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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et réside à Metz. A. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés au Maroc selon le requérant Avant de créer sa propre entreprise d’informatique, le requérant travailla pour une société d’informatique, de 2000 à 2003, en tant que programmeur Internet. Il explique que, favorable à la cause sahraouie sans être sympathisant du Front Polisario (mouvement politique armé opposé au Maroc pour le contrôle du Sahara occidental), il communiquait, dans le cadre de son activité professionnelle, sur le problème du Sahara occidental. En janvier 2009, le requérant se rendit compte que son ordinateur contenait un fichier espion ayant permis aux autorités marocaines d’en découvrir le numéro d’identification (adresse IP) et de surveiller les informations qu’il échangeait au sujet de la cause sahraouie. Peu de temps après, il fut arrêté, détenu et torturé par les services secrets marocains pendant vingt jours à Rabat. Durant les trois premiers jours, il fut frappé méthodiquement et sommé d’avouer « ce qu[‘il avait] fait ». Les services secrets lui proposèrent ensuite de collaborer avec eux et de surveiller les membres du Front Polisario, ce que le requérant accepta dans l’espoir d’être libéré. Avant de le relâcher, les services secrets lui firent signer une lettre d’engagement et lui remirent une somme d’argent. Par la suite, chaque mois, le requérant recevait deux versements et une personne se rendait à son domicile de Marrakech pour recueillir le fruit de ses observations. Le requérant prit la fuite dès qu’il en eut la possibilité et gagna l’Europe via Tanger clandestinement. Arrivé en bus à Madrid, puis à Barcelone, il prit un train pour la France en octobre 2009. B. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés en France Interpellé par la police de l’air et des frontières le 22 décembre 2009, le requérant fut immédiatement placé en rétention administrative. Alors qu’il se présentait comme étant d’origine palestinienne, il apparut rapidement qu’il s’agissait d’une fausse identité et que, le 21 décembre 2009, le Maroc avait émis un mandat d’arrêt international contre lui pour la poursuite de faits qualifiés de « constitution de bande criminelle pour préparer et commettre des actes terroristes dans le cadre d’une entreprise collective visant à porter gravement atteinte à l’ordre public, incitation d’autrui à perpétrer des actes terroristes, prestation d’assistance à auteur d’actes terroristes ». Le 29 décembre 2009, le requérant fut placé sous écrou extraditionnel en exécution de ce mandat d’arrêt. Le requérant engagea alors deux procédures parallèles, l’une en vue de contester son extradition, l’autre afin de demander l’asile. Concomitamment, le requérant saisit la Cour, le 28 juillet 2011, d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 4 août 2011, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers le Maroc pour la durée de la procédure devant la Cour. Sur la procédure d’extradition Le 5 janvier 2010, le procureur général du Roi près la cour d’appel de Rabat formula une demande d’extradition du requérant sur le fondement du mandat d’arrêt du 21 décembre 2009. A l’appui de cette demande, il expliquait que le requérant était en lien avec des chefs d’Al-Qaida au Maghreb (AQMI), qu’il avait gagné leur confiance et que, maîtrisant de hautes techniques dans le domaine du terrorisme informatique, il avait servi d’intermédiaire, par la voie d’Internet, pour toutes les correspondances et communiqués en faveur de toutes les organisations terroristes mondiales et notamment sur les sites du Jihad alliés à l’organisation d’Al-Qaida, tels « Al Hisba », « Al Sahab », « Al Ikhlas », « Chomouck Al Islam » et « Al Fallouja ». Le procureur faisait état de sept messages électroniques reçus ou émis par le requérant connu sous le pseudonyme « Ibn Al Malahim », et ce, du 8 juillet 2008 au 21 octobre 2009. Cette demande d’extradition, transmise par voie diplomatique le 15 janvier 2010, fut notifiée au requérant le 20 janvier 2010. Ce dernier refusa d’y consentir. Devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz, organe judiciaire chargé d’examiner la légalité de la demande d’extradition, le requérant soutint que la demande, motivée en réalité par son soutien à la cause sahraouie, était fondée sur un motif politique. Après avoir ordonné deux renvois pour obtenir des renseignements complémentaires auprès des autorités marocaines, la chambre de l’instruction, le 25 mars 2010, observa que le requérant ne produisait aucun élément permettant de conforter sa thèse selon laquelle son extradition serait sollicitée dans un but politique, liée à sa qualité revendiquée de défenseur de la cause sahraouie. La chambre de l’instruction constata, en revanche, que divers messages électroniques fournis par les autorités marocaines, reçus ou émis par le requérant, et notamment le communiqué de la part d’un algérien dit « Salah El Gasmi », responsable de la commission de communication d’AQMI, permettaient de suspecter que le requérant était bien à l’origine des infractions à caractère terroriste visées dans la demande d’extradition. La chambre de l’instruction releva, en outre, que les services français spécialisés dans la lutte anti-terroriste avaient confirmé que le requérant était connu pour « son appartenance à la mouvance djihadiste internationale, plus particulièrement chargée de relayer la communication des organes médiatiques de la nébuleuse Al-Qaida, ce qui lui permet[tait] de rentrer en contact avec des hauts cadres de cette organisation ». La direction du renseignement intérieur avait d’ailleurs précisé que le requérant était récemment apparu comme l’administrateur du site islamique international « Al Hisbah », suspendu depuis le 18 novembre 2008 et notamment utilisé par le comité médiatique d’AQMI, dirigé par Salah Gasmi, comme outil d’échanges entre internautes susceptibles d’être recrutés comme combattants djihadistes. Déduisant de ces éléments que la demande d’extradition concernait bien des infractions terroristes commises sur le territoire marocain, la chambre de l’instruction conclut qu’aucun argument ne s’opposait à l’extradition du requérant et émit un avis favorable. Le requérant forma un pourvoi contre cette décision, qui fut déclaré non admis par la Cour de cassation le 8 juin 2010. Le 11 juillet 2011, après avoir constaté que, concernant des faits de terrorisme, la demande d’extradition n’était pas motivée par des motifs politiques, le ministre de la Justice et des Libertés prit un décret accordant l’extradition du requérant aux autorités marocaines. Le requérant forma un recours afin de voir annuler ce décret. Par un arrêt en date du 22 mai 2012, le Conseil d’Etat rejeta sa requête aux motifs suivants : « Considérant, en premier lieu, qu’il n’appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d’erreur évidente, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée ; qu’en l’espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une erreur évidente ait été commise en ce qui concerne les faits reprochés à M. Rafaa à l’origine de la demande d’extradition et tenant à son implication, par l’utilisation de son adresse électronique, dans l’acheminement de correspondance ou la diffusion de communiqués d’une organisation terroriste ; Considérant, en deuxième lieu, que si M. Rafaa soutient que son extradition repose sur des considérations politiques liées au soutien qu’il a apporté à la cause sahraouie et à l’autodétermination du Sahara occidental, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’extradition du requérant aurait été demandée dans un but politique ; Considérant, enfin, que si M. Rafaa soutient que l’exécution du décret attaqué l’exposerait à des traitements inhumains ou dégradants en violation des stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, il n’apporte aucun élément au soutien de cette allégation, permettant d’établir la réalité de tels risques en ce qui le concerne ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. Rafaa n’est pas fondé à demander l’annulation du décret du 11 juillet 2011 accordant son extradition aux autorités marocaines. » Sur la procédure d’asile Parallèlement aux recours engagés dans le cadre de la procédure d’extradition, le requérant sollicita son admission au séjour au titre de l’asile, que le préfet refusa de lui accorder le 4 janvier 2010. Le requérant contesta ce refus devant le tribunal administratif de Strasbourg. Ce recours est pendant. Entendu par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le requérant se présenta à nouveau comme un militant de la cause sahraouie. Le 9 juin 2010, l’OFPRA, constatant que le militantisme du requérant en faveur de l’autodétermination du Sahara occidental n’était pas établi, rejeta la demande d’asile. Tout en précisant que ces circonstances l’excluaient du bénéfice de la protection subsidiaire prévue par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), l’OFPRA constata néanmoins que le requérant faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour des faits liés au terrorisme et qu’il ne pouvait être exclu qu’il fasse, de ce fait, l’objet de traitements inhumains et dégradants en cas de retour. Le requérant forma un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), en invoquant à nouveau son risque de persécution du fait de son soutien à la cause sahraouie et les raisons dissimulées de la demande d’extradition. Son recours fut rejeté le 21 avril 2011 aux motifs que les explications données par le requérant lors de son audition – qui se déroula à huis clos – étaient demeurées contradictoires et non circonstanciées s’agissant de sa fréquentation des sites de discussion concernant le problème du Sahara occidental et qu’ainsi son engagement et son soutien pour cette cause ne pouvaient être tenus pour établis. La CNDA estima, par ailleurs, qu’aucun élément ne permettait de conclure à la réalité de sa détention pendant trois semaines ni aux raisons de cette détention qui seraient le soutien à la cause sahraouie. La CNDA estima par ailleurs que la procédure d’extradition mise en œuvre contre le requérant ne semblait pas menée dans un but politique, qu’à ce titre elle n’était pas constitutive de persécutions au sens de la Convention de Genève et, qu’en tout état de cause, les craintes du requérant à cet égard, tenant aux mesures de police et de procédure commandées par l’obligation de garantir la sécurité publique, ne relevaient pas du champ d’application de la Convention de Genève dès lors qu’elles s’inscrivaient dans le cadre légal de la lutte anti-terroriste. S’appuyant sur le rapport du UK Home Office de novembre 2010, le rapport onusien sur les disparitions forcées au Maroc de février 2010, et des rapports de diverses ONG (FIDH, Amnesty International, HRW), la CNDA constata néanmoins : « compte tenu de la nature et du degré de son implication dans les réseaux de la mouvance islamiste radicale, il est raisonnable de penser que, dans les circonstances très particulières de l’espèce, M. Rachid Rafaa, du fait de l’intérêt qu’il peut représenter pour les services de sécurité chérifiens dans le cadre de leur lutte contre le terrorisme, risquerait d’être soumis, à son arrivée au Maroc, à des traitements pouvant être regardés comme inhumains ou dégradants au sens des dispositions de l’article L 7121 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (...) » Toutefois, la CNDA rejeta la requête du requérant aux motifs suivants : « Considérant, à cet égard, et en dépit de ses dénégations concernant ses liens avec la mouvance djihadiste internationale, que M. Rachid Rafaa (...) est connu des services français pour son appartenance à ladite mouvance et pour ses liens avec les hauts cadres d’Al Qaida ; qu’il a été chargé de relayer la communication des organes médiatiques de cette organisation et ainsi, a pu entrer en contact avec de hauts cadres de cette dernière ; qu’il a participé à des forums djihadistes et a notamment été administrateur du site « Al Hisbah » utilisé par le comité médiatique d’Al Qaida dans les pays du Maghreb comme outil d’échange entre internautes susceptibles d’être recrutés comme combattants djihadistes ; que de tels agissements constituent des actes contraires aux buts et principes des Nations Unies, au sens de la Résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 28 septembre 2001, adopté en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (...) ; que si les actions qui lui sont reprochées par la justice chérifienne n’ont pas encore été jugées, il n’en demeure pas moins qu’au regard de l’ensemble des éléments du dossier, il y a des raisons sérieuses de penser que M. Rachid Rafaa a participé en toute connaissance de cause à la diffusion de la propagande de la mouvance djihadiste internationale et à l’incitation à commettre des actes de terrorisme ; que les actes imputés à l’intéressé et accomplis dans l’espace virtuel via Internet ont un prolongement au-delà des frontières et, à ce titre, constituent sur le territoire national une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat ; que, dès lors, il y a lieu d’exclure M. Rachid Rafaa du bénéfice des dispositions relatives à la protection subsidiaire en application du c) et du d) de l’article L. 712-2 précité ; » Le requérant forma une demande d’aide juridictionnelle en vue de former un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision. Sa demande fut rejetée le 16 juin 2011. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENTS A. Le droit français Les dispositions pertinentes du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) sont les suivantes : Article L. 712-1 « Sous réserve des dispositions de l’article L. 712-2, le bénéfice de la protection subsidiaire est accordé à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié mentionnées à l’article L. 711-1 et qui établit qu’elle est exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : a) La peine de mort ; b) La torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; c) S’agissant d’un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé interne ou international. » Article L. 712-2 « La protection subsidiaire n’est pas accordée à une personne s’il existe des raisons sérieuses de penser : a) Qu’elle a commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité ; b) Qu’elle a commis un crime grave de droit commun ; c) Qu’elle s’est rendue coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations unies ; d) Que son activité sur le territoire constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat. » B. Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951 Cette Convention dispose : « (...) le terme « réfugié » s’appliquera à toute personne : 1) Qui a été considérée comme réfugiée en application des Arrangements du 12 mai 1926 et du 30 juin 1928, ou en application des Conventions du 28 octobre 1933 et du 10 février 1938 et du Protocole du 14 septembre 1939 ou encore en application de la Constitution de l’Organisation internationale pour les réfugiés. (...) F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) c) Qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies. » C. Textes du Conseil de l’Europe relatifs au terrorisme Concernant les traités du Conseil de l’Europe relatifs à la lutte contre le terrorisme, la Cour renvoie à la liste présentée dans l’affaire Daoudi c. France (no 19576/08, § 32, 3 décembre 2009). Elle attire toutefois l’attention sur les textes suivants : – l’article 4 § 2 du Protocole d’amendement à la Convention européenne pour la répression du terrorisme du 15 mai 2003 prévoit : « (...) Aucune disposition de la présente Convention ne doit être interprétée comme impliquant une obligation d’extrader pour l’Etat requis si la personne faisant l’objet de la demande d’extradition risque d’être exposée à la torture ; (...) » – l’article 21 § 2 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention du terrorisme du 16 mai 2005 dispose : « Aucune disposition de la présente Convention ne doit être interprétée comme impliquant une obligation d’extrader si la personne faisant l’objet de la demande d’extradition risque d’être exposée à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » D. La Convention franco-marocaine d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des jugements et d’extradition du 5 octobre 1957 Cette Convention prévoit en ses dispositions pertinentes : Article 30 « L’extradition ne sera pas accordée si l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par la Partie requise comme une infraction politique ou comme une infraction connexe à une telle infraction. » Article 33 « L’extradition sera refusée : Si les infractions à raison desquelles elle est demandée ont été commises dans l’Etat requis ; Si les infractions ont été jugées définitivement dans l’Etat requis ; Si la prescription de l’action ou de la peine est acquise d’après la législation de l’Etat requérant ou de l’Etat requis lors de la demande par l’Etat requis ; (...) L’extradition pourra être refusée si les infractions font l’objet de poursuites dans l’Etat requis ou ont été jugées dans un Etat tiers. » Article 42 « L’individu qui aura été livré ne pourra être ni poursuivi, ni jugé contradictoirement, ni être détenu en vue de l’exécution d’une peine pour une infraction antérieure à la remise autre que celle ayant motivé l’extradition, sauf dans les cas suivants : 1o Lorsque, ayant eu la liberté de le faire, l’individu extradé n’a pas quitté, dans les trente jours qui suivent son élargissement définitif, le territoire de l’Etat auquel il a été livré ou s’il y est retourné après l’avoir quitté ; 2o Lorsque l’Etat qui l’a livré y consent, une demande devra être présentée à cet effet, accompagnée des pièces prévues au paragraphe 2 de l’article 34 et d’un procèsverbal judiciaire consignant les déclarations de l’extradé sur l’extension de l’extradition et mentionnant la possibilité qui lui a été donnée d’adresser un mémoire en défense aux autorités de l’Etat requis. Lorsque la qualification donnée au fait incriminé sera modifiée au cours de la procédure, l’individu extradé ne sera poursuivi ou jugé que dans la mesure où les éléments constitutifs de l’infraction, nouvellement qualifiée, permettraient l’extradition. » E. Le droit marocain Les dispositions pertinentes de la loi marocaine no 03/03 du 28 mai 2003 relative à la lutte contre le terrorisme sont les suivantes : Article 218-1 « Constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but l’atteinte grave à l’ordre public par l’intimidation, la terreur ou la violence, les infractions suivantes : (...) 9) la participation à une association formée ou à une entente établie en vue de la préparation ou de la commission d’un des actes de terrorisme ; » Article 218-5 « Quiconque, par quelque moyen que ce soit, persuade, incite ou provoque autrui à commettre l’une des infractions, prévues par le présent chapitre, est passible des peines prescrites pour cette infraction. » Article 218-6 « Outre les cas de complicité prévus à l’article 129 du présent code, est puni de la réclusion de dix à vingt ans, quiconque, sciemment, fournit à une personne auteur, coauteur ou complice d’un acte terroriste, soit des armes, munitions ou instruments de l’infraction, soit des contributions pécuniaires, des moyens de subsistance, de correspondance ou de transport, soit un lieu de réunion, de logement ou de retraite ou qui les aide à disposer du produit de leurs méfaits, ou qui, de toute autre manière, leur porte sciemment assistance. Toutefois, la juridiction peut exempter de la peine encourue les parents ou alliés jusqu’au quatrième degré, inclusivement, de l’auteur, du coauteur ou du complice d’un acte terroriste, lorsqu’ils ont seulement fourni à ce dernier logement ou moyens de subsistance personnels. » Article 218-7 « Le maximum des peines prévues pour les infractions visées à l’article 218-1 ci-dessus est relevé comme suit, lorsque les faits commis constituent des infractions de terrorisme : - la mort lorsque la peine prévue est la réclusion perpétuelle ; - la réclusion perpétuelle lorsque le maximum de la peine prévue est de 30 ans de réclusion ; - le maximum des peines privatives de liberté est relevé au double, sans dépasser 30 ans lorsque la peine prévue est la réclusion ou l’emprisonnement ; - lorsque la peine prévue est une amende, le maximum de la peine est multiplié par cent sans être inférieur à 100.000 dirhams ; - lorsque l’auteur est une personne morale, la dissolution de la personne morale ainsi que les deux mesures de sûreté prévues à l’article 62 du code pénal doivent être prononcées sous réserve des droits d’autrui. » III. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX Les observations finales du comité des Nations Unies contre la torture sur le quatrième rapport périodique du Maroc (CAT/C/MAR/CO/4 ; 21 décembre 2011) sont ainsi libellées : « (...) Le Comité est préoccupé par les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements commis par les officiers de police, les agents pénitentiaires et plus particulièrement les agents de la Direction de surveillance du territoire (DST) – désormais reconnus comme officiers de police judiciaire – lorsque les personnes sont privées de l’exercice des garanties juridiques fondamentales comme l’accès à un avocat, en particulier celles suspectées d’appartenir à des réseaux terroristes ou d’être des partisans de l’indépendance du Sahara occidental ou durant les interrogatoires dans le but de soutirer des aveux aux personnes suspectées de terrorisme. (art. 2, 4, 11 et 15). (...) Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état d’arrestations et de détentions arbitraires, de détentions au secret et dans des lieux secrets, d’actes de torture et de mauvais traitements, de l’extorsion d’aveux sous la torture et d’un usage excessif de la force par les forces de sécurité et par les forces de l’ordre marocaines au Sahara occidental. (...) Le Comité est préoccupé par les informations reçues selon lesquelles, dans les affaires liées au terrorisme, les procédures judiciaires qui régissent l’arrestation, l’interrogation et la détention ne sont pas toujours respectées dans la pratique. Il est également préoccupé par les allégations faisant état du schéma récurrent suivant : dans ces affaires, les suspects sont arrêtés par des officiers en civil qui ne s’identifient pas clairement, puis amenés pour être interrogés et détenus dans des lieux de détention secrets, ce qui revient en pratique à une détention au secret. Les suspects sont soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sans être officiellement enregistrés. Ils sont gardés dans ces conditions pendant plusieurs semaines sans être présentés à un juge et sans contrôle de la part des autorités judiciaires. Leur famille n’est informée de leur arrestation, de leurs mouvements et de leur lieu de détention qu’à partir du moment où ils sont transférés à la police pour signer des aveux obtenus sous la torture. Ce n’est qu’alors qu’ils sont officiellement enregistrés et réintégrés dans la procédure judiciaire régulière avec des dates et des données de facto falsifiées (art. 2, 11, 12, 15 et 16). (...) Le Comité prend note du moratoire de facto sur l’application de la peine de mort en vigueur depuis 1993, du projet de réforme législative visant à réduire significativement le nombre des crimes passibles de la peine capitale et de la nécessité que de telles peines soient prononcées à l’unanimité. Le Comité se déclare préoccupé par les conditions d’incarcération des condamnés à mort. Celles-ci, en l’état, peuvent constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, compte tenu en particulier de la durée de la détention dans les quartiers des condamnés à mort et de l’incertitude pesant sur le sort de ces condamnés du fait, notamment, de l’absence de toute perspective de commutation de leur peine (art. 2, 11 et 16). » Le Département d’Etat américain dans son Country Reports On Human Rights Practices – Morocco du 24 mai 2012, le News Service des Nations Unies (communiqué du 24 septembre 2012) et les rapports annuels de diverses organisations non gouvernementales (Human Rights Watch, Amnesty International, ...) font état de la persistance de l’usage de la torture à l’encontre des personnes soupçonnées d’appartenir à des réseaux terroristes.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit. Le requérant, né en Croatie, habite en Suisse depuis plus de vingt ans et a été naturalisé en 2008. Il a travaillé dans ce pays comme infirmier anesthésiste et sa femme l’a rejoint en 2008. Son ex-épouse et ses deux premiers fils, de nationalité suisse, habitent également en Suisse. Le 14 septembre 2011, le requérant fut arrêté par la police sur la base de soupçons de commission de multiples actes d’ordre sexuel perpétrés sur des femmes incapables de discernement ou de résistance pendant qu’elles se trouvaient en salle de réveil après une opération. Par une ordonnance du 16 septembre 2011, le tribunal des mesures de contrainte (Zwangsmassnahmengericht) du canton de Zürich ordonna la détention provisoire du requérant jusqu’au 31 octobre 2011. Le 1er novembre 2011, ce tribunal prolongea la détention provisoire de l’intéressé jusqu’au 1er janvier 2012. Le recours du requérant contre cette décision fut rejeté par le tribunal cantonal du canton de Zürich le 29 novembre 2011. Le 13 janvier 2012, le Tribunal fédéral annula la décision du tribunal cantonal en raison d’une violation du droit d’être entendu, cette juridiction n’ayant pas accordé le droit de répliquer au requérant, et il renvoya l’affaire devant l’instance inférieure. Après avoir accordé au requérant le droit de répliquer, le 27 janvier 2012, le tribunal cantonal confirma sa décision du 29 novembre 2011 et rejeta le recours du requérant. Il confirma l’existence de sérieux soupçons de culpabilité pesant sur ce dernier, ainsi qu’un danger de collusion et un risque de fuite. Il considéra les mesures de substitution à la détention provisoire comme étant insuffisantes et la durée de la détention conforme au principe de proportionnalité. Par ailleurs, il prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 31 janvier 2012. Entretemps, par une décision du 26 janvier 2012, le tribunal des mesures de contrainte prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 30 avril 2012. Sur recours du requérant, le tribunal cantonal confirma cette prolongation le 1er mars 2012. Le 2 mars 2012, le requérant forma un recours contre la décision du tribunal cantonal du 27 janvier 2012 concernant la prolongation de sa détention provisoire jusqu’au 31 janvier 2012. Le 12 mars 2012, le requérant forma également un recours contre la décision du même tribunal du 1er mars 2012. A l’appui de ses deux recours, le requérant contesta l’existence de sérieux soupçons de culpabilité, d’un danger de collusion et d’un risque de fuite, et il soutint ainsi que les conditions justifiant sa détention provisoire n’étaient pas remplies. Il indiqua que son centre d’intérêts se trouvait en Suisse et que son origine croate seule ne suffisait pas pour supposer un risque de fuite de sa part. En outre, il affirma que les instances inférieures n’avaient pas suffisamment examiné la possibilité de substituer des mesures alternatives à la détention provisoire. Enfin, il se plaignit d’une violation du principe de célérité par les autorités au motif qu’aucune audience n’avait eu lieu dans le cadre de la procédure pénale depuis le mois de décembre 2011. Par un arrêt du 28 mars 2012, le Tribunal fédéral estima que les juridictions inférieures n’avaient pas violé le principe de proportionnalité et il rejeta les deux recours du requérant. Il confirma l’existence de sérieux soupçons de culpabilité et constata un risque de fuite considérable. A ce titre, il releva que le requérant, de double nationalité suisse et croate, avait conservé des liens forts avec son pays d’origine, qu’il y passait ses vacances, que sa mère, avec laquelle il entretenait de bonnes relations, vivait en Croatie, que sa femme, de nationalité croate, parlait seulement un peu l’allemand et n’était venue en Suisse qu’en 2008, et que son troisième enfant, issu de son second mariage, était encore très jeune. Il nota également que le requérant soutenait lui-même avoir seulement un petit cercle de connaissances en Suisse et que, à cause de la procédure pénale entamée à son encontre, ses perspectives professionnelles en Suisse étaient fortement compromises notamment au vu d’une possible interdiction d’exercer son activité en vertu de l’article 67 du code pénal (paragraphe 23 ci-dessous). De plus, il releva que la Croatie n’extradait pas ses propres nationaux. Sur la base de ces différents éléments, il entérina le constat d’un risque de fuite considérable. S’agissant des mesures de substitution, le Tribunal fédéral estima que, en raison du risque de fuite considérable ainsi établi, une saisie des documents officiels du prévenu ne suffisait pas étant donné que les autorités croates pouvaient toujours lui en délivrer. Quant à la mise en place de sûretés, il considéra que le requérant n’avait que des moyens financiers limités, compte tenu de la situation de sa femme qui bénéficiait de prestations sociales. Il conclut également que ni une obligation de se présenter régulièrement à un service administratif ni une assignation à résidence sous surveillance électronique ne suffisaient pour prévenir le risque de fuite du requérant, étant donné que ces mesures permettaient seulement de constater une fuite mais non de l’éviter, et que, de plus, les infrastructures techniques pour la surveillance électronique n’avaient pas encore été mises en place dans le canton de Zürich. Le Tribunal fédéral rejeta enfin le grief du requérant concernant la violation du principe de célérité. Le 27 avril 2012, le tribunal des mesures de contrainte prolongea la détention provisoire du requérant jusqu’au 30 juillet 2012. Par une décision du 3 août 2012, il la prolongea ensuite jusqu’au 30 octobre 2012, puis, par une décision du 1er novembre 2012, jusqu’au 31 janvier 2013. Le tribunal cantonal confirma cette prolongation le 3 décembre 2012 pour les motifs déjà retenus par le Tribunal fédéral (paragraphe 17 ci-dessus). Par un arrêt du 23 janvier 2013, le Tribunal fédéral rejeta le recours formé par le requérant. La juridiction suprême rappela que le requérant était accusé par onze femmes, indépendamment les unes des autres, de s’être livré sur elles à des actes d’ordre sexuel alors qu’elles étaient incapables de discernement ou de résistance, et qu’ainsi les soupçons sérieux de commission répétée de cette infraction étaient manifestement établis. Pour cette raison, le Tribunal fédéral constata qu’aucun changement essentiel n’était intervenu depuis son arrêt du 28 mars 2012 (paragraphe 17 cidessus). Il souligna par ailleurs que, au 31 janvier 2013, le requérant se trouverait en détention depuis quinze mois et demi et que cette durée ne pouvait être considérée comme étant proche de celle de la peine encourue en cas de condamnation. En outre, il releva qu’aucun élément ne permettait de considérer que la procédure n’était pas conduite avec la célérité requise, étant donné que le ministère public attendait encore une expertise afin de pouvoir notifier l’acte d’accusation au tribunal de première instance (article 220 du code de procédure pénale ; paragraphe 21 ci-dessous). Partant, le Tribunal fédéral jugea que le maintien en détention provisoire de l’intéressé était conforme au principe de proportionnalité et n’était pas critiquable sous un aspect temporel. Par un fax du 2 septembre 2013, le représentant du requérant informa la Cour que la détention provisoire de ce dernier était prolongée jusqu’au 5 octobre 2013, en raison des précédents arrêts du Tribunal fédéral (mentionnés ci-dessus), et que les débats (Hauptverhandlung) auraient lieu les 3 et 4 décembre 2013 devant la cour d’arrondissement de Zürich. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit interne Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (« le CPP », entré en vigueur le 1er janvier 2011 ; recueil systématique no 312.0) sont libellées comme suit : Article 6 : Maxime de l’instruction « 1 (...) 2 [Les autorités pénales] instruisent avec un soin égal les circonstances qui peuvent être à la charge et à la décharge du prévenu. » Article 220 : Définitions « 1 La détention provisoire commence au moment où le tribunal des mesures de contrainte l’ordonne et s’achève lorsque l’acte d’accusation est notifié au tribunal de première instance, que le prévenu commence à purger sa sanction privative de liberté de manière anticipée ou qu’il soit libéré pendant l’instruction. 2 (...) » Article 221 : Conditions « 1 La détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté ne peuvent être ordonnées que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit et qu’il y a sérieusement lieu de craindre : a. qu’il se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite ; b. qu’il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuves ; c. qu’il compromette sérieusement la sécurité d’autrui par des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre. 2 (...) » Article 237 : Dispositions générales « 1 Le tribunal compétent ordonne une ou plusieurs mesures moins sévères en lieu et place de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté si ces mesures permettent d’atteindre le même but que la détention. 2 Font notamment partie des mesures de substitution : a. la fourniture de sûretés ; b. la saisie des documents d’identité et autres documents officiels ; c. l’assignation à résidence ou l’interdiction de se rendre dans un certain lieu ou un certain immeuble ; d. l’obligation de se présenter régulièrement à un service administratif ; e. l’obligation d’avoir un travail régulier ; f. l’obligation de se soumettre à un traitement médical ou à des contrôles ; g. l’interdiction d’entretenir des relations avec certaines personnes. 3 Pour surveiller l’exécution de ces mesures, le tribunal peut ordonner l’utilisation d’appareils techniques qui peuvent être fixés à la personne sous surveillance. 4 Les dispositions sur la détention provisoire et la détention pour des motifs de sûreté s’appliquent par analogie au prononcé des mesures de substitution ainsi qu’au recours contre elles. 5 Le tribunal peut en tout temps révoquer les mesures de substitution, en ordonner d’autres ou prononcer la détention provisoire ou la détention pour des motifs de sûreté si des faits nouveaux l’exigent ou si le prévenu ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées. » Le CPP prévoit une procédure simplifiée à condition que le détenu, jusqu’à la mise en accusation, reconnaisse les faits déterminants qui lui sont reprochés. Article 358 : Principes « 1 Jusqu’à la mise en accusation, le prévenu qui a reconnu les faits déterminants pour l’appréciation juridique ainsi que, au moins dans leur principe, les prétentions civiles peut demander l’exécution d’une procédure simplifiée au ministère public. 2 La procédure simplifiée est exclue lorsque le ministère public requiert une peine privative de liberté supérieure à cinq ans. » Le code pénal suisse du 21 décembre 1937 (« le CP » ; recueil systématique no 311.0) sanctionne l’acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, en tant que crime, par une peine privative de liberté pouvant aller, si les conditions de l’article 49 CP sont remplies, jusqu’à quinze ans. En outre, le juge peut combiner cette peine avec l’interdiction d’exercer une profession. Article 49 : Concours « 1 Si, en raison d’un ou de plusieurs actes, l’auteur [d’une infraction] remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l’infraction la plus grave et l’augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine. 2-3 (...) » Article 67 : Interdiction d’exercer une profession « 1 Si l’auteur [d’une infraction] a commis un crime ou un délit dans l’exercice d’une profession, d’une industrie ou d’un commerce et qu’il a été condamné pour cette infraction à une peine privative de liberté de plus de six mois ou à une peine pécuniaire de plus de 180 jours-amende, le juge peut lui interdire totalement ou partiellement l’exercice de cette activité ou d’activités comparables pour une durée de six mois à cinq ans s’il y a lieu de craindre de nouveaux abus. 2 (...)» Article 191 : Actes d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance « Celui qui, sachant qu’une personne est incapable de discernement ou de résistance, en aura profité pour commettre sur elle l’acte sexuel, un acte analogue ou un autre acte d’ordre sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de dix ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » B. La pratique interne Depuis 1999, les cantons de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, de Berne, de Vaud, de Genève et du Tessin, rejoints en 2003 par le canton de Soleure, mènent des essais de surveillance électronique limités dans le temps. Lors de sa séance du 4 décembre 2009, le Conseil fédéral a pris l’arrêté suivant : « 1 [L]es cantons de Berne, de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, du Tessin, de Vaud et de Genève sont autorisés : a. à faire exécuter des peines privatives de liberté de 20 jours à un an sous surveillance électronique à l’extérieur d’un établissement ; b. à faire exécuter les soldes de peines privatives de liberté de longue durée à la fin ou en lieu et place du travail externe sous surveillance électronique à l’extérieur d’un établissement pour une durée d’un mois à un an. 2 Le recours à des dispositifs de surveillance fondés sur l’emploi de satellites («Global Positioning System», GPS) est prohibé pour l’exécution des peines privatives de liberté sous surveillance électronique à l’extérieur d’un établissement. (...) 4 La validité des autorisations expire le jour où l’exécution des peines sous surveillance électronique est réglée par la loi, mais au plus tard le 31 décembre 2015. (...) » Dans son rapport intitulé « l’exécution des peines sous surveillance électronique : une vue d’ensemble » de février 2007, l’Office fédéral de la justice résuma la situation actuelle en Suisse de la manière suivante : « Depuis 1999, les cantons de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, de Berne, de Vaud, de Genève et du Tessin, rejoints en 2003 par le canton de Soleure, mènent des essais temporaires de surveillance électronique des détenus (aussi connue sous le nom d’electronic monitoring). Ce mode alternatif d’exécution des peines – un bracelet électronique en lieu et place de l’incarcération dans un établissement pénitentiaire – est utilisé avant tout en cas de peine de courte durée (20 jours à un an). Il peut aussi être appliqué, quoique plus rarement, à des personnes frappées d’une longue peine qui vont bientôt bénéficier d’une libération conditionnelle ou à des personnes dont la période de semi-liberté touche à sa fin ; il s’agit alors d’une phase supplémentaire de l’exécution progressive de la peine. Les rapports d’évaluation [de] 2003 et 2004 ont conclu à un bilan positif de ces essais. Pourtant, de nombreux cantons y sont opposés ou réticents. En outre, la nouvelle partie générale du code pénal, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2007, remplacera les peines de courte durée par des peines pécuniaires et du travail d’intérêt général, faisant ainsi disparaître le principal domaine d’application de la surveillance électronique. Le Conseil fédéral a donc décidé de n’autoriser la poursuite des essais que pour un an. Pour les mêmes raisons, il a refusé la demande du canton de Fribourg qui désirait se joindre à l’expérience. » Par ailleurs, dans sa décision RR.2009.329 du 24 novembre 2009, le Tribunal pénal fédéral a ordonné la mise en liberté de Roman Polanski, détenu en vue d’une extradition vers les Etats-Unis où il était recherché pour un crime punissable de trente ans, contre le dépôt d’une caution de 4 500 000 francs suisses (CHF), soit 3 654 000 euros (EUR), la saisie de ses documents d’identité, une assignation à résidence et le port d’un bracelet électronique dans l’attente d’une éventuelle extradition. C. Le droit international Selon l’article premier de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, entrée en vigueur en Suisse et en Croatie respectivement le 20 mars 1967 et le 25 avril 1995, « [l]es Parties contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante ». Concernant l’extradition des nationaux, l’article 6 de la Convention européenne d’extradition est libellé comme suit : « 1. (a) Toute Partie contractante aura la faculté de refuser l’extradition de ses ressortissants. (b) Chaque Partie contractante pourra, par une déclaration faite au moment de la signature ou du dépôt de son instrument de ratification ou d’adhésion, définir, en ce qui la concerne, le terme «ressortissants» au sens de la présente Convention. (c) La qualité de ressortissant sera appréciée au moment de la décision sur l’extradition. Toutefois, si cette qualité n’est reconnue qu’entre l’époque de la décision et la date envisagée pour la remise, la Partie requise pourra également se prévaloir de la disposition de l’alinéa a du présent paragraphe. 2 Si la Partie requise n’extrade pas son ressortissant, elle devra, sur la demande de la Partie requérante, soumettre l’affaire aux autorités compétentes afin que des poursuites judiciaires puissent être exercées s’il y a lieu. A cet effet, les dossiers, informations et objets relatifs à l’infraction seront adressés gratuitement par la voie prévue au paragraphe 1 de l’article 12. La Partie requérante sera informée de la suite qui aura été donnée à sa demande. » En conséquence, comme le prévoit l’article 6 de la Convention européenne d’extradition, la Croatie a déposé le 25 janvier 1995 la déclaration suivante : « L’article 9 de la Constitution de la République de Croatie interdit l’extradition de ressortissants croates. Par conséquent, la République de Croatie n’accordera pas l’extradition de ses propres ressortissants. » N’étant pas un pays membre de l’Union européenne, la Suisse n’est pas partie à la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres (Journal officiel no L 190 du 18/07/2002 p. 0001 - 0020).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1948. Il est actuellement détenu à la prison de Craiova. La condamnation du requérant Le 13 décembre 2001, le tribunal de première instance de Calafat condamna le requérant à 18 ans de prison pour viol sur ascendant. Ce jugement fut confirmé le 18 mars 2002 par le tribunal départemental de Dolj, sur appel du requérant. Par un arrêt définitif du 5 juillet 2002, la cour d’appel de Craiova rejeta le pourvoi du requérant. Les conditions de détention dans la prison de Craiova En novembre 2001, le requérant fut placé en détention provisoire à la prison de Craiova. Après sa condamnation définitive, il y est resté pour purger la peine. Le requérant affirme avoir été détenu jusqu’en 2006 dans des conditions inhumaines en raison de la surpopulation carcérale. Il allègue notamment qu’à plusieurs reprises, il a été contraint de partager le même lit avec d’autres détenus, de dormir sans literie et de supporter le froid pendant l’hiver. Il soutient que les mauvaises conditions de détention lui ont provoqué de graves troubles psychologiques qui nécessitent un traitement médicamenteux permanent avec des neuroleptiques. Selon les informations fournies par le Gouvernement, le requérant a été placé dans dix-huit cellules successives d’une superficie allant de 9 à 44 mètres carrés, pour un nombre de lits allant de trois à vingtetun. Le Gouvernement ne précise pas la durée exacte de détention dans chaque cellule, mais expose que toutes ces cellules étaient pourvues de fenêtres et qu’elles étaient convenablement chauffées et meublées. En outre, elles étaient équipées de cabinets de toilette avec lavabo et douches. Le Gouvernement soutient que le requérant a toujours bénéficié d’un lit individuel. Au cours de l’année 2004, le requérant s’est plaint plusieurs fois auprès de la direction de la prison des mauvaises conditions de détention, de l’absence de literie, du froid et de l’exposition à la fumée de tabac. Le 27 janvier 2006, le requérant saisit le tribunal de première instance de Craiova d’une plainte dirigée contre l’administration de la prison de Craiova. Il exposait que les conditions de détention étaient inhumaines et qu’il devait partager le même lit avec d’autres détenus, situation qui aurait provoqué chez lui des troubles psychologiques graves. Par un jugement du 4 avril 2006, le tribunal rejeta la plainte. S’appuyant sur une lettre de l’administration de la prison concernant le suivi médical du requérant, le tribunal conclut que l’état de santé de ce dernier était meilleur qu’au moment de l’incarcération. Le tribunal ne se prononça pas quant aux allégations relatives à la surpopulation carcérale. La correspondance avec la Cour Le 22 septembre 2004, le requérant demanda au tribunal de première instance de Calafat de lui envoyer copie de certains documents du dossier de la procédure qui avait abouti à sa condamnation pour viol. Il informa le tribunal que ces documents étaient nécessaires pour étayer sa plainte devant la Cour. Le lendemain, le tribunal informa le requérant de la nécessité de payer une taxe pour les copies sollicitées. Il lui demanda également de préciser les documents à photocopier. Le requérant ne répondit pas au courrier du tribunal. Les 8 décembre 2006 et 20 avril 2007, le juge délégué à la prison de Craiova rejeta deux plaintes du requérant qui accusait la direction de la prison de porter atteinte à son droit à la correspondance, en particulier à l’égard de sa correspondance avec la Cour. Après avoir vérifié les registres du courrier de la prison, le juge ne décela aucune entrave au droit au respect de la correspondance du requérant. Le requérant ne contesta pas ces décisions devant le tribunal de première instance. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Un premier rapport du CPT publié en 2003 et rédigé à la suite d’une visite réalisée en 1999 à la prison de Craiova avait fait les constats suivants : un surpeuplement très important (68 détenus partageaient des cellules de 66 m²), l’absence d’activités physiques, des conditions de vie médiocres, l’absence de cloisons dans les annexes sanitaires, des coupures de chauffage et des conditions d’hygiène insatisfaisantes. Un deuxième rapport concernant la même prison, publié le 11 décembre 2008, à la suite d’une visite réalisée en 2006, fit le constat de conditions de surpeuplement particulièrement sévères et à de services de santé surchargés. Dans ce dernier rapport, le CPT précisa : « § 70 : (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l’échelon national, et ce, depuis la première visite en Roumanie en 1995. Il est grand temps que des mesures d’envergure soient prises afin de mettre un terme définitif à cette situation inacceptable. Le CPT en appelle aux autorités roumaines afin qu’une action prioritaire et décisive soit engagée afin que chaque détenu hébergé dans un établissement pénitentiaire dispose d’un lit. En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. » L’ordonnance d’urgence du gouvernement no 56/2003 concernant les droits des personnes exécutant une peine privative de liberté prévoyait qu’à défaut de ressources du détenu les dépenses occasionnées par sa correspondance avec les organes judiciaires, les tribunaux, les organisations internationales reconnues par la Roumanie ou avec sa famille ou son avocat étaient à la charge de l’établissement pénitentiaire (article 8 § 5). L’OUG no 56/2003 a été abrogée et remplacée par la loi no 275/2006, qui a repris ces dispositions, prévoyant de surcroît la compétence du juge de l’exécution des peines de prison pour l’examen des plaintes à ce sujet. Les décisions du juge peuvent être contestées devant le tribunal de première instance.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1957 et réside à Nişantaşı (Istanbul). L’objet du différend dont est issue la présente affaire est un terrain d’une superficie d’environ 15 hectares, situé sur l’île d’Aşırlı et couvrant la moitié de cette île, correspondant au lot 109 parcelle 1. L’autre partie de l’île appartient au domaine public. Par un jugement du 7 octobre 1942, le tribunal d’instance de Kaş considéra que S.K. avait acquis, par voie de prescription acquisitive en application de l’article 639 du code civil ancien, la propriété du terrain objet de la présente affaire et ordonna son inscription dans le registre foncier au nom de l’intéressé. Le 13 octobre 1988, la commission de protection de la culture et des ressources naturelles d’Antalya décida de classer ce terrain en site archéologique et naturel de première catégorie. Des travaux de cadastre réalisés le 22 février 1999 confirmèrent le titre de propriété relatif au terrain en question. Le 8 novembre 2002, le requérant acheta le terrain et le fit inscrire à son nom dans le registre foncier. Lors de l’acquisition, il était au fait du classement de ce terrain en site archéologique et naturel, dans la mesure où une mention en ce sens figurait sur le registre foncier. Le 3 avril 2003, le Trésor saisit le tribunal de grande instance de Kale d’une action en annulation du titre de propriété du requérant et demanda l’inscription du bien à son nom dans le registre foncier. Il affirma que le requérant avait acquis la propriété du bien litigieux lors des travaux de cadastre et argua que selon l’article 11 de la loi sur la protection du patrimoine culturel et naturel, le terrain litigieux ne pouvait faire l’objet d’aucune prescription acquisitive. En réponse, le requérant fit remarquer qu’il n’avait pas acquis la propriété du terrain litigieux par voie de prescription acquisitive, mais qu’il l’avait acheté, et précisa qu’il était le dixième propriétaire de ce terrain depuis le propriétaire initial, S.K. Le 10 juin 2004, le tribunal fit droit à la demande du Trésor et annula le titre de propriété du requérant. Il estima que le jugement du 7 octobre 1942 n’était pas juridiquement valide dans la mesure où, d’une part, l’action en prescription acquisitive avait été introduite sans partie adverse et sans que l’administration concernée ait été partie à la procédure et où, d’autre part, le jugement en question n’avait pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation. Il en conclut que le titre de propriété relatif à ce terrain reposait sur une décision de justice rendue au terme d’une procédure ne remplissant pas les conditions de validité posées par la loi et que par conséquent l’inscription au registre ne liait pas le Trésor. A la lumière des expertises ordonnées par lui, le tribunal retint qu’une partie couvrant 12 254,45 m² du terrain litigieux faisait partie du domaine public littoral et que le reste du terrain était un site naturel et archéologique de première catégorie (58 322,65 m² en site archéologique et 74 503,16 m² en site naturel). Le 5 avril 2005, la Cour de cassation confirma ce jugement et le 17 octobre 2005, elle rejeta la demande de rectification de l’arrêt. Le 29 septembre 2009, le Trésor demanda la rectification d’une erreur matérielle dans le jugement du 10 juin 2004 quant aux superficies. Le tribunal de grande instance de Demre fit droit à cette demande ; la superficie de la partie classée en site naturel fut rectifiée à 79 309,73 m² et celle du domaine public littoral à 12 368,50 m². Le requérant fit appel contre ce jugement. Le propriétaire précédent du terrain avait entrepris un projet de création de musée naturel sur l’île et entamé les démarches administratives en ce sens. Les autorités avaient formulé un avis favorable à ce projet. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 11 de la loi relative à la protection du patrimoine culturel et naturel (loi no 2863 du 21 juillet 1983) dispose que les lieux classés comme patrimoine culturel et naturel ne peuvent faire l’objet d’une acquisition par voie de possession. L’article 43 de la Constitution est ainsi libellé en sa partie pertinente : « Les côtes sont la propriété de l’Etat et relèvent de sa juridiction. (...) » L’article 639 du code civil ancien – en vigueur en 1942 – énonçait les conditions de la prescription acquisitive (vingt ans de possession continue et paisible). Selon cette disposition, l’action tendant à faire constater la prescription acquisitive devait être introduite contre le Trésor et l’administration concernée.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les dates de naissance des requérantes figurent en annexe. A. Opération baptisée « retour à la vie » En octobre 2000, un nombre considérable de détenus entamèrent une grève de la faim et un « jeûne de la mort », essentiellement afin de protester contre le projet de prisons de « type F », lequel visait à mettre en place des unités de vie plus petites pour les détenus. Au cours du mois de décembre 2000, une équipe de médiateurs s’entretint avec les grévistes de la faim, mais aucune solution ne put être trouvée. A cette époque, les requérantes étaient détenues à la prison de Çanakkale. Par une lettre du 17 décembre 2000, le procureur de la République de Çanakkale informa le préfet que certains détenus avaient entamé un « jeûne de la mort » depuis le 23 octobre 2000. Il indiqua que ces détenus avaient refusé jusqu’à présent les soins médicaux et que leur état de santé était devenu préoccupant. Il releva qu’un protocole signé entre les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Santé prévoyait, en cas de détérioration de l’état de santé de grévistes de la faim, la possibilité d’une intervention immédiate sur décision d’un médecin spécialiste avec, le cas échéant, le recours à l’aide de la gendarmerie. Il précisa aussi que, selon un ordre d’intervention délivré par le ministère de l’Intérieur le 14 décembre 2000, une opération visant à prendre le contrôle des dortoirs des insurgés et à assurer une prise en charge médicale des grévistes de la faim allait être menée à la date fixée par le ministère de la Justice. Enfin, il souligna que le recours à la force et aux armes à feu ne devait être envisagé qu’en cas de nécessité absolue. La gendarmerie de Çanakkale reçut également la lettre du procureur de la République de Çanakkale. Le 19 décembre 2000, les forces de l’ordre intervinrent simultanément dans une vingtaine d’établissements pénitentiaires, dont la prison de Çanakkale. Au cours de cette opération baptisée « retour à la vie » (hayata dönüş), de violents heurts survinrent entre les forces de l’ordre et les prisonniers. A la prison de Çanakkale, un gendarme et quatre détenus trouvèrent la mort et une vingtaine de détenus furent blessés. Selon le procès-verbal relatif au déroulement de l’opération, rédigé le 21 décembre 2000 à 14 heures, des groupes d’intervention, composés de militaires appartenant à des unités de gendarmerie de Çanakkale, de Balıkesir et d’Istanbul, étaient opérationnels dès le 18 décembre 2000 conformément au plan d’intervention établi. L’opération visait à soustraire les détenus observant le « jeûne de la mort » de l’emprise d’organisations illégales et à assurer à ces prisonniers des soins médicaux. Le 19 décembre 2000, vers 5 heures du matin, les forces de l’ordre lancèrent l’opération ; dans un premier temps elles évacuèrent des détenus de certains dortoirs vers des endroits sécurisés et, parallèlement, elles prirent le contrôle du couloir principal supérieur et bloquèrent les accès au couloir principal inférieur au niveau des points Z-3 et S-7. De nombreux appels à la reddition furent lancés, en vain, par les forces de l’ordre et par le procureur de la République. Les détenus érigèrent des barricades au niveau des portes S1 et S-6 et scandèrent des slogans. Les forces de l’ordre déclenchèrent alors des actions pour prendre le contrôle des dortoirs D-5 et D-6. Alors que l’opération se poursuivait, les détenus se réunirent en cercle derrière la barricade dressée au niveau de la porte S-6 et une détenue qui s’était avancée s’immola par le feu. Une autre détenue déclara aux forces de l’ordre : « N’approchez pas, sinon nous allons nous immoler ainsi une par une et nous jeter devant vous ; vous pouvez nous arrêter seulement de cette manière ». Lorsque les forces de l’ordre tentèrent de s’avancer pour porter secours à la détenue en flammes, trois coups de feu furent tirés depuis la barricade et deux bombes tuyaux furent lancées sur elles. Au même moment, les gendarmes postés au point Z-3 essuyèrent trois ou quatre tirs depuis la porte S-1. L’intervention se poursuivit et le bloc D fut évacué des détenus. Les forces de l’ordre réussirent à isoler les détenus dans les dortoirs C1 à C-4 et dans les dortoirs pour femmes du bloc B. Sur ordre du commandant de l’opération, une unité se plaça à l’extérieur de la prison, au niveau du bloc B, pour garantir la sécurité du conducteur d’engins qui devait réaliser l’ouverture d’une brèche dans les murs extérieurs du bloc B et pour assurer l’évacuation de prisonniers par cette brèche. Lors du déploiement de cette unité, vers 13 h 50, le soldat M.M. fut mortellement touché par des balles tirées depuis les fenêtres des dortoirs pour femmes du bloc B. Tout au long de la journée du 19 décembre 2000, les forces de l’ordre réitérèrent les appels à la reddition. A 17 heures, à la tombée de la nuit, l’opération fut suspendue et les appels à la reddition furent répétés au cours de la nuit. Le lendemain, vers 6 h 30, l’opération reprit. Les forces de l’ordre prirent le contrôle des dortoirs C-1 à C-4. En se repliant, les détenus tirèrent un nombre élevé de coups de feu sur elles, leur lancèrent des bombes tuyaux, utilisèrent des lance-flammes et mirent le feu aux endroits qu’ils évacuaient. Après la prise de contrôle du bloc C, les forces de l’ordre placées au point S-7 prirent le contrôle de la porte S-6 et s’avancèrent vers la porte S-5, et certaines unités prirent le contrôle de la salle de sport du bloc B et du dortoir B-2. En arrivant au niveau inférieur du dortoir B-2, les forces de l’ordre trouvèrent une bombe artisanale fabriquée à partir de quatre bonbonnes de gaz et d’une bouteille d’oxygène. Ayant quitté ce niveau dans l’urgence sans avoir pu activer la bombe, les détenus poursuivirent leurs tirs sur les bonbonnes et la bouteille pour déclencher une explosion. Les forces de l’ordre se replièrent alors au niveau supérieur du dortoir B-2 et suspendirent l’opération vers 17 h 30. Au terme de cette deuxième journée d’opération, les forces de l’ordre réussirent à isoler les détenus au niveau inférieur du bloc B. Tout au long de la journée, elles répétèrent les appels à la reddition et lancèrent des grenades lacrymogènes pour briser la résistance des détenus. Le 21 décembre 2000, à 7 heures, l’opération reprit. Les autorités, renouvelant leurs appels à la reddition, accordèrent trente minutes aux détenus pour qu’ils se rendent. Face au refus de ces derniers, les forces de l’ordre procédèrent à des ouvertures au niveau de la dalle entre les deux étages du bloc B et lancèrent des grenades lacrymogènes dans la cantine, le dortoir et le couloir central. Simultanément, pour éviter que les détenus ne soient intoxiqués et pour permettre leur évacuation, plusieurs brèches furent également ouvertes par des engins de chantier dans les murs extérieurs du bloc B. Afin de capturer les prisonniers sans utiliser d’armes à feu et les contraindre à se rendre, les pompiers les arrosèrent à l’aide de lances. Par ailleurs, le chef adjoint des opérations passa une annonce radio à toutes les unités ; il leur ordonna de ne pas utiliser d’armes à feu contre les détenus qui se rendaient et d’agir avec retenue. Alors qu’un groupe de prisonniers tentèrent de sortir vers 10 h 30, les autres détenus les en empêchèrent et il s’ensuivit une dispute entre eux. Des coups de feu furent entendus à cette occasion. Puis, vers 11 h 30, deux détenus sortirent de la prison ; craignant qu’ils ne fussent porteurs de bombes, les forces de l’ordre gardèrent les individus à distance et leur demandèrent de se dévêtir. Par la suite, dix-huit détenus sortirent également et, vers 12 h 15, le reste des détenus se rendit aussi. Vingt-six détenus furent conduits dans des hôpitaux : neuf furent transférés vers d’autres prisons après une prise en charge médicale et dixsept furent hospitalisés. Le détenu F.S. trouva la mort lors d’une intervention à l’hôpital. De plus, après l’évacuation des détenus, les forces de l’ordre trouvèrent à l’intérieur de la prison les corps de trois prisonniers (les détenus I.B., S.S. et F.K.). Par ailleurs, un gendarme fut blessé au front et à la joue par un éclat de tir et cinq autres gendarmes furent légèrement intoxiqués par le gaz lacrymogène. Lors de l’évacuation, les forces de l’ordre procédèrent à des relevés d’empreintes sur les mains des détenus afin de rechercher la présence de résidus de tirs. Les analyses permirent d’en déceler sur les mains de dixhuit détenus parmi lesquels figurait la requérante Hülya Aydoğan. B. Rapports médicaux et d’autopsie Le rapport médical établi par l’hôpital de Çanakkale le 21 décembre 2000, vers 13 h 40, indiqua que les examens des requérantes Leyla Alp, Süreyya Bulut et Elif Yaş n’avaient révélé aucune trace de coups et blessures sur leurs corps et également que les trois femmes avaient refusé d’être soignées. Le médecin délivra à chacune un certificat attestant d’une incapacité de travail de deux jours. S’agissant de la requérante Meral Kıdır, le rapport mentionna une blessure par arme à feu au niveau des lombaires, sans engagement du pronostic vital. Un second rapport établi le 28 février 2001 par l’institut médicolégal d’İzmir confirma que cette blessure n’avait pas engagé le pronostic vital de l’intéressée et indiqua qu’elle nécessitait un arrêt de travail de quinze jours. Une autopsie fut pratiquée sur le corps des détenus décédés lors de l’opération. Les rapports d’autopsie révélèrent qu’un des décès était consécutif à des brûlures, un deuxième à une blessure par arme à feu (avec deux impacts relevés), un troisième à l’impact d’une grenade lacrymogène au niveau du crâne, et enfin le dernier à l’impact d’un objet non identifié au niveau du thorax. C. Enquêtes et actions pénales Enquête menée par le parquet après l’opération « retour à la vie » Le 22 décembre 2000, deux procureurs de la République procédèrent à une reconnaissance dans la prison de Çanakkale, accompagnés d’un caméraman, d’un photographe et des surveillants pénitentiaires. Le 23 décembre 2000, en vue d’effectuer des recherches dans la prison et d’en évacuer des objets, les procureurs constituèrent une équipe composée des directeurs adjoints de la prison, de trois experts militaires, de surveillants affectés aux recherches, de militaires en charge de l’enlèvement des éléments mobiliers et d’eux-mêmes. Cette équipe procéda à des fouilles dans la prison du 23 au 26 décembre 2000. Ces investigations permirent de retrouver, entre autres, sept armes à feu, une grande quantité de balles, projectiles et douilles, des mécanismes permettant de tirer une balle unique, des bombes tuyaux, des explosifs, fusils, arcs, lance-flammes et masques à gaz fabriqués artisanalement, des produits inflammables et explosifs, des cocktails Molotov, des centaines d’objets tranchants et contondants, des téléphones portables, des ordinateurs, ainsi que de la documentation et des objets relatifs à des organisations illégales et à du matériel médical. Le 1er mars 2001, le parquet d’İzmir demanda au parquet de Çanakkale la transmission des rapports médicaux concernant la requérante Filiz Uyan qui, selon ses dires, avait été victime de brûlures à différents endroits du corps causées par le gaz lacrymogène. En réponse à cette demande, le 2 mars 2001, le parquet de Çanakkale indiqua que l’intéressée ne figurait pas parmi les détenus transférés à l’hôpital après l’opération « retour à la vie » et que le dossier ne contenait pas de documents relatifs à sa prise en charge médicale. Procédure pénale diligentée contre les détenus (procédure no 2001/158) Le 20 avril 2001, le procureur de la République de Çanakkale engagea une action pénale contre 154 détenus, dont les requérantes, pour homicide, insurrection armée, incitation au suicide, ainsi que fabrication, détention et utilisation d’explosifs et d’armes à feu. Entre le 16 mai 2001 et le 26 mai 2004, la cour d’assises de Çanakkale (« la cour d’assises ») tint une quarantaine d’audiences au cours desquelles elle entendit les directeurs et les surveillants pénitentiaires, des experts de la police, ainsi que plusieurs militaires ayant participé à l’opération « retour à la vie ». Selon les déclarations de ces derniers, les forces de l’ordre intervenues à l’intérieur de la prison n’étaient pas armées. Au cours de cette procédure, les requérantes adressèrent à la cour d’assises des requêtes contenant des explications sur le déroulement de l’opération ainsi que leurs griefs. Les intéressées contestèrent l’existence d’une insurrection armée et dénoncèrent les circonstances dans lesquelles l’opération avait été conduite, notamment l’utilisation excessive d’armes à feu et de gaz lacrymogène. Le 10 janvier 2002, le procureur de la République dressa un acte d’accusation complémentaire par lequel il procéda à l’inculpation, pour le meurtre du détenu F.S, des dix-huit prisonniers sur les mains desquels des résidus de tirs avaient été relevés. A l’issue de la 42e audience tenue le 26 mai 2004, la cour d’assises décida de joindre l’instance avec la procédure diligentée contre les forces de l’ordre (paragraphe 34 ci-dessous). Enquête et procédure pénales diligentées contre les gendarmes Le 26 décembre 2000, les requérantes transférées à la prison de Buca adressèrent au parquet d’İzmir une requête dans laquelle elles dénoncèrent de manière générale l’opération « retour à la vie », ainsi que les traitements subis lors de leurs évacuation et transfèrement. Le parquet d’İzmir transmit le dossier au parquet de Çanakkale, territorialement compétent pour connaître de la plainte. a) Enquête relative aux allégations de mauvais traitements survenus postérieurement à l’opération « retour à la vie » Le 25 décembre 2003, le procureur de la République de Çanakkale rendit une ordonnance de non-lieu. Il considéra que les allégations de mauvais traitements, que les requérantes affirmaient avoir subis lors de leurs évacuation et transfèrement, n’étaient pas fondées. Après avoir examiné les éléments du dossier d’enquête, il releva que plusieurs détenus avaient été blessés au cours de leur résistance armée. Il nota que, après la reddition des insurgés, les fouilles et les transferts avaient été effectués dans la cour, située devant la prison, au vu et au su de tous et même de la presse. Il constata également que les détenus blessés avaient été évacués vers des hôpitaux et que les autres détenus avaient été transférés vers d’autres prisons après que le médecin eût observé qu’il n’y avait pas d’empêchement à leur transfert. Par ailleurs, il considéra que l’allégation de perte et de détérioration d’objets appartenant aux détenus n’était pas établie, et il précisa à cet égard que les insurgés avaient eux-mêmes incendié et dégradé les dortoirs et le mobilier lors de l’insurrection. Il ajouta que, après l’opération, les objets retrouvés avaient été triés par dortoir, puis restitués à leurs propriétaires. Le 8 janvier 2004, les requérantes formèrent opposition contre cette ordonnance. Elles se plaignaient précisément d’attente prolongée dans le froid, de port de menottes serrées et d’entassement dans les fourgonnettes de transfèrement. De plus, elles alléguaient que leur examen médical avant leur transfert n’avait pas été réalisé en bonne et due forme, et elles affirmaient qu’à leur arrivée dans les autres prisons elles avaient été obligées d’attendre plusieurs heures avant leur admission. Le 1er mars 2004, l’opposition formée par les requérantes contre cette ordonnance fut rejetée. b) Procédure relative aux blessures et décès survenus au cours de l’opération « retour à la vie » Le 25 décembre 2003, le procureur de la République de Çanakkale inculpa 563 membres des forces de l’ordre pour homicides et blessures involontaires commis dans l’exercice de leurs fonctions, dans des circonstances qui outrepassaient le cadre de leurs pouvoirs, étant précisé que l’identité des auteurs de ces infractions restait indéterminée. Il releva que, pour parer aux coups de feu des insurgés et inciter ces derniers à une reddition, les forces de sécurité avaient procédé à des tirs de harcèlement en direction du toit de la prison, et il estima que les blessures et décès reprochés aux militaires pouvaient être liés à ces tirs. Le procès commença devant la cour d’assises (procédure no 2003/378). Le 30 mars 2004, celle-ci tint une première audience au cours de laquelle elle entendit un plaignant. Jonction des deux procédures Le 26 mai 2004, la cour d’assises tint une deuxième audience dans le cadre de la procédure no 2003/378. À partir de cette date, la procédure diligentée contre les détenus fut jointe avec celle diligentée contre les forces de l’ordre. a) Audiences, témoignages et rapport d’expertise Au cours des audiences qui suivirent, la cour d’assises adopta de nombreux actes de procédure et accéda à des demandes de compléments d’enquête formulées par les avocats des détenus. Elle versa au dossier les enregistrements de l’opération fournis par les autorités militaires, ainsi que les images envoyées par les chaînes de télévision nationales. Elle accusa réception des informations relatives aux forces de l’ordre ayant participé à l’opération et aux armes utilisées à cette occasion, et également de la réponse des autorités indiquant que les communications radio et téléphoniques n’avaient pas été enregistrées pendant l’opération. Elle accéda aussi à la demande des avocats des détenus tendant à l’obtention des dépositions des personnes qui avaient signé le procès-verbal relatif à l’opération. S’agissant de la demande de reconstitution formulée par ces avocats, la cour d’assises releva que plus de cinq années s’étaient écoulées depuis l’opération et qu’entre-temps la prison de Çanakkale avait subi des transformations architecturales substantielles. La cour d’assises accusa également réception du rapport établi le 29 décembre 2004 par le laboratoire criminalistique de la police d’Ankara. Selon ce rapport, lorsque des relevés d’empreintes étaient effectués deux jours après des tirs – ce qui était le cas dans la présente affaire –, aucune analyse fiable quant à la présence de résidus de tir ne pouvait être réalisée. Par ailleurs, la cour d’assises entendit plusieurs détenues qui dénoncèrent un usage intensif de gaz lacrymogène en milieu confiné. Elle entendit aussi le commandant de gendarmerie de la prison de Çanakkale qui affirma que, au cours de l’opération, les forces de l’ordre n’avaient pas utilisé d’armes à feu à l’intérieur de la prison. Elle accéda également à la demande des avocats des détenus tendant à l’obtention des dépositions des personnes ayant signé le procès-verbal du 18 décembre 2000 (paragraphe 42 ci-dessous). b) Arrêt du 16 septembre 2008 Au terme de l’audience tenue le 16 septembre 2008, la cour d’assises rendit son arrêt. Elle décida d’abord de disjoindre les procédures relatives à soixante et onze accusés (militaires et détenus confondus) dont les adresses n’avaient pas pu être déterminées. En outre, elle mit fin aux poursuites pénales concernant onze accusés, dont la requérante Berna Ünsal qui était décédée en cours de procédure. S’agissant de l’intervention des forces de l’ordre, la cour d’assises exposa d’abord le contexte régnant dans la prison avant l’opération, ainsi que les raisons qui avaient conduit les autorités à intervenir. Elle releva que, après des concertations entre le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur, il avait été décidé de procéder à une opération coordonnée dans différentes prisons. Elle observa que, à cette fin, le 18 décembre 2000 vers 19 heures, le secrétaire d’Etat au ministère de la Justice, le directeur général des prisons et le commandant général de la gendarmerie avaient appelé le commandant de la gendarmerie de Çanakkale pour l’informer de la décision de procéder à l’opération en question le lendemain. Elle nota que cet appel téléphonique et le contenu de la conversation avaient été transcrits dans un procès-verbal signé par le commandant de l’opération, le procureur de la République de Çanakkale, le directeur de la sûreté, le commandant de la gendarmerie de Çanakkale, le procureur de la République près la prison de Çanakkale, le commandant de gendarmerie de la prison et le directeur de la prison. La cour d’assises reprit ensuite le déroulement de l’opération tel que décrit dans le procès-verbal établi le 21 décembre 2000 (paragraphes 916 ci-dessus). Puis la cour d’assises cita les éléments de preuve suivants : - des procès-verbaux établis les 4 et 24 janvier 2001 relatifs aux armes et munitions retrouvées dans la prison, ainsi qu’un procès-verbal établi le 19 décembre 2000 concernant le décès du militaire M.M. au cours de l’opération ; - des procès-verbaux relatifs aux recherches réalisées dans la prison après l’opération, ainsi qu’un rapport d’expertise de la police établi le 25 décembre 2000 ; - un rapport établi le 9 juillet 2004 par un institut médicolégal concernant l’expertise balistique des armes à feu et douilles retrouvées dans la prison, de la balle extraite du corps du militaire tué et des balles retrouvées dans les alentours ; cet examen balistique avait permis d’établir que plus d’une centaine de balles, dont la balle ayant entraîné la mort du soldat M.M., avaient été tirées avec les armes retrouvées dans la prison ; - les rapports médicaux relatifs aux détenus blessés (paragraphes 1819), ainsi que les rapports d’autopsie ; - la transcription de l’enregistrement vidéo de l’opération ; - la réponse donnée le 29 décembre 2004 par le laboratoire criminalistique de la police d’Ankara (paragraphe 38 ci-dessus) ; - une lettre envoyée par le commandement de la gendarmerie le 28 septembre 2004 qui indiquait la liste des armes utilisées par les forces de sécurité pendant l’opération et qui précisait que les communications radio et téléphoniques n’avaient pas été enregistrées ; - une lettre de la gendarmerie du 28 juin 2005 expliquant que les forces de l’ordre n’avaient pas utilisé d’armes à feu à l’intérieur de la prison. A la lumière de l’ensemble des éléments du dossier, la cour d’assises releva que les détenus n’avaient pas répondu aux appels à la reddition des forces de sécurité et qu’ils avaient fait feu sur celles-ci et tué un militaire. Elle nota que de grandes brèches avaient été faites dans les murs extérieurs des dortoirs pour permettre aux détenus de se rendre, que ces derniers avaient poursuivi leurs agissements et mis à feu les dortoirs qu’ils quittaient et que, pour briser la résistance des insurgés, les forces de l’ordre avaient lancé des grenades lacrymogènes depuis les ouvertures pratiquées sur le toit de la prison. De plus, concernant la détenue F.K. qui s’était immolée par le feu, la cour d’assises considéra qu’il n’était pas établi que les autres prisonniers l’avaient incitée ou forcée au suicide. Par ailleurs, s’agissant de l’infraction de possession et d’usage d’armes à feu et de rébellion armée, la cour d’assises mit fin aux poursuites en raison de la prescription de l’action pénale. Pour ce qui est de la mise en cause de dix-huit détenus dans le décès du détenu F.S., la cour d’assises considéra, au vu des rapports d’expertise sur les résidus de tirs, qu’il était impossible d’établir avec certitude si les intéressés avaient effectivement procédé à des tirs. Enfin, s’agissant du décès du militaire M.M., la cour d’assises observa que l’implication de tous les détenus n’était pas établie et, quant aux dix-huit détenus pour lesquels des résidus de tirs avaient été trouvés sur les mains, elle considéra que les relevés d’empreintes n’étaient pas fiables. Aussi elle décida de l’acquittement des détenus dans la mesure où il n’y avait pas de preuve certaine et concluante qu’ils aient pu commettre les infractions en question. Quant à la mise en cause des forces de sécurité dans les décès et blessures survenus au cours de l’opération, la cour d’assises releva qu’il était impossible de déterminer quelle arme avait tué le détenu F.S. dans la mesure où la balle qui l’avait atteint avait transpercé son corps. Elle nota également, concernant le décès de la détenue S.S., que l’objet ayant entraîné sa mort n’avait pas pu être identifié. Enfin, pour le détenu I.B., elle estima qu’il était impossible d’établir de quel fusil provenait la grenade qui l’avait touché. Par conséquent, pour le décès de ces détenus, elle conclut à l’absence de preuve certaine et convaincante permettant de décider d’une condamnation des agents des forces de l’ordre. c) Pourvoi en cassation Le 25 mars 2009, les requérantes formèrent un pourvoi en cassation. Le 12 décembre 2012, la Cour de cassation confirma la décision attaquée pour autant qu’elle concernait les insurgés. S’agissant de la partie de l’arrêt concernant les poursuites pénales engagées contre les forces de l’ordre pour les homicides de trois détenus et l’infliction de blessures volontaires à trente-trois détenus, dont les requérantes Leyla Alp, Elif Yaş, Meral Kıdır, Süreyya Bulut, Filiz Uyan et Gülay İncesu, la Cour de cassation cassa la décision de la cour d’assises. Elle observa que, s’agissant de ces chefs d’accusation, cette dernière avait décidé de l’acquittement des forces de l’ordre en raison d’une action conjointe des agents en cause et de l’impossibilité de déterminer quelles armes étaient à l’origine des décès. A ce titre, la Cour de cassation releva que les forces de l’ordre avaient agi dans le cadre des attributions qui leur étaient reconnues par la loi sur l’organisation, les pouvoirs et les compétences des gendarmes, et elle estima que le recours à la force avait été rendu « absolument nécessaire » pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection et protéger les autres détenus, et ce en accord avec le second paragraphe de l’article 2 de la Convention. Elle considéra que les agents des forces de l’ordre avaient eu recours à la force de manière proportionnée pour parer à des atteintes à leurs vies et à celles des détenus, et elle conclut qu’il y avait lieu de considérer leurs agissements sous l’angle de la légitime défense et de décider de leur acquittement sur ce fondement. A ce jour, la procédure est pendante devant la cour d’assises. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’usage d’armes par les gendarmes est principalement régi par la loi sur l’organisation, les fonctions et les compétences de la gendarmerie (loi no 2803 du 10 mars 1983) ainsi que par le règlement relatif à l’application de cette loi (règlement relatif aux fonctions et compétences de la gendarmerie). Selon l’article 39 k) de ce règlement, les gendarmes peuvent faire usage d’armes pour la répression d’émeutes, de troubles ou de soulèvements dans les établissements pénitentiaires. L’article 40 précise que l’usage d’arme n’implique pas forcément l’usage d’armes à feu, l’usage de celles-ci devant être envisagé qu’en dernier recours. Cet article indique que le terme « arme » peut désigner non seulement les armes à feu mais aussi les armes neutralisantes telles que les matraques, les bombes de gaz, les fumigènes et les jets d’eau. Lors de l’usage d’armes, en tenant compte des spécificités de la situation, il faut privilégier l’usage d’armes défensives et neutralisantes. Si ces armes s’avèrent insuffisantes, il est prévu un recours progressif vers l’arme à feu. Il faut d’abord pointer l’arme sur la cible, puis procéder à tirs de sommation en l’air, ensuite à des tirs à hauteur des pieds et enfin seulement à des tirs libres. L’usage d’armes autres que les armes à feu se fait conformément à l’ordre qui a été donné.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1942, 1948, 1963, 1964, 1973, 1974, 1978, 1981, 1981, 1982, 1986 et 1990 et résident à Hakkari. Les deux premiers requérants sont respectivement le père et la mère du disparu Nezir Tekçi (ci-après « Nezir »), et les autres requérants sont ses frères et sœurs. A. Sur la disparition de Nezir Tekçi Les requérants indiquent que Nezir s’était rendu le 27 avril 1995 dans le village de Armutlu pour aider au déménagement de son frère Lokman à Yüksekova, et que, lors du déménagement, les deux frères avaient rendu visite à Fehim Dara, habitant le village de Yukarıölçek, en compagnie de Habip Bala et Hamit İsaoğlu. Ils ajoutent que, le 28 avril 1995, une opération militaire avait eu lieu dans la zone proche du village de Yukarıölçek et que des militaires avaient alors emmené les cinq hommes, ainsi que plusieurs villageois – dont Ecevit Sefalı, Nazım Dara, Serhenk Serdaroğlu, Cemil Kırmızıtaş, Kadir Altekin, Abdullah Yazar –, dans une étable. Ils précisent que, le lendemain, toutes les personnes, excepté Nezir, avaient été libérées, que Nezir avait été livré aux militaires d’une unité basée dans le village de Muşan et que le commandant de cette unité, A.O.A., avait tué leur proche au bout de quatre jours. B. Plaintes pénales déposées devant les autorités militaires Le 22 mai 1995, les requérants déposèrent une plainte devant le commandement de la gendarmerie de Hakkari au sujet de la disparition de Nezir. Le même jour, ils adressèrent une demande similaire au sous-préfet de Yüksekova. Le 15 décembre 1997, le parquet militaire de Van (21. Jandarma Sınır Tümen Komutanlığı) rendit une ordonnance de non-lieu à l’encontre de A.O.A. et de M.E.Y. Dans sa décision, il nota que les requérants avaient déposé une plainte le 22 mai 1995 et une autre plainte le 5 juin 1995. Il releva que certains des éléments réunis, en particulier le procès-verbal de gendarmerie du 31 juillet 1995, indiquaient que le disparu était membre du PKK. Il releva également que, selon la déposition de Nazım Fırat (arrêté pour séparatisme), le 31 mai 1995, Nezir avait participé à un affrontement armé à Yüksekova entre des militaires et des membres du PKK au cours duquel il avait été tué, qu’il avait été enterré à l’endroit où avait eu lieu le combat, et que Nazım Fırat avait été arrêté par les forces de l’ordre. Cela étant, le parquet indiqua que, même si le père du disparu et Nazım Fırat soutenaient que Nezir avait été tué, il n’y avait pas de certitude à ce sujet et qu’il n’y avait pas non plus de certitude au sujet de la thèse selon laquelle A.O.A. et M.E.Y. avaient tué Nezir. Il précisa aussi qu’il n’avait pas non plus été établi que Nezir appartenait au PKK, et il ajouta que Nazım Fırat avait réfuté sa déposition, obtenue d’après lui sous la pression lors de sa garde à vue, de sorte que cette déposition n’avait plus de force probante. Le parquet conclut que, le corps de Nezir n’ayant pas été retrouvé, il n’était pas possible d’établir s’il était décédé ou s’il avait été tué, et que l’affirmation des requérants selon laquelle Nezir avait été placé en garde à vue par les forces de l’ordre n’était pas non plus confirmée par des éléments de preuve. Le 20 décembre 1997, après avoir reçu l’ordonnance en question, le commandement de la gendarmerie de Van décida de ne pas contester cette décision. Le 10 décembre 1998, l’ordonnance de non-lieu du parquet militaire de Van en date du 15 décembre 1997 fut notifiée à Halit Tekçi. D’après les éléments du dossier, ce dernier ne contesta pas cette ordonnance devant le tribunal militaire compétent. C. Plaintes pénales déposées devant les autorités judiciaires Le 22 mai 1995, Halit Tekçi déposa une plainte devant le procureur de la République de Yüksekova au sujet de la disparition de son fils, en mettant en cause la responsabilité des militaires. Après avoir réitéré sa version des faits, il demanda l’audition des personnes suivantes : Habip Bala, Hamit Cindar, Fehim Dara, Mehdiye Dara, Ecevit Safalı, Nazım Dara, Serhenk Erişmiş, Kadir Altekin et Abdullah Yazar. Le 22 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda au commandement de la gendarmerie de lui fournir en urgence les coordonnées des personnes indiquées dans la plainte de Halit Tekçi du même jour. Toujours le 22 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova entendit Halit Tekçi. Celui-ci déclara notamment que son fils avait été placé en garde à vue par les militaires qui étaient basés au village de Muşan. Le 24 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda au commandement de la gendarmerie de Yüksekova de lui présenter les personnes suivantes pour audition : Serhenk Erişmiş, Nazım Dara, Fehim Dara, Mehdiye Dara, Ecevit Safalı, Cemil Kırmızıtaş, Selahattin Sarıtaş, Yusuf Kırmızıtaş, Habip Bala, Hamit Cindar et un certain Hurşit dont le nom de famille n’était pas précisé. Le 31 mai 1995, l’association YAKAY-DER (Yakınlarını Kaybeden Ailelerle Yardımlaşma ve Dayanışma Derneği, association d’entraide des familles ayant perdu un proche) déposa une plainte pénale devant le parquet de Fatih (Istanbul). Ce dernier se déclara incompétent et transmit la plainte au parquet de Yüksekova. Le 5 juin 1995, Halit Tekçi déposa une autre plainte devant le procureur de la République de Yüksekova au sujet de la disparition de Nezir. Il demanda l’audition des témoins qui avaient été conduits avec son fils dans l’étable et qui, d’après lui, avaient déclarés que le militaire A.O.A., après avoir fait attacher les mains et bander les yeux de Nezir, avait emmené ce dernier avec lui. Il précisa que Nezir avait été emmené à la garnison de Köycük mais que sa garde à vue n’avait pas été enregistrée. Il donna les noms des témoins suivants : Fehim Dara, Nazım Dara, Mehdiye Dara, Kadir Altekin, Serhenk Erişmiş, Ecevit Safalı, Yusuf Kırmızıtaş, Hamit Cindar, Habip Bala, Cemil Kırmızıtaş, İbrahim Bartin, Mehmet Süre, Yusuf Bartin, Mehmet Torus, Casim Bartin, Mikail Tarakçı, Hurşit Karay et un certain Hurşit dont le nom de famille n’était pas précisé. Le 7 juin 1995, en se référant à sa plainte du 5 juin 1995, Halit Tekçi informa le procureur de la République que le militaire qui, d’après lui, avait tué Nezir puis placé le corps de celui-ci sur une mine antipersonnel s’appelait A.O.A. Il demanda que le nécessaire fût fait pour retrouver et condamner les responsables du décès de son fils et pour déterminer le montant dû au titre des dommages matériel et moral subis en raison de cette perte. Le 7 juin 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda en urgence au commandement de la sûreté (Güvenlik Komutanlığı) de Yüksekova de lui présenter le militaire A.O.A. pour audition. Le 21 juin 1995, les requérants demandèrent au parquet de Yüksekova d’approfondir l’enquête au sujet de la disparition de leur proche et, en particulier, d’interroger les témoins ainsi que le militaire A.O.A. Toujours le 21 juin 1995, dans la mesure où il n’avait pas reçu de réponse à sa requête du 24 mai 1995, le procureur de la République de Yüksekova réitéra sa demande faite au commandement de la gendarmerie de Yüksekova. Le même jour, le procureur de la République de Yüksekova réitéra également sa demande du 7 juin 1995 faite au commandement de la sûreté de Yüksekova aux fins de présentation et d’audition de A.O.A. Le 3 juillet 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda en urgence au commandement des forces de sécurité de Yüksekova la liste des personnes placées en garde à vue à la date de l’incident. Le 10 juillet 1995, sur saisine des requérants, le ministre des Droits de l’homme (« le ministre ») informa ceux-ci que, s’agissant de la disparition de leur proche survenue le 29 avril 1995 dans le village de Yukarıölçek, le préfet de Hakkari avait été saisi et qu’ils seraient informés du résultat de l’enquête. Le 19 juillet 1995, à la suite de la demande précitée en date du 3 juillet 1995, le commandant A.O.A. envoya au procureur de la République de Yüksekova une feuille sur laquelle étaient écrits à la main les noms et prénoms des 68 personnes qui se trouvaient en garde à vue à la date de l’incident. Toujours le 19 juillet 1995, A.O.A. fut entendu par le procureur de la République. Dans sa déposition, il déclara qu’il ne connaissait ni Halit Tekçi ni son fils Nezir Tekçi. Il présenta la liste des personnes placées en garde à vue à l’époque des faits. Il précisa qu’il ressortait de cette liste que Nezir n’avait pas été placé en garde à vue. Il indiqua avoir appris, au début du mois de juin, que des tirs de provocation avaient été effectués à l’encontre du commandement de la gendarmerie de Yüksekova, que Nezir avait été tué à cette occasion et que son corps avait été enlevé par des membres du PKK. Le 20 juillet 1995, le procureur de la République de Yüksekova demanda au commandement de la gendarmerie de Yüksekova de l’informer en urgence au sujet de la disparition de Nezir, qui serait mort lors d’un affrontement près du village de Çobanpınar (hameau de Mıtırban), et de lui fournir des documents confirmant le décès de celui-ci. Le 24 juillet 1995, les requérants demandèrent des nouvelles auprès du parquet de Yüksekova au sujet de la disparition de leur proche survenue le 29 avril 1995, ainsi qu’auprès du préfet de Hakkari. Le même jour, ils accusèrent réception de la lettre du ministre en date du 10 juillet 1995 et ils demandèrent que le nécessaire fût effectué pour éclaircir les circonstances dans lesquelles leur proche avait disparu. Le 31 juillet 1995, se fondant sur la déposition de Nazım Fırat, dont le nom de code était « Agit », le commandement de la gendarmerie de Yüksekova informa le procureur de la République de Yüksekova que Nezir, dont le nom de code était « Bedirhan », avait été tué de deux balles dans le thorax au cours de l’affrontement survenu le 31 mai 1995 entre des membres du PKK et les gendarmes du commandement de Yüksekova. Le commandement de la gendarmerie joignit en annexe des copies de la déposition en question et d’un rapport d’incident (vukuat raporu). Le 14 août 1995, le procureur de la République de Yüksekova entendit les personnes suivantes : – Selahattin Sarıtaş qui déclara avoir été placé en garde à vue avec soixante ou soixante-dix personnes deux à trois mois plus tôt, qui ajouta qu’une partie des personnes avaient été placées en garde à vue dans une étable et une autre partie sous une tente comme lui, et qui précisa ne pas avoir subi de mauvais traitements et ne pas connaître Nezir ; – Yusuf Kırmızıtaş qui précisa avoir été placé en garde à vue avec soixante ou soixante-dix personnes deux à trois mois plus tôt, qui indiqua ne pas savoir si Nezir avait été placé en garde à vue, et qui déclara ne pas avoir subi de mauvais traitements ; – Nazım Dara qui déclara avoir été placé en garde à vue dans une étable à l’époque des faits litigieux et ne pas connaître Nezir, et qui ajouta que deux personnes avaient été amenées à la gendarmerie de la sous-préfecture et qu’elles avaient par la suite été mises en liberté ; – Mehdiye Dara qui déclara ne pas avoir été placée en garde à vue et ne pas connaître Nezir ; – Fehim Dara qui déclara ne pas avoir pas été placé en garde à vue et ne pas connaître Nezir ; – Ecevit Safalı qui déclara avoir été placé en garde à vue à l’époque des faits litigieux et qui précisa ne pas connaître Nezir ; – Serhenk Erişmiş qui affirma avoir été placé en garde à vue à l’époque des faits litigieux mais ne pas connaître Nezir. Le 15 août 1995, les requérants s’adressèrent au préfet de Hakkari au sujet de la lettre du ministre du 10 juillet 1995. Le 12 septembre 1995, le procureur de la République de Yüksekova se déclara incompétent rationae materiae au profit du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Dans sa décision, il indiqua que Nezir avait été tué au cours d’un affrontement, après avoir été touché à la poitrine, alors qu’il avait attaqué le commandement de la gendarmerie de Yüksekova avec un groupe de terroristes. Le 4 octobre 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır émit un avis de recherche à l’encontre des personnes présumées responsables du décès de Nezir, en demandant à la direction de la sûreté et au commandement de la gendarmerie de Diyarbakır un compte rendu tous les trois mois. Le 20 novembre 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de Diyarbakır entendit Nazım Fırat qui déclara ne rien savoir au sujet du décès de Nezir, survenu au cours d’une opération menée contre la gendarmerie de Yüksekova. Il précisa que, lorsqu’il avait déposé pendant sa garde à vue, le sergent-chef İbrahim l’avait obligé à faire une déclaration dans le sens contraire, qu’il ne connaissait pas Nezir et ne savait pas où ce dernier avait été tué, et qu’il avait entendu son nom pour la première fois à la gendarmerie. Le 12 septembre 1996, en réponse à la demande du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır du 4 octobre 1995, la direction de la sûreté de Hakkari signala l’absence d’éléments de preuve, de documents ou de dénonciations au sujet de l’exécution extrajudiciaire de Nezir. Le 17 mars 1997, les requérants déposèrent un complément de plainte devant le parquet près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır, précisant que Nezir avait été arrêté par des militaires et avait été tué par le militaire A.O.A. avec la complicité du militaire M.E.Y. Dans leur plainte, les requérants précisaient en particulier ce qui suit : – le 29 avril 1995, Selim Özeken, qui était parti au village de Muşan, avait déclaré à Halit Tekçi qu’il avait vu Nezir et d’autres personnes placées en garde à vue par les soldats ; – Sadrettin Bala et Hamit Cındar, qui avaient été placés en garde à vue, avaient été mis en liberté. Ils avaient déclaré avoir été placés en garde à vue avec Nezir pendant deux jours, lequel avait les mains attachées et les yeux bandés et avait par la suite été conduit à un autre endroit ; – Cemil Kırmızıtaş et Selahattin Kırmızıtaş, habitants du village de Muşan, avaient également été placés en garde à vue par les militaires et avaient aussi déclaré avoir été placés en garde à vue avec Nezir pendant deux jours. Ils avaient indiqué avoir vu les militaires emmener Nezir alors que ce dernier avait les mains attachées et les yeux bandés ; – le 10 mai 1995, alors qu’il se trouvait dans un magasin du centre de Yüksekova, Halit Tekçi avait parlé avec un militaire qui avait participé à l’opération militaire litigieuse. Il indiqua que ce militaire lui avait affirmé que Nezir avait été tué le 1er mai 1995 par A.O.A. après avoir été interrogé au sujet des refuges du PKK et avoir répondu qu’il n’était pas membre de cette organisation. Il ajouta que ce militaire lui avait également déclaré qu’A.O.A. avait tué Nezir, dont les mains étaient attachées et les yeux bandés, avec une arme à feu, puis avait placé sa dépouille sur une mine antipersonnel qui avait explosé et déchiqueté son corps. Le 19 mars 1997, le procureur de la République de Yüksekova transmis au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır une copie de la plainte de Halit Tekçi. Le 9 juillet 1997, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır se déclara incompétent rationae loci au profit du procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Van, au sujet du décès de Nezir survenu le 31 mai 1995 lors d’un affrontement entre les forces de l’ordre et des membres du PKK. Le 5 novembre 1997, tenant compte de la qualité des auteurs présumés du meurtre de Nezir, à savoir A.O.A. et M.E.Y., le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Van se déclara incompétent au profit du procureur militaire de Van. Le 29 juin 2004, après avoir examiné la plainte du 31 mai 1995 de l’association YAKAY-DER, le parquet de Yüksekova constata que, le 12 septembre 1995, il s’était déclaré incompétent et avait transmis cette plainte au parquet près la cour de sûreté de l’Etat de Van. Le 10 août 2004, le parquet de Van se déclara incompétent et renvoya l’affaire devant le parquet militaire de Van dans la mesure où les auteurs présumés du meurtre de Nezir, A.O.A. et M.E.Y., étaient des militaires et où les faits s’étaient déroulés lors d’opérations accomplies par des soldats. Dans sa décision, le parquet constata qu’il ressortait de l’enquête préliminaire et d’un procès-verbal établi le 8 janvier 2004 que Nezir avait été tué à la frontière de l’Iran car il était habillé comme les peshmergas. Par ailleurs, il précisa qu’il ressortait de la déposition de Cemil Kırmızıtaş que, à la fin du mois d’avril 1995, des militaires s’étaient rendus au poste de Dişli pour faire part d’informations au sujet de la lutte contre le terrorisme. La déposition de Cemil Kırmızıtaş indiquait que, dans ce but, les militaires avaient réuni soixante habitants des villages environnants, dont Nezir qui était menotté et à qui Cemil Kırmızıtaş avait parlé, et que le commandant A.O.A., après s’être exprimé, avait libéré tous les villageois réunis sauf Nezir. Par ailleurs, le parquet releva que le témoin Nazım Dara avait déclaré que les militaires avaient emmené Nezir. Le 6 mai 2005, les requérants demandèrent une copie des pièces relatives à l’enquête pénale menée par le parquet de Yüksekova à la suite de sa décision d’incompétence rendue le 29 juin 2004. Le même jour, le parquet leur répondit que le dossier avait été transféré au parquet militaire le 12 août 2004. Le 13 septembre 2006, en réponse à une demande des requérants du 12 septembre 2006, le parquet militaire indiqua qu’il n’y avait aucune pièce ou décision à communiquer aux intéressés étant donné qu’aucune enquête n’avait été menée au sujet de leur plainte. Le 15 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Halit Tekçi. Celui-ci déclara que son fils Nezir était parti à Armutlu pour ramener des moutons à Yüksekova le 27 ou le 28 avril 1995, puis qu’il avait passé la nuit chez Nazım Dara dans le village de Demirkonak, et que, à l’aube, des gendarmes avaient mené une opération dans ce village et réuni les villageois ainsi que Nezir. Il ajouta qu’un militaire avait dit à ce dernier qu’il risquait d’être tué par le commandant militaire s’il gardait ses vêtements traditionnels et que, par la suite, ce commandant avait arrêté son fils. Il indiqua également que, à une date non précisée, il avait parlé avec un soldat ayant effectué son service militaire à l’époque des faits et que celui-ci lui avait déclaré que son fils avait été tué par des militaires. Le 17 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Mehmet Süre qui se trouvait avec Nezir au moment de son arrestation et qui confirma la version de Halit Tekçi concernant cette arrestation. Le 18 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Cemil Kırmızıtaş. Ce dernier déclara que, à l’époque des faits litigieux, il se trouvait également en garde à vue au poste de Dişli, qu’il y avait vu Nezir qu’il connaissait pour avoir fait du commerce de bétail, et que celui-ci était menotté. Il précisa que les personnes placées en garde à vue avaient toutes été libérées, sauf Nezir, et qu’il en avait informé un membre de sa famille. Le 19 décembre 2008, le parquet de Yüksekova entendit Nazım Dara. Celui-ci déclara que, à l’époque des faits litigieux, Nezir, accompagné d’une autre personne, était venu passer la nuit chez lui, et que, au matin, des gendarmes étaient venus au village et avaient arrêté les villageois ainsi que Nezir. Il indiqua que tous avaient été placés en garde à vue puis libérés le lendemain, excepté Nezir. Il précisa qu’un commandant nommé A.O.A. faisait partie des militaires impliqués. Il ajouta qu’il avait demandé aux militaires ce qu’il était advenu de Nezir quelques jours plus tard et que ces derniers lui avaient répondu qu’il avait été tué sur le terrain. Le 13 août 2009, le procureur de la République de Yüksekova entendit Y.Ş. Celui-ci déclara que, alors qu’il faisait son service national à Gelibolu, son bataillon avait été envoyé à Yüksekova en avril 1995 et que tous les militaires, y compris les gradés, avaient campé pendant plusieurs jours dans le village de Muşan. Il ajouta qu’un dénommé Nezir Tekçi avait été arrêté par la première unité du bataillon, lui-même étant en service dans la deuxième unité. Il indiqua que, le jour de l’incident, cinquante militaires étaient partis en opération accompagnés de Nezir, avec le commandant A.O.A. de la première unité, le lieutenant K.A. de la deuxième unité et d’autres gradés dont il ne se souvenait pas des noms. Il précisa que Nezir devait révéler aux militaires la cache des terroristes et de leurs armes dans la montagne, que lui-même avait parlé avec Nezir au cours d’une pause, et que celui-ci lui avait donné son nom ainsi que le nom de son village d’origine (Oramarlı). Il précisa également que, sur le chemin du retour, le commandant A.O.A. avait menacé de tuer Nezir si ce dernier ne lui disait pas où se trouvaient les membres du PKK ainsi que leurs armes, et que Nezir avait répondu qu’il n’en savait rien. Il ajouta qu’A.O.A. avait ensuite emmené Nezir une dizaine de mètres plus loin, puis que Nezir avait couru vers les autres soldats en pensant qu’il allait être tué par ce commandant et que ce dernier avait demandé aux soldats qui parlaient le kurde de lever la main. Il expliqua qu’une vingtaine de soldats avaient alors levé la main, qu’A.O.A. leur avait dit de tirer sur Nezir et que les soldats en question avaient refusé. Puis il déclara que le lieutenant K.A. avait dit au commandant A.O.A. de lui donner l’ordre de tuer Nezir, que le commandant A.O.A. lui donna cet ordre, et que le lieutenant K.A. avait alors emmené Nezir une dizaine de mètres plus loin et avait tiré sur lui un ou deux coups de feu avec son fusil G3. Il ajouta qu’ensuite le commandant A.O.A. avait ordonné aux soldats de tirer sur Nezir, que les soldats avaient obéi et que lui-même avait tiré en direction de Nezir avec les autres soldats mais en orientant son arme sur le côté. Il indiqua que Nezir était décédé et que le lieutenant K.A. avait demandé au responsable des mines de le rejoindre. Il déclara que, quelques instants après, il avait entendu le bruit de l’explosion d’une mine, qu’il avait vu les vêtements de Nezir s’envoler et que le lieutenant K.A. avait montré aux soldats la tête de Nezir, qui s’était détachée de son corps, en la tenant par les cheveux. Le soldat Y.Ş. identifia Nezir à partir d’une photographie que lui montra le procureur de la République. Il précisa en outre que Halit Tekçi s’était rendu à son domicile afin qu’il témoigne au sujet de la mort de Nezir. D. Action pénale engagée contre les militaires A.O.A. et K.A. Par un acte d’accusation du 4 mai 2011, le procureur de la République de Hakkari intenta une action pénale contre A.O.A. pour homicide volontaire accompagné de torture sur la personne de Nezir. Dans son acte d’accusation, le procureur faisait référence aux dépositions de Halit Tekçi, des témoins Y.Ş. et H.A. – qui confirmait les dires de Y.Ş. –, ainsi qu’à des éléments de preuve du dossier. Par la suite, une action pénale fut également engagée contre K.A. pour les mêmes chefs d’accusation que ceux retenus contre A.O.A. Le 14 novembre 2011, pour des raisons de sécurité et de bonne administration de la justice, la Cour de cassation dessaisit la cour d’assises de Hakkari au profit de la cour d’assises d’Eskişehir (ci-après « la cour d’assises »). Le 21 décembre 2011, la cour d’assises commença l’examen de l’affaire. A l’audience du 29 mars 2012, la cour d’assises entendit A.O.A. et K.A. Les deux hommes nièrent les faits qui leur étaient reprochés. A l’audience du 12 juin 2012, la cour d’assises entendit İ.A.Ş., militaire à l’époque des faits, qui déclara ne pas se souvenir de l’incident. A l’audience du 4 octobre 2012, la cour d’assises entendit Halit Tekçi. Celui-ci réitéra ses précédentes déclarations. A l’audience du 18 décembre 2012, la cour d’assises entendit le témoin H.A. Celui-ci déclara que Nezir avait été arrêté par son bataillon, qu’il avait été torturé au motif qu’il était terroriste et qu’il lui avait été demandé de montrer des caches d’armes. Il indiqua que Nezir avait affirmé qu’il n’était pas membre du PKK et qu’il n’avait rien à voir avec cette organisation. Il précisa que, le jour de l’incident, dans l’après-midi, Nezir avait été conduit dans la montagne, que lui-même n’était pas avec les militaires qui avaient emmené Nezir, mais que ses camarades lui avaient raconté que celui-ci avait été tué dans la montagne par une balle tirée sur ordre de A.O.A. et que tous les militaires avaient ensuite tiré sur lui. Il ajouta que le corps de Nezir avait ensuite été déchiqueté par l’explosion d’une bombe. Il précisa que M.T. lui avait relaté le déroulement de l’incident. A l’audience du 5 mars 2013, la cour d’assises entendit Y.Ş. Celui-ci confirma sa précédente déposition au sujet de la mort de Nezir. Par ailleurs, l’avocat A.E. fit valoir qu’il ressortait de la liste des personnes placées en garde à vue à l’époque des faits, établie par A.O.A., que Cemil Kırmızıtaş et Selahattin Kırmızıtaş avaient prévenu Halit Tekçi que son fils Nezir avait été placé en garde à vue avec eux. La procédure est toujours pendante devant la cour d’assises. E. Action pénale engagée contre le témoin Nazım Fırat Le 21 juillet 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır intenta une action pénale contre Nazım Fırat pour séparatisme. Le dossier ne contient aucune information sur l’issue de cette action. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La Cour se réfère à l’aperçu du droit interne figurant notamment dans les arrêts Sabuktekin c. Turquie (no 27243/95, §§ 61-68, CEDH 2002II), Ertak c. Turquie (no 20764/92, §§ 94-106, CEDH 2000V), Kurt c. Turquie (25 mai 1998, §§ 56-62, Recueil des arrêts et décisions 1998III), Tekin c. Turquie (9 juin 1998, §§ 25-29, Recueil 1998IV) et Çakıcı c. Turquie ([GC], no 23657/94, §§ 56-67, CEDH 1999IV). Selon l’article 107 de la loi no 353 portant création des tribunaux militaires et réglementant leur procédure, la décision de non-lieu rendue par le procureur militaire peut être contestée devant le tribunal militaire le plus proche dans un délai de quinze jours à partir de la date de sa notification à la personne concernée. Selon l’article 172 § 2 du code de procédure pénale (« le CPP » ; loi no 5271 du 4 décembre 2004), une fois que la décision de non-lieu a été rendue, une nouvelle action publique ne peut être engagée pour les mêmes actes qu’en cas d’éléments de preuve nouveaux.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952. Il réside à Strasswalchen, en Autriche. Par un jugement du 26 octobre 1994, le tribunal de première instance de Ploieşti condamna le requérant par contumace à une peine de deux ans et dix mois de prison pour un vol. La peine ne fut pas exécutée, le requérant résidant en Autriche. Par un jugement définitif du 13 octobre 2006, le tribunal de première instance de Ploieşti constata que le délai de prescription de l’exécution de la peine était arrivé à l’échéance et, par conséquent, révoqua le mandat d’exécution de la peine. Le 23 décembre 2006, le requérant, accompagné de son épouse, souffrant d’un handicap, se présenta à la frontière roumaine pour rendre visite à sa famille. Le requérant affirme avoir présenté à la police des frontières une copie du jugement du 13 octobre 2006. Néanmoins, il fut arrêté en vertu du mandat d’exécution de la peine. Le lendemain, il fut transféré à la prison de la ville d’Arad en vue de l’exécution de la peine prononcée le 26 octobre 1994. Le 27 décembre 2006, la direction de la prison d’Arad contacta le tribunal de première instance de Ploieşti et, après avoir obtenu une copie du jugement du 13 octobre 2006, remit le requérant en liberté. Ce dernier affirme être rentré aussitôt en Autriche en état de choc. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 504 du code de procédure pénale (CPP) régissant l’action en réparation du préjudice moral contre l’État en cas d’erreur judiciaire ou de privation de liberté illégale est ainsi libellé en sa version modifiée par la loi no 281/2003 : Article 504 « Toute personne condamnée par une décision définitive a droit à se voir octroyer par l’État une réparation pour le dommage subi si, à la suite d’un nouveau jugement de la cause, le tribunal décide par un jugement définitif l’acquittement de cette personne. Bénéficie également du droit à la réparation du dommage subi toute personne qui, au cours du procès pénal, a subi une privation ou une restriction illégale de sa liberté. La privation ou la restriction illégales de liberté doivent avoir été constatées, selon le cas, par une ordonnance du procureur portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté, par un non-lieu (...) ou par une décision du tribunal portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté, par une décision définitive d’acquittement ou par une décision définitive ordonnant la clôture de la procédure pénale (...). Bénéficie également du droit à la réparation du dommage subi toute personne qui a été privée de liberté après l’intervention de la prescription, de l’amnistie, ou la dépénalisation des faits imputés. » Le 10 mars 1998, la Cour constitutionnelle s’est penchée une première fois sur l’interprétation de l’article 504, dans sa forme antérieure à la modification apporté par la loi no 281/2003, et a conclu que l’Etat était responsable pour les erreurs judiciaires commises au cours du procès pénal (voir également, Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 152, CEDH 2003VI (extraits)). Après la modification du CPP, la Cour constitutionnelle, par une décision du 14 octobre 2004, a jugé que l’article 504 CPP était constitutionnel, même si ses dispositions énuméraient expressément les cas ouvrant droit à une réparation en vertu de cet article (voir également, Ogică c. Roumanie, no 24708/03, § 23, 27 mai 2010).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1979 et réside à Bruxelles. A. Procédures d’asile et d’éloignement Le 25 septembre 2009, le requérant se présenta aux autorités belges et introduisit une demande d’asile. Les autorités relevèrent qu’il ressortait du rapport Eurodac que les empreintes digitales du requérant avaient été enregistrées à Tayros en Grèce le 5 février 2008. Le 9 décembre 2009, l’office des étrangers (« OE ») adressa aux autorités grecques une demande de reprise en charge de la demande d’asile du requérant en vertu de l’article 10 § 1 du règlement du Conseil no 343/2003 du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers (« le règlement Dublin II »). En l’absence de réponse de la part des autorités grecques dans le délai imparti d’un mois, l’OE considéra, le 17 décembre 2009, qu’il y avait un accord tacite de reprise en charge. Le 26 avril 2010, l’OE prit une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire sur la base de l’article 51/5 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») au motif que la Belgique n’était pas responsable de l’examen de la demande d’asile du requérant en vertu du règlement Dublin II. B. Mesures de détention et procédures y afférentes Mesure initiale de privation de liberté La décision de refus de séjour du 26 avril 2010 (paragraphe 10 ci-dessus) était assortie d’un ordre de maintien dans un lieu déterminé en application de l’article 51/5 § 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fut placé au centre fermé de Merksplas le même jour. Réquisitoire de ré-écrou Le 6 mai 2010, un éloignement vers Athènes fut organisé, mais le requérant refusa d’embarquer. Il fit l’objet d’un réquisitoire de ré-écrou le même jour, en application de l’article 27 §§ 1 et 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fit donc l’objet d’un deuxième titre de détention valable pour une période maximum de deux mois en application de l’article 29 § 1 de la loi sur les étrangers. a) Première requête de mise en liberté Le 31 mai 2010, le requérant introduisit une requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles visant la décision du 6 mai 2010. Il invoqua le risque d’être exposé à une violation de l’article 3 de la Convention en cas de retour en Grèce. Le 4 juin 2010, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles considéra que la détention du requérant n’était entachée d’aucune irrégularité et déclara sa requête non fondée. Saisie en appel par le requérant, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles constata par un arrêt du 16 juin 2010 que les tribunaux de Bruxelles étaient sans juridiction au motif que le requérant aurait dû introduire sa requête de mise en liberté auprès du tribunal du lieu de sa résidence, en l’occurrence Merksplas. Invoquant une violation de l’article 5 § 4 de la Convention, le requérant se pourvut en cassation le 22 juin 2010. Par un arrêt du 27 juillet 2010, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 16 juin 2010 considérant que le lieu où un étranger est détenu en exécution d’une décision de privation de liberté fondée sur l’article 51/5 § 3 de la loi sur les étrangers n’est pas le lieu de sa résidence au sens de l’article 71 alinéa 1er de cette loi. L’arrêt de la chambre des mises en accusation n’était dès lors pas légalement justifié et l’affaire fut renvoyée devant la chambre des mises en accusation autrement composée. Le 11 août 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, constata que l’affaire était devenue sans objet étant donné qu’entretemps, le 2 juillet 2010, une nouvelle mesure de détention avait été adoptée (paragraphe 22 ci-dessous). b) Deuxième requête de mise en liberté Entretemps, le 20 juin 2010, le requérant introduisit une nouvelle requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Il invoqua les articles 3 et 5 § 4 de la Convention. Le 25 juin 2010, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles déclara la requête irrecevable au motif qu’un mois ne s’était pas encore écoulé depuis la précédente requête de mise en liberté. Saisie par le requérant, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles déclara, par un arrêt du 7 juillet 2010, que l’appel était devenu sans objet étant donné que le 2 juillet 2010 une nouvelle mesure de détention avait été adoptée (paragraphe 22 ci-dessous). Prolongation de la détention Le 2 juillet 2010, l’OE prit une décision de prolongation de la détention sur la base de l’article 29 § 2 de la loi sur les étrangers, courant jusqu’au 4 septembre 2010. L’OE considéra qu’il subsistait toujours une possibilité que l’intéressé soit éloigné dans un délai raisonnable, à savoir le 15 juillet 2010. Le 12 juillet 2010, le requérant introduisit une requête de mise en liberté devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Il invoqua une violation des articles 3 et 5 § 4 de la Convention. Sa requête fut déclarée non fondée par une ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles du 15 juillet 2010. Saisie par le requérant d’un appel contre ladite ordonnance, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles ordonna, le 28 juillet 2010, la mise en liberté immédiate du requérant au motif que le requérant courait un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Grèce. Le 4 août 2010, l’Etat belge se pourvut en cassation contre cet arrêt. Le 31 août 2010, la Cour de cassation cassa l’arrêt du 28 juillet 2010 au motif que le requérant ne pouvait pas valablement introduire une requête de mise en liberté le 12 juillet 2010 étant donné qu’un mois ne s’était pas encore écoulé depuis l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 16 juin 2010 sur sa requête précédente (paragraphe 15 ci-dessus) et que cet arrêt faisait l’objet d’un pourvoi en cassation avec effet suspensif. La Cour de cassation renvoya l’affaire devant la chambre des mises en accusation autrement composée. Le 3 septembre 2010, c’est-à-dire la veille de l’expiration du délai de deux mois à partir de la décision du 2 juillet 2010, le requérant fut libéré. Le 15 septembre 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, constata que la requête de mise en liberté était devenue sans objet du fait de la libération du requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Concernant les mesures de détention et les procédures y afférentes, le droit et la pratique internes pertinents sont exposés dans l’arrêt Firoz Muneer c. Belgique (no 56005/10, §§ 33-41, 11 avril 2013). Concernant les procédures d’asile et d’éloignement, les dispositions pertinentes sont énoncées dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, §§ 128-141, CEDH 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE L’association requérante a été créée en 1993 sous le nom de « Association des personnes victimes du système de dépôt de devises avec des intérêts au S.C. Rompetrol S.A. » et elle a son siège à Bucarest. Le requérant Ioan Guseila réside à Făget (Roumanie). Les autres requérants individuels n’ont pas indiqué à la Cour leurs dates de naissance et leur adresse. A. La genèse de l’affaire En mars 1992, C.I., économiste de la société S.C. Rompetrol S.A. aurait informé les employés de la société qu’ils pouvaient placer de l’argent dans des opérations que les sociétés S.C. Rompetrol S.A. et S.C. Geomin S.A. effectuaient à l’étranger. Après une certaine période, dont la durée dépendait du montant des sommes investies, l’investisseur percevait un gain. Plusieurs milliers de personnes, y compris les requérants individuels, investirent de l’argent dans cette opération. En février 1993, le paiement des intérêts ainsi que la restitution des sommes investies cessa, sans que les requérants aient récupéré leurs investissements. B. La plainte pénale avec constitution de partie civile En mars 1993, les requérants individuels et plusieurs autres personnes déposèrent des plaintes pénales contre C.I. et seize autres personnes du chef de tromperie, faux et usage de faux. Ils demandèrent également réparation de leur préjudice matériel subi. Dans sa plainte pénale formulée le 10 mars 1993, le requérant Ioan Guseila indiqua qu’il entendait se constituer partie civile dans la procédure pour voir réparé le préjudice subi. Au total vingt-six plaintes pénales furent déposées contre C.I. au nom de cent trente-trois personnes lésées. La police interrogea plus de cent personnes et estima que d’autres actes d’enquête complémentaires tels que des perquisitions à domicile et l’interrogatoire d’autres témoins étaient nécessaires pour établir la qualification juridique des faits reprochés à C.I. et S.E. Par une ordonnance du 21 mai 1993, la police entama des poursuites pénales contre C.I. du chef de tromperie. Il lui était reproché d’avoir organisé une opération financière en devises étrangères, qu’elle avait présenté comme un investissement réalisé par la société S.C. Rompetrol S.A. à l’étranger sans que cette dernière soit au prime abord impliquée. Afin de mieux défendre leurs droits, le 20 août 1993, une partie des victimes décidèrent de se constituer dans une association à but non-lucratif. Par un jugement du 18 octobre 1993, le tribunal de première instance de Bucarest accueillit la demande d’enregistrement de l’association requérante. L’association requérante ne déposa pas de plainte pénale et ne se constitua pas partie civile dans la procédure pénale engagée contre C.I. Par une ordonnance du 12 octobre 1994, toutes les plaintes pénales formulées contre C.I. furent réunies dans un dossier unique. Les 26 juillet, 12 septembre et 10 novembre 1994, les poursuites pénales furent élargies contre L.M., N.V. et S.E. pour complicité de tromperie. Une expertise comptable ordonnée par les autorités de poursuite fut réalisée pour établir les règles régissant l’opération financière organisée par les mis en cause. Selon ses conclusions, les règles de l’investissement n’étaient pas écrites mais étaient transmises oralement d’un participant à l’autre et soixante-six personnes auraient reçu des paiements indus et excessifs pendant la période de son fonctionnement. Par une ordonnance du 16 mai 1996, se fondant sur le rapport d’expertise susmentionné, le parquet près la cour d’appel de Bucarest cessa les poursuites contre C.I., L.M., N.V. et S.E des chefs de tromperie et de complicité de tromperie. Toutefois, il estima que les faits reprochés devaient recevoir la qualification juridique d’abus de confiance et de complicité d’abus de confiance et ordonna leur renvoi en jugement devant le tribunal de première instance de Bucarest du chef de ces délits. Devant ce tribunal, pendant les années 1996 et 1997, les requérants se constituèrent parties civiles dans la procédure. Ils demandèrent la requalification juridique des faits en tromperie et relevèrent la durée excessive de la procédure. Au total, soixante-seize personnes s’étaient constituées parties civiles dans la procédure. De septembre 1996 à juin 1999, vingt-et-une audiences furent tenues par le tribunal de première instance : à dix reprises, les audiences furent ajournées à la demande des défenseurs des inculpés et trois autres pour obtenir les dossiers du parquet. Pendant huit audiences les parties civiles furent interrogées. Le 6 mars 1997, les sociétés S.C. Geomin S.A. et S.C. Rompetrol S.A. furent introduites dans la procédure en tant que parties civilement responsables. Le 26 juin 1997, la société S.C. Rompetrol S.A. se constitua partie civile dans la procédure. L’association requérante adressa régulièrement des courriers au tribunal de première instance pour soutenir la cause des parties civiles. En mai 1998, l’association requérante demanda que les soixante-six personnes ayant reçu des sommes indues selon l’expertise comptable soient intégrées dans la procédure. Elle demanda également que des actes de procédure soient réalisés dans l’affaire. Du 1er juillet 1999 au 8 juin 2000, l’affaire fut ajournée neuf fois pour interroger les inculpés et pour assurer la citation correcte de certaines parties civiles et inculpés. Le 30 septembre 1999, l’avocat de l’un des inculpés demanda que les poursuites soient étendues à treize autres personnes. Interrogés sur ce dernier point, les parties civiles et le parquet s’y opposèrent. A une date non précisée, l’affaire fut étendue à quatorze autres personnes qui furent par la suite interrogées dans la procédure. Par un jugement du 15 juin 2000, se fondant sur l’article 10 b) du code de procédure pénale (CPP), le tribunal de première instance de Bucarest acquitta tous les inculpés, au motif que les faits n’étaient pas sanctionnés par la loi pénale. Citant l’article 346 (4) du CPP, le tribunal ne trancha pas l’action civile. Les requérants individuels à l’exception des requérants Dioanca Gabriel et Stefan Elena formèrent un recours contre ce jugement. Par un arrêt définitif du 19 décembre 2000, le tribunal départemental de Bucarest fit droit au recours, cassa le jugement contesté et, après avoir requalifié juridiquement les faits, renvoya l’affaire au parquet afin d’entamer des poursuites pénales pour le délit de tromperie. Le 20 février 2001, le dossier de l’affaire fut transféré au parquet près le tribunal départemental de Bucarest. Le 28 février 2001, ce parquet renvoya le dossier auprès de la direction générale de la police afin de poursuivre l’enquête pour le délit de tromperie. Par une décision du 11 mai 2001, la police proposa au parquet de mettre fin aux poursuites, au motif que la responsabilité pénale était prescrite. La police nota que la peine maximale prévue par le code pénal pour le délit de tromperie était de trois ans et que pour ce type de délit le délai de prescription était de cinq ans. Elle ajouta que, bien que le délai de prescription avait été interrompu à plusieurs reprises, il devait être mis fin aux poursuites pénales en raison de la prescription spéciale, laquelle intervenait, en l’occurrence, sept ans et demi après l’accomplissement des faits. Par une ordonnance du 12 juin 2001, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest mit fin aux poursuites pénales en raison de la prescription de l’action publique. Le requérant Ioan Guseila, en sa qualité de partie civile et de représentant de l’association requérante, forma une plainte contre cette ordonnance. Par une décision du 25 juin 2001, le procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Bucarest confirma l’ordonnance du 12 juin 2001 précitée. Le 3 juillet 2002, le requérant Ioan Guseila, en sa qualité de représentant de l’association requérante déposa une plainte auprès du tribunal départemental de Bucarest contre l’ordonnance du 12 juin 2001, en contestant la prescription de l’infraction et critiquant le fait que l’action civile n’avait pas été examinée. Par un jugement du 22 octobre 2002, le tribunal départemental rejeta ce recours et confirma la clôture des poursuites pénales pour prescription. Sur recours du requérant Ioan Guseila agissant en sa qualité de représentant de l’association requérante, par un arrêt définitif du 20 décembre 2002, la cour d’appel de Bucarest confirma le bien-fondé du jugement rendu en première instance. C. La procédure devant la Cour Le 16 mai 2003, l’association requérante, par le biais de M. Ioan Guseila, a envoyé une lettre à la Cour dans laquelle elle exposait les faits de l’affaire. Elle indiquait que les droits civils qu’elle revendiquait au niveau national appartenaient à ses membres. La Cour a reçu ensuite un formulaire de requête daté du 29 mai 2003. Sur ce formulaire, à l’emplacement réservé à la présentation du requérant sont mentionnés les renseignements concernant l’association requérante. Ce formulaire de requête était accompagné d’une page séparée datée du 25 mai 2003 sur laquelle le titre « Délégation » est noté. Sur cette page figurent les noms des requérants individuels, y compris celui de M. Ioan Guseila, accompagnés de leurs signatures, à l’exception de Mme Folea Cristina. Le texte suivant figure également sur cette feuille : « Nous les soussignés, membres de l’Association des personnes victimes du système Rompetrol et Geomin, confirmons par signature, être représentés par M. Guseila Ioan, pour la présentation devant la CEDH de nos demandes tendant à récupérer notre préjudice. » Le 11 février 2011, M. Ioan Guseila a transmis à la Cour une lettre accompagnée de plusieurs documents : une déclaration signée par Mme Folea Cristina par laquelle elle donne pouvoir à M. Ioan Guseila pour la représenter dans la procédure devant la Cour, une déclaration olographe signée par Blaga Dana Carmen par laquelle elle se déclare être l’héritière des feux Cristea Mihai et Cristea Ana et vouloir continuer la procédure devant la Cour, et une déclaration olographe signée par Dinca Maria Elena dans laquelle elle indique être l’épouse de feu Dinca Pompiliu et vouloir continuer la procédure devant la Cour au nom de son époux. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les dispositions légales pertinentes concernant l’exercice de l’action civile En vertu de l’article 24 du code de procédure pénale (« CPP »), la partie lésée est la personne qui, à cause d’un fait pénal, a subi un préjudice corporel, moral ou matériel et qui participe au procès pénal. La partie civile est la partie lésée qui exerce l’action civile dans le procès pénal. La plainte pénale doit être présentée par écrit (article 222 du CPP). En vertu de l’article 15 alinéa 1 du CPP, tel qu’applicable au moment des faits, la victime d’une infraction pénale a la faculté d’introduire une action en réparation du préjudice résultant d’une infraction en se constituant partie civile dans le cadre de la procédure pénale. Par ailleurs, l’article 347 du CPP dispose que l’examen de l’action civile ne doit pas avoir pour effet de retarder la procédure pénale ; en pareil cas, la juridiction pénale peut refuser l’examen conjoint de l’action civile. La victime peut aussi introduire directement sa demande en réparation devant les juridictions civiles (article 19 du CPP) dès le moment des faits. Dans ce cas, étant donné que les juridictions civiles sont liées par les jugements définitifs des juridictions pénales en ce qui concerne la commission des faits et la culpabilité du prévenu (article 22 du CPP), la procédure est en règle générale suspendue dans l’attente de l’issue de la procédure pénale (article 19 alinéa 2 du CPC). Lorsque le parquet met fin à l’enquête pénale, il n’est pas compétent pour trancher l’action civile (article 14 du CPP). La plainte formulée contre l’acte du procureur permet à la juridiction d’examiner la légalité et le bien-fondé de l’acte du procureur, sans qu’elle ait, en cas de rejet de la plainte, à trancher l’action civile (article 278 du CPP). Lorsque le tribunal prononce la relaxe en raison de l’existence d’éléments qui écartent le caractère pénal des faits, il peut statuer sur l’action civile (article 346 (2) du CPP). Tel peut être le cas, par exemple, lorsque la prescription est intervenue. B. La prescription des infractions pénales En vertu de l’article 121 du code pénal (CP), l’action pénale est prescrite si des poursuites n’ont pas été engagées dans un délai déterminé. Ce délai varie en fonction de la peine dont l’infraction est passible et peut aller de trois à quinze ans (article 122 du CP). Il est interrompu par tout acte de poursuite (article 123 alinéa 2 du CP). Indépendamment des actes de poursuite effectués et des interruptions et suspensions de la prescription, l’action pénale s’éteint avec l’écoulement du délai de la prescription dite « spéciale », qui correspond à une fois et demi le délai de prescription normal (123 alinéa 3 du CP). Dans pareil cas, les poursuites doivent être clôturées. C. La prescription en matière civile Aux termes de l’article 3 alinéa 1 du décret no 167/1958 sur la prescription extinctive, la responsabilité civile délictuelle prescrit à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la commission du fait délictueux. Le délai de prescription est interrompu et ne court pas pendant la durée d’une action civile introduite dans le cadre d’une procédure pénale. Cependant, la prescription n’est pas interrompue lorsqu’il y a eu cessation du procès (article 16 § 3 du décret no 167/1958).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1957 et réside à Hârlău (département de Iaşi). Le 19 juillet 2002, le requérant fut interpellé par une patrouille de deux agents de police alors qu’il consommait une bière avec une autre personne dans sa voiture, garée devant son immeuble. Les policiers lui demandèrent ses papiers d’identité ainsi que ceux de la voiture. Lors de ce contrôle, le requérant aurait injurié et brusqué le policier A.C., lui donnant notamment une gifle, et aurait tenté de quitter les lieux. Les policiers auraient alors sorti les menottes. À cet instant, le requérant se serait calmé et aurait présenté les documents qu’il avait auparavant déclarés perdus. Par un réquisitoire du parquet du 4 novembre 2002, le requérant fut renvoyé devant le tribunal de première instance de Iaşi pour conduite sans permis sur la voie publique, fausses déclarations et outrage à un agent de police. Le procureur qui avait instruit son affaire faisait valoir dans le réquisitoire que, le 18 septembre 2001, le requérant avait faussement déclaré qu’il avait perdu son permis de conduire afin d’éviter qu’il ne lui soit retiré et ne soit annulé, et qu’il avait ensuite roulé avec son véhicule sur la voie publique en se prévalant du document prétendument perdu jusqu’au 19 juillet 2002, date à laquelle il fut contrôlé par les policiers. Le procureur indiqua qu’il appuyait son accusation d’outrage sur les témoignages de cinq personnes qui avaient déclaré, d’abord devant le policier chargé de l’enquête et ensuite devant lui, avoir vu le requérant injurier et frapper le policier A.C. le 19 juillet 2002. Le requérant n’était pas présent au moment où ces témoins avaient été entendus. Tous les témoignages consignés devant la police décrivaient la même situation de fait et comportaient la même écriture, hormis le dernier paragraphe qui, lui, différait, du point de vue de l’écriture, d’une déclaration à l’autre et indiquait que celui qui l’avait faite avait lu mot par mot ce qui était décrit au-dessus. Entendu par le procureur, le requérant nia avoir injurié ou agressé le policier A.C. lors de l’incident du 19 juillet 2002. Deux témoins confirmèrent devant le procureur la version des faits présentée par le requérant. Le tribunal de première instance de Iaşi, saisi pour se prononcer sur le bien-fondé des accusations du parquet, cita tous les témoins que le procureur avait nommés dans son réquisitoire. Seuls deux d’entre eux comparurent ; ils déclarèrent qu’ils n’avaient pas vu le requérant injurier ou brusquer le policier, confirmant ainsi leurs dépositions faites devant le parquet. Le tribunal, qui ajourna plusieurs fois l’affaire afin d’essayer d’interroger les témoins à charge, délivra alors des mandats de comparution à leur encontre et leur infligea des amendes. Bien que régulièrement cités, ces témoins ne se présentèrent pas aux audiences. Les agents qui avaient été chargés d’exécuter ces mandats dressèrent des procès-verbaux indiquant qu’ils s’étaient déplacés au domicile des témoins en question, mais qu’ils ne les y avaient pas trouvés. Ils relevèrent, concernant deux d’entre eux, qu’ils avaient changé de domicile et que leur nouvelle adresse était inconnue. Le tribunal demanda alors des renseignements auprès du service de l’état civil de Iaşi mais cette démarche fut infructueuse. Prenant note des procès-verbaux rédigés par les agents chargés de trouver les témoins, le tribunal en conclut qu’il était impossible d’entendre ces témoins et ordonna la lecture, en audience publique, de leurs dépositions données durant l’enquête. L’avocat du requérant plaida l’acquittement, estimant notamment que les éléments constitutifs de l’infraction d’outrage n’étaient pas réunis. Par un jugement du 23 octobre 2003, le tribunal condamna le requérant à une peine de deux ans de prison pour les chefs dont il avait été accusé par réquisitoire du parquet. Il jugea notamment que l’infraction d’outrage, pour laquelle le requérant se vit appliquer la peine la plus lourde, avait été prouvée par les témoignages à charge consignés durant la phase d’instruction de l’affaire, témoignages qui attestaient, de l’avis du tribunal, que la version des faits soutenue par le requérant n’était pas véridique. Le requérant interjeta appel contre ce jugement, demandant en particulier que le tribunal entende les témoins à charge, le policier A.C. – en sa qualité de partie lésée – et le policier qui l’accompagnait le 19 juillet 2002, lequel n’avait pas non plus été entendu. Le requérant précisa qu’il était nécessaire que tous les témoins à charge soient entendus par le tribunal compte tenu de ce que tous leurs témoignages avaient en réalité été écrits par le policier A.C., qui n’était pas neutre puisqu’il avait un intérêt en l’espèce. Le 4 avril 2004, le tribunal rejeta ces demandes, qu’il ne jugea pas concluantes. Il rappela que les premiers juges avaient déjà cité les témoins à charge et que ceux-ci n’avaient pu être trouvés. Par un arrêt du 22 février 2005, le tribunal départemental confirma le bien-fondé du jugement du tribunal de première instance. Il releva que l’impossibilité pour les premiers juges d’entendre les témoins à charge n’influait pas sur la valeur de leurs témoignages en tant qu’éléments de preuve compte tenu des mesures qui avaient été prises, sans succès, en vue de les faire comparaître aux audiences. Par un arrêt définitif du 13 septembre 2005, la cour d’appel de Iaşi confirma le bien-fondé des décisions prises en première instance et en appel par rapport aux éléments de preuve que ces juridictions avaient eus en leur possession. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 63 du code de procédure pénale (« CPP ») n’attribue aucune valeur probante particulière aux éléments de preuve versés au dossier d’une enquête. Les tribunaux apprécient librement la valeur de chacun des éléments de preuve selon leur intime conviction et leur conscience, à la lumière de l’ensemble des preuves du dossier. Les articles 75, 77 et 326 du CPP établissent la procédure pour l’audition de la partie lésée. Les articles 86 et 327 du CPP prévoient que le tribunal procède à l’audition des témoins après avoir entendu l’accusé et les autres participants à la procédure. Chaque témoin est invité à dire tout ce qu’il sait sur les faits qui font l’objet de l’affaire, après quoi le président et les autres membres de la formation de jugement, suivis par le procureur, peuvent lui poser des questions. Lorsqu’ils n’ont plus de questions à lui adresser, la partie qui a proposé de l’entendre et tous les autres participants à la procédure peuvent à leur tour lui poser des questions. Si l’interrogatoire d’un témoin n’est plus possible, le tribunal ordonne que sa déclaration recueillie pendant la phase d’enquête soit lue en audience publique ; le tribunal peut en tenir compte pour déterminer l’issue de la cause.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1969 et réside à İzmir. En 1999, le requérant acheta deux parcelles de terrain constructibles, d’une superficie respective de 584 mètres carrés (parcelle no 535/1) et 1 103 mètres carrés (parcelle no 536/1). Selon le plan d’occupation des sols adopté le 3 août 1998, il était possible d’y construire un immeuble ayant jusqu’à cinq étages. Le 27 octobre 2000, la municipalité de Menemen adopta un nouveau plan d’urbanisme et classa les deux parcelles en question en « espace vert ». Ainsi, les terrains perdirent leur statut constructible. Le 8 février 2001, par l’intermédiaire de son avocat, le requérant saisit le tribunal administratif d’İzmir d’une demande en annulation de la décision du 27 octobre 2000. L’administration se défendit en arguant avoir rectifié une erreur commise lors de l’adoption du plan d’urbanisme du 3 août 1998. Elle ajouta avoir pris cette nouvelle décision pour protéger l’environnement. Avant de statuer sur le fond de l’affaire, le tribunal ordonna une expertise. Les experts estimèrent que l’adoption de l’acte administratif attaqué était conforme aux règles d’urbanisme, aux principes régissant l’établissement des plans d’aménagement des sols et à l’utilité publique. Le 16 janvier 2002, se conformant principalement au rapport d’expertise, le tribunal débouta le requérant de sa demande. Le 16 avril 2002, l’intéressé se pourvut en cassation contre cette décision. Le 10 décembre 2003, le Conseil d’Etat cassa le jugement attaqué au motif que la juridiction de première instance n’avait pas suffisamment examiné la question de savoir si l’adoption par la mairie d’un nouveau plan d’urbanisme était justifiée dans les circonstances de la cause. Par un jugement du 7 octobre 2004, le tribunal se conforma à l’arrêt du Conseil d’Etat, et débouta de nouveau l’intéressé de sa demande après s’être assuré que l’adoption du nouveau plan d’urbanisme était nécessaire dans la mesure où le fait que les terrains litigieux fussent qualifiés de constructibles contredisait le plan d’aménagement des sols à l’échelle 1/25000e (nazım imar planı). Il convenait en effet de rectifier une erreur commise lors de l’adoption du plan d’urbanisme précédent du 3 août 1998. Le nouveau plan d’urbanisme était ainsi conforme aux principes régissant l’établissement des plans d’aménagement des sols. Il visait à protéger l’environnement et était d’utilité publique. Le 29 novembre 2004, le requérant se pourvut en cassation contre le jugement du 7 octobre 2004. Par un arrêt du 20 décembre 2006, le Conseil d’Etat confirma la décision attaquée en toutes ses dispositions au motif qu’elle était conforme aux règles procédurales et aux dispositions légales. Le 15 février 2007, le requérant forma un recours en rectification de l’arrêt. Le 16 juillet 2008, le Conseil d’Etat rejeta ce recours. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS En ce qui concerne la question générale de la réparation des dommages nés des actes et décisions de l’administration, le principe est posé par l’article 125 §§ 1 et 7 de la Constitution : « Tout acte ou décision de l’administration est susceptible d’un contrôle juridictionnel (...) L’administration est tenue de réparer tout dommage résultant de ses actes et mesures. » Le corollaire de ce principe est défini dans les articles 11 à 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative. En effet, en vertu de ces dispositions, toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte prétendument dommageable. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure devant la juridiction administrative.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1986 et réside à Diyarbakır. Le 6 novembre 2006, sur demande du procureur de la République de Diyarbakır (« le procureur de la République »), le juge de paix de Diyarbakır (« le juge de paix ») délivra un mandat d’arrêt contre le requérant, qui était soupçonné d’homicide volontaire. Par un acte d’accusation du 22 novembre 2006, le procureur de la République engagea une action pénale contre plusieurs personnes, dont le requérant, devant la cour d’assises de Diyarbakır (« la cour d’assises »). Le 14 janvier 2007, le requérant fut arrêté. Après avoir donné lecture à l’intéressé des charges retenues contre lui et lui avoir rappelé son droit d’être assisté par un avocat de son choix ou commis d’office, les forces de l’ordre lui firent signer un formulaire relatif aux droits des accusés et des suspects, mentionnant les raisons de l’arrestation. Le même jour, le requérant, accompagné de son avocat, fut conduit devant le juge de paix de Diyarbakır. Le juge de paix notifia à l’intéressé le mandat d’arrêt lancé contre lui et établit son identité. Par la suite, sans l’entendre sur les accusations portées contre le requérant, il ordonna que celui-ci fût placé en détention afin d’être conduit dans les plus brefs délais devant l’autorité judiciaire compétente, à savoir la cour d’assises. Le 19 janvier 2007, le requérant demanda à être entendu par la cour d’assises et réclama sa remise en liberté. Le même jour, la cour d’assises tint une audience en présence du procureur de la République et en l’absence du requérant et de son représentant légal. A l’issue de l’audience, elle ordonna le maintien de l’intéressé en détention provisoire. Le 25 janvier 2007, le requérant comparut devant la cour d’assises et fut interrogé pour la première fois sur les faits et les accusations portées contre lui. A la fin de l’audience, la cour d’assises, au motif qu’il existait de forts soupçons contre le requérant, ordonna le maintien de celui-ci en détention provisoire. Le 13 septembre 2007, la cour d’assises, prenant notamment en compte la durée de la détention déjà effectuée, ordonna la remise en liberté provisoire du requérant. Par un jugement du 24 juillet 2008, la cour d’assises acquitta le requérant. Par un arrêt rendu le 14 mars 2011, la Cour de cassation confirma ce jugement. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale (« CPP ») sont ainsi libellées : Article 94 « Lorsqu’une personne arrêtée dans le cadre d’une instruction ou d’un procès en vertu d’un mandat d’arrêt délivré par un juge ou un tribunal ne peut être déférée dans les vingt-quatre heures devant le juge ou le tribunal compétent, elle doit être traduite dans le même délai devant un juge du tribunal d’instance pénal le plus proche. Dans le cas où elle n’est pas remise en liberté, elle doit être placée en détention provisoire pour être déférée dans les plus brefs délais devant le juge ou le tribunal compétent. » Article 98 « Au stade de l’instruction, le juge du tribunal d’instance pénal peut délivrer, sur demande du procureur de la République, un mandat d’arrêt contre un suspect qui ne s’est pas présenté à une convocation ou qui ne peut être convoqué. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1957 et réside à Bucarest. A. Les circonstances du décès du fils du requérant La version du requérant Selon le requérant, la version des faits est la suivante. Le 19 septembre 2006, à 3 h 30, son épouse et lui-même avaient entendu un coup de feu, étaient sortis dans la cour et y avaient découvert leur fils, Adrian Cobzaru, âgé de vingt-deux ans, gisant au sol à trois mètres de la porte d’entrée de la maison. Ils avaient vu qu’il était blessé au niveau du cou et que le policier A.S., qui tenait le bras gauche de leur fils, venait juste de ranger son arme. Le policier ne portait pas d’uniforme et sentait fortement l’alcool. Le policier leur avait dit que Adrian Cobzaru avait volé une voiture. Pendant que le requérant et son épouse tentaient de porter secours à leur fils, le policier avait parlé par téléphone portable avec ses supérieurs hiérarchiques. Il leur avait dit : « Chef, je l’ai tué, vas-y, arrange tout. » Suivant les conseils du policier, l’épouse du requérant avait comprimé la blessure à l’aide d’un torchon pour réduire l’hémorragie. Peu après, le policier avait prévenu les secours en se faisant passer pour un voisin. Pendant cet appel, le requérant et son épouse avaient porté leur fils jusqu’à la voiture de police. Onze voisins du requérant étaient présents. En arrivant à la voiture, leur fils était déjà décédé. Vingt minutes plus tard, alors que leur fils gisait toujours au sol, à côté de la voiture de police, une deuxième voiture de police était arrivée sur les lieux. Le policier B.L. en était descendu et il s’était dirigé vers le requérant. Le requérant et sa femme lui avaient demandé d’emmener leur fils aux urgences. Tant B.L. que A.S. avaient refusé de le transporter au motif que le sang s’écoulant des blessures risquait de salir leur voiture. Ils avaient demandé au requérant d’attendre l’arrivée de leur supérieur hiérarchique. En réponse à l’insistance des membres de famille du requérant et des voisins présents sur place, les policiers avaient fini par accepter de transporter Adrian Cobzaru à l’hôpital. L’épouse du requérant les avait accompagnés. L’hôpital enregistra le décès d’Adrian Cobzaru. Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant a développé sa version des faits. Il a exposé que le policier avait attendu Adrian Cobzaru dans la cour de la maison, qu’il l’avait immobilisé dès son arrivée, avait pointé son arme sur son cou et tiré une balle à bout portant. Aux yeux du requérant, cela expliquait à la fois la découverte d’une douille par terre, entre l’entrée de la maison et un pot de fleurs posé près de cette entrée, et une trace de couleur rose sur le cou de son fils, causée à son avis par le contact de l’arme à température élevée. Ensuite, le policier, voulant déplacer le corps du jeune homme, l’aurait laissé trois mètres plus loin au moment de l’apparition du requérant et de son épouse. La version du Gouvernement La version des faits émanant du Gouvernement est la suivante. La nuit du 19 septembre 2006, les policiers A.S. et L.B. avaient surpris le fils du requérant, Adrian Cobzaru, en train de voler de la marchandise à bord d’un camion. Quelques instants après, Adrian Cobzaru avait essayé de s’enfuir à l’aide d’une voiture. Le policier A.S. l’avait pris en chasse. À un moment donné, le fils du requérant avait abandonné son véhicule et s’était mis à courir. Le policier A.S. l’avait poursuivi et avait tiré trois balles d’avertissement pour arrêter sa fuite. Adrian Cobzaru avait refusé d’obtempérer et s’était réfugié dans la cour intérieure de la maison de ses parents. Le policier avait aperçu la silhouette du fugitif, avait tiré une quatrième balle, depuis la rue, en essayant de viser au niveau des jambes, mais, en raison d’un mauvais éclairage, la balle l’avait touché au niveau du cou. Au même moment, le requérant et son épouse étaient sortis de la maison et avaient découvert leur fils, blessé au niveau du cou, gisant au sol. Le policier leur avait conseillé de se servir d’un torchon pour comprimer la blessure. À 3 h 23, il avait appelé les urgences. Sans attendre l’arrivée de l’ambulance, des policiers avaient finalement transporté le fils du requérant à l’hôpital. Celui-ci y avait été déposé à 3 h 38. Son décès y avait été enregistré à 3 h 50. Les investigations menées par les autorités Le 19 septembre 2006, une équipe d’experts en criminalistique, dirigée par un procureur, préleva des éléments de preuve sur les lieux des faits. Le même jour, des expertises technico-scientifiques et médicolégales furent ordonnées. Une autopsie réalisée le 19 septembre 2006 par les médecins spécialistes de l’institut médicolégal Mina Minovici conclut que le décès du fils du requérant était survenu à 3 h 15 à la suite d’une hémorragie interne et externe provoquée par une balle qui avait traversé la veine jugulaire gauche et fracturé une vertèbre cervicale. Le même rapport faisait état d’un coup de feu tiré depuis une distance suffisamment courte pour laisser des traces supplémentaires, autres que celles de l’impact lui-même. Des radiographies furent également faites. Le rapport d’une expertise technico-scientifique réalisée le 15 décembre 2006 identifiait deux fragments de métal provenant d’une même balle qui aurait été tirée avec une arme semi-automatique. Le 18 décembre 2006, le requérant déposa devant le parquet près le tribunal départemental de Bucarest une plainte pénale pour meurtre contre le policier A.S. (article 174 du code pénal). Par un non-lieu du 11 octobre 2007, le parquet près le tribunal départemental de Bucarest rejeta la plainte du requérant. Il fonda sa décision sur les déclarations du policier A.S. Celui-ci aurait poursuivi le fils du requérant après l’avoir surpris en flagrant délit de vol de marchandises dans un camion. D’après les conclusions du parquet, la poursuite s’était effectuée jusque devant la maison du requérant. En raison de la faiblesse de l’éclairage, le policier ne serait pas entré dans la cour et aurait tiré en visant les jambes du suspect. Le fugitif aurait perdu l’équilibre en essayant d’escalader une palissade en construction et serait tombé au moment même du tir, qui l’aurait atteint au niveau du cou. Selon les procureurs, la trajectoire de la balle avait confirmé cette version. Les procureurs constatèrent que le policier avait légitimement renoncé à une éventuelle poursuite à l’intérieur de la cour de la maison, car, selon eux, celle-ci aurait pu se révéler dangereuse du fait du mauvais éclairage des lieux. Ils retinrent que A.S. avait appelé les secours à 3 h 23 en se faisant passer pour un voisin. Ils estimèrent qu’il n’y avait pas de preuve attestant d’un refus par les policiers de porter secours au fils du requérant. Ils conclurent que le policier avait agi dans le respect des articles 34 et 35 de la loi no 295/2004 réglementant l’usage des armes à feu et des munitions, avec l’intention non pas de provoquer le décès d’Adrian Cobzaru, mais seulement de l’appréhender. Le 22 décembre 2007, le procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Bucarest confirma le non-lieu initial en retenant « l’absence de tout doute quant au caractère légal de l’usage de son arme par le policier ». Le requérant forma un recours contre cette ordonnance. Il critiqua l’ordonnance du procureur en chef en s’appuyant sur les conclusions d’une expertise médicolégale réalisée à l’institut Mina Minovici qui contredisait les affirmations des policiers. Par un jugement du 14 mars 2008, le tribunal départemental de Bucarest annula le non-lieu et renvoya l’affaire devant le parquet dans le but d’une reprise des poursuites pour meurtre. Le tribunal constatait que les représentants du parquet avaient adopté dans son intégralité la version donnée par le policier sans rechercher, avec objectivité, si elle était ou non confirmée par des éléments de preuve adéquats et suffisants. Il relevait que, d’après les premiers juges, les examens radiologiques décrits dans le certificat médicolégal avaient mis en évidence des traces supplémentaires du coup de feu et que le rapport d’expertise médicolégale suggérait une distance et une trajectoire de la balle tout à fait différentes de celles retenues dans les conclusions des représentants du parquet. Il reprochait également aux organes d’enquête d’avoir omis de vérifier la présence de traces du coup de feu sur les vêtements du défunt, preuve essentielle pour déterminer la distance séparant le policier d’Adrian Cobzaru au moment du tir. Enfin, il notait que, selon les premiers juges, aucune reconstitution des faits n’avait été organisée et que, contrairement aux mentions des procureurs dans leur conclusion, il n’y avait aucune palissade en construction dans la cour de la maison du requérant. Le procureur M.S., du parquet près le tribunal départemental de Bucarest, forma un recours contre ce jugement. Par un arrêt du 3 juin 2008, la cour d’appel de Bucarest confirma le jugement du 14 mars 2008 et rejeta le recours du parquet. Elle jugea qu’une enquête pour meurtre s’imposait en l’espèce, surtout en raison des contradictions entre les preuves analysées et les conclusions des représentants du parquet. Selon la cour d’appel, il ressortait du rapport d’expertise médicolégale que la distance parcourue par la balle était inférieure à celle retenue par les représentants du parquet. La cour d’appel critiqua l’absence de radiographies dans le dossier pénal ainsi que l’absence d’une reconstitution des faits. En outre, selon les juges de la cour d’appel, une expertise balistique et tout autre moyen de preuve (témoignages, documents) étaient nécessaires pour permettre aux autorités judiciaires d’établir les circonstances réelles des faits et l’éventuelle culpabilité du policier. Démarches en vue de la poursuite de l’enquête Au bout de plusieurs mois, le requérant formula plusieurs plaintes devant le parquet près la cour d’appel de Bucarest et le Conseil supérieur de la magistrature pour dénoncer la passivité des autorités quant à l’enquête relative au décès de son fils. Le 26 janvier 2009, le procureur A.B.G. du parquet près le tribunal départemental de Bucarest constata que le jugement définitif du 14 mars 2008 ordonnait aux parquets de continuer les poursuites pour meurtre. À son tour, il délégua à la police municipale de Bucarest le soin de continuer les poursuites pour homicide. Le 10 février 2009, le procureur A.B.G. informa le policier A.S. que les poursuites pour homicide avaient débuté le 22 janvier 2009. À cette occasion, le policier fit une déclaration. Le 16 mars 2009, le service d’inspection juridique des procureurs (Serviciul de inspecţie juridică pentru procurori) adressa au requérant une lettre qui, dans ses parties pertinentes en l’espèce, se lit comme suit : « (...) le 28 juillet 2008, le dossier a été attribué à un procureur et le 22 janvier a débuté une enquête pour l’infraction prévue aux articles 174, 175 lettre i, 176 lettre g, du code pénal, visant A.S. Par une ordonnance du 26 janvier 2009, en vertu de l’article 217, alinéa 4, du code de procédure pénale, le procureur a délégué à la police municipale de Bucarest le soin de recueillir les preuves ordonnées par le tribunal et, le 10 février 2009, A.S. a été entendu en qualité d’inculpé. Les vérifications effectuées ont permis d’établir que, entre juillet 2008 et janvier 2009, l’absence d’enquête pénale était due à des raisons objectives, justifiées autant par le volume important de travail, qui suppose l’analyse de plusieurs affaires complexes concernant des personnes en détention provisoire, que par les transferts des procureurs dans les conditions d’un organigramme incomplet et par des tâches supplémentaires. Dans ces conditions, aucun élément de retard injustifié de la part des procureurs n’a été constaté, situation qui aurait pu engendrer des mesures disciplinaires en application de la loi no 303/2004 concernant le statut des juges et procureurs (...) » Le 15 juillet 2009, trois policiers accompagnés par un procureur du parquet près le tribunal départemental de Bucarest effectuèrent des tirs dans un polygone de tir, depuis des distances différentes allant d’un mètre à douze mètres de la cible, avec l’arme du crime, dans le but de déterminer la distance réelle parcourue par la balle avant son impact. En septembre 2009, les organes d’enquête entendirent quatre témoins (D.V., G.T., V.B. et O.I.) qui affirmaient avoir entendu, la nuit du 19 septembre 2006, des coups de feu tirés près de la maison du requérant. Ils déclarèrent également y avoir vu des voitures de police. Le 27 janvier 2010, le commissaire de police B.I. ordonna une expertise technique afin de déceler des traces supplémentaires des coups de feu tirés le 15 juillet 2009 (cf. paragraphe 26 ci-dessus). Cette expertise, réalisée le 18 janvier 2011 par un expert chimiste du ministère de l’Intérieur, conclut que des traces supplémentaires du coup de feu étaient présentes dans le cas de distances allant de 1 mètre à 4,50 mètres. Par une ordonnance du 20 juin 2012, le procureur B.E. du parquet près le tribunal départemental de Bucarest prononça la relaxe de A.S. Il s’appuya sur les témoignages de D.V., de G.T., de V.B. et d’O.I. confirmant que des coups de feu d’avertissement avaient été tirés, sur les déclarations du policier qui avait dit avoir visé le suspect seulement au niveau des jambes, et sur les déclarations des témoins N.C. et G.I. confirmant que le prévenu avait tiré une seule balle en direction du suspect lorsque celui-ci était dans la cour de la maison de ses parents. Selon le même procureur, l’action menée par le policier s’inscrivait dans les limites prévues par la loi no 17/1996 réglementant l’usage des armes à feu et des munitions et ne pouvait pas être considérée comme étant un meurtre. Le procureur ajouta que les affirmations du prévenu concernant la distance de tir étaient confirmées par une expertise technique, des traces supplémentaires du coup de feu ayant été décelées même à une distance de douze mètres. Enfin, d’après le procureur, en l’espèce les dispositions de l’article 35, troisième alinéa, de la loi no 218/2002 étaient applicables, l’action du policier n’ayant aucun caractère pénal. Le requérant forma opposition contre cette ordonnance. Le 10 septembre 2012, le procureur en chef du parquet près le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’opposition du requérant et confirma l’ordonnance du 20 juin 2012. Le requérant forma un recours contre cette ordonnance. Par un jugement du 28 novembre 2012, le tribunal départemental de Bucarest fit droit au recours du requérant, annula l’ordonnance du 20 juin 2012 et renvoya l’affaire devant le parquet près le tribunal départemental de Bucarest dans le but d’une réouverture des poursuites du chef de meurtre contre le policier A.S. Il rappela l’obligation procédurale prévue à l’article 2 de la Convention et fit référence à la jurisprudence de la Cour en matière d’enquête effective. À cet égard, il critiqua l’absence de preuves suffisantes dans le dossier d’enquête. Il jugea qu’il y avait suffisamment d’éléments permettant de s’interroger sur la date réelle du décès – la nuit du 17 au 18 septembre 2006 selon les ordonnances de nonlieu et les déclarations du prévenu, et le 19 septembre 2006 selon le certificat médicolégal d’autopsie et le certificat de décès. Le tribunal ordonna ensuite aux organes de poursuite d’effectuer des recherches afin d’établir la date exacte du décès en cause (solliciter tous les documents médicaux originaux établis par l’hôpital d’urgence de Bucarest le jour du décès du jeune homme, retrouver l’ordre de service du policier et recueillir un nouveau témoignage de celui-ci). Il leur ordonna aussi de procéder à une reconstitution des faits, une expertise balistique de l’arme utilisée par le prévenu, une expertise en vue de l’établissement du trajet réel de la balle fatale, une expertise technique recherchant d’éventuelles traces du coup de feu sur les vêtements du défunt et du policier, et de recueillir de nouveaux témoignages du requérant et du policier. À ce jour, la procédure est toujours pendante devant les autorités internes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La loi no 17 du 11 avril 1996 réglementant l’usage des armes à feu et des munitions Les articles pertinents en l’espèce, tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque des faits, sont libellés comme suit : Article 9 « Sont exclus [du champ d’application] de la présente loi – excepté en ce qui concerne l’usage des armes – les organes, les unités, les formations et les institutions militaires (...) ; » Article 47 « Les personnes qui sont dotées d’une arme à feu peuvent en faire usage pour accomplir les attributions liées à leurs fonctions ou à des missions militaires dans les situations suivantes : (...) d) pour immobiliser les auteurs d’une infraction qui tentent de s’enfuir ; (...) f) pour immobiliser ou retenir des individus contre lesquels il existe des preuves ou des indices sérieux qu’ils ont commis une infraction et qui ripostent ou tentent de riposter avec une arme ou avec d’autres objets susceptibles de mettre en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne (...) » Article 48 « Les personnes autorisées à détenir, à porter ou à utiliser des armes pour la garde ou pour l’autodéfense peuvent en faire usage en état de légitime défense ou en cas de nécessité, conformément à la loi. » Article 49 « L’usage d’une arme contre un individu dans les situations prévues à l’article 47, lettres c), d), g), h) et i), doit être précédé des sommations prévues par la loi. Le porteur de l’arme procède à la première sommation en énonçant : « Halte ! » En cas de refus de l’individu d’obtempérer, le porteur de l’arme procède à une deuxième sommation dans ces termes : « Halte ou je fais feu ! » En cas de nouveau refus d’obtempérer, le porteur de l’arme procède à une troisième sommation en tirant un coup de feu en l’air. » La loi no 218/2002 sur l’organisation et le fonctionnement de la police roumaine Les articles pertinents en l’espèce, tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque des faits, sont libellés comme suit : Article 35 « 1. En cas de nécessité, le policier peut faire usage, dans les situations et conditions prévues par la loi, d’armes blanches ou d’armes à feu. Il peut faire usage d’armes à feu après avoir procédé à une sommation en énonçant : « Halte ou je fais feu ! » Le policier peut, sans sommation, faire usage de son arme à feu lorsqu’il se trouve en état de légitime défense. L’usage d’une arme dans le cadre de l’accomplissement des attributions liées aux fonctions, dans les conditions et dans les situations prévues par la loi, ne revêt pas un caractère pénal. » (...) » Article 37 « 1. La police roumaine peut intervenir et utiliser la force, dans les conditions prévues par la loi, contre tout individu qui met en danger la vie, l’intégrité ou la santé des personnes ou des forces de l’ordre, ou qui menace de détruire des biens ou bâtiments publics ou privés. Les moyens visant au rétablissement de l’ordre doivent être utilisés seulement après avoir procédé, par le biais d’une amplification du son, aux avertissements et sommation à l’adresse des fauteurs de troubles quant à la nécessité de respecter la loi et l’ordre public. Si, après avertissement, l’ordre public et la loi sont toujours méconnus, le policier qui est en charge de l’affaire ou ses supérieurs hiérarchiques énoncent la formule de sommation suivante : « Attention ! Veuillez quitter les lieux. Nous allons utiliser la force ! » (...). Après l’écoulement d’un certain laps de temps sans que les personnes visées aient obtempéré, une dernière sommation doit être énoncée : « Dernière sommation. Quittez les lieux ou nous utiliserons la force ! » Si, dans de telles situations de même que dans les situations prévues à l’article 47 de la loi no 17/1996 réglementant l’usage des armes à feu et des munitions, l’usage des armes est nécessaire, une dernière sommation doit être énoncée : « Quittez les lieux, nous allons utiliser des armes à feu. » Une fois l’ordre public rétabli, l’utilisation des moyens d’empêchement et de contrainte doit cesser. » Article 38 « Chaque fois qu’il y a eu usage d’une arme à feu, un rapport doit être présenté au supérieur hiérarchique. Dès que possible, le rapport sera établi par écrit. Si, à la suite de l’utilisation d’une arme à feu, une personne décède ou est blessée, cela doit être communiqué dans les meilleurs délais au procureur compétent, conformément à la loi. » Article 39 « Le policier est tenu de prendre les mesures nécessaires afin de protéger de toute menace l’ordre public et la sécurité des personnes, dans toutes les situations dont il a pris connaissance ou dont il a été informé. » Article 40 « Le policier est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour la protection de la vie, de la santé et de l’intégrité physique des personnes dont il assure la garde et, notamment, de veiller à ce que des soins médicaux soient prodigués aux personnes qui en ont besoin. » La loi no 295/2004 du 28 juin 2004 réglementant l’usage des armes et des munitions Les articles pertinents en l’espèce de la loi no 295/2004 du 28 juin 2004 réglementant l’usage des armes et des munitions, tels qu’ils étaient en vigueur à l’époque des faits, sont libellés comme suit : Article 34 Les limites de l’usage d’une arme « 1. Les titulaires du permis de port et d’usage d’armes de défense peuvent les utiliser seulement dans les polygones de tir autorisés, conformément à la présente loi, ou en état de légitime défense ou en cas de nécessité. L’utilisation des armes de défense dans les polygones autorisés devra se faire en conformité avec le règlement de ces lieux. » Article 35 Les obligations en cas d’usage d’une arme « 1. La personne ayant utilisé une arme est tenue de prêter secours dans les meilleurs délais et d’octroyer une assistance médicale aux personnes blessées. La personne ayant utilisé une arme est tenue d’informer, dans les meilleurs délais, le commissariat de police le plus proche, y compris en l’absence de victimes humaines ou de dommages matériaux. Dans le cas prévu au deuxième alinéa (...), l’organe de police saisi a le devoir d’effectuer une enquête. L’arme devra rester entre les mains de l’organe de police jusqu’à la fin de l’enquête. Les dispositions des paragraphes 2 et 3 ne trouvent pas d’application en cas d’usage d’arme, dans les conditions prévues à l’article 34, deuxième paragraphe, excepté en cas de victimes humaines. » La pratique en matière d’usage d’armes à feu Le restant des dispositions pertinentes en matière d’usage des armes à feu sont résumées dans l’arrêt Soare et autres c. Roumanie (no 24329/02, §§ 94-95 et 105, 22 février 2011). III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS Les dispositions internationales pertinentes en matière de recours à la force et d’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, notamment l’article 6 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les observations du Comité des droits de l’homme des Nations unies, les Principes des Nations unies sur le recours à la force et le Code de conduite pour les responsables de l’application des lois sont décrites dans l’arrêt Soare et autres (précité, §§ 100-104).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Osmaniye. Le 10 octobre 1999, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre le Hizbullah, une organisation illégale armée. Le 14 octobre 1999, le requérant fut traduit devant la cour de sûreté de l’Etat d’Adana, laquelle ordonna la mise en détention provisoire de l’intéressé. Par un acte d’accusation du 22 octobre 1999, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat (« le procureur de la République ») d’Adana inculpa le requérant pour appartenance à une organisation illégale armée. Le 3 juillet 2000, le procureur de la République engagea une nouvelle procédure pénale à l’encontre du requérant pour appartenance à une organisation illégale armée. A une date non précisée, les procédures pénales diligentées à l’encontre du requérant furent réunies. Le requérant fut jugé par la cour de sûreté de l’État d’Adana jusqu’à ce que la loi no 5190, adoptée le 16 juin 2004, supprime les cours de sûreté de l’État du système judiciaire turc. A la suite de l’abolition des cours en question, le dossier du requérant fut transmis à la cour d’assises spéciale d’Adana (« la cour d’assises »). Par un jugement du 18 octobre 2004, la cour d’assises condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité. Par un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation infirma ce jugement. Par un jugement du 10 octobre 2007, la cour d’assises condamna le requérant à nouveau à la réclusion criminelle à perpétuité pour tentative de renversement, par la force, de l’ordre constitutionnel. Par un arrêt rendu le 30 avril 2009, la Cour de cassation confirma ce jugement.
