse pour exprimer les opinions de M. Doğu Perinçek, qu’il disait partager. Selon le Tribunal fédéral, les requérants avançaient en substance les mêmes arguments que ceux exposés par M. Doğu Perinçek lors de la procédure dirigée contre lui en ce qui concerne, d’une part, l’application de l’article 261bis al. 4 du CP et, d’autre part, la violation des droits fondamentaux. Pour ces motifs, le Tribunal fédéral renvoya intégralement aux considérations formulées par lui dans l’affaire Perinçek. Il ajouta que les requérants n’avaient pas démontré qu’il était arbitraire de qualifier de génocide les évènements de 1915. Il estima que la juridiction inférieure avait correctement apprécié les faits et conclu à raison à l’existence de mobiles racistes, et qu’il n’y avait pas lieu de trancher le débat doctrinal sur le point de savoir si le mobile de discrimination raciale était une condition nécessaire à l’application de l’article 261bis al. 4 du CP. Quant aux droits fondamentaux, il considéra que l’article 261bis al. 4 du CP constituait une base légale suffisante pour fonder une restriction au sens de l’article 36 de la Constitution, que les déclarations du premier requérant étaient susceptibles de troubler la paix publique et de porter atteinte à la dignité des membres de la communauté arménienne, et que la poursuite de ces faits était nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la défense de l’ordre et à la protection de la morale au sens de l’article 10 § 2 de la Convention. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce du CP du 21 décembre 1937 sont libellées comme suit : Article 25 (Complicité) « La peine est atténuée à l’égard de quiconque a intentionnellement prêté assistance à l’auteur pour commettre un crime ou un délit. » Article 261bis (Discrimination raciale) « Celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ; celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d’une race, d’une ethnie ou d’une religion ; celui qui, dans le même dessein, aura organisé ou encouragé des actions de propagande ou y aura pris part ; celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité ; celui qui aura refusé à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, une prestation destinée à l’usage public, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » L’article 369 du CP relatif à l’élimination des inscriptions figurant au casier judiciaire se lit comme suit dans sa partie pertinente en l’espèce : Article 369 (Élimination de l’inscription) « 1 Les jugements qui prononcent une peine privative de liberté sont éliminés d’office lorsqu’il s’est écoulé, dès la fin de la durée de la peine fixée par le jugement : a. 20 ans en cas de peine privative de liberté de cinq ans au moins ; b. quinze ans en cas de peine privative de liberté de un an ou plus, mais de moins de cinq ans ; c. dix ans en cas de peine privative de liberté de moins d’un an ; d. dix ans en cas de privation de liberté selon l’art. 25 DPMin. 2 Les délais fixés à l’al. 1 sont augmentés d’une fois la durée d’une peine privative de liberté déjà inscrite. 3 Les jugements qui prononcent une peine privative de liberté avec sursis, une privation de liberté avec sursis, une peine pécuniaire, un travail d’intérêt général ou une amende comme peine principale sont éliminés d’office après dix ans. (...) 6 Le délai court : a. à compter du jour où le jugement est exécutoire, pour les jugements visés aux al. 1, 3 et 4ter ; b. à compter du jour de la levée de la mesure ou de la libération définitive de la personne concernée, pour les jugements visés aux al. 4 et 4bis. 7 L’inscription ne doit pas pouvoir être reconstituée après son élimination. Le jugement éliminé ne peut plus être opposé à la personne concernée. 8 Les inscriptions portées au casier judiciaire ne sont pas archivées. » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution de la Confédération suisse du 18 avril 1999 sont libellées comme suit : Article 16 (Libertés d’opinion et d’information) « La liberté d’opinion et la liberté d’information sont garanties. Toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion. Toute personne a le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser. Article 20 (Liberté de la science) La liberté de l’enseignement et de la recherche scientifiques est garantie. » La loi fédérale du 17 juin 2005 relative au Tribunal fédéral, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, dispose ce qui suit : Article 122 Violation de la Convention européenne des droits de l’homme « La révision d’un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH) peut être demandée aux conditions suivantes : a. la Cour européenne des droits de l’homme a constaté, dans un arrêt définitif, une violation de la CEDH ou de ses protocoles ; b. une indemnité n’est pas de nature à remédier aux effets de la violation ; c. la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE À partir des années 1980, les sociétés agricoles italiennes, dont les requérantes, bénéficièrent d’une double réduction au travers d’avantages et d’exonérations des cotisations de sécurité sociale qu’elles versaient pour leurs employés. En juillet 1988, l’Institut national de la sécurité sociale (INPS) publia une circulaire selon laquelle les avantages et les exonérations n’étaient pas cumulatifs mais alternatifs (pour une analyse plus détaillée du contexte pertinent, voir l’arrêt Azienda Agricola Silverfunghi S.a.s. et autres c. Italie (nos 48357/07, 52677/07, 52687/07 et 52701/07, §§ 5-15, 24 juin 2014). À des dates diverses, les requérantes engagèrent des procédures contre l’INPS en contestant l’application de la circulaire. Une partie des requérantes obtinrent gain de cause en première instance (voir annexe I) et certaines d’entre elles également en appel (voir annexe I, requêtes indiquées aux nos 1, 2, et 47). Dans certaines affaires les tribunaux précisèrent le montant exact du dédommagement (voir annexe I) alors que dans d’autres ils indiquèrent uniquement critères à adopter pour le calculer (voir annexe I, requêtes indiquées aux nos 3, 4 et 18). En novembre 2003, alors que les procédures entamées par les requérantes étaient pendantes, le législateur italien adopta la loi no 326/2003, qui énonçait expressément que les avantages et les exonérations n’étaient pas cumulatifs, mais alternatifs. Les juridictions internes, en application de ladite loi, rejetèrent les demandes de certaines requérantes. Une partie des requérantes restituèrent les sommes obtenues (voir annexe I). Les requérantes restantes (voir annexe I, requérantes indiquées aux nos 43, 48 et 49) furent déboutées en première instance en raison de l’application de la loi litigieuse. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents se trouvent décrits dans l’arrêt Azienda Agricola Silverfunghi S.a.s. (précité).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant et la requérante sont nés respectivement en 1958 et en 1952 et résident à Ferrare. Ils sont les grands-parents maternels de trois enfants, nés en 2001, en 2002 et en 2004. Entre 2001 et 2003, les deux premiers enfants vivaient avec leurs parents à Bruxelles, dans un contexte familial très dégradé et sans un domicile fixe. Entre 2003 et 2004, ayant constaté l’incapacité de la mère d’exercer son rôle de parent, le tribunal de Bruxelles confia la garde des trois enfants aux requérants. Après l’installation des enfants chez leurs grands-parents, les requérants et leurs petits-enfants furent pris en charge par les services sociaux de Ferrare jusqu’en 2010. Les trois enfants souffraient de diverses difficultés et de troubles du comportement liés à leur séparation d’avec leur mère. En 2010, les services sociaux de Ferrare décidèrent que le suivi des trois mineurs n’était plus nécessaire et ils laissèrent les requérants gérer seuls les difficultés des enfants. En 2011, les requérants s’adressèrent à la coopérative « Il Germoglio » pour demander la mise en place d’un projet de soutien relativement aux problèmes posés par les enfants. En février 2012, ces problèmes s’intensifièrent et les requérants demandèrent aux services sociaux de les aider dans la prise en charge de leurs petits-enfants. Ils exposèrent aux services sociaux que, selon la psychologue qui suivait les enfants, pour aider l’aîné, Z., à surmonter ses difficultés, il aurait fallu le placer temporairement dans une institution spécialisée. En juin 2012, les services sociaux firent parvenir au tribunal pour enfants de Ferrare (« le tribunal ») un rapport faisant état de la situation difficile des requérants. Ils suggéraient d’éloigner les enfants en raison de l’impossibilité pour les grands-parents de s’en occuper eu égard aux difficultés des mineurs. Le 11 juin 2012, à la demande des services sociaux, les enfants furent placés dans une maison d’accueil et une procédure visant à vérifier l’existence d’un état d’abandon des enfants et de la nécessité de déclarer leur adoptabilité fut ouverte devant le tribunal. À partir de cette date, les requérants ne revirent plus leurs petits-enfants jusqu’en 2017. Le 20 juillet 2012, le tribunal suspendit l’autorité parentale de la mère des enfants, nomma un tuteur pour ces derniers et ordonna une enquête sociale sur les conditions de vie des mineurs. Selon les rapports déposés par le psychologue, la mère des enfants avait délégué ses responsabilités parentales aux requérants et cela avait donné lieu à une distorsion des relations familiales. Plusieurs rapports sur l’état des enfants furent déposés au tribunal entre décembre 2012 et avril 2013. Ces rapports faisaient état d’une situation très difficile, les enfants souffrant encore des épisodes traumatiques des premières années de leur vie. Les psychologues conseillaient une reprise des contacts avec la mère. Le 2 octobre 2010, les requérants se constituèrent dans la procédure devant le tribunal. Le 31 octobre 2010, les requérants déclarèrent devant le tribunal qu’ils n’avaient pas été convoqués. Ils précisèrent que la situation psychologique des enfants ne s’était pas améliorée depuis leur placement et que le suivi fourni par les services sociaux n’avait pas eu d’effets positifs pour eux. En mars 2014, les requérants furent convoqués par le tribunal. Un rapport des services sociaux daté de mars 2014 soulignait à quel point la reprise des contacts entre les enfants et les grands-parents contrastait avec la solution envisagée, à savoir l’adoptabilité. Le 11 mars 2014, les requérants demandèrent au tribunal à être aidés par le biais d’un parcours de soutien et à faire l’objet d’une expertise. Ils demandèrent en outre une reprise des contacts avec leurs petits-enfants. Par une décision du 9 mai 2014, le tribunal ordonna une reprise graduelle des contacts en milieu protégé entre les requérants et les enfants. Selon un rapport des services sociaux de mai 2014, il n’était pas opportun de programmer des rencontres avec les requérants au motif qu’il était préférable de donner priorité aux contacts entre les enfants et leur mère. Le 25 mai 2015, les services sociaux informèrent le tribunal qu’aucune rencontre avec les requérants n’avait eu lieu, priorité ayant été donnée au rétablissement des liens des enfants avec leur mère. Le 24 juin 2015, les enfants retournèrent vivre avec leur mère. Le 27 octobre 2015, le tribunal prononça un non-lieu, confia la garde des enfants aux services sociaux avec placement chez la mère et ordonna aux services sociaux d’organiser des rencontres entre les grands-parents et les enfants, selon les modalités les plus appropriées au regard de l’intérêt des enfants. En mai et en octobre 2016, les grands-parents rencontrèrent les services sociaux pour réclamer des nouvelles des enfants et savoir quelles étaient les modalités de rencontre. Ils n’obtinrent aucune nouvelle des enfants. En revanche, ils furent informés que la mère des enfants s’opposait aux visites et qu’ils devaient s’adresser à leur avocat. À ce jour, en dépit de nombreuses sollicitations de la part des requérants, et nonobstant les deux décisions du tribunal de 2014 et 2015, aucune rencontre n’a été organisée par les services sociaux. Il ressort du dossier que les requérants ont pu revoir les enfants une fois en avril 2017 et une fois en mai 2017, grâce à l’accord donné par la mère. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Une partie du droit interne pertinent en l’espèce se trouve décrit dans l’arrêt Strumia c. Italie (no , §§ 73-78, 23 juin 2016). L’article 317 bis du code civil, introduit par le décret législatif no154 du 28 décembre 2013, prévoit que les ascendants ont le droit de maintenir des liens avec leurs petits-enfants mineurs. Si un ascendant est empêché dans l’exercice de ses droits, il peut saisir le juge afin d’obtenir une décision, laquelle doit être prise dans l’intérêt de l’enfant.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1965. Il est détenu à Kharp. A. Les mauvais traitements allégués L’interpellation du requérant Le 22 septembre 2005, lors d’une intervention déclenchée par un incendie dans une maison particulière située dans la ville de Medvéjyégorsk de la république de Karéliya, la police découvrit cinq corps, dont deux portaient des signes de mort violente, notamment des traces de balles tirées d’une arme à feu. Ultérieurement, les personnes décédées furent identifiées comme étant Ar., A., G., S. et Ch., et il fut établi que la maison appartenait à Ar. Toujours le 22 septembre 2005, vers 19 heures, la police routière arrêta la voiture que le requérant conduisait en état d’ébriété. L’intéressé fut placé en garde à vue le même jour dans le centre de détention temporaire de la ville de Medvejyégorsk (« l’IVS »). Un fusil et des munitions furent découverts dans la voiture. Le requérant allègue que, au cours de la nuit du 22 au 23 septembre 2005, des policiers l’ont battu au sein de l’IVS pour le forcer à avouer le meurtre des personnes dont les corps avaient été découverts dans la maison de Ar. Le 24 septembre 2005, le requérant, soupçonné de meurtre, de possession illégale d’armes à feu et d’incendie criminel, fut placé en détention provisoire. Les examens médicaux du requérant lors de l’instruction pénale Lors de l’instruction pénale, le requérant fut assisté consécutivement par Me M. puis par Me Yu., avocats commis d’office. Par une décision du 22 septembre 2005, l’enquêteur N. du service du procureur du district de Medvéjyégorsk, ordonna une expertise médicolégale du requérant en vue d’établir si ce dernier présentait des lésions et, le cas échéant, l’origine de celles-ci, leur gravité et leur ancienneté. Le 23 septembre 2005, le requérant, assisté de l’avocat M., prit connaissance de ladite décision. Il ne formula aucun commentaire à ce sujet dans le procès-verbal de la notification. Dans le cadre de l’expertise médicolégale, le requérant fut soumis à plusieurs examens médicaux, notamment : – le 23 septembre 2005, par N., un médecin légiste du bureau de médecine légale de la ville de Medvéjyégorsk ; – le 23 septembre 2005, par M., médecin à l’hôpital du district de Medvéjyégorsk ; – les 26 et 27 septembre 2006, par le service médical de l’hôpital pénitentiaire LPU-2. Le 8 décembre 2005, le médecin légiste N. rendit son rapport, dans lequel il constatait que, le 22 septembre 2005, le requérant avait subi les lésions suivantes : un traumatisme fermé de la cage thoracique avec une fracture des huitième et neuvième côtes à gauche et une contusion des tissus mous, ainsi qu’une contusion des tissus mous du visage dans la région de l’orbite gauche et du nez. Il ressortait également du rapport que, durant tous les examens médicaux, le requérant avait déclaré qu’il avait été frappé lors d’une rixe qui aurait eu lieu le 22 juin 2005 et qui se serait déroulée comme suit : « [On m’a donné] un coup de pied dans le dos à gauche, puis un coup de poing dans le visage, puis [on] m’a fait tomber par terre et on m’a donné des coups de pied. » Le médecin légiste concluait que les lésions constatées sur le requérant pouvaient avoir été causées dans les circonstances ainsi décrites. Le 20 avril 2006, le requérant, assisté de Me Yu., prit connaissance du rapport d’expertise médicolégale du 8 décembre 2005. Dans son commentaire sur les conclusions dudit rapport, il dénonçait l’absence de prise en compte de la commotion cérébrale qui aurait été constatée lors des examens médicaux antérieurs visant à l’évaluation de la gravité du dommage quant à sa santé. Par une décision du 20 avril 2006, en réponse au commentaire du requérant, l’enquêteur ordonna une expertise supplémentaire. Le requérant prit connaissance de ladite décision en présence de Me Yu. et ne fit aucune observation. Dans son rapport du 28 avril 2006, le médecin légiste K. concluait que la commotion cérébrale en question avait pu être causée dans les circonstances telles que décrites par ce dernier dans les déclarations qu’il avait faites lors de l’instruction pénale. Il indiquait que le requérant avait notamment déclaré que, le 22 septembre 2005, il se trouvait dans la maison de Ar. et que, alors qu’il consommait de l’alcool avec Ar., A., G., S. et Ch., une dispute avait éclaté, qu’elle avait abouti à une rixe, que, au cours de celle-ci, il avait reçu un coup sur le visage et que, tombé au sol, il avait reçu des coups de pied à la tête et sur le corps. Le procès pénal et la condamnation du requérant Le 12 mai 2006, en présence de Me M., le requérant termina la lecture du dossier de l’affaire pénale dirigée à son encontre et ne formula aucun commentaire. Le 31 juillet 2006, la Cour suprême de la république de Karéliya, siégeant avec un jury, commença l’examen du fond de l’affaire pénale dirigée contre le requérant. Lors de l’audience du 30 août 2006, le requérant, s’opposant à ce que l’accusation donnât lecture de ses dépositions faites le 24 septembre et le 3 octobre 2005 lors de l’instruction pénale, déclara que celles-ci avaient été obtenues par la coercition. Il allégua notamment que, après son interpellation du 22 septembre 2005, alors qu’il se trouvait à l’IVS, des hommes cagoulés l’avaient passé à tabac pour qu’il avouât les infractions dont il était soupçonné. Interrogé par le juge lors de la même audience, le requérant déclara qu’il n’avait ni informé son avocat des mauvais traitements qu’il aurait subis le 22 septembre 2005 ni déposé une plainte formelle auprès des autorités compétentes. Eu égard aux explications de l’intéressé ainsi qu’aux rapports d’expertise médicolégale du 8 décembre 2005 et du 28 avril 2006, et notamment aux déclarations du requérant aux experts quant à l’origine des lésions, le juge considéra que les allégations du requérant quant aux mauvais traitements qu’il alléguait avoir subis le 22 septembre 2005 à l’IVS étaient non fondées et il autorisa l’accusation à faire lecture des dépositions litigieuses. Le 6 septembre 2006, le jury rendit son verdict. Il reconnut le requérant coupable de meurtre et de possession illégale d’armes à feu, mais non coupable d’incendie criminel. Selon le verdict, il avait été prouvé que, le 22 septembre 2005, entre 16 heures et 19 heures, à l’issue d’une dispute entre le requérant et Ar., A., G., S. et Ch., qui aurait éclaté alors qu’ils consommaient de l’alcool dans la maison de Ar. et qui aurait dégénéré en une rixe, l’intéressé, après avoir été frappé et sous le coup de son animosité envers Ar., A., G., S. et Ch., était sorti pour prendre son fusil et était revenu tirer sur ces derniers. Par un jugement du 11 septembre 2006, la Cour suprême de la république de Karéliya, se fondant sur le verdict de culpabilité rendu par le jury le 6 septembre 2006, condamna le requérant à vingt-trois ans de réclusion criminelle. Le 22 janvier 2007, la Cour suprême de la Fédération de Russie annula ce jugement dans sa partie relative à la peine infligée au motif que celle-ci était trop clémente et elle renvoya l’affaire pour un nouvel examen devant la même juridiction au stade de la fixation de la peine. Le 22 mars 2007, la Cour suprême de la république de Karéliya condamna le requérant à la réclusion à perpétuité. Le 6 août 2007, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma en appel le jugement du 22 mars 2007. Le 30 mai 2012, le présidium de la Cour suprême de la Fédération de Russie, statuant en instance de révision, cassa la décision du 6 août 2007 pour vices de procédure et remit l’affaire pour réexamen en appel par une nouvelle formation de juges. Par une décision du 24 juillet 2012, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma de nouveau le jugement du 22 mars 2007 en appel. B. Les transfèrements du requérant entre le 22 septembre 2005 et le 16 mai 2011 Le requérant indique que, entre le 22 septembre 2005 et le 16 mai 2011, il a fait l’objet de trente-six transfèrements vers des établissements pénitentiaires. Le Gouvernement indique, quant à lui, qu’il y en a eu trente-deux. Il ressort des pièces versées au dossier par le Gouvernement que la plupart des transfèrements ont eu lieu pendant l’instruction et pendant la procédure pénale dirigés à l’encontre du requérant, avant le 29 octobre 2007 – date à laquelle l’intéressé a été placé dans une colonie pénitentiaire pour purger sa peine de réclusion à perpétuité. Toujours selon le dossier, le requérant a été transféré entre différentes maisons d’arrêt ou établissements pénitentiaires assimilés aux motifs suivants : nécessité de soins médicaux, nouvelle répartition de la population carcérale, production d’expertises à l’égard du requérant dans le cadre de l’instruction pénale menée à son encontre et participation de l’intéressé aux audiences devant l’instance d’appel. Enfin, selon le dossier, entre le 29 octobre 2007 et le 16 mai 2011, le requérant a été convoqué à deux reprises pour témoigner dans le cadre d’une enquête pénale menée contre des tiers, ce qui aurait donné lieu à deux trajets aller et retour depuis la colonie pénitentiaire dans laquelle il purgeait sa peine d’emprisonnement. C. Les conditions de détention du requérant du 4 avril au 4 juin 2010 Entre le 4 avril et le 4 juin 2010, le requérant fut détenu à la colonie pénitentiaire no IK-16 de la région de Mourmansk, dans le quartier no 1 fonctionnant sous le régime d’une maison d’arrêt (le PFRSI-1). Les parties ont présenté des versions différentes quant aux conditions de détention de l’intéressé pendant la période considérée. La version du requérant Le requérant soutient qu’il a été détenu seul dans la cellule de punition no 2 du PFRSI-1, qui aurait mesuré approximativement 3 x 3 m. Il décrit comme suit les conditions de sa détention : la cellule était éclairée par une ampoule de 75 watts qui serait restée allumée même la nuit ; la fenêtre mesurait 1 m² et était recouverte de grillage tant à l’extérieur qu’à l’intérieur ; la cellule était très humide et très froide ; le linge de lit et les vêtements étaient également humides ; le requérant dormait tout habillé ; à cause de l’humidité et du froid, il avait mal à la gorge et aux dents et a souffert d’une inflammation des gencives qui aurait entraîné la perte de deux dents ; enfin, il n’a pas bénéficié de promenade en plein air pendant toute la durée de sa détention dans la cellule de punition no 2. La version du Gouvernement Le Gouvernement soutient que le requérant a été placé dans la cellule no 5 du PFRSI-1, laquelle mesurait 8,4 m². Il décrit comme suit les conditions de détention de l’intéressé : la cellule était éclairée par deux ampoules de 40 watts chacune, dont une serait restée allumée la nuit ; la fenêtre mesurait 0,93 x 0,93 m et était recouverte de grillage à l’extérieur ; la température dans la cellule était de 18o C et le taux d’humidité était compris entre 30 et 45 % ; le requérant bénéficiait d’une heure de promenade par jour dans une cour de 60,80 m². À l’appui de sa version, le Gouvernement a soumis les documents suivants : – des attestations de l’administration de la colonie pénitentiaire no IK-16 établies le 13 juillet 2011 portant, entre autres, sur le numéro de la cellule du requérant au PFRSI-1, sur la superficie, la température et le taux d’humidité à l’intérieur de la cellule ainsi que sur la possibilité pour ce détenu de bénéficier d’une promenade ; – des actes relatifs au contrôle régulier de l’état sanitaire de la colonie pénitentiaire no IK-16, établis les 10 mars et 25 mai 2010 par des représentants du service d’hygiène et d’épidémiologie du département du service fédéral de l’exécution des peines de la région de Mourmansk ; il ressort de l’acte du 10 mars 2010 que quelques cellules du PFRSI-1, prises au hasard, ont été visitées par les contrôleurs, mais les numéros de ces cellules ne sont pas indiqués dans l’acte en question ; – un extrait du plan technique du rez-de-chaussée du bâtiment abritant le PFRSI-1 et une explication du plan, établis à une date non spécifiée par l’administration de la colonie pénitentiaire no IK-16. Selon l’explication du plan, il y avait vingt-six pièces : quinze d’entre elles servaient de cellules (numérotées de 1 et de 3 à 15), deux servaient de cellules de punition (numérotées de 1 à 2), et les pièces restantes étaient réservées à des usages administratifs et techniques ; – la copie d’un emploi du temps type de détenus au PFRSI-1, établi le 25 janvier 2010 par le directeur de la colonie pénitentiaire no IK-16 ; – deux extraits du registre consignant les pièces de linge mises à la disposition de détenus de PFRSI-1 ; – des plannings de promenade pour les mois d’avril, de mai et de juin 2010 pour les détenus du PFRSI-1, établis respectivement en mars, en avril et en mai 2010 par le directeur de la colonie pénitentiaire no IK-16. Il ressort de ces plannings que des promenades d’au moins une heure par jour étaient prévues pour les détenus placés dans les cellules no 1 et nos 3 à 15 du PFRSI-1.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et est détenu à Konin. Le 15 avril 2011, il fut inculpé de trafic de stupéfiants en grandes quantités et d’association de malfaiteurs. Le 20 avril 2011, le tribunal de district d’Ostrów Wielkopolski ordonna sa détention provisoire. Le 14 juillet 2011, le tribunal régional de Konin décida de reconduire cette mesure. Dans un recours formé contre la décision du 14 juillet 2011, le requérant soutenait, notamment, que sa privation de liberté occasionnait de graves difficultés à ses proches et en particulier à son fils âgé de cinq ans, qui était autiste et dans la thérapie duquel il était très impliqué. S’appuyant sur des certificats médicaux, il arguait en outre que le succès de la thérapie dépendait de la présence continue aux côtés de l’enfant de ses deux parents et que sa séparation prolongée d’avec l’un deux serait préjudiciable. Le 18 août 2011, la cour d’appel de Poznań rejeta le recours du requérant : elle observa que, en l’espèce, seule la détention provisoire du requérant pouvait préserver le bon déroulement de la procédure. Elle écarta l’argument du requérant tiré de la prétendue violation de l’article 259 § 1 alinéa 2 du code de procédure pénale (CPP) (paragraphe 14 ci-dessous) en relevant que cette disposition trouvait à s’appliquer dans des situations où la privation de liberté était susceptible d’avoir de graves conséquences sur les proches d’un suspect. Elle jugea que, en l’espèce, les difficultés occasionnées à la compagne du requérant pourraient être atténuées avec l’aide de ses proches et des services spécialisés. Elle fit notamment la déclaration suivante : « (...) le requérant ne saurait tenir les autorités pour responsables des difficultés occasionnées à ses proches par sa privation de liberté dès lors que lui-même (...) avait pris la décision de commettre les infractions qui avaient donné lieu à sa séparation [d’avec sa famille], quand bien même il savait qu’il devait prendre soin de sa compagne et de leurs enfants et les aider. Le manque et la séparation [d’avec le requérant] éprouvés par ses enfants, bien qu’ils fussent difficiles à supporter, résultaient du (...) comportement du suspect. » La détention du requérant fut régulièrement prolongée. Dans leurs décisions, les juges rejetèrent les plaintes répétées de l’intéressé à propos d’une atteinte à sa vie familiale. Ils observèrent que le fils du requérant était pris en charge par la compagne de l’intéressé, par des proches et par des spécialistes. Le 5 octobre 2012, un acte d’accusation dirigé contre le requérant et ses complices présumés fut déposé auprès du tribunal régional de Konin. Le 11 avril 2013, la cour d’appel de Poznań reconduisit la détention provisoire du requérant jusqu’au 18 juillet 2013. Le 19 juin 2013, la détention provisoire du requérant fut remplacée par une surveillance policière. La Cour n’a pas été informée de l’issue de la procédure pénale dirigée à l’encontre de l’intéressé. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure pénale L’article 259 § 1 alinéa 2 du CPP dispose que, dans des situations où la détention provisoire pourrait avoir de graves conséquences sur le suspect ou sur ses proches, il convient de renoncer à l’application de cette mesure, sauf si des raisons impératives s’y opposent. B. Dispositions pertinentes en l’espèce du code civil (CC) L’article 23 du CC prévoit que : « Les droits de la personnalité, tels que le droit à la santé, à la liberté, à la réputation, à la liberté de conscience, au nom ou au patronyme, à l’image, au secret de la correspondance, à l’inviolabilité du domicile, à l’activité scientifique, artistique et à la recherche, bénéficient de la protection du droit civil indépendamment de celle qui leur est accordée en vertu d’autres dispositions légales. » L’article 24 du CC se lit ainsi : « 1. Lorsque les droits de la personnalité dont un particulier s’estime titulaire sont susceptibles d’être violés par l’action illégale d’un tiers, ce particulier peut demander qu’il y soit mis fin. Lorsqu’une violation des droits en question a déjà eu lieu, la victime peut également demander à l’auteur de la violation de mettre en œuvre les actions indispensables pour effacer les conséquences de la violation, et notamment de faire une déclaration appropriée. La victime peut également, dans les conditions prévues par le présent code, demander l’octroi d’une indemnité pécuniaire ou exiger qu’une somme soit versée à un organisme de bienfaisance. Dans le cas où une violation d’un droit de la personnalité aurait provoqué un préjudice matériel, un dédommagement peut être demandé selon les principes généralement applicables. (...) » L’article 448 du CC dispose que : « En cas de violation d’un droit de la personnalité, le tribunal peut accorder au titulaire de ce droit une somme adéquate à titre de réparation du préjudice y afférent. Si la victime le préfère, elle peut aussi demander au tribunal que l’allocation d’une telle somme ait lieu au bénéfice d’une œuvre sociale, tout en conservant la possibilité de solliciter les mesures indispensables pour effacer les conséquences de la violation à son égard. » GRIEFS Invoquant l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant se plaint de la durée de sa détention provisoire. Sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, il dénonce la violation de son droit à la présomption d’innocence en raison des déclarations de la cour d’appel de Poznań dans les motifs de l’arrêt rendu par celle-ci le 18 août 2011. Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, il allègue que son maintien prolongé en détention a porté atteinte à son droit au respect de la vie familiale.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1972 et réside à Tchéliabinsk. Par un jugement du 15 septembre 2000, la cour régionale de Tchéliabinsk (« la cour régionale ») condamna le requérant à dix-neuf ans de réclusion criminelle. Le 22 février 2006, le présidium de la Cour suprême russe, statuant comme instance de révision, annula le jugement du 15 septembre 2000 et renvoya l’affaire pour un nouvel examen au fond. Il ordonna par ailleurs le placement du requérant en détention provisoire sans indiquer les motifs de cette décision et sans fixer la durée de cette mesure. Par deux décisions des 28 avril et 29 mai 2006, la cour régionale ordonna également le placement du requérant en détention provisoire, sans mentionner les motifs de ses décisions et la durée de la mesure. Le 24 juillet 2006, elle condamna le requérant à treize ans et quatre mois d’emprisonnement. Le 12 janvier 2007, la Cour suprême russe confirma ce jugement en appel. À une date non spécifiée dans le dossier, le requérant demanda à bénéficier d’une libération conditionnelle. Par une décision du 24 août 2010, le tribunal de la ville de Kopeysk fit droit à la demande du requérant en tenant compte, notamment, du bon comportement de l’intéressé pendant son emprisonnement. Le dispositif de la décision se lit ainsi, en ses passages pertinents en l’espèce : « (...) le tribunal décide d’octroyer [au requérant] une libération conditionnelle deux ans trois, mois et quinze jours avant le terme de la peine d’emprisonnement infligée par le jugement de la cour régionale de Tchéliabinsk du 24 juillet 2006. Cette décision est susceptible d’appel devant la cour régionale de Tchéliabinsk dans un délai de dix jours après qu’une copie en aura été remise [au requérant] (...) » Le 26 août 2010, le requérant fut remis en liberté. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 391 § 1 du code de procédure pénale (CPP), dans sa version en vigueur au moment des faits, une décision d’un tribunal de première instance entrait en vigueur et devenait exécutoire après l’expiration du délai imparti pour l’appel (обжалование в кассационном порядке) ou, le cas échéant, le jour du prononcé de la décision de la juridiction d’appel confirmant cette décision. Selon l’article 175 § 3 du code de l’exécution des sanctions pénales (CESP), dans sa version en vigueur au moment des faits, la remise en liberté d’un détenu avant l’expiration du terme de son emprisonnement était effectuée le jour de la réception par l’administration pénitentiaire des documents relatifs à sa libération ou le lendemain de ce jour si lesdits documents étaient reçus après la fin de la journée de travail.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une paroisse qui appartient à l’Église grécocatholique (catholique de rite oriental ou uniate) et dont le siège se trouve à Glod. Le 6 octobre 2005, se fondant sur l’article 480 du code civil, la requérante saisit le tribunal départemental de Sălaj d’une action contre la paroisse orthodoxe de Glod. Elle demandait la restitution de l’église sise à Glod, qui lui appartenait avant la dissolution du culte gréco-catholique opérée sous le régime totalitaire. À la suite de changements législatifs concernant la compétence des juridictions nationales, l’affaire fut transférée au tribunal départemental de Zalău (« le tribunal »). Par un jugement du 23 juin 2006, le tribunal rejeta l’action de la requérante pour défaut de fondement. Pour se prononcer ainsi, après avoir rappelé la signification de la notion d’église comme lieu de culte et brièvement résumé l’histoire de l’Église gréco-catholique, le tribunal releva que l’objet du litige portait sur un bien immeuble dont la destination aurait été liée, par la nature même du bien en question, à la pratique d’un culte par ses fidèles. Il indiqua ensuite que les dispositions légales qui régissaient la situation juridique des lieux de culte étaient distinctes de celles du code civil et qu’elles faisaient prévaloir le lien existant entre le lieu de culte, la communauté religieuse et la volonté des fidèles, ce qu’aurait d’ailleurs énoncé l’article 3 § 1 du décret-loi no 126/1990 relatif à certaines mesures concernant l’Église roumaine unie à Rome. Le tribunal nota que la majorité des croyants de Glod appartenaient désormais au culte orthodoxe et que les anciens gréco-catholiques, propriétaires et utilisateurs de l’église avant le régime totalitaire et forcés de devenir orthodoxes sous ce régime, n’étaient pas revenus à leur culte initial alors que les dispositions légales en vigueur le leur auraient permis. Il jugea que, dès lors, les personnes qui alléguaient avoir subi le préjudice n’avaient pas un intérêt à demander la restitution de l’église, qu’elles utilisaient déjà pour la pratique de leur culte. Il ajouta que la requérante aurait pu engager une action afin de se voir reconnaître le droit d’utiliser le lieu de culte litigieux. Sur appel et recours (recurs) de la requérante, par un arrêt du 27 décembre 2006 et par un arrêt définitif du 29 mai 2007 respectivement, la cour d’appel de Cluj et la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») confirmèrent le jugement rendu en première instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents sont présentés dans l’affaire Paroisse Gréco-Catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], (no 76943/11, §§ 35 à 57, CEDH 2016 (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside à Berne. À la date de publication des articles en cause en l’espèce, il était le rédacteur en chef du quotidien Ülkede Özgür Gündem. A. La requête no 55060/07 Le 20 avril 2004, les articles intitulés « Il faut développer une démocratie axée sur la femme » (Kadın eksenli demokrasi gelişmeli), « Öcalan conseille aux femmes de mener des travaux démocratiques plutôt que de commettre des attentats-suicides – La première tâche, c’est Maxmur » (Öcalan kadınlara intihar eylemleri yerine demokratik çalışmayı önerdi – İlk ödev Maxmur) et « L’appel « Pour l’adhésion au Kongra-Gel » » (« Kongra-Gel’e üye ol » çağrısı) furent publiés dans le numéro 51 du quotidien Ülkede Özgür Gündem. Les deux premiers articles rapportaient des déclarations de M. Öcalan concernant la question de la femme en rapport avec la démocratie et la question kurde. Quant au troisième article, il contenait une déclaration faite par un représentant de l’association Cimade au sujet de l’inscription par l’Union européenne du Kongra-Gel, une branche de l’organisation illégale armée du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), sur la liste des organisations terroristes. Les parties pertinentes en l’espèce de ces trois articles se lisent ainsi : « Il faut développer une démocratie axée sur la femme » « Öcalan a souligné que, selon lui, les femmes allaient développer leur propre lutte pour la liberté et qu’elles ne devaient pas créer des institutions qui risquaient de les détruire. (...) Öcalan, le leader du peuple kurde, a souligné l’importance du développement d’une démocratie axée sur la femme et a souhaité que les femmes mènent des travaux économiques et démocratiques dans les régions démocratiques autonomes (...) » « Öcalan conseille aux femmes de mener des travaux démocratiques plutôt que de commettre des attentats-suicides – La première tâche, c’est Maxmur » « Abdullah Öcalan s’est penché sur la question de la femme comme il l’avait fait lors de ses rencontres précédentes. Öcalan, dans son message hebdomadaire, analysant le rapport entre les femmes et la question kurde, la démocratie et l’intellectualisation (aydınlanma), a souligné que la voie vers la démocratie passait par la libération des femmes. Soulignant que la démocratie pour les Kurdes doit être « axée sur les femmes », le leader du peuple kurde Abdullah Öcalan a poursuivi ainsi : « Que les femmes mènent des travaux économiques et démocratiques dans les régions démocratiques autonomes. Si elles arrivent à démocratiser ne serait-ce que trois villages, cela a déjà son importance. Le camp de Maxmur est un lieu approprié. Nous avons dix mille personnes là-bas. Il y a trois mille enfants. Cela peut être un modèle démocratique. Que les femmes tournent des films, publient des journaux, s’occupent de l’art et de l’éducation. (...) Alors, elles grandiront bien. (...) Elles n’ont pas besoin de commettre des attentats-suicides, qu’elles se défendent (...) » « L’appel « Pour l’adhésion au Kongra-Gel » » « Jean-Paul Nunez, le représentant de la Cimade (une organisation des droits de l’homme en France) pour le sud de la France, réagissant à l’inscription du Kongra-Gel sur la liste des organisations considérées comme terroristes par l’Union européenne, a invité les milieux démocrates, notamment les défenseurs européens des droits de l’homme, à adhérer au Kongra-Gel. Jean-Paul Nunez, qui avait visité la Turquie à l’occasion des élections du 28 mars, a réagi à l’inscription du Kongra-Gel sur la « liste des organisations terroristes » et a dit qu’il fallait poursuivre en justice les responsables de l’Union européenne qui avaient pris cette décision (...) Nunez : « Ainsi, la position de l’UE est la même que celle des États-Unis qui, en janvier, ont placé le Kongra-Gel sur la « liste des organisations terroristes ». L’UE s’est en même temps pliée à la pression exercée par la Turquie, peut-être pour inciter cette dernière à adopter une attitude plus conciliante au sujet de l’unification de Chypre. Le fait d’inscrire le Kongra-Gel, qui n’a commis aucune action militaire et qui réunit plusieurs factions politiques, sur cette liste montre l’ignorance et l’incompétence de l’UE. Cette décision est un coup donné à la démocratie et aux droits de l’homme. » (...) » Des poursuites furent déclenchées à l’encontre du requérant. Par un arrêt du 25 août 2011, la cour d’assises d’Istanbul jugea l’intéressé coupable d’infractions visées à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 ») et le condamna au paiement d’une amende de 2 094 livres turques (TRY) (soit environ 1 190 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à l’époque des faits). Dans sa motivation, la cour d’assises indiquait que les articles litigieux, pris dans leur ensemble, cherchaient plus à diffuser les déclarations du leader du PKK et de ses membres et à exalter des méthodes terroristes qu’à informer. Pour la cour d’assises, la publication des articles en cause ne relevait pas de la liberté d’expression et elle pouvait dès lors faire l’objet de restrictions conformément à l’article 10 § 2 de la Convention. Ce jugement, qui n’était pas susceptible de pourvoi en cassation, était définitif. Le 23 juillet 2012, la cour d’assises d’Istanbul réexamina la condamnation du requérant et, se fondant sur la loi no 6352, qui modifiait certaines lois aux fins de renforcer l’efficacité de la justice et de suspendre les procédures et les peines rendues dans des affaires concernant des infractions commises par voie de presse et de publication (« la loi no 6352 »), elle sursit à l’exécution de la peine prononcée à l’encontre de l’intéressé. Par ailleurs, elle ordonna le placement de celui-ci sous contrôle judiciaire durant trois ans. B. La requête no 55061/07 Le 28 août 2004, un article, intitulé « Abdullah Öcalan, le leader du peuple kurde, a déclaré que les demandes [des Kurdes] étaient raisonnables. La résolution du problème passe par le dialogue » (Kürt halk önderi Abdullah Öcalan taleplerinin makul olduğunu söyledi. Sorunu diyalog çözer), fut publié dans le quotidien Ülkede Özgür Gündem. Il contenait une déclaration de M. Öcalan soulignant la nécessité de suivre la voie politique, considérée par lui comme un moyen de dialogue, et de favoriser une solution politique en vue, notamment, d’aboutir à une trêve. Les parties pertinentes en l’espèce de cet article se lisent ainsi : « (...) Lors de sa rencontre avec ses avocats, le 25 août, Öcalan a rappelé la nécessité de chercher une solution par la voie du dialogue et non par la voie de la guerre. Notant que la conjoncture [actuelle] ressemblait à celle de 1919, Öcalan a poursuivi comme suit : « La guerre n’est pas rapide ni enflammée ; elle est une résistance motivée par la légitime défense. Le groupe de Leyla et de ses camarades peut se développer, se transformer en une initiative de paix et de dialogue, et entreprendre des démarches diplomatiques par l’intermédiaire de l’Europe et des États-Unis. Si la voie d’une solution politique reste ouverte, il y aura des avancées, y compris l’abandon des armes. Qu’ils développent rapidement le dialogue ! Nous avons des revendications raisonnables, nous les avions transmises en dix articles. Ils peuvent me représenter en partie. Mes avocats peuvent offrir leur soutien. (...) Une solution démocratique doit être trouvée. Sinon, la guérilla s’enflammera avec l’arrivée du printemps. Ni moi ni le Comité de formation ne pouvons la prévenir. (...) Si une solution politique ne peut être élaborée, il y aura une forte participation à la guérilla, le nombre de guérilleros doublera. Avec le printemps, leur nombre atteindra dix mille. Non seulement le PKK, mais également les gens de droite et de gauche, tout le monde sera impliqué, le résultat sera catastrophique. Je ne pourrai pas me faire obéir [des guérilleros]. Il s’agit de groupes autonomes, ils feront ce qu’ils jugeront juste de faire. Je peux y arriver s’il existe une voie de dialogue politique ouverte. Je ne suis pas responsable de cela, la responsabilité historique appartient au gouvernement. C’est une dernière chance pour la Turquie (...) » Des poursuites furent déclenchées à l’encontre du requérant. Par un arrêt du 2 octobre 2007, la cour d’assises d’Istanbul jugea l’intéressé coupable d’infractions visées à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 et le condamna au paiement d’une amende de 1 592 TRY (soit environ 926 EUR selon le taux de change en vigueur à l’époque des faits). Dans sa motivation, la cour d’assises indiquait que le requérant avait abusé de son droit et de sa mission de diffuser des idées et des informations, et qu’il avait fourni un support à la diffusion de propos appelant à la haine et à la violence et outrepassant les limites de la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention. Elle précisa par ailleurs que cet arrêt était définitif. Le 6 novembre 2007, le requérant se pourvut en cassation. Le 23 mars 2011, la Cour de cassation le débouta de son pourvoi au motif que l’arrêt contesté était définitif, le montant des amendes infligées étant inférieur à un seuil légal autorisant la formation d’un pourvoi. Le 24 juillet 2012, la cour d’assises d’Istanbul réexamina la condamnation du requérant et, se fondant sur la loi no 6352, elle sursit à l’exécution de la peine prononcée à l’encontre de l’intéressé. Par ailleurs, elle ordonna le placement de celui-ci sous contrôle judiciaire durant trois ans. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait, en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes est puni d’une amende de 5 à 10 millions de livres turques. (...) Lorsque les faits décrits aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi no 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à 90 % de la moyenne du chiffre des ventes du mois précédent si la fréquence de parution du périodique est inférieure à un mois, ou du chiffre des ventes réalisé par le dernier numéro du périodique si celui-ci paraît une fois par mois ou moins fréquemment (...) Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à 50 millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur. » À la suite de modifications apportées par la loi no 5532 du 29 juin 2006 et par la loi no 6459 du 11 avril 2013, l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 se lit désormais ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes légitimant ou faisant l’apologie des méthodes de contrainte, de violence ou de menace de pareilles organisations ou incite à l’utilisation de telles méthodes est puni d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans. (...) Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie de la presse et de la publication, les responsables de la publication des organes de presse et de publication n’ayant pas participé à la commission de l’infraction sont également condamnés à une peine de 1 000 à 10 000 jours-amende. » En 2015, la Cour constitutionnelle a statué dans deux affaires concernant la condamnation de responsables d’organes de presse en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 (Ali Gürbüz ve Hasan Bayar, no 2013/568, 24 juin 2015, et Ali Gürbüz, no 2013/724, 25 juin 2015). Dans ces deux affaires, elle a conclu à la violation de la liberté d’expression des intéressés au motif que les déclarations litigieuses ne contenaient aucun appel à la violence, à la haine ou au soulèvement armé. Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt Ali Gürbüz et Hasan Bayar (précité) se lisent ainsi : « Le constat selon lequel la publication des considérations d’Abdullah Öcalan sur certains sujets constitue l’infraction de « publication de déclarations d’organisations terroristes » et la décision subséquente de suspension des poursuites doivent être analysés. Une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées ne peut être justifiée uniquement par une considération liée à la personnalité d’un individu. De même, le fait de publier des opinions et des idées d’un membre ou d’un dirigeant d’une organisation illégale ne peut, à lui seul, justifier une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées. En effet, une telle approche ferait obstacle à l’exercice des droits constitutionnels et priverait certaines personnes ou certains groupes de personnes de la jouissance des droits protégés par l’article 26 de la Constitution (Abdullah Öcalan, § 101). Il faut souligner que les autorités publiques disposent d’une marge d’appréciation très étroite lorsqu’il s’agit de condamner des « déclarations de presse », tel l’article publié par les requérants. Les idées qui ne sont pas accueillies favorablement par les autorités publiques ou par une partie de la population ne peuvent faire l’objet de restrictions tant qu’elles n’incitent pas à la violence, ne légitiment pas les actes terroristes et n’encouragent pas les discours de haine. Lu dans son ensemble, l’article en cause ne peut être considéré comme faisant l’apologie de la violence et incitant à l’adoption de méthodes terroristes, autrement dit à la violence, à la haine, à la vengeance ou à la résistance armée. (...) »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, né en 1979 et résidant à Istanbul, est le rédacteur en chef du quotidien Yeniden Özgür Gündem. Le second requérant, né en 1953 et résidant aussi à Istanbul, est le propriétaire de ce quotidien. A. Requête no 29969/07 présentée par le premier requérant Le 4 mai 2003, le quotidien Yeniden Özgür Gündem publia un article intitulé « Le KADEK a annoncé une semaine de deuil » (KADEK yas haftası ilan etti). Cet article se faisait l’écho des déclarations qu’un membre du conseil de présidence de l’organisation illégale KADEK, M. Osman Öcalan, avait faites au sujet du deuil consécutif au tremblement de terre survenu à Bingöl et par lesquelles il invitait le peuple kurde au soulèvement démocratique en signe de protestation contre l’attitude de l’État. Les parties pertinentes en l’espèce de cet article se lisent ainsi : « Le KADEK a annoncé une semaine de deuil En raison du séisme survenu à Bingöl (...) le KADEK a annoncé une semaine de deuil du 2 au 9 mai. Osman Öcalan, membre du Conseil de la direction générale du KADEK, a demandé [au peuple kurde] de renforcer la rébellion démocratique (demokratik serhildan) en portant du noir et en organisant des manifestations dans les villes kurdes (...) durant cette semaine. Öcalan a en outre appelé les démocrates et les défenseurs des droits de l’homme à hausser la voix contre le massacre. (...) Öcalan, après avoir souligné que les conséquences de cette catastrophe ne pouvaient pas seulement s’expliquer par l’attitude des entrepreneurs et des fonctionnaires de l’État, s’est exprimé ainsi : « l’État commet un massacre rouge sur un massacre blanc. Tout cela est planifié. Si les écoles ne résistent pas [au séisme], c’est pour anéantir le peuple kurde ». Öcalan, attirant l’attention sur le fait que les internats sont majoritairement [situés] dans les villes kurdes et qu’ils sont utilisés comme des centres d’assimilation, a poursuivi comme suit : « 95 % des internats se trouvent au Kurdistan. Le but est de poursuivre le massacre blanc. Le but est d’anéantir la langue et la culture [des Kurdes]. Les étables résistent [au séisme] mais les écoles s’effondrent. L’État dit que ceux qui s’y trouvent sont de toute façon kurdes. C’est véritablement un massacre. » Des poursuites furent engagées contre le requérant et la cour d’assises d’Istanbul le condamna, le 5 avril 2007, au paiement d’une amende de 875 livres turques (TRY) (soit environ 475 euros (EUR) selon le taux de change en vigueur à l’époque pertinente) sur le fondement de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. En vertu de l’article 305 du code de procédure pénale, ce jugement était définitif. Le 23 juillet 2012, la cour d’assises d’Istanbul réexamina la condamnation du premier requérant et, en se fondant sur la loi no 6352, entrée en vigueur le 5 juillet 2012, sursit à l’exécution de la peine prononcée à son encontre. Elle ordonna, par ailleurs, son placement sous contrôle judiciaire durant trois ans. B. Requête no 47462/07 présentée par le premier et le second requérant Le 20 septembre 2002, le quotidien Yeniden Özgür Gündem publia un article intitulé « Une région a été déclarée autonome par le KADEK » (KADEK özerk bölge ilan etti). Cet article rapportait une déclaration émanant du conseil exécutif du KADEK selon laquelle la formation de régions autonomes représentait un moyen de défense de la démocratie et de la liberté et une base pour riposter à de probables attaques. Les parties pertinentes en l’espèce de cet article peuvent se lire comme suit : Une région a été déclarée autonome par le KADEK « (...) Le Conseil d’administration du KADEK s’est réuni du 8 au 15 septembre dans le sud du Kurdistan. Dans une déclaration faite à la MHA (agence de presse Mezopotamya), le Conseil d’administration s’est exprimé comme suit : « L’absence de politique face au problème le plus fondamental de la Turquie a, dès le début, préparé la fin du gouvernement. Ceux qui n’ont pas pu s’engager pour résoudre le problème kurde ont laissé la Turquie sans politique à tous les égards. Le fait que la Turquie n’a avancé dans aucun domaine ces trois dernières années résulte de cette absence de politique. Afin de laisser la voie libre à la Turquie, il fallait affronter la question kurde. (...) L’abolition de la peine capitale et la levée de l’interdiction de la diffusion d’émissions en langue kurde ouvriront la voie à des progrès importants dans les autres zones du Kurdistan et dans les pays de la région. Le Conseil [d’administration], prenant en considération cette réalité, invite notre peuple et les intellectuels à assumer leur rôle afin que les droits relatifs à l’identité, à la langue et à la culture soient obtenus également en Iran et en Syrie (...) L’objectif visé par la création des régions autonomes est de disposer de régions sûres en cas d’attaques. (...) Si nos régions de défense sont attaquées, nos forces de défense y répondront immédiatement (...). Ces régions de défense et les forces de défense du peuple constituent une force défendant la liberté et la démocratie dans tout le Kurdistan et dans [toute] la région. Les régions autonomes de défense, instaurées par la présente déclaration, sont des espaces de démocratie pour notre peuple, y compris celui du sud du Kurdistan. (...) » Des poursuites furent déclenchées à l’encontre des requérants. Par une décision du 20 septembre 2007, la cour d’assises d’Istanbul les jugea coupables des infractions visées à l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 et les condamna au paiement d’une amende de 180 TRY (soit environ 104 EUR selon le taux de change en vigueur à l’époque pertinente). Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi. Le 3 octobre 2007, les requérants se pourvurent en cassation. Le 16 octobre 2007, la cour d’assises rejeta leur demande au motif que l’arrêt n’était pas susceptible de pourvoi. Le 30 octobre 2007, le procureur général d’Istanbul émit deux titres de recouvrement de l’amende. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, disposait, en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes est puni d’une amende de 5 à 10 millions de livres turques. (...) Lorsque les faits décrits aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi no 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à 90 % de la moyenne du chiffre des ventes du mois précédent si la fréquence de parution du périodique est inférieure à un mois, ou du chiffre des ventes réalisées par le dernier numéro du périodique si celui-ci paraît une fois par mois ou moins fréquemment (...) Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à 50 millions de livres turques. Le rédacteur en chef du périodique est condamné à la moitié de la peine infligée à l’éditeur. » À la suite de modifications apportées par la loi no 5532 du 29 juin 2006 et par la loi no 6459 du 11 avril 2013, l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 se lit désormais ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce : « Quiconque imprime ou publie des déclarations ou des tracts d’organisations terroristes légitimant ou faisant l’apologie des méthodes de contrainte, de violence ou de menace de pareilles organisations ou incite à l’utilisation de telles méthodes est puni d’une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans. (...) Lorsque les faits visés aux paragraphes ci-dessus sont commis par la voie de la presse et de la publication, les responsables de la publication des organes de presse et de publication n’ayant pas participé à la commission de l’infraction sont également condamnés à une peine de 1 000 à 10 000 jours-amende. » En 2015, la Cour constitutionnelle a statué dans deux affaires concernant la condamnation de responsables d’organes de presse en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 (Ali Gürbüz et Hasan Bayar, no 2013/568, 24 juin 2015, et Ali Gürbüz, no 2013/724, 25 juin 2015). Dans ces deux affaires, elle a conclu à la violation de la liberté d’expression des intéressés au motif que les déclarations litigieuses ne contenaient aucun appel à la violence, à la haine ou au soulèvement armé. Les passages pertinents en l’espèce de l’arrêt Ali Gürbüz et Hasan Bayar (précité) se lisent ainsi : « Le constat selon lequel la publication des considérations d’Abdullah Öcalan sur certains sujets constitue l’infraction de « publication de déclarations d’organisations terroristes » et la décision subséquente de suspension des poursuites doivent être analysés. Une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées ne peut être justifiée uniquement par une considération liée à la personnalité d’un individu. De même, le fait de publier des opinions et des idées d’un membre ou d’un dirigeant d’une organisation illégale ne peut, à lui seul, justifier une ingérence dans la liberté d’exprimer et de diffuser des idées. En effet, une telle approche ferait obstacle à l’exercice des droits constitutionnels et priverait certaines personnes ou certains groupes de personnes de la jouissance des droits protégés par l’article 26 de la Constitution (Abdullah Öcalan, § 101). Il faut souligner que les autorités publiques disposent d’une marge d’appréciation très étroite lorsqu’il s’agit de condamner des « déclarations de presse », tel l’article publié par les requérants. Les idées qui ne sont pas accueillies favorablement par les autorités publiques ou par une partie de la population ne peuvent faire l’objet de restrictions tant qu’elles n’incitent pas à la violence, ne légitiment pas les actes terroristes et n’encouragent pas les discours de haine. Lu dans son ensemble, l’article en cause ne peut être considéré comme faisant l’apologie de la violence et incitant à l’adoption de méthodes terroristes, autrement dit à la violence, à la haine, à la vengeance ou à la résistance armée. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1924, en 1967 et en 1966, et résident à Vicovaro. Ils sont les héritiers de M. Bartolomeo Lori. Ce dernier était propriétaire, avec ses frères, d’un terrain de 1 350 m² sis à Cineto Romano. Par des arrêtés du 28 mai et du 14 octobre 1987, la municipalité de Cineto Romano décréta l’occupation d’urgence dudit terrain, pour une période de cinq ans, en vue d’y créer un cimetière. Le 15 décembre 1987, il y eut occupation matérielle du terrain. Le 23 octobre 1995, le de cujus des requérants introduisit un recours contre la municipalité devant le tribunal de Rome (« le tribunal »), alléguant que l’occupation du terrain se poursuivait au-delà de la période autorisée sans qu’un arrêté d’expropriation eût été pris, et qu’aucun ouvrage public n’avait été réalisé. Il demanda que les travaux prévus ne fussent pas entrepris, que le terrain lui fût restitué et qu’un dédommagement lui fût versé. Par une ordonnance du 16 juillet 1996, le tribunal, après avoir constaté que la période d’occupation autorisée avait expiré le 15 décembre 1992 et qu’aucun ouvrage n’avait été réalisé sur le terrain, ordonna à la municipalité de ne pas entreprendre de travaux et renvoya l’affaire pour un examen au fond. À l’audience du 11 avril 2000, la municipalité déclara devant le tribunal qu’elle avait entre-temps aménagé une partie du cimetière, qu’elle avait ainsi contrevenu à l’ordonnance du 16 juillet 1996 et que la propriété du terrain avait donc été transférée à son bénéfice. Par un jugement non définitif du 15 janvier 2002, le tribunal déclara que la propriété du terrain était passée à la municipalité par l’effet de la construction de l’ouvrage public, sans préciser la date du transfert de propriété, et il ordonna une expertise visant au calcul du montant du dédommagement dû en vertu de la loi no 662 de 1996. Dans son rapport déposé le 9 mai 2003, l’expert indiqua que la propriété du terrain était passée à la municipalité le 21 novembre 1988, soit le jour où celle-ci avait posé les premières structures mobiles pour délimiter la zone concernée par les travaux. Il estima que la valeur vénale du terrain s’élevait à cette date à 4 253,02 euros (EUR). Faisant application des critères introduits par la loi no 662 de 1996, il calcula que l’indemnité due aux propriétaires du terrain était de 529,35 EUR. Entre-temps, le de cujus des requérants, M. Bartolomeo Lori, décéda et ceux-ci se constituèrent parties dans la procédure. Par un jugement déposé le 13 avril 2004, le tribunal confirma le transfert de la propriété du terrain des requérants à la municipalité à la suite de l’application du principe de l’expropriation indirecte. Il condamna la municipalité à payer aux propriétaires du terrain la somme globale de 1 100 EUR, à savoir le montant fixé par l’expert à titre de dédommagement, réévalué et assorti d’intérêts. Ce jugement devint définitif le 28 mai 2005. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans la présente affaire, la Cour renvoie à son arrêt Messana c. Italie (no 26128/04, §§ 17-20, 9 février 2017).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1962 et réside à Cologne. A. L’enquête pénale diligentée à l’encontre de la requérante Le 29 mai 2007, la requérante déposa plainte auprès du procureur de la République de Diyarbakır (« le procureur de la République ») à l’encontre de B.T. et de M.Y.Ö. Dans sa déposition faite devant le procureur de la République, elle déclara que, lors de l’une de ses rencontres avec ces derniers, elle les avait entendus parler de la réalisation d’un attentat contre le préfet de Diyarbakır. Elle indiqua en outre que M.Y.Ö. l’avait par la suite menacée de mort et accusée d’avoir voulu commanditer cet attentat. Selon elle, B.T. avait incité M.Y.Ö. à perpétrer ces actes. Une enquête pénale concernant ces faits fut alors diligentée contre la requérante, B.T. et M.Y.Ö. Au cours de cette enquête, ces derniers furent placés en garde à vue et entendus par la direction de la sûreté de Diyarbakır. Dans un document d’enquête daté du 31 mai 2007, établi par la direction de la sûreté de Diyarbakır et adressé au procureur de la République, la requérante faisait partie des personnes soupçonnées des infractions de menace et de chantage. Le 30 octobre 2007, le procureur de la République de Diyarbakır rendit une ordonnance de non-lieu à l’égard de la requérante et de B.T. En revanche, il engagea une action pénale devant la cour d’assises de Diyarbakır contre M.Y.Ö pour les chefs de menace et de chantage. B. La procédure civile intentée par la requérante contre le quotidien Takvim Le 22 juin 2007, le quotidien national Takvim publia un article intitulé « Quatre bombes humaines sont recherchées » (« 4 canlı bomba aranıyor »), illustré de quatre photographies, dont une de la requérante. Cet article mentionnait que quatre terroristes, dont les noms, y compris celui de la requérante, étaient cités in extenso, étaient arrivés en Turquie. Il ajoutait que ces terroristes avaient été formés dans des camps spéciaux appartenant au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, une organisation armée illégale). Il indiquait en outre que la police était informée de la situation et qu’elle avait distribué les photographies de ces personnes. Le 23 juillet 2007, la requérante saisit le tribunal de grande instance de Diyarbakır (« le TGI ») d’une demande en dommages et intérêts contre la société éditrice du quotidien pour atteinte à ses droits de la personnalité en raison de la publication de l’article litigieux. Le 7 octobre 2008, le TGI rejeta la demande de la requérante, estimant que l’article litigieux ne pouvait être considéré comme étant susceptible d’engager la responsabilité de la presse dans la mesure où l’information était diffusée de manière conforme aux apparences à la date de sa publication. Il se référa, à cet égard, au document de la direction de la sûreté de Diyarbakır du 31 mai 2007 susmentionné (paragraphe 7 ci-dessus), au dossier de l’enquête pénale menée par le procureur de la République ainsi qu’au dossier de la procédure pénale diligentée par la suite. Le 4 février 2010, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance. Elle estima que l’appréciation des preuves effectuée par le TGI ne pouvait passer pour inopportune et que le jugement était conforme à la procédure et à la loi. Le 13 mars 2010, l’arrêt de la Cour de cassation fut notifié à la requérante. C. La procédure civile intentée par la requérante contre le quotidien Star Le 22 juin 2007, le quotidien national Star publia un article intitulé « L’alarme a été déclenchée pour quatre bombes humaines » (« 4 canlɪ bomba için alarm verildi »). Cet article mentionnait que, selon les informations recueillies auprès des services de renseignement, le PKK avait envoyé quatre kamikazes en Turquie. L’article énonçait que ces kamikazes avaient été identifiés et donnait leurs initiales. L’article était illustré de quatre photographies, dont une de la requérante. Le 23 juillet 2007, la requérante saisit le TGI d’une demande en dommages et intérêts contre la société éditrice du quotidien Star pour le préjudice moral qu’elle estimait avoir subi du fait de la publication de l’article litigieux. Le 19 juillet 2007, le TGI demanda à la direction de sûreté de Diyarbakır si une note contenant le nom et la photographie de la requérante avait été transmise à la presse ou avait fait l’objet d’un affichage public. Par une lettre du 5 décembre 2007, la direction de sûreté de Diyarbakır informa le TGI qu’il n’existait aucun registre concernant la requérante dans ses archives. Le 16 septembre 2008, le TGI, se fondant sur la lettre de la direction de sûreté de Diyarbakır du 5 décembre 2007 susmentionnée, sur l’absence de poursuites pénales diligentées à l’encontre de la requérante et sur le fait que le dossier pénal transmis au procureur de la République concernait un simple incident entre la requérante, B.T. et M.Y.Ö., fit partiellement droit à la demande d’indemnisation de l’intéressée en considérant que l’article litigieux n’était pas conforme à la réalité et qu’il portait atteinte à ses droits de la personnalité. Le 4 février 2010, la Cour de cassation infirma le jugement du TGI en considérant que l’auteur de l’article litigieux avait présenté les faits conformément à ce qui lui apparaissait comme étant la vérité à la date de la publication dudit article. Elle tint compte, pour ce faire, des discussions sur l’attentat qui aurait eu lieu entre la requérante et les autres intéressés ; du fait qu’ils n’en avaient pas informé les autorités avant la plainte déposée concernant la menace ; du placement en garde à vue de la requérante et du fait qu’une des personnes en cause, dont les photos avaient été diffusées par le quotidien, avait eu des liens avec le PKK dans le passé. La haute cour estima en outre que les expressions employées dans l’article en cause, telles que « recevoir des instructions », étaient des éléments secondaires visant à agrémenter la lecture de l’article et à attiser l’intérêt du public, et que l’absence de véracité de ces expressions ne rendait pas illégal l’ensemble de la publication. Le 30 juin 2010, saisi sur renvoi, le TGI, se conformant à l’arrêt de la Cour de cassation, rejeta la demande de la requérante. Le 23 décembre 2010, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance en le considérant conforme à la procédure et à la loi. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La jurisprudence de la Cour constitutionnelle relative à l’épuisement des voies de recours dans les affaires de diffamation est exposée en détail dans la décision Yakup Saygılı c. Turquie ((déc.), no 42914/16, §§ 18-22, 11 juillet 2017).
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Le syndicat requérant, fondé en 1955 et ayant son siège à Istanbul, regroupait à l’époque des faits des salariés travaillant dans le secteur de l’industrie agroalimentaire. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE En 2003, un certain nombre de salariés employés dans les trois usines, situées à Turgutlu (Manisa), à Torbalı (İzmir) et à Manyas, de la société anonyme Tukaş Gıda Sanayi ve Ticaret (« la société Tukaş »), dont l’associé principal était le holding Oyak (Ordu Yardumlasma Kurumu) (un organisme de fonds de pension des forces armées), adhérèrent au syndicat requérant. Le 20 février 2004, arguant que le nombre de ses adhérents dans ces trois usines atteignait le minimum fixé par la loi no 2821 relative aux syndicats (voir la partie « Le droit interne pertinent » ci-dessous), le syndicat requérant demanda au ministère du Travail et de la Sécurité sociale (« le ministère ») que sa représentativité (yetki belgesi) fût établie afin qu’il pût conclure, au nom de ses adhérents, des conventions collectives de travail avec la société Tukaş. Par une décision du 26 mai 2004, le ministère accueillit cette demande et valida la représentativité du syndicat requérant. Se basant sur le rapport préparé par les inspecteurs du travail relativement à la nature des activités et au type de main-d’œuvre de la société Tukaş, le ministère estimait que, eu égard au nombre de salariés affiliés au syndicat requérant et au nombre de salariés employés dans les trois usines actives dans le secteur de l’industrie agroalimentaire, les conditions requises par la loi no 2821 relative aux syndicats pour pouvoir conclure des conventions collectives étaient réunies. Il indiquait en outre que les salariés du siège social de Tukaş relevaient du secteur « commerce, bureautique, éducation et beaux-arts ». Le 31 mai 2004, la société Tukaş saisit le 3e tribunal du travail d’İzmir d’un recours en annulation de la décision du ministère du 26 mai 2004, soutenant que le syndicat requérant ne remplissait pas les conditions requises pour pouvoir conclure des conventions collectives. Le 17 septembre 2004, le 3e tribunal du travail désigna un expert chargé de déterminer si le nombre des adhérents du syndicat requérant atteignait le minimum fixé par la loi no 2821 relative aux syndicats. Le 13 novembre 2004, l’expert présenta son rapport au tribunal. Il y exposait que, dans une première hypothèse qui prenait en compte le nombre total des personnes employées par la société Tukaş tant à son siège que dans ses trois usines, le syndicat requérant ne disposait pas d’un nombre suffisant d’adhérents pour représenter les salariés dans les négociations collectives. Il précisait que la planification de la production des usines en fonction de la demande du marché, les contrôles et les analyses de laboratoire en matière d’hygiène, de goût et de qualité des produits, la commercialisation de ces produits et la gestion des ressources humaines étaient effectués au siège de la société, que les activités des trois usines et celles du siège social étaient « complémentaires » pour la société et qu’elles relevaient toutes de l’industrie agroalimentaire. Il en déduisait que, pour déterminer le nombre total des personnels de la société, il fallait prendre en compte les effectifs à la fois du siège social et des trois usines, et que, dès lors, le syndicat requérant ne disposait pas de la représentativité requise pour mener des négociations collectives avec la société Tukaş. Dans son rapport, l’expert indiquait également que, dans une deuxième hypothèse excluant le personnel du siège social, le syndicat requérant disposait d’un nombre suffisant d’adhérents dans les trois usines de la société Tukaş pour prétendre à la représentativité en question. Devant le tribunal, le syndicat requérant contesta le rapport d’expertise. Il argua que, selon le no 17 de l’article 60 de la loi no 2821 relative aux syndicats, les personnes employées au siège de la société Tukaş travaillaient dans un autre secteur d’activité, à savoir le secteur « commerce, bureautique, éducation et beaux-arts », et que dès lors elles ne pouvaient pas faire partie de ses adhérents. Aussi, aux dires du syndicat requérant, le rapport d’expertise n’aurait-il pas dû prendre en compte dans son calcul les salariés employés au siège social. Devant le tribunal du travail, le ministère demanda le rejet du recours introduit par la société Tukaş, arguant que sa décision du 26 mai 2004 accordant au syndicat requérant le pouvoir de représenter les salariés pour mener des négociations collectives avec cette entreprise était conforme à la loi. Par un jugement du 2 décembre 2004, le 3e tribunal du travail d’İzmir donna gain de cause à l’entreprise employeur et retira au syndicat requérant la représentativité en question. Il fonda sa décision sur l’argumentation développée dans la première hypothèse du rapport d’expertise du 13 novembre 2004. Il estima que les activités du siège de la société Tukaş allaient de pair avec les activités des usines de cette société, et qu’elles relevaient toutes du secteur de l’industrie agroalimentaire. Dès lors, d’après le 3e tribunal du travail, le nombre d’adhérents du syndicat requérant au sein de la société Tukaş n’était que de 152 sur 443, et il était donc trop faible pour que le syndicat requérant pût revendiquer la représentativité au regard du critère nécessitant l’adhésion de « la majorité des salariés d’une entreprise ». Le 21 décembre 2004, le syndicat requérant se pourvut en cassation et réitéra les observations qu’il avait faites devant le tribunal du travail. Par un arrêt du 22 mars 2005, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du syndicat requérant et confirma le jugement de première instance. Cet arrêt fut mis au net le 15 avril 2005. Entre-temps, au début de 2004, la société Tukaş avait invité les salariés membres du syndicat requérant à résilier leur adhésion au syndicat sous peine de licenciement. Certains avaient obtempéré et quarante salariés avaient refusé. Peu après, la société Tukaş avait licencié ces quarante salariés pour raisons économiques (fluctuations du marché) ou pour insuffisances professionnelles (insuffisance de résultats). En mars 2004, les salariés licenciés de la société Tukaş avaient saisi les tribunaux de travail d’İzmir pour licenciement abusif et sollicité leur réintégration dans la société. Par des jugements rendus entre juillet et décembre 2004, les divers tribunaux du travail d’İzmir (nos 1, 2, 3, 4 et 5) avaient donné gain de cause aux salariés licenciés. Ils avaient estimé que ces derniers avaient été licenciés en raison de leur adhésion à un syndicat. Ils avaient considéré que la société Tukaş n’avait pas prouvé devant eux l’existence de raisons économiques ou d’insuffisances professionnelles pouvant justifier les licenciements litigieux et que ceux-ci étaient dès lors abusifs. Ils avaient ordonné à la société Tukaş de réintégrer les personnes licenciées et que, à défaut, celle-ci devait verser à chaque salarié licencié une indemnité pour licenciement abusif d’un montant correspondant à un an de salaire. Par des arrêts rendus entre décembre 2004 et juin 2005, la Cour de cassation avait confirmé les jugements des tribunaux du travail d’İzmir. La société Tukaş ne réintégra aucune des personnes qu’elle avait licenciées et leur versa l’indemnité ordonnée par les tribunaux du travail. En 2005, le syndicat requérant ne comptait plus aucun adhérent au sein de la société Tukaş. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution de 1982 en ce qui concerne le droit d’adhérer à un syndicat et de conclure des conventions collectives sont décrites dans l’arrêt Demir et Baykara c. Turquie ([GC], no 34503/97, § 34, CEDH 2008). L’article 22 de la loi no 2821 relative aux syndicats, en vigueur au moment de faits, se lisait comme suit : « Chacun est libre d’adhérer à un syndicat. Nul ne peut être contraint de s’affilier à un syndicat ou de le quitter. Les travailleurs ou les employeurs ne peuvent être membres de plusieurs syndicats à la fois au sein d’un même secteur d’activité. (...) (...) les travailleurs ne peuvent adhérer qu’à un syndicat dont le champ professionnel couvre l’entreprise qui les emploie. » L’article 60 de la loi no 2821 dispose : « Des syndicats de travailleurs et d’employeurs peuvent être fondés dans les secteurs d’activité suivants : agriculture, sylviculture, chasse, pêche ; métallurgie ; pétrole, chimie et plastique ; industrie agroalimentaire ; (...) commerce, bureautique, éducation et beaux-arts ; (...) Les activités d’une entreprise qui sont complémentaires à son activité principale sont considérées comme relevant du même secteur d’activité que l’activité principale. » Selon les articles 12 et 13 de la loi no 2822 régissant la convention collective, le droit de grève et le lock-out, qui étaient en vigueur à l’époque des faits, un syndicat devait remplir deux conditions pour pouvoir conclure une convention collective : en premier lieu, au moins 10 % des salariés du secteur concerné au niveau national devaient y être affiliés ; en second lieu, le syndicat devait représenter la majorité des salariés d’une entreprise pour pouvoir négocier une convention collective au sein de cette entreprise. L’article 15 de la même loi prévoyait que, en cas de litige résultant d’erreurs matérielles quant au nombre des adhérents et des salariés, les parties pouvaient saisir le tribunal du travail compétent. Celui-ci devait se prononcer dans un délai de six jours et sans tenir d’audience. En cas d’autres litiges quant au pouvoir de négocier une convention collective, le tribunal devait rendre sa décision après avoir tenu des audiences et la Cour de cassation, lorsqu’elle était saisie d’un pourvoi, devait se prononcer dans un délai de quinze jours. Selon l’article 41 de la loi no 6356 régissant les syndicats et les conventions collectives de travail, entrée en vigueur le 7 novembre 2012, donc non applicable à la présente affaire, un syndicat doit remplir trois conditions pour pouvoir conclure une convention collective : en premier lieu, au moins 1 % des salariés du secteur concerné au niveau national doivent y être affiliés ; en deuxième lieu, le syndicat doit représenter la majorité des salariés des lieux de travail où la convention collective est susceptible d’être appliquée ; en troisième lieu, le syndicat doit représenter 40 % des salariés de l’entreprise propriétaire des lieux de travail. Selon l’article 20 du code du travail, les actions intentées par les salariés s’estimant victimes d’un licenciement abusif en raison de leur affiliation à un syndicat devaient être tranchées dans un délai de deux mois par la première instance et, en cas de pourvoi, dans un délai d’un mois par la Cour de cassation. Selon l’article 31 de la loi no 2821 relative aux syndicats, en vigueur à l’époque des faits, l’employeur qui refusait de réintégrer le salarié qu’il avait licencié en raison de son appartenance à un syndicat devait être condamné au versement d’une indemnité d’un montant correspondant au minimum à un an de salaire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1987, en 1958 et en 1978 et résident respectivement à Volsk (région de Volgograd), à SaintPétersbourg et à Perm. A. En ce qui concerne M. Sukhanov (requête no 56251/12) Le 10 mai 2012, le premier requérant intenta une action civile dirigée contre son employeur visant à sa réintégration à son poste. L’intéressé demanda à ce que l’action fût examinée en son absence. Par une décision avant dire droit du 1er juin 2012, le tribunal militaire de la garnison de Saratov constata l’extinction de l’instance au motif que le requérant ne s’était pas présenté à l’audience à deux reprises, les 23 mai et 1er juin 2012, et qu’il n’avait pas demandé à ce que son action fût examinée en son absence. Le tribunal releva que le défendeur ne s’opposait pas à l’extinction de l’instance. Le premier requérant interjeta appel de cette décision devant la cour militaire de la circonscription Privoljskiy. Par une lettre du 30 juillet 2012, cette dernière l’informa que, en application de l’article 222 alinéas 7 et 8 du code de procédure civile, la décision du 1er juin 2012 n’était pas susceptible d’appel. Le 5 novembre 2013, le premier requérant introduisit une demande identique devant le tribunal militaire de la garnison de Perm. Par une décision du 22 novembre 2013, confirmée en appel le 11 février 2014, le tribunal rejeta la demande pour prescription (пропуск срока для обращения в суд). B. En ce qui concerne Mme Krestovskaya (requête no 23302/13) La deuxième requérante et son fils introduisirent une action civile dirigée contre l’administration de district visant notamment au recouvrement de dommages et intérêts. Le tribunal du district Leninski de Saint-Pétersbourg fixa l’audience au 8 octobre 2012. Le 7 octobre 2012, la requérante envoya un télégramme au tribunal par lequel elle l’informait qu’elle était malade et sollicitait le report de l’audience pour ce motif. Elle précisait qu’un certificat médical serait présenté à sa guérison. Le tribunal ajourna l’audience au 15 octobre 2012, et, ensuite, au 22 octobre 2012, la requérante en fut informée par télégrammes. Celle-ci ne se présenta pas à ces audiences. Par une décision du 22 octobre 2012, le tribunal releva que la requérante était absente aux deux audiences, qu’elle n’avait pas demandé à ce qu’il fût statué en son absence et, enfin, que le défendeur ne s’opposait pas à l’extinction de l’instance. Le tribunal déclara donc l’extinction de l’instance, en application de l’article 222 alinéa 8 du code de procédure civile. Le 5 décembre 2012, la requérante et son fils interjetèrent appel de cette décision. Par une lettre du 6 décembre 2012, la juge S. du tribunal informa les intéressés que la décision en question était insusceptible d’appel. Elle les informa également que le tribunal pourrait reprendre la procédure, conformément à l’article 223 § 3 du code de procédure civile, s’ils formulaient une demande en ce sens, et les avisa des modalités d’exercice de ce recours. Le 24 décembre 2012, l’intéressée déposa au greffe du tribunal du district une lettre demandant de « reprendre l’instance et de renvoyer l’affaire avec son recours à la cour de la ville de Saint-Pétersbourg ». La requérante fonda sa demande sur les articles du code de procédure civile régissant l’examen en appel. Par une lettre du 26 décembre 2012, la juge refusa d’examiner la demande pour vice de forme, à savoir pour non-conformité à l’article 223 § 3 du code de procédure civile. C. En ce qui concerne M. Mazunin (requête no 53116/15) Le troisième requérant, agissant par l’intermédiaire d’un représentant, intenta un litige civil contre une banque. Sa demande en justice était assortie d’une demande de statuer en son absence et en celle de son représentant. Le tribunal du district Sverdlovski de Perm fixa l’audience au 1er avril 2015. Par une lettre du 31 mars 2015, le troisième requérant réitéra sa demande d’examiner l’affaire en son absence. Le 15 avril 2015, le tribunal du district Sverdlovski mit fin à l’instance, en application de l’article 222 alinéa 8 du code de procédure civile, notant ce qui suit : « Le demandeur, ayant été dûment convoqué, n’a pas comparu aux audiences des 1er et 15 avril 2015, et n’a pas demandé de statuer en son absence. » Le tribunal indiqua également que sa décision pouvait être frappée d’appel devant la cour régionale de Perm. Les 28 et 29 avril 2015, le requérant déposa deux déclarations d’appel. Par une lettre du 5 mai 2015, le tribunal de district retourna au troisième requérant ces dossiers au motif que la décision du 15 avril 2015 était insusceptible d’appel. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon l’article 222 du code de procédure civile, l’instance s’éteint notamment, lorsque les deux parties, n’ayant pas demandé l’examen de l’affaire en leur absence, ne se sont pas présentées deux fois à l’audience du tribunal (alinéa 7 de l’article 222), ou bien lorsque le demandeur, n’ayant pas demandé l’examen de l’affaire en son absence, ne s’est pas présenté deux fois à l’audience du tribunal et que le défendeur n’insiste pas pour que l’affaire soit examinée sur le fond (alinéa 8 de l’article 222). Selon l’article 223 dudit code, dans les cas susmentionnés, le tribunal rend une décision mettant fin à l’instance. Dans cette décision, le tribunal est tenu d’indiquer comment le demandeur peut écarter les obstacles à l’instance énumérés à l’article 222 susmentionné (article 223 § 1). Le demandeur a le droit de réintroduire la même action après avoir corrigé les défauts mentionnés dans cette dernière disposition (article 223 § 2). Dans les cas prévus par les alinéas 7 et 8 de l’article 222 du code de procédure civile, le tribunal, saisi d’une demande de l’une des parties, annule sa propre décision relative à l’extinction de l’instance, à condition que cette partie présente des preuves démontrant le caractère valable des motifs de son absence aux audiences et de son impossibilité à communiquer ces preuves au tribunal. La décision rejetant cette demande est susceptible d’appel (article 223 § 3). Selon l’article 331 du même code, la décision avant dire droit du tribunal est susceptible d’appel, indépendamment de la décision sur le fond, si cela est expressément prévu par ce code ou si cette décision fait obstacle à l’évolution de l’affaire. Les autres décisions avant dire droit ne sont pas susceptibles d’un appel séparé, mais les arguments dirigés contre elles peuvent être inclus dans l’appel contre la décision sur le fond (article 331 § 3). La Cour suprême de Russie dans sa directive du 28 juin 2008 no 13 a précisé que la décision d’extinction d’instance est définitive. En revanche, la décision refusant la reprise de l’instance, rendue sur le fondement de l’article 223 § 3 du code de procédure civile, est susceptible d’appel.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1962. Il était détenu au centre pénitentiaire d’Erzurum lors de l’introduction de la requête. A. La saisie par l’administration pénitentiaire de l’ébauche de roman écrite par le requérant Le 1er décembre 2004, le requérant déposa une ébauche de roman manuscrite, comportant 205 pages, intitulée « TOURBILLON, Rabia, Ferda et les autres » (« GİRDAP, Rabia, Ferda ve diğerleri »), auprès de l’administration pénitentiaire afin que celle-ci l’envoyât à son avocat, qui, à son tour, devait la transmettre à sa famille, en vue de sa publication. Le 6 décembre 2004, le président de la commission de l’administration pénitentiaire chargée de la lecture de la correspondance des détenus (« la commission de lecture ») établit un rapport d’analyse sur le manuscrit du requérant. D’après ce rapport, le texte en question soutenait une organisation illégale, insultait les forces de sécurité et utilisait un langage abusif et inapproprié ainsi que des expressions gênantes à l’encontre des femmes, de la morale publique et des croyances. En conséquence, le président de la commission de lecture émit un avis selon lequel ledit manuscrit devait être considéré comme une lettre et transmis à la commission disciplinaire de l’administration pénitentiaire (« la commission disciplinaire ») au motif qu’il contenait des éléments gênants selon la grille de vérification préétablie par l’administration. Il proposa en outre que ce manuscrit fût transmis au bureau de presse du procureur de la République d’Erzurum en vue de son évaluation en tant que roman. Le 15 décembre 2004, la commission de lecture décida de transmettre le manuscrit du requérant à la commission disciplinaire en application de la circulaire sur les relations des détenus avec l’extérieur du 24 octobre 2002 (« la circulaire sur les relations des détenus avec l’extérieur ») au motif qu’il contenait des mots et phrases gênants selon la grille de vérification susmentionnée. Le même jour, la commission disciplinaire statua comme suit : « Il a été décidé [la saisie par la commission de lecture] de la lettre (roman) en question au motif que celle-ci contient des mots et phrases gênants selon la grille de vérification (...) ». Le 16 décembre 2004, le requérant saisit le juge de l’exécution d’Erzurum (İnfaz Hakimliği) d’une demande en annulation de la décision de la commission disciplinaire. Il indiquait notamment qu’il avait déjà fait publier quatre romans, en tant qu’écrivain, sous un pseudonyme et que le manuscrit saisi était une ébauche de roman fictif. Le 7 janvier 2005, le juge de l’exécution rejeta l’opposition ainsi formée par le requérant, après examen du contenu dudit manuscrit. Plus précisément, dans sa décision, après avoir rappelé l’article 10 de la Convention ainsi que les articles 25 et 26 de la Constitution, il estimait notamment que le texte en cause, pris dans son ensemble, soutenait le séparatisme kurde et faisait la propagande de cette idéologie. Il considérait aussi que plusieurs passages du manuscrit litigieux glorifiaient une organisation illégale et insultaient les forces de l’ordre. En outre, le juge décida de transmettre ledit manuscrit au parquet d’Erzurum en vue d’une enquête pénale. Le 13 janvier 2005, le requérant forma une opposition devant la cour d’assises d’Erzurum contre la décision du juge de l’exécution. Il soutenait que la mesure adoptée par l’administration pénitentiaire était dépourvue de fondement et portait atteinte à son droit à la liberté d’expression. Il demanda également que son texte lui fût rendu. Le 1er mars 2005, la cour d’assises d’Erzurum rejeta l’opposition du requérant, considérant la décision du juge de l’exécution comme conforme à la loi et à la procédure. B. La saisie de la lettre du 25 janvier 2005 par l’administration pénitentiaire Le 25 janvier 2005, le requérant remit à l’administration pénitentiaire une lettre destinée à son avocat accompagnée de la décision du juge de l’exécution du 7 janvier 2005 susmentionnée (paragraphe 11 cidessus) et de son opposition formée contre cette décision. Le 26 janvier 2005, l’administration pénitentiaire saisit cette lettre, considérant qu’elle contenait des mots et phrases gênants selon la grille de vérification préétablie par l’administration. Le 28 janvier 2005, le requérant saisit le juge de l’exécution d’Erzurum d’une demande en annulation de la décision de l’administration. Le 8 février 2005, le juge de l’exécution rejeta la demande du requérant. Il rappela que l’intéressé pouvait former une opposition contre sa décision devant la cour d’assises d’Erzurum dans les sept jours suivant la notification de celle-ci. Le 4 mars 2005, la décision du juge de l’exécution fut notifiée au requérant. Le dossier de la requête ne contient aucun document ou information relativement à une opposition qui aurait été formée par le requérant contre la décision du juge de l’exécution. C. L’enquête pénale ouverte contre le requérant Le parquet d’Erzurum ouvrit une enquête pénale à l’encontre du requérant, estimant que le contenu du manuscrit saisi pouvait constituer l’infraction de dénigrement public de la turcité, de la République, des forces militaires et des forces de sécurité de l’État. Le 26 janvier 2006, le procureur de la République d’Erzurum rendit une ordonnance de non-lieu au motif que l’élément de publicité, l’un des éléments constitutifs de l’infraction concernée, faisait défaut en l’espèce. Il ordonna aussi la remise du texte saisi à l’intéressé une fois sa décision devenue définitive. Le 1er mars 2006, le requérant se vit restituer son ébauche de roman. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi no 4675 relative au juge de l’exécution La loi no 4675 relative au juge de l’exécution du 16 mai 2001 (« la loi no 4675 »), entrée en vigueur le 23 mai 2001, prévoit ce qui suit en son article 4, alinéa 1 : « 1. Les plaintes concernant l’entrée et l’installation dans les établissements de détention, l’entretien, la protection de la santé mentale et physique, et les relations avec l’extérieur sont de la compétence du juge de l’exécution. » L’article 5, alinéa 1, de cette même loi est ainsi libellé : « 1. Il est possible de former un recours, par voie de plainte (...), devant le juge de l’exécution contre les actes et activités des établissements pénitentiaires concernant les détenus. » L’article 6, alinéa 5, de la loi no 4675 dispose ce qui suit : « 5. Le recours contre les décisions du juge de l’exécution (...) doit être effectué par un pourvoi immédiat, formé (...) dans un délai d’une semaine devant la cour d’assises. » B. Le règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines D’après l’article 144 du règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines du 5 juillet 1967 (« le règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines »), qui était en vigueur jusqu’à l’adoption d’un nouveau règlement le 20 mars 2006, les lettres à destination ou en provenance des détenus étaient soumises au contrôle de la direction de l’établissement pénitentiaire concerné, à l’exception des requêtes adressées aux organes officiels. L’article 147 du même règlement, intitulé « Courrier dont la remise à leur [destinataire] est considérée comme gênante », pouvait se lire comme suit : « Les lettres dont l’envoi à son destinataire ou la remise au condamné sont considérés comme gênants sont envoyées au plus tard dans un délai de 24 heures au conseil de discipline. Le conseil de discipline décide l’envoi ou non des lettres telles quelles à leur destinataire ou [leur envoi] après biffage des passages considérés comme gênants, de manière à les rendre illisibles, et, de la même manière, il décide la transmission ou non [des lettres] au condamné. Les lettres considérées comme étant entièrement gênantes sont détruites sur décision du conseil de discipline et leurs [destinataires] sont informés. » C. La circulaire sur les relations des détenus avec l’extérieur La circulaire sur les relations des détenus avec l’extérieur, adoptée le 24 octobre 2002 par la direction générale des établissements pénitentiaires du ministère de la Justice, indique, après rappel des articles 144 et 147 du règlement relatif à la direction des établissements pénitentiaires et à l’exécution des peines et des articles 4, 5 et 6 de la loi no 4675, que l’application immédiate des mesures prévues aux dispositions précitées dudit règlement pourrait causer des préjudices irréversibles aux détenus et rendre le contrôle judiciaire impossible. À cet égard, elle invite les autorités pénitentiaires à ne pas immédiatement détruire l’original de la lettre d’un détenu censurée par la commission disciplinaire, à le conserver jusqu’à la fin des procédures en opposition qui seraient éventuellement engagées par le détenu concerné devant le juge de l’exécution et la cour d’assises, et à agir en fonction de l’issue des recours qui seraient ainsi introduits.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1968 et réside à Batman. Elle vécut jusqu’en 1992 dans le village de Çakırpınar, à Sason (Batman). En 1992, elle quitta ce village en raison des conflits armés qui y opposaient les forces de l’ordre et les membres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation illégale, et s’installa dans le village de Sungu, à Muş. A. Procédure devant la commission d’évaluation et d’indemnisation des dommages Le 21 décembre 2006, la requérante introduisit une demande, devant la commission d’évaluation et d’indemnisation des dommages de la préfecture de Batman (« la commission »), visant, sur le fondement de la loi no 5233 du 27 juillet 2004 relative à l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme (« la loi no 5233 »), l’indemnisation des dommages qu’elle estimait avoir subis en raison d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme qui l’auraient obligée à abandonner son village. Le 8 octobre 2009, la commission effectua une visite des lieux. Par la suite, elle obtint deux rapports d’expertise, l’un établi par un expert agricole le 29 octobre 2010 et l’autre par un expert en génie civil le 1er novembre 2010. Par une décision du 20 janvier 2011, la commission rejeta la demande de la requérante au motif que le village que l’intéressée avait quitté n’avait pas été vidé de ses habitants par les autorités, qu’aucune menace ou agression contre la requérante n’avait été enregistrée et qu’une population importante avait continué à habiter dans ce village entre 1990 et 2000. B. Procédure devant les juridictions administratives Le 7 avril 2011, la requérante introduisit un recours en annulation de la décision de la commission devant les juridictions administratives. Le 23 novembre 2011, le tribunal administratif rejeta le recours de la requérante. Il considérait que le préjudice qu’aurait subi une partie des habitants du village de Çakırpınar, à l’instar de la requérante, du fait de leur déménagement en raison d’inquiétudes liées à l’insécurité dans le village, ne pouvait pas être légalement indemnisé par l’administration puisque le village en question n’avait pas été totalement vidé de ses habitants, qu’aucune inquiétude fondée liée à la sécurité n’avait été identifiée et qu’aucune menace ou agression terroriste n’avait été dirigée contre la requérante pendant la période considérée. Le 9 janvier 2012, la requérante se pourvut en cassation contre ce jugement. Le 9 mai 2012, le Conseil d’État cassa le jugement du tribunal administratif au motif que le dossier de l’affaire contenait des informations contradictoires quant à l’abandon du village de Çakırpınar par l’administration et les habitants du village. La haute juridiction demanda en conséquence au tribunal administratif de rechercher et d’établir avec certitude si des personnes autres que les gardiens du village avaient vécu dans le village concerné pendant la période litigieuse. Le 19 novembre 2012, le tribunal administratif rejeta à nouveau le recours de la requérante au motif que, eu égard aux documents et aux informations recueillis auprès des instances officielles, le village de Çakırpınar n’avait pas été totalement vidé de ses habitants, qu’il n’y existait pas d’inquiétude liée à l’insécurité et qu’aucune menace ou agression terroriste n’avait été dirigée contre la requérante pendant la période considérée. Le 18 février 2013, la requérante se pourvut en cassation contre ce jugement. Le 5 juin 2013, le Conseil d’État rejeta le pourvoi de la requérante et confirma le jugement du tribunal administratif. Il considérait que ce jugement était conforme à la procédure et au droit et qu’aucun motif de pourvoi invoqué par la requérante n’était de nature à exiger sa cassation. C. Procédure devant la Cour constitutionnelle Le 18 décembre 2013, la requérante introduisit un recours individuel devant la Cour constitutionnelle. Dans ce recours, elle dénonçait l’absence d’indépendance des juridictions administratives ayant connu de son affaire, l’absence d’équité et la durée excessive de la procédure devant la commission et les juridictions administratives ainsi que la discrimination qu’elle aurait subie dans le traitement de son affaire. Elle alléguait en outre une atteinte à son droit au respect de ses biens. Le 28 novembre 2014, statuant en un comité de trois membres, la 3e commission de la 1ère section de la Cour constitutionnelle déclara le recours de la requérante irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Dans sa décision, la haute juridiction relevait d’abord que la requérante se plaignait essentiellement de violations de son droit à un procès équitable, de son droit au respect de ses biens et du principe d’égalité. Eu égard au grief de la requérante relatif à l’absence d’indépendance des juridictions administratives, elle considérait que les autorités judiciaires ayant connu de l’affaire de l’intéressée n’avaient pas donné l’impression d’avoir eu un effet négatif sur les espérances légitimes relatives au procès équitable des parties et qu’il n’existait aucun élément permettant de penser que les juges saisis du dossier avaient, envers l’une des parties, fait preuve de parti pris, d’un comportement ou d’un intérêt biaisé ou exprimé une opinion de manière à porter atteinte à la présomption d’indépendance. Pour ce qui est du grief de la requérante relatif à la durée excessive de la procédure, la Cour constitutionnelle estimait qu’aucun retard n’était attribuable aux autorités administratives et aux organes judiciaires compte tenu du nombre total des demandes examinées par les commissions établies par la loi no 5233, des visites des lieux effectuées et des rapports d’expertise obtenus dans le cadre de chaque demande, des calculs détaillés et des actes compliqués requis pour chaque demande, du grand nombre de demandes introduites devant les commissions et des circonstances de la procédure, notamment l’examen de l’affaire à deux reprises en première instance et en cassation devant les juridictions administratives. S’agissant du grief relatif à l’équité de la procédure, la Cour constitutionnelle constatait que la requérante avait pris connaissance des documents versés au dossier et de leur contenu au plus tard par la décision de première instance, que les juridictions administratives avaient donné à l’intéressée la possibilité d’examiner et de contester les éléments du dossier et que celle-ci n’avait pas été privée d’un droit procédural de manière à affecter l’issue du litige. Elle relevait par ailleurs que le jugement du tribunal de première instance était dûment motivé et que la juridiction d’appel avait confirmé et adopté la motivation du jugement de première instance. Concernant l’allégation de discrimination avancée par la requérante, qui dénonçait le rejet de sa demande malgré des jugements des tribunaux administratifs ayant donné gain de cause à d’autres demandeurs dans des situations comparables, la haute juridiction observait que la requérante n’avait pas expliqué le fondement de la discrimination qu’elle aurait subie et qu’elle n’avait présenté aucun élément à l’appui de cette allégation. Quant au grief de la requérante tiré de son droit au respect de ses biens, la Cour constitutionnelle constatait qu’il avait été établi par le jugement du tribunal administratif, devenu définitif, que la requérante n’avait pas abandonné ses biens se trouvant dans le village de Çakırpınar en raison d’actes terroristes et que, par conséquent, il n’y avait pas eu d’ingérence dans le droit de l’intéressée au respect de ses biens au sens de la loi no 5233. La décision de la Cour constitutionnelle fut notifiée à la requérante le 14 avril 2015. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La loi no 5233 relative à l’indemnisation des dommages résultant d’actes de terrorisme ou de mesures de lutte contre le terrorisme Le droit et la pratique internes pertinents relativement à la voie de recours établie par la loi no 5233 sont exposés dans la décision Akbayır et autres c. Turquie (nos 30415/08, 20940/09, 20941/09, §§ 9-44, 28 juin 2011). La loi no 5233 est d’application rétroactive. Ainsi, d’après son article 1 provisoire, elle couvre les dommages subis entre le 19 juillet 1987 (date du premier décret pris dans le cadre de l’état d’urgence) et le 17 juillet 2005 (un an après la date d’entrée en vigueur de la loi no 5233). Cette deuxième date a été reportée à deux reprises par des amendements législatifs avant d’être fixée au 24 mai 2008 (articles provisoires des lois nos 5442 du 28 décembre 2005 et 5666 du 24 mai 2007, et Akbayır et autres, décision précitée, § 15). Le préjudice subi et l’indemnité à verser en application de l’article 7 de la loi no 5233 sont déterminés par des commissions d’évaluation et d’indemnisation des dommages qui peuvent être saisies dans un délai d’un an à partir de la date d’entrée en vigueur de cette loi. Selon l’article 1 provisoire de la loi, ces commissions doivent se prononcer sur les demandes introduites devant elles dans un délai de deux ans. B. Le recours individuel devant la Cour constitutionnelle Conformément aux amendements constitutionnels introduits par la loi no 5982 publiée au Journal officiel le 13 mai 2010 et entrée en vigueur le 23 septembre 2012 à la suite d’un référendum, un droit de recours individuel devant la Cour constitutionnelle turque a été introduit dans le système juridique turc. La loi no 6216 du 30 mars 2011 relative à l’établissement de la Cour constitutionnelle et à la procédure devant celle-ci a été publiée au Journal officiel le 3 avril 2011. Les dispositions de cette loi relatives au droit de recours individuel devant la Cour constitutionnelle sont entrées en vigueur le 23 septembre 2012. Ainsi, tout individu peut introduire un recours individuel contre des décisions devenues définitives après le 23 septembre 2012 en invoquant les droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution et par la Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles additionnels. L’article 50 de cette loi se lit ainsi en sa partie pertinente en l’espèce : « 1) Au terme de l’examen au fond, une décision est rendue sur la violation ou la non-violation d’un droit de l’auteur du recours. En cas de constat de violation, les mesures à prendre pour mettre fin à la violation et pour en effacer les conséquences sont précisées dans le dispositif. Il ne peut être procédé à un examen d’opportunité d’un acte administratif, et une décision de nature à constituer un tel acte ne peut être rendue. 2) Lorsque la violation constatée découle d’une décision judiciaire, le dossier est renvoyé au tribunal compétent pour une réouverture de la procédure en vue de mettre fin à la violation et d’en effacer les conséquences. Dans les cas où il n’y a pas d’intérêt juridique à rouvrir la procédure, l’auteur du recours peut se voir octroyer une indemnité ou être invité à entamer une procédure devant les tribunaux compétents. Le tribunal chargé de rouvrir la procédure rend sa décision, dans la mesure du possible sur dossier, en vue de remédier à la violation constatée par la Cour constitutionnelle dans sa décision et d’effacer les conséquences de ladite violation (...) ». La procédure devant la Cour constitutionnelle est exposée en détail dans la décision Hasan Uzun c. Turquie ((déc.), no 10755/13, 30 avril 2013).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant affirme être né en 1984 dans un village de l’État de Sannar, au Soudan. Il réside actuellement dans le canton de Zurich. Le requérant allégua appartenir à l’ethnie peule, avoir été membre, depuis l’école secondaire, d’une organisation militant pour les droits des minorités et contre la discrimination au Darfour, être membre du Mouvement pour la justice et l’égalité (« JEM ») depuis 2005, avoir récolté de l’argent pour soutenir le Darfour, avoir régulièrement transmis cet argent à deux intermédiaires et avoir été recherché à son domicile par les autorités soudanaises suite à l’arrestation de ces deux intermédiaires. Il affirma avoir fui le Soudan le 21 juillet 2009, sur le conseil de sa mère et d’un membre du JEM, et être arrivé en Suisse après avoir transité par la Turquie, la Grèce et l’Italie. Le requérant entra en Suisse le 7 juillet 2012 et y déposa une demande d’asile le lendemain. L’Office fédéral des migrations (désormais le Secrétariat d’État aux migrations [« SEM »]) auditionna le requérant les 12 juillet 2012, sommairement, et 14 avril 2014, conformément à l’article 29 de la loi sur l’asile. Le requérant affirmait que sa vie risquait d’être mise en danger en cas de retour au Soudan en raison de ses activités politiques en exil. Il faisait valoir qu’il était politiquement actif en Suisse en tant que membre du JEM et du Centre pour la paix et le développement au Darfour (Darfur Friedens- und Entwicklungs-Zentrum [DFEZ]). Il exposait qu’il s’occupait de l’organisation logistique des réunions hebdomadaires du JEM. Il indiquait avoir participé au Geneva Summit for Human Rights and Democracy au sein d’une délégation d’opposants soudanais ; à une rencontre entre le JEM et des responsables de l’Organisation des Nations unies (« ONU ») dans le cadre d’un événement d’une organisation non gouvernementale (« ONG ») active dans le domaine de la promotion du respect du droit international humanitaire, en tant qu’assistant ; à une manifestation critique envers le gouvernement soudanais ; à une manifestation co-organisée par le JEM devant le siège du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), à Genève ; et à une conférence pour la paix au Darfour. À l’appui de sa demande d’asile, le requérant fournit au SEM son certificat de naissance, une attestation de fin d’études et divers documents, notamment des photographies, concernant ses activités politiques en Suisse. Par une décision du 10 juin 2014, le SEM considéra que le requérant n’avait pas la qualité de réfugié, rejeta sa demande d’asile et ordonna son renvoi de Suisse. Il exposait que les motifs de fuite allégués par le requérant n’étaient pas vraisemblables, soulignant en particulier que le requérant s’était contredit à plusieurs reprises et qu’il n’avait pas été en mesure de fournir des explications convaincantes à ce propos. Le requérant avait ainsi affirmé être devenu membre du JEM à l’école secondaire, puis en 2005, soit à l’âge de 21 ans. Il avait prétendu ne pas connaître les deux intermédiaires auxquels il affirmait avoir transmis l’argent récolté pour le Darfour, puis était revenu sur ses propos. Il avait indiqué que l’un des deux intermédiaires avait été arrêté, puis que tous deux l’avaient été. Il avait soutenu que sa mère lui avait conseillé de fuir le Soudan avant de prétendre que ce conseil émanait d’un membre du JEM. Le SEM considérait que certains propos du requérant n’étaient pas suffisamment détaillés. Le requérant n’avait ainsi pas pu donner le nom complet des intermédiaires en question malgré les quatre années de collaboration alléguées. Il affirmait les avoir rencontrés lors de son adhésion au JEM, à l’occasion d’une conférence, puis à une fête de mariage, sans être en mesure de donner des détails sur les événements en question. Le requérant n’avait nommé le leader du JEM que lors de la seconde audition. Le SEM indiquait encore que, en raison des risques encourus par ceux qui s’opposaient au régime en place, il était improbable que le requérant eût ouvertement démarché les gens en faveur du JEM comme il le prétendait. Il relevait qu’il n’était guère imaginable que le requérant eût immédiatement pris la fuite suite aux avertissements d’une personne qui lui était étrangère, sans chercher à se renseigner davantage, et qu’il n’était pas non plus plausible que le JEM eût fourni un passeport à son propre nom au requérant alors qu’il se disait recherché par les autorités soudanaises. S’agissant des activités politiques en exil du requérant, le SEM considérait que le profil du requérant, pas particulièrement prééminent, n’était pas de nature à attirer l’attention des services secrets soudanais. Il précisait que, du point de vue d’un observateur externe, les activités du requérant équivalaient à des mises en scène à l’attention des autorités suisses visant à l’obtention d’un permis de séjour en Suisse. Le 10 juillet 2014, le requérant recourut contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (« TAF »), faisant valoir un risque de persécution en cas de retour au Soudan en raison de ses activités politiques en exil. Le requérant soutenait qu’il était un membre actif du JEM et du DFEZ, qu’il participait régulièrement aux rencontres, séances et manifestations organisées par ces mouvements, et qu’il s’occupait de la préparation des rencontres du JEM, notamment de prévenir les membres, de préparer la salle, les boissons et la nourriture. Il affirmait qu’il s’était entretenu de la situation au Darfour avec des leaders de l’opposition, lors de réunions en marge de l’ONU, et qu’il avait été photographié en leur compagnie, considérant que cela n’avait certainement pas échappé aux autorités soudanaises, notamment au Service national de la sûreté et du renseignement (National Intelligence and Security Service [« NISS »]). Il faisait valoir que son absence de fonction dirigeante au sein du JEM ne signifiait pas que les autorités soudanaises se désintéressaient de lui, soutenant par ailleurs qu’il ne pouvait pas être attendu de lui qu’il produisît des documents officiels attestant de l’hostilité des autorités soudanaises à son égard. Se référant à l’arrêt A.A. c. Suisse (no 58802/12, 7 janvier 2014), il prétendait qu’il serait faux de penser que les autorités soudanaises ne s’intéressaient qu’aux personnes dont l’activité politique était perçue comme une menace pour le régime en place, affirmant que le NISS surveillait les opposants en exil et que des activités mineures suffisaient pour être exposé à un risque de torture en cas de retour au Soudan. Dès lors, le requérant soutenait qu’il avait vraisemblablement été enregistré, ce d’autant plus que le JEM serait combattu par tous les moyens par le gouvernement soudanais, qu’il risquait d’être arrêté dès son arrivée à l’aéroport et qu’il n’avait pas d’alternative interne de fuite. Enfin, le requérant affirmait avoir rédigé deux articles en arabe, publiés sur internet en juin et juillet 2014, exposant des opinions très critiques à l’égard du gouvernement et des islamistes soudanais. Lors de la procédure de recours, le requérant fournit au TAF des photographies prises lors d’une séance du JEM et des copies des deux articles en arabe mentionnés ci-dessus (paragraphe 11 ci-dessus), accompagnées de traductions en allemand. Le TAF, statuant en dernière instance, rejeta le recours du requérant par un arrêt du 26 février 2015, notifié au requérant le 4 mars 2015. Il rappelait que l’engagement politique au sein du JEM au Soudan allégué par le requérant avait été qualifié d’invraisemblable et que ce dernier n’avait pas remis en cause cette qualification. Le TAF considérait qu’il convenait de se prononcer sur l’existence de motifs subjectifs survenus après la fuite. Il soulignait que le requérant, à l’exception de sa participation aux séances hebdomadaires du JEM, n’avait ni fait valoir ni documenté des activités politiques pour la période postérieure au 25 février 2014, et considérait dès lors que son engagement politique en exil n’était pas approfondi. Il ajoutait que le requérant ne pouvait être connu des autorités soudanaises en tant qu’opposant sur la seule base de son appartenance au JEM et de ses activités à l’interne de ce mouvement. Il indiquait, s’agissant de la participation du requérant à diverses conférences et manifestations critiques à l’égard du gouvernement soudanais, en tant qu’aide ou même sans aucune fonction spécifique, que ses activités ne pouvaient être qualifiées d’exposées ou prééminentes. Le TAF précisait que les moyens de preuve fournis n’étaient pas à même de remettre en cause les points précités. En particulier, il estimait que les deux articles critiques envers le gouvernement soudanais et l’islamisme, publiés sur internet, ne pouvaient être considérés comme mettant en danger le requérant. Il exposait que le nom de l’auteur des articles, qui sonnait de manière partiellement similaire à celui du requérant, se composait de quatre parties, alors que le requérant n’en avait indiqué que deux pour son nom lors de l’audition sur sa personne. Le TAF considérait dès lors que, en raison de ce nom divergeant, aucun lien ne pouvait être fait avec la personne du requérant. Il ajoutait que si les noms respectifs de l’auteur des articles en question et du requérant, tel qu’indiqué sur l’attestation qu’il avait fournie au SEM, se composaient des mêmes parties, l’ordre de ces dernières divergeait, ce qui soulevait de nouveaux doutes. Il indiquait que l’identité du requérant n’était pas établie, le certificat de naissance et l’attestation fournis par le requérant ne constituant pas des papiers d’identité au sens de l’article 1a de l’ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure. Dès lors, et faisant par ailleurs mention de la jurisprudence de la Cour, il concluait à l’absence de motifs de crainte de persécutions futures. Au surplus, le TAF considérait que rien ne s’opposait au renvoi du requérant vers le Soudan. Au cours de la procédure devant la Cour, le requérant affirma encore, s’agissant de ses activités politiques en exil, avoir participé au Geneva Summit for Human Rights and Democracy en tant que membre du DFEZ, à l’assemblée générale du JEM, à un événement d’une ONG active en matière de promotion du respect du droit international humanitaire et à diverses manifestations. Il allégua qu’il participait régulièrement à la préparation d’une émission de radio diffusée sur une station locale, qu’il s’était exprimé sur les ondes à propos de la situation au Darfour et qu’il avait été nommé responsable média de la branche suisse du JEM. Il affirma avoir participé à l’organisation d’une manifestation critique envers le régime soudanais et à la manifestation en tant que telle, que son nom et numéro de téléphone étaient mentionnés sur la lettre d’invitation et que des lettres avaient été remises à diverses organisations internationales à cette occasion. Il allégua enfin avoir participé à une réunion des membres exécutifs du JEM dans les locaux de l’ONU à Genève. Le requérant transmit à la Cour divers documents concernant ses activités politiques en Suisse, dont, en particulier, des photographies, un badge à son nom attestant de sa participation au Geneva Summit for Human Rights and Democracy pour le compte du DFEZ, un courrier du président de la section suisse du JEM attestant que le requérant était un membre actif du JEM, un courrier d’un membre du directoire du JEM et représentant en Allemagne de cette organisation décrivant le requérant comme un membre actif du JEM, responsable média de sa section suisse, et s’étant montré très actif au Soudan au sein d’une association d’étudiants du Darfour, un courrier du président de la section suisse du JEM indiquant que le requérant avait été actif politiquement au Soudan et dressant la liste des activités politiques du requérant en Suisse, notamment pour le compte du JEM, précisant qu’il avait été élu, puis réélu, responsable média de la section suisse du JEM, un courrier du leader du JEM attestant de l’appartenance du requérant au bureau exécutif de la section suisse du JEM, une invitation à une manifestation et un article publié sur internet la relatant, des lettres remises à diverses organisations internationales, et deux messages de menaces à l’encontre de l’un des organisateurs de ladite manifestation. II. LE DROIT INTERNE, LA PRATIQUE INTERNE ET LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne pertinent Les articles 3 et 54 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile (« LAsi », RS 142.31) prévoient ce qui suit : Article 3 : Définition du terme de réfugié « 1. Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur État d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques. Sont notamment considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui font valoir des motifs résultant du comportement qu’elles ont eu après avoir quitté leur pays d’origine ou de provenance s’ils ne constituent pas l’expression de convictions ou d’orientations déjà affichées avant leur départ ni ne s’inscrivent dans leur prolongement. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées. Article 54 : Motifs subjectifs survenus après la fuite L’asile n’est pas accordé à la personne qui n’est devenue un réfugié au sens de l’art. 3 qu’en quittant son État d’origine ou de provenance ou en raison de son comportement ultérieur. » L’article 1a de l’ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure du 11 août 1999 (« OA 1 », RS 142.311) prévoit ce qui suit : Article 1a : Définitions « Au sens de la présente ordonnance, on entend par : (...) c. pièce d’identité ou papier d’identité : tout document officiel comportant une photographie délivré dans le but de prouver l’identité du détenteur ; (...) » Les autres dispositions de droit interne pertinentes ont été exposées dans les arrêts A.A. c. Suisse (précité, § 19) et M.A. c. Suisse (no 52589/13, §§ 30-34, 18 novembre 2014). B. La pratique interne pertinente Dans un arrêt E-678/2012 du 27 janvier 2016, le TAF reconnut la qualité de réfugié à un ressortissant soudanais membre à la fois du DFEZ et du JEM, en particulier en raison de ses activités politiques en exil. Dans cet arrêt, le TAF indiquait qu’il fallait considérer que les activités politiques en exil des requérants d’asile étaient connues du gouvernement soudanais, que les services secrets surveillaient et contrôlaient les mouvements d’opposition à l’étranger, que les renseignements obtenus étaient analysés au Soudan et qu’ils étaient, entre autres, mis à la disposition des militaires. Il considérait qu’une surveillance complète des activités politiques à l’étranger était susceptible de dépasser les capacités financières, techniques et en termes de personnel du gouvernement soudanais, mais que les personnes qui, en raison de circonstances particulières, se distinguaient du cercle plutôt anonyme des simples participants aux événements politiques des organisations en exil, pouvaient être ciblées par ledit gouvernement. Le TAF relevait aussi que le JEM était l’une des plus importantes organisations rebelles au Soudan et qu’il était combattu par tous les moyens par les autorités soudanaises. Il indiquait que, le JEM ayant acquis une certaine légitimité en lien avec le conflit au Darfour et le gouvernement soudanais étant discrédité, le danger que représentait cette organisation aux yeux des autorités soudanaises avait augmenté, ce qui avait dès lors entraîné un comportement plus sévère de leur part à l’encontre des membres du JEM. S’agissant du cas particulier, le TAF considérait que la crainte de l’intéressé d’être victime de sérieux préjudices de la part du régime soudanais en cas de retour dans son pays d’origine était justifiée. Pour en arriver à cette conclusion, le TAF prit en compte le degré d’exposition de l’intéressé résultant de ses activités pour le compte du JEM, le qualifiant toutefois de pas très important, son engagement depuis 2007 au sein de cette organisation, sa participation active aux événements que le JEM avait organisés, ses rencontres avec des politiciens en exil, ses contacts personnels avec un membre éminent de l’opposition ainsi que sa qualité de membre actif du DFEZ. Enfin, il accorda également de l’importance à l’appartenance du demandeur à la fois à l’élite culturelle et à une minorité ethnique. C. Les documents internationaux pertinents Rapports d’experts pour le compte des Nations unies Dans son rapport du 28 juillet 2016, l’expert indépendant du Conseil des droits de l’homme des Nations unies relevait que des défis majeurs en matière de droits de l’homme subsistaient au Soudan. Malgré la tenue du dialogue national du Soudan (Sudan’s National Dialogue), boycotté par une part importante de l’opposition, dont le JEM, il existait une préoccupation croissante s’agissant des actions invasives du NISS et de leur impact sur l’exercice des droits civils et politiques et de nombreuses arrestations arbitraires et détentions au secret avaient été reportées. La peine de mort continuait à être appliquée, en particulier contre des membres des groupes armés du Darfour, tel le JEM. La situation des droits de l’homme demeurait précaire au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu. Des centaines de milliers de civils continuaient de souffrir des effets du conflit armé à travers des attaques directes, des déplacements et un accès limité à l’aide humanitaire. Dans le résumé de leur rapport du 9 janvier 2017, un panel d’experts du Soudan constatait que le JEM n’avait plus de présence importante au Darfour en raison de la stratégie de contre-insurrection efficace du gouvernement soudanais, qu’il opérait désormais principalement au Soudan du Sud et qu’il s’engageait dans des activités de mercenaires et supposément criminelles dans ce pays. Rapports du Secrétaire général des Nations unies concernant l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour à l’attention du Conseil de sécurité des Nations unies Dans son rapport du 23 décembre 2016, le Secrétaire général des Nations unies observe ce qui suit : « Aucun conflit armé majeur n’a eu lieu au Darfour au cours de la période considérée. Toutefois, la situation est restée instable en l’absence de progrès vers un accord global à même de remédier aux causes profondes de la violence. (...) Aucun affrontement n’a été signalé entre le Gouvernement et les forces du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et de la faction Minni Minawi de l’Armée de libération du Soudan (ALS/MM) depuis avril 2015 et avril 2016, respectivement. À la suite du cessez-le-feu proclamé par le Président, ces deux mouvements armés, en tant que membres du Front révolutionnaire soudanais, ont annoncé le 30 octobre qu’ils cessaient unilatéralement les hostilités à des fins humanitaires pour une durée de six mois. » Dans son rapport du 23 mars 2017, le Secrétaire général des Nations unies relève ce qui suit : « Au cours de la période considérée, les affrontements armés au Darfour continuent de baisser en intensité, et aucun combat de grande ampleur entre le Gouvernement et les groupes rebelles n’a été signalé, y compris dans le Jebel Marra. (...) Toutefois, les attaques contre les déplacés et les civils pour des questions de territoire, d’eau et de moyens de subsistance se sont poursuivies, en particulier celles commises par des milices armées. (...) L’ampleur globale des déplacements est restée la même. Malgré une amélioration des conditions de sécurité, la dynamique du conflit au Darfour a été la conséquence du caractère instable et imprévisible de la situation sur le terrain ainsi que de l’absence de progrès tangible en ce qui concerne la lutte contre les causes et les conséquences du conflit. (...) Aucun affrontement n’a été signalé entre les forces gouvernementales et les groupes rebelles, y compris les factions Abdul Wahid et Minni Minawi de l’Armée de libération du Soudan (respectivement ALS-AW et ALS-MM) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE). (...) Le 8 mars 2017, après la libération, sous les auspices du Président ougandais, de 125 prisonniers de guerre soudanais par le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (MPLS-N), le Président Al-Bashir a signé un décret par lequel il a gracié 259 combattants capturés au cours d’affrontements passés et, notamment, commué les peines de mort prononcées contre 66 membres de la faction Gibril Ibrahim du MJE (MJE-faction Gibril Ibrahim) et de l’ALS-MM. Le Président a également accordé une amnistie générale à 181 combattants du MJE-faction Gibril Ibrahim et à 12 membres de l’ALS-AW et de l’ALS-MM impliqués dans des combats contre les forces gouvernementales en 2015. » Rapport 2015 du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni sur les droits de l’homme et la démocratie Dans son rapport du 21 avril 2016, le Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni relevait que, de manière générale, il n’y avait pas eu d’amélioration significative sur le plan des droits de l’homme au Soudan en 2015. S’il y avait eu moins de combats que les années précédentes, en raison de cessez-le-feu, les conflits au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeaient avec des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par toutes les parties aux conflits, mais majoritairement par le gouvernement. Les pouvoirs et l’immunité des services de sécurité restaient préoccupants et le gouvernement manifestait peu de volonté d’entreprendre des réformes. La jurisprudence pertinente de la Chambre d’immigration et d’asile du Tribunal Supérieur du Royaume-Uni La Chambre d’immigration et d’asile du Tribunal Supérieur du Royaume-Uni (the Immigration and Asylum Chamber of the United Kingdom Upper Tribunal « le Tribunal Supérieur du RoyaumeUni »), dans sa décision IM and AI (Risks – membership of Beja Tribe, Beja Congress and JEM) Sudan (CG) [2016] UKUT 00188 (IAC) du 14 avril 2016, considérait que les informations consultées laissaient apparaître une distinction claire entre les personnes arrêtées pour une courte durée, questionnées, probablement intimidées, voire malmenées sans avoir subi ou risqué de subir un sérieux préjudice, et celles confrontées à un risque bien plus important de sérieux préjudice. Le Tribunal Supérieur du RoyaumeUni indiquait qu’il fallait faire des distinctions parmi ceux dont l’activité politique n’était pas importante, ou pas perçue comme telle, ou qui n’avaient pas beaucoup d’influence. Il relevait que s’il suffisait de peu pour que le NISS ouvre un fichier, le fait même qu’autant de personnes fussent identifiées comme cibles potentielles impliquait toutefois inévitablement que le NISS distinguât entre ceux qu’il considère comme un réel danger et les autres. Le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni considérait que, pour rendre crédible un risque, il n’était pas suffisant que l’intérêt des autorités se limite au phénomène extrêmement commun d’arrestation et de détention qui, bien qu’intimidant et pensé pour être intimidant, n’atteignait pas le seuil de la persécution. Il considérait qu’il était clair que les autorités soudanaises s’appuyaient sur la récolte de renseignements sur les activités des membres de la diaspora qui incluaient la surveillance secrète. Il indiquait que la nature et l’étendue des activités de l’appelant donnaient des informations pour déterminer s’il était probable que ces activités attirent l’attention des autorités soudanaises, tout en gardant à l’esprit la probabilité que les autorités devraient distinguer parmi un groupe potentiellement important d’individus entre ceux qui justifient d’être ciblés et les autres. Il exposait qu’il convenait de dresser un tableau aussi complet que possible de la situation de l’appelant en prenant en considération tous les éléments pertinents, y compris ceux qui n’avaient pas été établis, même selon une norme de preuve inférieure. Il concluait que les coûts et efforts évidents qu’impliquaient la collecte de ces informations rendaient probable que ces ressources soient ciblées sur ceux qui présentaient les risques les plus évidents et, que dans une foule, il n’était pas probable que la surveillance vise à identifier les participants subalternes et plus probable qu’elle se concentre sur les dirigeants, les organisateurs, ceux qui étaient souvent ou régulièrement vus à ce genre d’événements et ceux présents à des événements qui soient susceptibles d’attirer une attention particulière de la part des officiels soudanais. Informations sur le pays et directives du Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni Dans deux documents publiés en août 2016, concernant le traitement des requérants d’asile soudanais à leur retour au Soudan et le traitement des personnes ayant été actives politiquement au Royaume-Uni, le Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni indiquait que la Commission des réfugiés, affiliée au Ministère de l’Intérieur soudanais, était responsable de la surveillance des réfugiés soudanais à l’étranger et qu’elle entretenait vraisemblablement des liens étroits avec le NISS, lui-même responsable d’importantes violations des droits de l’homme au Soudan. Le Bureau de l’Intérieur précisait que le NISS était responsable du contrôle des frontières et qu’un amendement récent à la Constitution soudanaise lui permettait de remplir des tâches habituellement confiées aux forces armées. Il soulignait que les personnes suspectées de constituer une menace pour l’État pouvaient être détenues sans être inculpées durant 45 jours, que cette période pouvait être prolongée de trois mois et que les membres du NISS jouissaient de l’impunité pour les actes qu’ils commettaient dans l’exercice de leurs fonctions. S’agissant du retour des requérants d’asile déboutés ayant eu des activités politiques au Royaume-Uni, le Bureau de l’Intérieur relevait que le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni, dans sa décision IM et AI du 14 avril 2016 (paragraphe 25 ci-dessus), n’avait pas défini une liste de facteurs de risques, mais avait en revanche insisté sur la nécessité d’examiner l’ensemble des faits. Le Bureau de l’Intérieur indiquait toutefois que les facteurs suivants, qui ne devaient pas être considérés comme une liste de contrôle exhaustive, pouvaient être pertinents : les autorités se sont déjà intéressées à la personne concernée par le passé, que ce soit au Soudan ou à l’étranger ; la personne concernée a promu des opinions hostiles au régime soudanais à travers divers médias en ligne ; la personne concernée a ou a eu des contacts avec des groupes de l’opposition en exil, y compris en participant à des réunions ou manifestations publiques, ou a un profil en ligne en lien avec des groupes de l’opposition ou une adresse email liée à ces groupes ; la nature du groupe d’opposition concerné et la mesure dans laquelle il est ciblé par le gouvernement ; les relations personnelles ou familiales de la personne concernée avec des figures notoires de l’opposition au régime soudanais. Rapport commun du Service danois de l’immigration et du Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni Dans leur rapport commun d’août 2016 portant sur la situation des personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, le Service danois de l’immigration et le Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni indiquaient que les personnes présentant un profil politique retournant au Soudan étaient susceptibles d’être questionnées et arrêtées à leur arrivée à l’aéroport international de Khartoum. Ils soulignaient qu’avoir demandé l’asile à l’étranger ne posait pas de problèmes avec les autorités soudanaises, lors du retour, pour les personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, à l’exception des personnes revenant d’Israël. Ces personnes ne rencontraient pas de difficultés accrues en raison d’un long séjour à l’étranger ou du fait qu’elles voyageaient avec des documents d’identités provisoires et l’appartenance ethnique d’une personne n’affectait pas le traitement reçu à son arrivée à l’aéroport international de Khartoum. Plusieurs sources expliquaient que les passagers arrivant audit aéroport passaient par deux types de contrôle : un contrôle des documents et des permis de séjour auprès d’un bureau de l’immigration puis un contrôle de sécurité effectué par le NISS. Rapport 2015 du Département d’État des États-Unis d’Amérique sur les pratiques en matière de droits de l’homme Dans son rapport du 13 avril 2016, le Département d’État des ÉtatsUnis d’Amérique indiquait que le conflit entre le gouvernement et les rebelles au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeait et que toutes les parties aux conflits commettaient des violations des droits de l’homme. En janvier 2015, de nouveaux amendements à la Constitution élargissaient le mandat du NISS, lui confiant des tâches précédemment réservées aux forces armées, alors que l’impunité demeurait un problème courant dans toutes les branches des forces de sécurité. Le Département d’État indiquait encore que les forces de sécurité avaient arrêté trois hommes accusés d’avoir transmis des informations au JEM au DarfourOccidental en juillet 2015, que l’un d’entre eux avait prétendument été torturé à mort et que les deux autres restaient en détention. Par ailleurs, 76 membres du JEM étaient encore emprisonnés à la fin 2015. Rapports d’ONG Dans son rapport mondial du 12 janvier 2017, Human Rights Watch exposait que le bilan du Soudan en matière de droits de l’homme restait épouvantable pour 2016 et relevait que les autorités bloquaient la participation de membres de la société civile à des événements internationaux tel l’examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme à Genève. Dans son rapport international 2016/2017 du 22 février 2017, Amnesty International indiquait que la situation sécuritaire et humanitaire au Darfour, dans le Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu demeurait désespérée et que des indices suggéraient que des armes chimiques avaient été utilisées par les forces gouvernementales au Darfour.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et réside à Ankara. En 2003, alors que le requérant travaillait comme expert-comptable de la Fondation turque pour la protection de l’environnement (Türkiye Ҫevre Koruma Vakfı), cette fondation fit l’objet d’un contrôle fiscal. Le 15 septembre 2003, l’inspecteur chargé de ce contrôle, D.R.Ö., rendit un rapport sur la situation comptable et fiscale de la fondation faisant état d’irrégularités dans la gestion comptable de celle-ci. À la suite de ce rapport, la fondation résilia le contrat qui la liait au requérant. Le 21 novembre 2003, par une lettre adressée à la direction générale des fondations, le requérant contesta les conclusions du rapport. Il alléguait notamment que celui-ci avait été rédigé de manière subjective et qu’il contenait des erreurs de droit. Il demandait en conséquence l’annulation de certains passages qui, à ses dires, risquaient de nuire à sa carrière. Le requérant joignait à son envoi la copie d’une lettre qu’il avait préalablement adressée à la Fondation turque pour la protection de l’environnement. Dans cette lettre, il soutenait notamment que le rapport litigieux n’était ni conforme au droit ni fondé sur des critères objectifs et légaux, mais qu’il reflétait les opinions personnelles de l’inspecteur, alors même, disait-il, que le domaine concerné ne relevait pas des compétences de ce dernier. Enfin, il reprochait à l’inspecteur en question d’avoir agi comme s’il avait lancé une « fatwa » à son encontre, tout en le comparant indirectement à Bekçi Murtaza, un personnage fictif issu de la littérature turque. Le 26 janvier 2004, la direction générale des fondations répondit au requérant que seule la Fondation turque pour la protection de l’environnement pouvait demander l’annulation ou la suppression de certains passages du rapport litigieux. Elle estimait par ailleurs que les allégations du requérant étaient dénuées de fondement. En février 2004, D.R.Ö. porta plainte contre le requérant auprès du procureur de la République d’Ankara (« le procureur de la République ») pour injure à un fonctionnaire d’État. Le 10 mars 2004, le requérant soumit un mémoire en défense au procureur de la République, dans lequel il soutenait n’avoir eu aucune intention d’insulter qui que ce fût. Il indiquait qu’il s’était borné à demander la rectification de certains passages du rapport litigieux, qui étaient selon lui contraires aux lois et à la procédure. Il arguait que les propos qui lui étaient reprochés avaient été extraits et isolés de leur contexte. Il précisait notamment qu’il avait placé les expressions « Bekçi Murtaza » et « fatwa » entre guillemets pour souligner que, à ses yeux, certaines fonctions étaient exercées de manière singulière, mais qu’il ne visait personne en particulier. Le 19 mars 2004, le procureur de la République inculpa le requérant pour injure à un fonctionnaire d’État et requit sa condamnation sur le fondement de l’article 266 de la loi pénale no 765. Le procureur estima que les phrases suivantes, écrites par le requérant, dépassaient les limites de la critique et recelaient une intention injurieuse : « (...) L’argument selon lequel les actes ont été accomplis en l’absence de documents pour les étayer découle du manque de connaissances de Monsieur l’inspecteur, celui-ci n’ayant jamais travaillé dans les services bancaires. [Il faudrait] apprendre à Monsieur l’inspecteur le fonctionnement des comptes figurant dans le plan comptable (...) Est incompatible avec le sérieux du poste qu’ils occupent et l’impartialité [requise] (...) le fait, pour ceux dont ce n’est pas la compétence, de lancer une « fatwa » avec la mentalité d’un « Bekçi Murtaza » (...) » Le requérant fut poursuivi devant le tribunal correctionnel d’Ankara. Le 1er décembre 2005, il soumit un mémoire en défense au tribunal correctionnel. Il y plaidait que les critiques contenues dans sa lettre étaient uniquement dirigées contre un rapport d’inspection et qu’il n’avait pas eu l’intention d’injurier l’auteur de celui-ci. Il demandait par ailleurs au tribunal de rechercher les raisons pour lesquelles la Fondation avait fait l’objet d’un contrôle fiscal. Le 19 décembre 2005, à la demande du tribunal correctionnel, l’Institut de la langue turque rendit une expertise relative aux expressions faisant l’objet des poursuites menées à l’encontre du requérant. D’après ce rapport, certaines expressions employées tendaient à dénigrer D.R.Ö. et à souligner ses insuffisances, notamment lorsque le requérant mettait en doute les connaissances de l’inspecteur et disait s’être chargé des tâches qui auraient dû être accomplies par celui-ci. En outre, selon les conclusions de cette expertise la phrase : « (...) Est incompatible avec le sérieux du poste qu’ils occupent et l’impartialité [requise] (...) le fait, pour ceux dont ce n’est pas la compétence, de lancer une « fatwa » avec la mentalité d’un « Bekçi Murtaza » (...) », dépassait les limites de la critique admissible car, en comparant la mentalité de l’inspecteur avec celle de « Bekçi Murtaza », le requérant avait cherché à le décrire comme quelqu’un qui pensait avoir le devoir de se mêler de tout. Le 23 décembre 2005, le tribunal correctionnel reconnut le requérant coupable de l’infraction reprochée et le condamna à une peine d’emprisonnement de deux mois et à une amende judiciaire de 346 livres turques (TRY) en vertu de l’article 266 de la loi pénale no 765. Eu égard aux modalités de commission de l’infraction et à la personnalité du requérant, le tribunal correctionnel commua la peine d’emprisonnement en une amende judiciaire de 660 TRY. Le requérant fut donc condamné au total à une amende judiciaire de 1 006 TRY. Dans sa motivation, le tribunal correctionnel jugeait, à la lumière du rapport de l’Institut de la langue turque (paragraphe 16) et du contenu du dossier, que les termes employés par le requérant relevaient de l’insulte. Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 11 décembre 2007, la Cour de cassation infirma le jugement de première instance. À l’appui de sa décision, elle relevait que la lettre contenant les expressions reprochées au requérant n’avait pas été adressée au plaignant, de sorte qu’était en cause l’infraction d’injure à fonctionnaire, prévue aux articles 273 et 482 § 1 du code pénal, commise en l’absence de la personne injuriée. Elle prit également en compte la circonstance que l’infraction en cause impliquait qu’une conciliation soit préalablement envisagée et, en cas d’échec de celleci, que la possibilité de surseoir au prononcé du jugement soit appréciée. Elle relevait que cela n’avait pas été le cas en l’espèce. L’affaire fut renvoyée devant le tribunal correctionnel. Le 24 décembre 2008, après avoir constaté que le plaignant refusait toute conciliation, le tribunal correctionnel reconnut le requérant coupable des faits reprochés et le condamna à une peine de sept jours de prison et à une amende judiciaire de 343 TRY en vertu de l’article 482 de la loi no 765. Compte tenu notamment de la personnalité du requérant, le tribunal correctionnel commua sa peine de prison en une amende judiciaire de 63 TRY, et condamna l’intéressé finalement à une amende totale de 406 TRY. Dans sa motivation, le tribunal correctionnel se référait aux conclusions du rapport d’expertise du 19 décembre 2005 (paragraphe 16 cidessus). Il jugeait, au vu des preuves rassemblées et de l’ensemble du dossier que, en employant des expressions telles que « mentalité d’un Bekçi Murtaza », l’accusé avait injurié le plaignant, en l’absence de ce dernier. Le jugement fut prononcé à titre définitif. Le 19 février 2009, il fut notifié au requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 266 de la loi pénale no 765 du 1er mars 1926 énonçait, en ses passages pertinents en l’espèce, notamment ce qui suit : « Quiconque, par des paroles ou par des actes, porte atteinte à l’honneur, à la réputation ou à la dignité d’un fonctionnaire, en sa présence et à l’occasion de ses fonctions, sera puni de la manière suivante : de deux à huit mois d’emprisonnement et d’une amende lourde de 250 à 500 livres turques, si l’offense ou l’attaque a été dirigée (...) ou contre un fonctionnaire autre que ceux mentionnés aux deuxième et troisième paragraphes ; (...) (...) Si l’offense mentionnée au premier alinéa consiste à imputer à quelqu’un un fait déterminé : Dans le cas prévu au premier paragraphe, la peine sera de cinq mois à trois ans d’emprisonnement et d’une amende lourde de 500 livres turques à 3000 livres (...) (...) » L’article 273 de cette loi énonçait en outre : « (...) quiconque commet une infraction contre l’un des membres de la Grande Assemblée nationale (...) ou contre un fonctionnaire de l’État, et ce en raison de son titre ou de ses services, sera puni par l’aggravation du sixième au tiers de la peine prévue par la loi pour cette infraction. » L’article 482 de cette même loi disposait, en ses passages pertinents en l’espèce : « Quiconque, en se mettant en rapport avec un groupe de plus de deux personnes assemblées ou dispersées, attaque de quelque manière que ce soit, l’honneur, la réputation ou la dignité d’une personne sera puni d’une peine allant jusqu’à trois mois de prison et à une amende lourde de 50 000 à 500 000 livres. Si l’acte a été commis en présence de la personne offensée, même si elle se trouve seule, ou au moyen d’une lettre, d’un message téléphonique, d’un dessin, qui lui sont adressés directement ou de tout autre écrit, la peine sera de quinze jours à quatre mois d’emprisonnement et d’une amende lourde de 100 000 à un million de livres. (...). » Cette loi fut abrogée par l’adoption de la loi pénale no 5237 du 26 septembre 2004, publiée au journal officiel le 12 octobre 2004 et entrée en vigueur le 1er juin 2005.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants (paragraphe 1 ci-dessus) sont nés respectivement en 1944, en 1955, en 1980, en 1975 et en 1971, et résident sur l’île de Skopelos. La deuxième requérante est l’épouse du premier requérant, et les autres requérants sont les enfants du couple. Le premier requérant se dit propriétaire d’un terrain situé au lieu-dit Glysteri, à Skopelos. Il indique que la propriété du terrain lui avait été transmise par son père par donation entre vifs (document no 18059/29-12-1982 transcrit au bureau du registre foncier de Skopelos) ; que son père était devenu propriétaire du terrain dans les années 1930 par testament publié par un tribunal ; que son grand-père avait acquis le terrain par acte notarié auprès de son oncle en 1916, qui l’avait lui-même acheté en 1909 à G.P., qui l’avait acheté en 1902 à M.P., qui l’avait acheté en 1883 à M.M. Le contrat de 1883 indiquait que la propriété de ce terrain avait été apportée à M.M. en dot par son épouse. À l’extrémité du terrain, à la limite de la plage, le premier requérant avait fait construire une taverne qui fonctionnait légalement depuis des décennies, près de l’endroit où était construite une bâtisse appartenant à la famille, et habitée par le premier requérant et les siens pendant l’été. La plage et la taverne furent rendues célèbres par le film Mama Mia. L’hiver, le premier requérant et son épouse étaient les seuls habitants de cette côte de l’île. La terre avoisinante appartenait au saint monastère de Megisti Lavra (La Grande Laure) (« le monastère ») et n’était pas habitée. Selon les informations fournies par les requérants, le terrain et les constructions appartenaient au premier requérant. La licence de la taverne avait été transférée en 2002 à la deuxième requérante (à la suite du départ à la retraite du premier requérant), qui l’exploitait avec les quatrième et cinquième requérants. Les deuxième et troisième requérantes possédaient deux bateaux qui servaient à transporter les touristes de la ville de Skopelos à la plage et à la taverne. La taverne abritait également un petit musée folklorique avec une collection d’objets plus importante que celle du musée public de l’île. Un système de dessalement de l’eau de mer installé sur le terrain litigieux servait, entre autres, à l’arrosage de 350 oliviers dont la deuxième requérante extrayait de l’huile pour les besoins de son restaurant. Les requérants allèguent que, selon une estimation établie dans le cadre d’une expertise, la valeur d’exploitation de leur propriété s’élevait à 2 400 000 euros (EUR). En 2004, le monastère décida de revendiquer en justice la propriété du terrain du premier requérant et saisit à cet effet le tribunal de première instance de Volos. Dans son action, le monastère soutenait qu’il était le seul propriétaire du terrain avoisinant la plage de Glysteri et qu’il l’avait acheté le 26 septembre 1824. À titre subsidiaire, il soutenait que, comme l’île de Skopelos était devenue partie de l’État grec en 1830, il avait acquis ces terrains par usucapion, à compter de 1882 (date de libération de la région de Thessalie) et qu’il en avait été propriétaire jusqu’en 1912, soit pour une durée supérieure à la période de trente ans exigée par le droit romain et byzantin en vigueur à l’époque. De son côté, le premier requérant présenta des actes de propriété du terrain établis au nom des membres de sa famille dont le premier était daté de 1883 et qui se succédaient de 1916 à 1933. Il produisit, en outre, un acte du 19 septembre 1916 selon lequel son grand-père avait acquis la propriété du terrain, un testament de 1933 selon lequel ce grand-père avait transmis la propriété du terrain à son père, un acte d’acceptation de succession (no 3357) du père du premier requérant établi le 2 novembre 1960 devant notaire, et un acte d’acceptation de succession no 18052/29-12-1982, établi devant notaire lors de la transmission de la propriété par son père et transcrit au service du registre foncier de Skopelos. En outre, le premier requérant invita le tribunal à rejeter l’action au motif qu’elle revêtait un caractère vague, arguant que le monastère ne précisait pas de manière claire les limites du terrain revendiqué. Il allégua de surcroît que le terrain litigieux tel que décrit ne correspondait pas au plan topographique. Il souleva aussi une objection tirée de la prescription, indiquant que le monastère n’avait pas exercé ses droits sur le terrain revendiqué pendant plus de vingt ans et qu’il ne l’avait jamais possédé ou exploité. Il souligna, en outre, que lui-même et ses prédécesseurs accomplissaient depuis 1916, de manière incessante, de bonne foi et en vertu d’un titre légal, des actes de possession sans qu’ils soient interpellés par le monastère ou qui que ce soit d’autre. Même avant 1916, et au moins depuis 1865, ses prédécesseurs d’alors possédaient le terrain de bonne foi et sans rencontrer d’obstacle. En 1916, Ioannis Kosmas avait transmis par un acte de vente le terrain au grand père du premier requérant. Enfin, le premier requérant soulignait qu’à supposer même que le monastère ait pu prétendre un droit quelconque sur le terrain, l’écoulement de plusieurs décennies depuis 1916, pendant lesquelles lui et ses prédécesseurs accomplissaient des actes incessants de possession et compte tenu de certains faits, tels la construction des bâtiments, l’autorisation de clôturer le terrain, l’octroi du permis de fonctionnement du restaurant, les titres de transferts de propriété, combinée avec la longue inaction du monastère, rendait l’exercice de ce droit abusif. Dans ses observations en réponse, le monastère se prévalait de certaines dispositions législatives de protection des monastères du mont Athos. Quant à l’objection précitée, il observait que, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, cette prescription aurait dû être arrivée à terme le 11 septembre 1915, au motif que, postérieurement à cette date, il ne pouvait plus y avoir usucapion au détriment des terrains appartenant à l’État et aux monastères. Par le jugement no 148/2006, le tribunal de première instance de Volos donna gain de cause au monastère et le reconnut propriétaire du terrain litigieux. Il indiqua que, depuis le 12 septembre 1915, les biens immobiliers des saints monastères n’étaient pas assujettis à l’usucapion et qu’ils étaient couverts par les dispositions de la loi no 1539/1938 relative à la protection du domaine public. Le tribunal souligna que le droit applicable durant la période ottomane ne reconnaissait pas l’acquisition de propriété par usucapion et que la période pendant laquelle le monastère possédait le terrain avant cette libération n’entrait pas en ligne de compte aux fins de l’usucapion. Il ajouta que, après la libération de la Thessalie en 1882, le droit romain et byzantin devint applicable, et que la possession continua de sorte que, en 1912, le monastère possédait de bonne foi le terrain litigieux depuis trente ans et était donc devenu propriétaire de celui-ci par usucapion. Il précisa que, à compter du 12 septembre 1915, les terrains du monastère avaient bénéficié, en vertu de la loi no 1539/1938 et de l’article 21 du décret du 22 avril/16 mai 1926, de la même protection que ceux du domaine public, indépendamment de toute possession réelle de la part des tiers, et qu’un tiers aurait dû obtenir la suppression éventuelle des droits de propriété du monastère par l’effet de l’usucapion au plus tard le 12 septembre 1915. Le tribunal rejeta aussi l’objection tirée du caractère vague de l’action du monastère, au motif que les limites du terrain litigieux, le rivage et l’étendue forestière et rocailleuse étaient stables et non contestés, et que la longueur du terrain était déterminée de manière précise. Il estima que l’acte notarié de 1960 par lequel le père du premier requérant avait accepté la succession lui transmettant la propriété de certains terrains ne pouvait être considéré comme titre de propriété du terrain qui aurait été « transmis » au premier requérant en 1982 par son père, au motif que le terrain décrit dans cet acte se distinguait de manière substantielle du terrain litigieux. Il releva que, dans les actes d’acceptation de succession fournis par le requérant, le terrain mentionné ne coïncidait pas avec le terrain litigieux. Quant au moyen du requérant relatif à l’abus de droit du monastère (article 281 du code civil), le tribunal admit que le monastère, en raison du nombre trop faible de moines et de l’impossibilité d’exploiter ses dépendances, n’avait pas été en mesure d’engager plus tôt cette action, mais que cela ne signifiait pas pour autant qu’il eût renoncé à ses droits. Il ajouta que l’inaction du monastère pendant une longue période ne rendait pas son action abusive. Aux yeux du tribunal, les frais engagés par le premier requérant pour exploiter commercialement le terrain ne rendaient pas non plus l’action du monastère abusive. À cet égard, le tribunal estima que le requérant possédait le terrain de mauvaise foi et que ses frais avaient été compensés par les profits de son entreprise. En outre, d’après le tribunal, le requérant avait bénéficié des avantages du terrain litigieux pendant une longue période sans verser de loyer au monastère en contrepartie de son usage. Enfin, le tribunal ordonna au premier requérant de rendre le terrain en question au monastère. Le 13 février 2007, le premier requérant interjeta appel contre ce jugement devant la cour d’appel de Larissa. Il réitérait les arguments qu’il avait présentés en première instance. Par l’arrêt no 749/2010 du 29 octobre 2010, la cour d’appel rejeta l’appel pour les mêmes motifs que ceux du tribunal de première instance. Elle rejeta aussi une demande du premier requérant aux fins d’expertise au motif que la question à trancher n’exigeait pas que l’on disposât d’informations scientifiques particulières. Elle releva, plus particulièrement, que le monastère avait acheté le terrain litigieux de la vraie propriétaire par un acte de transfert de propriété certifié par la chancellerie de Skopelos et qu’il le possédait ainsi de bonne foi depuis 1824. Elle constata qu’en 1974, alors que les terrains situés sur le front de mer commençaient à prendre de la valeur, le père du premier requérant et le premier requérant s’étaient progressivement approprié une partie du terrain en le clôturant non pas pour en revendiquer la propriété, mais pour y faire paître leur troupeau de moutons. Elle nota que, par la suite, le premier requérant s’était livré à l’accomplissement d’actes de possession sur le bien plus conséquents, notamment la construction d’une hutte, et que, à compter de 1986, il avait commencé à exploiter sur le terrain en cause, pendant la période estivale, un bar-restaurant après avoir obtenu une licence à cet effet auprès du commissariat de police de Skopelos. Elle releva également que, en 1994, le premier requérant, après s’être vu délivrer un permis de construire par le service de l’urbanisme de l’île, avait érigé sur la moitié du terrain un bâtiment de 135 m² qui abritait son activité et dont il utilisait l’autre moitié comme bergerie. Enfin, elle constata que le premier requérant avait empiété sur une autre partie du terrain du monastère pour s’en servir comme voie d’accès. Elle souligna que le monastère ne disposait pas d’un effectif suffisant de moines et qu’il ne pouvait pas s’occuper de toutes ses propriétés, et qu’il n’avait dès lors pas pu introduire son action plus tôt, sans que cela signifiât qu’il eût renoncé à ses droits. Enfin, la cour d’appel observa qu’il ne ressortait pas des actes de propriété des prédécesseurs du premier requérant datant de 1883, 1902 et 1909, dont le premier requérant se prévalait et qu’il présentait pour la première fois devant elle, que ses prédécesseurs eussent accompli des actes de possession (νομή) sur le terrain litigieux. Le 25 janvier 2011, le premier requérant se pourvut en cassation et introduisit en même temps une demande de suspension de l’exécution du jugement de première instance et de l’arrêt de la cour d’appel pour autant qu’ils ordonnaient la restitution du terrain au monastère, tendant ainsi à protéger sa possession du terrain et à éviter son éviction. Afin d’étayer cette demande, il déposait plusieurs documents qui démontraient, selon lui, le caractère irrémédiable du dommage qu’il subirait en cas d’exécution de ces décisions. La Cour de cassation accueillit la demande de suspension. Dans son pourvoi, le premier requérant alléguait une violation des dispositions de la législation pertinente relatives à l’usucapion et de l’article 281 du code civil (abus de droit). Il soutenait, en outre, que l’arrêt de la cour d’appel contenait des motifs contradictoires relativement à un point ayant une incidence déterminante sur l’issue du procès (notamment les limites du terrain litigieux) et que la cour d’appel avait mal interprété le plan topographique établi par un expert. S’agissant du moyen relatif à l’article 281 précité, le premier requérant, se prévalant de la jurisprudence de la Cour de cassation, indiquait que, pendant une longue période antérieure à l’introduction de l’action, il s’était livré à des actes de possession sur le terrain litigieux, comprenant du travail personnel et des dépenses (investissements, constructions, etc.), et que le monastère, qui d’après l’intéressé s’était rendu compte ou aurait dû se rendre compte de ces actes, n’avait pas réagi et n’avait pas contesté ceux-ci, suscitant ainsi auprès des tiers la conviction qu’il n’exercerait jamais ses droits. Cette attitude du monastère avait diminué la force du droit dont celui-ci pourrait se prévaloir. La longue inaction du monastère devait être appréciée en combinaison avec les actes de possession du requérant, ce qui donnait à l’abus de droit une nature particulièrement caractérisée, car la modification de la situation entrainerait pour le requérant un dommage différent et multiple, supérieur à la simple perte du bien. S’agissant du moyen tiré de l’abus de droit, le juge rapporteur s’exprima ainsi dans son avis : « L’exercice par le saint monastère demandeur de l’action en revendication du droit de propriété sur le terrain litigieux ne dépasse manifestement pas les limites qu’imposent la bonne foi, les bonnes mœurs et le but économique et social de ce droit, compte tenu notamment du but consistant à protéger la propriété immobilière des monastères qui fut établi par l’article 21 du décret du 22 avril/16 mai 1926, car cette propriété a toujours fait l’objet d’empiétements et a constitué pour un propriétaire de mauvaise foi une source d’enrichissement sans cause. » Par un arrêt no 932/2012 du 31 mai 2012, la Cour de cassation entérina la proposition du rapporteur et confirma l’arrêt de la cour d’appel. En effet, la Cour de cassation considéra que la cour d’appel avait correctement interprété et appliqué les dispositions du droit romain et byzantin en vigueur avant le code civil. Elle releva que la cour d’appel avait constaté que le monastère avait acquis la propriété du terrain litigieux en 1824 (de sa vraie propriétaire, Mme O., épouse de G.K.) et que, en tout état de cause, il s’était livré à des actes de possession sur celui-ci de manière ininterrompue et de bonne foi à compter de 1882 (année de la libération de la région de Thessalie) et pendant plus de trente ans, soit jusqu’au 12 septembre 1915, voire après cette date. En particulier, elle releva que les moines faisaient paître leurs moutons sur le terrain litigieux, défrichaient celui-ci et dissuadaient les tiers de se l’approprier. Elle indiqua que la cour d’appel avait en outre constaté que, au cours de la même période, les aïeux du premier requérant ne s’étaient livrés à aucun acte de possession sur le terrain. La Cour de cassation précisa en outre que la cour d’appel avait suffisamment décrit les limites du terrain litigieux et que l’action du monastère n’était dès lors pas vague. Elle nota que les limites de la propriété étaient restées inchangées, et que c’était seulement récemment que le monastère avait cédé une bande de terre de 1 599,38 m² à la commune afin de permettre l’accès à la plage. Quant à la violation alléguée de l’article 281 du code civil, la Cour de cassation considéra que la cour d’appel avait suffisamment motivé sa décision. Enfin, quant à l’allégation du requérant selon laquelle le terrain litigieux ne faisait pas partie du terrain appartenant au monastère, la Cour de cassation nota que la cour d’appel ne s’était pas fondée uniquement sur le plan topographique, mais qu’elle avait pris en considération les dépositions des témoins cités par le monastère. L’arrêt de la Cour de cassation fut mis au net le 9 août 2012 et certifié conforme le 1er octobre 2012. En juillet 2012, le monastère notifia au premier requérant le jugement de première instance en vue de son exécution. Le premier requérant s’opposa à l’exécution de ce jugement devant le tribunal de première instance de Volos. Une audience fut fixée en 2014. Il déposa aussi une demande de suspension d’exécution (accompagnée d’une demande d’ordre provisoire de suspension). L’audience fixée au 1er novembre 2012 fut reportée au 10 janvier 2013 puis au 4 avril 2013. Le tribunal de première instance rejeta la demande d’ordre provisoire de suspension. L’éviction des requérants du terrain litigieux eut lieu en octobre 2013 en présence d’une unité de la police antiémeute acheminée sur l’île de Skopelos avec pour mission d’escorter les moines et de bloquer l’accès à Glysteri. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 21 du décret du 22 avril/16 mai 1926 relatif à l’éviction administrative des terrains appartenant à la défense aérienne et à l’interdiction de prise de mesures provisoires contre l’État et la défense aérienne dispose : « Les droits de l’État, de la défense aérienne et des saints monastères sur des biens immobiliers ne sont soumis à l’avenir à aucune prescription. Si cette prescription a commencé à courir, elle n’aura aucun effet juridique si un délai de trente ans ne s’est pas écoulé à la date de la publication du présent décret. » En droit grec, l’usucapion constitue un mode d’acquisition de propriété d’une très grande partie des biens de l’Église et des monastères. Ces biens (en particulier des terrains de nature agricole ou forestière) ont été acquis par les monastères au cours de plusieurs siècles avant la création de l’État grec moderne. Des monastères créés pendant l’époque byzantine ont acquis ces biens soit par la possession soit par des donations impériales ou privées. Comme au fil des siècles les titres de propriété de ces monastères ont été détruits, perdus ou volés, l’usucapion est venue remplacer les titres de propriété non conservés. La jurisprudence des tribunaux grecs a toujours admis que, jusqu’à l’introduction du code civil (soit jusqu’au 23 février 1946), les biens des monastères et de l’Église étaient insusceptibles d’être acquis par des tiers par usucapion. Par l’article 21 du décret précité, le législateur a étendu aux biens des monastères la protection qu’il accordait à ceux de l’État, afin de les protéger de ceux qui tenteraient de se les approprier en invoquant l’usucapion. En appliquant cet article, en combinaison avec certaines dispositions du droit romain et byzantin, la jurisprudence constante admet qu’un tiers peut se prévaloir d’un droit de propriété sur des biens de monastères seulement s’il prouve s’être livré à des actes de possession sur ces biens initialement pendant une période de quarante ans, puis de 30 ans (loi ΓΧΞ/1910), jusqu’au 12 septembre 1915. À compter du 16 mai 1926, les monastères sont considérés comme exerçant une possession ininterrompue sur leurs terrains (possession fictive), quelle que soit la situation et même si cette possession a été en réalité exercée par un tiers. L’article 4 de la loi no 1539/1938 relative à la protection du domaine public énonce : « Les droits de l’État sur les biens immeubles du domaine public sont imprescriptibles. » L’article 105 de la Constitution dispose : « 1. La presqu’île de Athos qui, à partir et au-delà de Megali Vigla, constitue le territoire du Mont Athos, est, selon son antique statut privilégié, une partie autoadministrée de l’État hellénique dont la souveraineté y demeure intacte. Du point de vue spirituel, le Mont Athos relève de la juridiction directe du Patriarcat œcuménique. Tous ceux qui y mènent la vie monastique acquièrent la nationalité hellénique dès qu’ils sont admis comme moines ou novices, sans autre formalité. Le Mont Athos est administré, d’après son statut, par ses vingt monastères, entre lesquels est répartie toute la presqu’île de Athos, dont le sol est inaliénable. (...) La détermination détaillée des régimes athonites et du mode de leur fonctionnement se fait au moyen de la Charte statutaire du Mont Athos que rédigent et votent les vingt monastères avec la participation du représentant de l’État, et qui est ratifiée tant par le Patriarcat œcuménique que par la Chambre des députés des Hellènes. » Les articles pertinents de la Charte statutaire du Mont Athos disposent : Article 1 « Le Mont Athos sacré est composé de vingt (...) monastères dans l’ordre hiérarchique suivant : 1) le saint monastère de Megisti Lavra (...) » Article 181 « Tous les biens immeubles des saints monastères sont totalement inaliénables en tant que biens de droit divin. » La Grande Laure occupe la première place dans le classement hiérarchique des monastères du Mont Athos. Créé en 963 après J.-C. avec l’aide de l’empereur byzantin Nikiforos Phokas, ce monastère a servi de base pour la mise en place ultérieure du monachisme du Mont Athos. C’est un établissement souverain et autoadministré. Il constitue une personne morale de droit public qui poursuit des buts d’intérêt général au service de l’Église et de la vie monastique, mais aussi des buts de charité et d’utilité publique (avis no 757/1974 du Conseil juridique de l’État, § 3). Les articles pertinents en l’espèce du code civil se lisent ainsi : Article 281 (abus de droit) « L’exercice d’un droit est prohibé s’il dépasse manifestement les limites imposées par la bonne foi ou par les bonnes mœurs ou par le but social ou économique du droit. » Article 974 (notion de la possession et de la détention) « Celui qui a acquis le pouvoir de fait sur une chose (détention) en est le possesseur, s’il exerce ce pouvoir avec l’intention d’agir en propriétaire. » Article 983 « La possession se transmet aux héritiers du possesseur. » Article 985 « Le possesseur peut repousser par la force tout trouble ou toute menace de dépossession. (...) Le possesseur d’un bien immeuble qui en a été illégalement dépossédé est en droit de le reprendre par la force aussitôt après la dépossession. » Article 1033 (acquisition d’un bien immeuble par contrat) « Le transfert de propriété d’un bien immeuble nécessite l’accord entre le propriétaire et l’acquéreur au sujet du transfert, qui doit être fait dans un but légitime. L’accord est dressé par acte notarié et doit être transcrit. » Article 1045 (usucapion extraordinaire) « Celui qui a possédé un bien meuble ou immeuble pendant vingt ans en devient propriétaire (usucapion extraordinaire). » L’article 80 (intervention accessoire (απλή πρόσθετη παρέμβαση) du code de procédure civile dispose : « Si, lors d’un procès pendant, un tiers a intérêt à ce que l’une des parties l’emporte, il peut intervenir pour appuyer les prétentions de celle-ci jusqu’au moment du prononcé d’une décision définitive. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1963 et réside à Canach. Mis à la retraite d’office le 12 mars 2012, le requérant sollicita l’octroi d’une pension avec effet immédiat. Son employeur refusa de faire droit à cette demande, au motif que la jouissance de la pension était différée jusqu’à l’âge de 65 ans en vertu de la loi réglant les pensions des fonctionnaires de l’État, applicable selon lui par analogie. Le requérant – se prévalant de l’application d’un règlement grand-ducal qui, d’après lui, posait comme seule condition à l’octroi de la pension une ancienneté de service de quinze ans – introduisit une requête contre son employeur devant le tribunal du travail de Luxembourg. Par un jugement du 11 mars 2013, confirmé en instance d’appel le 27 mars 2014, la requête fut déclarée recevable mais non fondée, au motif que le droit à la pension devait être déterminé par référence à la loi réglant les pensions des fonctionnaires de l’État. Le 24 juin 2014, le requérant forma un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel. Dans son mémoire, après avoir décrit, sur deux pages, l’« objet du recours », les « points de fait et de droit », ainsi que les « dispositions attaquées », il formulait, sur vingt-deux pages, quatorze moyens de cassation qui étaient tous présentés d’une manière identique. Ainsi, chaque moyen était présenté de la manière suivante. L’énoncé contenait un paragraphe dans lequel était cité le texte légal que le requérant estimait violé et indiquait de la sorte « le cas d’ouverture invoqué ». Puis, dans une partie intitulée « développement du moyen » étaient exposées les critiques portées contre l’arrêt de la Cour d’appel. Le 16 décembre 2014, le parquet général conclut que le pourvoi et les moyens de cassation étaient recevables. À ce dernier égard, il précisa ceci : « Le demandeur en cassation fait valoir pas moins de quatorze moyens de cassation. La partie défenderesse en cassation soulève, à propos de chaque moyen, une exception d’irrecevabilité pour manque de précision au regard des exigences de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885. Il est vrai que la formulation des moyens ne respecte pas strictement les critères de l’article 10, se limitant à invoquer le cas d’ouverture, sans indiquer, chaque fois expressément, la partie critiquée de la décision qui est entreprise et sans rappeler en quoi cette décision encourt le reproche allégué. Le parquet général considère toutefois que le non-respect de ces règles ne devrait pas porter à conséquence, alors que les critiques portées contre l’arrêt entrepris résultent clairement de la discussion du moyen qui, aux termes mêmes de l’article 10, [peut] compléter l’énoncé proprement dit du moyen. » Le parquet général poursuivit en relevant que les quatorze moyens pouvaient être regroupés en deux catégories, les moyens 1 à 8 portant sur des vices de fond et les moyens 9 à 14 sur des vices de forme. Pour le dernier groupe de moyens, il estima que la critique d’un défaut de motivation était à rejeter, dès lors que l’arrêt d’appel contenait une motivation, quelle qu’en fût d’ailleurs la justesse. Quant aux huit premiers motifs, il indiqua qu’ils portaient tous, sous des approches diverses, sur le problème clé soulevé par l’arrêt de la Cour d’appel. Il procéda à une analyse globale des deuxième et cinquième moyens, estimant que la réponse à la question du bien-fondé de ceux-ci rendait les autres moyens sans objet. Il proposa à la Cour de cassation de procéder par voie de substitution de motifs pour rejeter les huit premiers moyens. Par un arrêt du 7 mai 2015, la Cour de cassation déclara le pourvoi recevable, mais le rejeta aux motifs suivants : « Attendu, selon l’article 10, alinéa 2, de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, que chaque moyen de cassation doit préciser, sous peine d’irrecevabilité, le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision, et ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué ; Attendu que chacun des quatorze moyens de cassation se limite à indiquer un cas d’ouverture par l’indication du texte légal dont la violation est invoquée, sans préciser ni la partie critiquée de la décision, ni ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué ; Attendu que si, aux termes de l’alinéa 3 de l’article 10, l’énoncé des moyens peut être complété par des développements en droit, ceux-ci ne sauraient cependant suppléer à la carence originaire des moyens au regard des éléments dont la précision est requise sous peine d’irrecevabilité ; D’où il suit que les moyens de cassation sont irrecevables (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation (« la loi de 1885»), telle que modifiée en dernier lieu par une loi du 3 août 2010, dispose ce qui suit : « Pour introduire son pourvoi, la partie demanderesse en cassation devra, sous peine d’irrecevabilité, (...) déposer au greffe de la Cour supérieure de justice un mémoire (...), lequel précisera les dispositions attaquées de l’arrêt ou du jugement, les moyens de cassation et contiendra les conclusions dont l’adjudication sera demandée. La désignation des dispositions attaquées sera considérée comme faite à suffisance de droit lorsqu’elle résulte nécessairement de l’exposé de moyens ou des conclusions. Sous peine d’irrecevabilité, un moyen ou un élément de moyen ne doit mettre en œuvre qu’un seul cas d’ouverture. Chaque moyen ou chaque branche doit préciser, sous la même sanction : – le cas d’ouverture invoqué ; – la partie critiquée de la décision ; – ce en quoi celle-ci encourt le reproche allégué. L’énoncé du moyen peut être complété par des développements en droit qui sont pris en considération. (...) » Il ressort de l’exposé des motifs du projet de loi no 6108 ayant abouti à la loi du 3 août 2010 que la réforme de la loi de 1885 faisait suite aux critiques formulées par la Cour dans son arrêt Kemp et autres c. Luxembourg (no 17140/05, 24 avril 2008). Les passages pertinents en l’espèce du rapport de la commission juridique de la Chambre des Députés sur ledit projet de loi se lisaient comme suit : « (...) Le présent projet de loi entend tirer les conséquences de [l’arrêt Kemp et autres], même si ses auteurs annoncent dès le départ qu’il s’agit d’une „réforme a minima“ (...). (...) Dans le souci d’éviter d’autres condamnations du Luxembourg par la CEDH, il est proposé d’insérer, à l’endroit de l’article 10 de la loi modifiée du 18 février 1885 sur les pourvois et la procédure en cassation, un nouvel alinéa 2 insérant trois précisions obligatoires qui devront figurer dans chaque moyen ou élément de moyen (inspirées de l’article 978 du Nouveau code de procédure civile français) et un nouvel alinéa 3 comportant une référence au développement du moyen. Le cadre législatif relatif au pourvoi en cassation est ainsi davantage précisé. (...) Sous peine d’irrecevabilité, le moyen de cassation devra indiquer le cas d’ouverture invoqué, la partie critiquée de la décision et ce en quoi elle encourt le reproche allégué. Ces précisions remplacent ce que la CEDH a pu considérer comme un aléa pour le justiciable par un cadre législatif clairement déterminé, qui rend les décisions à intervenir plus prévisibles. En outre, le nouvel article 10 admet désormais explicitement que l’énoncé du moyen puisse être complété par des développements en droit qui sont pris en considération. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1977 et réside à Dison. La requérante, qui se déclare de confession musulmane, indique avoir pris, de sa propre initiative, la décision de porter le niqab – voile couvrant le visage à l’exception des yeux – afin d’être en accord avec ses convictions religieuses. Elle précise avoir pris la décision de porter le voile intégral à l’âge de seize ans. Elle explique que ce choix fut accepté par son entourage familial et social et par son mari. Elle souligne également qu’elle a toujours accepté de retirer son voile pour des raisons d’identification auprès des autorités, notamment lors de la délivrance de sa carte d’identité. Le 18 février 2008, le collège de police de la zone de Vesdre fit une proposition d’adaptation du règlement zonal de police, concernant la problématique du port de la burqa sur la voie publique et dans les lieux publics en ces termes : « CONTEXTE Quelques cas de port de la burqa (port d’un long voile foncé qui couvre complètement la tête et le corps de la femme musulmane cachant la plus grande partie du visage) sont constatés à Verviers, sur la voie publique et dans divers lieux publics. Ces agissements semblent choquer voire insécuriser la population. Diverses sources confirment cette information comme par exemple les représentants de la Commission consultative communale des femmes et ainsi que nos policiers de terrain. Il est nécessaire de préciser qu’il ne s’agit pas de port du foulard ou du voile qui laisse voir le visage comme le porte la grande majorité des femmes de la communauté musulmane sur le territoire de notre Zone de Police. BASES LÉGALES ACTUELLES Aucune base légale n’existe actuellement, un projet de loi aurait été déposé visant à insérer dans le code pénal un article interdisant à toute personne de se présenter sur l’espace public le visage masqué. Notre Règlement Zonal de Police précise dans son article 113 que : « (...) [Sauf autorisation du Bourgmestre, le port du masque et l’emploi d’un stratagème quelconque dissimulant l’identité des personnes sont interdits en tous temps, dans toute réunion et tout lieu public, ainsi que sur la voie publique. Lorsque l’autorisation est accordée, l’identité complète des personnes masquées devra être communiquée préalablement à la tenue de la manifestation au Bourgmestre compétent. [...] Cet article du Règlement Zonal ne nous paraît pas suffisant pour interdire et lutter efficacement contre ce phénomène, vu qu’il ne s’agit pas du port d’un masque ni d’un stratagème, mais bien d’une pratique et d’une attitude qui découle d’une pratique religieuse. » Invité par le président de la zone de police à donner son avis sur cette proposition, le procureur du Roi de Verviers fit savoir, le 18 mars 2008, qu’il n’avait pas d’observation à formuler. Les conseils communaux des trois communes faisant partie de la zone de police, c’est-à-dire ceux de Pepinster le 23 juin 2008, de Dison le 26 juin 2008 et de Verviers le 30 juin 2008, adoptèrent les dispositions suivantes des règlements coordonnés de la zone de police de Vesdre, dispositions qui étaient par ailleurs différentes de la proposition initiale : « Article 113. Sauf autorisation du Bourgmestre, le port du masque et l’emploi d’un stratagème quelconque de nature à dissimuler l’identité des personnes sont interdits en tout temps, dans toute réunion et tout lieu publics ainsi que sur la voie publique. Lorsque l’autorisation est accordée, l’identité complète des personnes masquées devra être communiquée préalablement à la tenue de la manifestation au Bourgmestre compétent. Article 113bis. Le port d’une tenue vestimentaire dissimulant le visage des personnes est interdit en tout temps et dans tout lieu public. Par contre, le port d’un casque, cagoule ou autre couvre-chef est autorisé lorsqu’il s’inscrit dans le cadre des législations relatives à la sécurité des travailleurs, ou autres. Article 113ter. Sauf autorisation du Bourgmestre, l’usage de confettis et/ou de serpentins est interdit sur la voie publique. » Le 29 août 2008, la requérante introduisit devant le Conseil d’État une requête en annulation de l’article 113bis. Elle soutenait que l’acte attaqué visait expressément le voile islamique qu’elle portait et que l’interdiction qui en résultait était constitutive d’une ingérence dans ses droits garantis par les articles 8, 9 et 10 de la Convention et constituait une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention. Elle estimait que cette ingérence ne poursuivait pas un but légitime dans la mesure où le principe de laïcité n’était pas un principe constitutionnel et que partant le port du voile ne pouvait être interdit de manière générale. En tout état de cause, à supposer que le but puisse être considéré comme étant légitime, la requérante soutenait que les moyens étaient disproportionnés en l’absence de trouble ou de menace de trouble à l’ordre public et donc de besoin social impérieux. Dans leur mémoire en réponse du 18 avril 2011, les trois communes mises en cause firent valoir que l’acte attaqué visait à garantir la sécurité publique et non à règlementer ou à limiter l’exercice d’un quelconque culte. L’auditeur au Conseil d’État rendit un rapport circonstancié de 26 pages dans lequel il concluait qu’à son avis le moyen précité de la requérante était fondé, la sécurité publique ne pouvant fonder une interdiction du voile intégral en tout lieu en général ouvert au public, aucun trouble spécifique ne lui étant associé en tant que tel. Par un arrêt no 213.849 du 15 juin 2011, le Conseil d’État, sur l’avis contraire de l’auditeur, rejeta le recours en annulation en ces termes : « Considérant que la requérante entend porter librement, en public, le “niqab”, vêtement “lui voilant le visage” ; Considérant, d’office, que l’ancien article 113 du règlement zonal de police interdisait, sauf autorisation du bourgmestre, “le port du masque et l’emploi d’un stratagème quelconque dissimulant l’identité des personnes [...] en tous temps, dans toute réunion et tout lieu public, ainsi que sur la voie publique”; que le nouvel article 113 reproduit cette interdiction qui a pour objet d’empêcher quiconque de dissimuler son visage en public ; que l’article 113bis ne fait qu’appliquer à un cas particulier cette interdiction générale sans en modifier ni le sens ni la portée ; qu’il s’ensuit que la requérante n’est pas recevable à en poursuivre l’annulation. » Cet arrêt fut notifié à la requérante le 23 juin 2011. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Règlements communaux En Belgique, le port du voile intégral a été interdit d’abord par voie de règlements communaux de certaines communes, parmi lesquels les textes contestés en l’espèce (voir paragraphe 10, ci-dessus). B. La loi du 1er juin 2011 Une loi interdisant le port de tout vêtement cachant totalement ou de manière principale le visage a été promulguée le 1er juin 2011 et est entrée en vigueur le 23 juillet 2011. Les dispositions pertinentes de la loi du 1er juin 2011 sont rédigées comme suit : « Art. 2. Dans le Code pénal, il est inséré un article 563bis rédigé comme suit : Art. 563bis. Seront punis d’une amende de quinze euros à vingt-cinq euros [lire : de 120 à 200 euros] et d’un emprisonnement d’un jour à sept jours ou d’une de ces peines seulement, ceux qui, sauf dispositions légales contraires, se présentent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu’ils ne soient pas identifiables. Toutefois, ne sont pas visés par l’alinéa 1er, ceux qui circulent dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie de manière telle qu’ils ne soient pas indentifiables et ce, en vertu de règlements de travail ou d’une ordonnance de police à l’occasion de manifestations festives. » Par un arrêt no 145/2012 du 6 décembre 2012, la Cour constitutionnelle rejeta des recours en annulation exercés contre la loi du 1er juin 2011 tout en émettant une réserve d’interprétation de la loi à propos des lieux de culte. Quant aux origines de la loi et à ses objectifs, la Cour constitutionnelle fit état des éléments suivants : « B.4.2. Les auteurs de la proposition de loi [qui a mené à l’adoption de la loi attaquée] entendaient souscrire à un modèle de société faisant prévaloir l’individu sur ses attaches culturelles, philosophiques ou religieuses. C’est ainsi qu’ils préconisaient d’interdire le port, dans l’espace public, de tout vêtement dissimulant totalement ou de manière principale le visage, insistant sur le fait que cette interdiction ne reposait pas seulement sur des considérations d’ordre public mais plus fondamentalement sur des considérations sociales, indispensables à l’estime des auteurs de la proposition, au « vivre ensemble » dans une société émancipatrice et protectrice des droits de tous et de chacun (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2289/001, p. 5, et Doc. parl., Chambre, S.E. 2010, DOC 53-0219/001, p. 5). » En ce qui concerne l’objectif de sécurité publique et juridique, on peut lire ce qui suit : « Dans la mesure où chaque personne circulant sur la voie publique ou dans les lieux publics doit être identifiable, le port de vêtement masquant totalement le visage pose d’évidents problèmes quant à la sécurité publique. Pour interdire ce type de comportements, de nombreuses communes se sont dotées de règlements en vue d’interdire le port de tels vêtements, tout en permettant d’y déroger à l’occasion d’événements spécifiques. Toutefois, force est de constater que, dans une même ville, certaines communes ne prescrivent pas pareilles interdictions. Cette différenciation des régimes entraîne une forme d’insécurité juridique intenable pour les citoyens ainsi que pour les autorités chargées de sanctionner ce type de comportement. Les auteurs estiment donc qu’il est souhaitable que cette question soit réglée au niveau fédéral de manière à ce que la même règle s’applique à l’ensemble du territoire (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC52-2289/001, pp.5-6, et Doc. parl., Chambre, S.E.2010, DOC 53-0219/001, pp. 5-6). » Sur le point de savoir si l’interdiction du port du voile répondait à un besoin social impérieux et était proportionnée par rapport aux buts légitimes poursuivis par le législateur, la Cour constitutionnelle s’exprima comme suit : « B.17. Il ressort de l’exposé de la proposition qui est à l’origine de la loi attaquée (...) que le législateur a entendu défendre un modèle de société qui fait prévaloir l’individu sur ses attaches philosophiques, culturelles et religieuses en vue de favoriser l’intégration de tous et faire en sorte que les citoyens partagent un patrimoine commun de valeurs fondamentales que sont le droit à la vie, le droit à la liberté de conscience, la démocratie, l’égalité de l’homme et de la femme ou encore la séparation de l’Église et de l’État. (...) les travaux préparatoires de la loi attaquée font apparaître que trois objectifs ont été poursuivis : la sécurité publique, l’égalité entre l’homme et la femme et une certaine conception du « vivre ensemble » dans la société. B.18. De tels objectifs sont légitimes et entrent dans la catégorie de ceux énumérés à l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme que constituent le maintien de la sûreté publique, la défense de l’ordre ainsi que la protection des droits et libertés d’autrui. B.19. La Cour doit encore examiner si les conditions de nécessité dans une société démocratique et de proportionnalité par rapport aux objectifs légitimes poursuivis sont remplies. B.20.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi attaquée que l’interdiction du port d’un vêtement dissimulant le visage a notamment été dictée par des raisons de sécurité publique. À cet égard, ces travaux font état de la commission d’infractions par des personnes dont le visage était dissimulé (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2289/005, p. 8 ; Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0219/004, p. 7). B.20.2. L’article 34, § 1er, de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police habilite les fonctionnaires de police à contrôler l’identité de toute personne s’ils ont des motifs raisonnables de croire, en fonction de son comportement, d’indices matériels ou de circonstances de temps et de lieu, qu’elle est recherchée, qu’elle a tenté de commettre une infraction ou se prépare à la commettre, qu’elle pourrait troubler l’ordre public ou qu’elle l’a troublé. Ce contrôle d’identité pourrait être entravé si la personne concernée avait le visage dissimulé et refusait de coopérer à un tel contrôle. En outre, les personnes qui ont le visage dissimulé ne seraient en général pas ou difficilement reconnaissables si elles commettaient des infractions ou troublaient l’ordre public. B.20.3. Ce n’est pas non plus parce qu’un comportement n’aurait pas encore pris une ampleur de nature à mettre l’ordre social ou la sécurité en péril que le législateur ne serait pas autorisé à intervenir. Il ne peut lui être reproché d’anticiper en temps utile un tel risque en réprimant des comportements lorsqu’il est établi que la généralisation de ceux-ci entraînerait un danger réel. B.20.4. Compte tenu de ce qui précède, le législateur pouvait estimer que l’interdiction de dissimuler le visage dans les lieux accessibles au public est nécessaire pour des raisons de sécurité publique. B.21. Le législateur a également motivé son intervention par une certaine conception du « vivre ensemble » dans une société fondée sur des valeurs fondamentales qui, à son estime, en découlent. L’individualité de tout sujet de droit d’une société démocratique ne peut se concevoir sans que l’on puisse percevoir son visage, qui en constitue un élément fondamental. Compte tenu des valeurs essentielles qu’il entend défendre, le législateur a pu considérer que la circulation dans la sphère publique, qui concerne par essence la collectivité, de personnes dont cet élément fondamental de l’individualité n’apparaît pas, rend impossible l’établissement de rapports humains indispensables à la vie en société. Si le pluralisme et la démocratie impliquent la liberté de manifester ses convictions notamment par le port de signes religieux, l’État doit veiller aux conditions dans lesquelles ces signes sont portés et aux conséquences que le port de ces signes peut avoir. Dès lors que la dissimulation du visage a pour conséquence de priver le sujet de droit, membre de la société, de toute possibilité d’individualisation par le visage alors que cette individualisation constitue une condition fondamentale liée à son essence même, l’interdiction de porter dans les lieux accessibles au public un tel vêtement, fût-il l’expression d’une conviction religieuse, répond à un besoin social impérieux dans une société démocratique. B.22. Quant à la dignité de la femme, ici encore, le législateur a pu considérer que les valeurs fondamentales d’une société démocratique s’opposent à ce que des femmes soient contraintes de dissimuler leur visage sous la pression de membres de leur famille ou de leur communauté et soient privées ainsi, contre leur gré, de la liberté de disposer d’elles-mêmes. B.23. Toutefois, (...) le port du voile intégral peut correspondre à l’expression d’un choix religieux. Ce choix peut être guidé par diverses motivations aux significations symboliques multiples. Même lorsque le port du voile intégral résulte d’un choix délibéré dans le chef de la femme, l’égalité des sexes, que le législateur considère à juste titre comme une valeur fondamentale de la société démocratique, justifie que l’État puisse s’opposer, dans la sphère publique, à la manifestation d’une conviction religieuse par un comportement non conciliable avec ce principe d’égalité entre l’homme et la femme. Comme la Cour l’a relevé en B.21, le port d’un voile intégral dissimulant le visage prive, en effet, la femme, seule destinataire de ce prescrit, d’un élément fondamental de son individualité, indispensable à la vie en société et à l’établissement de liens sociaux. B.24. La Cour doit encore examiner si le recours à une sanction de nature pénale en vue de garantir le respect de l’interdiction que la loi prévoit n’a pas des effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis. (...) B.26. Lorsque le législateur estime que certains manquements doivent faire l’objet d’une répression, il relève de son pouvoir d’appréciation de décider s’il est opportun d’opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives. B.27. Compte tenu des disparités constatées entre les communes et des divergences jurisprudentielles qui sont apparues dans cette matière, le législateur a pu considérer qu’il s’imposait d’assurer la sécurité juridique en uniformisant la sanction infligée lorsque le port d’un vêtement dissimulant le visage dans les lieux accessibles au public est constaté. B.28. Dès lors que l’individualisation des personnes, dont le visage est un élément fondamental, constitue une condition essentielle au fonctionnement d’une société démocratique dont chaque membre est un sujet de droit, le législateur a pu considérer que dissimuler son visage pouvait mettre en péril le fonctionnement de la société ainsi conçue et devait, partant, être pénalement réprimé. B.29.1. Sous réserve de ce qui est mentionné en B.30, en ce qu’elle s’adresse aux personnes qui, librement et volontairement, dissimulent leur visage dans les lieux accessibles au public, la mesure attaquée n’a pas d’effets disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis dès lors que le législateur a opté pour la sanction pénale la plus légère. La circonstance que la peine puisse être plus lourde en cas de récidive ne mène pas à une autre conclusion. Le législateur a pu, en effet, estimer que le contrevenant qui est condamné pour un comportement pénalement réprimé ne réitérera pas ce comportement, sous la menace d’une sanction plus lourde. B.29.2. Pour le surplus, il y a lieu d’observer, en ce qui concerne les personnes qui dissimuleraient leur visage sous la contrainte, que l’article 71 du Code pénal prévoit qu’il n’y a pas d’infraction lorsque l’auteur des faits a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. B.30. La loi attaquée prévoit une sanction pénale à l’égard de toute personne qui, sauf dispositions légales contraires, se présente le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie de manière telle qu’elle ne soit pas identifiable, dès lors qu’il s’agit de lieux accessibles au public. Il serait manifestement déraisonnable de considérer que ces lieux doivent s’entendre comme incluant les lieux destinés au culte. Le port de vêtements correspondant à l’expression d’un choix religieux, tels que le voile qui couvre intégralement le visage dans de tels lieux, ne pourrait faire l’objet de restrictions sans que cela porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté de manifester ses convictions religieuses. B.31. Sous réserve de cette interprétation, le premier moyen dans l’affaire no 5191 et le deuxième moyen dans les affaires nos 5244 et 5290 ne sont pas fondés. » En ce que la loi aurait créé une situation de discrimination à l’égard des femmes portant le voile intégral contraire notamment aux articles 14 de la Convention et 1er du Protocole no 12 à la Convention, la Cour constitutionnelle considéra ce qui suit : « B.56. (...) Comme l’indiquent les parties requérantes, la loi attaquée peut certes avoir des conséquences plus contraignantes à l’égard de l’exercice, par certaines femmes de confession musulmane, de certaines de leurs libertés fondamentales. Ainsi qu’il ressort de l’examen des moyens qui précède, la restriction apportée à leurs droits n’est pas disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur et répond au caractère de nécessité dans une société démocratique. Il est, partant, raisonnablement justifié de ne pas prévoir un traitement différencié pour cette catégorie de personnes. » C. Autres textes pertinents et situation dans d’autres pays Les dispositions pertinentes figurant dans d’autres instruments internationaux ainsi que la situation dans d’autres pays européens sont énoncées dans l’arrêt S.A.S. c. France [GC] (no 43835/11, §§ 35-52, CEDH 2014 (extraits)).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant et le second requérant sont nés respectivement en 1986 et en 1985. Le premier requérant quitta son village au Mali en raison du conflit armé de 2012. Il arriva au Maroc en mars 2013. Il séjourna pendant neuf mois environ au camp « non officiel » de migrants du mont Gourougou, près du poste-frontière espagnol de Melilla, enclave espagnole située sur la côte nord-africaine. Il affirme avoir fait l’objet de plusieurs descentes des forces de l’ordre marocaines. Le second requérant arriva au Maroc à la fin 2012. Il séjourna également au camp de migrants du mont Gourougou. A. La première tentative d’entrée en Espagne à travers le poste- frontière de Melilla Le 13 août 2014, les requérants quittèrent le camp du mont Gourougou et tentèrent d’entrer en Espagne avec un groupe de migrants subsahariens par le poste-frontière de Melilla. Ce poste-frontière est caractérisé par trois clôtures successives, deux extérieures hautes de 6 mètres et une intérieure haute de 3 mètres. Un système de caméras de surveillance à infrarouges et de détecteurs de mouvement y a été installé. Les requérants et d’autres migrants escaladèrent la première clôture le matin. Ils disent avoir fait l’objet d’une attaque de jets de pierres de la part des autorités marocaines. Le premier requérant parvint à grimper jusqu’en haut de la troisième clôture et y resta jusqu’à l’après-midi, sans assistance médicale ou juridique. Le deuxième requérant dit avoir été touché par une pierre lors de son escalade de la première clôture et être tombé, mais être parvenu ensuite à franchir les deux premières clôtures. Pendant ce temps, les requérants auraient été témoins de violences commises contre des migrants subsahariens par les agents de la Guardia Civil espagnole et les forces de l’ordre marocaines. Vers 15 heures et vers 14 heures respectivement, le premier requérant et le deuxième requérant descendirent de la troisième clôture avec l’aide des forces de l’ordre espagnoles. Dès qu’ils eurent posé leurs pieds sur le sol, ils furent appréhendés par des membres de la Guardia Civil qui les menottèrent et les renvoyèrent vers le Maroc. À aucun moment les requérants ne firent l’objet d’une procédure d’identification. Ils n’eurent pas la possibilité de s’exprimer sur les circonstances personnelles ni d’être assistés par des avocats, des interprètes ou des médecins. Les requérants furent alors transférés au commissariat de Nador, où ils demandèrent une assistance médicale qui leur fut refusée. Ils furent ensuite conduits, avec d’autres personnes elles aussi refoulées dans des circonstances similaires, à Fez, à environ 300 kilomètres de Nador, où ils furent abandonnés à leur sort. Les requérants affirment que soixante-quinze à quatre-vingts migrants subsahariens ont été eux aussi refoulés vers le Maroc le 13 août 2014. Des journalistes et d’autres témoins étaient sur place au moment de l’assaut donné aux clôtures et des expulsions du 13 août 2014. Ils ont fourni des vidéos qui ont été apportés par les requérants devant la Cour. Des organisations non gouvernementales ont porté plainte par la suite devant le juge d’instruction no 3 de Melilla en demandant l’ouverture d’une enquête. B. L’entrée ultérieure en Espagne Le 9 décembre 2014 et le 23 octobre 2014 respectivement, le premier requérant et le deuxième requérant réussirent à pénétrer sur le territoire espagnol par le poste-frontière de Melilla. Deux procédures furent entamées à leur encontre. Depuis, les requérants ont fait l’objet d’arrêtés d’expulsion. N.D. fut renvoyé vers le Mali le 31 mars 2015 à la suite de l’arrêté d’expulsion pris à son encontre le 26 janvier 2015 et du rejet administratif, le 26 mars 2015, de sa demande d’asile présentée le 17 mars 2015. Il se trouve à présent dans la région de Bankoumana (Koulikoro, au sud-ouest de Bamako). N.T. fit l’objet d’un arrêté d’expulsion le 7 novembre 2014, confirmé le 23 février 2015 à la suite du rejet de son recours administratif (de alzada). Sa situation actuelle n’est pas connue. Les deux requérants ont été représentés, dans le cadre de ces procédures, par des avocats. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le décret royal 557/2011 du 20 avril 2011 (règlement d’application de la loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000 relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale « LOEX ») Les dispositions du décret royal 557/2011 se lisent comme suit : Article 1. Entrée par les postes autorisés « 1. Sans préjudice des dispositions des conventions internationales auxquelles l’Espagne est partie, l’étranger souhaitant pénétrer sur le territoire espagnol doit le faire par les postes autorisés à cet effet, être muni d’un passeport ou d’un document de voyage valide qui atteste son identité et qui soit considéré comme valable à cet effet, être muni d’un visa valable lorsque celui-ci est exigé et ne pas être pas frappé d’une interdiction expresse d’entrée. Il doit également présenter les documents qui sont requis par ce règlement et qui renseignent sur l’objet et les conditions d’entrée et de séjour, et il doit prouver qu’il dispose des moyens financiers suffisants pour la durée du séjour prévu en Espagne ou, le cas échéant, qu’il est à même de les obtenir légalement. (...) » Article 4. Conditions « 1. L’entrée pour un ressortissant étranger sur le territoire espagnol est conditionnée au respect des exigences suivantes : a) Être titulaire du passeport ou des documents de voyage visés à l’article suivant. b) Être titulaire du visa pertinent aux termes établis à l’article 7. c) [Présenter des] justificatifs relatifs à l’objet et aux conditions de l’entrée et du séjour dans les termes établis à l’article 8. d) [Fournir] la garantie, le cas échéant, qu’il dispose des moyens économiques suffisants pour sa subsistance pendant la durée envisagée de son séjour en Espagne, ou être à même d’obtenir pareils moyens, ainsi que pour son déplacement vers un autre pays ou son retour vers le pays de provenance, aux termes de l’article 9. e) Présenter, le cas échéant, des certificats sanitaires visés à l’article 10. f) Ne pas être frappé d’une interdiction d’entrée, aux termes de l’article 11. g) Ne pas constituer un danger pour la santé publique, l’ordre public, la sécurité nationale ou les relations internationales de l’Espagne ou d’autres États avec lesquels l’Espagne est liée par une Convention en ce sens. Le Commissariat général des étrangers et des frontières (Comisaría General de Extranjería y Fronteras) pourra autoriser l’entrée en Espagne des étrangers ne remplissant pas les conditions établies au paragraphe précédent lorsque il y a des motifs exceptionnels de nature humanitaire, d’intérêt public ou de respect des engagements conclus par l’Espagne. » B. Le Protocole opératoire de surveillance des frontières de la Guardia Civil du 26 février 2014 ayant introduit l’expression « frontière opérationnelle » Les parties pertinentes en l’espèce du Protocole opératoire de surveillance des frontières de la Guardia Civil du 26 février 2014 se lisent comme suit : « Avec ce système de clôtures, il existe un besoin objectif de déterminer quand l’entrée illégale a échoué ou quand elle a eu lieu. Cela nécessite de définir la ligne qui délimite, aux seuls effets du régime portant sur les étrangers, le territoire national : cette ligne est matérialisée par la clôture en question. Ainsi, lorsque les tentatives des migrants de franchir illégalement cette ligne sont contenues et repoussées par les forces de l’ordre chargées de la surveillance de la frontière, il est considéré qu’aucune entrée illégale effective n’a eu lieu. L’entrée n’est considérée comme ayant eu lieu que lorsqu’un migrant a dépassé la clôture interne citée, qu’il a de la sorte pénétré sur le territoire national et qu’il relève dès lors du régime relatif aux étrangers (...) » C. La loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000 relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale telle que modifiée, entre autres, par la loi 4/2015 du 30 mars 2015 relative à la protection de la sécurité des citoyens À la suite de divers évènements comparables à ceux objet des présentes requêtes, le gouvernement espagnol a adopté la loi organique 4/2015 du 30 mars 2015 relative à la protection de la sécurité des citoyens, qui modifie la loi organique 4/2000 du 11 janvier 2000 relative aux droits et libertés des étrangers en Espagne et à leur intégration sociale (« la LOEX »). Cette modification, en vigueur depuis le 1er avril 2015, établit un régime spécial d’interception et de reconduite à la frontière des migrants qui arrivent à Ceuta et à Melilla. Les dispositions pertinentes de la LOEX actuellement en vigueur, se lisent comme suit : Article 25 « 1. L’étranger souhaitant entrer en Espagne doit le faire aux postes autorisés à cet effet, être muni d’un passeport ou d’un document de voyage attestant son identité qui soit considéré comme valable à cet effet en vertu des conventions internationales auxquelles l’Espagne est partie et ne pas être frappé d’une interdiction expresse d’entrée. Il doit également présenter les documents qui sont requis par le règlement d’application [de la présente loi] et qui renseignent sur l’objet et les conditions de son séjour, et il doit prouver qu’il dispose des moyens d’existence suffisants pour la durée du séjour prévu en Espagne ou qu’il est à même de les obtenir légalement. (...) » Dixième disposition additionnelle, insérée par la loi organique 4/2015 du 30 mars 2015 précitée. Régime spécial pour Ceuta et Melilla « 1. Les étrangers qui tentent de franchir les dispositifs de contention frontaliers pour traverser la frontière de façon irrégulière et dont la présence a été détectée dans les lignes de démarcation territoriale de Ceuta ou de Melilla pourront être refoulés de sorte qu’ils soient empêchés d’entrer illégalement en Espagne. Dans tous les cas, le refoulement aura lieu dans le respect de la réglementation internationale en matière de droits de l’homme et de protection internationale que l’Espagne a reconnue. Les demandes de protection internationale seront présentées dans les lieux prévus à cet effet aux postes-frontières ; la procédure sera conforme aux normes établies en matière de protection internationale. » III. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE A. Le Traité sur l’Union européenne (tel que modifié par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009) Les droits fondamentaux, tels que garantis par la Convention, font partie du droit de l’Union européenne et sont reconnus en ces termes dans le Traité sur l’Union européenne (tel que modifié par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009) : Article 2 « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. (...) » Article 6 « 1. L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités. (...) Les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. » B. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) qui fait partie, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, du droit primaire de l’Union européenne L’article 18 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne contient une disposition expresse garantissant le droit d’asile. Elle est formulée en ces termes : « Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés et conformément au traité instituant la Communauté européenne. » L’article 19 de cette charte dispose : Protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition « 1. Les expulsions collectives sont interdites. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. » L’article 47 de la charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », est énoncé dans les termes suivants : « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice. » C. