Q - Vous découvrez que les chefs du Parti socialiste veulent une confrontation avec l'Allemagne... R - Je pense qu'il faut remettre un peu de raison et de calme dans tout cela. Au fond, je pense qu'on peut résumer la position qu'il faut prendre en trois propositions. Premièrement, le débat : c'est parfaitement légitime. Il y a toujours eu des débats, vous avez suivi cela, entre Kohl et Mitterrand... Q - Oui, mais cela n'allait pas avec des vilains mots sur la place publique. R - J'y viens. Il y a des questions qu'il faut poser, qu'il faut trancher avec l'Allemagne. Deuxièmement, le pugilat non, et c'est ce à quoi vous faites allusion. Il est absolument anormal de mettre en cause tel ou tel dirigeant. En plus, nous avons nos propres responsabilités. L'Allemagne a ses responsabilités ; il y a des choses en Allemagne qu'on peut souhaiter autrement, mais le déficit français c'est la France. Troisièmement, renforçons le partenariat. Si on résume ainsi : le débat oui, le pugilat non, renforçons le partenariat. On arrive à quelque chose qui peut être positif. Q - Comment aujourd'hui est-il possible de développer des arguments de germanophobie. R - Cela n'a pas de sens. La France et l'Allemagne, c'est le cœur de la construction européenne. La France et l'Allemagne sont chacune le premier client et le premier fournisseur l'une de l'autre. Alors, qu'il puisse y avoir - surtout que ce ne sont pas les mêmes orientations politiques - des différences, oui ; discutons-en. Mais il n'y a aucune raison d'opposer de manière absolument frontale un pays et un autre. Nous sommes amis. Q - D'autant plus qu'on a l'impression que, quand la France politique va mal, elle tape soit sur les prédécesseurs, soit sur la chancelière Merkel. R - C'est un grand classique. Mais il peut y avoir aussi symétriquement, dans d'autres pays, le fait qu'on tape sur la France. Évitons cela et, je vous le dis, essayons de reprendre ces trois propositions et avançons. D'autant qu'il y a des partenariats qu'on peut développer. Par exemple, vous vous rappelez que l'on a décidé de faire une union bancaire, c'est-à-dire d'éviter toutes ces dérives qui ont existé en matière bancaire. On l'a décidé, faisons-le ! Français et Allemands ! En matière d'énergie, faisons en sorte qu'on crée une communauté en matière d'énergie ; il y a des choses à faire. Q - La chancelière Merkel est attaquée aujourd'hui chez elle par une sorte de conspiration des anti-européens. Cela s'est passé pendant que vous étiez en Chine, des nostalgiques du deutsche mark. Ils veulent sortir l'Allemagne de la zone euro... R - Ça, c'est encore autre chose Q - ...et ligoter la BCE pour ne pas qu'elle aide un certain nombre de pays qui en ont besoin. Pourquoi aider ces gens-là ? Pourquoi aider les anti-européens ? R - On n'a pas à les aider. Maintenant, si l'Allemagne sortait de l'euro, cela aurait une conséquence immédiate. L'Allemagne étant très exportatrice, la nouvelle monnaie allemande prendrait énormément de poids et, du même coup, les exportations allemandes s'effondreraient. Je pense que Mme Merkel n'aura pas de mal à démontrer cela dans son pays. Cela dit, en même temps, je suis le premier à dire qu'il y a des sujets de débat et il est tout à fait normal qu'on débatte sur la rapidité avec laquelle on va pouvoir revenir à l'équilibre. C'est le même débat. Il est aussi normal de débattre sur le fait que les pays, qui - passez-moi l'expression - en ont un peu « sous la pédale », notamment l'Allemagne et les pays du Nord -, doivent pouvoir renforcer leur croissance, et les pays qui sont en difficulté budgétaire être plus sérieux budgétairement. C'est cela qu'il faut faire. Q - Donc il faut que vous alliez bientôt peut-être à Berlin et surtout une rencontre, un déjeuner Hollande-Merkel... R - J'y suis souvent et je travaille avec les Allemands. Q - Avec les mots adaptés qui freineraient cette fièvre anti-européenne probablement momentanée, et anti-française, parce qu'on voit les réactions de la presse allemande ce matin. R - Ramenons un petit peu de raison dans tout cela. Q - L'Irak est à feu et à sang ; la Libye d'où vous venez est en armes et en morceaux. Est-ce que les ressortissants français peuvent y vivre ? Est-ce que les chefs d'entreprise doivent y aller toujours ? R - La réponse est clairement oui. Vous avez vu qu'il y a eu un attentat la semaine dernière - j'y suis allé juste après - contre l'ambassade de France, qui aurait pu tuer. C'est un attentat très, très grave. Il visait la Libye bien sûr et la France et par-delà-même le rapprochement entre la Libye et la France. Donc on ne peut pas céder ; il faut que nos chefs d'entreprise et de manière générale, les relations entre nos deux peuples se développent. Q - Et comment empêcher la circulation constante, angoissante d'armes dans toute cette région, puisque