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Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 26 janvier 2001, le frère du requérant, M. Sedat Ege, se rendit à l’hôpital Gazi, à Ankara. Après avoir examiné Sedat Ege, les médecins évoquèrent la probabilité d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA) et mirent en route un traitement médical en attendant de pouvoir établir un diagnostic définitif. Le 8 février 2001, Sedat Ege quitta l’hôpital. Le 25 février 2001, il fut admis aux urgences de l’hôpital Gazi pour une insuffnce respiratoire. Le pronostic vital étant engagé, il fut immédiatement transféré au centre hospitalier universitaire İbni Sina d’Ankara. Les médecins constatèrent que Sedat Ege souffrait d’une insuffnce respiratoire aiguë et décidèrent son admission en unité de soins intensifs, où il fut intubé et placé sous ventilation assistée. Ils diagnostiquèrent chez leur patient un syndrome de Guillain-Barré, une maladie auto-immune inflammatoire du système nerveux périphérique. Le 1er mars 2001, le personnel médical effectua chez l’intéressé un traitement par plasmaphérèse. Le 9 mars 2001, Sedat Ege décéda. A la demande du requérant et sur ordre du procureur, une autopsie fut pratiquée. Le requérant déposa une plainte pénale contre l’infirmière F.D. et le médecin D.T. pour négligence dans l’exercice de leurs fonctions à l’hôpital İbni Sina. I. LES POURSUITES PÉNALES DILIGENTÉES CONTRE LE PERSONNEL MÉDICAL Le 4 octobre 2002, le Conseil d’Etat autor les poursuites pénales et transmit le dossier au parquet. Le requérant se constitua partie intervenante à la procédure pénale entamée devant le tribunal correctionnel d’Ankara contre F.D. et D.T. Le requérant, entendu par le tribunal, déclara notamment ce qui suit : « Mon frère était attaché à son lit par les poignets. D’après le personnel médical, il s’agissait d’une précaution pour éviter qu’il n’enlevât les sondes. D’après ce que j’ai compris, dans la nuit du 9 mars 2001, la sonde de ventilation n’était plus en place. L’appareil avait émis un signal d’alarme, mais le personnel médical ne l’avait entendu que tardivement. Lorsque les médecins sont intervenus, ils ont constaté que Sedat était mort. Les conclusions de l’autopsie, selon lesquelles mon frère est mort en raison d’une insuffnce respiratoire, confirment mes dires. Il y a bien eu un homicide involontaire du fait de cette négligence et je souhaite que les responsables soient poursuivis pénalement. » L’infirmière F.D. se défendit en ces termes : « M. Ege souffrait d’une sclérose latérale amyotrophique. J’étais de garde le soir du 9 mars 2001. Je devais m’occuper des salles 1201 et 1210. Alors que j’étais occupée dans la salle 1201, j’ai entendu l’alarme de la salle 1210. Je me suis aussitôt rendue au chevet de M. Ege. Puis j’ai appelé le médecin D.T., qui a constaté que la sonde respiratoire n’était plus en place. Au moment où il essayait de la réintroduire, le patient a eu un arrêt cardiaque. Malheureusement, malgré notre intervention, nous n’avons pas pu le sauver. » Le docteur D.T. déposa en ces termes : « Le 8 mars 2001, un des patients qui était dans la salle de réanimation est décédé. M. Sedat Ege a été très affecté par cet événement. Il nous a assuré qu’il respirait bien et il a voulu quitter l’unité de soins intensifs. Comme en réalité il n’arrivait pas à respirer suffmment sans l’assistance de la ventilation artificielle, nous avons refusé. Nous avons essayé de le calmer, mais il était agité. Il a demandé à voir sa famille. Nous avons accepté. Nous avons renforcé les attaches de la sonde respiratoire. Par la suite, par précaution, pour éviter tout risque d’auto-extubation, nous avons attaché le malade à son lit au niveau des poignets. Le 9 mars 2001, vers 3 h 50 du matin, j’ai entendu l’alarme du respirateur des soins intensifs. J’ai aussitôt couru vers la salle des soins intensifs et j’ai constaté que le patient Sedat Ege était pâle. Il avait les yeux fermés et ne répondait pas. La sonde endotrachéale et le fixateur de sonde endotrachéale étaient toujours en place. Lors de mon intervention, j’ai remarqué que le ventre du patient gonflait. J’ai tout de suite compris que la sonde respiratoire s’était déplacée vers l’œsophage. Dès lors, j’ai fait en sorte que la ventilation assistée soit assurée, mais le patient a eu un arrêt cardiaque. Nous avons appliqué le protocole de réanimation cardio-pulmonaire avec un autre médecin urgentiste mais, malgré tous nos efforts, le patient est décédé à 5 h 5. » La responsable de l’unité de soins intensifs de l’hôpital fut également entendue en tant que témoin. Elle affirma notamment ce qui suit : « (...) Pendant les heures de travail, deux assistants et deux infirmières sont en service tandis que, pendant les heures de garde, une seule infirmière est présente de façon permanente dans l’unité de soins intensifs. Au besoin, une deuxième infirmière vient aider l’infirmière de garde. Les auxiliaires de soin sont également présentes dans le service pour les aider à changer les patients de position et à faire leur toilette, mais aussi pour effectuer des actes tels que vider les sondes vésicales des patients. L’unité de soins intensifs de neurologie est constituée de huit lits et, la plupart du temps, le service est presque plein. Les patients sont en général des malades plongés dans le coma qui nécessitent une surveillance permanente. (...) La sonnerie des appareils reliés aux patients peut aisément être entendue par le personnel médical. Il n’est pas possible de ne pas entendre l’alarme lorsqu’elle sonne. Si elle se déclenche, même si on n’est pas au chevet du patient, on peut intervenir en quelques secondes. Sedat Ege était dans la salle 1210 qui se trouve juste en face du bureau des infirmières. Elle est équipée d’une vitre teintée normale et la porte reste constamment ouverte. L’état du patient nécessitait une surveillance et une observation permanentes. Il souffrait d’une infection pulmonaire causée par sa maladie. C’est la ventilation artificielle qui maintenait Sedat Ege en vie. (...) Dès son admission dans l’unité de soins intensifs, l’intéressé a refusé d’accepter sa maladie et notamment sa difficulté à respirer. Il prétendait fréquemment pouvoir respirer sans assistance. Il l’a écrit plusieurs fois sur des bouts de papiers qu’il nous montrait. A plusieurs reprises, pour nous prouver qu’il respirait tout seul, il a essayé d’enlever la sonde respiratoire. On a dû intervenir à chaque fois pour vérifier et au besoin rebrancher la sonde. Une fois, sous ma surveillance, on lui a retiré la sonde respiratoire un court instant pour qu’il puisse comprendre qu’il avait besoin de la ventilation assistée, en vain. (...) Nous n’avons pas choisi d’appliquer le protocole de la sédation car un tel procédé risquait de provoquer une détérioration de la fonction respiratoire du patient et d’empêcher le suivi de son état neurologique. Pour éviter qu’il n’enlève la sonde respiratoire, nous avons été obligés de lui attacher les mains. Cependant, même dans cette position, le patient est parvenu de temps en temps à atteindre la sonde respiratoire pour tenter de l’enlever mais nous sommes intervenus à chaque fois pour l’en empêcher. » La déposition de F.T.E., l’épouse de Sedat Ege, fut recueillie : « (...) Le 8 mars 2001, un décès est survenu dans le service où se trouvait mon mari. Afin de calmer mon mari qui avait été très affecté par ce décès, le médecin m’a autorisé à entrer dans l’unité de soins intensifs pour le réconforter psychologiquement. Le tube mis dans sa bouche sortait de temps en temps. Le médecin a demandé qu’on lui attachât les mains pour qu’il n’arrache pas le tube en se débattant. C’est dans ce but qu’on lui a attaché les mains (...) » E.Ç., une proche d’une autre patiente hospitalisée dans l’unité de soins intensifs avec Sedat Ege, fut entendue. Elle affirma avoir été témoin le 8 mars 2001 de l’état d’agitation de M. Ege et de ses tentatives d’arracher les tubes de la ventilation artificielle. Elle ajouta que le personnel médical s’était immédiatement rendu à son chevet. Le 26 avril 2004, les juges décidèrent de saisir le Conseil supérieur de la santé pour expertise. Le 26 mai 2004, l’institut médicolégal rendit un rapport d’expertise relatif au frère du requérant. Le passage pertinent en l’espèce de ce rapport se lit comme suit : « Selon l’évolution clinique figurant dans les documents médicaux et le résultat de l’autopsie, il a été conclu à l’unanimité que le décès du patient Sedat Ege, atteint du syndrome de Guillain-Barré, résultait d’une insuffnce respiratoire due au fait qu’il avait arraché la sonde d’intubation. » A la suite de deux réunions tenues le 7 et le 8 septembre 2006, le Conseil supérieur de la santé rendit son rapport le 28 novembre 2006, dans lequel il concluait que le médecin D.T. et l’infirmière F.D. n’avaient commis aucune faute professionnelle. Il ajoutait néanmoins que l’unité de soins intensifs de neurologie au centre hospitalier universitaire d’Ankara ne fonctionnait pas dans des conditions adaptées, qu’il y avait eu un certain nombre de dysfonctionnements dans le service et que ceux-ci avaient joué un rôle dans le décès du patient Sedat Ege. Trois médecins du Conseil supérieur de la santé rédigèrent une opinion dissidente, dont la partie pertinente en l’espèce se lit comme suit : « Le diagnostic posé et le traitement médical proposé étaient conformes aux règles médicales. En revanche, il ressort du dossier que le patient était particulièrement agité et cherchait à enlever la sonde respiratoire. Par exemple, le 2 mars 2001, il l’a enlevée deux fois. Les médecins sont intervenus pour la remettre en place. Le comportement du patient mettait sa vie en danger, car il avait besoin de la ventilation assistée pour pouvoir respirer. Il ne suffit pas d’attacher ce type de patients à leur lit par les poignets. La preuve en est que, dans les circonstances de la cause, cette pratique n’a pas suffi. D’ailleurs, le choix d’une telle pratique n’est pas éthique. C’est pour cela que, avec certains patients, il n’y a pas d’autre solution que de procéder à la sédation sans se préoccuper de l’influence des sédatifs sur l’examen neurologique. A l’examen du dossier, nous voyons que le responsable de l’unité de soins intensifs a choisi de ne pas administrer des sédatifs à ce patient en raison de contre-indications neurologiques. Dès lors, il est compréhensible que le médecin urgentiste de garde n’ait pas, lui non plus, mis le patient sous sédatifs. Cela étant, l’intéressé aurait dû faire l’objet d’une surveillance beaucoup plus attentive, ce qui aurait permis d’éviter l’incident litigieux. En conclusion, selon nous, le patient, vu son état agressif et agité, aurait dû tout de même bénéficier d’une sédation. Nous estimons que les médecins mis en cause sont fautifs à hauteur de 2/8e. » Le requérant contesta les conclusions du Conseil supérieur de la santé. Le tribunal demanda alors une contre-expertise à la chambre spécialisée de l’institut médicolégal. La chambre spécialisée de l’institut médicolégal rendit son rapport définitif le 5 septembre 2007. Après examen du rapport d’autopsie, elle considéra que le décès avait été provoqué par une insuffnce respiratoire due au syndrome de Guillain-Barré dont le patient souffrait. Elle estimait que le diagnostic établi et les soins prodigués au patient étaient conformes aux règles médicales. Elle observa que l’auto-extubation par le patient Sedat Ege avait eu lieu à plusieurs reprises, à des dates différentes, à savoir le 2 mars 2001, le 4 mars 2001, le 6 mars 2001 – date à laquelle le patient avait été attaché à son lit par les poignets – et enfin le 9 mars 2001. Elle notait que la sédation n’était pas indiquée pour tous les patients intubés. Elle ajoutait que, chez certains patients sous sédatifs, il arrivait aussi qu’il y ait des extubations accidentelles, voire des auto-extubations. Elle concluait que le médecin et l’infirmière mis en cause n’avaient commis aucune faute lors de l’application de la procédure de réanimation, mais qu’il y avait eu un manquement administratif le jour de l’incident, une seule infirmière de garde ne pouvant suffire pour huit patients en soins intensifs. Par un jugement du 12 novembre 2007, le tribunal correctionnel d’Ankara se fondant essentiellement sur les rapports d’expertises médicales, relaxa les prévenus. Le 4 décembre 2007, le requérant se pourvut en cassation contre ce jugement. Par un arrêt du 14 novembre 2008, notifié au requérant le 4 mars 2009, la Cour de cassation confirma en toutes ses dispositions le jugement attaqué. II. LA PROCÉDURE ADMINISTRATIVE EN INDEMNISATION Le 7 mai 2001, le requérant saisit l’administration d’une demande en dommages et intérêts. En l’absence de réponse positive, il intenta une action en justice devant le tribunal administratif. Le 5 novembre 2004, le tribunal administratif d’Ankara le débouta. Le 24 septembre 2007, le Conseil d’Etat, estimant que le requérant devait être indemnisé, cassa le jugement de première instance. Le passage pertinent en l’espèce de l’arrêt du Conseil d’Etat se lit comme suit : « Lorsqu’il s’agit d’établir la responsabilité de l’administration, la faute lourde n’est recherchée que dans les interventions et opérations risquées. Ce n’est pas l’objet de la requête en l’espèce. A l’analyse du dossier, il convient d’observer que le frère du requérant avait essayé à plusieurs reprises d’enlever la sonde respiratoire de la ventilation artificielle. Le personnel médical le savait, pourtant il n’a pas pris les mesures supplémentaires qui s’imposaient pour que le patient n’enlevât pas cette sonde qui le maintenait en vie. Autrement dit, l’administration défenderesse n’a pas été suffmment attentive et diligente (...) Cela est une faute professionnelle. Le requérant doit être indemnisé. » Le 24 octobre 2008, le Conseil d’Etat rejeta le recours en rectification de l’arrêt formé par l’administration. Le 2 juillet 2009, le tribunal administratif d’Ankara se conforma à l’arrêt du Conseil d’Etat et condamna l’administration à payer au requérant, pour dommage moral, 5 000 livres turques (soit environ 2 325 euros (EUR) à l’époque des faits), somme assortie d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 mai 2001. Le 16 novembre 2009, le Conseil d’Etat cassa le jugement du 2 juillet 2009 au motif que le montant de l’indemnité accordée au requérant était insuffnt. Le 15 avril 2011, le tribunal administratif d’Ankara se conforma à l’arrêt du Conseil d’Etat et condamna l’administration à payer au requérant, pour dommage moral, 20 000 livres turques (soit environ 10 000 EUR à l’époque des faits), somme assortie d’intérêts moratoires au taux légal à compter du 7 mai 2001. L’administration se pourvut en cassation. Le 20 mai 2012, dans le cadre de l’exécution du jugement du 15 avril 2011, l’administration paya au requérant la somme de 73 250 livres turques (soit environ 31 000 euros). A la date du 18 février 2013, la procédure est toujours pendante devant le Conseil d’Etat.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et réside à Diyarbakır. Le 16 décembre 2005, vers 4 heures du matin, le requérant, muni d’une lampe de poche et d’un parapluie, partit du village d’Akdoruk pour se rendre au village voisin, Narlıca (Kulp/Diyarbakır). En chemin, il fut touché à la jambe droite, au niveau de la face latérale de la hanche. Peu après, il aperçut des militaires et leur expliqua qu’il était un simple villageois. Il fut transporté à l’hôpital militaire de Diyarbakır où il resta jusqu’au 26 décembre 2005. A. Les rapports médicaux Le rapport médical délivré par l’institut médicolégal de Diyarbakır en date du 30 juin 2006 indiquait que la blessure du requérant ne présentait aucun risque pour sa vie, qu’elle n’avait cependant pas pu être soignée par une intervention médicale simple et que la fracture à la jambe était susceptible d’affecter l’état de santé de l’intéressé. Il mentionnait également que le médecin avait opté pour un établissement du rapport définitif après un traitement orthopédique de dix-huit mois. Le nouveau rapport médical, délivré par l’hôpital civil de Diyarbakır en date du 5 décembre 2007, indiquait que la jambe droite du requérant était restée plus courte de trois centimètres par rapport à la gauche et que l’intéressé, qui souffrait toujours, ne se déplaçait qu’avec des béquilles. Un troisième rapport médical, délivré par l’hôpital universitaire de Dicle en date du 29 juillet 2010, indiquait que le requérant marchait à l’aide d’une canne et que son taux d’invalidité était de 10 %. B. L’enquête pénale Entre-temps, le 16 décembre 2005, le procureur de la République de Kulp avait ouvert d’office une enquête pénale. Un procès-verbal de constat sur les lieux avait été dressé. Il avait été établi que 36 soldats et 5 gardes de village avaient participé à l’opération du matin. Un croquis de l’état des lieux avait été réalisé. Le procureur avait entendu le requérant dont les déclarations se lisent notamment comme suit : « A l’époque des faits, personne ne vivait à Akdoruk. Nous étions juste deux familles dans ce village. Je vivais avec ma famille dans une classe d’une école désaffectée. (...) je suis sorti deux fois de chez moi. Une fois, très tard dans la nuit, pour m’assurer que le toit de ma maison, que je réparais, n’avait pas été abîmé par la pluie et une autre fois, vers 4 heures du matin, pour me rendre à Kulp. Je devais y voir le procureur qui m’avait convoqué pour m’entendre au sujet d’une dispute avec F.T. Pour aller à Kulp, il fallait d’abord que je marche jusqu’à Narlıca, puis que je prenne un bus. J’ai emporté un parapluie et une lampe de poche. Je suis sorti de chez moi et, au bout de 100 ou 150 mètres à peine, j’ai entendu un bruit et je suis tombé par terre. J’ai compris que quelqu’un m’avait tiré dessus et que j’étais touché à la jambe. Les soldats sont arrivés et m’ont demandé où j’allais. Je le leur ai expliqué. J’avais la lampe de poche allumée et le parapluie ouvert. Il est possible que le parapluie se soit fermé au moment où je suis tombé. Les soldats m’ont emmené à l’hôpital où j’ai été soigné. Il y a eu un seul tir sans sommation. Je n’ai vu aucun terroriste ici depuis cinq ou six ans. Je demande que les responsables de cet incident soient punis. » Les témoignages de plusieurs personnes avaient également été recueillis. Leurs passages pertinents en l’espèce se lisent comme suit : V.T. : « Je vivais avec ma famille à Akdoruk, dans une classe de l’école désaffectée. Je savais que Mustafa devait aller à Kulp tôt le lendemain. Vers 4 h 20, j’ai entendu un coup de feu. Mustafa a crié à l’aide. Je suis aussitôt sorti pour voir ce qui se passait et j’ai vu des soldats dehors. Le capitaine m’a dit qu’ils avaient tiré sur Mustafa par erreur. Le parapluie de Mustafa était fermé mais je l’avais vu partir avec un parapluie ouvert car il pleuvait beaucoup. Mustafa a été transporté à l’hôpital pour être soigné. Je n’ai entendu qu’un seul tir sans aucune sommation préalable. » M.E. : « Je suis le lieutenant du commandement de la sécurité intérieure de la première compagnie. La nuit de l’incident, nous avons été informés du passage d’un groupe de terroristes dans la région. Suite à cette information, nous avons été chargés de nous tenir en embuscade autour du village d’Akdoruk. Vers 3 heures du matin, un groupe de trois personnes a été aperçu dans la caméra thermique autour d’une maison qui était chauffée. Cela nous a paru suspect. Deux des personnes ont commencé à marcher dans notre direction. Celle qui était devant avait une lampe de poche allumée. Elle la tenait braquée dans notre direction. Elle avait quelque chose sous le bras. Le soldat chargé de la caméra thermique m’a dit que cela pouvait être une arme. Comme il faisait nuit et qu’il pleuvait, nous n’arrivions pas à savoir exactement ce que c’était. Nous ne pouvions pas savoir que c’était simplement un parapluie. Je lui ai crié de s’arrêter mais la personne a continué à marcher dans notre direction. J’ai tiré un coup de sommation en l’air. La personne ne s’est toujours pas arrêtée. J’ai alors tiré dans ses jambes. Quand nous avons vu qu’elle était blessée, nous l’avons conduite à l’hôpital. » A.İ. : « Je suis le commandant de cette compagnie. Nous avons été informés de la présence de terroristes du PKK dans cette région. Le but de l’opération du 16 décembre 2005 était de sécuriser le village d’Akdoruk. Nous pensions que le village était désert mais, une fois sur place, nous avons constaté qu’il y avait des gens qui vivaient dans une école désaffectée. Comme nous ne savions pas s’il s’agissait de terroristes ou de civils, nous ne sommes pas intervenus tout de suite. Ce soir-là, il pleuvait et il y avait du brouillard, et la visibilité était mauvaise ; on ne voyait pas au-delà de cinquante mètres. A un moment donné, deux personnes ont commencé à marcher dans la direction du lieutenant M.E. Celle qui était devant semblait être armée. Elle voulait contourner la tranchée. Cela pouvait être dangereux pour la sécurité des soldats. Le lieutenant M.E. a pris un gros risque et s’est levé pour lui ordonner de s’arrêter immédiatement. Elle a continué à marcher dans notre direction. M.E. a alors tiré un coup de sommation en l’air. La personne a été prise de panique et a continué à marcher. M.E. a alors tiré dans ses jambes pour l’arrêter. Ensuite nous avons compris qu’il s’agissait d’un villageois qui tenait un parapluie et non une arme. Son parapluie était bien fermé malgré la pluie. C’est d’ailleurs ce qui nous a induits en erreur. » M.K. : « Je faisais partie des soldats embusqués. J’avais pour mission de surveiller la zone avec la caméra thermique. J’ai vu trois personnes autour d’une maison. L’une d’elle s’est beaucoup approchée de nous. Elle tenait un objet sous son bras et une lampe de poche qu’elle braquait sur nous. J’ai cru qu’elle était armée mais, comme il y avait du brouillard et qu’il pleuvait, je n’arrivais pas à distinguer précisément l’objet qu’elle portait. J’ai dit à notre commandant que cela pouvait être une arme. Il a ordonné en criant à la personne de s’arrêter et a fait un tir de sommation en l’air, mais l’individu ne s’est pas arrêté et a continué à se diriger vers nous. Notre commandant a alors tiré une fois. L’individu a été blessé au niveau de la jambe droite. Il a été transporté à l’hôpital. Nous avons constaté que l’objet qu’il tenait n’était pas une arme mais un parapluie qu’il n’avait pas ouvert malgré la pluie. » İ.D. : « Je suis sous-officier du commandement de la sécurité intérieure de la première compagnie. Le 16 décembre 2005, nous avons pris position autour du village d’Akdoruk. Nous avions pour mission de nous assurer que le village était sécurisé. Nous pensions que ce village était désert, mais nous nous sommes vite rendu compte qu’il y avait des gens qui vivaient dans l’école désaffectée. Il pleuvait et neigeait en même temps. Le brouillard réduisait la visibilité de manière significative. Nous avons vu un individu sortir de l’école, suivi peu après par une autre personne. Celui qui était devant semblait porter une arme. Notre commandant lui a ordonné d’une voix forte de s’arrêter. Après un tir en l’air en guise d’avertissement, il a tiré en le visant aux jambes. L’individu est tombé par terre. Nous pensions à ce moment-là qu’il s’agissait d’un terroriste. Ensuite nous avons compris que c’était un villageois. Malgré la pluie, il portait un parapluie fermé au moment de l’incident, c’est ce qui nous a induits en erreur. » M.K.O. : « Je fais partie du corps de la gendarmerie. Le 16 décembre 2005, nous avons été informés de la présence de terroristes dans le village d’Akdoruk. Nous avons sécurisé les lieux vers 2 h 30 du matin. Il était prévu que nous resterions en embuscade jusqu’au matin puis que nous ferions une recherche sur les lieux. L’école, qu’on croyait déserte, abritait des personnes et était chauffée. Nous avons aperçu deux personnes marcher vers nous. Celle qui était devant tenait un objet qui ressemblait à une arme. Comme il neigeait et qu’il pleuvait très fort, on ne distinguait pas bien ce que c’était. Notre commandant, le lieutenant M.E., a ordonné à l’individu de s’arrêter de suite mais il a continué à s’approcher. Après un tir de sommation, notre commandant a tiré sur lui. L’individu est tombé par terre. Il a été blessé au niveau de la jambe droite. Il ne portait pas d’arme mais un parapluie fermé. Nous avons compris seulement après ses explications qu’il s’agissait d’un villageois. » H.Y. : « Je suis le chef des gardes de village. Nous sommes arrivés dans le village d’Akdoruk vers 1 heure, 1 h 30 du matin. Il pleuvait et neigeait en même temps. Nous avons constaté qu’il y avait des personnes dans l’école désaffectée. Deux individus en sont sortis avec des lampes de poche. L’un d’entre eux a commencé à marcher dans notre direction. Je ne voyais que la lumière de la lampe de poche. Je ne voyais pas si son parapluie était ouvert ou non. Les militaires pouvaient voir mieux que nous car ils étaient équipés d’une caméra thermique. Nous, nous n’avions que nos jumelles. Lorsque cet individu s’est approché encore plus de nous, le lieutenant lui a dit trois ou quatre fois : « Halte ! N’avance plus ! » Il a également fait un tir de sommation en l’air. L’individu ne s’est pas arrêté et le lieutenant lui a tiré dessus. » Les gardes de village M.C. et R.Ç. confirmèrent les dires de leur chef, H.Y. Le père, la mère et l’épouse du requérant furent également entendus par le procureur. Ils affirmèrent que leur proche était sorti tôt le matin pour arriver à l’heure à Kulp et se présenter au procureur. Selon eux, il faisait encore nuit et il avait pris sa lampe de poche, et, comme il aurait plu, il aurait également pris un parapluie. Le père et la mère déclarèrent que, lorsqu’ils avaient entendu les cris de leur fils, ils avaient pensé qu’il était attaqué par un sanglier. L’épouse du requérant affirma quant à elle avoir entendu un seul tir puis les cris de douleur de son mari. Le 4 juillet 2006, le procureur de la République de Kulp se déclara incompétent ratione materiae et renvoya le dossier devant le parquet militaire de Diyarbakır. Le procureur militaire de Diyarbakır ordonna qu’il fût procédé à une expertise. Le 22 novembre 2006, le capitaine G.B., expert militaire, fut entendu par le procureur. Il déclara que, au regard des circonstances, le lieutenant M.E. n’avait commis aucune faute. Il dit notamment être établi que le lieutenant M.E. avait crié « halte ! » et qu’il avait tiré une fois en l’air en guise de sommation avant de tirer dans les jambes de Mustafa Aldemir, lequel aurait persisté à marcher en direction des militaires en braquant sur eux une lampe de poche et en tenant un parapluie fermé malgré la pluie. A l’issue de l’instruction pénale, le 4 décembre 2006, le procureur militaire rendit une ordonnance de non-lieu en application des articles 24, 27 et 30 du code pénal. Il estima établi que le lieutenant M.E. était convaincu de la légitimité de son acte, et qu’il avait agi dans le seul but de se défendre et de protéger les autres soldats. Cependant, en raison notamment des conditions climatiques, il aurait tiré par erreur sur un villageois portant non pas une arme, comme l’avait cru M.E., mais un parapluie, et l’aurait blessé à la jambe. Le requérant fit opposition à cette ordonnance de non-lieu par l’intermédiaire de son avocat. Le 4 avril 2007, le tribunal militaire de Diyarbakır confirma, à la majorité, l’ordonnance de non-lieu attaquée. Dans son opinion dissidente, un juge du collège estima que le requérant aurait pu être arrêté sain et sauf. A son avis, dans les circonstances de la cause, rien ne justifiait le recours à la force et le procureur aurait dû entamer une action pénale à l’encontre du lieutenant M.E. devant la juridiction compétente. C. La procédure administrative d’indemnisation Le 16 mai 2008, par l’intermédiaire de son avocat, le requérant saisit le tribunal administratif de Diyarbakır d’une action en dommages et intérêts contre le ministère de la Défense. Cette procédure est toujours pendante devant ce même tribunal administratif. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les passages pertinents en l’espèce de l’article 17 de la Constitution turque disposent : « Chacun a droit à la vie (...) La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de l’alinéa premier si elle résulte de l’usage de la force meurtrière dans les cas de nécessité absolue où la loi l’autorise [:] état de légitime défense, exécution d’une arrestation ou d’une décision de placement en détention, prévention de l’évasion d’un détenu ou d’un condamné, répression d’une émeute ou d’une insurrection (...) » La partie pertinente en l’espèce de l’article 24 du code pénal se lit comme suit : « N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit par la loi. » L’article 27 du code pénal est ainsi libellé : « Dépassement des limites [de l’état de légitime défense] Lorsqu’un acte [dépassant les limites de l’état de légitime défense] commis par imprudence est punissable, la peine prononcée est celle prévue pour un délit non intentionnel, réduite d’un sixième à un tiers, si le dépassement des limites [de l’état de légitime défense] est non intentionnel et s’est produit dans une situation correspondant à une cause objective d’irresponsabilité. Lorsque le dépassement des limites de l’état de légitime défense a été provoqué par une émotion, une peur ou une panique excusables, l’auteur de l’acte est dispensé de peine. » Aux termes de l’article 30 du code pénal, une personne qui commet un acte illicite en raison d’une erreur d’appréciation qu’elle n’était pas en mesure d’éviter n’est pas pénalement responsable.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1961, 1955, 1976, 1974, 1962 et 1957 et résident à Istanbul. Dans le cadre d’une opération menée contre une organisation illégale armée, le « Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple » (Devrimci Halk Kurtuluş Partisi/Cephesi – DHKP/C) M. Aziz Doğan fut arrêté et mis en garde à vue le 12 avril 1996 et placé en détention provisoire le 16 avril 1996. Quant à MM. İbrahim Doğan, Şevket Uçan, Erol Korkulu, Oktay Petek et Metin Doğan, ils furent respectivement arrêtés et mis en garde à vue les 20, 21, 22, 25 et 27 août 1996 et placés en détention provisoire le 3 septembre 1996. Par un acte d’accusation du 6 décembre 1996, une action publique fut diligentée à l’encontre des requérants et vingt-quatre autres personnes pour appartenance à une organisation illégale armée au sein de laquelle ils auraient été responsables de missions spécifiques, pour avoir porté aide et assistance à cette organisation et pour avoir lancé des explosifs dans des lieux résidentiels. La cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul ordonna la mise en liberté provisoire de Şevket Uçan le 10 mars 1997, d’İbrahim Doğan et Metin Doğan le 26 mai 1997, d’Erol Korkulu et Oktay Petek le 18 février 1998, et de M. Aziz Doğan le 10 septembre 1999. Toutefois, le 30 juillet 2001, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul délivra un mandat d’arrêt pour défaut de comparution contre plusieurs accusés, y compris MM. Erol Korkulu et Oktay Petek. En ce qui concerne ces deux accusés, ledit mandat n’a pu être exécuté à ce jour. MM. Aziz Doğan et Metin Doğan furent à nouveau placés en détention provisoire respectivement les 10 et 20 août 2001 puis libérés le 23 mars 2005. Le 20 mai 2002, la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul condamna les requérants à différentes peines privatives de liberté. Toutefois, cet arrêt fit l’objet d’un pourvoi et, le 30 septembre 2003, la Cour de cassation l’infirma. La loi no 5190 adoptée le 16 juin 2004 supprima les cours de sûreté de l’État du système judiciaire turc, et les affaires qui relevaient de leur compétence revinrent aux cours d’assises. Le 21 octobre 2009 la cour d’assises d’Istanbul condamna MM. Aziz Doğan Ibrahim Doğan et Metin Doğan à des peines privatives de liberté comprises entre huit ans et neuf mois pour la plus faible et onze ans et trois mois pour la plus lourde. Elle déclara la procédure close pour cause de prescription à l’égard de M. Şevket Uçan et disjoignit les dossiers de MM. Erol Korkulu et Oktay Petek, qui étaient toujours en fuite le jour de l’arrêt. Par un arrêt rendu le 27 février 2012, la Cour de cassation décida de mettre fin à la procédure diligentée contre Ibrahim Doğan et Metin Doğan pour prescription, et de confirmer l’arrêt de la cour d’assises en ce qui concerne Aziz Doğan. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNE PERTINENT En droit turc la détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale (« CPP »), entré en vigueur le 1er juin 2005. Selon l’article 100 de ce code, la mise en détention provisoire d’une personne n’est possible que s’il existe de forts soupçons que la personne concernée ait commis l’infraction reprochée et s’il existe un motif de détention, à savoir un risque de fuite ou bien un risque d’altération des preuves ou de pression sur les témoins et victimes. Cela étant, pour certains délits particulièrement graves parmi lesquels figure celui reproché aux requérants, l’article 100 § 3 de ce code indique que l’on peut présumer l’existence des motifs de détention susmentionnés lorsqu’il existe des raisons plausibles de soupçonner l’intéressé d’avoir commis l’infraction. L’article 141 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour un justiciable de demander réparation du préjudice découlant de l’application d’une mesure préventive à son égard. Cette disposition a repris celle de la loi no 466 du 7 mai 1964 (abrogée) sur l’octroi d’indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues. L’article 141 § 1 d) du code de procédure pénale ajoute une nouveauté par rapport à la loi no 466 : la possibilité pour les personnes jugées en détention provisoire et n’ayant pas obtenu un jugement dans un délai raisonnable de demander la réparation de leur préjudice. L’article 141 § 1 d) se traduit comme suit : « 1) Dans le cadre d’une enquête ou d’un procès relatifs à une infraction, les personnes qui : (...) d) même régulièrement placées en détention provisoire au cours de l’enquête ou du procès, ne sont pas traduites dans un délai raisonnable devant l’autorité de jugement et concernant lesquelles une décision sur le fond n’est pas rendue dans ce même délai, (...) peuvent demander à l’État l’indemnisation de tous leurs préjudices matériels et moraux. » L’article 142 § 1 du code de procédure pénale, relatif aux conditions de la demande d’indemnisation, se lit comme suit : « La demande d’indemnisation peut être demandée dans les trois mois suivant la notification à l’intéressé que la décision ou le jugement est devenu définitif et dans tous les cas de figure dans l’année suivant la date à laquelle la décision ou le jugement est devenu définitif. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1967 et réside à Padoue (Italie). A. La condamnation pénale et l’extradition du requérant vers la Roumanie Par un arrêt définitif du 21 janvier 2005, la cour d’appel de Galaţi condamna le requérant par contumace à deux ans de prison ferme pour escroquerie et faux en écriture privée. A une date non précisée, en vue de l’exécution de la peine, les autorités roumaines demandèrent à l’État italien, sur le territoire duquel le requérant séjournait, son extradition. En vue de l’extradition, les autorités italiennes placèrent le requérant en détention provisoire du 18 mai au 1er juin 2006. Le 2 juin 2006, une assignation à domicile avec autorisation de sortie pour travailler (arresti domiciliari con facolta di allontanarsi dalla propria abitazione per recarsi al lavoro) remplaça la détention provisoire jusqu’au 3 décembre 2007. Par une décision définitive du 3 octobre 2007, la Cour de cassation italienne accueillit la demande d’extradition du requérant. Le 3 décembre 2007, le requérant fut remis aux autorités roumaines. Aucun papier d’identité ou effets personnels ne fut remis au requérant. Dans son formulaire de requête, le requérant mentionne que la procédure concernant l’accusation portée à son encontre a été réinscrite sur le rôle des tribunaux. La Cour n’a pas été informée sur l’issue de cette procédure. B. Les conditions de détention et l’assistance médicale Les conditions de détention et l’assistance médicale telles que décrites par le requérant En l’absence de toute pièce d’identité, le requérant fut incarcéré initialement dans les locaux de l’Inspection générale de la police de Bucarest (Inspectoratul general de poliţie Bucureşti, ci-après « IGP »). Il fut placé dans une cellule avec cinq autres personnes, avec un lit sans draps. L’eau courante était disponible seulement deux fois par jour, pendant une vingtaine de minute à chaque fois. La cellule était pourvue d’une cuvette de toilettes, par laquelle des rats pénétraient. Le système de chauffage de la cellule ne marchait pas, alors que les températures au mois de décembre descendaient à moins 20 oC. Le 11 décembre 2007, après que son épouse ait transmis la carte d’identité du requérant, celui-ci fut transféré au dépôt de police de Galaţi (Inspectoratul judeţean de poliţie Galaţi) où il subit les mêmes conditions de détention. Il fut ensuite incarcéré dans la prison de Galaţi où il fut placé avec 24 autres détenus dans une cellule de 20 m² dotée de 12 lits sans draps. Il fut amené ainsi à partager son lit avec un codétenu ou à dormir à même le sol. Les repas servis n’étaient pas comestibles car périmés et froids. En raison de l’absence d’eau chaude et du fait que l’eau froide était contaminée, on diagnostiqua chez ses codétenus la dysenterie, la gale et d’autres maladies contagieuses. La cellule était aussi infestée de cafards. Les conditions de détention provoquèrent chez le requérant une hernie discale qui lui provoqua des douleurs affreuses pendant onze jours. Aucune mesure médicale ne fut prise pendant ce temps malgré ses cris de douleur. Le 11 mars 2008, après onze jours, ses codétenus appelèrent une infirmière qui injecta au requérant un médicament auquel il était allergique, de sorte qu’il fut transporté de toute urgence à l’hôpital. Il y subit une intervention chirurgicale. Après l’intervention, il y fut gardé encore cinq jours. Pendant ce temps, il fut menotté, enchaîné au lit et surveillé par deux agents. Il fut réincarcéré à la prison de Galaţi avec les prescriptions suivantes : dispense d’efforts physiques, physiothérapie, gymnastique médicale et traitement médicamenteux. Aucune de ces prescriptions ne fut respectée dans le centre pénitentiaire. Le requérant ne saisit pas les autorités d’une action en vertu de la loi no 275/2006 sur l’exécution des peines et des mesures adoptées au cours du procès pénal (« la loi no 275/2006 ») afin de dénoncer l’absence alléguée d’assistance médicale. Les conditions de détention et l’assistance médicale telles que décrites par le Gouvernement Le requérant fut incarcéré initialement dans les locaux de l’IGP de Bucarest. Il fut placé, avec cinq autres personnes, dans une cellule qui mesurait 13, 95 m² (4, 5 m sur 3, 1 m) et 3, 1 m de hauteur et qui était dotée de six lits. La cellule était pourvue d’une fenêtre, d’une cuvette de toilettes, d’une douche et de deux étagères. Elle était dotée également d’éclairage artificiel. Les détenus étaient autorisés à se procurer des produits d’hygiène ainsi que des produits pour désinfecter la cellule. La nourriture était fournie par la prison de Bucarest-Rahova et les détenus étaient autorisés à recevoir tous les mois de l’extérieur 10 kg de nourriture, 6 kg de fruits et 20 l de boissons. Le requérant fut ensuite incarcéré du 10 décembre, à 16 h, au 11 décembre 2007, à 12 h, dans le dépôt de la police de Galaţi. Il y fut placé, avec cinq autres personnes, dans une cellule qui mesurait 12, 6 m² (4, 2 m sur 3 m) et 3 m de hauteur et qui était dotée de six lits. La cellule était pourvue d’un groupe sanitaire (toilettes et douche) d’une superficie totale de 0, 77 m². Le dépôt de police avait la même source de chauffage et d’eau courante que le siège de la police départementale. Du 11 décembre 2007 au 30 décembre 2008, le requérant fut incarcéré à la prison de Galaţi et placé dans des cellules mesurant 24, 5 m² et ayant une hauteur de 3 m, sises dans un bâtiment mis en service en 1994. Elles étaient dotées de douze lits, d’une fenêtre, d’une table, de quatre chaises et étaient également pourvues d’éclairage artificiel. Le chauffage était assuré par des radiateurs en fer. Les cellules disposaient également d’une salle d’eaux de 4, 98 m² pourvue de toilettes, d’une douche et d’un lavabo. Le requérant avait accès aux douches à raison de deux fois par semaine, pendant une heure. L’hygiène dans les cellules était de la responsabilité des détenus auxquels des produits de nettoyage étaient distribués. Les ordures ménagères étaient enlevées quotidiennement de chaque cellule. Les cellules n’étaient pas infestées de cafards. La qualité de l’eau et de la nourriture était vérifiée systématiquement et aucune irrégularité n’avait été décelée. L’eau courante était fournie dans les intervalles : 5 h 30 – 8 h, 13 h 30 – 16 h et 18 h 30 – 21 h 30. Lors de son incarcération dans la prison de Galaţi, le 11 décembre 2007, le requérant subit un examen médical. Une discopathie lombaire fut diagnostiquée à cette occasion. Le 10 mars 2008, le requérant eut de fortes douleurs lombaires et se vit administrer un traitement médicamenteux. Du 14 au 21 mars 2008, il fut admis aux urgences où il subit une intervention chirurgicale au niveau des vertèbres. Un traitement lui fut prescrit. Toutefois, le 22 avril 2008, le requérant, acceptant en pleine connaissance de cause les risques qu’impliquait l’effort physique postopératoire, demanda à être autorisé à travailler en tant que chauffeur. C. La contestation de l’exécution de la peine de prison Le 18 mai 2007, le requérant saisit les tribunaux roumains d’une demande de libération conditionnelle. Il faisait valoir que si l’on tenait compte de la détention subie en Italie en vue de son extradition, il avait déjà exécuté la fraction de la peine nécessaire afin de bénéficier de la libération conditionnelle en vertu des dispositions du code pénal roumain. Après l’extradition du requérant vers la Roumanie, son action fut requalifiée en contestation de l’exécution de la peine. Le requérant produisit au dossier un certificat délivré par la cour d’appel de Venise le 8 février 2008, attestant de la durée de sa détention en Italie et du fait que l’assignation à domicile, malgré le fait qu’elle était assortie d’une autorisation de sortie pour travailler, était assimilée, selon les dispositions du code de procédure pénale (« CPP ») italien, à la détention provisoire et devait être déduite d’une peine de prison. Par un jugement du 22 février 2008, le tribunal de première instance de Galaţi fit droit à la demande du requérant et déduisit la période de détention, subie en Italie du 18 mai 2006 au 2 décembre 2007, de sa peine de prison. S’agissant de l’assignation à domicile, le tribunal releva que cette période devait être déduite de la peine de prison, bien que la législation roumaine ne prévoie pas cette mesure privative de liberté, et cela pour plusieurs raisons. En premier lieu, le tribunal nota que l’article 18 § 1 de la loi no 302/2004 relative à la coopération judiciaire internationale en matière pénale (« loi no 302/2004 »), prévoyait que la détention subie à l’étranger résultant de l’exécution d’une demande formée par les autorités roumaines était prise en compte dans le cadre de la procédure pénale roumaine et déduite de la condamnation infligée par les autorités roumaines. Or, cette loi ne faisait aucune distinction en fonction de la modalité de l’exécution de la détention. En deuxième lieu, l’assignation à domicile, malgré le fait qu’elle était assortie d’une autorisation de sortie pour travailler, était assimilée, selon les dispositions du CPP italien, à la détention provisoire. En troisième lieu, le refus de déduire cette période de la peine prononcée par un tribunal roumain constituerait un traitement discriminatoire puisqu’une personne qui se serait vu accorder le bénéfice de l’exécution de la peine en Italie profiterait des dispositions de la loi pénale italienne, exécutant seulement la différence de la peine, alors qu’une personne extradée en vue de l’exécution d’une peine de prison en Roumanie se verrait refuser ce bénéfice. Ensuite, le tribunal souligna que, dans un contexte européen, la décision-cadre du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (« décision-cadre relative au mandat européen »), prévoyait dans son article 26, l’obligation de déduire de la durée totale de privation de liberté à purger, toute période de détention résultant de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, par suite de la condamnation à une peine ou mesure de sûreté privatives de liberté, sans faire de distinction en fonction de la modalité de l’exécution de la détention. Enfin, le tribunal estima que la Haute Cour de cassation et de justice avait à tort assimilé, dans un arrêt no 4990 du 4 septembre 2006 (paragraphe 30 ci-dessous), ce type de détention aux mesures de sûreté restrictives mais non privatives de liberté prévues par la législation pénale roumaine, à savoir l’interdiction de ne pas quitter une localité et l’interdiction de ne pas quitter le pays. Le parquet se pourvut en cassation contre ce jugement. Par un arrêt du 16 avril 2008, le tribunal départemental de Galaţi accueillit le recours du parquet et déduisit de la peine de prison infligée au requérant seulement la période de détention provisoire du 18 mai au 1er juin 2006. Pour décider ainsi, le tribunal estima que l’assignation à domicile ne constituait pas une mesure privative de liberté et nota que les articles 88 et 89 du code pénal roumain permettaient uniquement la déduction de la durée des mesures privatives de liberté régies par la législation roumaine, à savoir la garde à vue et la détention provisoire dans un centre de détention (paragraphe 28 ci-dessous). D. Action en suspension de l’exécution de la peine de prison En 2008, à une date non précisée, le requérant demanda la suspension de l’exécution de la peine de prison en invoquant un mauvais état de santé. Toutefois, le 8 mai 2008, le requérant renonça à sa demande. La procédure fut clôturée pour ce motif par une décision du tribunal de première instance de Galaţi du même jour. E. Mise en liberté Le requérant fut remis en liberté conditionnelle le 30 décembre 2008. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le code pénal roumain Les dispositions pertinentes étaient ainsi libellées à l’époque des faits : Article 88 § 1 La déduction de la garde à vue et de la détention provisoire « La durée de la garde à vue et de la détention provisoire sont déduites de la peine de prison prononcée (...) » Article 89 La déduction de la privation de liberté exécutée à l’étranger « (...) la durée de la peine ainsi que celle de la garde à vue et de la détention provisoire exécutées à l’étranger sont déduites de la peine de prison prononcée par les tribunaux roumains pour le même délit. » B. La loi no 302/2004 relative à la coopération judiciaire internationale en matière pénale Les dispositions pertinentes de cette loi étaient ainsi libellées à l’époque des faits : Article 18 § 1 « La durée de la détention (arestului) subie à l’étranger résultant de l’exécution d’une demande formée par les autorités roumaines sur le fondement de la présente loi est prise en compte dans le cadre de la procédure pénale roumaine et déduite de la peine appliquée par les tribunaux roumains. » C. La jurisprudence de la Haute Cour de cassation et de justice Dans son arrêt no 4990 du 4 septembre 2006, la Haute Cour jugea que la mesure imposée par les autorités italiennes, consistant en l’obligation de l’intéressé d’établir sa résidence dans une certaine localité, assortie de l’interdiction de quitter sa résidence dans le créneau horaire 22 h 30 -7 h 00, correspondait aux mesures de sûreté d’interdiction de quitter la localité ou le pays, prévues par le CPP roumain. Or, ces mesures constituent des limitations à la liberté de circulation et ne s’analysent donc pas en privation de liberté. En conséquence, seules les mesures prévues par l’article 88 du code pénal, à savoir la garde à vue et la détention provisoire peuvent être déduites d’une peine de prison. Par ailleurs, la Haute Cour considéra que l’interdiction de quitter sa résidence pendant un certain créneau horaire ne saurait être assimilée à la détention puisque l’intéressé demeure dans son milieu familial, alors que la détention provisoire tend à la rupture des relations sociales afin de prévenir des activités susceptibles d’entraver le bon déroulement d’une enquête. Par sa décision no 22 du 12 octobre 2009, la Haute Cour trancha un recours dans l’intérêt de la loi formé par le procureur général au sujet de l’interprétation de l’article 18 de la loi no 302/2004. Le recours concluait à l’existence d’une jurisprudence divergente des tribunaux roumains quant à l’imputation sur une peine de prison de la période d’assignation à domicile exécutée à l’étranger. Si certains tribunaux avaient jugé que seules la garde à vue et la détention provisoire pouvaient être imputées sur une peine de prison, d’autres tribunaux avaient estimé, sur le fondement de l’article 5 de la Convention et de l’article 26 de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen, que la durée correspondant à une assignation à domicile devait également être déduite d’une peine de prison. La Haute Cour jugea qu’il fallait, en application de l’article 18 de la loi no 302/2004, déduire l’assignation à domicile exécutée à l’étranger, d’une peine de prison prononcée par les tribunaux roumains. Elle releva qu’en droit italien l’assignation à domicile constituait une privation de liberté et qu’elle était assimilée à la détention provisoire (article 284 du CPP italien). Par ailleurs, la Haute Cour se référa à la jurisprudence abondante de la Cour qui qualifie l’assignation à domicile de privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. En outre, elle constata que l’assignation à domicile n’était certes pas prévue par le droit roumain, mais que le projet de nouveau CPP roumain prévoyait l’introduction d’une telle mesure en tant que mesure privative de liberté. De plus, le projet de nouveau code pénal prévoyait la déduction de toute mesure privative de liberté, y compris donc l’assignation à domicile, d’une peine de prison prononcée par les tribunaux roumains (articles 218-222 du projet de nouveau CPP roumain et article 72 § 1 du projet de nouveau code pénal roumain). D. La décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres La décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres adoptée par le Conseil de l’Union européenne le 13 juin 2002 (JO L 190 du 18 juillet 2002, p. 1) prévoit ce qui suit dans ses articles 12 et 26 : Article 12 Maintien de la personne en détention « Lorsqu’une personne est arrêtée sur la base d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution décide s’il convient de la maintenir en détention conformément au droit de l’État membre d’exécution. La mise en liberté provisoire est possible à tout moment conformément au droit interne de l’État membre d’exécution, à condition que l’autorité compétente dudit État membre prenne toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de la personne recherchée. » Article 26 Déduction de la période de détention subie dans l’État membre d’exécution « 1. L’État membre d’émission déduit de la durée totale de privation de liberté qui serait à subir dans l’État membre d’émission toute période de détention résultant de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, par suite de la condamnation à une peine ou mesure de sûreté privatives de liberté. À cette fin, toutes les informations relatives à la durée de la détention de la personne recherchée au titre de l’exécution du mandat d’arrêt européen sont transmises par l’autorité judiciaire d’exécution ou par l’autorité centrale désignée en application de l’article 7 à l’autorité judiciaire d’émission au moment de la remise. » La Roumanie a transposé en droit interne la décision-cadre 2002/584/JAI relative au mandat d’arrêt européen par la loi no 302/2004 sur la coopération judiciaire internationale en matière pénale (paragraphe 29 ci-dessus). E. Les rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Le rapport du 2 avril 2004 du CPT dresse un état des lieux détaillé de la situation rencontrée dans les différents dépôts de police et établissements pénitentiaires roumains qu’il a visités du 16 au 25 septembre 2002 et du 9 au 11 février 2003, dont l’IGP et le dépôt de la police de Galaţi. À l’égard de l’IGP, le CPT nota que certaines cellules n’offraient aux détenus qu’un espace vital restreint (par exemple, trois personnes dans 10 m² ou quatre dans 14 m²) et qu’elles auraient été très surchargées si elles avaient été occupées au maximum de leur capacité officielle ; il releva, en outre, que les groupes sanitaires dans les cellules étaient insuffisamment cloisonnés. Au dépôt de police de Galaţi, le CPT releva que les cellules ne bénéficiaient que de très peu ou pas du tout de lumière du jour, que l’éclairage artificiel était médiocre et que l’aération était manifestement insuffisante ; il releva que le taux d’occupation des cellules était parfois extrêmement élevé. À titre d’exemple, le CPT nota que des cellules qui mesuraient entre 5 et 6 m² étaient utilisées pour accueillir 3, 4 voire 5 personnes et que des cellules de 10 à 13 m² accueillaient jusqu’à 10 personnes, de nombreux détenus étant obligés de partager un lit ; les cellules étaient équipées de WC qui n’étaient pas cloisonnés. Le CPT attira l’attention des autorités roumaines sur le fait que la réglementation en vigueur au niveau national, qui n’imposait qu’un minimum de 6 m3 d’espace de vie par détenu (soit environ 2 m² d’espace de vie pour chacun), était insuffisante. Dans son rapport publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT se félicita de ce que, peu après sa visite, la norme officielle d’espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommandait aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d’espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. Dans son dernier rapport publié le 24 novembre 2011, à la suite de sa visite du 5 au 16 septembre 2010 dans plusieurs établissements pénitentiaires roumains, le CPT conclut que le taux de surpeuplement de ces établissements reste un problème majeur en Roumanie. Selon les statistiques fournies par les autorités roumaines, les 42 établissements pénitentiaires du pays, d’une capacité totale de 16 898 places, comptaient 25 543 détenus au début de l’année 2010 et 26 971 détenus en août 2010 ; le taux d’occupation était très élevé (150 % ou plus) dans la quasi-totalité de ces établissements. F. Autres rapports concernant les conditions de détention Rédigé à la suite d’une visite effectuée le 12 décembre 2005, le rapport de l’Association pour la défense de droits de l’homme – comité Helsinki (APADOR-CH) du même jour, se réfère, entre autres, au problème de surpopulation carcérale à la prison de Galaţi, qui abritait à l’époque 1 268 personnes pour un total de 2 705 m², l’espace de vie moyen d’un détenu étant de 2, 13 m², c’est-à-dire la moitié de l’espace recommandé par le CPT. Le rapport relève en outre la mauvaise qualité de l’eau potable qui était infestée de vers et le fait qu’elle était fournie dans les installations sanitaires seulement quelques heures par jour. Dans sa réponse du 28 février 2006, au rapport susmentionné, l’Administration nationale des prisons (« ANP ») s’est référée au surpeuplement des cellules de détention et à l’insuffisance des espaces de rangement destinés aux détenus. En outre, en réponse aux allégations visant la qualité de l’eau, l’ANP indiqua que l’alimentation en eau de la prison se faisait grâce à un puits et qu’il n’y avait pas de possibilité technique de réaliser le forage d’un deuxième puits. Le branchement au réseau d’eau potable de la ville ne pouvait se faire avant de trouver les ressources financières. Rédigé à la suite d’une visite récente effectuée le 22 novembre 2012, le rapport de l’APADOR-CH du même jour, se réfère, entre autres, au problème de surpopulation carcérale à la prison de Galaţi, qui abritait à l’époque 1 028 personnes pour un total de 2 184 m², l’espace de vie moyen d’un détenu étant de 2, 12 m². A la date de la visite, le forage d’un deuxième puits venait de s’achever, ce qui avait amélioré l’alimentation en eau courante de la prison. L’eau chaude était disponible deux fois par semaine pendant une heure.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1986, 1982, 1964, 1980, 1944, 1978, 1982, 1979 et 1945, et ils résident à Cizre. Il ressort du dossier de l’affaire qu’à l’époque des faits Abdurrazzak Tül était président de la section locale du DEHAP (Demokratik Halk Partisi – Parti démocratique du peuple), Özlem Güven membre de la section locale des femmes de ce parti, Sabri Dal membre de la section locale des jeunes, et que les autres requérants étaient membres de la direction de la section locale. A. Le déroulement de la manifestation Le 14 février 2005, la direction de la sûreté de Cizre informa le sous-préfet de Cizre qu’elle avait reçu des renseignements selon lesquels, le 15 février, à l’occasion de la date anniversaire de l’arrestation du chef de l’organisation terroriste PKK, Abdullah Öcalan, des manifestations illégales allaient se dérouler à Cizre. Elle indiqua que, par le passé, à l’occasion de telles manifestations ou de déclarations à la presse ayant eu lieu dans des lieux fermés ou en plein air, des provocateurs avaient mené des actions en faveur de l’organisation terroriste ou de son chef. Considérant que de telles actions pouvaient se reproduire et s’appuyant sur la circulaire du ministère de l’Intérieur du 11 juin 2004, la direction de la sûreté demanda au sous-préfet d’autoriser les forces de sécurité à identifier les auteurs de tels actes en utilisant des appareils photo et des caméscopes les 14, 15 et 16 février 2005. Par une décision du 14 février 2005, à la demande du sous-préfet et sur la base des informations communiquées par la direction de la sûreté le 14 février 2005, le tribunal correctionnel de Cizre autorisa, les 14, 15 et 16 février 2005, la perquisition des véhicules privés ou publics à l’entrée et à la sortie de la ville, sur les voies publiques et dans les lieux ouverts au public ainsi que la fouille des personnes. Le 14 février 2005, à la demande du sous-préfet et sur le fondement de l’article 19 de la loi no 2911, la municipalité de Cizre annonça par haut-parleurs que les événements et manifestations dont la tenue était prévue entre le 14 et le 20 février 2005 étaient ajournés. Le procès-verbal établi par la police le 15 février 2005 à 11 heures indique que les requérants, membres du DEHAP et un groupe de deux cents personnes environ s’étaient réunis devant la section locale du DTP (Demokratik Toplum Partisi – Parti pour une société démocratique, mouvement pro-kurde de gauche) en vue de défiler vers la section locale de l’« AKP » (Parti de la justice et du développement, au pouvoir à l’époque des faits) pour y faire une déclaration à la presse et à l’opinion publique intitulée « Non à la guerre » (Savaşa geçit vermeyeceğiz). Le même jour à 12 heures, la police établit un procès-verbal indiquant qu’elle avait averti le groupe de manifestants que toute manifestation avait été ajournée par décret préfectoral entre le 14 et le 20 février 2005 dans la ville de Cizre. Toujours le 15 février 2005 à 12 heures, Seyfeddin Didmin lut devant la section locale de l’« AKP » de Cizre la déclaration suivante : « Il y six ans maintenant, le 15 février 1999, le dirigeant du peuple kurde sayın [l’estimé] Abdullah Öcalan a été enlevé à la suite d’un complot international digne de pirates (korsanvari) et a été remis à la Turquie. Au cours des affrontements qui durent depuis quinze ans dans notre région, des milliers de personnes ont perdu la vie et des milliers ont disparu, des dizaines de milliers de villages ont été évacués, des centaines de personnes ont dû quitter leurs lieux de résidence et leurs foyers. Le complot est intervenu, fait notable, à un moment où tous ces affrontements allaient trouver une fin, alors que le problème kurde allait trouver une solution pacifique à la suite de la déclaration d’un cessez-le-feu unilatéral qui allait constituer un terrain et une occasion propices à cet effet. Ceux qui avaient fondé leurs vies sur le sang et les larmes, les Etats-Unis en tête et certaines autres puissances qui avaient placé leurs intérêts dans l’affrontement kurde-turque qui devait durer des années, se sont trompés. Sayın Öcalan avait vu tous les pièges qui avaient été tendus aux peuples kurde et turc, et sa vision pacifique fondée sur la fraternité des peuples kurde et turc avait été vidée de tout son sens. Il est détenu à İmralı dans une cellule individuelle dans des conditions d’isolement qui n’ont pas leurs pareilles dans le monde ; malgré l’oppression, la violence et le déni subis par les Kurdes depuis six ans, il est connu qu’Öcalan fait des concessions extraordinaires pour maintenir un climat de paix et trouver une solution démocratique et pacifique au problème kurde. Or le gouvernement AKP qui ne veut pas voir les efforts déployés pour une résolution pacifique du problème kurde a développé une politique de déni. En riposte aux sacrifices des kurdes, le gouvernement AKP a fait tirer 13 balles sur Uğur, qui était âgé de 12 ans. A Şemdinli, le berger Feyzi Can, âgé de 19 ans, a été tué. A Şırnak, cinq jeunes non armés ont été massacrés. Le gouvernement ne s’est pas contenté de cela ; il a également confisqué les dépouilles de ces jeunes. Il a monopolisé tous ses efforts à l’occasion du tsunami qui a eu lieu en Asie du sud ; en revanche, à Hakkari, il a considéré la demande d’aide de ses citoyens se trouvant sur son propre territoire comme une manifestation illégale et les a placés en détention. Les attaques [contre le peuple kurde] ont augmenté ces derniers temps. Les meurtres et les exécutions extrajudiciaires ont recommencé. En tant que représentants de la section locale du DEHAP d’İdil, nous condamnons pour la sixième année le complot international mené contre le dirigeant du peuple kurde, sayın Abdullah Öcalan, et nous en appelons à tous pour éviter la reprise des affrontements. » Toujours le même jour, à 15 heures, la police établit un procès-verbal indiquant que des affiches du PKK et des photographies du chef du PKK avaient été saisies sur les lieux – le parc de la République (« Cumhuriyet ») – où la déclaration à la presse avait été faite. Le 15 février 2005, à 22 heures, la police établit un rapport relatant ce rassemblement. Il y était précisé que, d’après les informations recueillies, le 15 février 2005, à l’occasion de la date anniversaire de l’arrestation d’Abdullah Öcalan, chef de l’organisation terroriste PKK, des manifestations illégales allaient se dérouler. En vue du maintien de l’ordre public et de la prévention de tout crime, toute manifestation prévue entre le 14 et le 20 février 2005 dans la ville de Cizre avait été ajournée par un décret préfectoral pris en application de l’article 17 de la loi no 2911. En vertu de ce décret, le 15 février 2005, des mesures de sécurité avaient été prises à partir de 8 heures dans toute la ville et notamment aux environs du bâtiment de la section locale du DEHAP de Cizre. Le rapport indiquait en outre que vers 11 heures le groupe de manifestants avait voulu défiler jusque devant l’immeuble de l’AKP pour y faire une déclaration. La police avait informé les manifestants du décret préfectoral ajournant toute manifestation dans la ville de Cizre. Bien que le groupe de manifestants eût été sommé à trois reprises de se disperser, Seyfeddin Didmin avait lu la déclaration intitulée « Non à la guerre ». Vers 11 h 30, le groupe de manifestants avait été empêché de défiler jusque devant le bâtiment de l’AKP et il avait été sommé de se disperser. Certains manifestants avaient scandé des slogans illégaux puis s’étaient dispersés par petits groupes sans que la force eût été utilisée à leur encontre. Vers 12 heures, un groupe d’une dizaine de manifestants avait incendié un pneu sur la route d’İdil en scandant des slogans illégaux et en perturbant le trafic. Les pompiers avaient été envoyés sur place avec l’aide d’un véhicule blindé, mais on les avait empêchés d’éteindre le feu. Le groupe de manifestants avait jeté des pierres sur les policiers venus en renfort. Le policier M.S.T. avait été blessé à la tête et le policier M.R.E. aux pieds ; tous deux avaient été transférés à l’hôpital pour y être soignés. Des véhicules de particuliers et des magasins avaient été endommagés par les jets de pierre. Les manifestants ayant pris la fuite, aucun n’avait pu être arrêté. Toujours le 15 février 2005, l’enregistrement vidéo fut retranscrit par la police. Les passages pertinents en l’espèce de cette retranscription se lisent comme suit : « Ali Güven et Hüseyin Afşar marchaient avec le groupe de manifestants. La foule scandait les slogans « Biji Serok Apo » [vive le président Apo (Öcalan)], « Öcalan Öcalan », « Öcalan’sız dünyayı başınıza yıkarız » [Nous briserons sur votre tête le monde sans Öcalan], « AKP şaşırma bizi dağa taşırma » [AKP, ne t’égares pas, ne nous fais pas partir dans les montagnes], « Katil Erdoğan » [Erdoğan criminel]. Des fanions de l’organisation terroriste PKK étaient brandis. Ravşan Gün et Behice Tanrıverdi brandissaient une affiche sur laquelle était inscrit : « Kahrolsun 15 Şubat komplosu, Gençlik inisiyatifi » [A bas le complot du 15 février. Initiative de la jeunesse]. Sur une autre affiche on pouvait lire : «Öcalan’a Özgürlük – Kahrolsun 15 Şubat komplosu » [Liberté à Öcalan – A bas le complot du 15 février]. Puis Seyfeddin Didmin a commencé à lire la déclaration au moyen d’un mégaphone. La foule a scandé les slogans « Baskılar bizi yıldıramaz – Selam Selam İmralı’ya bin selam – Öcalan’sız dünyayı başınıza yıkarız » [L’oppression ne nous découragera pas – Salut, salut, mille saluts à İmralı – Nous briserons sur votre tête le monde sans Öcalan]. » Le procès-verbal établi par la police le 16 février 2005 à 10 h 30 indique que le blindé de la police avait été endommagé au cours de la manifestation tenue le 15 février 2005. D’après le procès-verbal établi par la police le 15 février 2005 à 23 h 30, un autre véhicule de la police avait été endommagé par des jets de pierres des manifestants. B. L’audition des policiers blessés au cours de la manifestation Le policier C.B. fut entendu le 15 février 2005 à 21 h 45. Il indiqua avoir été blessé à la jambe par des jets de pierres provenant des manifestants qui se trouvaient sur la route d’İdil. Il déclara porter plainte contre les organisateurs de cette manifestation, à savoir les dirigeants de la section locale du DEHAP de Cizre. D’après un certificat médical, le policier se vit prescrire une incapacité de travail de sept jours. Le policier S.T. fut entendu le 16 février 2005 à 16 heures. Il indiqua avoir été blessé à l’arcade sourcilière droite par un jet de pierres provenant des manifestants qui se trouvaient sur la route d’İdil. Il déclara porter plainte contre les organisateurs de cette manifestation, à savoir les dirigeants de la section locale du DEHAP de Cizre. Il avait été emmené à l’hôpital où le médecin lui avait fait cinq points de suture. D’après le certificat médical établi à cette occasion, il se vit prescrire une incapacité de travail de dix jours. Le policier R.A. fut entendu le 16 février 2005 à 10 h 45. Il déclara qu’il faisait partie des forces de police appelées en renfort le jour de l’incident. Il avait été blessé à la main droite par un jet de pierres provenant du groupe de manifestants qui avait brûlé le pneu. Il avait été emmené à l’hôpital de Cizre pour y être soigné. On lui avait prescrit une incapacité de travail de sept jours. Il déclara porter plainte contre les organisateurs de cette manifestation, à savoir les dirigeants de la section locale du DEHAP de Cizre. C. L’action pénale engagée contre les requérants L’arrestation et l’audition des requérants Le 11 mars 2005 à 11 heures, Abdurrazzak Tül, Ali Güven, Hüseyin Afşar, Ravşan Gün et Özlem Güven furent placés en garde à vue. Le 12 mars 2005, Sabri Dal fut entendu par la police. Il indiqua qu’il était membre de la section locale des jeunes du DEHAP de Cizre et que le 15 février 2005 il avait vu un rassemblement et y avait participé. Il avait entendu scander les slogans et vu les pancartes. Le 25 mars 2005 à 10 heures, Seyfeddin Didmin fut placé en garde à vue. Le 26 mars 2005, il fut entendu par le procureur de la République de Cizre. Il déclara avoir vu un rassemblement de personnes alors qu’il se promenait en ville et y avoir participé. Un participant était en train de lire une déclaration à la presse, puis il lui avait donné le texte en lui demandant de lire la suite. Il affirma que la déclaration ne faisait pas l’apologie du chef de l’organisation terroriste. Il n’avait pas entendu que les personnes rassemblées avaient été sommées de se disperser. Il n’avait pas participé à l’incendie du pneu et il n’avait pas non plus jeté de pierres à la police. Le 4 avril 2005, le procureur de la République entendit Ravşan Gün. Elle déclara qu’elle avait vu un rassemblement près du parc Cumhuriyet et s’y était jointe sans savoir pour quelle raison cet attroupement s’était formé. Elle n’avait pas entendu la sommation de la police aux fins de la dispersion de la manifestation. Elle ne savait pas si une autorisation avait été demandée aux fins de ce rassemblement. Elle n’avait pas scandé de slogans ni brandi de drapeaux, de pancartes ou de photographies. Toujours le 4 avril 2005, le procureur de la République entendit Özlem Güven. L’intéressée déclara qu’elle était membre de la section locale des femmes du DEHAP. Le jour de l’incident litigieux, elle s’était rendue avec Ravşan Gün à la section locale du DEHAP de Cizre. Elle avait vu un rassemblement spontané de personnes et s’y était jointe sans savoir pour quelle raison il y avait un tel rassemblement. Elle n’avait pas entendu de sommation aux fins de la dispersion de la foule. Elle ne savait pas si ce rassemblement avait été autorisé. Elle n’avait pas scandé de slogans ni brandi de drapeaux, de pancartes ou de photographies. Le 5 avril 2005, le procureur de la République de Cizre entendit Behice Tanrıverdi. Celui-ci déclara qu’il avait participé à la manifestation mais il ne savait pas qui l’avait organisée. Toujours le 5 avril 2005, le procureur de la République entendit Hüseyin Afşar, qui déclara qu’il avait participé à la manifestation mais qu’il ne savait pas qui en étaient les organisateurs. Il n’avait pas entendu que la police avait sommé les manifestants de se disperser. La procédure pénale engagée contre les requérants Par un acte d’accusation du 3 mai 2005, le procureur de la République de Cizre intenta une action pénale contre les requérants sur le fondement de l’article 28 § 1 de la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations et du décret préfectoral du 14 février 2005 ajournant toute manifestation prévue entre le 14 et le 20 février 2005. Dans leurs mémoires en défense, les requérants plaidèrent qu’ils n’étaient pas les organisateurs de la manifestation litigieuse mais qu’ils avaient uniquement participé à cette manifestation, organisée spontanément. Ils ne savaient donc pas si une autorisation avait été demandée aux autorités compétentes. Par un jugement du 10 juin 2005, se fondant sur l’article 28 § 1 de la loi no 2911, le tribunal correctionnel de Cizre condamna chacun des requérants à un an et six mois d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de 489 livres turques. Tenant compte de l’attitude des requérants à l’audience, de leur passé et de leur tendance à commission de l’infraction reprochée, le tribunal estima qu’il n’y avait pas lieu de faire bénéficier les intéressés d’une réduction de peine. Dans ses attendus, le tribunal précisa qu’il ressortait notamment ce qui suit des éléments de preuve figurant dans le dossier : « A l’occasion de la date anniversaire de l’arrestation du chef de l’organisation terroriste illégale PKK (Kadek-Kongra-gel), les accusés Seyfeddin Didmin, Behice Tanriverdi, Özlem Güven, Ravşan Gün, Ali Güven, Abdurrazzak Tül, Hüseyin Afşar, Bahaeddin Yağarcık et Sabri Dal ont dirigé un groupe de 200 personnes environ à Cizre vers le parc Cumhuriyet, situé près du nouveau quartier des quatre routes, bien que l’arrêté du sous-préfet [de Cizre] du 14 février 2005 (numéro 349) ajournant pour une durée d’une semaine toutes manifestations et réunions prévues entre le 14 et le 20 février 2005 dans la sous-préfecture ait été lu aux accusés et au groupe [de personnes] qu’ils avaient réunis, et bien qu’ils aient été sommés [de se disperser], les intéressés n’avaient pas dispersé le groupe ainsi rassemblé et, en continuant à mener ce groupe, ils ont commis l’infraction qui leur est reprochée (...) » Par un arrêt du 27 novembre 2006, la Cour de cassation confirma le jugement du 10 juin 2005 et ramena l’amende à 450 livres turques. Le 19 janvier 2007, les requérants commencèrent à purger leur peine. D. Autres documents produits par le Gouvernement Le Gouvernement a en particulier soumis les éléments suivants : – des statistiques concernant les périodes du 10 au 17 décembre, du 10 au 17 janvier et du 10 au 17 février pour les années 2004 à 2011. Il ressort de la comparaison de ces différentes périodes de référence que pour la période du 10 au 17 février de chaque année concernée les actions menées sont plus intenses en ce qui concerne, notamment, le nombre de manifestations, de participants, de jets de pierres, d’explosions, d’incendies, de jets de cocktails « Molotov » et de réunions illégales. Le nombre d’actions relevées varie d’une année à l’autre ; – une note d’information résumant ces événements ; – des statistiques concernant les mêmes années de référence et indiquant, entre autres, le nombre de personnes placées en garde à vue, le nombre de personnes blessées (membres et non-membres des forces de l’ordre) et le nombre de manifestations où la police est intervenue. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution L’article 25 de la Constitution est ainsi libellé : « Toute personne a droit à la liberté de pensée et d’opinion. Nul ne peut être contraint de divulguer ses pensées et opinions ni être blâmé ou inculpé pour quelque motif que ce soit du fait de ses pensées et opinions. » L’article 26 du même texte se lit ainsi: « Chacun est libre d’exprimer et de divulguer, individuellement ou collectivement, sa pensée et ses convictions par la parole, l’écrit, l’image ou d’autres moyens. Cette liberté comprend celle de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence des autorités publiques. Les dispositions du présent alinéa n’empêchent pas de soumettre la radiodiffusion, le cinéma, la télévision ou les médias analogues à un régime d’autorisation. L’exercice de ces libertés peut être restreint dans le but de prévenir ou réprimer les infractions, d’empêcher la divulgation de renseignements légalement protégés par le secret d’Etat, de protéger la réputation, les droits, la vie privée et familiale d’autrui ou ses secrets professionnels protégés par la loi ou de permettre au pouvoir judiciaire de mener à bien sa tâche. (...) Les dispositions légales qui régissent l’utilisation des moyens de diffusion des informations et des idées ne peuvent être considérées comme restrictives des libertés d’expression et de diffusion de la pensée aussi longtemps qu’elles ne font pas obstacle à cette diffusion. » B. La loi no 2991 relative aux réunions et manifestations L’article 3 de la loi relative aux réunions et manifestations précise que toute personne peut, sans autorisation préalable, organiser une réunion ou une manifestation où aucun recours ne sera fait aux armes ou à la violence (...). L’article 6 énonce que le préfet ou le sous-préfet sont compétents pour réglementer le lieu et l’itinéraire que doivent emprunter les participants à une réunion ou manifestation. L’article 10 dispose que le préfet ou le sous-préfet doivent être informés du déroulement d’une manifestation au moins quarante-huit heures avant celle-ci. Le préavis doit indiquer, en particulier, le but, le lieu, le jour ainsi que l’heure de début et de fin de la manifestation. L’article 17 (concernant l’ajournement ou l’interdiction de la tenue de réunions dans certaines situations, modifié le 26 mars 2002) dispose que le préfet de région, le préfet ou le sous-préfet peuvent ajourner une réunion pour une durée ne pouvant dépasser un mois pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public, de prévention des infractions, pour la santé ou la morale publiques et pour protéger la liberté et le droit d’autrui, ou peuvent interdire une réunion lorsqu’il y a un danger clair et imminent (açık ve yakın tehlike mevcut olması hâlinde). L’article 19 (concernant l’ajournement ou l’interdiction de réunions dans les villes et sous-préfectures, modifié le 26 mars 2002 et le 30 juillet 2003) confère aux préfets de région le pouvoir d’ajourner, pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public, de prévention des infractions, pour la santé ou la morale publiques et pour protéger la liberté et le droit d’autrui, une réunion pour une durée ne pouvant dépasser un mois dans une ou plusieurs villes de sa région ou bien dans une ou plusieurs sous-préfectures de sa région. Pour les mêmes motifs, les préfets peuvent interdire pour une durée ne pouvant dépasser un mois toutes les manifestations dans une ou plusieurs villes ou sous-préfectures lorsqu’il existe un danger clair et imminent qu’une infraction sera commise. La décision d’interdiction doit être motivée et un résumé doit être publié par les voies habituelles dans les lieux concernés. Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur doit en être informé. L’article 22 précise qu’il est interdit de manifester sur les routes et autoroutes, dans les parcs publics, devant les édifices religieux, devant les bâtiments et les infrastructures affectés à un service public ainsi que devant leurs dépendances. Il est également interdit de manifester à une distance de moins d’un kilomètre de la Grande Assemblée nationale de Turquie. Les manifestants doivent se conformer aux mesures prises par le préfet ou le sous-préfet pour assurer le bon déroulement de la circulation des personnes et des véhicules de transport. L’article 28 § 1 (concernant les actions contraires à une interdiction, modifié le 23 janvier 2008) dispose que les organisateurs ou les dirigeants de manifestations ou de réunions organisées en violation de la loi ou ceux qui y participent seront punis d’une peine d’emprisonnement pouvant aller d’un an et six mois à trois ans, sous réserve que leurs actes ne soient pas constitutifs d’une autre infraction.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’Espèce La requérante est née en 1976 et réside à Panevėžys. Elle affirme qu’entre le 3 janvier et le 4 février 2001 son compagnon, J.H.L., un ressortissant belge, l’a battue à cinq reprises. Elle allègue avoir été étranglée, tirée par les cheveux, frappée au visage et avoir reçu des coups de pied dans le dos et dans d’autres parties du corps. Les expertises médicolégales suivantes ont relevé comme suit les blessures de la requérante : i) rapport du 5 janvier 2001 relatif à des blessures survenues les 3 et 4 janvier : ecchymoses sous-cutanées à la hanche et à la cuisse gauches ; ii) rapport du 8 janvier concernant des lésions subies le 7 janvier : une éraflure sur la joue droite et le bras droit ; iii) rapport du 30 janvier relatif à des blessures survenues le 29 janvier : ecchymoses à l’œil droit et à la joue droite, ainsi que sur la tempe gauche et le tibia ; éraflure sur le tibia gauche ; iv) rapport du 7 février concernant des lésions subies le 4 février : ecchymoses sous-cutanées au visage. Les experts ont conclu chaque fois que les lésions corporelles subies étaient légères et qu’elles n’avaient pas engendré de problèmes de santé à court terme (lengvi kūno sužalojimai, nesukėlę trumpalaikio sveikatos sutrikimo). A. Enquête préliminaire sur les lésions alléguées Le 14 février 2001, la requérante demanda au tribunal de district de Panevėžys l’autorisation d’ouvrir une procédure de poursuite privée. Soutenant que J.H.L. l’avait battue à cinq reprises, elle fit la déclaration circonstanciée suivante : « Je vis avec J.H.L depuis 1996. Récemment, il a commencé à me harceler et à me battre. Le 3 janvier 2001, vers 20 heures, je suis rentrée à la maison et j’ai trouvé J.H.L. ivre ; il était en train d’enlever des carreaux du sol. Je me suis plainte de son comportement et il a commencé à tirer mes habits. Je me suis accroupie et il m’a alors donné des coups de pied dans les côtes et dans les fesses. Il a aussi essayé de m’étrangler et de tirer mes cheveux. Une fois qu’il s’était calmé, je suis allée dans une autre pièce. Le lendemain matin, le 4 janvier 2001, vers 9 heures, J.H.L m’a dit que, si je ne voulais plus vivre avec lui et si je ne me comportais pas comme il le souhaitait, il viderait tout l’appartement et me ferait payer pour ce que j’avais fait. Il s’est énervé lorsque je lui ai proposé de discuter pour mettre les choses au clair et il a recommencé à me donner des coups de pied et à me frapper. Il m’a donné plusieurs coups dans différentes parties du corps. Il est ensuite parti et je suis allée à l’appartement de mon amie G.V. Elle a vu que j’avais été battue et je lui ai raconté tout ce qui s’était passé. Le 7 janvier 2001, vers 17 h 30, je suis rentrée à la maison et j’ai encore trouvé J.H.L. ivre. Il a commencé à me reprocher de vouloir faire examiner mes blessures par un expert médical et m’a dit qu’il voulait que je parte. Puis il a appelé la police. Par la suite, après que les policiers avaient quitté l’appartement sans faire quoi que ce soit (ils m’ont demandé de venir au commissariat le jour suivant), J.H.L. s’est emporté, m’a poussée hors de l’appartement, dans la cage d’escalier, et m’a frappée au visage. Alertés par le bruit, B. et J., des voisins des appartements nos 51 et 52, sont sortis de chez eux et sont venus sur le palier, et ils ont vu ce qui se passait. Le 29 janvier 2001, vers 18 h 30, je suis rentrée de l’école et J.H.L. s’est énervé parce que notre relation était en train de se briser (à ce moment-là, je ne vivais plus dans l’appartement, car j’essayais d’éviter toute confrontation). Il a commencé à me frapper à nouveau : il m’a donné des coups de pieds dans le visage, au niveau de la taille et dans d’autres parties du corps ; il m’a aussi frappée à la tête. Lorsqu’il s’est finalement arrêté de me battre, je suis allée à l’appartement de mon amie J.V. Elle habite dans le même immeuble, dans l’appartement no 34. Le 4 février 2001, vers 20 heures, alors que j’étais chez moi, J.H.L., qui était ivre, s’est emporté parce que je lui avais dit de ne pas gaspiller l’électricité (je paie pour l’électricité, puisque l’appartement et le contrat avec le fournisseur d’électricité sont à mon nom), puis il m’a frappée au visage. Ensuite, il a bloqué la porte pour m’empêcher de partir. J’avais tellement peur d’être encore plus battue que j’ai dû m’enfuir de l’appartement par la fenêtre. Ce que j’ai fait a dû être vu (ou au moins entendu) par une femme inconnue qui rendait visite à J.H.L. Après m’être enfuie de l’appartement, j’ai couru jusque chez mon voisin R., à l’appartement no 48, d’où j’ai appelé la police. Ma voisine de l’appartement no 47 a vu que j’avais été battue. Je ne connais pas son nom de famille. J’ai demandé des soins à des médecins légistes pour mes blessures. Ils les ont qualifiées de lésions corporelles légères. » Devant le tribunal interne, la requérante alléguait que les actes de violence commis à plusieurs reprises contre elle étaient constitutifs de l’infraction de coups et blessures légers, visée à l’article 116 § 3 du code pénal en vigueur à l’époque des faits (« l’ancien code pénal »). Elle demanda au tribunal d’ouvrir une procédure pénale contre J.H.L. et d’inculper et de sanctionner ce dernier sur le fondement de la disposition précitée. À l’appui de sa demande, elle fournit une liste comportant les noms et adresses de cinq voisins qu’elle souhaitait appeler comme témoins. De plus, la requérante présenta au tribunal une demande tendant à l’obtention, de la part de la police de Panevėžys, d’éléments de preuve relatifs aux actes de violence subis par elle. Enfin, elle produisit des rapports médicaux décrivant ses blessures. En mai 2001, la police de Panevėžys indiqua à la requérante ce qui suit : « en réponse à votre plainte du 9 mars 2001, nous vous suggérons, en ce qui concerne votre mésentente personnelle avec J.H.L., d’engager une procédure de poursuite privée devant le tribunal de district de Panevėžys ». Lorsque, le 8 mai 2001, elle fut interrogée au sujet de ses disputes avec J.H.L., la requérante informa l’enquêteur qu’elle avait vécu avec lui pendant trois ans en Belgique, de 1996 à 1999. En 2000, elle serait retournée en Lituanie, où J.H.L. lui aurait rendu visite. La même année, elle lui aurait vendu une demi-part de son appartement sis au 22-46, rue Statybininkų à Panevėžys. Au début de l’année 2001, la requérante n’aurait plus souhaité maintenir sa relation avec J.H.L., qui aurait alors commencé à l’insulter ainsi qu’à la menacer de « lui arranger le portrait » et de la blesser. Les menaces auraient continué à un rythme régulier. La requérante admit devant le tribunal interne qu’elle n’avait pas informé la police de ces menaces, mais elle expliqua que c’était parce qu’elle pensait que les policiers lui auraient dit d’engager une action civile contre J.H.L. Elle indiqua aussi clairement qu’elle avait pris les menaces au sérieux. Le 21 janvier 2002, un juge du tribunal de district de Panevėžys transmit la plainte de la requérante au procureur de la même ville et lui ordonna de lancer sa propre enquête préliminaire afin de ne pas retarder l’examen de l’affaire. Pour justifier sa demande de déclenchement d’une action publique, le juge fit observer qu’à plusieurs reprises J.H.L. ne s’était pas présenté au tribunal. Dans sa réponse aux observations du Gouvernement sur la recevabilité et le fond de l’affaire, la requérante a fourni à la Cour une copie d’un courriel daté du 12 juin 2001 (en néerlandais), qui avait été envoyé par un certain Y.L., apparemment le fils de J.H.L., à ce qui semble être l’adresse électronique de la requérante. Le courriel se lit comme suit : « (...) Je viendrai te chercher et on verra alors ce qui va se passer. Je peux te dire une chose : tu peux oublier ta vie et celle de ton [petit] ami. Ça, je peux te le promettre. Tu peux déjà te commander un fauteuil roulant. Mes amis et moi on va t’attraper et tu vas voir ce que sont de vrais voyous, des comme tu n’en as jamais vus en Lituanie. Mon père a tout fait pour toi et maintenant regarde-toi. Tu crois qu’on va en rester là ? Tu n’es qu’une sale putain ». Le 1er février 2002, l’agent en charge de l’enquête préliminaire décida de faire porter celle-ci sur J.H.L. pour coups et blessures légers commis systématiquement sur la requérante (article 116 § 3 de l’ancien code pénal). Selon un rapport du 11 décembre 2002 rendu par D.D., enquêteur de police, des policiers avaient été appelés deux fois à l’appartement de la requérante et de J.H.L., le 7 janvier et le 4 février 2001. La requérante aurait dit à la police que J.H.L. l’avait insultée et avait essayé de la chasser de l’appartement. Les deux fois, J.H.L. aurait reçu des avertissements de la police. Selon l’enquêteur, à aucune de ces occasions la requérante n’aurait parlé de ses blessures à la police. Le 15 janvier 2001, elle aurait écrit à la police que J.H.L. l’avait injuriée et empêchée d’entrer dans l’appartement, mais elle n’aurait pas mentionné de blessures physiques. En 2002, J.H.L. fut accusé d’avoir délibérément et systématiquement blessé la requérante et de lui avoir ainsi causé des lésions corporelles légères. L’enquête fut suspendue et rouverte plusieurs fois, du fait que J.H.L. ne s’était pas présenté à l’audience et s’était enfui. Chaque fois que l’enquête fut suspendue, la requérante forma un recours. En décembre 2002, l’enquêteur de police D.D. conclut qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments pour prouver que J.H.L. avait battu la requérante. Sur recours de la requérante, le procureur considéra que l’enquête préliminaire n’avait pas été assez approfondie et annula les conclusions de l’enquêteur. Le 21 janvier 2003, estimant qu’il n’y avait pas de preuve concluante que J.H.L. avait commis contre la requérante les infractions dont il était accusé, et considérant que tous les moyens de découvrir la vérité avaient déjà été utilisés, l’enquêteur de police D.D. décida à nouveau de mettre un terme à l’enquête préliminaire. Il observa que, pendant la période d’un mois durant laquelle les actes de violence en question étaient censés avoir été commis, la police n’avait été appelée à l’appartement que deux fois pour régler des « disputes familiales » et que, dans ses déclarations à la police, la requérante ne s’était pas plainte d’avoir été agressée physiquement par J.H.L. Il ajouta que la requérante avait seulement reproché à son compagnon d’avoir vociféré contre elle et d’avoir refusé de la laisser entrer dans l’appartement qu’ils partageaient comme copropriétaires. Il n’excluait pas que la requérante eût fait démarrer l’enquête pénale en raison de différends d’ordre financier l’opposant à son compagnon. Le 10 février 2003, un procureur confirma la décision de l’enquêteur. La requérante forma un recours contre ces deux décisions et, le 9 février 2004, un procureur de rang supérieur rouvrit la procédure au motif que « l’enquête pénale n’avait pas été [suffisamment] approfondie ». Le 17 mars 2004, le parquet de Panevėžys fit droit à la demande de la requérante tendant à ce que l’affaire fût retirée (nušalinti) à l’enquêteur D.D. pour cause de soupçons concernant son impartialité. Le procureur constata également que l’enquête pénale avait été retardée (tyrimas buvo vilkinamas). Le 10 juin 2005, le procureur déclara qu’« il avait été établi » lors de l’enquête préliminaire qu’à cinq reprises en janvier et février 2001, dans l’appartement sis au 22-46, rue Statybininkų à Panevėžys, la requérante avait été étranglée et frappée, et avait reçu des coups de pied, subissant ainsi des lésions corporelles légères. Il ajouta que « J.H.L. était soupçonné d’avoir commis les infractions en question ». Il décida toutefois de mettre fin à l’enquête préliminaire au motif que le droit applicable avait été modifié en 2003 et que des poursuites pour coups et blessures légers auraient dû être engagées par la victime à titre privé. Il considéra également qu’il n’y avait pas lieu d’entamer une action publique, l’affaire ne relevant pas selon lui du champ d’application de l’article 409 du nouveau code de procédure pénale (paragraphe 36 ci-dessous) ; autrement dit, il était d’avis que l’infraction en question ne soulevait pas une question d’« intérêt général ». Il conclut qu’il appartenait à la requérante d’agir et de demander à un tribunal l’autorisation d’engager des poursuites privées contre J.H.L. La requérante forma un recours, soutenant que, quatre ans plus tôt, elle avait déjà informé les services répressifs au sujet de ses blessures et entamé des poursuites privées. Elle indiqua que le juge avait transmis sa plainte à un procureur, qui avait lancé l’enquête préliminaire, et que l’enquête s’était poursuivie après le 1er mai 2003, date de l’entrée en vigueur du nouveau code de procédure pénale. Elle déclara que dans ces circonstances elle avait cru pouvoir s’attendre à ce que le procureur menât les poursuites. Elle ajouta qu’elle avait du mal à comprendre pourquoi celuici avait attendu deux ans pour l’informer qu’il ne poursuivrait pas J.H.L. Elle était d’avis que cette décision de classer l’affaire était contraire aux principes selon lesquels une enquête sur des infractions pénales devait être menée de manière rapide et leur auteur justement sanctionné. Elle arguait que, si le procureur pensait que l’affaire de la requérante devait suivre une procédure de poursuite privée, il aurait dû en informer la requérante immédiatement après l’entrée en vigueur de la réforme de la législation, le 1er mai 2003. Elle en déduisait qu’il était clair que la procédure pénale avait été retardée à son détriment, le coupable étant toujours impuni, sans qu’elle eût la possibilité de le faire traduire en justice. Enfin, elle soulignait que le délai de prescription applicable aux poursuites dirigées contre J.H.L. approchait (paragraphe 34 ci-dessous). Le 19 juillet 2005, le procureur général adjoint près le tribunal de district de Panevėžys rejeta le recours de la requérante. La requérante forma un autre recours devant le tribunal de district de Panevėžys, rappelant à nouveau que le délai légal de prescription applicable aux poursuites contre J.H.L. approchait et expliquant que, si elle était contrainte de reprendre la procédure pénale depuis le début, le prononcé d’une décision de justice serait retardé. Le 15 septembre 2005, le tribunal de district de Panevėžys confirma la décision du procureur et rejeta le recours de la requérante. Il jugea que l’article 409 du nouveau code de procédure pénale donnait au procureur le pouvoir de lancer une enquête préliminaire, sans l’obliger à l’exercer. De plus, il considéra que le dossier ne comportait pas d’éléments indiquant que l’affaire soulevait une question d’intérêt général ou que la victime ne pouvait pas protéger ses propres droits par la voie de poursuites privées. Le jugement du tribunal était définitif et insusceptible d’appel. B. La procédure de poursuite privée Le 28 septembre 2005, la requérante déposa devant le tribunal de district de Panevėžys une plainte décrivant les cinq épisodes de violence survenus entre le 3 janvier et le 4 février 2001 et demandant le déclenchement de poursuites privées contre J.H.L. pour coups et blessures légers. Elle ne mentionna pas d’autres exemples de mauvais traitements physiques ou psychologiques. Sur la base de rapports médicolégaux et du témoignage de la requérante à l’audience, le tribunal de district de Panevėžys conclut que les actes commis par J.H.L. étaient constitutifs de l’infraction de coups et blessures légers visée à l’article 140 § 1 du nouveau code pénal. Il considéra que le délai de prescription des poursuites pour cette infraction était d’un an. En conséquence, le 15 décembre 2005, le tribunal rejeta la demande de la requérante au motif que les poursuites étaient prescrites. La requérante interjeta appel. Sans indiquer de disposition exacte, elle arguait que l’absence de sanction contre son agresseur violait les droits qu’elle détenait en vertu de la Convention. Le 4 janvier 2006, le tribunal régional de Panevėžys modifia l’interprétation des règles de procédure pénale relatives au délai légal de prescription des poursuites de certaines infractions. Il considéra que la période de prescription applicable était de cinq ans et, partant, accueillit l’appel de la requérante. Le 21 février 2006, le tribunal de district refusa encore de lancer une enquête préliminaire sur le fondement de poursuites privées au motif que les dernières blessures infligées par J.H.L. à la requérante dataient du 4 février 2001 et que, dès lors, le délai de prescription de cinq ans avait expiré. La requérante fit appel. Elle souligna qu’immédiatement après avoir été battue elle avait déposé devant les tribunaux une plainte pénale par laquelle elle avait demandé l’ouverture de poursuites contre J.H.L et que la procédure pénale avait néanmoins duré des années en raison des erreurs et de l’inertie des procureurs et des tribunaux. Selon elle, c’était pour cela que le parquet n’avait pas poursuivi d’office son agresseur et que ses tentatives pour voir aboutir sa plainte pénale contre lui étaient restées vaines. Le 8 février 2007, le tribunal régional de Panevėžys rendit une décision définitive rejetant l’appel de la requérante et constatant la prescription de tous les types de poursuites. Il releva qu’en 2001 la requérante avait entamé des poursuites privées et qu’en 2002 la juridiction saisie avait transmis l’affaire au procureur pour que celui-ci menât d’office une enquête sur les infractions reprochées à J.H.L. Il nota que la réforme législative de 2003 avait empêché le procureur de continuer l’enquête. Il observa également que, le 28 septembre 2005, la requérante avait ouvert une procédure de poursuite privée relative aux mêmes faits. Il conclut toutefois que le délai de prescription de cinq ans rendait les poursuites impossibles. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 140 § 1 du code pénal, entré en vigueur le 1er mai 2003 (« le nouveau code pénal »), établit l’infraction pénale de coups et blessures légers, punissable de travaux d’intérêt général ou d’une privation de liberté pouvant aller jusqu’à un an. Avant le 1er mai 2003, l’infraction de coups et blessures légers volontaires était visée à l’article 116 § 1 de l’ancien code pénal. Si l’infraction était commise de manière systématique, elle était punissable d’une privation de liberté pouvant aller jusqu’à trois ans (article 116 § 3). L’article 95 § 1 du code pénal en vigueur à l’époque des faits interdisait les poursuites pour toute infraction volontaire mineure (nesunkus) remontant à plus de cinq ans. Depuis la réforme législative du 1er mai 2003, l’article 407 du nouveau code de procédure pénale prévoit qu’en cas d’infraction telle que celle de coups et blessures légers une procédure pénale ne peut être ouverte que sur plainte de la victime. La plainte est le point de départ de poursuites privées (article 408 § 1). L’article 409 § 1 du nouveau code de procédure pénale dispose que le procureur peut ouvrir une enquête pénale sur une infraction pour laquelle l’enquête est normalement menée par la voie de poursuites privées, par exemple sur celle de coups et blessures légers, si l’infraction en question soulève une question d’intérêt général (c’est-à-dire que la résolution de l’affaire pénale est dans l’intérêt général) ou s’il existe des motifs sérieux expliquant que la victime n’est pas en mesure de protéger ses droits. Le 26 mai 2011, le Parlement lituanien (Seimas) a adopté la loi contre les violences domestiques (Apsaugos nuo smurto artimoje aplinkoje įstatymas), qui est entrée en vigueur le 15 décembre 2011. Cette loi indique qu’elle a pour but de protéger les personnes contre les violences domestiques et expose que, eu égard au préjudice que pareilles violences causent à la société, il est dans l’intérêt général de répondre rapidement aux menaces de violences domestiques, d’adopter des mesures préventives, de mettre en œuvre des mesures de protection et de fournir une aide appropriée. Elle reconnaît aussi que la violence domestique constitue une violation des droits et libertés de l’individu (article 1). En ce qui concerne les mesures que la police doit prendre, la loi prévoit que, lorsqu’ils sont informés de faits de violence domestique, les policiers doivent rédiger un rapport les relatant et lancer une enquête préliminaire dès leur arrivée sur les lieux ou dès qu’ils sont témoins des faits en question. Ce n’est pas à la victime qu’il incombe de déposer une plainte (article 7 § 1). Le code civil dispose que, lorsqu’une personne subit un dommage corporel, c’est-à-dire qu’elle est blessée ou qu’il est porté atteinte à sa santé d’une autre manière, la personne responsable du dommage doit le réparer dans son intégralité, notamment dans son aspect moral (article 6.283). III. DROIT ET TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS En 1979, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (« la CEDAW »). La Lituanie l’a ratifiée le 18 janvier 1994. Elle a aussi ratifié le protocole facultatif à la CEDAW le 5 août 2004. Le 8 janvier 2008, le comité CEDAW a formulé des observations finales sur la Lituanie. Il a pris note des diverses mesures prises par la Lituanie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, notamment au sein des ménages, y compris l’adoption de la Stratégie nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes, les modifications introduites peu auparavant dans le code pénal, la mise en place d’un réseau de centres d’écoute et d’assistance apportant leur soutien aux victimes de la violence et le service spécial national d’assistance téléphonique aux femmes battues, accessible en continu (24 heures sur 24) depuis 2008. Le comité était toutefois préoccupé par la fréquence élevée des actes de violence à l’égard des femmes en Lituanie, particulièrement au sein des ménages, et par l’absence d’une loi spécifique sur la violence domestique. Il craignait qu’en l’absence d’une telle loi la violence ne fût considérée comme une question privée, la police, le personnel de santé, les autorités compétentes et la société en général n’ayant pas conscience des conséquences de la relation entre la victime et le coupable. Il a ainsi engagé la Lituanie à mettre en place un vaste ensemble de mesures de nature juridique et autre pour faire face à toutes les formes de violence à l’égard des femmes, y compris à la violence dans les ménages. Il a également recommandé à cet État d’élaborer et de présenter sans attendre une loi spécifique sur la violence dans les ménages à l’égard des femmes, qui assurerait immédiatement à celles-ci réparation et protection. Il a enfin recommandé à l’État d’arrêter un calendrier d’adoption de cette loi (paragraphes 74-75 des observations finales). Une étude nationale menée sur 1 010 femmes en 1999 a conclu qu’au cours de leur vie 42 % des femmes lituaniennes mariées ou vivant avec un partenaire, âgées de 18 à 74 ans, avaient été battues ou menacées d’êtres battues par leur partenaire du moment (Rapport du Secrétaire général des Nations unies sur une étude approfondie de toutes les formes de violence à l’égard des femmes, 6 juillet 2006). De même, des statistiques tirées d’une étude de 2000 réalisée par « ONU Femmes », l’entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes indiquaient qu’au cours de leur vie 32,7 % des femmes en Lituanie avaient subi des violences physiques infligées par leur partenaire. Le 5 mai 2011, le Conseil de l’Europe a adopté la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. À ce jour, elle a été signée par vingt-huit États membres du Conseil de l’Europe et ratifiée par trois d’entre eux. Elle n’est pas encore entrée en vigueur et la Lituanie ne l’a pas encore signée. L’un des buts de cet instrument est de protéger les femmes contre toutes les formes de violence, et de prévenir, poursuivre et éliminer la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Mario Gagliardi, est un ressortissant italien, né en 1940 et résidant à Bénévent. À une date non précisée, le requérant reçut la confirmation de son engagement auprès du Consortium antituberculeux de Bénévent. À partir du 22 février 1990, il commença à exercer la fonction de standardiste non-voyant. À une date non précisée, les fonctions exercées par le Consortium furent transférées auprès des services locaux de santé publique (Unità Sanitarie Locali, « l’USL ») no 5 de Bénévent. Après 28 jours, en raison du refus de l’USL, le requérant n’obtint pas le contrat d’engagement définitif. Le 1er janvier 1995, l’USL fut mis en liquidation, un commissaire fut nommé pour la liquidation de ses crédits et de ses dettes et l’ASL (« Azienda Sanitaria Locale »), lui succéda dans la gestion de toutes les affaires de nature administrative. A. La procédure principale Après avoir mis en demeure l’USL, le 20 juin 1990, le requérant demanda au tribunal administratif régional (« le TAR ») de la Campanie d’ordonner sa réintégration dans son poste de travail. Par un arrêt du 8 novembre 1995, déposé au greffe le 18 janvier 1996, le TAR accueillit le recours du requérant. Le 8 mars 2002, le Conseil d’État confirma l’arrêt du TAR rejetant l’appel de l’USL de Bénévent. Cette décision fut déposée au greffe le 30 septembre 2002 et transmise à l’ASL de Bénévent, agissant en tant que Commissaire liquidateur de l’USL, le 4 octobre 2002. Vu l’inaction persistante des services locaux de santé publique, le 30 janvier 2003, le requérant mit en demeure l’ASL no 1 de Bénévent, puis, le 18 mars 2003, entama un recours en exécution auprès du TAR (« giudizio di ottemperanza »). Par un arrêt du 14 mai 2003, déposé au greffe le 16 juillet 2003, relevant que l’administration n’avait adopté aucune mesure afin d’obtempérer à l’arrêt du 8 novembre 1995, le TAR ordonna à l’ASL d’exécuter ledit arrêt dans les soixante jours à partir du 16 juillet 2003. À défaut, un Commissaire ad acta serait nommé afin d’assurer l’exécution. L’ASL se refusant de se conformer à l’arrêt du TAR, un Commissaire ad acta fut nommé. Celui-ci ordonna à l’ASL la réintégration du requérant et le paiement des arriérés de salaire. À une date non précisée, compte tenu du refus persistant de l’ASL d’obtempérer aux indications du Commissaire, le requérant porta plainte contre les responsables de l’inexécution. L’ASL décida de réintégrer le requérant le 23 décembre 2003 avec effet au 1er janvier 2004 sans, toutefois, lui verser les arriérés. Le requérant poursuivit la procédure de conciliation obligatoire auprès du magistrat du travail qui, toutefois, n’aboutit à aucun résultat en raison de l’absence du représentant de l’ASL. Compte tenu de la passivité de l’ASL, le commissaire responsable pour la liquidation des crédits et des dettes de l’USL paya les arriérés de salaire majorés de la réévaluation monétaire et des intérêts légaux. B. La procédure « Pinto » Le 18 avril 2001, la procédure principale étant encore pendante, le requérant s’adressa à la Cour en se plaignant de la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Le 13 mars 2003, le requérant saisit la cour d’appel de Rome conformément à la loi Pinto afin de se plaindre de la durée de la procédure. Par une décision déposée au greffe le 29 juillet 2003, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable et accorda au requérant 4 900 EUR pour dommage moral et 650 EUR pour frais et dépens à liquider directement à l’avocat. N’ayant pas été notifiée au sens de l’article 285 du code de procédure civile, cette décision devint définitive le 28 octobre 2004. Les sommes accordées en exécution de la décision « Pinto » furent payées le 19 juillet 2004. Le requérant reçut 5 011,83 EUR. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006V).
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Les requérants, MM. Abdulkadir Aktaş et Şafii Kırtay, sont des ressortissants turcs, nés respectivement en 1980 et 1978 et sont actuellement détenus à la prison de Diyarbakır. Ils sont représentés devant la Cour par Me M. Özbekli, avocat à Diyarbakır. Les requérants furent arrêtés et placés en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre le Hizbullah, une organisation illégale armée, le 8 novembre 1999 (Şafii Kırtay) et le 6 octobre 2002 (Abdulkadir Aktaş). Ils furent ensuite placés en détention provisoire. Par des actes d’accusation établis à différentes dates, le parquet les inculpa notamment d’appartenance à une organisation illégale armée et/ou de tentative de renversement par la force de l’ordre constitutionnel turc. S’agissant de M. Şafii Kırtay, le 27 décembre 2002, celui-ci fut condamné en première instance. Le 12 mai 2003, la Cour de cassation infirma l’arrêt de condamnation. Le 20 mars 2007, la cour d’assises de Diyarbakır le condamna à seize ans et huit mois de réclusion criminelle et, l’arrêt en question fut confirmé par la Cour de cassation le 16 octobre 2008. L’acte de notification de l’arrêt de la Cour de cassation fut établi le 6 novembre 2008. Quant à M. Abdulkadir Aktaş, le 24 avril 2007, les juges du fond le condamnèrent à la réclusion criminelle à perpétuité et, cette condamnation fut confirmée par la Cour de cassation le 17 février 2009.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1971. Depuis le mois d’août 2010 il est détenu au centre de détention de Tarascon. Le requérant membre de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna) fut interpellé le 9 décembre 2003 par la police dans un logement de Lons dans le département des Pyrénées-Atlantiques avec trois autres membres de l’organisation. Dans ce logement furent saisis plusieurs pistolets automatiques des munitions des composants électriques et électroniques quatre détonateurs pyrotechniques quatre amorces pyrotechniques trois sachets de poudre noire et deux systèmes de mise à feu par ampoule flash de la documentation opérationnelle de l’ETA 20 000 euros (EUR) et deux véhicules volés et faussement immatriculés. Le 11 décembre 2003 le requérant fut placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Paris pour une durée d’un an à la suite de sa mise en examen pour des faits d’association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme et plusieurs infractions en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise terroriste : « (...) Attendu que ces éléments sont autant d’indices graves et concordants rendant vraisemblable l’implication du mis en examen dans les faits qui lui sont reprochés ; Attendu que l’instruction ne fait que débuter que des investigations sont nécessaires afin d’identifier et interpeller les co-auteurs et complices membres de la même organisation hors de toutes concertations frauduleuses et pressions ; Attendu en outre que l’intéressé vivant en clandestinité sous couvert de faux documents n’offre aucune garantie de représentation et pourrait être tenté de fuir l’action de la justice en retournant vivre en clandestinité ; Attendu enfin que l’ordre public a été exceptionnellement et durablement troublé par des agissements commis dans le cadre d’une organisation terroriste particulièrement dangereuse ; Attendu que les obligations du contrôle judiciaire sont insuffisantes au regard des fonctions définies à l’article 137 du Code de Procédure Pénale ; Attendu que la détention de la personne mise en examen est l’unique moyen : - de conserver les preuves ou indices matériels. - d’empêcher une pression sur les témoins. - d’empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices. - de mettre fin à l’infraction ou de prévenir son renouvellement. - de garantir le maintien de la personne concernée à la disposition de la justice. De mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public qu’a provoqué l’infraction en raison : de sa gravité des circonstances de sa commission de l’importance du préjudice qu’elle a causé. (...) » Durant l’instruction la détention provisoire du requérant fut prolongée à six reprises en vertu d’ordonnances successives d’une durée de six mois chacune. Ces ordonnances sont datées des 2 décembre 2004 6 juin 2005 7 décembre 2005 2 juin 2006 29 novembre 2006 et 31 mai 2007. Les motifs de prolongation furent plus ou moins les mêmes tout au long de l’instruction : nombreuses investigations d’autant plus longues que le mis en examen ne souhaite pas s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés ; garanties de représentation inexistantes sur le territoire national ; trouble exceptionnel à l’ordre public et persistance de celui-ci malgré l’ancienneté des faits. L’ordonnance du 31 mai 2007 faisant suite à un interrogatoire du requérant, fut ainsi motivée : « (...) Attendu que la nature même des faits reprochés leur multiplicité le nombre de personnes mises en cause leur silence l’existence des jonctions de procédures le nombre de scellés à exploiter plus généralement la complexité des investigations justifient à l’issue d’une période de détention de 42 mois déjà effectuée une nouvelle prolongation de la détention [du requérant]. (...). Le délai prévisible d’achèvement de la procédure peut être fixé à 4 mois. (...) » Par une ordonnance du 6 décembre 2007 rendue par le juge d’instruction du TGI de Paris le requérant fut mis en accusation et renvoyé avec six coaccusés devant la cour d’assises de Paris spécialement composée, pour tentatives d’extorsions de fonds en bande organisée et en lien avec une entreprise terroriste. L’encombrement du rôle de la cour d’assises spéciale de Paris n’ayant pas permis de faire comparaître le requérant dans le délai d’un an fixé par l’article 181 alinéa 8 du code de procédure pénale (CPP) le procureur général près la cour d’appel de Paris saisit la chambre d’instruction le 14 octobre 2008 d’une requête afin de prolonger à titre exceptionnel la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois. Par un arrêt du 14 novembre 2008 la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris accueillit la requête du procureur en prolongeant la détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 11 décembre 2008 en application de l’article 181 alinéa 9 du CPP. Par une requête du 14 mars 2009 le procureur général près la cour d’appel de Paris saisit la chambre de l’instruction afin de voir ordonner la prolongation des effets du mandat de dépôt pour une durée de six mois. Dans un mémoire adressé à cette chambre le requérant sollicita sa mise en liberté assortie d’un contrôle judiciaire. Par un arrêt du 22 mai 2009 la cour d’appel de Paris ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009 : « (...) Considérant que la Cour d’assises de Paris spécialement composée étant la seule compétente pour le jugement de crimes terroristes commis sur tout le territoire français sa charge de travail a pour conséquence l’utilisation dans certaines affaires du délai maximal prévu par le code de procédure pénale ; que ce délai demeure dans les limites raisonnables prévues par les articles 5 et 6 de la CEDH (...) ». Par un arrêt du 2 septembre 2009 rendu sur pourvoi du requérant la chambre criminelle de la Cour de cassation annula l’arrêt du 22 mai 2009 au motif que la chambre de l’instruction ne pouvait justifier la mesure de prolongation de la détention à titre exceptionnel par les difficultés récurrentes de fonctionnement de la juridiction appelée à statuer au fond mais devait rechercher si les autorités compétentes avaient apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure. Elle renvoya l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris autrement composée. Par un courrier daté du 29 septembre 2009 le greffe de la cour d’assises informa l’avocat du requérant que ce dernier serait appelé à comparaître devant la cour d’assises du 16 au 27 novembre 2009. Les 1er et 5 octobre 2009 le requérant saisit la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris de deux demandes de mise en liberté. Par une requête du 6 octobre 2009 le procureur général demanda la prolongation de la détention provisoire. Il fit valoir que, aux obstacles structurels et matériels inhérents au fonctionnement de la juridiction, des facteurs non maîtrisables par la cour d’appel de Paris s’étaient ajoutés, ce qui n’avait pas permis la comparution du requérant devant la cour d’assises. Par un arrêt du 19 octobre 2009 (2009/06830-2009/06890) la cour d’appel de Paris rejeta les demandes de mise en liberté au motif que les faits troublaient de manière exceptionnelle l’ordre public que les garanties de représentation n’étaient pas assurées et que les risques de réitération étaient considérables. Les 29 octobre et 10 novembre 2009 le requérant forma deux pourvois contre l’arrêt de cour d’appel de Paris du 19 octobre 2009 et invoqua dans ses moyens de cassation les articles 5 et 6 de la Convention. Entre-temps également par un arrêt du 19 octobre 2009 (2009/01761) statuant sur renvoi consécutivement à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 septembre 2009 et sur la requête du procureur du 6 octobre 2009 la cour d’appel de Paris prolongea celle-ci pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009. Elle releva qu’il résultait amplement des termes de la requête du procureur un réel encombrement devenu structurel du rôle de la Cour d’assises spéciale de Paris et rejeta la demande de mise en liberté du requérant pour les motifs déjà indiqués dans les décisions précédentes. Par un arrêt rendu le 26 novembre 2009 la cour d’assises spécialement composée condamna le requérant à douze ans de réclusion criminelle. Par un arrêt du 3 février 2010 la cour de cassation statuant sur les pourvois des 29 octobre et 10 novembre 2009 déclara irrecevable l’un et rejeta l’autre au motif « que faute d’avoir été proposé devant le juges du fond le moyen est nouveau et comme tel irrecevable ». II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est relaté dans les arrêts Guimon Esparza c. France, no 29116/09, § 22, 26 janvier 2012 et Sagarzazu c. France, no 29109/09 § 21, 26 janvier 2012.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1975. Selon le Gouvernement, il a été extradé vers l’Espagne le 17 novembre 2010. Le requérant, membre de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna), fut interpellé le 4 décembre 2003 alors qu’il roulait dans un véhicule Peugeot 206 volé et faussement immatriculé. Au moment de son interpellation, le requérant était porteur d’un pistolet automatique STAR de calibre 9 mm. Par ailleurs, il était en compagnie d’un homme recherché en vertu de trois mandats d’arrêt délivrés pour des faits de nature criminelle. L’interpellation du requérant permit la localisation d’un appartement où furent trouvés de nombreux documents administratifs falsifiés, faux documents, un pistolet mitrailleur, un fusil d’assaut, plusieurs pistolets automatiques, des munitions de différents calibres, des douilles percutées, des systèmes de mise à feu temporisés, des détonateurs et une documentation opérationnelle de l’ETA. Suite à cette interpellation, d’autres membres de l’organisation furent arrêtés. Le 7 décembre 2003, le requérant fut placé en détention provisoire suite à sa mise en examen dans une procédure criminelle pour des faits d’association de malfaiteurs en vue de perpétrer des actes de terrorisme, et plusieurs infractions en relation à titre principal ou connexe avec une entreprise terroriste : « Attendu que des investigations complémentaires seront nécessaires pour vérifier la matérialité des faits et les circonstances exactes dans lesquelles le mis en examen a commis les agissements reprochés ; qu’il y a lieu également d’éviter toute pression sur les témoins et victimes et éviter toute concertation avec les coauteurs ou complices ; Attendu qu’il n’offre aucune garantie de représentation, ayant pris la clandestinité en Espagne après l’arrestation de F.I., le 19 décembre 2002, et la découverte dans l’appartement qu’il occupait à Tarbes, de documents relatifs à l’appareils de recrutement d’E.T.A. permettant de caractériser son rôle de responsable du recrutement dans une région du pays basque espagnol (...). Attendu que les faits qui s’inscrivent dans un contexte d’organisation terroriste particulièrement dangereuse, sont ceux qui troublent d’une manière exceptionnelle et durable l’ordre public ; Attendu que les obligations du contrôle judiciaire seront insuffisantes au regard des fonctions définies à l’article 137 du Code de Procédure Pénale, (...) ». Durant l’instruction, la détention provisoire du requérant fut prolongée à six reprises en vertu d’ordonnances successives d’une durée de six mois chacune. Ces ordonnances sont datées des 30 novembre 2004, 30 mai 2005, 1er décembre 2005, 31 mai 2006, 24 novembre 2006 et 31 mai 2007. Les motifs de prolongation furent plus ou moins les mêmes tout au long de l’instruction : nombreuses investigations à effectuer, investigations d’autant plus longues que le mis en examen ne souhaite pas s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés, risque de concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices, garanties de représentation inexistantes sur le territoire national, trouble exceptionnel à l’ordre public et persistance de celui-ci malgré l’ancienneté des faits. Entre-temps, le 2 avril 2007, le requérant fit une demande de mise en liberté rejetée par une ordonnance du 12 avril 2007. Sur appel du requérant, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma cette ordonnance. Le 5 août 2007, le requérant présenta une autre demande de mise en liberté, rejetée par une ordonnance du 12 août 2007. Par un arrêt du 4 septembre 2007, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma l’ordonnance. Par une ordonnance du 6 décembre 2007 rendue par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, le requérant fut mis en accusation et renvoyé avec six coaccusés devant la cour d’assises de Paris spécialement composée, pour tentatives d’extorsion de fonds en bande organisée et en lien avec une entreprise terroriste. Le 10 mars 2008, le requérant présenta une demande de mise en liberté. Par un arrêt du 21 mars 2008, la chambre de l’instruction la rejeta pour les mêmes motifs que ceux précédemment invoqués. L’encombrement du rôle de la cour d’assises spéciale de Paris n’ayant pas permis de faire comparaître le requérant dans le délai d’un an fixé par l’article 181 alinéa 8 du code de procédure pénale, le procureur général près la cour d’appel de Paris saisit la chambre d’instruction le 14 octobre 2008 d’une requête afin de prolonger à titre exceptionnel la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois. Par un arrêt du 14 novembre 2008, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris accueillit la requête du procureur général en prolongeant la détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 11 décembre 2008 en application de l’article 181 alinéa 9 du CPP. Par une requête du 14 mars 2009, le procureur général saisit la chambre de l’instruction afin de voir ordonner la prolongation des effets du mandat de dépôt pour une durée de six mois. Par un arrêt du 15 mai 2009, la cour d’appel de Paris ordonna la prolongation de la détention provisoire du requérant pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009 : « (...) Considérant que la cour d’assises de Paris spécialement composée étant la seule compétente pour le jugement de crimes terroristes commis sur tout le territoire français, sa charge de travail a pour conséquence l’utilisation, dans certaines affaires, du délai maximal prévu par le code de procédure pénale ; que ce délai demeure dans les limites raisonnables prévues par les articles 5 et 6 de la CEDH ; Considérant que la durée de l’information a, quant à elle, été justifiée par la complexité des investigations, concernant plusieurs auteurs et plusieurs faits, alors que le choix du mutisme total des personnes mises en cause a nécessité la réalisation de nombreuses expertises successives qui ont entraîné des délais d’instruction importants ; (...) Que (...) l’accusé ne dispose d’aucune garantie de représentation alors qu’il vit dans la clandestinité et a tous moyens de s’y maintenir et que les risques de réitération sont, compte tenu du mode de vie qu’il a choisi, en compagnie de personnes recherchées pour plusieurs attentats, considérables ; (...) les obligations de contrôle judiciaire sont, dans ces conditions, totalement insuffisantes. » Le 22 juillet 2009, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté. Par un arrêt du 6 août 2009, la chambre de l’instruction la rejeta. Par un arrêt du 2 septembre 2009, rendu sur pourvoi du requérant, la chambre criminelle de la Cour de cassation annula l’arrêt du 15 mai 2009 au motif que la chambre de l’instruction ne pouvait justifier la mesure de prolongation de la détention à titre exceptionnel par les difficultés récurrentes de fonctionnement de la juridiction appelée à statuer au fond mais devait rechercher si les autorités compétentes avaient apporté une diligence particulière à la poursuite de la procédure. Elle renvoya l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris autrement composée. Le 28 septembre 2009, le requérant présenta une demande de mise en liberté. Par un arrêt du 12 octobre 2009 (2009/06770), celle-ci fut rejetée pour les mêmes motifs que ceux invoqués dès le début de la procédure. Auparavant, par une requête du 6 octobre 2009, le procureur général demanda la prolongation de la détention provisoire. Il fit valoir que, aux obstacles structurels et matériels inhérents au fonctionnement de la juridiction, des facteurs non maîtrisables par la cour d’appel de Paris s’étaient ajoutés, ce qui n’avait pas permis la comparution du requérant devant la cour d’assises. Par un autre arrêt du 12 octobre 2009 (2009/01757), statuant sur renvoi consécutivement à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 2 septembre 2009 et sur la requête du procureur du 6 octobre 2009, la cour d’appel de Paris prolongea la détention provisoire pour une durée de six mois à compter du 11 juin 2009. Elle releva qu’il résultait amplement des termes de la requête du procureur un réel encombrement devenu structurel du rôle de la Cour d’assises spéciale de Paris et rejeta la demande de mise en liberté du requérant pour les motifs déjà indiqués dans les décisions précédentes. Le requérant forma des pourvois en cassation contre les deux arrêts du 12 octobre 2009. Par un arrêt rendu le 26 novembre 2009, la cour d’assises spécialement composée condamna le requérant à dix ans de réclusion criminelle. Par deux arrêts du 2 février 2010, la Cour de cassation rejeta les pourvois du requérant, devenus sans objet du fait de sa condamnation le 26 novembre 2009. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est relaté dans les arrêts Guimon Esparza c. France, no 29116/09, § 22, 26 janvier 2012 et Sagarzazu c. France, no 29109/09, § 21, 26 janvier 2012.