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (tel que modifié par le Traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009) Les matières qui intéressent plus spécifiquement la présente affaire sont réglées au titre V, « L’espace de liberté, de sécurité et de justice », de la troisième partie du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) concernant les politiques et actions de l’Union. Au chapitre premier de ce titre, l’article 67 dispose : « 1. [L]’Union constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le respect des droits fondamentaux et des différents systèmes et traditions juridiques des Etats membres. Elle (...) développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers. (...) » L’article 72 dudit chapitre du traité dispose : « Le présent titre ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ». Le second chapitre du titre V concerne les « Politiques relatives aux contrôles aux frontières, à l’asile et à l’immigration ». L’article 78 § 1 se lit comme suit : « [L]’Union développe une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire visant à offrir un statut approprié à tout ressortissant d’un pays tiers nécessitant une protection internationale et à assurer le respect du principe de non-refoulement. Cette politique doit être conforme à la Convention de Genève (...) ainsi qu’aux autres traités pertinents. » L’article 78 § 2 prévoit entre autres que le législateur de l’Union adopte des statuts uniformes d’asile et de protection subsidiaire, ainsi que des « critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile ». D. La « directive retour » Dans le cadre de l’Union européenne, le renvoi des étrangers en situation irrégulière est réglementé par la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 (dite « directive retour ») relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Ce texte comprend notamment les dispositions suivantes : Article 1 – Objet « La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme. » Article 2 – Champ d’application « 1. La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers : a) faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre ; (...) » Article 8 – Éloignement « 1. Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour si aucun délai n’a été accordé pour un départ volontaire conformément à l’article 7, paragraphe 4, ou si l’obligation de retour n’a pas été respectée dans le délai accordé pour le départ volontaire conformément à l’article 7. (...) » Article 12 – Forme « 1. Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles. (...) » Article 13 – Voies de recours « 1. Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance. L’autorité ou l’instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. Le ressortissant concerné d’un pays tiers a la possibilité d’obtenir un conseil juridique, une représentation juridique et, en cas de besoin, une assistance linguistique. Les États membres veillent à ce que l’assistance juridique et/ou la représentation nécessaires soient accordées sur demande gratuitement conformément à la législation ou à la réglementation nationale applicable en matière d’assistance juridique et peuvent prévoir que cette assistance juridique et/ou cette représentation gratuites sont soumises aux conditions énoncées à l’article 15, paragraphes 3 à 6, de la directive 2005/85/CE. » Appelée à interpréter la « directive retour », la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit que tout étranger a le droit d’exprimer, avant l’adoption d’une décision concernant son renvoi, son point de vue sur la légalité de son séjour (voir, notamment, Khaled Boudjlida c. Préfet des Pyrénées-Atlantiques, affaire C-249/13, arrêt du 11 décembre 2014, points 28-35). Les principes qui se dégagent de la jurisprudence de la CJUE sur le respect du droit d’être entendu dans la « directive retour » peuvent être consultés en détail aux paragraphes 42 à 45 de l’arrêt Khlaifia et autres (précité). Ce droit d’être entendu, qui s’applique en tant que principe fondamental du droit de l’Union : a) garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ; b) a pour but que l’autorité compétente soit mise à même de tenir utilement compte de l’ensemble des éléments pertinents, prêtant toute l’attention requise aux observations soumises par l’intéressé et motivant sa décision de façon circonstanciée (voir l’affaire Khaled Boudjlida c. Préfet des Pyrénées-Atlantiques, précitée, points 37 et 38). La CJUE a ajouté, entre autres, que l’intéressé ne doit pas nécessairement pouvoir s’exprimer sur tous les éléments sur lesquels l’autorité nationale entend fonder sa décision de retour, mais qu’il doit simplement avoir l’opportunité de présenter les éventuels motifs qui empêcheraient son éloignement. La CJUE a établi les restrictions auxquelles le droit d’être entendu peut être soumis ainsi que les conséquences du non-respect de cette condition et a indiqué qu’une décision prise à la suite d’une procédure administrative qui a violé le droit d’être entendu ne peut être annulée que si, en l’absence de cette irrégularité, la procédure aurait abouti à un résultat différent. Par ailleurs, le droit d’être entendu peut être soumis à des restrictions, à condition que celles-ci répondent à des objectifs d’intérêt général et qu’elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance du droit (Khlaifia et autres, précité, §§ 44-45). E. La Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) Les dispositions pertinentes en l’espèce du chapitre II de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) disposent : Article 8 – Information et conseil dans les centres de rétention et aux points de passage frontaliers « 1. S’il existe des éléments donnant à penser que des ressortissants de pays tiers ou des apatrides placés en rétention dans des centres de rétention ou présents à des points de passage frontaliers, y compris les zones de transit aux frontières extérieures, peuvent souhaiter présenter une demande de protection internationale, les États membres leur fournissent des informations sur la possibilité de le faire. Dans ces centres de rétention et points de passage, les États membres prennent des dispositions en matière d’interprétation dans la mesure nécessaire pour faciliter l’accès à la procédure d’asile. Les États membres veillent à ce que les organisations et les personnes qui fournissent des conseils et des orientations aux demandeurs puissent accéder effectivement aux demandeurs présents aux points de passage frontaliers, y compris aux zones de transit, aux frontières extérieures. Les États membres peuvent prévoir des règles relatives à la présence de ces organisations et de ces personnes à ces points de passage et, en particulier, soumettre l’accès à un accord avec les autorités compétentes des États membres. Des restrictions à cet accès ne peuvent être imposées que, lorsqu’en vertu du droit national, elles sont objectivement nécessaires à la sécurité, l’ordre public ou la gestion administrative des points de passage, pour autant que ledit accès n’en soit pas alors considérablement restreint ou rendu impossible. » Article 9 – Droit de rester dans l’État membre pendant l’examen de la demande « 1. Les demandeurs sont autorisés à rester dans l’État membre, aux seules fins de la procédure, jusqu’à ce que l’autorité responsable de la détermination se soit prononcée conformément aux procédures en première instance prévues au chapitre III. Ce droit de rester dans l’État membre ne constitue pas un droit à un titre de séjour. (...) » Article 11 – Conditions auxquelles sont soumises les décisions de l’autorité responsable de la détermination « 1. Les États membres veillent à ce que les décisions portant sur les demandes de protection internationale soient communiquées par écrit. Les États membres veillent en outre à ce que, lorsqu’une demande ayant trait au statut de réfugié et/ou au statut conféré par la protection subsidiaire est rejetée, la décision soit motivée en fait et en droit et que les possibilités de recours contre une décision négative soient communiquées par écrit. Les États membres ne sont pas tenus de communiquer par écrit, en liaison avec une décision, les possibilités de recours contre une décision négative lorsque le demandeur a été informé à un stade antérieur de ces possibilités par écrit ou par un moyen électronique auquel il a accès. Aux fins de l’article 7, paragraphe 2, et lorsque la demande est fondée sur les mêmes motifs, les États membres peuvent adopter une décision unique concernant toutes les personnes à charge, à moins qu’une telle action ne conduise à une divulgation de la situation particulière d’un demandeur, qui pourrait nuire à ses intérêts, notamment en cas de persécution fondée sur le genre, l’orientation sexuelle, l’identité de genre et/ou sur l’âge. En pareil cas, une décision distincte est communiquée à la personne concernée. » Article 12 – Garanties accordées aux demandeurs « 1. En ce qui concerne les procédures [de demande de protection internationale] prévues au chapitre III, les États membres veillent à ce que tous les demandeurs bénéficient des garanties suivantes: a) ils sont informés, dans une langue qu’ils comprennent ou dont il est raisonnable de supposer qu’ils la comprennent, de la procédure à suivre et de leurs droits et obligations au cours de la procédure ainsi que des conséquences que pourrait avoir le non-respect de leurs obligations ou le refus de coopérer avec les autorités. Ils sont informés du calendrier, des moyens dont ils disposent pour remplir leur obligation de présenter les éléments visés à l’article 4 de la directive 2011/95/UE, ainsi que des conséquences d’un retrait explicite ou implicite de la demande. Ces informations leur sont communiquées à temps pour leur permettre d’exercer les droits garantis par la présente directive et de se conformer aux obligations décrites à l’article 13; b) ils bénéficient, en tant que de besoin, des services d’un interprète pour présenter leurs arguments aux autorités compétentes. Les États membres considèrent qu’il est nécessaire de fournir les services d’un interprète, au moins lorsque le demandeur doit être interrogé selon les modalités visées aux articles 14 à 17, et 34 et lorsqu’il n’est pas possible de garantir une communication adéquate sans ces services. Dans ce cas, ainsi que dans les autres cas où les autorités compétentes souhaitent entendre le demandeur, ces services sont payés sur des fonds publics; c) la possibilité de communiquer avec le HCR ou toute autre organisation qui fournit des conseils juridiques ou d’autres orientations aux demandeurs conformément au droit de l’État membre concerné ne leur est pas refusée; d) ils ont accès et, le cas échéant, leurs conseils juridiques ou autres conseillers ont accès, conformément à l’article 23, paragraphe 1, aux informations visées à l’article 10, paragraphe 3, point b), et aux informations communiquées par les experts visées à l’article 10, paragraphe 3, point d), lorsque l’autorité responsable de la détermination a tenu compte de ces informations pour prendre une décision relative à leur demande; e) ils sont avertis dans un délai raisonnable de la décision prise par l’autorité responsable de la détermination concernant leur demande. Si un conseil juridique ou un autre conseiller représente légalement le demandeur, les États membres peuvent choisir de l’avertir de la décision plutôt que le demandeur; f) ils sont informés du résultat de la décision prise par l’autorité responsable de la détermination dans une langue qu’ils comprennent ou dont il est raisonnable de supposer qu’ils la comprennent lorsqu’ils ne sont pas assistés ni représentés par un conseil juridique ou un autre conseiller. Les informations communiquées indiquent les possibilités de recours contre une décision négative, conformément aux dispositions de l’article 11, paragraphe 2. En ce qui concerne les procédures prévues au chapitre V, les États membres veillent à ce que tous les demandeurs bénéficient de garanties équivalentes à celles visées au paragraphe 1, points b) à e). » Les dispositions suivantes du chapitre II exposent, entre autres, les obligations des demandeurs de protection internationale vis-à-vis des autorités compétentes en vue de l’établissement de leur identité et des autres éléments nécessaires, la possibilité pour eux d’avoir un entretien personnel avec une personne compétente en vertu du droit national, les conditions auxquelles est soumis un tel entretien, le contenu de celui-ci et son enregistrement, l’examen médical auquel le demandeur peut être soumis et qui porte sur des signes de persécution ou d’atteinte grave qu’il aurait subies dans le passé, la fourniture gratuite d’informations juridiques et procédurales, les conditions pour la fourniture gratuite de ces dernières, le droit à l’assistance juridique et à la représentation à toutes les étapes de la procédure, la portée de ces dernières et les conditions de leur octroi (articles 13 à 23). F. Le Règlement UE 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes – code frontières Schengen L’article 13 § 1 du code frontières Schengen (CFS) dispose : « La surveillance des frontières a pour objet principal d’empêcher le franchissement non autorisé de la frontière, de lutter contre la criminalité transfrontalière et de prendre des mesures à l’encontre des personnes ayant franchi illégalement la frontière. Une personne qui a franchi illégalement une frontière et qui n’a pas le droit de séjourner sur le territoire de l’État membre concerné est appréhendée et fait l’objet de procédures respectant la directive 2008/115/CE. » IV. AUTRES TEXTES INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le défenseur du peuple Dans son rapport annuel de 2005, le défenseur du peuple espagnol s’exprimait comme suit : « Sur la question de savoir si le périmètre frontalier doit être considéré comme territoire espagnol et, par conséquent, quelles normes doivent lui être appliquées, [il peut être affirmé, à] la lumière des diverses conventions signées au cours du XIXe siècle entre l’Espagne et le Maroc et fixant les limites juridictionnelles de la ville autonome de Melilla, que le périmètre est construit (...) sur le territoire espagnol ; que l’Espagne est pleinement le titulaire [de l’espace en question] et que ce sont les forces de l’ordre espagnoles qui en assurent le contrôle ; il ne revient donc pas à l’administration espagnole de déterminer où doit commencer à s’appliquer la législation de notre pays. Cette application territoriale est régie par les traités internationaux ou, le cas échéant, par la coutume internationale, qui fixent les limites avec les États voisins. » Lors de la présentation de son rapport annuel de 2013 au Sénat, le 9 avril 2014, la défenseure du peuple espagnole « a déploré les images déchirantes de personnes ayant grimpé jusqu’en haut des clôtures et a souligné que, à partir du moment où une personne se trouve sur le territoire espagnol – et nous estimons qu’elle s’y trouve [lorsqu’elle est sur les clôtures du poste-frontière de Melilla] –, elle doit être traitée conformément à la légalité en vigueur. [La défenseure du peuple] a dès lors condamné les refoulements immédiats (devoluciones en caliente) qui, a-t-elle rappelé, n’existent pas dans la loi relative aux étrangers. » B. La Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 L’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, relatif à la règle générale d’interprétation, se lit comme suit : « 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus : a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité; b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte : a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions; b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ; c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. » L’article 32 du traité, relatif aux moyens complémentaires d’interprétation, dispose ce qui suit : « Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 : a) laisse le sens ambigu ou obscur ; ou b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable. » C. La Commission du droit international Lors de sa soixante-sixième session, en 2014, la Commission du droit international a adopté un « Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers ». Ce texte, dont l’Assemblée générale des Nations unies a pris note (résolution A/RES/69/119 du 10 décembre 2014), comprend notamment les dispositions suivantes : Article 2 – Définitions « Aux fins du présent projet d’articles : a) « Expulsion » s’entend d’un acte juridique ou d’un comportement attribuable à un État par lequel un étranger est contraint de quitter le territoire de cet État ; elle n’inclut pas l’extradition vers un autre État, ni le transfert à une juridiction pénale internationale, ni la non-admission d’un étranger dans un État ; b) « Étranger » s’entend d’un individu qui n’a pas la nationalité de l’État sur le territoire duquel il se trouve. » Article 3 – Droit d’expulsion « Un État a le droit d’expulser un étranger de son territoire. L’expulsion doit se faire dans le respect du présent projet d’articles, sans préjudice des autres règles applicables du droit international, en particulier celles relatives aux droits de l’homme. » Article 4 – Obligation de conformité à la loi « Un étranger ne peut être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi. » Article 5 – Motifs d’expulsion « 1. Toute décision d’expulsion doit être motivée. Un État ne peut expulser un étranger que pour un motif prévu par la loi. Le motif d’expulsion doit être apprécié de bonne foi et de manière raisonnable, à la lumière de toutes les circonstances, en tenant compte notamment, lorsque cela est pertinent, de la gravité des faits, du comportement de l’étranger concerné ou de l’actualité de la menace que les faits génèrent. Un État ne peut expulser un étranger pour un motif contraire à ses obligations en vertu du droit international. » Article 9 – Interdiction de l’expulsion collective « 1. Aux fins du présent projet d’article, l’expulsion collective s’entend de l’expulsion d’étrangers en tant que groupe. L’expulsion collective des étrangers est interdite. Un État peut expulser concomitamment les membres d’un groupe d’étrangers, à condition que la mesure d’expulsion soit prise à l’issue et sur la base d’une appréciation de la situation particulière de chacun des membres qui forment le groupe conformément au présent projet d’articles. Le présent projet d’article est sans préjudice des règles de droit international applicables à l’expulsion des étrangers en cas de conflit armé impliquant l’État expulsant. » Article 13 – Obligation de respecter la dignité humaine et les droits de l’homme de l’étranger objet de l’expulsion « 1. Tout étranger objet d’une expulsion est traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine tout au long de la procédure d’expulsion. Il a droit au respect de ses droits de l’homme, notamment ceux énoncés dans le présent projet d’articles. » Article 17 – Prohibition de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants « L’État expulsant ne peut soumettre l’étranger objet de l’expulsion à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Dans son commentaire à l’article 9 du projet, la Commission du droit international a noté, entre autres, ce qui suit : « (...) 4) L’interdiction de l’expulsion collective des étrangers, qui est énoncée au paragraphe 2 du projet d’article 9, doit se lire à la lumière du paragraphe 3, qui l’éclaire en précisant les conditions auxquelles les membres d’un groupe d’étrangers peuvent être expulsés concomitamment sans pour autant qu’une telle mesure soit à considérer comme une expulsion collective au sens du projet d’articles. Le paragraphe 3 indique qu’une telle expulsion est admissible à condition qu’elle soit prise à l’issue et sur la base d’une appréciation de la situation individuelle de chacun des membres qui forment le groupe conformément au présent projet d’articles. (...) » V. LES DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE A. Le rapport du Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe (CPT) Du 14 au 18 juillet 2014, une délégation du CPT a effectué une visite en Espagne. La délégation avait notamment pour objectif d’examiner certains aspects du traitement des migrants en situation irrégulière interceptés, le long de la frontière avec le Maroc, dans l’enclave de Melilla. Dans son rapport, rendu public le 9 avril 2015, le CPT indiquait ce qui suit : « (...) Le CPT reconnaît que certains États européens sont fréquemment confrontés à l’afflux de migrants en situation irrégulière. C’est notamment le cas des pays situés aux frontières extérieures de l’Union européenne, qui sont une porte d’entrée vers le reste de l’Europe. L’Espagne est l’un des pays soumis à ces pressions. La ville autonome de Melilla est une enclave espagnole de 12 km² située sur la côte nord de l’Afrique et entourée par le territoire marocain. Elle se trouve sur la route migratoire des personnes venant de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne, ainsi que des migrants syriens. La délégation a appris que le nombre d’étrangers tentant de traverser la frontière illégalement à Melilla s’était considérablement accru au cours des dix-huit derniers mois. La Guardia Civil est chargée de faire des patrouilles terrestres et côtières à la frontière pour empêcher les entrées clandestines. La délégation a appris à Melilla que la Guardia Civil avait institutionnalisé la coopération avec la gendarmerie marocaine, mais qu’il n’y avait pas de coopération formelle avec les Forces auxiliaires marocaines (« les FAM »), auxquelles incombe la responsabilité première de la surveillance des frontières. Les autorités espagnoles ont construit une barrière composée de clôtures parallèles le long des treize kilomètres de la frontière qui sépare Melilla du Maroc, afin d’empêcher les migrants en situation irrégulière de pénétrer sur le territoire espagnol. Le CPT note que la barrière a été entièrement édifiée sur le territoire espagnol et qu’elle relève donc totalement de la compétence de l’Espagne. La barrière consiste en une clôture de 6 mètres de haut, légèrement concave du côté du Maroc, un cordage tridimensionnel suivi d’une deuxième clôture de 3 mètres de haut et, de l’autre côté d’une route de patrouille, une autre clôture de 6 mètres de haut. À intervalles réguliers, des portes ont été intégrées dans les clôtures pour permettre le passage d’un côté à l’autre. En outre, un système de vidéosurveillance sophistiqué (avec des caméras infrarouges) combiné à des détecteurs de mouvement a été installé. La plupart des clôtures sont également équipées de grilles anti-escalade. Le 13 février 1992, l’Espagne a conclu un accord bilatéral avec le Royaume du Maroc sur la circulation des personnes, le transit et la réadmission des étrangers entrés illégalement (« l’accord de réadmission »). En vertu de cet accord, « à la suite d’une demande formelle déposée par les autorités chargées du contrôle aux frontières de l’État requérant, les autorités chargées du contrôle aux frontières de l’État requis réadmettent sur leur territoire les ressortissants de pays tiers qui sont entrés illégalement sur le territoire de l’État requérant depuis le territoire de l’État requis ». La demande de réadmission doit être soumise dans un délai de dix jours suivant l’entrée illégale sur le territoire de l’État requérant. Des groupes plus ou moins importants d’étrangers – allant de quelques individus à un millier de personnes – tentent régulièrement de pénétrer sur le territoire espagnol. En ce qui concerne les tentatives de pénétrer sur le territoire espagnol par la mer, le CPT a été informé d’un drame qui s’est déroulé le 6 février 2014 et dont les médias se sont largement fait l’écho. Des membres de la Guardia Civil ont tiré des balles en caoutchouc depuis la plage sur des personnes qui tentaient de gagner Melilla à la nage et les ont forcées à retourner au Maroc. Cependant, toutes n’ont pu rentrer à la nage et il semble que 15 étrangers se soient noyés. En ce qui concerne l’accès au territoire espagnol via la barrière frontalière, la délégation a reçu des allégations concordantes, confirmées par des images vidéo, selon lesquelles des migrants irréguliers étaient interceptés à l’intérieur de la barrière frontalière ou au-delà de celle-ci par des membres de la Guardia Civil, et immédiatement renvoyés de force au Maroc – parfois après avoir été menottés sans avoir été identifiés. Plusieurs ressortissants étrangers ont également indiqué à la délégation avoir été appréhendés par la Guardia Civil plusieurs centaines de mètres au-delà de la frontière. Il semble en effet que les attributions de la Guardia Civil comprennent également l’appréhension de migrants irréguliers en route vers le CETI de Melilla et leur renvoi au Maroc. De plus, les ressortissants étrangers auraient parfois été renvoyés au Maroc alors qu’ils étaient blessés ou pouvaient à peine marcher (voir également le paragraphe 47). Le CPT considère la pratique décrite de renvoyer immédiatement et par la force les migrants irréguliers, sans une identification préalable ou une évaluation de leurs besoins, est une violation flagrante du principe de non-refoulement tel que décrit cidessus. (...) Le CPT recommande que des instructions claires soient données aux forces de l’ordre espagnoles afin que le principe de non-refoulement soit pleinement respecté. Les migrants entrés irrégulièrement sur le territoire espagnol ne devraient pas être renvoyés de force au Maroc avant qu’il ait été procédé à une évaluation des personnes qui ont besoin de protection, que ces besoins aient été analysés et que les mesures qui s’imposent aient été prises. De plus, il recommande que des mesures soient prises pour assurer que la législation nationale demeure en conformité avec le principe de non-refoulement. » B. Le rapport annuel d’activité 2015 de Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (Commissaire DH), du 14 mars 2016 Les parties pertinentes en l’espèce du rapport se lisent comme suit : « (...) 1.2 Visites Visite en Espagne Le Commissaire s’est rendu à Melilla et à Madrid du 13 au 16 janvier 2015 pour y évoquer les questions relatives aux droits de l’homme des migrants, des réfugiés et des demandeurs d’asile à Ceuta et Melilla, deux enclaves espagnoles en Afrique du Nord. À Melilla, le Commissaire a eu des réunions avec le délégué du gouvernement, M. Abdelmalik El Barkani, et le président de la ville, M. Juan José Imbroda Ortiz. Il a également rencontré le chef de la Garde civile de Melilla, le colonel Ambrosio Martín Villaseñor ; le chef de la police nationale, M. José Angel González Jiménez, et des représentants d’organisations de la société civile. Il a en outre visité le point de contrôle de Beni-Enzar, où un bureau d’enregistrement des demandes d’asile a été ouvert en novembre 2014, s’est rendu à la triple clôture érigée autour de Melilla et a visité le centre d’’hébergement temporaire pour migrants (CETI), où il a rencontré le directeur de l’établissement, M. Carlos Montero Díaz, d’autres membres du personnel et des migrants. À Madrid, le Commissaire a rencontré le secrétaire d’État à la sécurité, M. Francisco Martínez Vázquez, ainsi que la Défenseure du peuple, Mme Soledad Becerril Bustamante, la représentante du Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) des Nations Unies en Espagne, et des représentants de la société civile. Le 27 janvier 2015, il a également tenu un échange de vues avec des membres de la délégation espagnole auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les thèmes abordés pendant sa visite. Celle-ci a essentiellement porté sur le projet d’amendement à la loi sur les étrangers, qui vise à établir un régime spécial pour Ceuta et Melilla et à permettre le renvoi immédiat des migrants entrés à Ceuta ou Melilla sans passer par un postefrontière autorisé. Tout en reconnaissant que l’Espagne a le droit d’établir ses propres politiques d’immigration et de contrôle des frontières, le Commissaire a souligné qu’elle doit aussi respecter ses obligations en matière de droits de l’homme. Par conséquent, il a instamment invité les autorités espagnoles à veiller à ce que tout futur texte législatif soit entièrement conforme à ces obligations, qui consistent notamment à garantir le plein accès à une procédure d’asile effective, à apporter une protection contre le refoulement et à ne pas procéder à des expulsions collectives. Il a en outre souligné que l’Espagne avait l’obligation de faire en sorte que, dans la pratique, il ne soit procédé à aucun refoulement de migrant, et de mener des enquêtes approfondies sur toutes les allégations de recours excessif à la force contre des migrants par des agents des forces de l’ordre à la frontière. Tout en se félicitant de l’ouverture d’un bureau chargé des questions d’asile à l’un des postes-frontières de Melilla et de la bonne coopération de la police avec le HCR, le Commissaire a insisté sur la nécessité de renforcer le système d’asile à Melilla, de manière à ce que toutes les personnes ayant besoin de protection, quel que soit leur pays d’origine, puissent entrer sur le territoire en toute sécurité, bénéficier d’un examen individuel de leur situation et déposer une demande de protection internationale. En outre, il a instamment prié les autorités de prendre des mesures d’urgence pour améliorer les dispositions existantes concernant l’accueil des migrants à Melilla, et de clarifier les règles régissant les transferts vers le continent. Le communiqué de presse publié à l’issue de la visite du Commissaire (le 16 janvier) est consultable sur son site web. Cette visite a également servi de base aux observations écrites que le Commissaire a soumis à la Cour en tant que tierce partie dans deux affaires contre l’Espagne (N.D. et N.T., requêtes no8675/15 et no8697/15) portant sur le refoulement allégué de migrants de la ville espagnole de Melilla vers le Maroc (voir plus bas, Cour européenne des droits de l’homme). (...) Activités thématiques (...) 2.3 Droits de l’homme des immigrés, des réfugiés et des demandeurs d’asile Les droits de l’homme des immigrés, des réfugiés et des demandeurs d’asile figurent en bonne place parmi les activités menées par le Commissaire en 2015. Il a activement pris part à divers débats sur ces questions en rappelant aux États membres du Conseil de l’Europe leurs obligations en matière de droits de l’homme vis-à-vis des immigrés, des demandeurs d’asile et des réfugiés. Il a en outre abordé des questions relatives aux migrations (...) lors de ses visites ad hoc (...) en Espagne, ainsi que dans le cadre d’interventions en qualité de tierce partie devant la Cour de Strasbourg. (...) Cour européenne des droits de l’homme En 2015, le Commissaire a largement fait usage de son droit de présenter des observations écrites dans des affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme, conformément à l’article 36, paragraphe 3, de la CEDH. Il en a fait usage dans (...) deux affaires contre l’Espagne concernant le refoulement allégué de migrants de la ville espagnole de Melilla vers le Maroc. (...) Le 12 novembre 2015, le Commissaire a rendu publiques des observations écrites présentées à la Cour européenne des droits de l’homme dans deux affaires contre l’Espagne (N.D. et N.T., requêtes no 8675/15 et no 8697/15), qui portent sur le refoulement allégué de migrants de la ville espagnole de Melilla vers le Maroc. Dans ses observations, qui se fondent notamment sur la visite qu’il a effectuée à Melilla et à Madrid du 13 au 16 janvier 2015 (...), le Commissaire attire l’attention sur une pratique selon laquelle les migrants qui tentent d’entrer à Melilla en groupe, en escaladant la clôture qui entoure la ville, sont renvoyés de manière expéditive au Maroc par les gardes-frontières espagnols. Le Commissaire souligne que ces retours ont lieu hors de toute procédure officielle et sans identification des personnes concernées ni évaluation de leur situation individuelle, ce qui empêche les migrants d’exercer leur droit de demander une protection internationale en Espagne. Il ajoute que les migrants ainsi renvoyés de Melilla sont privés de tout recours effectif qui leur permettrait de contester leur refoulement ou de demander réparation pour les mauvais traitements qu’ils pourraient avoir subis lors des opérations de refoulement. » C. Le communiqué de presse publié le 16 janvier 2015 à l’issue de la visite (du 13 au 16 janvier 2015) du Commissaire DH en Espagne Le communiqué de presse en question est libellé comme suit : « Espagne : la législation et la pratique en matière d’immigration et d’asile doivent respecter les normes des droits de l’homme Madrid 16/01/2015 Le Commissaire à Melilla, Espagne En Espagne sont actuellement examinées des propositions de modifications de la loi relative aux étrangers, qui visent à légaliser le renvoi des migrants qui arrivent à Ceuta et à Melilla ; ces propositions sont clairement en contradiction avec les normes des droits de l’homme. Les autorités espagnoles devraient les reconsidérer et veiller à ce que tout futur texte législatif soit pleinement conforme aux obligations internationales de l’Espagne, qui consistent notamment à garantir le plein accès à une procédure d’asile effective, à apporter une protection contre le refoulement et à ne pas procéder à des expulsions collectives », a déclaré aujourd’hui Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à l’issue d’une visite à Melilla et à Madrid, entamée le 13 janvier. Le Commissaire a rappelé que les États ne doivent jamais déroger à ces garanties fondamentales en matière de droits de l’homme, quelles que soient les difficultés que la gestion des flux migratoires peut poser dans certains contextes. « Les migrations sont indéniablement une question complexe, qui requiert une réponse européenne concertée, mais cela n’exonère pas les États de leurs obligations. L’Espagne a certes le droit d’établir ses propres politiques d’immigration et de contrôle des frontières, mais elle doit aussi respecter ses obligations en matière de droits de l’homme, et en particulier celles qui lui incombent au titre de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. » Au cours de sa visite à Melilla, le Commissaire a reçu des informations cohérentes faisant état de refoulements, parfois accompagnés d’un recours excessif à la force par les gardes-frontières espagnols (Guardia Civil). « Les refoulements doivent cesser et devraient être remplacés par une pratique qui concilie le contrôle des frontières et les droits de l’homme. Ce n’est pas mission impossible, car les flux migratoires à Melilla restent actuellement à un niveau gérable. Tout recours excessif à la force par des membres des forces de l’ordre doit donner lieu à une enquête complète et effective, et les personnes dont la responsabilité a été établie doivent être sanctionnées de manière adéquate. » Le Commissaire salue la création, en novembre 2014, d’un bureau chargé des questions d’asile, situé à l’un des points de passage entre Melilla et le Maroc, qui permet aux personnes ayant besoin de protection d’entrer en Espagne dans de meilleures conditions de sécurité. « Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui fuient le conflit syrien, et qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à utiliser cette nouvelle possibilité. Cependant, pour les autres personnes, notamment celles qui sont originaires d’Afrique sub-saharienne, qui peuvent aussi avoir de bonnes raisons de demander une protection, cette possibilité reste hors d’atteinte et elles doivent prendre de grands risques pour entrer dans la ville, y compris escalader les grillages qui l’entourent. J’appelle les autorités espagnoles à renforcer le système d’asile à Melilla, de manière à ce que toutes les personnes ayant besoin de protection puissent entrer sur le territoire espagnol en toute sécurité et soumettre leurs demandes. » Face à l’augmentation rapide du nombre de demandes d’asile, le Commissaire invite instamment les autorités espagnoles à mobiliser les ressources humaines et matérielles nécessaires, y compris des effectifs suffisants de policiers dûment formés, d’avocats et d’interprètes. Le Commissaire salue également la présence sur le terrain du HCR à Melilla depuis juillet 2014 et sa bonne coopération avec les autorités. Il recommande toutefois d’adopter d’urgence des mesures visant à améliorer les conditions d’accueil à Melilla (...). En outre, le Commissaire appelle les autorités à établir des règles claires et transparentes applicables aux transferts de demandeurs d’asile de Melilla vers le continent, et de rationaliser ces transferts, pour réduire le surpeuplement, mais aussi l’incertitude des migrants, qui ne savent souvent pas ce qu’il adviendra d’eux. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1981 et réside à Brestovitsa. Le 16 septembre 2007 à environ 11 heures 20, alors qu’il venait d’arrêter son véhicule dans une rue de Plovdiv, le requérant fut contrôlé par des agents de la police routière. Ceux-ci établirent un acte constatant la commission d’une infraction administrative (акт за установяване на административно нарушение) pour arrêt ou stationnement à un endroit où la présence d’un véhicule créait un danger ou un obstacle pour la circulation, visée dans l’article 98, alinéa 1, point 1 de la loi sur la circulation routière. Le requérant signa l’acte précisant que l’endroit en question n’était pas signalé par un panneau de circulation. Le 17 septembre 2007, le requérant soumit des objections écrites au directeur de la police régionale. Par une décision (наказателно постановление) du 21 septembre 2007, le directeur de la police régionale infligea au requérant une sanction administrative sous la forme d’une amende d’un montant de 50 levs bulgares (BGN), soit environ 25 euros (EUR), couplée d’un retrait de cinq points de contrôle (контролни точки) de la fiche accompagnant le permis de conduire. Le 15 octobre 2007, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de district de Plovdiv en exposant que le véhicule n’était pas en stationnement et qu’il n’avait pas créé une situation de danger pour autrui. Lors de l’audience fixée le 11 décembre 2007, le tribunal de district mit fin à la procédure en application de l’article 189 de la loi sur la circulation routière selon lequel les décisions imposant une amende inférieure à 50 BGN ne pouvaient pas faire l’objet d’un examen judiciaire. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi sur la circulation routière (Закон за движението по пътищата) du 5 mars 1999 Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi rédigées : Article 6 « Les usagers de la circulation : adaptent leur comportement aux (...) panneaux de signalisation et au marquage au sol : (...) » Article 98 « (1) L’arrêt et le stationnement ne sont pas autorisés : à un endroit où le véhicule crée un danger ou représente un obstacle, ou cache un panneau ou une signalisation de la vue des autres usagers de la circulation ; (...) » Article 180 « (1) Sera puni d’une amende allant de 20 à 150 BGN tout conducteur qui : contrevient aux règles d’usage des feux du véhicule, d’arrêt ou de stationnement, de circulation sur la route (...), lorsque la contravention a pour effet de créer un danger immédiat pour la circulation ; (...) » B. Le régime du permis de conduire, accompagné de fiche à points de contrôle La fiche à points de contrôle des infractions routières commises, partie intégrante du permis de conduire, trouve sa base légale dans l’article 157 de la loi sur la circulation routière de 1999. Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2000 et a été ultérieurement amendée en 2002 et en 2007. Elle prévoit, dans son alinéa 3, que le ministre de l’Intérieur détermine le nombre initial maximal des points de contrôle, les conditions et la procédure pour leurs retrait et rétablissement, la liste des infractions pour la commission desquelles le conducteur peut se voir retirer des points, et enfin, les conditions et la procédure selon lesquelles une formation supplémentaire peut être effectuée pour l’obtention d’un nouveau permis. Au cours de la période pertinente, à savoir 2007 – 2011, deux décrets de mise en œuvre de l’article 157, alinéa 3 sont intervenus successivement. Le premier était en vigueur du 4 octobre 2002 au 15 février 2008, et le deuxième à partir de cette dernière date jusqu’au 4 février 2013. Un autre décret en vigueur depuis cette date régit la matière à présent. Aux termes de l’ensemble de ces dispositions, le permis de conduire est accompagné d’une fiche affectée de 39 points de contrôle. Ce total de points est réduit de plein droit sur le fondement d’une décision de police devenue définitive selon laquelle le titulaire du permis est l’auteur d’une des infractions routières désignées explicitement dans le décret d’application de la loi. Les infractions visées aux articles 179 à 183 de la loi sur la circulation routière font partie de cette liste. Les organes chargés de prononcer la sanction sont tenus d’appliquer le retrait de points tel que défini par ce dispositif. Lorsqu’un acte de police constatant une infraction aux règles de la circulation est établi, les organes de police conservent la fiche à points de contrôle du conducteur. L’acte de police remplace cette fiche pendant une durée d’un mois et permet au conducteur de continuer à conduire. La fiche à points de contrôle est remise au conducteur au moment de la notification de la décision relative à la sanction et à condition que celui-ci s’acquitte de l’amende. En cas de non-paiement, la décision de police remplace la fiche à points de contrôle pour une durée d’un mois comme suit : a) en cas de noncontestation auprès des juridictions ce délai court à compter du moment où la décision devient définitive, ou b) en cas de contestation de la décision, ce délai début à la date de la décision définitive des tribunaux. Un conducteur qui s’est vu retirer tous les points de contrôle perd la capacité de conduire et est tenu de remettre son permis aux services de police. Il a le droit de se présenter à nouveau aux examens de conduite après l’écoulement d’un délai de six mois à partir de la date de la remise du permis. C. Le contrôle des décisions infligeant des sanctions administratives pour des infractions routières Les actes et les décisions administratives relatifs aux infractions routières sont établis sur le fondement de la loi sur la circulation routière et de la loi sur les infractions et les sanctions administratives (Закон за административните нарушения и наказания) du 28 novembre 1969. En vertu de l’article 189 de la loi sur la circulation routière les faits constitutifs d’une infraction routière sont établis dans un acte émanant des organes du ministère de l’Intérieur. La véracité des faits constatés est présumée jusqu’à la preuve du contraire. En application de l’article 44 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives, la personne visée comme auteur d’une infraction peut faire des objections notées dans l’acte et/ou présentées dans un délai de trois jours. L’acte signé, accompagné le cas échéant des objections, des preuves et d’autres annexes au dossier, est envoyé auprès des organes compétents pour imposer des sanctions administratives - en l’occurrence les organes de la police. Les articles 52 et 53 de cette dernière loi prévoient que ces organes apprécient le dossier et prononcent, par une décision, la sanction pénale s’ils constatent qu’une infraction a été commise. Un amendement à l’article 189 de la loi sur la circulation routière intervenu le 26 juin 2007 prévoyait que les décisions infligeant une amende inférieure à 50 BGN (environ 25 EUR) ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle, excluant ainsi le recours auprès des juridictions. Cette disposition a fait l’objet d’un examen par la Cour constitutionnelle qui l’a déclarée contraire à la Constitution par une décision rendue le 1er mars 2012. La Cour constitutionnelle considéra en particulier que l’activité administrative liée à la répression des infractions routières était de nature pénale. Dès lors, toute sanction sous la forme d’une amende dans ce domaine impliquait pour la personne concernée le droit d’accès à un tribunal pour faire contrôler la légalité de cette mesure. Le faible montant de l’amende ou le caractère mineur de l’infraction ne sauraient être vus comme des motifs permettant d’exclure ce droit, une telle restriction n’étant pas, selon la Cour constitutionnelle, compatible avec l’esprit de la Convention, notamment ses articles 6 et 35 § 3 b) et avec l’article 56 de la Constitution proclamant le droit à la défense de tout citoyen. Par ailleurs, aux termes de l’article 151, alinéa 2 de la Constitution de 1991, les décisions de la Cour constitutionnelle entrent en vigueur trois jours après leur promulgation dans le Journal Officiel. Les actes ou leurs parties déclarées inconstitutionnels ne s’appliquent plus à partir de cette date. Partant, les décisions de la Cour constitutionnelles n’ont d’effet que pour l’avenir. Enfin, l’article 70 de la loi sur les infractions et les sanctions administratives prévoit de manière exhaustive les cas dans lesquels le procureur régional peut demander, selon l’article 72 de cette loi, la réouverture des procédures administratives terminées par des décisions administratives définitives ou des décisions judiciaires mettant fin à la procédure. Cette liste n’inclut pas la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition légale comme motif de réouverture d’une procédure.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971 et réside à Sinop. À l’époque des faits, il était l’éditeur du quotidien local « Bizim Karadeniz », diffusé à Sinop. Le 23 février 2005, le requérant publia un éditorial intitulé « Yolunuz açık olsun » (« Que votre route soit dégagée ») dont il était l’auteur. Dans cet éditorial, il critiqua l’association des journalistes de Sinop (« l’association »), lui reprochant d’agir en contradiction avec son objectif principal et de ne plus servir le but pour lequel elle avait été créée. Cet éditorial énonçait notamment : « (...) Être témoin, lors d’une réunion de l’association (...) de petits calculs (...) m’a plutôt attristé. La phrase « si vous avez des griefs, vous viendrez [vous en] expliquer », prononcée avec insistance lors des discussions relatives au journalisme (...) est une des dernières phrases que prononceraient les personnes ayant adopté le métier de journaliste (...). Vous (...) êtes d’abord tenus de suivre les journaux qui sont localement édités (...), puis les informations qui paraissent dans la presse nationale, et de manière générale, toute l’actualité relative à la presse. [Ceci] parce que vous êtes le président et les membres du conseil d’administration de l’association (...). Au cours de la réunion, j’ai constaté que [non seulement] ces sujets n’étaient pas discutés mais que l’association ne pouvait même pas s’entendre sur la voie à suivre (...). Comment et à quel problème une telle association pourrait-elle trouver une solution ? Alors qu’une pluie de sanctions s’abat sur les journalistes de Bartın et que l’association des journalistes de Bartın fait des déclarations sur ce sujet, notre association qui est une structure autonome consulterait la direction générale ! Alors que (...) ceux qui doivent régler mes problèmes se trouvent ici, ils lancent la balle en dehors du terrain et sont épris de la protection de leur propre siège. (...) “Ceux qui ne gagnent pas leur vie [en exerçant la profession] de journaliste ne peuvent être membres de l’association”. Tu as raison Monsieur le président... Maintenant je demande : quel membre de votre conseil d’administration gagne-t-il sa vie en tant que journaliste ? Pour quel journal travaillez-vous actuellement ? K.T., qui est membre de votre conseil d’administration, gagne-t-il sa vie seulement en tant que journaliste ou n’est-il pas fonctionnaire (...) ? Et en plus, vous parlez de ma démission ! Oui, c’est vrai, un an plus tôt je vous ai remis une demande de démission. Vous n’y avez donné aucune réponse (...). Pourquoi n’avez-vous pas fait votre devoir ? L’association a-t-elle été mise en conformité avec la nouvelle loi sur les associations ? À ceux qui se mettent en colère parce que j’écris ainsi : vous êtes la cause [de mes écrits]. La direction pense exactement comme le président de l’association. Le soutenir veut dire partager ses opinions. En qualité de membres du conseil d’administration, quels engagements avez-vous respectés ? (...) Ceux qui s’accrochent (...) à leur siège (...) alors que les journalistes, y compris de la presse nationale, s’évertuent à éclairer le public sont dans l’inconscience. N’oubliez pas que chaque information que vous pouvez traiter aujourd’hui mais que vous ne pourrez plus traiter demain en raison du nouveau code pénal va entraver le paiement de salaires et de primes par les journaux dont vous êtes les correspondants (...). Chers lecteurs, tout d’abord, je vous demande pardon pour vous avoir ennuyé en m’attardant sur un sujet qui ne concerne que nous [les journalistes], alors que Sinop et nos [concitoyens] ont tant d’autres problèmes (...). Mais, il est inacceptable (...) que notre adhésion [à l’association] soit considérée comme une faveur (...). (...). » Le 25 février 2005, le président de l’association, estimant que l’éditorial du requérant portait atteinte à sa dignité et à celle des autres dirigeants de l’association, lui envoya une réponse rectificative pour publication. Le 3 mars 2005, face au refus du requérant de publier celle-ci, il saisit le tribunal de paix de Sinop (Sulh ceza mahkemesi) d’une demande d’injonction de la publication de sa réponse rectificative. À l’appui de sa demande, il argua que l’article litigieux avait porté atteinte à son honneur et à sa dignité de même qu’à celles des membres du conseil d’administration de l’association. Il soutint en outre que l’article contenait des imputations inexactes à leur égard. Le 4 mars 2005, constatant que le texte de la réponse rectificative portait sur l’éditorial du requérant et ne contenait pas d’éléments infractionnels, un juge du tribunal de paix de Sinop, statuant sur dossier, en ordonna la publication, en vertu de l’article 14 de la loi no 5187 sur la presse, dans les trois jours suivant la date où cette décision deviendrait définitive. Il précisa en outre qu’une opposition urgente pouvait être formée contre sa décision dans les trois jours suivant sa notification. Le 15 mars 2005, le requérant forma opposition contre cette décision devant le tribunal correctionnel de Sinop. Il soutint que le texte litigieux n’avait pas trait à son article, contenait des insultes et était contraire à l’esprit de la loi sur la presse. Il exposa tout d’abord les raisons d’être de son éditorial, dans lequel il admit avoir critiqué l’association. Il soutint toutefois que cette critique ne dépassait pas les limites admissibles. Il argua ensuite n’avoir utilisé aucune expression insultante ou dénigrante. Il fit en outre valoir que la réponse rectificative ne portait pas sur des informations factuelles mais rendait compte des opinions de l’association et comportait des expressions outrageantes à son endroit ainsi que des informations erronées. Il soutint que le texte en question ne pouvait s’entendre comme l’exercice d’un droit de réponse conforme à l’article 14 de la loi sur la presse. Le 17 mars 2005, un juge du tribunal correctionnel de Sinop, statuant à titre définitif sur dossier, après avoir pris en considération la décision de publication du tribunal de paix, la pétition d’opposition, le journal, les textes relatifs à l’opposition, l’article 14 de la loi no 5187 et l’avis du procureur de la République, rejeta l’opposition. Par conséquent, le texte de la réponse rectificative fut publié dans le journal du requérant en ces termes : « (...) Dans l’éditorial intitulé « Que votre route soit dégagée », signé par Mustafa Eker (...), le président et le conseil d’administration de l’association (...) ont été pris pour cibles et certaines critiques injustes et dénuées de fondement ont été proférées. Tout d’abord, nous voulons déclarer que l’association (...), qui remplit sa mission de la meilleure façon possible depuis sa fondation en 1981, est le premier organisme de presse de Sinop. Notre association est également un membre respecté du conseil de presse de la fédération des journalistes de Turquie. Depuis sa fondation, notre association a fait tous les efforts possibles afin de défendre les droits (...) de ses membres. Elle va continuer à le faire. L’association (...) sert équitablement tous ses membres. Lorsque nos membres ont un quelconque problème, la direction de notre association en est informée (...). En fait, l’association est l’unique endroit où les problèmes sont discutés et où des solutions sont recherchées. Les membres de notre conseil d’administration décident avec leur libre arbitre. Contrairement à ce qui a été allégué, aucun membre de notre conseil d’administration n’est obligé d’accepter sans condition les opinions et pensées de notre président (...). S’évertuer à nuire à la réputation de notre association aux yeux de l’opinion publique [sans à propos ni maîtrise de sujet] (hariçten gazel okuyarak) ne sied pas à Mustafa Eker. Le président et les membres du conseil d’administration de l’association (...) ont une expérience du journalisme et du [statut] de dirigeants [qui se compte en] années au moins aussi nombreuses que l’âge de Mustafa Eker. De plus, ils sont arrivés aux fonctions qu’ils assument par voie d’élection. Que Monsieur Eker ne s’avise pas de nous donner des leçons de journalisme et d’administration. Aucun membre de notre conseil d’administration, y compris le président, n’est épris de son siège. Nous remplissons nos fonctions en faisant tous les sacrifices matériels et moraux nécessaires pour la survie de notre association fondée il y a vingt-quatre ans. Il est vrai que Mustafa Eker a voulu démissionner de notre association. Toutefois, à l’époque, pensant qu’il renoncerait à certaines attitudes et certains comportements négatifs, nous n’avions pas traité sa requête. D’autre part, il a lui-même été appelé à l’association et informé oralement que sa démission n’avait pas été acceptée. Celui qui n’a pas [imprimé] sa marque sur un champ ne peut [se présenter] à la récolte ! Les critiques injustes et iniques d’Eker à l’encontre de notre association [alors que] depuis deux ans il n’a pas rempli ses devoirs d’adhérent, y compris s’agissant [de l’acquittement] de ses contributions ne nous empêcheront jamais de dessiner de nouveaux horizons. D’après notre compréhension du journalisme, un journaliste qui informe la société avec ses articles de manière objective et indépendante, sans porter atteinte à l’honneur et à la dignité des personnes, est un bon journaliste. Partout, il sera respecté. En revanche, les prétendus journalistes qui écrivent (...) au gré des souhaits et des envies de leur patron et font les louanges de certaines catégories [de personnes] sont, dans notre cercle, dénommés des journalistes entretenus ou dépendants. Notre peuple connaît très bien ces derniers. » II. LE DROIT INTERNE ET EUROPÉEN PERTINENT L’article 32 de la Constitution turque dispose : « Droit de rectification et de réponse. Le droit de rectification et de réponse n’est reconnu que dans les cas d’atteinte à la dignité et à l’honneur des personnes ou de publications fausses les concernant, et est réglementé par la loi. En cas de non publication de la rectification ou de la réponse, le juge statue au sujet de la nécessité de sa publication au plus tard dans les sept jours de la requête de l’intéressé. » L’article 14 de la loi no 5187 sur la presse adoptée le 9 juin 2004 et publiée au Journal officiel le 26 juin 2004 prévoit, dans ses passages pertinents en l’espèce : « En cas de publication contraire à la réalité ou portant atteinte à l’honneur et à la dignité des personnes dans un périodique, le directeur de la publication doit publier, sans modification et dans les trois jours à partir de sa réception, la réponse rectificative que la personne ayant subi l’atteinte doit lui envoyer dans un délai de deux mois suivant la date de parution de l’article. La réponse rectificative qui ne doit pas comporter d’éléments infractionnels ni porter atteinte aux droits d’autrui, doit figurer à la même page et dans le même format (...) que ledit article (...). La réponse rectificative indique l’article ayant occasionné la réponse. La réponse ne saurait être plus longue que l’article qu’elle entend rectifier (...). Dans le cas où la réponse rectificative n’est pas publiée dans le délai fixé au premier paragraphe (...) le demandeur peut introduire une demande d’injonction devant le juge de paix (...) dans un délai de quinze jours à partir de la fin du délai imparti pour la publication (...). Le juge de paix statue sur cette demande, sans tenir d’audience, dans un délai de trois jours. Il est possible de former un recours en opposition d’urgence contre la décision du juge de paix. L’instance compétente examine l’opposition dans les trois jours et statue. La décision de l’instance compétence est définitive. (...) » Le droit européen pertinent concernant le droit de réponse est décrit dans l’affaire Melnitchouk c. Ukraine ((déc.), no 28743/03, 5 juillet 2005).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1973 et en 1965 et résident à Tikhoretsk (région de Krasnodar). Les requérants sont militaires. Leur employeur, le ministère de la Défense, leur attribua des appartements régis par un contrat de « bail social » (договор социального найма). Souhaitant obtenir la privatisation de ces appartements, les requérants adressèrent leurs demandes en ce sens à une société de droit public (Федеральное государственное учреждение « Южное региональное управление жилищного обеспечения ») (« la société gestionnaire ») désignée par le propriétaire, à savoir le ministère de la Défense, pour conclure les contrats de « bail social ». Cette société répondit aux requérants qu’elle n’était pas habilitée à exercer les pouvoirs du propriétaire en matière de privatisation. Elle précisa que, d’une part, les modalités de la privatisation n’étaient pas déterminées par la loi et, d’autre part, que le droit de propriété pourrait être reconnu par la voie judiciaire. Les requérants adressèrent, en outre, leurs demandes au ministère de la Défense. Par une lettre du 29 janvier 2013, celui-ci leur répondit que les modalités de la privatisation étaient en cours d’élaboration et que le droit de propriété pourrait être conféré par la voie judiciaire. Les requérants saisirent le tribunal de la ville de Tikhoretsk d’une action dirigée contre le ministère de la Défense, la société gestionnaire et l’administration de la ville de Tikhoretsk visant à la reconnaissance d’un droit de propriété sur leurs appartements. Par des décisions avant dire droit du 24 juillet 2013, le tribunal déclara les recours irrecevables, en application de l’article 222 du code de procédure civile, au motif que les requérants n’avaient pas introduit un recours précontentieux avant la saisine de la justice. Le tribunal observa qu’en effet le ministère – propriétaire des appartements – avait répondu que, en l’absence du règlement administratif approprié, la privatisation était temporairement impossible. Il nota ensuite que, afin de réaliser la privatisation, la loi exigeait de procéder par la voie administrative et, seulement en cas de rejet de la demande précontentieuse, de former un recours judiciaire. Il conclut que, puisque le ministère n’avait pas opposé un rejet stricto sensu aux demandes de privatisation formulées par les requérants, l’exigence de l’exercice d’un recours précontentieux n’était pas satisfaite. Les requérants interjetèrent appel. Contrairement à ce qu’avait estimé le tribunal, ils considéraient que la réponse du ministère de la Défense s’analysait en un rejet de leurs demandes de privatisation, lequel rejet, selon eux, leur permettait de saisir la justice. De plus, ils indiquaient que le tribunal de la ville n’avait pas mentionné la disposition légale en vertu de laquelle un recours précontentieux était obligatoire pour la saisine de la justice. Le 5 septembre 2013, la cour régionale de Krasnodar confirma, en appel, les décisions attaquées. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La loi du 4 juillet 1991 sur la privatisation du parc public des logements, dans sa rédaction du 20 mai 2002, dispose que l’administration compétente doit prendre une décision relative à la demande de privatisation dans un délai de deux mois après le dépôt du dossier (article 8 § 1 de la loi). En cas de violation de ses droits relatifs à la privatisation, la personne concernée peut former un recours judiciaire (article 8 § 3 de la loi). Selon le paragraphe 8 de la directive de la présidence de la Cour suprême de Russie du 24 août 2013, relative à l’application de ladite loi, l’administration ne peut pas rejeter les demandes de privatisation des logements occupés au titre de cette loi, si de telles demandes ont été adressées à l’administration. Selon l’article 222 alinéa 2 du code de procédure civile, l’instance s’éteint lorsque le demandeur n’a pas introduit un recours précontentieux dans les cas où cette voie préalable est obligatoire en vertu de la loi fédérale. Selon l’article 223 § 2 dudit code, le demandeur peut réintroduire la demande une fois qu’il a été remédié aux manquements qui ont été constatés par un juge.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants et tels qu’ils ressortent des documents pertinents en l’espèce issus de différentes affaires liées aux faits à l’origine du présent litige, peuvent se résumer comme suit. A. Le contexte général Les 19, 20 et 21 juillet 2001, la ville de Gênes accueillit le vingtseptième sommet des huit pays les plus industrialisés (G8), sous la présidence du gouvernement italien. De nombreuses organisations non gouvernementales, rassemblées sous la bannière du groupe de coordination « Genoa Social Forum – GSF » (« le GSF »), organisèrent un sommet « altermondialiste » qui se déroula à la même période. Il a été estimé que 200 000 personnes (selon le ministère de l’Intérieur) à 300 000 personnes (selon le GSF) participèrent à l’événement. Un vaste dispositif de sécurité fut mis en place par les autorités italiennes (arrêts Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 12, CEDH 2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 11-12, 23-24, 7 avril 2015). Celles-ci divisèrent la ville en trois zones concentriques : la « zone rouge », de surveillance maximale, où le sommet devait se dérouler et où les délégations devaient loger ; la « zone jaune », une zone tampon où les manifestations étaient en principe interdites, sauf autorisation du chef du bureau de la police (questore) ; et la « zone blanche », où les principales manifestations étaient programmées. Les autorités attribuèrent une couleur à chaque groupe organisé, à chaque association, à chaque syndicat et à chaque ONG, en fonction de sa dangerosité potentielle : le « bloc rose », non dangereux ; le « bloc jaune » et le « bloc bleu », considérés comme comprenant des auteurs potentiels d’actes de vandalisme, de blocage de rues et de rails, et également d’affrontements avec la police ; et enfin, le « bloc noir », dont faisaient partie plusieurs groupes, anarchistes ou plus généralement violents, ayant pour but de commettre des saccages systématiques. La journée du 19 juillet se déroula dans une ambiance relativement calme, sans épisodes particulièrement significatifs. Par contre, les journées des 20 et 21 juillet furent marquées par des accrochages de plus en plus violents entre les forces de police et certains manifestants appartenant essentiellement au « bloc noir ». Au cours de ces incidents, plusieurs centaines de manifestants et de membres des forces de l’ordre furent blessés ou intoxiqués par du gaz lacrymogènes. Des quartiers entiers de la ville de Gênes furent dévastés (pour une analyse plus détaillée, voir Giuliani et Gaggio, précité, §§ 12-30, et Cestaro, précité, §§ 9-17). B. Les traitements subis par les requérants à la caserne de Bolzaneto Le 12 juin 2001, le Comité provincial pour l’ordre et la sécurité publique élabora un plan logistique relatif à la prise en charge des personnes arrêtées pendant le sommet. La prison de Marassi se trouvant dans une zone considérée comme sensible, il fut décidé, pour des raisons de sécurité, de créer, dans des lieux excentrés, deux centres temporaires où les personnes arrêtées devaient être regroupées pour être soumises aux démarches consécutives à une arrestation, à savoir l’identification, la notification du procès-verbal d’arrestation, la fouille, l’immatriculation et la visite médicale, avant d’être transférées vers différentes prisons. Par un arrêté du ministère de la Justice du 12 juillet 2001, les casernes de Forte San Giuliano et de Bolzaneto furent désignées comme étant des « sites utilisés à des fins de détention, annexes du bureau médical et du bureau matricule (ufficio matricola) des établissements pénitentiaires de Pavie, Voghera, Vercelli et Alexandrie ». À l’intérieur de la caserne de Bolzaneto, une partie des locaux fut affectée aux activités de la police judiciaire. Le restant des locaux fut réservé aux activités de la police pénitentiaire (immatriculation, fouille et visite médicale). À la suite du décès de Carlo Giuliani au cours des heurts entre carabiniers et manifestants sur la place Alimonda, les carabiniers ne furent plus affectés aux activités de gestion de l’ordre public dans la ville. À partir du 20 juillet, la caserne de Bolzaneto, placée sous la responsabilité de la police, resta ainsi le seul lieu de regroupement et de répartition des personnes arrêtées. Selon le ministère de la Justice, pendant la période d’activité de la structure, du 12 au 24 juillet, 222 personnes ont été immatriculées avant leur transfert vers les prisons d’Alexandrie, Pavie, Vercelli et Voghera (voir le « Rapport final de l’enquête parlementaire d’information sur les faits survenus lors du G8 de Gênes du 20 septembre 2001 » mentioné dans la note en bas de la page précédente). Les tribunaux internes ont établi avec exactitude, au-delà de tout doute raisonnable, les mauvais traitements dont avaient fait l’objet les personnes présentes à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto. Les témoignages des victimes ont été confirmés par les dépositions des membres des forces de l’ordre et de l’administration publique, les reconnaissances partielles des faits par les accusés ainsi que par les documents à disposition des magistrats, notamment les rapports médicaux et les expertises judiciaires. À partir de cette multitude d’informations, il est possible de décrire les épisodes de violence dont les requérants firent l’objet : Requête no 28923/09 Le 20 juillet, M. Azzolina, qui participait au cortège des Tute Bianche, reçut des coups de pied et de matraque et fut aspergé de gaz irritant lors d’une charge de la police près de la rue Tolemaide. Transporté à l’hôpital en raison d’une blessure ouverte à la tête, il y fut soigné avant d’être emmené avec d’autres personnes à la caserne de Bolzaneto à bord d’un véhicule blindé. Placé avec d’autres personnes contre un mur, il fut menacé, insulté et frappé. Un agent de police lui saisit la main et lui écarta violemment les doigts, entre le troisième et le quatrième doigt, ce qui provoqua une profonde lacération. Menacé d’être à nouveau frappé s’il bougeait ou s’il se plaignait, M. Azzolina subit une suture de sa blessure sans anesthésie. Par la suite, l’intéressé et d’autres personnes arrêtées furent obligés de se déshabiller avant d’être conduits dans des cellules où ils furent frappés sur leurs blessures à intervalles rapprochés. Le requérant fut libéré le lendemain, à 2 heures, après avoir été contraint de passer entre deux rangées de membres des forces de l’ordre qui le frappèrent par tous les moyens lors de son passage. M. Azzolina souffrait de lésions à une main, à la tête et à une jambe, ainsi que de plusieurs contusions. Mme Bartesaghi Gallo fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini. Transportée à l’hôpital en raison d’une blessure ouverte à la tête, elle fut soignée puis, le 22 juillet au soir, transférée à la caserne de Bolzaneto. Une croix fut tracée sur son visage au feutre rouge. Elle fut d’abord obligée de rester deux heures les bras en l’air contre une clôture métallique dans la cour, puis de passer, tête baissée, entre des agents qui l’insultaient (« pute », « salope »), d’aller aux toilettes sans pouvoir fermer la porte, sous les insultes et les menaces de l’agent qui l’accompagnait. À l’intérieur de la caserne, elle dut se tenir longtemps immobile, bras et jambes écartés, face contre un mur, au milieu de chants fascistes. Elle vit d’autres personnes arrêtées qui avaient le visage en sang. Lors d’une visite médicale, on l’obligea à se déshabiller et à faire des pompes devant deux hommes et deux femmes. On lui prit certains papiers qui furent jetés. Elle fut ensuite transférée à la prison de Vercelli. M. Delfino fut arrêté et blessé au nez le vendredi 20 juillet. En fin d’après-midi, il fut transporté à la caserne de Bolzaneto et passé à tabac dans un véhicule garé en plein soleil, à l’intérieur duquel il fut ensuite laissé longtemps. Il fut ensuite traîné de force par les cheveux à l’intérieur de la caserne, où il fut à nouveau frappé puis obligé de se tenir immobile face à un mur, bras et jambes écartés. Lors de son identification, la police ne l’autorisa ni à prévenir ses parents ni à voir un avocat et ne l’informa pas des motifs de son arrestation. Avant la visite médicale, M. Delfino dut attendre dans le couloir, bras et jambes écartés face au mur. Au bout d’une heure, il perdit connaissance. Il ne reçut aucun soin pour sa blessure au nez. Le 21 juillet, à l’aube, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. Mme Doherty fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini. Transportée à l’hôpital en raison de plusieurs excoriations et d’une fracture du poignet, elle fut soignée avant d’être transférée, le 22 juillet à l’aube, à la caserne de Bolzaneto. Elle fut d’abord obligée de rester deux heures les bras en l’air contre une clôture métallique dans la cour, malgré son bras plâtré, puis de passer, tête baissée, entre des agents qui l’insultaient. Elle dut utiliser les toilettes en laissant la porte ouverte. Une croix fut tracée sur son visage au feutre rouge. À l’intérieur de la caserne, elle dut se tenir longtemps bras et jambes écartés, face contre un mur. Elle vit d’autres personnes arrêtées souffrir en raison des sévices qu’elles subissaient. Lors d’une visite médicale, on l’obligea à se dévêtir et à faire des pompes devant un homme et deux femmes, malgré la douleur provoquée par sa fracture du poignet ; à cause de celle-ci, elle n’arriva pas à remettre son soutien-gorge, mais personne ne l’aida. À l’occasion de son identification, elle fut obligée de signer des documents, rédigés en italien, qu’elle ne comprenait pas. M. Galloway fut arrêté à l’école Diaz-Pertini. Transporté à l’hôpital en raison de blessures au dos et à la tête, il fut soigné puis transféré, le 22 juillet à l’aube, à la caserne de Bolzaneto. Il fut identifié puis emmené dans une cellule déjà occupée par d’autres personnes. Obligé de se tenir bras et jambes écartés, face contre un mur, il ne fut pas frappé mais dut entendre des coups violents et des cris. Il fut emmené dans un local vide où il fut contraint de se déshabiller et de faire des pompes. Soumis à une « sorte de visite médicale », il dut à nouveau se dévêtir mais ne reçut pas de soins. Dans la nuit, on le fit rester longtemps jambes écartées et face contre le mur, dans le couloir. Il dut signer un document rédigé en italien et en partie prérempli, dont il ne comprenait pas la teneur. L’après-midi du 23 juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier, sans avoir pu s’entretenir avec les autorités diplomatiques de son pays. M. Ghivizzani fut arrêté le 20 juillet en début d’après-midi et laissé les mains liées en plein soleil. Arrivé à la caserne de Bolzaneto vers 17 heures, il fut placé debout face au mur d’une cellule. Il fut traité de « connard de communiste » et de « salaud », et reçut à plusieurs reprises des coups de pied aux chevilles et des coups de matraque sur tout le corps ; on lui cogna la tête contre le mur et on lui écrasa une cigarette allumée sur un poignet. À l’aube, un médecin ordonna aux agents d’ôter les liens qui entravaient les poignets de l’intéressé. Avant d’être identifié, ce dernier dut se dévêtir et passer entre des agents qui le frappèrent sur la nuque, le dos et les fesses. À l’infirmerie, il fut menacé d’une fouille rectale et obligé de se déshabiller totalement et de faire des pompes nu. Il ne reçut aucun soin pour les lésions qu’il présentait aux mains. On ne lui permit pas d’aller aux toilettes. Le 21 juillet, à 5 heures, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. M. Herrmann fut arrêté à l’école Diaz-Pertini, transporté à l’hôpital, puis transféré à la caserne de Bolzaneto le 22 juillet, à l’aube. À son arrivée à la caserne, il fut placé contre un mur ; un policier lui marqua la joue gauche d’une croix à l’aide d’un feutre tandis que d’autres policiers faisaient le salut hitlérien (saluto romano). Il fut fouillé, privé de ses objets personnels puis traîné par les cheveux sur les genoux par un agent le long d’un couloir où d’autres agents l’insultèrent et le frappèrent à coups de pied. Placé dans une cellule avec une vingtaine de personnes, il dut rester debout, jambes écartées et face contre le mur. Les agents contrôlèrent plusieurs fois les noms des occupants de la cellule tout en les bousculant violemment. À maintes reprises, ceux-ci furent l’objet d’injures fascistes et de crachats provenant de l’extérieur de la cellule. Lors d’un nouveau contrôle, le requérant indiqua aux policiers qu’il était journaliste et demanda en vain à pouvoir communiquer avec la rédaction de son journal, avec les autorités diplomatiques de son pays ou avec un avocat. À la fin de la procédure d’identification, il fut autorisé à se rendre aux toilettes en passant tête baissée entre des agents qui l’insultaient et le poussaient. Il put également se laver et se changer, toujours sous la surveillance des policiers. Il fut obligé par deux fois de ramasser ses effets personnels qui avaient été jetés au sol pendant qu’un agent lui maintenait la tête vers le bas. Dans un bureau, il fut obligé de se dévêtir puis de faire des pompes et des pirouettes par terre et, enfin, de signer des documents rédigés uniquement en italien. Le 23 juillet au matin, il fut menotté à une autre personne et conduit à la prison de Pavie. M. Moth fut arrêté à l’école Diaz-Pertini et transporté à l’hôpital afin d’y être soigné pour une blessure à la tête, une autre à un mollet et plusieurs ecchymoses. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto, dans la nuit du 21 au 22 juillet, il fut contraint de rester debout avec d’autres personnes, jambes écartées et face au mur, pendant vingt minutes. Placé dans une cellule puis dans une autre, il dut se tenir plusieurs fois dans cette position, pendant que des agents qui se trouvaient à l’intérieur et à l’extérieur de la cellule le couvraient d’injures. Lorsqu’il se rendit aux toilettes, il fut contraint de marcher tête baissée, insulté, frappé puis surveillé à l’intérieur des toilettes. À l’occasion de son identification, il dut signer des documents rédigés uniquement en italien et demanda en vain à pouvoir prendre contact avec un avocat. M. Nathrath fut arrêté à l’école Diaz-Pertini et conduit directement à la caserne de Bolzaneto le 22 juillet. À son arrivée, il fut frappé et obligé de rester face à un mur, les jambes écartées et les bras en l’air. Il dut reprendre ensuite cette position plusieurs fois à l’intérieur de la caserne, où il fut à nouveau frappé et insulté dans une cellule et injurié lorsqu’il se rendit aux toilettes en gardant la tête baissée sur ordre des policiers. Il fut surveillé jusque dans les toilettes. À l’infirmerie, il fut obligé de se déshabiller et de faire des pompes. À l’occasion de la procédure d’identification, il dut signer un document en partie pré-rempli et rédigé uniquement en italien. Il ne fut autorisé à prendre contact ni avec sa famille ni avec les autorités diplomatiques de son pays. Il fut lui aussi marqué d’une croix rouge sur le visage. Le 23 juillet au matin, il fut menotté à une autre personne et transféré à la prison de Pavie. Il fut détenu pendant trois semaines, d’abord à Pavie, puis à Gênes. Mme Subri fut arrêtée le 20 juillet en fin d’après-midi avec d’autres personnes dans un bar situé près de la place Alimonda et emmenée à la caserne de Bolzaneto. Dès son arrivée à la caserne, elle fut frappée et insultée. Dans la cellule où elle avait été placée, elle dut rester à plusieurs reprises jambes écartées, bras en l’air et face contre le mur. Elle fut contrainte de marcher tête baissée. Elle fut également menacée de viol. Elle vomit deux fois mais aucun médecin ne se préoccupa de son état de santé et personne ne lui donna les protections hygiéniques dont elle avait besoin. Lors de la visite médicale, on l’obligea à se déshabiller et à faire des pompes contre un miroir. Elle fut obligée de signer des documents rédigés en italien. Mme Treiber fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini le 21 juillet et emmenée à la caserne de Bolzaneto. Elle fut d’abord placée contre un mur dans la cour, où elle vit deux agents frapper l’une des personnes arrêtées et l’asperger de gaz irritant ; elle fut ensuite placée dans une cellule et contrainte de rester debout, les jambes écartées. Elle dut garder cette position tout au long de la nuit, sauf pendant quelques périodes où elle fut autorisée à se mettre à genoux ; elle put s’allonger par terre qu’à l’aube. Elle entendit crier « Heil Hitler », elle vit les souffrances des autres occupants des cellules, qui avaient le visage en sang ou qui s’étaient uriné dessus. À son arrivée à la caserne, une agente lui avait retiré les médicaments qu’elle détenait et dont elle avait besoin à la suite d’une récente opération aux reins. Mme Treiber fut elle aussi marquée d’une croix rouge sur le visage. Lors de son passage dans les couloirs, elle fut contrainte de marcher la tête baissée et les mains derrière la nuque et entre des agents qui la frappaient et l’insultaient. Le 22 juillet au matin, elle fut conduite dans une pièce où, en présence de plusieurs agents, elle dut signer des documents rédigés uniquement en italien. Ensuite, à l’infirmerie, elle fut contrainte de se dévêtir, entourée d’agentes qui lui arrachèrent ses vêtements et découpèrent la capuche de son gilet. Elle dut ensuite faire des pompes et fut privée de ses lunettes. Elle ne put prendre contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autorités diplomatiques de son pays. Menottée à une autre femme, elle fut finalement transférée à la prison de Voghera. Mme Zeuner fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini. Emmenée à la caserne de Bolzaneto, elle fut d’abord placée contre un mur dans la cour puis emmenée à l’intérieur, dans une cellule, où elle fut à nouveau obligée de se tenir les jambes écartées et les bras en l’air. Elle fut menacée, reçut des coups et fut obligée de laisser la porte des toilettes ouverte lorsqu’elle les utilisait. À l’infirmerie, elle fut contrainte de se dévêtir, et même de retirer son tampon hygiénique, devant une femme médecin et quatre agentes de police. Alors qu’elle passait dans un couloir, un agent lui fit un croche-pied. On essaya de la contraindre à signer des documents rédigés uniquement en italien. Elle fut ensuite transférée à la prison de Voghera. Requête no 67599/10 Mme Kutschkau fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini et transportée à l’hôpital pour une fracture de la mâchoire, la perte de deux dents, une subluxation de deux autres dents et un traumatisme crânien. Elle fut ensuite transférée à la caserne de Bolzaneto le 22 juillet à l’aube. À son arrivée à la caserne, elle fut placée contre un mur jambes écartées et bras en l’air, d’abord dans la cour puis à l’intérieur. Elle dut ensuite reprendre cette position plusieurs fois à l’intérieur de la caserne où elle fut à nouveau frappée. Lorsqu’elle se rendit aux toilettes, elle dut marcher la tête baissée et un bras dans le dos, et fut frappée et insultée. À maintes reprises, les agents se moquèrent de ses blessures à la bouche. Elle fut privée de ses effets personnels et de ses protections hygiéniques et ne reçut pas de soins adéquats à l’infirmerie de la caserne, où un médecin la menaça de la frapper à nouveau sur la bouche avec une matraque qu’il tenait près de lui. Elle ne put prendre contact ni avec sa famille, ni avec un avocat, ni avec les autorités diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, à midi, elle fut transférée à la prison de Pavie. Mme Partesotti fut arrêtée pendant la manifestation du 21 juillet et emmenée à la caserne de Bolzaneto en début d’après-midi. Dans la cour de la caserne, dans le couloir et puis dans les cellules où on l’emmena, elle fut placée mains et face contre le mur. Tout au long de sa détention à la caserne, elle fut l’objet d’injures (« pute », « salope ») et de menaces (« je viendrai mettre le feu à ton appartement », « il faudrait toutes vous violer, comme on l’a fait au Kosovo »). Elle dut assister aux sévices infligés à d’autres personnes arrêtées et écouter des chants fascistes. Le médecin qui l’examina omit de relever les hématomes consécutifs à son arrestation. La requérante ne put prendre contact avec sa famille. Le matin du 22 juillet, elle fut transférée à la prison de Vercelli. M. Balbas fut arrêté à l’école Diaz-Pertini et transporté à l’hôpital pour une blessure à la cheville. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut lui aussi insulté et marqué d’une croix rouge sur le visage. Il fut ensuite placé dans une cellule où il fut obligé de rester les jambes écartées et les bras levés pendant deux heures environ et menacé de coups s’il bougeait. Il entendit des cris provenant d’autres cellules. Lors de son passage dans le couloir de la caserne, il fut contraint de marcher la tête baissée et les mains derrière la nuque entre des agents qui le frappèrent. Il fut l’objet d’injures telles que « connard de communiste », « salaud », « tu es une merde ». Le requérant ne put prendre contact ni avec sa famille ni avec les autorités diplomatiques de son pays. Dans la nuit du 22 au 23 juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier. Mme Bruschi fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini et emmenée à la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet. Elle fut placée contre un mur dans la cour, jambes écartées et bras en l’air, et menacée par un agent d’être sodomisée avec une matraque. Elle fut ensuite conduite à l’intérieur, contrainte de marcher penchée en avant et les mains derrière la nuque, puis placée dans une cellule, où elle fut à nouveau obligée de se tenir jambes écartées et bras en l’air pendant trois heures environ. Elle entendit des cris et des coups provenant d’autres cellules et elle vit d’autres personnes arrêtées qui souffraient. Lors d’une visite médicale, elle dut se dévêtir partiellement devant des hommes, pendant que le médecin l’insultait et disait que les manifestants arrêtés dans l’école Diaz-Pertini auraient tous dû être fusillés. Le 23 juillet, à l’aube, elle fut transférée à la prison de Vercelli. Mme Digenti fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini et emmenée à la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet, malgré des blessures consécutives à son arrestation. Elle fut placée contre un mur dans la cour, jambes écartées et bras en l’air, et fut l’objet d’injures et de menaces de la part des agents, telles que « il faudrait tous les mettre au poteau d’exécution » ou « à Diaz-Pertini, les têtes faisaient un drôle de bruit quand on les cognait contre le mur ». À l’intérieur de la caserne, d’abord dans l’entrée puis dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir à nouveau jambes écartées et bras levés, sous la garde d’agents qui frappaient ceux qui bougeaient. Elle entendit des cris provenant d’autres cellules et vit d’autres personnes avec le visage en sang. Elle dut marcher tête baissée. Lors d’une visite médicale, elle dut se déshabiller devant des hommes. Un médecin l’injuria et lui dit qu’elle et les autres personnes arrêtées sentaient mauvais comme des chiens ; un autre homme apprécia les traces des coups de matraque qu’elle avait reçus sur le cou en déclarant « c’est du bon travail » et fit mine de la frapper à nouveau sur le cou avec une matraque. Le 23 juillet, à l’aube, elle fut transférée à la prison de Vercelli. M. Lorente fut arrêté le 20 juillet en début d’après-midi, place Manin, et laissé menotté dans une camionnette de la police. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto, le 20 juillet au soir, il fut contraint de rester une heure face contre un mur, à l’extérieur, avant d’être conduit dans une cellule où, à genoux et toujours menotté, il fut passé à tabac plusieurs fois. Il fut aussi frappé lors de son passage dans les couloirs. À l’infirmerie, alors qu’il était allongé sur un brancard, des agents lui cassèrent une côte à coups de poing, en présence d’un médecin qui l’invita ironiquement à porter plainte pour dénoncer ces mauvais traitements. Emmené par la suite aux toilettes, on lui baissa le pantalon et on lui intima l’ordre d’uriner, le traitant d’homosexuel, tandis qu’un agent faisait mine de le sodomiser avec une matraque ; puis on le frappa avec celle-ci entre les jambes. Le requérant dut signer un document en partie prérempli et entièrement rédigé en italien. Le 21 juillet, à l’aube, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. M. Madrazo fut arrêté à l’école Diaz-Pertini et transporté à l’hôpital en raison de ses blessures. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut marqué au feutre rouge d’une croix sur le visage et contraint de marcher penché en avant et les mains sur la nuque. Placé dans une cellule, il fut obligé de se tenir les jambes écartées et les bras en l’air, face contre le mur. Lors de son passage dans les couloirs, il dut marcher tête baissée et passer entre des agents qui le bousculaient. Il dut dormir par terre. Il ne put prendre contact avec les autorités diplomatiques de son pays. Le matin du 23 juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier. M. Nogueras Chavier fut arrêté à l’école Diaz-Pertini et transporté à l’hôpital en raison d’une fracture du péroné gauche. À son arrivée à la caserne de Bolzaneto, le 22 juillet au soir, il fut marqué d’une croix rouge sur le visage. Placé dans une cellule avec d’autres personnes arrêtées, il fut obligé, malgré sa douleur à la jambe, de rester debout, d’abord au centre de la cellule puis face contre le mur, jambes écartées et bras en l’air, sans pouvoir s’appuyer. Il reçut des injures (« salaud de communiste ») et des crachats. Il entendit les cris d’autres personnes qui étaient frappées. Lors de son passage dans les couloirs, il dut marcher tête baissée et, une fois, il reçut un coup de pied dans sa jambe blessée. Il dut utiliser les toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne fut pas autorisé à prendre contact avec les autorités diplomatiques de son pays. Le matin du 23 juillet, il fut transféré dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier. Mme Ender fut arrêtée l’après-midi du 20 juillet dans la rue Montezovetto et emmenée à la caserne de Bolzaneto le soir du même jour. À son arrivée à la caserne, elle dut marcher les mains liées dans le dos et la tête baissée, même lors de son passage dans le couloir, où elle fut frappée à coups de pied. Conduite dans une cellule avec Mme Percivati (requérante de la requête no 67599/10 figurant sous le numéro 18 dans la liste en annexe), elle fut obligée de rester à genoux face au mur et fut l’objet d’injures qui, comme le lui expliqua Mme Percivati, étaient à caractère sexuel. Mme Ender demanda plusieurs fois à pouvoir se rendre aux toilettes, en vain, car on lui rétorqua, par l’intermédiaire de Mme Percivati, qu’elle n’avait qu’à « faire tout sur elle ». On finit par l’emmener aux toilettes, la frappant lors de son passage dans le couloir, à l’aller comme au retour. Dans les toilettes, une agente lui cogna la tête contre le mur, puis un agent lui ordonna de se laver les mains et la frappa à coups de pied sur les fesses. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, toujours à l’intérieur de la caserne, elle fut emmenée dans un bureau où on lui demanda si elle était enceinte. À la suite de sa réponse négative, un agent lui donna un coup de poing dans le ventre ; ensuite, des agents la rouèrent de coups à plusieurs reprises et lui coupèrent trois mèches de cheveux pour la contraindre à signer des documents. Avant d’être transférée à la prison d’Alexandrie, le 21 juillet à l’aube, elle dut rester dans le couloir dans une position vexatoire, des agents lui ordonnant de crier « vive le Duce, vive le fascisme, vive la police pénitentiaire ». M. Graf fut arrêté et roué de coups l’après-midi du 20 juillet, près de la rue Tolemaide, alors qu’il portait un T-shirt avec l’emblème de la CroixRouge car il aidait les médecins sur place en tant qu’infirmier ; malgré ses nombreuses blessures, il fut emmené directement à la caserne de Bolzaneto. À son arrivée à la caserne, il ne fut pas soumis immédiatement à une visite médicale, alors qu’il boitait fortement. Il fut conduit dans une cellule par un couloir où on le fit passer entre deux rangées d’agents qui l’insultèrent, le pincèrent et lui firent des croche-pieds. Dans la cellule, il dut se tenir jambes écartées et bras en l’air, face au mur. L’intéressé n’ayant pas obtempéré à l’ordre qui lui avait été donné de se placer au centre de la cellule, un agent dit à ses collègues de l’emmener ailleurs, faute de quoi il lui « casserait la gueule ». Enfin soumis à une visite médicale, le requérant fit état de fortes douleurs aux testicules, qui présentaient un hématome important ; le médecin ordonna de l’emmener à l’hôpital, ce qui ne fut fait qu’après une nouvelle période d’attente dans la cellule où il dut rester encore une fois dans une position vexatoire. M. Larroquelle fut arrêté l’après-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto, et emmené à la caserne de Bolzaneto le soir du même jour. À son arrivée à la caserne, il fut poussé hors de la camionnette alors qu’il avait les mains liées dans le dos et insulté, puis il dut marcher tête baissée dans un couloir à l’intérieur de la caserne, des agents le frappant à coups de poing et de pied. Dans la cellule, alors qu’il avait toujours les mains liées dans le dos, des agents le frappèrent à nouveau à coups de poing et de pied, y compris dans les testicules et sur la tête pour que celle-ci vînt cogner contre le mur. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, toujours à l’intérieur de la caserne, il fut conduit dans un bureau où cinq ou six agents le passèrent à tabac et l’insultèrent à nouveau ; le requérant ayant demandé la traduction de certains des documents rédigés en italien qu’on lui avait ordonné de signer, les agents le frappèrent encore à coups de poing et de pied et lui cassèrent trois côtes. À l’infirmerie, alors qu’il était nu, le requérant fut l’objet d’autres injures. À son retour de la prise de photo, un autre agent lui serra un bras jusqu’à lui causer un hématome ; il dut ensuite rester dans le couloir et fut obligé de crier, avec d’autres personnes arrêtées, « vive le Duce, vive le fascisme, vive la police pénitentiaire ». Le 21 juillet, à l’aube, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. Mme Percivati fut arrêtée l’après-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto, et emmenée à la caserne de Bolzaneto le soir du même jour. À son arrivée à la caserne, alors qu’elle se trouvait encore dans la camionnette de la police, elle se vit injurier et couvrir de crachats et elle entendit clairement des agents se féliciter d’avoir apporté d’autres « chats à fouetter » à leurs collègues de la caserne. Emmenée dans une cellule à coups de poing, de pied et de matraque, elle fut obligée de rester les mains liées dans le dos, le visage contre le mur et les jambes légèrement écartées ; puis elle fut transférée dans la même cellule que Mme Ender et d’autres personnes arrêtées. Dans la nuit, Mme Ender, après être revenue des toilettes, dit à la requérante qu’elle avait été tabassée (paragraphe 48 ci-dessus). Lorsque Mme Percivati se rendit à son tour aux toilettes, elle fut d’abord frappée et insultée dans le couloir ; ensuite, l’agente de police qui la suivit dans les toilettes poussa sa tête vers la cuvette, tandis que d’autres agents, depuis l’extérieur, continuaient à lui adresser des injures (« pute, tu aimes la matraque »). Dans la nuit du 20 au 21 juillet, elle fut emmenée dans un bureau où on lui demanda si elle était enceinte et où, à la suite de son refus réitéré de signer des documents sans les avoir lus, quatre ou cinq agents la rouèrent de coups et lui cognèrent la tête contre le mur. La requérante fut à nouveau frappée à coups de poing et de pied lorsqu’elle fut reconduite dans sa cellule puis emmenée dans le bureau pour la prise de photo ; à son retour, elle dut rester dans le couloir face contre le mur, bras en l’air et jambes écartées, sous les coups de matraque. Elle fut en outre obligée de sortir de l’infirmerie en sous-vêtements pour chercher ses effets personnels dans le couloir. Lors de tous ses déplacements à l’intérieur de la caserne, la requérante dut marcher tête baissée. Elle fut privée de ses bijoux et de ses protections hygiéniques. Après avoir été obligée, avec d’autres personnes arrêtées, de faire le salut hitlérien et de chanter un hymne fasciste, elle fut transférée, le 21 juillet, à l’aube, à la prison d’Alexandrie. M. Nebot fut arrêté l’après-midi du 20 juillet, dans la rue Montezovetto, et emmené à la caserne de Bolzaneto le soir du même jour. À son arrivée à la caserne, il dut marcher penché en avant et tête baissée. Lors de son passage dans le couloir vers la cellule, il fut frappé au ventre et aux testicules. Dans la cellule, il dut rester debout, jambes écartées et bras dans le dos, et il fut frappé à intervalles irréguliers aux testicules et aux jambes par les agents. Dans la nuit du 20 au 21 juillet, il fut emmené dans un bureau où on lui montra des documents rédigés en italien ; ayant demandé l’assistance d’un traducteur et d’un avocat, il fut frappé plusieurs fois jusqu’à ce qu’il acceptât de signer ces documents. À l’infirmerie, M. Larroquelle (requérant de la requête no67599/10 figurant sous le numéro 12 dans la liste en annexe) et lui furent insultés pour leur « mauvaise odeur » ; M. Nebot ne reçut aucun soin et ne fut pas questionné sur son état de santé par le médecin, malgré la présence d’ecchymoses sur son ventre et sa poitrine. Bien qu’il ait signalé à maintes reprises, même en présence du médecin, qu’il était asthmatique, il fut privé de ses médicaments tout au long de sa détention à la caserne. Dans la cellule, il fut obligé de crier « vive le Duce, vive Mussolini, vive la police pénitentiaire » et vit d’autres personnes arrêtées contraintes de marcher dans le couloir en faisant le salut hitlérien. Le 21 juillet, à l’aube, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. M. Bertacchini fut arrêté l’après-midi du 21 juillet. Arrivé à la caserne de Bolzaneto et placé dans une cellule avec d’autres personnes arrêtées, il fut contraint de rester pendant plusieurs heures sans bouger, jambes écartées, bras en l’air et face contre le mur, par moments même sur la pointe des pieds. Il vit des agents passer à tabac d’autres personnes arrêtées. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisé dans la cellule où il se trouvait, ce qui causa des nausées, des problèmes respiratoires et des irritations à tous les occupants. Avant d’être soumis à une visite médicale, le requérant fut frappé dans le dos et sur les hanches. Le 22 juillet, à midi, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. Mme Flagelli fut arrêtée le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio. Arrivée à la caserne de Bolzaneto, elle dut attendre debout dans la cour en plein soleil et fut insultée. Placée dans une cellule, où lui parvenaient de temps en temps les airs de chants fascistes, elle fut obligée d’écarter les jambes sous les coups qu’on lui donnait et de rester pendant plusieurs heures dans cette position, les bras en l’air. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisé dans la cellule où se trouvait la requérante, ce qui causa des nausées, des problèmes respiratoires et des irritations à tous les occupants. Une autre personne arrêtée ayant reçu des feuilles de papier journal au lieu des serviettes hygiéniques qu’elle avait demandées, la requérante, effrayée et humiliée, s’abstint de demander à son tour les protections hygiéniques dont elle avait besoin. Elle fut injuriée et menacée de viol par des agents et elle assista aux sévices infligés à d’autres personnes arrêtées. À l’infirmerie, elle fut privée de tous ses bijoux et l’on coupa la capuche de son gilet ; elle fut obligée d’enlever tous ses piercings, même ceux des zones intimes, devant quatre ou cinq hommes. Le matin du 22 juillet, elle fut transférée dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier. Mme Franceschin fut arrêtée l’après-midi du 21 juillet. Placée dans une cellule de la caserne de Bolzaneto, elle fut obligée de s’asseoir par terre face contre le mur et de rester dans cette position pendant un certain laps de temps, menacée, si elle bougeait, de devoir se tenir debout. Elle fut traitée à maintes reprises de « putain » et de « salope » dans la cellule et lors de son passage dans le couloir. Plusieurs agents se moquèrent de son T-shirt ; le médecin fit de même lors de la visite médicale, pendant que certains la menaçaient de lui arracher ce maillot et de le déchirer. L’intéressée fut privée de tous ses effets personnels (bijoux et montre), qui furent laissés par terre et ne lui furent pas restitués ; ses boucles d’oreilles, en particulier, lui furent arrachées avec une pince. Après la visite médicale, elle fut emmenée de nouveau dans la cellule et obligée de rester debout face contre le mur pendant plusieurs heures. Le 21 juillet, à l’aube, elle fut transférée à la prison d’Alexandrie. Mme Jaeger fut arrêtée à l’école Diaz-Pertini et, malgré des ecchymoses et blessures visibles, elle fut emmenée directement à la caserne de Bolzaneto. Elle fut placée contre un mur dans la cour de la caserne dans une position vexatoire, des agents lui demandant ironiquement de quel sexe elle était et se moquant d’elle ; à l’intérieur de la caserne, deux agentes la traitèrent de « lesbienne ». À l’entrée de la caserne, on lui arracha son collier avec une tenaille. Emmenée dans une cellule, elle fut contrainte de se tenir jambes écartées et bras en l’air, sous les coups et les crachats des agents. Dans le couloir, elle dut toujours marcher la tête baissée et les mains sur la nuque, sous de nombreuses injures. À l’infirmerie, on l’obligea à se dévêtir et à faire des pompes ; la requérante ayant dit qu’elle avait faim, le médecin rétorqua, en criant, qu’elle et les autres manifestants avaient détruit la ville de Gênes. Ensuite, elle fut emmenée dans un bureau où on lui demanda de signer des documents rédigés en italien, en lui assurant que cela accélérerait sa remise en liberté. Elle ne fut à aucun moment informée des raisons de son arrestation ni de son droit de prendre contact avec les autorités diplomatiques de son pays. Le 23 juillet, à l’aube, elle fut transférée dans une prison dont le nom n’est pas précisé dans le dossier. M. Camandona fut arrêté le 21 juillet dans le camping de la rue Maggio. Arrivé à la caserne de Bolzaneto, il dut attendre dans la cour, debout, en plein soleil, et fut frappé à la tête, insulté et menacé (« fils de pute, tu n’as rien compris, où crois-tu que tu es ? »). Placé dans une cellule, il fut obligé de rester face contre le mur et bras en l’air, par moments sur la pointe des pieds. Il fut frappé dans le dos, vraisemblablement à coups de matraque, et fut l’objet de menaces (« on va te tuer ») et d’injures (« anarchiste de merde », « connard de communiste »). Il fut frappé et injurié à chaque fois qu’il essayait de changer de position. Il dut également écouter des chants fascistes. Dans la nuit du 21 au 22 juillet, du gaz irritant fut vaporisé dans la cellule qu’il occupait. M. Camandona vit alors une jeune personne vomir du sang et fut atteint à son tour de problèmes respiratoires. Le requérant vit également des agents frapper d’autres personnes arrêtées, dont l’une souffrait d’un handicap à la jambe. Pendant la visite médicale, il fut à nouveau frappé, des agents incitant des femmes à regarder à quel point il aurait été répugnant ; puis, ayant rectifié son nom que des agents avaient mal prononcé, il reçut des coups de pied sur les fesses. Il dut se tenir tête baissée tout au long de sa détention. Le 22 juillet, à midi, il fut transféré à la prison d’Alexandrie. M. Von Unger fut arrêté à l’école Diaz-Pertini et emmené à la caserne de Bolzaneto dans la nuit du 21 au 22 juillet. À son arrivée à la caserne, il fut privé de tous ses effets personnels. Un agent lui arracha une broche en forme d’étoile rouge qu’il portait sur sa veste et le traita de « salaud de communiste ». Il dut rester debout pendant plusieurs heures, jambes écartées et bras en l’air. Il vit les souffrances des autres personnes arrêtées et entendit des cris provenant d’autres cellules. Tout au long de sa détention, il fut frappé et insulté, surtout lorsqu’il demanda à se rendre aux toilettes. Il s’y rendit par un couloir qu’il fut obligé de parcourir penché en avant, la tête baissée et les bras tordus dans le dos par un agent. Il dut utiliser les toilettes sans pouvoir en fermer la porte. Il ne put prendre contact ni avec les autorités diplomatiques de son pays ni avec sa famille. Il fut détenu à la caserne de Bolzaneto pendant environ trente heures. Tous les requérants, à l’exception de MM. Balbas, Lorente, Larroquelle et Bertacchini et de Mmes Ender, Franceschin et Percivati, soutiennent avoir souffert du froid et de la faim à la caserne de Bolzaneto. Ils allèguent n’avoir reçu des couvertures, de la nourriture et de l’eau que très tardivement et en quantité insuffisante. Toutes les poursuites engagées contre les requérants pour les faits à l’origine de leur arrestation ont abouti à leur acquittement. C. La procédure pénale engagée contre des membres des forces de l’ordre pour les faits commis à la caserne de Bolzaneto À la suite des faits commis à la caserne de Bolzaneto, le parquet de Gênes entama des poursuites contre quarante-cinq personnes, parmi lesquelles un préfet de police adjoint (vice-questore aggiunto), des membres de la police et de la police pénitentiaire, des carabiniers et des médecins de l’administration pénitentiaire. Les chefs d’accusation retenus étaient les suivants : abus d’autorité publique, abus d’autorité à l’égard de personnes arrêtées ou détenues, coups et blessures, injures, violence, menaces, omission, recel de malfaiteurs et faux. Le 27 janvier 2005, le parquet demanda le renvoi en jugement des inculpés. Les requérants et d’autres personnes (155 au total) se constituèrent parties civiles. Le jugement de première instance Par le jugement no 3119 du 14 juillet 2008, déposé le 27 novembre 2008, le tribunal de Gênes condamna quinze des quarante-cinq accusés à des peines allant de neuf mois à cinq ans d’emprisonnement assorties d’une peine accessoire d’interdiction temporaire d’exercer des fonctions publiques (interdizione dai pubblici uffici). Dix condamnés bénéficièrent d’un sursis et de la non-inscription de la condamnation au casier judiciaire. Enfin, en application de la loi no 241 du 29 juillet 2006 relative aux conditions d’octroi de la remise générale de peine (indulto), trois condamnés bénéficièrent d’une remise totale de leur peine d’emprisonnement et deux autres, condamnés respectivement à trois ans et deux mois et à cinq ans d’emprisonnement, d’une remise de peine de trois ans. Le tribunal estima tout d’abord qu’il était prouvé que les faits suivants avaient été commis à l’encontre de tous les requérants : insultes, menaces, coups et blessures, positions vexatoires, vaporisation de produits irritants dans les cellules, destruction d’effets personnels, longs délais d’attente pour utiliser les toilettes et marquage au feutre sur le visage des personnes arrêtées à l’école Diaz-Pertini. Il nota que ces traitements pouvaient être qualifiés d’inhumains et dégradants et qu’ils avaient été commis dans un contexte particulier « et, on l’espér[ait], unique ». Il ajouta que ces épisodes avaient aussi porté atteinte à la Constitution républicaine et affaibli la confiance du peuple italien dans les forces de l’ordre. Le tribunal souligna ensuite que, malgré la longue, laborieuse et méticuleuse enquête menée par le parquet, la plupart des auteurs des mauvais traitements, dont l’existence avait été démontrée pendant les débats, n’avaient pas pu être identifiés en raison de difficultés objectives, et notamment de l’absence de coopération de la police, résultat à ses yeux d’une mauvaise interprétation de l’esprit de corps. Le tribunal précisa enfin que l’absence en droit pénal du délit de torture avait obligé le parquet à circonscrire la plupart des mauvais traitements avérés au cadre du délit d’abus d’autorité publique. En l’espèce, les agents, les cadres et les fonctionnaires auraient été accusés de ne pas avoir empêché, de par leur comportement passif, les mauvais traitements dénoncés. À cet égard, le tribunal estima que la plupart des accusés du chef d’abus d’autorité publique ne pouvaient pas être jugés coupables eu égard au fait que : a) le délit en cause était caractérisé par un dol spécifique, à savoir l’intention claire et avérée de l’agent public de commettre un certain délit ou de ne pas en empêcher la commission, et que b) l’existence de ce dol spécifique n’avait pas été prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Les coupables des actes litigieux ainsi que les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense furent condamnés au paiement des frais et dépens et au dédommagement des parties civiles, des sommes comprises entre 2 500 et 15 000 euros (EUR) étant accordées à titre de provision sur les dommages-intérêts. L’arrêt d’appel Saisie par les accusés, le procureur près le tribunal de Gênes, le procureur général, les ministres de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense (responsables civils) et par les victimes qui s’étaient constituées parties civiles, la cour d’appel de Gênes, par son arrêt no 678 du 5 mars 2010, déposé le 15 avril 2011, infirma partiellement le jugement entrepris. Concernant le délit d’abus d’autorité publique envers des personnes arrêtées, elle confirma d’abord la condamnation à un an d’emprisonnement avec sursis pour deux accusés et la remise totale de peine s’agissant d’un troisième accusé. Par ailleurs, elle condamna un agent à trois ans et deux mois d’emprisonnement pour délit de lésions corporelles. Ce dernier bénéficia d’une remise de peine de trois ans. S’agissant du délit de faux, elle condamna trois accusés jugés non coupables en première instance à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire et une quatrième accusée à deux ans d’emprisonnement avec sursis et sans mention au casier judiciaire. Enfin, elle prononça un non-lieu en raison de la prescription des délits dont étaient accusées vingt-huit personnes, dont deux personnes condamnées ayant bénéficié d’une remise de peine en première instance (paragraphe 52 cidessus). Elle rendit également un non-lieu à l’égard d’un autre accusé décédé. Elle condamna également tous les accusés (excepté ce dernier) ainsi que les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense, aux frais et dépens de la procédure et au dédommagement des parties civiles. Des sommes comprises entre 5 000 et 30 000 EUR furent accordées à titre de provision sur les dommages-intérêts. Dans les motifs de l’arrêt, la cour d’appel précisa tout d’abord que, bien que les délits en question fussent prescrits, elle devait statuer sur les effets civils des infractions. Elle indiqua ensuite que la crédibilité des témoignages des victimes ne faisait aucun doute : d’une part, lesdits témoignages avaient été corroborés par la comparaison des diverses déclarations, dont celles de deux infirmiers et d’un inspecteur de police, par les aveux partiels de certains accusés ainsi que par plusieurs pièces du dossier ; d’autre part, ces témoignages présentaient les caractéristiques typiques des récits de victimes d’événements traumatiques et faisaient état d’une volonté sincère de restituer la vérité. Quant aux événements qui s’étaient produits à la caserne de Bolzaneto, la cour d’appel observa que toutes les personnes ayant transité par ce centre y avaient été l’objet de sévices de toutes sortes, continus et systématiques, par des agents de la police pénitentiaire ou des agents des forces de l’ordre ayant participé, pour la plupart, à la gestion de l’ordre public dans la ville au cours des manifestations. En effet, elle nota que, dès leur arrivée et tout au long de leur détention dans la caserne, ces personnes, parfois déjà éprouvées par les violences subies lors de l’arrestation, avaient été obligées de se tenir dans des positions vexatoires et avaient été l’objet de coups, de menaces et d’injures à caractère principalement politique et sexuel. Même à l’infirmerie, les médecins et les agents présents auraient ostensiblement contribué, par des actes ou des omissions, à provoquer et à accroître la terreur et la panique chez les personnes arrêtées. La cour d’appel releva que certaines, blessées lors de l’arrestation ou à la caserne, auraient, en tout état de cause, nécessité des soins adéquats, voire une hospitalisation immédiate. De surcroît, elle remarqua aussi que le couloir de la caserne avait été surnommé « le tunnel des agents », car les nombreux passages des personnes arrêtées avaient eu lieu entre deux rangées d’agents les injuriant et les tabassant. La cour d’appel ajouta que de nombreux autres éléments avaient brisé la résistance physique et psychologique des personnes arrêtées et temporairement détenues à la caserne, à savoir : l’interdiction de regarder les agents ; la privation ou la destruction injustifiée des effets personnels ; le fait – tout en étant soumis à l’interdiction de communiquer entre détenus et donc à l’impossibilité de chercher un réconfort mutuel – de devoir assister aux sévices infligés aux autres personnes arrêtées, d’écouter les cris de celles-ci ou de voir leur sang, leurs vomissures, leur urine ; l’impossibilité d’accéder régulièrement aux toilettes et de les utiliser à l’abri des regards et des injures des agents ; la privation d’eau et de nourriture ; le froid et la difficulté de trouver un peu de détente dans le sommeil ; l’absence de tout contact avec l’extérieur, et la mention mensongère par les agents de la renonciation des personnes arrêtées au droit de prévenir un membre de leur famille, un avocat et, le cas échéant, un diplomate de leur pays d’origine ; enfin, l’absence d’informations pleinement intelligibles sur les raisons de l’arrestation des personnes concernées. En somme, d’après la cour d’appel, ces personnes avaient été soumises à plusieurs traitements contraires à l’article 3 de la Convention tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme dans ses arrêts Irlande c. Royaume-Uni (18 janvier 1978, série A no 25), Raninen c. Finlande (16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997VIII), et Selmouni c. France ([GC], no 25803/94, CEDH 1999V). Pour la cour d’appel, tous les agents et le personnel de santé qui se trouvaient à la caserne avaient été à même de s’apercevoir que de tels traitements étaient infligés, ce qui, à ses yeux, était suffisant en l’espèce pour constituer le délit d’abus d’autorité publique. En outre, la cour d’appel estima que ces traitements, combinés avec la négation de certains droits de la personne arrêtée, avaient pour but de donner aux victimes le sentiment d’être tombées dans un espace de négation de l’habeas corpus, des droits fondamentaux et de tout autre aspect de la prééminence du droit, ce que, au demeurant, confirmaient selon elle les diverses formes d’évocation du fascisme faites par les agents. En d’autres termes, en infligeant torture et mauvais traitements, les auteurs de ces sévices avaient voulu produire un processus de dépersonnalisation similaire à celui mis en œuvre à l’encontre des juifs et des autres personnes internés dans les camps de concentration. Ainsi, à l’instar d’objets ou d’animaux, les personnes arrêtées dans l’école Diaz-Pertini auraient été, à leur arrivée à la caserne, marquées au feutre sur le visage. Enfin, selon la cour d’appel, ces événements avaient eu des conséquences très graves sur les victimes et perduraient dans leurs effets bien au-delà de la fin de la détention de celles-ci à la caserne de Bolzaneto, car ils avaient déstructuré les catégories rationnelles et émotionnelles au travers desquelles la personne humaine vit ses besoins quotidiens, ses relations aux autres, ses liens avec l’État et sa participation à la vie publique. Ils auraient également touché les familles des victimes en tant que communautés d’échange d’expériences et de valeurs. L’arrêt de la Cour de cassation Saisie par les accusés, le procureur général, les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Défense (responsables civils), la Cour de cassation rendit son arrêt no 37088 le 14 juin 2013. Celui-ci fut déposé le 10 septembre 2013. La Cour de cassation confirma pour l’essentiel l’arrêt entrepris. Tout d’abord, elle releva que, s’agissant de tous les délits retenus par le tribunal de première instance et la cour d’appel de Gênes, la quasi-totalité avait été touchée par la prescription, à laquelle toutefois trois officiers de police avaient renoncé, exception faite du délit de lésions corporelles retenu à l’encontre d’un agent et du délit de faux retenu à l’encontre de quatre autres agents. Elle rejeta ensuite l’exception de constitutionnalité soulevée par le procureur général de Gênes, estimant que, en vertu de l’article 25 de la Constitution relatif au principe de réserve de la loi, seul le législateur pouvait établir les sanctions pénales et définir l’application de mesures telles que la prescription et la remise de peine (pour une analyse plus détaillée, voir Cestaro c. Italie, no 6884/11, §§ 75-80, 7 avril 2015). Elle jugea en outre que les violences perpétrées à l’intérieur de la caserne de Bolzaneto l’avaient été sans interruption, dans des conditions où chaque personne présente en avait la totale perception auditive et visuelle. Elle estima, en s’appuyant sur trente-neuf témoignages concordants, que, dans la caserne de Bolzaneto, les principes fondamentaux de l’état de droit avaient été écartés. En conclusion, concernant le sort individuel de chaque personne condamnée, elle confirma la condamnation des trois officiers ayant renoncé à la prescription à un an d’emprisonnement pour délit d’abus d’autorité (dont deux bénéficièrent d’un sursis à l’exécution et le troisième d’une remise de peine), de trois autres officiers à un an et six mois d’emprisonnement avec sursis pour délit de faux et d’un médecin de l’administration pénitentiaire à deux ans pour le même délit. Elle confirma également la condamnation d’un agent à trois ans et deux mois d’emprisonnement pour délit de lésions corporelles. Celui-ci bénéficia d’une remise de peine de trois ans. Pour ce qui est des autres appelants, la Cour de cassation confirma l’arrêt entrepris quant à la responsabilité civile des plus hauts gradés impliqués, à savoir le préfet de police adjoint, la commissaire en chef (commissario capo) et l’inspecteur de police pénitentiaire chargé de la sécurité du site pénitentiaire établi dans la caserne de Bolzaneto. Elle parvint au même constat concernant de nombreux officiers et agents de la police pénitentiaire et des forces de l’ordre ainsi que le personnel de santé en cause, dont le responsable du service de santé du site. D. L’enquête parlementaire d’information Le 2 août 2001, les présidents du Sénat et de la Chambre des députés décidèrent qu’une enquête d’information (indagine conoscitiva) sur les faits survenus lors du G8 de Gênes serait menée par les commissions des Affaires constitutionnelles des deux chambres du Parlement. À cette fin, il fut créé une commission composée de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs. Le 20 septembre 2001, la commission déposa un rapport contenant les conclusions de sa majorité, intitulé « Rapport final de l’enquête parlementaire sur les faits survenus lors du G8 de Gênes ». Ce rapport citait les déclarations du responsable des activités de la police pénitentiaire lors du sommet, selon lesquelles la décision d’affecter à la police pénitentiaire et à la police judiciaire une seule et même caserne s’était révélée être « un choix malheureux ». Le rapport indiquait ensuite que, dans la nuit du 21 au 22 juillet, la durée de la détention à la caserne de Bolzaneto des personnes arrêtées avait été excessivement longue en raison de la fermeture de certains bureaux, qui aurait été due à l’insuffisance de personnel, à l’afflux des personnes arrêtées dans l’école Diaz-Pertini et aux modalités de transfert vers les prisons choisies en tant que lieux de détention provisoire. Le rapport faisait aussi état de ce que, au cours de la même nuit, entre 1 h 35 et 2 heures, le ministre de la Justice s’était rendu à la caserne de Bolzaneto et avait vu dans une cellule une femme et dix hommes placés jambes écartées et face contre le mur sous la surveillance d’un agent. Le rapport mentionnait en outre l’existence de deux enquêtes administratives relatives aux faits survenus à la caserne de Bolzaneto, engagées à l’initiative du chef de la police et du ministre de la Justice. Le rapport provisoire de la deuxième enquête faisait état de onze cas de violences dénoncés par la presse ou par les victimes elles-mêmes ainsi que d’autres vexations signalées par un infirmier. Le rapport indiquait enfin que, d’après le préfet de police F., entendu par la commission parlementaire, certaines déclarations faites à la presse ou aux enquêteurs par les victimes s’étaient révélées fausses et infondées. Le rapport concluait toutefois que le préfet F. n’avait pas précisé à quel lieu de triage (Forte San Giuliano, Bolzaneto ou les deux) se référaient ses observations. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour ce qui est du droit et de la pratique internes pertinents dans les présentes affaires, la Cour renvoie à l’arrêt Cestaro (précité, §§ 87-106). La proposition de loi visant à sanctionner la torture et les mauvais traitements, intitulée « Introduction du délit de torture dans l’ordre juridique italien » (introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano), Sénat de la République S-849, a été votée par le Sénat de la République italienne le 5 mars 2014, puis transmise à la Chambre des députés qui a modifié le texte et envoyé la nouvelle version au Sénat le 13 avril 2015. Le 17 mai 2017, le Sénat a adopté des amendements à la proposition de loi et communiqué le nouveau texte à la Chambre des députés. Le 5 juillet 2017, la Chambre des députés a définitivement adopté le texte. La loi no110 du 14 juillet 2017, intitulée « Introduction du délit de torture dans l’ordre juridique italien (Introduzione del delitto di tortura nell’ordinamento italiano) a été publiée au Journal officiel (Gazzetta ufficiale) le 18 juillet 2017. Elle est entrée en vigueur le même jour. III. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT INTERNATIONAL Pour ce qui est des éléments de droit international pertinents en l’espèce, la Cour renvoie à l’arrêt Cestaro (précité, §§ 107-121).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1949 et réside à Makhatchkala, en République du Daghestan (Fédération de Russie). Le 25 avril 2006, Murad Nagmetov, le fils du requérant, prit part à un rassemblement public dans le village de Miskindzha, district Dokuzparinskiy, au Daghestan. Plusieurs centaines de personnes y participèrent et formulèrent des accusations de corruption à l’égard de fonctionnaires locaux. Vers 15 heures, des membres de l’unité mobile spéciale encerclèrent les participants et effectuèrent plusieurs tirs de sommation en l’air. Par la suite, les autorités dispersèrent le rassemblement au moyen d’armes à feu (voir aussi Primov et autres c. Russie, no 17391/06, §§ 15-18, 12 juin 2014). Murad Nagmetov fut touché par une grenade lacrymogène et succomba à ses blessures. Cinq autres personnes furent grièvement blessées et bien d’autres encore subirent des dommages corporels et furent arrêtées. Le même jour, le procureur de la République du Daghestan engagea des poursuites pénales pour meurtre et utilisation illégale d’armes à feu (articles 105 et 222 du code pénal) et attribua l’affaire à un enquêteur. Un médecin légiste examina le corps du défunt et procéda à l’extraction des éclats qui avaient causé la mort. Toujours le même jour, l’enquêteur demanda au service de police scientifique du ministère de l’Intérieur du Daghestan d’établir un rapport balistique aux fins de déterminer quels étaient le type de grenade en cause et le type de fusil ayant servi à la tirer, et si la grenade comportait des stries permettant d’identifier l’arme. Le 11 mai 2006, l’expert en balistique remit son rapport, dans lequel il concluait ce qui suit : « 1. L’expert de police scientifique s’est vu confier pour examen les deux objets suivants : une grenade avec charge spéciale ; un obturateur avec charge spéciale (une cartouche de calibre 23 mm, qui est utilisée avec une carabine de type KS-23 (KS23M)). Il n’a pas été possible de déterminer quelle était exactement la marque de la grenade lacrymogène. (...) Il ne serait pas possible d’utiliser l’obturateur sur la coque de la grenade pour identifier précisément l’arme dont il a été fait usage. Il serait cependant possible d’utiliser l’obturateur séparé pour identifier l’arme employée, si celle-ci était fournie pour examen. » Le 26 juin 2006, l’autorité chargée de l’enquête demanda un nouveau rapport balistique aux fins de l’identification du fusil utilisé pour tirer la grenade dont les éclats avaient été extraits du corps du fils du requérant. Le 6 juillet 2006, le service de police scientifique du ministère de l’Intérieur du Daghestan refusa de procéder à l’examen, indiquant qu’il ne disposait pas d’« installations ou équipements permettant de faire des tirs d’essai avec des cartouches de 23 mm à gaz spécial ». À une date non précisée, un certain nombre de carabines qui avaient été utilisées le 25 avril 2006 par des membres de l’unité mobile spéciale furent saisies. En juillet et en août 2006, l’autorité d’enquête demanda des rapports balistiques auprès du service de police scientifique du ministère de l’Intérieur du Daghestan et d’un autre établissement d’expertise local. Toutefois, ces rapports ne furent pas produits, en raison semble-t-il de l’absence d’installations techniques suffisantes. Le 6 septembre 2006, l’office fédéral de police scientifique du ministère fédéral de la Justice fut prié d’établir un rapport balistique aux fins de déterminer avec quel fusil on avait tiré sur la victime. L’autorité d’enquête fournit à l’office les éclats qui avaient été extraits du corps de la victime, ainsi que treize carabines. Le 19 octobre 2006, les autorités décidèrent d’ouvrir un autre dossier pénal relativement à l’accusation d’abus de pouvoir par un agent de l’État ayant causé la mort (article 286 du code pénal). Cette décision, dont il ressort qu’elle concernait d’autres personnes que le fils du requérant, se lit ainsi : « Il est établi que des policiers ont fait usage d’armes à feu (...) Des membres de l’unité mobile spéciale ont tiré à l’aide d’armes à feu, utilisant des cartouches de calibre 23 mm, de même que des grenades lacrymogènes, enfreignant ainsi une directive du 5 novembre 1996 et outrepassant leurs pouvoirs (...) Il est interdit de tirer ces projectiles lacrymogènes en direction d’une personne. Ces tirs ont causé des blessures à M. N. et à M. A. ». Par la suite, les affaires susmentionnées furent jointes. Le 8 novembre 2006, l’office fédéral de police scientifique publia un rapport, dont les passages pertinents se lisent ainsi : « (...) Étant donné que les cartouches en question, de calibre 23 mm, n’avaient pas été fournies pour des tirs d’essai, une demande portant sur des cartouches Volna de 23 mm a été faite auprès du service compétent du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie (...) [Note de bas de page : les cartouches Volna sont utilisées dans le cadre de la formation à l’utilisation des carabines KS-23 et KS-23M. Elles sont semblables à celles qui sont généralement employées avec ces carabines, à ceci près qu’elles ne contiennent pas de substance chimique irritante.] (...) Recherches effectuées (...) (...) Nous constatons que la grenade lacrymogène ne présente pas de stries, traces qui auraient pu être laissées par la carabine utilisée pour la tirer. Il est possible en fait que la grenade ait été chargée à l’aide de deux obturateurs et, en conséquence, n’ait pas été en contact avec l’intérieur de la carabine (...) Des tirs d’essai ont été réalisés avec les carabines KS-23 et KS-23M soumises pour examen. Ils devaient permettre d’observer les stries laissées sur les obturateurs des grenades tirées au moyen des carabines et de comparer ces stries avec celles laissées sur l’obturateur de la grenade utilisée contre la victime. Pour les tirs d’essai, nous avons utilisé des cartouches Volna de calibre 23 mm. Elles sont semblables à celles qui ont été fournies pour l’examen (...) (...) En raison des différences qui ressortent des résultats des tirs d’essai, il s’est avéré impossible d’identifier à partir des stries laissées sur les obturateurs la carabine concernée (...), du fait notamment de l’élasticité et de la faible thermorésistance du matériau employé dans les obturateurs (...) » Le 15 novembre 2006, une nouvelle expertise balistique fut demandée à l’institut de police scientifique du Service fédéral de sécurité (« l’institut »). L’institut se vit lui aussi confier treize carabines ainsi que les éclats extraits du corps de la victime. Le 26 février 2007, une experte de l’institut rendit un rapport dans lequel elle indiquait qu’il n’était pas possible de déterminer laquelle des carabines examinées avait servi à tirer la cartouche. Elle expliqua que pour ses recherches et tirs d’essai on lui avait fourni des cartouches Volna, alors que les éclats extraits du corps de la victime étaient des morceaux de grenade. Elle précisa que les cartouches Volna et les grenades lacrymogènes avaient des « paramètres géométriques différents et [étaient] composées de matériaux ayant des caractéristiques distinctes ». Le 26 février 2007, l’autorité chargée de l’enquête suspendit celle-ci. Le 30 août 2007, M. Rafik Nagmetov, autre fils du requérant, engagea une procédure judiciaire pour protester contre l’inaction alléguée de l’autorité d’enquête. Par un jugement du 8 octobre 2007, le tribunal du district Sovetski de Makhatchkala le débouta, se prononçant ainsi : « Plus de soixante-dix personnes ont été interrogées au cours de l’enquête. Les examens nécessaires (sur le plan médical, balistique et criminologique) ont été réalisés (...) Toutes les carabines qui avaient été utilisées par les policiers ont été saisies (...) Tous les policiers concernés ont été identifiés (...) Les registres d’attribution des armes et des munitions ont été étudiés (...) À des dates successives, trois établissements d’expertise différents ont été priés d’établir des rapports balistiques. Ces demandes n’ont pas abouti, en raison de l’absence de l’équipement nécessaire (...) Des tentatives d’identification du fusil en cause ont été faites dans d’autres établissements d’expertise (...) Ceux-ci n’étaient pas équipés pour ce type d’examens balistiques (...) En conséquence, l’office fédéral de police scientifique s’est trouvé dans l’incapacité d’identifier l’arme (...) Une autre demande est pendante auprès de l’institut de police scientifique du Service fédéral de sécurité (...) L’autorité d’enquête a donc mis en œuvre toutes les mesures d’investigation qui étaient possibles en l’absence d’un suspect identifié. » Le 14 janvier 2008, la Cour suprême de la République du Daghestan confirma ce jugement. Le fils du requérant, M. Rafik Nagmetov, demanda également un contrôle juridictionnel de la décision de suspendre l’enquête prise le 26 février 2007. Le 25 juillet 2008, le tribunal de district déclara que la suspension de l’enquête était justifiée. Le 8 septembre 2008, la cour d’appel infirma toutefois ce jugement et ordonna le réexamen de la plainte. Par un jugement du 6 octobre 2008, le tribunal de district accueillit la plainte et considéra que l’autorité d’enquête, du fait qu’elle n’avait pas fourni de matériel approprié pour des tests comparatifs à l’expert de police scientifique, n’avait pas pris des « mesures exhaustives destinées à permettre l’identification de l’auteur du tir mortel ». À une date non précisée, le requérant apprit que les éclats extraits du corps de son fils avaient été perdus. En novembre 2009, il pria les autorités de demander une expertise balistique complémentaire et se plaignit de la perte des éléments en question. Le 16 décembre 2009, l’enquête fut reprise. Il apparaît que l’autorité d’enquête prit des mesures pour faire la lumière sur ce qu’il était advenu des éléments de preuve. Ainsi, des armuriers de l’unité mobile spéciale furent interrogés. Par ailleurs, l’enquêteur s’adressa à l’institut et évoqua ses difficultés à interpréter le rapport du 26 février 2007 ; on ne sait pas clairement quelle réponse lui fut donnée. Selon le Gouvernement, la demande de renseignements au sujet de la perte des éléments de preuve ne produisit aucun résultat particulier, en raison notamment du décès de l’enquêteur qui avait été chargé de l’affaire et du redéploiement de l’unité d’enquête. Le 16 janvier 2010, l’enquêteur suspendit à nouveau l’enquête. Le 21 février 2011, le procureur par intérim de la République du Daghestan déclara cette décision illégale et ordonna la reprise de l’enquête. Il s’exprima ainsi : « Après examen du dossier, je conclus que l’enquête n’a pas épuisé l’ensemble des mesures visant à l’établissement des circonstances du crime, à la collecte des éléments de preuve et à l’identification du fusil qui a causé la mort de la victime (...) Singulièrement, la demande d’examen balistique adressée à l’institut était accompagnée de cartouches Volna, au lieu de cartouches du type de celles qui ont causé le décès de la victime. Les paramètres géométriques différents de ces cartouches ont empêché les experts d’identifier la carabine employée contre la victime (...) Après la reprise de l’enquête en décembre 2009, l’enquêteur s’est contenté de demander des renseignements au lieu de fournir des grenades aux fins d’un examen comparatif (...) L’expertise du 26 février 2007 n’indique pas qu’il aurait été impossible d’identifier le fusil si des cartouches du type concerné avaient été fournies. Les éclats extraits du corps de la victime ont été examinés dans le cadre de l’expertise susmentionnée. L’indisponibilité actuelle de ces éléments n’empêche donc pas de demander un nouveau rapport balistique auprès du même établissement. » Après la reprise de l’enquête, l’enquêteur se renseigna auprès de l’institut quant à la possibilité de procéder à un examen balistique en l’absence des éclats extraits du corps de la victime. On ne sait pas clairement quelle fut la réponse de l’institut, mais il ne semble pas qu’un nouvel examen balistique ait été réalisé. Le 17 avril 2011, l’autorité d’enquête suspendit l’enquête. Sa décision se lit comme suit : « Il ressort des éléments versés au dossier que, le 25 avril 2006, des habitants des villages voisins ainsi que d’autres individus ont bloqué la route à l’aide de pierres et de bûches (...) En réponse à des ordres légaux de dispersion donnés par la police, des personnes non identifiées ont jeté des pierres sur les policiers, causant diverses lésions corporelles à onze d’entre eux. En représailles, les policiers ont fait usage d’armes à feu (...) Des membres de l’unité mobile spéciale ont tiré en direction de la foule avec leurs fusils à pompe, utilisant des cartouches de calibre 23 mm ainsi qu’une grenade lacrymogène. Ce faisant, ils ont enfreint une directive du 5 novembre 1996 (...) et outrepassé leurs pouvoirs. En conséquence, [le fils du requérant] et d’autres personnes ont été blessés par balles (...) et [le fils du requérant] est décédé sur place. (...) En l’absence de projectile, il est impossible de demander une autre expertise balistique. Il n’a pas été possible d’identifier la personne qui a tiré [sur le fils du requérant]. » Le requérant ne contesta pas cette décision. II. HISTORIQUE DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR EN L’ESPÈCE Le 11 juillet 2008, le requérant introduisit une requête auprès de la Cour. Invoquant l’article 2 de la Convention, il alléguait que son fils était décédé en raison d’un recours illégal et excessif à la force meurtrière. Les investigations sur la mort de son fils avaient selon lui été ineffectives. Dans son formulaire de requête, il demandait « réparation des violations de la Convention qui en résult[ai]ent », sans toutefois préciser le type de dommage subi ni le montant sollicité. Après communication de la requête, Me Kostromina, représentante du requérant, fut invitée le 24 mai 2012 à soumettre au nom du requérant des observations et les prétentions de ce dernier au titre de la satisfaction équitable. Sur ce point, la lettre type pertinente se lisait ainsi : « Conformément aux instructions du président de la section, je vous invite à me faire parvenir au plus tard le 26 juillet 2012 vos demandes de satisfaction équitable (...) En ce qui concerne les demandes de satisfaction équitable, j’attire votre attention sur l’article 60 du règlement. Je vous rappelle que, si les prétentions chiffrées et les justificatifs nécessaires ne sont pas soumis dans le délai imparti à cet effet, la chambre rejettera en tout ou en partie la demande de satisfaction équitable, quand bien même la partie requérante aurait indiqué ses souhaits à ce titre à un stade antérieur de la procédure. Les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour lorsqu’elle se prononce sur la satisfaction équitable (article 41 de la Convention) sont : 1) le dommage matériel, c’est-à-dire les pertes effectivement subies en conséquence directe de la violation alléguée qui serait constatée ; 2) le dommage moral, c’est-à-dire la réparation des souffrances et désagréments résultant de cette violation ; et 3) les frais et dépens assumés pour prévenir ou faire corriger la violation alléguée de la Convention, tant dans l’ordre juridique interne que par la procédure à Strasbourg. Ces frais doivent être énumérés en détail ; leur réalité, leur nécessité et leur caractère raisonnable doivent être démontrés. À vos demandes devront être joints les justificatifs nécessaires, tels que factures, relevés d’honoraires, etc. Le Gouvernement sera ensuite invité à présenter ses commentaires à cet égard. Ce délai ne sera normalement pas étendu. » À la date du 26 juillet 2012, ni observations ni prétentions n’avaient été soumises. Par la suite, Me Kostromina expliqua dans une lettre que malgré un accord informel entre elle et son ancien cabinet juridique, celui-ci n’avait pas fait suivre son courrier à sa nouvelle adresse (qui n’avait pas été communiquée à la Cour). Le 11 octobre 2012, à titre exceptionnel, le président de la section autorisa l’avocate à déposer des observations et des prétentions malgré l’expiration du délai du 26 juillet 2012. Un nouveau délai fut fixé au 22 novembre 2012. À cette date, ni observations ni prétentions n’avaient toutefois été soumises. Le Gouvernement fut informé que malgré l’absence d’observations déposées dans le délai imparti, il apparaissait que le requérant souhaitait maintenir sa requête devant la Cour et que celle-ci allait donc examiner l’affaire en se basant sur le dossier tel qu’il se présentait alors. III. LE RÈGLEMENT DE LA COUR ET L’INSTRUCTION PRATIQUE SUR LES DEMANDES DE SATISFACTION ÉQUITABLE À l’époque pertinente, le règlement de la Cour (adopté par la Cour plénière en vertu de l’article 25 de la Convention) se lisait comme suit en ses parties pertinentes : « Article 36 – Représentation des requérants (...) Une fois la requête notifiée à la Partie contractante défenderesse comme prévu à l’article 54 § 2 b) du présent règlement, le requérant doit être représenté conformément au paragraphe 4 du présent article, sauf décision contraire du président de la chambre. (...) a) Le représentant agissant pour le compte du requérant en vertu des paragraphes 2 et 3 du présent article doit être un conseil (...), ou une autre personne agréée par le président de la chambre. b) Dans des circonstances exceptionnelles et à tout moment de la procédure, le président de la chambre peut, lorsqu’il considère que les circonstances ou la conduite du conseil ou de l’autre personne désignés conformément à l’alinéa précédent le justifient, décider que ce conseil ou cette personne ne peut plus représenter ou assister le requérant et que celui-ci doit chercher un autre représentant. (...) Article 60 – Demande de satisfaction équitable Tout requérant qui souhaite que la Cour lui accorde une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention en cas de constat d’une violation de ses droits découlant de celle-ci doit formuler une demande spécifique à cet effet. Sauf décision contraire du président de la chambre, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond. Si le requérant ne respecte pas les exigences décrites dans les paragraphes qui précèdent, la chambre peut rejeter tout ou partie de ses prétentions. Les prétentions du requérant sont transmises à la Partie contractante défenderesse pour observations. (...) Article 75 – Décision sur la question de la satisfaction équitable Lorsque la chambre ou le comité constatent une violation de la Convention ou de ses Protocoles, ils statuent par le même arrêt sur l’application de l’article 41 de la Convention si une demande spécifique a été soumise conformément à l’article 60 du présent règlement et si la question se trouve en état ; sinon, ils la réservent, en tout ou en partie, et fixent la procédure ultérieure. (...) » À l’époque des faits, l’instruction pratique sur les demandes de satisfaction équitable (édictée par le président de la Cour au titre de l’article 32 du règlement le 28 mars 2007) se lisait comme suit en ses parties pertinentes : « 4. Tout requérant désireux de déposer une demande de satisfaction équitable doit respecter les conditions de forme et de fond pertinentes fixées par la Convention et le règlement de la Cour. II. Dépôt de demandes de satisfaction équitable : conditions de forme L’article 60 du règlement fixe les délais et les autres conditions de forme à respecter pour déposer une demande de satisfaction équitable (...) La Cour exige donc des demandes précises, pièces justificatives à l’appui, sans quoi elle n’alloue aucune indemnité. Elle écarte les demandes présentées dans les formulaires de requête mais non réitérées au stade approprié de la procédure. Elle rejette aussi les demandes tardives. III. Dépôt de demandes de satisfaction équitable : conditions de fond (...) L’indemnité que la Cour alloue pour préjudice moral est censée fournir une réparation pécuniaire du dommage moral, par exemple la souffrance physique ou mentale. Par sa nature, le dommage moral ne se prête pas à un calcul précis. Si son existence est établie, et si la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder une indemnité pécuniaire, elle procède à une évaluation en équité en ayant égard aux normes qui se dégagent de sa jurisprudence. Tout requérant qui demande réparation d’un dommage moral est invité à préciser le montant de l’indemnité qu’il estime équitable de se voir allouer. Celui qui se prétend victime de plusieurs violations peut réclamer une somme forfaitaire destinée à couvrir l’ensemble du préjudice résultant des violations alléguées ou solliciter des montants distincts pour chacune des violations en question. (...) La réparation éventuellement accordée par la Cour revêt d’ordinaire la forme d’une somme d’argent à verser par la Partie contractante défenderesse à la victime ou aux victimes des violations constatées. Ce n’est que très exceptionnellement que la Cour peut envisager d’inviter la Partie contractante défenderesse à prendre telle ou telle mesure pour mettre fin ou remédier aux violations en question. Toutefois, la Cour a la faculté de donner des indications quant à la manière dont il convient d’exécuter ses arrêts (article 46 de la Convention). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1969 et réside à Vila Nova de Gaia. Son mari, M. António Rui Calisto Fernandes, était né en 1957. Il est décédé le 8 mars 1998 à l’issue d’une série de problèmes médicaux survenus après qu’il eut subi une opération chirurgicale bénigne (ablation de polypes nasaux). A. L’enchaînement des événements ayant abouti au décès du mari de la requérante Le traitement à l’hôpital de Vila Nova de Gaia Le 26 novembre 1997, M. Fernandes fut admis dans le service d’otorhino-laryngologie (ORL) de l’hôpital de Vila Nova de Gaia (« le CHVNG ») pour y subir une polypectomie nasale. Il fut opéré le 27 novembre et sortit de l’hôpital le lendemain à 10 heures. Le 29 novembre 1997, à une heure du matin, la requérante emmena son mari au service des urgences du CHVNG car il souffrait de violents maux de tête et était agité. M. Fernandes fut examiné par les médecins de garde, dont un neurologue. Ceux-ci diagnostiquèrent des troubles d’ordre psychologique et lui prescrivirent des tranquillisants. La requérante affirme qu’ils recommandèrent que M. Fernandes rentrât chez lui mais qu’elle s’y opposa. Dans la matinée, M. Fernandes fut examiné par la nouvelle équipe médicale de garde. À 10 heures, il subit une ponction lombaire qui révéla une méningite bactérienne. Il fut transféré à l’unité de soins intensifs de l’hôpital. Le 30 novembre 1997, un scanner révéla la présence d’un œdème cérébral. Le 2 décembre, un autre scanner montra que l’œdème cérébral avait diminué. Le 5 décembre 1997, après une amélioration de son état clinique, M. Fernandes fut transféré à l’unité D. de médecine générale de l’hôpital, où il fut suivi par le docteur J.V. Le 10 décembre, on lui diagnostiqua deux ulcères duodénaux. Le 13 décembre, M. Fernandes fut autorisé à sortir de l’hôpital, son état ayant été jugé stable. L’équipe médicale lui recommanda de revenir passer un scanner de contrôle en consultation externe. Le 18 décembre, M. Fernandes, pris de vertiges et de maux de tête, fut admis aux urgences du CHVNG. Il fut examiné par le docteur J.V., qui le garda en observation car il souffrait d’une diarrhée aiguë, de douleurs abdominales et d’une forte anémie. Il reçut des transfusions sanguines. Le 19 décembre, il fut soumis à une endoscopie, qui confirma la présence d’un ulcère gastroduodénal. Le 23 décembre 1997, M. Fernandes sortit de l’hôpital. On lui prescrivit un régime spécial et un traitement médicamenteux. Un rendezvous médical fut pris pour le 9 février 1998. Après sa sortie de l’hôpital, M. Fernandes continua de souffrir de violentes douleurs abdominales et de diarrhée. Le 9 janvier 1998, il retourna aux urgences du CHVNG. Il fut examiné par le docteur J.V., qui ne jugea pas nécessaire de l’hospitaliser. Il rentra donc chez lui le jour même. Le 25 janvier 1998, M. Fernandes fut à nouveau hospitalisé au CHVNG. Une coloscopie mit en évidence une colite infectieuse avec ulcère. Des examens bactériologiques révélèrent aussi la présence de la bactérie clostridium difficile. M. Fernandes fut placé sous perfusion et reçut un traitement antibiotique. À la demande de la requérante et de son mari, le docteur J.V. autorisa celui-ci à sortir de l’hôpital le 3 février 1998. Il lui prescrivit un traitement par voie orale et l’orienta vers les consultations externes de l’hôpital pour le suivi. Le traitement à l’hôpital général Saint-Antoine de Porto Le 17 février 1998, M. Fernandes fut admis à l’hôpital général SaintAntoine à Porto après qu’on eut constaté qu’il souffrait de diarrhée chronique et d’une anémie microcytaire. Il fut soumis à divers examens, dont une coloscopie, une endoscopie et des analyses de sang. L’équipe médicale émit plusieurs hypothèses quant à la cause de son état, notamment la possibilité d’une infection par la bactérie clostridium difficile, mais elles furent finalement toutes écartées. En revanche, les examens révélèrent une infection au cytomégalovirus, pour laquelle un traitement fut administré. Le 5 mars 1998, M. Fernandes fut examiné par un médecin, qui estima que la situation était maîtrisée. Le 6 mars 1998, l’état de M. Fernandes se détériora. Le mari de la requérante fut examiné par un médecin, qui soupçonna une perforation viscérale. Il passa alors une radiographie et une échographie abdominale. Cette dernière révéla la présence d’ascite dans l’abdomen mais ne permit pas de confirmer le diagnostic initial. À 17 h 30, il fut examiné par un autre médecin, qui détecta à la palpation une contracture abdominale. Une gazométrie artérielle révéla une alcalose métabolique, mais le patient ne présentait aucun signe d’hypocalcémie. Une rectosigmoïdoscopie fut réalisée. Elle mit en évidence une rectocolite. Le 7 mars 1998 à 13 heures, M. Fernandes fut mis sous oxygène car il avait du mal à respirer. À 15 heures, il fut examiné par un médecin généraliste puis par un chirurgien. Constatant la présence d’une péritonite généralisée, celui-ci jugea qu’il était nécessaire d’opérer en urgence. M. Fernandes entra au bloc opératoire à 16 heures, et en sortit quelques minutes plus tard afin d’être préparé pour l’intervention chirurgicale. Il reçut notamment une transfusion sanguine. Il entra à nouveau au bloc opératoire à 20 heures. Il décéda le lendemain, à 2 h 55. Selon le certificat de décès établi par l’hôpital Saint-Antoine, il avait succombé à une septicémie causée par une péritonite et une perforation viscérale. B. Les procédures engagées par la requérante Le 13 août 1998, la requérante adressa une lettre commune au ministère de la Santé, à l’administration de la santé de la région du Nord et à l’Ordre des médecins. Elle s’y plaignait de n’avoir pas obtenu des hôpitaux une réponse lui permettant de comprendre l’aggravation soudaine de l’état de santé, puis le décès, de son mari. La procédure menée devant l’Inspection générale de la santé Le 30 octobre et le 23 décembre 1998, l’administration de la santé de la région du Nord envoya à la requérante une copie des rapports qui avaient été établis par le CHVNG et par l’hôpital Saint-Antoine à partir du dossier médical de M. Fernandes. Le 30 mai 2000, la requérante s’enquit auprès de l’administration régionale de la santé de l’état d’avancement de la procédure, indiquant qu’elle n’avait toujours pas reçu d’explication claire quant aux événements qui avaient précédé le décès de son mari. Par une lettre du 5 juillet 2000, l’administration l’informa que le dossier avait été transmis à l’Inspection générale de la santé (InspeçãoGeral da Saúde – « l’IGS ») en vue de l’ouverture d’une enquête. Par une décision du 20 septembre 2000, l’inspecteur général de la santé ordonna la réalisation d’une enquête (processo de averiguações). Le 6 novembre 2001, un inspecteur fut désigné pour diriger l’enquête. Le 7 février 2002, l’IGS informa la requérante que les membres de l’équipe médicale qui avait soigné son mari allaient être entendus et qu’un rapport d’expertise médicale allait être établi. Le 3 avril 2002, la requérante fut entendue. Le 23 septembre 2002, des expertises médicales furent demandées. Des spécialistes en médecine interne, en gastroentérologie et en chirurgie générale rendirent leurs rapports en novembre 2002. Il ressortait de ces rapports que, compte tenu de la dégradation de l’état de santé du mari de la requérante après sa polypectomie nasale, il aurait été impossible de lui sauver la vie. Le rapport d’enquête fut rendu le 28 novembre 2002. Il concluait, en s’appuyant sur les rapports d’expertise médicale, que M. Fernandes avait reçu un traitement adéquat. Par une décision du 12 décembre 2002, l’inspecteur général de la santé déclara l’enquête close, estimant qu’il n’y avait pas eu de négligence médicale et qu’il n’y avait pas de motif d’engager de procédure disciplinaire contre les médecins qui avaient traité M. Fernandes. Par une lettre du 17 février 2003, la requérante contesta cette décision. Elle arguait que le rapport d’enquête ne répondait pas à ses questions, et elle se plaignait de la présence de certaines zones d’ombre ainsi que de la durée de l’enquête et des conclusions auxquelles celle-ci avait abouti. Le 28 mars 2003, l’inspecteur général de la santé informa la requérante qu’il avait annulé sa décision du 12 décembre 2002 et ordonné la réouverture de l’enquête. Le 26 septembre 2005, compte tenu des questions qui avaient été soulevées par la requérante, les experts furent invités à fournir un complément d’information. Un nouveau rapport d’enquête fut établi le 23 novembre 2005. Ce rapport précisait les faits et tenait compte des réponses fournies par les trois experts médicaux. Il indiquait, d’une part, que M. Fernandes avait reçu au CHVNG et à l’hôpital Saint-Antoine des soins médicaux pertinents et adéquats s’agissant du diagnostic, de la surveillance et du traitement, et qu’il n’y avait donc pas de raison de critiquer le personnel médical qui l’avait pris en charge et, d’autre part, que toutes les autorisations de sortie de l’hôpital dont l’intéressé avait fait l’objet avaient été données de manière justifiée eu égard à l’amélioration de son état de santé. Les conclusions du rapport étaient les suivantes : « Les résultats de l’enquête (...) consécutive à la réouverture de la procédure, aux nouvelles investigations et aux nouveaux rapports médicaux ne font pas apparaître de comportements négligents ou imprudents contraires à la bonne pratique médicale. Il n’y a donc lieu d’engager d’action judiciaire ou disciplinaire contre aucune des personnes ayant participé à la prise en charge [du patient] (...) » Compte tenu de ce rapport, l’inspecteur général de la santé rendit à nouveau, le 27 décembre 2005, une décision mettant fin à la procédure. Par une lettre du 1er février 2006, la requérante contesta cette décision, dénonçant des zones d’ombre et des omissions. Elle émettait par ailleurs plusieurs hypothèses : l’aggravation soudaine de l’état de santé de son mari et, en définitive, la mort de celui-ci avaient peut-être été causées par des bactéries présentes au bloc opératoire le jour de la polypectomie nasale ; les diagnostics avaient peut-être été posés à la hâte ; et des négligences et des imprudences avaient peut-être été commises lors du traitement. Enfin, elle se plaignait que les rapports de médecine interne et de gastroentérologie aient été établis à chaque fois par les mêmes experts. Elle demandait donc la réouverture de l’enquête et la réalisation d’une nouvelle expertise médicale. Le 2 mars 2006, l’inspecteur général de la santé adressa à la requérante une lettre par laquelle il l’informait qu’il avait annulé sa décision de clôture de la procédure et ordonné la réalisation de nouvelles expertises par d’autres spécialistes en médecine interne et en gastroentérologie. La requérante fut à nouveau entendue le 27 avril 2006. Les deux experts médicaux rendirent leur rapport le 20 mai et le 10 juillet 2006. L’expert en gastroentérologie considérait, d’une part, qu’il était possible, quoique rare, qu’une polypectomie nasale cause une méningite et, d’autre part, que l’équipe médicale avait administré à M. Fernandes un traitement approprié mais qu’il n’avait peut-être pas été judicieux de le laisser sortir de l’hôpital le 3 février 1998 compte tenu de son état clinique. Il concluait que le patient avait souffert d’une série de complications qui n’étaient pas fréquentes mais qui pouvaient se produire, et qu’il avait bénéficié d’une prise en charge médicale adaptée au CHVNG. Sur la prise en charge à l’hôpital Saint-Antoine, il était d’avis que le tableau clinique du patient était extrêmement compliqué et avait donné lieu à des doutes quant à la meilleure manière de procéder. L’expert en médecine interne excluait pour sa part la possibilité d’une infection nosocomiale car il considérait que, face à une telle infection, les antibiotiques administrés au patient n’auraient eu aucun effet. Il estimait que la méningite s’était développée de manière inattendue, et que la décision de laisser le patient quitter l’hôpital le 3 février 1998 avait été prise à bon escient mais qu’il eût fallu continuer de le suivre dans le cadre de consultations externes. Le 25 juillet 2006, l’enquête s’acheva par l’établissement d’un rapport, qui contenait les conclusions suivantes : « (...) Il ressort des rapports d’expertise médicale les plus récents (...) que rien ne permet de conclure à la responsabilité disciplinaire pour faute de l’un quelconque des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge médicale de [M. Fernandes] (...) (...) la décision du médecin assistant [J.V.] d’orienter le patient vers les consultations externes n’a pas été suffisante et adéquate du point de vue clinique dans la mesure où, pour prévenir une récidive de la colite à clostridium difficile (...), il aurait fallu garder le patient à l’hôpital sous surveillance médicale étroite (...) (...) Dès lors, le médecin en question n’a pas agi avec le soin et la diligence qui s’imposaient, de sorte que sa responsabilité disciplinaire peut être engagée à raison de sa conduite négligente dans l’assistance médicale apportée (...) à l’unité D. du service de médecine du CHVNG entre le 25 janvier et le 3 février 1998. Les avis médicaux ne critiquent pas la manière dont le patient a été pris en charge au service de gastroentérologie de l’hôpital général SaintAntoine de Porto (...) » À la lumière de ce rapport, l’inspecteur général ordonna, par une décision du 26 juillet 2006, l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du docteur J.V. La requérante fut informée par une lettre du 31 juillet 2006 que la procédure disciplinaire dirigée contre le docteur J.V. serait suspendue dans l’attente de l’issue de la procédure pénale (paragraphes 59-68 ci-dessous). La procédure menée devant l’Ordre des médecins Entretemps, le 31 août 1998, l’Ordre des médecins accusa réception de la lettre de la requérante du 13 août 1998, et l’informa qu’il allait y être donné suite. L’affaire fut renvoyée devant le conseil disciplinaire de la région du Nord de l’Ordre des médecins. Après avoir reçu le dossier médical du patient, ce conseil recueillit l’avis de quatre collèges de médecine spécialisée : gastroentérologie, maladies infectieuses, chirurgie générale et ORL. Dans son rapport du 14 juillet 1999, le collège de gastroentérologie formula les conclusions suivantes : « (...) La veille de son décès, le patient avait fait l’objet d’une radiographie simple de l’abdomen qui n’avait révélé aucune dilatation ou perforation du côlon. Le décès a été causé par une péritonite due à la perforation de l’ulcère duodénal. Les difficultés qu’ont eues les membres de l’équipe médicale à diagnostiquer cette affection sont compréhensibles compte tenu de la gravité de l’état clinique du patient et du fait que ses douleurs abdominales s’expliquaient par la maladie inflammatoire du côlon. Le rôle des corticostéroïdes dans l’aggravation ou la réactivation de l’ulcère peptique (...) n’est pas actuellement considéré comme un facteur de risque (...) Toutefois, le patient ayant déjà connu un épisode de saignements intestinaux, il y aurait eu lieu d’évaluer le rapport bénéfice-risques de l’usage de ces médicaments. (...) Les décisions d’autoriser le patient à quitter l’hôpital ont pu retarder le diagnostic ou la mise en place du traitement. Pour autant, après avoir examiné les documents qui m’ont été communiqués, je ne suis pas en mesure de confirmer que ces décisions aient effectivement nui au diagnostic ou au programme de traitement. (...) » Les conclusions du rapport rendu le 17 avril 2000 par le collège des maladies infectieuses étaient les suivantes : « 1. À notre avis, la méningite, qui était très probablement due à la polypectomie nasale, a été diagnostiquée avec un retard inexplicable. Le fait qu’il n’y ait pas eu dans l’équipe médicale de personne formée à ce type de diagnostic (par exemple un spécialiste des maladies infectieuses) peut être considéré comme la seule explication à cela. Toutefois, ce n’était pas la cause immédiate du décès du patient. À notre avis, il s’est écoulé un temps trop long entre le diagnostic de perforation de l’ulcère duodénal et l’intervention chirurgicale. Le fait qu’il n’ait pas été pratiqué d’autopsie, alors que cette mesure est obligatoire (mandatória) en pareil cas pour faire la lumière sur l’enchaînement des événements, a porté un préjudice incalculable à la procédure. » Le rapport se poursuivait ainsi : « Les conditions inhumaines dans lesquelles s’est déroulé le traitement du patient sont un autre exemple de la situation quotidienne dans nos hôpitaux ; elles reflètent les conditions structurelles et opérationnelles épouvantables qui y règnent, et qu’il est impératif d’analyser et de modifier d’urgence. Le présent comité du collège des maladies infectieuses de l’Ordre des médecins doit jouer un rôle fondamental dans la défense des droits des patients et des médecins afin que soient assurées de meilleures conditions de soins pour les premiers et de meilleures conditions de travail pour les seconds. Nous redisons, une fois encore, la nécessité d’envisager la création de services ou d’unités de traitement des maladies infectieuses dans les hôpitaux du même type que celui de Vila Nova de Gaia, afin d’améliorer la qualité des soins dans ce domaine. » Dans son rapport du 24 avril 2001, le collège de chirurgie générale concluait qu’il n’y avait eu ni négligence ni faute médicale dans les hôpitaux concernés. Il exposait ceci : « 1. La perforation d’un ulcère duodénal nécessite une intervention immédiate. Dans le cas présent, la perforation (...) était difficile voire impossible à diagnostiquer compte tenu du contexte clinique dans lequel elle est survenue. En outre, eu égard à la gravité de l’état du patient, il fallait réfléchir soigneusement à la manière de procéder à l’intervention qu’il devait subir et prendre un certain nombre de mesures pour l’y préparer. (...) » Dans son rapport du 1er août 2001, le collège d’ORL formula les conclusions suivantes : « 1. La méningite consécutive à une opération de chirurgie micro-endoscopique des polypes nasaux est l’une des (principales) complications rapportées pour ce type d’intervention ; elle est estimée dans la littérature à une incidence de 0,6 % à 1 % des cas. Ces chiffres sont plus élevés lorsqu’il s’agit d’une seconde opération, comme c’était le cas en l’occurrence (le patient avait déjà été opéré en 1993, comme indiqué à la page 314 du dossier de l’intervention). La tomodensitométrie post-opératoire du cerveau réalisée le 29 novembre 1997 ne montre aucune discontinuité entre les os de la base du crâne (...) ce qui indique une absence d’opération chirurgicale endocrânienne invasive. La description de l’intervention réalisée sur le patient le 26 novembre 1997 (page 310 du dossier) ne fait apparaître aucun signe de négligence ou de faute clinique. Il n’a été réalisé de procédure ORL lors d’aucun des séjours subséquents du patient à l’hôpital de Vila Nova de Gaia ou à l’hôpital Saint-Antoine. » Par une décision du 28 décembre 2001, le conseil disciplinaire de la région du Nord décida, après avoir examiné les conclusions des différents collèges de spécialistes, de ne pas donner suite à la plainte de la requérante, au motif qu’il n’y avait aucune preuve de manquement ou de négligence médicale. Le conseil disciplinaire observa que : i. la méningite était une complication susceptible de survenir dans 0,6 % à 1 % des cas après une polypectomie nasale, et le taux d’incidence était plus élevé lorsque le patient avait déjà été opéré, ce qui était le cas de M. Fernandes ; ii. M. Fernandes avait reçu un traitement approprié à chacun de ses séjours à l’hôpital ; iii. la méningite bactérienne (à pseudomonas) qu’il avait contractée avait été correctement traitée ; iv. même si le collège des maladies infectieuses avait estimé que la présence d’un spécialiste de cette discipline eût permis de parvenir à un diagnostic plus tôt, ce facteur n’avait pas joué un rôle déterminant dans l’évolution de la situation clinique du patient ; v. la péritonite avait été causée par la perforation de l’ulcère duodénal, ce qu’il était difficile de diagnostiquer du fait de la gravité de l’état clinique du patient, fait reconnu tant par le collège de gastroentérologie que par le collège de chirurgie générale ; vi. même si le collège des maladies infectieuses avait considéré qu’il s’était écoulé trop longtemps entre le diagnostic de perforation de l’ulcère duodénal et l’intervention chirurgicale, ce n’était pas sans raison que les médecins avaient pris un certain temps pour préparer l’intervention : le patient souffrait d’une maladie intestinale ainsi que d’une grave anémie, d’une septicémie et d’un déséquilibre fluidique et électrolytique, comme l’avait noté le collège de chirurgie générale. Le 29 avril 2002, la requérante contesta cette décision devant le conseil disciplinaire national de l’Ordre des médecins. Le 18 mars 2003, ce recours fut déclaré irrecevable pour tardiveté. La procédure pénale menée devant le tribunal de Vila Nova de Gaia Le 29 avril 2002, la requérante saisit le service des enquêtes et poursuites pénales de Porto d’une plainte pour homicide par négligence. Elle fut entendue le 7 juin 2002. Par une ordonnance du 27 septembre 2002, le tribunal d’instruction criminelle l’autorisa à intervenir dans la procédure en qualité d’auxiliaire du ministère public (assistente). Le 7 décembre 2007, le parquet présenta ses conclusions. Il accusait le docteur J.V. d’homicide par négligence grave (grosseira) et citait à l’appui le rapport joint à la décision de l’IGS du 25 juillet 2006. Il considérait que le docteur J.V. n’aurait pas dû autoriser M. Fernandes à rentrer chez lui le 3 février 1998 alors que son état clinique était problématique et qu’il avait été infecté par la bactérie clostridium difficile. L’affaire fut renvoyée devant le tribunal de Vila Nova de Gaia. Au cours du procès, le tribunal entendit la requérante, l’accusé, les huit médecins qui étaient intervenus auprès de M. Fernandes au CHVNG et à l’hôpital Saint-Antoine et les cinq experts médicaux qui avaient été désignés dans le cadre de la procédure devant l’IGS. Il sollicita également l’avis du conseil disciplinaire de l’Ordre des médecins. Le 15 janvier 2009, le tribunal acquitta le docteur J.V. Il estima en particulier que les constats faits par l’IGS dans sa décision du 26 juillet 2006 ne pouvaient pas être pris en considération car ils n’avaient pas été confirmés par les cinq experts médicaux qui avaient déposé pendant le procès. Le tribunal jugea établis, notamment, les faits suivants : « L’hospitalisation du patient le 18 décembre 1997 (...) n’était pas due à un manque de contrôle médical de son état clinique (...) en effet, elle n’avait aucun lien avec les complications de la méningite. Elle était en réalité due à une anémie aigüe causée par les saignements intestinaux d’un ulcère duodénal ; (...) Les décisions d’autoriser le patient à sortir prises les 13 et 23 décembre 1997 étaient appropriées, étant donné que, la première fois, le problème de méningite bactérienne avait été résolu, [le patient] avait terminé son traitement antibiotique, il ne présentait plus ni symptômes ni fièvre, ses leucocytes avaient légèrement augmenté, ses neutrophiles avaient baissé, sa vitesse de sédimentation était normale et il ne se plaignait pas (...) et, la seconde fois, c’est-à-dire à l’issue de la période d’hospitalisation du 18 au 23 décembre 1997, le patient ne se plaignait ni de douleurs abdominales ni de diarrhée ni de saignements (...) de sorte qu’il était possible de continuer de traiter son ulcère par un régime alimentaire tout en poursuivant la surveillance dans le cadre de consultations externes (...) Lorsque le patient a été admis à l’hôpital Saint-Antoine, les tests réalisés en laboratoire recherchaient la présence de clostridium difficile. Les résultats ont été négatifs par deux fois. » Sur la question de l’intervention chirurgicale qui avait précédé le décès de M. Fernandes, le tribunal releva ceci : « (...) le patient était dans un état clinique très grave, il avait subi un choc septique et présentait une défaillance multiviscérale. Il a donc été placé sous ventilation artificielle et on lui a administré des fluides et des médicaments vasoactifs (...), ainsi que de l’hydrocortisone afin de combattre une éventuelle insuffisance surrénalienne aigüe (falência supra-renal aguda), et des antibiotiques à large spectre ; (...) dans ce contexte médical, le pronostic vital du patient était très incertain, compte tenu du choc septique et de la défaillance multiviscérale ; (...) une radiographie abdominale simple et une échographie abdomino-pelvienne ont donc été pratiquées ; elles n’ont pas révélé de perforation intestinale. » Le tribunal estima qu’il n’avait pas été démontré que les soins apportés au mari de la requérante pendant son séjour à l’hôpital du 25 janvier au 3 février 1998 n’avaient pas été conformes aux bonnes pratiques médicales ni qu’il eût fallu le garder hospitalisé plus longtemps. Il conclut donc qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre le traitement administré au patient par le docteur J.V. au CHVNG et son décès ultérieur, dû à une perforation viscérale dénuée de rapport avec la maladie du côlon traitée par ce médecin. Il tint le raisonnement suivant : « (...) aucun élément n’indique que le traitement administré par l’accusé pour l’infection à clostridium difficile ait été incomplet, qu’il ait été prématuré de renvoyer le patient chez lui le 3 février 1998 ni, en bref, que l’accusé soit responsable du décès du patient, survenu le 8 mars 1998. » La requérante ne contesta pas ce jugement. La procédure menée devant le tribunal administratif et fiscal de Porto Entre-temps, le 6 mars 2003, la requérante avait introduit devant le tribunal administratif et fiscal de Porto une action en responsabilité civile contre le CHVNG, l’hôpital Saint-Antoine et les huit médecins qui étaient intervenus auprès de son mari pendant ses séjours hospitaliers, afin d’être indemnisée du préjudice que lui avait causé le décès de celui-ci. Dans le cadre de cette action, elle alléguait notamment : i. que la méningite contractée par son mari était due à la bactérie pseudomonas cepacia, à laquelle il avait selon elle été exposé au bloc opératoire lors de sa polypectomie nasale ; ii. que la méningite avait été diagnostiquée tardivement, ce qui avait provoqué son aggravation ; iii. que l’on avait administré des doses excessives de médicaments à son mari et que l’absence de traitement prophylactique adéquat avait causé l’ulcère duodénal dont il avait fini par décéder. Pour cette procédure, la requérante avait obtenu le bénéfice de l’aide judiciaire, sous la forme d’une exemption des dépens et des honoraires de l’avocat de son choix. Entre le 4 et le 24 avril 2003, les huit médecins excipèrent de leur défaut de qualité pour agir (ilegitimidade passiva) en s’appuyant sur l’article 2 du décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967. Le 16 avril 2007, le tribunal rendit une décision préparatoire (despacho saneador) dans laquelle il départageait les faits considérés comme établis de ceux qui restaient à établir. En vertu de l’article 2 du décret-loi précité, il jugea que les médecins présentaient un défaut de qualité pour agir dans la mesure où ils n’étaient poursuivis que pour conduite négligente. Il déclara donc l’action recevable seulement pour autant qu’elle était dirigée contre les hôpitaux. Le 17 janvier 2011, la requérante déposa devant le tribunal. Au cours des trois audiences qu’il tint, le tribunal entendit les témoins suivants : i. les onze médecins qui étaient intervenus auprès de M. Fernandes pendant ses différents séjours au CHVNG et à l’hôpital Saint-Antoine, ii. le médecin généraliste de M. Fernandes, iii. deux médecins amis de la famille, iv. l’inspecteur qui avait rédigé le dernier rapport d’enquête dans le cadre de la procédure menée devant l’IGS, et v. les experts médicaux en gastroentérologie et en médecine interne dont les rapports avaient servi de fondement à la dernière décision de l’IGS. Le 24 mai 2011, le tribunal rendit une ordonnance sur les faits. Tenant compte du dossier médical du défunt et des différentes déclarations faites par les témoins qui avaient été entendus, il jugea établi, notamment : i. qu’une polypectomie était une opération chirurgicale simple qui ne présentait que des risques minimes et que le patient en avait été informé ; ii. que le bloc opératoire avait été aseptisé et était stérile au moment de la polypectomie ; iii. que l’origine de la bactérie liée à la méningite du patient n’avait pas été établie : le tribunal excluait la possibilité d’une infection nosocomiale, notant qu’en pareil cas, le traitement prescrit n’aurait eu aucun effet ; iv. que les médicaments prescrits au CHVNG et à l’hôpital SaintAntoine pouvaient causer des problèmes intestinaux, et donc une colite ; v. que M. Fernandes avait reçu au CHVNG des médicaments gastroprotecteurs ; vi. que la perforation gastroduodénale n’avait été détectée qu’au moment de l’opération ; et vii. que M. Fernandes était décédé d’une septicémie causée par une péritonite due à une perforation viscérale. Le 23 janvier 2012, le tribunal administratif et fiscal de Porto rendit un jugement par lequel il déboutait la requérante. Concernant les faits, il exposa les considérations suivantes : « La bactérie pseudomonas était résistante aux différents antibiotiques qui ont été essayés (...) Lorsque le patient a été admis à l’hôpital de Vila Nova de Gaia le 18 décembre 1997, il était complètement guéri de sa méningite bactérienne. (...) Le 25 janvier 1998, le patient est retourné à l’hôpital de Vila Nova de Gaia, où on lui a diagnostiqué une colite pseudomembraneuse causée par clostridium difficile (...) La colite a été traitée avec succès dans cet hôpital (...) ; Pendant tout son séjour à l’hôpital de Vila Nova de Gaia, [le patient] a reçu un traitement gastroprotecteur. (...) Lorsqu’il a été admis [à l’hôpital Saint-Antoine le 17 février 1998], il présentait une diarrhée chronique (...) et les médecins ont soupçonné une maladie inflammatoire de l’intestin. Ils lui ont prescrit des médicaments correspondant à ce diagnostic. (...) À l’hôpital Saint-Antoine, où il a été gardé en observation, [le patient] a reçu quotidiennement un traitement médicamenteux et il a subi différents examens. (...) Le 6 mars 1998 (...), rien ne permettait de prévoir la perforation gastroduodénale (...) les examens réalisés ce jour-là (...) n’ont pas confirmé l’existence d’une perforation duodénale impliquant qu’il faille continuer de surveiller la situation ; (...) Ce n’est que le 7 mars 1998 que l’on a diagnostiqué un syndrome abdominal aigu nécessitant une opération chirurgicale d’urgence (...) ce n’est qu’au cours de cette opération que l’on a constaté que le patient souffrait d’une perforation duodénale ; (...) La perforation était survenue 24 heures avant l’opération. » Les conclusions énoncées dans le jugement sont les suivantes : « (...) au vu des faits qui ont été établis, il n’est pas possible de dire à quel moment les défendeurs, par leurs actions ou par leurs omissions, auraient enfreint les règles de bonne pratique médicale (...) Il est considéré comme établi que [M. Fernandes] est décédé d’une septicémie due à une péritonite consécutive à la perforation de son ulcère duodénal (...) Il ne subsiste pas de doutes quant au diagnostic de méningite, à la procédure suivie, à l’enchaînement des traitements et à la résolution du problème, toutes les séquelles ayant été dûment expliquées. Il n’y a donc pas de divergence d’avis quant à la nécessité de prescrire et d’utiliser des antibiotiques dans le contexte de la méningite de [M. Fernandes] et de ses autres affections, même s’il a été expliqué que la colite était un déséquilibre bactérien causé par les antibiotiques (les mêmes qui ont des effets indésirables sur la flore intestinale). Néanmoins, il n’a pas été possible de déterminer l’agent ou la cause de la présence de la bactérie liée à la méningite ni, dès lors, d’établir avec certitude si l’opération des sinus a été la source du problème ou n’a été qu’un facteur causal de l’infection. Les autres facteurs et circonstances ayant précédé l’opération (...) perdent donc toute pertinence. Il est néanmoins surprenant que [M. Fernandes] soit décédé (...) alors qu’il était robuste et en bonne santé et que la microchirurgie des sinus qu’il a subie était une opération simple. Toutefois, il n’a pas été démontré que la thérapie ou le traitement médicamenteux qui lui ont été administrés aient été à quelque moment que ce fût inadaptés à son état clinique. Dès lors, il n’y a pas eu de violation des règles de bonne pratique médicale (que ce soit par action ou par omission). Partant, l’une des conditions cumulatives nécessaires à l’établissement de la responsabilité civile, à savoir un acte illicite, est absente. » La requérante forma un recours contre ce jugement devant la Cour suprême administrative. Elle contesta les faits jugés établis, arguant que ce n’était qu’en examinant ce qui s’était passé avant, pendant et après l’opération qu’il serait possible de comprendre par quel type de bactérie son mari avait été contaminé. Elle répétait qu’il avait contracté une infection nosocomiale et qu’il n’avait reçu de traitement adéquat ni au CHVNG ni à l’hôpital Saint-Antoine. Le 26 février 2013, la Cour suprême administrative rejeta le recours de la requérante et confirma le jugement du tribunal administratif et fiscal de Porto. Elle refusa d’abord de réexaminer les faits que la juridiction inférieure avait jugé établis, aux motifs que les audiences n’avaient pas été enregistrées et qu’il n’avait pas été soumis de documents nouveaux susceptibles de faire douter des éléments de preuve qui formaient la base de la décision du tribunal. La Cour suprême administrative conclut ainsi son arrêt : « La juridiction inférieure a considéré, en bref, qu’il n’avait pas été possible de déterminer la nature et l’origine de la bactérie qui avait causé la méningite, et qu’il n’avait pas été démontré que les affections consécutives au traitement du [patient] et à sa guérison de cette maladie (...) eussent été la conséquence d’un diagnostic ou d’un traitement erronés. Pour cette raison, elle a conclu qu’il n’avait pas été démontré qu’eût été commis un manquement aux règles de bonne pratique médicale susceptible d’avoir causé la mort du patient. L’appelante analyse la situation différemment. Cependant, elle fonde ses arguments principalement sur des allégations qui n’ont pas été prouvées, à savoir notamment que la méningite a été causée par la bactérie pseudomonas, que son mari aurait contractée à l’hôpital, (...) et que le patient n’a pas reçu un traitement prophylactique approprié de gastroprotection pendant son traitement par antibiotiques. En conséquence, ces griefs se résument à des allégations de négligence médicale non étayées par les faits établis. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit pénal Les dispositions pertinentes du code pénal sont ainsi libellées : Article 137 « 1. Toute personne dont la faute cause la mort d’une autre personne est passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans au maximum ou d’une amende. La faute grave est passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans au maximum. » Article 150 « (...) Lorsque, en réalisant une opération chirurgicale ou en prodiguant un traitement dans les buts indiqués au paragraphe précédent d’une manière contraire aux règles de bonne pratique médicale, les personnes visées audit paragraphe mettent en danger la vie ou la santé du patient ou l’exposent à un risque de préjudice corporel grave, leur conduite est passible d’une peine d’emprisonnement de deux ans au maximum ou d’un maximum de 24 jours-amendes, à moins qu’une autre disposition légale ne prévoie une peine plus lourde. » La direction de l’établissement de santé concerné est tenue d’informer l’autorité judiciaire compétente de tout décès suspect d’un patient à l’hôpital et doit à cette fin communiquer le dossier médical de l’intéressé afin de permettre l’ouverture d’une enquête destinée à établir les circonstances du décès (article 51 du décret-loi no 11/98 du 24 janvier 1998 sur la médecine légale). Une autopsie est réalisée en cas de mort violente ou inexpliquée, sauf lorsque les données et autres éléments cliniques sont suffisamment convaincants pour écarter tout soupçon d’infraction ; en pareil cas, il n’est pas nécessaire de pratiquer une autopsie (article 54). B. Le droit civil et le droit administratif La disposition pertinente du code civil est la suivante : Article 487 « 1. Il incombe à la partie ayant subi le préjudice de prouver la responsabilité pour faute (culpa), à moins que celle-ci ne fasse l’objet d’une présomption légale. En l’absence de tout autre critère juridique, la faute s’apprécie par référence à la diligence que l’on peut attendre d’un bon père de famille, au vu des circonstances de la cause. » À l’époque des faits, la responsabilité non contractuelle de l’État était régie par le décret-loi no 48051 du 21 novembre 1967, dont l’article 2 était ainsi libellé : « 1. L’État et les autres entités de droit public sont civilement responsables à l’égard des tiers de toute atteinte aux droits de ceux-ci ou aux dispositions légales destinées à protéger leurs intérêts résultant d’une faute illicite commise par l’État ou des organismes publics ou par des agents de l’État agissant dans l’exercice de leurs fonctions ou en conséquence de celles-ci. Lorsqu’ils ont versé une indemnité en vertu du paragraphe précédent, l’État et les autres entités de droit public peuvent en demander le remboursement (direito de regresso) auprès des responsables des organismes en cause ou des agents publics concernés si ceux-ci n’ont pas exercé leurs fonctions avec le soin et la diligence requis. » L’article 6 du décret-loi susmentionné énonce ceci : « Aux fins du présent décret-loi, les actes juridiques qui enfreignent les lois et règlements ou les principes généraux pertinents sont réputés illicites, de même que les actes matériels qui enfreignent lesdits textes et principes ou les règles techniques ou les principes relatifs à la prudence requise qui doivent être pris en compte. » C. Les dispositions disciplinaires pertinentes L’article 2 du code disciplinaire des médecins définit ainsi l’infraction disciplinaire : « Un médecin qui, par action ou par omission, manque, soit intentionnellement soit par négligence, à une ou plusieurs des obligations découlant du statut de l’Ordre des médecins, du code de déontologie, du présent code, des règles internes ou de toute autre disposition applicable est considéré comme ayant commis une infraction disciplinaire. » Le code disciplinaire des agents et employés de l’État, dans sa version en vigueur au moment des faits, était contenu dans le décret-loi no 24/84 du 16 janvier 1984. En son article 3 § 1, il définissait ainsi l’infraction disciplinaire : « Une infraction disciplinaire est constituée par un manquement, d’une gravité non supérieure à la faute, de la part d’un agent ou d’un employé de l’État, à l’une des obligations générales ou spécifiques liées à ses fonctions. » L’article 3 § 6 du même code définissait ainsi le devoir de diligence : « Le devoir de diligence consiste en la connaissance des règles applicables et des instructions des supérieurs hiérarchiques, alliée à la maîtrise et au perfectionnement des compétences techniques et des méthodes de travail requises pour qu’une personne puisse exercer ses fonctions correctement et efficacement. » D. Le cadre réglementaire en vigueur en matière de santé L’article 64 de la Constitution portugaise garantit le droit à la santé et à un service national de santé universel axé sur la délivrance de soins gratuits tout en tenant compte de la situation économique et sociale des citoyens. La loi sur la santé, qui a été approuvée par la loi no 48/90 du 24 août 1990, pose le principe selon lequel les soins sont dispensés par des services et des établissements publics et par d’autres organismes publics ou privés, à but lucratif ou non, sous le contrôle de l’État (article I, paragraphe 4). En vertu du principe fondamental XIV de la loi, les usagers du système de santé ont, entre autres droits, celui de choisir librement leur médecin et leur établissement de santé, celui de recevoir ou de refuser le traitement proposé, celui d’être traités correctement et avec humanité, promptitude et respect, celui d’être informés de leur situation, des autres possibilités de traitement et de l’évolution probable de leur état de santé, et celui de se plaindre de la manière dont ils ont été traités et d’être indemnisés pour tout préjudice subi. Les règles appliquant la loi sur la santé sont énoncées dans le décret-loi no 11/93 du 15 janvier 1993, par lequel a été approuvé le statut du système national de santé (Estatuto do sistema nacional de saúde). En vertu de l’article 38 de ce décret-loi, l’État supervise les établissements de santé, et le ministère de la Santé est chargé de fixer les normes en matière de soins, sans préjudice des fonctions attribuées à l’Ordre des médecins et à l’Ordre des pharmaciens. La loi sur la gestion des hôpitaux, promulguée par le décret-loi no 19/88 du 21 janvier 1988, est demeurée en vigueur jusqu’en 2002. En son préambule, elle énonçait ceci : « Tous les citoyens sont en droit d’attendre des hôpitaux (institutions dont le but social ne doit jamais être oublié) qu’ils délivrent un traitement du niveau que l’on peut raisonnablement escompter eu égard, d’une part, au respect dû aux citoyens et, d’autre part, aux ressources humaines et matérielles disponibles. L’évaluation des services fournis dans les hôpitaux, quant à leur rentabilité mais aussi et peut-être surtout quant à l’assurance de leur qualité, est une tâche de plus en plus complexe et essentielle, à laquelle les autorités doivent accorder la plus grande attention et qui doit être intégrée à la gestion des hôpitaux. » L’article 3 § 2 du décret-loi prévoit, en particulier, que le ministre de la Santé doit : « (...) définir des normes et des critères pour la fourniture de services dans les hôpitaux, établir des lignes directrices que devront suivre les plans et les programmes de fourniture de services, suivre leur mise en œuvre et évaluer les résultats obtenus et la qualité des soins dispensés à la population, et demander toute information et toute documentation nécessaires à cette fin. » Les principes régissant la fourniture de services sont énoncés à l’article 6 du décret-loi. Ils comprennent : le respect des droits des patients ; la promptitude et la qualité de l’assistance fournie, dans les limites des ressources disponibles ; l’utilisation licite et efficace de ces ressources ; le devoir de faire le maximum pour fournir les services, dans la mesure du possible, avec les structures organisationnelles, le personnel et le matériel nécessaires ; et le respect de la déontologie par tous ceux qui travaillent à l’hôpital. L’article 27 du décret-loi no 73/90 du 6 mars 1990 sur les professions médicales énonce les obligations des médecins hospitaliers. Il mentionne notamment : « a) l’accueil des patients dûment inscrits en consultation externe, leur hospitalisation si nécessaire, et la communication à leur médecin traitant des informations appropriées au moyen d’un rapport confidentiel ; b) le diagnostic et le traitement des patients, s’appuyant sur une relation professionnelle efficace avec leur médecin traitant et avec les autres médecins participant à leur traitement hors de l’hôpital ; c) l’accueil dans les services d’urgence des hôpitaux ; (...) » L’article 7 du décret-loi no 373/79 du 8 septembre 1979 sur le statut des membres du corps médical exposait les obligations des professionnels de la santé, parmi lesquelles celles de veiller à leur actualisation professionnelle et de contribuer à l’établissement et au maintien de bonnes conditions de travail humainement et techniquement, en vue de la fourniture d’un service effectif et du développement du prestige du service de santé auquel ils appartenaient. Les textes pertinents dans le secteur de la santé comprennent aussi le statut général des hôpitaux, approuvé par l’ordonnance no 48358 du 27 avril 1968, qui définit les formes d’organisation et de fonctionnement applicables à tous les hôpitaux, sans préjudice du fait que chaque établissement a ses propres règles locales. Au moment des faits, l’Inspection générale de la santé était en vertu du décret-loi no 291/93 du 24 août 1993 un service du ministère de la Santé jouissant d’une autonomie technique et administrative (article 1). Elle était chargée, entre autres tâches, de superviser les activités et le fonctionnement des établissements de santé (article 3 § 1 a)) et d’engager les poursuites disciplinaires (article 3 § 2 b)). Elle était dirigée par un inspecteur général qui avait notamment pour attributions d’ordonner l’ouverture de procédures d’enquête et de statuer à l’issue de celles-ci (article 5 h)). En vertu du décret-loi no 275/2007 du 30 juin 2007, l’Inspection générale de la santé est devenue l’Inspection générale des activités de la santé (IGAS). Celle-ci dispose de compétences plus larges, qui s’étendent aux organismes privés. L’Ordre des médecins était régi à l’époque des faits par le statut de l’Ordre des médecins, adopté par le décret-loi no 282/77 du 5 juillet 1977 modifié par le décret-loi no 217/94 du 20 août 1994. C’est un organe indépendant chargé de veiller à l’application des normes par les membres du corps médical et au respect du code de déontologie médicale. Les médecins doivent être inscrits auprès de lui pour pouvoir exercer ; cette obligation leur rappelle qu’ils doivent respecter les normes professionnelles régissant leur discipline. 100. L’Ordre des médecins dispose aussi de pouvoirs disciplinaires, qui n’empêchent toutefois pas l’ouverture d’autres types de procédures disciplinaires prévues par la loi (article 3 du code disciplinaire des médecins, approuvé par le décret-loi no 217/94 du 20 août 1994). Les conseils disciplinaires régionaux sont chargés de l’ouverture des procédures disciplinaires dirigées contre les médecins de leur région (article 4). Leurs décisions sont susceptibles de recours devant le conseil disciplinaire national (Conselho Nacional de Disciplina). Le recours doit être intenté dans les huit jours suivant l’adoption de la décision contestée (articles 44 et 45). 101. Les collèges de spécialistes (Colégios de especialidades) sont des organes de l’Ordre des médecins composés de spécialistes des différentes branches de la médecine (article 87 du statut de l’Ordre des médecins). Ils ont pour tâche, notamment, de rendre des avis au Conseil exécutif national de l’Ordre. 102. Le code de déontologie contient les règles d’ordre éthique que les médecins doivent respecter et dont ils doivent s’inspirer dans le cadre de leur pratique professionnelle. En vertu du principe de l’indépendance des médecins, ceux-ci sont, dans l’exercice de leur profession, « techniquement et éthiquement indépendants et responsables de leurs actes ; ils ne peuvent, dans l’exercice de leurs fonctions cliniques, recevoir d’instructions techniques ou éthiques de personnes ne faisant pas partie du corps médical », ce qui « n’est pas incompatible avec l’existence de hiérarchies techniques institutionnelles établies par la loi ou par contrat ; un médecin ne peut en aucune circonstance être contraint de réaliser des actes contraires à sa volonté. » 103. Au Portugal, un plan de lutte contre les maladies infectieuses (1988-1998) était en cours à la fin de l’année 1997. Dans le cadre de ce plan, une publication intitulée Livro da mão cor-de-rosa (Livre de la main rose) était parue en 1996. Elle comprenait un ensemble de recommandations pour la prévention des infections nosocomiales et la lutte contre la transmission de ces infections dans les établissements de santé. 104. Dans l’introduction du rapport 1996, on trouvait les informations suivantes : « En 1988, un plan de lutte contre les maladies infectieuses a été lancé (...) Il avait pour but l’élaboration de méthodes à utiliser dans l’étude des infections (...) La première étude concernant la prévalence des infections a été menée en 1988 sur 10 177 patients de 71 hôpitaux ; elle a été suivie en 1993 d’une seconde étude menée sur 9 331 patients de 65 hôpitaux. D’autres études ont aussi été menées sur l’incidence des infections des voies urinaires chez les patients ayant eu des cathéters, sur celle des infections chirurgicales et sur celle des pneumonies nosocomiales en soins intensifs, par exemple. Ces études montrent que, de façon constante, environ 30 % des patients hospitalisés présentent une infection, contractée, dans un tiers des cas, à l’hôpital. » 105. Selon les recommandations du rapport, chaque établissement de santé devait définir un programme complet de lutte contre les maladies infectieuses, qui devait être coordonné et mis en place par l’une des commissions interdisciplinaires de lutte contre les maladies infectieuses créées la même année en vertu d’une instruction émise par la Direction générale de la Santé. 106. Les commissions de lutte contre les maladies infectieuses ont été instaurées en application d’une instruction émise par la Direction générale de la Santé le 23 octobre 1996. Selon l’article 4 de cette instruction, ces commissions devaient, notamment, « définir, mettre en place et gérer un système de surveillance épidémiologique prévoyant des structures, des procédés et des résultats pour les situations constitutives des menaces les plus graves, formuler des propositions de recommandations et de normes aux fins de la prévention des maladies infectieuses et de la lutte contre ces maladies et proposer des dispositifs de contrôle à cet effet, mener des enquêtes épidémiologiques et diffuser les informations au sein de l’établissement, et contribuer à la formation au sein du service et aux autres actions de formation engagées par l’établissement dans le domaine de la lutte contre les infections. » 107. Un groupe de travail consacré à la question des infections nosocomiales a été mis en place à l’hôpital de Vila Nova de Gaia en 1994. À partir de 1996 au moins, il a publié un livret d’information sur ces questions et sur les procédures à adopter. 108. Entretemps, les recommandations du Conseil de l’Europe concernant la lutte contre les maladies infectieuses, et en particulier la Recommandation no R (84) 20 (paragraphe 116 ci-dessous), ont été diffusées dans les établissements hospitaliers publics et privés. 109. Le plan susmentionné (paragraphe 103 ci-dessus) a par la suite été remplacé par le Programme national de lutte contre les maladies infectieuses adopté le 14 mai 1999. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX A. Les Nations unies Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 110. L’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est ainsi libellé : « 1. Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre. Les mesures que les États parties au présent Pacte prendront en vue d’assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre les mesures nécessaires pour assurer : a) La diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le développement sain de l’enfant ; b) L’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle ; c) La prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, professionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies ; d) La création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie. » 111. Dans son Observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a dit ceci : « 9. (...) le droit à la santé doit être entendu comme le droit de jouir d’une diversité d’installations, de biens, de services et de conditions nécessaires à la réalisation du droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint. » À cet égard, il a estimé qu’il fallait que les installations de soins et de santé publique nécessaires satisfassent aux critères suivants : disponibilité, accessibilité, acceptabilité et qualité. Le Comité a souligné que l’obligation de protéger le droit à la santé englobait notamment le devoir pour l’État d’adopter une législation ou de prendre d’autres mesures destinées à assurer l’égalité d’accès aux soins de santé et aux services de santé fournis par des tiers et de faire en sorte que les praticiens et autres professionnels de la santé possèdent la formation et les aptitudes requises et observent des codes de déontologie appropriés (paragraphe 35). Il a dit également que toute personne ou tout groupe victime d’une atteinte au droit à la santé devait avoir accès à des recours effectifs, judiciaires ou autres, à l’échelle nationale et internationale (paragraphe 59). Les textes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 112. En ses parties pertinentes, la Déclaration de l’OMS sur la promotion des droits des patients en Europe (1994) se lit ainsi : « 5.1 Chacun a le droit de recevoir les soins correspondant à ses besoins, y compris des mesures préventives et des activités de promotion de la santé. Les services devraient être disponibles en permanence et accessibles à tous dans des conditions d’équité, sans discrimination, et en fonction des ressources financières, humaines et matérielles que la société peut y consacrer. (...) 5 Les patients (...) qui estiment que leurs droits n’ont pas été respectés doivent avoir la possibilité de porter plainte (...) Les patients ont le droit d’obtenir que leurs plaintes soient examinées et qu’il soit statué à leur sujet de façon approfondie, équitable, efficace et rapide, et d’être informés de la suite qui leur est donnée. » 113. L’OMS a aussi adopté dans le domaine médical plusieurs directives à caractère technique portant sur la sûreté des soins et la sécurité chirurgicale, comme les directives pour la sécurité chirurgicale (2009), qui comprennent des listes de contrôle et énoncent dix objectifs et recommandations, parmi lesquels l’utilisation de méthodes dont on sait qu’elles réduisent autant que possible le risque d’infection au bloc opératoire ou encore l’établissement par les hôpitaux et les systèmes de santé publique d’une surveillance chirurgicale systématique. B. Le Conseil de l’Europe La Charte sociale européenne 114. L’article 11 de la Charte sociale européenne de 1961, intitulé « Droit à la protection de la santé », est ainsi libellé : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection de la santé, les Parties contractantes s’engagent à prendre, soit directement, soit en coopération avec les organisations publiques et privées, des mesures appropriées tendant notamment : à éliminer, dans la mesure du possible, les causes d’une santé déficiente ; à prévoir des services de consultation et d’éducation pour ce qui concerne l’amélioration de la santé et le développement du sens de la responsabilité individuelle en matière de santé ; à prévenir, dans la mesure du possible, les maladies épidémiques, endémiques et autres. » La Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine 115. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine), adoptée en 1997 et entrée en vigueur le 1er décembre 1999, a été ratifiée par vingt-neuf des États membres du Conseil de l’Europe. Ses dispositions pertinentes se lisent ainsi : Article 3 – Accès équitable aux soins de santé « Les Parties prennent, compte tenu des besoins de santé et des ressources disponibles, les mesures appropriées en vue d’assurer, dans leur sphère de juridiction, un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée. » Article 4 – Obligations professionnelles et règles de conduite « Toute intervention dans le domaine de la santé, y compris la recherche, doit être effectuée dans le respect des normes et obligations professionnelles, ainsi que des règles de conduite applicables en l’espèce. » Article 24 – Réparation d’un dommage injustifié « La personne ayant subi un dommage injustifié résultant d’une intervention a droit à une réparation équitable dans les conditions et selon les modalités prévues par la loi. » Article 25 – Sanctions « Les Parties prévoient des sanctions appropriées dans les cas de manquement aux dispositions de la présente Convention. » La Recommandation Rec(84)20 sur la prévention des infections hospitalières 116. Dans sa Recommandation Rec(84)20 sur la prévention des infections hospitalières, le Comité des Ministres a recommandé aux gouvernements des États membres de favoriser la mise en œuvre de la stratégie pour la prévention de l’infection hospitalière décrite en détail dans l’annexe à cette recommandation. C. La Cour interaméricaine des droits de l’homme 117. Les dispositions pertinentes de la Convention américaine relative aux droits de l’homme sont ainsi libellées : Article 4 « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception. Nul ne peut être privé arbitrairement de la vie. (...) » Article 5 « 1. Toute personne a droit au respect de son intégrité physique, psychique et morale. (...) » 118. Dans l’affaire Suárez Peralta c. Équateur (exceptions préliminaires, fond, réparations et frais et dépens, arrêt du 21 mai 2013, série C no 261), qui concernait des allégations de négligence médicale, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a rappelé l’obligation pour l’État de garantir le droit à l’intégrité personnelle dans le contexte de la santé, en ces termes : « 132. (...) les États doivent mettre en place un cadre normatif adéquat qui régisse la fourniture de services de santé, en posant pour les établissements publics et privés des normes de qualité permettant d’éviter tout risque de violation de l’intégrité personnelle lors de la fourniture de ces services. De plus, l’État doit créer des mécanismes officiels de supervision et de contrôle des établissements de santé, ainsi que des procédures aux fins de la protection administrative et judiciaire des victimes, dont l’efficacité dépendra évidemment de la manière dont ils seront appliqués par l’administration compétente. » (traduction du greffe) IV. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE A. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 119. Les dispositions pertinentes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne sont ainsi libellées : Article 2 – Droit à la vie « 1. Toute personne a droit à la vie. » Article 35 – Protection de la santé « Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. » B. La Recommandation du Conseil relative à la sécurité des patients, y compris la prévention des infections associées aux soins et la lutte contre celles-ci 120. La Recommandation du Conseil relative à la sécurité des patients, y compris la prévention des infections associées aux soins et la lutte contre celles-ci (2009/C 151/01) a été adoptée le 9 juin 2009. Ce texte recommande en particulier aux États membres : « I. 1. (...) d) [de revoir et mettre] à jour régulièrement les normes et/ou les meilleures pratiques de sécurité applicables aux soins de santé dispensés sur leur territoire ; (...) f) [de prévoir] une stratégie spécifique pour promouvoir des pratiques sûres afin de prévenir les événements indésirables les plus fréquents, tels que les événements liés à la médication, les [infections associées aux soins] et les complications pendant ou après une intervention chirurgicale ; » et « 8. (...) a) [de] mettre en œuvre des mesures de prévention et de lutte à l’échelon national ou régional pour contribuer à endiguer les [infections associées aux soins], notamment : (...) iii. pour faire en sorte que des lignes directrices et des recommandations soient disponibles au niveau national. » 121. Ce texte recommande aussi de communiquer aux patients des informations relatives : « I. 2. b) iii) aux procédures de réclamation et aux voies de recours et de dédommagement disponibles, ainsi qu’aux conditions applicables (...) » V. DROIT COMPARÉ 122. Il ressort des documents dont dispose la Cour sur la législation des États membres du Conseil de l’Europe que l’ensemble des trente et un États membres étudiés offrent une voie de droit civile qui permet en cas de négligence médicale de demander une indemnisation soit devant les juridictions civiles soit devant les juridictions administratives. Dans la majorité des pays, la responsabilité peut être à la fois contractuelle et extracontractuelle (c’est le cas par exemple en Allemagne, en Autriche, en Azerbaïdjan, en BosnieHerzégovine, en Bulgarie, en Espagne, en Estonie, en Géorgie, en Italie, au Luxembourg, à Monaco, en Pologne et en Suisse). La responsabilité civile est la seule ou la principale forme de responsabilité reconnue en Lituanie, à Malte, en Moldova, au Royaume-Uni, en Russie, en Serbie et en Ukraine. 123. Par ailleurs, dans tous les pays étudiés, la négligence médicale peut être constitutive d’une infraction pénale, que ce soit l’homicide involontaire, les coups et blessures involontaires ou d’autres infractions dans le domaine de la santé (par exemple non-assistance). Dans plusieurs pays, la négligence médicale est une infraction distincte (c’est le cas par exemple en Arménie, en BosnieHerzégovine, en Croatie, dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, en Slovénie et en Ukraine). 124. Dans la grande majorité des pays étudiés, des organes professionnels (conseils, chambres ou ordres des médecins) ont le pouvoir d’imposer des sanctions disciplinaires. En l’absence de tels organes, la direction de l’établissement de santé concerné ou le ministère de la Santé peuvent prononcer des sanctions (c’est le cas par exemple en Arménie et en Russie). Dans certains pays, même s’il existe une procédure disciplinaire, elle semble ne jouer dans les cas de négligence médicale soit aucun rôle soit qu’un rôle très limité (par exemple en Azerbaïdjan et en Estonie). 125. Il est possible dans certains pays (comme la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie et la Hongrie) de déposer des plaintes administratives devant différents organes publics de contrôle (ministère de la Santé, Inspection de la santé, Commission de la santé, etc.). En Azerbaïdjan, en Espagne, en Russie et en Ukraine, le non-respect des règles relatives à la fourniture de soins est constitutif d’une infraction administrative. 126. Enfin, outre les procédures contentieuses, plusieurs pays prévoient un système de règlement amiable, de médiation ou d’indemnisation en l’absence de faute (c’est le cas par exemple de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de la France, de la Pologne et du Royaume-Uni).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1950 et réside à Kazanlak. Il est l’un des membres fondateurs et le président désigné de l’association requérante. En 2006, le requérant annonça la constitution d’une association visant à la promotion des droits de la minorité musulmane en Bulgarie. À la suite de cette annonce devant les médias, plusieurs publications hostiles parurent dans la presse, critiquant les buts de l’association et indiquant que le requérant voulait créer un parti ethnique turc ou qu’il recevait des financements de la part de services secrets étrangers. Le 21 mai 2006, une assemblée générale de l’association, qui devait avoir lieu à Plovdiv, dut être déplacée en raison d’un rassemblement hostile de militants du parti nationaliste VMRO devant le bâtiment censé accueillir la réunion, qui avait pour but d’empêcher celle-ci, et se déroula dans un autre lieu. Lors de cette assemblée générale, sept membres fondateurs décidèrent la création de l’association « Union nationale turque », adoptèrent des statuts et choisirent un conseil d’administration. Le requérant fut élu président de ce conseil. Dans les jours qui suivirent, le requérant et cinq autres membres fondateurs déposèrent une demande d’enregistrement de l’association nouvellement créée auprès du tribunal régional de Plovdiv. Par un jugement du 20 juin 2006, le tribunal régional rejeta la demande d’enregistrement. Il considéra que l’un des buts déclarés de l’association, à savoir « le développement du pluralisme politique dans un objectif de démocratisation et de démonopolisation de la communauté turque », revêtait un caractère politique. À cet égard, il souligna que, en vertu de l’article 12, alinéa 2, de la Constitution, seuls les partis politiques pouvaient mener des activités politiques, à l’exclusion des associations relevant du régime général. Le tribunal observa ensuite que les statuts de l’association indiquaient au titre de l’objet de cette dernière la réalisation d’« activités économiques, commerciales, notamment d’import-export, de production, d’édition (...) », et il releva que les activités commerciales ne pouvaient figurer à titre principal comme objet d’une association à but non lucratif même si la loi permettait la réalisation de telles activités à titre accessoire. Le tribunal nota par ailleurs que, alors que les statuts de l’association exigeaient que les membres du conseil d’administration fussent domiciliés en Bulgarie, le dossier d’enregistrement ne contenait pas la preuve que les membres désignés remplissent cette condition. Enfin, le tribunal considéra qu’il ne ressortait pas clairement des statuts quel était l’organe de l’association – le président ou le conseil d’administration – qui disposait du pouvoir de représentation vis-à-vis des tiers. Le requérant interjeta appel du jugement. Il indiqua que les buts de l’association étaient conformes à la Constitution, que les activités commerciales de l’association ne devaient être qu’accessoires et que seul le président avait un pouvoir de représentation. Il fournit en outre des preuves concernant la domiciliation des membres du conseil d’administration. Par un arrêt du 2 octobre 2006, la cour d’appel de Plovdiv confirma le premier jugement, considérant que l’enregistrement de l’association n’était pas possible pour plusieurs raisons. Elle entérina les motifs retenus par le tribunal régional concernant la nature politique de l’un des buts déclarés de l’association, l’impossibilité de désigner les activités économiques au titre d’objet principal et l’imprécision des statuts concernant les organes représentatifs de l’association. La cour d’appel rappela par ailleurs que, en vertu de l’article 7, alinéa 2, de la loi sur les personnes morales à but non lucratif, le nom d’une association ne devait pas induire en erreur ni être contraire aux bonnes mœurs. Elle releva que, en l’espèce, bien que les statuts de l’association mentionnaient qu’un des buts de celle-ci était l’intégration des populations d’origine ethnique turque, le nom choisi d’ « Union nationale turque » faisait référence à l’existence d’une nation turque en Bulgarie et sousentendait un objectif séparatiste. La cour d’appel en conclut que le nom de l’association méconnaissait l’article 7 de la loi sur les personnes morales à but non lucratif ainsi que l’article 44, alinéa 2, de la Constitution. Le requérant se pourvut en cassation, contestant les motifs retenus par la cour d’appel. Il indiqua en particulier que l’association requérante n’avait pas l’intention d’exercer des activités réservées aux partis politiques, tout en précisant que, en tant que mouvement de citoyens, elle entendait exercer un contrôle citoyen sur les actions des partis et des autorités publiques. Il ajouta que le parti Mouvement pour les droits et libertés (Движение за права и свободи) exerçait un contrôle total sur le pouvoir dans les régions à mixité ethnique et que l’association voulait aider les populations turques et musulmanes à s’intégrer au sein de l’État bulgare. Il indiqua aussi que l’association ne poursuivait pas d’objectif séparatiste, mais visait l’union de la communauté turque dans le cadre de la nation et de l’État bulgares. Par un arrêt du 10 juillet 2007, la Cour suprême de cassation rejeta le pourvoi et confirma l’arrêt de la cour d’appel dans les termes suivants : « La cour d’appel a conclu, en conformité avec la loi, qu’une partie des buts déclarés de l’association Union nationale turque vise un objectif politique qui ne peut être atteint que par une activité politique, réservée aux partis politiques. (...) l’action politique est le seul moyen de réalisation du but [de l’association] de contribuer au développement du pluralisme politique dans le pays. L’avis de l’auteur du pourvoi, qui soutient que cet objectif peut être atteint par l’exercice d’un contrôle citoyen sur l’action ou l’inaction politique des partis, ne saurait être partagé. Le fait que le plaignant affirme à cet égard que « le parti Mouvement pour les droits et libertés exerce un contrôle total sur le pouvoir dans les régions à mixité ethnique » ne fait que confirmer que la création de l’association est un acte de volonté politique d’opposition au modèle ethnique bulgare. À cet égard, la présente juridiction estime nécessaire de souligner que les buts de l’association, qui ne doivent pas être interprétés de manière isolée de la déclaration de constitution, démontrent l’incompatibilité de l’association avec l’article 44 (...) de la Constitution, qui (...) vise à protéger l’État de conséquences extrêmes pouvant découler d’un processus d’opposition sur une base ethnique ou religieuse. Malgré les buts proclamés dans les statuts, à savoir l’intégration des personnes d’ethnie turque et la démonopolisation de la communauté turque, la volonté des fondateurs de rejeter le modèle ethnique bulgare, qui a prouvé son efficacité comme garant de la société civile dans un contexte de tensions ethniques et religieuses dans des pays voisins, impose la conclusion que le refus d’enregistrer l’association Union nationale turque est dans l’intérêt de notre sûreté nationale. Un tel risque (...) découle du nom même de l’association qui, en se définissant comme « nationale turque », s’oppose de fait à la nation vue comme un ensemble. » La Cour suprême de cassation ne se prononça pas expressément sur les autres motifs retenus par la cour d’appel concernant l’objet de l’association et le pouvoir de représentation de ses organes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution de la République de Bulgarie Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution de 1991 se lisent comme suit : Article 12 « 1) Les associations des citoyens visent la satisfaction et la protection de leurs intérêts. 2) Les associations (...) ne peuvent avoir des buts politiques ou mener des activités politiques, ceux-ci étant inhérents aux partis politiques. » Article 44 « 1) Les citoyens peuvent s’associer librement. 