la Libye, la Tunisie et même le Mali... ? R - Ça, c'est un sujet très important parce que du temps de Kadhafi, il y avait des armes absolument partout. Nous sommes intervenus, vous vous rappelez, en Libye mais nous n'avons pas contrôlé la suite. Du même coup, les armes se sont déversées dans l'ensemble de la région. Cela représente un immense danger. Q - Alors la Syrie. Barack Obama et David Cameron évoquent l'usage limité mais l'usage d'armes chimiques par Bachar Al-Assad. La France a-t-elle des certitudes ? R - Non, nous n'avons pas de certitudes. Il y a des indices qui ont été donnés par les Anglais et par les Américains. Nous sommes en train d'essayer de vérifier cela. Q - Donc ni certitudes, ni preuves ce matin. R - Pas encore de preuves mais on vérifie. On a demandé au secrétaire général des Nations unies, d'ordonner une enquête dans l'ensemble de la Syrie pour voir ce qu'il en était. Ce qui est quand même indicatif, c'est que la Syrie a refusé de laisser pénétrer des enquêteurs sur son territoire. Q - Et alors, qu'est-ce qu'on fait ? Ils ne peuvent pas passer les frontières de force. R - Qu'est-ce qu'on fait ? On développe par nos propres moyens toute une série d'investigations. Il est vrai que s'il était avéré, comme l'ont déclaré MM. Obama, Hollande et les Russes, qu'il y a utilisation d'armes chimiques en Syrie, cela changerait pas mal de choses. Q - Cela veut dire qu'on ne le laisserait pas faire ? On ne laisserait pas Bachar Al-Assad gazer son propre peuple. R - Exactement. Q - Et cela veut dire qu'il y a une opération militaire qui peut être en préparation. R - Cela veut dire que l'ensemble des pays que je viens de citer réfléchissent activement à cela et précisément. Q - La livraison d'armes aux insurgés de Syrie, vous vous rappelez, vous et le président vous l'envisagiez puis quelques jours plus tard, vous avez fait marche arrière. Est-ce que c'est parce que vous avez découvert que les insurgés sont en partie dominés par un noyau dur, Al-Nosra, qui est surtout proche d'Al-Qaïda ? R - Non, on n'a pas découvert cela. On connaît la complexité de la situation. D'abord, la tragédie syrienne a fait près de cent mille morts, des millions de réfugiés avec des risques gravissimes, pas seulement pour la Syrie mais pour la Jordanie, pour l'Irak, pour la Turquie, pour le Liban et même pour Israël. C'est donc un drame absolu dont il faut sortir. La seule bonne solution est politique et, pour l'instant, Bachar ne veut pas bouger. Donc, on est obligé en même temps de regarder comment permettre aux résistants syriens de ne pas recevoir des bombes sur la tête. Q - Il y a les divisions de l'opposition syrienne. Vous avez déploré que celui qui était crédible ait décidé de démissionner parce qu'il ne pouvait pas travailler. R - Oui, Al-Khatib a démissionné la semaine dernière. Il y a, quand on regarde la situation, à la fois des éléments très inquiétants, incertains ainsi que du positif et du négatif. Le très inquiétant, c'est la situation de la Syrie. L'incertain, c'est ce que vous avez dit, ce que nous avons dit sur les armes chimiques. Le positif, c'est que les Américains semblent maintenant vraiment considérer - et ils ont raison - que c'est un vrai problème. Le négatif, ou en tout cas l'incertain, c'est que la coalition des résistants n'est pas aussi unique qu'on voudrait le voir. Mais - et je termine par-là sur ce point -, il faut faire extraordinairement attention parce que si la situation ne bouge pas dans le bon sens, on risque d'avoir une radicalisation des deux côtés - c'est-à-dire d'un côté les Iraniens et les Syriens chiites extrêmes et de l'autre des extrémistes sunnites qui s'appellent Al-Qaïda. Q - Donc, la situation est dangereuse. R - Il faut faire évoluer la situation, donc nous discutons avec à la fois les pays de la région ainsi que les Russes, les Américains... Q - Et vous avez des voyages encore. Douze fois le tour du monde - c'est cela ? - depuis que vous êtes ministre ? R - Oui, depuis onze mois. Q - Mais de temps en temps, quand vous revenez, vous trouvez l'état de la France et des batailles politiques. La mode est à l'union nationale. (...) J'essaye, dans mon domaine de la politique étrangère, de faire en sorte qu'on rassemble le maximum de Français. Q - Par exemple ? R - Sur le Mali, la semaine dernière, nous avons fait voter à l'unanimité un soutien à la démarche française. Et la même chose s'est d'ailleurs déroulée à l'ONU. (...) Q - Vous saluez l'union nationale en Italie même avec Silvio Berlusconi... R - Non, non ! Q - Ce qui est bon pour l'Italie et pour d'autres n'est pas bon pour nous. R - Écoutez, l'Italie est dans une situation épouvantable. Vous avez vu le vote qui a eu lieu. En France, il y a une majorité ; à elle de travailler sous le contrôle de l'opposition en essayant de rassembler les Français. |