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1942. Également ressortissante allemande, elle résidait, avant son décès (paragraphe 4 ci-dessus), à Kirchseeon, en Allemagne. Le 10 novembre 1994, après le décès des parents de la requérante et après l’ouverture de la succession, la commission pour l’application de la loi sur le fonds foncier no 18/1991 (« la commission départementale ») attribua en propriété à T.N., époux de la sœur de la requérante, un terrain de 2,27 ha ayant appartenu aux parents de la requérante et de sa sœur, T.M.I. Le 16 juin 1995, la commission départementale attribua en propriété à T.M.I. un terrain de 7,73 ha, ayant également appartenu aux parents de cette dernière et de la requérante. En 1999, T.M.I. vendit une partie de ce terrain à des tiers, qui la revendirent par la suite à d’autres tiers. A. La procédure en partage successoral Le 2 novembre 1998, le tribunal de première instance de Timişoara saisi à une date non précisée en 1993, jugea que la requérante et T.M.I. étaient les seules héritières de leurs parents et établit la masse successorale. Les terrains octroyés en propriété en 1994 et 1995 à T.N. et à T.M.I ne furent pas réintégrés dans la succession telle que dressée par le tribunal. Le tribunal procéda dans le même jugement au partage des biens, par attribution des lots à la requérante et à sa sœur. La requérante interjeta appel à l’encontre du jugement du 2 novembre 1998, demandant de rajouter à la succession les terrains qui avaient été attribués en propriété à T.N. et à T.M.I. après le décès de ses parents. Suite au décès de T.M.I. en juin 1999, la procédure fut continuée par ses héritiers. Le 5 mai 2000, la cour d’appel de Timişoara rejeta l’appel de la requérante, au motif que les décisions d’octroi en propriété des terrains litigieux n’avaient pas été annulées. Le 20 décembre 2002, la cour d’appel de Timişoara fit droit à une demande de la requérante déposée en 1999 visant à l’annulation des décisions d’octroi en propriété de 10 novembre 1994 et de 16 juin 1995 et à la modification en conséquence de la masse successorale. Le 8 octobre 2004, la requérante introduisit devant le tribunal de première instance de Timişoara une nouvelle requête en partage successoral. Le partage fut prononcé le 13 mars 2007 en contradictoire avec les héritiers de T.M.I. Le jugement de partage fut toutefois annulé par un arrêt du tribunal départemental de Timiş du 30 janvier 2008, qui renvoya l’affaire devant le tribunal compétent pour un nouveau jugement. Le 16 février 2010, lors du nouveau jugement de l’affaire, le tribunal départemental de Timiş prononça le partage des biens et l’attribution des lots. Compte tenu de ce que la requérante n’avait jamais eu la possession des terrains hérités, il lui octroya une soulte de 321 496 lei (RON), soit environ 79 000 euro (EUR). La requérante se vit également accorder 2 644 RON de frais et dépens, soit environ EUR 650. Cet arrêt fut confirmé par une décision définitive du 25 novembre 2010 de la cour d’appel de Timişoara. B. Autres procédures En liaison avec le contentieux concernant la succession et le partage successoral, la requérante entama d’autres procédures ayant pour objet l’annulation de contrats de ventes immobilières entre des tiers et le paiement de dommages matériels et moraux, qui furent finalisées par des arrêts en date des 24 mars 2006 et 10 mai 2007 respectivement. Elle déposa en outre plusieurs plaintes pénales, sans se constituer partie civile, à l’encontre d’un notaire public, des policiers et d’un tiers, les accusant de faux et/ou d’abus dans l’exercice de leurs fonctions. Le parquet prononça des non-lieux, confirmés par les tribunaux par des arrêts rendus en 2005.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1968 et 1981 et détenus respectivement à la prison de Kocaeli et de Tekirdağ. Le 7 août 2005, soupçonnés d’appartenir à l’organisation illégale PKK et de posséder des explosifs, ils furent arrêtés à Istanbul. Le 9 août 2005, ils furent placés en détention provisoire. Le 30 décembre 2005, une action publique fut engagée à leur encontre pour appartenance à une organisation illégale et leur procès commença devant la cour d’assises d’Istanbul (« cour d’assises »). Tout au long de la procédure, la cour d’assises a rejeté les demandes de mise en liberté des requérants et ordonné leur maintien en détention provisoire, en se fondant sur la nature et la qualification de l’infraction reprochée, l’état des preuves, l’existence de forts soupçons à l’encontre des intéressés et le contenu du dossier. Le 1er septembre 2009, les requérants formèrent opposition contre la décision de maintien en détention provisoire rendue à l’issue l’audience du 27 août 2009. Le 16 septembre 2009, la cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta ladite opposition. Le 27 décembre 2012, la cour d’assises condamna les requérants à la réclusion criminelle à perpétuité. L’affaire est toujours pendante devant la Cour de cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant réside à Séville. Par un jugement du 27 juillet 2009, rendu après la tenue d’une audience publique au cours de laquelle le requérant fut entendu, le juge pénal no 5 de Séville acquitta le requérant et trois autres co-inculpés d’un délit d’atteinte à l’autorité. Ils étaient accusés d’avoir lancé des objets sur la route qui auraient entravé le passage d’une voiture de police et provoqué des blessures aux agents qui se trouvaient à l’intérieur et qui auraient dû faire des manœuvres brusques pour les esquiver. Les policiers avaient, en particulier, été placés en arrêt maladie 45 et 60 jours respectivement. Le juge nota que, si les accusés admettaient bien se trouver à l’endroit litigieux, ils niaient avoir lancé un quelconque objet sur la chaussée, les agents de police étant incapables de préciser, au-delà de tout doute raisonnable, lequel d’entre eux était l’auteur matériel du délit. Par conséquent, le juge considéra contraire au principe de sécurité juridique de déclarer les quatre accusés coupables du seul fait d’être présents sur les lieux du délit. En application du principe in dubio pro reo, le juge décida l’acquittement de l’ensemble des accusés. Les agents de police firent appel. L’Audiencia Provincial de Séville considéra justifiée la tenue d’une audience publique et assigna le ministère public et les parties à comparaître. Contrairement à ce qui est prévu à l’article 182 du code de procédure pénale, le requérant ne fut pas personnellement assigné. Quant à son avoué, il reçut la notification seulement deux jours ouvrables avant la tenue de l’audience. Par un arrêt du 13 décembre 2010 rendu après la tenue d’une audience publique sans la présence des accusés, l’Audiencia Provincial de Séville accepta le recours et condamna chacun des accusés, dont le requérant, à des peines de prison d’un an et au paiement d’une indemnisation. Le représentant du requérant assista à l’audience. Dans son arrêt, l’Audiencia accepta les faits déclarés prouvés par le juge a quo et en ajouta un de supplémentaire, à savoir : « Les objets furent lancés sur la route par les accusés, qui s’étaient mis d’accord tacitement, avec l’intention évidente de s’attaquer à l’intégrité des agents de l’autorité qui se trouvaient dans la voiture officielle ». L’Audiencia considéra que, dans la mesure où les faits objectifs n’étaient pas contestés, à savoir le lancement d’un objet sur la chaussée lors de l’arrivée de la patrouille de police, il convenait de se concentrer sur le comportement des accusés. A cet égard, elle constata un accord de volontés visant à attaquer la voiture officielle. Pour preuve, force était de noter qu’immédiatement après avoir lancé l’objet, les quatre individus s’enfuirent rapidement et sans hésitation. Ceci démontrerait qu’ils se sentaient tous responsables de l’action commise, indépendamment de combien d’entre eux avaient effectivement lancé l’objet. Ils étaient donc tous co-auteurs. Le requérant introduisit une demande de nullité de la procédure, qui fut rejetée au motif qu’elle n’était pas prévue par la loi dans le cas d’espèce. Invoquant l’article 24 de la Constitution (droit à être entendu), le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision du 27 octobre 2011, la haute juridiction déclara le recours irrecevable faute de pertinence constitutionnelle de celui-ci. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Constitution Article 24 « 1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle ne soit mise dans l’impossibilité de se défendre. De même, toute personne a droit à un juge de droit commun déterminé préalablement par la loi, à se défendre et à se faire assister par un avocat, à être informée de l’accusation portée contre elle, à avoir un procès public sans délais indus et dans le respect de toutes les garanties, à utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas s’incriminer soi-même, à ne pas s’avouer coupable et à être présumée innocente (...) ». B. Code pénal Article 550 « Seront considérés responsables d’atteinte à l’autorité ceux qui s’attaquent à des agents ou fonctionnaires publics ou emploient la force à leur encontre, les intimident gravement ou font preuve de résistance active grave, lors que [les agents ou fonctionnaires publics] exécutent les fonctions qui leur sont propres ou à l’occasion de celles-ci. Article 551 § 1 « Les atteintes à l’autorité mentionnées à l’article précédent seront punies avec la peine de prison de deux à quatre ans et une amende de trois à six mois (...) ou une peine de prison d’un a trois ans (...). » C. Code de procédure pénale Article 182 « Les notifications et assignations à comparaitre pourront être effectuées aux avoués des parties, à l’exception de : (...) les assignations qui, par prescription légale, doivent être faites personnellement aux intéressés, les assignations ayant pour objet la comparution obligatoire de ceux-ci ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1966 et réside à St Vicens Dels Horts (Barcelone). Dans le cadre d’un procès impliquant plusieurs accusés, par un jugement rendu le 22 janvier 2007 après la tenue d’une audience publique, un tribunal du jury de l’Audiencia Provincial de Barcelone condamna le requérant pour un délit de vol qualifié avec utilisation d’armes à une peine de quatre ans de prison et pour un délit de détention illicite d’armes à une peine d’un an et six mois de prison. Le requérant fut par ailleurs acquitté de deux délits d’assassinat dont il était accusé. En effet, après l’examen des faits survenus lors d’un braquage auquel participa le requérant et où deux vigiles trouvèrent la mort, le tribunal du jury considéra que le requérant n’avait pas connaissance des intentions des autres accusés d’en finir avec la vie des agents de sécurité. Il constata que le requérant ne portait pas d’arme et n’avait aucunement tiré sur les victimes et considéra que sa seule intention était de s’approprier de l’argent volé. Pour parvenir à sa conclusion, le tribunal se fonda sur plusieurs éléments, à savoir la déposition des divers accusés, les témoignages directs des personnes présentes sur le lieu des faits ainsi que des agents de police étant intervenus, les expertises relatives aux impacts de balle, l’autopsie de la victime et le rapport sur l’état de santé mentale des accusés. Le Ministère public, les accusations privées et certains des condamnés dont le requérant firent appel. Par un arrêt du 15 octobre 2007 rendu après la tenue d’une audience sans la présence du requérant, le Tribunal supérieur de justice de Catalogne acquitta le requérant du délit de détention illicite d’armes et le condamna à deux peines de quinze ans de prison comme co-auteur des deux délits d’assassinat. Sur la base des faits déclarés prouvés par le tribunal a quo, le Tribunal modifia les inférences effectuées et considéra que les assassinats faisaient forcément partie du plan initial conçu par tous les participants au braquage y compris le requérant et n’étaient pas imprévisibles, le fait que le requérant ne portât pas d’arme sur lui étant insignifiant. En effet, les tâches accomplies par celui-ci pendant les faits montraient que son intervention avait été essentielle pour la réussite de l’opération. Le Tribunal supérieur de justice nota également que, à supposer même qu’il soit impossible de démontrer l’accord explicite ou tacite entre l’ensemble des participants au sujet d’un résultat de mort, le dol éventuel propre au délit de vol qualifié avec utilisation d’armes à feu englobe les conséquences inhérentes à une telle utilisation, dont l’assassinat. Le requérant se pourvut en cassation, au motif, entre autres, qu’il avait été condamné par le Tribunal supérieur de justice sans avoir été préalablement entendu et sans l’administration d’un quelconque moyen de preuve. Par un arrêt du 20 juin 2008, le Tribunal suprême rejeta le pourvoi. Après avoir rappelé la jurisprudence du Tribunal constitutionnel sur ce sujet, initiée avec l’arrêt no 167/2002, le Tribunal suprême signala que le Tribunal a quo n’avait pas réapprécié les preuves afin de modifier les faits déclarés prouvés en première instance, mais qu’il avait effectué une nouvelle qualification juridique des mêmes faits, sans que ceci porte atteinte au droit du requérant à un procès équitable. Invoquant l’article 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 12 mars 2009, la haute juridiction rejeta le recours comme étant dépourvu de pertinence constitutionnelle spéciale. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Constitution Article 24 « 1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Bursa. Le requérant fut arrêté le 20 mai 2000 et placé en détention provisoire le 27 mai 2000. Il fut inculpé de tentative de renversement, par la force, de l’ordre constitutionnel, sur le fondement de l’article 146 § 1 de l’ancien code pénal. Tout au long de son procès, la cour d’assises ordonna régulièrement le maintien en détention provisoire du requérant en se fondant sur l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et parce qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Le 4 janvier 2011, le requérant fut mis en liberté provisoire. Le 16 février 2012, la cour d’assises reconnut le requérant coupable d’avoir commis l’infraction reprochée et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité. Au jour de l’adoption du présent arrêt, la procédure était toujours pendante devant la Cour de cassation.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Giovanni Mercuri, est né en 1946 et réside à Filothei. La procédure civile Le requérant était titulaire de Kroton-Travel, une entreprise siégeant à Athènes et œuvrant dans le secteur touristique. Le 28 mai 1993, Kroton Travel assigna une entreprise partenaire italienne devant le tribunal de Catane, en affirmant avoir été fraudée par celle-ci, et en demandant une indemnisation provisoire ainsi que, à l’issue de la procédure, la résolution du contrat de partenariat, le remboursement des montants prétendument dus et la réparation de tous les dommages contractuels et non contractuels subis. Le 20 juillet 1993 et le 16 février 1994, le juge de la mise en état rejeta les demandes d’indemnisation provisoire. Après plusieurs audiences et renvois, le 8 février 1995, l’expert-comptable nommé par le juge de la mise en état déposa son rapport d’expertise affirmant l’existence d’un crédit de Kroton Travel d’une valeur de 216 532 214 lires italiennes (environ 112 000 EUR). Le 11 avril 1995 le juge de la mise en état rejeta pour la troisième fois la demande d’indemnisation provisoire en estimant que rien ne laissait supposer l’existence d’un risque, pour Kroton Travel, de ne pas récupérer son crédit à l’issue de la procédure. Après plusieurs audiences et renvois, le 20 novembre 1998, les parties résolurent le litige. Le requérant renonça à toutes ses prétentions en échange du paiement d’un montant de 12 000 000 lires italiennes (environ 6 200 EUR) par la partie défenderesse. Il allègue avoir été contraint d’accepter ce montant en raison de sa situation financière et de la durée de la procédure. Le 17 février 2000, en raison de l’absence des parties à plusieurs reprises, la cause fut rayée du rôle. La procédure pénale Le requérant affirme avoir été poursuivi en Italie pour extorsion aggravée envers le titulaire de l’entreprise partenaire et d’avoir été acquitté. Il n’a pas, toutefois, fourni de documents à l’égard de cette procédure. La procédure « Pinto » Le 18 avril 2002, le requérant saisit la cour d’appel de Messine afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure civile à laquelle Kroton Travel avait été partie. Il demanda la réparation des dommages matériels et moraux. Le 18 septembre 2003, la cause fut rayée du rôle en raison de l’absence de son avocat à plusieurs reprises. En soutenant qu’une erreur de communication du greffe était à l’origine de cette absence, le 23 avril 2004, le requérant réassigna le ministère de la Justice devant la cour d’appel de Messine. La cour d’appel reprit la procédure (en gardant le même numéro de répertoire général, no R.G.N.C. 65/02) et, par une décision du 17 février 2005, déposée le 28 février 2005, elle rejeta la demande de réparation des dommages matériels, en estimant que le requérant n’avait pas prouvé que ceux-ci fussent la conséquence directe de la longueur de la procédure. Elle lui accorda 2 000 EUR à titre de dommage moral et 610 EUR pour frais et dépens. Ces montants furent payés le 4 juillet 2006. Entre-temps, le 15 novembre 2005, le requérant se pourvu en cassation. Par une décision du 11 décembre 2007, déposée le 14 mai 2008, la Cour de cassation accueillit partiellement le pourvoi et accorda 2 750 EUR à titre de dommage moral plus intérêts, et un montant global de 1 890 EUR pour frais et dépens. Elle estima irrecevable la demande concernant le préjudice matériel au motif que le requérant ne l’avait pas dûment précisée et étayée. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS INTERNES Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans les arrêts Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V) et Simaldone c. Italie (no 22644/03, § 11-15, 31 mars 2009).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953. Il est officiellement détenu au pénitencier d’Aruba (Korrektie Instituut Aruba). Toutefois, à la connaissance de la Cour, il se trouve actuellement dans un établissement de soins à Curaçao en raison de problèmes de santé. À l’époque pertinente pour les faits de la cause, le Royaume des PaysBas était composé des Pays-Bas (partie européenne du royaume), des Antilles néerlandaises (Curaçao, Sint Maarten, Saint-Eustache, Bonaire et Saba) et d’Aruba, qui devint un « pays » (land) du royaume en 1986. Puis, le 10 octobre 2010, les Antilles néerlandaises ont été dissoutes par la loi du royaume du 7 septembre 2010 portant modification de la Charte du Royaume des Pays-Bas dans le cadre du changement de statut constitutionnel des territoires insulaires des Antilles néerlandaises (loi du royaume modifiant la Charte dans le cadre de la dissolution des Antilles néerlandaises) – Rijkswet van 7 september 2010 tot wijziging van het Statuut voor het Koninkrijk der Nederlanden in verband met de wijziging van de staatkundige hoedanigheid van de eilandgebieden van de Nederlandse Antillen (Rijkswet wijziging Statuut in verband met de opheffing van de Nederlandse Antillen). Depuis cette date, le Royaume des PaysBas est constitué de quatre pays : les Pays-Bas (la partie européenne du royaume), Aruba, Curaçao et Sint Maarten. Les autres îles des anciennes Antilles néerlandaises sont des communes des Pays-Bas à statut particulier. Les pays du Royaume des Pays-Bas ont chacun leur propre ordre juridique, de sorte qu’il peut y avoir des différences de l’un à l’autre. Le chef d’État du Royaume des Pays-Bas (le Roi) est représenté par le Gouverneur. Jusqu’au 10 octobre 2010, il y avait un gouverneur pour les Antilles néerlandaises et un pour Aruba. La mission du Gouverneur est double : il représente et protège les intérêts généraux du Royaume et il est le chef du Gouvernement. Depuis le 10 octobre 2010, y a un gouverneur pour Aruba, un pour Curaçao et un pour Sint Maarten. A. La condamnation du requérant et les procédures subséquentes Les faits antérieurs à l’introduction de la requête Le 31 octobre 1979, le tribunal de première instance (Gerecht in Eerste Aanleg) des Antilles néerlandaises jugea le requérant coupable du meurtre d’une petite fille de 6 ans, perpétré sur l’île de Curaçao. Le jugement du tribunal de première instance comprenait un rapport psychiatrique qui avait été établi à la demande du procureur (Officier van Justitie). Dans ce rapport, le psychiatre formulait les conclusions suivantes : « L’accusé souffre de maladie mentale, en particulier d’un développement très limité des facultés mentales (...) Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que sa responsabilité pénale est atténuée (verminderd toerekeningsvatbaar), mais qu’il doit néanmoins répondre pénalement de ses actes. Nous notons en particulier que l’accusé ne peut être considéré comme aliéné mental ni avant, ni pendant ni après la commission de l’infraction (...) Il est capable de commettre une infraction semblable à l’avenir, mais il n’est pas nécessaire de l’interner en hôpital psychiatrique général (krankzinnigengesticht). Sa place est en asile pour psychopathes (psychopatenasiel), où il devrait suivre un traitement assez long, sous surveillance très stricte. Cependant, à Curaçao, il n’y a pas d’autre choix que la prison ou l’hôpital psychiatrique (général) du pays (Landspsychiatrisch Ziekenhuis). Or, compte tenu de ce que le risque de récidive est pour le moment très élevé, même à supposer qu’un traitement puisse être commencé immédiatement, de ce que, en conséquence, il est d’une importance primordiale que l’accusé fasse l’objet d’une surveillance intensive (surveillance qui est impossible à l’hôpital psychiatrique du pays), et de ce qu’il n’y a pas lieu de le considérer comme pénalement irresponsable pour cause d’aliénation mentale au sens de la loi, un placement à l’hôpital psychiatrique du pays est tout à fait contre-indiqué. La seule option restante est qu’il purge sa peine en prison (un transfert dans un asile fermé aux Pays-Bas étant impossible en raison de son intelligence limitée et de sa capacité insuffisante à s’exprimer verbalement). Il est fortement conseillé que l’on s’efforce, si possible dans le cadre pénitentiaire, de parvenir à mieux structurer sa personnalité, afin d’éviter qu’il ne récidive à l’avenir. » Estimant qu’il ne ressortait pas de ce rapport que l’état du requérant ne s’améliorerait jamais, le tribunal de première instance le condamna à vingt années d’emprisonnement. Le requérant et le Ministère public (Openbaar Ministerie) contestèrent l’un comme l’autre le jugement du tribunal de première instance. Le 11 mars 1980, la Cour commune de justice (Gemeenschappelijk Hof van Justitie) des Antilles néerlandaises infirma le jugement du tribunal de première instance. Elle déclara le requérant coupable de meurtre, estimant prouvé qu’il avait tué la fillette de 6 ans délibérément et avec préméditation. Elle tint le raisonnement suivant : l’accusé avait, avec calme et de sang-froid, conçu l’intention et pris la décision de tuer l’enfant ; pour mettre cette intention à exécution, il l’avait poignardée à plusieurs reprises avec un couteau, ce qui avait entraîné son décès ; la fillette étant la nièce de l’ancienne petite amie de l’accusé, celui-ci l’avait tuée pour se venger de la jeune femme qui l’avait quitté. La Cour commune admit les conclusions du rapport psychiatrique et ajouta ceci : « Considérant que, même si l’on ne peut que le déplorer, il n’est pas possible aux Antilles néerlandaises de prononcer une ordonnance d’obligation de traitement (terbeschikkingstelling met bevel tot verpleging van overheidswege) aux fins de l’internement en asile fermé, ce qui serait la mesure la plus appropriée en l’espèce, que, comme la Cour en a connaissance ex officio, l’internement aux Pays-Bas s’est déjà révélé impraticable dans des cas similaires par le passé, et qu’en outre, en l’espèce, le psychiatre estime que l’intelligence limitée de l’accusé et sa capacité insuffisante à s’exprimer verbalement rendent impossible un internement aux PaysBas ; (...) » Lorsqu’elle détermina la peine du requérant, la Cour commune de justice estima, au vu des conclusions du rapport du psychiatre, que les risques de récidive étaient si importants que la protection de la sécurité publique devait prévaloir et être considérée comme l’intérêt le plus important à garantir. Elle conclut que cet intérêt ne pouvait être assuré de manière satisfaisante qu’en empêchant le requérant de réintégrer la société. Elle le condamna donc à une peine d’emprisonnement à vie. Le requérant fut incarcéré à la prison d’État Koraal Specht à Curaçao (renommée par la suite prison Bon Futuro, puis Sentro di Detenshon i Korekshon Korsou). Il n’y avait pas de régime distinct pour les détenus devant suivre un traitement pour troubles mentaux. Le requérant introduisit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour commune de justice. La Cour suprême (Hoge Raad) rejeta ce pourvoi le 25 novembre 1980. Le 24 novembre 1981, le requérant saisit la Cour commune de justice d’une demande de révision de son procès. Cette demande fut rejetée le 6 avril 1982. Le requérant forma par ailleurs au moins treize recours en grâce (gratieverzoek). Le premier, introduit le 26 avril 1982 auprès du Gouverneur des Antilles néerlandaises, fut rejeté le 9 août de la même année au motif qu’il n’y avait pas de raison qui aurait justifié d’accorder la grâce. Les treize premières années que le requérant passa en prison furent émaillées de divers incidents : bagarres, extorsion, abus de drogue, etc. Certains de ces incidents aboutirent à l’isolement du requérant. Vers l’année 2000, le requérant fut transféré, à sa demande, au pénitencier d’Aruba. La responsabilité de l’exécution de sa peine passa alors des autorités des Antilles néerlandaises à celles d’Aruba. Par un accord du 1er décembre 1999, le ministre de la Justice de Curaçao rendait cependant ce transfert conditionnel, en ce que toute mesure (grâce, réduction de peine, autorisation de sortie) impliquant que le requérant quitte la prison était soumise à l’approbation du Ministère public de Curaçao. Le 30 janvier 2002, le Gouverneur des Antilles néerlandaises rejeta un recours en grâce formé par le requérant, au motif qu’il n’y avait pas de raison qui aurait justifié d’accorder la grâce. Le 31 mai 2004, le directeur du pénitencier d’Aruba transmit au ministre de la Justice d’Aruba une lettre du requérant priant le Gouverneur d’Aruba de contacter le Gouverneur des Antilles néerlandaises en vue d’une éventuelle mesure de grâce. Cette demande n’eut toutefois pas l’effet désiré. Par ailleurs, le requérant adressa plusieurs recours en grâce au Procureur général (Procureur-Generaal) d’Aruba. Par des lettres du 9 juin 2000, du 26 octobre 2004, du 14 mars 2005 et du 18 juillet 2007 respectivement, celui-ci l’informa que seules les autorités des Antilles néerlandaises pouvaient adopter des mesures modifiant l’exécution de sa peine. Le 1er mars 2006, le Gouverneur des Antilles néerlandaises rejeta un recours en grâce du requérant, au motif qu’il n’y avait pas de raison qui aurait justifié d’accorder la grâce. Par une lettre du 16 janvier 2008, le ministre de la Justice d’Aruba informa le requérant que ses recours en grâce ne présentaient aucun fait ni aucunes circonstances qui eussent modifié l’issue de la procédure s’ils avaient été connus de la Cour commune de justice au moment où elle avait rendu son arrêt, ni aucun fait susceptible de mener à la conclusion que la poursuite de l’exécution de la peine était devenue sans objet. Les faits postérieurs à l’introduction de la requête En prévision du réexamen périodique des condamnations à vie qui allait être introduit dans le code pénal (Wetboek van Strafrecht) de Curaçao, le Procureur général demanda, par une lettre du 9 septembre 2011, qu’il soit procédé à un examen psychiatrique du requérant. Le 7 octobre 2011, le psychologue J.S.M. formula les conclusions suivantes : « (...) les résultats de l’examen montrent que [le requérant] présente des symptômes de dépression. Il refoule ses émotions et sa colère et les cache à son entourage. (...) [Le requérant] n’a guère confiance dans les autres. Il considère que chacun se sert des autres et abuse d’eux pour parvenir à ses fins. C’est pourquoi il est extrêmement méfiant à l’égard des gens qu’il rencontre et il présente un comportement asocial. (...) Il est extrêmement sensible à la critique et au rejet. » Le 26 mars 2012, la Fondation arubaise pour le reclassement et la protection des mineurs (Stichting Reclassering en Jeugdbescherming) émit un rapport dans lequel elle estimait que le requérant aurait pu vivre avec sa mère à Aruba et travailler dans une boutique de tapisserie. L’auteur du rapport jugeait difficile d’estimer le risque de récidive, mais considérait qu’avec un soutien approprié après sa libération, les perspectives de réinsertion sociale du requérant étaient bonnes. À la demande de la Cour commune de justice, trois rapports furent établis. Le premier rapport fut établi le 25 mai 2012 par le pénitencier d’Aruba. On pouvait y lire ceci : « C’est un homme calme et tranquille de 59 ans qui n’a jamais fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire pendant sa détention. (...) Il accomplit les tâches qui lui sont imparties correctement et à la satisfaction du personnel pénitentiaire. En principe il travaille seul, mais il forme volontiers les autres détenus à la tapisserie d’ameublement. (...) Il est toujours poli et respectueux envers le personnel pénitentiaire, et aucun des agents de la prison n’a à se plaindre de lui. Il rencontre rarement l’assistante sociale et quand il la voit, il lui pose toujours les mêmes questions. Il semblerait qu’il oublie les choses dont il a déjà discuté. » Le deuxième rapport fut établi le 21 juillet 2012 par le psychiatre M.V., qui formula les conclusions suivantes : « Le test de personnalité montre que le sujet présente un trouble de la personnalité de type asocial avec de légers traits psychopathes. Il y a aussi des signes de tendance narcissique. La structure du caractère est rigide, mais non fortement affichée, peut-être en raison de son âge. Il y a lieu de considérer que le risque qu’il récidive ou commette d’autres actes répréhensibles en cas de retour dans la société est présent (risque modéré en comparaison de la population concernée par les services psycho-légaux). (...) De manière générale, le sujet peut être décrit comme présentant une personnalité asociale dont les manifestations les plus désagréables ont été atténuées. (...) C’est un fait à peu près certain que sa personnalité ne changera pas. La personnalité se forme jusqu’à l’âge de 35 ans, après quoi seuls des changements mineurs peuvent intervenir. L’examen montre que la personnalité du sujet est bien rigide. Il sera donc toujours quelqu’un de désagréable dans ses relations avec les autres et aura toujours du mal à établir et à entretenir des relations sociales. Compte tenu de sa personnalité, j’estime que les chances qu’il parvienne à se réinsérer dans la société sont minces. » Le troisième rapport fut établi le 17 août 2012 par le psychiatre G.E.M., qui formula les conclusions suivantes : « Le sujet souffre toutefois d’un grave trouble de la personnalité, qui se caractérise par une conscience des émotions hautement indifférenciée et très primitive, une conscience sous-développée, des compétences sociales rudimentaires, un manque d’empathie. (...) Bien que le sujet ait eu un comportement problématique et agressif pendant les premières années de sa détention, pendant lesquelles il a même commis une tentative d’empoisonnement, il est devenu ces dernières années un détenu modèle. (...) Ce changement de comportement est largement imputable au cadre qu’apporte l’environnement pénitentiaire et au fait qu’il est à présent bien plus âgé (il a près de 60 ans) : il deviendra vraisemblablement de plus en plus modéré au fil des années. (...) [E]n ce qui concerne le risque de récidive, mon avis est partagé. D’un côté, le sujet est pratiquement un détenu modèle, de l’autre, ses traits de caractère essentiels n’ont pas changé. Il demeure quelqu’un d’extrêmement perturbé, et il est difficile de prévoir comment il réagirait et dans quelle mesure il pourrait tenir hors du cadre de la prison. » Le 21 septembre 2012, après avoir procédé au réexamen périodique de la peine d’emprisonnement à vie du requérant conformément à l’article 1:30 du code pénal de Curaçao entré en vigueur le 15 novembre 2011 (paragraphe 42 ci-dessous), la Cour commune de justice décida que, au bout de 33 ans, la peine privative de liberté du requérant poursuivait toujours un objectif raisonnable. Elle tint compte des conclusions des experts selon lesquelles le requérant souffrait d’un trouble de la personnalité à caractère asocial, de ce que l’attitude de l’intéressé pendant l’audience montrait selon elle qu’il n’était pas capable d’expliquer la gravité et l’absurdité du meurtre ni comment il avait pu le commettre, et de la situation des proches survivants. B. Les conditions de détention du requérant À la fin de l’année 2010 et au début de l’année 2011, en raison de conditions météorologiques extrêmes, la pluie pénétra dans plusieurs cellules du pénitencier d’Aruba. Cent cinquante-deux détenus (dont le requérant) prièrent le tribunal de première instance d’Aruba dans le cadre d’une action en référé (kort geding) d’ordonner aux autorités arubaises de prendre, notamment, des mesures pour empêcher la pluie de pénétrer dans leurs cellules tout en les protégeant du soleil, et de leur interdire de loger plus de deux détenus par cellule de 3 m x 3 m. Le 2 février 2011, le tribunal de première instance d’Aruba fit partiellement droit à ces demandes. Il ordonna aux autorités arubaises de prendre avant le 1er avril 2011 des mesures pour empêcher l’eau de pluie d’entrer dans les cellules tout en laissant l’air circuler. Il leur laissa également un délai d’un mois à compter du jugement pour cesser de loger plus de deux détenus par cellule de 3 m x 3 m. Le 19 avril 2011, la Cour commune de justice réforma le jugement du tribunal de première instance. Elle laissa aux autorités arubaises un délai de six mois à compter de la notification de l’arrêt pour empêcher l’eau de pluie d’entrer dans les cellules. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Pouvoir d’accorder une grâce aux personnes détenues à Curaçao Jusqu’au 10 octobre 2010, le pouvoir d’accorder une grâce était régi par l’article 16 § 1 de la Constitution des Antilles néerlandaises (Staatsregeling van de Nederlandse Antillen), qui prévoyait ceci : « Le Gouverneur peut, après avoir consulté la juridiction qui a rendu le jugement, gracier toute personne reconnue coupable et condamnée par une décision de justice. » Depuis le 10 octobre 2010, l’article 93 de la Constitution de Curaçao prévoit ceci : « Les grâces sont accordées par décret du pays après consultation de la juridiction qui a rendu le jugement, compte tenu de dispositions qui seront fixées ultérieurement ou en vertu de l’ordonnance de pays. » Ce décret du pays est adopté par le Gouverneur. B. Réexamen périodique des peines d’emprisonnement à vie Depuis le 15 novembre 2011, il est obligatoire à Curaçao de réexaminer périodiquement les peines d’emprisonnement à vie. L’article 1:30 du code pénal de Curaçao prévoit ceci : « 1. Toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement à vie sera placée en liberté conditionnelle à partir du moment où sa privation de liberté aura duré au moins vingt ans si, de l’avis de la Cour [commune de justice], la poursuite inconditionnelle de l’exécution de sa peine ne poursuit plus un objectif raisonnable. Dans tous les cas, la Cour [commune de justice] tiendra compte de la situation des victimes ou de leurs proches survivants ainsi que du risque de récidive. Si la Cour [commune de justice] décide de ne pas remettre la personne concernée en liberté, elle réexamine la situation cinq ans plus tard puis, le cas échéant, tous les cinq ans. (...) La décision de la Cour commune de justice n’est pas susceptible de recours. » III. LES DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE Le deuxième rapport général du CPT Les passages ci-dessous sont extraits du Rapport à l’intention des autorités du Royaume des Pays-Bas sur les visites effectuées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») dans le Royaume en Europe, à Aruba et aux Antilles néerlandaises (CPT/Inf (2008) 2, traduction du greffe). Les visites à Aruba ont eu lieu du 4 au 7 juin 2007 et les visites aux Antilles néerlandaises du 7 au 13 juin 2007. « CHAPITRE II : VISITE À ARUBA (...) C. Pénitencier d’Aruba Mauvais traitements La délégation a recueilli de nombreuses allégations d’actes de violence entre les détenus, pendant lesquels les agents pénitentiaires seraient demeurés passifs alors qu’ils auraient dû intervenir ; dans certains cas, leur inertie aurait même exacerbé la situation. En d’autres occasions d’actes violents entre les détenus, les agents pénitentiaires n’auraient tout simplement pas été présents ni même à proximité. Conditions de détention a. Conditions matérielles (...) Toutes les cellules mesurent moins de 9 m² – sans compter les sanitaires partiellement séparés de la cellule, qui sont composés d’une douche, de toilettes et d’un lavabo – et sont occupées par trois détenus. Les cellules ne sont séparées du reste de l’établissement (côté couloir) que par des barreaux allant du sol au plafond, de sorte qu’elles n’offrent pratiquement aucune intimité. Elles sont meublées de trois couchettes superposées garnies d’une literie de bonne qualité, et la lumière artificielle à l’intérieur est bonne. Les ouvertures dans la structure en béton offrent suffisamment de lumière naturelle, mais pas suffisamment d’aération (et pas de possibilité de voir à l’extérieur). b. Régime Deux détenus purgent des peines d’emprisonnement à vie au moment de la visite, et 26 autres purgent des peines longues, de 10 à 22 ans. Pourtant, ces détenus, qui représentent plus de 12 % des condamnés, ne semblent pas bénéficier d’un régime plus stimulant que celui, plutôt pauvre, offert à tous les détenus ; et ils ne bénéficient pas d’un soutien psychologique adéquat. (...) Le CPT recommande aux autorités arubaises d’élaborer une politique de traitement adapté des détenus condamnés à une peine d’emprisonnement à vie ou à une peine longue. f. Prise en charge psychiatrique et psychologique En principe, un psychiatre se rend au pénitencier d’Aruba une fois par mois ; cependant, la délégation note qu’il n’est pas venu depuis plusieurs mois. Le défaut de prise en charge psychiatrique est essentiellement lié à des questions budgétaires. (...) Un centre d’assistance et d’observation médicales et psychiatriques (FOBA) a récemment été créé au pénitencier. Il peut en théorie accueillir 10 détenus. Cependant, en raison d’un manque de personnel (médecins et gardiens), il n’a pas été mis en service. En théorie, les détenus pourraient bénéficier d’un traitement psychiatrique ponctuel à l’unité PAAZ de l’hôpital Oduber, mais il est très rare que les détenus y soient envoyés. (...) CHAPITRE 3 : VISITE AUX ANTILLES NÉERLANDAISES (...) Conditions matérielles De plus, le phénomène des violences entre détenus s’est amplifié. Il apparaît que le nombre de lésions constatées chaque année pendant la détention (par opposition aux lésions constatées à l’arrivée) a doublé depuis 2002. En outre, la délégation a recueilli des allégations de violences sexuelles entre les détenus, qui n’étaient pour la plupart pas signalées. (...) Le CPT est extrêmement préoccupé par le niveau de violence qui règne à la prison Bon Futuro, établissement qui est clairement dangereux tant pour les détenus que pour le personnel. (...) Services de santé (...) b. Prise en charge psychiatrique et psychologique à la prison Bon Futuro Un psychiatre est présent à mi-temps à la prison Bon Futuro (ce mis à part le dispositif FOBA, voir le paragraphe 59). Cependant, les détenus ne bénéficient pas d’une prise en charge psychologique (seule l’unité FOBA emploie un psychologue). De l’avis du CPT, un établissement de la taille de la prison Bon Futuro devrait pouvoir compter sur les services d’au moins un psychologue à temps plein. Le CPT recommande qu’un psychologue à plein temps soit recruté dès que possible pour la prison Bon Futuro. L’unité d’assistance médicale et psychiatrique (FOBA) de la prison Bon Futuro a été créée pour traiter certains détenus à problèmes en l’absence de milieu hospitalier plus approprié. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1976 et détenu à la prison de Kırıkkale. Le 14 mars 2000, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre le Hizbullah, une organisation illégale. Le 24 mars 2000, il fut placé en détention provisoire. Il fut inculpé d’appartenance à une organisation illégale et son procès commença devant la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır. Après l’abolition des cours de sûreté de l’Etat en 2004, le procès du requérant se poursuivit devant la cour d’assises de cette ville. Tout au long de la procédure, au terme des audiences tenues devant elles, la cour de sûreté de l’État et la cour d’assises ordonnèrent le maintien en détention provisoire du requérant compte tenu de la nature de l’infraction reprochée ainsi que de l’état des preuves, de l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée et du fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Le 10 avril 2008, la cour d’assises reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à la réclusion criminelle à perpétuité. Le 26 janvier 2010, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Contexte de l’affaire La requérante, Mme Valentina Strugaru, est née en 1960 et réside à Ciudei. Le 5 décembre 1992, la requérante épousa L.G. Le 25 avril 2002, le tribunal de Botanica prononça le divorce entre la requérante et L.G. Le 16 juin 2006, L.G. vendit la maison et le terrain accolé à un tiers, M. A une date non spécifiée, la requérante saisit le tribunal de Râşcani d’une action en partage après divorce. Par un jugement du 28 avril 2007, le tribunal de Râşcani accueillit partiellement l’action de la requérante, déclara nul le contrat de vente concernant la maison et le terrain, et lui octroya la moitié des biens en litige. L.G. interjeta appel. Le 25 juillet 2007, la cour d’appel de Chişinău accueillit l’appel interjeté par L.G., annula le jugement du 28 avril 2007 et débouta la requérante de son action. Le 28 août 2007, la requérante forma un recours à l’encontre de la décision de la cour d’appel. Le 10 décembre 2007, la Cour suprême de justice cassa la décision de la cour d’appel de Chişinău et confirma celle du tribunal de Râşcani. Elle constata que la requérante avait apporté la preuve d’une communauté de vie avec L.G. après la dissolution du mariage et qu’ils avaient construit la maison ensemble. Cet arrêt était irrévocable. B. La révision de l’arrêt irrévocable en date du 10 décembre 2007 Le 24 mars 2008, L.G. introduisit une action en révision devant la Cour suprême de justice. Le 18 juin 2008, la Cour suprême de justice accueillit l’action en révision et cassa la décision du 10 décembre 2007 au motif que L.G. avait produit une copie d’un jugement du tribunal de Ciocana en date du 11 février 2008, qui attestait le fait du concubinage entre L.G. et une tierce personne à partir du 2002. Elle prononça un nouvel arrêt, par lequel elle débouta la requérante de son action. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Concernant la révision des décisions irrévocables, le droit interne pertinent est résumé dans les affaires Popov c. République de Moldova (no 2) (no 19960/04, §§ 27-29, 6 décembre 2005) et Jomiru et Creţu c. Moldova, (no 28430/06, §§ 26 - 27, 17 avril 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1941 et réside à Athènes. Les lois nos 2838/2000 et 3016/2002 prévoyaient une augmentation des salaires des officiers des forces armées, de la police hellénique, de la police des ports et du corps des pompiers. La présente requête porte sur la procédure engagée par la requérante, en vue d’obtenir le réajustement et l’augmentation du montant de sa pension conformément aux dispositions de ces lois. En 2001, la requérante saisit la Comptabilité générale de l’Etat d’une demande tendant à obtenir le réajustement du montant de sa retraite. Le 17 mai 2002, la Comptabilité générale de l’Etat rejeta sa demande (décision no 90 795/2001). Le 9 juillet 2002, la requérante saisit la Cour des comptes d’un recours contre la décision de la Comptabilité générale. Le 29 juin 2006, la Cour des comptes donna gain de cause à la requérante (arrêt no 1843/2006). Le 25 octobre 2006, l’Etat se pourvut en cassation devant la formation plénière de la Cour des comptes contre l’arrêt no 1843/2006. Le 3 juin 2009, la formation plénière de la Cour des comptes rejeta le pourvoi (arrêt no 1706/2009). La formation plénière examina, entre autres, une question de constitutionnalité relative à la procédure applicable lors de l’augmentation de la retraite des pensionnaires des forces armées. L’arrêt fut notifié à la requérante le 30 juillet 2009.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le premier requérant, M. Arūnas Kudrevičius (ci-après – A.K.), est né en 1970 et réside dans le village de Vaitkūnai, dans la région de Utenos ; le deuxième requérant, M. Bronius Markauskas (ci-après – B.M.), est né en 1960 et réside dans le village de Triušeliai, dans la région de Klaipėda ; le troisème requérant, M. Artūras Pilota (ci-après – A.P.), est né en 1973 et réside dans le village de Ožkasviliai, dans la région de Marijampolė ; le quatrième requérant, M. Kęstutis Miliauskas (ci-après – K.M.), est né en 1959 et réside dans le village de Jungėnai, dans la région de Marijampolė ; et le cinquième requérant, M. Virginijus Mykolaitis (ci-après – V.M.), est né en 1961 et réside dans le village de Varakiškė, dans la région de Vilkaviškis. En avril 2003, un groupe d’agriculteurs manifesta devant le Seimas (le Parlement lituanien) pour protester contre la situation du secteur agricole. Ils dénonçaient la chute des prix de gros pour divers produits agricoles et le manque de subventions accordées aux producteurs de ces produits, et demandaient que l’État prenne des mesures à cet égard. Le 16 mai 2003, la Chambre d’agriculture (Žemės ūkio rūmai), une organisation représentant les intérêts des agriculteurs, se réunit pour discuter de solutions à ces problèmes. La Chambre évoqua certaines mesures, notamment la saisine des tribunaux administratifs, dans le cas où il n’y aurait aucun changement positif dans la réglementation. Dans l’intervalle, il fut décidé d’organiser des manifestations dans trois endroits différents près des principaux axes routiers (prie magistralinių kelių) pour attirer l’attention du public sur les problèmes du secteur agricole. En mai 2003, la municipalité de Kalvarija autorisa l’organisation d’une réunion pacifique dans la ville de Kalvarija, « près de la place du marché ». La municipalité de Pasvalys autorisa une manifestation « sur le parking au kilomètre 63 de l’autoroute Via Baltica et près de cette autoroute ». La municipalité de Klaipėda autorisa la tenue d’une manifestation dans un « lieu situé dans le village de Divupiai, près de l’autoroute Vilnius-Klaipėda, à 25 mètres au moins de cette autoroute ». L’autorisation précisait que B.M. était l’un des organisateurs du rassemblement. Celui-ci fut informé qu’il devait observer la loi et obéir à tout ordre émanant des autorités et de la police. Les manifestations commencèrent le 19 mai 2003. Les agriculteurs se rassemblèrent dans les endroits prévus. Le 21 mai 2003, les agriculteurs établirent des barrages et continuèrent à manifester près du village de Divupiai, sur l’autoroute Vilnius-Klaipėda, au kilomètre 63 de l’autoroute Panevėžys-Pasvalys-Riga ainsi qu’au kilomètre 94 de l’autoroute Kaunas-Marijampolė-Suvalkai. Le 22 mai 2003, les agriculteurs poursuivirent les négociations avec le gouvernement. Le lendemain, les négociations ayant abouti à un accord, ils levèrent les barrages sur les routes. Une enquête préliminaire fut engagée contre les requérants et plusieurs autres individus, soupçonnés d’avoir provoqué une émeute. En juillet 2003, B.M. V.M, A.P. et K.M. furent assignés à résidence. Cette mesure fut levée en octobre 2003. Le rapport de police du 22 mai indique que, pendant la manifestation des agriculteurs sur l’autoroute Kaunas-Marijampolė-Suvalkai, « il y a eu quelques altercations entre les agriculteurs et chauffeurs de poids lourds mais des conflits plus sérieux ont pu être évités ». Il ressort des documents soumis à la Cour qu’à la fin du mois quatre sociétés de transport de marchandises informèrent la police et Linava, l’association nationale lituanienne des chauffeurs routiers, qu’elles avaient subi un dommage matériel d’un montant de 25 235 litai lituaniens (LTL) (soit 7 300 euros (EUR) environ) en raison des barrages érigés sur les routes par les agriculteurs pendant les manifestations. Les sociétés se déclarèrent disposées à engager des procédures civiles pour faire valoir ces prétentions. Le 1er septembre 2003, la police émit une attestation précisant que du 19 au 23 mai 2003 les agriculteurs avaient organisé une manifestation sur le parking à hauteur du kilomètre 63 de l’autoroute Panevėžys-Pasvalys-Riga. Le 21 mai, vers midi, les agriculteurs s’étaient rendus sur l’autoroute et avaient bloqué la circulation. Ils avaient laissé passer uniquement les véhicules de tourisme et les véhicules qui transportaient des substances dangereuses. Les véhicules qui transportaient des marchandises et les voitures avait été autorisés à passer une fois par heure, par dix à la fois, dans les deux sens de circulation. Afin d’améliorer la situation, la police avait tenté de détourner la circulation loin du barrage, par les villages voisins. Toutefois, en raison du mauvais état des routes aux alentours, les camions transportant des marchandises n’avaient pas pu tous les emprunter et avaient dû rester sur l’autoroute jusqu’au départ des agriculteurs. Certains camions s’étaient ensablés et il avait fallu des engins spéciaux pour les dégager. La police indiquait que les agriculteurs avait levé les barrages sur l’autoroute à 16 heures le 23 mai 2003. Les requérants soutiennent que le 1er octobre 2003 la police infligea une amende de 40 LTL (environ 12 EUR) à l’agriculteur A.D. D’après eux, le procès-verbal d’amende établit que le 21 mai 2003 A.D. avait emmené les agriculteurs ériger des barrages sur l’autoroute Kaunas-Marijampolė-Suvalkai dans la municipalité de Kalvarija, et qu’il s’était engagé au milieu de la chaussée en poussant une charrue devant lui, bloquant ainsi la circulation. Le procès-verbal aurait indiqué que, par de tels actes, A.D. avait violé le paragraphe 81 des Règles sur la circulation routière et avait donc commis une violation du droit administratif, telle que prévue par l’article 131 du code des infractions administratives (voir la partie « Droit interne pertinent » ci-dessous). Le 4 décembre 2003, le procureur saisit les tribunaux par un acte d’accusation, dans lequel B.M. et A.K. étaient accusés d’incitation à l’émeute en vertu de l’article 283 § 1 du code pénal. Dans l’acte d’accusation, le procureur relevait que B.M. avait pris part à la réunion des agriculteurs du 16 mai 2003, à l’occasion de laquelle les agriculteurs avaient décidé d’organiser des manifestations près des autoroutes principales le 19 mai et, dans le cas où le gouvernement ne ferait pas droit à leurs exigences au plus tard à 11 heures le 21 mai, d’ériger des barrages sur ces autoroutes. Le 19 mai, B.M. avait dit aux agriculteurs de bloquer les routes le 21 mai. En conséquence, à 12 h 09 à cette date, 500 agriculteurs environ s’étaient rendus sur l’autoroute Vilnius-Klaipėda. Les agriculteurs avaient refusé d’obéir aux ordres de la police les incitant à ne pas rester sur la chaussée. En conséquence, la circulation avait été bloquée jusqu’à 13 heures le 23 mai. Des embouteillages s’étaient formés sur les routes avoisinantes, bloquant l’ensemble de la circulation routière dans la région. Concernant A.K., le procureur estima que celui-ci avait également incité les agriculteurs à bloquer l’autoroute. En conséquence, à midi le 21 mai, 250 personnes environ s’étaient rendues sur l’autoroute Panevėžys-Pasvalys-Riga, refusant d’obéir aux ordres de la police de ne pas bloquer l’autoroute. La circulation étaitt demeurée bloquée jusqu’à 10 h 58 le 23 mai. Les routes avoisinantes avaient été complètement saturées, et le fonctionnement normal du poste de frontière de Saločiai-Grenctale avait été interrompu. V.M., K.M et A.P. furent accusés en vertu à l’article 283 § 1 du code pénal d’avoir causé des troubles graves à l’ordre public pendant l’émeute. Le procureur établit les faits suivants : le 21 mai 2003, vers 11 h 50, environ 1 500 personnes s’étaient rassemblées au kilomètre 94 de l’autoroute Kaunas-Marijampolė-Suvalkai. Vers 15 ou 16 heures, les requérants susmentionnés avaient conduit trois tracteurs sur l’autoroute et les avaient stationnés sur la chaussée. Les trois requérants avaient refusé d’obéir aux instructions de la police de ne pas porter atteinte à l’ordre public et de dégager les tracteurs. Les tracteurs étaient restés sur la chaussée jusqu’à 16 h 15 le 23 mai 2003. En conséquence, l’autoroute avait été bloquée du kilomètre 84 jusqu’au kilomètre 94. L’augmentation consécutive de la circulation sur les routes avoisinantes avait provoqué la formation d’embouteillages et le transport routier dans la région était arrivé à un point de saturation. Le fonctionnement normal des postes frontières de Kalvarija et de Marijampolė avait été perturbé. Dans le cadre de la procédure pénale, une société de logistique introduisit une plainte civile contre A.K., l’accusant d’avoir incité les agriculteurs à bloquer l’autoroute et réclamant des dommages-intérêts de 1 100 LTL (environ 290 EUR) pour la perte qu’elle disait avoir subie en raison du blocage de cette autoroute. Le 16 août 2004, le tribunal de district de Kaunas suspendit l’examen de l’affaire relativement à K.M., V.M., B.M., et A.K., car ceux-ci ne s’étaient pas présentés à l’audience. Ainsi qu’il ressort des documents soumis par le gouvernement, A.K. et V.M. avaient reçu notification de l’audience à venir par le biais d’une convocation. B.M. avait également été informé à l’avance de la tenue de l’audience. À cette date, l’affaire fut examinée uniquement en ce qui concernait A.P. Le tribunal de district interrogea huit témoins. L’avocat des requérants était présent à l’audience et posa des questions à sept d’entre eux. Du 17 au 20 août 2004, le tribunal de district de Kaunas tint des audiences pendant lesquelles plusieurs autres témoins firent des dépositions sur la manifestation en cause. Le tribunal examina l’affaire uniquement dans le chef de A.P., qui était présent à ces audiences. Il ressort des décisions des juridictions d’appel et de cassation (paragraphes 30 et 35 ci-dessous) que tous les requérants assistèrent à certaines des audiences. Le 29 septembre 2004, le tribunal de district de Kaunas déclara les requérants coupables d’incitation ou de participation à des émeutes en vertu de l’article 283 § 1 du code pénal. Pour condamner B.M., le tribunal se fonda sur les enregistrements vidéo des événements, sur des preuves documentaires et sur la déposition d’un témoin. Le tribunal conclut que BM avait organisé un rassemblement dans le but de porter gravement atteinte à l’ordre public, c’est-à-dire de déclencher une émeute. Il précisa que B.M. avait été l’un des meneurs de la réunion du 16 mai 2003 pendant laquelle les agriculteurs avaient décidé de tenter de parvenir à leurs fins en organisant des manifestations près des autoroutes. Il releva que le requérant avait coordonné les actions des agriculteurs et qu’en conséquence, le 21 mai 2003, environ 500 personnes s’étaient rendus sur la route de Vilnius-Klaipeda et l’avaient bloquée. La circulation aurait ainsi été bloquée jusqu’au 23 mai 2003. D’après le tribunal, la violation grave de l’ordre public consécutive à ces actions avait été délibérée et devait être qualifiée d’émeute. Le tribunal de district rejeta le moyen de B.M. selon lequel lui-même et les autres agriculteurs avaient agi par nécessité car les barrages routiers avaient constitué leur dernière possibilité d’attirer l’attention du gouvernement sur leurs problèmes. Pour le tribunal, les agriculteurs avaient disposé d’une autre solution, à savoir faire valoir leurs griefs devant les juridictions administratives. Les agriculteurs auraient du reste eux-mêmes mentionné cette solution pendant le rassemblement du 16 mai 2003. Le tribunal releva en outre qu’une personne qui provoquait une situation dangereuse par ses actions ne pouvait invoquer l’état de nécessité que si la situation dangereuse découlait de sa négligence (article 31 § 2 du code pénal). Il estima que, toutefois, les actions de B.M. avaient été délibérées et qu’il convenait donc de le déclarer coupable d’avoir organisé l’émeute. Concernant A.K, le tribunal de district de Kaunas établit, principalement sur la base d’enregistrements vidéo et de preuves documentaires, que le requérant. avait également organisé un rassemblement dans le but de porter gravement atteinte à l’ordre public. Il conclut que A.K. avait pris part à la rencontre des agriculteurs du 16 mai 2003 et était donc informé de la décision d’organiser des manifestations près des routes. Selon le tribunal, lorsqu’une foule d’agriculteurs avait bloqué l’axe Panevėžys-Pasvalys-Riga le 21 mai 2003, l’ordre public avait été gravement enfreint. La circulation routière aurait été bloquée sur cette partie de la route, causant des désagréments aux conducteurs et aux transporteurs de marchandises. Le tribunal de district établit les faits suivants : pendant le blocus des 21 et 22 mai, A.K. avait coordonné les actions de la foule, c’est-à-dire qu’il avait ordonné que l’on laissât passer certains des véhicules, avait incité [les agriculteurs] à ne pas lâcher et à ne pas quitter l’autoroute, avait été en contact avec les participants des manifestations de la municipalité de Kalvarija et de la région de Klaipėda, et avait « négocié avec les autorités par l’intermédiaire de son portable au nom des agriculteurs ». Le tribunal de district souligna que les agriculteurs qui s’étaient rassemblés « obéissaient aux actions de A.K. et suivaient ses ordres ». Pour le tribunal, les actions de A.K. devaient être qualifiées d’organisation d’émeutes au sens de l’article 283 § 1 du code pénal. Sur la base de preuves écrites soumises par Linava, le tribunal de district estima également qu’en organisant le blocage de la route Panevėžys-Pasvalys-Riga A.K. avait gravement porté atteinte à l’ordre public et avait causé des dommages pécuniaires à trois sociétés de transport. Étant donné que l’une de ces sociétés avait présenté une demande civile d’indemnisation de 1 100 LTL, le tribunal de district estima qu’il convenait d’accueillir cette demande. Pour déclarer V.M., K.M. et A.P. coupables, le tribunal de district de Kaunas, sur la base de preuves documentaires, de matériels audiovisuels et des dépositions de deux témoins (dont l’un témoigna le 16 août 2004), établit que le 21 mai 2003, entre 11 h 50 et 16 h 15, les trois intéressés avaient conduit des tracteurs au kilomètre 94 de l’autoroute Kaunas-Marijampolė-Suvalkai. Ils avaient refusé d’obéir à des ordres légitimes de la police de ne pas porter atteinte à l’ordre public et de ne pas laisser les tracteurs sur la route (ant važiuojamosios kelio dalies), et avaient maintenu leurs tracteurs à cet endroit jusqu’à 16 h 15 le 22 mai 2003. En conséquence, et du fait que 1 500 personnes environ s’étaient rassemblées sur la route, la circulation avait été bloquée du kilomètre 84 au kilomètre 94 de la route Kaunas-Marijampolė-Suvalkai, des embouteillages s’étaient formés et le fonctionnement normal des postes-frontières de Kalvarija et de Lazdijai avait été perturbé. Les cinq requérants écopèrent chacun d’une peine d’emprisonnement de soixante jours. Le tribunal de district releva également les personnalités positives de tous les requérants et l’absence de circonstances aggravantes. Selon le tribunal, il y avait en conséquence des raisons de croire que le but de de la sanction pouvait être atteint sans que les intéressés soient effectivement privés de leur liberté. Partant, le tribunal assortit leur peine d’un sursis d’un an. Les intéressés se virent ordonner de ne pas quitter leur lieu de résidence pendant plus de sept jours consécutifs sans l’accord préalable des autorités. Cette mesure devait durer un an, c’est-à-dire la période pendant laquelle leur peine était assortie d’un sursis. Le tribunal de district de Kaunas relaxa par ailleurs, pour manque de preuves, deux autres personnes accusées d’organisation d’émeutes. Les requérants interjetèrent appel auprès du tribunal régional de Kaunas. Ils expliquèrent notamment qu’un autre agriculteur, A.D., avait été sanctionné en vertu du droit administratif pour une violation identique. Les cinq requérants prirent part à une audience devant ce tribunal et demandèrent à être relaxés. Le 14 janvier 2005, le tribunal régional de Kaunas estima que le tribunal de première instance avait apprécié de manière approfondie et impartiale toutes les circonstances de l’espèce. La juridiction d’appel observa que l’infraction d’émeutes menaçait l’ordre public, la sécurité de la société, la santé et la dignité humaines ainsi que l’inviolabilité de la propriété. Selon elle, l’aspect objectif de l’infraction consistait à organiser des rassemblements de personnes en vue d’un but commun – à savoir, causer des troubles à l’ordre public – et à prendre une décision en ce sens qui, en l’espèce, avait pris la forme d’opérations de blocage des routes. Le tribunal régional ajouta que, pour constituer une infraction, les actions devaient être également commises délibérément, c’est-à-dire que les accusés devaient être conscients de l’illégalité de leurs actes. Quant à B.M. et A.K., il observa que pendant les manifestations les deux requérants avaient dit aux autres agriculteurs qu’il avait été décidé d’ériger des barrages sur les routes. Il jugea établi que B.M. et A.K. étaient conscients de l’illégalité des opérations de blocages des routes et qu’ils avaient été avertis de leur responsabilité en tant qu’organisateurs. Même ainsi, ils auraient continué à coordonner les actions des agriculteurs et insisté pour que ceux-ci maintiennent les barrages. Le tribunal régional estima qu’il découlait directement des actions de B.M. et A.K. que le 21 mai 2003 une foule s’était rendue sur l’autoroute et l’avait envahie, bloquant ainsi la circulation et portant atteinte aux droits et libertés constitutionnels d’autrui de se déplacer librement et sans restriction, causant un préjudice aux sociétés de transport et donc portant gravement atteinte à l’ordre public. La juridiction d’appel déclara également partager la conclusion du tribunal de première instance quant au caractère raisonnable de la condamnation de V.M., K.M. et A.P. Le tribunal régional releva qu’en conduisant des tracteurs sur la route, ce qui avait provoqué des embouteillages et perturbé le travail du service des douanes, et en refusant d’obéir aux demandes légales de la police de ne pas stationner leurs tracteurs sur la route, les trois requérants avaient porté gravement atteinte à l’ordre public. Selon le tribunal régional, le fait qu’après l’établissement des barrages sur les routes la police et les conducteurs avaient négocié avec les agriculteurs, et qu’en conséquence certains conducteurs avaient été autorisés à passer, n’avait pas diminué la dangerosité de l’infraction ni son illégalité. La juridiction d’appel souligna également que le blocage d’une autoroute importante (magistralinis kelias) avait des conséquences dangereuses et ne pouvait pas être considéré comme une simple infraction de droit administratif telle qu’une infraction à la circulation routière. Quant à l’argument des requérants selon lequel les infractions qui leur étaient reprochées étaient identiques à celle pour laquelle un autre agriculteur, A.D., avait reçu une simple sanction administrative pour infraction à la circulation routière, le tribunal régional de Kaunas se contenta d’indiquer brièvement qu’il n’était pas une juridiction administrative et ne pouvait donc pas commenter une violation du droit administratif. Tout en relevant que les requérants avaient droit à la liberté d’expression en vertu de l’article 10 de la Convention, le tribunal régional de Kaunas observa que ce droit n’était pas illimité, dès lors que les intérêts de l’ordre public et la prévention des infractions pénales étaient en jeu. Il observa que des limitations analogues à la liberté d’expression étaient énumérées à l’article 25 de la Constitution lituanienne. Sur ce point, il souligna que le comportement de B.M. et A.K., qui avaient guidé les actions des autres personnes impliquées dans la manifestation, ne pouvait être considéré comme l’expression, non passible de sanctions, de leurs opinions étant donné qu’ils avaient porté atteinte à l’ordre public en commettant des actions pour lesquelles leur responsabilité pénale était engagée. Par ailleurs, le tribunal déclara que, contrairement aux affirmations des requérants, l’infraction pénale n’avait pas perdu son élément de risque public simplement parce que le gouvernement avait refusé de revoir les prix de gros à la hausse ou parce qu’il avait prétendument failli à prendre les mesures nécessaires. Le tribunal régional de Kaunas rejeta également les griefs des requérants selon lesquels ceux-ci n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable, en ce que les enregistrements vidéo prouvant leur culpabilité étaient des faux. La juridiction d’appel releva que, lorsque les enregistrements vidéo avaient été produits comme éléments de preuve devant le tribunal de première instance, les requérants n’avaient pas allégué qu’ils avaient été falsifiés, alors même qu’on leur avait demandé à tous si les événements montrés dans les enregistrements étaient vrais. Le tribunal régional ajouta que les requérants n’avaient pas répondu par la négative, mais avaient admis les enregistrements. Il indiqua que le simple fait qu’il y ait des coupures dans les enregistrements n’en faisait pas des preuves illégitimes. Il ajouta que, certes, les requérants avaient soutenu que l’une des cassettes était falsifiée, mais que le jugement n’était pas fondé sur cette cassette particulière. Il conclut que le refus du tribunal de première instance d’interroger certains témoins était motivé, que les preuves produites dans l’affaire étaient légitimes et non falsifiées et qu’aucune autre violation procédurale ne pouvait être constatée. Le tribunal observa également que, si K.M., V.M., B.M. et A.K. n’avaient pas assisté à la première audience devant le tribunal de première instance le 16 août 2004, le tribunal avait suspendu l’examen de l’affaire en ce qui concernait ces requérants. Il releva que tous les requérants avaient été présents à un moment ou un autre lors de l’examen de l’affaire par le tribunal de première instance et donc avaient pu exercer sans restriction leurs droits procéduraux. Selon le tribunal, aucun témoin n’avait été interrogé en l’absence des requérants concernés. Dès lors, les droits des requérants n’auraient en aucune façon été enfreints. Le tribunal régional de Kaunas rejeta également le grief de B.M. selon lequel celui-ci aurait dû bénéficier d’une immunité pénale en raison de son statut de candidat aux élections législatives. Il observa que l’infraction en question avait été commise en mai 2003, alors que la commission électorale centrale avait enregistré la candidature de B.M. aux élections législatives seulement en septembre 2004. Dès lors, selon le tribunal régional, B.M. ne jouissait d’aucune immunité en vertu du droit national quant à cette infraction particulière. Enfin, la juridiction d’appel confirma la décision du tribunal de première instance de ne pas convoquer le porte-parole du Parlement, le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement et du parlement pour interrogatoire. Le tribunal estima que ces personnes n’auraient pu déposer que sur des questions économiques qui n’avaient aucun lien avec l’affaire, relevant que les hommes politiques susmentionnés n’avaient pas participé au rassemblement ni été témoins des violations de l’ordre public en cause et n’auraient donc pu faire aucune déposition sur les circonstances de l’infraction en question. Le 4 octobre 2005, la Cour suprême, siégeant en une chambre élargie de sept juges (paragraphe 47 ci-dessous), rejeta un pourvoi introduit par les requérants. Donnant une explication de la substance de l’infraction d’émeute, telle qu’établie par l’article 283 § 1 du code pénal, elle expliqua que ladite infraction devait être qualifiée d’atteinte à l’ordre public, ce qui constituait l’objet de l’infraction ((nusikaltimo objektas). Elle ajouta que, pour établir la portée de l’infraction, la disposition susmentionnée énumérait les éléments suivants qui caractérisaient celle-ci : l’organisation d’un rassemblement en vue de provoquer des violences publiques, de causer des dommages aux biens ou de porter atteinte à l’ordre public sous une autre forme, ou la commission de tels actes pendant un rassemblement. Pour la Cour suprême, l’émeute devait se caractériser comme une situation dans laquelle un rassemblement de personnes portaient délibérément et gravement atteinte à l’ordre public, provoquaient des violences publiques ou causaient des dommages aux biens. La haute juridiction ajouta que l’aspect subjectif de l’infraction était constitué par la nature délibérée de l’action (kaltė pasireiškia tiesiogine tyčia), ce qui signifiait que le coupable i) devait être conscient qu’il accomplissait une action qui était qualifiée d’infraction par l’article 283 § 1 du code pénal et ii) devait souhaiter agir ainsi. Quant à la situation des requérants en l’espèce, la Cour suprême estima que les juridictions inférieures avaient à juste titre qualifié les actions des requérants comme relevant de l’article 283 § 1 du code pénal. En particulier, le tribunal de première instance aurait correctement établi toutes les conditions préalables pour l’application de l’article 283 § 1, à savoir qu’il y avait eu une foule et que l’ordre public avait été violé par les barrages érigés sur les routes, le blocage de la circulation et la perturbation du travail du service des douanes. Les requérants auraient été condamnés pour leurs infractions en vertu d’une loi valable à l’époque de la commission des infractions et les peines auraient été infligées conformément aux dispositions du code pénal. La haute juridictionconclut qu’en conséquence les condamnations des requérants étaient prévues par la loi et n’enfreignaient pas l’article 7 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour suprême déclara également que les requérants n’avaient pas été condamnés pour avoir exprimé leurs opinions ou diffusé des idées, actions relevant de la protection de l’article 10 § 1 de la Convention, mais pour des actes constituant de graves atteintes à l’ordre public. Quant aux exigences du procès équitable, elle observa que si l’examen de l’affaire au stade du procès avait en partie été conduite en l’absence de certains des requérants, les intéressés n’avaient donné aucune raison légitime pour leur absence, et que les tribunaux avaient donc, dans ce cas, le droit d’examiner l’affaire en leur absence. Selon la haute juridiction, rien n’indiquait que le tribunal de première instance ait délibérément empêché l’un ou l’autre des requérants de prendre part à l’audience. La Cour suprême expliqua que, de plus, le tribunal de première instance devait s’assurer que l’affaire soit tranchée dans un délai raisonnable. Plus important, les condamnations se fondaient selon elle uniquement sur les moyens de preuve produits pendant les audiences auxquelles tous les requérants avaient assisté. L’avocat des requérants, qui défendait les intérêts de tous les coaccusés, aurait également eu toutes les possibilités d’interroger n’importe quel témoin dans l’affaire, et donc aurait garanti le droit des requérants d’interroger les témoins à charge au sens de l’article 6 § 3 de la Convention. La question de l’immunité du candidat aux élections législatives aurait également été correctement traitée. La haute juridiction expliqua en effet que tout candidat à des élections législatives ne jouissait d’une immunité que pour les actions accomplies pendant la campagne électorale, alors qu’un membre du Parlement jouissait de l’immunité quelle que soit la date à laquelle il ou elle avait commis une infraction. Renvoyant à la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’accusé n’a pas le droit de demander à ce que n’importe quel témoin soit convoqué pour être interrogé, la Cour suprême entérina également la décision du tribunal de première instance de ne pas convoquer les parlementaires et les membres du gouvernement pour interrogatoire. Enfin, la Cour suprême souscrivit au point de vue de la juridiction d’appel selon lequel on ne pouvait pas considérer que les requérants avaient agi par nécessité. Elle expliqua que la chute des prix d’achat du lait et les autres problèmes de subventions agricoles n’avaient pas constitué une menace claire ou immédiate pour les biens de quelqu’un, étant donné que les biens en question ne s’étaient pas encore matérialisés. La haute juridiction estima que la loi protégeait les biens existants. Selon elle, l’État n’avait donc pas privé les requérants de leurs biens et leur insatisfaction devant la politique agricole du gouvernement ne pouvait justifier les actes pour lesquels les cinq intéressés avaient été condamnés. Pour la Cour suprême, les éléments versés au dossier de l’affaire ne permettaient pas de conclure que la condamnation des requérants en vertu de l’article 283 § 1 du code pénal avaient violé l’article 23 de la Constitution lituanienne ou l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, étant donné que les biens en question ne s’étaient pas encore matérialisés. Par des décisions judiciaires des 17, 18, 20, 21 octobre et 7 novembre 2005, les tribunaux mirent fin aux peines avec sursis des cinq requérants. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Aux termes de l’article 23 de la Constitution de la République de Lituanie, la propriété est inviolable. L’article 25 de la Constitution se lit ainsi : « Chacun a le droit d’avoir ses propres convictions et de les exprimer librement. Nul ne peut être empêché de rechercher, d’obtenir et de diffuser des informations ou des idées. La liberté d’exprimer ses convictions et d’obtenir et de diffuser des informations ne peut être restreinte autrement que par la loi et dans la mesure nécessaire à la protection de la santé, de la dignité, de la vie privée, de la morale ou de l’ordre constitutionnel. La liberté d’exprimer ses convictions et de diffuser des informations est incompatible avec les infractions pénales, telles que l’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination fondées sur l’appartenance nationale, raciale, religieuse ou sociale, la diffamation et la désinformation. » Le 25 octobre 2000, le code pénal fut publié au Journal officiel (Valstybės žinios). L’article 283 § 1 du code pénal établit la responsabilité pénale pour émeute, qui est classée comme une infraction à l’ordre public, et se lit ainsi : Article 283 – Émeute Quiconque ayant organisé ou provoqué un rassemblement de personnes en vue de commettre des actes publics de violence, de causer des dommages aux biens ou de porter gravement atteinte à l’ordre public sous une autre forme, ou quiconque, pendant une émeute, commet des actes de violence, cause des dommages aux biens ou porte gravement atteinte à l’ordre public sous une autre forme, est passible d’une peine d’emprisonnement ((baudžiamasis areštas) allant jusqu’à cinq ans. » Selon l’article 75 §§ 1 et 2 du code pénal, si une personne est condamnée à une peine d’emprisonnement d’une durée n’excédant pas trois ans pour la commission d’une ou de plusieurs infractions intentionnelles mineures ou modérées, un tribunal peut assortir la peine infligée d’un sursis allant d’un à trois ans. La peine peut être assortie d’un sursis lorsque le tribunal juge qu’il existe une base suffisante pour considérer que le but de la sanction sera atteint sans que la peine soit réellement purgée. Lorsqu’il assortit l’exécution de la peine d’un sursis, le tribunal peut ordonner à la personne condamnée de ne pas quitter son lieu de résidence pendant une période de plus de sept jours sans l’autorisation préalable de l’autorité qui supervise l’exécution du jugement. En vertu de l’article 97 du code pénal, les personnes reconnues coupables d’infractions et dont la condamnation est devenue effective sont considérés comme des personnes ayant été précédemment condamnées. Toute personne qui s’est vu infliger une peine assortie d’un sursis est considérée comme ayant été précédemment condamnée pendant toute la période du sursis. L’article 31 du code pénal définit la notion de nécessité ((būtinasis reikalingumas). Il dispose que la responsabilité pénale d’une personne ne peut être engagée à raison d’un acte commis dans le but d’éviter un risque immédiat qui la menaçait, elle-même, d’autres personnes ou les droits de ces personnes, ou les intérêts publics ou de l’État, lorsque ce risque n’aurait pas pu être évité par d’autres moyens et lorsque les dommages causés sont moindres par rapport aux dommages que la personne a eu l’intention d’éviter. Néanmoins, une personne qui provoque une situation dangereuse par ses actions peut invoquer l’état de nécessité uniquement lorsque la situation dangereuse a été causée par sa négligence (dėl neatsargumo). L’article 124 du code des infractions administratives, dans sa version applicable à l’époque des faits, prévoit une responsabilité administrative pour une infraction aux règles de la circulation routière par les conducteurs. Cette disposition stipule qu’une infraction à ces règles régissant les conditions et le moment où un conducteur peut s’arrêter et stationner son véhicule sur une autoroute est passible d’une amende de 100 à 150 LTL (30 à 45 EUR). L’article 131 du code prévoit une responsabilité administrative de tout piéton qui ne respecte pas la signalisation routière, traverse la route ou s’engage à pied sur la chaussée. L’infraction est passible d’une amende de 30 à 50 LTL (environ 8 à 15 EUR). Les règles sur la circulation routière prévoit que les piétons doivent marcher sur le trottoir et, s’il n’y en a pas, sur le côté droit de la route, en file indienne (point 81 des règles). L’article 62 § 2 de la Constitution de la République de Lituanie énonce qu’un membre du Parlement ne peut être tenu pour pénalement responsable sans le consentement du Parlement. L’article 49 § 1 de la loi sur les élections législatives prévoit que sans le consentement de la Commission électorale centrale, pendant une campagne électorale et jusqu’à la première réunion du Parlement nouvellement élu, un candidat aux élections législatives ne peut être accusé d’une infraction ou arrêté, et sa liberté ne peut pas être restreinte de quelqu’autre façon que ce soit. L’article 248 § 2 du code de procédure pénale stipule que lorsqu’il y a de nombreux accusés dans une affaire pénale, le tribunal peut autoriser l’un ou plusieurs accusés ou leurs avocats à ne pas prendre part à l’examen des preuves qui ne concernent pas cet accusé ou ces accusés. La loi sur les juridictions, dans sa version applicable au moment des faits, prévoit que la Cour suprême génère une pratique judiciaire uniforme en interprétant et en appliquant les lois et les autres textes réglementaires. À cette fin, la Cour suprême publie les décisions de sa formation plénière ainsi que les plus importantes décisions de ses chambres de trois ou sept juges dans le bulletin intitulé « Pratique des tribunaux ». La haute juridiction analyse également la pratique des tribunaux en matière d’application des lois et émet des recommandations à suivre. En fonction de la complexité de l’affaire, la Cour suprême décide des affaires en une chambre de trois ou sept juges, ou en session plénière (articles 23, 27 et 36 de la loi sur les juridictions.). III. DROIT ET PRATIQUE PERTINENTS DE L’UNION EUROPÉENNE Dans l’affaire Eugen Schmidberger, Internationale Transporte und Planzüge c. République d’Autriche (affaire C-112/00 [2003] ECR 1-05659, la Cour de Justice de l’Union européenne estima que le fait que les autorités autrichiennes n’aient pas interdit une manifestation ayant entraîné la fermeture totale d’un seul axe routier de transit entre l’Autriche et l’Allemagne pendant près de 30 heures n’était pas incompatible avec les articles 28 et 29 du Traité d’établissement des Communautés européennes, lu conjointement avec l’article 10 de ce traité, dès lors que cette restriction au commerce des biens entre des États membres se justifiait par l’intérêt légitime de la protection des droits fondamentaux, en l’occurrence la liberté d’expression et la liberté de réunion des manifestants, qui s’appliquait tant aux Communautés qu’aux États membres. La Cour de justice de l’Union européenne déclara que, même s’il était vrai que les autorités nationales bénéficiaient d’une ample marge d’appréciation à cet égard, il lui appartenait de déterminer si les restrictions apportées au commerce intracommunautaire étaient proportionnées à la lumière de l’objectif légitime poursuivi, à savoir, dans l’affaire Schmidberger, la protection des droits fondamentaux. La Cour reconnut que si une manifestation sur une autoroute publique entraînait habituellement des inconvénients pour les non-participants, en particulier en ce qui concernait leur liberté de circulation, cet inconvénient pouvait en principe être toléré pourvu que l’objectif poursuivi fût la manifestation publique et légale d’une opinion.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1943 et réside à Orléans. A. Contexte de l’affaire Le requérant fut reconnu à sa naissance par son père. Au temps de sa conception sa mère Mme R. épouse M. était engagée dans les liens du mariage et de cette union étaient nés deux enfants A. née en 1923 et J.L. né en 1941. Par un jugement du 28 février 1967 la séparation de corps fut prononcée entre la mère du requérant et son époux Monsieur M. Par un acte du 24 janvier 1970 les époux M. firent donation-partage de leurs biens entre leurs deux enfants légitimes. Cet acte passé devant notaire contenait une réserve d’usufruit et une action révocatoire pour garantir les charges et conditions de la donation. Lors de sa conclusion les époux M. déclarèrent ne pas avoir d’autres enfants que les deux donataires. Par un jugement du 24 novembre 1983 le tribunal de grande instance de Montpellier déclara le requérant enfant naturel de Mme M. après avoir constaté que la possession d’état d’enfant naturel était amplement établie. En 1984 le requérant émit le souhait de faire opposition à la donation-partage consentie en 1970. A cette date son avocat lui indiqua que cet acte ne pouvait être coné du vivant du donateur et que seule une action en réduction pourrait être engagée dans les cinq ans à compter du décès de celui-ci. En juillet 1994 la mère du requérant décéda. Par une lettre du 7 septembre 1994 le notaire en charge de la succession rappela au requérant qu’en tant qu’enfant « adultérin », il n’avait droit qu’à la moitié de ce qu’il aurait recueilli s’il avait été légitime (la législation applicable prévoyant à ce moment là un droit successoral réduit de moitié par rapport à un enfant légitime – voir les paragraphes 26 et 27 ci-dessous). Il lui indiqua que ses demi-frère et demi-sœur étaient prêts à lui payer comptant la somme de 298 311 francs français (FRF) (environ 45 477 euros (EUR)) en précisant que « dans le cas d’une réduction pour survenance d’enfant ultérieur il ne peut s’agir que d’une réduction en argent et en aucun cas en nature ». Aucun accord ne fut conclu entre les trois enfants. B. L’action en réduction intentée par le requérant Par exploit du 7 janvier 1998 le requérant assigna son demi-frère J.L. et sa demi-sœur A. en réduction de la donation-partage, conformément à l’article 10771 du code civil (paragraphe 25 ci-dessous). Il demanda une part réservataire égale aux leurs sur la masse successorale de sa mère. Après sa condamnation par la Cour dans l’affaire Mazurek c. France (no 34406/97, 1er février 2000, CEDH 2000II), la France modifia par la loi no 2001-1135 du 3 décembre 2001 (ci-après, la « loi de 2001 ») sa législation et accorda aux enfants « adultérins » des droits successoraux identiques aux enfants légitimes (paragraphe 28 ci-dessous). Cette nouvelle loi entra en vigueur avant qu’un jugement soit prononcé dans le litige en cours. Selon ses dispositions transitoires sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était au temps de la conception engagé dans les liens du mariage étaient applicables aux successions ouvertes à la date de publication de la loi au Journal officiel (4 décembre 2001) et n’ayant pas donné lieu à partage avant cette date (article 25-II de la loi de 2001 paragraphe 30 cidessous). Dans ses conclusions récapitulatives du 20 février 2003 le requérant s’appuya sur les dispositions de la loi de 2001. Il soutint que celle-ci abrogeait l’article 14 de la loi du 3 janvier 1972 sur la filiation (ci-après, la « loi de 1972 » paragraphes 27 et 29 ci-dessous), disposition transitoire qui prévoyait que les droits des réservataires institués par ladite loi ne pouvaient être exercés au préjudice des donations entre vifs consenties avant son entrée en vigueur. Selon le requérant, l’abrogation de cette disposition le rendait recevable à exercer l’action en réduction prévue à l’article 1077-1 du code civil bien que la donation-partage ait été consentie le 24 janvier 1970. Le jugement de première instance Par un jugement du 6 septembre 2004 le tribunal de grande instance de Béziers fit droit à la demande du requérant. Il considéra que l’article 14 de la loi de 1972 était contraire aux articles 8 et 14 de la Convention. A cet égard il se référa à l’arrêt Marckx c. Belgique (13 juin 1979 série A no 31) reconnaissant « que la vie familiale comprenait également les intérêts matériels » ainsi qu’à plusieurs arrêts de la Cour « qui ont continué à affirmer le caractère discriminatoire des différences de traitement en matière successorale entre enfants légitimes et enfants naturels (arrêts Mazurek, Inze et Vermeire) ». Il estima également que cet article était contraire à la loi nouvelle de 2001. Il jugea que l’intéressé disposait des mêmes droits successoraux que ses demi-frère et demi-sœur dans la succession en motivant sa décision comme suit : « Que l’article 25-1 de la loi du 3 décembre 2001 dispose que cette loi est applicable aux successions ouvertes à compter de sa mise en application ; que sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables les dispositions de cette loi sont applicables aux successions ouvertes à la date de la publication de la loi au Journal Officiel de la République française dans la mesure où ces successions n’ont pas donné lieu à un partage avant cette date ; Qu’en l’espèce la succession de Madame M. n’a pas encore donné lieu à partage et qu’ainsi s’appliquent les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était au temps de la conception engagé dans les liens du mariage. (...) Qu’en effet il n’est pas sérieux de soutenir que le législateur en adoptant la loi du 3 décembre 2001 a souhaité maintenir une disposition contraire à l’esprit et au but de la nouvelle loi. » L’arrêt d’appel En octobre et décembre 2004 J.L. et les héritiers de A. décédée en cours de procédure firent appel du jugement. Par un arrêt du 14 février 2006 la cour d’appel de Montpellier infirma le jugement et déclara que le requérant n’était pas admis à exercer l’action en réduction de la donation-partage par application de l’article 14 alinéa 2 de la loi de 1972. Elle précisa que : « (...) aux termes de [cet article] les droits des réservataires institués par la présente loi ou résultant des règles nouvelles concernant l’établissement de la filiation ne pourront être exercés au préjudice des donations entre vifs consenties avant son entrée en vigueur. Ce texte qui édicte une règle générale notamment quant aux effets rétroactifs des règles nouvelles relatives à la filiation issues de la loi du 3 janvier 1972 n’a pas été expressément abrogé par la loi du 3 décembre 2001 et son abrogation tacite ne s’évince pas non plus des termes de cette loi d’une part en ce qu’il ne lui est pas contraire et d’autre part en ce qu’il n’était pas cantonné à la seule application de l’article 915 du code civil abrogé par ladite loi. » La cour d’appel estima qu’une telle conclusion n’était pas inconciliable avec le principe général d’égalité des droits quelle que soit la naissance tel qu’il ressort des articles 1 du Protocole no 1 8 et 14 de la Convention : « D’abord les dispositions de l’article 14 de la loi de 1972 ont pour seul objet d’interdire l’exercice des droits des réservataires institués par cette loi et élargis par la loi du 3 décembre 2001 au préjudice des donations entre vifs consenties avant le 1er août 1972 sans priver lesdits réservataires de leurs droits à succession. Ensuite elles présentent une justification objective et raisonnable au regard du but légitime poursuivi à savoir garantir une certaine paix des rapports familiaux en sécurisant des droits acquis dans ce cadre parfois de très longue date sans pour autant créer de distorsion excessive entre héritiers étant observé que [ces dispositions] ont une portée limitée à la fois dans le temps et quant aux libéralités concernées. » L’arrêt de la Cour de cassation Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen en cassation fondé sur la violation des articles 1 du Protocole no 1 et 14 de la Convention il fit valoir que la paix des rapports familiaux ne pouvait pas avoir une légitimité supérieure à l’égalité en matière de droits de caractère civil entre enfants issus du mariage et enfants nés hors mariage. Dans son avis transmis aux parties l’avocat général de la Cour de cassation proposa de rejeter le pourvoi. Il s’adressa aux juges de la première chambre civile de la Cour de cassation en ces termes : « (...) ne faut-il pas considérer que la succession ouverte n’a pas donné lieu à partage avant la date de publication de la loi dès lors qu’une action en réduction concernant la donation partage est pendante à cette date ? C’est bien en effet de l’approche différente proposée par les dispositions transitoires des lois de 1972 et de 2001 que naît la difficulté qui vous est soumise. Alors que ni les successions ouvertes ni les donations entre vifs consenties avant l’entrée en vigueur de la loi de 1972 ne pouvaient être remises en cause par cette loi la loi de 2001 permet aux enfants naturels dont le père ou la mère était au temps de la conception engagé dans les liens du mariage d’avoir des droits successoraux dans des successions ouvertes avant la publication de cette dernière loi. Cette différence justifie que les dispositions de la loi de 2001 ne soient pas appliquées de façon restrictive. Seul un partage réalisé un accord amiable intervenu ou une décision judiciaire irrévocable permettent d’exclure les droits nouveaux de ces enfants dans les successions déjà ouvertes. Par l’exercice de l’action en réduction la succession ouverte à la date de publication de la loi de 2001 ne peut pas avoir « donné lieu à partage » à la date de publication de la loi. Il me paraît en conséquence difficile de soutenir que la loi du 3 décembre 2001 n’est pas applicable. En revanche les termes de l’article 14 de la loi du 3 janvier 1972 sont dénués de toute ambiguïté. Les droits des réservataires institués par cette loi ne peuvent être exercés « au préjudice des donations entre vifs consenties avant son entrée en vigueur ». Faut-il alors admettre que ces dispositions ont été tacitement abrogées ? Faisant abstraction du temps le mémoire ampliatif soutient que la contradiction manifeste entre les dispositions transitoires de ces deux lois emporte abrogation tacite de celles régissant la loi de 1972. Si l’approche est différente entre le régime transitoire instauré en 1972 et celui retenu en 2001 il ne me paraît pas cependant qu’il y ait contradiction. En excluant la remise en cause des donations entre vifs consenties avant l’entrée en vigueur de la loi de 1972 le législateur a entendu garantir la sécurité juridique que ces donations appelaient. Rien ne justifie que cette sécurité juridique soit remise en cause en 2002 les dispositions transitoires antérieures étant complémentaires de celles définies par la loi de 2001. C’est ce qui me conduit à vous proposer de rejeter la première branche du moyen la donation entre vifs intervenue le 24 janvier 1970 ne pouvant être remise en cause par les droits successoraux nés de règles nouvelles concernant l’établissement de la filiation. A cet égard si la réalité du partage avant la date de publication de la loi du 3 décembre 2001 est discutable l’existence d’une donation entre vifs consentie avant l’entrée en vigueur de la loi du 3 janvier 1972 n’est pas discutée. (...) » Par un arrêt du 14 novembre 2007 la Cour de cassation rejeta le pourvoi en soulevant d’office un motif de pur droit. Elle rappela qu’en application des dispositions transitoires de la loi de 2001 les nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était, au temps de la conception engagés dans les liens du mariage n’étaient applicables qu’aux successions ouvertes et non encore partagées avant le 4 décembre 2001 (paragraphe 16 ci-dessus). Elle releva qu’un partage successoral s’étant réalisé par le décès de Mme M., survenu en juillet 1994 et donc avant le 4 décembre 2001 les dispositions précitées n’étaient pas applicables. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Donation-partage et action en réduction La loi française permet de procéder soi-même au partage de sa succession entre ses héritiers. Dans le cadre d’une donation-partage le donateur décide d’une distribution immédiate de ses biens (transfert entre vifs). C’est un partage anticipé définitif et négocié. La propriété des biens concernés est transférée au moment de la donation, qui constitue en même temps le premier acte (anticipé) d’une succession destinée à s’ouvrir plus tard. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation la donation-partage devient un partage successoral par le décès du donateur. La succession est à la fois ouverte et définitivement liquidée ou partagée au jour du décès de l’ascendant (Cass. Civ. 7 mars 1876 ; 1re Civ 5 octobre 1994 Bull. 1994 I no 27). Le descendant qui n’a pas été alloti dans le partage est invité à composer sa part de réserve sur les biens existant à l’ouverture de la succession. Si ces biens n’y suffisent pas il dispose d’une action en réduction, à exercer dans un délai de cinq ans à partir du décès du donateur. C’est la voie de recours qu’a utilisée le requérant conformément aux articles 1077-1 et 1077-2 du code civil, ainsi libellés à l’époque des faits : Article 1077-1 « Le descendant qui n’a pas concouru à la donation-partage ou qui a reçu un lot inférieur à sa part de réserve peut exercer l’action en réduction s’il n’existe pas à l’ouverture de la succession des biens non compris dans le partage et suffisants pour composer ou compléter sa réserve compte tenu des libéralités dont il a pu bénéficier. » Article 1077-2 « Les donations-partages suivent les règles des donations entre vifs pour tout ce qui concerne l’imputation le calcul de la réserve et la réduction. L’action en réduction ne peut être introduite qu’après le décès de l’ascendant qui a fait le partage ou du survivant des ascendants en cas de partage conjonctif. Elle se prescrit par cinq ans à compter dudit décès. L’enfant non encore conçu au moment de la donation-partage dispose d’une semblable action pour composer ou compléter sa part héréditaire. » Les articles 913 et 915 du code civil relatifs à « la portion de biens disponible » dans les donations entre vifs et aments, depuis lors abrogés, se lisaient comme suit : Article 913 « Les libéralités soit par acte entre vifs soit par ament ne pourront excéder la moitié des biens du disposant s’il ne laisse à son décès qu’un enfant ; le tiers s’il laisse deux enfants le quart s’il en laisse trois ou un plus grand nombre ; sans qu’il y ait lieu de distinguer entre les enfants légitimes et les enfants naturels hormis le cas de l’article 915. » Article 915 « Quand un enfant naturel dont le père ou la mère était, au temps de la conception engagé dans les liens du mariage avec une autre personne est appelé à la succession de son auteur en concours avec les enfants légitimes issus de ce mariage il compte par sa présence pour le calcul de la quotité disponible ; mais sa part dans la réserve héréditaire n’est égale qu’à la moitié de celle qu’il aurait eue si tous les enfants y compris lui-même eussent été légitimes. La fraction dont sa part dans la réserve est ainsi diminuée accroîtra aux seuls enfants issus du mariage auquel l’adultère a porté atteinte elle se divisera entre eux par égales portions. » B. Evolution du droit des enfants « adultérins » Le régime successoral des enfants naturels a été modifié par la loi de 1972 sur la filiation qui consacra leur égalité dans la succession avec une exception constituée par la situation de l’enfant « adultérin » (Mazurek précité § 17) celui-ci voyant son droit restreint à « la moitié de la part à laquelle [il aurait] eu droit si tous les enfants du défunt y compris luimême eussent été légitimes » (voir les anciens articles 757 et 760 du code civil ibidem ; voir, également, pour les donations, paragraphe 26 cidessus). Introduite à la suite de l’arrêt Mazurek la loi de 2001 fait disparaître les restrictions aux droits successoraux des enfants « adultérins » et consacre l’égalité successorale entre tous les enfants légitimes naturels simples ou « adultérins ». Son article 1 dispose qu’elle « ne distingue pas entre la filiation légitime et la filiation naturelle pour déterminer les parents appelés à succéder » (article 733 du code civil) et que « les enfants ou leurs descendants succèdent à leurs père et mère ou autres ascendants sans distinction de sexe ni de primogéniture même s’ils sont issus d’unions différentes » (article 735 du code civil). Les textes qui régissaient la restriction de la réserve héréditaire de l’enfant « adultérin » et sa capacité de recevoir à titre gratuit sont abrogés. Finalement, l’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation consacre le principe d’égalité des filiations faisant disparaître les notions mêmes d’enfant légitime et naturel. C. Dispositions transitoires Dispositions transitoires de la loi de 1972 Elles limitaient la portée de la réforme introduite par la loi de 1972. Son article 14 avait exclu toute application immédiate des droits successoraux nouveaux de l’enfant naturel simple ou « adultérin » dans les successions ouvertes avant son entrée en vigueur et empêché cet enfant de remettre en cause des donations entre vifs consenties avant l’entrée en vigueur de la loi le 1er août 1972. C’est sur la base de cette disposition que la cour d’appel de Montpellier a rejeté l’action du requérant (paragraphe 20 ci-dessus). L’article 25 de la loi de 2001 Selon l’article 25-I de la loi de 2001 en principe l’entrée en vigueur de la loi est différée au 1er juillet 2002. Toutefois s’agissant de l’abrogation des dispositions du code civil relatives aux droits des enfants « adultérins », le législateur a décidé par exception une règle d’entrée en vigueur immédiate à la date de la publication de la loi au Journal officiel soit le 4 décembre 2001. Ainsi l’article 25-II dispose que : « La présente loi sera applicable aux successions ouvertes à compter [du 1er juillet 2002] sous les exceptions suivantes : (...) 2o Sous réserve des accords amiables déjà intervenus et des décisions judiciaires irrévocables seront applicables aux successions ouvertes à la date de publication de la présente loi au Journal officiel de la République française et n’ayant pas donné lieu à partage avant cette date : - les dispositions relatives aux nouveaux droits successoraux des enfants naturels dont le père ou la mère était au temps de la conception engagé dans les liens du mariage ; (...) » Pour autant qu’elle porte sur les droits des enfants « adultérins », la loi de 2001 a donc vocation à s’appliquer à toutes les successions ouvertes au 4 décembre 2001 à condition qu’il n’y ait pas partage avant cette date. La loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités Cette loi a modifié l’article 25-II de la loi de 2001 en abrogeant les termes « dont le père ou la mère était au temps de la conception engagé dans les liens du mariage ». L’article 25-II 2o ne contient plus aucune référence au caractère adultérin de la filiation. Jurisprudence de la Cour de cassation pertinente Par un arrêt du 6 janvier 2004 (1re Civ Bull. 2004 I no 10) la Cour de cassation a fait application des dispositions transitoires de la loi de 2001 sans se référer aux dispositions de la Convention pour casser un arrêt d’appel de 2002 qui avait annulé des donations consenties à un enfant « adultérin » en faisant application des textes anciens alors que la succession n’avait pas été partagée. Dans un arrêt du 7 juin 2006 (1re Civ Bull. 2006 I no 297) en faisant également application des dispositions transitoires la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par un enfant « adultérin » qui avait reçu une part égale à la moitié de celle qu’il aurait reçue s’il avait été légitime dès lors que le partage était intervenu avant le 4 décembre 2001 (en l’espèce le 13 mars 1996). Dans un arrêt du 15 mai 2008 la Cour de cassation a jugé que les dispositions de la loi de 2001 relatives aux nouveaux droits des enfants « adultérins » étaient applicables à une succession ouverte avant le 1er août 1972 (en l’occurrence en 1962) dès lors qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un partage avant le 4 décembre 2001 (1re Civ Bull. 2008 I no 139). III. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ Dans la grande majorité des pays étudiés (quarante Etats sur quarante-deux) le statut de l’enfant en matière successorale est indépendant de la situation matrimoniale de ses parents. Vingt et un pays confèrent le même statut à tous les enfants tandis que dix-neuf autres (Albanie Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine Chypre Espagne, Grèce Italie Lettonie Luxembourg République de Moldova, Monaco Monténégro San Marin Serbie Slovaquie Slovénie Royaume-Uni, Turquie et Ukraine) établissent une distinction entre les enfants légitimes et les enfants naturels/illégitimes, mais en leur accordant expressément une égalité successorale. La notion d’enfant « adultérin » est très peu répandue ces enfants étant en général assimilés aux enfants naturels. Certaines différences entre les enfants légitimes et les enfants naturels/illégitimes en matière successorale perdurent à Malte. Le seul Etat partie à faire encore une distinction claire en matière de vocation successorale à l’égard des enfants nés hors mariage est l’Andorre où ceux-ci sont placés dans une situation moins favorable que les enfants légitimes. IV. DOCUMENTS ET JURISPRUDENCE EUROPÉENNE PERTINENTS Le Groupe de rapporteurs du Comité des Ministres (GR-J) poursuit son examen du projet de recommandation [/Rec (2012)] aux Etats membres sur les droits et le statut juridique des enfants et les responsabilités parentales (avec son exposé des motifs) qui a été présenté au Comité des Ministres. Le projet de recommandation vise à remplacer les normes obsolètes de la Convention européenne de 1975 sur le statut juridique des enfants nés hors mariage (Convention que la France n’a pas ratifiée) qui ne sont plus conformes à la jurisprudence de la Cour. Dans l’état actuel du texte il contient un élément central qui est le principe de non-discrimination énoncé au principe 1 qui dispose : « Les enfants ne devraient faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur des motifs tels que (...) la naissance (...) Les enfants ne devraient en particulier faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur l’état civil de leurs parents. » Par ailleurs le principe 5 « droit de succession » énonce que sous réserve de la définition des parents donnée au principe 2 et du principe 17.2 (procréation post mortem) « les enfants devraient quelles que soient les circonstances de leur naissance avoir les mêmes droits de succession sur les biens de chacun de leurs parents et des familles de ceux-ci ». L’alinéa pertinent de l’exposé des motifs est ainsi rédigé : « 22. Eu égard au principe général de non-discrimination tel qu’énoncé au principe 1 et aux décisions de la Cour dans Mazurek c. France Camp et Bourimi c. Pays-Bas et Marckx c. Belgique qui concluent respectivement que la discrimination à l’encontre des enfants nés de relations adultères et des enfants nés hors mariage dans le domaine des droits de succession constituait une violation de l’article 14 de la CEDH combiné à l’article 1 du premier Protocole dans la première affaire et à l’article 8 dans la deuxième le principe 5 indique en termes généraux que les enfants devraient avoir des droits de succession égaux quelles que soient les circonstances de leur naissance. À cet égard ce principe a une application plus large que l’article 9 de la Convention européenne de 1975 sur le statut juridique des enfants nés hors mariage lequel confère à ces enfants les mêmes droits de succession que ceux des enfants nés dans le mariage. Le principe 5 est subordonné à la définition des parents donnée au principe 2. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, d’origine kurde, est né en 1969 dans le nord-ouest de la Syrie et il réside à Nicosie. A. La demande d’asile introduite par le requérant et la procédure qui s’ensuivit Le requérant quitta la Syrie le 21 mai 2005. Après avoir traversé la Turquie, puis la « République turque de Chypre du Nord » (la « RTCN »), il entra illégalement à Chypre. Il y introduisit une demande d’asile le 12 septembre 2005 et eut un entretien avec le service de l’asile le 21 juin 2006. Le 21 juillet 2006, cette demande fut rejetée au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux critères fixés par la loi sur les réfugiés de 2000-2005, l’intéressé ayant notamment échoué à démontrer qu’il était fondé à craindre d’être persécuté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et n’ayant pas davantage prouvé qu’il risquait de subir des atteintes graves et injustifiées pour d’autres raisons. Le service de l’asile estima que la version des faits exposée par le requérant présentait des incohérences qui en sapaient la crédibilité, relevant en particulier que celuici n’avait pu répondre de manière satisfaisante et précise à certaines questions et que les renseignements qu’il avait fournis n’étaient pas convaincants. En conséquence, la demande d’asile du requérant fut jugée infondée. Le 1er août 2006, le requérant contesta cette décision devant l’autorité de contrôle des réfugiés (« l’autorité de contrôle »). Il fut débouté de son recours le 1er février 2008. L’autorité de contrôle confirma la décision entreprise. Elle estima que les allégations du requérant n’étaient pas crédibles et qu’elles étaient tout aussi vagues qu’infondées. Elle releva notamment que, au cours de son entretien avec le service de l’asile, l’intéressé avait indiqué avoir été arrêté et détenu pendant trois jours par les forces de la sécurité militaire syrienne, mais que ces événements avaient eu lieu en 1992, soit treize ans avant le départ du requérant de la Syrie. Elle observa que ce dernier avait reconnu qu’il n’avait jamais été harcelé ou persécuté par les autorités syriennes en d’autres occasions. Elle constata en outre que, au cours de cet entretien, l’intéressé s’était plaint d’avoir été soumis à des décharges électriques et au « supplice de la roue » pendant sa détention en Syrie, mais que le procès-verbal de l’entretien révélait que le requérant avait en réalité admis que les électrodes n’avaient pas fonctionné et qu’il n’avait pas subi ce supplice, raison pour laquelle le service de l’asile n’avait pas jugé utile de lui faire passer un examen médical. L’autorité de contrôle releva également que le requérant s’était contenté d’indiquer que son départ de la Syrie s’expliquait par la pression accrue que les autorités de ce pays exerçaient sur sa population d’origine kurde depuis les événements survenus à Qamishli en 2004, par sa crainte d’être arrêté et par les activités politiques qu’il menait en tant que membre du parti Yeketi. Toutefois, l’autorité de contrôle estima que ces allégations étaient générales et imprécises, et elle observa que la demande d’asile rédigée par le requérant était fondée sur d’autres motifs, l’intéressé y ayant notamment indiqué qu’il était entré sur le territoire chypriote pour y trouver un emploi et de meilleures conditions de vie. Enfin, l’autorité de contrôle souligna que le requérant avait pu obtenir un passeport en toute légalité et quitter la Syrie. Examinant les allégations de l’intéressé en rapport avec son appartenance au parti Yeketi, elle estima qu’il avait répondu de manière évasive et trop générale aux questions qui lui avaient été posées. Elle en conclut que le requérant avait échoué à démontrer l’existence d’un risque de persécution, de mort ou d’emprisonnement en cas d’expulsion vers la Syrie. Le 1er septembre 2008, faisant suite à une demande adressée le 22 juillet 2008 au ministre de l’Intérieur par l’Association pour l’amitié kurdo-chypriote, le service de l’asile rouvrit le dossier du requérant en vue d’examiner de nouvelles informations que ce dernier lui avait communiquées et qui concernaient principalement ses activités à la tête du parti Yeketi de Chypre. L’intéressé eut un nouvel entretien avec le service de l’asile le 16 février 2009. Selon le Gouvernement, un agent de ce service estima, le 18 juin 2010, que les informations en question ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve susceptibles de servir de fondement à une nouvelle demande d’asile. Le Gouvernement a communiqué à la Cour une note de service en ce sens. Le requérant fut appréhendé le 11 juin 2010. Le même jour, il fit l’objet d’un arrêté d’expulsion et d’une ordonnance de placement en détention (...) (...) B. L’arrestation du requérant et sa détention dans l’attente de son expulsion Le 17 mai 2010, les membres du parti Yeketi et d’autres Kurdes de Syrie organisèrent à Nicosie une manifestation à proximité de la représentation de la Commission européenne, du ministère du Travail et de la Sécurité sociale et de l’Imprimerie nationale. Quelque cent cinquante Kurdes de Syrie, au nombre desquels figurait le requérant, installèrent un campement permanent de près de quatre-vingts tentes sur le trottoir. Le Gouvernement soutient que ce campement était insalubre, que les manifestants entravaient la circulation des piétons et des véhicules, et que leur présence menaçait la santé publique et provoquait des nuisances. Il précise que les manifestants accomplissaient les tâches du quotidien sur le trottoir, y faisant la cuisine et la lessive dans des conditions sanitaires déplorables, que les bouches d’égoût débordaient et causaient des nuisances, notamment olfactives. Il ajoute que les toilettes publiques étaient sales et que les manifestants utilisaient les poubelles des services gouvernementaux, remplies en permanence, qu’ils détournaient de l’électricité destinée à l’Imprimerie nationale, et que des riverains s’étaient plaints de cette situation aux autorités. Selon le Gouvernement, les autorités s’étaient efforcées de convaincre les intéressés de quitter les lieux, en vain, et elles avaient dû agir pour les déloger. Le 28 mai 2010, le ministre de l’Intérieur ordonna l’ouverture d’une procédure ordinaire d’expulsion à l’encontre des Kurdes de Syrie déboutés du droit d’asile. Le 31 mai 2010, le ministre enjoignit à diverses autorités, notamment au chef de la police, de prendre des mesures en vue d’exécuter ses ordres. En outre, il approuva la proposition des autorités compétentes consistant à délivrer des arrêtés d’expulsion et des ordonnances de placement en détention à l’encontre des Kurdes de Syrie titulaires de passeports qui s’étaient vu refuser l’asile et qui n’avaient pas le statut d’Ajanib ou de Maktoumeen, à commencer par les meneurs de la manifestation. En outre, la police fut invitée à agir dans le respect des directives applicables et à employer des méthodes d’arrestation discrètes. Selon le Gouvernement, le service des migrations et de l’état civil écrivit à certains Kurdes de Syrie déboutés du droit d’asile pour les informer qu’ils devaient se préparer à quitter Chypre en raison du rejet de leur demande d’asile. Le Gouvernement a produit copie de trente lettres de ce type. Treize d’entre elles étaient datées du 1er juin 2010 (et concernaient pour certaines des décisions prises dès 2007), une autre du 9 juin 2010 (portant sur une procédure close fin 2009). Deux autres lettres, datées des 16 et 28 juin 2010, concernaient des procédures terminées début 2008 et en mars 2010 respectivement. Les pièces fournies par le Gouvernement comprennent également une lettre en date du 5 février 2011 portant sur une procédure qui s’était achevée le 22 avril 2010 par le départ volontaire de la personne concernée, qui était retournée en Syrie le 24 septembre 2010. Il ressort des pièces communiquées par le Gouvernement que les autorités ont surveillé les lieux de la manifestation du 31 mai au 7 juin 2010 et consigné les faits et gestes des intéressés ainsi que leurs allées et venues. Les procès-verbaux pertinents indiquent tous que le campement était calme de 1 h 30 à 5 h 30, et que les manifestants dormaient, sauf ceux qui montaient la garde. Au cours de cette période, le groupe d’intervention d’urgence de la police (ΜΜΑΔ – « le GIUP ») et d’autres autorités telles que le service de la police des étrangers et des immigrés organisèrent une opération de grande ampleur pour déloger les manifestants et les conduire au siège de ce service en vue de procéder à une vérification de leur situation individuelle. Entre-temps, du 28 mai 2010 au 2 juin 2010, quarante-cinq demandeurs d’asile avaient fait l’objet d’arrêtés d’expulsion et d’ordonnances de placement en détention après vérification de leur situation. Le service régional des étrangers et de l’immigration de la police de Nicosie adressa à la direction des étrangers et de l’immigration ainsi qu’au ministre de l’Intérieur et de la Sûreté publique des lettres comportant un bref paragraphe renfermant des informations sur la situation de chacun des intéressés au regard du droit des étrangers, notamment la date du rejet de leur demande ou celle de la clôture de leur dossier par le service de l’asile, la date du rejet de leur recours par l’autorité de contrôle, le lieu où celui-ci avait été introduit, et la date à laquelle le nom de certains d’entre eux avait été porté sur la liste des « personnes à interpeller » (le fichier des individus dont l’entrée à Chypre et la sortie de ce pays étaient interdites ou contrôlées). Ces lettres préconisaient la délivrance d’arrêtés d’expulsion et d’ordonnances de placement en détention à l’encontre des personnes concernées. Le Gouvernement a fourni à la Cour deux de ces lettres comportant des renseignements sur treize personnes. Le 2 juin 2010, la direction des étrangers et de l’immigration fit traduire en anglais les lettres informant les intéressés qu’ils seraient arrêtés et expulsés. Le Gouvernement soutient que les autorités ignoraient à cette date si les personnes en question figuraient ou non au nombre des manifestants. L’opération d’évacuation menée le 11 juin 2010 de 3 heures à 5 heures environ mobilisa quelque deux cent cinquante agents du service de la police des étrangers et des immigrés, du GIUP, des services de police du district de Nicosie, du service de la circulation, des sapeurs-pompiers et de l’Office de lutte contre la discrimination de la direction de la police de Chypre. Le requérant et les autres manifestants furent escortés vers des bus, mesure à laquelle ils ne semblent pas avoir opposé de résistance. À 3 h 22, le bus réservé aux manifestants de sexe masculin quitta les lieux de la manifestation. Les femmes, les enfants et les nourrissons les suivirent à 3 h 35. Cent quarante-neuf personnes – quatre-vingt-sept hommes, vingt-deux femmes et quarante enfants – installées dans le campement furent conduites au siège du GIUP. À leur arrivée, elles y furent enregistrées et la situation de chacune d’entre elles fut vérifiée au moyen d’ordinateurs qui y avaient été installés la veille à cet effet. Le Gouvernement soutient que, au cours de cette période, les autorités n’avaient pas menotté les manifestants et ne les avaient pas placés dans des cellules, et qu’elles les avaient rassemblés dans des salles et leur avaient offert de la nourriture et des boissons. Il ressort des documents fournis par le Gouvernement que, dès 6 h 40, près de la moitié des personnes appréhendées avaient été identifiées et que l’opération s’était terminée vers 16 h 30. Il fut établi que soixante-seize adultes et leurs trente enfants étaient en situation irrégulière. Leur demande d’asile avait été rejetée ou leur dossier clôturé faute pour eux de s’être présentés aux entretiens obligatoires. Ceux qui avaient introduit un recours auprès de l’autorité de contrôle en avaient été déboutés. Certaines décisions définitives remontaient à 2006. Un certain nombre des intéressés figuraient également sur la « liste des personnes à interpeller ». Vingt-trois se trouvaient déjà sous le coup d’un arrêté d’expulsion (paragraphe 34 ci-dessus). (...) II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS (...) E. Les dispositions constitutionnelles pertinentes La deuxième partie de la Constitution renferme des dispositions garantissant les droits de l’homme et les libertés fondamentales. L’article 11 reconnaît le droit à la liberté et à la sûreté. Ses passages pertinents se lisent ainsi : Article 11 « 1. Chacun a droit à la liberté et à la sûreté personnelles. Nul ne peut être privé de sa liberté si ce n’est dans les cas suivants et selon les formes prévues par la loi : (...) f) si l’arrestation ou l’incarcération de l’intéressé vise à l’empêcher d’entrer illégalement sur le territoire de la République ou s’il s’agit d’un étranger contre lequel a été entamée une procédure d’expulsion ou d’extradition. Nul ne peut être arrêté si ce n’est en vertu d’un mandat judiciaire motivé et délivré dans les formes prévues par la loi, sauf pour une infraction flagrante passible de la peine capitale ou d’une peine d’emprisonnement lorsque la loi en dispose ainsi. Toute personne arrêtée est informée au moment de son arrestation des motifs de celle-ci dans une langue qu’elle comprend et peut obtenir l’assistance d’un avocat de son choix. (...) Toute personne privée de liberté du fait de son arrestation ou de sa détention peut faire examiner à bref délai la légalité de sa détention par un tribunal et obtenir sa remise en liberté si son incarcération est illégale. Quiconque a subi une arrestation ou une incarcération contraire aux dispositions du présent article a un droit exécutoire à réparation. » F. Autres éléments pertinents de droit interne La loi sur la police L’article 24 § 2 de la loi de 2004 sur la police (loi no 73 I)/2004) porte sur les pouvoirs et devoirs généraux de la police. Il est ainsi libellé : « Les membres de la police doivent obéir sans délai aux ordres et mandats qui leur sont légalement donnés par toute autorité compétente et en assurer l’exécution, recueillir les informations intéressant l’ordre public et la sécurité de la République de Chypre, prévenir la commission des infractions et troubles à l’ordre public, identifier les contrevenants et les déférer à la justice, et appréhender les personnes qu’ils sont habilités à arrêter dès lors que leur arrestation est fondée sur des motifs raisonnables. » L’article 29 § 1 c) et d) de la loi porte sur le devoir de la police de maintenir l’ordre sur la voie publique. Ses passages pertinents se lisent ainsi : « 1. Il incombe à tous les agents de police : (...) c) de maintenir l’ordre sur la voie publique, les routes, les rues, les croisements, les aéroports, les lieux de débarquement, les lieux récréatifs et autres lieux accessibles au public, et d) de régler la circulation et de maintenir l’ordre en cas d’encombrement des routes ou des rues publiques ou d’autres lieux publics récréatifs ou accessibles au public. » La loi sur les voies publiques et la loi sur la prévention de la pollution des voies et places publiques L’une des clauses de l’article 3 de la loi sur les voies publiques (chapitre 83 modifié) érige en infraction passible d’une peine d’emprisonnement le fait d’abandonner sur les voies publiques des détritus, substances ou objets quelconques ou de laisser s’y répandre des déchets, des ordures ou des substances incommodantes ou d’entraver délibérement la libre circulation sur les voies en question. L’article 3 § 1 de la loi de 1992 sur la prévention de la pollution des voies et places publiques (loi no 19 I)/92 modifiée) érige en infraction passible d’une peine d’emprisonnement le fait, entre autres, de déposer, de jeter ou d’abandonner des déchets, des détritus ou des ordures sur les voies publiques ou dans un lieu public quelconque ou de tolérer ou de laisser se produire de tels actes. La loi sur les droits des personnes arrêtées et détenues La loi sur les droits des personnes arrêtées et détenues (loi no 163 I)/2005) énonce un certain nombre de dispositions régissant les droits des personnes placées en garde à vue et la manière dont elles doivent être traitées. Elle reconnaît notamment aux personnes arrêtées par la police le droit de s’entretenir confidentiellement au téléphone avec un avocat de leur choix aussitôt après leur arrestation (article 3 § 1 a)). (...)
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La première requérante, Mme Brigid McCaughey, est la mère de Martin McCaughey. Elle est née en 1934. Le deuxième requérant et la troisième requérante sont respectivement le père, né en 1923, et la fille, née en 1990, de Desmond Grew. Les requérants résident dans le comté de Tyrone. L’affaire porte sur le décès de Martin McCaughey et de Desmond Grew, abattus en 1990 par les forces de l’ordre en Irlande du Nord. A. Les circonstances de l’espèce La fusillade Le 9 octobre 1990, Martin McCaughey et Desmond Grew furent abattus à proximité d’un hangar attenant à une ferme située près de Loughgall par des soldats membres d’une unité spéciale de l’armée britannique. Le rapport de l’autopsie pratiquée sur le corps de Martin McCaughey indiquait que celui-ci était mort d’une « lacération du cerveau causée par des blessures par balle à la tête » et qu’il avait été touché par une dizaine de balles à haute vélocité. Le rapport d’autopsie de Desmond Grew indiquait qu’il était mort à la suite « de multiples blessures causées par des balles à haute vélocité ayant atteint le thorax et les membres », et que quarante-huit impacts environ avaient été relevés sur son corps. Par ailleurs, il a été établi que ni Martin McCaughey ni Desmond Grew n’avaient ouvert le feu lors de la fusillade. Celle-ci s’inscrivait dans une série d’événements analogues qui étaient survenus à la même époque et qui avaient donné lieu à la mise en cause du comportement des forces de l’ordre en Irlande du Nord – notamment de l’unité spéciale concernée –, accusées de suivre une politique consistant à tirer pour tuer. Avant la fusillade, les autorités avaient placé le hangar sous surveillance, pensant qu’il servait de cache d’armes à l’Armée républicaine irlandaise (Irish Republican Army – IRA). Les requérants soutiennent que la police royale de l’Ulster (Royal Ulster Constabulary – « la RUC ») avait obtenu des informations selon lesquelles Martin McCaughey et Desmond Grew s’apprêtaient à aller chercher des armes dans le hangar et que le groupe de planification et de coordination (Tasking and Coordination group – « le TCG ») de la RUC avait attribué la mission à une unité militaire spéciale en raison de l’entraînement spécifique qu’elle avait reçu et de la puissance de feu dont elle disposait. Le 11 octobre 1990, l’IRA déclara publiquement que Martin McCaughey et Desmond Grew faisaient partie de ses membres et qu’ils étaient en service actif au moment de leur décès. La première requérante affirme que sa famille apprit la mort de M. McCaughey par les médias et que, par la suite, un agent de la RUC s’était présenté au domicile familial et avait adressé des paroles sarcastiques au frère du défunt. La famille de Desmond Grew fut officiellement informée de la mort de celui-ci par la RUC. Les investigations menées par la RUC La RUC ouvrit une enquête sur les circonstances de la mort des deux hommes. Les investigations débutèrent par l’interrogatoire des militaires ayant participé à l’opération. Les militaires A, B, C, D, E, F, G et H firent des dépositions qui furent par la suite communiquées aux requérants par la police d’Irlande du Nord (Police Service Northern Ireland – « la PSNI », qui remplaça la RUC en 2001). Il en ressort que H, le capitaine qui commandait l’unité militaire, avait obtenu des informations qui l’avaient conduit à affecter A, B, C, D, E et F à la surveillance du hangar pour y repérer d’éventuelles activités terroristes et arrêter toute personne impliquée. L’équipe des militaires engagés sur le terrain, commandée par A, était en contact radio avec H. Après avoir reçu un rapport sur la fusillade, ce dernier dépêcha G et I sur les lieux. Vers 12 h , B, C, D, E, F, G, H et I regagnèrent leur base, laissant place à la RUC. Plus tard le même jour (le 10 octobre 1990), des membres de la RUC interrogèrent les militaires concernés, qui étaient accompagnés d’un représentant du service juridique des armées, L. Il ressort de ces interrogatoires que A avait été le premier à ouvrir le feu, qu’il avait tiré 20 balles, que B avait tiré 17 balles, C 19 balles et D 16 balles, que ce dernier avait tiré ses deux dernières balles sur M. Grew alors qu’il se trouvait à terre parce qu’il avait cru que celui-ci tentait de se saisir de son arme, et que E et F, qui se trouvaient non loin de là, n’avaient pas fait feu. Bien que A, B, C, D, E et F eussent déclaré qu’ils pensaient avoir été la cible de tirs, aucun coup de feu n’avait été tiré dans leur direction. Par ailleurs, il était précisé que J (instructeur en opérations de prédéploiement pour unités d’élite) et K (chef de l’unité spéciale mise en cause) étaient responsables de la planification et de la supervision de l’opération litigieuse. Le Director of Public Prosecutions (« le DPP ») Le DPP reçut le dossier de l’enquête en février 1991. Entre avril 1991 et septembre 1992, il délivra huit ordonnances prescrivant notamment des compléments d’instruction. Le 2 avril 1993, il accorda un non-lieu (nolle prosequi) aux militaires qui avaient pris part à la fusillade. Cette décision ne fut pas notifiée directement aux familles des défunts. Les procédures – notamment de contrôle juridictionnel – antérieures à l’enquête judiciaire En 1994 et 1995, la RUC adressa au coroner un certain nombre de pièces, mais non les dépositions de A, B, C, D, E, F, G, H et I. Le 23 décembre 1997, le coroner informa les requérants que le DPP lui avait adressé un dossier. Il s’agissait là de la première prise de contact officielle des autorités avec les requérants. Le 23 avril 2002, le coroner écrivit à la PSNI pour lui demander les dépositions des militaires ayant participé à la fusillade. La PSNI lui communiqua les dépositions en question mais refusa de lui adresser le rapport du service d’enquête de la RUC, la décision du DPP et les rapports de renseignement non expurgés qui concernaient l’affaire. Par une lettre du 11 juin 2002, les requérants invitèrent le coroner à leur indiquer la date de l’ouverture de l’enquête judiciaire et sollicitèrent la communication préalable d’éléments de preuve. Le même jour, les intéressés adressèrent à la PSNI une lettre lui demandant communication de tous les documents relatifs à la mort de leurs proches, en application de l’article 2 de la Convention et de l’article 8 de la loi de 1959 sur les coroners en Irlande du Nord (« la loi de 1959 »). Le 3 décembre 2002, le coroner adressa aux requérants les dépositions se rapportant à l’information judiciaire. Les déclarations et les documents fournis par la PSNI appartenant à celle-ci, le coroner ne put les communiquer aux intéressés. a) La première procédure de contrôle juridictionnel En octobre 2002, après de longs échanges de correspondance entre les requérants, le coroner et la PSNI sur la question de la communication d’éléments de preuve préalablement à l’ouverture de l’enquête judiciaire, le mari de la première requérante – décédé depuis lors – et le deuxième requérant exercèrent une action en contrôle juridictionnel contre le coroner et la PSNI pour contester le refus de cette dernière de leur communiquer certains documents. Le 14 février 2003, ils furent autorisés à exercer cette action. Le 21 février 2003, la PSNI communiqua aux requérants les documents qu’elle avait adressés au coroner (paragraphe 16 ci-dessus). Parmi ces documents figuraient les dépositions des militaires concernés et deux listes d’éléments de preuve indiquant que certaines pièces n’avaient pu être retrouvées ou qu’elles étaient altérées (il était précisé qu’une odeur nauséabonde s’était échappée à l’ouverture de l’un des sacs contenant les pièces en question). Le 20 janvier 2004, la High Court jugea, dans l’affaire McCaughey and Another, Re Application for Judicial Review ([2004] NIQB 2), que l’article 8 de la loi de 1959 et l’article 2 de la Convention obligeaient la PSNI à communiquer au coroner certains des documents qu’elle avait conservés, et que l’enquête avait pris un retard injustifié enfreignant cette dernière disposition. Le 14 janvier 2005, la Cour d’appel accueillit l’appel interjeté par la PSNI dans l’affaire Police Service of Northern Ireland v. McCaughey and Grew ([2005] NICA 1, [2005] NI 344). Elle jugea que l’article 8 de la loi de 1959 obligeait la PSNI à fournir au coroner les informations qu’elle ne lui avait pas communiquées lorsqu’elle l’avait informé des décès, mais que l’article 2 de la Convention ne l’y obligeait pas, la loi sur les droits de l’homme (Human Rights Act) n’étant pas applicable aux décès survenus avant l’an 2000 – année de l’entrée en vigueur de ce texte –, conformément à la solution retenue dans l’arrêt In re McKerr ([2004] UKHL 12) rendu sur appel de M. McKerr (requérant dans l’affaire McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, CEDH 2001-III). L’époux de la première requérante exerça un recours contre cette décision. Le 28 mars 2007, la Chambre des lords rendit un arrêt (Jordan v. Lord Chancellor and Another et McCaughey v. Chief Constable of the Police Service Northern Ireland ([2007] UKHL 14) par lequel elle se prononça également sur un recours analogue formé par M. Hugh Jordan (requérant dans l’affaire Hugh Jordan c. Royaume-Uni, no 24746/94, 4 mai 2001). Elle jugea que la loi sur les droits de l’homme n’était pas applicable aux décès survenus avant son entrée en vigueur, ni, par conséquent, aux enquêtes menées sur de tels décès. Elle estima toutefois que l’article 8 de la loi de 1959 obligeait clairement la PSNI à communiquer au coroner les informations dont elle disposait sur les décès au moment de la notification, ainsi que celles qu’elle serait en mesure d’obtenir par la suite, sous réserve des privilèges ou immunités applicables. b) Les autres procédures antérieures à l’enquête judiciaire Entre-temps, une réforme du système du coroner était intervenue, entraînant la désignation d’un nouveau coroner. En décembre 2007, les requérants invitèrent par écrit le coroner en chef à faire avancer l’enquête. Le 12 février 2008, le service du coroner leur répondit que, en raison de la charge de travail existante, l’enquête n’avait pas encore été attribuée à un coroner, mais que le coroner en chef avait écrit à la PSNI pour lui demander communication de certaines pièces sur le fondement de l’article 8 de la loi de 1959. En juillet 2008, les requérants écrivirent de nouveau au coroner en chef pour s’enquérir des progrès de l’enquête et de la communication de pièces préalable à l’enquête. Ils ne reçurent aucune réponse. Le 17 décembre 2008, ils adressèrent au coroner en chef une nouvelle lettre, dont les services du coroner accusèrent réception. Un autre pli expédié le 16 janvier 2009 resta sans réponse. En février 2009, les intéressés apprirent de manière officieuse qu’un coroner avait été désigné. Le 25 juin 2009, ils adressèrent au service du coroner une mise en demeure, se plaignant du manquement de celui-ci à ouvrir une enquête. Le 30 juin 2009, le service du coroner leur répondit que le coroner n’avait pas encore reçu de la PSNI communication intégrale des éléments de preuve, que celle-ci devait intervenir sous peu, et qu’il se proposait de tenir en septembre 2009 une audience préliminaire au cours de laquelle il espérait pouvoir fixer une date provisoire pour l’ouverture de l’enquête. En 2009, l’équipe d’enquête sur les faits du passé (Historical Enquiries Team, « la HET ») indiqua au coroner qu’elle envisageait d’ouvrir en janvier 2010 une enquête sur la fusillade ayant conduit au décès des proches des requérants. Le coroner en informa les intéressés par une lettre du 26 août 2009, leur demandant s’ils souhaitaient que l’enquête commençât avant les investigations prévues par la HET. Le 4 septembre 2009 se tint une audience préliminaire sur l’enquête. Le coroner informa les parties qu’il avait reçu communication intégrale des pièces demandées à la PSNI. L’avocat de la PSNI et du ministère de la Défense déclara que cette communication respectait pleinement l’article 8 de la loi de 1959, et que le ministère ne disposait pas d’autres documents relatifs aux faits litigieux. Toutefois, il ne fut pas en mesure d’indiquer au coroner quelles mesures avaient été prises, le cas échéant, pour retrouver certaines des pièces manquantes. Le coroner ajourna l’audience pour examiner les documents communiqués et fixa une nouvelle audience préliminaire au 12 octobre 2009. Il invita les parties à formuler des observations écrites sur le point de savoir si l’enquête devait être suspendue pendant la conduite des investigations de requérants s’y opposèrent oralement. Enfin, le coroner prit acte des effets potentiels que l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Šilih c. Slovénie ([GC], no 71463/01, 9 avril 2009) pouvait avoir sur le droit applicable en matière d’enquête judiciaire, mais il s’estima lié par la jurisprudence interne applicable (notamment par l’arrêt In re McKerr, précité). Toutefois, il déclara qu’il était possible de mener une enquête efficace, approfondie et transparente. Le 15 septembre 2009, les requérants demandèrent à la HET d’accélérer ses investigations. Celle-ci leur répondit qu’elle procéderait à une première évaluation de la situation le 12 octobre 2009, au cours de l’audience du coroner. À l’audience du 12 octobre 2009, les requérants soutinrent qu’il était trop tôt pour suspendre l’enquête judiciaire dans l’attente des investigations de la HET. Ils proposèrent de poursuivre l’examen de certains points portant sur la phase préalable à l’enquête – la communication des pièces, les objectifs et l’étendue de l’enquête, l’anonymat et les immunités d’intérêt public –, estimant que la question des investigations de la HET pourrait être réexaminée au moment où l’enquête ferait l’objet d’une audience. Les parties et le coroner approuvèrent cette proposition. La HET consentit à accélérer le début de ses investigations. Le 1er décembre 2009 se tint une autre audience préliminaire. Le coroner ordonna la communication aux requérants d’une version expurgée des pièces reçues de indiqua qu’une audience portant sur certaines questions telles que l’anonymat et la protection des témoins aurait lieu en janvier 2010. Par une lettre du 8 décembre 2009, le coroner proposa aux parties une « définition préliminaire » de l’étendue de l’enquête qui devait porter sur quatre points principaux, à savoir l’identité des défunts, le lieu et le moment des décès ainsi que la question de savoir « comment » MM. McCaughey et Grew avaient trouvé la mort. En ce qui concerne cette dernière question, le coroner indiqua qu’il se pencherait sur les éléments de preuve relatifs aux circonstances dans lesquelles les intéressés s’étaient rendus sur les lieux où ils avaient été abattus ainsi que sur l’opération de surveillance qui avait abouti à leur décès, et qu’il s’intéresserait en particulier aux objectifs et à la planification de cette opération, aux actes des personnes qui y avaient participé et à ce qu’elles savaient de l’opération, ainsi qu’à la nature et à l’intensité de la force employée. Il invita les parties à soumettre des observations sur ces points. En décembre 2009, des dossiers contenant des pièces furent remis aux requérants. Une brève audience préliminaire se tint le 22 janvier 2010. Le 2 février 2010, le coroner réserva sa décision sur la question de l’étendue de l’enquête après avoir entendu les parties sur ce point. Les requérants approuvèrent la définition préliminaire de l’étendue de l’enquête proposée par le coroner. En revanche, la PSNI déclara qu’il fallait s’en tenir à la conception traditionnelle de l’enquête judiciaire, antérieure à l’entrée en vigueur de la loi sur les droits de l’homme, et que le verdict devrait donc se limiter au point de savoir « comment » les défunts avaient trouvé la mort et ne pas se prononcer sur les « circonstances générales » des décès. Une autre audience préliminaire fut programmée pour septembre 2010, mais elle n’eut pas lieu. Par une lettre datée du 4 novembre 2010, les requérants invitèrent le coroner à organiser une autre audience préliminaire portant sur les questions de la communication des pièces, de l’étendue de l’enquête, des experts et de l’inspection des lieux. c) La seconde procédure de contrôle juridictionnel S’appuyant sur l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Šilih (précitée), les première et troisième requérantes sollicitèrent un contrôle juridictionnel, estimant que la solution retenue par la Cour exigeait que l’enquête qui les concernait fût conforme à l’article 2. Le 23 septembre 2009, statua sur l’affaire McCaughey and Quinn’s Application ([2009] NIQB 77). Elle accorda aux requérantes l’autorisation de solliciter un contrôle juridictionnel au sujet du retard apporté à l’enquête mais suspendit la procédure en attendant la décision que le coroner devait prendre à l’issue de l’audience du 12 octobre 2009. En revanche, elle rejeta l’argument des intéressées selon lequel l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans l’affaire McKerr n’était plus applicable depuis l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Šilih (précitée). Par un arrêt du 26 mars 2010 (Re McCaughey and Quinn’s Application [2010] NICA 13), la Cour d’appel accorda aux requérantes l’autorisation de solliciter un contrôle juridictionnel sur les deux moyens tirés de l’article 2 que la High Court avait rejetés, mais elle jugea que ceuxci n’étaient pas fondés. Toutefois, elle estima que l’article 3 de la loi sur les droits de l’homme lui imposait d’appliquer le droit interne dans toute la mesure du possible d’une manière conforme à la Convention, et que la Cour suprême pourrait décider d’étendre au droit interne les solutions retenues dans l’arrêt Šilih (précité). En conséquence, elle autorisa les intéressées à se pourvoir devant la Cour suprême. En novembre 2010, les requérants demandèrent la poursuite des audiences préliminaires à l’enquête sur certaines questions, notamment la communication des pièces, l’étendue de l’enquête, l’inspection des lieux et les rapports d’expertise. Le coroner leur répondit qu’il ne s’y opposait pas, mais qu’il était préférable que ces questions fussent examinées après le prononcé de l’arrêt de la Cour suprême. Par un arrêt du 18 mai 2011 (In the matter of an application by Brigid McCaughey and another for judicial review (Northern Ireland) [2011] UKSC 20) rendu à la majorité (Lord Rodger of Earlsferry avait marqué son désaccord avec celle-ci), la Cour suprême jugea que le coroner en charge de l’enquête devait respecter les obligations procédurales découlant de l’article 2 de la Convention. Elle releva que, dans l’arrêt Šilih (précité), la Cour s’était écartée de sa jurisprudence antérieure en jugeant que, dans certains cas, l’article 2 imposait à l’État une obligation d’enquête « détachable » même lorsqu’un décès était survenu avant la ratification de cet instrument par l’état, notamment lorsqu’une part importante des mesures procédurales avait été réalisée après l’entrée en vigueur de la Convention. La Cour suprême en conclut que le droit international exigeait que l’enquête menée sur les faits litigieux satisfît aux exigences de l’article 2 dans toute la mesure permise par le droit interne. Elle déclara que le législateur était réputé avoir introduit dans le droit interne une exigence reflétant cette obligation internationale, et que la loi sur les droits de l’homme, entrée en vigueur le 2 octobre 2000, devait être interprétée par référence à cette intention présumée. Elle ajouta que toutes les enquêtes à venir concernant des décès survenus avant l’entrée en vigueur de la loi sur les droits de l’homme devraient satisfaire aux exigences de l’article 2. Lord Brown émit une opinion concordante dans laquelle il se référa à des données statistiques communiquées par le service du coroner en avril 2011 et portant sur des décès survenus avant octobre 2000. Il en ressortait que seize « enquêtes sur les faits du passé » portant sur vingt-six décès étaient en cours d’instruction, que l’Attorney General avait communiqué au coroner six autres affaires concernant huit décès survenus avant 2000, et que six décès survenus pendant la période 1994-2000 n’avaient pas fait l’objet d’une enquête (une enquête sur un décès survenu en 1995 venait d’être clôturée en février 2011). La plupart de ces enquêtes portaient sur l’usage de la force létale par les forces de l’ordre et certaines d’entre elles concernaient des homicides imputés à des groupes paramilitaires. d) Les procédures préalables ultérieures Depuis certains arrêts rendus par la Cour (notamment les arrêts McKerr et Hugh Jordan, précités), les décisions de classement sans suite peuvent être contestées par la voie du contrôle juridictionnel. Les requérants invitèrent les autorités à leur communiquer les motifs du non-lieu prononcé en avril 1993. Par une lettre du 25 juillet 2011, l’adjoint du DPP leur fournit les explications suivantes : « Après un examen attentif de toutes les preuves et renseignements recueillis, il est apparu qu’il n’y avait pas matière à poursuivre les militaires mis en cause pour une quelconque infraction en rapport avec les décès de M. Desmond Grew et de M. Martin McCaughey. Tous les militaires concernés ont affirmé avoir tiré en état de légitime défense. Comme vous le savez, lorsque l’exception de légitime défense est invoquée, c’est au ministère public qu’il revient le cas échéant de l’écarter en démontrant, par des preuves satisfaisant aux normes très strictes applicables en matière pénale, que l’auteur de l’exception ne se trouvait pas en état de légitime défense. Or les preuves existantes ont été jugées insuffisantes à cet égard. » Dans sa lettre, l’adjoint du DPP déclara ne pas être en mesure de confirmer que les proches des défunts avaient été informés du non-lieu prononcé par le DPP, tout en précisant que la pratique suivie à l’époque pertinente voulait que la police notifiât les décisions du DPP aux personnes concernées. En revanche, il confirma que son service avait demandé au coroner d’établir un nouveau rapport sur toutes les questions pertinentes que l’enquête judiciaire pourrait faire apparaître. Lors d’une audience préliminaire tenue le 17 octobre 2011, le coroner décida que l’enquête judiciaire serait menée en mars 2012. Il donna des instructions relatives à la communication des éléments de preuve entre les parties, enjoignant notamment au ministère de la Défense de communiquer ses pièces pour le 23 décembre 2011. Il désigna des jurés, demandant à chacun d’entre eux de lui indiquer s’il avait des raisons de penser qu’il ne pourrait pas examiner les preuves de manière impartiale. L’action civile en réparation Le 11 janvier 2012, les requérants introduisirent une action civile en réparation concernant la fusillade. Cette action devait prendre effet dans un délai de trois ans à partir de la date à laquelle ils auraient reçu communication des éléments de preuve balistiques et médicolégaux sur lesquels ils comptaient s’appuyer pour démontrer que le recours à la force létale n’était pas absolument nécessaire et que l’opération n’avait pas été planifiée de manière à minimiser le risque d’emploi d’une telle force. Le contrôle juridictionnel mettant en cause la HET Le 6 mars 2012, la première requérante engagea une procédure de contrôle juridictionnel contestant le refus de la HET de communiquer des documents pertinents au coroner et mettant en doute, entre autres, l’indépendance de celle-ci à l’égard de l’armée. En réponse, la HET produisit un rapport préliminaire de ses investigations. Elle déclara que, avant leur décès, MM. McCaughey et Grew se préparaient à exécuter une opération que l’IRA avait planifiée, qu’elle approuvait l’inspection des lieux de l’incident ainsi que l’interrogatoire ultérieur des militaires, et qu’elle considérait que celui-ci corroborait l’inspection en question. Elle précisa que A avait été interrogé mais qu’il avait pour l’essentiel confirmé ses déclarations antérieures. Le 19 juillet 2012, elle indiqua qu’elle n’avait pas encore achevé son rapport définitif. L’enquête judiciaire et les actions en contrôle juridictionnel qui s’ensuivirent Le 12 mars 2012, l’enquête judiciaire s’ouvrit et les requérants furent informés que la HET avait décidé de suspendre ses investigations pendant cette procédure. L’enquête dura vingt-sept jours. Elle fut clôturée le 2 mai 2012. Elle donna lieu à une audience publique à laquelle les requérants furent représentés par un conseil et par un avocat. Vingt-trois témoins furent entendus. Parmi ceux-ci figuraient des membres de la RUC et de l’armée qui avaient exercé des fonctions d’entraînement, de planification, de commandement, de contrôle et de supervision liées à l’opération litigieuse, ainsi que des agents de la RUC qui déposèrent sur les investigations menées après l’opération en question. Trois des quatre militaires qui avaient ouvert le feu – A, C et D – témoignèrent. B ayant refusé de se déplacer depuis le Moyen-Orient, il fut donné lecture au jury de la déposition qu’il avait faite en 1990 dans le cadre de l’enquête policière. Des experts furent entendus au sujet des investigations menées après témoins subirent un contre-interrogatoire approfondi de la part des requérants. a) Enquête judiciaire : la question de l’implication des militaires mis en cause dans d’autres cas de recours à la force létale En octobre 2011, les requérants demandèrent au coroner de recueillir des informations portant sur l’implication de A, B, C, D, E, F, G et H dans des cas de recours à la force létale en Irlande du Nord. Il semble que le ministère de la Défense ait accepté d’interroger les militaires sur leur implication éventuelle dans d’autres incidents de ce genre lors de l’audience préliminaire du 17 octobre 2011. Entre le 2 février et le 5 mars 2012, les requérants reçurent communication de nouvelles déclarations de A, C, D, E, G, H, I, J, K et L. La plupart de ces déclarations faisant état de l’implication de leurs auteurs dans d’autres cas de recours à la force létale, les intéressés demandèrent au coroner, le 16 février 2012, des précisions sur cette question. Celui-ci reçut des observations écrites et orales des parties et, le 1er mars 2012, obtint les dossiers individuels des soldats concernés ainsi que des renseignements du ministère de la Défense sur leur participation à d’autres incidents mortels. Le 8 mars 2012, il rejeta les demandes des requérants, sauf celle qui portait sur une fusillade mortelle mettant en cause A. Le même jour, les intéressés reçurent communication d’une déclaration de A portant sur cet incident ainsi que d’autres informations qu’ils avaient demandées sur ce point. Le 12 mars 2012, la High Court (présidée par le juge Weatherup) refusa aux requérants l’autorisation de solliciter le contrôle juridictionnel de la décision prise par le coroner le 8 mars 2012. Elle estima que seules des circonstances exceptionnelles pouvaient donner lieu à l’interruption d’une enquête ouverte après des années d’attente, et que la demande des requérants ne présentait aucun élément exceptionnel qui eût justifié un contrôle juridictionnel à ce stade. Le 15 mars 2012, après que J eut été interrogé sur son implication dans d’autres incidents mortels, le coroner décida d’interdire toute nouvelle question analogue et ordonna que les mentions concernant ce genre d’incidents fussent retranchées des dépositions des soldats. Le 23 mars 2012, le coroner interdit toute évocation de l’implication de A dans deux autres cas de recours à la force létale. La première requérante sollicita l’autorisation de demander un contrôle juridictionnel de cette décision. Entre-temps, A avait témoigné dans le cadre de l’enquête, sans évoquer son implication dans d’autres incidents mortels. Avec l’accord du ministère de la Défense, le coroner décida que A pourrait être rappelé si l’action en contrôle juridictionnel alors en cours d’instruction devait se révéler favorable aux requérants. À l’issue de sa déposition, A fut informé qu’il pourrait être rappelé. Il confirma au coroner qu’il se tenait à sa disposition. Le 28 mars 2012, fit droit à la demande des requérants pour autant qu’elle concernait l’un des incidents mortels auxquels A avait pris part. Relevant que celui-ci était disponible et qu’il pouvait être interrogé le lendemain dans le cadre de l’enquête, la High Court estima que l’interruption de la procédure qui pouvait en résulter était légitime car la question posée était si « cruciale » pour l’enquête judiciaire qu’elle justifiait, à titre exceptionnel, un contrôle juridictionnel avant la clôture de celle-ci. Le 29 mars 2012, les requérants demandèrent au coroner de rappeler A. Le ministère de la Défense indiqua que celui-ci serait disponible après ses congés, pendant la semaine du 9 avril 2012. Le 2 avril 2012, il informa le coroner que A était à l’étranger et que rien ne s’opposait à sa comparution, hormis les congés qu’il devait prendre prochainement. Le 4 avril 2012, après avoir réexaminé en détail les conditions de la comparution de A, le coroner jugea que celui-ci devrait disposer d’une assistance juridique distincte et fixa les dates d’audience en fonction des obligations des jurés et des projets de vacances de A qui lui avaient été communiqués auparavant. Le 6 avril 2012, le coroner décida que A devrait se rendre disponible pour l’enquête le 11 avril 2012. A ne se présenta pas à l’audience du 11 avril 2012. Ses avocats adressèrent au coroner un courriel expliquant que ses vacances débutaient en réalité ce jour-là, qu’il serait absent pendant trois semaines, et qu’il se présenterait à l’audience à la fin de cette période mais qu’il souhaitait auparavant prendre conseil auprès d’un professionnel du droit. Le 12 avril 2012, le coroner entendit les observations des parties sur ce point. Dans l’intervalle, et sous réserve de l’audition de A, des documents concernant son implication dans d’autres cas de recours à la force létale furent lus au jury. Le 13 avril 2012, le coroner demanda au ministère de la Défense de clarifier les informations contradictoires qui lui avaient été fournies au sujet de la disponibilité du soldat A. Les 16 et 18 avril 2012, les requérants demandèrent au coroner de faire citer A à comparaître. Les avocats de celuici déclarèrent qu’ils n’avaient pas reçu d’instruction de sa part mais qu’ils lui transmettaient les lettres qui le concernaient. Le 23 avril 2012, après avoir sollicité, reçu et examiné des observations complémentaires des requérants sur leur demande de citation à comparaître, le coroner décida d’achever l’enquête malgré l’absence de A plutôt que de tenter, sans pouvoir s’en assurer, de le faire comparaître « en cherchant indéfiniment à savoir quand il serait disponible ». Il donna des instructions au jury sur la question de l’absence de A. b) Enquête judiciaire : les questions posées par le jury Au cours de ses délibérations, le jury demanda au coroner si un coup de feu tiré sur un cadavre pouvait être qualifié de force excessive du point de vue juridique. Cette question concernait les deux tirs ayant touché M. Grew alors qu’il se trouvait à terre, et dont on ignorait s’il était déjà mort au moment de ces coups de feu, les médecins légistes n’étant pas parvenus à s’accorder sur ce point. Le coroner leur répondit que, à strictement parler, l’enquête judiciaire perdait sa raison d’être dès lors qu’un décès avait été constaté. Les requérants contestèrent, en vain, cette interprétation comme étant trop étroite, soutenant notamment que cette circonstance était pertinente pour comprendre le comportement de l’auteur des tirs et savoir « comment » M. Grew était mort. c) Enquête judiciaire : la question de la récusation d’un juré Entre le 20 mars et le 26 avril 2012, le coroner reçut des plaintes visant un juré accusé de s’être assoupi à plusieurs reprises et d’avoir manifesté de l’hostilité à l’égard de la famille des défunts. Le coroner rejeta les demandes de récusation de ce juré formulées par les requérants, leur indiquant qu’il le surveillerait et qu’il garderait cette question à l’étude. Le 27 avril 2012, il rejeta une nouvelle demande de récusation formulée par les intéressés, qui alléguaient que le même juré avait craché par terre en rencontrant des membres de la famille de l’un des défunts. Toutefois, il adressa deux avertissements aux jurés, leur rappelant qu’ils étaient conjointement garants de l’intégrité de son second avertissement, il leur indiqua que tout juré ayant des doutes quant à l’impartialité d’un autre juré devait lui en faire part. Aucun des jurés ne se manifesta. Tout au long de l’enquête, le coroner recommanda au jury de s’en tenir aux preuves et de les examiner en toute impartialité. À la demande des requérants, il souligna à nouveau, dans les derniers jours de l’enquête, que tout juré éprouvant de la défiance envers le jury ou un autre juré devait l’en informer. Le jury ne fit aucune observation. Le 27 avril 2012, la High Court (présidée par le juge Stephens) refusa aux requérants l’autorisation de solliciter un contrôle juridictionnel de cette dernière décision du coroner, estimant qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur l’appréciation des faits opérée par celui-ci. Elle ajouta que, même si elle se trompait sur ce point, seules des circonstances exceptionnelles pouvaient justifier le report de l’enquête après des années d’attente, et que la récusation d’un juré à ce stade aurait entraîné des difficultés injustifiables, d’autant que le jury avait déjà commencé à délibérer. Enfin, elle indiqua que les requérants disposeraient d’une voie de recours au cas où la décision du jury leur serait défavorable. d) Enquête judiciaire : le verdict du jury À l’issue de la phase d’administration des preuves, après avoir examiné les observations écrites des parties et entendu leurs observations orales, le coroner établit la liste des questions auxquelles le jury devait répondre dans son verdict. Les requérants, la PSNI et le ministère de la Défense présentèrent leurs observations finales au jury sur ces questions. Les intéressés soutinrent notamment que les questions posées au jury dénaturaient le critère de la nécessité absolue et qu’elles ne permettraient pas au jury de se prononcer sur le point de savoir si la force utilisée était justifiée. Le coroner exposa sommairement l’affaire aux jurés pendant près de quatre heures. Le 2 mai 2012, le jury rendit un verdict établissant que MM. McCaughey et Grew étaient morts à la suite de blessures multiples provoquées par des balles à haute vélocité. Le jury considéra également que l’opération litigieuse visait à la poursuite de la surveillance des personnes impliquées dans des activités terroristes, à l’arrestation de ces personnes et à l’installation d’une caméra à proximité du hangar. Il estima que les militaires avaient ouvert le feu et tué MM. McCaughey et Grew parce qu’ils pensaient avoir été repérés, peut-être à cause des sons émis par leurs radios, et qu’ils avaient cru que leur vie était en danger en voyant les deux hommes s’approcher d’eux les armes à ajouta que les militaires avaient continué à tirer parce qu’ils avaient confondu leurs tirs avec ceux de leurs adversaires. Il précisa que A avait tiré le premier, croyant que sa position et celle de ses équipiers avaient été découvertes et que leur vie était en danger, et que B, C et D l’avaient ensuite imité, ne cessant le feu qu’après avoir jugé que cette menace était neutralisée. Il conclut que les militaires avaient employé une force raisonnable eu égard à ces circonstances. Par ailleurs, il estima que D avait tiré par deux fois à courte distance sur M. Grew, qui était alors au sol, parce qu’il l’avait considéré comme une menace. Les jurés estimèrent que cette réaction était légitime. À la question de savoir si une autre tactique raisonnable aurait été envisageable, ils répondirent qu’ils n’étaient pas parvenus à une conclusion « unanime répondant au critère de la plus forte probabilité » sur le point de savoir si les soldats auraient pu procéder à l’arrestation de MM. McCaughey et Grew avant de sentir en danger. Quant à la question de savoir si l’opération avait été menée de manière à réduire autant que possible l’emploi de la force létale, les jurés répondirent qu’ils n’étaient pas « unanimes quant à la possibilité d’une arrestation ». En ce qui concerne l’hypothèse selon laquelle un aspect de l’entraînement des militaires ou de la manière dont ils avaient planifié l’opération pouvait avoir joué un rôle dans les décès, les jurés déclarèrent que les soldats avaient visé la « masse centrale » et avaient continué à faire feu jusqu’à ce que la menace fût neutralisée, conformément à leur entraînement, mais que, hormis ces constatations, ils « ne disposaient pas d’éléments de preuve suffisants sur la planification de l’opération et les renseignements obtenus pour parvenir à d’autres conclusions ». Ils ajoutèrent qu’ils avaient constaté que M. Grew avait reçu deux balles alors qu’il se trouvait à terre près du hangar, mais qu’il « n’était pas possible d’en savoir davantage sur la force utilisée contre lui ». À la question de savoir si la RUC et l’armée avaient planifié, contrôlé et supervisé l’opération litigieuse en veillant à réduire au minimum le recours à la force létale, les jurés répondirent de la manière suivante : « Planification – Lors de la planification de l’opération, le TCG a décidé de confier l’intervention à une unité militaire spéciale, estimant que celle-ci était la plus apte à en minimiser les risques pour les membres de la RUC et les militaires chargés de la surveillance des lieux et de l’installation de la caméra. – L’installation de la caméra a été organisée de manière à réduire au minimum les risques pour les militaires affectés à la surveillance. – Compte tenu des risques inhérents à la mission de surveillance, celle-ci a été attribuée à l’unité militaire spéciale en raison de l’entraînement spécifique qu’elle avait reçu et de la puissance de feu dont elle disposait, supérieure à celle de la RUC. – Les militaires ne disposaient pas d’informations ou de renseignements sûrs qui auraient permis de réduire au minimum le recours à la force létale. Contrôle – Chacun des militaires s’était vu assigner un rôle clair et précis : chaîne de commandement claire. – Un rôle précis était assigné à chacun et les membres du TCG étaient seuls habilités à mettre un terme à l’opération. Supervision – H avait le contrôle global de l’opération. Mais A, en tant que chef d’équipe et commandant des militaires engagés sur le terrain, était le mieux placé pour prendre des décisions et réduire au minimum le recours à la force létale. » Le jury souligna que les incidents dont les forces de sécurité avaient été victimes par le passé dans le secteur, la nature du terrorisme en Irlande du Nord à l’époque pertinente et la tension qui pesait sur les militaires ayant participé à l’opération étaient des facteurs à prendre en compte. La procédure de contrôle juridictionnel postérieure à l’enquête judiciaire Le 29 juin 2012, la première requérante sollicita l’autorisation de demander un contrôle juridictionnel de l’enquête en vue, notamment, de l’annulation du verdict et de l’ouverture d’une nouvelle enquête. Elle estimait que l’enquête menée sur les décès litigieux ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 2 de la Convention. Dans sa demande, l’intéressée contestait les décisions par lesquelles le coroner avait conclu à l’inadmissibilité de certaines preuves relatives à l’implication de militaires dans d’autres incidents mortels en Irlande du Nord. Elle reprochait au coroner d’avoir refusé de divulguer un certain nombre de pièces pertinentes, de ne pas avoir autorisé les membres de la famille à interroger les militaires qui avaient témoigné à propos des incidents en question, et d’avoir ordonné le retranchement des mentions concernant ces incidents des dépositions des militaires concernés. Selon elle, ces décisions avaient non seulement empêché les requérants de participer effectivement et pleinement à l’enquête et compromis le contrôle public sur l’enquête, mais aussi privé le jury d’éléments de preuve pour se prononcer sur la question de savoir, d’une part, si l’unité spéciale de la police avait suivi une politique consistant à tirer pour tuer qui aurait accru le risque d’un recours injustifié à la force létale ou excessive et, d’autre part, si l’emploi d’une telle force par chacun des militaires pris individuellement était légitime eu égard aux circonstances. La requérante soutenait également que, malgré le jugement rendu par la High Court, le coroner n’avait pas pris les mesures qui s’imposaient pour assurer la comparution de A et que ce manquement avait eu les mêmes conséquences négatives sur la participation des requérants à l’enquête, sur le contrôle public de celle-ci et sur la mise à la disposition du jury de certains éléments de preuve. Elle avançait que les questions posées aux jurés par le coroner n’avaient pas permis à ceux-ci de se prononcer en pleine connaissance de cause sur le point de savoir « comment » et « dans quelles circonstances » MM. McCaughey et Grew avaient trouvé la mort. Par ailleurs, elle estimait que le coroner avait induit le jury en erreur sur « l’état d’esprit » des soldats au moment où ils avaient ouvert le feu et continué à tirer, qu’il ne l’avait pas invité à s’interroger sur l’« absolue nécessité » de la force utilisée et qu’il n’avait pas clairement répondu à la question des jurés portant sur la qualification juridique applicable à un coup de feu tiré sur un cadavre. En outre, elle reprochait au coroner de ne pas avoir rectifié les erreurs contenues dans les observations finales des parties à l’attention du jury. Enfin, elle contestait le refus du coroner de récuser le juré qui s’était montré hostile aux familles des défunts, refus qui impliquait selon elle que le jury ne pouvait être objectif, impartial et indépendant. La procédure de contrôle juridictionnel n’a pas encore été examinée par B. Droit et pratique internes pertinents Régime juridique des enquêtes judiciaires Les règles juridiques relatives aux coroners en Irlande du Nord ont été codifiées par la loi de 1959 complétée par le code de conduite et de procédure des coroners en Irlande du Nord, adopté en 1963 (« le code de 1963 »). L’article 7 de la loi de 1959 oblige certaines personnes ayant des raisons de penser qu’une personne est décédée de mort non naturelle d’en informer immédiatement le coroner compétent. L’article 8 de la loi de 1959 impose à la police l’obligation suivante : « Lorsqu’une dépouille mortelle est découverte ou lorsqu’un décès inexpliqué ou entouré de circonstances suspectes survient, l’inspecteur du district dans lequel le corps a été découvert ou celui du district dans lequel le décès est survenu doit en informer ou en faire informer immédiatement et par écrit le coroner du district dans lequel le corps a été découvert ou celui du district dans lequel le décès est survenu en lui adressant également par écrit toute information obtenue sur la découverte du corps ou sur le décès. » Les passages pertinents de l’article 31 § 1 de la loi de 1959 sont ainsi libellés : « Lorsque tous les membres d’un jury constitué pour les besoins d’une enquête sont parvenus à un accord, ils doivent rendre, dans les formes prescrites par la loi (...) leur verdict établissant (...) l’identité du défunt ainsi que la manière, le moment et le lieu du décès de celui-ci. » L’article 15 du code de 1963 dispose que, dans le cadre d’une enquête judiciaire, la procédure et l’administration des preuves visent uniquement à établir l’identité du défunt, le point de savoir comment, quand et où celui-ci a trouvé la mort, ainsi que les éléments dont les règles régissant l’enregistrement des naissances et des décès requièrent la consignation. Toutefois, l’article 16 de ce code énonce : « Ni le coroner ni le jury ne doivent exprimer d’avis sur les questions de responsabilité pénale ou civile ou sur un point autre que ceux mentionnés à [l’article 15]. » L’article 22 § 1 du code de 1963 est ainsi libellé : « À l’issue de l’examen des preuves, un verdict écrit se résumant à une déclaration sur l’identité du défunt, sur la manière dont il a trouvé la mort ainsi que sur le moment et le lieu du décès est rendu par le coroner, ou par le jury après lecture du résumé du coroner si l’enquête est menée par un coroner et par un jury. » L’article 23 § 1 du code de 1963 est ainsi rédigé : « Les verdicts rendus en application de l’article 22 sont consignés sous la forme prévue dans la troisième annexe. » La troisième annexe au code de 1963 comporte un formulaire de verdict où la cause de la mort, qui figure parmi les informations à consigner, est définie comme étant « la cause immédiate du décès et, le cas échéant, les facteurs de morbidité ayant conduit à la cause immédiate du décès ». Le formulaire précise que le verdict du jury ou les conclusions du coroner sur la mort doivent être énoncés comme suit : décès dû à des causes naturelles ; décès dû à un accident ; décès dû à un suicide (...) ; verdict ouvert (mention à utiliser lorsqu’aucune des autres mentions n’est pertinente). Depuis 1980, le formulaire applicable prévoit que le verdict du jury de l’enquête ou les conclusions du coroner doivent figurer sous la rubrique « constatations ». L’article 35 § 3 de la loi de 2002 sur la justice en Irlande du Nord, qui a remplacé l’article 6 § 2 de l’ordonnance de 1972 sur la répression des infractions en Irlande du Nord, est ainsi libellé : « Lorsqu’il lui paraît que les circonstances d’un décès faisant ou ayant fait l’objet d’une enquête de sa part révèlent qu’une infraction à la législation de l’Irlande du Nord ou d’un autre pays ou territoire a peut-être été commise, le coroner fournit dès que possible au Director [of Public Prosecutions] un rapport écrit sur lesdites circonstances. » Enquêtes judiciaires – Jurisprudence pertinente Dans l’affaire R. v. Coroner for North Humberside and Scunthorpe ex parte Jamieson ([1995] QB 1), qui concernait l’Angleterre et le pays de Galles, la Cour d’appel indiqua que le terme « comment » devait être compris comme signifiant « par quelles causes », et que cette question portait sur les voies par lesquelles le défunt avait trouvé la mort. Elle précisa qu’un verdict pouvait comporter une déclaration brève et neutre, mais qu’il devait être factuel et ne devait pas contenir de jugement ou d’opinion, et que le jury n’avait pas pour tâche de procéder à une description détaillée des faits. Dans l’affaire R. v. Secretary of State for the Home Department ex parte Amin ([2003] UKHL 51), la Chambre des lords se prononça sur les exigences auxquelles les enquêtes doivent répondre pour satisfaire à l’article 2 de la Convention. Dans l’affaire R. (Middleton) ν. West Somerset Coroner ([2004] C 182), elle revint sur la définition de l’étendue de l’enquête résultant de l’affaire Jamieson. Elle conclut qu’une enquête répondant aux critères énoncés dans cette dernière affaire était incompatible avec l’article 2 car elle excluait tout examen de la question de savoir si le comportement d’agents de l’État aurait raisonnablement pu prévenir un décès. Elle précisa que, pour satisfaire aux exigences de cette disposition, l’enquête devait rechercher « par quels moyens » et « dans quelles circonstances » le défunt avait trouvé la mort. Ce faisant, la Chambre des lords étendit la portée du verdict rendu à l’issue de l’enquête. Le 11 mars 2004, elle jugea que les enquêtes menées sur des décès survenus avant l’entrée en vigueur de la HRA n’étaient pas tenues au respect de l’article 2 (McKerr ([2004] 1 WLR 807). Le 28 mars 2007, dans l’affaire Jordan v. Lord Chancellor and Another et McCaughey v. Chief Constable of the Police Service Northern Ireland ([2007] UKHL 14), la Chambre des lords rendit un arrêt par lequel elle conclut, en renvoyant à son arrêt McKerr, que les décès survenus avant l’entrée en vigueur de la HRA ne relevaient pas de cette loi et que celle-ci n’était donc pas applicable aux enquêtes ouvertes sur de tels décès. Toutefois, elle précisa que l’article 8 de la loi de 1959 obligeait expressément la police à communiquer au coroner toute information en sa possession ou obtenue ultérieurement sur un décès, sous réserve des privilèges ou immunités applicables. Dans le cadre d’une procédure de contrôle juridictionnel ultérieure, accueillit un recours formé par M. Hugh Jordan, qui contestait le refus de la PSNI de lui communiquer l’intégralité des documents qu’elle avait adressés au coroner à l’exception de ceux qui faisaient l’objet d’un privilège ou d’une immunité légitime (dans l’affaire In re Jordan’s Application [2008] NIQB 148). La High Court indiqua que sa décision était motivée par : « (...) la confusion découlant de la production fragmentaire des pièces pertinentes qui a marqué l’affaire pendant des années. Certaines pièces ont été communiquées plusieurs fois, d’autres n’ont pas été produites à certains moments, puis ont été communiquées à d’autres. Il est indéniable que les pièces ont été expurgées de manière parfois excessive. » Aussi ordonna-t-elle notamment à la PSNI de communiquer à M. Jordan l’intégralité des pièces accompagnées d’un bordereau (article 8 de la loi de 1959). Pour la seule année 2008, l’enquête judiciaire relative au décès de M. Pearse Jordan donna lieu à six demandes de contrôle juridictionnel. Le retard apporté à la conduite de cette enquête inspira à la Cour d’appel les observations suivantes (Hugh Jordan v. the Senior Coroner [2009] NICA 64) : « Il a fallu beaucoup de temps pour que l’enquête parvienne au stade actuel. Elle a été marquée par des manœuvres procédurales ainsi que par de multiples demandes de contrôle juridictionnel, et elle a donné lieu à de nombreuses audiences devant la Chambre des lords et la Cour de Strasbourg, qui ont contribué à en augmenter la durée et la complexité. Dans son état actuel, le régime juridique des enquêtes judiciaires est extrêmement insatisfaisant. Il évolue au gré d’une jurisprudence fragmentée et progressive. Il se caractérise par l’absence de règles procédurales claires et aisément applicables. Sa complexité, ses incohérences et ses dysfonctionnements rendent la tâche des coroners extrêmement difficile et obligent ces derniers à appliquer une jurisprudence qui n’est pas toujours univoque et homogène. L’on ne peut que compatir aux difficultés des coroners chargés d’enquêtes aussi litigieuses que la présente qui est extrêmement conflictuelle de par sa nature et son contexte. Le fait que ] soit elle-même mise en cause alors qu’elle est censée apporter son concours aux coroners dans les affaires non litigieuses aggrave les difficultés. Il semble qu’il n’existe aucune solution entièrement satisfaisante qui permettrait à la PSNI de s’acquitter sereinement de ses fonctions auprès des coroners lorsqu’elle doit faire valoir et protéger ses propres intérêts. à tout le moins, il ressort clairement de la présente affaire que le droit et la pratique des enquêtes judiciaires en Irlande du Nord doivent être réexaminés de manière approfondie et systématique si l’on veut éviter la réitération des difficultés procédurales qui ont marqué l’enquête ici en cause. Il est tout aussi clair que la multiplication des contentieux connexes est très fâcheuse, qu’elle détourne l’attention des véritables questions à trancher et qu’elle retarde la procédure. » À la suite de l’arrêt rendu par la Cour de Strasbourg dans l’affaire Šilih (précité), la Cour suprême infirma l’arrêt rendu par la Chambre des lords dans l’affaire McKerr en jugeant que les enquêtes judiciaires devaient satisfaire aux exigences de l’article 2 même si elles portaient sur des décès survenus avant l’entrée en vigueur de la HRA (In the matter of Brigid McCaughey and another for Judicial Review (Northern Ireland) [2011] UKSC 20, paragraphe 40 ci-dessus). L’aide juridictionnelle dans le cadre des enquêtes judiciaires En juillet 2000, le ministre de la Justice annonça l’instauration d’un système officieux d’aide à titre gratuit permettant de financer au moyen de fonds publics la représentation devant un coroner pour certaines enquêtes judiciaires exceptionnelles en Irlande du Nord. En mars 2001, il publia pour consultation les critères à prendre en compte pour déterminer si une demande de représentation mérite ou non un financement public. Parmi ces critères figurent notamment la situation financière du demandeur, le point de savoir si des investigations effectives de l’État sont nécessaires et si l’enquête judiciaire est le seul moyen d’effectuer ces investigations, si le demandeur a besoin d’être représenté pour participer de manière effective à l’enquête judiciaire et s’il avait des liens suffisamment étroits avec le défunt. L’équipe d’enquête sur les faits du passé (la « HET ») La HET est une unité d’enquête spéciale rattachée à a été mise en place en 2005 pour réexaminer les investigations menées sur des décès survenus en Irlande du Nord entre 1968 et 1998. Elle rend compte de ses activités à l’inspecteur général de 3 000 affaires lui ont été confiées. Elle a deux objectifs principaux. En premier lieu, elle doit veiller à ce que chaque affaire fasse l’objet d’un réexamen exhaustif répondant aux normes professionnelles actuelles, c’est-à-dire s’assurer que toutes les possibilités ont été exploitées en matière d’administration de la preuve. En second lieu, elle doit travailler en étroite coopération avec les familles, notamment en leur fournissant un rapport sur le décès de leurs proches. Résolutions pertinentes du Comité des Ministres Au cours de la période 2001-2003, la Cour a rendu six arrêts analogues concernant des enquêtes menées sur des homicides imputés aux forces de sécurité en Irlande du Nord entre 1968 et 1998 (Hugh Jordan et McKerr, précités, Shanaghan c. Royaume-Uni, no 37715/97, 4 mai 2001, Kelly et autres c. Royaume-Uni, no 30054/96, 4 mai 2001, McShane c. Royaume-Uni, no 43290/98, 28 mai 2002, et Finucane c. Royaume-Uni, no 29178/95, CEDH 2003VIII). Dans une résolution intérimaire (CM/ResDH(2007)73) portant sur les affaires en question, le Conseil des Ministres a instamment prié le gouvernement défendeur de prendre « toutes les mesures d’enquête nécessaires (...), sans plus de retard, afin d’accomplir des progrès concrets et visibles ». En mars 2008, après avoir évalué les mesures prises par les autorités britanniques, il a décidé « de clore l’examen des questions relatives au fait que les procédures d’enquête judiciaire [eussent] tardé à commencer et n’[eussent] pas progressé avec la célérité voulue ». Toutefois, il a résolu de poursuivre l’examen des mesures tant individuelles que générales. Le Service de l’exécution des arrêts a fait le point sur l’état d’avancement de l’exécution des arrêts susmentionnés dans un document d’information en date du 27 novembre 2008 (CM/Inf/DH(2008)2 révisé). En ce qui concerne les mesures individuelles indiquées dans l’affaire Hugh Jordan, il s’est déclaré préoccupé par le fait que « l’enquête préliminaire (inquest) n’[avait] toujours pas commencé dans cette affaire alors qu’il avait été précédemment annoncé qu’elle débuterait en avril 2008 » et a déclaré qu’il attendait de ce fait « des informations (...) sur les mesures prises ou envisagées afin de garantir que l’enquête préliminaire en l’espèce ne sera[it] pas une nouvelle fois retardée ». En ce qui concerne les arrêts Kelly et autres, McKerr et Shanaghan, il a indiqué qu’il attendait des informations portant notamment sur les prochaines étapes éventuelles de l’enquête. Par une résolution intérimaire (CM/ResDH(2009)44) adoptée en mars 2009, le Comité a décidé de clore l’examen de deux mesures générales (qui portaient respectivement sur la HET et sur les obligations de l’État défendeur au titre de l’article 34 de la Convention) et des mesures individuelles indiquées dans les affaires McShane et Finucane, expliquant les raisons de sa décision dans la résolution en question. En revanche, il a résolu de poursuivre l’examen des mesures individuelles indiquées dans les affaires Hugh Jordan, Kelly et autres, McKerr et Shanaghan. À cet égard, il a « noté avec préoccupation les progrès limités des mesures de caractère individuel dans ces affaires, en particulier dans l’affaire Hugh Jordan, où l’enquête ne débutera pas avant juin 2009 bien qu’il ait été annoncé auparavant qu’elle le serait en avril 2008 » et a demandé instamment aux autorités de l’État défendeur de « prendre toutes les mesures nécessaires afin de conduire sans plus de retard les enquêtes en cours à leur terme tout en gardant à l’esprit les constats de la Cour dans ces affaires ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1978 et réside à Budapest. Le 8 mai 2007, dix membres du parti politique Mouvement pour une Hongrie meilleure (Jobbik Magyarországért Mozgalom) fondèrent l’association de la Garde hongroise (Magyar Gárda Egyesület – « l’association »), dans le but affiché, entre autres, de préserver les traditions et la culture hongroises. L’association fonda à son tour le 18 juillet 2007 le mouvement de la Garde hongroise (Magyar Gárda Mozgalom – « le mouvement »). Le bureau de l’association déclara qu’il avait décidé de « créer la Garde hongroise, tout d’abord sous la forme d’un mouvement puis en l’intégrant si possible dans l’association sous la forme d’une section ». Il décida aussi que « afin que la Garde hongroise soit intégrée dans l’association, les statuts [de celle-ci] devaient être amendés (...) avant le 10 octobre 2007 ». L’objectif du mouvement était de « défendre la Hongrie, qui est sans défense physiquement, spirituellement et intellectuellement ». Parmi les tâches entreprises par le mouvement, mentionnées dans son acte constitutif, figuraient la formation physique et psychologique de ses membres, la participation à la gestion de catastrophes et la protection de l’ordre public, ainsi que l’ouverture d’un dialogue social sur ces questions par l’intermédiaire d’événements publics. Le 4 octobre 2007, le parquet de Budapest adressa une notification à l’association pour la sommer de mettre fin à ses activités illégales. La notification indiquait que l’association avait mené des activités qui n’étaient pas conformes aux buts définis dans ses statuts. Elle faisait notamment observer que l’association avait organisé le 25 août 2007 la prestation de serment de cinquante-six « gardes » au château de Buda, et que celle-ci avait ensuite mené une campagne nationale destinée à populariser les tâches assignées au mouvement qui n’étaient pas conformes aux buts de l’association. Il était aussi noté que certains des buts du mouvement ne faisaient pas partie de ceux de l’association et qu’ils n’étaient d’ailleurs pas conformes avec la nature de l’association, qui visait à préserver la culture et les traditions. Le 9 novembre 2007, le requérant, en sa qualité de président de l’association, informa le parquet qu’il avait été mis fin aux activités illégales grâce à la suppression de la partie litigieuse de l’acte constitutif du mouvement et qu’il avait entrepris de modifier les statuts de l’association. Ainsi, le 7 décembre 2007, l’assemblée générale de l’association avait décidé d’ajouter la disposition suivante au paragraphe 2 de ses statuts : « f) Conformément à son nom, l’association de la Garde hongroise a pour but d’ouvrir un dialogue avec la société et d’organiser des événements publics et des rassemblements de citoyens sur des questions touchant à leur sécurité, comme la gestion des catastrophes, la défense nationale et les techniques permettant de sauver la vie. » Prétendument pour viser ces objectifs, des membres du mouvement en uniforme organisèrent par la suite des rassemblements et des manifestations dans toute la Hongrie, y compris dans des villages dont la population était en grande partie composée de Roms, et appelèrent à la défense des « Hongrois de souche » contre ce qu’ils appelaient la « criminalité tsigane ». Ces manifestations et rassemblement ne furent pas interdits par les autorités. L’une de ces manifestations, à laquelle participaient quelque deux cents activistes, fut organisée le 9 décembre 2007 à Tatárszentgyörgy, un village d’environ 1 800 habitants. La police était sur place et n’autorisa pas le défilé à emprunter une rue habitée par des familles roms. Le 17 décembre 2007, en réaction à cet événement, le parquet principal de Budapest engagea une action en justice tendant à la dissolution de l’association, au motif que celle-ci avait abusé du droit à la liberté de réunion et mené des activités portant atteinte aux droits des Roms au travers de la peur provoquée chez eux par les discours et l’apparence, étant donné que les activistes portaient des uniformes, défilaient en formations et lançaient des ordres comme à l’armée. Le parquet principal considérait que le mouvement constituait une subdivision de l’association et que ses activités représentaient en réalité une part importante de celles de l’association. Il estimait que le mouvement n’était pas une « communauté spontanée » au sens où ses membres étaient tous inscrits, soulignant que ledit mouvement avait été créé par la présidence de l’association, que les demandes d’adhésion à celui-ci étaient examinées par l’association et que son uniforme pouvait être acheté auprès de l’association. Au cours de la procédure qui s’ensuivit, l’association allégua toutefois qu’il n’y avait entre elle et le mouvement aucun lien organisationnel qui soit de nature à créer une unité entre eux, raison pour laquelle elle arguait qu’elle n’était nullement responsable du mouvement. Elle déclara aussi que, en tout état de cause, les activités du mouvement ne représentaient aucun danger objectif pour quiconque. D’après elle, d’une part, un sentiment subjectif de peur ne pouvait donner lieu à une limitation des droits fondamentaux, au nombre desquels figurait la liberté de réunion et, d’autre part, le comportement du mouvement n’avait d’un point de vue objectif rien eu d’intimidant. Après avoir tenu quatre audiences, le tribunal régional de Budapest adopta le 16 décembre 2008 un jugement donnant gain de cause au parquet général et prononça la dissolution de l’association en application de l’article 16 § 2 d) de la loi no II de 1989 sur le droit à la liberté d’association (paragraphe 18 ci-dessous). Le tribunal rejeta les arguments relatifs à la distinction entre les deux entités et jugea qu’il existait entre elles une « relation symbiotique ». Il dit que l’association avait eu pour activité principale de fonder, faire fonctionner, guider et financer le mouvement, observant notamment que celui-ci recevait des dons par l’intermédiaire du compte en banque de l’association. L’effet juridique de ce jugement se limita toutefois à la dissolution de l’association ; étant donné que, selon le tribunal, le mouvement n’était pas doté d’une personnalité juridique, le jugement ne portait pas directement sur celui-ci. Pour ce qui est du rassemblement qui s’était tenu à Tatárszentgyörgy, le tribunal régional déclara ce qui suit : « Le but essentiel de cet événement était bien d’attirer l’attention sur la « criminalité tsigane ». L’utilisation de cette généralisation, clairement fondée sur des motifs raciaux et ethniques, a violé le principe de l’égale dignité de tous les êtres humains (...) De plus, cet événement n’a pas été unique (...) [Le mouvement] a fondé son programme sur la discrimination entre les personnes et l’a mis en pratique en organisant plusieurs défilés ; cela revient à faire une démonstration de force et à menacer autrui par le biais de l’apparence [des participants aux défilés] (...) Le tribunal estime que, d’un point de vue constitutionnel, susciter la peur, quasiment comme une mission, constitue un objectif ou un rôle inacceptable. » Le tribunal nota que les participants, qui étaient en uniforme, portaient des brassards présentant une forte ressemblance avec ceux portés par les officiers du mouvement des Croix fléchées (qui fit régner la terreur en Hongrie en 1944-1945). Il considéra que des défilés de personnes ainsi vêtues étaient objectivement susceptibles de blesser des « sensibilités historiques ». Le tribunal ajouta que, en dépit du but affiché par l’association, ses actions avaient violé les lois de la Hongrie sur les associations et créé un climat d’hostilité envers les Roms. Pour lui, la démonstration de force verbale et visuelle constituait à elle seule une atteinte à la loi au vu de l’expérience historique ; ainsi, il n’était pas nécessaire que l’association ait commis une véritable infraction pour qu’elle soit dissoute ; le fait que son programme englobe une discrimination revenait à nuire aux droits d’autrui au sens de l’article 2 § 2 [de la loi no II de 1989] (paragraphe 18 ci-dessous). Le 2 juillet 2009, la cour d’appel de Budapest confirma le jugement du tribunal régional. Elle prit également en compte deux autres manifestations du même genre organisées par le mouvement, l’une dans le village de Fadd le 21 juin 2008 et l’autre dans le village de Sárbogárd à une date non précisée. Elle nota que les discours prononcés par des membres du mouvement au cours du rassemblement de Fadd contenaient de nombreuses remarques visant à l’exclusion des Roms. Quant à l’événement de Sárbogárd, la cour d’appel observa qu’on y avait entendu des propos antisémites. La cour d’appel établit qu’il existait un lien très étroit entre les deux entités et élargit la portée de son arrêt au mouvement. Elle dit que l’association englobait en réalité le mouvement, qui en constituait une « unité », en conséquence de quoi son arrêt les concernait tous les deux. La dissolution de l’association démantelait aussi le cadre organisationnel fourni aux individus œuvrant au sein de tout mouvement lié à l’association dissoute. La cour d’appel dit que le choix du lieu où s’étaient tenues les manifestations, à savoir des villages dont une grande partie de la population était constituée de Roms, ne pouvait être compris comme favorisant le dialogue social mais devait passer pour une forme d’expression extrême s’agissant d’une démonstration quasi militaire de force résultant de l’effet cumulé d’uniformes, de formations, d’ordres et de saluts de style militaire. Tout en confirmant en substance le raisonnement du tribunal régional, elle considéra que la population de ces villages avait été exposée à ces opinions extrêmes et porteuses d’exclusion en tant que « public captif », sans pouvoir s’y soustraire. Pour la cour d’appel, les événements organisés par le mouvement entraînaient des risques de violence, provoquaient le conflit, troublaient l’ordre public et violaient le droit à la liberté et à la sûreté des habitants de ces villages, alors même que toutes les manifestations, sévèrement contrôlées par la police, s’étaient terminées sans qu’aucun acte de violence se soit produit. La cour d’appel se pencha aussi sur la liberté d’expression du requérant. Elle déclara, confirmant en cela les arguments du jugement de première instance et citant la jurisprudence de la Cour, que cette liberté n’englobait pas les discours de haine ou incitant à la violence. Le 15 décembre 2009, la Cour suprême confirma l’arrêt de la cour d’appel de Budapest. Elle souscrivit à la conclusion de celle-ci selon laquelle le mouvement était en fait une entité au sein de l’association. Elle approuva également la décision des juridictions inférieures quant à la nécessité de dissoudre l’association, faisant observer que les rassemblements organisés par le mouvement avaient créé des situations de conflit dont les protagonistes auraient potentiellement pu avoir recours à la violence. Cette décision fut notifiée le 28 janvier 2010. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La Constitution, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, contenait les dispositions suivantes : Article 2 « 3) Les activités d’organisations sociales, d’organes de l’État ou de citoyens ne peuvent viser à l’acquisition par la force ou à l’exercice de la puissance publique, ou à la possession exclusive d’une telle puissance. Toute personne a le droit et l’obligation de résister à pareilles activités par les voies légales. » Article 63 « 1) En République de Hongrie, toute personne a le droit, sur la base du droit d’association, de créer des organisations dont les objectifs ne sont pas interdits par la loi et d’adhérer à de telles organisations. 2) Le droit d’association ne permet pas de créer des organisations armées ayant des objectifs politiques. 3) Un vote des députés à la majorité des deux tiers est requis pour l’adoption de la loi sur le droit de réunion et sur le financement et le fonctionnement des partis politiques. » La loi no II de 1989 sur le droit à la liberté d’association dispose : Article 2 « 1) En vertu du droit d’association, des personnes physiques ou morales et leurs entités dépourvues de personnalité juridique peuvent, sous réserve du but de leurs activités et des intentions de leurs fondateurs, créer et diriger des organisations au sein de la société civile. 2) Le droit d’association ne peut pas être exercé en violation de l’article 2 § 3 de la Constitution, ni de manière à commettre une infraction pénale ou à inciter à en commettre une, et ne doit pas nuire aux droits et libertés d’autrui. » Article 3 « 1) Une organisation de la société civile est une organisation créée volontairement et autonome, visant le but exposé dans ses statuts, qui est dotée de membres inscrits et organise les activités de ses membres en vue d’atteindre son but. 2) Les membres non inscrits peuvent aussi participer à des événements publics de grande ampleur. » Article 4 « 1) (...) une organisation de la société civile est créée au moyen de son enregistrement auprès des tribunaux. » Article 5 « Une communauté de particuliers réalisée en vertu du droit d’association dont le fonctionnement n’est pas régulier ou qui ne dispose pas de membres inscrits ou de structure conformément à la présente loi n’est pas une organisation de la société civile. » Article 16 « 2) Sur une action du procureur, le tribunal (...) d) dissout l’organisation de la société civile si son fonctionnement est contraire à l’article 2 § 2 ; (...) » On peut brièvement définir comme suit le statut juridique des associations. Celles dont les activités ne servent pas l’intérêt public ne peuvent être financées par des individus au moyen de dons déductibles des impôts et ne peuvent ni recevoir d’autres dons ni demander des subventions publiques, car ces avantages sont réservés aux organisations d’utilité publique conformément aux lois nos CXXVI de 1996 et CLXXV de 2011. Toutefois, la loi no LXXXI de 1996 dispose que les revenus provenant des activités non lucratives d’une association quelle qu’elle soit ne sont pas assujettis à l’impôt sur les sociétés et que les activités commerciales des associations sont soumises à l’impôt sur les sociétés à un taux préférentiel. En outre, en vertu de la loi no CXVII de 1995, des règles avantageuses en matière d’impôt sur le revenu s’appliquent à certains services fournis par les associations et à certaines rémunérations et prestations sociales perçues par elles. De surcroît, la loi no IV de 1959 (code civil) dispose que les membres d’une association ne sont pas responsables des dettes de celle-ci. La loi no LXXVII de 1993 sur les droits des minorités ethniques et nationales, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellée en ses passages pertinents : Article 4 « 1) La République de Hongrie interdit toutes les politiques ou conduites qui : a) ont pour objectif ou pour résultat d’assimiler une minorité dans la nation majoritaire ou de l’en exclure ou de l’en séparer ; b) visent à modifier la composition ethnique ou nationale de zones peuplées de minorités ; c) persécutent ou portent préjudice à une minorité ou à des personnes appartenant à une minorité parce qu’elles appartiennent à une minorité ou entravent l’exercice des droits de telles personnes pour cette raison (...) » Le décret-loi no 8 de 1976, qui incorpore le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies lors de sa XXIe session du 16 décembre 1966, dispose : Article 20 « 2. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi. » Le décret-loi no 8 de 1969, qui incorpore la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée à New York le 21 décembre 1965, dispose : Article premier « 1. Dans la présente Convention, l’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. » Article 2 « 1. Les États parties condamnent la discrimination raciale et s’engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre toutes les races, et, à cette fin : (...) d) Chaque État partie doit, par tous les moyens appropriés, y compris, si les circonstances l’exigent, des mesures législatives, interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations et y mettre fin ; » Article 4 « Les États parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui (...) prétendent justifier ou encourager toute forme de haine et de discrimination raciales ; ils s’engagent (...) a) À déclarer délits punissables par la loi (...) toute incitation à la discrimination raciale (...) de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement ; b) À déclarer illégales et à interdire les organisations ainsi que les activités de propagande organisée et tout autre type d’activité de propagande qui incitent à la discrimination raciale et qui l’encouragent et à déclarer délit punissable par la loi la participation à ces organisations ou à ces activités ; » La décision no 30/1992 (V.26) AB de la Cour constitutionnelle contient les passages suivants : « II. 3. Les codes pénaux de tous les pays européens démocratiques de droit continental ainsi que ceux de l’Angleterre et du pays de Galles, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, pays de droit coutumier, interdisent l’incitation à la haine fondée sur des motifs « raciaux ». La ligne de démarcation entre l’incitation à la haine, le fait d’éveiller la haine et l’expression d’opinons demeure l’objet de vifs débats même sur le plan international. IV. 1. Les dommages que peuvent causer l’incitation à la haine et des propos méprisants qui humilient certains groupes d’une population sont largement attestés dans les annales de l’expérience humaine (...) Les expériences historiques tragiques de notre siècle montrent que les opinions proclamant l’infériorité ou la supériorité raciale, ethnique, nationale ou religieuse et la diffusion de la haine, du mépris et de l’exclusion mettent en danger les valeurs de la civilisation. Il est prouvé tant par l’histoire que par les événements de notre époque que tout propos exprimant l’intention de susciter la haine contre un groupe spécifique de personnes peut faire monter la tension sociale à un paroxysme, rompre l’harmonie et la paix sociales et, dans les cas extrêmes, provoquer des heurts violents entre certains groupes de la société. Outre les expériences historiques et contemporaines qui montrent les effets extrêmement négatifs qu’engendre l’incitation à la haine, il y a lieu de prendre en compte les menaces quotidiennes qui résultent d’une expression non limitée d’idées et de concepts susceptibles de susciter la haine. Pareille expression empêche les communautés humaines de vivre en harmonie avec d’autres groupes. Exacerber les tensions émotionnelles et sociales à l’intérieur d’une communauté, grande ou petite, peut détruire les liens au sein de la société, renforcer les positions extrêmes et augmenter les préjugés et l’intolérance. Tout cela conduit à une réduction des chances de créer une société tolérante et multiculturelle reconnaissant le pluralisme, le droit à la différence et l’égale dignité de tous les êtres humains, et où la discrimination n’est pas portée au rang de valeur. Accorder une protection constitutionnelle à l’incitation à la haine contre certains groupes sous couvert de défendre la liberté d’expression et la liberté de la presse provoquerait une contradiction insurmontable avec le système de valeurs et l’orientation politique exprimés dans la Constitution, à savoir l’état de droit, l’égalité de tous les êtres humains, l’interdiction de la discrimination, la liberté de religion et de conscience et la protection des minorités nationales et ethniques, garantis par divers articles de la Constitution (...) L’incitation à la haine est la négation des notions précitées et prépare émotionnellement à l’usage de la violence. Cela constitue un abus de la liberté d’expression, car il s’agit de la stigmatisation d’un groupe qui caractérise les dictatures et non les démocraties. Tolérer que la liberté d’expression et la liberté de la presse soient exercées d’une manière interdite par l’article 269 § 1 du code pénal irait à l’encontre des exigences découlant du principe démocratique de la prééminence du droit (...) Pour résumer sa position, la Cour constitutionnelle précise qu’il est nécessaire et justifié de restreindre la liberté d’expression et celle de la presse en raison des expériences historiques négatives qu’a provoqué l’incitation à la haine contre certains groupes, pour protéger les valeurs constitutionnelles et pour honorer l’obligation où se trouve la République de Hongrie de respecter ses engagements au regard du droit international (...) » La décision no 14/2000 (V.12) AB de la Cour constitutionnelle contient les passages suivants : « 3. La liberté d’expression n’est pas seulement un droit subjectif ; c’est aussi la garantie que s’expriment librement les différents points de vue qui forment l’opinion publique (...) Bien que ce droit puisse subir des restrictions, il bénéficie d’une protection particulière en raison de son rôle primordial ; il ne peut être limité que par rapport à un petit nombre d’autres droits. En conséquence, des valeurs d’importance secondaire telles que la paix publique bénéficient d’une protection moins forte que le droit en question (...) Comme le droit à la vie, le droit à la dignité humaine bénéfice d’une très haute protection dans la Constitution (...) La Constitution n’est pas neutre du point de vue des valeurs mais renferme ses propres valeurs. L’expression d’opinions non conformes aux valeurs constitutionnelles n’est pas protégée par l’article 61 de la Constitution (...) La Cour constitutionnelle indique que, comme cela découle également de la Convention, la liberté d’expression comporte des « devoirs et des responsabilités ». Les autorités de l’État sont tenues de protéger les valeurs de l’État démocratique conformément au principe de l’état de droit et de respecter la dignité des personnes. Il faut agir contre les comportements traduisant la force, la haine et le conflit. Rejeter l’usage de la force ou la menace de l’usage de la force comme mode de règlement des conflits fait partie de la notion complexe de démocratie. » La décision no 18/2004 (V.25) AB de la Cour constitutionnelle contient le passage suivant : « III. 2.1. (...) Même dans le cas d’opinions extrêmes, ce n’est pas la teneur des opinions mais ce sont les conséquences directes et prévisibles de leur communication qui justifient de restreindre la liberté d’expression et d’appliquer des mesures juridiques au titre du droit civil ou, dans certains cas, du droit pénal. » La décision no 95/2008 (VII.3) AB de la Cour constitutionnelle contient les passages suivants : « III. 3.4. (...) Le but de l’amendement [du code pénal] est de punir les discours et gestes de haine même s’il est impossible d’identifier la partie lésée. Cependant, l’amendement punirait non seulement les comportements portant atteinte à l’honneur et à la dignité de personnes en particulier mais aussi toutes les formes de discours de haine, y compris les déclarations racistes comportant des généralisations, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire que les parties « touchées » ou les parties qui se considèrent comme « touchées » participent aux échanges entre des personnes exprimant de la haine ou les suivent, ou soient exposées à des idées de haine exprimées dans certains médias (...) On ne fait pas taire les voix extrémistes dans les démocraties constitutionnelles simplement à cause de la teneur de leur discours. Dans une société démocratique, que des propos racistes et généralisateurs soient tenus ne change rien au fait que, du point de vue de l’État, tous les citoyens ont une égale valeur et disposent des mêmes droits fondamentaux. Sous sa forme actuelle, l’amendement punirait également les discours contenant seulement de telles généralisations. Le fait que des personnes appartenant au groupe visé participent aux échanges, c’est-à-dire que ces personnes entendent ou soient exposées de quelque manière que ce soit à des déclarations racistes, n’est pas un élément constitutif de l’infraction telle que définie dans l’amendement. Toutefois, il s’agit précisément des cas où l’expression d’une opinion peut offenser non seulement la sensibilité ou le sens de la dignité de certaines personnes, mais aussi leurs droits constitutionnels. Si, par exemple, une personne exprime ses convictions politiques extrémistes de telle manière qu’un membre du groupe lésé est contraint d’écouter ces propos alors qu’il se trouve en état d’intimidation et n’est pas en mesure de s’y soustraire [« public captif »] (...) alors le droit de cette personne de ne pas écouter ou subir des opinions déplaisantes ou insultantes mérite d’être protégé (...) Les gens appartiennent non seulement à la communauté des citoyens mais aussi à un groupe ou à une communauté plus restreints. De par son appartenance à un tel groupe, un individu peut se trouver exposé à un préjudice d’une gravité et d’une intensité telles que le recours à des sanctions pénales peut même se justifier pour remédier à la situation. » III. OBSERVATIONS D’ORGANES INTERNATIONAUX DE SURVEILLANCE DES DROITS DE L’HOMME Les Observations finales du Comité des droits de l’homme des Nations unies concernant la Hongrie (Genève, 11-29 octobre 2010), contiennent le passage suivant : « 18. Le Comité est préoccupé par les déclarations anti-Roms virulentes et généralisées faites par (...) les membres de l’organisation dissoute Magyar Gàrda. (...) Il est en outre préoccupé de relever des indications d’une montée de l’antisémitisme dans l’État partie. Le Comité est préoccupé par l’interprétation restrictive donnée par la Cour constitutionnelle de l’article 269 du Code pénal relatif à l’incitation à la violence contre la communauté, qui peut être incompatible avec les obligations de l’État partie en vertu de l’article 20 du Pacte (...) » Le quatrième rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la Hongrie, adopté le 20 juin 2008, contient les passages suivants : « 61. (...) on a observé une inquiétante montée du racisme et de l’intolérance dans le discours public en Hongrie. La création et la progression de la Garde hongroise [Magyar Gárda] (...) est notamment mentionnée sans cesse comme une préoccupation majeure. Depuis sa création en août 2007 et la prestation de serment publique de plusieurs centaines de nouveaux membres en octobre de la même année, la Garde hongroise a organisé de nombreux rassemblements publics dans tout le pays, y compris dans des villages accueillant une grande population rom ; malgré les statuts apparemment inoffensifs de l’association, son chef prône notamment la défense des Hongrois de souche face à une prétendue « criminalité tsigane ». Les membres de la Garde hongroise défilent en uniformes et bottes noirs de style paramilitaire, avec des insignes et des drapeaux ressemblant beaucoup au drapeau du parti des Croix fléchées, organisation ouvertement nazie qui a été brièvement au pouvoir en Hongrie pendant la Seconde Guerre mondiale, courte période durant laquelle des dizaines de milliers de Juifs et de Roms ont été tués ou déportés. (...) (...) Des groupes comme la Garde hongroise expriment aussi ouvertement des opinions antisémites (...) l’antisémitisme ne cesse d’augmenter en Hongrie. » Le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales a adopté le 18 mars 2010 son troisième avis sur la Hongrie, lequel contient le passage suivant : « 75. Depuis sa création en 2007, la Garde hongroise [Magyar Garda] a organisé de nombreux rassemblements publics dans le pays, y compris dans des villages où vit une importante population rom, au cours desquels ses membres défilent en uniformes et bottes noires de style paramilitaire, avec des insignes et des drapeaux nazis. (...) Le Comité consultatif est préoccupé par ce comportement menaçant. » IV. DROIT COMPARÉ La Cour constitutionnelle fédérale allemande a dit, dans son arrêt Stoppt den Synagogenbau ! (23 juin 2004 ; BVerfGE, 111, 147 – Inhaltsbezogenes Versammlungsverbot), que pour prévenir un risque de trouble à l’ordre public, il était possible de restreindre la liberté de réunion si c’étaient les modalités (Art und Weise) d’organisation d’un rassemblement, et non son contenu, qui suscitaient des préoccupations. Dès lors, il était possible de limiter « les comportements agressifs et provocateurs de nature à intimider les citoyens et par l’intermédiaire desquels les manifestants créent un climat propice à la violence ». S’agissant d’un défilé organisé par l’extrême droite lors de la journée en mémoire de l’Holocauste, la haute juridiction a dit en outre que « les modalités [d’organisation d’un rassemblement] [peuvent] donner lieu à des provocations heurtant sérieusement la sensibilité morale [sittliches Empfinden] ». Quant à la manière dont le rassemblement était organisé, elle a également accordé de l’importance au comportement provocateur des manifestants. Elle a ajouté que la même chose valait aussi « lorsqu’un défilé, du fait de son caractère d’ensemble [durch sein Gesamtgepräge], s’identifie avec les rites et symboles de la tyrannie nazie et intimide d’autres citoyens en évoquant les horreurs d’un régime totalitaire et inhumain ». À propos de la dissolution d’une association, la Cour administrative fédérale allemande a résumé ainsi, dans un arrêt du 5 août 2009 (BVerwG 6 A 3.08), sa jurisprudence en matière d’interdiction des associations : « 16. Les objectifs et activités d’une association sont punissables pénalement en fonction des intentions et du comportement de ses membres. Une association ne peut en tant que telle être tenue pour pénalement responsable. Seules les personnes physiques peuvent être sanctionnées pénalement car, pour qu’il y ait incrimination, il faut qu’il y ait capacité à endosser une responsabilité pénale [Schuldzurechnungsfähigkeit]. Comme il ressort clairement de l’article 3 § 5 de la loi sur les associations [Vereinsgesetz], il est néanmoins juridiquement possible qu’une association soit responsable pénalement [Strafgesetzwidrigkeit einer Vereinigung] parce que l’association, par l’intermédiaire de ses membres et de ses organes représentatifs, peut avoir une volonté collective qui est détachée de ses membres individuels et qui développe son propre objectif [Zweckrichtung] et peut agir de manière indépendante. Si la loi pénale est violée en raison de cet objectif propre ou des actions indépendantes de l’association, toutes les conditions requises pour une interdiction [Verbotstatbestand] sont réunies. Il est un facteur décisif à cet égard : il faut que le comportement des membres de l’association puisse être attribué à celle-ci. La nature de l’association doit être déterminée [prägen] par les infractions pénales [Strafgesetzwidrigkeit] commises par ses membres. Une association peut viser en même temps des buts différents ; à côté du but légal énoncé dans son règlement, elle peut aussi poursuivre des buts criminels qu’elle atteint par le biais du comportement de ses membres (...) L’interdiction d’une association fondée sur l’article 3 § 1, première phrase, première branche, de la loi sur les associations, combiné avec la première branche de l’article 9 § 2 de la Loi fondamentale, est juridiquement indépendante de la condamnation pénale d’un membre ou d’un responsable de cette association. Il incombe à l’autorité qui émet l’ordonnance d’interdiction et au tribunal administratif de déterminer s’il y a eu infraction pénale [Gesetzeswidrigkeit]. Toutefois, l’interdiction [Verbotstatbestand] n’a pas pour but d’imposer une sanction supplémentaire à des individus qui ont déjà violé des dispositions pénales. Il s’agit plutôt de traiter un type particulier de menace à la sûreté publique et à l’ordre public qui se manifeste par la création ou la poursuite de l’existence d’une organisation qui prépare ou commet des actes criminels. De telles organisations constituent une menace particulière pour les intérêts [Rechtsgüter] protégés par la législation pénale. Le mouvement propre et les ressources humaines et matérielles de l’organisation facilitent et promeuvent des actes répréhensibles. En même temps, le sens de la responsabilité de chacun de ses membres est souvent réduit, la résistance individuelle à l’égard de la commission d’actes criminels est diminuée et l’élan est donné pour la commission d’autres actes criminels (arrêt du 18 octobre 1988 précité, p. 307 et pp. 23-24 respectivement ; Löwer, in v. Münch/Kunig, GG, Vol. 1, 5e éd. 2000, note 39 et article 9. » La Cour administrative fédérale a confirmé à plusieurs reprises des ordonnances de dissolution prises à l’égard d’associations qui soutenaient des idées (néo)nazies. Dans son arrêt Heimattreue Deutsche Jugend du 1er septembre 2010 (BVerwG 6 A 4.09), qui portait sur une association dont les membres propageaient les études et idées raciales des nazis, la Cour administrative fédérale a rappelé sa jurisprudence pertinente, à savoir que pour satisfaire aux conditions requises pour sa dissolution, l’association devait avoir eu pour intention de mettre en œuvre ses objectifs anticonstitutionnels de manière militante ou agressive, condition qui ne nécessitait pas le recours à la force ou une violation spécifique de la loi. Il suffisait, pour conclure à l’existence d’un but anticonstitutionnel justifiant l’interdiction, que le programme, les images et le style employés témoignent d’un lien avec l’essence du nazisme. Le fait qu’une association s’allie au parti nazi (interdit en Allemagne) ou propage une théorie raciale non conforme à l’interdiction constitutionnelle de la discrimination suffisait pour que soient remplies les conditions nécessaires à l’interdiction de l’association. La haute juridiction a déclaré que, si une association cherchait à cacher ses intentions anticonstitutionnelles, il suffisait que les conditions nécessaires à l’interdiction ressortent clairement du tableau d’ensemble formé par les déclarations individuelles et le comportement de ses membres, et que le fait que ces éléments puissent paraître subordonnés à un nombre variable de circonstances inoffensives ne disait en soi rien de leur importance. La Cour suprême des États-Unis s’est penchée sur le problème de l’intimidation dans l’affaire Virginia v. Black (538 U.S. 343 (2003)). Une loi de l’État de Virginie érige en infraction majeure « le fait pour toute personne (...) de brûler une croix sur la propriété d’autrui, une route ou tout autre lieu public (...) avec l’intention d’intimider une personne ou un groupe » et précise que « l’acte de brûler ainsi une croix (...) constituera un commencement de preuve de l’intention d’intimider une personne ou un groupe ». La Cour suprême a dit que l’acte de brûler une croix est aux États-Unis indissolublement associé à l’histoire du Ku Klux Klan et que celui-ci avait souvent brûlé des croix pour intimider et menacer d’actes de violence imminents. Elle a précisé que, jusqu’à ce jour, qu’il s’agisse d’un message politique ou d’un moyen d’intimidation, le fait de brûler une croix était un « symbole de haine ». Bien que cet acte ne fût pas automatiquement un message d’intimidation, la personne qui brûlait une croix avait souvent pour intention d’amener le destinataire du message à craindre pour sa vie. Le premier amendement à la Constitution des États-Unis permettait à un État d’interdire les « vraies menaces », ce qui englobait les déclarations par lesquelles l’auteur entendait communiquer à un individu ou groupe d’individus particulier son intention de commettre un acte de violence illégale. Il n’était pas nécessaire que l’auteur du message eût véritablement l’intention de mettre sa menace à exécution. En revanche, l’interdiction des vraies menaces protégeait les personnes de la peur de la violence et de la perturbation engendrée par la peur, ainsi que de la possibilité que la menace de violence ne devienne réalité. L’intimidation au sens interdit par la Constitution constituait un type de vraie menace, où la personne qui la proférait la dirigeait vers une personne ou un groupe de personnes avec l’intention de faire naître chez la victime la peur d’être agressée ou tuée. La Cour suprême conclut que le premier amendement permettait à la Virginie de proscrire l’acte de brûler une croix avec l’intention d’intimider, car il s’agissait d’un acte qui constituait une forme d’intimidation particulièrement virulente.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1966 et 1993, et résident à Bayraklı/İzmir. A. Les circonstances du décès de Mme Menekşe Şentürk Le samedi 11 mars 2000, vers 10 h 30, Mme Menekşe Şentürk, épouse de Mehmet Şentürk (« le premier requérant ») et mère de Bekir Şentürk, alors enceinte de trente-quatre semaines, se rendit en compagnie de son époux à l’hôpital public Karşıyaka, car elle se plaignait de douleurs. Elle y fut examinée par une sage-femme, G.E., laquelle décida que Mme Menekşe Şentürk n’était pas encore arrivée à terme et qu’il était inutile d’appeler un médecin de garde pour l’examiner. Le premier requérant conduisit alors son épouse à l’hôpital public Nevval Salih Alsancak İşgören d’İzmir (« l’hôpital public Alsancak »), où ils arrivèrent vers 11 heures-11 h 30. Là, Mme Menekşe Şentürk fut examinée par une sage-femme, A.Y., qui, constatant que l’épouse du requérant n’était pas arrivée à terme et qu’il n’y avait aucune complication, n’appela pas le gynécologue de garde pour un examen. Devant la persistance des douleurs de son épouse, le premier requérant la conduisit au centre hospitalier d’enseignement et de recherche Atatürk, où ils arrivèrent vers 14 heures. Mme Menekşe Şentürk y fut examinée par un interne au service des urgences, le docteur F.B., puis transférée au service d’urologie où elle fut examinée par un urologue, le docteur Ö.Ç. Ce dernier diagnostiqua une colique rénale, lui prescrivit des médicaments, décida l’administration d’un analgésique et lui conseilla de revenir en consultation après l’accouchement. Les douleurs de son épouse ne s’étant pas atténuées une fois rentrée chez elle, le premier requérant la conduisit le soir même à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege. Elle y fut tout d’abord examinée par un médecin urgentiste, le docteur S.A.A., puis transférée au service de gynécologie et d’obstétrique, où elle fut prise en charge par une équipe de médecins, lesquels, après avoir procédé à une échographie, établirent que l’enfant qu’elle portait était mort et qu’elle devait être opérée immédiatement pour qu’il lui soit retiré. On lui aurait alors précisé que l’hospitalisation et l’intervention chirurgicale étaient payantes et qu’un acompte s’élevant à 600 ou 700 millions de livres turques devait être versé au fonds de roulement de l’hôpital. Le premier requérant ayant déclaré ne pas avoir la somme demandée, son épouse n’aurait pas pu être hospitalisée. L’urgentiste, le docteur S.A.A., organisa le transfert de l’épouse du premier requérant en ambulance privée vers l’hôpital de gynécologie et d’obstétrique de Konak/İzmir, dans un véhicule sans personnel médical. Mme Menekşe Şentürk décéda vers 23 heures au cours de son transfert en ambulance. B. L’enquête du ministère de la Santé Entre le 26 octobre 2000 et le 23 novembre 2000, la commission d’enquête près le ministère de la Santé diligenta une enquête sur les circonstances de ce décès, au cours de laquelle furent entendus le premier requérant, les personnes ayant accompagné la défunte à l’hôpital, les membres du personnel médical (sages-femmes et médecins) des différents hôpitaux où la défunte s’était rendue ainsi que l’ambulancier ayant procédé à son transfert vers l’hôpital de gynécologie et d’obstétrique de Konak/İzmir. Le 30 octobre 2000 furent notamment recueillies les dépositions de deux sages-femmes travaillant au foyer médical de quartier Karşıyaka où Mme Menekşe Şentürk était suivie durant sa grossesse. Il ressort de leurs témoignages que celle-ci se présenta le 3 mars 2000 pour un contrôle au cours duquel les battements de cœur de l’enfant ne furent pas perçus, de sorte que les sages-femmes lui conseillèrent de se rendre au plus tôt dans un hôpital pour que soit pratiquée une échographie. Le 31 octobre 2000, la déposition de G.E., la sage-femme de l’hôpital public Karşıyaka qui avait examiné Mme Menekşe Şentürk, fut recueillie. Il ressort du procès-verbal établi à cette occasion qu’elle avait entendu les battements de cœur de l’enfant et qu’au moment où elle avait ausculté la mère, l’enfant était vivant. Elle précisa à cet égard avoir écouté le cœur de l’enfant avec un doppler, de sorte qu’il n’était pas possible d’en manquer le son, cet appareil donnant des informations quant au nombre de battements de cœur par minute. Ayant jugé que l’état de Mme Menekşe Şentürk était normal, elle n’avait pas estimé utile de pratiquer un ultrason ni de la faire ausculter par le médecin de garde. Le 1er novembre 2000, fut recueillie la déposition de A.Y., sage-femme à l’hôpital public Alsancak, laquelle déclara notamment qu’elle avait entendu les battements de cœur de l’enfant lors de l’auscultation de la mère, que l’enfant était vivant à ce moment-là et que, n’ayant relevé aucune complication, elle n’avait pas appelé le gynécologue de garde et d’astreinte. Le 9 novembre 2000, furent recueillies les dépositions de T.K., S.A. et Ö.Ö., médecins au service de gynécologie et d’obstétrique de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, lesquels déclarèrent avoir informé le premier requérant de la nécessité de retirer l’enfant par césarienne. Ils nièrent avoir dit à la patiente ou à son époux qu’ils devaient verser 600 ou 700 millions de livres turques au fonds de roulement et déclarèrent ne pas savoir qui avait pu le faire. Ils affirmèrent également avoir expliqué la situation de la patiente au spécialiste de garde S.Ö. qui ne l’avait pas auscultée mais l’avait vue, et disposait de toutes les informations la concernant. Chacun déclara en outre, notamment : « (...) il a été expliqué au mari de la patiente que le bébé était mort et qu’il fallait le retirer par césarienne. (...) Je n’ai jamais dit à la patiente qu’elle devait verser 600-700 millions de livres turques à la caisse du fonds de roulement pour cette opération (...) Je ne sais pas qui l’a dit (...) La signature apposée sous la mention [selon laquelle] l’hospitalisation n’a pas été acceptée est celle de la patiente Mme Menekşe Şentürk (...) Je n’ai jamais dit à la patiente et à son mari que s’ils ne versaient pas d’argent au fonds de roulement (...) nous ne pourrions l’opérer (...). C’est la patiente elle-même qui a refusé l’hospitalisation, qui a dit qu’elle ne pouvait verser cette somme et qui a signé les papiers. Son mari a emmené la patiente en disant qu’il ne pouvait pas assumer ce coût, qu’il refusait l’hospitalisation et qu’il allait la conduire à la maternité de Konak (...) Mes camarades et moi, en tant qu’équipe, avons expliqué (...) au mari qu’il fallait absolument retirer le bébé et qu’il ne devait pas emmener la patiente, mais nous n’avons pas réussi à le lui faire accepter (...) » Dans son témoignage recueilli le même jour, S.Ö., spécialiste en gynécologie et obstétrique à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, de garde le soir des faits, déclara avoir été informé par T.K. de la situation de la patiente et avoir préconisé son hospitalisation. Il affirma également ne pas s’être entretenu avec le mari de la patiente, ne pas lui avoir dit de verser de l’argent au fonds de roulement et avoir été informé par l’équipe ayant ausculté la patiente que l’hospitalisation avait été conseillée mais qu’elle avait été refusée par le mari. Le 23 novembre 2000, une commission d’experts médicaux établit un rapport concluant comme suit : « 1. L’infirmière G.E. a ausculté Mme Menekşe Şentürk et déclaré que son état ne nécessitait pas qu’on appelât le médecin de garde. Bien qu’il eût fallu le faire, l’infirmière n’en a pas ressenti la nécessité. En pareil cas, le principe est que tous les malades sont examinés par un médecin spécialiste car une infirmière n’a pas le niveau de connaissances [suffisant] pour apprécier la gravité de la situation. Pour tout patient entrant, l’infirmière devrait appeler le spécialiste. La sage-femme et infirmière A.Y. n’avait pas le niveau de connaissances suffisant pour établir un diagnostic quant à [l’état] de la patiente. Il aurait fallu faire examiner celle-ci par un spécialiste. En fait, pour établir un diagnostic correct, il faudrait que tous les patients qui s’adressent à la polyclinique soient examinés par un spécialiste. Le médecin de garde au service des urgences, F.B., aurait dû demander une consultation KHD [Kadın Hastalıkları ve Doğum, gynécologie et obstétrique]. Seul le médecin qui aurait examiné la patiente à ce moment-là aurait pu déterminer si ses symptômes indiquaient alors une complication de la grossesse. Le médecin urologue de garde, Ö.Ç., a examiné la patiente uniquement sous l’angle urologique. Or (...) il aurait pu procéder à un examen général et demander une consultation KHD. Seul le médecin qui aurait examiné la patiente à ce moment-là aurait pu déterminer si ses symptômes indiquaient alors une complication de la grossesse. Au regard des symptômes cliniques de la patiente, les médecins spécialistes de garde de la faculté de médecine de l’université Ege auraient dû insister pour l’hospitaliser. La présence de personnel médical dans l’ambulance n’aurait rien changé au résultat. Au vu des informations disponibles à ce jour, les causes du décès ne peuvent être véritablement déterminées. [Elles pourront l’être] de manière définitive après l’autopsie, dont les résultats permettront d’établir définitivement les [éventuelles] responsabilités pour négligence du personnel susmentionné (...) Les causes de la mort : 1. Rupture de l’utérus. 2. Embolie du mésoderme. 3. Décollement du placenta. 4. Probabilité faible de pré-éclampsie aggravée. » Le 24 novembre 2000, à la lumière de ce rapport d’expertise ainsi que des témoignages des diverses parties impliquées, l’inspecteur en chef du ministère de la Santé établit un rapport qui conclut que les sages-femmes G.E. et A.Y., qui travaillaient respectivement à l’hôpital public Karşıyaka et à l’hôpital public Alsancak, avaient manqué aux devoirs afférents à leurs fonctions pour avoir renvoyé la patiente chez elle, malgré la persistance de ses douleurs, sans qu’elle ait été auscultée au préalable par un médecin de garde. Il estima de même que les médecins F.B. et Ö.Ç., qui travaillaient au centre hospitalier d’enseignement et de recherche Atatürk, avaient manqué aux devoirs afférents à leurs fonctions pour n’avoir pas demandé de consultation par un spécialiste en gynécologie et obstétrique ni orienté la patiente en ce sens. Ce rapport d’enquête conclut par ailleurs qu’un rapport de plainte avait été établi quant à la question de la responsabilité de T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö., médecins au service de gynécologie et d’obstétrique de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer de nouveau à leur endroit. L’inspecteur en chef parvint à la même conclusion quant à la question de la responsabilité de la société d’ambulances mise en cause, un rapport distinct ayant été transmis sur cette question à la direction de la santé d’İzmir. Le rapport d’enquête mentionne toutefois que les médecins T.K., H.V., S.A., et Ö.Ö. avaient manqué à leurs devoirs, et ainsi causé par négligence, imprudence et inexpérience la mort de Mme Menekşe Şentürk. Enfin, la commission estima que le docteur S.A.A., de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, n’avait commis aucune faute en transférant la défunte au service de gynécologie et d’obstétrique. Certains constats consignés dans le rapport d’enquête quant aux faits survenus à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege peuvent notamment se lire comme suit : « Après son auscultation au service des urgences (...), Mme Menekşe Şentürk fut transférée au service d’obstétrique (...) Mme Menekşe Şentürk, enceinte de trente-quatre semaines, fut auscultée par l’équipe de garde du service d’obstétrique. Lors de l’échographie pratiquée par l’équipe de garde (...), les battements de cœur de l’enfant ne furent pas perçus et il fut établi qu’il était mort (...) Les proches de la patiente [furent informés] qu’il fallait retirer l’enfant pour la santé de la mère (...) Toutefois les proches de la patiente ayant déclaré ne pas avoir les moyens de faire face aux frais d’hôpital, (...) l’équipe de garde n’hospitalisa pas la patiente et la transféra à l’hôpital de gynécologie et d’obstétrique [de Konak/]İzmir, dans cet état, après avoir obtenu sa signature par laquelle elle refusait l’hospitalisation (...) Or il est entendu qu’alors que, selon la loi, ils auraient dû s’occuper des procédures relatives aux frais après avoir hospitalisé la patiente, l’avoir examinée, avoir [posé] un diagnostic et soigné [la patiente], les médecins ont manqué à leurs devoirs en la transférant sans l’avoir soignée [alors qu’elle] était dans une situation d’urgence, avec des douleurs persistantes, et ont ainsi causé sa mort. » Différents témoignages sont relatés dans ce rapport d’enquête. Certains peuvent notamment se lire comme suit : « Témoignage de Mehmet Şentürk : (...) le samedi 11 mars 2000, vers 10 heures, j’ai conduit mon épouse (...) enceinte de huit mois, au service des urgences de l’hôpital public Karşıyaka en raison des violentes douleurs qu’elle ressentait. Notre voisine N.S. était à nos côtés (...) Mon épouse a été auscultée à l’hôpital public Karşıyaka (...) ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire, que l’appareil à ultrasons était éteint (...) qu’il serait préférable que je [la] conduise à l’hôpital public Alsancak (...) J’ai conduit mon épouse au service des urgences de l’hôpital public Alsancak vers 11 h 15. Là, les responsables du service des urgences (...) m’ont dit qu’ils manquaient de personnel et que l’appareil à ultrasons était éteint (...) les agents en fonction m’ont alors dit de [la] conduire dans un autre hôpital. Sur ce, j’ai amené mon épouse au centre hospitalier d’enseignement et de recherche Atatürk Yeşilyurt (...) Il était environ midi lorsque je l’ai accompagnée au service d’obstétrique (...) Le médecin m’a dit de l’amener au service d’urologie (...) Je l’ai conduite au service d’urologie. Ils ont demandé des examens urologiques et un USG rénal (...) [Mon épouse] a attendu trois ou quatre heures sur une civière au service des urgences du centre hospitalier d’enseignement et de recherche Atatürk. Ses douleurs sont devenues plus violentes. Sur ce, j’ai été voir le chef du service des urgences. Je lui ai dit que mon épouse se sentait très mal et j’ai [demandé] qu’un médecin du service urologique l’ausculte (...) le médecin urologue l’a auscultée (...) Après l’avoir auscultée, il a déclaré : « il y a du temps avant la naissance, en ce moment il n’y a rien que nous puissions faire, faites-lui donner un antalgique au service des urgences et emmenez-la » et il a donné une ordonnance (...) J’ai dit au docteur que ma femme était enceinte de huit mois et lui ai demandé si les médicaments étaient ou non nocifs. Il a dit qu’il ne fallait pas les utiliser tout le temps mais seulement si les douleurs augmentaient (...) Un antalgique a été administré mais je ne sais pas quel genre d’antalgique (...) les douleurs ne se sont pas calmées (...) j’ai ramené [mon épouse] à la maison (...) il était environ 18 h 30 lorsque je l’ai conduite à la maison (...) Le soir, vers approximativement 20 h 30, j’ai vu que l’état de mon épouse avait empiré et, en compagnie de Ö.A.G. (...) je l’ai conduite à l’hôpital de l’université Ege (...) Le médecin qui a ausculté mon épouse (...) m’a dit que le bébé était mort (...) Je lui ai dit de sauver ma femme (...) Le médecin m’a dit que pour retirer l’enfant de la mère par une opération il fallait que je verse 600-700 millions de livres au fonds de roulement (...) Je lui ai répondu que je n’avais pas cet argent à ce moment-là mais d’opérer [ma femme], que je signerais un papier et que je paierais. Le médecin m’a dit que je devais verser l’argent (...) je lui ai demandé de me dire quoi faire (...) Ils m’ont alors dit de la conduire d’urgence à la maternité de Konak (...) Nous avons appelé une ambulance (...) j’ai demandé à une femme alors présente s’il ne devait pas y avoir un soignant pour accompagner [ma femme]. Elle a répondu « ils n’ont pas envoyé de soignant » (...) Nous avons pris la route (...) Nous sommes arrivés à l’hôpital de Konak (...) les agents en fonction m’ont dit que mon épouse était morte (...) Mon épouse n’a pas été prise en charge avec diligence dans les hôpitaux où je l’ai conduite. Si à l’hôpital public Karşıyaka, à l’hôpital public Alsancak ou à l’hôpital d’enseignement et de recherche Atatürk une échographie avait au moins été faite et qu’on m’avait dit que l’enfant était mort, comme c’était de jour, j’aurais pu rassembler l’argent de l’opération et sauver ma femme. Je n’étais pas informé que mon épouse avait été auscultée le 3 mars 2000 au foyer médical Bayraklı et que les battements de cœur de l’enfant n’avaient pas été entendus (...) Un jour ou deux avant le 3 mars 2000, elle m’avait dit qu’elle s’était tordu la cheville sur les deux dernières marches des escaliers et avait heurté la rampe (...) mais qu’elle n’avait aucune douleur et qu’il n’était pas nécessaire d’aller chez le médecin (...) Témoignage de Ö.A.G. : (...) nous avons conduit la patiente au service des urgences de l’hôpital Ege (...) L’un des médecins m’a dit que son état était grave. Il a dit d’aller verser 700 millions de livres au fonds de roulement (...) Je ne connais pas le nom de ce médecin. Il était alors environ 22 heures. J’avais 150 millions de livres avec moi. J’ai dit au médecin que j’avais cet argent, que je [pouvais] le verser et que pour le reste je [pouvais] signer un papier (...) Il a dit que ça n’irait pas, qu’il ne pouvait pas opérer. J’ai insisté pour qu’il opère. Il a encore refusé. J’ai alors demandé quoi faire (...) Il nous a dit de la conduire à la maternité de Konak. Au même moment, ils nous ont demandé sous la contrainte de signer un document certifiant que nous sortions la patiente de notre plein gré (...) Témoignage d’Ahmet Y. : (...) Nous avons amené Mme Menekşe Şentürk à l’hôpital de l’université Ege vers 21 heures. Ils l’ont tout de suite admise au service des urgences. Une femme médecin l’a examinée (...) elle nous a dit que le bébé était mort (...) Le médecin nous a dit qu’il fallait retirer l’enfant d’urgence par une intervention (...) Le docteur nous a dit qu’il fallait verser environ 700 millions à l’hôpital pour l’opération. Le mari de la patiente a dit qu’il ne pouvait verser l’intégralité de la somme maintenant, qu’il pouvait en verser une partie (...), faire un papier et payer plus tard. Le médecin a dit d’en discuter avec la caisse [vezne]. Ceux de la caisse nous ont dit qu’il fallait verser l’intégralité de la somme. Par la suite, nous avons parlé à nouveau avec le médecin qui avait ausculté la patiente. Nous lui avons dit que nous n’avions pas pu verser l’argent et lui avons demandé ce qu’il fallait faire. Il nous a dit d’emmener tout de suite la patiente à la maternité de Konak (...) Témoignage de S.A.A. : (...) Mme Menekşe Şentürk s’est présentée le 11 mars 2000 au service des urgences en se plaignant de douleurs au ventre (...) J’ai accueilli la patiente (...) procédé à son examen (...) je l’ai envoyée au service de gynécologie et d’obstétrique. Environ une demi-heure après avoir été auscultée au service d’obstétrique, la patiente est revenue au service des urgences (...) Le mari de la patiente m’a déclaré que les médecins en obstétrique lui avaient dit que le bébé était mort (...) et qu’elle devait être hospitalisée. J’ai demandé pourquoi ils ne l’avaient pas hospitalisée et conduite à nouveau aux urgences. Le mari de la patiente m’a dit qu’on lui avait demandé des frais (...) et comme il ne pouvait payer cette somme il voulait emmener sa femme à la maternité de Konak. À ce moment-là, il était affolé et ému. Je lui ai calmement dit qu’il fallait immédiatement retirer le bébé du ventre de la mère, [qu’il devait] ramener et faire hospitaliser immédiatement la patiente (...) [pour] qu’ils retirent l’enfant sinon la vie de la mère pourrait être en danger (...) Malgré ce que j’ai dit, le mari de la patiente a écrit sur la fiche d’auscultation de la patiente : « Malgré les conseils des médecins, nous avons refusé l’hospitalisation » et l’a signée. Je n’ai fait aucune pression (...) pour que ces mentions soient écrites (...) le mari de la patiente m’a dit que les médecins de la maternité lui avaient dit qu’il devait déposer, si mes souvenirs sont bons, 400 millions (...) Témoignage de M.D., chauffeur auprès de la compagnie d’ambulances privées : (...) le 11 mars 2000, vers 22 h 30, j’ai récupéré la patiente au service d’obstétrique et l’ai conduite au service des urgences. Là, j’ai dit à l’infirmière en chef, S.T., d’affecter un soignant à l’ambulance. Elle a dit que ce n’était pas possible. Plus tard, j’ai demandé un soignant pour l’ambulance au médecin du service des urgences qui transférait la patiente. Mais elle aussi a dit qu’elle ne pouvait pas, que le bébé était mort dans le ventre de sa mère et qu’il fallait que je la conduise immédiatement à l’hôpital de Konak (...) J’ai placé la patiente dans l’ambulance (...) Le mari de la patiente est monté à ses côtés (...) Il n’y avait pas de personnel soignant dans l’ambulance (...) Avant qu’on la place dans l’ambulance, devant le service des urgences de l’hôpital Ege (...), la patiente me disait de ne pas l’emmener (...) Il devait être 22 h 40. Lorsque nous sommes arrivés à Konak (...) j’ai vu que la patiente était décédée (...) Comme je l’ai expliqué (...) la raison pour laquelle il n’y avait pas de personnel soignant dans notre ambulance (...) tient au fait que notre infirmière de service s’occupait du transfert d’un autre malade (...) les médecins et une infirmière de l’hôpital (...) m’ont dit que la patiente était arrivée morte. Ils ont dit qu’ils n’avaient pas de morgue et que nous devions la ramener à la morgue de l’université Ege (...) » D’après les témoignages consignés, quatre médecins de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, à savoir T.K., S.A., Ö.Ö. et S.Ö., nièrent avoir dit au requérant ou à la défunte qu’ils devaient verser une somme d’argent pour que soit pratiquée l’intervention chirurgicale en cause. C. Les poursuites pénales diligentées contre le personnel médical Les poursuites contre les médecins T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö. Le 26 février 2001, la direction de la faculté de médecine de l’université Ege ouvrit une enquête concernant les médecins T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö. Le 10 septembre 2001, elle décida qu’il n’y avait pas lieu de diligenter de poursuites contre ces médecins. Le 26 août 2002, une commission d’enquête composée de médecins établit un rapport concluant que les médecins mis en cause n’avaient commis aucune faute et que, dès lors, il n’y avait pas lieu d’intenter de poursuites à leur encontre. Le 24 octobre 2002, invoquant l’article 2 de la Convention, l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que l’article 17 de la Constitution turque, dispositions concernant le droit à la vie, le premier requérant forma opposition contre cette décision. Il soutenait entre autres que la commission aurait dû vérifier la législation en vigueur ainsi que la pratique de l’université Ege dans les cas nécessitant une hospitalisation d’urgence, lorsque les frais d’hospitalisation ne peuvent être payés. Le 22 janvier 2003, le Conseil d’État annula les conclusions du rapport d’enquête. Il releva que la commission n’avait pas examiné quelles conditions devaient être remplies, dans les établissements hospitaliers, pour commencer à traiter un patient dont la vie est en danger et dont l’état requiert une intervention médicale d’urgence. Il releva également que la commission n’avait pas demandé l’élargissement de l’enquête pour y inclure le docteur S.Ö., spécialiste en gynécologie et obstétrique à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, de garde la nuit en question, et déterminer sa responsabilité au regard des faits litigieux. Il estima qu’il fallait pallier ces carences. Le 23 janvier 2004, estimant qu’il n’y avait eu ni négligence ni imprudence de la part des médecins mis en cause, la commission d’enquête adopta un nouveau rapport concluant à un non-lieu. Elle précisa que le dossier ne permettait pas de déterminer ce qu’il convenait de faire dans les situations d’urgence médicale nécessitant une hospitalisation lorsque les frais correspondants n’étaient pas acquittés. Le 25 février 2004, invoquant l’article 2 de la Convention, l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que l’article 17 de la Constitution relatifs au droit à la vie, le premier requérant forma à nouveau opposition contre ces conclusions. Il soutint notamment que le fait de ne pas inclure S.Ö. dans la procédure d’enquête constituait une carence de celle-ci, et demanda à ce que ce médecin soit intégré dans l’enquête. Le 14 avril 2004, le Conseil d’État renvoya le dossier au rectorat de l’université Ege. Le 16 mai 2005, la commission d’enquête adopta un nouveau rapport concluant de nouveau au non-lieu, faute de négligence ou d’imprudence imputable aux médecins T.K., H.V., S.A., Ö.Ö. et S.Ö. mis en cause. Le 13 juin 2005, le premier requérant saisit le Conseil d’État d’un recours contre ces conclusions. Le 27 septembre 2005, le Conseil d’État fit droit à ce recours, estimant qu’il existait suffisamment de preuves que les médecins mis en cause aient commis les faits reprochés. Il se fonda à cet égard sur le rapport établi les 20 et 21 mai 2004 par la commission supérieure de la santé (Yüksek Sağlık Şurası, paragraphe 45 ci-dessous), selon lequel lesdits médecins étaient responsables à hauteur de 4/8e de la mort de la défunte. Il décida donc qu’ils devaient faire l’objet de poursuites pénales et transmit le dossier au parquet. Le 17 novembre 2005, le tribunal correctionnel d’İzmir constata que le Conseil d’État lui avait renvoyé directement l’affaire en l’absence d’acte d’accusation du parquet et décida en conséquence de mettre un terme à la procédure diligentée contre T.K., H.V., S.A., Ö.Ö. et S.Ö., l’ouverture d’un procès étant subordonnée à la délivrance d’un acte d’accusation. Le 21 avril 2006, le procureur de la République d’İzmir délivra un acte d’accusation à l’encontre des médecins T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö. et requit leur condamnation pour atteinte involontaire à la vie (article 455 § 1 du code pénal). Le 11 septembre 2006, le premier requérant demanda à se constituer partie intervenante dans la procédure, demande à laquelle le tribunal correctionnel d’İzmir fit droit le jour même. Les poursuites contre la sage-femme G.E. Par une décision du 1er mars 2001, le gouverneur du district de Karşıyaka autorisa l’ouverture de poursuites pénales contre la sage-femme G.E. pour manquement à ses devoirs professionnels. Le 25 avril 2001, le procureur de la République de Karşıyaka inculpa l’intéressée pour manquement à ses devoirs professionnels (article 230 § 1 du code pénal) et requit sa condamnation. Le 23 octobre 2001, le tribunal correctionnel de Karşıyaka acquitta l’accusée au motif qu’une autre sage-femme était également de garde le jour des faits litigieux, et qu’il n’était pas établi que c’était l’accusée qui avait examiné la défunte et l’avait renvoyée chez elle sans appeler au préalable un spécialiste pour l’ausculter. Le tribunal ajouta qu’au demeurant, à supposer même que l’accusée fût la sage-femme qui avait examiné et renvoyé la défunte chez elle, le manquement à ses devoirs n’était pas intentionnel, de sorte que les éléments constitutifs de l’infraction n’étaient pas réunis. Ce jugement devint définitif le 31 octobre 2001. Le 14 juin 2005, se fondant sur les conclusions du rapport de la commission médicale supérieure de la Santé selon lesquelles G.E. était responsable à hauteur de 2/8e du décès de son épouse (paragraphe 45 cidessous), le premier requérant demanda la réouverture de la procédure pénale diligentée à l’encontre de cette sage-femme. Le 12 octobre 2005, le premier requérant fit une demande de constitution de partie intervenante dans la procédure diligentée contre G.E. Le 9 mars 2006, le tribunal correctionnel de Karşıyaka fit droit à la demande de réouverture et prononça la jonction de cette instance et de celle qui était pendante devant le tribunal correctionnel d’İzmir (paragraphes 51 et suivants ci-dessous). Il décida également de renvoyer à la chambre pénale de la Cour de cassation la question du conflit de compétence entre ces deux juridictions. Le 12 juin 2006, la Cour de cassation prononça la jonction des procédures pénales en question et désigna le tribunal correctionnel de Karşıyaka comme le tribunal compétent pour connaître de la suite de la procédure. Les poursuites pénales contre A.Y., F.B. et Ö.Ç. Le 14 mars 2001, le gouverneur de Konak autorisa l’ouverture de poursuites à l’encontre de la sage-femme A.Y. et des médecins F.B et Ö.Ç. Le 12 octobre 2001, le procureur de la République d’İzmir inculpa ces derniers pour manquement à leurs devoirs (article 230 § 1 du code pénal) et requit leur condamnation. Le 12 avril 2002, le premier requérant demanda à se constituer partie intervenante dans la procédure pénale initiée devant le tribunal correctionnel d’İzmir. Au terme de l’audience tenue le même jour, le tribunal fit droit à cette demande. Le 13 novembre 2002, le premier requérant demanda l’élargissement de la procédure, réclamant notamment une expertise médicolégale aux fins de déterminer combien de temps après la mort de l’enfant son épouse était décédée. Le 24 février 2003, le tribunal correctionnel d’İzmir transmit le dossier de l’affaire à la commission supérieure de la santé afin qu’elle se prononçât sur la responsabilité des accusés et sur le degré de celle-ci. Les 20 et 21 mai 2004, la commission supérieure de la santé (Yüksek Sağlık Şurası) adopta une décision, dont les extraits pertinents se lisent ainsi : « Au terme de l’examen du dossier, des documents et des éléments de preuve, la commission conclut : – que les sages-femmes G.E. et A.Y., qui n’ont pas évalué correctement la situation au terme de l’auscultation de la patiente et n’ont pas appelé le gynécologue de garde malgré les plaintes de cette dernière, sont responsables à hauteur de 2/8e ; – que les médecins Ö.Ç. et F.B., qui ont examiné la malade uniquement au regard de leur domaine d’expertise alors qu’elle s’était présentée à l’hôpital enceinte de trente-quatre semaines, hypertensive et se plaignant de violentes douleurs, et qui ne l’ont pas fait examiner par un obstétricien, sont responsables à hauteur de 3/8e ; – que les médecins de garde T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö., du service d’obstétrique de l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege sont responsables à hauteur de 4/8e de la mort de la patiente pour avoir fait transférer celle-ci vers le centre pour assurés sociaux sans assistance, au motif qu’elle n’avait pas d’argent, alors que son état n’était pas compatible avec un tel transfert. » Le 1er février 2005, le tribunal reçut le rapport de la commission supérieure de la santé et releva que la responsabilité des accusés avait été établie, mais pas sur une base de 8/8e. Le 14 mars 2005, le premier requérant se référa au rapport de la commission supérieure de la santé qui avait conclu que, outre les personnes accusées dans le cadre de la procédure en cours, d’autres médecins travaillant à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege avaient été reconnus responsables, et demanda en conséquence la délivrance d’un acte d’accusation à l’endroit de ces derniers. Au terme de l’audience du 17 mars 2005, le tribunal correctionnel d’İzmir transmit le dossier de l’affaire au procureur de la République en vue de l’adoption d’un acte d’accusation complémentaire à l’encontre des accusés sur la base de l’application à leur encontre de l’article 455 du code pénal. Le 25 mars 2005, le procureur de la République d’İzmir délivra un acte d’accusation complémentaire en vue d’inculper les accusés pour atteinte involontaire à la vie (article 455 § 1 du code pénal), et requit leur condamnation de ce chef. Le 4 juillet 2006, le premier requérant demanda au tribunal correctionnel d’İzmir de clore au plus tôt la procédure. Invoquant l’article 6 de la Convention, il souligna que la durée de cette procédure portait atteinte à son droit à un procès équitable dans un délai raisonnable. Il souligna en outre que sa prolongation risquait de prescrire l’action et de porter atteinte à son droit de propriété, étant donné qu’il pouvait se retrouver privé de toute possibilité d’obtenir une indemnisation pour dommage moral et matériel. Le 30 janvier 2007, le tribunal correctionnel d’İzmir décida de joindre la procédure en cours devant lui à celle diligentée contre les médecins T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö. pour atteinte involontaire à la vie. La procédure pénale consécutive à la jonction des instances Le 7 mai 2007, l’avocat du premier requérant déposa une demande de constitution de partie intervenante pour le compte du fils mineur de celui-ci. Il se plaignit également de la durée de la procédure, soulignant le risque de prescription. Il forma également une demande de dommages-intérêts pour le préjudice causé à son client à raison du décès de son épouse et réclama 60 000 livres turques (TRY) pour le préjudice moral subi par le premier requérant et 50 000 TRY pour le préjudice moral subi par le fils de celui-ci, ainsi que 30 000 TRY, conjointement, pour préjudice matériel. Au terme de l’audience du 8 mai 2007, le tribunal correctionnel de Karşıyaka releva que l’acte d’accusation ne comportait aucune mention du médecin S.Ö., alors qu’antérieurement le nom de celui-ci était apparu dans ceux des accusés dans la procédure devant le tribunal correctionnel d’İzmir. Il demanda en conséquence qu’il lui soit précisé si, après la décision ayant arrêté la procédure (paragraphe 29 ci-dessus), un non-lieu avait ou non été prononcé à l’égard de S.Ö. ou s’il s’agissait d’une erreur. Il ajouta que, dans ce dernier cas, l’oubli devait être réparé. Lors de l’audience du 27 novembre 2007, le tribunal correctionnel de Karşıyaka releva que le procureur avait répondu qu’il n’y avait pas de non-lieu à l’égard de S.Ö. et qu’il pouvait s’agir d’une erreur. Le tribunal demanda l’adoption de mesures à cet égard. Les 11 février et 18 mars 2008, l’avocat du requérant déposa au tribunal des mémoires pour se plaindre de la durée de la procédure. Lors de l’audience du 12 février 2008, le tribunal releva que l’ouverture de poursuites contre S.Ö. n’était pas de nature à avoir un impact sur la procédure en cours mais pouvait faire traîner le dossier. Il décida en conséquence de renoncer à attendre celle-ci. Le 18 mars 2008, le tribunal correctionnel reconnut A.Y., Ö.Ç., F.B., T.K., H.V., Ö.Ö. et S.A. coupables d’homicide involontaire et les condamna à une peine de deux ans d’emprisonnement et à une amende de 91 TRY. En application des dispositions du code pénal relatives aux réductions de peine, il commua la peine de A.Y. en une amende de 468 TRY ; celle de Ö.Ç. et de F.B. en une amende de 703 TRY, et celle de T.K., de H.V., de S.A. et de Ö.Ö. en une amende de 937 TRY. Toutes les peines furent en outre assorties d’un sursis à exécution. Le tribunal rejeta la demande de condamnation de l’accusée G.E., relevant que, même si le rapport de la commission supérieure de la santé avait établi sa responsabilité à hauteur de 2/8e, cette circonstance ne constituait pas un motif de réouverture de la procédure pénale à son encontre en vertu de l’article 314 du code de procédure pénale. Il confirma en conséquence l’acquittement prononcé à son égard au terme de la première procédure pénale dirigée contre elle. La motivation du tribunal correctionnel peut se lire comme suit en sa partie pertinente : « (...) [I]l ressort de l’ensemble du dossier : – que Mme Menekşe Şentürk, enceinte de huit mois, fut conduite à l’hôpital public Karşıyaka d’İzmir par son mari le samedi 11 mars 2000 en raison de violentes douleurs ; – qu’elle y fut auscultée par la sage-femme G.E. (...), que le médecin ne fut pas prévenu, qu’aucune mesure ne fut prise et que, l’accouchement n’ayant pas commencé, la patiente fut renvoyée ; – qu’elle fut ensuite conduite au service des urgences de l’hôpital public Alsancak, qu’elle y fut examinée par la sage-femme A.Y., qu’elle fut renvoyée parce que l’accouchement n’avait pas commencé ; – que vers 14 heures, elle fut amenée au service des urgences du centre hospitalier Yeşilyurt Atatürk, qu’elle y fut auscultée par le médecin F.B., qu’en raison de ses douleurs sur le côté gauche elle fut envoyée au service d’urologie, où elle fut auscultée par le médecin Ö.Ç. qui conclut à une colique rénale, lui administra un antalgique et la renvoya ; – que les douleurs ayant persisté après que [le mari] de la patiente l’eut ramenée à la maison, (...) elle fut conduite à l’hôpital de la faculté de médecine de l’université Ege, qu’elle fut transférée par le médecin urgentiste (...) à la maternité ; que là, il fut établi que la patiente était enceinte de huit mois mais que les battements de cœur [de l’enfant] n’étaient pas perçus ; que, bien que le médecin ait conseillé de retirer le bébé, l’hospitalisation ne fut pas acceptée, faute de moyens financiers ; – que la patiente fut alors transférée à l’hôpital de gynécologie et d’obstétrique [de Konak/]İzmir mais était décédée pendant le trajet ; – qu’à raison de cet événement [et] comme l’avait établi la commission supérieure de la santé, les sages-femmes G.E. et A.Y. étaient responsables à hauteur de 2/8e, les médecins Ö.Ç. et F.B. à hauteur de 3/8e, les médecins T.K., H.V., S.A. et Ö.Ö. à hauteur de 4/8e ; – que dans les circonstances, ces accusés [devaient] être punis de l’infraction à eux imputée (...) » Le 21 mai 2008, les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire, ils soulignaient que le tribunal correctionnel n’avait pas répondu à la demande de constitution de partie intervenante présentée pour le compte du fils du requérant ni à la demande d’indemnisation qu’ils avaient soumis. Ils contestaient également l’acquittement de G.E. alors que sa responsabilité dans le décès litigieux était établie, ainsi que la conversion en amendes des peines d’emprisonnement infligées aux accusés et le sursis dont celles-ci avaient été assorties. Par ailleurs, invoquant l’article 2 de la Convention, ils alléguaient une atteinte au droit à la vie et un manquement de l’État à ses obligations positives à cet égard, et estimaient que le fait pour le premier requérant et son épouse d’avoir été contraints de se rendre d’un hôpital à l’autre était constitutif d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Invoquant les articles 6 et 13, ils se plaignaient de la durée de la procédure et de l’absence de voie de recours permettant de mettre un terme au préjudice y relatif. Enfin, ils soutenaient que le jugement rendu portait atteinte à leur droit de propriété. Le 21 janvier 2009, le procureur général près la Cour de cassation soumit ses observations et pria celle-ci de confirmer le jugement de première instance pour autant qu’il concernait G.E., de l’infirmer quant aux autres accusés pour prescription de l’infraction, et de mettre un terme à la procédure. Le 7 octobre 2010, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance pour autant qu’il concernait G.E. Elle infirma ce jugement dans le chef des autres accusés à raison de la prescription de l’infraction prévue aux articles 102 § 4 et 104 § 2 de la loi pénale no 765. Elle mit donc fin à la procédure pour cause de prescription en vertu de l’article 322 du code de procédure pénale. Poursuites diligentées contre S.Ö. Le 4 janvier 2008, constatant notamment que la commission de la santé, dans son rapport des 20 et 21 mai 2004, n’avait pas établi de responsabilités imputables à S.Ö., qu’il n’existait pas suffisamment de preuves à son encontre et que les faits qui lui étaient reprochés tombaient sous le coup de la prescription en vigueur pour ce type d’infraction, le procureur de la République d’İzmir prononça un non-lieu à l’égard de celuici. Le premier requérant forma opposition contre cette décision. Le 14 janvier 2009, il fut débouté par la cour d’assises de Karşıyaka. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est décrit dans l’affaire Sevim Güngör c. Turquie ((déc.), no 75173/01, 14 avril 2009).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1941 et réside à Athènes. Le 3 novembre 1962, la requérante fut embauchée à la maternité « I Mitera ». Du 20 octobre 1964 au 17 juillet 1965, elle fut envoyée à Londres pour étudier comme boursière de cette maternité, et à son retour elle fut nommée enseignante à l’Ecole supérieure des puéricultrices de la maternité « I Mitera », qui jouissait du statut de personne morale de droit privé sous la tutelle du ministre de la Santé. Par une décision des ministres de la Santé et de l’Education nationale du 4 avril 1985, la requérante fut intégrée comme enseignante à l’Ecole technique d’Athènes (« TEI ») des professions de santé, section puériculture. Le 10 octobre 1989, par décision du vice-président du TEI, elle reçut une allocation d’ancienneté, équivalente à 60% de son salaire, car elle avait travaillé plus de vingt-quatre ans. Le 11 septembre 1990, la requérante demanda et obtint que son expérience antérieure dans le secteur privé (lorsqu’elle travaillait à la maternité) soit prise en compte par la Comptabilité générale de l’Etat pour le calcul de sa pension de retraite (décision no 27236/1990). Toutefois, cette décision fut révoquée en 1995 au motif que la législation qui avait été appliquée dans son cas n’était pas pertinente (décision no 7544/1995 de la Comptabilité générale de l’Etat). Le 15 octobre 1998, le président du TEI d’Athènes confirma la cessation de la relation de travail de la requérante pour cause de démission. Par une décision no 2928/1999 du 24 février 1999, la Comptabilité générale de l’Etat révoqua sa décision no 7544, au motif que l’une des raisons pour laquelle la requérante avait été embauchée à l’administration était le fait que son expérience professionnelle antérieure à la maternité avait été prise en compte. Ainsi, la décision no 27326/1990 entra de nouveau en vigueur. Toutefois, la décision no 2928/1999 calcula la pension de retraite de la requérante non sur la base de l’allocation d’ancienneté de 60% qu’elle percevait alors qu’elle était active, mais sur celle d’un pourcentage de 48%. La décision avait en fait pris en compte seulement dix ans d’activité de la requérante à l’Ecole supérieure des puéricultrices de la maternité « I Mitera ». Le 30 juin 1999, la requérante formula des objections à l’encontre de la décision no 2928/1999 devant la Commission de contrôle des actes de fixation des pensions de retraite. Le 15 février 2001, la Commission rejeta les objections comme infondées. Elle estima que pour avoir droit à une allocation d’un montant de 60% du salaire, la requérante aurait dû avoir une expérience antérieure de vingt-neuf ans. Le 8 octobre 2002, la requérante interjeta appel contre cette décision devant la Cour des comptes. L’audience eut lieu le 2 décembre 2004. Le 7 avril 2005, la Cour des comptes débouta la requérante. Elle estima que le TEI d’Athènes n’avait pas correctement calculé le nombre d’années qui donnait droit à l’allocation litigieuse et que le fait que la requérante percevait, alors qu’elle était en activité, une allocation d’un montant de 60%, n’empêchait pas la Commission, ni la Cour des comptes elle-même, de procéder a posteriori à un contrôle de la légalité des actes ayant des conséquences sur les pensions de retraite de fonctionnaires. Elle releva que la requérante avait cessé ses fonctions à une date à laquelle étaient en vigueur des lois qui disposaient que l’expérience antérieure dans des établissements jouissant du statut de personnes morales de droit privé n’était pas prise en compte pour la détermination de l’allocation d’ancienneté, même si, en vertu d’autres dispositions, elle était prise en compte pour le recrutement du fonctionnaire par l’administration. L’arrêt de la Cour des comptes fut notifié à la requérante le 7 septembre 2005 et à l’avocate de celle-ci le 23 septembre 2005. Le 31 août 2006, la requérante se pourvut en cassation devant la Cour des comptes, siégeant en formation plénière. L’audience eut lieu le 1er octobre 2008. Par un arrêt du 6 mai 2009, notifié à la requérante le 3 septembre 2009, la Cour des comptes rejeta le pourvoi. Elle confirma l’arrêt du 7 avril 2005. Elle souligna que la pension de retraite était fixée en fonction de la réglementation salariale en vigueur au moment de la cessation de fonction du fonctionnaire et qu’il n’y avait pas, en l’occurrence, violation entre autres de l’article 1 du Protocole no 1.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952 et réside à Udomlya (Russie). Il fut un représentant de la société russe T., laquelle prit une participation dans la société tchèque S. Le 8 août 1995, le requérant entra dans le conseil d’administration de la société S. et, le 27 février 1996, en devint le président. Du 24 septembre au 3 décembre 1996, il se trouva néanmoins empêché d’exercer ses pouvoirs, car il avait été illégalement écarté du conseil d’administration par les membres tchèques de celui-ci. Par la suite, la société S. devint insolvable. Le 11 juin 2001, le requérant fut inculpé de délit d’initié et d’escroquerie. Il lui était reproché en particulier d’avoir conclu des contrats défavorables à la société S. et d’être à l’origine d’un préjudice matériel de 88 millions de couronnes tchèques (CZK) (3 520 000 euros (EUR)). Le 20 juin 2001, il fut placé en détention provisoire. Le 8 janvier 2002, le requérant demanda à bénéficier d’une mise en liberté sous caution et proposa à cette fin de verser une somme de 4 millions de CZK (160 000 EUR). La demande contenait une déclaration par laquelle il disait avoir connaissance des termes de l’article 73 § 3 du code de procédure pénale, qui posait les conditions pouvant justifier la confiscation de la caution. Le 17 janvier 2002, le tribunal régional d’Ostrava accepta de libérer le requérant contre versement d’une caution de 10 millions de CZK (400 000 EUR). Le tribunal justifia le montant de la caution par la gravité exceptionnelle des accusations pesant sur l’intéressé et l’importance des motifs ayant initialement conduit à sa mise en détention, en particulier le risque élevé qu’il prît la fuite. Le 31 janvier 2002, le requérant autorisa son avocat à verser le montant de la caution fixé par le tribunal. Il s’engagea par ailleurs à demeurer à son adresse en République tchèque et à se présenter aux audiences qui se tiendraient dans son affaire, et déclara avoir été informé que la caution versée serait confisquée s’il ne respectait pas ces conditions. Le 22 février 2002, il fut remis en liberté. L’une des conditions stipulées lui faisait obligation de ne pas quitter son adresse en République tchèque et d’y réceptionner son courrier. Le 7 juin 2002, le tribunal régional autorisa le requérant à quitter la République tchèque pour se rendre en Russie jusqu’au 18 juin 2002, à condition qu’il se présentât à la première audience, dont la tenue était prévue du 19 au 21 juin 2002. C’était la quatrième fois que le tribunal accueillait une telle demande du requérant. En effet, l’intéressé avait auparavant effectué trois voyages en Russie, de février à juin 2002, et était toujours revenu. Le 17 juin 2002, le requérant informa son avocat que son passeport, qui comportait un visa d’entrée en République tchèque, lui avait été dérobé à Moscou le 14 juin et qu’il s’en faisait établir un nouveau. Le tribunal décida en conséquence que l’audience se tiendrait du 7 au 9 août 2002. Une citation à comparaître à la nouvelle audience fut envoyée à l’adresse du requérant sise en République tchèque mais fut renvoyée à l’expéditeur sans avoir été délivrée. Le tribunal régional tenta également de faire notifier la citation à l’intéressé en passant par son avocat. Le 8 juillet 2002, l’avocat adressa au tribunal régional un certain nombre de documents, dont une confirmation des autorités russes que l’adresse officiellement enregistrée du requérant en Russie était sise à Udomlya. Le 30 juillet 2002, l’avocat informa le tribunal régional qu’il n’avait pas les coordonnées directes du requérant en Russie et qu’il avait envoyé la citation à l’adresse que lui avait donnée l’un des coaccusés de l’intéressé. Le requérant n’ayant toujours pas reçu son nouveau passeport et ayant objecté à ce que l’audience se tînt en son absence, l’audience prévue pour les 7-9 août 2002 fut annulée. Le 12 mars 2003, le tribunal régional, qui n’avait reçu aucune information du requérant, se tourna vers Interpol et la représentation commerciale de la Fédération de Russie en République tchèque pour savoir si le requérant avait demandé un passeport. Les parties divergent quant à la date à laquelle le requérant s’est vu délivrer un nouveau passeport par les autorités russes : le Gouvernement avance la date du 28 février 2003, tandis que l’intéressé affirme ne pas avoir reçu son passeport avant le 2 avril 2003. Ce dernier, en tout cas, n’a pas informé le tribunal régional qu’il avait obtenu un nouveau passeport. Le tribunal régional programma une nouvelle audience pour les 68 septembre 2004. Le 22 mars 2004, il convoqua le requérant par le biais du ministère de la Justice, à une adresse sise dans la ville de Podolsk, qui était indiquée dans le dossier comme étant le lieu de résidence de l’intéressé en Russie. Le tribunal informa également le requérant que le fait qu’il n’avait pas demandé de visa auprès de la République tchèque, était demeuré en Russie et n’était pas resté en contact avec le tribunal était incompatible avec les conditions associées à sa mise en liberté sous caution, pouvait passer pour une façon de se soustraire aux poursuites et risquait d’aboutir à la confiscation de la somme déposée à titre de caution. En outre, l’intéressé fut averti qu’il risquait d’être jugé par défaut. Le ministère russe de la Justice informa les autorités tchèques que le requérant n’était pas enregistré et n’habitait pas à l’adresse de Podolsk, et que son lieu de résidence du moment n’avait pu être établi. Il était impossible, en conséquence, de lui remettre la citation à comparaître. Le requérant eut toutefois connaissance de l’audience programmée et obtint un visa de court séjour l’autorisant à se rendre en République tchèque et à y séjourner du 2 au 12 septembre 2004. Le 2 septembre 2004, il envoya toutefois au tribunal régional un fax demandant le report de l’audience. Il faisait état de problèmes de santé, sans en préciser la nature, et déclarait avoir désormais de nouveaux avocats, qui avaient besoin de temps pour étudier le dossier. Il n’indiquait pas son adresse en Russie. Le tribunal régional fut donc contraint d’ajourner le procès une fois de plus. Le 28 février 2005, le tribunal régional pria le ministère de la Justice de demander aux autorités russes de délivrer au requérant, à l’adresse sise à Podolsk ou à Udomlya, une citation à comparaître à une audience programmée pour les 21-23 novembre 2005. Cependant, la convocation ne fut notifiée au requérant que le 16 janvier 2006, à Udomlya. Le 21 novembre 2005, le tribunal régional annula à nouveau l’audience. Le 6 décembre 2005, le tribunal régional décida de juger le requérant par défaut. Il déclara que l’intéressé s’était soustrait aux poursuites en restant à l’étranger, n’était pas revenu en République tchèque depuis juin 2002 et avait sérieusement compliqué le déroulement du procès en demeurant en Russie. Par ailleurs, le tribunal estima totalement inadéquate l’excuse avancée par le requérant – à savoir des problèmes de santé – pour se soustraire à l’audience du 2 septembre 2004. Il releva en outre que l’intéressé ne respectait pas les conditions associées à sa mise en liberté sous caution et acceptées par lui, à savoir l’engagement à comparaître aux audiences et à ne pas quitter son lieu de résidence en République tchèque. Du 27 au 29 mars, du 5 au 7 juin, ainsi que le 11 septembre et le 23 octobre 2006, le tribunal régional tint des audiences dans la procédure par défaut dirigée contre le requérant. Le 23 octobre 2006, le tribunal régional prononça une relaxe totale, considérant que l’intéressé n’avait commis aucune infraction pénale mais s’était simplement livré à des activités commerciales ordinaires et transparentes. Le 28 juin 2007, la haute cour d’Olomouc confirma ce jugement. Le 1er novembre 2007, le tribunal régional, sur demande du requérant, décida que la caution serait restituée à celui-ci au motif qu’il n’avait pas été convenablement informé des conséquences pouvant découler du non-respect des conditions associées à sa libération sous caution. De plus, selon le tribunal régional, aucune des situations visées à l’article 73 a) § 4 du code de procédure pénale comme pouvant justifier la confiscation de la caution ne trouvait à s’appliquer. Le 5 décembre 2007, la haute cour infirma cette décision et décida que la caution était confisquée. Elle estima que le requérant avait certainement eu connaissance de l’éventualité d’une confiscation même s’il n’en avait pas été formellement informé, ses demandes de mise en liberté sous caution ayant contenu des déclarations selon lesquelles il savait que la caution pouvait être retenue en cas de manquement à respecter les conditions posées. La haute cour admit que pendant un certain temps l’intéressé n’avait pu revenir en République tchèque parce qu’il avait perdu son passeport et que les autorités tchèques avaient tardé à lui délivrer un nouveau visa. Elle observa cependant que le requérant n’avait pas relevé son courrier à son adresse de Podolsk, c’est-à-dire l’une des adresses qu’il avait communiquées au parquet, et qu’ainsi des lettres du tribunal n’avaient pu lui être délivrées à temps. Par ailleurs, selon la haute cour il ressortait clairement du comportement de l’intéressé que celui-ci s’était soustrait aux poursuites en restant à l’étranger ; il n’était pas non plus resté en contact avec le tribunal régional alors qu’il était au courant de la procédure. La haute cour conclut que les conditions de confiscation de la caution sur le fondement de l’article 73 a) § 4 du code de procédure pénale étaient remplies : en particulier, le requérant s’était caché, avait manqué à informer les autorités concernées de son lieu de résidence et ainsi entravé la délivrance d’une lettre officielle. Le requérant contesta cette décision par un recours constitutionnel, plaidant qu’il était injuste de confisquer un montant aussi élevé alors qu’il n’avait commis aucune infraction pénale. En outre, il contestait les conclusions de la haute cour. Le 3 juin 2008, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 73 a) §§ 1 et 2 du code de procédure pénale dispose qu’une personne placée en détention provisoire peut bénéficier d’une mise en liberté sous caution moyennant le versement d’une somme minimale de 10 000 CZK, le montant effectif étant déterminé par le tribunal en fonction des circonstances propres au prévenu et à l’affaire. L’article 73 a) § 4 (§ 3 à l’époque des faits) de cette disposition prévoit la confiscation de la caution, notamment si le prévenu a pris la fuite, se cache ou néglige d’informer les autorités compétentes d’un changement de lieu de résidence, entravant ainsi la délivrance d’une lettre officielle. En vertu de l’article 73 a) § 9 (§ 6 à l’époque des faits), le prévenu doit être informé par avance des conditions auxquelles sa caution peut être confisquée.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1957 et réside à Kiev. A. La genèse de l’affaire En 1983, le requérant fut nommé juge dans un tribunal de district. À cette époque, le droit interne n’imposait pas aux juges de prêter serment lors de leur prise de fonctions. Le 5 juin 2003, le requérant fut élu juge à la Cour suprême. Le 2 décembre 2005, il fut aussi élu président adjoint du Conseil ukrainien de la magistrature (un organe d’auto-gouvernance judiciaire). Le 30 mars 2007, il fut élu président de la chambre militaire de la Cour suprême. Le 26 juin 2007, l’Assemblée des juges ukrainiens estima qu’une autre juge, V.P., ne pouvait plus siéger au Conseil supérieur de la magistrature et qu’il devait être mis fin à ses fonctions. V.P. contesta cette décision en justice. Elle saisit également la commission parlementaire des affaires judiciaires (Комітет Верховної Ради України з питань правосуддя) (« la commission parlementaire »). Le 7 décembre 2007, l’Assemblée des juges ukrainiens élut le requérant membre du Conseil supérieur de la magistrature et pria le Parlement de faire en sorte qu’il prête le serment lui permettant d’y prendre ses fonctions, comme l’exigeait l’article 17 de la loi de 1998 sur le Conseil supérieur de la magistrature (« la loi de 1998 »). Une proposition analogue fut formulée par le président du Conseil ukrainien de la magistrature. En réponse, le président de la commission parlementaire, S.K., qui était lui-même membre du Conseil supérieur de la magistrature, informa le Conseil ukrainien de la magistrature que cette question devrait être examinée soigneusement et conjointement avec les déclarations de V.P. dans lesquelles l’intéressée soutenait que la décision de l’Assemblée des juges ukrainiens de mettre fin à ses fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature était irrégulière. Le requérant ne devint finalement pas membre du Conseil supérieur de la magistrature. B. La procédure dirigée contre le requérant Entre-temps, S.K. et deux membres de la commission parlementaire prièrent le Conseil supérieur de la magistrature de mener des investigations préliminaires sur d’éventuelles fautes professionnelles du requérant, au vu notamment des déclarations de V.P. Le 16 décembre 2008, après avoir mené des investigations préliminaires, R.K., un membre du Conseil supérieur de la magistrature, pria le conseil de déterminer si le requérant pouvait être démis de ses fonctions de juge pour « rupture de serment ». Il indiqua à cet égard qu’en plusieurs occasions, l’intéressé, statuant en qualité de juge de la Cour suprême, avait contrôlé des décisions rendues par le juge B., qui était un membre de sa famille, à savoir le frère de son épouse et, qu’en outre, lorsqu’il était intervenu en qualité de tiers à la procédure engagée par V.P. (relativement à la décision susmentionnée de l’Assemblée des juges ukrainiens de la démettre de ses fonctions), il avait manqué à demander le déport du juge en question, B., qui siégeait à la chambre de la cour examinant l’affaire. Le 24 décembre 2008, R.K. versa au dossier d’autres exemples d’affaires qui avaient été tranchées par le juge B. puis contrôlées par le requérant. Certains des actes du requérant visés dans les conclusions de R.K. dataient de novembre 2003. Le 20 mars 2009, après avoir mené des investigations préliminaires, V.K., un autre membre du Conseil supérieur de la magistrature, pria à son tour le conseil de démettre le requérant de ses fonctions de juge pour « rupture de serment ». Il indiqua à cet égard que l’intéressé avait commis plusieurs violations procédurales graves dans le cadre de l’examen d’affaires concernant des litiges d’entreprise impliquant une société à responsabilité limitée. Certains des actes du requérant visés dans les conclusions de V. K. dataient de juillet 2006. Le 19 décembre 2008 et le 3 avril 2009, ces conclusions furent communiquées au requérant. Le 22 mars 2010, V.K. fut élu président du Conseil supérieur de la magistrature. Le 19 mai 2010, le Conseil supérieur de la magistrature invita le requérant à se présenter le 25 mai 2010 à une audience sur sa révocation. Dans une réponse du 20 mai 2010, le requérant informa le conseil qu’il ne pourrait pas assister à l’audience car le président de la Cour suprême lui avait ordonné de se rendre à Sébastopol du 24 au 28 mai 2010 pour délivrer des conseils de bonnes pratiques à une juridiction locale, et le pria de reporter l’audience. Le 21 mai 2010, le Conseil supérieur de la magistrature adressa au requérant une note l’informant que l’audience sur sa révocation avait été reportée au 26 mai 2010. Le requérant affirme n’avoir reçu cette note que le 28 mai 2010. Le 26 mai 2010, le Conseil supérieur de la magistrature examina les conclusions de R.K. et V.K. et adopta deux décisions en vertu desquelles il priait le Parlement de démettre le requérant de son poste de juge pour « rupture de serment ». L’audience était présidée par V.K. ; R.K. et S.K. y participaient aussi en leur qualité de membres du conseil. Le requérant était absent. Ces décisions firent l’objet d’un vote des seize membres du Conseil supérieur de la magistrature qui étaient présents, dont trois étaient des juges. Le 31 mai 2010, en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature, V.K. soumit au Parlement deux motions visant à la révocation du requérant de son poste de juge. Le 16 juin 2010, au cours d’une audience présidée par S.K., la commission parlementaire examina les motions du Conseil supérieur de la magistrature relatives au requérant et adopta une recommandation tendant à sa révocation. Les membres de la commission qui avaient prié le Conseil supérieur de la magistrature de mener des investigations préliminaires sur le requérant votèrent aussi cette recommandation. Outre S.K., un autre membre de la commission qui avait précédemment participé à l’examen de l’affaire du requérant en tant que membre du Conseil supérieur de la magistrature vota la recommandation en tant que membre de la commission. Il ressort du dossier tel qu’il se trouvait à la date des délibérations de la Cour que le requérant n’était pas présent à l’audience de la commission. Le 17 juin 2010, les motions du Conseil supérieur de la magistrature et la recommandation de la commission parlementaire furent examinées par le Parlement en séance plénière. S.K. et V.K. eurent la parole et exposèrent leurs conclusions sur l’affaire du requérant. Celui-ci était présent. Après en avoir délibéré, le Parlement vota pour la révocation du requérant de son poste de juge, pour « rupture de serment », et adopta une résolution à cet effet. Le requérant affirme que, pendant le vote électronique, la majorité des parlementaires étaient absents, et que ceux qui étaient présents ont utilisé les cartes de vote de leurs collègues absents. Des déclarations des parlementaires relatives à l’usage irrégulier de cartes de vote ainsi qu’un enregistrement vidéo de la partie pertinente de la séance plénière ont été communiqués à la Cour. Le requérant contesta sa révocation devant la Cour administrative supérieure. Son argumentaire était le suivant : le Conseil supérieur de la magistrature n’avait pas agi avec indépendance et impartialité ; il ne l’avait pas dûment informé des audiences tenues dans son affaire ; il n’avait pas appliqué la procédure de révocation des juges de la Cour suprême prévue au chapitre 4 de la loi de 1998, qui posait un ensemble de garanties procédurales (obligation d’avertir le juge concerné de la procédure disciplinaire engagée à son encontre et de garantir sa participation active à cette procédure, délais temporels, vote à bulletin secret, délai de prescription pour les sanctions disciplinaires) ; les conclusions du conseil étaient infondées et dépourvues de base légale ; luimême n’avait pas été entendu par la commission parlementaire, qui avait agi de manière irrégulière et partiale ; et le Parlement avait adopté une résolution sur sa révocation en l’absence de la majorité de ses membres, en violation des articles 84 de la Constitution, 24 de la loi de 1992 sur le statut des parlementaires et 47 du règlement intérieur du Parlement. Le requérant priait la cour de déclarer irrégulières les décisions et conclusions du Conseil supérieur de la magistrature ainsi que la résolution parlementaire, et de les annuler. Conformément à l’article 171-1 du code de la justice administrative, l’affaire fut attribuée à la chambre spéciale de la Cour administrative supérieure. Le requérant demanda le déport de la chambre, soutenant qu’elle était partiale et que sa constitution était irrégulière. Cette demande fut rejetée pour défaut de fondement. Selon le requérant, plusieurs demandes introduites par lui aux fins de la collecte d’éléments de preuve ou de la convocation de témoins ont été rejetées. Le 6 septembre 2010, le requérant versa au dossier des déclarations de parlementaires faisant état d’un usage irrégulier des cartes de vote pendant le vote sur sa révocation ainsi qu’un enregistrement vidéo de la partie pertinente de la séance plénière. Le 19 octobre 2010, après avoir tenu plusieurs audiences, la Cour administrative supérieure examina le recours du requérant et rendit son arrêt. Elle observa que lorsque l’intéressé avait pris ses fonctions de juge, en 1983, le droit interne ne prévoyait pas que les juges prêtent serment ; mais elle considéra qu’il avait été révoqué pour violation des normes fondamentales de la déontologie judiciaire, qui étaient exposées aux articles 6 et 10 de la loi de 1992 sur le statut des juges et, dès lors, juridiquement contraignantes au moment où il avait commis les faits qui lui étaient reprochés. Elle estima par ailleurs que la décision du Conseil supérieur de la magistrature et les conclusions qu’il avait adoptées sur recommandation de R.K. étaient irrégulières car, premièrement, le requérant et le juge B. n’étaient pas considérés comme parents en vertu de la législation en vigueur au moment des faits et, deuxièmement, en ce qui concernait la procédure en laquelle le requérant était intervenu en qualité de tiers, il n’avait nullement l’obligation de demander le déport du juge B. Pour autant, elle refusa d’annuler les actes pris par le Conseil supérieur de la magistrature à l’égard de la demande de R.K., au motif que l’article 171-1 du code de la justice administrative ne l’habilitait pas à prendre une telle mesure. Elle jugea régulières et fondées la décision et les conclusions du Conseil supérieur de la magistrature à l’égard de la demande de V.K. Relativement à l’argument du requérant consistant à dire qu’il eût fallu que le Conseil supérieur de la magistrature applique la procédure prévue au chapitre 4 de la loi de 1998, la cour nota qu’en vertu de l’article 37 § 2 de cette loi, cette procédure ne s’appliquait qu’aux affaires concernant des sanctions telles que les blâmes ou les rétrogradations. Observant que la révocation pour « rupture de serment » était prévue à l’article 126 § 5-5) de la Constitution, elle dit que la procédure à suivre n’était pas celle prévue au chapitre 4 mais celle décrite à l’article 32 du chapitre 2 de la loi de 1998. Elle ajouta que, la procédure citée par le requérant ne s’appliquant pas à la révocation d’un juge pour « rupture de serment », il n’y avait pas de motif d’appliquer le délai de prescription visé à l’article 36 de la loi de 1992 sur le statut des juges et à l’article 43 de la loi de 1998. La Cour administrative supérieure considéra ensuite que le requérant avait manqué sans raison valable de se présenter à l’audience du Conseil supérieur de la magistrature. Elle estima par ailleurs qu’il n’y avait pas eu de violation procédurale dans la procédure menée devant la commission parlementaire. En ce qui concerne les allégations du requérant relatives à la commission de violations procédurales lors de la séance plénière, elle observa que la résolution parlementaire portant révocation de l’intéressé avait été votée par la majorité du Parlement et que cela était confirmé par les actes de la séance. Enfin, elle déclara ne pas être compétente pour contrôler la constitutionnalité des résolutions parlementaires, cette tâche incombant à la Cour constitutionnelle. Les audiences tenues devant la Cour administrative supérieure eurent lieu en présence du requérant et des autres parties au litige. C. Les faits liés à la nomination des présidents et des présidents adjoints des juridictions internes et, en particulier, à la nomination du président de la Cour administrative supérieure Le 22 décembre 2004, en vertu de l’article 20 de la loi de 2002 sur le système judiciaire, le Président de l’Ukraine nomma le juge P. président de la Cour administrative supérieure. Le 16 mai 2007, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel l’article 20 § 5 de la loi de 2002 sur le système judiciaire, relatif à la procédure de nomination et de révocation des présidents et des présidents adjoints des tribunaux par le Président de l’Ukraine. Elle recommanda l’adoption par le Parlement des modifications législatives nécessaires pour encadrer correctement ce domaine. Le 30 mai 2007, le Parlement adopta une résolution mettant en place une procédure temporaire pour la nomination des présidents et des présidents adjoints des tribunaux. Cette résolution confiait au Conseil supérieur de la magistrature la tâche de nommer les présidents et les présidents adjoints des tribunaux. Le même jour, le requérant contesta cette résolution devant un tribunal, arguant notamment qu’elle était incompatible avec la loi de 1998 et avec d’autres lois du pays. Le tribunal rendit immédiatement une décision interlocutoire suspendant l’application de la résolution. Le 31 mai 2007, eu égard au vide juridique qui résultait de la décision de la Cour constitutionnelle du 16 mai 2007, le Conseil ukrainien de la magistrature adopta une décision par laquelle il s’octroyait temporairement le pouvoir de nommer les présidents et les présidents adjoints des tribunaux. Le 14 juin 2007, la gazette du parlement publia une opinion du président de la commission parlementaire, S.K., dans laquelle celui-ci déclarait que les juridictions locales n’étaient nullement compétentes pour contrôler la résolution susmentionnée du Parlement et que les juges qui le feraient seraient révoqués pour « rupture de serment ». Le 26 juin 2007, l’Assemblée des juges ukrainiens approuva la décision adoptée par le Conseil ukrainien de la magistrature le 31 mai 2007. Le 21 février 2008, le tribunal saisi de l’examen de la résolution parlementaire la déclara irrégulière et l’annula. Le 21 décembre 2009, le présidium de la Cour administrative supérieure décida que le juge P. devait continuer d’exercer les fonctions de président de la Cour administrative supérieure après l’expiration de son mandat, dont la durée était, en vertu de l’article 20 de la loi de 2002 sur le système judiciaire, de cinq ans. Le 22 décembre 2009, la Cour constitutionnelle adopta une décision interprétant les dispositions des articles 116 § 5-4) et 20 § 5 de la loi de 2002 sur le système judiciaire. Elle considéra que ces dispositions ne devaient être comprises que comme habilitant le Conseil ukrainien de la magistrature à donner des recommandations pour la nomination de juges à des postes administratifs par un autre organe (ou agent public) défini par la loi. Elle jugea en outre que le Parlement devait respecter immédiatement la décision du 16 mai 2007 et adopter les modifications législatives nécessaires. Le 24 décembre 2009, la Conférence des juges de juridictions administratives décida que le juge P. devait continuer à exercer les fonctions de président de la Cour administrative supérieure. Le 25 décembre 2009, le Conseil ukrainien de la magistrature annula la décision du 24 décembre 2009 et déclara que, en vertu de l’article 41 § 5 de la loi de 2002 sur le système judiciaire, les fonctions de président de la Cour administrative supérieure devaient être assumées par son premier président adjoint, le juge S. Le 16 janvier 2010, le Parquet général émit un communiqué de presse dans lequel il déclarait que l’organe ou l’agent public habilité à nommer et révoquer les présidents de tribunaux n’avait pas encore été précisé dans les lois ukrainiennes, que le Conseil ukrainien de la magistrature n’était habilité qu’à formuler des recommandations sur ces points, et que, le juge P. n’ayant pas été révoqué du poste de président de la Cour administrative supérieure, il en demeurait le titulaire légitime. Le juge P. continua d’exercer les fonctions de président de la Cour administrative supérieure. Le 25 mars 2010, la Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnelle la résolution parlementaire du 30 mai 2007. En mai-juin 2010, la chambre de la Cour administrative supérieure compétente pour connaître des affaires visées à l’article 171-1 du code fut mise en place dans le cadre de la procédure prévue à l’article 41 de la loi de 2002 sur le système judiciaire. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La constitution du 28 juin 1996 L’article 6 de la Constitution proclame la séparation des trois branches du pouvoir en Ukraine (législatif, exécutif, judiciaire). En vertu de l’article 76, les parlementaires sont élus par les citoyens ukrainiens qui ont atteint l’âge de vingt et un ans, qui ont le droit de voter et qui résident en Ukraine depuis au moins cinq ans. En vertu de l’article 84, les parlementaires doivent voter en personne aux séances du Parlement. L’article 126 § 5 est ainsi libellé : « Le juge est révoqué par l’organe qui l’a élu ou nommé dans les cas suivants : 1) à l’expiration du mandat pour lequel il a été élu ou nommé ; 2) lorsqu’il atteint l’âge de soixante-cinq ans ; 3) s’il est incapable de continuer d’exercer ses fonctions pour des raisons médicales ; 4) s’il a violé les obligations relatives à l’exclusivité judiciaire ; 5) s’il a rompu son serment ; 6) à la prise d’effet d’une condamnation prononcée à son encontre ; 7) s’il perd la citoyenneté ; 8) s’il a été déclaré mort ou disparu ; 9) s’il démissionne. » Les articles 128 et 131 de la Constitution sont ainsi libellés : Article 128 « Les magistrats professionnels sont nommés par le Président de l’Ukraine, pour un mandat initial de cinq ans. Tous les autres juges, à l’exception des juges de la Cour constitutionnelle, sont élus par le Parlement pour une durée indéfinie conformément à la procédure prévue par la loi (...) » Article 131 « Le Conseil supérieur de la magistrature exerce sa compétence sur le territoire ukrainien. Ses fonctions sont les suivantes : 1) établir des propositions de nomination ou de révocation des juges ; 2) adopter des décisions relatives à la violation par les juges et les procureurs des obligations relatives à l’exclusivité judiciaire ; 3) mener les procédures disciplinaires dirigées contre les juges de la Cour suprême et les juges des juridictions supérieures spécialisées et examiner les griefs formulés contre les décisions disciplinaires rendues à l’égard des juges des juridictions d’appel ou des juridictions locales et des procureurs. Le Conseil supérieur de la magistrature est composé de vingt membres. Le Parlement ukrainien, le Président de l’Ukraine, l’Assemblée des juges ukrainiens, l’Assemblée des avocats ukrainiens, l’Assemblée des représentants des établissements supérieurs d’enseignement du droit et des instituts de recherche nomment chacun trois de ces membres, et la Conférence panukrainienne des procureurs en nomme deux. Le président de la Cour suprême, le ministre de la Justice et le Procureur général sont membres de droit du Conseil supérieur de la magistrature. » B. Le code pénal du 5 avril 200161. L’article 375 de ce code est ainsi libellé : « 1. L’adoption par un ou plusieurs juge(s) d’une décision, d’un arrêt ou d’une résolution qu’ils savent erronés est passible d’une peine privative de liberté d’une durée de deux à cinq ans. S’ils ont eu de graves conséquences ou ont été commis pour un gain financier ou pour un autre intérêt personnel, les mêmes actes sont passibles d’une peine de prison de cinq à huit ans. » C. Le code de la justice administrative du 6 juillet 2005 Les dispositions pertinentes de ce code sont ainsi libellées : Article 161 – Questions que la juridiction qui statue sur l’affaire doit trancher « 1. Lorsqu’elle statue sur une affaire, la juridiction détermine : 1) si les circonstances mentionnées dans les mémoires des parties sont réelles et quels sont les éléments qui les corroborent ; 2) s’il existe d’autres informations factuelles pertinentes pour l’affaire et d’autres éléments à l’appui de ces informations ; 3) quelle disposition de loi doit être appliquée aux relations juridiques en cause (...) » Article 171-1 – Procédure dans les affaires relatives à des décisions, actions ou omissions du Parlement, du Président de l’Ukraine, du Conseil supérieur de la magistrature et de la Haute Commission de qualification des juges [disposition en vigueur à compter du 15 mai 2010] « 1. Les règles énoncées dans le présent article s’appliquent aux procédures menées dans les affaires administratives concernant : 1) la régularité (mais non la constitutionnalité) des résolutions du Parlement ainsi que des décrets et ordonnances du Président de l’Ukraine ; 2) les actes du Conseil supérieur de la magistrature ; (...) Les décisions, actions et omissions du Parlement ukrainien, du Président de l’Ukraine, du Conseil supérieur de la magistrature et de la Haute Commission de qualification des juges peuvent être contestées devant la Cour administrative supérieure. Il y est créé à cette fin une chambre spéciale. (...) Les affaires administratives concernant des décisions, actions ou omissions du Parlement ukrainien, du Président de l’Ukraine, du Conseil supérieur de la magistrature et de la Haute Commission de qualification des juges sont examinées par une formation composée d’au moins cinq juges (...) Après avoir examiné l’affaire, la Cour administrative supérieure peut : 1) déclarer la décision du Parlement, du Président, du Conseil supérieur de la magistrature ou de la Haute Commission de qualification des juges irrégulière en tout ou en partie ; 2) déclarer les actions ou omissions du Parlement, du Président, du Conseil supérieur de la magistrature ou de la Haute Commission de qualification des juges irrégulières et leur enjoindre de prendre certaines mesures (...) » D. La loi du 7 février 2002 sur le système judiciaire telle que modifiée (« la loi de 2002 sur le système judiciaire ») (version en vigueur jusqu’au 30 juillet 2010) Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi libellées : Article 20 – Procédure de constitution des tribunaux « (...) 5. Le président et le président adjoint d’un tribunal sont des juges nommés à ces postes pour un mandat de cinq ans. Ils peuvent en être révoqués par le Président de l’Ukraine sur demande du président de la Cour suprême (et, pour les juridictions spécialisées, sur demande du président de la juridiction supérieure spécialisée compétente) ou sur recommandation du Conseil ukrainien de la magistrature (et, pour les juridictions spécialisées, sur recommandation du conseil de la magistrature compétent) (...) » Par une décision du 16 mai 2007, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la disposition de l’article 20 § 5 de la loi de 2002 relative à la nomination par le Président de l’Ukraine des présidents et des présidents adjoints des tribunaux. Article 41 – Les présidents des juridictions supérieures spécialisées « 1. Les présidents des juridictions supérieures spécialisées : (...) (3) (...) forment les chambres de la juridiction et formulent des propositions relatives à leur composition qui sont soumises au présidium de la juridiction pour approbation ; (...) En l’absence du président de la juridiction supérieure spécialisée, ses fonctions sont assumées par le premier président adjoint, ou, en l’absence de celui-ci, par l’un des présidents adjoints, selon la répartition des compétences administratives. » Article 116 – Le Conseil ukrainien de la magistrature « 1. Le Conseil ukrainien de la magistrature assume les fonctions d’instance supérieure d’autogouvernance judiciaire entre les sessions de l’Assemblée des juges ukrainiens. (...) Le Conseil ukrainien de la magistrature : (...) 4) décide de la nomination des juges aux postes administratifs et de leur révocation de ces postes dans les cas et selon la procédure prévus par la présente loi ; (...) Les décisions du Conseil ukrainien de la magistrature sont contraignantes pour tous les organes d’autogouvernance judiciaire. Elles peuvent être révoquées par l’Assemblée des juges ukrainiens. » E. La loi du 15 décembre 1992 sur le statut des juges telle que modifiée (« la loi de 1992 sur le statut des juges ») (version en vigueur jusqu’au 30 juillet 2010) Les dispositions pertinentes de cette loi étaient ainsi libellées : Article 5 – Obligation d’exclusivité « Un juge ne peut pas être membre d’un parti politique ou d’un syndicat, prendre part à une quelconque activité politique, être élu à quelque fonction de représentation que ce soit, ni exercer une autre activité lucrative ou rémunérée, à l’exception des activités scientifiques, pédagogiques ou artistiques. » Article 6 – Devoirs des juges « Les juges sont tenus : – de respecter la Constitution et les lois ukrainiennes lorsqu’ils administrent la justice et d’assurer l’examen complet, exhaustif et objectif des affaires dans les délais fixés, – de respecter les exigences de l’article 5 de la présente loi et du règlement interne, – de s’abstenir de divulguer des informations relevant du secret d’État, du secret militaire, du secret commercial ou du secret bancaire (...) – de s’abstenir de tout acte ou comportement qui déshonorerait la fonction judiciaire et qui serait de nature à faire peser un doute sur leur objectivité, leur impartialité et leur indépendance. » Article 10 – Serment judiciaire « À sa première nomination, le juge prête solennellement le serment suivant : « Je déclare solennellement que j’exercerai avec honnêteté et rigueur les fonctions de juge, rendrai la justice dans le strict respect de la loi, et serai objectif et juste. » Ce serment est prêté devant le Président de l’Ukraine. » Article 31 – Motifs de sanction disciplinaire « 1. Est passible d’une sanction disciplinaire le juge qui commet une faute disciplinaire, à savoir une violation : – de la loi dans l’examen d’une affaire, – des exigences de l’article 5 de la présente loi, – des obligations énoncées à l’article 6 de la présente loi. La révocation ou la réformation d’une décision de justice n’emporte pas nécessairement responsabilité disciplinaire des juges qui ont participé à son adoption, pour autant qu’ils n’aient pas eu l’intention de violer la loi ou les exigences de rigueur et que cette décision n’ait pas eu de conséquences graves. » Article 32 – Types de sanctions disciplinaires « 1. Peuvent être imposées aux juges les sanctions disciplinaires suivantes : – blâme, – rétrogradation. Pour chacune des violations décrites à l’article 31 de la présente loi, une seule sanction disciplinaire peut être imposée (...) » Article 36 – Délai d’imposition d’une sanction disciplinaire et de suppression de la sanction du dossier « 1. La sanction disciplinaire est infligée au juge dans les six mois qui suivent la date à laquelle sa faute a été connue, à l’exclusion de toute période d’invalidité temporaire ou de congé. Si, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la mesure disciplinaire a été appliquée, le juge n’a pas fait l’objet d’une nouvelle sanction disciplinaire, il est réputé n’avoir aucun antécédent disciplinaire. (...) » F. La loi du 15 janvier 1998 sur le Conseil supérieur de la magistrature (« la loi de 1998 »), telle qu’elle était libellée à l’époque Dans sa version en vigueur jusqu’aux modifications du 7 juillet 2010, l’article 6 de cette loi était ainsi libellé : « Peut être recommandé pour le poste de membre du [Conseil supérieur de la magistrature] tout citoyen ukrainien âgé de trente-cinq à soixante ans qui maîtrise bien la langue nationale, est titulaire d’un diplôme supérieur de droit, a au moins dix années d’expérience professionnelle dans le domaine juridique et réside en Ukraine depuis au moins dix ans. Les exigences du premier alinéa du présent article ne s’appliquent pas aux individus qui sont membres de droit du [Conseil supérieur de la magistrature]. Toute tentative visant à influencer un membre du [Conseil supérieur de la magistrature] est interdite. » Le 7 juillet 2010, il a été ajouté à l’article 6 le paragraphe suivant : « Lorsque la présente loi impose qu’un membre du [Conseil supérieur de la magistrature] soit juge, ce membre est nommé parmi les juges élus pour une durée indéterminée. » Les articles 8 à 13 traitent des procédures de nomination des membres du Conseil supérieur de la magistrature par les organes désignés à l’article 131 de la Constitution. Le 7 juillet 2010, il a été ajouté à ces articles des dispositions prévoyant que dix des membres du Conseil supérieur de la magistrature seraient nommés parmi les juges, par les organes désignés à l’article 131 de la Constitution. L’article 17 de la loi prévoit que, avant leur entrée en fonction, les membres du Conseil supérieur de la magistrature doivent prêter serment devant le Parlement. En vertu de l’article 19, le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux sections. Son activité est coordonnée par son président ou, en l’absence de celui-ci, par son président adjoint. Le président, le président adjoint et les chefs de section du Conseil supérieur de la magistrature exercent leurs fonctions à plein temps. Les autres dispositions pertinentes de la loi sont ainsi libellées : Article 24 – Audiences du Conseil supérieur de la magistrature « (...) Les audiences du Conseil supérieur de la magistrature sont publiques. Il peut être tenu une audience à huis clos sur décision de la majorité des membres constitutionnels du Conseil supérieur de la magistrature (...) » Article 26 – Déport d’un membre du Conseil supérieur de la magistrature « Ne peut participer à l’examen de la cause et doit se déporter le membre du Conseil supérieur de la magistrature dont il est établi qu’il a un intérêt personnel direct ou indirect dans l’issue de l’affaire (...) Dans ces circonstances, le membre du Conseil supérieur de la magistrature se déporte de sa propre initiative. Dans les mêmes circonstances, la personne (...) dont l’affaire est examinée (...) peut demander le déport du membre du Conseil supérieur de la magistrature. (...) » Article 27 – Actes du Conseil supérieur de la magistrature « (...) Les actes du Conseil supérieur de la magistrature peuvent être contestés exclusivement devant la Cour administrative supérieure conformément à la procédure prévue par le code de la justice administrative. » En ses parties pertinentes, le chapitre 2 de la loi sur l’examen des questions relatives à la révocation des juges prévoit ceci : Article 32 – Demande de révocation d’un juge dans des circonstances particulières [version en vigueur jusqu’au 15 mai 2010] « Le Conseil supérieur de la magistrature examine la question de la révocation d’un juge pour les motifs prévus à l’article 126 § 5-4) à -6) de la Constitution soit sur réception de l’opinion correspondante de la commission de qualification soit de sa propre initiative. Il est envoyé au juge concerné une invitation écrite à assister à l’audience du Conseil supérieur de la magistrature. Le Conseil supérieur de la magistrature prend les décisions de demande de révocation d’un juge en vertu de l’article 126 § 5-4) et -5) de la Constitution à la majorité des deux tiers de ses membres participant à l’audience et les décisions de demande de révocation d’un juge en vertu de l’article 126 § 5-6) de la Constitution à la majorité de ses membres constitutionnels. » Article 32 – Demande de révocation d’un juge dans des circonstances particulières [version en vigueur à compter du 15 mai 2010] « Le Conseil supérieur de la magistrature examine la question de la révocation d’un juge pour les motifs prévus à l’article 126 § 5-4) à -6) de la Constitution (violation des obligations relatives à l’exclusivité judiciaire, rupture de serment, prise d’effet d’une condamnation prononcée contre le juge) soit sur réception de l’opinion correspondante de la commission de qualification soit de sa propre initiative. Rompt son serment le juge qui : i. commet des actes qui déshonorent la fonction judiciaire et qui peuvent remettre en question son objectivité, son impartialité et son indépendance, ainsi que l’équité et le caractère incorruptible de l’ordre judiciaire ; ii. acquiert illégitimement des richesses ou réalise des dépenses qui dépassent le revenu de son ménage ; iii. retarde délibérément l’examen d’une affaire au-delà des délais fixés ; [ou] iv. viole les principes moraux et éthiques du code de déontologie judiciaire. Le juge soupçonné d’avoir rompu son serment reçoit une invitation écrite à se présenter à l’audience du Conseil supérieur de la magistrature. Si, pour une raison valable, il ne peut pas y participer, il lui est loisible de présenter des observations écrites, qui seront versées au dossier et dont il sera donné lecture à l’audience. Un deuxième manquement du juge à se présenter à une audience justifie l’examen de l’affaire en son absence. Le Conseil supérieur de la magistrature prend les décisions de demande de révocation d’un juge en vertu de l’article 126 § 5-4) à -6) de la Constitution à la majorité de ses membres constitutionnels. » En ses parties pertinentes, le chapitre 4 de la loi sur les procédures disciplinaires contre les juges de la Cour suprême et des juridictions supérieures spécialisées est ainsi libellé : Article 37 – Types de sanctions imposées par le Conseil supérieur de la magistrature [version en vigueur jusqu’au 30 juillet 2010] « Le Conseil supérieur de la magistrature impose des sanctions disciplinaires (...) aux juges de la Cour suprême (...) pour les motifs prévus à l’article 126 § 5-5) de la Constitution et de la loi sur le statut des juges. Le Conseil supérieur de la magistrature peut imposer les sanctions disciplinaires suivantes : 1) blâme, 2) rétrogradation. Le Conseil supérieur de la magistrature peut décider qu’un juge n’est pas compatible avec le poste qu’il occupe ou demander sa révocation auprès de l’organe qui l’a nommé. » Article 39 – Stades des procédures disciplinaires « Les procédures disciplinaires comprennent les stades suivants : 1) vérification des informations relatives à la faute disciplinaire, 2) ouverture de la procédure disciplinaire, 3) examen disciplinaire de l’affaire, 4) adoption d’une décision (...) » Article 40 – Vérification des informations relatives à une faute disciplinaire « La vérification des informations relatives à une faute disciplinaire doit être réalisée par (...) l’un des membres du Conseil supérieur de la magistrature. Celui-ci reçoit des explications écrites du juge et d’autres personnes, demande et examine des documents et reçoit d’autres informations d’organes de l’État, d’organisations, d’institutions, d’associations et de citoyens. À l’issue de la vérification des informations, il est établi un exposé des faits accompagné de conclusions et de propositions, qui est communiqué, avec les autres documents, au juge concerné (...) » Article 41 – Ouverture d’une procédure disciplinaire « S’il y a des motifs de diriger une procédure disciplinaire contre (...) un juge de la Cour suprême (...) cette procédure est ouverte par décision du Conseil supérieur de la magistrature dans un délai de dix jours à compter de la date de réception des informations relatives à la faute disciplinaire ou, s’il est nécessaire de vérifier ces informations, dans un délai de dix jours à compter de la date d’achèvement de la vérification. » Article 42 – Examen des affaires disciplinaires [version en vigueur jusqu’au 30 juillet 2010] « Le Conseil supérieur de la magistrature examine les affaires disciplinaires à son audience suivant la réception d’une conclusion et des documents résultant de la vérification. Dans les affaires disciplinaires, les décisions sont prises par un vote à bulletin secret et en l’absence du juge concerné (...) Le Conseil supérieur de la magistrature entend le juge avant de statuer sur sa responsabilité disciplinaire. Si, pour une raison valable, le juge ne peut pas participer à l’audience, il lui est loisible de présenter des observations écrites, qui seront versées au dossier et dont il sera donné lecture à l’audience. Un deuxième manquement du juge à se présenter à une audience justifie l’examen de l’affaire en son absence. » Article 43 – Délai d’imposition d’une sanction disciplinaire « La sanction disciplinaire est infligée au juge dans les six mois qui suivent la date à laquelle sa faute a été connue, à l’exclusion de toute période d’invalidité temporaire ou de congé, mais en tout état de cause un an au plus tard à compter de la faute. » Article 44 – Effacement du dossier disciplinaire « Si, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle la mesure disciplinaire a été appliquée, le juge n’a pas fait l’objet d’une nouvelle sanction disciplinaire, il est réputé n’avoir aucun antécédent disciplinaire (...) » G. La loi du 18 mars 2004 sur la procédure d’élection et de révocation des juges par le Parlement (« la loi de 2004 sur les juges (élection et révocation) ») (en vigueur jusqu’au 30 juillet 2010) Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi libellées : Article 19 – Procédure d’examen par la commission parlementaire des motions de révocation de juges élus pour une durée indéterminée « La commission parlementaire examine les motions de révocation des juges élus pour une durée indéterminée [soumises par le Conseil supérieur de la magistrature] dans un délai d’un mois à compter de la date de leur réception (...) Lorsqu’elle reçoit des demandes de citoyens ou d’autres dénonciations d’activités illégitimes d’un juge, elle enquête sur les allégations correspondantes. Elle peut demander à la Cour suprême, au Conseil supérieur de la magistrature, à la juridiction supérieure spécialisée concernée, à l’administration judiciaire de l’État, au Conseil ukrainien de la magistrature ou à la commission de qualification des juges concernée de procéder à des investigations supplémentaires. Les autorités concernées communiquent par écrit les résultats des investigations supplémentaires à la commission parlementaire dans les délais fixés par elle mais en tout état de cause quinze jours au plus tard après la demande d’investigations. Le juge concerné est averti du lieu et de l’heure de l’audience de la commission parlementaire. » Article 20 – Procédure d’examen par la commission parlementaire de la question de la révocation d’un juge élu pour une durée indéterminée « Peuvent assister à l’audience de la commission parlementaire relative à la révocation d’un juge élu pour une durée indéterminée des parlementaires ainsi que des représentants de la Cour suprême, des juridictions supérieures spécialisées, du Conseil supérieur de la magistrature, de l’administration judiciaire de l’État, d’autres autorités de l’État, d’organe locaux d’auto-administration et d’institutions publiques. Le juge concerné est présent à l’audience, sauf dans les affaires de révocation ouvertes en vertu de l’article 126 § 5-2), -3), -6), -7), -8) et -9) de la Constitution. Un deuxième manquement du juge concerné à se présenter à une audience sans raison valable justifie l’examen de l’affaire en son absence après que la commission parlementaire a vérifié qu’il avait été averti du lieu et de l’heure de l’audience. La commission parlementaire apprécie la validité des raisons éventuellement avancées à l’appui d’un défaut de comparution (...) L’audience de la commission parlementaire relative à la révocation du juge s’ouvre par un rapport du président. Les membres de la commission parlementaire ainsi que d’autres membres du Parlement peuvent poser des questions au juge sur les éléments résultant des investigations menées et, le cas échéant, sur les faits mentionnés dans les demandes déposées par des citoyens. Le juge a le droit d’étudier les documents, les exposés des faits et la conclusion de la commission parlementaire concernant sa révocation. » Article 21 – Dépôt d’une proposition relative à la révocation du juge (...) devant le Parlement réuni en séance plénière « La commission parlementaire dépose devant le Parlement réuni en séance plénière une proposition recommandant ou non la révocation du juge élu pour une durée indéterminée. Le représentant a la parole [pour présenter la proposition]. » Article 22 – Invitation à assister à la séance plénière concernant la révocation d’un juge élu pour une durée indéterminée « (...) Le juge concerné est présent à la séance plénière du Parlement si sa révocation est demandée en vertu de l’article 126 § 5-1), -4) et -5) de la Constitution. Le fait qu’il ne se présente pas ne fait pas obstacle à l’examen au fond de l’affaire. » Article 23 – Procédure d’examen par le Parlement réuni en séance plénière de la question de la révocation d’un juge élu pour une durée indéterminée « À la séance plénière du Parlement, le représentant de la commission parlementaire présente le cas de chaque juge dont la révocation est demandée. Si un juge conteste sa révocation, ses explications sont entendues. Les parlementaires ont le droit de poser des questions au juge. Si pendant les délibérations du Parlement en séance plénière il apparaît qu’il est nécessaire de mener des investigations supplémentaires relativement à des demandes déposées par des citoyens ou de recueillir des informations supplémentaires, le Parlement donne à la commission parlementaire les instructions nécessaires. » Article 24 – Décision du Parlement quant à la révocation d’un juge élu pour une durée indéterminée « La révocation du juge demandée pour les motifs définis à l’article 126 § 5 de la Constitution fait l’objet d’une décision du Parlement. La décision est prise par la majorité des membres constitutionnels du Parlement, à vote ouvert. La décision de révocation du juge est adoptée sous forme de résolution. » H. La loi du 4 avril 1995 sur les commissions parlementaires (« la loi de 1995 sur les commissions parlementaires ») En vertu de l’article 1 de cette loi, une commission parlementaire est un organe du Parlement composé de parlementaires chargés de rédiger des lois dans un domaine particulier, de procéder à des examens préliminaires de questions qui relèvent de la compétence du Parlement et d’exercer des fonctions de supervision. I. La loi du 17 novembre 1992 sur le statut des parlementaires (« la loi de 1992 sur le statut des parlementaires ») L’article 24 de cette loi dispose que les parlementaires doivent être présents et participer en personne aux séances du Parlement. Ils sont tenus de voter eux-mêmes les questions examinées par le Parlement et ses organes. J. La loi du 10 février 2010 sur le règlement intérieur du Parlement (« le règlement du Parlement ») L’article 47 du règlement du Parlement prévoit que lorsque le Parlement prend des décisions, ses membres votent en personne dans la chambre des débats en utilisant un système de vote électronique ou, en cas de vote à bulletin secret, dans une salle de vote proche de la chambre des débats. III. DOCUMENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE A. La Charte européenne sur le statut des juges (Direction des affaires juridiques du Conseil de l’Europe, 8-10 juillet 1998, DAJ/DOC (98)23) En ses extraits pertinents, le chapitre 5 de la Charte, intitulé « Responsabilité », est ainsi libellé : « 5.1. Le manquement par un juge ou une juge à l’un des devoirs expressément définis par le statut ne peut donner lieu à une sanction que sur la décision, suivant la proposition, la recommandation ou avec l’accord d’une juridiction ou d’une instance comprenant au moins pour moitié des juges élus, dans le cadre d’une procédure à caractère contradictoire où le ou la juge poursuivis peuvent se faire assister pour leur défense. L’échelle des sanctions susceptibles d’être infligées est précisée par le statut et son application est soumise au principe de proportionnalité. La décision d’une autorité exécutive, d’une juridiction ou d’une instance visée au présent point prononçant une sanction est susceptible d’un recours devant une instance supérieure à caractère juridictionnel. » B. L’avis de la Commission de Venise Les extraits pertinents de l’Avis conjoint sur la loi modifiant certains textes législatifs de l’Ukraine relatifs à la prévention de l’abus de droit d’appel par la Commission de Venise et la Direction de la coopération de la Direction générale des droits de l’homme et des affaires juridiques du Conseil de l’Europe adopté par la Commission de Venise lors de sa 84e séance plénière (Venise, 15-16 octobre 2010, document CDLAD(2010)029), sont ainsi libellés : « 28. Apparemment, dans un effort bienvenu visant à résoudre le problème du faible nombre de juges siégeant au [Conseil supérieur de la magistrature], les dispositions finales de la section XII. 3 (amendements des textes juridiques de l’Ukraine) de la loi relative au système judiciaire et au statut des juges et les amendements 3.11 de la loi sur le [Conseil supérieur de la magistrature] énoncent désormais que deux des trois membres du [Conseil supérieur de la magistrature] respectivement désignés par la Verkhovna Rada (article 8.1) et le Président d’Ukraine (article 9.1), un des trois membres désignés par le Congrès des juges (article 11.1), et un des trois membres désignés par le Congrès des représentants des établissements d’enseignement juridique supérieur et des instituts de recherche (article 12.1) sont nommés parmi les juges. La Conférence panukrainienne des procureurs désigne deux membres du [Conseil supérieur de la magistrature], dont un est issu des rangs des juges (article 13.1). Néanmoins, la composition du [Conseil supérieur de la magistrature] d’Ukraine ne correspond pas aux normes européennes parce que sur vingt membres, trois seulement sont élus par leurs pairs. Les dispositions finales reconnaissent en effet que l’élément judiciaire du [Conseil supérieur de la magistrature] devrait être plus important, mais la solution choisie consiste à demander au Parlement, au Président, aux établissements d’enseignement et aux procureurs d’élire ou de nommer les juges. (...) Dans l’actuelle composition, un juge est un membre d’office (le président de la Cour suprême) et certains des membres nommés par le Président et le Parlement sont des juges de facto ou d’anciens juges, mais il n’y a aucune condition légale pour que cela soit le cas jusqu’à ce que les mandats des membres actuels prennent fin. Comme le ministre de la Justice et le Procureur général, cinquante pour cent des membres appartiennent aux pouvoirs exécutif ou législatif. On ne peut donc pas dire que le [Conseil supérieur de la magistrature] est composé d’une majorité de juges. Dans des démocraties plus anciennes, il peut arriver que le pouvoir exécutif exerce une influence décisive et, dans certains pays, de tels systèmes peuvent être acceptables dans la pratique. Les autorités ukrainiennes elles-mêmes, au cours des réunions de Kiev, ont indiqué que l’Ukraine était une démocratie en transition qui utilisait volontiers l’expérience d’autres pays. Comme il a été déclaré dans un précédent avis : « En revanche, les nouvelles démocraties n’ont pas encore eu la possibilité de développer de telles traditions, qui peuvent empêcher les abus. En conséquence, au moins dans ces pays, des dispositions constitutionnelles et juridiques explicites sont nécessaires en tant que garantie pour empêcher les abus politiques dans la nomination des juges. » La composition actuelle du [Conseil supérieur de la magistrature] traduit peutêtre un jeu de compromis entre l’influence des majorités parlementaires et la pression de l’exécutif, mais cela ne règle pas pour autant la question de sa déficience structurelle. Cet organe peut faire l’objet d’une tentative de sujétion par le pouvoir politique et ne présente pas suffisamment de garanties quant à sa capacité à préserver les valeurs et les principes fondamentaux de la justice. Sa composition étant définie dans la Constitution, il conviendrait d’élaborer un amendement constitutionnel. Le fait que le Procureur général soit un membre d’office est particulièrement préoccupant car sa présence peut avoir un effet dissuasif sur les juges et être perçue comme une menace potentielle. Le Procureur général est partie à de nombreuses affaires dont les juges sont saisis, et sa présence dans un organe concerné par la nomination, la discipline et la révocation des juges est un facteur de risque. En effet, les juges peuvent manquer d’impartialité dans ces affaires ou le Procureur peut manquer d’impartialité envers les juges dont il désapprouve les décisions. En conséquence, la composition du [Conseil supérieur de la magistrature] d’Ukraine ne correspond pas aux normes européennes. Or la modifier exige un amendement à la Constitution, ce qui semble difficile. La loi doit donc inclure, pour contrebalancer la composition déficiente du [Conseil supérieur de la magistrature], une réglementation plus rigoureuse des incompatibilités. Compte tenu des pouvoirs qui lui sont conférés, le [Conseil supérieur de la magistrature] doit être un organe à temps plein et les membres élus, contrairement aux membres d’office, ne devraient pas exercer d’autres activités publiques ou privées tant qu’ils siègent au [Conseil supérieur de la magistrature]. (...) (...) Sachant que le ministre de la Justice et le Procureur général d’Ukraine sont membres d’office du [Conseil supérieur de la magistrature] (article 131 de la Constitution) et que la Constitution ukrainienne ne garantit pas que le [Conseil supérieur de la magistrature] sera composé d’une majorité ou d’un nombre important de juges élus par leurs pairs, le fait que des membres de l’exécutif puisse[nt] soumettre des propositions de révocation pourrait affaiblir l’indépendance des juges (...) Quoi qu’il en soit, le membre du [Conseil supérieur de la magistrature] qui a soumis la proposition ne devrait pas être autorisé à prendre part à la décision de révoquer le juge concerné, car cela serait contraire à la garantie d’impartialité (...) (...) La précision et la prévisibilité des motifs de la responsabilité disciplinaire sont souhaitables pour la sécurité juridique et notamment pour garantir l’indépendance des juges ; il faudrait donc s’efforcer d’éviter les motifs vagues et les définitions larges. Cependant, la nouvelle définition comprend des concepts très généraux, notamment « commettre des actions qui déshonorent une fonction judiciaire ou pourraient mettre en doute l’impartialité, l’objectivité, l’indépendance [du juge ou] l’intégrité et l’incorruptibilité du système judiciaire » et « la violation des principes éthiques et moraux du comportement humain ». Ces généralités sont particulièrement dangereuses parce que les termes sont vagues et qu’il est possible de les utiliser comme arme politique contre les juges (...) Les motifs de la responsabilité disciplinaire sont donc définis d’une manière trop vague et une réglementation plus précise est nécessaire pour garantir l’indépendance judiciaire. Enfin, l’article 32, dans son dernier paragraphe, exige que toute décision concernant la soumission au [Conseil supérieur de la magistrature] d’une proposition de révocation d’un juge soit adoptée à une majorité simple et non à une majorité des deux tiers. À la lumière de la composition défaillante du [Conseil supérieur de la magistrature], ce point est regrettable et pourrait menacer l’indépendance des juges (...) Enfin, la composition de la (...) très influente « cinquième chambre » de la [Cour administrative supérieure] devrait être précisément déterminée par la loi afin d’être conforme aux exigences découlant du droit fondamental d’accès à un tribunal préétabli par la loi (...) » C. Le rapport établi par Thomas Hammarberg, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, à l’issue de sa visite en Ukraine (19-26 novembre 2011) (CommDH(2012)10, 23 février 2012) Les extraits pertinents de ce rapport sont ainsi libellés (traduction du greffe) : « II. Questions relatives à l’indépendance et à l’impartialité des juges L’indépendance du système judiciaire – qui implique aussi celle de chaque juge individuellement – doit être protégée en droit et en fait. Le Commissaire note avec préoccupation que, selon la perception du public en Ukraine, les juges ne sont pas protégés des pressions extérieures, y compris politiques. Il est nécessaire de prendre des mesures nettes sur plusieurs fronts pour supprimer les facteurs qui rendent les juges vulnérables et affaiblissent leur indépendance. Les autorités devraient examiner soigneusement toute allégation d’ingérence ou d’influence politiques indues dans l’activité des institutions judiciaires et assurer l’existence de recours effectifs. Le Commissaire appelle les autorités ukrainiennes à appliquer pleinement les recommandations de la Commission de Venise relatives à la nécessité de rationaliser et de clarifier les procédures et les critères relatifs à la nomination et à la révocation des juges ainsi que l’application de mesures disciplinaires. Il est essentiel de mettre en place des garanties permettant d’assurer l’équité et d’éliminer le risque de politisation des procédures disciplinaires. Dans le processus de nomination des juges, les qualifications et le mérite de chaque candidat devraient être décisifs. La composition actuelle du Conseil supérieur de la magistrature ne correspond pas aux normes internationales et elle devrait être changée, ce qui nécessitera une modification de la Constitution (...) En novembre 2011, le Procureur général adjoint Myhailo Havryliuk, qui est membre du Conseil supérieur de la magistrature, a annoncé que des procédures disciplinaires avaient été engagées contre des membres de la chambre pénale de la Cour suprême au motif qu’ils auraient violé leur serment. Le Commissaire a reçu des allégations selon lesquelles ces mesures correspondaient à une pression exercée par l’exécutif sur cette institution judiciaire afin d’influer sur l’issue de l’élection du prochain président de la Cour suprême (...) La Constitution et la loi sur le système judiciaire et le statut des juges prévoient que les juges sont révoqués par l’organe qui les a élus ou nommés, sur motion du Conseil supérieur de la magistrature. Plusieurs des interlocuteurs du Commissaire ont souligné que, eu égard à la composition actuelle du Conseil supérieur de la magistrature, le risque qu’une telle décision puisse avoir pour origine des considérations politiques ou d’ordre politique était très élevé. Ces considérations peuvent aussi jouer un rôle dans la décision du Parlement de révoquer un juge élu à vie. Dès lors, des garanties supplémentaires devraient être mises en place tant dans la loi que dans la pratique en vue de protéger l’indépendance des juges. Il y a dans la Constitution et dans la loi sur le système judiciaire et le statut des juges des garanties contre les pressions indues ; pour autant, ces dispositions devraient être encore renforcées tant dans la loi qu’en pratique (...) Le Commissaire est particulièrement préoccupé par les allégations faisant état de l’exercice d’une forte influence sur les juges par les autorités de poursuite et l’exécutif au moyen de leur représentation au Conseil supérieur de la magistrature. En particulier, le Commissaire a été informé qu’en certaines occasions des procédures disciplinaires avaient été ouvertes contre des juges à l’initiative de membres du Conseil supérieur de la magistrature représentant le parquet en raison de la substance d’une décision de justice, pour rupture alléguée de serment, dans des cas où les juges en question n’auraient pas appuyé la position de l’accusation (voir aussi le paragraphe 20 ci-dessus). Dans ce contexte, le Commissaire voudrait rappeler que les juges ne devraient pas avoir de raisons de craindre de faire l’objet d’une révocation ou d’une procédure disciplinaire du fait des décisions qu’ils prennent (...) Conclusions et recommandations Le Commissaire souligne qu’un système de nomination des juges doit être pleinement protégé des influences politiques ou partisanes indues. Les décisions des juges ne devraient pas pouvoir faire l’objet d’une révision autrement que dans le cadre de la procédure d’appel ordinaire. La prise de mesures disciplinaires contre les juges devrait être encadrée par des règles et des procédures précises, gérée au sein du système judiciaire et protégée de toute influence indue d’origine politique ou autre. Le Commissaire n’est pas en mesure de se prononcer sur la véracité des allégations selon lesquelles il serait exercé des pressions sur les juges de la Cour suprême (voir le paragraphe 20 ci-dessus), mais il note néanmoins que la situation donne motif à de graves préoccupations. Les autorités ukrainiennes devraient examiner toute allégation d’ingérence dans l’activité des institutions judiciaires et agir en conséquence. Les agents des autres branches du gouvernement devraient s’abstenir de toute action ou déclaration pouvant être considérée comme un moyen de faire pression sur l’activité des institutions judiciaires ou faire peser un doute sur la capacité de ces institutions à exercer effectivement leur mission. Les juges ne devraient pas avoir de raison de craindre de faire l’objet d’une révocation ou d’une procédure disciplinaire du fait des décisions qu’ils prennent. De plus, il faudrait saisir l’occasion qu’offre la réforme menée actuellement pour affirmer plus fermement l’indépendance de l’ordre judiciaire à l’égard de l’exécutif. (...) » IV. DROIT COMPARÉ L’Institut Max-Planck de droit public comparé et de droit international (Max-Planck-Institut für ausländisches öffentliches Recht und Völkerrecht) a achevé en 2012 un rapport de recherche de droit comparé intitulé « Judicial Independence in Transition » (l’indépendance judiciaire en transition). Ce rapport porte, entre autres questions, sur les procédures disciplinaires dont les juges peuvent faire l’objet dans différents ordres juridiques. Il indique qu’il n’y a pas d’approche uniforme de l’organisation du système de discipline judiciaire au sein des pays européens. On peut toutefois observer que, dans bien des pays d’Europe, les motifs de responsabilité disciplinaire des juges sont définis en termes plutôt généraux (par exemple, négligence lourde ou répétée des fonctions officielles laissant à penser que le juge n’est manifestement pas apte à assumer ses fonctions (Suède)). En Italie, qui fait exception, la loi prévoit une liste exhaustive de trente-sept fautes disciplinaires différentes concernant le comportement des juges tant dans l’exercice de leurs fonctions qu’en dehors de leur vie professionnelle. Les sanctions dont est passible un juge ayant commis une faute disciplinaire peuvent comprendre : avertissement, blâme, mutation, rétrogradation, gel de promotion, amende, réduction de traitement, suspension temporaire de fonctions, révocation avec ou sans indemnités. La révocation étant la sanction la plus sévère, elle est généralement ordonnée par un tribunal ; dans certains ordres juridiques, elle peut aussi être ordonnée par une autre institution telle qu’une commission disciplinaire spécialisée du Conseil supérieur de la magistrature, mais, en règle générale, elle est susceptible de recours devant un tribunal. Sauf en Suisse, le Parlement ne participe pas à la procédure ; le système suisse est toutefois fondamentalement différent en raison de la durée limitée du mandat des juges.