2) Sont interdites les organisations dont les activités sont dirigées contre la souveraineté ou l’intégrité territoriale du pays ou contre l’unité de la nation, qui visent à attiser la haine raciale, nationale, ethnique ou religieuse, ou à porter atteinte aux droits et libertés des citoyens, ainsi que les organisations qui créent des structures secrètes ou paramilitaires ou qui cherchent à parvenir à leur but par la violence. 3) La loi détermine les organisations qui sont soumises à un enregistrement, leur régime de dissolution, ainsi que leurs relations avec l’État. » B. La loi de 2000 sur les personnes morales à but non lucratif (закон за юридическите лица с нестопанска цел) La loi sur les personnes morales à but non lucratif, en vigueur depuis le 1er janvier 2001, régit la constitution et le fonctionnement des personnes morales à but non lucratif, telles que les associations et les fondations. En vertu de l’article 6 de la loi, tel qu’applicable au moment des faits de la présente espèce, les personnes morales à but non lucratif étaient constituées et acquéraient la personnalité juridique à compter de leur inscription au registre tenu au tribunal régional dans le ressort duquel se trouvait leur siège. Une réforme, adoptée en 2016 et devant entrer en vigueur le 1er janvier 2018, prévoit que l’enregistrement des personnes morales à but non lucratif ne sera plus effectué par les tribunaux mais par une agence administrative spécialisée auprès du ministère de la Justice. Cette agence sera responsable de la tenue du registre des personnes morales à but non lucratif. L’article 3 de la loi dispose que les personnes morales à but non lucratif peuvent exercer des activités économiques à titre complémentaire, uniquement dans la mesure où celles-ci sont liées à leur objet principal. L’article 7, alinéa 2, de la loi dispose que le nom de la personne morale ne doit pas induire en erreur ni être contraire aux bonnes mœurs. En vertu de l’article 19 de la loi, une association peut être créée par un minimum de trois personnes dans le cas général et un minimum de sept personnes s’agissant des associations d’intérêt public. Selon le paragraphe 2 des dispositions transitoires et finales de la loi, le régime des organisations qui ont pour objet des activités politiques, syndicales ou propres à un culte est réglementé par des lois séparées. La jurisprudence considère que les tribunaux peuvent refuser l’inscription d’une association en application de la loi sur les personnes morales à but non lucratif si, de par son activité déclarée, l’association en question relève d’un régime spécifique (voir, au sujet d’une association cultuelle, опр. № 183 от 10.04.2003 г. по гр. д. № 213/2003, АС Пловдив). Par ailleurs, l’article 13 de la loi dispose que le tribunal régional territorialement compétent peut ordonner la dissolution d’une personne morale enregistrée en application de cette loi qui, parmi d’autres hypothèses, mène des activités qui sont contraires à la Constitution, à la loi ou aux bonnes mœurs. C. La loi de 2005 sur les partis politiques (закон за политическите партии) La loi sur les partis politiques dispose en son article 2 que les partis politiques contribuent à former et exprimer la volonté politique des citoyens par la participation aux élections ou par d’autres moyens démocratiques. Selon l’article 3 de la loi, seuls les partis politiques peuvent participer aux élections. Les dispositions pertinentes de la loi, telles qu’applicables à l’époque des faits de la présente espèce, prévoyaient qu’un parti politique pouvait être créé par un comité d’initiative composé d’un minimum de 50 citoyens titulaires de leurs droits électoraux ; le parti devait justifier d’un minimum de 5 000 membres au moment de sa création dont au moins 500 devaient être présents lors de l’assemblée constitutive. La création d’un parti est soumise à un certain nombre de formalités supplémentaires par rapport à la création d’une association relevant du régime de la loi sur les personnes morales à but non lucratif. Les activités et le financement des partis politiques sont soumis à un contrôle public renforcé, notamment celui de la Cour des comptes.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1970, en 1966, en 1976 et en 1972. MM. Rezmiveș, Moşmonea et Gazsi sont actuellement détenus respectivement dans les prisons de Timişoara, Pelendava et Baia Mare. M. Mavroian, qui était détenu à la prison de Focşani, a été mis en liberté le 13 janvier 2015. A. La détention du premier requérant Le 5 avril 2011, le premier requérant fut incarcéré à la prison de Gherla. Il y séjourna jusqu’au 12 mars 2012, date à laquelle il fut transféré à la prison d’Aiud. Le 13 avril 2012, il fut transféré à la prison d’Oradea, où il séjourna jusqu’au 20 décembre 2012, avant d’être transféré, le 5 août 2013, à la prison de Timişoara. Le premier requérant dénonce les conditions de détention dans les prisons de Gherla, d’Aiud et d’Oradea. Il en dénonce notamment le surpeuplement carcéral (d’après lui, entre 1,60 m² et 2,22 m² d’espace vital par détenu), l’absence d’éclairage naturel, la brièveté de la promenade quotidienne et le manque d’activités récréatives. Il indique que, dans la prison d’Aiud, il a partagé une cellule de 20 m² avec 9 codétenus, que, dans les cellules de la prison d’Oradea, en raison d’un surpeuplement très important et de fenêtres de dimensions réduites (80 cm x 80 cm) placées à une hauteur de 1,50 m sur un mur haut de 5 m, l’air était irrespirable. Il ajoute que des seaux étaient utilisés en guise de poubelles et que les toilettes étaient insalubres. Il se plaint que l’espace destiné aux promenades avait une superficie de 80-90 m² et qu’il était insuffisant pour les près de quarante détenus présents. Il indique enfin que toutes ces conditions, combinées avec l’absence de programmes socioculturels et éducatifs ou de cours de formation professionnelle, ont été pour lui la source d’une dépression et de sentiments d’humiliation. Selon les informations fournies par le Gouvernement, fondées sur une lettre en provenance de la direction de l’administration nationale des pénitenciers (ci-après l’« ANP »), le premier requérant a bénéficié, à la prison de Gherla, durant la majeure partie de son incarcération, d’un espace vital compris entre 1,84 m² et 3,06 m². Pour une durée de trois jours, le premier requérant aurait été transféré dans une cellule mesurant 16,35 m² et, pour une durée de quinze jours, il aurait bénéficié d’un espace vital de 3,24 m². Le Gouvernement expose que certains transferts ont été sollicités par le premier requérant lui-même et que les autorités ont veillé à ce que celui-ci fût placé dans des cellules ayant une bonne capacité d’hébergement. Selon le Gouvernement, le premier requérant a eu accès à diverses activités socioculturelles, éducatives et sportives ainsi qu’à des promenades en extérieur. Il ressort de la même lettre que, dans la prison d’Aiud, le premier requérant a bénéficié du 13 au 16 mars 2012 de 3,39 m² d’espace vital, du 16 mars au 2 avril 2012 de 2,47 m² et du 2 au 13 avril 2012 de 2,60 m². Le Gouvernement affirme que le premier requérant a eu la possibilité d’effectuer des promenades quotidiennes, qu’il a eu accès à des activités sportives, qu’il a pu prendre des douches deux fois par semaine et qu’il a séjourné dans des cellules appropriées, bien éclairées et ventilées, avec des toilettes séparées. Selon le Gouvernement, une fois transféré à la prison d’Oradea, le premier requérant a bénéficié d’un espace vital de 6,37 m² (du 13 au 17 avril 2012), de 2,32 m² (du 17 avril au 12 juillet 2012), de 2,24 m² (du 12 juillet au 29 août 2012), de 2,37 m² (du 29 août au 10 octobre 2012 et du 8 novembre au 20 décembre 2012) et de 2,57 m² (du 10 octobre au 8 novembre 2012). Ces affirmations reposent sur la même lettre émanant de la direction de l’ANP, qui atteste également que le premier requérant a été incarcéré dans des cellules adéquates, ventilées, bien éclairées, chauffées pendant l’hiver, et qu’il a bénéficié de promenades journalières, de douches et de bonnes conditions d’hygiène. B. La détention du deuxième requérant Le 13 février 2008, le deuxième requérant fut placé en détention provisoire à la prison de Craiova. Après sa condamnation, il y purgea sa peine jusqu’au 17 mai 2012, date de son transfert à la prison de Târgu-Jiu. Le 11 juillet 2012, il fut transféré à la prison de Pelendava. Le deuxième requérant critique les conditions de détention dans ces trois établissements pénitentiaires. D’après lui, à la prison de Craiova, il a bénéficié d’un espace vital réduit, dans des cellules équipées de deux lavabos et deux WC pour 21 détenus, ou de trois lavabos et trois WC pour 39 détenus, et il a pu prendre une douche deux fois par semaine en disposant, avec d’autres codétenus, d’une heure maximum. Il soutient que, après deux ans de détention dans ces conditions, il a développé une prostatite chronique et a perdu plusieurs dents. Il indique de plus que, une fois transféré à la prison de Târgu-Jiu, il a été obligé de partager un lit avec un codétenu, 27 lits seulement étant disponibles pour 33 détenus. Il n’y aurait eu qu’un seul WC, une douche et deux lavabos. De l’eau chaude aurait été fournie deux fois par semaine, à chaque fois pendant une très courte durée. Transféré à la prison de Pelendava, il aurait partagé avec 38 autres détenus une cellule pour fumeurs équipée de trois lavabos et de deux WC. Le Gouvernement renvoie au contenu d’une lettre adressée le 3 février 2014 au bureau de l’Agent du Gouvernement par la direction de l’ANP, selon laquelle le deuxième requérant a bénéficié d’un espace vital de 1,40 à 1,73 m² à la prison de Craiova, de 2,07 m² à la prison de TârguJiu et de 2,23 m² à la prison de Pelendava. D’après la même lettre, les cellules étaient pourvues de fenêtres et de toilettes, l’eau chaude était fournie deux fois par semaine, le deuxième requérant avait la possibilité d’effectuer des promenades quotidiennes de trois heures et avait accès à des activités socioculturelles, et la nourriture était conforme aux normes caloriques prévues par la législation nationale. Dans certaines cellules, il y aurait eu des lits superposés à trois niveaux, pourvus de matelas et de draps. C. La détention du troisième requérant Le 15 décembre 2009, le troisième requérant fut incarcéré à la prison de Rahova pour quelques mois avant d’être transféré successivement dans les prisons de Tulcea (2010), d’Iasi (2010-2014) et de Vaslui (2011-2013). Le troisième requérant se plaint des conditions de détention dans la prison de Rahova, notamment du surpeuplement, de l’absence de ventilation des cellules, de la présence de moisissures sur les murs, de la mauvaise qualité de la nourriture et de la présence de punaises. Il allègue aussi qu’il a été obligé de partager des cellules avec des détenus qui se droguaient et qui souffraient de maladies transmissibles telles que l’hépatite. Il ajoute qu’il a été détenu dans les mêmes conditions à la prison de Tulcea, dans laquelle il dit avoir dû refuser de se nourrir pour pousser les autorités à lui assurer un traitement adéquat pour une affection lombaire. Transféré plusieurs fois à la prison d’Iasi, il affirme y avoir été détenu, à plusieurs reprises, avec un espace vital d’environ 3 m². Il indique avoir été contraint de partager une cellule avec un détenu souffrant de tuberculose et de subir les mêmes conditions que dans les deux premiers centres pénitentiaires, ce à quoi il faut, selon lui, ajouter des matelas hors d’usage et des cellules grouillant de rats. Une fois transféré à la prison de Vaslui, il aurait été incarcéré dans une cellule prévue pour deux personnes avec six codétenus. Il soutient que, en raison de ces conditions de détention, il a développé une prostatite et souffert d’hémorroïdes. Selon les informations fournies par le Gouvernement, fondées sur une lettre de la direction de l’ANP, le troisième requérant a bénéficié, dans les quatre prisons dans lesquelles il a été incarcéré d’un espace vital compris entre 1,50 et 3 m². La lettre s’accompagne de documents justificatifs visant différents aspects des conditions matérielles de détention du troisième requérant dans les trois des quatre prisons où il a été incarcéré. Selon le directeur en chef de l’ANP, à la prison de Tulcea, les cellules dans lesquelles le troisième requérant a été incarcéré étaient bien éclairées et ventilées, et équipées de toilettes, de douches et de lavabos en bon état de fonctionnement, et les détenus avaient accès en permanence à l’eau froide et deux fois par semaine à l’eau chaude. Dans la limite des fonds disponibles, des actions de désinfection auraient eu lieu, des produits d’hygiène auraient été fournis au troisième requérant et la nourriture aurait répondu aux normes qualitatives et quantitatives en vigueur. Il ressort de la copie d’un document relatif au programme de fonctionnement de la centrale thermique de la prison que l’eau chaude était fournie deux fois par semaine pour une durée de deux heures chaque fois. La copie d’un autre document atteste la fourniture, pour les cellules occupées par le requérant, à cinq reprises pendant l’année 2010 (entre le 22 janvier et le 26 octobre 2010), de savon, de dentifrice et de quelques rasoirs à usage unique. Pour ce qui est de la prison d’Iasi, selon la direction de l’ANP, le troisième requérant a été incarcéré dans neuf cellules différentes, bien éclairées et bien ventilées, équipées de toilettes avec cloison. L’eau froide aurait été fournie en permanence et l’eau chaude produite par deux centrales rarement sujettes à des pannes. L’infestation par des parasites n’aurait pu être combattue que partiellement en raison d’un « grand nombre de détenus transférés/ayant transité, ainsi que d’une mauvaise hygiène collective et individuelle des détenus ». La nourriture aurait fait l’objet d’un contrôle par des spécialistes. De plus, les documents produits par le directeur en chef de l’ANP attestent les périodes pendant lesquelles l’eau froide et l’eau chaude ont été fournies (la section no 1 de la prison bénéficiait d’eau chaude pendant une heure chaque fois, trois à cinq fois par semaine, les autres sections pendant une heure chaque fois, deux fois par semaine). Les copies de plusieurs procèsverbaux attestent de la désinfection des bagages des nouveaux détenus, de la désinfection/dératisation, à plusieurs reprises en 2012 et 2013, de certains secteurs de la prison, dont la cellule 10.12 dans laquelle le requérant aurait été incarcéré pendant une durée non précisée. D’autres copies de procès-verbaux attestent de travaux de rafraîchissement de la peinture et de la maçonnerie dans différentes cellules de la prison d’Iasi, dont certaines ayant été occupées par le requérant. Dans la prison de Vaslui, selon la direction de l’ANP, le troisième requérant a occupé des cellules bien éclairées et bien ventilées, équipées de trois lits métalliques superposés pourvus de matelas et de draps, et il a eu accès de manière permanente à l’eau froide et deux fois par semaine à l’eau chaude. En raison d’une insuffisance des fonds budgétaires, certains produits d’entretien auraient été distribués en quantité limitée. La nourriture servie au troisième requérant aurait respecté les normes tant du point de vue de la qualité que de la quantité. Malgré l’existence d’une cantine, les repas auraient été servis dans les cellules, faute de personnel suffisant. Quant aux allégations concernant l’éventuelle cohabitation du troisième requérant avec des détenus atteints de tuberculose et d’hépatite, le Gouvernement affirme que la suspicion de tuberculose visant l’un des codétenus du troisième requérant a donné lieu à un test de dépistage qui se serait révélé négatif pour la personne concernée comme pour tous les détenus de la même cellule, y compris le troisième requérant. À l’appui de ses affirmations, le Gouvernement fournit copie de plusieurs lettres de médecins et des résultats d’une analyse bactériologique de décembre 2010 confirmant l’absence de tuberculose chez le codétenu en question et la présence de simples séquelles. Une lettre du 9 mai 2014, signée par le médecin-chef de la prison de Rahova, atteste que, pendant l’incarcération du troisième requérant, aucun cas d’hépatite n’a été enregistré et qu’aucun codétenu du troisième requérant n’a été malade de la tuberculose. D. La détention du quatrième requérant Le quatrième requérant a été détenu dans les locaux de la police de Baia Mare du 26 mars au 25 mai 2012 et transféré ensuite à la prison de Gherla. Dans son formulaire de requête, le quatrième requérant dénonce, en ce qui concerne les locaux de détention de la police de Baia Mare, les mauvaises conditions d’hygiène, l’absence de toilettes, d’eau courante, d’éclairage naturel et d’une ventilation suffisante, la présence de rats et l’accès insuffisant aux douches. Pour ce qui est de sa détention dans la prison de Gherla, il soutient avoir souffert du surpeuplement, de l’absence de ventilation des cellules, de l’insuffisance et de l’inadéquation de la nourriture, laquelle aurait, de plus, été servie dans des récipients rouillés, de l’existence d’une seule salle de bains équipée de deux WC, et ce pour les besoins de 27 codétenus, et dépourvue d’eau chaude, ainsi que de l’impossibilité de la nettoyer plus d’une fois par mois. Le Gouvernement affirme que, au dépôt de la police de Baia Mare, les produits nécessaires à l’entretien de la cellule du quatrième requérant ont été fournis par les autorités, que les draps étaient changés deux fois par semaine et que les détenus pouvaient faire leur propre lessive. Selon le Gouvernement, en l’absence de toilettes dans la cellule, le quatrième requérant avait accès, sur demande, à un WC situé en dehors de la cellule. Il n’y aurait pas eu de système de ventilation et l’éclairage naturel aurait été assuré par des fenêtres donnant sur l’extérieur. Le quatrième requérant aurait eu la possibilité de se doucher deux fois par semaine, et l’eau froide et l’eau chaude auraient été fournies. Des opérations de désinfection auraient été effectuées. Quant à la prison de Gherla, selon les affirmations de la direction de l’ANP, le quatrième requérant y a bénéficié d’un espace vital de 2,31 m² (du 6 au 26 mars 2014), de 1,82 m² (du 26 mars au 16 avril 2014), de 2,82 m² (du 16 avril au 6 mai 2014), de 4,49 m² (du 6 mai au 16 juin 2014), de 3,23 m² (du 16 au 30 juin 2014) et de 2,04 m² (à compter du 30 juin 2014). Toujours selon la direction de l’ANP, les détenus y avaient tous accès à l’eau, à une douche deux fois par semaine et à une nourriture suffisante et appropriée, et ils y bénéficiaient de très bonnes conditions d’hygiène ainsi que de chauffage pendant la saison froide. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions en matière de fixation et d’exécution des peines et des mesures privatives de liberté Des extraits de la loi no 23/1969 sur l’exécution des peines, abrogée par la loi no 294/2004, figurent dans l’affaire Nastase Silvestru c. Roumanie (no 74785/01, § 23, 4 octobre 2007). L’ordonnance (OUG no 56/2003) sur les droits des prisonniers, entrée en vigueur le 27 juin 2003, a été abrogée le 18 octobre 2006 par l’entrée en vigueur de la loi no 275/2006. La partie pertinente en l’espèce de l’ordonnance peut se lire dans l’arrêt Iacov Stanciu (précité, § 115), de même qu’un résumé des dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 (Iacov Stanciu, précité, § 116). La loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté, entrée en vigueur le 1er février 2014, a abrogé la loi no 275/2006. Son règlement d’application a été publié le 11 avril 2016. La loi no 254/2013 prévoit la possibilité, pour les personnes privées de liberté, de dénoncer auprès d’un juge de surveillance de l’exécution des peines les conditions de détention ne respectant pas les normes internes en matière d’hébergement des personnes détenues. Lesdites normes sont prévues dans l’ordre no 433/2010 du ministère de Justice, entrée en vigueur le 15 février 2010, et concernent les normes obligatoires en matière de détention dans les prisons (paragraphe 34 ci-dessous). Le juge peut ordonner à l’administration d’un établissement de détention de remédier aux conditions dénoncées. Ses décisions peuvent être contestées devant le tribunal de première instance dont relève l’établissement de détention et elles ont force obligatoire pour l’établissement en cause. Le 1er février 2014, un nouveau code de procédure pénale (ciaprès le « NCPP ») est entré en vigueur. Le NCPP prévoit, en matière de poursuites, de nouvelles mesures préventives, telles que le contrôle judiciaire (articles 211-2151), le contrôle judiciaire sous caution (articles 216-217) et l’assignation à résidence (articles 218–222). Par une décision (no 712) du 4 décembre 2014, publiée au Journal officiel (Monitorul oficial) du 15 janvier 2015, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles les dispositions des articles 211–217 du NCPP. À la suite de cette décision, une ordonnance (OUG no 82/2014) a modifié le texte des articles 207-208 et 216 précitées et a introduit l’article 2151. L’assignation à résidence peut être ordonnée, pendant les poursuites, pour une durée initiale de trente jours et ne peut être prolongée que pour une durée totale de cent quatre-vingts jours au maximum (article 222, alinéa 9, du NCPP). Pendant la procédure se déroulant devant la chambre préliminaire ou devant le tribunal, la mesure d’assignation à résidence ne peut être ordonnée que pour une durée de trente jours (article 222, alinéa 12, du NCPP). La possibilité pour le procureur de renoncer à l’action publique est prévue à l’article 318 du NCPP. Cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle le 20 janvier 2016, par une décision de la Cour constitutionnelle, publiée au Journal officiel du 31 mars 2016. Un nouveau code pénal (ci-après le « NCP ») est entré en vigueur le 1er février 2014. Les durées maximales des peines pour certaines infractions (vol qualifié, faux témoignage, harcèlement sexuel, séquestration, escroquerie, trafic de mineurs, violation du domicile, dilapidation, etc.) ont été abaissées. De nouveaux délits y figurent en matière patrimoniale (voir, à titre d’exemple, l’abus de confiance par fraude aux créditeurs, l’escroquerie en matière d’assurances, le détournement d’enchères publiques, l’abus de faiblesse avec conséquences patrimoniales) et ils sont sanctionnés par des peines allant de un an à cinq ans d’emprisonnement. Le NCP a maintenu les trois peines principales qui étaient prévues par l’ancien code pénal : la réclusion à vie, la peine d’emprisonnement et l’amende (article 53 du NCP). La libération conditionnelle peut être prononcée, dans le cas d’une personne condamnée à perpétuité, si celle-ci a exécuté au moins vingt ans de détention, a fait preuve d’une bonne conduite et a respecté toutes les obligations de nature civile imposées par l’arrêt de condamnation (article 99 du NCP). Dans le cas des personnes condamnées à une peine de prison, la libération conditionnelle peut être décidée si l’intéressé a déjà exécuté les deux tiers d’une peine n’excédant pas dix ans, ou les trois quarts d’une peine supérieure à dix ans mais inférieure à vingt ans, si le régime d’exécution est ouvert ou semi-ouvert, si le demandeur a respecté toutes les obligations de nature civile imposées par l’arrêt de condamnation et si le tribunal est favorable à la réinsertion sociale du détenu (article 100, alinéa 1, du NCP). La renonciation à l’application d’une peine, telle que prévue à l’article 80 du NCP, peut être décidée si le délit présente un faible niveau de gravité et si le tribunal estime que la conduite du condamné, ses efforts pour réduire les conséquences de son acte et les possibilités de réhabilitation justifient une telle mesure. La mesure prévue à l’article 80 ne s’applique ni aux personnes ayant été déjà condamnées, ni à celles qui se sont soustraites aux poursuites ou aux procédures pénales, ni dans le cas où la peine prévue pour l’infraction est supérieure à cinq ans de prison. Le NCP prévoit la possibilité, pour les personnes condamnées à une peine d’amende ou à une peine de deux ans d’emprisonnement, compte tenu de leur conduite avant la condamnation, de bénéficier de l’ajournement du prononcé de la peine à condition d’exécuter les obligations civiles prévues dans l’arrêt de condamnation (articles 83-90 du NCP). Enfin, en vertu de l’article 159 du NCP, il est possible pour les parties de conclure un accord amiable évitant ainsi la responsabilité pénale à condition que l’action pénale ait été entamée d’office. La loi no 252/2013, entrée en vigueur le 1er février 2014, régit l’organisation et le fonctionnement du système de probation. En vertu de l’ordre no 433/2010 concernant les normes obligatoires en matière de détention dans les prisons, l’espace vital devrait être au minimum de 4 m² pour les détenus placés en régime fermé ou de haute sécurité et pour les mineurs et les personnes placés en détention provisoire, et au minimum de 6 m3 pour les détenus placés en régime semi-ouvert ou ouvert. En matière d’éclairage des cellules, l’ordre impose aux autorités pénitentiaires de garantir la présence de fenêtres assez larges pour que les détenus puissent lire à la lumière naturelle. L’ordre recommande également que les repas soient servis dans des salles spécialement aménagées. En ce qui concerne l’aménagement et l’ameublement de l’espace de vie, l’ordre prévoit un lit avec matelas et draps pour chaque détenu et des lits superposés à deux étages au maximum (exceptionnellement des lits superposés à trois étages, à condition que les 6 m3 d’espace vital par détenu soient respectés). L’ordre no 429/2012 du ministère de la Justice concernant l’assistance médicale des personnes privées de liberté et placées sous la responsabilité de l’ANP est entré en vigueur le 21 février 2012. Toute personne exécutant une peine privative de liberté et faisant l’objet d’une mesure éducative d’internement dans un centre de rééducation ou placée en détention provisoire (article 3) a droit, gratuitement, à l’assistance médicale et à des médicaments. B. Dispositions concernant la responsabilité civile délictuelle En vertu de l’article 1349 (1) du code civil, toute personne doit respecter les règles de conduite imposées par la loi ou la coutume et s’abstenir de porter atteinte, par ses actions ou inactions, aux droits ou intérêts légitimes d’autrui. Tout fait de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer (article 1357 du code civil). C. Données statistiques concernant le nombre de personnes détenues dans les établissements relevant de l’ANP L’ANP publie sur son site Internet des statistiques concernant le nombre de personnes incarcérées dans l’ensemble des unités placées sous son autorité. Selon ces données, 33 434 personnes étaient incarcérées le 31 décembre 2013, 28 225 le 26 janvier 2016 et 28 062 le 9 août 2016 pour une capacité totale de 18 820 places. D’après les mêmes données, le taux d’occupation de l’ensemble des établissements sous l’autorité de l’ANP était de 154,36 % le 23 juin 2015, de 153,87 % le 14 juillet 2015, de 150,92 % le 15 septembre 2015, de 150,74 % le 29 mars 2016, de 150,41 % le 17 mai 2016 et de 149,11 % le 9 août 2016. Pour calculer les taux d’occupation, l’ANP a fixé l’espace vital à 4 m², comme le prévoit l’ordre no 433/2010 (paragraphe 34 ci-dessus). D. Recommandations formulées par l’avocat du peuple L’avocat du peuple, saisi par des détenus dénonçant les mauvaises conditions de détention dans certaines prisons, a réalisé plusieurs enquêtes, constaté des déficiences et publié des recommandations à l’attention de la direction de l’ANP. Chacune des recommandations indiquait aux responsables des établissements pénitenciers les mesures à prendre afin de remédier aux mauvaises conditions de détention constatées. Dans sa Recommandation no 26 du 7 novembre 2014, l’avocat du peuple a constaté un surpeuplement grave à la prison de Miercurea-Ciuc (1 m² d’espace vital par détenu), un mauvais éclairage, l’absence d’endroit de séchage du linge, l’insuffisance du mobilier, l’absence de cantine dans laquelle servir les repas et la présence de punaises. À la prison de Târgu-Jiu, le 17 novembre 2014, l’avocat du peuple a constaté le surpeuplement (entre 1,21 et 2,52 m² d’espace de vie par détenu) et l’absence de cantine (Recommandation no 29). À cette dernière date, il a constaté que l’eau courante fournie aux détenus à la prison de Jilava était impropre à la consommation (Recommandation no 30), qu’il y avait un surpeuplement très important (183,99 %), qu’il n’y avait pas de mobilier suffisant et que l’eau n’était pas fournie en permanence à la prison de Galati (Recommandation no 31). Le 24 novembre 2015, l’avocat du peuple a enquêté, entre autres, sur des allégations de mauvaises conditions de détention à la prison de Botoşani. Il a constaté qu’un plaignant était incarcéré dans une cellule surpeuplée (2,13 m² par détenu), que les repas étaient servis dans les cellules, que les douches étaient inutilisables et que, selon les affirmations des codétenus du plaignant, il y avait parfois des rats, des souris, des poux et des punaises (Recommandation no 24). Le surpeuplement (2,21 m² par détenu), l’insuffisance en groupes sanitaires et l’absence de cloison pour les toilettes ont également été constatés dans la prison de Pelendava (Recommandation no 28 du 23 décembre 2015). Lors d’une enquête effectuée en 2016 à la prison de Botoşani, l’avocat du peuple a constaté que le taux d’occupation de cette prison était, en novembre 2015, de 159,88 %, que la cellule d’un plaignant offrait un espace vital de 2 m² et que les matelas étaient très usés. Selon les codétenus du plaignant, il y avait des punaises. L’avocat du peuple a également noté la présence d’un mobilier inadéquat et insuffisant et d’un éclairage naturel et artificiel insuffisant (Recommandation no 10 du 30 mars 2016). E. Initiative législative tendant à améliorer les conditions de détention dans les établissements relevant de l’ANP Du 3 au 13 novembre 2016, le ministère de la Justice a organisé un débat public visant un projet de modification de la loi no 254/2013 sur l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté. Ce projet de loi a pour but d’instaurer un mécanisme compensatoire, permettant aux détenus se trouvant dans des conditions de surpeuplement chronique, de bénéficier d’une remise de peine de trois jours pour chaque intervalle de trente jours exécutés dans des cellules surpeuplées. Le 23 novembre 2016, le Gouvernement roumain a adopté le projet de loi de modification de la loi no 254/2013. Ce projet devra ensuite être examiné par le Parlement. III. LES DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE A. Le Comité des Ministres Le 30 septembre 1999, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation Rec(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Ladite recommandation se lit en particulier comme suit : « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, (...) Recommande aux gouvernements des États membres : – de prendre toutes les mesures appropriées, lorsqu’ils revoient leur législation et leur pratique relatives au surpeuplement des prisons et à l’inflation carcérale, en vue d’appliquer les principes énoncés dans l’Annexe à la présente Recommandation ; Annexe à la Recommandation no R (99) 22 I. Principes de base La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate. L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement. Les pays dont la capacité carcérale pourrait être globalement suffisante mais mal adaptée aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir à une répartition plus rationnelle de cette capacité. Il convient de prévoir un ensemble approprié de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, éventuellement graduées en termes de sévérité ; il y a lieu d’inciter les procureurs et les juges à y recourir aussi largement que possible. Les États membres devraient examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté. Afin de concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, une analyse détaillée des principaux facteurs contribuant à ces phénomènes devrait être menée. Une telle analyse devrait porter, notamment, sur les catégories d’infractions susceptibles d’entraîner de longues peines de prison, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, les attitudes et préoccupations du public ainsi que les pratiques existantes en matière de prononcé des peines. (...) III. Mesures à mettre en œuvre avant le procès pénal Éviter l’action pénale – Réduire le recours à la détention provisoire Des mesures appropriées devraient être prises en vue de l’application intégrale des principes énoncés dans la Recommandation no (87) 18 concernant la simplification de la justice pénale, ce qui implique, en particulier, que les États membres, tout en tenant compte de leurs principes constitutionnels ou de leur tradition juridique propres, appliquent le principe de l’opportunité des poursuites (ou des mesures ayant le même objectif) et recourent aux procédures simplifiées et aux transactions en tant qu’alternatives aux poursuites dans les cas appropriés, en vue d’éviter une procédure pénale complète. L’application de la détention provisoire et sa durée devraient être réduites au minimum compatible avec les intérêts de la justice. Les États membres devraient, à cet effet, s’assurer que leur législation et leur pratique sont conformes aux dispositions pertinentes de la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la jurisprudence de ses organes de contrôle et se laisser guider par les principes énoncés dans la Recommandation no R (80) 11 concernant la détention provisoire s’agissant, en particulier, des motifs permettant d’ordonner la mise en détention provisoire. Il convient de faire un usage aussi large que possible des alternatives à la détention provisoire, telles que l’obligation, pour le suspect, de résider à une adresse spécifiée, l’interdiction de quitter ou de gagner un lieu déterminé sans autorisation, la mise en liberté sous caution, ou le contrôle et le soutien d’un organisme spécifié par l’autorité judiciaire. À cet égard, il convient d’être attentif aux possibilités de contrôler au moyen de systèmes de surveillance électroniques l’obligation de demeurer dans un lieu stipulé. Il s’impose, pour soutenir le recours efficace et humain à la détention provisoire, de dégager les ressources financières et humaines nécessaires et, le cas échéant, de mettre au point les moyens procéduraux et les techniques de gestion appropriés. (...) V. Mesures à mettre en œuvre au-delà du procès pénal La mise en œuvre des sanctions et mesures appliquées dans la communauté – L’exécution des peines privatives de liberté Pour faire des sanctions et des mesures appliquées dans la communauté des alternatives crédibles aux peines d’emprisonnement de courte durée, il convient d’assurer leur mise en œuvre efficiente, notamment : – en mettant en place l’infrastructure requise pour l’exécution et le suivi de ces sanctions communautaires, en particulier en vue de rassurer les juges et les procureurs sur leur efficacité ; – en mettant au point et en appliquant des techniques fiables de prévision et d’évaluation des risques ainsi que des stratégies de supervision, afin d’identifier le risque de récidive du délinquant et de garantir la protection et la sécurité du public. Il conviendrait de favoriser le développement des mesures permettant de réduire la durée effective de la peine purgée, en préférant les mesures individualisées, telles la libération conditionnelle, aux mesures collectives de gestion du surpeuplement carcéral (grâces collectives, amnisties). La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui, non seulement, réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté. Il faudrait, pour promouvoir et étendre le recours à la libération conditionnelle, créer dans la communauté les meilleures conditions de soutien et d’aide au délinquant ainsi que de supervision de celui-ci, en particulier en vue d’amener les instances judiciaires ou administratives compétentes à considérer cette mesure comme une option valable et responsable. Des programmes de traitement efficaces en cours de détention ainsi que de contrôle et de traitement au-delà de la libération devraient être conçus et mis en œuvre de façon à faciliter la réinsertion des délinquants, à réduire la récidive, à assurer la sécurité et la protection du public et à inciter les juges et procureurs à considérer les mesures visant à réduire la durée effective de la peine à purger ainsi que les sanctions et mesures appliquées dans la communauté, comme des options constructives et responsables. » La deuxième partie de la Recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes (adoptée le 11 janvier 2006, lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres) est dédiée aux conditions de détention. Dans ses passages pertinents en l’espèce, elle se lit comme suit : « 18.1 Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération. 2 Dans tous les bâtiments où des détenus sont appelés à vivre, à travailler ou à se réunir : a. les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrée d’air frais, sauf s’il existe un système de climatisation approprié ; b. la lumière artificielle doit être conforme aux normes techniques reconnues en la matière ; et c. un système d’alarme doit permettre aux détenus de contacter le personnel immédiatement. 3 Le droit interne doit définir les conditions minimales requises concernant les points répertoriés aux paragraphes 1 et 2. 4 Le droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral. 5 Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus (...). » Le 7 mai 2012, dans son mémorandum déclassifié lors de la 1144e réunion des Délégués des Ministres (juin 2012), le Comité des Ministres a évalué les mesures générales adoptées en exécution de 93 affaires roumaines concernant principalement le surpeuplement et les conditions matérielles de détention dans les établissements pénitentiaires et les dépôts de la police (groupe d’affaires Bragadireanu (no 22088/04)). La situation dans les locaux de détention de la police a été caractérisée comme « fort préoccupante » car, en plus du surpeuplement, les cellules étaient situées au sous-sol des bâtiments abritant les commissariats de police, l’aération et l’accès à la lumière du jour y étaient insuffisants et les possibilités d’activités hors cellule étaient très limitées. Le Comité des Ministres a indiqué que d’importantes mesures complémentaires étaient encore nécessaires afin d’assurer que les dépôts de la police offrent des conditions entièrement compatibles avec les exigences découlant de l’article 3 de la Convention. Les autorités ont été encouragées à transférer tous les prévenus dans des établissements pénitentiaires. La situation du surpeuplement était estimée « très préoccupante » dans la grande majorité des établissements pénitentiaires roumains. Le 23 octobre 2014, les autorités roumaines ont présenté un plan révisé d’actions contenant des informations actualisées sur les progrès dans la mise en œuvre des actions prioritaires pour l’exécution de ce groupe d’affaires. Les mesures générales adoptées en exécution de 93 affaires concernant principalement le surpeuplement et les conditions matérielles de détention dans les établissements pénitentiaires et les dépôts de la police en Roumanie ont fait l’objet d’une évaluation par le Comité des Ministres. Le 12 février 2015, le Comité des Ministres a publié un mémorandum qui évaluait les mesures générales prises ou envisagées dans ces affaires pour régler les problèmes du surpeuplement et des mauvaises conditions de détention. Quant aux dépôts de la police, selon les conclusions de ce mémorandum, outre le surpeuplement, un certain nombre d’entre eux étaient structurellement inadaptés à des détentions de longue durée. En plus du surpeuplement grave et de l’absence de lits individuels, les cellules auraient été situées au sous-sol des commissariats, et la ventilation et l’accès à la lumière naturelle y auraient été insuffisants. Les autorités roumaines ont été encouragées à y assurer des conditions de vie appropriées, à revoir le système de détention provisoire dans les dépôts de la police, à s’assurer que les prévenus n’y soient pas détenus durant des périodes prolongées et qu’ils soient rapidement transférés dans des établissements pénitentiaires. Les nouvelles mesures prévues par le nouveau code de procédure pénale (l’assignation à domicile, le contrôle judiciaire, le sursis à l’application d’une peine et la dispense de peine) et destinées, entre autres, à réduire le surpeuplement carcéral ne semblaient pas pouvoir contribuer d’une manière significative à la diminution de la population carcérale. D’après les conclusions du même mémorandum, les établissements pénitentiaires en Roumanie continuaient d’être gravement surpeuplés et les conditions matérielles d’y être précaires. L’élargissement de l’éventail des mesures alternatives à une peine de prison, l’assouplissement des conditions d’accès à la libération conditionnelle, le bon fonctionnement des services de probation et la poursuite des projets de modernisation du parc pénitentiaire figuraient parmi les recommandations adressées aux autorités roumaines. Concernant les recours susceptibles d’être exercés relativement aux griefs liés au surpeuplement et à l’inadéquation des conditions matérielles, le Comité des Ministres a évalué, dans le même mémorandum, les voies préventives (loi no 254/2013) et il a constaté qu’elles ne permettaient pas aux tribunaux internes de réaliser un examen global des aspects dénoncés et d’ordonner des mesures de redressement lorsque la norme nationale minimale était incompatible avec les exigences résultant de la jurisprudence de la Cour. Des doutes ont également été exprimés quant à l’efficacité des décisions rendues par les juges de surveillance, surtout dans un contexte marqué par un surpeuplement structurel. Quant au volet compensatoire, le Comité des Ministres a constaté que les exemples présentés par les autorités en matière de responsabilité délictuelle de droit commun ne permettaient pas d’établir avec la certitude voulue l’existence d’un recours compensatoire en la matière. Le Comité des Ministres a recommandé des mesures additionnelles visant à satisfaire pleinement aux indications adressées par la Cour aux autorités roumaines dans l’arrêt Iacov Stanciu c. Roumanie (no 35972/05, 24 juillet 2012) quant à la mise en place d’un système adéquat et effectif de voies de recours. B. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci-après, le « CPT ») Dans son deuxième rapport général d’activités (CPT/Inf (92) 3 [FR]), publié le 13 avril 1992, le CPT a fait référence, entre autres, aux conditions d’emprisonnement : « 46. La question du surpeuplement relève directement du mandat du CPT. Tous les services et activités à l’intérieur d’une prison seront touchés si elle doit prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a été prévue. La qualité générale de la vie dans l’établissement s’en ressentira, et peut-être dans une mesure significative. De plus, le degré de surpeuplement d’une prison, ou dans une partie de celle-ci, peut être tel qu’il constitue, à lui seul, un traitement inhumain ou dégradant. Un programme satisfaisant d’activités (travail, enseignement et sport) revêt une importance capitale pour le bien-être des prisonniers. Cela est valable pour tous les établissements, qu’ils soient d’exécution des peines ou de détention provisoire. Le CPT a relevé que les activités dans beaucoup de prisons de détention provisoire sont extrêmement limitées. L’organisation de programmes d’activités dans de tels établissements, qui connaissent une rotation assez rapide des détenus, n’est pas matière aisée. Il ne peut, à l’évidence, être question de programmes de traitement individualisé du type de ceux que l’on pourrait attendre d’un établissement d’exécution des peines. Toutefois, les prisonniers ne peuvent être simplement laissés à leur sort, à languir pendant des semaines, parfois des mois, confinés dans leur cellule, quand bien même les conditions matérielles seraient bonnes. Le CPT considère que l’objectif devrait être d’assurer que les détenus dans les établissements de détention provisoire soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée. Dans les établissements pour prisonniers condamnés, évidemment, les régimes devraient être d’un niveau encore plus élevé. L’exercice en plein air demande une mention spécifique. L’exigence d’après laquelle les prisonniers doivent être autorisés chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air, est largement admise comme une garantie fondamentale (de préférence, elle devrait faire partie intégrante d’un programme plus étendu d’activités). Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception (y compris ceux soumis à un isolement cellulaire à titre de sanction) devraient bénéficier quotidiennement d’un exercice en plein air. Il est également évident que les aires d’exercice extérieures devraient être raisonnablement spacieuses et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempéries. L’accès, au moment voulu, à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels d’un environnement humain. À cet égard, le CPT doit souligner qu’il n’apprécie pas la pratique, constatée dans certains pays, de prisonniers devant satisfaire leurs besoins naturels en utilisant des seaux dans leur cellule, lesquels sont, par la suite, vidés à heures fixes. Ou bien un WC devrait être installé dans les locaux cellulaires (de préférence dans une annexe sanitaire), ou bien des moyens devraient être mis en œuvre qui permettraient aux prisonniers de sortir de leur cellule à tout moment (y compris la nuit) pour se rendre aux toilettes, sans délai (...). Les prisonniers devraient aussi avoir un accès régulier aux douches ou aux bains. De plus, il est souhaitable que les locaux cellulaires soient équipés de l’eau courante. Le CPT souhaite ajouter qu’il est particulièrement préoccupé lorsqu’il constate dans un même établissement une combinaison de surpeuplement, de régimes pauvres en activités et d’un accès inadéquat aux toilettes ou locaux sanitaires. L’effet cumulé de telles conditions peut s’avérer extrêmement néfaste pour les prisonniers. Il est également essentiel pour les prisonniers de maintenir de bons contacts avec le monde extérieur. Par-dessus tout, les prisonniers doivent pouvoir maintenir des liens avec leur famille et leurs amis proches. Le principe directeur devrait être de promouvoir le contact avec le monde extérieur ; toute limitation à de tels contacts devrait être fondée exclusivement sur des impératifs sérieux de sécurité ou sur des considérations liées aux ressources disponibles. » Dans son septième rapport général d’activités (CPT/Inf (97) 10 [FR]), publié le 22 août 1997, le CPT a fait référence, entre autres, aux situations de surpeuplement : « 13. (...) Une prison surpeuplée signifie, pour le détenu, être à l’étroit dans des espaces resserrés et insalubres ; une absence constante d’intimité (cela même lorsqu’il s’agit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activités hors cellule limitées à cause d’une demande qui dépasse le personnel et les infrastructures disponibles ; des services de santé surchargés ; une tension accrue et, partant, plus de violence entre détenus comme entre détenus et personnel. Cette énumération est loin d’être exhaustive. À plus d’une reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes du surpeuplement avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes. En vue de s’attaquer au problème du surpeuplement, certains pays ont pris pour option d’accroître leur parc pénitentiaire. Pour sa part, le CPT est loin d’être convaincu que l’accroissement des capacités d’accueil constituera à lui seul une solution durable. En effet, plusieurs États européens se sont lancés dans de vastes programmes de construction d’établissements pénitentiaires pour découvrir que leur population carcérale augmentait de concert. À l’inverse, dans certains États, l’existence de politiques visant à limiter ou moduler le nombre de personnes emprisonnées a contribué de manière importante au maintien de la population carcérale à un niveau gérable. (...). » Dans son onzième rapport général d’activités (CPT/Inf (2001) 16), publié le 3 septembre 2001, le CPT s’est notamment exprimé comme suit : « Surpeuplement carcéral Le phénomène du surpeuplement carcéral continue de ronger les systèmes pénitentiaires à travers l’Europe et mine gravement les tentatives faites pour améliorer les conditions de détention. Les effets négatifs du surpeuplement carcéral ont déjà été mis en exergue dans des rapports généraux d’activités précédents. Au fur et à mesure de l’extension de son champ d’activité à travers le continent européen, le CPT a été confronté à d’énormes taux d’incarcération et, en conséquence, à un surpeuplement carcéral grave. Le fait qu’un État incarcère un si grand nombre de ses citoyens ne peut s’expliquer de manière convaincante par un taux de criminalité élevé ; l’attitude générale des membres des services chargés de l’application des lois et des autorités judiciaires en doit, en partie, être responsable. (...) Grands dortoirs Dans un certain nombre de pays visités par le CPT, et notamment en Europe centrale et orientale, les détenus sont souvent hébergés dans des grands dortoirs comportant la totalité ou la plupart des installations dont se servent quotidiennement les détenus, comme les aires pour dormir et de séjour ainsi que les installations sanitaires. Le CPT a des objections quant au principe même de telles modalités d’hébergement dans des prisons fermées et, ses objections sont encore plus fortes lorsque, comme cela est fréquemment le cas, les dortoirs en question hébergent des détenus dans des espaces extrêmement exigus et insalubres. (...) De grands dortoirs impliquent inévitablement un manque d’intimité dans la vie quotidienne des détenus. En outre, le risque d’intimidation et de violence est élevé. (...) Tous ces problèmes sont exacerbés lorsque le nombre de détenus dépasse un taux d’occupation raisonnable ; en outre, dans une telle situation, la charge excessive pesant sur les installations communes comme les lavabos et les toilettes ainsi qu’une aération insuffisante pour un si grand nombre de personnes mènera souvent à des conditions de détention déplorables (...). Accès à la lumière du jour et à l’air frais Le CPT observe fréquemment l’existence de dispositifs, comme des volets, des jalousies ou des plaques métalliques placés devant les fenêtres des cellules qui privent les détenus d’accès à la lumière du jour et empêchent l’air frais de pénétrer dans les locaux. De tels dispositifs sont particulièrement fréquents dans les établissements de détention provisoire. Le CPT accepte entièrement que des mesures spécifiques de sécurité, destinées à prévenir le risque de collusion et/ou d’activités criminelles, peuvent s’avérer nécessaires par rapport à certains détenus. Toutefois, des mesures de cette nature devraient constituer l’exception et non la règle. Ceci suppose que les autorités compétentes examinent le cas de chaque détenu, afin de déterminer si des mesures de sécurité spécifiques se justifient réellement dans son cas. En outre, même lorsque de telles mesures sont requises, elles ne devraient jamais impliquer que les détenus concernés soient privés de lumière du jour et d’air frais. Il s’agit là d’éléments fondamentaux de la vie, auxquels tout détenu a droit ; de plus, l’absence de ces éléments génère des conditions favorables à la propagation de maladies et, en particulier, de la tuberculose. (...). » Le CPT a visité, en 1995, 1999, 2001, 2002, 2003, 2004, 2006, 2009 et 2010, différents établissements pénitentiaires ou dépôts de police roumains. Les rapports publiés à la suite de ces visites ont fait état, en général, d’un surpeuplement important et d’un mauvais état d’hygiène des établissements en question. Dans un rapport publié le 24 novembre 2011 à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 5 au 16 septembre 2010, le CPT a dressé un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents locaux de détention de la police où il s’était rendu. La plupart des cellules des dépôts visités étaient surpeuplées, en mauvais état d’entretien, l’accès à la lumière naturelle et à l’aération étaient médiocres, l’éclairage artificiel était insuffisant, les toilettes n’étaient pas totalement cloisonnées et les détenus ne recevaient pas de produits d’hygiène corporelle. Dans certains dépôts les détenus ne recevaient qu’un seul repas par jour et la nourriture était de mauvaise qualité. Dans d’autres dépôts le détenus étaient obligés de passer 23 heures par jour enfermés dans leurs cellules. En somme, les dépôts de police visités ont été considérés comme impropres à l’hébergement de longue durée de personnes privées de liberté. La partie du rapport concernant les recommandations se lit comme suit : « Le CPT recommande, une fois encore, aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de garantir que, dans les dépôts de la police : – chaque personne détenue dispose d’un espace de vie d’au moins 4 m² dans les cellules collectives ; – chaque personne détenue dispose d’un matelas et de couvertures propres ; – l’accès à la lumière naturelle, l’éclairage artificiel et l’aération soient adéquats dans les cellules ; tout dispositif surnuméraire fixé aux fenêtres doit être enlevé ; – les toilettes intégrées dans les cellules soient cloisonnées ; – l’état d’entretien et de propreté des cellules et des installations sanitaires soit correct ; – les personnes détenues disposent de produits d’hygiène personnelle de base ; – une alimentation satisfaisante (du point de vue de la qualité et de la quantité) soit servie aux personnes détenues, conformément aux Règles pénitentiaires européennes ; – toutes les personnes détenues pendant plus de 24 heures bénéficient d’au moins une heure d’exercice en plein air chaque jour. Le CPT recommande en outre aux autorités roumaines de poursuivre leurs efforts afin de proposer une forme ou une autre d’activité, en plus de la promenade quotidienne, aux personnes détenues plus de quelques jours dans les dépôts de la police. (...). » Le même rapport contient des constats quant à la situation d’un établissement pénitentiaire. Selon les conclusions du rapport, une partie des cellules de cette prison était surpeuplée (avec un taux de moins de 3 m² par détenu), avec des installations sanitaires sales et malodorantes. Il n’y avait pas d’accès à l’eau chaude. Le CPT a formulé les recommandations suivantes : « (...) Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre des mesures, à la prison de Poarta Albă, afin de : – réduire les taux d’occupation des cellules des quartiers II et IV, l’objectif étant d’offrir le minimum de 4 m² d’espace de vie par détenu tel que fixé par la réglementation en vigueur ; – réparer/rénover les installations sanitaires du quartier II (dans les cellules) et du quartier IV (dans les cellules et dans les douches collectives) ; – permettre aux détenus du quartier IV de bénéficier d’une douche chaude au moins une fois par semaine ; il convient à cet égard de prendre en considération la Règle 19.4 des Règles pénitentiaires européennes ; – procéder, dès que possible, à la rénovation complète du quartier IV ; – vérifier la qualité et la quantité de nourriture distribuée aux détenus en veillant au respect strict des normes minimales en matière d’apports journaliers, et assurer un contrôle régulier des stocks, notamment de viande. (...). » Du 5 au 17 juin 2014, une délégation du CPT a visité un certain nombre de locaux de la police (les dépôts de la police nos 1, 10, 11 et 12 de la ville de Bucarest, les postes de police d’Afumaţi et de Cernica, le dépôt de l’Inspectorat de police d’Arad, ainsi que le dépôt de l’Inspectorat de police du département de Bihor) et quatre établissements pénitenciers (Arad, Oradea, Târgşor et Bucarest-Rahova). Le rapport (CPT/Inf (2015) 31) réalisé à la fin de cette visite a été publié le 28 septembre 2015. Quant aux détentions dans les dépôts de police, le CPT a constaté que des nombreux détenus y faisaient encore l’objet de séjours prolongés, alors que ces structures n’étaient pas adaptées à des tels séjours. Le CPT a recommandé aux autorités roumaines de ne plus exposer les détenus à des séjours prolongés dans les dépôts de police et de s’assurer que leur détention ait lieu en établissements pénitentiaires. À l’exception de deux (Oradea et Arad), la plupart dépôts de police visités présentaient les mêmes conditions que celles observées en 2010 (surpeuplement, vétusté, insalubrité, lumière naturelle et ventilation insuffisantes). Pour ce qui était des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, le CPT constata que le surpeuplement demeurait un problème important et recommanda aux autorités roumaines de redoubler les efforts pour développer une politique pénale qui mette l’accent sur des mesures non privatives de liberté. La prison d’Arad, rénovée entre 1998-2010, présentait des conditions matérielles généralement satisfaisantes, à l’exception des signes de délabrement des certaines cellules, des murs décrépis, des lits et des armoires endommagés et des problèmes d’infestation des vermines. La prison d’Oradea, bâtie dans le 19ème siècle, avait des bâtiments vétustes, avec des cellules surpeuplées et des murs et plafonds subissant des infiltrations d’eau, parfois sans lumière artificielle et sans accès à la lumière naturelle, avec du mobilier et des matelas en mauvais état. La prison de Târgşor présentait également des cellules surpeuplées, mal aérés, avec des lits triples et un accès limité à la lumière naturelle et de la lumière artificielle très insuffisante. En matière d’installations sanitaires et hygiène, le CPT a constaté que les WC et lavabos des annexes sanitaires étaient délabrés dans plusieurs cellules et que des pommeaux de douche manquaient (Arad et Oradea) ; que les toilettes étaient impropres et que peu de savon, de détergent et de serviettes hygiéniques était distribué aux détenus (Târgşor). Des nombreuses plaintes avaient été enregistrées par la délégation du CPT en ce que concernaient la quantité et la qualité de la nourriture. Malgré les efforts déployés dans les trois prisons afin de fournir du travail et/ou des activités socio-éducatives aux détenus, la grande majorité de la population carcérale n’exerçait pas de telles activités. Les recommandations faites par le CPT à la suite de cette visite se lisent comme suit : « A. Établissements des forces de l’ordre (...) À la lumière des remarques qui précèdent, le CPT en appelle aux autorités roumaines afin de prendre les mesures qui s’imposent en vue de garantir que, dans les dépôts de police : – les personnes détenues disposent d’un espace vital d’au moins 4 m² dans les cellules collectives (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest) ; – les cellules disposent d’un accès suffisant à la lumière, naturelle et artificielle, et qu’elles soient aérées (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest et dépôt d’Arad); les dispositifs surnuméraires de grilles/barreaux des fenêtres doivent être enlevés et les fenêtres élargies (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest) ; – chaque personne détenue ait un matelas et du linge de lit propres (dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest et dépôt d’Arad) ; – les annexes sanitaires se trouvant dans les cellules des dépôts nos 10, 11, 12 et central de Bucarest et du dépôt d’Oradea soit complètement cloisonnées (c’est-à-dire jusqu’au plafond) ; – les personnes placées au dépôt d’Arad aient immédiatement accès à des toilettes convenables y compris la nuit ; l’utilisation des seaux et bouteilles devrait être abandonnée ; – l’entretien et la propreté des cellules et installations sanitaires soient régulièrement assurés ; Pour ce qui est de la nourriture, référence est faite aux remarques et recommandations faites aux paragraphes 62 et 64. En outre, le Comité recommande que les cours de promenade des dépôts visités soient améliorées en tenant compte des remarques faites au paragraphe 40. Le CPT recommande également que les autorités poursuivent leurs efforts pour offrir une forme ou une autre d’activité, en dehors de la promenade quotidienne, aux personnes détenues plus de quelques jours dans les dépôts. B. Établissements pénitentiaires (...) Le CPT recommande que les mesures suivantes soient prises dans les établissements visités à la lumière des remarques des paragraphes 54 à 57 : – revoir les taux d’occupation dans les cellules afin de garantir un minimum de 4 m² d’espace vital par détenu dans les cellules collectives sans compter l’annexe sanitaire (prisons d’Oradea et de Târgşor) ; – faire les rénovations et réparations nécessaires dans les unités E3 et E4 de la prison d’Oradea, et veiller à remplacer le mobilier et les matelas endommagés ; – garantir à tous les détenus de l’unité E3 de la prison d’Oradea et aux détenues dans les cellules sombres du régime fermé de la prison de Târgşor un accès suffisant à la lumière naturelle, et une aération adéquate des cellules pendant la journée ; l’accès à la lumière artificielle devrait en outre être amélioré dans les cellules du régime fermé de la prison de Târgşor ; des solutions devraient être trouvées pour éviter de maintenir la lumière allumée toute la nuit par l’installation, par exemple, de veilleuses ; – procéder à des désinfestations régulières des bâtiments de la prison d’Arad. En outre, les cellules des prisons visitées devraient être équipées de système d’appel. (...) Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures suivantes au regard des remarques faites aux paragraphes 59 et 60 : – réparer et rénover les installations sanitaires des unités concernées des prisons d’Arad, Oradea et Târgşor ; à Oradea les murs et plafonds endommagés par les infiltrations doivent également être réparés ; – fournir suffisamment de produits d’hygiène personnelle aux détenus ainsi que du détergent pour nettoyer leurs cellules. (...) Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre des mesures afin de garantir que la qualité et la quantité de nourriture distribuée aux détenus dans les prisons visitées, et dans tous les autres établissements pénitentiaires de Roumanie, respectent les normes minimales en matière d’apports journaliers en protéines et vitamines. Le Comité invite les autorités à veiller à ce que les normes caloriques actuellement en discussion respectent les normes minimales en matière d’apports journaliers et souhaiterait recevoir copie des nouvelles normes en temps utile. Le CPT recommande également que les cuisines soient régulièrement inspectées et en portant une attention particulière et constante au respect des normes d’hygiène. En outre, le CPT souhaiterait recevoir confirmation que le surgélateur défectueux de la cuisine de la prison d’Oradea a bien été remplacé. Activités (...) Le CPT recommande aux autorités roumaines de redoubler d’efforts pour développer les programmes d’activités proposés aux condamnés, y compris en régime fermé, et aux prévenus, notamment dans les prisons d’Oradea et de Târgşor. L’objectif devrait être que ces deux catégories de détenus soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (soit 8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée. Il convient à cet égard de disposer d’un personnel adéquat, notamment des psychologues, éducateurs et assistants sociaux, en nombre suffisant. Le CPT recommande que les équipes de psychologues, éducateurs et assistants sociaux dans les trois prisons visitées soient renforcées en commençant par pourvoir les postes vacants dans les prisons visitées dans les plus brefs délais. » Dans sa réponse au rapport du CPT relatif à la visite que celui-ci a effectuée du 5 au 17 juin 2014 (paragraphe 54 ci-dessus), le gouvernement roumain affirme que les autorités internes manifestent un intérêt pour l’élimination des déficiences constatées et analysent la possibilité de réduire le nombre des lits afin de respecter la norme d’espace vital de 4 m² pour chaque personne privée de liberté dans les dépôts de police. Il précise que divers programmes de financement contribuent à améliorer les conditions de détention des personnes placées en détention provisoire. Selon lui, diverses activités récréatives sont assurées dans les centres de rétention et de détention provisoire. La nourriture des personnes placées en détention provisoire serait assurée par l’intermédiaire des établissements pénitentiaires de proximité, par les inspectorats départementaux de la police et, dans certains cas, par des sociétés externes. Quant aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires, le Gouvernement mentionne dans sa réponse un certain nombre d’améliorations des conditions de détention dans les prisons visitées par le CPT. Ainsi, des lits supplémentaires auraient été installés dans la prison d’Oradea, des travaux pour réduire l’humidité y auraient également été effectués, des matelas et certains accessoires de literie y auraient été remplacés ; une partie des détenus auraient été transférés depuis la prison de Târgşor, et des fonds auraient été alloués pour l’amélioration des installations sanitaires, électriques et d’éclairage nocturne ; des travaux de désinfection et de dératisation dans la prison d’Arad auraient été confiés à un professionnel, et les matelas et accessoires de literie auraient été en partie remplacés. En revanche, la mise en place d’un système d’alerte/alarme aurait nécessité des fonds spéciaux et une base juridique différente. Enfin, des travaux visant à l’amélioration des installations sanitaires et d’hygiène auraient été prévus pour ces trois prisons. C. Le Comité européen pour les problèmes criminels (ci-après le CDPC) Le 30 juin 2016, le CDPC a publié le Livre blanc sur le surpeuplement carcéral (PC-CP (2015) 6 rév 7), approuvé le 28 septembre 2016 par le Comité des Ministres, lors de sa 1266e réunion. Ce livre met en lumière différents aspects autour desquels les autorités nationales sont encouragées à élaborer leurs stratégies à long terme et des mesures spécifiques de lutte contre le surpeuplement carcéral. Les parties pertinentes en l’espèce de ce document se lisent comme suit : « IV. Les raisons du recours abusif à la privation de liberté et du surpeuplement carcéral (...) d. Le recours limité aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté La Recommandation no R (92) 16 relative aux Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté (SMC) établit un ensemble de normes et de principes pour appliquer de telles sanctions et mesures et, ce faisant, incite les États membres à introduire un système fiable qui favorise, au niveau de la justice, le recours aux SMC plutôt qu’à l’incarcération. Les SMC peuvent être un moyen de maintenir le juste équilibre entre la protection de la société, la réparation du préjudice causé aux victimes et la prise en compte des besoins des délinquants en termes d’insertion sociale. Les SMC peuvent, en tout ou en partie, remplacer les peines d’emprisonnement. Il peut s’agir par exemple d’une obligation de soins, d’amendes, de la confiscation de biens, de peines avec sursis subordonnées au respect, par l’auteur de l’infraction, de certaines conditions, de travaux d’intérêt général et de maintes autres sanctions et mesures, généralement tout spécialement adaptées à l’intéressé et aux circonstances de l’infraction. Elles ont toutes en commun de punir l’infraction commise par une sanction/réaction adaptée et donc efficace, qui peut même contribuer à prévenir la récidive. Les sanctions économiques, associées à des SMC ou comme seule mesure alternative à l’incarcération, semblent assez efficaces et ont souvent plus d’effet sur le délinquant que la simple incarcération. (...) Les travaux d’intérêt général constituent un exemple en la matière. Ils permettent de maintenir les délinquants au sein de la société, de développer leurs compétences sociales et professionnelles et de favoriser leur réinsertion sociale. Le rôle des collectivités locales dans ce cadre est essentiel, car ce sont elles qui doivent offrir les possibilités de travail d’intérêt général. Elles deviennent donc des partenaires dans la lutte contre la criminalité d’une façon qui sort des méthodes traditionnelles de justice pénale, tout en facilitant l’insertion sociale des délinquants, un indicateur fondamental d’une société inclusive. (...) V. Comment remédier au surpeuplement carcéral ? a. La privation de liberté comme mesure de dernier recours Comme indiqué plus haut, le principe de la privation de liberté comme mesure de dernier recours est consacré par les recommandations pertinentes du Comité des Ministres. Ces textes invitent les États membres à recourir aux peines privatives de liberté uniquement lorsque la gravité de l’infraction, combinée aux circonstances individuelles de l’espèce, rendent manifestement inadéquate tout autre sanction ou mesure. Si cette approche est largement acceptée, dans la réalité les interprétations varient, ce qui peut conduire à des transcriptions différentes de ce principe en mesures et règles concrètes dans les différents systèmes de justice pénale. (...). Dans nombre de ses arrêts, la Cour a réaffirmé que, compte tenu à la fois de la présomption d’innocence et de la présomption en faveur de la libération, la détention provisoire doit être l’exception et non la règle et ne peut être qu’une mesure de dernier recours. Dans l’affaire Torreggiani c. Italie, la Cour a rappelé, dans le contexte de l’élaboration des politiques pénales et de l’organisation du système pénitentiaire, les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe invitant les États à inciter les procureurs et les juges à recourir aussi largement que possible aux mesures alternatives à la détention et à réorienter leur politique pénale vers un moindre recours à l’enfermement dans le but, entre autres, de résoudre le problème de la croissance de la population carcérale. Pour éviter tout recours excessif à la détention provisoire et à l’incarcération, les tribunaux devraient appliquer la privation de liberté comme une mesure de dernier recours. Malheureusement, trop souvent, l’incarcération est une mesure de premier ressort et n’est pas considérée ni acceptée comme un mode exceptionnel d’exécution d’une sanction pénale. Les tribunaux ne devraient priver quiconque de sa liberté au simple motif qu’une telle mesure est légale et exécutée conformément à la loi, mais parce que la mesure est raisonnable et nécessaire en toutes circonstances (évaluées au cas par cas). Il est donc nécessaire d’appliquer le principe de proportionnalité et d’évaluer avec soin le risque de récidive ainsi que le risque de tort causé à la société. La durée de la détention provisoire devrait être fixée par la loi et/ou devrait être revue à intervalles réguliers. La durée de la détention provisoire ne devrait en aucun cas être supérieure à celle de la sanction prévue pour l’infraction présumée. Outre la nécessité de fixer dans le droit la durée de la détention provisoire, l’opportunité de prolonger la détention de tout prévenu ou suspect devrait être régulièrement réexaminée. En effet, avec le temps, la nécessité impérieuse de placer quelqu’un en détention provisoire peut s’atténuer, voire disparaître. La détention provisoire peut durer plusieurs mois, voire des années, car le prévenu peut être considéré comme un détenu jusqu’à la décision de la juridiction de dernier recours. Il semble donc souhaitable d’envisager d’enfermer les personnes condamnées par un tribunal de première instance avec les détenus définitivement condamnés uniquement après que le tribunal de première instance a rendu son jugement, de façon à éviter les situations de surpeuplement en établissements de détention provisoire et à commencer à préparer leur réinsertion en vue de leur libération future. (...). (...) 100. Seule une minorité de la population carcérale est condamnée à des peines d’emprisonnement longues ou à la réclusion à perpétuité. Cependant, avec le temps, le nombre de ces détenus enfermés pendant des décennies, voire pour la vie, s’accumule. Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, tout détenu de la sorte devrait avoir le droit, à intervalles réguliers, de demander sa libération anticipée, et cette demande devrait être dûment considérée et les décisions en la matière dûment motivées. (...) b. La révision du droit pénal, la dépénalisation et les alternatives aux poursuites pénales (...) 112. On peut considérer que seuls les actes et les comportements gravement néfastes ou comportant un risque de préjudice ou de danger réel pour autrui devraient être pénalisés et sanctionnés par des peines d’emprisonnement. L’impératif de proportionnalité entre le préjudice réel causé par l’infraction commise et le risque réel posé par l’auteur de l’infraction d’une part et le degré de punition d’autre part est un autre élément essentiel à prendre en compte. 113. Parallèlement, il est nécessaire de reconnaître pleinement que les infractions commises par des personnes dangereuses méritent une attention particulière et appellent souvent de longues peines de privation de liberté au nom de la protection de la société et des victimes potentielles. Ce fait doit être considéré comme pleinement justifié. La définition de la dangerosité peut varier, mais celle proposée par le Comité des Ministres dans sa Recommandation CM/Rec(2014)3 relative aux délinquants dangereux peut servir de point de départ utile. Elle dispose en effet qu’« un délinquant dangereux est une personne ayant été condamnée pour un crime sexuel ou avec violence d’une extrême gravité contre une ou plusieurs personnes et présentant une probabilité très élevée de récidiver en commettant d’autres crimes sexuels ou violents d’une extrême gravité contre des personnes ». La violence peut être définie comme l’utilisation intentionnelle de la force physique ou psychologique. 114. En somme donc, une révision générale du système de justice pénale ou tout du moins, la révision des types d’infractions, de leur dangerosité pour la société et des sanctions prévues dans les codes pénaux, serait une mesure bienvenue car cela permettrait d’étudier la cohérence ainsi que les principes et les valeurs qui sous-tendent la politique pénale de tel ou tel pays, tout en offrant l’occasion de lutter contre le surpeuplement carcéral. Certes, il s’agit d’une tâche difficile, mais elle n’est pas impossible et elle peut ouvrir la voie à des réformes durables du droit pénal, qui pourra ainsi être modernisé. 115. En conséquence, pour réduire durablement la population carcérale, il importe d’étudier les possibilités, d’un point de vue législatif : – de dépénaliser certaines infractions (certains pays ont dépénalisé la conduite en état d’ivresse et l’usage de drogue et remplacé les sanctions pénales par des sanctions administratives et des obligations de soins ; d’autres ont dépénalisé l’immigration irrégulière ; d’autres encore ont remplacé l’incarcération pour non-paiement d’une amende par des travaux d’intérêt général) ; – d’individualiser les peines prononcées en ce qui concerne leur nécessité et leur proportionnalité ; – de favoriser la déjudiciarisation par rapport au processus de justice pénale (par exemple, suspension de l’affaire, suspension du prononcé de la peine) au moyen de la médiation, de la réparation et du dédommagement des victimes ; – de prévoir suffisamment de mesures alternatives à la détention provisoire ; – de prononcer des peines avec sursis, assorties ou non de conditions ; – de remplacer, pour certaines infractions, les peines d’emprisonnement par des sanctions et mesures appliquées dans la communauté (travaux d’intérêt général, dédommagement des victimes, surveillance électronique, etc.) ; – de prévoir suffisamment de types de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté et de mettre fin à la pratique du renvoi automatique en prison en cas de non-respect des conditions imposées dans le prononcé de la peine ou l’obligation de soins ; – d’élargir les possibilités en matière de libération anticipée. (...). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952 et réside, selon les renseignements qu’il a fournis à la Cour, à Karslkrona (Suède). D’après les informations à la disposition de la Cour, le requérant se trouve à présent en Roumanie (paragraphe 67 ci-dessous). En 1972, le requérant fonda la première école de yoga en Roumanie. Sous le régime communiste, entre 1972 et 1989, le requérant fit l’objet de différentes enquêtes de la part de l’ancien service roumain de renseignement et fut emprisonné à plusieurs reprises. Après la révolution roumaine de 1989, l’école de yoga dirigée par le requérant comptait plus de 35 000 adhérents. Depuis 1990, le requérant est le leader d’un mouvement spirituel de yoga connu sous le nom de « Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu » (« le MISA »). Le requérant est l’auteur de plus de quinze livres dans ce domaine. Les activités du MISA firent l’objet d’une attention particulière de la part du Service roumain de renseignements (« le SRI »), qui mit sous surveillance des membres de ce mouvement pour des infractions susceptibles de mettre en danger la sécurité nationale. Le 12 février 2004, une enquête fut ouverte des chefs de propagande en faveur d’un État totalitaire et d’actes de perversion sexuelle. Les différentes enquêtes pénales dirigées contre les membres du MISA par les autorités nationales et les actes d’enquête réalisés par ces dernières sont décrits dans les affaires Amarandei et autres c. Roumanie (no 1443/10, §§ 7-14, 26 avril 2016) et Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu c. Roumanie ((déc.), no 18916/10, §§ 4-9, 2 septembre 2014). A. La surveillance et la mise sur écoute du requérant La version du requérant Depuis 1995, le requérant aurait fait l’objet de mesures de surveillance de la part du SRI et son domicile aurait été placé sur écoutes téléphoniques. Le requérant indique que, le 1er février 1999, le SRI a saisi le parquet près la cour d’appel de Bucarest des chefs de propagande en faveur d’un régime totalitaire et communication de fausses informations et que, par une ordonnance du 30 octobre 2000, ce parquet a rendu un non-lieu. Il ajoute que le SRI a saisi le parquet près la Cour suprême de justice le 27 mai 2002 des mêmes infractions, qu’il était soupçonné avoir commises entre 1999 et 2002, et que ledit parquet a rendu un non-lieu le 7 avril 2003. Le requérant indique également que ses conversations téléphoniques avec deux adhérentes du MISA, à savoir M.D. et F.M.M., ont été interceptées par le SRI sur le fondement de mandats délivrés par le parquet près la Haute Cour de cassation et de justice. La version du Gouvernement Le Gouvernement a versé au dossier des plaintes et des mémoires adressés de 1996 à 2004 aux autorités internes de poursuite par des citoyens dont les enfants auraient eu des contacts avec le MISA. Ceux-ci se plaignaient d’un changement d’attitude de leurs enfants, lesquels auraient abandonné leurs études ou leur travail et auraient coupé les liens avec leurs familles dans le but de suivre le requérant. Ils demandaient que des enquêtes fussent menées. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant selon lesquelles celui-ci a fait l’objet d’une surveillance par le SRI dès 1995. Il admet que le MISA a fait l’objet d’une vérification de ses activités, au motif qu’il y avait des indices quant à la pratique d’activités illégales par certains de ses membres, et précise que le SRI n’a pas concentré sa surveillance sur l’activité du requérant. Le Gouvernement indique que, par trois mandats successifs émis le 13 novembre 2002 et les 11 février et 9 mai 2003, le parquet général a ordonné la mise sur écoute du requérant, conformément à l’article 3 f), h) et l) de la loi no 51/1991 concernant la sûreté nationale (« la loi no 51/1991 ») et à l’article 10 de la loi no 14/1992 concernant l’activité du SRI. Il précise que ces mandats ont été classés « secret d’État » et que, sur leur base, le SRI a enregistré les conversations téléphoniques du requérant avec M.D. et F.M.M. Il ajoute que, à la demande de la Haute Cour de cassation et de justice, ces mandats ont été déclassifiés par le parquet et versés au dossier de la procédure pénale engagée contre le requérant au niveau interne pendant la procédure de pourvoi en recours (paragraphe 59 ci-dessous). B. L’ouverture des poursuites pénales contre le requérant Le 29 juillet 2003, la mère de M.D. saisit la police de sa ville d’une plainte, indiquant que sa fille, mineure, avait quitté son domicile et s’était installée à Bucarest sous l’influence d’un groupe de yoga. Par une ordonnance du 12 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest ordonna l’ouverture de poursuites pénales in rem pour évasion fiscale, crime organisé et blanchiment d’argent, infractions qui auraient été commises par des membres du MISA. L’ordonnance mentionnait des informations relatives à la vente d’images pornographiques sur Internet par des membres du MISA qui auraient agi sous la coordination du requérant. Le 18 mars 2004, les autorités déclenchèrent un vaste coup de filet reposant sur l’intervention d’un très grand nombre de militaires, membres d’une unité d’élite de la gendarmerie, spécialisée dans le combat antiterroriste, sous la coordination des procureurs du parquet près la cour d’appel. Seize immeubles occupés par des membres du MISA furent perquisitionnés. Parmi ces immeubles se trouvait celui occupé par M.D., âgée de dix-sept ans à l’époque. Le domicile du requérant aurait également été perquisitionné. Le même jour, M.D. fut interrogée, en tant que témoin, par le parquet près la cour d’appel de Bucarest pendant plusieurs heures, sans qu’elle fût assistée par un avocat ou un membre de sa famille. Il ressortait de sa déclaration que le requérant avait entretenu des rapports sexuels avec elle en 2002. Le parquet près la cour d’appel de Bucarest qualifia cette déclaration de plainte pénale contre le requérant et considéra que M.D. était partie lésée dans la procédure. Le jour suivant, M.D. retira cette déclaration et déposa une plainte pour abus contre le procureur l’ayant interrogée. Cette plainte fut rejetée à une date non précisée en 2004 au motif que M.D. avait été interrogée en qualité de témoin et non pas de partie lésée. Entre-temps, le 16 mars 2004, la mère de M.D., interrogée comme témoin, avait déclaré que sa fille avait quitté le domicile familial pour partir à Bucarest sous l’influence de « personnes qui pratiquaient le yoga » et que le requérant lui avait fourni différents biens. Elle réitéra la teneur de sa déclaration le 22 mars 2004. Le 26 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest ordonna des poursuites à l’encontre du requérant des chefs de rapports sexuels avec un mineur et de perversion sexuelle. Le 29 mars 2004, le parquet ordonna une expertise médicolégale sur M.D. Le 1er avril 2004, celle-ci, accompagnée par son avocat, se présenta à l’Institut national de médecine légale de Bucarest afin de se soumettre à l’examen médicolégal. Une manifestation fut organisée en même temps devant cette institution par les membres du MISA, ce qui aurait déterminé l’intéressée à refuser ledit examen. M.D. déclara au parquet qu’elle se soumettrait à l’examen à une date ultérieure, mais elle ne se représenta pas. En mai 2004, deux autres personnes, M.A.A. et S.I. déposèrent des plaintes pénales contre le requérant, qu’elles accusaient d’avoir eu des rapports sexuels avec un mineur ; ces plaintes furent jointes au dossier pénal concernant M.D. C. L’interpellation du requérant La version du requérant Le requérant indique qu’il avait planifié un voyage en Hongrie pour participer à un séminaire de yoga et que, pour cette raison, il s’était rendu le 28 mars 2004, vers 19 heures, à la douane de Nădlac, entre la Roumanie et la Hongrie, pour vérifier si une interdiction de quitter le territoire roumain avait été émise à son encontre. Alors que l’intéressé se serait trouvé dans le bâtiment de la douane, il aurait été interpellé par la police des frontières à 20 h 30. Par la suite, il aurait été photographié et soumis à une fouille corporelle, et une perruque aurait été trouvée dans sa voiture. À 21 heures, les agents de police auraient pris plusieurs photographies du requérant après l’avoir contraint à porter la perruque. Ils auraient par la suite obligé le requérant à participer à la reconstitution des faits survenus au poste-frontière et auraient filmé cette procédure de reconstitution. Ces images auraient été diffusées, quelques heures plus tard, par les principales chaînes de télévision. À 23 heures, un procès-verbal de fouille corporelle aurait été dressé par les représentants de la police des frontières. La version du Gouvernement Le Gouvernement décrit comme suit les circonstances ayant entouré l’interpellation du requérant. Le requérant avait sollicité de F.F.Z., employé des douanes à Sfântu Gheorghe et membre du MISA, son aide pour traverser la frontière entre la Roumanie et la Hongrie. Le 27 mars 2004, F.F.Z. se présenta au bureau douanier de Nădlac et demanda des renseignements sur l’existence d’une éventuelle consigne à la frontière concernant le requérant. En raison d’une confusion avec le nom d’une autre personne, le policier en service indiqua informellement à F.F.Z., de manière erronée, que le requérant avait été signalé comme faisant l’objet d’une interdiction de quitter le pays. Dans la soirée du 28 mars 2004, F.F.Z. traversa légalement le point de contrôle accompagné par d’autres personnes. Il laissa ces personnes dans la zone neutre, dans deux voitures, avant de revenir chercher le requérant qui l’attendait seul devant la douane sur le territoire roumain. F.F.Z. rencontra le requérant, qui portait une perruque, et ils se dirigèrent ensemble vers le point d’entrée en Roumanie. Les deux hommes entrèrent dans le bureau unique de la douane par la porte destinée aux employés et en ressortirent en se dirigeant vers la Hongrie, sans passer par le point de contrôle de sortie de Roumanie. F.F.Z. et le requérant furent interpellés par un policier à une distance d’environ 10 à 30 mètres après le point de contrôle des passeports. Lors du contrôle, il fut constaté qu’un cachet de la douane figurait sur le passeport de F.F.Z. mais pas sur celui du requérant. Le policier nota que le requérant portait une perruque et il lui demanda de l’enlever afin de l’identifier. Il décrivit ensuite les démarches faites aux fins d’identification des autres personnes retrouvées dans la zone neutre (paragraphe 32 ci-dessous). Ces faits furent consignés dans un procès-verbal de constatation. Selon ce procès-verbal, les personnes concernées, à savoir le requérant et F.F.Z., avaient été informées du contenu de ce document et avaient refusé de signer ce dernier. Deux témoins certificateurs signèrent le procèsverbal pour attester de la conformité des faits constatés. À 23 heures, à la suite d’une fouille corporelle du requérant, la police aux frontières dressa un procès-verbal, qui fut signé par l’intéressé. Il y fut noté que le requérant avait sur lui 4 400 dollars américains, 20 euros et deux sacs avec des objets personnels, parmi lesquels un contrat d’assurance médicale pour l’étranger et deux guides touristiques pour l’Europe et la France. La police identifia les personnes qui attendaient le requérant dans la zone neutre. Dans l’une des voitures, elle trouva plusieurs documents appartenant au requérant, dont la carte d’identité de ce dernier. Un procès-verbal fut dressé en présence des personnes interpellées pour constater ces faits. L’agent des douanes signa ce procès-verbal. Le Gouvernement indique que, lors de l’enquête préliminaire, des photographies du requérant portant sa perruque ont été prises dans le cadre de la procédure de reconstitution des faits. Il ajoute qu’aucun film n’a été réalisé lors de cette reconstitution, et il précise que les photographies n’ont jamais été publiées dans la presse. D. L’arrestation du requérant et son placement en détention provisoire La garde à vue du requérant Le 28 mars 2004, à 23 heures, l’inspection de la police d’Arad demanda au requérant de faire une déclaration sur le passage illégal de la frontière auquel il se serait livré. Le requérant s’y refusa en indiquant qu’il ferait une telle déclaration en présence de l’avocat de son choix. Un procèsverbal fut dressé pour constater le refus du requérant. Ce document fut signé par deux témoins. Au matin du 29 mars 2004, le parquet près le tribunal de première instance d’Arad informa le requérant qu’il était accusé de tentative de passage illégal de la frontière. En présence de six avocats de son choix, le requérant fit une déclaration et nia les faits reprochés. Toujours le 29 mars 2004, un document fut établi pour dresser la liste des objets trouvés sur le requérant. Ce dernier le signa et y nota ses observations. Le même jour, F.F.Z et le témoin B.E. furent interrogés. Également le 29 mars 2004, le requérant fut placé en garde à vue au motif que, eu égard aux pièces rassemblées lors de son interpellation, il avait tenté de passer illégalement la frontière entre la Roumanie et la Hongrie. Le même jour, le parquet près le tribunal de première instance d’Arad confirma l’ouverture de poursuites pénales contre le requérant du chef de tentative de passage illégal de la frontière, infraction punie par l’article 20 du code pénal en vigueur à l’époque des faits combiné avec l’article 70 § 1 de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 105/2001 concernant les frontières de la Roumanie. Il déclina par la suite sa compétence en faveur du parquet près la cour d’appel de Bucarest, au motif que le requérant faisait déjà l’objet d’une enquête pour des faits qu’il estimait être connexes à ceux de l’affaire dont il était saisi. Le dossier fut envoyé audit parquet pour être joint à celui ayant pour objet les infractions sexuelles. Le requérant fut transféré à Bucarest. Le placement en détention provisoire du requérant Toujours le 29 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest informa le requérant, en présence de deux avocats de son choix, qu’il était accusé des infractions de rapports sexuels avec une mineure et de perversion sexuelle ainsi que de tentative de passage illégal de la frontière. Le procèsverbal dressé à cette occasion indiquait les articles de loi qui réprimaient ces infractions et contenait un résumé des faits reprochés. Il était ainsi noté que, de 2002 à 2004, le requérant avait eu des rapports sexuels et entretenu des relations perverses de type sexuel avec une mineure en se prévalant de sa qualité de professeur et de surveillant et en offrant à l’intéressée des sommes d’argent ou d’autres biens. Il était également noté que, le 28 mars 2004, le requérant avait tenté de passer illégalement la frontière à la douane de Nădlac. Le parquet proposa que le requérant fût placé en détention provisoire. S’agissant des preuves retenues relativement à l’accusation de rapports sexuels avec une mineure, le parquet mentionna les éléments suivants : la déclaration de M.D. par laquelle celle-ci avait indiqué avoir eu des relations sexuelles avec le requérant (paragraphe 19 ci-dessus) ; la plainte et la déclaration de la mère de M.D., laquelle avait dénoncé le départ de sa fille mineure à Bucarest ; le journal intime de M.D. dans lequel celleci avait détaillé ses relations avec le requérant et relaté que celui-ci lui avait donné différents objets et de l’argent ; des photos et images vidéo représentant M.D. en compagnie du requérant ; et le procès-verbal de perquisition du domicile de M.D. et F.M.M. Pour étayer les soupçons concernant l’infraction de tentative de passage illégal de la frontière, le parquet se référa au procès-verbal de constatation dressé lors de l’interpellation du requérant, à la déclaration de F.F.Z. combinée avec ledit procès-verbal ainsi qu’avec le procès-verbal de contrôle, et à la déclaration du témoin B.E. Le requérant fut interrogé le même jour par le parquet près la cour d’appel de Bucarest. Il nia les faits reprochés. Il accusa également les employés de la douane d’avoir pris des photographies de lui alors qu’il s’y serait refusé et d’avoir de la sorte porté atteinte à sa vie privée. Enfin, il déclara qu’il était allé à la douane de Nădlac pour savoir s’il existait une interdiction émise à son encontre, raison pour laquelle il se serait rendu directement au bureau des employés de la douane, et qu’il n’avait donc eu aucune intention de passer illégalement la frontière. Le parquet mit en mouvement l’action pénale contre le requérant pour les chefs d’accusation susmentionnés. Le requérant fut à nouveau interrogé en présence de ses avocats. Il maintint ses déclarations antérieures. Il ajouta que la perruque trouvée sur lui à la douane de Nădlac lui appartenait et qu’il l’avait utilisée de Bucarest à Nădlac pour échapper à l’hostilité du public. Le 30 mars 2004, sur proposition du parquet, le tribunal départemental de Bucarest ordonna le placement du requérant en détention provisoire jusqu’au 27 avril 2004, en se référant aux articles 143 et 148 c), h) et i) du code de procédure pénale (le CPP) tel qu’en vigueur à l’époque des faits. Le tribunal notait qu’il y avait des indices permettant de soupçonner le requérant d’avoir commis les infractions de rapports sexuels avec une mineure, de perversion sexuelle et de tentative de passage illégal de la frontière. À ce sujet, il énumérait comme preuves les déclarations et plaintes de la mère de M.D. et les dépositions de plusieurs témoins, les pièces saisies lors des perquisitions domiciliaires effectuées chez M.D. et chez F.M.M. le 18 mars 2004, le journal intime de M.D., la déclaration de F.F.Z. et le procès-verbal de constatation du 28 mars 2004. Le tribunal estimait ensuite que l’infraction de tentative de passage illégal de la frontière ne justifiait pas le placement du requérant en détention provisoire, étant donné que la peine infligée était inférieure à la limite prévue par l’article 148 h) du CPP. Il considérait en revanche que, s’agissant des accusations concernant les infractions de nature sexuelle, le placement en détention était justifié au regard de l’article 148 c), h) et i) du CPP. Sur ce point, le tribunal départemental motivait sa décision par l’intention du requérant de quitter le pays afin d’échapper aux poursuites, ainsi que par le danger que l’intéressé influençât M.D. ou qu’il tentât d’arriver à une entente frauduleuse avec elle. Le tribunal se fondait également sur la durée de la peine prévue par la loi pour les infractions reprochées au requérant. La remise en liberté du requérant Le même jour, le requérant forma un pourvoi en recours contre la décision ordonnant son placement en détention provisoire en soulevant une exception d’incompétence : il arguait que l’affaire n’avait pas été tranchée par une formation de jugement spécialisée pour les mineurs et que le tribunal départemental était donc incompétent. Par un arrêt définitif du 1er avril 2004, la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») fit droit au pourvoi en recours du requérant pour une autre raison que celle invoquée par l’intéressé : elle jugea que le tribunal départemental de Bucarest n’avait pas la compétence matérielle pour décider de la détention provisoire, et elle renvoya l’affaire devant le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest dans la circonscription duquel certains des faits s’étaient déroulés. La cour d’appel ordonna également la remise en liberté du requérant. Les heures auxquelles cet arrêt a été prononcé et communiqué au lieu de détention du requérant ne figurent pas dans le dossier. Il ressort toutefois des enregistrements des émissions de télévision versés au dossier par le requérant que l’audience devant la cour d’appel a eu lieu à midi. Le requérant fut remis en liberté à 21 h 10. Après sa libération, le requérant ne fut pas retrouvé par les autorités. Il continua à être représenté dans la procédure subséquente par ses avocats. E. La médiatisation de l’affaire Le 23 mars 2004, le député R.T. prit la parole dans le cadre d’une séance officielle de la Chambre des députés de Roumanie. À cette occasion, il traita le requérant de « schizophrène », « mutant génétique », « bâtard » et « monstre », et il demanda son placement en détention. Le ministre de l’Administration et de l’Intérieur, I.R., déclara, le 5 avril 2004, dans plusieurs journaux : « Je trouve étrange la libération, pour des raisons procédurales, de Gregorian Bivolaru. » Le requérant a versé au dossier des photocopies d’un grand nombre d’articles des principaux journaux parus entre le 19 mars 2004 et le 1er avril 2004 (Cronica Română, Cotidianul, Jurnal Național, Curierul Național, Libertatea, Național, România Liberă, Adevărul, Curentul, Evenimentul zilei, Gardianul, Ziarul, Realitatea românească, Cotidian Național, Ziua, Monitorul). Dans ces articles, les journalistes présentaient les circonstances de l’interpellation du requérant et les accusations portées à son encontre concernant les infractions à caractère sexuel et sa prétendue relation avec M.D. Ils faisaient référence à des sources telles que les « enquêteurs ». Les informations fournies par des officiels identifiés par leur fonction ou leur nom et liés à l’enquête se limitaient à des renseignements concernant le déroulement de l’enquête. Certains journaux publièrent, le 1er avril 2004, le résumé du déroulement de l’audience concernant la détention provisoire du requérant et indiquèrent que le parquet avait accusé l’intéressé d’avoir eu des relations intimes avec la victime M.D. laquelle aurait voyagé avec lui à l’étranger sans l’accord de ses parents pour des avantages matériels. Les mêmes articles de journal mentionnèrent la réplique des avocats de l’intéressé selon lesquels ces faits ne constituaient que des « fantasmes d’une adolescente » qui avait été tolérée dans l’entourage de l’intéressé en raison de son amitié avec F.M.M. Les sources de ces articles ne sont pas indiquées. Le journal Realitatea românească publié le 29 mars 2004 montrait une photographie du visage du requérant portant une perruque et se trouvant derrière une grille. Les autres journaux versés au dossier par le requérant comportaient des photographies présentant l’intéressé seul ou lors des réunions du MISA. Le 29 mars 2004, le bureau de presse du parquet près la cour d’appel de Bucarest émit un communiqué de presse pour informer le public du renvoi en jugement du requérant ainsi que des infractions dont celui-ci était accusé et de leur fondement juridique. Le communiqué de presse ne détaillait pas les faits reprochés au requérant. Le 13 août 2004, le parquet publia un nouveau communiqué de presse dans l’affaire, par lequel il informait le public des accusations retenues contre le requérant ainsi que des faits qui lui étaient reprochés. À une date non précisée en 2005, dans le contexte du rejet de la demande d’extradition du requérant opposé par la Suède à la Roumanie (paragraphe 65 ci-dessous), le ministre de la Justice demanda à l’inspection judiciaire près le Conseil supérieur de la magistrature (« le CSM ») de mener une enquête concernant le respect des droits procéduraux dans les affaires concernant le requérant tant pendant la phase de poursuites pénales que pendant celle de jugement. Cette enquête visait également l’éventuelle fuite d’informations confidentielles à la presse et les allégations selon lesquelles les autorités avaient alimenté une campagne de presse qui aurait porté atteinte aux droits du requérant à la présomption d’innocence et à la vie privée. Le 23 février 2006, la formation plénière du CSM approuva la note rédigée à la suite de l’enquête diligentée dans l’affaire concernant l’intéressé, d’après laquelle les autorités n’avaient pas alimenté de campagne de presse concernant le requérant. Selon cette note, lors des perquisitions du 18 mars 2004, des particuliers qui ne faisaient pas partie de l’équipe d’investigation avaient été présents dans les alentours et avaient filmé les bâtiments depuis l’extérieur, et les personnes qui vivaient dans le voisinage des immeubles perquisitionnés avaient appelé la presse. En outre, se référant à un article paru dans le journal Ziua le 28 avril 2004, la note indiquait que l’avocat du requérant avait fait des déclarations à la presse et avait donné des détails sur l’investigation tout en essayant de convaincre l’opinion publique que l’intéressé était victime d’une enquête abusive. Par ailleurs, les membres du MISA auraient essayé par leurs manifestations d’influencer la presse et de dénigrer les autorités judiciaires. F. Les développements ultérieurs de l’affaire La procédure pénale contre le requérant Par un réquisitoire du 13 août 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest renvoya le requérant en jugement devant le tribunal départemental de Bucarest des chefs de rapports sexuels avec une mineure, de perversion sexuelle, de corruption de mineur, de traite des personnes et de passage illégal de frontière. Tout au long de la procédure pénale, M.D. nia avoir eu avec le requérant une relation intime. Le requérant nia également les faits reprochés. Par un jugement du 23 avril 2010, confirmé en appel par un arrêt de la cour d’appel d’Alba Iulia du 14 mars 2011, le tribunal départemental prononça l’acquittement du requérant de certains chefs d’accusation et clôtura la procédure pour cause de prescription en ce qui concernait les autres chefs d’accusation. Le parquet près la cour d’appel de Bucarest forma un pourvoi en recours. Par un arrêt du 12 avril 2012, la Haute Cour de cassation et de justice fit droit au pourvoi en recours du parquet, cassa l’arrêt rendu en appel et ajourna l’affaire pour le jugement au fond. Elle demanda au parquet de verser au dossier les mandats émis pour l’interception des conversations téléphoniques du requérant. Le parquet déclassifia les trois mandats émis au nom du requérant le 13 novembre 2002 et les 11 février et 9 mai 2003 et les versa au dossier de l’affaire. Par un arrêt définitif du 14 juin 2013, la Haute Cour de cassation et de justice condamna le requérant in absentia à une peine de six ans d’emprisonnement du chef de rapports sexuels avec un mineur commis sur la personne de M.D. Elle l’acquitta en revanche pour certaines infractions et clôtura l’affaire pour cause de prescription en ce qui concernait le restant des infractions. Les parties n’ont pas versé de copie de cet arrêt au dossier de la présente affaire. La demande d’asile politique du requérant Le requérant, qui était parti en Suède dans l’intervalle, déposa le 24 mars 2005 une demande d’asile politique. Le 21 octobre 2005, la Cour suprême suédoise rejeta la demande d’extradition formulée par le ministère roumain de l’Intérieur au motif que, du fait de ses opinions religieuses, le requérant risquait d’être persécuté en cas d’extradition vers la Roumanie. Le 2 janvier 2006, les autorités suédoises accueillirent la demande d’asile du requérant, accordant à ce dernier un permis de séjour permanent en tant que réfugié, ainsi qu’une nouvelle identité. Le 26 février 2016, d’après les informations à la disposition de la Cour, le requérant fut arrêté à Paris et extradé vers la Roumanie. Développements ultérieurs Le 8 octobre 2012, se fondant sur les articles 6, 8 et 13 de la Convention, le requérant a saisi la Cour d’une nouvelle requête (no 66580/12), dans laquelle il dénonce, parmi d’autres, le défaut d’équité de la procédure pénale menée contre lui (paragraphes 59 à 63 ci-dessus) et l’illégalité de l’interception de ses conversations téléphoniques dans le cadre de la même procédure pénale (paragraphes 15 et 62 ci-dessus). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP concernant la détention provisoire, en vigueur à l’époque des faits, se lisaient comme suit : Article 143 – Les conditions d’une garde à vue « La garde à vue peut être ordonnée (...) s’il y a des indices suffisants [quant à la commission d’une infraction par le prévenu]. Cette mesure peut être ordonnée, dans les conditions prévues à l’article 148 du CPP, sans [qu’il soit nécessaire de] vérifier les limites de la peine d’emprisonnement susceptible d’être prononcée (...). Il y a des indices suffisants lorsque les informations disponibles indiquent que la personne qui fait l’objet des poursuites est celle qui a commis l’infraction. » Article 148 - La mise en détention provisoire de l’inculpé « La mise en détention de l’inculpé peut être ordonnée [par le procureur] si les exigences prévues par l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas suivants : (...) c) l’inculpé s’est enfui ou il s’est caché afin de se soustraire aux poursuites ou au procès, ou il a fait des préparatifs en ce sens, (...) ; d) il y a des éléments suffisants pour conclure que l’inculpé a essayé d’empêcher la découverte de la vérité par (...) la destruction ou la modification des éléments matériels de preuve ou par d’autres faits similaires ; (...) h) [l’inculpé a perpétré] un crime ou un délit pour lequel la loi prévoit une peine d’emprisonnement supérieure à quatre ans et [il existe] des preuves certaines que son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public ; (...) i) il y a des données et des indices suffisants [démontrant] que l’inculpé [pourrait exercer] des pressions sur la partie lésée ou qu’il [pourrait tenter] une entente frauduleuse avec elle. » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 51/1991 et du CPP concernant l’interception des communications téléphoniques sont citées dans les affaires Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2) (no 71525/01, §§ 41 et suiv., 26 avril 2007) et Bucur et Toma c. Roumanie (no 40238/02, §§ 55 et suiv., 8 janvier 2013). Les dispositions et la jurisprudence internes en matière de fuite d’informations judiciaires confidentielles dans la presse sont présentées dans les affaires Căşuneanu c. Roumanie (no 22018/10, §§ 35-41, 16 avril 2013) et Voicu c. Roumanie (no 22015/10, § 39, 10 juin 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les deux requérantes sont nées en 1929 et résident respectivement à Ijevsk (République d’Oudmourtie) et à Saint-Pétersbourg. A. La requête no 797/14 introduite par Mme Ivanova Le 17 avril 2013, la requérante introduisit un recours en justice tendant à faire reconnaître son ancienneté au travail, ancienneté qui lui ouvrait droit à des allocations sociales plus élevées. Par une décision avant dire droit du 22 avril 2013, le tribunal du district Oktiabrski de Ijevsk, constatant que le dossier n’était pas en état, invita la requérante à corriger les irrégularités constatées avant le 17 mai 2013, sous peine d’irrecevabilité de la demande ; il lui enjoignit notamment de payer la taxe judiciaire et de préciser le type d’allocation sociale demandée. La requérante reçut une copie de cette décision le 22 mai 2013. Par une décision avant dire droit du 22 mai 2013, constatant la réception tardive par la requérante de la décision du 22 avril, le tribunal de district fixa au 27 mai 2013 le nouveau délai pour remédier aux irrégularités du dossier. Par une décision du 28 mai 2013, le tribunal de district, constatant que la partie demanderesse n’avait pas régularisé sa demande dans le délai imparti, déclara celle-ci irrecevable et prononça l’extinction de l’instance. Le 10 juin 2013, la requérante forma un recours contre cette décision, arguant qu’elle n’avait jamais reçu celle du 22 mai 2013. Par un arrêt du 3 juillet 2013, la cour suprême d’Oudmourtie considéra comme établi que la requérante avait reçu la décision du 22 mai 2013 le jour même. Elle confirma en appel la décision du 28 mai 2013. B. La requête no 67755/14 introduite par Mme Ivashova À une date non précisée, la requérante introduisit une action civile contre une société privée. Le 18 février 2014, le tribunal du district Vassileostrovski de SaintPétersbourg accueillit en partie la demande de la requérante. Lors de l’audience, le tribunal ne lut que le dispositif de la décision. Selon le Gouvernement, le texte intégral de la décision comprenant les considérants fut finalisé le 25 février 2014. La requérante indique que, les 20, 24, 25 février et 3 mars 2014, sa représentante demanda par écrit au greffe du tribunal de mettre le dossier à sa disposition pour qu’elle en prenne connaissance. Selon la requérante, ces demandes furent rejetées. Le 3 mars 2014, la représentante déposa une plainte écrite auprès du président du tribunal. Elle lui demandait de prendre les mesures nécessaires afin que sa demande fût mise à exécution. Par une lettre du 5 mars 2014, le président du tribunal de district informa la requérante que le procès-verbal de l’audience avait été finalisé le 18 février 2014, que le texte intégral de la décision avait été rédigé le 25 février 2014 et qu’il avait ensuite été envoyé par courrier à la requérante le 3 mars 2014. Selon le président, le dossier entier avait été disponible au greffe du tribunal à compter du 4 mars 2014. Se référant au site internet de la poste, la requérante affirme qu’une copie de la décision lui a été envoyée le 7 mars 2014 et qu’elle lui est parvenue le 25 mars 2014. Le 18 mars 2014, la requérante interjeta appel. Cet appel était succinct : l’intéressée indiquait qu’elle n’était pas en mesure d’expliciter les motifs de son recours car elle n’aurait toujours pas été en possession du texte intégral de la décision. Elle précisait qu’elle présenterait ses conclusions d’appel après réception du texte intégral du jugement. Par une décision avant dire droit du 21 mars 2014, le tribunal de district invita la requérante à remédier aux irrégularités du recours : il lui demanda de présenter les moyens d’appel et de les communiquer au défendeur avant le 12 avril 2014. Le tribunal précisait que, à défaut, le recours serait déclaré irrecevable. La requérante n’ayant pas satisfait à cette demande, le 23 avril 2014, le tribunal déclara le recours irrecevable pour ce motif. Le 25 avril 2014, la requérante interjeta appel. Elle joignit à son dossier d’appel une demande de relevé de forclusion au motif qu’elle avait reçu tardivement (le 25 mars 2014) le texte intégral de la décision du tribunal. Elle argua en outre que la décision du 21 mars 2014 lui enjoignant de remédier aux irrégularités de son appel ne lui était parvenue que le 9 avril 2014 et que le délai imparti par cette décision, à savoir le 12 avril 2014, était manifestement insuffisant pour qu’elle pût s’y conformer. Par une décision avant dire droit du 20 mai 2014, le tribunal de district déclara l’appel irrecevable pour tardiveté. La requérante forma un recours contre cette décision. Elle alléguait qu’elle avait agi conformément à la loi qui lui permettait d’interjeter appel dans un délai de 30 jours à partir de la réception du texte intégral de la décision. Elle ajoutait que le tribunal n’avait pas le droit de réduire ce délai et concluait que, ayant déposé l’appel le 25 avril 2014, elle avait respecté le délai imparti. Par un arrêt du 23 juillet 2014, la cour de la ville de SaintPétersbourg confirma, en appel, la décision du 20 mai. Elle jugea que, en effet, la requérante avait reçu le texte intégral de la décision par la poste le 25 mars 2014. Elle estima toutefois que cette circonstance n’était pas de nature à ébranler la conclusion de tardiveté établie par le tribunal de district car, d’une part, la représentante de la requérante avait pris connaissance du dossier le 11 mars 2014 et avait ainsi été informée que le délai imparti pour interjeter appel avait déjà commencé à courir et, d’autre part, la requérante avait été avertie de la nécessité de compléter son appel par la décision du 21 mars 2014, qu’elle avait reçue le 9 avril. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon l’article 136 (paragraphe 2) du code de procédure civile, si le demandeur ne se conforme pas aux instructions données par le tribunal visant à remédier aux irrégularités de sa demande, ce dernier prononce l’extinction de l’instance. Aux termes de l’article 135 (paragraphe 3) du code précité, cette extinction ne fait pas obstacle à la réintroduction de la même demande une fois les irrégularités corrigées. Selon les articles 135 (paragraphe 3) et 136 (paragraphe 3) du même code, les deux décisions susmentionnées peuvent faire l’objet d’un recours. Selon l’article 199 du code de procédure civile, le jugement du tribunal doit être rendu immédiatement après l’examen de l’affaire. Le tribunal doit prononcer le dispositif lors de la même audience, mais il peut reporter jusqu’à cinq jours maximum la rédaction des considérants du jugement. Une fois le dispositif du jugement prononcé, celui-ci doit être signé par tous les juges et versé au dossier. Conformément à l’article 321 (paragraphe 2) du code de procédure civile, une partie peut interjeter appel dans un délai d’un mois après que le jugement a été rendu par le tribunal de première instance dans sa forme intégrale. Interprétant cette disposition, la Cour suprême de Russie précisait dans sa directive no 13 du 19 juin 2012 que ce délai commençait à courir le jour suivant celui où le jugement avait été rendu en sa forme définitive (ledit jugement comprenant ainsi les considérants) et expirait un mois plus tard (paragraphe 6 de la directive). Aux termes de l’article 322 dudit code, l’appelant doit, entre autres, formuler dans sa déclaration d’appel sa demande ainsi que les motifs pour lesquels il estime que la décision de justice était incorrecte. Selon l’article 214 du même code, le tribunal doit, si les parties n’étaient pas présentes à l’audience, leur envoyer une copie du jugement dans un délai de cinq jours après avoir finalisé le texte intégral. L’instruction no 36 sur l’organisation du travail du greffe d’un tribunal de district (adoptée par le Service de l’administration des juridictions auprès de la Cour suprême de la Fédération de Russie le 29 avril 2003), prévoit que, en cas de déclaration de dossier incomplet, le greffe envoie cette décision au demandeur au plus tard le lendemain de la date où elle a été rendue (paragraphe 3.24 de l’instruction). Selon le paragraphe 7.6 de cette instruction, le greffe est tenu d’envoyer une copie de la décision sur le fond aux parties absentes à l’audience dans un délai n’excédant pas cinq jours après la rédaction du texte intégral de la décision par lettre simple (paragraphe 7.6 de la même instruction). Selon l’article 112 (paragraphe 1) du code de procédure civile, le tribunal compétent peut relever l’appelant de sa forclusion s’il estime que ce dernier a une raison valable justifiant le retard. Interprétant cette disposition, la Cour suprême, dans sa directive no 13 précitée, précisait que ces raisons valables pouvaient être les suivantes : a) pour les plaignants ayant pris part à l’audience, les circonstances liées à la personne de l’appelant, comme une maladie grave, un handicap, l’analphabétisme ; b) la réception par le plaignant n’ayant pas participé à l’audience d’une copie du jugement après l’expiration du délai imparti pour l’introduction de l’appel ou bien, lorsque le temps restant jusqu’à l’expiration de ce délai était insuffisant, pour étudier le dossier et rédiger un recours motivé ; c) le non-respect par le tribunal de première instance de son obligation prévue par l’article 193 et du paragraphe 5 de l’article 198 du code de procédure civile de renseigner les parties sur les modalités et le délai imparti pour interjeter appel du jugement ; d) le nonrespect par le tribunal du délai imparti par l’article 199 du même code pour rédiger le texte intégral de la décision ou bien du délai imparti par l’article 214 du même code pour envoyer les copies du jugement aux parties absentes à l’audience, à condition que cette violation ait conduit à l’impossibilité pour les parties de préparer et de présenter leurs conclusions d’appel dans le délai prévu à cet effet (paragraphe 8 de la directive). La demande de relevé de forclusion doit être introduite devant le tribunal compétent et examinée en audience. Les parties reçoivent notification de la date et du lieu de cette audience, mais leur absence n’empêche pas le tribunal d’examiner la demande (paragraphe 2 de l’article 112 du code). Selon l’article 112 (paragraphe 3), en déposant la demande de relevé de forclusion, l’appelant doit en même temps accomplir l’acte de procédure dont il est forclos, à savoir déposer le recours ou présenter les documents). Aux termes de l’article 112 (paragraphe 5) du même code, les parties peuvent former un recours contre la décision accueillant ou rejetant cette demande.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1946 et réside à Sofia. Par un jugement du tribunal militaire de Varna du 8 avril 1987, le requérant fut reconnu coupable de complicité d’abus de biens publics et condamné à vingt ans d’emprisonnement, à une interdiction d’exercer certaines professions et à la confiscation d’une partie de ses biens. La condamnation portait sur le détournement, effectué de manière continue entre octobre 1982 et mai 1986, d’essence et d’autres biens appartenant au régiment militaire dans lequel le requérant, militaire de carrière, servait. Sur recours du requérant, le 22 juin 1987, la Cour suprême confirma le jugement ainsi que les peines imposées. L’arrêt ainsi rendu était considéré comme définitif et exécutoire selon le droit interne. Le requérant avait été incarcéré à partir du 11 juin 1986, d’abord au titre de la détention provisoire puis, à partir du 22 juin 1987, en exécution de sa peine. En janvier 1991, le requérant introduisit un recours en révision devant la Cour suprême (молба за преглед по реда на надзора). Le 9 janvier 1991, le président de la Cour suprême ordonna la suspension de l’exécution de la peine en raison de l’état de santé du requérant et l’intéressé fut remis en liberté le 28 janvier 1991. Par un arrêt du 3 décembre 1992, la Cour suprême rejeta le recours en révision du requérant et confirma sa condamnation. Les autorités ne purent retrouver le requérant et, le 31 mai 1993, un mandat de recherche national fut émis à son encontre. Dans l’intervalle, le 3 janvier 1993, le requérant avait quitté la Bulgarie et s’était rendu aux États-Unis. Il y acquit par la suite un droit de séjour et la nationalité américaine. En 2005, le requérant adressa une demande de grâce au Président de la République bulgare. Par une lettre du 16 novembre 2007, la commission des grâces l’informa qu’il n’y avait pas lieu d’examiner sa demande dans la mesure où le délai de prescription de l’exécution des peines prononcées avait expiré. Le requérant décida alors de se rendre en Bulgarie. Le 27 janvier 2008, à son arrivée à l’aéroport de Sofia, il fut arrêté par la police en exécution du mandat d’arrêt délivré à son encontre. Le jour suivant, il fut incarcéré à la prison de Sofia en exécution de la peine de vingt ans d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en 1987. Le requérant saisit le parquet d’un recours, soutenant que le délai de prescription pour l’exécution de la peine d’emprisonnement était expiré et demandant sa remise en liberté. Par une ordonnance du 13 février 2008, le procureur militaire de Varna considéra que le requérant devait purger le restant de sa peine et que le délai de prescription n’avait pas expiré. Sur recours du requérant, cette décision fut confirmée le 26 août 2008 par le parquet militaire d’appel, qui considéra que le cours du délai de prescription de quinze ans avait été interrompu par l’émission du mandat de recherche contre le requérant le 31 mai 1993. Un nouveau délai avait couru à partir de cette date et devait expirer le 31 mai 2008, soit après l’arrestation du requérant. Le requérant introduisit un nouveau recours auprès du parquet de la Cour suprême de cassation, qui fut rejeté par une ordonnance du 4 septembre 2008. Le parquet de cassation constata que l’exécution de la peine avait été interrompue en 1991 et devait reprendre après le rejet du recours en révision du requérant le 3 décembre 1992. Le délai de prescription de 15 ans pour le restant de la peine avait couru à compter de cette date. Le cours du délai avait été interrompu à plusieurs reprises par les différentes mesures engagées pour rechercher le requérant et la prescription n’avait donc pas expiré. Quant au délai de prescription absolue, qui était en l’occurrence de vingt-deux ans et demi, il n’avait pas non plus expiré. Le 13 juillet 2010, le requérant s’adressa de nouveau au parquet de cassation par l’intermédiaire d’un avocat pour demander sa remise en liberté. Par une lettre du 14 juillet 2010, le parquet estima qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer la question tranchée par l’ordonnance du 4 septembre 2008. Le 5 mai 2011, le nouvel avocat du requérant adressa au parquet de cassation une demande de libération, dans laquelle il soutenait de nouveau que le délai de prescription pour l’exécution de la peine était expiré. Par une lettre du 10 mai 2011, le parquet lui répondit que le délai d’exécution de la peine n’était pas expiré au moment de l’arrestation du requérant, le 27 janvier 2008. Il réitéra que le délai de prescription de quinze ans concernant l’exécution du restant de la peine avait couru à compter du rejet du recours en révision du requérant, le 3 décembre 1992. Ce délai avait été interrompu par l’émission du mandat de recherche le 31 mai 1993 et, à partir de cette date, un nouveau délai avait couru, qui n’avait pas expiré au moment de l’arrestation du requérant, le 27 janvier 2008. Le délai de prescription absolue de vingt-deux ans et demi, qui avait couru à compter de la date de la condamnation, le 22 juin 1987, devait quant à lui expirer le 22 décembre 2009, également après l’arrestation du requérant. Le parquet indiqua que cette situation n’empêchait pas le requérant de déposer une demande de grâce auprès du Président de la République. Le 7 juillet 2011, le requérant demanda une nouvelle fois la grâce présidentielle. Cette demande fut rejetée le 30 novembre 2011. En mai 2013, le requérant saisit le tribunal militaire de Varna pour demander la reconstitution de son dossier judiciaire, détruit en 1998, l’ouverture d’une procédure pour constater la prescription de la peine et la délivrance d’un certificat. Le président du tribunal militaire refusa de faire droit à ces demandes. Le requérant introduisit un recours contre ce refus devant les juridictions administratives mais ces dernières se considérèrent incompétentes et transmirent le dossier à la cour militaire d’appel. Par une ordonnance du 21 octobre 2013, la cour militaire d’appel rejeta le recours du requérant au motif que les décisions du président du tribunal militaire n’étaient pas susceptibles d’un recours en appel. Dans l’intervalle, le requérant avait déposé auprès de différentes autorités des demandes visant à constater que le délai de prescription absolue de l’exécution de sa peine avait expiré. Par une lettre du 29 juillet 2013, le parquet militaire de Varna lui avait confirmé que le délai de prescription n’était pas écoulé au moment de son arrestation. Le 9 août 2013, le parquet de cassation lui avait indiqué que la procédure dont il demandait l’ouverture n’était pas prévue par le droit bulgare. Le requérant fut remis en liberté le 27 mai 2014. Les parties n’ont pas précisé s’il avait purgé sa peine ou s’il a été libéré pour un autre motif. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’exécution et la prescription des peines Le parquet est l’autorité responsable de l’exécution des décisions de condamnation (article 412 du code de procédure pénale) et de l’application des peines (article 146 de la loi sur le pouvoir judiciaire). Dans l’exercice de cette compétence, le procureur peut requérir des services du ministère de l’Intérieur des informations concernant l’adresse ou les déplacements d’une personne condamnée et leur ordonner de procéder à la recherche ou à l’arrestation de celle-ci. Avant d’ordonner l’exécution d’une peine d’emprisonnement, le procureur vérifie si l’exécution n’en n’est pas prescrite, si la peine doit être cumulée avec une autre peine, ou si elle a été partiellement exécutée ou couverte par la période de détention provisoire. Les ordonnances rendues par le procureur dans ce domaine sont susceptibles d’un recours auprès du procureur supérieur mais non devant les tribunaux. La prescription des peines est régie par l’article 82 du code pénal, qui dispose en ses parties pertinentes : « (1) La peine imposée n’est pas exécutée après l’écoulement de : (...) quinze ans pour les peines d’emprisonnement de plus de dix ans ; (...) (2) Le délai de prescription commence à courir à partir de la date à laquelle le jugement de condamnation est devenu définitif (...). (3) Le délai de prescription est interrompu par tout acte des autorités compétentes entrepris à l’égard de la personne condamnée pour l’exécution de la peine. Après la réalisation de l’acte interrompant le délai de prescription, un nouveau délai court. (4) Indépendamment de la suspension et de l’interruption du cours de la prescription, la peine infligée n’est pas exécutée lorsqu’un délai correspondant à une fois et demi le délai prévu au premier alinéa s’est écoulé. » La prescription visée à l’alinéa 4 de l’article 82 est appelée prescription « absolue ». Lorsqu’une partie de la peine a déjà été exécutée, le délai de prescription pour le restant de la peine court à compter de la même date que pour l’ensemble de la peine, à savoir la date à laquelle la condamnation est devenue définitive (реш. № 82 от 8.02.2006 г. по н. д. № 545/2005, ВКС, Бюл., кн. 6 от 2005 г.). La jurisprudence des tribunaux ne traite généralement pas de la prescription des peines, sauf dans certains cas particuliers tels que la conversion d’une peine de probation en peine d’emprisonnement ou l’exécution du restant de la peine en cas de révocation d’une libération conditionnelle. Selon la pratique des parquets et la doctrine, les actes susceptibles d’interrompre le cours de la prescription, visés à l’alinéa 3 de l’article 82 du code pénal, sont les actes de procédure émanant des autorités compétentes pour assurer l’exécution de la peine, tels que le tribunal ou le procureur. En ce qui concerne l’exécution d’une peine privative de liberté, de tels actes sont, par exemple, une demande de renseignements auprès des autorités du ministère de l’Intérieur concernant le domicile de la personne condamnée ou le mandat donné à ces autorités de procéder à la recherche et à l’arrestation de celle-ci. Les actes d’autres autorités publiques ou de simples citoyens qui contribuent à l’exécution de la peine en effectuant par exemple l’arrestation de la personne condamnée, ou bien des actes techniques ou d’administration n’interrompent pas la prescription (voir А. Гиргинов, Давността в наказателното право, БАН 1992, стр. 169 et П. Минев, Привеждане на присъдите в изпълнение, Фенея 2012, стр. 25). B. La responsabilité de l’État en cas de détention irrégulière L’article 2, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommages, dans sa nouvelle rédaction entrée en vigueur le 15 décembre 2012, dispose en ses parties pertinentes : « 1. L’État est responsable des dommages causés aux particuliers par les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux du fait : (1) d’une détention (...) lorsque celle-ci a été annulée (...) ainsi que dans tous les autres cas de privation de liberté contraire à l’article 5 § 1 de la Convention (...) ; (2) d’une violation des droits garantis par l’article 5 §§ 2 à 4 de la Convention ; (...) » Selon l’article 7 de la loi, l’action en responsabilité doit être dirigée contre l’autorité publique responsable du dommage allégué. Le contexte et les motifs de l’adoption de la réforme de la loi sur la responsabilité de l’État ont été exposés dans le détail dans l’arrêt Toni Kostadinov c. Bulgarie (no 37124/10, § 49, 27 janvier 2015). Les motifs de la loi précisent en particulier que les modifications se sont avérées nécessaires pour prévoir un droit à indemnisation pour tous les cas de méconnaissance des paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Convention et se conformer ainsi aux exigences de l’article 5 § 5, à la suite de nombreux arrêts de la Cour qui ont constaté une violation de cette disposition. Dans son ancienne rédaction, en vigueur jusqu’au 15 décembre 2012, l’article 2 prévoyait un droit à réparation uniquement dans les cas où la détention « a[vait] été annulée pour absence de motif légal » ou lorsque la personne concernée avait bénéficié d’une relaxe ou d’un non-lieu au motif qu’elle n’avait pas commis d’infraction pénale, circonstance qui, selon la jurisprudence, avait pour effet de rendre irrégulière la détention effectuée à titre provisoire ou en exécution de la peine (pour plus de détails sur la jurisprudence en application de l’ancienne rédaction du texte, voir Kandjov c. Bulgarie, no 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008). La jurisprudence rendue postérieurement à la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1, concerne en majorité des cas où la personne détenue a bénéficié d’une relaxe ou d’un non-lieu et aurait eu droit à une indemnisation même en application de l’ancienne rédaction du texte. La nouvelle rédaction du texte a été par exemple appliquée dans une affaire qui concernait le maintien en détention d’une personne sur ordre d’un procureur au-delà du délai légal de soixante-douze heures, le défaut de traduire « aussitôt » l’intéressé devant un juge et l’impossibilité qui en découlait pour lui d’introduire un recours contre cette détention. Les juridictions internes, dans une procédure en trois instances, ont reconnu que la personne concernée avait subi une violation de ses droits protégés par l’article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention et lui ont octroyé une indemnisation pour le dommage moral subi (опр. № 1365 от 1.12.2015 г. по гр. д. № 3256/2012 г., ВКС, IV г.о., confirmant реш. № 233 от 17.04.2015 г. по гр. д. № 113/2015 г., ОС Пазарджик et реш. № 958 от 13.12.2014 г. по гр. д. № 1437/2014 г., РС Пазарджик). Il ressort par ailleurs de la jurisprudence que l’article 2 dans sa nouvelle rédaction s’applique aux actions introduites après l’entrée en vigueur de celle-ci le 15 décembre 2012 (ibidem). Pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article 2 de la sur la responsabilité de l’État, les juridictions ont parfois accordé une indemnisation sur le fondement de la responsabilité délictuelle générale en appliquant directement l’article 5 de la Convention (реш. № 299 от 28.01.2016 г. по гр. д. № 1814/2013 г., ВКС, IV г.о., et реш. от 2.10.2014 г. по гр. д. № 112/2014 г., ОС Монтана). La loi sur la responsabilité de l’État dispose par ailleurs en son article 1, alinéa 1 : « L’État et les communes sont responsables des dommages causés aux particuliers ou aux personnes morales du fait des actes, actions ou inactions illégaux de leurs autorités ou agents dans le cadre ou à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. (...) » La jurisprudence considère que l’Assemblée nationale ne peut être tenue pour responsable en application de cette disposition pour l’adoption ou le défaut d’adoption d’une norme législative (опр. № 3837 от 16.03.2012 г. по адм. д. № 3256/2012 г., ВАС, III о.; опр. № 1900 от 11.02.2014 г. по адм. д. № 1038/2014 г., ВАС, I о.).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1961. Le 10 septembre 2003, C.R., le fils du requérant, signala à la police qu’il venait de tuer sa mère. Le lendemain, il expliqua notamment qu’à la suite de la séparation de ses parents, les dix enfants du couple étaient partis vivre les uns chez le requérant, les autres chez leur mère. Le fils vivait avec son père. Au cours de l’instruction, C.R. accusa son père d’être le commanditaire de l’homicide en question. Le 3 mai 2004, le requérant fut placé sous mandat d’arrêt par un juge d’instruction du tribunal de première instance de Tournai. Il retrouva la liberté dans la mesure où la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Mons, par arrêt du 21 mai 2004, jugea que les indices de culpabilité à sa charge étaient insuffisants pour maintenir sa détention préventive. Le requérant refusa de participer à une expertise mentale requise par le juge d’instruction le 6 mai 2004. Un rapport de carence fut donc établi le 21 décembre 2004. Entretemps, le requérant avait pris l’initiative de faire un rapport psychologique, établi le 26 novembre 2004. Il transmettra ce rapport aux autorités le 18 juin 2010. Par un arrêt du 18 juin 2004, la cour d’appel de Mons ordonna, à la demande du requérant, que le juge d’instruction en charge du dossier ouvert à l’encontre du requérant s’abstienne de l’instruction. Le 22 juin 2004, une nouvelle juge d’instruction fut désignée. Le 30 juin 2004, le requérant se porta partie civile contre son fils. À plusieurs reprises, au cours de l’instruction, l’accès au dossier fut accordé au requérant et aux enfants de la victime, parties civiles à la procédure. Plusieurs requêtes en accomplissement de devoirs complémentaires d’instruction furent sollicitées. Certaines furent rejetées, telle que celle du requérant d’effectuer une enquête sociale de la famille. D’autres furent acceptées. Le 24 mars 2006, la juge d’instruction communiqua le dossier au parquet (ordonnance de soit-communiqué). Le 17 août 2006, à la demande de C.R., la chambre des mises en accusation ordonna une expertise psychiatrique du requérant. Les experts furent désignés par la juge d’instruction le 28 septembre 2006, et leur rapport fut rendu le 26 février 2007. Le 27 septembre 2007, la chambre des mises en accusation ordonna une analyse systémique sur le mode de fonctionnement de la famille. Le 24 avril 2008, la chambre des mises en accusation précisa la composition du collège des experts. Les experts furent désignés le 14 mai 2008 par la juge d’instruction. Cette expertise se heurta aux refus répétés des enfants de la victime de rencontrer les experts. Le 8 février 2010, le procureur général près la cour d’appel de Mons souligna que l’expertise n’était pas parvenue à terme, considéra qu’il y avait lieu pour la chambre des mises en accusation de décharger la juge d’instruction et d’évoquer l’instruction. Le 2 mars 2010, la chambre des mises en accusation décida qu’il n’y avait pas lieu de prendre ces mesures. Le 8 mars 2010, une commission rogatoire internationale s’exécuta au Canada portant sur le mode de fonctionnement de la famille qui se poursuivit tout au long de l’année 2010. Le 6 décembre 2010, le rapport d’expertise sur la famille (voir paragraphe 16, ci-dessus) fut rendu. Le 16 mai 2012, le juge d’instruction accusa réception des enregistrements des auditions réalisées au Canada (voir paragraphe 18, ci-dessus). Le 28 mars 2013, un des enfants du requérant, également partie civile, demanda à la chambre des mises en accusation d’exercer l’un ou l’autre des pouvoirs prévus par les articles 136, 235 et 235bis du code d’instruction criminelle (« CIC ») (voir paragraphes 27-31, ci-dessous). Le 31 mai 2013, la chambre des mises en accusation décida qu’en l’état de la cause, il n’y avait pas lieu de prendre de telles mesures. Le 10 avril 2014, le requérant demanda à la chambre des mises en accusation de contrôler l’instruction en application des articles 136 § 2, 136bis et 235 du CIC. Il demanda que les poursuites fussent déclarées irrecevables entre autres pour dépassement du délai raisonnable. Par arrêt du 12 décembre 2014, la chambre des mises en accusation annula certaines pièces de la procédure, mais refusa de déclarer les poursuites à l’égard du requérant irrecevables. Quant à l’argument tiré du dépassement du délai raisonnable, elle le rejeta aux motifs suivants : « Devant la chambre des mises en accusation, les poursuites ne doivent être déclarées irrecevables que si le dépassement, par hypothèse, du délai raisonnable a eu pour effet que l’exercice des droits de la défense est devenu, entre-temps, impossible et qu’il en résulte une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable. Or, à ce stade de la procédure – attente du règlement de la procédure après ordonnance de soit communiqué – la cour constate que la longueur actuelle de l’enquête n’a pas entraîné une déperdition des preuves qui sont toujours contenues dans le dossier de procédure et n’empêche pas le requérant d’encore exercer normalement ses droits de la défense. » Après plusieurs reports, le règlement de la procédure fut fixé devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Tournai le 15 avril 2016. Le même jour, la chambre du conseil délivra une ordonnance de prise de corps de C.R. et du requérant, aux fins de leur renvoi éventuel devant la cour d’assises. Le dossier fut transmis, via le procureur du Roi, au procureur général pour qu’il puisse saisir à cette fin la chambre des mises en accusation. Par un arrêt du 12 mai 2016, la chambre des mises en accusation renvoya C.R. devant le tribunal correctionnel. Quant au requérant, estimant qu’il n’existait pas de charges suffisantes à son encontre, elle infirma sur ce point l’ordonnance de la chambre du conseil et ordonna le non-lieu. La question du délai raisonnable ne fut plus évoquée. Il n’y a pas eu de pourvoi en cassation contre cet arrêt, qui est donc devenu définitif. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit belge prévoit plusieurs mesures en cas de dépassement du délai raisonnable d’une procédure pénale. A. Mesures prévues par le code d’instruction criminelle Au cours de l’instruction Le CIC, en ses articles 136 et 136bis, combinés avec les articles 235 et 235bis, offre des techniques de contrôle « préventif » de la durée de la procédure au cours de l’instruction. Lorsque l’instruction n’a pas été clôturée après une année, l’article 136 alinéa 2 du CIC permet à la partie civile et à l’inculpé de saisir la chambre des mises en accusation de la cour d’appel dans le cadre de sa mission de contrôle de l’instruction. De même, l’article 136bis du CIC donne au procureur général près la cour d’appel le droit de saisir la chambre des mises en accusation. Les articles 136 et 136bis du CIC énumèrent les mesures que cette juridiction d’instruction peut prendre pour accélérer l’instruction et sa clôture. Elle peut donner des injonctions au juge d’instruction ou même évoquer la cause, en application de l’article 235 du CIC (voir paragraphe 31, ci-dessous). Les dispositions précitées se lisaient comme suit à l’époque des faits de la présente affaire : Article 136 « La chambre des mises en accusation contrôle d’office le cours des instructions, peut d’office demander des rapports sur l’état des affaires et peut prendre connaissance des dossiers. (...) Si l’instruction n’est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par requête motivée adressée au greffe de la cour d’appel par l’inculpé ou la partie civile. La chambre des mises en accusation agit conformément à l’alinéa précédent et à l’article 136bis. La chambre des mises en accusation statue sur la requête par arrêt motivé, qui est communiqué au procureur général, à la partie requérante et aux parties entendues. Le requérant ne peut déposer de requête ayant le même objet avant l’expiration du délai de six mois à compter de la dernière décision. » Article 136bis « (...) le procureur du Roi fait rapport au procureur général de toutes les affaires sur lesquelles la chambre du conseil n’aurait point statué dans l’année à compter du premier réquisitoire. S’il l’estime nécessaire pour le bon déroulement de l’instruction, la légalité ou la régularité de la procédure, le procureur général prend, à tout moment, devant la chambre des mises en accusation, les réquisitions qu’il juge utiles. Dans ce cas, la chambre des mises en accusation peut, même d’office, prendre les mesures prévues par les articles 136, 235 et 235bis. Le procureur général est entendu. La chambre des mises en accusation peut entendre le juge d’instruction en son rapport, hors la présence des parties si elle l’estime utile. Elle peut également entendre la partie civile, l’inculpé et leurs conseils, sur convocation qui leur est notifiée par le greffier, par télécopie ou par lettre recommandée à la poste, au plus tard quarantehuit heures avant l’audience. » Article 235 « Dans toutes les affaires, les chambres des mises en accusation, tant qu’elles n’auront pas décidé s’il y a lieu de prononcer la mise en accusation, pourront d’office, soit qu’il y ait ou non une instruction commencée par les premiers juges, ordonner des poursuites, se faire apporter les pièces, informer ou faire informer, et statuer ensuite ce qu’il appartiendra. » En application de l’article 235bis du CIC, lors de la clôture de l’instruction (règlement de procédure) et dans tous les cas de saisine, y compris sur la base des articles 136 et 136bis du CIC, il est prévu que la chambre des mises en accusation peut contrôler, d’office, ou doit contrôler sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise, y compris le dépassement éventuel du délai raisonnable. Cette disposition est rédigée comme suit : Article 235bis « § 1er. Lors du règlement de la procédure, la chambre des mises en accusation contrôle, sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties, la régularité de la procédure qui lui est soumise. Elle peut même le faire d’office. § 2. La chambre des mises en accusation agit de même, dans les autres cas de saisine. § 3. Lorsque la chambre des mises en accusation contrôle d’office la régularité de la procédure et qu’il peut exister une cause de nullité, d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle ordonne la réouverture des débats. § 4. La chambre des mises en accusation entend, en audience publique si elle en décide ainsi à la demande de l’une des parties, le procureur général, la partie civile et l’inculpé en leurs observations et ce, que le contrôle du règlement de la procédure ait lieu sur la réquisition du ministère public ou à la requête d’une des parties. § 5. Les irrégularités, omissions ou causes de nullités visées à l’article 131, § 1er, ou relatives à l’ordonnance de renvoi, et qui ont été examinées devant la chambre des mises en accusation ne peuvent plus l’être devant le juge du fond, sans préjudice des moyens touchant à l’appréciation de la preuve. Il en va de même pour les causes d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, sauf lorsqu’elles ne sont acquises que postérieurement aux débats devant la chambre des mises en accusation. Les dispositions du présent paragraphe ne sont pas applicables à l’égard des parties qui ne sont appelées dans l’instance qu’après le renvoi à la juridiction de jugement, sauf si les pièces sont retirées du dossier conformément à l’article 131, § 2, ou au § 6 du présent article. § 6. Lorsque la chambre des mises en accusation constate une irrégularité, omission ou cause de nullité visée à l’article 131, § 1er, ou une cause d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique, elle prononce, le cas échéant, la nullité de l’acte qui en est entaché et de tout ou partie de la procédure ultérieure. Les pièces annulées sont retirées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance, après l’expiration du délai de cassation. Les pièces déposées au greffe ne peuvent pas être consultées, et ne peuvent pas être utilisées dans la procédure pénale. La chambre des mises en accusation statue, dans le respect des droits des autres parties, dans quelle mesure les pièces déposées au greffe peuvent encore être consultées lors de la procédure pénale et utilisées par une partie. La chambre des mises en accusation indique dans sa décision à qui il faut rendre les pièces ou ce qu’il advient des pièces annulées. » Dans ses conclusions avant l’arrêt de la Cour de cassation du 15 septembre 2010 (P.10.0572.F), l’avocat général à la Cour de cassation, D. Vandermeersch, s’exprima comme suit sur les mesures d’accélération que la juridiction d’instruction, appelée à contrôler le dépassement du délai raisonnable pendant l’instruction, peut envisager en cours d’instruction ou lors du règlement de la procédure : « (...) Face au constat du dépassement du délai raisonnable en cours d’instruction, la chambre des mises en accusation peut envisager plusieurs réactions pour compenser ou réparer le dépassement du délai raisonnable ou en atténuer les conséquences. Il s’agit d’une compétence qui lui est spécialement reconnue dans le cadre du contrôle prévu aux articles 136 et 136bis du CIC. Dans le cadre du contrôle du bon déroulement de l’instruction, la chambre des mises en accusation peut prendre différentes mesures pour accélérer l’instruction et sa clôture. Elle peut donner des injonctions au juge d’instruction ou, dans les situations les plus graves, évoquer la cause en application de l’article 235 du CIC (...). Ainsi, la chambre des mises en accusation peut ordonner au juge d’instruction de prendre des mesures pour obvier aux retards mis par des experts pour rentrer leur rapport (...). Elle peut l’inviter à achever ses investigations en ce qu’elles concernent les inculpés et décider qu’il conviendra d’ordonner la disjonction des poursuites à l’égard d’autres personnes suspectes demeurées inconnues à ce jour (...). Elle peut également ordonner au magistrat instructeur de communiquer son dossier au procureur du Roi afin que celui-ci puisse prendre des réquisitions en vue du règlement de la procédure par la chambre du conseil (...). » Devant les juridictions de jugement Pour les hypothèses où la question du dépassement du délai raisonnable est soulevée devant les juridictions de jugement, l’article 21ter de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du code de procédure pénale, inséré par la loi du 30 juin 2000, consacrant une jurisprudence antérieure, prévoit que : « Si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi. Si le juge prononce la condamnation par simple déclaration de culpabilité, l’inculpé est condamné aux frais et, s’il y a lieu, aux restitutions. La confiscation spéciale est prononcée. » Jurisprudence de la Cour de cassation a) Pouvoir des juridictions d’instruction de se prononcer sur le dépassement du délai raisonnable Les juridictions d’instruction peuvent d’office ou doivent, si une partie le demande, vérifier le dépassement du délai raisonnable et ses conséquences sur le déroulement ultérieur de la procédure (Cass. 8 avril 2008, P.07.1903.N ; Cass. 23 septembre 2009, P.09.0510.F ; Cass. 15 septembre 2010, P.10.0572.F, avec concl. av. gén. Vandermeersch ; Cass. 6 octobre 2010, P.10.0729.F, avec concl. av. gén. Vandermeersch ; Cass. 26 juin 2012, P.12.0080.N ; Cass. 7 septembre 2011, P.10.1319.F). La violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable s’apprécie, devant les juridictions d’instruction, en fonction de l’atteinte aux droits de la défense que le dépassement invoqué peut induire, le juge ayant à vérifier, à ce stade de la procédure, si la durée des poursuites est telle que la tenue d’un procès équitable s’avère d’ores et déjà compromise (Cass. 6 mars 2013, P.12.1980.F). b) Conséquences d’un dépassement, constaté pendant l’instruction ou lors du règlement de la procédure Lorsqu’elle constate que le dépassement du délai raisonnable a pour effet que l’exercice des droits de la défense et/ou l’administration de la preuve sont devenus, entre-temps, impossibles et qu’il en résulte une atteinte irrémédiable au droit à un procès équitable, la juridiction d’instruction doit, dans ce cas, déclarer les poursuites irrecevables ou ordonner le non-lieu selon le cas. Elle constate l’irrecevabilité des poursuites au cas où ce dépassement a affecté irrémédiablement les droits de la défense et elle ordonne le non-lieu s’il a gravement et définitivement porté atteinte à l’administration de la preuve (Cass. 6 octobre 2010, P.10.0729.F, avec concl. av. gén. Vandermeersch). Lorsqu’elle constate que le dépassement du délai raisonnable ne met pas en péril l’administration de la preuve et les droits de défense de l’inculpé, la juridiction d’instruction décide de manière souveraine quelle est la réparation en droit adéquate (Cass. 5 juin 2012, P.12.0018.N ; Cass. 19 février 2013, P.12.0867.N ; Cass. 10 décembre 2013, P.13.0691.N). Il ne résulte pas des articles 6 et 13 de la Convention que le dépassement du délai raisonnable constaté dans le cadre du règlement de la procédure, qui n’a pas donné lieu à une violation irréparable des droits de défense de l’inculpé ni à la perte des preuves à charge ou à décharge, doit être sanctionné par l’extinction de l’action publique ou par un non-lieu (Cass. 14 avril 2015, P.14.1146.N ; Cass. 1er mars 2016, P.15.1272.N). Le juge détermine la réparation en droit adéquate au stade de la procédure où il se prononce. Cette réparation en droit peut consister, au stade du règlement de la procédure, en la simple constatation du dépassement du délai raisonnable, ce dont le juge de renvoi appelé à se prononcer sur le fond devra tenir compte lors de l’appréciation globale de la cause (article 21ter du titre préliminaire du CIC, voir paragraphe 32, cidessus) (Cass. 27 octobre 2009, P.09.0901.N ; Cass. 24 novembre 2009, P.09.1080.N, avec concl. av. gén. Timperman ; Cass. 6 octobre 2010, P.10.0729.F, avec concl. av. gén. Vandermeersch). Le fait que le dépassement du délai raisonnable soit constaté avant la saisine de la juridiction de jugement mais que ses conséquences ne soient que postérieures, n’entraîne pas que la réparation proposée ne soit ni immédiate ni adéquate ; en principe la procédure est examinée dans son ensemble (Cass. 12 mai 2015, P.140856.N). La procédure étant appréciée dans son ensemble, le recours ne perd pas son effectivité du seul fait qu’ayant été accueilli avant la saisine du juge du fond, il ne produit ses effets qu’après celle-ci (Cass. 15 septembre 2010, P.10.0572.F, avec concl. av. gén. Vandermeersch). c) Conséquences d’un dépassement constaté par la juridiction de jugement Comme cela a déjà été indiqué (voir paragraphe 32, ci-dessus), l’article 21ter du titre préliminaire du CIC dispose que, si un dépassement du délai raisonnable est constaté au préjudice du prévenu, le juge du fond peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi (voir Cass. 15 septembre 2010, P.10.0572.F, avec concl. av. gén. Vandermeersch). Le juge du fond peut aussi prononcer une peine prévue par la loi mais réduite de manière réelle et mesurable par rapport à celle qu’il aurait infligée s’il n’avait pas constaté la durée excessive de la procédure (voir, par exemple, Cass. 25 janvier 2012, P.11.1104.F ; Cass. 18 septembre 2012, P.12.0349.N ; Cass. 30 avril 2013, P.12.1133.N ; Cass. 7 octobre 2014, P.14.0506.N). Le caractère déraisonnable de la durée de la procédure peut enfin être sanctionné par l’irrecevabilité des poursuites si la longueur excessive a entraîné une déperdition des preuves ou rendu impossible l’exercice normal des droits de la défense (Cass. 20 avril 2011, P.11.0438.F, avec concl. av. gén. Loop). B. Action en responsabilité civile Une action indemnitaire pour dépassement du délai raisonnable d’une procédure judiciaire peut être mise en mouvement sur la base des dispositions suivantes du code civil : Article 1382 « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par lequel il est arrivé, à le réparer. » Article 1383 « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » Dans le cadre d’une affaire mettant en cause une durée de la procédure en matière civile résultant de l’arriéré judiciaire dans les cours et tribunaux de la cour d’appel de Bruxelles, la Cour de cassation a jugé qu’en déclarant l’État responsable en raison de la faute, au sens des articles 1382 et 1383 du code civil, consistant à avoir « omis de légiférer afin de donner au pouvoir judiciaire les moyens nécessaires pour lui permettre d’assurer efficacement le service public de la justice, dans le respect notamment de l’article 6 § 1 de la Convention », l’arrêt attaqué de la cour d’appel n’avait méconnu aucune disposition de droit interne ou international (Cass. 28 septembre 2006, C.02.05.70.F). Dans ses observations, le Gouvernement fournit plusieurs exemples de décisions de juridictions civiles dans lesquelles une action indemnitaire a été exercée pour obtenir un redressement approprié en cas de durée excessive de procédures pénales. L’un des exemples qui a été mené avec succès concerne les suites données au niveau interne à l’arrêt De Clerck c. Belgique (no 34316/02, 25 septembre 2007) par lequel la Cour avait conclu à une violation des articles 6 § 1 et 13 de la Convention en raison de la durée excessive de l’instruction. Le Gouvernement mentionne également l’affaire d’un co-inculpé de M. De Clerck dont la requête devant la Cour avait été déclarée irrecevable pour non-épuisement de la voie de recours indemnitaire, la requête ayant été introduite postérieurement à l’arrêt précité de la Cour de cassation consacrant ledit recours en droit interne comme un remède efficace en cas du dépassement du délai raisonnable (H.K. c. Belgique (déc.), no 22738/08, 12 janvier 2010). Alors que les affaires en étaient au règlement de la procédure, les requérants ont introduit, le 8 octobre 2008 et le 29 juin 2010 respectivement, une action en responsabilité civile contre l’État belge. Par un jugement du 28 juin 2011, le tribunal de première instance de Courtrai accorda 22 500 euros (EUR) à M. De Clerck et 15 000 EUR à M. H.K. pour dommage moral résultant du dépassement du délai raisonnable de l’instruction. Le jugement concernant H.K. fut confirmé par la cour d’appel de Gand, par un arrêt du 6 décembre 2012. Enfin, il échet de remarquer que la Cour de cassation reconnaît explicitement que la réparation à laquelle l’inculpé pouvait prétendre en vertu des articles 6 et 13 de la Convention dans le cas d’un dépassement du délai raisonnable pendant l’instruction d’une affaire pénale constaté par les juridictions d’instruction dans le cadre du règlement de la procédure, pouvait consister en des dommages et intérêts à demander devant le tribunal civil (Cass. 14 avril 2015, P.14.1146.N ; Cass. 1er mars 2016, P.15.1272.N).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1959. Il est actuellement interné à l’hôpital psychiatrique de Săpoca, dans son centre situé dans la commune d’Ojasca (département de Buzău). Depuis 1993, le requérant perçoit une pension pour invalidité de deuxième degré. A. La procédure pénale engagée contre le requérant et l’internement psychiatrique de celui-ci Le 29 janvier 2001, à la suite d’un article paru dans la presse nationale et d’une émission diffusée sur une chaîne de télévision nationale, la police judiciaire du commissariat no 20 de la police de Bucarest ouvrit des poursuites pénales contre le requérant. Celui-ci était accusé d’inceste et de corruption sexuelle à l’encontre de ses deux filles mineures, âgées de 15 et 16 ans. Il aurait eu un rapport sexuel avec sa fille aînée et aurait contraint ses deux filles à assister à son rapport sexuel avec son épouse. Le même jour, le requérant fut entendu par la police en présence d’un avocat commis d’office au sujet des accusations portées contre lui avant d’être placé en garde à vue pour vingt-quatre heures. Le 30 avril 2001, le requérant, assisté par un avocat commis d’office, fut entendu par un procureur au sujet des accusations en question. Le même jour, le parquet, sur le fondement de l’article 114 §§ 1 et 2 du code pénal (CP), ordonna l’internement provisoire du requérant dans un hôpital psychiatrique en vue de la réalisation d’une expertise médicale ayant pour but d’évaluer la capacité de discernement de l’intéressé. Le parquet nota à cet égard que le diagnostic de psychose affective paranoïde avait été posé à plusieurs reprises au cours de la période 1994-1999. Il s’exprima dans ces termes : « (...) en l’espèce, il y a des indices suffisants quant à l’état de santé précaire de l’accusé, lequel représente un danger particulièrement grave pour la société dès lors qu’il est susceptible de commettre de nouveaux actes antisociaux. » Le même jour, le requérant fut admis à l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia de Bucarest. Il fut soumis à des examens psychiatriques qui conclurent, entre autres, qu’il présentait des tendances paranoïdes et impulsives avec un potentiel conflictuel majeur. En outre, les termes suivants furent employés pour décrire l’état du requérant : irritabilité, suspicion, tendances interprétatives, agressivité potentielle. Un rapport d’expertise médico-légale fut dressé le 2 novembre 2001, établissant que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et de défaut de discernement. Il recommandait de mettre en place le traitement médical obligatoire prévu à l’article 113 du CP. Une enquête préalable fut en outre ouverte contre le requérant du chef de viol sur son épouse. Le parquet entendit l’épouse et les deux filles du requérant. Par une décision du 27 février 2002, le parquet, considérant qu’il n’y avait pas de certificat médical et que la fille du requérant n’avait pas confirmé avoir eu un rapport sexuel avec son père, ordonna la clôture de la procédure pénale ouverte contre le requérant du chef d’inceste. Se fondant sur les déclarations de ses deux filles, il conclut également que le requérant avait contraint celles-ci à assister à un rapport sexuel qu’il avait eu avec son épouse et qu’il avait ainsi commis des actes de corruption sexuelle de mineurs, mais il décida la clôture de la procédure de ce chef en raison du défaut de discernement constaté chez le requérant par le rapport médicolégal du 2 novembre 2001 (paragraphe 12 ci-dessus). Le parquet ordonna en outre un non-lieu du chef de viol, au motif que l’épouse du requérant n’avait pas déposé de plainte pénale contre celui-ci. Il renvoya enfin le dossier de l’affaire à la juridiction compétente en vue de la confirmation de la mesure de sûreté consistant en un internement médical. Par une décision du 22 avril 2002, le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest confirma la mesure d’internement médical. Après avoir énuméré les accusations pénales portées contre le requérant, le tribunal s’exprima dans ces termes : « Compte tenu des conclusions du rapport d’expertise médico-légale psychiatrique selon lesquelles N. souffre de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et est dépourvu de discernement en ce qui concerne les actes commis, et compte tenu des recommandations de la commission [ayant effectué l’expertise] en faveur de la prise de la mesure de sûreté à l’encontre de l’accusé, le tribunal accueille la demande [du parquet] et, en vertu de l’article 114 du CP, confirme la mesure d’internement médical provisoire et informe la direction sanitaire de Bucarest de la prise de la mesure. » Le requérant n’assista pas l’audience et n’y fut pas représenté par un avocat. La décision fut affichée sur la porte du domicile du requérant ainsi que dans les locaux de la mairie du 6e arrondissement de Bucarest, dans lequel se trouvait le domicile du requérant. B. L’internement du requérant à l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia et à l’hôpital psychiatrique Poiana Mare Du 30 janvier 2001 au 20 janvier 2003, le requérant était interné à l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia. Le 21 janvier 2003, il fut transféré à l’hôpital psychiatrique Poiana Mare où il demeura jusqu’au 29 janvier 2006. On administra au requérant un traitement à base de neuroleptiques et de tranquillisants. C. Démarches en vue de l’annulation de la décision du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest du 22 avril 2002 Notification de la décision du 22 avril 2002 au requérant À la fin de l’année 2006, N.T., qui s’était lié d’amitié avec le requérant lors de son hospitalisation à l’hôpital Poiana Mare, entreprit des démarches en vue de la nomination d’un curateur pour le requérant. En mars 2007, il demanda à l’hôpital de Săpoca de lui délivrer une attestation indiquant la période d’internement du requérant, le diagnostic posé à son égard et le traitement médicamenteux administré. Par une attestation établie le 5 mars 2007, le représentant de l’hôpital de Săpoca mentionnait que le requérant y était interné depuis le 30 janvier 2006 en vertu de la décision de justice no 588 du 22 avril 2002 prononcée par le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest. Le 17 décembre 2007, le requérant demanda à l’administration de l’hôpital de Săpoca de lui communiquer une copie de la décision de justice « qui le tenait enfermé » (care mă ţine aici). Le 18 décembre 2007, la conseillère juridique de l’hôpital nota sur la demande « copie fournie » (dat copie). Le 24 novembre 2008, le requérant réclama auprès du département juridique de l’hôpital une copie de son dossier juridique en vue de le faire parvenir à la Cour. D’après une lettre datée du 18 décembre 2008, la conseillère juridique communiqua au requérant, entre autres, une copie de la décision du 22 avril 2002 et du rapport d’expertise médico-légale du 2 novembre 2001. Le requérant confirma avoir reçu ces documents le 19 décembre 2008 par l’apposition de sa signature sur la lettre. Le recours formé contre la décision du 22 avril 2002 Le 28 octobre 2008, le requérant forma un recours contre la décision du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest du 22 avril 2002 confirmant son internement psychiatrique. Il fut assisté par un avocat commis d’office. Par un arrêt définitif du 14 novembre 2008, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le recours comme étant tardif. À cette fin, il nota que la décision contestée avait été notifiée au requérant à son domicile et qu’elle avait été affichée au siège de la mairie du 6e arrondissement de Bucarest (paragraphe 18 ci-dessus). Les voies de recours extraordinaires engagées par le requérant Le 25 novembre 2008, le requérant forma une contestation en annulation (contestaţie în anulare) contre la décision du 14 novembre 2008, arguant qu’il n’avait pas été présent aux débats tenus par le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest et que la décision que celui-ci avait prononcée le 22 avril 2002 ne lui avait pas été notifiée. Le requérant fut entendu par le biais d’une commission rogatoire en présence d’un avocat commis d’office. Il déclara qu’il avait eu connaissance de l’existence d’une décision ordonnant son internement en 2005-2006 lorsqu’il avait formé un pourvoi en recours contre cette décision par le biais de son mandataire. Il ajouta que cette décision ne lui avait pas été communiquée dans le délai imparti et il n’avait pas pris connaissance du délai pour introduire son recours aux motifs qu’il était interné dans un hôpital psychiatrique et que le personnel ne lui avait pas donné de renseignements à cet égard. Le requérant ne fut pas présent aux débats, mais il y fut représenté par un avocat commis d’office. Par une décision définitive du 6 mai 2009, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le recours du requérant comme étant manifestement mal fondé. Pour ce faire, il nota que le requérant avait été cité à comparaître par les tribunaux aussi bien au stade de l’examen du fond de l’affaire qu’au stade du recours. Il constata également que les autres arguments soulevés par le requérant ne correspondaient à aucun moyen susceptible d’être invoqué dans le cadre de la contestation en annulation. Le requérant introduisit plusieurs demandes de révision des décisions du 22 avril 2002, du 14 novembre 2008 et du 6 mai 2009, qui furent toutes rejetées comme étant irrecevables. D. Première confirmation de l’internement par le jugement du tribunal de première instance de Buzău du 11 septembre 2007 En mars 2007, après l’entrée en vigueur des modifications apportées au code de procédure pénale (CPP) exigeant un contrôle judiciaire périodique et automatique de la mesure d’internement (paragraphe 90 cidessous), le juge délégué près le tribunal de première instance de Buzău (« le juge délégué ») ordonna la réalisation d’une expertise médico-légale psychiatrique. En juillet 2007, la commission médicale compétente établit un rapport d’expertise fondé sur l’examen du requérant, sur la documentation médicale transmise par l’hôpital psychiatrique, sur le rapport du médecin traitant, sur une enquête sociale visant le requérant réalisée le 3 mai 2006, ainsi que sur la décision du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest du 22 avril 2002 et sur l’expertise médicolégale du 2 novembre 2001. La commission constata que, au cours de son internement, le requérant exprimait des idées de grandeur délirantes avec des rechutes psychotiques transitoires, qu’il s’appliquait à dissimuler les symptômes, qu’il avait un comportement calme, qu’il ne s’opposait pas au traitement, qu’il ne déclenchait pas de conflit parmi les autres patients et qu’il présentait un faible degré d’hostilité au cours du traitement. Elle indiqua que, lors de l’examen, il avait toutefois affiché une attitude hostile et dévoilé des idées délirantes d’injustice et son intention d’y remédier. Elle conclut que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et que, eu égard à la documentation médicale, à l’évolution de l’état du patient au cours de l’internement et à l’examen psychiatrique en cause, il était opportun de maintenir la mesure d’internement. Le 15 août 2007, le juge délégué saisit le tribunal de première instance de Buzău d’une demande tendant au remplacement de la mesure d’internement prévue par l’article 114 du CP par la mesure de traitement médical obligatoire prévue par l’article 113 du CP. Le 11 septembre 2007, le requérant, assisté par un avocat commis d’office, fut entendu par le tribunal. Il demanda sa libération. Son avocat plaida dans le même sens. Par une décision du même jour, le tribunal de première instance de Buzău décida le maintien de l’internement psychiatrique du requérant. Il s’exprima dans ces termes : « Par la décision pénale no 588 du 22 avril 2002, le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest a ordonné l’internement médical de N. au motif qu’il était accusé d’avoir commis l’infraction d’inceste, consistant en des rapports sexuels avec sa fille de 16 ans, au cours de l’année 2000, et celle de corruption sexuelle au motif que, le 21 janvier 2001, il aurait eu un rapport sexuel avec son épouse en présence de ses deux filles. Du rapport d’expertise médico-légale psychiatrique [du juillet 2007], il ressort que le malade souffre de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et qu’il est conseillé de maintenir la mesure de sûreté prévue à l’article 114 du CP. Eu égard à ce qui précède, le tribunal (...) décide le maintien de la mesure d’internement médical (article 114 du CP) prise à l’égard du malade N. » Le requérant prit connaissance de cette décision au cours de l’été 2008, lorsqu’il fut soumis à un nouvel examen médico-légal. Il forma un recours. Par une décision définitive du 19 décembre 2008, le tribunal départemental de Buzău, se référant à la motivation du tribunal de première instance, rejeta le recours comme étant manifestement mal fondé après avoir entendu le requérant, qui était assisté par un avocat commis d’office. E. Contrôles automatiques et sur demande du requérant de la mesure d’internement La mesure d’internement du requérant fut soumise à plusieurs contrôles judiciaires par le tribunal de première instance de Buzău et le tribunal départemental de Buzău. Comme il ressort des décisions qui ont été adoptées et dont la Cour dispose, le requérant fut entendu par les deux tribunaux au cours des procédures. Il fut assisté par différents avocats commis d’office, qui, dans les procédures finalisées avant 2016, se bornèrent à renvoyer aux conclusions des expertises médico-légales effectuées et soit s’en remirent à la sagesse des tribunaux quant au maintien de la mesure soit s’opposèrent à la levée de celle-ci. À l’exception des décisions adoptées après 2015, le dossier ne permet pas de savoir si les décisions antérieures avaient été notifiées au requérant. Selon les rapports des expertises médico-légales effectuées à chaque contrôle, le requérant, qui n’aurait que partiellement reconnu être atteint d’une maladie psychique, était calme, ne s’opposait pas au traitement et ne déclenchait pas de conflit parmi les autres patients. En revanche, toujours selon les rapports, il contestait avec véhémence avoir commis les faits de nature pénale qu’on lui reprochait, estimant avoir été victime de machinations de son ex-épouse. Contrôles menés en 2008 Par une décision du 13 octobre 2008, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement à l’égard du requérant. Il se référa à la décision du 22 avril 2002 et à un rapport d’expertise médicolégale, réalisé après examen du requérant en mai 2008, qui recommandait le maintien de la mesure. Le 9 janvier 2009, sur recours du requérant, le tribunal départemental de Buzău confirma cette décision. Contrôles menés en 2010 Par une décision du 18 février 2010, le tribunal de première instance de Buzău rejeta une demande du requérant tendant à la levée de la mesure d’internement. Le tribunal se référa à un rapport d’expertise médico-légale, réalisé après examen du requérant le même mois, qui recommandait le maintien de la mesure et qui décrivait le délire du requérant visant la création d’un nouvel État, l’absence de projets réalisables pour l’avenir et le caractère seulement partiel de sa soumission au traitement médicamenteux. Par une décision du 1er avril 2010, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement à l’égard du requérant. Il se référa à la décision du 22 avril 2002 et à un rapport d’expertise médicolégale, dressé après examen du requérant en décembre 2009, pour autant qu’il recommandait le maintien de la mesure et décrivait le délire du requérant visant la création d’un nouvel État et l’absence de projets réalisables pour l’avenir. Bien que cela n’ait pas été mentionné par le tribunal, il ressort en outre de ce rapport que le médecin traitant avait décelé chez le requérant un délire érotomaniaque centré sur son ex-épouse, délire qui aurait dénoté une incapacité totale de réintégration sociale et qui aurait été susceptible de conduire à des conflits ou des situations pouvant évoluer de manière imprévisible et dangereuse en cas de retour dans l’appartement qu’il avait habité avec sa famille. Le rapport relevait en outre que l’ami du requérant, qui avait été présent à la plupart des réunions des commissions médicales, se portait vivement en faveur de la remise en liberté du requérant, assurant qu’il l’accueillerait pour une période indéfinie dans l’appartement qu’il habitait avec sa mère. La commission d’évaluation douta toutefois de la réalité de ce soutien venant de la part d’une personne atteinte elle-même de problèmes psychiatriques. Le rapport faisait en revanche état d’un rejet clair du requérant par ses filles et son ex-épouse et mentionnait que le requérant, en dépit du rejet de son ex-épouse et du fait que lui-même considérait son internement comme le fruit d’une machination de celle-ci, entendait refaire sa vie avec elle s’il était remis en liberté. Par une décision du 22 avril 2010, le tribunal de première instance de Buzău rejeta une deuxième demande de mise en liberté du requérant au motif que sa décision du 18 février 2010 était devenue entre-temps définitive et était passée en force de chose jugée. Au cours de la procédure, un rapport médico-légal fut établi le 9 mars 2010, comportant des conclusions similaires à celui rendu en décembre 2009 (paragraphe 45 cidessus). Contrôles menés en 2013 En novembre 2010, en mai et en novembre 2011 et en avril 2012, le juge délégué demanda au centre médico-légal de Buzău d’effectuer des expertises psychiatriques pour réexaminer périodiquement la nécessité de maintenir l’internement psychiatrique du requérant. Le centre médico-légal examina le requérant aux dates susmentionnées, mais ne dressa et n’envoya ses rapports qu’en novembre 2013. Les rapports confirmèrent le diagnostic établi à l’égard du requérant et proposèrent le maintien de la mesure d’internement. Par quatre décisions séparées adoptées le 17 et le 19 décembre 2013, le tribunal de première instance, citant la jurisprudence de la Cour en matière d’internement des personnes atteintes de troubles mentaux, maintint la mesure d’internement. Il se référa aux conclusions des rapports médicolégaux susmentionnés. Dans sa décision du 17 décembre 2013, le tribunal prit de plus en compte un rapport médico-légal dressé après un examen du requérant réalisé quelques jours auparavant, en décembre 2013. Il se référa de surcroît, de manière générale, au « but des mesures de sûreté qui était de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale », et conclut que les conditions requises par l’article 434 § 1 du CPP étaient remplies. Contrôles judiciaires menés en 2014 Par trois décisions séparées du 4 février 2014, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement du requérant, sur la base de trois rapports d’expertise médico-légale psychiatrique dressés après examen du requérant en novembre 2012, en mai 2013 et en novembre 2013. La Cour ne dispose pas des rapports et des décisions précitées. Le 1er juillet 2014, l’hôpital psychiatrique de Săpoca saisit les juridictions nationales d’une action tendant à la déclaration d’incapacité du requérant et de son placement sous tutelle (voir paragraphe 77 et suivants cidessous pour le déroulement de la procédure). Contrôle mené en 2015 Par une décision du 19 février 2015, citant la jurisprudence de la Cour en matière d’internement des personnes atteintes de troubles mentaux, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement à l’égard du requérant. Il se référa à un rapport d’expertise médico-légale, réalisé après examen du requérant en septembre 2014, qui recommandait le maintien de la mesure, ainsi qu’au « but des mesures de sûreté qui était de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale ». Le dispositif de la décision fut notifié au requérant le 26 février 2015. En avril 2015, le requérant saisit l’Inspection judiciaire du Conseil supérieur de la magistrature, dénonçant la pratique du tribunal de première instance de Buzău consistant selon lui à contrôler de manière rétroactive la nécessité de maintenir la mesure d’internement. Par une décision du 15 juin 2015, l’Inspection judiciaire classa la plainte du requérant. Elle confirma l’existence de la pratique dénoncée par le requérant, mais souligna qu’elle trouvait son origine dans le retard avec lequel les autorités médicales avaient transmis leurs rapports d’expertise et non pas dans une quelconque méconnaissance par les juges de leurs attributions. Contrôles menés en 2016 a) Les décisions des tribunaux Le 3 septembre 2015, le juge délégué demanda au centre médicolégal de Buzău d’effectuer une nouvelle expertise psychiatrique en vue du contrôle périodique de la nécessité de maintenir l’internement psychiatrique du requérant. Celui-ci forma une action séparée demandant le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement médical obligatoire. Le 23 septembre 2015, la commission médico-légale examina le requérant. L’avocat du requérant le représentant dans la présente requête devant la Cour envoya une lettre motivée à la commission par laquelle il plaidait vivement en faveur du remplacement de la mesure prise à l’égard de son client. Le 1er octobre 2015, la commission dressa son rapport d’expertise médico-légale recommandant le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement médical obligatoire. Elle souligna que la persistance du délire lié à la création d’un nouvel État et l’absence de soutien socio-familial, facteur favorisant la réinsertion sociale, la surveillance du traitement médical ainsi que la gestion des besoins quotidiens du requérant centrés sur le nouvel État, avaient justifié le maintien de l’internement jusqu’à ce moment-là. Elle nota que le requérant ne s’était pas montré agressif contre les autres ou contre lui-même au cours de son internement. Elle salua dans ce contexte les démarches effectuées par l’hôpital de Săpoca en vue du placement sous tutelle du requérant qu’elle considéra comme opportunes dans la perspective de la mise en liberté, eu égard au rejet du requérant par sa famille (son frère, sa sœur, son ex-épouse et ses filles). Elle recommanda enfin que les services de protection sociale du secteur dans lequel se trouvait le domicile du requérant fussent informés qu’ils avaient à prendre les mesures nécessaires en vue de la libération de celui-ci. Le 22 octobre 2015, le tribunal de première instance de Buzău, chargé du contrôle, ordonna la réalisation d’une nouvelle expertise médicolégale par l’Institut national de médecine légale de Bucarest (« l’IML »). Le 10 novembre 2015, le requérant fut soumis à un examen médical au sein de l’IML. Le 12 avril 2016, l’IML rendit son rapport d’expertise, qui indiquait notamment : – que le requérant souffrait de délire chronique sans aucune perspective d’amélioration, avec au contraire une aggravation future de la maladie due au vieillissement ; – que la manifestation de la maladie chez le requérant ne permettait pas de conclure à un risque de danger social, mais que l’absence de projets réalisables pour l’avenir augurait de conflits futurs, d’un risque de dégradation sociale avancée et d’une impossibilité de surveiller l’évolution de sa maladie ; – que le requérant était dépourvu de soutien social de la part de sa famille ou de toute autre personne de confiance. Dans ces conditions, la commission d’expertise médico-légale indiquait se trouver face à un véritable dilemme d’ordre psychiatrique et déontologique. Elle estimait en effet que si, d’un point de vue psychiatrique, le requérant pouvait être remis en liberté à condition d’être soumis à un traitement médical obligatoire sur le fondement de l’article 109 du CP, cette mesure était inconcevable en l’absence de tout soutien social. En conséquence, elle proposait le maintien provisoire de l’internement jusqu’à ce que les services de protection sociale fussent à même d’assurer le transfert vers une institution spécialisée capable de garantir au requérant des conditions de vie et un traitement adéquats. Par une décision du 27 mai 2016, le tribunal de première instance de Buzău, se référant aux conclusions du rapport médico-légal du 12 avril 2016, (paragraphe 61 ci-dessus), ordonna le maintien de la mesure d’internement. Le requérant contesta cette décision devant le tribunal départemental de Buzău. Il fut représenté par un avocat commis d’office, qui plaida pour le respect de la volonté du requérant. Entendu par le tribunal, le requérant déclara qu’il cohabiterait avec son ex-épouse et une de ses filles dans l’appartement où celles-ci habitaient. Il précisa qu’il bénéficiait d’une pension de retraite. Par un arrêt du 29 août 2016, le tribunal départemental de Buzău confirma la décision du 27 mai 2016. Il s’exprima dans ces termes : « Étant donné que l’état de santé du malade n’a pas connu d’amélioration, que les membres de la famille ne peuvent pas surveiller la poursuite du traitement médical, et eu égard à la nature des faits qui ont été reprochés et qui ont justifié l’internement médical, il s’avère impossible de faire peser sur les membres de la famille contre lesquels [le requérant] a commis des actes antisociaux une cohabitation avec celui-ci. Néanmoins, l’administration de l’établissement [où le requérant est interné] doit informer les services d’assistance sociale censés s’occuper du transfert [du requérant] vers une institution spécialisée à même de garantir ses conditions de vie et son traitement. » b) Les mesures prises par les autorités hospitalières et administratives nationales Le 6 septembre 2016, la direction de l’hôpital Săpoca invita la direction générale de l’assistance sociale et la protection de l’enfance du 6e arrondissement de Bucarest (« la DGASPC ») à prendre des mesures d’assistance au bénéfice du requérant conformément aux instructions contenues dans le rapport médico-légal du 12 avril 2016. Par une lettre du 29 septembre 2016, la DGASPC répondit que l’ex-épouse du requérant l’avait informée qu’elle entendait n’être aucunement impliquée dans le processus de mise en liberté du requérant. En outre, la DGASPC indiqua qu’elle avait saisi les services d’assistance sociale du département où habitait la sœur du requérant pour un éventuel placement de celui-ci chez elle. Elle indiqua également que le seul centre du 6e arrondissement de Bucarest accueillant les personnes atteintes d’un handicap neuropsychique était dans l’impossibilité d’accueillir le requérant faute de place. Enfin, elle précisa que ses démarches auprès d’autres centres spécialisés ou auprès de simples structures résidentielles s’étaient révélées infructueuses. Le 15 novembre 2016, la direction de l’hôpital Săpoca s’adressa également à la mairie de la commune d’Unguriu, qui avait été chargée entre-temps de la tutelle du requérant (paragraphe 79 ci-dessous). Elle lui rappela le caractère temporaire de l’application de la mesure de sûreté et ses obligations d’entreprendre des démarches dans l’intérêt du requérant, notamment en vue de son éventuel placement dans une institution spécialisée après sa mise en liberté. Le 21 novembre 2016, la mairie d’Unguriu répondit que la décision de placement sous tutelle du requérant n’était pas définitive et qu’elle ne pouvait dès lors prendre de mesure à l’égard de l’intéressé. Contrôles menés en 2017 a) La décision de remplacement de la mesure d’internement Le 12 septembre 2016, le requérant subit un nouvel examen médicolégal. Le rapport d’expertise médico-légale établi le 25 janvier 2017 recommanda le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement médical obligatoire, eu égard à « la faible dangerosité (sous traitement), à la bonne compliance, à l’absence d’incidents, [et] à la longue durée de la surveillance ». L’expertise mentionnait en particulier : – l’existence d’un seul thème délirant, bizarre, systématisé, impliquant la création d’un « État uni somalien », mais n’empiétant pas sur le respect des règles de l’hôpital ; – l’absence de situations conflictuelles ou d’incidents suggérant un comportement potentiellement agressif ; – une bonne coopération thérapeutique au cours de l’internement, malgré un acquiescement purement formel à l’existence de sa maladie et à la nécessité d’un traitement ; – l’absence d’antécédents antisociaux – à l’exception des faits reprochés lors de l’internement – ou de consommation de substances psychoactives (drogues, alcool) ; – l’influence négative de la prolongation de l’internement pour des raisons sociales sur l’évolution de la maladie et l’état physiologique du requérant, et – le placement sous tutelle du requérant. L’expertise souligna néanmoins le risque de décompensation de la maladie impliquant d’éventuelles conséquences sociales négatives en cas de suivi inadéquat du requérant par l’organisme qui s’était vu confier la tutelle de celui-ci. Le 21 février 2017, le requérant fut entendu par le tribunal de première instance de Buzău. Il était représenté par un avocat commis d’office, qui plaida pour le remplacement de la mesure d’internement. Par une décision définitive du même jour, le tribunal de première instance de Buzău ordonna le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement obligatoire jusqu’au rétablissement du requérant. Il se référa au rapport d’expertise médico-légale du 25 janvier 2017 (paragraphe 70 ci-dessus), ainsi qu’au « but des mesures de sûreté qui était de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale ». b) Les mesures prises par les autorités hospitalières et administratives nationales Le 7 mars 2017, le requérant demanda à pouvoir rester placé de manière continue jusqu’à la résolution de sa situation sociale. Le 8 mars 2017, l’avocat du requérant devant la Cour envoya une lettre à l’hôpital de Săpoca prônant, à terme, dans le cadre de la mise à exécution de la décision du 21 février 2017, la réinsertion du requérant dans la société et non son placement dans une structure résidentielle. Il souligna que la mise en liberté du requérant en l’absence de soutien adéquat condamnerait celui-ci au vagabondage, à l’indigence et à la dégradation physique et psychique. Enfin, il sollicita la création d’une commission interdisciplinaire chargée d’identifier les mesures à prendre pour lui, suivant en cela le modèle adopté par d’autres pays en vue de la désinstitutionnalisation des personnes internées. Le 9 mars 2017, le requérant fut transféré au sein du même hôpital dans la section destinée aux personnes atteintes de maladies chroniques. Le 14 mars 2017, la direction de l’hôpital Săpoca invita la DGASPC à prendre des mesures d’assistance au bénéfice du requérant conformément à la décision définitive ordonnant le remplacement de la mesure d’internement. Elle saisit également deux fondations sises à Bucarest aux mêmes fins, sans succès. F. La procédure de déclaration d’incapacité et le placement sous tutelle Le 1er juillet 2014, l’hôpital psychiatrique de Săpoca avait saisi le tribunal de première instance de Pătârlagele d’une action tendant à la déclaration d’incapacité du requérant et de son placement sous tutelle. Le 7 juillet 2014, en vertu de l’article 167 du nouveau CC, le tribunal avait nommé curateur spécial du requérant une avocate du barreau local. Par une décision du 30 août 2016, le tribunal de première instance de Pătârlagele avait décidé le placement sous tutelle du requérant. Personne n’ayant accepté d’être tuteur, le tribunal avait confié cette tâche au service compétent de la mairie de la commune d’Unguriu sur le territoire duquel est sis l’hôpital psychiatrique de Săpoca, notant que, selon un rapport d’expertise médico-légale établi le 9 octobre 2015, le requérant, en raison de sa maladie psychique, était dépourvu des qualités psychiques nécessaires pour accomplir seul les actes de la vie quotidienne et pour prendre, s’agissant de ses droits et obligations civils, des décisions en connaissance de cause et en anticipant les conséquences de celles-ci. Le requérant ayant interjeté appel de cette décision devant le tribunal départemental de Buzău, ce dernier, par décision du 5 décembre 2016, nomma un nouveau curateur spécial aux fins de la procédure et, par décision du 6 février 2017, ordonna une nouvelle expertise médico-légale afin de déterminer si le discernement du requérant était anéanti ou seulement altéré. Le tribunal départemental accepta en outre, à la demande de l’avocat du requérant le représentant devant la Cour, de saisir la Cour constitutionnelle d’une exception d’inconstitutionnalité de l’article 164 § 1 du CC au motif qu’il autorisait uniquement la déclaration d’incapacité totale d’une personne, excluant l’ajustement de la protection juridique en fonction des capacités mentales de la personne en cause. La procédure est actuellement pendante devant le tribunal départemental de Buzău. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le code pénal Les dispositions pertinentes de l’ancien CP, en vigueur avant le 1er février 2014, se lisaient ainsi : Article 111 – Le but des mesures de sûreté « Les mesures de sûreté ont pour but de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale (faptelor prevăzute de legea penală). Les mesures de sûreté sont prises à l’égard de personnes qui ont commis des actes prévus par la loi pénale. Les mesures de sûreté peuvent être prises à l’encontre de personnes à l’égard desquelles aucune peine n’est prononcée (...) » Article 113 – Le traitement médical obligatoire « Si l’auteur allégué d’une infraction (făptuitorul) présente un danger pour la société à cause d’une maladie ou de l’intoxication chronique causée par l’alcool, des stupéfiants ou d’autres substances, il peut être obligé de se présenter régulièrement pour un traitement médical jusqu’à son rétablissement. Si la personne à l’égard de laquelle une telle mesure a été prise ne se présente pas régulièrement pour son traitement, il est possible d’appliquer à son égard la mesure d’internement médical. (...) Cette mesure peut être prise provisoirement, y compris au cours des poursuites pénales ou du jugement. » Article 114 – L’internement médical « Si l’auteur allégué d’une infraction souffre d’une maladie mentale ou est toxicomane et s’il se trouve dans un état qui présente un danger pour la société, la mesure d’internement dans un institut médical spécialisé peut être prise jusqu’à son rétablissement. Cette mesure peut être prise provisoirement, y compris au cours des poursuites pénales ou du jugement. » L’article 110 régissant l’internement médical du nouveau CP, entré en vigueur le 1er février 2014, énonce que cette mesure dure jusqu’au rétablissement de la personne internée ou jusqu’à une amélioration de son état de nature à mettre fin au danger qu’elle peut présenter. B. Le code de procédure pénale L’adoption des mesures de sûreté Les dispositions pertinentes de l’article 162 de l’ancien CPP, en vigueur à l’époque de la décision de l’internement du requérant, étaient ainsi libellées : Article 162 – L’adoption des mesures de sûreté « Pendant toute la durée du procès pénal, le procureur ou le tribunal qui constate que le suspect ou l’inculpé est dans une des situations prévues par les articles 113 ou 114 du CP ordonne provisoirement la mesure de sûreté adéquate. Le procureur ou le tribunal prend les mesures nécessaires en vue de l’exécution de la mesure d’internement provisoire et, dans le même temps, saisit la commission médicale compétente pour recueillir son avis sur l’internement des malades mentaux et des toxicomanes dangereux. La mesure d’internement provisoire dure jusqu’à sa confirmation par le tribunal. Cette confirmation s’effectue sur le fondement de l’avis de la commission médicale. (...) La décision de justice par laquelle l’internement a été confirmé peut être attaquée séparément par un recours. Le recours n’est pas suspensif d’exécution. » La loi no 281/2003, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, a modifié l’article 162 : désormais, seul le tribunal peut ordonner l’internement ; un nouveau paragraphe a été ajouté, qui exige la prise des mesures de sûreté prévues aux articles 113 et 114 avant l’audition des suspects ou des inculpés en présence de leur avocat et du procureur. De nouvelles modifications avaient été apportées par la loi no 356/2006, entrée en vigueur le 6 septembre 2006. Selon ces modifications, la mesure provisoire d’internement ne pouvait dépasser cent quatre-vingts jours au cours des poursuites pénales et l’avis de la commission médicale compétente nécessaire en vue de la confirmation de la mesure devait parvenir au tribunal dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la saisine de la commission. Par ailleurs, l’intéressé pouvait demander à être examiné par un médecin spécialiste qu’il avait lui-même désigné et dont les conclusions étaient communiquées au tribunal statuant sur l’internement. La mise à exécution de la mesure d’internement Les dispositions pertinentes de l’ancien CPP étaient ainsi libellées à l’époque de la décision de l’internement du requérant : Article 432 « La mesure de sûreté de l’internement médical ordonnée par une décision définitive est mise à exécution par la notification de son dispositif et d’une copie du rapport médico-légal à l’unité sanitaire du département dans lequel habite la personne contre laquelle la mesure a été prise. » La modification de la mesure d’internement Les dispositions pertinentes de l’ancien CPP étaient ainsi libellées à l’époque de la décision de l’internement du requérant : Article 433 « (...) L’unité sanitaire dans laquelle l’intéressé est interné doit, si l’internement s’avère n’être plus nécessaire, en informer le tribunal sis dans la circonscription dans laquelle est située l’unité sanitaire. » Article 434 « Le tribunal, après avoir saisi le procureur conformément à l’article 433 § 2 et après avoir recueilli les conclusions du procureur, de l’avocat et, si cela se révèle nécessaire, de la personne internée, ordonne soit la levée de la mesure soit son remplacement par la mesure de traitement médical obligatoire. La levée ou le remplacement de la mesure d’internement peuvent être demandés tant par la personne internée que par le procureur. Dans ces cas, la juridiction sollicite l’avis de l’unité sanitaire dans laquelle se trouve la personne internée. Si la personne internée n’a pas un avocat choisi par elle, elle bénéficie d’un avocat commis d’office (...) » Article 435 « Lorsque la mesure d’obligation de traitement médical ou d’internement médical a été prise de manière provisoire au cours des poursuites pénales ou du jugement, la mise à exécution est faite par le procureur ou par l’instance judiciaire ayant pris cette mesure. Les dispositions prévues aux articles 430-434 s’appliquent mutatis mutandis. » À la suite des modifications apportées par la loi no 356/2006, entrée en vigueur le 6 septembre 2006, l’article 434 prévoyait que le tribunal était tenu d’entendre la personne internée si la comparution devant le tribunal était possible, ainsi que le spécialiste ayant dressé le rapport médico-légal utilisé dans la cause, pour autant que cela se révélait utile. Lorsque le remplacement ou la levée de la mesure étaient demandés par la personne internée ou par le procureur, le tribunal devait ordonner la réalisation d’un rapport médico-légal et non plus demander l’avis de l’unité sanitaire dans laquelle la personne visée était internée. En outre, le juge délégué près le tribunal de première instance du secteur où se trouvait l’unité sanitaire dans laquelle l’intéressé était interné vérifiait périodiquement, mais au minimum tous les six mois, si l’internement demeurait nécessaire. À cette fin, le juge délégué ordonnait la réalisation d’un rapport médico-légal sur l’état de santé de la personne internée et, à sa réception, saisissait le tribunal afin que celui-ci se prononçât sur le maintien, le remplacement ou la levée de la mesure. Le nouveau CPP est entré en vigueur le 1er février 2014. Son article 569 § 3 prévoit désormais que le juge délégué vérifie, au moins tous les douze mois, si l’internement demeure nécessaire. La citation des personnes internées dans un établissement médical L’article 177 § 5 du CPP, applicable jusqu’au 1er février 2014, était ainsi libellé : « Les malades hospitalisés ou internés dans un établissement médical sont cités à comparaître par le truchement de l’administration [de l’hôpital ou de l’établissement]. » L’article 259 § 6 du CPP, en vigueur à ce jour, contient des dispositions similaires. L’article 198 § 4 c) et f) du CPP en vigueur jusqu’au 1er février 2014 prévoyait que le juge pouvait infliger une amende à un expert judiciaire (personne physique ou morale) qui tergiversait ou manquait à son obligation de soumettre un rapport au tribunal. L’article 283 § 4 c) et f) du nouveau CPP contient des dispositions similaires. C. Dispositions relatives à l’interdiction civile, à la tutelle et à la curatelle Les dispositions du code de la famille concernant les personnes faisant l’objet d’une mesure d’interdiction civile, en vigueur à l’époque de l’internement du requérant, peuvent se lire comme suit : Article 142 « Toute personne qui, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, se trouve privée du discernement lui permettant de faire valoir ses intérêts sera frappée d’interdiction. (...) » Article 149 « Le tuteur a l’obligation de prendre soin de la personne frappée d’interdiction afin d’accélérer son rétablissement et d’améliorer ses conditions de vie (...). L’autorité de tutelle, en accord avec le service de santé publique compétent et en fonction des circonstances, devra décider si la personne dépourvue de [capacité juridique] sera soignée à son domicile ou dans une institution médicale. » Article 152 « En dehors des autres situations prévues par la loi, l’autorité de tutelle doit nommer un curateur dans les cas suivants : (a) Lorsque, en raison de la vieillesse, de sa maladie ou d’une infirmité physique, une personne disposant de [la capacité juridique] n’est pas en mesure de gérer personnellement ses biens ou de défendre ses intérêts de manière adéquate et, pour des raisons sérieuses, n’est pas en mesure de désigner elle-même un représentant ; (b) Lorsque, en raison de sa maladie ou pour d’autres motifs, une personne disposant de [la capacité juridique] n’est pas en mesure, ni personnellement ni par le biais d’un représentant, de prendre les mesures nécessaires dans des situations d’urgence. (...) » Article 153 « Dans les cas prévus à l’article 152, la curatelle ne porte pas atteinte à la capacité de la personne représentée par le curateur. » Le nouveau code civil a été publié au Journal officiel no 511 du 24 juillet 2009, puis republié au Journal officiel no 505 du 15 juillet 2011. Il est entré en vigueur le 1er octobre 2011. Son titre III régit, entre autres, les mesures de protection des personnes majeures qui sont dans l’incapacité de pourvoir seules à leurs intérêts et reprend, pour l’essentiel, les dispositions de l’ancien code de la famille pertinentes en l’espèce. Ainsi, l’article 164 de ce code énonce que « toute personne qui, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, se trouve privée du discernement lui permettant de faire valoir ses intérêts, sera frappée d’interdiction par décision de justice (interdicţie judecătorească) ». L’article 170 énonce que le juge des tutelles (instanţa de tutelă) doit désigner un tuteur par la décision de justice ordonnant l’interdiction. Selon l’article 167, en cas de besoin, et ce jusqu’à la mesure d’interdiction par décision définitive de justice, le juge des tutelles peut désigner un curateur spécial pour prendre soin et pour représenter la personne pour laquelle l’interdiction est réclamée, ainsi que pour gérer ses biens. L’article 178 régit la curatelle qui doit être instituée entre autres si, en raison de la maladie, une personne, bien que disposant de la capacité juridique, n’est pas en mesure de défendre ses intérêts de manière adéquate et, pour des raisons objectives, n’est pas en mesure de désigner elle-même un représentant. D. La loi no 487/2002 sur la santé mentale et la loi no 448/2006 sur la protection des personnes atteintes d’un handicap Les dispositions pertinentes des lois susmentionnées et la pratique interne pertinente en l’espèce relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques sont en partie décrites dans les arrêts C.B. c. Roumanie (no 21207/03, § 37, 20 avril 2010), Parascineti c. Roumanie (no 32060/05, §§ 25 et 29, 13 mars 2012), Cristian Teodorescu c. Roumanie (no 22883/05, §§ 30-40, 19 juin 2012) et B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 42 et suivants, 19 février 2013). E. Dispositions relatives à la réparation du préjudice causé par une privation illégale de liberté L’article 504 du CPP, en vigueur jusqu’au 1er février 2014, régissant l’action en réparation de préjudice moral dirigée contre l’État en cas d’erreur judiciaire ou de privation de liberté illégale, ainsi que les décisions nos 45/1998 et 417/2004 de la Cour constitutionnelle portant sur l’interprétation de celui-ci sont exposés dans les arrêts Oprea c. Roumanie (no 26765/05, §§ 10-11, 10 décembre 2013) et Visan c. Roumanie (no 15741/03, §§ 17-18, 24 avril 2008). L’article 504 du CPP énonce que, pour pouvoir donner lieu à réparation, la privation ou la restriction illégale de liberté doit avoir été constatée, selon le cas, par une ordonnance du procureur portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté, par un non-lieu ou par une décision du tribunal portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté. Les dispositions pertinentes en l’espèce du nouveau CPP, entré en vigueur le 1er février 2014, sont ainsi libellées : Article 539 – Le droit à la réparation du préjudice en cas de privation illégale de liberté « 1. La personne qui a été illégalement privée de liberté pendant le procès pénal a droit à la réparation de son préjudice. La privation illégale de liberté doit être établie, le cas échéant, par une ordonnance du procureur, par une décision avant dire droit définitive du juge des droits et des libertés ou du juge de la chambre préliminaire, ou bien par une décision avant dire droit définitive ou une décision définitive du tribunal compétent pour se prononcer en l’affaire. » Article 540 § 1 – La nature et l’étendue de la réparation « Pour établir le montant de la réparation, [le tribunal] tient compte de la durée de la privation illégale de liberté ainsi que des conséquences sur la personne [privée de liberté] et sa famille (...) » Article 541 § 2 – L’action en réparation du préjudice « L’action peut être introduite dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision du tribunal est devenue définitive, ainsi qu[‘à compter de la date de] l’ordonnance ou [d]es décisions avant dire droit des autorités judiciaires par lesquelles il a été fait constat de l’erreur judiciaire ou de la privation illégale de liberté (...) » La pratique interne pertinente en l’espèce relative à l’application directe par les tribunaux roumains des dispositions de la Constitution et de l’article 5 § 5 de la Convention dans des procédures engagées aux fins de réparation du préjudice subi lors de privations de liberté considérées comme illégales est décrite dans l’affaire Dragomir c. Roumanie ((déc.) no 59064/11, §§ 10-14, 3 juin 2014). III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS 100. Les dispositions pertinentes en l’espèce de plusieurs documents adoptés dans la cadre de l’Organisation des Nations unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne sont décrites dans l’arrêt M.S. c. Croatie (no 2) (no 75450/12, §§ 45-61, 19 février 2015). Certains documents présentant une pertinence particulière pour la présente affaire figurent cidessous. A. Les Nations unies 101. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (« la CDPH »), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006 (Résolution A/RES/61/106), a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque. Elle a été ratifiée, à la fin septembre 2016, par 44 des 47 États membres du Conseil de l’Europe. La Roumanie l’a ratifiée le 31 janvier 2011. Les dispositions pertinentes en l’espèce de cette Convention se lisent ainsi : Article 13 – Accès à la justice « 1. Les États Parties assurent l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, sur la base de l’égalité avec les autres, y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge, afin de faciliter leur participation effective, directe ou indirecte, notamment en tant que témoins, à toutes les procédures judiciaires, y compris au stade de l’enquête et aux autres stades préliminaires. Afin d’aider à assurer l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, les États Parties favorisent une formation appropriée des personnels concourant à l’administration de la justice, y compris les personnels de police et les personnels pénitentiaires. » Article 14 – Liberté et sécurité de la personne « 1. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres : a) Jouissent du droit à la liberté et à la sûreté de leur personne ; b) Ne soient pas privées de leur liberté de façon illégale ou arbitraire ; ils veillent en outre à ce que toute privation de liberté soit conforme à la loi et à ce qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, si elles sont privées de leur liberté à l’issue d’une quelconque procédure, aient droit, sur la base de l’égalité avec les autres, aux garanties prévues par le droit international des droits de l’homme et soient traitées conformément aux buts et principes de la présente Convention, y compris en bénéficiant d’aménagements raisonnables. » Article 19 – Autonomie de vie et inclusion dans la société « Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que : a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ; b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ; c) Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins. » 102. En septembre 2015, lors de sa 14e session, le Comité des droits des personnes handicapées a adopté les Lignes directrices relatives à l’article 14 de la Convention sur les droits des personnes handicapées, qui ont remplacé la Déclaration qu’il avait adoptée sur le même sujet en septembre 2014 (voir, pour les extraits pertinents en l’espèce, Hiller c. Autriche, no 1967/14, § 36, 22 novembre 2016). Les parties pertinentes en l’espèce de ces Lignes directrices se lisent ainsi (traduction du greffe) : « III. Interdiction absolue de la détention fondée sur une déficience Il subsiste des pratiques en vertu desquelles des États parties autorisent la privation de liberté en raison d’une déficience, réelle ou supposée. À cet égard, le Comité a établi que l’article 14 ne ménage aucune exception qui permette de placer une personne en détention en raison d’une déficience, réelle ou supposée. Cependant, dans divers États parties la législation – y compris les lois sur la santé mentale – prévoit encore des cas où il est possible de placer une personne en détention en raison d’une déficience, réelle ou supposée, dès lors que d’autres motifs justifient cette mesure, par exemple la circonstance que la personne concernée est estimée dangereuse pour elle-même ou pour autrui. Cette pratique est incompatible avec l’article 14 [de la CDPH] ; elle est par essence discriminatoire et constitue une privation arbitraire de liberté. (...) [L’]article 14 § 1 b) [de la CDPH] interdit la privation de liberté fondée sur une déficience, réelle ou supposée, même si l’on s’appuie sur des facteurs ou critères complémentaires pour justifier la privation de liberté (...) La jouissance du droit à la liberté et à la sûreté de la personne est cruciale pour la mise en œuvre de l’article 19 [de la CDPH], consacré au droit de vivre de manière autonome et à être intégré dans la société. Le Comité a souligné ce lien avec l’article 19. Il a exprimé sa préoccupation concernant le placement en institution de personnes handicapées et l’absence de services d’aide dans la société, et a recommandé la mise en place de tels services ainsi que de stratégies efficaces de désinstitutionnalisation, en consultation avec les organisations qui défendent les personnes handicapées. Par ailleurs, il a préconisé l’affectation de crédits supplémentaires visant à permettre la mise à disposition de services suffisants dans le milieu local. IV. Internement non volontaire ou non consenti dans un établissement de santé mentale L’internement non volontaire d’une personne handicapée pour raisons de santé est contraire à l’interdiction absolue visant la privation de liberté fondée sur une déficience (article 14 § 1 b) [de la CDPH]) et au principe du consentement libre et éclairé de la personne concernée aux soins de santé (article 25 [de la CDPH]). Le Comité a maintes fois déclaré que les États parties doivent abroger les dispositions qui autorisent l’internement non volontaire d’une personne handicapée dans un établissement de santé mentale sur le fondement d’une déficience, réelle ou supposée. L’internement non volontaire dans un centre de santé mentale va de pair avec la négation de la capacité juridique de l’intéressé à prendre des décisions concernant des soins, un traitement et l’admission dans un hôpital ou un établissement, et dès lors emporte violation de l’article 12 combiné avec l’article 14 [de la CDPH] (...) VIII. Placement en détention d’une personne estimée inapte à être jugée dans le cadre du système de justice pénale et/ou pénalement irresponsable Le Comité a établi que les déclarations indiquant qu’une personne est inapte à subir un procès ou ne peut être reconnue pénalement responsable dans le cadre d’un système de justice pénale, ainsi que la mise en détention d’une personne sur le fondement de telles déclarations, sont contraires à l’article 14 de la [CDPH] dès lors qu’elles privent la personne concernée de son droit de se défendre et des garanties applicables à tout justiciable. Le Comité a également demandé aux États parties de supprimer ces déclarations de leur système de justice pénale. Il a recommandé que « toute personne handicapée qui a été accusée d’une infraction et (...) détenue dans une prison ou un établissement, sans faire l’objet d’un procès, soit autorisée à se défendre contre les accusations pénales portées contre elle, et qu’elle se voie offrir soutien et aménagements nécessaires pour faciliter sa participation effective », ainsi que les aménagements procéduraux destinés à lui assurer un procès équitable et le respect des droits de la défense (...) XI. Mesures de sûreté Le Comité s’est penché sur les mesures de sûreté imposées aux individus jugés irresponsables en raison d’une « aliénation mentale » et de l’impossibilité de les déclarer pénalement responsables. Le Comité a également recommandé la suppression des mesures de sûreté, y compris celles qui s’accompagnent d’un traitement médical et psychiatrique forcé en établissement. Il a aussi exprimé sa préoccupation concernant les mesures de sûreté qui impliquent une privation de liberté d’une durée indéterminée et l’absence des garanties habituelles dans le cadre du système de justice pénale. » 103. Dans ses constatations adoptées le 2 septembre 2016, dans le cadre de la communication no 7/2012, entamée par Marlon James Noble contre l’Australie, le Comité des droits des personnes handicapées a conclu à la violation de l’article 14 § 1 b) de la CDPH au motif que le requérant, atteint de déficiences intellectuelles, avait été incarcéré dans une prison, et ce après que la procédure pénale ouverte à son encontre du chef de plusieurs agressions sexuelles avait été clôturée au motif qu’il avait été déclaré dépourvu de discernement (unfit to plead). Le Comité a souligné que les autorités nationales avaient reconnu que la prison n’était pas l’environnement approprié pour le plaignant, mais que son incarcération se justifiait par l’absence de voies alternatives et de services sociaux disponibles. Le Comité a conclu que la détention de l’intéressé avait été imposée après l’examen par les autorités nationales des conséquences éventuelles de son handicap intellectuel, en l’absence de toute condamnation pénale, faisant ainsi de son handicap la cause principale de sa détention, en méconnaissance de l’article 14 § 1 b) de la CDPH. Dans ses constatations, le Comité a en outre critiqué l’impossibilité pour le plaignant de voir examiner les charges portées à son encontre et de se disculper éventuellement de son statut d’agresseur sexuel, et ce en raison de son handicap intellectuel. Il a indiqué que cette situation révélait un traitement discriminatoire et qu’elle s’analysait en une méconnaissance à l’égard du plaignant du droit d’accès à la justice et du droit à un procès équitable. 