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tonnerre gronde, on fait bien de ne pas se mettre sous les grands |
arbres. Mais, une fois en plein champ, il faut se dire qu'on a toutes |
les chances, sauf une, pour qu'il ne vous atteigne pas. Vous me direz |
que cette chance, grande comme la main, est aussi importante dans le |
domaine de l'inconnu, du hasard, que la surface entière du globe. Eh |
bien, alors, n'y pensons pas pour nous-mêmes, puisqu'un aérolithe peut |
tout aussi bien tomber sur nous du fond d'un ciel pur. |
Écrivez-moi et dites-moi quand même vos idées noires, si vous ne pouvez |
les surmonter. J'aime mieux cela que votre silence. Les journaux nous |
disent que le fléau se retire de vous. Mais je ne crois pas absolument à |
ce qui est imprimé. |
Voilà bien un autre choléra en Espagne! Encore une fois, la glace est |
brisée; mais le peuple en sortira-t-il plus heureux? Avant un mois, |
Espartero bombardera ces bonnes villes qui l'appellent comme un sauveur |
et qui ont déjà oublié ses bombes à peine refroidies! C'est partout |
et toujours la même histoire qui recommence, et c'est à dégoûter des |
articles de foi, dans quelque sens qu'on les envisage. |
J'ai eu beaucoup de chagrin et d'inquiétude pour ma fille, qui se |
croyait fort malade et qui m'envoyait presque ses derniers adieux. Son |
médecin m'écrit qu'elle n'a presque rien et que je me tienne tranquille. |
J'embrasse Solange et Désirée. Mille tendresses d'ici, toujours. |
CCCLXXX |
A M. ARMAND BARBÈS, A BELLE-ISLE EN MER |
Nohant, le 5 octobre 1854. |
Dieu soit béni pour avoir envoyé au dictateur cette bonne pensée, cette |
pensée de justice; car toute pensée de cette nature émane de la volonté |
de Dieu? Votre lettre, votre fragment de lettre cité dans les journaux |
est une pensée divine aussi; car Dieu veut qu'en dépit des erreurs de |
point de vue et des haines de parti, et de tous, les griefs fondés ou |
non, nous aimions la patrie. Comment n'aimerions-nous pas la nôtre, |
qui représente, à travers toutes les vicissitudes, les idées les plus |
avancées, de l'univers? Où est donc, _ailleurs_, le maître absolu qui |
sentirait qu'un patriotisme héroïque, inébranlable, dans le sein d'un |
homme enchaîné, est une raison plus forte que la raison d'État? Il faut |
gouverner des Français pour avoir cette lueur, de vérité, au milieu de |
l'enivrement du pouvoir. |
Acceptez, quoi qu'on vous dise; car il est des gens qui vous crieront |
de refuser, j'en suis sûre. Vous serez forcé, d'ailleurs! La prison ne |
reprend pas les victimes volontaires. Mais va-t-on vous conseiller |
de quitter la France? Non, ne le faites pas. Vous êtes libre sans |
conditions, cela est dit officiellement. Je ne pense pas qu'il y ait une |
porte de derrière pour vous exiler après cette parole? |
Restez donc en France, si les pouvoirs de second ordre ne vous chassent |
pas. Ils ne l'oseront pas, j'espère. |
Restez avec nous; on s'amoindrit à l'étranger, on voit faux, on |
s'aigrit; on arrive, par nostalgie, à maudire la patrie ingrate, et, |
par là, on devient ingrat soi-même. Venez à nous qui avons soif de vous |
voir; rappelez-vous ce rêve doux et déchirant que je faisais encore, |
pendant que vous étiez en jugement à Bourges: je vous appelais à Nohant, |
je voulais vous y garder longtemps, refaire votre santé ébranlée, et |
vous demander de me donner, à moi, cette santé morale qui ne vous a |
jamais abandonné. Venez, venez! dans huit ou dix jours, je serai à Paris |
pour une quinzaine, et je veux, de là, vous ramener à Nohant. Je vous y |
verrai, n'est-ce pas, tout de suite, à Paris? Écrivez-moi un mot, que je |
sache où vous êtes. Moi, je demeure rue Racine, 3, près l'Odéon. |
Il y aura des misérables, peut-être, qui diront que vous avez fait |
agir pour obtenir votre liberté. Oui, il y a, en tout temps, des |
calomniateurs, des lâches qui haïssent par instinct la candeur et la |
vertu. J'espère que vous n'allez pas vous occuper de cette fange. Moi, |
je me tiens sur la brèche pour cracher dessus; j'ai une lettre, une |
dernière lettre de vous, où vous me dites ce qu'il y a dans celle que |
l'empereur a lue. Je l'ai baisée avec respect, cette lettre qui |
me confirmait dans mon sentiment intime et profond de la patrie. |
Gardons-le, ce sentiment; défendons-le contre la hideuse joie d'une |
_partie_ de notre _parti_. Rappelons-nous que l'on a tué la République |
en disant: «_Tout!_ les Cosaques même, plutôt que le socialisme!» |
Affrontons avec courage ceux qui disent aujourd'hui: «_Tout!_ les |
Cosaques mêmes, plutôt que l'Empire.» Et, si l'on nous dit que nous |
trahissons notre foi, tenez, rions-en, il n'y a pas autre chose à |
faire!--Mais, si vous ne pouvez pas en rire, vous dont le noble coeur a |
tant saigné, acceptez ceci comme un martyre de plus. Dieu vous rendra un |
jour la justice que vous refusent les hommes. |
J'attends avec impatience un mot de vous; si vous aviez vu comme Maurice |
était rayonnant en m'apportant cette nouvelle, ce matin, à mon réveil! |
Quelle joie dans la maison, même pour ceux qui ne vous connaissent pas! |
Si vous n'avez pas le temps d'écrire, faites-moi donner avis de ce que |
vous faites, par quelque ami. |
GEORGE SAND. |
Subsets and Splits