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants individuels sont pour la plupart issus du monde du voyage. Le Mouvement ATD Quart Monde (l’association requérante) est une association de droit français, ayant son siège social à Paris. Aux termes de l’article 2 de ses statuts « Le Mouvement ATD Quart Monde rassemble des personnes, familles et groupes de population qui refusent la fatalité de la misère dans laquelle ils sont condamnés à vivre, et, engagés à leurs côtés, des hommes et des femmes, de toutes origines, qui partagent le même refus (...)» A. Le contexte Le département du Val d’Oise Le département du Val d’Oise connaît une présence très ancienne des gens du voyage. Une enquête réalisée en 2001 par l’Association Départementale Voyageurs-Gadjé (ADVOG) a fait ressortir une population de 2 500 caravanes, soit environ 10 000 personnes, dont 17 % appartiennent à des familles nomades, 42 % à des familles sédentarisées et 41 % à des familles semi-sédentarisées, également désignées sous le terme d’itinérants contraints ou sédentaires contraints. Les itinérants contraints aspirent à se sédentariser, mais sont obligés de se déplacer au gré des expulsions. Les sédentaires contraints désirent conserver un certain degré de nomadisme, mais sont amenés à se fixer sur un site dès lors que celui-ci ne présente pas un trop grand risque d’expulsion. Ces familles évoluent souvent à l’intérieur d’un même secteur de quelques communes selon les expulsions dont elles font l’objet, autour de points d’ancrage comme l’école où sont scolarisés les enfants, le centre hospitalier où sont traités les plus âgés ou les lieux d’exercice des activités économiques. Pour ce qui est des familles sédentarisées, il s’agit de propriétaires, locataires ou occupants sans titre de terrains (privés ou communaux) qu’ils occupent de façon permanente, ainsi que de familles installées à demeure sur une aire qui n’est normalement qu’une aire de passage (Source : Plans départementaux d’Aide au Logement des Personnes défavorisées du Val d’Oise (PDALPD) 2004-2007 et 2008-2010). Le Val d’Oise dispose de deux instruments s’appliquant aux gens du voyage : - le schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage (prévu par les lois dites « Besson » des 31 mai 1990 et 5 juillet 2000, voir paragraphes 49-55 ci-dessous), qui prévoit, en fonction des besoins et capacités d’accueil existantes, la nature, la localisation et la capacité des structures d’accueil à créer pour les familles de voyageurs dans les communes de plus de 5 000 habitants ; - le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (prévu par la loi précitée du 31 mai 1990 et la loi contre les exclusions du 29 juillet 1998), qui prend en considération la problématique des familles sédentaires et semi-sédentaires. En application de la loi précitée du 5 juillet 2000, et après l’annulation d’un premier schéma départemental par les juridictions administratives, un schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage a été adopté en novembre 2004 pour le Val d’Oise pour la période 2004-2010. Il prévoyait la réalisation, par les 53 communes de plus de 5 000 habitants du département, de 1 035 places de caravanes en aires d’accueil, dont 219 places déjà existantes, avec un financement de l’État à hauteur de 70%. Le plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) 2004-2007 du Val d’Oise, adopté en juin 2004 et faisant suite à un précédent plan pour la période 2000-2003, précisait que les actions en faveur des gens du voyage devaient comporter deux axes : d’une part, la création d’aires d’accueil pour les familles de voyageurs, d’autre part, la réalisation de terrains familiaux locatifs pour les familles sédentaires ou semi-sédentaires, déjà prévue par le précédent plan. Il s’agit de terrains avec ou sans pavillons, sur lesquels les familles peuvent installer leurs caravanes et qui constituent des habitations à usage permanent. La circulaire du 21 mars 2003 (relative à la mise en œuvre de la politique du logement et à la programmation des financements aidés par l’État) permet le financement par l’État de la réalisation de terrains familiaux dans les mêmes conditions que les aires d’accueil (à savoir, à hauteur de 70% de la dépense hors taxe dans la limite d’un plafond) ; le pavillon « en dur » peut être financé à l’aide du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI). La commune d’Herblay De 400 à 500 caravanes, représentant plus de 2 000 personnes, sont présentes sur le territoire de la commune d’Herblay (soit environ 10 % de la population totale), la plupart depuis de nombreuses années. Selon les indications données par le Gouvernement, environ quatre cinquièmes de ces caravanes sont en infraction avec le plan d’occupation des sols. En 2000, une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) fut mise en place pour le relogement des gens du voyage sédentarisés dans la commune (créées par la circulaire no 3465 du 22 mai 1989, les MOUS ont pour objet de promouvoir l’accès au logement des personnes et familles en difficulté). La MOUS fit l’objet, après un diagnostic social réalisé par l’ADVOG, d’un protocole d’accord signé le 23 novembre 2004 par le préfet du Val d’Oise, le président du conseil général et le maire d’Herblay. Le projet prévoyait l’aménagement de quatre sites, représentant au total 26 terrains familiaux. Ces sites ont fait l’objet, en septembre 2005, de procédures de révision simplifiées du plan d’occupation des sols (POS). Le premier site, contenant huit terrains, soit 24 places, a été ouvert en décembre 2008. Le schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage 2004-2010 (paragraphe 10 ci-dessus) a exonéré la commune d’Herblay de l’obligation de créer une aire d’accueil, en raison du nombre de caravanes de familles sédentaires qu’elle compte et du projet de MOUS en cours (paragraphe 13 ci-dessus). En application de l’article 9 de la loi précitée du 5 juillet 2000, le maire d’Herblay a adopté en juillet 2003, puis en janvier 2005, des arrêtés interdisant le stationnement des résidences mobiles des gens du voyage sur l’ensemble du territoire communal. B. La présente requête Les requérants, tous de nationalité française, habitaient à Herblay, au lieu-dit du « bois du Trou-Poulet », où la plupart s’étaient installés depuis de nombreuses années ou étaient nés (voir annexe). Ils faisaient partie d’un groupe de vingt-six familles (42 adultes et 53 enfants, soit au total 95 personnes). Les requérants étaient établis sur des terrains dont ils étaient pour certains propriétaires, généralement locataires, ou qu’ils occupaient sans titre. Ces parcelles étaient situées en zone ND du plan d’occupation des sols (POS) publié en mai 2003, à savoir « zone naturelle qu’il convient de protéger en raison de la qualité du paysage et du caractère des éléments qui le composent ». Elles étaient également classées en zone ND dans les POS antérieurs. La zone Ndc, où ils étaient établis, permet le camping caravaning à condition que les terrains soient aménagés à cette fin, ou que les intéressés bénéficient d’une autorisation. La procédure d’expulsion a) Constat d’huissier À la requête de la commune d’Herblay (ci-après la commune) et en vertu d’une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Pontoise du 19 novembre 2003, deux huissiers de justice, accompagnés de policiers, se rendirent sur les lieux le 12 février 2004, afin de constater l’occupation des terrains et se faire communiquer l’identité de tous les occupants. Les huissiers dressèrent un procès-verbal de constat, dans lequel ils relevèrent en chaque point des terrains l’identité des occupants, leur habitat (caravanes, bungalows, cabanes, constructions en dur). Le constat mentionnait notamment : « l’ensemble du site objet des présentes constatations est envahi par de très nombreux morceaux de voitures, de moteurs, pièces détachées automobiles et détritus divers jonchant le bois autour des sites sur lesquels nous avons relevé les identités. » b) Procédure de référé Les 30 avril et 11 mai 2004, la commune fit assigner quarante personnes, dont les requérants, devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Pontoise, afin de voir constater l’occupation interdite des lieux et le « stationnement interdit des caravanes et constructions » par les défendeurs, de les voir condamner à évacuer tous véhicules et caravanes et enlever toutes constructions des lieux sans délai moyennant une astreinte de 200 euros (EUR) chacun par jour de retard, et de voir dire que la commune pourrait, passé un délai de deux mois à compter du prononcé de l’ordonnance, procéder elle-même à l’évacuation et aux démolitions avec le concours de la force publique. L’audience eut lieu le 18 juin 2004. Par ordonnance du 2 juillet 2004, le juge des référés rejeta la demande de la commune. Après avoir relevé que la zone Ndc, où étaient établis les défendeurs, permettait le camping-caravaning, mais que le stationnement de caravanes pendant plus de trois mois était soumis à autorisation sauf si les terrains étaient aménagés, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, le juge considéra qu’il était suffisamment établi que les défendeurs occupaient les lieux depuis de nombreuses années et bien antérieurement à la publication du plan d’occupation des sols (POS), que certains avaient bénéficié de l’installation régulière d’eau ou d’électricité, et que cette longue tolérance de la commune, si elle n’était en aucun cas constitutive d’un droit, ne permettait pas de constater l’urgence ou le trouble manifestement illicite, seuls susceptibles de justifier la compétence du juge des référés. Le juge observa en outre que, le schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage ayant été annulé (paragraphe 10 ci-dessus), la commune était soumise à l’obligation édictée par la loi du 5 juillet 2000 de prévoir une aire de stationnement. Enfin, au vu du constat d’huissier, le juge ordonna aux défendeurs de débarrasser le terrain de toutes les carcasses de voitures et détritus dans un délai de deux mois, sous astreinte de 200 EUR par jour de retard, et dit que passé ce délai la commune pourrait faire procéder au nettoyage des terrains à leurs frais. c) Procédure au fond i) Le jugement du tribunal de grande instance En septembre 2004, la commune fit assigner quarante personnes, dont les requérants, devant le tribunal de grande instance de Pontoise, en formulant les mêmes demandes que devant le juge des référés. Deux autres personnes (dont un requérant) intervinrent en outre volontairement. Les défendeurs et intervenants faisaient valoir qu’ils étaient établis au bois du Trou-Poulet depuis de nombreuses années, antérieurement à la publication du plan d’occupation des sols (POS), dans une zone où l’aménagement des terrains pour le camping-caravaning était permis ; ils invoquaient le droit au logement, principe à valeur constitutionnelle, ainsi que l’arrêt Connors c. RoyaumeUni (no 66746/01, 27 mai 2004), et mentionnaient l’obligation pour la commune de mettre des terrains à la disposition des gens du voyage. Subsidiairement, ils se disaient d’accord pour une médiation judiciaire. L’audience eut lieu le 27 septembre 2004. Par jugement du 22 novembre 2004, le tribunal fit droit aux demandes de la commune. Il constata tout d’abord que le POS, publié en mai 2003, était exécutoire de plein droit tant qu’il n’était pas annulé, que les terrains occupés par les défendeurs se situaient en zone Ndc, permettant en principe l’aménagement pour le camping caravaning, mais qu’ils n’avaient pas été aménagés dans le respect des règles du code de l’urbanisme (article L. 443-1 du code). Le tribunal jugea dès lors qu’en l’absence d’autorisation ou arrêté préfectoral en leur faveur, les défendeurs avaient enfreint le POS en implantant les caravanes, mobil homes et cabanes sur les terrains, sans que la fourniture d’électricité par EDF (Électricité de France) soit créatrice de droit. Après avoir rappelé l’importance du droit au logement et ses fondements législatifs et constitutionnels, le tribunal considéra que, si tout devait être mis en œuvre par le législateur et les autorités publiques pour faire respecter ce droit autant qu’il était possible, il ne pouvait être consacré « au mépris de la légalité et du respect des règles en vigueur ». Le tribunal analysa ensuite l’arrêt Connors précité et conclut que la situation dont il était saisi était différente, dans la mesure où il ne pouvait être invoqué ni une procédure d’expulsion sommaire (comme dans l’affaire Connors), ni une absence de protection procédurale, puisque les défendeurs avaient pu soulever tous les arguments qu’ils estimaient nécessaires à leur défense devant un « tribunal indépendant » statuant au fond dans le respect de toutes les règles procédurales en usage en France. Le tribunal conclut qu’il n’estimait pas violer l’article 8 de la Convention en rendant une décision après avoir répondu aux moyens soulevés par les défendeurs et que, dans un état de droit, il ne pouvait être envisagé que l’exécution d’une décision de justice constitue « un traitement inhumain et dégradant ». Il ajouta qu’il était certain qu’à défaut d’exécution volontaire de la décision par les défendeurs, la commune, les auxiliaires de justice et les services de l’État chargés de procéder à l’exécution veilleraient à réaliser celle-ci dans le respect de la dignité de la personne humaine. S’agissant de l’obligation de la commune, après l’annulation du schéma départemental d’accueil et d’habitat des gens du voyage, de mettre un terrain à disposition de ceux-ci, le tribunal se référa à une lettre du préfet du Val d’Oise au maire, dont il résultait que la commune était considérée comme ayant rempli les obligations imposées par la loi du 5 juillet 2000. Le tribunal observa en outre que l’ancienneté du séjour des défendeurs pouvait faire douter de leur qualité de « gens du voyage » et que les schémas départementaux concernaient la population nomade, et non celle sédentaire installée dans les lieux depuis dix ou parfois vingt ans. Il rejeta par ailleurs la demande de médiation judiciaire, au motif qu’elle aurait peu de chances d’aboutir à un résultat, compte tenu du contexte et du nombre important de défendeurs. En conséquence, le tribunal condamna les défendeurs et intervenants à évacuer tous véhicules et caravanes et à enlever toutes constructions des terrains qu’ils occupaient dans le délai de trois mois à compter de la signification du jugement, sous astreinte de 70 EUR chacun par jour de retard et dit que, passé ce délai, la commune pourrait faire procéder ellemême à l’évacuation et aux démolitions aux frais des défendeurs avec le concours de la force publique. Il les condamna en outre à payer 50 EUR chacun à la commune au titre des frais non remboursables de procédure. Le tribunal estima que, compte tenu du contexte du litige et de l’absence d’urgence résultant d’une situation existant depuis de nombreuses années, il n’était pas nécessaire d’ordonner l’exécution provisoire du jugement. ii) L’arrêt de la cour d’appel Trente-six des intéressés, dont les requérants, firent appel devant la cour d’appel de Versailles. L’association requérante déposa des conclusions d’intervention volontaire. L’audience se tint le 8 septembre 2005. Par arrêt du 13 octobre 2005, la cour d’appel déclara recevable l’intervention volontaire de l’association requérante et confirma le jugement, sauf en ce qui concernait un couple (non requérant) pour lequel elle ordonna une mesure d’expertise afin de vérifier les conditions de son logement et la conformité de ce dernier au POS. La cour d’appel retint en premier lieu que l’occupation des terrains par les intéressés contrevenait au POS, exécutoire de plein droit et répondit dans les termes suivants aux arguments soulevés : « Considérant que si le droit au logement est un principe à valeur constitutionnelle, si l’article 3 et l’article 8 de la Convention (...) consacrent le respect à la vie privée et familiale de chacun et l’impossibilité d’exposer toute personne à des traitements inhumains et dégradants, ces principes d’essence supérieure ne sont pas au cas particulier bafoués dès lors que l’action de la commune repose sur un fondement légal tiré du respect de dispositions règlementaires qui s’imposent à tous sans discrimination et qui suffit à caractériser l’intérêt public nécessaire à l’exercice d’une telle action, qu’elle donne lieu à un débat contradictoire en première instance et en appel et que l’exécution d’une décision de justice rendue dans le respect des droits de la défense ne peut caractériser le comportement dégradant et inhumain allégué ; Considérant que l’ancienneté de l’occupation n’est pas constitutive de droit, pas plus que la tolérance même prolongée de cette occupation contraire aux dispositions du plan d’occupation des sols de la commune, qu’il est dès lors vain pour certains d’opposer la scolarisation de leurs enfants laquelle n’est pas nécessairement compromise ou le fait inopérant qu’ils détiennent des carnets de circulation lesquels ne les dispensent pas du respect des dispositions réglementaires ; Considérant que c’est tout aussi vainement que les appelants invoquent la mauvaise foi de la commune et le manquement à ses obligations légales telles qu’elles résultent de la loi Besson ; Qu’il ressort du courrier de la préfecture du Val d’Oise du 18 mai 2004 que la commune a rempli ses obligations au regard de la loi du 5 juillet 2000 prise pour les gens du voyage, lesquels sont réputés nomades et non sédentaires comme le sont les appelants qui revendiquent au plus fort leur sédentarisation et l’ancienneté de leur occupation (...) » La cour d’appel confirma par ailleurs le rejet de la médiation judiciaire sollicitée, au motif qu’elle n’apparaissait pas la réponse appropriée « à la solution du litige au travers duquel la commune œuvre pour le respect par et pour tous ses habitants des lois et règlements ». Enfin, elle rejeta la demande de dommages-intérêts formulée par la commune et condamna les appelants au paiement d’une somme de 50 EUR chacun au titre des frais de la procédure d’appel. Les requérants indiquent qu’après l’adoption de cet arrêt, ils ont reçu la visite quotidienne d’un agent de la commune qui, mentionnant l’astreinte, les incitait à quitter les lieux. iii) La procédure devant la Cour de cassation Les requérants, en leur nom et au nom de leurs enfants mineurs, ainsi que l’association requérante, formèrent une demande d’aide juridictionnelle auprès du bureau d’aide juridictionnelle près la Cour de cassation afin de se pourvoir en cassation contre l’arrêt du 13 octobre 2005. Les 4 et 5 juillet 2006, le bureau d’aide juridictionnelle rendit une série de décisions rejetant leurs demandes, au motif qu’aucun moyen de cassation ne pouvait être relevé contre la décision critiquée au sens de l’article 7 de la loi du 10 juillet 1991. Par une série d’ordonnances à la formulation identique du 23 novembre 2006, le magistrat délégué par le premier président de la Cour de cassation rejeta leurs recours contre ces décisions, dans les termes suivants : « Attendu que la Cour de cassation n’exerce pas son contrôle sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les juges du fond ; Qu’il n’apparaît pas de l’examen des pièces de procédure qu’un moyen de cassation fondé sur la non-conformité de la décision attaquée aux règles de droit soit susceptible d’être utilement soulevé. » Le 16 janvier 2007, les requérants déposèrent au greffe de la Cour de cassation une déclaration selon laquelle ils se désistaient de leur pourvoi en cassation. Leur désistement fut constaté par une ordonnance du 7 septembre 2007. La mise en place de maîtrises d’œuvre urbaines et sociales (MOUS) À la suite de l’arrêt de la cour d’appel, les autorités décidèrent, dans le cadre du plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées (paragraphe 11 ci-dessus), de mener une maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) pour l’ensemble des familles concernées par la procédure judiciaire, afin de déterminer la situation de chacune et d’évaluer les possibilités de relogement envisageables. En vertu d’une convention signée avec le préfet du Val d’Oise le 20 février 2006, la Société Nationale de Construction de Logements pour les Travailleurs (ci-après la SONACOTRA) se vit confier la réalisation d’une enquête sociale portant sur l’ensemble des familles concernées, afin notamment d’évaluer leurs besoins en relogement. L’étude, à réaliser dans un délai de trois mois, devait contenir un état des lieux portant, pour chaque famille, sur la situation du terrain à l’égard des règles d’urbanisme, l’habitat actuel, le degré de sédentarisation, la structure familiale et la situation sociale du ménage. L’étude devait également indiquer les modalités de relogement souhaitées par chaque famille (habitat sédentaire, habitat en caravane ou mixte), les localités dans lesquelles elle souhaitait être relogée et le statut souhaité (locataire ou propriétaire). La convention précisait la composition du comité de pilotage de la MOUS ainsi que du comité de pilotage restreint, et indiquait que cette mission serait financée intégralement par l’État. Les conclusions de l’enquête furent présentées par la SONACOTRA au comité de pilotage le 6 juin 2006. Lors d’une réunion du 17 novembre 2006 entre le comité de pilotage restreint et l’association requérante en vue de présenter à cette dernière les résultats de l’enquête sociale, le comité accepta que les familles qui avaient entre temps quitté le bois du Trou-Poulet soient intégrées à l’enquête sociale. Les représentants de ces dernières furent reçus le 16 janvier 2007 par le comité de pilotage restreint et il fut convenu qu’ils seraient entendus par la SONACOTRA les 30 janvier, 1er, 2 ou 5 février 2007. Un avenant à la convention de MOUS fut établi le 29 janvier 2007 en vue d’une enquête sociale complémentaire portant sur ces familles, dont le coût devrait être assumé intégralement par l’État. Enfin, à la demande de l’association requérante, une dernière famille n’ayant pu être entendue dans le cadre de l’enquête sociale complémentaire fut intégrée à la MOUS. Les enquêtes sociales permirent de faire ressortir les éléments suivants : sur les trente-deux ménages entendus par la SONACOTRA, les souhaits de relogement se répartissaient comme suit : - un ménage était parti habiter en dehors du département à la fin de l’année scolaire 2005-2006 ; - un ménage avait été relogé par la commune en logement social de type HLM (habitation à loyer modéré) ; - trois ménages (non requérants) avaient reçu des propositions de relogement de la commune sur les terrains familiaux en cours d’aménagement (paragraphe 13 ci-dessus) ; - cinq ménages (tous requérants) souhaitaient un logement social de type HLM ; - vingt-et-un ménages (dont quatorze ménages requérants) souhaitaient un relogement en habitat mixte (bâti et caravanes) ; - un ménage habitant un logement social à Angers souhaitait être relogé en logement de type HLM dans la région d’Angers ; - un seul ménage requérant, celui de Vanessa Ricono, n’a pas pu être entendu lors de l’enquête sociale. Le 12 novembre 2007, une nouvelle convention de MOUS fut signée pour une durée de huit mois en vue du relogement des cinq ménages qui avaient opté pour un logement social de type HLM. La convention prévoyait à la charge de la SONACOTRA, devenue entretemps ADOMA, un travail d’accompagnement de ces familles au relogement (information, aide à la constitution des dossiers, mise en place de dispositifs d’accompagnement, et suivi du relogement sur le plan pratique). Les frais de la MOUS étaient pris en charge à 100% par l’État. Les travaux de la 11ème avenue Entre temps, en octobre 2004, des travaux de construction d’une route à quatre voies (la « 11ème avenue ») avaient débuté à proximité immédiate des domiciles des requérants et durèrent plus d’un an. L’avocat de certains requérants et le délégué de l’association requérante pour le Val d’Oise adressèrent plusieurs courriers entre novembre 2004 et juillet 2005 au maire d’Herblay, au préfet et au président du conseil général, en attirant leur attention sur les dangers résultant du chantier pour les requérants et leurs enfants. Par lettres notamment d’avril et juillet 2005, le directeur général adjoint de la gestion du domaine routier du département énuméra les différentes mesures de sécurité prises sous le contrôle d’une société coordinatrice (signalisation, clôtures, barrières, obturation des regards, etc.) et souligna que malgré ces précautions, les installations et la signalisation du chantier faisaient fréquemment l’objet de dégradations et de vols. Événements ultérieurs a) Situation des requérants Au jour de l’adoption du présent arrêt, la commune n’a pas fait exécuter l’arrêt du 13 octobre 2005. Toutefois l’astreinte, dont le terme n’a pas été fixé, continue à courir à l’encontre des requérants qui sont restés au bois du Trou-Poulet. Les requérants se répartissent en trois groupes : i) Familles relogées en logement social Quatre familles ont été relogées en logement social entre mars et juillet 2008 à la suite de la convention de MOUS du 12 novembre 2007 (paragraphe 37 ci-dessus) : il s’agit de Solange Lefèvre, de Catherine Lefèvre et de ses trois enfants, de Sandrine Plumerez et de ses cinq enfants, et de Sabrina Lefèvre, de son compagnon (non requérant) et de ses trois enfants. ii) Familles restées ou revenues à Herblay Plusieurs familles sont restées au bois du Trou-Poulet ou y sont revenues : - Martine Payen, également concernée par la MOUS, a refusé deux propositions de logement social (notamment en raison du montant du loyer) et réside toujours au bois du Trou-Poulet sur un terrain lui appartenant ; - Michèle Perioche et Germain Guiton sont restés sur le terrain qu’ils louent ; - Laetitia Winterstein est restée avec son compagnon (non requérant) et leurs cinq enfants sur un terrain appartenant à sa grand-mère ; - Steeve Lefèvre et Graziella Avisse et leur enfant sont revenus au bois du Trou-Poulet après avoir rejoint une tante sur l’aire d’accueil d’Avranches ; leur avocat précise qu’ils ont fait l’objet après leur retour d’une ordonnance d’expulsion sous astreinte de 300 EUR par jour de retard ; - Rosita Ricono a quitté le bois du Trou-Poulet et a ensuite vécu à l’hôtel ; elle est actuellement installée sur le terrain d’un ami à Herblay. iii) Familles ayant quitté la région Enfin, plusieurs familles ont quitté la région: - Pierre Mouche est parti en mai 2005 après avoir subi une grave opération (en raison, indique son avocat, de la poussière générée par les travaux de la « 11e avenue »). Il a erré de place en place avec ses enfants, puis seul pendant quatre ans entre Les Mureaux et Saint Ouen l’Aumône. Il a refusé en 2007 un logement social, en raison notamment de son impossibilité à vivre dans un tel logement et de son souhait de s’établir sur un terrain familial. Il vit actuellement sur le parking d’une zone commerciale à Épône, au côté de son fils Franck Mouche qui lui fournit l’assistance nécessitée par son état de santé ; - Gypsy Debarre et Paul Mouche, autre fils de Pierre Mouche, sont également partis avec celui-ci en mai 2005 et ont erré de place en place avec leurs six enfants, qui n’ont pu de ce fait suivre une scolarité régulière ; ils sont actuellement séparés. Gypsy Debarre vit sur l’aire d’accueil de Buchelay, près de Mantes-la Jolie avec quatre de ses enfants. Elle a refusé en avril 2009 un pavillon social qui lui était proposé, en raison notamment de l’impossibilité d’assumer le loyer ; - Sophie Clairsin et Thierry Lefèvre, partis en janvier 2006, ont vécu sur des aires d’accueil à Avranches et Saint Hilaire. Après la fermeture de ces aires pour travaux, Sophie Clairsin a acheté à Saints, en août 2008, un terrain non constructible sur lequel ils résident avec leurs trois enfants. Selon les informations données par leur avocat, la mairie de Saints leur aurait notifié l’obligation de quitter le terrain et aurait assigné Sophie Clairsin en qualité de propriétaire ; - Patrick Lefèbre et Sylviane Huygue-Bessin et leurs sept enfants, ainsi que Catherine Herbrecht et ses trois enfants, également partis en janvier 2006, ont vécu sur les aires d’Avranches et Saint Hilaire jusqu’à leur fermeture ; ils sont ensuite revenus au bois du Trou-Poulet, que la mairie leur a demandé de quitter sous 48h. Ils sont hébergés sur le terrain de Sophie Clairsin ; - Philippe Lefèvre vit avec sa compagne (non requérante) en Mayenne auprès des parents de celle-ci ; - Mario Guiton et Stella Huet vivent avec leurs trois enfants près des parents de celle-ci en Normandie et reviennent à Herblay pour de courts séjours ; - Jessy Winterstein a quitté le bois du Trou-Poulet avec ses deux enfants et son adresse actuelle n’est pas connue ; - Vanessa Ricono et son compagnon (non requérant) sont également partis avec leur enfant et leur adresse actuelle n’est pas connue. Ceux des requérants qui sont partis précisent que, dès qu’ils ont quitté le bois du TrouPoulet, la mairie a fait creuser des tranchées pour les empêcher de revenir, et a détruit leurs chalets ; ils n’ont pas pu récupérer les biens personnels qu’ils n’avaient pu emporter avec eux, qui ont été détruits ou volés. b) Recours au titre de la loi sur le droit au logement opposable (loi DALO) Plusieurs requérants (Michelle Périoche, Germain Guiton, Mario Guiton et Stella Huet, Laetitia Winterstein, Catherine Herbrecht, Sylviane Huygue-Bessin et Patrick Lefèvre, Gypsy Debarre et Paul Mouche, Graziella Avisse et Steeve Lefèvre, Rosita Ricono) ont déposé en 2008 et 2009 (en 2010 pour Rosita Ricono) des demandes de logement social en application de la loi de 2007 sur le droit au logement opposable (dite loi DALO, paragraphes 59-61 cidessous), en précisant qu’ils souhaitaient des terrains familiaux. Leurs demandes ont fait l’objet de refus de la commission de médiation (à l’exception de Gypsy Debarre), au motif qu’elles n’étaient « pas éligibles au dispositif DALO ». Le tribunal administratif a rejeté leurs recours contre ces décisions. c) Délibération de la HALDE du 22 février 2010 Le 14 février 2006, l’Association nationale des Gens du Voyage catholiques (ANGVC) saisit la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Ėgalité (ci-après la HALDE) à propos de l’interdiction faite aux gens du voyage de stationner sur l’ensemble du territoire de la commune d’Herblay en vertu de l’arrêté municipal du 17 janvier 2005 (paragraphe 15 ci-dessus) Par une délibération du 22 février 2010, après avoir notamment fait état de la jurisprudence de la Cour (arrêts Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, CEDH 2001I et Connors précité), la HALDE estima que l’effet combiné du schéma départemental d’accueil des gens du voyage et de l’arrêté municipal, à savoir deux textes de valeur réglementaire, revenait à écarter purement et simplement l’application d’un texte législatif (la loi Besson du 5 juillet 2000) destiné à protéger les gens du voyage et portait ainsi atteinte à leurs droits. La HALDE conclut en conséquence que la dispense accordée à la ville d’Herblay par le schéma départemental n’était pas conforme à la loi précitée du 5 juillet 2000 et recommanda au préfet de revoir ses dispositions. Elle recommanda par ailleurs au maire d’Herblay le retrait de l’arrêté, la suspension des mesures d’expulsion prises sur la seule base de ce texte et demanda à être informée dans un délai de trois mois des suites réservées à sa délibération. d) Délibération du conseil municipal d’Herblay du 13 septembre 2012 Dans un entretien au journal Le Parisien du 13 décembre 2010, le maire d’Herblay indiqua que l’aire d’accueil des gens du voyage prescrite par le schéma départemental serait créée sur une parcelle destinée à la réalisation de terrains familiaux, la commune ne pouvant mener de front les deux actions. Le nouveau schéma départemental d’accueil des gens du voyage du Val d’Oise, approuvé le 28 mars 2011, prévoit la création à Herblay d’une aire d’accueil de 25 caravanes itinérantes. Par délibération du 13 septembre 2012, le conseil municipal d’Herblay a adopté à l’unanimité une révision simplifiée du plan local d’urbanisme (PLU) en vue de créer l’aire d’accueil. Le procèsverbal mentionne ce qui suit : « Par délibération municipale en date du 18 juin 2009, la ville d’Herblay a prescrit une procédure de révision simplifiée afin de permettre la réalisation, dans le cadre du projet MOUS [maîtrise d’œuvre urbaine et sociale], de terrains familiaux. La ville étant aujourd’hui dans l’obligation de réaliser une aire d’accueil des gens du voyage, et souhaitant qu’elle soit réalisée sur les terrains initialement prévus pour les terrains familiaux, cette procédure n’a plus lieu d’être. Suite à la publication du [schéma départemental] du 28 mars 2011, l’objet de l’évolution du PLU n’est plus de permettre la réalisation de terrains familiaux, mais de permettre la réalisation d’une aire d’accueil (...) La délibération prévue pour prescrire la révision simplifié du PLU (...) annule et remplace donc celle prise le 18 juin 2009 (...) » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes Les textes a) Les dispositions pertinentes du code de l’urbanisme en vigueur au moment des faits L’article L. 443-1 du code de l’urbanisme prévoit un régime d’autorisation d’aménagement pour les terrains destinés au camping et au stationnement des caravanes dans des formes et conditions déterminées par décret. L’article L. 444-3 du même code (introduit par la loi Besson du 5 juillet 2000, voir paragraphes 50-55 ci-dessous) dispose que dans les zones constructibles, des terrains bâtis ou non bâtis peuvent être aménagés afin de permettre l’installation de caravanes constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs, sous réserve d’une autorisation d’aménagement délivrée dans les conditions prévues par le décret mentionné à l’article L. 443-1. L’article R. 443-4 du code se lit ainsi : « Tout stationnement pendant plus de trois mois par an, consécutifs ou non, d’une caravane est subordonné à l’obtention par le propriétaire du terrain sur lequel elle est installée, ou par toute autre personne ayant la jouissance du terrain, d’une autorisation délivrée par l’autorité compétente. Toutefois, en ce qui concerne les caravanes qui constituent l’habitat permanent de leurs utilisateurs, l’autorisation n’est exigée que si le stationnement de plus de trois mois est continu. L’autorisation de stationnement de caravane n’est pas nécessaire si le stationnement a lieu : a) Sur les terrains aménagés permanents pour l’accueil des campeurs et des caravanes, régulièrement autorisés et classés (...) » b) La loi 90-449 du 31 mai 1990 La loi du 31 mai 1990 visant la mise en œuvre du droit au logement (dite loi Besson no 1) affirme, dans son article 1, que la garantie du droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation et dispose que toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir. L’article 2 de la loi prescrit l’établissement, dans chaque département, d’un plan départemental d’action pour le logement des personnes défavorisées comportant les mesures qui doivent permettre aux personnes visées à l’article 1 d’accéder à un logement indépendant ou de s’y maintenir. La loi prévoit également la création d’un fonds de solidarité pour le logement. L’article 28 de la loi impose l’obligation pour les communes de plus de 5 000 habitants de créer des aires d’accueil pour les gens du voyage, ainsi que la mise en place d’un schéma départemental prévoyant les conditions d’accueil spécifiques des gens du voyage, y compris les conditions de scolarisation des enfants et celles d’exercice d’activités économiques. Aux termes du même article, dès la réalisation de l’aire d’accueil, le maire peut, par arrêté, interdire le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal. c) La loi 2000-614 du 5 juillet 2000 i) Rédaction en vigueur au moment des faits L’article 1 de la loi du 5 juillet 2000 (dite loi Besson no 2) dispose que les communes participent à l’accueil des gens du voyage et prescrit l’élaboration dans chaque département, au vu d’une évaluation préalable des besoins et de l’offre existante (notamment de la fréquence et de la durée des séjours des gens du voyage, des possibilités de scolarisation des enfants, d’accès aux soins et d’exercice des activités économiques), d’un schéma départemental prévoyant les secteurs géographiques d’implantation des aires permanentes d’accueil et les communes où celles-ci doivent être réalisées. La loi précise que les communes de plus de 5 000 habitants figurent obligatoirement au schéma départemental, qui doit être révisé au moins tous les six ans. Elle prévoit que les communes concernées doivent réaliser les investissements nécessaires dans un délai de deux ans suivant la publication du schéma départemental. Ce délai a été prorogé à plusieurs reprises, et finalement fixé au 31 décembre 2008, date jusqu’à laquelle les communes pouvaient bénéficier des subventions de l’État. La loi du 1er août 2003 relative à l’orientation et à la programmation pour la ville et la rénovation urbaine a apporté un assouplissement aux obligations communales. Son article 15 prévoit en effet que les communes de moins de 20 000 habitants dont la moitié de la population habite en zone urbaine sensible peuvent à leur demande être exemptées de l’obligation de réaliser des aires d’accueil. Selon l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000, les maires des communes s’étant conformées aux dispositions du schéma départemental peuvent prendre un arrêté municipal interdisant le stationnement des résidences mobiles en dehors des aires d’accueil spécialement aménagées et, en cas de stationnement en violation de l’arrêté, peuvent saisir en référé le président du tribunal de grande instance pour faire ordonner l’évacuation forcée. Le même article précise que ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque les personnes visées sont propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent, lorsqu’elles disposent d’une autorisation, ou lorsqu’il s’agit d’un terrain aménagé dans les conditions prévues l’article L. 443-3 du code de l’urbanisme (paragraphe 48 ci-dessus). Tel que modifié par la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, l’article 9 précité dispose que le juge saisi par voie de requête peut étendre les effets de l’ordonnance de référé à l’ensemble des occupants du terrain non visés par l’ordonnance initiale lorsque le requérant démontre l’impossibilité de les identifier. L’article 58 de la loi précitée du 18 mars 2003 a par ailleurs inséré dans la loi du 5 juillet 2000 un nouvel article 9-1 qui prévoit que, dans les communes non inscrites au schéma départemental (à savoir les communes de moins de 5 000 habitants qui ne sont pas soumises à des obligations en matière d’accueil des gens du voyage), le maire peut saisir, par voie d’assignation délivrée aux occupants, le président du tribunal de grande instance afin de faire ordonner l’évacuation forcée des résidences mobiles installées sur un terrain privé n’appartenant pas à la commune, lorsque le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques. Cette loi a en outre créé une nouvelle disposition du code pénal réprimant l’installation illicite en réunion sur un terrain appartenant, soit à une commune s’étant conformée à ses obligations en vertu du schéma départemental ou n’y étant pas inscrite, soit à toute autre personne (nouvel article 322-4-1 du code pénal). Cette infraction est punie de six mois d’emprisonnement et 3 750 EUR d’amende et peut entraîner la suspension pour trois ans au plus du permis de conduire, ainsi que la confiscation du ou des véhicules automobiles. ii) Modifications ultérieures La loi 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a modifié les articles 9 et 9-1 de la loi du 5 juillet 2000. Dans sa nouvelle rédaction, l’article 9 institue une procédure d’évacuation accélérée et administrative : il dispose en effet qu’en cas de stationnement en violation de l’arrêté municipal (voir paragraphe 52 cidessus) le maire peut, si le stationnement est de nature à porter atteinte à salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. Elle est notifiée aux occupants et publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Lorsqu’elle n’a pas été suivie d’effets dans le délai fixé et n’a pas fait l’objet d’un recours (voir cidessous), le préfet peut procéder à l’évacuation forcée. Le fait de ne pas se conformer à l’arrêté municipal est puni de 3 750 EUR d’amende. Les personnes visées par la mise en demeure peuvent, dans le délai fixé par celle-ci, demander son annulation au tribunal administratif. Le recours est suspensif ; le président du tribunal ou son délégué statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine. La loi précitée du 5 mars 2007 a également modifié l’article 9-1 en étendant aux communes non inscrites au schéma départemental et non mentionnées à l’article 9 la procédure de mise en demeure et d’évacuation que cet article prévoit dans sa nouvelle rédaction Par décision (no 2010-13 QPC) du 9 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré les articles 9 et 9-1 précités conformes à la Constitution, dans les termes suivants : « Considérant que l’évacuation forcée des résidences mobiles instituée par les dispositions contestées ne peut être mise en œuvre par le représentant de l’État qu’en cas de stationnement irrégulier de nature à porter une atteinte à la salubrité, à la sécurité ou à la tranquillité publiques ; qu’elle ne peut être diligentée que sur demande du maire, du propriétaire ou du titulaire du droit d’usage du terrain ; qu’elle ne peut survenir qu’après mise en demeure des occupants de quitter les lieux ; que les intéressés bénéficient d’un délai qui ne peut être inférieur à vingt-quatre heures à compter de la notification de la mise en demeure pour évacuer spontanément les lieux occupés illégalement ; que cette procédure ne trouve à s’appliquer ni aux personnes propriétaires du terrain sur lequel elles stationnent, ni à celles qui disposent d’une autorisation délivrée sur le fondement de l’article L. 443-1 du code de l’urbanisme, ni à celles qui stationnent sur un terrain aménagé dans les conditions prévues à l’article L. 443-3 du même code ; qu’elle peut être contestée par un recours suspensif devant le tribunal administratif ; que, compte tenu de l’ensemble des conditions et des garanties qu’il a fixées et eu égard à l’objectif qu’il s’est assigné, le législateur a adopté des mesures assurant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les autres droits et libertés (...) » d) La loi 2007-290 du 5 mars 2007 La loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (dite loi DALO) pose le principe que toute personne qui a effectué une demande de logement et qui n’a pas reçu de proposition adaptée à sa demande, c’estàdire tenant compte de ses besoins et capacités, peut saisir une commission de médiation dans son département, puis exercer, dans certains cas, un recours devant le tribunal administratif au titre du droit au logement opposable. Le recours devant la commission de médiation est ouvert notamment aux personnes qui sont menacées d’expulsion sans relogement et qui remplissent certaines conditions. La réception du dossier donne lieu à la délivrance d’un accusé de réception dont la date constitue le point de départ du délai laissé à la commission pour se prononcer sur le caractère prioritaire ou non de la demande. La commission de médiation émet un avis sur le caractère prioritaire ou non de la demande en tenant compte des besoins et capacités du demandeur selon une liste de critères ; elle rend sa décision dans un délai de trois ou six mois selon les départements à compter de la date de l’accusé de réception et la notifie au demandeur en précisant les motifs d’attribution ou de refus. Elle lui indique qu’en cas de refus d’une proposition de logement adaptée à ses besoins et capacités, il pourra perdre le bénéfice de la décision le reconnaissant prioritaire et devant être logé en urgence. Lorsqu’elle considère que la demande est prioritaire et qu’un logement doit lui être attribué en urgence, elle transmet la demande au préfet avec les caractéristiques que doit avoir le logement. À compter de la décision de la commission de médiation, le préfet dispose d’un délai de trois ou six mois selon les départements pour faire des propositions de logement adaptées aux besoins et capacités du demandeur. Passé ce délai, le demandeur qui n’a pas reçu de proposition adaptée peut exercer un recours devant le tribunal administratif dans un délai de quatre mois à compter de la fin du délai laissé au préfet pour faire ses propositions de logement. Ce recours est également ouvert aux personnes reconnues prioritaires et devant être logées d’urgence qui n’ont pas reçu, dans les délais fixés par chaque préfecture en fonction des circonstances locales, de proposition adaptée à une demande de logement social. L’article 51 de la loi ouvre aux gens du voyage la possibilité de se faire domicilier auprès d’un organisme agréé ou d’un centre communal d’action sociale en vue de prétendre à des prestations sociales, à la délivrance d’un titre d’identité, à l’inscription sur les listes électorales ou à l’aide juridique. La jurisprudence du Conseil constitutionnel Le Conseil constitutionnel a affirmé dans une décision du 19 janvier 1995 (no 94-359 DC), que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent était un objectif de valeur constitutionnelle. Dans une décision du 10 mars 2011 (no 2011-625 DC), le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 90 de la loi du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Cet article prévoyait, en cas d’installation illicite en réunion sur un terrain appartenant à une personne publique ou privée en vue d’y établir des habitations, comportant de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques, la même procédure administrative de mise en demeure par le préfet suivie d’une évacuation forcée que celle prévue par l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 (paragraphe 56 ci-dessus). Le Conseil constitutionnel s’est exprimé dans les termes suivants : « Considérant que les mesures de police administrative susceptibles d’affecter l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté d’aller et venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnées à cet objectif ; Considérant que le premier alinéa du paragraphe I de l’article 90 précité donne au représentant de l’État dans le département (...) la possibilité de mettre les personnes occupant le terrain d’autrui de façon illicite en demeure de quitter les lieux dès lors qu’elles se sont installées en réunion en vue d’y établir des habitations et que cette installation comporte de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques ; que, dans cette mesure, les dispositions contestées sont justifiées par la nécessité de sauvegarder l’ordre public et proportionnées à cet objectif ; Considérant, toutefois, que les deuxième et troisième alinéas du même paragraphe permettent au représentant de l’État de procéder à l’évacuation forcée des lieux lorsque la mise en demeure de les quitter dans le délai de quarante-huit heures minimum fixé par cette dernière n’a pas été suivie d’effet et n’a pas fait l’objet du recours suspensif prévu par le paragraphe II ; que ces dispositions permettent de procéder dans l’urgence, à toute époque de l’année, à l’évacuation, sans considération de la situation personnelle ou familiale, de personnes défavorisées et ne disposant pas d’un logement décent ; que la faculté donnée à ces personnes de saisir le tribunal administratif d’un recours suspensif ne saurait, en l’espèce, constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation qui ne serait pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis. » Le rapport de 2008 et l’avis de 2012 de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme La Commission nationale consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a adopté en février 2008 un rapport intitulé « Étude et propositions sur la situation des Roms et des gens du voyage en France », dans lequel elle fait un certain nombre de constats et formule des recommandations. S’agissant du logement des gens du voyage, la CNCDH constate que si la loi reconnaît la caravane comme « habitation » donnant lieu à une taxe équivalente à la taxe d’habitation (la taxe sur les résidences mobiles terrestres, instituée par la loi de finances 2006 du 30 décembre 2005 et dont l’entrée en vigueur a été repoussée à la période d’imposition s’étendant du 1er octobre 2011 au 30 septembre 2012), elle ne la reconnaît pas comme « logement », ce qui conduit à priver les gens du voyage de tous les bénéfices sociaux liés au droit au logement (aides au logement et accompagnement social lié à ce dernier, droit au logement opposable) et à générer des difficultés dans l’accès à certains dispositifs administratifs. La CNCDH observe que les possibilités de stationnement sont de plus en plus réduites par la multiplication de réglementations et d’interdictions. Elle souligne les difficultés d’application de la loi Besson du 5 juillet 2000 (paragraphes 50-55 ci-dessus), en raison de réticences locales, de l’insuffisante prise en compte des besoins des intéressés en habitat adapté aux longs séjours et d’une application restrictive de l’article 9 de la loi Besson précitée, dont les dispositions ont encore été durcies par les lois des 18 mars 2003 et 5 mars 2007 (paragraphes 53-57 ci-dessus). En conclusion, la CNCDH recommande notamment la reconnaissance de la caravane comme un logement en tant que tel, permettant ainsi l’accès aux droits et aides au logement, l’application effective des nouvelles dispositions du code de l’urbanisme pour les stationnements de longue durée des caravanes, et la suppression de l’article 9 de la loi Besson. Dans un « avis sur le respect des droits des gens du voyage et des Roms migrants » adopté le 22 mars 2012, la CNCDH rappelle ses recommandations de 2008 en matière de logement des gens du voyage et préconise notamment que la loi sur le droit au logement opposable, dite loi DALO, s’applique aux familles du voyage qui souhaitent se sédentariser, en leur permettant de bénéficier, dans le cadre de cette loi, de l’aménagement de leur terrain familial, et que les besoins d’habitat pour les gens du voyage figurent dans la planification budgétaire des financements de logement social. La CNCDH observe que la mise en œuvre de la loi Besson reste encore très partielle et s’est même ralentie et s’interroge sur l’opportunité du maintien de la pénalisation du stationnement irrégulier de caravanes instituée par l’article 53 de la loi du 18 mars 2003. Elle souligne de nouveau que le désir d’ancrage territorial d’une partie des gens du voyage est une question essentielle à laquelle les réponses sont encore très insuffisantes et renvoie notamment aux analyses du rapport du sénateur Hérisson (voir paragraphes 68-71 ci-dessous) sur la nécessité, pour l’État, de soutenir les opérations d’habitat adapté (terrains familiaux) complémentaire des aires d’accueil temporaire. Elle relève que le nombre de places en terrains familiaux financés est très faible, ce qui explique notamment l’installation de gens du voyage sur des terrains dont ils sont propriétaires, le plus souvent situés en zones non constructibles et dont l’occupation pose des questions inédites, notamment d’accès à l’eau et l’électricité. Le rapport Hérisson Dans un rapport remis au premier ministre en juillet 2011, intitulé « Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun », le sénateur Hérisson aborde notamment la question du logement des gens du voyage. Il souligne que le phénomène d’ancrage territorial de plus en plus marqué nécessite de développer des solutions alternatives aux aires d’accueil aménagées, qui ont en réalité pour objet principal de satisfaire les besoins d’une population en partie en voie de sédentarisation. Il note que l’impossibilité d’accéder aux aires conduit les gens du voyage à stationner illicitement. Observant que la présence d’une caravane reste souvent l’élément central de leur culture, le rapport conclut qu’il faut donc encourager une forme d’habitat adapté à ceux d’entre eux qui ne voyagent plus, ou réduisent leurs déplacements. Cet habitat peut prendre diverses formes : - les terrains familiaux locatifs (sans habitat en dur) permettant de fixer sur un territoire un groupe familial sans renoncer, le cas échéant, à quelques mois de voyage ; - l’habitat mixte permettant une construction en dur destinée à l’habitation tout en maintenant la présence de caravanes et les maisons ultrasociales (MUS) bénéficiant de financements par le biais du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) et ouvrant droit à l’aide publique au logement ; - enfin, le logement social en immeuble collectif qui peut répondre à la demande de familles sédentarisées depuis un certain temps. Le rapport préconise de réaliser un diagnostic des besoins en habitat adapté à l’occasion de la révision des schémas départementaux et d’envisager des actions dans le cadre des instruments existants (notamment plans d’action pour le logement des personnes défavorisées (PALPD), plans locaux d’habitat (PLH), voire maîtrise d’œuvre urbaine et sociale (MOUS) en vue de résorber l’habitat indigne) et d’adapter les règles locales d’urbanisme, ainsi que la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. S’agissant des terrains familiaux, qu’il propose de faire figurer en tant que tels dans les schémas départementaux, le rapport observe qu’il s’agit de petites structures susceptibles d’accueillir une ou deux familles, permettant une vie semi-sédentaire autour d’une caravane et non d’un immeuble et facilitant l’intégration dans la population environnante en raison de leur taille limitée. Selon le rapport, une modification des dispositions législatives pourrait permettre le maintien de la caravane durant une durée supérieure aux trois mois actuellement autorisés par le code de l’urbanisme, et s’appliquer également aux terrains privés, souvent inconstructibles, acquis par certaines familles du voyage. Le rapport de la Cour des comptes La Cour des comptes a publié en octobre 2012 un rapport thématique sur l’accueil et l’accompagnement des gens du voyage, qui dresse un bilan de la politique mise en œuvre dans le cadre de la loi du 5 juillet 2000. La Cour des comptes fait tout d’abord le constat général d’un ancrage territorial croissant des gens du voyage (dont elle estime le nombre à un minimum de 250 000 à 300 000 personnes), en raison de plusieurs facteurs : le vieillissement de la population et les problèmes de santé qui peuvent en résulter, la précarisation d’une partie des gens du voyage qui conduit à une mobilité plus réduite en raison du coût associé au mode de vie itinérant et la recherche d’une scolarisation continue des enfants. La Cour des comptes rappelle que l’objectif premier de la loi du 5 juillet 2000 était de définir un équilibre satisfaisant entre, d’une part, la liberté constitutionnelle d’aller et venir et l’aspiration des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes, et, d’autre part, le souci des élus locaux d’éviter des installations illicites. Elle relève qu’en Europe, outre la France, seule l’Irlande a mis en place une obligation d’organisation de l’accueil des gens du voyage par les collectivités territoriales. Les schémas départementaux d’accueil des gens du voyage prévus par la loi sont conçus comme pivots des dispositifs spécifiques pour organiser cet accueil. Ces schémas départementaux prévoyaient au total la création de 41 569 places réparties en 1 867 aires d’accueil et la réalisation de 350 aires de grand passage. S’agissant des aires d’accueil, la Cour des comptes constate qu’au 31 décembre 2010, seules 52% des places avaient été réalisées (26% dans le Val d’Oise). La Cour des comptes observe par ailleurs que la loi du 5 juillet 2000, centrée sur le dispositif d’accueil prévu pour les gens du voyage itinérants, accorde une place limitée à l’habitat des gens du voyage en voie de sédentarisation, sédentarisés ou ayant un besoin d’ancrage territorial. En la matière, cette loi ne crée pas d’obligations et se limite à inciter les communes à mettre en place des solutions adaptées. Or, la Cour des comptes relève que, selon les acteurs associatifs, la proportion des gens du voyage en demande d’ancrage territorial peut atteindre 60 à 70 % dans les zones urbaines denses, notamment en Ile-de-France. Cet ancrage se fait sur des terrains publics ou privés, achetés ou loués, ou occupés sans titre, de manière conforme ou non conforme au droit de l’urbanisme. La Cour des comptes souligne que, encore trop peu prise en compte dans les schémas départementaux et les plans départementaux d’aide au logement des personnes défavorisés, l’offre d’habitat adapté (terrains familiaux locatifs ou en pleine propriété, habitat mixte (construction en dur destinée à l’habitation tout en maintenant la présence de caravanes), logements de droit commun) reste limitée au regard des besoins identifiés. Constatant notamment que sur la période 2004-2011, seules 733 places en terrains familiaux ont été financées et 498 sont mises en service (dont 63 dans le Val d’Oise), elle conclut que le développement des terrains familiaux apparaît insuffisant au regard des besoins identifiés dans les schémas départementaux. La Cour des comptes constate également que les opérations d’habitat adapté financées à l’aide du prêt locatif aidé d’intégration (PLAI) sont peu nombreuses. Enfin, les réponses apportées aux besoins spécifiques des gens du voyage sédentarisés sont marquées par des incertitudes : ainsi, les conditions de versement des aides au logement pour les occupants des terrains familiaux, la possibilité de proposer ou non un habitat aux gens du voyage dans le cadre des recours prévus par la loi sur le droit au logement opposable (DALO), et les modalités de régularisation des situations d’ancrage territorial sur des terrains privés en infraction avec le droit de l’urbanisme ne sont pas fixées de manière précise. En conclusion, la Cour des comptes recommande notamment d’inscrire au sein des schémas départementaux révisés les objectifs chiffrés de réalisation des projets de terrains familiaux pour favoriser leur mise en œuvre et de lever les incertitudes qui caractérisent les réponses aux besoins spécifiques des gens du voyage sédentarisés : modalités d’attribution et de calcul des aides au logement pour les occupants des terrains familiaux, possibilité de proposer un relogement en habitat adapté dans le cadre du droit au logement opposable et identification des situations de sédentarisation en infraction avec le droit de l’urbanisme qui peuvent faire l’objet d’une régularisation. B. Le Conseil de l’Europe Réclamations collectives devant le Comité européen des Droits sociaux a) Réclamation no33/2006 Mouvement international ATD Quart Monde c. France Le 26 janvier 2006, le Mouvement international ATD Quart Monde a saisi le Comité européen des Droits sociaux du Conseil de l’Europe (ciaprès le Comité) d’une réclamation (no 33/2006) visant à voir constater le non-respect par la France de certains de ses engagements en vertu de la charte sociale européenne révisée, à l’égard des personnes vivant dans une situation de grande pauvreté. La réclamation qui exposait, à titre d’exemple parmi d’autres, la situation des familles du bois du TrouPoulet, visait le droit au logement (article 31 de la Charte révisée), le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale (article 30), le droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique (article 16) et le principe de non-discrimination (article E). Dans sa décision du 5 décembre 2007 sur le bien-fondé de la réclamation, le Comité a conclu en premier lieu, à la violation de l’article 31 § 2 de la Charte révisée au motif que, si par certains aspects le système français était conforme aux principes directeurs, il n’apportait pas, ni dans les textes, ni dans la pratique, les garanties exigées en matière de relogement ; le Comité a donc considéré qu’eu égard au nombre élevé d’arrêtés d’expulsion (dus à l’insolvabilité ou à une occupation fautive), et compte tenu du risque que l’expulsion ne conduise durablement à l’état de sans-abri, l’absence de garanties quant aux possibilités d’obtenir un relogement stable et accessible avant la date de l’expulsion était contraire à l’article 31 § 2 précité. Le Comité a conclu en outre à la violation de l’article 31 § 3 de la Charte révisée en raison de l’insuffisance manifeste de l’offre de logements d’un coût accessible aux personnes les plus défavorisées, des modalités d’attribution des logements sociaux à ces personnes et de l’insuffisance des voies de recours en cas de délais d’attribution trop longs. Il a conclu également à la violation de l’article 30 de la Charte révisée en raison du manque d’approches coordonnées pour promouvoir l’accès effectif au logement des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d’exclusion sociale ou de pauvreté, ainsi que de l’article 30 combiné avec l’article E de la Charte révisée. Par ailleurs, le Comité a conclu à la violation de l’article 31 combiné à l’article E de la Charte révisée, en raison de la mise en œuvre insuffisante de la législation relative aux aires d’accueil pour les gens du voyage. Sur ce point, il a relevé que la loi précitée du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, qui fait obligation aux communes de plus de 5 000 habitants de se doter d’un plan prévoyant l’implantation d’aires permanentes d’accueil pour les gens du voyage, n’avait été suivie d’effet que dans une minorité de ces communes. En particulier, il a noté que le gouvernement reconnaissait qu’il manquait 48 000 places, a constaté « que la mise en œuvre insuffisante de la loi précitée a[vait] pour conséquence d’exposer les gens du voyage à l’occupation illégale de sites et à des expulsions au titre de la loi de 2003 pour la sécurité intérieure », et a observé que « malgré les efforts de l’État et des autorités locales dans ce domaine et les résultats positifs parfois obtenu, il y a[vait] une longue période de défaut de prise en compte par les collectivité locales, comme par l’État, des besoins spécifiques des Roms et des gens du voyage ». b) Réclamation no 51/2008 Centre européen des Droits des Roms (CEDR) c. France Le CEDR a saisi le Comité le 17 avril 2008 d’une réclamation collective (no 51/2008), dans laquelle il faisait valoir que les gens du voyage étaient victimes en France d’injustice, d’exclusion sociale et de discrimination dans l’accès au logement, en raison notamment du nombre insuffisant des aires d’accueil et des évictions forcées. Dans sa décision du 19 octobre 2009 sur le bien-fondé de cette réclamation, le Comité a réitéré la conclusion à laquelle il était parvenu dans sa décision sur la réclamation no 33/2006 (paragraphe 83 ci-dessus), selon laquelle la mise en œuvre insuffisante de la législation relative aux aires d’accueil pour les gens du voyage (32% des places inscrites aux schémas départementaux) constituait une violation de l’article 31 § 1 de la Charte révisée et a de nouveau relevé que cette insuffisance avait pour conséquence d’exposer les gens du voyage à des expulsions au titre de la loi précitée de 2003. S’agissant de la situation particulière des gens du voyage sédentarisés, le Comité a noté ce qui suit (§§ 59-60) : « Le Comité note que, selon la législation française, les caravanes ne sont pas considérées comme un logement parce qu’elles ne sont pas soumises au permis de construire. De plus, le fait d’habiter dans une caravane ayant conservé des moyens de mobilité n’ouvre pas droit aux aides au logement. Enfin, l’achat de caravanes ne donne pas droit à un prêt au logement. Il ressort d’une enquête réalisée par la Fondation Abbé Pierre que de nombreuses familles des gens du voyage sont bloquées dans leur projet d’acquisition par des difficultés à accéder à des prêts immobiliers et ont tendance à acquérir des terrains qui ne sont pas en zones constructibles en raison de la carence de terrains familiaux (...) Le Comité constate que même si certains départements ont mis en place des subventions pour créer des terrains familiaux, concrètement, la création de ces terrains reste faible par rapport à la demande. Le Comité note que le Gouvernement déclare que le droit au logement opposable s’applique aux gens du voyage désirant acquérir un logement ordinaire. Or, cette possibilité ne tient pas compte du mode de vie en caravanes des gens du voyage sédentarisés. Malgré les efforts de l’État et des autorités locales et les résultats positifs parfois obtenus, il y a une absence de moyens mis en œuvre et un défaut de prise en compte par les collectivités locales, comme par l’État, des besoins spécifiques des gens du voyage sédentarisés. Le Comité dit par conséquent que la situation constitue une violation de l’article 31 § 1 de la Charte révisée. » Le Comité a conclu également à la violation de l’article E combiné avec l’article 31 de la Charte révisée, au motif que les gens du voyage faisaient l’objet de discrimination dans la mise en œuvre du droit au logement, en raison de l’absence de prise en compte de leurs différences spécifiques, ainsi qu’à la violation de l’article 30, en raison de l’absence d’une approche coordonnée pour promouvoir l’accès au logement des familles de gens du voyage, notamment sédentarisées. c) Réclamation no 64/2011 Forum européen des Roms et Gens du Voyage c. France Le 28 janvier 2011, le Forum européen des Roms et Gens du Voyage a saisi le Comité des Droits sociaux d’une réclamation collective dans laquelle il faisait notamment valoir que les gens du voyage et les Roms d’origine roumaine et bulgare étaient victimes en France d’une discrimination systématique dans la jouissance du droit au logement, en raison des conditions particulièrement précaires de leurs logements, de la manière dont ils en étaient expulsés, ainsi que des difficultés qu’ils rencontraient concernant notamment l’accès aux logements sociaux. Le Forum invoquait les articles E, 30, 31 et 16 de la Charte révisée. Dans sa décision du 24 janvier 2012 sur le bien-fondé de la réclamation, le Comité a estimé, en ce qui concernait plus particulièrement les places de stationnement dans les aires d’accueil, que des progrès mesurables avaient été accomplis par les autorités françaises, qui avaient mis place de façon adéquate des moyens financiers à cette fin. Toutefois, constatant qu’à la fin 2010 les objectifs fixés par les schémas départementaux n’avaient été réalisés qu’à hauteur de 52% et que l’État ne démontrait pas s’être subrogé de façon suffisante aux communes défaillantes, il a conclu que le défaut de mise en œuvre en pratique des dispositions destinées à garantir aux gens du voyage un égal accès au logement constituait une discrimination dans la jouissance effective de ce droit et constituait une violation de l’article E combiné avec l’article 31 § 1 de la Charte. Le Comité a observé par ailleurs que l’exécution de la procédure d’évacuation administrative exposait plus que quiconque les gens du voyage au risque de devenir sans abri parce que les conditions de stationnement régulier étaient trop limitées et que, par conséquent, il ne leur était pas offert de logement tenant compte de leur mode spécifique d’habitat. Il a donc estimé que l’exécution de la procédure d’évacuation forcée était contraire à l’article E combiné avec l’article 31 § 2 de la Charte. Il a également conclu à la violation de l’article E combiné avec l’article 31 § 3 de la Charte, au motif que l’accès au logement social pour les gens du voyage et les Roms souhaitant habiter dans des résidences mobiles n’était pas effectif, ainsi qu’à la violation de l’article E combiné avec l’article 16 de la Charte. Recommandation du Comité des Ministres Dans sa recommandation de 2005 relative à l’amélioration des conditions de logement des Roms et des gens du voyage en Europe (Rec(2005)4), le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a invité les États membres à affirmer le droit au libre choix du mode de vie, sédentaire ou itinérant et à élaborer un cadre politique et juridique global pour que les populations sédentaires et itinérantes puissent exercer leur droit à un logement convenable. Concernant les campements illégaux de Roms et gens du voyage, le Comité des Ministres a préconisé que les pouvoirs publics recourent à des mesures proportionnées, par le biais soit de la négociation soit de l’action juridique, et s’efforcent de trouver autant que possible des solutions acceptables par toutes les parties. En cas d’évictions légales, il a recommandé que les Roms et gens du voyage se voient fournir, sauf en cas de force majeure, un logement de substitution et a préconisé les mesures suivantes : concertation avec la communauté ou la personne concernée, délai de notification raisonnable, communication d’informations, garantie que l’expulsion sera conduite de manière raisonnable, voies de recours juridique effectives, et gratuité ou coût modique de l’assistance juridique pour les personnes concernées. Résolution de l’Assemblée Parlementaire Dans sa résolution 1740(2010), l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe a noté que le processus d’intégration des Roms et gens du voyage n’avait pas atteint ses objectifs ces vingt dernières années. Observant que leur situation en matière d’éducation, d’emploi, de logement, de santé et de participation politique était loin d’être satisfaisante, l’Assemblée se disait convaincue qu’un accès effectif et stable à l’éducation et à un logement convenable étaient les premières mesures décisives pour briser le cercle vicieux de la discrimination dans lequel ils étaient enfermés. S’agissant du logement, l’Assemblée demandait notamment aux États membres de prendre des mesures urgentes pour empêcher les expulsions forcées des campements et des quartiers roms et de gens du voyage, et – en cas d’expulsion inévitable – de s’assurer que ces expulsions soient menées uniquement après que toutes les protections procédurales requises au titre de la législation internationale en matière de droits de l’homme eurent été mises en place, y compris les dispositions concernant les possibilités de relogement convenable et d’indemnisation suffisante pour expropriation et pertes liées aux biens meubles endommagés pendant l’expulsion. Textes du Commissaire aux Droits de l’Homme a) Déclaration conjointe du 24 octobre 2007 du Commissaire aux Droits de l’Homme et du Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le logement convenable Dans une déclaration conjointe du 24 octobre 2007, le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et le Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le logement convenable ont déploré que les droits au logement des Roms soient bafoués dans plusieurs pays d’Europe et ont signalé recevoir un nombre croissant de plaintes à ce sujet concernant un nombre considérable d’États européens, ayant trait en majorité à des expulsions de communautés et familles roms en violation des normes sur les droits de l’homme. Réaffirmant que le droit au logement est fondamental pour jouir d’autres droits, ils appelaient les États à des efforts concertés et à une amélioration de la législation, de la politique et de la pratique. Ils préconisaient notamment le renforcement des dispositions juridiques internes en vue de garantir la sécurité du droit d’occupation pour tous les groupes et personnes vulnérables, la mise en conformité des réglementations sur les expulsions forcées avec les instruments internationaux et l’institution de recours et mesures de réparation appropriés ; ils invitaient en outre les États à cesser de recourir à des mesures relevant du droit pénal pour empêcher les modes de vie itinérants, à réserver des terrains adéquats aux gens du voyage dans les pays ou régions où ces communautés existent et à officialiser et mettre aux normes les campements non autorisés de Roms. b) Mémorandum de 2008 À la suite de sa visite en France du 21 au 23 mai 2008, le Commissaire aux Droits de l’Homme a rédigé un mémorandum dans lequel il relevait, à propos des gens du voyage, que le principal problème auquel ils sont confrontés concerne la nonreconnaissance de leur mode de vie nomade. Il observait que les autorités locales étaient réticentes à mettre en en œuvre la loi Besson (loi du 5 juillet 2000), ce qui conduisait à une carence de places disponibles. Ainsi, huit ans après son adoption, 32 % des places prévues étaient-elles réalisées au 31 décembre 2007. Il notait que l’obligation de rotation des familles sur les aires de stationnement, en raison des durées maximales de séjour prévues les conduisait, faute d’alternatives, à vivre en stationnement irrégulier et contribuait à créer des tensions ; il observait en outre que les sanctions étaient particulièrement sévères en cas de stationnement sur des terrains non autorisés et que la loi du 5 mars 2007 facilitait encore davantage l’expulsion en supprimant le recours préalable à une procédure judiciaire. En conclusion, le Commissaire invitait les autorités françaises à assurer une application effective de la loi Besson. c) Recommandation de 2009 Dans sa recommandation du 30 juin 2009 sur la mise en œuvre du droit au logement (CommDH(2009)5), le Commissaire, faisant le constat que les Roms et les gens du voyage sont souvent victimes de discriminations dans le domaine du logement, préconisait notamment aux États membres d’intégrer les droits relatifs au logement dans le champ de la législation antidiscriminatoire générale et de préciser que des mesures positives sont justifiées pour promouvoir une égalité pleine et effective, à la condition qu’elles répondent à une justification objective et raisonnable. Il leur recommandait en outre d’adopter et mettre en œuvre une stratégie nationale du logement, qui devrait notamment identifier les groupes défavorisés et vulnérables et comprendre des mesures positives permettant à ces derniers de jouir effectivement du droit au logement. d) Document de synthèse du 15 septembre 2010 Le Document de synthèse du Commissaire du 15 septembre 2010 concernant les droits de l’homme des Roms comporte une partie « accès à un logement convenable », qui réitère la nécessité de garantir aux Roms le droit de vivre dans un logement convenable conformément aux normes juridiques internationales, de leur permettre de bénéficier de tous les services collectifs, de garantir la sécurité d’occupation des logements et de veiller à ce que les conditions de vie respectent la dignité des habitants. Le Commissaire appelle les États à cesser les expulsions forcées pratiquées au mépris des normes relatives aux droits de l’homme et des garanties de procédure, dont il découle que ces expulsions ne peuvent être pratiquées que dans des circonstances exceptionnelles et de manière raisonnable. Le Commissaire rappelle que toute personne concernée doit pouvoir demander à la justice de contrôler la légalité d’expulsions prévues (avant qu’il n’y soit procédé), ce qui implique l’existence à la fois de voies de recours et de possibilités d’aide juridique. Il insiste sur la nécessité de rechercher des solutions permettant d’éviter les expulsions, dans le cadre d’une véritable consultation des personnes concernées. Si des expulsions doivent malgré tout avoir lieu, il rappelle que les États doivent proposer une indemnisation et une réinstallation adéquate, et que ces normes s’imposent aussi aux collectivités locales. Il préconise également que les États mettent leur protection juridique contre les expulsions forcées en conformité avec le droit international, notamment avec la jurisprudence de la Cour et du Comité européen des Droits sociaux, et les encourage à appliquer les « principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement », élaborés par le Rapporteur spécial sous l’égide du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (www2.ohchr.org/english/issues/housing/docs/guidelines_fr.pdf). Le Commissaire estime en outre que, dans les pays qui comptent des gens du voyage, la législation devrait imposer aux collectivités locales l’obligation de mettre à leur disposition des aires d’accueil prévues pour le stationnement des caravanes durant une période plus ou moins longue, dotées d’infrastructures permettant d’assurer des conditions de vie décentes. Il préconise en outre que les plans d’urbanisme prévoient la possibilité pour les gens du voyage d’habiter dans des caravanes installées sur des terrains privés et que ces derniers puissent réellement le faire en pratique. C. L’Union européenne L’Agence des Droits fondamentaux de l’Union européenne a établi en octobre 2009 un rapport comparatif sur les conditions de logement des Roms et gens du voyage dans l’Union européenne. Elle a relevé notamment ce qui suit : « Les Roms et les Travellers qui n’ont pas accès à d’autres types de logement peuvent se résoudre à construire sans autorisation des maisons ou des hébergements de fortune, souvent sur des terrains publics ou privés qui ne leur appartiennent pas, sans aucune garantie de l’occupation et sous la menace constante de l’expulsion. Les expulsions forcées de masse dans les campements informels sont souvent menées sans ordonnance de tribunal et les recours contre les décisions administratives ne suspendent pas l’expulsion (...) En raison du nombre insuffisant de sites de halte permanents ou même de transit autorisés, les Travellers n’ont souvent d’autre alternative que d’occuper, même sans autorisation, un terrain sur un site public, au risque d’être expulsés, ce qui constitue un grave problème pour beaucoup de Travellers.” D. Les Nations-Unies Aux termes de l’article 11 § 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les États reconnaissent à toute personne le droit à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à un logement suffisant. 100. Les observations générales nos 4 et 7 du Comité des Droits économiques, sociaux et culturels des Nations-Unies (ci-après le Comité) sur l’article 11 § 1 ont trait respectivement au droit à un logement suffisant et aux expulsions forcées. 101. Dans l’observation générale no 4, le Comité précise qu’il ne faut pas entendre le droit au logement dans un sens restreint (avoir simplement un toit au-dessus de sa tête), mais l’interpréter comme le droit à un lieu où l’on puisse vivre en sécurité, dans la paix et la dignité. Parmi les facteurs à prendre en compte pour déterminer si un logement peut être considéré comme « suffisant », le Comité cite notamment (§ 8 a) la sécurité légale de l’occupation, quel que soit le régime d’occupation (y compris l’occupation précaire), l’existence de services, matériaux, équipements et infrastructures (§ 8 b) et un plein accès au logement, en particulier pour les groupes défavorisés (§ 8 e). Le Comité invite les États à donner la priorité voulue aux groupes sociaux vivant dans des conditions défavorables en leur accordant une attention particulière (§ 11), préconise l’existence de recours internes sur les différents aspects du droit à un logement suffisant (§ 17) et considère (§ 18) que les décisions d’éviction forcée sont prima facie contraires aux dispositions du Pacte et ne peuvent être justifiées que dans les situations les plus exceptionnelles et conformément aux principes applicables du droit international. 102. Selon l’observation générale no 7, lorsque l’expulsion forcée est considérée comme justifiée, elle doit se faire dans le strict respect des dispositions pertinentes de la législation internationale relative aux droits de l’homme et en conformité avec le principe général de proportionnalité ; par ailleurs, des mesures de protection en matière de procédure doivent être appliquées : a) possibilité de consulter véritablement les intéressés ; b) délai de préavis suffisant et raisonnable à toutes les personnes concernées ; c) informations sur l’expulsion envisagée et, le cas échéant, sur la réaffectation du terrain ou du logement, fournies dans un délai raisonnable à toutes les personnes concernées ; d) présence, en particulier lorsque des groupes de personnes sont visés, des agents ou des représentants du gouvernement, lors de l’expulsion ; e) identification de toutes les personnes exécutant l’arrêté d’expulsion ; f) pas d’expulsion par temps particulièrement mauvais ou de nuit, à moins que les intéressés n’y consentent ; g) accès aux recours prévus par la loi ; h) octroi d’une aide judiciaire, le cas échéant, aux personnes qui en ont besoin pour introduire un recours devant les tribunaux. Pour le Comité, il faut éviter qu’à la suite d’une expulsion, une personne se retrouve sans abri. Lorsqu’elle ne peut subvenir à ses besoins, l’État partie doit, par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement ou de réinstallation lui soient offertes.
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Nés respectivement en 1986 et 1979, les requérants résident dans la commune de Saint-Josse-ten-Noode, qui fait partie de l’arrondissement de Bruxelles-Capitale. Les requérants sont frères. Ils habitaient avec leurs parents, leur frère et leurs deux sœurs à côté du commissariat de la police locale de Saint-Josse-ten-Noode. Ils se plaignent tous deux d’avoir été giflés par des agents de police – ce que conteste le Gouvernement –, l’un le 8 décembre 2003, l’autre le 23 février 2004, et soulignent que ces événements se sont produits dans le contexte de relations tendues entre leur famille et certains membres du commissariat. A. Les événements des 8 décembre 2003 et 23 février 2004 Les événements du 8 décembre 2003 Les requérants indiquent que le 8 décembre 2003, vers 16 heures, alors que le premier d’entre eux se trouvait avec un ami dans la rue, devant la porte de l’immeuble dans lequel il habitait avec sa famille et, qu’ayant oublié ses clés, il sonnait afin que ses parents lui ouvrent, un policier en civil, A.Z., lui avait demandé de présenter sa carte d’identité. Le premier requérant n’avait pas obtempéré et avait demandé à l’agent de justifier sa qualité. Ce dernier l’avait alors empoigné par la veste – la déchirant – et l’avait conduit au commissariat. Le premier requérant avait été installé dans une salle, où il était resté seul avec l’agent A.Z., qui lui avait asséné une gifle alors qu’il protestait contre son arrestation. Les requérants produisent un certificat établi le même jour à 19 heures 20 par un médecin généraliste, qui constate que le premier d’entre eux était « en état de choc » et présentait les lésions suivantes : un « érythème au niveau de la joue gauche (en voie de disparition) » et un « érythème au niveau [du] conduit auditif externe gauche ». Le Gouvernement précise que, du fait du refus du premier requérant de montrer sa carte d’identité, l’agent A.Z. n’avait pas d’autre choix que de le conduire au commissariat pour procéder à son identification. Le premier requérant y avait alors fait un scandale en se déclarant victime d’une injustice et d’un contrôle abusif, et avait insulté un agent qui lui disait de se calmer. Il avait été autorisé à quitter le commissariat une fois son identité vérifiée et après avoir été informé par A.Z. qu’un procès-verbal allait être rédigé à son encontre pour rébellion, outrage et menaces verbales. Il était retourné au commissariat quelques minutes plus tard avec ses parents, accusant A.Z. de l’avoir frappé, ce que ce dernier a toujours démenti. Les événements du 23 février 2004 Les requérants indiquent que, le 23 février 2004, vers 10 heures, alors que le second d’entre eux se trouvait au commissariat de Saint-Josse-ten-Noode et que l’agent P.P. procédait à son audition à propos d’une altercation dans laquelle sa mère et lui avaient été impliqués avec un tiers (et qui avait conduit au dépôt d’une plainte par ce dernier), P.P. lui avait asséné une gifle après lui avoir demandé de ne pas s’accouder sur son bureau. Il l’avait ensuite contraint à signer le procès-verbal en le menaçant de le placer au cachot. Les requérants produisent un certificat médical établi le même jour par un médecin généraliste, qui constate une « contusion [à la] joue gauche » du second d’entre eux. Le Gouvernement expose que le second requérant s’était montré très arrogant durant son audition : affalé sur sa chaise, il s’appuyait nonchalamment sur le bureau de P.P., rigolait sans raison et répondait laconiquement aux questions qui lui étaient posées. Il avait de plus fait plusieurs fois modifier le procès-verbal en affirmant que les policiers étaient payés pour ça, et avait menacé les policiers en partant en criant qu’ils auraient de ses nouvelles. Il souligne que, nonobstant l’attitude du second requérant, qui cherchait manifestement le conflit, P.P. avait su faire preuve de calme et de patience. B. Le contexte dans lequel s’inscrivent ces événements Selon les requérants, leur famille fait l’objet d’un harcèlement de la part de membres de la police de Saint-Josse-ten-Noode. Ils indiquent que les problèmes ont commencé en 1999, lorsque l’un d’eux suspecta leur frère N. d’avoir volontairement rayé sa voiture. Par la suite, ce dernier avait été accusé d’avoir menacé ce même agent et d’avoir commis des vols avec violence, faits dont il avait été acquitté par un jugement du tribunal de la jeunesse de Bruxelles du 21 avril 2000. Selon les requérants, cette affaire était montée de toutes pièces à titre de représailles par des membres de la police de Saint-Josse-ten-Noode. Ils ajoutent que, le 24 juin 1999, le premier requérant, alors âgé de 13 ans, « [avait fait] l’objet de coups » de la part d’un autre policier, alors qu’il se trouvait dans le commissariat où il avait été conduit à la suite d’une bagarre sur la voie publique. Il avait eu le tympan perforé. Sa mère et l’une de ses sœurs, qui se trouvaient pendant ce temps dans la salle d’attente, avaient été secouées et molestées par des policiers. Le 25 novembre 1999, l’une de leurs sœurs aurait fait l’objet dans la rue d’une agression verbale de la part d’un policier de Saint-Josse-ten-Noode et, le 11 mars 2000, leur frère N. aurait été fouillé, bousculé et verbalement agressé par des agents de police. Ils indiquent ensuite qu’au cours de l’année 2000, un « dossier » « diligenté par la police de Saint-Josse-ten-Noode avait été ouvert contre N. auprès d’un juge d’instruction », lequel s’était soldé par un non-lieu. Cette même année, le deuxième d’entre eux avait été « signalé aux fins d’audition » et, alors que la police de Saint-Josse-ten-Noode avait annoncé le 23 juillet 2002 que sa « désignalisation » était en cours, il lui avait fallu effectuer de nombreuses démarches auprès du procureur du Roi et attendre mars 2005 pour qu’il en aille de la sorte, ce qui aurait été source de multiples désagréments. Le 6 avril 2001 et le 12 juillet 2001 respectivement, leur frère N. et le second d’entre eux auraient fait l’objet d’agressions verbales de la part d’agents de Saint-Josse-ten-Noode. Les requérants précisent qu’ils ont systématiquement rendu compte aux autorités judiciaires ou policières des incidents dont ils ont été victimes et ont déposé des plaintes. C. Les plaintes relatives aux événements des 8 décembre 2003 et 23 février 2004, la constitution de partie civile, l’instruction et le non-lieu Le 9 décembre 2003, le premier requérant déposa plainte auprès du comité permanent de contrôle des services de police (ou « comité P ») et fut entendu par un membre du service d’enquêtes. Le second requérant fit de même le 23 février 2004. Il indiqua en particulier qu’il considérait que « l’attitude générale de la police de Saint-Josse vis-à-vis de [sa] famille [devenait] proprement intolérable et excessive au point [qu’ils songeaient] à déménager ». La mère des requérants fut aussi entendue par le service d’enquêtes du comité P à propos des faits dénoncés par le second requérant ; elle déposa également plainte, indiquant par ailleurs avoir elle-même été traitée avec peu d’égard par l’agent P.P. Le 5 mai 2004, l’agent P.P. fut entendu par le directeur du contrôle interne de la police locale sur les faits dénoncés par le second requérant et sa mère. Il déclara notamment que le second requérant avait eu à son égard une attitude particulièrement irrespectueuse lorsqu’il avait procédé à son audition et que, s’il l’avait empoigné par le bras pour le faire sortir de son bureau, il ne l’avait pas giflé. Le 17 juin 2004, les requérants se constituèrent partie civile des chefs de harcèlement, atteinte arbitraire à des libertés fondamentales, abus d’autorité, arrestation arbitraire et coups et blessures volontaires. Ils donnèrent un aperçu de l’ensemble de leurs difficultés avec la police de Saint-Josse-ten-Noode, et déclarèrent explicitement se constituer partie civile pour les événements des 8 décembre 2003 et 23 février 2004. Les agents A.Z. et P.P. furent inculpés d’avoir, à l’occasion de leurs fonctions, usé de violences envers des personnes et, notamment, volontairement fait des blessures ou porté des coups, et pour avoir exécuté des actes arbitraires et attentatoires aux libertés et aux droits garantis par la Constitution. Le 26 juin 2004, un juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles émit une apostille à l’attention du service d’enquêtes du comité P, l’invitant à prendre connaissance de la constitution de partie civile des requérants, à entendre ceux-ci pour leur faire préciser les éléments de leur plainte, à réaliser un rapport sur le comportement de la famille Bouyid, à dresser la liste des dossiers ouverts à sa charge et des plaintes déposées par elle et à préciser les suites données à ceux-ci. Eu égard au fait qu’il avait déjà entendu les requérants lors du dépôt de leurs plaintes respectives (paragraphe 15), le service d’enquêtes du comité P ne procéda pas à une nouvelle audition des intéressés. Il adressa le 26 juillet 2004 au juge d’instruction un procès-verbal subséquent qui, se basant sur des documents transmis par le service de contrôle interne de la zone de police incluant Saint-Josse-ten-Noode, décrit l’évolution des relations entre la famille des requérants et la police de cette commune. Le procès-verbal fait ensuite le compte des dossiers à charge de membres de la famille, notant à cet égard que le premier requérant avait été mis en cause dans un dossier ouvert en décembre 2003 pour outrages, menaces et rébellion, et N. dans sept dossiers, ouverts entre octobre 1997 et juin 1999. Il relève ensuite qu’outre les plaintes des requérants dont il est question en l’espèce, trois plaintes judiciaires avaient été déposées par des membres de leur famille (deux devant le comité P, en juin 1999 et en juillet 2001, et une devant la « section jeunesse » en 1999) et deux plaintes avaient été traitées par le service de contrôle interne de la zone de police dont dépend Saint-Josse-ten-Noode. Enfin, reprenant un procès-verbal établi dans le cadre du dossier ouvert contre le premier requérant ainsi que les éléments révélés par les enquêtes administratives, il relève le caractère problématique des relations entre la police locale et la famille Bouyid, met en exergue « le comportement général » de cette dernière et souligne ceci : « En synthèse et selon les policiers, la famille Bouyid (surtout les femmes et la mère en particulier) refuserait toute mise en cause des enfants et de la famille à l’occasion des exactions commises. Ceux-ci seraient ainsi confrontés dans leur comportement par cette attitude protectrice. Plus généralement, les membres de la famille adopteraient une attitude agressive et provocante vis-à-vis des forces de l’ordre. Suite aux incidents avec le policier [B.], une assistante de concertation aurait échoué dans une tentative de conciliation suite à l’attitude intransigeante des femmes de la famille Bouyid. En 1999 et 2000, la situation nécessita la désignation d’un aspirant officier de police comme médiateur auprès de cette famille. » Le 3 août 2004, le juge d’instruction prit une ordonnance de soit communiqué et transmit le dossier au parquet. Le 16 novembre 2004, l’agent A.Z. fut entendu par un officier du service d’enquêtes du comité P à propos des événements du 8 décembre 2003. Il déclara notamment qu’il ne connaissait pas encore le premier requérant lorsqu’il l’a aperçu à la porte d’un immeuble, dans des circonstances suspectes selon lui. Par un réquisitoire du 10 novembre 2005, le procureur du Roi requit le non-lieu au motif que « l’instruction ne permet[tait] pas d’établir que les faits présent[aient] un crime, un délit ou une contravention et ne fourni[ssait] aucun indice justifiant l’accomplissement de nouveaux devoirs ». Les requérants furent informés que le règlement du dossier interviendrait devant la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles le 2 mars 2006. Le 1er mars 2006, ils adressèrent au juge d’instruction une requête en vue de l’accomplissement de vingt actes d’instruction complémentaires. Cette demande entraîna l’ajournement sine die de l’affaire devant la chambre du conseil. Le 7 mars 2006, le juge d’instruction ordonna deux des mesures requises et rejeta le reste de la demande aux motifs qu’il concernait des faits antérieurs aux deux faits dont il était saisi et que les devoirs sollicités n’étaient pas nécessaires à la manifestation de la vérité. En conséquence, récapitulant tous leurs griefs à l’encontre de la police de Saint-Josse-ten-Noode, les requérants et d’autres membres de la famille adressèrent au juge d’instruction une demande d’ « extension de partie civile », laquelle fut toutefois rejetée. Les deux devoirs complémentaires ont été exécutés le 25 avril, le 15 mai et le 24 mai 2006. Par une ordonnance du 27 novembre 2007, la chambre du conseil, adoptant les motifs du réquisitoire, maintenu par le procureur du Roi, dit n’y avoir lieu à poursuivre. Les requérants interjetèrent appel de cette ordonnance. Par un réquisitoire du 3 décembre 2007, le procureur général requit la confirmation de l’ordonnance entreprise. Le 5 février 2008, les requérants et d’autres membres de leur famille se constituèrent partie civile pour l’ensemble des faits dont le juge d’instruction avait estimé ne pas être saisi (paragraphe 32, ci-dessous). Le 9 avril 2008, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, après avoir refusé de joindre le dossier concernant les événements du 8 novembre 2003 et du 23 février 2004 avec le nouveau dossier, ouvert suite à la constitution de partie civile du 5 février 2008, confirma l’ordonnance par un arrêt ainsi rédigé : « (...) Attendu que les faits de la cause peuvent se résumer comme suit : - le 8 décembre 2003, l’inculpé [A.Z.] aurait eu un comportement policier illégal à l’égard de la partie civile Bouyid Saïd que celle-ci décrit comme suit : lors d’un contrôle devant son domicile, le policier [A.Z.] l’aurait attrapée par sa veste qu’il déchira ; elle fut ensuite entraînée vers le commissariat tout proche où elle aurait été giflée de la main droite par ce policer ; - le 23 février 2004, l’inculpé [P.P.] aurait eu un comportement policier illégal à l’égard de la partie civile Bouyid Mohamed que celle-ci décrit comme suit : alors qu’elle avait arrêté son véhicule devant son domicile, afin de permettre à sa mère de décharger les courses, elle eut une altercation avec le conducteur du véhicule qui suivait ; elle fut convoquée au commissariat de police suite à la plainte qui aurait été déposée par ce dernier ; lors de l’entretien, Bouyid Mohamed aurait été giflé par l’inculpé [P.P.] (voir l’attestation médicale (...)) et menacé par lui de le mettre au cachot s’il ne signait pas sa déclaration qu’il souhaitait cependant modifier ; - depuis mars 1999, la famille Bouyid connaîtrait d’énormes difficultés avec certains membres de la police de Saint-Josse-ten-Noode, date à laquelle l’agent de police [B.] soupçonne Bouyid Saïd d’avoir griffé sa voiture, ce qui fit naître une certaine tension et un acharnement de la part de la police à l’égard de cette famille ; - il existerait une provocation constante de la part de la police de Saint-Josse-ten-Noode rendant la vie de la famille Bouyid insupportable ; Attendu que tant le service de contrôle interne de la police de la zone de police [concernée] que le service d’enquêtes du comité P ont mené une enquête approfondie en rapport avec les faits dénoncés par les parties civiles ; Qu’il résulte de l’ensemble des éléments de l’instruction, et notamment des déclarations divergentes des parties en cause, qu’il n’existe aucune charge à l’égard des inculpés de nature à justifier leur renvoi du chef des préventions libellées au réquisitoire du procureur général, à la période infractionnelle retenue ; Que les déclarations des inculpés, qui nient les faits qui leur sont reprochés, sont cohérentes ; qu’il peut, à cet égard, être fait référence au rapport détaillé concernant le comportement général de la famille des parties civiles rédigé par le comité P, qui donne des éclaircissements quant au contexte général de cette affaire ; Attendu que les parties civiles n’apportent devant la cour, chambre des mises en accusation, aucun élément nouveau, pertinent et convaincant qui n’aurait pas été porté à la connaissance du premier juge, susceptible de révéler l’existence de la moindre charge dans le chef des inculpés justifiant leur renvoi devant la juridiction de fond ; Que l’instruction n’a pas davantage mis en évidence suffisamment d’éléments constitutifs d’une infraction pénale qui aurait été commise par les inculpés à l’occasion des faits qui leur sont reprochés ; Attendu en outre, qu’il n’apparaît pas du dossier que les dispositions de l’article 37 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police n’ont pas été respectées ; Que, comme le souligne tant le réquisitoire du procureur du Roi du 10 novembre 2005 que celui du procureur général, ainsi que l’ordonnance de la chambre du conseil, les faits de la cause ne présentent en l’espèce ni crime, ni délit, ni contravention ; (...). » Le pourvoi formé par les requérants – sur le fondement notamment des articles 3, 6 et 13 de la Convention – fut rejeté le 29 octobre 2008 par la Cour de cassation. La Cour de cassation considéra qu’en estimant que la plainte dans le dossier qui était soumis à la chambre des mises en accusation ne concernait que les événements du 8 décembre 2003 et du 23 février 2004, celle-ci n’avait pas donné à la constitution de partie civile une interprétation inconciliable avec ses termes. Elle considéra également que le législateur s’en était remis à la conscience des membres des juridictions d’instruction concernant l’appréciation du caractère suffisant ou insuffisant des charges réunies par l’instruction. Il s’ensuivait que, dès lors que les conclusions des parties civiles contestaient ou alléguaient l’existence en fait de charges suffisantes, la juridiction d’instruction y répondait par la simple constatation que pareilles charges existaient ou n’existaient pas. D. La constitution de partie civile concernant les événements antérieurs et la suite qui y a été donnée Le 5 février 2008, six membres de la famille Bouyid, dont les deux requérants, s’étaient constitués partie civile devant un juge d’instruction du tribunal de première instance de Bruxelles au sujet de l’ensemble des faits qu’ils reprochaient à des agents de police de Saint-Josse-ten-Noode, en particulier les faits antérieurs aux événements du 8 décembre 2003 et du 23 février 2004 (paragraphes 9 à 13 ci-dessus). Cette constitution de partie civile donna lieu à la comparution de six policiers devant le tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant au fond. Par un jugement du 30 mai 2012, le tribunal déclara l’action publique éteinte par prescription. Il ne ressort pas du dossier qu’il aurait été interjeté appel de ce jugement.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953 et réside à Brăila. Le 1er août 2000, il fut affecté à l’armée de réserve et il se vit accorder une allocation dont le montant était de 123 418 026 lei roumains (ROL), en application de l’article 31 de la loi no 138 du 20 juillet 1999 (« la loi no 138/1999 ») sur les salaires et les autres droits des militaires. Au moment du versement de cette allocation, le ministère de l’Intérieur en déduisit le montant de l’impôt sur le revenu, calculé selon les dispositions de l’ordonnance no 73 du 27 août 1999 relative à l’impôt sur le revenu (« l’ordonnance no 73/1999 »), privant ainsi le requérant de 48 442 470 ROL. Par une action dirigée contre le ministère de l’Intérieur (« le ministère »), le requérant demanda le remboursement de l’impôt perçu en faisant valoir que les lois nos 138/1999 et 56/1992 exonéraient d’impôt l’allocation à laquelle il avait droit. Le ministère contesta cette demande en arguant que les impositions en question étaient conformes à l’ordonnance no 73/1999. Par un jugement du 11 juin 2003, confirmé par un arrêt définitif de la cour d’appel de Bucarest du 9 octobre 2003, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’action du requérant contre le ministère de l’Intérieur, au motif qu’en vertu de l’article 6 f) de l’ordonnance no 73/1999 et du principe général selon lequel tout revenu est imposable, l’indemnité perçue par le requérant avait été correctement soumise à l’impôt. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence interne pertinentes sont décrites dans l’arrêt Driha c. Roumanie (no 29556/02, §§ 10-17, 21 février 2008).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1927 et réside à Bénévent. En décembre 1993, la municipalité de Bénévent se déclara insolvable (stato di dissesto) conformément au décret législatif no 66 de 1989 (ensuite modifié par la loi no 68 du 19 mars 1993, puis par les décrets législatifs no 77 du 25 février 1995 et no 267 du 18 août 2000). Le 19 janvier 1994, la gestion financière de la ville fut alors confiée à une commission extraordinaire de liquidation (organo straordinario di liquidazione) (« l’OSL »), chargée d’établir la liste des créances pouvant être déclarées admises dans le cadre de la procédure d’apurement du passif. L’article 248 § 2 du décret législatif no 267 du 18 août 2000 (loi sur les collectivités locales en cessation de paiements – enti locali dissestati) prévoyait qu’à partir de la déclaration d’insolvabilité (dissesto) et jusqu’à l’approbation de la reddition des comptes (rendiconto), aucune procédure d’exécution ne pouvait être entamée ou poursuivie relativement aux créances figurant sur la liste établie par l’OSL. Aux termes du paragraphe 4 de cette même disposition, pendant la période en question, la collectivité en état d’insolvabilité ne pouvait se voir exiger sur ces créances des intérêts légaux ou une compensation au titre de l’inflation. La jurisprudence interne (voir la décision du Conseil d’Etat no 5778 du 30 octobre 2001) avait estimé que le décret législatif no 267 de 2000 ne s’appliquait pas aux créances sur une collectivité locale qui étaient considérées comme certaines et exigibles par un jugement prononcé après la déclaration d’insolvabilité, et ce même si ces créances étaient nées antérieurement. Dès lors, on pouvait entamer une procédure d’exécution concernant ces créances. Le 13 juin 2004 entra en vigueur la loi no 140 du 28 mai 2004. L’article 5 § 2 de celle-ci prévoit que les dispositions relatives aux collectivités locales en cessation de paiements s’appliquent dorénavant également aux créances nées avant le 31 décembre de l’année précédant celle du bilan rééquilibré (bilancio riequilibrato), et ce même lorsque ces créances ont été établies par une décision de justice postérieure à une telle date. Le Conseil d’Etat a fait application de cette disposition dans ses décisions no 3715 du 30 juillet 2004 et no 6438 du 21 novembre 2005. Le 28 octobre 1992, le requérant avait entamé une action en dommages-intérêts contre la municipalité de Bénévent. Il réclamait le paiement de loyers non perçus et la réparation de dommages causés à son immeuble. Par un jugement du 18 novembre 2003, dont le texte fut déposé au greffe le 10 février 2004, le tribunal de Bénévent avait accueilli le recours du requérant et condamné la municipalité à lui verser des dommages-intérêts s’élevant à 17 604,46 euros (EUR), auxquels s’ajoutaient les intérêts légaux et une somme à titre de compensation de l’inflation. Cet arrêt, notifié à la municipalité le 9 avril 2004, devint définitif le 9 mai 2004. Par une délibération no 4088 du 21 juin 2005, l’OSL, suivant une procédure simplifiée adoptée dès 1998, reconnut l’existence d’une dette de la municipalité à l’égard du requérant d’un montant de 42 028,58 EUR. Le 7 février 2006, l’OSL proposa au requérant un règlement amiable de l’affaire, lui offrant le versement d’une somme correspondant à 80 % de sa créance. Le requérant refusa cette offre. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Dans ses observations, le Gouvernement a décrit comme suit la procédure de faillite d’une administration locale. Le requérant a indiqué que cet aperçu était, pour l’essentiel, correct. La déclaration d’insolvabilité (stato di dissesto) d’une collectivité locale et la procédure de redressement qui s’ensuit correspondent pour l’essentiel à une procédure de faillite ordinaire et visent la satisfaction proportionnelle et à égalité de conditions des droits des créanciers (par condicio creditorum), ainsi que le redressement financier de la collectivité concernée. Cependant, à la différence d’une entreprise privée, la collectivité locale en cessation de paiements ne cesse pas d’exister et doit continuer à assumer ses tâches institutionnelles. Elle doit donc disposer des ressources nécessaires. L’OSL coexiste avec les organes ordinaires de la collectivité. Sa compétence est limitée à la période antérieure à la déclaration d’insolvabilité (autrement dit, aux créances antérieures au 31 décembre de l’année précédant la déclaration d’insolvabilité) et ne s’étend pas aux opérations financières postérieures. L’OSL a pour tâche de vérifier l’ensemble des dettes de la collectivité locale relatives à cette période et de déterminer l’actif disponible pour procéder à leur paiement. La vérification des dettes de la collectivité locale se fait par la voie administrative. Les créanciers doivent, dans un délai de soixante jours, déclarer leur créance, fournir les éléments prouvant son existence et démontrant qu’elle est certaine, liquide et exigible. En général, seules les dettes « hors budget » (fuori bilancio) – autrement dit les dettes concernant des opérations non inscrites au budget de la collectivité – nécessitent des vérifications approfondies. Elles se divisent en deux catégories : a) les dettes pour lesquelles les procédures comptables n’ont pas été respectées ou qui ont été contractées en dehors de toute légitimité administrative ; b) les dettes résultant d’une décision judiciaire et donc non prévisibles au moment de l’établissement du budget). Les vérifications sont beaucoup plus simples dans les cas figurant sous b). L’OSL doit faire une distinction nette entre les dettes de la collectivité qui ont conduit à l’état d’insolvabilité et les obligations qui relèvent de la nouvelle gestion. Afin de garantir le principe par condicio creditorum, il est interdit, après la déclaration d’insolvabilité, d’entamer ou de poursuivre toute action en exécution visant au recouvrement de créances nées avant le début de la procédure de redressement. Cependant, l’interdiction en question ne concerne pas les actions en exécution se rapportant à des créances nées en dehors de la période de compétence de l’OSL. L’exécution forcée par voie judiciaire redevient possible dès lors qu’une créance a été définitivement rejetée du passif (par exemple parce que l’OSL a établi qu’il s’agissait d’une dette non liée au fonctionnement de la collectivité’). Lorsque, en application de l’interdiction décrite ci-dessus, l’OSL déclare l’extinction d’une procédure d’exécution, le juge indique les montants de la créance, des intérêts, de la somme à titre de compensation de l’inflation et des frais de justice, afin que ces montants soient inscrits au passif de l’administration. Il ressort de ce qui précède qu’une limite temporelle doit être tracée entre les dettes « passées » (qui relèvent de la compétence de l’OSL), et les dettes « présentes » ou « futures » (qui relèvent de la gestion ordinaire). Or, selon le Gouvernement, cette limite ne peut être établie que par rapport à la date à laquelle la créance est née, quel que soit le moment auquel elle a été certifiée par une décision de justice. Toutes les créances nées pendant la période de compétence de l’OSL sont donc traitées par celui-ci. Si une décision de justice a reconnu l’existence d’une créance de la collectivité, l’OSL ne peut pas ignorer une telle décision et doit inscrire la créance au passif de la gestion extraordinaire. Le créancier peut former contre toute décision de l’OSL un recours par voie hiérarchique (ricorso gerarchico) auprès du ministère de l’Intérieur. La décision de ce dernier peut être attaquée devant les juridictions administratives (TAR et Conseil d’Etat) pour, entre autres, vice de motivation et abus ou détournement de pouvoir. La Cour constitutionnelle (arrêt no 155 du 21 avril 1994) avait rejeté des exceptions d’inconstitutionnalité de la discipline antérieure analogue, estimant que, lorsqu’une procédure de redressement était en cours, il n’était pas nécessaire d’offrir aux créanciers les garanties d’une procédure juridictionnelle sous le contrôle d’un juge, le législateur étant libre de prévoir que les dettes de l’organisme en cessation de paiements pussent être réglées dans le cadre d’une procédure administrative. D’après elle, cela était d’autant plus vrai lorsque, comme en l’espèce, des intérêts publics étaient en jeu et que les dispositions législatives visaient à empêcher une détérioration encore plus importante de la situation financière de la collectivité. De plus, toujours selon elle, une fois la procédure de redressement entamée, on ne pouvait imputer au débiteur la non-exécution de ses obligations, ce qui justifiait le « blocage » (blocco) des intérêts légaux et de la somme à titre de compensation de l’inflation. La Cour constitutionnelle a en outre précisé que les actes de l’OSL n’étaient pas soustraits au contrôle des juridictions judiciaires lorsqu’ils portaient préjudice à des droits subjectifs parfaits (diritti soggettivi). L’OSL doit déposer auprès du ministère de l’Intérieur la liste des créances admises au passif. Après une vérification ministérielle, l’OSL peut demander un prêt à la Caisse des dépôts et consignations. Le montant de ce prêt s’ajoute aux autres ressources déjà versées à l’actif par l’OSL. L’OSL procède ensuite au paiement d’acomptes aux créanciers dont les revendications ont été inscrites au passif ; au fur et à mesure que des nouvelles ressources deviennent disponibles, l’OSL paie de nouveaux acomptes, si possible jusqu’à l’extinction complète des dettes inscrites au passif. La procédure se termine par le dépôt d’un plan d’extinction des dettes qui doit être approuvé par le ministère sur avis d’une commission spécialisée. Le ministère examine sur le fond les choix opérés par l’OSL et peut lui demander des explications et des vérifications supplémentaires. Il peut également refuser d’approuver le plan d’extinction. Afin d’accélérer la procédure, l’OSL peut proposer aux créanciers un règlement amiable en contrepartie d’une diminution du montant de leur créance. En cas d’acceptation de cette proposition, la somme résultant de la transaction est immédiatement payée au créancier qui, en même temps, renonce à toute prétention ultérieure à ce titre. Si la proposition est refusée, l’OSL procédera à un paiement proportionnel dans le respect du principe par condicio creditorum. Pendant la procédure de redressement, l’application du taux des intérêts et de la compensation de l’inflation est suspendue relativement aux créances inscrites au passif. Les intérêts et la compensation de l’inflation peuvent être réclamés à partir de la date de la clôture de la procédure de redressement. III. LE DROIT COMPARÉ Il ressort des informations de droit comparé dont dispose la Cour que vingt-cinq Etats membres du Conseil de l’Europe (Allemagne, Azerbaïdjan, Belgique, Bulgarie, Espagne, Estonie, France, Grèce, Lettonie, Luxembourg, ex-République yougoslave de Macédoine, Moldova, Monténégro, Pologne, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Turquie et Ukraine) ne semblent pas admettre qu’une administration locale puisse être déclarée insolvable (en Roumanie, une réglementation à cet égard avait été adoptée, mais son application a été suspendue). En revanche, en Autriche, une municipalité peut faire l’objet d’une procédure de faillite et, en Hongrie, la législation prévoit six cas dans lesquels une municipalité en état d’insolvabilité peut être soumise à une « procédure d’allégement de la dette municipale ». Sans reconnaître l’insolvabilité de la municipalité, huit Etats (Belgique, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine, Lettonie, Monténégro, Russie, Slovaquie et Suisse) prévoient que celle-ci peut être déclarée en situation de détresse financière, ce qui, en général, implique l’élaboration d’un plan de redressement. En Suisse, les créanciers de la municipalité peuvent être impliqués dans la procédure par le biais d’un concordat négocié avec la municipalité. Dans les Etats où il n’y a pas de déclaration d’insolvabilité ou de procédure de détresse financière, le paiement des créances semble devoir passer par l’exécution d’une décision judiciaire qui établit l’existence d’une somme due et exigible (Allemagne, Azerbaïdjan, Bulgarie, Espagne, Grèce, Moldova, Pologne, République tchèque, Roumanie, Serbie, Slovénie, Turquie et Ukraine). Des garanties procédurales en faveur des créanciers des municipalités sont prévues en Espagne, en Grèce, en Roumanie, au Royaume-Uni et en France. Certains Etats (Allemagne, Bulgarie, Monténégro, Royaume-Uni, Serbie, Slovénie et Suède) prévoient la possibilité de saisir les biens municipaux, bien qu’il existe des restrictions à cet égard telles que l’insaisissabilité des biens nécessaires à la continuité des services publics. Les deux Etats (Autriche et Hongrie) qui admettent la faillite d’une collectivité locale ont mis en place certaines garanties en faveur des créanciers. En Autriche, les fonctionnaires de la municipalité peuvent être tenus personnellement pour responsables en cas de négligence ou de faute et les biens de la municipalité non nécessaires au maintien des intérêts publics peuvent être saisis aux fins du paiement des créances. En Hongrie, le tribunal régional peut procéder à une répartition des biens municipaux tout en respectant un ordre de priorité des créanciers prévu par la loi. Quant à la possibilité que l’Etat intervienne pour payer les créanciers d’une municipalité, elle est complètement exclue dans onze Etats (Autriche, Azerbaïdjan, Belgique, Espagne, Hongrie, Luxembourg, Pologne, République tchèque, Suisse, Turquie et Ukraine) et admise seulement dans des cas très particuliers (par exemple, si l’Etat s’est porté garant) dans trois autres (Bulgarie, Moldova et Russie). L’Etat central peut aider financièrement une municipalité en Allemagne, Estonie, ex-République yougoslave de Macédoine et Serbie. Pour ce qui concerne les Etats non européens, en Afrique du Sud une municipalité faisant face à des problèmes financiers peut faire l’objet d’un plan de redressement et, si elle est dans l’incapacité de payer ses dettes, elle peut demander à la Haute Cour d’ordonner, pour une période n’excédant pas quatre-vingt-dix jours, la suspension de toutes les procédures judiciaires engagées par des créanciers et la suspension de tout ou partie de ses obligations financières. Si la Haute Cour accepte la demande, un plan de règlement partiel des créances est établi. Au Chili, lorsqu’un créancier engage une procédure civile contre une municipalité, les biens de celle-ci non nécessaires à son fonctionnement peuvent être saisis. Enfin, aux Etats-Unis d’Amérique, si une municipalité est insolvable et si l’Etat fédéré l’autorise, elle peut élaborer un plan pour faire face à ses dettes et demander à bénéficier de la protection de la loi sur la faillite, qui généralement consiste en une prolongation des échéances, une réduction du montant de la dette ou de ses intérêts et une obtention de prêts. Une commission a compétence pour examiner le plan de redressement, qui doit être non discriminatoire, juste et équitable. Selon les règles de priorité, certains créanciers doivent être payés en totalité, d’autres peuvent ne rien percevoir. Pour obtenir le paiement de la somme qui lui est due, un créancier privilégié bénéficie d’une garantie lui assurant une priorité de paiement en cas de difficultés du débiteur. Il évite ainsi la concurrence avec les créanciers chirographaires (créanciers simples, dépourvus d’une telle garantie). Les paiements doivent avoir été effectués en totalité pour chaque niveau de priorité pour que les créanciers du niveau suivant puissent commencer à être payés.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952 et réside à Pitești. Le 16 janvier 2001, le requérant demanda au conseil du barreau d’avocats d’Argeş (« le conseil départemental ») son inscription en tant qu’avocat, sans examen. Il fit valoir qu’il exerçait la profession de juriste depuis plus de dix ans et qu’en vertu de l’article 16 § 2 de la loi no 51/1995 sur l’organisation de la profession d’avocat, il avait droit à être inscrit à l’Ordre des avocats (« l’Ordre ») sans examen d’entrée. Le conseil départemental lui communiqua un avis négatif au motif que les réponses données au cours d’un entretien préalable démontraient que l’intéressé n’avait pas les connaissances nécessaires pour justifier son inscription. Le 20 juillet 2001, la commission permanente de l’Union des avocats (« la commission permanente »), se fondant sur l’avis du conseil départemental, rejeta la demande du requérant. Une contestation introduite par le requérant auprès du conseil de l’Union fut rejetée le 15 décembre 2001. Le requérant contesta les décisions devant la cour d’appel de Pitești. Selon lui le rejet de sa demande était arbitraire car la loi no 51/1995 lui conférait le droit à être inscrit au barreau sans examen. Par un arrêt du 1er avril 2002, la cour d’appel accueillit l’action, jugeant que le requérant remplissait toutes les conditions pour être admis à l’Ordre sans examen. L’union et le barreau formèrent un recours contre cet arrêt. Par un arrêt du 17 septembre 2002, la Cour suprême de justice accueillit les recours et rejeta la contestation du requérant comme manifestement mal fondée. Elle nota que les dispositions de l’article 16 § 2 de la loi no 51/1995 avaient un caractère permissif ouvrant à l’intéressé seulement une possibilité et non un droit. Compte tenu du fait que les autorités compétentes avaient constaté que la prestation du requérant lors de l’entretien préalable n’avait pas été satisfaisante, elle conclut que la contestation du requérant n’était pas fondée. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes concernant l’exercice de la profession d’avocat, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, ainsi que la jurisprudence de la Cour suprême de justice à ce sujet sont décrites dans l’affaire Ştefan et Ştef c. Roumanie (nos 24428/03 et 26977/03, §§ 20-26, 27 janvier 2009). Il en ressort que la Cour suprême de justice avait constamment jugé que l’inscription à l’Ordre sans examen était, pour la personne qui remplissait les conditions de la loi, un droit et non pas une possibilité laissée à l’appréciation discrétionnaire de l’Union.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérantes, Mmes Efstathia Tziovara et Panagiota Gemeliari, sont des ressortissants grecques, nées respectivement en 1945 et 1941 et résident à Athènes. Les requérantes sont copropriétaires d’un terrain situé à Galatsi. En 1990, la municipalité de Galatsi occupa le terrain afin d’y créer une place municipale. Le procureur de première instance d’Athènes ordonna l’expulsion de la municipalité du terrain occupé. Néanmoins, la municipalité procéda à l’achèvement des travaux sur le terrain. Le 2 janvier 1995, les requérantes saisirent les juridictions administratives d’une action en dommages-intérêts contre la municipalité. Elles sollicitèrent plusieurs sommes pour manque à gagner sur l’exploitation du terrain ainsi que pour dommage matériel et moral. Le 31 juillet 1997, par une décision avant dire droit, le tribunal administratif de première instance d’Athènes rejeta partiellement l’action quant au manque à gagner et ordonna de recueillir des preuves supplémentaires pour le dommage matériel (décision no 10.035/1997). Le 30 novembre 1999, la même juridiction accorda à la première requérante la somme de 1 370 000 drachmes (4 020 euros) et à la seconde requérante le somme de 1 400 000 drachmes (4 108,59 euros) pour dommage matériel et moral (décision no 11771/1999). Cette décision fut signifiée aux requérantes et à la municipalité le 25 janvier 2000 et le 8 février 2000 respectivement. Les 24 mars et 29 février 2000, les requérantes et l’Etat interjetèrent respectivement appel. En 2002, l’examen de l’affaire fut ajournée une fois à la demande des requérantes. Plusieurs ajournements ont suivis qui ne sont pas attribuables aux requérantes. Deux décisions avant dire droit furent aussi rendues entre-temps qui ordonnaient la production d’éléments supplémentaires. Le 29 janvier 2009, la cour administrative d’appel d’Athènes réexamina l’affaire et confirma la décision attaquée (arrêt no 265/2009). Cet arrêt fut signifié aux requérantes le 16 juillet 2009. Le 9 septembre 2009, l’Etat se pourvut en cassation. Le 10 novembre 2009, les requérantes se pourvurent également de leur côté. Entre-temps, le 10 juillet 2009, était entrée en vigueur la loi no 3772/2009, dont l’article 35 dispose que le pourvoi en cassation est irrecevable, si l’objet du litige devant le Conseil d’Etat est inférieur à 40 000 euros. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 35 § 1 de la loi 3772/2009 a modifié l’article 53 du décret présidentiel 18/1989 en ces termes : « Les trois premiers alinéas du paragraphe 3 de l’article 53 du décret présidentiel 18/1989 (...) sont remplacés comme suit : Le pourvoi en cassation n’est pas permis lorsque l’enjeu du litige devant le Conseil d’Etat est inférieur à quarante mille euros... »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Aperçu de la population rom de la commune de Sofades et de la 4e école primaire publique La ville de Sofades est située dans le département de Thessalie, dans le centre de la Grèce occidentale. Selon le Gouvernement, près de la moitié de la population locale, 3 000 personnes environ, est d’origine rom et réside dans une agglomération connue comme étant le nouveau lotissement des Roms, « Nea Zoé ». Selon les requérants, 84 familles habitent dans le nouveau lotissement et 300 familles continuent à habiter dans un ancien lotissement. A l’époque des faits, quatre écoles primaires publiques fonctionnaient à Sofades dans des bâtiments dont la gestion incombait à la municipalité. L’une d’elles, la 4e école primaire, avait été créée en 1986 par le décret présidentiel no 146 du 30 septembre 1986. En 1996, un nouveau bâtiment avait été construit. En plus des douze salles de cours, l’école disposait d’une salle de sports, d’une salle équipée d’ordinateurs et d’une cour. Cette école avait été construite dans l’ancien lotissement de la communauté rom et était proche aussi du nouveau lotissement « Nea Zoé », qui fut donc rattaché au secteur de cette école, défini par la carte scolaire (décision du 14 août 2008 du chef du bureau de l’enseignement primaire de Karditsa). Selon le Gouvernement, le nombre d’élèves inscrits pour l’année scolaire 2009-2010 s’élevait à 511, et, à la fin de l’année scolaire, 127 élèves avaient achevé leurs études primaires dans cette école. Les requérants contestent ces chiffres. Ils affirment que, chaque année, 200 élèves environ étaient inscrits à la 4e école mais qu’ils n’assistaient pas aux cours faute de place. Ils précisent aussi que les élèves roms résidant dans le nouveau lotissement, situé d’après eux dans le secteur d’affectation de la 1re école, ne pouvaient pas s’inscrire dans celle-ci et qu’ils étaient transportés par bus à la 4e école, distante de 2,5 kilomètres, plutôt qu’à la 1re école distante de 2,4 kilomètres. A la suite d’une fusion opérée en 2011, trois écoles primaires existent actuellement à Sofades : la 1re école avec six classes et 89 élèves, la 2e avec 12 classes et 193 élèves et la 4e avec douze classes et 550 élèves, dont – selon les requérants – 250 seulement suivent des cours assidûment. B. La scolarisation des élèves requérants pendant l’année 2009-2010 Quinze des requérants, qui résident tous dans le nouveau lotissement, sont des enfants ayant eu l’âge de la scolarité obligatoire en 2009-2010 et les huit autres sont leurs parents. Hormis une élève de maternelle, les autres élèves requérants étaient inscrits dans les différentes classes de la manière suivante : sept dans la première, trois dans la seconde, un dans la troisième, deux dans la quatrième et deux dans la sixième. L’ensemble de ces élèves, à l’exception de Haralambos Kallioras et Dimitra Kalliora, dont la scolarité primaire s’est achevée en 2009-2010, et de Vasiliki-Maria Kalliora, qui, à la suite d’une demande de ses parents, a été inscrite pour 2010-2011 à la 2e école de Sofades, ont continué à être scolarisés dans la 4e école. Selon le Gouvernement, aucun des parents concernés, excepté ceux de Vasiliki-Maria Kalliora, n’a réclamé ni à la direction de la 4e école ni à la direction de l’enseignement primaire de Karditsa le transfert de leurs enfants dans une autre école de la région en 2009-2010 ou ultérieurement. Le secrétaire spécial pour l’éducation interculturelle au ministère de l’Education aurait confirmé, dans une lettre du 19 décembre 2011 adressée au Gouvernement, qu’il n’avait pas reçu de telles demandes. Le 21 mai 2009, une délégation du GHM se rendit au nouveau lotissement des Roms et à la 4e école. Le 30 mai et le 20 juillet 2009 respectivement, la délégation écrivit une lettre qu’elle adressa à M. S.V., secrétaire spécial pour l’éducation interculturelle au ministère de l’Education, et à M. A.S., ministre de l’Education. Cette lettre se lisait ainsi : « Les enfants du nouveau lotissement de Sofades – avec ses maisons de 140 m² que l’Etat et tout un chacun considèrent comme un lotissement modèle – ne fréquentent pas, comme cela est prévu par la loi, la 1re école primaire de Sofades toute proche, mais la 4e école primaire – qui se trouve dans l’ancien lotissement rom – et qui accueille uniquement des élèves roms. Et ce alors que les élèves qui ne sont pas d’origine rom et qui vivent près de la 4e école primaire (...) fréquentent la 1e école primaire de Sofades. En d’autres termes, il existe une ségrégation ethnique claire qui viole tant la loi grecque que les standards internationaux des droits de l’homme et, en particulier, la Convention européenne des droits de l’homme, telle qu’elle a été interprétée dans l’affaire Sampanis c. Grèce (...). Les enfants roms (...) ont le droit de fréquenter cette école proche de leur résidence et de ne pas aller dans des « écoles pour élèves gitans ». A cette dernière catégorie appartiennent la 4e école primaire de Sofades et la 12e école primaire d’Aspropyrgos qui sont plus éloignées de leur lieu de résidence que la 1re école primaire de Sofades et la 10e école primaire d’Aspropyrgos. L’enseignement dans ces « écoles pour élèves gitans » est soit dévalorisé soit inexistant. En tout état de cause, l’enseignement obligatoire est une obligation non seulement pour les parents mais aussi pour l’Etat, qui doit l’assurer même si les parents sont négligents. L’Etat devrait fournir aux enseignants et aux parents respectivement la formation spéciale et le soutien nécessaire. (...) Nous considérons que les Roms chrétiens d’Ehedoros, de Sofades, d’Aspropyrgos et de Spata ont le droit d’avoir accès, à partir de septembre 2009, à des programmes similaires [à ceux qui existent pour les enfants musulmans], de façon à limiter l’échec scolaire. De plus, les enfants roms de ces communautés devraient être intégrés dans les écoles les plus proches de leurs lotissements, écoles qui ne devraient pas être des « écoles pour élèves gitans » (...) » La lettre resta sans réponse. Le 27 août 2009, le GHM écrivit aussi au médiateur de la République sans obtenir de réaction. Les parents requérants allèguent que, à une date non précisée en septembre 2009, ils ont demandé au directeur de la 1re école primaire de Sofades d’accepter l’inscription de leurs enfants. Celui-ci aurait refusé et aurait soutenu que les autorités considéraient que ces enfants devaient continuer à fréquenter la 4e école. Le 29 septembre 2009, la direction régionale de l’éducation de Thessalie adressa au ministère de l’Education un rapport relatif au fonctionnement des écoles de Sofades et à la scolarisation des enfants roms, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi : « (...) A la 4e école primaire de Sofades sont inscrits 511 élèves qui suivent les cours de manière sporadique, à des périodes qui sont fonction du déplacement de leurs parents roms. Les limites des secteurs scolaires rattachés à la 1re école primaire et à la 2e et à la 3e école (qui partagent les locaux et accueillent respectivement 82, 84 et 84 élèves) sont fixés en conséquence. (...) Le 14 août 2008 (...), afin de mettre un terme à l’exclusion sociale et de promouvoir l’intégration des Roms à tous les niveaux et dans toutes les activités de la société locale, nous avons jugé opportun de souligner (...) qu’il faudrait éviter que les Roms soient scolarisés dans des écoles ayant exclusivement une population rom et de suggérer la construction de nouvelles écoles afin de procéder à un redécoupage de la carte scolaire. Le conseil municipal de Sofades nous a envoyé le compte rendu de sa réunion du 18 décembre 2008 par lequel il nous faisait savoir qu’il ne souhaitait pas la suppression des écoles [4e école primaire et 4e école maternelle] dans les deux lotissements des Roms (...). Nous avons répondu à la commune de Sofades le 5 juin 2009 en prenant soin de ne pas entrer en conflit avec elle et la société locale. (...) il est de notre avis qu’il faudrait construire de nouvelles écoles à l’intérieur du lotissement avec des espaces de loisirs et des espaces sportifs en conformité avec les souhaits des parents tels qu’exprimés auprès de notre service et du préfet de Karditsa. Ces nouvelles écoles contribueront à améliorer l’éducation offerte aux enfants roms, à faciliter la collaboration et le développement des activités communes avec les autres écoles de la commune de Sofades et, enfin, à renforcer la coexistence harmonieuse entre les deux groupes sociaux. C’est seulement ainsi, progressivement et à long terme, que l’intégration des enfants roms pourra se réaliser de manière non violente et efficace. La scolarisation des enfants roms dans les écoles déjà existantes de Sofades (1re, 2e et 3e) est considérée comme irréalisable pour l’instant, en raison du grand nombre d’élèves et de l’insuffisance des infrastructures de ces écoles. (...) En septembre 2009, un parent d’un élève rom a déposé (...) un contrat de location d’une maison (...) se trouvant dans le secteur d’affectation de la 1re école primaire de Sofades et ainsi nous avons autorisé l’inscription de l’élève à cette école. Nous avons cependant eu des réactions véhémentes de la part des parents d’élèves de cette école. En outre, deux parents roms qui résident dans l’ancien lotissement des Roms de Sofades, où se situe la 4e école, ont demandé à pouvoir inscrire leurs enfants dans l’école du secteur de Filia. Au début, nous avons approuvé l’inscription, mais nous avons eu des réactions véhémentes de la part des parents d’élèves de l’école primaire de Filia et des autorités municipales qui exigeaient le retour des deux élèves à la 4e école au motif que leur résidence permanente se trouvait dans l’ancien lotissement des Roms de Sofades et non dans le secteur de Filia. (...) » Le 25 novembre 2009, le GHM envoya au nouveau secrétaire spécial pour l’éducation interculturelle au ministère de l’Education une lettre similaire à la lettre susmentionnée du 30 mai et du 20 juillet 2009, qui resta elle aussi sans réponse. Le 15 décembre 2009, le Médiateur de la République informa le GHM qu’il avait aussi écrit au nouveau secrétaire spécial pour l’éducation interculturelle pour s’informer de la position du nouveau ministre à ce sujet. C. Développements ultérieurs A une date non précisée en 2009, la direction de l’enseignement primaire de Karditsa souligna que, si l’on voulait régler le problème de l’exclusion des Roms, il fallait arrêter aussi de scolariser les enfants roms dans des écoles réservées aux Roms. La direction proposa à cet effet la construction d’une nouvelle école en dehors de l’ancien lotissement et un redécoupage de la carte scolaire. Le 7 décembre 2011, lors d’une réunion dans les bureaux de la direction régionale de l’éducation de Thessalie, les services compétents du ministère de l’Education proposèrent de prendre les mesures suivantes : a) transférer à partir du 1er janvier 2012 tous les enfants roms inscrits dans la première classe de la 4e école dans cinq autres écoles de la commune de Sofades, à savoir les 1re et 2e écoles primaires de Sofades et les écoles primaires de Kypseli, de Karpochori et de Mataraga, et affecter à ces écoles des éducateurs spécialisés pour faciliter leur intégration dans ces écoles ; b) à partir de l’année scolaire 2012-2013, ne pas inscrire à la 4e école les élèves devant commencer leur scolarité dans le cycle primaire, mais les répartir dans les écoles précitées. Le 23 décembre 2011, le secrétaire spécial pour l’éducation interculturelle décida de prendre les mesures nécessaires pour mettre en œuvre ces propositions. L’annonce de ces mesures dans la presse locale et nationale provoqua un tollé parmi les parents des élèves non roms, qui exprimèrent leur opposition à toute scolarisation d’enfants roms dans les classes fréquentées par leurs enfants. Lors d’une réunion du 26 janvier 2012 entre le ministre de l’Education, le secrétaire spécial pour l’éducation interculturelle, le maire de Sofades, les députés de Karditsa et les représentants des associations des parents d’élèves, il fut décidé de prendre les mesures suivantes : a) maintenir la 4e école en fonctionnement et la pourvoir de plus d’équipements et d’enseignants ; b) construire une nouvelle école pour enfants roms ; c) inscrire, si leurs parents le souhaitaient, neuf élèves en début de scolarisation et considérés comme aptes à suivre l’enseignement dans des classes préparatoires qui relevaient des 1re et 2e écoles, mais qui fonctionneraient dans les locaux de la 5e école maternelle (située dans le nouveau lotissement des Roms et fréquentée exclusivement par des enfants roms) ; d) à partir de la rentrée scolaire 2012-2013, inscrire les élèves de la 5e école maternelle dans les différentes écoles primaires de la ville de Sofades en veillant à ce que leur nombre ne dépassât pas 20 % du total des élèves dans chaque école. Le 13 février 2012, répondant à une question posée par un député grec au Parlement européen concernant les mesures adoptées le 26 janvier 2012, la commissaire Viviane Reding souligna que la Commission européenne considérait que ces mesures n’étaient pas suffisantes pour mettre un terme à la ségrégation raciale, même si elles reflétaient la volonté d’aborder le problème. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon les articles 7 § 1 et 8 du décret présidentiel no 201/1998 : Article 7 § 1 « Sont enregistrés en première classe de l’école primaire tous les enfants ayant atteint l’âge légal de scolarité. Les inscriptions ont lieu du 1er au 15 juin de l’année scolaire précédente (...) » Article 8 « 1. Des transferts d’élèves d’une école à l’autre sont permis dans les cas suivants : (...) b. Création d’une nouvelle école dans le secteur où le domicile de l’élève est situé, et dans ce cas, après la fixation de la zone d’affectation de la nouvelle école, le transfert est obligatoire et s’effectue sans demande de la part des parents ou du tuteur. (...) » La circulaire 11684//Γ1/10.09.2008 du ministère de l’Education nationale et des Affaires religieuses recommande que les élèves roms soient répartis entre les classes car, « conformément aux principes de l’éducation interculturelle, dans chaque école, les élèves relevant de l’éducation interculturelle ne doivent pas dépasser 50 % du nombre total des élèves par classe. Au cas où leur nombre dépasserait ce pourcentage par classe, il faudrait en informer le conseiller de l’éducation qui traitera le problème ». La circulaire Φ.3/960/102679/Γ1/20.08.2010 du même ministère, en son paragraphe 12, précise ce qui suit : « Il est rappelé que l’intégration des enfants roms dans les classes normales répond à une volonté et à un but constants du ministère de l’Education et que leur exclusion et/ou ségrégation par rapport aux autres élèves et leur marginalisation sont contraires à la Constitution grecque, à la loi no 3304/2005 qui interdit les discriminations en matière d’éducation pour des motifs d’origine raciale ou nationale ainsi qu’à plusieurs textes internationaux qui lient le pays et ont valeur supralégislative (à titre d’exemple, la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention internationale des Nations unies pour les droits de l’enfant). » L’article 45 du décret législatif no 18/1989 codifiant les dispositions légales relatives au Conseil d’Etat est ainsi rédigé : Actes incriminés « 1. Le recours en annulation pour excès de pouvoir ou violation de la loi est recevable uniquement contre les actes exécutoires des autorités administratives et des personnes morales de droit public qui ne sont susceptibles de recours devant aucune autre juridiction. (...) Dans les cas où la loi impose à une autorité de régler une question déterminée en édictant un acte exécutoire soumis aux dispositions du paragraphe 1, le recours en annulation est recevable même contre la carence de cette autorité à édicter un tel acte. L’autorité est présumée refuser d’édicter l’acte soit lorsque le délai spécial fixé le cas échéant par la loi arrive à expiration, soit après l’écoulement d’un délai de trois mois à partir du dépôt de la requête auprès de l’administration, qui est tenue de délivrer un accusé de réception (...) indiquant le jour dudit dépôt. Le recours en annulation exercé avant l’expiration des délais susmentionnés est irrecevable. Le recours en annulation valablement introduit contre un refus implicite [de l’administration] vaut également recours contre l’acte négatif qui serait, le cas échéant, adopté ultérieurement par l’administration ; toutefois, cet acte peut aussi être attaqué séparément. » III. LES TEXTES INTERNATIONAUX A. La Recommandation CM/Rec(2009)4 du Comité des Ministres aux Etats membres sur l’éducation des Roms et des Gens du voyage en Europe La Recommandation CM/Rec(2009)4 sur l’éducation des Roms et des Gens du voyage en Europe, adoptée par le Comité des Ministres le 17 juin 2009, à la 1061e réunion des Délégués des Ministres, dispose notamment : « (...) Recommande que les gouvernements des Etats membres, dans le respect de leurs structures constitutionnelles, des situations nationales ou locales et de leur système éducatif : a. s’inspirent des principes énoncés dans l’annexe à la présente recommandation dans le cadre des réformes éducatives en cours ou à venir ; b. élaborent, diffusent et mettent en œuvre des politiques éducatives visant à garantir un accès non discriminatoire à un enseignement de qualité pour les enfants Roms et de Gens du voyage, basé sur les orientations énoncées en annexe à la présente recommandation ; (...) d. s’assurent, y compris auprès des autorités locales ou régionales, d’un accueil effectif des enfants Roms et de Gens du voyage en milieu scolaire ; (...) Annexe à la Recommandation CM/Rec(2009)4 I. Principes relatifs à la politique à mener Des politiques éducatives visant à assurer un accès non discriminatoire à un enseignement de qualité pour les enfants Roms et de Gens du voyage devraient être élaborées au niveau national. Ces politiques devraient être formulées de manière à garantir l’accès à une éducation de qualité dans la dignité et le respect, fondée sur les principes des droits de l’homme et sur les droits de l’enfant. (...) (...) Les Etats membres devraient veiller à ce que les mesures juridiques interdisant la ségrégation sur une base ethnique ou raciale dans le domaine de l’éducation soient mises en place avec des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives, et assurer la mise en œuvre effective de la législation. Lorsque, de facto, une ségrégation des enfants Roms et de Gens du voyage basée sur leur origine raciale ou ethnique existe, les autorités devraient mettre en œuvre des mesures d’abolition de la ségrégation. Les politiques et les mesures prises pour combattre la ségrégation devraient s’accompagner d’une formation appropriée du personnel éducatif et d’une information pour les parents. Les autorités éducatives devraient mettre en place des procédures d’évaluation afin d’éviter tout risque de placement des enfants dans des institutions spéciales sur la base de différences linguistiques, ethniques, culturelles ou sociales, et de faciliter l’accès à la scolarisation. Les représentants des Roms et des Gens du voyage devraient être impliqués dans la définition et le suivi de ces procédures. (...) II. Structures et dispositions d’accès à l’éducation (...) Les Roms et les Gens du voyage devraient bénéficier d’un accès sans entraves à la scolarisation en milieu ordinaire à tous les niveaux suivant les mêmes critères que pour la population majoritaire. Pour atteindre cet objectif, des initiatives inventives et flexibles devraient être prises en termes de politiques et pratiques éducatives. Des mesures appropriées devraient également être adoptées pour assurer l’égalité d’accès à toutes les possibilités éducatives, culturelles, linguistiques et professionnelles offertes à tous les apprenants, et notamment les jeunes filles et femmes de la communauté des Roms et des Gens du voyage. (...) L’accès des enfants Roms et de Gens du voyage à l’enseignement obligatoire devrait être facilité et soumis aux mêmes critères applicables à la population majoritaire, en mettant un accent particulier sur la transition de l’éducation préscolaire à l’éducation primaire, et de l’éducation primaire à l’éducation secondaire. Des dispositions particulières devraient être prises pour prévenir l’abandon scolaire et stimuler le retour à l’école des enfants n’ayant pas mené à terme l’enseignement obligatoire. (...) » B. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance Le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur la Grèce, adopté le 2 avril 2009 et publié le 15 septembre 2009, précise ce qui suit : « 53. L’ECRI note avec préoccupation que les Roms continuent d’être défavorisés en matière d’éducation. Certaines écoles refusent toujours d’inscrire des enfants roms, ce qui peut parfois s’expliquer par la pression exercée par les parents d’élèves non roms. L’ECRI est profondément préoccupée par le fait que dans certains cas, les enfants roms sont séparés des autres enfants, au sein de l’établissement même ou à proximité. Dans un cas, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la Grèce avait violé l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la discrimination dans la jouissance des droits énoncés dans la Convention) pris ensemble avec l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention européenne des droits de l’homme (droit à l’éducation). L’ECRI a appris qu’à Spata, où des enfants roms s’étaient tout d’abord vu refuser l’inscription à l’école, une classe séparée a été créée pour les accueillir afin de leur permettre de s’adapter progressivement à l’environnement scolaire. Tout en étant consciente de la nécessité d’une intégration progressive dans le système scolaire, l’ECRI voudrait attirer l’attention des autorités grecques sur son point de vue sur cette question, tel qu’énoncé dans sa Recommandation de politique générale no 10 sur le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire. Dans cette recommandation de politique générale, elle recommande la création, dans des cas particuliers et limités dans le temps, de classes préparatoires pour les élèves issus de groupes minoritaires, si un tel besoin est justifié par des critères objectifs et raisonnables et si l’intérêt supérieur de l’enfant le commande. » C. La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale L’article 1 de cette convention prévoit : « (...) l’expression « discrimination raciale » vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique. » Dans sa recommandation générale no 27 du 16 août 2000 concernant la discrimination à l’égard des Roms, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale préconise notamment les mesures suivantes dans le domaine de l’éducation : « 18. Prévenir et éviter autant que possible la ségrégation des élèves roms, tout en laissant ouverte la possibilité d’un enseignement bilingue ou en langue maternelle ; à cette fin, s’attacher à améliorer la qualité de l’enseignement dispensé dans toutes les écoles ainsi qu’à relever le niveau des résultats scolaires des élèves de la minorité rom, à recruter du personnel scolaire appartenant aux communautés roms et à promouvoir une éducation interculturelle. » Dans ses observations finales du 11 avril 2007, formulées à l’issue de l’examen du rapport de la République tchèque (doc. CERD/C/CZE/CO/7), le comité a en particulier exprimé sa préoccupation (paragraphe 17) suite à des informations faisant état de ségrégation raciale à l’égard des Roms dans le domaine de l’éducation. Le Comité a noté qu’un grand nombre d’enfants roms sont inscrits dans des « écoles spéciales ». En dépit du fait que cette situation résultait, comme le soutenait la République tchèque, du besoin d’adopter des mesures adaptées à leurs besoins, elle était aussi la conséquence des pratiques discriminatoires et d’un manque de sensibilité de la part des autorités au regard de l’identité culturelle et des difficultés auxquelles étaient confrontées les Roms. Le comité recommandait à la République tchèque d’augmenter ses efforts afin d’évaluer la situation des Roms dans le domaine de l’éducation, de développer des programmes de nature à mettre fin à leur ségrégation dans ce domaine et à établir une méthode permettant de déterminer dans quels cas les enfants roms devraient être inscrits dans des écoles spéciales afin d’éviter toute discrimination indirecte sur le fondement de leur identité culturelle. D. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) L’article 1 de la Convention du 14 décembre 1960 concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement dispose : « 1. Aux fins de la présente Convention, le terme « discrimination » comprend toute distinction, exclusion, limitation ou préférence qui, fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la condition économique ou la naissance, a pour objet ou pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de traitement en matière d’enseignement et, notamment : (...) c. Sous réserve de ce qui est dit à l’article 2 de la présente Convention, d’instituer ou de maintenir des systèmes ou des établissements d’enseignement séparés pour des personnes ou des groupes ; (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1931 et réside à Greifensee (Suisse). Depuis de nombreuses années, la requérante exprime le souhait de mettre fin à ses jours. Elle explique qu’elle s’étiole de plus en plus à mesure que le temps passe, et qu’elle ne veut pas continuer à supporter le déclin de ses facultés physiques et mentales. En 2005, à la suite d’une tentative de suicide ratée, la requérante fut hospitalisée pendant six mois dans un hôpital psychiatrique pour y être traitée. Cependant, ce traitement ne modifia en rien son désir de mourir. Étant donné que la requérante avait peur des conséquences possibles d’une autre tentative de suicide ratée, elle décida de tenter de mettre fin à ses jours en prenant une dose létale de pentobarbital sodique. Elle contacta une association d’assistance au suicide, EXIT, qui répondit qu’il serait difficile de trouver un médecin disposé à lui établir une ordonnance pour la substance létale. Le 20 octobre 2008, un psychiatre, le docteur T., après avoir examiné la requérante les 13 et 19 août 2008, soumit une expertise sur la capacité de l’intéressée de former son propre jugement (Urteilsfähigkeit). Il releva que la requérante n’avait jamais été gravement malade et n’avait subi aucune intervention chirurgicale importante. Toutefois, dans les dernières années, l’intéressée aurait noté un déclin dans ses facultés physiques et, dans une certaine mesure, mentales. Sa mémoire, sa capacité de concentration et la profondeur de son attention ne seraient plus ce qu’elles avaient été. Elle aurait des difficultés pour entreprendre de longues marches et l’éventail de ses activités et son cercle d’amis aurait diminué. Le psychiatre déclara qu’en conséquence, la requérante désirait vivement depuis des années mettre fin à sa vie, selon elle de plus en plus monotone, au motif qu’elle ne supportait pas son déclin physique. Le psychiatre ajouta qu’elle souffrait de plus de plus d’eczéma et de maux de dos, et que tout changement dans son environnement la terrifiait. Il expliqua que la qualité de vie de la requérante diminuait selon elle régulièrement et qu’elle souffrait également de ne plus pourvoir parler ouvertement de son désir de mourir avec ses amis. Sur la base de son examen psychiatrique, le docteur T. observa que, sans aucun doute la requérante était à même de former son propre jugement. Il releva en outre que son désir de mourir était raisonné et réfléchi, persistait depuis plusieurs années et ne se fondait pas sur une maladie psychiatrique. D’un point de vue psychiatrique/médical, le docteur T. n’avait aucune objection à ce que la requérante se vît prescrire une dose létale de pentobarbital sodique. Toutefois, il s’abstint d’établir lui-même l’ordonnance nécessaire au motif qu’il ne voulait pas confondre les rôles d’expert médical et de médecin traitant. Par des lettres des 5 novembre 2008, 1er décembre 2008 et 4 mai 2009, le représentant de la requérante soumit la demande de sa cliente de se voir prescrire du pentobarbital sodique à trois autres médecins généralistes, qui refusèrent tous d’établir l’ordonnance requise. Dans une lettre datée du 3 décembre 2008, le médecin généraliste B. expliqua qu’elle s’estimait empêchée par le code de conduite professionnelle des médecins (aus standesrechtlichen Gründen) d’établir la prescription demandée, étant donné que la requérante ne souffrait d’aucune maladie. Dans une lettre en date du 11 mai 2009, le médecin généraliste S. estima que le souhait de mourir exprimé par la requérante était compréhensible. Elle déclara être disposée à examiner la requérante et à considérer sa demande de prescription, sous réserve que le conseil de celle-ci puisse garantir qu’elle-même ne risquerait aucune conséquence au regard du code de déontologie professionnelle. Lorsque le conseil de la requérante répondit qu’il ne pouvait pas donner une telle garantie, le docteur S. refusa la demande au motif qu’elle ne souhaitait pas s’exposer à une longue procédure judiciaire. Le 16 décembre 2008, la requérante présenta une demande à la commission de la santé du canton de Zurich en vue de se procurer quinze grammes de pentobarbital sodique afin de se suicider. Dans sa demande, elle soutenait qu’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle continuât de rechercher un médecin disposé à lui établir la prescription requise. Le 29 avril 2009, la commission de la santé rejeta la demande de la requérante au motif que ni l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ni la Constitution suisse n’obligeaient l’Etat à procurer à une personne souhaitant mettre fin à ses jours le moyen de son choix pour se suicider. Le 29 mai 2009, la requérante interjeta appel devant le tribunal administratif du canton de Zurich. Le 22 octobre 2009, le tribunal administratif la débouta. Il releva d’emblée que l’assistance au suicide était passible de sanctions pénales en vertu de l’article 115 du code pénal suisse uniquement si elle était effectuée pour un mobile égoïste. En conséquence, pour le tribunal, un médecin qui fournissait à un patient souffrant d’une maladie en phase terminale les moyens de se suicider n’engageait pas sa responsabilité pénale (le tribunal administratif renvoya à la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, arrêt du 3 novembre 2006, BGE 133 I 58, résumé dans l’arrêt Haas c. Suisse, no 31322/07, §§ 15-16, CEDH 2011). Selon le tribunal, la condition préalable à l’établissement d’une ordonnance médicale permettant d’obtenir une dose létale de pentobarbital sodique était conforme à l’article 8 de la Convention et à la Constitution suisse. Le tribunal expliqua que cela garantissait qu’un médecin avait examiné tous les aspects pertinents de la question et donc servait l’intérêt général à la santé et à la sécurité publique et – quant à l’assistance au suicide – la prévention des infractions pénales et la lutte contre le risque d’abus. Pour le tribunal, la prescription médicale permettait de prévenir des décisions prématurées et de garantir que l’action souhaitée était médicalement justifiée. Elle garantissait en outre que la décision se fondait sur l’exercice réfléchi de la volonté libre de la personne concernée. Le tribunal administratif observa que le docteur T., dans son expertise, avait déclaré n’avoir aucune objection d’un point de vue psychiatrique/médical à ce que la requérante se vît prescrire une dose létale de pentobarbital sodique. Le tribunal ajouta que, toutefois, le docteur T. s’était contenté d’examiner si la requérante était en mesure de former sa propre volonté libre et si son désir de mourir était bien réfléchi et persistant. Il n’avait cependant pas examiné si l’intéressée souffrait d’une maladie quelconque qui justifierait la présomption selon laquelle elle était en fin de vie. Il n’avait pas davantage recherché si le désir de mourir de la requérante pouvait être la manifestation d’une maladie susceptible d’être médicalement traitée. Selon le tribunal, le désir de mourir ne suffisait pas en soi, même s’il était bien réfléchi, à justifier l’établissement d’une prescription médicale. En conséquence, le tribunal estima que le contenu du dossier de l’affaire ne démontrait pas que les conditions préalables de l’établissement d’une ordonnance médicale étaient remplies en l’espèce, et que, partant, d’autres examens médicaux étaient nécessaires. Le tribunal conclut que, dans ces conditions, il n’y avait pas de raison suffisante de dispenser la requérante de la nécessité d’un examen médical approfondi et d’une prescription médicale. La requérante interjeta appel du jugement du tribunal administratif, réitérant sa requête de se voir fournir quinze grammes de pentobarbital sodique, à défaut par une pharmacie. Elle demanda en outre au Tribunal fédéral d’établir que la fourniture d’une dose létale de cette substance à une personne capable de former son propre jugement et ne souffrant d’aucune maladie mentale ou physique n’emportait pas violation des obligations professionnelles d’un médecin. Invoquant, explicitement ou en substance, les articles 2, 3, et 8 de la Convention, l’intéressée allégua que les décisions litigieuses avait donné un caractère illusoire à son droit de décider quand sa vie devait finir. Elle soutint que l’État avait l’obligation de fournir les moyens nécessaires lui permettant d’exercer ce droit de manière concrète et effective. Le 12 avril 2010, le Tribunal fédéral rejeta le recours de la requérante. Invoquant sa propre jurisprudence et l’arrêt de la Cour en l’affaire Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, CEDH 2002-III), il considéra en particulier qu’il n’existait pas d’obligation (positive) enjoignant à l’État de garantir l’accès d’un individu à une substance particulièrement dangereuse afin de l’autoriser à mourir sans douleur et sans risque d’échec. Le Tribunal fédéral observa que la procédure dans l’affaire Haas était pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme. C’était donc à celle-ci d’examiner si le Tribunal fédéral avait correctement interprété l’article 8 de la Convention dans ce contexte. Dans l’attente de l’issue de cette procédure, le Tribunal fédéral ne vit aucune raison de revenir sur son raisonnement en l’affaire Haas. Le Tribunal fédéral estima en outre que l’exigence d’une prescription médicale poursuivait les buts légitimes d’empêcher la personne concernée de prendre une décision hâtive et de prévenir les abus. Pour la haute juridiction, la restriction à l’accès au pentobarbital sodique servait le but de la protection de la santé et de la sécurité publiques. Le Tribunal fédéral estima qu’eu égard aux questions éthiques relatives au suicide médicalement assisté, c’était essentiellement au législateur démocratiquement élu de décider si et dans quelles circonstances l’achat, le transport et le stockage du pentobarbital sodique devaient être autorisés. Il observa dans ce contexte qu’une réforme de la législation sur le suicide assisté faisait alors l’objet d’un débat politique. Le Tribunal fédéral constata en outre qu’indéniablement la requérante ne remplissait pas les conditions préalables stipulées par les orientations en matière d’éthique médicale sur les soins aux patients en fin de vie adoptées par l’Académie suisse des Sciences médicales (paragraphes 32-33 ci-dessous), étant donné qu’elle ne souffrait pas d’une maladie en phase terminale mais justifiait son désir de mourir par son âge avancé et sa fragilité de plus en plus marquée. Même si le Tribunal fédéral avait considéré dans sa précédente décision susmentionnée que l’établissement d’une prescription médicale de pentobarbital sodique à une maladie psychologique incurable, persistante et grave n’emportait pas nécessairement violation des obligations professionnelles d’un médecin, cette exception devait selon lui être maniée « avec la plus grande retenue » et n’obligeait pas les médecins ou l’État à fournir à la requérante la dose requise de pentobarbital sodique pour qu’elle mît fin à ses jours. Le Tribunal fédéral releva en outre que la fourniture de la substance demandée exigeait un examen médical approfondi et, quant à la persistance du désir de mourir, une surveillance médicale à long terme par un spécialiste disposé à établir la prescription nécessaire. Pour la haute juridiction, cette condition ne pouvait être contournée par la demande de la requérante visant à se voir exemptée de la nécessité d’obtenir une prescription. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Droit interne Les dispositions pertinentes du code pénal suisse se lisent ainsi : Article 114 – Meurtre à la demande de la victime « Celui qui, cédant à un mobile honorable, notamment à la pitié, aura donné la mort à une personne à la demande sérieuse et instante de celle-ci sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » Article 115 – Incitation et assistance au suicide « Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » La loi fédérale sur les stupéfiants (« la loi sur les stupéfiants ») du 3 octobre 1951 réglemente l’usage et le contrôle des stupéfiants. La loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (« la loi sur les produits thérapeutiques ») du 15 décembre 2000 s’applique aux stupéfiants visés par la loi sur les stupéfiants lorsqu’ils sont utilisés comme produits thérapeutiques (article 2, alinéa 1 B, de la loi sur les produits thérapeutiques). La loi sur les stupéfiants reste cependant applicable si la loi sur les produits thérapeutiques ne réglemente pas la question ou la réglemente de manière moins précise (article 2, alinéa 1 bis, de la loi sur les stupéfiants). Aux termes de l’article 1 de la loi sur les stupéfiants et de l’ordonnance du 12 décembre 1996 sur les stupéfiants et les substances psychotropes de l’Institut suisse des produits thérapeutiques, le pentobarbital sodique est considéré comme un stupéfiant au sens de la loi sur les stupéfiants. Par ailleurs, il ressort de l’arrêt du Tribunal fédéral du 3 novembre 2006 que le pentobarbital sodique appartient à la catégorie B des médicaments au sens de la loi sur les produits thérapeutiques. L’article 9 de la loi sur les stupéfiants dresse la liste des membres des professions médicales qui peuvent se procurer des stupéfiants sans autorisation. L’alinéa premier de cette disposition est ainsi libellé : « Les médecins, les médecins-dentistes, les médecins-vétérinaires et les dirigeants responsables d’une pharmacie publique ou d’hôpital qui exercent leur profession sous leur propre responsabilité, en vertu d’une décision de l’autorité cantonale prise en conformité avec la loi fédérale du 19 décembre 1877 concernant l’exercice des professions de médecin, de pharmacien et de vétérinaire dans la Confédération suisse, peuvent sans autorisation se procurer, détenir, utiliser et dispenser des stupéfiants dans les limites que justifie l’exercice, conforme aux prescriptions, de leur profession. Sont réservées les dispositions cantonales réglant la dispensation directe par les médecins et les médecins-vétérinaires (...) » Selon l’article 10, alinéa 1, de la même loi, seuls les médecins et les médecins-vétérinaires sont autorisés à prescrire des stupéfiants. Les médecins et médecins-vétérinaires ne peuvent établir de telles prescriptions que dans la limite admise par la science et seulement aux patients qu’ils ont eux-mêmes examinés (article 11, alinéa 1, de la même loi, et article 43, alinéa 1, de l’ordonnance du 29 mai 1996 sur les stupéfiants). Les articles 24 et 26 de la loi sur les produits thérapeutiques sont libellés comme suit : Article 24 – Remise de médicaments soumis à ordonnance « Sont habilités à remettre des médicaments soumis à ordonnance : a. les pharmaciens, sur ordonnance médicale et, dans des cas exceptionnels justifiés, sans ordonnance médicale ; b. toute autre personne exerçant une profession médicale, conformément aux dispositions sur la pro-pharmacie ; c. tout professionnel dûment formé, sous le contrôle d’une personne visée aux alinéas a et b. (...) » Article 26 – Principe de la prescription et de la remise « Les règles reconnues des sciences pharmaceutiques et médicales doivent être respectées lors de la prescription et de la remise de médicaments. Un médicament ne doit être prescrit que si l’état de santé du consommateur ou du patient est connu. » Le chapitre 8 de la même loi contient des dispositions pénales visant les personnes qui mettent intentionnellement en danger la santé d’autrui en relation avec une activité relevant de cette loi. L’article 86 de la loi est libellé comme suit : Article 86 – Délits « Est passible d’emprisonnement ou d’une amende de 200 000 francs au plus, à moins qu’il ait commis une infraction plus grave au sens du code pénal ou de la loi du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants, quiconque met intentionnellement en danger la santé d’êtres humains du fait qu’il : a. néglige son devoir de diligence lorsqu’il effectue une opération en rapport avec des produits thérapeutiques ; b. fabrique, met sur le marché, prescrit, importe ou exporte des médicaments ou en fait le commerce à l’étranger sans autorisation ou en enfreignant d’autres dispositions de la présente loi ; c. remet des produits thérapeutiques sans y être habilité ; (...) Si l’auteur agit par métier, la peine d’emprisonnement est de cinq ans au plus et l’amende de 500 000 francs au plus. Si l’auteur agit par négligence, la peine d’emprisonnement est de six mois au plus ou l’amende de 100 000 francs au plus. » B. Actions législatives Le 28 octobre 2009, le Conseil fédéral suisse présenta deux projets juridiques alternatifs en vue de réglementer l’assistance organisée au suicide. Ce projet proposait deux options modifiant le droit pénal suisse : l’introduction dans le code pénal d’obligations claires de vigilance pour les employés des organisations de suicide assisté, ou une interdiction complète de l’assistance organisée au suicide en soi (voir le communiqué de presse émis par le ministère fédéral de Justice et de Police le 28 octobre 2000). La consultation des cantons, des partis politiques et d’autres parties intéressées démontra qu’aucun consensus sur la question ne pouvait être atteint. Alors qu’une majorité des parties consultées estimait que le droit fédéral devait définir des obligations de vigilance spécifiques dans le contexte du suicide assisté, elles ne purent s’entendre sur la mise en œuvre concrète de ces obligation. Le 29 juin 2011, le Conseil fédéral décida de s’abstenir d’inclure une réglementation spécifique sur le suicide assisté organisé dans le droit pénal, tout en exprimant son intention d’encourager la prévention du suicide et des soins palliatifs afin de réduire le nombre de suicides (voir le communiqué de presse émis par le Conseil fédéral suisse le 29 juin 2011). C. La jurisprudence du Tribunal fédéral Le 3 novembre 2006, le Tribunal fédéral fut appelée à examiner une demande de fourniture de pentobarbital sodique introduite par un plaignant qui souffrait d’un trouble affectif bipolaire grave et considérait qu’en conséquence il ne pouvait continuer à vivre dans la dignité. Étant donné que cette substance n’était disponible que sur ordonnance, il avait contacté plusieurs psychiatres pour l’obtenir, mais en vain. Dans son arrêt (publié dans la collection officielle des décisions du Tribunal fédéral, BGE 133 I 58, résumé dans l’arrêt Haas, précité, §§ 15-16), le Tribunal fédéral estima que le pentobarbital sodique ne pouvait être fourni sans prescription médicale. Il releva en particulier que l’article 24 § 1 a) de la loi sur les produits thérapeutiques devait s’interpréter de manière étroite et n’autorisait aucune dispense dans le cas où aucun médecin ne pouvait être trouvé pour établir une ordonnance. La haute juridiction ajouta que les conditions préalables suivantes devaient être remplies avant qu’un médecin puisse établir une ordonnance de pentobarbital sodique : un examen approfondi et réfléchi ; une indication médicale, et, quant à la réalité du désir de mourir et à la capacité de discernement à cet égard, une surveillance sur une certaine période par un spécialiste en médecine. À la suite de cet arrêt, en mai 2007, le plaignant écrivit à 170 psychiatres pour décrire son cas et demander à chacun d’entre eux s’il accepterait d’élaborer un rapport psychiatrique à son sujet en vue de l’établissement une ordonnance de pentobarbital sodique. Aucun des médecins ne répondit favorablement à sa demande. Le 16 juillet 2010, le Tribunal fédéral examina la validité d’un accord conclu par le procureur général du canton de Zurich et l’organisation de suicide assisté EXIT, qui visait à établir des règles spécifiques à observer dans les affaires de mort assistée. La haute juridiction estima que l’accord était invalide car il manquait de base légale et n’était pas conforme au droit interne (BGE 136 II 415). D. Directives en matière d’éthique médicale Dans son arrêt rendu le 3 novembre 2006, le Tribunal fédéral renvoya aux directives médico-éthiques concernant les soins aux patients en fin de vie, adoptée le 25 novembre 2005 par l’Académie suisse des sciences médicales, une association des cinq facultés de médecine et des deux facultés vétérinaires en Suisse. Selon la jurisprudence de la Cour suprême fédérale (arrêt du 26 août 2010, BGE 136 IV 97), les directives émises par le SAMS n’ont pas la qualité formelle d’une loi. Étant donné qu’elles prescrivent un certain nombre de mesures de précaution, elles peuvent être classées dans la catégorie des codes de conduite – dont la valeur est généralement acceptée par les praticiens concernés. De plus, ces directives peuvent servir à définir le devoir de vigilance dans le cadre de procédures pénales ou d’actions en responsabilité civile. Le champ d’application de ces directives est défini comme suit : Champ d’application « Ces directives concernent la prise en charge des patients en fin de vie. Il s’agit de malades pour lesquels le médecin, se fondant sur des signes cliniques, a acquis la conviction que s’est installé un processus dont on sait par expérience qu’il entraîne la mort en l’espace de quelques jours ou de quelques semaines. » L’article 4 des directives se lit ainsi : Limites de l’activité médicale « Le respect de la volonté du patient atteint ses limites quand un patient réclame des mesures qui sont inefficaces ou inappropriées ou qui sont incompatibles avec les valeurs morales personnelles du médecin, la déontologie ou le droit en vigueur. » 1. Assistance au suicide « Aux termes de l’article 115 du Code pénal, l’assistance au suicide n’est pas punissable lorsqu’elle intervient sans mobile égoïste. Ce principe s’applique à tout individu. La mission des médecins prenant en charge des patients en fin de vie consiste à soulager et accompagner le patient. Il n’est pas de leur devoir de proposer une assistance au suicide, au contraire, ils ont le devoir de soulager les souffrances qui pourraient être à l’origine d’un désir de suicide. Toutefois, un patient en fin de vie ne supportant plus sa situation peut exprimer son désir de mourir et persister dans ce désir. Dans ce genre de situation aux confins de la vie et de la mort, le médecin peut se retrouver face à un conflit difficile à gérer. D’une part, l’assistance au suicide ne fait pas partie de l’activité médicale, car elle est contraire aux buts de la médecine. D’autre part, le respect de la volonté du patient est fondamental dans la relation médecin-patient. Un tel dilemme exige une décision morale personnelle du médecin qui doit être respectée en tant que telle. Le médecin a, dans tous les cas, le droit de refuser d’apporter une aide au suicide. Si toutefois, dans des situations exceptionnelles, il accepte d’apporter une aide au suicide à un patient, il lui incombe la responsabilité de vérifier si les exigences minimales suivantes sont réunies : – La maladie dont souffre le patient permet de considérer que la fin de la vie est proche. – Des alternatives de traitements ont été proposées et, si souhaitées par le patient, mises en œuvre. – Le patient est capable de discernement. Son désir de mourir est mûrement réfléchi, il ne résulte pas d’une pression extérieure et il est persistant. Cela doit avoir été vérifié par une tierce personne, qui ne doit pas nécessairement être médecin. Le dernier geste du processus conduisant à la mort doit dans tous les cas être accompli par le patient lui-même. » 2. Meurtre à la demande de la victime « Le médecin doit refuser de mettre fin à la vie d’un patient, même sur demande sérieuse et instante. Le meurtre à la demande de la victime est punissable selon l’article 114 du Code pénal. » III. Droit comparé Les recherches effectuées par la Cour dans le cadre de l’affaire Haas montrent que certains Etats membres du Conseil de l’Europe prévoient des règles spécifiques portant sur l’accès aux substances susceptibles de faciliter le suicide. En Belgique, par exemple, la loi du 28 mai 2002 définit l’euthanasie comme l’acte effectué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne à la demande de celle-ci (article 2 de cette loi). Le pharmacien qui délivre une « substance euthanasiante » ne commet aucune infraction lorsqu’il le fait sur la base d’une ordonnance dans laquelle le médecin mentionne explicitement qu’il agit conformément à la loi. La réglementation fixe les critères de prudence et les conditions auxquelles doivent satisfaire l’ordonnance et la délivrance de tels médicaments ; elle doit également prévoir les mesures nécessaires pour assurer la disponibilité des substances euthanasiantes. Au Luxembourg, la loi du 16 mars 2009 a dépénalisé l’euthanasie et l’assistance au suicide. Selon cette loi, l’accès à un médicament permettant le suicide n’est légalement possible, pour un médecin, que s’il est partie intégrante du processus d’euthanasie ou d’assistance au suicide. IV. Droit international Le pentobarbibal sodique est inclus dans le Tableau III de la Convention sur les substances psychotropes du 21 février 1971, à laquelle la Confédération suisse a adhéré le 22 avril 1994. L’article 9 de cette Convention se lit ainsi : Article 9 : Ordonnances médicales « 1. Les Parties exigeront que les substances des Tableaux II, III et IV ne soient fournies ou dispensées pour être utilisées par des particuliers que sur ordonnance médicale, sauf dans les cas où des particuliers peuvent légalement obtenir, utiliser, dispenser ou administrer ces substances dans l’exercice dûment autorisé de fonctions thérapeutiques ou scientifiques. Les Parties prendront les mesures nécessaires pour que les ordonnances prescrivant des substances des Tableaux II, III et IV soient délivrées conformément à la pratique médicale et soumises, en ce qui concerne notamment le nombre des renouvellements possibles et la durée de leur validité, à une réglementation qui assure la protection de la santé et de l’intérêt publics. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, une Partie peut, si à son avis la situation locale l’exige et dans les conditions qu’elle pourra prescrire, y compris en matière d’enregistrement, autoriser les pharmaciens sous licence ou tous autres distributeurs de détail sous licence désignés par les autorités chargées de la santé publique dans son pays ou une partie de celui-ci, à fournir, à leur discrétion et sans ordonnance, pour être utilisées par des particuliers dans des cas exceptionnels et à des fins médicales, de petites quantités de substances des Tableaux III et IV, dans les limites que les Parties définiront. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La procédure judiciaire en cause Soupçonné d’avoir commis plusieurs vols, le requérant fut arrêté le 19 juin 2009 et inculpé du chef de vols en bande organisée. Le 23 juin 2009, suite à la proposition du procureur près le tribunal correctionnel de Serres, la juge d’instruction ordonna la remise en liberté du requérant sous caution d’une somme de 1 000 euros. La juge d’instruction imposa aussi au requérant l’obligation de se présenter au cours de la première quinzaine de chaque mois au commissariat de police de sa résidence et lui interdit de quitter le pays. Le 30 septembre 2009, la juge d’instruction près le tribunal correctionnel de Serres ordonna la mise en détention provisoire du requérant. Elle constata que, de manière injustifiée, le requérant ne s’était pas acquitté de la caution imposée. Selon la proposition du procureur près le tribunal correctionnel, qui était jointe à la décision de la juge d’instruction, il ne ressortait aucunement du dossier que le non-paiement de la caution était dû à l’impossibilité objective du requérant de se conformer aux conditions de sa remise en liberté. De plus, le procureur avait relevé que, lors de sa comparution devant la juge d’instruction du 23 juin 2009, le requérant avait admis la commission de la plupart des actes dont il était accusé. Après avoir pris en compte ces éléments, la juge d’instruction conclut que des mesures restrictives plus souples que la détention provisoire ne pouvaient pas garantir en l’espèce la disponibilité du requérant lors de l’instruction de l’affaire. Sur cette base, la juge d’instruction ordonna son arrestation et sa mise en détention provisoire (ordonnance no 154/2009). B. Les conditions de détention Le requérant fut arrêté à nouveau le 11 décembre 2009. Du 13 décembre 2009 au 27 février 2010, il fut détenu dans les locaux de la Direction de la police de Serres. A cette dernière date, il fut transféré à la Sous-direction pour le transfert de détenus de Thessalonique pour se présenter devant le juge d’instruction près le tribunal correctionnel de Thessalonique. Le 5 mars 2010, le requérant fut transféré à nouveau dans les locaux de la Direction de police de Serres ou il fut détenu jusqu’au 15 mars 2010. Le requérant affirme que le manque de ventilation rendait l’atmosphère irrespirable en raison des mauvaises odeurs et de la fumée de cigarettes des détenus. Les toilettes étaient très sales en raison de la surpopulation et de l’absence de nettoyage. Le nombre de lits n’était pas suffisant de sorte que plusieurs détenus dormaient par terre sur des couvertures crasseuses. Aucun repas n’était distribué aux détenus ; une somme de 5,85 euros par jour leur était attribuée mais ce n’était pas suffisant pour commander à l’extérieur les trois repas quotidiens. Les cellules étaient sombres les fenêtres étant voilées ; il n’y avait aucune possibilité de s’exposer au soleil ou à l’air frais car aucun espace n’était prévu pour faire une promenade. Le requérant affirme que le 9 mars 2010 il avait écrit au procureur près le tribunal correctionnel de Serres pour dénoncer ses conditions de détention, sans avoir reçu de réponse. A une date non précisée, le requérant fut condamné à une peine de réclusion en vertu de l’arrêt no 2403/2010 de la cour d’assises de Thessalonique. Le requérant interjeta appel et la date d’audience fut fixée au 12 février 2013. La suite de la procédure ne ressort pas du dossier. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit national Dispositions relatives à l’obtention des dommages-intérêts L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit : Article 105 « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique excepté si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition existante mais afin de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » Cette disposition établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être non seulement des actes juridiques mais également des actes matériels de l’administration y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission. Les articles pertinents du code civil disposent : Article 57 « Celui qui est atteint d’une manière illicite dans sa personnalité a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et en outre l’abstention de toute atteinte à l’avenir. En cas d’atteinte à la personnalité d’une personne décédée ce droit appartient aux conjoints descendants ascendants frères et sœurs et héritiers testamentaires du défunt. En outre la prétention à des dommages-intérêts suivant les dispositions relatives aux actes illicites n’est pas exclue. » Article 932 « Indépendamment de l’indemnité due à raison du préjudice patrimonial causé par un acte illicite le tribunal peut accorder une réparation pécuniaire raisonnable suivant son appréciation pour cause de préjudice moral. Ceci est notamment applicable à l’égard de celui qui a subi une atteinte à sa santé à son honneur ou à sa chasteté ou qui a été privé de sa liberté. (...) » Par deux arrêts nos 2893/2008 et 1215/2010, le Conseil d’Etat a admis qu’une personne détenue pour dette envers un tiers placée, en violation de l’article 1050 § 2 du code de procédure civile, dans la même cellule que des personnes déjà condamnées pour des infractions pénales, avait subi un dommage moral et avait à ce titre, en application des articles 105 de la loi d’accompagnement du code civil et 57 du code civil, droit à une indemnité. La déclaration de la nullité de la détention et la mise en liberté de l’intéressé ne constituaient pas une cause de disparition du dommage moral que celui-ci avait déjà subi pendant sa détention. Le manque de lieux de détention propices à la détention des personnes condamnées pour dettes envers des tiers ne suffisait pas pour justifier l’effacement ou la limitation de la responsabilité de l’Etat. Pour déterminer le montant de l’indemnité il fallait tenir compte des conditions de détention. Toutefois l’appréciation des conditions de détention ne pouvait pas conduire à exclure tout préjudice moral, car celui-ci naissait de la seule privation illégale de la liberté de l’intéressé indépendamment de toute question de conditions de détention. Dans ces arrêts le Conseil d’Etat a admis que les intéressés dans ces affaires étaient du fait de leur détention avec des personnes condamnées pour des infractions pénales exposés à des invectives insultes atteintes à leur intégrité physique et autres violences qui dans de tels lieux de détention sont dirigées surtout contre ceux qui ne sont pas des criminels. Autres dispositions pertinentes du droit national L’article 572 du code de procédure pénale est ainsi libellé : « 1. Le procureur près le tribunal correctionnel du lieu où la peine est purgée, exerce les compétences prévues par le code [de procédure pénale] concernant le traitement des détenus et contrôle l’exécution des peines et l’application des mesures de sécurité, conformément aux dispositions du présent code, du code pénal et des lois y afférentes. En vue d’exercer les fonctions susmentionnées, le procureur près le tribunal correctionnel visite la prison au moins une fois par semaine. Lors de ces visites, il entend les détenus qui ont préalablement sollicité une audition. (...) » Les dispositions pertinentes en l’espèce du code pénitentiaire (loi no 2776/1999) se lisent ainsi : Article 6 « 1. Les détenus ont le droit de s’adresser par écrit et dans un délai raisonnable au Conseil de la prison, en cas d’actes ou d’ordres illégaux pris à leur encontre et si les dispositions du présent code ne prévoient pas d’autre recours. Dans les quinze jours suivant la notification d’une décision de rejet ou un mois après le dépôt de la demande, si l’administration a omis de prendre une décision, les détenus ont le droit de saisir le tribunal compétent de l’exécution des peines. Si le tribunal fait droit au recours, il ordonne les mesures susceptibles de pallier l’acte ou l’ordre illégal (...) » Article 86 « (...) Chaque tribunal de l’exécution des peines est compétent pour les affaires concernant les détenus dans sa juridiction (...) » Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’arrêté ministériel no 58819/ 2003, du 7 avril 2003, se lisent ainsi : Article 6 « 1. Le contrôle de légalité sur l’exécution des peines privatives de liberté (...) est exercé par le procureur-superviseur compétent. Ce contrôle comprend (...) b) la garantie d’un juste traitement et de la protection judiciaire pour l’ensemble des détenus et c) l’information des autorités judiciaires et administratives compétentes sur le contenu des auditions ou des rapports de détenus ou de membres du personnel pénitentiaire qui font apparaître des indices que des actes répréhensibles ou des infractions disciplinaires ont été commis par ceux-ci . » Article 7 « 1. Dans le cadre de la supervision, le procureur collabore avec le directeur et les chefs hiérarchiques des différents secteurs de l’établissement pénitentiaire et fait des recommandations sur des questions qui concernent l’exécution des peines. Le procureur-superviseur ou son adjoint exercent des compétences juridictionnelles, disciplinaires et de contrôle. En particulier, le procureur : Veille à l’application des dispositions en vigueur concernant le traitement des détenus ainsi que de celles du code pénal et des lois spéciales relatives à l’exécution des peines et l’application des mesures de sûreté. (...) Entend les détenus, leurs proches et les avocats des premiers, à leur demande. (...) Examine les questions de protection juridictionnelle des détenus en indiquant aux intéressés les démarches à suivre et fait suivre aux autorités compétentes les demandes d’aide juridictionnelle des détenus (...) » Article 25 « Afin d’assurer le bon fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, les jours et heures d’audition des détenus sont fixés comme suit : a. Le procureur-superviseur auditionne des détenus pendant au moins deux heures une fois par semaine afin de garantir leur traitement équitable et leur protection judiciaire. b. Le directeur auditionne les détenus, si besoin, pour des questions qui relèvent de sa compétence. » Article 32 « En sus des droits mentionnés à l’article précédent, l’exercice par les détenus de leurs droits est facilité par l’adoption de mesures qui visent à réduire les effets négatifs de l’exécution des peines privatives de liberté. En particulier les détenus peuvent : (...) 