104. Le rapport, présenté en juillet 2005 par le Rapporteur spécial sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental susceptible d’être atteint devant la Commission des droits de l’homme des Nations unies à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 23 au 27 août 2004 (E/CN.4/2005/51/Add.4), contient notamment ces remarques : « 65. Une des principales préoccupations du Rapporteur spécial tient au fait que les soins de santé mentale continuent d’être largement assurés dans de vastes institutions psychiatriques ne disposant pas de services de réadaptation adéquats et à l’insuffisance des services de soins et d’aide aux personnes présentant des troubles mentaux au niveau communautaire. Le système centralisé de placement en institution va à l’encontre du droit des personnes souffrant de troubles mentaux d’être traitées et soignées, dans la mesure du possible, dans la communauté dans laquelle elles vivent, et de travailler dans cette dernière. Le Rapporteur spécial souligne que le droit à la santé comporte le droit de bénéficier de soins, notamment de soins de santé mentale, géographiquement accessibles, conçus pour améliorer l’état de santé des patients et d’une qualité scientifique et médicale satisfaisante. » 105. Le rapport présenté en avril 2016 par le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté au Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la mission qu’il avait menée en Roumanie du 2 au 11 novembre 2015 (A/HRC/32/31/Add.2) est ainsi libellé dans ces parties pertinentes en l’espèce : (Traduction du greffe) « 45. (...) La Roumanie présente encore un niveau élevé du nombre d’adultes atteints d’un handicap placés en institution. Bien que la désinstitutionnalisation des personnes handicapées ait été depuis longtemps un objectif stratégique, très peu de mesures concrètes ont été prises pour atteindre cet objectif. Selon les autorités, au moins 17 567 adultes handicapés sont placés dans des structures résidentielles depuis 30 juin 2015. Le Rapporteur spécial a visité deux structures résidentielles dans le département de Prahova. Dans l’une d’elles, destinée au rétablissement et à la réadaptation des adultes atteints d’une déficience mentale, le directeur a déclaré de manière claire qu’il n’y avait eu rétablissement ou réadaptation d’aucun des résidents. Les résidents sont donc voués à rester dans ces structures jusqu’à leur mort, sans aucune chance de vivre au sein la société. La structure que le Rapporteur spécial a visitée est plutôt la règle et non l’exception. Les représentants des directions des deux structures visitées ont évoqué leur intérêt pour la désinstitutionnalisation de leurs résidents, mais ont conclu que cela n’était pas réalisable en raison d’obstacles tels que l’opposition des résidents locaux à l’intégration de personnes handicapées au sein de leurs communautés et l’absence de moyens locatifs pour ces personnes. Il apparaît en outre que des investissements sont réalisés pour rénover et agrandir les structures existantes plutôt que pour construire les infrastructures et les services susceptibles de permettre aux personnes handicapées de vivre de manière indépendante. » B. Le Conseil de l’Europe 106. Le 30 novembre 2016, le Conseil de l’Europe a adopté sa nouvelle Stratégie sur le handicap 2017-2023, dont l’objectif global est la réalisation de l’égalité, de la dignité et de l’égalité des chances pour les personnes handicapées. Cette stratégie exige de garantir à celles-ci l’autonomie, la liberté de choix, et la participation pleine et effective à la vie de la société et de la communauté (point 16). Le document de la stratégie vise à guider et soutenir le travail et les activités qui sont réalisés par le Conseil de l’Europe, ses États membres et d’autres parties prenantes, aux niveaux tant national que local, et qui visent à mettre en œuvre la CDPH (point 17). 107. Dans son rapport publié le 24 septembre 2015 à la suite de sa visite en juin 2014 à l’hôpital psychiatrique de Săpoca, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) notait, par rapport à la surpopulation caractérisant les diverses unités de l’hôpital : « 124. (...) En outre, le CPT est d’avis qu’il conviendrait d’apporter une réponse structurelle et de développer des politiques favorisant la désinstitutionnalisation et permettant la mise en place d’une offre de soins alternative étoffée (hôpitaux de jour, maisons communautaires, etc.) de proximité. Cela ne pourrait que contribuer efficacement à diminuer la pression constante pesant sur les capacités d’accueil de l’Hôpital psychiatrique de Săpoca. À cet égard, après la visite les autorités roumaines ont également fait savoir que des démarches avaient été initiées auprès des autorités locales afin de mettre en place des unités de soins médico-sociales et des services communautaires qui permettraient de réduire le surpeuplement de l’hôpital et d’apporter une réponse plus adaptée aux besoins de soins de certains patients. » Pour ce qui était des garanties offertes aux personnes concernées par des mesures de sûreté, le CPT indiquait : « 151. (...) L’examen des dossiers personnels des patients a fait apparaître qu’ils étaient bien tenus. Les délais de procédures étaient respectés, et un avocat était présent lors des audiences judiciaires. La décision judiciaire de maintien de placement était notifiée par écrit à l’hôpital et au patient. Les entretiens avec des patients ont fait apparaître qu’ils étaient généralement entendus par la commission d’évaluation et informés du maintien de leur placement dans l’établissement. Les patients pouvaient s’y présenter assistés de leur avocat. La présence des patients, et de leurs avocats, n’était toutefois pas mentionnée dans les procès-verbaux de la commission. Le CPT recommande aux autorités roumaines de veiller à ce que désormais les procès-verbaux citent expressément les parties convoquées et celles présentes. » S’agissant notamment de la révision de la mesure d’internement, le CPT relevait que ce qui suit : « En pratique, il y a un rapport du médecin traitant, une audition par une commission d’évaluation comprenant l’expert légiste, un à trois psychiatres de l’hôpital concerné, le psychiatre traitant – qui ne participe pas à la décision – et un secrétaire. » 108. Dans son rapport publié le 8 juillet 2014, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, à la suite de sa visite en Roumanie du 31 mars au 4 avril 2014 (CommDH(2014)14), fait part de son inquiétude liée au fait que, en dépit des garanties existantes, les personnes handicapées ne bénéficient pas la plupart du temps d’un contrôle judiciaire de leur placement dans une institution (§§ 14-25). Il renvoie à cet égard à la jurisprudence de la Cour, aux conclusions du CPT consécutives à ses visites en Roumanie ou à celles de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (« FRA »). En outre, il souligne que l’obstacle majeur à la vie en société des personnes handicapées est l’absence d’alternative au placement dans des institutions, lequel représente finalement un arrangement à vie pour la majorité des personnes concernées (§§ 26-27).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1961. Elle purge actuellement une peine de prison. Le 6 septembre 2007, la requérante, accusée d’escroquerie, fut placée en détention provisoire à la prison de Galați. Son compagnon, G.D.V., également accusé dans la même affaire, fut placé en détention provisoire dans la même prison. Le couple eut le droit de se rencontrer à plusieurs reprises dans des cabines de parloir pourvues d’un dispositif de séparation par cloison vitrée. À diverses occasions, la requérante fut sanctionnée disciplinairement par des avertissements en raison de son comportement considéré comme inapproprié à l’égard du personnel de la prison. Sur contestation de la requérante, le juge de l’application des peines délégué à la prison de Galați (« le juge délégué ») annula certaines de ces sanctions, estimant qu’il n’existait pas de preuve du comportement reproché à la requérante et que celle-ci avait fait l’objet de provocations de la part du personnel de la prison. A. Demandes de visites conjugales pendant la détention provisoire Première demande Le 5 août 2008, invoquant sa relation stable avec G.D.V. et les dispositions de la loi no 275/2006 relative aux droits des personnes détenues (paragraphe 20 ci-après), la requérante réclama le droit de bénéficier de visites conjugales. Sa demande fut rejetée sans motivation par le directeur de la prison. La requérante contesta cette décision et, par un jugement du 26 août 2008, le juge délégué accueillit sa demande et lui reconnut le droit de bénéficier de visites conjugales dans les mêmes conditions que les détenus condamnés. Le juge constata que le droit à bénéficier de visites conjugales était prévu par le règlement d’application de la loi no 275/2006 (ci-après « le règlement ») en faveur des détenus condamnés. S’appuyant sur les dispositions de la Constitution concernant la protection de la vie privée et familiale et sur les dispositions de la loi no 275/2006 garantissant des droits égaux aux différentes catégories de détenus, le juge considéra que le règlement ne pouvait pas restreindre les droits des personnes en détention provisoire qui, selon lui, devaient bénéficier, à l’instar des personnes condamnées, du droit à des visites conjugales. La direction de la prison interjeta appel, soutenant que la décision du juge était contraire aux dispositions légales en vigueur, lesquelles, selon elle, limitaient l’exercice de ce droit aux seuls détenus condamnés. Par un jugement du 13 octobre 2008, le tribunal de première instance de Galați accueillit cet appel et rejeta la contestation de la requérante. Seconde demande Le 1er avril 2009, la requérante épousa son compagnon en prison. Le 17 avril 2009, elle réitéra sa demande de visites conjugales. Le 20 avril 2009, la requérante et G.D.V. bénéficièrent, à la suite de la célébration de leur mariage, d’une visite conjugale de 48 heures à l’intérieur de la prison. Quant aux visites conjugales mensuelles réclamées par la requérante, le directeur de la prison rejeta la demande de celle-ci au motif que, en vertu du règlement, ces visites étaient réservées aux détenus condamnés. La requérante contesta ce refus devant le juge délégué. Par une décision du 21 mai 2009, le juge délégué souleva d’office une exception d’illégalité du règlement et renvoya le dossier à la cour d’appel de Galaţi. Il estima que l’interdiction litigieuse était contraire à la Constitution dès lors qu’elle était automatique et qu’elle ne tenait pas compte de la situation personnelle des détenus. À cet égard, observant que la requérante et G.D.V. avaient déjà le droit de se rencontrer au parloir et qu’ils étaient autorisés à ces occasions à se parler et à échanger des informations sans que les gardiens ne les écoutent, le juge argua que les visites conjugales ne pouvaient nullement entraver l’enquête en cours. Par un arrêt du 20 octobre 2009, la cour d’appel jugea que les dispositions litigieuses étaient illégales et contraires à la protection constitutionnelle de la vie privée et familiale dès lors qu’elles limitaient les droits des détenus. Le directeur de la prison forma un pourvoi. Le 18 juin 2010, la requérante fut condamnée à une peine de treize ans de prison pour escroquerie. Le 8 octobre 2010, elle bénéficia d’une visite conjugale de deux heures en tant que détenue condamnée. Par un arrêt du 9 mars 2011, la Haute Cour de cassation et de justice accueillit le pourvoi formé par le directeur de la prison et confirma les dispositions contestées, estimant que, en vertu de la loi no 275/2006 telle qu’amendée par la loi no 83/2010, seuls les détenus condamnés pouvaient bénéficier de visites conjugales dans les conditions prévues par le règlement. Par conséquent, elle renvoya le dossier au juge délégué pour trancher la contestation. Le 19 mai 2011, le juge délégué, s’appuyant sur l’arrêt de la Haute Cour, rejeta la contestation de la requérante. Par ailleurs, il constata que, en tout état de cause, la situation dénoncée par la requérante était caduque dès lors que cette dernière avait été condamnée et que, à ce titre, elle pouvait désormais bénéficier de visites conjugales. B. Demande de visite familiale sans dispositif de séparation Parallèlement, le 6 juillet 2009, la requérante demanda l’autorisation de recevoir au mois d’août 2009 la visite de sa fille, qui habitait à l’étranger, dans un parloir sans dispositif de séparation. Le directeur de la prison s’y opposa au motif que la requérante était en détention provisoire et qu’elle avait fait l’objet de sanctions disciplinaires (paragraphe 6 ci-dessus). La requérante contesta ce refus et, par une décision du 22 juillet 2009, le juge délégué accueillit sa demande. Considérant que la fille de la requérante ne pouvait lui rendre visite que rarement et estimant que les faits reprochés à la requérante étaient sans gravité, le juge autorisa une visite au cours du mois d’août dans un parloir sans dispositif de séparation. Il ressort du registre des visites que la requérante a reçu la visite de sa fille les 13, 18, 20 et 25 août 2009 et que les visites des 20 et 25 août 2009 ont eu lieu avec un dispositif de séparation. Les parties sont en désaccord quant à la visite du 13 août 2009 : la requérante affirme qu’elle a eu lieu avec un dispositif de séparation, alors que le Gouvernement soutient, en se basant sur les informations fournies par la direction de la prison, qu’elle a eu lieu sans un tel dispositif. Enfin, s’agissant de la visite du 18 août 2009, le registre des visites indique qu’elle a eu lieu « sans dispositif ». II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 275/2006 relative aux droits des personnes détenues et du règlement d’application de cette loi sont décrites dans l’affaire Costel Gaciu c. Roumanie (no 39633/10, §§ 2426, 23 juin 2015). Ces dispositions prévoyaient pour les détenus condamnés le droit à des visites conjugales trimestrielles. De plus, en cas de mariage célébré dans la prison, les époux avaient droit à une visite conjugale de 48 heures, puis à des visites conjugales mensuelles de deux heures. La loi no 254/2013 a remplacé la loi no 275/2006. Les articles 145 et 249 du règlement d’application de la loi no 254/2013 prévoient que les personnes en détention provisoire peuvent bénéficier, sous certaines conditions et avec l’accord du procureur qui dirige l’enquête, de visites conjugales trimestrielles d’une durée de trois heures.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1957. Il est interné à l’établissement de défense sociale de Paifve (« EDS de Paifve »). A. L’internement initial du requérant En 1997, le requérant fut condamné pour des faits de vol et de violence sexuelle, respectivement par la cour d’appel de Liège et le tribunal correctionnel d’Eupen. La fin des peines d’emprisonnement était prévue pour le 20 février 2004. Pendant qu’il était détenu, le requérant commit des faits pour lesquels de nouvelles poursuites furent engagées. Le 16 juin 2003, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège décida, en application de l’article 7 de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »), et sur la base notamment d’un rapport neuropsychiatrique du Dr L. du 15 décembre 2001 et d’un rapport du psychologue H. du 20 août 2002, d’interner le requérant. Le 1er août 2003, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège confirma cette décision. Le requérant ne se pourvut pas en cassation. Le 15 janvier 2004, sur base notamment d’un rapport psychiatrique du Dr V. du 23 septembre 2003, la ministre de la Justice décida également d’interner le requérant, en application de l’article 21 de la loi de défense sociale, pour la poursuite des peines infligées en 1997. Le 21 janvier 2004, le requérant intégra l’EDS de Paifve, situé dans la région de langue française, sur décision de la commission de défense sociale près l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin (« CDS ») du 16 octobre 2003. B. La première demande de libération à l’essai et la demande de sorties devant la CDS À une date non précisée, le requérant demanda une première fois sa libération à l’essai. Le 27 janvier 2006, la CDS remit l’examen de la demande de libération à l’essai au mois de mars 2006, considérant qu’il y avait lieu de rechercher une institution pouvant le prendre en charge et assurer sa thérapie en langue allemande, seule langue comprise et parlée par le requérant. La demande fut examinée par la CDS le 9 juin 2006. À l’audience, la directrice de l’EDS de Paifve admit que ses services n’étaient pas en mesure de répondre aux exigences thérapeutiques préconisées par les experts déjà consultés étant donné qu’il n’y avait pas de médecin, thérapeute, psychologue, assistant social ou surveillant germanophone dans l’établissement. Aussi, la CDS considéra que : « Il n’est pas contesté que l’interné est unilingue allemand et que le personnel médical, social et pénitentiaire de l’établissement de détention ne peut lui fournir la moindre aide thérapeutique ou sociale ; qu’il est abandonné à son sort sans aucun soin depuis son arrivée à Paifve (le 21 janvier 2004) même si quelques personnes se sont bénévolement dévouées pour lui apporter quelques explications sur sa situation vécue comme une injustice ; Dans le cas d’espèce, la double finalité légale de l’internement, la protection de la société et la santé du patient, ne peut être satisfaite que si la privation de liberté est assortie des soins que nécessite l’état mental de l’interné ; faute de remplir cette double condition, la privation de liberté de Rooman est illégale ; [...] » La CDS remit l’examen de la demande de libération à l’essai à une audience en septembre 2006 dans l’attente que des collaborateurs germanophones soient désignés à l’EDS de Paifve. En vertu d’une ordonnance du président de la CDS du 24 septembre 2006, le requérant fut transféré à l’établissement pénitentiaire de Verviers afin que l’équipe psychosociale germanophone de la prison puisse procéder à un examen de son état mental et déterminer sa dangerosité. Le 30 octobre 2006, la CDS confirma cette ordonnance et remit la cause à une date ultérieure. Le 26 janvier 2007, la CDS rejeta la demande de libération à l’essai. Il ressortait d’un rapport du 24 janvier 2007 établi par l’équipe psychosociale germanophone de la prison de Verviers que le requérant avait une personnalité psychotique et des traits de personnalité paranoïaque (haute estime de soi, sentiment de toute-puissance, absence d’autocritique et propos menaçants) et qu’il refusait tout soin. Par ailleurs, la CDS constata qu’il n’existait en Belgique aucun établissement qui puisse répondre aux conditions de sécurité et de langue exigées par le requérant et que le seul hôpital germanophone qui pourrait être envisagé était un hôpital ouvert, exclu pour l’état mental du requérant. Le 14 avril 2008, le requérant introduisit une demande de sorties. Le 5 juin 2008, la CDS releva qu’aucun traitement n’avait pu être mis en place et que la recherche d’une institution germanophone demeurait vaine. Elle ordonna dès lors à la maison de justice d’Eupen de préparer un projet de libération à l’essai et elle ordonna une nouvelle expertise afin de déterminer le degré de dangerosité du requérant. Elle remit sine die l’examen de la demande. C. La procédure litigieuse, concernant la deuxième demande de libération à l’essai devant la CDS Saisie d’une nouvelle demande du requérant de libération à l’essai, la CDS constata, dans une décision du 5 mai 2009 : « La situation de Monsieur Rooman n’évolue pas et ne pourra évoluer que dans un cadre où il sera compris dans sa langue, comme tout citoyen de ce pays. Un seul agent pénitentiaire, l’infirmier [A.W.] lui assure temporairement un contact social là où un psychiatre et/ou un psychologue devraient être mis à sa disposition. Depuis des années, l’administration pénitentiaire n’apporte aucun élément de solution à ce problème bien connu de ses services. Pire, cette administration ne pouvant lui fournir les soins nécessaires, semble se résigner à limiter son rôle à un injuste enfermement répressif. Il résulte des rapports médicaux et de l’expertise du [Dr Ro.] que Rooman qui représente encore un danger social ne peut être libéré sans accompagnement et une préparation dans un cadre institutionnel qui ne se trouve pas actuellement en Belgique mais à l’étranger. » Partant, la CDS invita la maison de justice d’Eupen à préparer, avec le requérant, un projet de libération à l’essai et incita l’administration à prendre rapidement les dispositions nécessaires à l’évolution de la situation du requérant. Elle remit la cause à une date ultérieure. Le 13 octobre 2009, la CDS constata que : « Depuis les années que ce dossier est ouvert (octobre 2003), les intervenants se sont heurtés à la seule langue parlée et comprise par l’interné à l’égard duquel l’administration ne dispose pas de personnel germanophone si ce n’est du seul agent infirmier [A.W.] (qui, semble-t-il, devrait prochainement partir à la retraite) ; En septembre 2005, le docteur [Ri.], expert, écrivait que les assouplissements du régime de l’interné « ne sont possibles que parallèlement au succès thérapeutique, par échelons définis. La thérapie devrait commencer dans un établissement sécurisé puis dans une institution fermée ... ». Compte tenu de ce que le traitement en Allemagne est impossible, il devrait commencer à Paifve avec des psychiatres et thérapeutes germanophones ; Depuis cette époque la situation de l’interné n’a pas évolué : il converse et sort uniquement avec le seul agent germanophone de l’administration et sa thérapie n’a pas même été entamée. Les demandes de la commission [de défense sociale] en vue de faire cesser cette situation irrégulière de M. Rooman qui est privé de sa liberté pour, d’une part, protéger la société de ses dérives possibles et, d’autre part, lui donner les soins nécessaires à sa réinsertion, ne reçoivent pas de suite satisfaisante ; [...] Vu la carence de l’administration, la question se pose maintenant à la commission de savoir s’il existe à l’extérieur de l’établissement un service ou des personnes qui pourraient prendre en charge à domicile la thérapie de M. Rooman ; [...] » Sur la base de ces motifs, et rappelant que l’allemand est une des langues nationales et que le requérant était donc en droit de parler, de se faire comprendre et d’être soigné dans cette langue, la CDS demanda à la maison de justice d’Eupen de rechercher dans les arrondissements de Verviers et d’Eupen soit un service de santé mentale, soit un médecin ou une clinique qui pourrait prendre en charge à domicile la thérapie du requérant dans sa langue maternelle. Elle réserva à statuer sur la demande de libération à l’essai. Le 12 janvier 2010, le requérant déposa des conclusions à l’appui de sa demande de mise en liberté. Il dénonçait le défaut de prise en charge thérapeutique et l’impact sur son état de l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer. À titre principal, il demanda sa libération immédiate compte tenu de l’illégalité de sa détention. À titre subsidiaire, il demanda que la CDS impose aux autorités concernées de prendre les mesures utiles à ce que les soins requis par son état de santé mentale lui soient prodigués dans sa langue maternelle. Par une décision avant dire droit du 13 janvier 2010, la CDS constata que la situation du requérant n’avait pas évolué et que la réponse de l’assistance de justice d’Eupen ne laissait aucun espoir d’assurer au requérant les soins appropriés dans un établissement sécurisé ou non. La CDS estima qu’il fallait tenter une dernière démarche auprès du ministre de la Justice dont l’intervention avait porté antérieurement quelques fruits même s’ils furent insuffisants pour résoudre le problème. Par conséquent, la CDS ordonna la « dénonciation officielle » de la situation du requérant au ministre de la Justice. Le 29 avril 2010, la CDS prit note du fait que le ministre de la Justice n’avait pas réservé de suite à son interpellation et que la situation du requérant s’était dégradée compte tenu du fait qu’il ne bénéficiait plus de l’aide de l’infirmier germanophone A.W. qui avait quitté l’EDS de Paifve. La CDS poursuivit : « Il se déduit du rapport [du service psycho-social] du 30 mars 2010, qu’en dehors de rencontres ponctuelles avec une assistante sociale « parlant l’allemand », l’interné n’a aucun contact social dans sa langue et qu’il ne dispose d’aucune possibilité de converser et de prendre du recul à l’extérieur depuis et pour des mois ; le médecin et le psychologue qui signent ce rapport ne semblent pas très convaincus de l’aboutissement des « démarches en cours (faites) par le service de soins afin de permettre à une psychologue germanophone de venir ponctuellement assurer le suivi des patients germanophones à l’EDS » ; La situation de M. Rooman est bloquée : malade, il est retenu dans un établissement pénitentiaire de soins où personne ne peut les lui donner comme il est en droit de les obtenir ; le ministre et son administration font la sourde oreille sans souci du désespoir auquel peut conduire cette attitude manifestement injuste ; Nonobstant l’illégalité de la détention de M. Rooman, son état de santé s’oppose à sa mise en liberté si elle ne débouche pas sur une prise en charge thérapeutique et matérielle ; La commission [de défense sociale] est sans pouvoir, d’une part, pour rétablir l’interné dans ses droits élémentaires : droit à la liberté, droit aux soins de santé, droit au respect de son humanité et, d’autre part, pour contraindre le ministre à mettre fin à cette situation dont tous les éléments sont connus de son administration depuis plus de six ans. » La CDS conclut, « restant ouverte à toute proposition », de maintenir la situation du requérant, c’est-à-dire de rejeter sa demande de mise en liberté. Le requérant fit appel de cette décision devant la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS »). Parallèlement, le requérant saisit le président du tribunal de première instance de Liège en référé afin de faire constater l’illégalité de sa détention et d’obtenir sa libération immédiate ou, à titre subsidiaire, de voir condamner l’État belge à lui apporter les soins requis par sa situation. Par une ordonnance du 12 mai 2010, le président du tribunal se déclara sans compétence au motif que la CDS était l’instance légalement compétente pour libérer le requérant ou décider de son maintien en détention. Le 27 mai 2010, la CSDS confirma la décision de la CDS du 29 avril 2010 maintenant le requérant en détention. À la différence de la CDS, la CSDS considéra que la privation de liberté du requérant était parfaitement légale étant donné qu’il avait été régulièrement interné et qu’il ne remplissait pas les conditions pour être libéré définitivement ou à l’essai. En vertu de l’article 18 de la loi de défense sociale, la mise en liberté ne pouvait être ordonnée que si l’état mental de l’interné s’était suffisamment amélioré et si les conditions de sa réadaptation sociale étaient réunies. Or tel n’était pas le cas en l’espèce. Aussi, la CSDS estima que la seule circonstance que le requérant ne s’exprimait qu’en allemand ne signifiait pas que les autorités n’avaient pas pris toutes les mesures utiles aux soins requis en sa faveur. Le requérant se pourvut en cassation, invoquant une violation des articles 3 et 5 de la Convention. Le 8 septembre 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. En réponse au moyen tiré de la violation de l’article 5 § 1 de la Convention, elle estima la décision de la CSDS régulièrement motivée et légalement justifiée. Elle considéra en effet que : « L’internement étant d’abord une mesure de sûreté, l’action thérapeutique que cet état requiert n’est pas une condition mise par la loi à la régularité de la privation de liberté, même si celle-ci a pour objectif, après la protection de la société, de prodiguer à l’interné les soins nécessaires. Les commissions de défense sociale puisent dans l’article 14, alinéa 2, de la loi la faculté, et non l’obligation, d’ordonner, par décision spécialement motivée, le placement dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. Il en résulte que l’exécution de la mesure d’internement ne devient pas illégale du seul fait qu’elle se poursuit dans un des établissements organisés à cette fin par le gouvernement, plutôt qu’au sein d’une autre institution spécialement désignée pour la thérapie qu’elle est susceptible d’appliquer. » Le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention fut déclaré irrecevable dans la mesure où son examen requérait une vérification en fait des conditions d’exécution de l’internement et qu’un tel examen échappait au pouvoir de la Cour de cassation. Pour le surplus, la Cour de cassation estima que la CSDS avait répondu au grief du requérant en considérant que la circonstance que le requérant ne s’exprimait qu’en allemand ne signifiait pas que les autorités concernées n’aient pas pris toutes les mesures utiles pour lui assurer les soins requis. D. La troisième demande de mise en liberté devant la CDS Le 13 novembre 2013, le requérant demanda de nouveau sa mise en liberté. Un rapport du service psycho-social de l’EDS de Paifve du 13 janvier 2014 rappela que le requérant ne maîtrisait pas la langue française, qu’il ne connaissait que quelques mots de français qui ne lui permettaient pas de tenir une conversation et que, par conséquent, il avait très peu de contacts avec les autres patients et membres du personnel. Le rapport fit également mention d’une rencontre unique entre le requérant et un psychologue germanophone en juin 2010. Le rapport constata une amélioration du comportement du requérant ; il serait moins agressif et intolérant qu’auparavant. Aussi, le requérant n’aurait jamais exprimé le souhait de rencontrer régulièrement les membres du service psycho-social. Le rapport conclut au maintien du requérant à l’EDS de Paifve compte tenu, entre autres, des « troubles mentaux non traités ». Le 24 janvier 2014, la CDS rappela tout d’abord le contenu des rapports du Dr Ri. du 5 septembre 2005 et du Dr Ro. du 21 janvier 2009 qui insistaient sur la nécessité d’un traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique dans un établissement sécurisé puis dans une institution fermée avant d’envisager une station ouverte. Depuis ces rapports, la CDS constata que les diverses tentatives de solution du problème linguistique n’étaient pas parvenues à améliorer sérieusement la santé du requérant : les rares sorties accompagnées d’un agent pénitentiaire germanophone avaient été abandonnées par manque de disponibilité de cet agent qui n’était pas remplacé ; les recherches d’établissement, de médecin ou de thérapeute germanophones s’étaient soldées par des échecs ; l’annonce du recrutement d’un minimum de personnel germanophone semblait être restée sans suite, et le requérant avait spontanément renoncé aux services de l’assistant social germanophone qui l’avait ponctuellement rencontré. La CDS rejeta la demande de libération à l’essai compte tenu du fait que les conditions pour ce faire (amélioration de l’état mental de l’intéressé et garanties de réadaptation sociale) n’étaient pas remplies. S’agissant du défaut allégué de soins en allemand, la CDS précisa : « L’interné affirme qu’il ne reçoit pas en allemand, sa langue maternelle, les soins appropriés à son état de santé mentale sans toutefois décrire ou seulement évoquer quels sont les soins qui lui seraient refusés et qu’il accepterait de recevoir ou auxquels il participerait. La seule circonstance qu’il ne s’exprime qu’en allemand ne signifie pas que l’établissement de défense sociale de Paifve n’a pas pris toutes les mesures utiles pour lui assurer les soins requis par son état de santé. Si, comme le rappelle l’intéressé en ses conclusions, il appartient à l’administration compétente de prendre toutes les mesures utiles à sa santé, il n’entre pas, toutefois, dans les attributions de la commission [de défense sociale] de libérer l’interné qui se dirait victime des carences de l’administration. [...] Il n’est pas davantage de la compétence de la commission de donner des injonctions à l’administration ou à des tiers, [ou] de sanctionner leurs actes ou défaillances [...]. » Le 3 avril 2014, la CSDS confirma la décision de la CDS en considérant notamment : « Contrairement à ce qu’il soutient en conclusions, l’interné reçoit tous les soins que son état requiert par du personnel compétent et qualifié dans l’EDS de Paifve, parfaitement adapté à sa pathologie. Malgré les soins prodigués, l’état mental de l’interné n’est pas encore suffisamment amélioré en raison de ses traits paranoïaques et psychopatiques, de son absence d’autocritique et de son discours revendicatif. C’est donc manifestement à tort que l’interné tente d’imputer l’absence d’amélioration de son état mental à une pure question linguistique. Le maintien d’un interné, dont l’état mental n’est pas suffisamment amélioré et des conditions de sa réadaptation sociale ne sont pas réunies, dans un EDS adapté à sa pathologie et qui représenterait un danger social en cas de libération, n’est pas illégal et ne constitue pas une violation des dispositions de la [Convention]. » Le 25 juin 2014, la Cour de cassation cassa la décision de la CSDS au motif que la CSDS n’avait pas répondu au moyen du requérant selon lequel il ne recevait pas de soins appropriés à sa situation médicale, eu égard à la circonstance qu’il ne parlait et ne comprenait que l’allemand et qu’aucun membre du personnel maîtrisant cette langue n’était disponible dans l’établissement où il était interné. L’affaire fut renvoyée devant la CSDS autrement composée. Le 22 juillet 2014, la CSDS se prononça avant dire droit en demandant à la CDS de désigner un collège d’experts s’exprimant en langue allemande afin d’actualiser le rapport d’expertise psychiatrique du 21 janvier 2009. Elle invita la directrice de l’EDS de Paifve à prendre toutes les mesures utiles pour que les soins nécessités par le requérant lui soient prodigués, au moins par l’intervention d’un psychiatre et d’un psychologue parlant chacun la langue allemande. Elle ordonna la réouverture des débats et fixa celles-ci à une audience du 17 octobre 2014. La Cour n’a pas été informée des suites de la procédure. E. Les demandes devant le juge des référés de Bruxelles Entre-temps, par une citation du 28 mars 2014, le requérant avait cité l’État belge devant le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles statuant en référé en application de l’article 584 du code judiciaire. Il demanda sa mise en liberté ou, subsidiairement, l’imposition de la prise de mesures requises par son état de santé. Par une ordonnance avant-dire droit du 4 juillet 2014, le président du tribunal demanda à la directrice de l’EDS de Paifve et au Dr B. du service psycho-social auprès de cet EDS de produire des attestations concernant les soins disponibles à l’EDS de Paifve et concernant les soins effectivement dispensés au requérant. Des attestations produites par la directrice de l’EDS de Paifve et par le Dr B. le 28 août 2014 firent état du fait que le requérant avait désormais accès à des consultations auprès d’un psychologue germanophone et que les autorités avaient pris contact avec un psychiatre germanophone qui aurait accepté de rencontrer le requérant. Dans une ordonnance du 10 octobre 2014, le président du tribunal constata que jusqu’en septembre 2014, le requérant n’avait jamais eu accès à un psychiatre pouvant entrer en communication avec lui en allemand. Il avait eu accès à un psychologue germanophone extérieur à l’EDS entre les mois de mai et de novembre 2010. Il releva que les consultations auprès du psychologue avaient pris fin non pas au motif, comme le soutenait l’État dans ses conclusions, que le requérant ne souhaitait plus s’y rendre mais en raison du paiement tardif par l’État belge des frais et honoraires du psychologue. Les consultations avec le psychologue avaient toutefois repris au mois de juillet 2014. Le président constata enfin que jusqu’en avril 2010 le requérant avait bénéficié de la présence et des soins prodigués par un infirmier germanophone, que cet infirmier avait entre-temps quitté l’EDS de Paifve, mais que depuis août 2014 il avait été autorisé à accompagner le requérant lors de sorties. Enfin, l’ordonnance releva que le requérant avait bénéficié de contacts avec un assistant social germanophone dont il avait décliné les services en février 2014. Sur la demande à titre principal, le président se déclara sans juridiction pour ordonner la mise en liberté du requérant, les instances de défense sociale étant compétentes pour ce faire. Sur la demande subsidiaire, le président constata que le requérant n’avait pas eu accès aux soins de santé mentale nécessités par son état, et qu’il y avait prima facie une violation de son droit d’accès à des soins de santé ainsi qu’une situation inhumaine et dégradante au sens de l’article 3 de la Convention. Le président ordonna par conséquent à l’État belge de désigner un psychiatre et un assistant médical germanophones pour le requérant sous peine d’astreinte ainsi que la mise en place des soins usuellement prévus pour les internés francophones souffrant d’une maladie mentale similaire à celle du requérant. D’après les informations versées au dossier, cette ordonnance n’a pas été frappée d’appel. Selon le représentant du requérant, l’État belge a désigné une psychiatre et une psychologue germanophones, qui ont plusieurs fois rendu visite au requérant. Toutefois, ces visites auraient cessé depuis la fin de 2015. F. Demande de dommages et intérêts Entre-temps, par citation du 2 mai 2014, le requérant avait introduit une demande de dommages et intérêts pour faute contre l’État belge, sur la base de l’article 1382 du code civil. Par jugement du 9 septembre 2016, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles considéra comme étant fautif le fait de ne pas avoir fourni au requérant des soins psychologiques dans sa langue maternelle entre 2010 et 2014. Il s’exprima notamment en ces termes : « Il est incontestable que les soins psychiatriques et psychologiques dont [le requérant] doit pouvoir bénéficier doivent lui être prodigués en allemand, seule langue qu’il maîtrise et par ailleurs une des trois langues nationales en Belgique. Or entre 2010 et 2014, [le requérant] n’a bénéficié d’aucun traitement médico-psychologique dans sa langue. Quelle que soit la qualité – non contestée d’ailleurs – des soins prodigués aux internés dans [l’EDS] de Paifve, ceux-ci sont totalement inadaptés à l’état de santé mentale [du requérant] par le seul fait qu’ils ne sont pas disponibles en allemand. En dépit des dénonciations officielles et répétées de la Commission de défense sociale de cette situation à l’État belge dès 2010, celui-ci n’a pris aucune mesure pour y remédier. Il n’apporte d’ailleurs aucun indice de la moindre démarche qu’il aurait effectuée dans ce sens. Cette abstention est constitutive d’une faute au sens de l’article 1382 du code civil. (...) Par ailleurs et comme le soutient également [le requérant], les articles 3 et 5 [de la Convention] imposent à l’État belge de prendre les mesures nécessaires pour lui assurer l’accès aux soins fondamentaux nécessités par son état de santé mentale. (...) En l’espèce, la vulnérabilité du requérant en raison de la nature même de son trouble psychique et l’absence de possibilité réelle de contact dans sa langue ont nécessairement aggravé son sentiment de détresse et d’angoisse. Il importe peu qu’en tout état de cause, l’état de santé mentale [du requérant] ne lui permette pas d’être libéré. Le seul fait d’être interné pour une durée indéterminée sans soins adaptés est en l’espèce constitutif d’une violation des articles 3 et 5 [de la Convention] Contrairement à ce que soutient l’État belge, le fait que [le requérant] ne soit pas toujours réceptif à un traitement psycho-médico-social ne permet pas de relativiser l’attitude négligente de l’État belge à l’égard d’une personne atteinte d’un trouble mental, dont le discernement est par hypothèse incertain. De la même manière, sous peine de faire abstraction du vécu de la personne atteinte d’un trouble mental, le comportement stable [du requérant] au sein de l’établissement ne suffit pas à établir qu’il recevait des soins adaptés à son état. » Considérant que cette absence de soins avait provoqué une souffrance morale dans le chef du requérant, le tribunal condamna l’État à l’indemniser pour la période de janvier 2010 à octobre 2014 à concurrence de 75 000 euros (« EUR »), somme fixée ex aequo et bono. D’après des informations fournies le 19 juin 2017 par son représentant, le requérant devrait faire appel de ce jugement. Il conteste la période retenue par le tribunal et fait valoir que l’absence de soins est antérieure à 2010 ; il se plaint également de l’absence de soins en 2016 et du choix d’une indemnisation ex aequo et bono au lieu d’une réparation journalière du dommage. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents ainsi que l’offre d’accueil aux délinquants internés sont décrits de manière détaillée dans l’arrêt W.D. c. Belgique (no 73548/13, §§ 35-70, 6 septembre 2016) En l’espèce, le requérant a été interné en application des articles 7 et 21 de la loi de défense sociale. À l’époque des faits, ces dispositions prévoyaient ce qui suit : Article 7 « Les juridictions d’instruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un crime ou d’un délit politiques ou de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement de l’inculpé qui a commis un fait qualifié crime ou délit et qui est dans un des états prévus à l’article premier. [...] » Article 21 « Les condamnés pour crimes et délits qui, au cours de leur détention, sont reconnus en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale les rendant incapables du contrôle de leurs actions, peuvent être internés en vertu d’une décision du Ministre de la Justice rendue sur avis conforme de la commission de défense sociale. L’internement a lieu dans l’établissement désigné par la commission de défense sociale, conformément à l’article 14 ; les articles 15 à 17 y sont également applicables. Si, avant l’expiration de la durée prévue pour la peine, l’état mental du condamné est suffisamment amélioré pour ne plus nécessiter son internement, la commission le constate et le Ministre de la Justice ordonne le retour du condamné au centre pénitentiaire où il se trouvait antérieurement détenu. Pour l’application de la loi sur la libération conditionnelle, le temps d’internement est assimilé à la détention. » Les demandes de mise en liberté devant la CDS étaient en l’espèce fondées sur l’article 18 de la loi de défense sociale. Cette disposition prévoyait ce qui suit : « La commission se tient informée de l’état de l’interné et peut à cet effet se rendre au lieu de son internement ou y déléguer un de ses membres. Elle peut, soit d’office, soit à la demande du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat, ordonner la mise en liberté définitive ou à l’essai de l’interné, lorsque l’état mental de celui-ci s’est suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale sont réunies. Si la demande de l’interné ou de son avocat est rejetée, elle ne peut être renouvelée avant l’expiration d’un délai de six mois prenant cours à la date du rejet définitif. [...] » À partir du 1er octobre 2016, la loi de défense sociale a été remplacée par la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes (W.D. c. Belgique, précité, §§ 79-86).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1992 et réside à Vielsalm. Il est le fils unique de Yves Gengoux, né en 1961 et décédé le 16 mai 2011, soit avant l’introduction de la requête. A. L’état de santé et la détention du père du requérant Le 1er octobre 2010, le père du requérant fut hospitalisé pour des problèmes respiratoires au centre hospitalier régional de la Citadelle de Liège (ci-après : l’hôpital). Le compte-rendu médical daté du 19 octobre 2010, établi par le chef du service de pneumologieallergologie, le Dr G., faisait état d’une néoplasie du poumon gauche et notait des métastases au niveau hépatique et osseux. Informé du diagnostic, le père du requérant accepta un traitement par chimiothérapie. En plus, il devait prendre des médicaments pour les lésions osseuses ainsi que des médicaments à visée cardiologique et une corticothérapie orale pour des problèmes de bronchite. Le traitement de chimiothérapie débuta le 21 octobre 2010 en hospitalisation classique. Une deuxième cure débuta le 19 novembre 2010. Après deux cures, une évolution favorable avec régression de l’atteinte thoracique, ainsi que la régression d’autres lésions extra-thoraciques furent constatées. La troisième cure débuta à l’hôpital de Lantin en hospitalisation de jour le 3 décembre 2010. Le volet suivant de cette cure était programmé pour le 9 décembre 2010 mais n’eut pas lieu pour une raison indéterminée. Le 10 décembre 2010, le père du requérant, soupçonné d’avoir tué à l’arme à feu et sous l’emprise de l’alcool ce jour-là un homme dans un bar, fut mis en examen pour assassinat et port illicite d’arme et fut placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Lantin où il occupa une cellule seul du 23 décembre au 21 janvier. Le Dr G. indiqua dans un compte-rendu du 11 janvier 2011 adressé à l’avocat du père du requérant que le responsable médical de Lantin, le Dr N., fut mis au courant des problèmes médicaux du père du requérant et put intervenir pour que la séance de chimiothérapie soit effectuée le 17 décembre 2010, soit une semaine après la date initialement prévue. Le Dr G. constatait également que le père du requérant présentait des signes de bronchite à caractère asthmatiforme. Un contrôle biologique était prévu le 23 décembre 2010 mais n’eut pas lieu. La quatrième cure de chimiothérapie devait débuter le 30 décembre 2010. Toutefois, le père du requérant ne semble pas en avoir averti la direction de la prison. Contactée le jour même par l’hôpital, la direction répondit qu’en raison d’une grève du personnel pénitentiaire, il était impossible de conduire le père du requérant à l’hôpital étant donné le manque de gardiens pouvant assurer son escorte. Le traitement fut reporté au 7 janvier 2011. Le Dr G. indiqua dans le compte-rendu du 11 janvier 2011 précité que le père du requérant était fragile quant à la survenance d’infections respiratoires en raison de sa bronchite chronique obstructive importante et de l’immunosuppression consécutive aux chimiothérapies. Il recommandait d’éviter les reports répétés du traitement de chimiothérapie sans raison hématologique pour espérer une efficacité maximale de la thérapie. Celle-ci s’était d’ailleurs avérée efficace après les deux premières cures. En principe, le père du requérant devait recevoir quatre à six cures. Toujours dans le même compte-rendu, le Dr G. signala que les médicaments (traitements à visée cardiologique, antibiotique et corticothérapie orale) dont il avait ordonné la prise le 17 décembre 2010 pendant cinq jours ne se retrouvaient pas tous sur la feuille de traitement indiquant la liste des médicaments jusqu’au 7 janvier 2011 établie par le service médical de Lantin. Le père du requérant signala ne pas avoir reçu de traitement sauf le premier et le cinquième jour. Le Dr G. déclara qu’il avait dès lors demandé de nouveau au Dr N. de prescrire ces médicaments pendant cinq jours. Le 14 janvier 2011, le second volet de la cinquième cure de chimiothérapie intervint. Le 21 janvier 2011, le Dr G. rédigea un rapport de consultation concluant à une amélioration des images radiologiques sur le plan oncologique et à la poursuite par deux cures. Le 24 janvier 2011, le père du requérant fut transféré à la polyclinique de la prison de Lantin dans une cellule qu’il occupa seul. Le 27 janvier 2011, le père du requérant fut examiné par un cardiologue qui constata que son état était bon mais qu’il avait recommencé à fumer. Outre plusieurs visites auprès du service médical de la prison et du Dr G., le père du requérant fut hospitalisé les 28 janvier 2011 et 4 février 2011 pour poursuivre la cinquième cure de chimiothérapie. Le 25 février 2011, il reçut le premier volet de la sixième cure. Le 25 février 2011, la Dr L., collaboratrice du Dr R., médecin choisi par le père du requérant pour le conseiller, se rendit à Lantin pour l’examiner. Le 2 mars 2011, le Dr R. rédigea un avis médical qui confirmait que le père du requérant présentait un cancer pulmonaire à un stade avancé et souffrait d’une broncho-pneumopathie chronique obstructive. Il constatait en outre que l’intéressé avait perdu 10 kilos depuis mai 2010. Sur la question de savoir si l’état de santé du père du requérant était compatible avec la détention, le Dr R. exprima l’avis selon lequel, nonobstant les soins prodigués au père du requérant à la prison et le fait que le personnel observait à son égard une attitude digne et serviable, l’incarcération de celui-ci ne correspondait pas aux standards médicaux permettant de traiter de manière satisfaisante ses pathologies. Les variations de températures à la prison de Lantin ainsi que la promiscuité et le contact avec d’autres détenus majoraient de manière significative le risque d’infection pulmonaire. La clinique de Lantin fonctionnant sur le mode de polyclinique (hôpital de jour), la distribution de médicaments n’était pas assurée en continu durant les weekends sauf appel au médecin de garde pour problème aigu. À cela s’ajoutaient les risques liés à l’impact des mouvements de grève du personnel pénitentiaire qui a empêché l’intéressé de se rendre à l’hôpital de jour pour recevoir sa cure de chimiothérapie en décembre 2010 au risque de diminuer l’efficacité du traitement. En outre, l’absence d’une nourriture équilibrée spécifiquement conçue pour la prise en charge de patients présentant des déficits graves entraînait un risque de progression de l’affection cancéreuse et la diminution des défenses de l’organisme. Enfin, la prise en charge multidisciplinaire, nécessaire pour une pathologie aussi lourde, était difficile à organiser dans le cas d’une incarcération. Idéalement, les soins prodigués comprenaient chimiothérapie et radiothérapie, pouvant être réalisés soit en hospitalisation soit en ambulatoire mais, dans ce cas précis, avec des conditions d’encadrement qui étaient irréalisables à la prison de Lantin. Le Dr R. concluait que, pour ces raisons, l’incarcération du père du requérant constituait une perte de chance, sinon de guérison, à tout le moins par rapport à la durée escomptée de survie et aux conditions dans lesquelles sa pathologie évoluait. Le 4 mars 2011, le père du requérant reçut le deuxième volet de la sixième cure de chimiothérapie. Le 15 mars 2011, le Dr G. constata un aspect stable après les deux dernières cures de chimiothérapie et conclut à l’arrêt des cures. Courant mars l’intéressé fut examiné à plusieurs reprises par le service médical de la prison et le Dr G. Le 7 avril 2011, le Dr R. conclut à une réponse importante mais partielle aux dernières cures et recommanda un suivi voire un traitement de seconde ligne selon l’évolution. Les 13 et 20 avril 2011, le père du requérant se plaignit de douleurs et le 28 avril, eu égard à la persistance des douleurs, le Dr N. prit contact avec l’hôpital en signalant une altération générale de l’état de santé de l’intéressé. Contacté par le service médical de la prison, le Dr G. prescrivit une scintigraphie et une chimiothérapie de deuxième ligne. Le 7 mai 2011, la Dr L., collaboratrice du Dr R., se rendit en urgence à la prison pour examiner le père du requérant. Dans un compte-rendu du 9 mai 2011, le Dr R. constatait que, depuis le 25 février 2011, l’état de santé du père du requérant s’était dégradé « de manière catastrophique ». L’intéressé avait encore perdu 10 kilos ; il présentait des signes de déshydratation, des ronchis pulmonaires disséminés, une fonte musculaire sévère, une tachycardie sinusale, un œdème des membres inférieurs, un ictère, un probable épanchement liquidien dans la cavité péritonéale; il ne pouvait plus marcher et se déplaçait en chaise roulante. Le médecin estimait qu’il était médicalement inacceptable que ce patient reste incarcéré au risque de conséquences négatives sur l’évolution de la tumeur. Si une guérison complète du père du requérant ne pouvait certes pas être envisagée, en raison des importantes métastases, le fait de priver l’intéressé des soins appropriés et de ne pas le placer dans une structure correctement équipée pour la prise en charge de ce type de patient, c’est-à-dire associant soins curatifs et palliatifs, constituait un traitement inhumain et dégradant. Le Dr R. prit contact avec l’hôpital, de manière à ce que, si l’administration pénitentiaire marquait son accord, le patient puisse être transféré sans délai. Le transfert eut immédiatement lieu, le 9 mai 2011, et le père du requérant fut accueilli dans une chambre sécurisée qu’il occupait seul. Le 16 mai 2011, le père du requérant décéda à l’hôpital. B. Les recours introduits par le père du requérant La détention provisoire du père du requérant fut confirmée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège à plusieurs reprises. Lors de sa comparution du 11 avril 2011, se fondant notamment sur les compte-rendus médicaux des 11 janvier et 2 mars 2011, le père du requérant fit valoir que son état de santé était incompatible avec l’incarcération et sollicita sa sortie de prison, de sorte à pouvoir être immédiatement placé à l’hôpital, sous surveillance policière si nécessaire, et, par la suite, être assigné à résidence. Par une ordonnance du même jour, la chambre du conseil rejeta la demande du père du requérant et ordonna son maintien en détention. Il y avait, selon la juridiction, des indices sérieux de culpabilité à son encontre ; par ailleurs, il était d’absolue nécessité pour la sécurité publique que la détention provisoire de l’inculpé soit maintenue ; en effet, l’atteinte portée à la victime et/ou à ses biens était d’une gravité certaine ; enfin, la personnalité de l’inculpé telle qu’elle résultait de la gravité intrinsèque et de la nature violente des faits, ainsi que les nécessités de l’instruction, laissaient craindre qu’il ne commette de nouveaux crimes et délits, qu’il n’entre en collusion avec des tiers, qu’il ne tente de se soustraire à l’action de la justice ; qu’à ce stade, aucune mesure alternative ne semblait de nature à remédier utilement à ces risques. Le 12 avril 2011, le père du requérant attaqua cette décision devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège. Sur la base des avis médicaux obtenus par ses soins, il arguait, d’une part, que pendant la détention il n’y avait pas eu un déroulement normal de la chimiothérapie, en raison de la grève du personnel pénitentiaire; d’autre part, que si les résultats des deux premières cures de chimiothérapie avaient été positifs, le maintien en milieu carcéral aggravait son état de santé. Il sollicitait son placement à l’hôpital, si nécessaire sous surveillance policière, suivi d’une assignation à résidence au domicile de sa mère. Il arguait qu’au vu de sa situation, son maintien en détention était contraire à l’article 3 de la Convention. Le procureur général près la cour d’appel de Liège déposa un réquisitoire par lequel il demanda le maintien en détention provisoire pour trois mois. Le réquisitoire reprenait une motivation proche de celle de la chambre du conseil (voir ci-dessus paragraphe 28). Il relevait en outre que l’inculpé reconnaissait avoir fait l’objet d’un suivi médical en prison tout en l’estimant déficient et que son état s’était amélioré depuis la fin de la grève. De plus, rien n’attestait que la chimiothérapie de l’inculpé n’ait pu être poursuivie depuis son incarcération. Par un arrêt du 26 avril 2011, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège rejeta le recours du père du requérant et ordonna le maintien de l’inculpé en état de détention préventive pour les raisons suivantes : « Adoptant les motifs du réquisitoire qui précède et que n’énervent pas les considérations qu’émet l’inculpé notamment quant à son état de santé et aux conditions de sa détention, celles-ci ne paraissant pas incompatibles avec le mode de vie suivi par l’inculpé au moment des faits, la cour relevant que l’inculpé présentait un taux d’alcoolémie de 2,00 grammes par litre de sang au moment des faits ; Par ailleurs, les modalités d’exécution de la détention préventive relèvent de l’appréciation du pouvoir exécutif, sur intervention éventuelle du juge d’instruction, lequel pouvoir dispose des établissements adaptés aux circonstances médicales qu’invoque l’inculpé ; Attendu, qu’à ce stade de la procédure aucune mesure alternative ne serait de nature à pallier efficacement la périculosité du comportement de l’inculpé. » Le père du requérant se pourvut en cassation. Par arrêt du 11 mai 2011, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Dans la mesure où le père du requérant se plaignait de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, la Cour de cassation rappela que la privation de liberté d’un inculpé ne contrevenait pas à l’article 3 de la Convention du seul fait que l’inculpé était souffrant. Elle jugea, pour le surplus, que les juges d’appel avaient relevé, par adoption des motifs du réquisitoire, que les soins médicaux appropriés avaient été fournis et que le droit de l’intéressé à la protection de la santé et à l’aide sociale médicale avait été respecté.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Le placement du requérant en foyer d’accueil temporaire pour mineurs Le requérant est né en 1999 et réside à Sofia. Entre début 2012 et début 2014, la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (« la commission locale ») adopta six mesures éducatives sans placement en institution spécialisée à l’égard du requérant. Ces mesures, parmi lesquelles figuraient la mise sous surveillance par un éducateur social, l’interdiction de fréquenter certains lieux ou personnes et l’interdiction de changer de domicile, furent prises sur le fondement de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs. Le 26 février 2014, ayant considéré que les mesures appliquées n’avaient pas d’impact positif sur le requérant et que celui-ci continuait à fréquenter un milieu criminogène et à manifester un comportement qualifié d’antisocial au sens de la loi précitée, la commission locale adressa au tribunal de district (Районен съд) de Sofia une proposition de placement du mineur dans un centre éducatif – internat. La commission locale indiquait en particulier que le requérant avait fugué de son domicile à plusieurs reprises, qu’il emportait sans autorisation des objets en or appartenant à sa famille et qu’il avait commis plusieurs vols et cambriolages seul ou avec des complices. Le 12 mars 2014, les services du ministère des Affaires intérieures reçurent une lettre de la part de la commission locale les informant de sa proposition. Le 1er avril 2014, le requérant fugua de son domicile. Il fut retrouvé le 14 avril 2014 par la police. Par un mandat d’arrêt du même jour, la police ordonna sa détention pour une durée de vingt-quatre heures. Le 15 avril 2014, un officier de police soumit une proposition au procureur consistant à placer le requérant en foyer d’accueil temporaire pour mineurs à Sofia, un établissement relevant des structures du ministère des Affaires intérieures et présentant les caractéristiques d’une maison d’arrêt pour mineurs. Cette proposition indiquait que le requérant faisait l’objet de douze enquêtes pour la commission d’infractions pénales ou d’actes visés dans la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs et ne se conformait pas aux mesures éducatives imposées et qu’il convenait de le considérer comme un enfant à risque. Le même jour, sur ordre du procureur, le requérant fut conduit par la police au foyer en question. Toujours le 15 avril 2014, un juge du tribunal de district de Sofia fixa une audience pour la procédure judiciaire de placement en centre éducatif – internat, qui eut lieu le 29 avril 2014. À cette occasion, le tribunal entendit le requérant, assisté d’un avocat commis d’office, sa mère, une assistante sociale, une inspectrice de la brigade chargée des mineurs (Детска педагогическа стая) et un représentant de la commission locale. Le requérant exposa qu’il faisait partie d’un groupe de jeunes délinquants et exprima son souhait de corriger son comportement. Il expliqua en particulier qu’il était sous la mauvaise influence de ses fréquentations, qu’il voulait quitter ce cercle et poursuivre ses études. Il indiqua à cet égard qu’il souhaiter couper les liens avec ses amis et, à cette fin, faire l’objet d’un placement dans un centre éducatif – internat si cette mesure était considérée comme la meilleure pour lui. Il ajouta qu’il avait consulté des sites internet et appris qu’il existait un tel centre à Rakitovo. La mère du requérant confirma les problèmes de fréquentation rencontrés par son fils et fit part de son souhait d’éduquer son enfant avec une aide extérieure. Par un jugement prononcé le même jour, le tribunal de district ordonna le placement du requérant dans un centre éducatif – internat pour une durée d’un an. Le requérant n’interjeta pas appel de ce jugement, qui acquit force de chose jugée le 14 mai 2014. À cette dernière date, le jeune homme fut transféré du foyer d’accueil temporaire pour mineurs de Sofia au centre éducatif – internat de Rakitovo, dans la région de Pazardzhik, où il demeura jusqu’au 30 juin 2015. B. Les autres faits pertinents Le 23 mai 2014, le requérant signa un pouvoir à son avocate afin de permettre à celle-ci de demander l’accès à tous les documents relatifs à son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, ainsi qu’en centre éducatif – internat, et de faire des copies de ces documents. Par une lettre du 29 mai 2014, l’avocate du requérant demanda au directeur des services de la police de Sofia de lui fournir des copies des documents en question. Par une lettre du 25 juin 2014, celui-ci répondit que le pouvoir présenté ne comportait pas le consentement parental et qu’il n’était donc pas valable au regard de la loi bulgare. Il précisait que, dans une lettre adressée au directeur du centre éducatif – internat, la mère du requérant s’était explicitement opposée à tout contact avec des « organisations non gouvernementales ou similaires ». Le 4 juillet 2014, l’avocate du requérant forma un recours contre ce refus auprès du ministère de l’Intérieur, arguant en particulier que l’introduction d’une requête devant la Cour n’était pas conditionnée par le consentement des parents et que le refus des autorités de fournir des documents pertinents pourrait être interprété comme un obstacle à l’exercice du droit de recours individuel de son client. Par un arrêté du 27 août 2014, le ministre de l’Intérieur rejeta le recours, considérant que, selon le droit interne, l’avocate du requérant n’avait pas été valablement autorisée à représenter ce dernier. Le 9 septembre 2014, l’avocate du requérant contesta l’arrêté du ministre devant le tribunal administratif (административен съд) de Sofia. Par une décision du 29 juillet 2015, celui-ci refusa de donner suite à la procédure au motif que le pouvoir de représentation n’était pas signé par un parent ou un curateur. Le requérant attaqua cette décision auprès de la Cour administrative suprême. Par une décision en date du 26 octobre 2015, cette dernière constata, entre autres, que le requérant se trouvait en conflit d’intérêts avec sa mère et que le tribunal administratif était tenu de désigner un représentant ad hoc en vue de la protection de ses intérêts. Par conséquent, la Cour administrative suprême annula la décision de la première instance et renvoya l’affaire en vue de la poursuite de la procédure devant celle-ci. Par une lettre du 20 novembre 2015, l’avocate du requérant informa la haute juridiction que ce dernier renonçait à poursuivre la procédure étant donné que sa requête auprès de la Cour avait été communiquée au gouvernement bulgare. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi de 1958 sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (Закон за борба срещу противообществените прояви на малолетни и непълнолетни) La loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs qualifie d’antisocial tout comportement dangereux pour la société, contraire à la loi, à la morale ou aux bonnes mœurs (article 49a). La loi n’énumère pas les comportements susceptibles de recevoir cette qualification, mais la pratique judiciaire et la criminologie considèrent comme relevant de celle-ci toute une variété d’actes lorsqu’ils sont commis par un mineur, même s’ils ne sont pas incriminés par le droit pénal. Il en va ainsi de la prostitution, de l’emploi de substances narcotiques, de l’abus d’alcool, du vagabondage, de la mendicité, de l’absentéisme scolaire ou des fugues répétées du domicile des parents ou des personnes exerçant la garde. Considérés comme moins dangereux pour l’ordre public que les infractions pénales, ces actes appellent tout de même des mesures de défense sociale dont l’application relève de la compétence de « commissions locales de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs » (Б. Станков, Малолетни, непълнолетни, противообществени прояви, престъпления, отговорност, Варна, 2008 г., стр. 33-35). La loi prévoit toute une série de mesures éducatives pouvant être imposées aux mineurs ayant manifesté de tels comportements. La plus sévère d’entre elles est le placement dans un centre éducatif – internat (article 13, alinéa 1, point 13), un établissement à caractère public. La procédure est déclenchée par la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, à qui il revient de soumettre au tribunal de district une proposition de placement. Ce tribunal tient une audience à huis clos en présence du mineur concerné dans un délai d’un mois. Il peut ordonner la mesure éducative demandée ou pas, décider d’une autre mesure éducative, mettre fin à la procédure ou bien renvoyer l’affaire au procureur lorsqu’il estime que les actes en cause constituent des infractions pénales. Sa décision peut être revue en appel devant le tribunal régional dans un délai de quatorze jours après son prononcé (article 21, alinéa 1, point 2, et article 24a). La même loi prévoit également, en son article 34, l’existence des foyers d’accueil temporaire pour mineurs, qui dépendent du ministère de l’Intérieur. Peuvent y être placés les mineurs dont le domicile ne peut être identifié, ceux qui ont été pris en flagrant délit de vagabondage, de mendicité, de prostitution, d’abus d’alcool, de trafic ou de consommation de stupéfiants, ceux qui ont quitté sans autorisation un établissement d’éducation ou de traitement obligatoire, ceux qui ont présenté un comportement antisocial, ou encore ceux qui sont incontrôlables au point que leur maintien sous la garde de leurs parents n’est plus envisageable (article 35). En principe, la durée du séjour dans ce type de foyer ne peut excéder quinze jours. Les placements d’une durée supérieure à vingt-quatre heures doivent être ordonnés par un procureur. À titre exceptionnel, celui-ci peut prolonger la durée du placement jusqu’à deux mois. La loi n’indique pas que la légalité d’un placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs est susceptible de faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux. Les foyers d’accueil temporaires pour mineurs organisent, entre autres, des examens médicaux, psychologiques et pédagogiques, et ils préparent des recommandations à l’attention des organes compétents en matière d’éducation des mineurs ou le placement de ceux-ci dans les établissements adéquats (article 36). B. La loi de 1988 sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди, titre modifié en 2006 – « la loi sur la responsabilité de l’État »), telles qu’elles étaient en vigueur jusqu’au mois de décembre 2012, ainsi que la jurisprudence des tribunaux internes en la matière, ont été résumées dans les arrêts Kandjov c. Bulgarie (nº 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008) et Botchev c. Bulgarie (nº 73481/01, §§ 37-39, 13 novembre 2008). À la suite de l’adoption d’amendements législatifs publiés dans le Journal officiel le 11 décembre 2012 et entrés en vigueur le 15 décembre 2012, l’article 2 de cette loi se lit désormais comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce : Article 2 « (1) L’État est responsable du dommage causé aux particuliers par les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux en cas de : (...) violation des droits garantis par l’article 5 §§ 2-4 de la Convention (...) » Selon l’article 7 de la loi, l’action en responsabilité doit être dirigée contre l’autorité publique responsable du dommage alléguée. Le contexte de l’adoption des amendements législatifs en question est décrit dans l’arrêt Toni Kostadinov c. Bulgarie (no 37124/10, § 49, 27 janvier 2015). Les motifs de la loi précisent en particulier que les modifications se sont avérées nécessaires pour prévoir un droit à compensation pour tous les cas de méconnaissance des paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Convention et se conformer ainsi aux exigences de l’article 5 § 5, à la suite de nombreux arrêts de la Cour qui ont constaté une violation de cette disposition. En annexe de ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête, le Gouvernement présente les décisions adoptées par les tribunaux internes entre décembre 2014 et décembre 2015 sur une action civile en dédommagement introduite le 21 janvier 2013. Cette dernière dénonçait, entre autres, le maintien d’une personne en détention, en juin 2010, sur ordre d’un procureur et au-delà du délai légal de soixante-douze heures, un défaut de ce procureur de traduire l’intéressé aussitôt devant un juge, ainsi que l’impossibilité qui en découlait d’introduire un recours contre cette détention. Au cours de la procédure en question, qui a concerné trois instances, les juridictions nationales ont reconnu que la personne intéressée avait subi une violation de ses droits protégés par l’article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention et lui ont octroyé une indemnisation pour le dommage moral subi (реш. № 958 от 13.12.2014 г. по гр. д. № 1437/2014 г. на РС Пазарджик ; реш. № 233 от 17.04.2015 г. по в. гр. д. № 113/2015 г. на ОС Пазарджик ; опред. № 1365 от 1.12.2015 г. на ВКС по гр. д. № 3626/2015 г., IV г. о., ГК). La loi sur la responsabilité de l’État dispose par ailleurs en son article 1, alinéa 1, que : « L’État et les communes sont responsables des dommages causés aux particuliers ou aux personnes morales du fait des actes, actions ou inactions illégaux de leurs autorités ou agents dans le cadre ou à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. (...) » La jurisprudence interne considère que l’Assemblée nationale ne peut être tenue pour responsable en application de cette disposition pour l’adoption ou le défaut d’adoption d’une norme législative (опр. № 3837 от 16.03.2012 г. по адм. д. № 3256/2012 г., ВАС, III о.; опр. № 1900 от 11.02.2014 г. по адм. д. № 1038/2014 г., ВАС, I о.). C. La participation des mineurs dans les procédures judiciaires et la désignation d’un représentant ad hoc en cas de conflit d’intérêts En vertu de l’article 15, alinéa 8 de la loi sur la protection de l’enfance (Закон за закрила на детето), adoptée en 2000, l’enfant bénéficie du droit de recours dans toutes les procédures concernant ses droits et intérêts, ainsi que du droit à l’aide judiciaire. Selon l’article 28, alinéa 2 du code de procédure civile (CPC) de 2007, les mineurs âgés de quatorze à dix-huit ans peuvent agir en justice personnellement mais avec le consentement de leurs parents ou curateurs. D’après l’article 29, alinéa 4, du CPC, en cas de conflit d’intérêts entre une personne représentée et son représentant, le tribunal désigne un représentant ad hoc. Selon la jurisprudence interne, cette disposition est appliquée dans certaines situations de conflit d’intérêts entre un mineur et son représentant légal. Un représentant ad hoc est par exemple désigné en cas de placement d’un mineur chez ses grands-parents (Решение на РС - Горна Оряховица от 20.06.2011 г. по гр. д. № 854/2011 г. ; Решение на РС - Горна Оряховица от 28.12.2011 г. по гр. д. № 2389/2011 г. ; Решение на РС - Горна Оряховица от 8.04.2013 г. по гр. д. № 192/2013 г.) ou en famille d’accueil (Решение на РС - Бяла от 28.07.2011 г. по гр. д. № 511/2011 г.), ou encore en matière de transaction immobilière (Решение на РС - Горна Оряховица от 19.02.2010 г. по гр. д. № 1873/2009 г.). Il apparaît de plus que le défaut de désignation d’un représentant ad hoc constitue un manquement substantiel aux règles régissant la procédure en matière d’établissement de la paternité (Решение на ВС № 297 от 15.04.1987 г. по гр. д. № 168/87 г., II г. о.), de litiges entre parents adoptifs et parents biologiques (Решение на ВС № 1381 от 10.05.1982 г. по гр. д. № 954/82 г., II г. о.), ou encore de litiges patrimoniaux (Решение № 643 от 27.07.2000 г. на ВКС по гр. д. № 27/2000 г., II г. о. ; Определение на ОС – Велико Търново от 5.11.2008 г. по в. ч. гр. д. № 963/2008). III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS La Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution 44/25 du 20 novembre 1989) La Convention relative aux droits de l’enfant a été ratifiée par la Bulgarie le 3 juin 1991. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi : Article 37 « Les États parties veillent à ce que : (...) d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1955 et en 1947 et résident à Athènes. Le premier requérant est journaliste et ancien directeur du quotidien « TA NEA ». Le deuxième requérant est journaliste et chroniqueur dans le même quotidien. Dans l’édition de ce journal du 17 décembre 2004, le deuxième requérant publia l’article suivant dans la rubrique traitant des coulisses de la vie politique intitulée « être cloué sur place » (Στήλη Άλατος) : « Détail à double face. Une négative, une positive. Considérant la politique culturelle actuelle comme un jeu de société, le gouvernement a placé dans diverses commissions de la direction des théâtres une multitude de ses potes. Le très connu K.V., la valeur sûre de la droite, G.S., et la totale inconnue (παγκοίνως άγνωστη) P.M. C’est-à-dire un mélange d’une grosse comédie de la société cinématographique Finos et d’une troupe du Delfinario des années 80. Ne soyez pourtant pas pressés. Il n’est pas exclu que cette comédie et ce Delfinario agissent de manière moins intéressée, plus prudente et vertueuse. Le désintéressement et l’ignorance sont mille fois mieux que le demi-savoir d’un groupe d’amis élitiste. Les vieux inconscients des clubs de troisième âge (ΚΑΠΗ) de droite sont mieux que l’amoralisme glouton et cynique des « potes de gauche » qui manœuvrent et collent à chaque pouvoir, même celui de la junte. Ce sont ces limaces prétendument progressistes qui te font dire « Akakie, les pâtes oui, mais des « S » ! » Cet article était inspiré de la nomination de l’actrice P.M. à la commission consultative des subventions de la direction des théâtres du ministère de la Culture, dont le choix des membres était effectué par la direction politique dudit ministère. Le 19 avril 2005, P.M. saisit le tribunal de première instance d’Athènes d’une action en dommages-intérêts contre le premier requérant en tant que directeur du journal, contre le second requérant en tant qu’auteur de l’article susmentionné et contre l’éditeur du journal. Elle se disait victime d’insulte et d’atteinte à sa personnalité et réclamait, entre autres, la somme de 300 000 euros (EUR) pour dommage moral. Par un arrêt du 14 juin 2006 (no 3313/2006), le tribunal de première instance condamna les trois défendeurs à verser solidairement à P.M. la somme de 30 000 EUR, en sus d’une partie du montant correspondant aux frais et dépens afférents à la procédure engagée. Le tribunal de première instance relevait que l’article litigieux avait été rédigé à l’occasion de la nomination de la demanderesse comme membre de la commission consultative des subventions de la direction des théâtres du ministère de la Culture. Il considérait que l’utilisation des termes « totalement inconnue » dépassait le cadre de la critique légitime au motif qu’elle n’était pas objectivement nécessaire pour que le journaliste exprimât son opinion au sujet de cette nomination. Selon lui, par l’emploi de ces termes, le journaliste visait à porter atteinte à l’honneur de la demanderesse, exprimait une suspicion sur le statut moral et social de celle-ci et marquait un mépris pour sa personne. Le tribunal notait, en outre, que la contribution de la demanderesse à l’art du théâtre et à la représentation du pays à l’étranger en matière culturelle était considérable. À cet égard, il mentionnait sur plusieurs lignes les pièces de théâtre, films et séries télévisées dans lesquels P.M. avait joué et les postes associatifs qu’elle avait occupés. Le 6 décembre 2006, les requérants interjetèrent appel contre cet arrêt devant la cour d’appel d’Athènes. Par un arrêt du 29 août 2007 (no 5629/2007), la cour d’appel confirma le jugement attaqué. Elle réitérait les constats faits par le tribunal de première instance relativement à la carrière de la demanderesse et ajoutait ce qui suit : « (...) en aucun cas, on ne pouvait tirer comme conclusion objective, compte tenu des activités diverses que la demanderesse avait menées pendant des décennies dans les domaines du théâtre, de la télévision et du cinéma, qu’en 2004 celle-ci était « totalement inconnue » comme l’avait prétendu le troisième défendeur [D. Danikas] dans son article. La nomination de la demanderesse à la position susmentionnée (...) reflétait de manière évidente une reconnaissance professionnelle et sociale [de celleci], en tant qu’actrice et qu’individu. La qualification faite par l’article litigieux laissait supposer que [la demanderesse] ferait preuve d’une insuffisance professionnelle et de capacités limitées dans l’exercice de ses fonctions. Les allégations du troisième défendeur (...) pouvaient faire croire aux lecteurs que seulement celui qui était connu et reconnu pouvait s’acquitter de ces fonctions, et non celui qui était « totalement inconnu » et donc vulnérable à tout type d’influence, comme [cela aurait été] le cas de la demanderesse. Il ne fait pas de doute que le troisième défendeur, dans le cadre de l’information journalistique (...) du public concernant les « qualités » de la demanderesse (...), était en droit d’adresser des critiques défavorables et acerbes [à celle-ci]. Toutefois, dans le cas concret et compte tenu (...) de l’activité considérable, substantielle et productive de la demanderesse dans le domaine du théâtre grec – ce qui n’était pas ignoré par le troisième défendeur –, [celui-ci] a fait croire au lecteur moyen (...) à l’inexistence de toute compétence de [la demanderesse] à l’égard du théâtre. Il était loisible au troisième défendeur d’utiliser des termes plus anodins pour décrire les capacités de la demanderesse, comme « celle-ci n’était pas connue d’un grand cercle de personnes » (...). Les termes que [le troisième défendeur] a utilisés n’étaient pas nécessaires pour exprimer une opinion sur la nomination dont il s’agissait. (...) En procédant de la sorte, [le troisième défendeur ] visait à insulter [la demanderesse] et à porter atteinte à son honneur et à sa réputation (...). Le premier et le deuxième défendeur, qui avaient la responsabilité du choix du contenu du journal, ont accepté d’inclure [cet article] dans le journal, tout en sachant que son contenu revêtait un caractère attentatoire à la personnalité de la demanderesse (...). Évaluant la nature et la gravité de l’atteinte portée à la demanderesse, la qualité de celle-ci, la situation financière des défendeurs et le principe constitutionnel de proportionnalité, le tribunal considère que l’indemnité raisonnable qui devrait être accordée à la demanderesse s’élève à 30 000 euros (...). » Il ressort du dossier que, le 15 novembre 2007, la société éditrice du quotidien « TA NEA » a versé à P.M. 30 000 EUR ainsi qu’une partie du montant correspondant aux frais et dépens liés à la procédure devant la cour d’appel. Le 10 décembre 2007, les requérants se pourvurent en cassation. Le 16 décembre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi (arrêt no 1852/2011), et elle condamna les requérants aux dépens, d’un montant de 2 700 EUR. Elle considérait que la cour d’appel avait correctement interprété le droit interne et international pertinent, y compris l’article 10 de la Convention, et que la motivation de son arrêt était légale et ne comportait ni contradictions ni lacunes. Elle estimait notamment que l’emploi des termes « totalement inconnue » avait été fait de manière délibérée et constituait une expression de mépris à l’égard de l’actrice. Selon la haute juridiction, ces termes étaient de nature à être interprétés, selon la logique humaine et le bon sens du lecteur moyen, comme signifiant que la demanderesse n’avait aucune expérience dans le domaine du théâtre et était une « nullité » en la matière. L’arrêt no 1852/2011 fut archivé le 13 février 2012, date à partir de laquelle, selon le certificat de la Cour de cassation daté du 12 juillet 2012, la délivrance d’une copie certifiée conforme était possible. Il ressort du dossier que, le 22 février 2012, la société éditrice du quotidien « TA NEA » a versé à P.M. le montant correspondant aux frais et dépens liés à la procédure devant la Cour de cassation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les articles pertinents en l’espèce de la Constitution, du code civil et du code pénal sont décrits dans l’arrêt Koutsoliontos et Pantazis c. Grèce, (nos 54608/09 et 54590/09, 22 septembre 2015, §§ 22-25). L’article 914 du code civil est ainsi libellé : « Celui qui, en violation de la loi, cause par sa faute un dommage à autrui, est tenu à réparation. » La loi no 1178/1981 relative à la responsabilité civile de la presse, telle qu’amendée par l’article unique, paragraphe 4, de la loi no 2243/1994, dispose ce qui suit en son article unique : « 1. Le propriétaire de toute publication est tenu à la réparation intégrale du dommage matériel illégal et pécuniaire et du dommage moral qui ont été causés par un article qui porte atteinte à l’honneur ou la réputation de toute personne, même si l’imputabilité prévue à l’article 914 du code civil, ou l’intention prévue à l’article 919 du code civil, ou la connaissance et l’ignorance imputable à une faute prévues à l’article 920 du code civil s’appliquent au rédacteur de cet article ou, si celui-ci est inconnu, à l’éditeur ou au rédacteur en chef de la publication. Le montant minimum des dommages-intérêts pour préjudice moral est, conformément à l’article 932 du code civil, de dix millions de drachmes (...). »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971 et réside à Mardin. À l’époque des faits, il était marchand de bétail. A. La genèse de l’affaire et les mesures de surveillance à l’égard du requérant Des renseignements sur un trafic d’armes dans lequel le requérant aurait été impliqué avaient été recueillis par les autorités. Le dossier permet de comprendre que deux enquêtes séparées avaient été initiées à Silopi et Diyarbakır à l’encontre du requérant, lesquelles furent jointes ultérieurement. Selon le requérant, à une date non précisée, le tribunal d’instance pénal de Diyarbakır a autorisé le parquet de Diyarbakır à intercepter les conversations téléphoniques d’un certain N.A. soupçonné d’être impliqué dans la contrefaçon de billets de banque et de leur utilisation. Toujours selon le requérant, l’interception de ses conversations s’est faite sur le seul fondement de cette décision, sur laquelle, à ses dires, ni son nom ni l’infraction reprochée ne figuraient. Le requérant n’a pas communiqué de copie de cette décision, mais il en a indiqué le numéro (décision no 2007/505). Ce document, dont une copie a été fournie par le Gouvernement, concerne la prolongation de l’autorisation d’écoutes téléphoniques à l’égard du requérant. Ainsi, le 22 octobre 2007, sur la demande du procureur de la République de Diyarbakır, le tribunal d’instance pénal de Diyarbakır a prolongé de trois mois l’autorisation initiale de procéder à des écoutes téléphoniques à l’égard du requérant. Cette décision portant le numéro 2007/505, indique que la décision initiale avait été accordée pour trois mois aussi. La date de la décision initiale n’est pas indiquée. Le nom du requérant figure sur ce document en tant que suspect et est accompagné de deux numéros de téléphone. La décision indique qu’il avait été admis que M. Güzel était soupçonné de trafic d’armes et de munitions et qu’aucun autre moyen n’avait permis de collecter des preuves tangibles à son égard. Le 27 décembre 2007, le procureur de la République de Silopi requit l’autorisation de mettre sur écoute les numéros de téléphone portable du requérant et de deux autres personnes. Il indiquait dans sa demande que des investigations avaient été menées après l’obtention de renseignements sur un trafic d’armes dans la région, en provenance d’Irak. Il précisait que les suspects faisaient partie de la population locale, ce qui aurait rendu difficile l’avancée de l’enquête. De plus, selon le procureur, le caractère frontalier de la région et la commission souvent nocturne des actes litigieux étaient autant d’obstacles à une filature visant à l’obtention de preuves ou à l’arrestation des suspects. Ainsi, selon lui, seule une mesure de surveillance mise en œuvre dans le cadre de l’article 135 du code de procédure pénale (« CPP ») pouvait permettre d’établir l’identité des personnes avec lesquelles les suspects étaient en contact – tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays –, les modalités de la commission des délits et les moments de la journée auxquels ceux-ci avaient été commis, et d’obtenir des éléments de preuve et de procéder à l’arrestation des suspects. Le 28 décembre 2007, le tribunal d’instance pénal de Silopi accorda l’autorisation requise s’agissant du requérant et de deux autres personnes, pour une durée limitée à soixante jours (décision no 2007/1599). B. Les extraits pertinents des transcriptions d’écoutes téléphoniques Les écoutes ainsi mises en place permirent d’établir que le requérant était en relation avec un certain Ahmet, domicilié en Irak, avec lequel il serait parvenu à un accord pour un transfert d’armes à feu qui devait se faire par le biais d’un certain Münir. À une date non précisée, un expert effectua la traduction des conversations téléphoniques, lesquelles s’étaient tenues majoritairement en kurde. La conversation du requérant avec un certain Aydın Ö., du 8 décembre 2007 contenait des phrases telles que : « Quelle est la situation des troupeaux de moutons ? » « Des loups ont attaqué un troupeau récemment. J’étais dans les champs avec les bergers, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas de nouvelles de l’un des troupeaux. Je ne sais pas combien de personnes ont été blessées. » « Quel est le niveau de pertes ? » « Je ne sais pas exactement, mais j’ai vu certaines choses à la télé. » « Appelle-les et renseigne-toi. Tiens-moi au courant, on me demande des renseignements. » Une conversation du 13 janvier 2008 entre le requérant et Ahmet, qui utilisait un numéro de téléphone enregistré au nom de Olga E., était transcrite comme suit : « Tes six chemises sont prêtes pour demain, viens les récupérer. Les six autres seront prêtes pour la prochaine fois, pas maintenant, d’accord ? » Une conversation ayant eu lieu le jour de l’arrestation, le 14 janvier 2008, entre le requérant et Münir concernait l’heure et le lieu du rendezvous. Le requérant répétait à Münir : « Les lignes téléphoniques sont sales. » Il ressort des conversations ayant eu lieu ce même jour entre Münir et Ahmet que ce dernier demandait à Münir de se présenter sous le nom de Metin lors de la livraison « de six moutons », et que le requérant lui avait dit qu’il n’était pas en mesure de recevoir la livraison. Ahmet demandait en outre à Münir de trouver un lieu sûr en attendant. Enfin, une conversation tenue entre le requérant et Ahmet, toujours le 14 janvier 2008, comportait les phrases suivantes : « Dis-lui de s’arranger ; si j’étais en mesure de les récupérer, je le ferais. Je ne suis pas dans une situation favorable, tu me comprends ? » C. L’arrestation du requérant et la suite de la procédure Ce même jour du 14 janvier 2008, les policiers commencèrent à prendre le requérant en filature. Selon les documents, le requérant et Münir s’étaient retrouvés en ville puis s’étaient séparés. Le procès-verbal correspondant indiquait que le requérant avait compris qu’il était suivi, qu’il avait renoncé à récupérer les armes et qu’il avait tenté de fuir. Le requérant fut arrêté à 15 h 40 en possession de trois téléphones portables, dont celui de l’un des numéros placé sur écoute, et d’un certain nombre de documents qui furent également saisis. Münir fut lui aussi arrêté. Il se trouvait à bord de son véhicule, dans lequel six armes à feu et 128 cartouches furent saisies. Toujours le 14 janvier 2008, vers 19 heures, le requérant fut emmené chez lui pour une perquisition. Les forces de sécurité saisirent un téléphone portable et le livrèrent au parquet d’Idil. Le 15 janvier 2008, à la demande de la police, le procureur de la République prolongea de vingt-quatre heures la garde à vue du requérant, eu égard au nombre de suspects impliqués et à la difficulté à collecter les preuves, et afin de procéder à une expertise des téléphones portables et documents saisis. Le 16 janvier 2008, le procureur de la République qualifia le trafic d’armes en question d’aide et de soutien au PKK, une organisation illégale armée, et ordonna le transfèrement du requérant dans une unité spécialisée dans la lutte contre le terrorisme. Le requérant, assisté d’un avocat, fut informé de ces soupçons. Celui-ci annonça qu’il refusait de faire sa déposition devant la police et qu’il la ferait devant le procureur de la République. Le même jour, le procureur de la République prolongea une deuxième fois de vingt-quatre heures la garde à vue du requérant, puis une troisième fois le 17 janvier 2008, eu égard à la requalification des faits et à la nécessité de compléter le dossier d’enquête, à l’absence de coopération du requérant à qui il aurait été en vain demandé d’expliquer les communications apparaissant sur les téléphones portables saisis sur sa personne, et à son refus de donner un échantillon de son écriture manuscrite pour comparaison avec les documents également saisis sur lui. Le 17 janvier 2008, Aydın Ö. fut lui aussi arrêté. Il était en possession d’une liste de matériaux à acheter, tels que des vestes, des couteaux, des radios et des provisions, qui furent considérés comme étant destinés aux terroristes. D’après les transcriptions des écoutes téléphoniques, le requérant avait auparavant dit avoir participé à ces achats à hauteur de mille dollars américains de fonds propres. Le 18 janvier 2008, le requérant fut extrait des locaux de garde à vue à 13 heures pour être interrogé par le procureur de la République. Assisté de son avocat, il dit au procureur qu’il souhaitait utiliser son droit de garder le silence. Le même jour, le requérant et Aydın Ö. furent interrogés par le juge du tribunal d’instance pénal de Silopi. L’avocat du requérant indiqua que les écoutes téléphoniques constituaient une mesure excessive, arguant que le requérant aurait pu être surveillé ou suivi physiquement, que les autorités d’investigation avaient mal interprété ses conversations téléphoniques et que celui-ci y parlait de son commerce de bétail. À l’issue de l’audience, ce juge décida de placer le requérant en détention provisoire en se fondant sur les éléments du dossier et en se référant à l’article 100 § 3 b) du CPP, qui prévoit spécifiquement un placement en détention provisoire pour le délit de trafic d’armes. Par ailleurs, le juge ordonna la mise en liberté de Aydın Ö. au motif que les preuves à son égard avaient été collectées. Le 23 janvier 2008, le procureur de la République de Silopi rendit une décision d’incompétence ratione materiae et renvoya le dossier devant le procureur de la République à Diyarbakır. Le 8 février 2008, ce dernier procureur, en charge des investigations pour les infractions aggravées prévues à l’article 250 du CPP, déposa un acte d’accusation contre le requérant, Aydın Ö. et Münir K. Se référant en particulier aux conversations téléphoniques entre ces personnes et aux armes et matériels saisis, il indiqua que Aydın Ö. collectait des renseignements sur les positions et activités des forces de l’ordre pour les transmettre au requérant, lequel aurait transmis ces informations aux membres du PKK. Il accusa aussi le requérant et Münir K. de trafic international d’armes et d’aide et de soutien au PKK. Le 19 février 2008, la cour d’assises de Diyarbakır considéra à l’issue de son audience préparatoire que cet acte d’accusation répondait aux critères de l’article 170 du CPP et que des éléments de preuve suffisants pour mener une procédure avaient été collectés. Il déclara ainsi que l’acte d’accusation était admissible (iddianamenin kabulüne), décida de maintenir le requérant en détention provisoire et ordonna la notification de l’acte d’accusation au requérant et au coaccusé Aydın Ö. Une expertise du 25 février 2008 établit que les six armes saisies ne présentaient aucun défaut et qu’elles étaient en état de faire feu avec des cartouches correspondant à leurs calibres. Lors de la seconde audience, tenue le 10 avril 2008 devant la cour d’assises de Diyarbakır, le requérant contesta les faits qui lui étaient reprochés ainsi que la teneur des transcriptions des écoutes téléphoniques, et il demanda sa mise en liberté. La cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant eu égard à la nature du crime qui lui était reproché et à l’état des preuves le concernant, puis elle ordonna une contre-expertise de la traduction des transcriptions en question. Lors de l’audience tenue le 5 juin 2008, la cour d’assises examina à nouveau les transcriptions des écoutes téléphoniques concernant le requérant. L’avocat de celui-ci contesta encore tant les faits que la procédure. Il dénonça une irrégularité des écoutes téléphoniques mises en place à l’égard de son client, affirmant qu’il n’existait pas de décision judiciaire permettant de mettre en œuvre la mesure litigieuse et que la décision ayant fondé la mise sur écoutes visait non pas le requérant, mais des personnes avec lesquelles celui-ci se serait entretenu. Selon l’avocat, l’utilisation de ces éléments de preuve allait à l’encontre de la jurisprudence de la Cour de cassation. À l’issue de cette audience, la cour d’assises ordonna une nouvelle expertise des transcriptions en question. Elle maintint le requérant en détention eu égard à la nature du délit et au fait que celui-ci figurait à l’article 100 § 3 b) du CPP. Le 19 février 2009, à l’issue de la huitième audience, le requérant fut condamné à une peine d’emprisonnement de douze ans et six mois pour aide et soutien à une organisation terroriste. Dans ses motifs, la cour d’assises se référait aux éléments susmentionnés, considérant que les conversations indiquées ci-dessus étaient codées et qu’elles se rapportaient au trafic d’armes en question, ainsi qu’à la collecte de renseignements sur les positions des forces de l’ordre par rapport à des groupes de terroristes. Pour la cour d’assises, en particulier, l’expression « troupeaux de moutons » désignait les groupes de terroristes, la date de cette conversation correspondant à celles des conflits armés ayant opposé terroristes et forces de l’ordre ; les termes « moutons » et « chemises » se référaient à ses yeux aux armes, et il était possible de déduire des paroles répétées du requérant selon lesquelles « les lignes téléphoniques [étaient] sales » que celui-ci se savait en infraction et qu’il se doutait qu’il était sur écoutes. La cour d’assises ajoutait qu’il n’y avait pas eu de paiement entre les parties ni de discussion à ce propos. Selon elle, cet élément, ajouté aux autres éléments du dossier, permettait de conclure qu’il s’agissait d’un trafic d’armes ayant pour but la fourniture de matériel au PKK et non d’un trafic d’armes entre particuliers. Par une décision du 31 mars 2010, la Cour de cassation confirma ce jugement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Sur la garde à vue L’article 91 §§ 1 et 2 du CPP, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, indiquait qu’une personne arrêtée pouvait être placée en garde à vue pendant vingt-quatre heures si le procureur de la République décidait de ne pas la libérer. Une personne pouvait être mise en garde à vue sous réserve que cette mesure se révélât nécessaire pour mener l’enquête et qu’il découlât de preuves tangibles qu’il y avait eu commission d’une infraction. Selon l’article 91 § 3 du CPP, toujours en vigueur à ce jour, s’agissant des infractions commises en bande (toplu olarak işlenen suç), le procureur de la République peut autoriser par écrit la prolongation de la garde à vue de trois jours au total, chaque prolongation étant au maximum d’un jour. Selon l’article 91 § 5 du CPP, l’intéressé ou ses proches peuvent former opposition devant le tribunal d’instance pénal à l’arrestation et aux décisions de placement en garde à vue ou de prolongation de la garde à vue. B. Sur les écoutes téléphoniques La Cour renvoie à son arrêt Karabeyoğlu c. Turquie, no 30083/10, §§ 37-45, 7 juin 2016 en ce qui concerne les points suivants : – l’article 22 de la Constitution quant à la liberté de communication, – l’article 135 du CPP en vigueur à l’époque des faits quant à l’interception, l’écoute et l’enregistrement des communications, – l’article 137 du CPP quant à l’exécution des décisions d’interception et de destruction des données relatives aux communications, – l’article 138 du CPP sur les preuves obtenues de manière fortuite, – les règlements sur l’application des mesures de surveillance au sens du CPP, – les dispositions du code pénal qui prévoient des peines de réclusion pour l’écoute et l’enregistrement illégaux des conversations d’autrui.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1961 et réside à Saratov (Russie). En 2012, la requérante quitta le Turkménistan pour la Russie et s’installa avec son fils et son petit-fils dans la région de Moscou. A. Les poursuites pénales engagées à l’encontre de la requérante au Turkménistan, son arrestation en Russie et la demande d’extradition des autorités turkmènes Le 18 juillet 2012, les autorités turkmènes accusèrent la requérante de fraude, ordonnèrent par contumace son placement en détention et, deux jours plus tard, délivrèrent un mandat d’arrêt à son encontre. Le 19 juillet 2014, la requérante fut arrêtée dans la ville de Saratov, en Russie, et placée en détention provisoire à la maison d’arrêt no IZ-64/1. Par une lettre du 16 août 2014, le procureur général du Turkménistan demanda à son homologue russe d’ordonner l’extradition de la requérante aux fins de poursuites pénales sur le fondement de l’article 228 § 2 (b) et (c) et § 4 du code pénal turkmène. Dans cette même lettre, il s’engageait à ne pas remettre la requérante à un État tiers sans le consentement de la Fédération de Russie, à ne la poursuivre que pour les infractions qui avaient motivé la demande d’extradition et à la laisser libre de quitter le territoire du Turkménistan lorsqu’elle aurait purgé sa peine. Il garantissait que la requérante bénéficierait du droit à la défense et de l’aide d’un avocat dans le respect des normes du code de procédure pénale du Turkménistan et du droit international. Il assurait également que la requérante ne serait pas soumise à la torture ou à tout autre traitement inhumain ou dégradant et qu’elle ne ferait pas l’objet d’une discrimination fondée sur la situation sociale, la race, la religion ou l’origine. B. Les demandes de la requérante en vue de l’obtention du statut de réfugié et de l’asile temporaire, et la procédure extraditionnelle Demande du statut de réfugié Entre-temps, le 14 août 2014, la requérante avait sollicité auprès de la direction régionale du service fédéral russe des migrations (« le SFM ») de Saratov l’octroi du statut de réfugié. Le 5 décembre 2014, la direction régionale du SFM rejeta la demande de la requérante. Dans la partie introductive de la décision, le SFM indiquait que, avant d’arriver en Russie, la requérante avait résidé à Achkhabad où sa mère et sa sœur étaient toujours domiciliées. Faisant référence au questionnaire rempli par la requérante à l’appui de sa demande d’asile, le SFM releva que l’intéressée invoquait comme motif de son refus de retourner au Turkménistan « la crainte pour sa vie puisqu’elle risquait d’y être incarcérée ». La décision comportait ensuite une partie descriptive de la situation au Turkménistan avec des références à des sources gouvernementales ainsi qu’à des informations provenant de rapports d’organisations non gouvernementales telles que Humans Rights Watch et Open Doors. Notamment, la décision citait le rapport de Human Rights Watch publié en janvier 2014, selon lequel le Turkménistan restait un des pays les plus répressifs du monde. Toujours en se référant au questionnaire joint à la demande d’asile de l’intéressée, le SFM reprenait ensuite les réponses de celle-ci, qui aurait déclaré « ne pas être recherchée par la police ou par un autre organe d’application des lois dans tout autre État et ne pas avoir mené d’activité sociale au Turkménistan ni avoir été membre d’un parti politique dans cet État ». Dans sa conclusion, la décision se lisait ainsi : « L’analyse des renseignements fournis par l’intéressée et des informations présentes dans le dossier ouvert sur sa demande démontre qu’elle se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qu’elle ne souhaite pas y retourner alors même qu’il n’existe pas de raisons sérieuses dans son chef de craindre d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (...). Les autorités turkmènes reconnaissent tous ses droits à l’intéressée. Celle-ci a quitté son pays librement pour entrer en Russie. Il a été décidé [par conséquent] que l’alinéa 1 de l’article 1 § 1 de la loi sur les réfugiés n’est pas applicable à la situation de l’intéressée. Il convient [dès lors] de rejeter la demande d’octroi du statut de réfugié [de l’intéressée]. » Dans sa requête devant la Cour, la requérante indique qu’elle a rédigé par écrit une plainte contre la décision du 5 décembre 2014 et qu’elle l’adressée au bureau central du SFM à Moscou par le biais de l’administration de la maison d’arrêt no IZ-64/1. Le 20 janvier 2015, le service du procureur général de la Russie envoya au bureau central du SFM de Moscou une demande visant à « faire contrôler le bien-fondé » de la décision du 5 décembre 2014 par laquelle le bureau du SFM de la région de Saratov avait rejeté la demande d’asile de la requérante de l’alinéa 1 de l’article 1 § 1 de la loi sur les réfugiés. À une date non spécifiée du mois de février 2015, le bureau central du SFM adopta un avis par lequel il confirmait la décision du 5 décembre 2014. Il réitéra les conclusions de la direction régionale quant à l’inapplicabilité à la situation de la requérante. La procédure extraditionnelle à l’égard de la requérante en Russie Le 12 mai 2015, ayant noté qu’aucune norme de la législation nationale ni du droit international ne faisait obstacle à l’extradition de la requérante, le procureur général adjoint de la Russie accueillit la demande d’extradition de celle-ci vers le Turkménistan. La requérante, assistée d’une avocate, forma un recours par voie de contrôle judiciaire contre cette décision, arguant notamment que la mise à exécution de la décision d’extradition l’exposerait à un risque de mauvais traitements au Turkménistan. Elle indiquait qu’elle risquait d’y être placée en détention provisoire et de subir de ce fait des traitements inhumains et dégradants en violation de l’article 3 de la Convention. Elle évoquait également son appartenance à la minorité russe qui, selon elle, était victime d’une oppression de la part des autorités turkmènes. Elle se référait pour étayer ses arguments aux rapports du Comité des droits de l’homme de l’ONU, à ceux d’organisations internationales et à la jurisprudence de la Cour. Par une décision du 24 juin 2015, la cour régionale de Saratov rejeta le recours de la requérante contre la décision autorisant son extradition. Elle considéra notamment que les allégations de la requérante quant au risque d’être soumise à des mauvais traitements en cas de renvoi au Turkménistan se fondaient sur de simples suppositions, et qu’en outre les autorités turkmènes avaient donné l’assurance que l’intéressée ne serait pas soumise à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants et qu’elle ne serait pas l’objet d’une discrimination du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social. La cour régionale indiqua ensuite que la demande de statut de réfugié, introduite par la requérante le 14 août 2014, avait pour seul but de créer « des conditions artificielles » pour empêcher son extradition et échapper aux poursuites pénales dont elle n’aurait pas ignoré l’existence au moment du départ de son pays d’origine. De surcroît, la cour releva que la requérante avait failli à contester la décision du 5 décembre 2014 de la direction du SFM de la région de Saratov dans le délai d’un mois requis par l’article 10 de la loi sur les réfugiés faute de preuves qui auraient démontré qu’elle avait effectivement déposé son recours à l’administration de la maison d’arrêt dans laquelle elle était alors détenue. Ayant indiqué que la décision du 5 décembre 2014 avait par ailleurs été confirmée en février 2015 par le bureau central du SFM, elle estima que le procureur avait le droit d’ordonner l’extradition de la requérante qui ne bénéficiait pas du statut de réfugié. Enfin, la cour notait que la requérante n’avait demandé ni le statut de réfugié politique ni l’asile temporaire. La requérante interjeta appel contre la décision du 24 juin 2015 de la cour régionale de Saratov. Par un arrêt du 24 septembre 2015, la Cour suprême de Russie rejeta le recours formé par la requérante. Elle fit sienne la conclusion de la cour régionale relative au caractère spéculatif des allégations de l’intéressée quant au risque de mauvais traitements encouru en cas de renvoi vers le Turkménistan. À l’instar de la cour régionale, la Cour suprême prit bonne note des assurances données par les autorités turkmènes dans leur demande d’extradition du 16 août 2014. Elle indiquait ensuite que l’interdiction de renvoi, telle que formulée aux articles 10 § 1 et 12 § 4 de la loi sur les réfugiés, ne concernait que les personnes ayant effectivement obtenu le statut de réfugié ou l’asile temporaire. La demande d’asile temporaire Entre-temps, le 17 juillet 2015, la requérante avait introduit toujours auprès de la direction régionale du SFM de Saratovune demande visant à l’obtention de l’asile temporaire. Par une décision du 16 octobre 2015, le SFM accueillit la demande de l’intéressée et lui accorda l’asile temporaire jusqu’au 16 octobre 2016. Dans sa partie descriptive de la situation au Turkménistan, la décision reprenait textuellement les parties pertinentes de celle du 5 décembre 2014 par laquelle le SFM avait rejeté la demande de la requérante visant à l’obtention du statut de réfugié (paragraphe 12 cidessus). La décision comportait ensuite des références aux déclarations de la requérante relatives aux circonstances de son départ du Turkménistan et de son arrivée en Russie ainsi qu’au bien-fondé des charges pénales dirigées contre elle par les autorités turkmènes. Dans sa conclusion, la décision se lisait ainsi : « (...) Le 25 septembre 2015, le SFM de la Russie a reçu, de la part du représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, une lettre [l’informant] de l’indication d’une mesure provisoire en application de l’article 39 du règlement de la Cour dans le cadre de la requête no 46721/15 « Allanazarova c. Russie ». Le 9 octobre 2015, le SFM de la Russie a indiqué à la direction régionale du SFM de Saratov qu’il lui incombait de prendre les mesures nécessaires pour prévenir le renvoi de [la requérante] hors du territoire russe jusqu’à nouvel ordre. [Eu égard] aux informations présentes dans le dossier [de la requérante], aux considérations humanitaires et au principe de l’unité de la famille, il est approprié d’accorder à l’intéressée la possibilité de séjourner temporairement sur le territoire russe. [Par conséquent], conformément à l’alinéa 2 de l’article 12 § 2 de la loi sur les réfugiés et au paragraphe 7 de l’ordonnance du gouvernement de la Russie no 274 sur les modalités d’octroi de l’asile temporaire sur le territoire de la Fédération de Russie du 9 avril 2001, il a été décidé d’accorder à [la requérante] l’asile temporaire jusqu’au 16 octobre 2016. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Sur l’extradition Le code de procédure pénale Le chapitre 54 du code de procédure pénale (CPP) (intitulé « Extradition d’une personne aux fins de poursuites pénales ou d’exécution d’une peine ») traite de la procédure d’extradition. En vertu des articles 462 et 463 du CPP, la décision d’extrader un individu à la demande d’un autre pays est prise par le procureur général ou son adjoint. Dans les dix jours suivant la date de la notification de la décision à l’intéressé, elle peut être contestée en justice devant une cour régionale (article 463 § 1). La cour régionale peut soit confirmer la décision d’extradition soit la déclarer illégale ou infondée et l’annuler (article 463 § 7). La décision de la cour régionale est susceptible d’appel devant la Cour suprême de la Russie (article 463 § 9). En cas de contestation de la décision par l’individu concerné, l’extradition est suspendue jusqu’à ce que la décision devienne définitive (article 462 § 6). En vertu de l’article 464 § 1 du CPP, l’extradition ne peut avoir lieu, notamment : – si la personne dont l’extradition est demandée a obtenu le statut de réfugié sur le territoire de la Fédération de Russie en raison de la possibilité qu’elle encoure des persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques (466 § 1-2) ; – s’il existe une décision rendue par un tribunal russe et ayant acquis force de chose jugée qui fait état d’obstacles à l’extradition de la personne concernée en vertu de la législation russe ou d’accords internationaux conclus par la Russie. Directive de la Cour suprême de la Fédération de Russie Les parties pertinentes en l’espèce de la directive no 11 du 14 juin 2012 relative à l’extradition des personnes à des fins de poursuites pénales, de mise en œuvre d’une sentence pénale ou d’exécution d’une peine de la Cour suprême de la Fédération de Russie se lisent ainsi : « 10. En vertu des articles 10 § 1 et 12 § 4 de la loi sur les réfugiés, des articles 32 et 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, la personne à laquelle a été octroyé le statut de réfugié ou qui a bénéficié d’un asile temporaire et qui fait l’objet d’une demande d’extradition reçue par la Fédération de Russie ne peut pas être extradée vers l’État demandeur (...) sur le territoire duquel ont eu lieu les circonstances ayant servi de fondement pour l’octroi du statut de réfugié ou de l’asile temporaire. (...) Il appartient aux tribunaux de tenir compte du fait que, en vertu de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques tel qu’interprété par le Comité des droits de l’homme de l’ONU, de l’article 3 de la Convention sur l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, un individu ne peut pas être extradé s’il y a des raisons sérieuses de croire qu’il sera soumis dans l’État demandeur à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Il échoit d’expliquer aux tribunaux qu’en vertu de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’homme, une peine ou un traitement [peuvent être qualifiés] d’inhumains notamment lorsqu’ils ont été appliqués avec préméditation pendant des heures et qu’ils ont causé soit des lésions corporelles soit de vives souffrances physiques et mentales. Une peine ou un traitement [peuvent également être] dégradants notamment lorsqu’ils sont de nature à créer chez l’individu des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité (...) Un individu ne peut pas être extradé lorsque, en raison de circonstances exceptionnelles, son renvoi peut mettre en danger sa vie ou sa santé [. Il doit notamment être tenu compte] de son âge et de son état de santé (article 9 du code de procédure pénale, article 3 de la Convention des droits de l’homme). Il échoit d’expliquer aux tribunaux que, en vertu des articles 7, 15, 463 § 3 et 464 du code de procédure pénale, de l’article 3 de la Convention sur l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, des articles 3 et 11 de la Convention européenne d’extradition, lorsqu’une décision d’extrader est contestée [par la personne concernée], c’est aux services du procureur de la Fédération de la Russie qu’il incombe de démontrer l’absence de raisons sérieuses de croire que la personne sera soumise à la peine de mort, à la torture, à une peine ou à des traitements inhumains et dégradants, ou bien de démontrer qu’elle ne sera pas persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. En vertu de l’article 3 de la Convention sur l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, tel qu’interprété par le Comité de l’ONU contre la torture, la présence ou l’absence des circonstances [susmentionnées] doit être appréciée compte tenu tant de la situation générale en matière de droits de l’homme dans l’État demandeur que du cas particulier [de la personne] qui, pris dans leur ensemble, peuvent [éventuellement] démontrer l’existence de raisons de croire que la personne risque d’être soumise à une peine ou à un traitement susmentionnés. Dans ce contexte, les tribunaux peuvent prendre en compte, notamment, les déclarations de la personne qui fait l’objet de l’extradition, les déclarations de témoins, l’avis du ministère des Affaires étrangères sur la situation en matière de droits de l’homme dans l’État demandeur, les assurances de l’État demandeur ainsi que les rapports ou autres documents adoptés à l’égard de cet État par les organes [des organisations internationales] (le Conseil des droits de l’homme (...)) ou par les organes [de traités internationaux] (le Comité des droits de l’homme (...), le Comité contre la torture (...), le Comité européen pour la prévention de la torture) (...). Les tribunaux doivent apprécier les motifs avancés par la personne à extrader compte tenu de l’ensemble des circonstances. Il convient d’attirer l’attention des tribunaux sur l’éventuelle évolution, avec l’écoulement du temps, de la situation en matière de droits de l’homme telle qu’appréciée par les organes internationaux [susmentionnés]. (...) Il ressort de l’article 463 du code de procédure pénale russe que la légalité et le bien-fondé de la décision portant sur l’extradition d’une personne sont appréciés au moment de son adoption. Dans ce contexte, le fait que la personne [concernée] a demandé (...) l’octroi du statut de réfugié ou l’asile temporaire ou politique après la prise de la décision portant sur son extradition ne constitue pas un motif pour ajourner l’examen de son recours contre ladite décision, étant donné que la confirmation de la légalité et du bien-fondé de [la décision portant sur l’extradition] par un tribunal n’entraîne pas le transfert de facto de la personne à l’État demandeur jusqu’au moment de l’adoption d’une décision sur sa demande [de statut de réfugié ou d’asile temporaire] ou jusqu’à la fin de la procédure de contestation d’un éventuel rejet de sa demande [de statut de réfugié ou d’asile temporaire] (article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, article 33 de la Convention sur les réfugiés, article 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme). » B. Sur le statut de réfugié et l’asile temporaire La loi sur les réfugiés (loi no 4258-I du 19 février 1993) a) Le statut de réfugié L’article 1 § 1-1 de la loi sur les réfugiés définit le réfugié comme étant une personne qui n’a pas la nationalité russe et qui, en raison d’une crainte justifiée d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son origine ethnique, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut pas ou, du fait de cette crainte, ne veut pas se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut pas ou, en raison de ladite crainte, ne veut pas y retourner. La loi ne s’applique pas aux personnes dont on a des raisons sérieuses de penser qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, ou un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés (article 2 § 1-1 et 2). b) L’asile temporaire L’article 1 § 1-1 de la loi définit l’asile temporaire comme étant une possibilité offerte à un citoyen étranger de résider temporairement sur le territoire de la Fédération de Russie en vertu de l’article 12 de la même loi ou d’autres dispositions de la législation russe. Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 12 de la loi, qui porte sur l’asile temporaire, se lisent ainsi : « 2. L’asile temporaire peut être octroyé à une personne de nationalité étrangère ou à une personne apatride : – soit lorsqu’elle satisfait aux critères d’octroi du statut de réfugié, mais qu’elle ne demande par écrit que l’octroi de l’asile temporaire ; – soit lorsqu’elle ne satisfait pas aux critères d’octroi du statut de réfugié, mais qu’elle ne peut pas être expulsée ou éloignée de Russie pour des motifs humanitaires (...) (...) La personne qui a obtenu l’asile temporaire ne peut être renvoyée contre sa volonté dans le pays dont elle a la nationalité ou dans celui dans lequel elle avait sa résidence habituelle (...) La personne perd le bénéfice de l’asile temporaire en cas : (1) de cessation des circonstances qui ont servi de fondement à son octroi ; (2) d’attribution d’un titre de séjour ou de nationalité de la Fédération de Russie ou d’un autre État ; (3) de départ vers un lieu de résidence en dehors du territoire russe. L’organe chargé des questions de migrations prive la personne du statut d’asile temporaire : (1) lorsqu’elle a été condamnée au pénal pour une infraction commise sur le territoire russe ; (2) lorsqu’elle a communiqué délibérément de fausses informations qui ont servi de fondement à l’octroi de l’asile temporaire ou qu’elle a enfreint les dispositions de la loi sur les réfugiés de toute autre manière ; (3) lorsqu’elle a été reconnue coupable d’une infraction administrative ayant trait au trafic de stupéfiants, de substances (y compris des plantes) psychotropes ou de leurs précurseurs. La personne qui a perdu ou s’est vu priver de l’asile temporaire conformément à l’article 12 §§ 5 et 6 (2) et qui n’a pas d’autre raison légale de séjourner en Russie doit quitter le territoire [russe] dans un délai d’un mois après avoir été invitée à le faire par [l’organe chargé de questions des migrations]. » c) La contestation de décisions en matière de statut de réfugié ou d’asile temporaire et les garanties de non-refoulement Les parties pertinentes de l’article 10 de la loi, qui porte sur la contestation de décisions en matière de statut de réfugié ou d’asile temporaire ainsi que sur les garanties de non-refoulement, se lisent ainsi : « 1. La personne dont la demande d’octroi du statut de réfugié est en cours d’examen ou celle qui a obtenu le statut de réfugié ou celle qui a perdu ou s’est vu retirer le statut de réfugié ne peut être renvoyée dans l’État de sa nationalité ou de sa résidence habituelle si les circonstances prévues par l’article 1 § 1-1 de la loi y persistent. Toute décision, tout acte ou toute omission d’un service ou d’un agent de l’administration fédérale, régionale ou municipale ou de fonctionnaires impliqués dans la mise en œuvre de cette loi peuvent être contestés par voie de recours hiérarchique ou de contrôle juridictionnel. Le délai de dépôt d’une plainte est : – d’un mois à compter de la date à laquelle la personne concernée a reçu par écrit notification d’une décision prise à son égard ou de la date à laquelle cette personne avait présenté une demande qui est restée sans réponse ; – de trois mois à compter de la date à laquelle la personne concernée a eu connaissance du rejet de sa demande d’octroi du statut de réfugié (...) La personne qui a reçu notification du refus d’examen sur le fond de sa demande d’octroi du statut de réfugié ou du rejet de [ladite] demande, ou celle qui a reçu notification de la perte du statut de réfugié ou du retrait [dudit] statut dans les circonstances prévues par l’article 9 §§1 et 9 (2-2) de la présente loi, et qui a fait usage de son droit de contestation [des décisions susmentionnées] conformément au présent article doit quitter le territoire russe avec les membres de sa famille dans un délai de trois jours à compter de la date à laquelle elle a reçu notification du rejet de sa contestation lorsqu’elle n’a pas d’autre raison légale de séjourner en Russie. » d) Sur l’expulsion Les parties pertinentes en l’espèce de l’article 13 de la loi, qui porte sur les conditions d’expulsion, se lisent ainsi : « 1. La personne qui a reçu notification du refus d’examen sur le fond de sa demande d’octroi du statut de réfugié ou du rejet de [ladite] demande, ou celle qui a reçu notification de la perte du statut de réfugié ou du retrait [dudit] statut, et qui n’a pas fait usage de son droit de contestation [des décisions susmentionnées] tout en refusant de quitter volontairement le territoire de la Russie est expulsée (déportée hors) du territoire russe avec les membres de sa famille (...) La personne qui a contesté le refus d’examen sur le fond de sa demande d’octroi du statut de réfugié ou le rejet de [ladite] demande ou la perte du statut de réfugié ou le retrait [dudit] statut, et dont la contestation a été rejetée, est expulsée (déportée hors) du territoire de la Russie avec les membres de sa famille lorsqu’elle n’a pas d’autre raison légale de séjourner en Russie (...) La personne privée du statut de réfugié ou d’asile temporaire en raison d’une condamnation au pénal pour une infraction commise sur le territoire russe est expulsée (déportée hors) du territoire de la Russie après avoir purgé la peine infligée (...) La personne qui a perdu l’asile temporaire ou qui s’est vu retirer l’asile temporaire dans les circonstances prévues par l’article 12 §§5 et 6 (2) de la présente loi et qui refuse de quitter volontairement le territoire de la Russie est expulsée (déportée) hors du territoire russe lorsqu’elle n’a pas d’autre raison légale de séjourner en Russie (...) » L’ordonnance du gouvernement no 274 du 9 avril 2011 sur l’octroi de l’asile temporaire Dans son paragraphe 7, l’ordonnance du gouvernement no 274 du 9 avril 2011 sur l’octroi de l’asile temporaire reprend les dispositions de la loi sur les réfugiés relatives à l’asile temporaire en indiquant que celui-ci est octroyé dans des cas où la personne concernée a besoin de séjourner temporairement sur le territoire russe pour des motifs humanitaires jusqu’au moment où ces motifs ne sont plus valables ou jusqu’au changement de statut juridique de la personne concernée. Le paragraphe 12 de l’ordonnance énonce que l’asile temporaire est octroyé pour une durée d’un an et qu’il peut être reconduit une ou plusieurs fois pour une durée qui, chaque fois, ne dépassera pas un an. La personne concernée doit faire la demande de reconduction par écrit et indiquer les circonstances propres à démontrer le besoin de reconduire l’asile temporaire. Sur le contrôle juridictionnel fondé sur le chapitre 25 du code de procédure civile et sur la loi relative au contrôle juridictionnel en vigueur au moment des faits Le chapitre 25 du code de procédure civile (CPC), en vigueur jusqu’au 15 septembre 2015, définissait la procédure permettant d’examiner les plaintes contre des décisions et des actes de fonctionnaires violant les droits et libertés des citoyens, procédure qui a été détaillée dans loi no 48661 du 27 avril 1993 relative au contrôle juridictionnel des décisions et actes violant les droits et libertés des citoyens (« la loi relative au contrôle juridictionnel »). Le CPC et la loi relative au contrôle juridictionnel disposaient qu’un citoyen pouvait déposer une plainte auprès d’un tribunal au sujet d’un acte ou d’une décision d’un service ou agent de l’administration centrale ou municipale s’il estimait que cet acte ou cette décision avait violé ses droits et libertés (article 254 du CPC). La plainte pouvait porter sur toute décision, tout acte ou toute omission ayant violé les droits ou les libertés du citoyen, ayant entravé l’exercice par lui de ses droits ou libertés, ou lui ayant imposé une obligation ou une responsabilité (article 255 du CPC et article 2 de la loi sur le contrôle juridictionnel). La plainte devait être déposée auprès d’un tribunal de droit commun dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle son auteur avait eu connaissance de l’atteinte portée à ses droits. Ce délai pouvait être prolongé en cas de motifs valables. Le tribunal saisi d’une telle plainte avait le droit de surseoir à l’exécution de l’acte ou de la décision contestée soit à la demande de l’auteur de la plainte soit à sa propre initiative (article 254 § 4 du CPC et article 4 et de la loi sur le contrôle juridictionnel). La décision no 1317-O-P du 30 septembre 2010 de la Cour constitutionnelle Dans sa décision no 1317-O-P du 30 septembre 2010, la Cour constitutionnelle a indiqué que l’absence, à l’article 12 § 2 (2) de la loi sur les réfugiés et au paragraphe 7 de l’ordonnance du gouvernement no 274 du 9 avril 2011, d’une liste exhaustive des circonstances tombant sous le coup du concept de « motifs humanitaires » ne signifiait pas que les organes chargés de l’application des lois disposaient d’un pouvoir discrétionnaire lors de la prise de la décision en la matière. Selon la Cour constitutionnelle, cette décision devait être prise en tenant compte de la nature juridique et de la finalité de l’institution de l’asile temporaire et dans le respect du principe constitutionnel selon lequel les droits et libertés de l’homme étaient la valeur suprême. III. LES DOCUMENTS ET RAPPORTS SUR LE TURKMÉNISTAN Un certain nombre de rapports adoptés avant 2010 et relatifs à la situation au Turkménistan sont résumés dans l’arrêt Kolesnik c. Russie (no 26876/08, §§ 54-58, 17 juin 2010). A. Institutions des Nations unies Comité des droits de l’homme des Nations unies a) Rapport périodique Dans ses observations finales sur le Turkménistan en date du 28 mars 2012 (CCPR/C/SR.2887), le Comité des droits de l’homme, tout en se félicitant du dépôt par ce pays du rapport initial attendu depuis 1998, a relevé notamment les sujets de préoccupation suivants : « 5. Le Comité accueille certes avec satisfaction l’adhésion au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la volonté exprimée par l’État partie de mettre en œuvre les constatations adoptées par le Comité à l’issue de l’examen des communications émanant de particuliers, mais il relève avec préoccupation qu’il n’existe pas de mécanisme chargé de surveiller la suite donnée aux constatations du Comité et que l’État partie n’a pas assez mis en œuvre les décisions concernant des communications de façon satisfaisante (art. 2). (...) Le Comité note la création de l’Institut national pour la démocratie et les droits de l’homme, mandaté pour agir en tant qu’institution nationale des droits de l’homme, mais il craint que l’Institut, qui fait partie du Cabinet du Président, ne soit pas indépendant (art. 2). (...) Le Comité est préoccupé par le nombre en augmentation de plaintes dénonçant des actes de torture et de mauvais traitements dans les centres de détention, souvent pour obtenir des aveux de la part des suspects, ainsi que par l’absence d’organe indépendant chargé d’enquêter sur les exactions imputées à des membres des forces de l’ordre et d’effectuer régulièrement des visites dans les prisons et autres lieux de détention. Le Comité est également préoccupé par le fait que la législation de l’État partie ne contienne pas de définition de la torture. Il est également préoccupé par le fait que l’accès aux lieux de détention soit refusé aux observateurs internationaux des droits de l’homme (art. 7). Le Comité recommande à l’État partie : a) De réviser son Code pénal pour y introduire une définition de la torture conforme à celle qui figure dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; b) De prendre les mesures voulues pour faire cesser la pratique de la torture, notamment en créant un organe de surveillance indépendant chargé de procéder à des inspections indépendantes dans tous les lieux de détention et d’enquêter sur les plaintes mettant en cause le comportement des personnels de surveillance; c) De veiller à ce que les membres des forces de l’ordre suivent une formation sur la prévention de la torture et des mauvais traitements en intégrant le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) de 1999 dans tous les programmes de formation. L’État partie devrait également veiller à ce que les allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet d’une enquête diligente, que les auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines appropriées et que les victimes reçoivent une réparation appropriée; d) D’autoriser les organisations humanitaires internationales reconnues à se rendre dans tous les lieux de détention (...) Le Comité note avec préoccupation que d’après des sources d’information la corruption est très répandue dans l’appareil judiciaire. Il est également préoccupé par le manque d’indépendance de la magistrature, en particulier en ce qui concerne le mandat des juges, puisque ceux-ci sont nommés par le Président pour des mandats de cinq ans renouvelables. Le Comité est préoccupé par le fait que ce manque de sécurité de mandat a pour résultat que l’exécutif exerce une influence excessive dans l’administration de la justice (art. 2 et 14) (...) Le Comité note avec satisfaction qu’en vertu de l’article 125 du Code de procédure pénale les preuves obtenues par la contrainte sont sans effet juridique, mais il est préoccupé par les informations de plus en plus nombreuses selon lesquelles les juges continuent d’admettre comme preuves les témoignages obtenus par la torture (art. 2 et 14). » b) Plaintes individuelles Dans ses constatations adoptées le 24 juillet 2008 dans l’affaire Leonid Komarovskiy c. Turkménistan (communication no 1450/2006), le Comité a conclu qu’entre 2002 et 2003 l’auteur de la plainte avait été détenu dans la prison du ministère de la Sécurité nationale du Turkménistan dans des conditions ayant porté atteinte à sa dignité humaine et qu’il avait également été soumis à des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans ses constatations adoptées le 25 mars 2015 dans l’affaire Tatiana Shikhmuradova (au nom de son mari, Boris Shikhmuradov) c. Turkménistan (communication no 2069/2011), le Comité a examiné la plainte de l’intéressée qui affirmait n’avoir eu aucun contact avec son mari depuis que celui-ci avait été emprisonné en 2002 au Turkménistan. Le Comité a constaté que le Turkménistan n’avait fourni aucun élément démontrant qu’il s’était acquitté de son obligation de protéger la vie du mari de l’intéressée au cours des douze années qui s’étaient écoulées depuis la condamnation de celui-ci et que ce dernier était détenu au secret. Le Comité a en outre regretté que le Turkménistan n’eût donné aucune information sur la recevabilité et/ou sur le fond des griefs de l’intéressée. Dans ses constatations adoptées le 25 mars 2015 dans l’affaire Zafar Abdullayev c. Turkménistan (communication no 2218/2012), le Comité a examiné les conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire LBK12, situé près de la ville de Seydi, dans lequel l’auteur de la plainte avait été détenu entre 2012 et 2014. L’intéressé a dénoncé, notamment, une surpopulation extrême, une détention mixte de personnes non malades et de personnes atteintes de tuberculose et de maladies de la peau, ainsi qu’un manque d’hygiène et de soins médicaux. Il s’est plaint en outre d’actes de torture et de mauvais traitements infligés par les gardiens de cet établissement. Le Comité a constaté que le Turkménistan avait failli à soumettre tout élément qui aurait réfuté les allégations de l’intéressé et il a conclu que celui-ci avait été détenu dans de mauvaises conditions de détention et soumis à des mauvais traitements lors de sa détention dans l’établissement LBK-12. Dans ses constatations adoptées le 1er avril 2015 dans l’affaire Sapardurdy Khadzhiev c. Turkménistan (communication no 2079/2011), le Comité a indiqué que l’État turkmène n’avait présenté aucun document susceptible de réfuter les allégations de torture et de mauvais traitements auxquels l’auteur de la plainte aurait été soumis en 2006 dans la prison du ministère de la Sécurité nationale du Turkménistan, et il a conclu à la violation de l’article 7 du Pacte. Dans ses constatations adoptées le 29 octobre 2015 dans les affaires Mahmud Hudaybergenov c. Turkménistan (communication no 2221/2012), Ahmet Hudaybergenov c. Turkménistan (communication no 2222/2012) et Sunnet Japparow c. Turkménistan (communication no 2223/2012), le Comité a examiné les conditions de détention dans l’établissement pénitentiaire LBK-12, situé près de la ville de Seydi, dans lequel les auteurs des plaintes avaient été détenus entre 2011 et 2012. Le Comité a constaté que le Turkménistan avait failli à soumettre tout élément qui eût réfuté les allégations des intéressés et il a conclu que ceux-ci avaient été détenus dans de mauvaises conditions dans l’établissement en question. Comité contre la torture Dans ses observations finales sur le rapport initial du Turkménistan adoptées en mai 2011 (CAT/C/TKM/CO/1), le Comité contre la torture a déploré qu’il ne contînt pas suffisamment d’informations statistiques et concrètes sur l’application des dispositions de la Convention et qu’il eût été présenté avec dix années de retard. En outre, le Comité a relevé notamment les sujets de préoccupation suivants : « Mécanismes d’examen des plaintes et enquêtes ; impunité Le Comité est profondément préoccupé par les allégations indiquant que les actes de torture et les mauvais traitements pratiqués par des agents de l’État donnent rarement lieu à des enquêtes et à des poursuites et qu’il semble exister un climat d’impunité qui se traduit par une absence de véritables mesures disciplinaires et poursuites pénales contre les agents de l’État accusés d’actes visés dans la Convention (art. 2, 11, 12, 13 et 16). Le Comité est préoccupé en particulier par : a) L’absence de mécanisme indépendant et efficace habilité à recevoir des plaintes dénonçant des actes de torture, en particulier des prisonniers condamnés et de personnes en détention avant jugement, à effectuer des enquêtes impartiales et complètes sur ces plaintes ; b) Les informations donnant à penser que de graves conflits d’intérêts empêchent les mécanismes de plainte existants de conduire des enquêtes efficaces et impartiales sur les plaintes reçues ; c) Les informations indiquant qu’aucun agent de l’État n’a fait l’objet de poursuites pour avoir commis des actes de torture et, qu’au cours des dix dernières années, seuls quatre agents d’organes chargés de faire appliquer la loi ont été inculpés du chef moins grave d’« abus d’autorité » qualifié au paragraphe 2 de l’article 182 du Code pénal ; d) L’absence d’informations détaillées, y compris de statistiques, sur le nombre de plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements adressées à tous les mécanismes de plainte existants, y compris à l’Institut national pour la démocratie et les droits de l’homme et à la Commission d’État chargée d’examiner les plaintes des citoyens concernant les activités des organes ayant pour mission de faire respecter la loi et sur les résultats de ces enquêtes, que la procédure ait été engagée au niveau pénal ou disciplinaire, et leurs conclusions. À ce sujet, le Comité s’inquiète tout particulièrement du cas de Bazargeldy et Aydyemal Berdyev, dans lequel l’État partie a contesté l’authenticité d’une réponse que les intéressés disent avoir reçue de l’Institut national en 2009, au sujet d’une plainte pour torture qu’ils avaient soumise précédemment (...) Surveillance et inspection des lieux de détention Le Comité prend note des activités de surveillance des lieux de détention menées par le Bureau du Procureur général, mais relève avec une vive préoccupation que les organismes internationaux de surveillance, qu’ils soient gouvernementaux ou non gouvernementaux, n’ont pas accès aux lieux de détention. Le Comité note que l’État partie coopère avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui apporte une assistance dans le domaine du droit humanitaire et d’autres manières. Toutefois, il constate avec préoccupation que l’État partie n’a pas accordé au CICR l’accès aux lieux de détention, malgré les recommandations d’organismes internationaux, notamment de l’Assemblée générale dans ses résolutions 59/206 et 60/172, et comme l’a indiqué le Secrétaire général (A/61/489, par. 21). Le Comité regrette également qu’il n’ait pas encore été donné suite aux demandes de visites faites depuis longtemps par neuf titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, en particulier le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Groupe de travail sur la détention arbitraire (art. 2, 11 et 16) (...) Décès en détention Le Comité est profondément préoccupé par les informations nombreuses et concordantes faisant état de décès en détention et de restrictions qui entraveraient la réalisation d’examens médico-légaux par des spécialistes indépendants dans de tels cas, et notamment par le cas de Ogulsapar Muradova, qui a été maintenue au secret pendant toute la durée de sa détention et est morte en détention dans des circonstances suspectes. Cette affaire, dans laquelle des signes de torture ont été constatés, est attestée par de nombreux documents et a été mentionnée par le Secrétaire général (A/61/489, par. 39) et par plusieurs rapporteurs spéciaux (A/HRC/WG.6/3/TKM/2, par. 38) (art. 2, 11, 12 et 16) (...) Violence en prison, y compris le viol et la violence sexuelle Le Comité est préoccupé par la violence physique et les pressions psychologiques exercées par le personnel pénitentiaire, y compris les châtiments collectifs, les mauvais traitements à titre de mesure «préventive», la mise à l’isolement et les violences sexuelles et les viols commis par les gardiens ou les détenus, qui auraient conduit plusieurs détenus au suicide. Dans le cas de la femme détenue dans la colonie pénitentiaire de Dashoguz qui a été rouée de coups, en février 2009, le Comité note avec préoccupation qu’alors que le responsable de l’établissement a été démis de ses fonctions pour corruption, aucune sanction pénale n’a été infligée aux fonctionnaires responsables de ces actes de violence (art. 2, 11, 12 et 16) (...) Conditions de détention Tout en prenant acte du plan du Gouvernement pour la construction de nouveaux centres de détention, le Comité demeure profondément préoccupé par les conditions matérielles et les conditions d’hygiène qui règnent actuellement dans les lieux de privation de liberté (nourriture et soins de santé insuffisants, grave surpeuplement, restriction non justifiée des visites des familles, etc.) (art. 11 et 16) (...) Aveux par la contrainte Le Comité note qu’il existe des dispositions législatives garantissant le principe de l’irrecevabilité dans le cadre d’une procédure judiciaire des preuves obtenues par la contrainte, telles que l’article 45 de la Constitution et le paragraphe 1 de l’article 25 du Code de procédure pénale. Il note toutefois avec une vive préoccupation les informations nombreuses, concordantes et crédibles qui indiquent qu’il est fréquent que des aveux obtenus par la contrainte soient retenus comme preuves par les tribunaux de l’État partie et que de telles pratiques persistent en raison de l’impunité dont jouissent les coupables. Le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a apporté aucune information au sujet de fonctionnaires qui auraient été poursuivis et punis pour avoir extorqué des aveux (art. 15) (...) Absence de données Malgré la publication de ses directives sur la forme et le contenu des rapports initiaux (CAT/C/4/Rev.3) et malgré son insistance auprès de l’État partie pour qu’il lui fournisse des données statistiques, le Comité note avec regret qu’il n’a guère reçu d’informations sur des aspects autres que les dispositions législatives. L’absence de données complètes ou ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires de torture et de mauvais traitements où sont impliqués des agents des forces de l’ordre, sur le taux global d’occupation des prisons et sur les décès en détention, ainsi que sur les cas dans lesquels des individus auraient été victimes de torture et de disparition forcée évoqués − y compris sur le sort de ces personnes − par le Comité, constitue un obstacle majeur qui empêche de déterminer l’existence éventuelle d’un ensemble de violations devant retenir l’attention (art. 2, 12, 13 et 19). » Dans une lettre du 23 mai 2014, le rapporteur sur le suivi de la mise en œuvre des observations finales adoptées en mai 2011 par le Comité contre la torture à l’égard du Turkménistan a demandé au gouvernement turkmène des clarifications supplémentaires en ce qui concerne la surveillance et l’inspection des lieux de détention, notamment : – il a fait part de ses préoccupations quant au fait que les commissions ministérielles chargées de visiter les lieux de détention comprenaient des représentants des organes officiels, y compris des organes chargés de l’application de la loi, ce qui remettait d’après lui en cause leur indépendance, et il a invité le gouvernement turkmène à préciser si ces commissions pouvaient visiter tous les lieux de détention, et ce sans annonce préalable, et quelle était la fréquence des visites ; – il a pris note de l’information sur la visite effectuée en avril 2012 par le Comité international de la Croix-Rouge (le CICR) d’un centre de détention du ministère des Affaires intérieures, et il a invité le gouvernement turkmène à préciser si le CICR était autorisé à visiter tous les centres de détention comme préconisé par ce dernier et si d’autres organisations non gouvernementales avaient été autorisées à effectuer de telles visites et à l’informer sur leurs dates et lieux éventuels ; – il a constaté que le Turkménistan n’avait pas donné suite aux demandes émises par le Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et par le Groupe de travail sur la détention arbitraire de visiter le pays conformément à leurs mandats, et il a invité les autorités turkmènes à lui faire savoir si elles avaient pris des mesures pour faciliter de telles visites. Groupe de travail sur la détention arbitraire Dans son avis adopté à sa 71e session du 17 au 21 novembre 2014 (A/HRC/WGAD/2014/40), le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme a regretté que le gouvernement turkmène n’ait pas répondu aux allégations qui lui avaient été adressées dans la communication no 40/2014 du 16 septembre 2014 portant sur la situation de deux individus inculpés de fraude avec collusion et de détournement de biens publics. Le groupe a conclu que les violations manifestes du droit au procès équitable, des droits de la défense et du droit à la liberté et à la sécurité des personnes concernées étaient d’une gravité telle qu’elles avaient rendu la privation de la liberté de celles-ci arbitraire. Secrétaire général adjoint aux droits de l’homme Le 28 mai 2013, le Secrétaire général adjoint aux droits de l’homme, Ivan Ṡimonović, a fait une déclaration à l’issue d’une visite de deux jours effectuée au Turkménistan. Il a déclaré que, malgré un certain progrès, le Turkménistan avait un long chemin à parcourir dans le domaine de la protection des droits de l’homme. En particulier, tout en constatant des modifications législatives quant à la définition de la torture et à l’exclusion des preuves obtenues sous la torture, il a indiqué que ces normes n’étaient pas appliquées dans la pratique. Il a également déclaré que, bien que le procureur général fût en charge de la surveillance des lieux de détention, le service de celui-ci n’avait jusqu’à présent reçu aucune plainte sur des allégations de torture de la part de personnes privées de liberté ou de leurs avocats et qu’il n’avait ouvert d’office aucune enquête pénale sur des cas éventuels de torture. En se basant sur ses discussions avec des représentants du ministère de la Justice, de la Cour suprême et du service du procureur général, le Secrétaire général adjoint a conclu que le pouvoir judiciaire manquait d’indépendance. B. Organisations non gouvernementales Amnesty International Dans le cadre de la procédure de suivi sur la mise en œuvre des observations finales adoptées en mai 2011 par le Comité contre la torture à l’égard du Turkménistan (CAT/C/TKM/CO/1), Amnesty International a soumis en mai 2012 un rapport concernant, notamment, la surveillance et l’inspection des lieux de détention dans ce pays. Amnesty International indiquait dans son rapport que l’accès aux centres de détention était strictement contrôlé par les autorités turkmènes et que leur surveillance relevait du service du procureur général, et que certains centres de détention, comme la prison Ovadan-Depe, étaient connus pour leurs conditions extrêmement sévères ; selon Amnesty International, une commission, créée par un décret présidentiel du 31 mars 2010 et chargée d’examiner des plaintes des détenus, était censée inclure des représentants des ONG ; or aucune ONG indépendante n’aurait été opérationnelle dans le pays, ce qui, pour Amnesty International, remettait en cause l’indépendance de cette commission composée pour le reste de membres provenant d’organismes d’État. Amnesty International notait en outre que le CICR n’avait pas été autorisé à visiter tous les centres de détention. Dans la partie de son rapport de 2014/2015 concernant le Turkménistan, Amnesty International s’exprimait ainsi : « L’appareil judiciaire jouissait d’une indépendance limitée. Il n’existait pas de véritable procédure d’appel et, lors des procès au pénal, les acquittements étaient rares. Les avocats qui cherchaient à être indépendants dans leur exercice s’exposaient à être rayés du barreau. La torture et les autres formes de mauvais traitements demeuraient très répandues (...) Le Turkménistan a accepté en septembre 2013 les recommandations du Conseil des droits de l’homme des Nations unies lui demandant de coopérer avec les procédures spéciales de l’ONU. Les autorités ont cependant limité de façon draconienne l’accès des observateurs internationaux au territoire turkmène. Le Turkménistan n’a pas répondu aux demandes de visite d’Amnesty International, et 10 demandes de même nature formulées par des procédures spéciales de l’ONU étaient toujours en souffrance à la fin de l’année. (...) Torture et autres mauvais traitements Un certain nombre d’informations dignes de foi ont fait état d’actes de torture et de mauvais traitements perpétrés par les forces de sécurité contre des personnes soupçonnées d’infractions pénales. Les victimes de ces actes auraient été soumises à divers sévices : tenailles appliquées sur les organes génitaux, décharges électriques, coups assénés au moyen de pieds de chaise ou de bouteilles en plastique pleines d’eau. Concernant les prisons, on a signalé, entre autres, le cas d’un détenu qui aurait été contraint d’avaler des cachets et aurait subi des menaces contre sa famille, des cas de viols forcés entre prisonniers, et le maintien au fer des prisonniers purgeant des peines de réclusion à perpétuité (...) » Dans la partie de son rapport de 2015/2016 concernant le Turkménistan, Amnesty International s’exprimait ainsi : « Aucune amélioration de la situation relative aux droits humains n’a été constatée en 2015 et le Turkménistan est resté fermé aux observateurs indépendants. Le gouvernement a annoncé en janvier son intention de mettre en place un médiateur chargé des droits humains. Les organisations de la société civile indépendantes ne pouvaient toujours pas fonctionner librement. (...) Torture et autres mauvais traitements Cette année encore, des informations ont indiqué que les organes chargés de l’application des lois avaient toujours recours à la torture et à d’autres mauvais traitements pour extorquer des « aveux » à certains détenus ou pour les contraindre à incriminer des tiers (...) Disparitions forcées On était toujours sans nouvelles des détenus victimes de disparitions forcées au lendemain de la tentative d’assassinat dont aurait été victime en 2002 le président de l’époque, Saparmourad Niazov. Les autorités n’ont pas répondu à une demande d’informations sur cette affaire, formulée en juin dans le cadre du dialogue Union européenne-Turkménistan sur les droits humains. Depuis 13 ans, les familles de ces détenus n’ont reçu aucune information concernant l’endroit où ils se trouvent ou le sort qui leur a été réservé. » Human Rights Watch Les parties pertinentes en l’espèce du rapport mondial de 2015 de Human Rights Watch peuvent se traduire ainsi : « Le bilan catastrophique du gouvernement turkmène en matière de droits de l’homme n’a connu aucune réelle amélioration en 2014. Le président, ses proches et ses collaborateurs exercent toujours un contrôle absolu sur tous les aspects de la vie publique. Le gouvernement empêche totalement l’exercice des libertés d’association, d’expression et de religion, et le pays est fermé à tout contrôle indépendant. Les familles de dizaines de personnes emprisonnées lors des campagnes d’arrestations massives de la fin des années 1990 et du début des années 2000 n’ont eu aucune information officielle sur le sort de ces dernières. Le projet de « réforme » de la constitution n’annonce aucune amélioration des droits et libertés fondamentaux (...) Prisonniers politiques, disparitions forcées et torture Plus de dix ans après leur arrestation et le simulacre de leur procès au cours de plusieurs vagues de répression sous le régime de l’ancien président, M. Niyazov, des dizaines de personnes figurent toujours sur la liste des victimes de disparition forcée. Parmi ces personnes se trouvent l’ancien ministre des Affaires étrangères Boris Shikhmuradov, son frère Konstantin et l’ancien ambassadeur du Turkménistan auprès de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Batyr Berdiev. En 2014, Human Rights Watch a reçu des informations non vérifiées selon lesquelles plusieurs de ces disparus étaient morts en détention (...) La torture demeure un grave problème. Un rapport de 2014 rédigé par une coalition de groupes indépendants de défense des droits de l’homme, Prove They Are Alive! (« Prouvez qu’ils sont vivants ! ») décrit les tortures subies par des détenus de la prison d’Ovadan Tepe, un centre de détention entouré du plus grand secret où sont emprisonnées de nombreuses personnes qui auraient été condamnées pour des motifs politiques. Le gouvernement a systématiquement refusé l’accès à cette prison à des observateurs des droits de l’homme indépendants, dont la Croix-Rouge et dix rapporteurs des Procédures spéciales des Nations unies. » Turkmen Initiative for Human Rights et International Partnership for Human Rights En janvier 2014, dans le cadre du suivi de la mise en œuvre des observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le rapport initial du Turkménistan (paragraphe 41 ci-dessus), deux organisations non gouvernementales – Turkmen Initiative for Human Rights et International Partnership for Human Rights, ont soumis un rapport commun. Dans leur rapport, les ONG ont attiré l’attention du Comité sur les points suivants : – une définition de la torture conforme à celle qui figure dans la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants avait été introduite dans le code pénal turkmène, mais la mise en œuvre de la disposition nécessitait un ensemble de mesures effectives ; – aucune mesure n’avait été prise pour créer un organe de surveillance indépendant chargé de procéder à des inspections indépendantes dans tous les lieux de détention, les autorités turkmènes continuant d’imposer des restrictions à de telles visites ; – aucune mesure n’avait été prise pour enquêter sur les plaintes mettant en cause le comportement des personnels de surveillance des lieux de détention et pour poursuivre et punir les personnes responsables de tortures et de mauvais traitements : – alors que les autorités turkmènes avaient permis au CICR de visiter deux centres de détention (en juillet 2011 et en avril 2012), le CICR n’avait pas été autorisé à visiter sans entrave tous les lieux de détention, alors que cela aurait permis un monitoring complet conforme à ses principes de base, incluant conversation en privé avec les détenus de son choix et visites répétées sans limitation de leur nombre. IV. AUTRES ÉLÉMENTS PERTINENTS Selon l’article 228 § 2 du code pénal du Turkménistan, la fraude commise avec des circonstances aggravantes est punie d’une peine d’un à deux ans de travaux correctionnels ou d’une peine de réclusion criminelle pouvant aller jusqu’à cinq ans avec ou sans confiscation de biens. Le paragraphe 4 du même article prévoit que la fraude particulièrement grave est punie d’une peine de huit à quinze ans de réclusion criminelle avec ou sans confiscation de biens. Le 4 juin 2015, le tribunal de Moscou (Московский городской суд), siégeant en instance d’appel, a examiné le recours de Mme Shikhmuradova contre le ministère russe des Affaires étrangères qui était assigné par l’intéressée pour absence d’assistance dans la quête d’informations auprès des autorités turkmènes sur son époux, M. Shikhmuradov, condamné à la réclusion à perpétuité (voir également les conclusions du Comité des droits de l’homme de l’ONU sur le cas de M. Shikhmuradov au paragraphe 43 cidessus). Lors de l’examen de l’affaire, le tribunal a établi que le ministère russe des Affaires étrangères avait à plusieurs reprises pris contact avec son homologue turkmène afin d’obtenir des renseignements concernant le lieu et les conditions de détention du mari de l’intéressée, en vain. Il a relevé également que la même demande avait été faite lors de la visite du Président de la Russie, M. Medvedev, au Turkménistan, entre le 21 et le 22 octobre 2010, et que les autorités turkmènes n’y avaient pas donné suite. Eu égard à ces éléments, le tribunal a débouté l’intéressée, considérant que les autorités russes, y compris le ministère des Affaires étrangères, avaient entrepris toutes les démarches nécessaires afin d’obtenir des informations sur le destin de son mari.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1971. Elle est une chanteuse très connue en Espagne sous le nom de Paulina Rubio. Dans le cadre de trois émissions de télévision, F.B., l’ancien manager de la requérante, fut interviewé par d’autres invités sur divers aspects de la vie privée de la chanteuse. Les échanges en question peuvent se transcrire ainsi : Émission Dónde estás corazón, 22 avril 2005 : « (...) [La requérante] est l’une des plus importantes chanteuses latino-américaines et a la réputation d’être une diva capricieuse. Sa biographie est truffée de rumeurs au sujet de son homosexualité, de ses flirts avec les drogues et de ses coucheries. (...) – P. : Définirais-tu la relation [entre la requérante et R.B.] comme orageuse ? – F.B. : Oui. – P. : Pour moi, une relation orageuse inclut des bagarres, des humiliations. – F.B. : Oui, oui. – P. : Et même de la violence... n’est-ce pas ? – F.B. : De la violence ? Je ne sais pas à quel point. – P. : Peux-tu nous décrire en quoi consistaient ces humiliations, qui humiliait qui, et nous dire si tu as été témoin de bagarres et si quelqu’un a été blessé ? – F.B. : D’accord, je te raconte. Comme je l’ai déjà dit, je crois que leur relation était... Bref, le méchant était R.B. Il était totalement débridé (...). Mais, à l’époque où j’ai fait leur connaissance, l’omelette avait été retournée. C’était [la requérante] qui punissait R.B., (...) la relation était très orageuse, insupportable pour leur entourage, c’était toujours des discussions, toujours des humiliations de lui par elle (...) – F.B. : Elle l’insultait constamment, le rabaissait devant tout le monde... (...) – G.C. : Mais elle l’était ou elle ne l’était pas ? Tu as connu [la requérante]. Je te demande si elle est ou non bisexuelle. – F.B. : Pour affirmer une telle chose, j’aurais dû être avec elle là-bas, or ce sont des choses que je n’ai pas vues. Oui, nous sommes amis et je vais te dire une chose, elle a toujours beaucoup joué avec ça, et tout a été très commenté et... – P. : Mais qu’est-ce que ça veut dire, « jouer avec ça » ? Je ne comprends pas ce que tu veux dire. – F.B. : Avec cette dualité... Dans les conférences de presse, elle a toujours beaucoup joué avec ça. – P. : Mais toi, tu sais si elle vit avec quelqu’un ou si elle a eu une relation durable avec quelqu’un ou si elle s’est bagarrée... – F.B. : Oui, elle a une amie spéciale que... – G.C. : Elle ne s’appellerait pas L., par hasard ? – G.C. : Oui, son nom a été prononcé dans l’émission de télévision [Aquí hay tomate], elle vit avec elle depuis très longtemps et, bon, c’est la personne dont on dit que... (...) » Émission Aquí hay tomate, 26 avril 2005 : « – F.B. : (...) La relation [entre la requérante et R.B.] est devenue très orageuse, souvent en plein dîner elle lui parlait très mal, l’appelait « pédé », lui disait « dégage ». – Voix off : une relation rentable ? (...) – F.B. : Je crois que le problème que R.B. avait avec les drogues, c’est [la requérante] qui l’a provoqué, elle le rendait fou... – Voix off : Une rumeur, en 2004, puis des images compromettantes de [la requérante] avec son amie intime E. ont fait penser que cela allait bien plus loin... – F.B. : Il fallait trouver d’urgence un ami à [la requérante], elle devait sortir avec un homme pour faire taire les rumeurs relatives à son homosexualité (...) » Émission Crónicas marcianas, 4 mai 2005 : « (...) – F.B. : Si, mais la rumeur au sujet de l’homosexualité de [la requérante] existe, la rumeur existe, en fait... – B. : Cette rumeur existe parce que cette fille [E.] est une lesbienne très connue dans les milieux de Los Angeles, de Miami ; elle est sortie avec Madonna. – F.B. : E. est un mannequin vénézuélien bien connu, elle est très belle et, bon... La rumeur est... la rumeur existe depuis très longtemps, et [la requérante] ne l’a ni confirmée ni niée. En fait, elles habitent ensemble... – B. : Dans la vidéo, on le voit très bien – on me l’a aussi raconté –, elles se tartinent mutuellement de la crème d’une façon plus caressante qu’on ne le fait habituellement. – F.B. : Elles sont des amies intimes, tous ceux qui les connaissent le savent. En fait, maintenant, il y a un très, très grand scandale à Los Angeles, parce que cette fille, E., a été surprise en train d’embrasser Paris Hilton (...) – M. : Si R.B. retombe dans la drogue parce que l’autre [la requérante] n’en fait qu’à sa tête, c’est le problème de R.B., pas de [la requérante], tu comprends ? R.B. est un grand garçon. – F.B. : Mais c’est elle qui l’a poussé. (...) – V. : Tu dis qu’elle le ridiculisait, qu’elle l’appelait « pédé », qu’elle le traitait de tous les noms devant tout le monde. – F.B. : C’est la réalité, c’est la vérité, et je veux que la vérité se sache. (...) – F.B. : Ce qui compte n’est pas qu’elle soit homosexuelle, moi je pense qu’il se peut qu’elle soit bisexuelle ; elle a cette amie intime et en a eu d’autres aussi, d’après les rumeurs (...) – I. : Non. E. est une fille absolument charmante, et elle a vraiment tenu compagnie à [la requérante] lorsqu’elles vivaient en Amérique en simples copines. Ce qui m’embête (...), c’est qu’on utilise l’homosexualité pour l’épingler, il s’agit d’une simple amitié et de rien d’autre. – F.B. : Au contraire, I., elle devrait éclaircir ce point, mais elle ne dit ni une chose ni son contraire, elle joue avec cette ambiguïté. – I. : Mais pourquoi devrait-elle répondre ? (...) – L.C. : Que [la requérante] soit homosexuelle, cela me semble possible, je la vois joueuse, elle peut encore donner du fil à retordre (...) » En mai 2005, la requérante forma, sur le fondement de l’article 249 § 1, alinéa 2, du code de procédure civile, une action civile tendant à la protection de son droit à l’honneur et à la vie privée contre certaines personnes physiques, dont F.B., son ancien manager, des présentateurs ou des collaborateurs de programmes « à sensation », ainsi que des personnes morales, dont des sociétés de production de programmes télévisés et les chaînes de télévision elles-mêmes (Cuarzo Producciones, Atlas España et Gestevisión Telecinco, Gestmusic Endemol S.A.), en raison du contenu de certaines émissions diffusées en avril et en mai 2005. Elle estimait que certains des commentaires faits dans ces émissions par les défendeurs avaient porté atteinte à ses droits fondamentaux. Elle affirmait enfin que F.B. avait participé, moyennant paiement, à deux de ces émissions pour répondre à des questions concernant sa vie privée à elle et gagner en notoriété. Une vidéo contenant les déclarations de F.B. fut également diffusée dans une autre émission et commentée par le présentateur de celleci. Par un jugement du 19 février 2007, le juge de première instance no 1 de Madrid débouta la requérante. Il commença par circonscrire l’objet de la procédure, précisant que, « lors de l’audience interlocutoire, la partie demanderesse avait indiqué que seules faisaient l’objet de son action les opinions qui avaient été exprimées dans les trois émissions de télévision et qui faisaient référence aux trois aspects suivants : 1º) l’attribution à la partie demanderesse d’inclinations homosexuelles, 2º) les affirmations selon lesquelles la partie demanderesse avait poussé R.B. à la consommation de drogues et 3º) les allégations selon lesquelles elle avait agressé R.B. ». Concernant le droit à la protection de la vie privée invoqué par la requérante, le juge de première instance s’exprima comme suit : « QUATRIÈMEMENT. – (...) Faute de précisions relativement à la demande, non fournies dans la procédure en raison de l’absence non justifiée de comparution de la [requérante], ce qui a empêché de savoir dans quelle mesure et pour quels motifs elle se considérait comme offensée, il faudra supposer que les expressions concernant ses préférences sexuelles ou ses rapports avec R.B. ont porté atteinte à un aspect de sa vie qu’elle souhaite maintenir dans le domaine privé. En ce sens, d’après les preuves administrées et, concrètement, les documents produits et la connexion à Internet effectuée lors de l’audience, il apparaît que la question des goûts sexuels de [la requérante] n’appartenait plus à la sphère de sa vie privée déjà bien avant la diffusion des trois émissions de télévision objets de la présente procédure. Les défendeurs ayant parlé de cette question sur ces plateaux se sont bornés à faire état de l’existence de rumeurs qui auraient circulé en Amérique latine depuis des années, sans toutefois affirmer à aucun moment que la plaignante était ou n’était pas homosexuelle. Il n’y a donc pas d’atteinte à la vie privée [de l’intéressée]. Quant à la consommation de stupéfiants par R.B., (...) il n’en a été question que dans l’une des émissions télévisées, Crónicas marcianas, et en aucun cas il n’a été suggéré que la plaignante avait initié R.B. à la consommation des stupéfiants, ou qu’elle lui avait fourni de telles substances ; il a seulement été dit que la relation sentimentale orageuse qu’ils entretenaient avait pu conduire R.B. à consommer des stupéfiants. Ces propos portent atteinte au droit à la vie privée non pas de la plaignante, mais de R.B. Or celui-ci ne s’est pas senti vexé puisque non seulement il n’a pas fait de réclamation, mais il a lui-même tenu de tels propos au sujet de sa consommation de stupéfiants, qui était de notoriété publique. En dernier lieu, concernant les déclarations relatives à l’existence de mauvais traitements infligés par la plaignante à R.B., selon les enregistrements fournis par celle-ci, ni C. ni V. ni Ca. ni F.B. n’ont parlé de la relation orageuse qui aurait existé entre la plaignante et R.B. Ils se sont bornés à répondre par l’affirmative à des questions posées par des tiers, qui n’étaient pas défendeurs dans cette affaire, et à exprimer leur opinion sur une relation sentimentale qui, loin de rester dans la sphère intime de la plaignante, était entrée depuis longtemps dans le domaine public avec l’assentiment de cette dernière, qui parlait ouvertement de sa relation sentimentale avec R.B. C’est pourquoi il faut considérer que les propos tenus par les personnes physiques défenderesses dans les trois émissions de télévision objets de la présente affaire n’ont pas porté atteinte au droit à la vie privée de la [requérante] dans la mesure où ils concernaient un aspect de sa vie qui était depuis un certain temps déjà dans la sphère publique et dans l’opinion publique, et que, pendant tout ce temps, la plaignante n’a fait montre d’aucun mécontentement à cet égard. » Concernant l’atteinte présumée au droit à l’honneur de la requérante, le juge estima que les commentaires relatifs à la consommation de stupéfiants par R.B. sous la prétendue influence de la requérante portaient uniquement sur l’état de leur relation sentimentale et non sur une incitation directe de l’intéressée à la consommation en question. S’agissant des allusions à l’orientation sexuelle de la requérante, le juge considéra qu’elles n’avaient pas porté atteinte à son honneur dans la mesure où l’homosexualité d’une personne ne doit plus aujourd’hui être vue comme « déshonorante » et où la requérante avait elle-même consenti tacitement à l’existence de cette polémique sur son orientation sexuelle. Enfin, il estima que les propos relatifs aux mauvais traitements que la requérante aurait infligés à R.B. ne portaient pas non plus atteinte à la réputation de la plaignante. Le juge s’exprima ainsi dans son jugement : CINQUIÈMEMENT. – Enfin, en ce qui concerne le droit à l’honneur de la plaignante et, tout d’abord, les propos relatifs à l’influence que cette dernière aurait exercée sur R.B. quant à la consommation de stupéfiants, il faut répéter ici ce qui a déjà été exposé sur le sens de ces commentaires, qui portaient uniquement sur l’état de leur relation sentimentale et ne prétendaient pas que [la requérante] avait incité directement son conjoint de l’époque à consommer des stupéfiants. On peut dès lors considérer que le seul à avoir subi une atteinte à l’honneur serait R.B. Il ne s’agit donc pas d’une atteinte à l’honneur de la plaignante. [Les propos en question] ne peuvent donc pas tomber sous le coup de l’article 7 de la Loi organique 1/1982. En ce qui concerne les allusions à la sexualité de la plaignante, il y a lieu de conclure, à la lumière de l’article 2 de la Loi organique 1/82, qu’elles ne portent pas non plus atteinte à l’honneur de l’intéressée dans la mesure où l’homosexualité d’une personne ne doit plus, aujourd’hui, être vue comme déshonorante et où la plaignante en avait elle-même tacitement convenu et était allée jusqu’à en jouer à des fins promotionnelles, comme le démontrent ses nombreuses allusions à cet égard, recueillies dans les documents fournis par les défendeurs. Enfin, en ce qui concerne les commentaires relatifs aux mauvais traitements infligés à R.B. par la plaignante, il faut considérer, sur la base de ce qui a été exposé dans la motivation au point précédent, qu’ils ne portent pas non plus atteinte à la réputation de la plaignante dans la mesure où la tendance de la requérante à avoir des réactions violentes était déjà de notoriété publique (documents nos 9 et 10 de la réponse de F.B.) sans qu’[elle-même] ait manifesté une quelconque contrariété à cet égard. » Soutenant que les déclarations des défendeurs dans les émissions de télévision en cause avaient porté atteinte à son droit à l’honneur et au respect de sa vie privée, la requérante fit appel. Par un arrêt du 29 octobre 2007, l’Audiencia provincial de Madrid confirma le jugement attaqué, estimant que la requérante n’avait pas indiqué quels moyens de preuve auraient été interprétés de façon erronée par le juge a quo et que son grief n’était fondé que sur une appréciation subjective des commentaires transcrits dans son recours. Par une décision du 12 mai 2009, le Tribunal suprême déclara irrecevable le pourvoi en cassation formé par la requérante. La requérante forma alors un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel sur le fondement des articles 24 § 1 (droit à l’équité de la procédure) et 18 (droit à l’honneur et à la vie privée et familiale, notamment) de la Constitution. Par une décision du 5 octobre 2009, notifiée le 8 octobre 2009, la haute juridiction déclara elle aussi le recours irrecevable. II. LE DROIT INTERNE ET EUROPÉEN PERTINENT Les dispositions pertinentes de la Constitution espagnole sont ainsi libellées : Article 18 « 1. Le droit à l’honneur, à la vie privée et familiale (intimidad personal y familiar) et à l’image est garanti. (...) » Article 20 « 1. Sont reconnus et protégés les droits suivants : a) le droit d’exprimer et de diffuser librement les pensées, les idées et les opinions oralement, par écrit ou par tout autre moyen de reproduction ; (...) d) le droit de communiquer et de recevoir librement des informations véridiques par tout moyen de diffusion. (...) L’exercice de ces droits ne peut être restreint par aucune forme de censure préalable. (...) Ces libertés sont limitées par le respect des droits reconnus au titre 1, par les dispositions des lois d’application et, en particulier, par le droit à l’honneur, à la vie privée, à l’image et à la protection de la jeunesse et de l’enfance. » La Loi organique 1/1982 du 5 mai 1982 sur la protection civile du droit à l’honneur, à la vie privée et familiale et à l’image dispose, dans ses parties pertinentes en l’espèce, ce qui suit : Article 1 § 1 « Le droit fondamental à l’honneur, à la vie privée et familiale et à l’image, garanti par l’article 18 de la Constitution, sera protégé́ par le droit civil contre toute intromission illégitime, conformément aux dispositions d la présente loi. » Article 7 « Sont considérées comme des ingérences illégitimes dans la sphère de protection délimitée par l’article 2 de la présente loi : (...) La divulgation de faits relatifs à la vie privée d’une personne ou d’une famille portant atteinte à la réputation et à l’honneur de celle-ci ainsi que la révélation ou la publication du contenu de lettres, mémoires ou tous autres écrits personnels à caractère intime. La divulgation de données privées d’une personne ou d’une famille qui auront été connues à travers l’activité professionnelle ou officielle de l’auteur des révélations. (...) L’imputation de faits ou la manifestation de jugements de valeur à travers des actions ou des expressions portant atteinte à la dignité d’une personne ou entachant sa réputation ou son estime de soi. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants habitent dans différentes régions de la Fédération de Russie (pour plus de détails, voir l’annexe). A. Les faits communs à toutes les requêtes À des dates différentes, les requérants poursuivirent les différentes autorités pour contester l’insuffisance des différentes allocations et indemnisations complémentaires auxquelles ils avaient droit en tant que participants aux opérations d’urgence sur le site de la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl. S’agissant plus précisément des requêtes nos 33636/09, 34493/09, 35940/09, 37441/09 et 38237/09, les requérants contestèrent la méthode de calcul de leurs différents bénéfices arrêtée par le même tribunal en 2006. S’agissant des requêtes nos 28480/13 et 28506/13, les requérants cherchèrent à se voir reconnaître un droit à une indemnisation supplémentaire. Tous obtinrent gain de cause en première instance. En l’absence d’appels interjetés par les autorités défenderesses, les jugements rendus en faveur des requérants devinrent définitifs dix jours après leur prononcé et leur exécution commença. Plus tard, ces autorités présentèrent des appels tardifs accompagnés de demandes de relevé de forclusion fondées sur l’article 112 du code de procédure civile (CPC). Ces demandes furent satisfaites par les juridictions internes et les appels tardifs furent admis. Lors de l’examen des affaires des requérants en appel, les jugements précédemment rendus en leur faveur furent annulés. Les requérants ne furent pas tenus de rembourser les sommes qu’ils avaient perçues en vertu des jugements précités avant leur annulation. Certains d’entre eux remboursèrent un trop-perçu correspondant à la période postérieure à la date de l’annulation (requête no 36054/09). Dans certains cas, la cour d’appel renvoya les affaires des requérants devant le tribunal de première instance notamment en vue de la détermination du montant des arriérés impayés (les requêtes nos 33636/09, 34493/09, 37441/09 et 38237/09). À une date non précisée, celui-ci termina ces procédures en raison du manquement répété des requérants à répondre aux convocations. Les dates auxquelles les jugements ont été prononcés et sont ensuite devenus définitifs ainsi que les noms des tribunaux ayant respectivement rendu ces décisions sont détaillés dans l’annexe. B. Les faits spécifiques aux requêtes nos 28480/13 et 28506/13 La genèse de l’affaire Les requérants appartenaient à un groupe de 482 personnes qui, à la fin de l’année 2010, avaient poursuivi le ministère des Finances devant le tribunal de la ville de Naltchik. Ces personnes réclamaient l’indemnisation du préjudice moral qu’elles disaient avoir subi en raison de leur participation aux opérations d’urgence sur le site de la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Elles furent presque toutes représentées par Mme A., et le tribunal de première instance dans toutes les affaires fut présidé par la juge Be. Entre février et avril 2011, les demandes de l’ensemble de ces personnes, parmi lesquelles figurent les requérants, furent satisfaites, les plaignants se voyant accorder entre 1 200 000 roubles (RUB) et 1 800 000 RUB (soit entre 29 500 euros (EUR) et 43 900 EUR) au titre du préjudice moral. Les parties sont en désaccord quant à savoir si le ministère des Finances, défendeur à l’instance, a été dûment représenté aux audiences. Les jugements mentionnent la présence d’employés de la direction régionale du Trésor. Certains dossiers contiennent des copies des pièces d’identité de ces employés et/ou des pouvoirs établis à leur nom, d’autres non. En août, octobre et décembre 2011, les jugements rendus en faveur de certaines personnes appartenant au groupe susmentionné reçurent exécution pour un montant total s’élevant à 700 000 EUR, selon le Gouvernement. Quant aux autres jugements, y compris ceux rendus en faveur des requérants, ils ne furent jamais exécutés en raison de leur annulation ultérieure (voir ci-dessous) par la cour d’appel. Selon le Gouvernement, ils sont restés inexécutés avant cette annulation en raison d’un manquement des requérants à présenter les titres exécutoires à l’organe compétent. La première tentative d’appel contre les jugements initiaux Le 7 et 8 juin 2011, le tribunal de Naltchik, présidé par la juge Be., rejeta la demande de relevé de forclusion introduite au nom du ministère des Finances au motif que celui-ci n’avait pas fait état de raisons valables justifiant le non-respect du délai d’appel initial. La décision mentionnait que le ministère des Finances avait été représenté lors de l’audience par Mme B., une employée du département territorial du Trésor. Le Gouvernement indique que le ministère des Finances ne s’est vu notifier ni la date ni le lieu de l’audience. S’agissant de la présence de Mme B., il ajoute que le dossier de l’affaire ne contient aucune information concernant l’identité ou les pouvoirs de celle-ci. La deuxième tentative d’appel contre les jugements initiaux a) Le relevé de forclusion concernant l’appel tardif contre le rejet de la première demande de relevé de forclusion Le 23 octobre 2012, le ministère des Finances saisit le tribunal de Naltchik d’une demande de relevé de forclusion et d’un appel tardif contre le rejet de la première demande de relevé de forclusion prononcé en juin 2011 par ce même tribunal. Le 16 novembre 2012, le tribunal de Naltchik, présidé par la juge Be., fit droit à cette demande et admit l’appel tardif. Les requérants contestèrent cette décision. Ils avançaient qu’un représentant du ministère avait été présent lors de l’audience tenue en juin 2011 et qu’il avait pu ainsi demander une copie de la décision dans les délais prévus au lieu d’attendre un an et demi et de déposer une nouvelle demande de relevé de forclusion. Le 26 et 27 décembre 2012, la cour suprême de Kabardino-Balkarie (« la cour suprême régionale ») confirma la décision du tribunal de première instance. Elle relevait d’abord que, en juin 2011, ce tribunal n’avait vérifié ni l’identité de la prétendue représentante du ministère ni ses pouvoirs. Elle indiquait ensuite que, en tout état de cause, la présence d’un représentant, fût-t-il dûment habilité, ne pouvait pas dispenser le tribunal de première instance de son obligation de notifier au ministère une copie de la décision rendue. b) Le relevé de forclusion concernant l’appel tardif contre les jugements initiaux Le 28 février 2013, la cour suprême de Kabardino-Balkarie annula la décision du tribunal de première instance rendue en juin 2011 portant rejet de la demande de relevé de forclusion et fit droit à cette demande au motif que le ministère avait présenté des raisons valables justifiant le non-respect du délai d’appel initial. À ce titre, elle se référait, d’une part, à un manque de diligence « manifeste » de la part de la représentante du ministère, qui aurait été la seule à être au courant de l’existence des jugements rendus, et, d’autre part, à un manquement du tribunal de première instance à notifier ceux-ci au ministère. c) L’annulation des jugements initiaux rendus en faveur des requérants Le même jour, la cour suprême de Kabardino-Balkarie, statuant sur l’appel du ministère, annula les jugements rendus en février et avril 2011 au motif que les faits litigieux remontaient aux années 1986 et 1987 alors que les dispositions régissant le dommage moral n’avaient été introduites dans le code civil qu’en 1995 et qu’elles ne pouvaient pas s’appliquer de manière rétroactive. La cour suprême régionale ordonna également le remboursement des sommes perçues par les requérants. Le 11 juillet et le 29 août 2013, le présidium de la cour suprême de KabardinoBalkarie, statuant sur le pourvoi en cassation formé par les requérants, cassa partiellement l’arrêt rendu en appel en indiquant que les sommes perçues par les requérants en application des jugements annulés étaient des prestations de nature sociale et que, par conséquent, ceuxci ne pouvaient être tenus de les restituer. Les procédures disciplinaire et pénales a) L’enquête disciplinaire, la destitution de la juge Be. et l’ouverture d’enquêtes criminelles à l’encontre de celle-ci Le 7 décembre 2012, à l’issue d’une enquête disciplinaire, le conseil disciplinaire des juges de KabardinoBalkarie (« le conseil disciplinaire ») estima que lors de l’examen des affaires décrites ci-dessus, y compris celles des requérants, la juge Be. s’était rendue coupable de graves violations procédurales incompatibles avec son statut de juge et la démit de ses fonctions. L’enquête disciplinaire avait révélé que la juge Be. avait couvert la dissimulation de l’ensemble des dossiers concernant les procédures précitées, en particulier le défaut de leur inscription au rôle, admis à la procédure des représentants sans avoir vérifié leurs pouvoirs et omis d’adresser un certain nombre d’actes de procédure, en particulier les notifications et les convocations aux audiences, aux parties. Le 25 octobre 2013, après avoir obtenu une autorisation du conseil disciplinaire, le département territorial du comité d’investigation pour le Caucase du Nord ouvrit une enquête criminelle à l’encontre de l’ancienne juge Be. pour fraude au jugement à raison des mêmes faits. Le 29 avril 2015, le conseil disciplinaire autorisa l’ouverture d’une autre enquête contre l’ancienne juge Be. concernant un nouveau chef d’accusation, à savoir une escroquerie commise en bande organisée et à grande échelle. Le 22 mai 2015, l’ancienne juge Be. contesta cette décision devant la cour suprême régionale. b) L’enquête criminelle dirigée contre d’autres personnes Le 4 mars 2013, le département territorial du comité d’investigation pour le Caucase du Nord ouvrit une enquête criminelle contre Mme A., représentante des requérants, et un certain nombre d’autres personnes. Par la suite, Mme A. fut mise en examen pour escroquerie en bande organisée et à grande échelle. D’autres personnes, telles que Mme D., la greffière du tribunal de Naltchik, et le président de l’association des victimes de la catastrophe de Tchernobyl, furent également mises en examen pour le même chef d’accusation. Selon les dernières informations fournies par le Gouvernement en juin 2015, deux des personnes poursuivies, à savoir Mme A. et Mme D., ont opté pour une procédure de plaidercoupable. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’article 112 du code de procédure civile Les personnes qui ont laissé passer un délai de procédure peuvent être relevées de forclusion à condition que le juge estime que les motifs invoqués à l’appui de la demande formée en ce sens constituent des raisons valables (article 112 § 1). La demande de relevé de forclusion doit être introduite devant le tribunal compétent et examinée en audience. Les parties reçoivent notification de la date et du lieu de cette audience, mais leur absence n’empêche pas le tribunal d’examiner la demande (article 112 § 2). En même temps que la demande de relevé de forclusion, l’auteur de celle-ci doit accomplir l’acte de procédure pour lequel il est forclos, c’estàdire former un recours ou présenter des documents (article 112 § 3). S’il s’agit d’une demande de relevé de forclusion concernant un pourvoi en cassation ou une demande de supervision, celle-ci est introduite auprès du juge qui a examiné l’affaire en première instance. Le relevé de forclusion pour ces deux recours ne peut être prononcé que dans des situations exceptionnelles si le juge reconnaît comme valables les raisons justifiant le non-respect du délai initial, à savoir s’il s’agit de circonstances excluant de manière objective la possibilité de former le recours concerné dans les délais impartis (une maladie grave de l’auteur du recours, son état d’incapacité ou autre), et si ces circonstances ont eu lieu au plus tard un an après la date à laquelle la décision de justice attaquée est devenue définitive (article 112 § 4). La décision du juge accueillant ou rejetant la demande de relevé de forclusion peut faire l’objet d’un recours (article 112 § 5). B. La décision du plénum de la Cour suprême fédérale du 19 juin 2012 Le 19 juin 2012, le plénum de la Cour suprême fédérale a adopté une décision sur l’application des dispositions du CPC régissant l’instance d’appel. S’agissant de l’article 112 du CPC, le plénum a rappelé que les raisons suivantes pouvaient être considérées comme valables : certaines circonstances liées à l’auteur de l’appel tardif (maladie grave, état d’incapacité, illettrisme, etc.) ; la réception tardive, par la personne absente à l’audience lors de laquelle le jugement attaqué a été prononcé, d’une copie de celui-ci ; le nonrespect par le tribunal du délai prévu pour la préparation du jugement motivé ou de celui prévu pour l’envoi, aux parties absentes à l’audience au cours de laquelle le jugement attaqué a été prononcé, d’une copie intégrale de ce dernier, si ce manquement a mis l’une des parties dans l’impossibilité de présenter un appel motivé dans les délais. C. La pratique des juridictions internes Par un arrêt du 4 juin 2009 (affaire no33-5417/2009), la cour régionale de Sverdlovsk a cassé la décision du tribunal de Serovsk du 1er avril 2009 portant rejet de la demande de relevé de forclusion introduite par trois individus ainsi que de leur appel tardif interjeté contre un jugement du même tribunal du 26 décembre 2008. La cour régionale a estimé que les auteurs de la demande, absents de l’audience lors de laquelle le tribunal de première instance a prononcé le jugement attaqué, n’avaient pas été en mesure de respecter le délai d’appel initial puisqu’ils n’avaient reçu une copie intégrale de celui-ci qu’après l’expiration de ce délai. Par un arrêt du 9 août 2011 (affaire no 33-11316/2011), la cour régionale de Sverdlovsk a cassé la décision du tribunal de Polevskoy du 2 juin 2011 portant rejet de la demande de relevé de forclusion introduite par le département régional des huissiers ainsi que de l’appel tardif formé contre un jugement du même tribunal du 23 mai 2011. La cour régionale a estimé que la partie absente à l’audience lors de laquelle un jugement avait été rendu à son encontre n’était pas en mesure de faire appel dudit jugement dans le délai imparti si une copie dûment certifiée de cette décision ne lui avait pas été notifiée. Elle a jugé que, étant donné qu’aucun représentant du département régional des huissiers n’était présent à l’audience à laquelle le jugement litigieux a été rendu et qu’aucune copie dûment certifiée de cette décision n’avait été notifiée audit département, celui-ci avait fait état d’une raison valable justifiant le non-respect du délai d’appel initial. Selon la cour régionale, l’envoi d’une copie simple par télécopie le 3 mai 2011, à savoir trois jours avant l’expiration du délai d’appel, n’était pas de nature à remettre en cause cette conclusion. Par un arrêt du 24 juillet 2014 (affaire no 33-29602), la cour de la ville de Moscou a cassé la décision du tribunal de l’arrondissement Basmanny du 21 avril 2014 portant rejet de la demande de relevé de forclusion introduite par une personne au motif qu’elle n’était pas présente à l’audience au cours de laquelle le jugement litigieux avait été rendu et que le dossier de l’affaire ne contenait ni la preuve que ledit jugement lui avait été dûment notifié ni la trace de la notification d’une copie de cette décision. D’après la cour de la ville de Moscou, l’auteur de la demande avait ainsi justifié d’une raison valable pour expliquer le nonrespect du délai d’appel initial.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1984. Au moment de l’introduction de la requête, il était détenu au centre fermé pour illégaux de Bruges. A. Mesure de détention initiale Le 1er février 2011, le requérant se présenta à la frontière belge à l’aéroport de Bruxelles en provenance de la Turquie, muni d’un faux passeport canadien. Le jour même, il introduisit une demande d’asile et de protection subsidiaire « à la frontière » sous sa véritable identité. D’emblée, il fit l’objet d’une décision de refus d’entrée avec refoulement pour demandeur d’asile (« annexe 11ter ») en application de l’article 52/3 § 2 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers »). Le même jour, il reçut la notification d’une décision de maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers. Le requérant fut placé au centre de transit 127 à Melsbroek, près de l’aéroport. Le 17 février 2011, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (« CGRA ») délivra au requérant une décision de refus du statut de réfugié et du statut de protection subsidiaire au motif que son récit n’était pas crédible. Le 1er mars 2011, le requérant déposa une première requête de mise en liberté. Il dénonçait le caractère automatique de sa détention pour le seul motif qu’il ne possédait pas les documents requis pour entrer sur le territoire et alors même qu’il avait demandé la protection internationale. Il se plaignait en outre d’être détenu dans un lieu inapproprié. La demande du requérant fut déclarée non fondée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles le 5 mars 2011. Par un arrêt du 20 mars 2011, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel formé par le requérant non fondé et confirma la légalité de la détention du requérant. B. Deuxième mesure de détention Le 26 mars 2011, l’office des étrangers (« OE ») tenta de rapatrier le requérant vers la Turquie, pays dans lequel il avait embarqué pour la Belgique, mais celui-ci refusa de partir. Par conséquent, une nouvelle décision de maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière fut notifiée au requérant sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers. Le requérant fut alors placé au centre fermé de Bruges. Le 6 avril 2011, le requérant introduisit une nouvelle requête de mise en liberté. Il allégua que sa détention était contraire à la législation nationale et à l’article 5 § 1 f) de la Convention au motif que, d’une part, la détention des étrangers à la frontière était automatique et, d’autre part, que l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers sur la base duquel le maintien en détention du requérant avait été ordonné, ne prévoyait nullement la possibilité de répétition de la mesure de détention. Enfin, le requérant soutenait que sa détention n’était pas adéquate eu égard à son état de santé mentale et que les autorités n’avaient pas examiné la nécessité de la privation de liberté. Le 15 avril 2011, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête recevable et fondée et ordonna la mise en liberté immédiate du requérant. Après avoir rappelé qu’elle n’était compétente que pour se prononcer sur la légalité et non pas sur l’opportunité de la privation de liberté, la chambre du conseil considéra que la base légale de la mesure de détention était erronée. En effet, l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers ne permettant pas un réécrou, la décision du 26 mars 2011 aurait donc dû être prise sur la base de l’article 27 § 3 de la loi sur les étrangers. L’État interjeta appel de cette ordonnance. Du fait de cet appel, le requérant resta détenu. Le 3 mai 2011, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara l’appel recevable et fondé et ordonna le maintien en détention du requérant. Elle considéra que la mesure avait été prise conformément à la loi : « La mesure privative de liberté est motivée par le fait que le refoulement était prévu le 26 mars 2011, mais que l’étranger a refusé de partir, et que le maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière [était] nécessaire afin de garantir [que] le refoulement peut être renouvelé (article 74/5 § 1, 2o de la loi du 15 décembre 1980). » Par ailleurs, la chambre des mises en accusation considéra que la mesure privative de liberté était revêtue d’une motivation adéquate et personnalisée en ce qu’elle énonçait expressément que le requérant n’était pas admis à pénétrer sur le territoire et qu’il convenait de garantir son rapatriement vers son pays d’origine. De plus, la détention n’était pas illégale par le seul fait que des mesures moins contraignantes auraient pu être prises. Enfin, les autres arguments du requérant avaient trait à l’opportunité et non pas à la légalité de la mesure privative de liberté, et échappaient donc au contrôle des juridictions. Le requérant se pourvut en cassation. Invoquant une violation de l’article 5 § 1 de la Convention, il allégua que sa détention était illégale en ce que, soit la mesure privative de liberté aurait dû être prise sur la base de l’article 74/5 § 3 de la loi sur les étrangers, soit les autorités auraient dû mentionner la jurisprudence constante qui permettrait de répéter une mesure de détention sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi sur les étrangers. De plus, la chambre des mises en accusation n’avait pas répondu à tous les moyens du requérant basés sur l’illégalité de sa privation de liberté. Le 25 mai 2011, la Cour de cassation déclara le pourvoi sans objet étant donné que le requérant était détenu sur la base d’une nouvelle décision de privation de liberté prise par l’OE le 5 mai 2011 (voir paragraphe 20, cidessous). C. Troisième mesure de détention Entretemps, le 5 mai 2011, le requérant avait introduit une deuxième demande d’asile et de protection subsidiaire sur la base de nouveaux documents relatifs à son état de santé mentale ainsi qu’à la reconnaissance du statut de réfugié aux membres de sa famille par les autorités canadiennes. Le même jour, le requérant fit l’objet d’une nouvelle décision de refus d’entrée avec refoulement en application de l’article 52/3 § 2 de la loi sur les étrangers ainsi que d’une nouvelle décision de maintien dans un lieu déterminé situé à la frontière sur la base de l’article 74/5 § 1, 2o de la loi. Le 10 mai 2011, l’OE notifia au requérant une décision de refus de prise en considération de sa nouvelle demande d’asile sur la base de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers au motif qu’il n’avait pas apporté d’élément nouveau démontrant qu’il courait un risque réel de subir un traitement inhumain et dégradant en cas de renvoi dans son pays d’origine. Le 12 mai 2011, le requérant introduisit une demande de suspension en extrême urgence auprès du Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »). Le 13 mai 2011, le CCE suspendit la décision de l’OE du 10 mai 2011 au motif que cette dernière semblait prima facie avoir été prise en violation de l’article 51/8 de la loi sur les étrangers. Le CCE se fondait sur le fait qu’une attestation du requérant concernant sa situation psychologique, déposée par lui dans le cadre de sa deuxième demande d’asile, semblait bien constituer un élément nouveau au sens de cette disposition. Le 26 mai 2011, le requérant introduisit une requête de mise en liberté à l’encontre de la décision de maintien dans un lieu déterminé du 5 mai 2011. Il invoqua une violation des articles 7 et 17 de la directive du Conseil de l’Union européenne du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (« la directive Accueil »), ainsi que de l’article 5 § 1 f) de la Convention. En particulier, il alléguait que sa détention avait été automatique sans que les autorités aient examiné l’adéquation de sa détention avec son état de santé mentale et la nécessité de ladite détention. Ceci était dû au fait que l’article 74/5 § 1 de la loi sur les étrangers ne prévoyait pas d’examen individualisé de la situation de chaque demandeur d’asile à la frontière. Le 3 juin 2011, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête non fondée. En particulier, elle releva que le médecin du centre de détention « ne partageait pas apparemment le même avis que le médecin désigné par le requérant » (voir paragraphes 34-35, ci-dessous). De plus, ce dernier s’était contenté de recommander la libération du requérant en des termes généraux sans poser un diagnostic et sans proposer une solution pour soigner le requérant. Quant au caractère disproportionné de la privation de liberté du requérant, la chambre du conseil releva que, étant donné que le requérant s’était vu refuser l’entrée sur le territoire, son séjour dans un centre de détention était la seule alternative à un séjour dans la zone de transit de l’aéroport. Enfin, le requérant n’avait pas apporté la preuve de la systématisation de la détention des demandeurs d’asile à la frontière. Le requérant fit appel de cette ordonnance en soulevant en substance les mêmes griefs que ceux invoqués dans sa requête de mise en liberté. Au début du mois de juin 2011, la deuxième demande d’asile du requérant fut transmise pour examen au CGRA, et le requérant fut auditionné par le CGRA le 7 juin 2011. Sa demande d’asile et de protection subsidiaire fut rejetée par une décision du CGRA du 20 juin 2011. Le requérant attaqua cette décision devant le CCE. Le 21 juin 2011, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma la décision de la chambre du conseil du 3 juin 2011. Elle considéra que la privation de liberté du requérant était légale et rappela qu’il ne lui appartenait pas de se prononcer sur l’opportunité de cette détention. Le requérant se pourvut en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation, rappelant ses précédents griefs. Le 4 juillet 2011, à l’expiration de la durée maximum légale de détention (article 74/5, § 3, alinéa 1 de la loi sur les étrangers), le requérant fut remis en liberté. Le 12 juillet 2011, la Cour de cassation déclara le pourvoi sans objet étant donné que le requérant avait été mis en liberté. Par un arrêt du 1er septembre 2011, le CCE confirma le refus du statut de réfugié et de la protection subsidiaire. Le CCE estima notamment que le récit du requérant, même en tenant compte des éléments soumis pour la première fois dans le cadre de la deuxième demande d’asile, n’était pas crédible. D. Conditions de détention et état de santé du requérant Au moment de son arrivée en Belgique, le 1er février 2011, le requérant fut retenu au centre de transit 127 (voir paragraphe 8, ci-dessus). Le 26 mars 2011, il fut transféré au centre fermé de Bruges (voir paragraphe 11, ci-dessus). Dès son arrivée dans chacun des centres, il fut mis en possession d’un document en langue arabe expliquant le fonctionnement des centres. Au centre de transit, il bénéficia de 11 consultations auprès du psychologue du centre. En mars 2011, il fut également examiné par un psychologue externe, à la demande d’une organisation non gouvernementale, et par un psychiatre, dans le cadre du suivi psychomédical du centre. D’après le rapport rédigé par le premier, le requérant souffrait d’un état dépressif de type abandonnique en rapport avec les circonstances familiales anciennes vécues pendant son enfance en Égypte et pour lequel une prise en charge psychothérapeutique et éventuellement médicamenteuse en Belgique s’imposait. Il préconisait de ne pas éloigner momentanément le requérant vers l’Égypte et de lui octroyer un séjour de courte durée en Belgique pour l’aider à se reconstruire et à envisager un retour. Les constatations physiques effectuées par ce psychologue furent confirmées par la psychologue du centre, qui estima toutefois que la thérapie devait avoir lieu dans un pays où le requérant disposait d’un réseau social, et donc pas en Belgique. Il ne ressort pas des informations versées au dossier que le requérant ait bénéficié d’une prise en charge médicamenteuse. Au centre de Bruges, le requérant bénéficia de 21 consultations auprès du psychologue et fut examiné à plusieurs reprises par le service médical. Un dossier « special needs » fut constitué pour le requérant dans le but de lui fournir une assistance particulière dans le cadre des soins et d’organiser son éloignement vers l’Égypte de façon humaine. Dans un rapport du 8 avril 2011, le médecin du centre indiquait que dans cet objectif des contacts seraient pris avec la sœur du requérant qui habitait au Canada et la recherche de son réseau familial en Égypte. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La procédure d’asile et la détention des demandeurs d’asile sont réglées par les dispositions pertinentes de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »). L’article 50ter de la loi prévoit que l’étranger qui tente d’entrer dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées par la loi, doit introduire sa demande d’asile auprès des autorités chargées du contrôle aux frontières, au moment où celles-ci l’interrogent sur les raisons de sa venue en Belgique. En application de l’article 52/2 § 2 de la loi, le CGRA décide, avant toutes les autres affaires et dans un délai de quinze jours après que le ministre ou son délégué (c’est-à-dire l’OE) lui a notifié que la Belgique est responsable pour l’examen de la demande, si le statut de réfugié ou de protection subsidiaire doit ou non être reconnu ou octroyé à l’étranger détenu. Il est également prévu que le ministre ou son délégué (c’est-à-dire l’OE) décide immédiatement lors de l’introduction de la demande d’asile par un étranger détenu que celui-ci n’est pas admis à entrer sur le territoire et est refoulé (article 52/3 § 2 de la loi). Pratiquement, un demandeur d’asile détenu à la frontière se voit notifier une mesure de refoulement (ci-après « annexe 11ter ») accompagnée de la notification de l’enregistrement de sa demande d’asile (ci-après « annexe 25 ») qui en suspend l’exécution immédiate. En ce qui concerne la détention des demandeurs d’asile à la frontière, la loi prévoyait ce qui suit à l’époque des faits : Article 74/5 « § 1. Peut être maintenu dans un lieu déterminé, situé aux frontières, en attendant l’autorisation d’entrer dans le Royaume ou son refoulement du territoire : 1o l’étranger qui, en application des dispositions de la présente loi, peut être refoulé par les autorités chargées du contrôle aux frontières ; 2o l’étranger qui tente de pénétrer dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées par l’article 2, et qui introduit une demande d’asile à la frontière. § 2. Le Roi peut déterminer d’autres lieux situés à l’intérieur du Royaume, qui sont assimilés au lieu visé au § 1er. L’étranger maintenu dans un de ces autres lieux n’est pas considéré comme ayant été autorisé à entrer dans le Royaume. § 3. La durée du maintien dans un lieu déterminé situé aux frontières ne peut excéder deux mois. Le ministre ou son délégué peut toutefois prolonger le maintien de l’étranger visé au § 1er, par période de deux mois : 1o si l’étranger fait l’objet d’une mesure de refoulement exécutoire ; 2o et si les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mesure visée au 1o, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable. Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut plus être prise que par le Ministre. La durée totale du maintien ne peut jamais excéder cinq mois. Dans les cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale du maintien puisse de ce fait dépasser huit mois. La durée du maintien est suspendue d’office pendant le délai utilisé pour introduire un recours auprès du Conseil du contentieux des étrangers, tel que prévu à l’article 39/57. Lorsqu’un délai d’examen est octroyé au Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides pour examiner les nouveaux éléments, conformément à l’article 39/76, § 1er, avant-dernier alinéa, la durée du maintien est également suspendue d’office pendant un délai d’un mois au maximum. § 4. Est autorisé à entrer dans le Royaume : 1o l’étranger visé au § 1er qui, à l’expiration du délai de deux mois, ne fait l’objet d’une mesure exécutoire prévue au § 3, alinéa 1er, 1o ; 2o l’étranger visé au § 1er qui fait l’objet d’une mesure exécutoire prévue au § 3, alinéa 1er, 1o, lorsque, à l’expiration du délai de deux mois, éventuellement prolongé, le ministre ou son délégué ne prend aucune décision de prolongation du délai ; 3o l’étranger visé au § 1er dont la durée totale du maintien atteint respectivement cinq ou huit mois ; 4o l’étranger qui est reconnu réfugié ou auquel le statut de protection subsidiaire est accordé. (...) » L’étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l’article 74/5 précité, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal de première instance du lieu où il est maintenu (article 71). La chambre du conseil et, en appel, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel, vérifient « si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité » (article 72). III. DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE Faisant suite à sa visite en Belgique les 15-19 décembre 2008, le Commissaire aux droits de l’homme, fit part, dans son rapport du 17 juin 2009 (CommDH(2009)14), de ses préoccupations suivantes : « 79. La détention de certains demandeurs d’asile apparaît d’autant plus discutable qu’elle revêt un caractère systématique pour nombre de demandeurs d’asile. Le Commissaire invite les autorités à permettre aux personnes ayant demandé l’asile à la frontière de bénéficier des mêmes droits, délais et procédures que les autres demandeurs. Plus généralement, il rappelle que les demandeurs d’asile n’ont commis aucune infraction et que le recours à leur détention systématique dans un certain nombre de cas apparaît comme contraire à la nécessité d’individualiser chaque décision de détention. (...) Le centre fermé pour étrangers « 127 » se situe également dans l’enceinte d’un aéroport. Créé de manière provisoire en 1988, il est composé de conteneurs préfabriqués placés à l’extrémité de la piste d’atterrissage de l’aéroport. D’une capacité de 60 places, les autorités ont indiqué que celui-ci était désormais rarement à pleine capacité notamment en raison du contrôle accru qu’exercent les compagnies aériennes sur les passagers embarqués ainsi que de la disparition de certaines liaisons aériennes directes depuis Bruxelles. Lors de la visite, l’équipe du Commissaire a pu constater le caractère vétuste et totalement impropre à la détention des locaux. Les personnes détenues ainsi que le personnel qui y travaille sont soumis au stress constant de la proximité immédiate avec la piste d’aviation qui génère un bruit assourdissant ainsi qu’une odeur permanente de kérosène. Les personnes sont hébergées dans des grands dortoirs de 18 places qui ne permettent aucune intimité. En raison du manque d’espaces, les activités offertes aux étrangers détenus sont extrêmement réduites. L’accès à l’extérieur se limite à une petite pelouse difficilement utilisable en raison des nuisances produites par les avions. La présence de ce centre dans une zone militaire rend les visites particulièrement difficiles pour les proches et les amis des étrangers détenus. Les avocats ainsi que 24 ONG accréditées ont un accès plus systématique en centre. Malgré la volonté et les efforts du personnel, ces facteurs engendrent des tensions voire de la violence entre étrangers. Le Commissaire considère la décision de ne plus détenir les familles dans ce centre comme un réel progrès mais n’oublie pas qu’elles l’ont été pendant près de 20 ans. Il constate que des étrangers continuent à y être détenus dans une structure totalement inadaptée ne pouvant offrir des conditions de vie acceptables. Le Commissaire appelle à l’accélération de la construction du centre de remplacement ainsi qu’à la détention des étrangers dans d’autres centres en attendant cette solution définitive. » Faisant suite à sa visite en Belgique les 14-18 septembre 2015, le Commissaire aux droits de l’homme, fit part, dans son rapport du 28 janvier 2016 (CommDH(2016)1), de ses préoccupations suivantes : « 24. Le Commissaire constate que la Belgique place souvent des étrangers en détention en raison de leur situation au regard du droit des étrangers. Le précédent Commissaire avait déjà exprimé la même préoccupation dans son rapport de 2009 sur la Belgique. En 2014, 5 631 étrangers ont été détenus en Belgique. En septembre 2015, le gouvernement a décidé de faire passer la capacité des centres fermés de 452 à 605 places. Le Commissaire est particulièrement préoccupé par le fait que les demandeurs d’asile n’ayant pas de documents de voyage en cours de validité sont systématiquement détenus à la frontière, le plus souvent dans des aéroports, depuis la modification de la loi sur les étrangers en 2007. Ainsi, selon le HCR, 896 d’entre eux auraient été détenus en 2014. Les demandeurs d’asile placés en détention à la frontière sont considérés comme n’étant pas entrés en Belgique et sont visés par une ordonnance d’expulsion dès leur arrivée. Les autorités belges justifient cette pratique de détention systématique par la nécessité de respecter le Code frontières Schengen et la Convention de Chicago de 1944 relative à l’aviation civile internationale, en vertu de laquelle les étrangers non admissibles et ceux qui font l’objet d’une ordonnance d’expulsion doivent être éloignés du territoire par le transporteur qui les a conduits en Belgique. (...) En ce qui concerne la durée, les demandeurs d’asile peuvent être détenus pour une période initiale de deux mois (correspondant à la durée de la procédure d’asile), avec possibilité de prolongation jusqu’à huit mois maximum, en cas de « nécessité pour des raisons d’ordre public ou de sécurité nationale ». Dans le cas d’une procédure Dublin en cours, la période maximale de détention est d’un mois, avec possibilité de prolongation d’un mois. Lors de sa visite dans le centre de détention de Caricole, près de l’aéroport de Bruxelles, le Commissaire a appris que la plupart des personnes présentes étaient détenues depuis moins de cinq mois. La durée maximale de détention dont il a eu connaissance était cependant d’environ six mois. Le Commissaire déplore que le contrôle juridictionnel de la détention ne soit ni systématique ni régulier, dans la mesure où il appartient aux détenus d’en faire la demande, alors que l’accès à une aide juridique de qualité en détention est limité – un problème déjà abordé par le prédécesseur du Commissaire dans un rapport de 2009. Au cours de sa visite, le Commissaire a appris que le contrôle juridictionnel dans les centres fermés concernait en moyenne un cas sur quatre. De plus, le contrôle porte uniquement sur la légalité de la détention, et non sur son opportunité ou sa proportionnalité. En ce qui concerne les personnes en attente d’expulsion, depuis la transposition de la directive « retour » de l’UE dans le droit belge en 2012 la détention n’est possible qu’en dernier ressort et s’il n’existe aucun autre moyen, moins contraignant, de prévenir le risque de fuite ou de permettre l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. Toutefois, le Commissaire note que le droit en vigueur ne prévoit pas de garanties similaires pour les demandeurs d’asile placés en détention, dont la nécessité ne donne apparemment lieu à aucune évaluation individuelle. Pour le Commissaire, il est également problématique que les autorités puissent prolonger la détention en vertu de diverses dispositions de la loi sur les étrangers grâce à des recours de l’Office des étrangers contre des décisions de libération de détenus rendues par des juges. Avec ce système, certaines durées de détention dépassent la limite de deux mois prévue pour l’examen de la demande d’asile. Aucune évaluation individuelle de la vulnérabilité de la personne ou du risque de fuite n’aurait lieu lorsque la détention est prolongée. Le Commissaire note que la Cour a condamné la Belgique à deux reprises en 2013 parce que les demandeurs d’asile détenus n’avaient aucune possibilité effective d’obtenir en temps utile une décision de justice sur la légalité des mesures prises par les autorités pour prolonger leur détention en attendant l’exécution d’une ordonnance de transfert dans le cadre de la procédure Dublin, ce qui s’était traduit par une durée excessive de la détention. (...) Le Commissaire appelle les autorités belges à veiller, dans la loi et la pratique, à ce que la détention de demandeurs d’asile ne soit utilisée qu’en dernier ressort, pour la durée la plus courte possible et uniquement après examen de toutes les alternatives, lorsqu’il n’y a pas d’autre solution efficace, conformément à la Résolution 1707 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et aux Lignes directrices du HCR sur la détention des demandeurs d’asile et les alternatives à la détention. Il rappelle aux autorités qu’en vertu de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, les demandeurs d’asile ne doivent pas être détenus au seul motif qu’ils ont déposé une demande d’asile, ni en raison de leur entrée ou présence illégale dans le pays où ils déposent une demande d’asile. Il invite par conséquent les autorités à adopter des garanties juridiques adéquates contre la détention arbitraire des demandeurs d’asile. Le Commissaire tient également à souligner que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la détention administrative des demandeurs d’asile doit être considérée comme arbitraire si elle n’est pas étroitement liée au motif de la détention. À cet égard, le fait de détenir des demandeurs d’asile à la frontière au motif qu’ils pourraient faire l’objet d’un éloignement est problématique, car ces personnes ne peuvent être renvoyées avant que les autorités aient traité leur demande. » IV. LE DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPEENNE Applicable à l’époque des faits de la présente espèce, la directive du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (« la directive Accueil ») prévoyait ce qui suit dans ses dispositions pertinentes : Article 3 Champ d’application « 1. La présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui déposent une demande d’asile à la frontière ou sur le territoire d’un État membre tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs d’asile, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette demande d’asile conformément au droit national. (...) » Article 7 Séjour et liberté de circulation « 1. Les demandeurs d’asile peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est fixée par cet État membre. La zone fixée ne porte pas atteinte à la sphère inaliénable de la vie privée et donne suffisamment de latitude pour garantir l’accès à tous les avantages prévus par la présente directive. Les États membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur d’asile pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande. Lorsque cela s’avère nécessaire, les États membres peuvent obliger un demandeur à demeurer dans un lieu déterminé conformément à leur droit national, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public. (...) » Article 17 Principe général « 1. Dans la législation nationale transposant les dispositions du chapitre II relatives aux conditions matérielles d’accueil et aux soins de santé, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés de mineurs et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle. Le paragraphe 1 ne s’applique qu’aux personnes dont les besoins particuliers ont été constatés après une évaluation individuelle de leur situation. » La directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (« la directive Accueil (refonte) ») remplace, avec effet au 21 juillet 2015, la directive 2003/9/CE précitée. