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Nohant, 7 janvier 1855.
_Ils_ et _elles_ sont arrivés ce soir bien vivants, et je ne peux
pas vous dépeindre la scène d'étonnement et d'admiration de toute la
famille, bêtes et autres, à la vue de ces superbes animaux.
Quand tout cela ne donnerait ni oeufs ni poulets, c'est tellement beau
à voir, qu'on se le payerait encore avec plaisir. On a tout de suite
installé la compagnie dans son domicile et mis à l'engrais toute la
valetaille, indigne de frayer avec pareille seigneurie. Vos instructions
vont être affichées à toutes les portes de l'établissement, et j'aurai
le plaisir d'y veiller; car ce monde-là en vaut la peine.
Que de remerciements je vous dois, monsieur, pour tant de soins et
d'obligeance! C'est si aimable à vous et si fort sans gêne de ma part,
que je ne sais comment vous dire combien je vous sais gré d'avoir
pris cet embarras! Je ne croyais pas que vous seriez forcé de veiller
vous-même à tout ce détail, et je vois que vous avez choisi de main de
maître et surveillé cet envoi avec une complaisance tout amicale. Merci
donc mille fois; mais je ne me tiens pas quitte.
J'aime bien les poules que vous expédiez; j'aime encore mieux celles que
vous faites; mais j'aimerais mieux encore vous voir à Nohant mettre
le nez dans notre famille, parce que je suis sûre que vous vous y
trouveriez bien, et qu'une fois venu, vous y reviendriez. Vous me
l'aviez promis, et je ne compte pas vous laisser tranquille que vous ne
teniez parole.
Maurice vous envoie toutes ses poignées de main et remerciements; car
il était comme un enfant devant l'ouverture de ce panier plein de
merveilles, et tous ces grands airs de prisonniers orgueilleux qui
relevaient leurs aigrettes en nous regardant de travers.
Veuillez croire à toutes mes sympathies et sentiments vrais pour vous.
GEORGE SAND.
CCCLXXXIV
A M. CHARLES-EDMOND, A PARIS
Nohant, 7 février 1855.
Je vous remercie bien cordialement, monsieur, et de l'envoi de cette
relique, et des bonnes et vraies paroles que vous savez me dire. Je ne
peux pas encore parler de cette douleur, elle m'étouffe toujours et j'en
dirais trop!
Le plus affreux; c'est qu'on me l'a tuée, ma pauvre enfant[1], tuée de
toute façon. Ah! monsieur, sauvez la vôtre, ne la laissez pas sortir de
l'infirmerie, et, quand elle sera guérie, ôtez-la de cette pension où
la malpropreté est sordide. Les parents ne laissent pas si facilement
mourir leurs enfants quand ils les ont auprès d'eux. Ils ne se fatiguent
pas d'une longue convalescence à surveiller, les parents qui sont de
vrais parents.
Il y en a qui sont fous et qui croient qu'un enfant est une chose qu'on
peut négliger et oublier. Ma pauvre fille n'eût pas laissé mourir la
sienne, et moi aussi, je suis bien sûre que je l'aurais sauvée! Je n'ai
pas l'honneur de vous connaître, monsieur, mais je suis bien touchée de
ce que vous me dites.
Merci mille fois! je fais des voeux bien tendres et bien sincères pour
votre chère petite. Ma fille vous remercie aussi.
GEORGE SAND.
[1] Sa petite-fille Jeanne Clésinger.
CCCLXXXV
A ÉDOUARD CHARTON, A PARIS
Nohant, 14 février 1855.
Cher ami,
Je vous ai laissé souffrant. Êtes-vous mieux? Parlez-moi de vous. Il y
a bien longtemps que je veux vous écrire. J'allais vous adresser une
longue lettre sur le beau livre dont nous parlions ensemble. Je l'avais
lu[1]. Mais que de chagrins m'ont frappée tout à coup! d'abord j'ai
perdu deux de mes amis, et faut-il être assez malheureux pour avoir à le
dire, cela n'était rien! J'ai perdu subitement cette petite-fille que
j'adorais, ma Jeanne dont je vous avais parlé et dont l'absence, vous le
savez, m'était _si_ cruelle. J'allais la ravoir, le tribunal me l'avait
confiée. Le père résistait par amour-propre: sans M. B..., qu'une haine
sournoise, instinctive, non motivée sur des faits que je sache, mais
ancienne et tenace, excitait contre moi, ce père m'eût de lui-même
ramené l'enfant. Il le voulait, il l'avait voulu. L'avocat--le
conseil--ne voulait pas. Ils appelaient donc du jugement, et ce jugement
n'était pas exécutoire sur-le-champ. J'écrivais en vain à ce dur et
froid avocat que ma pauvre petite était mal soignée, triste et comme
consternée dans cette pension où il l'avait mise, lui! Et, pendant ces
pourparlers, le père faisait sortir sa fille, en plein janvier, sans