3. se procurer auprès de la direction de la maison pénitentiaire tout produit nécessaire à leur hygiène et propreté personnelles ainsi que les vêtements nécessaires. » Article 37 « (...) Le directeur de l’établissement pénitentiaire prend les mesures nécessaires pour réduire les conséquences négatives résultant de l’exécution des peines et des mesures privatives de liberté. » B. Les rapports nationaux Le rapport du médiateur de la République hellénique, du 11 mai 2007, intitulé « Séjour de détenus condamnés au pénal dans les locaux de police » Du 15 au 16 mars 2007, le médiateur de la République hellénique effectua une visite à la Direction générale de la police de Thessalonique pour le transfert des détenus, afin d’examiner, entre autres, les conditions de détention. Il releva, notamment, que la détention dans les locaux de police pendant une période prolongée constituait une violation de l’article 3 de la Convention. Il recommanda aux autorités compétentes de garantir le plus rapidement possible à chaque personne détenue pour plus de vingt-quatre heures l’accès à l’exercice physique dans un espace en plein air et une restauration adéquate. La lettre du 13 mai 2009 du médiateur de la République hellénique adressée au ministère de la Justice, intitulée « Séjour de détenus condamnés au pénal dans les locaux de police » Le médiateur rappela au ministère son rapport daté du 11 mai 2007 (paragraphe 19 ci-dessus) et souligna à nouveau le problème des longs séjours de détenus dans les locaux de police. Selon le médiateur, ce problème se révélait plus important en Grèce du nord en raison du refus de la prison judiciaire de Thessalonique de recevoir un plus grand nombre de détenus. Le médiateur constata que depuis mai 2007, alors que deux années s’étaient écoulées, les conditions de détention ne s’étaient pas améliorées. Il nota que la situation était critique tant pour les détenus que pour les agents de police, comme cela avait été par ailleurs confirmé par un rapport de la direction de la police d’Imathia. Le médiateur avait déjà reçu des plaintes relatives à ce sujet de la part du barreau de Thessalonique et de la Ligue hellénique des droits de l’homme. Dans le même temps, un groupe de détenus avait entamé une grève de faim. En conclusion, le médiateur demanda au ministère de prendre rapidement toutes les mesures nécessaires pour résoudre le problème en cause. C. Les constats du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) Le 12e rapport général d’activités du CPT en date du 3 septembre 2002 La partie pertinente du rapport comprend ce qui suit : « (...) La détention par la police est (ou au moins devrait être) de relativement courte durée. Toutefois, les conditions de détention dans les cellules de police doivent remplir certaines conditions élémentaires. (...) » Le rapport du CPT en date du 17 novembre 2010 A la suite de sa visite en Grèce, du 17 au 29 septembre 2009, le CPT notait que dans ses rapports établis après ses visites de 2005, 2007 et 2008, il avait qualifié les conditions de détention dans les commissariats de police et les centres de rétention pour étrangers aux frontières de « sinistres », en raison du surpeuplement excessif, des conditions matérielles insuffisantes, de l’absence de ventilation et des problèmes d’hygiène. Lors de sa visite en 2009, le CPT constatait que ses constats faits alors étaient toujours d’actualité dans la majorité de ces commissariats et centres de rétention (paragraphes 48-49 du rapport).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1980 et réside à Athènes. Il travailla à partir de 2001 dans une entreprise de fabrication de bijoux. Le 4 mars 2003, il démissionna de ce poste pour effectuer son service militaire. Au terme de celui-ci, il prit contact avec S.K., la propriétaire de l’entreprise, qui le réembaucha à plein temps à partir du 1er juillet 2004, pour un salaire mensuel de 722,92 euros (EUR). En janvier 2005, le requérant confia à trois de ses collègues, I.M., S.M. et O.G., sa crainte d’avoir contracté le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Le 11 février 2005, alors qu’il était en congé annuel, un test établit qu’il était effectivement porteur du virus. Le 15 février, l’employeur, S.K., reçut une lettre des trois employées précitées soutenant que l’intéressé « avait le sida » et que l’entreprise devait le renvoyer avant la fin de son congé annuel. Toutes les trois avaient subi un test de dépistage, qui s’était révélé négatif. Entre-temps, des informations sur l’état de santé du requérant s’étaient répandues dans toute l’entreprise, qui comptait soixante-dix employés. Le personnel commença à se plaindre auprès de l’employeur d’avoir à travailler avec une personne séropositive et demanda son renvoi. S.K invita alors un médecin du travail à venir sur place aux fins d’éclairer le personnel sur le VIH et son mode de transmission. Le médecin tenta de rassurer les employés en leur expliquant quelles étaient les précautions à prendre. Le personnel persista à demander le renvoi du requérant. S.K. envisagea alors de transférer celui-ci dans un autre département de l’entreprise, sis à une adresse différente, mais le chef de ce département menaça de démissionner si le requérant intégrait son service. S.K. proposa alors à l’intéressé de quitter l’entreprise et, en échange, de l’aider à s’installer à son compte ; elle lui proposa aussi de lui payer une formation de coiffeur. Le requérant refusa ces offres. Le 21 février 2005, trente-trois employés de l’entreprise (la moitié du personnel environ) adressèrent à S.K. une lettre par laquelle ils l’invitaient à se séparer du requérant afin de « protéger leur santé et leur droit au travail », faute de quoi, à leurs yeux, le climat harmonieux qui régnait dans l’entreprise risquait de se dégrader. Le 23 février 2005, deux jours avant le retour de congé du requérant, S.K. le licencia en lui versant l’indemnité prévue par le droit grec, à savoir un salaire mensuel et une somme de 843,41 EUR au titre des congés payés. Peu après son licenciement, le requérant trouva un autre emploi dans une entreprise privée. Le 13 mai 2005, il saisit le tribunal de première instance d’Athènes. Il se plaignait que « des préjugés sociaux inadmissibles et des considérations taboues dépassées » l’eussent emporté sur la reconnaissance de sa contribution à l’entreprise où il travaillait. Selon lui, son licenciement était abusif et entaché de nullité du fait qu’on ne lui avait pas versé une indemnité suffisante. Il soutenait que cette mesure avait été dictée par « des considérations méprisables » qui ne tenaient pas compte « du facteur humain et de sa personnalité », que son employeur « était resté ostensiblement indifférent au fait que de cette manière il portait gravement atteinte à un salarié assidu et consciencieux, au moment même où des sentiments élémentaires d’humanisme indiquaient la nécessité de le soutenir, et en même temps avait ainsi cruellement insulté sa personnalité », et que l’employeur l’avait « traité avec une aversion injustifiée et inhumaine pour son grave problème de santé ». Le requérant ajoutait que l’unique motif qui avait amené S.K. à prendre cette décision était un préjugé (scientifiquement infondé) contre les personnes séropositives et le prétendu « risque » qu’elles représentaient dans leurs relations professionnelles et sociales. À ses yeux, il était donc évident que, par son comportement, S.K. avait porté une atteinte brutale à sa personnalité, en particulier dans ses aspects les plus intimes touchant à des données personnelles sensibles. Il estimait que la manière dont il avait été licencié constituait une dégradation inadmissible de sa valeur d’être humain, le réduisant à un « objet » qu’on pouvait gérer « au gré des préjugés et obsessions personnels ». Le requérant demandait au tribunal de déclarer nulle la résiliation de son contrat, d’ordonner à l’employeur de continuer à l’employer et de lui verser son salaire, de même que 9 397 EUR pour salaires impayés, 1 068,62 EUR au titre des allocations de congé, ainsi que diverses autres sommes chiffrées par lui et, enfin, 200 000 EUR pour dommage moral. Par un jugement du 13 juin 2006, le tribunal conclut que le licenciement était illégal car contraire à l’article 281 du code civil, qui prohibe l’exercice d’un droit s’il dépasse manifestement les limites imposées par la bonne foi ou les bonnes mœurs. Le tribunal reconnut que la résiliation du contrat avait été motivée uniquement par la maladie du requérant, auquel il alloua 6 339,18 EUR, somme correspondant aux salaires impayés depuis son licenciement. Le tribunal souligna que l’attitude de l’employeur, même si l’on tenait compte de la pression exercée par ses employés, constituait un abus de droit. Il estima que l’employeur avait décidé de se séparer du plaignant aux fins d’assurer le bon fonctionnement de son entreprise et d’éviter les protestations et les plaintes, et ainsi de gagner les bonnes grâces de la majorité du personnel. Toutefois, le tribunal rejeta le grief du requérant selon lequel son licenciement avait porté atteinte à sa personnalité, au motif qu’il n’était pas établi que cette mesure eût procédé d’une intention délictuelle ou d’une volonté de diffamer l’intéressé. Le tribunal releva en revanche que S.K. avait licencié le requérant afin de sauvegarder ce qu’elle avait estimé à tort être une question de relations de travail pacifiques au sein de son entreprise. Enfin, le tribunal considéra qu’il n’était pas nécessaire d’ordonner la réintégration du requérant, celui-ci ayant entre-temps trouvé un nouvel emploi. Le 26 février et le 15 mars 2007 respectivement, S.K. et le requérant interjetèrent appel contre ce jugement devant la cour d’appel d’Athènes. Par un arrêt du 29 janvier 2008, la cour d’appel rejeta l’appel de S.K. et accueillit celui du requérant dans ses deux moyens, à savoir l’abus de droit et l’atteinte à sa personnalité. À l’instar du tribunal de première instance, la cour d’appel admit que S.K. avait licencié le requérant en cédant aux pressions du personnel afin de préserver une bonne ambiance de travail au sein de son entreprise. La cour d’appel releva que les craintes des employés de l’entreprise étaient scientifiquement injustifiées, comme le leur avait expliqué le médecin du travail. En effet, compte tenu du mode de transmission du virus, il n’existait aucun danger pour leur santé. Ainsi, ces craintes reposaient en réalité sur des préjugés et non sur un risque avéré ; en conséquence, la maladie du requérant ne pouvait nuire au bon fonctionnement à venir de l’entreprise. La cour d’appel mit en balance, d’une part, la nécessité de sauvegarder le bon fonctionnement de l’entreprise alors que celui-ci était menacé par des réactions scientifiquement injustifiées et, d’autre part, l’espérance justifiée du requérant d’être protégé dans une période difficile pour lui. Elle souligna que si la maladie d’un salarié n’avait pas d’effet néfaste sur la relation de travail ou le bon fonctionnement de l’entreprise (comme par exemple en cas d’absence de l’intéressé ou de réduction de sa capacité de travail), elle ne pouvait pas servir de justification objective pour la dénonciation du contrat. Elle constata que le requérant ne s’était pas absenté de son travail et qu’aucune absence pour cause de maladie n’était prévisible dans un futur immédiat. Par ailleurs, elle estima que compte tenu de la nature de son travail, qui n’entraînait pas de surmenage, l’intéressé ne courait pas le risque de voir sa capacité de travail se réduire, au motif que pendant les nombreuses années où un malade reste simple porteur du VIH ses capacités ne diminuent pas de façon importante. Elle constata que la maladie du requérant ne pouvait pas avoir d’effet préjudiciable au bon fonctionnement à venir de l’entreprise, dès lors qu’aucun salarié n’avait quitté l’entreprise entre le moment où la maladie de l’intéressé avait été révélée et la dénonciation du contrat de travail. Elle conclut que le fait pour S.K. « d’avoir cédé aux demandes des employés, d’avoir renvoyé le requérant et mis fin à son contrat ne pouvait être justifié par la bonne foi ou l’intérêt de l’employeur entendu dans le bon sens du terme ». La cour d’appel octroya au requérant la somme de 6 339,18 EUR pour salaires impayés à partir de la date du licenciement. Elle souligna aussi que l’intéressé avait été affecté dans sa personnalité, dès lors que son licenciement illégal avait porté atteinte à son statut professionnel et à son statut social, qui constituaient les deux facettes de la personnalité de tout un chacun. Aussi lui alloua-t-elle 1 200 EUR supplémentaires pour dommage moral. Le 4 juillet 2008, S.K. se pourvut en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel. Le 16 octobre 2008, le requérant introduisit lui aussi un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel. Il se fondait sur les articles 180 (nullité d’un acte juridique), 281 (abus de droit) et 932 (réparation du préjudice moral) du code civil, et sur l’article 22 (droit au travail) de la Constitution, ainsi que sur le principe de proportionnalité pour ce qui concernait le montant de l’indemnité. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, il affirmait en outre que lorsqu’un licenciement avait été annulé par décision judiciaire comme étant abusif, l’employeur avait l’obligation de réintégrer l’employé. Plus précisément, dans son deuxième moyen de cassation, il estimait que l’arrêt de la cour d’appel avait à tort rejeté sa demande de réintégration au sein de l’entreprise ; à cet égard, il faisait valoir que cette mesure était la règle en cas de violation de l’article 281, ou en cas d’atteinte illégale à la personnalité ou au droit au développement de la personnalité et à la participation à la vie professionnelle. Par un arrêt no 676/2009 du 17 mars 2009 (mis au net le 4 juin 2009), la Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel, au motif notamment que celle-ci avait mal interprété et appliqué l’article 281 du code civil aux faits de la cause. Elle considéra que la résiliation d’un contrat de travail n’était pas abusive si elle était justifiée par les intérêts de l’employeur, « dans le bon sens du terme », comme le rétablissement d’une collaboration harmonieuse entre employés et du bon fonctionnement de l’entreprise lorsque ceux-ci risquaient d’être perturbés par le maintien en fonction de l’employé licencié. La Cour de cassation s’exprima ainsi : « Dès lors que le licenciement (...) ne résulte pas de la malveillance, de l’esprit de vengeance ou d’une quelconque agressivité de la part de [l’employeur] envers [l’employé], le licenciement était pleinement justifié par les intérêts de l’employeur, dans le bon sens du terme [intérêts], en ce qu’il a été décidé afin de rétablir le calme au sein de l’entreprise ainsi que son bon fonctionnement. En effet, les employés étaient fortement perturbés par la maladie extrêmement sérieuse et contagieuse du [requérant], source pour eux de sentiments d’insécurité et de peur quant à leur santé, ce qui les avait incités à solliciter collectivement et par écrit son renvoi en soulignant que, dans le cas contraire, le bon fonctionnement de l’entreprise serait gravement entravé (...) » Enfin, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant pour défaut d’objet et renvoya l’affaire devant la cour d’appel. L’initiative de la procédure appartenant aux parties, il se trouve que ni le requérant ni son employeur n’invitèrent la cour d’appel à se prononcer sur le renvoi. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit interne Les articles pertinents de la Constitution hellénique se lisent ainsi : Article 9 § 1 « (...) La vie privée et familiale de l’individu est inviolable (...) » Article 22 § 1 « Le travail constitue un droit et est sous la protection de l’État, qui veille à la création des conditions du plein emploi pour tous les citoyens, ainsi qu’au progrès moral et matériel de la population active, rurale et urbaine. » Article 25 § 1 « Les droits de l’homme, ce dernier pris en tant qu’individu et membre du corps social, tout comme le principe de l’État de droit social, sont garantis par l’État. Tous les organes de l’État sont tenus d’en assurer l’exercice libre et effectif. Ces principes sont également valables dans les relations entre particuliers dans les cas où ils trouvent à s’appliquer. Les restrictions de tout ordre qui peuvent être imposées à ces droits selon la Constitution doivent être prévues soit directement par la Constitution soit par la loi, (...) dans le respect du principe de proportionnalité. » L’article 1 de la loi no 2112/1920 relative au licenciement et à la dénonciation des contrats des employés du secteur privé dispose : « Le licenciement d’un salarié du secteur privé, recruté sur un contrat à durée indéterminée, et ayant été employé pendant plus de deux mois, ne peut avoir lieu sans dénonciation écrite préalable du contrat de travail (...) » Les articles pertinents de la loi no 3304/2005 relative à l’égalité de traitement (race, nationalité, religion, âge, orientation sexuelle) sont ainsi libellés : Article 1 (but) « Le but de la présente loi est l’adoption d’un cadre réglementaire général destiné à combattre la discrimination fondée sur la religion ou d’autres convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans le domaine de l’emploi (...) et à assurer l’application du principe de l’égalité de traitement. » Article 2 (principe de l’égalité de traitement) « 1. La discrimination, directe ou indirecte, pour l’un des motifs visés à l’article 1, est interdite. Est aussi considéré comme une discrimination le harcèlement (...), qui a pour but ou effet de porter atteinte à la dignité de la personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou agressif. » Article 10 (adaptations raisonnables à l’égard de personnes atteintes d’un handicap) « Pour se conformer au principe de l’égalité de traitement des personnes atteintes d’un handicap, l’employeur doit prendre toutes les mesures requises par les circonstances afin que ces personnes puissent avoir accès à un poste de travail, exercer une activité et évoluer, et participer à la formation professionnelle, pour autant que ces mesures n’impliquent pas une charge déraisonnable pour l’employeur (...) » Article 12 (action positive et mesures spéciales) « 1. Ne constitue pas une discrimination l’adoption ou le maintien de mesures spéciales ayant pour but la prévention ou la compensation de désavantages reposant sur des motifs religieux ou d’autres convictions, ou sur des motifs touchant à l’invalidité, l’âge ou l’orientation sexuelle. Ne constitue pas une discrimination, s’agissant de personnes atteintes d’un handicap, l’adoption ou le maintien de dispositions ayant trait à la protection de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail, ou de mesures qui tendent à la création et au maintien des conditions ou facilités nécessaires à la préservation et à l’encouragement de leur intégration à l’activité et au travail. » B. La Commission nationale pour les droits de l’homme Le 27 janvier 2011, la Commission nationale pour les droits de l’homme établit un rapport relatif aux « questions de protection des droits des personnes porteuses du VIH ». Dans son introduction, le rapport précisait : « La raison pour laquelle la Commission nationale pour les droits de l’homme se penche sur les questions de protection des droits des personnes porteuses du VIH tient au constat d’un déficit dans la jouissance par ceux-ci des droits fondamentaux, déficit aggravé par la stigmatisation, les manifestations d’intolérance, la violation de la confidentialité et d’autres discriminations sociales à leur détriment. L’impulsion a été donnée par l’arrêt no 676/2009 de la Cour de cassation, par lequel la juridiction suprême a en fait approuvé la légalité du licenciement d’un salarié porteur du virus et les conditions dans lesquelles cette mesure était intervenue. Compte tenu de l’importance de cette décision – qui constitue le premier précédent jurisprudentiel dans les annales judiciaires du pays – et du fait qu’elle a mis en exergue un unique mais important aspect des problèmes auxquels sont confrontés les porteurs du virus, la Commission a mené avec plusieurs organismes et institutions une consultation qui avait pour objet la protection des droits de ces personnes. Lors de ce débat, plusieurs questions ont été abordées, mais celles qui ont été jugées les plus importantes sont les suivantes : a) la stigmatisation provoquée par le VIH/sida, b) les traitements discriminatoires envers les porteurs du virus, notamment dans le cadre du travail, c) l’accès de ces personnes aux services de santé et d) la protection de leur vie privée. » Dans ses considérations finales, la commission relevait : « La nécessité de protéger les droits des personnes séropositives et d’institutionnaliser et d’appliquer les principes fondamentaux sur lesquels ces droits reposent est actuelle et impérieuse, eu égard au fait que, selon les dernières données officielles, la maladie semble atteindre des niveaux inquiétants dans notre pays. Les risques ne résultent pas seulement de la maladie elle-même et de son expansion, mais aussi de la formation et de la consolidation de conceptions dangereuses et scientifiquement infondées à travers la jurisprudence des tribunaux, qui admet que les salariés séropositifs constituent un « danger » dans leur environnement de travail. Enfin, nous devons souligner que la protection des droits des personnes séropositives ne concerne pas seulement celles-ci mais aussi la santé publique en général, en ce sens que si ces personnes ne sont pas protégées, elles hésiteront à se faire dépister (...), ce qui sapera les efforts des organismes de santé publique tendant à limiter la propagation de la maladie. » III. TEXTES EUROPÉENS ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. La Recommandation no 200 de l’Organisation internationale du travail (OIT) concernant le VIH et le sida et le monde du travail (2010) Cette recommandation est le premier instrument des droits de l’homme sur le VIH et le sida dans le monde du travail. Elle a été adoptée, à une large majorité, par les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs des États membres de l’OIT à la Conférence internationale du travail, en juin 2010. Elle dispose notamment : « 3. (...) c) aucune discrimination ni stigmatisation ne devrait s’exercer à l’encontre des travailleurs, notamment des personnes à la recherche d’un emploi et des demandeurs d’emploi, en raison de leur statut VIH réel ou supposé, ou de leur appartenance à des régions du monde ou à des groupes de population perçus comme plus exposés ou plus vulnérables au risque d’infection à VIH ; (...) Les gouvernements, en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs les plus représentatives, devraient envisager d’offrir une protection égale à celle que prévoit la convention concernant la discrimination (emploi et profession), 1958, afin d’empêcher toute discrimination fondée sur le statut VIH réel ou supposé. Le statut VIH réel ou supposé ne devrait pas être un motif de discrimination empêchant le recrutement ou le maintien dans l’emploi, ni la recherche de l’égalité de chances, conformément aux dispositions de la convention concernant la discrimination (emploi et profession), 1958. Le statut VIH réel ou supposé ne devrait pas être un motif de licenciement. L’absence temporaire du travail en raison de la prise en charge de tiers ou d’une maladie liée au VIH ou au sida devrait être traitée comme absence pour autres raisons de santé, compte tenu de la convention sur le licenciement, 1982. Lorsque les mesures existantes en cas de discrimination sur le lieu de travail ne suffisent pas à assurer une protection efficace contre la discrimination liée au VIH et au sida, les Membres devraient les adapter ou en mettre en place de nouvelles et en assurer la mise en œuvre effective et transparente. » B. Les textes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (« APCE ») a évoqué la question du VIH/sida dans un certain nombre de documents. Dans sa Recommandation 1116 (1989) sur le sida et les droits de l’homme, elle s’est exprimée ainsi : « 3. Constatant que si le Conseil de l’Europe s’est préoccupé dès 1983 de la prévention, les aspects éthiques n’ont été qu’effleurés ; Estimant pourtant qu’il est primordial de veiller à ce que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ne soient pas mis en péril au nom de la peur qu’inspire le sida ; Inquiète en particulier des discriminations dont sont victimes certains malades ou même des personnes séropositives ; (...) Recommande au Comité des Ministres : A. de charger le Comité directeur pour les droits de l’homme d’accorder la priorité au renforcement de la clause de non-discrimination de l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, soit en ajoutant la santé parmi les motifs de distinction interdits, soit en élaborant une clause générale d’égalité de traitement devant la loi ; (...) » Dans sa Résolution 1536 (2007) sur le VIH/sida en Europe, l’APCE a réaffirmé son engagement à combattre toutes les formes de discrimination contre les personnes vivant avec le VIH/sida : « 9. Soulignant que la pandémie du VIH/sida est une urgence à la fois médicale, sociale et économique, l’Assemblée appelle les parlements et les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe : à faire en sorte que leurs lois, leurs politiques et leurs pratiques respectent les droits de l’homme dans le contexte du VIH/sida, en particulier les droits à l’éducation, au travail, au respect de la vie privée, à la protection et à l’accès à la prévention, aux traitements, aux soins et à l’assistance ; à protéger les personnes vivant avec le VIH/sida contre toute forme de discrimination tant dans le secteur public que dans le secteur privé (...) » C. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels L’article 2 § 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose que les droits énoncés dans cet instrument « seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». Dans son Observation générale no 20 sur la non-discrimination (2009), le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies a expressément déclaré que la formule « toute autre situation » figurant à la fin de l’article 2 § 2 du Pacte comprenait l’état de santé, en particulier la séropositivité : « 33. L’état de santé renvoie à la santé physique ou mentale d’une personne. Les États parties devraient veiller à ce que l’état de santé réel ou perçu d’une personne ne soit pas un obstacle à la réalisation des droits consacrés par le Pacte. La protection de la santé publique est souvent citée par les États pour justifier des restrictions des droits de l’homme en raison de l’état de santé d’une personne. Or, nombre de ces restrictions sont discriminatoires, par exemple lorsque la séropositivité sert de justification à un traitement différencié en ce qui concerne l’accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé, aux voyages, à la sécurité sociale, au logement et à l’asile. (...) » [renvois omis] D. L’arrêt de la Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud dans l’affaire Hoffmann v. South African Airways Dans l’affaire Hoffmann v. South African Airways (CCT 17/00, 28 septembre 2000), la Cour constitutionnelle avait été saisie au sujet d’une décision de la High Court de Witwatersrand relative à la discrimination dans l’emploi subie par M. Hoffmann, membre du personnel navigant commercial (steward) de la compagnie aérienne South African Airways, du fait qu’il était séropositif. Cette dernière présentait trois arguments : la réaction dangereuse des personnes séropositives au vaccin de la fièvre jaune, le risque de contamination des passagers et des autres membres de la compagnie, et la faible rentabilité de tels agents dès lors qu’ils étaient condamnés à une espérance de vie plus réduite que les autres. La Cour constitutionnelle jugea à l’unanimité que les droits constitutionnels de M. Hoffmann avaient été méconnus en raison de cette discrimination. En premier lieu, elle estima qu’une distinction devait être faite entre les personnes séropositives et les personnes souffrant d’immunodéficience. Elle souligna que M. Hoffmann était uniquement séropositif au moment de son licenciement et de la décision de la Cour, et ajouta que la pratique d’autres compagnies aériennes étrangères était sans incidence sur l’examen de la constitutionnalité de la décision. En second lieu, elle admit que les préoccupations commerciales d’une entreprise étaient légitimes, mais considéra qu’elles ne devaient pas servir à justifier une position déguisée à travers laquelle étaient méconnus les droits fondamentaux élémentaires que sont la dignité humaine, la compassion et la tolérance à l’égard d’autrui. Elle ajouta que compte tenu de ces impératifs les personnes touchées par le VIH étaient dans une situation de fragilité particulière qui exigeait une protection complète de la part du système juridique. Pour ces raisons, la Cour constitutionnelle conclut que la violation des droits de M. Hoffmann imposait à la compagnie aérienne de lui faire immédiatement une offre d’emploi et de supporter les coûts de l’instance. IV. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ Selon une étude comparative de la législation de trente États membres du Conseil de l’Europe sur la protection contre la discrimination sur le lieu de travail offerte aux personnes atteintes du VIH, sept États (Albanie, Azerbaïdjan, Italie, République de Moldova, Roumanie, Royaume-Uni et Russie) ont adopté des textes législatifs spécifiques à ce sujet. Dans les vingt-trois autres États qui ne disposent pas de tels textes, les porteurs du VIH confrontés à des différences de traitement sur leur lieu de travail peuvent se fonder sur les dispositions générales de la législation nationale en matière de non-discrimination. Les décisions des juridictions internes et d’autres organes chargés de la protection des droits de l’homme dans certains de ces États montrent que ceux-ci accordent aux personnes vivant avec le VIH une protection contre le licenciement, par le biais de l’interdiction visant d’autres motifs de discrimination, comme la santé ou le handicap. Ainsi, à titre d’exemple, en France, le 6 septembre 2012, la Commission pour l’égalité de traitement (depuis octobre 2012, le Conseil des droits de l’homme) a considéré que la loi sur l’égalité de traitement au regard du handicap ou de la maladie chronique n’obligeait pas un employé (il s’agissait en l’occurrence d’un employé séropositif licencié par un café-restaurant) à révéler sa maladie, sauf si cela était nécessaire à l’exécution de son travail. La Commission a aussi estimé que le préjugé supposé de la clientèle envers une personne séropositive ne pouvait pas justifier la cessation du contrat. Le 13 décembre 1995, le tribunal correctionnel de Pontoise, en France, a condamné un employeur à une peine de cinq mois d’emprisonnement avec sursis et à 3 000 EUR de dommages et intérêts pour avoir licencié, pour un motif prétendument économique, un de ses employés, assistant vétérinaire, qui était séropositif. Avant même l’adoption en Belgique de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, le tribunal du travail de Dendermonde avait jugé, le 5 janvier 1998, qu’un employeur avait abusé de son droit de licenciement en licenciant un employé en raison de sa séropositivité. Le Tribunal fédéral suisse (arrêt ATF 127 III 86) a déclaré qu’un licenciement fondé exclusivement sur l’infection par le VIH était discriminatoire et abusif au sens de l’article 336 du code des obligations. Le 18 octobre 2004, le tribunal régional de Poltava, en Ukraine, a condamné le rédacteur en chef d’un journal à verser une indemnité à un journaliste qu’il avait licencié parce qu’il était porteur du VIH. En Croatie, à la suite de l’intervention du médiateur de la République, le règlement sur la police, qui prévoyait qu’une personne séropositive ne pouvait pas devenir ou rester officier de police, a été amendé. Le 23 novembre 2009, la Cour constitutionnelle polonaise a jugé inconstitutionnelle une disposition du règlement du ministère de l’Intérieur selon laquelle un officier de police séropositif devait automatiquement être déclaré inapte au service. Le 26 avril 2011, la Cour suprême russe a annulé une disposition du règlement sur l’aviation civile qui interdisait aux personnes séropositives de travailler comme pilotes sur tous types d’avions.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les coordonnées des requérants figurent dans le tableau annexé à l’arrêt [voir la version intégrale de l’arrêt, disponible en anglais sur Hudoc]. La genèse de l’affaire La première requérante, Mme Tarantino Le 4 septembre 2007, deux mille étudiants, dont Mme Tarantino, passèrent le concours d’entrée à la Faculté de médecine de Palerme, pour deux cent dix places disponibles. Mme Tarantino échoua à ce concours, ainsi qu’à ceux de 2008 et de 2009. Le 14 décembre 2007, Mme Tarantino et d’autres étudiants saisirent le Président de la République d’une plainte dans laquelle, critiquant en particulier les deux critères contraignants utilisés par le ministère pour fixer le nombre d’étudiants admis à étudier dans la faculté de médecine de chaque université (paragraphe 17 ci-dessous), ils alléguaient que la loi no 264/1999 était incompatible avec l’article 3 § 2 c) et g) du Traité instituant la Communauté économique européenne, avec la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, avec l’article 15 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, avec l’article 6 § 2 du Traité sur l’Union européenne, avec le principe d’égalité et avec l’article 2 du Protocole no 1 à la Convention. La première requérante contestait également, d’une part, la décision de l’État d’imposer les mêmes limites aux universités privées et, d’autre part, la pertinence des concours d’entrée. Elle demandait en outre à être admise à titre provisoire et conditionnel à l’université. Par un décret du 2 juillet 2008, le Conseil d’État (Consiglio di Stato) rejeta la demande de mesure provisoire introduite par la première requérante. Le 23 septembre 2008, la première requérante présenta des observations complémentaires et réitéra sa demande d’obtention d’un arrêt préjudiciel de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Ses observations furent transmises au Conseil d’État en octobre 2008. Par un décret (no 2256) du 28 avril 2009, adopté sur le fondement d’un avis consultatif rendu par le Conseil d’État le 12 novembre 2008 et notifié à la première requérante le 14 mai 2009, le Président de la République rejeta ces griefs. Il précisait que, compte tenu des ressources humaines et matérielles des universités, les restrictions contestées à l’entrée en faculté, en vertu desquelles seuls les étudiants les plus méritoires étaient admis, étaient raisonnables et, partant, compatibles avec les dispositions du droit de l’Union européenne (UE) invoquées. Il soulignait qu’en outre, en raison de l’accroissement des besoins de la société en médecins qualifiés, les admissions dans les facultés de médecine en 2008-2009 avaient augmenté à hauteur de 10 à 20 %. Il notait qu’après l’obtention d’un diplôme, l’examen professionnel n’était pas un titre académique en soi mais un examen d’État semblable à ceux organisés dans la plupart des États. Enfin, il rejetait l’allégation selon laquelle la teneur des épreuves était inadaptée. Les sept autres requérants Les sept autres requérants exerçaient depuis plusieurs années en tant que techniciens ou hygiénistes dentaires. Le 4 septembre 2009, malgré leur expérience professionnelle pertinente, tous échouèrent au concours d’entrée en faculté d’odontologie (médecine dentaire). Toutes leurs tentatives ultérieures furent vaines également. M. Marcuzzo (« le huitième requérant ») avait pourtant réussi le concours d’entrée pour l’année universitaire 1999-2000. Cependant, ayant manqué à passer les examens pendant huit années consécutives en raison de graves problèmes familiaux, il avait perdu son statut d’étudiant en juillet 2009, en vertu du règlement de l’Université et de l’article 149 du décret royal no 1592/1933. Ces sept requérants admettent qu’ils n’ont pas exercé les recours internes disponibles, expliquant qu’ils les estimaient ineffectifs car, en vertu de la jurisprudence bien établie du Conseil d’État, l’imposition de limites à l’accès aux universités est compatible avec la Constitution et avec le droit de l’UE (voir, entre autres, l’avis consultatif susmentionné du 12 novembre 2008). Le huitième requérant ajoute que le Conseil d’État a toujours dit que les raisons subjectives telles que les problèmes familiaux (cas dont il relève) ne pouvaient justifier qu’il soit fait exception à la règle de la continuité des études et que, partant, il n’aurait pas pu obtenir gain de cause devant la haute juridiction. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. La loi no 127/1997 La loi no 127/1997, qui modifie l’article 9 § 4 de la loi no 341/1990, a introduit le numerus clausus (limitation du nombre de places) dans les universités italiennes publiques et privées. En son article 17 § 116, elle dispose qu’il incombe au ministère des Universités et de la Recherche scientifique et technologique de fixer le numerus clausus. Cependant, elle ne pose pas de critères clairs à partir desquels déterminer les facultés qui doivent faire l’objet de restrictions, le nombre de places disponibles et la procédure de sélection. Le 27 novembre 1998 (arrêt no 383/1998), saisie d’une demande d’examen de la constitutionnalité de l’article 17 § 116 de la loi no 127/1997, la Cour constitutionnelle rendit un arrêt dans lequel elle confirmait la constitutionnalité de cette loi. Elle considéra que la latitude dont jouissait le ministère des Universités et de la Recherche n’était pas illimitée puisqu’il devait agir conformément à un cadre juridique préétabli. À cet égard, elle souligna que, s’il n’y avait pas de textes nationaux sur la question, le ministère devait néanmoins respecter les directives européennes pertinentes, lesquelles visaient à assurer un niveau adéquat d’éducation dans l’UE. Enfin, elle estima qu’il appartenait au Parlement de se prononcer sur ce sujet. Après cet arrêt de la Cour constitutionnelle, la loi no 264/1999 fut adoptée. Cette loi prévoyait que le ministère des Universités et de la Recherche fixerait les quotas d’entrée en faculté de médecine, de médecine vétérinaire, d’odontologie, d’architecture et de sciences infirmières à partir de deux critères contraignants : les capacités d’accueil et les ressources des universités d’une part, et les besoins de la société pour chaque profession (fabbisogno di professionalità del sistema sociale e produttivo) d’autre part. À partir de ces critères, le ministère devrait fixer le nombre de places ouvertes dans chaque faculté concernée. Le 21 avril 2009, l’Autorité de la concurrence et du marché (« l’autorité de la concurrence ») émit une recommandation relative aux critères d’admission en faculté d’odontologie. Elle nota que : a) en pratique, les deux critères prévus par la loi étaient appliqués sur la base des observations du ministère des Universités et de la Recherche scientifique et technologique et du ministère de la Santé, et b) toutes les données collectées étaient examinées par un panel d’experts composé notamment de représentants de la Fédération nationale des médecins et de l’Ordre des médecins et des dentistes. L’autorité de la concurrence était d’avis que le gouvernement italien ne respectait pas l’arrêt no 383/1998 de la Cour constitutionnelle (paragraphe 16 ci-dessus) ni le droit de l’UE car, alors qu’ils devaient juridiquement tenir compte tant des normes pédagogiques que du besoin en professionnels de la santé, les ministères établissaient les chiffres sur la base exclusive du besoin en professionnels de la santé dans le secteur public national. Elle estimait que, dès lors, la limitation de l’admission en faculté d’odontologie était constitutive d’une restriction déraisonnable de la concurrence dans les professions libérales car, en tenant compte uniquement des besoins des services publics de santé et non de ceux des services privés, on réduisait artificiellement le nombre de dentistes nécessaires, de sorte que les frais dentaires augmentaient de manière injustifiée. De plus, elle était préoccupée par le fait que des associations professionnelles participent au panel d’experts, leurs décisions risquant d’être fortement influencées par leurs propres intérêts. Pour être admis, les candidats au concours d’entrée devaient répondre correctement à un questionnaire à choix multiple comprenant quatre-vingts questions de culture générale (y compris des questions d’histoire et de géographie internationales), de biologie, de chimie, de mathématiques et de physique. L’examen, qui reposait sur le programme de lycée, visait à tester l’aptitude des candidats à étudier la matière de la faculté de leur choix. B. La jurisprudence Les juridictions internes compétentes ont jugé à plusieurs reprises que le numerus clausus et la manière dont il était appliqué dans le cadre juridique italien étaient conformes tant à la Constitution qu’au droit de l’UE. Parmi les exemples d’arrêts en ce sens, on peut citer les arrêts nos 1931 du 29 avril 2008, 5418 du 24 juin 2008 et 5542 du 6 juin 2008 du Conseil d’État, l’arrêt no 197 du 12 février 2007 du tribunal administratif de Florence, l’arrêt no 4559 de 2008 du tribunal administratif de Naples, l’arrêt no 1931 du 17 avril 2008 du tribunal administratif de Florence, l’arrêt no 145 du 11 juin 2008 du tribunal administratif de Trente et l’arrêt no 1631 du 15 avril 2010 du Conseil d’État. En particulier, répondant à un argument selon lequel le critère relatif au besoin de la société en une profession particulière ne devait pas être limité au territoire national, à l’exclusion des besoins actuels et imminents de la Communauté européenne dans son ensemble, le Conseil d’État a dit, dans son arrêt no 1931 du 29 avril 2008, qu’il était évident que le critère principal et déterminant était celui qui concernait les capacités d’accueil et les ressources des universités et visait à permettre une bonne formation scientifique comme l’exigeait la législation européenne, et que, comme l’avait dit précédemment la Cour constitutionnelle (arrêt no 393 de 1998), le droit à l’accès à l’enseignement supérieur, même pour les étudiants les plus méritoires, dépendait de la disponibilité de moyens techniques et de ressources humaines, en particulier dans le domaine des études scientifiques, qui étaient à la fois théoriques et pratiques. Il a observé que le droit de l’UE n’interdisait pas le numerus clausus et que les directives européennes prévoyaient la reconnaissance des titres et des diplômes à partir de normes minimales d’études et de garanties de l’obtention réelle des connaissances nécessaires pour exercer une profession, mais laissaient à chaque État le soin de déterminer les instruments, les moyens et les méthodes à employer pour respecter les obligations qu’elles fixaient. Il a estimé que le critère relatif au besoin de la société pour une profession particulière était moins important que celui qui concernait les capacités et les ressources, et même secondaire, n’entrant en jeu que dans le cas improbable où la disponibilité aurait été si abondante qu’il aurait été nécessaire de limiter l’accès à la profession afin d’éviter de saturer le marché. Il a considéré qu’il fallait voir dans la recommandation de limiter le nombre d’étudiants inscrits émise par le ministère de la Santé (recommandation qui formait la base de la décision relative au nombre de places disponibles pour les années 2006-2007) une restriction quantitative adoptée non pas en vue des besoins de la société mais dans le souci de faire en sorte que les études spécialisées répondent aux normes européennes. Considérant que, d’une part, il n’avait pas été prouvé que ce critère jouait un rôle dans la fixation du nombre de candidats à inscrire chaque année et que, d’autre part, le droit de l’UE ne prévoyait pas un accès illimité et inconditionnel à l’enseignement supérieur, il a estimé qu’il n’était pas nécessaire de saisir la CJCE de la question. Selon l’arrêt no 1855 de 2005 du Conseil d’État, la limite de huit ans prévue par le décret no 1592 de 1933 n’est pas une période de prescription qui peut être interrompue mais le délai maximal à l’issue duquel le droit (d’assister aux cours) s’éteint. C. Le droit de l’Union européenne pertinent L’article 39 (ancien article 48) du Titre III du Traité instituant la Communauté européenne porte sur la libre circulation des personnes, des services et des capitaux. Il est ainsi libellé : « 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de la Communauté. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique : a) de répondre à des emplois effectivement offerts ; b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres ; c) de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux ; d) de demeurer, dans des conditions qui feront l’objet de règlements d’application établis par la Commission, sur le territoire d’un État membre, après y avoir occupé un emploi. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique. » Les autres textes pertinents de l’Union européenne comprennent : la directive 86/457/CEE du Conseil du 15 septembre 1986 relative à une formation spécifique en médecine générale, la directive 93/16/CEE du Conseil du 5 avril 1993 visant à faciliter la libre circulation des médecins et la reconnaissance mutuelle de leurs diplômes, certificats et autres titres, et la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1967, 1972, 2002 et 2004 et résident à Varna. Les deux premiers requérants sont époux. La troisième et la quatrième requérantes sont les filles mineures du couple. A. Le contexte général de l’affaire Le premier requérant, M. Gutsanov, est député à l’Assemblée nationale élu sur la liste du Parti socialiste, membre du bureau exécutif central du Parti socialiste et vice-président de la section régionale du même parti. À l’époque des faits, il était président du conseil municipal de Varna élu sur la liste de son parti. Entre décembre 2009 et avril 2010, le ministère bulgare de l’Intérieur effectua sur le territoire du pays plusieurs opérations policières qui visaient au démantèlement de différents groupes criminels. Au cours de ces opérations, la police procéda à l’arrestation de plusieurs individus, y compris d’hommes et de femmes politiques, ce qui fut largement couvert par les médias et suscita l’intérêt du grand public. Plusieurs hommes politiques, y compris le premier ministre et le ministre de l’Intérieur, ainsi que différents procureurs et commissaires de police, furent régulièrement sollicités par les médias pour commenter ces arrestations et les poursuites pénales qui s’ensuivirent. La Cour a été saisie d’une série de requêtes faisant suite à ces événements (Maslarova c. Bulgarie, no 26966/10 ; Aleksey Petrov (II) c. Bulgarie, no 30336/10 ; Kostadinov c. Bulgarie, no 37124/10 ; Tsonev c. Bulgarie, no 44885/10 ; Petrov et Ivanova c. Bulgarie, no 45773/10 ; Stoyanov et autres c. Bulgarie, no 55388/10). B. L’intervention de la police au domicile des requérants Le 30 octobre 2009, le parquet de la ville de Sofia ouvrit des poursuites pénales contre X pour abus de pouvoir de fonctionnaire et détournement de fonds publics ayant entraîné un préjudice important pour la société municipale des transports en commun à Varna. Les faits en cause avaient eu lieu entre 2003 et 2007. Le 8 février 2010, le procureur général ordonna le transfert du dossier de l’enquête pénale en cause au parquet régional de Varna. L’instruction devait être menée par la police de Varna sous la direction et la surveillance du parquet régional de la même ville. Dans le cadre de cette enquête pénale, le 31 mars 2010, vers 6 h 30, une équipe d’agents de police pénétra dans la maison familiale des requérants et procéda à l’arrestation de M. Gutsanov et à la perquisition des lieux. Les faits entourant cette opération policière sont contestés par les parties. La version des requérants Le 31 mars 2010 au petit matin, M. et Mme Gutsanovi dormaient dans leur chambre au deuxième étage de leur maison à Varna. Leurs deux filles dormaient dans leur chambre respective à l’étage inférieur. La maison familiale était dotée d’un système de vidéosurveillance et un gardien de nuit, dénommé D.P., était posté à l’entrée de la propriété. Vers 6 h 30, D.P. aurait aperçu sur l’écran de vidéosurveillance deux ou trois véhicules de police qui seraient passés en silence, les feux éteints, devant le portail du jardin de la maison et se seraient arrêtés un peu plus loin. Peu après, un groupe de policiers serait apparu devant l’entrée de la propriété et les agents auraient commencé à frapper bruyamment au portail et à exiger son ouverture immédiate. D.P. serait descendu de son poste de garde et aurait ouvert le portail. Il aurait alors aperçu deux policiers en tenue civile, quatre ou cinq autres agents en uniforme et un groupe de quatre ou cinq agents cagoulés du commando spécialisé du ministère de l’Intérieur. D.P. aurait été immobilisé et menotté par les policiers et on lui aurait demandé si les propriétaires de la maison étaient là. Il aurait répondu par l’affirmative et fait remarquer aux policiers qu’il y avait deux jeunes enfants dans la maison. On lui aurait demandé d’ouvrir la porte d’entrée de la maison, mais il aurait expliqué qu’il n’en avait pas les clés. Le groupe de policiers se serait précipité vers la porte de la maison en criant « Police ! Ouvrez ! » Certains des agents se seraient mis à ouvrir la porte à l’aide de différents instruments d’effraction (bélier, levier, pied de biche). D’après le témoignage de D.P., les policiers seraient parvenus à ouvrir la porte au bout de cinq à dix minutes et auraient pénétré dans la cage d’escalier de la maison. M. et Mme Gutsanovi affirment qu’ils furent brusquement réveillés par le bruit de coups portés à la porte et par des cris. Ils se seraient précipités à l’étage inférieur et auraient emmené leurs filles dans leur chambre à coucher au deuxième étage de la maison. M. Gutsanov affirme qu’il sortit ensuite de la chambre avec l’intention de voir et comprendre ce qui se passait réellement. À ce momentlà, il aurait entendu le bruit de plusieurs personnes qui montaient l’escalier et criaient « Montrez-vous » et « Nous sommes des policiers ». Il serait immédiatement retourné dans la chambre au deuxième étage où se trouvaient ses filles et son épouse. Peu après, les policiers cagoulés et armés auraient pénétré dans la chambre à coucher des parents et braqué leurs armes, munies de lampes torches, sur M. Gutsanov, son épouse et leurs deux filles en criant « Police ! Ne bougez pas ! » M. Gutsanov aurait été plaqué contre le mur, puis emmené à l’étage inférieur, agenouillé et menotté. D’après les déclarations de M. et Mme Gutsanovi, leurs deux filles, qui se trouvaient sur le lit de leurs parents, criaient et pleuraient de peur. Les policiers auraient ordonné à Mme Gutsanova de mettre la têtes sous une couette, ce qu’elle aurait fait. Peu après, M. Gutsanov aurait été autorisé à monter au deuxième étage et à s’habiller. À 7 h 30, le chauffeur de la famille et la nourrice des enfants seraient arrivés sur place et auraient emmené les deux filles à l’école. Après l’école, S. et B. seraient restées chez leur tante et elles y auraient passé la nuit. À l’appui de leur version des faits, les requérants ont présenté une déclaration manuscrite non datée, émanant de M. Gutsanov, une déclaration signée par Mme Gutsanova, datée du 7 avril 2010, une déclaration manuscrite datée du 8 avril 2010 et signée par le gardien de nuit D.P., ainsi qu’une déclaration manuscrite, datée d’avril 2010 et portant la signature du chauffeur privé de la famille. Ils ont également présenté un bulletin du service météorologique de Varna attestant que, ce jour-là, le soleil s’était levé à 6 h 52 et que le crépuscule avait duré 31 minutes. Ils ont également produit une copie de l’interview donnée par Mme Gutsanova à l’hebdomadaire Galeria et publiée par celui-ci le 8 avril 2010. Les requérants ont également présenté l’enregistrement vidéo de l’émission télévisée « Afera », diffusée le 11 avril 2010 sur la chaîne de télévision privée Skat. Dans cette émission était notamment diffusée une interview avec Mme Gutsanova, ainsi que quelques séquences vidéo filmées par les caméras de vidéosurveillance de la propriété des requérants le matin du 31 mars 2010. La première séquence montre le passage de deux véhicules légers et d’un fourgon de police devant la propriété des requérants. Sur la deuxième séquence, on aperçoit un policier en uniforme qui frappe au portail métallique de la maison et le portail qui s’ouvre. La troisième séquence montre deux agents spéciaux, vêtus de noir et armés de mitraillettes munies de lampes torches, inspectant une partie du jardin, ainsi qu’un homme, en tenue civile, qui apparaît à la porte. Celui-ci rentre à l’intérieur de la maison suivi par les deux agents spéciaux. La quatrième séquence montre deux agents spéciaux qui se précipitent vers la maison, laissant derrière eux un policier en uniforme et un homme en tenue civile. Les deux derniers hommes semblent lever leurs têtes vers le haut de la maison. Une autre séquence, filmée par une caméra de reportage, montre l’état de la porte vitrée de la maison après l’effraction des policiers : les vitres sont intactes, la poignée, la serrure et la gâche sont arrachées. La version du Gouvernement Le 30 mars 2010, le chef régional du service de lutte contre le crime organisé de Varna et le parquet régional de la même ville auraient approuvé un plan d’intervention dans le cadre de la procédure pénale contre X concernant le détournement de fonds publics appartenant à la compagnie municipale des transports en commun à Varna (paragraphe 9 cidessus). Le plan aurait prévu l’arrestation de cinq personnes suspectées d’avoir commis les faits en cause, dont M. Gutsanov, et la perquisition des domiciles et des bureaux des suspects. Les interventions auraient été prévues pour le lendemain matin, c’est-à-dire le 31 mars 2010, et censées être effectuées simultanément par cinq équipes composées d’agents enquêteurs, d’agents en uniforme et d’agents spéciaux armés et camouflés. L’équipe qui devait intervenir au domicile des requérants aurait reçu les instructions de ses supérieurs à 5 h 30, le jour même de l’opération policière. Les agents auraient été avertis que M. Gutsanov détenait légalement un pistolet de marque « Glock », modèle 17 C, et qu’il gardait l’arme à son domicile. À 6 h 30, le 31 mars 2010, l’équipe d’intervention, avec en son sein des agents en tenue civile, deux agents en uniforme et quatre agents spéciaux, vêtus de noir et portant des gilets pare-balle avec l’inscription « police », se serait rendue au domicile des requérants. Les agents auraient frappé à la porte métallique de la propriété. Celle-ci aurait été ouverte par un homme qui se serait présenté comme le gardien de la propriété. Il aurait expliqué qu’il n’avait pas les clés de la porte d’entrée de la maison et que les seules personnes qui s’y trouvaient étaient M. Gutsanov, son épouse et leurs deux enfants. Sur ce, deux agents spéciaux auraient contourné la maison afin de sécuriser les autres issues éventuelles et les deux autres agents spéciaux se seraient précipités vers la porte d’entrée de la maison et se seraient mis à frapper à celle-ci et à crier « Police. Ouvrez ! » Les agents en uniforme seraient restés dans le jardin devant la porte d’entrée. Au bout de cinq minutes, les policiers auraient aperçu à travers les vitres panoramiques de la maison la silhouette d’un homme. Les policiers auraient crié « Police ! Descendez ! Ouvrez la porte ! » M. Gutsanov se serait montré à deux reprises par une fenêtre, mais ne serait pas descendu. Les agents spéciaux auraient forcé la porte d’entrée et pénétré dans la maison. L’un des agents aurait aperçu M. Gutsanov dans la cage d’escalier et crié dans sa direction « Police ! Approche lentement ! Montre tes mains ! » Le requérant aurait refusé d’obtempérer et se serait précipité vers l’étage supérieur. Les agents l’auraient suivi en criant « Police ! Arrête ! » Le requérant serait passé par une porte au deuxième étage et, en s’approchant de celle-ci, les agents auraient vu qu’il était entré dans une chambre à coucher où se trouvaient son épouse et ses deux filles. À ce moment-là, le requérant serait sorti de la pièce et aurait été menotté. Il leur aurait demandé la permission de se rhabiller et il aurait été conduit par l’un des agents cagoulés dans la même chambre. À aucun moment de l’opération, les policiers n’auraient adressé la parole à Mme Gutsanova ou à ses deux filles. L’agent entré dans la chambre à coucher n’aurait porté aucune arme à feu mais uniquement un pistolet à impulsion électrique de marque « Taser ». L’agent serait resté dans la pièce le temps nécessaire pour M. Gutsanov de trouver des vêtements et ils auraient quitté la chambre ensemble. Le requérant aurait été remis aux autres agents de police et les agents spéciaux auraient quitté les lieux immédiatement après. Le Gouvernement a présenté à l’appui de sa version des faits les documents suivants : le plan d’action pour l’opération en cause, un rapport de la direction régionale du ministère de l’Intérieur, trois rapports d’agents du ministère qui avaient participé à l’opération, dont le commandant de l’équipe d’intervention spécialisée, le procès-verbal de perquisition approuvé par un juge et deux ordonnances du parquet régional de Varna datées du 7 avril 2010. Le Gouvernement a présenté des photos publiées dans la presse écrite de la maison des requérants montrant notamment que celle-ci avait une façade vitrée donnant sur le jardin. C. L’état psychologique des requérants après l’intervention de la police à leur domicile Mme Gutsanova affirme que sa fille cadette, B., bégayait, qu’elle avait été suivie par un orthophoniste pendant un an et que, à la suite des événements du 31 mars 2010, elle a recommencé à bégayer. D’après la déclaration de l’institutrice de S., la fille aînée du couple, celle-ci était visiblement stressée et inhabituellement silencieuse le 31 mars 2010. La sœur de M. Gutsanov, qui accueillit sa nièce l’aprèsmidi du même jour, observa que l’enfant était anxieuse. Ce jour-là, la fille aurait quelquefois parlé de ce qui s’était passé dans leur maison. Depuis lors, elle aurait peur des policiers chaque fois qu’elle les aperçoit. Le 12 avril 2010, les deux filles de M. et Mme Gutsanovi furent examinées par un psychiatre qui constata que le souvenir des événements du 31 mars 2010 provoquait chez les deux enfants des réactions d’anxiété se manifestant par une angoisse chez la fille aînée et par des accès de pleurs chez la fille cadette du couple. Le psychiatre ne constata pas d’autres complications psychologiques chez les enfants. À la suite des événements du 31 mars 2010, Mme Gutsanova consulta un psychiatre à deux reprises. Elle se plaignait, entre autres, d’insomnie et d’anxiété et elle se vit prescrire des anxiolytiques. D. Les perquisitions et les saisies effectuées le 31 mars 2010 Le 31 mars 2010, entre 7 heures et 12 h 10, les policiers procédèrent à la perquisition de la maison des requérants, en la présence de deux témoins, d’un expert, de M. Gutsanov et de son avocat. Le procès-verbal dressé par les policiers mentionnait que la perquisition était effectuée en vertu de l’article 161, alinéa 2, du code de procédure pénale bulgare (« le CPP »), c’est-à-dire sans l’autorisation préalable d’un juge, au motif que c’était le seul moyen de préserver et recueillir des preuves en lien avec la procédure pénale en cause. Le formulaire de procès-verbal comportait une phrase standard invitant le propriétaire des lieux, en l’occurrence M. Gutsanov, à présenter aux policiers tous les objets, documents ou systèmes informatiques contenant des informations relatives à l’enquête pénale no 128/10 menée par la direction de la police à Varna. Dans différentes pièces de la maison, les policiers retrouvèrent et saisirent les objets suivants : un ordinateur portable ; 4 000 levs bulgares (BGN) en espèces ; quatre téléphones portables ; divers documents bancaires (contrats d’ouverture de comptes bancaires, de dépôt et de délivrance de cartes de paiement, bordereaux de dépôt et de transfert d’argent sur des comptes bancaires) ; des documents relatifs à un contrat de crédit-bail pour l’acquisition de la voiture de Mme Gutsanova ; des actes notariés, permis de construire et autres documents liés à l’acquisition et à la construction de divers biens immeubles ; des contrats de vente et d’achat de parts sociales d’entités juridiques et une carte appartenant à Mme Gutsanova. Les policiers appelèrent en renfort un serrurier pour ouvrir un coffre verrouillé que M. Gutsanov n’arrivait pas à ouvrir. Ils y trouvèrent et saisirent un pistolet, des munitions pour celui-ci et le permis de port d’armes de ce requérant ; les sommes de 30 055 euros, 5 970 dollars des États-Unis et 255 livres sterling, toutes en espèces, et des notes manuscrites les répertoriant ; des lettres bancaires indiquant cinq codes d’identification de cartes de paiement ; des documents liés à l’acquisition de divers biens immeubles (actes notariés, bordereaux bancaires). Le Gouvernement a fourni copie du procès-verbal de la perquisition. Celui-ci porte, entre autres, les signatures de M. Gutsanov et de son avocat. L’avocat y a annoté que les policiers n’avaient pas précisé quels étaient concrètement les documents et objets recherchés. Il précisait que son client était prêt à coopérer avec la police, mais qu’on ne lui avait pas donné cette possibilité. M. Gutsanov, de son côté, y a ajouté une note précisant que les objets, les documents et l’argent saisis appartenaient à lui et à son épouse. La première page du procès-verbal porte le cachet du tribunal régional de Varna, le nom, le prénom et la signature de l’une des juges de ce tribunal et la mention « J’approuve ». Ladite approbation est datée du 1er avril 2010, à 7 heures. À la fin de la perquisition de la maison des requérants, les policiers firent rentrer l’une de leur voitures dans le garage de la propriété des requérants ; M. Gutsanov monta dans le véhicule, qui repartit en direction du bâtiment de l’administration municipale à Varna. Le groupe se rendit au bureau de M. Gutsanov qui fut perquisitionné entre 12 h 58 et 14 h 09. Les enquêteurs y trouvèrent et saisirent plusieurs documents. Certains de ces documents concernaient les actifs de la société municipale de transports en commun de Varna et d’autres portaient le sceau de cette entreprise. Le requérant expliqua qu’il s’agissait de documents liés à ses fonctions officielles. Les perquisitions en cause furent notifiées au parquet régional de Varna. Ce dernier fut avisé en particulier que, lors de la perquisition au domicile des requérants, les policiers avaient été amenés à forcer la porte d’entrée et à ouvrir un coffre-fort. Le 7 avril 2010, le procureur régional de Varna décida d’ouvrir une enquête préliminaire sur les agissements des policiers et versa au dossier de celle-ci une lettre du directeur du service régional de lutte contre le crime organisé et deux rapports de ses subordonnés qui avaient participé à l’opération en cause. Par une ordonnance rendue à la même date, le même procureur régional refusa d’ouvrir des poursuites pénales contre les policiers qui avaient participé à la perquisition au domicile des requérants. S’appuyant uniquement sur les rapports écrits de deux des agents de police en cause, il estima que l’ouverture forcée de la porte d’entrée du logement des requérants et de leur coffre-fort était une mesure nécessaire et non répréhensible. Il constata par ailleurs que l’action des policiers n’était constitutive d’aucune infraction pénale. Une copie de cette ordonnance fut envoyée au directeur du service régional de lutte contre le crime organisé. À une date non précisée, Mme Gutsanova demanda au procureur régional de lui restituer deux des téléphones portables et l’ordinateur saisis au cours de la perquisition de son domicile. Par une ordonnance du 13 juin 2010, le procureur repoussa la demande de cette requérante au motif que les objets en question étaient en train d’être examinés par des experts scientifiques pour les besoins de l’enquête pénale menée à l’encontre de son époux. Mme Gutsanova contesta cette ordonnance devant le tribunal régional de Varna en plaidant que ces objets lui appartenaient personnellement, qu’ils ne pouvaient apporter aucune information supplémentaire concernant les charges soulevées contre son mari et que, de ce fait, ils ne pouvaient pas servir d’éléments de preuve dans le cadre de l’affaire pénale en cause. Par une décision définitive du 30 juin 2010, le tribunal régional rejeta le recours de l’intéressée. Il constata notamment que les expertises scientifiques des objets en question n’avaient pas encore été effectuées et que, dès lors, la restitution de ceux-ci à Mme Gutsanova risquait d’empêcher le bon déroulement de l’enquête. Il considéra que la décision de savoir si les objets en question pouvaient servir de preuves dans le cadre des poursuites pénales contre M. Gutsanov ne pouvait être tranchée qu’une fois obtenus les résultats des expertises ordonnées. Il ajouta que les preuves matérielles restent en principe à la disposition des autorités des poursuites pénales tout au long de la procédure. E. La détention de M. Gutsanov et les poursuites pénales dirigées contre lui Le 31 mars 2010, à 6 h 30, un officier de police ordonna la détention de M. Gutsanov pour vingt-quatre heures au motif que ce dernier était soupçonné d’avoir commis une infraction pénale. Le requérant signa l’ordonnance de détention, laquelle précise qu’il fut relâché le 31 mars 2010, à 22 heures. Le même jour, à 22 h 55, en la présence de son avocat, le requérant fut formellement inculpé par un enquêteur des infractions pénales suivantes : i) participation en sa qualité de fonctionnaire, entre 2003 et 2007, à un groupe criminel, composé de fonctionnaires municipaux et de particuliers, dont l’activité impliquait la passation de contrats dommageables pour la municipalité et l’abus d’autorité de fonctionnaire, infraction réprimée par l’article 321, alinéa 3, point 2, du code pénal ; ii) facilitation, en 2003, de la passation d’un contrat de livraison de vingt autobus pour la société des transports en commun de Varna, sous des conditions défavorables, ayant porté un préjudice considérable à cette société, infraction pénale punie par les articles 220, alinéa 2, et 20, alinéa 4, du code pénal ; iii) facilitation d’actes d’abus d’autorité de fonctionnaire, commis entre 2005 et 2007 par le directeur de la société municipale des transports de Varna et par la comptable en chef de cette entreprise, consistant en la passation de commandes pour la livraison de 31 autobus sous des conditions préjudiciables pour la société, infraction pénale relevant des articles 282, alinéa 2, et 20, alinéa 4, du code pénal ; iv) incitation de l’un de ses complices supposés à livrer de faux témoignages, infraction pénale punie par l’article 293, alinéa 1, du code pénal. Le même jour, l’ordonnance d’inculpation fut contresignée par un procureur du parquet régional de Varna. Ce même procureur ordonna la détention du requérant pour soixantedouze heures afin d’assurer sa comparution devant le tribunal régional de Varna. L’ordonnance en cause, produite par les requérants, mentionnait que M. Gutsanov avait été formellement inculpé le 31 mars 2010 et que sa détention avait commencé à partir de 22 h 55, sans que la date ait été précisée. Le 3 avril 2010, le parquet régional de Varna demanda au tribunal régional de la même ville de placer M. Gutsanov en détention provisoire. Le requérant comparut devant le tribunal régional de Varna le 3 avril 2010, à 12 heures. Il était assisté de deux avocats. Le procureur régional demanda la tenue d’une audience à huis clos au motif que l’accusation allait invoquer un rapport classé secret. Les avocats du requérant estimèrent qu’il n’était pas nécessaire d’interdire l’accès au public parce qu’ils avaient pris l’engagement de ne pas divulguer les informations secrètes contenues dans ce document et qu’en tout état de cause, celui-ci n’avait aucune pertinence pour les accusations portées contre leur client. Après avoir constaté que tant les parties que lui-même avaient pris connaissance du rapport classé secret et que la défense avait pris l’engagement de ne pas divulguer en public son contenu, le tribunal rejeta la demande du parquet et tint une audience publique. À la fin de celle-ci, le tribunal décida de placer le requérant en détention provisoire. Il constata qu’il existait des indices suffisants pour que le requérant soit raisonnablement soupçonné d’avoir commis les infractions pénales qu’on lui reprochait. Il se référa notamment aux dépositions des témoins interrogés et à celles d’un autre suspect, aux preuves documentaires rassemblées au cours des perquisitions et au rapport secret présenté par le parquet. Il ne releva aucun danger que requérant prenne la fuite, mais constata néanmoins que son maintien en détention se justifiait par l’existence d’un danger que de nouvelles infractions soient commises. En particulier, le rapport secret indiquait que les suspects, y compris le requérant, avaient tenté d’entraver l’enquête en faisant pression sur certains témoins et en fabriquant de faux documents. L’intéressé contesta la décision du tribunal régional devant la cour d’appel de Varna qui, par une décision du 13 avril 2010, le débouta. La juridiction d’appel souscrivit pleinement aux conclusions du tribunal régional et ajouta que l’état de santé du requérant, qui souffrait de bronchite, n’imposait pas sa libération parce qu’il pouvait être soigné dans les établissements de détention provisoire. Le 18 mai 2010, le tribunal régional de Varna rejeta, aux motifs suivants, une demande de libération formée par le requérant : « (...) En ce qui concerne les points 2 et 3 de la demande de la défense, le tribunal a déjà exposé sa position lors de l’audience précédente et celle-ci n’a malheureusement pas évolué dans un sens favorable à l’inculpé. Dans le cadre de cette procédure, le tribunal doit déterminer si le maintien en détention [du requérant] est légal, c’estàdire s’il existe un changement dans les circonstances qui ont justifié la détention. En premier lieu, il est toujours d’avis qu’une infraction pénale a été commise et que l’inculpé y est impliqué (има касателство) et, deuxièmement, qu’il existe toujours un danger réel [que l’inculpé commette] une infraction pénale contre la justice s’il est libéré. ». Le requérant contesta cette décision devant la cour d’appel de Varna qui, par une décision du 25 mai 2010, l’assigna à résidence. La juridiction d’appel estima qu’il n’y avait aucun danger de soustraction à la justice et que le danger que l’intéressé commette de nouvelles infractions avait disparu à la suite de sa démission récente du poste de président du conseil municipal. Le 26 juillet 2010, statuant à la demande du requérant, le tribunal régional de Varna décida de libérer celui-ci sous caution. Il constata que tous les autres suspects avaient été libérés et que, dans le cas du requérant, les deux mesures de contrôle judiciaire les plus sévères imposées avaient accompli leur finalité. Au vu du stade auquel se trouvait l’enquête pénale, il n’était plus nécessaire de détenir l’intéressé pour empêcher une éventuelle entrave à l’enquête. Par ailleurs, le requérant avait certains problèmes de santé. Le tribunal fixa le montant de la caution à 10 000 BGN. Cette décision ne fut pas contestée devant le tribunal supérieur et devint exécutoire le 30 juillet 2010. L’intéressé fut libéré ce jour-là, après le paiement de la caution. À la date de la dernière information reçue par la partie requérante, à savoir le 26 avril 2013, la procédure pénale contre M. Gutsanov était toujours pendante au stade de l’instruction préliminaire. Aux dires du requérant, il n’avait pas été auditionné par les organes de l’instruction préliminaire au cours des deux années précédentes. F. La couverture médiatique du procès pénal de M. Gutsanov Les requérants exposent que plusieurs journalistes de différents médias, y compris des équipes de télévision, informés au préalable par le ministère de l’Intérieur, étaient déjà présents devant leur maison quand M. Gutsanov quitta son domicile le 31 mars 2010, aux alentours de 13 heures (paragraphe 36 ci-dessus). Le requérant fut photographié et filmé à la sortie de sa maison et les photographies et séquences vidéo furent publiées et diffusées par différents médias. Le Gouvernement a fourni une copie de la photographie du requérant, prise par les reporters au moment où celui-ci quittait sa maison, et publiée par les médias. Sur cette photographie, on aperçoit M. Gutsanov qui descend l’escalier extérieur de sa maison et qui est précédé d’un homme habillé en tenue civile. Le requérant est vêtu d’un sweatshirt et porte sur ses épaules un blouson qui couvre entièrement ses bras et ses mains. À l’arrière-plan de la photographie, on aperçoit la porte entrouverte de sa maison qui est sans poignée, serrure ni gâche. Le même jour, le procureur régional de Varna, le commissaire en chef de la police de Varna et le chef régional de l’unité spéciale de lutte contre le crime organisé donnèrent une conférence de presse à l’occasion de l’opération policière baptisée « Méduses ». Cette conférence attira l’attention des médias régionaux et nationaux. Au cours de cette conférence de presse, le procureur régional annonça que le matin du même jour, les forces de l’ordre avaient procédé à l’arrestation du président du conseil municipal, du directeur de la société municipale des transports en commun, de la comptable en chef de cette entreprise et d’un homme d’affaires connu à Varna. Les forces de l’ordre avaient ensuite perquisitionné les domiciles et bureaux de ces personnes. Plusieurs documents et supports de données électroniques y avaient été retrouvés et saisis. Il précisa que des poursuites pénales avaient été ouvertes contre les personnes susmentionnées. Il ajouta que les enquêteurs travaillaient sur les chefs d’accusations suivants : organisation et direction d’un groupe de malfaiteurs qui avait pour but de commettre des infractions pénales d’abus de pouvoir entraînant des préjudices considérables, infraction pénale punie d’une peine de trois à dix ans d’emprisonnement ; mauvaise gestion de biens publics, commise intentionnellement et entraînant un préjudice considérable, punie d’une peine pouvant aller jusqu’à huit ans d’emprisonnement ; appropriation frauduleuse par abus de pouvoir et entraînant un préjudice considérable, punie d’une peine de dix à vingt ans d’emprisonnement ; signature de contrats défavorables entraînant un préjudice considérable, punie d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ; incitation à des faux témoignages, punie d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement ; fabrication de faux documents, infraction punie par une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Les propos du procureur régional furent publiés le lendemain dans le quotidien régional Cherno more. Le journal publia également des extraits d’une interview du ministre de l’Intérieur. Celui-ci expliquait que les mesures d’instruction dans le cadre de l’opération policière « Méduses » se poursuivaient et que celles-ci concernaient des marchés publics pour l’importation d’autobus pour les besoins de la compagnie municipale des transports de Varna. Il ajoutait que, selon les informations recueillies au cours de l’enquête, le prix réellement reçu par l’un des vendeurs à l’étranger était nettement inférieur à celui approuvé par le conseil municipal de Varna et que l’argent qui manquait était transféré sur les comptes bancaires des suspects dans l’affaire en cause. Les propos suivants du ministre de l’Intérieur, concernant les relations existantes entre le requérant et l’un des autres suspects dans la même affaire, furent cités mot pour mot dans l’article en cause : « Le président du conseil municipal est lié à D., ce qui est chose notoire à Varna. Ce lien n’a jamais été caché et ce qu’ils ont fait représente une machination (схема) élaborée pendant plusieurs années, parce qu’il y a trois contrats pour environ deux millions d’euros et pour des autobus de seconde main. ». Le 5 avril 2010, le premier ministre donna une interview à l’émission matinale d’une chaîne de télévision nationale. Le journaliste lui posa plusieurs questions sur l’actualité politique, judiciaire et économique. La question des arrestations à Varna fut abordée à la fin de l’interview, dont voici la partie pertinente : « Journaliste : Cette semaine vous aurez un entretien avec le président américain à Prague. Qu’en attendez-vous ? Premier ministre : Je vous le dirai quand ce sera fini. J. : S’il vous plaît ! P.M. : Je regarde les annonces qui passent à l’écran : Gutsanov à Varna, il est proche - j’utilise le mot « proximité » - non seulement du leader du Parti socialiste [S.S.], mais aussi de certains membres de son mouvement de jeunesse. Ils sont très proches. J. : Et ensuite ? P.M. : Ils ont tous été arrêtés et placés en détention provisoire. J : Non, non, je voulais dire qu’est-ce qui découle de cette proximité ? P.M. : Des profits matériels (облагодетелстване). J : Vous dites que Gutsanov a profité de sa proximité avec S.S. ? P.M. : Ce sont les juges qui l’ont dit parce que la détention provisoire a été ordonnée. J. : Est-ce que cela veut dire que d’autres personnes du Parti socialiste, plus haut placées, seront inculpées, par exemple S.S. ? P.M. : Le procureur à Varna travaille bien et je pense que, si le tribunal a ordonné le placement en détention, cela veut dire que les preuves sont pertinentes. J. : Non, ce n’était pas une réponse à ma question. Juste pour finir ... P.M. : Oui, oui, juste pour finir, celui qui a mis la main dans le fût de miel aura à répondre de ses actes. J. : Il existe donc des éléments indiquant que S.S. a fait la même chose ? P.M. : Gutsanov est l’une des personnes les plus proches de lui [S.S.], et je répète le mot « proche » pour la troisième fois : [il est] membre du conseil suprême du Parti et président du Parti [socialiste] à Varna. J. : Je vous remercie pour cet entretien en direct (...) ». Un compte rendu de l’interview fut publié le lendemain dans le quotidien national 24 Chasa. L’article portait le titre suivant : « B. : « La Méduse » Gutsanov est l’une des personnes les plus proches de S. ». L’extrait pertinent de l’article se lit comme suit : « Le président du conseil municipal de Varna, Borislav Gutsanov, qui a été arrêté au cours de l’opération Méduses, est l’une des personnes les plus proches du leader du Parti socialiste, S.S. C’est ce qu’a dit le premier ministre, B.B., devant la chaîne de télévision N. Il a rappelé que Gutsanov est membre du conseil suprême du parti et chef de son organisation [à Varna] d’où S. avait été élu député à l’Assemblée nationale. Selon le premier ministre, la décision du tribunal d’écrouer le conseiller municipal prouve que celui-ci a profité de sa proximité avec l’ex-premier ministre (S.S.) (...) ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La perquisition et la saisie dans le cadre de poursuites pénales La perquisition et la saisie sont régies par les articles 160 à 163 du CPP. Les parties pertinentes de ces articles sont libellés comme suit : Article 160 (1) Lorsqu’il existe des raisons suffisantes de soupçonner qu’un local (...) contient des documents, objets ou supports de données électroniques ayant de l’importance pour des poursuites pénales, il est procédé à la perquisition [du local] dans le but de retrouver et de saisir ceux-ci. (...) ; Article 161 (1) Au stade de l’instruction préliminaire, la perquisition et la saisie sont effectuées avec l’autorisation d’un juge du tribunal de première instance (...) qui statue sur la demande du procureur. (2) Dans des cas urgents, quand la perquisition et la saisie sont les seuls moyens de recueillir et préserver les preuves, les organes de l’instruction préliminaire peuvent effectuer celles-ci sans l’autorisation prévue à l’alinéa 1, sous condition de présentation immédiate du procès-verbal de ces mesures à un juge pour son approbation et, en tout état de cause, dans un délai de vingt-quatre heures (...) ; Article 162 (1) La perquisition et la saisie sont effectuées en la présence de témoins et de la personne qui utilise le local ou en la présence d’un membre majeur de la famille de celle-ci (...) ; Article 163 (1) La perquisition et la saisie sont effectuées de jour sauf dans les cas urgents (освен ако не търпят отлагане) (...) (4) Lors de la perquisition et de la saisie, tout acte non nécessaire à leur accomplissement est proscrit. Les locaux et les contenants peuvent être ouverts de force [par les organes de l’enquête] seulement en cas de refus d’ouverture et sans causer de dommages inutiles. D’après la jurisprudence des tribunaux internes, le juge saisi d’une demande d’approbation d’une perquisition et d’une saisie déjà effectuées vérifie tant l’existence des circonstances matérielles prévues à l’article 161, alinéa 2, du CPP que le respect des garanties procédurales et de forme entourant la perquisition et la saisie et la rédaction du procès-verbal (Определение от 02.10.2007 г. на СОС по ч.н.д. № 751/2007г., НО ; Решение № 162 от 07.04.2010г. на ВКС по н.д. № 7/2010 г., I н. о., Н.К.). Le non-respect de ces conditions matérielles et procédurales entraîne le refus d’approbation de la perquisition et de la saisie. Les preuves matérielles saisies au cours des poursuites pénales restent à la disposition des autorités tout au long de la procédure (article 111, alinéa 1, du CPP). Le procureur compétent peut toutefois autoriser avant la fin des poursuites pénales la restitution des preuves matérielles saisies si cela ne nuit pas à l’établissement des faits et si elles ne sont pas constitutives d’une infraction administrative (article 111, alinéa 2, du CPP). Le refus du procureur peut être contesté devant le tribunal de première instance qui se prononce par une décision définitive (article 111, alinéa 3, du CPP). B. La garde à vue, la détention ordonnée par un procureur, la détention provisoire et l’assignation à résidence Les règles pertinentes de droit interne régissant la garde à vue, la détention ordonnée par un procureur et le placement initial en détention provisoire sont résumées dans l’arrêt Zvezdev c. Bulgarie, no 47719/07, §§ 12-15, 7 janvier 2010. L’inculpé peut demander à tout moment au tribunal de première instance d’ordonner sa libération ou une mesure de contrôle judiciaire moins contraignante que la détention provisoire (article 65, alinéa 1, du CPP). Le tribunal examine le recours en la présence des parties (article 65, alinéa 3, du CPP) et se prononce par une décision motivée (article 65, alinéa 4, du CPP) qui est susceptible d’appel (article 65, alinéa 7, du CPP). En droit bulgare, l’assignation à résidence est une mesure de contrôle judiciaire qui consiste en l’interdiction pour l’inculpé de quitter son logement sans l’autorisation préalable des autorités de poursuites pénales (article 62, alinéa 1, du CPP). En vertu des articles 56, 57 et 58, point 3, du CPP, elle peut être ordonnée s’il existe des raisons plausibles de soupçonner que l’inculpé a commis une infraction pénale et elle a pour but d’empêcher celui-ci de se soustraire à la justice, de commettre d’autres infractions pénales ou d’entraver l’exécution de sa condamnation définitive. Elle est ordonnée par les tribunaux et fait l’objet d’un contrôle de légalité dans les mêmes conditions que la détention provisoire (article 62, alinéa 2). En particulier, les tribunaux cherchent à établir si des raisons plausibles persistent de soupçonner le requérant d’avoir commis une infraction pénale et s’il existe un danger de soustraction à la justice ou de commission de nouvelles infractions (Определение от 24.06.2008 г. на ОС - София по в. ч. н. д. № 348/2008 г., НО, 2-ри възз. с-в). C. La loi sur la protection des informations classifiées L’article 1, alinéa 3, de ladite loi définit les informations classifiées par toute information relevant du secret d’État ou du secret professionnel. L’accès à ces informations est réservé aux personnes autorisées et à la condition qu’il soit nécessaire à l’accomplissement de leurs fonctions ou de la tâche dont elles sont chargées (le « principe du besoin de savoir » ; article 3 de la loi). Les juges, procureurs, enquêteurs et avocats ont d’office accès aux informations secrètes contenues dans le dossier de l’affaire sur laquelle ils travaillent dans le respect du principe du « besoin de savoir » (article 39, alinéa 3, point 3 de la loi). La même règle s’applique à tout particulier dans la mesure où l’accès aux informations classifiées serait nécessaire à l’exercice de son droit constitutionnel de défense (article 39a de la loi), notamment dans le cadre d’une procédure pénale. D. La responsabilité de l’État pour dommages L’article 1, alinéa 1, de la loi sur la responsabilité de l’État et des municipalités permet aux particuliers d’obtenir un dédommagement du préjudice causé par les actes, actions ou inactions illégaux des organes ou agents étatiques ou municipaux dans l’exercice de leurs fonctions administratives. Selon la jurisprudence constante de la Cour suprême de cassation bulgare, les actes des organes de l’enquête pénale et des procureurs accomplis dans le cadre d’une procédure pénale ne relèvent pas du domaine de la fonction administrative et sont ainsi exclus du champ d’application de cette disposition de la loi (Решение № 615 от 10 юли 2001 г. на ВКС по гр. д. № 1814/2000 г.; Тълкувателно решение № 3 от 22 април 2004 г. на ВКС по тълк. д. № 3/2004 г., ОСГК). L’article 2 de la même loi, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, prévoyait l’engagement de la responsabilité des organes de l’enquête pénale, du parquet et des tribunaux dans les hypothèses suivantes : détention provisoire illégale ; accusation ou condamnation suivis de l’abandon des poursuites pénales ou d’un acquittement ; internement médical ou autres mesures coercitives imposées par un tribunal suivis de l’annulation de cette décision pour illégalité ; exécution d’une peine en dépassement du délai ou du montant initialement déterminés (voir également les arrêts Iliya Stefanov c. Bulgarie, no 65755/01, §§ 28 et 29, 22 mai 2008, Kandjov c. Bulgarie, no 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008, et Botchev c. Bulgarie, no 73481/01, §§ 37-39, 13 novembre 2008). E. L’immunité pénale et civile des magistrats et des membres du Gouvernement En vertu de l’article 132, alinéa 1, de la Constitution, les juges, procureurs et enquêteurs ne sont pas pénalement et civilement responsables de leurs actes ou actions accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, à l’exception des faits constitutifs d’infractions pénales intentionnelles réprimées d’office. Ni la Constitution ni la législation ordinaire bulgare ne confèrent une telle immunité au premier ministre et aux autres membres du Gouvernement. F. La plainte pénale pour diffamation en droit bulgare L’article 147 du code pénal bulgare (« le CP »), réprimant la diffamation, est libellé comme suit : « 1) Quiconque tient des propos déshonorants pour autrui, voire lui impute une infraction pénale, est puni, pour diffamation, d’une amende allant de trois mille à sept mille levs et d’une réprimande. 2) L’auteur n’est pas puni si la véracité des propos ou infractions pénales imputées est prouvée. » L’article 148, alinéa 2, du CP prévoit une amende de cinq mille à quinze mille levs et une réprimande si les propos diffamatoires ont été tenus publiquement, disséminés par le biais des médias ou tenus par un fonctionnaire dans le cadre de ses fonctions. Aux termes de l’article 161 du CP, la diffamation n’est pas une infraction pénale réprimée d’office. Les poursuites pénales pour ce chef doivent être engagées par le biais d’une plainte pénale directement déposée par la victime auprès des tribunaux. La plainte peut être accompagnée d’une action en dommages et intérêts (article 84, alinéa 1, du CPP). En vertu de l’article 103 du CPP, il revient à l’accusateur public ou privé de prouver le chef d’accusation, c’est-à-dire l’existence des éléments matériel et moral de l’infraction pénale reprochée ; la partie adverse n’est aucunement obligée de prouver son innocence. La jurisprudence de la Cour suprême bulgare considère que le renversement de la charge de la preuve dans le cadre de la procédure pénale constitue toujours un vice majeur de procédure (Решение № 144 от 8.V.1989 г. на ВС по н. д. № 126/78 г., I н. о. ; Решение № 408 от 8.07.2002 г. на ВКС по н. д. № 11/2002 г., II н. о.). Elle reconnaît que la fausseté des propos diffamatoires est l’un des volets essentiels de l’élément matériel de l’infraction pénale de diffamation (Тълкувателно решение № 12 от 1.04.1971 г. на ВС по н. д. № 9/1971 г., ОСНК). D’après la doctrine, la même règle de répartition de la charge de la preuve s’applique dans le cadre d’une procédure pénale pour diffamation en cas d’imputation d’une infraction pénale. Il reviendrait au plaignant de prouver non seulement que le prévenu est l’auteur de l’imputation contestée, mais que celle-ci est fausse, c’est-à-dire que le plaignant n’a pas commis l’infraction pénale qu’on lui impute. En pratique, le plaignant pourrait présenter devant le tribunal des documents émanant de la police et du parquet attestant l’absence de poursuites pénales à son encontre et obtenir la convocation et l’interrogatoire de témoins ayant connaissance de l’infraction pénale imputée (Раймундов, П., Обида и клевета, ИК Фенея, София, 2009 г., стр. 156). Cependant, dans un arrêt rendu le 10 mars 1973, la Cour suprême bulgare a estimé que le deuxième alinéa de l’article 147 du CP oblige le prévenu à prouver la véracité de ses allégations diffamatoires (Решение № 128 от 10.03.1973 г. на ВС по н. д. № 37/1973 г., II н. о.). En 2002 et 2003, à l’occasion de l’examen d’une affaire de diffamation, les tribunaux de première instance et d’appel à Burgas ont reconnu que l’article 147, alinéa 2, du CP créait la présomption que toute imputation de crime est fausse et qu’il revenait par conséquent à l’auteur des propos litigieux d’apporter la preuve de leur véracité (Kasabova c. Bulgarie, no 22385/03, §§ 23 et 29, 19 avril 2011). G. La loi sur le ministère de l’Intérieur En vertu de l’article 4 de la loi sur le ministère de l’Intérieur, le fonctionnement de ce dernier repose, entre autres, sur les principes suivants : le respect de la Constitution, des lois et des instruments internationaux ratifiés par la Bulgarie ; le respect des droits et libertés fondamentaux et de la dignité des citoyens.
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Le requérant, né en 1924, est décédé le 27 février 2011 alors que sa requête était pendante devant la Cour. Son fils, M. Panayotis Zolotas, a exprimé le souhait de reprendre l’instance. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le 11 juillet 1974, le requérant, qui exerçait alors la profession d’avocat, ouvrit un compte bancaire auprès de la Banque générale de Grèce, sur lequel il versa la somme de 660 000 drachmes (1 936,90 euros (EUR)). A partir du second semestre 1981 et jusqu’en 2003, il ne fit aucune opération sur son compte (prélèvement ou dépôt d’argent, ou inscription des intérêts sur le carnet prévu à cet effet). En raison de graves problèmes de santé invalidants pour lui-même et son épouse, il dut séjourner des années durant à l’étranger. Le 6 février 2003, il demanda à la banque de l’informer de l’état de son compte. La banque lui répondit que, comme il n’y avait eu aucun mouvement sur le compte depuis le second semestre 1981, toutes ses prétentions à l’égard dudit compte avaient été frappées de prescription. Toutefois, elle lui fit savoir qu’elle tenait à jour dans son livre de comptes la fiche personnelle du requérant, sur laquelle elle inscrivait les intérêts produits par le compte. Le 3 juin 2003, le requérant saisit les juridictions civiles d’une action contre la banque. Il réclamait la somme qu’il avait déposée à la banque, augmentée des intérêts, soit un total de 30 550,74 EUR. Dans son jugement no 1481/2005 du 21 avril 2005, le tribunal de première instance d’Athènes rejeta l’action en considérant que les prétentions du requérant étaient frappées par la prescription de vingt ans prévue pour les prétentions émanant d’une convention de dépôt irrégulier (anomali parakatathiki), au sens de l’article 830 du code civil (paragraphes 18-19 cidessous). Plus particulièrement, le tribunal précisa : « (...) [Le requérant] invoque l’article 1 du Protocole no 1 (...) ainsi que le Protocole de Paris du 20 mars 1952 relatif au respect de la propriété, lesquels ne trouvent pas à s’appliquer en l’espèce, car la prescription, en tant qu’institution du droit national, l’emporte sur ceux-ci. Cette prescription [prévue à l’article 247 du code civil] est indépendante du fait que, conformément à l’article 3 du décret-loi no 1195/1942, les dépôts en espèces auprès des banques nationales et les intérêts y afférents sont définitivement dévolus à l’Etat lorsqu’ils n’ont pas été réclamés par leurs titulaires, pour les dépôts, pendant une durée de vingt ans, et pour les intérêts, pendant une durée de cinq ans (...). » Le requérant interjeta appel de ce jugement. Il se fondait sur les dispositions du droit interne pertinent et sur l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Il soutenait que le délai de prescription avait été suspendu pour cause de force majeure ou interrompu en vertu de l’article 260 du code civil, car la banque mettait son dossier à jour tous les six mois en y inscrivant les intérêts produits. Dans son arrêt no 2452/2006 du 6 avril 2006, la cour d’appel d’Athènes rejeta l’appel, considérant que l’application de la prescription de vingt ans pour les contrats de dépôt irrégulier était justifiée par un but d’intérêt public : la liquidation, dans l’intérêt de la collectivité (koinoniki oikonomia), des rapports juridiques qui avaient été créés dans un passé si lointain que leur existence était devenue incertaine. Le fait que la banque continuait à inscrire des intérêts sur le compte du requérant ne constituait pas, selon la cour d’appel, un acte de reconnaissance des prétentions du requérant susceptible d’interrompre le délai de prescription de vingt ans. Dans le cas de dépôts bancaires, le cours de ce délai ne pouvait être interrompu que par un nouvel acte de dépôt ou de retrait, un transfert d’argent ou le paiement d’intérêts. La cour d’appel se fonda, en outre, sur le décret-loi no 1195/1942, qui prévoit que les sommes d’argent placées sur des comptes bancaires restés inactifs pendant une période de vingt ans reviennent à l’Etat à l’expiration de ce délai. La cour d’appel rejeta aussi l’objection du requérant selon laquelle le délai de prescription aurait été suspendu pour cause de force majeure (les maladies de son épouse et les siennes). Elle considéra qu’il n’y avait pas eu en l’espèce de cas de force majeure car ces maladies n’avaient pas été continues pendant tout le délai de la prescription et notamment pas pendant les six derniers mois de celui-ci, de sorte que le requérant ne se trouvait pas dans l’impossibilité de retirer lui-même ou par l’intermédiaire d’un représentant la somme déposée et les intérêts relatifs à celleci. Le requérant se pourvut en cassation. Il se fondait sur l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Le 12 janvier 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi pour défaut de fondement au motif que l’application de la législation en cause ne portait pas atteinte au droit du requérant au respect de ses biens tel que défini par l’article 1 du Protocole no 1 (arrêt no 50/2009). Plus précisément, la Cour de cassation considéra que : « (...) du fait que la prescription précitée, comme toute prescription, est imposée par l’intérêt général, qui exige la régularisation des relations qui relèvent du passé et de ce fait sont devenues incertaines, et dictée aussi par l’intérêt de la collectivité, les dispositions litigieuses ne sont pas contraires [au Protocole no 1]. » Cet arrêt fut mis au net et certifié conforme le 9 juin 2009. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 3 du décret-loi no 1195/1942 « relatif à la prescription au bénéfice de l’Etat des dépôts auprès des banques et d’autres valeurs et prétentions » se lit comme suit : Prescription des dépôts et intérêts en faveur de l’Etat « Les dépôts en espèces auprès de banques nationales et leurs intérêts (...) reviennent définitivement à l’Etat lorsqu’ils n’ont pas été réclamés par le titulaire du compte ou n’ont fait l’objet d’aucun mouvement sur le compte pendant une période de vingt ans à partir du moment où ils étaient disponibles et, pour les intérêts, pendant une période de cinq ans à partir du moment où ils sont devenus exigibles. » Le décret-loi no 1195/1942 a été ratifié par l’acte no 315 du Conseil des ministres du 30 mai 1946 ; il est resté en vigueur après l’adoption du code civil. En vertu de ce décret-loi, la prescription de certaines créances et prétentions, au lieu de profiter au débiteur comme c’est le cas en vertu du droit ordinaire, joue au bénéfice de l’Etat. Outre les dépôts auprès des banques et des établissements de crédit, ces créances et prétentions recouvrent celles issues des capitaux et des rentes des titres et valeurs mobilières existant auprès de banques et de sociétés anonymes. L’article 16 § 2 du décret-loi prévoit que, dans certains cas, le créancier a le droit, après restitution à l’Etat de ses prétentions, de se retourner contre l’Etat par une action devant les juridictions civiles qui doit être introduite dans le délai de prescription de la prétention. Les dispositions pertinentes du code civil sont ainsi libellées : Article 247 Prescription des prétentions « Le droit d’exiger d’autrui un acte ou une abstention (prétention) est sujet à prescription. » Article 249 Prescription de vingt ans « Sauf disposition contraire, le délai de prescription des prétentions est de vingt ans. » Article 250 Prescription de cinq ans « Sont prescrites dans un délai de cinq ans les prétentions : (...) 15. issues des intérêts (...) ». Article 251 Commencement de la prescription « La prescription commence dès que la prétention a pris naissance et qu’il est possible d’en poursuivre la réalisation par voie juridique. » Article 255 Suspension de la prescription « La prescription est suspendue aussi longtemps que le titulaire du droit est empêché de faire valoir sa prétention en raison de (...) ou d’un autre cas de force majeure au cours des six derniers mois du délai de prescription. (...) » Article 260 Interruption - Reconnaissance « La prescription est interrompue par la reconnaissance de la prétention, de quelque manière que ce soit, par la personne tenue à la prestation (l’obligé). » Article 272 Effets de la prescription accomplie « Lorsque la prescription est échue, l’obligé a le droit de refuser la prestation. (...) » Article 274 Prescription des prétentions accessoires « Lorsque la prétention principale est prescrite, sont également prescrites les prétentions accessoires qui en découlent, même si la prescription qui leur est applicable n’est pas encore échue. » Article 827 Temps de restitution « Si le déposant réclame la chose, le dépositaire doit la restituer même si le délai fixé pour sa garde n’a pas expiré. » Article 830 Dépôt irrégulier « Le dépôt d’une somme d’argent ou d’autres choses fongibles est, dans le doute, considéré comme un prêt si le dépositaire a le pouvoir d’en user. Toutefois, en ce qui concerne le temps et le lieu de restitution, sont applicables, dans le doute, les dispositions relatives au dépôt. (...) » On désigne par l’expression « dépôt irrégulier » le dépôt, après accord des parties, d’argent ou d’autres choses fongibles aux fins de la garde par l’autre partie lorsque celle-ci a le pouvoir d’en disposer. Selon la doctrine et une jurisprudence bien établie, le dépôt d’argent dans une banque au taux d’intérêt habituel et avec possibilité de retrait immédiat de la somme déposée revêt le caractère d’une convention de dépôt irrégulier. En vertu de l’article 260 du code civil, la prescription est interrompue lorsque l’obligé reconnaît la prétention de quelque manière que ce soit. Il est généralement admis que pour qu’il y ait une telle reconnaissance, il suffit d’un acte ou d’un comportement qui démontre clairement que le débiteur reconnaît son obligation ainsi que la prétention du créancier. Une telle reconnaissance peut prendre la forme d’un remboursement partiel de la dette, du paiement d’intérêts, de la constitution d’une sûreté, d’une demande d’octroi d’un délai ou d’une demande d’exonération de la dette (Georgiadis-Stathopoulos, Code civil. Interprétation article par article, p. 461). Pour que l’acte de reconnaissance du débiteur entraîne interruption de la prescription (article 260 du code civil), il doit être adressé au créancier et lui parvenir (arrêt no 1178/1976 de la Cour de cassation, Nomiko Vima 25/710). Le simple fait que le débiteur enregistre la dette dans ses livres de comptes ne constitue pas une reconnaissance de la prétention au sens de l’article 260 et ne peut donc interrompre la prescription (arrêt no 924/1977 de la Cour de cassation, Nomiko Vima 26/726). En ce qui concerne la prescription des prétentions des titulaires d’un compte à l’égard de ce compte, il est admis que celle-ci est interrompue par tout nouveau dépôt ou retrait ou par tout acte qui entraîne une modification du compte. La prescription n’est pas interrompue par les intérêts que produit le compte, même si ceux-ci sont transformés en capital, ni par la mise à jour du dossier du titulaire du compte qui a lieu tous les six mois (arrêts no 739/2004 et no 50/2009 de la Cour de cassation). Par un acte no 2501 du 31 octobre 2002, le gouverneur de la Banque de Grèce a précisé : « Les établissements de crédit doivent fournir un minimum d’informations aux contractants, de la manière suivante : Conditions générales (...) c) informer les contractants, avant l’établissement du contrat, de toutes les conditions qui régissent la relation entre eux et leur en fournir un exemplaire complet après l’établissement de celui-ci. (...) e) En cas de modification unilatérale des conditions des contrats, dans les domaines où cette modification est permise, [les établissements de crédit] informent les contractants des modifications des conditions initiales, de manière soit collective soit individuelle, et annoncent dans les deux cas la date de l’entrée en vigueur de nouvelles conditions. (...) Information périodique a) Dépôts : une information est donnée au moins tous les trois mois pour les éléments a) et f) du chapitre B, paragraphe 1, ainsi que sur le solde du compte, sauf s’il n’y a pas de mouvement sur le compte ; dans ce cas, l’information est donnée tous les six mois. En ce qui concerne les comptes d’épargne pour lesquels un livret est fourni, la mise à jour se fait par la présentation du livret. (...) » Dans le même ordre d’idées, la Cour de cassation a jugé qu’une banque n’a pas l’obligation de prévenir l’intéressé avant l’expiration du délai de prescription. Comme un livret de compte lui est remis par la banque, il lui appartient de le faire tenir à jour, ce livret constituant la preuve du montant déposé sur son compte et de l’existence de mouvements sur celui-ci (arrêts de la Cour de cassation no 432/1990 et no 1623/1995).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1953, 1947, 1958, 1956, 1961, 1977, 1955 et 1966 et résident à Glyka Nera Attikis. Ils sont membres de Greek Helsinki Monitor, une organisation non-gouvernementale déployant ses activités dans le champ de la défense des droits de l’homme. En cette qualité, ils ont participé à vingt-deux reprises, entre le 23 janvier et le 9 juin 2009, à douze reprises, entre le 14 août et le 26 novembre 2009, et à quatorze reprises, entre le 7 janvier et le 18 juin 2010 en tant que témoins, plaignants ou suspects d’avoir commis des infractions pénales en audience publique ou en chambre du conseil, à des procédures pénales ayant un intérêt pour la protection des droits de l’homme. Les requérants se présentaient soit devant un juge d’instruction, soit devant un procureur, soit devant un tribunal compétent pour être entendus, ce qui impliquait pour eux, dans la plupart des cas, la prestation de serment conformément à l’article 218 du code de procédure pénale. Dans la plupart des cas, l’autorité judiciaire compétente invitait les requérants à poser la main droite sur l’Evangile et à prêter serment. Les requérants indiquaient qu’ils n’étaient pas chrétiens orthodoxes et/ou qu’ils ne souhaitaient pas révéler leurs convictions religieuses et qu’ils préféraient faire une déclaration solennelle. En vertu de l’article 220 du code de procédure pénale, leur demande fut accueillie à chaque fois par l’organe judiciaire compétent. A certaines occasions, lors d’auditions qui n’impliquaient pas de prestation de serment, les requérants durent déclarer être athées, ou en général non-orthodoxes, afin de demander la correction de la mention « chrétien orthodoxe » figurant dans le texte standard du procès-verbal d’audition. En ce qui concerne les procédures pénales qui ne se sont pas déroulées en audience publique, les requérants affirment que, selon le droit interne, l’accès aux documents du dossier n’est pas autorisé avant la clôture de l’instruction. Ils produisent dans ces cas certains formulaires de procès-verbaux comportant un texte standard dans lequel le terme « chrétien orthodoxe » est rayé et remplacé par celui d’athée. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution L’article 13 de la Constitution hellénique dispose : « 1. La liberté de conscience religieuse est inviolable. La jouissance des libertés publiques et des droits civiques ne dépend pas des convictions religieuses de chacun. Toute religion connue est libre, et les pratiques de son culte s’exercent sans entrave sous la protection des lois. Il n’est pas permis que l’exercice du culte porte atteinte à l’ordre public ou aux bonnes mœurs. Le prosélytisme est interdit. Les ministres de toutes les religions connues sont soumis à la même surveillance de la part de l’Etat et aux mêmes obligations envers lui que ceux de la religion dominante. Nul ne peut, en raison de ses convictions religieuses, être dispensé de l’accomplissement de ses obligations envers l’Etat ou refuser de se conformer aux lois. Aucun serment n’est imposé qu’en vertu d’une loi qui en détermine aussi la formule. » B. Le code de procédure pénale A l’époque des faits, les dispositions pertinentes du code de procédure pénale prévoyaient : Article 217 Vérification de l’identité du témoin « Le témoin, avant son audition, est invité à fournir ses nom(s) et prénom(s), son lieu de naissance, son adresse de résidence, son âge et sa religion (...) » Article 218 Prestation de serment lors de l’audience « 1. Tout témoin doit, sous peine de nullité de la procédure, prêter serment en public avant d’être entendu lors d’une audience, en posant sa main droite sur l’Evangile, en prononçant ce qui suit : « Je jure devant Dieu de dire toute la vérité et uniquement la vérité sans rien ajouter ni dissimuler. » ( ...) » Article 220 Prestation de serment des hétérodoxes « 1. Si le témoin croit à une religion reconnue ou simplement tolérée par l’Etat, la forme connue du serment, si celui-ci existe, est valide dans le cadre de la procédure pénale. Si le témoin croit à une religion qui ne permet pas la prestation de serment ou si le juge d’instruction ou le tribunal sont convaincus, après déclaration de l’intéressé, que celui-ci ne croit à aucune religion, le serment est ce qui suit : « Je déclare, invoquant mon honneur et ma conscience, que je dirai toute la vérité et uniquement la vérité sans rien ajouter ni dissimuler. » Le 2 avril 2012, la loi no 4055/2012 est entrée en vigueur. L’article 39 §§ 2 et 3 de cette loi a apporté des modifications aux articles 217 et 218 du code de procédure pénale. En particulier, l’article 39 §§ 2 et 3 de la loi no 4055/2012 dispose ce qui suit : « (...) Le premier alinéa de l’article 217 du code de procédure pénale est modifié comme suit : ‘Le témoin, avant son audition, est invité à fournir ses nom(s) et prénom(s), son lieu de naissance, son adresse de résidence ainsi que son âge (...)’ L’article 218 du code de procédure pénale est modifié comme suit : ‘1. Avant son audition le témoin doit prêter serment. Il est ainsi demandé s’il préfère prêter un serment religieux ou faire une déclaration solennelle. (...)’ (...) » En outre, en vertu de l’article 109 § 1 de la loi no 4055/2012, l’article 220 du code de procédure pénale a été abrogé. C. Le code de procédure civile La partie pertinente de l’article 408 du code de procédure civile dispose : « Avant son audition le témoin doit prêter serment. Il est ainsi demandé s’il préfère prêter un serment religieux ou faire une déclaration solennelle. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. L’attaque du 13 octobre 2005 Au petit matin du 13 octobre 2005, les services responsables du maintien de l’ordre de la ville de Naltchik, en République de Kabardino-Balkarie, furent attaqués par un certain nombre de personnes lourdement armées, apparemment des insurgés locaux. Les entités concernées sont la Division du ministère de l’Intérieur pour la République, le Centre T. de la Division principale du ministère de l’Intérieur, plusieurs divisions de district du ministère de l’Intérieur, l’Unité de police spéciale du ministère de l’Intérieur pour la République, plusieurs postes de contrôle de la police routière, la Division du Service fédéral de sécurité pour la République, la Division du Service fédéral de l’exécution des peines pour la République, l’Office des gardes-frontière du Service fédéral de sécurité, ainsi que quelques magasins d’armes privés. Selon le Gouvernement, plus de deux cent cinquante personnes ont participé à cette attaque. Le combat qui s’ensuivit entre les forces gouvernementales et les insurgés dura au moins jusqu’au 14 octobre 2005. B. Les liens de parenté entre les requérants et les défunts Les requérants disent être les proches de personnes ayant pris part à l’attaque et trouvé la mort le 13 ou le 14 octobre 2005, ou peu après (voir, en annexe, la liste indiquant les liens de parenté entre les requérants et les défunts [voir la version intégrale de l’arrêt, disponible en anglais sur Hudoc]). Le Gouvernement ne conteste pas ce point, sauf en ce qui concerne la dix-neuvième requérante, Mme Zhanna Fyodorovna Ifraimova, qui selon lui n’avait aucun lien de parenté avec feu Ruslan Borisovich Tamazov. La dix-neuvième requérante a d’abord déclaré que ce dernier était son mari. Puis elle a modifié sa version, indiquant que tous deux n’étaient pas officiellement mariés mais avaient vécu ensemble à partir de février 2005. À l’époque des événements, en octobre 2005, elle était enceinte de huit mois. Elle a soumis une copie d’un acte de naissance délivré le 9 juillet 2008 et établi au nom de S.T., née le 8 décembre 2005. Ce document désigne M. Ruslan Borisovich Tamazov comme étant le père de la fillette et la dix-neuvième requérante comme étant sa mère. Dans les premières informations qu’il a fournies, le Gouvernement a déclaré que, les 13 et 14 octobre 2005, les forces gouvernementales étaient parvenues à repousser l’attaque et avaient tué quatre-vingt-sept insurgés locaux. Il ne précisait pas les noms des personnes tuées. Il a également indiqué que le 14 octobre 2005 on avait arrêté M. Aslan Yuriyevich Bagov (l’un des deux neveux du cinquantième requérant), qui avait des blessures par balles à la tête et à la poitrine. Celui-ci est décédé en prison le 23 octobre 2005. Le 18 octobre 2005, M. Kazbulat Betalovich Kerefov (l’un des fils du dix-septième requérant et l’un des participants à l’attaque des 13 et 14 octobre 2005) tira sur des policiers présents sur un poste de contrôle local et fut tué lorsque les policiers ripostèrent. Dans ses observations sur la recevabilité de la requête, le Gouvernement a indiqué que les autorités avaient tué au total quatre-vingt-quinze insurgés lors des opérations antiterroristes lancées en réponse à l’attaque des 13 et 14 octobre 2005. En substance, le Gouvernement reconnaît que tous les défunts mentionnés par les requérants figurent parmi les personnes tuées par les autorités. C. Le dossier pénal no 25/78-05 La décision d’entamer une procédure en date du 13 octobre 2005 Il apparaît que le 13 octobre 2005 les autorités déclenchèrent la procédure pénale no 25/78-05 relativement à l’attaque de Naltchik. Au cours de l’instruction, il fut établi qu’entre 1999 et février 2005 un groupe d’individus comprenant A. Maskhadov, S. Basayev, I. Gorchkhanov, A. Astemirov, Abu-Valid Khattab et AbuDzeit avait constitué un groupe terroriste. C’était ce groupe qui avait organisé l’attaque. Trente-cinq représentants de l’ordre et quinze civils avaient été tués, et cent trente et un représentants de l’ordre et quatre-vingt-douze civils avaient été blessés. Il y avait eu des dégâts matériels considérables. Les requérants n’eurent aucun statut particulier dans la procédure pénale no 25/78-05. Les lettres adressées par les requérants aux autorités au début de l’instruction Immédiatement après l’attaque, les 13, 20, 21 et 25 octobre 2005, un certain nombre (non précisé) de personnes – dont certains des requérants – signèrent des pétitions collectives demandant auprès de diverses autorités, notamment des procureurs, la restitution des corps en vue de leur inhumation. De fin octobre 2005 jusqu’à avril 2006 au moins, les requérants reçurent du parquet et d’autres autorités des réponses les informant qu’ils connaîtraient la décision définitive à l’issue de l’instruction. Les démarches entreprises par certains des requérants en vue de contester ces réponses devant les juridictions nationales échouèrent car elles furent jugées prématurées, tant en première instance qu’en appel. Les décisions de ne pas poursuivre les insurgés tués pendant l’attaque, en date des 13 et 14 avril 2006 Les 13 et 14 avril 2006, l’organe d’instruction décida de clore la procédure pénale pour ce qui concernait les quatre-vingt-quinze insurgés tués, au motif qu’ils étaient décédés. Chacun d’eux fit l’objet d’une décision individuelle indiquant le degré et la nature de son implication personnelle et concluant qu’il avait pris part à l’attaque et avait trouvé la mort lors du combat consécutif. Les défunts mentionnés par les requérants figuraient semble-t-il parmi les personnes décédées visées par ces décisions. Le 14 avril 2006, le parquet général adressa aux requérants notification des décisions susmentionnées, sans toutefois y joindre copie de la décision pertinente. Certains des requérants se plaignirent auprès des juridictions nationales que les autorités ne leur avaient pas fourni copie des décisions des 13 et 14 avril 2006. À la suite de ces démarches, la plupart d’entre eux se virent délivrer une copie de la décision pertinente. Cependant, on ne leur reconnut pas la qualité pour intervenir en tant que représentants officiels des défunts dans les poursuites contre ces derniers et on refusa de leur remettre les effets personnels de ceux-ci. Pendant la procédure menée à Strasbourg, le Gouvernement a fourni copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 concernant chacun des proches des requérants. Décision du 15 mai 2006 de ne pas restituer aux familles les corps des défunts D’après le Gouvernement, les cadavres des quatre-vingt-quinze terroristes présumés furent incinérés le 22 juin 2006. Dans leurs observations, les requérants ont dit ne l’avoir appris qu’au travers des observations soumises en l’espèce par le Gouvernement. Selon le Gouvernement, les incinérations eurent lieu en application d’une décision du 15 mai 2006 de ne pas restituer aux familles les corps des défunts. Contrairement aux décisions individuelles des 13 et 14 avril 2006, celle du 15 mai 2006 mentionne les défunts de manière collective. Elle indique notamment : « (...) [A]yant examiné les pièces du dossier no 25/78-05, le chef de l’organe d’instruction (...) [S.] a établi : (...) [que] lors de l’opération antiterroriste spéciale ayant visé à repousser l’attaque, quatre-vingt-quinze terroristes avaient été éliminés, à savoir : [La décision nomme parmi les défunts toutes les personnes mentionnées par les requérants – voir la liste en annexe, disponible sur Hudoc] À présent, toutes les expertises médicolégales – y compris les examens de génétique moléculaire – sur (...) les corps des terroristes décédés sont achevées et les identités ont pu être établies suivant une procédure adéquate. Par des décisions des 13 et 14 avril 2006, les poursuites contre ces quatre-vingt-quinze personnes, qui avaient (...) attaqué plusieurs sites et responsables du maintien de l’ordre de la ville de Naltchik (...), ont été closes en raison de leur décès, en application des articles 27 § 1.2 et 24 § 1.2 du code de procédure pénale. L’article 14 § 1 de la loi fédérale sur l’inhumation et les pompes funèbres (loi no 8FZ) énonce : « la personne dont les activités terroristes ont fait l’objet d’une enquête pénale qui a été clôturée en raison de son décès consécutif à l’interruption d’un acte terroriste est inhumée suivant les modalités définies par le gouvernement de la Fédération de Russie. La dépouille n’est pas restituée en vue de l’inhumation et le lieu de l’inhumation est tenu secret. » En vertu de l’article 3 du décret no 164, « sur l’inhumation d’une personne décédée consécutivement à l’interruption d’un acte terroriste commis par elle », approuvé par le gouvernement de la Fédération de Russie le 20 mars 2003, « l’inhumation de [cette] personne se déroule dans le secteur où le décès est survenu et est effectuée par les services de pompes funèbres établis par des organes de l’autorité exécutive des sujets de la Fédération de Russie ou par des organes des collectivités locales (...) » [Compte tenu de ce qui précède, S. a décidé :] de faire inhumer les corps des quatre-vingt-quinze terroristes (...) ; de transmettre cette décision au président de la République de Kabardino-Balkarie pour exécution ; d’informer [ses supérieurs] de cette décision. » Le Gouvernement affirme que les autorités ont notifié la décision du 15 mai 2006 aux requérants mais reconnaît qu’on ne leur en a pas fourni copie. Il apparaît qu’à plusieurs reprises le parquet général a informé les requérants, en substance, du refus de restitution des corps ; il ne semble pas toutefois que les requérants aient reçu copie de la décision du 15 mai 2006. Ces derniers soutiennent qu’ils ont pour la première fois obtenu copie de la décision litigieuse en mai 2007, en même temps qu’ils ont reçu les observations du Gouvernement sur la recevabilité de l’affaire. Ils disent par ailleurs avoir appris en septembre 2007 que les cadavres de leurs proches avaient été incinérés (paragraphe 26 ci-dessus). Les démarches entreprises par les requérants pour contester en justice ces deux décisions Les premières démarches entreprises par les requérants pour obtenir un contrôle juridictionnel des décisions des 13 et 14 avril 2006 et du 15 mai 2006 échouèrent car les tribunaux refusèrent d’examiner leurs arguments. a) La procédure devant la Cour constitutionnelle Certains des requérants contestèrent devant la Cour constitutionnelle la législation régissant l’inhumation des terroristes. Leurs plaintes initiales furent rejetées au motif qu’elles étaient prématurées. En fin de compte, les plaintes des treizième et vingt-quatrième requérants furent retenues pour examen. Le 28 juin 2007, la Cour constitutionnelle rendit un arrêt (no 8P) dans lequel elle rejetait en substance leurs griefs selon lesquels l’article 14 § 1 de la loi sur l’inhumation et les pompes funèbres et le décret no 164 du gouvernement de la Fédération de Russie du 20 mars 2003 étaient inconstitutionnels. L’arrêt déclarait en particulier que les dispositions litigieuses étaient, vu les circonstances, nécessaires et justifiées. La Cour constitutionnelle formula les conclusions suivantes quant aux buts légitimes et à la nécessité de la législation en question : « (...) En même temps, l’intérêt à lutter contre le terrorisme, prévenir celui-ci de façon générale et spécifique, et offrir une réparation pour les conséquences des actes terroristes, combiné avec le risque de troubles de masse, de conflits entre différents groupes ethniques et d’agression par un proche d’une personne impliquée dans un acte terroriste contre l’ensemble de la population et les représentants de l’ordre, et enfin la menace pour la vie et l’intégrité physique des personnes, peuvent, dans un contexte historique donné, justifier l’instauration d’un régime légal particulier tel que celui prévu par l’article 14 § 1 de la loi fédérale, régissant l’inhumation des personnes qui échappent à des poursuites pour activité terroriste en raison de leur décès consécutif à l’interruption d’un acte terroriste (...) Ces dispositions sont en toute logique liées au paragraphe 4 de la Recommandation 1687 (2004) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 23 novembre 2005, « Combattre le terrorisme par la culture », qui souligne que l’interprétation extrémiste de certains éléments d’une culture ou d’une religion particulière, tels le martyre héroïque, le sacrifice, l’apocalypse ou la guerre sainte, ainsi que les idéologies laïques (nationalistes et révolutionnaires) peuvent aussi être invoquées pour justifier des actes terroristes. 2. L’action visant à limiter autant que possible l’impact informationnel et psychologique de l’acte terroriste sur la population, notamment en affaiblissant son effet de propagande, est l’un des moyens nécessaires à la protection de la sûreté publique et de la morale, de la santé, des droits et des intérêts légitimes des citoyens. Dès lors, elle poursuit précisément les buts pour lesquels la Constitution de la Fédération de Russie et les instruments juridiques internationaux permettent de restreindre les droits et libertés concernés. Le fait d’inhumer des personnes ayant participé à un acte terroriste, à proximité immédiate des tombes de leurs victimes, d’observer les rites liés à l’inhumation et au souvenir, mais aussi de rendre hommage, acte symbolique, sert de moyen de propagande pour les idées terroristes et de plus offense les proches des victimes des actes en question, favorisant ainsi l’aggravation des tensions interethniques et religieuses. Dans la situation qu’a engendrée en Fédération de Russie la commission d’une vague d’actes terroristes qui a fait de nombreuses victimes humaines, suscité une réaction négative massive de la société et eu un impact majeur sur la conscience collective, la restitution des corps aux proches (...) peut représenter une menace pour l’ordre et la paix publics ainsi que pour les droits et intérêts légitimes et la sécurité d’autrui, notamment par l’incitation à la haine et au vandalisme, à la violence, aux troubles de masse et aux conflits qui peuvent faire de nouvelles victimes. En parallèle, les sites d’inhumation de personnes ayant participé à des actes terroristes risquent de devenir des hauts lieux pour certains extrémistes et d’être utilisés par eux comme un outil de propagande de l’idéologie du terrorisme et de l’engagement dans les activités terroristes. Dans ce contexte, le législateur fédéral peut adopter des modalités spéciales concernant l’inhumation des individus dont le décès a résulté de l’interruption d’un acte terroriste auquel ils ont participé (...) » L’arrêt faisait observer par ailleurs que l’application des mesures prévues par la législation pouvait passer pour justifiée si des garanties procédurales adéquates, telles qu’un contrôle juridictionnel effectif, étaient là pour protéger les individus contre l’arbitraire. La haute juridiction notait que les articles 123 à 127 du code de procédure pénale prévoyaient pareil contrôle (...) En résumé, la Cour constitutionnelle conclut que les dispositions incriminées étaient conformes à la Constitution mais en même temps les interpréta comme exigeant des autorités qu’elles s’abstiennent d’inhumer des corps tant qu’un tribunal n’a pas confirmé la décision de l’autorité compétente. Elle raisonna ainsi : « (...) Au sens de la Constitution et de la loi, les normes existantes présupposent la possibilité d’engager une procédure judiciaire en vue de contester une décision de clore, en raison du décès des suspects, un dossier pénal ou des poursuites contre des individus ayant participé à un acte terroriste. En conséquence, elles supposent aussi une obligation pour le tribunal d’examiner la substance du grief, c’est-à-dire de vérifier la légalité et le bien-fondé de la décision et des conclusions qu’elle contient quant à la participation des individus concernés à un acte terroriste, et d’établir l’absence de motifs de réhabilitation [des suspects] et de clore le dossier pénal. Elles impliquent donc que l’on se penche sur la légalité de l’application des mesures restrictives en question. Les restes des défunts ne peuvent être inhumés tant que la décision de justice n’a pas pris effet ; les organes et agents de l’État compétents doivent prendre toutes les mesures qui s’imposent pour que les corps soient traités suivant les coutumes et les traditions, en particulier par la mise en terre des restes (...) ou par [leur incinération], individuellement si possible, et au stade antérieur pour que soient respectées les règles relatives à l’établissement de l’identité des défunts (...) ainsi que de la date, du lieu et de la cause de la mort (...) » Le juge G.A. Gadzhiyev exprima une opinion séparée dans laquelle il disait convenir que les dispositions litigieuses étaient conformes à la Constitution mais formulait un avis différent sur la manière dont il fallait les interpréter. Il déclara dans son opinion : « (...) [L]orsque les organes répressifs compétents considèrent à l’issue d’une instruction préliminaire qu’un acte terroriste a été commis et qu’un individu donné est impliqué, mais que la procédure pénale contre cet individu (...) est close en raison de son décès consécutif à l’interruption de l’acte terroriste, et que ces organes concluent alors que la restitution du corps à la famille en vue de l’inhumation risque de menacer l’ordre et la paix publics ainsi que la santé, la morale, les droits, les intérêts légitimes et la sécurité d’autrui, ils ont la possibilité de rendre une décision refusant la restitution du corps et imposant des modalités spéciales pour l’inhumation. En même temps, en cas de refus de restituer le corps d’un individu dont le décès a résulté de l’interruption d’un acte terroriste commis par lui, les autorités compétentes pour prendre une décision concernant l’inhumation doivent veiller au respect de toutes les exigences relatives à l’établissement de l’identité du défunt, de la date et du lieu du décès, de la cause du décès et du lieu de l’inhumation, et aux informations nécessaires à la bonne identification de la tombe (emplacement et numéro précis). L’inhumation doit se dérouler en présence des proches, suivant les coutumes et les traditions et avec le respect empreint d’humanité qui est dû au défunt. Les autorités administratives d’un État régi par l’état de droit doivent respecter les valeurs culturelles d’une société multiethnique qui se transmettent de génération en génération (...) » Le juge A.L. Kononov émit une opinion dissidente dans laquelle il qualifiait la législation en question d’incompatible avec la Constitution. Il observa notamment : « (...) À nos yeux, les normes litigieuses qui prohibent la restitution des corps des défunts aux familles et prévoient une inhumation anonyme sont totalement immorales et s’inspirent des idées les plus éloignées de la civilisation, les plus barbares et les plus viles des générations passées (...) Le droit de toute personne à être inhumée dignement et suivant les traditions et les coutumes de sa famille n’appelle guère de justification spéciale ni même de garantie écrite dans la loi. Ce droit qui est une évidence découle de la nature humaine comme peut-être nul autre droit naturel. Tout aussi naturel et incontesté est le droit de toute personne de procéder à l’inhumation d’un être proche et cher, de pouvoir accomplir son devoir moral et manifester ses qualités humaines, de dire adieu, d’être peiné, de pleurer le défunt et de saluer la mémoire de celui-ci, quelle que soit la manière dont il peut être considéré par la société et l’État, de disposer d’une tombe, élément qui dans toute civilisation a une valeur sacrée et symbolise la mémoire (...) » b) Les procédures ultérieures Après le prononcé de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 28 juin 2007, les juridictions nationales modifièrent apparemment leur approche et acceptèrent de se pencher sur la légalité formelle des décisions des 13 et 14 avril 2006 et du 15 mai 2006. Trois des requérants (nos 12, 21 et 33) obtinrent copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 concernant leurs proches défunts, mais n’engagèrent aucune procédure à ce sujet ou quant à la décision du 15 mai 2006. Quinze des requérants (nos 1, 2, 4, 8, 18, 25, 26, 32, 34, 35, 37, 39, 42, 43 et 44) ne réclamèrent ni ne reçurent copie des décisions des 13 et 14 avril 2006, et ne contestèrent en justice aucune des décisions rendues en l’espèce. Les autres requérants, à l’exception de trois d’entre eux (nos 39, 42 et 43), se virent délivrer copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 concernant leurs proches et les contestèrent par la voie judiciaire. Sept des requérants (nos 3, 15, 17, 30, 38, 41 et 49 (...)) obtinrent à l’issue de quelques procédures des arrêts favorables, rendus en dernière instance par la Cour suprême de la République de Kabardino-Balkarie. Celle-ci annula les décisions des 13 et 14 avril 2006 et la décision du 15 mai 2006 pour illégalité. Concernant les décisions des 13 et 14 avril 2006, elle observa que celles-ci ne tenaient pas compte des récents amendements à l’article 205 du code pénal (paragraphe 76 ci-dessous) et renvoya l’affaire à l’organe d’instruction pour un nouvel examen. La décision du 15 mai 2006 fut annulée aux motifs qu’elle s’appuyait sur les décisions des 13 et 14 avril 2006 et n’avait pas été adoptée par une autorité compétente. Selon les requérants, ces arrêts n’ont pas été exécutés. Par la suite, les juridictions nationales semblent avoir changé de position quant à la nécessité de tenir compte des amendements à l’article 205 du code pénal, et avoir entrepris d’annuler les décisions par la voie de la procédure de révision (paragraphe 45 ci-dessous). Dix-neuf des requérants (nos 5, 6, 9, 10, 11, 13, 14, 16, 19, 20, 22, 24, 27, 28, 31, 40, 45, 46 et 50 (...)) obtinrent à l’issue de plusieurs procédures des arrêts favorables, rendus en dernière instance par la Cour suprême de la République de Kabardino-Balkarie. Ces arrêts portaient uniquement sur les décisions des 13 et 14 avril 2006, qu’ils annulaient pour illégalité. La haute juridiction observa que ces décisions ne tenaient pas compte des récents amendements à l’article 205 du code pénal et renvoya l’affaire à l’organe d’instruction pour un nouvel examen. Les requérants concernés n’ont semble-t-il pas engagé de procédure distincte quant à la décision du 15 mai 2006. Selon leurs dires, ces arrêts n’ont pas été exécutés. D’après les informations soumises par le Gouvernement au sujet de l’action intentée par la treizième requérante, le réexamen de l’affaire par les juridictions inférieures a abouti à une décision définitive du 3 novembre 2007, ayant confirmé intégralement la décision pertinente des 13-14 avril 2006. Dans le cadre des procédures internes, trois des requérants (nos 7, 23 et 47 (...)) se virent expressément refuser copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 concernant leurs proches défunts, en conséquence de quoi les tribunaux compétents ne purent se pencher sur la légalité de ces décisions et de celle du 15 mai 2006. La Cour suprême de la République de Kabardino-Balkarie déclara expressément dans ses arrêts pertinents que l’organe d’instruction avait refusé en toute illégalité de fournir aux requérants et aux juridictions copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 et d’autoriser l’accès aux pièces pertinentes du dossier concernant les proches défunts de ces requérants. Dans ses observations, le gouvernement défendeur soutient que les éléments rassemblés lors de l’instruction sur les défunts en question ont aussi été utilisés dans les poursuites contre les assaillants ayant survécu, et que le refus litigieux était motivé par la nécessité de préserver l’intégrité desdites poursuites. Deux des requérants (nos 29 et 36 (...)) obtinrent copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 concernant leurs proches défunts et les contestèrent en vain devant la justice. La Cour suprême de la République de Kabardino-Balkarie rejeta leurs recours et confirma la légalité des décisions en cause. Par la suite, ces requérants obtinrent de la même juridiction un jugement favorable déclarant la décision du 15 mai 2006 illégale au motif qu’elle n’avait pas été adoptée par une autorité compétente. La quarante-huitième requérante, Mme Oksana Nikolayevna Daova, reçut copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 concernant son frère, M. Valeriy Nikolayevich Tleuzhev, et son mari, M. Zurab Nazranovich Daov, décisions qu’elle contesta en vain devant le tribunal. Par des arrêts définitifs en date du 6 février 2007 et du 8 juillet 2008, la Cour suprême de la République de Kabardino-Balkarie rejeta ses recours relatifs à son frère et à son époux respectivement. La requérante ne semble pas avoir engagé d’action judiciaire quant à la décision du 15 mai 2006. Le Gouvernement soutient que les requérants auraient pu à tout moment obtenir copie des décisions des 13 et 14 avril 2006 et des pièces pertinentes du dossier. Selon la quarante-huitième requérante, seuls certains des requérants ont bénéficié d’un tel accès. D. Les conditions de conservation et d’identification des corps des défunts après l’attaque du 13 octobre 2005 Le récit initial des requérants Selon les requérants qui ont pris part à l’identification des corps, après les événements des 13 et 14 octobre 2005 les cadavres furent entreposés pendant plusieurs jours à la morgue de la ville et dans d’autres lieux, dans des conditions totalement insatisfaisantes. Singulièrement, les corps auraient dégagé une très forte odeur en raison de l’absence de réfrigération adéquate et auraient été entassés les uns sur les autres de façon désordonnée. À une date non précisée, Mme G.G. Kushkhova, apparemment une proche de la trentième requérante, se serait plainte par écrit de ce que les corps avaient été entassés et conservés à la température de l’extérieur, affirmant que certains se décomposaient et exhalaient une forte odeur de putréfaction. À une date non précisée, Mme F.N. Arkhagova, la quarante-deuxième requérante, déclara qu’elle avait vu les corps le neuvième jour consécutif aux événements en cause et que certains d’entre eux se décomposaient et contenaient des vers. M. Kereshev, époux de la seizième requérante, affirma que lorsqu’il avait pris part à la procédure d’identification le 15 octobre 2005, les corps étaient nus et entassés les uns sur les autres. Des observations écrites similaires furent déposées par M. Alakayev, le mari de la cinquième requérante, et Mme Sabanchiyeva, la première requérante. Pour appuyer leurs dires, les requérants ont soumis un enregistrement vidéo montrant des images apparemment filmées dans des wagons réfrigérés et confirmant que les cadavres étaient nus et, pour certains, entassés les uns sur les autres. La réponse du Gouvernement en date du 6 décembre 2005 En réponse à une question posée par la Cour le 4 novembre 2005, le Gouvernement a soutenu que les corps des personnes qui avaient attaqué la ville avaient été entreposés dans des « locaux spécialement conçus pour la conservation à long terme des cadavres, dotés de tout l’équipement nécessaire ». La lettre du procureur général en date du 14 avril 2006 En réponse à une lettre des requérants demandant des explications au sujet des effroyables conditions de conservation des corps, le parquet général déclara dans une lettre en date du 14 avril 2006 qu’en attendant l’adoption d’une décision d’ordre procédural concernant les corps, ceux-ci avaient été maintenus dans des pièces spécialement équipées, dans des chambres réfrigérées où la température avait été réglée à un niveau adéquat. Les autorités n’ont pas révélé le nom de la localité où les corps avaient été entreposés. Les observations du Gouvernement sur la conservation des corps Dans ses observations sur la recevabilité en date du 22 mai 2007, le Gouvernement a déclaré qu’à la suite des événements les corps avaient tout d’abord été transportés à la morgue de Naltchik, qu’ils avaient ensuite été dénudés, après quoi les vêtements avaient été envoyés ailleurs en vue d’une expertise médicolégale, puis que tous les corps avaient été placés dans deux wagons réfrigérés, dotés de tout le système nécessaire à la conservation, et avaient été transférés à Rostov-sur-le-Don en vue d’une expertise génétique. Le Gouvernement a également reconnu qu’immédiatement après l’attaque aucune structure n’avait été disponible pour l’entreposage des corps et que c’était probablement à cela que correspondaient les images de l’enregistrement soumis par les requérants. Les observations des requérants sur l’identification des corps Les observations des requérants ne contiennent pas d’informations susceptibles de confirmer la participation de quatre d’entre eux (les requérants nos 2, 8, 26 et 32) à la procédure d’identification. Treize des requérants (nos 4, 5, 6, 11, 14, 16, 30, 33, 36, 41, 44, 46 et 50) n’auraient pas participé eux-mêmes à la procédure, les cadavres de leurs proches ayant été identifiés par d’autres personnes. Les trente-trois autres requérants (nos 1, 3, 7, 9, 10, 12, 13, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 27, 28, 29, 31, 34, 35, 37, 38, 39, 40, 42, 43, 45, 47, 48 et 49) ont soumis des dépositions manuscrites confirmant leur participation personnelle à la procédure d’identification (...) Les requérants disent avoir eu accès aux cadavres aussi bien à la morgue de Naltchik que dans deux wagons réfrigérés, arrêtés sur un terrain du ministère de l’Intérieur. Selon eux, la possibilité de voir les corps fut aléatoire et tous ceux qui voulaient participer à l’identification ne furent pas admis. Dans certains cas, il n’y aurait pas de traces écrites suffisantes concernant l’accès aux cadavres. L’accès ayant été limité, les lieux en question auraient généralement été entourés d’une foule constituée par les proches des défunts. Les observations complémentaires du Gouvernement sur l’identification des corps Le Gouvernement conteste en partie les observations des requérants. Il renvoie aux protocoles d’identification, confirmant que les quatre requérants indiqués au paragraphe 57 ci-dessus et la quarante-quatrième requérante, Mme Lyubov Mikhaylovna Gonibova, ont pris part à l’identification. Il dément la participation personnelle à la procédure d’identification de la neuvième requérante (Mme Anzhelika Yuryevna Arkhestova), des dix-septième, dix-huitième, dix-neuvième et vingtième requérants (M. Betal Muradinovich Kerefov, M. Magomed Khassimovich Attoyev, Mme Zhanna Fyodorovna Ifraimova et Mme Aysha Ismailovna Chagiran), ainsi que du trente-neuvième requérant (M. Karalbi Masadovich Amshokov). Il atteste la participation des autres requérants énumérés au paragraphe 59 ci-dessus. Tous les corps auraient d’abord été entreposés à la morgue de Naltchik. Du 14 au 18 octobre 2005, les requérants auraient examiné les cadavres et les vêtements. À partir du 19 octobre 2005, les corps auraient été placés dans deux wagons réfrigérés. Le 1er novembre 2005, ces wagons auraient été transférés à Rostov-sur-le-Don pour des examens de génétique moléculaire et, le 22 juin 2006, tous les corps auraient été incinérés. Du 13 au 22 octobre 2006, le responsable de la procédure d’identification aurait été l’agent d’instruction P., chef de l’organe d’instruction. À partir du 22 octobre 2005, il aurait été remplacé par l’agent d’instruction S. Les événements du 13 octobre 2005 auraient causé la mort au total de douze civils, trente-cinq policiers et représentants de l’ordre, et quatre-vingt-sept participants à l’attaque. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions pertinentes de la loi sur l’inhumation et les pompes funèbres La loi sur l’inhumation et les pompes funèbres (loi no 8-FZ du 12 janvier 1996) contient les dispositions suivantes : Article 3 : l’inhumation « Au sens de la présente loi fédérale, l’inhumation s’entend des actes rituels qui consistent à traiter le corps (ou les restes) d’un défunt suivant des coutumes et des traditions non contraires aux règles sanitaires et autres. L’inhumation peut consister à mettre le corps (ou les restes) dans la terre (inhumation dans une tombe ou un caveau), dans le feu (incinération, puis enterrement de l’urne contenant les cendres), dans l’eau (funérailles en mer) (...) » Article 4 : les lieux d’inhumation « 1. Les lieux d’inhumation sont des sites spécialement désignés [conformément aux règles applicables] comportant (...) un cimetière pour l’inhumation des corps (restes) des défunts, un mur pour le dépôt des urnes contenant les cendres des défunts (...), un crématorium (...) et d’autres bâtiments (...) conçus pour l’inhumation des défunts (...) » Article 5 : les dernières volontés d’une personne quant au traitement digne de son corps après sa mort « 1. Les dernières volontés d’une personne quant au traitement digne de son corps après sa mort (la volonté du défunt) sont des souhaits exprimés oralement devant témoin ou par écrit : – sur son consentement ou non-consentement à la réalisation d’une autopsie ; – sur son consentement ou non-consentement au prélèvement de parties ou de tissus de son corps ; – sur sa volonté d’être inhumée en un lieu donné, suivant un ensemble spécifique de coutumes et de traditions, auprès de certaines personnes déjà décédées ; – sur sa volonté d’être incinérée ; – confiant la réalisation de ces souhaits à une personne donnée. Les actes liés au traitement digne du corps d’un défunt doivent être effectués suivant les souhaits de l’intéressé, sauf circonstances empêchant la réalisation desdits souhaits ou dispositions contraires contenues dans la législation [nationale]. En l’absence de dernières volontés exprimées, les actes visés au paragraphe 1 du présent article peuvent être autorisés par le conjoint, des membres de la proche famille (enfants, parents, enfants adoptés et parents adoptifs, frères et sœurs, petits-enfants et grands-parents), d’autres membres de la famille, le représentant légal du défunt ou, à défaut, d’autres personnes qui assument la responsabilité de l’inhumation du défunt. » Article 6 : les exécuteurs des souhaits d’un défunt « Les exécuteurs des dernières volontés d’un défunt sont les personnes désignées dans ces dernières volontés, dès lors qu’elles acceptent d’agir en conséquence. En l’absence d’indication spécifique concernant les exécuteurs des dernières volontés, ou si les personnes désignées refusent d’agir en conséquence, les consignes données dans les dernières volontés sont exécutées par le conjoint survivant, des membres de la famille proche, d’autres membres de la famille ou des représentants légaux du défunt. En cas de refus motivé des personnes désignées d’exécuter les consignes données dans les dernières volontés du défunt, l’inhumation peut être effectuée par une autre personne qui accepte d’assumer cette obligation ou un service de pompes funèbres. » Article 7 : l’exécution des souhaits d’un défunt concernant l’inhumation « 1. Sur le territoire de la Fédération de Russie, il est garanti à tout être humain qu’après son décès son inhumation sera effectuée dans le respect de ses souhaits et que sera fourni gratuitement un emplacement destiné à l’inhumation de son corps (de ses restes) ou de ses cendres conformément à la présente loi fédérale (...) » Article 8 : les garanties relatives à l’inhumation d’un défunt « Le conjoint, les membres de la famille proche, les autres membres de la famille, le représentant légal du défunt ou toute autre personne assumant l’obligation d’inhumer le défunt bénéficie(nt) des garanties suivantes : La délivrance des documents nécessaires à l’inhumation du défunt dans le délai d’un jour à compter de la date à laquelle la cause du décès a été établie ; si le corps a dû être placé dans une morgue en vue d’une autopsie, sa restitution à la demande du conjoint, des membres de la famille proche, d’autres membres de la famille, du représentant légal ou d’une autre personne assumant l’obligation d’inhumer le défunt ne peut être retardée de plus de deux jours à compter de la date à laquelle la cause du décès a été établie (...) » B. Définitions légales de l’activité terroriste et du terrorisme L’article 3 de la loi no 130-FZ de la Fédération de Russie (loi sur l’élimination du terrorisme) définit ainsi le terrorisme : « (...) la violence ou la menace du recours à la violence contre des personnes physiques ou des organisations, ainsi que la destruction (ou détérioration) ou la menace de destruction (ou de détérioration) de biens et d’autres objets matériels qui met en danger la vie des personnes, cause des pertes matérielles importantes ou entraîne d’autres conséquences socialement dangereuses, dans le but de porter atteinte à la sûreté publique, d’intimider la population ou de pousser les organes de l’État à prendre des décisions favorables aux terroristes ou à satisfaire leurs intérêts illégaux, d’ordre patrimonial ou autre ; l’attentat à la vie d’une figure publique ou de l’État, commis dans le but de faire cesser ses activités publiques ou politiques, ou en représailles à de telles activités ; ou l’attaque contre un représentant d’un État étranger ou un agent d’une organisation internationale placé sous protection internationale, ou contre les locaux ou moyens de transport officiels de personnes placées sous protection internationale, si pareil acte est commis dans le but de déclencher une guerre ou de créer une tension dans les relations internationales. » L’activité terroriste, au sens de la loi, englobe : « 1. l’organisation, la planification, la préparation et la commission d’un acte terroriste ; l’incitation à commettre un acte terroriste ou un acte de violence contre des personnes physiques ou des organisations, ou à détruire des objets matériels à des fins terroristes ; la constitution d’une formation armée illégale, d’une association criminelle (organisation criminelle) ou d’un groupe organisé en vue de la commission d’un acte terroriste, ou la participation à un tel acte ; le recrutement, la dotation en armes, la formation et le déploiement de terroristes ; le fait de financer intentionnellement une organisation ou un groupe terroriste ou de lui fournir un autre type d’assistance. » L’article 3 définit ainsi l’acte terroriste : « (...) la commission directe d’un crime à caractère terroriste au moyen d’une explosion, d’un incendie volontaire, du recours ou de la menace de recours à des dispositifs explosifs nucléaires ou à des substances radioactives, chimiques, biologiques, explosives, toxiques ou hautement toxiques ; la destruction, la détérioration ou l’appropriation de moyens de transport ou d’autres objets ; l’attentat à la vie de figures publiques ou de l’État, ou de représentants de groupes nationaux, ethniques, religieux ou autres de la population ; la prise d’otages ou l’enlèvement de personnes ; la mise en danger de la vie, de la santé ou des biens d’un nombre indéfini de personnes par la création des conditions propices à la survenue d’accidents ou de catastrophes de caractère technologique, ou la menace réelle de provoquer un tel danger ; la diffusion de menaces, de quelque forme et par quelque moyen que ce soit ; d’autres actes qui mettent en danger la vie des personnes, causent des pertes matérielles importantes ou entraînent d’autres conséquences socialement dangereuses. » Dans le même article, le terroriste est ainsi défini : « (...) personne qui prend part à la réalisation d’une activité terroriste, de quelque forme que ce soit. » C. La législation régissant l’inhumation des terroristes Le 26 octobre 2002, une attaque terroriste se produisit au théâtre de « Nord-Ost », à Moscou. Celle-ci donna lieu à une prise d’otages qui fit de nombreuses victimes, causant notamment le décès de plusieurs douzaines d’otages (Finogenov et autres c. Russie, nos 18299/03 et 27311/03, §§ 8-14, CEDH 2011). Peu après l’attaque, le 11 décembre 2002, la Russie adopta des amendements à la loi sur l’élimination du terrorisme en y ajoutant l’article 16 § 1, ainsi libellé : « [L’]inhumation d’un terroriste décédé consécutivement à l’interruption d’un acte terroriste se déroule suivant les modalités définies par le gouvernement de la Fédération de Russie. La dépouille n’est pas restituée en vue de l’inhumation et le lieu de l’inhumation est tenu secret. » À la même date, la Russie adopta également des amendements (no 170- FZ) à la loi sur l’inhumation et les pompes funèbres, en y ajoutant l’article 14 § 1, lequel énonce : « La personne dont les activités terroristes ont fait l’objet d’une enquête pénale qui a été clôturée en raison de son décès consécutif à l’interruption d’un acte terroriste est inhumée suivant les modalités définies par le gouvernement de la Fédération de Russie. La dépouille n’est pas restituée en vue de l’inhumation et le lieu de l’inhumation est tenu secret. » Le décret no 164 du gouvernement de la Fédération de Russie en date du 20 mars 2003, adopté en application de l’article 16 § 1 de la loi sur l’élimination du terrorisme, définit comme suit la procédure d’inhumation d’une personne décédée consécutivement à l’interruption d’un acte terroriste commis par elle : « (...) L’inhumation de [cette] personne se déroule dans le secteur où le décès est survenu et est effectuée par les services de pompes funèbres établis par des organes de l’autorité exécutive des sujets de la Fédération de Russie ou par des organes des collectivités locales (...) Les prestations assurées par le service des pompes funèbres pour l’inhumation de [cette] personne comprennent le traitement des documents nécessaires à l’inhumation, l’habillage du corps, la mise à disposition d’une tombe, le transfert du corps (des restes) vers le lieu de l’inhumation (ou de l’incinération) et l’inhumation. Le transfert du corps (des restes) vers le lieu de l’inhumation (ou de l’incinération) par voie ferroviaire ou aérienne est effectué en vertu d’une autorisation de transfert délivrée dans le cadre d’une procédure établie. Le lieu de l’inhumation est déterminé en fonction des restrictions définies par la loi sur l’inhumation et les pompes funèbres. Aux fins de l’inhumation, la personne chargée de l’instruction préliminaire envoie les documents nécessaires au service des pompes funèbres, notamment copie de la décision de clore le dossier pénal et l’enquête pénale concernant [cette] personne ; par ailleurs, il envoie une attestation de décès au service d’état civil correspondant au dernier lieu de résidence du défunt. La personne chargée de l’instruction préliminaire indique aux proches de l’individu [concerné] auprès de quel service d’état civil ils peuvent obtenir un certificat de décès. Si la personne chargée de l’instruction préliminaire le juge opportun, les proches de [cette] personne peuvent obtenir copie des pièces médicales relatives au décès, établies par une entité médicale, ainsi que du rapport d’autopsie (s’il y a eu autopsie). Les effets personnels du défunt sont également restitués s’ils ne font pas l’objet d’une mesure de confiscation. Le service des pompes funèbres établit un rapport sur l’exécution de l’inhumation, qui est envoyé à la personne chargée de l’instruction préliminaire. Ce document est versé au dossier pénal. » D. L’arrêt no 16-P de la Cour constitutionnelle en date du 14 juillet 2011 Le 14 juillet 2011, la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie examina un recours formé par deux personnes qui remettaient en question la constitutionnalité de l’article 24 § 1.4 (motifs d’une décision de ne pas engager ou de clore une procédure pénale) et de l’article 254 § 1 (clôture d’une procédure pénale lors d’une audience) du code de procédure pénale. Elle conclut que ces dispositions légales étaient inconstitutionnelles en ce qu’elles prévoyaient la possibilité de classer une affaire pénale pour cause de décès d’un suspect (ou d’un accusé) sans le consentement de ses proches. La haute juridiction observa notamment : « (...) le respect des garanties procédurales fondamentales associées aux droits individuels, notamment le droit à la présomption d’innocence, doit aussi être assuré par la résolution de la question de la clôture d’une procédure pénale sans circonstances justifiant la réhabilitation. En décidant de ne pas engager de procédure pénale ou de clore une procédure pénale lors de la phase antérieure au procès, les organes compétents doivent prendre pour point de départ le fait que des personnes au sujet desquelles une procédure pénale a été clôturée [qui n’ont pas été déclarées coupables d’une infraction] ne peuvent être tenues pour coupables. Au regard de la Constitution, ces personnes peuvent uniquement être considérées comme ayant fait l’objet d’une procédure pénale audit stade, en raison des soupçons ou accusations en question (...) En même temps, lorsqu’elle classe une affaire pénale pour cause de décès du suspect (ou de l’accusé), [l’autorité] stoppe le processus permettant de prouver la culpabilité de l’intéressé. Ce faisant, elle ne lève pas pour autant l’accusation ou les soupçons. Bien au contraire : elle formule en fait une conclusion relativement à la commission de l’acte incriminé par (...) une personne donnée et à l’impossibilité de mener des poursuites pénales en raison de son décès. Suivant cette logique, l’intéressé est déclaré coupable sans qu’aucun verdict ait été adopté ou ait pris effet, ce qui constitue un manquement de l’État à son obligation de défendre judiciairement l’honneur, la dignité et la réputation de cet individu, qui sont protégés par [diverses dispositions de] (...) la Constitution. Quant aux personnes dont les intérêts peuvent être affectés par une telle décision, elles subissent une atteinte à leur droit d’accès à un tribunal (...) (...) [En d’autres termes,] la clôture d’une procédure pénale sans circonstances justifiant la réhabilitation en général n’est possible que si les droits des parties à la procédure pénale sont respectés, ce qui signifie notamment qu’il faut s’assurer du consentement du suspect (ou de l’accusé) à [une telle décision] (...) (...) Si l’intéressé s’oppose à [une telle décision], il doit avoir droit à un examen par le juge du fond des accusations portées contre lui (...) [Ayant analysé les dispositions internes applicables, la Cour constitutionnelle conclut que] le code de procédure pénale ne confère pas [aux proches du défunt au sujet duquel l’affaire est classée] de droits leur permettant de protéger ceux de leur proche défunt qui s’est trouvé accusé. Les personnes intéressées – au premier chef les proches parents du défunt – n’étant pas autorisées à prendre part à la procédure, les décisions procédurales [pertinentes] (...) sont prises par un agent d’instruction ou une juridiction, sans participation de la défense (...) Pareilles restrictions sont dépourvues de justification objective ou raisonnable et représentent une atteinte aux [droits constitutionnels des personnes concernées] (...) [La Cour constitutionnelle considère en outre que] la protection des droits et des intérêts légitimes des proches du défunt (...) visant à la réhabilitation de celui-ci doit passer par l’octroi à ces personnes du statut juridique nécessaire et des droits légitimes qui en découlent dans le cadre de la procédure pénale (...) [La Cour constitutionnelle conclut que les droits prévus à l’article 125 du code de procédure pénale étaient insuffisants pour garantir une protection judiciaire adéquate aux personnes concernées] (...) [Ainsi, lorsque] les proches s’opposent à la clôture de la procédure pour cause de décès d’une personne soupçonnée ou accusée, l’organe d’instruction ou le tribunal compétent doit procéder à l’examen de l’affaire. En même temps, les personnes concernées doivent jouir de droits identiques à ceux dont le défunt [lui-même] aurait joui (...) » E. Les dispositions pertinentes du code pénal L’article 105 du code pénal (intitulé « Le meurtre » et déjà en vigueur à l’époque des faits) dispose : « 1. Le meurtre, c’est-à-dire l’infliction intentionnelle de la mort à autrui, est passible d’une peine privative de liberté d’une durée comprise entre six ans et quinze ans. » L’article 205 (« Le terrorisme ») du code pénal, tel que libellé avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2007, de la loi fédérale no 153-FZ du 27 juillet 2006, énonçait : « 1. Le terrorisme, c’est-à-dire le fait de commettre une explosion, un incendie volontaire ou un autre acte, mettant en danger la vie des personnes, causant des dommages matériels considérables ou entraînant d’autres conséquences socialement dangereuses, si ces actes ont pour but de porter atteinte à la sûreté publique, de menacer la population ou d’influer sur les décisions des autorités, ou la menace de commettre de tels actes avec les mêmes buts, sont passibles d’une peine privative de liberté d’une durée comprise entre huit ans et douze ans (...) » La loi fédérale du 27 juillet 2006 a modifié le titre et le contenu de l’article 205 du code pénal, à présent intitulé « L’acte terroriste » et ainsi libellé : « 1. Le fait de commettre une explosion, un incendie volontaire ou un autre acte, créant un climat de peur et un danger pour la vie des personnes, entraînant des dommages matériels considérables ou d’autres conséquences graves, dans le but de peser sur les décisions des autorités ou des organisations internationales, ou la menace de commettre de tels actes avec les mêmes buts, sont passibles d’une peine privative de liberté d’une durée comprise entre huit ans et douze ans. » (...) III. AUTRES SOURCES PERTINENTES Les requérants soutiennent qu’aucun autre pays européen ne possède dans sa législation de disposition semblable à l’article 14 § 1 de la loi sur l’inhumation et les pompes funèbres. Ils ajoutent qu’une pratique similaire a existé de facto en Israël, où elle a été utilisée au niveau administratif sans jamais avoir été codifiée. Ils renvoient à l’arrêt rendu dans l’affaire Barakeh et autres c. ministre de la Défense et autres (14 avril 2002, no HCJ 3114/02), où la Haute Cour de justice israélienne a condamné cet usage. En 2004, les autorités israéliennes auraient annoncé qu’elles mettaient fin à la pratique consistant à refuser de restituer les corps des Palestiniens, « sauf circonstances exceptionnelles ». Les requérants mentionnent également sept avis rendus par le Comité des droits de l’homme des Nations unies en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans des affaires dirigées contre le Bélarus, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan, où les autorités avaient refusé de communiquer la date de l’exécution aux proches d’un détenu visé par une sentence capitale, de restituer le corps en vue de son inhumation ou de révéler le lieu de l’inhumation (Bondarenko c. Bélarus, no 886/1999, 3 avril 2003, § 10.2 ; Lyashkevich c. Bélarus, no 887/1999, 3 avril 2003, § 9.2 ; Sultanova c. Ouzbékistan, no 915/2000, 30 mars 2006, § 7.10 ; Bazarova c. Ouzbékistan, no 959/2000, 14 juillet 2006, § 8.5 ; Khalilova c. Tadjikistan, no 973/2001, 30 mars 2005, § 7.7 ; Aliboeva c. Tadjikistan, no 985/2001, 18 octobre 2005, § 6.7 ; Shukurova c. Tadjikistan, no 1044/2002, 17 mars 2006, § 8.7). Dans l’affaire Aliboeva c. Tadjikistan en particulier, le Comité des droits de l’homme s’est prononcé comme suit : « 6.7 Le Comité a pris note du grief de l’auteur qui se plaint de ce que les autorités ne l’ont pas informée de l’exécution de son mari, et qu’elles ont continué de prendre acte de ses démarches en sa faveur après l’exécution. Le Comité note que la loi en vigueur à l’époque ne permettait pas à la famille d’un condamné à mort d’être informée de la date de son exécution ni de l’emplacement de sa tombe. Le Comité comprend l’angoisse et la pression psychologique dont l’auteur, femme d’un prisonnier condamné à mort, a souffert et souffre encore parce qu’elle ne sait toujours pas dans quelles circonstances a été exécuté son mari ni où il est enterré. Il rappelle que le secret total entourant la date de l’exécution et le lieu de l’ensevelissement ainsi que le refus de remettre le corps pour qu’il soit inhumé ont pour effet d’intimider ou de punir les familles en les laissant délibérément dans un état d’incertitude et de souffrance morale. Le Comité considère que le fait que les autorités ne l’aient pas immédiatement avisé de l’exécution de son mari et ne lui aient pas indiqué le lieu où celui-ci a été inhumé constitue à l’égard de l’auteur un traitement inhumain contraire à l’article 7 du Pacte. » Les requérants s’appuient également sur l’arrêt rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme le 15 juin 2005 dans l’affaire Village de Moiwana c. Suriname (CIADH, série C no 145, 2005). Dans cette affaire, des agents de l’État avaient attaqué le village de Moiwana en 1986, tuant trente-neuf membres du clan ndyuka (paragraphe 86 (15)). Les autorités avaient également empêché les survivants de récupérer les corps. On avait de plus rapporté que certains des cadavres avaient été incinérés. La Cour interaméricaine a livré un compte rendu détaillé des rites funèbres propres aux Ndyukas, observant ce qui suit : « 86.7 Les Ndyukas possèdent des rites particuliers qui doivent être scrupuleusement observés lorsqu’un membre de la communauté décède. Doivent être célébrées une série de cérémonies religieuses, dont l’accomplissement requiert de six mois à un an ; ces rites exigent la participation d’un plus grand nombre de membres de la communauté et l’emploi de plus de ressources que toute autre cérémonie dans la société ndyuka. 8 Il est extrêmement important de disposer des restes physiques du défunt, car le corps doit être traité de manière spécifique pendant les rites funèbres et être placé dans le sol à l’endroit où sont inhumés les membres du groupe correspondant. Seules les personnes qui ont été jugées mauvaises sont privées d’une inhumation honorable. De plus, dans toutes les sociétés marronnes, l’idée de l’incinération est très choquante. 