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit : Article 3 Champ d’application « 1. La présente directive s’applique à tous les ressortissants de pays tiers et apatrides qui présentent une demande de protection internationale sur le territoire d’un État membre, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou les zones de transit, tant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire en qualité de demandeurs, ainsi qu’aux membres de leur famille, s’ils sont couverts par cette demande de protection internationale conformément au droit national. (...) » Article 7 Séjour et liberté de circulation « 1. Les demandeurs peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est attribuée par cet État membre. La zone attribuée ne porte pas atteinte à la sphère inaliénable de la vie privée et donne suffisamment de latitude pour garantir l’accès à tous les avantages prévus par la présente directive. Les États membres peuvent décider du lieu de résidence du demandeur pour des raisons d’intérêt public ou d’ordre public ou, le cas échéant, aux fins du traitement rapide et du suivi efficace de sa demande de protection internationale. (...) » Article 8 Placement en rétention « 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur conformément à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale. Lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées. Un demandeur ne peut être placé en rétention que : a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ; b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ; c) pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire ; d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ; e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ; f) conformément à l’article 28 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride. Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national. Les États membres veillent à ce que leur droit national fixe les règles relatives aux alternatives au placement en rétention, telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une garantie financière ou l’obligation de demeurer dans un lieu déterminé. » Article 21 Principe général « Dans leur droit national transposant la présente directive, les États membres tiennent compte de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, par exemple les victimes de la mutilation génitale féminine. » La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (« la directive Retour ») contient notamment les dispositions suivantes : Article 2 Champ d’application « 1. La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. (...) » Article 15 Rétention « 1. À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque : a) il existe un risque de fuite, ou b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. (...) » La Cour de justice de l’Union européenne a précisé ce qui suit dans un arrêt du 30 novembre 2009, Said Shamilovich Kadzoev (C‑357/09 PPU) : « 42. En vertu de l’article 7, paragraphes 1 et 3, de la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (JO L 31, p. 18), les demandeurs d’asile peuvent circuler librement sur le territoire de l’État membre d’accueil ou à l’intérieur d’une zone qui leur est fixée par cet État membre, mais, lorsque cela s’avère nécessaire, les États membres peuvent obliger un demandeur à demeurer dans un lieu déterminé conformément à leur droit national, par exemple pour des raisons juridiques ou d’ordre public. L’article 21 de la directive 2003/9 dispose que les États membres font en sorte que les décisions négatives quant à l’octroi des avantages prévus par cette directive ou les décisions prises en vertu de l’article 7 de celle-ci qui affectent individuellement les demandeurs d’asile puissent faire l’objet d’un recours dans le cadre des procédures prévues dans le droit national. Il est prévu, au moins en dernière instance, la possibilité de voies de recours devant une instance juridictionnelle. Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, de la directive 2005/85 [du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres], les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle demande l’asile et, conformément au paragraphe 2 de ce même article, lorsqu’un demandeur d’asile est placé en rétention, les États membres veillent à prévoir la possibilité d’un contrôle juridictionnel rapide. Ainsi, la rétention à des fins d’éloignement régie par la directive 2008/115 et la rétention ordonnée à l’encontre d’un demandeur d’asile, notamment en vertu des directives 2003/9 et 2005/85 et des dispositions nationales applicables, relèvent de régimes juridiques distincts. Il appartient à la juridiction nationale de déterminer si le séjour de M. Kadzoev au centre de placement temporaire pendant la période durant laquelle il était demandeur d’asile était conforme aux conditions prévues par les dispositions communautaires et nationales relatives au domaine de l’asile. S’il devait s’avérer qu’aucune décision n’a été prise portant sur le placement de M. Kadzoev au centre de placement provisoire dans le cadre des procédures ouvertes à la suite des demandes d’asile de celui-ci, évoquées au point 19 du présent arrêt, et que sa rétention est donc restée basée sur le régime national antérieur de rétention à des fins d’éloignement ou sur le régime de la directive 2008/115, la période de rétention de M. Kadzoev correspondant à la période durant laquelle lesdites procédures d’asile étaient en cours devrait être prise en compte pour le calcul de la période de rétention aux fins d’éloignement visée à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115. Par suite, il convient de répondre à la première question préjudicielle, sous b), que la période durant laquelle une personne a été placée en centre de placement provisoire sur le fondement d’une décision prise au titre des dispositions nationales et communautaires relatives aux demandeurs d’asile ne doit pas être considérée comme une rétention aux fins d’éloignement au sens de l’article 15 de la directive 2008/115. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1968 et il purge actuellement une peine d’emprisonnement à Tbilissi. A. La genèse de l’affaire En 2003, la « révolution des roses » éclata en Géorgie à la suite d’élections considérées comme truquées. Pendant vingt jours, des manifestations pacifiques eurent lieu. Elles aboutirent à la démission du président d’alors, M. Eduard Shevardnadze, ancien premier secrétaire du Parti communiste géorgien et ancien ministre soviétique des Affaires étrangères, qui dirigeait la Géorgie depuis 1992. Une nouvelle élection présidentielle et un nouveau scrutin législatif furent organisés en 2004. Le Mouvement national uni (MNU), dirigé par M. Mikheil Saakashvili, l’un des protagonistes de la révolution des roses, remporta ces élections. Le requérant, un proche collaborateur de M. Saakashvili et l’un des dirigeants du MNU, participa activement à ces événements. Jusqu’au 1er octobre 2012, date à laquelle le MNU perdit les élections législatives face à la coalition Rêve géorgien conduite par M. Bidzina Ivanishvili, le requérant fut membre du gouvernement géorgien : de 2005 à 2012, il fut ministre de l’Intérieur, puis, de juillet à octobre 2012, Premier ministre. Le 15 octobre 2012, soit deux semaines après les élections législatives, le requérant fut élu secrétaire général du MNU, qui devint la principale formation d’opposition du pays. Peu après le terme de son mandat, après les élections présidentielles du 27 octobre 2013, M. Saakashvili, qui avait été le président de la Géorgie depuis 2004, quitta le pays. B. L’incident survenu le 30 novembre 2012 à l’aéroport de Tbilissi Entre le 1er novembre 2012 et le 21 mai 2013, date à laquelle il fut arrêté (paragraphe 26 ci-dessous), le requérant effectua cinq voyages à l’étranger et revint toujours comme prévu. Selon les dires du Gouvernement, le 30 novembre 2012, le requérant tenta de franchir la frontière à l’aéroport de Tbilissi en utilisant un faux passeport. Après avoir contrôlé le passeport en consultant la base de données électronique officielle, un agent de la police des frontières remarqua une divergence entre la photographie figurant sur le passeport, qui correspondait à l’apparence du requérant, et les autres données, notamment le nom « Levan Maisuradze », qui étaient différentes des données relatives au requérant se trouvant dans la base de données. L’agent rendit le passeport à l’assistant personnel du requérant et lui demanda des explications. L’assistant rapporta du bureau du requérant un autre passeport qui avait été émis au vrai nom de celui-ci et qui correspondait à toutes ses données d’identification. Après vérification de l’authenticité de ce passeport, le requérant fut autorisé à franchir la frontière. Le même jour, la police des frontières ouvrit une enquête pénale sur cet incident. Le chef du service se rendit immédiatement à l’aéroport de Tbilissi pour interroger l’agent qui avait découvert le passeport prétendument faux. D’après les éléments recueillis lors de l’enquête, alors qu’il se trouvait à l’aéroport, le chef de la police des frontières reçut un appel du requérant sur son téléphone portable. Se prévalant de son statut et de ses relations personnelles de longue date au sein du ministère de l’Intérieur, le requérant exigea qu’aucune enquête ne fût menée sur l’incident et que l’agent de la police des frontières ne fût pas appelé à témoigner à ce sujet. Le chef de la police des frontières affirma ultérieurement, dans des déclarations livrées aux enquêteurs, qu’au cours de la conversation téléphonique le requérant avait proféré des menaces visant sa personne et sa carrière et prononcé des paroles obscènes. Interrogé les 1er et 7 décembre 2012 au sujet de l’incident, le requérant nia avoir présenté un passeport au nom de « Levan Maisuradze » et affirma qu’il ne possédait que quatre passeports, deux ordinaires et deux diplomatiques, tous émis sous son vrai nom. C. La procédure pénale engagée contre le requérant au sujet du programme public pour demandeurs d’emploi et de la résidence située dans le village de Kvariati La première phase de la procédure Le 13 décembre 2012, le parquet de Géorgie occidentale, à Koutaïssi, ouvrit une procédure pénale contre le requérant et M. Z.T., qui avait été ministre de la Santé, du Travail et des Affaires sociales dans le gouvernement du requérant (et qui avait été nommé gouverneur de la région de Kakhétie juste après les élections d’octobre 2012), pour détournement de fonds et abus d’autorité dans le cadre d’un « programme public pour demandeurs d’emploi » mis en place par le gouvernement du requérant entre juillet et septembre 2012. Le même jour, le requérant et M. Z.T. comparurent devant les autorités de poursuite et furent entendus comme témoins. Le 18 janvier 2013, le parquet de la République autonome d’Adjarie ouvrit contre le requérant une procédure pénale distincte pour abus d’autorité en ce qui concernait une résidence privée située à Kvariati, station balnéaire de la mer Noire dans le sud de la Géorgie. Le 13 février 2013, le requérant fut entendu comme témoin dans le cadre de cette procédure pénale distincte. Le 20 mai 2013, ces deux procédures furent jointes. L’arrestation et le placement en détention provisoire du requérant a) L’arrestation Le 21 mai 2013, le requérant et M. Z.T. furent convoqués à un interrogatoire pour le jour même par l’enquêtrice du parquet de Géorgie occidentale, à Koutaïssi, qui était chargée des affaires jointes. Le même jour, l’épouse du requérant quitta la Géorgie. Le requérant se présenta pour l’interrogatoire, qui se déroula de 12 h 25 à 15 h 5 le 21 mai 2013. Trois quarts d’heure après la fin de l’interrogatoire, soit à 15 h 50, l’enquêtrice procéda à l’arrestation du requérant en vertu de l’article 171 § 2 e) du code de procédure pénale (paragraphe 144 cidessous). Elle justifia cette mesure en indiquant que le requérant, face à des raisons plausibles de soupçonner qu’il avait commis une infraction et au risque de sanctions, pourrait tenter de prendre la fuite. Elle ajouta que ce risque était corroboré par la circonstance qu’en 2012 il avait tenté de franchir la frontière à l’aide d’un faux passeport (paragraphes 15-18 ci-dessus), ainsi que par les nombreux voyages à l’étranger qu’il avait effectués et qui selon elle montraient qu’il n’aurait pas de difficultés à sortir du pays. L’enquêtrice releva également que le requérant avait occupé de hautes fonctions pendant de longues années, qu’il demeurait une personnalité influente et qu’il risquait donc d’entraver l’enquête. Un peu plus tôt, à 15 h 31, l’enquêtrice avait également arrêté M. Z.T. Le même jour, à 21 h 50, le requérant fut inculpé. Selon le premier chef d’inculpation, de juillet à septembre 2012 le requérant avait conçu – et M. Z.T. et le directeur de l’agence géorgienne des services sociaux avaient mis en œuvre – un stratagème permettant de créer des emplois publics fictifs pour 21 837 personnes, lesquelles avaient ainsi indûment perçu un total de 5 240 880 laris géorgiens (GEL) (équivalant à l’époque à 2 421 953 euros (EUR)), prélevés sur les fonds publics, pour l’exécution de tâches liées à la campagne en faveur du MNU à l’approche des élections d’octobre 2012. D’après les autorités, le requérant avait ainsi acheté des voix, en infraction à l’article 1641 du code pénal, détourné des biens en grandes quantités, en agissant dans le cadre d’un groupe organisé et en usant de sa position officielle, au mépris de l’article 182 §§ 2 a) et d) et 3 b) du code, et abusé de son autorité en tant qu’agent public occupant un poste politique, infraction visée à l’article 332 § 2 du code. Le deuxième chef d’inculpation indiquait qu’après 2009 le requérant avait systématiquement utilisé, pour des vacances en famille, une résidence située à Kvariati qui appartenait à une société à responsabilité limitée visée par une enquête du ministère de l’Intérieur, qu’en 2011 et en 2012 il avait fait réaliser dans cette résidence des travaux d’un montant de 131 884,60 GEL financés par le ministère de l’Intérieur et qu’il avait fait verser 25 784,70 GEL pour les salaires des employés de maison, prélevant ainsi sur le budget de l’État une somme totale de 157 669,30 GEL (équivalant à l’époque à 73 216 EUR). Pour les autorités de poursuite, le requérant avait de la sorte porté atteinte à l’inviolabilité de la propriété en usant d’une position officielle, au mépris de l’article 160 § 3 b) du code pénal, détourné des biens en grandes quantités en usant d’une position officielle, en violation de l’article 182 §§ 2 d) et 3 b) du code, et abusé de son autorité en tant qu’agent public occupant un poste politique, infraction visée à l’article 332 § 2 du code. Dans ses observations, le Gouvernement a exposé les témoignages et autres éléments sur lesquels ces deux chefs d’inculpation reposaient. Parmi les témoins dont les déclarations avaient trait au premier chef d’inculpation, beaucoup étaient d’anciens fonctionnaires ou des fonctionnaires en poste de l’agence des services sociaux, du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, ou d’autres ministères ou administrations ; certains étaient des cadres du MNU. Un grand nombre de témoins dont les déclarations concernaient le second chef d’inculpation étaient d’anciens fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Dans l’intervalle, les autorités de poursuite avaient perquisitionné l’appartement du requérant et y avaient découvert et saisi 29 000 GEL (équivalant à l’époque à 13 812 EUR), 33 100 dollars américains et 54 200 EUR en espèces. b) Le placement en détention provisoire i. La procédure devant le tribunal de Koutaïssi Le 22 mai 2013, le parquet de Géorgie occidentale demanda au tribunal de Koutaïssi de placer le requérant en détention provisoire. Il décrivit les infractions dont celui-ci était inculpé et mentionna les témoignages et autres éléments qui étayaient les chefs d’inculpation. Par ailleurs, il argua qu’il existait un risque que le requérant prît la fuite et entravât l’administration des preuves, et qu’il n’était pas possible de prévenir ces risques par une mesure moins restrictive. Le parquet exposa que le risque de fuite était corroboré par les circonstances suivantes. Premièrement, le requérant, grâce aux hautes fonctions publiques occupées par lui pendant plusieurs années, avait noué en Géorgie et à l’étranger de nombreux contacts susceptibles de faciliter sa sortie du pays et, depuis 2009, il avait franchi la frontière plus de soixante fois. Deuxièmement, l’épouse du requérant avait quitté le pays le 21 mai 2013, juste après que le requérant s’était vu notifier sa convocation à un interrogatoire par l’enquêtrice à Koutaïssi. Troisièmement, la perquisition de l’appartement du requérant effectuée le 21 mai 2013 avait permis de découvrir d’importantes sommes d’argent liquide et l’on pouvait raisonnablement penser que l’intéressé avait amassé cet argent afin de pouvoir quitter le pays. Quatrièmement, le requérant possédait un faux passeport international qui lui avait été délivré à l’époque où il était encore ministre de l’Intérieur. Enfin, pour le parquet, il fallait aussi prendre en compte la gravité des chefs d’inculpation pesant sur le requérant et la sévérité de la peine encourue. Quant au risque d’entrave à l’administration des preuves, le parquet l’estimait étayé par le fait que le requérant avait occupé un certain nombre de hauts postes politiques et par la tentative entreprise par lui de manière rude et impolie de faire pression sur le chef de la police des frontières lors de l’incident du 30 novembre 2012 (paragraphe 17 ci-dessus). Le parquet demanda également le placement en détention provisoire de M. Z.T., le coaccusé du requérant. Les avocats du requérant s’opposèrent à la demande du parquet. Dans leurs observations écrites à l’intention du tribunal de Koutaïssi, ils plaidèrent que le requérant avait été membre du gouvernement, de sorte qu’au regard de la loi seul le ministre de la Justice pouvait déclencher des poursuites pénales contre lui, qu’il avait cependant été arrêté par une enquêtrice du parquet de Géorgie occidentale et inculpé par un procureur du même parquet et qu’en conséquence son arrestation et la procédure pénale dirigée contre lui étaient illégales. Selon les avocats, l’arrestation en cause avait enfreint l’article 171 du code de procédure pénale (paragraphe 144 cidessous). Concernant le risque allégué que le requérant prît la fuite, les avocats arguèrent qu’il n’était pas étayé par des éléments concrets et qu’il était démenti par le fait que l’intéressé s’était présenté plusieurs fois devant les autorités d’enquête et s’était engagé publiquement à coopérer avec elles. Ils ajoutèrent que le requérant avait quitté le territoire géorgien à maintes reprises et n’avait pas tenté de s’enfuir une seule fois, pas même après l’ouverture de l’enquête, et que le jour de son arrestation il s’était présenté de son plein gré pour être interrogé. À leurs yeux, il n’y avait donc eu aucune nécessité de l’arrêter en l’absence de mandat judiciaire. Quant au risque supposé que le requérant entravât l’enquête, les avocats déclarèrent qu’il n’était pas particulièrement étayé et que du reste l’enquête durait depuis déjà plusieurs mois sans qu’aucun acte d’immixtion de la part de l’intéressé eût été rapporté. Enfin, ils invitèrent le tribunal à tenir compte des résultats obtenus par le requérant pendant son mandat dans la lutte contre les infractions pénales et la réforme de la police. Le tribunal de Koutaïssi examina la demande du parquet au cours d’une audience publique tenue le même jour, le 22 mai 2013. Les deux parties furent entendues. Après l’audience, le tribunal décida de placer le requérant en détention provisoire mais de libérer M. Z.T. sous caution. Il constata brièvement que, selon les pièces du dossier, l’arrestation et l’inculpation du requérant n’avaient pas été entachées de vices de procédure graves. En particulier, il exposa que c’était seulement pour les membres en exercice du gouvernement, et non pour les anciens membres du gouvernement, que la loi prévoyait que les poursuites devaient être menées par le ministre de la Justice et non par un procureur ordinaire. Le tribunal ajouta qu’il y avait suffisamment d’informations pour attester l’existence de raisons plausibles de soupçonner le requérant et M. Z.T. d’avoir commis une infraction. Il indiqua que les autres conditions préalables pour placer le requérant en détention provisoire étaient également réunies, qu’un certain nombre de mesures d’enquête devaient encore être mises en œuvre et que, comme cela ressortait de la demande du parquet, il existait un risque que le requérant altérât les preuves ou fît pression sur les témoins. Pour le tribunal, ce risque était étayé notamment par une tentative passée du requérant pour faire pression sur un témoin à charge et par la circonstance qu’il avait pendant de longues années occupé de hautes fonctions publiques et demeurait une personnalité influente dans certains milieux de la société géorgienne, compte tenu en particulier de ce que les accusations portées contre lui avaient trait à la période où il était en fonction. Le tribunal ajouta que de nombreux témoins avaient été les subordonnés de l’intéressé ou étaient sous son influence professionnelle ou personnelle. Par ailleurs, il souscrivit à l’avis du parquet selon lequel il existait un risque que le requérant prît la fuite. Selon lui, ce risque était étayé notamment par le fait que le requérant était sous le coup de graves accusations et passible d’une lourde peine. Enfin, le tribunal constata qu’une mesure moins restrictive ne permettait pas de prévenir ces risques. Le tribunal fixa l’audience préliminaire au 15 juillet 2013. Le requérant fut placé en détention provisoire dans la prison no 9 de Tbilissi. ii. La procédure devant la cour d’appel de Koutaïssi Le requérant saisit la cour d’appel de Koutaïssi. Il plaida qu’il ressortait d’une lecture correcte des dispositions légales pertinentes que seul le ministre de la Justice était compétent pour poursuivre les infractions commises par une personne ayant agi en qualité de membre du gouvernement et avança que cela ne valait pas uniquement pour une personne membre du gouvernement au moment de l’ouverture des poursuites. Il argua également que le tribunal de Koutaïssi avait eu tort de ne pas examiner de façon détaillée la légalité de son arrestation et que cette mesure était contraire à l’article 171 du code de procédure pénale, soutenant notamment que le jour de celle-ci il s’était présenté de son plein gré pour être interrogé. Il dit par ailleurs avoir du mal à croire que le tribunal de Koutaïssi, qui aurait statué sur la demande du parquet trois ou quatre heures à peine après le dépôt de celle-ci, eût réellement étudié les éléments censés avoir fait naître des soupçons plausibles à son endroit. Il affirma que le dossier ne contenait ni faits ni informations donnant à penser qu’il avait commis les infractions en cause. Il indiqua que la juridiction inférieure avait attendu de lui qu’il réfutât les risques de fuite et d’entrave à la justice allégués par le parquet au lieu de demander à celui-ci d’établir l’existence de pareils risques. Il soutint que le constat de cette juridiction selon lequel il avait fait pression sur un témoin était contraire à la présomption d’innocence et qu’il n’avait jamais appelé ni menacé le chef de la police des frontières. Il ajouta que le tribunal de Koutaïssi n’avait pas non plus tenu compte de la circonstance qu’au cours des mois ayant précédé son arrestation il s’était plusieurs fois présenté de son plein gré pour être interrogé. D’après lui, ni ce tribunal ni le parquet n’avaient mis en avant d’éléments montrant qu’il allait s’enfuir à l’étranger. Le requérant précisa que depuis l’ouverture de l’enquête il s’était rendu maintes fois à l’étranger. Pour lui, l’argument selon lequel le fait qu’il fût une personne influente dans certains milieux portait à croire qu’il risquait de faire pression sur des témoins montrait bien qu’il était victime d’une persécution politique. Il avança que compte tenu de sa moralité il n’y avait pas le moindre risque qu’il prît la fuite, fît pression sur des témoins ou détruisît des éléments de preuve. Le 25 mai 2013, la cour d’appel de Koutaïssi déclara le recours irrecevable après examen du dossier. Elle constata que le tribunal de Koutaïssi avait étudié les pièces du dossier et les éléments de preuve qui lui avaient été soumis, et qu’il avait vérifié si la collecte de ces preuves et l’inculpation du requérant avaient été conformes au code de procédure pénale. Elle estima que le tribunal, en décidant de placer le requérant en détention provisoire, avait tenu compte de la personnalité de celui-ci et du risque qu’il entravât la procédure. Elle ajouta que, dès lors que ce tribunal s’était déjà penché sur tous les points soulevés dans le cadre de l’appel, ainsi que sur tous les points importants touchant à la légalité de la détention du requérant, il n’y avait aucune raison d’examiner l’appel. Les deux ajournements de l’audience préliminaire Le 2 juillet 2013, arguant de la nécessité de prendre des mesures d’enquête supplémentaires, le parquet demanda au tribunal de Koutaïssi de différer l’audience préliminaire jusqu’au 11 septembre 2013. Par une décision du 5 juillet 2013, le tribunal de Koutaïssi fit partiellement droit à cette demande et reporta l’audience préliminaire au 23 août 2013. Le 12 août 2013, plaidant que le dossier était volumineux et qu’il lui fallait davantage de temps pour préparer sa défense, le requérant sollicita un nouveau report de l’audience préliminaire. Le parquet se déclara opposé à cette demande, soutenant que le requérant tentait de retarder la procédure et de réduire le temps consacré à l’examen de l’affaire au fond. Le 14 août 2013, le tribunal de Koutaïssi fit entièrement droit à la demande du requérant et fixa la nouvelle date d’audience au 12 septembre 2013. La demande de mise en liberté formée par le requérant pendant l’audience préliminaire L’audience préliminaire eut lieu les 12, 19 et 25 septembre 2013. Lors de la séance du 25 septembre 2013, le requérant demanda la levée de sa détention provisoire. Il souligna qu’il s’était engagé publiquement à apporter son concours à l’enquête, qu’avant son arrestation il s’était toujours dûment présenté aux interrogatoires et qu’il s’était rendu plusieurs fois à l’étranger et était toujours rentré comme prévu. Par ailleurs, il proposa de rendre son passeport. Il ajouta que dès lors que l’enquête était close et que les autorités avaient recueilli tous les témoignages et autres éléments de preuve, il n’y avait plus de risque qu’il influençât les témoins, risque de toute façon inexistant selon lui puisqu’il n’occupait plus les hautes fonctions qui avaient été les siennes. Le parquet soutint qu’il était facile au requérant de quitter la Géorgie compte tenu de son rang politique élevé, de ses relations à l’étranger et du fait qu’il détenait deux passeports diplomatiques et un faux passeport. Par ailleurs, le parquet estima qu’il était possible que l’intéressé possédât d’autres passeports non répertoriés, moyen qu’utilisaient selon lui d’autres anciens responsables pour sortir du pays, et il considéra donc que la restitution par l’intéressé de son passeport ne suffisait pas à éviter le risque de fuite. Pour le parquet, le risque que le requérant influençât des témoins perdurait et l’intéressé avait déjà agi de la sorte le 30 novembre 2012, alors qu’il n’occupait plus de poste officiel. En outre, le parquet fit remarquer que les témoins devaient encore déposer lors du procès, ce qui au regard de la loi était la seule manière pour eux d’apporter leur témoignage. Le même jour, le tribunal de Koutaïssi examina et rejeta la demande de mise en liberté. Il rendit sa décision oralement. Il ressort d’un enregistrement audio de la séance en question que le juge déclara, sans plus d’explication, qu’« il y a[vait] lieu de rejeter la demande tendant à ce qu’il [fût] mis fin à la détention provisoire ». La demande de remise en liberté du requérant formée le 7 octobre 2013 Le procès du requérant débuta le 7 octobre 2013 et l’intéressé demanda à nouveau la levée de sa détention provisoire. Il indiqua qu’avant son arrestation il s’était toujours présenté de son plein gré devant les autorités d’enquête, qu’il avait plusieurs fois déclaré n’avoir aucune intention de s’enfuir, qu’il s’était rendu à l’étranger et était revenu même après l’ouverture de la procédure dirigée contre lui, qu’il était le secrétaire général d’un grand parti politique et qu’il avait une femme et deux enfants. Pour lui, l’ensemble de ces facteurs montrait l’absence de risque réel qu’il prît la fuite. Il ajouta qu’il n’y avait pas de risque qu’il influençât les témoins. Il plaida que les autorités de poursuite avaient déjà interrogé un nombre considérable de témoins et que ceux-ci ne risquaient pas de modifier leurs déclarations dès lors qu’en agissant ainsi ils auraient engagé leur responsabilité pénale. Par une décision écrite datée du même jour, le tribunal de Koutaïssi rejeta la demande du requérant. Il releva que celui-ci n’avait ni indiqué ni prouvé l’existence de nouvelles circonstances appelant un réexamen de la décision de placement en détention provisoire. Il estima que dans ladite décision le tribunal s’était déjà penché sur l’ensemble des points soulevés dans la demande du requérant. Il observa que le fait que le procès eût déjà commencé était sans rapport avec la justification de la détention du requérant. Le tribunal ajouta que sa décision serait susceptible d’appel en même temps que son jugement définitif sur le fond de l’affaire pénale. La condamnation et la peine infligées au requérant et ses recours contre celles-ci Le 17 février 2014, se prononçant au sujet du système d’emplois fictifs (paragraphe 29 ci-dessus), le tribunal de Koutaïssi déclara le requérant coupable d’avoir acheté des voix (infraction visée à l’article 1641 du code pénal) et d’avoir détourné des biens en grandes quantités, en agissant dans le cadre d’un groupe organisé et en usant de sa position officielle (infractions visées à l’article 182 §§ 2 a) et d) et 3 b) du code pénal). Concernant la résidence de Kvariati (paragraphe 30 ci-dessus), le tribunal reconnut le requérant coupable d’avoir porté atteinte à l’inviolabilité de la propriété en usant d’une position officielle (infraction visée à l’article 160 § 3 b) du code) et d’avoir détourné des biens en grandes quantités en usant d’une position officielle (article 182 §§ 2 d) et 3 b) du code). Par ailleurs, le tribunal considéra que les accusations d’abus d’autorité (article 332 § 2 du code) étaient superflues et il les écarta. Il condamna le requérant à une peine de cinq ans d’emprisonnement et à une interdiction d’exercer une fonction publique pendant une période de un an et demi. Le requérant fit appel de ce jugement mais, le 21 octobre 2014, la cour d’appel de Koutaïssi confirma celui-ci dans son intégralité. Le 18 juin 2015, la Cour suprême déclara irrecevable le pourvoi en cassation formé par le requérant. D. Les autres procédures pénales engagées contre le requérant Le 28 mai 2013, se fondant sur l’article 333 § 3 b) du code pénal, le parquet général inculpa le requérant d’abus d’autorité par l’usage de la violence, en raison du rôle qu’il aurait joué dans une opération de police menée le 26 mai 2011 pour disperser un rassemblement. Le 30 mai 2013, le tribunal de Tbilissi plaça le requérant en détention provisoire dans le cadre de cette accusation et, le 27 février 2014, il le déclara coupable de ce chef. Le requérant fit appel de ce jugement mais, le 11 août 2014, la cour d’appel de Tbilissi le confirma. Le 27 février 2015, la Cour suprême déclara irrecevable le pourvoi en cassation formé par le requérant. Le 24 juin 2013, le parquet de Tbilissi inculpa le requérant, sur le fondement de l’article 332 § 2 du code pénal, d’abus d’autorité commis par un agent public occupant un poste politique. Cette procédure portait sur le rôle qu’aurait joué le requérant, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, dans une affaire qui avait trait à la dissimulation alléguée d’un homicide commis en 2006 et dans laquelle étaient impliqués des hauts responsables du ministère de l’Intérieur ainsi que l’épouse du requérant (Enoukidze et Guirgvliani c. Géorgie, no 25091/07, §§ 15-22, 26 avril 2011). Deux jours plus tard, le 26 juin 2013, le tribunal de Tbilissi écarta la demande formée par le parquet en vue du placement en détention provisoire du requérant dans le cadre de cette inculpation. Par la suite, le requérant fut également inculpé de falsification de documents officiels en qualité d’agent de l’État, infraction visée à l’article 341 du code pénal. Le 20 octobre 2014, le tribunal de Tbilissi le reconnut coupable des deux infractions en question et, le 4 août 2015, la cour d’appel de Tbilissi confirma la condamnation. Le 28 juillet 2014, le parquet général inculpa le requérant d’abus d’autorité par l’usage de la violence, sur le fondement de l’article 333 § 3 b) du code pénal. Cette accusation portait sur le rôle de l’intéressé dans l’organisation et l’encadrement d’une descente de police effectuée le 7 novembre 2007 dans les locaux d’une société privée de radiodiffusion et de télévision, Imedi Media Holding, ainsi que dans le retrait ultérieur de la licence de radiodiffusion de cette société (Akhvlediani et autres c. Géorgie (déc.), no 22026/10, §§ 6-8, 9 avril 2013). Cette procédure est semble-t-il toujours pendante devant le tribunal de Tbilissi. Le 5 août 2014, le parquet général inculpa le requérant d’abus d’autorité par l’usage de la violence, sur la base de l’article 333 § 3 b) du code pénal. Il lui reprochait d’avoir ordonné à des hauts responsables de la police de soumettre un membre du Parlement à des mauvais traitements en guise de représailles pour avoir fait des déclarations publiques insultantes au sujet de la femme de M. Saakashvili. Par la suite, se fondant sur l’article 117 § 5 e) du code pénal, les autorités de poursuite inculpèrent également le requérant pour avoir causé intentionnellement des lésions corporelles graves à cette personne, en agissant de concert avec des tiers. Le 22 septembre 2016, le tribunal de Tbilissi condamna le requérant pour ces infractions, jugement que la cour d’appel de Tbilissi confirma le 24 février 2017. E. L’allégation selon laquelle le requérant fut secrètement extrait de sa cellule de prison le 14 décembre 2013 et l’enquête y relative Les allégations du requérant Le 17 décembre 2013, lors d’une audience tenue dans le cadre de son procès, qui était diffusée en direct à la télévision, le requérant déclara que le samedi précédent, le 14 décembre 2013, vers 1 h 30 du matin, on l’avait extrait de sa cellule de prison, fait monter dans une voiture la tête couverte de sa veste et conduit depuis la prison no 9 de Tbilissi, où il était en détention provisoire, vers ce qu’il pensait être le bâtiment de la direction pénitentiaire. Là, on l’aurait emmené dans un bureau où il aurait vu deux hommes une fois qu’on lui avait ôté la veste de la tête. Le premier d’entre eux aurait été le procureur général d’alors, M. O.P. Le requérant précisa qu’il n’était pas sûr de l’identité du deuxième homme, lequel aurait quitté le bureau peu après son arrivée, mais qu’il présumait qu’il s’agissait de M. D.D., le chef de la direction pénitentiaire. M. O.P. – qui avait été nommé procureur général le 21 novembre 2013 et démissionna le 30 décembre 2013 en raison d’accusations selon lesquelles il avait un casier judiciaire en Allemagne – aurait demandé au requérant de livrer des informations sur le décès en 2005 de M. Zurab Zhvania, alors Premier ministre, et sur les comptes bancaires de M. Saakashvili, déjà ex-président de la Géorgie à l’époque. On lui aurait indiqué que, s’il fournissait ces informations, on le laisserait quitter la Géorgie avec « l’argent qu’il [avait] amassé pendant qu’il était en fonction ». M. Zhvania avait été l’un des protagonistes de la révolution des roses (paragraphe 9 ci-dessus). Peu après cet épisode, en février 2004, il était devenu Premier ministre. En décembre 2004, le requérant était devenu ministre de l’Intérieur du gouvernement de M. Zhvania. Ce dernier était décédé en février 2005. En effet, le 3 février 2005, on avait découvert son corps sans vie, de même que le cadavre de M. R.U., gouverneur adjoint de la région, dans un appartement de Tbilissi. Selon la version officielle des faits, tous deux étaient morts accidentellement d’une intoxication au monoxyde de carbone causée par la ventilation défectueuse d’un chauffage au gaz. Les circonstances du décès de M. Zhvania continuent d’alimenter un débat très animé en Géorgie, et l’une des promesses de campagne faites par la coalition Rêve géorgien avant les élections d’octobre 2012 avait été d’éclaircir les faits. L’enquête sur la mort de M. Zhvania avait été rouverte peu après ces élections, en novembre 2012, et elle est semble-t-il toujours pendante. Le 21 mars 2014, le requérant fut interrogé en tant que témoin dans le cadre de cette nouvelle phase de l’enquête. Pendant l’audience devant la Grande Chambre, le Gouvernement a déclaré que personne, le 14 décembre 2013, n’avait demandé quoi que ce fût au requérant à propos du décès de M. Zhvania, mais qu’une « question cruciale » demeurait posée à l’intéressé au sujet de ce décès, compte tenu du défaut de crédibilité de la version avancée par lui à l’époque des faits, à savoir la thèse de l’accident. Le requérant, selon ses dires, avait répondu à M. O.P. que cela n’avait pas de sens d’accuser M. Saakashvili de corruption. Concernant le décès de M. Zhvania, il aurait déclaré qu’une enquête exhaustive avait été menée sur cette affaire en 2005 et qu’il n’était pas en mesure de fournir plus d’informations à ce propos. M. O.P. l’aurait alors menacé en lui disant que, s’il ne coopérait pas, ses conditions de détention se durciraient et qu’il ne pourrait sortir de prison « tant que le gouvernement de [M. Irakli Garibashvili] serait au pouvoir ». M. Garibashvili était devenu le Premier ministre de la Géorgie le 20 novembre 2013 ; il avait alors succédé à M. Ivanishvili, qui avait été Premier ministre à partir du 25 octobre 2012, à la suite des élections législatives remportées par la coalition Rêve géorgien (paragraphe 11 ci-dessus). Le requérant indiqua qu’on l’avait ensuite ramené à la prison no 9 et qu’il était arrivé dans sa cellule vers 2 h 30 du matin. Il ajouta qu’il était en mesure de décrire le bureau où la rencontre avait eu lieu et d’identifier les deux hommes qui l’y avaient conduit depuis la prison no 9. À la fin de sa déposition, le requérant proposa aux autorités de vérifier ses allégations en visionnant les images enregistrées par le système de vidéosurveillance de la prison no 9. Par ailleurs, il demanda l’examen des images prises par les caméras de surveillance du trafic routier situées sur l’itinéraire censé avoir été emprunté par la voiture qui l’aurait transporté de la prison à la direction pénitentiaire. Au cours de la procédure devant la Grande Chambre, le requérant a affirmé qu’il avait parlé pour la première fois à ses avocats de la rencontre avec le procureur général lorsque ceux-ci lui avaient rendu visite en prison deux jours plus tard, le lundi 16 décembre 2013. Il a exposé que, n’étant pas autorisé à recevoir des visiteurs pendant le week-end et n’ayant pas librement accès au téléphone, il n’avait pas pu formuler ses allégations plus tôt. Le Gouvernement a quant à lui soutenu que le requérant aurait pu téléphoner à ses avocats ou au Défenseur des droits à tout moment, y compris le week-end et pendant la nuit. La réaction initiale des autorités à ces allégations Les allégations du requérant suscitèrent des réactions publiques de la part de plusieurs hauts responsables. Le même jour, le 17 décembre 2013, le Premier ministre affirma que les allégations en cause étaient une provocation et une tentative pour discréditer le gouvernement, et qu’« il va[lait] mieux interroger des psychologues et des psychiatres » à ce sujet. Dans une déclaration officielle du même jour, le parquet général qualifia les allégations en question de « fausses et absurdes » et émit l’hypothèse que le requérant les avait formulées pour manipuler l’opinion publique et orienter le procès pénal dont il faisait l’objet. Quant à la ministre de la Justice, elle indiqua que, si les allégations en cause semblaient « incroyables », il convenait toutefois de les examiner sérieusement. Le lendemain, le 18 décembre 2013, le Premier ministre qualifia à nouveau les allégations en question de provocation et il ajouta qu’il ne prendrait pas au sérieux les appels demandant la suspension du ministre des Prisons et du procureur général. Pour sa part, le ministre des Prisons déclara que « [le requérant n’avait] pas [été] extrait de la prison » et que ces allégations étaient un « pur mensonge » et il précisa au sujet des enregistrements de vidéosurveillance évoqués par le requérant (paragraphe 65 ci-dessus) que « les enregistrements ne [pouvaient] pas être obtenus, car aucune enquête [n’était] ouverte sur ces questions si peu sérieuses ». Il observa néanmoins que, si une enquête était menée, les enquêteurs auraient accès à ces images, que personne par ailleurs n’avait le droit de visionner. Le lendemain, le 19 décembre 2013, le Défenseur des droits de Géorgie rendit visite au requérant en prison pour discuter de ses allégations. À l’issue de la rencontre, il demanda l’ouverture d’une enquête à ce sujet. L’enquête de l’inspection générale du ministère des Prisons (décembre 2013 – janvier 2014) Le 20 décembre 2013, l’inspection générale du ministère des Prisons ouvrit une enquête interne au sujet des allégations du requérant. Cette enquête fut menée pour l’essentiel par deux inspecteurs. a) Les images de vidéosurveillance enregistrées à la prison no 9 et dans le bâtiment de la direction pénitentiaire 73 Le même jour, le 20 décembre 2013, le chef adjoint de l’inspection générale écrivit au chef adjoint de la direction pénitentiaire du ministère pour demander copie des images enregistrées par les caméras de surveillance de la prison no 9 et du bâtiment de la direction pénitentiaire pendant la période comprise entre minuit le 13 décembre 2013 et midi le 14 décembre 2013. Dans sa réponse datée du même jour, le chef adjoint de la direction pénitentiaire indiqua que les images prises par ces caméras n’étaient conservées que pendant vingt-quatre heures avant d’être automatiquement effacées, et qu’il n’était donc pas possible de donner suite à cette demande. À l’époque il n’y avait apparemment pas de règles régissant la durée de conservation des images. De telles règles n’ont été instaurées qu’en mai 2015, en réponse à des critiques que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) avait exprimées dans son rapport sur sa visite en Géorgie en 2014. Selon le Gouvernement, le requérant connaissait la durée de conservation des enregistrements et, pour cette raison, il avait attendu trois jours avant de formuler ses allégations relatives à une rencontre avec le procureur général. D’après le requérant, les images étaient conservées au-delà de vingtquatre heures. À l’appui de cette affirmation, il a souligné que le chef adjoint de l’inspection générale n’avait pas semblé être au courant du délai lorsqu’il avait demandé les images (paragraphe 73 ci-dessus). Par ailleurs, le requérant a soumis une déclaration écrite sous serment de M. G.M., viceministre des Prisons de 2010 à 2012, qui avait été responsable de la réforme du système de surveillance dans les prisons et avait mis en place le service informatique du ministère en 2011. Selon cette déclaration sous serment, les images de vidéosurveillance étaient conservées sur des serveurs et des serveurs de sauvegarde au sein de la direction pénitentiaire ellemême pendant un mois et elles ne pouvaient être supprimées sans intervention extérieure avant le terme de cette période. Dans sa réponse au rapport du CPT sur la visite effectuée en Géorgie en 2014 (CPT/Inf (2015) 43), le gouvernement géorgien a indiqué que les images provenant des caméras de surveillance étaient conservées pendant vingt-quatre heures dans toutes les prisons dotées d’un système de vidéosurveillance et que la raison de cette durée limitée était l’absence d’équipement technique adéquat. Il a ajouté que les images étaient conservées plus longtemps dans certaines prisons où le dispositif de surveillance et les serveurs avaient été modernisés à une date récente (ibidem, pp. 17-18). b) Autres mesures prises au cours de l’enquête Le 24 décembre 2013, le chef de l’inspection générale demanda à huit sociétés privées qui possédaient des locaux équipés de caméras de surveillance – notamment des stations-services – le long de la route censée avoir été empruntée par la voiture qui aurait transporté le requérant de la prison no 9 à la direction pénitentiaire de fournir les images enregistrées pendant la période comprise entre minuit le 13 décembre 2013 et midi le 14 décembre 2013. À l’exception d’une société, qui répondit que les images avaient déjà été supprimées, toutes donnèrent suite à la demande. Les images furent visionnées simultanément par les deux inspecteurs entre le 25 et le 31 décembre 2013. Dans leurs notes, ils indiquèrent brièvement, sans plus de détails, qu’ils n’avaient rien vu d’intéressant sur ces images. Le 3 janvier 2014, l’un des inspecteurs interrogea le requérant ainsi que le directeur et le directeur adjoint de la prison no 9. Le requérant déclara que le directeur de la prison l’avait fait sortir de sa cellule et lui avait dit qu’un procureur souhaitait s’entretenir avec lui. Dès qu’il était arrivé dans la cour de la prison, deux autres hommes, dont il disait se rappeler clairement le visage, l’auraient fait monter dans une voiture de couleur foncée, probablement selon lui une Toyota Land Cruiser Prado ou 200. La voiture aurait été conduite par un troisième homme, dont le requérant disait n’avoir pas pu distinguer le visage parce qu’une fois dans la voiture on lui aurait couvert la tête avec sa veste. La voiture aurait circulé sur de grands axes pendant environ dix minutes. Se basant sur la direction prise, le requérant aurait présumé qu’on l’emmenait à la direction pénitentiaire. Pendant le trajet, l’un des hommes présents dans la voiture aurait passé à partir d’un téléphone portable un appel informant quelqu’un qu’ils arriveraient environ cinq minutes plus tard. Peu après, la même personne aurait reçu un appel indiquant qu’ils arriveraient une minute plus tard. Le requérant déclara qu’il ne souhaitait pas décrire en détail le bureau dans lequel il avait été emmené mais qu’il serait en mesure de le reconnaître. Il relata avec précision sa conversation avec le chef de la direction pénitentiaire, M. D.D., et dit que celui-ci avait semblé se trouver dans un état d’ébriété avancée. Il ne détailla pas le contenu de sa conversation ultérieure avec le procureur général, M. O.P., et fit remarquer qu’il en avait déjà parlé lors de l’audience du 17 décembre 2013. Le directeur et son adjoint déclarèrent tous deux qu’ils avaient été présents à la prison no 9 aux premières heures du jour où la rencontre était censée avoir eu lieu, le 14 décembre 2013, mais qu’ils n’avaient pas vu le requérant et ne lui avaient pas parlé. Interrogé au sujet des caméras de surveillance, le directeur affirma que s’il y avait eu un quelconque problème lié à ce dispositif il en aurait été informé par le personnel du local technique et que cela ne s’était pas produit. Il précisa également que sa voiture de service était une Toyota Land Cruiser Prado de couleur noire et il en donna le numéro d’immatriculation. Le 3 janvier 2014 également, l’un des inspecteurs examina les registres des entrées et sorties de véhicules de la prison no 9. Ces registres ne contenaient aucune mention donnant à penser que le requérant avait été extrait de la prison pendant la nuit en question. Le même jour, le chef de l’inspection générale demanda au ministère de l’Intérieur de lui remettre les enregistrements des caméras de surveillance du trafic routier placées sur l’itinéraire censé avoir été emprunté par la voiture qui aurait transporté le requérant de la prison no 9 à la direction pénitentiaire, et ce pour la période comprise entre midi le 13 décembre 2013 et midi le 14 décembre 2013. Des images provenant de la vidéosurveillance du trafic routier et correspondant à la période comprise entre minuit le 13 décembre 2013 et 6 heures le 14 décembre 2013 furent fournies le 13 janvier 2014 et examinées le jour même par trois inspecteurs. Dans leurs notes, ceux-ci indiquèrent brièvement, sans plus de détails, n’avoir rien vu d’intéressant sur ces images. Le lendemain, le 4 janvier 2014, les inspecteurs interrogèrent deux agents pénitentiaires chargés de la surveillance des déplacements des détenus à la prison no 9 ainsi qu’un agent pénitentiaire qui avait pour tâche d’escorter les détenus placés dans l’aile où se trouvait le requérant lorsqu’ils entraient dans leurs cellules et en sortaient ; tous trois avaient été en service entre 10 heures le 13 décembre 2013 et 10 heures le 14 décembre 2013. Les trois agents indiquèrent que les allégations du requérant étaient fausses et que si on l’avait fait sortir de sa cellule ils l’auraient su et l’auraient consigné dans les registres pertinents. Le 6 janvier 2014, l’un des inspecteurs interrogea deux agents pénitentiaires qui avaient été chargés du contrôle de la vidéosurveillance de la prison no 9 sur des écrans situés dans un local technique de la prison, et qui avaient été en service de 19 heures le 13 décembre 2013 à 10 heures le 14 décembre 2013. Tous deux déclarèrent qu’il ne s’était rien passé d’inhabituel au cours de la nuit et que les caméras avaient fonctionné correctement pendant tout le laps de temps en question. Les deux agents indiquèrent avoir eu connaissance des allégations du requérant à travers les médias et soutinrent qu’elles étaient fausses. Ils ajoutèrent qu’il y avait dans la cellule du requérant une caméra de surveillance qui leur permettait de contrôler tous les mouvements d’entrée et de sortie de l’intéressé. Le 9 janvier 2014, l’un des inspecteurs examina les registres de la prison no 9 où étaient consignées les entrées et sorties de personnes. Ces registres ne contenaient aucune mention donnant à penser que l’on avait fait sortir le requérant pendant la nuit en question mais ils montraient qu’il avait reçu la visite de ses trois avocats deux jours plus tard, le 16 décembre 2013. Ni M. O.P. ni M. D.D. ne furent interrogés ou invités à fournir des explications au cours de l’enquête. Dans son rapport du 14 janvier 2014, l’un des inspecteurs indiqua que l’enquête n’avait pas confirmé les allégations du requérant. Dans une lettre datée du 14 avril 2014, le parquet général signala à l’avocat du requérant, en réponse semble-t-il à une demande d’informations faite par lui le 6 mars 2014, que l’enquête était terminée. Faits postérieurs à la clôture de l’enquête Le lendemain de la clôture de l’enquête, le 15 janvier 2014, le Défenseur des droits réitéra son appel en faveur d’une véritable enquête au sujet des allégations du requérant (paragraphe 71 ci-dessus). Le 17 janvier 2014, plusieurs organisations non gouvernementales pressèrent également les autorités d’effectuer une enquête exhaustive à propos des allégations du requérant et exprimèrent leurs préoccupations en raison notamment de l’incertitude qui subsistait quant aux images provenant des caméras de surveillance de la prison. Le 11 février 2014, lors d’une interview télévisée, M. Garibashvili, le Premier ministre, déclara que les allégations du requérant étaient « absurdes et ridicules » et qu’il avait beaucoup aimé cette « question rhétorique » posée à leur sujet quelques jours plus tôt, le 8 février 2014, par M. Ivanishvili, l’ancien Premier ministre : « Bon, que s’est-il passé après que [M. O.P.] avait enlevé [le requérant] ? Que lui a-t-il fait ensuite, l’a-t-il violé ou quoi ? » Le 10 mai 2014, un député membre du MNU divulgua des documents montrant qu’en décembre 2013 quarante fonctionnaires du ministère des Prisons – dont M. D.D., chef de la direction pénitentiaire, ses adjoints, les directeurs de plusieurs prisons ainsi qu’un certain M. G.G., chef des forces spéciales du ministère des Prisons – avaient touché des primes substantielles : 17 756 GEL (équivalant à l’époque à 7 430 EUR) pour M. D.D. ; 38 128 GEL (15 954 EUR) et 30 463 GEL (12 747 EUR) respectivement pour ses adjoints ; pour les directeurs de prison, des sommes allant de 18 259 GEL (7 640 EUR) pour le directeur de la prison no 8 à 29 609 GEL (12 390 EUR) pour le directeur de la prison no 9 ; enfin, 18 692 GEL (7 821 EUR) pour M. G.G. Le député laissa entendre que ces primes étaient destinées à récompenser les fonctionnaires en question pour avoir gardé le secret sur la rencontre entre le requérant et le procureur général. En réponse à ces allégations, M. D.D. déclara que, si les primes avaient été d’un montant exceptionnellement élevé, c’était parce que l’ensemble des bénéficiaires avaient travaillé dans des conditions difficiles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le ministre des Prisons assura quant à lui que le versement des primes avait été personnellement approuvé par M. D.D. Lors de l’audience devant la Grande Chambre, le Gouvernement a nié l’existence d’un quelconque lien entre ces primes et les allégations du requérant, et il a souligné que les fonctionnaires d’autres prisons avaient également touché des primes. Par ailleurs, il a déclaré qu’il était courant que de telles primes fussent versées en fin d’année à des agents de l’État, en particulier au sein des forces de l’ordre. Dans une interview accordée à un journaliste de la presse écrite le 19 mai 2014, Mme L.M., conseillère de M. D.D., déclara ceci : « [M]ême un enfant sait que [le requérant] a été extrait de sa cellule par D.D. ». Plus tard dans la même journée, elle indiqua au cours d’une interview télévisée qu’elle avait parlé avec des agents de la direction pénitentiaire et que ceuxci avaient confirmé que M. D.D. leur avait ordonné de cacher les images de vidéosurveillance prises aux premières heures du 14 décembre 2013. Le lendemain, le 20 mai 2014, M. D.D. démit Mme L.M. de ses fonctions. Trois jours plus tard, le 23 mai 2014, il démissionna lui-même, décision qui était apparemment liée à la polémique suscitée par les divulgations relatives aux primes versées en décembre 2013 (paragraphe 93 ci-dessus). Le 17 juin 2016, lors d’une audience devant une juridiction d’appel dans une affaire pénale distincte qui concernait une opération menée en 2006 au cours de laquelle des agents des forces spéciales du ministère de l’Intérieur avaient tué deux personnes, M. G.Ts., l’un des coaccusés, déclara qu’il détenait des informations sur la rencontre entre le requérant et le procureur général. Un certain nombre de personnes avaient été arrêtées et accusées dans cette affaire connue sous le nom d’affaire « Kortebi », notamment : a) les six agents qui avaient mené l’opération, dont l’un était un certain M. I.M. ; b) M. G.G., qui à l’époque était directeur adjoint des forces spéciales (et qui, quelques années plus tard, en décembre 2013, fut nommé chef des forces spéciales du ministère des Prisons par M. D.D. – paragraphe 93 ci-dessus) ; c) M. I.P., ancien chef adjoint du service central de police judiciaire du ministère de l’Intérieur, et d) M. G.Ts. (mentionné plus haut), ancien chef adjoint de l’unité d’enquête de ce service. L’enquête du parquet général (juin 2016 – février 2017) Après le prononcé par la chambre de son arrêt le 14 juin 2016 (paragraphe 3 ci-dessus), le président et plusieurs membres du Parlement géorgien demandèrent l’ouverture d’une nouvelle enquête concernant les allégations du requérant. La ministre de la Justice déclara qu’elle espérait que les autorités de poursuite enquêteraient au sujet des conclusions formulées par la chambre sur le terrain de l’article 18 de la Convention. Elle ajouta que le Gouvernement solliciterait le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. Le 21 juin 2016, le parquet général ouvrit une enquête pénale et la confia à deux enquêteurs de son service d’enquête. Le requérant fut interrogé le 24 juin 2016. Il réitéra ses déclarations des 17 décembre 2013 et 3 janvier 2014 relatives à ses conversations avec M. D.D. et M. O.P., et à la voiture dans laquelle on l’aurait transporté pour lui faire rencontrer ces personnes (paragraphes 60 et 81 ci-dessus). Concernant son extraction de la prison no 9, il indiqua que le directeur de la prison était accompagné de son adjoint lorsqu’il était venu le chercher dans sa cellule. Il ajouta que, bien qu’il ne fût pas en mesure de décrire les deux hommes qui l’avaient fait monter dans la voiture, il était capable de les reconnaître, en particulier l’un d’eux, qui avait un visage singulier. Par ailleurs, le requérant nomma les routes que la voiture aurait empruntées. 100. Le 29 juin 2016, l’un des enquêteurs interrogea le directeur de la prison no 9. Celui-ci déclara que le requérant n’avait été extrait de sa cellule ni par lui-même ni par quiconque. En outre, il indiqua notamment que les personnes placées en détention provisoire avaient le droit de téléphoner au Défenseur des droits à n’importe quel moment de la semaine et qu’entre le 13 et le 17 décembre 2013 le requérant n’avait pas demandé à passer un tel appel. Il affirma aussi qu’une caméra de surveillance avait été installée dans la cellule du requérant avec le consentement de celui-ci et pour sa propre sécurité, mais que les images prises par cette caméra, comme celles provenant de toutes les autres caméras de surveillance de la prison, n’avaient été conservées que pendant vingt-quatre heures. 101. Le lendemain, le 30 juin 2016, l’autre enquêteur interrogea le directeur adjoint de la prison no 9. Celui-ci livra des déclarations quasiment identiques à celles du directeur. Il indiqua qu’il avait eu connaissance des allégations du requérant à travers les médias et qu’elles étaient fausses. Il confirma par ailleurs que les personnes en détention provisoire avaient le droit de téléphoner au Défenseur des droits à n’importe quel moment de la semaine. 102. Le 1er juillet 2016, les enquêteurs interrogèrent les deux agents pénitentiaires chargés du contrôle de la vidéosurveillance de la prison no 9. Ceux-ci réitérèrent les déclarations qu’ils avaient faites lors de l’enquête interne (paragraphe 86 ci-dessus). Tous deux assurèrent que les images de vidéosurveillance n’étaient conservées que pendant vingt-quatre heures avant d’être automatiquement effacées. Ils expliquèrent que c’était seulement si quelque chose d’inhabituel était observé pendant ce laps de temps que les images pertinentes étaient spécialement extraites et conservées pendant un mois, mais que rien de la sorte ne s’était produit aux premières heures du 14 décembre 2013 et qu’en conséquence les images correspondant à cette période n’avaient pas été récupérées. 103. Les 4 et 5 juillet 2016, les enquêteurs interrogèrent les deux agents pénitentiaires chargés de surveiller les déplacements des détenus à la prison no 9. Ceux-ci confirmèrent de même les déclarations qu’ils avaient livrées lors de l’enquête interne (paragraphe 85 ci-dessus). 104. Le 5 juillet 2016, l’un des enquêteurs interrogea l’agent pénitentiaire chargé d’escorter les détenus placés dans l’aile où se trouvait le requérant lorsqu’ils entraient dans leurs cellules et en sortaient. Il déclara que personne n’était entré dans la cellule de requérant aux premières heures du 14 décembre 2013. 105. Le 12 juillet 2016, l’un des enquêteurs interrogea un des inspecteurs de l’inspection générale du ministère des Prisons qui avaient procédé à l’enquête interne. L’inspecteur en question décrivit les mesures qu’il avait prises pendant l’enquête. En réponse à une question sur les images de vidéosurveillance de la prison no 9, il déclara que les enquêteurs avaient été informés que les images en question n’étaient conservées que pendant vingt-quatre heures. Il ajouta que le visionnage des images prises par les caméras privées et les caméras de surveillance du trafic routier n’avait apporté aucune information pertinente. Il précisa en particulier qu’il s’était avéré impossible de distinguer les numéros d’immatriculation des véhicules filmés et qu’aucune voiture correspondant à la description donnée par le requérant n’avait été repérée. 106. Le 26 juillet 2016, l’un des enquêteurs interrogea l’adjoint de M. D.D., qui déclara que les images provenant des caméras de surveillance étaient conservées pendant vingt-quatre heures et contesta les allégations du requérant. Il expliqua qu’aux premières heures du 14 décembre 2013 il se trouvait au travail dans les locaux de la direction pénitentiaire, dans son bureau situé juste en face de celui de M. D.D., et qu’il n’y avait vu ni le requérant ni M. O.P. 107. Du 7 au 22 juillet 2016, les enquêteurs visionnèrent les images obtenues lors de l’enquête interne (paragraphes 79 et 84 ci-dessus). Dans leurs rapports ils indiquèrent, sans plus de détails, qu’ils n’avaient rien vu d’intéressant pour l’affaire sur ces images. 108. Le 2 août 2016, les enquêteurs interrogèrent M. G.Ts. (paragraphe 96 ci-dessus) en présence d’un juge. L’intéressé déclara notamment que, le 4 février 2015, alors qu’il se trouvait au tribunal pour une audience préliminaire dans l’affaire « Kortebi », il avait entendu l’un de ses coaccusés, M. G.G., ancien chef adjoint des forces spéciales du ministère de l’Intérieur et ancien chef des forces spéciales du ministère des Prisons (paragraphes 93 et 96 ci-dessus), dire qu’il était l’une des personnes qui avaient transporté le requérant le 14 décembre 2013 et que pour cette raison les autorités n’avaient pas intérêt à le maintenir longtemps en détention. M. G.Ts. indiqua que cette conversation avait été enregistrée par la caméra de la salle d’audience et entendue également par un autre des coaccusés, M. I.P. (paragraphes 96 ci-dessus et 109 ci-dessous). Il affirma également qu’environ un mois plus tard, en mars 2015, M. G.G. et les autres membres des forces spéciales accusés dans l’affaire « Kortebi », dont M. I.M., avaient été placés dans une cellule adjacente à la sienne dans la prison no 9 et qu’il avait entendu M. G.G. expliquer à ses compagnons de cellule que M. I.M. et lui-même avaient transporté le requérant le 14 décembre 2013, et qu’il avait été convenu avec les autorités que les agents des forces spéciales seraient libérés s’ils acceptaient de témoigner contre M. I.P. et d’autres personnes liées au MNU dans l’affaire « Kortebi ». (Il ressort des pièces du dossier que ces agents des forces spéciales, qui avaient été inculpés pour meurtre aggravé sur le fondement de l’article 109 du code pénal, furent libérés sous caution en août 2015.) M. G.Ts. précisa que les détenus en question avaient parlé à voix haute, si bien qu’il avait pu entendre toute la conversation à travers la cloison. Il déclara également que pendant son séjour à la prison no 9 un agent pénitentiaire lui avait parlé de l’extraction du requérant de sa cellule. À la question de savoir pourquoi il n’avait pas parlé de cela plus tôt, M. G.Ts. répondit qu’il n’accordait aucune confiance aux autorités de poursuite. Il affirma encore que le requérant l’avait démis de ses fonctions et qu’il était à l’origine de sa mise en détention en raison d’une bagarre, de sorte que rien ne l’incitait à déformer la vérité en sa faveur. 109. Le 3 août 2016, les enquêteurs interrogèrent M. I.P., alors détenu, en présence d’un juge. M. I.P. déclara que peu avant son arrestation dans le cadre de l’affaire « Kortebi », en février 2015 (paragraphe 96 ci-dessus), il avait rencontré M. G.G., lequel lui avait dit, bien qu’à mots couverts, que lui-même et M. I.M. avaient transporté le requérant de la prison no 9 à la direction pénitentiaire, et que si les autorités de poursuite n’en tenaient pas compte il en parlerait en public. Il confirma également le récit de M. G.Ts. au sujet de la conversation tenue dans la salle d’audience le 4 février 2015 (paragraphe 108 ci-dessus). Il ajouta qu’un certain M. K.T., avec qui il avait partagé une cellule dans la prison no 9, lui avait dit avoir vu que l’on faisait sortir le requérant de sa cellule le 14 décembre 2013 (paragraphe 112 cidessous). Il précisa toutefois que M. K.T. n’en avait parlé qu’après le prononcé par la chambre de son arrêt, le 14 juin 2016 (paragraphe 3 cidessus). 110. Le 9 août 2016, l’un des enquêteurs interrogea M. G.G. et l’autre M. I.M. M. G.G. contesta les déclarations de M. G.Ts. et de M. I.P. selon lesquelles c’était lui qui avait transporté le requérant. Il ne fut pas interrogé au sujet de la prime qu’il avait perçue en décembre 2013 (paragraphe 93 cidessus). M. I.M. nia de même avoir transporté le requérant et déclara qu’il n’avait commencé à travailler à la direction pénitentiaire que le 16 décembre 2013, soit deux jours après l’incident allégué. 111. Les 9, 10 et 11 août 2016, les enquêteurs interrogèrent les cinq autres agents des forces spéciales détenus comme MM. G.G., I.M., G.Ts. et I.P. dans le cadre de l’affaire « Kortebi » (paragraphe 96 ci-dessus). Tous les cinq déclarèrent qu’ils avaient eu connaissance des allégations du requérant à travers les médias et que lorsqu’ils avaient séjourné dans la même cellule que M. G.G. celui-ci ne leur avait rien dit de l’extraction alléguée du requérant de sa cellule. 112. Le 11 août 2016, l’un des enquêteurs interrogea M. K.T. en présence d’un juge. M. K.T. avait été détenu du 13 au 14 décembre 2013 dans une cellule située dans l’aile où se trouvait le requérant et il avait par le passé occupé plusieurs postes élevés au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Défense. Il déclara que le 14 décembre 2013 il avait vu, par l’interstice entre la porte de la cellule et son chambranle, le directeur de la prison faire sortir le requérant de sa cellule. Il indiqua en avoir parlé avec M. I.P. (paragraphe 109 ci-dessus), avec qui il aurait par la suite partagé une cellule, mais seulement après le prononcé par la chambre de son arrêt, le 14 juin 2016 (paragraphe 3 ci-dessus). À la question de savoir pourquoi il n’avait pas parlé de tout cela plus tôt, M. K.T. répondit qu’en observant les réactions suscitées par les allégations du requérant il s’était rendu compte que s’il en parlait cela risquait d’avoir des répercussions sur lui, surtout du fait qu’il était détenu dans la prison même où travaillaient certaines des personnes censées être impliquées. 113. Le lendemain, le 12 août 2016, les enquêteurs se rendirent à la prison no 9 pour inspecter la cellule de M. K.T. Dans leur rapport, ils notèrent qu’il était impossible d’observer le couloir depuis l’intérieur de la cellule lorsque la porte était fermée, que la porte était parfaitement intacte et qu’il n’y avait pas d’interstice entre celle-ci et le chambranle. L’inspection fut filmée par l’un des enquêteurs. 114. Quatre jours plus tard, le 16 août, le procureur qui supervisait l’enquête décida de procéder à un test dans la cellule avec la participation de M. K.T., afin de vérifier si celui-ci avait vraiment été en mesure d’observer le couloir depuis l’intérieur de la cellule. M. K.T refusa de prendre part au test, déclarant qu’il souhaitait au préalable consulter son avocat. L’un des enquêteurs appela l’avocat, qui refusa de voir M. K.T. Le lendemain, le 17 août 2016, M. K.T. réitéra son refus de participer au test en l’absence de son avocat. Le 18 août 2016, le rapport relatif à l’inspection de la cellule, accompagné de l’enregistrement vidéo, fut adressé au service national de police scientifique. Les experts furent priés notamment de rechercher s’il y avait un interstice entre la porte de la cellule lorsqu’elle était fermée et le chambranle, et, dans l’affirmative, d’en indiquer la taille et la localisation précise. Dans leur rapport, soumis le 24 août 2016, les experts exposèrent que la porte dépassait de 30 mm du chambranle et qu’en conséquence il n’y avait aucun interstice de la sorte. Ils ajoutèrent qu’il était impossible de déformer la porte sans outils spéciaux, compte tenu de son épaisseur et de son système de verrouillage. 115. En parallèle, les 12 et 17 août 2016, les enquêteurs interrogèrent trois détenus qui avaient partagé la cellule de M. K.T. à l’époque pertinente. Tous trois déclarèrent qu’ils n’avaient eu connaissance des allégations du requérant qu’à travers les médias et que M. K.T. ne leur en avait pas parlé. Les enquêteurs obtinrent par ailleurs confirmation auprès du ministère des Prisons de ce que la cellule de M. K.T. n’avait pas fait l’objet de travaux entre le 14 décembre 2013 et la date de leur inspection. 116. Les 4, 5, 10 et 11 août ainsi que les 2 et 3 septembre 2016, les enquêteurs interrogèrent également neuf agents pénitentiaires employés à la prison no 9. Excepté l’un d’eux, tous avaient été en service aux premières heures du 14 décembre 2013. Tous affirmèrent avoir eu connaissance des allégations du requérant à travers les médias. Selon leurs dires, aucun d’entre eux n’avait vu le directeur ou le directeur adjoint de la prison cette nuit-là dans l’aile où se trouvait la cellule du requérant. 117. Le 13 août 2016, l’un des enquêteurs interrogea Mme L.M. (paragraphe 95 ci-dessus). Celle-ci indiqua que ses relations avec M. D.D., son ancien chef, étaient devenues tendues après l’épisode des primes versées en décembre 2013 (paragraphe 93 ci-dessus). Elle ajouta qu’elle n’avait eu connaissance des allégations du requérant qu’à travers les médias et que les déclarations livrées par elle en mai 2014 avaient été déformées et sorties de leur contexte par les journalistes qui l’avaient interviewée. Elle affirma ne rien savoir de l’incident en question. 118. Le 1er septembre 2016, l’un des enquêteurs interrogea M. D.D., alors ancien chef de la direction pénitentiaire. Celui-ci contesta les allégations du requérant et affirma qu’il était à Batoumi le 13 décembre 2013, qu’il était rentré à Tbilissi tard dans la soirée et était resté dans son bureau jusqu’à une heure avancée. Selon M. D.D., le requérant savait que les images de vidéosurveillance n’étaient conservées que pendant vingtquatre heures et il n’avait donc formulé ses allégations que trois jours après la date de l’incident allégué. M. D.D. précisa par ailleurs que sa voiture de service était à l’époque une Toyota Land Cruiser 200. Il ne fut pas interrogé à propos des primes qui auraient été versées en décembre 2013 (paragraphe 93 ci-dessus). 119. Le 2 septembre 2016, le même enquêteur interrogea M. O.P., alors ancien procureur général. Pour celui-ci, les allégations du requérant étaient fausses et motivées par des considérations politiques. M. O.P. indiqua ne jamais avoir rencontré le requérant en personne ni être allé dans les locaux de la direction pénitentiaire, et qu’aux premières heures du 14 décembre 2013 il s’était trouvé dans son bureau. Il expliqua qu’à l’époque des faits il n’avait pas été nécessaire d’interroger le requérant et que, à supposer que cela eût été nécessaire, l’intéressé aurait pu être interrogé dans un cadre officiel et non de la manière alléguée par lui. Par ailleurs, M. O.P. déclara que sa voiture de service à l’époque des faits était une Lexus LX 570. 120. Le 24 octobre 2016, les enquêteurs interrogèrent deux des trois inspecteurs de l’inspection générale du ministère des Prisons qui avaient visionné les images de vidéosurveillance en décembre 2013 et en janvier 2014 (paragraphes 79 et 84 ci-dessus). Ceux-ci déclarèrent notamment qu’ils n’avaient pas pu distinguer les plaques d’immatriculation d’un quelconque véhicule et qu’ils n’avaient pas vu de voiture correspondant à la description donnée par le requérant. 121. Le 8 novembre 2016, l’avocat du requérant pria le ministère des Prisons et le parquet général de lui fournir copie des images obtenues lors de l’enquête interne. Il ne reçut aucune réponse à ces demandes. 122. Du 21 au 23 janvier 2017, les enquêteurs demandèrent à quatre experts du service national de police scientifique de vérifier si les images avaient été manipulées. Dans leur rapport, les experts indiquèrent qu’ils n’avaient décelé aucun indice de modification. Ils réitérèrent ce constat lorsqu’ils furent interrogés les 10 et 11 février 2017. 123. Par ailleurs, les enquêteurs recueillirent des expertises et des dépositions des agents pénitentiaires confirmant que les registres de la prison correspondant aux 13 et 14 décembre 2013 n’avaient pas été falsifiés. 124. En outre, les enquêteurs obtinrent des données provenant du système de gestion des documents des autorités de poursuite. Ces données indiquaient que, entre environ 1 heure et 1 h 25 du matin le 14 décembre 2013, M. O.P., le procureur général, s’était connecté au système et avait travaillé sur de la correspondance officielle. Lors de l’audience devant la Grande Chambre, les représentants du requérant ont mis en doute l’authenticité de ces données. Ils ont également déclaré que même si on ne les mettait pas en doute elles montraient uniquement que M. O.P. s’était trouvé à son bureau jusqu’à 1 h 25 le 14 décembre 2013, alors que la rencontre avec le requérant avait apparemment eu lieu environ vingt ou trente minutes plus tard. Ils ont ajouté que les locaux du parquet général se trouvaient à seulement quelques centaines de mètres du bâtiment de la direction pénitentiaire et qu’en conséquence ces données ne permettaient pas de démentir les allégations du requérant. 125. Le 11 février 2017, un procureur du parquet général mit un terme à l’enquête. Dans sa décision, il exposa de manière détaillée les témoignages et autres éléments recueillis pendant l’enquête et formula la conclusion que, le 14 décembre 2013, le requérant n’avait pas été extrait de sa cellule. F. Les procédures pénales dirigées contre d’autres cadres du MNU 126. Depuis les élections législatives d’octobre 2012, un certain nombre d’anciens hauts responsables du MNU, notamment M. Saakashvili, qui fut le président de la Géorgie jusqu’en octobre 2013, et plusieurs ministres du gouvernement ont été poursuivis, certains dans le cadre de procédures distinctes, pour des infractions qu’ils auraient commises lorsqu’ils étaient en fonction. Déclarations de ministres du gouvernement Rêve géorgien au sujet de ces affaires 127. Lors d’une conférence de presse tenue le 22 novembre 2012, interrogé sur le point de savoir si les récentes arrestations de plusieurs anciens hauts fonctionnaires déboucheraient sur des poursuites pénales contre d’autres, notamment M. Saakashvili, le président, M. Ivanishvili, alors Premier ministre de la Géorgie depuis le 25 octobre 2012 et dirigeant de Rêve géorgien, répondit qu’assister à un nombre indéfini d’arrestations, notamment celle de M. Saakashvili, n’était pas ce qu’il souhaitait. Il poursuivit en disant qu’il ne s’immisçait pas dans le travail des autorités de poursuite et que c’était à celles-ci qu’il revenait de déterminer qui aurait à faire face à des poursuites. Il ajouta que « la conduite [du MNU] allonge[ait] les files d’attente dans les parquets ». 128. Le requérant a fourni une déclaration écrite sous serment faite par M. G.B., ancien cadre du MNU, dans laquelle l’intéressé indique que le 12 octobre 2012, donc peu après les élections législatives de 2012, il a rencontré en privé M. Ivanishvili pour parler de la transition politique. M. Ivanishvili lui aurait dit entre autres que des cadres du MNU feraient l’objet de poursuites s’ils ne s’abstenaient pas de critiquer le nouveau gouvernement, et il aurait déclaré ceci : « Plus vous créerez de problèmes, et plus il y aura de personnes de votre équipe qui iront en prison ». Déclarations de gouvernements étrangers, d’organisations internationales et d’organisations non gouvernementales au sujet de ces affaires 129. En novembre 2012, ces poursuites pénales conduisirent le secrétaire général de l’OTAN, le président de la Commission européenne, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi que le secrétaire d’État américain à exprimer leur inquiétude. En décembre 2012, des sénateurs américains adressèrent au Premier ministre de la Géorgie une lettre ouverte dans laquelle ils se disaient préoccupés à l’idée que les procédures en question puissent être motivées par des considérations politiques. En février 2013, un groupe de membres du Congrès américain fit de même dans une lettre envoyée au secrétaire d’État américain. Vingt-trois membres du Parlement européen firent la même chose en s’adressant en mars 2013 au Premier ministre géorgien, de même que les ministres des Affaires étrangères de Pologne et de Suède. 130. En mai 2013, le représentant spécial pour le Caucase du Sud de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) exprima son inquiétude au sujet des arrestations du requérant et de M. Z.T. Plusieurs sénateurs américains, des dirigeants du Parti populaire européen et le président de l’Estonie en firent autant. 131. Dans son rapport intitulé « La Géorgie en transition », publié en septembre 2013, M. Thomas Hammarberg, conseiller spécial de l’Union européenne pour la réforme juridique et constitutionnelle et les droits de l’homme en Géorgie, par ailleurs ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, déclara ce qui suit (pages 8-9 ; notes de bas de page omises) : [Traduction du greffe] « Le parquet a ouvert des enquêtes sur un certain nombre de personnes qui avaient occupé des postes dans le précédent gouvernement. Les procureurs ont interrogé 6 156 personnes, pour la plupart des militants du MNU, comme témoins dans le cadre d’enquêtes sur différentes infractions présumées, notamment des détournements de fonds publics et le blanchiment d’argent. Pour le parti de l’opposition, ces interrogatoires constituent une attaque contre l’opposition motivée par des considérations politiques. À l’heure actuelle, trente-cinq anciens hauts fonctionnaires se trouvent inculpés. Quatorze d’entre eux sont en détention provisoire, quatorze ont été libérés sous caution, un a été remis en liberté sans faire l’objet de mesures restrictives, un a été gracié par le président après avoir été condamné et cinq ont quitté le pays. D’autres anciens fonctionnaires ont également été inculpés ou déclarés coupables. Parmi ces personnes inculpées et placées en détention provisoire figure [le requérant], ancien Premier ministre et ancien ministre de l’Intérieur et secrétaire général du MNU au moment de son arrestation. Le MNU ne cesse de contester vigoureusement la nécessité de cette mesure de contrainte. L’affaire a suscité de vives inquiétudes concernant la prochaine élection présidentielle, l’un des principaux organisateurs de l’opposition s’étant vu empêcher de participer à la campagne. (...) Certains éléments donnent à penser que les tribunaux sont plus indépendants qu’avant face aux demandes des procureurs. Ainsi, il y a eu une décision de relaxe dans une affaire qui visait un autre ancien ministre, et une demande de mise en détention provisoire a été écartée dans une autre affaire dirigée contre une éminente personnalité politique du MNU. » 132. Dans un rapport sur la visite qu’il avait effectuée en Géorgie en janvier 2014 (CommDH(2014)9), le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a pris note des allégations de justice sélective liées à ces affaires pénales (paragraphes 33–36) et déclaré ce qui suit (paragraphe 41) : [Traduction du greffe] « (...) La persistance d’allégations et d’autres informations indiquant des lacunes qui entacheraient les enquêtes pénales et les procédures juridictionnelles dans des affaires concernant des opposants politiques est source de préoccupation, car elle peut faire douter de l’issue de ces affaires, même si les poursuites engagées et les condamnations définitives sont fondées sur des motifs solides. Les autorités géorgiennes doivent traiter ces problèmes de manière systémique, afin de respecter les garanties d’un procès équitable pour tous et d’accroître la confiance du public dans les institutions responsables de l’application des lois. » 133. Dans la Résolution 2015 (2014), adoptée le 1er octobre 2014, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est exprimée ainsi : « 2. La passation des pouvoirs s’est déroulée de manière relativement harmonieuse, malgré un climat politique polarisé et empreint d’hostilité, notamment durant la période de cohabitation entre le Président d’alors, Mikheil Saakashvili, et le gouvernement de la coalition Rêve géorgien. L’Assemblée regrette que ces tensions aient parfois éclipsé les nombreux changements positifs intervenus dans l’environnement démocratique de la Géorgie. Le Mouvement national uni (MNU) a rapporté que plusieurs milliers de ses militants et sympathisants ont été régulièrement interrogés et intimidés par divers organes d’enquête (jusqu’à 30 fois pour certains). Plusieurs personnalités de premier plan de l’opposition, dont des membres du parlement, ont été violemment agressées. Il convient de noter que, deux ans après, presque tous les dirigeants de l’ancien parti au pouvoir ont été arrêtés ou font l’objet de poursuites ou d’enquêtes : l’ancien Premier ministre et secrétaire général du MNU, [le requérant], l’ancien ministre de la Défense, [B.A.], et l’ancien maire de Tbilissi et directeur de campagne du MNU, [G.U.], sont en prison (détention provisoire). Les autorités judiciaires ont inculpé l’ancien Président, Mikheil Saakashvili, et décidé in absentia la détention provisoire à son encontre, tout comme pour [D.K.], ancien ministre de la Défense, et [Z.A.], ancien ministre de la Justice (...) (...) L’Assemblée exprime à nouveau ses préoccupations en rapport avec l’administration de la justice et l’indépendance du système judiciaire en Géorgie. À cet égard, elle salue l’adoption d’un train complet de réformes visant à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire et le caractère véritablement accusatoire du système judiciaire. L’Assemblée se félicite des premiers signes d’indépendance constatés dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire. Elle relève cependant le fait que les procédures liées à des affaires juridiquement sensibles, notamment contre d’anciens membres du gouvernement (dont certaines figures de premier plan de l’opposition), continuent de mettre en lumière des vulnérabilités et des carences du système judiciaire qu’il convient de corriger (...) D’autres réformes du pouvoir judiciaire, et notamment du parquet, sont de ce fait indispensables. À cet égard, l’Assemblée : (...) 4. exprime ses préoccupations quant à l’utilisation toujours largement répandue de la détention provisoire en Géorgie, malgré une récente diminution qui mérite d’être saluée (...) (...) L’Assemblée relève les nombreux changements intervenus au sein des pouvoirs locaux en Géorgie à la suite de la démission ou du changement de camp de conseillers locaux et de responsables municipaux après l’arrivée de la nouvelle équipe gouvernementale au plan national (...) L’Assemblée est très inquiète des rapports crédibles indiquant que bon nombre de ces changements seraient le résultat de pressions indues exercées sur les militants locaux du Mouvement national uni (MNU) par les partisans de la coalition au pouvoir. Elle est également préoccupée par les informations faisant état de perturbations violentes des activités de campagne du MNU, qui seraient prétendument le fait de partisans de Rêve géorgien, ainsi que par les témoignages selon lesquels de très nombreux candidats de l’opposition aux élections locales, principalement du MNU, auraient retiré leur candidature, apparemment sous la pression des autorités (...) » 134. Le rapport de la Commission pour le respect des obligations et engagements des États membres du Conseil de l’Europe (APCE doc. 13588, 5 septembre 2014) qui a abouti à la résolution ci-dessus indiquait notamment ce qui suit (notes de bas de page omises) : « 60. Bon nombre de nos interlocuteurs nous ont indiqué que les ingérences politiques dans le travail des tribunaux semblaient avoir diminué et que la magistrature gagnait régulièrement en indépendance, y compris à l’égard du ministère public, ce qui avait été un sujet de préoccupation dans les rapports précédents. Cette évolution semble confirmée par les procédures engagées devant les tribunaux à l’encontre d’anciens membres du gouvernement, pendant lesquelles les demandes de poursuites du ministère public sont régulièrement rejetées. Les placements en détention provisoire ordonnés par les tribunaux ont diminué, ainsi que les demandes de détention provisoire formulées par le ministère public. D’après les autorités, au premier semestre 2013, les demandes de détention provisoire émises par le ministère public ont diminué de 9 % par rapport au premier semestre de l’année précédente et seules 46 % des demandes de mesures de contrainte, comme la détention provisoire ou la mise en liberté sous caution, ont été acceptées par les tribunaux. Cependant, malgré cette tendance positive, le recours à la détention provisoire est encore trop répandu en Géorgie (...) (...) Après les élections législatives de 2012, plus de 20 000 plaintes ont été déposées auprès du Procureur général par des citoyens prétendant avoir été victimes d’abus commis par ou sous l’ancienne administration. Plus de 4 000 plaintes ont trait à des allégations de torture et de mauvais traitements dans les prisons, plus de 1 200 concernent des violations des droits de propriété et près de 1 000 plaintes ont été déposées à l’encontre de 322 procureurs par des personnes arguant avoir été contraintes d’accepter des accords de « plaider coupable ». Les autorités ont annoncé que la « restauration de la justice » serait l’une de leurs priorités et souligné qu’il n’y aurait pas d’impunité pour les abus commis dans le passé par les anciens responsables. Dans les mois suivants, plusieurs dirigeants de l’opposition et responsables ministériels ont été arrêtés pour des crimes qui auraient été commis sous leur responsabilité lorsqu’ils étaient en poste. Le MNU a dénoncé ces arrestations, constituant à ses yeux des manœuvres politiques qui relèveraient d’une justice revancharde. De leur côté, les autorités ont souligné que la justice géorgienne n’était (ni ne serait) sélective ni motivée par des considérations politiques, mais que ces personnes étaient accusées de graves crimes de droit commun pour lesquels existaient des preuves suffisantes pour justifier une enquête ou des poursuites. À l’appui de leur position, les autorités rappellent que le ministre de la Défense et le ministre de la Justice ont tous deux quitté le pays dans la hâte au lendemain des élections, à l’instar de plusieurs fonctionnaires de haut rang appartenant au ministère de l’Intérieur. Si le ministre de la Défense est revenu de son plein gré en Géorgie, les autres sont toujours en fuite et font l’objet d’une Notice rouge d’Interpol. Une certaine confusion a régné quant au nombre d’anciens responsables concernés par ces enquêtes. À ce jour, 35 responsables de l’ancienne administration ont été accusés d’infractions pénales. Quatorze d’entre eux sont en détention provisoire, 13 en liberté sous caution, un a été remis en liberté sans mesures restrictives, cinq ont fui le pays, trois ont été condamnés, dont un a été gracié par le Président Saakashvili. Par ailleurs, de nombreux anciens fonctionnaires ont fait l’objet d’inculpations. Les allégations de justice sélective et motivée par des considérations politiques et de revanchisme de la part des nouvelles autorités sont très préoccupantes. De plus, elles suscitent des émotions et des crispations importantes dans un climat politique déjà tendu, et ne sont pas bénéfiques à l’environnement politique et au développement démocratique du pays. Les poursuites les plus médiatisées à l’encontre d’anciens responsables gouvernementaux du MNU concernent l’ancien ministre de la Défense, [B.A.], l’exPremier ministre et ministre de l’Intérieur et actuel Secrétaire général du MNU, [le requérant], et l’ancien maire de Tbilissi [G.U.], tous membres influents du cercle des proches de l’ancien Président Saakashvili. (...) 102. Nous tenons à souligner qu’il ne saurait y avoir d’impunité pour des crimes de droit commun, commis notamment (voire surtout) par des membres du gouvernement et des responsables politiques, actuels ou anciens. Cela étant, particulièrement dans le contexte politique actuel, il importe de garantir que les affaires pénales impliquant d’anciens fonctionnaires gouvernementaux ne donnent pas le sentiment de relever d’une justice revancharde ou motivée par des considérations politiques. Aussi les autorités veilleront-elles à ce que les procédures juridiques soient menées en toute transparence et dans le plein respect des obligations de la Géorgie au regard des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Non seulement la justice ne devrait être ni sélective ni motivée par des considérations politiques, mais il faudrait aussi qu’elle soit perçue comme telle. » 135. Dans sa Résolution 2077 (2015), adoptée le 1er octobre 2015, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est exprimée comme suit : « 7. Les motifs abusifs de détention provisoire suivants ont été constatés dans un certain nombre d’États parties à la Convention européenne des droits de l’homme, en ce qu’ils visent : 1. à exercer des pressions sur les détenus pour les contraindre à avouer une infraction ou à coopérer d’une autre manière avec le ministère public, y compris en témoignant contre un tiers (par exemple (...) certains cas de dirigeants de l’opposition en Géorgie, comme [le requérant]) ; 2. à discréditer ou à neutraliser par d’autres moyens des concurrents politiques (par exemple les cas de certains dirigeants du Mouvement national uni (MNU) en Géorgie) ; (...) Les causes profondes du recours abusif à la détention provisoire sont notamment les suivantes : (...) 4. la possibilité de rechercher la juridiction la plus favorable, donnée au ministère public, qui peut être tenté d’élaborer diverses stratégies pour s’assurer que les demandes de détention provisoire dans certaines affaires sont traitées par un juge qui, pour diverses raisons, devrait se montrer « accommodant » (par exemple en Géorgie, en Fédération de Russie et en Turquie) ; 5. la possibilité pour le ministère public de contourner la durée légale maximale de la détention provisoire en modifiant ou en échelonnant les mises en accusation (par exemple dans les cas de [G.U.] et de [B.A.], avant la décision de la Cour constitutionnelle de Géorgie en septembre 2015). » 136. En février 2013, compte tenu des préoccupations suscitées par les poursuites pénales engagées contre d’anciens responsables gouvernementaux du MNU, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE (« le BIDDH ») chargea des observateurs de surveiller quatorze de ces affaires, notamment celle dirigée contre le requérant qui est en cause dans la présente procédure. Le rapport du BIDDH, qui a été publié en décembre 2014, relève un certain nombre de défaillances dans ces quatorze affaires, dont celles qui visaient le requérant. Les points spécifiques du rapport sur lesquels le requérant attire l’attention concernent des critiques (paragraphes 222–229) se rapportant aux aspects suivants : le défaut de motivation appropriée par les juridictions géorgiennes relativement à la crédibilité des témoins et à d’autres éléments à charge ; la vraisemblance des conclusions de ces juridictions sur chacun des éléments constitutifs des infractions dont le requérant a été déclaré coupable, par exemple la manière précise dont il aurait abusé de son autorité, et la qualité de leur raisonnement à propos des facteurs ayant déterminé la peine. 137. En guise de constats généraux, le rapport relève également que le droit géorgien est globalement conforme aux normes internationales et qu’il garantit le droit à un tribunal indépendant (paragraphe 6 du résumé). Il indique toutefois certains aspects qui posent problème à cet égard, comme les pratiques consistant à transférer des juges d’un tribunal à l’autre, à attribuer des affaires d’une façon non totalement transparente et à changer les juges pendant le déroulement d’une procédure, sans explication. Le rapport soulève un autre sujet de préoccupation, à savoir les commentaires que formulaient des fonctionnaires sur des procédures pénales en cours d’une manière donnant à penser qu’ils exerçaient un certain contrôle sur les autorités de poursuite (paragraphe 7 du résumé). Par ailleurs, le rapport relève que des fonctionnaires ont exprimé leur avis sur la culpabilité de certains prévenus avant que ceux-ci soient condamnés, et que cela pose un problème au regard de la présomption d’innocence (paragraphe 9 du résumé). En outre, le rapport voit matière à inquiétude quant au défaut de motivation par les tribunaux, dans certaines affaires, de décisions de placement en détention provisoire ou de décisions de rejet de demandes de remise en liberté, et quant à l’absence dans le code de procédure pénale de dispositions prévoyant un réexamen périodique de la détention provisoire. Selon le rapport, cela a favorisé une pratique consistant à prolonger automatiquement la détention provisoire jusqu’à la durée légale maximum de neuf mois (paragraphe 11 du résumé). Les refus d’extrader vers la Géorgie d’anciens responsables issus du MNU 138. Par un arrêt du 27 février 2014 (no 58/EXT/2014), la cour d’appel d’Aix-en-Provence refusa d’extrader vers la Géorgie M. D.K., qui avait été ministre de la Défense de 2006 à 2008. La cour d’appel déclara notamment que les poursuites contre lui étaient motivées par des considérations politiques. Elle indiqua que ce constat reposait sur le fait que, alors que la justice géorgienne avait délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de M. D.K. et de son beau-frère, recherchés sur la base de chefs d’inculpation identiques, et alors que si ceux-ci avaient été retrouvés ensemble lorsque M. D.K. avait été arrêté par les autorités françaises, les autorités géorgiennes n’avaient au départ demandé que l’extradition de M. D.K., en mentionnant spécifiquement ses responsabilités politiques dans la notice rouge d’Interpol. Pour la cour d’appel, la seule différence entre les deux hommes était que le beau-frère de M. D.K. ne faisait pas de politique. 139. Par un arrêt du 9 avril 2015 (no 447/2015), la Cour de cassation grecque refusa d’extrader vers la Géorgie M. D.A., ancien chef du département de la sécurité constitutionnelle du ministère de l’Intérieur. Pour la haute juridiction, il y avait des motifs impérieux de penser qu’il existait un risque qu’en cas d’extradition sa situation se dégraderait en raison de ses convictions politiques et du fait qu’il avait exercé de hautes fonctions dans un ancien gouvernement qui se trouvait dans l’opposition par rapport au gouvernement du moment. 140. Par un arrêt du 21 mars 2016 (non publié), la magistrates’ court de Westminster refusa également d’extrader M. D.K. vers la Géorgie (paragraphe 138 ci-dessus). Après avoir étudié de manière approfondie des rapports et d’autres éléments relatifs à la situation politique et juridique du pays depuis 2012, ainsi que les poursuites pénales engagées contre M. D.K., le chief magistrate conclut comme suit : « Au vu des faits tels qu’établis ci-dessus (...), je ne suis pas certain que la demande d’extradition de M. [D.K.] vise à permettre des poursuites ou sanctions contre lui en raison de ses opinions politiques. Je sais que les demandes en question ont peut-être été formées à des fins tout à fait valables. Il y a sans doute des éléments propres à justifier une ou plusieurs condamnations. Cependant, la question n’est pas là. Tout bien pesé, il est plus probable à mon avis que ces demandes cachent en fait une volonté de poursuivre d’anciennes figures politiques du MNU. Ce n’est peut-être pas le seul but mais, en définitive, je ne pense pas qu’en l’absence de ce facteur ces demandes auraient été formées et maintenues comme elles l’ont été. Pour ce qui est de l’avenir, j’ai un profond respect pour les juges géorgiens. Je pense qu’ils parviendront à résister aux pressions que l’administration exerce sur eux par le biais des procureurs. Cependant, voyant ce qui est arrivé à d’autres personnes, je suis convaincu qu’il existe un risque raisonnable, une possibilité sérieuse, que l’on restreigne la liberté de l’intéressé (et en particulier qu’on le place en détention provisoire) à l’issue de poursuites viciées, motivées par le souhait d’obtenir la condamnation d’un homme politique du MNU ou d’obtenir de [M. D.K.] un témoignage susceptible d’être utilisé contre d’anciens collègues de haut rang (...) » 141. La magistrates’ court décrivit comme suit les éléments qui l’avaient conduite à conclure à l’existence d’un risque que l’on plaçât M. D.K. en détention provisoire pour le pousser à témoigner contre d’anciens collègues du MNU : « J’ai entendu des témoignages – dont je ne puis être certain mais que j’estime vraisemblables – selon lesquels le parquet a fait pression sur des témoins afin qu’ils quittent le MNU et/ou livrent de faux témoignages. (...) M. [G.U.] a indiqué que l’ancien Premier ministre Garibashvili, lequel relayait également l’avis de l’ancien Premier ministre Ivanishvili, lui avait dit que s’il fournissait son aide pour retrouver les comptes bancaires de [M.] Saakashvili « cela contribuerait aussi à améliorer la situation de [M. D.K.] et que toutes les accusations contre lui ser[aient] abandonnées ». Le même témoin a laissé entendre que, s’il était renvoyé dans son pays, des méthodes illégales seraient employées pour le forcer ([M. D.K.]) à témoigner contre [M.] Saakashvili. » La suppression par Interpol d’informations sur M. Saakashvili et M. D.K. 142. En juillet 2015, Interpol décida de supprimer de ses fichiers toutes les informations concernant M. Saakashvili et M. D.K. L’organisation s’appuyait sur deux recommandations de la Commission de contrôle des fichiers d’Interpol, selon lesquelles les aspects politiques des affaires relatives à ces deux personnes l’emportaient sur les éléments pénaux de droit commun. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission avait déclaré qu’en cas de doute il fallait trancher dans l’intérêt de la partie qui demande la suppression des informations. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT 143. Depuis 2010, un nouveau code régit la procédure pénale en Géorgie. Il a remplacé l’ancien code qui était en vigueur depuis 1998. A. Les dispositions régissant l’arrestation 144. D’après l’article 171 § 1 du code de procédure pénale, une arrestation requiert un mandat judiciaire. Les points a) à f) de l’article 171 § 2 énumèrent les situations dans lesquelles, à titre exceptionnel, une arrestation peut être opérée sans mandat. La seule de ces situations qui est pertinente en l’espèce est celle figurant au point e), qui énonce qu’un mandat n’est pas nécessaire lorsqu’il y a risque de fuite. L’article 171 § 3 prévoit une condition supplémentaire pour qu’une arrestation puisse être effectuée sans mandat : il faut que le risque en question ne puisse pas être écarté par une autre mesure proportionnée aux circonstances de l’infraction alléguée et aux caractéristiques personnelles de l’accusé. 145. L’article 176 § 1 du code de procédure pénale exige qu’un procèsverbal de l’arrestation soit rédigé immédiatement après celle-ci. Si des raisons valables empêchent l’établissement d’un tel procès-verbal, celuici doit être rédigé dès que la personne arrêtée est conduite à un poste de police ou devant une autorité chargée d’assurer le respect de la loi. B. Les dispositions régissant la détention provisoire Motifs de détention provisoire 146. Selon l’article 198 § 2 du code de procédure pénale, une mesure de contrainte – qui d’après l’article 199 § 1 du même code peut prendre la forme d’une caution, d’un engagement de la personne concernée de ne pas quitter son lieu de résidence et de bien se comporter, d’une garantie ou d’une mise en détention provisoire – peut être adoptée lorsque l’on peut raisonnablement supposer qu’en l’absence de cette mesure l’accusé prendra la fuite, détruira des preuves ou récidivera. L’article 198 § 1 prévoit qu’un accusé ne peut être mis en détention provisoire ou soumis à une autre mesure de contrainte que lorsqu’aucune mesure moins sévère ne permet de garantir qu’il comparaîtra au procès ou cessera de commettre les infractions qui lui sont reprochées. 147. L’article 205 § 1 du code de procédure pénale dispose que la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsqu’elle constitue le seul moyen d’empêcher l’accusé de fuir, d’entraver le cours de la justice, de faire obstacle à la recherche des preuves ou de récidiver. Durée maximale 148. L’article 205 § 2 du code de procédure pénale – ainsi que l’article 18 § 6 de la Constitution – énonce que la durée de la détention provisoire ne doit pas excéder neuf mois. La même disposition du code de procédure pénale précise que la période de détention provisoire commence en principe au moment de l’arrestation et se termine à la date du prononcé par la juridiction de première instance d’un jugement pénal au fond. Elle exige aussi que l’accusé soit libéré si cette période s’achève avant que le jugement de première instance ne soit rendu. 149. En vertu de l’article 205 § 3 du code de procédure pénale, si la période entre l’arrestation de l’accusé et l’ouverture de l’audience préliminaire excède soixante jours, l’accusé doit être libéré, à moins que la juridiction n’ait ajourné l’audience préliminaire à la demande de l’une des parties, comme le permet l’article 208 § 3 du code de procédure pénale. 150. En 2015, statuant sur un recours formé par un autre dirigeant du MNU, M. G.U., l’ancien maire de Tbilissi (no 3/2/646, 15 septembre 2015), la Cour constitutionnelle a jugé que, pour autant que l’article 205 § 2 du code de procédure pénale pouvait être lu comme autorisant la détention provisoire d’une personne pour une durée supérieure à neuf mois dès lors que le parquet notifiait promptement d’autres charges à cette même personne dans une procédure distincte, il se heurtait à l’article 18 § 6 de la Constitution, selon lequel la durée d’une détention provisoire ne peut pas dépasser neuf mois (paragraphe 148 ci-dessus). Contrôle juridictionnel 151. L’article 206 §§ 1 et 8 du code de procédure pénale autorise l’accusé à demander à tout stade de la procédure, notamment lors de l’audience préliminaire, la modification ou la levée de la mesure de contrainte dont il fait l’objet. Dans les vingt-quatre heures, la juridiction saisie doit examiner la demande dans le cadre d’une procédure écrite et vérifier si elle présente des éléments nouveaux importants. Si tel est le cas, il y a lieu de tenir une audience. Dans cette procédure, l’article 206 § 9 fait peser la charge de la preuve sur le parquet. En vertu de l’article 206 § 6, la juridiction doit énoncer dans la décision qu’elle rend sur la demande les circonstances sur lesquelles elle se fonde pour appliquer, modifier ou annuler une mesure de contrainte. 152. D’après l’article 219 § 4 b) du code de procédure pénale, lors de l’audience préliminaire, la juridiction doit vérifier qu’il est nécessaire de maintenir l’accusé en détention provisoire, même si celui-ci n’a pas demandé sa mise en liberté et, par la suite, elle doit procéder à cette vérification tous les deux mois. C. Le pouvoir des autorités de poursuite de classer l’affaire 153. L’article 250 § 1 du code de procédure pénale permet au procureur en charge de l’affaire, avec l’approbation d’un procureur de rang supérieur, d’abandonner l’ensemble ou une partie des poursuites, ou de substituer à celles-ci des accusations moins graves. Si les poursuites sont abandonnées dans leur ensemble ou en partie, la juridiction doit clore la procédure en conséquence. L’article 250 § 2 autorise le parquet à prendre une telle décision à n’importe quel stade de la procédure. L’article 250 § 3 interdit de rouvrir contre le même accusé des poursuites qui ont été abandonnées. III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le Conseil de l’Europe 154. Les versions antérieures de la Convention ne comportaient pas de disposition correspondant à l’article 18. Une telle disposition est apparue pour la première fois dans la version livrée par la Conférence des Hauts Fonctionnaires en juin 1950 (Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l’homme, Martinus Nijhoff, vol. IV, 1977, pp. 190, 226 et 280). Dans son rapport au Comité des Ministres, la Conférence des Hauts Fonctionnaires décrit cette ancienne version de l’article 18 – l’article 13 § 2 du projet de texte – comme une application de la théorie du « détournement de pouvoir », désignée par l’expression anglaise « misapplication of power » (ibidem, pp. 258-259). Le 16 août 1950, lors de la première partie de la deuxième session de l’Assemblée consultative, lorsqu’il s’exprima au sujet de la manière dont les États pouvaient restreindre les droits garantis par la Convention, le délégué de la France, M. P.-H. Teitgen parla de la « légalité interne » des restrictions et dressa un parallèle avec les excès de pouvoir commis par l’administration française, notant que les actes entachés d’un tel excès pouvaient être annulés par le Conseil d’État (Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l’homme, Martinus Nijhoff, vol. V, 1979, p. 293). B. Le droit de l’Union européenne 155. Le détournement de pouvoir est une notion bien établie du droit de l’Union européenne. Depuis 1952, il constitue l’un des motifs d’annulation des actes des institutions de l’Union, anciennement des Communautés (article 33 § 1 du traité de Paris de 1951 instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (traité de Paris, 261 RTNU 140), dans sa version d’origine, puis dans celle revue par l’article H § 13 du traité de 1992 sur l’Union européenne (traité de Maastricht, 1757 RTNU 3) et l’article 4 § 15 a) du traité de Nice de 2001 modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes (2701 RTNU 3) ; article 146 § 1 du traité de 1957 instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (298 RTNU 167), dans sa version d’origine, devenu l’article 146 § 2 après les modifications opérées par l’article I § 13, titre IV, du traité sur l’Union européenne et par l’article 3 § 15 du traité de Nice ; article 173 § 1 du traité de 1957 instituant la Communauté économique européenne (traité de Rome, 298 RTNU 11), dans sa version d’origine, devenu l’article 173 § 2 après modification par l’article G § 53 du traité de 1992 sur l’Union européenne, puis devenu l’article 230 § 2 après modification par l’article 2 § 34 du traité de Nice ; article K.7 § 6 (devenu article 35) du traité sur l’Union européenne, après modification par l’article 1 § 11 du traité d’Amsterdam de 1997 modifiant le traité sur l’Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes (2700 UNTS 161) ; et, actuellement, article 263 § 2 de la version consolidée du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (JO 2016/C 202/01, p. 47)). 156. Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, un acte est entaché de détournement de pouvoir s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement ou principalement à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré (voir, parmi beaucoup d’autres, arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 13 novembre 1990 dans FEDESA et autres, C-331/88, EU:C:1990:391, point 24, arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 avril 2013 dans Espagne et Italie c. Conseil, C-274/11 et C-295/11, EU:C:2013:240, point 33, et arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 4 décembre 2013 dans Commission c. Conseil, C-111/10, EU:C:2013:785, point 80). C. La jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme 157. L’article 30 in fine de la Convention américaine relative aux droits de l’homme (1144 RTNU 123) dispose que les restrictions « autorisées (...) à la jouissance et à l’exercice des droits et libertés qui (...) sont reconnus [dans la Convention américaine] ne peuvent être appliquées qu’(...) aux fins pour lesquelles ces lois ont été prévues ». 158. D’après la Cour interaméricaine des droits de l’homme, la disposition précitée signifie que « les buts pour lesquels les restrictions ont été prévues [doivent] être légitimes, c’est-à-dire qu’elles doivent poursuivre des « fins d’intérêt général » et ne pas s’écarter des « fins pour lesquelles [elles] ont été prévues » ». Toujours d’après la Cour interaméricaine, cette exigence est un « critère téléologique (...) qui permet le contrôle du détournement de pouvoir » (avis consultatif OC6/86 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, Le mot « lois » à l’article 30 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, série A no 6, 9 mai 1986, § 18 b)). 159. La Cour interaméricaine a également jugé qu’elle pouvait se fonder, et elle s’est effectivement fondée, sur des preuves circonstancielles, des indices et des présomptions pour vérifier le véritable but poursuivi par des mesures dont il était allégué qu’elles constituaient un détournement de pouvoir (arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans Ivcher Bronstein c. Pérou (fond, dommages-intérêts et frais et dépens), 6 février 2001, série C no 74, §§ 154-164, arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans Cour suprême de justice (Quintana Coello et al.) c. Équateur (exception préliminaire, fond, dommages-intérêts et frais et dépens), 23 août 2013, série C no 266, §§ 173-177, et arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans Tribunal constitutionnel (Camba Campos et al.) c. Équateur (exceptions préliminaires, fond, dommages-intérêts et frais et dépens), 28 août 2013, série C no 268, §§ 210219). 160. Dans une affaire récente, dans laquelle les autorités vénézuéliennes avaient refusé de renouveler la licence de radiodiffusion détenue par la station de télévision la plus ancienne et la plus populaire du pays, qui critiquait vivement le gouvernement, la Cour interaméricaine a tout d’abord noté que les décisions des autorités mentionnaient un but légitime : favoriser la variété des contenus disponibles pour les spectateurs. Mais elle a également vérifié s’il s’agissait là du véritable but des décisions. Elle est partie de la présomption que les autorités avaient agi de bonne foi. Cependant, elle a relevé quatre déclarations publiques virulentes que le président d’alors, Hugo Chávez, avait faites peu de temps avant les décisions et selon lesquelles la licence de la station ne serait pas renouvelée au motif que celle-ci était hostile au gouvernement. Après avoir analysé ces déclarations conjointement, la Cour interaméricaine a conclu que le refus de renouveler la licence avait en réalité eu pour but d’étouffer les propos critiques à l’égard du gouvernement. Sans se référer à l’article 30 de la Convention américaine, elle a jugé qu’il y avait eu détournement de pouvoir (arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans Granier et al. (Radio Caracas Television) c. Venezuela (exceptions préliminaires, fond, dommages-intérêts et frais et dépens), 22 juin 2015, série C no 293, §§ 184199). D. Les poursuites pour des motifs politiques déguisés dans le cadre du droit de l’extradition 161. Il est bien établi que l’extradition doit être refusée si l’État requérant, bien qu’il demande l’extradition d’une personne pour une infraction qui apparemment relève du droit pénal commun, vise en réalité à poursuivre cette personne ou à la punir en raison de ses opinions politiques. 162. Cette règle figure dans tous les instruments et conventions multilatéraux modernes relatifs à l’extradition (article 3 § 2 de la Convention européenne d’extradition de 1957 (STE no 24 ; 359 RTNU 273) ; article 5 de la Convention européenne de 1977 pour la répression du terrorisme (STE no 90 ; 1137 RTNU 93) ; article 6 § 6 de la Convention des Nations unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (1582 RTNU 95) ; article 15 de la Convention internationale de 1999 pour la répression du financement du terrorisme (2178 RTNU 197) ; article 16 § 14 de la Convention des Nations unies de 2000 contre la criminalité transnationale organisée (2225 RTNU 209) ; article 44 § 15 de la Convention des Nations unies de 2003 contre la corruption (2349 RTNU 41) ; considérant 12 de la décision-cadre du Conseil de 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (2002/584/JHA, JO 2002/L 190, pp. 1-18) ; article 3 b) du traité type d’extradition, proposé par les Nations unies en 1990 (UN Doc. A/RES/45/116) ; et clause 13 a) i) de l’arrangement de Londres de 1966 concernant les extraditions au sein du Commonwealth, dans sa version modifiée de 2002). 163. La règle a aussi été incluse dans de nombreux traités bilatéraux (voir, par exemple, l’article 7 § 4 du traité d’extradition de 1972 entre le Danemark et les États-Unis d’Amérique (952 RTNU 29) ; l’article 4 § 2 du traité d’extradition de 1978 entre l’Allemagne et les États-Unis d’Amérique (1220 RTNU 269) ; l’article 3 § 1 a) du traité de 1979 relatif à l’extradition et aux affaires pénales, signé par la Turquie et les États-Unis d’Amérique (1273 RTNU 83) ; l’article 4 a) du traité d’extradition de 1985 entre l’Australie et l’Italie (1598 RTNU 31) ; l’article 3 § 1 b) du traité d’extradition de 1987 entre l’Australie et l’Allemagne (1586 RTNU 185) ; l’article 3 § 1 b) du traité d’extradition de 1987 entre l’Australie et le Luxembourg (1536 RTNU 31) ; l’article 4 § 3 du traité d’extradition de 1996 entre Chypre et les États-Unis d’Amérique (2927 RTNU ...) ; l’article 4 § 4 du traité d’extradition de 1996 entre la France et les États-Unis d’Amérique (2179 RTNU 341) ; l’article 3 b) du traité d’extradition de 2005 entre le Canada et l’Italie (2859 RTNU 197) ; l’article 3 b) du traité d’extradition de 2007 entre la France et la République populaire de Chine (... RTNU ...) ; et l’article 3 § 7 du traité d’extradition de 2010 entre le Bélarus et la Bulgarie (2849 RTNU ...)). 164. Cette règle figure aussi dans de nombreuses lois internes dans ce domaine. Par exemple, elle se trouve à l’article 696-4 § 2 du code français de procédure pénale, à l’article 13 a) de la loi britannique de 2003 relative à l’extradition et à l’article 438 c) du code grec de procédure pénale. 165. D’après presque tous les instruments internationaux, le critère applicable à la preuve d’un mobile politique caché est celui des « motifs sérieux de croire ». IV. Éléments de droit comparé 166. La notion de détournement de pouvoir, qui trouve son origine en France (« misuse of power » en anglais) est bien connue en droit administratif. Malgré des variations dans la formulation, elle existe maintenant dans de nombreux systèmes juridiques nationaux. Elle désigne l’un des vices dont les décisions administratives peuvent être entachées ou, en d’autres termes, l’un des motifs pouvant fonder leur annulation. 167. Il y a détournement de pouvoir lorsqu’une autorité use de l’un de ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel il lui a été conféré. La notion se fonde sur l’idée que les autorités ne sont pas libres de choisir les buts qu’elles poursuivent et qu’elles ne doivent user de leurs pouvoirs que pour poursuivre les buts pour lesquels ils leur ont été conférés par la loi. Cela signifie deux choses : premièrement, les autorités doivent agir dans l’intérêt général et, deuxièmement, chacun de leurs pouvoirs ne peut être utilisé que dans le but spécifique pour lequel il a été conféré (ou dans les buts spécifiques pour lesquels il a été conféré). 168. D’après les informations dont la Cour dispose, les juridictions de plusieurs États contractants admettent que la preuve d’un détournement de pouvoir peut résulter du libellé de la décision contestée, de documents versés au dossier relatif à l’adoption de cette décision, de documents créés pendant la procédure de contrôle juridictionnel, de présomptions de fait et, plus généralement, de preuves circonstancielles. Lorsqu’une autorité a poursuivi à la fois un but autorisé et un but autre que celui affiché, ces juridictions déterminent lequel de ces deux buts était le but prédominant. Si elles considèrent que le but autorisé était le but prédominant, elles concluent à la validité de la décision prise par l’autorité. À l’inverse, si elles constatent que c’était le but non affiché qui était le but prédominant, elles annulent la décision pour illégalité.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1979 et réside à Bucarest. Du 1er août 2004 au 6 août 2007, il fut employé au bureau de Bucarest de S., une société commerciale roumaine de droit privé (« l’employeur »), comme ingénieur chargé des ventes. À la demande de son employeur, il créa, pour répondre aux questions des clients, un compte de messagerie instantanée Yahoo Messenger (service de messagerie en ligne offrant une transmission de texte en temps réel sur internet). Il avait déjà un autre compte Yahoo Messenger personnel. Le règlement intérieur de l’employeur prohibait l’usage par les employés des ressources de l’employeur, en ces termes : Article 50 « Il est strictement interdit de troubler l’ordre et la discipline dans les locaux de l’entreprise, et en particulier : (...) - (...) d’utiliser les ordinateurs, les photocopieurs, les téléphones, les téléscripteurs ou les télécopieurs à des fins personnelles. » Ce règlement ne comportait par ailleurs aucune mention relative à la possibilité pour l’employeur de surveiller les communications de ses employés. Il ressort des documents versés au dossier par le Gouvernement que le requérant avait été informé du règlement intérieur de l’employeur et l’avait signé, après avoir pris connaissance de son contenu, le 20 décembre 2006. Le 3 juillet 2007, le bureau de Bucarest reçut et distribua à tous les employés une note d’information (« la note d’information ») rédigée et envoyée le 26 juin 2007 par le bureau central de Cluj. L’employeur demanda aux employés qu’ils prennent connaissance de cette note et qu’ils la signent. En ses parties pertinentes, la note est ainsi rédigée : « 1. (...) Le temps passé dans l’entreprise doit être du temps de qualité pour tout le monde ! Venez au travail pour vous occuper des problèmes de l’entreprise, des problèmes professionnels, et pas de problèmes privés ! Ne passez pas votre temps à occuper les lignes d’internet, le téléphone ou le télécopieur avec des questions qui ne concernent ni le travail ni vos tâches. [L’éducation élémentaire], le bon sens et la loi vous y obligent ! L’employeur se voit dans l’obligation de vérifier et de surveiller le travail des employés et de prendre des mesures de sanction envers les personnes en faute ! Vos fautes seront attentivement surveillées et réprimées ! En raison de fautes répétées [d’indiscipline commises] envers son supérieur, [ainsi que] de l’utilisation [qu’elle a faite] d’internet, du téléphone et du photocopieur à des fins privées, de sa négligence et du non-accomplissement de ses tâches, Melle B.A. a été licenciée pour motifs disciplinaires ! Tirez les leçons de cet exemple négatif ! Ne commettez pas les mêmes erreurs ! Lisez attentivement la convention collective, le règlement interne de l’entreprise, le descriptif de votre poste et le contrat de travail que vous avez signé ! Ceux-ci sont la base de notre collaboration ! Celle entre l’employeur et l’employé ! (...) » Il ressort également des documents versés au dossier par le Gouvernement, dont le registre de présence de l’employeur, que le requérant prit connaissance de cette note et la signa entre le 3 et le 13 juillet 2007. Il en ressort par ailleurs que du 5 au 13 juillet 2007, l’employeur enregistra en temps réel les communications du requérant sur Yahoo Messenger. Le 13 juillet 2007 à 16 heures 30, le requérant fut convoqué par son employeur. La convocation l’informait que ses communications sur Yahoo Messenger avaient été surveillées et qu’un certain nombre d’éléments indiquaient qu’il avait utilisé internet à des fins personnelles, contrairement au règlement intérieur. Y étaient joints des graphiques indiquant que son trafic internet était supérieur à celui de ses collègues. À ce stade, on ne l’informa pas si la surveillance de ses communications avait également visé leur contenu. La convocation était rédigée en ces termes : « Vous devrez expliquer pourquoi vous utilisez à des fins personnelles les ressources de la société (connexion internet, Messenger) pendant les heures de travail, comme le montrent les graphiques ci-joints. » Le même jour, le requérant répondit par écrit à l’employeur qu’il n’avait utilisé Yahoo Messenger qu’à des fins professionnelles. À 17 heures 20, l’employeur le convoqua une seconde fois. La convocation était rédigée en ces termes : « Expliquez pourquoi toute la correspondance que vous avez échangée entre le 5 et le 12 juillet 2007 en utilisant l’identifiant du site [internet] de S. Bucarest poursuit des buts privés, comme le démontrent les 45 pages ci-jointes. » Les 45 pages mentionnées dans la convocation étaient la transcription de communications que le requérant avait eues avec son frère et sa fiancée pendant la période où il avait été surveillé ; ces communications portaient sur des questions privées et certaines avaient un caractère intime. La transcription comportait également cinq messages que le requérant avait échangés avec sa fiancée depuis son compte Yahoo Messenger personnel ; ces messages ne comportaient pas d’informations de nature intime. Toujours le 13 juillet, le requérant informa par écrit son employeur qu’il l’estimait responsable de la commission d’une infraction pénale, à savoir la violation du secret de la correspondance. Le 1er août 2007, l’employeur mit fin au contrat de travail du requérant. Le requérant contesta la décision de licenciement devant le tribunal départemental de Bucarest (« le tribunal départemental »). Il priait le tribunal, premièrement, d’annuler cette décision, deuxièmement, d’ordonner à son employeur de lui verser les sommes auxquelles il estimait avoir droit au titre de son salaire et d’autres créances et de le réintégrer à son poste et, troisièmement, de condamner l’employeur à lui payer des dommagesintérêts d’un montant de 100 000 lei roumains (environ 30 000 euros) au titre du préjudice moral qu’il estimait avoir subi du fait des modalités de son licenciement, et à lui rembourser ses frais et dépens. Sur le fond, se fondant sur l’arrêt Copland c. Royaume-Uni (no 62617/00, §§ 43-44, CEDH 2007I), il arguait que les communications par téléphone ou par courrier électronique qu’un employé fait depuis son lieu de travail sont couvertes par les notions de « vie privée » et de « correspondance » et, dès lors, bénéficient de la protection de l’article 8 de la Convention. Il soutenait également que la décision de licenciement était illégale et qu’en surveillant ses communications et en accédant à leur contenu, son employeur avait enfreint la loi pénale. Pour ce qui était en particulier du préjudice moral qu’il estimait avoir subi, le requérant rappelait la manière dont il avait été licencié et alléguait avoir subi de la part de son employeur un harcèlement qui s’était selon lui matérialisé par la surveillance de ses communications et par la divulgation de leur contenu « aux collègues impliqués d’une manière ou d’une autre dans la procédure de licenciement ». Le requérant versa notamment au dossier à titre de preuves la copie intégrale des transcriptions de ses communications sur Yahoo Messenger ainsi qu’une copie de la note d’information (paragraphe 15 ci-dessus). Par un jugement du 7 décembre 2007, le tribunal départemental rejeta l’action du requérant et confirma la licéité de la décision de licenciement. En ses parties pertinentes en l’espèce, ce jugement est ainsi libellé : « La procédure relative à la conduite de l’enquête disciplinaire est expressément encadrée par les dispositions de l’article 267 du code du travail. En l’espèce, il a été prouvé, par les documents écrits versés au dossier, que l’employeur a mené l’enquête disciplinaire contre le requérant en le convoquant par écrit à deux reprises [et] en précisant l’objet, la date, l’heure et le lieu de l’entretien, et que le requérant a eu la possibilité de présenter les arguments pour sa défense sur les faits qui lui étaient imputés, comme cela ressort du libellé des deux notes explicatives versées au dossier (en copie aux feuilles 89 et 91). Le tribunal est d’avis que la surveillance des conversations que l’employé a échangées sur internet par l’intermédiaire du logiciel Yahoo Messenger depuis l’ordinateur de l’entreprise pendant les heures de bureau ne peut – indépendamment de la question de savoir si cette démarche de l’employeur était ou non illicite [du point de vue du droit] pénal – entacher la validité de la procédure disciplinaire menée en l’espèce. La rédaction en termes impératifs des dispositions imposant d’entendre la personne soupçonnée d’un comportement fautif (învinuitul) et d’examiner les arguments qu’elle présente pour sa défense avant de décider d’une sanction montre que le législateur a entendu faire du respect des droits de la défense une condition de validité de la décision de sanction. En l’espèce, dès lors que l’employé a affirmé dans le cadre de l’enquête disciplinaire ne pas avoir utilisé Yahoo Messenger à des fins personnelles mais aux fins de conseiller les clients sur les produits proposés par son employeur, le tribunal estime que la vérification de la teneur des communications [de l’intéressé] était le seul moyen pour l’employeur de vérifier la validité de ses arguments. Le droit pour l’employeur de surveiller (monitoriza) les employés sur le lieu de travail, [en particulier] en ce qui concerne l’utilisation des ordinateurs de l’entreprise, relève du droit plus large de vérifier la manière dont les employés s’acquittent de leurs tâches professionnelles, qui est régi par les dispositions de l’article 40 d) du code du travail. Dès lors qu’il a été prouvé que l’attention des employés avait été appelée sur le fait que, peu avant que le requérant ne fasse l’objet d’une sanction disciplinaire, une autre employée avait été licenciée pour avoir utilisé internet, le téléphone et le télécopieur à des fins personnelles, et qu’ils avaient été avertis que leurs activités étaient surveillées (voir la note no 2316 du 3 juillet 2007, que le requérant avait signée [après en avoir] pris connaissance – en copie à la feuille 64), on ne peut accuser l’employeur de ne pas avoir fait preuve de transparence et de n’avoir pas clairement averti ses employés de la surveillance (monitorizare) qu’il opérait de leur usage des ordinateurs. L’accès à internet sur le lieu de travail est avant tout un outil mis à la disposition de l’employé par l’employeur à des fins d’utilisation professionnelle et il est incontestable que l’employeur, en vertu de son droit de contrôler les activités de ses employés, a pour prérogative de contrôler l’usage personnel fait d’internet. Ces vérifications de la part de l’employeur sont notamment rendues nécessaires par le risque que, par l’usage qu’ils font d’internet, les employés n’endommagent les systèmes informatiques de l’entreprise, ne se livrent à des activités illicites dans l’espace virtuel engageant la responsabilité de l’entreprise, ou ne révèlent des secrets industriels de l’entreprise. Le tribunal est d’avis que les faits commis par le requérant révèlent une faute disciplinaire au sens des dispositions de l’article 263 § 2 du code du travail car ils constituent une transgression fautive des dispositions de l’article 50 du règlement interne de S. (...), qui prohibent l’utilisation des ordinateurs à des fins personnelles. Les faits susmentionnés sont considérés en vertu du règlement interne comme une faute grave dont la sanction, conformément à l’article 73 du même règlement, [est] la rupture du contrat de travail pour motifs disciplinaires. Eu égard aux arguments de fait et de droit déjà exposés, le tribunal conclut que la décision contestée est fondée et légale, et rejette l’action pour défaut de fondement. » Le requérant contesta ce jugement devant la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel »). Il répétait les arguments présentés devant la juridiction de premier ressort et soutenait en outre que celle-ci n’avait pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en jeu et avait injustement fait prévaloir l’intérêt de l’employeur à disposer discrétionnairement du temps et des ressources de ses employés. Il arguait également que ni le règlement intérieur ni la note d’information n’indiquaient que l’employeur pouvait surveiller les communications des employés. La cour d’appel rejeta ce recours par un arrêt du 17 juin 2008. En ses parties pertinentes en l’espèce, cet arrêt est ainsi rédigé : « C’est à bon droit que la juridiction de premier ressort a jugé qu’internet est un outil mis à la disposition de l’employé par l’employeur à des fins d’utilisation professionnelle et que l’employeur est en droit d’établir des règles pour l’utilisation de cet outil, en posant des interdictions et en adoptant des dispositions que les employés doivent respecter lorsqu’ils utilisent internet sur leur lieu de travail ; il est évident que l’utilisation à des fins personnelles peut être refusée, ce dont les employés ont été dûment informés en l’espèce par une note émise le 26 juin 2007 en application des dispositions du règlement intérieur et leur enjoignant de respecter les horaires de travail, d’être présents sur le lieu de travail [pendant ces horaires et] d’utiliser de manière efficace leur temps de travail. En conclusion, l’employeur qui a fait un investissement est en droit, dans le contexte de l’exercice des droits prévus à l’article 40 § 1 du code du travail, de surveiller (monitoriza) l’utilisation faite d’internet sur le lieu de travail, et l’employé qui transgresse les règles de l’employeur relatives à l’utilisation d’internet à des fins personnelles commet une faute disciplinaire qui peut entraîner une sanction, notamment la sanction la plus grave. Il est certain qu’entre le droit de surveillance (monitorizarea) de l’employeur et le droit des employés à la protection de leur vie privée, il existe un conflit. Celui-ci a été résolu au niveau de l’Union européenne par l’adoption de la directive 95/46/CE, qui a établi plusieurs principes régissant la surveillance (monitorizarea) de l’utilisation faite d’internet et du courrier électronique sur le lieu de travail, notamment les suivants. - Principe de nécessité : la surveillance (monitorizarea) doit être nécessaire pour parvenir à un but donné. - Principe de finalité : les données doivent être collectées à des fins spécifiques, explicites et légitimes. - Principe de transparence : l’employeur doit fournir aux employés toutes les informations relatives à la surveillance (monitorizare). - Principe de légitimité : les opérations de traitement des données ne peuvent avoir lieu que dans un but légitime. - Principe de proportionnalité : les données personnelles qui font l’objet de la surveillance (monitorizare) doivent être pertinentes et adéquates par rapport au but indiqué. - Principe de sécurité : l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures de sécurité visant à garantir que les données collectées ne soient pas accessibles aux tiers. Compte tenu du fait que l’employeur a le droit et l’obligation d’assurer le fonctionnement de l’entreprise et, à cette fin, [a le droit] de vérifier la manière dont ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles, et du fait [qu’il] a un pouvoir disciplinaire dont il peut légitimement faire usage et qui [lui donnait le droit en l’espèce] de surveiller et de retranscrire les communications sur Yahoo Messenger que l’employé niait avoir échangées à des fins personnelles après avoir été averti, comme ses collègues, qu’il ne devait pas utiliser les ressources de l’entreprise à des fins personnelles, on ne peut pas dire que la violation du secret de sa correspondance n’ait pas été la seule manière de parvenir à ce but légitime ni que le juste équilibre entre la nécessité de protéger la vie privée [de l’employé] et le droit pour l’employeur de superviser le fonctionnement de son entreprise n’ait pas été respecté. (...) Par voie de conséquence, au vu des éléments présentés ci-dessus, la cour juge que la décision de la juridiction de premier ressort est légale et fondée et que le recours est mal fondé ; il convient donc de le rejeter, en application des dispositions de l’article 312 § 1 du c[ode] de pr[océdure] civ[ile]. » Entretemps, le 18 septembre 2007, le requérant déposa une plainte pénale contre les représentants légaux de S. pour violation du secret de la correspondance. Le 9 mai 2012, la direction des enquêtes sur la criminalité organisée et le terrorisme (« la DIICOT ») du parquet près la Haute Cour de cassation et de justice rendit une décision de nonlieu, au motif que l’entreprise était la propriétaire du système informatique et de la connexion internet et qu’elle pouvait dès lors contrôler le trafic internet de ses employés et utiliser les informations stockées sur le serveur et compte tenu de l’interdiction d’utiliser à des fins personnelles les systèmes informatiques, interdiction qui, à son avis, rendait prévisible la surveillance. Le requérant ne se prévalut pas de la possibilité que lui offraient les normes procédurales en vigueur, de contester la décision du parquet devant les juridictions internes. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution En ses parties pertinentes, la Constitution roumaine dispose : Article 26 « 1. Les autorités publiques respectent et protègent la vie intime, familiale et privée. » Article 28 « Le secret des lettres, des télégrammes, des autres envois postaux, des conversations téléphoniques et des autres moyens légaux de communication est inviolable. » B. Le code pénal En ses parties pertinentes, le code pénal en vigueur au moment des faits se lisait ainsi : Article 195 – Violation du secret de la correspondance « 1. Quiconque, de manière illicite, ouvre la correspondance d’un tiers ou intercepte les conversations ou les communications téléphoniques d’un tiers, ses communications télégraphiques ou celles réalisées par tout autre moyen de transmission à longue distance est passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans. » C. Le code civil Les dispositions pertinentes du code civil en vigueur au moment des faits étaient ainsi libellées : Article 998 « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Article 999 « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. » D. Le code du travail Dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, le code du travail, disposait : Article 40 « 1. L’employeur a, en principe, les droits suivants : (...) d) contrôler la façon [dont les employés] accomplissent leurs tâches professionnelles ; (...) Il incombe à l’employeur, en principe, les obligations suivantes : (...) i) garantir la confidentialité des données à caractère personnel des employés. » E. La loi no 677/2001 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données à caractère personnel En ses parties pertinentes, la loi no 677/2001 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données à caractère personnel (« loi no 677/2001 »), qui reprend certaines dispositions de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (paragraphe 45 ci-dessous), se lit ainsi : Article 3 – Définitions « Aux fins de la présente loi, on entend par : a) donnée à caractère personnel – toute information relative à une personne physique identifiée ou identifiable ; une personne identifiable est une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale ; (...) » Article 5 – Conditions de légitimité du traitement des données « 1. Les données à caractère personnel (...) ne peuvent faire l’objet d’un quelconque traitement que si la personne concernée y a consenti de manière expresse et non équivoque. Le consentement de la personne concernée n’est pas nécessaire dans les cas suivants : a) lorsque le traitement est nécessaire à l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l’exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ; (...) e) lorsque le traitement nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le ou les tiers auxquels les données sont communiquées, à condition que ne prévalent pas l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée ; (...) Les dispositions du paragraphe 2 sont sans préjudice des dispositions légales relatives à l’obligation pour les autorités publiques de respecter et de protéger la vie intime, familiale et privée. » Article 18 – Droit de saisir la justice « 1. Les personnes concernées ont le droit, sans préjudice de la possibilité d’adresser une plainte à l’autorité de surveillance, de saisir la justice pour obtenir la protection des droits garantis par la présente loi qui ont été enfreints. Toute personne ayant subi un préjudice du fait du traitement illicite de ses données à caractère personnel peut saisir le tribunal compétent pour obtenir réparation [de son préjudice]. (...) » III. LE DROIT INTERNATIONAL ET LA PRATIQUE INTERNATIONALE A. Les normes des Nations Unies Les principes directeurs pour la réglementation des fichiers personnels informatisés adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1990 dans sa résolution 45/95 (A/RES/45/95) posent les garanties minimales qui devraient être prévues dans les législations nationales. Ils se lisent ainsi : « 1. Principe de licéité et de loyauté Les données concernant les personnes ne devraient pas être obtenues ou traitées à l’aide de procédés illicites ou déloyaux, ni utilisées à des fins contraires aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies. Principe d’exactitude Les personnes responsables de l’établissement d’un fichier ou celles responsables de [sa] mise en œuvre devraient être tenues de vérifier l’exactitude et la pertinence des données enregistrées et de veiller à ce qu’elles demeurent aussi complètes que possible pour éviter les erreurs par omission et qu’elles soient mises à jour, périodiquement ou lors de l’utilisation des informations contenues dans un dossier, tant qu’elles font l’objet d’un traitement. Principe de finalité La finalité en vue de laquelle est créé un fichier et son utilisation en fonction de cette finalité devraient être spécifiées, justifiées et, lors de sa mise en œuvre, faire l’objet d’une mesure de publicité ou être portées à la connaissance de la personne concernée, afin qu’il soit ultérieurement possible de vérifier : a) Si toutes les données personnelles collectées et enregistrées restent pertinentes par rapport à la finalité poursuivie ; b) Si aucune desdites données personnelles n’est utilisée ou divulguée, sauf accord de la personne concernée, à des fins incompatibles avec celles ainsi spécifiées ; c) Si la durée de conservation des données personnelles n’excède pas celle permettant d’atteindre la finalité pour laquelle elles ont été enregistrées. Principe de l’accès par les personnes concernées Toute personne justifiant de son identité a le droit de savoir si des données la concernant font l’objet d’un traitement, d’en avoir communication sous une forme intelligible, sans délais ou frais excessifs, d’obtenir les rectifications ou destructions adéquates en cas d’enregistrements illicites, injustifiés ou inexacts, et, lorsqu’elles sont communiquées, d’en connaître les destinataires. Une voie de recours devrait être prévue, le cas échéant, auprès de l’autorité de contrôle prévue au principe 8 cidessous. En cas de rectification, le coût devrait être à la charge du responsable du fichier. Il est souhaitable que les dispositions de ce principe s’appliquent à toute personne, quelle que soit sa nationalité ou sa résidence. (...) Faculté de dérogation Des dérogations aux principes 1 à 4 ne peuvent être autorisées que si elles sont nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ainsi que, notamment, les droits et libertés d’autrui, spécialement de personnes persécutées (clause humanitaire), sous réserve que ces dérogations soient expressément prévues par la loi ou par une réglementation équivalente prise en conformité avec le système juridique interne qui en fixe expressément les limites et édicte des garanties appropriées. (...) » Le Bureau international du travail (BIT) a élaboré en 1997 un recueil de directives pratiques sur la protection des données personnelles des travailleurs (« le recueil de directives pratiques du BIT »), où sont énoncés les principes suivants : « 5. Principes généraux 1. Les données personnelles devraient être traitées de manière licite et loyale et uniquement pour des raisons directement liées à l’emploi du travailleur. 2. En principe, les données personnelles ne devraient être utilisées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été collectées à l’origine. 3. Si des données personnelles sont traitées à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été collectées, l’employeur devrait s’assurer que cela ne se fait pas d’une manière incompatible avec l’objectif premier de leur traitement et prendre toutes mesures nécessaires pour éviter les erreurs d’interprétation qui pourraient résulter de leur utilisation dans un autre contexte. 4. Les données personnelles collectées en relation avec la mise en œuvre de mesures techniques ou d’organisation visant à garantir la sécurité et le bon fonctionnement des systèmes d’information automatisés ne devraient pas servir à contrôler le comportement des travailleurs. 5. Les décisions relatives à un travailleur ne devraient pas se fonder exclusivement sur le traitement automatique des données personnelles le concernant. 6. Les données personnelles collectées par voie de surveillance électronique ne devraient pas être l’élément exclusif de l’évaluation des résultats du travailleur. 7. Les employeurs devraient procéder à une évaluation régulière de leurs méthodes de traitement des données afin : a) de réduire au maximum les types et la quantité des données personnelles collectées ; b) d’améliorer la protection de la vie privée des travailleurs. 8. Les travailleurs et leurs représentants devraient être tenus informés de tous mécanismes de collecte des données, des règles qui régissent ces mécanismes et de leurs droits. (...) 13. Les travailleurs ne peuvent pas renoncer à leurs droits relatifs à la protection de leur vie privée. » En ce qui concerne en particulier la surveillance des employés, le recueil de directives pratiques du BIT prévoit ceci : « 6. Collecte des données personnelles 1. En principe, toutes les données personnelles devraient être obtenues du travailleur lui-même. (...) 14. (1) Dans le cas où les travailleurs font l’objet d’une surveillance, ils devraient être informés à l’avance des raisons de cette surveillance, des périodes concernées, des méthodes et techniques utilisées, ainsi que des données collectées. L’employeur doit réduire à un minimum l’ingérence dans la vie privée des travailleurs. (2) Toute surveillance secrète ne saurait être autorisée que : a) si elle est conforme à la législation nationale ; ou b) s’il existe des soupçons raisonnablement justifiés d’activités criminelles ou d’autres infractions graves. (3) Toute surveillance permanente ne saurait être autorisée que pour des raisons de santé et de sécurité ou en vue de protéger les biens de l’entreprise. » Le recueil dresse également un inventaire des droits individuels des employés, notamment en ce qui concerne l’information quant au traitement des données personnelles, à l’accès à ces données et au contrôle de ces mesures. Les parties pertinentes se lisent ainsi : « 11. Droits individuels 1. Les travailleurs devraient avoir le droit d’être régulièrement informés des données personnelles les concernant et du traitement desdites données. 2. Les travailleurs devraient pouvoir consulter toutes les données personnelles les concernant, qu’elles soient traitées automatiquement, conservées dans un dossier concernant un travailleur donné ou dans tout autre dossier qui contient des données personnelles relatives au travailleur concerné. 3. Le droit d’un travailleur d’être au courant du traitement de ses données personnelles devrait inclure le droit d’examiner et d’obtenir une copie de tous les dossiers dans la mesure où les données qu’ils contiennent incluent les données personnelles de ce travailleur en particulier. (...) 8. En cas d’enquête relative à la sécurité, l’employeur devrait avoir le droit de refuser au travailleur l’accès à ses données personnelles jusqu’à la clôture de 1’enquête, dans la mesure où cet accès risquerait de nuire à celle-ci. Cependant, aucune décision concernant la relation d’emploi ne devrait être prise avant que le travailleur n’ait eu accès à l’ensemble des données personnelles. 9. Les travailleurs devraient avoir le droit d’exiger que les données personnelles incorrectes ou incomplètes, de même que les données personnelles qui ont été traitées d’une manière non conforme aux dispositions du présent recueil, soient supprimées ou rectifiées. (...) 13. Toutes législations, réglementations, conventions collectives, règles de travail ou politiques élaborées conformément aux dispositions du présent recueil devraient faire mention d’une possibilité de correction permettant au travailleur de contester le non-respect par l’employeur dudit recueil. Des procédures devraient être mises en place en vue de recevoir et de donner suite à toute plainte introduite par les travailleurs. La procédure de recours devrait être simple et facile d’accès pour les travailleurs. » L’Assemblée Générale des Nations Unies a également adopté le 18 décembre 2013 la résolution no 68/167 sur le droit à la vie privée à l’ère du numérique (A/RES/68/167), dans laquelle elle invite notamment les États : « a) À respecter et à protéger le droit à la vie privée, notamment dans le contexte de la communication numérique ; b) À prendre des mesures pour faire cesser les violations de ces droits et à créer des conditions qui permettent de les prévenir, notamment en veillant à ce que la législation nationale applicable soit conforme aux obligations que leur impose le droit international des droits de l’homme ; c) À revoir leurs procédures, leurs pratiques et leur législation relatives à la surveillance et à l’interception des communications, et à la collecte de données personnelles, notamment à grande échelle, afin de défendre le droit à la vie privée en veillant à respecter pleinement toutes leurs obligations au regard du droit international ; d) À créer des mécanismes nationaux de contrôle indépendants efficaces qui puissent assurer la transparence de la surveillance et de l’interception des communications et de la collecte de données personnelles qu’ils effectuent, le cas échéant, et veiller à ce qu’ils en répondent, ou à les maintenir en place s’ils existent déjà[.] » B. Les normes du Conseil de l’Europe La Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel (1981, STE no 108), entrée en vigueur à l’égard de la Roumanie le 1er juin 2002, prévoit en particulier ceci : Article 2 – Définitions « Aux fins de la présente Convention : a) « données à caractère personnel » signifie : toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable (« personne concernée ») ; (...) c) « traitement automatisé » s’entend des opérations suivantes effectuées en totalité ou en partie à l’aide de procédés automatisés : enregistrement des données, application à ces données d’opérations logiques et/ou arithmétiques, leur modification, effacement, extraction ou diffusion ; (...) » Article 3 – Champ d’application « 1. Les Parties s’engagent à appliquer la présente Convention aux fichiers et aux traitements automatisés de données à caractère personnel dans les secteurs public et privé. (...) » Article 5 – Qualité des données « Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont : a) obtenues et traitées loyalement et licitement ; b) enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ; c) adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ; d) exactes et si nécessaire mises à jour ; e) conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. » Article 8 – Garanties complémentaires pour la personne concernée « Toute personne doit pouvoir : a) connaître l’existence d’un fichier automatisé de données à caractère personnel, ses finalités principales, ainsi que l’identité et la résidence habituelle ou le principal établissement du maître du fichier ; b) obtenir à des intervalles raisonnables et sans délais ou frais excessifs la confirmation de l’existence ou non dans le fichier automatisé de données à caractère personnel la concernant ainsi que la communication de ces données sous une forme intelligible ; (...) d) disposer d’un recours s’il n’est pas donné suite à une demande de confirmation ou, le cas échéant, de communication, de rectification ou d’effacement, visée aux paragraphes b et c du présent article. » Article 9 – Exceptions et restrictions « (...) Il est possible de déroger aux dispositions des articles 5, 6 et 8 de la présente Convention lorsqu’une telle dérogation, prévue par la loi de la Partie, constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique : a) à la protection de la sécurité de l’État, à la sûreté publique, aux intérêts monétaires de l’État ou à la répression des infractions pénales ; b) à la protection de la personne concernée et des droits et libertés d’autrui. (...) » Article 10 – Sanctions et recours « Chaque Partie s’engage à établir des sanctions et recours appropriés visant les violations aux dispositions du droit interne donnant effet aux principes de base pour la protection des données énoncés dans le présent chapitre. » La Recommandation CM/Rec(2015)5 du Comité des Ministres aux États membres sur le traitement des données à caractère personnel dans le cadre de l’emploi, adoptée le 1er avril 2015, énonce notamment ceci : « 4. Application des principes de traitement des données 1. Les employeurs devraient veiller à ce que le traitement des données à caractère personnel ne porte que sur les données strictement nécessaires pour atteindre l’objectif déterminé dans les cas individuels concernés. (...) Utilisation interne des données 1. Les données à caractère personnel collectées à des fins d’emploi ne devraient être traitées par les employeurs qu’à de telles fins. 2. Les employeurs devraient adopter des politiques de protection des données, des règles et/ou d’autres instruments relatifs à l’usage interne des données à caractère personnel conformément aux principes de la présente recommandation. (...) Transparence du traitement 1. Des informations sur les données à caractère personnel détenues par des employeurs devraient être mises à la disposition de l’employé concerné, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants, ou être portées à sa connaissance par d’autres moyens appropriés. 2. Les employeurs devraient fournir à leurs employés les informations suivantes : – les catégories de données qui seront traitées et une description des finalités du traitement ; – les destinataires ou catégories de destinataires de ces données ; – les moyens d’exercer les droits énoncés au principe 11 de la présente recommandation, sans pour autant porter préjudice à des moyens plus favorables prévus dans le droit interne ou le système législatif ; – toute autre information nécessaire pour garantir un traitement loyal et licite des données. 3. Une description particulièrement claire et complète des catégories de données à caractère personnel qui peuvent être collectées au moyen de TIC, telle que la vidéosurveillance, et de leur utilisation potentielle, devrait être fournie. Ce principe vaut pour toutes les formes particulières de traitement de données à caractère personnel prévues à la partie II de l’annexe de la présente recommandation. 4. Les informations devraient être fournies sous une forme accessible et tenues à jour. Ces informations devraient, en tout état de cause, être fournies avant que l’employé exerce effectivement l’activité ou l’action prévue, et être mises à disposition au moyen des systèmes d’information habituellement utilisés par l’employé. (...) Utilisation de l’internet et des communications électroniques sur le lieu de travail 1. Les employeurs devraient éviter de porter des atteintes injustifiées et déraisonnables au droit au respect de la vie privée des employés. Ce principe s’étend à tous les dispositifs techniques et aux TIC utilisés par un employé. Les personnes concernées devraient être convenablement et périodiquement informées en application d’une politique claire en matière de respect de la vie privée, conformément au principe 10 de la présente recommandation. L’information fournie devrait être mise à jour et inclure la finalité du traitement, la durée de conservation des données collectées, la sauvegarde des données de connexion et l’archivage des messages électroniques professionnels. 2. En ce qui concerne plus particulièrement l’éventuel traitement de données à caractère personnel relatif aux pages internet ou intranet consultées par l’employé, il conviendrait de préférence d’une part d’adopter des mesures préventives, telles que la configuration de systèmes ou l’utilisation de filtres qui peuvent empêcher certaines opérations, et, d’autre part de prévoir éventuellement des contrôles des données à caractère personnel, effectués, de préférence, de manière graduée et par sondages non individuels, en utilisant des données anonymes ou, en quelque sorte, agrégées. 3. L’accès par des employeurs aux communications électroniques professionnelles de leurs employés, qui ont été informés au préalable de cette éventualité, ne peut survenir, le cas échéant, que si cela est nécessaire pour des raisons de sécurité ou pour d’autres raisons légitimes. En cas d’absence d’un employé, les employeurs devraient prendre les mesures nécessaires et prévoir les procédures appropriées visant à permettre l’accès aux communications électroniques professionnelles, uniquement lorsqu’un tel accès est nécessaire d’un point de vue professionnel. L’accès devrait intervenir de la façon la moins intrusive possible et uniquement après avoir informé les employés concernés. 4. En aucun cas le contenu, l’envoi et la réception de communications électroniques privées dans le cadre du travail ne devraient faire l’objet d’une surveillance. 5. Lorsqu’un employé quitte son emploi, l’employeur devrait prendre des mesures techniques et organisationnelles afin que la messagerie électronique de l’employé soit désactivée automatiquement. Si le contenu de la messagerie devait être récupéré pour la bonne marche de l’organisation, l’employeur devrait prendre des mesures appropriées afin de récupérer son contenu avant le départ de l’employé et si possible en sa présence. » IV. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE Les dispositions pertinentes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2007/C 364/01) sont ainsi libellées : Article 7 – Respect de la vie privée et familiale « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. » Article 8 – Protection des données à caractère personnel « 1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante. » La directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (« la directive 95/46/CE »), énonce que l’objet des législations nationales relatives au traitement des données à caractère personnel est notamment d’assurer le respect du droit à la vie privée reconnu également à l’article 8 de la Convention et dans les principes généraux du droit communautaire. Ses dispositions pertinentes se lisent ainsi : Article 2 – Définitions « Aux fins de la présente directive, on entend par : a) « données à caractère personnel » : toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable (personne concernée) ; est réputée identifiable une personne qui peut être identifiée, directement ou indirectement, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques, propres à son identité physique, physiologique, psychique, économique, culturelle ou sociale ; (...) » Article 6 Les États membres prévoient que les données à caractère personnel doivent être : a) traitées loyalement et licitement ; b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. Un traitement ultérieur à des fins historiques, statistiques ou scientifiques n’est pas réputé incompatible pour autant que les États membres prévoient des garanties appropriées ; c) adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement ; d) exactes et, si nécessaire, mises à jour ; toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données inexactes ou incomplètes, au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement, soient effacées ou rectifiées ; e) conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement. Les États membres prévoient des garanties appropriées pour les données à caractère personnel qui sont conservées au-delà de la période précitée, à des fins historiques, statistiques ou scientifiques. Il incombe au responsable du traitement d’assurer le respect du paragraphe 1. » Article 7 « Les États membres prévoient que le traitement de données à caractère personnel ne peut être effectué que si : a) la personne concernée a indubitablement donné son consentement ou b) il est nécessaire à l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l’exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ou c) il est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ou d) il est nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt vital de la personne concernée ou e) il est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique, dont est investi le responsable du traitement ou le tiers auquel les données sont communiquées ou f) il est nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le ou les tiers auxquels les données sont communiquées, à condition que ne prévalent pas l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée, qui appellent une protection au titre de l’article 1er paragraphe 1. » Article 8 – Traitements portant sur des catégories particulières de données « 1. Les États membres interdisent le traitement des données à caractère personnel qui révèlent l’origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques, l’appartenance syndicale, ainsi que le traitement des données relatives à la santé et à la vie sexuelle. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque : a) la personne concernée a donné son consentement explicite à un tel traitement, sauf dans le cas où la législation de l’État membre prévoit que l’interdiction visée au paragraphe 1 ne peut être levée par le consentement de la personne concernée ou b) le traitement est nécessaire aux fins de respecter les obligations et les droits spécifiques du responsable du traitement en matière de droit du travail, dans la mesure où il est autorisé par une législation nationale prévoyant des garanties adéquates ou c) le traitement est nécessaire à la défense des intérêts vitaux de la personne concernée ou d’une autre personne dans le cas où la personne concernée se trouve dans l’incapacité physique ou juridique de donner son consentement ou (...) e) le traitement porte sur des données manifestement rendues publiques par la personne concernée ou est nécessaire à la constatation, à l’exercice ou à la défense d’un droit en justice. (...) Sous réserve de garanties appropriées, les États membres peuvent prévoir, pour un motif d’intérêt public important, des dérogations autres que celles prévues au paragraphe 2, soit par leur législation nationale, soit sur décision de l’autorité de contrôle. » Un groupe de travail sur la protection des données (« le groupe de travail ») a été institué en vertu de l’article 29 de la directive. Selon l’article 30, il a pour mission : « a) d’examiner toute question portant sur la mise en œuvre des dispositions nationales prises en application de la présente directive, en vue de contribuer à leur mise en œuvre homogène ; b) de donner à la Commission un avis sur le niveau de protection dans la Communauté et dans les pays tiers ; c) de conseiller la Commission sur tout projet de modification de la présente directive, sur tout projet de mesures additionnelles ou spécifiques à prendre pour sauvegarder les droits et libertés des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel, ainsi que sur tout autre projet de mesures communautaires ayant une incidence sur ces droits et libertés ; d) de donner un avis sur les codes de conduite élaborés au niveau communautaire. » Ce groupe est un organe consultatif de l’Union européenne et est indépendant. Il a rendu en septembre 2001 un avis sur le traitement des données à caractère personnel dans le contexte professionnel (avis 8/2001), où sont résumés les principes fondamentaux en matière de protection des données : finalité, transparence, légitimité, proportionnalité, exactitude, sécurité et information du personnel. Dans cet avis qu’il a adopté conformément à son mandat (contribuer à la mise en œuvre homogène des mesures nationales prises en application de la directive 95/46/CE), il a précisé que la surveillance des courriers électroniques impliquait un traitement des données à caractère personnel, et il a estimé que la surveillance des employés devait être « une réponse proportionnée de l’employeur aux risques qu’il encourt de porter atteinte à la vie privée légitime et autres intérêts des salariés ». En mai 2002, le groupe de travail a établi un document de travail concernant la surveillance des communications électroniques sur le lieu de travail (ciaprès, « le document de travail »), dans lequel il tient compte expressément des dispositions de la directive 95/46/CE lue à la lumière des dispositions de l’article 8 de la Convention. Selon ce document, le simple fait qu’une activité de contrôle ou de surveillance soit considérée comme utile pour servir l’intérêt de l’employeur ne justifie pas à lui seul l’intrusion dans la vie privée du salarié, et toute mesure de surveillance doit répondre à quatre critères : transparence, nécessité, équité et proportionnalité. En ce qui concerne l’aspect technique, le document de travail indique ceci : « Des informations rapides peuvent aisément être affichées par un logiciel, par ex. des fenêtres d’avertissement qui préviennent le salarié que le système a détecté et/ou pris des mesures pour éviter une utilisation illicite du réseau. » Plus spécifiquement, en ce qui concerne la question de l’accès aux emails des employés, le document comprend le passage suivant : « La surveillance du courrier électronique ou de l’usage d’internet par un employé ne saurait être considérée [comme] nécessaire que dans des circonstances exceptionnelles. Par exemple, la surveillance du courrier électronique d’un employé peut apparaître nécessaire afin d’obtenir la confirmation ou la preuve de certaines actions de sa part. De telles actions devraient inclure une activité pénale de la part de l’employé pour autant qu’il soit nécessaire pour l’employeur de défendre ses propres intérêts, par exemple, lorsqu’il est responsable des actions de l’employé. Ces activités incluraient également la détection des virus et, en termes généraux, toute activité effectuée par l’employeur pour garantir la sécurité du système. Il convient de mentionner que l’ouverture du courrier électronique d’un salarié peut également s’avérer nécessaire pour des raisons autres que le contrôle ou la surveillance, par exemple pour assurer la correspondance lorsque le salarié est absent (par ex. maladie ou vacances) ou que la correspondance ne peut pas être garantie autrement (par ex. via les fonctions de réponse ou de déviation automatique). » La Cour de justice de l’Union européenne a interprété les dispositions de la directive 95/46/CE à la lumière du droit au respect de la vie privée tel que garanti par l’article 8 de la Convention dans l’affaire Österreichischer Rundfunk et autres (C-465/00, C138/01 et C139/01, arrêt du 20 mai 2003, ECLI:EU:C:2003:294, points 71 et suivants). Le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), publié au JO 2016 L 119/1, est entré en vigueur le 24 mai 2016. Il abroge la directive 95/46/CE à compter du 25 mai 2018 (article 99). Ses dispositions pertinentes sont ainsi libellées : Article 30 - Registre des activités de traitement « 1. Chaque responsable du traitement et, le cas échéant, le représentant du responsable du traitement tiennent un registre des activités de traitement effectuées sous leur responsabilité. Ce registre comporte toutes les informations suivantes : a) le nom et les coordonnées du responsable du traitement et, le cas échéant, du responsable conjoint du traitement, du représentant du responsable du traitement et du délégué à la protection des données ; b) les finalités du traitement ; c) une description des catégories de personnes concernées et des catégories de données à caractère personnel ; d) les catégories de destinataires auxquels les données à caractère personnel ont été ou seront communiquées, y compris les destinataires dans des pays tiers ou des organisations internationales ; e) le cas échéant, les transferts de données à caractère personnel vers un pays tiers ou à une organisation internationale, y compris l’identification de ce pays tiers ou de cette organisation internationale et, dans le cas des transferts visés à l’article 49, paragraphe 1, deuxième alinéa, les documents attestant de l’existence de garanties appropriées ; f) dans la mesure du possible, les délais prévus pour l’effacement des différentes catégories de données ; g) dans la mesure du possible, une description générale des mesures de sécurité techniques et organisationnelles visées à l’article 32, paragraphe 1. Chaque sous-traitant et, le cas échéant, le représentant du sous-traitant tiennent un registre de toutes les catégories d’activités de traitement effectuées pour le compte du responsable du traitement, comprenant : a) le nom et les coordonnées du ou des sous-traitants et de chaque responsable du traitement pour le compte duquel le sous-traitant agit ainsi que, le cas échéant, les noms et les coordonnées du représentant du responsable du traitement ou du soustraitant et celles du délégué à la protection des données ; b) les catégories de traitements effectués pour le compte de chaque responsable du traitement ; c) le cas échéant, les transferts de données à caractère personnel vers un pays tiers ou à une organisation internationale, y compris l’identification de ce pays tiers ou de cette organisation internationale et, dans le cas des transferts visés à l’article 49, paragraphe 1, deuxième alinéa, les documents attestant de l’existence de garanties appropriées ; d) dans la mesure du possible, une description générale des mesures de sécurité techniques et organisationnelles visées à l’article 32, paragraphe 1. Les registres visés aux paragraphes 1 et 2 se présentent sous une forme écrite y compris la forme électronique. Le responsable du traitement ou le sous-traitant et, le cas échéant, leur représentant mettent le registre à la disposition de l’autorité de contrôle sur demande. Les obligations visées aux paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à une entreprise ou à une organisation comptant moins de 250 employés, sauf si le traitement qu’elles effectuent est susceptible de comporter un risque pour les droits et des libertés des personnes concernées, s’il n’est pas occasionnel ou s’il porte notamment sur les catégories particulières de données visées à l’article 9, paragraphe 1, ou sur des données à caractère personnel relatives à des condamnations pénales et à des infractions visées à l’article 10. » Article 47 - Règles d’entreprise contraignantes « 1. L’autorité de contrôle compétente approuve des règles d’entreprise contraignantes conformément au mécanisme de contrôle de la cohérence prévu à l’article 63, à condition que : a) ces règles soient juridiquement contraignantes, et soient mises en application par toutes les entités concernées du groupe d’entreprises ou du groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe, y compris leurs employés ; b) elles confèrent expressément aux personnes concernées des droits opposables en ce qui concerne le traitement de leurs données à caractère personnel ; et c) elles répondent aux exigences prévues au paragraphe 2. Les règles d’entreprise contraignantes visées au paragraphe 1 précisent au moins : a) la structure et les coordonnées du groupe d’entreprises ou du groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe et de chacune de leurs entités ; b) les transferts ou l’ensemble des transferts de données, y compris les catégories de données à caractère personnel, le type de traitement et ses finalités, le type de personnes concernées affectées et le nom du ou des pays tiers en question ; c) leur nature juridiquement contraignante, tant interne qu’externe ; d) l’application des principes généraux relatifs à la protection des données, notamment la limitation de la finalité, la minimisation des données, la limitation des durées de conservation des données, la qualité des données, la protection des données dès la conception et la protection des données par défaut, la base juridique du traitement, le traitement de catégories particulières de données à caractère personnel, les mesures visant à garantir la sécurité des données, ainsi que les exigences en matière de transferts ultérieurs à des organismes qui ne sont pas liés par les règles d’entreprise contraignantes ; e) les droits des personnes concernées à l’égard du traitement et les moyens d’exercer ces droits y compris le droit de ne pas faire l’objet de décisions fondées exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, conformément à l’article 22, le droit d’introduire une réclamation auprès de l’autorité de contrôle compétente et devant les juridictions compétentes des États membres conformément à l’article 79 et d’obtenir réparation et, le cas échéant, une indemnisation pour violation des règles d’entreprise contraignantes ; f) l’acceptation, par le responsable du traitement ou le sous-traitant établi sur le territoire d’un État membre, de l’engagement de sa responsabilité pour toute violation des règles d’entreprise contraignantes par toute entité concernée non établie dans l’Union ; le responsable du traitement ou le sous-traitant ne peut être exonéré, en tout ou en partie, de cette responsabilité que s’il prouve que le fait générateur du dommage n’est pas imputable à l’entité en question ; g) la manière dont les informations sur les règles d’entreprise contraignantes, notamment en ce qui concerne les éléments mentionnés aux points d), e) et f) du présent paragraphe sont fournies aux personnes concernées, en sus des informations visées aux articles 13 et 14 ; h) les missions de tout délégué à la protection des données, désigné conformément à l’article 37, ou de toute autre personne ou entité chargée de la surveillance du respect des règles d’entreprise contraignantes au sein du groupe d’entreprises, ou du groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe, ainsi que le suivi de la formation et le traitement des réclamations ; i) les procédures de réclamation ; j) les mécanismes mis en place au sein du groupe d’entreprises, ou du groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe pour garantir que le contrôle du respect des règles d’entreprise contraignantes. Ces mécanismes prévoient des audits sur la protection des données et des méthodes assurant que des mesures correctrices seront prises pour protéger les droits de la personne concernée. Les résultats de ce contrôle devraient être communiqués à la personne ou à l’entité visée au point h) et au conseil d’administration de l’entreprise qui exerce le contrôle du groupe d’entreprises, ou du groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe, et devraient être mis à la disposition de l’autorité de contrôle compétente sur demande ; k) les mécanismes mis en place pour communiquer et consigner les modifications apportées aux règles et pour communiquer ces modifications à l’autorité de contrôle ; l) le mécanisme de coopération avec l’autorité de contrôle mis en place pour assurer le respect des règles par toutes les entités du groupe d’entreprises, ou du groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe, notamment en mettant à la disposition de l’autorité de contrôle les résultats des contrôles des mesures visés au point j) ; m) les mécanismes permettant de communiquer à l’autorité de contrôle compétente toutes les obligations juridiques auxquelles une entité du groupe d’entreprises, ou du groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe, est soumise dans un pays tiers qui sont susceptibles d’avoir un effet négatif important sur les garanties fournies par les règles d’entreprise contraignantes ; et n) la formation appropriée en matière de protection des données pour le personnel ayant un accès permanent ou régulier aux données à caractère personnel. La Commission peut, pour les règles d’entreprise contraignantes au sens du présent article, préciser la forme de l’échange d’informations entre les responsables du traitement, les sous-traitants et les autorités de contrôle, ainsi que les procédures qui s’y rapportent. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d’examen visée à l’article 93, paragraphe 2. » Article 88 - Traitement de données dans le cadre des relations de travail « 1. Les États membres peuvent prévoir, par la loi ou au moyen de conventions collectives, des règles plus spécifiques pour assurer la protection des droits et libertés en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel des employés dans le cadre des relations de travail, aux fins, notamment, du recrutement, de l’exécution du contrat de travail, y compris le respect des obligations fixées par la loi ou par des conventions collectives, de la gestion, de la planification et de l’organisation du travail, de l’égalité et de la diversité sur le lieu de travail, de la santé et de la sécurité au travail, de la protection des biens appartenant à l’employeur ou au client, aux fins de l’exercice et de la jouissance des droits et des avantages liés à l’emploi, individuellement ou collectivement, ainsi qu’aux fins de la résiliation de la relation de travail. Ces règles comprennent des mesures appropriées et spécifiques pour protéger la dignité humaine, les intérêts légitimes et les droits fondamentaux des personnes concernées, en accordant une attention particulière à la transparence du traitement, au transfert de données à caractère personnel au sein d’un groupe d’entreprises, ou d’un groupe d’entreprises engagées dans une activité économique conjointe et aux systèmes de contrôle sur le lieu de travail. Chaque État membre notifie à la Commission les dispositions légales qu’il adopte en vertu du paragraphe 1 au plus tard le 25 mai 2018 et, sans tarder, toute modification ultérieure les concernant. » V. DROIT COMPARÉ Il découle des documents dont la Cour dispose sur la législation des États membres du Conseil de l’Europe, notamment d’une étude portant sur trentequatre États membres, que l’ensemble de ces États reconnaissent de manière générale, au niveau constitutionnel ou législatif, le droit au respect de la vie privée et au secret de la correspondance. Toutefois, seuls l’Autriche, la Finlande, le Luxembourg, le Portugal, le Royaume-Uni et la Slovaquie encadrent la question de l’exercice de la vie privée sur le lieu de travail de manière explicite, soit dans le cadre de la législation du travail, soit dans le cadre de lois spéciales. En ce qui concerne les prérogatives de surveillance, trentequatre États membres du Conseil de l’Europe exigent de l’employeur qu’il avertisse au préalable l’employé de la surveillance. Cet avertissement peut revêtir plusieurs formes, par exemple la notification aux autorités chargées de la protection des données à caractère personnel ou des représentants des employés. Les lois en vigueur en Autriche, en Estonie, en Finlande, en Grèce, en Lituanie, au Luxembourg, dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, en Norvège, en Pologne et en Slovaquie exigent que l’employeur avertisse directement l’employé avant de commencer la surveillance. En Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Finlande, en France, en Grèce, en Italie, au Portugal et en Suède, les employeurs peuvent surveiller les courriers électroniques marqués par les employés comme « privés », sans toutefois pouvoir accéder à leur contenu. Au Luxembourg, l’employeur ne peut ouvrir ni les courriers marqués comme « privés » ni ceux qui le sont de toute évidence. L’Italie, la République tchèque et la Slovénie, ainsi que, dans une certaine mesure, la République de Moldova imposent également des limitations au contrôle que l’employeur peut exercer sur les communications de ses employés, en fonction de la nature professionnelle ou personnelle de ces communications. En Allemagne et au Portugal, une fois le caractère privé d’une communication établi, l’employeur doit cesser de la lire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les faits se rapportant à la requête no 35082/13 introduite par Mme Cherednichenko La requête no 35082/13 a été introduite le 29 mai 2013 par Irina Fedorovna Cherednichenko, née en 1959 et résidant à Krasnodar, région de Krasnodar. La requérante poursuivit une société en raison de sa responsabilité civile. Le 6 août 2012, le tribunal du district Leninski de Krasnodar, statuant en présence de l’avocat de la requérante, débouta cette dernière de son action. Selon le Gouvernement, le tribunal prononça à l’audience le texte intégral de la décision. Selon la requérante, le tribunal ne prononça que le dispositif du jugement. Le 22 août 2012, la requérante se plaignit au président du tribunal que le texte intégral de la décision n’était toujours pas rédigé. Le 23 août 2012, elle déposa une déclaration d’appel succincte auprès de la cour régionale de Krasnodar. Elle expliqua que, en l’absence du texte intégral de la décision du tribunal, elle n’était pas en mesure d’expliciter les motifs de son appel. Elle indiqua qu’elle déposerait les conclusions d’appel à la réception du jugement susmentionné. Le 5 septembre 2012, la cour régionale de Krasnodar retourna le dossier au tribunal. Le 29 août 2012, le texte intégral de la décision fut rédigé. Le 30 août, la requérante en reçut la copie intégrale au greffe du tribunal. Le 19 septembre 2012, le juge du tribunal enjoignit à la requérante de fournir, avant le 2 octobre 2012, les moyens et arguments à l’appui de son recours. Le 28 septembre 2012, la requérante reçut cette injonction par courrier. Entre-temps, le 24 septembre 2012, elle avait envoyé, par pli recommandé, ses conclusions d’appel et une demande en relevé de forclusion. Le 16 octobre 2012, le greffe du tribunal réceptionna ce pli. Entre-temps, le 8 octobre 2012, le juge avait estimé la déclaration d’appel irrecevable faute pour la requérante d’avoir remédié aux irrégularités constatées. La requérante saisit le tribunal d’une demande en relevé de forclusion. Le 31 octobre 2012, le tribunal rejeta cette demande, en passant sous silence la réception, le 16 octobre 2012, des conclusions d’appel de la requérante. En application de cette décision, par une lettre du 2 novembre 2012, le juge retourna à la requérante ses conclusions d’appel. La requérante contesta la décision du 31 octobre 2012. Le 18 décembre 2012, la cour régionale de Krasnodar, estimant que le laps de temps entre le 28 septembre, date de la réception de l’injonction, et le 2 octobre, le délai butoir, était un délai suffisant pour rédiger les conclusions d’appel et pour les déposer directement au tribunal, rejeta le recours formé par l’intéressée. Le 15 avril 2013, la cour régionale rejeta le pourvoi en cassation de la requérante. Elle considéra que, d’après le procès-verbal de l’audience, la décision du tribunal avait été prononcée dans son intégralité le jour de la dernière audience, en présence de l’avocat de la requérante, et que le code de procédure civile ne prévoyait pas le dépôt d’une déclaration d’appel succincte. B. Les faits se rapportant à la requête no 63216/13 introduite par Mme Polupanova La requête no 63216/13 a été introduite le 11 septembre 2013 par Natalya Vladimirovna Polupanova, née en 1975 et résidant à Volgograd, région de Volgograd. La requérante a été représentée par Me V.R. Davtyan, avocat à Volgograd. La requérante assigna son ex-employeur en justice. Elle contestait son licenciement et demandait au tribunal de statuer en son absence. Le 19 avril 2012, le tribunal de Kogalym de la région de Khantys-Mansis rejeta l’action de l’intéressée. Le 23 avril 2012, il finalisa le texte intégral du jugement et, le 28 avril 2012, l’envoya par courrier. La requérante allègue avoir reçu la copie intégrale du jugement le 11 mai 2012. Le 30 mai 2012, la requérante posta ses conclusions d’appel et présenta en même temps une demande en relevé de forclusion. Le 11 juillet 2012, le tribunal de Kogalym rejeta cette demande. Le tribunal indiqua que, d’après le procès-verbal de l’audience, le texte intégral du jugement avait été finalisé le 23 avril 2012. Il constata qu’une copie intégrale du jugement était parvenue à la requérante le 5 mai 2012, le cachet de la poste faisant foi. Il considéra que, de toute manière, le point de départ du délai d’appel était le lendemain de la rédaction de la copie intégrale du jugement, soit le 24 avril, et non le jour de sa réception par l’intéressée. Il conclut que la requérante disposait du temps suffisant, entre le 7 mai, premier jour ouvré après la réception de la décision, et le 23 mai, date butoir, pour introduire son appel. Par conséquent, il déclara celui-ci irrecevable pour tardiveté. Le 31 juillet 2012, la requérante reçut cette décision par la poste. Le 9 août 2012, elle forma un recours contre celle-ci. Le 20 septembre 2012, le tribunal considéra que le délai de quinze jours imparti pour contester les décisions avant dire droit avait commencé à courir le lendemain du prononcé de la décision attaquée, à savoir le 12 juillet 2012, et non le jour de la réception de ladite décision par l’appelante. Le tribunal déclara donc son recours irrecevable pour forclusion, faute d’une demande pertinente. Le 16 avril 2013, la cour régionale de Khantys-Mansis confirma, en appel, la décision du 20 septembre 2012, pour les mêmes motifs. Le 28 octobre 2013, le juge de la cour régionale retourna le pourvoi de la requérante sans l’examiner, au motif que la décision attaquée ne faisait pas l’objet d’examen en appel, ce qui empêchait la saisine de l’instance de cassation. C. Les faits se rapportant à la requête no 31766/15 introduite par M. Storozhenko La requête no 31766/15 a été introduite le 14 juin 2015 par Viktor Leonidovich Storozhenko, né en 1953 et résidant à Vladivostok. Le requérant demanda l’ouverture d’une enquête pénale au motif que son véhicule avait été endommagé. Non satisfait du résultat de cette enquête, il introduisit une action contre le gouvernement fédéral, le ministère des Finances et le ministère de l’Intérieur pour se faire indemniser du dommage que lui aurait causé l’enquête, selon lui inefficace. Le tribunal du district Presnenski de Moscou inscrivit cette demande au rôle et convoqua le requérant à des audiences fixées au 10 octobre et au 11 novembre 2014. Le requérant demanda au tribunal de statuer en son absence. Le 17 janvier 2015, n’ayant reçu aucun document ni décision du tribunal, il demanda par écrit à celui-ci de lui envoyer un jugement. Le 9 mars 2015, il s’adressa au président du tribunal pour se plaindre. Il soutenait n’avoir reçu aucune réponse. Après la communication de la requête au Gouvernement, ce dernier a informé la Cour que la demande avait été examinée et rejetée, le 11 novembre 2014. Selon lui, cette décision n’ayant pas été contestée par le requérant, elle était devenue définitive le 12 décembre 2014. Selon le registre des envois postaux du tribunal du district Presnenski, le 28 novembre 2014, le greffe a envoyé la lettre en cause à l’adresse du requérant, laquelle était indiquée se trouver à Moscou et non pas à Vladivostok. D. Les faits se rapportant à la requête no 35428/15 introduite par M. Khabibullin La requête no 35428/15 a été introduite le 23 juin 2015 par Radik Gilfanovich Khabibullin, né en 1966 et résidant à Popovka, région de Perm. Le requérant a été représenté par Me Mariya Samorodkina, avocate à Moscou. Le requérant assigna la Banque centrale de Russie en justice. Il demandait que celle-ci le déclare créateur d’un symbole graphique du rouble et lui verse les indemnités afférentes aux droits d’auteur. Le 18 mars 2015, le tribunal du district Meshchanski de Moscou, statuant en présence du requérant, rejeta sa demande. Selon l’intéressé, seul le dispositif du jugement fut prononcé à l’audience. Les 6 et 18 avril 2015, le requérant demanda au tribunal, par voie électronique, de lui envoyer une copie du jugement motivé. Le 18 avril 2015, sans avoir reçu le texte du jugement et sans connaître les motifs du rejet de sa demande, le requérant déposa une déclaration d’appel. Le 27 juin 2015, le requérant reçut par la poste la copie du jugement et, le 1er juillet 2015, il déposa au greffe ses conclusions d’appel. Le requérant reçut une convocation pour une audience fixée au 6 octobre 2015 à la cour de la ville de Moscou. Puisque son prénom était mal orthographié (les initiales de ses prénoms étant indiquées « R.R. » au lieu de « R.G. »), l’intéressé, estimant qu’il n’était pas concerné, décida de ne pas comparaître. Le 20 octobre 2015, le requérant, consultant le site Internet de la cour de la ville de Moscou, apprit que, le 6 octobre 2015, la cour avait rejeté son appel. E. Les faits se rapportant à la requête no 50645/16 introduite par M. Smirnov La requête no 50645/16 a été introduite le 15 août 2016 par Aleksandr Gennadyevich Smirnov. Le requérant est né en 1966 et réside à Volgorechensk (région de Kostroma). Le requérant introduisit une action civile contre une société de droit privé concernant l’exécution d’un contrat de vente. À l’audience du 22 juin 2015, le tribunal du district Nerekhtski de la région de Kostroma examina l’affaire et débouta le requérant. Il ne prononça que le dispositif du jugement. Le 29 juin 2015, le greffe du tribunal avisa le requérant par téléphone que le jugement serait finalisé le lendemain, le 30 juin 2015. Le 30 juin 2015, le requérant obtint la copie intégrale du jugement. Le texte du jugement comportait un sceau du greffe en certifiant la date de réception. Le 30 juillet 2015, le requérant introduisit un appel. Par une décision avant dire droit du 3 août 2015, le tribunal du district établit que le jugement avait été rendu dans sa forme intégrale le 27 juin 2015 et qu’il avait été communiqué au requérant le 30 juin 2015. Estimant que le point de départ du délai d’appel était le 27 juin 2015 et constatant l’absence de toute demande en relevé de forclusion, le tribunal retourna, sans l’examiner, sa déclaration d’appel au requérant. Le requérant emprunta alors deux voies de recours. D’une part, il contesta la décision de retour sans examen de sa déclaration d’appel et, d’autre part, il introduisit une demande en relevé de forclusion, voie de recours prévue par l’article 112 du code de procédure civile. La déclaration d’appel Le 17 août 2015, le requérant contesta la décision du 3 août 2015. Il indiqua, entre autres, que, le jour de l’audience, le 22 juin 2015, le juge ne l’avait pas informé de la date de finalisation du texte. Il aurait en revanche précisé qu’il en serait avisé par téléphone. En effet, le 29 juin 2015, il fut informé par téléphone que le texte serait finalisé le lendemain, le 30 juin. En outre, selon le requérant, le jugement avait été finalisé à cette même date, c’est-à-dire imprimé et signé en sa présence. Pour prouver ses dires, le requérant invita la cour à consulter le texte de la décision qui n’indiquait pas la date de la finalisation du texte intégral. Il indiqua également que, faute d’une telle indication dans le texte du jugement, il avait pris pour point du départ du délai d’appel la date de la réception dudit texte au greffe. Il ajouta que le 27 juin 2015 était un jour férié et qu’il était donc impossible de le prendre comme point de départ du délai. Le 9 septembre 2015, la cour régionale de Kostroma confirma, en appel, la décision du 3 août 2015. Elle modifia, cependant, cette décision indiquant que, en effet, le point du départ était le jour ouvrable suivant, le 29 juin. La cour statua aussi qu’il n’y avait pas de preuve que le texte avait été finalisé le 30 juin 2015. La demande en relevé de forclusion Le 10 août 2015, le requérant présenta une demande en relevé de forclusion en reprenant les mêmes motifs que ceux exposés dans son appel (paragraphe 41 ci-dessus). En outre, il indiqua que, le 30 juin 2015, la date de la réception du jugement était mentionnée dans le relevé d’information (информационный лист материалов дела) accompagnant son dossier constitué au greffe. Par une décision avant dire droit du 26 août 2015, le tribunal du district rejeta cette demande. Il établit que le procès-verbal de l’audience indiquait que le texte du jugement serait finalisé dans un délai de cinq jours et que les parties pourraient en prendre connaissance après le 27 juin 2015. Il nota en outre que le relevé d’information prouvait que le texte intégral de la décision avait été finalisé le 27 juin, et ajouta que le requérant n’avait cité aucun motif rendant impossible ou difficile l’introduction de l’appel dans un délai d’un mois après cette date. Le 7 octobre 2015, la cour régionale de Kostroma confirma, en appel, cette décision. Le 15 décembre 2015 et le 15 février 2016 respectivement, les juges uniques de la cour régionale de Kostroma et de la Cour suprême de Russie refusèrent d’examiner le pourvoi de cassation du requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour un résumé des dispositions pertinentes, il convient de se rapporter à l’arrêt Ivanova et Ivashova c. Russie (nos 797/14 et 67755/14, §§ 24-32, 26 janvier 2017). Selon l’article 108 du code de procédure civile, si le dernier jour d’un délai est un jour férié, le délai expire le jour ouvrable suivant (paragraphe 2). L’acte de procédure pour la réalisation duquel un délai est imparti doit être accompli avant 24 heures du dernier jour du délai. Si le recours ou les documents sont déposés au bureau de poste avant minuit du dernier jour du délai, celui-ci est considéré comme étant respecté (paragraphe 3).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Bucarest. Il est avocat de profession. Par un jugement du 25 mai 2011, le tribunal de première instance de Bucarest le condamna à une peine de sept ans de prison pour détournement de fonds et faux. Le 1er décembre 2011, il fut incarcéré dans les locaux de détention de la police à Bucarest (Centrul de reţinere şi arestare preventivă nr. 2 – secţia 4 Poliţie) pour commencer à purger sa peine. Le jugement de première instance fut confirmé par un arrêt définitif de la cour d’appel de Bucarest du 25 novembre 2011, mis au net le 25 mai 2012. A. Demandes de report de l’exécution de la peine Le requérant forma deux demandes de report de l’exécution de la peine fondées sur l’article 453 § 1 b) et c) de l’ancien code de procédure pénale (« le CPP ») (paragraphe 22 ci-dessous). Il plaida qu’il était marié, qu’il avait un enfant âgé de quelques mois, né le 19 mai 2011, dont il voulait s’occuper, et que sa famille éprouvait des difficultés financières et sociales en raison de sa détention. Par un jugement du 27 mars 2012, le tribunal de première instance de Bucarest rejeta la première demande du requérant, considérant que le report de l’exécution de la peine, prévu par l’article 453 § 1 b) du CPP pour les mères condamnées jusqu’au premier anniversaire de leur enfant, était d’interprétation stricte, et que l’intéressé ne pouvait pas en demander l’application par analogie. Il estima également que les difficultés financières et familiales évoquées par le requérant n’entraient pas dans la catégorie des circonstances spéciales exigées par l’article 453 § 1 c) du CPP pour autoriser le report de la peine, d’autant plus qu’elles existaient avant son placement en détention. Sur un recours du requérant, le tribunal départemental de Bucarest confirma, par un arrêt du 7 mai 2012, le jugement rendu en première instance. Par un jugement du 13 juin 2012, le tribunal de première instance de Bucarest rejeta la deuxième demande formée par le requérant sur le fondement de l’article 453 § 1 c) du CPP, au motif que les conditions légales n’étaient pas remplies. En particulier, de l’avis du tribunal, l’exécution de la peine ne mettait pas en danger la situation personnelle ou familiale de l’intéressé. Par un arrêt du 17 juillet 2012, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le recours formé par le requérant contre ce jugement. B. Les conditions de détention Le requérant fut détenu dans plusieurs établissements pénitentiaires, dont les locaux de détention de la police à Bucarest (du 1er au 13 décembre 2011), la prison de BucarestRahova (du 13 au 19 décembre 2011, du 21 décembre 2011 au 9 janvier 2012 et du 17 janvier 2012 au 30 janvier 2013), la prison de Mărgineni (du 9 au 17 janvier 2012) et la prison de Giurgiu (du 30 janvier au 25 février 2013 et du 11 mars au 26 septembre 2013). La version du requérant S’agissant des locaux de détention de la police à Bucarest, le requérant indique avoir été incarcéré, avec trois autres détenus, dans la cellule no 1, qui mesurait selon lui 1,80 mètre par 2 mètres. Il précise que cette cellule disposait d’une seule fenêtre mesurant 30 centimètres par 40 centimètres, mais que celle-ci ne permettait pas de bénéficier d’un éclairage naturel en raison de la présence de deux rangées de barreaux. Il ajoute que les toilettes étaient sales et qu’elles n’étaient séparées du reste de la cellule que par un rideau. Enfin, il expose que l’eau courante n’était disponible que deux heures par jour. S’agissant de la prison de BucarestRahova, le requérant expose avoir été détenu dans la cellule no 209 avec huit autres détenus. Il indique que la cellule mesurait 3,20 mètres par 5,80 mètres et qu’elle disposait d’une seule fenêtre de 1 mètre par 1,20 mètre ne permettant pas de bénéficier d’un éclairage naturel en raison de la présence de barreaux et d’une grille. Il ajoute que la cellule était humide et qu’il y régnait une odeur désagréable. S’agissant de la prison de Mărgineni, il indique qu’il a été logé avec vingt-quatre détenus dans une cellule mesurant 2 mètres par 6 mètres et qu’il n’y avait pas l’eau courante. S’agissant de la prison de Giurgiu, il indique avoir été incarcéré dans une cellule surpeuplée. Il affirme, entre autres, que l’eau chaude n’était que rarement disponible, que le matelas et le linge de lit étaient sales. Il se plaint également de la présence de cafards, de rats et de punaises de lit. La version du Gouvernement Le Gouvernement affirme que, dans les locaux de détention de la police à Bucarest, le requérant a été détenu dans une cellule de 10,68 m2 disposant de quatre lits superposés, d’une télévision, de l’éclairage naturel ainsi que de toilettes d’une superficie de 2,5 m2. Il expose que, à la prison de Bucarest-Rahova, le requérant a été successivement logé dans sept cellules, que celles-ci avaient une superficie variant de 19,30 m2 à 19,58 m2 et qu’elles contenaient dix lits superposés. Il ajoute que ces cellules disposaient de toilettes, d’un coin cuisine ainsi que d’une aération et d’un éclairage naturels. Il indique que, à la prison de Mărgineni, la cellule du requérant mesurait 28,35 m2 et qu’elle contenait vingt et un lits. Il précise qu’elle disposait de toilettes, d’un coin cuisine ainsi que d’une aération et d’un éclairage naturels. Il dit que, à la prison de Giurgiu, le requérant a été successivement logé dans quatre cellules, que celles-ci avaient une superficie variant de 20,35 m2 à 20,96 m2 et qu’elles étaient prévues pour six détenus. Il expose qu’elles comportaient des lits individuels, une table permettant aux détenus de prendre leurs repas ensemble, trois tables de chevet, un petit banc, une prise de télévision et un coffre pour les chaussures. Il ajoute que ces cellules disposaient toutes de toilettes d’une superficie de 4,03 m2, mais il ne précise pas si cette superficie était incluse ou non dans celle des cellules. Il affirme que, enfin, les cellules ainsi que le linge fourni aux détenus étaient en bon état. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Un résumé du droit interne pertinent, dans sa version en vigueur au moment des faits, relatif aux droits des personnes détenues, à savoir l’ordonnance d’urgence du Gouvernement no 56/2003 concernant les droits des personnes exécutant une peine privative de liberté (« l’OUG no 56/2003 ») et la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines (« la loi no 275/2006 »), est présenté dans l’affaire Marcu c. Roumanie (no 43079/02, § 42, 26 octobre 2010). L’article 453 du CPP, dans sa version en vigueur au moment des faits, était ainsi rédigé en ses parties pertinentes en l’espèce : « 1. L’exécution d’une peine d’emprisonnement ou de réclusion à perpétuité peut être reportée [amânată] dans les cas suivants : (...) b) lorsque la [femme] condamnée est enceinte ou est mère d’un enfant de moins d’un an. Dans les cas [énoncés ci-dessus], l’exécution de la peine est reportée jusqu’à la fin de la cause qui a déterminé le report. c) lorsque, en raison de circonstances spéciales, l’exécution immédiate de la peine aurait des conséquences graves pour le condamné, sa famille ou son employeur. Dans ce cas, l’exécution peut être reportée pour une durée maximale de trois mois, et ce une fois seulement. » L’article 589 § 1 b) du nouveau code de procédure pénale (« le NCPP »), entré en vigueur le 1er février 2014, est rédigé dans les mêmes termes que l’article 453 du CPP dans son ensemble. Par un arrêt définitif no 1220 du 11 mars 2003, dans lequel elle a accueilli un recours (recurs) formé par le parquet et rejeté la demande d’une femme détenue visant le report de sa peine, la Cour suprême de justice (désormais dénommée Haute Cour de cassation et de justice) a considéré que l’interruption sollicitée n’était pas dans l’intérêt de l’enfant de la demanderesse, celle-ci purgeant une peine de prison pour avoir causé la mort d’un autre nouveau-né. Par un arrêt définitif no 267/R du 16 février 2010, dans lequel il a de même accueilli un recours du parquet et rejeté la demande d’une femme détenue visant l’interruption de sa peine, le tribunal départemental de Bucarest a retenu la mauvaise foi de la demanderesse qui, une fois mise en liberté, ne s’était pas occupée de son enfant, avait commis de nouvelles infractions et avait fait l’objet d’une nouvelle détention provisoire. III. LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (« le CPT »), rendues à la suite des visites effectuées en 2010 dans les locaux de détention de la police à Bucarest, sont résumées dans l’affaire Căşuneanu c. Roumanie (no 22018/10, § 43, 16 avril 2013). Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation Rec(2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres. L’annexe à cette Recommandation dispose, en ses passages pertinents en l’espèce : « Champ d’application (...) Les présentes règles doivent être appliquées avec impartialité, sans discrimination aucune fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation (...). Contacts avec le monde extérieur 1 Les détenus doivent être autorisés à communiquer aussi fréquemment que possible – par lettre, par téléphone ou par d’autres moyens de communication – avec leur famille, des tiers et des représentants d’organismes extérieurs, ainsi qu’à recevoir des visites desdites personnes. (...) 4 Les modalités des visites doivent permettre aux détenus de maintenir et de développer des relations familiales de façon aussi normale que possible. (...) 7 Lorsque les circonstances le permettent, le détenu doit être autorisé à quitter la prison – soit sous escorte, soit librement – pour rendre visite à un parent malade, assister à des obsèques ou pour d’autres raisons humanitaires. (...) Femmes 1 Outre les dispositions des présentes règles visant spécifiquement les détenues, les autorités doivent également respecter les besoins des femmes, entre autres aux niveaux physique, professionnel, social et psychologique, au moment de prendre des décisions affectant l’un ou l’autre aspect de leur détention. 2 Des efforts particuliers doivent être déployés pour permettre l’accès à des services spécialisés aux détenues qui ont des besoins tels que mentionnés à la Règle 25.4. [relative à l’attention due aux détenus qui ont subi des violences physiques, mentales ou sexuelles]. 3 Les détenues doivent être autorisées à accoucher hors de prison mais, si un enfant vient à naître dans l’établissement, les autorités doivent fournir l’assistance et les infrastructures nécessaires. » L’ensemble des normes et des principes établis au sein des Nations unies relatifs au traitement et à la protection des détenus est résumé dans l’affaire Khoroshenko c. Russie ([GC], no 41418/04, §§ 69-75, CEDH 2015). Les normes internationales visant spécialement la protection des femmes et de la maternité sont décrites dans l’affaire Khamtokhu et Aksenchik c. Russie ([GC], nos 60367/08 et 961/11, §§ 27-31, 24 janvier 2017). Le passage pertinent en l’espèce de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ratifiée par la Roumanie en 1982, se lit ainsi : Article 4 « (...) L’adoption par les États parties de mesures spéciales, y compris de mesures prévues dans la présente Convention, qui visent à protéger la maternité n’est pas considérée comme un acte discriminatoire. » En particulier, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le 21 décembre 2010, la Résolution no 65/229 sur les Règles concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) qui dispose, en ses parties pertinentes en l’espèce : « Certaines de ces règles abordent des questions pouvant s’appliquer à toutes les personnes détenues, hommes et femmes, notamment celles ayant trait aux responsabilités parentales, à certains services médicaux, aux méthodes de fouille et à d’autres questions apparentées mais, dans l’ensemble, les règles traitent principalement des besoins des femmes et de leurs enfants. Toutefois, étant donné que l’accent est notamment mis sur les enfants des détenues, il est indispensable de reconnaître le rôle central des deux parents dans la vie des enfants. Par conséquent, certaines règles s’appliquent également aux pères détenus ou délinquants. Règle 1 Afin de traduire dans les faits le principe de non-discrimination énoncé dans la règle 6 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, il convient de prendre en compte, lors de l’application des présentes règles, les besoins particuliers des détenues. Les mesures adoptées pour satisfaire à ces besoins dans un souci d’égalité des sexes ne doivent pas être considérées comme discriminatoires. Règle 2 (...) Avant ou au moment de leur admission, les femmes ayant à leur charge des enfants doivent être autorisées à prendre pour eux des dispositions, dont éventuellement l’obtention d’une suspension raisonnable de leur détention, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants. (...) Règle 48 Les détenues qui sont enceintes ou qui allaitent doivent recevoir des conseils sur leur santé et leur régime alimentaire dans le cadre d’un programme établi et suivi par un professionnel de la santé qualifié. Les femmes enceintes, les nourrissons, les enfants et les mères allaitantes doivent disposer gratuitement d’une nourriture adéquate et apportée en temps voulu, d’un environnement sain et de la possibilité de faire régulièrement de l’exercice. Les détenues ne doivent pas être dissuadées d’allaiter leur enfant, si ce n’est pour des raisons de santé bien précises. Les besoins médicaux et nutritionnels des détenues ayant récemment accouché, mais dont l’enfant ne séjourne pas avec elles en prison, doivent être inclus dans les programmes de traitement. Règle 49 La décision d’autoriser un enfant à séjourner avec sa mère en prison doit être fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Les enfants en prison avec leur mère ne doivent jamais être traités comme des détenus. Règle 50 Il faut faire en sorte que les détenues séjournant en prison avec leurs enfants puissent passer le plus de temps possible avec eux. Règle 51 Les enfants vivant avec leur mère en prison doivent pouvoir bénéficier à tout moment de services de soins de santé primaires et leur développement doit être suivi par des spécialistes, en collaboration avec des services de santé de l’extérieur. Les conditions dans lesquelles l’enfant est élevé doivent être aussi proches que possible de celles dont bénéficie un enfant vivant hors du milieu carcéral. Règle 52 Les décisions concernant le moment où l’enfant sera séparé de sa mère doivent être prises sur la base d’évaluations individuelles et de l’intérêt supérieur de l’enfant, dans les limites des lois nationales applicables. Le transfert de l’enfant hors de la prison doit être opéré avec tact, uniquement lorsqu’une autre solution de prise en charge a été trouvée et, dans le cas d’une détenue de nationalité étrangère, en consultation avec les autorités consulaires. Lorsque les enfants ont été séparés de leur mère et placés dans la famille ou chez des parents, ou ont été pris en charge d’une autre manière, les détenues doivent se voir accorder le maximum de possibilités et de facilités pour les rencontrer si cela correspond à l’intérêt supérieur des enfants et ne compromet pas la sécurité publique. (...) Règle 64 Les peines non privatives de liberté doivent être privilégiées, lorsque cela est possible et indiqué, pour les femmes enceintes et les femmes ayant des enfants à charge, des peines privatives de liberté étant envisagées en cas d’infraction grave ou violente ou lorsque la femme représente encore un danger et après la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant ou des enfants, étant entendu que des solutions appropriées doivent avoir été trouvées pour la prise en charge de ces derniers. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1962 et réside à Prague. En vertu d’un contrat conclu le 2 novembre 2004 et régi par les dispositions du code du travail, le requérant devint employé du ministère de la Défense. Le 27 décembre 2004, l’organe statutaire du ministère demanda à l’Office national de sécurité (Národní bezpečnostní úřad – « l’Office ») de délivrer une attestation de sécurité (osvědčení) au requérant lui donnant accès aux données confidentielles d’État classées « secret » (tajné) dans le cadre des fonctions qu’il était censé exercer. Le 1er janvier 2005, le requérant entra dans sa fonction de directeur de la Section de la gestion des biens du ministère (Sekce správy majetku Ministerstva obrany). Le 19 juillet 2005, l’Office lui délivra l’attestation de sécurité, valide jusqu’au 18 juillet 2010, confirmant qu’il avait accès aux données confidentielles d’État classées « secret ». Au cours de l’année 2006, le requérant fut nommé adjoint au premier vice-ministre de la Défense (zástupce Prvního náměstka ministra obrany), tout en conservant sa fonction de directeur de la Section de la gestion des biens du ministère. Le 7 octobre 2005, l’Office reçut une information confidentielle du service de renseignements, classée « réservé » (vyhrazené) et datée du 5 octobre 2005. Il ouvrit une enquête visant à vérifier l’information reçue. Au cours de cette enquête, le service de renseignements lui remit d’autres informations, datées du 21 mars 2006, classées « réservé » et versées au dossier de sécurité (bezpečnostní spis) sous le numéro 77. Sur la base de ces informations, l’Office révoqua l’attestation de sécurité le 5 septembre 2006. Cette décision était basée sur deux éléments distincts. D’une part, il était reproché au requérant d’avoir omis d’indiquer, alors qu’il aurait dû le faire lorsqu’il avait demandé l’attestation de sécurité, qu’il occupait des fonctions dirigeantes dans certaines sociétés et qu’il détenait des comptes dans des banques étrangères. D’autre part, la décision ajoutait que l’intéressé présentait un risque pour la sécurité nationale, au sens de l’article 14 § 3 d) de la loi no 412/2005. Concernant ce dernier élément, elle n’indiquait toutefois pas les informations confidentielles qui la fondaient, celles-ci étant classées « réservé », classement qui, selon la loi, n’en permettait pas la divulgation à l’intéressé. Elle précisait que les faits établis au sujet de son comportement, documentés par l’information reçue le 7 octobre 2005 par l’Office, faisaient douter de ses capacités nécessaires à la délivrance de l’attestation de sécurité ainsi que de sa capacité à ne pas se laisser influencer et à tenir secrètes les informations sensibles, et qu’il n’était dès lors plus digne de confiance. Sur recours hiérarchique (rozklad) du requérant, le directeur de l’Office, après avoir recueilli l’avis de la commission des recours, confirma, le 18 décembre 2006, la décision de l’Office du 5 septembre 2006, mais sur base d’une motivation partiellement différente. Il rejeta pour défaut de fondement le grief fait au requérant d’avoir omis de révéler certains éléments préalablement à la délivrance de l’attestation de sécurité. Il se rallia en revanche aux conclusions de l’Office concernant l’existence du risque de sécurité dont la réalité se dégageait de l’enquête menée par l’Office et des pièces classifiées. Entre-temps, le 4 octobre 2006, le requérant avait demandé à être démissionné, pour des raisons de santé, de sa fonction d’adjoint au premier vice-ministre de la Défense, ainsi que de celle de directeur de la Section de la gestion des biens du ministère. Le même jour, il fut révoqué sur la base de l’article 65 § 2 du code du travail (paragraphe 26 ci-dessous). Le 20 octobre 2006, il signa, en vertu de l’article 43 du code du travail, la rupture conventionnelle de son engagement, avec prise d’effet le 31 janvier 2007. Le 19 janvier 2007, le requérant contesta l’annulation de l’attestation de sécurité devant le tribunal municipal de Prague (městský soud). Lui et son avocat furent autorisés à consulter le dossier, mais les parties classées confidentielles en étaient exclues. En revanche, les documents contenant l’information sur l’existence du risque, y compris les documents confidentiels, avaient été transmis par l’Office au tribunal, qui y avait accès. À l’audience publique, le requérant se vit offrir la possibilité d’exposer ses arguments ainsi que sa thèse sur les motifs qui avaient conduit au retrait de son attestation de sécurité. Il observa, à cet égard, qu’il croyait que l’information litigieuse provenait d’un service de renseignement militaire qui voulait ainsi venger son refus d’entrer dans la collaboration dépassant ses obligations fixées par la loi qui lui avait été proposée. Par jugement du 1er septembre 2009, le tribunal débouta le requérant. Il souligna que dans une procédure de retrait d’un certificat de sécurité, l’autorité compétente ne doit exposer les raisons du retrait que sur la base de documents non classifiés et qu’en ce qui concerne les motifs tirés de documents classifiés, elle doit se limiter à se référer aux documents pertinents et à leur niveau de confidentialité. Il considéra que la démarche de l’Office, qui n’avait pas révélé au requérant le contenu des informations sur la base desquelles l’attestation de sécurité avait été retirée, n’était pas illégale, la loi ne permettant pas leur communication. Il ajouta que les droits du requérant avaient été suffisamment respectés du fait que le tribunal avait le pouvoir de prendre connaissance des informations classées confidentielles et d’apprécier si elles justifiaient la décision prise par l’Office. Par arrêt du 15 juillet 2010, la Cour administrative suprême (Nejvyšší správní soud) rejeta le recours en cassation (kasační stížnost) du requérant, soulignant qu’il se dégageait à l’exclusion de tout doute des documents classifiés que le requérant ne remplissait pas les conditions légales pour être tenu au secret, précisant que le risque le concernant résidait dans son comportement affectant sa crédibilité et sa capacité à tenir le secret. La Cour administrative suprême ajouta que la divulgation des informations classifiées aurait pu avoir pour conséquence la divulgation des méthodes de travail du service de renseignements, la révélation de ses sources d’information ou le risque d’influencer d’éventuels témoins. Elle expliqua qu’en vertu de la loi, il n’était pas possible d’indiquer où précisément résidait le risque de sécurité ni d’indiquer de manière précise les considérations à la base de la conclusion constatant un tel risque, les raisons et considérations à l’origine de la décision de l’Office trouvant leur origine exclusive dans les informations classifiées. Elle en déduisit que la motivation de la décision devait se limiter à une référence aux documents sur lesquels celle-ci était basée et au niveau de confidentialité des informations utilisées. Elle souligna également qu’eu égard à la spécificité de la procédure en présence de données confidentielles, les droits procéduraux de l’intéressé ne pouvaient pas être garantis dans leur intégralité mais que l’absence de communication des motifs concrets à la base de la décision de retrait de l’attestation de sécurité était contrebalancée par la garantie que constituait l’accès illimité aux pièces confidentielles par les juges administratifs. La Cour administrative suprême releva que le rapport sur le résultat de l’enquête du service de renseignements, versé au dossier sous le no 77, contenait les informations concrètes, complètes, détaillées et portant sur le comportement et le mode de vie du requérant qui permettaient en l’espèce de s’assurer de leur pertinence pour la question de savoir si le requérant présentait un risque pour la sécurité nationale. Elle observa en outre que ces informations n’avaient aucunement trait au refus du requérant de coopérer avec le service de renseignement militaire. Se plaignant de l’iniquité de la procédure, le requérant introduisit le 25 octobre 2010 un recours devant la Cour constitutionnelle (Ústavní soud). Par arrêt du 18 novembre 2010, celle-ci rejeta ce recours pour défaut manifeste de fondement. Se référant à sa jurisprudence antérieure en la matière, elle constata qu’eu égard aux spécificités et à l’importance des décisions adoptées en matière d’informations confidentielles où l’intérêt de la sécurité nationale était manifeste, il n’était pas toujours possible d’appliquer dans ces procédures toutes les garanties tenant à l’équité de la procédure. Elle estima qu’en l’espèce, dès lors que la conduite des tribunaux était dûment justifiée, que les motifs exposés dans leurs décisions étaient compréhensibles et conformes à la Constitution et qu’ils ne s’étaient pas écartés à l’excès des normes procédurales ni des règles constitutionnelles, il n’y avait pas lieu pour elle d’intervenir dans leur activité décisionnelle. Le 16 mars 2011, le ministère public délivra un acte d’accusation à l’encontre du requérant et de 51 autres personnes, pour influence alléguée dans l’attribution de contrats publics auprès du ministère de la Défense de 2005 à 2007. Le requérant était inculpé d’association au crime organisé (účast na zločinném spolčení), de complicité d’abus de pouvoir public (pomoc k trestnému činu zneužívání pravomoci veřejného činitele), de complicité de malversations dans des procédures de passation de marchés publics et d’adjudication publique (pomoc k trestnému činu pletich při veřejné soutěži a veřejné dražbě) ainsi que de complicité de violation de règles impératives en matière de relations économiques (pomoc k trestnému činu porušování závazných pravidel hospodářského styku). Par jugement du 25 mars 2014, le tribunal régional de České Budějovice (krajský soud) déclara le requérant coupable et le condamna, entres autres, à trois ans d’emprisonnement. Par arrêt du 27 mai 2016, la cour supérieure de Prague (Vrchní soud) confirma le jugement de première instance quant au verdict de culpabilité du requérant mais suspendit l’exécution de la peine d’emprisonnement pour une durée probatoire de deux ans. Le jugement fut coulé en force de chose jugée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Charte des droits et libertés fondamentaux (loi no 2/1993) Aux termes de l’article 26 § 2 de la Charte (Listina základních práv a svobod), ayant rang constitutionnel, le droit d’exercer certaines professions ou activités peut être soumis à certaines conditions ou limitations. B. La législation régissant le statut des agents publics et le droit du travail La fonction publique de l’État tchèque a été codifiée pour la première fois par la loi no 234/2014 sur la fonction publique (zákon o státní službě), qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Certes, en 2002, le Parlement avait adopté la loi no 218/2002 sur les employés de l’État dans les bureaux de l’administration et sur la rémunération de ces employés et d’autres employés de l’administration (loi de fonction). Toutefois, cette loi n’entra jamais en vigueur et fut remplacée par la loi précitée no 234/2014. Il s’ensuit que les agents de l’État engagés avant l’entrée en vigueur de la loi sur la fonction publique se trouvaient avec leur employeur dans une relation de droit privé, régie par le code du travail (loi no 65/1965, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006), sans statut spécial. L’article 65 du code du travail prévoit en son paragraphe 2 qu’un salarié élu ou nommé à un poste peut être révoqué de ses fonctions ou renoncer à celles-ci. Selon le paragraphe 3, la révocation des fonctions ou la renonciation à celles-ci n’a pas pour effet la fin de l’engagement et l’employeur se mettra d’accord avec l’agent quant à sa future affectation correspondant à sa qualification. La liste exhaustive des motifs pour lesquels un licenciement avec préavis ou avec effet immédiat peut être prononcé se trouve, respectivement, dans les articles 46 et 53 du code du travail. L’article 64 du même code autorise un salarié à contester en justice la régularité de son licenciement dans les deux mois qui suivent celui-ci. C. La loi no 148/1998 sur la protection des données confidentielles L’attestation de sécurité a été délivrée au requérant sur la base de la loi no 148/1998 sur la protection des données confidentielles (zákon o ochraně utajovaných skutečností ; « la loi de 1998 »). L’article 17 de ce texte, abrogé par la loi no 413/2005 sur la modification des lois dans le cadre de l’adoption de la loi sur la protection des données confidentielles de l’État et sur l’accès à ces données (zákon o změně zákonů v souvislosti s přijetím zákona o ochraně utajovaných informací a o bezpečnostní způsobilosti), prévoyait en particulier qu’il n’était possible, pour un individu, de prendre connaissance des données classées confidentielles que lorsqu’il en avait besoin pour l’exercice de ses activités et qu’il était titulaire d’une attestation de sécurité, dont la possession était une condition préalable à l’exercice d’une profession dans le cadre de laquelle il était indispensable de prendre connaissance de données confidentielles. L’article 7 § 1 de la loi de 1998 créait l’Office national de sécurité. Selon l’article 41 de ce texte, le supérieur hiérarchique pouvait saisir l’Office d’une demande de délivrance d’une attestation de sécurité pour son agent. L’article 5 classait les données en informations « réservées » (vyhrazené), « confidentielles » (důvěrné), « secrètes » (tajné) et « hautement secrètes » (přísně tajné). Quiconque souhaitait obtenir l’attestation de sécurité dans l’une de ces catégories de données devait être citoyen tchèque, jouir de la pleine capacité juridique, être majeur, irréprochable et fiable du point de vue de la personnalité ainsi que du point de vue de la sécurité nationale. Une personne qui avait été condamnée pour une infraction pénale en rapport avec la protection du secret d’État ou du secret économique ou professionnel était considérée comme non fiable. Par ailleurs, la loi considérait comme manquant de fiabilité quiconque présentait, sur la base d’un examen psychologique, des traits, attitudes ou relations personnels susceptibles d’éveiller des doutes sur sa capacité à tenir le secret. La loi de 1998 ne prévoyait, au moment des faits, aucun contrôle juridique des décisions de refus d’accorder une attestation de sécurité. D. La loi no 412/2005 sur la protection des données confidentielles de l’État et sur l’accès à celles-ci (version en vigueur jusqu’au 23 mai 2007) La loi no 412/2005 sur la protection des données confidentielles et l’aptitude de sécurité (zákon o ochraně utajovaných informacích a o bezpečnostní způsobilosti), ainsi que la loi no 413/2005, modifiant la loi no 148/1998, entrèrent en vigueur le 1er janvier 2006. Les conditions de délivrance de l’attestation de sécurité étaient identiques à celles fixées dans la loi précédente, mais leur définition était légèrement différente. Aux termes de l’article 4, les données confidentielles de l’État étaient classées selon les catégories suivantes : a) « hautement secret » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus pouvaient très sérieusement nuire aux intérêts de la République tchèque ; b) « secret » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus pouvaient sérieusement nuire aux intérêts de la République tchèque ; c) « confidentiel » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus pouvaient nuire aux intérêts de la République tchèque ; d) « réservé » lorsque leur divulgation à une personne non autorisée ou leur abus pouvaient présenter des inconvénients pour les intérêts de la République tchèque. À ce dernier titre, l’article 3 § 5 disposait que présentaient des inconvénients pour la République tchèque la divulgation d’une donnée confidentielle à une personne non autorisée ou l’abus d’une telle donnée, lesquels pouvaient avoir pour conséquence : a) la perturbation des activités des forces armées de la République tchèque, de l’OTAN ou de l’un de ses États membres, ou d’un État membre de l’UE, b) l’échec, la complication ou la mise en danger d’une enquête sur des infractions pénales autres que des infractions particulièrement graves, ou le fait de faciliter leur perpétration, c) l’atteinte à des intérêts économiques importants de la République tchèque ou de l’UE ou de l’un de ses États membres, d) la perturbation de négociations commerciales ou politiques importantes entre la République tchèque et une puissance étrangère, ou e) la perturbation d’opérations de sécurité ou de renseignement. Les articles 6 à 10 de la loi définissaient les conditions de l’accès des personnes physiques aux données classées « réservé ». Aux termes de l’article 6 § 1, une personne pouvait se voir accorder l’accès à de telles données confidentielles si elle en avait un besoin indispensable pour exercer sa fonction, son activité professionnelle ou une autre activité, à la condition qu’elle détînt un document (oznámení) indiquant qu’elle satisfaisait aux conditions d’accès aux données confidentielles classées « réservé ». Ce document était délivré, selon les cas, par le supérieur hiérarchique ou par l’Office national de sécurité. Les articles 11 à 14 de la loi définissaient les conditions de l’accès des personnes physiques aux données classées « hautement secret », « secret » et « confidentiel » (dont l’accès était plus strict que pour les données classées « réservé »). Aux termes de l’article 11 § 1, une personne physique pouvait se voir accorder l’accès à de telles données confidentielles lorsqu’elle en avait un besoin indispensable pour exercer sa fonction ou son activité professionnelle ou une autre activité, lorsqu’elle détenait une attestation de sécurité valable pour la catégorie nécessaire de données et qu’elle avait reçu des instructions appropriées. L’article 12 § 1 définissait comme suit les conditions d’octroi de l’attestation de sécurité à une personne physique : « L’Office délivre l’attestation de sécurité aux personnes physiques qui a) sont ressortissantes de la République tchèque ou d’un État membre de l’UE ou de l’OTAN ; b) remplissent les conditions prévues par l’article 6 § 2 [pleine capacité juridique, âge de 18 ans au moins, casier judiciaire vierge] ; c) sont fiables du point de vue de la personnalité ; d) sont fiables du point de vue de la sécurité nationale. » Selon l’article 12 § 2, la personne physique devait remplir les conditions prévues au paragraphe 1 pendant toute la durée de validité de l’attestation. L’article 13 § 1 disposait qu’était fiable du point de vue de la personnalité toute personne physique ne souffrant pas de troubles susceptibles d’avoir des répercussions sur sa fiabilité ou sur sa capacité de garder le secret, ce qui était attesté, aux termes du paragraphe 2 de l’article 13, par une déclaration sur la fiabilité du point de vue de la personnalité et, lorsque la loi le prévoyait, par un rapport d’expertise également. Aux termes de l’article 14 § 1, était considérée comme fiable du point de vue de la sécurité nationale toute personne ne présentant pas de risque pour la sécurité. Selon l’article 14 § 2, était considérée comme un risque pour la sécurité nationale : a) toute activité sérieuse ou répétée contraire aux intérêts de la République tchèque, ou b) toute activité consistant à réprimer les droits et libertés fondamentaux, ou tout soutien à toute activité de ce type. L’article 14 § 3 énumérait les éléments qui pouvaient être considérés comme présentant un risque pour la sécurité nationale. Selon la lettre d), il pouvait s’agir d’un comportement affectant les capacités de l’intéressé à être digne de confiance, à ne pas se laisser influencer et à garder le secret. En vertu de l’article 58 § 1 e) combiné avec le paragraphe 2, à compter du jour de leur nomination et tout au long de l’exercice de leurs fonctions, et dans la mesure nécessaire à l’exercice de celles-ci, tous les juges avaient accès à toutes les catégories de données confidentielles, et ce même s’ils ne possédaient pas d’attestation de sécurité pour personnes physiques. La loi no 412/2005 a introduit une nouvelle partie IV, intitulée « Procédure de sécurité » (bezpečnostní řízení) qui s’applique aussi bien à la procédure de délivrance qu’à la procédure de retrait de l’attestation de sécurité, divisée en deux étapes, l’une administrative et l’autre juridictionnelle. Son quatrième chapitre est consacré plus particulièrement à l’étape juridictionnelle. Selon l’article 89 § 7, la partie à la procédure de délivrance ou de retrait et son représentant ont le droit, avant l’adoption de la décision, de consulter le dossier et d’en faire des relevés, à l’exception des pièces du dossier renfermant des données confidentielles. Aux termes de l’article 101 § 1, l’Office est tenu d’engager une procédure d’invalidation de l’attestation de sécurité de toute personne physique dont on peut raisonnablement douter qu’elle continue de remplir les conditions de délivrance de ce document public. Selon l’article 101 § 2, l’Office invalide l’attestation de sécurité de toute personne physique qui ne remplit plus ces conditions. Selon l’article 107 § 4, les services de renseignement, à la demande de l’Office, présentent à celui-ci un rapport sur les résultats de l’enquête menée. L’article 122 § 3 dispose que la motivation d’une décision prise en vertu de cette loi doit consigner les motifs à l’origine de son adoption, les éléments sur lesquels elle se fonde ainsi que le raisonnement adopté par l’Office dans l’évaluation de ceux-ci et dans l’application de la réglementation. Lorsque certains des motifs constituent des informations confidentielles, la décision ne doit indiquer que les éléments sur lesquels elle se fonde et leur degré de confidentialité. Le raisonnement adopté par l’Office lors de leur évaluation et les motifs de l’adoption de la décision ne doivent être mentionnés que dans la mesure où ils ne constituent pas des informations confidentielles. Aux termes de l’article 133 § 1, la décision du directeur de l’Office peut être contestée devant un tribunal par le biais d’un recours contentieux. Le paragraphe 2 de cet article dispose que lors du contrôle juridictionnel, le tribunal évalue les preuves en respectant l’obligation de sauvegarder la confidentialité des informations figurant dans les résultats de l’enquête ou dans les registres du service de renseignements ou de la police. Une audition ne peut porter sur ces faits que si la personne liée par l’obligation de confidentialité est dispensée de cette obligation ; la dispense ne peut pas être accordée lorsqu’elle pourrait mettre en péril ou sérieusement compromettre l’activité du service de renseignements ou de la police. Cela vaut également pour les moyens de preuve autres que l’audition. Conformément à l’article 133 § 3, l’Office désigne les faits mentionnés au paragraphe 2 qui, selon lui, ne peuvent pas être visés par la dispense de l’obligation de confidentialité. Lorsque le risque existe de mettre en péril ou de sérieusement compromettre l’activité du service de renseignements ou de la police, le président de la chambre saisie du litige prononce la mise à l’écart des éléments du dossier ayant un lien avec ces faits ; ces éléments du dossier ne peuvent être consultés ni par le demandeur ni par son représentant. E. Le code de la justice administrative (loi no 150/2002) Conformément à l’article 45 § 3 du code de la justice administrative, lors du dépôt d’un document, l’autorité administrative indique toujours les parties du document contenant des informations confidentielles. Le président de la chambre soustrait ces parties à la consultation. Cette disposition s’applique mutatis mutandis dans le cas de dossiers judiciaires. Toutefois, le paragraphe 4 dispose que la consultation des parties du dossier destinées à être utilisées comme preuves devant le tribunal ne peut être interdite. Il n’est pas possible non plus d’interdire la consultation des éléments du dossier qu’une partie au litige avait été autorisée à consulter devant l’autorité administrative. Selon l’article 45 § 6, préalablement à la consultation du dossier, le président de la chambre est tenu d’informer toute personne appelée à consulter un dossier contenant des informations confidentielles, telles que prévues par une loi spéciale, des conséquences pénales découlant d’une atteinte à la confidentialité de ces informations. En signant un document attestant qu’elle a reçu des informations de cette nature, la personne avertie devient une « personne désignée », en ce qu’elle a besoin de connaître les informations confidentielles en question. Au titre de l’article 77 § 2, sauf disposition contraire d’une loi spéciale concernant la portée et le mode d’administration des preuves, les tribunaux peuvent réexaminer ou dans ce cadre demander des compléments des preuves précédemment produites par l’autorité administrative. III. LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTE Les lois no 148/1998 et no 412/2005 ont donné lieu à des développements jurisprudentiels importants. Le 12 juillet 2001, le plénum de la Cour constitutionnelle a adopté l’arrêt no Pl. ÚS 11/2000 relatif à la loi no 148/1998 qui interdisait en principe à l’Office de communiquer à la personne concernée les motifs de la non-délivrance de l’attestation de sécurité. Tout en reconnaissant l’intérêt légitime pour l’État que certaines informations et certaines méthodes d’investigation restent confidentielles, la Cour constitutionnelle a néanmoins précisé qu’on ne saurait, même dans de tels cas spécifiques, renoncer à la protection des droits fondamentaux de l’individu. Elle conclut qu’il incombait au législateur de trouver, dans une nouvelle législation, le bon moyen de refléter et concilier les intérêts privés et l’intérêt général. Tant la Cour administrative suprême, dans son arrêt no 6 As 14/2006 du 31 janvier 2007, qu’ultérieurement la Cour constitutionnelle, dans son arrêt no II. ÚS 377/04 du 6 septembre 2007, ont estimé que les décisions prises par l’administration dans ce domaine étaient susceptibles de contrôle judiciaire, tout en soulignant que la délivrance de l’attestation de sécurité était un « privilège extraordinaire ». Elles ont cependant retenu qu’il n’était « certainement pas possible que l’Office soit obligé, sous le prétexte du respect absolu des droits procéduraux d’une partie à la procédure, de faire état dans ses décisions des faits qui pourraient mettre en péril l’intérêt de l’État, le bon déroulement des activités du service de renseignements ou de la police, ou bien la sécurité de leurs agents ou des tiers » et qu’il « y a[vait] lieu de veiller avec d’autant plus de diligence à ce que ces buts ne soient pas poursuivis au mépris des principes de l’État de droit ou au détriment des droits fondamentaux de l’individu. Il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle que (...), lors du contrôle d’une décision qui a pour conséquence directe de limiter la possibilité d’exercer un certain emploi, l’intérêt public à la confidentialité ne peut pas justifier l’exclusion de cette décision du champ d’application de (...) l’article 6 § 1 de la Convention garantissant le droit à la protection judiciaire ». Dans l’arrêt no I. ÚS 828/09 du 22 septembre 2009 la Cour constitutionnelle a relevé, en particulier, que le droit au libre choix de sa profession n’incluait pas le droit à la délivrance d’une attestation de sécurité ni le droit à exercer une profession spécifique dont l’exercice est par ailleurs strictement limité dans l’intérêt de l’État. Elle a rejeté l’argument du requérant selon lequel la décision d’invalidation de l’attestation de sécurité pour la catégorie « secret » aurait porté atteinte à son droit fondamental au libre choix de sa profession, au sens de l’article 26 de la Charte. Elle a précisé que ce droit pouvait être interprété comme consacrant non pas le droit de chacun à une profession concrète mais seulement le droit de choisir la profession que l’on voudrait exercer. Elle a ajouté que pour entrer dans telle ou telle relation de travail ou pour entamer une activité indépendante concrète, l’intéressé devait remplir les conditions détaillées prévues par la loi pour l’exercice de cette profession ou activité, conformément à l’article 26 § 2 de la Charte. Dans un arrêt no 5 As 44/2006 du 30 janvier 2009, la Cour administrative suprême a considéré que, pour interpréter la notion de « risque pour la sécurité nationale », il fallait examiner les pièces recueillies à l’aune d’un éventuel risque pour la sécurité. Dès lors, selon elle, le seul soupçon quant à l’existence d’un risque pour la sécurité nationale suffisait pour conclure que la personne concernée n’était pas fiable du point de vue de la sécurité nationale. La Cour administrative suprême a également mentionné le lien entre l’exercice d’un emploi particulier et la délivrance de l’attestation de sécurité. Se référant aux travaux préparatoires de la loi, elle a souligné que l’accès aux informations confidentielles ne devait être permis qu’à des personnes qui en avaient nécessairement besoin pour l’exercice de leur profession ou fonction. Cette position a été également adoptée par la Cour constitutionnelle qui, dans un arrêt no I. ÚS 828/09 du 22 septembre 2009, a considéré qu’il n’était pas possible de déduire du droit au libre choix de sa profession le droit à la délivrance d’une attestation de sécurité, qui n’était garanti ni par la Charte des droits et libertés fondamentaux ni par les textes de rang infra-constitutionnel. Un arrêt rendu par la septième chambre de la Cour administrative suprême le 9 avril 2009 (no 7 As 5/2008) a notamment retenu que dans la matière particulière en question, au cas où les autorités décideraient de ne pas divulguer à l’intéressé les raisons de fait concrètes pour lesquelles il n’a pas été considéré comme fiable du point de vue de la sécurité, elles étaient néanmoins obligées, afin que leur décision résiste à un contrôle judiciaire, de rendre entièrement possible la vérification de ces raisons – notamment au niveau factuel – par un tribunal. Cela impliquait selon elle que l’information à la base de la décision y afférente devait être versée au dossier de l’Office de sécurité nationale et que le tribunal devait réexaminer d’office la pertinence de celle-ci. L’arrêt a ajouté que, dès lors, l’Office de sécurité nationale ne pouvait baser ses conclusions que sur les informations versées au dossier. En utilisant le terme « informations », l’arrêt en question a indiqué assez clairement que si le dossier soumis par l’Office de sécurité nationale devait nécessairement inclure toutes les informations ayant servi à fonder une décision administrative, donc même leurs sources, mais il est resté muet quant à la vérification de l’authenticité et à la véracité de telles sources. Dans un arrêt subséquent, du 25 novembre 2011 (no 7 As 31/2011), la septième chambre de la Cour administrative suprême s’est penchée sur la question de la véracité des informations et de leurs sources. Elle a mentionné expressis verbis l’arrêt rendu à l’égard du requérant en retenant que dans cette affaire, la cour n’avait pas mentionné les informations concrètes sur lesquelles elle s’était basée, motif pris de l’intérêt de dissimuler les informations, ce qui impliquait que, n’ayant pas été avisée de leur contenu, la partie intéressée ne pouvait pas se prononcer utilement sur la pertinence des circonstances constatées. Elle a conclu que dans une telle situation, il appartenait au juge de se substituer au requérant dans son rôle et de réexaminer la pertinence des informations confidentielles à tous les points de vue a priori importants pour la solution du litige. L’arrêt a reconnu que les tribunaux administratifs ne pouvaient pas examiner l’authenticité et la véracité des documents et informations fournis par le service de renseignements et qu’il s’agissait là d’une exception aux pouvoirs ordinaires des juridictions administratives en matière d’appréciation des preuves produites. Il a ajouté que, s’agissant des informations provenant du service de renseignements, une certitude et une vérité absolues n’étaient pas requises et qu’il suffisait que les conclusions tirées des faits exposés dans les informations ainsi fournies en constituent l’explication la plus plausible. Il a ajouté que le juge n’était pas pour autant privé de la possibilité d’examiner la crédibilité et la force des informations fournies par le service de renseignements, soulignant que les rapports établis par le service de renseignements ne sauraient se borner à refléter l’opinion de leurs auteurs sans que les faits pertinents énumérés dans le dossier ne puissent être vérifiés par les juges. Dans un arrêt du 30 septembre 2015 (no 1 As 146/2015), la Cour administrative suprême a notamment relevé qu’il ressortait des dispositions de l’article 133 de la loi no 412/2005 que c’était à la cour (au président de la chambre) de décider de l’extraction d’une pièce du dossier, à condition qu’elle ait conclu que les conditions légales permettant l’exclusion de certaines informations et la restriction de l’accès à celles-ci, étaient remplies. Elle a dit que, en disposant ainsi, la loi no 412/2005 n’associait pas l’application de la procédure prévue à l’article 133 § 3 aux seules données classées à tel ou tel niveau, mais que cette procédure était généralement applicable à toute information classée confidentielle (de restreinte à très secrète) contenue dans les résultats d’une enquête ou dans les données des registres des services de renseignements ou de la police, si sa divulgation risquait de mettre en danger ou de perturber les activités des services de renseignements ou de la police, tout en étant identifiée par l’administration comme interdite à la levée de la confidentialité (voir arrêt no 9 As 9/2010 du 15 juillet 2010 de la Cour administrative suprême). Dans sa formation élargie, la Cour administrative suprême a jugé, le 1er mars 2016 (no 4As 1/2015-40), que le fait que des informations doivent rester inaccessibles pendant la procédure juridictionnelle n’était pas automatique et que leur exclusion de l’examen des preuves pendant le procès ne l’était pas non plus. Elle a dit qu’il n’en était ainsi que si le juge avait conclu que l’exclusion de telles informations était légale. Elle a retenu, à propos de l’appréciation de la qualité des informations invoquées à la base d’une décision de retrait et de ses sources, que ni l’Office de sécurité nationale, ni les tribunaux administratifs ne vérifiaient la véracité des informations émanant de ces services de la même façon que dans une procédure administrative ordinaire. En revanche, elle a ajouté que les informations des services de renseignement ne pouvaient pas prendre la forme d’une simple opinion de l’auteur, sans être soutenues par des éléments adéquats versés au dossier et susceptibles d’être vérifiés par le juge. Selon elle, l’Office de sécurité nationale et les tribunaux administratifs devaient avoir une possibilité d’évaluer la véracité et le caractère persuasif d’une information du renseignement ainsi que sa pertinence par rapport à la procédure de sécurité. IV. LÉGISLATION ET PRATIQUE JUDICIAIRE COMPARÉES A la lumière des informations comparatives dont dispose la Cour concernant trente États membres, la protection de la sécurité nationale est un enjeu dans chacun des États dont la législation a été examinée. Si la notion de « sécurité nationale » ou « sûreté nationale » n’est pas définie de manière uniforme, toutes les législations permettent à l’exécutif, en particulier aux autorités chargées de la sécurité nationale, de limiter l’accès à des informations confidentielles, y compris dans le cadre des procédures judiciaires, pénales et administratives, quand cela est jugé nécessaire à la défense des intérêts de l’État. Les autorités jouissent à cet égard d’une discrétion étendue. Une grande majorité d’États confient cependant aux tribunaux une fonction de contrôle concernant la justification de la classification des documents. La plupart des États habilitent les tribunaux à examiner non seulement la légalité externe d’une décision de classification mais aussi la justification concrète de classifier des informations confidentielles recueillies par le service de renseignements. Certains États investissent de ce pouvoir l’intégralité des juges, tandis que d’autres prévoient une procédure d’autorisation des juges appelés à traiter les informations et documents de ce type. Dans certains États membres, le contrôle juridictionnel est conduit en l’absence non seulement du public et de la presse mais aussi des parties à la procédure et de leurs avocats. L’étendue d’un tel contrôle judiciaire n’est pas réglementée de manière uniforme. Il n’y a consensus que pour considérer que la non-divulgation d’informations confidentielles pendant la procédure judiciaire ne constitue pas en soi une violation des droits fondamentaux de la personne. Si l’utilisation de pièces non communiquées est proscrite dans un procès pénal, celle d’informations et de documents confidentiels non communiqués est admise dans les procédures administratives au sein de certains États. Concernant plus particulièrement le refus ou le retrait d’attestations de sécurité donnant à des tribunaux l’accès à des documents confidentiels, certains États excluent tout recours juridictionnel tandis que d’autres prévoient un tel recours conférant aux juges des pouvoirs variables, allant du contrôle de la seule légalité formelle de la décision litigieuse à l’examen au fond de la justification, comportant une analyse des pièces fondant la décision. V. JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE Le 4 juin 2013, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a adopté une décision préliminaire dans l’affaire ZZ c. Royaume-Uni (affaire C300/11). Cette décision avait pour origine une demande d’interprétation de l’article 30, paragraphe 2, de la directive modifiée 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, adoptée le 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, lu à la lumière notamment de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans le cadre d’un litige qui opposait une personne ayant la double nationalité française et algérienne aux autorités d’immigration du Royaume-Uni au sujet de la décision de celles-ci lui interdisant, pour des raisons de sécurité publique, d’accéder au territoire britannique. La CJUE a répondu, en substance, que si, dans des cas exceptionnels, une autorité nationale s’oppose, pour des raisons de sûreté d’État, à la communication à l’intéressé des motifs précis et complets qui constituent le fondement d’une décision de refus d’entrée et de séjour, il importe qu’un juge soit chargé de vérifier si ces raisons s’opposent à la communication de ces motifs en cause ainsi que des éléments de preuve y afférents. Concernant la preuve que la sûreté de l’État serait effectivement compromise par une communication à l’intéressé de ces motifs, elle a précisé qu’il n’existait pas de présomption en faveur de l’existence et du bien-fondé des raisons invoquées par une autorité nationale (§ 61 de l’arrêt). Elle a ajouté que si ledit juge concluait que la sûreté de l’État ne s’opposait pas à la communication à l’intéressé des motifs précis et complets sur lesquels était fondée une décision de refus d’entrée, il permettrait à l’autorité nationale compétente de communiquer à l’intéressé les motifs et les éléments de preuve manquants, et que si cette autorité n’en autorisait pas la communication, le juge procéderait à l’examen de la légalité d’une telle décision sur la base des seuls motifs et éléments de preuve qui avaient été communiqués (§ 63) et que si, en revanche, il s’avérait que la sûreté de l’État s’opposait effectivement à la communication à l’intéressé desdits motifs, le contrôle juridictionnel de la légalité de la décision devrait être effectué dans le cadre d’une procédure qui mettait en balance de manière appropriée les exigences découlant de la sûreté de l’État et celles du droit à une protection juridictionnelle effective, tout en limitant les ingérences éventuelles dans l’exercice de ce droit au strict nécessaire. Elle a notamment dit ceci : « 65. À cet égard, d’une part, compte tenu du respect nécessaire de l’article 47 de la Charte, ladite procédure doit garantir, dans la mesure la plus large possible, le respect du principe du contradictoire, afin de permettre à l’intéressé de contester les motifs sur lesquels est fondée la décision en cause ainsi que de présenter des observations au sujet des éléments de preuve afférents à celle-ci et, partant, de faire valoir utilement ses moyens de défense. Notamment, il importe que soit communiquée à l’intéressé, en tout état de cause, la substance des motifs sur lesquels est fondée une décision de refus d’entrée (...), la protection nécessaire de la sûreté de l’État ne pouvant avoir pour effet de priver l’intéressé de son droit d’être entendu et, partant, de rendre ineffectif son droit de recours (...). D’autre part, la pondération du droit à une protection juridictionnelle effective avec la nécessité d’assurer la protection de la sûreté de l’État membre concerné sur laquelle repose la conclusion énoncée au point précédent ne vaut pas de la même manière pour les éléments de preuve à la base des motifs produits devant le juge national compétent. En effet, dans certains cas, la divulgation de ces éléments de preuve est susceptible de compromettre de manière directe et particulière la sûreté de l’État, en ce qu’elle peut notamment mettre en danger la vie, la santé ou la liberté de personnes ou dévoiler les méthodes d’investigation spécifiquement employées par les autorités nationales de sécurité et ainsi entraver sérieusement, voire empêcher, l’accomplissement futur des tâches de ces autorités. Dans ce contexte, il appartient au juge national compétent d’apprécier si et dans quelle mesure les restrictions aux droits de la défense du requérant découlant notamment d’une non-divulgation des éléments de preuve et des motifs précis et complets sur lesquels est fondée la décision (...) sont de nature à influer sur la force probante des éléments de preuve confidentiels. Dans ces conditions, il incombe au juge national compétent, d’une part, de veiller à ce que la substance des motifs qui constituent le fondement de la décision en cause soit communiquée à l’intéressé d’une manière qui tienne dûment compte de la confidentialité nécessaire des éléments de preuve et, d’autre part, de tirer, en vertu du droit national, les conséquences d’une éventuelle méconnaissance de cette obligation de communication. » Dans l’affaire Commission et autres c. Kadi (no C-584/10 P, 18 juillet 2013), la CJUE a pareillement mis en balance les exigences liées au droit à une protection juridictionnelle effective, en particulier au respect du principe du contradictoire, et celles découlant de la sûreté de l’Union européenne ou de ses États membres (en particulier les paragraphes 111 et 125 à 129).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants – un couple marié – sont nés respectivement en 1967 et 1955 et résident à Colletorto. A. L’arrivée de l’enfant en Italie Après avoir tenté d’avoir un enfant et après avoir eu recours en vain à des techniques de procréation médicalement assistée, les requérants se proposèrent de devenir parents adoptifs. Le 7 décembre 2006, ils obtinrent l’agrément du tribunal pour mineurs de Campobasso pour adopter un enfant étranger au sens de la loi no 184 de 1983, intitulée « Droit de l’enfant à une famille » (ci-après « la loi sur l’adoption »), sous réserve que l’âge de l’enfant fût compatible avec les limites prévues par la loi (paragraphe 63 ci-dessous). Les requérants déclarent être restés en vain dans l’attente d’un enfant à adopter. Par la suite, ils décidèrent de recourir de nouveau à des techniques de procréation assistée et de faire appel à une mère porteuse en Russie. Ils prirent contact à cette fin avec une clinique située à Moscou. La requérante affirme s’être rendue à Moscou et avoir transporté depuis l’Italie et déposé à la clinique le liquide séminal du requérant dûment conservé. Une mère porteuse fut trouvée et les requérants conclurent une convention de gestation pour autrui avec la société Rosjurconsulting. Après une fécondation in vitro réussie le 19 mai 2010, deux embryons furent implantés dans l’utérus de la mère porteuse le 19 juin 2010. Le 16 février 2011, la clinique russe attesta que le liquide séminal du requérant avait été utilisé pour les embryons à implanter dans l’utérus de la mère porteuse. La requérante se rendit à Moscou le 26 février 2011, la clinique ayant annoncé la naissance de l’enfant pour la fin du mois. L’enfant naquit à Moscou le 27 février 2011. À la même date, la mère porteuse donna son consentement écrit pour que l’enfant soit enregistré comme le fils des requérants. Sa déclaration écrite datée du même jour, lue à voix haute à l’hôpital en présence de son médecin, du médecin-chef et du chef de division de l’hôpital, est ainsi libellée (traduction française de la version originale russe) : « Je soussignée (...) ai mis au monde un garçon à la clinique maternité (...) de Moscou. Les parents de l’enfant sont un couple marié d’italiens, Giovanni Campanelli, né le (...) et Donatina Paradiso, née le (...), qui ont déclaré par écrit vouloir implanter leurs embryons dans mon utérus. Sur la base de ce qui précède et conformément à l’alinéa 5 du paragraphe 16 de la loi fédérale sur l’état civil et à l’alinéa 4 du paragraphe 51 du code de la famille, je donne mon consentement pour que le couple ci-dessus soit inscrit sur l’acte et sur le certificat de naissance en tant que parents de l’enfant dont j’ai accouché. (...) » Dans les jours qui suivirent la naissance de l’enfant, la requérante s’installa avec lui dans un appartement à Moscou qu’elle avait loué à l’avance. Le requérant, resté en Italie, put communiquer avec elle régulièrement par l’internet. Le 10 mars 2011, les requérants furent enregistrés en tant que parents du nouveau-né par le bureau d’état civil de Moscou. Le certificat de naissance russe, qui indiquait que les requérants étaient les parents de l’enfant, fut apostillé conformément aux dispositions de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers. Le 29 avril 2011, la requérante, munie du certificat de naissance, se rendit au consulat d’Italie à Moscou en vue d’obtenir les papiers lui permettant de rentrer en Italie avec l’enfant. Le consulat d’Italie délivra les documents permettant à ce dernier de partir en Italie avec la requérante. Le 30 avril 2011, la requérante et l’enfant arrivèrent en Italie. Par une note du 2 mai 2011 – qui n’est pas versée au dossier – le consulat d’Italie à Moscou fit savoir au tribunal des mineurs de Campobasso, au ministère des Affaires étrangères, à la préfecture et à la ville de Colletorto que le dossier relatif à la naissance de l’enfant contenait des données fausses. Quelques jours plus tard, le requérant demanda à la municipalité de Colletorto l’enregistrement du certificat de naissance. B. La réaction des autorités italiennes Le 5 mai 2011, le parquet ouvrit une procédure pénale à l’encontre des requérants, soupçonnés d’« altération d’état civil » au sens de l’article 567 du code pénal, d’« usage de faux » au sens de l’article 489 du code pénal, ainsi que de l’infraction prévue à l’article 72 de la loi sur l’adoption, au motif qu’ils avaient amené l’enfant en Italie sans respecter la procédure prévue par les dispositions sur l’adoption internationale figurant dans cette loi (paragraphe 67 ci-dessous). Parallèlement, le 5 mai 2011, le ministère public près le tribunal pour mineurs de Campobasso demanda l’ouverture d’une procédure d’adoptabilité afin que l’enfant puisse être proposé à l’adoption, estimant que l’enfant devait être considéré en état d’abandon au sens de la loi. Le même jour, le tribunal pour mineurs nomma un curateur spécial (curatore speciale) et ouvrit une procédure d’adoptabilité. Le 16 mai 2011, le tribunal pour mineurs mit l’enfant sous curatelle à la demande du procureur de la République. Le curateur de l’enfant demanda au tribunal de suspendre l’autorité parentale des requérants, en application de l’article 10 § 3 de la loi sur l’adoption. Les requérants s’opposèrent aux mesures concernant l’enfant. À la demande du tribunal pour mineurs le 10 mai 2011, les requérants reçurent, le 12 mai 2011, la visite d’une équipe d’assistantes sociales. Il ressort du rapport rédigé par celles-ci et daté du 18 mai 2011 que les requérants étaient estimés et respectés par leurs concitoyens, qu’ils jouissaient d’un niveau de revenus confortable et vivaient dans une belle maison. Selon le rapport, l’enfant était en parfaite santé et son bien-être était manifeste car il était pris en charge de façon optimale par les requérants. Le 25 mai 2011, la requérante, assistée de son avocat, fut interrogée par les carabiniers de Larino. L’intéressée déclara qu’elle s’était rendue en Russie, seule, en septembre 2008, avec le liquide séminal de son mari. Elle affirma avoir souscrit un contrat avec la société Rosjurconsulting, qui se serait engagée à trouver une mère porteuse disposée à accueillir dans son utérus le matériel génétique de la requérante et de son époux, par le biais de la clinique Vitanova de Moscou. La requérante expliqua que cette pratique était parfaitement légale en Russie et lui avait permis d’obtenir un certificat de naissance mentionnant les requérants comme parents. En juin/juillet 2010, la requérante aurait été contactée par la société russe au motif qu’une mère porteuse avait été trouvée et aurait donné son accord pour l’intervention. Le 27 juin 2011, les requérants furent entendus par le tribunal pour mineurs. La requérante déclara qu’après huit tentatives infructueuses de fécondation in vitro, qui avaient mis en danger sa santé, elle s’était adressée à la clinique russe car il était possible en Russie d’utiliser les ovules d’une donneuse qui étaient ensuite implantés dans le ventre de la mère porteuse. Le 7 juillet 2011, le tribunal ordonna de procéder à un test ADN pour établir si le requérant était le père biologique de l’enfant. Le 11 juillet 2011, le ministre de l’Intérieur demanda au bureau d’état civil de refuser l’enregistrement de l’acte de naissance. Le 1er août 2011, le requérant et l’enfant se soumirent à un test ADN. Le résultat de ce test montra qu’il n’y avait pas de lien génétique entre eux. À la suite du résultat de ce test, les requérants demandèrent des explications à la clinique russe. Des mois plus tard, par une lettre du 20 mars 2012, la direction de la clinique leur fit part de sa surprise quant aux résultats du test ADN. Selon elle, il y avait eu une enquête interne car il y avait évidemment eu une erreur, mais le responsable de cette erreur n’avait pas pu être identifié car il y avait eu dans l’intervalle des licenciements et de nouveaux recrutements. Le 4 août 2011, le bureau d’état civil de la municipalité de Colletorto refusa l’enregistrement du certificat de naissance. Les requérants introduisirent un recours contre ce refus devant le tribunal de Larino. La suite de la procédure est exposée aux paragraphes 46-48 ci-dessous. Le ministère public demanda au tribunal de Larino de donner une nouvelle identité à l’enfant et de délivrer un nouveau certificat de naissance. C. La suite de la procédure devant les juridictions pour mineurs La décision du tribunal pour mineurs du 20 octobre 2011 Dans le cadre de la procédure d’adoptabilité pendante devant le tribunal pour mineurs (paragraphe 22 ci-dessus), les requérants demandèrent à une psychologue, Mme I., de conduire une expertise sur le bien-être de l’enfant. Il ressort de la note rédigée le 22 septembre 2011 par Mme I., après quatre rencontres entre celle-ci et l’enfant, que les requérants – attentifs aux besoins de ce dernier – avaient développé une relation affective intense avec lui. Le rapport indiquait que les grands-parents et le reste de la famille entouraient également l’enfant d’affection, et que celui-ci était sain, vif, réactif. Mme I. en concluait que les requérants étaient des parents idoines pour l’enfant, à la fois du point de vue psychologique et du point de vue de leur capacité à éduquer et à former. Elle ajoutait que d’éventuelles mesures d’éloignement auraient des conséquences dévastatrices pour l’enfant, expliquant que ce dernier traverserait une phase dépressive due à l’abandon et à la perte de personnes fondamentales dans sa vie. Pour elle, cela pouvait entraîner des somatisations et compromettre le développement psycho-physique de l’enfant et, à long terme, des symptômes d’une pathologie psychotique pouvaient apparaître. Les requérants demandèrent à ce que l’enfant soit placé chez eux en vue de l’adopter le cas échéant. Par une décision immédiatement exécutoire du 20 octobre 2011, le tribunal pour mineurs de Campobasso ordonna l’éloignement de l’enfant des requérants, sa prise en charge par les services sociaux et son placement en foyer (casa famiglia). Les passages pertinents de la décision du tribunal pour mineurs se lisent ainsi : « (...) Il ressort des déclarations des époux Campanelli que Mme Paradiso s’est rendue en Russie avec le liquide séminal de son mari dans un récipient prévu à cet effet et a souscrit là-bas un accord avec la société Rosjurconsulting. Mme Paradiso a ensuite remis le liquide séminal de son mari à la clinique prévue par ledit accord. Un ou plusieurs ovules d’une donatrice, inconnue, ont été fécondés in vitro avec ce liquide séminal, puis implantés dans une autre femme, dont l’identité est connue, qui a mis au monde le mineur en question le 27 février 2011. En contrepartie, M. Campanelli et Mme Paradiso ont versé une importante somme d’argent. Mme Paradiso a précisé que la femme qui a accouché du mineur a renoncé à ses droits sur ce dernier et a donné son consentement pour que l’acte de naissance, rédigé en Russie, mentionne que l’enfant était celui de M. Campanelli et Mme Paradiso (une copie du consentement éclairé donné le 27 février 2011 par la femme ayant donné naissance au mineur a été déposée dans le cadre de la présente instance). Une expertise a ensuite été ordonnée pour établir si le mineur était le fils biologique de Giovanni Campanelli. Dans son rapport, déposé dans le cadre de la présente instance, l’experte, [L.S.], a conclu que les résultats obtenus lors du typage de l’ADN de Giovanni Campanelli et de celui du mineur [T.C.] conduisent à exclure la paternité biologique de Giovanni Campanelli à l’égard du mineur. Lors de l’audience tenue ce jour, M. Campanelli et Mme Paradiso se sont reportés aux déclarations déjà faites et Mme Paradiso a répété avoir emmené en Russie le liquide séminal de son mari pour qu’il soit utilisé aux fins de la fécondation prévue. Les conclusions de l’expertise n’ont toutefois pas été contestées. À l’issue de l’audience, le ministère public a demandé que les demandes des époux Campanelli soient rejetées, que le mineur soit placé chez des tiers et qu’un tuteur provisoire soit nommé pour ce dernier. Le curateur spécial du mineur a demandé que le mineur soit placé conformément à l’article 2 de la loi no 184/1983 et qu’un tuteur lui soit désigné. M. Campanelli et Mme Paradiso ont demandé, à titre principal, au tribunal d’ordonner que le mineur fût temporairement placé chez eux en vue d’une adoption ultérieure ; à titre subsidiaire, ils ont sollicité la suspension de la présente procédure dans l’attente de la qualification pénale des faits, ainsi que la suspension de la procédure pénale susmentionnée ouverte contre eux et de la procédure engagée pour contester le refus de transcrire l’acte de naissance du mineur devant la cour d’appel de Campobasso ; à titre encore plus subsidiaire, ils ont demandé la suspension de la présente procédure au titre de l’article 14 de la loi no 184/1993 en vue d’un éventuel rapatriement du mineur en Russie ou, en cas de refus, d’un placement du mineur auprès d’eux au titre de l’article 2 de la loi précitée. Cela étant, le tribunal observe que les déclarations de M. Campanelli et de Mme Paradiso quant à la remise en Russie du matériel génétique de Giovanni Campanelli ne sont confirmées par aucun élément de preuve. Il est, en revanche, démontré que le mineur [T.C.] n’est le fils biologique ni de Donatina Paradiso ni, au vu des résultats de l’expertise, de Giovanni Campanelli. En l’état, la seule certitude concerne l’identité de la femme qui a accouché de l’enfant. Il ne nous est pas donné de connaître les parents biologiques de ce dernier, à savoir l’homme et la femme qui ont fourni les gamètes. Au vu de ces éléments, le présent cas d’espèce ne peut être qualifié de maternité dite subrogée de type gestationnel, dans laquelle la mère subrogée qui a accouché de l’enfant n’a aucun lien génétique avec celui-ci puisque la fécondation a été faite avec des ovules d’une tierce femme. En réalité, pour pouvoir parler de maternité subrogée de type gestationnel ou traditionnel (la mère subrogée met à disposition ses propres ovules), il est nécessaire qu’il y ait un lien biologique de l’enfant avec au moins un des parents d’intention (en l’espèce M. Campanelli et Mme Paradiso), lien biologique qui, comme nous l’avons vu, n’existe pas. » Pour le tribunal, les requérants s’étaient par conséquent mis dans une situation illégale : « Il en découle que M. Campanelli et Mme Paradiso se sont mis dans une situation illégale puisqu’ils ont fait entrer un enfant en Italie en faisant croire qu’il s’agissait de leur fils, ce qui constitue une violation manifeste des dispositions de notre ordre juridique (loi no 184 du 4 mai 1983) qui régissent l’adoption internationale des mineurs. Au-delà des aspects pénaux qui pourraient entrer en ligne de compte en l’espèce (violation de l’article 72, alinéa 2, de la loi no 184/1983 ), dont l’appréciation n’incombe pas au présent tribunal, il convient de relever que l’accord conclu par Mme Paradiso avec la société Rosjurconsulting revêt les caractéristiques de l’illégalité puisque, compte tenu des termes de l’accord (remise du matériel génétique de M. Campanelli en vue de la fécondation des ovules d’une autre femme), il est contraire à l’interdiction de recourir à des techniques de procréation médicalement assistée (P.M.A.) de type hétérologue, prévue par l’article 4 de la loi no 40 du 19 février 2004. En tout état de cause, il convient de relever que, bien qu’en possession d’un agrément à l’adoption internationale accordé par ordonnance rendue le 7 décembre 2006 par le présent tribunal , M. Campanelli et Mme Paradiso ont intentionnellement contourné, comme nous l’avons dit, les dispositions de la loi no 184/1983 en ce qu’elles prévoient non seulement l’obligation pour les personnes souhaitant adopter de s’adresser à un organisme agréé (article 31), mais également l’intervention de la commission pour les adoptions internationales (article 38) qui est le seul organisme compétent pour autoriser l’entrée et la résidence permanente du mineur étranger en Italie (article 32). » Le tribunal estima qu’il fallait donc avant tout mettre un terme à cette situation d’illégalité : « Il faut donc avant tout mettre un terme à cette situation illégale dont le maintien aurait valeur de ratification d’une conduite illégale mise en œuvre par une violation flagrante des dispositions de notre ordre juridique. Partant, il est nécessaire d’éloigner le mineur des époux Campanelli et de le placer dans une structure appropriée dans l’attente de trouver, le plus vite possible, un couple approprié auquel le confier. Cette tâche sera assignée aux services sociaux de la commune de Colletorto afin qu’ils identifient la structure appropriée et y placent le mineur, auquel la législation italienne en matière d’adoption est applicable au sens de l’article 37 bis de la loi no 184/1983 : il est en effet indubitable qu’il se trouve en état d’abandon, puisqu’il est dépourvu de parents biologiques ou de famille et que la femme qui l’a mis au monde a renoncé à ses droits sur lui. Force est d’admettre, certes, que le mineur subira probablement un préjudice du fait de la séparation avec M. Campanelli et Mme Paradiso. Mais compte tenu de son bas âge et de la courte période passée avec ceux-ci, on ne peut partager l’avis de la psychologue, [Mme I.] (à laquelle se sont adressés M. Campanelli et Mme Paradiso), selon lequel il est certain que la séparation du mineur d’avec ces derniers entraînerait des conséquences dévastatrices pour le mineur. Selon la littérature en la matière, le simple fait d’être séparé de personnes qui prennent soin de lui ne constitue pas un agent causal déterminant d’un état psychopathologique chez le mineur, en l’absence d’autres facteurs de causalité. Le traumatisme de la séparation d’avec M. Campanelli et Mme Paradiso ne sera pas irréparable, étant donné que seront immédiatement activées des recherches pour trouver un couple en mesure d’apaiser les conséquences du traumatisme à travers un processus compensatoire apte à favoriser une nouvelle adaptation. Il convient, en outre, de relever que le fait que M. Campanelli et Mme Paradiso (en particulier Mme Paradiso) ont affronté les souffrances et les difficultés des techniques de la P.M.A. (Mme Paradiso a même affirmé qu’elle s’était trouvée en danger de mort lors de l’une de ces interventions) et ont préféré contourner la législation italienne en la matière, alors même qu’ils étaient en possession d’un agrément à l’adoption internationale, fait penser et craindre que le mineur soit un instrument pour réaliser un désir narcissique du couple ou exorciser un problème individuel ou de couple. Tout cela, au vu de la conduite de M. Campanelli et de Mme Paradiso en l’espèce, jette une ombre importante sur l’existence de réelles capacités affectives et éducatives et d’un instinct de solidarité humaine, qui doivent être présents chez ceux qui désirent intégrer les enfants d’autres personnes dans leur vie comme s’il s’agissait de leurs propres enfants. L’éloignement du mineur des époux Campanelli répond donc à l’intérêt supérieur du mineur. » D’après les requérants, la décision du tribunal fut mise à exécution le jour même, sans qu’ils en fussent préalablement informés. Le recours contre la décision du tribunal pour mineurs Les requérants déposèrent un recours (reclamo) devant la cour d’appel de Campobasso. Ils arguaient, entre autres, que les juridictions italiennes ne pouvaient pas remettre en cause le certificat de naissance russe. Ils demandaient, par ailleurs, de n’adopter aucune mesure concernant l’enfant tant que la procédure pénale ouverte contre eux et la procédure engagée pour contester le refus de transcrire le certificat de naissance étaient pendantes. La décision de la cour d’appel de Campobasso du 28 février 2012 Par une décision du 28 février 2012, la cour d’appel de Campobasso rejeta le recours. La cour d’appel estima que l’enfant T.C. se trouvait « en état d’abandon » (in stato di abbandono) au sens de l’article 8 de la loi sur l’adoption, étant donné que les requérants n’étaient pas ses parents. Dans ces conditions, la question de savoir si les requérants avaient une responsabilité pénale ou pas et s’il y avait eu erreur ou pas dans l’utilisation du liquide séminal d’origine inconnue n’était selon elle pas pertinente. Pour la cour d’appel, il n’était pas opportun d’attendre l’issue du procès pénal ni celle de la procédure intentée par les requérants face au refus de transcrire le certificat de naissance. La cour d’appel estima que l’article 33 de la loi no 218/1995 (loi sur le droit international privé) n’empêchait pas l’autorité judiciaire italienne de ne pas donner suite aux indications certifiées provenant d’un État étranger, et que sa compétence pour connaître de l’affaire ne posait pas problème puisque, aux termes de l’article 37bis de la loi sur l’adoption, « (...) la loi italienne régissant l’adoption, le placement et les mesures nécessaires en cas d’urgence s’appliqu[ait] a tout mineur étranger se trouvant [en Italie] en état d’abandon » (voir aussi cour de cassation 1128/92). La décision était insusceptible de pourvoi en cassation (paragraphe 68 ci-dessous). D. La saisie conservatoire du certificat de naissance Entre-temps, le 30 octobre 2011, le procureur de la République près le tribunal de Larino avait ordonné la saisie conservatoire du certificat de naissance russe, au motif qu’il s’agissait d’une preuve essentielle. Selon lui, les requérants non seulement avaient vraisemblablement commis les faits reprochés, mais ils avaient tenté de les dissimuler. Aux dires du procureur, les intéressés avaient, entre autres, déclaré être les parents biologiques, puis avaient corrigé leur version des faits au fur et à mesure qu’ils étaient désavoués. Les requérants attaquèrent la décision de saisie conservatoire. Par une décision du 20 novembre 2012, le tribunal de Campobasso rejeta le recours des requérants en raison des graves soupçons qui pesaient sur eux quant à la commission des infractions reprochées. Le tribunal releva en particulier les faits suivants : la requérante avait fait circuler la rumeur de sa grossesse ; elle s’était présentée au consulat italien à Moscou en laissant sous-entendre qu’elle était la mère naturelle ; ensuite, elle avait admis que l’enfant avait été mis au monde par une mère subrogée ; elle avait déclaré aux carabiniers, le 25 mai 2011, que le requérant était le père biologique, ce que les tests ADN avaient démenti ; elle avait donc fait de fausses déclarations ; elle avait été très vague quant à l’identité de la mère génétique ; les documents relatifs à la maternité subrogée disaient que les deux requérants avaient été vus par les médecins russes, ce qui ne concordait pas avec le fait que le requérant ne s’était pas rendu en Russie ; les documents concernant l’accouchement n’indiquaient aucune date précise. Le tribunal estima que la seule certitude était que l’enfant était né et qu’il avait été remis à la requérante contre le paiement de près de 50 000 euros (EUR). Pour le tribunal, l’hypothèse selon laquelle les requérants avaient eu une conduite illégale afin d’obtenir la transcription de la naissance et de contourner les lois italiennes paraissait donc fondée. En novembre 2012, le ministère public transmit au tribunal pour mineurs la décision concernant la saisie conservatoire et indiqua qu’une condamnation pour l’infraction prévue par l’article 72 de la loi sur l’adoption priverait les intéressés de la possibilité d’accueillir l’enfant en placement (affido) et d’adopter celui-ci ou d’autres mineurs. Pour le ministère public, il n’y avait donc pas d’autres solutions que de continuer la procédure d’adoption pour l’enfant, et le placement provisoire auprès d’une famille avait donc été demandé en vertu des articles 8 et 10 de la loi sur l’adoption. Le ministère public réitéra sa demande et souligna que l’enfant avait été éloigné plus d’un an auparavant et qu’il vivait depuis dans un foyer (casa famiglia), où il avait établi de solides relations avec des personnes appelées à s’occuper de lui. Il expliqua que l’enfant n’avait donc pas encore trouvé un environnement familial pouvant remplacer celui qui lui avait été illégalement offert par le couple qui l’avait emmené en Italie. Selon le ministère public, cet enfant semblait destiné à une nouvelle séparation beaucoup plus douloureuse que celle d’avec la mère qui l’avait mis au monde, puis d’avec la femme qui prétendait être sa mère. E. La procédure intentée par les requérants pour contester le refus d’enregistrer l’acte de naissance Suite à l’introduction d’un recours pour contester le refus du bureau d’état civil d’enregistrer le certificat de naissance russe, le tribunal de Larino se déclara incompétent le 29 septembre 2011. Par la suite, la procédure reprit devant la cour d’appel de Campobasso. Les requérants demandèrent avec insistance la transcription du certificat de naissance russe. Par une décision immédiatement exécutoire du 3 avril 2013, la cour d’appel de Campobasso se prononça au sujet de la transcription du certificat de naissance. À titre préliminaire, elle rejeta l’exception soulevée par le tuteur selon laquelle les requérants n’avaient pas la qualité pour agir devant cette juridiction ; elle reconnut en effet aux requérants la capacité d’ester en justice dans la mesure où ils étaient mentionnés comme les « parents » dans l’acte de naissance qu’ils souhaitaient transcrire. Toutefois, la cour d’appel jugea évident que les requérants n’étaient pas les parents biologiques, et en conclut qu’il n’y avait donc pas eu de gestation pour autrui. Elle releva que les parties s’accordaient à dire que la loi russe présupposait un lien biologique entre l’enfant et au moins un des parents d’intention pour pouvoir parler de maternité de substitution. Elle en déduisit que l’acte de naissance était faux (ideologicamente falso) et contraire à la loi russe. Pour la cour d’appel, étant donné ensuite que rien ne montrait que l’enfant avait la citoyenneté russe, l’argument des requérants tiré de l’inapplicabilité de la loi italienne se heurtait à l’article 33 de la loi sur le droit international privé, selon lequel la filiation était déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance. La cour d’appel ajouta qu’il était contraire à l’ordre public de transcrire le certificat litigieux car il était faux. Selon elle, même si les requérants plaidaient leur bonne foi et alléguaient qu’ils n’arrivaient pas à s’expliquer pourquoi, à la clinique russe, le liquide séminal du requérant n’avait pas été utilisé, cela ne changeait rien à la situation et ne remédiait pas au fait que le requérant n’était pas le père biologique. En conclusion, la cour d’appel estima qu’il était légitime de refuser la transcription du certificat de naissance russe ainsi que d’accueillir la demande du ministère public d’établir un nouvel acte de naissance. Par conséquent, elle ordonna la délivrance d’un nouvel acte de naissance dans lequel il serait indiqué que l’enfant était né à Moscou le 27 février 2011 de parents inconnus, et il lui serait attribué un nouveau nom (déterminé conformément au décret présidentiel no 396/00). F. Le sort de l’enfant À la suite de l’exécution de la décision rendue le 20 octobre 2011 par le tribunal pour mineurs, l’enfant resta placé dans un foyer pendant environ quinze mois, dans un endroit inconnu des requérants. Les contacts entre les requérants et l’enfant furent interdits. Ceux-ci ne purent avoir aucune nouvelle de lui. En janvier 2013, l’enfant fut placé dans une famille en vue de son adoption. Début avril 2013, son tuteur demanda au tribunal pour mineurs d’attribuer une identité conventionnelle à l’enfant, afin que celui-ci puisse être inscrit sans difficulté à l’école. Il expliqua que l’enfant avait été placé dans une famille le 26 janvier 2013, mais qu’il était sans identité. Pour le tuteur, cette « inexistence » avait un fort impact sur les questions administratives, notamment s’agissant de savoir sous quelle identité il fallait inscrire l’enfant à l’école, dans son carnet de vaccinations et à son domicile. Tout en admettant que cette situation répondait au but de ne pas permettre aux requérants de déterminer où était l’enfant afin de mieux le protéger, le tuteur expliqua qu’une identité temporaire conventionnelle permettrait de maintenir le secret sur l’identité réelle de l’enfant et, en même temps, permettrait à ce dernier d’accéder aux services publics alors que, jusqu’à présent, il lui était loisible seulement d’utiliser les services médicaux d’urgence. Il ressort du dossier que cette demande fut accueillie par le tribunal pour mineurs, et que l’enfant reçut une identité conventionnelle. Le Gouvernement a fait savoir que l’adoption du mineur est désormais effective. G. L’issue de la procédure devant le tribunal pour mineurs La procédure d’adoptabilité (paragraphe 22 ci-dessus) reprit devant le tribunal pour mineurs de Campobasso. Les requérants confirmèrent leur opposition au placement de l’enfant auprès de tierces personnes. Le tuteur sollicita une déclaration selon laquelle les requérants n’avaient plus de locus standi. Le ministère public demanda au tribunal de ne pas déclarer l’enfant adoptable sous le nom que celui-ci avait à l’origine, au motif qu’il avait entre-temps ouvert une deuxième procédure en vue de demander la déclaration d’adoptabilité pour l’enfant sous sa nouvelle identité (enfant de parents inconnus). Le 5 juin 2013, le tribunal pour mineurs déclara que les requérants n’avaient plus la qualité pour agir dans la procédure d’adoption, étant donné qu’ils n’étaient ni les parents ni les membres de la famille de l’enfant au sens de l’article 10 de la loi sur l’adoption. Le tribunal déclara qu’il réglerait la question de l’adoption de l’enfant dans le cadre de l’autre procédure d’adoption, à laquelle le ministère public s’était référé. H. L’issue de la procédure pénale dirigée contre les requérants Aucun détail sur la suite de la procédure pénale ouverte contre les requérants n’a été fourni par les parties. Il semble que cette procédure soit toujours pendante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit italien La loi sur le droit international privé Aux termes de l’article 33 de la loi no 218 de 1995 sur le droit international privé, la filiation est déterminée par la loi nationale de l’enfant au moment de la naissance. La loi de simplification de l’état civil Le décret no 396 du président de la République du 3 novembre 2000, (loi de simplification de l’état civil) prévoit que les déclarations de naissance relatives à des ressortissants italiens qui ont été émises à l’étranger doivent être transmises aux autorités consulaires (article 15). Les autorités consulaires transmettent copie des actes aux fins de la transcription à l’état civil de la commune où l’intéressé entend établir sa résidence (article 17). Les actes formés à l’étranger ne peuvent être transcrits s’ils sont contraires à l’ordre public (article 18). Pour qu’elles déploient leurs effets en Italie, les décisions (provvedimenti) étrangères prononcées en matière de capacité des personnes ou d’existence de relations familiales ne doivent pas être contraires à l’ordre public (article 65). La loi no 40 du 19 février 2004 sur la procréation médicalement assistée Cette loi prévoyait en son article 4 l’interdiction de recourir aux techniques de procréation hétérologues. Le non-respect de cette disposition entraînait une sanction pécuniaire allant de 300 000 EUR à 600 000 EUR. Par l’arrêt no 162 du 9 avril 2014, la Cour constitutionnelle a déclaré ces dispositions inconstitutionnelles, dans la mesure où l’interdiction cidessus concernait un couple hétérosexuel souffrant de stérilité ou d’infertilité avérée et irréversible. Dans ce même arrêt, la Cour constitutionnelle a dit que l’interdiction de la maternité de substitution, prévue par l’article 12 § 6 de la loi, était en revanche légitime. Cette disposition punit quiconque pratique, organise ou promeut la commercialisation de gamètes ou d’embryons ou la maternité de substitution. Les peines prévues sont l’emprisonnement (trois mois à deux ans) et une amende allant de 600 000 EUR à 1 000 000 EUR. Par l’arrêt no 96 du 5 juin 2015, la Cour constitutionnelle s’est de nouveau prononcée sur l’interdiction de recourir aux techniques de procréation hétérologue et a déclaré ces dispositions inconstitutionnelles à l’égard des couples fertiles mais porteurs de graves maladies génétiquement transmissibles. Les dispositions pertinentes en matière d’adoption Les dispositions relatives à la procédure d’adoption sont consignées dans la loi no 184/1983, intitulée « Droit de l’enfant à une famille », telle que modifiée par la loi no 149 de 2001. Selon l’article 2 de cette loi, le mineur qui a été temporairement privé d’un environnement familial adéquat peut être confié à une autre famille, si possible comprenant des enfants mineurs, ou à une personne seule, ou à une communauté de type familial, afin de lui assurer subsistance, éducation et instruction. Au cas où un placement familial adéquat ne serait pas possible, il est autorisé de placer le mineur dans un établissement d’assistance public ou privé, de préférence dans sa région de résidence. L’article 5 de la loi prévoit que la famille ou la personne à laquelle le mineur est confié doit assurer sa subsistance, son éducation et son instruction, compte tenu des indications du tuteur et conformément aux prescriptions de l’autorité judiciaire. Dans tous les cas, la famille d’accueil exerce la responsabilité parentale en ce qui concerne les rapports avec l’école et le service sanitaire national. La famille d’accueil doit être entendue dans le cadre de la procédure de placement et de celle concernant la déclaration d’adoptabilité. L’article 6 de la loi prévoit des limites d’âge pour adopter. L’écart entre l’âge de l’enfant et celui de l’adoptant doit être au minimum de dix-huit ans et au maximum de quarante-cinq ans, cette limite pouvant être portée jusqu’à cinquante-cinq ans pour le deuxième adoptant. Le tribunal pour mineurs peut déroger à ces limites d’âge lorsqu’il estime que le fait de ne pas procéder à l’adoption de l’enfant serait préjudiciable pour celui-ci. Par ailleurs, l’article 7 dispose que l’adoption est possible au bénéfice des mineurs déclarés adoptables. L’article 8 prévoit que « peuvent être déclarés en état d’adoptabilité par le tribunal pour enfants, même d’office, (...) les mineurs en état d’abandon car dépourvus de toute assistance morale ou matérielle de la part des parents ou de la famille tenus d’y pourvoir, sauf si le manque d’assistance est dû à une cause de force majeure à caractère transitoire ». « L’état d’abandon subsiste », poursuit l’article 8, « (...) même si les mineurs se trouvent dans un foyer ou s’ils ont été placés auprès d’une famille ». Enfin, cette disposition prévoit que la cause de force majeure cesse si les parents ou d’autres membres de la famille du mineur tenus de s’en occuper refusent les mesures d’assistance publique et si ce refus est considéré par le juge comme injustifié. L’état d’abandon peut être signalé à l’autorité publique par tout particulier et peut être constatée d’office par le juge. D’autre part, tout fonctionnaire public ainsi que tout membre de la famille du mineur qui aurait connaissance de l’état d’abandon de ce dernier est tenu de le signaler. Par ailleurs, les foyers doivent informer régulièrement l’autorité judiciaire de la situation des mineurs qu’ils accueillent (article 9). L’article 10 prévoit ensuite que le tribunal peut ordonner, jusqu’au placement en vue de l’adoption du mineur dans la famille d’accueil, toute mesure temporaire dans l’intérêt de celui-ci, y compris, le cas échéant, la suspension de l’autorité parentale. Les articles 11 à 14 prévoient une instruction visant à clarifier la situation du mineur et à établir s’il se trouve en état d’abandon. En particulier, l’article 11 dispose que lorsque, au cours de l’enquête, il ressort que l’enfant n’a de rapports avec aucun membre de sa famille jusqu’au quatrième degré, le tribunal peut déclarer que l’enfant est en état d’adoptabilité, sauf s’il existe une demande d’adoption au sens de l’article 44 de la loi. Si, à l’issue de la procédure prévue par ces derniers articles, l’état d’abandon au sens de l’article 8 persiste, le tribunal des mineurs déclare le mineur adoptable si : a) les parents ou les autres membres de la famille ne se sont pas présentés au cours de la procédure ; b) leur audition a démontré la persistance du manque d’assistance morale et matérielle ainsi que l’incapacité des intéressés à y remédier ; c) les prescriptions imposées en application de l’article 12 n’ont pas été exécutées par la faute des parents (article 15). L’article 15 prévoit également que la déclaration d’adoptabilité est émise par le tribunal des mineurs siégeant en chambre du conseil par décision motivée, après avoir entendu le ministère public, le représentant du foyer dans lequel le mineur a été placé ou de son éventuelle famille d’accueil, le tuteur et le mineur lui-même s’il est âgé de plus de douze ans ou, s’il est plus jeune, si son audition est nécessaire. Selon l’article 17, la demande d’opposition à la décision déclarant un mineur adoptable doit être déposée dans un délai de trente jours à partir de la date de la communication à la partie requérante. L’article 19 stipule que, pendant l’état d’adoptabilité, l’exercice de l’autorité parentale est suspendu. L’article 20 prévoit enfin que l’état d’adoptabilité cesse au moment où le mineur est adopté ou lorsque ce dernier devient majeur. Par ailleurs, l’état d’adoptabilité peut être révoqué, d’office ou sur demande des parents ou du ministère public, si les conditions prévues par l’article 8 ont entre-temps disparu. Cependant, si le mineur a été placé dans une famille en vue de l’adoption (affidamento preadottivo) en vertu des articles 22 à 24, l’état d’adoptabilité ne peut pas être révoqué. L’article 44 prévoit certains cas d’adoption spéciale : l’adoption est possible au bénéfice des mineurs qui n’ont pas encore été déclarés adoptables. En particulier, l’article 44 d) autorise l’adoption quand il est impossible de procéder à un placement en vue de l’adoption. L’article 37bis de cette loi dispose que la loi italienne s’applique aux mineurs étrangers qui se trouvent en Italie et qui sont en état d’abandon, pour ce qui est de l’adoption, du placement et des mesures urgentes. Les personnes souhaitant adopter un enfant étranger doivent s’adresser à un organisme autorisé pour la recherche d’un enfant (article 31), et à la commission pour les adoptions internationales (article 38). Cette dernière est le seul organe compétent pour autoriser l’entrée et la résidence permanente du mineur étranger en Italie (article 32). Une fois le mineur arrivé en Italie, le tribunal pour mineurs ordonne la transcription de la décision d’adoption dans le registre de l’état civil. Aux termes de l’article 72 de la loi, celui qui – en violation des dispositions indiquées au paragraphe 66 cidessus – introduit sur le territoire de l’État un mineur étranger en vue de se procurer de l’argent ou d’autres bénéfices, et afin que le mineur soit confié définitivement à des citoyens italiens, commet une infraction pénale punie d’une peine d’emprisonnement de un à trois ans. Cette peine s’applique également à ceux qui, en échange d’argent ou d’autres bénéfices, accueillent des mineurs étrangers en « placement » de manière définitive. La condamnation pour cette infraction entraîne l’incapacité d’accueillir des enfants en placement (affido) et l’incapacité de devenir tuteur. Le recours en cassation prévu par l’article 111 de la Constitution Aux termes de l’article 111, alinéa 7, de la Constitution italienne, il est toujours possible de se pourvoir en cassation pour alléguer une violation de la loi s’agissant de décisions judiciaires portant sur les restrictions à la liberté personnelle. La Cour de cassation a élargi le domaine d’application de ce recours aux procédures civiles lorsque la décision litigieuse a un impact substantiel sur des situations (decisoria) et qu’elle ne peut pas être modifiée ou révoquée par le même juge qui l’a prononcée (definitiva). Les décisions concernant des mesures urgentes à l’égard d’un mineur en état d’abandon prises par décision du tribunal pour mineurs sur la base de l’article 10 de la loi sur l’adoption (articles 330 et suivants du code civil, et 742 du code de procédure civile) sont modifiables ou révocables. Elles peuvent faire l’objet d’une réclamation devant la cour d’appel. Les décisions pouvant être modifiées et révoquées à tout moment ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en cassation (Cour de cassation, section I, arrêt du 18.10.2012, no 17916). La loi instituant les tribunaux pour mineurs Le décret royal no 1404 de 1934, converti en la loi no 835 de 1935, a institué les tribunaux pour mineurs. Cette loi a subi des modifications ultérieurement. Aux termes de son article 2, tout tribunal pour mineurs se compose d’un juge de cour d’appel, d’un juge de première instance et de deux magistrats non professionnels. Ces derniers sont choisis parmi des spécialistes en biologie, psychiatrie, anthropologie criminelle, pédagogie ou psychologie. B. La jurisprudence de la Cour de cassation Jurisprudence antérieure à l’audience devant la Grande Chambre La Cour de cassation (Section I, arrêt no 24001 du 26 septembre 2014) s’est prononcée dans une affaire civile concernant deux ressortissants italiens qui s’étaient rendus en Ukraine pour avoir un enfant à l’aide d’une mère porteuse. La Cour de cassation a estimé que la décision de placer l’enfant était conforme à la loi. Ayant constaté l’absence de liens génétiques entre l’enfant et les parents d’intention, elle en a déduit que la situation litigieuse était illégale au regard du droit ukrainien, ce dernier exigeant un lien biologique avec l’un des parents d’intention. Après avoir rappelé que l’interdiction de la maternité de substitution était toujours en vigueur en Italie, la haute juridiction a expliqué que l’interdiction de la maternité de substitution en droit italien était de nature pénale et avait pour but de protéger la dignité humaine de la mère porteuse ainsi que la pratique de l’adoption. Elle a ajouté que seule une adoption règlementaire, reconnue en droit, rendait possible une parentalité non basée sur le lien biologique. Elle a déclaré que l’évaluation de l’intérêt de l’enfant se faisait en amont par le législateur, et que le juge n’a en la matière aucune marge d’appréciation. Elle en a conclu qu’il ne pouvait pas y avoir de conflit avec l’intérêt de l’enfant lorsque le juge appliquait la loi nationale et ne prenait pas en compte la filiation établie à l’étranger suite à une maternité de substitution. Jurisprudence postérieure à l’audience devant la Grande Chambre La Cour de cassation (Section V, arrêt no 13525 du 5 avril 2016) s’est prononcée dans une procédure pénale dirigée contre deux ressortissants italiens qui s’étaient rendus en Ukraine en vue de concevoir un enfant en ayant recours à une donneuse d’ovules et à une mère porteuse. La loi ukrainienne exige que l’un des deux parents soit le parent biologique. Le jugement d’acquittement prononcé en première instance avait été attaqué en cassation par le ministère public. La haute juridiction a rejeté le pourvoi du ministère public, confirmant ainsi l’acquittement, fondé sur le constat que les requérants n’avaient pas violé l’article 12 § 6 de la loi no 40 du 19 février 2004 sur la procréation médicalement assistée puisqu’ils avaient eu recours à une technique de procréation assistée qui était légale dans le pays où elle avait été pratiquée. En outre, la Cour de cassation a estimé que le fait que les accusés avaient présenté aux autorités italiennes un certificat de naissance étranger ne s’analysait pas en une infraction de « fausse déclaration sur l’identité » (article 495 du code pénal) ou d’« altération d’état civil » (article 567 du code pénal), dès lors que le certificat en question était légal au regard du droit du pays qui l’avait délivré. La Cour de cassation (Section I, arrêt no 12962/14 du 22 juin 2016) s’est prononcée dans une affaire civile où la requérante avait demandé à pouvoir adopter l’enfant de sa compagne. Les deux femmes s’étaient rendues en Espagne en vue d’avoir recours à des techniques de procréation assistée interdites en Italie. L’une d’elles est la « mère » selon le droit italien, le liquide séminal provient d’un donneur inconnu. La requérante avait obtenu gain de cause en première et deuxième instance. Saisie par le ministère public, la haute juridiction a rejeté le recours de celui-ci et a ainsi accepté qu’un enfant né grâce à des techniques de procréation assistée au sein d’un couple de femmes soit adopté par celle qui n’en avait pas accouché. Pour parvenir à cette conclusion la Cour de cassation a pris en compte le lien affectif stable existant entre la requérante et l’enfant ainsi que l’intérêt du mineur. La Cour a utilisé l’article 44 de la loi sur l’adoption, qui prévoit des cas particuliers d’adoption. C. Le droit russe À l’époque des faits, à savoir jusqu’en février 2011, moment de la naissance de l’enfant, la seule loi pertinente en vigueur était le code de la famille du 29 décembre 1995. Ce dernier disposait qu’un couple marié était reconnu comme couple de parents d’un enfant né d’une mère porteuse, lorsque cette dernière donnait son consentement écrit (article 51 § 4 du code de la famille). Le code de la famille était silencieux quant à la question de savoir si, en cas de gestation pour autrui, les parents d’intention doivent avoir ou non un lien biologique avec l’enfant. Le décret d’application no 67, adopté en 2003 et resté en vigueur jusqu’en 2012, était pareillement silencieux à cet égard. Postérieurement à la naissance de l’enfant, la loi fondamentale sur la protection de la santé des citoyens, adoptée le 21 novembre 2011 et entrée en vigueur le 1er janvier 2012, a introduit des dispositions pour réglementer les activités médicales, y compris les procréations assistées. Dans son article 55, cette loi définit la gestation pour autrui comme le fait de porter et de remettre un enfant sur la base d’un contrat conclu par la mère porteuse et les parents d’intention qui ont fourni le matériel génétique leur appartenant. Le décret no 107 pris le 30 août 2012 par le ministre de la santé définit la gestation pour autrui comme un contrat passé entre la mère porteuse et les parents d’intention ayant utilisé leur matériel génétique pour la conception. III. DROIT ET INSTRUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. La Convention de la Haye supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers La Convention de la Haye supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers a été conclue le 5 octobre 1961. Elle s’applique aux actes publics – tels que définis à l’article 1 – qui ont été établis sur le territoire d’un État contractant et qui doivent être produits sur le territoire d’un autre État contractant. Article 2 « Chacun des États contractants dispense de légalisation les actes auxquels s’applique la présente Convention et qui doivent être produits sur son territoire. La légalisation au sens de la présente Convention ne recouvre que la formalité par laquelle les agents diplomatiques ou consulaires du pays sur le territoire duquel l’acte doit être produit attestent la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. » Article 3 « La seule formalité qui puisse être exigée pour attester la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu, est l’apposition de l’apostille définie à l’article 4, délivrée par l’autorité compétente de l’État d’où émane le document. » Article 5 « L’apostille est délivrée à la requête du signataire ou de tout porteur de l’acte. Dûment remplie, elle atteste la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. La signature, le sceau ou timbre qui figurent sur l’apostille sont dispensés de toute attestation ». Il ressort du rapport explicatif de ladite Convention que l’apostille n’atteste pas de la véracité du contenu de l’acte sous-jacent. Cette limitation des effets juridiques découlant de la Convention de la Haye a pour but de préserver le droit des États signataires d’appliquer leurs propres règles en matière de conflits de lois lorsqu’ils doivent décider du poids à attribuer au contenu du document apostillé. B. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant Les dispositions pertinentes de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, se lisent comme suit : Préambule « Les États parties à la présente Convention, (...) Convaincus que la famille, unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres, et en particulier des enfants, doit recevoir la protection et l’assistance dont elle a besoin pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la communauté, Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans le milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension, (...) Sont convenus de ce qui suit : (...) Article 3 Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) Article 7 L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci (...) le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux. (...) Article 9 Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré (...) Article 20 Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’État. Les États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. Article 21 Les États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et : a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ; b) Reconnaissent que l’adoption à l’étranger peut être envisagée comme un autre moyen d’assurer les soins nécessaires à l’enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d’origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ; c) Veillent, en cas d’adoption à l’étranger, à ce que l’enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d’adoption nationale; d) Prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d’adoption à l’étranger, le placement de l’enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ; e) Poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s’efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d’enfants à l’étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétents. (...) » Dans son Observation générale no 7 (2005) sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, le Comité des droits de l’enfant a souhaité encourager les États parties à reconnaître que les jeunes enfants jouissent de tous les droits garantis par la Convention relative aux droits de l’enfant et que la petite enfance est une période déterminante pour la réalisation de ces droits. Le Comité évoque notamment l’intérêt supérieur de l’enfant : « 13. L’article 3 de la Convention consacre le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité, les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention (notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant : a) Intérêt supérieur de l’enfant en tant qu’individu. Dans toute décision concernant notamment la garde, la santé ou l’éducation d’un enfant, dont les décisions prises par les parents, les professionnels qui s’occupent des enfants et autres personnes assumant des responsabilités à l’égard d’enfants, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération. Les États parties sont instamment priés de prendre des dispositions pour que les jeunes enfants soient représentés de manière indépendante, dans toute procédure légale, par une personne agissant dans leur intérêt et pour que les enfants soient entendus dans tous les cas où ils sont capables d’exprimer leurs opinions ou leurs préférences ; (...) » C. La Convention de la Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale Les dispositions pertinentes de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, conclue à la Haye le 29 mai 1993, se lisent comme suit : Article 4 « 1. Les adoptions visées par la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l’État d’origine : a) ont établi que l’enfant est adoptable ; b) ont constaté, après avoir dûment examiné les possibilités de placement de l’enfant dans son État d’origine, qu’une adoption internationale répond à l’intérêt supérieur de l’enfant ; c) se sont assurées 1) que les personnes, institutions et autorités dont le consentement est requis pour l’adoption ont été entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d’une adoption, des liens de droit entre l’enfant et sa famille d’origine, 2) que celles-ci ont donné librement leur consentement dans les formes légales requises, et que ce consentement a été donné ou constaté par écrit, 3) que les consentements n’ont pas été obtenus moyennant paiement ou contrepartie d’aucune sorte et qu’ils n’ont pas été retirés, et 4) que le consentement de la mère, s’il est requis, n’a été donné qu’après la naissance de l’enfant ; et d) se sont assurées, eu égard à l’âge et à la maturité de l’enfant, 1) que celui-ci a été entouré de conseils et dûment informé sur les conséquences de l’adoption et de son consentement à l’adoption, si celui-ci est requis, 2) que les souhaits et avis de l’enfant ont été pris en considération, 3) que le consentement de l’enfant à l’adoption, lorsqu’il est requis, a été donné librement, dans les formes légales requises, et que son consentement a été donné ou constaté par écrit, et 4) que ce consentement n’a pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d’aucune sorte. » D. Les principes adoptés par le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales du Conseil de l’Europe Le comité ad hoc d’experts sur les progrès des sciences biomédicales constitué au sein du Conseil de l’Europe (CAHBI), prédécesseur de l’actuel comité directeur de bioéthique, a publié en 1989 une série de principes dont le quinzième, relatif aux « mères de substitution », est ainsi libellé : « 1. Aucun médecin ou établissement ne doit utiliser les techniques de procréation artificielle pour la conception d’un enfant qui sera porté par une mère de substitution. Aucun contrat ou accord entre une mère de substitution et la personne ou le couple pour le compte de laquelle ou duquel un enfant est porté ne pourra être invoqué en droit. Toute activité d’intermédiaire à l’intention des personnes concernées par une maternité de substitution doit être interdite, de même que toute forme de publicité qui y est relative. Toutefois, les États peuvent, dans des cas exceptionnels fixés par leur droit national, prévoir, sans faire exception au paragraphe 2 du présent Principe, qu’un médecin ou un établissement pourra procéder à la fécondation d’une mère de substitution en utilisant des techniques de procréation artificielle, à condition : a. que la mère de substitution ne retire aucun avantage matériel de l’opération; et b. que la mère de substitution puisse à la naissance choisir de garder l’enfant. » E. Les travaux de la Conférence de la Haye de droit international privé La Conférence de la Haye de droit international privé s’est penchée sur les questions de droit international privé relatives au statut des enfants, notamment concernant la reconnaissance de la filiation. À la suite d’un vaste processus de consultation ayant débouché sur une étude comparative (documents préliminaires no 3B et no 3C de 2014), en avril 2014, le Conseil sur les affaires générales et la politique a convenu que des travaux devraient être poursuivis en vue d’approfondir l’étude de faisabilité pour l’établissement d’un instrument multilatéral. Le document préliminaire no 3A de février 2015, intitulé « Le projet Filiation/Maternité de substitution : note de mise à jour » fait état de l’importance des préoccupations en matière de droit de l’homme que suscite la situation actuelle concernant les conventions de maternité de substitution internationales, ainsi que leur fréquence croissante. Dans ce document, la Conférence de la Haye estime ainsi qu’il existe désormais une justification impérative, du point de vue des droits de l’homme et notamment de ceux des enfants, à ses travaux dans ce domaine. IV. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ Dans les affaires Mennesson c. France (no 65192/11, §§ 40-42, CEDH 2014 (extraits) et Labassee c. France (no 65941/11, §§ 31-33, 26 juin 2014), la Cour a donné un aperçu des résultats d’une analyse de droit comparé couvrant trente-cinq États parties à la Convention autres que la France. Il en ressort que la gestation pour autrui est expressément interdite dans quatorze de ces États ; que dans dix autres États, dans lesquels il n’y a pas de réglementation relative à la gestation pour autrui, soit celle-ci est interdite en vertu de dispositions générales, soit elle n’est pas tolérée, soit la question de sa légalité est incertaine ; et qu’elle est autorisée dans sept de ces trente-cinq États (sous réserve de la réunion de certaines conditions strictes). Dans treize de ces trente-cinq États, il est possible pour les parents d’intention d’obtenir la reconnaissance juridique du lien de filiation avec un enfant né d’une gestation pour autrui légalement pratiquée dans un autre pays.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Khamtokhu et Aksenchik, sont nés respectivement en 1970 et 1985. Ils purgent actuellement des peines de réclusion à perpétuité dans la région de Iamalo-Nénétsie (Russie). A. La procédure pénale dirigée contre le premier requérant Le 14 décembre 2000, la Cour suprême de la république d’Adyguée déclara le premier requérant coupable de diverses infractions, notamment d’évasion, de tentative de meurtre sur la personne de policiers et de fonctionnaires ainsi que de port illégal d’armes à feu, et le condamna à la réclusion à perpétuité. Le 19 octobre 2001, la Cour suprême de la Fédération de Russie, statuant en appel, confirma la condamnation du premier requérant. Le 26 mars 2008, le présidium de la Cour suprême de la Fédération de Russie annula dans le cadre d’une procédure de révision l’arrêt d’appel du 19 octobre 2001 et renvoya l’affaire pour un nouvel examen. Le 30 juin 2008, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma la condamnation du premier requérant. Elle requalifia certaines des charges portées contre lui mais ne modifia pas la peine de réclusion à perpétuité. B. La procédure pénale dirigée contre le second requérant Le 28 avril 2010, la cour régionale de Tomsk déclara le second requérant coupable de trois chefs de meurtre et le condamna à la réclusion à perpétuité. Le 12 août 2010, la Cour suprême de la Fédération de Russie confirma la condamnation en appel. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le droit pénal D’après le code pénal de 1960 de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR), la peine capitale ne pouvait être infligée ni à une personne âgée de moins de 18 ans ni à une femme qui était enceinte soit au moment de la commission de l’infraction soit au moment du jugement (article 23). L’alternative à la peine capitale était une peine d’emprisonnement de quinze ans. La réclusion à perpétuité n’était pas prévue. Le 29 avril 1993, le code pénal de la RSFSR fut modifié et l’exclusion de la peine de mort prévue à l’article 23 du code pénal fut étendue à toutes les femmes ainsi qu’aux délinquants juvéniles et aux délinquants âgés de 65 ans ou plus. Le code pénal de la Fédération de Russie, qui a remplacé le code pénal de la RSFSR le 1er janvier 1997, prévoit une gamme de peines plus étoffée, comprenant une peine de vingt ans d’emprisonnement maximum (article 56), la réclusion à perpétuité (article 57) et la peine capitale (article 59). Les femmes ainsi que les délinquants de moins de 18 ans et de 65 ans ou plus sont exclus en des termes identiques tant de la réclusion à perpétuité que de la peine capitale (articles 57 § 2 et 59 § 2). Par le jeu de la grâce, la peine capitale peut être commuée en réclusion à perpétuité ou en une peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement (article 59 § 3). En 2009, la Cour constitutionnelle imposa un moratoire à durée indéterminée sur la peine capitale en Russie (pour le texte de la décision, voir A.L. (X.W.) c. Russie, no 44095/14, § 51, 29 octobre 2015). L’article 57 du code pénal (intitulé « Réclusion à perpétuité »), se lit ainsi : « 1. La réclusion à perpétuité peut être infligée pour la commission d’infractions particulièrement graves portant atteinte à la vie ou (...) à la sécurité. La réclusion à perpétuité ne peut être infligée ni aux femmes, ni aux hommes qui au moment de la commission de l’infraction avaient moins de 18 ans ou qui au moment du prononcé du verdict avaient 65 ans ou plus. » Un tribunal peut admettre au bénéfice d’une libération anticipée un détenu condamné à la réclusion à perpétuité qui a purgé au moins vingt-cinq ans de sa peine, sous réserve que l’intéressé ait pleinement respecté les règles pénitentiaires pendant les trois années précédant la demande d’élargissement (article 79 § 5). B. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle La Cour constitutionnelle a toujours déclaré irrecevables les griefs concernant l’incompatibilité alléguée de l’article 57 § 2 du code pénal avec l’interdiction constitutionnelle de la discrimination. L’arrêt le plus récent dans lequel elle réaffirme sa position établie à cet égard date du 25 février 2016 ; elle y formule les considérations suivantes : « L’interdiction d’infliger une peine de réclusion à perpétuité ou la peine capitale à certaines catégories de délinquants ne saurait être considérée comme un manquement au principe d’égalité devant la loi et les tribunaux (article 19 de la Constitution) ou comme une violation des engagements juridiques internationaux de la Russie. Cette interdiction se justifie par la nécessité de prendre en compte l’âge et les caractéristiques sociales et physiologiques des personnes relevant de ces catégories sur la base des principes de justice et d’humanité en matière pénale en vue d’atteindre, de manière plus complète et efficace, les objectifs de la sanction pénale dans un État démocratique fondé sur l’état de droit. D’après la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, l’interdiction n’empêche pas [les tribunaux] d’infliger de justes sanctions à d’autres catégories de délinquants, en fonction de la gravité des crimes qu’ils ont commis, des circonstances de la commission et de la personnalité des intéressés ; cette interdiction ne porte pas atteinte à leurs droits et, en conséquence, n’est pas discriminatoire à leur égard (décisions nos 638-O-O du 21 octobre 2008, 898-O-O du 23 juin 2009, 1382-O-O du 19 octobre 2010, 1925-O du 18 octobre 2012, et 1428-O du 24 septembre 2013). » III. DROIT COMPARÉ Selon les informations dont la Cour dispose, il y a actuellement neuf États membres du Conseil de l’Europe où la réclusion à perpétuité n’est pas prévue : Andorre, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l’Espagne, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, Saint-Marin et la Serbie. Dans le reste du monde, de nombreux pays d’Amérique latine (la Bolivie, la Colombie, le Costa Rica, l’Équateur, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Paraguay, la République dominicaine, le Salvador, l’Uruguay et le Venezuela) ont aboli la réclusion à perpétuité, sous réserve de certaines exceptions en temps de guerre. Il ressort d’une étude comparant les principes directeurs en matière de fixation des peines dans trente-sept États membres du Conseil de l’Europe dans lesquels les délinquants peuvent être condamnés à la réclusion à perpétuité que tous ces pays établissent un régime spécial pour les mineurs ou les jeunes adultes, que ce soit par l’intégration de dispositions spéciales dans le code pénal ou par l’adoption d’une législation spécifique relative aux délinquants juvéniles. La condamnation à la réclusion à perpétuité des délinquants de moins de 18 ans est interdite dans trente-deux États membres ; l’Autriche, le Liechtenstein, l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Suède étendent l’interdiction aux jeunes adultes de moins de 21 ans, et la Hongrie l’applique à ceux qui n’avaient pas encore 20 ans au moment de la commission de l’infraction. Quatre États membres (en plus de la Russie) appliquent un régime spécifique de fixation des peines aux délinquants âgés : un délinquant ayant atteint l’âge de la retraite (Azerbaïdjan), l’âge de 60 ans (Géorgie) ou l’âge de 65 ans (Roumanie et Ukraine) ne peut pas être condamné à la réclusion à perpétuité. En droit roumain, la peine maximale en pareil cas ne peut excéder trente ans d’emprisonnement. Quant aux différences liées au sexe, l’Albanie, l’Azerbaïdjan et la République de Moldova (en plus de la Russie) excluent de manière générale dans leur droit pénal la condamnation des femmes à la réclusion à perpétuité. En Arménie et en Ukraine, le droit pénal interdit aux tribunaux de condamner à l’emprisonnement à vie des femmes qui étaient enceintes au moment de la commission de l’infraction ou du prononcé de la peine. Une disposition similaire figure dans le code pénal bulgare, qui interdit de condamner les délinquantes enceintes à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. IV. INSTRUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Délinquants juvéniles L’article 6 § 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques se lit ainsi : « Une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. » L’article 37 a) de la Convention relative aux droits de l’enfant est ainsi libellé : « Les États parties veillent à ce que : a) Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ; (...) » Le Comité des droits de l’enfant, dans son Observation générale no 10 de 2007, a formulé la recommandation suivante : « Comme il est probable que l’imposition d’une peine d’emprisonnement à perpétuité à un enfant rende très difficile, voire empêche la réalisation des objectifs de la justice pour mineurs, en dépit même de la possibilité de libération, le Comité recommande instamment aux États parties d’abolir toutes les formes d’emprisonnement à vie pour des infractions commises par des personnes âgées de moins de 18 ans. » Le 20 décembre 2012, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Résolution A/RES/67/166 sur les droits de l’homme dans l’administration de la justice, dans laquelle elle exhorte les États : « (...) à faire en sorte que, dans leur législation comme dans leur pratique, ni la peine capitale, ni la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération (...) ne soient infligés pour des infractions commises par des personnes de moins de 18 ans, et (...) à envisager d’abolir les autres formes de réclusion à perpétuité pour les crimes commis par des personnes de moins de 18 ans. » B. Protection des femmes et de la maternité Le libellé de l’article 6 § 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est reproduit au paragraphe 23 ci-dessus. Le passage pertinent en l’espèce de la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) se lit ainsi : Article 4 « 1. L’adoption par les États parties de mesures temporaires spéciales visant à accélérer l’instauration d’une égalité de fait entre les hommes et les femmes n’est pas considéré comme un acte de discrimination tel qu’il est défini dans la présente Convention, mais ne doit en aucune façon avoir pour conséquence le maintien de normes inégales ou distinctes ; ces mesures doivent être abrogées dès que les objectifs en matière d’égalité de chances et de traitement ont été atteints. L’adoption par les États parties de mesures spéciales, y compris de mesures prévues dans la présente Convention, qui visent à protéger la maternité n’est pas considérée comme un acte discriminatoire. » Les dispositions pertinentes en l’espèce des Règles des Nations unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) sont les suivantes : Préambule « Considérant que les détenues constituent l’un des groupes vulnérables qui ont des nécessités et des besoins particuliers (...) » Règle 5 « Les locaux hébergeant les détenues doivent comporter les installations et les fournitures nécessaires pour répondre aux besoins spécifiques des femmes en matière d’hygiène, (...) en particulier pour les femmes devant cuisiner, les femmes enceintes, les mères allaitantes ou les femmes ayant leurs menstruations. » Règle 10 « 1. Des services de santé spécifiques aux femmes au moins équivalents à ceux offerts à l’extérieur doivent être assurés aux détenues. » Règle 31 « Des politiques et réglementations claires sur la conduite du personnel pénitentiaire visant à procurer aux détenues une protection maximale contre toutes violences physiques ou verbales ou toutes exactions liées à leur sexe et contre tout harcèlement sexuel doivent être élaborées et mises en œuvre. » Règle 48 « 1. Les détenues qui sont enceintes ou qui allaitent doivent recevoir des conseils sur leur santé et leur régime alimentaire (...) » Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta la Recommandation Rec(2006)2 aux États membres sur les Règles pénitentiaires européennes, en remplacement de la Recommandation no R (87) 3 sur les Règles pénitentiaires, qui prenait en compte les évolutions en matière de politiques pénales, de fixation des peines et de gestion globale des prisons en Europe. Les passages pertinents des Règles pénitentiaires modifiées sont libellés comme suit : « 13. Les présentes règles doivent être appliquées avec impartialité, sans discrimination aucune fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. (...) 3 Les détenues doivent être autorisées à accoucher hors de prison mais, si un enfant vient à naître dans l’établissement, les autorités doivent fournir l’assistance et les infrastructures nécessaires. » Dans sa Résolution du 13 mars 2008 sur la situation particulière des femmes en prison, le Parlement européen recommande : « 14. (...) que la détention des femmes enceintes et des mères ayant auprès d’elles leurs enfants en bas âge ne soit envisagée qu’en dernier ressort et que, dans ce cas extrême, elles puissent obtenir une cellule plus spacieuse, si possible individuelle, et se voient accorder une attention particulière, notamment en matière d’alimentation et d’hygiène ; considère, en outre, que les femmes enceintes doivent pouvoir bénéficier d’un suivi prénatal et postnatal ainsi que de cours d’éducation parentale de qualité équivalente à ceux prodigués en dehors du cadre pénitentiaire. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1965 et réside à Remanzacco. La requérante se maria avec A.T., un ressortissant moldave, et eut deux enfants de cette union : une fille, née en 1992, et un fils, né en 1998. Après leur mariage, le mari de la requérante commença, selon elle, à la frapper. Cependant, en 2011, la requérante suivit son mari en Italie afin de donner à ses enfants la chance d’un avenir plus serein. La première agression commise par A.T. sur la requérante et sa fille La requérante soutient que son mari, alcoolique, la maltraitait physiquement depuis longtemps lorsque, le 2 juin 2012, elle demanda l’intervention des gendarmes à la suite des coups que A.T. leur aurait infligés, à elle-même et à sa fille. À l’arrivée des gendarmes, A.T. était parti du domicile familial. Il fut retrouvé dans la rue en état d’ébriété, avec des griffures sur le côté gauche du visage. Les gendarmes rédigèrent un rapport de l’incident. Il ressort de ce rapport que la requérante avait été frappée et mordue au visage et à la jambe gauche et qu’elle avait plusieurs hématomes. Toujours selon le rapport, la fille de la requérante était intervenue pour défendre sa mère et avait été frappée à son tour. Elle aurait présenté une plaie causée par un ongle sur le cou et des blessures sur les deux bras. La requérante et sa fille furent informées de leurs droits et elles manifestèrent l’intention de se rendre aux urgences. La requérante allègue qu’elle n’a, en revanche, pas été informée de la possibilité de déposer une plainte ou de prendre contact avec un centre pour les femmes victimes de violences. Elle soutient également qu’elle s’est rendue aux urgences afin de faire constater ses blessures, mais que, après trois heures d’attente, elle avait décidé de rentrer à la maison. Le Gouvernement, se référant au procès-verbal rédigé par les gendarmes, estime qu’il n’y a aucune preuve que la requérante se soit rendue aux urgences. La deuxième agression commise par A.T. sur la requérante a) La version de la requérante Après l’agression du 2 juin 2012, la requérante soutient qu’elle avait trouvé refuge dans la cave de son appartement et qu’elle y dormait. Elle relate ainsi les événements suivants. Le 19 août 2012, après un appel téléphonique menaçant de son mari, craignant une agression de sa part, elle décida de sortir de la maison. Lorsqu’elle rentra chez elle, elle découvrit que la porte de la cave avait été cassée. Elle essaya de joindre une amie pour être hébergée pour la nuit, mais personne ne répondit à son appel. Elle décida alors de retourner dans la cave. A.T. l’y agressa avec un couteau et la contraignit à le suivre afin d’avoir des relations sexuelles avec ses amis. Espérant pouvoir demander de l’aide une fois dehors, elle se résigna à le suivre. Dans la rue, elle appela à l’aide des policiers qui patrouillaient en voiture. Les policiers se bornèrent à contrôler ses papiers d’identité et ceux de A.T. et, nonobstant ses affirmations selon lesquelles elle avait été menacée et frappée par son mari, ils l’invitèrent à rentrer chez elle sans lui proposer d’aide et demandèrent à A.T. de s’éloigner d’elle. A.T. fut verbalisé pour port d’arme prohibé. Peu de temps après être rentrée chez elle, la requérante appela les urgences et fut transportée à l’hôpital. Les médecins constatèrent, entre autres, qu’elle souffrait d’un traumatisme crânien, d’une blessure à la tête, de multiples excoriations sur le corps et d’un hématome sur la poitrine. Ses blessures furent jugées soignables en sept jours. b) La version du Gouvernement Le Gouvernement indique que, selon le rapport d’intervention rédigé par les policiers, ceux-ci sont arrivés rue Leopardi peu après minuit. La requérante les aurait informés qu’elle avait été frappée au visage. A.T. aurait donné un couteau aux policiers. La requérante aurait dit aux policiers qu’elle voulait aller à l’hôpital pour faire constater ses blessures. Elle s’y serait rendue et A.T. serait rentré chez lui. Le couteau aurait été saisi et le requérant verbalisé pour port d’arme prohibé. La plainte de la requérante À l’hôpital, la requérante fut entendue par une assistante sociale. Lors de cet entretien, elle déclara qu’elle refusait de revenir chez elle et d’y retrouver son mari. Elle fut alors hébergée par une association de protection des femmes victimes de violences, IOTUNOIVOI (« l’association »). Le président du centre d’hébergement et des policiers se rendirent dans la cave de l’appartement où résidait la requérante afin d’y récupérer ses vêtements et objets personnels. À partir du 20 août, A.T. harcela la requérante en l’appelant et en lui envoyant plusieurs messages insultants. Le 5 septembre 2012, la requérante déposa plainte à l’encontre de son mari pour lésions corporelles, maltraitance et menaces. Elle demanda aux autorités de prendre des mesures urgentes afin de les protéger, elle et ses enfants, et d’empêcher A.T. de s’approcher d’eux. Elle indiqua qu’elle s’était réfugiée dans un centre d’hébergement et que A.T. la harcelait par téléphone. Une information judiciaire fut ouverte à l’encontre de A.T. pour délits de maltraitance familiale, lésions corporelles aggravées et menaces. La police transmit la plainte au parquet le 9 octobre 2012. Le 15 octobre 2012, le parquet, eu égard à la demande de mesures de protection formulée par la requérante, ordonna que des mesures d’investigation fussent prises de manière urgente. Il demanda en particulier à la police de rechercher d’éventuels témoins, y compris la fille de la requérante. La requérante fut hébergée pendant trois mois par l’association. Par une lettre du 27 août 2012, le responsable des services sociaux de Udine informa l’association qu’il n’y avait pas de fonds disponibles pour prendre en charge la requérante et pour lui fournir une autre solution d’hébergement. Le Gouvernement donne une lecture différente de cette lettre : il indique que, étant donné que la requérante n’avait pas été d’abord prise en charge par les services sociaux de la mairie de Udine, qui s’occupait des victimes de violences dans le cadre d’un autre projet, appelé « Zero tolerance », ces derniers ne pouvaient pas assumer les frais de l’association. Selon lui, les femmes victimes de violences pouvaient prendre contact avec les services sociaux pour demander de l’aide, ce que la requérante n’aurait pas fait. Le 4 décembre 2012, la requérante quitta le centre d’hébergement afin de chercher un travail. Elle dit avoir dormi dans la rue dans un premier temps, avant d’être hébergée par une amie. Elle indique qu’elle a ensuite trouvé un travail d’aide-soignante auprès de personnes âgées et que, lorsque cela a été possible, elle a loué un appartement. Selon la requérante, A.T. avait continué à exercer des pressions psychologiques sur elle pour l’inciter à retirer sa plainte. Le 18 mars 2013, le procureur, constatant qu’aucun acte d’enquête n’avait été accompli, redemanda à la police d’enquêter à bref délai sur les allégations de la requérante. Le 4 avril 2013, sept mois après le dépôt de sa plainte, la requérante fut entendue pour la première fois par la police. Elle modifia ses déclarations en atténuant la gravité des faits dont elle s’était plainte. Concernant l’épisode de juin 2012, elle déclara que A.T. avait essayé de la frapper mais qu’il n’y était pas arrivé et que sa fille n’avait pas non plus reçu de coups. Concernant l’incident du mois d’août 2012, elle dit que A.T. l’avait frappée mais qu’il ne l’avait pas menacée avec un couteau. En revanche, A.T. aurait fait semblant de retourner le couteau contre lui. La requérante indiqua encore que, à l’époque, elle ne parlait pas bien l’italien et qu’elle n’avait pas pu s’exprimer correctement. Elle déclara en outre que A.T. ne l’avait pas contrainte à avoir des rapports sexuels avec d’autres personnes et qu’elle était retournée vivre au domicile familial. Elle dit que, lorsqu’elle était hébergée par l’association, elle ne parlait pas par téléphone avec son mari parce qu’on lui aurait dit d’agir ainsi. Elle assura que, exception faite de l’alcoolisme de son mari, la situation à la maison était calme. Elle conclut que son mari était un bon père et un bon mari et qu’il n’y avait plus eu aucun épisode de violences. La requérante soutient qu’elle a modifié ses déclarations initiales en raison des pressions psychologiques qu’elle aurait subies de la part de son mari. Le 30 mai 2013, le parquet de Udine, après avoir relevé, d’une part, que la requérante, entendue en avril, avait atténué la gravité des accusations qu’elle avait portées contre son mari en indiquant qu’il ne l’avait pas menacée avec un couteau et qu’elle avait été mal comprise par l’employée du centre où elle s’était réfugiée et, d’autre part, qu’aucun autre épisode de violences n’avait eu lieu, demanda au juge des investigations préliminaires (« le GIP ») de classer la plainte déposée à l’encontre de A.T. pour maltraitance familiale. Quant au délit de lésions corporelles aggravées, le parquet indiqua qu’il souhaitait continuer les investigations. Par une décision du 1er août 2013, le GIP classa la plainte pour la partie qui concernait les allégations de maltraitance familiale et de menaces. Il considéra que le déroulement des faits était incertain et que, s’agissant de la maltraitance alléguée, un tel délit ne pouvait être qualifié au motif que, la requérante ayant dénoncé seulement l’incident du mois d’août 2012, le critère de la répétition des épisodes de violences n’était pas rempli. Concernant le grief de menaces aggravées par l’utilisation d’une arme, le GIP releva que les déclarations de la requérante étaient contradictoires et que, dans le rapport établi par l’hôpital, il n’y avait aucune référence à des blessures causées par un couteau. Quant au délit de lésions corporelles, la procédure se poursuivit devant le juge de paix. A.T. fut renvoyé en jugement le 28 octobre 2013. La première audience eut lieu le 13 février 2014 et A.T. fut condamné à payer une amende de 2 000 euros (EUR) le 1er octobre 2015. La troisième agression commise par A.T. sur la requérante et son fils et le meurtre commis par A.T. sur la personne de son fils Il ressort du dossier que, le 18 novembre 2013, A.T. a reçu la notification de son renvoi en jugement devant le juge de paix le 19 mai 2014 pour le délit de lésions corporelles concernant l’agression contre la requérante du mois d’août 2012. Dans la nuit du 25 novembre 2013, la requérante demanda l’intervention des gendarmes en raison d’une dispute avec son mari. Dans leur compte rendu, les gendarmes faisaient les constatations suivantes : à leur arrivée, ils avaient trouvé la porte de la chambre à coucher cassée et le sol jonché de bouteilles d’alcool ; la requérante avait affirmé que son mari était sous l’emprise de l’alcool et qu’elle avait décidé d’appeler de l’aide parce qu’elle estimait qu’il avait besoin d’un médecin ; elle leur avait dit qu’elle avait déposé une plainte contre son mari par le passé, mais qu’elle avait ensuite modifié ses accusations ; le fils de la requérante avait déclaré que son père n’était pas violent à son égard ; ni la requérante ni son fils ne présentaient de signes de violences. A.T. fut transporté à l’hôpital en état d’ivresse. Dans la nuit, il sortit de l’hôpital et se rendit dans une salle de jeux. Alors qu’il marchait dans la rue, il fut arrêté par la police pour un contrôle d’identité à 2 h 25. Il ressort du procès-verbal du contrôle de police que A.T. était en état d’ivresse, qu’il avait du mal à se tenir en équilibre et que la police l’a laissé partir après l’avoir verbalisé. À 5 heures, A.T. entra dans l’appartement familial armé d’un couteau de cuisine de 12 centimètres avec l’intention d’agresser la requérante. Le fils de la requérante tenta de l’arrêter et fut poignardé trois fois. Il décéda de ses blessures. La requérante essaya de s’échapper, mais A.T. réussit à la rejoindre dans la rue et lui porta plusieurs coups de couteau à la poitrine. La procédure pénale engagée à l’encontre de A.T. pour lésions corporelles aggravées Le 1er octobre 2015, A.T. fut déclaré coupable par le juge de paix de lésions corporelles aggravées sur la personne de la requérante en raison des blessures qu’il lui avait infligées lors de l’incident du mois d’août 2012, et condamné à payer une amende de 2 000 EUR. La procédure pénale engagée à l’encontre de A.T. pour le meurtre de son fils, pour la tentative de meurtre sur la requérante et pour le délit de maltraitance envers la requérante À une date non précisée, en novembre 2013, l’enquête relative aux actes de maltraitance fut rouverte. A.T. demanda à être jugé selon la procédure abrégée (giudizio abbreviato). Le 8 janvier 2015, A.T. fut condamné par le juge de l’audience préliminaire (« le GUP ») de Udine à la réclusion à perpétuité pour le meurtre de son fils et la tentative de meurtre sur sa femme, et pour les délits de maltraitance envers la requérante et sa fille et de port d’arme prohibé. Il fut également condamné à dédommager la requérante à hauteur de 400 000 EUR. La requérante s’était constituée partie civile. S’agissant du grief de maltraitance, le GUP, après avoir entendu des témoins ainsi que la fille de la requérante, estima que la requérante et ses enfants vivaient dans un climat de violences. Il considéra que la conduite violente de A.T. était habituelle et jugea que, les vexations journalières que la requérante subissait mises à part, il y avait eu quatre épisodes violents. Il ajouta que A.T., lors du procès, avait avoué éprouver un sentiment de haine pour sa femme. Selon le GUP, les faits du 25 novembre 2013 étaient la conséquence de la tentative de la requérante de s’éloigner de A.T. Le 22 mai 2015, A.T. interjeta appel du jugement. Il ressort du dossier que, par un arrêt du 26 février 2016, le jugement du GUP a été confirmé par la cour d’appel. Aucune des parties n’a cependant joint l’arrêt à ses observations. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTS Selon l’article 572 du code pénal (maltraitance familiale ou maltraitance sur mineur), toute personne qui maltraite une personne de sa famille, une personne avec laquelle elle vit ou qui est placée sous son autorité ou qui lui a été confiée pour des raisons d’éducation, de soins, de surveillance ou pour l’exercice d’une profession ou d’un art est punie de deux à six ans d’emprisonnement. L’article 582 du code pénal établit que toute personne qui cause à autrui une lésion entraînant une infirmité physique ou mentale est punie de trois mois à dix ans d’emprisonnement. Aux termes de l’article 583 du code pénal, la lésion est considérée comme « grave » et est punie d’une peine d’emprisonnement de trois à sept ans lorsqu’elle entraîne, notamment, une infirmité ou une incapacité temporaire supérieure à quarante jours. La loi no 38 du 23 avril 2009 de conversion du décret-loi 11 du 23 février 2009 portant « mesures urgentes, en matière de sûreté publique, contre la violence sexuelle et tout ce qui concerne les actes de persécution », approuvant la « nécessité extraordinaire et urgente d’introduire des mesures pour assurer la plus grande protection à la sûreté et à la collectivité, en raison de l’augmentation alarmante du nombre d’épisodes de violences sexuelles », a introduit, entre autres, un nouveau crime en matière d’actes de persécution, appelé dans le langage courant « harcèlement », avec l’introduction dans le code pénal de l’article 612 bis. Il s’agit d’une disposition apte à sanctionner la répétition de comportements malveillants, qu’ils se manifestent par des coups de téléphone à toute heure, des attentions répétées, une surveillance, des cadeaux non souhaités, des lettres ou des SMS, autrement dit par une variété d’actes inoffensifs en apparence mais qui dégénèrent souvent en menaces, pistages, présence inopportune près de l’école ou au restaurant, qui engendrent chez la victime un état d’anxiété et de peur pour sa propre intégrité, et qui, surtout, la forcent à modifier ses propres habitudes et ses choix de vie. La loi prévoit que, avant de porter plainte, la victime de harcèlement peut s’adresser aux autorités de police et demander qu’un avertissement soit adressé à l’auteur des vexations. Après avoir recueilli les renseignements nécessaires, la police – si elle estime la demande fondée – avertit oralement l’auteur des actes en question et rédige un procès-verbal. La loi établit, en outre, que les forces de l’ordre, les opérateurs sanitaires et les institutions publiques qui apprennent l’existence d’actes de persécution doivent fournir à la victime tous les renseignements relatifs aux centres antiviolence présents sur le territoire et, en particulier, dans sa zone de résidence, et, si elle le demande, la mettre en contact avec les centres antiviolence (article 11). La nouvelle loi prévoit également un numéro vert national pour les victimes de harcèlement, qui permet à celles-ci de bénéficier d’une assistance psychologique et juridique et, si elles le souhaitent, de voir signaler aux forces de l’ordre des violences faites aux femmes (article 12). Dans l’attente du procès, le juge peut ordonner les mesures conservatoires « spécifiques » introduites dans le code de procédure pénale (CPP) par la loi no 154/2001, à savoir l’éloignement immédiat du domicile familial et l’interdiction de se rendre sur les lieux habituellement fréquentés par la victime ou par ses proches (article 282 bis, ter, quater du CPP). L’article 9 de la loi susmentionnée prescrit l’obligation de communiquer aux autorités de police les mesures d’éloignement de manière à ce que cellesci prennent des mesures éventuelles concernant la détention d’armes et de munitions (article 282 quater du CPP). La loi no 38 prévoit, pour les actes de harcèlement, une condamnation qui va de six mois à quatre ans de réclusion, et une peine plus forte si le fait a été commis par un conjoint, légalement séparé ou divorcé, ou par une personne ayant déjà fait l’objet d’un avertissement par le préfet de police. La peine est aggravée de 50 % lorsque l’acte de harcèlement est commis sur un mineur, une femme enceinte ou une personne handicapée, ou lorsqu’il est commis avec des armes. Le dispositif spécial et urgent des « ordres de protection » (article 736 bis du code de procédure civile et article 342 bis et ter du code civil) prévoit que : Le juge civil peut décider de mesures d’urgence pour empêcher la multiplication des comportements qui mettent à mal la sérénité familiale, qu’il s’agisse d’un couple marié ou non. Le critère essentiel est la communauté de vie. La demande peut être formulée sans obligation d’être assisté par un avocat. Le recours introductif devra spécifier le contenu de la mesure protectrice demandée. Il est possible de solliciter l’intervention des services sociaux et l’accomplissement d’expertises psychologiques ou médicales et d’enquêtes patrimoniales. Le juge peut adopter une ou plusieurs mesures dénommées « ordres de protection », visant à obtenir la cessation du comportement en cause, l’éloignement du domicile familial, l’interdiction d’approcher les endroits fréquentés par la personne concernée et/ou le paiement d’une pension aux personnes qui, dépourvues de moyens de subsistance, vivent sous le même toit. Dans sa décision, le juge détermine les modalités d’exécution. En cas de survenance de difficultés lors de l’exécution, il peut adopter des mesures complémentaires pour les résoudre. L’intervention de la force publique peut être prévue, ainsi que celle de l’officier sanitaire. La loi no 119 du 15 octobre 2013, (plan d’action extraordinaire destiné à combattre la violence envers les femmes) prévoit de mesures importantes axées sur les droits procéduraux des victimes de la violence domestique, d’abus sexuel, d’exploitation sexuelle et de harcèlement. Conformément aux nouvelles dispositions, le procureur et les forces de police ont l’obligation légale d’informer les victimes qu’elles peuvent se faire représenter par un avocat lors de la procédure pénale et qu’elles, ou leurs avocats, peuvent demander une audience protégée. Ils doivent également informer les victimes de la possibilité qui leur est offerte de bénéficier d’une assistance juridique et des modalités d’octroi de ce type d’assistance. En outre, la loi prévoit que les enquêtes relatives aux crimes présumés soient menées dans un délai d’un an à compter de la date du signalement à la police et que les permis de séjour des étrangers victimes de violence, y compris des migrants sans documents d’identification, soient prolongés. La loi prévoit également la collecte structurée de données sur le phénomène, mises à jour régulièrement (au moins chaque année), y compris au moyen de la coordination des bases de données déjà établies. Le projet de loi no 724 portant « dispositions relatives à la promotion de la subjectivité féminine et à la lutte contre le fémicide » et la proposition de loi du sénat no 764, dite « Introduction du délit de fémicide », sont à l’examen. Il y a lieu de mentionner à cet égard le projet de loi visant à contribuer à la réponse globale à la lutte contre la violence sexiste. Ce projet tend notamment à faire de la discrimination et de la violence sexistes des délits caractérisés. Dans son Rapport “La violence à l’égard des femmes” (2014) l’Institut National de statistique (ISTAT) a fourni des données statistiques concernant la violence à l’égard des femmes. « Istat carried out the survey in 2014, on a sample of 24,000 women aged 1670.The results are to be widely disseminated also among migrant women. Istat carried out the survey in 2014, on a sample of 24,000 women aged 16-70. Estimates indicate the most affected foreign women for citizenship: Romania, Ukraine, Albania, Morocco, Moldavia, China. More specifically, according to the second Istat survey, 6,788,000 women have been victims of some forms of violence, either physical or sexual, during their life, that is 31.5% of women aged 16-70. 20.2% has been victim of physical violence; 21% of sexual violence and 5.4% of the most serious forms of sexual violence such as rape and attempted rape: 652,000 women have been victims of rape; and 746,000 have been victims of attempted rape. Further, foreign women are victims of sexual or physical violence on a scale similar to Italian women’s: 31.3% and 31.5%, respectively. However, physical violence is more frequent among the foreign women (25.7% vs. 19.6%), while sexual violence is more common among Italian women (21.5% vs. 16.2%). Specifically, foreign women are more exposed to rape and attempted rape (7.7% vs. 5.1%) with Moldavians (37,3%), Romanians (33,9%) and Ukrainians (33,2%) who are the most affected ones. As for the author, current and former partners are those who commit the most serious crimes. 62.7% of rapes is committed by the current or the former partner while the authors of sexual assault in the majority of cases are unknown (76.8%). As for the age of the victim, 10.6% of women have been victims of sexual violence prior to the age of 16. Considering VAW-cases against women with children who have been witnessed violence, the rate of children witnessing VAW cases rises to 65.2% compared to the 2006 figure (= 60.3%). As for women’s status, women separated or divorced are those far more exposes to physical or sexual violence (51.4% vs. 31.5% relating to all other cases). It remains of great concern the situation of women with disabilities or diseases. 36% of the women with bad health conditions and 36.6% of those with serious limitations have been victims of physical or sexual violence. The risk to be exposed to rape or attempted rape doubles compared to women without any health problems (10% vs. 4.7%). On a positive note, compared to the previous edition-2006, sexual and physical violence cases result to be reduced from 13.3% to 11.3%. This is the result of an increased awareness of existing protection tools by women in the first place and the public opinion at large, in addition to an overall social climate of condemnation and no mercy for such crimes. More specifically, physical or sexual violence cases committed by a partner or a former partner is reduced (as for the former, from 5.1% to 4%; as for the latter, from 2.8% to 2%) as well as for cases of VAW perpetrated by non-partners (from 9% to 7.7%). The decline is meaningful when considering cases among female students: it reduced from 17.1% to 11.9% in the event of former partners; from 5.3% to 2.4% in the event of current partner; and from 26.5% to 22%, in the event of a non-partner. Significantly reduced are those cases of psychological violence committed by the current partner (from 42.3% to 26.4%), especially when they are not coupled with physical and sexual violence. Women are far more aware that they have survived a crime (from 14.3% to 29.6% in case of violence by the partner) and it is reported far more often to the police (from 6.7% to 11.8%). More often, they talk about that with someone (from 67.8% to 75.9%) and look for professional help (from 2.4% to 4.9%). The same applies in the event of violence by a non-partner. Compared to the 2006 edition, survivors are far more satisfied with the relevant work carried out by the police. In the event of violence from the current or the former partner, data show an increase from 9.9% to 28.5%. Conversely, negative results emerge when considering cases of rape or attempted rape (1.2% in both editions). The forms of violence are far more serious with an increase of those also victims of injuries (from 26.3% to 40.2% when the partner is the author); and an increased number of women that were fearing that their life was in danger (from 18.8% in 2006 to 34.5% in 2014). Also the forms of violence by a non-partner are more serious. 3, 466,000 women (=16.1%) have been victims of stalking during lifetime, of whom 1, 524,000 have been victims of their former partner; and 2,229,000 from other person that the former partner. » III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT Le droit international pertinent est décrit en partie dans l’affaire Opuz c. Turquie (no 33401/02, §§ 72-82, CEDH 2009) et en partie dans l’affaire Rumor c. Italie (no 72964/10, §§ 31-35, 27 mai 2014). Lors de sa 49e session, qui s’est tenue du 11 au 29 juillet 2011, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (« le Comité de la CEDAW ») a adopté ses observations finales concernant l’Italie, lesquelles peuvent se lire comme suit en leurs passages pertinents en l’espèce : « 26. Le Comité salue l’adoption de la loi no 11/2009, qui institue l’infraction de harcèlement criminel et prévoit la mise en détention obligatoire des auteurs d’actes de violence sexuelle, l’adoption du Plan national de lutte contre la violence à l’encontre des femmes et le harcèlement criminel, et la réalisation par l’Institut national des statistiques (ISTAT) d’une première vaste enquête sur les violences physiques, sexuelles et psychologiques subies par les femmes. En revanche, il reste préoccupé par la prévalence élevée des violences faites aux femmes et aux filles et par la persistance d’attitudes socioculturelles de tolérance à l’égard de la violence familiale. De plus, il déplore le manque de données sur les violences faites aux immigrées et aux femmes des communautés rom et sinti. En outre, il constate avec préoccupation qu’un nombre élevé de femmes meurent assassinées par leur compagnon ou leur ancien compagnon (fémicides), ce qui peut laisser penser que les autorités de l’État partie n’en ont pas suffisamment fait pour protéger ces femmes. Conformément à sa recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes et aux positions qu’il a adoptées dans le cadre des procédures prévues par le Protocole facultatif, le Comité invite instamment l’État partie : a) à privilégier des dispositifs exhaustifs de lutte contre les violences faites aux femmes dans le cercle familial et dans la société, en s’intéressant notamment aux besoins des femmes fragilisées par une situation particulière telles que les membres des communautés rom et sinti, les migrantes, les femmes âgées et les handicapées ; b) à assurer aux femmes victimes de violences une protection immédiate avec, notamment, l’exclusion de l’agresseur du domicile familial et une garantie d’accès, pour les femmes, à des foyers d’hébergement sûrs et correctement financés situés dans l’ensemble du territoire ainsi qu’à une aide juridique gratuite, à un accompagnement psychosocial et à des recours suffisants, y compris sous forme de demandes d’indemnisation ; c) à veiller à ce que les fonctionnaires, et notamment les membres des forces de l’ordre, le personnel judiciaire et les professionnels des services sanitaires, sociaux et éducatifs, soient systématiquement et pleinement sensibilisés à toutes les formes de violence à l’encontre des femmes et des filles ; d) à mieux recueillir les données relatives à toutes les formes de violence à l’encontre des femmes, y compris la violence familiale, à améliorer la protection des victimes, à mieux poursuivre et sanctionner les auteurs de violences et à mener des enquêtes permettant d’évaluer précisément la prévalence des violences subies par les femmes appartenant à des groupes défavorisés telles que les femmes des communautés rom et sinti, les migrantes, les femmes âgées et les handicapées ; e) à continuer de mener dans les médias et dans les écoles, en collaboration avec un large éventail d’acteurs, parmi lesquels les associations féminines et d’autres organisations de la société civile, des campagnes de sensibilisation visant à rendre socialement inacceptable la violence à l’encontre des femmes, et à informer le grand public des mesures de prévention existant face à cette violence ; f) à ratifier dans les meilleurs délais la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. » Le 27 septembre 2012, la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Convention d’Istanbul) a été signée. Elle a été ratifiée par l’Italie le 10 septembre 2013 et est entrée en vigueur dans ce pays le 1er août 2014. Les passages pertinents en l’espèce de cette convention sont en partie exposés dans l’affaire Y. c. Slovénie (no , § 72, CEDH 2015 (extraits)). En outre, l’article 3 de ladite convention énonce ce qui suit : Article 3 – Définitions « Aux fins de la présente Convention : a. le terme « violence à l’égard des femmes » doit être compris comme une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ; b. le terme « violence domestique » désigne tous les actes de violence physique, sexuelle, psychologique ou économique qui surviennent au sein de la famille ou du foyer ou entre des anciens ou actuels conjoints ou partenaires, indépendamment du fait que l’auteur de l’infraction partage ou a partagé le même domicile que la victime ; (...) » Les conclusions du rapporteur spécial des Nations Unies chargé de la question des violences contre les femmes, de leurs causes et conséquences, rédigées à la suite de sa mission en Italie (du 15 au 26 janvier 2012), peuvent se lire ainsi : « VII. Conclusions and recommendations Efforts have been made by the Government to address the issue of violence against women, including through the adoption of laws and policies and the establishment and merger of governmental bodies responsible for the promotion and protection of women’s rights. Yet these achievements have not led to a decrease in the femicide rate or translated into real improvements in the lives of many women and girls, particularly Roma and Sinti women, migrant women and women with disabilities. Despite the challenges of the current political and economic situation, targeted and coordinated efforts in addressing violence against women, through practical and innovative use of limited resources, need to remain a priority. The high levels of domestic violence, which are contributing to rising levels of femicide, demand serious attention. The Special Rapporteur would like to offer the Government the following recommendations. A. Law and policy reforms The Government should: (a) Put in place a single dedicated governmental structure to deal exclusively with the issue of substantive gender equality broadly and violence against women in particular, to overcome duplication and lack of coordination; (b) Expedite the creation of an independent national human rights institution with a section dedicated to women’s rights; (c) Adopt a specific law on violence against women to address the current fragmentation which is occurring in practice due to the interpretation and implementation of the civil, criminal and procedures codes; (d) Address the legal gap in the areas of child custody and include relevant provisions relating to protection of women who are the victims of domestic violence; (e) Provide education and training to strengthen the skills of judges to effectively address cases of violence against women; (f) Ensure the provision of quality, State-sponsored legal aid to women victims of violence as envisaged in the constitution and Law No. 154/200 on measures against violence in family relations; (g) Promote existing alternative forms of detention, including house arrest and low-security establishments for women with children, having due regard to the largely non-violent nature of the crimes for which they are incarcerated and the best interest of children; (h) Adopt a long-term, gender-sensitive and sustainable policy for social inclusion and empowerment of marginalized communities, with a particular focus on women’s health, education, labour and security; (i) Ensure the involvement of representatives of these communities, particularly women, in the design, development and implementation of policies which impact them; (j) Ensure continued provision of quality education for all, including through a flexible application of the 30 per cent ceiling of non-Italian pupils per classroom, to allow for inclusive schools particularly in places where the population of non-Italians is high. (k) Amend the “Security Package” laws generally, and the crime of irregular migration in particular, to ensure access of migrant women in irregular situations to the judiciary and law enforcement agencies, without fear of detention and deportation; (l) Address the existing gender disparities in the public and private sectors by effectively implementing the measures provided by the Constitution and other legislation and policies to increase the number of women, including from marginalized groups, in the political, economic, social, cultural and judicial spheres; (m) Continue to remove legal hurdles affecting the employment of women, which is exacerbated through the practice of signing blank resignations, and the lower positions and salary scale for women. Strengthen the social welfare system by removing impediments to the integration of women into the labour market; (n) Ratify and implement the Convention on jurisdiction, applicable law, recognition, enforcement and cooperation in respect of parental responsibility and measures for the protection of children; the International Convention on the Protection of the Rights of All Migrant Workers and Members of Their Families, International Labour Organization Convention No. 189 (2011) concerning decent work for domestic workers; the European Convention on the Compensation of Victims of Violent Crimes and the Council of Europe Convention on preventing and combating violence against women and domestic violence. B. Societal changes and awareness-raising initiatives The Government should also: (a) Continue to conduct awareness-raising campaigns aimed at eliminating stereotypical attitudes about the roles and responsibilities of women and men in the family, society and workplace; (b) Strengthen the capacity of the National Racial Discrimination Office to put in place programmes to bring about change in society’s perception of women who belong to marginalized communities and groups; (c) Continue to conduct targeted sensitization campaigns, including with CSOs, to increase awareness on violence against women generally, and women from marginalized groups in particular; (d) Train and sensitize the media on women’s rights including on violence against women, in order to achieve a non-stereotyped representation of women and men in the national media. C. Support services The Government should further: (a) Continue to take the necessary measures, including financial, to maintain existing and/or set-up new anti-violence shelters for the assistance and protection of women victims of violence; (b) Ensure that shelters operate according to international and national human rights standards and that accountability mechanisms are put in place to monitor the support provided to women victims of violence; (c) Enhance coordination and exchange of information among the judiciary, police and psychosocial and health operators who deal with violence against women; (d) Recognize, encourage and support public-private partnerships with CSOs and higher learning institutions, to provide research and responses to addressing violence against women. » Un rapport de l’organisation non gouvernementale WAVE (Woment against violence Europe) concernant l’Italie a été publié en 2015. Sa partie pertinente en l’espèce se lit comme suit : « In 2014, 681 women and 721 children were accommodated at 45 women’s shelters that are part of the national network Associazione Nazionale Donne in Rete contro la violenza - D.i.R.e. In addition, there are three shelters for Black and Minority Ethnic (BME) women, migrant and asylum seeking women in the cities of Reggio Emilia, Imola and Modena, one shelter for girls and young women victims of forced marriage, and 12 shelters for victims of trafficking. Women’s Centres There are 140 women’s centres providing non-residential support to women survivors of any kind of violence in Italy; 113 of these centres are run by NGOs, 19 are run by the state, and 8 are run by faith-based organisations. While the exact number of such services is not known, there are several women’s centres for Black and Minority Ethnic (BME) women, as well as centres for women victims of trafficking. All the women’s centres provide information and advice, counselling, advocacy and practical support with access to social rights (i.e. housing, income, health care) and legal advice. Some only provide specialist support for children and family support, and cooperate with programmes for perpetrators of violence against women. Women’s Networks There is one national women’s network in Italy, called Associazione Nazionale Donne in Rete contro la violenza - D.i.R.e. The network includes 73 members, all women’s organisations running women’s shelters and anti-violence centres in Italy. Formed in 2008 and based in Rome, the network conduct activities in the areas of public awareness, lobbying and advocacy, training, research and networking. In 2014, the network received EUR 66,747 in funding from various private donors and foundations for specific projects, and EUR 20,000 in membership fees. Policy & Funding The Extraordinary Action Plan against gender and sexual violence in accordance with art.5 par. 1 Law Decree 14 August 2013 n.93 converted with amendments into Law 15 October 2013 n.119 (Piano di Azione Straordinario contro la violenza sessuale e di genere ai sensi dell’art 5 comma 1 D.L. 14 Agosto 2013 n. 93 convertito con modifiche nella legge del 15 Ottobre 2013 n 119) was launched in 2015 and covers a three-year period [voir paragraphe 53 ci-dessus]. The Plan addresses rape and sexual assault only marginally, and it does not provide for adequate financing of existing services or to create new services in the many regions where these are inexistent. While forced and early marriage is mentioned in the Plan, no particular measures are included. Conceived as an extraordinary measure provided for in a law decree addressing other subjects, the Plan generally fails to address the structural characteristics of violence against women and gender-based violence. Measures and interventions included in the Plan do not consider women’s shelters and anti-violence centres as key actors in providing specialist support to survivors of violence, with a gender perspective. The Department for Equal Opportunities – Presidency of the Council of Ministers – acts as coordinating body for the implementation of policies on VAW. This body has in practice little effectiveness, largely due to the failure of the President of the Council of Ministers to appoint a Minister with decision-making. There is currently no national monitoring body entrusted with the evaluation of national strategies on VAW in Italy, and women’s organisations are rarely invited to conduct such evaluation. Nonetheless, in 2014, a coalition of Italian women’s NGOs (among which D.i.R.e.) submitted a Shadow Report on the implementation of the Beijing Declaration and Platform for Action covering 2009-2014, and including review of national strategies on VAW. In 2014, funding for governmental activities to combat VAW equalled EUR 7 million, while very little funding was provided for NGOs activities through local regional governments; detailed information on funding for NGOs activities is not available, due to the budget being decentralized. State funding for women’s organisations providing support is exclusively project-based. Prevention, Awareness-raising, Campaigning The national women’s network, along with most of the women’s shelters and centres, and the national women’s helpline conduct activities in the field of prevention, awareness-raising and campaigning; besides the national women’s helpline (1522), none of them received funding to carry out these activities in 2014. Training Most of the women’s shelters and centres conduct trainings with a number of target groups: police, judiciary, civil servants, health professionals, psychologists, social workers, education professionals, media, and others. »
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Les requérants sont nés respectivement en 1974, en 1975 et en 2003 et résident à Ankara. Courant 2004, les parents de Duru Kurt emmenèrent leur fille à l’hôpital SSK d’Ankara car elle présentait, selon eux, des symptômes de problèmes cardiaques. L’enfant y fut examinée puis transférée à l’hôpital pédiatrique Sami Ulus, où elle fut suivie durant deux ans, période à l’issue de laquelle les médecins estimèrent nécessaire de lui faire subir une opération du cœur. Avant l’opération, qui eut lieu le 19 juillet 2006, le père de la patiente signa un formulaire indiquant les risques potentiels encourus par sa fille en raison de l’intervention chirurgicale et dans lequel il consentait à l’opération (« le formulaire de consentement »). Lors des contrôles postopératoires, une fuite fut décelée en périphérie de la membrane recouvrant l’incision. Sur décision du conseil médical de l’établissement, la patiente dut subir, le 8 février 2007, une seconde opération, réalisée par une autre équipe médicale. Préalablement à l’opération, le père de la patiente signa un formulaire de consentement, identique au premier. Ce formulaire ne mentionnait pas de risque de problème neurologique grave mais précisait que la liste des séquelles éventuelles n’était pas exhaustive. Après cette seconde opération, au cours des soins intensifs, la patiente présenta un œdème, une hémorragie cérébrale, une insuffisance hépatique ainsi qu’une spasticité musculaire. Le 6 juillet 2007, les requérants déposèrent une plainte à l’encontre des médecins ayant pratiqué les opérations. Le 11 juillet 2007, le conseil médical de l’hôpital pédiatrique de Dışkapı, à Ankara, diagnostiqua chez l’enfant un retard psychomoteur lourd irrémédiable (dû à une encéphalopathie hypoxique-ischémique) et évalua son invalidité à 92 %. Le 16 juillet 2007, conformément à la procédure en vigueur, le parquet demanda une autorisation de poursuites au préfet d’Ankara. Le rapport établi à l’issue de l’enquête interne demandée par la préfecture indiquait que la patiente souffrait d’une maladie cardiaque congénitale très grave, que le traitement de celle-ci impliquait une intervention chirurgicale à haut risque et que, dans 52 %, des cas, une fuite au niveau de la membrane était observée, laquelle rendait nécessaire une seconde opération. Il concluait que l’équipe médicale n’avait commis aucune faute lors de cette première opération. Selon le rapport susmentionné, la seconde opération, réalisée pour traiter la fuite, était elle aussi à haut risque. Le rapport précisait que les complications neurologiques de la patiente en l’espèce étaient courantes dans les opérations à cœur ouvert et qu’elles survenaient lors de la mise en place d’une circulation sanguine par pompe artificielle ou lors de la mise en hypothermie du sujet. Il ajoutait que la patiente avait gardé des séquelles malgré les soins qui lui avaient été prodigués après la seconde opération. En conclusion, l’enquêteur recommandait de ne pas autoriser les poursuites pénales. Ce rapport d’enquête préalable précisait que les personnes mises en cause avaient été auditionnées par l’enquêteur. La fonction de l’auteur du rapport, qui est médecin, ainsi que l’établissement dont il dépend sont inconnus. Le 6 septembre 2007, suivant la recommandation du rapport d’enquête préalable, la préfecture refusa d’autoriser les poursuites. L’opposition formée par les requérants contre cette décision administrative fut rejetée par la cour administrative régionale le 18 décembre 2007 au motif que le rapport d’enquête préalable et ses annexes n’étaient pas de nature à permettre l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet. En conséquence, le 28 septembre 2008, le parquet rendit une ordonnance de non-lieu. Parallèlement à la procédure pénale, les requérants déposèrent une plainte auprès de l’ordre des médecins d’Ankara. L’expert désigné par ce dernier présenta son rapport le 14 juillet 2008. Dans ce document d’une page, il indiquait que la patiente présentait une anomalie congénitale du tronc coronaire gauche à partir de l’artère pulmonaire (ALCAPA), qu’une opération à cœur ouvert avait été réalisée pour permettre l’irrigation du tronc coronaire gauche depuis l’aorte, que, six mois plus tard, une fuite avait été décelée sur la membrane ayant été appliquée sur l’incision durant cette première opération, qu’une seconde opération avait été effectuée et qu’elle avait permis de régler ce problème mais que la patiente avait été victime d’un accident cérébral. L’expert précisait que l’anomalie que présentait la patiente était extrêmement grave, qu’elle pouvait conduire au décès du sujet et que le taux de complication pendant ou à la suite d’une telle opération était élevé. À ses yeux, la seconde opération, qui visait à traiter une complication prévisible de la première, était quant à elle encore plus risquée. Selon lui, les opérations à cœur ouvert présentaient des risques non seulement pour l’organe opéré mais également pour d’autres organes. L’expert concluait son rapport en ces termes : « L’accident cérébral [dont a été victime] la patiente Duru Kurt fait partie des complications qu’il est possible d’observer lors des opérations à cœur ouvert. Aucune négligence ou faute attribuable à l’équipe médicale ayant réalisé la première ou la seconde opération n’a été relevée. L’équipe a fait montre d’une bonne performance et d’un bon savoir-faire médical. La complication [survenue en l’espèce] est une situation qu’il est possible d’observer dans les cas d’anomalie [telle que celle que présentait la patiente] et à la suite d’une opération à cœur ouvert. » Le 23 mai 2008, les requérants engagèrent une action en responsabilité contre les médecins devant le tribunal de grande instance d’Ankara (« le TGI ») alléguant que les intéressés n’avaient pas exercé correctement leur art et étaient à l’origine des très graves séquelles affectant Duru Kurt. Ils présentèrent à l’appui de leur demande d’indemnisation un rapport d’expertise privé daté du 13 mai 2008 relatif au montant du préjudice. Le 26 mars 2009, le tribunal désigna un collège d’experts composé de deux professeurs et d’un maître de conférences en chirurgie cardiovasculaire de l’université d’Ankara. Le collège d’experts présenta son rapport le 31 juillet 2009. Selon ce rapport, la patiente s’était initialement vu diagnostiquer une cardiomyopathie dilatée (une maladie diminuant de façon significative la capacité du muscle cardiaque à assurer sa fonction de « pompe ») à l’hôpital de l’université d’Ankara et, à l’issue d’examens plus poussés à l’hôpital Sami Ulus, une ALCAPA, également appelée syndrome de Bland-White-Garland, avait été diagnostiquée. Les experts précisaient que la patiente avait subi une intervention de Takeuchi visant à réaliser un tunnel intrapulmonaire et qu’une fuite en périphérie de la membrane avait été observée lors des examens de contrôle réalisés six mois plus tard. Ils indiquaient que cette fuite avait conduit à une seconde intervention chirurgicale, que la patiente avait été placée sous assistance respiratoire en raison de l’apparition après l’opération d’une contraction tonico-clonique et que des séquelles neurologiques étaient apparues durant ces soins intensifs. Après ces premiers constats, les experts déclaraient dans leur rapport que la maladie cardiaque dont souffrait la patiente et pour laquelle elle avait été opérée était rare et qu’elle représentait 0,5 % des maladies cardiaques congénitales. Selon eux, en l’absence de traitement, le taux de mortalité était de 80 à 90 % et les sujets atteignaient rarement l’âge adulte. Le collège d’experts estimait que le seul traitement de cette maladie était d’ordre chirurgical et que l’intervention la plus pertinente était l’opération de Takeuchi. Il précisait que celle-ci présentait un taux de mortalité pouvant atteindre 23 %, que, dans 50 % des cas, il était possible d’observer une fuite autour de la membrane à l’issue d’une telle chirurgie cardiaque et que, toutes complications confondues, le taux de réopération allait jusqu’à 30 %. Il ajoutait que, par ailleurs, dans 10 à 29 % des cas, les maladies congénitales cardiovasculaires étaient accompagnées de troubles neurologiques et qu’une étude multicentrique indiquait que le taux de dommages neurologiques dans la période suivant immédiatement l’opération était de 20 %. Dans leurs conclusions, les experts indiquaient que l’ALCAPA était une maladie cardiaque très grave et que les parents de la patiente avaient signé un formulaire de consentement avant l’opération subie par leur enfant. Selon eux, le fait que la patiente présentait une cardiomyopathie dilatée était une circonstance augmentant les risques déjà élevés liés à l’opération. D’après le rapport, la fuite qui avait été observée autour de la membrane après la première opération était une complication survenant dans 50 % des cas, et l’opération réalisée pour résoudre ce problème était quant à elle encore plus risquée que la première. Les experts indiquaient en outre que les dommages neurologiques subis par la patiente étaient une complication souvent rencontrée dans les cas de sujets souffrant d’anomalie cardiaque congénitale placés en soins intensifs après l’opération. Le rapport, qui citait une vingtaine de sources bibliographiques, s’achevait ainsi : « En résumé, le tableau que présente cette patiente est une complication. Aucune erreur médicale ou chirurgicale des médecins n’est en cause. » Les requérants contestèrent ce rapport, qu’ils jugeaient insuffisant. Selon eux, le rapport susmentionné, qui citait des études scientifiques, ressemblait plus à un article destiné à être publié dans une revue qu’à une expertise. À leurs yeux, il ne contenait pas d’éléments concrets et objectifs concernant le cas d’espèce et ne pouvait permettre de trancher le litige. Les requérants ne remettaient pas en question l’existence d’un risque mais estimaient que ni cette probabilité ni la signature du formulaire de consentement ne dispensaient les médecins d’exercer leur art avec professionnalisme. Or, selon eux, le rapport, dénué d’explications et de motivations sur ce point, ne témoignait d’aucun contrôle exercé à cet égard. Par conséquent, ils demandaient au tribunal de requérir une contre-expertise, soit d’un autre collège, soit d’une section spécialisée de l’institut de médecine légale d’Istanbul. Par un jugement du 3 novembre 2009, le TGI débouta les requérants de leur demande de contre-expertise. Le juge estima, eu égard au rapport d’expertise du 31 juillet 2009 et aux éléments présents dans le dossier d’instruction du parquet, que les médecins n’étaient pas responsables des séquelles dont souffrait l’enfant après les opérations à haut risque qu’elle avait subies et pour lesquelles ses parents avaient donné leur accord. Les parents formèrent un pourvoi contre ce jugement. Ils réitérèrent à cette occasion les critiques qu’ils avaient précédemment formulées à l’égard du rapport d’expertise, à leurs yeux insuffisant. Ils soulignaient en outre que ce rapport avait été rédigé sur la base du dossier médical et que leur fille n’avait pas été examinée par les experts. Ils précisaient que, en vertu d’une jurisprudence établie, les experts auraient dû en premier lieu exposer les actes et procédures exigés par les règles de l’art et les comparer avec les actes que les médecins mis en cause avaient concrètement effectués pour déterminer si et dans quelle mesure lesdites règles avaient été respectées. En outre, ils arguaient que la pratique habituelle des tribunaux dans ce type d’affaires était de ne pas se contenter d’un seul rapport d’expertise. Selon eux, dans ce cadre, le refus de leur demande de contre-expertise constituait une injustice flagrante. Par ailleurs, ils alléguaient que l’un des médecins, qui était supposé assister à l’opération, ne s’était déplacé qu’après avoir été averti par téléphone d’un arrêt cardiaque durant l’opération et précisaient que cet élément n’avait pas été analysé ni même mentionné dans le rapport d’expertise. Leur recours fut rejeté par un arrêt du 20 avril 2010. Le 7 octobre 2010, la Cour de cassation rejeta également le recours en rectification introduit par les requérants.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1946 et réside à Athènes. Le 23 juillet 2002, le requérant saisit le tribunal administratif de première instance d’une action en dommages-intérêts contre l’École Technologique d’Athènes (Τεχνολογικό Εκπαιδευτικό Ίδρυμα Αθήνας), une personne morale de droit public. Il réclamait diverses sommes en tant que rémunération pour la rédaction et la distribution des notes éducatives aux étudiants. L’audience eut lieu le 23 septembre 2005. Le 28 mars 2006, le tribunal administratif de première instance rejeta l’action du requérant (jugement no 3214/2006). Le 14 novembre 2006, le requérant interjeta appel de ce jugement. L’audience eut lieu le 10 novembre 2011. Le 23 avril 2012, le tribunal administratif d’Athènes en formation de trois juges et statuant en appel rejeta l’appel formé par le requérant (arrêt no 5657/2012). Cet arrêt fut notifié au requérant le 24 septembre 2012.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Angelo de Tommaso, est un ressortissant italien né en 1963 et résidant à Casamassima. Le 22 mai 2007, le procureur de la République de Bari proposa au tribunal de cette ville de soumettre le requérant, pour une période de deux ans, à une mesure de surveillance spéciale de police (sorveglianza speciale di pubblica sicurezza) fondée sur la loi no 1423 de 1956, assortie d’une assignation à résidence. Le procureur souligna que les précédentes condamnations du requérant pour trafic de drogue, évasion et détention d’armes montraient qu’il fréquentait des criminels et était une personne dangereuse. Il fit aussi remarquer que le requérant avait reçu un « avertissement » de la police mais avait persisté dans sa conduite délictueuse. Dans un mémoire en date du 6 mars 2008, le requérant s’opposa à la proposition du procureur. Il allégua une erreur sur la personne et indiqua que les infractions aux obligations découlant de la surveillance spéciale qui lui étaient reprochées concernaient un individu qui portait les mêmes nom et prénom que lui mais était né en 1973. Il plaida également qu’il n’avait plus fait l’objet de poursuites depuis une condamnation prononcée en 2002. Il ajouta que, même s’il avait été condamné pour évasion en 2004, cet élément n’était pas déterminant pour l’application de la mesure litigieuse. Il soutint qu’il n’était pas nécessaire de le soumettre à une surveillance spéciale. Par une décision du 11 avril 2008, notifiée le 4 juillet 2008, le tribunal de Bari ordonna l’application de la mesure de surveillance spéciale pour une durée de deux ans. Il rejeta les arguments du requérant, estimant que les conditions requises par la loi pour l’application de la mesure étaient bien remplies dès lors que la dangerosité de l’intéressé ne faisait pas de doute. Pour le tribunal, le requérant présentait une tendance « active » à la délinquance et les pièces du dossier montraient qu’il avait tiré d’une activité délictueuse la plupart de ses moyens de subsistance. Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit : « Le 18 septembre 2006, l’intéressé a reçu un « avertissement verbal pour la sécurité publique » mais cela n’a aucunement amélioré sa conduite ; il a continué à fréquenter assidûment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et à commettre des délits (voir l’acte d’accusation : infraction aux obligations associées à la surveillance le 25 avril 2007 ; infraction aux obligations associées à la surveillance le 29 avril 2007). » Le tribunal ajouta ceci : « Les conclusions de l’instruction (voir les documents et certificats joints au dossier) montrent que M. Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqué dans différents actes délictueux, dont les plus alarmants pour l’ordre et la sécurité publics sont les infractions d’ordre patrimonial et en matière d’armes et de stupéfiants. À ce cadre négatif s’ajoute le contenu du signalement fait récemment, le 26 janvier 2008, par le corps des carabiniers de Gioia del Colle, dont il ressort que la tendance du sujet à la délinquance, loin d’avoir disparu, est considérée comme active et opérationnelle. Il ressort des pièces du dossier que le sujet n’exerce aucune activité professionnelle fixe et légale (il s’est déclaré disponible pour un emploi à partir de février 2008) et que les faits graves pris en considération sont tels qu’ils permettent de penser qu’il a jusqu’à présent tiré une grande partie de ses moyens de subsistance de son activité délictueuse, recourant constamment aux délits, commis seul ou en association avec des repris de justice (dans sa localité de résidence ou dans d’autres localités). D’où la nécessité, pour permettre un contrôle plus assidu, de prononcer, en plus de la surveillance spéciale de police d’une durée de deux ans (mesure jugée appropriée au vu de la personnalité du sujet, telle qu’elle ressort des actes attribués à celui-ci), une assignation à résidence pour la même durée. » La mesure de prévention imposait à l’intéressé les obligations suivantes : – se présenter une fois par semaine à l’autorité de police chargée de la surveillance ; – rechercher du travail dans le délai d’un mois ; – habiter à Casamassima et ne pas changer de lieu de résidence ; – vivre honnêtement et dans le respect des lois, ne pas prêter à soupçon ; – ne pas fréquenter des personnes ayant fait l’objet de condamnations et soumises à des mesures de prévention ou de sûreté ; – ne pas rentrer le soir après vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six heures, sauf en cas de nécessité et non sans avoir averti les autorités en temps utile ; – ne détenir ni porter aucune arme ; – ne pas fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer à des réunions publiques ; – ne pas utiliser de téléphones portables et d’appareils radioélectriques pour communiquer ; – porter sur soi le « document prescriptif » (carta prescrittiva) et le présenter sur demande de l’autorité de police. Le 14 juillet 2008, le requérant forma un recours devant la cour d’appel de Bari. Le 31 juillet 2008, la préfecture de Bari ordonna le retrait du permis de conduire du requérant. Par une décision du 28 janvier 2009, notifiée à l’intéressé le 4 février 2009, la cour d’appel fit droit au recours du requérant et annula ex tunc la mesure de prévention. Tout d’abord, la cour d’appel rappela que pour pouvoir appliquer la mesure de prévention il fallait établir la « dangerosité actuelle » du sujet, laquelle n’était pas nécessairement liée à la commission d’une infraction précise mais à l’existence d’une situation complexe d’une certaine durée, révélant un mode de vie particulier de l’intéressé, alarmant pour la sécurité publique. Pour la cour d’appel, le caractère « actuel » de la dangerosité sociale du condamné impliquait que la décision en cause se rapportât au moment de la délibération et conservât ses effets dans la phase de l’exécution, les faits antérieurs ne pouvant être pris en compte qu’en raison de leur incidence sur l’appréciation du caractère actuel. Selon la juridiction, au moment de l’application de la mesure la dangerosité du requérant ne pouvait être fondée sur aucune activité délictuelle. La cour d’appel observa ensuite que plusieurs condamnations définitives pour contrebande de tabac avaient été prononcées contre le requérant entre septembre 1995 et août 1999. Elle ajouta que par la suite l’intéressé avait changé de secteur d’activité et que jusqu’au 18 juillet 2002 il s’était livré au trafic de stupéfiants avec détention et port d’armes clandestines, faits pour lesquels il avait été condamné – par un jugement en date du 15 mars 2003, devenu définitif le 10 mars 2004 – à une peine de quatre ans d’emprisonnement, exécutée du 18 juillet 2002 au 4 décembre 2005. Pour la cour d’appel, la dernière activité illicite en matière de stupéfiants était donc antérieure de plus de cinq ans à l’adoption de la mesure de prévention. Contre le requérant, la juridiction releva uniquement un délit d’évasion, commis le 14 décembre 2004 (pendant la période d’assignation à résidence). Elle remarqua également que les infractions des 25 et 29 avril 2007 aux obligations associées à la mesure de surveillance spéciale concernaient une personne différente qui portait les mêmes nom et prénom que le requérant mais était née en 1973. Selon la cour d’appel, le tribunal avait omis d’évaluer l’incidence de la fonction rééducative de la peine sur la personnalité du requérant. Elle déclara notamment ce qui suit : « S’il est vrai que l’application de la surveillance spéciale est compatible avec la situation de détention, qui se rapporte seulement au moment de l’exécution de la peine, l’appréciation de la dangerosité ne peut être que plus prégnante encore dans le cas d’un sujet qui a entièrement purgé sa peine et qui n’a plus commis de délits postérieurement à sa libération, ce qui est le cas de M. de Tommaso. Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont relevé que M. de Tommaso fréquentait des personnes condamnées (avec lesquelles il avait été surpris en train de converser) n’apparaît pas suffisant pour établir la dangerosité de l’intéressé, compte tenu de ce que M. de Tommaso, postérieurement à la décision d’application de la mesure de prévention, n’a pas été mis en cause dans d’autres procédures judiciaires. La cour d’appel relève enfin qu’il résulte des pièces produites par la défense devant le tribunal et à l’audience devant cette chambre que, malgré le caractère typiquement occasionnel de l’activité d’ouvrier agricole, le condamné a toujours eu, du moins depuis sa libération en 2005 et jusqu’à ce jour, une activité professionnelle licite lui assurant une source de revenus digne. En conclusion, il n’existait pas en mars 2008 de faits précis permettant d’établir une dangerosité persistante du condamné, qui, après la longue peine d’emprisonnement purgée par lui, n’a pas eu de conduite justifiant l’appréciation portée dans le jugement attaqué, lequel sera donc infirmé. » II. LA DÉCLARATION UNILATÉRALE PARTIELLE DU GOUVERNEMENT Le 7 avril 2015, le Gouvernement a adressé à la Cour une lettre contenant une proposition en vue d’un règlement amiable de la partie de la requête concernant le grief tiré du défaut de publicité des audiences devant le tribunal et la cour d’appel de Bari (article 6 § 1 de la Convention), ainsi qu’une déclaration unilatérale relative à ce grief, fondée sur l’article 62A du règlement de la Cour. Dans cette dernière déclaration, le Gouvernement, se référant à la jurisprudence bien établie de la Cour (arrêts Bocellari et Rizza c. Italie, no 399/02, 13 novembre 2007, Perre et autres c. Italie, no 1905/05, 8 juillet 2008, et Bongiorno et autres c. Italie, no 4514/07, 5 janvier 2010) reconnait la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut de publicité des audiences, offre de payer un certain montant au titre des frais relatifs à cet aspect de la requête et en sollicite la radiation du rôle. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi no1423 de 1956 Les mesures de prévention personnelles praeter delictum en Italie remontent au XIXe siècle. Elles existaient déjà avant l’unification de l’Italie en 1861, puis furent réintroduites dans la législation du Royaume d’Italie par la loi Pica nº 1409 de 1863, et plus tard par le « Texte unique de sécurité publique » de 1865. En 1948, la Constitution italienne entra en vigueur, mettant en exergue la protection des libertés fondamentales, en particulier de la liberté personnelle (article 13) et de la liberté de circulation (article 16), ainsi que le principe de légalité en matière de délits et de mesures de sûreté (article 25, alinéas 2 et 3). Pour autant, les mesures de prévention personnelles ne disparurent pas complètement ; suite à l’adoption de la nouvelle loi nº 1423 de 1956, elles furent adaptées aux critères fondamentaux indiqués par la Cour constitutionnelle dans ses arrêts, exigeant l’intervention des tribunaux et le respect du principe de légalité lors de leur application. La loi no 1423 du 27 décembre 1956, en vigueur à l’époque des faits, prévoit l’application de mesures de prévention aux « personnes dangereuses pour la sécurité et pour la moralité publiques ». L’article 1 dispose que les mesures de prévention s’appliquent : « 1) aux personnes dont on peut estimer, sur la base d’éléments factuels, qu’elles se livrent habituellement à des activités délictueuses ; 2) aux personnes dont on peut estimer, compte tenu de leur conduite et de leur train de vie, et sur la base d’éléments factuels, qu’elles vivent habituellement, fût-ce en partie, de gains d’origine délictueuse ; 3) aux personnes dont on peut estimer, sur la base d’éléments factuels, qu’elles commettent des infractions pénales qui offensent ou mettent en danger l’intégrité physique ou morale des mineurs, la santé, la sécurité ou la tranquillité publiques. » L’article 3 énonce que la mesure de surveillance spéciale de police, assortie au besoin soit de l’interdiction de séjourner dans telle commune ou province, soit de l’obligation de résider dans une commune déterminée (obbligo del soggiorno in un determinato comune), peut être appliquée aux personnes visées à l’article 1 qui n’ont pas respecté l’avertissement officiel de la police prévu à l’article 4 et qui présentent un danger pour la sécurité publique. L’application de la mesure de surveillance de police est précédée d’un avertissement officiel par lequel la police invite l’intéressé à garder une conduite conforme à la loi. Si, malgré l’avertissement, l’intéressé n’a pas modifié sa conduite et présente un danger pour la sécurité publique, la police peut proposer à l’autorité judiciaire d’appliquer la mesure en question. Selon l’article 4 de la loi, le tribunal statue dans les trente jours, en chambre du conseil et par une décision motivée, après avoir entendu le parquet et l’intéressé, ce dernier pouvant présenter un mémoire et se faire assister par un conseil. Ces mesures de prévention relèvent de la compétence exclusive du tribunal du chef-lieu de province. Le parquet et l’intéressé peuvent interjeter appel dans les dix jours ; l’appel n’a pas d’effet suspensif. Siégeant en chambre du conseil, la cour d’appel tranche dans les trente jours par une décision motivée (article 4, cinquième et sixième alinéas). Celle-ci peut à son tour et dans les mêmes conditions faire l’objet d’un pourvoi, sur lequel la Cour de cassation se prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4, septième alinéa). Lorsqu’il adopte l’une des mesures visées à l’article 3, le tribunal en précise la durée – comprise entre un an et cinq ans selon l’article 4, quatrième alinéa – et fixe les règles que la personne concernée devra observer (article 5, premier alinéa). L’article 5 dispose que, lorsqu’il applique la mesure de surveillance spéciale, le tribunal intime à la personne soupçonnée de tirer ses moyens de subsistance d’une activité délictueuse l’ordre de trouver un travail dans un bref délai ainsi qu’un logement, et d’informer les autorités à ce sujet. L’intéressé ne devra pas s’éloigner de son logement sans autorisation. Le tribunal lui ordonne également : de vivre honnêtement et dans le respect des lois, de ne pas prêter à soupçon ; de ne pas fréquenter des personnes qui ont été condamnées et soumises à des mesures de prévention ou de sûreté ; de ne pas rentrer le soir après un certaine heure et ne pas sortir le matin avant une certaine heure, sauf en cas de nécessité et non sans avoir averti les autorités en temps utile ; de ne détenir ni ne porter aucune arme ; de ne pas fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution ; de ne pas participer à des réunions publiques. En outre, le tribunal peut imposer toutes les mesures qu’il estime nécessaires eu égard aux exigences liées à la défense sociale, en particulier l’interdiction de séjourner dans certains lieux. Selon l’article 6, lorsque la surveillance spéciale est assortie d’une assignation à résidence ou d’une interdiction de séjour, le président du tribunal peut pendant la procédure ordonner (decreto) le retrait temporaire du passeport et la suspension de la validité de tout autre document équivalent en matière de sortie du territoire. En cas de motifs particulièrement graves, il peut aussi ordonner que l’assignation à résidence ou l’interdiction de séjour soit provisoirement imposée à l’intéressé jusqu’à ce que la mesure de prévention devienne définitive. L’article 9 dispose que le non-respect des règles en question est sanctionné par une peine privative de liberté. B. La jurisprudence de la Cour constitutionnelle Initialement, la loi nº 1423 de 1956 prévoyait la possibilité d’appliquer des mesures de prévention personnelles uniquement dans certains cas de « dangerosité simple », c’est-à-dire quand il était établi que la personne concernée présentait un danger pour la sécurité publique. Son champ d’application a ensuite été élargi pour couvrir d’autres situations de « dangerosité qualifiée », notion qui vise les personnes soupçonnées d’appartenir à des associations mafieuses (loi nº 575 de 1965) ou impliquées dans des activités subversives (loi nº 152 de 1975, adoptée face à l’émergence du terrorisme politique d’extrême gauche et d’extrême droite, dans les « années de plomb »). Enfin, les catégories de « dangerosité simple » ont été modifiées et ramenées au nombre de trois par la loi nº 327 de 1988. La Cour constitutionnelle a constaté à plusieurs reprises que les mesures de prévention prévues par la loi nº 1423 de 1956 étaient compatibles avec les libertés fondamentales. Dans l’arrêt no 2 de 1956, elle se prononça ainsi : « Il reste à examiner l’article 16 de la Constitution : « Tout citoyen peut circuler et séjourner librement dans toute partie du territoire national, sous réserve des limitations que la loi fixe d’une manière générale pour des motifs sanitaires ou de sécurité. Aucune restriction ne peut être déterminée par des raisons d’ordre politique ». (...) Il est plus délicat de savoir si les motifs d’« ordre, de sécurité publics et de moralité publique » indiqués à l’article 157 de la loi relative à la sécurité publique relèvent des « motifs sanitaires ou de sécurité » mentionnés à l’article 16. (...) L’interprétation selon laquelle la « sécurité » concerne uniquement l’intégrité physique doit être exclue, car trop restrictive ; il semble dès lors rationnel et conforme à l’esprit de la Constitution de donner au terme « sécurité » le sens de la situation dans laquelle l’exercice pacifique des droits et libertés que la Constitution garantit avec tant de force est assuré aux citoyens, dans la mesure du possible. Il y a donc sécurité lorsque le citoyen peut exercer son activité légale sans être menacé d’atteintes contre sa personnalité physique et morale. Le « bien vivre ensemble » est indéniablement le but recherché par un État de droit, libre et démocratique. Cela étant, il ne fait aucun doute que « les personnes dangereuses pour l’ordre et la sécurité publics ou pour la moralité publique » (article 157 de la loi relative à la sécurité publique) constituent une menace pour la « sécurité » telle que définie ci-dessus et telle qu’entendue à l’article 16 de la Constitution. En ce qui concerne la moralité, il ne s’agit certes pas de prendre en compte les convictions intimes du citoyen, qui sont en elles-mêmes incoercibles, ni les théories en matière de morale dont la manifestation, comme tout autre manifestation de la pensée, est libre ou régie par d’autres normes juridiques. Il demeure que les citoyens ont le droit de ne pas être troublés et offensés par des manifestations immorales, lorsque celles-ci sont également préjudiciables à la santé – mentionnée à l’article 16 de la Constitution – ou qu’elles créent un environnement propice au développement de la délinquance commune. En ce qui concerne l’ordre public, sans entrer dans un débat théorique sur la définition de cette notion, il suffit de préciser que, au sens de l’article 16 de la Constitution et de l’article 157 de la loi relative à la sécurité publique, la dangerosité pour l’ordre public ne peut résulter de simples manifestations à caractère social ou politique – qui sont régies par d’autres normes juridiques –, mais doit résulter de manifestations extérieures d’intolérance ou de rébellion vis-à-vis des règles législatives et des ordres légitimes de l’autorité publique, manifestations qui peuvent facilement créer des situations d’alerte et des violences assurément menaçantes pour la « sécurité » de l’ensemble des citoyens, dont la liberté de circulation finirait par être limitée. En résumé, dans le texte de l’article 16 de la Constitution, l’expression « motifs sanitaires ou de sécurité » doit être interprétée comme visant les faits qui représentent un danger pour la sécurité des citoyens, telle que définie ci-dessus. Cette conclusion est également admise par la jurisprudence quasi constante de la Cour de cassation et par une large part de la doctrine. En effet, il a été observé que la formule générique de l’article 16 vise une infinité de cas difficilement prévisibles, qui peuvent être englobés dans l’expression synthétique « motifs sanitaires ou de sécurité », et que la finalité de la norme constitutionnelle est de concilier la nécessité de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et la nécessité d’éviter un pouvoir de police général et incontrôlé. » Dans son arrêt nº 27 de 1959, la Cour constitutionnelle soutint que les mesures de prévention, malgré les restrictions aux libertés fondamentales qu’elles comportaient, répondaient à l’impératif légitime, prévu par la Constitution, d’assurer « des relations ordonnées et pacifiques entre les citoyens, non seulement par des règles pénales répressives mais aussi par un système de mesures préventives visant à empêcher la commission future d’infractions ». Elle ajouta que ces mesures étaient nécessaires et proportionnées au but poursuivi, dès lors que les catégories de sujets visés étaient suffisamment restreintes et précises. Elle parvint donc à la conclusion que de telles mesures étaient conformes au principe de légalité prévu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matière de limitations des droits relatifs à la liberté. Dans son arrêt nº 45 de 1960, la Cour constitutionnelle estima que la Constitution autorisait l’adoption par les autorités administratives de mesures restreignant la liberté de circulation, comme « l’ordre de quitter une commune », prévu par la loi nº 1423 de 1956. D’autre part, elle précisa que les mesures limitant la liberté personnelle devaient être adoptées exclusivement par l’autorité judiciaire. Dans son arrêt nº 126 de 1962, rappelant la définition de « moralité publique » donnée précédemment, la Cour constitutionnelle considéra celleci comme un aspect de la sécurité publique, laquelle permettait à son avis des limitations de la liberté de circulation des citoyens sur le fondement de l’article 16 de la Constitution. Dans son arrêt nº 23 de 1964, la Cour constitutionnelle affirma que les mesures de prévention n’étaient contraires ni au principe de légalité ni à celui de la présomption d’innocence. Elle observa en particulier que le principe de légalité, prévu par la Constitution en matière de limitations de la liberté personnelle (article 13) mais aussi d’infractions et de mesures de sûreté (article 25), était applicable aux mesures de prévention. Elle jugea toutefois que le respect du principe de légalité devait être vérifié selon des critères spécifiques tenant compte de la nature et des finalités desdites mesures. Elle ajouta que les buts préventifs de celles-ci expliquaient que leur adoption ne se fondât pas sur le constat isolé d’un fait déterminé, mais plutôt sur un ensemble de comportements révélant la dangerosité sociale. Pour la Cour constitutionnelle, il s’ensuivait qu’en définissant les catégories de sujets concernés, le législateur devait suivre des critères distincts de ceux utilisés pour la détermination des éléments constitutifs d’une infraction (et pouvait recourir à des éléments de présomption), critères qui devaient correspondre à des comportements objectivement identifiables. Selon la juridiction constitutionnelle, l’approche de la définition des mesures de prévention n’était pas moins stricte que celle visant la définition des infractions et des peines, mais était différente. Cela dit, la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de manière suffisamment précise les comportements considérés comme « socialement dangereux » pour ce qui était des « oisifs, inaptes au travail et vagabonds » et d’autres catégories de sujets. Concernant ensuite le principe de la présomption d’innocence, la Cour constitutionnelle déclara, d’un côté, qu’il n’entrait pas en ligne de compte parce que les mesures préventives ne se fondaient pas sur la culpabilité et ne touchaient pas à la responsabilité pénale d’un individu. Elle indiqua d’un autre côté qu’il n’était pas non plus dérogé à ce principe, dès lors que l’acquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais justifier en soi un constat de dangerosité sociale, et que d’autres éléments de fait révélant la dangerosité devaient être réunis. Dans son arrêt nº 32 de 1969, la Cour constitutionnelle précisa que la seule appartenance à l’une des catégories de sujets prévues par la loi ne suffisait pas à justifier l’application d’une mesure de prévention. Elle ajouta qu’il fallait au contraire établir l’existence d’un comportement spécifique de l’intéressé démontrant la réalité de sa dangerosité, laquelle ne pouvait rester théorique. En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une violation de la Constitution, et ce en raison de certains aspects procéduraux ou matériels du régime d’application des mesures de prévention. Dans son arrêt nº 76 de 1970, elle déclara inconstitutionnel l’article 4 de la loi nº 1423 de 1956, au motif qu’il ne prévoyait pas la présence obligatoire d’un défenseur pendant la procédure d’application des mesures de prévention. Dans son arrêt nº 177 de 1980, la Cour constitutionnelle constata que l’une des catégories de sujets présentées à l’article 1 de la loi de 1956 en vigueur à l’époque, celle des personnes « que certains signes extérieurs port[ai]ent à considérer enclines à la délinquance », n’était pas suffisamment détaillée par la loi et ne permettait pas de prévoir qui pouvait être visé par les mesures de prévention et dans quelles conditions, en raison de la trop grande marge d’appréciation des autorités. La Cour constitutionnelle conclut également à la violation du principe de légalité applicable en matière de mesures de prévention, selon l’article 13 (liberté personnelle) et l’article 25 (mesures de sûreté). Résumant l’ensemble de la jurisprudence constitutionnelle, la Cour s’exprima ainsi : « 3) La question des mesures de prévention et les problèmes associés ont été soumis à l’attention de cette Cour dès le début de son activité. Dès l’arrêt no 2 de 1956, la Cour énonça certains principes importants tels que l’obligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberté personnelle et le refus net du soupçon comme condition pour l’application de telles mesures, qui sont légitimes à condition d’être motivées par des faits spécifiques. Dans l’arrêt no 11 de la même année 1956, la Cour déclara que « la grande difficulté d’assurer l’équilibre entre les deux exigences fondamentales – ne pas entraver l’activité de prévention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de la personne humaine – semblait résolue à travers la reconnaissance des droits traditionnels de l’habeas corpus dans le domaine du principe de la stricte légalité ». Dans l’arrêt susmentionné, la Cour poursuivit ainsi : « De façon corrélative, l’intéressé ne peut en aucun cas être soumis à une privation ou restriction de sa liberté (personnelle) si cette privation ou restriction n’est pas prévue dans l’abstrait par la loi, si une procédure régulière n’a pas été ouverte à cette fin, s’il n’y a pas de décision motivée de l’autorité judiciaire ». La constitutionnalité d’« un système de mesures de prévention des actes illégaux » destiné à garantir « des relations ordonnées et pacifiques entre les citoyens » a été confirmée par les arrêts ultérieurs de la Cour (arrêts no 27 de 1959 ; no 45 de 1960 ; no 126 de 1962 ; nos 23 et 68 de 1964 ; no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les articles 13, 16, 17 et 25, alinéa 3, de la Constitution ; tantôt la Cour a souligné le parallélisme avec les mesures de sûreté (visées à l’article 25, alinéa 3, de la Constitution), tantôt elle l’a atténué ; tantôt elle a confirmé que ces deux types de mesures, qui ont pour objet la dangerosité sociale de l’individu, poursuivent la même finalité – la prévention des infractions –, tantôt elle a au contraire souligné les différences entre ces deux types. Il convient surtout de rappeler ici non seulement l’affirmation contenue dans l’arrêt no 27 de 1959, qui décrit comme « restreintes et qualifiées » les « catégories d’individus auxquels la surveillance spéciale peut être appliquée (article 1 de la loi) » (no 1423 de 1956), mais aussi et surtout l’arrêt no 23 de 1964 de cette Cour qui a déclaré non fondée « la question de la constitutionnalité de l’article 1 de la loi no 1423 du 27 décembre 1956, eu égard aux articles 13, 25 et 27 de la Constitution ». Dans la motivation de cet arrêt, on peut lire que « pour décrire les cas (de prévention), le législateur doit normalement employer des critères différents de ceux qu’il emploie pour définir les éléments constitutifs d’une infraction ; il peut également faire référence à des éléments de présomption, qui doivent toutefois toujours correspondre à des comportements objectivement identifiables. Ce qui ne veut pas dire moins de rigueur, mais une rigueur différente dans la définition et l’adoption des mesures de prévention par rapport à la définition des infractions et à l’infliction des peines ». Concernant spécifiquement les paragraphes 2, 3 et 4 de l’article 1 de la loi no 1423 de 1956, la Cour a exclu que « les mesures de prévention puissent être adoptées sur la base de simples soupçons », exigeant au contraire « une appréciation objective des faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concrètes de sa propension à la délinquance, lesquelles doivent avoir été établies de manière à exclure des appréciations purement subjectives et incontrôlables par celui qui prononce ou applique les mesures de prévention ». 4) Conformément aux précédentes décisions de cette Cour, il faut rappeler que la constitutionnalité des mesures de prévention – en ce qu’elles restreignent, à différents degrés, la liberté personnelle – est nécessairement subordonnée au respect du principe de légalité et à l’existence de la garantie juridictionnelle (arrêt no 11 de 1956). Il s’agit de deux conditions également essentielles et intimement liées dès lors que l’absence de l’une rend l’autre inefficace, en la rendant purement illusoire. Le principe de légalité en matière de prévention – à savoir la référence aux « cas prévus par la loi » –, qu’il découle de l’article 13 ou de l’article 25, alinéa 3, de la Constitution, implique que l’application de la mesure, même si elle est liée dans la majeure partie des cas à une appréciation pronostique, doit reposer sur des « cas de dangerosité » prévus – décrits – par la loi, des cas destinés à constituer le paramètre de l’examen judiciaire, mais aussi le fondement d’un pronostic de dangerosité, qui ne peut être légalement fondé que sur cette base. En effet, si juridiction en matière pénale signifie application de la loi par l’examen des conditions de fait à travers une procédure entourée des garanties nécessaires, entre autres de sérieux probatoire, on ne peut douter que, même dans la procédure de prévention, le pronostic de dangerosité (confié au juge et dans la formulation duquel sont certainement présents des éléments discrétionnaires) s’appuie forcément sur les conditions de fait « prévues par la loi » et donc susceptibles d’un examen judiciaire. L’intervention du juge (de même que la présence de la défense, dont la nécessité a été affirmée sans réserve) dans la procédure d’application des mesures de prévention n’aurait pas beaucoup de sens (ou bien dénaturerait dangereusement la fonction juridictionnelle dans le domaine de la liberté personnelle) si elle ne servait à garantir, dans le cadre du contradictoire entre les parties, l’examen des cas prédéfinis par la loi. On rappellera enfin que l’application des mesures de prévention personnelles, tendant elles aussi à prévenir la commission d’(autres) infractions (et qui ne supposent pas toujours la commission d’une – précédente – infraction ; article 49, alinéas 2 et 4, et article 115, alinéas 2 et 4, du code pénal), au point qu’elles peuvent être considérées comme l’une des deux espèces d’un même genre, est liée à l’examen des cas définis par la loi, examen dont dépend l’appréciation de la dangerosité, que cette dangerosité soit présumée ou doive être établie dans le cas concret. 5) Ainsi, pour les mesures de prévention également, l’accent est mis sur le degré suffisant ou insuffisant de précision de la description législative des conditions de fait, dont l’examen permet d’apprécier, de façon pronostique, la dangerosité sociale de l’individu. Les questions posées appellent cette Cour à vérifier que les « indices de dangerosité sociale » – pour reprendre la terminologie couramment employée dans la doctrine – qui sont décrits dans les dispositions législatives contestées sont suffisants, au sens de ce qui vient d’être exposé. À cet égard, il convient de mentionner que, du point de vue de la précision, le fait que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluralité de conduites n’est pas déterminant, car seul peut être apprécié le comportement ou la conduite d’un individu vis-à-vis du monde extérieur, tel qu’il s’exprime à travers ses actions et ses omissions. De même, pour les mesures de prévention il est également décisif que la description législative – les cas définis par la loi – permette d’identifier la ou les conduites qui, si elles sont constatées dans le cas concret, peuvent fonder une appréciation pronostique, donc orientée vers l’avenir. Il faut encore observer que les conduites requises pour l’application de mesures de prévention, puisqu’il s’agit de prévenir des infractions, ne peuvent pas se passer de référence, explicite ou implicite, à l’infraction ou aux infractions ou catégories d’infractions visées par la prévention, afin que la description de la ou des conduites considérées acquière d’autant plus de détermination qu’elle permet de déduire de leur survenance dans le cas concret la prévision raisonnable (du risque) que ces infractions soient consommées par ces individus. 6) Au vu des considérations qui précèdent, la question de la constitutionnalité de l’article 1, paragraphe 3, dernière hypothèse, de la loi no 1423 de 1956 doit être déclarée fondée. En effet, la disposition examinée (contrairement, par exemple, à celle du premier paragraphe du même article 1) ne décrit ni une ou plusieurs conduites, ni aucune « manifestation » sur laquelle pourrait reposer, d’emblée, un examen judiciaire. La question de savoir quelles « manifestations » sont pertinentes est renvoyée au juge (et avant lui au parquet et à l’autorité de police compétents) sur le plan même de la définition du cas, avant même d’arriver à celui de l’examen. Les conditions de l’appréciation de la « propension à la délinquance » n’ont aucune autonomie conceptuelle par rapport à l’appréciation elle-même. La formule légale n’a donc pas la fonction d’une véritable définition du cas, c’est-à-dire d’une identification des « cas » (ce qu’exigent tant l’article 13 que l’article 25, alinéa 3, de la Constitution), mais elle laisse aux acteurs une marge discrétionnaire incontrôlable. (...) L’expression « enclin à la délinquance » employée par le législateur de 1956 semblerait rappeler la notion de « tendance à la délinquance » de l’article 108 du code pénal, mais le rapprochement ne tient pas sur le plan matériel car la formulation de cette dernière disposition suppose que soient constatés : une atteinte volontaire à la vie ou à l’intégrité individuelle, des mobiles propres à révéler une propension particulière à la délinquance, et le tempérament particulièrement mauvais du coupable. Dans le cas examiné, la « propension à la délinquance » doit au contraire être entendue comme synonyme de dangerosité sociale, ce qui implique que l’ensemble de la disposition normative, qui permet l’adoption de mesures restreignant la liberté personnelle sans que soient identifiées ni les conditions ni les finalités spécifiques qui les justifient, doit être considérée comme anticonstitutionnelle. » Dans son arrêt nº 93 de 2010, s’appuyant sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et sur l’arrêt Bocellari et Rizza c. Italie (nº 399/02, 13 novembre 2007), dans lequel la Cour européenne avait constaté une violation de l’article 6 en raison de la procédure d’application des mesures patrimoniales prévues par la loi de 1956, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel l’article 4 de la loi no 1423 de 1956 au motif qu’il ne ménageait pas la possibilité pour l’intéressé de demander pendant la procédure d’application des mesures de prévention une audience publique, que ce soit en première instance ou en appel. Néanmoins, par l’arrêt nº 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle précisa que la possibilité de demander une audience publique ne s’imposait pas devant la Cour de cassation. Dans l’arrêt no 282 de 2010, la Cour constitutionnelle était appelée à déterminer si l’article 9 § 2 de la loi no 1423 du 27 décembre 1956 était compatible avec l’article 25, alinéa 2, de la Constitution en ce qu’il sanctionnait pénalement le non-respect de l’obligation formulée à l’article 5, alinéa 3, première partie, de ladite loi, à savoir de « vivre honnêtement et dans le respect des lois et de ne pas prêter à soupçon », et s’il violait le principe de la prévision législative exhaustive des situations où la norme pénale trouve à s’appliquer (principio di tassatività). La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que l’obligation de vivre honnêtement et dans le respect des lois et de ne pas prêter à soupçon, tout en étant comprise dans les conditions imposées à la personne soumise à une surveillance spéciale, constituait une obligation de caractère général applicable à l’ensemble de la collectivité et non pas spécifiquement à la personne concernée. Ladite juridiction considérait donc que, de par sa portée générale précisément, l’obligation en question ne pouvait pas constituer une condition à contenu prescriptif, typique et spécifique associée à la mesure de surveillance spéciale, dès lors pour elle qu’il n’était pas possible de déterminer avec précision la conduite susceptible d’enfreindre les exigences liées à la surveillance spéciale, compte tenu du caractère vague et imprécis des éléments entrant dans la définition de cette infraction. Pour la Cour constitutionnelle, que la description de l’infraction en question contînt des expressions sommaires, des termes à sens multiples, des clauses générales ou des notions élastiques n’emportait pas violation de l’article 25, alinéa 2, de la Constitution, pour autant que la description globale de l’acte allégué permît malgré tout au juge – eu égard au but poursuivi par la disposition pénale pertinente et au contexte législatif plus large dans lequel elle s’inscrivait – d’établir la signification de cet élément par un processus d’interprétation n’outrepassant pas sa mission habituelle ; c’est-à-dire pour autant que cette description lui permît de se prononcer sur la correspondance entre les circonstances concrètes et la définition abstraite de l’infraction en s’appuyant sur un fondement herméneutique contrôlable et, par conséquent, permît à la personne visée par la disposition d’avoir une perception suffisamment claire et immédiate de sa valeur prescriptive. Pour la Cour constitutionnelle, dans ce contexte l’obligation de « vivre honnêtement », si elle était appréciée de manière isolée, apparaissait en soi générique et susceptible de revêtir des significations multiples ; si au contraire on la plaçait dans le contexte de toutes les autres obligations posées par l’article 5 de la loi no 1423/1956, elle avait un contenu plus clair, impliquant un devoir pour la personne concernée d’adapter sa conduite à un mode de vie respectant l’ensemble des prescriptions susmentionnées, de sorte que la formule « vivre honnêtement » se concrétise et s’individualise. La juridiction constitutionnelle jugea également que l’obligation de vivre « dans le respect des lois » renvoyait au devoir pour l’intéressé de se conformer à toutes les prescriptions lui imposant d’adopter ou de ne pas adopter telle ou telle conduite, donc non seulement aux normes pénales mais aussi à toute disposition dont le nonrespect serait un indice supplémentaire de la dangerosité sociale déjà établie. Concernant enfin l’obligation de « ne pas prêter à soupçon », la haute juridiction indiqua qu’il ne fallait pas davantage la prendre isolément mais dans le contexte des autres obligations posées par l’article 5 de la loi no 1423/1956, comme l’interdiction faite à la personne soumise à une surveillance spéciale de fréquenter certains lieux ou individus. C. La jurisprudence de la Cour de cassation Dans l’arrêt nº 10281 du 25 octobre 2007, la Cour de cassation, statuant en chambres réunies, indiqua que la condition préalable à l’application d’une mesure de prévention personnelle était le constat de la « dangerosité actuelle » du sujet, laquelle n’était pas nécessairement liée à la commission d’une infraction, même si celle-ci pouvait éventuellement entrer en ligne de compte. Ce qui importait, pour la Cour de cassation, c’était l’existence d’une situation complexe d’une certaine durée, qui révélait un mode de vie de l’intéressé posant problème sur le plan de la sécurité publique. L’évaluation de la « dangerosité actuelle » était donc « une évaluation s’articulant autour de plusieurs axes et prenant en considération divers comportements du sujet, qui n’étaient pas nécessairement susceptibles de poursuites pénales mais néanmoins révélateurs de la dangerosité sociale de l’intéressé ». Dans l’arrêt no 23641 de 2014, la Cour de cassation jugea que l’évaluation de la dangerosité aux fins de l’application d’une mesure de prévention ne consistait pas en une simple appréciation de la dangerosité subjective mais correspondait à l’appréciation de « faits » que l’on pouvait évaluer historiquement et qui étaient eux-mêmes des « indicateurs » de la possibilité d’inscrire le sujet concerné dans l’une des catégories criminologiques définies par la loi. Ainsi, pour la Cour de cassation, le sujet « examiné dans une procédure de prévention n’était pas tenu pour « coupable » ou « non coupable » de la commission d’un acte spécifique, mais pour « dangereux » ou « non dangereux » eu égard à son comportement antérieur (tel que reconstitué à partir de différentes sources d’information), considéré comme « indice révélateur » de la possibilité de futurs comportements tendant à perturber l’ordre social ou l’ordre économique, et ce au regard de dispositions législatives précises qui « qualifient » les diverses catégories de dangerosité. Selon la Cour de cassation, le rattachement à une telle catégorie était la condition nécessaire mais non suffisante pour l’application de la mesure de prévention personnelle, dès lors que les catégories en question représentaient des indicateurs de la dangerosité sociale du sujet, comme cela ressortait clairement de l’article 1, alinéa 3, de la loi de délégation du 13 août 2010 no 136, sur la base de laquelle a été promulgué le décret législatif no 159 de 2011. D. Le décret législatif no 159 du 6 septembre 2011 Le nouveau « code antimafia », qui rassemble la législation relative à la lutte contre la mafia et les mesures de prévention personnelles et patrimoniales, est entré en vigueur en septembre 2011. Il a abrogé la loi no 1423 de 1956 mais a laissé inchangée la catégorie des personnes concernées. Quant aux mesures applicables, la nouvelle loi a uniquement abrogé l’obligation de ne pas fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution. En ce qui concerne la procédure d’application des mesures de prévention, l’article 7 de ce texte prévoit que, sur demande de l’intéressé, l’audience peut être publique. Enfin, en février 2015, le gouvernement italien a adopté le décret-loi no 7, devenu la loi no 43 du 17 avril 2015, qui contient des mesures urgentes contre le terrorisme international. De nouvelles infractions terroristes ont ainsi été inscrites dans le code pénal, l’une en particulier concernant les déplacements de combattants étrangers (foreign fighters) à des fins terroristes. Par ailleurs, le champ d’application des mesures de prévention personnelles (ainsi que patrimoniales) a été élargi. Une nouvelle mesure de retrait du passeport et de la carte d’identité a été introduite. E. La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la réparation des dommages causés dans l’exercice de fonctions juridictionnelles et la responsabilité civile des magistrats Aux termes de l’article 1, paragraphe 1, de cette loi, celle-ci s’applique « à tous les membres des magistratures de droit commun, administrative, financière, militaire et spéciale, qui exercent une activité juridictionnelle, indépendamment de la nature des fonctions, ainsi qu’aux autres personnes qui participent à l’exercice de la fonction juridictionnelle ». L’article 2 de la loi no 117/88 énonce : « 1. Toute personne ayant subi un dommage injustifié en raison d’un comportement, d’un acte ou d’une mesure judiciaire d’un magistrat qui s’est rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, ou en raison d’un déni de justice, peut agir contre l’État pour obtenir réparation des dommages patrimoniaux qu’elle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui découlent de la privation de liberté personnelle. Dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, l’interprétation des règles de droit et l’appréciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu à responsabilité. Sont constitutifs d’une faute grave : a) une violation grave de la loi résultant d’une négligence inexcusable ; b) l’affirmation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement réfutée par les pièces du dossier ; c) la négation, due à une négligence inexcusable, d’un fait dont l’existence est incontestablement établie par les pièces du dossier ; d) l’adoption d’une mesure concernant la liberté personnelle en dehors des cas prévus par la loi ou sans motivation. » Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, première phrase, de la loi no 117/88, constitue par ailleurs un déni de justice « le refus, l’omission ou le retard du magistrat dans l’accomplissement d’actes relevant de sa compétence lorsque, après expiration du délai légal prévu pour l’accomplissement de l’acte en question, la partie concernée a présenté une demande en vue de l’obtention d’un tel acte et que, sans raison valable, aucune mesure n’a été prise dans les trente jours consécutifs au dépôt de cette demande au greffe ». Les articles suivants de la loi no 117/88 précisent les conditions et les modalités selon lesquelles une action en réparation peut être engagée au titre de l’article 2 ou de l’article 3 de cette loi, ainsi que les actions qui peuvent être intentées a posteriori contre le magistrat qui s’est rendu coupable de dol ou de faute grave dans l’exercice de ses fonctions, voire d’un déni de justice. IV. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ D’après les informations dont la Cour dispose sur la législation de trente-quatre États membres, la grande majorité des pays étudiés (vingt-neuf pays sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables à celles appliquées en Italie dans la présente affaire. Seuls cinq pays sont concernés par des mesures similaires (l’Autriche, la France, la Suisse, le Royaume-Uni et la Russie). L’Autriche, la France et la Suisse ont adopté de telles mesures pour faire face au hooliganisme : des mesures préventives personnelles sont ainsi mises en œuvre à l’égard de personnes potentiellement violentes lors de manifestations sportives. Par ailleurs, la France connaît d’autres types de mesures (interdiction de réunions, manifestations ou spectacles, hospitalisation d’office, etc.) qui relèvent de la compétence de la police administrative. Au Royaume-Uni, des mesures semblables ont été introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. En Russie, diverses lois indiquent que les mesures de prévention visent les anciens détenus qui ont été condamnés pour une infraction grave, pour récidive ou pour d’autres types d’infractions, les mineurs abandonnés ou auteurs d’une infraction, les toxicomanes et alcooliques présentant un danger pour autrui, les personnes impliquées dans des infractions contre les ménages, des personnes contrevenant à l’ordre public lors d’évènements publics, les personnes impliquées dans des organisations juvéniles non officielles poursuivant des activités illégales et les personnes impliquées dans le trafic ou la consommation illégale de drogue. Dans le cadre de la législation européenne, la Directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres prévoit la possibilité pour les États de restreindre la liberté de circulation et de séjour pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique (article 27). Toutefois, l’éloignement pour raisons d’ordre public ou de sécurité publique doit respecter le principe de proportionnalité et être fondé exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné, qui doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’intérêt fondamental de la société. En ce qui concerne la durée d’une telle mesure, la directive indique qu’après un délai raisonnable, et en tout cas après trois ans à compter de l’exécution de la mesure, l’intéressé doit pouvoir introduire une demande de levée de l’interdiction. Au niveau du Conseil de l’Europe, le Protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme (STCE no 217) a été adopté par le Comité des Ministres, le 19 mai 2015. Il a été ouvert à la signature à Riga, le 22 octobre 2015. Ce Protocole prévoit l’obligation pour les États de sanctionner pénalement le fait de se rendre, ou tenter de se rendre, dans un Etat autre que son Etat de résidence ou de nationalité, dans le but de commettre, d’organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d’y participer à ou de dispenser ou recevoir un entraînement au terrorisme et d’adopter les mesures de coopération nécessaires pour éviter que des personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975. Il est détenu à la prison de Sofia. A. Les poursuites pénales contre le requérant L’arrestation du requérant et sa garde à vue Le 2 juillet 1999, deux personnes armées firent irruption dans un bureau de change à Burgas. Des coups de feu furent tirés et deux membres du personnel furent tués. Les malfaiteurs s’enfuirent avec une somme d’argent. Le même jour, le service de l’instruction à Burgas entama des poursuites pénales contre X pour vol à main armée et homicide. Les organes chargés de l’enquête pénale effectuèrent un certain nombre de mesures d’instruction : inspection des lieux, autopsie des corps des victimes, interrogatoire des témoins. Très vite, elles firent le rapprochement avec le requérant et un dénommé A.S. Par une décision du 9 juillet 1999, un officier de police ordonna la détention du requérant pour une durée de vingt-quatre heures, en vertu des dispositions pertinentes de la loi sur le ministère de l’Intérieur. Cette ordonnance mentionnait le droit du détenu à l’assistance d’un avocat dès son arrestation. Elle indiquait aussi qu’une copie de l’ordonnance devait être remise à la personne arrêtée. L’exemplaire de cette ordonnance contenu dans le dossier de l’affaire n’est pas signé par le requérant, qui à cette époque était en fuite et recherché par les forces de l’ordre. Le 3 octobre 1999, le requérant fut arrêté à Sofia. Aucun document du dossier n’indique si après son arrestation il a reçu une copie de l’ordonnance du 9 juillet 1999. Il fut gardé à Sofia ce jour-là et le lendemain. Le 4 octobre 1999, un enquêteur de Burgas, se fondant sur l’article 202 du code de procédure pénale, ordonna sa détention pour une durée de vingt-quatre heures à compter de 20 heures. Le 5 octobre 1999, le requérant fut transféré à Burgas. Le même jour, sa détention fut prolongée par un procureur. Le document contenant les deux décisions du 4 et du 5 octobre 1999 ne mentionne pas le droit du requérant à être assisté par un avocat et ne porte pas sa signature. Le requérant affirme avoir demandé à quatre reprises – les 3, 4, 5 et 6 octobre 1999 – à prendre contact avec un certain Me V. Mihailov. Les autorités n’auraient pas donné suite à ces demandes. Pendant la période comprise entre le 3 et le 6 octobre, il aurait été interrogé par les responsables de l’enquête. Lors de ces interrogatoires, il aurait expliqué qu’il avait participé au braquage du bureau de change mais aurait nié avoir commis les deux meurtres. Le dossier de l’affaire pénale ne contient aucune trace écrite de tels interrogatoires. En revanche il renferme une déclaration manuscrite d’A.S., le complice présumé du requérant, datée du 3 octobre 1999, dans laquelle A.S. explique que l’instigateur du braquage était le requérant, que lui-même avait accepté de collaborer avec le requérant et que c’était ce dernier qui avait utilisé un pistolet au cours du braquage. Le 6 octobre 1999, l’enquêteur chargé de l’instruction désigna un défenseur d’office pour le requérant. À 12 heures, assisté par son avocat commis d’office, le requérant fut formellement inculpé du double meurtre et du braquage au bureau de change à Burgas. Interrogé juste après, en présence de son avocat, il déclara ce qui suit : « J’ai pris connaissance de l’ordonnance d’inculpation en la lisant en présence de mon avocat commis d’office, D. Todorov. J’ai été informé de mes droits et obligations en tant qu’inculpé et de mon droit de refuser de déposer. Je ne livrerai pas de déposition sur l’accusation tant que mes parents, qui ont été informés, n’auront pas engagé un avocat. » La suite des poursuites pénales ayant visé le requérant Le 7 octobre 1999, A.S. fut interrogé par l’enquêteur en présence d’un avocat. A.S. relata les circonstances qui avaient entouré les préparatifs, la mise en œuvre et les suites du braquage, et expliqua la façon dont il avait aidé le requérant dans toutes ces étapes. Il affirma que c’était le requérant qui avait tué les deux victimes. Le 8 octobre 1999, le requérant engagea un avocat du barreau de Burgas, Me Kanev. Interrogé en présence de cet avocat le 12 octobre 1999, il garda le silence et déclara qu’il s’expliquerait plus tard. Le 21 octobre 1999, le requérant passa aux aveux en présence de son avocat, Me Kanev. Il admit avoir préparé et commis le braquage du bureau de change et soutint que les deux victimes avaient été tuées par A.S. Le 22 décembre 1999, le requérant engagea un deuxième avocat du barreau de Sofia, Me Jeleva. Par la suite, les responsables de l’enquête rassemblèrent plusieurs types de preuves : des témoignages et des preuves médicales, scientifiques, matérielles et documentaires. Le 4 janvier 2000, le requérant et A.S., assistés de leurs défenseurs, prirent connaissance des documents contenus dans le dossier de l’enquête. Ils rétractèrent leurs aveux et leurs avocats demandèrent un nouvel interrogatoire de leurs clients. Le 16 février 2000, le procureur régional de Burgas renvoya le dossier à l’enquêteur en vue d’un complément d’enquête. Il lui demanda en particulier de procéder à plusieurs mesures d’instruction et à une nouvelle inculpation formelle des deux suspects. Le 7 mars 2000, le requérant fut inculpé d’un chef supplémentaire, à savoir l’acquisition illégale de l’arme à feu ayant servi lors du vol commis le 2 juillet 1999. Le même jour, les deux suspects furent interrogés en présence de leurs avocats. Dans sa déposition, le requérant avança la version selon laquelle le vol et les meurtres en question avaient été commis par un certain V., ressortissant iranien, aidé par un inconnu. Le 17 mai 2000, le parquet régional dressa l’acte d’accusation et renvoya le requérant et son complice présumé en jugement devant le tribunal régional de Burgas. Le tribunal régional examina l’affaire pénale du 25 juillet 2000 au 14 juin 2001. Au cours du procès, le requérant, qui était assisté par un avocat, soutint que lui-même et son complice présumé étaient bien à Burgas le 1er juillet 1999, qu’ils avaient bien eu l’intention de commettre un vol au bureau de change, mais qu’ils avaient reconsidéré leur décision et étaient rentrés à Sofia le jour même. Le 14 juin 2001, le tribunal régional de Burgas rendit son jugement. Le requérant fut reconnu coupable du vol à main armée perpétré au bureau de change de Burgas, crime accompagné du meurtre de deux personnes et commis en réunion avec A.S., ainsi que de l’acquisition illicite d’un pistolet et de munitions pour celui-ci. Le tribunal régional lui infligea la plus lourde des peines prévues par le code pénal bulgare, à savoir la réclusion criminelle à perpétuité non commuable. Conformément à l’article 127 b), alinéa 1, de la loi sur l’exécution des peines, le tribunal régional ordonna que le requérant fût soumis au régime pénitentiaire dit « spécial ». Sur la base des preuves rassemblées au cours de l’instruction préliminaire et en audience, le tribunal régional établit les faits comme suit. L’ex-compagne du requérant, D.K., avait commencé à travailler comme caissière au bureau de change en question en 1997, alors qu’elle était en couple avec l’intéressé. Elle y avait rencontré la première victime, un dénommé N.B., proche parent du propriétaire et employé dans le même établissement. En juin 1999, D.K. avait quitté le requérant et s’était installée en couple avec N.B. à Burgas. Le requérant avait alors décidé de tuer N.B. et de voler l’argent de la caisse du bureau de change. Il s’était procuré un pistolet « Makarov », un silencieux et des munitions. Il avait persuadé un de ses amis, A.S., de participer au vol. Le 1er juillet 1999, dans l’après-midi, le requérant et A.S. étaient arrivés en autocar à Burgas. Ils s’étaient ensuite rendus dans le bâtiment où se trouvait le bureau de change, étaient montés au dernier étage et y avaient passé la nuit. Le lendemain matin, un peu avant 9 heures, ils étaient descendus à l’étage où était situé le bureau de change et avaient vu que N.B. y était seul. A.S., qui portait le pistolet, avait fait irruption dans le local et avait tiré une fois à bout portant sur la tempe gauche de la victime. La victime était morte sur le coup. Les deux complices avaient ensuite mis l’argent trouvé sur place dans le sac qu’ils portaient avec eux. Entre-temps, le vigile armé du bureau de change, un dénommé P.I., s’était précipité vers le local où se trouvait la première victime. A.S. avait tiré deux fois dans sa direction et l’avait touché au visage. Le gardien avait été tué sur le coup. A.S. et le requérant étaient sortis du bâtiment. Ils avaient ensuite caché l’arme du crime sous un conteneur poubelle, s’étaient débarrassés des vêtements qu’ils portaient et avaient caché l’argent volé. Quelque temps plus tard, les deux hommes avaient chargé un dénommé E.E. de leur apporter l’argent, ce que ce dernier avait fait. Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il se plaignit que la condamnation n’était pas suffisamment motivée, que sa culpabilité n’était pas établie, que le tribunal de première instance avait pris une décision erronée, qu’il y avait eu plusieurs manquements aux règles procédurales et matérielles du droit interne et que le tribunal n’était pas impartial. L’avocat du requérant demanda la récusation de tous les juges de la cour d’appel de Burgas. Il avança que la médiatisation de cette affaire pénale avait créé un climat d’intolérance et d’hostilité vis-à-vis de son client. La défense demanda la convocation d’un témoin supplémentaire, un nouvel interrogatoire d’un des témoins qui avaient été interrogés en première instance, ainsi que plusieurs expertises supplémentaires. Le 4 décembre 2001, le juge rapporteur chargé de l’affaire pénale rejeta pour défaut de pertinence les demandes relatives à la collecte de nouvelles preuves. Il écarta la demande de récusation des juges de la cour d’appel pour absence d’un quelconque indice de parti pris. La cour d’appel examina l’affaire pénale de février à juillet 2002. Elle interrogea un nouveau témoin et recueillit des expertises psychiatriques supplémentaires sur les deux accusés. Le 6 août 2002, la cour d’appel confirma le jugement du tribunal de première instance en souscrivant pleinement aux conclusions factuelles et juridiques de celui-ci. Elle estima que les preuves rassemblées au cours de l’instruction préliminaire, celles présentées devant le tribunal de première instance et celles produites pour la première fois devant elle démontraient que les deux accusés avaient planifié et commis le vol au bureau de change et qu’A.S. avait tué les deux victimes. Elle précisa que le requérant était cependant l’instigateur de ces crimes et qu’il s’était procuré l’arme utilisée par son complice. La cour d’appel s’appuyait sur les dépositions des multiples témoins interrogés pendant l’examen de l’affaire, sur les résultats des expertises balistiques, comptables, techniques, médicales et psychiatriques, ainsi que sur les preuves matérielles et documentaires recueillies. La cour d’appel observa que les dépositions initiales des accusés, livrées au cours de l’instruction préliminaire, différaient considérablement de leurs dépositions devant le tribunal de première instance. Elle exposa que les premières dépositions corroboraient la conclusion relative à leur participation à la commission des crimes en cause, tandis que les deuxièmes dépositions avançaient une version imputant les crimes à un ressortissant iranien. La cour d’appel indiqua qu’elle ajoutait foi aux premières dépositions des accusés, qui avaient été livrées en présence de leurs avocats, devant un enquêteur et après inculpation formelle des intéressés. Selon la juridiction, les inculpés avaient été avertis que leurs témoignages pourraient servir devant les tribunaux pour l’établissement des faits et leur examen médical préalable avait démontré l’absence de toute trace de violence physique, ce qui allait à l’encontre de l’affirmation de la défense selon laquelle la première déposition du requérant lui avait été extorquée. La cour d’appel se pencha sur la version des faits exposée par le requérant, selon laquelle le double meurtre et le vol avaient été commis par un dénommé V., ressortissant iranien, pendant que le requérant était à son poste de travail à Sofia. La cour d’appel indiqua que les vérifications effectuées dans la base de données du ministère de l’Intérieur avaient démontré qu’aucune personne d’origine iranienne portant le nom indiqué n’était entrée sur le territoire bulgare. Elle ajouta que le requérant était en effet à son poste de travail à Sofia le 2 juillet 1999 mais qu’il travaillait alors comme vigile de nuit et que le vol et les meurtres avaient été commis tôt le matin, ce qui lui avait laissé le temps nécessaire pour parcourir la distance entre Burgas et Sofia et se rendre ce soir-là à son travail. La cour d’appel estimait peu convaincante la déposition du seul témoin qui corroborait la version des faits livrée par le requérant. La juridiction d’appel constata que le jugement du tribunal de première instance n’était entaché d’aucun des vices de procédure évoqués par la défense. Elle déclara que les conclusions factuelles et juridiques du tribunal régional ne reposaient pas exclusivement sur les aveux des accusés, mais aussi sur l’ensemble des preuves concordantes rassemblées au cours de la procédure pénale. Elle indiqua que le requérant avait participé activement à la procédure et que ses avocats avaient formulé plusieurs demandes liées au déroulement du procès et à la collecte des preuves. Elle estima que le tribunal régional avait répondu à toutes ces demandes et avait pleinement motivé ses décisions procédurales, et que par ailleurs il n’y avait aucun indice de parti pris de la part des juges ayant examiné l’affaire et que la procédure avait été menée de façon à protéger les intérêts des parties. La cour d’appel refusa d’admettre comme preuve, pour nonobservation des règles de procédure, la déposition d’un des témoins mais estima que celle-ci n’était pas décisive pour les conclusions factuelles et juridiques dans cette affaire. Elle jugea que si le tribunal régional avait retardé la délivrance des motifs de son jugement, la défense avait néanmoins pu présenter des observations complémentaires en appel, après obtention d’une copie desdits motifs. Le requérant se pourvut en cassation, réitérant les arguments qu’il avait mis en avant devant la cour d’appel. Dans son pourvoi en cassation, sur quarante pages, son avocat souleva soixante-quatorze objections concernant la collecte et l’interprétation de différentes preuves, ainsi que les constats factuels et juridiques des juridictions inférieures. Au paragraphe 33 de son exposé, l’avocat contestait la recevabilité d’un procès-verbal de reconstitution des événements du 7 octobre 1999, avançant que ce jour-là son client n’avait pas été assisté par un avocat de son choix. Il précisa qu’à cette époque son client était assisté par un avocat commis d’office et que ce dernier n’avait pas été proposé par le barreau local, comme l’exigeait la législation en vigueur. L’avocat du requérant ajouta que son client avait incontestablement été privé d’un défenseur le 4 octobre 1999, quand il avait été détenu ; il y voyait une atteinte aux dispositions de l’article 70, alinéa 4, de la loi sur le ministère de l’Intérieur et de la Constitution. C’était la seule phrase qui concernait les événements entourant la garde à vue du requérant. Par un arrêt du 17 décembre 2003, la Cour suprême de cassation rejeta le pourvoi du requérant. La haute juridiction estima qu’aucune des circonstances invoquées par la défense ne démontrait l’existence d’un parti pris de la part des juges ayant examiné l’affaire pénale. Elle déclara que le requérant avait eu la possibilité de se défendre de manière effective au cours de la procédure pénale, en ce qu’il avait présenté des preuves à décharge et contesté les preuves à charge. Elle ajouta qu’une partie de ses demandes, visant à l’obtention de nouvelles preuves, avait été accueillie par les juridictions inférieures et que leurs refus de recueillir d’autres preuves souhaitées par la défense avaient été adéquatement motivés. Faisant siens les autres motifs de la cour d’appel, la Cour suprême de cassation estima encore que les faits étaient bien établis, que les règles matérielles et procédurales avaient été correctement appliquées et que les droits de l’accusé avaient été pleinement respectés. B. Les conditions de détention du requérant Le requérant séjourna au centre de détention provisoire de Burgas du 5 octobre 1999 au 27 janvier 2000, puis du début du mois de mars au 14 avril 2000. Il séjourna à la prison de Burgas du 27 janvier 2000 au début du mois de mars 2000, puis du 14 avril 2000 au 25 février 2004. À cette dernière date, il fut transféré à la prison de Sofia, où il est toujours détenu. Le centre de détention provisoire de Burgas Le requérant expose qu’il était enfermé dans une cellule sans fenêtre, sans toilettes et sans eau courante. Le local aurait été mal ventilé et mal éclairé. Le requérant n’aurait eu accès à aucune sortie en plein air. L’accès aux équipements sanitaires aurait été limité et le temps imparti pour la toilette des détenus insuffisant. Le requérant insiste sur les conditions d’hygiène, qui auraient été déplorables dans cet établissement pénitentiaire. Plus tard, il aurait été placé dans une autre cellule avec deux autres détenus. Il n’y aurait eu qu’un seul banc dans cette cellule, de sorte que ses codétenus et lui auraient été contraints de dormir à tour de rôle. D’après un rapport du directeur général des établissements pénitentiaires présenté par le Gouvernement, à cette époque-là chaque cellule du centre de détention provisoire de Burgas possédait un banc pour unique meuble. Les cellules auraient été dépourvues de fenêtres et la lumière du jour y aurait pénétré par les trous des plaques métalliques fixées aux portes. L’établissement en cause aurait disposé d’un seul bloc sanitaire et n’aurait pas comporté d’espace à ciel ouvert aménagé pour les détenus. Selon le même rapport, de 2002 à 2009 l’établissement fut entièrement rénové et aménagé de manière à assurer des conditions de détention respectant la dignité des détenus. La prison de Burgas Le requérant allègue que sa cellule à la prison de Burgas avait une superficie de 6 m2. Il aurait disposé d’un lit et d’un casier métallique. Il n’y aurait eu ni eau courante ni toilettes dans sa cellule. Il aurait utilisé un seau en plastique pour ses besoins naturels. Comme tous les détenus, il aurait eu la possibilité de sortir de sa cellule trois fois par jour, pendant trente minutes, pour vider son seau et remplir sa bouteille d’eau. À l’appui de ces allégations, l’intéressé présente une déclaration de son coaccusé A.S., qui aurait été détenu avec lui dans les mêmes conditions à la prison de Burgas. Le requérant aurait de surcroît été obligé de porter un uniforme de condamné alors que la réglementation interne lui aurait permis de porter ses propres vêtements. Le requérant expose qu’au début de son séjour dans cette prison, il fut privé d’exercice en plein air. D’après la déclaration d’A.S. (paragraphe 48 ci-dessus), les détenus pouvaient sortir en plein air une fois tous les deux jours, pendant une heure. Le requérant n’aurait été associé à aucune activité organisée dans l’enceinte de la prison de Burgas. À plusieurs reprises, il aurait demandé à l’administration pénitentiaire à pouvoir participer aux différents programmes de formation et d’activités professionnelles et à être transféré à la prison de Sofia pour être plus près de sa famille, mais ses demandes seraient restées sans suite. Selon un rapport du directeur de la prison de Burgas présenté par le Gouvernement, le requérant avait eu du mal à s’adapter au règlement pénitentiaire et avait affiché un comportement contestataire et irrespectueux vis-à-vis des surveillants et de l’administration pénitentiaire. Le requérant aurait néanmoins bénéficié de tous les droits accordés aux personnes privées de liberté. Il aurait été logé et nourri conformément aux normes pénitentiaires. Il aurait bénéficié quotidiennement d’une sortie en plein air et aurait joui du libre accès à la bibliothèque de la prison. Il aurait consulté à plusieurs reprises un psychologue et aurait eu plusieurs entrevues avec le responsable des activités à la prison. La prison de Sofia À la suite de son transfert à la prison de Sofia, le requérant fut soumis au régime pénitentiaire dit « spécial », qui se caractérise par un isolement quasi total d’avec le reste de la population carcérale. L’intéressé expose que, de février 2004 jusqu’à l’été 2006, il fut enfermé dans une cellule mesurant 4 x 2 m, qu’il partageait avec un autre prisonnier. Les deux lits auraient occupé l’essentiel de la surface au sol, ce qui aurait laissé aux deux détenus un espace libre d’à peine 2 m2. Il n’y aurait pas eu d’eau courante dans la cellule et les prisonniers auraient utilisé un seau en guise de toilettes. Le requérant aurait passé la majeure partie de la journée assis sur son lit, faute d’espace libre dans la cellule. Il aurait pris ses repas dans la cellule et aurait été autorisé à se promener dans la cour de la prison une fois par jour, pendant une heure. Son accès à la bibliothèque de la prison se serait limité aux quelques minutes nécessaires pour choisir et emprunter un livre, et immédiatement après il aurait été raccompagné jusqu’à sa cellule. Il aurait eu la possibilité de se rendre à la chapelle de la prison deux fois par an, pendant les fêtes de Pâques et de Noël, mais en dehors de la messe afin de ne pas rencontrer les autres prisonniers. Jusqu’en 2005, le quartier de haute sécurité de la prison aurait été surpeuplé et les détenus malades n’auraient pas été séparés des autres prisonniers, ce qui aurait favorisé la transmission de maladies infectieuses. Les conditions matérielles se seraient améliorées quelque peu, après les travaux effectués en 2005 et 2006 dans cette aile de la prison. En décembre 2008, il aurait bénéficié d’un assouplissement de son régime pénitentiaire. Cependant, comme tous les prisonniers de sa catégorie, il aurait continué à être séparé du reste de la population carcérale et sa cellule serait restée fermée à clé pendant la journée. En 2004 et 2005, il aurait effectué dans sa cellule un travail occasionnel consistant à plier des enveloppes. Depuis 2010, il aurait la possibilité de se rendre dans une salle d’activités, où il pourrait discuter avec d’autres prisonniers condamnés à la perpétuité et lire des livres. Selon un rapport du directeur de la prison de Sofia daté du 11 octobre 2011, l’aile de haute sécurité de la prison de Sofia fut entièrement rénovée en 2005 et 2006. À la date du rapport en question, le requérant aurait été détenu dans une cellule individuelle d’une superficie de 7,7 m2 disposant d’un lit, d’une table, d’un casier, d’une douche et de toilettes privatives. Sa cellule aurait disposé de chauffage et de l’accès à l’eau chaude, et aurait été bien éclairée. En dehors des contraintes liées à son régime pénitentiaire, le requérant bénéficierait des activités offertes aux autres détenus : il aurait la possibilité de travailler, d’aller à la bibliothèque ou à la chapelle de la prison, de recevoir les visites de ses proches, d’écrire et de recevoir des lettres. Il pourrait par ailleurs bénéficier d’un assouplissement de son régime pénitentiaire conformément à l’article 198 de la loi pénitentiaire, sous réserve d’un avis favorable d’une commission spéciale, et rejoindre à terme le reste de la population carcérale. Par ailleurs, en 2010 le requérant demanda l’annulation d’un certain nombre de dispositions du règlement d’application de la loi pénitentiaire relatives aux modalités d’exécution de sa peine perpétuelle. Son recours fut rejeté de manière définitive par un arrêt du 14 septembre 2011 de la Cour administrative suprême, qui jugea que les dispositions attaquées du règlement d’application n’étaient pas contraires à la loi pénitentiaire et que l’adoption du règlement n’était pas entachée d’irrégularités susceptibles de justifier leur annulation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les modalités d’exécution des peines perpétuelles et les recours indemnitaires fondés sur la loi de 1988 sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage Le droit et la jurisprudence internes pertinents concernant le régime d’exécution des peines perpétuelles et les actions en dommages et intérêts en vue de la réparation du préjudice causé par de mauvaises conditions de détention se trouvent résumés dans l’arrêt Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie (nos 15018/11 et 61199/12, §§ 108-135 et §§ 136-146 respectivement, CEDH 2014 (extraits)). B. Le droit d’être assisté par un avocat dans le cadre de poursuites pénales et les informations à communiquer au détenu concernant ses droits La loi sur le ministère de l´Intérieur et son règlement d´application La loi de 1997 sur le ministère de l’Intérieur et son règlement d’application de 1998 permettaient à la police d’arrêter et de détenir pendant vingt-quatre heures les personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions pénales. Les personnes arrêtées avaient le droit d’être assistées par un avocat dès leur arrestation. Les articles pertinents de la loi et du règlement, dans leur rédaction en vigueur à l’époque de l’arrestation du requérant, se lisaient comme suit : Article 70 de la loi de 1997 « 1) Les services de police peuvent détenir les personnes : qui ont commis des infractions pénales (...) 4) Dès le moment de leur arrestation, les personnes détenues ont droit à l’assistance d’un avocat. » Article 54 du règlement d’application de la loi « 1) Une ordonnance de détention est délivrée pour les personnes mentionnées à l’article 53, alinéa 1. 2) L’ordonnance délivrée en vertu de l’alinéa 1 mentionne : (...) les droits reconnus à l’intéressé en vertu de l’article 70, alinéas 3 et 4, de la loi sur le ministère de l’Intérieur. 3) L’ordonnance est signée par le service de police et la personne détenue. (...) 6) Une copie de l’ordonnance est remise à la personne détenue. » À l’époque de l’arrestation du requérant, la législation interne ne prévoyait pas la remise au détenu d’un document séparé énumérant ses droits, dont le droit à être assisté par un avocat. Le 6 mars 2002, le ministre de l’Intérieur émit une instruction interne en vertu de laquelle le détenu devait signer, immédiatement après son arrestation, une déclaration en deux exemplaires énumérant ses droits, y compris le droit à être assisté par un avocat. En 2003, l’alinéa 3 de l’article 54 du règlement d’application de la loi sur le ministère de l’Intérieur (paragraphe 59 ci-dessus) fut modifié. L’alinéa en question prévoyait la remise d’une « déclaration des droits » au détenu, que celui-ci devait signer, en indiquant entre autres son intention de se prévaloir de son droit à l’assistance d’un avocat ou de renoncer à ce droit. La nouvelle rédaction de cet alinéa se lisait comme suit : « 3) Le détenu remplit une déclaration indiquant qu’il a été informé de ses droits et s’il entend ou non exercer ses droits découlant de l’aliéna 2, point 5, lettres b à e. » Les actes législatifs et règlementaires internes adoptés en la matière depuis cette époque ont repris cette « déclaration des droits » que le détenu doit signer après son arrestation. Le code de procédure pénale Le code de procédure pénale de 1974 permettait à l´époque de la procédure litigieuse à l’enquêteur chargé d’une affaire pénale d’ordonner la détention du suspect pour vingt-quatre heures. Cette détention pouvait être prolongée par le procureur jusqu’à atteindre une durée totale de trois jours. Les dispositions législatives relatives à cette détention et aux droits conférés au suspect pendant celle-ci étaient libellées comme suit : Article 202 « 1) L’enquêteur, même sans autorisation du procureur, peut ordonner la détention préliminaire pour un crime poursuivi d’office pour lequel l’instruction préliminaire est obligatoire quand : l’intéressé a été appréhendé au moment de la commission du crime ou juste après ; un témoin oculaire a désigné l’intéressé comme l’auteur du crime ; des traces visibles du crime ont été découvertes sur le corps ou les vêtements ou dans le logement de l’intéressé ; l’intéressé a tenté de s’enfuir (...) » Article 203 « 1) L’enquêteur doit dans un délai de vingt-quatre heures informer le procureur de la mise en détention et lui indiquer le fondement de celle-ci. 2) Le procureur est tenu de confirmer ou d’annuler sur-le-champ la décision de mise en détention. Dans les circonstances prévues à l’article 202, alinéa 1, points 1 et 3, si la détention a été ordonnée pour un crime grave poursuivi d’office, le procureur peut proroger le délai jusqu’à trois jours. 3) Si, à l’expiration du délai prévu aux alinéas 1 et 2, aucune accusation n’a été notifiée à l’intéressé, l’enquêteur est tenu de libérer celui-ci. (...) » Article 206 « 1) La personne qui fait l’objet d’une mesure (...) fondée sur l’article 202 jouit des droits suivants : connaître les actes dont elle est soupçonnée ; livrer des dépositions ; faire des démarches (...) en vue de contester les actes des organes chargés de l’instruction préliminaire (...) 2) Concernant les dépositions (...) mentionnées à l’alinéa précédent, les dispositions des articles 73, 87 (...) trouvent à s’appliquer mutatis mutandis. » Au cours de l’instruction préliminaire, les accusations formulées à l’encontre du suspect lui sont officiellement notifiées au moyen d’un acte d’inculpation. Celui-ci lui confère la qualité procédurale d’inculpé (обвиняем). À partir de ce moment-là, la déposition de l’intéressé peut être recueillie pour servir d’élément de preuve dans le cadre de la procédure pénale. L’inculpé dispose de plusieurs droits procéduraux, y compris le droit d’être assisté par un avocat au stade de l’instruction préliminaire. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale de 1974 sont ainsi libellées : Article 50 « L’inculpé est la personne à l’encontre de laquelle a été formulée l’accusation, dans les conditions et selon les modalités prévues par le présent code. » Article 51 « 1) L’inculpé jouit des droits suivants : savoir de quoi il est accusé et sur la base de quelles preuves, livrer des dépositions sur l’accusation, prendre connaissance du dossier et en obtenir les extraits nécessaires, présenter des preuves, participer à la procédure pénale, formuler des demandes (...), prendre la parole en dernier, contester les décisions des tribunaux et des organes chargés de l’instruction préliminaire qui portent atteinte à ses droits et intérêts légitimes, et être assisté par un défenseur. À la demande de l’inculpé, le défenseur est présent pendant la mise en œuvre des mesures d’instruction. (...) » Article 67 « 1) Le défenseur peut être une personne qui exerce la profession d’avocat. (...) » Article 70 « 1) La participation d’un défenseur à la procédure pénale est obligatoire lorsque : (...) l’affaire pénale concerne un crime passible de la peine capitale, de l’emprisonnement à vie ou de la privation de liberté pour une durée d’au moins dix ans. 3) Quand la participation d’un défenseur est obligatoire, l’organe compétent est tenu de désigner comme défenseur une personne qui exerce la profession d’avocat. 4) Le défenseur commis d’office est écarté de la procédure pénale si l’inculpé a mandaté un autre défenseur. » Article 72 « 1) À tout stade de la procédure, l’inculpé peut renoncer à son droit à être assisté par un défenseur, excepté dans les cas de figure prévus à l’article 70, alinéa 1, points 1 à 3. (...) » Article 73 « 1) Le défenseur peut prendre part à la procédure pénale dès l’arrestation ou l’inculpation de l’intéressé. 2) L’organe chargé de l’instruction préliminaire est tenu d’informer l’inculpé de son droit à être assisté par un défenseur-avocat et de lui donner la possibilité de prendre contact avec celui-ci. Il ne peut effectuer aucune mesure d’instruction avant d’avoir rempli cette obligation. (...) » Article 85 « 1) Les preuves sont établies par la déposition de l’inculpé, la déposition du suspect, les dépositions des témoins, les procès-verbaux des mesures d’enquête et de procédure, et par d’autres moyens prévus par le présent code. 2) Sont irrecevables les moyens de preuve qui ne sont pas recueillis ou rédigés conformément aux règles du présent code. (...) » Article 87 « 1) L’inculpé dépose oralement et directement devant l’organe compétent. Les dépositions sont livrées en présence d’un défenseur si l’inculpé le demande. La demande est consignée dans un procès-verbal et le défenseur est convoqué à l’interrogatoire. (...) 3) L’inculpé peut refuser de déposer. (...) » Article 91 « 1) L’accusation et la condamnation ne peuvent pas reposer sur les seuls aveux de l’inculpé. 2) Les aveux de l’inculpé ne libèrent pas les organes compétents de leur obligation de rassembler d’autres preuves au cours de la procédure. » La jurisprudence En vertu de la jurisprudence constante de la Cour suprême de cassation bulgare, si les organes chargés de l’enquête pénale omettent d’inculper formellement le suspect conformément aux exigences du code de procédure pénale, cette omission engendre une restriction des droits de la défense et oblige les tribunaux à renvoyer l’affaire au stade de l’instruction préliminaire et à ces mêmes organes afin qu’ils y remédient (Тълкувателно решение № 2 от 7.10.2002 г. на ВКС по т. н. д. № 2/2002 г., ОСНК). De même, l’absence d’un défenseur lors de l’inculpation du suspect et lors des mesures d’instruction subséquentes, lorsque l’assistance d’un avocat est obligatoire en vertu du code de procédure pénale, s’analyse en un manquement procédural majeur qui impose le renvoi de l’affaire aux organes chargés de l’instruction préliminaire (Решение № 68 от 21.04.1992г. по н.д. № 986/91г. на ВС, I н.о.). Dans ce cas, lesdits organes sont tenus de renouveler les mesures d’instruction en cause en présence d’un défenseur (Решение № 604 от 31.10.1991г. по н.д. № 436/91г. на ВС, I н.о.). Conformément à la jurisprudence constante des tribunaux bulgares, les éléments de preuve recueillis en méconnaissance des règles du code de procédure pénale, y compris les déclarations faites devant la police, n’ont aucune valeur probante et sont écartés du dossier pénal (Решение № 179 от 21.11.1997г. на ВКС по н.д. № 182/1997г. ВК ; Решение № 361 от 8.07.2003г. на ВКС по н.д. № 123/2003г.,III н.о. ; Решение № 518 от 21.01.2009г. на ВКС по н.д. № 435/2008г., II н.о., НК). III. LE DROIT INTERNATIONAL ET LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE PERTINENTS A. L’Organisation des Nations unies L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (« le Pacte ») protège le droit à un procès équitable. La partie pertinente de cet article se lit comme suit : Article 14 « (...) Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : (...) b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix ; (...) d) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer (...) » Le Comité des droits de l’homme (CDH) est l’organe qui surveille la mise en œuvre du Pacte, à travers les rapports périodiques des États et les communications individuelles. Le CDH considère que l’assistance d’un avocat doit être possible non pas uniquement à partir du procès mais à toutes les étapes de la procédure (voir les affaires Kelly c. Jamaïque, 1991, 253/1987, § 5.10., et Borisenko c. Hongrie, 2002, 852/1999, § 7.5), y compris lors des interrogatoires de police (voir l’affaire Gridin c. Fédération de Russie, 2000, 770/1997, § 8.5.). Cependant, dans l’affaire Levinov c. Bélarus (2011, 1812/2008, § 8.3), le CDH a estimé qu’en l’absence de tout acte d’enquête pendant la période où le suspect n’avait pas eu accès à un avocat, l’article 14 § 3 b) du Pacte n’avait pas été enfreint par les autorités. Pour ce qui est du droit d’être informé du droit à un avocat, dans ses observations finales du quatrième rapport périodique concernant les PaysBas ((2009) UN doc. CCPR/C/NDL/CO/4, § 11), le CDH a estimé que les États doivent donner pleinement effet au droit de prendre contact avec un conseil avant un interrogatoire de police et veiller à ce que les personnes soupçonnées d’une infraction pénale soient informées, dès le moment de leur arrestation, de leur droit à l’assistance d’un avocat. Par ailleurs, dans un certain nombre d’affaires, le CDH a conclu à une violation de l’article 14 § 3 d) du Pacte en raison de l’absence d’information de l’accusé quant à son droit à l’assistance d’un avocat (Saidova c. Tadjikistan, 2004, 964/2001 ; Khoroshenko c. Fédération de Russie, 2011, 1304/2004). B. L’Union européenne Le 22 mai 2012 fut adoptée la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil relative au droit à l’information dans les procédures pénales. Son délai de transposition dans les législations des États membres de l’Union était fixé au 2 juin 2014. Les dispositions pertinentes de cette directive se lisent comme suit : Article premier Objet « La présente directive définit des règles concernant le droit des suspects ou des personnes poursuivies d’être informés de leurs droits dans le cadre des procédures pénales et de l’accusation portée contre eux (...) » Article 2 Champ d’application « 1. La présente directive s’applique dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétentes d’un État membre qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis une infraction pénale ou qu’elles sont poursuivies à ce titre, et jusqu’au terme de la procédure (...) » Article 3 Droit d’être informé de ses droits « 1. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies reçoivent rapidement des informations concernant, au minimum, les droits procéduraux qui figurent ci-après, tels qu’ils s’appliquent dans le cadre de leur droit national, de façon à permettre l’exercice effectif de ces droits : a) le droit à l’assistance d’un avocat (...) Les États membres veillent à ce que les informations fournies au titre du paragraphe 1 soient données oralement ou par écrit, dans un langage simple et accessible, en tenant compte des éventuels besoins particuliers des suspects ou des personnes poursuivies vulnérables. » Article 4 Déclaration de droits lors de l’arrestation « 1. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont arrêtés ou détenus reçoivent rapidement une déclaration de droits écrite. Ils sont mis en mesure de lire la déclaration de droits et sont autorisés à la garder en leur possession pendant toute la durée où ils sont privés de liberté (...) » Le 22 octobre 2013 fut adoptée la Directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil relative, entre autres, au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales. Son délai de transposition dans les législations des États membres de l’Union était fixé au 27 novembre 2016. Les dispositions pertinentes de cette directive se lisent ainsi : Article premier Objet « La présente directive définit des règles minimales concernant [le droit] dont bénéficient les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales (...) d’avoir accès à un avocat (...) » Article 2 Champ d’application « 1. La présente directive s’applique aux suspects ou aux personnes poursuivies dans le cadre de procédures pénales, dès le moment où ils sont informés par les autorités compétentes d’un État membre, par notification officielle ou par tout autre moyen, qu’ils sont soupçonnés ou poursuivis pour avoir commis une infraction pénale, qu’ils soient privés de liberté ou non. Elle s’applique jusqu’au terme de la procédure (...) » Article 3 Le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales « 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective. Les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat sans retard indu. En tout état de cause, les suspects ou les personnes poursuivies ont accès à un avocat à partir de la survenance du premier en date des événements suivants : a) avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ; b) lorsque des autorités chargées des enquêtes ou d’autres autorités compétentes procèdent à une mesure d’enquête ou à une autre mesure de collecte de preuves conformément au paragraphe 3, point c) ; c) sans retard indu après la privation de liberté ; d) lorsqu’ils ont été cités à comparaître devant une juridiction compétente en matière pénale, en temps utile avant leur comparution devant ladite juridiction. Le droit d’accès à un avocat comprend les éléments suivants : a) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient le droit de rencontrer en privé l’avocat qui les représente et de communiquer avec lui, y compris avant qu’ils ne soient interrogés par la police ou par une autre autorité répressive ou judiciaire ; b) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire. Cette participation a lieu conformément aux procédures prévues par le droit national, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte à l’exercice effectif et à l’essence même des droits concernés. Dans le cas où l’avocat participe à un interrogatoire, le fait que cette participation ait eu lieu est consigné conformément à la procédure de constatation prévue par le droit de l’État membre concerné ; c) les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit au minimum à la présence de leur avocat lors des mesures d’enquête ou des mesures de collecte de preuves suivantes, lorsque ces mesures sont prévues par le droit national et si le suspect ou la personne poursuivie est tenu d’y assister ou autorisé à y assister : i) séances d’identification des suspects ; ii) confrontations ; iii) reconstitutions de la scène d’un crime. Les États membres s’efforcent de rendre disponibles des informations générales afin d’aider les suspects ou les personnes poursuivies à trouver un avocat. Nonobstant les dispositions du droit national relatives à la présence obligatoire d’un avocat, les États membres prennent les dispositions nécessaires afin que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont privés de liberté soient en mesure d’exercer effectivement leur droit d’accès à un avocat, à moins qu’ils n’aient renoncé à ce droit conformément à l’article 9. (...) » Article 9 Renonciation « 1. Sans préjudice du droit national qui requiert obligatoirement la présence ou l’assistance d’un avocat, les États membres veillent, en ce qui concerne toute renonciation à un droit visé aux articles 3 et 10, à ce que : a) le suspect ou la personne poursuivie ait reçu, oralement ou par écrit, des informations claires et suffisantes, dans un langage simple et compréhensible, sur la teneur du droit concerné et les conséquences éventuelles d’une renonciation à celuici ; et b) la renonciation soit formulée de plein gré et sans équivoque. La renonciation, qui peut être effectuée par écrit ou oralement, est consignée, ainsi que les circonstances dans lesquelles elle a été formulée, conformément à la procédure de constatation prévue par le droit de l’État membre concerné. Les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies puissent révoquer une renonciation à la suite de chaque étape de la procédure pénale et à ce qu’ils soient informés de cette possibilité. Cette révocation prend effet à partir du moment où elle est effectuée. » IV. LES RAPPORTS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT) Le centre de détention provisoire de Burgas fut visité en 1999 par une délégation du CPT. La partie pertinente du rapport publié à l’issue de cette visite a été citée au paragraphe 54 de l’arrêt de la chambre. La prison de Burgas fut visitée par une délégation du CPT en avril 2002. La partie pertinente du rapport publié de la délégation a été reproduite au paragraphe 55 de l’arrêt de la chambre. La prison de Sofia fut visitée par une délégation du CPT en septembre 2006, en décembre 2008, en mars et avril 2014 et en février 2015. Les quatre rapports de visite ont été publiés. Les parties pertinentes des rapports des trois premières visites ont été reproduites aux paragraphes 57-59 de l’arrêt de la chambre. La partie pertinente du dernier rapport de visite de cette prison, datant de 2015, se lit comme suit : [Traduction du greffe] « 3. Les conditions de détention a) Les conditions matérielles (...) Au moment de la visite, la section fermée de la prison de Sofia hébergeait 816 détenus pour une capacité officielle de 650 places. La section fermée de la prison de Varna accueillait 422 détenus pour une capacité officielle de 350 places. Quant à la prison de Burgas, elle comptait au moment de la visite 579 détenus hébergés dans la section fermée pour une capacité officielle de 371 places. Dans les trois prisons, l’écrasante majorité des cellules était extrêmement surpeuplée (...) Dans les prisons de Sofia et de Varna, la situation était restée semblable à celle observée précédemment, la plupart des détenus disposant d’à peine plus de 2 m² d’espace vital par personne. La situation s’était encore aggravée du fait que les conditions matérielles dans les trois prisons visitées en 2015 présentaient toujours un état de délabrement et d’insalubrité avancé qui allait en empirant, malgré quelques efforts superficiels de dernière minute observés par la délégation. La plupart des installations sanitaires communes dans les prisons de Sofia, de Burgas et de Varna étaient totalement délabrées et dépourvues d’hygiène. De plus, elles n’étaient accessibles aux détenus que pendant la journée ; la nuit, la majorité des détenus devaient utiliser des seaux (un par cellule). Les cellules étaient généralement équipées de lits superposés sur deux ou trois niveaux, et l’accès à la lumière naturelle et l’aération y étaient médiocres. Les murs étaient couverts de moisissure, le sol était endommagé et il y avait des fuites au plafond ; les cellules étaient infestées de cafards, de punaises des lits et autre vermine. Il convient de noter à cet égard que les détenus ne disposaient pas de produits de nettoyage. Le chauffage ne fonctionnait que quelques heures par jour (à la prison de Sofia, la délégation a mesuré environ 14o C dans les cellules et 10o C dans les toilettes des cellules (...) On peut donc affirmer que ces établissements étaient en grande partie impropres à l’hébergement de détenus et présentaient un risque sérieux pour la santé de ceux-ci et du personnel. Malgré les critiques répétées, aucun progrès n’a été observé concernant la mise en œuvre des recommandations formulées par le CPT à la suite de ses visites en 2010, 2012 et 2014. En résumé, le CPT estime que les conditions matérielles régnant dans les trois prisons visitées pourraient à elles seules être considérées comme constituant un traitement inhumain et dégradant. (...) b) Le régime (...) Les possibilités d’activités motivantes dans les prisons de Sofia, de Varna et de Burgas étaient très limitées. Les cellules étaient déverrouillées pendant la journée (excepté les unités de haute sécurité et les unités d’admission) et la plupart des détenus déambulaient simplement dans les couloirs ou restaient dans leurs cellules à regarder la télévision ou jouer à des jeux de société avec d’autres détenus. Tous les détenus avaient accès à une bibliothèque et à un espace multiconfessionnel. La seule activité organisée pour la plupart des détenus était l’exercice quotidien en plein air, accordé généralement pour une heure à la prison de Varna, une heure et demie à la prison de Sofia et deux heures à la prison de Burgas. Concernant le travail, à la prison de Sofia 258 détenus avaient un emploi (120 postes de travail étant toutefois non rémunérés), la plupart d’entre eux dans les services généraux d’entretien de la prison (...) Des activités éducatives étaient proposées à 78 détenus à Sofia et à 49 détenus à la prison de Varna. Parmi d’autres activités figuraient des cours de langues et des cours d’informatique (225 détenus y participaient à la prison de Sofia) (...) » Le 26 mars 2015, le CPT a publié une déclaration relative à la Bulgarie en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Cette déclaration se lit comme suit (notes de bas de page omises) : « 1. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a effectué dix visites en Bulgarie depuis 1995. Au cours de ces visites, les délégations du Comité se sont rendues dans toutes les prisons sauf une, plusieurs établissements de détention provisoire (IDF) et de nombreux établissements de police dans le pays. De graves manquements ont été mis en évidence au cours des visites susmentionnées, notamment en ce qui concerne les établissements de police et les établissements pénitentiaires. Des recommandations ont été formulées à maintes reprises au cours des 20 dernières années en ce qui concerne ces deux domaines. Dans ses rapports, le CPT a maintes fois attiré l’attention des autorités bulgares sur le fait que le principe de coopération entre les États parties et le CPT, tel qu’il est énoncé à l’article 3 de la Convention établissant le Comité, ne se limite pas aux mesures prises pour faciliter la tâche d’une délégation qui effectue une visite. Il exige aussi que des mesures résolues soient prises pour améliorer la situation à la lumière des recommandations formulées par le CPT. Dans leur très grande majorité, ces recommandations n’ont pas été suivies d’effet ou ne l’ont été que partiellement. Au cours des visites du Comité en Bulgarie en 2010, 2012, 2014 et 2015, les délégations du CPT ont constaté l’absence de mesures résolues prises par les autorités, menant à une détérioration constante de la situation des personnes privées de liberté. Dans le rapport relatif à sa visite de 2012, le Comité avait fait part de son extrême préoccupation concernant l’absence de progrès constatée dans le système pénitentiaire bulgare et il a souligné que cela pourrait obliger le CPT à envisager de recourir à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants. La procédure susmentionnée a été lancée après la visite de mars/avril 2014 ; en effet, les constatations faites par le Comité au cours de cette visite ont montré le manquement persistant des autorités bulgares à remédier à certaines défaillances fondamentales concernant la manière dont sont traitées les personnes privées de liberté et les conditions dans lesquelles celles-ci sont détenues. Le rapport de visite a mis en lumière un certain nombre de préoccupations de longue date, dont certaines remontent à la toute première visite périodique en Bulgarie en 1995, en ce qui concerne le phénomène des mauvais traitements (tant dans le contexte de la police que dans celui des établissements pénitentiaires), la violence entre détenus, le surpeuplement carcéral, les mauvaises conditions matérielles de détention dans les IDF et les prisons, les services médicaux pénitentiaires insuffisants et le faible niveau des effectifs en personnel de surveillance, ainsi que des préoccupations concernant la discipline, le placement à l’isolement et les contacts avec le monde extérieur. Les préoccupations du CPT n’ont, c’est le moins qu’on puisse dire, pas été apaisées par les réponses des autorités bulgares tant au rapport relatif à la visite de 2014 du CPT qu’à la lettre par laquelle le Comité a informé les autorités du déclenchement de la procédure prévue à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention. En effet, celles-ci étaient succinctes, contenaient très peu d’informations nouvelles et n’abordaient pas la plupart des recommandations du Comité, se contentant généralement de citer la législation en vigueur et/ou d’expliquer l’inaction en faisant référence aux restrictions budgétaires. En outre, la plupart des informations figurant dans le rapport du CPT au sujet des mauvais traitements et de la violence entre détenus ont été tout simplement rejetées. La visite de 2015 a donc été pour le Comité l’occasion d’évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre de ses recommandations de longue date et d’examiner, en particulier, le traitement et les conditions de détention des personnes détenues dans les prisons de Sofia, Burgas et Varna, ainsi qu’à l’IDF de Sofia (situé Boulevard G.M. Dimitrov). Malheureusement, les constatations faites lors de la visite susmentionnée montrent qu’il n’y a eu guère ou pas de progrès réalisés dans la mise en œuvre des principales recommandations formulées à maintes reprises par le CPT. Pour ces raisons, le Comité n’a pas d’autre choix que de faire une déclaration publique, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention. Il a pris cette décision à l’occasion de sa 86e réunion plénière, en mars 2015. Mauvais traitements infligés par la police Au cours de la visite de 2015, la délégation du Comité a recueilli un nombre considérable d’allégations de mauvais traitements physiques infligés délibérément à des personnes détenues par la police ; le nombre de ces allégations n’avait pas diminué depuis la visite de 2014, il était même en hausse à Sofia et à Burgas. Les violences alléguées consistaient généralement en des gifles, des coups de pied et, dans certains cas, des coups de matraque. La délégation en a conclu que les personnes des deux sexes (y compris les mineurs) placées en garde à vue continuaient à courir un risque considérable d’être maltraitées, que ce soit au moment de l’arrestation ou pendant l’interrogatoire ultérieur. Il n’y avait guère eu de progrès, si tant est qu’il y en ait eu, concernant les garanties juridiques contre les mauvais traitements susceptibles d’être infligés par la police, et les recommandations cruciales du CPT dans ce domaine n’avaient toujours pas été suivies d’effet. En particulier, l’accès à un avocat restait exceptionnel pendant les 24 premières heures de garde à vue, et les avocats commis d’office ne jouaient pas leur rôle de garantie contre les mauvais traitements. En outre, les personnes placées en garde à vue continuaient d’être rarement mises à même d’informer sans délai une personne de leur choix de leur détention ; elles n’étaient pas non plus informées systématiquement de leurs droits dès le tout début de leur privation de liberté. (...) Détention dans les établissements relevant du ministère de la Justice La situation concernant les mauvais traitements physiques infligés à des détenus par des membres du personnel reste alarmante dans les trois prisons visitées en 2015. De nombreuses allégations de mauvais traitements physiques infligés délibérément (consistant généralement en des gifles, des coups de poing, de pied et de matraque) ont été à nouveau recueillies dans les prisons de Sofia et de Burgas ; à Varna, la délégation du Comité a été submergée par de telles allégations. Dans un certain nombre de cas, la délégation a trouvé des indices médicaux compatibles avec les allégations recueillies. (...) Le surpeuplement reste une question très problématique dans le système pénitentiaire bulgare. Par exemple, à la prison de Burgas, dans leur grande majorité, les détenus disposaient de moins de 2 m² d’espace vital dans les cellules collectives, à l’exception notable de celles du quartier pour prévenus. La situation à la prison de Sofia restait analogue à celle observée dans le passé, la plupart des détenus ayant à peine plus de 2 m² d’espace vital par personne. Les conditions matérielles dans les prisons de Sofia, Burgas et Varna restaient caractérisées par un état de délabrement qui ne faisait qu’empirer. En particulier, la plupart des sanitaires de ces trois prisons étaient totalement décrépits et insalubres, et le chauffage ne fonctionnait que quelques heures par jour. Dans leur majorité, les détenus ne bénéficiaient toujours pas d’un accès facile à des toilettes pendant la nuit et devaient recourir à des seaux ou à des bouteilles pour satisfaire leurs besoins naturels. Les cuisines des prisons de Burgas et de Varna (de même que le réfectoire de la prison de Varna) restaient répugnantes de saleté et insalubres, infestées de vermine, avec des canalisations qui fuyaient et débordaient, et des murs et des plafonds couverts de moisissures. La plupart des quartiers des établissements visités étaient impropres à l’hébergement d’êtres humains et représentaient un risque grave pour la santé tant des détenus que du personnel. En résumé, de l’avis du Comité, les conditions matérielles dans les trois prisons visitées pourraient, à elles seules, être considérées comme constituant un traitement inhumain et dégradant. La grande majorité des détenus (y compris la quasi-totalité des prévenus) des trois établissements pénitentiaires visités en 2015 continuait de n’avoir aucun accès à des activités organisées hors cellule et restait dans l’oisiveté jusqu’à 23 heures sur 24. (...) Conclusions Dans ses précédents rapports, le Comité a dûment pris acte des assurances données à maintes reprises par les autorités bulgares selon lesquelles des mesures seraient adoptées pour améliorer la situation des personnes placées en garde à vue ou détenues dans des établissements relevant de la responsabilité du ministère de la Justice. Néanmoins, les constatations faites par le CPT lors de la visite de 2015 montrent à nouveau que rien ou quasiment rien n’a été fait en ce qui concerne tous les problèmes susmentionnés qui durent depuis longtemps. Cette situation met en lumière le manquement persistant des autorités bulgares à remédier à la plupart des défaillances fondamentales concernant le traitement et les conditions de détention des personnes privées de liberté, malgré les recommandations formulées expressément et à maintes reprises par le Comité. Le CPT estime qu’une action à cet égard n’a que beaucoup trop tardé et que l’approche concernant l’ensemble de la question de la privation de liberté en Bulgarie doit changer radicalement. Le Comité reconnaît tout à fait les difficultés auxquelles se heurtent les autorités bulgares. De l’avis du CPT, il y a une nécessité réelle de concevoir une politique pénitentiaire globale, au lieu de se concentrer exclusivement sur les conditions matérielles (qui, ainsi qu’il convient de le souligner, ne se sont améliorées que dans une mesure extrêmement limitée). Il est indéniablement important d’avoir un cadre législatif solide. Cependant, si les lois ne sont pas appuyées par des mesures décisives, concrètes et efficaces pour leur mise en œuvre, elles resteront lettre morte et le traitement et les conditions de détention des personnes privées de liberté en Bulgarie se dégraderont encore davantage. S’agissant de la manière dont sont traitées les personnes détenues par les forces de l’ordre, des mesures résolues sont nécessaires pour assurer le fonctionnement réel et efficace des garanties fondamentales contre les mauvais traitements (y compris l’information d’un proche ou d’un tiers concernant le placement en garde à vue, l’accès à un avocat, l’accès à un médecin, et les informations relatives aux droits). En faisant la présente déclaration publique, le Comité entend motiver les autorités bulgares, en particulier les ministères de l’Intérieur et de la Justice, et souhaite les aider à prendre des mesures décisives conformément aux valeurs fondamentales auxquelles a souscrit la Bulgarie, en sa qualité d’État membre du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Dans ce contexte, les recommandations de longue date du CPT doivent être envisagées comme un outil permettant d’aider les autorités bulgares à mettre en évidence les dysfonctionnements et à procéder aux changements indispensables. En exécution de son mandat, le Comité s’engage pleinement à poursuivre son dialogue avec les autorités bulgares à cet effet. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La lettre des requérantes aux plus hautes autorités du district de Brčko En mai 2003, à une date inconnue, les requérantes adressèrent une lettre aux plus hautes autorités du district de Brčko, à savoir le superviseur international, le président de l’assemblée et le gouverneur de ce district, alors que la procédure de nomination d’un directeur pour la station de radio publique multiethnique du district était encore pendante. Dans cette lettre, elles faisaient part de leurs préoccupations au sujet de cette procédure de nomination. Elles reprochaient notamment aux autorités d’avoir méconnu le principe de la représentation proportionnelle des communautés ethniques dans le service public du district de Brčko tel qu’énoncé dans le statut de ce district. Elles déclaraient sur ce point : « (...) Nous sommes conscients de votre soutien et des efforts que vous déployez pour créer une radio multiethnique et nous vous en remercions (...) Malheureusement, il semble qu’une omission majeure ait été commise au tout début de cette importante entreprise : le jury de sélection du directeur [de la radio] a été composé en infraction au statut du district de Brčko. Ce jury comprend en effet trois membres serbes, un membre croate et un membre bosniaque. Ainsi, une fois de plus, il a été fait fi du statut du district de Brčko, qui exige au sein des institutions publiques une représentation proportionnelle des trois peuples constituants. Le Parlement a mis au jour plusieurs cas de non-respect de ce principe, au détriment des Bosniaques et des Croates, dans la composition du personnel du secteur public, notamment à la radio du district de Brčko, et il a prié le gouverneur de corriger ce déséquilibre. Malheureusement, rien n’a été fait pour remédier à ce manquement. Les informations officieuses que nous avons reçues, indiquant que la candidature de Mme M.S. au poste de directeur de la radio était proposée par les membres serbes du jury, qui sont majoritaires, alors que l’ancien directeur était bosniaque, confirment ce qui précède. Cette proposition est inacceptable, et ce d’autant plus qu’elle concerne une personne qui ne présente ni les qualités professionnelles ni les qualités morales requises pour un tel poste. » La lettre poursuivait ainsi : « Selon les informations dont nous disposons (našim informacijama), 1) la personne en question a déclaré dans une interview parue dans NIN, à propos de la destruction de mosquées à Brčko, que les musulmans ne formaient pas un peuple (Muslimani nisu narod), qu’ils ne possédaient pas de culture propre et que, par conséquent, la destruction de mosquées ne pouvait pas être considérée comme une destruction de monuments culturels, 2) alors qu’elle travaillait pour la radio du district de Brčko, elle a ostensiblement déchiré en morceaux (demonstrativno kidala), dans les locaux de la radio, le calendrier mentionnant les offices religieux prévus pendant le mois du ramadan, 3) dans les locaux de la radio, elle a recouvert les armoiries de la BosnieHerzégovine avec celles de la Republika Srpska, 4) en sa qualité de responsable des programmes culturels de la radio du district de Brčko, elle a interdit la diffusion de sevdalinka au motif que ce genre de chansons n’avait aucune valeur culturelle ou musicale. Nous sommes absolument persuadés que les actes décrits ci-dessus disqualifient totalement la candidature de Mme M.S. au poste de directeur de la radio-télévision multiethnique du district de Brčko et que c’est un Bosniaque qui devrait être nommé à ce poste, ce qui assurerait le respect du statut [du district de Brčko] et répondrait à la nécessité de corriger le déséquilibre ethnique affectant l’emploi dans le secteur public. Nous espérons que vous donnerez à notre lettre les suites qui conviennent (...) Si tel n’était pas le cas, nous serions contraints de rendre l’affaire publique (obratiti se javnosti), et aussi [de contacter] les représentants internationaux et autres compétents. » Peu après, toujours en mai 2003, la lettre fut publiée dans trois quotidiens différents. B. La procédure en diffamation contre les requérantes Le tribunal de première instance Le 29 mai 2003, M.S. engagea une action civile en diffamation, soutenant que les requérantes avaient énoncé dans la lettre susmentionnée des déclarations diffamatoires qui avaient porté atteinte à sa réputation et l’avaient discréditée sur les plans tant personnel que professionnel. Lors du procès, le tribunal de première instance admit une quantité considérable d’éléments de preuve, dont les dépositions orales de sept témoins (qui travaillaient apparemment tous à la radio publique du district de Brčko) concernant la véracité des quatre allégations contenues dans la lettre qui avait été envoyée par les requérantes ainsi que les dépositions orales de la demanderesse et de O.H. et S.C., qui étaient à la fois membres et représentants de deux des requérantes. Comme l’indique le jugement du 29 septembre 2004 (paragraphe 18 ci-dessous), M.S. déclara qu’elle avait entendu parler de la lettre peu après l’envoi de celle-ci par les requérantes, mais qu’elle ne savait pas qui l’avait transmise aux médias. Elle confirma que, dans les locaux de la station de radio, elle avait retiré d’un mur le calendrier mentionnant les offices religieux prévus pendant le mois du ramadan, mais expliqua que le mur en question était réservé aux annonces ayant trait au travail. Elle nia avoir déchiré le calendrier. Concernant les armoiries de la Bosnie-Herzégovine, elle indiqua qu’un carton d’invitation portant les armoiries de la Republika Srpska avait été placé sur un coin des armoiries de la Bosnie-Herzégovine, mais que ces dernières n’avaient pas été recouvertes. Enfin, elle nia avoir interdit la diffusion de sevdalinka. Elle indiqua que tous ces éléments avaient été extraits de leur contexte, que sa carrière de journaliste en avait pâti et qu’elle s’inquiétait pour son avenir professionnel. O.H. confirma qu’il avait participé à la rédaction de la lettre et déclara qu’il avait appris les informations qui y étaient rapportées par des collaborateurs de la station de radio qui lui avaient demandé de l’aide. Il ajouta que cette lettre n’était pas destinée à être rendue publique et que c’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle avait été adressée aux autorités à titre personnel. Il dit ignorer comment la lettre avait été transmise aux médias. S.C. indiqua que c’était O.H. qui avait porté à son attention la plupart des informations en cause. Il précisa que la lettre avait été envoyée aux autorités à titre personnel et que l’intention n’avait pas été de la faire publier dans les médias, raison pour laquelle il y était précisé qu’elle concernait des allégations et non des faits établis. Il ajouta que l’objectif avait été d’attirer l’attention des autorités sur les erreurs censées avoir été commises par M.S., en laquelle les auteurs de la lettre voyaient une candidate sérieuse au poste de directeur de la radio du district de Brčko. Par un jugement du 29 septembre 2004, le tribunal de première instance du district de Brčko débouta M.S. et la condamna à faire publier le jugement à ses frais et à rembourser les frais et dépens engagés par les requérantes. Il estima que celles-ci ne pouvaient être tenues pour responsables, rien ne prouvant selon lui que c’étaient elles qui avaient fait publier la lettre dans les médias. La partie pertinente du jugement était ainsi libellée : « Il est clair que la lettre écrite par les défenderesses a été adressée personnellement (upućeno na ruke) au gouverneur, au président de l’assemblée et au superviseur du district de Brčko (...) et qu’elle n’a pas été envoyée aux médias (...) Le tribunal a établi que cette lettre avait pour but d’attirer l’attention des autorités compétentes sur [ces] questions et de permettre à ces autorités d’en tirer des conclusions après vérification de ces informations, et non de rendre publiques des informations non vérifiées. Après examen des articles parus dans les médias, le tribunal conclut qu’aucun d’entre eux n’a été publié par [les requérantes]. » La cour d’appel Saisie d’un recours par M.S., la cour d’appel du district de Brčko infirma ce jugement le 16 mai 2005 et décida de tenir une nouvelle audience. Lors de l’audience, M.S. soutint de nouveau que les quatre déclarations visées ci-dessus (paragraphe 11) contenaient des allégations fausses et diffamatoires qui avaient pour but de la dépeindre sous les traits d’une nationaliste et ainsi de disqualifier sa candidature au poste qu’elle souhaitait. Elle ajouta que non seulement elle n’avait pas été nommée à ce poste, mais que la lettre avait eu pour elle d’autres effets préjudiciables à long terme. Les requérantes avancèrent qu’elles ne pouvaient pas être poursuivies parce que, à leurs dires, ce n’était pas elles qui avaient envoyé la lettre aux médias et que, par conséquent, elles n’avaient ni énoncé ni diffusé auprès du public des déclarations diffamatoires dirigées contre l’appelante, précisant que c’était aux autorités qu’elles avaient envoyé cette lettre. Par un arrêt rendu le 11 juillet 2007, la cour d’appel du district de Brčko rejeta cet argument et déclara : « (...) il peut y avoir atteinte à la réputation d’autrui dès lors qu’une personne expose ou communique à des tiers des faits ou des allégations contraires à la vérité concernant le passé, le savoir, les capacités ou toute autre caractéristique (alors qu’elle sait ou devrait savoir que ces faits ou ces allégations sont faux). C’est pourquoi le tribunal rejette les arguments avancés par les intimées selon lesquels la responsabilité relativement à l’accusation de diffamation ne peut être engagée que si [pareilles] informations ont été exposées publiquement, diffusées ou publiées dans les médias. » Les requérantes arguèrent en outre que M.S. était fonctionnaire et qu’en concourant pour le poste de directeur de la radio, elle était devenue une figure de la vie publique. S’appuyant sur le cinquième alinéa de l’article 6 de la loi sur la diffamation (paragraphe 41 ci-dessous), la cour d’appel s’exprima ainsi : « (...) même si la partie lésée est fonctionnaire ou candidate à un poste dans un organisme public et si elle passe généralement pour avoir une influence importante sur les questions politiques d’intérêt général (...) [un défendeur] doit être tenu pour responsable de diffamation s’il savait que les informations énoncées étaient fausses ou si, par négligence, il n’a fait aucun cas de leur inexactitude. » Se référant à la première partie de la lettre (paragraphe 10 ci-dessus), la cour d’appel du district de Brčko se borna à relever que cette partie énonçait des jugements de valeur pour lesquels la loi sur la diffamation ne permettait pas d’imputer une responsabilité aux requérantes. Elle cita aussi les quatre déclarations qui figuraient ensuite dans la lettre (paragraphe 11 cidessus) et dit qu’elles « concernaient des déclarations de fait que les intimées étaient tenues de prouver ». Elle entendit de nouveau à ce sujet O.H., S.C. et les témoins qui avaient déjà déposé oralement devant la juridiction de première instance (paragraphe 14 ci-dessus). La cour d’appel relevait également que R.S. et O.S., qui travaillaient tous deux à la radio publique du district de Brčko, étaient allés s’entretenir avec l’une des requérantes du comportement qu’avait adopté M.S. sur son lieu de travail. À cette occasion, R.S. avait dit à O.H. que pendant le mois du ramadan M.S. avait retiré du mur sur lequel il était affiché dans les locaux de la radio le calendrier mentionnant les offices religieux prévus. La cour d’appel notait que ce mur servait à l’affichage d’annonces liées au travail. Elle indiquait également que, à l’époque des faits, un autre texte, qui ne concernait pas le travail, était affiché sur ce mur. O.S. (ingénieur du son à la radio) avait dit à O.H. qu’une fois M.S. lui avait demandé de lui expliquer pourquoi de la sevdalinka avait été diffusée dans la plage réservée à un autre type de musique dans la grille des programmes. Il confirma qu’elle avait retiré du mur le calendrier mentionnant les offices religieux prévus pendant le ramadan. Au cours d’une réunion qui s’était tenue peu après, O.H. avait fait part aux autres intimées des informations que R.S. et O.S. lui avaient transmises. À cette occasion, l’une des intimées avait mentionné un article de presse ainsi que la déclaration présumée de M.S. concernant les musulmans et la destruction de mosquées. Il avait également été allégué que M.S. avait recouvert les armoiries de la Bosnie-Herzégovine avec celles de la Republika Srpska. S.C. avait confirmé avoir entendu parler de cet épisode en ville. Après avoir analysé les dépositions des témoins et des intimées, la cour d’appel conclut que les faits qui avaient été rapportés dans la lettre à propos du calendrier des offices religieux pendant le mois du ramadan et de la diffusion de sevdalinka étaient contraires à la vérité. En effet, selon elle, « la lettre ne reprenait manifestement pas ce que [R.S. et O.S.] avaient dit à propos de l’appelante et de ses actes concernant le calendrier religieux et la diffusion de sevdalinka ». Sur le caractère contraire à la vérité de l’allégation selon laquelle M.S. était l’auteur de la déclaration publiée dans la presse, la cour d’appel déclara : « (...) sur la base de la déclaration de S.C., [la cour établit] que, lors de la réunion qui précéda la rédaction de la lettre, un membre distingué d’une [intimée] informa les personnes présentes que l’appelante avait fait dans la presse une déclaration dont la teneur était identique à celle de la lettre. Après vérification [S.C.] a établi qu’un tel texte avait bien été publié, mais que l’appelante n’en était pas l’auteur (...) » La cour d’appel déclara en outre : « Les intimées n’ont par ailleurs pas prouvé la véracité de l’allégation selon laquelle, dans son bureau, l’appelante avait recouvert les armoiries de la Bosnie-Herzégovine avec celles de la Republika Srpska. Se fondant sur les dépositions des témoins entendus pendant le procès (B.S., D.N. et K.P.) [la cour d’appel] a établi que l’appelante avait placé un carton d’invitation, lequel portait les armoiries de la Republika Srpska, sur un coin des armoiries de la Bosnie-Herzégovine (...) » En conclusion, la cour d’appel déclara : « Par la lettre qu’elles ont adressée au bureau du Haut Représentant à Brčko – superviseur international du district de Brčko, au président de l’assemblée et au gouverneur de ce district, les intimées ont porté atteinte à la réputation et à l’honneur de l’appelante là où elle vit et travaille, et ce en exposant et diffusant aux personnes susmentionnées des faits concernant le comportement, les actes et les déclarations de l’appelante dont elles savaient ou auraient dû savoir qu’ils étaient contraires à la vérité (...) » La cour d’appel ordonna aux requérantes d’informer dans les quinze jours le superviseur international, le président de l’assemblée et le gouverneur du district de Brčko qu’elles retiraient les déclarations contenues dans leur lettre, faute de quoi elles seraient tenues de verser conjointement à M.S. l’équivalent de 1 280 euros (EUR) pour préjudice moral. La cour les condamna également à faire diffuser à leurs frais l’arrêt à la radio-télévision du district de Brčko ainsi que dans deux journaux. En ce qui concerne le calcul de la somme accordée à titre de réparation du préjudice moral, la cour d’appel déclara : « Pour fixer le montant des dommages et intérêts à accorder à titre de réparation à l’appelante, [la cour d’appel] a tenu compte du fait que les allégations litigieuses avaient été mentionnées dans l’article publié dans les médias (...) » Le 15 novembre 2007, M.S. déposa auprès du tribunal de première instance du district de Brčko une demande d’exécution de l’arrêt rendu par la cour d’appel. Le 5 décembre 2007, le tribunal de première instance rendit une ordonnance d’exécution. Le 12 décembre 2007, les requérantes payèrent l’équivalent de 1 445 EUR (intérêts et frais d’exécution compris) en exécution de l’arrêt du 11 juillet 2007. Le 27 mars 2009, le tribunal de première instance clôtura la procédure d’exécution. C. La procédure devant la Cour constitutionnelle Le 15 octobre 2007, les requérantes saisirent la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine afin de faire valoir leurs droits garantis par l’article 10 de la Convention. Le 13 mai 2010, la Cour constitutionnelle jugea que l’ingérence dans l’exercice par les requérantes de leur droit à la liberté d’expression était « nécessaire dans une société démocratique » et elle conclut à la nonviolation de l’article II/3.h) de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine ou de l’article 10 de la Convention. Les passages pertinents de sa décision étaient ainsi libellés : « 34. La Cour constitutionnelle note d’emblée que les appelantes n’ont pas contesté qu’elles ont été tenues pour responsables de diffamation sur le fondement de la loi de 2003 sur la diffamation et que, par conséquent, l’ingérence dans l’exercice du droit [à la liberté d’expression] protégé par l’article 10 de la Convention européenne était prévue par la loi (...) L’arrêt attaqué a été rendu dans le cadre d’une action civile en diffamation qui avait été engagée par l’intimée contre les appelantes (...) partant, l’ingérence poursuivait un but légitime : protéger la « réputation ou les droits d’autrui ». Il reste à déterminer si l’ingérence contestée était « nécessaire dans une société démocratique » (...) En ce qui concerne l’existence d’un « besoin social impérieux », la Cour constitutionnelle observe que les décisions [judiciaires] litigieuses concernent la lettre que les appelantes ont adressée aux autorités du district de Brčko et au superviseur de ce district et qui présentait l’intimée [M.S.] sous un jour défavorable. La cour d’appel a jugé qu’il y avait eu diffamation car [l’affaire] concerne l’énoncé d’informations dont la véracité pouvait être vérifiée (...) La Cour constitutionnelle note que la cour d’appel a considéré que les déclarations litigieuses qui étaient contenues dans la lettre constituaient des déclarations de fait et non des jugements de valeur. La Cour constitutionnelle estime elle aussi qu’il s’agit de déclarations de fait devant être prouvées. Or les appelantes n’ont pas prouvé ce qu’elles ont avancé, puisqu’elles ne se sont pas efforcées dans la mesure du raisonnable de vérifier la véracité de [ces] déclarations de fait avant [de les rapporter], mais se sont contentées de faire [ces déclarations]. La Cour constitutionnelle considère que la cour d’appel a établi au-delà de tout doute que les déclarations de fait litigieuses concernant M.S. étaient fausses et que les appelantes devaient être tenues pour responsables de diffamation. En s’appuyant sur les dépositions des deux témoins, qui étaient les personnes qui avaient communiqué aux appelantes les informations qu’elles avaient reprises dans leur lettre (dans le passage dans lequel il était écrit que M.S. avait « tenu à retirer du mur sur lequel il avait été affiché (et à le déchirer en morceaux) le calendrier mentionnant les offices religieux prévus pendant le mois du ramadan et, en sa qualité de responsable des programmes culturels, interdit la diffusion de sevdalinka au motif que ce genre de chansons n’avait aucune valeur culturelle ou musicale »), la cour d’appel a établi qu’il existait une incohérence manifeste entre ce qui avait été dit aux appelantes et ce qu’elles avaient rapporté dans leur lettre. De plus, l’affirmation, figurant dans la lettre litigieuse, selon laquelle M.S. avait donné une interview à propos de la destruction de mosquées, a été réfutée par un autre témoin, lequel a indiqué qu’une vérification ultérieure avait révélé que M.S. n’était pas l’auteur de l’interview en cause. Enfin, les appelantes n’ont pas été en mesure de prouver la véracité des allégations selon lesquelles M.S. aurait recouvert les armoiries de la Bosnie-Herzégovine avec celles de la Republika Srpska. Compte tenu de ce qui précède, en l’espèce, l’intérêt public qui permet de signaler des irrégularités alléguées dans la conduite de fonctionnaires ne saurait reposer sur l’énoncé d’allégations factuelles manifestement contraires à la vérité qui portent atteinte à leur réputation [et] qui ne peuvent passer pour des critiques que ces derniers devraient tolérer eu égard à leur fonction. Dès lors, la Cour estime que c’est à juste titre que la cour d’appel a conclu qu’il existait en l’espèce « un besoin social impérieux » [justifiant l’ingérence dans l’exercice par les appelantes de leur droit à la liberté d’expression]. De plus, la Cour constitutionnelle note que la cour d’appel a accordé à M.S. une indemnité au titre du préjudice moral au motif que les fausses déclarations contenues dans la lettre litigieuse avaient porté atteinte à la réputation de l’intéressée. (...) La Cour constitutionnelle a déjà précisé dans sa jurisprudence que la réputation d’une personne faisait partie de son identité personnelle et de son intégrité psychologique (...) (...) Les appelantes (...) ont omis de vérifier en amont les déclarations litigieuses, alors qu’il était de leur devoir de le faire. La cour d’appel a établi que, par ces fausses allégations, les appelantes avaient porté atteinte à la réputation de M.S. et lui avaient ainsi infligé des souffrances morales (...) Pour statuer sur la demande d’indemnisation du préjudice moral et sur le montant à accorder, la cour d’appel a pris en compte la finalité d’une telle indemnisation ainsi que la règle voulant que l’on évite d’encourager des aspirations incompatibles avec la nature et le but social d’une telle mesure. [L]a Cour constitutionnelle considère que la mesure imposée en l’espèce aux appelantes était proportionnée au but poursuivi (...) Elle juge en outre que la cour d’appel n’a pas outrepassé les limites de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle s’est prononcée sur la demande d’indemnisation du préjudice moral (...) [L]a Cour constitutionnelle juge que les motifs qui ont été invoqués par la cour d’appel étaient « pertinents » et « suffisants » au sens de l’article 10 de la Convention européenne. Eu égard à ce qui précède, la Cour constitutionnelle considère que l’ingérence dans l’exercice par les appelantes de leur droit à la liberté d’expression était « nécessaire dans une société démocratique » et conclut par conséquent à la nonviolation de l’article II/3.h) de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine ou de l’article 10 de la Convention européenne. » Le 21 septembre 2010, la décision de la Cour constitutionnelle fut signifiée aux requérantes. D. Autres informations pertinentes Selon le procès-verbal d’une réunion du conseil d’administration de la radio du district de Brčko en date du 9 mai 2003, deux personnes avaient présenté leur candidature pour le poste de directeur de la radio, et l’une d’entre elles était M.S. Le conseil d’administration décida de prolonger le mandat du directeur en exercice de la radio car, « du fait des pressions politiques et du résultat non concluant des tours de scrutin successifs », il était impossible de trancher en faveur de l’un ou l’autre des candidats. II. ACCORD-CADRE GÉNÉRAL DE 1995 POUR LA PAIX EN BOSNIE-HERZÉGOVINE (« LES ACCORDS DE DAYTON ») Les accords de Dayton ont été conclus sur la base aérienne de Wright-Patterson, près de Dayton (États-Unis d’Amérique) le 21 novembre 1995 et signés à Paris (France) le 14 décembre 1995. Ils marquent l’aboutissement des quelque quarante-quatre mois de négociations conduites par intermittence sous l’égide de la Conférence internationale sur l’exYougoslavie et du Groupe de contact. Ils sont entrés en vigueur à cette dernière date et comprennent douze annexes. L’annexe 2 renferme l’accord relatif à la ligne de démarcation inter-entités et aux questions connexes. Dans sa partie pertinente, cet accord est ainsi libellé : « La République de Bosnie-Herzégovine, la Fédération de Bosnie-Herzégovine et la Republika Srpska (ci-après dénommées « les Parties ») sont convenues de ce qui suit : (...) Article V : Arbitrage relatif à la zone de Brčko Les Parties conviennent de se soumettre à un arbitrage en ce qui concerne la partie contestée de la ligne de démarcation inter-entités dans la zone de Brčko, indiquée sur la carte jointe à l’Appendice. Six mois au plus tard après l’entrée en vigueur du présent Accord, la Fédération et la Republika Srpska nommeront chacune un arbitre. Dans les trente jours suivants, un tiers arbitre sera choisi d’un commun accord par les arbitres nommés par les Parties. Si ces derniers ne parviennent pas à se mettre d’accord, le tiers arbitre sera nommé par le Président de la Cour internationale de Justice. Le tiers arbitre présidera le tribunal d’arbitrage. À moins que les Parties n’en conviennent autrement, la procédure sera conduite conformément au règlement d’arbitrage de la CNUDCI. Les arbitres appliqueront les principes juridiques et équitables pertinents. Sauf accord contraire, la zone visée au paragraphe 1 ci-dessus continuera d’être administrée comme à l’heure actuelle. Les arbitres rendront leur décision au plus tard un an après l’entrée en vigueur du présent Accord. La décision sera définitive et contraignante et les Parties l’appliqueront sans délai. » L’annexe 4 énonce les dispositions de la Constitution de la Bosnie-Herzégovine (paragraphe 39 ci-dessous). III. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution de la Bosnie-Herzégovine La Constitution de la Bosnie-Herzégovine (annexe 4 à l’accordcadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine) est entrée en vigueur le 14 décembre 1995. L’article II de la Constitution, dans ses parties pertinentes, se lit ainsi : « 3. Énumération des droits Toutes les personnes se trouvant sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine jouissent des droits de l’homme et des libertés fondamentales mentionnés au paragraphe 2 cidessus ; ces droits et libertés comprennent : (...) h) La liberté d’expression (...) » En mars 2009, l’Assemblée parlementaire de Bosnie-Herzégovine a adopté l’amendement no 1 à la Constitution (publié au Journal officiel de la Bosnie-Herzégovine sous le no 25/09), lequel se lit ainsi dans ses parties pertinentes : « Dans la Constitution de la Bosnie-Herzégovine, à la suite de l’article VI(3) est inséré un nouvel article VI(4), ainsi libellé : Le district de Brčko de Bosnie–Herzégovine Le district de Brčko de Bosnie–Herzégovine, qui est placé sous la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine, qui relève de la compétence des institutions de la Bosnie-Herzégovine telle qu’elles découlent de cette Constitution et dont le territoire appartient conjointement aux entités, est une collectivité locale autonome dotée de ses propres institutions, lois et règlements, ainsi que des pouvoirs et du statut qui lui ont été définitivement conférés par les sentences du tribunal arbitral pour les litiges sur la ligne de démarcation inter-entités dans la zone de Brčko. Les relations entre le district de Brčko de Bosnie-Herzégovine et les institutions de la Bosnie-Herzégovine ainsi que les entités peuvent être définies plus en détail par une loi adoptée par l’Assemblée parlementaire. » B. La loi de 2003 sur la diffamation (Zakon o zaštiti od klevete Brčko Distrikta, Journal officiel du district de Brčko no 14/03) Les dispositions pertinentes de la loi de 2003 du district de Brčko sur la diffamation se lisent ainsi : Article 2 « (...) a) le droit à la liberté d’expression, garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (...), par la Constitution de la Bosnie-Herzégovine et par le statut du district de Brčko, joue un rôle fondamental dans une société démocratique, en particulier lorsqu’il concerne des questions de politique ou d’intérêt général ; b) le droit à la liberté d’expression protège la teneur de l’information ainsi que les modes de transmission de celle-ci (...) (...) » Article 6 « Quiconque porte atteinte à la réputation d’une autre personne en avançant ou en diffusant de fausses informations à son sujet et en assimilant cette personne à une autre sera tenu pour responsable de diffamation. Si une information diffamatoire est publiée dans les médias, seront tenus pour responsables de diffamation l’auteur, le directeur de la publication et l’éditeur, et toute autre personne ayant supervisé, de quelque manière que ce soit, le contenu de la publication. La responsabilité de ces personnes pour diffamation sera engagée dans les situations visées ci-dessus dès lors que les fausses informations ont été avancées ou diffusées avec la volonté de nuire ou par négligence. Lorsqu’une déclaration diffamatoire porte sur une question d’intérêt général, son auteur sera tenu pour responsable de diffamation s’il a avancé de fausses informations en toute connaissance de cause ou si, par négligence, il n’a fait aucun cas de leur inexactitude. La responsabilité est définie selon les mêmes critères qu’indiqué ci-dessus lorsqu’une déclaration diffamatoire vise un fonctionnaire (...) ou un candidat à un poste dans la fonction publique (...) » Exonération de responsabilité Article 7 « La responsabilité pour diffamation n’est pas engagée a) si les déclarations diffamatoires sont des jugements de valeur ou si elles reflètent pour l’essentiel la vérité et ne s’en éloignent que par des détails non pertinents (...) (...) c) si l’énoncé ou la diffusion de pareilles déclarations présentait un caractère raisonnable. (...) » C. La loi de 1978 sur les obligations civiles (Zakon o obligacionim odnosima, Journal officiel de la République socialiste fédérative de Yougoslavie nos 29/78, 39/85 et 57/8, et Journal officiel de la République de Bosnie-Herzégovine nos 2/92, 13/93 et 13/94) La disposition pertinente de la loi de 1978 sur les obligations civiles se lit comme suit : Réparation du dommage moral Article 200 « Le tribunal octroie une indemnité pour dommage moral dans les cas de douleur physique, de souffrance morale due à une limitation des activités, de défiguration, d’atteinte à la réputation, à l’honneur, à la liberté ou aux droits de la personne, ou de décès d’un proche, et d’angoisse, si pareille indemnité se justifie au vu des circonstances de l’espèce, notamment l’intensité et la durée de la douleur, de la souffrance morale ou de l’angoisse, indépendamment de l’octroi éventuel d’une indemnité pour dommage matériel, et même en l’absence de dommage matériel. Lorsqu’il statue sur une demande d’indemnisation pour dommage moral et sur son montant, le tribunal devra prendre en compte (...) la finalité d’une telle indemnisation et devra chercher à éviter d’encourager des aspirations incompatibles avec la nature et le but social d’une telle mesure. » IV. TEXTES INTERNATIONAUX ET ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ PERTINENTS A. Résolution 1729 (2010), Protection des « donneurs d’alerte », adoptée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe le 29 avril 2010 La partie pertinente de cette résolution est ainsi libellée : « 6.3. En ce qui concerne la charge de la preuve, il doit incomber à l’employeur d’établir au-delà de tout doute raisonnable que toute mesure prise à l’encontre d’un donneur d’alerte a été motivée par des raisons autres que l’acte de signalement par ce dernier. » B. Recommandation CM/Rec(2014)7, Protection des lanceurs d’alerte, adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 30 avril 2014 La partie pertinente de cette recommandation est ainsi libellée : « II. Champ d’application personnel Le champ d’application personnel du cadre national devrait couvrir toutes les personnes travaillant soit dans le secteur public, soit dans le secteur privé, indépendamment de la nature de leur relation de travail et du fait qu’elles sont ou non rémunérées. Le cadre national devrait également inclure les personnes dont la relation de travail a pris fin ou, éventuellement, n’a pas encore commencé, si les informations concernant une menace ou un préjudice pour l’intérêt général ont été obtenues durant le processus de recrutement ou à un autre stade de la négociation précontractuelle. » C. Principes fondamentaux sur le statut des organisations non gouvernementales en Europe, Strasbourg, 13 novembre 2002, Conseil de l’Europe, adoptés lors de réunions multilatérales qui se sont tenues à Strasbourg entre le 19 novembre 2001 et le 5 juillet 2002 Les parties pertinentes de ce document sont ainsi libellées : « Considérant que les organisations non gouvernementales (ci-après ONG) apportent une contribution essentielle au développement, à la réalisation et au maintien des sociétés démocratiques, en particulier à travers la sensibilisation du public et la participation des citoyens à la chose publique, et que leur contribution à la vie culturelle et au bien-être social de ces sociétés est tout aussi importante ; (...) Considérant que leurs apports prennent la forme d’un ensemble extrêmement varié d’activités qui comprennent notamment un rôle de communication entre différents secteurs de la société et les pouvoirs publics (...) Reconnaissant que le fonctionnement des ONG entraîne des responsabilités aussi bien que des droits, (...) Les ONG devraient être encouragées à participer aux mécanismes gouvernementaux et quasi gouvernementaux de dialogue, de consultation et d’échange, afin de rechercher des solutions aux besoins de la société. » D. Code de déontologie et de conduite à l’intention des ONG, Association mondiale des organisations non gouvernementales (WANGO), 2004 Les parties pertinentes de ce code sont ainsi libellées : « C. Droits de l’homme et dignité Nulle ONG ne doit porter atteinte aux droits fondamentaux de quiconque. (...) F. Véracité et légalité Une ONG doit communiquer des informations exactes, que lesdites informations la concernent elle-même ou ses projets ou qu’elles concernent toute personne, toute organisation, tout projet ou toute législation auxquels elle s’oppose ou dont elle débat. VI. Confiance du public B. Plaidoyer public Exactitude et présentation en contexte Les informations que l’organisation choisit de diffuser auprès des médias, des autorités ou du public doivent être exactes et présentées dans le contexte approprié. Cette obligation vaut notamment pour les informations présentées par l’ONG concernant toute législation, toute politique, toute personne, toute organisation ou tout projet auxquels elle s’oppose, qu’elle défend ou dont elle débat (...) Déclarations orales et écrites L’organisation doit se doter de lignes directrices et de processus d’autorisation clairs pour la publication de déclarations orales et écrites. Divulgation de conflits d’intérêts L’organisation doit présenter les informations de manière équitable et impartiale. Lorsqu’un conflit d’intérêts ne peut être exclu ou est inévitable, il doit être rendu public. » (traduction effectuée par le greffe)
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1961 et réside à Matosinhos. A. Le contexte factuel À la suite d’une altercation avec d’autres personnes, la requérante fut poursuivie pour menaces par le parquet près le tribunal de Matosinhos. Un rapport d’expertise fut produit au cours de l’instruction. Il indiquait que la requérante disposait de capacités intellectuelles et cognitives diminuées, mais qu’elle devait être tenue pour pénalement responsable de ses actes. Par un jugement du 23 mars 2007, le tribunal de Matosinhos exclut la thèse de la responsabilité pénale diminuée défendue par la requérante et condamna celle-ci à 320 jours-amende, soit 640 euros (EUR) au total, pour menaces et injures, et au paiement aux victimes d’une somme au titre des dommages et intérêts. Le 13 avril 2007, la requérante fit appel du jugement devant la cour d’appel de Porto (« la cour d’appel »). Elle répéta qu’elle n’avait pas eu conscience du caractère illicite de ses actes et demandait à être reconnue pénalement irresponsable compte tenu des troubles psychiatriques dont elle se disait atteinte. Par conséquent, elle demandait une nouvelle appréciation des faits et la tenue d’une audience au cours de laquelle elle souhaitait être entendue. Le 12 décembre 2007, la cour d’appel tint une audience en présence de l’agent du ministère public et du conseil de la requérante. Cette dernière ne fut toutefois pas entendue. Par un arrêt définitif du 19 décembre 2007, la cour d’appel confirma la condamnation de la requérante pour menaces et injures, mais réduisit la peine à 265 jours-amende, soit 530 EUR au total. Elle considéra qu’il n’y avait pas lieu de procéder à une nouvelle appréciation des faits au motif que la requérante n’avait pas réussi à mettre en cause la validité de l’appréciation faite par le tribunal de première instance. La requérante régla l’amende en plusieurs tranches. À l’audience devant la Cour, il a été indiqué qu’au cours du mois de janvier 2016, soit cinq ans après le règlement de la totalité de l’amende, la mention de la condamnation de la requérante avait été rayée de son casier judiciaire. B. La requête no 19808/08 et l’arrêt rendu par la Cour le 5 juillet 2011 Le 15 avril 2008, la requérante saisit la Cour d’une requête dans laquelle elle se plaignait de ne pas avoir été personnellement entendue par la cour d’appel, et ce en violation, selon elle, de l’article 6 § 1 de la Convention. Par un arrêt du 5 juillet 2011, la Cour déclara recevable le grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et conclut en ces termes à la violation de cette disposition : « (...) La Cour note que, dans la présente affaire, la cour d’appel se trouvait saisie de plusieurs questions relatives aux faits de l’espèce et à la personne de la requérante. Cette dernière soulevait notamment la question, comme elle l’avait déjà fait devant le tribunal de première instance, de savoir si sa responsabilité pénale devait être tenue pour diminuée, ce qui aurait pu avoir une influence importante sur la détermination de la peine. Aux yeux de la Cour, il s’agissait là d’une question que la cour d’appel ne pouvait résoudre sans une appréciation directe du témoignage personnel de la requérante, d’autant que le jugement du tribunal de Matosinhos s’écartait quelque peu des conclusions de l’expertise psychiatrique, sans toutefois énoncer les motifs d’une telle divergence comme l’exige la loi interne (...). Le réexamen, par la cour d’appel, de cette question aurait donc dû comporter une nouvelle audition intégrale de la requérante (...). Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure qu’une audience publique devant la juridiction d’appel était nécessaire en l’espèce. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention. » S’agissant des dommages matériel et moral réclamés au titre de l’article 41 de la Convention, la Cour s’exprima ainsi : « 41. La Cour estime d’abord que, lorsque, comme en l’espèce, un particulier a été condamné à l’issue d’une procédure entachée de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée. À cet égard, elle note que l’article 449 du code de procédure pénale portugais permet la révision d’un procès sur le plan interne lorsque la Cour a constaté la violation des droits et libertés fondamentaux de l’intéressé. Cependant, les mesures de réparation spécifiques à prendre, le cas échéant, par un État défendeur pour s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la Convention dépendent nécessairement des circonstances de la cause et doivent être définies à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire concernée (Öcalan c. Turquie [GC], no 46221/99, § 210, CEDH 2005-IV, et Panasenko c. Portugal, no 10418/03, § 78, 22 juillet 2008). En l’espèce, seul le défaut d’audition de la requérante par la cour d’appel est en cause. La Cour relève ensuite que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans le fait que la requérante n’a pu jouir des garanties de l’article 6. À cet égard, elle n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En effet, la Cour ne saurait spéculer sur le résultat auquel la cour d’appel aurait abouti si elle avait entendu la requérante au cours d’une audience publique (Igual Coll c. Espagne, no 37496/04, § 51, 10 mars 2009). En revanche, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer à l’intéressée 2 400 EUR pour préjudice moral. » C. La procédure d’exécution de l’arrêt du 5 juillet 2011 devant le Comité des Ministres Le 5 juillet 2012, le Gouvernement portugais présenta au Comité des Ministres un plan d’action relatif à l’exécution de l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2011. Il confirma que l’indemnité octroyée à la requérante lui avait été versée le 14 décembre 2011. S’agissant des mesures générales, il indiqua que la Présidence du Conseil de Ministres avait proposé la modification du code de procédure pénale afin qu’une audience puisse avoir lieu devant toute juridiction d’appel chargée de se prononcer sur la culpabilité ou la peine infligée à un accusé. À l’audience devant la Cour, il a été indiqué que, faute d’approbation, la proposition susmentionnée n’avait finalement pas été incluse dans la version finale de la réforme du code de procédure pénale (« le CPP »). À la date de l’adoption du présent arrêt, aucun projet de réforme du code de procédure pénale n’était à l’ordre du jour des autorités internes. La procédure de surveillance de l’exécution de l’arrêt du 5 juillet 2011 était toujours pendante devant le Comité des Ministres. D. Le recours en révision formé par la requérante Parallèlement, le 18 octobre 2011, se prévalant de l’article 449 § 1 g) du CPP, la requérante avait saisi la Cour suprême d’un recours en révision. Elle soutenait que l’arrêt de la cour d’appel du 19 décembre 2007 était inconciliable avec l’arrêt de la Cour du 5 juillet 2011. Le ministère public demanda l’admission du recours au motif qu’il pouvait légitimement exister des doutes sérieux sur la condamnation et surtout sur la peine fixée. Par un arrêt du 21 mars 2012, la Cour suprême n’autorisa pas la révision. Elle estimait qu’il n’y avait pas lieu à révision car l’arrêt de condamnation rendu par la cour d’appel n’était pas inconciliable avec l’arrêt de la Cour. Elle considéra que l’absence d’audition de la requérante par la cour d’appel constituait une irrégularité procédurale non susceptible de révision. Elle s’exprima comme suit : « (...) le recours en révision est limité, selon notre loi interne, aux jugements (notamment « condamnatoires ») et ne concerne pas les ordonnances d’orientation procédurale, étant entendu qu’un (...) jugement se définit par tout acte par lequel un juge statue sur une affaire ou sur un incident de procédure (article 156 § 2 du code de procédure civile). Cependant, au regard de la loi nationale, la révision du jugement ne peut être autorisée sur le fondement invoqué par la requérante car la condamnation n’est pas inconciliable avec l’arrêt de la CEDH (article 449 § 1 g) du CPP). En revanche, la procédure suivie par la cour d’appel pour la tenue de l’audience à l’issue de laquelle il a été statué sur le recours est inconciliable avec celle que la CEDH a considérée comme indispensable pour garantir les droits de la défense. En droit national, lorsque la comparution de l’accusé est exigée par la loi, son absence constitue une nullité irrémédiable (article 119 c) du CPP). Or, même irrémédiable, une nullité ne peut donner lieu à un recours extraordinaire en révision du jugement (...). Par ailleurs, comme la CEDH le note, il n’est pas permis de spéculer sur ce qu’aurait été la décision de la cour d’appel si la personne condamnée avait été entendue à l’audience à l’issue de laquelle il a été statué sur le recours, et notamment sur la question de savoir si la peine aurait été celle qui a été prononcée ou bien une autre. La CEDH a ainsi exclu d’emblée que sa décision pût susciter des doutes sérieux sur la condamnation, indépendamment de la peine qui avait été effectivement infligée. En résumé, la condamnation n’est pas inconciliable avec la décision contraignante de la CEDH et sa justesse n’est sujette à aucun doute sérieux. C’est pourquoi, consciente qu’il n’est pas toujours possible d’obtenir un nouveau procès ou la réouverture du procès eu égard au droit national applicable, comme en l’espèce, la CEDH a décidé d’obliger l’État portugais à dédommager la requérante pour préjudice moral, et à réparer ainsi non pas l’injustice de la condamnation, qui en l’occurrence ne se vérifie pas, mais une faute grave dans le déroulement de la procédure qui a porté atteinte aux droits de la défense de l’intéressée (...) Pour les raisons susmentionnées, le motif invoqué par la requérante à l’appui de sa demande d’autorisation de révision ne se vérifie pas. Par conséquent, les juges de la Section criminelle de la Cour suprême décident de ne pas autoriser la révision. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le recours en révision La loi no 48/2007 du 29 août 2007 portant modification du code de procédure pénale (CPP) a consacré, à l’alinéa g) de son article 449 § 1, un nouveau fondement de recours en révision d’un jugement définitif. Cette disposition se lit ainsi: Article 449 (motifs du recours en révision) « 1. Un jugement ayant acquis force de chose jugée peut être révisé pour les motifs suivants : a) un jugement définitif a établi que les éléments de preuve qui fondaient la condamnation étaient invalides ; b) l’un des juges ou des jurés qui avaient participé à la procédure close par le jugement ayant acquis force de chose jugée a été condamné définitivement pour une infraction liée à l’exercice de ses fonctions ; c) les faits à l’origine de la condamnation sont inconciliables avec les faits établis par un autre jugement lorsque cette contradiction fait naître des doutes sérieux sur la justesse de la condamnation ; d) après le jugement définitif, de nouveaux éléments de preuve qui jettent un doute sérieux sur la justesse de la condamnation, sont découverts ; e) la condamnation a été fondée sur des preuves obtenues illégalement ; f) la Cour constitutionnelle déclare inconstitutionnelle une norme sur laquelle la condamnation était fondée ; g) la condamnation est inconciliable avec un jugement contraignant pour l’État portugais prononcé par une instance internationale ou ce jugement fait naître des doutes sérieux sur la justesse de la condamnation en question. Aux fins du paragraphe précédent, toute décision mettant fin aux poursuites est assimilée à un jugement. En application du paragraphe 1 d), la demande de révision est irrecevable si son seul but est la modification de la peine. La demande de révision est recevable même en cas de fin des poursuites, d’exécution complète de la peine ou de l’intervention de la prescription. » Dans un arrêt du 27 mai 2009 (procédure interne no 55/01.OTBEPSA.S1), la Cour suprême a considéré que le nouveau fondement – prévu par l’article 449 § 1 g) du CPP – pour la révision d’un jugement définitif devait être interprété de façon restrictive. À la lumière de la recommandation no R (2000) 2 du Comité des Ministres, elle a dit que, la réouverture de la procédure était indispensable « lorsqu’une décision de la Cour européenne des droits de l’homme avait conclu qu’un jugement interne était contraire à la Convention ou lorsque les erreurs ou les manquements dans la procédure étaient d’une gravité telle qu’ils avaient fait naître des doutes sérieux sur la décision (fortes dúvidas sobre a decisão) adoptée à l’issue de celle-ci, et, simultanément, lorsque la partie lésée continuait de subir les conséquences négatives très graves de la décision nationale, que celles-ci ne pouvaient être réparées par la satisfaction équitable allouée par la Cour et que la restitutio in integrum ne pouvait être réalisée que par le biais du réexamen ou de la réouverture de la procédure ». Dans une opinion séparée, l’un des juges du collège de trois juges ayant examiné la demande de révision considéra, tout en étant d’accord avec la décision, que la Cour suprême avait interprété de façon trop restrictive l’article 449 § 1 g). Ce juge s’exprima ainsi : « A mes yeux, le nouvel alinéa g) de l’article 449 § 1 du CPP a introduit un mécanisme d’exécution des jugements rendus par des tribunaux internationaux dont l’État portugais a reconnu le caractère contraignant ; lorsqu’elle est appelée à examiner une demande en révision, la Cour suprême doit se limiter à vérifier l’existence de la condition formelle mentionnée [à l’article 449 § 1 g)] : l’existence d’un jugement d’une instance internationale contraignant pour l’État portugais inconciliable avec la condamnation ou faisant naître des doutes sérieux sur la justesse de cette dernière. A ce stade de la procédure, il incombe uniquement à la Cour suprême – je le rappelle – de vérifier si cette condition formelle d’ouverture de la révision existe. Il incombera à l’instance chargée de la révision de rendre un nouveau jugement (articles 460 et suivants du CPP), lequel devra exécuter la décision de la Cour européenne des droits de l’homme. » Dans cet arrêt, la Cour suprême a fait droit à une demande de réouverture d’une procédure pénale à l’issue de laquelle un journaliste avait été condamné pour violation du secret judiciaire (segredo de justiça), en tenant compte de ce que la Cour, dans l’affaire Campos Dâmaso c. Portugal (no 17107/05, 24 avril 2008), avait jugé que cette condamnation portait atteinte au droit de ce dernier découlant de l’article 10 de la Convention. La Cour suprême a fait droit à trois demandes de révision fondées sur l’article 449 § 1 g) du CPP relatives à des condamnations pour diffamation jugées contraires à l’article 10 de la Convention par la Cour : – dans son arrêt du 23 avril 2009 (procédure interne no 104/02.5TACTB-A.S1), qui concernait la condamnation pénale pour diffamation de l’auteur d’un livre, la Cour suprême a considéré que cette condamnation était inconciliable avec l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire Azevedo c. Portugal (no 20620/04, 27 mars 2008) ; – dans son arrêt du 15 novembre 2012 (procédure interne no 23/04.0GDSCD-B.S1) qui portait sur une condamnation pour diffamation, la Cour suprême a jugé cette condamnation inconciliable avec l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire alves da Silva c. Portugal (no 41665/07, 20 octobre 2009) ; – dans son arrêt du 26 mars 2014 (procédure interne no 5918/06.4TDPRT.P1) concernant la réouverture d’une procédure pénale qui avait abouti à la condamnation de l’auteur d’un livre à une amende pour diffamation, la Cour suprême a estimé que ce jugement était inconciliable avec l’arrêt prononcé par la Cour dans l’affaire Sampaio e Paiva de Melo c. Portugal (no 33287/10, 23 juillet 2013). Elle a notamment considéré que la procédure de révision ne tendait pas au réexamen d’un jugement déjà rendu, mais qu’elle visait plutôt au prononcé d’une nouvelle décision fondée sur un réexamen de l’affaire basé sur des éléments de faits nouveaux. B. Les autres dispositions pertinentes Au moment des faits, les autres dispositions pertinentes du code de procédure pénale se lisaient ainsi : Article 119 (nullités irrémédiables) « Les nullités suivantes sont irrémédiables (nulidades insanáveis) et doivent être relevées d’office à tout stade de la procédure, en sus de celles prévues par d’autres dispositions légales : a) la méconnaissance des dispositions légales régissant la composition du tribunal ; b) la méconnaissance des dispositions légales régissant le rôle du parquet dans la phase des poursuites ; c) l’absence de l’accusé ou de son défenseur dans les situations où la loi exige sa comparution ; d) l’omission d’étapes obligatoires dans le déroulement de la procédure ; e) la méconnaissance des règles de compétence du tribunal (...) ; f) des poursuites conduites en suivant les procédures inadéquates. » Article 122 (effets de la nullité) « 1. L’acte dont la nullité est constatée, ainsi que tous les autres actes qui en dépendent, sont invalidés. Le tribunal qui constate une nullité indique quel acte est invalidé et ordonne, si possible et si nécessaire, la réfection de l’acte. Les frais y associés sont à la charge de la partie à l’origine de l’annulation de l’acte. Le tribunal qui invalide un acte confirme, si possible, la validité des autres actes de la procédure. » Article 450 (locus standi) « La révision d’un jugement peut être demandée par : a) le Procureur général ; (...) c) la personne condamnée. » Article 457 (autorisation de la révision) « 1. Si la révision est autorisée, la Cour suprême renvoie l’affaire au tribunal de catégorie et de composition identiques à celui qui a prononcé la décision appelée à être révisée et qui en est le plus proche géographiquement. Si la personne condamnée purge une peine de prison ou fait l’objet d’une mesure de sûreté, la Cour suprême décide, au regard du sérieux des doutes pesant sur la condamnation, si l’exécution de la peine ou de la mesure doit être suspendue. Si la suspension est décidée ou si l’exécution de la peine n’a pas encore commencé, la Cour suprême peut ordonner une mesure préventive. » Article 458 (annulation des décisions inconciliables) « 1. Si la révision est autorisée en vertu de l’article 449 § 1 c) en raison de l’existence de décisions inconciliables qui ont abouti à la condamnation de personnes différentes pour les même faits, la Cour suprême annule ces décisions, ordonne un nouveau procès pour l’ensemble des personnes condamnées et renvoie l’affaire devant la juridiction compétente. En cas de nouveau procès, les affaires sont jointes. L’annulation de la décision met fin à son exécution. Toutefois, la Cour suprême peut ordonner des mesures préventives à l’encontre des personnes qui font l’objet d’un nouveau procès. » Article 460 (nouveau procès) « 1. Après la mise en état du dossier, la date de l’audience est fixée et la procédure suit les règles de droit commun. Si la révision est autorisée en vertu de l’article 449 § 1 a) ou b), les personnes condamnées ou poursuivies pour des faits qui ont été déterminants pour l’issue de la procédure rouverte ne sont pas autorisées à intervenir dans le nouveau procès. » III. LA RECOMMANDATION No R (2000) 2 DU COMITÉ DES MINISTRES Dans sa Recommandation no R (2000) 2, adoptée le 19 janvier 2000 lors de la 694e réunion des Délégués des Ministres, le Comité des Ministres a indiqué qu’il se dégageait de la pratique relative au contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour qu’il existait des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture d’une procédure se révélait être le moyen le plus efficace, voire le seul, de réaliser la restitutio in integrum. Il a donc invité les États à instaurer des mécanismes de réexamen pour les affaires concernées par des constats de violation de la Convention formulés par la Cour, en particulier lorsque : « i. la partie lésée continue de souffrir des conséquences négatives très graves à la suite de la décision nationale, conséquences qui ne peuvent être compensées par la satisfaction équitable et qui ne peuvent être modifiées que par le réexamen ou la réouverture, et ii. il résulte de l’arrêt de la Cour que : a. la décision interne attaquée est contraire sur le fond à la Convention, ou b. la violation constatée est causée par des erreurs ou défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux est jeté sur le résultat de la procédure interne attaquée. » L’exposé des motifs présente ensuite des commentaires plus généraux sur des questions qui n’ont pas été abordées explicitement dans la recommandation. Concernant les affaires qui répondent aux critères susmentionnés, il est fait état de ce qui suit : « 12. (...) le sous-paragraphe (ii) indique le genre de violations qui nécessitent particulièrement le réexamen ou la réouverture de l’affaire. Des exemples de situations visées sous le point (a) sont les condamnations pénales violant l’article 10, du fait que les déclarations que les autorités nationales qualifient comme criminelles constituent l’exercice légitime de la liberté d’expression de la partie lésée, ou violant l’article 9 parce que les actions de la partie lésée qui ont été qualifiées comme criminelles constituent un exercice légitime de la liberté de religion. Comme illustration des situations visées sous le point (b), on peut mentionner le cas où la partie lésée n’a pas eu le temps ou les facilités pour préparer sa défense dans des procédures pénales, ou bien le cas où la condamnation se fonde sur des déclarations extorquées sous la torture ou sur la base de moyens que la partie lésée n’a jamais eu la possibilité de vérifier; ou encore, dans des procédures civiles, on peut mentionner le cas où les parties n’ont pas été traitées dans le respect du principe de l’égalité des armes. Comme le texte de la recommandation le signale, ces défaillances doivent être d’une gravité telle qu’un doute sérieux est jeté sur le résultat des procédures internes. » IV. LE DROIT ET LA PRATIQUE AU SEIN DES ÉTATS MEMBRES DU CONSEIL DE L’EUROPE Une étude comparative de la législation et de la pratique de quarante-trois États membres du Conseil de l’Europe montre que bon nombre d’entre eux ont mis en place des mécanismes internes permettant de demander, sur la base d’un constat de violation de la Convention formulé par la Cour, la révision ou la réouverture d’une affaire pénale tranchée par une décision de justice définitive. En particulier, dans une bonne partie de ces États, le code de procédure pénale national habilite expressément tout justiciable en faveur duquel la Cour a rendu un arrêt concluant à la violation de la Convention dans une affaire pénale à demander la révision ou la réouverture de l’affaire sur la base de ce constat. Parmi eux, figurent les États membres suivants : Allemagne, Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, BosnieHerzégovine, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, exRépublique yougoslave de Macédoine, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Moldova, Monaco, Monténégro, Norvège, PaysBas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Russie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suisse, Turquie et Ukraine. Dans la majorité de ces États, la révision ou la réouverture doivent être demandées devant le juge, mais le niveau de juridiction varie d’un État à l’autre. Dans certains États, c’est la plus haute juridiction qui doit être saisie, c’est-à-dire la Cour suprême (Albanie, Andorre, Arménie, Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Bulgarie, Espagne, Estonie, Grèce, Hongrie, Lituanie, Luxembourg, Moldova, Monaco, Pays-Bas, Pologne, Russie, Suisse) ou la Cour constitutionnelle (République tchèque). Dans d’autres, la révision ou la réouverture de l’affaire doivent être demandées devant la juridiction qui a rendu la décision litigieuse (Croatie, exRépublique yougoslave de Macédoine, Slovénie, Turquie et Ukraine). Dans certains États membres, la révision ou la réouverture doivent être demandées devant des organes non juridictionnels tels que des commissions indépendantes administratives ou quasi-juridictionnelles (Islande, Norvège et Royaume-Uni), devant le ministre de la Justice (Luxembourg), devant le Premier ministre qui dispose du pouvoir discrétionnaire de renvoyer l’affaire devant la cour d’appel statuant en matière criminelle (Malte) ou devant le procureur (Lettonie). En principe, la révision ou la réouverture ne sont pas de droit et la demande doit satisfaire à des critères de recevabilité tels que le respect de délais et des formalités procédurales. Certaines législations nationales prévoient d’autres conditions : il faut par exemple que le demandeur invoque à l’appui de sa demande un motif légal (Allemagne, ex-République yougoslave de Macédoine et Turquie), une nouvelle circonstance (Arménie) ou des faits et des preuves suffisants pour justifier la demande (exRépublique yougoslave de Macédoine et Italie). Enfin, dans d’autres États membres, la révision ou la réouverture en matière pénale sur la base d’un constat de violation de la Convention formulé par la Cour ne sont pas à ce jour expressément prévues dans les dispositions légales en vigueur (c’est le cas, par exemple, en Albanie, au Danemark, en Islande, en Italie, à Malte, au Royaume-Uni et en Suède). Dans certains de ces États, cette possibilité existe toutefois grâce à une interprétation extensive des dispositions générales relatives à la procédure de la révision (par exemple, en Albanie, au Danemark, en Italie et en Suède). Dans un seul État membre, le Liechtenstein, la révision ou la réouverture des affaires pénales fondée sur un arrêt par la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas possible.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Contexte de l’affaire Depuis 1994, la première requérante, Satakunnan Markkinapörssi Oy, recueillait des données auprès des autorités fiscales finlandaises aux fins de publier dans le magazine Veropörssi des informations sur les revenus imposables et le patrimoine de personnes physiques. Plusieurs autres sociétés d’édition et de médias diffusent également de telles données qui, en droit finlandais, sont accessibles au public (voir le paragraphe 39 ci-dessous pour une explication du système finlandais d’accès à l’information). Au cours de l’année 2002 parurent dix-sept numéros du magazine Veropörssi, chacun d’eux se concentrant sur une zone géographique du pays. Les données publiées comprenaient les noms et prénoms d’environ 1,2 million de personnes physiques dont les revenus imposables annuels dépassaient certains seuils, en général 60 000 à 80 000 marks finlandais (soit environ 10 000 à 13 500 euros (EUR)), ainsi que le montant, arrondi à la centaine d’euros, de leurs revenus provenant du travail et d’autres sources et de leur patrimoine net imposable. Les données furent publiées dans le magazine sous la forme d’une liste alphabétique et classées par commune de résidence et tranche de revenus. La première société requérante coopérait avec la seconde société requérante, Satamedia Oy. Elles étaient détenues par les mêmes actionnaires. En 2003, la première requérante commença à transférer à la seconde requérante, sous la forme de CD-ROM, des données à caractère personnel publiées dans le magazine Veropörssi, et cette dernière lança avec un opérateur de téléphonie un service de messagerie téléphonique (service de SMS). En envoyant le nom d’une personne à un numéro de ce service, le demandeur pouvait obtenir sur son téléphone portable des informations fiscales sur cette personne, pour autant qu’elles fussent disponibles dans la base de données ou dans le fichier créé par la seconde société requérante. Cette base avait été créée à partir de données personnelles déjà publiées dans le magazine et transférées sous la forme de CD-ROM à la seconde requérante. À partir de 2006, la seconde requérante publia également le magazine Veropörssi. Il ressort du dossier qu’en 1997 le ministère de la Justice demanda à la police d’ouvrir une enquête pénale sur les activités de publication des sociétés requérantes. Le dossier ne contient aucune information quant à l’issue de cette demande ou d’une quelconque investigation ultérieure. En septembre 2000 et novembre 2001, les sociétés requérantes commandèrent des données fiscales à la direction générale finlandaise des impôts (verohallitus, skattestyrelsen). À la suite de la première commande, la direction générale des impôts sollicita l’avis du médiateur chargé de la protection des données ; sur la base de cet avis, elle invita les sociétés requérantes à lui fournir d’autres informations concernant leur demande et indiqua que les données ne pourraient pas être divulguées si le magazine Veropörssi continuait à paraître sous sa forme habituelle. Par la suite, les sociétés requérantes annulèrent leur demande et rémunérèrent des personnes pour collecter manuellement des données fiscales dans les centres locaux des impôts. B. La première procédure (2004 – 2009) Les décisions du médiateur chargé de la protection des données et de la commission de protection des données À une date non précisée, probablement en 2003, le médiateur chargé de la protection des données (tietosuojavaltuutettu, dataombudsmannen) prit contact avec les sociétés requérantes et, tout en précisant que la collecte et la publication des données fiscales n’étaient pas interdites en tant que telles, leur recommanda de cesser de diffuser ce type d’informations selon les mêmes modalités et à la même échelle qu’en 2002, année où les sociétés requérantes avaient publié des données relatives à l’année fiscale 2001. Les sociétés refusèrent de s’exécuter, considérant que cette demande portait atteinte à leur liberté d’expression. Par une lettre datée du 10 avril 2003, le médiateur chargé de la protection des données demanda à la commission de protection des données (tietosuojalautakunta, datasekretessnämnden) d’interdire aux sociétés requérantes de traiter des données fiscales selon les mêmes modalités et à la même échelle qu’en 2002 et de leur interdire de transmettre ces données à un service de SMS. Il soutenait qu’en application de la loi sur les données à caractère personnel les sociétés n’avaient pas le droit de collecter, conserver ou transmettre des données à caractère personnel, et que la dérogation concernant les activités de journalisme prévue dans la loi ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce. Pour lui, la collecte de données fiscales et leur transmission à des tiers ne poursuivaient pas des fins de journalisme et n’étaient donc pas couvertes par la dérogation prévue par la loi sur les données à caractère personnel, mais s’analysaient en un traitement de données à caractère personnel, activité à laquelle les sociétés requérantes n’avaient pas le droit de se livrer. Le 7 janvier 2004, la commission de protection des données rejeta la demande du médiateur chargé de la protection des données. Elle conclut que la dérogation concernant les activités de journalisme prévue par la loi sur les données à caractère personnel s’appliquait en l’espèce. Quant aux données utilisées par le service de SMS, elle indiqua qu’elles avaient déjà été publiées dans le magazine Veropörssi et qu’elles ne tombaient donc pas sous le coup de ladite loi. La décision rendue en 2005 par le tribunal administratif d’Helsinki Par une lettre datée du 12 février 2004, le médiateur chargé de la protection des données forma devant le tribunal administratif d’Helsinki (hallinto-oikeus, förvaltningsdomstolen) un recours dans lequel il réitérait sa demande tendant à ce qu’il fût interdit aux sociétés requérantes de traiter des informations fiscales selon les mêmes modalités et à la même échelle qu’en 2002 et de transmettre ces données au service de SMS. Le 29 septembre 2005, le tribunal administratif rejeta le recours. Il jugea que la dérogation concernant les activités de journalisme prévue par la loi sur les données à caractère personnel, qui trouvait son origine dans la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31, ci-après la « directive sur la protection des données »), ne devait pas faire l’objet d’une interprétation trop stricte, laquelle favoriserait la protection de la vie privée au détriment de la liberté d’expression. Le tribunal estima que le magazine Veropörssi poursuivait un but journalistique et que la diffusion des données en question servait aussi l’intérêt général. Il souligna en particulier que les données publiées étaient déjà accessibles au grand public. Il conclut que la dérogation à des fins de journalisme trouvait donc à s’appliquer en l’espèce. Quant au service de SMS, le tribunal estima, à l’instar de la commission de protection des données, que la loi ne s’appliquait pas aux informations en cause dès lors que celles-ci avaient déjà été publiées dans le magazine. La procédure de recours devant la Cour administrative suprême (2005) Par une lettre datée du 26 octobre 2005, le médiateur chargé de la protection des données, reprenant les moyens formulés devant le tribunal administratif d’Helsinki, saisit la Cour administrative suprême (korkein hallinto-oikeus, högsta förvaltningsdomstolen). Le 8 février 2007, la Cour administrative suprême décida de saisir la Cour de justice des Communautés européennes (devenue le 1er décembre 2009 la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après « la CJUE ») de questions préjudicielles relatives à l’interprétation de la directive 95/46/CE. La décision préjudicielle rendue en 2008 par la CJUE Le 16 décembre 2008, la CJUE, siégeant en Grande Chambre, rendit son arrêt (affaire C-73/07 Tietosuojavaltuutettu c. Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, EU:C2008/727). Elle estima tout d’abord que les activités visées entraient dans la définition du « traitement de données à caractère personnel » au sens de l’article 3 § 1 de la directive 95/46. Selon elle, les activités de traitement de données à caractère personnel telles que celles concernant des fichiers des autorités publiques contenant des données à caractère personnel qui ne comprenaient que des informations déjà publiées telles quelles dans les médias relevaient également du champ d’application de la directive (§§ 37 et 49 de l’arrêt). La CJUE expliqua que la dérogation prévue par l’article 9 de la directive pour les activités de traitement de données à caractère personnel exercées aux seules fins de journalisme avait pour objet de concilier la protection de la vie privée avec le droit à la liberté d’expression et que, afin de tenir compte de l’importance de ce droit dans toute société démocratique, il convenait d’interpréter de manière large les notions y afférentes, dont celle de journalisme. Elle ajouta que, toutefois, pour obtenir une pondération équilibrée entre les deux droits fondamentaux, la protection du droit fondamental à la vie privée exigeait que les dérogations et limitations de la protection des données prévues par la directive fussent opérées dans les limites du strict nécessaire (§§ 54 et 56 de l’arrêt). La CJUE précisa que les activités de journalisme n’étaient pas réservées aux entreprises de médias et pouvaient être liées à un but lucratif (§ 61 de l’arrêt). Elle estima que, s’agissant d’interpréter la dérogation à des fins de journalisme, il y avait lieu de tenir compte de l’évolution et de la multiplication des moyens de communication et de diffusion d’informations. Elle déclara que des activités telles que celles en cause dans la procédure devant les juridictions internes, concernant des données provenant de documents publics selon la législation nationale, pouvaient être qualifiées d’« activités de journalisme », si elles avaient pour seule finalité la divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées par quelque moyen de transmission que ce fût, ce qu’il appartenait à la juridiction nationale d’apprécier (§§ 60-62 de l’arrêt). La décision rendue en 2009 par la Cour administrative suprême Le 23 septembre 2009, la Cour administrative suprême, en application de l’arrêt de la CJUE et eu égard à la jurisprudence concernant l’article 10 de la Convention, annula les décisions litigieuses de la commission de protection des données et du tribunal administratif d’Helsinki et renvoya l’affaire devant la commission de protection des données, à charge pour celle-ci, après réexamen de l’affaire, d’émettre une ordonnance en vertu de l’article 44 § 1 de la loi sur les données à caractère personnel. La haute juridiction demanda à la commission d’interdire aux sociétés requérantes le traitement de données fiscales selon les mêmes modalités et à la même échelle qu’en 2002. Dans le cadre de son appréciation juridique, la Cour administrative suprême exposa les considérations suivantes : « Portée de l’affaire La présente affaire n’a pas trait aux limites du caractère public des données fiscales et des documents officiels en matière fiscale en vertu de la loi sur la publication et la confidentialité des informations fiscales. Elle ne concerne pas davantage le droit de publier des données fiscales telles quelles, mais porte uniquement sur le traitement de données à caractère personnel. Dès lors, aucune question ne se pose quant à l’existence d’une éventuelle ingérence préalable dans le contenu des publications. Il s’agit plutôt de rechercher si les conditions fixées par la loi en ce qui concerne le traitement des données et la protection de la vie privée sont ou non remplies. La conciliation de la protection de la vie privée avec la liberté d’expression fait partie de l’appréciation juridique du traitement des données à caractère personnel en cause en l’espèce. (...) Conciliation de la protection de la vie privée avec la liberté d’expression Interprétation de la dérogation à des fins de journalisme figurant dans la directive sur la protection des données. La Cour de justice des Communautés européennes a souligné que la directive sur la protection des données a pour objet que les États membres, tout en permettant la libre circulation des données à caractère personnel, assurent la protection des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée. Elle a en outre précisé que lesdits droits fondamentaux sont à concilier, dans une certaine mesure, avec le droit fondamental de la liberté d’expression, et que cette tâche incombe aux États membres. (...) Il ressort donc de l’arrêt susmentionné de la Cour de justice des Communautés européennes que, d’une part, la notion de journalisme doit, en tant que telle, être interprétée de manière large au sens de l’article 9 de la directive, que, d’autre part, la protection de la vie privée exige que les dérogations s’opèrent dans les limites du strict nécessaire, et que l’exercice de conciliation des deux droits fondamentaux incombe aux États membres. Il appartient aux autorités et juridictions nationales d’assurer un juste équilibre des droits et intérêts en cause, y compris les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire (voir également C101/01 Lindqvist). Interprétation de la dérogation à des fins de journalisme prévue par la loi sur les données à caractère personnel (...) Les travaux préparatoires de la loi sur les données à caractère personnel (HE 96/1998 vp) montrent qu’en adoptant cette loi le législateur visait à maintenir la situation existante quant aux dossiers journalistiques conservés par les médias, sous réserve qu’elle demeurât dans les limites imposées par la directive sur la protection des données. Ainsi, afin que l’on puisse conclure que le traitement de données à caractère personnel poursuit des fins de journalisme au sens de la loi sur les données à caractère personnel, il faut notamment que les données en cause ne soient utilisées que dans le cadre d’activités de journalisme et qu’elles ne soient pas mises à disposition de personnes autres que celles qui sont impliquées dans ces activités. Dans le cadre de l’interprétation de l’article 2 § 5 de la loi sur les données à caractère personnel, il convient d’avoir particulièrement égard au fait que cette disposition concerne la conciliation de deux droits fondamentaux, à savoir la liberté d’expression et la protection de la vie privée. (...) Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’homme a également adopté une position sur la conciliation de la liberté d’expression avec la protection de la vie privée. Elle a notamment dit dans son arrêt du 24 juin 2004 en l’affaire von Hannover que la presse jouait un rôle éminent dans une société démocratique et que, si elle ne devait pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombait néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et des idées sur toutes les questions d’intérêt général. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme a également dit dans l’arrêt susmentionné qu’une vigilance accrue quant à la protection de la vie privée s’imposait face aux nouvelles technologies de communication, notamment aux progrès techniques d’enregistrement et de reproduction de données personnelles d’un individu. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, lorsqu’on met en balance la protection de la vie privée et la liberté d’expression, le critère déterminant doit être la contribution découlant de la publication des données à un débat d’intérêt général. Si la publication ne vise qu’à satisfaire la curiosité d’un certain public, la liberté d’expression doit être interprétée plus étroitement. En l’espèce, il s’agit d’apprécier dans quelle mesure le traitement litigieux de données à caractère personnel, tel qu’il a été effectué par les sociétés requérantes dans le cadre de leurs activités, relève de la dérogation à des fins de journalisme prévue par l’article 2 § 5 de la loi sur les données à caractère personnel. Le point de départ consiste à déterminer si le but des activités en cause était de communiquer des informations, des opinions ou des idées au public. Dans cette appréciation, il convient de prendre en compte si et dans quelle mesure on peut considérer que ces activités contribuent à un débat dans une société démocratique et ne visent pas uniquement à satisfaire la curiosité de certaines personnes. Traitement des données fiscales à caractère personnel figurant dans le dossier de Satakunnan Markkinapörssi Oy et dans le magazine Veropörssi La société Satakunnan Markkinapörssi Oy a recueilli pour le magazine Veropörssi des données fiscales provenant de différents centres des impôts ; ces données comprenaient les noms de personnes accompagnés d’informations sur leurs revenus imposables. Comme mentionné ci-dessus, l’affaire concerne le traitement de données à caractère personnel auquel les exigences générales figurant au chapitre 2 de la loi sur les données à caractère personnel sont applicables, sauf si la loi autorise une dérogation à l’application de ces dispositions. Il convient tout d’abord d’examiner si le traitement des données à caractère personnel dans le dossier de Satakunnan Markkinapörssi Oy avant leur publication dans le magazine Veropörssi relève de la dérogation concernant les activités de journalisme. Il ressort en particulier des travaux préparatoires relatifs aux modifications apportées à la loi sur les fichiers de données à caractère personnel (HE 311/1993 vp), qui était en vigueur avant la loi sur les données à caractère personnel, que la presse considère que le droit de communiquer librement des informations exige également que les journalistes soient en mesure, au préalable, de collecter et conserver librement pareilles informations. L’imposition de restrictions au traitement des données à caractère personnel à ce stade, à savoir avant leur publication, pourrait avoir pour conséquence pratique qu’une décision préalable serait prise sur le point de savoir quelles données peuvent être publiées. Pareille issue serait incompatible avec le droit fondamental garantissant la liberté d’expression. La question en l’espèce concerne des données à caractère personnel accessibles au public et émanant des autorités fiscales. La collecte et le traitement de pareilles données dans les dossiers internes de Satakunnan Markkinapörssi Oy aux fins des activités de publication de la société peuvent être considérés, sur la base des motifs susmentionnés, comme un traitement de données à caractère personnel à des fins de journalisme. Le traitement de grandes quantités de telles données émanant des divers registres fiscaux des communes peut tout à fait être nécessaire, du point de vue de la liberté de communication et d’un débat ouvert, aux fins de l’élaboration d’une publication en matière fiscale. De même, la protection de la vie privée des personnes concernées peut, à ce stade des activités, être suffisamment garantie, pour autant que les données collectées et conservées soient protégées contre tout traitement illégal, comme le requiert l’article 32 de la loi sur les données à caractère personnel. Satakunnan Markkinapörssi Oy a publié dans le magazine Veropörssi, sous la forme de catalogues exhaustifs fondés sur la commune de résidence, les données à caractère personnel recueillies dans les centres des impôts. Comme il a été dit ci-dessus, à cet égard également il s’agit d’un traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 3 § 2 de la loi sur les données à caractère personnel. La Cour administrative suprême a à sa disposition, dans le dossier de l’affaire, le numéro 14/2004 du magazine Veropörssi, publié par Satakunnan Markkinapörssi Oy et couvrant la zone métropolitaine d’Helsinki. À cet égard, il convient de décider s’il est possible de déroger aux exigences relatives au traitement des données à caractère personnel sur la base de l’article 2 § 5 de la loi, c’est-à-dire de déterminer si le traitement litigieux de données à caractère personnel constitué par la publication de ces données dans le magazine Veropörssi relève de la dérogation concernant les activités de journalisme. (...) Il ressort des travaux préparatoires concernant la loi sur les données à caractère personnel (HE 96/1998 vp) que le traitement de données figurant dans le fichier de référence visé par la loi sur les fichiers de données à caractère personnel doit se rapporter uniquement à des activités de journalisme, et que les données traitées ne doivent pas être mises à la disposition de personnes qui ne se livrent pas à de telles activités. L’article 2 § 5 de la loi sur les données à caractère personnel avait pour but de maintenir la situation en vigueur concernant les dossiers journalistiques tenus par les médias, dans les limites autorisées par la directive sur la protection des données. Dès lors, on peut considérer qu’à cet égard la loi sur les données à caractère personnel a pour but de permettre et de garantir la liberté des activités de journalisme préalables à la publication d’informations. L’expression « traitement de données à caractère personnel à des fins de journalisme » ne peut passer pour couvrir la publication à grande échelle du fichier journalistique de référence, pratiquement tel quel, sous la forme de catalogues, même si ceux-ci sont divisés en différentes parties et organisés par commune. Étant donné que la divulgation à une telle échelle de données enregistrées équivaut à la divulgation de l’ensemble du dossier de référence tenu à des fins de journalisme par la société en cause, pareille mesure ne représente pas uniquement une manière d’exprimer des informations, des opinions ou des idées. Comme dit ci-dessus, dans l’optique de concilier les exigences de la liberté d’expression avec la protection de la vie privée, l’article 2 § 5 de la loi sur les données à caractère personnel autorise la collecte de données avant publication sans exiger le respect des conditions générales fixées à l’article 8 de la loi. En revanche, lorsque le traitement de données à caractère personnel recueillies dans le fichier de référence de la société consiste à publier ce fichier et à le mettre à la disposition du grand public, à l’échelle en cause en l’espèce et hors du champ d’application des exigences minimales fixées à l’article 2 § 5 de la loi, on ne saurait le considérer comme conforme au but de la loi sur les données à caractère personnel. Un débat ouvert d’intérêt général, le contrôle de l’exercice du pouvoir dans la société et la liberté de critique, qui sont nécessaires dans une société démocratique, n’exigent pas la divulgation des données à caractère personnel concernant des personnes spécifiques selon les modalités et à l’échelle décrites ci-dessus. Eu égard également aux commentaires sur l’interprétation étroite de l’article 2 § 4 de la loi sur les données à caractère personnel et au fait qu’une interprétation littérale stricte de ces dispositions entraînerait une situation incompatible avec le but de la loi en ce qui concerne la protection des données à caractère personnel, le traitement de données à caractère personnel en vue de la publication de celles-ci dans le magazine Veropörssi, pour ce qui est du contenu même de la publication, n’a pas visé des fins de journalisme au sens de la loi sur les données à caractère personnel. (...) Eu égard aux articles 2 § 5 et 32 de la loi sur les données à caractère personnel et à l’article 9 de la directive sur la protection des données, tel qu’interprété par la Cour de justice des Communautés européennes dans sa décision préjudicielle, la collecte de données à caractère personnel avant leur publication dans le magazine Veropörssi et leur traitement dans le fichier de référence de la société Satakunnan Markkinapörssi Oy ne sauraient en tant que tels être considérés comme contraires à la réglementation concernant la protection des données à caractère personnel, sous réserve que, notamment, les données aient été correctement protégées. Cependant, pour ce qui est de l’ensemble des précisions données sur les modalités et l’ampleur du traitement ultérieur dont les données à caractère personnel contenues dans le fichier de référence ont fait l’objet dans le magazine Veropörssi, la société Satakunnan Markkinapörssi Oy s’est en fait livrée à un traitement de données à caractère personnel concernant des personnes physiques contraire à la loi sur les données à caractère personnel. Remise des données sur un CD-ROM Satakunnan Markkinapörssi Oy a remis à Satamedia Oy un CD-ROM contenant les données publiées, de sorte que celle-ci puisse mettre en place un service de SMS utilisant ces données. Comme indiqué ci-dessus, cette action s’analyse en un traitement de données à caractère personnel au sens de l’article 3 § 2 de la loi sur les données à caractère personnel. Eu égard à la décision préjudicielle de la Cour de justice des Communautés européennes et à son effet sur l’interprétation de l’article 2 § 4 de la loi sur les données à caractère personnel, ainsi qu’à tout ce qui vient d’être dit sur le traitement des données à caractère personnel dans le magazine Veropörssi, la remise à Satamedia Oy de données à caractère personnel provenant des fichiers de référence de Satakunnan Markkinapörssi Oy, même si ces données ont été publiées dans le magazine Veropörssi, ne saurait être considérée comme un traitement de données à caractère personnel à des fins de journalisme au sens de la loi sur les données à caractère personnel. Le traitement de données à caractère personnel selon ces modalités ne peut pas davantage être considéré comme ayant été effectué à des fins de journalisme au sens de l’article 9 de la directive sur la protection des données. Dès lors, à cet égard également, la société Satakunnan Markkinapörssi Oy s’est livrée à un traitement de données à caractère personnel contraire à la loi sur les données à caractère personnel. Traitement de données à caractère personnel en vue de la mise en place d’un service de SMS par Satamedia Oy Comme indiqué ci-dessus dans la partie « En fait », Satamedia Oy a cédé les données à caractère personnel susmentionnées à une troisième société afin que celleci gère un service de SMS au nom de Satamedia Oy. Il a été souligné ci-dessus que Satakunnan Markkinapörssi Oy n’avait pas le droit, en vertu de la loi sur les données à caractère personnel, de traiter les données à caractère personnel en question en les remettant à Satamedia Oy. En conséquence, celle-ci n’avait pas non plus le droit, en vertu de la loi sur les données à caractère personnel, de traiter selon ces modalités les données reçues. De plus, il découle de la décision préjudicielle de la Cour de justice des Communautés européennes que la dérogation prévue dans la directive sur la protection des données, qui concerne le traitement de données à caractère personnel à des fins de journalisme, exige que les données soient communiquées au public. Selon l’article 2 § 1 de la loi sur l’exercice de la liberté d’expression dans les médias de masse, le terme « le public » figurant dans cette loi renvoie à un groupe librement déterminé de destinataires d’un message. Or le service de SMS mis en place par Satamedia Oy implique que celle-ci traite des données à caractère personnel relatives à l’imposition d’individus spécifiques à la demande d’un autre individu. Partant, ce service ne porte pas sur la communication de données au public, comme expliqué ci-dessus, mais consiste à répondre à une demande d’un individu concernant les données personnelles relatives à un autre individu. Un débat ouvert d’intérêt général, le contrôle de l’exercice du pouvoir dans la société et la liberté de critique, qui sont nécessaires dans une société démocratique, ne requièrent pas l’existence d’une possibilité de traiter les données à caractère personnel concernant des personnes spécifiques comme cela a été fait en l’espèce. La liberté d’expression n’exige aucune dérogation à la protection de la vie privée en pareil cas. La Cour de justice des Communautés européennes a en outre déclaré dans sa décision préjudicielle que les modalités techniques utilisées pour le transfert d’informations n’avaient aucune importance s’agissant d’apprécier s’il y avait eu des activités entreprises uniquement à des fins de journalisme. En ce qui concerne le service de SMS géré par Satamedia Oy, la question de savoir si les données ont été transférées via des téléphones portables et des messages textuels est hors de propos. Dès lors, il ne s’agit pas de traiter ce mode de transmission de données différemment d’autres modes de transmission de données. L’appréciation serait la même si la société avait traité, sur la base d’une demande d’un individu, les données à caractère personnel d’un autre individu en utilisant un autre mode de transmission. » C. La deuxième procédure (2009 – 2012) À la suite de l’arrêt susmentionné de la Cour administrative suprême, le 26 novembre 2009, la commission de protection des données interdit à la première société requérante de traiter des données fiscales selon les mêmes modalités et à la même échelle qu’en 2002 et de les transmettre à un service de SMS. Elle considéra que la collecte de données à caractère personnel avant leur publication dans le magazine Veropörssi et leur traitement dans le fichier de référence de la première société requérante ne pouvaient être en tant que tels jugés contraires aux règles de protection des données, pour autant, notamment, que les informations en cause aient été convenablement protégées. Cependant, compte tenu des modalités de publication et de l’échelle à laquelle les données à caractère personnel du fichier de référence avaient été diffusées dans le magazine Veropörssi, elle estima que la première société requérante avait procédé à un traitement de données à caractère personnel concernant des personnes physiques qui contrevenait à la loi sur les données à caractère personnel. Elle interdit à la seconde société requérante de collecter, conserver ou transmettre à un service de SMS toute information extraite des fichiers de la première société requérante et publiée dans le magazine Veropörssi. Par une lettre datée du 15 décembre 2009, après que la commission de protection des données eut rendu sa décision, le médiateur chargé de la protection des données demanda aux sociétés requérantes d’indiquer quelles mesures elles envisageaient de prendre pour tenir compte de la décision de la commission. Dans leur réponse, les sociétés requérantes invitèrent le médiateur à leur indiquer dans quelles conditions, à son avis, elles pourraient continuer de publier, au moins dans une certaine mesure, des données fiscales publiques. Renvoyant à la décision rendue le 26 novembre 2009 par la commission de protection des données, le médiateur répondit que « la loi sur les données à caractère personnel [était] applicable à des données relatives à des revenus imposables rassemblées dans une base de données et publiées pratiquement telles quelles sous la forme de grands catalogues, (...) ». Il leur rappela qu’il avait pour obligation de signaler à la police toute atteinte à ladite loi. Par une lettre datée du 9 février 2010, les sociétés requérantes introduisirent un recours contre la décision de la commission de protection des données devant le tribunal administratif d’Helsinki, qui renvoya l’affaire devant le tribunal administratif de Turku. Dans leur recours, elles alléguaient que la décision violait l’interdiction constitutionnelle de la censure et qu’elle portait atteinte à leur liberté d’expression. Elles soutenaient que, selon le droit interne, il était impossible d’empêcher la publication d’informations sur la base de la quantité de données à publier ou des moyens utilisés à cet effet. Elles ajoutaient que la notion d’« intérêt général » ne pouvait être utilisée comme critère pour justifier une interdiction de publication quand une restriction préventive de la liberté d’expression était en cause, expliquant que cela reviendrait à permettre aux autorités d’interdire une publication dès lors qu’elles la jugeraient inapte à promouvoir le débat sur un sujet d’intérêt général. Le 28 octobre 2010, le tribunal administratif de Turku rejeta le recours des sociétés requérantes. Il indiqua que, dans son arrêt de 2009, la Cour administrative suprême avait précisé que l’affaire ne portait ni sur le caractère public des documents fiscaux ni sur le droit de publier les informations telles quelles. Il ajouta que, dès lors qu’il était appelé à examiner uniquement la décision prise en 2009 par la commission de protection des données, il ne pouvait pas considérer les questions que la Cour administrative suprême avait exclues du champ de son arrêt. Il conclut que, dans la mesure où la décision de la commission reflétait la teneur de l’arrêt de la Cour administrative suprême, il n’y avait aucune raison de la modifier. Par une lettre datée du 29 novembre 2010, les sociétés requérantes saisirent la Cour administrative suprême. Le 18 juin 2012, la Cour administrative suprême confirma la décision du tribunal administratif de Turku. Elle estima que l’affaire n’avait pour objet ni le droit de publier des informations fiscales telles quelles, ni la censure préventive. D. Développements ultérieurs Les sociétés requérantes ont informé la Cour qu’elles avaient mis fin au service de SMS en 2009, après que la décision de la Cour administrative suprême leur eut été signifiée. Selon elles, le magazine Veropörssi continua de publier des données fiscales au cours de l’automne 2009, mais le volume alors diffusé ne représentait plus qu’un cinquième de ce qui avait été publié précédemment. Le magazine n’aurait plus paru depuis lors. Le Gouvernement soutient en revanche qu’il ressort du site Internet des sociétés requérantes que le magazine Veropörssi a continué à paraître au niveau régional en 2010 et 2011. Il ajoute qu’il existait toujours un service Internet permettant à quiconque d’obtenir les données fiscales d’une personne physique donnée pour l’année 2014 en remplissant un formulaire sur le site en question. D’après le Gouvernement, les informations fiscales ainsi demandées étaient alors transmises au client par téléphone, SMS ou courrier électronique. Le rédacteur en chef du magazine Veropörssi saisit la Cour en 2010 d’une requête dans laquelle il alléguait que la décision litigieuse de la Cour administrative suprême avait porté atteinte à son droit à la liberté d’expression. La requête a été déclarée irrecevable pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention (Anttila c. Finlande (déc.), no 16248/10, 19 novembre 2013). La première requérante fut mise en faillite le 15 mars 2016. Le syndic de faillite ne s’opposa pas à la poursuite de la présente procédure devant la Cour (paragraphe 94 ci-dessous). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions constitutionnelles L’article 10 de la Constitution finlandaise (Suomen perustuslaki, Finlands grundlag, loi no 731/1999), qui garantit le droit de chacun à la vie privée, se lit ainsi : « La vie privée, l’honneur et l’inviolabilité du domicile de chacun sont garantis. La protection des données personnelles est réglementée plus précisément par la loi (...) » L’article 12 de la Constitution, qui consacre la liberté d’expression, est ainsi libellé : « Toute personne jouit de la liberté d’expression. Cette liberté recouvre le droit de s’exprimer, de diffuser et de recevoir des informations, des opinions et d’autres messages, sans censure préalable de quiconque. Les modalités d’exercice de cette liberté sont précisées par la loi. Des restrictions à cette liberté peuvent être prévues par la loi relativement aux programmes audiovisuels lorsque pareilles mesures sont nécessaires à la protection des enfants. » B. La loi sur les données à caractère personnel Dispositions de la loi sur les données à caractère personnel Les dispositions pertinentes de la loi sur les données à caractère personnel (henkilötietolaki, personsuppgiftslagen, loi no 523/1999, telle qu’en vigueur à l’époque des faits) se lisaient ainsi : « Section 1 : Dispositions générales Article 1 – Objectifs La présente loi vise à assurer, dans le cadre du traitement des données à caractère personnel, la protection de la vie privée et des autres droits fondamentaux qui sauvegardent l’intimité (...) Article 2 – Champ d’application 1) Sauf disposition contraire, la présente loi s’applique au traitement de données à caractère personnel. 2) La présente loi s’applique au traitement automatisé de données à caractère personnel ainsi qu’à d’autres formes de traitement de telles données lorsque les données en question constituent ou sont appelées à constituer un fichier de données à caractère personnel ou une partie d’un tel fichier. (...) 4) Elle ne s’applique pas aux fichiers de données à caractère personnel contenant uniquement des informations publiées telles quelles par les médias. 5) Sauf disposition contraire figurant à l’article 17, seuls les articles 1 à 4, 32, 39 § 3, 40 §§ 1 et 3, 42, 44 § 2, 45 à 47, 48 § 2, 50 et 51 de la présente loi s’appliquent, le cas échéant, au traitement de données à caractère personnel à des fins de journalisme ou à des fins d’expression littéraire ou artistique. Article 3 – Définitions Aux fins de la présente loi, 1) L’expression donnée à caractère personnel désigne toute information relative à une personne privée et à ses caractéristiques personnelles ou aux particularités de sa situation, dès lors qu’il est établi que cette information se rapporte à cette personne physique ou aux membres de sa famille ou de son foyer ; 2) L’expression traitement de données à caractère personnel recouvre la collecte, l’enregistrement, l’organisation, l’utilisation, le transfert, la diffusion, la conservation, la manipulation, l’interconnexion, la protection, la suppression et l’effacement de données à caractère personnel, ainsi que toute autre mesure appliquée à de telles données ; 3) L’expression fichier de données à caractère personnel désigne un ensemble de données à caractère personnel, liées par une utilisation commune et faisant l’objet d’un traitement automatisé en tout ou en partie ou organisées sous forme de fiches, de répertoires ou sous une autre forme manuellement accessible, de sorte que les données relatives à une personne donnée puissent être extraites aisément et pour un coût raisonnable ; 4) L’expression responsable du traitement désigne une ou plusieurs personnes, entreprises, institutions ou fondations pour l’usage desquelles un fichier de données à caractère personnel est établi et qui sont en droit de déterminer l’usage qui en sera fait, ou qui sont désignées comme responsables du traitement par une loi ; 5) L’expression personne concernée désigne la personne visée par les données à caractère personnel ; (...) Article 32 – Sécurité des données 1) Le responsable du traitement prend les mesures techniques et organisationnelles nécessaires en vue de protéger les données à caractère personnel contre les accès non autorisés, contre les destructions, manipulations, divulgations et transferts accidentels ou illégaux, et contre tout autre traitement illégal. (...) (...) Article 44 – Ordonnances de la commission de protection des données À la demande du médiateur chargé de la protection des données, la commission de protection des données peut : 1) interdire tout traitement de données à caractère personnel contrevenant aux dispositions de la présente loi ou de la réglementation dérivée ; (...) (...) 3) ordonner la cessation des opérations relatives au fichier concerné, si la conduite ou négligence illégale nuit gravement à la protection de la vie privée de la personne concernée, ou à ses intérêts ou droits, sous réserve que le fichier n’ait pas été institué par une loi ; (...) » À la suite de l’arrêt rendu en 2008 par la CJUE en l’espèce (affaire Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précitée), l’article 2 § 4 de la loi sur les données à caractère personnel fut abrogé par une loi adoptée le 3 décembre 2010. Le projet de loi HE 96/1998 vp fournit des informations générales relativement à la dérogation à des fins de journalisme prévue à l’article 2 § 5 de la loi sur les données à caractère personnel. La définition d’une base de données établie à des fins de journalisme a été modifiée par rapport à la loi précédente pour permettre la transposition de la directive sur la protection des données. Selon les travaux préparatoires, « une base de données établie à des fins de journalisme désigne une base de données destinée à être utilisée uniquement dans le cadre des activités de journalisme des médias et qui n’est pas accessible à d’autres personnes ». Le terme « médias » recouvre toutes les catégories de médias de masse, y compris les agences de presse et les agences photos dès lors qu’elles gèrent des bases de données contenant des données à caractère personnel dont elles se servent pour les activités de publication dans les médias ou pour leurs propres activités de publication. Les informations recueillies en vue d’être conservées dans une base de données à des fins de journalisme peuvent être utilisées uniquement dans le cadre d’une activité de journalisme, et non, par exemple, à des fins administratives ou commerciales. En outre, le cercle des utilisateurs de la base de données doit être limité afin que celleci ne soit accessible qu’aux personnes intervenant dans l’activité de journalisme. Une base de données peut être constituée à des fins de journalisme par l’éditeur d’un journal, par un journaliste salarié ou par un journaliste indépendant par exemple. Exemples d’application de la loi sur les données à caractère personnel Dans une décision du 23 janvier 2015, le tribunal administratif d’Helsinki a estimé que les données fiscales publiques pouvaient être communiquées aux médias en grandes quantités et par voie électronique. Il a toutefois ajouté que ni la liberté d’expression en tant que droit fondamental ni les travaux préparatoires à la législation sur la publicité des données fiscales et l’accès à ces données ne venaient appuyer une interprétation de la loi selon laquelle le demandeur dans cette affaire – le représentant d’une entreprise de médias qui avait sollicité des données relatives à 5,2 millions de personnes (toutes les personnes physiques ayant des revenus supérieurs à un euro en Finlande) – était en droit d’obtenir ces données par voie électronique à des fins de journalisme. En revanche, dans son avis du 5 juillet 2013 adressé à un demandeur dans une autre affaire, le médiateur chargé de la protection des données a estimé que l’entreprise de médias en question (Helsingin Sanomat) avait procédé à un traitement de données à des fins de journalisme qui, eu égard à sa nature et son ampleur, relevait de la dérogation prévue à l’article 2 § 5. Le médiateur a relevé que cette société avait publié non pas l’intégralité du fichier de données à caractère personnel qu’elle avait constitué à des fins de journalisme mais uniquement des données concernant un groupe limité de 10 000 personnes considérées comme les personnes les plus fortunées de Finlande. Il a ajouté que les données publiées étaient accompagnées d’articles et de présentations de certaines des personnes visées. C. La loi sur la publication et la confidentialité des informations fiscales Les articles 1 à 3 de la loi sur la publication et la confidentialité des informations fiscales (laki verotustietojen julkisuudesta ja salassapidosta, lagen om offentlighet och sekretess i fråga om beskattningsuppgifter, loi no 1346/1999), sont ainsi libellés : « Article 1 – Champ d’application de la loi La présente loi s’applique aux documents relatifs aux contribuables qui sont soumis à l’administration fiscale ou préparés par celle-ci (documents fiscaux) et aux informations qu’ils contiennent (informations fiscales). Les dispositions concernant les contribuables dans la présente loi s’appliquent à toute autre personne devant fournir des informations ainsi qu’aux communautés fiscales. (...) Article 2 – Relation avec d’autres dispositions Les dispositions de la loi sur la transparence des activités publiques (loi no 621/1999) et de la loi sur les données à caractère personnel (loi no 523/1199) s’appliquent aux informations et documents fiscaux, sauf disposition législative contraire. Article 3 – Divulgation au public des informations fiscales et droit d’accès à ces informations Les informations fiscales sont publiques dans la mesure prévue par la présente loi. Toute personne est en droit d’obtenir des informations sur un document fiscal public en possession de l’administration fiscale selon les modalités prévues par la loi sur la transparence des activités publiques, sauf si la présente loi en dispose autrement. » D’après l’article 5 de la loi, les informations ayant trait au nom, à l’année de naissance et à la commune de résidence du contribuable sont publiques, ainsi que les données suivantes : « 1) le revenu du travail imposable au titre de l’impôt national ; 2) le revenu du capital et le patrimoine imposables au titre de l’impôt national ; 3) le revenu imposable au titre des impôts locaux ; 4) l’impôt sur le revenu et sur le patrimoine, les impôts locaux et le montant total des impôts et taxes ; 5) le montant total des retenues fiscales ; 6) le montant de l’impôt à payer ou à rembourser déterminé lors du calcul définitif pour l’année fiscale considérée. (...) Les informations susmentionnées dans le présent article peuvent être divulguées, telles qu’elles sont valables au moment de l’imposition, au début du mois de novembre suivant l’année fiscale considérée. » Il ressort des travaux préparatoires relatifs à l’article 5 de la loi que les données visées par celui-ci relèvent de la réglementation spéciale prévue à l’article 16 § 3 de la loi sur la transparence des activités publiques. Ces travaux préparatoires indiquent également que la loi sur les données à caractère personnel ne limite pas la collecte d’informations à des fins de journalisme. Ainsi, il est possible de communiquer aux médias à des fins de journalisme des données visées à l’article 5, sous réserve que les règles sur la confidentialité n’imposent pas de restrictions. D. La loi sur la transparence des activités publiques L’article 1 § 1 de la loi sur la transparence des activités publiques (laki viranomaisten toiminnan julkisuudesta, lagen om offentlighet i myndigheternas verksamhet, loi no 621/1999) se lit ainsi : « Tout document officiel est public, sauf si la présente loi ou une autre loi en dispose autrement. » Aux termes de l’article 3 de la loi : « Le droit d’accès et les obligations imposées aux autorités par la présente loi visent à promouvoir la transparence et les bonnes pratiques en matière de gestion de l’information au sein du gouvernement et à donner aux personnes physiques et morales la possibilité de contrôler l’exercice de la puissance publique et l’utilisation des ressources publiques, de se former librement une opinion, d’influer sur l’exercice de la puissance publique et de protéger leurs droits et intérêts. » L’article 9 de la loi dispose que toute personne a le droit de prendre connaissance d’un document officiel dans le domaine public. L’article 13 § 2 de la loi est ainsi libellé : « Quiconque demande l’accès à un document secret, à un fichier de données à caractère personnel contrôlé par une autorité ou à tout autre document accessible uniquement à certaines conditions doit indiquer, sauf disposition spécifique contraire, l’utilisation qui sera faite des informations, et donner toute autre précision nécessaire pour déterminer si les conditions d’accès sont remplies et, le cas échéant, expliquer quelles dispositions ont été prises pour la protection des informations. » Aux termes de l’article 16 §§ 1-3 de la loi, « Une autorité peut donner accès à un document officiel en expliquant oralement son contenu au demandeur, ou en lui mettant le document à disposition dans ses locaux où il pourra le consulter, le recopier ou l’écouter, ou encore en le lui délivrant sous la forme d’une copie ou d’un tirage imprimé. L’accès aux informations publiques figurant dans le document sera accordé selon les modalités requises par le demandeur, sous réserve que cela ne gêne pas indûment l’activité de l’autorité du fait du volume des documents, de la difficulté inhérente à leur reproduction ou de toute autre raison du même ordre. Une autorité peut donner accès aux informations publiques figurant dans un registre informatisé de ses décisions en en réalisant une copie sur un support magnétique ou sous une autre forme électronique, sauf si une raison spéciale s’y oppose. L’autorité a toute discrétion pour accorder un accès similaire aux informations figurant dans les autres documents officiels, sauf disposition législative contraire. (...) Une autorité peut donner accès à un fichier de données à caractère personnel sous la forme d’une photocopie ou d’un tirage imprimé, ou communiquer les données sous forme électronique, sauf disposition législative contraire, si la personne demandant l’accès est habilitée, en vertu des dispositions concernant la protection des données à caractère personnel, à conserver ces données et à les utiliser. Toutefois, l’accès à de telles données ne peut être accordé à des fins de marketing direct, de sondages ou d’études de marché, à moins que la loi le prévoie expressément ou que la personne concernée ait donné son consentement. » L’article 21 § 1 de la loi dispose : « Sur demande, une autorité peut compiler et communiquer un ensemble de données formé de signes contenus dans un ou plusieurs systèmes informatisés de gestion de données et conservés à des fins diverses, si, eu égard aux critères de recherche utilisés, au volume ou à la qualité des données ou à l’utilisation prévue de l’ensemble des données, cette communication n’est pas contraire aux dispositions sur le secret des documents et sur la protection des données à caractère personnel. » Dans les travaux préparatoires relatifs à la loi (projet de loi HE 30/1998 vp., p. 48), il est expressément énoncé que l’accès aux informations et la diffusion de celles-ci relèvent de régimes juridiques distincts, quoique liés en ce que l’accès aux documents officiels facilite et soutient l’activité et la fonction des médias dans la société. Le fait qu’un document soit dans le domaine public – dans le sens où il est publiquement accessible – ne signifie pas automatiquement qu’il soit légal de publier des informations figurant dans un tel document si celles-ci concernent la vie privée d’une personne (projet de loi HE 184/1999 vp., p. 32). Ainsi, par exemple, l’accès du public à des procès-verbaux judiciaires ne donne pas en soi à une personne consultant ces informations l’autorisation légale de les publier ou de les diffuser plus avant, si cette publication ou diffusion entraîne une ingérence dans le droit à la vie privée des personnes concernées (voir le projet de loi HE 13/2006 vp., p. 15). E. Instructions de l’administration fiscale D’après les instructions émises par l’administration fiscale (verohallinto, skatteförvaltningen), toute personne peut consulter les informations sur les revenus et le patrimoine imposables des personnes physiques dans les centres locaux des impôts. Avant 2010, ces données se présentaient en version imprimée, mais elles sont à présent disponibles en version numérique sur des terminaux mis à disposition des demandeurs. À l’époque des faits, seuls les journalistes pouvaient accéder à ces informations sous format numérique. Les données ainsi rendues publiques peuvent uniquement être consultées, retranscrites sous forme de notes et photographiées. Il est techniquement impossible de les imprimer ou de les copier sur des clés USB ou d’autres supports, ainsi que d’en faire une copie numérique et de les envoyer par courriel. Des extraits des listes peuvent être obtenus pour 10 euros chacun. Les données peuvent également être transmises par téléphone mais elles ne sont pas disponibles sur Internet. Autrefois, les listes relatives aux personnes physiques étaient compilées commune par commune, mais à présent elles le sont sur une base régionale. En conséquence, les informations sur la commune de résidence d’un contribuable n’apparaissent plus dans les données publiques. Depuis 2000, l’administration fiscale peut communiquer à des fins de journalisme des données en version numérique, moyennant paiement. Toute personne sollicitant de telles données à des fins de journalisme doit préciser à quelles fins elle souhaite les utiliser, et déclarer que « les informations sont sollicitées à des fins de journalisme » et qu’elles « ne seront pas publiées telles quelles sous forme de liste » en cochant une case à côté de la phrase correspondante. Le formulaire de demande inclut ce champ d’information depuis 2001. Depuis 2013, la commande de telles données est gratuite, mais en même temps les autorités fiscales ont introduit des conditions additionnelles à l’extraction de telles données interdisant explicitement de solliciter l’intégralité de la base de données. La quantité de données accessibles gratuitement et en version électronique est limitée à 10 000 personnes maximum pour l’ensemble du pays ou à 5 000 personnes au plus pour une région spécifique. Si les données sont demandées sur la base des revenus, la limite est fixée à 70 000 euros minimum s’agissant du revenu du travail et à 50 000 euros au moins s’agissant du revenu du capital, que ce soit pour l’ensemble du pays ou pour une région spécifique. Pour effectuer la commande, il suffit de remplir un formulaire numérique disponible sur le site web de l’administration fiscale (). F. Autorégulation des journalistes et des éditeurs Des lignes directrices à l’intention des journalistes ((Journalistin ohjeet, Journalistreglerna) ont été élaborées à des fins d’autorégulation. Les lignes directrices de 1992, qui étaient en vigueur à l’époque des faits, énonçaient au point 29 : « Les principes relatifs au droit à la vie privée s’appliquent également à la publication d’informations provenant de documents publics ou d’autres sources publiques. L’accessibilité au public de certaines informations ne signifie pas nécessairement que celles-ci peuvent être librement publiées. » Les mêmes principes ont été réitérés dans les versions de 2005 et de 2011 des lignes directrices, ainsi que dans la version de 2014 actuellement en vigueur (point 30). III. NORMES PERTINENTES DE L’UNION EUROPÉENNE ET ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL ET COMPARÉ A. Droit de l’Union européenne La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne L’article 8 §§ 1 et 2 de la Charte se lit ainsi : « Protection des données à caractère personnel Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées la concernant et d’en obtenir la rectification. » L’article 11 de la Charte est ainsi libellé : « Liberté d’expression et d’information Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières. La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés. » L’article 52 § 3 de la Charte dispose que, dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère celle-ci. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. Selon les explications relatives à la Charte, l’article 8 de celle-ci se fonde notamment sur l’article 8 de la Convention et sur la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel du 28 janvier 1981 (« la Convention sur la protection des données »), laquelle a été ratifiée par tous les États membres de l’Union européenne. De même, il est précisé que l’article 11 de la Charte correspond à l’article 10 de la Convention. La directive 95/46/CE sur la protection des données L’article 1 § 1 de la directive précise que celle-ci a pour objet d’assurer la protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel. Le considérant 11 du préambule indique que les principes de la protection des droits et des libertés des personnes, notamment du droit à la vie privée, contenus dans la directive précisent et amplifient ceux qui sont contenus dans la convention susmentionnée sur la protection des données. Les données à caractère personnel sont définies à l’article 2 a) comme toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable. Le traitement de données à caractère personnel recouvre « toute opération ou ensemble d’opérations effectuées ou non à l’aide de procédés automatisés et appliquées à des données à caractère personnel, telles que la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction » (article 2 b)). Le « responsable du traitement » au sens de la directive est la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme qui, seul ou conjointement avec d’autres, détermine les finalités et les moyens du traitement de données à caractère personnel (article 2 d)) tandis que le « sous-traitant » est la personne physique ou morale, l’autorité publique, le service ou tout autre organisme qui traite des données à caractère personnel pour le compte du responsable du traitement (article 2 e)). D’après l’article 3 § 1, la directive s’applique au traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu’au traitement non automatisé de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans un fichier. Il appartient aux États membres, dans les limites des dispositions du chapitre II de la directive, de préciser les conditions dans lesquelles les traitements de données à caractère personnel sont licites (article 5). À cet égard, l’article 7 de la directive énonce notamment que la personne concernée doit avoir indubitablement donné son consentement, que le traitement en question doit être nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou qu’il doit être nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement. Des dérogations sont possibles dans des circonstances bien définies. L’article 9 de la directive, intitulé « Traitements de données à caractère personnel et liberté d’expression » se lit ainsi : « Les États membres prévoient, pour les traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire, des exemptions et dérogations au présent chapitre [II], au chapitre IV et au chapitre VI dans la seule mesure où elles s’avèrent nécessaires pour concilier le droit à la vie privée avec les règles régissant la liberté d’expression. » À cet égard, le considérant 37 du préambule de la directive est libellé comme suit : « Considérant que le traitement de données à caractère personnel à des fins de journalisme ou d’expression artistique ou littéraire, notamment dans le domaine audiovisuel, doit bénéficier de dérogations ou de limitations de certaines dispositions de la présente directive dans la mesure où elles sont nécessaires à la conciliation des droits fondamentaux de la personne avec la liberté d’expression, et notamment la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, telle que garantie notamment à l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il incombe donc aux États membres, aux fins de la pondération entre les droits fondamentaux, de prévoir les dérogations et limitations nécessaires en ce qui concerne les mesures générales relatives à la légalité du traitement des données, les mesures relatives au transfert des données vers des pays tiers ainsi que les compétences des autorités de contrôle, sans qu’il y ait lieu toutefois de prévoir des dérogations aux mesures visant à garantir la sécurité du traitement ; qu’il conviendrait également de conférer au moins à l’autorité de contrôle compétente en la matière certaines compétences a posteriori, consistant par exemple à publier périodiquement un rapport ou à saisir les autorités judiciaires. » L’article 28 §§ 1 et 3 de la directive énonce que chaque État membre prévoit qu’une ou plusieurs autorités publiques sont chargées de surveiller l’application, sur son territoire, des dispositions adoptées par les États membres en application de la directive. Chaque autorité ainsi établie dispose notamment du pouvoir d’ester en justice en cas de violation des dispositions nationales prises en application de la directive ou du pouvoir de porter ces violations à la connaissance de l’autorité judiciaire. Les décisions de l’autorité de contrôle faisant grief peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel. Les articles 22 et 23 de la directive prévoient, respectivement, que toute personne dispose d’un recours juridictionnel en cas de violation des droits qui lui sont garantis par les dispositions nationales applicables au traitement en question et que toute personne ayant subi un dommage du fait d’un traitement illicite ou de toute action incompatible avec les dispositions nationales prises en application de la directive a le droit d’obtenir réparation du préjudice subi. Le règlement (UE) 2016/679 Le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016 L 119/1), est entré en vigueur le 24 mai 2016. Il abrogera la directive 95/46/CE à compter du 25 mai 2018 (article 99). Les considérants 4, 6, 9 et 153 du préambule du nouveau règlement se lisent ainsi : « – Le traitement des données à caractère personnel devrait être conçu pour servir l’humanité. Le droit à la protection des données à caractère personnel n’est pas un droit absolu ; il doit être considéré par rapport à sa fonction dans la société et être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité (...) (considérant 4) ; (...) – L’évolution rapide des technologies et la mondialisation ont créé de nouveaux enjeux pour la protection des données à caractère personnel. L’ampleur de la collecte et du partage de données à caractère personnel a augmenté de manière importante. Les technologies permettent tant aux entreprises privées qu’aux autorités publiques d’utiliser les données à caractère personnel comme jamais auparavant dans le cadre de leurs activités (considérant 6) ; (...) – Si elle demeure satisfaisante en ce qui concerne ses objectifs et ses principes, la directive 95/46/CE n’a pas permis d’éviter une fragmentation de la mise en œuvre de la protection des données dans l’Union, une insécurité juridique ou le sentiment, largement répandu dans le public, que des risques importants pour la protection des personnes physiques subsistent, en particulier en ce qui concerne l’environnement en ligne. (...) (considérant 9) ; (...) – Le droit des États membres devrait concilier les règles régissant la liberté d’expression et d’information, y compris l’expression journalistique, universitaire, artistique ou littéraire, et le droit à la protection des données à caractère personnel en vertu du présent règlement. Dans le cadre du traitement de données à caractère personnel uniquement à des fins journalistiques (...) il y a lieu de prévoir des dérogations ou des exemptions à certaines dispositions du présent règlement si cela est nécessaire pour concilier le droit à la protection des données à caractère personnel et le droit à la liberté d’expression et d’information, consacré par l’article 11 de la Charte. (...) Pour tenir compte de l’importance du droit à la liberté d’expression dans toute société démocratique, il y a lieu de retenir une interprétation large des notions liées à cette liberté, telles que le journalisme (considérant 153). » L’article 85 du règlement, destiné à remplacer l’article 9 de la directive qui prévoit des dérogations à des fins de journalisme, est ainsi libellé : « 1. Les États membres concilient, par la loi, le droit à la protection des données à caractère personnel au titre du présent règlement et le droit à la liberté d’expression et d’information, y compris le traitement à des fins journalistiques et à des fins d’expression universitaire, artistique ou littéraire. Dans le cadre du traitement réalisé à des fins journalistiques ou à des fins d’expression universitaire, artistique ou littéraire, les États membres prévoient des exemptions ou des dérogations au chapitre II (principes), au chapitre III (droits de la personne concernée), au chapitre IV (responsable du traitement et sous-traitant), au chapitre V (transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers ou à des organisations internationales), au chapitre VI (autorités de contrôle indépendantes), au chapitre VII (coopération et cohérence) et au chapitre IX (situations particulières de traitement) si celles-ci sont nécessaires pour concilier le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté d’expression et d’information. » La jurisprudence de la CJUE concernant la protection des données et la liberté d’expression La CJUE a dit à de nombreuses reprises que les dispositions de la directive 95/46 sur la protection des données, en ce qu’elles régissent le traitement de données à caractère personnel susceptibles de porter atteinte aux libertés fondamentales et, en particulier, au droit à la vie privée, doivent nécessairement être interprétées à la lumière des droits fondamentaux garantis par la Convention et par la Charte (voir, notamment, Österreichischer Rundfunk et autres, C-465/00, C-138/01 et C139/01, EU:C:2003:294, arrêt du 20 mai 2003, § 68 ; Google Spain et Google, C131/12, EU:C:2014:317, arrêt du 13 mai 2014, § 68 ; et Ryneš, C-212/13, EU:C:2014:2428, arrêt du 11 décembre 2014, § 29). Vu l’importance de la directive 95/46 pour la mise en balance des droits fondamentaux à la vie privée et à la liberté d’expression en cause devant les autorités finlandaises compétentes et les juridictions internes en l’espèce, la jurisprudence de la CJUE en matière de protection des données est exposée en détail ci-dessous. L’affaire Österreichischer Rundfunk précitée portait sur une législation nationale qui obligeait un organe de contrôle étatique, la Cour des comptes, à collecter et à communiquer aux fins de publication des données concernant les revenus des personnes employées par des entités soumises à ce contrôle, dès lors que ces revenus excédaient un certain plafond. La collecte et la publication de ces informations avaient pour but d’exercer une pression sur les entités publiques pour qu’elles maintiennent les salaires dans des limites raisonnables. La CJUE a estimé que si la simple mémorisation par l’employeur de données nominatives relatives à la rémunération versée à son personnel pouvait, comme telle, constituer une ingérence dans la vie privée, la communication de ces données à des tiers, en l’occurrence à une autorité publique, portait atteinte au droit au respect de la vie privée des intéressés, quelle que fût l’utilisation ultérieure des informations ainsi communiquées, et présentait le caractère d’une ingérence au sens de l’article 8 de la Convention. Citant l’affaire Amann c. Suisse ([GC], no 27798/95, § 70, CEDH 2000II), la CJUE a ajouté que, pour établir l’existence d’une telle ingérence, il importait peu que les informations communiquées présentent ou non un caractère sensible ou que les intéressés aient ou non subi d’éventuels inconvénients en raison de cette ingérence (§§ 74-75). Enfin, elle a conclu que l’ingérence qui découlait de l’application de la réglementation autrichienne en cause ne pouvait être justifiée au regard de l’article 8 § 2 de la Convention que dans la mesure où la large divulgation non seulement du montant des revenus annuels, lorsque ceux-ci excédaient un certain plafond, des personnes employées par des entités soumises au contrôle de la Cour des comptes, mais aussi des noms des bénéficiaires de ces revenus, était à la fois nécessaire et appropriée à l’objectif de maintenir les salaires dans des limites raisonnables, ce qu’il incombait aux juridictions nationales d’examiner (§ 90). Quant à la proportionnalité et à la gravité de l’ingérence, elle a souligné qu’il n’était pas exclu que les personnes concernées pussent être lésées du fait des répercussions négatives de la publicité attachée à leurs revenus professionnels (§ 89). Dans l’affaire Lindqvist (arrêt du 6 novembre 2003, C-101/01, EU:C:2003:596), la CJUE a estimé que l’opération consistant à faire référence, sur une page Internet, à diverses personnes et à les identifier soit par leur nom, soit par d’autres moyens, par exemple en donnant leur numéro de téléphone ou des informations relatives à leurs conditions de travail et à leurs passe-temps, constituait un traitement de données à caractère personnel, automatisé en tout ou en partie, au sens de l’article 3 § 1 de la directive sur la protection des données. Relevant que la directive avait pour objectifs non seulement la libre circulation de ces données entre États membres, mais également la sauvegarde des droits fondamentaux des personnes, et que ces objectifs pouvaient entrer en conflit, elle a précisé que les mécanismes permettant de mettre en balance ces différents droits et intérêts, d’une part, étaient inscrits dans la directive elle-même, et, d’autre part, résultaient de l’adoption, par les États membres, de dispositions nationales assurant la transposition de cette directive et de l’éventuelle application de celles-ci par les autorités nationales (§§ 79-82). Elle a ajouté que les dispositions de la directive ne comportaient pas, en elles-mêmes, une restriction contraire au principe général de la liberté d’expression ou à d’autres droits et libertés applicables dans l’Union européenne et correspondant notamment au droit prévu à l’article 10 de la Convention. Selon la CJUE, il appartenait aux autorités et aux juridictions nationales chargées d’appliquer la réglementation nationale transposant la directive 95/46 d’assurer un juste équilibre des droits et intérêts en cause, y compris les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’UE » (§§ 83-90). Dans l’affaire Volker und Markus Schecke GbR (arrêt du 9 novembre 2010, C-92/09 et C-93/09, EU:C:2010:662), la CJUE a estimé que l’obligation imposée par les réglementations de l’Union européenne de publier sur l’internet des informations relatives aux bénéficiaires d’aides de fonds de développement agricole et rural, y compris les noms des intéressés et les montants perçus, constituait une atteinte injustifiée à leur droit fondamental à la protection de leur données à caractère personnel. Renvoyant aux arrêts Amann (précité) et Rotaru c. Roumanie ([GC], no 28341/95, CEDH 2000V), elle a souligné que la nature professionnelle des activités auxquelles les données se référaient n’entraînait pas l’absence d’un droit à la vie privée. Pour la CJUE, le fait que les bénéficiaires des fonds avaient été informés que les données les concernant pouvaient être rendues publiques ne suffisaient pas à établir qu’ils avaient donné leur consentement à la publication. Quant à la proportionnalité de l’ingérence dans le droit à la vie privée, la CJUE a estimé qu’il n’apparaissait pas que les institutions de l’Union européenne eussent effectué une pondération équilibrée entre, d’une part, l’objectif d’intérêt général de la transparence dans l’utilisation de fonds publics et, d’autre part, les droits reconnus aux personnes physiques par les articles 7 et 8 de la Charte. Eu égard au fait que les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celle-ci devaient s’opérer dans les limites du strict nécessaire et qu’il était concevable de mettre en œuvre des mesures portant des atteintes moins importantes pour les personnes physiques audit droit fondamental tout en contribuant de manière efficace aux objectifs de la réglementation de l’Union en cause, la CJUE a conclu que cette réglementation avaient excédé les limites qu’imposait le respect du principe de proportionnalité et l’a donc invalidée. Dans l’affaire Google Spain précitée, la CJUE a estimé que les opérations menées par l’exploitant d’un moteur de recherche devaient être qualifiées de « traitements de données » au sens de la directive sur la protection des données, sans que cette constatation ne fût infirmée par le fait que ces données avaient déjà fait l’objet d’une publication sur Internet et n’avaient pas été modifiées par le moteur de recherche. Elle a précisé que, dans la mesure où l’activité d’un moteur de recherche était susceptible d’affecter significativement les droits fondamentaux de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel, l’exploitant de ce moteur devait assurer que l’activité en cause satisfaisait aux exigences de la directive pour que les garanties prévues par celle-ci pussent développer leur plein effet et qu’une protection efficace et complète des personnes concernées, notamment de leur droit au respect de leur vie privée, pût effectivement être réalisée. En ce qui concerne la dérogation figurant à l’article 9 de la directive, si la CJUE n’a pas exclu que le traitement de données à caractère personnel par l’éditeur d’une page web pût, le cas échéant, être effectué « aux seules fins de journalisme » et ainsi bénéficier de cette dérogation, elle a jugé que tel n’apparaissait pas être le cas s’agissant du traitement effectué par l’exploitant d’un moteur de recherche. La CJUE a ajouté que l’incompatibilité avec la directive pouvait résulter non seulement du fait que ces données étaient inexactes, mais aussi, en particulier, « du fait qu’elles [étaient] inadéquates, non pertinentes ou excessives au regard des finalités du traitement, qu’elles [n’étaient] pas mises à jour ou qu’elles [étaient] conservées pendant une durée excédant celle nécessaire, à moins que leur conservation s’impose à des fins historiques, statistiques ou scientifiques » (§ 92). Dans l’affaire Schrems (arrêt du 6 octobre 2015 (Grande Chambre), C362/14, EU:C:2015:650, §§ 41-42), la CJUE a précisé que les autorités nationales de contrôle devaient, notamment, assurer un juste équilibre entre, d’une part, le respect du droit fondamental à la vie privée et, d’autre part, les intérêts qui commandent une libre circulation des données à caractère personnel. Selon la CJUE, une réglementation ne prévoyant aucune possibilité pour le justiciable d’exercer des voies de droit afin d’avoir accès à des données à caractère personnel le concernant, ou d’obtenir la rectification ou la suppression de telles données, ne respectait pas le contenu essentiel du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, tel que consacré à l’article 47 de la Charte (§ 95). Plus récemment, dans l’affaire Tele2 Sverige (21 décembre 2016, C203/15, EU:C:2016:970), dans lequel elle était appelée à interpréter un règlement européen concernant le traitement de données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, dont les dispositions précisaient et complétaient la directive 95/46 (§ 82), la CJUE a déclaré au paragraphe 93 de l’arrêt : « Ainsi, l’importance tant du droit au respect de la vie privée, garanti à l’article 7 de la Charte, que du droit à la protection des données à caractère personnel, garanti à l’article 8 de celleci, telle qu’elle ressort de la jurisprudence de la Cour (...), doit être prise en compte lors de l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58. Il en va de même du droit à la liberté d’expression eu égard à l’importance particulière que revêt cette liberté dans toute société démocratique. Ce droit fondamental, garanti à l’article 11 de la Charte, constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et pluraliste, faisant partie des valeurs sur lesquelles est, conformément à l’article 2 TUE, fondée l’Union (...) » Dans l’affaire Connolly c. Commission (arrêt du 6 mars 2001, C274/99 P, EU:C:2001:127), qui impliquait le droit à la liberté d’expression d’un fonctionnaire de l’Union européenne et les restrictions qui y avaient été apportées, la CJUE s’est exprimée ainsi aux paragraphes 37-42 : « (...) [L]es droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour assure le respect. À cet effet, la Cour s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré. La CEDH revêt, à cet égard, une signification particulière (...) Ainsi que la Cour des droits de l’homme l’a jugé, « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels [d’une société démocratique], l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10 [de la CEDH], elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » » (Cour eur. D. H., arrêts Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, série A no 24, § 49, Müller et autres, arrêt du 24 mai 1988, série A no 133, § 33, et Vogt c. Allemagne, arrêt du 26 septembre 1995, série A no 323, § 52). (...) Ces restrictions [prévues à l’article 10 § 2 de la Convention] appellent toutefois une interprétation étroite. Selon la Cour des droits de l’homme, l’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10, paragraphe 2, implique un « besoin social impérieux » et, si « [l]es États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin », l’ingérence doit être « proportionnée au but légitime poursuivi » et « les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier » doivent être « pertinents et suffisants » (voir, notamment, Vogt c. Allemagne, précité, § 52 ; Wille c. Liechtenstein, arrêt du 28 octobre 1999, requête no 28396/95, § 61 à § 63). En outre, toute restriction préalable requiert un examen particulier (voir arrêt Wingrove c. Royaume-Uni du 25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, p. 1957, § 58 et § 60). (...) Par ailleurs, les restrictions doivent être prévues par des dispositions normatives libellées de façon suffisamment précise pour permettre aux intéressés de régler leur conduite en s’entourant au besoin de conseils éclairés (voir Cour eur. D. H., arrêt Sunday Times c. Royaume-Uni du 26 avril 1979, série A no 30, § 49). » Dans l’affaire Philip Morris (arrêt du 4 mai 2016, C-547/14, EU:C:2016:325, § 147), la CJUE a confirmé la corrélation existant entre l’article 10 de la Convention et l’article 11 de la Charte : « L’article 11 de la Charte consacre la liberté d’expression et d’information. Cette liberté est également protégée conformément à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, qui s’applique en particulier, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à la diffusion par un entrepreneur des informations à caractère commercial, notamment sous la forme de messages publicitaires. Or, la liberté d’expression et d’information prévue à l’article 11 de la Charte ayant, ainsi qu’il ressort de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte et des explications relatives à celle-ci en ce qui concerne son article 11, le même sens et la même portée que cette liberté garantie par la CEDH, il convient de considérer que ladite liberté couvre l’utilisation, par un entrepreneur, sur les emballages et les étiquettes des produits du tabac, de mentions telles que celles faisant l’objet de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2014/40. » B. Instruments internationaux pertinents et éléments de droit comparé Documents du Conseil de l’Europe Adoptée sous l’égide du Conseil de l’Europe, la convention sur la protection des données formule un certain nombre de principes fondamentaux relatifs à la collecte et au traitement des données à caractère personnel. Aux termes de son article 1, le but cet instrument est de garantir à toute personne physique le respect de ses droits et de ses libertés fondamentales, et notamment de son droit à la vie privée, à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel la concernant. La Convention expose les principes fondamentaux suivants : « Article 5 – Qualité des données Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont : a) obtenues et traitées loyalement et licitement ; b) enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ; c) adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ; d) exactes et si nécessaire mises à jour ; e) conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. (...) Article 7 – Sécurité des données Des mesures de sécurité appropriées sont prises pour la protection des données à caractère personnel enregistrées dans des fichiers automatisés contre la destruction accidentelle ou non autorisée, ou la perte accidentelle, ainsi que contre l’accès, la modification ou la diffusion non autorisés. Article 8 – Garanties complémentaires pour la personne concernée Toute personne doit pouvoir : a) connaître l’existence d’un fichier automatisé de données à caractère personnel, ses finalités principales, ainsi que l’identité et la résidence habituelle ou le principal établissement du maître du fichier ; b) obtenir à des intervalles raisonnables et sans délais ou frais excessifs la confirmation de l’existence ou non dans le fichier automatisé, de données à caractère personnel la concernant ainsi que la communication de ces données sous une forme intelligible ; c) obtenir, le cas échéant, la rectification de ces données ou leur effacement lorsqu’elles ont été traitées en violation des dispositions du droit interne donnant effet aux principes de base énoncés dans les articles 5 et 6 de la présente Convention ; d) disposer d’un recours s’il n’est pas donné suite à une demande de confirmation ou, le cas échéant, de communication, de rectification ou d’effacement, visée aux paragraphes b et c du présent article. Article 9 – Exceptions et restrictions Aucune exception aux dispositions des articles 5, 6 et 8 de la présente Convention n’est admise, sauf dans les limites définies au présent article. Il est possible de déroger aux dispositions des articles 5, 6 et 8 de la présente Convention lorsqu’une telle dérogation, prévue par la loi de la Partie, constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique : a) à la protection de la sécurité de l’État, à la sûreté publique, aux intérêts monétaires de l’État ou à la répression des infractions pénales ; b) à la protection de la personne concernée et des droits et libertés d’autrui. Des restrictions à l’exercice des droits visés aux paragraphes b, c et d de l’article 8 peuvent être prévues par la loi pour les fichiers automatisés de données à caractère personnel utilisés à des fins de statistiques ou de recherches scientifiques, lorsqu’il n’existe manifestement pas de risques d’atteinte à la vie privée des personnes concernées. » La convention sur la protection des données est actuellement mise à jour. Éléments de droit comparé Il ressort des informations dont dispose la Cour que, outre la Finlande, seuls l’Islande, l’Italie, la France, Monaco, la Suède et la Suisse prévoient une forme ou une autre de publicité des informations fiscales concernant des particuliers. En revanche, sur les quarante États membres du Conseil de l’Europe étudiés, trente-quatre prévoient que les informations fiscales à caractère personnel sont en principe secrètes. Pareilles données ne peuvent être divulguées qu’avec le consentement de la personne concernée ou dans les cas où la divulgation est prévue par la loi. Des exceptions à la règle du secret existent également pour certains types de données fiscales (dettes et exemptions fiscales, registres publics retraçant l’activité commerciale) ou pour des données concernant les affaires fiscales de fonctionnaires.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1947 et réside à Stavropol. En 2004, le requérant acheta un vieil hélicoptère. Après avoir effectué quelques réparations, il immatricula l’aéronef à son nom et l’entreposa dans un hangar appartenant à une coopérative agricole, dans la région de Stavropol. L’hélicoptère était démonté ; certains éléments, dont les moteurs, manquaient et d’autres avaient été préparés pour être transportés pour réparation dans un atelier. A. Les mesures prises à l’égard du requérant et de son hélicoptère Le Service fédéral de sécurité (« le FSB »), soupçonnant le requérant de s’approprier frauduleusement et de revendre illicitement des hélicoptères, décida d’effectuer des mesures opérationnelles d’investigation à l’égard de l’intéressé. Le 10 avril 2008, deux officiers du FSB inspectèrent le hangar de la coopérative en présence du requérant et dressèrent un procès-verbal d’inspection (акт обследования) avec référence aux articles 6, 7 et 15 de la loi fédérale sur les mesures opérationnelles d’investigation (voir la partie « le droit interne pertinent »). Selon ledit procès-verbal, l’hélicoptère était démonté et l’hélice de queue et les ailes de l’hélice principale se trouvaient dans le même hangar. Les officiers posèrent des scellés sur le portail du hangar, ainsi que, selon le requérant, sur l’hélicoptère. Ils désignèrent S., un employé de la coopérative, comme personne responsable de la conservation du bien (на ответственное хранение). Celui-ci signa un engagement d’assurer la conservation de l’aéronef. En outre, les officiers saisirent (изъяли) les originaux du certificat de navigabilité de l’hélicoptère valable jusqu’au 11 février 2008 et du certificat d’immatriculation, ainsi que les copies d’autres documents afférents à l’aéronef. Le 25 avril 2008, à la demande des employés de la coopérative, l’un des officiers du FSB enleva les scellés posés sur le hangar et fit rédiger par K., un autre employé, un document par lequel celui-ci s’engageait personnellement à assurer la conservation de l’hélicoptère du requérant. Toujours en 2008, le dossier de l’activité opérationnelle d’investigation fut transféré au ministère de l’Intérieur pour qu’un enquêteur de ce ministère prît la décision d’ouvrir ou non une enquête pénale contre le requérant (paragraphe 25 ci-dessous). À cinq reprises (les 6 juillet et 21 octobre 2009, 19 février et 10 juin 2010 et 2 mars 2011), un enquêteur rendit une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale à l’encontre du requérant des chefs d’escroquerie et d’abus de confiance pour absence de faits constitutifs d’un délit. B. L’enquête pénale pour vol des éléments de l’hélicoptère Le 11 mai 2010, un enquêteur se rendit dans le hangar et constata que plusieurs éléments de l’hélicoptère avaient disparu, notamment l’hélice de queue et les ailes de l’hélice principale. S. et K. lui dirent que, malgré les engagements qu’ils avaient signés, personne ne surveillait réellement l’appareil. Le requérant porta plainte pour vol de deux moteurs, de l’hélice de queue et des ailes de l’hélice principale, dont la valeur totale aurait été de 45 000 roubles (RUB) (équivalent à près de 1 200 euros (EUR) à l’époque des faits). Le 17 août 2010, une enquête pénale pour vol d’éléments de l’hélicoptère fut ouverte. Le 21 février 2011, l’enquête fut suspendue au motif que les responsables du vol n’avaient pas pu être identifiés. Le 31 août 2016, l’affaire fut classée sans suite en raison de la prescription de l’action publique. Le 30 mai 2017, l’enquête fut reprise. Le 31 mai 2017, des policiers inspectèrent le hangar et prirent des photos de l’hélicoptère et des éléments restants. Le même jour, l’enquêteur rendit une décision selon laquelle l’hélicoptère et ses éléments devaient être restitués, en tant que preuves matérielles, au requérant. Le 1er juin 2017, cette décision fut notifiée à l’intéressé. Le 30 juin 2017, l’enquête fut de nouveau suspendue pour le même motif que précédemment, mais, le 16 octobre 2017, elle fut reprise. C. Les demandes non contentieuses formulées par le requérant La tentative d’engagement de poursuites pénales à l’encontre des officiers du FSB À une date non précisée dans le dossier, le requérant demanda l’ouverture d’une enquête pénale contre les officiers du FSB pour abus de fonctions et voie de fait. Dans une lettre adressée au requérant le 28 juin 2008, le chef de la section territoriale du FSB à Stavropol lui indiqua que les officiers avaient agi conformément à la loi et que, aux fins d’assurer la conservation des biens (материальные ценности) trouvés lors de l’inspection du 10 avril 2008, ils les avaient mis sous scellés et confiés à la direction de la coopérative agricole. Le 29 septembre 2008, le comité d’instruction refusa d’ouvrir une enquête pénale contre les officiers au motif que « l’inspection du hangar, (...) la pose des scellés [sur le hangar] et la saisie des documents avaient eu lieu (...) conformément aux exigences de la loi fédérale relative aux mesures opérationnelles d’investigation ». Le requérant ne contesta pas cette décision. Les demandes de restitution À une date non précisée dans le dossier, le requérant sollicita auprès du procureur régional la restitution de l’hélicoptère et des documents saisis. Le 9 août 2010, le service du procureur régional lui suggéra d’adresser sa demande au ministère de l’Intérieur, compte tenu de la décision de l’enquêteur de ce ministère du 10 juin 2010 de ne pas ouvrir d’enquête pénale contre lui (paragraphe 14 ci-dessus). Le 27 août 2010, le ministère de l’Intérieur répondit au requérant que, dans le cadre de la procédure prévue par l’article 144 du code de procédure pénale (« le CPP »), les fonctionnaires de ce ministère n’avaient jamais enlevé (изъяты) ni saisi (арестованы) l’hélicoptère et les documents en cause car ces mesures ne pouvaient pas être réalisées avant l’ouverture d’une enquête pénale contre lui. Le requérant adressa alors au FSB une nouvelle demande de restitution de ses biens. Le 24 septembre 2010, l’adjoint du chef de la section territoriale du FSB lui répondit que les résultats de l’activité opérationnelle d’investigation et les documents relatifs à l’hélicoptère avaient été transmis au ministère de l’Intérieur afin que celui-ci décidât ou non d’ouvrir une enquête pénale contre lui, et que les officiers du FSB n’avaient ni saisi ni enlevé l’aéronef. Le 31 mai 2017, le ministère de l’Intérieur invita le requérant à récupérer les documents afférents à l’hélicoptère versés au dossier des vérifications préliminaires (материалы доследственной проверки). D. Les recours contentieux formés par le requérant Le recours contre le FSB et ses agents Le 3 décembre 2008, le requérant saisit le tribunal du district Leninski de Stavropol (« le tribunal de district ») d’un recours contre les officiers du FSB et la section territoriale du FSB à Stavropol. Il demandait de déclarer illégales la mise sous scellés de l’hélicoptère et la saisie des documents relatifs à l’aéronef. Le 6 février 2009, le tribunal de district rejeta son recours. Le 1er avril 2009, la cour régionale de Stavropol (« la cour régionale »), statuant en cassation, annula cette décision pour manque de motivation et renvoya l’affaire devant le tribunal de district pour réexamen. Le 30 juin 2009, le tribunal de district rejeta à nouveau le recours du requérant. D’une part, il se référait à la décision, non contestée par le requérant, de refus d’ouverture d’une enquête pénale contre les officiers du FSB (paragraphe 22 ci-dessus). D’autre part, il estimait que l’impossibilité de restituer les documents à l’intéressé et de lever les restrictions à l’usage de l’hélicoptère était justifiée par l’opération de vérifications préliminaires, toujours en cours, au sujet de soupçons portant sur la commission d’un délit pénal par le requérant. Le 2 septembre 2009, la cour régionale annula à nouveau cette décision et renvoya l’affaire pour réexamen. Le 21 octobre 2009, le tribunal de district rejeta pour la troisième fois le recours du requérant en reprenant ses motifs précédents. Le 18 novembre 2009, la cour régionale confirma cette décision en cassation. Elle jugea qu’il était établi que seul le hangar avait été mis sous scellés. L’action civile en réparation du préjudice Le 21 octobre 2010, le requérant assigna la section territoriale du FSB devant le tribunal de district. Il demandait la restitution de son hélicoptère et la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi en raison de l’impossibilité continue de s’en servir et du pillage partiel de l’aéronef. Le 16 décembre 2010, le tribunal de district rejeta l’action du requérant. Il se référa en particulier à la décision de refus d’ouverture d’une enquête pénale contre les officiers du FSB, à la décision du 21 octobre 2009 et à l’arrêt de cassation du 18 novembre 2009 (paragraphes 22 et 30 cidessus). En outre, de la même manière qu’il l’avait fait dans le cadre du recours contre le FSB et ses agents (paragraphes 29-30 ci-dessus), le tribunal estima que les documents saisis ne pouvaient pas être restitués au requérant et que les restrictions à l’usage de l’aéronef ne pouvaient pas être levées tant que les vérifications préliminaires avant l’ouverture éventuelle d’une enquête pénale contre l’intéressé étaient en cours. Enfin, il rejeta la demande de réparation du dommage moral au motif que les actions du défendeur ou de ses agents n’avaient pas été déclarées contraires à la loi. Le 15 mars 2011, la cour régionale de Stavropol rejeta le pourvoi en cassation du requérant. Elle fit siennes les conclusions du juge de première instance et ajouta que, à compter du jour où les scellés posés sur le hangar avaient été retirés, en 2008, jusqu’à la constatation de la disparition de certains éléments de l’hélicoptère, en 2010, le requérant avait pu jouir sans entrave de son droit de propriété sur l’aéronef. Elle considéra également que le requérant n’avait pas démontré l’existence d’une ingérence, préjudiciable à son égard, des fonctionnaires du FSB dans son droit de propriété. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les dispositions pertinentes de la loi fédérale sur les mesures opérationnelles d’investigation L’article 5 de la loi no 144-FZ du 12 août 1995 sur les mesures opérationnelles d’investigation (« la LMOI ») (закон об оперативнорозыскной деятельности) impose le respect des droits et libertés lors de la mise en place des mesures opérationnelles d’investigation. L’article 6 de cette loi comporte la liste exhaustive des mesures opérationnelles d’investigation qui peuvent être prises en dehors du cadre de la procédure pénale. Y figure en particulier l’inspection (обследование) de locaux, de terrains et de véhicules. L’article 7 de cette loi énonce les fondements pour la prise de mesures opérationnelles d’investigation, notamment l’ouverture d’une enquête pénale (§ 1) ou l’existence d’informations quant à la commission possible d’un délit pénal (§ 2). L’article 15 de la même loi autorise les agents mettant en œuvre des mesures opérationnelles d’investigation à effectuer des saisies (изъятие) des objets. Depuis 2009, cet article leur permet également d’effectuer des saisies de documents, et impose de dresser un procès-verbal de saisie conformément au CPP et de remettre les copies certifiées de ces documents aux personnes qui les possédaient. La pose des scellés n’est pas prévue par la LMOI. B. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale Selon l’article 144 du CPP, l’enquêteur doit vérifier les informations qui lui sont transmises relativement à tout délit pénal déjà commis ou en cours de préparation et doit, dans un délai de trois jours à compter de la réception de ces informations, rendre une décision d’ouverture ou non d’une enquête pénale. Ce délai peut exceptionnellement être prorogé jusqu’à 30 jours. Dans le cadre de ces vérifications préliminaires (проверка сообщения о преступлении), l’article 144 du CPP donne certains pouvoirs à l’enquêteur. Il lui confère en particulier le pouvoir d’exiger des contrôles sur pièces (производства документальных проверок). Dans sa rédaction en vigueur à compter de 2010, cet article lui permet en plus d’exiger des examens (исследований) des documents et des objets et, dans sa rédaction à partir de 2013, de saisir lesdits documents et objets. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’article 115 du CPP, relatif à la saisie des biens, sont exposées dans l’arrêt Uniya OOO et Belcourt Trading Company c. Russie (nos 4437/03 et 13290/03, § 242, 19 juin 2014).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1967. Au moment de l’introduction de la requête il avait son domicile à Meise. Le 12 septembre 1997, les autorités de police furent autorisées par le procureur du Roi de Bruges à surveiller et à mettre sous écoute téléphonique M. et D.B. Ceux-ci étaient soupçonnés de trafic de stupéfiants et d’être à la recherche d’un transporteur. Le 30 septembre 1997, par apostille du juge d’instruction, co-signée pour accord par le procureur du Roi, autorisation fut donnée de recourir à un agent infiltré pseudo-acheteur. Il résulte de la description des faits par les juridictions nationales que le requérant a organisé, à la demande d’un certain Karim, le transport d’un grand volume de drogues du Maroc vers la Belgique. Le transport devait être fait avec un camion qui irait chercher des marchandises « légales », auxquelles les drogues seraient ajoutées. Le requérant avait besoin d’un transporteur et pour le trouver il fit appel à M., qui à son tour fit appel à D.B. Ce dernier trouva Ron, un informateur de la police, qui le mit en contact avec Dominique, l’agent infiltré. Ces derniers déclarèrent avoir une entreprise de transport et pouvoir mettre à la disposition du requérant un camion et un conducteur. Le transport eut lieu, en février 1998, sous le contrôle discret des autorités marocaines et belges. Le camion, conduit par un autre agent sous couverture, chercha les marchandises et les drogues au Maroc et les transporta vers la Belgique. Le 5 mars 1998, au moment où Dominique fut payé pour son assistance et où les drogues furent livrées au requérant, les trois personnes impliquées (le requérant, M., et D.B.) furent arrêtées. L’instruction fut menée par le juge d’instruction. Son dossier contenait les rapports que Dominique avait envoyés aux enquêteurs et qui décrivaient les contacts qu’il avait eus avec les prévenus. L’informateur Ron tenait un policier au courant, qui en faisait part par écrit aux enquêteurs ; les rapports de ce policier furent également joints au dossier. Le dossier contenait encore les rapports faits par d’autres enquêteurs sur base des observations des prévenus et des écoutes téléphoniques, ainsi que les déclarations faites notamment par les prévenus. Renvoyés devant le tribunal de première instance de Bruges, les prévenus se plaignirent que l’opération avait enfreint leurs droits de la défense et leur droit à un procès équitable. Par un jugement du 18 novembre 2003, le tribunal jugea que l’article 6 § 1 de la Convention avait été respecté. Il tint compte de ce qu’aucun des prévenus n’avait déclaré, lors de l’interrogatoire effectué directement après leur arrestation, que Ron ou Dominique les avaient incités à commettre les faits ou les y avaient encouragés. Au contraire, chacun des prévenus avait avoué les faits et expliqué quel avait été son rôle dans l’organisation du transport des stupéfiants. Des observations et écoutes téléphoniques menées pendant l’infiltration avaient permis de juger de la fiabilité des rapports détaillés des contacts avec les prévenus rédigés par Dominique. Leur contenu, correspondant, figurait dans le dossier répressif et avait été soumis à un débat contradictoire. La fiabilité et l’intervention de l’informateur avaient été vérifiées par le responsable des informateurs en collaboration avec un magistrat du ministère public. L’infiltration avait, quant à elle, été autorisée par le parquet et confiée à un fonctionnaire de police spécialement formé, n’avait commencé qu’après apostille du juge d’instruction et avait été mise en œuvre sous le contrôle du parquet et du juge d’instruction. Pour écarter la thèse de la provocation, le tribunal procéda à un examen minutieux des déclarations concordantes des prévenus pour conclure qu’il existait avant la première rencontre de Ron et Dominique une intention délictueuse dans le chef des trois prévenus qu’ils auraient exécutée même sans l’intervention des services de police et que l’organisation criminelle était née sans l’intervention des services de police. De plus, aucune pression indue n’avait été alléguée ni constatée. Le tribunal rejeta en outre la demande des prévenus d’organiser une confrontation avec l’agent infiltré et l’informateur afin d’obtenir des informations sur la période qui avait précédé l’infiltration et de poser des questions sur les rapports rédigés par Dominique. Le tribunal considéra que les déclarations de Dominique et de Ron n’étaient pas essentielles pour l’affaire, au vu d’autres éléments du dossier, et en particulier les aveux des prévenus. En outre, il était nécessaire de protéger Dominique et Ron, et le type de questions litigieuses aurait pu compromettre l’anonymat de ceux-ci. De plus, Dominique avait été entendu par le juge d’instruction, lequel avait donné aux prévenus la possibilité de lui poser des questions par son intermédiaire, possibilité dont ils n’avaient toutefois pas fait usage. À cela s’ajoute que les rapports des observations et des écoutes téléphoniques, qui se trouvaient parmi les pièces du dossier répressif, permettaient d’évaluer la fiabilité des rapports rédigés par Dominique. Le tribunal rejeta ensuite la thèse du requérant selon laquelle l’infiltration, en l’absence de base légale, avait violé son droit à la vie privée. Certes, à l’époque l’infiltration n’avait pas de base légale au sens formel mais elle était encadrée par une circulaire ministérielle du 24 avril 1990 adressée aux autorités judiciaires compétentes (voir paragraphe 35, cidessous). La transparence totale souhaitée par le requérant ne pouvait être assurée sous peine d’aider les criminels potentiels à mieux préparer leurs actes et à mettre en danger les agents infiltrés et les informateurs. Enfin, le tribunal condamna chacun des prévenus à quatre ans d’emprisonnement et à une amende. Les trois prévenus, suivis par le ministère public, interjetèrent appel contre ce jugement. L’affaire fut examinée par la cour d’appel de Gand lors de trois audiences et prise en délibéré le 25 janvier 2006. Le 5 mai 2006, le requérant déposa une demande de réouverture des débats par laquelle il invita la cour d’appel, en application de l’article 189ter du code d’instruction criminelle (« CIC »), inséré par la loi du 27 décembre 2005, à demander à la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de contrôler l’application des méthodes particulières de recherche au regard de l’article 235ter CIC et de transmettre à cet effet le dossier au ministère public (voir paragraphes 36-38, ci-dessous). Par un arrêt du 31 mai 2006, la cour d’appel rejeta tout d’abord la demande de réouverture des débats au motif que cette demande n’avait pas été formulée avant tout autre moyen de droit et ne faisait pas état d’éléments neufs et concrets. Examinant ensuite le fond du litige, et en particulier le grief tiré de la provocation que souleva à nouveau le requérant, la cour d’appel passa en revue les déclarations « circonstanciées » faites par le requérant le 7 mars 1998, confirmant ses déclarations des 5 et 6 mars 1998, et desquelles le requérant ne s’était jamais écarté, et parvint à la conclusion qu’il ne ressortait en aucun cas de cette déclaration que le transporteur, qui était en réalité un agent infiltré, aurait créé, stimulé ou renforcé la volonté du requérant d’importer des stupéfiants. La cour d’appel nota aussi que cette déclaration du requérant avait été confirmée notamment par les déclarations des co-prévenus M. et D.B. La cour d’appel s’exprima comme suit : « La cour estime qu’il existe un ensemble de déclarations concordantes, notamment de la part des différents prévenus, qui permet de dire avec certitude que la volonté des différents prévenus d’importer une quantité importante de cannabis depuis le Maroc était déjà arrêtée avant qu’il soit question d’une infiltration policière et que la volonté de réaliser cette importation de stupéfiants n’a été ni stimulée ni renforcée par l’intervention des services de police. Les éléments factuels invoqués par les prévenus ne sont, de l’avis de la cour, nullement de nature à infirmer ces constatations. Il faut souligner à cet égard que, si la recherche d’une personne disposée à effectuer le transport de stupéfiants était évidemment indispensable à l’exécution de l’importation prévue, le simple fait d’effectuer le transport, comparé à ce que la livraison d’une part, qu’elle soit directe ou par personne interposée, et la réception et la vente d’une tonne de stupéfiants, d’autre part, impliquent en termes d’organisation, de moyens et de ramifications internationales, doit être considéré comme un acte certes risqué mais, pour le reste, relativement simple d’exécution matérielle, dont l’association de personnes en question aurait pu parfaitement se charger ellemême, ce qu’elle n’a pas fait pour des raisons de sécurité afin de pouvoir mieux masquer les donneurs d’ordre effectifs, comme l’association en question, puisqu’il apparaît qu’elle était disposée à payer pour le transport en question des millions d’anciens francs belges, [de sorte qu’elle] aurait pu sans problème trouver d’autres tierces personnes qui auraient accepté cette tâche. La cour estime qu’il est dès lors hors de question que les agents infiltrés aient créé une possibilité matérielle pour la perpétration du délit, ou qu’ils aient fait preuve d’une prévenance excessive. » La cour d’appel estima aussi que des allégations ultérieures du coprévenu D.B., effectuées une fois que l’existence de l’agent infiltré était connue, étaient non seulement contredites par ses déclarations initiales, mais aussi réfutées par l’ensemble des autres déclarations dont il ressortait « à suffisance que la volonté d’importer une quantité importante de stupéfiants depuis le Maroc provenait du [requérant] qui [...] a[vait] pris à cette fin une multitude d’initiatives et était luimême poussé par un certain Karim ». En ce qui concerne la demande de confrontation avec l’agent infiltré et l’informateur et d’audition de ceux-ci, que ce fût de manière anonyme ou non, la cour d’appel estima ces compléments d’instruction « totalement superflus dans les circonstances données pour la manifestation de la vérité ». Pour la même raison, la cour d’appel ne fit pas droit à la demande d’audition du juge d’instruction ou du magistrat du parquet en charge de l’affaire. La cour d’appel s’exprima encore comme suit : « Le refus de la cour de donner suite à ces demandes n’est nullement de nature à porter atteinte aux droits de la défense ou au droit à un procès équitable, dès lors que l’absence de provocation policière peut être déduite d’un ensemble d’éléments dont la fiabilité ne peut guère être mise en doute par les prévenus, à savoir les déclarations concordantes précitées des différents prévenus euxmêmes et d’autres témoins directement impliqués dans les faits, qui n’ont aucun lien avec les services de police. Les déclarations en question sont en ce qui concerne les faits mis à charge et leur déroulement à ce point claires que les déclarations et les rapports faits anonymement par les agents infiltrés sont devenus d’une importance totalement secondaire sous l’angle de la preuve. En outre, l’on ne peut guère considérer que les déclarations concordantes des prévenus eux-mêmes et d’autres témoins directement impliqués dans les faits et sans lien avec les autorités policières qui, de l’avis de la Cour, suffisent en soi pour apporter la preuve des faits mis à charge des différents prévenus, découleraient des témoignages anonymes, de même, du reste qu’elles ne découlent pas des mesures d’écoutes téléphoniques. » En ce qui concerne le caractère anonyme des déclarations de l’informateur et de l’agent infiltré, la cour d’appel ajouta qu’elle l’estima justifié au regard de la nécessité de garantir l’intégrité physique des intéressés et de préserver pour l’avenir la possibilité de les réutiliser dans d’autres opérations. En réponse à un argument de la défense fondée sur l’absence d’une base légale pour l’ingérence dans leur droit au respect de la vie privée, la cour d’appel considéra encore ce qui suit : « Il ressort à suffisance de l’ensemble des déclarations citées ciavant que le [requérant] qui, sur demande d’un certain Karim, était à la recherche d’une personne qui puisse se charger du transport d’une quantité importante de stupéfiants du Maroc en Belgique, s’est adressé à cette fin au prévenu M., qui s’est luimême adressé au prévenu D.B., qui s’est alors adressé de son côté à feu V.H. Le prévenu D.B. qui, par cette intervention, avait pour but d’apporter son aide à la réalisation d’une importante transaction internationale en stupéfiants, devait se rendre compte – il faut souligner à cet égard qu’il est de notoriété publique que les services de police travaillent depuis toujours avec des informateurs et des agents infiltrés et qu’il est dès lors sans importance sur ce plan que la circulaire ministérielle du 24 avril 1990 était confidentielle – qu’à partir de ce moment, la possibilité existait qu’il soit confronté à un fonctionnaire infiltré des services de police chargé de la lutte contre le trafic international de drogues, de sorte que l’on ne peut déduire de la circonstance que l’agent infiltré D., donnant suite à la demande des prévenus, s’est déclaré disposé à s’occuper du transport et a ainsi infiltré l’association, une atteinte à l’article 8 de la [Convention]. C’est dans ce même sens que la [Cour] a rendu sa décision à l’unanimité dans l’arrêt du 15 juin 1992 dans l’affaire Lüdi c. Suisse. Les moyens de la défense concernant l’absence de base légale à une ingérence alléguée au sens de l’article 8 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme sont dès lors caducs. » La cour d’appel estima que la circulaire ministérielle du 24 avril 1990 formait le cadre dans lequel les méthodes de recherche particulières avaient eu lieu et avait fourni les garanties et la protection nécessaires. Cette circulaire était connue par les inculpés, qui l’avaient même produite devant la cour. Le fait que certaines des directives contenues dans la circulaire ministérielle n’auraient pas été respectées était sans conséquence, étant donné que les directives formulées dans la circulaire n’étaient pas prescrites à peine de nullité et que les irrégularités alléguées n’avaient en tout cas pas porté atteinte à la fiabilité des preuves ou, plus généralement, au droit des prévenus à un procès équitable. Se penchant sur l’absence de contrôle des méthodes particulières de recherche appliquées en l’espèce, en particulier l’infiltration et l’observation, la cour d’appel considéra que l’article 189ter CIC, qui prévoyait un contrôle par la chambre des mises en accusation, ne pouvait être appliqué que dans des affaires soumises à la juridiction de jugement après l’entrée en vigueur de la loi du 27 décembre 2005 et pour autant qu’il y ait eu déjà un contrôle par la chambre des mises en accusation sur base de l’article 235ter inséré par cette loi. En tout cas, le contrôle par la chambre des mises en accusation n’était matériellement possible que dans les affaires où les méthodes particulières de recherche avaient eu lieu selon les règles prescrites par la loi du 6 janvier 2003, et non pas dans les affaires où elles avaient encore eu lieu selon la circulaire ministérielle du 24 avril 1990 et où il n’y avait donc pas de dossier confidentiel à vérifier. La cour d’appel admit que dans certains cas l’absence de possibilité de contrôle par un juge indépendant et impartial des données qui, selon les règles de procédure en vigueur à l’époque où elle se prononçait, devraient se trouver dans un dossier confidentiel, pouvait porter atteinte au droit à un procès équitable. Elle estima toutefois que tel n’était pas le cas lorsque, comme en l’espèce, l’absence d’irrégularité dans le recours aux méthodes particulières de recherche pouvait être déduite d’éléments du dossier répressif, dont la fiabilité ne pouvait être mise en doute. En conclusion, la cour d’appel, tout en constatant la nullité de certaines des ordonnances autorisant des écoutes téléphoniques émises par le juge d’instruction et en écartant des débats les éléments recueillis sur base de ces ordonnances, confirma les conclusions du tribunal de première instance quant à la culpabilité des prévenus. Eu égard au dépassement du délai raisonnable, elle réduisit les peines d’emprisonnement prononcées contre M. et D.B. de quatre à trois ans. Quant au requérant, elle estima qu’une peine d’emprisonnement de six ans serait justifiée, mais qu’il y avait lieu, au vu du dépassement du délai raisonnable, de confirmer la peine prononcée par les premiers juges ; elle le condamna donc à une peine d’emprisonnement de quatre ans. Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt du 31 octobre 2006, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, elle considéra ce qui suit : « 1. Il appartient au juge d’apprécier l’admissibilité d’une preuve obtenue illicitement, que la loi n’exclut pas expressément, à la lumière des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en tenant compte de tous les éléments de la cause, y compris le mode d’obtention de la preuve et les circonstances de l’illicéité. À cette occasion, le juge peut notamment avoir égard à une ou plusieurs des circonstances suivantes : soit que l’autorité chargée de l’information, de l’instruction et de la poursuite des infractions a ou non commis intentionnellement l’acte illicite, soit que la gravité de l’infraction dépasse de manière importante l’illicéité commise, soit que la preuve obtenue illicitement ne concerne qu’un élément matériel de l’existence de l’infraction. La circonstance que l’autorité chargée de la recherche, de l’instruction ou de la poursuite des infractions ait intentionnellement commis un acte illicite pour obtenir des preuves ne doit pas nécessairement inciter le juge à exclure ces preuves. Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en droit. Contrairement à ce que le moyen, en cette branche, fait valoir, l’arrêt attaqué examine par les considérations reproduites au moyen, l’« incidence » c’est-à-dire l’impact de l’intervention des agents secrets sur la régularité et l’admissibilité des preuves. Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, manque en fait. » Sur le terrain de l’article 8 de la Convention, elle considéra ce qui suit : « L’ingérence de l’autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, de la vie familiale, du domicile et de la correspondance au sens de l’article 8 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique que cette autorité intervient ou s’immisce, sans y être requise, dans l’exercice du droit garanti par l’article 8 § 1 de la Convention précitée. Ce n’est pas le cas, lorsque, à la demande des prévenus ou de l’un d’entre eux, le représentant de l’autorité publique se déclare disposé à prendre en charge le transport de stupéfiants qui font l’objet d’un important trafic international de stupéfiants organisé par l’un des prévenus. » En ce qui concerne le rejet par la cour d’appel de la demande d’ordonner au juge d’instruction d’entendre l’informant Ron et l’agent infiltré Dominique, la Cour de cassation considéra que le juge du fond appréciait souverainement la nécessité, l’utilité et l’opportunité d’un complément d’instruction. Elle constata que la cour d’appel avait décidé à cet égard que le complément d’instruction demandé par le requérant n’était pas utile à la manifestation de la vérité. En ce qui concerne le rejet par la cour d’appel de la demande de charger la chambre des mises en accusation, en application de l’article 189ter du CIC, de contrôler l’application des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration, à effectuer en application de l’article 235ter du CIC, la Cour de cassation confirma que l’examen de la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration, prévu aux articles 189ter et 235ter du CIC, visait uniquement les méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration qui, en application des lois du 6 janvier 2003 et du 27 décembre 2005, avaient donné lieu à la constitution d’un dossier confidentiel. Cet examen ne visait donc pas les méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration mises en œuvre avant l’entrée en vigueur des lois précitées, en application de la circulaire ministérielle du 24 avril 1990. Entretemps, le 7 juillet 2006, le requérant avait été extradé vers l’Italie pour y purger une peine infligée par une juridiction italienne. Le 7 mars 2011, le requérant informa la Cour qu’il se trouvait à Rome, où il avait été placé sous écrou extraditionnel à la prison de Rebibbia. Il sollicitait l’application d’une mesure provisoire au sens de l’article 39 du règlement de la Cour, afin que les autorités italiennes ne donnent pas suite à la demande d’extradition des autorités belges, cette demande étant fondée sur la condamnation prononcée à l’issue de la procédure pénale qui fait l’objet de la présente requête. La demande du requérant fut traitée dans le cadre d’une autre requête (Guerni c. Italie, no 14931/11). Elle fut déclarée irrecevable le 8 mars 2011. Le requérant ne demanda plus la poursuite de l’examen de sa requête dans cette affaire. Le 8 février 2013, le requérant fut extradé vers la Belgique pour y purger le restant de la peine prononcée par la cour d’appel de Gand. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Situation avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003 Les premiers recours aux méthodes « particulières » de recherche remontent en Belgique aux années 70. Quelques affaires touchant en particulier aux pratiques du bureau national des drogues de la gendarmerie ou de l’administration de l’information criminelle auprès du ministère de la Justice ont permis de mettre en évidence les problèmes liés à l’utilisation de ces méthodes. En l’absence de normes encadrant ces pratiques, la jurisprudence y a suppléé, en se prononçant essentiellement sur des situations de provocation policière (voir en particulier l’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 1985 (Pasicrisie, 1985, I, p. 690), où la Cour de cassation a dit qu’était légalement justifié l’arrêt qui décide qu’il n’y a pas eu provocation à commettre une infraction lorsqu’il constate que le dessein de commettre l’infraction est né sans aucune intervention de la police et que celle-ci s’est bornée à créer l’occasion de commettre librement un fait punissable dans des conditions telles que la police était à même d’en constater l’exécution). Le 24 avril 1990, le ministre de la Justice adopta une circulaire adressée aux procureurs généraux et relative aux « techniques particulières de recherche pour combattre la criminalité grave ou organisée », qui visait spécifiquement le recours aux indicateurs, le paiement des primes, le pseudoachat, l’achat-test (achat de mise en confiance), l’envoi accompagné ou la saisie différée, l’infiltration et enfin l’observation. Cette circulaire, gardée secrète et mise à jour le 5 mars 1992, définit les principes généraux déterminant dans quelle mesure ces techniques pouvaient être admises et de quelle manière elles devaient être utilisées. B. Les lois du 6 janvier 2003 et du 27 décembre 2005 La loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche et quelques autres méthodes d’enquête a créé un cadre légal pour l’observation, l’infiltration et le recours aux indicateurs. À la suite de l’annulation de plusieurs de ses dispositions par la Cour constitutionnelle (arrêt no 202/2004 du 21 décembre 2004), la loi « réparatrice » du 27 décembre 2005 « portant des modifications diverses au CIC et au code judiciaire en vue d’améliorer les modes d’investigation dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité grave et organisée » est venue modifier les dispositions annulées et insérer des dispositions dans le CIC – les articles 189ter et 235ter – afin d’organiser un contrôle judiciaire des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration. Dans le cadre du nouveau dispositif législatif, qui est décrit dans l’arrêt Van Wesenbeeck c. Belgique (nos 67496/10 et 52936/12, §§ 39-55, 23 mai 2017), l’article 235ter § 1 du CIC confie le contrôle de la régularité des méthodes d’observation et d’infiltration mises en œuvre à une juridiction d’instruction, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel. Dès que la chambre des mises en accusation a contrôlé la mise en œuvre des méthodes particulières d’infiltration et d’observation, sa décision lie la juridiction de jugement (Cass., 3 mars 2009, P.09.0079.N, et Cass., 28 mai 2014, P.14.0424.F). Toutefois, sur la base d’éléments concrets qui ne sont apparus que postérieurement au contrôle de la chambre des mises en accusation, le tribunal du fond peut, soit d’office, soit sur réquisition du ministère public, soit à la demande du prévenu, de la partie civile ou de leurs avocats, charger la chambre des mises en accusation de contrôler l’application des méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration, en application de l’article 235ter (article 189ter du CIC). C. L’application des articles 189ter et 235ter du CIC aux investigations déjà terminées au moment de leur entrée en vigueur Dans un premier temps, la Cour de cassation jugea que les articles 189ter et 235ter du CIC ne s’appliquaient qu’aux méthodes particulières de recherche, d’observation et d’infiltration qui, en application des lois du 6 janvier 2003 et du 27 décembre 2005, avaient donné lieu à la constitution d’un dossier confidentiel. Pour le reste, les méthodes particulières de recherche appliquées avant ces lois ne relevaient pas, selon la Cour de cassation, du pouvoir de contrôle de la chambre des mises en accusation (Cass., 31 octobre 2006, P.06.1016.N ; il s’agit de l’arrêt rendu dans la présente affaire). Dans un arrêt no 22/2008 du 21 février 2008, la Cour constitutionnelle considéra que, compte tenu des exigences fondamentales de l’article 6 de la Convention, cette situation créait une différence de traitement à l’égard des personnes qui avaient fait l’objet d’une méthode particulière de recherche avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003. Ces personnes seraient discriminées dans l’exercice des droits de la défense et du droit à un procès équitable (voir également l’arrêt no 98/2008 du 3 juillet 2008). Un juge devait donc, pour tous les litiges n’ayant pas encore fait l’objet d’une décision définitive, pouvoir contrôler la mise en œuvre des méthodes particulières de recherche, que celle-ci ait eu lieu avant ou après l’entrée en vigueur de la loi du 6 janvier 2003. À la suite de cet arrêt, la Cour de cassation modifia son point de vue (Cass., 28 octobre 2008, P.08.0706.N).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 19 juillet 1998, le requérant fut victime d’un accident de la route à Antalya. Il fut aussitôt conduit dans un établissement de santé du district de Serik d’Antalya, puis à l’hôpital public de la même ville. Dans cet hôpital, il fut pris en charge par un médecin et opéré le jour même, sous anesthésie générale, du genou gauche. Il se vit ensuite poser un plâtre au genou, et il quitta l’hôpital trois jours plus tard, à sa demande. Le 24 juillet 1998, il se rendit à la faculté de médecine de l’université Akdeniz d’Antalya (« l’hôpital Akdeniz »). Le 25 juillet 1998, un médecin de cet hôpital enleva le plâtre et le remplaça par une attelle. Le 28 juillet 1998, le requérant se rendit de nouveau à l’hôpital Akdeniz. Il se plaignait d’une mauvaise circulation sanguine au niveau du pied gauche. Les médecins effectuèrent une angiographie et constatèrent que la veine poplitée était bouchée. Ils réalisèrent aussitôt une opération chirurgicale et, à cette occasion, ils découvrirent une thrombose au niveau de l’artère poplitée sur une surface trop étendue pour y remédier autrement que par un pontage. Ce pontage fut réalisé en dessous et audessus du bouchon veineux au moyen d’un greffon prélevé sur la veine saphène de la jambe droite du requérant. Le 6 août 1998, la plaie fut suturée. Les médecins estimèrent que l’intéressé devait subir une autre opération car le trouble circulatoire persistait au niveau du pied, qui était nécrosé. Le 18 août 1998, le requérant quitta l’hôpital, à sa demande. Le 19 août 1998, il se rendit à l’hôpital North Middlesex, à Londres. Le 15 septembre 1998, il fut amputé de la jambe gauche sous le genou. Le 6 novembre 1998, le requérant, soutenant avoir été victime d’une négligence médicale, introduisit une action en réparation contre l’hôpital Akdeniz devant le tribunal de grande instance d’Antalya. Le 10 février 1999, ce tribunal se déclara incompétent au profit des juridictions administratives. Le 12 avril 1999, le requérant saisit le tribunal administratif d’Antalya d’une action de plein contentieux. Il demandait 10 000 livres turques (TRL) pour préjudice matériel et 20 000 TRL pour préjudice moral en raison de négligences médicales qui auraient entraîné l’amputation de sa jambe gauche. Le 1er février 2000, le tribunal administratif ordonna une expertise médicale. Par un rapport du 30 mai 2000, un comité d’experts composé de trois professeurs du service d’orthopédie et de traumatologie de la faculté de médecine de l’université Hacettepe, après avoir précisé que le traumatisme était dû à un accident de la route et exposé quelles avaient été les interventions médicales subies par le requérant, conclut ce qui suit : « 1. Les déplacements du genou consécutifs à un traumatisme surviennent généralement à l’occasion de traumatismes [dus à des chocs liés à une énergie cinétique élevée], que l’on rencontre dans les accidents où des véhicules à moteur sont impliqués. Dans les cas de déplacement du genou consécutif à un traumatisme, en plus dudit déplacement se produisent aussi, au moment du traumatisme, des lésions tendineuses ainsi que des lésions au niveau de l’artère poplitée et des nerfs péroniers, en raison de la spécificité anatomique de cette région. Les lésions veineuses (ou artérielles) peuvent prendre la forme d’une rupture de l’artère poplitée au moment du traumatisme ou bien (...) d’une thrombose qui peut survenir dans les jours suivant [le traumatisme] à l’intérieur d’une veine endommagée ou écrasée. Même s’il est possible de sauver la jambe en remédiant à la mauvaise circulation [sanguine] dans les six à huit heures [suivant le traumatisme], la littérature médicale indique toutefois [qu’il existe] un risque d’amputation à la suite de l’apparition d’une gangrène à hauteur de 20 % dans les cas de déplacement du genou seul et de 43 % dans les cas de déplacement du genou accompagné de lésions au niveau de l’artère poplitée. Par conséquent, des lésions veineuses [peuvent] se produire en même temps qu’un déplacement du genou consécutif à un traumatisme, et, dans cette hypothèse, l’amputation à la suite de l’apparition d’une gangrène peut intervenir dans les proportions indiquées ci-dessus, et ce malgré tous les soins apportés. [Le présent cas] relève de ce cas de figure malheureux. Aucune négligence ou erreur de la part [du personnel] de l’université Akdeniz n’est à relever. » Le 15 juin 2000, le requérant déposa un mémoire dans lequel il contestait les conclusions du rapport susmentionné et demandait qu’une nouvelle expertise fût effectuée. Il reprochait aux experts de l’université Hacettepe de s’être bornés à fournir des explications et des statistiques générales sans examiner spécifiquement son cas. Il soumettait au tribunal un rapport médical de l’hôpital North Middlesex, obtenu par ses soins, qui concluait ce qui suit : « Le patient a subi un traumatisme important à son genou gauche lors d’un accident qui a eu lieu le 19 juillet. Le traumatisme subi était une luxation du genou qui avait entraîné des lésions neurologiques et vasculaires. Dans les cas de luxation du genou, lorsque la lésion vasculaire n’est pas détectée à temps, il y a un risque important de perte du membre. Lorsque la lésion vasculaire est détectée à temps, la probabilité de sauver le membre est très élevée. Dans le cas du patient, les lésions vasculaires n’ont pas été détectées à temps. Les médecins n’ont constaté ces lésions que neuf jours après l’accident. Le plâtre était visiblement trop serré, ce qui a conduit à l’aggravation des lésions vasculaires. Cette compression a entraîné une ischémie musculaire irréversible. Ce tableau clinique nous a conduits à amputer la jambe gauche du patient. » Le 15 novembre 2000, le tribunal administratif, se fondant sur le rapport d’expertise médicale du 30 mai 2000 de l’université Hacettepe, débouta le requérant de toutes ses demandes. Il rejeta également les contestations de l’intéressé relatives à cette expertise, considérant que les points que celui-ci avait soulevés dans son mémoire n’étaient pas de nature à remettre en cause le sérieux du rapport en question. Par un arrêt du 25 février 2003, le Conseil d’État confirma le jugement de première instance, et, par un arrêt du 25 octobre 2005, il rejeta le recours en rectification introduit par le requérant. Ce dernier arrêt fut notifié à l’intéressé le 15 mars 2006. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le dédommagement des victimes dans le domaine des services publics de la santé En vertu de l’article 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative. Selon l’article 13 de la loi no 657 sur les fonctionnaires de l’État, les personnes ayant subi un dommage du fait de l’exercice d’une fonction relevant du droit public ne peuvent assigner en justice que l’autorité publique dont relève le personnel médical en cause, et non directement celuici. Ce principe trouve sa source dans l’article 129 § 5 de la Constitution, aux termes duquel : « Les actions en réparation des dommages résultant de fautes commises par des fonctionnaires et d’autres agents du secteur public dans l’exercice de leurs fonctions ne peuvent être intentées (...) que contre l’administration (...) » Dans le domaine de la santé publique, une action de pleine juridiction relative à un acte médical subi dans un établissement public doit être dirigée contre l’entité administrative qui détient l’autorité décisionnelle finale quant audit établissement, et non pas contre les dirigeants de celui-ci ou le personnel médical en poste, responsable de l’acte ou du dysfonctionnement incriminé. Selon le cas, il s’agira, par exemple, du ministère de la Santé (pour les hôpitaux publics), des rectorats d’université (pour les hôpitaux publics universitaires) ou des municipalités (pour les services sanitaires fournis au niveau local). Quant à l’obligation de l’administration du fait de ses actes, le droit administratif turc est fondé sur le régime de la « faute lourde de service », selon lequel seule une telle faute peut engager la responsabilité de l’État du fait des actes et omissions de ses agents. Plus spécifiquement, dans le domaine de la santé publique, la jurisprudence reconnaît que, en principe, l’« inaptitude professionnelle » du personnel médical est, en soi, constitutive d’une « faute lourde de service, comme l’assemblée plénière des chambres administratives du Conseil d’État (arrêt du 18 octobre 2007, no E. 2004/721 – K. 2007/2030) l’a dit en ces termes : « L’administration défenderesse (hôpital universitaire) chargée de mettre en œuvre les services publics de la santé est tenue d’assurer que les soins et les interventions chirurgicales hospitaliers soient réalisés dans les règles de l’art médical, à l’aide d’un personnel fort de l’aptitude requise par le service, et ce avec toute la diligence et l’attention nécessaires. La méconnaissance de ce devoir constitue une faute lourde de service et entraîne la responsabilité de l’administration. » B. Les expertises médicales judiciaires en droit turc Les quelques lignes directrices qui se dégagent en matière d’expertise médicale judiciaire en droit turc sont les suivantes (voir l’arrêt Aydoğdu c. Turquie, no 40448/06, §§ 45-47, 30 novembre 2016) : - la participation d’un seul spécialiste dans le domaine afférent au litige est insuffisante pour l’élaboration d’un rapport d’expertise médicale ; il échet de missionner, parmi des universitaires, des spécialistes dans le domaine précis, forts d’une carrière académique ; - une expertise médicale est défaillante si elle ne répond pas à la question de savoir si le médecin mis en cause peut être tenu pour responsable ou non du préjudice allégué ; - pour être fiable et convaincant, un rapport d’expertise doit cadrer avec l’objet du litige, chercher à élucider les faits et répondre aux arguments des parties ; - une expertise médicale doit évaluer les éléments scientifiques relatifs au diagnostic et au suivi du patient, et, en particulier, la pertinence de la stratégie thérapeutique adoptée en l’occurrence ; - on ne saurait asseoir un jugement à partir d’un rapport insuffisant qui conclut, de manière abstraite, à l’existence de complications, sans expliquer quelles sont ces complications ni s’il existait d’autres méthodes de traitement ; - un rapport d’expertise médicale fondé uniquement sur les dires du médecin mis en cause et contenant des affirmations abstraites, non motivées et non étayées ne peut être considéré comme étant fiable ; - une expertise doit se pencher sur tous les éléments du dossier médical concernant les différentes phases du traitement prodigué.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, Nusret Alkan et Besrayi Alkan, nés en 1965, et Elvan Alkan, née en 1993, résident à Ağrı. A. La genèse de l’affaire Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les requérants, peuvent se résumer comme suit. Le 9 octobre 2000, la première requérante, alors âgée de 7 ans, fut conduite au dispensaire local d’Ağrı (« le dispensaire »), pour une infection des voies respiratoires inférieures. Le médecin M.A. ausculta l’enfant avant de lui prescrire plusieurs médicaments, dont le Voltarène 75 mg sous forme de solution injectable. Après que l’infirmière E.E. eut procédé à l’injection de ce médicament, la première requérante, prise d’une intense douleur au pied gauche, s’effondra au sol. Le médecin et l’infirmière indiquèrent aux parents que cette réaction était due à une simple sensation de brûlure causée par l’injection. L’enfant fut renvoyée chez elle. Le jour suivant, la première requérante, ne pouvant plus marcher, fut reconduite au dispensaire, où elle fut examinée par le médecin A.Y.T. Elle fut ensuite transférée vers l’hôpital public d’Iğdır pour un nouvel examen. À la suite de celui-ci, elle fut diagnostiquée comme souffrant du trouble dit du « pied tombant » en raison d’une lésion du nerf sciatique. B. La procédure pénale À une date non précisée, les requérants engagèrent une procédure pénale, qui se solda par la relaxe du médecin M.A. et de l’infirmière E.E. Dans le cadre de cette procédure, l’unité de pharmacologie et toxicologie de l’université Hacettepe rendit un avis médical le 28 septembre 2001. D’après cet avis, la lésion du nerf périphérique (à l’origine du syndrome du pied tombant) ne résultait pas de l’utilisation même du médicament, mais plutôt de la façon dont celui-ci avait été administré. Par la suite, les 30 et 31 janvier 2002, à la demande du tribunal correctionnel de Doğubeyazıt et du parquet d’Ankara, le Haut conseil de la santé remit un rapport d’expertise. Ce document faisait état des éléments suivants : - la première requérante avait été conduite au dispensaire, où elle avait été examinée par le médecin M.A. ; celui-ci lui avait prescrit du Ceclor MR 750 mg sous forme de comprimés pelliculés, du Voltarène en ampoules, de l’Emedur en ampoules, et de l’Iliadin, un spray nasal ; la patiente avait ressenti une douleur et une faiblesse au niveau du pied après l’injection de Voltarène administré par l’infirmière E.E. ; - selon un document médical du 17 octobre 2000 établi par l’hôpital public d’Iğdır, la première requérante avait été examinée par un médecin spécialiste en orthopédie, lequel avait constaté une trace d’injection d’un diamètre de deux centimètres au niveau de la ligne médiane de la zone glutéale gauche, l’intéressée présentait le syndrome du pied tombant, et son traitement était poursuivi ; - selon un document médical du 29 novembre 2000 également établi par l’hôpital public d’Iğdır, ledit syndrome pouvait être dû à l’injection de Voltarène ; - le médecin M.A. avait déclaré, dans son témoignage, qu’il avait prescrit les médicaments nécessaires après avoir ausculté la première requérante, qu’il avait recommandé un examen de cette dernière par un neurologue en raison d’une possible atteinte du nerf due à l’injection, qu’une électromyographie devait être effectuée afin de détecter un éventuel trouble du système nerveux, que l’avis d’un expert était nécessaire afin de déterminer si la souffrance de la patiente avait été causée par le mauvais positionnement du point d’injection ; - l’infirmière E.E. avait déclaré, dans sa déposition, qu’elle avait effectué l’injection au niveau de la fesse, conformément à la technique d’injection de l’ampoule de Voltarène, qu’elle n’avait pas revu la patiente après l’injection, qu’elle avait correctement administré l’injection, et qu’elle n’avait pas commis d’erreur. Dans son rapport, le Haut conseil de la santé se fondait sur les explications fournies par les mis en cause et concluait, à l’unanimité, d’une part que le traitement effectué par le médecin M.A. avait été diligent et conforme aux procédures de soins médicaux, et qu’aucune responsabilité pour faute n’était imputable à ce médecin, et d’autre part que le site de l’injection litigieuse était correct, et que l’infirmière E.E. n’avait pas commis d’erreur dès lors que la trajectoire du nerf sciatique pouvait différer d’une personne à une autre. C. La procédure en indemnisation Le 28 février 2002, les requérants intentèrent une action de pleine juridiction contre le ministère de la Santé devant le tribunal administratif d’Erzurum (« le tribunal administratif »). Ils réclamaient les sommes de 40 000 livres turques (TRL) (soit environ 33 250 euros (EUR) à l’époque pertinente) et de 30 000 TRL (soit environ 24 930 EUR), respectivement en réparation du préjudice matériel et du préjudice moral subis par la première requérante en raison de l’erreur qui aurait été commise lors de l’injection en cause. Les deuxième et troisième requérants sollicitaient en outre la somme de 15 000 TRL (soit environ 12 460 EUR), pour dommage moral, pour chacun d’entre eux. À l’appui de leurs demandes, les requérants soulignèrent notamment que l’utilisation du médicament Voltarène était contre-indiquée chez les jeunes enfants. Le 26 septembre 2005, le comité d’experts no 3 de l’institut médicolégal rendit un rapport d’expertise, sur la base des témoignages du médecin M.A. et de l’infirmière E.E., ainsi que de divers documents contenus dans le dossier médical. Ce rapport indiquait ce qui suit : « (...) la lésion actuelle [s’est] développée du fait de l’injection même, et l’infirmière qui l’a réalisée est donc fautive à hauteur de 4/8 (...) Par rapport à son âge, la perte de capacité de travail de l’individu [s’élève] à 28 % ». Le 15 mars 2006, le tribunal administratif accepta partiellement, sur la base de ce rapport, la demande des requérants, précisant que l’administration avait commis une faute grave de service en raison du handicap causé à la première requérante. Il octroya, à titre de compensation matérielle et morale, respectivement 15 877,03 TRL et 15 000 TRL à la première requérante, ainsi que 7 500 TRL à chacun des requérants Besrayi Alkan et Nusret Alkan pour dommage moral (soit, respectivement, environ 9 923 EUR, 9 375 EUR et 4 687 EUR à l’époque pertinente). Le 27 décembre 2006, le Conseil d’État cassa le jugement du tribunal administratif aux motifs qu’une contradiction existait entre les conclusions du rapport d’expertise du Haut conseil de la santé et celles du rapport du comité d’experts no 3 de l’institut médicolégal, et qu’il aurait fallu consulter l’assemblée plénière dudit institut pour trancher cette divergence et apporter une clarification quant à l’indication figurant dans la notice du médicament Voltarène selon laquelle cette substance ne devait pas être utilisée chez les jeunes enfants. Le 27 septembre 2007, l’assemblée plénière de l’institut médicolégal rendit un rapport qui concluait, par 24 voix contre 21, à l’absence de faute attribuable au médecin ou à l’infirmière. Ce rapport se fondait notamment sur : - le témoignage du 4 janvier 2001 du médecin A.Y.T., qui avait examiné l’enfant le lendemain de l’injection et qui avait affirmé, après avoir observé une paralysie chez celle-ci, que le site de l’injection était « le cadran supérieur externe de la zone glutéale » ; - le témoignage du 1er juin 2001 du même médecin, qui avait déclaré qu’il se pouvait que l’injection avait été « mal faite » et qui était alors revenu sur son précédent avis en ce qu’il avait initialement estimé que cette injection avait été « dûment réalisée » ; - le rapport daté du 17 octobre 2000, établi par l’hôpital public d’Iğdır concernant la paralysie de la première requérante, aux termes duquel, à l’examen, la trace de l’injection de 2 cm de diamètre se situait au niveau de la ligne médiane de la zone glutéale gauche. Le rapport de l’assemblée plénière de l’institut médicolégal indiquait, en conclusion, en se référant à deux ouvrages de médecine, que le médecin M.A. n’était pas fautif, étant donné que « les informations provenant de la littérature [médicale] comport[ai]ent une indication d’utilisation du médicament dénommé Voltarène chez les enfants de 7 ans ». Il indiquait également que l’infirmière E.E. n’était pas non plus fautive, aux motifs que « la description donnée à la suite de l’examen médical du 17 octobre 2000 concernant le site de l’injection ne permettait pas de déterminer l’emplacement exact de celui-ci » et que, en outre, « le médecin A.Y.T. avait confirmé que le site de l’injection était le bon ». Ce rapport concluait que, si le juge accordait crédit aux premières déclarations du médecin A.Y.T., l’infirmière E.E. devait alors être considérée comme non fautive et le handicap de la première requérante être analysé comme « une complication inhérente à l’injection ». Quant aux vingt et un experts légistes dissidents, ils exposaient que, bien que le Voltarène ampoule fût un médicament anti-inflammatoire non stéroïdien pouvant être indiqué chez l’enfant dans certains cas tels que l’arthrite rhumatoïde juvénile, sa notice précisait qu’il était proscrit chez les enfants. Ils estimaient par conséquent que le médecin M.A., qui l’avait en l’occurrence prescrit pour une enfant de 7 ans, atteinte d’une infection des voies respiratoires inférieures, était fautif à hauteur de 2/8. De plus, selon ces experts légistes, les témoignages du médecin A.Y.T. étant contradictoires, il n’avait pas été possible de déterminer, à partir des documents médicaux et judiciaires, si le site de l’injection était ou non correct. Ainsi, toujours selon eux, si le tribunal administratif venait à conclure que l’emplacement de l’injection était correct, aucune faute ne pourrait alors être imputée à l’infirmière E.E., et, dans le cas contraire, cette dernière devrait également être déclarée responsable à hauteur de 2/8. Le 19 mars 2008, le tribunal administratif débouta les requérants, en se fondant sur le rapport d’expertise du 27 septembre 2007 de l’assemblée plénière de l’institut médicolégal, au motif qu’en l’espèce l’administration mise en cause n’avait pas commis de « faute grave ». Le 29 janvier 2010, le Conseil d’État confirma la décision de première instance. Le 25 mars 2011, le Conseil d’État rejeta la demande en rectification des requérants, malgré un avis contraire du procureur général près cette juridiction. Selon ce dernier, il aurait fallu casser le jugement attaqué aux motifs que : - ses attendus étaient fondés sur les dépositions contradictoires du médecin A.Y.T., reprises dans le rapport d’expertise de l’assemblée plénière de l’institut médicolégal (paragraphe 16 ci-dessus), lequel n’était pas de nature à élucider les faits litigieux ; - les experts à l’origine de ce rapport, qui, pour déclarer le médecin M.A. non fautif, s’étaient référés à certaines publications datant de 2006 et de 2007 selon lesquelles le médicament dénommé Voltarène pouvait être utilisé chez les enfants, n’avaient pas recherché si ces publications contenaient des informations relatives aux doses et aux cas dans lesquels ce médicament pouvait être utilisé chez les jeunes enfants ; - l’avis médical du 28 septembre 2001 de l’unité de pharmacologie et toxicologie de l’université Hacettepe avait permis d’établir, de manière explicite, que la lésion du nerf périphérique (à l’origine du syndrome du pied tombant) ne résultait pas de l’utilisation même du médicament, mais plutôt de la façon dont celui-ci avait été administré. Le procureur général près le Conseil d’État concluait que, eu égard à l’avis médical du 28 septembre 2001 de l’université Hacettepe et au rapport d’expertise du comité d’experts no 3 de l’institut médicolégal, le préjudice causé à la première requérante était bien dû à une erreur commise lors de l’injection. II. LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTE La dixième chambre du Conseil d’État a confirmé, dans un jugement du 22 janvier 2009, la décision rendue par un tribunal de première instance ayant octroyé une compensation matérielle et morale à un patient qui était devenu handicapé à la suite d’une atteinte du nerf sciatique causée par une injection mal administrée. Dans ce jugement, le Conseil d’État s’est référé à un rapport d’expertise selon lequel le degré de responsabilité fautive du médecin mis en cause, de ce fait, était de 4/8.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1962 et réside à Istanbul. Il est membre du syndicat Tüm Bel-Sen (Tüm Belediye ve Yerel Yönetim Hizmetleri Emekçileri Sendikası – « le syndicat »), fondé en 1990 par des fonctionnaires en charge auprès de diverses municipalités. Le 16 mars 2009, environ 200 membres de différents syndicats, dont celui du requérant, se rassemblèrent à Beyoğlu (Istanbul) aux alentours de 10 heures et se dirigèrent vers un quartier voisin, Haliç, où se tenait le 5e Forum mondial de l’eau (« le forum »), afin d’y exprimer, par le biais d’une déclaration à la presse, leur désaccord avec la commercialisation et la privatisation des ressources d’eau. Les forces de l’ordre demandèrent aux participants en marche vers Haliç de ne pas s’y rendre et d’éviter ainsi de perturber la circulation, et ils leur indiquèrent qu’ils pouvaient faire leur déclaration à la presse à Beyoğlu. Selon le requérant, les manifestants avaient fait leur déclaration à la presse et, alors qu’ils auraient été en train de se disperser, la police était intervenue en donnant des coups de matraque, et en tirant des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc en direction des participants. Certains d’entre eux auraient été frappés et d’autres arrêtés. Lors de cette intervention, le requérant fut touché par une balle en caoutchouc qui le blessa sans pénétrer dans son corps. D’après le procès-verbal d’incident dressé le jour même à 11 heures par les forces d’intervention rapide, les manifestants s’étaient d’abord réunis dans le quartier de Beyoğlu. Après avoir été informée de la volonté de ces derniers d’avancer en direction des lieux où se tenait le forum, la police aurait pris des dispositions pour les en empêcher et aurait demandé aux représentants du groupe de faire leur déclaration à la presse dans un endroit déterminé, en évitant ainsi de bloquer le trafic et la circulation des piétons. Les manifestants auraient fait leur déclaration et la foule aurait commencé à se disperser. Certains individus auraient alors bloqué les passages, auraient scandé des slogans et se seraient dirigés vers les lieux du forum. La police les aurait sommés de se disperser, et certains d’entre eux auraient lancé des bouteilles et des pierres sur les agents des forces d’intervention rapide. Ceux-ci auraient d’abord réagi en se protégeant à l’aide de leurs boucliers avant d’intervenir avec le canon à eau et de réussir ainsi à débloquer les passages pour permettre à la circulation de reprendre son cours normal. Selon le procès-verbal dit « de sommation » établi le même jour, également à 11 heures, les forces d’intervention rapide avaient demandé au responsable de l’un des syndicats participants de ne pas se rendre dans le quartier de Haliç, et un groupe d’une vingtaine de personnes avait accepté et était parti après la lecture de la déclaration à la presse ; le restant du groupe se serait rapproché davantage du lieu du forum et aurait à son tour lu une déclaration. Toujours selon le procès-verbal, après avoir constaté qu’un certain nombre d’individus avaient refusé de quitter les lieux malgré la sommation ordonnant la dispersion de la manifestation, la police était intervenue pour disperser celle-ci. Le 17 mars 2009, le requérant déposa plainte auprès du procureur de la République de Beyoğlu (« le procureur »). Lors de sa déposition recueillie par le procureur le jour même, il exposa que, aussitôt après la lecture de leur déclaration à la presse, la police les avait assaillis à coups de matraque, les avait aspergés de gaz lacrymogènes et avait tiré sur eux des balles en caoutchouc. Il indiqua qu’il avait été touché dans le dos par l’une des balles et qu’il avait inhalé du gaz lacrymogène. Toujours à la même date, le requérant fut examiné à l’institut médicolégal de Beyoğlu, qui établit le constat qui suit : « À l’issue de l’examen de Kadri Kılıcı qui se plaignait d’une blessure causée par une balle en caoutchouc, on a observé sur son dos une rougeur et une ecchymose sur une zone de forme ovale d’une dimension approximative de 3 x 2 cm à l’endroit qui se trouve environ à 10 cm en dessous de l’omoplate gauche. La blessure n’engage pas le pronostic vital de l’intéressé et peut être traitée par une intervention médicale simple. » Le 26 août 2010, le procureur rendit un non-lieu à l’égard de tous les policiers mis en cause. Dans sa décision, il indiquait que les membres du syndicat s’étaient réunis et qu’ils avaient commencé à manifester à l’endroit où se tenait le forum. Il estimait que l’action de la police, à savoir l’usage de balles en caoutchouc dans le but d’arrêter le requérant, lequel aurait participé à une réunion illégale, était restée dans les limites du recours à la force légitime prévu par l’article 256 § 1 du code pénal. Le 6 octobre 2010, le requérant forma opposition contre le non-lieu rendu par le procureur, exposant que les membres de son syndicat s’étaient réunis afin de faire une déclaration à la presse, que les forces de l’ordre étaient intervenues pour disperser la foule et qu’il avait été blessé à la suite de tirs par la police de balles en caoutchouc. Il dénonçait également une atteinte à son droit à la liberté de réunion, soutenant que l’intervention de la police n’était pas justifiée dans les circonstances de la cause et que la force utilisée était disproportionnée. Le 22 novembre 2010, la cour d’assises de Bakırköy rejeta l’opposition du requérant. Cette décision fut notifiée à l’intéressé le 15 décembre 2010. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le droit interne Le code pénal dispose en son article pertinent en l’espèce : Article 256 Dépassement des limites du droit d’utilisation de la force légitime « 1. Les dispositions [du présent code] relatives à l’infraction de coups et blessures volontaires sont appliquées dans les cas où le fonctionnaire ayant le pouvoir de recourir à la force dépasse les limites de la force légitime lors de l’accomplissement de ses fonctions. » En outre, concernant le droit interne et, notamment, les attributions de la police et des forces d’intervention rapide dans le cadre des luttes antiémeutes, telles que fixées par la loi no 2559 du 14 juillet 1934 sur les attributions et obligations de la police, la Cour renvoie, entre autres, à ses arrêts Abdullah Yaşa et autres c. Turquie (no 44827/08, §§ 23-28, 16 juillet 2013) et Ataykaya c. Turquie (no 50275/08, §§ 30-35, 22 juillet 2014). Enfin, la législation interne relative à la liberté de réunion est décrite dans l’arrêt Eğitim ve Bilim Emekçileri Sendikası et autres c. Turquie (no 20347/07, §§ 43-48, 5 juillet 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La genèse de l’affaire Le requérant est né en 1957 et réside à Istanbul. Le 6 septembre 2000, un certain Z.Y., propriétaire du terrain contigu au bâtiment dans lequel vivait la famille du requérant (« le bâtiment »), demanda à la municipalité d’Eyüp (« la municipalité ») une attestation de constructibilité dudit terrain. Alors que cette demande était pendante, Z.Y. entama, sans permis, des travaux d’excavation (« les travaux »), et ce à proximité de lignes de haute tension aérienne de 154 kilowatts (kW) (« l’installation »). Des habitants du quartier alertèrent en vain les ouvriers sur le danger que l’activité des engins de chantier présentait du fait de l’installation surplombant la zone. Le 21 octobre 2000, au cours des travaux, une explosion retentit et un incendie se déclara au 4e étage du bâtiment en raison d’un arc électrique provenant de l’un des câbles de l’installation qui passait à 2 mètres des toits. Trois personnes, à savoir la fille du requérant ainsi qu’un enfant et sa mère, trouvèrent la mort. B. Les procédures diligentées en l’espèce La procédure pénale Le même jour, le procureur de la République d’Eyüp (« le procureur ») ouvrit d’office une instruction pénale. Il fut observé d’emblée que les travaux avaient été entrepris illégalement. Le 22 octobre et le 21 novembre 2000 respectivement, un examen post-mortem et une autopsie furent réalisés sur la dépouille de la fille du requérant. Il fut établi que celle-ci avait succombé à des brûlures et qu’elle avait été intoxiquée au monoxyde de carbone. Le 22 octobre 2000, le juge assesseur du tribunal de paix d’Eyüp interrogea B.B., le conducteur de la pelleteuse utilisée lors des travaux. Celui-ci exposa que, avant qu’il eût commencé son travail, le maître d’œuvre H.Y. avait fait attacher à un arbre les câbles électriques surplombant le site pour éviter que leur présence gênât le passage des camions et que lui-même n’avait pas touché ces câbles avec son engin. Le 23 octobre 2000, la municipalité mit le chantier sous scellés. Le 26 octobre suivant, elle condamna Z.Y. à une amende de 500 000 000 livres turques (TRL) (équivalant à l’époque à environ 877 euros (EUR)) pour contravention à la loi no 3194 sur l’urbanisme. Le 30 octobre 2000, un rapport d’incendie fut versé au dossier de l’enquête. Selon ce rapport, l’accident fatal avait résulté d’une série de négligences et d’imprudences. En l’occurrence, pendant les travaux, les ouvriers avaient tendu les câbles de l’installation afin de les attacher à un arbre au motif qu’ils gênaient les manœuvres des engins ; ensuite, le godet de la pelleteuse aurait arraché les lignes téléphoniques et aurait probablement touché aussi les câbles en question ; deux des câbles ainsi touchés auraient oscillé à une certaine hauteur sous le niveau de la toiture du bâtiment et ils auraient selon toute vraisemblance généré un arc électrique de haute tension avec le dernier étage. Le 1er novembre 2000, le procureur déféra devant la cour d’assises d’Eyüp (« la CAE ») Y.Ö., propriétaire de la pelleteuse, B.B. et H.Y. (paragraphe 10 cidessus), les accusant d’avoir causé par imprudence et négligence un incendie et la mort de trois personnes (article 383 § 2 de l’ancien code pénal). Il leur était reproché d’avoir indûment manipulé les câbles de l’installation sans prendre aucune mesure de sécurité et d’avoir ainsi provoqué un arc électrique à l’origine de l’incendie. Les débats furent ouverts devant la CAE le 6 novembre 2000. À l’audience du 6 février 2001, les défenses des prévenus B.B. et Y.Ö., notamment, furent recueillies. Le 14 février suivant, les juges entendirent un témoin oculaire et l’accusé H.Y. Lors de l’audience du 27 mars 2001, H.Y. et son avocat présentèrent leur défense ; l’avocat de B.B. fut également entendu. Le 10 mai 2001, la CAE interrogea trois témoins oculaires ainsi que le prévenu H.Y. et les avocats des parties intervenantes. Par ailleurs, elle ordonna la constitution d’un comité d’expertise aux fins d’un second constat des lieux et d’un rapport technique. L’université technique d’Istanbul (« l’université ») – une institution publique – fut sollicitée pour fournir une liste d’experts ingénieurs. Le 26 juin 2001, les débats furent ouverts en présence de H.Y. et B.B. La CAE invita la direction des sapeurs-pompiers à lui remettre tout enregistrement vidéo susceptible d’avoir été fait sur les lieux. Les juges prirent aussi acte de ce que l’université n’avait pas encore fourni la liste demandée. Le 23 août 2001, le collège de la CAE fut modifié et le dossier fut relu par les nouveaux juges. La liste d’experts n’avait toujours pas été réceptionnée. Le 20 septembre 2001, les juges chargèrent un de leurs pairs de constituer le comité d’expertise à partir de la liste d’ingénieurs reçue entre-temps. À l’audience du 18 octobre 2001, les juges impartirent au comité d’expertise un délai de quinze jours pour soumettre son rapport. Le 6 novembre 2001, le comité d’expertise déposa son rapport, confirmant que les travaux avaient bien été effectués sans permis de construire, à proximité de l’installation, et en l’absence de toute mesure de sécurité. Les experts observèrent aussi que, en violation du règlement sur les installations électriques de haute tension (paragraphe 50 ci-dessous), le bâtiment sinistré avait à l’origine été érigé à une distance de 2 mètres des lignes aériennes alors que la distance minimale réglementaire aurait été de 4 mètres et que, de surcroît, l’une des phases de ce câblage aurait été défectueuse. D’après les experts, lors des travaux, la pelleteuse avait étiré une ligne téléphonique, laquelle avait, à son tour, touché un câble passant trop près du bâtiment, ce qui aurait provoqué une décharge électrique de 154 kW vers l’étage où demeurait Esma Asma. Dans ce rapport, les responsabilités concurrentes se trouvaient établies comme suit : – H.Y., à hauteur de 4 sur une échelle de 8 (4/8), pour démarrage illégal de travaux, en outre en l’absence de toute mesure de sécurité ; – Y.Ö. et B.B., chacun à hauteur de 1/8, à raison de manœuvres effectuées d’une manière imprudente avec une pelleteuse ; – la municipalité, à hauteur de 2/8, au motif qu’elle n’avait pas procédé au contrôle des travaux entamés sans autorisation à proximité d’une installation et qu’elle avait toléré la construction d’un bâtiment au mépris des distances réglementaires minimales devant être respectées entre les habitations, leurs toits et les lignes aériennes de haute tension. Lors de l’audience du 8 novembre 2001, le dossier fut relu par les nouveaux juges de la CAE ; après examen du rapport d’expertise, H.Y., B.B. et Y.Ö. en contestèrent les conclusions. La CAE ordonna la transmission dudit rapport au procureur pour action, au motif que le rapport mettait également en cause la municipalité. À l’audience du 20 décembre 2001, la CAE annonça qu’elle déciderait ultérieurement de la nécessité d’ordonner une nouvelle expertise, compte tenu des objections des prévenus et de leur argument selon lequel la société anonyme de distribution d’électricité de Turquie (Türkiye Elektrik İletim A.Ş. (TEİAŞ)) devait également répondre de négligence concurrente dans la survenance de l’accident. TEİAŞ est une société économique étatique qui relève du décret-loi no 233 et dont le capital appartient à l’État. Le 26 novembre 2001, conformément à la dénonciation faite par la CAE (paragraphe 18 in fine ci-dessus), le procureur ouvrit un nouveau dossier à l’encontre de A.G. et de H.K., respectivement le maire et le directeur de l’aménagement urbain de la municipalité. En vertu de la loi no 4483 du 2 décembre 1999 sur la poursuite des fonctionnaires et autres agents publics (paragraphe 47 ci-dessous), le procureur transmit le dossier à la préfecture d’Eyüp afin d’obtenir l’autorisation requise pour poursuivre A.G. et H.K. Par la suite, ce dossier fut envoyé au ministère de l’Intérieur et joint aux autres affaires similaires en cours contre différents agents publics. Le 6 juin 2002, le collège de la CAE fut à nouveau modifié et l’on donna lecture des procès-verbaux aux nouveaux juges. La CAE décida de s’enquérir du sort du dossier pendant contre les agents municipaux A.G. et H.K. Le 20 novembre 2002, le ministère de l’Intérieur, qui avait été saisi aux termes de la loi no 4483 (paragraphe 20 ci-dessus), se fondant sur les résultats d’une investigation interne, refusa d’accorder l’autorisation demandée concernant A.G. et H.K. Il estima que ces derniers n’avaient pas pu prendre connaissance de l’illégalité des travaux menés sur le site avant la survenue, complètement à leur insu, de l’accident et que, en tout état de cause, par la suite, ils n’avaient pas manqué d’appliquer les sanctions administratives nécessaires aux contrevenants. Il semble que cette décision n’ait pas été portée à la connaissance de la CAE, car, à l’audience du 25 décembre 2002, celle-ci demanda derechef à en être informée. La CAE fit de même lors des débats suivants du 8 mai 2003. Le 8 octobre 2003, la CAE fut invitée par le ministère public à trancher la question réservée concernant la commande d’une nouvelle expertise (paragraphe 19 in limine ci-dessus). Aussi les juges ordonnèrent-ils la constitution d’un nouveau comité d’experts de trois ingénieurs et demandèrent-ils derechef à l’université de leur faire parvenir sa liste d’experts ingénieurs. Le 25 février 2004, la CAE n’avait toujours pas reçu la liste susmentionnée. À l’audience suivante du 27 avril 2004, la CAE observa qu’elle ne disposait toujours pas de la liste de l’université. Le 24 juin 2004, les juges obtinrent finalement la liste en question et ils désignèrent trois noms en vue de la constitution d’un comité d’expertise chargé de procéder à un nouveau constat des lieux. À l’audience du 22 décembre 2004, il fut constaté que les experts précédemment désignés n’étaient pas joignables et qu’aucun constat des lieux n’avait donc été effectué. La CAE décida alors de constituer rapidement un autre comité d’expertise. Selon toute vraisemblance, le nouveau comité n’a pu être désigné que lors de l’audience du 17 mars 2005. Ce comité rendit son rapport d’expertise complémentaire le 17 mai 2005. Il confirma que l’arc électrique à l’origine de l’incendie s’était bien produit lors des travaux, en raison de la rupture d’une ligne téléphonique alors entrée en contact avec le câblage à haute tension. Selon ce rapport, les responsabilités se répartissaient comme suit : – H.Y., à hauteur de 4/8, – B.B., à hauteur de 1/8, et – la municipalité, à hauteur de 2/8, pour des motifs identiques aux précédents (paragraphe 17 ci-dessus). Selon les trois experts, Y.Ö. n’avait aucune responsabilité dans la survenance de l’accident. En revanche, d’après eux, la TEİAŞ était responsable à hauteur de 1/8, au motif qu’elle avait toléré que l’on entamât de tels travaux à proximité d’une installation relevant de son autorité. À l’audience du 18 mai 2005, la CAE impartit aux prévenus un délai pour l’examen du nouveau rapport. Le 16 juin 2005, les prévenus contestèrent également les conclusions de ce dernier rapport. La CAE décida toutefois qu’il était suffisamment élaboré et instructif pour que l’on pût asseoir un jugement. Lors des débats du 12 octobre 2005, le ministère public présenta son réquisitoire. Il demanda la relaxe de Y.Ö. et la condamnation de H.Y. et de B.B. pour les faits reprochés. Il ne mit pas en cause la direction de la TEİAŞ. Le 22 novembre 2005, la CAE notifia la date de l’audience suivante aux avocats de Y.Ö., de H.Y. et de B.B. Le 23 mars 2006, elle accorda un délai aux avocats en question pour leur permettre de faire valoir leurs défenses finales. Le 10 mai 2006, la CAE, observant que l’avocat de H.Y. avait démissionné, chargea le barreau de désigner un représentant commis d’office. À l’audience du 18 juillet 2006, le ministère public déclara que, eu égard à la date à laquelle les prévenus avaient été entendus en leur défense, le délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 102 § 4 de l’ancien code pénal no 765 – imposant un régime plus favorable que celui du nouveau code pénal no 5237 du 1er juin 2005 – était échu. La CAE suivit l’avis du procureur et déclara l’action publique éteinte par prescription. Le 8 décembre 2006, le requérant se pourvut contre ce jugement devant la Cour de cassation. Le 12 mars 2009, la Cour de cassation rejeta son pourvoi et l’arrêt y afférent fut déposé au greffe de la CAE le 30 avril 2009. La procédure civile a) Le jugement Entre-temps, le 5 janvier 2001, le requérant, son épouse et son fils (« la famille Asma ») avaient introduit devant le tribunal de grande instance d’Eyüp (« le TGI ») une action en dommages-intérêts contre B.B., Y.Ö., H.Y. et la municipalité pour actes illicites, au sens du code des obligations, ayant entraîné la mort. Ils réclamaient : – pour le requérant et pour son épouse, 10 000 livres turques (TRY) chacun pour dommage moral et 2 000 TRY pour dommage matériel ; – pour leur fils, 5 000 TRY pour dommage moral et 1 000 TRY pour dommage matériel. La famille Asma avait omis de réclamer des intérêts moratoires. Alors que cette procédure était pendante, la famille Asma avait introduit le 14 octobre 2005 une seconde action de même nature, cette fois contre la direction de la TEİAŞ et Z.Y., réclamant les mêmes sommes aux mêmes titres, mais assorties d’intérêts légaux. Le 20 décembre 2005, ces deux actions avaient été jointes sous le dossier no E. 2001/16. Le 2 mars 2010, un comité d’expertise composé de trois ingénieurs fut chargé par le TGI de procéder à une expertise technique visant à l’établissement des faits et des responsabilités. Le 27 avril 2010, un actuaire fut également désigné aux fins du calcul de la perte de soutien financier subie par le requérant et son épouse. Le 12 mai 2010, le comité d’expertise susmentionné présenta son rapport. Il y concluait que le maître d’œuvre, H.Y., les conducteurs des camions et l’opérateur de la pelleteuse, B.B., avaient tenté de sécuriser le site en attachant les câbles électriques aériens à un arbre de l’autre côté de la rue et en coupant les lignes téléphoniques, qu’ils l’avaient fait de manière sauvage, sans prévenir les autorités municipales et sans avoir d’autorisation, et qu’ils avaient ainsi empêché que des mesures de sécurité appropriées fussent préalablement mises en place par des agents compétents. En conséquence, selon les experts, l’une des lignes téléphoniques qui oscillait au niveau des toits avait touché les câbles de haute tension, provoquant la naissance en direction du bâtiment d’un arc électrique à l’origine de l’incendie. Selon les experts, les responsabilités dans la survenance de cet accident se répartissaient ainsi : – H.Y., 25 %, au motif qu’il avait ouvert un chantier d’excavation sans permis de construire et qu’il avait omis de prendre in situ les mesures de sécurité nécessaires ; – Z.Y., 25 %, au motif qu’il avait commandé des travaux sans avoir obtenu les autorisations et les homologations requises auprès de la municipalité et de la TEİAŞ ; – Y.Ö., aucune responsabilité, au motif que, si ce n’est qu’il était le propriétaire de la pelleteuse incriminée, l’intéressé n’avait en rien été impliqué dans les événements ; – B.B., 15 %, au motif que ses manœuvres avec le godet de la pelleteuse avaient violé les consignes de sécurité ; – la municipalité, 25 %, au motif qu’elle avait manqué à ses devoirs de contrôle en matière d’urbanisation et de prévention des constructions illégales au regard des lois no 5272 sur les municipalités et no 775 sur les taudis ; et – la TEİAŞ, 10 %, au motif qu’elle avait toléré l’existence d’un bâtiment construit entre deux pylônes de haute tension en violation des distances minimales réglementaires. Le 13 mai 2010, l’actuaire déposa son rapport (paragraphe 33 cidessus). Il y évaluait la perte de soutien financier subie par le requérant à 5 456,61 TRY et celle de son épouse à 9 710,29 TRY. Par un jugement du 9 décembre 2010, le TGI donna partiellement gain de cause à la famille Asma. Les juges conclurent, entre autres, que, contrairement à ce qui avait été énoncé dans le rapport d’expertise, Y.Ö. avait une « responsabilité objective » à hauteur de 15 %, en sa qualité de propriétaire de la pelleteuse maniée par B.B. Par conséquent, le TGI condamna conjointement et solidairement H.Y., Z.Y., Y.Ö., B.B., la municipalité et la TEİAŞ à verser chacun au requérant et à son épouse 2 000 TRY pour dommage matériel et 7 000 TRY pour dommage moral ; il alloua aussi 3 000 TRY à leur fils pour dommage moral. Il assortit ces sommes d’intérêts moratoires à compter du 21 octobre 2000, date de l’accident. Le 10 février 2011, B.B. et Y.Ö. se pourvurent en cassation ; la TEİAŞ et la municipalité firent de même le 23 février et le 24 février 2011 respectivement. Par un arrêt du 17 avril 2012, la Cour de cassation accueillit le recours de la municipalité, au motif que celle-ci devait répondre devant les juridictions administratives. Quant aux autres appelants, elle conclut qu’il n’était pas possible de faire courir les intérêts moratoires à partir du 21 octobre 2000, dès lors que, dans le mémoire introductif d’instance du 5 janvier 2001, la famille Asma n’en aurait pas réclamé (paragraphe 31 in fine ci-dessus). Par ailleurs, elle estima que, les défenderesses ayant été condamnées « conjointement et solidairement » et la municipalité risquant d’être condamnée séparément par un tribunal administratif, il convenait d’inclure dans le dispositif une clause interdisant le cumul de versements futurs. Le requérant introduisit un recours en rectification d’arrêt, soutenant qu’il n’était pas possible d’infirmer le jugement dans le chef de toutes les personnes mises en cause au motif que H.Y. n’avait pas interjeté appel. Le 30 janvier 2013, la Cour de cassation fit droit à la demande du requérant et élimina H.Y. de la liste des appelants. L’affaire se clôtura donc définitivement pour ce dernier. Le 10 décembre 2013, le TGI rendit son second jugement. Se conformant à l’arrêt de cassation, il décida d’emblée de disjoindre le dossier en tant qu’il concernait la municipalité. Ensuite, tout en maintenant les sommes précédemment accordées, il statua que, dans les chefs de Z.Y., de H.Y. et de la TEİAŞ, les intérêts moratoires couraient à compter du 21 octobre 2000 et, dans les chefs de B.B. et de Y.Ö., à partir de la date d’opposabilité du jugement. Par une décision séparée du 6 mai 2014, le TGI revint sur l’affaire disjointe de la municipalité et se déclara incompétent ratione materiae en faveur des juridictions administratives d’Istanbul. Par un arrêt du 30 juin 2014, la Cour de cassation confirma le jugement du 10 décembre 2013. b) L’exécution du jugement du 10 décembre 2013 Selon les registres des services d’exécution forcée, la famille Asma se vit verser les sommes ci-dessous, majorées d’intérêts moratoires : – le 7 octobre 2011, Y.Ö. s’acquitta de 15 000 TRY (équivalant à cette date à environ 6 050 EUR) ; – le 25 mai 2011, Z.Y. versa 25 000 TRY (équivalant à cette date à environ 11 060 EUR) ; – le 17 octobre 2014, la TEİAŞ paya 37 329,93 TRY (équivalant à cette date à environ 12 955 EUR). Le total perçu jusqu’à l’introduction de la présente requête par la famille Asma s’élevait donc à 77 329,93 TRY (soit environ 30 065 EUR), étant entendu que, d’après le bordereau d’exécution y afférent du 16 octobre 2015, la famille demeurait créancier d’un reliquat de 35 941,59 TRY (équivalant à cette date à environ 10 900 EUR), restant à percevoir après l’accomplissement de formalités. La procédure administrative Le 2 juillet 2014, en vertu des attendus du jugement susmentionné du 6 mai 2014 (paragraphe 41 ci-dessus), la famille Asma saisit le tribunal administratif d’Istanbul (« le TAI ») d’une action de pleine juridiction contre la municipalité. Furent réclamées 5 456,61 TRY pour le requérant et 9 710,29 TRY pour son épouse pour perte de soutien financier (paragraphe 35 ci-dessus), ainsi que 10 000 TRY pour chacun des parents et 5 000 TRY pour leur fils au titre de dommage moral. Par un jugement du 29 mai 2015, le TAI reconnut la municipalité responsable d’une faute de service au motif qu’elle avait toléré la construction illégale du bâtiment incendié et la conduite de travaux illégaux. Il précisa que cette faute avait néanmoins été commise parallèlement aux fautes de tierces personnes, telles qu’établies par les juges civils. Observant que, selon les expertises, la municipalité avait une part de responsabilité à hauteur de 25 % dans la survenance de l’incendie, le TAI soumit les sommes réclamées par la famille Asma à un calcul au prorata et alloua ainsi : – au requérant, 1 364,15 TRY pour dommage matériel et 2 500 TRY pour dommage moral ; – à son épouse, 2 427,57 TRY pour dommage matériel et 2 500 TRY pour dommage moral ; et – à leur fils, 1 250 TRY pour dommage moral. Ces sommes étaient à majorer d’intérêts à compter du 21 octobre 2000, date du décès de la fille du requérant. La municipalité fit appel de ce jugement. En avril 2018, cette procédure était encore pendante devant le Conseil d’État. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Il convient de se référer à l’arrêt Aydoğdu c. Turquie (no 40448/06, §§ 37 à 39, 30 août 2016) s’agissant du régime instauré par la loi no 4483 du 2 décembre 1999 sur la poursuite des fonctionnaires et autres agents publics. Selon l’article 32 de la loi no 3194 sur l’aménagement du territoire : « Aux termes des dispositions de cette loi, lorsque – en dehors des constructions pouvant être réalisées sans permis – (...) il est constaté qu’une construction a été commencée sans permis ou a été érigée en contradiction avec le permis et ses annexes, l’état de la construction est évalué (...) par la municipalité ou la préfecture. La construction [fait l’objet d’une apposition de scellés] et le chantier [est] immédiatement arrêté. L’arrêt du chantier est considéré comme notifié au propriétaire de la construction par l’affichage sur les lieux de la construction du procès-verbal d’arrêt. Une copie de cette notification est remise au muhtar. À compter de cette date et au plus tard dans le délai d’un mois, le propriétaire de la construction, soit en mettant sa construction en conformité avec le permis soit en obtenant un permis, demande la levée des scellés auprès de la municipalité ou de la préfecture. S’agissant d’une construction non conforme au permis, s’il est constaté, après examen, que cette non-conformité a été [corrigée] ou qu’un permis a été obtenu et que la construction est conforme à ce permis, les scellés sont levés par la municipalité ou la préfecture et la poursuite de la construction est autorisée. » L’article 42 de ladite loi fixait les sanctions administratives applicables aux constructions non conformes aux dispositions de celle-ci. Selon l’article 15 § 2, alinéa 19, de l’ancienne loi no 1580 du 3 avril 1930 sur les municipalités, ces dernières sont tenues d’empêcher et d’interdire toute installation ou construction, contraire à la loi et aux règlements, qui serait établie sans permis ou porterait atteinte à la santé, à l’ordre et à la quiétude de la ville. La loi no 775 sur les taudis du 20 juillet 1966 énonce, dans son article 18, que tout bâtiment non autorisé, qu’il soit en phase de construction ou déjà habité, sera immédiatement détruit sans qu’une décision préalable soit nécessaire. La mise en œuvre de ces mesures incombe aux autorités administratives, lesquelles peuvent avoir recours aux forces de l’ordre et aux autres moyens de l’État (voir, aussi, Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, §§ 53 et 54, CEDH 2004XII). En ce qui concerne les mesures de sécurité qui s’imposent sur les chantiers de construction, il convient de se référer à l’arrêt Cevrioğlu c. Turquie (no 69546/12, §§ 33 à 40, 4 octobre 2016). Le règlement sur les installations électriques de haute tension no 16466 du 21 novembre 1978, en vigueur à l’époque des faits, énonce dans son article 44 h) que, s’agissant des lignes électriques d’une tension comprise entre 72,5 et 170 kW, la distance latérale minimale (selon la distance d’oscillation la plus large) entre les conducteurs d’une ligne aérienne et la partie la plus saillante des bâtiments est de 4 mètres.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une société à responsabilité limitée sise à Chișinău. A. Genèse de l’affaire Par un contrat du 15 janvier 2004, l’État, par l’intermédiaire du département de la privatisation, vendit à la société requérante des locaux d’une surface totale de 244,50 m2, sis 55 A, rue P.R., à Chișinău. Avant la vente, ces locaux étaient loués par la mairie de Chișinău à la société requérante. Le prix de vente était de 150 000 lei moldaves (MDL) (environ 9 000 euros à l’époque). Le 4 novembre 2004, l’office cadastral compétent enregistra le droit de propriété acquis par la société requérante en vertu de ce contrat. B. La procédure opposant la mairie de Chișinău à la société A. Dans l’intervalle, un litige avait opposé la mairie de Chișinău à la société A. au sujet du droit revendiqué par cette dernière d’occuper, à titre locatif, des locaux dans plusieurs immeubles voisins, dont celui situé au 55 A, rue P.R. Il ne ressort pas du dossier que les locaux privatisés par la société requérante (paragraphe 6 ci-dessus) faisaient l’objet de ce litige. Par une décision définitive du 27 mai 2004, la Cour suprême de justice avait donné gain de cause à la mairie de Chișinău. Elle avait notamment relevé que les immeubles litigieux étaient situés sur un terrain qui avait été transmis, par une décision de la mairie de Chișinău du 24 juillet 1997, à la société S. pour des travaux de démolition et de reconstruction. C. La procédure opposant la société S. à la société requérante et au département de la privatisation Le 18 janvier 2005, la société S. engagea contre la société requérante et le département de la privatisation une action tendant à obtenir la nullité du contrat de vente du 15 janvier 2004 (paragraphe 6 ci-dessus) ainsi que l’expulsion de la société requérante des locaux occupés au 55 A, rue P.R. Le 13 février 2006, la cour d’appel économique accueillit l’action. Faisant entre autres référence à la décision de la Cour suprême de justice du 27 mai 2004, elle déclara nul le contrat de vente, en application notamment de l’article 232 du code civil (paragraphe 17 ci-dessous). Le 1er mars 2006, la société requérante forma un recours. Elle objectait, entre autres, qu’aucune pièce du dossier ne prouvait que les locaux qu’elle avait achetés au 55 A, rue P.R. étaient situés sur le terrain transmis à la société S. Par une décision du 6 avril 2006, la Cour suprême de justice rejeta le recours comme mal fondé et confirma la décision de l’instance inférieure. Elle releva notamment ce qui suit : « Par la décision de la Cour suprême de justice du 27 mai 2004, [qui est revêtue de] l’autorité de la chose jugée, il a été établi que le bâtiment no 55 A (...) était situé sur le terrain de la rue P.R., ville de Chişinău, transmis à la société S., et que [l’immeuble litigieux] était visé par la décision de la mairie de Chişinău du 24 juillet 1997 (...) (...) Par conséquent, les actes juridiques contestés [y compris le contrat de vente du 15 janvier 2004] ont été conclus sans qu’il ait été tenu compte des droits préférentiels de possession et d’usage de la société S. » La Cour suprême estima également que les parties devaient être remises dans la situation antérieure à la signature du contrat de vente du 15 janvier 2004, déclaré nul. Par conséquent, elle ordonna à l’État de restituer la somme de 150 000 MDL à la société requérante, en application de l’article 219 du code civil. Le 4 février 2009, le droit de propriété de la société requérante sur les locaux litigieux fut rayé du registre des biens immobiliers. Les éléments du dossier ne permettent pas de savoir si l’État a ou non restitué à la société requérante la somme de 150 000 MDL que celle-ci lui avait versée pour l’achat de ces locaux. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes en l’espèce du code de procédure civile du 30 mai 2003 se lisent comme suit : Article 123. Les causes qui dispensent de la charge de la preuve « (...) Les faits établis par une décision de justice irrévocable dans une affaire civile examinée antérieurement (...) s’imposent à l’instance qui connaît de l’affaire, ne demandent pas à être prouvés à nouveau et ne peuvent pas non plus être contestés lors de l’examen d’une autre affaire civile à laquelle participent les mêmes personnes. (...) Les faits qui, selon la loi, sont présumés établis ne demandent pas à être prouvés par la personne en faveur de laquelle ils sont présumés. La présomption [attachée aux] faits peut être contestée, conformément aux règles générales de la preuve, par la personne intéressée, sauf si la loi en dispose autrement. (...) » Article 254. Les décisions de justice définitives et irrévocables « (...) Lorsque la décision dévient irrévocable, les parties et les autres participants au procès, ainsi que leurs successeurs en droits, ne peuvent plus déposer un nouvel acte introductif d’instance avec les mêmes prétentions et sur les mêmes fondements, ni contester dans un autre procès les faits et les rapports juridiques établis dans la décision de justice irrévocable. (...) » Dans plusieurs affaires civiles, la Cour suprême de justice a jugé que les faits établis dans des décisions ayant acquis la force de chose jugée, dont les parties n’étaient pas identiques à celles de l’instance en cours, ne demandaient pas à être prouvés, en application de l’article 123 § 2 du code de procédure civile (voir, par exemple, L.I. c. T.B. et l’étude notariale L.C., Cour suprême de justice, no 2ra-2115/2010, 25 novembre 2010, et SRL D. c. I.M. et autres, Cour suprême de justice, no 2ra-1142/2010, 10 juin 2010). Les dispositions pertinentes en l’espèce du code civil du 6 juin 2002 se lisent comme suit : Article 219. Les effets de la nullité de l’acte juridique « (...) Chaque partie doit restituer tout ce qu’elle a reçu sur le fondement de l’acte juridique déclaré nul (...). La partie et les tiers de bonne foi ont droit à la réparation du préjudice causé par la déclaration de nullité de l’acte juridique. (...) » Article 232. La nullité de l’acte juridique conclu en violation de l’interdiction de disposer d’un bien « L’acte juridique par lequel il a été disposé d’un bien à l’égard duquel, par la loi, par le tribunal ou par une autre autorité habilitée, une interdiction de disposer a été instituée (...) peut être déclaré nul par le tribunal à la demande des personnes en faveur desquelles l’interdiction a été instituée. (...) » Article 767. La responsabilité du vendeur en cas d’éviction de l’acheteur « En cas d’éviction de l’acheteur sur le fondement des droits d’un tiers sur le bien qui ont été constitués avant la conclusion du contrat de vente, le vendeur répare le préjudice découlant pour l’acheteur [de son éviction]. (...) » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 87 relative à la réparation par l’État du préjudice causé par la durée excessive du procès ou par la non-exécution dans un délai raisonnable de la décision de justice sont résumées dans l’affaire Balan c. Moldova ((déc.), no 44746/08, §§ 9-10, 24 janvier 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1970 et réside à Chadrinsk (région de Kourgan). A. Les activités de la requérante La requérante est une entrepreneuse individuelle. En 2005, elle commença la construction d’un parking sur un terrain en location qu’elle acheta par la suite. En 2007, la requérante fit inscrire le parking, dont le plateau était pavé avec des dalles de béton, dans le registre unifié d’État des biens urbains (Единый государственный реестр объектов градостроительной деятельности) sous la dénomination d’« ouvrage – toit sur fondation en béton avec plateau en béton » (сооружение - навес на бетонном фундаменте с бетонной площадкой) et se vit délivrer un certificat technique (технический паспорт) de l’ouvrage. B. L’enquête pénale pour vol de dalles Le 20 septembre 2007, une enquête pénale contre X fut ouverte pour vol de dalles appartenant à la société Tsentr. La requérante fut interrogée comme témoin. Le 16 novembre 2007, un enquêteur inspecta le parking de la requérante et qualifia de preuves matérielles certaines dalles pavant celuici. Le 22 mai 2009, un enquêteur ordonna le retrait de soixante dalles du parking de la requérante, en tant que preuves matérielles, ainsi que leur remise, pour conservation, à la société Tsentr. Le même jour, les employés de cette société retirèrent ces dalles. Le 10 mars 2010, la décision de retrait des dalles fut annulée comme étant contraire à la loi, au motif que l’enquêteur n’avait pas vérifié l’affirmation de la requérante selon laquelle ces dalles n’avaient aucun lien avec l’affaire pénale. Le 6 septembre 2010, l’enquête fut classée sans suite en raison de l’absence de faits constitutifs du délit. La requérante se vit informer qu’elle pouvait saisir la justice d’une demande de restitution des dalles « illicitement retirées ». La société Tsentr ayant entretemps revendu les dalles en question, la requérante ne put en obtenir la restitution. Le 10 juillet 2017, l’enquête pénale pour vol fut rouverte. C. L’action en indemnisation introduite par la requérante La requérante saisit la justice d’une demande d’indemnisation dirigée contre le ministère de l’Intérieur. Elle sollicitait une somme correspondant aux frais de la reconstruction du parking. À l’appui de sa demande, elle fournissait un devis estimatif comprenant le coût de la maind’œuvre pour le retrait des quelques dalles restantes, le chargement et déchargement de dalles de remplacement, et le repavage, ainsi que le prix des dalles et du sable. Le 30 mai 2012, le tribunal de commerce de la région de Kourgan accueillit partiellement l’action de l’intéressée, en se référant à l’article 15 du code civil (voir la partie « Le droit et la pratique internes pertinents »). Le tribunal considéra que l’illicéité des actes des fonctionnaires (неправомерность действий сотрудников органов внутренних дел) avait été démontrée et que l’État était responsable de la perte des dalles. Le tribunal ordonna le paiement à la requérante d’une somme correspondant au prix moyen de soixante dalles usées, et il rejeta la demande pour le surplus au motif que la requérante n’avait pas fait usage de son droit de demander une expertise pour déterminer la valeur réelle des dalles litigieuses. Il considéra par ailleurs que « les parties n’ [avaient] pas fourni de preuves des frais réels liés à la livraison des biens ». Quant à la demande d’indemnisation pour le coût des travaux de reconstruction du parking, le tribunal la rejeta. Il se prononça comme suit : « La demanderesse sollicite (...) une réparation du préjudice – coût des travaux de reconstruction de l’installation inachevée (объект незавершенного строительства) – le parking (...) En vertu de l’article 130 § 1 du code civil, les installations inachevées sont des biens immobiliers. Par conséquent, afin de déterminer le statut de l’installation litigieuse (bien meuble ou immeuble), il est nécessaire de déterminer s’il existe sur le terrain un bien immobilier autonome (...), il est aussi nécessaire de déterminer si le propriétaire du terrain (la demanderesse) a entrepris des démarches de création du parking en tant que bien immobilier distinct du terrain (...) À la différence des bâtiments, le plateau (твердое покрытие) ne contient pas d’éléments qui peuvent être détruits lors du déplacement du bien. (...) les dalles ne perdent pas leurs qualités fonctionnelles lors de leur déplacement. (...) le pavage par des dalles (покрытие из бетонных плит) en tant que tel ne peut pas être considéré comme un bien immobilier. (...) L’objet en question n’est pas pourvu des caractéristiques nécessaires de bien immobilier. (...) L’activité commerciale de gestion de parking peut être menée sur un autre terrain. (...) Le droit de propriété sur l’installation litigieuse n’est pas enregistré. Ainsi, cette installation ne peut pas faire l’objet de transactions. (...) Vu ce qui précède, le tribunal n’accepte pas comme preuve du préjudice subi le devis estimatif (...) » La requérante fit appel du jugement du tribunal de commerce. Elle reprochait en particulier à ce dernier de ne pas lui avoir octroyé une indemnisation pour le coût des travaux de reconstruction. Elle arguait que, indépendamment de la qualification de bien meuble ou immeuble de son parking, il s’agissait d’un objet distinct d’un simple entassement de dalles, qu’elle avait engagé des frais pour sa construction, et que le préjudice direct causé par le retrait des dalles en 2009 dépassait la valeur des dalles prises isolément. Le 12 août 2012, la 18e cour d’appel de commerce de la circonscription de l’Oural confirma le jugement en appel. Elle estima que le coût des travaux de reconstruction ne pouvait pas faire l’objet d’une indemnisation car « le bien litigieux [avait été] à bon droit qualifié par le tribunal de bien meuble (matériaux de construction) et non pas de bien immobilier inachevé ». Par ailleurs, la cour d’appel de commerce cita l’article 10 de la directive conjointe des plénums de la Cour suprême de Russie et de la Cour supérieure de commerce de Russie, relative au droit à l’indemnisation pour le préjudice (voir la partie « Le droit et la pratique internes pertinents »). Le 13 décembre 2012 et le 18 mars 2013, respectivement, la cour fédérale de commerce de la circonscription de l’Oural et la Cour supérieure de commerce de Russie rejetèrent le pourvoi en cassation et le pourvoi en révision interjetés contre le jugement et l’arrêt d’appel respectivement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon l’article 15 du code civil, la personne ayant subi une violation de ses droits peut exiger une réparation intégrale du préjudice (убытки) causé. La notion de préjudice englobe les frais que la personne a engagés ou devra engager afin de faire réparer la violation, la perte ou l’endommagement des biens, ainsi que le manque à gagner. Selon l’article 1064 du code civil, le dommage causé à la personne ou aux biens doit être réparé intégralement. Selon l’article 10 de la directive conjointe no 6/8 adoptée le 1er juillet 1996 par les plénums de la Cour suprême de Russie et de la Cour supérieure de commerce de Russie, dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 23 juin 2015, les juridictions statuant sur les actions en réparation du dommage causé par les violations des droits des justiciables devaient inclure dans le dommage direct non seulement les frais réellement causés par la violation, mais aussi les frais que le demandeur devrait engager afin de faire réparer la violation. Ces frais devaient être justifiés par des preuves (par exemple, un devis estimatif).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1983 et en 1982 et résident à İzmir. Le 4 septembre 2008, la requérante accoucha par césarienne de deux filles, prématurées de vingt-six semaines, à la clinique d’obstétrique d’İzmir Ege. À la même date, les nouveau-nées furent transférées à l’hôpital de formation et de recherche de Tepecik (« l’hôpital »), où elles furent placées en couveuse. L’une des jumelles, prénommée Aleyna, décéda le 13 septembre 2008. L’autre jumelle, prénommée Tuana, décéda le 20 septembre 2008, en même temps que douze autres bébés prématurés. A. L’enquête administrative diligentée par le ministère de la Santé Le ministère de la Santé décida d’entreprendre des investigations administratives d’office au motif que treize bébés étaient décédés le 20 septembre 2008 dans le service de néonatologie de l’hôpital. Dans leur rapport du 31 octobre 2008, les inspecteurs observèrent que treize prématurés placés dans le service de néonatologie étaient décédés après avoir reçu comme traitement de la solution de « nutrition parentérale totale » (TPN). Ils indiquèrent que la TPN avait été contaminée par un agent pathogène, l’enterobacter cloacae, qui avait provoqué chez les nouveau-nés une infection nosocomiale. Le dossier fut transmis au parquet d’İzmir en vue de son enquête pénale. B. L’instruction pénale Entretemps, le 22 septembre 2008, le parquet d’İzmir avait ordonné l’exhumation du corps de Tuana aux fins d’une autopsie, laquelle fut pratiquée le lendemain par l’institut médicolégal d’İzmir. Le 24 septembre 2008, les requérants déposèrent plainte auprès du parquet d’İzmir contre le personnel de l’hôpital. Le 18 novembre 2008, l’institut médicolégal présenta son rapport d’autopsie. Selon ce rapport, le décès était dû à une infection nosocomiale provoquée par un agent pathogène, l’enterobacter cloacae. Le parquet d’İzmir transmit la plainte des requérants ainsi que celle des autres parents ayant perdu leur bébé à la sous-préfecture de Konak (İzmir), en vertu de la loi no 4483 sur la poursuite des fonctionnaires et autres agents publics (« la loi no 4483 »). En effet, selon l’article 3 de cette loi, le sous-préfet était compétent pour décider de l’opportunité d’ouvrir une instruction pénale contre les fonctionnaires de son ressort. À la demande de la sous-préfecture de Konak, le ministère de la Santé désigna un inspecteur chargé de mener une enquête préliminaire administrative et, le cas échéant, disciplinaire sur les faits allégués. Le 14 janvier 2009, l’inspecteur rédigea son rapport, qui se lisait notamment comme suit : « Les treize bébés qui ont reçu de la solution TPN sont morts à cause d’une contamination du produit par un agent pathogène, à savoir l’enterobacter cloacae. Cette infection nosocomiale a causé chez les bébés un choc endotoxique et une septicémie. La bactérie a été identifiée grâce à une hémoculture. Elle a été également retrouvée dans les solutions de TPN et il s’agissait de la même souche bactérienne. L’incident est survenu à l’hôpital et l’infection s’est propagée rapidement. Il n’est cependant pas possible d’établir à ce stade l’origine exacte d’une telle infection. » Le rapport définitif fut soumis à la sous-préfecture de Konak le 23 janvier 2009. Le 2 février 2009, le sous-préfet refusa en vertu de l’article 6 de la loi no 4483 l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre du personnel médical de l’hôpital. En revanche, il autorisa l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre de la société qui avait préparé les solutions de TPN et des responsables en charge du contrôle bactériologique des produits. Le 1er avril 2009, le tribunal administratif régional d’İzmir annula la décision du sous-préfet au motif que les circonstances de l’incident n’avaient pas été établies et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour autoriser l’ouverture de poursuites pénales. Un nouveau rapport d’expertise médicale fut établi par trois professeurs en médecine à la date du 1er juin 2009. Les experts conclurent notamment que la TPN avait certainement été contaminée par la solution de chlorure de sodium (NaCl) et que cette contamination à l’enterobacter cloacae avait causé une épidémie. Ils estimèrent que, selon les données scientifiques, il n’était pas possible d’établir comment la solution de NaCl, qui devait être stérile, avait été contaminée de la sorte. Le 11 juin 2009, l’inspecteur, se fondant sur les conclusions des expertises médicales contenues dans le dossier d’enquête, conclut qu’aucune faute ou insuffisance professionnelle n’avait été commise par le personnel médical de l’hôpital, et que ni les médecins ni les infirmiers n’étaient responsables de l’incident litigieux. Selon l’inspecteur, l’autorisation de l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre des autorités hospitalières et de l’entreprise en charge de la préparation des solutions TPN ne devait dès lors pas être donnée. Le 12 juin 2009, le sous-préfet, faisant sien l’avis de l’inspecteur, refusa l’ouverture de poursuites pénales. Le parquet fit opposition à cette décision. Le 10 septembre 2009, le tribunal administratif régional d’İzmir rejeta cette opposition au motif que le rapport d’enquête attaqué était suffisant et adéquat. Par conséquent, le 2 novembre 2009, le parquet d’İzmir rendit une ordonnance de non-lieu. C. L’action en indemnisation Le 19 avril 2010, les requérants saisirent le ministère de la Santé d’une demande préalable d’indemnisation. Par une décision du 20 mai 2010, notifiée aux requérants le 3 juin 2010, l’administration rejeta cette demande. Le 21 juillet 2010, les requérants saisirent alors le tribunal administratif d’İzmir d’une action en indemnisation. Le 8 octobre 2010, le tribunal administratif d’İzmir débouta les requérants de leur demande au motif que l’action en indemnisation aurait dû être introduite dans le délai d’un an à compter de la date à laquelle ils avaient été informés du fait dommageable, soit, en l’occurrence, le 18 novembre 2008, date du rapport relatif à l’autopsie de Tuana. Le 19 février 2014, le Conseil d’État cassa le jugement du 8 octobre 2010 au motif que le délai de prescription commençait à courir à la date à laquelle les requérants avaient pris connaissance de l’imputabilité du fait litigieux à l’administration. Le 16 novembre 2015, le Conseil d’État rejeta le recours en rectification de l’arrêt introduit par le ministère de la Santé. À ce jour, l’affaire demeure pendante devant le tribunal administratif d’İzmir. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce sont développés dans l’arrêt Aydoğdu c. Turquie (no 40448/06, §§ 37-47, 30 août 2016).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1956 et réside à Llutxent. A. La genèse de l’affaire En 1979, le lycée public d’enseignement professionnel no 7 de Khorostkiv (Хоростківське СПТУ no 7 ; ci-après « le lycée »), qui employait la requérante et son mari, mit un appartement d’une pièce à leur disposition (ci-après « le premier appartement »). En mars 1992, l’administration locale de Khorostkiv alloua à la famille de la requérante un droit d’occupation et de jouissance pour une durée indéterminée (ордер) d’un autre appartement de trois pièces, de 37,26 m², figurant à l’actif du bilan du lycée (ci-après « le second appartement »). La famille était alors composée de la requérante, de son mari et de leurs deux enfants. En raison notamment de perturbations de la distribution d’eau dans le nouvel appartement, la famille continua, pendant trois ans environ, d’occuper le premier appartement. Jugeant le second appartement trop petit pour accueillir toute la famille, la requérante et son mari décidèrent d’y loger leurs deux enfants et de rester eux-mêmes dans le premier appartement. La requérante précise que la surface du second appartement ne correspondait pas à ce à quoi sa famille avait droit eu égard aux normes applicables. La requérante et son mari démissionnèrent du lycée en 2002 et 2005 respectivement, mais continuèrent à résider dans le premier appartement. Par la suite, la requérante et son mari partirent à l’étranger pour des raisons professionnelles. Ils confièrent les clés à une voisine, M.Y., qu’ils mandatèrent pour surveiller le premier appartement pendant leur absence et qu’ils autorisèrent à y entrer à tout moment. Ils y logeaient lors de leurs séjours en Ukraine, où ils revenaient une fois par an. En août 2006, deux employés du lycée, V.T. et I.P., demandèrent chacun au syndicat d’administration du lycée de leur accorder l’usage d’un appartement. Lors de sa réunion du 30 janvier 2007, le comité syndical accueillit la demande d’I.P. Il décida en outre de former une commission composée du directeur du lycée, de l’inspecteur de police de quartier, d’un élu et d’un représentant du conseil local afin de dresser l’inventaire des biens qui se trouvaient dans le premier appartement, de les transporter dans une pièce du lycée et de les y placer sous clef. Ces décisions furent transcrites dans le procès-verbal no 7. B. L’intervention dans le premier appartement Le 22 février 2007, en l’absence de la requérante et de son mari, qui se trouvaient à l’étranger, un groupe dirigé par Ch., le directeur du lycée (devenu entre-temps le lycée agricole de Khorostkiv), entra dans l’appartement après avoir forcé les serrures. Il ressort du jugement du tribunal de première instance prononcé dans le cadre de la procédure civile ultérieure, qu’outre Ch., le groupe était composé de N., l’inspecteur de police de quartier, de K., un élu du conseil local, de S., un représentant du conseil local, de M., l’adjoint-intendant du directeur du lycée, et de K., un membre du syndicat d’administration du lycée. Le Gouvernement indique que les biens qui se trouvaient dans l’appartement furent transportés dans une pièce du lycée où ils furent mis sous clef. I.P. et sa famille s’installèrent dans le premier appartement. Les parties ne précisent pas à quelle date. V.T., qui s’était vu refuser l’usage de l’appartement – et qui avait semble-t-il visité celui-ci en compagnie de M.Y. en janvier 2007 –, avait saisi d’une plainte le parquet de la région de Goussiatyne. Le 5 avril 2007, le procureur régional lui communiqua les résultats de la vérification qu’il avait effectuée. Il en ressortait que le comité syndical n’était pas compétent pour décider de son propre chef en la matière et que le procès-verbal no 7 n’était pas conforme à la législation. En effet, selon l’article 52 du code de l’habitat, la décision relative à l’octroi d’un logement relevait de la compétence conjointe du comité syndical et de l’administration de l’entreprise, de l’institution ou de l’établissement et devait en outre être approuvée par l’administration locale. Ensuite, selon l’article 109 § 1 du code de l’habitat, l’expulsion du logement ne pouvait avoir lieu que sur décision judiciaire, à l’exception des cas d’expulsion consentie. Le procureur en déduisit que l’expulsion de la famille de la requérante était illégale. Il indiqua en outre que l’octroi de l’usage du premier appartement à une autre personne n’était pas légalement possible avant qu’il eût été libéré par la famille de la requérante, selon les voies requises, observant à cet égard que l’expulsion n’avait pas été prononcée par un tribunal et que la famille de la requérante n’en avait pas été avisée par écrit. La requérante et son mari avaient également déposé une plainte devant le parquet de la région de Ternopil (le 13 mars 2007), dans laquelle ils dénonçaient leur éviction du premier appartement. Cette plainte avait été transférée au parquet de Goussiatyne qui, d’après le Gouvernement, avait procédé à une enquête, recueillant notamment les explications du directeur du lycée, du président du syndicat d’administration du lycée, de M.Y., d’I.P. et de V.T. En mai 2007, le parquet introduisit une requête devant le tribunal de Goussiatyne visant à l’annulation du procès-verbal no 7 et à l’expulsion de la famille I.P. Le 8 juin 2007, le tribunal retourna la requête au parquet, considérant que le fait que la requérante et son mari résidaient à l’étranger ne constituait pas un motif justifiant que le parquet représentât leurs intérêts. Le parquet avait interjeté appel mais s’était ensuite désisté eu égard au retour de la requérante et de son mari en Ukraine. La requérant et son mari rentrèrent en Ukraine en juillet 2007. C. L’enquête policière En septembre 2007, les affaires qui étaient restées dans le premier appartement furent brûlées ou jetées par le nouvel occupant, I.P. La requérante indique que, prévenus par M.Y. et des voisins, son mari et elle se rendirent sur place ; ils prirent des photographies de ce qui restait des affaires brulées et téléphonèrent immédiatement au département local de la police de Goussiatyne. La requérante précise que les biens dont elle et son mari ont ainsi été privés comprenaient en particulier des livres, des journaux personnels et de la correspondance personnelle. Le 11 septembre 2007, la requérante et son mari déposèrent une plainte. Ils dénonçaient le fait qu’I.P. avait détruit et jeté des biens leur appartenant qui se trouvaient dans le premier appartement. D’après le Gouvernement, le département local de la police de Goussiatyne (« le département de la police ») procéda à une enquête, recueillant notamment les dépositions de la requérante, de son mari, des personnes qui avaient participé à la commission susmentionnée, d’I.P., de V.P et de M.Y. Il décida le 13 septembre 2007 de ne pas introduire une action pénale, au motif que les éléments constitutifs de l’infraction prévue par l’article 185 du code pénal (vol) n’étaient pas réunis. Le 7 novembre 2007, saisi par le mari de la requérante, le parquet de Goussiatyne annula cette décision et renvoya l’affaire au département de la police afin qu’il procédât à d’autres investigations. D’après le Gouvernement, il procéda en conséquence à l’audition du mari de la requérante, d’I.P. et de M.Y. Le 21 novembre 2007, le département de la police refusa de nouveau d’engager une procédure pénale, constatant que le premier appartement avait été accordé à I.P., et que la commission composée des représentants du lycée et de l’administration locale y était entrée après en avoir forcé la serrure, pour dresser l’inventaire des biens s’y trouvant et les mettre en dépôt dans le bâtiment du lycée. Après avoir souligné que ni bijoux en or ni devises étrangères n’y avaient été découverts, le département local de la police de Goussiatyne conclut que les éléments constitutifs des infractions prévues par les articles 162 (violation de domicile) et 185 du code pénal n’étaient pas réunis. Indiquant que les tribunaux civils étaient compétents en d’espèce, il précisa la voie procédurale civile à emprunter afin que l’affaire pût être examinée au fond. Le 16 juin 2008, saisi par le mari de la requérante, le parquet de Goussiatyne annula cette décision et renvoya l’affaire au département de la police afin qu’il procédât à d’autres investigations. D’après le Gouvernement, I.P. et M.Y. furent une nouvelle fois entendus. Il ajoute que, le 27 juin 2008, pour le même motif que précédemment, le département local de la police de Goussiatyne refusa une nouvelle fois d’introduire une action pénale. La requérante indique que cette décision n’a pas été portée à sa connaissance. D. La procédure civile Le 20 octobre 2007, la requérante et son mari avaient entamé une procédure civile contre le lycée ainsi que contre I.P. et sa femme, aux fins de la restitution de leurs biens, de l’annulation du procès-verbal no 7, de leur réinstallation dans le premier appartement après l’expulsion d’I.P. et de sa famille, et de la réparation par le lycée du dommage moral qu’ils estimaient avoir subi. Ils invoquaient notamment l’article 30 de la Constitution ukrainienne. Ils soutenaient en outre que la perte des biens qui se trouvaient dans le premier appartement avait eu des conséquences négatives sur leurs relations avec leurs proches et sur l’organisation de leur vie. Le jugement du tribunal de Goussiatyne du 21 mars 2008 Le 21 mars 2008, le tribunal de Goussiatyne (« le tribunal ») rejeta l’action de la requérante et de son mari. Il reconnut qu’il y avait eu intrusion dans le premier appartement mais indiqua que les fautifs étaient V.T. et M.Y., qui avaient forcé la serrure et avaient installé une nouvelle serrure. Il releva ensuite qu’au cours d’une réunion de l’administration du lycée et de son comité syndical, plutôt que du seul comité syndical comme indiqué dans le procès-verbal no 7, il avait été décidé d’octroyer un droit de libre jouissance à I.P. Il précisa qu’aux termes de ce procès-verbal, il avait été décidé par vote : « (...) d’accorder la surface locative appartenant auparavant au [mari de la requérante] à I.P., sans accorder le droit de privatiser ou de vendre celle-ci selon la législation relative aux logements institutionnels (« за законом відомчої квартири »). De dresser l’inventaire des biens appartenant au [mari de la requérante], en présence des membres de la commission (...) et de transporter tous les biens dans un dépôt spécialement prévu à cette fin se trouvant dans un ancien bâtiment du lycée, de plomber celui-ci et d’en assurer la garde. » Le tribunal se référa ensuite à un acte du 22 février 2007, dont il ressortait qu’à cette date, la commission composée comme indiquée au paragraphe 11 ci-dessus, avait dressé un inventaire des biens en question et les avait remisés dans un ancien bâtiment du lycée. Recherchant si la famille de la requérante occupait l’appartement litigieux de manière légitime, le tribunal conclut que le droit de jouissance sur celui-ci lui avait été accordé en 1979 en violation des dispositions des articles 52 et 58 du code de l’habitat. Il constata notamment que la décision correspondante n’avait pas été prise par la direction et le comité syndical conjointement et qu’elle n’avait pas été approuvée par l’administration locale. Il releva en outre l’absence de délivrance d’un document établissant l’existence d’un droit d’occupation et de jouissance sur cet appartement (« ордер »), et constata que la famille Sagan avait été rayée du registre y afférent depuis 1992, après avoir obtenu le droit de jouissance du second appartement. Au final, le tribunal retint la nullité du titre d’occupation du premier appartement, essentiellement en raison du défaut d’approbation par l’administration locale. Se penchant ensuite sur la situation d’I.P., le tribunal se référa à des informations fournies par l’administration locale de Khorostkiv le 22 janvier 2008, dont il ressortait que la décision sur l’octroi de l’usage de l’appartement à I.P. n’avait pas été approuvée par l’administration locale, relevant ainsi la même carence que celle qui entachait la décision relative à la famille Sagan en 1979. Il n’en tira cependant aucune conséquence. Enfin, après avoir rappelé que le département local de la police de Goussiatyne avait refusé d’introduire une action pénale quant à l’intervention dans l’appartement en cause, le tribunal conclut que les droits civils de la requérante et de son mari n’avaient pas été violés, et rejeta la totalité de leurs demandes. L’arrêt de la cour d’appel de la région de Ternopil du 3 juin 2008 La requérante et son mari interjetèrent appel. Ils contestaient notamment la légalité du procès-verbal no 7, et faisaient valoir qu’à supposer même que le premier appartement leur eût été accordé de manière illégale, leur expulsion devait se faire selon les voies légales, et notamment dans le respect de l’article 109 du code de l’habitat. Ils contestaient également l’assertion du tribunal selon laquelle M.Y. et V.T. étaient entrés dans l’appartement sans leur autorisation, et dénonçaient le fait que V.T. et des témoins, qui pouvaient confirmer les faits quant à la fracture de la serrure et à la destruction de leurs biens, n’avaient pas été entendus par le tribunal lors de l’audience. Par ailleurs, ils invoquaient l’article 30 de la Constitution et soutenaient que l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement était illégale. Il ressort des termes de leur requête en cassation (paragraphe 30 cidessous) qu’au cours de la procédure devant la cour d’appel, la requérante et son mari avaient déclaré retirer leur requête pour autant qu’elle visait leur expulsion du premier appartement. Le 3 juin 2008, la cour d’appel de la région de Ternopil confirma le jugement de première instance. Elle retint en particulier que la requérante et son mari demeuraient et travaillaient à l’étranger depuis 2000, que « les biens des Sagans » qui se trouvaient dans l’appartement litigieux étaient de petite valeur et qu’ayant obtenu le droit de jouissance d’un autre logement en 1992, ils avaient perdu le droit d’usage de l’appartement occupé précédemment. Elle n’examina pas la question de la légalité de l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement à l’aune notamment de l’article 30 de la Constitution. Le rejet de la demande d’autorisation de former un pourvoi en cassation La requérante et son mari tentèrent de se pourvoir en cassation. Ils dénonçaient en particulier une violation des dispositions de l’article 30 de la Constitution et des articles 9 § 3 et 109 du code de l’habitat, et le fait que les tribunaux n’avaient pas examiné la légalité de l’ouverture du premier appartement, de l’intervention dans celui-ci, de leur expulsion, et de la disparition de leurs biens. Le 10 octobre 2008, un juge de la Cour suprême refusa d’autoriser la requérante et son mari à se pourvoir en cassation contre les décisions des tribunaux inférieurs, au motif qu’il n’avait décelé aucun indice d’application erronée de la législation interne. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution de l’Ukraine L’article 30 de la Constitution de l’Ukraine garantit à chacun l’inviolabilité de son logement. Il précise notamment que l’on ne peut s’introduire dans le logement ou dans une propriété d’une personne, inspecter les lieux ou y perquisitionner qu’en vertu d’une décision judiciaire motivée. Il ajoute que la loi peut prévoir une procédure différente en cas d’urgence ou dans un contexte de sauvetage de la vie humaine, de préservation de la propriété ou de recherche directe de suspects d’infractions pénales. B. Le code de l’habitat du 30 juin 1983 (amendé) L’article 4 du code de l’habitat (amendé) dispose que les maisons ainsi que les locaux à usage d’habitation dans d’autres immeubles, qui appartiennent à l’État, constituent le fonds de logements d’État. Selon l’article 18, la gestion du fonds de logements est assurée par son propriétaire ou par un établissement mandaté dans la mesure définie par le propriétaire. L’article 52 réglemente l’attribution des appartements du fonds de logements institutionnels. Il précise notamment que les appartements sont attribués par une décision commune de l’administration et du comité syndical des entreprises, institutions et établissements concernés qui, soit la soumettent à l’approbation du conseil municipal compétent, soit, dans certains cas, en informent seulement celui-ci. Sur la base de cette décision, le comité exécutif du conseil municipal délivre à la personne concernée un titre d’occupation, qui constitue le fondement juridique unique pour l’installation dans le logement accordé (article 58 du code). Selon l’article 109 § 1, l’expulsion locative ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice, à l’exception des cas d’expulsion consentie. C. Le code pénal du 5 avril 2001 (amendé) L’article 162 du code pénal (amendé) prévoit la responsabilité pénale pour violation de domicile. Son paragraphe 1 englobe sous cette notion toute intervention illégale dans un logement ou autre propriété d’une personne physique, toute inspection ou perquisition illégale, ainsi que toute expulsion illégale ou tous autres actes violant un domicile. Son paragraphe 2 spécifie la responsabilité pour une violation de domicile commise par un fonctionnaire avec recours à la force ou menace de son emploi. L’article 185 prévoit la responsabilité pénale pour vol.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1963 et réside à Istanbul. Le 8 octobre 2008, le requérant pénétra sur le territoire bulgare à bord d’un véhicule. À sa sortie du territoire bulgare, à la frontière turco-bulgare, le douanier bulgare lui demanda s’il avait quelque chose à déclarer. Le requérant répondit par l’affirmative et présenta au douanier la somme de 199 400 euros (EUR) en espèces. Il expliqua que l’argent provenait de la vente de son véhicule et de son compte bancaire, et il présenta des documents bancaires prouvant l’origine d’une partie de la somme. Le même jour, le chef de la douane de Svilengrad établit un constat d’infraction administrative. Il fut reproché au requérant de ne pas avoir déclaré à la douane la somme de 199 400 EUR. Toujours le même jour, la police de Svilengrad ouvrit des poursuites pénales contre le requérant pour les mêmes faits. Le dossier de l’enquête fut enregistré sous le numéro 435/08. Dans le cadre de cette enquête, par un procès-verbal dressé ce jour-là, un policier enquêteur saisit comme preuve matérielle les 199 400 EUR ainsi que deux autres billets de banque (500 EUR et 100 EUR) d’une valeur totale de 600 EUR. Le requérant remit, au même policier enquêteur, quarante-trois autres billets de banque, d’une valeur totale de 8 500 EUR. Cette mesure procédurale fut consignée dans un procès-verbal daté du même jour. Le document faisait référence aux articles 109, 110 et 159 du code de procédure pénale (CPP) – qui régissaient la remise volontaire de preuves matérielles aux autorités de poursuites pénales – et à l’enquête pénale no 435/08. Le 26 janvier 2009, le parquet de district de Svilengrad mit fin aux poursuites pénales contre le requérant au motif que, en l’absence d’une faute intentionnelle de la part du prévenu, les faits en cause n’étaient pas constitutifs d’une infraction pénale. Le dossier fut transmis à la douane de Svilengrad afin de lui permettre de statuer sur la question de savoir si les faits étaient constitutifs d’une infraction administrative. L’ordonnance du parquet mentionnait que la procédure pénale contre le requérant concernait la somme de 208 500 EUR. Par une décision du 12 février 2009, le chef de la douane de Svilengrad constata que le requérant n’avait pas accompli ses obligations déclaratives découlant de la législation interne en ce qui concernait la somme de 199 400 EUR. Il ordonna la confiscation de cette somme et imposa au requérant une amende de 3 000 levs bulgares (BGN) (soit environ 1 533,88 EUR). Le requérant contesta cette décision devant le tribunal de district de Svilengrad. Le 16 février 2009, l’avocate du requérant demanda au parquet de district de restituer à son client la somme de 9 100 EUR remise au policier au motif qu’elle ne faisait pas l’objet de la procédure administrative. Le 18 février 2009, le parquet de district décida de suspendre l’examen de cette demande jusqu’à l’entrée en vigueur de la décision de la douane de Svilengrad. Le 6 mars 2009, l’avocate du requérant s’adressa au tribunal de district de Svilengrad, par l’intermédiaire du parquet de district, pour contester la décision du parquet du 18 février 2009, qu’elle considérait comme un refus de restituer la somme de 9 100 EUR à son client. Le 25 mai 2009, statuant sur le recours formé par le requérant (paragraphes 12 et 13 ci-dessus), le tribunal de district de Svilengrad annula la décision du 12 février 2009 du chef de la douane de Svilengrad pour absence de comportement fautif de la part de l’intéressé. La douane de Svilengrad interjeta appel. Par un arrêt définitif du 26 novembre 2009, le tribunal administratif de Haskovo infirma le jugement du tribunal de district et confirma la décision du chef de la douane de Svilengrad du 12 février 2009. Il estimait que le requérant avait omis par négligence de déclarer par écrit aux autorités douanières bulgares qu’il transportait la somme de 199 400 EUR en espèces. Le 15 janvier 2010, l’avocate du requérant s’adressa au tribunal de district de Svilengrad pour se plaindre de l’absence de décision sur son recours du 6 mars 2009. Cette demande resta sans suite. L’avocate du requérant demanda également la restitution de cette somme au chef de la douane de Svilengrad, qui, par une lettre du 25 février 2010, l’informa que l’argent avait été saisi par le policier enquêteur et qu’il ne se trouvait pas à la douane. L’avocate du requérant introduisit un recours devant les tribunaux administratifs pour contester la réponse de la douane qu’elle qualifiait de refus de restituer la somme en question. Le 3 juin 2010, le tribunal administratif de Haskovo rejeta ce recours au motif que la lettre n’était pas un refus de restituer cette somme, mais qu’elle indiquait quel était l’organe compétent pour se prononcer sur cette question. Cette décision fut confirmée le 24 septembre 2010 par la Cour administrative suprême. L’avocate du requérant demanda également la restitution de cette somme à la police de Svilengrad. Par une lettre du 27 février 2011, le policier enquêteur, qui avait saisi l’argent, l’informa que la somme ne pouvait lui être restituée qu’après le prononcé d’une décision à cet effet par un tribunal ou par l’autorité chargée de la procédure administrative. L’avocate s’adressa alors au directeur régional de la police pour lui demander la restitution de l’argent en cause. Par une lettre du 2 juin 2011, celui-ci lui répondit que les procédures régissant la conservation et la restitution des preuves matérielles dans le cadre des poursuites pénales étaient régies par le CPP. D’après une lettre du chef de la police de Svilengrad, datée du 1er novembre 2017, à cette date la somme de 9 100 EUR se trouvait toujours au commissariat de police de cette ville. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET EUROPÉENS PERTINENTS En vertu de l’article 11, alinéas 3 et 4, de la loi sur les devises et de l’article 2, alinéas 2 et 4, de l’ordonnance ministérielle no 10 du 16 décembre 2003 sur l’application de cette loi, les étrangers qui introduisent sur le territoire du pays ou exportent du territoire du pays des sommes d’une valeur supérieure à 10 000 EUR doivent déclarer aux autorités douanières bulgares le montant et la provenance de l’argent. En vertu de l’article 18 de la loi sur les devises, la méconnaissance des règles de l’article 11 de cette loi est sanctionnée par une amende administrative pouvant aller de 1 000 à 3 000 BGN. En vertu de l’article 20 de la même loi, l’objet de l’infraction est confisqué au profit de l’État. En vertu de l’article 111, alinéa 1, du CPP, les preuves matérielles sont conservées jusqu’à la fin de la procédure pénale. Le procureur peut décider de les restituer à leurs propriétaires avant la fin de la procédure pénale (alinéa 2 du même article). Son refus de le faire est susceptible de recours devant le tribunal de première instance, lequel se prononce par une décision définitive (alinéa 3 du même article). Les dispositions pertinentes en l’espèce du Règlement no 1889/05 du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relatif aux contrôles de l’argent liquide entrant ou sortant de la Communauté ont été citées dans l’arrêt Boljević c. Croatie (no 43492/11, § 20, 31 janvier 2017). Dans son arrêt Chmielewski (C-255/14, 16 juillet 2015), rendu sur une demande de décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé qu’une amende dont le montant correspondait à soixante pourcent de la somme d’argent liquide non déclarée, lorsque cette somme était supérieure à 50 000 euros, n’apparaissait pas comme étant proportionnée (§ 30). Elle a noté à cet égard que la sanction prévue à l’article 9 du règlement no 1889/2005 visait non pas à sanctionner d’éventuelles activités frauduleuses ou illicites, mais uniquement une violation de l’obligation déclarative prévue à l’article 3 du règlement (§ 31). La Cour de justice a également observé que l’article 4, paragraphe 2, du règlement prévoyait la possibilité de retenir, par décision administrative, l’argent liquide non déclaré, notamment en vue de permettre aux autorités compétentes d’effectuer les contrôles et les vérifications nécessaires relatifs à la provenance de cet argent liquide, l’usage qu’il est prévu d’en faire et la destination de celuici (§ 33).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Węgierska Górka. A. L’arrestation du requérant et la conduite de ce dernier en cellule de dégrisement Le 23 novembre 2008, vers 23 heures, la compagne du requérant alerta la police, celui-ci étant sous l’emprise de l’alcool et ayant un comportement violent. Environ une heure plus tard, le requérant fut arrêté à son domicile par deux agents de police municipale. Menotté, il fut conduit dans leur véhicule au poste de Bielsko-Biała, où il fut placé en cellule de dégrisement. Le requérant affirme que, pendant le trajet vers la cellule de dégrisement, les policiers lui ont asséné des coups violents et l’ont forcé à ingurgiter de l’alcool. À son arrivée à la cellule de dégrisement le lendemain, vers une heure du matin, le requérant fut examiné par un médecin de garde, qui constata un hématome au-dessus de l’une de ses paupières et des symptômes de psoriasis (łuszczyca). Le requérant fut libéré environ neuf heures plus tard. Le 25 novembre 2008, le requérant fut examiné par un orthopédiste. Celui-ci constata une fracture de l’os zygomatique droit (złamanie kości jarzmowej prawej) et une fracture partielle du côté droit de la mâchoire (złamanie wyrostka stawowego żuchwy prawej), des hématomes autour des yeux et une douleur au niveau de l’omoplate droite, et il conclut à une incapacité de travail supérieure à sept jours. Il effectua une contention plâtrée des fractures et administra des médicaments antidouleur au requérant. Le 27 novembre 2008, le requérant fut examiné par un chirurgien, qui confirma le diagnostic de l’orthopédiste. Un certificat dressé le 17 décembre 2008 par un médecin légiste, chirurgien spécialisé en orthopédie, concluait à une incapacité de travail supérieure à sept jours. Selon le médecin, les lésions corporelles du requérant avaient pu être occasionnées dans les circonstances relatées par l’intéressé. B. La procédure consécutive à la plainte du requérant contre les policiers municipaux Le 25 novembre 2008, le requérant porta plainte contre les policiers municipaux pour abus d’autorité et coups et blessures. Le 13 février 2009, le parquet d’Oświęcim ouvrit une enquête. Le 25 mars 2009, le parquet prononça un non-lieu pour absence de preuves. Dans les motifs de sa décision, il relevait ce qui suit : - l’arrestation du requérant et sa conduite en cellule de dégrisement avaient eu lieu en raison du comportement violent de l’intéressé, qui se trouvait sous l’emprise de l’alcool ; - il ressortait des déclarations des agents impliqués que le requérant n’avait pas obtempéré à leurs ordres, qu’il les avait insultés et que, pendant le trajet vers la cellule de dégrisement, il avait continué à se comporter de manière violente ; - il n’avait été constaté, à l’issue de l’examen médical du requérant réalisé à l’admission de ce dernier en cellule de dégrisement, aucune lésion corporelle susceptible d’avoir résulté de prétendus mauvais traitements infligés par les agents de police; - un rapport d’expertise du 7 mars 2009 avait constaté que l’origine des contusions du requérant ne pouvait être précisément identifiée. Le requérant introduisit un recours contre l’ordonnance du parquet, par lequel il réitérait ses allégations et demandait que deux personnes, M.K. et W.P., fussent entendues en tant que témoins de son arrestation. Le 13 juillet 2009, le tribunal de district d’Oświęcim rejeta son recours au motif, notamment, que les témoins proposés n’avaient fourni aucun élément susceptible d’étayer les allégations de l’intéressé. À une date non précisée, le tribunal de district d’Oświęcim transmit au parquet un rapport d’expertise daté du 12 juillet 2010 que lui-même s’était vu remettre dans le cadre d’une autre procédure pendante devant lui (paragraphe 26 ci-dessous). Sur la base dudit rapport, en novembre 2010, l’enquête relative à la plainte du requérant contre les policiers municipaux fut reprise. Le 25 février 2011, le parquet établit un acte d’accusation à l’encontre des policiers impliqués, qui avaient été inculpés d’abus d’autorité et de coups et blessures, infractions punies par les dispositions de l’article 231 du code pénal (CP) combiné avec son article 158 § 1 (paragraphes 31-32 cidessous), et qui se voyaient renvoyés en jugement. Par un jugement du 25 février 2013, le tribunal de district d’Oświęcim relaxa les policiers, au motif d’une absence d’éléments montrant que les infractions reprochées avaient été commises. Le tribunal fonda sa conclusion, entre autres, sur un rapport d’expertise du 27 novembre 2012 dont il ressortait que l’origine exacte des contusions du requérant ne pouvait être identifiée. Le 17 janvier 2014, le tribunal régional de Cracovie rejeta l’appel que le requérant avait interjeté de ce jugement. Le requérant se pourvu en cassation devant la Cour suprême. Par un arrêt du 21 novembre 2014, la Cour suprême cassa le jugement attaqué et renvoya l’affaire au tribunal régional de Cracovie pour réexamen, au motif que le jugement en cause avait été rendu en violation manifeste des règles procédurales, laquelle violation avait influencé l’issue de l’affaire. La Cour suprême relevait ce qui suit : - au total trois rapports d’expertise (celui du 7 mars 2009, celui du 12 juillet 2010 et celui du 27 novembre 2012) sur les contusions du requérant avaient été établis dans les procédures conduites en rapport avec l’incident du 23 novembre 2008 ; - les jugements rendus par le tribunal de district et le tribunal régional respectivement le 25 février 2013 et le 17 janvier 2014 étaient fondés sur le seul rapport du 27 novembre 2012 et ne tenaient pas compte des constats du rapport du 12 juillet 2010, qui était pourtant la principale preuve à l’appui de l’acte d’accusation ; le défaut des juridictions inférieures d’élucider les divergences entre les rapports susmentionnés constituait une violation manifeste des règles procédurales ; - en réexaminant l’affaire, les juridictions de renvoi devraient entendre les experts auteurs desdits rapports, voire solliciter un complément d’expertise. Par un jugement du 25 février 2015, le tribunal régional de Cracovie, statuant en application de l’arrêt de la Cour suprême, annula le jugement du tribunal de district du 25 février 2013 et renvoya l’affaire à cette dernière juridiction pour réexamen. Par un jugement du 10 septembre 2015, le tribunal de district d’Oświęcim déclara les policiers impliqués coupables des faits qui leur étaient reprochés, et il les condamna chacun à une peine d’un an d’emprisonnement assortie de sursis avec mise à l’épreuve pendant une période de trois ans et à une amende de 1 500 zlotys polonais (PLN). En outre, le tribunal accueillit la demande du parquet, que l’avocat du requérant avait appuyée, l’invitant à obliger chacun des agents impliqués à indemniser l’intéressé à hauteur de 1 000 PLN et il enjoignit à ces derniers de rembourser au requérant les frais d’assistance juridictionnelle, qui s’élevaient à 1350,54 PLN. Dans les motifs de sa décision, le tribunal de district d’Oświęcim observait ce qui suit : - le 23 novembre 2008, vers 22 heures, le requérant était rentré chez lui après avoir consommé deux bières dans un bar du quartier ; à l’époque des faits, lui-même et sa compagne étaient en train de se séparer ; le requérant avait tenté d’entrer dans leur appartement mais n’y était pas parvenu, étant donné que la portée d’entrée était fermée ; convaincu que sa compagne avait l’intention de l’empêcher de pénétrer à l’intérieur, le requérant s’était mis à crier et à taper contre la porte, puis, après que celle-ci eut été ouverte, il s’était précipité vers sa compagne pour lui infliger un coup de poing et un coup de tête au visage ; la police municipale, alertée par la compagne du requérant, avait dépêché deux de ses agents sur place ; après avoir recueilli les déclarations de cette dernière selon lesquelles celle-ci craignait pour sa vie et sa santé et souhaitait que son compagnon fût évincé du domicile conjugal, les agents avaient décidé d’emmener le requérant en cellule de dégrisement ; à la suite de son refus d’obtempérer à leurs ordres, le requérant avait été conduit dans la cage d’escalier de l’immeuble, plaqué au sol, menotté, puis placé dans le véhicule de police ; pendant le trajet vers la cellule de dégrisement, un agent l’avait insulté à plusieurs occasions et lui avait posé des questions vulgaires à connotation sexuelle, puis il avait enfilé une paire de mitaines et lui avait asséné plusieurs coups au visage ; environ à mi-chemin de leur destination, le véhicule de police s’était arrêté au bord d’une petite voie, et les agents avaient alors infligé au requérant plusieurs coups au visage, dont deux, particulièrement intenses, avaient provoqué une fracture de l’os zygomatique droit et d’une partie du côté droit de la mâchoire ; l’un d’entre eux avait dit que le requérant « sentait trop peu l’alcool », à la suite de quoi l’autre agent avait sorti un récipient rempli de liquide et avait forcé le requérant à en ingurgiter ; le requérant avait tenté de se défendre et avait expliqué aux agents qu’il était âgé, qu’il avait des problèmes cardiaques et que « cela pourrait le tuer », ce à quoi l’un des agents avait répondu que « s’il ne buvait pas, ils le tueraient quand même » ; le requérant avait ensuite perdu connaissance ; il avait retrouvé ses esprits seulement à l’arrivée à la cellule de dégrisement ; là-bas, il avait subi un éthylotest et un examen médical à l’issue duquel il avait été constaté la présence d’un hématome autour de son œil gauche ; le requérant avait été libéré le lendemain ; à sa sortie de la cellule de dégrisement, il avait subi un autre examen médical et s’était entretenu avec une thérapeute ; dans une note écrite issue de cet entretien, cette dernière avait indiqué que le requérant avait des hématomes autour des yeux si importants qu’elle lui avait demandé « s’il venait de rentrer d’Irak » ; - les experts psychiatres avaient exclu que, au moment des faits, le requérant se trouvait sous une emprise trop importante de l’alcool ; - l’ensemble des preuves réunies montraient que les agents impliqués avaient bel et bien commis les faits reprochés ; les contusions occasionnées au requérant étaient telles qu’il était évident que la force utilisée à son encontre avait été excessive ; le comportement des agents pendant le trajet vers la cellule de dégrisement avait été particulièrement indigne : le requérant avait été victime de brutalités policières gratuites et illégales à un point tel que sa vie et sa santé avaient été en danger. En fixant les peines, le tribunal retint comme circonstance atténuante le casier judiciaire vierge des agents et comme circonstances aggravantes le fait que les agissements reprochés à ces derniers avaient été commis dans l’exercice de leurs fonctions, que leur degré de dangerosité sociale était élevé, que le requérant avait subi un préjudice important, qu’il était vulnérable et qu’il avait été forcé à ingurgiter de l’alcool uniquement pour que son admission en cellule de dégrisement fût assurée. En déterminant le montant de l’amende et de celui de la réparation à accorder au requérant, le tribunal tint compte de la situation financière des agents et de la gravité du préjudice occasionné à l’intéressé. Le 25 février 2016, le tribunal régional de Cracovie rejeta les appels que les agents concernés avaient interjetés de leurs condamnations respectives. C. La procédure menée contre le requérant pour violences conjugales et pour outrage et injure à agent de police en fonction À la suite de l’incident du 23 novembre 2008, le requérant fut poursuivi pour violences conjugales et pour outrage et injure à agent de police en fonction. Dans le cadre de la procédure y afférente, le 12 juillet 2010, un rapport d’expertise fut remis au tribunal de district d’Oświęcim. S’agissant de l’origine des contusions présentées par le requérant, ce rapport indiquait que soit ce dernier avait fait l’objet de coups intentionnels « overhand » (uderzenie kończące « overhand »), soit, alors qu’il était inerte, il avait eu la tête cognée avec force contre le bord contondant d’un objet, tel que, par exemple, une pièce d’équipement ou une porte de véhicule. Le rapport susmentionné constatait en outre que l’examen médical réalisé à l’admission du requérant en cellule de dégrisement avait été superficiel et que, compte tenu de son âge et de son état de santé, l’intéressé n’aurait pas lui-même pu se causer des lésions aussi importantes. Par un jugement du 3 septembre 2010, le tribunal de district d’Oświęcim déclara le requérant coupable des faits reprochés, le condamna à une peine d’amende de 700 PLN et l’obligea à payer 100 PLN au profit d’un orphelinat. Le 14 décembre 2010, le tribunal régional de Cracovie annula la condamnation du requérant du chef d’outrage à agent de police en fonction et, à cet égard, renvoya l’affaire au tribunal de district pour réexamen. Par un jugement du 31 mai 2011, le tribunal de district d’Oświęcim, statuant en tant que juridiction de renvoi, déclara le requérant coupable des faits reprochés et l’obligea à payer 50 PLN au profit d’un orphelinat. Envisageant d’interjeter appel de ce jugement, le requérant demanda au tribunal de lui faire parvenir les motifs de sa décision. Le 21 juin 2011, sa demande fut rejetée comme étant tardive. Le 11 janvier 2012, le tribunal de district d’Oświęcim déclara l’appel du requérant irrecevable. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 72 § 2 du CP, le tribunal peut prononcer une mesure pécuniaire indiquée à l’article 39 alinéa 7 ou bien il peut enjoindre à la personne condamnée de réparer le préjudice occasionné [à la victime] par l’infraction dans sa totalité ou en partie, sauf s’il a retenu une mesure compensatoire. Selon les articles 156 § 1, 157 § 1 et 158 § 1 du CP, une atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui consécutive à des coups et blessures est passible, en fonction de la gravité du préjudice occasionné à la victime, d’une peine d’emprisonnement allant de trois mois à dix ans. Selon l’article 231 § 1 du CP, un agent de la fonction publique qui abuse de ses fonctions ou se rend coupable d’une négligence et qui, par là même, porte atteinte à l’intérêt public ou privé est puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée pouvant aller jusqu’à trois ans.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont détenus à la prison de Grevena. A. Le déroulement de la fouille Le 13 avril 2013, de 7 h 45 à 16 h 45, une fouille surprise des cellules eut lieu à la prison de Grevena, à la demande du ministère de la Justice, en raison des informations faisant état d’une possible évasion ou d’une révolte des prisonniers. La fouille fut effectuée, en la présence du procureur près le tribunal correctionnel de Grevena superviseur de la prison, par le personnel pénitentiaire de la prison assisté des policiers de l’EKAM (unité spéciale de lutte contre le terrorisme), d’une unité des démineurs et d’un chien de police. La fouille eut lieu initialement dans l’aile B de la prison (40 cellules accueillant 140 détenus environ), puis dans la sous-aile A2 (20 cellules accueillant 70 détenus environ). Les autorités de la prison avaient préalablement informé les policiers de l’EKAM de la dangerosité des détenus placés dans cette partie de la prison. Selon le Gouvernement, en ouvrant la porte de chaque cellule, les policiers invitaient les détenus à coopérer et les prévenaient que toute résistance de leur part serait réprimée par un usage raisonnable de la force. Les détenus qui étaient prêts à coopérer étaient livrés à des policiers qui procédaient à une fouille corporelle, puis à la fouille de la cellule à l’aide du chien de police. Toutefois, certains détenus étaient particulièrement agressifs et avaient cherché la confrontation avec les policiers. En outre, lorsque les policiers passèrent les menottes à certains détenus, ceux-ci résistèrent, les insultèrent et les repoussèrent violemment en tentant de sortir au couloir devant les cellules dans le but d’occuper l’espace extérieur. Les policiers de l’EKAM durent alors les immobiliser et les menotter avant d’effectuer la fouille. Certains détenus lancèrent aussi contre policiers de l’EKAM différents objets et du café chaud et ils retournèrent des tables, ce qui obligea ceux-ci à faire un usage limité dans le temps (deux secondes) des « tasers ». Selon les requérants, les membres de l’EKAM, sans être provoqués, firent un usage excessif de « tasers » sur 31 détenus les paralysant pendant 10 secondes. Ils firent aussi usage de force, en les frappant, et les agressèrent verbalement. Ils forcèrent, en outre, les détenus à se rendre à quatre pattes dans la salle de sport de la prison, à se déshabiller entièrement et à se tenir debout tête face au mur pendant un certain temps. Lors de la fouille, les autorités détruisirent ou détériorèrent des objets personnels appartenant aux détenus : photographies, documents juridiques, nourriture, draps, couvertures, lunettes correctrices, objets religieux, vêtements sur lesquels ils versèrent de la sauce, du shampoing, ou de l’huile et drapeaux appartenant à des ressortissants étrangers. Dans l’aile B, les forces de police découvrirent un couteau improvisé, trois téléphones cellulaires et un chargeur. Dans la sous-aile A2, deux téléphones cellulaires et une quantité de poudre blanche (probablement des produits stupéfiants). Des fouilles similaires avaient aussi été effectuées dans la même prison antérieurement à la date du 13 avril 2013, soit aux dates suivantes : le 26 mars 2013 et les 3 et 8 avril 2013. Une autre fouille eut aussi lieu postérieurement, soit le 16 avril 2013. Après la fin de la fouille et vers 19 h, les détenus dans la sousaile A2, se prétendant victimes des violences, demandèrent à être examinés par le médecin de la prison (qui était aussi un détenu), Le médecin de la prison examina 28 détenus et constata qu’ils avaient des contusions et des traces de dermatite, sans pouvoir en déterminer la cause. Il précisait aussi que de telles traces étaient habituelles parmi les détenus et provenaient souvent des rixes entre eux mais ne risquaient en aucun cas de provoquer une lésion corporelle pérenne. B. Les recours introduits par les détenus et l’enquête menée par les autorités Après la fin de la fouille et vers 20 h, 60 détenus dans la sousaile A2 rédigèrent une pétition adressée au ministère de la Justice et au directeur de la prison de Grevena. Ils précisaient que lors de la fouille, les policiers se ruèrent dans les cellules et alors qu’aucun détenu n’avait résisté, ils les tabassèrent cruellement et firent usage des « tasers » à tous les parties du corps (bras, pied, cou, tête et même aux yeux) sans se soucier des conséquences. Ils ajoutaient que les policiers avaient aussi insulté la mémoire de leurs mères dont certaines étaient décédées. Ils détruisirent plusieurs effets personnels, dont de photos de famille, de documents judiciaires, de vêtements, de la nourriture. Les jours suivants, la fouille dans la prison de Grevena eut un large écho dans la presse. Le 17 avril 2013, un député, président de la commission parlementaire chargée du contrôle du système pénitentiaire, se rendit à la prison de Grevena. Il déclara que le rapport du médecin de la prison que lui avait remis le directeur de la prison « ne laissait aucun doute quant au tabassage impitoyable et aux tortures subis par les détenus avant la fouille dans les cellules ». Il écrivit au ministre de la Justice et l’informa qu’il avait constaté lui-même des cicatrices sur certains détenus. Le 25 avril 2013, le ministre de la Justice se rendit lui aussi à la prison et lors d’une réunion de la commission précitée, il fit part du fait qu’il avait lui aussi constaté des cicatrices sur plusieurs parties des corps des détenus en précisant qu’il ne pouvait pas expliquer leur origine. Le 18 avril 2013, les détenus saisirent d’une plainte le procureur près le tribunal correctionnel de Grevena. Ils lui demandaient d’ouvrir une enquête sur les incidents du 13 avril 2013. Le 30 avril 2013, le parquet du tribunal correctionnel de Grevena demanda au commandant du commissariat de police de Grevena de mener une enquête préliminaire afin, d’une part, d’effectuer un examen médicolégal visant à constater l’existence des blessures corporelles de nature à mettre en péril la vie des détenus ou à leur causer des lésions corporelles graves ; et, d’autre part, de constater les conditions dans lesquelles la fouille s’était déroulée. Le 4 mai 2013, un médecin légiste examina 29 détenus, dont certains requérants. En ce qui concerne huit d’entre eux, il constata qu’ils avaient des lésions qui auraient pu provenir de l’utilisation des « tasers », mais souligna qu’il était difficile de l’affirmer ou de l’exclure, compte tenu de l’écoulement d’un grand laps de temps. Il constata aussi que onze autres détenus avaient des œdèmes ou des petites contusions pouvant provenir des instruments, tels une matraque. Parmi les requérants, ceux qui avaient des lésions étaient MM. Charalampidis, Gobo, Kalketinidis, Murati, Petrov, Starova, Xhollo, Aliaj, Deda, Durma, Kasa et Perdoda. Dans dix autres cas, il ne constata aucune trace de lésion. Parmi les requérants, ceux qui ne portaient pas de telles traces étaient MM. Konstantinopoulos, Baku, Xaka, et Hysa. M. Beiko refusa de se faire examiner. Quant aux requérants MM. Cerepi, Himaj, Buluko-Megi, Cela et Shtypalli, ils ne figurent pas dans la liste des personnes examinées. Le médecin légiste précisait que dans tous les cas examinés, les blessures constituaient de simples lésions corporelles au sens de l’article 308 du code pénal. Le 1er juillet 2013, à la suite des doléances exprimées par 31 détenus de la prison et transmises par une organisation non gouvernementale au « Défenseur du citoyen » (Συνήγορος του Πολίτη – dorénavant « Médiateur »), une visite des adjoints de celui-ci eut lieu dans la prison. Dans un rapport du 16 décembre 2013, le Médiateur précisait que ses adjoints s’étaient rendus à la prison, s’étaient longuement entretenus avec le directeur de la prison, le psychologue et le représentant du personnel pénitentiaire au sujet des problèmes relatifs au fonctionnement de la prison. Il précisait aussi que ses adjoints avaient visité les cellules et les espaces communs de la prison, s’étaient entretenus avec plusieurs détenus et s’étaient procuré des éléments statistiques et des copies des décisions du conseil disciplinaire de la prison. Le 18 juillet 2013, la représentante des requérants demanda au procureur près le tribunal correctionnel de Grevena de prendre, en application de l’article 572 du code de procédure pénale, les mesures nécessaires pour rassembler et préserver tous les éléments de preuve qui étaient de nature à renvoyer en justice les auteurs des actes de torture perpétrés contre les requérants. À une date non précisée autour du 18 juillet 2013, le procureur près le tribunal correctionnel de Grevena ouvrit une enquête contre les détenus de la prison de Grevena pour « résistance et agression contre des officiers de police ». Toutefois, l’affaire fut classée sur le fondement de l’article 243 du code de procédure pénale car il fut considéré que les auteurs de ces infractions n’étaient pas identifiables et que donc une enquête préliminaire ou une instruction ne pourraient pas aboutir. Le 7 août 2013, les requérants, par l’intermédiaire de leur représentante, se plaignirent auprès du procureur de l’inaction des autorités pour enquêter sur l’incident du 13 avril 2013 et demandèrent de recevoir la vidéo et l’audio des caméras de surveillance de la prison ainsi qu’un rapport avec informations sur le progrès réalisé dans l’examen de leur plainte. Le procureur leur fournit seulement le rapport sollicité d’où il ressortait que l’enquête préliminaire avait été excessivement lente et n’avait commencé qu’après le rapport fait en application de l’article 572 du code de procédure pénale. Le 31 octobre 2013, dans le cadre de l’enquête, le directeur de la prison fut entendu par un juge du tribunal correctionnel de Grevena. Il déclara qu’il était présent dans la sous-aile A2 pendant la fouille, mais qu’il n’aperçut pas d’actes commis par le personnel pénitentiaire et les forces de police pouvant justifier les plaintes des détenus. Ce n’était que beaucoup plus tard, alors qu’il était rentré chez lui, qu’il avait appris par l’officier de garde que certains détenus de cette sous-aile avaient demandé de voir le médecin de la prison car ils avaient reçu des coups de la part des forces de l’ordre qui avaient de surcroît utilisé des « tasers ». Il se demandait comment les membres de l’EKAM avaient pu utiliser cet appareil alors que ni lui, ni le procureur, ni le directeur de la police de Grevena, ni les autres officiers de police présents, n’avaient rien remarqué. Le 12 février 2014, quatre députés initièrent une procédure de contrôle parlementaire relative à l’inefficacité de l’enquête concernant la plainte des requérants et interpellèrent le ministre de la Justice à ce sujet. Le 15 mars 2014, le procureur près le tribunal correctionnel de Grevena demanda à la Direction de police de la Macédoine de l’ouest de mener une enquête administrative assermentée destinée à éclaircir les circonstances dans lesquelles la fouille avait été effectuée. Le 28 août 2014, la Direction précitée désigna un officier de police supérieur pour mener cette enquête, examiner le bien-fondé des allégations contenues dans la plainte des détenus et, le cas échéant, identifier les responsables sur le plan disciplinaire. Le 8 octobre 2014, l’officier de police déposa son rapport dans lequel il concluait qu’aucun des policiers ayant participé à la fouille n’avait commis de faute disciplinaire et proposait de classer l’affaire, car les faits dénoncés par les détenus étaient mensongers, non fondés et excessifs. Le but des détenus serait d’interrompre les contrôles continus qui avaient lieu en cette période à la prison de Grevena et faire durer le trafic de couteaux improvisés, de téléphones portables et de stupéfiants. Dans son rapport, établi sur le fondement des dépositions de certains policiers, du médecin de la prison, de la plainte des détenus et du rapport du médecin légiste, l’officier de police se demandait par ailleurs pour quelle raison les détenus avaient déclaré les voies de fait qu’ils prétendaient avoir subi trois heures après le départ du procureur et des forces de police et non séance tenante pendant la fouille. Il se demandait aussi pourquoi aucun des détenus n’avait demandé son transfert dans un hôpital public alors qu’ils le faisaient souvent pour des motifs futiles. Il observait que l’heure à laquelle les détenus avaient demandé à être examinés par le médecin de la prison et avaient établi la « pétition » coïncidait avec l’heure de la promenade, ce qui sous-entendait que ce mouvement collectif avait été organisé par certains et que des détenus avaient été contraints à signer afin de créer un climat de tension dans la prison. Le rapport notait que l’un des policiers entendus avait déposé que lorsque des détenus avaient réagi de manière agressive en lançant des objets et en renversant des tables, les policiers firent usage de « tasers » pour une durée minimale (deux secondes) afin de mettre fin à ce comportement. Il soulignait aussi qu’en raison de l’étroitesse des lieux, il n’était pas possible d’utiliser un instrument moins drastique, tel que du gaz lacrymogène ou des matraques. Quant à la prétendue destruction des effets personnels, le rapport soulignait que celle-ci n’avait pas été causé par les membres de l’EKAM, la fouille des cellules relevant de la responsabilité exclusive des agents pénitentiaires. Les membres de l’EKAM assistaient ces derniers seulement pour extraire les détenus de leurs cellules. Le directeur de la police de Grevena approuva le rapport susmentionné en relevant que le dossier disciplinaire était complet et que toutes les circonstances de la cause et toutes les paramètres de l’affaire avaient été examinés avec diligence. Le 17 octobre 2014, le directeur de police régional de la Macédoine de l’ouest considéra que les policiers concernés n’avaient commis aucune faute disciplinaire, classa l’affaire et en informa le procureur près le tribunal correctionnel de Grevena. Le 24 novembre 2014, le procureur près le tribunal correctionnel de Grevena décida qu’il n’y avait pas d’indices suffisants pour engager des poursuites pénales contre les policiers impliqués dans la fouille. Il considéra que le comportement des policiers lors de la fouille avait été professionnel, formel, approprié et conforme aux lois et aux règlements de la police nationale. Les policiers avaient agi en respectant les principes de la légalité, de la proportionnalité et de l’indulgence et sans faire un usage disproportionné de la force, compte tenu des circonstances dans lesquelles s’était déroulée la fouille (détenus furieux dont la plupart étaient armés avec des couteaux improvisés). Plus particulièrement, dans son rapport adressé au procureur près la cour d’appel de la Macédoine de l’ouest, il indiquait ce qui suit : « Je vous informe que je n’ai pas engagé des poursuites et j’ai classé l’affaire (...). Le 13 avril 2013, une fouille eut lieu dans les cellules de la prison de Grevena, ordonnée par le ministère de la Justice et en présence d’un procureur près le tribunal correctionnel, superviseur de la prison. À l’origine de la fouille, il y avait des informations qui faisaient état de l’éventualité d’une mutinerie ou d’une évasion de détenus, car il y avait eu peu auparavant la tentative d’évasion de P.V. de la prison de Trikala et la prise d’otages de certains agents pénitentiaires dans la prison de Malandrino (...) Un procureur fut présent tout au long de la fouille. Les détenus entraient dans leurs cellules dont les portes fermaient immédiatement. Par la suite, les portes s’ouvraient une par une et les membres de l’EKAM entraient dans les cellules afin de prévenir toute tentative de résistance des détenus ou toute tentative de voies de fait avec des armes improvisées (lames et couteaux fabriqués quotidiennement avec les supports métalliques des lits). Chaque détenu était invité à collaborer avec les équipes policières et prévenu qu’en cas de refus d’obtempérer il serait fait usage raisonnable de la force pour neutraliser toute agression éventuelle. Si le détenu collaborait, il était livré à des agents de police et soumis à une fouille corporelle suivie de la fouille de la cellule (...) Avant la fouille dans la prison de Grevena, les membres de l’EKAM furent informés par le directeur de la prison et les agents pénitentiaires que les détenus dans l’aile B et la sous-aile A2 étaient les plus dangereux et qu’ils étaient tous en possession d’armes improvisées. Au-delà de leur dangerosité, ils étaient particulièrement irascibles et rétifs et avaient l’intention de provoquer une confrontation. Lors de la fouille, plusieurs détenus ont refusé d’obtempérer, ont insulté les policiers et les agents pénitentiaires, les ont repoussé et ont essayé de sortir dans le couloir devant leurs cellules afin d’occuper l’espace extérieur (...) Certains des détenus (...) se sont dirigés de manière menaçante à la direction des policiers et ont essayé de commettre des voies de fait. Un détenu portant une cigarette allumée a donné un coup de poing au visage d’un policier. (...) Dans certains cas où les détenus ne collaboraient pas et lançaient des objets et des armes improvisées contre les policiers, ceux-ci, par la force des choses et de manière légitime, ont actionné leurs « tasers » pour neutraliser l’agression. (...) Ce refus d’obtempérer de la part de certains détenus (...) eut pour résultat qu’ils subissent certaines lésions corporelles mineures, ne méritant pas d’être mentionnées ou commentées. À titre indicatif, le rapport annexé du médecin légiste précise que 29 détenus portent des contusions qui semblent avoir été causées par un « taser » mais sans que cela puisse être confirmé ou exclu du fait de l’écoulement d’un grand laps de temps. Le rapport précise aussi que dans d’autres cas des œdèmes et des rougeurs ont été observés alors que dans d’autres aucune lésion corporelle n’a été relevée. Certains détenus qui ont été examinés par le médecin de la prison (...) ont déclaré eux-mêmes la cause possible de leurs contusions mais ont refusé de se rendre à l’hôpital de Grevena (...) » Le 10 décembre 2014, le procureur près la cour d’appel de la Macédoine de l’ouest décida de classer l’affaire. Les représentantes des requérants furent informées oralement du classement de l’affaire le 16 décembre 2014. Le 17 décembre 2014, elles demandèrent au procureur près le tribunal correctionnel de Grevena de recevoir une copie de la décision du classement mais n’eurent aucune réponse. Le 14 janvier 2015, les représentantes des requérants saisirent le même procureur d’une nouvelle demande en soulignant que l’article 147 du code de procédure pénale les autorisaient aussi en tant qu’avocates à recevoir des copies de cette décision. Le 19 janvier 2015, le procureur leur confirma qu’elles recevraient copie du dossier et de la décision de classement si elles se rendaient à Grevena et réitéraient leur demande, ce qu’elles firent le 28 janvier 2015. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 7 § 2 de la Constitution : « Les tortures, tous sévices corporels, toute atteinte à la santé ou contrainte psychologique, ainsi que toute autre atteinte à la dignité humaine sont interdits et punis, comme il est prévu par la loi. » L’article 137A du code pénal est ainsi libellé : « 1. Un fonctionnaire ou un militaire dont les devoirs incluent les poursuites, l’interrogatoire ou l’enquête concernant des infractions pénales ou disciplinaires, l’exécution des sanctions ou la garde ou la surveillance de détenus est puni d’une peine de réclusion si, dans l’exercice de ses fonctions, il soumet à la torture une personne qui est sous son autorité dans le but a) de lui extorquer ou d’extorquer d’un tiers un aveu, un témoignage, une information ou une déclaration par laquelle elle répudierait ou adhérerait à une idéologie politique ou autre ; b) de la « punir » ; c) de l’intimider, elle ou un tiers. (...) La torture consiste (...) en toute infliction planifiée (methodevmeni) d’une douleur physique aigüe, d’un épuisement physique mettant en danger la santé d’une personne ou d’une souffrance mentale de nature à provoquer une lésion psychologique sévère, ainsi que tout usage illégal de substances chimiques, de drogues ou d’autres moyens naturels ou artificiels dans le but de fléchir la volonté de la victime. Les blessures corporelles, l’atteinte à la santé, l’exercice illégal d’une violence physique ou psychologique et toute autre atteinte sérieuse à la dignité humaine (...) sont punies d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans (...) Sont considérées comme des atteintes à la dignité humaine notamment : a) l’usage d’un détecteur de mensonges, b) la mise en isolement prolongé, c) une atteinte sérieuse à la dignité sexuelle. » Les articles pertinents du code de procédure pénale disposent : Article 31 § 3 « L’enquête préliminaire est brève et le laps de temps écoulé entre le moment où l’autorité compétente est informée [de la commission de l’acte répréhensible] et l’engagement des poursuites ou le non-lieu ne doit pas dépasser trois mois. Dans des cas exceptionnels, ce délai peut être prolongé de trois mois au maximum, si la nature de l’affaire ou de l’acte qui doit être effectué l’impose (....) par décision spécialement motivée du procureur (...) » Article 43 (début de la poursuite pénale) « 1. Lorsqu’il reçoit la plainte ou le rapport, le procureur met en œuvre l’action publique, en demandant la réalisation d’une enquête préliminaire ou d’une enquête ou en renvoyant l’affaire au tribunal par la voie de la comparution immédiate de l’accusé chaque fois que ceci est prévu. (...) Lorsque la plainte ou le rapport n’est pas fondée sur la loi, ou est manifestement mal fondée (...), le procureur près le tribunal correctionnel la classe et en soumettant le dossier au procureur près la cour d’appel, il lui indique les motifs qui l’ont conduit à ne pas mettre en mouvement l’action publique. Le procureur près la cour d’appel a le droit soit d’ordonner une enquête préliminaire, si l’infraction constitue un crime, soit d’engager des poursuites ou d’ordonner aussi une enquête préliminaire pour les autres types d’infractions. » Article 572 « 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée, exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition. (...) » L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil prévoit : « L’État est tenu de réparer les dommages causés par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si les actes ou omissions [en question] ont eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. L’organe fautif est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » III. LES CONSTATS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT) Dans son rapport du 1er mars 2016 (pages 5 et 6) faisant suite à sa visite en Grèce du 14 au 23 avril 2015, le CPT a exhorté les autorités grecques de reconnaître l’étendue du problème répandu et bien ancré des violences policières et en a appelé pour une stratégie exhaustive et une action déterminée pour combattre ce phénomène. Il devait être constamment rappelé aux officiers chargés de l’application de la loi, tant par les plus hautes instances politiques que par le biais d’une formation appropriée, que toute forme de mauvais traitements pratiqués sur de personnes détenus – y compris, la violence physique et/ou l’outrage verbal, le comportement raciste et les menaces – constitue une infraction pénale et sera poursuivie en conséquence. Le CPT a aussi souligné que presque aucun des détenus qu’il a rencontré lors de la visite et qui a déclaré avoir subi de violences policières n’a porté plainte par crainte de châtiment ou d’une peine plus sévère ou par manque d’information. Dans les rares cas où une plainte avait été introduite ou des violences policières ont été constatées par d’autres moyens, le CPT a encore noté que le système actuel d’enquête dans les allégations de mauvais traitements est caractérisé par un nombre des défaillances systémiques imputables à la police ou aux autorités judiciaires. Souvent l’enquête ne remplit pas les exigences d’effectivité telles que définies par la jurisprudence de la Cour et les standards du CPT. La délégation du CPT a consulté certains dossiers d’enquêtes effectuées d’où il ressort que les mesures prises par les autorités de poursuite pour enquêter sur des allégations particulièrement sérieuses de violences policières contenues dans le rapport du CPT de 2013 étaient manifestement insuffisantes. Cela crée des doutes sérieux quant à la détermination des autorités grecques de combattre l’impunité au sein de la police hellénique. La délégation a de nouveau reçu des plaintes fréquentes des détenus qui font état du rôle passif des procureurs et des juges lorsque leur attention était attirée sur des allégations de mauvais traitements.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, né en 1978, est détenu à la maison d’arrêt à Varsovie. Le 5 juillet 2011, il engagea devant le tribunal régional de Varsovie-Praga (« le tribunal régional ») une action dirigée contre quatre établissements pénitentiaires – la maison d’arrêt de Varsovie-Białołęka, la maison d’arrêt de Białystok, la prison de Białystok et la maison d’arrêt de Varsovie-Grochów – tendant à obtenir une indemnisation en raison de ses conditions d’incarcération pendant les périodes du 25 janvier 2001 au 1er juin 2007 et du 26 octobre 2007 au 10 avril 2008. Il déposa au tribunal régional l’acte introductif d’instance accompagné de cinq copies. En même temps, il demanda au tribunal régional de l’exonérer du paiement de la taxe judiciaire afférente au dépôt de l’acte susmentionné et de lui attribuer une aide juridictionnelle. Le 26 juillet 2011, le tribunal régional exonéra le requérant des frais de justice mais refusa de lui commettre un avocat d’office. Le 4 juin 2012, le tribunal régional débouta le requérant de son action en indemnisation au motif que celle-ci était prescrite. Il observa que l’action en question avait été engagée après l’expiration du délai de trois ans à compter du 10 avril 2008, date à laquelle la détention du requérant dans les conditions que celui-ci estimait inadéquates avait pris fin. Le tribunal régional constata en outre que le lien de causalité entre la détérioration alléguée de l’état de santé du requérant et les conditions de son incarcération n’était pas établi. Enfin, il condamna le requérant à payer les honoraires du bureau de l’avocat général de l’État, représentant de la partie défenderesse, d’un montant de 3 600 zlotys polonais (PLN), soit environ 840 euros (EUR). Le 27 août 2012, le requérant demanda au tribunal régional d’établir par écrit les motifs du jugement en cause et de les lui notifier. Par un courrier du 24 octobre 2012, le tribunal régional notifia au requérant le jugement du 4 juin 2012 accompagné de ses motifs et l’informa des conditions dans lesquelles il pouvait interjeter appel. Le passage pertinent du courrier en question exposait que « dans le délai de deux semaines à compter de la notification du jugement avec ses motifs, le requérant peut interjeter un appel soit directement auprès du tribunal régional, soit par courrier ». Le 5 novembre 2012, le requérant interjeta appel du jugement susmentionné. Simultanément, il demanda au tribunal régional de l’exonérer du paiement de la taxe judiciaire afférente au dépôt de l’appel et de lui commettre un avocat d’office pour la procédure devant la juridiction de second degré. Par un courrier du 20 novembre 2012, le tribunal régional invita le requérant à rectifier, sous sept jours et sous peine d’irrecevabilité de l’appel, les vices de forme de son recours. Il lui demandait à cet égard de préciser le montant de la somme en litige et de lui soumettre une copie de l’appel et de celle de son mémoire rectificatif des vices de forme. Pour satisfaire à cette obligation, le requérant demanda au tribunal régional de lui faire parvenir, à ses frais, une copie de son appel. Cette demande étant restée sans suite, le 11 décembre 2012, le requérant présenta au tribunal régional une pièce manuscrite reproduisant son appel dont le contenu n’était pas identique à celui de l’appel initial. Il déposa en outre en deux exemplaires un mémoire rectificatif des vices de forme de l’appel et précisa le montant de la somme en litige. Le 28 décembre 2012, se fondant sur l’article 370 du code de procédure civile (CPC), le tribunal régional déclara l’appel du requérant irrecevable. Il observa que la copie de l’appel déposée par le requérant le 11 décembre 2012 n’était pas identique à l’original du recours, ce qui justifiait la conclusion selon laquelle, contrairement aux exigences en la matière, l’appel du requérant n’avait pas été présenté en deux exemplaires. Le 1er mars 2013, le tribunal régional rejeta la demande du requérant d’admission au bénéfice de l’assistance juridictionnelle dans la procédure devant la juridiction de second degré au motif que cette demande était identique à celle, de même nature, qui avait été rejetée le 26 juillet 2012. Le 17 avril 2013, le tribunal régional déclara irrecevable le recours du requérant contre la décision susmentionnée, au motif qu’elle était insusceptible de recours. Le 17 juillet 2013, la cour d’appel de Varsovie (« la cour d’appel ») rejeta un recours du requérant contre la décision du 28 décembre 2012. La cour d’appel nota que, en vertu de l’article 368 § 1 du CPC combiné avec l’article 128 § 1 du même code, un appel devait être présenté en deux exemplaires aux fins de sa notification à l’intimé. Se référant à la jurisprudence de la Cour suprême, la cour d’appel observa que le contenu de la pièce versée au dossier par le requérant n’était pas identique au contenu de l’appel initial de l’intéressé et que, dès lors, elle ne pouvait pas être prise en compte en tant que copie de l’appel en question. Le 9 octobre 2013, la cour d’appel déclara irrecevable le recours du requérant contre la décision du 17 juillet 2013 au motif que celle-ci était insusceptible de recours. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Dispositions pertinentes du code de procédure civile Selon l’article 128 § 1 du CPC, chaque pièce de procédure et ses pièces jointes doivent être accompagnées de leurs copies aux fins de leur notification à d’autres parties à la procédure. Selon l’article 130 §§ 1 et 2 du même code, chaque partie à la procédure ayant déposé une pièce de procédure est invitée à éliminer les vices de forme empêchant le suivi de celle-ci, sous sept jours et sous peine de renvoi de la pièce en question. Une erreur dans l’intitulé d’une pièce de procédure ou des inexactitudes évidentes n’empêchent pas son examen selon la procédure applicable. Si la partie à la procédure ne s’exécute pas dans le délai imparti, la pièce qu’elle a soumise lui est renvoyée et n’entraîne aucun effet juridique. Selon l’article 368 § 1 du CPC, l’appel doit satisfaire aux conditions applicables aux pièces de procédure. Selon l’article 370 du même code, le tribunal de première instance déclare irrecevable un appel interjeté après l’expiration du délai imparti à cet effet, un appel dont la taxe judiciaire afférente n’a pas été payée, un appel qui est irrecevable pour d’autres motifs et un appel dont les vices de forme n’ont pas été éliminés dans le délai imparti. Selon l’article 5 du CPC, en cas de besoin justifié, un tribunal peut fournir à une partie à la procédure non assistée par un avocat ou par un conseiller juridique des informations nécessaires à propos des démarches procédurales à suivre. Selon l’article 327 § 2 de ce code, si une partie à la procédure non assistée par un avocat ou par un conseiller juridique est absente lors du prononcé d’un jugement en raison de son incarcération, le tribunal lui notifie d’office ce jugement accompagné d’une instruction sur le délai et les conditions à observer pour interjeter appel. Selon l’article 9 § 1 alinéa 2 du même code, une partie à la procédure a le droit de consulter son dossier et d’en obtenir des copies certifiées, des copies simples et des extraits. B. Dispositions pertinentes du règlement du fonctionnement des tribunaux Selon l’article 96 § 2 de la loi du 23 février 2007 sur le fonctionnement des tribunaux dans sa formulation en vigueur à l’époque des faits, lorsque la personne ayant le droit de consulter un dossier est incarcérée, le président d’une chambre du tribunal peut ordonner, sur demande de cette personne, que le dossier en cause lui soit présenté sur son lieu d’incarcération, sauf en cas de circonstances particulières lui permettant d’autoriser l’intéressée à consulter le dossier en question au greffe du tribunal. C. La jurisprudence pertinente des juridictions nationales En principe, une partie à la procédure civile doit joindre à l’appel les copies de celui-ci et des copies des pièces jointes afin qu’elles puissent être signifiées à la partie adverse (ordonnance de la Cour suprême du 5 avril 2013, no II CZ 20/13). Seule la copie reflétant fidèlement le contenu d’une pièce de procédure peut être considérée comme « sa véritable copie » (décision de la cour d’appel de Rzeszów du 14 février 2013, no III AUz 19/13). Il n’appartient pas au tribunal de se substituer à une partie à la procédure pour produire des copies des pièces pour leur signification à la partie adverse, y compris lorsque la partie intéressée est une personne porteuse de handicap (arrêt de la cour d’appel de Katowice du 27 septembre 2012, no ACz 746/12).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1985 et en 1987 au Maroc. À une date non précisée, le premier requérant se rendit en Espagne pour y résider avec une partie de sa famille. Il fut scolarisé en Espagne entre 1998 et 2001 et obtint plusieurs permis de travail et de résidence, y compris un permis de résidence de longue durée valable à partir du 28 février 2006. Celui-ci expira le 27 février 2011. La mère et les cinq frères et sœurs du requérant résident en Espagne, dans la province de Gérone. Le second requérant entra avec sa famille en Espagne le 21 juillet 1998 selon le Gouvernement, après quoi il fut scolarisé entre 1999 et 2003. Il obtint le permis de résidence de longue durée le 7 août 2002 pour une période de cinq ans renouvelable. Son dernier permis expira le 6 août 2012. Le 7 novembre 2007, le second requérant se maria au Maroc avec une femme de nationalité marocaine qui demanda par la suite l’entrée en Espagne dans le cadre du regroupement familial. Les parents et les frères et sœurs du second requérant résident en Espagne, dans la province de Gérone. Par des jugements rendus le 9 juin 2008 par le juge pénal no 1 de Gérone et à une date non précisée par le juge pénal no 1 de Tarragone, les requérants furent condamnés à des peines d’un an d’emprisonnement avec sursis et de trois ans et un jour d’emprisonnement, respectivement, pour un délit contre la santé publique, à savoir du trafic de stupéfiants. Le premier requérant avait vendu du haschisch (2,766 grammes) devant l’entrée d’une école de Gérone, en 2004. La direction générale de la police et de la garde civile (« la direction générale ») entama par la suite des procédures d’expulsion à l’encontre des requérants en raison des condamnations pénales précitées. Dans la procédure administrative concernant le premier requérant, la direction générale fit référence à plusieurs arrestations pour culture ou élaboration de drogues, vols avec violence et intimidation, désobéissance aux représentants de l’autorité et violation de peine. Ces arrestations avaient eu lieu entre 2004 et 2010. L’instructeur de la procédure administrative concernant le premier requérant proposa que l’interdiction du territoire à l’encontre de l’intéressé fût fixée à cinq ans. Dans la procédure administrative concernant le second requérant, la direction générale mentionna que celui-ci était incarcéré et en train de purger la peine de trois ans et un jour d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné. Elle se référa également à des arrestations pour trafic de stupéfiants en 2008 et pour atteinte à l’autorité et à ses représentants, en 2010. Le 11 novembre 2010 et 1er août 2011, les sous-délégations du gouvernement central à Gérone et à Barcelone décrétèrent l’expulsion administrative des requérants en application de l’article 57 § 2 de la loi organique no 4/2000 du 11 janvier 2000 portant sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale (« la loi portant sur les droits des étrangers »), assortie d’une interdiction du territoire pour une durée de quatre ans dans le cas du premier requérant et de dix ans dans le cas du second requérant. Les requérants s’opposèrent à leur expulsion. Le premier requérant soutint que son expulsion emporterait violation de l’article 8 de la Convention au motif que toute sa famille (sa mère, ses frères et sœurs, ses beaux-frères et ses neveux) vivait en Espagne et qu’il n’avait aucun lien avec le Maroc. Il allégua aussi qu’il était titulaire d’un permis de résidence de longue durée et qu’il avait vécu plus de quinze ans en Espagne, où il avait été scolarisé et avait travaillé. Le second requérant argua que son expulsion emporterait violation de l’article 8 de la Convention au motif que toute sa famille (ses parents, ses frères et sœurs, ses neveux et ses cousins) ainsi que son épouse résidaient en Espagne. Il allégua également qu’il était titulaire d’un permis de résidence de longue durée et qu’il avait vécu depuis l’âge de cinq ans en Espagne, où il avait été scolarisé. Par un jugement du 22 juin 2011, le juge du contentieux administratif no 1 de Gérone rejeta le recours du premier requérant et confirma l’arrêté d’expulsion. Il se référa à la condamnation au pénal de l’intéressé, au nombre de détentions dont il avait fait l’objet et à son absence de liens sociaux et professionnels en Espagne, ainsi qu’au fait que l’allocation chômage qu’il touchait avait expiré le 30 juin 2009. Le juge s’appuya explicitement sur l’article 57 § 5 b) de la loi portant sur le droit des étrangers, lequel prévoyait l’obligation de mettre en balance les différentes circonstances personnelles et familiales pour ordonner à titre de sanction l’expulsion des résidents de longue durée (voir la partie « Le droit interne pertinent » ci-dessous). Il déclara ne discerner aucune circonstance prévue par cette disposition de nature à qualifier l’expulsion en cause de non nécessaire. Par un jugement du 9 juillet 2012, le juge du contentieux administratif no 3 de Gérone fit partiellement droit à la demande du second requérant et réduisit l’interdiction du territoire à une période de trois ans, compte tenu du principe de proportionnalité et des circonstances personnelles et familiales de l’intéressé. Il nota que, conformément à l’article 58 de la loi portant sur le droit des étrangers, la période maximale de dix ans d’interdiction du territoire ne s’appliquait que lorsque le ressortissant étranger représentait une menace grave pour l’ordre public, la sécurité nationale ou la santé publique. Il confirma toutefois l’arrêté d’expulsion et précisa que l’article 57 § 5 b) de la loi portant sur le droit des étrangers n’était pas applicable au cas de figure visé à l’article 57 § 2 de la même loi, étant donné que ce type de mesure n’était pas infligé à titre de « sanction » administrative, mais comme conséquence légale d’une condamnation pénale. Il se référa à la position exprimée par le Tribunal supérieur de justice de Catalogne dans un arrêt du 22 février 2012 ainsi qu’à d’autres arrêts de Tribunaux supérieurs de justice d’autres régions. Estimant que les jugements a quo n’avaient pas pris en considération leurs circonstances personnelles, notamment le fait qu’ils auraient été titulaires d’un titre de séjour permanent en Espagne et qu’ils auraient eu des liens familiaux dans cet État, les requérants firent appel. Par deux arrêts du 30 octobre 2012 et du 23 mai 2013 respectivement, le Tribunal supérieur de justice de Catalogne débouta les requérants de leurs recours. Il précisa que les arrêtés d’expulsion pris à leur encontre en application de l’article 57 § 2 de la loi portant sur le droit des étrangers ne constituaient pas une « sanction » ayant pour cause la commission d’une infraction à la loi sur les étrangers, mais qu’ils étaient la conséquence légale de la peine privative de liberté infligée par le juge pénal, raison pour laquelle l’article 57 § 5 de la loi portant sur les droits des étrangers n’était pas applicable en l’espèce et qu’il n’y avait donc pas lieu d’examiner les liens des requérants avec l’Espagne. Le Tribunal supérieur de justice ajouta que le fait que le premier requérant était titulaire d’un titre de séjour permanent n’était pas pertinent étant donné que, conformément à l’article 57 § 4 de la loi portant sur le droit des étrangers, l’expulsion entraînait automatiquement l’extinction de toute autorisation de séjour. En ce qui concerne le premier requérant, le Tribunal supérieur de justice estima que, en tout état de cause, sa condamnation pénale mettait en évidence qu’il ne respectait pas les règles de convivialité et qu’il ne pouvait donc pas être considéré comme enraciné en Espagne. Un magistrat joignit une opinion partiellement dissidente aux deux arrêts, dans laquelle il invoqua des arrêts d’autres Tribunaux supérieurs de justice selon lesquels la notion de « sanction » de l’article 57 § 5 de la loi portant sur le droit des étrangers devait être interprétée dans un sens large de manière à ce que la mise en balance des circonstances personnelles et familiales du résident étranger de longue durée fût exigée aussi dans le cas de figure prévu à l’article 57 § 2 de la loi. Il se référa également à l’article 12 de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée. Invoquant les articles 18 (droit à l’intimité familiale), 24 (droit à un procès équitable) et 25 (principes de légalité et ne bis in idem) de la Constitution, les requérants formèrent chacun un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par deux décisions du 30 mai 2013, notifiée le 5 juin 2013 (le 1er juin 2013 selon le Gouvernement), et du 5 mars 2014, notifiée le 7 mars 2014, respectivement, la haute juridiction déclara ces recours irrecevables au motif que les requérants n’avaient pas satisfait à l’obligation de démontrer que leurs recours revêtaient une importance constitutionnelle spéciale, conformément à l’article 49 § 1 de la loi organique nº 2/1979 relative au Tribunal constitutionnel (LOTC) modifiée par la loi organique no 6/2007 du 24 mai 2007. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi organique no 4/2000 du 11 janvier 2000 portant sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale se lisent comme suit : Article 57 « 1. Lorsque les auteurs des infractions sont des étrangers qui commettent des actes décrits comme très graves ou graves aux alinéas a), b), c), d) et f) de l’article 53 § 1 de la présente loi organique, l’expulsion du territoire espagnol pourra être prononcée comme sanction à la place d’une amende, compte tenu du principe de proportionnalité (...), par une décision motivée procédant à une appréciation des faits constitutifs de l’infraction. Constitue également un motif d’expulsion (...) la condamnation de l’étranger, en Espagne ou en dehors de l’Espagne, pour conduite intentionnelle constitutive dans notre pays d’un délit passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an, sauf dans le cas où le casier judiciaire aurait été effacé. (...) L’expulsion comportera, en tout cas, la suppression de toute autorisation pour résider légalement en Espagne, ainsi que la cessation de toute procédure ayant pour objet l’autorisation de l’étranger expulsé à résider ou travailler en Espagne (...) La sanction d’expulsion ne sera pas infligée (...) aux étrangers qui se trouvent dans les cas suivants : (...) b. les résidents de longue durée. Avant d’adopter la décision d’expulser un résident de longue durée, il faudra prendre en considération le temps de résidence en Espagne et les liens créés, son âge, les conséquences pour l’intéressé et les membres de sa famille et les liens qu’il entretient avec le pays de destination. (...) » Article 58 « 1. L’expulsion entraîne l’interdiction du territoire espagnol. La durée de l’interdiction sera fixée eu égard aux circonstances de chaque espèce et ne pourra pas excéder cinq ans. Une interdiction pour une durée de dix ans pourra être prononcée contre un étranger lorsque, exceptionnellement, celui-ci représente une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique, la sécurité nationale ou la santé publique. » Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi organique nº 2/1979 relative au Tribunal constitutionnel (LOTC) modifiée par la loi organique no 6/2007 du 24 mai 2007 se lisent ainsi : Article 49 § 1 « 1. Le recours d’amparo constitutionnel débutera par une demande dans laquelle les faits qui la fondent seront exposés avec clarté et concision, les dispositions constitutionnelles estimées méconnues seront mentionnées et la protection demandée pour préserver ou rétablir le droit ou la liberté considéré(e) comme violé(e) sera déterminée avec précision. En toute hypothèse, la demande démontrera que le recours revêt une importance constitutionnelle spéciale. » Article 50 « 1. Le recours d’amparo doit faire l’objet d’une décision de recevabilité. La section prononcera, à l’unanimité, par décision non motivée (providencia), la recevabilité totale ou partielle du recours une fois toutes les conditions suivantes remplies : (...) b) le contenu du recours justifie une décision au fond du Tribunal constitutionnel s’il revêt une importance constitutionnelle spéciale, laquelle sera appréciée eu égard à l’importance [du recours] pour l’interprétation, l’application ou l’efficacité générale de la Constitution, et pour la détermination du contenu et de la portée des droits fondamentaux. (...) Toute décision d’irrecevabilité (...) devra préciser la condition de recevabilité non remplie et sera notifiée à l’auteur du recours et au Ministère public. (...) » Dans un arrêt du 4 novembre 2013 (no 186/2013), le Tribunal constitutionnel a souligné que le contenu de l’article 18 § 1 de la Constitution, consacrant le droit à l’intimité familiale, ne coïncidait pas avec le contenu de l’article 8 de la Convention, et qu’il n’incluait pas un droit à la vie familiale, ce dernier n’étant donc pas protégé par le recours d’amparo. Il a toutefois ajouté que ce droit, protégé par d’autres principes constitutionnels (par exemple, l’article 39 § 1 de la Constitution qui impose la protection sociale, économique et juridique de la famille) devrait être pris en compte par les juridictions administratives lorsqu’elles appliquent l’article 57 § 2 de la loi portant sur le droit des étrangers pour déterminer si un arrêté d’expulsion est proportionné ou non au regard des circonstances particulières de l’affaire et notamment du sacrifice que cela entraîne relativement à la vie familiale. Dans l’affaire G.V.A. c. Espagne (déc.), no 35765/14 (règlement amiable), 17 mars 2015), le Gouvernement s’est référé à cet arrêt du Tribunal constitutionnel pour soutenir que « à l’avenir, l’interprétation de l’article 57 § 2 de la loi organique 4/2000, du 11 janvier 2000, portant sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale se fera en combinaison avec les critères recueillis dans l’article 57 § 5 b) de cette même loi organique, conformément à l’article 8 de la Convention sous la surveillance effective de la juridiction ordinaire, le Tribunal constitutionnel l’ayant ordonné ainsi dans son arrêt 186/2013, du 4 novembre 2013, rendu dans le recours d’amparo concernant cette affaire ». III. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE La directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée énonce en ses passages pertinents en l’espèce : Article 12 – Protection contre l’éloignement « 1. Les États membres ne peuvent prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée que lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique. La décision visée au paragraphe 1 ne peut être justifiée par des raisons économiques. Avant de prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée, les États membres prennent en compte les éléments suivants : a) la durée de la résidence sur leur territoire ; b) l’âge de la personne concernée ; c) les conséquences pour elle et pour les membres de sa famille ; d) les liens avec le pays de résidence ou l’absence de liens avec le pays d’origine. (...) » Par un arrêt rendu le 7 décembre 2017 dans l’affaire C-636/16 (Wilber López Pastuzano/Delegación del Gobierno en Navarra), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a précisé qu’une décision d’éloignement ne pouvait pas être adoptée à l’encontre d’un ressortissant d’un État tiers, résident de longue durée, pour le seul motif qu’il avait été condamné à une peine privative de liberté supérieure à un an. Pour la CJUE, l’adoption d’une telle mesure nécessitait une appréciation au cas par cas qui devait, notamment, porter sur les éléments mentionnés au paragraphe 3 de l’article 12 de la directive 2003/109/CE. Répondant à une question préjudicielle introduite par un juge du contentieux administratif espagnol, la CJUE a jugé dans cet arrêt que l’article 12 de la directive 2003/109/CE devait être interprété en ce sens qu’il s’opposait à une réglementation d’un État membre qui, telle qu’elle était interprétée par une partie des juridictions de celui-ci, ne prévoyait pas l’application des conditions de protection contre l’éloignement d’un ressortissant d’un État tiers résident de longue durée pour l’ensemble des décisions administratives d’éloignement, indépendamment de la nature ou des modalités juridiques de cette mesure. La question posée par le juge du contentieux administratif espagnol portait sur la compatibilité de l’article 12 de la directive susmentionnée avec l’article 57 § 5 de la loi organique 4/2000 portant sur le droit des étrangers, qui limite la protection contre l’éloignement des résidents de longue durée à un type particulier de décision administrative, à savoir les décisions d’éloignement adoptées en tant que sanction de certaines infractions administratives, à l’exclusion des décisions adoptées à titre de conséquence résultant d’une condamnation pénale à une peine privative de liberté supérieure à un an.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1959 et réside à Chernogolovka (région de Moscou). En 1998, le requérant acheta un véhicule d’occasion et le fit immatriculer auprès de l’inspection de la sécurité routière (« l’inspection »). En septembre 2003, il conclut un contrat de vente de ce véhicule pour le prix de 30 000 roubles (RUB) et il demanda à l’inspection de rayer du registre le numéro d’immatriculation de celui-ci (снять с учета по месту регистрации), formalité indispensable pour permettre à l’acheteur de faire immatriculer le véhicule à son nom. L’inspection rejeta sa demande aux motifs que le numéro figurant sur le moteur du véhicule apparaissait sur la liste des numéros de moteurs volés et que le marquage de ce numéro avait été apposé à un endroit inhabituel. Une enquête préliminaire pour falsification ou destruction du numéro d’identification de véhicule fut ouverte. Les fonctionnaires du département de l’intérieur du district Tsentralny de Toula (« le département de l’intérieur ») saisirent le certificat d’immatriculation et ordonnèrent une expertise technique du moteur. Selon le rapport d’expertise, le marquage du numéro du moteur était authentique et n’avait pas subi de modifications. Par trois décisions rendues respectivement le 19 janvier, le 20 mars et le 29 mai 2004, le chef du département de l’intérieur refusa d’ouvrir une enquête pénale en raison de l’absence de faits constitutifs d’une infraction. Néanmoins, l’inspection réitéra son refus de rayer du registre le numéro d’immatriculation du véhicule du requérant. À une date non précisée dans le dossier, le requérant forma un recours contre cette décision de refus. Le 8 juillet 2005, le tribunal du district Tsentralny de Toula rejeta son recours. Le 10 novembre 2005, la cour régionale de Toula confirma ce jugement en appel. Les deux juridictions se référèrent à l’article 12 de l’ordonnance présidentielle relative à l’inspection de sécurité routière et à l’article 17 de la circulaire no 59 relative aux règles de l’immatriculation des véhicules terrestres (paragraphes 15, 19 et 21 ci-dessous), et considérèrent que le refus de l’inspection était légitime. Le 22 décembre 2005, à la suite de plusieurs plaintes formulées par le requérant auprès de différentes autorités, le chef du département régional de l’Intérieur autorisa, à titre exceptionnel, les formalités d’immatriculation. Il expliqua que « selon (...) les vérifications menées par les fonctionnaires du département de l’intérieur (...), le moteur n’[avait] pas été volé, mais son numéro coïncid[ait] avec des numéros recherchés comme [appartenant à des moteurs] volés ». En juin 2006, le requérant revendit sa voiture pour 6 000 RUB. Lors de la vente, une mention fut insérée en marge du certificat d’immatriculation énonçant que le numéro de moteur du véhicule avait été inscrit par erreur sur la liste des numéros de moteurs volés. Au cours de l’année 2007, le requérant assigna en justice l’inspection et le ministère des Finances en demandant la réparation du dommage qu’il aurait subi en raison du refus prolongé de rayer du registre le numéro d’immatriculation de son véhicule et de la rétention du certificat d’immatriculation. Le 31 juillet 2007, le juge de paix de Toula rejeta son action en se référant au jugement du 8 juillet 2005 (paragraphe 10 cidessus). Il considéra qu’aucune faute ne pouvait être imputée aux fonctionnaires de l’inspection. Le 16 octobre 2007, le tribunal du district Tsentralny confirma ce jugement en appel. Il considéra en particulier que, bien que le véhicule du requérant ait été immatriculé en 1998 et circulait librement jusqu’en 2003, l’inspection pouvait contrôler les véhicules et interdire leur mise en circulation à tout moment. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 12 de l’ordonnance présidentielle no 711 du 15 juin 1998 relative à l’inspection de la sécurité routière, cette dernière a le droit de s’opposer à la circulation des véhicules dont les numéros d’identification ont été dissimulés, falsifiés ou modifiés. À cette fin, elle peut rejeter les demandes relatives aux formalités d’immatriculation. Depuis 1996, l’immatriculation des véhicules terrestres a été régie par trois circulaires du ministère de l’Intérieur successives. Entre janvier 1996 et mars 2003 s’appliquait la circulaire no 624, entre mars 2003 et janvier 2009 la circulaire no 59 et, depuis janvier 2009, la circulaire no 1001. Les formalités d’immatriculation d’un véhicule comprennent, entre autres, l’immatriculation, la radiation du registre du numéro d’immatriculation précédemment attribué audit véhicule (снятие с учета по месту регистрации). L’acquéreur du véhicule est tenu de faire immatriculer celui-ci dans un délai de cinq jours à compter de l’acquisition du véhicule ou de la radiation du registre du numéro d’immatriculation précédemment attribué audit véhicule. Depuis janvier 2009, ce délai est de dix jours. Lors de l’examen de la demande d’immatriculation, l’inspection examine le véhicule et vérifie les caractéristiques indiquées dans le certificat d’immatriculation ainsi que dans d’autres documents qui lui sont présentés, et elle décide si le véhicule peut être mis en circulation. L’inspection ne doit pas procéder aux formalités d’immatriculation si elle découvre des indices de dissimulation, de modification ou de destruction du marquage apposé par le constructeur sur les pièces du véhicule ou des plaques d’immatriculation, des indices de falsification des documents présentés, si elle remarque des différences entre les caractéristiques du véhicule et celles indiquées sur les documents fournis, ou encore si elle dispose d’informations selon lesquelles le véhicule ou ses pièces ont été volés (article 1.18 de la circulaire no 624, article 17 de la circulaire no 59, et article 3 de la circulaire no 1001). Les autres conséquences des cas précités diffèrent en fonction de la circulaire applicable. Selon la circulaire no 624, l’inspection devait saisir les documents présentés et les plaques d’immatriculation et transmettre les informations aux services de police. En revanche, elle pouvait procéder aux formalités d’immatriculation sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale ou d’une décision de non-lieu à poursuivre (articles 1.18 et 1.18.1 de la circulaire). Selon la circulaire no 59, l’inspection devait saisir les documents présentés et les plaques d’immatriculation et les transmettre aux services de police. Elle pouvait procéder aux formalités d’immatriculation uniquement à l’égard de véhicules dont les modifications du marquage avaient été causées par l’usure ou la corrosion, sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale et d’un rapport d’expertise technique expliquant ces modifications (article 17 de la circulaire). La circulaire no 1001 augmente le nombre de cas où l’inspection peut, par exception, procéder aux formalités d’immatriculation sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale. Il s’agit désormais non seulement des cas des véhicules affectés par la corrosion ou l’usure mais aussi, par exemple, ceux des véhicules volés puis restitués à leurs propriétaires avec des modifications du marquage apposé sur les pièces, ou encore le cas des numéros d’identification de véhicules coïncidant avec des numéros d’identification de véhicules signalés comme volés. Dans ce dernier cas, à compter du 20 janvier 2011, l’inspection peut procéder aux formalités d’immatriculation sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale confirmant que les numéros d’identification des véhicules présentés ne sont en réalité pas ceux de véhicules signalés comme volés et que le marquage sur les pièces et les documents présentés est authentique. Selon l’arrêté du Gouvernement du 23 octobre 1993 no 1090, le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur doit posséder et présenter à la demande des policiers, entre autres, les documents justificatifs de l’immatriculation du véhicule (регистрационные документы).
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