9 Que les divers rites funèbres ne soient pas accomplis suivant la tradition ndyuka est considéré comme une transgression morale, qui non seulement va mettre en colère l’esprit du défunt mais risque aussi d’offenser les aïeux de la communauté. Il en résulte un certain nombre de « maladies causées par l’esprit » qui se manifestent comme de véritables maladies physiques et peuvent toucher toute une lignée naturelle. Les Ndyukas pensent que de telles maladies ne guérissent pas d’elles-mêmes mais doivent être enrayées par des moyens d’ordre culturel et cérémoniel, et que dans le cas contraire elles persisteront au fil des générations. » La Cour interaméricaine a conclu au paragraphe 100 de son arrêt que les requérants avaient subi un traitement inhumain, en violation de l’article 5 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Elle s’est exprimée ainsi : « (...) [l’]une des plus grandes causes de souffrance des membres de la communauté de Moiwana est le fait qu’ils ignorent ce que sont devenus les restes des êtres aimés, et qu’ils ne peuvent en conséquence les honorer et les inhumer suivant les règles essentielles de la culture ndyuka. Pour la Cour, il est compréhensible, dès lors, que les membres de la communauté aient été bouleversés par les informations selon lesquelles certains des corps avaient été brûlés (...) » Dans le cadre de l’octroi d’une juste réparation (paragraphe 208 de l’arrêt), il a été demandé au gouvernement surinamais : « (...) de récupérer rapidement les restes des membres de la communauté de Moiwana tués lors de l’attaque de 1986. Si l’État retrouve ces restes, il devra les remettre dès que possible aux membres survivants de la communauté, de manière à ce que les défunts puissent être honorés suivant les rites de la culture ndyuka ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1985. Il purge actuellement une peine de prison au Tadjikistan. A. La vie du requérant avant l’ouverture de poursuites pénales à son encontre Jusqu’à 2006, le requérant résidait dans son village natal de Navgilem dans la région de Sogdie, au Tadjikistan. Il vendait des produits d’alimentation sur le marché. Il décrit comme suit les événements qui ont précédé son départ du Tadjikistan. De 2002 à 2005, il aurait fréquenté une mosquée où il aurait étudié le Coran sous la tutelle de M. S. Marufov. Celui-ci fut par la suite arrêté par la police locale et mourut en détention en mai 2006. Avant son décès, il aurait été maltraité (...) Après le décès de M. Marufov, les autorités tadjikes s’en seraient prises à ses élèves. Le requérant aurait alors fui le pays de peur d’être poursuivi en raison de ses activités religieuses. Il serait arrivé en Russie en juin 2006 et y aurait gagné sa vie en exerçant différents emplois non qualifiés dans la banlieue de Moscou. B. La procédure pénale dirigée contre le requérant au Tadjikistan et la procédure subséquente d’extradition depuis la Russie Le 7 novembre 2006, le bureau du procureur général du Tadjikistan engagea des poursuites pénales contre le requérant et autorisa son placement en détention provisoire. Le requérant était accusé en vertu des articles 186 § 2 et 187 § 2 du code pénal du Tadjikistan d’avoir formé durant l’année 1992 avec d’autres individus une association de malfaiteurs dénommée « Bayat » (Байъат), qui aurait ensuite rejoint un « groupe criminel armé » dénommé « mouvement islamique de l’Ouzbékistan » (« le MIO »). Le deuxième chef d’accusation dont il faisait l’objet concernait sa participation alléguée à une attaque à main armée perpétrée le 27 septembre 2006 sur trois membres du parlement régional. Toujours le 7 novembre 2006, le bureau du procureur général tadjik émit un mandat d’arrêt à l’encontre du requérant, pour les chefs d’accusation exposés cidessus, et il l’inscrivit sur la liste des « personnes recherchées ». Le 21 novembre 2009, le requérant fut appréhendé à Moscou par la police russe en vertu d’un mandat d’arrêt international émis par les autorités tadjikes. Il demeura en détention extraditionnelle jusqu’au 21 mai 2011 (...) Le 21 décembre 2009 et le 29 mars 2010, le procureur général adjoint du Tadjikistan demanda à son homologue russe d’ordonner l’extradition du requérant vers le Tadjikistan. Le 17 juin 2010, le procureur général adjoint de Russie ordonna l’extradition du requérant. Il constata notamment que l’intéressé avait été accusé au Tadjikistan d’appartenir depuis 1992 à une organisation criminelle, le MIO. Il indiqua également qu’il s’était installé en Russie à la fin de l’année 2005, qu’il y avait fondé une cellule armée du MIO, et qu’en 2006 il avait transféré jusqu’à cinq mille dollars américains par mois aux chefs du MIO au Tadjikistan, alimentant ainsi leurs activités terroristes, telles que le meurtre d’agents de l’État. Il releva que ces actes étaient aussi passibles de sanctions en vertu du code pénal russe et que l’extradition du requérant n’était pas susceptible d’être empêchée par une éventuelle infraction commise par lui à Moscou, aucune enquête ni aucune procédure n’ayant été ouvertes à cet égard. Enfin, il indiqua que ni les traités internationaux ni la législation de la Fédération de Russie ne faisaient obstacle à l’extradition du requérant. Le requérant contesta l’ordre d’extradition devant le tribunal de Moscou, alléguant que, s’il était renvoyé au Tadjikistan, les autorités tadjikes le soumettraient à la torture en vue de le faire avouer un crime qu’il n’avait pas commis. Il citait plusieurs arrêts de la Cour faisant état du risque de torture auquel certains requérants se trouvant dans une situation analogue à la sienne auraient été exposés s’ils avaient été extradés dans ce pays (Khodzhayev c. Russie, no 52466/08, 12 mai 2010, et Khaydarov c. Russie, no 21055/09, 20 mai 2010). Il dénonçait aussi des contradictions voire des absurdités dans les accusations portées contre lui au Tadjikistan, accusations selon lesquelles il aurait participé activement à des activités terroristes depuis 1992, période à laquelle il était encore enfant. Le procureur général adjoint russe communiqua au tribunal de Moscou une lettre signée de son homologue au Tadjikistan, qui énonçait notamment les assurances suivantes : « Nous garantissons que conformément aux normes du droit international [le requérant] bénéficiera pleinement de la possibilité de se défendre en République du Tadjikistan, notamment par l’assistance d’un avocat. Il ne sera pas soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, conventions et protocoles pertinents des Nations unies et du Conseil de l’Europe). En vertu du code pénal du Tadjikistan, les infractions dont est accusé [le requérant] ne sont pas passibles de la peine de mort. Le bureau du procureur général du Tadjikistan garantit que le but de la demande d’extradition [du requérant] n’est pas de le persécuter pour des motifs politiques ou en raison de sa race, de ses convictions religieuses, de sa nationalité ou de ses opinions politiques. (...) le Tadjikistan s’engage à ne poursuivre [le requérant] que pour les infractions qui constituent la base de son extradition, à ne pas le remettre à un État tiers sans le consentement de la Fédération de Russie, et à le laisser libre de quitter le territoire de la République du Tadjikistan lorsqu’il aura purgé sa peine. » Le 29 octobre 2010, le tribunal de Moscou tint une audience publique. Il fit droit à la demande présentée par la défense, qui souhaitait interroger Mme E. Ryabinina, en sa qualité d’expert de l’Institut russe des droits de l’homme, sur la situation au Tadjikistan. Répondant aux questions qui lui furent posées à l’audience publique, celle-ci expliqua en détail les quatre arrêts (Khodzhayev, précité, Khaydarov, précité, Iskandarov c. Russie, no 17185/05, 23 septembre 2010, et Gaforov c. Russie, no 25404/09, 21 octobre 2010) rendus peu de temps auparavant par la Cour au sujet de l’extradition vers le Tadjikistan dont devaient faire l’objet les requérants de ces affaires ainsi que les implications juridiques correspondantes pour la Fédération de Russie. Par un jugement adopté le même jour, le tribunal de Moscou confirma l’ordre d’extradition, estimant que rien ne s’opposait à ce que le requérant soit extradé au Tadjikistan. Il rejeta dans les termes suivants les arguments tirés par le requérant des obligations incombant à la Russie en vertu de la Convention et de la jurisprudence de la Cour : « (...) les arguments consistant à dire que le requérant risquerait d’être persécuté pour des motifs religieux ou qu’il serait exposé à un risque sérieux d’être torturé au cours de la procédure pénale menée au Tadjikistan (...) sont jugés infondés, car ils ne constituent que des suppositions et ne sont pas corroborés ; ils sont même au contraire totalement réfutés par les éléments du dossier, que le tribunal a examinés, et en particulier par les garanties écrites qu’a fournies le procureur général adjoint de la République du Tadjikistan (...) Les arguments (...) consistant à dire qu’il est commis en République du Tadjikistan des actes de torture et de persécution pour des motifs religieux et politiques et que les documents de la Cour européenne des droits de l’homme et d’autres organisations de défense des droits de l’homme confirment les allégations portées à cet égard (...) sont jugés infondés, car les documents cités concernent d’autres personnes, et non [le requérant] ; de plus, les garanties écrites susmentionnées apportées par le bureau du procureur général tadjik infirment ces arguments. » Le 9 décembre 2010, la Cour suprême confirma la décision du tribunal de Moscou. Elle rejeta, en s’appuyant exclusivement sur le texte des garanties écrites fournies par le bureau du procureur général tadjik, l’argument du requérant consistant à dire que son extradition emporterait violation de l’article 3 de la Convention. C. La demande d’octroi du statut de réfugié et de l’asile temporaire Le 22 décembre 2009, le requérant sollicita auprès du bureau de Moscou du service fédéral russe des migrations (« le SFM ») l’octroi du statut de réfugié. Il arguait qu’il avait été persécuté au Tadjikistan en raison de ses convictions religieuses et qu’il serait soumis à la torture s’il y était extradé. Le 26 avril 2010, le bureau de Moscou du SFM rejeta cette demande, par une décision qui fut notifiée au requérant le 12 mai 2010. Le 26 août 2010, le directeur adjoint du SFM rejeta un recours introduit par le requérant contre cette décision. Il rappela que le MIO était considéré par les juridictions suprêmes tant russes que tadjikes comme une organisation menant des activités terroristes. Tout en prenant acte des nombreuses critiques internationales relatives à l’usage de la torture et à l’impunité des agents de l’État qui en étaient responsables au Tadjikistan, il estima qu’il n’y avait pas de raison fondée de craindre que le requérant y soit persécuté pour des motifs religieux. Notant que la grande majorité de la population du Tadjikistan était de confession musulmane, il considéra qu’il était improbable que le requérant y soit persécuté uniquement en raison de ses convictions islamiques. Quant à la tentative des autorités de renforcer le contrôle des convictions religieuses, il estima qu’elle poursuivait l’objectif compréhensible de limiter l’influence de l’Islam radical, y compris celle du MIO. Il conclut que le requérant ne pouvait pas prétendre au statut de réfugié et que sa demande était en fait motivée par l’intention de se soustraire à sa responsabilité pénale au Tadjikistan. Il précisa cependant que l’existence d’une crainte fondée d’être victime de torture ou de mauvais traitements pouvait être un motif d’octroi de l’asile temporaire en Russie en vertu de l’article 12 de la loi sur les réfugiés. Le 1er octobre 2010, le requérant contesta la décision du SFM devant le tribunal du district Basmanniy (Moscou). Il arguait que le SFM n’avait pas procédé à une analyse approfondie et adéquate de la situation au Tadjikistan ni tenu dûment compte des informations fournies par différentes sources internationales à cet égard. Il ajoutait que le SFM l’avait présumé coupable des infractions que lui imputaient les autorités tadjikes et avait en pratique validé la version des faits présentée par le bureau du procureur général du Tadjikistan. Le 10 novembre 2010, le tribunal du district Basmanniy confirma la décision du SFM du 26 août 2010. Il jugea convaincants les arguments exposés dans cette décision et considéra que le requérant n’avait pas apporté de preuve du contraire. Le 6 décembre 2010, cette décision fut confirmée en appel par le tribunal de Moscou. Le 24 mai 2011, le requérant sollicita auprès du SFM l’octroi de l’asile temporaire en Russie. Le 2 juin 2011, le bureau du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Russie informa la représentante du requérant que son client répondait aux critères fixés par le statut du HCR et pouvait prétendre à la protection internationale dans le cadre du mandat de l’organisation. Le 6 septembre 2011, le bureau de Moscou du SFM accorda au requérant l’asile temporaire en Russie et lui délivra un certificat à cet égard. Ce certificat fut enregistré sous la référence ВУ № 0004219 et remis au requérant le 8 septembre 2011 en présence de son avocate. (...) E. L’enlèvement allégué du requérant et son transfert au Tadjikistan Le récit des événements livré par le requérant Selon le témoignage écrit du requérant et les informations complémentaires recueillies par ses représentantes à partir de témoignages et d’autres sources disponibles, son enlèvement et son transfert au Tadjikistan se seraient déroulés comme suit. Le 31 octobre 2011, le requérant circulait en voiture avec un ami dans le district sud-ouest de Moscou lorsque leur véhicule fut bloqué par une fourgonnette – soit vers 21 heures ou 22 heures sur l’avenue Michurinskiy selon une version soit, selon les informations communiquées par l’avocate du requérant à la police et aux autorités d’enquête, entre 23 h 30 et 23 h 45 au 15, avenue Vernadskiy à Moscou. Le requérant et son ami sortirent de leur voiture et tentèrent de s’échapper. Ils furent poursuivis par trois ou quatre hommes non identifiés qui tirèrent deux coups de feu. L’ami du requérant parvint à s’échapper, mais pas le requérant : les deux hommes le rattrapèrent, lui assénèrent des coups de matraque et le forcèrent à entrer dans la fourgonnette. Ils ne dirent pas qui ils étaient. Le requérant fut gardé dans la fourgonnette pendant une nuit et un jour. Les hommes qui l’avaient capturé le torturèrent et le maltraitèrent. Ils le passèrent à tabac et lui mirent une arme sur la tête en le menaçant de le tuer s’il ne retournait pas dans son pays. Le requérant leur montra le certificat d’asile temporaire délivré par le SFM, ce qui les fit simplement rire. L’homme qui interrogeait le requérant était d’origine tadjike. Dans la soirée du lendemain de sa capture, le requérant fut emmené par ses ravisseurs directement sur la piste de l’aéroport Domodedovo de Moscou, sans passer les contrôles habituels de sécurité et les formalités douanières aux frontières. Il fut remis à une brigade tadjike, qui le força à monter dans un appareil stationné à proximité sans qu’il ait à présenter de billet ni de documents de voyage. Vers 4 heures le lendemain matin, l’appareil se posa à l’aéroport de Khujand au Tadjikistan, où le requérant fut remis aux autorités tadjikes. Ses demandes d’avocat furent rejetées. Selon le témoignage écrit de son père, il fut détenu et interrogé pendant un certain temps au poste de police de Khujand. Le père du requérant a témoigné par écrit que les policiers, dont l’un était connu sous le nom de S.M., avaient gravement maltraité son fils afin de lui faire avouer des crimes qu’il n’avait jamais commis et de lui faire dire qu’il était revenu au Tadjikistan de son plein gré. Il a également écrit que, le 20 décembre 2012, l’enquêteur R.R. avait refusé de le laisser voir son fils en détention, au prétexte qu’il n’avait pas aidé les autorités à l’arrêter et à le ramener au pays. Les informations communiquées par le Gouvernement Les déclarations du Gouvernement concernant le récit des faits livré par le requérant se limitent à ce qui suit. En réponse à ses questions, la Cour a reçu du Gouvernement des lettres datées du 18 novembre 2011 et du 29 février 2012 qui ne contenaient aucune information sur le lieu où se trouvait le requérant ni sur son passage de la frontière. Dans ces lettres, le Gouvernement déclarait qu’il n’avait été porté atteinte en aucune manière aux droits et libertés du requérant après sa remise en liberté le 20 mai 2011, que les autorités n’étaient pas juridiquement tenues de le surveiller, que son extradition ou expulsion avait été suspendue en vertu des mesures provisoires ordonnées par la Cour et qu’il n’avait donc pas été remis au Tadjikistan dans le cadre de la procédure d’extradition. Le 5 avril 2012, le Gouvernement a transmis à la Cour les informations officielles communiquées le 26 mars 2012 par le procureur général du Tadjikistan à son homologue russe, informations selon lesquelles le requérant s’était « rendu de lui-même aux autorités » le 3 novembre 2011 en se présentant au service régional de lutte contre la criminalité organisée (РОБОП) de Sogdie et avait été placé en détention provisoire à la maison d’arrêt no 2 (СИЗО №2) de Khujand. Selon les dernières informations que la Cour a reçues du Gouvernement le 25 février 2013, l’enquête sur l’enlèvement et le transfert du requérant est toujours en cours. F. Les demandes de protection du requérant contre le risque imminent de transfert forcé vers le Tadjikistan Dès qu’elles apprirent que le requérant avait été enlevé dans la soirée du 31 octobre 2011, ses représentantes contactèrent les autorités compétentes russes et leur demandèrent de prendre d’urgence des mesures pour empêcher l’éloignement forcé de leur client du territoire russe. Entre 3 et 5 heures du matin le 1er novembre, Me E. Ryabinina télécopia quatre demandes officielles à cet effet, respectivement au préfet de police de Moscou, au directeur du SFM, au procureur général et au représentant de la Fédération de Russie à la Cour. Elle sollicita aussi l’assistance du commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie. Dans sa lettre au préfet de police de Moscou, la représentante du requérant exposa les circonstances de l’enlèvement de son client. Elle rappela aussi que le requérant bénéficiait de l’asile temporaire octroyé par le SFM et faisait l’objet d’une mesure provisoire indiquée par la Cour, en vertu de laquelle il ne devait pas être extradé. Sa lettre se terminait ainsi : « Au vu de [ces circonstances], il y a des motifs sérieux de craindre que [le requérant] ait été victime d’une tentative d’enlèvement destiné à le transférer illégalement de Russie au Tadjikistan, où les autorités ont demandé son extradition à des fins de poursuites pénales. La situation est d’autant plus grave que le frère du requérant [Sh. T.] a disparu le 8 septembre à Moscou et que, selon les informations fournies par son épouse, il a été placé en détention provisoire le 13 septembre à Khujand (République du Tadjikistan), où il est toujours détenu. Quelque temps auparavant, le 23 août de cette année, deux autres demandeurs d’asile qui faisaient l’objet d’une protection contre un transfert forcé [en vertu de mesures provisoires indiquées par] la Cour européenne ont disparu à Moscou : un ressortissant tadjik, S.K., et un ressortissant ouzbek, M.A. Tous deux ont été transférés au Tadjikistan et placés en détention provisoire. Toute allégation selon laquelle ils auraient quitté le territoire de leur plein gré doit être exclue car ils n’avaient aucun document de voyage leur permettant de franchir la frontière de la Fédération de Russie : le passeport de M.A. se trouvait au bureau de Moscou du SFM, et S.K. avait perdu le sien plusieurs années auparavant (...) » Le même jour, le commissaire aux droits de l’homme de la Fédération de Russie adressa également une lettre au préfet de police de Moscou. Cette lettre était ainsi libellée : « (...) Il y a des motifs sérieux de craindre que l’on tente de transférer illégalement [le requérant] au Tadjikistan, où sa vie est menacée. Aujourd’hui, 1er novembre 2011, [la représentante du requérant] vous a prié de prendre d’urgence des mesures pour empêcher le transfert forcé [du requérant] hors du territoire de la Fédération de Russie, et surtout, par les aéroports de Moscou. Je vous prie d’examiner cette demande dès que possible et de prendre toutes les mesures possibles pour retrouver [le requérant] et empêcher qu’il ne soit transféré de force hors du territoire de la Fédération de Russie. Je vous saurais gré de m’informer de la suite que vous voudrez bien donner à cette demande. » Aucune information ne fait état de mesures de protection prises par les autorités concernées en réponse à l’une quelconque de ces demandes. Le 7 novembre 2011, le bureau du représentant de la Fédération de Russie à la Cour répondit à la représentante du requérant qu’en vertu des mesures provisoires indiquées par la Cour, les autorités russes avaient suspendu son extradition et donné des instructions en ce sens au service fédéral de l’exécution des peines (ФСИН), au procureur général et au ministère de l’Intérieur. G. La lettre envoyée par le greffier de la Cour à la suite de l’enlèvement et du transfert du requérant Le 25 janvier 2012, après que le requérant eut fait état de son enlèvement dans la présente affaire et que des faits similaires eurent été dénoncés dans d’autres affaires, le greffier de la Cour adressa au représentant de la Fédération de Russie à la Cour une lettre libellée en ces termes : « Le président de la Cour, Sir Nicolas Bratza, m’a prié d’exprimer en son nom sa vive préoccupation face à la disparition du requérant en Russie et à son transfert subséquent au Tadjikistan malgré les mesures provisoires indiquées en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour. Le président a noté que depuis l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Iskandarov ([c. Russie], no 17185/05, 23 septembre 2010), où elle a jugé la Fédération de Russie responsable d’une violation de l’article 3 au motif que le requérant avait été enlevé et transféré au Tadjikistan par des individus non identifiés sans que les autorités expliquent ce qui avait pu se produire, la Cour a de nouveau été confrontée à des incidents de ce type dans quatre autres affaires, dont celle susmentionnée (les trois autres étant : Abdulkhakov c. Russie, no 14743/11, S.K. c. Russie, no 58221/10, et Zokhidov c. Russie, no 67286/10). Les explications avancées jusqu’à présent par le Gouvernement ne précisent pas comment les requérants ont pu passer la frontière russe contre leur gré malgré les assurances officielles du Gouvernement selon lesquelles il ne serait procédé à aucune extradition pendant l’examen de ces affaires par la Cour. Le président est très troublé par ces événements. Il est particulièrement préoccupé par leurs implications pour l’autorité de la Cour et par la perspective que de tels incidents inacceptables se reproduisent dans d’autres affaires où les requérants feraient l’objet d’une mesure provisoire indiquée en raison d’un risque imminent qu’ils soient victimes, dans les pays de destination, de violations des droits garantis par les articles 2 et 3 de la Convention. Le président prend la situation extrêmement au sérieux, au point qu’il a prié le greffe d’en informer immédiatement le président du Comité des Ministres, le président de l’Assemblée parlementaire et le Secrétaire général du Conseil de l’Europe. Le président note aussi que la chambre de la Cour a demandé au Gouvernement de lui communiquer des observations complémentaires quant à cette situation inquiétante et sans précédent, et il espère que les autorités russes compétentes fourniront à la Cour des informations exhaustives sur la suite donnée à ces incidents en Fédération de Russie. Dans l’intervalle, l’attention de vos autorités est appelée sur le fait que des mesures provisoires continuent de s’appliquer en vertu de l’article 39 du règlement dans vingt-cinq autres affaires russes concernant des extraditions ou des expulsions. Une liste de ces affaires est jointe à la présente lettre. » Le 5 mars 2012, en réponse à cette lettre, le représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour informa le greffier que les informations appropriées seraient communiquées « dès réception des données nécessaires par les autorités compétentes ». H. L’enquête officielle et les refus répétés d’ouvrir une procédure pénale relativement aux faits dénoncés par le requérant Les 30 novembre et 2 décembre 2011, le ministère de l’Intérieur informa la représentante du requérant que sa plainte relative à l’enlèvement du requérant avait été envoyée à la sous-préfecture de police du district sud-ouest de Moscou (УВД по Юго-Западному АО ГУ МВД России по г. Москве) puis à la division d’enquête interdistrict de l’arrondissement Gagarine de Moscou (Гагаринский МСО СУ по ЮЗАО ГСУ СК РФ). Le 30 décembre 2011, cette division décida de transmettre le dossier à la division d’enquête interdistrict de l’arrondissement Nikouline de Moscou (Никулинский МСО СУ по ЮЗАО ГСУ СК РФ по г. Москве – ci-après, « la division d’enquête de Nikouline »). Le premier refus de l’enquêteur d’ouvrir une enquête pénale et l’annulation de ce refus par le supérieur de l’enquêteur En vertu de l’article 144 du code de procédure pénale, l’enquêteur principal de la division d’enquête de Nikouline, P.K., mena des investigations préliminaires (проверка сообщения о преступлении). Le 21 mars 2012, il refusa d’ouvrir une enquête pénale relativement à l’enlèvement allégué du requérant en raison de l’absence de corps du délit. (...) Le même jour, le chef de la division d’enquête de Nikouline, S.K., annula cette décision et renvoya l’affaire au même enquêteur principal pour qu’il poursuive ses investigations. (...) Le 27 mars 2012, le chef de la première division de contrôle procédural de la direction générale des enquêtes de Moscou (ГСУ СК России по г. Москве) demanda également que les investigations sur la question se poursuivent. De plus, le 30 mars 2012, l’adjoint au procureur interdistrict de Nikouline (заместитель Никулинского межрайонного прокурора) demanda à l’enquêteur de déterminer si les autorités russes avaient été impliquées dans l’enlèvement allégué du requérant. Le deuxième refus de l’enquêteur d’ouvrir une enquête pénale et l’annulation de ce refus par le supérieur de l’enquêteur Le 20 avril 2012, l’enquêteur principal, P.K., refusa à nouveau d’ouvrir une enquête pénale (...) Le 23 avril 2012, l’adjoint au chef de la division d’enquête de Nikouline, A.N., annula cette décision (...) Le troisième refus de l’enquêteur d’ouvrir une enquête pénale et l’annulation de ce refus par le supérieur de l’enquêteur Le 23 mai 2012 l’enquêteur principal, P.K., refusa une nouvelle fois d’ouvrir une enquête pénale relativement à l’enlèvement allégué du requérant. (...) Le 9 juin 2012, l’adjoint au chef de la division d’enquête de Nikouline, A.N., annula à nouveau cette décision (...) Le quatrième refus d’ouvrir une enquête pénale Le 9 juillet 2012, un enquêteur de la division d’enquête de Nikouline, A.Z., refusa d’ouvrir une procédure pénale relativement à l’enlèvement allégué du requérant. Après un bref exposé des faits, la décision indique ceci : « (...) Ainsi, les investigations préliminaires n’ont permis d’établir aucun élément objectif indiquant que [le requérant] ait été enlevé. » L’enquêteur envoya cette décision aux représentantes du requérant le 16 août 2012. Les investigations ultérieures Le 25 février 2013, le Gouvernement informa la Cour que des investigations analogues s’étaient poursuivies et étaient toujours en cours. Il n’a cependant communiqué à la Cour aucune autre décision des autorités d’enquête ni aucun autre document. Selon ses déclarations, les investigations préliminaires auraient permis de conclure que le requérant avait traversé illégalement la frontière russe, s’était rendu aux autorités tadjikes et avait été placé en détention. La décision de refus d’ouvrir une enquête pénale prise par l’enquêteur le 9 juillet 2012 aurait à nouveau été annulée par son supérieur, à une date non précisée. Selon le Gouvernement, la dernière décision de refus d’ouvrir une enquête pénale a été prise le 29 novembre 2012 par le chef de la division d’enquête de Nikouline mais elle a ensuite à nouveau été annulée. En conséquence, le dossier aurait été renvoyé aux enquêteurs pour investigations supplémentaires. Le Gouvernement précise aussi qu’il a été demandé au service fédéral de sécurité de vérifier les informations selon lesquelles le requérant aurait traversé illégalement la frontière. Une autre demande aurait été adressée aux autorités tadjikes pour les prier d’informer les autorités russes de l’endroit où le requérant se trouvait au Tadjikistan. Cependant, au 23 janvier 2013, ces deux demandes étaient toujours sans réponse. I. Le procès pénal du requérant au Tadjikistan Les représentantes du requérant ont informé la Cour que, le 30 novembre 2011, le tribunal régional de Sogdie (Tadjikistan) avait entamé l’examen d’une action pénale dirigée contre trente-quatre individus, dont le requérant. Celui-ci aurait été accusé de différentes infractions prévues par les articles 185 § 1, 186 § 1, 187 §§ 1 et 2, 189 § 3 a), 244 § 4 c), 306 et 307 § 3 du code pénal du Tadjikistan. Le tribunal aurait tenu plusieurs audiences publiques à partir du 29 janvier 2012. Me R.T., avocat, qui a participé au procès, a fourni aux représentantes du requérant un témoignage écrit attestant que le requérant n’avait pas plaidé coupable au procès. Selon R.T., le requérant a déclaré au procès avoir été enlevé à Moscou, transféré de force au Tadjikistan et soumis à des actes de torture visant à lui extorquer des aveux. En mars et en avril 2012, onze proches des coaccusés demandèrent à plusieurs reprises au procureur régional de Sogdie, Sh.K., et au président du tribunal régional de Sogdie, N.M., d’ordonner un examen médicolégal des trente-quatre coaccusés afin de vérifier leurs allégations selon lesquelles ils avaient été torturés par des agents de l’État pendant la procédure pénale. Ces demandes écrites invoquaient les dispositions pertinentes de la Constitution et du code de procédure pénale du Tadjikistan, qui interdisent l’usage de la torture et prévoient l’irrecevabilité de tout témoignage obtenu sous la contrainte. La mère du requérant fit elle aussi une demande en ce sens relativement à son fils. La Cour ne dispose d’aucune information quant à la suite donnée par les autorités à ces demandes. Le 19 avril 2012, le tribunal régional de Sogdie jugea le requérant coupable et le condamna à une peine de vingt-six ans d’emprisonnement. Ses trentetrois coaccusés furent aussi jugés coupables, et condamnés à différentes peines d’emprisonnement allant de huit à vingt-huit ans. (...) V. DÉCISIONS PRISES PAR LE COMITÉ DES MINISTRES EN VERTU DE L’ARTICLE 46 SUR DES AFFAIRES ANALOGUES CONCERNANT LA RUSSIE 121. Après que la Cour l’eut informé qu’à plusieurs reprises des requérants s’étaient plaints que la Russie n’ait pas respecté les mesures provisoires qu’elle avait indiquées, dans la présente affaire ainsi que dans d’autres affaires (paragraphe 52 ci-dessus), le Comité des Ministres a examiné la question dans le cadre de l’exécution de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Iskandarov (précitée). 122. En ses parties pertinentes, la décision adoptée par le Comité des ministres le 8 mars 2012 à la 1136e réunion des Délégués des Ministres (CM/Del/Dec(2012)1136/19) se lit ainsi : « Les Délégués, (...) s’agissant de l’affaire Iskandarov, rappellent que les violations de la Convention dans cette affaire étaient dues à l’enlèvement du requérant par des personnes inconnues, dont la Cour a conclu qu’elles étaient des agents de l’État russe, et à son transfert forcé au Tadjikistan après que son extradition avait été refusée par les autorités russes ; notent avec une profonde préoccupation l’indication par la Cour que des incidents répétés du même type ont récemment eu lieu concernant quatre autres requérants dont les affaires sont pendantes devant la Cour et dans lesquelles la Cour a appliqué des mesures provisoires afin d’empêcher leur extradition en raison du risque imminent de violations graves de la Convention qu’ils encourent ; prennent note de la position des autorités russes selon laquelle cette situation constitue une source de grave préoccupation pour elles ; notent en outre que les autorités russes sont en train d’examiner ces incidents et sont résolues à présenter les résultats du suivi qui leur a été donné en Russie à la Cour dans le cadre de son examen des affaires concernées, et au Comité s’agissant de l’affaire Iskandarov ; invitent instamment les autorités russes à continuer à prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire la lumière sur les circonstances de l’enlèvement de M. Iskandarov et de garantir que des incidents similaires ne soient plus susceptibles de se reproduire à l’avenir et d’en informer le Comité ; (...) » 123. Lorsqu’il a par la suite examiné la question, le Comité des Ministres, saisi une fois de plus d’une affaire de disparition alléguée d’un requérant malgré l’indication par la Cour de mesures provisoires, a exprimé à nouveau les mêmes préoccupations face à la répétition de tels incidents, et a dit ceci (décision adoptée le 6 juin 2012 à la 1144e réunion – CM/Del/Dec(2012)1144/18) : « Les Délégués (...) déplorent qu’en dépit de la grave préoccupation exprimée à l’égard de tels incidents par le Président de la Cour, le Comité des Ministres et les autorités russes elles-mêmes, ils ont été informés du fait que, le 29 mars 2012, un autre requérant a de nouveau disparu à Moscou pour se retrouver peu de temps après en détention au Tadjikistan ; prennent note de la position des autorités russes selon laquelle l’enquête dans l’affaire Iskandarov est toujours en cours et n’a pas établi jusqu’à présent l’implication de l’État russe dans l’enlèvement du requérant ; regrettent cependant que, jusqu’à présent, ni dans l’affaire Iskandarov ni dans aucune autre affaire les autorités n’ont été en mesure de faire des progrès tangibles dans les enquêtes internes relatives aux enlèvements des requérants et [à] leur transfert, ou d’établir la responsabilité d’un quelconque agent de l’État ; notent que selon les informations fournies par les autorités russes, suite à la diffusion en avril 2012 de la décision du Comité des Ministres adoptée à la 1136e réunion au Bureau du procureur général, au Comité d’investigation, au Ministère de l’Intérieur, au Service fédéral des migrations et au Service fédéral d’huissiers de justice, aucun autre incident de ce type n’a eu lieu, et invitent les autorités russes à préciser si elles considèrent que cette mesure est suffisante pour mettre un terme de façon effective à une telle pratique inacceptable ; (...) » 124. Par une décision adoptée le 26 septembre 2012 à la 1150e réunion des Délégués des Ministres (CM/Del/Dec(2012)1150), le Comité des Ministres a formulé les conclusions et l’appréciation suivantes : « Les Délégués (...) notent avec regret qu’à ce jour, aucun responsable du transfert illégal du requérant au Tadjikistan n’a été identifié dans l’affaire Iskandarov ; (...) notent que, depuis le dernier examen par le Comité de l’affaire Iskandarov, il n’y a pas eu d’incident similaire à celui décrit dans cette affaire et invitent les autorités russes à continuer à prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer que de tels incidents ne se reproduisent plus ; se félicitent de la Décision de la Cour Suprême de la Fédération de Russie, adoptée le 14 juin 2012, qui a fourni des lignes directrices importantes sur la manière d’appliquer la législation interne en conformité avec les exigences de la Convention, en particulier les articles 3 et 5 de la Convention ; notent de plus avec satisfaction que les mesures adoptées par les autorités russes en réponse aux arrêts de ce groupe (la décision de la Cour constitutionnelle, les instructions du Procureur Général et les décisions du Plénum de la Cour Suprême) ont déjà abouti à un certain nombre de constats de non-violation de la Cour ; encouragent les autorités russes à assurer des progrès rapides dans la préparation et l’adoption de la réforme législative requise par ces arrêts. » 125. Le Comité des Ministres a repris l’examen de la question à la 1157e réunion des délégués des ministres, le 6 décembre 2012, et adopté la décision suivante (CM/Del/Dec(2012)1157) : « Les Délégués rappellent qu’en se conformant à un arrêt de la Cour, l’État partie a l’obligation de prendre toutes les mesures pour prévenir des violations similaires à celles constatées par la Cour ; regrettent par conséquent profondément d’avoir été informés, en dépit des graves préoccupations exprimées par la Cour et le Comité des Ministres à l’égard d’incidents prétendument similaires à celui de l’arrêt Iskandarov, du fait qu’encore un autre requérant, faisant l’objet d’une mesure provisoire indiquée par la Cour en vertu de l’article 39 de son Règlement concernant son extradition prévue vers le Tadjikistan, aurait disparu le 20 octobre 2012 à Volgograd (Latipov c. la Fédération de Russie, no 77658/11) ; notent que de tels incidents, s’ils sont confirmés, et l’absence de réponse appropriée de la part des autorités à cet égard pourraient soulever une question plus générale concernant la compatibilité de cette situation avec les obligations de la Fédération de Russie résultant de la Convention ; réitèrent leur regret exprimé dans leur précédente décision que, jusqu’à présent, ni dans l’affaire Iskandarov ni dans aucune autre affaire les autorités n’ont été en mesure de faire des progrès tangibles dans les enquêtes internes relatives aux enlèvements des requérants et [à] leur transfert, ou d’établir la responsabilité d’un quelconque agent de l’État ; en appellent en conséquence aux autorités russes afin qu’elles traitent sans plus tarder cette situation alarmante et sans précédent, notamment en adoptant des mesures protectrices à l’égard des autres personnes qui pourraient faire l’objet d’une mesure provisoire indiquée par la Cour en vertu de l’article 39 dans le cadre de leur renvoi du territoire russe et en assurant que des enquêtes effectives soient menées à propos de tous ces incidents en stricte conformité avec leurs obligations en vertu de la Convention ; invitent les autorités russes à fournir des informations sur la situation actuelle du requérant dans l’affaire Iskandarov, en particulier en ce qui concerne les garanties contre les mauvais traitements. » 126. La dernière décision du Comité des Ministres sur la question (CM/Del/Dec(2013)1164), adoptée le 7 mars 2013 à la 1164e réunion des délégués des ministres, est ainsi libellée : « Les Délégués prennent note de la position des autorités russes selon laquelle les mesures prises à ce jour sont de nature à prévenir d’autres enlèvements et transferts forcés de personnes à l’égard desquelles la Cour a indiqué une mesure provisoire en vertu de l’article 39 de son Règlement ; relèvent cependant avec une vive préoccupation que plusieurs requêtes déposées par des ressortissants étrangers sont actuellement pendantes devant la Cour concernant des violations alléguées de leurs droits et le non-respect de mesures provisoires indiquées par la Cour eu égard à leur transfert forcé du territoire de la Fédération de Russie ; invitent les autorités russes à clarifier la pertinence des mesures déjà prises dans des circonstances similaires à celles décrites dans les arrêts Iskandarov et Abdulkhakov ; réitèrent leur appel aux autorités russes afin qu’elles adoptent sans plus tarder les mesures nécessaires pour mettre fin à de tels incidents, en prenant d’autres mesures de protection spéciales à l’égard des requérants et en mettant en place un dispositif permettant une enquête rapide et efficace sur tout cas de disparition et transfert forcé, et qu’elles en informent le Comité des Ministres en conséquence ; vu la persistance de cette situation alarmante et eu égard aux obligations qui incombent à la Fédération de Russie en vertu de la Convention, invitent le Président du Comité des Ministres à adresser une lettre à son homologue russe afin de lui faire part de la vive préoccupation du Comité ainsi que de ses appels répétés afin que les mesures mentionnées ci-dessus soient adoptées ; décident de reprendre l’examen de ces questions au plus tard lors de leur 1179e réunion (septembre 2013) (DH) mais conviennent toutefois, dans l’hypothèse où un nouvel incident similaire serait porté à l’attention du Comité, d’y revenir lors de leur première réunion suivant le signalement d’un tel incident. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les procédures judiciaires afférentes à la non-inclusion du requérant sur la liste des agents promus au grade de Ministre plénipotentiaire Le requérant, né en 1946, était agent diplomatique depuis 1979. En 1993, il fut promu au grade de Conseiller des affaires étrangères, échelon A. En 1999 et 2001, suite à l’examen de son dossier, il n’a pas été promu, malgré son ancienneté, au grade de Ministre plénipotentiaire, échelon B. La première procédure devant le Conseil d’Etat Le 14 janvier 2002, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre les actes administratifs de 2001 sur la base desquels sa promotion au grade de Ministre plénipotentiaire n’avait pas été entérinée par l’administration. Le 14 juillet 2003, le Conseil d’Etat annula les actes administratifs attaqués. La haute juridiction administrative admit, notamment, que les fiches d’évaluation sur lesquelles l’opinion de l’administration s’était fondée étaient obsolètes et que la référence à d’autres fiches d’évaluation était vague. De plus, le Conseil d’Etat jugea que les promotions précédentes de l’intéressé aux grades de Conseiller des affaires étrangères, échelons A et B sur la base de l’ancienneté, sans existence d’autres éléments négatifs, ne constituaient pas de fondement suffisant pour ne pas l’inclure dans la liste des agents promus. Ledit tribunal renvoya l’affaire à l’administration pour un nouvel examen (arrêt no 2023/2003). La procédure subséquente est détaillée ci-après (voir paragraphes 12 et s. ci-dessous). La deuxième procédure devant le Conseil d’Etat En 2003, l’administration n’a pas inclus le requérant dans la liste des agents diplomatiques promus au grade de Ministre plénipotentiaire. Le 29 mai 2003, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre les actes administratifs sur la base desquels sa promotion au grade de Ministre plénipotentiaire n’avait pas été entérinée par l’administration. Le 13 janvier 2005, le Conseil d’Etat annula les actes administratifs y afférents. En particulier, la haute juridiction administrative admit que les fiches d’évaluation sur lesquelles l’opinion de l’administration s’était fondée étaient obsolètes et que la référence à d’autres fiches d’évaluation était vague. De plus, le Conseil d’Etat jugea que les promotions précédentes de l’intéressé aux grades de Conseiller des affaires étrangères, échelons A et B sur la base de l’ancienneté, sans existence d’autres éléments négatifs, ne constituaient pas de fondement suffisant pour ne pas l’inclure dans la liste des agents promus. Ledit tribunal renvoya l’affaire à l’administration pour un nouvel examen (arrêt no 73/2005). La troisième procédure devant le Conseil d’Etat En 2004, l’administration n’avait toujours pas inclus le requérant dans la liste des agents diplomatiques promus au grade de Ministre plénipotentiaire. Le 24 novembre 2004, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un nouveau recours en annulation contre les actes administratifs sur la base desquels sa promotion au grade de Ministre plénipotentiaire n’avait pas été entérinée par l’administration. Le 30 novembre 2006, le Conseil d’Etat annula les actes administratifs en cause. Il jugea que les fiches d’évaluation sur lesquelles l’opinion de l’administration s’était fondée étaient obsolètes et que la référence à d’autres fiches d’évaluation était vague. De plus, le Conseil d’Etat jugea que les promotions précédentes de l’intéressé aux grades de Conseiller des affaires étrangères, échelons A et B sur la base de l’ancienneté, sans existence d’autres éléments négatifs, ne constituaient pas de fondement suffisant, comme l’avait estimé l’administration, pour ne pas l’inclure dans la liste des agents promus. Ledit tribunal renvoya l’affaire à l’administration pour un nouvel examen (arrêt no 3554/2006). La quatrième procédure devant le Conseil d’Etat En 2005, le requérant, une fois de plus, n’a pas été inclus dans la liste des agents diplomatiques promus au grade de Ministre plénipotentiaire. Le 20 mars 2006, il saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre les actes administratifs sur la base desquels sa promotion au grade de Ministre plénipotentiaire n’avait pas été entérinée par l’administration. Le 30 novembre 2006, le Conseil d’Etat annula les actes administratifs en cause. Il jugea que les fiches d’évaluation sur lesquelles l’opinion de l’administration s’était fondée étaient obsolètes et que la référence à d’autres fiches d’évaluation était vague. De plus, le Conseil d’Etat jugea que certains éléments retenus par l’administration ainsi que les promotions précédentes de l’intéressé aux grades de Conseiller des affaires étrangères, échelons A et B sur la base de l’ancienneté, sans existence d’autres éléments négatifs, ne constituaient pas de fondement suffisant pour ne pas l’inclure dans la liste des agents promus. Ledit tribunal renvoya l’affaire à l’administration pour un nouvel examen (arrêt no 3555/2006). La cinquième procédure devant le Conseil d’Etat En 2006, le requérant, une nouvelle fois, n’a pas été inclus dans la liste des agents diplomatiques promus au grade de Ministre plénipotentiaire. Le 13 novembre 2006, il saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre les actes administratifs sur la base desquels sa promotion au grade de Ministre plénipotentiaire n’avait pas été entérinée par l’administration. Le 11 août 2008, le Conseil d’Etat annula les actes administratifs en cause. Il jugea que les fiches d’évaluation sur lesquelles l’opinion de l’administration s’était fondée étaient obsolètes et que certaines références aux aptitudes professionnelles du requérant contenues dans d’autres fiches d’évaluations ne suffisaient pas à elles seules à justifier son exclusion de la promotion en cause. De plus, le Conseil d’Etat jugea que le fait que les promotions précédentes de l’intéressé aux grades de Conseiller des affaires étrangères, échelons A et B avaient eu lieu sur la base de l’ancienneté ne constituait pas de fondement suffisant, comme le soutenait l’administration, pour le refus de l’inclure dans la liste des agents promus. Ledit tribunal renvoya l’affaire à l’administration pour un nouvel examen (arrêt no 2307/2008). La sixième procédure devant le Conseil d’Etat En 2007, le requérant n’a pas été inclus dans la liste des agents diplomatiques promus au grade de Ministre plénipotentiaire. A une date non précisée, il saisit la juridiction compétente d’un recours en annulation contre les actes administratifs sur la base desquels sa promotion au grade de Ministre plénipotentiaire n’avait pas été entérinée par l’administration. Il ressort du dossier que ce recours est toujours pendant. B. Procédures judiciaires afférentes à l’exécution des arrêts précités du Conseil d’Etat La procédure d’exécution de l’arrêt no 2023/2003 En l’absence de toute mesure d’exécution de l’arrêt no 2023/2003, le requérant saisit, le 26 février 2006, le conseil de trois membres constitué au sein du Conseil d’Etat, chargé de contrôler la bonne exécution de ses arrêts. Il affirma que l’administration ne s’était pas conformée à l’arrêt no 2023/2003 du Conseil d’Etat. Le 7 septembre 2006, l’administration se prononça, suite à l’arrêt no 2023/2003 du Conseil d’Etat, contre la promotion du requérant au grade sollicité. Le 29 décembre 2006, le conseil de trois membres constitué au sein du Conseil d’Etat, estima que l’administration s’était conformée à l’arrêt no 2023/2003, puisque le Conseil des Ministres n’avait certes pas promu le requérant mais avait, néanmoins, retenu des motifs différents de ceux dans les décisions administratives adoptées en 1999 et 2001. Le 13 novembre 2007, le requérant saisit de nouveau le Conseil d’Etat d’un recours en annulation contre le refus de l’administration du 7 septembre 2006 de le promouvoir au grade sollicité. Le 11 août 2008, le Conseil d’Etat fit droit à son recours. Il considéra que la décision datée du 7 septembre 2006 du Conseil des Ministres n’était pas suffisamment motivée. En effet, le Conseil d’Etat admit que les fiches d’évaluation sur lesquelles l’opinion de l’administration s’était fondée étaient obsolètes et qu’une déclaration du requérant contenue dans l’une de ces fiches d’évaluation ne suffisait pas à elle seule à justifier son exclusion de la promotion en cause. De plus, le Conseil d’Etat jugea que le fait que les promotions précédentes de l’intéressé aux grades de Conseiller des affaires étrangères, échelons B et A avaient eu lieu sur la base de l’ancienneté ne constituait pas un fondement suffisant, comme le soutenait l’administration, pour refuser de l’inclure dans la liste des agents promus. Ledit tribunal renvoya l’affaire à l’administration pour un nouvel examen (arrêt no 2308/2008). Le 13 avril 2009, l’administration se prononça, suite à l’arrêt no 2308/2008, contre la promotion du requérant au grade sollicité. Le 16 juillet 2009, le requérant se pourvut contre cette décision. Le 17 mars 2011, le Conseil d’Etat fit droit à son recours. Il releva que l’administration s’était fondée sur des fiches d’évaluation déjà considérées par l’arrêt no 2308/2008 comme insuffisantes pour évaluer les aptitudes professionnelles du requérant. De plus, le Conseil d’Etat considéra que les autres éléments sur lesquels l’administration s’était fondée pour rejeter la demande du requérant soit ne constituaient pas des qualifications négatives, soit n’étaient pas pertinents pour son appréciation. Le Conseil d’Etat rappela que, selon sa jurisprudence, lorsque l’administration se trouve dans l’impossibilité de motiver suffisamment ses décisions relatives à l’appréciation professionnelle de l’intéressé et au refus conséquent de le promouvoir, elle dépasse les limites de son pouvoir d’appréciation. Dans ce cas, la haute juridiction administrative se reconnaît la possibilité non seulement d’annuler une nouvelle fois l’acte contesté, mais aussi d’ordonner à l’administration de promouvoir l’intéressé au poste sollicité. Sur la base de cette constatation, le Conseil d’Etat rappela que, s’agissant de la procédure afférente à la promotion du requérant ayant commencé en 2001, il s’était déjà prononcé par ses arrêts nos 2023/2003 et 2308/2008 en considérant que l’administration n’avait pas suffisamment motivé ses décisions de ne pas le promouvoir. Il releva qu’en se trouvant dans l’impossibilité pour la troisième fois de motiver de manière suffisante ses décisions, l’administration avait manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation. La haute juridiction administrative annula la décision attaquée et renvoya l’affaire à l’autorité compétente pour promouvoir rétroactivement le requérant au poste sollicité (arrêt no 858/2011). En vertu du décret présidentiel daté du 20 mai 2011, le requérant fut promu rétroactivement au grade de Ministre plénipotentiaire, échelon B, à compter du 24 septembre 2001. En vertu du décret présidentiel daté du 5 mars 2012, le requérant fut considéré comme en service du 31 mars 2007 au 27 juillet 2011, date à laquelle il fut considéré en retraite. Le 29 janvier 2013, la Comptabilité générale de l’Etat informa le Conseil juridique de l’Etat qu’elle avait pris en compte le changement de statut professionnel du requérant et qu’elle avait l’intention de lui verser sa retraite ajustée à partir du 28 février 2013 (document no 323/29.1.2013). Il ressort du dossier que la retraite ajustée fut en effet versée au requérant à partir de mars 2013. La procédure d’exécution de l’arrêt no 73/2005 En l’absence de toute mesure d’exécution de l’arrêt no 73/2005, le 21 décembre 2006, le requérant saisit le conseil de trois membres constitué au sein du Conseil d’Etat chargé de contrôler la bonne exécution de ses arrêts, pour se plaindre du refus de l’administration de réexaminer la question de sa promotion suite à l’arrêt no 73/2005, qui avait renvoyé l’affaire à l’administration. Ledit conseil ajourna à quatre reprises l’examen de sa demande afin d’accorder à l’administration la possibilité de se prononcer sur son cas. Le 12 janvier 2009, l’administration se prononça de nouveau, suite à l’arrêt no 73/2005 du Conseil d’Etat, contre la promotion du requérant au grade sollicité. Le 4 mai 2009, le requérant se pourvut contre la nouvelle décision de l’administration de ne pas le promouvoir. Le 26 mai 2011, l’audience prévue devant le Conseil d’Etat fut ajournée. La suite de l’affaire ne ressort pas du dossier. Les procédures d’exécution des arrêts nos 3554, 3555/2006 et 2307/2008 du Conseil d’Etat Le 13 avril 2009, l’administration refusa, dans le cadre de procédures relatives à l’exécution des arrêts nos 3554-3555/2006 et 2307/2008 du Conseil d’Etat, de se prononcer en faveur de la promotion du requérant. Le 16 juillet 2009, le requérant saisit la haute juridiction administrative de trois recours en annulation. Le 17 mars 2011, par trois arrêts distincts, le Conseil d’Etat annula les actes attaqués. La haute juridiction administrative rappela que par son arrêt no 858/2011 elle avait déjà ordonné à l’administration de promouvoir rétroactivement le requérant au poste pourvu. Elle ajouta que cet arrêt concernait la procédure d’appréciation des aptitudes professionnelles du requérant ayant eu lieu pour la première fois en 2001. Le Conseil d’Etat considéra que, vu sa conclusion dans l’arrêt no 858/2011, toutes les décisions administratives postérieures à 2001 et ayant eu des répercussions négatives sur la question de la promotion du requérant manquaient de base légale. Sur ce fondement, le Conseil d’Etat fit droit aux recours en annulation en cause (arrêts nos 859, 860, 861/2011). L’action en dommages-intérêts engagée par le requérant devant le tribunal administratif d’Athènes Entre-temps, le 21 juillet 2006, le requérant avait saisi le tribunal administratif d’Athènes d’une action en dommages-intérêts contre l’administration pour le dommage matériel et moral subi en raison du refus de l’administration de le promouvoir rétroactivement suite aux arrêts nos 2023/2003 et 73/2005 du Conseil d’Etat. Le 25 février 2009, le tribunal administratif d’Athènes fit partiellement droit à l’action du requérant. Elle considéra que, suite aux arrêts nos 2023/2003 et 73/2005 du Conseil d’Etat, l’administration n’avait pas nécessairement l’obligation de promouvoir le requérant ; toutefois l’administration se trouvait dans l’obligation d’adopter une nouvelle décision au sujet de sa promotion qui devait être suffisamment motivée. D’une part, le tribunal administratif constata que l’administration avait, courant la période litigieuse, adopté plusieurs décisions portant sur la question de la promotion du requérant, qui avaient été par la suite annulées par le Conseil d’Etat. De plus, le tribunal administratif nota que le Conseil d’Etat avait relevé des motifs presque identiques, portant sur ses capacités professionnelles, retenus par l’administration à chaque fois qu’elle émettait un avis négatif à la promotion du requérant. D’autre part, le tribunal administratif constata que depuis 2003, lorsque le Conseil d’Etat avait adopté son arrêt no 2023/2003, jusqu’au 21 juillet 2006, date d’introduction de son action en dommages-intérêts, l’administration n’avait entrepris aucune initiative pour se conformer à l’arrêt précité de la haute juridiction administrative. Le tribunal administratif conclut que cette situation avait lourdement porté atteinte au statut du requérant tant au niveau personnel que professionnel, puisque pendant une longue période il apparaissait dans son milieu professionnel comme n’ayant pas les qualités professionnelles requises. Le tribunal administratif alloua au requérant, sur fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil, 60 000 euros au titre du dommage moral subi (décision no 2304/2009). Les 28 décembre 2009 et 15 janvier 2010, tant l’Etat que le requérant interjetèrent respectivement appel. Le 22 décembre 2011, la cour administrative d’appel d’Athènes fit partiellement droit aux appels. Elle considéra que le requérant avait subi un dommage matériel du fait que l’Etat ne l’avait pas promu en temps utile au grade de Ministre plénipotentiaire, échelon B. Après avoir pris en considération que l’administration l’avait finalement promu rétroactivement à ce grade à partir du 24 septembre 2001, la cour administrative d’appel alloua au requérant 19 914,24 euros et 57 476,67 dollars américains à titre de différence de salaires impayés. En outre, en réitérant les considérations du tribunal administratif, la cour administrative d’appel considéra qu’en raison des actes et omissions illégales de l’administration, constatés par l’arrêt no 858/2011 du Conseil d’Etat, le requérant avait subi une grave atteinte à son statut personnel et professionnel. Elle lui alloua 30 000 euros au titre du dommage moral subi (arrêt no 4005/2011). Le 21 septembre 2012, l’organe compétent du Conseil juridique de l’Etat décida de ne pas se pourvoir en cassation contre l’arrêt no 4005/2011 qui devint définitif et exécutoire le 19 octobre 2012. Le 17 décembre 2012, par le biais d’une injonction à payer, le requérant engagea une procédure d’exécution forcée contre l’Etat en vue du paiement des sommes allouées par l’arrêt no 4005/2011, intérêts inclus. Le 21 décembre 2012, le Conseil juridique de l’Etat ordonna, avec notification au représentant du requérant, au service compétent de l’Etat de procéder à l’exécution de l’arrêt no 4005/2011 et de lui verser les sommes dues. Le même jour, l’Etat exerça une opposition contre la procédure d’exécution forcée initiée par le requérant. Il contestait notamment son obligation de payer des intérêts sur les sommes allouées par l’arrêt no 4005/2011. Le 23 décembre 2012, le requérant se désista de l’injonction à payer. Il ressort du dossier que le 9 avril 2013, l’autorité compétente délivra un ordre de paiement au requérant de 103 796,90 euros en exécution de l’arrêt no 4005/2011. Cette somme résulta de l’addition des montants alloués par l’arrêt précité, après reconversion du montant de 57 476,67 dollars en euros et le calcul de 6 % de taux moratoires sur la somme allouée à titre de dommage moral. Le 15 mai 2013, après réduction de la taxe légale, la somme de 91 267,51 fut versée sur le compte bancaire du requérant en exécution de l’arrêt no 4005/2011. II. LES DROIT ET PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Selon l’article 95 § 5 de la Constitution hellénique, telle que modifiée en avril 2001, « l’administration est obligée de se conformer aux arrêts de justice ». Le 14 novembre 2002, la loi no 3068/2002 sur l’exécution des arrêts de justice par l’administration entra en vigueur (Journal officiel no 274/2002). Cette loi prévoit entre autres que l’administration a l’obligation de se conformer sans retard aux arrêts de justice et de prendre toutes les mesures nécessaires pour exécuter lesdits arrêts (article 1). La loi prévoit la création de conseils de trois membres constitués au sein des hautes juridictions helléniques (Cour Suprême Spéciale, Cour de Cassation, Conseil d’Etat et Cour des comptes), qui sont chargés de contrôler la bonne exécution des arrêts de leurs juridictions respectives par l’administration dans un délai qui ne peut pas dépasser trois mois (à titre exceptionnel, ce délai peut être prorogé une seule fois). Les conseils peuvent notamment désigner un magistrat pour assister l’administration en lui proposant entre autres les mesures appropriées pour se conformer à un arrêt. Si l’administration n’exécute pas un arrêt dans le délai fixé par le conseil, des pénalités lui sont imposées, pénalités qui peuvent être renouvelées tant qu’elle ne s’y conforme pas (article 3). Des mesures disciplinaires peuvent également être prises contre les agents de l’administration à l’origine du défaut d’exécution (article 5). Les dispositions de la loi no 3068/2002 s’appliquent aux arrêts rendus après son entrée en vigueur (article 6). L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil se lit comme suit : « L’Etat est tenu de réparer le dommage causé par les actions ou omissions illégales de ses organes dans l’exercice de la puissance publique sauf dans le cas où l’action ou l’omission en cause a méconnu une disposition existante dans le but de servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’Etat sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. » L’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’Etat. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être, non seulement des actes juridiques, mais également des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission. Selon la jurisprudence des tribunaux administratifs, le dépassement des limites du pouvoir discrétionnaire de l’administration ou la méconnaissance des principes généraux de la bonne administration sont susceptibles d’engager sa responsabilité extracontractuelle. La responsabilité extracontractuelle de l’administration est également engagée dans le cas où une charge pesant légalement sur une propriété consiste en un blocage substantiel de celle-ci.
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Le requérant est né en 1958 et réside à Istanbul. En 1956, à une date non précisée, le de cujus du requérant, M. Ahmet Erkek, devint « partie intervenante » dans une action en annulation d’une inscription cadastrale devant le tribunal de grande instance de Fethiye. Le 25 décembre 1982, il décéda. Son fils, M. Mehmet Erkek, le requérant, poursuivit l’affaire. A une date inconnue, le tribunal rendit une ordonnance d’incompétence et renvoya l’affaire devant le tribunal de cadastre de Fethiye. Le 22 avril 1994, le tribunal de cadastre ordonna l’inscription du terrain litigieux dans le registre foncier au nom de l’administration. Le 6 juin 1995 et le 14 novembre 1995, la Cour de cassation décida de renvoyer l’affaire devant le tribunal de cadastre au motif que le dossier de l’affaire n’était pas complet. Le 29 décembre 1998, la Cour de cassation infirma le jugement du tribunal de cadastre. Le 19 octobre 2000, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification de l’arrêt formé par l’administration. Le 17 juin 2005, le tribunal de cadastre rejeta la demande du requérant. Le 20 septembre 2010, la Cour de cassation infirma encore le jugement du tribunal de cadastre. L’affaire est toujours pendante devant le tribunal de première instance.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside à Ankara. Le 7 septembre 2003, il participa, en tant que représentant du KESK (Kamu Emekçileri Sendikaları Konfederasyonu – Confédération syndicale des salariés du secteur public), à un rassemblement organisé par la section départementale du DEHAP (Parti de la démocratie du peuple), à Van. Ce rassemblement fut filmé par les forces de l’ordre. Le 20 novembre 2003, un expert établit un procès-verbal de transcription de l’enregistrement vidéo effectué par les forces de l’ordre. Ce document rend compte des différents discours prononcés par les intervenants à ce rassemblement, dont celui du requérant. Aux termes de ce procès-verbal, le requérant a tenu les propos suivants : « Au nom de ma confédération, le KESK, je salue depuis le front du travail le peuple de Serhat. Je [présente] nos respects. Depuis le front du travail, nous savons ce que c’est que d’être nié, considéré comme inexistant, nous savons ce que sont la pauvreté et l’oppression. Nous observons depuis le front du travail ce que vous subissez depuis quinze-vingt ans. Nous ressentons les mêmes souffrances, les mêmes soucis. Nous nous réjouissons avec vous, nous sommes tristes avec vous. Nous sommes convaincus que la marche pour la paix et la démocratie, commencée il y a cinq ans, (...) va se poursuivre et prendre de l’ampleur jusqu’à ce que nous obtenions nos droits et [des réponses] à nos demandes (...) Votre militantisme en faveur de la paix et de la démocratie est une réponse sensée à ceux qui se nourrissent de la guerre, du sang. Dans le même temps, vos demandes sont un message de fraternité, de la fraternisation, du vivre ensemble dans la diversité. Malheureusement, ceux qui devraient voir cette demande, voir l’enthousiasme (...) dans toute la région, à Diyarbakır et aujourd’hui à Van, ne les voient pas. Ils nient toujours l’existence des Kurdes. Ils pensent qu’ils vont résoudre [la question] en liquidant, en supprimant les Kurdes. C’est très dangereux. Cela attise le feu du conflit, de la guerre. Dans tout cela, dans tout ce sang, nous ne savons pas qui va se noyer. Nous avons tous vu depuis le front du travail ce que cette sale guerre a coûté aux travailleurs et au peuple démuni. Une des causes importantes de la crise politique et économique est cette sale guerre. Nous ne souhaitons pas que cette guerre soit à nouveau rallumée (...) C’est ce que vous exprimez. Ce gouvernement, le parti de l’AKP, mène une politique fondée sur le déni (...) Il veut étouffer les demandes démocratiques des travailleurs (...) par les gaz, la police, les accusations d’antidémocratisme. Nous, depuis le front du travail, nous célébrons cette lutte du peuple régional, nous déclarons une fois de plus que nous allons l’épauler dans cette ligne (...) » Il ressort de ce procès-verbal que, durant le rassemblement, des slogans tels que, notamment, « longue vie à notre chef Abdullah Öcalan », « dent pour dent, sang pour sang, nous sommes avec toi Öcalan », « nous ne regrettons rien, nous sommes des supporters d’Öcalan », ont été scandés par la foule. Il en ressort également que les organisateurs du rassemblement ont appelé à plusieurs reprises la foule à ne pas scander de slogans autres que ceux qu’ils avaient eux-mêmes retenus. Le 7 janvier 2004, le requérant fut entendu en sa déposition par le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat. A cette occasion, il soutint que, de par son contenu, son discours avait trait à la paix et à la fraternité. Son avocat précisa en outre que le discours en cause avait été prononcé dans le cadre d’un rassemblement en faveur de la paix, organisé avec l’autorisation du préfet, et qu’il relevait de l’expression de la pensée. Le 5 juillet 2004, le procureur de la République de Van (« le procureur de la République ») inculpa le requérant et deux autres personnes ayant également pris la parole lors du rassemblement en question pour propagande en faveur de l’organisation illégale et terroriste PKK/KONGRA-GEL et de son dirigeant, et requit leur condamnation en vertu de l’article 7 § 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »). Dans son acte d’accusation, il incriminait les propos suivants du requérant : « Ils nient toujours l’existence des Kurdes. Ils pensent qu’ils vont résoudre [la question] en liquidant, en supprimant les Kurdes. C’est très dangereux. Cela attise le feu du conflit, de la guerre. Dans tout cela, dans tout ce sang, nous ne savons pas qui va se noyer. » Le requérant fut poursuivi devant la cour d’assises de Van (« la cour d’assises »). Au cours de l’audience du 29 septembre 2004, le procureur de la République indiqua, dans ses réquisitions sur le fond, que, même si le requérant avait été inculpé pour infraction à l’article 7 § 2 de la loi no 3713, ses propos relevaient plus de l’incitation du peuple à la haine et à l’hostilité, infraction réprimée à l’article 312 du code pénal. Selon le procureur, l’infraction relevait de la compétence du tribunal correctionnel et la cour d’assises devait en conséquence se déclarer incompétente. Le jour même, la cour d’assises de Van se déclara incompétente pour connaître des faits litigieux et renvoya l’affaire devant le tribunal correctionnel de Van (« le tribunal correctionnel »). Le 13 octobre 2004, le requérant fut entendu en sa défense et nia toute intention délictueuse. Son avocat soutint en outre que le discours de son client relevait de l’expression de la pensée et qu’il ne contenait aucun élément délictueux. Le 15 février 2007, le procureur de la République estima, dans ses réquisitions sur le fond, que les faits reprochés au requérant relevaient de la propagande au sens de l’article 7 § 2 de la loi no 3713 tel que modifié par la loi no 5532 du 26 juin 2006. Ce type d’infraction étant à ses dires du ressort des cours d’assises, il invita le tribunal correctionnel à se déclarer incompétent. Le jour même, le tribunal correctionnel rendit une décision d’incompétence et renvoya l’affaire devant la cour d’assises. Le 12 avril 2007, la cour d’assises adopta une nouvelle décision d’incompétence, estimant que les faits litigieux relevaient de la compétence du tribunal correctionnel. Elle renvoya l’affaire à cette juridiction et demanda à la Cour de cassation de trancher le conflit négatif de compétence existant entre elle et le tribunal correctionnel. Le 10 octobre 2007, la Cour de cassation annula la décision d’incompétence de la cour d’assises du 12 avril 2007. L’affaire fut poursuivie devant cette juridiction. Le 17 décembre 2007, le requérant fut entendu en sa défense. Il nia les faits reprochés et soutint n’avoir tenu aucun propos de nature à inciter à la violence. Le 17 mars 2008, dans ses réquisitions sur le fond, le procureur de la République estima que les faits reprochés au requérant relevaient de l’article 312 du code pénal en vigueur au moment des faits, et que, avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, ils correspondaient désormais à l’infraction énoncée à l’article 215 de celui-ci. Il requit en conséquence la condamnation du requérant en vertu de cette disposition. Le jour même, statuant à titre définitif, la cour d’assises reconnut le requérant coupable d’éloge d’un crime et d’un criminel et le condamna à une peine de trois mois et dix jours d’emprisonnement en application de l’article 215 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi no 5237. Elle commua cette peine en une amende de 2 000 livres turques. Dans sa motivation, la cour d’assises estimait que les propos litigieux ne comportaient aucune incitation au recours à la violence ou à d’autres méthodes terroristes de sorte que, à la date où ils avaient été prononcés, ils ne comportaient pas les éléments constitutifs de l’infraction de propagande en faveur de l’organisation terroriste PPK/KONGRA-GEL ou en faveur des buts de cette organisation. Elle considérait que les faits litigieux relevaient, à la date de leur commission, de l’article 312 § 1 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi no 765. Elle ajoutait que, cela étant, en raison de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2005, de la loi no 5237 portant nouveau code pénal, il convenait d’appliquer les dispositions pénales plus douces, à savoir l’article 215 de cette loi. Le 12 mai 2008, ce jugement fut notifié au requérant. Le 27 juin 2008, le procureur de la République d’Ankara émit à l’encontre du requérant un commandement de payer l’amende. Le 23 juillet 2008, le requérant acquitta cette amende. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Aux termes de l’article 215 de la loi pénale no 5237 du 26 septembre 2004 entrée en vigueur le 1er juin 2005 : « Quiconque fait publiquement l’éloge d’un crime commis ou d’une personne en raison du crime qu’elle a commis est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. » La rédaction de cet article a été modifiée par la loi no 6459 du 11 avril 2013 portant modification de certaines lois au regard des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Cet article peut désormais se lire comme suit : « Quiconque fait publiquement l’éloge d’un crime commis ou d’une personne en raison du crime qu’elle a commis (mention complémentaire : 6459-11.04.2013/art. 10) ‘‘dans le cas où, de ce fait, surgit un danger clair et imminent au regard de l’ordre public’’ est passible d’une peine allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement. »
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1970 et 1963. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le 8 septembre 2006, les requérants, soupçonnés d’appartenir à une organisation illégale armée, furent arrêtés et placés en garde à vue. Le 12 septembre 2006, le juge de la cour d’assises spéciale d’Istanbul (« la cour d’assises ») ordonna le placement en détention provisoire des requérants. Le 17 mai 2007, le procureur de la République inculpa les requérants d’appartenance à une organisation illégale armée. Le procès débuta devant la cour d’assises laquelle tint sa première audience le 26 octobre 2007. Tout au long de la procédure, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire des requérants, compte tenu de la nature de l’infraction reprochée, de l’état des preuves, de forts soupçons quant à la commission de l’infraction et du fait qu’il s’agit d’une infraction visée par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Entre 2008 et 2010, la cour d’assises rejeta les oppositions formées par les requérants contre leur maintien en détention provisoire. Le 17 mai 2011, la cour d’assises tint une audience, en présence des requérants ainsi que leur avocate, à l’issue de laquelle elle ordonna le maintien en détention provisoire des requérants. Le 13 juin 2011, elle rejeta l’opposition formée par les requérants le 24 mai 2011 contre la décision de leur maintien en détention provisoire adoptée à l’issue de l’audience du 17 mai 2011. A l’issue de l’audience du 6 septembre 2012, la cour d’assises ordonna la remise en liberté du requérant Sedat Şenoğlu compte tenu de la nature de l’infraction reprochée, de l’état des preuves, de la probabilité d’une requalification de l’infraction et de la période passée en détention. A l’issue de la même audience, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire du requérant Bayram Namaz pour les mêmes motifs que précédemment. A l’issue de l’audience du 12 mars 2013, la cour d’assises ordonna le maintien en détention provisoire de Bayram Namaz pour les mêmes motifs que précédemment. Le 12 mars 2013, l’affaire était toujours pendante devant la même juridiction et le requérant Bayram Namaz restait détenu.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Myslejovice. Le requérant fit l’objet d’une procédure pénale dans laquelle il fut déclaré coupable de falsification des comptes et condamné à une peine de dix mois de prison avec sursis. Le requérant contesta l’arrêt du tribunal régional d’Ostrava daté du 20 mai 2009 par un pourvoi en cassation fondé sur l’article 265b § 1 e) et g) du CPP, alléguant que les poursuites pénales n’étaient pas admissibles et que la décision se fondait sur une appréciation juridique erronée. Le 17 mars 2010, la Cour suprême déclara le pourvoi en cassation admissible selon l’article 265a §§ 1 et 2 a) du CPP mais le rejeta en vertu de l’article 265i § 1 b). Après s’être minutieusement penchée sur les objections du requérant, la cour estima que celles-ci ne correspondaient pas aux motifs de cassation invoqués et que le pourvoi avait donc été introduit pour un motif autre que ceux prévus par la loi. Par la suite, le requérant forma un recours constitutionnel contre l’arrêt du tribunal régional et la décision de la Cour suprême, invoquant entre autres les articles 6 § 1 et 7 § 1 de la Convention. Par une décision du 24 juin 2010, la Cour constitutionnelle rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement à l’égard de la décision de la Cour suprême et du grief tiré des retards de la procédure, et pour tardiveté quant à l’arrêt rendu en appel. Sur ce dernier point, elle releva que, dans la mesure où la Cour suprême avait rejeté le pourvoi en cassation en vertu de l’article 265i § 1 b) du CPP, le pourvoi ne pouvait pas être considéré comme la dernière voie de recours que la loi offrait au requérant pour défendre ses droits. Dès lors, le bénéfice de l’article 72 § 4 de la loi no 182/1993 ne s’appliquait pas en l’espèce et le délai de soixante jours imparti pour l’introduction du recours constitutionnel par l’article 72 § 3 courait à compter de la notification de l’arrêt du tribunal régional, et n’avait pas été respecté en l’espèce. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents sont résumés dans l’arrêt Janyr et autres c. République tchèque (nos 12579/06, 19007/10 et 34812/10, §§ 29-40, 13 octobre 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1946 et réside à Prague. Par les décisions judiciaires datées du 11 mars 2005 et du 24 janvier 2006, le requérant se vit enjoindre de payer une pension alimentaire au profit de sa fille. Par la suite, une procédure d’exécution fut intentée à son encontre pour le paiement de la pension due. Par une décision du tribunal d’arrondissement de Prague 5 datée du 1er avril 2008, la procédure d’exécution fut éteinte ; aucune partie n’eut droit au remboursement des frais de la procédure relative à l’extinction. Sur appel du requérant contestant la décision relative aux frais parce qu’elle ne se rapportait pas aux frais de la procédure d’exécution elle-même, celle-ci fut confirmée par le tribunal municipal de Prague en date du 13 octobre 2008. Par la suite, le requérant se pourvut en cassation contre cette dernière décision, se prévalant de l’article 237 § 1 c) du CPC, et forma un recours constitutionnel contre les décisions du 1er avril 2008 et du 13 octobre 2008. Le 7 mars 2011, la Cour constitutionnelle rejeta le recours constitutionnel comme prématuré, relevant que le requérant avait formé un pourvoi en cassation qui devait être considéré comme le dernier moyen offert par la loi pour la protection de ses droits ; partant, le recours constitutionnel était à introduire après la décision sur le pourvoi en cassation. Le 27 avril 2011, la Cour suprême rejeta le pourvoi en cassation du requérant, relevant que n’était pas admissible un pourvoi visant une décision sur les frais de procédure ou d’exécution. Le 19 septembre 2011, le requérant introduisit un second recours constitutionnel, invoquant ses droits à un procès équitable et au respect des biens. Le 29 décembre 2011, la Cour constitutionnelle rejeta ce recours pour défaut manifeste de fondement à l’égard de la décision de la Cour suprême et pour tardiveté quant aux décisions des tribunaux inférieurs. Sur ce dernier point, la Cour constitutionnelle considéra que le pourvoi en cassation n’avait pas été en l’espèce rejeté pour des motifs dépendant du pouvoir discrétionnaire de la Cour suprême et que le délai de soixante jours ouvert pour l’introduction du recours constitutionnel ne courait donc pas à compter de la notification de la décision de la Cour suprême, comme prévu par l’article 72 § 4 de la loi no 182/1993. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents sont résumés dans l’arrêt Tieze et Semeráková (nos 26908/09 et 30809/10, §§ 23-27, 13 octobre 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1965 et réside à Madrid. Par un jugement rendu le 9 mai 2008 après la tenue d’une audience publique, le juge pénal no 4 de Barcelone acquitta le requérant de quatre délits contre le Trésor public en concours avec un délit de comptabilité frauduleuse, concernant plusieurs irrégularités dans les déclarations sur les revenus et sur la TVA des années 1998 et 1999. Le requérant fut entendu au cours de cette audience. Deux co-accusés furent condamnés dans le même jugement. Le juge releva en particulier que : « il n’a pas été prouvé que [le requérant] ait participé à la tricherie (...). En effet, les seuls indices disponibles pour appuyer sa participation aux faits sont [d’une part], sa condition de mandataire de [la société] I., (donnée non pertinente à elle seule) et, [d’autre part] sa présumée signature de plusieurs mandats adressés à [une entité bancaire] (...). Cependant, ce dernier indice n’a pas été pleinement avéré, dans la mesure où le requérant nie qu’il s’agisse de sa signature, sans qu’un test de graphologie n’ait été effectué pour conclure qu’il a lui-même effectivement signé. Par ailleurs, il n’existe pas non plus de témoignages d’employés ou de responsables de l’entité bancaire qui pourraient confirmer le lien du requérant avec les mandats litigieux ou avec le compte bancaire de I. ». Plusieurs moyens de preuve furent administrés lors de l’audience publique, dont les documents comptables de la société ainsi que plusieurs témoignages, parmi lesquels celui de l’épouse du requérant ou A.O.D., un autre mandataire de la société. Lors de sa déposition devant le juge, le requérant affirma ignorer tout sur les questions fiscales de la société, tâche qu’il avait délégué à un tiers. Cette ignorance rendait inexistante l’intention de frauder du requérant, indispensable pour considérer rempli l’élément subjectif du délit contre le Trésor public. Le ministère public ainsi que l’Avocat de l’État et les deux co-accusés firent appel, recours auquel s’opposa le requérant. L’Audiencia Provincial de Barcelone n’estima pas nécessaire la tenue d’une audience publique et rendit un arrêt le 23 mars 2009 condamnant le requérant à une peine de prison et au paiement d’une amende comme auteur de deux délits contre le Trésor public consistant à éluder le paiement de la TVA et d’une partie de l’impôt sur les revenus, en concours avec un délit de comptabilité frauduleuse. L’Audiencia accepta les faits déclarés prouvés par le juge a quo et ajouta un nouvel élément factuel, à savoir : « L’accusé (...) signa plusieurs mandats adressés à l’entité bancaire C.C. (...) ». Dans son arrêt, l’Audiencia Provincial considéra que le requérant avait participé directement à la commission des délits en cause. Afin de parvenir à cette conclusion, elle se référa entre autres à la déposition d’un des co-accusés ainsi qu’au témoignage d’un expert lors de l’audience publique tenue devant le juge pénal et retint que le requérant pouvait être considéré, sans aucun doute, comme « administrateur de fait » de la société I , connaissant l’affectation de l’argent en cause pour en avoir été le décideur, de sorte qu’il ne pouvait ignorer que les montants destinés au paiement de la TVA ou de l’impôt sur les revenus n’étaient pas utilisés à ces fins. Par ailleurs, l’Audiencia releva que l’absence d’expertise sur l’authenticité de la signature ne pouvait à elle seule exclure que le requérant ait pu en être l’auteur. En effet, l’Audiencia nota que d’autres indices prouvaient que le requérant était au courant des opérations frauduleuses, au point de faire tomber le principe de la présomption d’innocence, sans pour autant s’écarter des faits déclarés prouvés par le juge a quo. L’Audiencia Provincial considéra que son raisonnement respectait les exigences constitutionnelles relatives au principe d’immédiateté. La demande de nullité de la procédure introduite par le requérant fut rejetée le 11 juin 2009. Invoquant les articles 24 (droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence) et 25 (principe de légalité pénale) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision notifiée le 1er octobre 2009, la haute juridiction déclara le recours irrecevable, le requérant n’ayant pas justifié la pertinence constitutionnelle de celui-ci. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Constitution Article 24 « 1. Toute personne a le droit d’obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle ne soit mise dans l’impossibilité de se défendre. De même, toute personne a droit à un juge de droit commun déterminé préalablement par la loi, à se défendre et à se faire assister par un avocat, à être informée de l’accusation portée contre elle, à avoir un procès public sans délais indus et dans le respect de toutes les garanties, à utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas s’incriminer soi-même, à ne pas s’avouer coupable et à être présumée innocente (...) ». B. Code pénal (en vigueur à l’époque du jugement de première instance) Article 305 § 1 « Toute action ou omission constituant une fraude contre le Trésor public (...) sera punie par une peine de prison d’un à quatre ans et le paiement d’une amende (...) ». Article 310 « Celui qui en raison de la loi fiscale est obligé de tenir une comptabilité commerciale ou un livre ou registre fiscal sera puni avec une peine de prison de cinq à sept mois lors qu’il : (...) d) effectue des annotations comptables fictives dans les livres (...) ».
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1957, 1958 et 1965 résident à Tarsus. Le 26 juillet 1999, la préfecture de Mersin (« l’administration ») procéda à l’expropriation d’un terrain appartenant à M. Mehmet Karamehmet dont les requérants sont les héritiers. L’administration fixa une indemnité d’expropriation de 1 902 000 000 livres turques (TRL) (environ 4 190 euros (EUR) à l’époque). Le 30 décembre 1999, en désaccord avec le montant fixé, l’intéressé introduisit un recours en augmentation de l’indemnité d’expropriation auprès du tribunal de grande instance de Tarsus (« le tribunal »). Le 19 décembre 2000, il saisit de nouveau le même tribunal d’une demande d’intérêts moratoires. Le 31 janvier 2001, le tribunal décida de joindre les deux actions en question. Par un jugement du 16 mars 2001, le tribunal fit partiellement droit à la demande du requérant. Le 8 octobre 2001, la Cour de cassation l’infirma. Par un jugement du 12 avril 2002, le tribunal accorda à M. Mehmet Karamehmet une indemnité complémentaire mais, le 24 septembre 2002, la Cour de cassation infirma à nouveau le jugement en question. Le 7 mai 2003, le tribunal lui donna partiellement gain de cause. Cependant, le 17 novembre 2003, la Haute juridiction infirma à nouveau le jugement rendu. Le 19 juin 2004, M. Mehmet Karamehmet décéda. Le 24 novembre 2004, le tribunal, saisi sur renvoi, se conforma à l’arrêt de la Cour de cassation et condamna l’administration à verser aux requérants une indemnité complémentaire de 17 246 250 000 TRL (environ 9 225 EUR à l’époque), assortie d’intérêts moratoires à compter du 19 décembre 2000. Par un arrêt du 14 février 2005, notifié le 25 février 2005, la Cour de cassation confirma le jugement de première instance. Le 28 mars 2005, les requérants entamèrent une procédure d’exécution forcée à l’encontre de l’administration en question. Le 17 août 2005, l’administration versa aux requérants la somme de 61 104,19 nouvelles livres turques (TRY) (environ 36 500 EUR à l’époque) à titre d’indemnité complémentaire assortie d’intérêts moratoires. Le 5 mai 2005, en se fondant sur le fait que le taux d’intérêt avait été erronément appliqué à la créance, les requérants engagèrent une nouvelle procédure d’exécution forcée en réclamant une somme complémentaire de 7 840,11 TRY (environ 4 505 EUR à l’époque) à titre d’intérêts moratoires non payés. Cependant, le 12 mai 2005, l’administration forma une opposition contre cette demande devant le tribunal de l’exécution forcée. Le 7 février 2006, le tribunal saisi condamna l’administration à payer aux requérants un montant de 263,67 TRY (environ 165 EUR à l’époque) à titre d’intérêts moratoires non payés et 200 TRY (environ 125 EUR à l’époque) à titre d’honoraires d’avocat. Le 21 septembre 2006, l’administration paya au représentant des requérants la somme de 553,31 TRY (environ 295 EUR à l’époque).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1980 et détenu à la prison d’Edirne. Soupçonné d’avoir participé à une tentative d’attentat à l’explosif dans un centre commercial, le requérant fut arrêté le 10 avril 2006. Le 14 avril 2006, le juge près la cour d’assises spéciale d’Istanbul (« la cour d’assises ») ordonna le placement en détention provisoire du requérant compte tenu de l’existence de forts soupçons quant à la commission de l’infraction reprochée, de la nature de celle-ci, de l’état des preuves, de la peine encourue et du fait qu’il s’agissait d’une infraction mentionnée à l’article 100 § 3 du code de procédure pénale (« CPP »). Par acte d’accusation du 9 mai 2006, le procureur de la République requit la condamnation du requérant pour aide et assistance à une organisation illégale. Un procès impliquant six accusés débuta devant la cour d’assises. Les coaccusés du requérant étaient également poursuivis pour d’autres tentatives d’attentat à la bombe. Lors de la première audience tenue le 21 juillet 2006, la cour d’assises entendit tous les accusés en leur défense. Au terme de l’audience, elle rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention vu la nature et la qualification de l’infraction reprochée, l’état des preuves et parce qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du CPP. Lors de la seconde audience qui eut lieu le 8 novembre 2006, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention pour les mêmes motifs que précédemment. A partir de cette audience, le juge qui avait décidé du placement en détention provisoire du requérant siégea au sein de la cour d’assises. Le 14 mars 2007, la cour d’assises tint sa troisième audience. A l’issue de celle-ci, elle rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention vu la nature et la qualification de l’infraction reprochée, l’état des preuves, la peine encourue et parce qu’il s’agissait d’une infraction visée par l’article 100 § 3 du CPP. Le 30 mars 2007, la cour d’assises rejeta le recours en opposition formé par le requérant contre la décision de maintien en détention. A l’issue de la quatrième audience tenue le 30 mai 2010, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire pour les mêmes motifs que lors des précédentes audiences. Le 6 juin 2007, l’avocat du requérant forma opposition contre cette décision. Le 19 juin 2007, la cour d’assises, statuant sur dossier et dans le sens de l’avis écrit du procureur de la République, rejeta l’opposition formée par l’avocat. Au terme de l’audience tenue le 19 septembre 2007, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention pour les mêmes motifs que lors des précédentes audiences. Le 19 octobre 2007 et le 19 novembre 2007, dans le cadre de l’examen d’office de la question du maintien en détention provisoire du requérant, la cour d’assises ordonna le maintien de cette mesure. Le 7 décembre 2007, la cour d’assises reconnut le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à six ans et trois mois d’emprisonnement en application de l’article 314 § 2 du code pénal. Le 27 octobre 2008, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie (no 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1974 et détenu à la prison de Tekirdağ. Le 23 novembre 2004, le requérant fut arrêté parce qu’il était soupçonné d’être membre de l’organisation illégale TKEP-L (Parti des travailleurs communistes de Turquie/Léniniste) et d’avoir participé à des activités au nom de cette organisation. Le 26 novembre 2004, le requérant fut placé en détention provisoire. Le 30 novembre 2004, il fut inculpé de tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel et son procès commença devant la 10e cour d’assises d’Istanbul (« la cour d’assises »). Au terme des audiences tenues devant elle, la cour d’assises ordonna le maintien en détention du requérant, en se fondant sur la nature de l’infraction reprochée, l’état des preuves, le contenu du dossier, le laps de temps passé en détention provisoire et la peine encourue. Le 7 juillet 2009, le représentant du requérant forma opposition contre la décision de maintien en détention rendue à l’issue de l’audience du 30 juin 2009. Le 17 juillet 2009, la cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta cette opposition compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée et de l’état des preuves. Au terme de la dix-neuvième audience tenue le 5 janvier 2011, la cour d’assises rejeta la demande d’élargissement du requérant et ordonna son maintien en détention provisoire compte tenu de l’existence de forts soupçons à l’encontre de l’intéressé et du fait qu’il s’agissait d’une infraction prévue par l’article 100 § 3 du code de procédure pénale. Selon les éléments du dossier, la procédure est encore pendante devant la cour d’assises et le requérant est toujours en détention provisoire. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie noo 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1954 et détenu à la prison de Tekirdağ. Le 28 décembre 2004, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre d’opérations menées contre une organisation illégale d’extrême gauche. Le 1er janvier 2005, il fut placé en détention provisoire. Par un acte d’accusation établi le 24 mars 2005, le procureur de la République l’inculpa pour appartenance à une organisation illégale. Le 4 octobre 2005, la 10e cour d’assises décida de son incompétence en faveur de la 14e cour d’assises. Le procès se poursuivit devant cette juridiction. Tout au long de la procédure, les juges appelés à se prononcer sur la détention provisoire du requérant décidèrent de la prolongation de cette mesure en se fondant sur la nature et la qualification de l’infraction reprochée, le risque de fuite, la peine encourue et l’existence de forts soupçons à l’encontre de l’intéressé. Le 21 novembre 2011, la cour d’assises condamna le requérant à la réclusion criminelle à perpétuité. Le 7 janvier 2013, la procédure était toujours pendante devant la Cour de cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique interne pertinents, voir l’affaire Altınok c. Turquie (noo 31610/08, §§ 28-32, 29 novembre 2011).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, parties à des procédures judiciaires, ont saisi les juridictions internes compétentes au sens de la loi « Pinto ». Les faits essentiels des requêtes ressortent des informations contenues dans le tableau en annexe. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents relatifs à la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », figurent dans les arrêts Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006-V) et Simaldone c. Italie, (no 22644/03, §§ 11-15, 31 mars 2009). Le droit et la pratique internes pertinents concernant l’accélération du procès administratif et, en particulier, le décret-loi no 112 du 25 juin 2008, entré en vigueur le même jour et converti par la loi no 133 du 6 août 2008 figurent dans la décision Daddi c. Italie ((déc.), no 15476/09, 2 juin 2009)
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une société anonyme moldave, ayant son siège social à Vatra, la municipalité de Chișinău. Le 26 décembre 2003, le tribunal économique de Chișinău accueillit l’action de la société requérante contre une société tierce T., concernant la transmission à la requérante du droit de propriété sur certains immeubles pour l’acquittement d’une dette. Cet arrêt ne fut pas frappé d’appel et passa donc en force de chose jugée. Le 12 mars 2004, la société « Pietris S.A. » enregistra son droit de propriété au cadastre. Le 4 septembre 2008, la société T. introduisit une demande en révision contre l’arrêt du 26 décembre 2003. Le 3 novembre 2008, le juge mit les biens sous séquestre judiciaire. Par un jugement avant dire droit irrévocable du 6 octobre 2010, la demande de révision fut accueillie et l’affaire renvoyée pour être réexaminée. Le 19 octobre 2010, en invoquant directement les articles 6 et 13 de la Convention et la jurisprudence de la Cour, la société requérante contesta le jugement avant dire droit du 6 octobre 2010 dans la partie concernant la révision de l’affaire. Le 18 novembre 2010, la cour économique d’appel accueillit, en s’appuyant notamment sur l’article 13 de la Convention, la contestation de la requérante et annula la révision adoptée le 6 octobre 2010. Elle constata la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1, sans accorder de compensation au titre de la satisfaction équitable. Le 14 septembre 2011, la société requérante forma une demande devant la cour économique d’appel pour le remboursement des frais et dépens encourus. Cette requête ne fut pas examinée jusqu’à ce jour. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Concernant la révision des décisions définitives, le droit interne pertinent est résumé dans les affaires Popov c. République de Moldova (no 2) (no 19960/04, §§ 27-29, 6 décembre 2005) et Jomiru et Creţu c. République de Moldova, (no 28430/06, §§ 26 - 27, 17 avril 2012). Quant aux voies de recours contre le jugement de révision d’un arrêt irrévocable, les dispositions pertinentes sont prévues à l’article 453 du Code de procédure civile moldave. Cet article prévoit que le jugement avant dire droit favorable à la demande de révision ne peut être attaqué qu’avec le jugement au fond. A l’opposé, le jugement qui est défavorable à une telle demande est susceptible de faire l’objet d’un recours devant l’instance supérieure. La jurisprudence de la Cour suprême de justice est analysée dans l’affaire Galuschin c. République de Moldova (déc.), (no 29568/06, § 16, 23 août 2011).
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LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Blagoveschensk, région de l’Amour. Le 17 mai 1999, le requérant, militaire, prit sa retraite. Conformément à la loi, il avait dû choisir un lieu de résidence pour sa retraite et il avait indiqué à sa hiérarchie qu’il souhaitait s’établir à Kiev (Ukraine). En 2001, le requérant introduisit un recours judiciaire devant le tribunal de l’arrondissement Vatoutinski de Kiev visant à obliger l’administration à le placer sur la liste d’attente d’un logement social à Kiev. Par une décision du 25 janvier 2001, le tribunal rejeta cette demande relevant que le requérant avait pris sa retraite en Russie, conformément à la législation russe. Ce fait, selon le tribunal, ne conférait pas au requérant le droit de prétendre à un logement social en Ukraine. A. Décision du 24 août 2001 En 2001, le requérant saisit la justice d’une action dirigée contre le Ministère russe pour la défense civile, la gestion des situations d’urgence et l’atténuation des effets des catastrophes naturelles (ci-après, le « ministère des situations d’urgence ») visant à obliger ce dernier à acquérir pour lui un appartement à Kiev et à se voir allouer un dommage moral. Le 24 août 2001, le tribunal militaire de la garnison de Blagoveshchensk fit, en partie, droit à la demande du requérant, ayant ordonné au défendeur de verser au requérant 3 000 roubles russes (RUB) à titre de dommage moral. En second lieu, le tribunal enjoignit au défendeur d’envoyer les documents nécessaires [aux autorités ukrainiennes] afin de placer le requérant sur une liste d’attente d’un logement social à Kiev. Enfin, le tribunal enjoignit au ministre des situations d’urgence de modifier son arrêté daté du 17 mai 1999 relative à la retraite du requérant, en ajoutant une mention que ce dernier avait choisi la ville de Kiev comme lieu de sa retraite. Le jugement devint définitif le 1er novembre 2001. Le jugement fut exécuté le 23 octobre 2001 en ce qui concerne la modification de l’arrêté du 17 mai 1999, et le 23 mai 2002 en ce qui concerne l’obligation monétaire et demeure sans exécution pour le reste. B. Décision du 14 décembre 2001 En 2000, le requérant saisit la justice d’une action dirigée contre le ministère des situations d’urgence et le Ministère russe de la défense (ciaprès le « ministère de la défense ») visant à se faire indemniser le dommage à sa santé. Par un jugement du 14 décembre 2001, le tribunal militaire de la garnison de Blagoveshchensk fit en partie droit à la demande du requérant, ayant ordonné au ministère de la défense de verser au requérant RUB 283 589,41 en une seule fois et RUB 18 441,22 mensuellement, à titre de dommages et intérêts. Il rejeta le recours en ce qui concerne le ministère des situations d’urgence. Le 28 décembre 2001, n’étant pas contesté, le jugement devint définitif et exécutoire. N’ayant reçu aucune exécution du jugement, le requérant introduisit une plainte au ministère de la défense qui, par une lettre du 22 octobre 2002, répondit au requérant que l’exécution des jugements n’était pas possible faute de financement. Le ministère informa le requérant qu’il avait saisi la Cour suprême de Russie d’une requête visant à annuler le jugement par la voie du contrôle en révision. Le 12 mars 2003, la cour militaire de la circonscription de l’Extrême-Orient, saisie d’une requête de son président, par la voie du contrôle en révision, annula le jugement du 14 décembre 2001 pour vice de procédure et renvoya l’affaire, pour un nouvel examen, devant le même tribunal. Le 24 août 2004, le tribunal de la garnison de Blagoveshchensk rejeta la demande du requérant.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1976 et réside à Chișinău. Le 7 février 2007, le parquet engagea des poursuites à l’encontre de la requérante pour appropriation illégitime (samavolnicie). Le 25 avril 2008, le procureur du parquet de Centru émit une ordonnance de non-lieu, au motif que les faits incriminés à la requérante étaient de nature civile. Cette ordonnance fut approuvée par le procureur supérieur. La partie civile contesta le non-lieu du parquet devant le juge d’instruction. Le 26 juin 2009, le juge d’instruction du tribunal de première instance de Centru confirma la solution du parquet et rejeta la plainte de la partie civile. Ce jugement n’était susceptible d’aucun recours ordinaire. Le 17 août 2009, la partie civile forma, devant la Cour suprême de justice (CSJ), un recours en annulation contre le jugement du 26 juin 2009. Le 26 janvier 2010, la CSJ cassa le jugement attaqué pour cause d’illégalité et renvoya l’affaire devant le juge d’instruction du tribunal de première instance de Centru, qui rouvrit la procédure. Le 10 juin 2011, le parquet arrêta de nouveau, par une ordonnance de suspension, la procédure pénale contre la requérante. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Concernant la révision des décisions pénales irrévocables, le droit interne pertinent est résumé en partie dans l’affaire Bujniţa c. Moldova, (no 36492/02, § 14, 16 janvier 2007). L’article 453 du Code de procédure pénale prévoyait en outre, que la partie civile était en droit de former un recours en annulation contre des décisions irrévocables en cas de leur illégalité. Quant au nouveau recours interne introduit par la loi no 87, les dispositions pertinentes sont résumées dans l’affaire Manascurta c. République de Moldova ((déc.), no 31856/07, §§ 11 et 12, 14 février 2012).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1937 et réside à Colere (Bergame). A. La procédure principale Le 2 mai 1990, le requérant assigna M. G.C. et la compagnie d’assurances S. devant le tribunal de Rome afin d’obtenir une indemnisation s’élevant à 20 millions de lires (environ 10 329 euros (EUR) au titre des dommages matériels résultant d’un accident de la circulation (RG no 43726/90). La mise en état de l’affaire commença le 21 novembre 1990. Des dix audiences fixées entre le 7 octobre 1991 et le 15 mai 1997, une fut renvoyée à la demande des parties et une d’office. A une date non précisée, l’affaire fut attribuée au collège de magistrats chargé de traiter les affaires les plus anciennes (sezione stralcio). A l’audience du 14 juin 2000, le juge prononça l’interruption de la procédure en raison du décès de l’avocat de la compagnie d’assurances S. Les parties ne reprirent pas la procédure. B. La procédure « Pinto » Le 4 octobre 2001, le requérant saisit la cour d’appel de Pérouse au sens de la loi no 89 du 24 mars 2001, dite « loi Pinto », afin de se plaindre de la durée excessive de la procédure décrite ci-dessus. Le requérant demanda à la cour de dire qu’il y avait eu une violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de condamner l’Etat au dédommagement des préjudices subis. Par une décision du 7 octobre 2002, dont le texte fut déposé au greffe le 17 octobre 2002, la cour d’appel constata le dépassement d’une durée raisonnable. Elle accorda 3 500 EUR en équité comme réparation du dommage moral et 1 960,88 EUR pour frais et dépens. Cette décision fut notifiée au ministère de la Justice le 7 janvier 2003 et acquit l’autorité de la chose jugée le 8 mars 2003. Par une lettre du 5 mai 2003, le requérant informa la Cour du résultat de la procédure nationale et demanda que la Cour reprenne l’examen de sa requête. Par une lettre du 1er septembre 2003, le requérant informa aussi la Cour qu’il n’avait pas l’intention de se pourvoir en cassation au motif que ce remède ne pouvait être considéré effectif. Les sommes accordées en exécution de la décision Pinto furent payées le 6 octobre 2004. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents figurent dans l’arrêt Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, §§ 23-31, CEDH 2006V).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La société requérante est une société anonyme (aktsiaselts) de droit estonien. A. La genèse de l’affaire La société requérante est propriétaire du portail d’actualités sur internet « Delfi », qui publie jusqu’à 330 articles par jour. Delfi est l’un des plus grands portails d’actualités sur internet d’Estonie. Il publie en Estonie des actualités en estonien et en russe et couvre aussi la Lettonie et la Lituanie. Au moment des faits, il y avait à la fin de chaque article la mention « Laissez un commentaire » ainsi que des champs pour le commentaire, le nom du commentateur et son adresse électronique (ce dernier champ étant optionnel). Sous ces champs se trouvaient deux boutons : « Publier le commentaire » et « Lire les commentaires ». Le bouton « Lire les commentaires » permettait d’accéder aux commentaires laissés par les autres internautes, qui se trouvaient dans une zone distincte de l’article. Les commentaires des internautes étaient mis en ligne automatiquement sans édition ni modération de la part de la société requérante. Les articles recevaient environ 10 000 commentaires par jour, que les internautes publiaient pour la plupart sous un pseudonyme. Il y avait néanmoins un système de retrait sur notification : tout internaute pouvait marquer un commentaire comme leim (mot désignant en estonien un message injurieux ou humiliant ou un message incitant à la haine sur internet), auquel cas le commentaire était supprimé promptement. De plus, il y avait aussi un système de suppression automatique des commentaires contenant certaines chaînes de caractères permettant de reconnaître des mots obscènes. Enfin, les personnes s’estimant victimes d’un commentaire diffamatoire pouvaient avertir directement la société requérante, qui supprimait alors immédiatement le commentaire. La société requérante avait pris des mesures pour avertir les internautes que les commentaires diffusés sur le site ne reflétaient pas nécessairement sa propre opinion et que les auteurs des commentaires étaient responsables de leur contenu. Elle avait en outre publié sur le site Delfi une « Charte des commentaires », où l’on pouvait lire ceci : « Le forum Delfi est un moyen technique qui permet aux internautes de publier des commentaires. Delfi ne modifie pas les commentaires. Chacun est responsable de ses propres commentaires. Veuillez noter qu’il est déjà arrivé que les tribunaux estoniens sanctionnent des internautes à raison de la teneur de leur commentaire (...) Delfi interdit les commentaires contraires aux bonnes pratiques, à savoir les commentaires qui : - contiennent des menaces ; - contiennent des insultes ; - incitent à l’hostilité et à la violence ; - incitent à commettre des actes illégaux (...) - contiennent des obscénités ou des grossièretés (...) Delfi se réserve le droit de retirer ces commentaires et de restreindre la possibilité pour leurs auteurs de publier d’autres commentaires (...) » La charte expliquait aussi le fonctionnement du système de retrait sur notification. Par ailleurs, le Gouvernement affirme qu’en Estonie, Delfi est connu pour publier des commentaires diffamatoires et dégradants. Ainsi, le 22 septembre 2005, le comité de rédaction de l’hebdomadaire Eesti Ekspress aurait publié une lettre ouverte au ministre de la Justice, à l’Avocat général et au Chancelier de justice dans laquelle il aurait exprimé des préoccupations relatives aux humiliations incessantes infligées sur les sites web publics en Estonie. Dans cette lettre, Delfi aurait été mentionné en tant que source de railleries brutales et arrogantes. B. L’article et les commentaires publiés sur le portail d’actualités sur internet Le 24 janvier 2006, la société requérante publia sur le portail Delfi un article intitulé « SLK brise une route de glace en formation ». Les routes de glace sont des routes ouvertes en hiver sur la mer gelée en Estonie entre le continent et certaines îles. L’abréviation SLK désigne l’entreprise Saaremaa Laevakompanii SA (compagnie de navigation Saaremaa, une société par actions). Cette entreprise offre un service de transport maritime entre le continent et certaines îles. Au moment des faits, elle avait pour actionnaire unique ou majoritaire un dénommé L., qui était également membre de son conseil de surveillance. Les 24 et 25 janvier 2006, l’article recueillit 185 commentaires. Une vingtaine d’entre eux contenaient des menaces personnelles et des insultes dirigées contre L. Le 9 mars 2006, les avocats de L. demandèrent à la société requérante de retirer les commentaires injurieux et de verser à leur client la somme de 500 000 couronnes estoniennes (EEK), soit environ 32 000 euros (EUR), à titre d’indemnisation pour dommage moral. La demande concernait les vingt commentaires suivants : « 1. 1/ il y a des courants dans la [V]äinameri 2/ les eaux libres sont plus proches des endroits dont vous parlez et la glace est plus fine. Proposition : il n’y a qu’à faire comme en 1905, aller à [K]uressaare avec des bâtons et mettre [L.] et [Le.] dans un sac connards d’enfoirés... ils se vautrent déjà dans l’argent grâce à leur monopole et aux subventions publiques et maintenant ils commencent à avoir peur qu’on puisse aller pendant quelques jours dans les îles en voiture sans remplir leur porte-monnaie. brûle avec ton bateau, sale juif ! heureusement, les p’tits gars du web qui n’ont pas peur de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas sont toujours là malgré le projet de [La.]. allez, les gars, [L.] au four ! [petit L.] va te noyer aha... [ça] m’étonnerait que ce [soit] un accident... bandes de cons fdp vaurien !!! [en russe] Pas la peine de pleurnicher, y a qu’à se le faire une bonne fois pour toutes, ce salaud, comme ça les autres (...) sauront ce qu’ils risquent, même eux n’ont qu’une seule toute petite vie. (...) a [sacrément] raison. Se faire lyncher, ce serait un avertissement pour les autres [insulaires] et pour ceux qui se prennent pour des hommes. Comme ça, ça n’arrivera plus ! De toute façon, [L.] le mérite bien, pas vrai ? « un homme bien vit [longtemps,] un gros nul [vit un jour ou deux] » S’il y avait une route de glace, [on] pourrait économiser facilement 500 [EEK] pour une voiture pleine, fdp de [L.] t’as qu’à les payer, pourquoi tes ferries mettent 3 [heures] s’ils brisent si bien la glace, va plutôt briser la glace du port de Pärnu (...) espèce de macaque, je passerai [le détroit] de toute façon et si je me noie, ce sera ta faute et personne ne peut remettre ces connards à leur place ? [habitants des îles de Saaremaa et Hiiumaa], occupez-vous de cet abruti. je me demande si [L.] ne va pas s’en prendre plein la figure à Saaremaa ? arnaquer son monde comme ça ! Ça va faire du bruit sur internet pendant quelques jours, mais ces escrocs (et les planqués que nous avons nous-mêmes élus pour nous représenter) n’en ont rien à faire de ce qu’on dit ici, ils empochent l’argent et c’est tout – tout le monde s’en fout. [M.] et d’autres grands escrocs faisaient aussi leur loi avant, mais ils ont été rattrapés par leur cupidité (†). C’est aussi ce qui arrivera à ces escrocs-ci tôt ou tard. Ils récolteront ce qu’ils ont semé, mais il faut quand même les arrêter (et faire justice nous-mêmes, car l’[É]tat ne peut rien contre eux – c’est eux qui gouvernent en fait), parce qu’ils ne vivent que dans le présent. Après eux, le déluge. un de ces jours, je m’en vais entarter [V.]. bon sang, dès qu’on met un chaudron sur le feu et que la fumée sort de la cheminée du sauna, les corbeaux de Saaremaa arrivent – ils croient (...) qu’on va égorger un porc. eh ben non salopards!!!! l’Ofelia aussi a une certif glace, alors ça n’explique pas pourquoi on avait besoin du Ola!!! Bien sûr, l’[É]tat estonien, dirigé par des raclures [et] financé par des raclures, ne fait rien pour empêcher ou sanctionner les agissements antisociaux des raclures. Mais bon, il y a une Saint-Michel pour chaque [L.]... et pour eux, ce n’est pas comme pour les béliers. Vraiment désolé pour [L.] – c’est quand même un être humain... :D :D :D (...) si après ça [L.] était tout d’un coup en arrêt [de] maladie, et encore la prochaine fois qu’une route de glace sera détruite... est-ce qu’il [oserait] se comporter comme un sagouin une troisième fois ? :) quel enfoiré, ce [L.]... j’aurais pu rentrer chez moi avec ma petite puce bientôt... de toutes façons sa compagnie n’assure même pas un service de ferry normal et c’est tellement cher... ça fait peur... on se demande quelles poches et quelles bouches il remplit pour continuer ses conneries d’année en année on ne fait pas du pain avec de la merde ; les journaux et internet laissent tout passer ; moi, juste pour le plaisir (en vérité, l’[É]tat et [L.] n’en ont rien à faire de ce que pensent les gens)... juste pour le plaisir, pas pour l’argent – [L.], je lui pisse dans l’oreille et je lui chie sur la tête. :) » Le jour même, la société requérante retira les commentaires injurieux. Le 23 mars 2006, en réponse à la demande des avocats de L., elle informa celui-ci que les commentaires avaient été retirés en vertu de l’obligation de retrait sur notification mais qu’elle refusait de l’indemniser. C. La procédure civile dirigée contre la société requérante Le 13 avril 2006, L. engagea une action civile contre la société requérante devant le tribunal départemental de Harju. À l’audience du 28 mai 2007, les représentants de la société arguèrent notamment que dans des cas tels que celui de l’affaire de la « Nuit de bronze » (des troubles publics liés au déplacement du monument du Soldat de bronze en avril 2007), Delfi avait retiré de cinq à dix mille commentaires par jour, dont certains de sa propre initiative. Par un jugement du 25 juin 2007, le tribunal départemental rejeta l’action de L. Il jugea qu’en vertu de la loi sur les services de la société de l’information (Infoühiskonna teenuse seadus), qui reposait sur la directive sur le commerce électronique (directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur), la responsabilité de la société requérante ne pouvait être engagée. Il considéra qu’il fallait distinguer la zone de commentaires de la zone journalistique du portail d’actualités de la société requérante et que, la société faisant de la zone de commentaires une administration essentiellement de nature mécanique et passive, elle ne pouvait être considérée comme la publicatrice des commentaires et n’avait pas l’obligation de les surveiller. L. contesta ce jugement devant la cour d’appel de Tallinn, qui statua en sa faveur le 22 octobre 2007, considérant que c’était à tort que le tribunal départemental avait jugé que la responsabilité de la société requérante était exclue en vertu de la loi sur les services de la société de l’information. La cour d’appel annula le jugement du tribunal départemental et renvoya l’affaire. La société requérante contesta l’arrêt de la cour d’appel devant la Cour suprême, qui refusa d’examiner l’affaire le 21 janvier 2008. Le 27 juin 2008, après avoir réexaminé l’affaire, le tribunal départemental de Harju statua en faveur de L. Conformément aux instructions de la cour d’appel, il appliqua la loi sur les obligations (Võlaõigusseadus) et déclara la loi sur les services de la société de l’information inapplicable. Il observa que la société requérante avait affiché sur son site internet une note avertissant que les commentaires n’étaient pas édités, qu’il était interdit de déposer des commentaires contraires aux bonnes pratiques et qu’elle se réservait le droit de retirer pareils commentaires. Il nota également qu’elle appliquait un système permettant aux internautes de l’avertir de la présence de commentaires inappropriés. Il considéra toutefois que ces mesures étaient insuffisantes et ne permettaient pas de protéger de manière suffisante les droits de la personnalité d’autrui. Il conclut que la société requérante devait être considérée comme la publicatrice des commentaires et qu’elle ne pouvait dégager sa responsabilité en publiant un avertissement indiquant qu’elle n’était pas responsable de leur contenu. Le tribunal départemental estima que l’article publié sur le portail d’actualités Delfi était en lui-même objectif, mais qu’un certain nombre de commentaires étaient grossiers, humiliants et diffamatoires et portaient atteinte à l’honneur de L., à sa dignité et à sa réputation. Il jugea que ces commentaires dépassaient les limites de la critique justifiée et constituaient purement et simplement des injures, et il conclut qu’ils n’étaient donc pas protégés par la liberté d’expression et qu’il y avait eu violation des droits de la personnalité de L., à qui il octroya des dommages et intérêts d’un montant de 5 000 EEK (320 EUR) pour préjudice moral. Le 16 décembre 2008, la cour d’appel de Tallinn confirma le jugement du tribunal départemental. Elle précisa que la société requérante n’avait pas l’obligation de contrôler en amont les commentaires publiés sur son portail d’actualités mais que, puisqu’elle avait choisi de ne pas le faire, elle aurait dû mettre en place un autre système garantissant en pratique le retrait rapide des commentaires qui y étaient publiés s’ils étaient illicites. Elle considéra que les mesures prises par la société requérante n’étaient pas suffisantes et qu’il était contraire au principe de la bonne foi de faire reposer la charge de la surveillance des commentaires sur leurs victimes potentielles. La cour d’appel rejeta l’argument de la société requérante consistant à dire qu’en vertu de la loi sur les services de la société de l’information, sa responsabilité ne pouvait être engagée. Elle jugea en effet que Delfi n’était pas un simple intermédiaire technique dans la publication des commentaires et que son activité n’était pas purement technique, automatique et passive, car le site invitait les internautes à commenter les articles. Elle conclut donc que la société requérante était un prestataire de services de contenu et non de services techniques. La société requérante contesta cet arrêt devant la Cour suprême, qui la débouta le 10 juin 2009. La haute juridiction confirma l’arrêt de la cour d’appel quant au fond, mais en réforma en partie le raisonnement. Elle approuva l’interprétation de la loi sur les services de la société de l’information faite par les juridictions du fond, et elle rappela que les prestataires de services de la société de l’information visés par cette loi et par la directive sur le commerce électronique ne connaissaient ni ne contrôlaient les informations transmises ou stockées, tandis que ceux qui contrôlaient les informations stockées étaient considérés comme des prestataires de services de contenu. Elle observa qu’en l’espèce, la société requérante avait intégré la zone de commentaires dans son portail d’actualités et invité les internautes à laisser des commentaires. Elle nota que le nombre de commentaires publiés avait une incidence sur le nombre de visites que recevait le portail et ainsi sur les revenus que la société requérante tirait des publicités qu’elle y publiait, de sorte que les commentaires représentaient un intérêt économique pour la société requérante. Le fait que celle-ci ne les rédige pas ellemême n’impliquait pas, de l’avis de la Cour suprême, qu’elle n’ait pas de contrôle dessus : elle avait en effet adopté des règles auxquelles ces commentaires étaient soumis et elle retirait ceux qui enfreignaient ces règles. À l’inverse, les internautes ne pouvaient pas modifier ou supprimer les commentaires qu’ils avaient publiés ; ils pouvaient seulement signaler les commentaires obscènes. De plus, la société requérante pouvait choisir quels commentaires étaient publiés et lesquels ne l’étaient pas. Le fait qu’elle n’ait pas fait usage de cette possibilité, concluait la Cour suprême, ne signifiait pas qu’elle n’ait pas de contrôle sur la publication des commentaires. La Cour suprême considéra en outre qu’en l’espèce, tant la société requérante que les auteurs des commentaires devaient être considérés comme les publicateurs de ces commentaires. À cet égard, elle estima que l’intérêt économique des administrateurs de portails internet faisait d’eux de véritables éditeurs professionnels, au même titre que les éditeurs de publications imprimées. Elle nota que le demandeur était libre de choisir la partie contre laquelle il souhaitait diriger son action, et qu’en l’espèce, L. avait choisi de poursuivre la société requérante. La haute juridiction jugea qu’étant donné qu’elle avait l’obligation juridique d’éviter de causer un préjudice à autrui, la société requérante aurait dû empêcher la publication des commentaires manifestement illicites. Elle releva en outre que, après la publication des commentaires, la société requérante ne les avait pas retirés de sa propre initiative, alors qu’elle aurait dû être consciente de leur caractère illicite. Elle conclut que c’était à bon droit que les juridictions inférieures avaient jugé cette inertie fautive. D. Les événements ultérieurs Le 1er octobre 2009, Delfi annonça sur son portail internet que les personnes qui avaient laissé des commentaires injurieux ne pourraient pas déposer de nouveaux commentaires avant d’avoir lu et accepté la Charte des commentaires, et que la direction avait mis en place une équipe de modérateurs qui pratiquait une modération a posteriori des commentaires publiés sur le portail. Ces modérateurs passaient en revue toutes les notifications d’internautes signalant des commentaires inappropriés. Ils contrôlaient également le respect de la Charte des commentaires. Selon les informations publiées sur le site, en août 2009, les internautes y avaient déposé 190 000 commentaires ; les modérateurs en avaient retiré 15 000 (environ 8 %), principalement des spams ou des commentaires sans pertinence ; et moins de 0,5 % du nombre total de commentaires laissés étaient diffamatoires. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La Constitution de la République d’Estonie (Eesti Vabariigi põhiseadus) prévoit ceci : Article 17 « Nul ne doit subir d’atteinte diffamatoire à son honneur et à sa réputation. » Article 19 « 1) Chacun a le droit de se réaliser librement. 2) Chacun doit faire preuve de respect et de considération pour les droits et libertés d’autrui et respecter la loi lorsqu’il exerce ses droits et libertés et accomplit ses obligations. » Article 45 « 1) Toute personne a le droit de diffuser librement des idées, des opinions, des convictions et des informations oralement, par écrit, par des images ou par tout autre moyen. Ce droit peut faire l’objet de restrictions prévues par la loi afin de protéger l’ordre public, la morale, ainsi que les droits et libertés, la santé, l’honneur et la réputation d’autrui. En outre, l’exercice de ce droit par les agents nationaux ou territoriaux de l’État peut faire l’objet de restrictions prévues par la loi afin de protéger les secrets d’État et les secrets industriels ainsi que les informations communiquées à titre confidentiel dont ces agents ont connaissance du fait de leurs fonctions, afin de protéger la vie privée et familiale d’autrui, ou dans l’intérêt de la justice. 2) Il ne peut y avoir de censure. » L’article 138 de la loi sur les principes généraux du code civil (Tsiviilseadustiku üldosa seadus) dispose que les droits sont exercés et les obligations accomplies de bonne foi. Un droit ne peut être exercé de manière illégitime ou dans le but de causer un préjudice à autrui. Le paragraphe 2 de l’article 134 de la loi sur les obligations (Võlaõigusseadus) est ainsi libellé : « Lorsque naît l’obligation de réparer un préjudice découlant de (...) la violation d’un droit de la personnalité, notamment d’un acte de diffamation, la personne à laquelle incombe l’obligation ne verse à la personne lésée une indemnisation pour préjudice moral que si cela est justifié par la gravité de la violation, notamment si la personne lésée a subi une douleur physique ou morale. » L’article 1043 de la loi sur les obligations dispose que celui (l’auteur du dommage) qui cause d’une manière illicite un dommage à autrui (la victime) est tenu de le réparer si, légalement, ce dommage découle de sa responsabilité pour faute (süü) ou de sa responsabilité simple (vastutus). En vertu de l’article 1045 de la loi sur les obligations, un dommage est causé de manière illicite notamment s’il résulte de la violation d’un droit de la personnalité de la victime. La loi sur les obligations prévoit encore ceci : Article 1046 – Illicéité de l’atteinte aux droits de la personnalité « 1) Commet un acte illicite, sauf disposition contraire de la loi, toute personne qui diffame un tiers, notamment en exprimant sur lui un jugement indu, en utilisant de manière injustifiée son nom ou son image ou en portant atteinte à son égard à l’inviolabilité de la vie privée ou d’un autre droit de la personnalité. Pour établir l’illicéité, on tient compte de la nature de l’atteinte portée, de sa raison et de son motif, et de sa gravité relativement au but poursuivi par son auteur. 2) L’atteinte à un droit de la personnalité n’est pas illicite si elle est justifiée au regard d’autres droits protégés par la loi et des droits des tiers ou de l’intérêt public. En pareil cas, on procède pour établir l’illicéité à une appréciation comparative des différents droits et intérêts protégés par la loi. » Article 1047 – Illicéité de la propagation d’informations inexactes « 1) Commet un acte illicite toute personne qui porte atteinte aux droits de la personnalité d’un tiers ou interfère dans ses activités économiques ou professionnelles en propageant [avaldamine] des informations inexactes, incomplètes ou trompeuses le concernant ou concernant ses activités, à moins qu’elle ne prouve que, au moment où elle a tenu les propos en question, elle ne savait pas et n’était pas censée savoir que les informations qu’elle propageait étaient inexactes ou incomplètes. 2) Est présumée commettre un acte illicite toute personne qui profère des propos qui portent atteinte à la réputation d’un tiers ou qui risquent de nuire à sa situation économique, à moins qu’elle ne prouve la véracité de ses déclarations. 3) Nonobstant les dispositions des paragraphes 1) et 2) du présent article, la conduite visée à ces paragraphes n’est pas considérée comme illicite si l’émetteur ou le destinataire des informations ou des propos a un intérêt légitime à en donner ou à en prendre connaissance, et si l’émetteur en a vérifié la véracité avec un soin qui correspond à la gravité de l’atteinte potentielle [aux droits ou intérêts du tiers]. 4) En cas de propagation d’informations inexactes, la victime peut exiger que l’auteur de la propagation démente ses propos ou publie un rectificatif à ses frais, que la propagation ait été illicite ou non. » Article 1055 – Interdiction des actes dommageables « 1) Si une personne cause un dommage illicite de manière continue ou menace de causer un dommage illicite, la victime ou la personne menacée a le droit d’exiger la cessation de la conduite qui cause le dommage ou de la menace d’une telle conduite. En cas de préjudice corporel, d’atteinte à la santé ou d’atteinte à l’inviolabilité de la vie privée ou à d’autres droits de la personnalité, il peut être exigé notamment qu’il soit interdit à l’auteur du dommage de s’approcher de certaines personnes (ordonnance restrictive), que l’usage d’un logement ou de communications soit encadré ou que d’autres mesures semblables soient appliquées. 2) Le droit d’exiger la cessation de la conduite qui cause le dommage énoncé au paragraphe 1) du présent article ne s’applique pas si l’on peut raisonnablement considérer que cette conduite relève d’un comportement tolérable dans les relations humaines ou si elle répond à un intérêt public important. En pareils cas, la victime a le droit de demander une indemnisation pour les dommages causés de manière illicite (...) » La loi sur les services de la société de l’information (Infoühiskonna teenuse seadus) prévoit ceci : Article 8 – Responsabilité limitée en cas de simple transmission d’informations ou de simple fourniture d’accès à un réseau de communication de données public « 1) En cas de fourniture d’un service consistant seulement à transmettre sur un réseau de communication de données public des informations fournies par le destinataire du service, ou à fournir un accès à un réseau de communication de données public, le prestataire de services n’est pas responsable des informations transmises, à condition qu’il : 1) ne soit pas à l’origine de la transmission ; 2) ne sélectionne pas le destinataire de la transmission ; 3) ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la transmission. 2) Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1 du présent article englobent le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations transmises, pour autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la transmission sur le réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps raisonnablement nécessaire à la transmission. » Article 9 – Responsabilité limitée en cas de stockage temporaire d’informations dans la mémoire en cache « 1) En cas de fourniture d’un service consistant à transmettre sur un réseau de communication de données public des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire n’est pas responsable au titre du stockage automatique, intermédiaire et temporaire de ces informations si la méthode de transmission concernée nécessite de stocker les informations dans la mémoire en cache pour des raisons techniques et que le seul but de cette procédure est de rendre plus efficace la transmission ultérieure des informations à la demande d’autres destinataires du service, à condition que : 1) le prestataire ne modifie pas l’information ; 2) le prestataire se conforme aux conditions d’accès à l’information ; 3) le prestataire se conforme aux règles concernant la mise à jour de l’information, indiquées d’une manière largement reconnue et utilisées par les entreprises ; 4) le prestataire n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l’industrie, dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation de l’information ; 5) le prestataire agisse promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que l’information à l’origine de la transmission a été retirée du réseau, que l’accès à cette information a été rendu impossible, ou que ce retrait a été ordonné par un tribunal, par la police ou par une autorité administrative. » Article 10 – Responsabilité limitée en cas de fourniture d’un service de stockage de l’information « 1) En cas de fourniture d’un service consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire n’est pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que : 1) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de la teneur de l’information et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances faisant apparaître le caractère illicite de l’information ou des activités auxquelles elle correspond ; 2) le prestataire, dès le moment où il a connaissance de faits visés au point 1) du présent paragraphe, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible. 2) Le paragraphe 1 du présent article ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire. Article 11 – Absence d’obligation de contrôle « 1) Les prestataires de services visés aux articles 8 à 10 de la présente loi ne sont pas tenus de contrôler les informations dont ils n’assurent que la transmission, auxquelles ils donnent simplement accès, qu’ils stockent temporairement dans la mémoire en cache ou qu’ils stockent à la demande du destinataire du service. Ils ne sont pas non plus tenus de rechercher activement des informations ou des circonstances indiquant la présence d’une activité illicite. 2) Les dispositions du paragraphe 1 du présent article ne restreignent pas le droit des agents de contrôle de demander au prestataire de services la divulgation de ces informations. 3) Les prestataires de services sont tenus d’informer promptement les autorités de contrôle compétentes des allégations selon lesquelles des destinataires de leurs services visés aux articles 8 à 10 de la présente loi exerceraient des activités ou publieraient des contenus illicites, et de communiquer aux autorités compétentes les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement. » Dans un arrêt du 21 décembre 2005 (affaire no 3-2-1-95-05), la Cour suprême a jugé que, aux fins de l’article 1047 de la loi sur les obligations, on devait entendre par propagation [avaldamine] la communication d’informations à des tiers, et que, dès lors, quand un éditeur de médias [meediaväljaanne] publiait un article rapportant des informations que lui avait communiquées une tierce partie, celle-ci pouvait être qualifiée de propagatrice [avaldaja] même elle n’était pas la publicatrice de l’article [ajaleheartikli avaldaja]. La haute juridiction a confirmé cette position dans ses arrêts ultérieurs, par exemple dans un arrêt du 21 décembre 2010 (affaire no 321-67-10). Dans plusieurs affaires internes de diffamation, les actions ont été engagées contre plusieurs parties, par exemple contre l’éditeur du journal et l’auteur de l’article (arrêt de la Cour suprême du 7 mai 1998, affaire no 321-61-98), contre l’éditeur du journal et la personne dont le journal rapportait les propos (arrêt de la Cour suprême du 1er décembre 1997, affaire no 3-2-1-99-97). Dans d’autres, elles étaient dirigées contre l’éditeur du journal seulement (arrêt de la Cour suprême du 30 octobre 1997, affaire no 3-2-1-123-97, et arrêt du 10 octobre 2007, affaire no 3-2-1-53-07). III. LES NORMES INTERNATIONALES PERTINENTES A. Conseil de l’Europe Le 28 mai 2003, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté, à la 840e réunion des Délégués des Ministres, la Déclaration sur la liberté de la communication sur l’Internet. En ses parties pertinentes, cette déclaration se lit ainsi : « Les États membres du Conseil de l’Europe, (...) Convaincus également qu’il est nécessaire de limiter la responsabilité des fournisseurs de services qui font office de simples transporteurs ou, de bonne foi, donnent accès aux contenus émanant de tiers ou les hébergent ; Rappelant à ce sujet la Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») ; Soulignant que la liberté de communication sur l’Internet ne devrait pas porter atteinte à la dignité humaine, aux droits de l’homme ni aux libertés fondamentales d’autrui, tout particulièrement des mineurs ; Considérant qu’un équilibre doit être trouvé entre le respect de la volonté des usagers de l’Internet de ne pas divulguer leur identité et la nécessité pour les autorités chargées de l’application de la loi de retrouver la trace des responsables d’actes délictueux ; (...) Déclarent qu’ils cherchent à se conformer aux principes suivants dans le domaine de la communication sur l’Internet : Principe 1 : Règles à l’égard des contenus sur l’Internet Les États membres ne devraient pas soumettre les contenus diffusés sur l’Internet à des restrictions allant au-delà de celles qui s’appliquent à d’autres moyens de diffusion de contenus. (...) Principe 3 : Absence de contrôle préalable de l’État Les autorités publiques ne devraient pas, au moyen de mesures générales de blocage ou de filtrage, refuser l’accès du public à l’information et autres communications sur l’Internet, sans considération de frontières. Cela n’empêche pas l’installation de filtres pour la protection des mineurs, notamment dans des endroits accessibles aux mineurs tels que les écoles ou les bibliothèques. À condition que les garanties de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales soient respectées, des mesures peuvent être prises pour supprimer un contenu Internet clairement identifiable ou, alternativement, faire en sorte de bloquer son accès si les autorités nationales compétentes ont pris une décision provisoire ou définitive sur son caractère illicite. (...) Principe 6 : Responsabilité limitée des fournisseurs de services pour les contenus diffusés sur l’Internet Les États membres ne devraient pas imposer aux fournisseurs de services l’obligation générale de surveiller les contenus diffusés sur l’Internet auxquels ils donnent accès, qu’ils transmettent ou qu’ils stockent, ni celle de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Les États membres devraient veiller à ce que les fournisseurs de services ne soient pas tenus responsables des contenus diffusés sur l’Internet lorsque leur fonction se limite, selon la législation nationale, à transmettre des informations ou à donner accès à l’Internet. Si les fonctions des fournisseurs de services sont plus larges et qu’ils stockent des contenus émanant d’autres parties, les États membres peuvent les tenir pour coresponsables dans l’hypothèse où ils ne prennent pas rapidement des mesures pour supprimer ou pour bloquer l’accès aux informations ou aux services dès qu’ils ont connaissance, comme cela est défini par le droit national, de leur caractère illicite ou, en cas de plainte pour préjudice, de faits ou de circonstances révélant la nature illicite de l’activité ou de l’information. En définissant, dans le droit national, les obligations des fournisseurs de services telles qu’énoncées au paragraphe précédent, une attention particulière doit être portée au respect de la liberté d’expression de ceux qui sont à l’origine de la mise à disposition des informations, ainsi que du droit correspondant des usagers à l’information. Dans tous les cas, les limitations de responsabilité susmentionnées ne devraient pas affecter la possibilité d’adresser des injonctions lorsque les fournisseurs de services sont requis de mettre fin à ou d’empêcher, dans la mesure du possible, une violation de la loi. Principe 7 : Anonymat Afin d’assurer une protection contre les surveillances en ligne et de favoriser l’expression libre d’informations et d’idées, les États membres devraient respecter la volonté des usagers de l’Internet de ne pas révéler leur identité. Cela n’empêche pas les États membres de prendre des mesures et de coopérer pour retrouver la trace de ceux qui sont responsables d’actes délictueux, conformément à la législation nationale, à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales et aux autres traités internationaux dans le domaine de la justice et de la police. » B. Union européenne La directive 2000/31/CE La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (la directive sur le commerce électronique) prévoit ceci : « (...) (9) Dans bien des cas, la libre circulation des services de la société de l’information peut refléter spécifiquement, dans la législation communautaire, un principe plus général, à savoir la liberté d’expression, consacrée par l’article 10, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui a été ratifiée par tous les États membres. Pour cette raison, les directives couvrant la fourniture de services de la société de l’information doivent assurer que cette activité peut être exercée librement en vertu de l’article précité, sous réserve uniquement des restrictions prévues au paragraphe 2 du même article et à l’article 46, paragraphe 1, du traité. La présente directive n’entend pas porter atteinte aux règles et principes fondamentaux nationaux en matière de liberté d’expression. (...) (42) Les dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente directive ne couvrent que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information est limitée au processus technique d’exploitation et de fourniture d’un accès à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d’améliorer l’efficacité de la transmission. Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif, qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées. (43) Un prestataire de services peut bénéficier de dérogations pour le « simple transport » et pour la forme de stockage dite « caching » lorsqu’il n’est impliqué en aucune manière dans l’information transmise. Cela suppose, entre autres, qu’il ne modifie pas l’information qu’il transmet. Cette exigence ne couvre pas les manipulations à caractère technique qui ont lieu au cours de la transmission, car ces dernières n’altèrent pas l’intégrité de l’information contenue dans la transmission. (44) Un prestataire de services qui collabore délibérément avec l’un des destinataires de son service afin de se livrer à des activités illégales va au-delà des activités de « simple transport » ou de « caching » et, dès lors, il ne peut pas bénéficier des dérogations en matière de responsabilité prévues pour ce type d’activité. (45) Les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires prévues dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d’actions en cessation de différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de décisions de tribunaux ou d’autorités administratives exigeant qu’il soit mis un terme à toute violation ou que l’on prévienne toute violation, y compris en retirant les informations illicites ou en rendant l’accès à ces dernières impossible. (46) Afin de bénéficier d’une limitation de responsabilité, le prestataire d’un service de la société de l’information consistant dans le stockage d’informations doit, dès qu’il prend effectivement connaissance ou conscience du caractère illicite des activités, agir promptement pour retirer les informations concernées ou rendre l’accès à celles-ci impossible. Il y a lieu de procéder à leur retrait ou de rendre leur accès impossible dans le respect du principe de la liberté d’expression et des procédures établies à cet effet au niveau national. La présente directive n’affecte pas la possibilité qu’ont les États membres de définir des exigences spécifiques auxquelles il doit être satisfait promptement avant de retirer des informations ou d’en rendre l’accès impossible. (47) L’interdiction pour les États membres d’imposer aux prestataires de services une obligation de surveillance ne vaut que pour les obligations à caractère général. Elle ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas spécifique et, notamment, elle ne fait pas obstacle aux décisions des autorités nationales prises conformément à la législation nationale. (48) La présente directive n’affecte en rien la possibilité qu’ont les États membres d’exiger des prestataires de services qui stockent des informations fournies par des destinataires de leurs services qu’ils agissent avec les précautions que l’on peut raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation nationale, et ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites. (...) Article premier – Objectif et champ d’application La présente directive a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres. (...) Article 2 – Définitions Aux fins de la présente directive, on entend par : a) « services de la société de l’information » : les services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE, telle que modifiée par la directive 98/48/CE ; b) « prestataire » : toute personne physique ou morale qui fournit un service de la société de l’information ; c) « prestataire établi » : prestataire qui exerce d’une manière effective une activité économique au moyen d’une installation stable pour une durée indéterminée. La présence et l’utilisation des moyens techniques et des technologies requis pour fournir le service ne constituent pas en tant que telles un établissement du prestataire ; (...) Section 4 : Responsabilité des prestataires intermédiaires Article 12 – Simple transport (« Mere conduit ») Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de communication, le prestataire de services ne soit pas responsable des informations transmises, à condition que le prestataire : a) ne soit pas à l’origine de la transmission ; b) ne sélectionne pas le destinataire de la transmission et c) ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la transmission. Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1 englobent le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations transmises, pour autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la transmission sur le réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps raisonnablement nécessaire à la transmission. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette fin à une violation ou qu’il prévienne une violation. Article 13 – Forme de stockage dite « caching » Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable au titre du stockage automatique, intermédiaire et temporaire de cette information fait dans le seul but de rendre plus efficace la transmission ultérieure de l’information à la demande d’autres destinataires du service, à condition que : a) le prestataire ne modifie pas l’information ; b) le prestataire se conforme aux conditions d’accès à l’information ; c) le prestataire se conforme aux règles concernant la mise à jour de l’information, indiquées d’une manière largement reconnue et utilisées par les entreprises ; d) le prestataire n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie, largement reconnue et utilisée par l’industrie, dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation de l’information et e) le prestataire agisse promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que l’information à l’origine de la transmission a été retirée du réseau ou du fait que l’accès à l’information a été rendu impossible, ou du fait qu’un tribunal ou une autorité administrative a ordonné de retirer l’information ou d’en rendre l’accès impossible. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette fin à une violation ou qu’il prévienne une violation. Article 14 – Hébergement Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que : a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente ou b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle du prestataire. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible. Article 15 – Absence d’obligation générale en matière de surveillance Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement. » La directive 98/34/CE telle que modifiée par la directive 98/48/CE La directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, telle que modifiée par la directive 98/48/CE, est ainsi libellée : « Article premier Au sens de la présente directive, on entend par (...) « service » : tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services. Aux fins de la présente définition, on entend par : — les termes « à distance » : un service fourni sans que les parties soient simultanément présentes, — « par voie électronique » : un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen d’équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et qui est entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par d’autres moyens électromagnétiques, — « à la demande individuelle d’un destinataire de services » : un service fourni par transmission de données sur demande individuelle. Une liste indicative des services non visés par cette définition figure à l’annexe V. La présente directive n’est pas applicable : — aux services de radiodiffusion sonore, — aux services de radiodiffusion télévisuelle visés à l’article 1er, point a), de la directive 89/552/CEE. » La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne Dans un arrêt du 23 mars 2010 (affaires jointes C236/08 à C238/08 Google France et Google, Rec. 2010 p. I-2417), la Cour de justice de l’Union européenne a dit que, pour vérifier si la responsabilité du prestataire d’un service de référencement pouvait être limitée au titre de l’article 14 de la directive 2000/31, il convenait d’examiner si le rôle exercé par ledit prestataire était neutre, en ce que son comportement était purement technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’il stockait. Elle a jugé que l’article 14 de la directive sur le commerce électronique devait être interprété en ce sens que la règle y énoncée s’applique au prestataire d’un service de référencement sur internet lorsque ce prestataire n’a pas joué un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données stockées et que, dans ce cas, le prestataire ne peut être tenu responsable pour les données qu’il a stockées à la demande d’un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du caractère illicite de ces données ou d’activités de cet annonceur, il n’ait pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données. Dans un arrêt du 12 juillet 2011 (affaire C-324/09, L’Oréal e.a., Rec. 2011 p. I-6011), la Cour de justice a jugé que l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE devait être interprété en ce sens qu’il s’applique à l’exploitant d’une place de marché en ligne lorsque celuici n’a pas joué un rôle actif qui lui permette d’avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées, et que ledit exploitant joue un tel rôle quand il prête une assistance qui consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à les promouvoir. Elle a précisé que, néanmoins, lorsque l’exploitant de la place de marché en ligne n’a pas joué un tel rôle actif et que sa prestation de service relève, par conséquent, du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, il ne peut se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition dans une affaire susceptible de donner lieu à une condamnation au paiement de dommages et intérêts s’il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en cause et, dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article 14. Enfin, dans un arrêt du 24 novembre 2011 (affaire C-70/10 Scarlet Extended, Rec. 2011 p. I-11959), la Cour de justice a jugé qu’il ne pouvait être fait à un fournisseur d’accès à internet une injonction de mettre en place un système de filtrage de toutes les communications électroniques transitant par ses services, notamment par l’emploi de logiciels « peer-to-peer », qui s’applique indistinctement à l’égard de toute sa clientèle, à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation dans le temps, capable d’identifier sur le réseau de ce fournisseur la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer le transfert de fichiers dont l’échange porte atteinte au droit d’auteur.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une société établie à Luxembourg. Le 17 décembre 2008 le journal en langue portugaise « Contacto Semanário » (ci-après « Contacto ») édité par la requérante au Luxembourg publia un article décrivant la situation de familles s’étant vu retirer la garde de leurs enfants. Le service central d’assistance sociale (SCAS) serait à l’initiative de ces retraits de garde. Le journaliste traita du cas de deux adolescents et de l’assistant social en charge de leur dossier en les nommant. La mineure aurait notamment été victime d’une tentative de viol et le mineur aurait brûlé un camarade avec une cigarette. Cet article était signé du nom de « Domingos Martins ». La liste des journalistes officiellement reconnus au Grand-Duché de Luxembourg par le conseil de presse ne contient aucun journaliste de ce nom. Cette liste contient plusieurs centaines de noms rangés suivant l’ordre alphabétique du nom de famille. Y apparaît sous la lettre « D » un dénommé De Araujo Martins Domingos Alberto. L’assistant social se plaignit de cet article auprès du directeur du SCAS qui à son tour se plaignit auprès du Procureur Général d’Etat en alléguant qu’il s’agissait de diffamation tant de cet assistant particulier que du système judiciaire et social luxembourgeois en général. Le 5 janvier 2009 l’assistant social déposa également plainte. Le 30 janvier 2009 le parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg ouvrit une information judiciaire contre inconnu sur le fondement d’une violation de l’article 38 de la loi modifiée du 10 août 1992 relatif à la protection de la jeunesse ainsi que pour calomnie sinon diffamation. Le 30 mars 2009 un juge d’instruction émit une ordonnance de perquisition et de saisie au siège de la requérante en sa qualité d’éditeur du journal Contacto « aux fins de rechercher et de saisir tous documents et objets sous quelque forme que ce soit et sur quelque support que ce soit en relation avec les infractions reprochées et notamment tout élément utile à l’identification de l’auteur de l’infraction respectivement du collaborateur du journal « Contacto » ayant rédigé l’article « litigieux » paru en date du 17 décembre 2008 dans le journal « Contacto ». Le 7 mai 2009 des policiers se présentèrent aux locaux du journal Contacto (situé au sein du siège de la requérante) muni de cette ordonnance. Le Gouvernement expose que au moment où les enquêteurs se présentèrent dans les locaux du journal l’objet de la mesure d’instruction se limitait dans leur esprit à identifier l’auteur de l’article incriminé. Il en veut pour preuve le passage du rapport de police du 11 mai 2009 relatif à la perquisition qui dit ceci (texte original en allemand) : « Pour identifier de façon certaine l’auteur de l’article (...) l’autorité [le juge d’instruction] a émis une ordonnance de perquisition. Avant l’exécution de cette ordonnance la façon de procéder a été clarifiée avec l’autorité [le juge d’instruction]. Il a été décidé que la perquisition portait seulement sur l’identification claire de l’auteur de l’article. » Le journaliste ayant rédigé l’article remit aux policiers un exemplaire du journal un cahier de notes des documents (notamment des décisions de justice concernant l’un des sujets de l’article) ayant servi à la rédaction de l’article ainsi qu’un fichier informatique et un CD contenant ledit article. Il résulte du dossier que le journaliste assisté du juriste de la maison d’édition et du rédacteur en chef du journal Contacto lors de la perquisition signa le procès-verbal de perquisition sans faire usage de la possibilité de rajouter des remarques. Selon la requérante la coopération aurait été forcée dans la mesure où les policiers auraient fait comprendre au journaliste qu’il n’avait pas d’autre choix que de coopérer au vu de l’ordonnance de perquisition et de saisie. Il ressort cependant d’un rapport interne de la requérante daté du 8 mai 2009 que le journaliste dit aux policiers « qu’il n’a rien contre à leur donner une copie [de ses] notes » et que ce fut le rédacteur en chef du journal qui proposa aux policiers de leur remettre une version gravée de l’article. Ce même rapport énonce qu’un policier introduisit une clé USB dans l’ordinateur du journaliste. La requérante indique ne pas savoir s’il copia des fichiers cependant il résulte du dossier qu’à aucun moment les policiers ne furent seuls dans les locaux. Au moment où le policier a introduit ladite clé USB dans l’ordinateur le juriste de la requérante était présent et il ne s’y est pas opposé. Quant au rapport de police du 11 mai 2009 relatif à la perquisition, il relate que le journaliste, avec l’accord du rédacteur en chef, se déclara prêt à coopérer avec la police. Les policiers auraient alors répliqué qu’ils ne s’étaient pas attendus à une autre réaction et lui soumirent tout de même l’ordonnance du juge d’instruction, pour expliquer qu’en cas de refus de coopération, un moyen de pression aurait existé. Toujours suivant le rapport de police du 11 mai 2009, le journaliste remit volontairement son cahier de notes et une copie de l’article aux policiers. Il leur montra également volontairement et sans y avoir été invité la préparation informatique de son article et leur en proposa une copie. Finalement il leur aurait encore remis un ensemble de documents. Les policiers notèrent que les objets ainsi emportés avaient été volontairement remis et servaient exclusivement à la décharge du journaliste ; la protection des sources n’aurait à aucun moment été mise en cause. Pour conclure, ils précisèrent que l’opération, qui dura entre 12 et 15 minutes, se déroula sans pression dans une ambiance cordiale et respectueuse. Ni ce rapport de police ni le procès-verbal de saisie ne firent l’objet d’une contestation quant à leur véracité devant les juridictions internes. Le 10 mai 2009 la requérante mais aussi le journaliste saisirent la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement afin de voir annulées l’ordonnance de perquisition et de saisie litigieuse, ainsi que son exécution. Le 11 mai 2009 le juge d’instruction ordonna d’office la mainlevée de la saisie et la restitution de tous les documents et objets saisis dans le cadre de la perquisition. Le 20 mai 2009 la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement dit non fondée la demande en annulation. Par une déclaration du 29 mai 2009 la requérante et le journaliste relevèrent appel de cette décision. Le 27 octobre 2009 la chambre du conseil de la cour d’appel confirma l’ordonnance entreprise. La requérante n’a pas informé la Cour d’éventuelles suites qu’aurait connu cette perquisition. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques est libellé comme suit : Article 1 « L’Etat et les autres personnes morales de droit public répondent chacun dans le cadre de ses missions de service public de tout dommage causé par le fonctionnement défectueux de leurs services tant administratifs que judiciaires sous réserve de l’autorité de la chose jugée. Toutefois lorsqu’il serait inéquitable eu égard à la nature et à la finalité de l’acte générateur du dommage de laisser le préjudice subi à charge de l’administré indemnisation est due même en l’absence de preuve d’un fonctionnement défectueux du service à condition que le dommage soit spécial et exceptionnel et qu’il ne soit pas imputable à une faute de la victime. » Les dispositions pertinentes de la loi du 10 août 1992 relative à la protection de la jeunesse sont libellées comme suit : Article 38 « Il est interdit de publier ou de diffuser de quelque manière que ce soit les débats des juridictions de la jeunesse. Il en est de même de la publication ou de la diffusion de tous éléments qui seraient de nature à révéler l’identité ou la personnalité des mineurs qui sont poursuivis ou qui font l’objet d’une mesure prévue par la présente loi. (...) Les infractions au présent article sont punies d’un emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 euros à 10.000 euros ou d’une de ces peines seulement. » Les dispositions du Code pénal relatives à la calomnie et à la diffamation sont libellées comme suit : Article 443 « Celui qui dans les cas ci-après indiqués a méchamment imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l’honneur de cette personne ou à l’exposer au mépris public est coupable de calomnie si dans les cas où la loi admet la preuve légale du fait cette preuve n’est pas rapportée. Il est coupable de diffamation si la loi n’admet pas cette preuve. La personne responsable au sens de l’article 21 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias n’est pas (...) coupable de calomnie ou de diffamation 1) lorsque dans les cas où la loi admet la preuve légale du fait cette preuve n’est pas rapportée mais que la personne responsable au sens de l’article 21 précité sous réserve d’avoir accompli les diligences nécessaires prouve par toutes voies de droit qu’elle avait des raisons suffisantes pour conclure à la véracité des faits rapportés ainsi que l’existence d’un intérêt prépondérant du public à connaître l’information litigieuse; » L’article 21 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias est libellé comme suit : « La responsabilité civile ou pénale pour toute faute commise par la voie d’un média incombe au collaborateur s’il est connu à défaut à l’éditeur et à défaut au diffuseur. » Le code d’instruction criminelle ne prévoit pas explicitement lorsqu’une instruction judiciaire est ouverte de remise volontaire d’objets. La saisie judiciaire constitue le mode ordinaire d’appréhension d’objets requis par l’enquête. Les dispositions relatives aux perquisitions et aux saisies pertinentes du code d’instruction criminelle sont libellées comme suit : Article 51 §1 « Le juge d’instruction procède conformément à la loi à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il recueille et vérifie avec soin égal les faits et les circonstances à charge ou à décharge de l’inculpé. » Article 65 §1 « Les perquisitions sont effectuées dans tous les lieux où peuvent se trouver des objets dont la découverte serait utile à la manifestation de la vérité. » Article 66 §1 « Le juge d’instruction opère la saisie de tous les objets documents, effets et autres choses visés à l’article 31(3). » Article 31 §3 « Il saisit les objets documents et effets qui ont servi à commettre le crime ou qui étaient destinés à le commettre et ceux qui ont formé l’objet du crime de même que tout ce qui paraît avoir été le produit du crime ainsi qu’en général tout ce qui paraît utile à la manifestation de la vérité ou dont l’utilisation serait de nature à nuire à la bonne marche de l’instruction et tout ce qui est susceptible de confiscation ou de restitution. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1953 et réside à Batočina. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. Les faits de la cause Le 28 octobre 1983, au centre médical de Ćuprija (« le centre médical »), un établissement public, la requérante mit au monde un garçon en bonne santé. Du 28 au 30 octobre 1983, pendant qu’elle était au centre médical, la requérante eut des contacts réguliers avec son fils. Le 30 octobre 1983, elle fut informée par les médecins qu’elle sortirait avec son fils le lendemain. Le 30 octobre au soir, la requérante garda son bébé avec elle jusqu’à 23 heures environ, heure à laquelle on emmena le bébé dans une pièce séparée pour les nouveau-nés. C’était la pratique habituelle, et le fils de la requérante n’avait eu jusque-là aucun problème médical. Le 31 octobre 1983 vers 6 h 30, le médecin de garde informa la requérante que « son bébé était mort ». Entendant cela, la requérante se précipita dans le couloir en direction de la pièce où son fils avait passé la nuit. Toutefois, deux aides-soignantes lui bloquèrent le passage. Une infirmière tenta même de lui injecter un calmant, mais la requérante réussit à l’en empêcher. Pour finir, ne pouvant rien faire d’autre, la requérante, en état d’hébétude, quitta le centre médical. On informa par la suite sa famille que l’autopsie du bébé serait effectuée à Belgrade, raison pour laquelle on ne pouvait pas encore remettre le corps aux parents. La requérante et sa famille ne comprirent pas pourquoi l’autopsie devait être effectuée à Belgrade, car cela ne correspondait pas à la pratique habituelle du centre médical. À partir de 2001, et surtout de 2002, les médias serbes commencèrent à faire beaucoup de reportages sur de nombreux cas semblables à celui de la requérante (voir, par exemple, à l’adresse http://www.kradjabeba.org, page consultée le 29 janvier 2013). Le 24 octobre 2002, la requérante s’adressa au centre médical pour demander tous les documents pertinents relatifs au décès de son fils. Le 12 novembre 2002, le centre médical l’informa que son fils était mort le 31 octobre 1983 à 7 h 15 et que le décès était classé comme « exitus non sigmata », à savoir un décès sans indication de cause. Le centre médical déclara qu’il ne disposait d’aucun aucun renseignement car ses archives avaient depuis lors été inondées, ce qui avait provoqué la destruction de nombreux documents. Le 22 novembre 2002, en réponse à une demande de la requérante, la municipalité de Ćuprija informa celle-ci que la naissance de son fils avait été portée dans les registres municipaux, contrairement à son décès. Le 10 janvier 2003, le mari de la requérante, père de l’enfant, déposa une plainte pénale au parquet de Ćuprija. La plainte était dirigée contre le personnel du centre médical, que la requérante tenait pour responsable de « l’enlèvement de son fils ». Le 15 octobre 2003, le parquet rejeta la plainte, la jugeant non fondée, au motif qu’il « existait des preuves que [le] fils [de la requérante] était décédé le 31 octobre 1983 ». Le parquet n’avançait aucune autre raison et n’indiquait pas si une enquête préliminaire avait eu lieu. En mars 2004, la municipalité de Ćuprija réitéra ce qu’elle avait dit dans sa lettre du 22 novembre 2002. Le 29 avril 2004, le centre médical fournit à la requérante ses dossiers internes à l’appui de sa lettre du 12 novembre 2002. Le 19 septembre 2007, la municipalité de Ćuprija confirma que le décès du fils de la requérante n’avait jamais été officiellement enregistré. Le 28 décembre 2007, en réponse à sa demande antérieure, la municipalité de Ćuprija fournit à la requérante la copie de l’acte de naissance de son fils ainsi que la demande d’enregistrement de la naissance émanant du centre médical. Le corps du bébé ne fut jamais remis à la requérante ou à sa famille. Ils ne reçurent jamais de rapport d’autopsie et ne furent jamais informés de la date et de l’endroit où l’enterrement aurait eu lieu. Entre le 12 juin 2009 et le 20 juillet 2011, la clinique de Kragujevac soigna à plusieurs reprises la requérante entre autres pour divers symptômes dépressifs remontant à 1999 et en particulier à 2001. B. Les autres faits pertinents L’adoption de nouvelles procédures Lors d’une réunion organisée par le ministère de la Santé le 17 juin 2003 sur le thème de l’enterrement de nouveau-nés morts à l’hôpital, il fut notamment décidé que les corps ne pourraient être remis aux parents que si ceux-ci avaient signé un formulaire spécial conçu à cet effet. En réponse à une demande qui leur était expressément adressée par la compagnie nationale des pompes funèbres (JKP Pogrebne usluge), tous les établissements publics de santé de Belgrade acceptèrent en outre, le 17 octobre 2003, de mettre en œuvre une procédure prévoyant qu’une déclaration spéciale devait être signée : a) par les parents, ou d’autres membres de la famille, indiquant qu’ils avaient été informés du décès par l’hôpital et qu’ils prendraient personnellement des dispositions en vue de l’enterrement, ou b) par une entité juridique, ou son représentant, indiquant qu’elle se chargerait de ces dispositions puisque d’autres personnes avaient refusé ou n’étaient pas en mesure de le faire. En l’absence de telles déclarations, la compagnie nationale des pompes funèbres refuserait d’aller chercher les corps dans les hôpitaux. Le rapport parlementaire du 14 juillet 2006 (Izveštaj o radu anketnog odbora obrazovanog radi utvrđivanja istine o novorođenoj deci nestaloj iz porodilišta u više gradova Srbije) En 2005, des centaines de parents se trouvant dans une situation identique à celle de la requérante, c’est-à-dire des parents dont les nouveau-nés avaient « disparu » après qu’on leur eut annoncé leur décès dans des services hospitaliers, principalement dans les années 1970, 1980 et 1990, s’adressèrent au Parlement serbe pour demander réparation. Le 14 juillet 2006, le Parlement adopta un rapport préparé par la commission d’enquête mise en place dans ce but. Dans ses conclusions, le rapport indiquait entre autres : a) qu’il y avait de graves lacunes dans la législation applicable à l’époque, ainsi que dans les procédures devant les différents organes de l’État et autorités sanitaires, b) que cette situation justifiait que les parents aient des doutes/préoccupations quant à ce qui était réellement arrivé à leurs enfants, c) qu’aucun recours pénal ne pouvait à ce jour être effectif en raison du délai de prescription applicable (paragraphe 34 ci-dessous), et d) qu’un effort concerté de la part de tous les organes de l’État, ainsi que des amendements à la législation pertinente, étaient ainsi nécessaires afin de fournir aux parents un redressement adéquat. Les déclarations du président du Parlement Le 16 avril 2010, les médias locaux rapportèrent que le président du Parlement serbe avait déclaré qu’un groupe de travail parlementaire était sur le point d’être constitué afin de préparer une nouvelle loi visant à fournir un redressement aux parents de « bébés disparus ». Le rapport du médiateur du 29 juillet 2010 (Izveštaj zaštitnika građana o slučajevima tzv. “nestalih beba” sa preporukama) À la suite d’une enquête approfondie sur la question, le médiateur conclut notamment que : a) à l’époque, il n’existait pas de procédure ou de mesure d’application de la loi cohérente quant à la marche à suivre en cas de décès d’un nouveau-né à l’hôpital ; b) l’avis prévalant dans le corps médical était qu’il fallait épargner aux parents la souffrance morale de devoir enterrer leur nouveau-né, raison pour laquelle il était tout à fait possible que certains couples aient été délibérément privés de la possibilité de le faire ; c) les rapports d’autopsie, quand il y en avait, étaient généralement incomplets, non concluants et d’une véracité hautement sujette à caution ; d) on ne pouvait donc exclure que les bébés en question aient en réalité été retirés illégalement à leur famille ; e) les réponses fournies par le Gouvernement plus récemment, entre 2006 et 2010, était insuffisantes ; et f) les parents avaient donc toujours le droit de connaître la vérité quant au sort qu’avaient réellement connu leurs enfants, résultat auquel on ne pouvait parvenir que par l’adoption d’une lex specialis. Le rapport du groupe de travail remis au Parlement le 28 décembre 2010 (Izveštaj o radu radne grupe za izradu predloga zakona radi stvaranja formalno-pravnih uslova za postupanje nadležnih organa po prijavama o nestanku novorođene dece iz porodilišta) En réponse aux conclusions et recommandations contenues dans le rapport parlementaire du 14 juillet 2006 (paragraphes 26-27 ci-dessus), le Parlement mit en place le 5 mai 2010 un groupe de travail (paragraphe 28 ci-dessus), chargé d’évaluer la situation et de proposer des amendements législatifs. Le 28 décembre 2010, ce groupe de travail présenta son rapport au Parlement. À la suite d’une analyse détaillée de la législation en vigueur, déjà amendée, il conclut qu’aucun changement ne s’imposait sauf pour ce qui concernait la collecte et l’utilisation de données médicales, mais qu’une nouvelle loi sur cette question était déjà en préparation (nacrt Zakona o evidencijama u oblasti zdravstva). Le groupe de travail nota en particulier que l’article 34 de la Constitution empêchait d’allonger le délai de prescription pour les poursuites pénales s’agissant d’infractions commises dans le passé et même de créer de nouvelles infractions pénales plus graves et/ou des peines plus sévères pour les réprimer (paragraphe 32 ci-dessous). Il ajouta que le code pénal en vigueur prévoyait cependant déjà plusieurs infractions pénales pertinentes pour la question, tandis que la nouvelle loi sur les soins médicaux contenait une procédure détaillée rendant impossible l’enlèvement illégal de nouveau-nés se trouvant dans des services hospitaliers (paragraphes 35 et 41 ci-dessous). II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La Constitution de la République de Serbie (Ustav Republike Srbije, publiée au Journal officiel de la République de Serbie (JO RS) no 98/06) L’article 34 de la Constitution est ainsi libellé : « Nul ne peut être condamné pour une action qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit ou d’après toute autre législation fondée sur le droit. De même il n’est infligé aucune peine qui n’était pas prévue pour pareille action au moment où elle a été commise. Les peines sont fixées conformément à la législation en vigueur au moment où l’action a été commise, sauf lorsque la législation ultérieure est plus favorable à l’auteur de l’infraction. Les infractions pénales et les peines sont fixées par la loi. » B. Le code pénal de 1977 de la République socialiste de Serbie (Krivični zakon Socijalističke Republike Srbije, publié aux numéros 26/77, 28/77, 43/77 et 20/79 du Journal officiel de la République socialiste de Serbie) L’article 116 disposait notamment que toute personne qui avait illégalement retenu ou enlevé un enfant mineur à ses parents était passible d’une peine d’emprisonnement de un à dix ans. C. Le code pénal de 1976 de la République fédérative socialiste de Yougoslavie (Krivični zakon Socijalističke Federativne Republike Jugoslavije, publié aux numéros 44/76, 36/77, 34/84, 37/84, 74/87, 57/89, 3/90, 38/90, 45/90 et 54/90 du Journal officiel de la République fédérative socialiste de Yougoslavie (JO SFRY), aux numéros 35/92, 16/93, 31/93, 37/93, 24/94 et 61/01 du Journal officiel de la République fédérative de Yougoslavie, et au numéro 39/03 du JO RS) Les articles 95 et 96 disposaient notamment que, s’agissant de l’infraction prévue à l’article 116 du code pénal de la République socialiste de Serbie, il n’était plus possible d’entamer ni même de continuer des poursuites pénales si un délai de plus de vingt ans s’était écoulé depuis le moment où l’infraction avait été commise. D. Le code pénal de 2005 de la République de Serbie (Krivični zakonik, publié aux numéros 85/05, 88/05, 107/05, 72/09 et 111/09 du JO RS) Les articles 191, 192, 388 et 389 érigent en infraction différentes formes d’enlèvement d’enfant et de trafic d’êtres humains, y compris à des fins d’adoption. E. La loi sur les obligations (Zakon o obligacionim odnosima, publiée aux numéros 29/78, 39/85, 45/89, 57/89 et 31/93 du JO SFRY) Les articles 199 et 200 disposent entre autres que toute personne qui a connu peur, souffrance physique voire souffrance morale du fait de la violation de ses « droits individuels » (prava ličnosti) a le droit, en fonction de la durée et de l’intensité de ces souffrances, de saisir les tribunaux civils d’une action en indemnisation et de solliciter d’autres formes de réparation « pouvant être de nature » à lui offrir une satisfaction morale adéquate. L’article 376 §§ 1 et 2 dispose qu’une action fondée sur les dispositions précitées peut être intentée dans les trois ans à compter de la date à laquelle la partie lésée a eu connaissance du préjudice ainsi que de l’auteur de l’acte mais que, en tout état de cause, une telle action ne peut pas être engagée au-delà d’un délai de cinq ans à compter de l’événement lui-même. L’article 377 § 1 énonce de plus que, si le préjudice découle d’une infraction pénale, le délai de prescription au civil peut être prolongé de façon à correspondre au délai de prescription prévu au pénal. F. La jurisprudence interne pertinente Le 4 juin 1998, la Cour suprême (Rev. 251/98) a dit que les délais de prescription au civil relatifs à diverses formes de préjudice moral (paragraphes 36-38 ci-dessus) ne commencent à courir qu’après que la situation dénoncée a pris fin (kada su pojedini vidovi neimovinske štete dobili oblik konačnog stanja). Le 21 avril 2004, la Cour suprême (Rev. 229/04) a également dit que les « droits individuels », au sens de la loi sur les obligations, englobent notamment le droit au respect de la vie familiale. G. La loi sur la santé (Zakon o zdravstvenoj zaštiti, publiée aux numéros 107/05, 72/09, 88/10 et 99/10 du JO RS) Les articles 219 à 223 renferment des dispositions détaillées concernant la détermination du moment et de la cause du décès d’un nouveau-né se trouvant encore à l’hôpital. Plus précisément, l’hôpital doit informer la famille aussitôt que possible et lui donner accès au corps. Une autopsie doit être pratiquée et un prélèvement biologique conservé pour un usage futur. La police doit être informée lorsque la cause de la mort n’a pu être établie, les autorités municipales devant pour leur part être informées dans tous les cas.
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Le requérant est né en 1948 et réside à Tarsus. Le 7 octobre 1999, le requérant introduisit une action contre une banque devant le tribunal commercial d’Adana. Dans l’intervalle, la banque ne pouvant plus honorer ses engagements, son contrôle et son administration furent transférés au Fonds de garantie des dépôts bancaires, sur la décision du Conseil de la régulation et du contrôle bancaire. Le 3 octobre 2003, dans le cadre de la procédure d’exécution, le tribunal donna partiellement gain de cause au requérant mais rejeta sa demande d’indemnisation à hauteur de 40 %. Le 3 décembre 2004, la Cour de cassation confirma ce jugement. Le 5 juillet 2005, la Cour de cassation rejeta le recours en rectification. Le 14 octobre 2005, cet arrêt fut notifié au requérant.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1942 et réside à Ankara. Le requérant est docteur en droit et président général du Parti des travailleurs de Turquie. Les 7 mai, 22 juillet et 18 septembre 2005, à Lausanne (canton de Vaud), Opfikon (canton de Zürich) et Köniz (canton de Berne), respectivement, il participa à diverses conférences au cours desquelles il nia publiquement l’existence de tout génocide perpétré par l’Empire ottoman contre le peuple arménien en 1915 et dans les années suivantes. Il qualifia notamment de « mensonge international » l’idée d’un génocide arménien. Ses propos avaient été tenus dans différents contextes : il s’était exprimé à Lausanne lors d’une conférence de presse (en turc), à Opfikon au cours d’une conférence tenue dans le cadre de la commémoration du Traité de Lausanne de 1923 et à Köniz à l’occasion d’une réunion de son parti. Le 15 juillet 2005, l’association Suisse-Arménie porta plainte contre le requérant pour le contenu des propos susmentionnés. Par un jugement du 9 mars 2007, le Tribunal de police de l’arrondissement de Lausanne reconnut le requérant coupable de discrimination raciale au sens de l’art. 261bis, al. 4, du code pénal suisse (paragraphe 14 ci-dessous) et le condamna à une peine de 90 jours-amende à 100 francs suisses (CHF) (environ 85 euros (EUR)), assortie d’un sursis de deux ans, au paiement d’une amende de 3 000 CHF (environ 2 500 EUR) substituable par 30 jours de privation de liberté, ainsi qu’au paiement d’une indemnité pour tort moral de 1 000 CHF (environ 850 EUR) en faveur de l’association Suisse-Arménie. Il constata que le génocide arménien était un fait avéré selon l’opinion publique helvétique aussi bien que de manière plus générale. Il se référa pour cela à différents actes parlementaires (notamment au postulat de Buman ; voir paragraphe 16 ci-dessous), à des publications juridiques ainsi qu’à différentes déclarations émanant des autorités politiques fédérales et cantonales. Par ailleurs, il évoqua également la reconnaissance de ce génocide par diverses instances internationales, telles que le Conseil de l’Europe et le Parlement européen. Il conclut en outre que les mobiles poursuivis par le requérant s’apparentaient à des mobiles racistes et ne relevaient pas du débat historique. Le requérant interjeta un recours contre ce jugement. Il demanda principalement l’annulation de ce dernier et un complément d’instruction portant notamment sur l’état des recherches et la position des historiens sur la question arménienne. Le 13 juin 2007, la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud rejeta le recours interjeté par le requérant contre ce jugement. Selon elle, à l’instar du génocide juif, le génocide arménien était, à la date de l’adoption de l’article 261bis, al. 4, du code pénal suisse, un fait historique, reconnu comme avéré par le législateur suisse. Par conséquent, les tribunaux n’avaient pas à recourir aux travaux d’historiens pour admettre son existence. Le tribunal cantonal souligna de plus que le requérant s’était contenté de nier la qualification de génocide, sans jamais remettre en question l’existence des massacres et déportations d’Arméniens. Le requérant forma contre cette décision un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral. Il demanda principalement la réforme de l’arrêt entrepris dans le sens de son acquittement et sa libération de toute condamnation sur le plan tant civil que pénal. En substance, il reprochait aux deux autorités cantonales, sous l’angle tant de l’application de l’art. 261bis, al. 4, du code pénal suisse que de la violation des droits fondamentaux qu’il alléguait, de ne pas avoir procédé à une instruction suffisante quant à la matérialité des circonstances de fait permettant de qualifier de génocide les événements de 1915. Par un arrêt du 12 décembre 2007 (ATF 6B_398/2007), dont voici les extraits pertinents, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant : « 3.1 L’art. 261bis al. 4 CP réprime le comportement de celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Dans une première approche littérale et grammaticale, on peut constater que la formulation de la loi (par l’utilisation de l’article indéfini « un génocide »), ne fait expressément référence à aucun événement historique précis. La loi n’exclut donc pas la répression de la négation d’autres génocides que celui commis par le régime nazi; elle ne qualifie pas non plus expressément la négation du génocide arménien au plan pénal comme acte de discrimination raciale. 2 L’art. 261bis al. 4 CP a été adopté lors de l’adhésion de la Suisse à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965 (RS 0.104). Dans sa formulation initiale, le texte du projet de loi du Conseil fédéral ne faisait aucune mention expresse de la négation de génocides (v. FF 1992 III 326). L’incrimination du révisionnisme, respectivement de la négation de l’holocauste, devait être incluse dans le fait constitutif de déshonorer la mémoire d’un défunt figurant à l’alinéa 4 du projet d’article 261bis CP (Message du Conseil fédéral du 2 mars 1992 concernant l’adhésion de la Suisse à la convention internationale de 1965 sur l’élimination de toutes formes de discrimination raciale et la révision y relative du droit pénal; FF 1992 III 265 ss, spéc. 308 s.). Ce message ne comporte aucune référence expresse aux événements de 1915. Lors des débats parlementaires, la Commission des affaires juridiques du Conseil national proposa d’ajouter à l’art. 261bis al. 4 CP le texte « [...] ou qui pour la même raison, minimisera grossièrement ou cherchera à disculper le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité » [...]. Le rapporteur de langue française de la commission, le Conseiller national Comby, précisa qu’il y avait une confusion entre le texte allemand et le texte français en indiquant que l’on parlait évidemment de tout génocide, et non seulement de l’holocauste (BO/CN 1992 II 2675 s.). Le projet de la commission n’en fut pas moins adopté par le Conseil national dans la forme proposée (BO/CN 1992 II 2676). Devant le Conseil des États, la proposition de la commission des affaires juridiques de ce conseil d’adhérer à la formulation de l’art. 261bis al. 4 CP adoptée par le Conseil national fut opposée à une proposition Küchler, qui ne remettait cependant pas en question la phrase « ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier le génocide ou d’autres crimes contre l’humanité » (BO/CE 1993 96; sur la portée de cette proposition, v. consid. 3c p. 208 ainsi que Poncet, ibidem). Cette proposition fut adoptée sans qu’il ait été fait plus ample référence à la négation du génocide arménien durant le débat. Lors de l’élimination des divergences, la Commission des affaires juridiques du Conseil national proposa, par l’intermédiaire de M. Comby, d’adopter les modifications introduites par le Conseil des États, à l’exception du 4e paragraphe, où elle proposait de parler « d’un génocide », en faisant allusion à tous ceux qui peuvent se produire. Le rapporteur de langue française relevait que plusieurs personnes avaient parlé notamment des massacres kurdes ou d’autres populations, par exemple des Arméniens, tous ces génocides devant entrer en ligne de compte (BO/CN 1993 I 1075 s.). Il fut encore brièvement fait allusion à la définition du génocide et à la manière selon laquelle un citoyen turc s’exprimerait à propos du drame arménien ainsi qu’au fait que la disposition ne devait pas viser, dans l’esprit de la commission un seul génocide, mais tous les génocides, notamment en Bosnie Herzégovine (BO/CN 1993 I 1077; intervention Grendelmeier). En définitive, le Conseil national adopta le texte de l’alinéa 4 dans la formulation suivante: « [...] toute autre manière, porte atteinte à la dignité humaine d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou qui, pour la même raison, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide » (BO/CN 1993 I 1080). Dans la suite des travaux parlementaires, le Conseil des États maintint sa position, en adoptant à titre de simple modification rédactionnelle du texte français la locution « un génocide », et le Conseil national se rallia finalement à la décision du Conseil des États, sans que soit à nouveau évoquée la négation du génocide arménien (BO/CN 1993 I 1300, 1451; BO/CE 1993 452, 579). Il ressort ainsi clairement de ces travaux préparatoires que l’art. 261bis al. 4 CP ne vise pas exclusivement la négation des crimes nazis mais également d’autres génocides. [...] 4 On ne peut en revanche interpréter ces travaux préparatoires en ce sens que la norme pénale viserait certains génocides déterminés que le législateur avait en vue au moment de l’édicter, comme le suggère l’arrêt entrepris. 4.1 La volonté de combattre les opinions négationnistes et révisionnistes en relation avec l’holocauste a certes constitué un élément central dans l’élaboration de l’art. 261bis al. 4 CP. Dans sa jurisprudence, le Tribunal fédéral a cependant jugé que la négation de l’holocauste réalise objectivement l’état de fait incriminé par l’art. 261bis al. 4 CP parce qu’il s’agit d’un fait historique généralement reconnu comme établi ( consid. 3.4.4, p. 104 s.), sans qu’il ait été fait référence dans cet arrêt à la volonté historique du législateur. Dans le même sens, de nombreux auteurs y voient un fait notoire pour l’autorité pénale (Vest, Delikte gegen den öffentlichen Frieden, n. 93, p. 157), un fait historique indiscutable (Rom, op. cit., p. 140), une qualification (« génocide ») qui ne fait aucun doute (Niggli, Discrimination raciale, n. 972, p. 259, qui relève simplement que ce génocide a été à l’origine de la création de la norme; dans le même sens: Guyaz, op. cit. p. 305). Seules quelques rares voix ne font référence qu’à la volonté du législateur de reconnaître le fait comme historique (v. p. ex.: Ulrich Weder, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Kommentar [Andreas Donatsch Hrsg.], Zurich 2006, Art. 261bis al. 4, p. 327 ; Chaix/Bertossa, op. cit., p. 184). 4.2 La démarche consistant à rechercher quels génocides le législateur avait en vue lors de l’édiction de la norme se heurte par ailleurs déjà à l’interprétation littérale (v. supra consid. 3.1), qui démontre clairement la volonté du législateur de privilégier sur ce point une formulation ouverte de la loi, par opposition à la technique des lois dites « mémorielles » adoptées notamment en France (loi no 90-615 du 13 juillet 1990, dite loi Gayssot; loi nº 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, dite Loi Taubira; loi no2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915). L’incrimination de la négation de l’holocauste au regard de l’art. 261bis al. 4 CP repose ainsi moins sur l’intention du législateur au moment où il a édicté la norme pénale de viser spécifiquement le négationnisme et le révisionnisme que sur la constatation qu’il existe sur ce point un consensus très général, duquel le législateur participait sans nul doute possible. Il n’y a donc pas de raison non plus de rechercher si une telle intention animait le législateur en ce qui concerne le génocide arménien (contra: Niggli, Rassendiskriminierung, 2e éd., Zurich 2007, n. 1445 s., p. 447 s.). On doit au demeurant constater sur ce point que si certains éléments du texte ont été âprement discutés par les parlementaires, la qualification des événements de 1915 n’a fait l’objet d’aucun débat dans ce contexte et n’a, en définitive été invoquée que par deux orateurs pour justifier l’adoption d’une version française de l’art. 261bis al. 4 CP ne permettant pas une interprétation exagérément limitative du texte, que la version allemande n’imposait pas. 4.3 Doctrine et jurisprudence ont, par ailleurs, déduit du caractère notoire, incontestable ou indiscutable de l’holocauste qu’il n’a plus à être prouvé dans le procès pénal (Vest, ibidem; Schleiminger, op. cit., art. 261bis CP, n. 60). Les tribunaux n’ont donc pas à recourir aux travaux d’historiens sur ce point (Chaix/Bertossa, ibidem; arrêt non publié 6S.698/2001 consid. 2.1). Le fondement ainsi déterminé de l’incrimination de la négation de l’holocauste dicte, en conséquence également, la méthode qui s’impose au juge lorsqu’il s’agit de la négation d’autres génocides. La première question qui se pose dès lors est de savoir s’il existe un consensus comparable en ce qui concerne les faits niés par le recourant. La question ainsi posée relève du fait. Elle porte moins directement sur la qualification comme génocide des massacres et déportations imputés à l’Empire ottoman que sur l’appréciation portée généralement sur cette qualification, dans le public et au sein de la communauté des historiens. C’est ainsi qu’il faut comprendre la démarche adoptée par le tribunal de police, qui a souligné qu’il ne lui incombait pas de faire l’histoire, mais de rechercher si ce génocide est « connu et reconnu », voire « avéré » (jugement, consid. II, p. 14) avant d’acquérir sa conviction sur ce dernier point de fait (jugement, consid. II, p. 17), qui fait partie intégrante de l’arrêt cantonal (arrêt cantonal, consid. B p. 2). 1 Une telle constatation de fait lie le Tribunal fédéral [...]. 2 En ce qui concerne le point de fait déterminant, le tribunal de police a fondé sa conviction non seulement sur l’existence de déclarations de reconnaissance politiques, mais il a également souligné que la conviction des autorités dont elles émanent a été forgée sur la base de l’avis d’experts (notamment un collège d’une centaine d’historiens en ce qui concerne l’Assemblée nationale française lors de l’adoption de la loi du 29 janvier 2001) ou de rapports qualifiés de fortement argumentés et documentés (Parlement européen). Aussi, en plus de s’appuyer sur l’existence de reconnaissances politiques, cette argumentation constate, dans les faits, l’existence d’un large consensus de la communauté, que traduisent les déclarations politiques, et qui repose lui-même sur un large consensus scientifique sur la qualification des faits de 1915 comme génocide. On peut y ajouter, dans le même sens, que lors du débat qui a conduit le Conseil national à reconnaître officiellement le génocide arménien, il a été fait référence aux travaux de recherche internationaux publiés sous le titre « Der Völkermord an den Armeniern und die Shoah » (BO/CN 2003 2017; intervention Lang). Enfin, le génocide arménien constitue l’un des exemples présentés comme « classiques » dans la littérature générale consacrée au droit pénal international, respectivement à la recherche sur les génocides (v. Marcel Alexander Niggli, Rassendiskriminierung, n. 1418 s., p. 440 et les très nombreuses références citées; v. aussi n. 1441 p. 446 et les références). 3 Dans la mesure où l’argumentation du recourant tend à contester l’existence d’un génocide ou la qualification juridique des événements de 1915 comme génocide - notamment en soulignant l’absence de jugement émanant d’un tribunal international ou de commissions spécialisées, respectivement l’absence de preuves irréfutables établissant que les faits correspondants aux conditions objectives et subjectives posées par l’art. 264 CP ou à celles de la Convention ONU de 1948, en soutenant qu’il n’y aurait en l’état que trois génocides internationalement reconnus -, elle est sans pertinence pour la solution du litige, dès lors qu’il s’agit de déterminer tout d’abord s’il existe un consensus général, historique en particulier, suffisant pour exclure du débat pénal sur l’application de l’art. 261bis al. 4 CP le débat historique de fond sur la qualification des événements de 1915 comme génocide. Il en va de même en tant que le recourant reproche à la cour cantonale d’être tombée dans l’arbitraire en n’examinant pas les moyens de nullité soulevés dans le recours cantonal, en relation avec les mêmes faits et les mesures d’instruction qu’il avait requises. Il n’y a donc lieu d’examiner son argumentation qu’en tant qu’elle porte spécifiquement sur la constatation de ce consensus. 4 Le recourant relève qu’il a requis que l’instruction soit complétée quant à l’état actuel des recherches et la position actuelle des historiens dans le monde sur la question arménienne. Il ressort également ça et là de ses écritures qu’il considère qu’il n’y a pas d’unanimité ou de consensus des États, d’une part, et des historiens, d’autre part, quant à la qualification des faits de 1915 comme génocide. Son argumentation s’épuise cependant à opposer sa propre conviction à celle de l’autorité cantonale. Il ne cite, en particulier, aucun élément précis qui démontrerait l’inexistence du consensus constaté par le tribunal de police, moins encore qui démontrerait l’arbitraire de cette constatation. Le recourant indique certes que nombre d’États ont refusé de reconnaître l’existence d’un génocide arménien. Il convient cependant de rappeler, sur ce point, que même la résolution 61/L.53 de l’ONU votée en janvier 2007 et condamnant la négation de l’holocauste n’a réuni que 103 voix parmi les 192 États membres. Le seul constat que certains États refusent de déclarer sur la scène internationale qu’ils condamnent la négation de l’holocauste, ne suffit de toute évidence pas à remettre en cause l’existence d’un consensus très général sur le caractère génocidaire de ces actes. Consensus ne signifie pas unanimité. Le choix de certains États de ne pas condamner publiquement l’existence d’un génocide ou de ne pas adhérer à une résolution condamnant la négation d’un génocide peut être dicté par des considérations politiques sans relations directes avec l’appréciation réelle portée par ces États sur la manière dont les faits historiques doivent être qualifiés et ne permet pas, en particulier, de remettre en question l’existence d’un consensus sur ce point, notamment au sein de la communauté scientifique. 5 Le recourant relève également qu’il serait à son avis contradictoire pour la Suisse de reconnaître l’existence du génocide arménien et de soutenir, dans ses relations avec la Turquie, la création d’une commission d’historiens. Cela démontrerait selon lui que l’existence d’un génocide n’est pas établie. On ne peut toutefois déduire ni du refus répété du Conseil fédéral de reconnaître, par une déclaration officielle, l’existence d’un génocide arménien, ni de la démarche choisie, consistant à soutenir auprès des autorités turques la création d’une commission internationale d’experts que la constatation selon laquelle il existerait un consensus général sur la qualification de génocide serait arbitraire. Selon la volonté clairement exprimée du Conseil fédéral, sa démarche est guidée par le souci d’amener la Turquie à opérer un travail de mémoire collective sur son passé (BO/CN 2001 168: réponse du Conseiller fédéral Deiss au postulat Zisyadis; BO/CN 2003 2021 s.: réponse de la Conseillère fédérale Calmy-Rey au Postulat Vaudroz - Reconnaissance du génocide des Arméniens de 1915). Cette attitude d’ouverture au dialogue ne peut être interprétée comme la négation de l’existence d’un génocide et rien n’indique que le soutien exprimé en 2001 par le Conseil fédéral à la création d’une commission d’enquête internationale n’aurait pas procédé de la même démarche. On ne peut en déduire, de manière générale, qu’il existerait un doute suffisant dans la communauté, scientifique en particulier, sur la réalité du caractère génocidaire des faits de 1915 pour rendre la constatation de ce consensus arbitraire. 6 Cela étant, le recourant ne démontre pas en quoi le tribunal de police serait tombé dans l’arbitraire en constatant qu’il existe un consensus général, scientifique notamment, sur la qualification des faits de 1915 comme génocide. Il s’ensuit que les autorités cantonales ont, à juste titre, refusé de souscrire à la démarche du recourant tendant à ouvrir un débat historico-juridique sur ce point. Au plan subjectif, l’infraction sanctionnée par l’art. 261bis al. 1 et 4 CP suppose un comportement intentionnel. Aux consid. 4c p. 210 et 124 IV 121 consid. 2b p. 125, le Tribunal fédéral a jugé que ce comportement intentionnel devait être dicté par des mobiles de discrimination raciale. Cette question débattue en doctrine a ensuite été laissée ouverte aux consid. 1d, spéc. p. 26 et 127 IV 203 consid. 3, p. 206. Elle peut demeurer ouverte en l’espèce également, comme on le verra. 1 En ce qui concerne l’intention, le tribunal correctionnel a retenu que le requérant, docteur en droit, politicien, soi-disant écrivain et historien, avait agi en toute connaissance de cause, déclarant qu’il ne changerait jamais de position, même si une commission neutre affirmait un jour que le génocide des Arméniens a bel et bien existé. Ces constatations de la volonté interne du recourant de nier un génocide relèvent du fait (, consid. 2, 77, consid. 1c, 109 IV 47 consid. 1, 104 IV 36 consid. 1 et cit.), si bien que le Tribunal fédéral est lié sur ce point (art. 105 al. 1 LTF). Le recourant ne formule d’ailleurs aucun grief à ce propos. Il ne tente pas de démontrer que ces constatations de fait seraient arbitraires ou procéderaient d’une violation de ses droits de niveau constitutionnel ou conventionnel, si bien qu’il n’y a pas lieu d’examiner cette question (art. 106 al. 2 LTF). On ne voit pas, pour le surplus, que les autorités cantonales, qui ont déduit l’intention du recourant d’éléments extérieurs (cf. consid. 8.4 p. 62) auraient méconnu sur ce point la notion même d’intention du droit fédéral. 2 Quant aux mobiles du recourant, le Tribunal correctionnel a retenu qu’ils s’apparentaient à des mobiles racistes et nationalistes et ne relevaient pas du débat historique, en soulignant en particulier qu’il décrivait les Arméniens comme étant les agresseurs du peuple turc et qu’il se réclamait lui-même de [Talat] Pacha, qui fut historiquement, avec ses deux frères, l’initiateur, l’instigateur et le moteur du génocide des Arméniens (jugement, consid. II, p. 17 s.). Il n’est pas contesté en l’espèce que la communauté arménienne constitue un peuple, soit tout au moins une ethnie (sur la notion, v. : Niggli, Rassendiskriminierung, 2e éd., n. 653 p. 208), qui se reconnaît en particulier dans son histoire marquée par les événements de 1915. Il s’ensuit que la négation du génocide arménien - respectivement la représentation prônée par le recourant du peuple arménien comme agresseur - constitue déjà une atteinte à l’identité des membres de cette communauté (Schleiminger, op. cit., art. 261bis CP, n. 65 et la référence à Niggli). Le Tribunal correctionnel, qui a retenu l’existence de mobiles s’apparentant au racisme a, par ailleurs, exclu que la démarche du recourant ressortît au débat historique. Ces constatations de fait, au sujet desquelles le recourant n’élève aucun grief (art. 106 al. 2 LTF) lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF). Elles démontrent suffisamment l’existence de mobiles qui, en plus du nationalisme, ne peuvent relever que de la discrimination raciale, respectivement ethnique. Il n’est dès lors pas nécessaire de trancher en l’espèce le débat doctrinal évoqué au consid. 6 ci-dessus. Pour le surplus, le recourant n’élève non plus aucun grief relatif à l’application du droit fédéral sur ce point. Le recourant invoque encore la liberté d’expression garantie par l’art. 10 CEDH, en relation avec l’interprétation donnée par les autorités cantonales à l’art. 261bis al. 4 CP. Il ressort cependant des procès-verbaux d’audition du recourant par le Ministère public de Winterthur/Unterland (23 juillet 2005), qu’en s’exprimant en public, à Glattbrugg notamment, le recourant entendait « aider le peuple suisse et le Conseil national à corriger l’erreur » (ndr: la reconnaissance du génocide arménien). Il connaissait par ailleurs l’existence de la norme sanctionnant la négation d’un génocide et a déclaré qu’il ne changerait jamais de position, même si une commission neutre affirmait un jour que le génocide des Arméniens a bel et bien existé (jugement, consid. II, p. 17). On peut déduire de ces éléments que le recourant n’ignorait pas qu’en qualifiant le génocide arménien de « mensonge international » et en déniant explicitement aux faits de 1915 la qualification de génocide, il s’exposait en Suisse à une sanction pénale. Le recourant ne peut dès lors rien déduire en sa faveur de l’absence de prévisibilité de la loi qu’il invoque. Ces éléments permettent en outre de retenir que le recourant tente essentiellement, par une démarche de provocation, d’obtenir des autorités judiciaires suisses une confirmation de ses thèses, au détriment des membres de la communauté arménienne, pour lesquels cette question joue un rôle identitaire central. La condamnation du recourant tend ainsi à protéger la dignité humaine des membres de la communauté arménienne, qui se reconnaissent dans la mémoire du génocide de 1915. La répression de la négation d’un génocide constitue enfin une mesure de prévention des génocides au sens de l’art. I de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide conclue à New-York le 9 décembre 1948, approuvée par l’Assemblée fédérale le 9 mars 2000 (RS 0.311.11). On doit, au demeurant constater que le recourant ne conteste l’existence ni des massacres ni des déportations (v. supra consid. A), que l’on ne peut qualifier, même en faisant preuve de réserve, que comme des crimes contre l’humanité (Niggli, Discrimination raciale, n. 976, p. 262). Or, la justification de tels crimes, fût-ce au nom du droit de la guerre ou de prétendues raisons sécuritaires, tombe déjà sous le coup de l’art. 261bis al. 4 CP, si bien que même considérée sous cet angle et indépendamment de la qualification de ces mêmes faits comme génocide, la condamnation du recourant en application de l’art. 261bis al. 4 CP n’apparaît pas arbitraire dans son résultat, pas plus qu’elle ne viole le droit fédéral. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Le droit et la pratique internes pertinents L’article 261bis du code pénal, qui réprime la discrimination raciale, est libellé comme suit : « Celui qui, publiquement, aura incité à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ; celui qui, publiquement, aura propagé une idéologie visant à rabaisser ou à dénigrer de façon systématique les membres d’une race, d’une ethnie ou d’une religion ; celui qui, dans le même dessein, aura organisé ou encouragé des actions de propagande ou y aura pris part ; celui qui aura publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaissé ou discriminé d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur race, de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou qui, pour la même raison, niera, minimisera grossièrement ou cherchera à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité; celui qui aura refusé à une personne ou à un groupe de personnes, en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse, une prestation destinée à l’usage public, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » En son article 264, intitulé « Génocide », le code pénal définit comme suit cette infraction : « Sera puni d’une peine privative de liberté à vie ou d’une peine privative de liberté de dix ans au moins celui qui, dans le dessein de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, racial, religieux ou ethnique : a. aura tué des membres du groupe ou aura fait subir une atteinte grave à leur intégrité physique ou mentale ; b. aura soumis les membres du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; c. aura ordonné ou pris des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; d. aura transféré ou fait transférer de force des enfants du groupe à un autre groupe. Est également punissable celui qui aura agi à l’étranger, s’il se trouve en Suisse et qu’il ne peut être extradé. L’art. 6bis, ch. 2, est applicable. Les dispositions relatives à l’autorisation de poursuivre qui figurent à l’art. 366, al. 2, let. b, aux art. 14 et 15 de la loi du 14 mars 1958 sur la responsabilité et aux art. 1 et 4 de la loi du 26 mars 1934 sur les garanties politiques ne sont pas applicables au génocide. » Le postulat no 02.3069, déposé au Conseil national par M. Dominique de Buman le 18 mars 2002 et accepté par le Conseil national le 16 décembre 2003 par 107 voix contre 67, est libellé comme suit : « Le Conseil national reconnaît le génocide des Arméniens de 1915. Il demande au Conseil fédéral d’en prendre acte et de transmettre sa position par les voies diplomatiques usuelles. » Par un jugement du 14 septembre 2001, le requérant et 11 autres ressortissants turcs furent acquittés par le tribunal d’arrondissement de Berne-Laupen des chefs d’accusation de négation de génocide au sens de l’article 261bis du code pénal. Ce tribunal estima que l’intention de discriminer faisait défaut chez les accusés. La cour d’appel du canton de Berne, puis le Tribunal fédéral le 7 novembre 2002, déclarèrent irrecevables l’appel et le recours respectivement formés contre ce jugement. B. Le droit et la pratique internationaux Les articles pertinents de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 sont libellés comme suit : Article premier « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir. Article 2 Dans la présente Convention, le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ciaprès, commis dans l’intention de détruire ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. » Article 3 Seront punis les actes suivants : a) Le génocide ; b) L’entente en vue de commettre le génocide ; c) L’incitation directe et publique à commettre le génocide ; d) La tentative de génocide ; e) La complicité dans le génocide. Article 5 Les Parties contractantes s’engagent à prendre, conformément à leurs constitutions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III. » L’article 6 du Statut du Tribunal militaire international, annexé à l’Accord de Londres du 8 août 1945, réprimait les crimes contre la paix (alinéa a), les crimes de guerre (alinéa b) et les crimes contre l’humanité (alinéa c). Il est libellé comme suit dans sa partie pertinente : Article 6 « Les actes suivants, ou l’un quelconque d’entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle : (...) c) Les ‘Crimes contre l’humanité’: c’est-à-dire l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime. » Les dispositions du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté le 17 juillet 1998 et entré en vigueur au regard de la Suisse le 1er juillet 2002, sont libellées comme il suit : La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l’égard des crimes suivants : a) le crime de génocide ; b) les crimes contre l’humanité ; c) les crimes de guerre ; d) le crime d’agression. La Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l’exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies. Article 6 : Crime de génocide Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque : a) meurtre ; b) extermination ; c) réduction en esclavage ; d) déportation ou transfert forcé de population ; e) emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; f) torture ; g) viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ; h) persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du par. 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ; i) disparitions forcées de personnes ; j) crime d’apartheid ; k) autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale. (...). » Dans l’affaire Le Procureur c. Akayesu, no. ICTR-96-4-T, 2 septembre 1998, la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour le Rwanda a mis en relief le critère distinctif du crime de génocide : « 498. Le génocide se distingue d’autres crimes en ce qu’il comporte un dol spécial, ou dolus specialis. Le dol spécial d’un crime est l’intention précise, requise comme élément constitutif du crime, qui exige que le criminel ait nettement cherché à provoquer le résultat incriminé. Dès lors, le dol spécial du crime de génocide réside dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel. » En outre, dans la même affaire, ce tribunal a articulé le crime de génocide par rapport aux autres crimes réprimés par le Statut du Tribunal (concours des infractions) : « 469. Eu égard à son Statut, la Chambre est d’avis que les infractions visées dans le Statut - génocide, crimes contre l’humanité et violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II - comportent des éléments constitutifs différents et, surtout, leur répression vise la protection d’intérêts distincts. On est dès lors fondé à les retenir à raison des mêmes faits. En outre, il pourrait, suivant le cas, être nécessaire d’obtenir une condamnation pour plus d’une de ces infractions afin de donner la mesure des crimes qu’un accusé a commis. Par exemple, le général qui donnerait l’ordre de tuer tous les prisonniers de guerre appartenant à un groupe ethnique donné, dans l’intention d’éliminer ainsi ledit groupe serait coupable à la fois de génocide et de violations de l’article 3 commun, bien que pas nécessairement de crimes contre l’humanité. Une condamnation pour génocide et violations de l’article 3 commun donnerait alors pleinement la mesure du comportement du général accusé. 470. En revanche, la Chambre ne considère pas qu’un acte quelconque de génocide, les crimes contre l’humanité et ou les violations de l’article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II constituent des formes mineures les uns des autres. Le Statut du Tribunal n’établit pas une hiérarchie des normes; il traite toutes les trois infractions sur un pied d’égalité. Si l’on peut considérer le génocide comme le crime le plus grave, rien dans le Statut n’autorise à dire que les crimes contre l’humanité ou les violations de l’article 3 commun et du Protocole additionnel II sont, en toute hypothèse, accessoires au crime de génocide et constituent, par suite, des infractions subsidiaires de celui-ci. Ainsi qu’il est dit, et c’est là un argument connexe, ces infractions renferment des éléments constitutifs différents. Une fois de plus, cette considération autorise les condamnations multiples du chef de ces infractions à raison des mêmes faits. » Dans son arrêt du 26 février 2007 rendu dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) (C.I.J. Recueil 2007), la Cour internationale de Justice (« la CIJ ») a rappelé ce qui suit : « 8) La question de l’intention de commettre le génocide 186. La Cour relève que le génocide, tel que défini à l’article II de la Convention, comporte à la fois des « actes » et une « intention ». Il est bien établi que les actes suivants — « a) meurtre de membres du groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; et e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe » — comprennent eux-mêmes des éléments moraux. Le « meurtre » est nécessairement intentionnel, tout comme l’« atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ». Dans les litt. c) et d) de l’article II, ces éléments moraux ressortent expressément des mots « intentionnelle » et « visant », et implicitement aussi des termes « soumission » et « mesures ». De même, le transfert forcé suppose des actes intentionnels, voulus. Ces actes, selon les termes de la CDI, sont par leur nature même des actes conscients, intentionnels ou délibérés (Commentaire relatif à l’article 17 du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de 1996, rapport de la CDI 1996, Annuaire de la Commission du droit international, 1996, vol. II, deuxième partie, p. 47, par. 5). 187. A ces éléments moraux, l’article II en ajoute un autre. Il exige que soit établie l’« intention de détruire, en tout ou en partie, [le] groupe [protégé]..., comme tel ». Il ne suffit pas d’établir, par exemple aux termes du litt. a), qu’a été commis le meurtre de membres du groupe, c’est-à-dire un homicide volontaire, illicite, contre ces personnes. Il faut aussi établir une intention supplémentaire, laquelle est définie de manière très précise. Elle est souvent qualifiée d’intention particulière ou spécifique, ou dolus specialis ; dans le présent arrêt, elle sera généralement qualifiée d’« intention spécifique (dolus specialis) ». Il ne suffit pas que les membres du groupe soient pris pour cible en raison de leur appartenance à ce groupe, c’est-à-dire en raison de l’intention discriminatoire de l’auteur de l’acte. Il faut en outre que les actes visés à l’article II soient accomplis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe comme tel. Les termes « comme tel » soulignent cette intention de détruire le groupe protégé. 188. La spécificité de l’intention et les critères qui la distinguent apparaissent clairement lorsque le génocide est replacé, comme il l’a été par la chambre de première instance du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (dénommé ci-après le « TPIY » ou le « Tribunal ») en l’affaire Kupreškić et consorts, dans le contexte d’actes criminels qui lui sont apparentés, notamment les crimes contre l’humanité et la persécution : « [L’]élément moral requis pour la persécution est plus strict que pour les crimes contre l’humanité habituels, tout en demeurant en deçà de celui requis pour le génocide. Dans ce contexte, la chambre de première instance souhaite insister sur le fait que la persécution, en tant que crime contre l’humanité, est une infraction qui relève du même genus que le génocide. Il s’agit, dans les deux cas, de crimes commis contre des personnes qui appartiennent à un groupe déterminé et qui sont visées en raison même de cette appartenance. Ce qui compte dans les deux cas, c’est l’intention discriminatoire : pour attaquer des personnes à cause de leurs caractéristiques ethniques, raciales ou religieuses (ainsi que, dans le cas de la persécution, à cause de leurs opinions politiques). Alors que dans le cas de la persécution, l’intention discriminatoire peut revêtir diverses formes inhumaines et s’exprimer par le biais d’une multitude d’actes, dont l’assassinat, l’intention requise pour le génocide doit s’accompagner de celle de détruire, en tout ou en partie, le groupe auquel les victimes appartiennent. S’agissant de l’élément moral, on peut donc dire que le génocide est une forme de persécution extrême, sa forme la plus inhumaine. En d’autres termes, quand la persécution atteint sa forme extrême consistant en des actes intentionnels et délibérés destinés à détruire un groupe en tout ou en partie, on peut estimer qu’elle constitue un génocide. (IT-95-16-T, jugement du 14 janvier 2000, par. 636.) » La Convention internationale des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale fut adoptée à New York le 21 décembre 1965. La Suisse ratifia cet instrument le 29 novembre 1994, qui entra en vigueur à son égard le 29 décembre 1994. Ses articles 2 et 3 sont libellés comme il suit : Article 2 « 1. Les États parties condamnent la discrimination raciale et s’engagent à poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer toute forme de discrimination raciale et à favoriser l’entente entre toutes les races, et, à cette fin : a) Chaque État partie s’engage à ne se livrer à aucun acte ou pratique de discrimination raciale contre des personnes, groupes de personnes ou institutions et à faire en sorte que toutes les autorités publiques et institutions publiques, nationales et locales, se conforment à cette obligation ; b) Chaque État partie s’engage à ne pas encourager, défendre ou appuyer la discrimination raciale pratiquée par une personne ou une organisation quelconque ; c) Chaque État partie doit prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe ; d) Chaque État partie doit, par tous les moyens appropriés, y compris, si les circonstances l’exigent, des mesures législatives, interdire la discrimination raciale pratiquée par des personnes, des groupes ou des organisations et y mettre fin ; e) Chaque État partie s’engage à favoriser, le cas échéant, les organisations et mouvements intégrationnistes multiraciaux et autres moyens propres à éliminer les barrières entre les races, et à décourager ce qui tend à renforcer la division raciale. Les États parties prendront, si les circonstances l’exigent, dans les domaines social, économique, culturel et autres, des mesures spéciales et concrètes pour assurer comme il convient le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou d’individus appartenant à ces groupes en vue de leur garantir, dans des conditions d’égalité, le plein exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces mesures ne pourront en aucun cas avoir pour effet le maintien de droits inégaux ou distincts pour les divers groupes raciaux, une fois atteints les objectifs auxquels elles répondaient. Article 3 Les États parties condamnent spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature. » Le Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques fut adopté à New York le 16 décembre 1966. La Suisse ratifia cet instrument le 18 juin 1992, qui entra en vigueur à son égard le 18 septembre 1992. Ses articles 19 et 20 sont libellés comme il suit : Article 19 « 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. L’exercice des libertés prévues au par. 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) Au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Article 20 Toute propagande en faveur de la guerre est interdite par la loi. Tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi. » Lors de sa 102ème session (2011), le Comité des droits de l’homme de l’ONU adopta l’Observation générale no 34 à propos de l’article 19 du Pacte. Les paragraphes pertinents pour la présente affaire sont libellés comme il suit : Liberté d’opinion « 9. Le paragraphe 1 de l’article 19 exige la protection du droit de ne pas «être inquiété pour ses opinions». C’est un droit pour lequel le Pacte n’autorise ni exception ni limitation. La liberté d’opinion s’étend au droit de l’individu de changer d’avis quand il le décide librement, et pour quelque raison que ce soit. Nul ne peut subir d’atteinte à l’un quelconque des droits qu’il tient du Pacte en raison de ses opinions réelles, perçues ou supposées. Toutes les formes d’opinion sont protégées et par là on entend les opinions d’ordre politique, scientifique, historique, moral ou religieux. Ériger en infraction pénale le fait d’avoir une opinion est incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 19. Le harcèlement, l’intimidation ou la stigmatisation, y compris l’arrestation, la détention, le jugement ou l’emprisonnement, en raison des opinions que la personne peut professer constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 19. Toute forme de tentative de coercition visant à obtenir de quelqu’un qu’il ait ou qu’il n’ait pas une opinion est interdite. La liberté d’exprimer ses opinions comporte nécessairement la liberté de ne pas exprimer ses opinions. Liberté d’expression Le paragraphe 2 exige des États parties qu’ils garantissent le droit à la liberté d’expression, y compris le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce sans considération de frontières. Ce droit couvre l’expression et la réception de communications sur toute forme d’idée et d’opinion susceptible d’être transmise à autrui, sous réserve des dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 et de l’article 20. Il porte sur le discours politique, le commentaire de ses affaires personnelles et des affaires publiques, la propagande électorale, le débat sur les droits de l’homme, le journalisme, l’expression culturelle et artistique, l’enseignement et le discours religieux. Il peut aussi porter sur la publicité commerciale. Le champ d’application du paragraphe 2 s’étend même à l’expression qui peut être considérée comme profondément offensante, encore que cette expression puisse être restreinte conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 et de l’article 20. (...). Application du paragraphe 3 de l’article 19 (...) Le premier des motifs légitimes de restriction énoncés au paragraphe 3 est le respect des droits ou de la réputation d’autrui. Le terme «droits» vise les droits fondamentaux tels qu’ils sont reconnus dans le Pacte et plus généralement dans le droit international des droits de l’homme. Par exemple, il peut être légitime de limiter la liberté d’expression afin de protéger le droit de voter consacré à l’article 25, ainsi que les droits consacrés à l’article 17 (voir par. 37). Ces restrictions doivent être interprétées avec précaution: s’il peut être licite de protéger les électeurs contre des formes d’expression qui constituent un acte d’intimidation ou de coercition, de telles restrictions ne doivent pas empêcher le débat politique, même dans le cas de l’appel au boycottage d’une élection qui n’était pas obligatoire. Le terme «autrui» vise d’autres personnes individuellement ou en tant que membres d’une communauté. Ainsi, il peut par exemple viser des membres d’une communauté définie par sa foi religieuse ou son origine ethnique. (...). » Le paragraphe suivant de l’Observation générale no 34 est consacré plus spécifiquement à la question des sanctions pénales pour l’expression d’opinions relative aux faits historiques : « 49. Les lois qui criminalisent l’expression d’opinions concernant des faits historiques sont incompatibles avec les obligations que le Pacte impose aux États parties en ce qui concerne le respect de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression. Le Pacte ne permet pas les interdictions générales de l’expression d’une opinion erronée ou d’une interprétation incorrecte d’événements du passé. Des restrictions ne devraient jamais être imposées à la liberté d’opinion et, en ce qui concerne la liberté d’expression, les restrictions ne devraient pas aller au-delà de ce qui est permis par le paragraphe 3 ou exigé par l’article 20. » Le 30 octobre 1997, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe adopta la Recommandation 97/20, intitulée « Discours de haine » : « Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin notamment de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun ; Rappelant la Déclaration des chefs d’État et de gouvernement des États membres du Conseil de l’Europe, adoptée le 9 octobre 1993 à Vienne ; Rappelant que la Déclaration de Vienne a sonné l’alarme sur la résurgence actuelle du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme, ainsi que sur le développement d’un climat d’intolérance; rappelant également que cette déclaration contient un engagement pour agir contre toutes les idéologies, les politiques et les pratiques incitant à la haine raciale, à la violence et à la discrimination, ainsi que contre tout acte ou langage de nature à renforcer les craintes et les tensions entre groupes d’appartenances raciale, ethnique, nationale, religieuse ou sociale différentes ; Réaffirmant son profond attachement à la liberté d’expression et d’information, tel qu’exprimé dans la Déclaration sur la liberté d’expression et d’information du 29 avril 1982 ; Condamnant, dans le prolongement de la Déclaration de Vienne et de la Déclaration sur les médias dans une société démocratique, adoptée à la 4e Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse (Prague, 7-8 décembre 1994), toutes les formes d’expression qui incitent à la haine raciale, à la xénophobie, à l’antisémitisme et à toutes formes d’intolérance, car elles minent la sécurité démocratique, la cohésion culturelle et le pluralisme ; Notant que ces formes d’expression peuvent avoir un impact plus grand et plus dommageable lorsqu’elles sont diffusées à travers les médias ; Considérant que la nécessité de combattre ces formes d’expression est encore plus urgente dans des situations de tension et pendant les guerres et d’autres formes de conflits armés ; Estimant qu’il est nécessaire de donner des lignes directrices aux gouvernements et aux États membres sur la manière de traiter ces formes d’expression, tout en reconnaissant que la plupart des médias ne peuvent pas être blâmés pour de telles formes d’expression ; Ayant à l’esprit l’article 7, paragraphe 1, de la Convention européenne sur la télévision transfrontière, ainsi que la jurisprudence des organes de la Convention européenne des Droits de l’Homme relative aux articles 10 et 17 de cette dernière Convention ; Vu la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Résolution (68) 30 du Comité des Ministres sur les mesures à prendre contre l’incitation à la haine raciale, nationale et religieuse ; Constatant que tous les États membres n’ont pas signé, ratifié et mis en œuvre cette convention dans le cadre de leur législation nationale ; Conscient de la nécessité de trouver un équilibre entre la lutte contre le racisme et l’intolérance, et la nécessité de protéger la liberté d’expression, afin d’éviter le risque de saper la démocratie au motif de la défendre ; Conscient également de la nécessité de respecter pleinement l’indépendance et l’autonomie éditoriales des médias, Recommande aux gouvernements des États membres : d’entreprendre des actions appropriées visant à combattre le discours de haine sur la base des principes énoncés en annexe à la présente recommandation ; de s’assurer que de telles actions s’inscrivent dans le cadre d’une approche globale qui s’attaquerait aux causes profondes - sociales, économiques, politiques, culturelles et autres - de ce phénomène ; si cela n’a pas déjà été fait, de procéder à la signature, à la ratification et à la mise en œuvre effective dans le droit interne de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, conformément à la Résolution (68) 30 du Comité des Ministres sur les mesures à prendre contre l’incitation à la haine raciale, nationale et religieuse ; d’examiner leurs législations et pratiques internes, afin de s’assurer de leur conformité aux principes figurant en annexe à la présente recommandation. (...) » Dans le cadre du Conseil de l’Europe, la question des atrocités commises contre le peuple arménien a fait l’objet de discussions à maintes reprises. Dans une déclaration du 24 avril 2013 (no 542, Doc. 13192), par exemple, une vingtaine de membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’exprimèrent ainsi : Reconnaissance du génocide arménien « [Cette déclaration écrite n’engage que ses signataires] La reconnaissance des génocides est un acte qui contribue au respect de la dignité humaine et à la prévention des crimes contre l’humanité. La réalité du génocide arménien perpétré par l’Empire ottoman a été démontrée, reconnue et affirmée sous la forme de rapports médiatiques et de témoignages, de lois, de résolutions et de déclarations des Nations Unies, du Parlement européen et des parlements des États membres du Conseil de l’Europe, dont la Suède, la Lituanie, l’Allemagne, la Pologne, les Pays-Bas, la Slovaquie, la Suisse, la France, l’Italie, la Belgique, la Grèce, Chypre et la Fédération de Russie, ainsi que par la Chambre des représentants et 43 États fédérés des États-Unis, le Chili, l’Argentine, le Venezuela, le Canada, l’Uruguay et le Liban. Les soussignés, membres de l’Assemblée parlementaire, demandent à tous les membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de prendre les mesures nécessaires en faveur de la reconnaissance du génocide perpétré contre les Arméniens et d’autres Chrétiens dans l’Empire ottoman au début du XXe siècle, ce qui contribuera grandement à un éventuel acte similaire de reconnaissance par les autorités turques de ce crime odieux contre l’humanité et, en conséquence, conduira à la normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie, contribuant ainsi à la paix, à la sécurité et à la stabilité régionales. » C. Le droit et la pratique comparés Dans une étude comparative (avis 06-184) du 19 décembre 2006, produite devant la Cour par le gouvernement défendeur, l’Institut suisse de droit comparé (ISDC, Swiss Institute of Comparative Law) a analysé les législations de 14 pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède) ainsi que celles des États-Unis et du Canada, relatives à l’infraction de négation des crimes contre l’humanité, en particulier du génocide. En voici le résumé : « L’étude de la négation des crimes contre l’humanité et du génocide dans les différents pays soumis à notre examen révèle une situation très contrastée. L’Espagne, la France et le Luxembourg ont tous trois adopté une approche extensive de l’interdiction de la négation de ces crimes. La législation espagnole vise de façon générique la négation d’actes dont il est établi que l’objet était de faire disparaître, totalement ou en partie, un groupe ethnique, racial ou religieux. L’auteur encourt une peine d’un à deux ans d’emprisonnement. En France et au Luxembourg, la législation vise la négation des crimes contre l’humanité, tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire de Nuremberg annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 (...). Cette limitation du champ matériel de l’incrimination de la négation des crimes contre l’humanité est atténuée au Luxembourg par le fait qu’une disposition spéciale vise la négation des crimes de génocide. La négation de tels crimes est punie des mêmes peines [emprisonnement de huit jours à six mois et/ou une amende de 251 à 25 000 euros] que la négation de crimes contre l’humanité mais la définition du génocide retenue est, cette fois, celle de la loi luxembourgeoise du 8 août 1985, laquelle est générale est abstraite, ne se limitant pas aux actes commis pendant la seconde guerre mondiale. Le champ d’application limité des dispositions françaises a été critiqué et il faut souligner, à cet égard, qu’une proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l’existence du génocide arménien a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 12 octobre 2006. Dès lors, il apparaît que seuls le Luxembourg et l’Espagne incriminent dans leur législation de façon générique, et sans se limiter à des épisodes historiques particuliers, la négation des crimes de génocide. En outre, aucun pays n’incrimine à ce jour la négation des crimes contre l’humanité envisagés dans leur globalité. A cet égard, un groupe de pays auquel il est possible, à l’analyse des textes, de rattacher la France, incrimine la négation des seuls actes commis pendant la seconde guerre mondiale. L’Allemagne punit ainsi d’une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement ou d’une amende, quiconque nie ou minimise publiquement ou au cours d’une réunion les actes commis en vue de faire disparaître totalement ou en partie, un groupe national, religieux ou ethnique pendant le régime national-socialiste. L’Autriche punit d’une peine allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement quiconque, agissant de manière à ce que sa prise de position puisse être connue d’un grand nombre de personnes, nie ou minimise gravement le génocide ou les autres crimes contre l’humanité commis par le régime national-socialiste. Suivant la même approche, le droit belge punit d’une peine allant de huit jours à un an d’emprisonnement quiconque nie ou minimise grossièrement, cherche à justifier ou approuve le génocide commis par le régime national-socialiste allemand. Dans d’autres pays, à défaut d’incriminations spéciales dans la loi, le juge est intervenu pour veiller à ce que le négationnisme soit sanctionné. En particulier, la Cour suprême néerlandaise a affirmé que les dispositions du Code pénal prohibant les actes discriminatoires devaient être appliquées pour sanctionner la négation des crimes contre l’humanité. En outre, un projet de loi visant à incriminer le négationnisme est en cours d’examen dans ce pays. Au Canada, le Tribunal des droits de l’homme s’est appuyé sur l’incrimination d’exposition d’autrui à la haine ou au mépris retenue dans la loi canadienne sur les Droits de l’homme pour condamner le contenu d’un site internet négationniste. La position des juges aux États-Unis est moins tranchée, ce pays protégeant de façon extrêmement stricte, pour des raisons historiques et culturelles, la liberté d’expression. On peut toutefois noter que, de façon générale, les victimes de discours outrageants ont, jusqu’à ce jour, réussi à obtenir indemnisation de leur préjudice dès lors qu’elles avaient pu légitimement ressentir une menace pour leur intégrité physique. Par ailleurs, il existe toute une série de pays dans lesquels la négation des crimes contre l’humanité n’est pas directement envisagée par la loi. Pour certains de ces pays, il est possible de s’interroger sur la qualification, dans ce cas, d’infractions pénales plus générales. Le droit italien sanctionne ainsi l’apologie des crimes de génocide, or la frontière entre apologie, minimisation et négation de crimes est extrêmement mince. Le droit norvégien sanctionne quiconque fait une déclaration officielle discriminatoire ou haineuse. L’applicabilité d’une telle incrimination au négationnisme est envisageable. La juridiction suprême n’a, à ce jour, pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question. Dans d’autres pays, par exemple le Danemark et la Suède, les juges du fond ont pris position et accepté de contrôler l’applicabilité des incriminations pénales relatives aux déclarations discriminatoires ou haineuses aux cas de négationnisme, sans toutefois les retenir dans les espèces qui leur étaient soumises. En Finlande, le pouvoir politique s’est prononcé en faveur de l’inapplicabilité de telles dispositions au négationnisme. Pour finir, le droit au Royaume-Uni et le droit irlandais ne traitent pas du négationnisme. » Depuis la publication de cette étude en 2006, des développements importants sont intervenus en France et en Espagne. En ce qui concerne d’abord la France, il convient de rappeler que ce pays avait adopté, le 29 janvier 2001, une loi reconnaissant, en un article unique, le génocide arménien perpétré en 1915 (loi no 2001-70) : Article 1 : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915. » Le 23 janvier 2012 a été adoptée la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi : Article 1er « Le premier alinéa de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est remplacé par cinq alinéas ainsi rédigés : « Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront fait l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, tels qu’ils sont définis de façon non exclusive : ) par les articles 6, 7 et 8 du statut de la Cour pénale internationale créée à Rome le 17 juillet 1998 ; ) par les articles 211-1 et 212-1 du code pénal ; ) par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 ; et qui auront fait l’objet d’une reconnaissance par la loi, une convention internationale signée et ratifiée par la France ou à laquelle celle-ci aura adhéré, par une décision prise par une institution communautaire ou internationale, ou qualifiés comme tels par une juridiction française, rendue exécutoire en France. » » Article 2 : « L’article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifié : 1o Après le mot : « déportés », sont insérés les mots : « , ou de toute autre victime de crimes de génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou des crimes ou délits de collaboration avec l’ennemi ». 2o Après le mot : « apologie », sont insérés les mots : « des génocides, ». » Le 28 février 2012, le Conseil constitutionnel français a déclaré cette loi contraire à la Constitution dans les termes qui suivent : « 1. Considérant que les députés et sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi ; Considérant que l’article 1er de la loi déférée insère dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse un article 24 ter ; que cet article punit, à titre principal, d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui « ont contesté ou minimisé de façon outrancière », quels que soient les moyens d’expression ou de communication publiques employés, « l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide défini à l’article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels par la loi française » ; que l’article 2 de la loi déférée modifie l’article 48-2 de la même loi du 29 juillet 1881 ; qu’il étend le droit reconnu à certaines associations de se porter partie civile, en particulier pour tirer les conséquences de la création de cette nouvelle incrimination ; Considérant que, selon les auteurs des saisines, la loi déférée méconnaît la liberté d’expression et de communication proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que le principe de légalité des délits et des peines résultant de l’article 8 de cette Déclaration ; qu’en réprimant seulement, d’une part, les génocides reconnus par la loi française et, d’autre part, les génocides à l’exclusion des autres crimes contre l’humanité, ces dispositions méconnaîtraient également le principe d’égalité ; que les députés requérants font en outre valoir que le législateur a méconnu sa propre compétence et le principe de la séparation des pouvoirs proclamé par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ; que seraient également méconnus le principe de nécessité des peines proclamé à l’article 8 de la Déclaration de 1789, la liberté de la recherche ainsi que le principe résultant de l’article 4 de la Constitution selon lequel les partis exercent leur activité librement ; Considérant que, d’une part, aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale... » ; qu’il résulte de cet article comme de l’ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l’objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d’énoncer des règles et doit par suite être revêtue d’une portée normative ; Considérant que, d’autre part, aux termes de l’article 11 de la Déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; que l’article 34 de la Constitution dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d’édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer ; qu’il lui est également loisible, à ce titre, d’instituer des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ; que, toutefois, la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi ; Considérant qu’une disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s’attache à la loi ; que, toutefois, l’article 1er de la loi déférée réprime la contestation ou la minimisation de l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide « reconnus comme tels par la loi française » ; qu’en réprimant ainsi la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes qu’il aurait lui-même reconnus et qualifiés comme tels, le législateur a porté une atteinte inconstitutionnelle à l’exercice de la liberté d’expression et de communication ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, l’article 1er de la loi déférée doit être déclaré contraire à la Constitution ; que son article 2, qui n’en est pas séparable, doit être également déclaré contraire à la Constitution, D É C I D E : Article 1er.- La loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi est contraire à la Constitution. Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française. (...) » Des développements importants ont été également constatés en Espagne. En effet, par un arrêt du 7 novembre 2007 (no 235/2007), le Tribunal constitutionnel a jugé inconstitutionnelle l’infraction de « négation » de génocide visée au premier sous-alinéa de l’article 607.2 du code pénal. Le délit de génocide est prévu par l’article 607 du code pénal. Dans sa rédaction antérieure à l’arrêt du Tribunal constitutionnel no 235/2007, cette disposition était libellée comme suit : « 1. La poursuite d’un but de destruction totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux rend punissables : - D’une peine de quinze à vingt ans d’emprisonnement, le fait de tuer l’un de ses membres ; (...) - D’une peine de quinze à vingt ans d’emprisonnement, l’agression sexuelle de l’un de ses membres ou l’infliction de lésions telles que décrites à l’article 149 ; (...) La diffusion par tout moyen d’idées ou de doctrines niant ou justifiant les délits prévus par le paragraphe précédent de la présente disposition ou tendant à la réhabilitation de régimes ou d’institutions prônant des pratiques constitutives de tels délits, est passible d’une peine d’un à deux ans d’emprisonnement. » Depuis l’arrêt no 235/2007 du Tribunal constitutionnel, la simple « négation » d’un génocide n’est donc plus réprimée et l’article 607.2, dans sa version modifiée, se lit comme suit : « La diffusion par tout moyen d’idées ou de doctrines justifiant les délits prévus par le paragraphe précédent de la présente disposition ou tendant à la réhabilitation de régimes ou d’institutions ayant prôné des pratiques constitutives de tels délits, sera passible d’une peine d’un à deux ans d’emprisonnement. » Dans son arrêt no 235/2007, le Tribunal constitutionnel a opéré une distinction entre la « négation » du génocide, d’une part, qui peut être entendue comme la simple expression d’un point de vue sur certains faits, par l’affirmation qu’ils n’ont pas eu lieu ou qu’ils n’ont pas été réalisés de façon telle qu’on puisse les qualifier de génocide et, d’autre part, la « justification », qui implique non pas la négation absolue de l’existence d’un crime de génocide précis, mais sa relativisation ou la négation de son illégalité, par une certaine identification avec les auteurs des crimes. Pour le cas où la conduite sanctionnée impliquerait nécessairement une incitation directe à la violence contre certains groupes ou un mépris envers les victimes des délits de génocide, le législateur a spécialement prévu des sanctions en rapport avec la notion d’apologie du génocide, à savoir l’article 615 du code pénal, qui réprime la provocation, la conspiration et la proposition de génocide (la provocación, la conspiración y la proposición). Le fait que la sanction prévue à l’article 607.2 est moins sévère que celle prévue pour l’apologie exclut que le législateur ait eu l’intention d’introduire une peine qualifiée. Le Tribunal constitutionnel s’est également interrogé sur la question de savoir si les conduites punies par l’article 607.2 relèvent du « discours de haine ». Il a estimé que la simple négation d’un crime de génocide ne suppose pas une incitation directe à la violence contre des citoyens ou contre des races ou des croyances précises. Il a dit que la simple diffusion de conclusions quant à l’existence ou non de faits spécifiques, sans porter de jugement de valeur sur ceux-ci ni sur leur caractère illégal, tombait dans le champ d’application de la liberté scientifique, reconnue à l’alinéa b) de l’article 20.1 de la Constitution. Il a exposé que cette liberté jouissait dans la Constitution d’une protection accrue par rapport à la liberté d’expression ou de l’information. Il a dit enfin que cette position était justifiée par les besoins de la recherche historique, qui est par définition controversée et discutable puisqu’elle s’édifie autour d’affirmations et des jugements de valeur dont il est impossible de tirer la vérité objective avec une certitude absolue [résumé de l’arrêt fourni par la Cour]. Il convient par ailleurs d’évoquer le cas du Luxembourg, qui est le seul pays parmi ceux pris en compte dans l’étude de l’Institut suisse de droit comparé qui prévoie de manière générale une sanction pénale pour négation de génocide. Voici les articles pertinents du code pénal : Article 457-3 « 1. Est puni d’un emprisonnement de huit jours à deux ans et d’une amende de 251 euros à 25.000 euros ou de l’une de ces peines seulement celui qui (...) Est puni des mêmes peines ou de l’une de ces peines seulement celui qui, par un des moyens énoncés au paragraphe précédent, a contesté, minimisé, justifié ou nié l’existence d’un ou de plusieurs génocides tels qu’ils sont définis par l’article 136bis du Code pénal, ainsi que des crimes contre l’humanité et crimes de guerres, tels qu’ils sont définis aux articles 136ter à 136quinquies du Code pénal et reconnus par une juridiction luxembourgeoise ou internationale. » Article 136bis « Est qualifié de crime de génocide l’un des actes suivants commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe ; atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. Le crime de génocide est puni de la réclusion à vie. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, MM. Ahmet Sami Belek et İsmail Muzaffer Özkurt, nés respectivement en 1953 et en 1978, sont respectivement propriétaires et rédacteurs en chef du quotidien Günlük Evrensel (Universel) dont le siège se trouve à Istanbul. A. La première condamnation des requérants Le 1er mars 2004, le quotidien Günlük Evrensel publia en sixième page un article intitulé « Démenti du Kongra-Gel » (« Kongra-Gel’den Yalanlama »). L’article comportait des déclarations de M. Aydar, président du Kongra-Gel, une branche de l’organisation illégale armée Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). M. Aydar y démentait, notamment, des allégations publiées sur un site Internet, selon lesquelles un certain nombre de militants auraient quitté l’organisation en question et se seraient réfugiés aux Etats-Unis. Par un acte d’accusation du 9 mars 2004, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat inculpa les requérants de publication par voie de presse de tracts et de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infractions prévues respectivement aux articles 6 §§ 2 et 4 et 7 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme (« la loi no 3713 »), et à l’article 2 § 1 additionnel de la loi no 5680 sur la presse (« la loi no 5680 »). Devant la cour d’assises, les requérants invoquèrent l’article 10 de la Convention. Le 14 octobre 2004, la cour d’assises condamna le premier requérant et le deuxième requérant respectivement au paiement d’une amende de 1 332 675 000 et de 666 337 000 anciennes livres turques (TRL) [soit respectivement environ 709 et 355 euros suivant le taux de change en vigueur à l’époque pertinente], en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi (« temyiz yolu açık olmak üzere »). Le 22 novembre 2004, les requérants se pourvurent en cassation. Le 8 février 2006, la Cour de cassation, se fondant sur l’article 305 § 2 de l’ancien code de procédure pénale, déclara le pourvoi des requérants irrecevable au motif que l’amende infligée n’excédait pas 2 milliards de TRL et que le jugement n’était dès lors pas susceptible de pourvoi en cassation. Les requérants soutiennent devant la Cour que le jugement en question ne leur a pas été notifié et qu’ils n’en ont eu connaissance que par le biais d’un avis de recouvrement de l’amende du 21 juillet 2006. Ils ajoutent que, le 1er décembre 2006, ils ont obtenu une copie de l’arrêt par leurs propres moyens auprès du greffe de la cour d’assises. B. La deuxième condamnation des requérants Entre-temps, le 22 avril 2004, le quotidien Günlük Evrensel avait publié à la page 14 une déclaration intitulée « A notre peuple » (« Halkımıza »). Il s’agissait d’une déclaration émanant de détenus d’une prison de type F qui indiquaient avoir entamé une grève de la faim en vue de protester contre les conditions de détention et contre l’obligation du port de l’uniforme dans les prisons de ce type. A une date non précisée, le procureur de la République inculpa les requérants de publication par voie de presse de tracts et de déclarations émanant d’une organisation illégale armée, infractions prévues respectivement aux articles 6 §§ 2 et 4 et 7 §§ 2 et 4 de la loi no 3713 et à l’article 2 § 1 additionnel de la loi no 5680. Devant la cour d’assises, les requérants invoquèrent l’article 10 de la Convention. Le 2 juin 2005, la cour d’assises condamna les requérants respectivement au paiement d’une amende de 1 320 et de 660 livres turques (TRY) (soit respectivement environ 793 et 400 euros suivant le taux de change en vigueur à l’époque pertinente), en application de l’article 6 §§ 2 et 4 de la loi no 3713. Elle précisa que l’arrêt était susceptible de pourvoi (« temyiz yolu açık olmak üzere »). Le 12 septembre 2005, les requérants se pourvurent en cassation. Le 28 juin 2006, la Cour de cassation, se fondant sur l’article 305 § 2 de l’ancien code de procédure pénale, déclara le pourvoi des requérants irrecevable au motif que l’amende infligée n’excédait pas 2 milliards de TRL et que le jugement n’était dès lors pas susceptible de pourvoi en cassation. Les requérants soutiennent devant la Cour que le jugement en question ne leur a pas été notifié et qu’ils n’en ont eu connaissance que par le biais d’un avis de recouvrement de l’amende du 21 juillet 2006. Ils ajoutent que, le 1er décembre 2006, ils ont obtenu une copie de l’arrêt par leurs propres moyens auprès du greffe de la cour d’assises. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Pour le droit et la pratique internes pertinents en l’espèce, voir l’arrêt Gözel et Özer c. Turquie (nos 43453/04 et 31098/05, § 23, 6 juillet 2010).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1966 et réside à Brno. Le 29 mai 2006, le requérant fut formellement accusé par le procureur municipal de Brno d’avoir, du moins entre 2000 et le 8 février 2006 et de manière répétée, physiquement et psychiquement maltraité son épouse, et ce après s’être enivré. Il l’aurait attaquée verbalement, frappée sur la tête avec la main et le poing, giflée, tenue sous la gorge, étranglée, jetée sur des meubles ou au sol, il l’aurait fait tomber dans les escaliers et lui aurait donné des coups de pied ; il aurait également frappé les enfants, dilapidé l’argent familial dans des machines à sous et cassé la vaisselle. Il aurait ainsi causé à son épouse, obligée de ce fait à consulter un médecin le 26 juin 2000, le 18 juillet 2003 et le 8 février 2006, des hématomes, des contusions et une fracture du nez. Il aurait nui à son état psychique dans le but d’avoir une emprise sur elle. Selon le procureur, il commit ainsi l’infraction continue de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit, au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal (ci-après « CP »), étant donné que les agissements de l’intéressé antérieurs à l’introduction de cette infraction le 1er juin 2004 étaient constitutifs de violence perpétrée à l’encontre d’un individu ou d’un groupe d’individus au sens de l’article 197a du CP et de coups et blessures au sens de l’article 221 du CP. Le 18 avril 2007, le tribunal municipal de Brno reconnut le requérant coupable de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit, perpétrée du moins entre 2000 et le 8 février 2006 et décrite de la même manière que dans l’acte d’accusation. Il le condamna à deux ans et demi de prison avec sursis et un délai d’épreuve de cinq ans ; une surveillance et un traitement antialcoolique furent également imposés au requérant. Le tribunal fonda son verdict sur les dépositions du requérant, de la victime qui fut son épouse et de plusieurs témoins ainsi que sur des pièces écrites et des rapports d’expertise. Retenant la qualification de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit, au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du CP dans sa version en vigueur à compter du 1er juin 2004, le tribunal estima que cette qualification s’étendait également aux agissements commis par l’intéressé avant cette date en ce qu’ils étaient à l’époque constitutifs d’une autre infraction, au moins celle de violence perpétrée à l’encontre d’un individu ou d’un groupe d’individus prévue par l’article 197a du CP. Le tribunal considéra enfin que, du fait de la durée des agissements, l’infraction commise en l’espèce revêtait un degré de dangerosité assez élevé, justifiant une peine allant de deux à huit ans de prison au sens du paragraphe 2 de l’article 215a du CP. Prenant en compte des circonstances atténuantes (notamment le fait que le requérant était passé aux aveux et qu’il n’avait pas été condamné auparavant), il infligea à l’intéressé une peine proche de la limite inférieure assortie d’un sursis. Le 6 septembre 2007, le tribunal régional de Brno rejeta l’appel du requérant dans lequel celui-ci contestait les faits établis par le tribunal et une appréciation unilatérale des preuves. Le tribunal ne constata aucun vice dans la procédure antérieure et estima que la qualification des agissements de l’intéressé était conforme aux dispositions du code pénal. Le 21 février 2008, la Cour suprême rejeta pour défaut manifeste de fondement le pourvoi en cassation dans lequel le requérant se plaignait que le tribunal avait appliqué l’article 215a du CP même à ses agissements antérieurs au 1er juin 2004, période où l’infraction de maltraitance n’était pas encore prévue par le droit interne. Sur ce point, la Cour suprême releva, se référant à sa décision no Tzn 12/93 du 8 décembre 1993, que lorsqu’il s’agissait – comme en l’espèce – d’une infraction continue qui était considérée comme constituant un seul acte, il y avait lieu d’évaluer sa qualification pénale selon la loi en vigueur au moment où s’était terminée la dernière manifestation de cette infraction ; cette loi s’appliquait donc même aux attaques précédentes à condition que celles-ci eussent été pénalement réprimées selon la loi précédente. En l’occurrence, la cour estima que les agissements du requérant antérieurs à l’amendement du code pénal du 1er juin 2004 constituaient des infractions au moins selon l’article 197a ou 221 § 1 du CP. Le 10 juin 2008, la Cour constitutionnelle rejeta pour défaut manifeste de fondement le recours constitutionnel dans lequel le requérant dénonçait l’iniquité de la procédure et l’application rétroactive du code pénal à son détriment. Se référant à la décision de la Cour suprême ainsi qu’à la jurisprudence pertinente de celle-ci, la Cour constitutionnelle estima que les décisions des tribunaux rendues en l’espèce étaient logiques et cohérentes et qu’elles n’étaient pas entachées d’une rétroactivité prohibée par la Constitution. Ayant commis une autre infraction pendant le délai d’épreuve et ne s’étant pas soumis au traitement antialcoolique, le requérant se vit obligé de purger la peine de prison infligée par le jugement du 18 avril 2007. Il se trouve en prison depuis le 3 janvier 2011. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Code pénal (loi no 140/1961), version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009 Aux termes de l’article 89 § 3, une infraction continue comprend les agissements dont les différentes manifestations mues par la même intention constituent la même infraction et présentent un lien du fait d’avoir été effectuées d’une manière identique ou similaire, d’être proches dans le temps et de viser le même objet. L’article 197a § 1 définit l’infraction de violence perpétrée contre un individu sous forme de menace de mort, d’un préjudice à la santé ou d’un autre préjudice grave, laquelle est passible d’une peine de prison allant jusqu’à un an ou d’une peine pécuniaire. Le paragraphe 2 prévoit qu’une peine allant jusqu’à deux ans de prison peut être infligée à celui qui commet ladite infraction sur un témoin, un expert ou un interprète en lien avec l’exercice de leurs fonctions. L’article 215a a introduit dans le code pénal, le 1er juin 2004, l’infraction de maltraitance d’une personne vivant sous le même toit qui est passible, selon le paragraphe 1, d’une peine de prison allant jusqu’à trois ans. Selon le paragraphe 2, l’auteur de ladite infraction peut être condamné à une peine de prison entre deux et huit ans (a) s’il agit de manière particulièrement brutale ou vise plusieurs personnes ou (b) s’il continue ses agissements pendant une longue période. L’article 221 § 1 dispose que l’auteur des coups et blessures commis avec intention sera condamné à une peine de prison allant jusqu’à deux ans. Le paragraphe 2 prévoit une peine allant d’un à cinq ans de prison entre autres lorsque l’auteur cause à la victime un grave préjudice à la santé ; lorsqu’il cause la mort, il peut être condamné, selon le paragraphe 3, à une peine allant de trois à huit ans de prison. B. Doctrine et jurisprudence de la Cour suprême Le Gouvernement relève que, selon la doctrine, une infraction continue est considérée comme constituant un seul et unique acte ; en revanche, lorsque manque un des éléments prévus à l’article 89 § 3 du code pénal, l’infraction est qualifiée de répétitive. Selon la doctrine et la jurisprudence constante de la Cour suprême (décisions publiées dans le Recueil des décisions et avis judiciaires sous les nos 103/1953, 44/1970, 7/1994 ; décisions nos 3 Tz 155/2000, 3 Tdo 1115/2003, 5 Tdo 593/2005, 11 Tdo 272/2007, 3 Tdo 1431/2006), une infraction continue prend fin au moment où a été perpétrée sa dernière manifestation. Par conséquent, une infraction continue est considérée comme ayant été commise sous l’emprise de la loi nouvelle, à la double condition qu’une partie au moins des agissements punissables ait été perpétrée après l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi et que, lors de leur commission, les agissements antérieurs aient été constitutifs d’une infraction, fût-elle passible d’une peine moins lourde.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1992 et réside à Novossibirsk. A. Antécédents et état de santé du requérant Après que les parents du requérant eurent été déchus de leur autorité parentale, celui-ci fut placé sous la tutelle de son grand-père, qui l’éleva. À l’époque des faits, le requérant était âgé de douze ans et souffrait d’hyperactivité avec déficit de l’attention (trouble mental et neurocomportemental caractérisé par de graves difficultés de concentration ou par un comportement hyperactif ou impulsif, ou encore par une combinaison de ces deux éléments) et d’énurésie (incontinence urinaire). Le 27 décembre 2004 et le 19 janvier 2005, il fut examiné par un neurologue et par un psychiatre. On lui prescrivit un traitement pharmacologique, un suivi neurologique et psychiatrique ainsi qu’un accompagnement psychologique. B. L’enquête préliminaire dirigée contre le requérant Le 3 janvier 2005, le requérant fut arrêté au domicile de S., l’un de ses voisins, âgé de neuf ans. Il fut conduit au commissariat du district de Sovetski (Novossibirsk) sans avoir été informé des raisons de son interpellation. Le requérant affirme avoir été placé dans une cellule sans fenêtres dont l’éclairage avait été éteint, et avoir dû attendre près d’une heure dans l’obscurité avant d’être interrogé par un agent de police. Celui-ci lui aurait indiqué que S. l’avait accusé de lui avoir extorqué de l’argent, et lui aurait ordonné de passer aux aveux pour pouvoir être libéré sur-le-champ, le menaçant de le placer en détention s’il n’obtempérait pas. L’intéressé aurait signé des aveux. Le policier aurait alors téléphoné immédiatement au grand-père du requérant, l’informant que celui-ci était au commissariat et qu’il pouvait venir le chercher. À l’arrivée du grand-père du requérant au commissariat, l’intéressé se serait rétracté et aurait protesté de son innocence. Le Gouvernement conteste la version des faits exposée par le requérant. Selon lui, l’intéressé avait été invité à s’« expliquer » sans pour autant subir un interrogatoire stricto sensu. L’entretien aurait été mené par un agent de police ayant reçu une formation en psychologie et l’intéressé aurait été informé de son droit de garder le silence. Le requérant n’aurait pas subi de pression ou d’intimidation, et son grand-père aurait été présent au cours de l’entretien. Le même jour, le grand-père de l’intéressé rédigea une déposition, qu’il signa. Il y décrivait le comportement et le mode de vie de son petit-fils, précisant qu’il l’avait surpris deux jours plus tôt en possession d’une somme d’argent et que, à la question de savoir d’où elle provenait, le requérant lui avait répondu qu’elle lui avait été donnée par son père. Le 12 janvier 2005, la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk considéra qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites contre le requérant et classa l’affaire. Au vu des aveux de l’intéressé, de la déposition de S. et de celle de la mère de ce dernier, elle jugea établi que le requérant avait extorqué de l’argent à S. le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005. Elle en déduisit que l’élément matériel de l’infraction d’extorsion de fonds réprimée par l’article 163 du code pénal était constitué. Toutefois, après avoir relevé que l’intéressé n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, elle conclut qu’il ne pouvait être poursuivi. Le 13 février 2005, le grand-père du requérant saisit le parquet du district Sovetski de Novossibirsk, affirmant que son petit-fils, mineur et atteint de troubles mentaux, avait subi des intimidations avant d’être interrogé hors la présence de son tuteur, et qu’il avait signé des aveux sous demanda que ces aveux fussent retranchés du dossier de l’affaire et que l’enquête fût classée sans suite pour absence de preuve et non pour cause de minorité pénale. Le 8 juin 2005, le parquet du district Sovetski de Novossibirsk annula la décision du12 janvier 2005, estimant que l’enquête préliminaire était incomplète. Il ordonna l’ouverture d’une nouvelle enquête préliminaire. Le 6 juillet 2005, la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk refusa derechef d’engager des poursuites contre le requérant, pour les mêmes raisons que précédemment. Les mois suivants, le grand-père du requérant adressa plusieurs plaintes à des parquets de différents degrés et demanda le réexamen de l’affaire de son petit-fils. Dans ses plaintes, il alléguait que l’intéressé avait passé des aveux parce que la police avait usé d’intimidation à son égard, notamment en le faisant attendre une heure dans une cellule obscure avant de l’interroger hors la présence de son tuteur, d’un psychologue ou d’un enseignant. Il affirmait en outre que le policier ayant interrogé son petit-fils l’avait forcé à signer des aveux sans lui donner la possibilité de consulter un avocat, et qu’il avait ensuite refusé d’engager des poursuites au motif que l’intéressé n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale tout en jugeant avéré que celui-ci s’était livré à une extorsion de fonds. Par des lettres des 4 août, 9 novembre et 16 décembre 2005, les parquets du district Sovetski de Novossibirsk et de la région de Novossibirsk répondirent au grand-père du requérant que, compte tenu de la minorité pénale de son petit-fils, aucune poursuite n’avait été engagée contre celui-ci, de sorte qu’il n’était ni suspect ni prévenu dans précisèrent que l’intéressé n’avait pas été interrogé par la police mais seulement invité à fournir des « explications » et qu’une telle procédure n’exigeait pas la présence d’un avocat, d’un psychologue ou d’un enseignant. Ils ajoutèrent qu’il n’était pas établi que le requérant eût été maintenu dans une cellule obscure avant cet entretien, mais que la déposition de S., celle de la mère de ce dernier et les aveux passés par l’intéressé lui-même au cours de l’entretien du 3 janvier 2005 prouvaient qu’il s’était rendu coupable d’extorsion de fonds. C. L’ordonnance de placement en détention Le 10 février 2005, la direction de l’Intérieur du district Sovetski de Novossibirsk demanda au tribunal du même district d’ordonner l’internement du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Elle souligna que l’intéressé avait déjà commis des infractions par le passé, notamment des troubles à l’ordre public et des extorsions entre 2002 et 2004, qu’il avait été placé dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants en septembre 2004, que ses parents avaient été déchus de leur autorité parentale, qu’il vivait avec son grand-père et sous la tutelle de celui-ci, et qu’il passait l’essentiel de son temps dans la rue à commettre des infractions, ou dans un club informatique. Elle précisa que le requérant s’était de nouveau livré à une extorsion de fonds le 27 septembre 2004, mais qu’il n’avait pas été poursuivi parce qu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale. Au vu de ces éléments, elle estima qu’il était dans l’intérêt du requérant de subir un internement de trente jours dans un centre de détention pour éviter toute récidive de sa part et pour qu’il puisse bénéficier d’une « rééducation comportementale ». Le 21 février 2005, le tribunal du district Sovetski tint une audience à laquelle le requérant et son grand-père participèrent. Ceux-ci invitèrent le tribunal à rejeter la requête présentée par la direction de l’Intérieur et produisirent des attestations médicales certifiant que l’intéressé souffrait de troubles mentaux et d’énurésie. Un avocat commis d’office était également présent à l’audience mais, selon le requérant, il n’intervint à aucun moment de la procédure. Le même jour, le tribunal ordonna l’internement du requérant pendant trente jours dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants. Les passages pertinents de sa décision – fondée sur l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs (paragraphe 58 ci-dessous) – se lisent ainsi : « Après avoir entendu les parties et examiné les pièces produites par elles, le tribunal accueille la requête, pour les motifs suivants : [le requérant] est fiché [à la brigade des mineurs], il a déjà été interné dans [un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants] en vue d’une rééducation comportementale mais il n’en a pas tiré les conclusions qui s’imposaient et il a récidivé, les mesures préventives mises en place par l’Inspection [des mineurs] et le tuteur de l’intéressé n’ont débouché sur aucun résultat, ce qui prouve que [le requérant] n’a rien appris. [Le requérant] doit être interné pendant trente jours dans [un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants] en vue d’une rééducation comportementale (...) ». S’appuyant sur la déposition rédigée par la mère de S. et les aveux passés par le requérant, le tribunal jugea établi que celui-ci avait commis des infractions le 27 décembre 2004 et le 3 janvier 2005. En conséquence, il estima que les dénégations du grand-père du requérant quant aux infractions reprochées à son petit-fils n’étaient pas convaincantes. D. La détention du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants Le 21 février 2005, le requérant fut interné dans le centre de détention provisoire pour mineurs délinquants de Novossibirsk. Il y fut maintenu en détention jusqu’au 23 mars 2005. La description faite par le requérant de ses conditions de détention dans le centre Le requérant affirme qu’il partageait avec sept autres détenus un dortoir où la lumière restait allumée toute la nuit. Il indique que les détenus n’étaient pas autorisés à occuper ce dortoir et à s’étendre sur leur lit pendant la journée, qu’ils étaient contraints de passer toute la journée dans une vaste pièce vide, non meublée et dépourvue d’équipements sportifs, qu’ils se voyaient parfois distribuer des jeux d’échec et d’autres jeux de société, et qu’ils n’avaient été autorisés à se promener dans la cour que deux fois au cours de ses trente jours de détention dans le centre. Il souligne que les détenus suivaient des cours de mathématiques et de russe uniquement, à raison de trois heures deux fois par semaine, que les autres matières du programme officiel de l’enseignement secondaire ne leur étaient pas enseignées, et que les classes se composaient d’une vingtaine élèves d’âges et de niveaux scolaires différents. Il affirme que les surveillants appliquaient des punitions collectives aux détenus, et que si l’un de ces derniers enfreignait la stricte discipline imposée dans le centre, tous devaient s’aligner contre un mur avec interdiction de bouger, de parler et de s’assoir. Il précise que cette punition leur était infligée tous les jours, souvent des heures durant, les détenus psychologiquement instables et indisciplinés issus de milieux sociaux défavorisés étant nombreux dans le centre. Il assure que les détenus n’étaient pas autorisés à quitter le local où ils étaient rassemblés et que, pour aller aux toilettes, ils devaient s’adresser aux surveillants, qui ne les y accompagnaient que par groupes de trois, de sorte qu’ils étaient obligés d’attendre d’être suffisamment nombreux pour pouvoir s’y rendre. Rappelant qu’il souffre d’énurésie, le requérant affirme que l’impossibilité de se rendre aux toilettes aussi souvent que nécessaire lui causait des douleurs à la vessie ainsi que des souffrances psychiques, et que les surveillants le punissaient en lui imposant des corvées de nettoyage particulièrement ardues lorsqu’il demandait trop fréquemment l’autorisation d’aller aux toilettes. Enfin, il se plaint de n’avoir bénéficié d’aucun traitement médical, bien que son grand-père eût informé le personnel du centre qu’il souffrait d’énurésie et d’hyperactivité. La description faite par le Gouvernement des conditions de détention du requérant dans le centre Le Gouvernement affirme que les dortoirs du centre mesurent chacun , qu’ils sont équipés de quatre lits, et que l’accès aux salles de bains et aux toilettes situées à chaque étage n’est pas limité. Il indique que le centre dispose d’un réfectoire servant des repas cinq fois par jour, d’une salle de jeux et d’une salle de sport, et que les détenus ont accès à des équipements audiovisuels, à des jeux éducatifs et à des œuvres de fiction. Il ajoute que les surveillants mènent auprès de chaque détenu des « actions préventives » qui les autorisent à leur appliquer des mesures incitatives ou punitives sous forme de remontrances orales, que les châtiments corporels sont proscrits et que les détenus mineurs ne sont jamais astreints à effectuer des travaux pénibles ou salissants. Il assure que l’unité médicale du centre dispose de tous les équipements et médicaments nécessaires, et fait observer que la liste du personnel du centre qu’il a produite devant la Cour comprend un pédiatre, deux infirmières et un psychologue. Il précise que chaque détenu est examiné par le pédiatre le jour de son arrivée au centre, puis quotidiennement, que des traitements sont prescrits en tant que de besoin et que le dossier médical du requérant prouve que celui-ci n’avait pas informé le médecin de son énurésie. Il affirme que le dossier individuel du requérant, où figuraient notamment des informations sur son état de santé au moment de son internement ainsi que des notes sur les actions préventives et les punitions dont il avait fait l’objet, a été détruit à l’expiration du délai légal de conservation des documents de ce type, conformément au décret no 215 pris par le ministère de l’Intérieur le 2 avril 2004 (paragraphe 65 ci-dessous). À cet égard, il produit une attestation non datée de l’administration du centre certifiant que le dossier du requérant et d’autres dossiers de 2005 avaient été incinérés. Il explique que le dossier médical de l’intéressé a été détruit pour les mêmes raisons à l’expiration de la durée légale de conservation des dossiers médicaux, fixée à trois ans par le décret no 340 du 12 mai 2006 du ministère de l’Intérieur. Il produit une déposition en date du 23 décembre 2010 rédigée par une surveillante du centre. Celle-ci y confirme la description des conditions de détention dans le centre faite par le Gouvernement, ajoutant qu’un surveillant est toujours présent dans les locaux où les détenus sont réunis afin d’assurer la continuité du processus éducatif. Elle précise que des enseignants de l’école voisine se rendent régulièrement au centre pour que les détenus puissent suivre le programme de l’enseignement secondaire, et que ceux-ci se voient délivrer un relevé de leurs résultats scolaires à leur départ du centre. Elle indique ne pas se souvenir du requérant mais affirme n’avoir jamais reçu de demandes ou de plaintes de sa part, ni de la part d’aucun autre détenu. Le Gouvernement produit en outre une copie d’une convention passée le 1er septembre 2004 entre le centre de détention et l’école secondaire no 15, aux termes de laquelle cette école s’engage à dispenser des cours d’enseignement secondaire au centre conformément au programme d’études établi par celui-ci, ainsi qu’une copie d’un programme de cours non daté couvrant une période de deux semaines. Le programme en question comprend quatre cours par jour les mardis, jeudis et vendredis. L’état de santé du requérant après la libération de celui-ci du centre de détention Le 23 mars 2005, le requérant put quitter le centre de détention. Le 24 mars 2005, il fut conduit à l’hôpital pour y recevoir un traitement contre sa névrose et son trouble d’hyperactivité avec déficit de l’attention. Le 31 août 2005, il fut placé dans un orphelinat. Le 1er novembre 2005, il fut transféré dans un hôpital psychiatrique, où il demeura interné jusqu’au 27 décembre 2005. Le 4 octobre 2005, le grand-père de l’intéressé porta plainte auprès du parquet général, alléguant que son petit-fils, qui était atteint d’un trouble mental, n’avait jamais reçu de traitement médical au centre de détention pour mineurs délinquants, que cette situation avait provoqué une dégradation de son état de santé, et qu’aucun enseignement ne lui avait été dispensé. Cette plainte resta lettre morte. E. Les recours exercés contre l’ordonnance de placement en détention Entre-temps, le grand-père du requérant avait fait appel de l’ordonnance de placement en détention délivrée le 21 février 2005. Dans son recours, il avait allégué, en premier lieu, que la détention de son petit-fils était illégale, la loi sur les mineurs n’autorisant pas selon lui l’internement en vue d’une « rééducation comportementale ». En second lieu, il avait soutenu que, faute d’avoir été informé de la décision de classement sans suite prise le 12 janvier 2005, il n’avait pas pu avait avancé, en troisième lieu, que le tribunal avait conclu que son petit-fils avait commis une infraction au vu de la déposition de S., de celle de la mère de celui-ci et des aveux de l’intéressé, alors même que ceux-ci avaient été passés par le requérant hors la présence de son tuteur ou d’un enseignant et que S. avait lui-même été interrogé hors la présence d’un enseignant, ce qui devait conduire selon lui au retranchement des aveux et de la déposition en question. En quatrième lieu, il avait signalé que S. et sa mère n’avaient pas pris part à l’audience et n’avaient pas été entendus par le tribunal, lequel n’avait pas vérifié l’alibi de l’intéressé. Enfin, il avait reproché au tribunal de ne pas avoir tenu compte de la santé fragile de son petit-fils et de ne pas avoir recherché si celle-ci était compatible avec une détention. Le 21 mars 2005, la cour régionale de Novossibirsk avait annulé en appel l’ordonnance de placement en détention de l’intéressé délivrée le 21 février 2005. Pour se prononcer ainsi, elle avait relevé que la rééducation comportementale ne figurait pas au nombre des motifs pour lesquels l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs autorisait l’internement d’un mineur dans un centre de détention pour mineurs et elle avait conclu à l’absence de base légale d’un internement fondé sur ce motif. Elle avait ajouté que le tribunal de district n’avait pas exposé les raisons pour lesquelles la détention du requérant lui avait paru nécessaire, et elle avait estimé que la commission par celui-ci d’une infraction pour laquelle il ne pouvait être poursuivi à cause de son âge ne justifiait pas à elle seule son placement en détention. Elle avait précisé que, pour être valable, une détention de ce type devait satisfaire à l’une des autres conditions énumérées par l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs (paragraphe 58 cidessous). Elle avait renvoyé l’affaire pour réexamen au tribunal de district. Le 11 avril 2005, le tribunal du district Sovetski avait rendu une ordonnance de classement sans suite après que la direction de l’Intérieur eut retiré sa requête tendant à l’internement du requérant dans un centre de détention pour mineurs délinquants. Ni l’intéressé ni son grand-père n’avaient été informés de la date de l’audience. Le 22 mars 2006, le grand-père du requérant exerça un recours en révision de l’ordonnance du 11 avril 2005. Dans son recours, il alléguait que le classement de l’affaire avait empêché le requérant de prouver son innocence quant à l’infraction pour laquelle il avait déjà purgé une peine de détention illégale dans un centre de détention temporaire pour mineurs. Le 3 avril 2006, le président de la cour régionale de Novossibirsk annula l’ordonnance du 11 avril 2005. Pour se prononcer ainsi, il releva en premier lieu que, conformément à l’article 31.2 § 3 de la loi sur les mineurs, un juge saisi d’une demande de placement en détention d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants pouvait y faire droit ou au contraire la rejeter, mais qu’il ne pouvait classer l’affaire. Il observa en second lieu que, faute d’avoir été informés de la date de l’audience, l’intéressé et le tuteur de celui-ci avaient été privés de la possibilité de formuler des observations sur la question du classement de l’affaire. Le 17 avril 2006, le procureur de la région de Novossibirsk forma un recours en révision contre la décision rendue par la cour régionale le 21 mars 2005. Le 12 mai 2006, le présidium de la cour régionale de Novossibirsk annula la décision du 21 mars 2005 au motif que celle-ci avait été rendue par une chambre irrégulièrement composée. Il ordonna un nouvel examen de l’affaire en appel. Le 29 mai 2006, le président de la cour régionale de Novossibirsk tint une nouvelle audience d’appel. Il confirma la décision de placement en détention du requérant dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Il constata que l’intéressé avait commis l’infraction réprimée par l’article 163 du code pénal, mais qu’il n’avait pas été poursuivi parce qu’il n’avait pas atteint l’âge légal de la responsabilité pénale. Il estima que le requérant appartenait à une « famille à problèmes », précisant que les parents de celui-ci avaient été déchus de leur autorité parentale et qu’il était élevé par son grand-père. Il ajouta que l’intéressé faisait l’école buissonnière et qu’il passait l’essentiel de son temps dans un club informatique. En conséquence, il jugea que la détention du requérant pendant trente jours dans un centre de détention pour mineurs délinquants était nécessaire, aux fins de l’article 22 § 2 4) de la loi sur les mineurs, pour prévenir tout risque de récidive de la part de l’intéressé. Il considéra que la nécessité d’une « rééducation comportementale » du requérant invoquée par le tribunal de district pour justifier l’internement litigieux ne rendait pas illégale l’ordonnance de placement en détention du 21 février 2005, la détention de l’intéressé se justifiant par d’autres motifs. Enfin, il considéra que la fragilité de la santé du requérant ne pouvait conduire à l’annulation de l’ordonnance litigieuse, celle-ci ayant reçu exécution en mars 2005. II. Le droit interne et les textes internationaux pertinents A. Le droit interne pertinent La Constitution de la Fédération de Russie L’article 48 § 2 de la Constitution de la Fédération de Russie reconnaît à toute personne arrêtée, détenue ou accusée d’une infraction pénale le droit à une assistance juridique dès le moment de son arrestation, de son placement en détention ou de son inculpation. Le code pénal Le code pénal fixe l’âge de la responsabilité pénale à 16 ans. L’âge de la responsabilité pénale est ramené à 14 ans pour certaines infractions, notamment l’extorsion de fonds (article 20). Le code de procédure pénale Tout suspect ou accusé a droit à une assistance juridique dès le moment de son arrestation (articles 46 § 4 3), 47 § 4 8) et 49 § 3 du code de procédure pénale de la Fédération de Russie). L’article 51 du même texte rend obligatoire le ministère d’avocat lorsque le suspect ou l’accusé est un mineur. Le policier, l’enquêteur, le procureur ou le juge sont tenus de désigner d’office un avocat lorsque le mineur ou le tuteur de celui-ci n’a pas fait appel à un défenseur de son choix (article 51 §§ 1 et 3). La présence de l’avocat d’un suspect mineur est obligatoire lors de chaque interrogatoire. Si le suspect a moins de seize ans, un psychologue ou un enseignant doit également assister aux interrogatoires. Le policier, l’enquêteur ou le procureur chargé de l’interrogatoire doit alors s’assurer de la présence d’un psychologue ou d’un enseignant à chaque interrogatoire (article 425 §§ 2 à 4). Le tuteur d’un suspect mineur peut prendre part à tous les actes d’enquête consécutifs au premier interrogatoire (article 426 §§ 1 et 2 3)). Les témoins doivent être entendus par la juridiction de jugement elle-même (article 278). Les dépositions faites par des victimes ou des témoins au cours de l’enquête préliminaire peuvent être lues à l’audience, si les parties y consentent, et i) s’il existe une importante divergence entre les dépositions en question et les témoignages faits à l’audience ou ii) si les victimes ou les témoins concernés ne sont pas présents à l’audience (article 281). La loi sur les mineurs Selon l’article 1 de la loi fédérale no 120-FZ du 24 juin 1999 sur les mesures de base en matière de prévention de la négligence envers les mineurs et de la délinquance des mineurs (« la loi sur les mineurs »), est mineure toute personne âgée de moins de 18 ans. Selon l’article 15 §§ 4-7 du même texte, les mineurs qui ont des besoins particuliers en matière éducative et qui ont commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale peuvent être placés dans un « centre éducatif fermé » pour une durée maximale de trois ans. Les centres éducatifs fermés ont vocation à : i. accueillir, scolariser et éduquer des mineurs âgés de 8 à 18 ans ayant des besoins particuliers en matière éducative ; ii. rééduquer les mineurs concernés du point de vue psychologique, thérapeutique et pédagogique, et mener auprès d’eux des actions préventives ; iii. protéger les droits et intérêts légitimes des mineurs concernés, administrer aux intéressés des soins médicaux et leur dispenser un enseignement secondaire et professionnel ; iv. fournir une assistance sociale, psychologique et pédagogique aux mineurs ayant des problèmes de santé, de comportement ou connaissant des difficultés scolaires ; v. animer des clubs ou groupements sportifs ou scientifiques et inciter les mineurs concernés à y participer ; vi. mettre en œuvre des programmes et des mesures visant à susciter chez les mineurs concernés un comportement respectueux de la loi (article 15 § 2). Un mineur ne peut être placé en détention dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants que pendant la durée strictement nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié, laquelle ne peut excéder trente jours (article 22 § 6), et seulement : a) s’il s’agit d’un mineur dont le placement en établissement éducatif fermé a été ordonné par un tribunal, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants pendant la durée nécessaire à la préparation de son transfert dans l’établissement en question (articles 22 § 1 3), 22 § 2 1) et 31 § 1)) ; b) s’il s’agit d’un mineur faisant l’objet d’une demande de placement en établissement éducatif fermé pendante devant un tribunal, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants pendant une durée maximale de trente jours si une telle mesure est nécessaire pour protéger sa vie ou sa santé, ou prévenir une récidive de sa part, ou s’il n’a pas de domicile fixe, ou s’il a fugué, ou s’il est resté plus de deux fois en défaut de se présenter à une audience judiciaire ou à un examen médical sans raison valable (articles 22 § 2 2) et 26 § 6)) ; c) s’il s’agit d’un mineur qui s’est enfui d’un établissement éducatif fermé, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants pendant la durée nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié (article 22 § 2 3)) ; d) s’il s’agit d’un mineur qui a commis une infraction avant d’avoir atteint l’âge légal de la responsabilité pénale, auquel cas ce mineur peut être placé dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants si une telle mesure est nécessaire pour protéger sa vie ou sa santé ou l’empêcher de récidiver, ou si son identité est inconnue, ou s’il n’a pas de domicile fixe, ou s’il réside dans une autre région que celle où l’infraction a été commise, ou s’il ne peut être remis immédiatement à ses parents ou à ses tuteurs en raison de l’éloignement de leur domicile (article 22 § 2 4) à 6)). Les principaux objectifs assignés aux centres de détention provisoire pour mineurs délinquants sont : – la détention temporaire de mineurs délinquants en vue de protéger leur vie et leur santé et de les empêcher de récidiver ; – la conduite, auprès des mineurs concernés, d’actions préventives individuelles visant à déterminer s’ils ont pris part à la commission d’actes de délinquance, à identifier les raisons et les circonstances favorisant la perpétration de tels actes, et à en informer les autorités répressives compétentes ; – le transfert des mineurs concernés dans des établissements éducatifs fermés et la mise en œuvre de mesures destinées à trouver un lieu d’accueil pour les mineurs temporairement placés sous leur garde (article 22 § 1). Le placement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants est ordonné par un juge (article 22 § 3 2)), à la demande d’une direction locale du ministère de l’Intérieur. Celle-ci doit fournir les éléments suivants à l’appui de sa demande : la preuve de la commission par le mineur concerné d’un acte de délinquance, des renseignements sur les buts et les motifs de l’internement du mineur en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants et des éléments établissant que l’internement est nécessaire pour protéger la vie ou la santé du mineur ou pour l’empêcher de récidiver (article 31.1). Ces éléments sont communiqués au mineur et à ses parents ou tuteurs pour qu’ils puissent en prendre connaissance, puis ils sont examinés par un juge unique lors d’une audience à laquelle prennent part le mineur, ses parents ou tuteurs, leur avocat, un procureur ainsi que des représentants de la direction locale du ministère de l’Intérieur et du centre de détention provisoire pour mineurs délinquants. Le juge accueille la demande de placement ou la rejette par une décision motivée (article 31.2). Le mineur, ses parents ou tuteurs et leur avocat peuvent interjeter appel de cette décision devant une juridiction supérieure dans un délai de dix jours (article 31.3). La circulaire sur la détention provisoire des mineurs délinquants Dans sa version en vigueur à l’époque pertinente, la circulaire sur l’organisation des activités des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants adoptée par le ministère de l’Intérieur le 2 avril 2004 (décret no 215) plaçait les centres en question sous l’administration des directions locales du ministère de l’Intérieur (§ 4). Lors de leur admission dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, les mineurs subissent une fouille, de même que leurs effets personnels. Les articles interdits sont confisqués. L’argent, les objets de valeur et les autres biens trouvés en possession des mineurs sont remis à l’agent comptable du centre (§§ 14 et 15). Les centres de détention sont entourés par une enceinte dotée d’un système d’alarme et d’un poste de contrôle d’entrée (§ 19). La discipline y est assurée par des équipes de surveillants (§ 22). Les directeurs des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants sont responsables des mesures de sécurité de leur établissement, qui doivent permettre une surveillance permanente des détenus, y compris pendant leur sommeil, et interdire toute tentative de sortie non autorisée de leur part (§ 39). Chaque détenu mineur fait l’objet d’un dossier individuel où figurent les documents justifiant son internement, le rapport établi après la fouille, les actions préventives menées auprès de lui, les récompenses et les punitions reçues par lui, les certificats médicaux attestant de son état de santé au moment de son internement, et tout autre document pertinent (§ 18). Les dossiers individuels sont conservés pendant deux ans. Passé ce délai, ils sont détruits (annexe no 5). Le cas échéant, des actions préventives peuvent être menées auprès d’un mineur en fonction de son âge, de son comportement, de la gravité des actes de délinquance commis par lui et d’autres facteurs (§ 24). Des récompenses ou des punitions peuvent lui être appliquées pour renforcer l’efficacité des actions en question (§ 25). En vue de prévenir la récidive des mineurs, et dans le cadre des actions préventives dont ils sont chargés, les agents des centres de détention provisoire pour mineurs délinquants peuvent : a) rechercher quelles sont les conditions de vie et d’éducation de la famille du mineur, les qualités personnelles et les centres d’intérêt de celui-ci, les raisons de ses fugues ou de l’abandon de sa scolarité, les circonstances de sa participation à la commission d’actes de délinquance, les conditions dans lesquelles ceux-ci ont été commis, notamment les complicités dont le mineur a pu bénéficier et, le cas échéant, l’utilisation qui a été faite de biens volés ; b) communiquer aux autorités répressives des renseignements sur les personnes impliquées dans des actes de délinquance et des informations susceptibles de faciliter la conduite d’une enquête sur les actes en question ; c) mettre en œuvre des mesures éducatives individuelles visant en particulier à développer les qualités et les centres d’intérêts positifs du mineur dans le but de maîtriser ses déviances comportementales et de l’inciter à étudier et à travailler (§ 26). Jurisprudence sur l’internement des mineurs en centre de détention provisoire pour mineurs délinquants Dans deux arrêts rendus les 7 et 14 juillet 2009 respectivement, la Cour suprême de la République d’Udmurtia a conclu que le juge saisi d’une demande de placement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants n’était pas compétent pour fixer la durée de cet internement. Elle a rappelé que, selon l’article 22 § 6 de la loi sur les mineurs, un mineur ne pouvait être maintenu dans un centre de détention temporaire pour mineurs délinquants que pendant la durée strictement nécessaire à la recherche d’un lieu d’accueil approprié, laquelle ne pouvait excéder trente jours. Elle a jugé que la fixation de la durée de l’internement par le juge priverait cette disposition de sa substance et empêcherait l’administration du centre de détention de remettre un mineur en liberté avant le terme de la période de détention fixée par le juge, alors même que le mineur doit être libéré dès qu’un lieu d’accueil lui est assigné et que les actions préventives nécessaires ont été accomplies. Le 6 mars 2009, le présidium de la cour régionale de Perm publia un rapport de jurisprudence passant en revue l’application de la loi sur les mineurs par les tribunaux de la région de Perm. Dans ce rapport, il indiqua que le juge ordonnant l’internement d’un mineur dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants n’avait pas compétence pour fixer la durée de la détention, et qu’il appartenait à l’administration du centre de décider au cas par cas si les mineur concernés pouvaient être remis en liberté ou transférés dans un autre établissement. Il signala que les mineurs ne pouvaient en aucun cas être maintenus en détention au-delà de la durée maximum légale, à savoir trente jours. Par ailleurs, le présidium précisa que si le droit interne n’imposait pas au juge d’entendre les témoins éventuels de l’infraction imputée à un mineur avant d’ordonner l’internement de celui-ci dans un centre de détention provisoire pour mineurs délinquants, le juge pouvait procéder à leur audition s’il l’estimait nécessaire. Il observa que le fait pour un mineur de ne pas avoir eu accès au dossier de son affaire ne pouvait justifier le rejet de la demande d’internement qui le visait, mais déclara que le mineur devait pouvoir accéder à son dossier s’il le demandait. Enfin, il souligna que la décision de placement en détention ne pouvait être mise à exécution qu’après avoir été confirmée en appel, sauf dans le cas où elle était motivée par la nécessité de protéger la vie ou la santé du mineur. Délais de conservation des documents médicaux Les textes applicables à l’époque des faits, à savoir, d’une part, l’article 400 du décret no 493 adopté le 30 mai 1974 par le ministère de la Santé de l’URSS, relatif aux documents en la possession de ce ministère et des organismes, institutions, organisations ou agences sanitaires ainsi qu’à la durée de conservation de ces documents et, d’autre part, l’article 40 du décret no 1030 pris le 4 octobre 1980 par ce même ministère, relatif à l’approbation des formulaires officiels applicables aux documents médicaux des services sanitaires fixaient à dix ans la durée obligatoire de conservation des dossiers médicaux des mineurs. B. Textes internationaux pertinents Textes de l’Organisation des Nations unies Les passages pertinents de l’article 37 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) se lisent ainsi : « Les États parties veillent à ce que : (...) d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière. » En ce qui concerne le droit des mineurs détenus par la police à une assistance juridique, l’observation générale no 10 adoptée le 25 avril 2007 par le Comité des droits de l’enfant (CRC/C/GC/10) énonce notamment que : « 49. L’enfant doit bénéficier d’une assistance juridique ou de toute autre assistance appropriée pour la préparation et la présentation de sa défense. La Convention exige que l’enfant bénéficie d’une assistance qui, si elle n’est pas forcément juridique, doit être appropriée. Les modalités de fourniture de l’assistance sont laissées à l’appréciation des États parties mais, en tout état de cause, l’assistance doit être gratuite. (...) (...) si les décisions doivent être adoptées avec diligence, elles doivent résulter d’un processus durant lequel les droits fondamentaux de l’enfant et les garanties légales en sa faveur sont pleinement respectés. Une assistance juridique ou toute autre assistance appropriée doit aussi être fournie, non seulement à l’audience de jugement devant un tribunal ou tout autre organe judiciaire, mais à tous les stades du processus, à commencer par l’interrogatoire de l’enfant par la police. » Les passages pertinents de l’Ensemble de règles minima des Nations unies concernant l’administration de la justice pour mineurs, adopté par l’Assemblée générale le 29 novembre 1985 (A/RES/40/33 – « les Règles de Beijing »), sont ainsi libellés : « 4. Âge de la responsabilité pénale 1 Dans les systèmes juridiques qui reconnaissent la notion de seuil de responsabilité pénale, celui-ci ne doit pas être fixé trop bas eu égard aux problèmes de maturité affective, psychologique et intellectuelle. Objectif de la justice pour mineurs 1 Le système de la justice pour mineurs recherche le bien-être du mineur et fait en sorte que les réactions vis-à-vis des délinquants juvéniles soient toujours proportionnées aux circonstances propres aux délinquants et aux délits. (...) Droits des mineurs 1 Les garanties fondamentales de la procédure telles que la présomption d’innocence, le droit à être informé des charges, le droit de garder le silence, le droit à l’assistance d’un conseil, le droit à la présence d’un parent ou tuteur, le droit d’interroger et de confronter les témoins et le droit à un double degré de juridiction sont assurées à tous les stades de la procédure. Premier contact 1 Dès qu’un mineur est appréhendé, ses parents ou son tuteur sont informés immédiatement ou, si ce n’est pas possible, dans les plus brefs délais. (...) 3 Les contacts entre les services de répression et le jeune délinquant sont établis de manière à respecter le statut juridique du mineur, à favoriser son bien-être et à éviter de lui nuire, compte dûment tenu des circonstances de l’affaire. Commentaire L’article 10.3 traite d’aspects fondamentaux relatifs aux procédures et au comportement des policiers ou autres agents des services de répression dans les cas de délinquance juvénile. L’expression « éviter de [lui] nuire » est assurément vague et recouvre maints aspects de l’interaction possible (paroles, violence physique, risques dus au milieu). Avoir affaire à la justice pour mineurs peut en soi être « nocif » pour les jeunes, il faut donc interpréter l’expression « éviter de [lui] nuire » comme signifiant tout d’abord qu’il faut faire le moins de mal possible aux mineurs et éviter tout tort supplémentaire ou indu. Cela est particulièrement important dans le premier contact avec les services de répression, car ce contact peut influencer profondément l’attitude du mineur à l’égard de l’État et de la société. En outre, le succès de toute autre intervention dépend largement de ces premiers contacts. Bienveillance et fermeté sont essentielles en pareilles situations. Principes directeurs régissant le jugement et la décision 1 La décision de l’autorité compétente doit s’inspirer des principes suivants : a) La décision doit toujours être proportionnée non seulement aux circonstances et à la gravité du délit, mais aussi aux circonstances et aux besoins du délinquant ainsi qu’aux besoins de la société ; b) II n’est apporté de restrictions à la liberté personnelle du mineur – et ce en les limitant au minimum – qu’après un examen minutieux ; c) La privation de liberté individuelle n’est infligée que si le mineur est jugé coupable d’un délit avec voies de fait à l’encontre d’une autre personne, ou pour récidive, et s’il n’y a pas d’autre solution qui convienne ; d) Le bien-être du mineur doit être le critère déterminant dans l’examen de son cas. 3 Les mineurs ne sont pas soumis à des châtiments corporels. 4 L’autorité compétente a le pouvoir d’interrompre la procédure à tout moment. Commentaire L’alinéa b de l’article 17.1 affirme que des solutions strictement punitives ne conviennent pas. Alors que s’agissant d’adultes et peut-être aussi dans les cas de délits graves commis par des jeunes les notions de peine méritée et de sanctions adaptées à la gravité du délit peuvent se justifier relativement, dans les affaires de mineurs, l’intérêt et l’avenir du mineur doivent toujours l’emporter sur des considérations de ce genre. Conformément à la résolution 8 du sixième Congrès des Nations Unies, l’alinéa b de l’article 17.1 encourage le recours, dans toute la mesure possible, à des solutions autres que le placement en institution, en gardant à l’esprit le souci de répondre aux besoins spécifiques des jeunes. Ainsi, il faut faire pleinement appel à tout l’éventail existant des sanctions de rechange et mettre au point de nouveaux types de sanctions, tout en gardant à l’esprit la notion de sécurité publique. Il faut faire appliquer le régime de la probation dans toute la mesure possible, au moyen de sursis, de peines conditionnelles, de décisions de commissions ou toutes autres dispositions. L’alinéa c de l’article 17.1 correspond à l’un des principes directeurs figurant dans la résolution 4 du sixième Congrès, qui vise à éviter l’incarcération dans le cas des jeunes délinquants à moins qu’il n’existe pas d’autre moyen approprié d’assurer la sécurité publique. (...) Recours minimal au placement en institution 1 Le placement d’un mineur dans une institution est toujours une mesure de dernier ressort et la durée doit en être aussi brève que possible. Commentaire La criminologie progressiste recommande le traitement en milieu ouvert de préférence au placement dans une institution. On n’a constaté pratiquement aucune différence entre le succès des deux méthodes. Les nombreuses influences négatives qui s’exercent sur l’individu et qui semblent inévitables en milieu institutionnel ne peuvent évidemment pas être contrebalancées par des efforts dans le domaine du traitement. Cela s’applique particulièrement aux jeunes délinquants, dont la vulnérabilité est plus grande. En outre, les conséquences négatives qu’entraînent non seulement la perte de liberté mais encore la séparation du milieu social habituel sont certainement plus graves chez les mineurs en raison de leur manque de maturité. L’article 19 vise à restreindre le placement dans une institution à deux égards : fréquence (« mesure de dernier ressort ») et durée (« aussi brève que possible »). Il reprend un des principes fondamentaux de la résolution 4 du sixième Congrès des Nations Unies, à savoir qu’aucun jeune délinquant ne devrait être incarcéré dans un établissement pénitentiaire, à moins qu’il n’existe aucun autre moyen approprié. L’article demande donc que, si un jeune délinquant doit être placé dans une institution, la privation de liberté soit limitée le plus possible, que des arrangements spéciaux soient prévus dans l’institution pour sa détention et qu’il soit tenu compte des différentes sortes de délinquants, de délits et d’institutions. En fait, il faudrait donner la priorité aux institutions « ouvertes » sur les institutions « fermées ». En outre, tous les établissements devraient être de type correctif ou éducatif plutôt que carcéral. (...) Objectifs du traitement en institution 1 La formation et le traitement des mineurs placés en institution ont pour objet de leur assurer assistance, protection, éducation et compétences professionnelles, afin de les aider à jouer un rôle constructif et productif dans la société. 2 Les jeunes placés en institution recevront l’aide, la protection et toute l’assistance – sur le plan social, éducatif, professionnel, psychologique, médical et physique – qui peuvent leur être nécessaires eu égard à leur âge, à leur sexe et à leur personnalité et dans l’intérêt de leur développement harmonieux. 3 Les mineurs placés en institution doivent être séparés des adultes et détenus dans un établissement distinct ou dans une partie distincte d’un établissement qui abrite aussi des adultes. (...) 5 Les parents ou le tuteur du mineur placé en institution ont le droit de visite dans son intérêt et pour son bien-être. 6 On favorisera la coopération entre les ministères et les services en vue d’assurer une formation scolaire ou, s’il y a lieu, professionnelle adéquate aux mineurs placés en institution, pour qu’ils ne soient pas désavantagés dans leurs études en quittant cette institution. (...) Régimes de semi-détention 1 On s’efforcera de créer des régimes de semi-détention notamment dans des établissements tels que les centres d’accueil intermédiaires, les foyers socio-éducatifs, les externats de formation professionnelle et autres établissements appropriés propres à favoriser la réinsertion sociale des mineurs. Les passages pertinents des Règles des Nations unies pour la protection des mineurs privés de liberté (Résolution no 45/113 adoptée par l’Assemblée générale le 14 décembre 1990) se lisent ainsi : « I. Perspectives fondamentales (...) Les mineurs ne peuvent être privés de leur liberté que conformément aux principes et procédures énoncés dans les présentes Règles et dans l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing). La privation de liberté d’un mineur doit être une mesure prise en dernier recours et pour le minimum de temps nécessaire et être limitée à des cas exceptionnels. La durée de détention doit être définie par les autorités judiciaires, sans que soit écartée la possibilité d’une libération anticipée. II. Portée et application des règles (...) La privation de liberté doit avoir lieu dans des conditions et des circonstances garantissant le respect des droits de l’homme des mineurs. Les mineurs détenus doivent pouvoir exercer une activité intéressante et suivre des programmes qui maintiennent et renforcent leur santé et leur respect de soi, favorisent leur sens des responsabilités et les encouragent à adopter des attitudes et à acquérir des connaissances qui les aideront à s’épanouir comme membres de la société. IV. L’administration des établissements pour mineurs (...) B. Admission, immatriculation, transfèrement et transfert Dans tout lieu où des mineurs sont détenus, il doit être tenu un registre où sont consignés de manière exhaustive et fidèle, pour chaque mineur admis : (...) e) Des indications détaillées sur les problèmes de santé physique et mentale, y compris l’abus de drogues et d’alcool (...) C. Classement et placement Aussitôt que possible après son admission, chaque mineur doit être interrogé, et un rapport psychologique et social indiquant les facteurs pertinents quant au type de traitement et de programme d’éducation et de formation requis doit être établi. Ce rapport ainsi que le rapport établi par le médecin qui a examiné le mineur lors de son admission doivent être communiqués au directeur afin qu’il décide de l’affectation la plus appropriée pour l’intéressé dans l’établissement et du type de traitement et de programme de formation requis. Si un traitement rééducatif est nécessaire, et si la durée de séjour dans l’établissement le permet, un personnel qualifié de cet établissement devrait établir par écrit un plan de traitement individualisé qui spécifie les objectifs du traitement, leur échelonnement dans le temps et les moyens, étapes et phases par lesquels les atteindre. Les mineurs doivent être détenus dans des conditions tenant dûment compte de leur statut et de leurs besoins particuliers en fonction de leur âge, de leur personnalité et de leur sexe, du type de délit ainsi que de leur état physique et mental, et qui les protègent des influences néfastes et des situations à risque. Le principal critère pour le classement des mineurs privés de liberté dans les différentes catégories doit être la nécessité de fournir aux intéressés le type de traitement le mieux adapté à leurs besoins et de protéger leur intégrité physique, morale et mentale ainsi que leur bien-être. (...) D. Environnement physique et logement Les mineurs détenus doivent être logés dans des locaux répondant à toutes les exigences de l’hygiène et de la dignité humaine. La conception des établissements pour mineurs et l’environnement physique doivent être conformes à l’objectif de réadaptation assigné au traitement des mineurs détenus, compte dûment tenu du besoin d’intimité des mineurs et de leur besoin de stimulants sensoriels, tout en leur offrant des possibilités d’association avec leurs semblables et en leur permettant de se livrer à des activités sportives, d’exercice physique et de loisirs (...). Normalement, les mineurs doivent dormir dans de petits dortoirs ou des chambres individuelles, tout en tenant compte des normes locales. Les locaux où dorment les détenus – chambres individuelles ou dortoirs – doivent être soumis, la nuit, à une surveillance régulière et discrète, afin d’assurer la protection de chacun des mineurs. Chaque mineur doit disposer, en conformité avec les usages locaux ou nationaux, d’une literie individuelle suffisante qui doit être propre au moment où elle est délivrée, entretenue convenablement et renouvelée de façon à en assurer la propreté. Les installations sanitaires doivent se trouver à des emplacements convenablement choisis et répondre à des normes suffisantes pour permettre à tout mineur de satisfaire les besoins naturels au moment voulu, d’une manière propre et décente. La possession d’effets personnels est un élément fondamental du droit à la vie privée et est essentielle au bien-être psychologique du mineur. En conséquence, doivent être pleinement reconnus et respectés le droit du mineur de conserver en sa possession ses effets personnels et celui d’avoir la possibilité d’entreposer ces effets dans des conditions satisfaisantes. (...) E. Éducation, formation professionnelle et travail Tout mineur d’âge scolaire a le droit de recevoir une éducation adaptée à ses besoins et aptitudes, et propre à préparer son retour dans la société. Cette éducation doit autant que possible être dispensée hors de l’établissement pénitentiaire dans des écoles communautaires et, en tout état de cause, par des enseignants qualifiés dans le cadre de programmes intégrés au système éducatif du pays afin que les mineurs puissent poursuivre sans difficulté leurs études après leur libération (...). (...) Chaque établissement doit mettre à disposition une bibliothèque suffisamment pourvue de livres instructifs et récréatifs adaptés aux mineurs ; ceux-ci doivent être encouragés à l’utiliser le plus possible et mis à même de le faire. Tout mineur doit avoir le droit de recevoir une formation professionnelle susceptible de le préparer à la vie active. Dans les limites compatibles avec une sélection professionnelle appropriée et avec les nécessités de l’administration et de la discipline des établissements, les mineurs doivent être en mesure de choisir le type de travail qu’ils désirent accomplir (...) F. Loisirs Tout mineur doit avoir droit à un nombre d’heures approprié d’exercice libre par jour, en plein air si le temps le permet, au cours desquelles il reçoit normalement une éducation physique et récréative. Le terrain, les installations et l’équipement nécessaires doivent être prévus pour ces activités. Tout mineur doit disposer chaque jour d’un nombre d’heures additionnel pour ses loisirs, dont une partie sera consacrée, si le mineur le souhaite, à la formation à une activité artistique ou artisanale. L’établissement doit veiller à ce que le mineur soit physiquement apte à participer aux programmes d’éducation physique qui lui sont offerts. Une éducation physique et une thérapie correctives doivent être dispensées, sous surveillance médicale, aux mineurs qui en ont besoin. (...) H. Soins médicaux Tout mineur a le droit de recevoir des soins médicaux, tant préventifs que curatifs, y compris des soins dentaires, ophtalmologiques et psychiatriques, ainsi que celui d’obtenir les médicaments et de suivre le régime alimentaire que le médecin peut lui prescrire. Tous ces soins médicaux doivent, dans la mesure du possible, être dispensés aux mineurs en détention par les services de santé appropriés de la communauté où est situé l’établissement, afin d’empêcher toute stigmatisation du mineur et de favoriser le respect de soi et l’intégration dans la communauté. Dès son admission dans un établissement pour mineurs, chaque mineur a le droit d’être examiné par un médecin afin que celui-ci constate toute trace éventuelle de mauvais traitement et décèle tout état physique ou mental justifiant des soins médicaux. Les services médicaux offerts aux mineurs doivent viser à déceler et traiter toute affection ou maladie physique, mentale ou autre, ou abus de certaines substances qui pourrait entraver l’insertion du mineur dans établissement pour mineur doit pouvoir accéder immédiatement à des moyens et équipements médicaux adaptés au nombre et aux besoins de ses résidents et être doté d’un personnel formé aux soins de médecine préventive et au traitement des urgences médicales. Tout mineur qui est ou se dit malade, ou qui présente des symptômes de troubles physiques ou mentaux doit être examiné sans délai par un médecin. Tout médecin qui a des motifs de croire que la santé physique ou mentale d’un mineur est ou sera affectée par une détention prolongée, une grève de la faim ou une modalité quelconque de la détention doit en informer immédiatement le directeur de l’établissement ainsi que l’autorité indépendante chargée de la protection du mineur. Tout mineur atteint d’une maladie mentale doit être traité dans un établissement spécialisé doté d’une direction médicale indépendante. Des mesures doivent être prises, aux termes d’un arrangement avec les organismes appropriés, pour assurer, le cas échéant, la poursuite du traitement psychiatrique après la libération. (...) J. Contacts avec l’extérieur Tout doit être mis en œuvre pour que les mineurs aient suffisamment de contacts avec le monde extérieur car ceci fait partie intégrante du droit d’être traité humainement et est indispensable pour préparer les mineurs au retour dans mineurs doivent être autorisés à communiquer avec leur famille, ainsi qu’avec des membres ou représentants d’organisations extérieures de bonne réputation, à sortir de l’établissement pour se rendre dans leurs foyers et leur famille et à obtenir des autorisations de sortie spéciales pour des motifs importants d’ordre éducatif, professionnel ou autre (...). (...) K. Mesures de contrainte physique et recours à la force L’emploi d’instruments de contrainte, quelle qu’en soit la raison, est interdit, sauf dans les cas visés à la règle 64 ci-dessous. Les moyens et instruments de contrainte ne peuvent être utilisés que dans des cas exceptionnels et lorsque les autres moyens de contrôle ont été inopérants et s’ils sont expressément autorisés et définis par les lois et règlements ; ils ne doivent pas être humiliants et ne peuvent être utilisés que pour la durée la plus brève possible et sur ordre du directeur, si les autres moyens de maîtriser le mineur ont échoué, afin d’empêcher le mineur de causer des dommages corporels à lui-même ou à autrui, ou de graves dommages matériels. En pareil cas, le directeur doit consulter d’urgence le médecin et faire rapport à l’autorité administrative supérieure. Le port et l’usage d’armes par le personnel doivent être interdits dans tout établissement accueillant des mineurs. L. Procédures disciplinaires Toute mesure ou procédure disciplinaire doit assurer le maintien de la sécurité et le bon ordre de la vie communautaire et être compatible avec le respect de la dignité inhérente du mineur et l’objectif fondamental du traitement en établissement, à savoir inculquer le sens de la justice, le respect de soi-même et le respect des droits fondamentaux de chacun. Toutes les mesures disciplinaires qui constituent un traitement cruel, inhumain ou dégradant, telles que les châtiments corporels, la réclusion dans une cellule obscure, dans un cachot ou en isolement, et toute punition qui peut être préjudiciable à la santé physique ou mentale d’un mineur doivent être interdites. La réduction de nourriture et les restrictions ou l’interdiction des contacts avec la famille doivent être exclues, quelle qu’en soit travail doit toujours être considéré comme un instrument d’éducation et un moyen d’inculquer au mineur le respect de soi-même pour le préparer au retour dans sa communauté, et ne doit pas être imposé comme une sanction disciplinaire. Aucun mineur ne peut être puni plus d’une fois pour la même infraction à sanctions collectives doivent être interdites. (...) » Les passages pertinents des Principes directeurs des Nations unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad, Résolution no 45/112 adoptée par l’Assemblée générale le 14 décembre 1990) énoncent ce qui suit : II faudrait reconnaître la nécessité et l’importance d’adopter des politiques de prévention de la délinquance nouvelles ainsi que d’étudier systématiquement et d’élaborer des mesures qui évitent de criminaliser et de pénaliser un comportement qui ne cause pas de dommages graves à l’évolution de l’enfant et ne porte pas préjudice à autrui. Ces politiques et mesures devraient comporter les éléments suivants : a) Dispositions, en particulier en matière d’éducation, permettant de faire face aux divers besoins des jeunes et de constituer un cadre de soutien assurant le développement personnel de tous les jeunes et particulièrement de ceux qui sont à l’évidence « en danger » ou en état de « risque social » et ont besoin d’une attention et d’une protection spéciales ; (...) Outre leur mission d’enseignement et de formation professionnelle, les systèmes éducatifs doivent s’attacher particulièrement : a) À enseigner à l’enfant les valeurs fondamentales et le respect de l’identité et des traditions culturelles qui sont les siennes, des valeurs du pays dans lequel il vit, des civilisations différentes de la sienne et des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; b) À promouvoir le plein épanouissement de la personnalité, des talents et des aptitudes mentales et physiques des jeunes ; c) À amener les jeunes à participer de manière active et constructive au processus éducatif, au lieu de se borner à le subir ; d) À soutenir les activités qui favorisent chez les jeunes un sentiment d’identification et d’appartenance à l’école et à la communauté ; e) À favoriser chez les jeunes la compréhension et le respect des divers points de vue et opinions, ainsi que des différences culturelles et autres ; f) À fournir aux jeunes des renseignements et des conseils en matière de formation professionnelle, de possibilités d’emploi et de perspectives de carrière ; g) À apporter aux jeunes un soutien moral et à éviter de leur infliger des mauvais traitements d’ordre psychologique ; h) À éviter les mesures disciplinaires dures, spécialement les châtiments corporels (...) Le placement des jeunes en institutions devrait n’intervenir qu’en dernier ressort et ne durer que le temps absolument indispensable, l’intérêt de l’enfant étant la considération essentielle. II faudrait définir strictement les critères de recours aux interventions officielles de ce type, qui devraient être limitées normalement aux situations suivantes : a) l’enfant ou l’adolescent a enduré des souffrances infligées par ses parents ou tuteurs ; b) l’enfant ou l’adolescent a subi des violences sexuelles, physiques ou affectives de la part des parents ou tuteurs ; c) l’enfant ou l’adolescent a été négligé, abandonné ou exploité par ses parents ou tuteurs ; d) l’enfant est menacé physiquement ou moralement par le comportement de ses parents ou tuteurs ; et e) l’enfant ou l’adolescent est exposé à un grave danger physique ou psychologique du fait de son propre comportement et ni lui, ni ses parents ou tuteurs, ni les services communautaires hors institution ne peuvent parer ce danger par des moyens autres que le placement en institution. (...) » Textes du Conseil de l’Europe La Résolution no 77 (62) sur la délinquance juvénile et la transformation sociale, adoptée par le Comité des Ministres le 29 novembre 1978, recommande aux États membres de : « a) veiller à la sauvegarde des droits fondamentaux des jeunes par leur participation aux interventions judiciaires et administratives qui les concernent ; b) revoir les sanctions et les mesures imposées aux jeunes et renforcer leur caractère éducatif et socialisant ; c) limiter, dans la mesure du possible, les sanctions et les mesures privatives de liberté et développer les moyens de traitement en liberté ; d) faire en sorte que les grandes institutions ségrégatives soient supprimées et que leur soient substitués des établissements plus petits soutenus par la collectivité ; e) attacher une importance particulière à l’assistance des jeunes au cours du traitement institutionnel et notamment au cours de la période de transition du traitement institutionnel à la liberté ; f) revoir la législation relative aux mineurs afin de mieux permettre l’assistance aux jeunes en danger tout en évitant leur marginalisation ; (...) » Les passages pertinents de la Recommandation R (87) 20 sur les réactions sociales à la délinquance juvénile, adoptée par le Comité des Ministres le 17 septembre 1987, sont ainsi libellés : « (...) Considérant que les jeunes sont des êtres en devenir et que, par conséquent, toutes les mesures prises à leur égard devraient avoir un caractère éducatif ; Considérant que les réactions sociales à la délinquance juvénile doivent tenir compte de la personnalité et des besoins spécifiques des mineurs et que ceux-ci nécessitent des interventions et, s’il y a lieu, des traitements spécialisés s’inspirant notamment des principes contenus dans la Déclaration des droits de l’enfant des Nations Unies ; Convaincu que le système pénal des mineurs doit continuer à se caractériser par son objectif d’éducation et d’insertion sociale et qu’en conséquence, il doit, autant que possible, supprimer l’emprisonnement des mineurs ; Considérant que l’intervention auprès des mineurs doit avoir lieu, de préférence, dans leur milieu naturel de vie et engager la collectivité, notamment au niveau local ; Convaincu qu’il faut reconnaitre aux mineurs les mêmes garanties procédurales que celles reconnues aux adultes ; (...) Recommande aux gouvernements des États membres de revoir, si nécessaire, leur législation et leur pratique en vue : (...) II. Déjudiciarisation (diversion) – médiation d’encourager le développement de procédures de déjudiciarisation et de médiation au niveau de l’organe de poursuite (classement sans suite) ou au niveau de la police, dans les pays où celle-ci a des fonctions de poursuite, afin d’éviter aux mineurs la prise en charge par le système de justice pénale et les conséquences qui en découlent ; d’associer les services ou commissions de protection de l’enfance à l’application de ces procédures ; de prendre les mesures nécessaires afin qu’au cours de ces procédures : – soient assurées l’acceptation par le mineur des mesures éventuelles conditionnant la déjudiciarisation et, si nécessaire, la collaboration de sa famille ; – une attention adéquate soit accordée aussi bien aux droits et aux intérêts de la victime qu’à ceux du mineur ; III. Justice des mineurs d’assurer une justice des mineurs plus rapide, évitant des délais excessifs, afin qu’elle puisse avoir une action éducative efficace ; d’éviter le renvoi des mineurs vers la juridiction des adultes, quand des juridictions des mineurs existent ; d’éviter, autant que possible, la garde à vue des mineurs et, en tout cas, d’inciter les autorités compétentes à contrôler les conditions dans lesquelles elle se déroule ; (...) de renforcer la position légale des mineurs tout au long de la procédure y compris au stade policier en reconnaissant, entre autres : – la présomption d’innocence ; – le droit à l’assistance d’un défenseur, éventuellement commis d’office et rémunéré par l’État ; – le droit à la présence des parents ou d’un autre représentant légal qui doivent être informés dès le début de la procédure ; – le droit pour les mineurs de faire appel à des témoins, de les interroger et de les confronter ; – la possibilité pour les mineurs de demander une contre-expertise ou toute autre mesure équivalente d’investigation ; – le droit des mineurs de prendre la parole ainsi que, le cas échéant, de se prononcer sur les mesures envisagées à leur égard ; – le droit de recours ; – le droit de demander la révision des mesures ordonnées ; – le droit des jeunes au respect de leur vie privée ; (...) IV. Interventions de s’assurer que les interventions à l’égard des jeunes délinquants soient situées de préférence dans le milieu naturel de vie de ceux-ci et qu’elles respectent leur droit à l’éducation et leur personnalité et favorisent leur épanouissement ; (...) dans la perspective d’éliminer progressivement le recours à l’enfermement et de multiplier les mesures de substitution à l’emprisonnement : de donner la préférence à celles qui favorisent les possibilités d’insertion sociale tant au niveau de la formation scolaire et professionnelle que dans l’utilisation des loisirs et d’activités diverses ; parmi ces mesures, d’accorder une attention particulière à celles qui ; – comportent une surveillance et une assistance probatoires ; – visent à faire face à la persistance du comportement délinquant du mineur par l’amélioration de ses aptitudes sociales au moyen d’une action éducative intensive (entre autres, « traitement intermédiaire intensif ») ; – comportent la réparation du dommage causé par l’activité délictueuse du mineur ; – prévoient un travail pour la communauté adapté à l’âge et aux finalités éducatives ; pour les cas où une peine privative de liberté ne peut être évitée, selon la législation nationale : – de mettre en place une échelle des peines adaptée à la condition des mineurs, et de prévoir des modalités d’exécution et d’application de peines plus favorables que celles prévues pour les adultes, notamment pour les mesures de semi-liberté et de libération anticipée, d’octroi et de révocation du sursis ; – d’exiger la motivation des peines privatives de liberté par le juge ; – d’éviter l’incarcération des mineurs avec des adultes ou, quand, dans des cas exceptionnels, l’intégration est jugée préférable pour des raisons de traitement, de protéger les mineurs de l’influence pernicieuse des adultes ; – d’assurer la formation tant scolaire que professionnelle des mineurs détenus, de préférence en liaison avec la collectivité, ou toute autre mesure favorisant la réinsertion sociale ; – d’assurer un soutien éducatif après la fin de l’incarcération et éventuellement un appui à la réinsertion sociale des mineurs ; (...) » Le passage pertinent de la Recommandation du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe concernant les nouveaux modes de traitement de la délinquance juvénile et le rôle de la justice des mineurs (Rec (2003) 20), adoptée le 24 septembre 2003 lors de la 853e réunion des Délégués des Ministres), se lit ainsi : « 15. Lorsque des mineurs sont placés en garde à vue, il conviendrait de prendre en compte leur statut de mineur, leur âge, leur vulnérabilité et leur niveau de maturité. Ils devraient être informés dans les plus brefs délais, d’une manière qui leur soit pleinement intelligible, des droits et des garanties dont ils bénéficient. Lorsqu’ils sont interrogés par la police, ils devraient, en principe, être accompagnés d’un de leurs parents/leur tuteur légal ou d’un autre adulte approprié. Ils devraient aussi avoir le droit d’accès à un avocat et à un médecin (...) » Les passages pertinents de la Recommandation CM/Rec (2008) 11 sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, adoptée par le Comité des Ministres le 5 novembre 2008, sont ainsi libellés : « Partie I – Principes fondamentaux, champ d’application et définitions (...) Toute sanction ou mesure pouvant être imposée à un mineur, ainsi que la manière dont elle est exécutée, doit être prévue par la loi et fondée sur les principes de l’intégration sociale, de l’éducation et de la prévention de la récidive. (...) L’âge minimal pour le prononcé de sanctions ou de mesures en réponse à une infraction ne doit pas être trop bas et doit être fixé par la loi. Le prononcé et l’exécution de sanctions ou de mesures doivent se fonder sur l’intérêt supérieur du mineur, doivent être limités par la gravité de l’infraction commise (principe de proportionnalité) et doivent tenir compte de l’âge, de la santé physique et mentale, du développement, des facultés et de la situation personnelle (principe d’individualisation), tels qu’établis, le cas échéant, par des rapports psychologiques, psychiatriques ou d’enquête sociale. (...) Les sanctions ou mesures ne doivent pas être humiliantes ni dégradantes pour les mineurs qui en font l’objet. Aucune sanction ou mesure ne doit être appliquée d’une manière qui en aggrave le caractère afflictif ou qui représente un risque excessif de nuire physiquement ou mentalement. (...) La privation de liberté d’un mineur ne doit être prononcée et exécutée qu’en dernier recours et pour la période la plus courte possible. Des efforts particuliers doivent être faits pour éviter la détention provisoire. (...) La médiation et les autres mesures réparatrices doivent être encouragées à toutes les étapes des procédures impliquant des mineurs. Tout système judiciaire traitant d’affaires impliquant des mineurs doit assurer leur participation effective aux procédures relatives au prononcé et à l’exécution de sanctions ou de mesures. Les mineurs ne doivent pas bénéficier de droits et de garanties juridiques inférieurs à ceux que la procédure pénale reconnaît aux délinquants adultes. Tout système judiciaire traitant d’affaires impliquant des mineurs doit prendre dûment en compte les droits et responsabilités des parents ou tuteurs légaux et doit, dans la mesure du possible, impliquer ceux-ci dans les procédures et dans l’exécution des sanctions ou mesures, hormis dans les cas où ce n’est pas dans l’intérêt supérieur du mineur. (...) Au sens des présentes règles, on entend par : (...) 4. « sanctions ou mesures appliquées dans la communauté » toute sanction ou mesure, autre qu’une mesure de détention, qui maintient le mineur dans la communauté et qui implique une certaine restriction de sa liberté par l’imposition de conditions et/ou d’obligations, et qui est mise à exécution par des organismes prévus par la loi dans ce but. Le terme désigne toute sanction décidée par une autorité judiciaire ou administrative, toute mesure prise avant la décision imposant la sanction ou à la place d’une telle décision, et les modalités d’exécution d’une peine d’emprisonnement hors d’un établissement pénitentiaire ; 5. « privation de liberté » toute forme de placement, sur ordre d’une autorité judiciaire ou administrative, dans une institution que le mineur n’est pas autorisé à quitter à sa guise ; (...) Partie II – Sanctions et mesures appliquées dans la communauté (...) 1. Une vaste gamme de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, adaptées aux différents stades de développement des mineurs, doit être prévue à toutes les étapes de la procédure. 2. La priorité doit être donnée aux sanctions et mesures susceptibles d’avoir un effet éducatif et de constituer une réparation des infractions commises par les mineurs. (...) Partie III – Privation de liberté (...) 1. La privation de liberté doit être appliquée uniquement aux fins pour lesquelles elle est prononcée et d’une manière qui n’aggrave pas les souffrances qui en résultent. (...) 1. Les mineurs privés de liberté doivent avoir accès à un éventail d’activités et d’interventions significatives suivant un plan individuel global, qui favorise leur progression vers des régimes moins contraignants, ainsi que leur préparation à la sortie et leur réinsertion dans telles activités et interventions doivent leur permettre de promouvoir leur santé physique et mentale, de développer le respect de soi et le sens des responsabilités, ainsi que des attitudes et des compétences qui les aideront à éviter de récidiver. 2. Les mineurs doivent être encouragés à participer à de telles interventions et activités. (...) 2. Ces institutions doivent disposer des équipements de sécurité et de contrôle les moins restrictifs possible, nécessaires pour empêcher les mineurs de se nuire à eux-mêmes ou de faire du tort au personnel, aux autres ou à la société en général. 3. La vie en institution doit être alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie dans la collectivité. 4. Le nombre de mineurs par institution doit être suffisamment réduit pour permettre une prise en charge personnalisée. Les institutions doivent être organisées en unités de vie de petite taille. (...) Les mineurs privés de liberté doivent être placés dans des institutions offrant un niveau de surveillance le moins restrictif possible nécessaire pour les héberger en toute sécurité. Les mineurs souffrant d’une maladie mentale mais devant être privés de liberté doivent être placés dans des institutions de santé mentale. (...) 2. Au moment de l’admission, les informations suivantes concernant chaque mineur doivent être immédiatement consignées : (...) g. sous réserve des impératifs du secret médical, toute information sur les risques d’automutilation et l’état de santé, dont il y a lieu de tenir compte pour son bien-être physique et mental, et celui d’autrui. (...) 5. Dès que possible après son admission, le mineur doit être soumis à un examen médical, un dossier médical doit être ouvert et le traitement de toute maladie ou blessure doit être engagé. 6. Dès que possible après l’admission : a. le mineur doit être interrogé en vue d’établir un premier rapport psychologique, éducatif et social permettant de définir précisément le type et le niveau de prise en charge et d’intervention dont il a besoin ; b. le niveau de sécurité adéquat doit être déterminé et, le cas échéant, le placement initial doit être modifié ; c. hormis dans les cas où la période de privation de liberté est très brève, un plan global des programmes d’éducation et de formation correspondant aux caractéristiques personnelles de chaque mineur doit être établi et sa mise en œuvre entamée ; et d. l’avis du mineur doit être pris en compte, dans la mesure du possible, quand de tels programmes sont conçus. (...) 2. Les mineurs doivent en principe être logés pendant la nuit dans des chambres individuelles, sauf lorsqu’il apparaît préférable pour eux qu’ils partagent des pièces communes. Les logements ne doivent être partagés que s’ils sont adaptés à un usage collectif et doivent être occupés par des mineurs reconnus aptes à cohabiter ensemble. Les mineurs doivent être consultés avant d’être contraints de partager des locaux pendant la nuit et doivent pouvoir indiquer avec quelle personne ils souhaitent cohabiter. (...) 1. Tous les locaux d’une institution doivent être maintenus en état et propres en tout temps. 2. Les mineurs doivent accéder facilement à des installations sanitaires hygiéniques et respectant leur intimité. (...) 2. La santé des mineurs privés de liberté doit être protégée conformément aux normes médicales reconnues applicables à l’ensemble des mineurs dans la collectivité. (...) Une attention particulière doit être accordée aux besoins : d. des mineurs souffrant de problèmes de santé physique et mentale ; (...) Les activités faisant partie du régime doivent viser à remplir des fonctions d’éducation, de développement personnel et social, de formation professionnelle, de réinsertion et de préparation à la remise en liberté. Elles peuvent inclure notamment : a. l’enseignement scolaire ; b. la formation professionnelle ; c. le travail et l’ergothérapie ; d. la formation à la citoyenneté ; e. l’apprentissage et le développement de compétences sociales ; f. la prévention des agressions ; g. le traitement des dépendances ; h. les thérapies individuelles et de groupe ; i. l’éducation physique et le sport ; j. l’enseignement supérieur et la formation continue ; k. le traitement de l’endettement ; l. les programmes de justice réparatrice et de dédommagement pour les infractions ; m. les activités créatrices et de loisir ; n. des activités hors institution, au sein de la collectivité, des permissions journalières et d’autres formes de permission de sortie ; et o. la préparation à la remise en liberté et à la réinsertion. 1. L’enseignement scolaire, la formation professionnelle et, le cas échéant, les programmes de traitement doivent avoir priorité sur le travail. 2. Dans la mesure du possible, des dispositions doivent être prises afin que les mineurs fréquentent les écoles et les centres de formation locaux, ainsi que d’autres activités organisées par la collectivité. 3. Si les mineurs ne peuvent pas fréquenter une école locale ou un centre de formation en dehors de l’institution, leur enseignement et leur formation professionnelle doivent être organisés à l’intérieur de l’institution, sous les auspices d’organismes éducatifs et de formation externes. (...) 5. Les mineurs détenus doivent être intégrés dans le système national d’éducation et de formation professionnelle afin qu’ils puissent poursuivre leur scolarité ou leur formation professionnelle sans difficulté après leur sortie. 1. Un plan individualisé doit être établi à partir des activités visées à la règle 77, recensant celles auxquelles le mineur doit participer. 2. Ce plan doit être destiné à permettre aux mineurs d’exploiter leur temps au mieux, dès le début de leur séjour, et d’acquérir et de développer les comportements et les compétences nécessaires à leur réinsertion dans la société. (...) Tous les mineurs privés de liberté doivent être autorisés à faire régulièrement de l’exercice au moins deux heures par jour, dont au moins une heure en plein air, si les conditions météorologiques le permettent. (...) 1. Le personnel ne doit pas utiliser la force contre les mineurs, sauf, en dernier recours, en cas de légitime défense, de tentative d’évasion ou de résistance physique à un ordre licite, en cas de risque immédiat d’automutilation, de préjudice à autrui ou de sérieux dégâts matériels. (...) 1. Des procédures disciplinaires ne peuvent être utilisées qu’en dernier recours. Les modes de résolution de conflit éducative ou réparatrice, ayant pour but de promouvoir la norme, doivent être préférées aux audiences disciplinaires formelles et aux punitions. 2. Seul un comportement susceptible de faire peser une menace au bon ordre, à la sûreté et la sécurité peut être défini comme une infraction disciplinaire. (...) 1. Les sanctions disciplinaires doivent être choisies, dans la mesure du possible, en fonction de leur impact pédagogique. Elles ne doivent pas être plus lourdes que ne le justifie la gravité de l’infraction. 2. Les sanctions collectives, les peines corporelles, le placement dans une cellule obscure, et toute autre forme de sanction inhumaine ou dégradante doivent être interdits. (...) Partie IV – Conseil et assistance juridiques 120.1. Les mineurs et leurs parents ou tuteurs légaux ont droit à des conseils et à une assistance juridiques pour les questions concernant le prononcé et l’exécution de sanctions ou de mesures. 120.2. Les autorités compétentes doivent raisonnablement aider le mineur à avoir un accès effectif et confidentiel à de tels conseils et assistance, y compris à des visites illimitées et non surveillées avec son avocat. 120.3. L’État doit assurer une assistance judiciaire gratuite aux mineurs, à leurs parents ou à leurs représentants légaux quand les intérêts de la justice l’exigent. (...) » Les passages pertinents des Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants, adoptées par le Comité des Ministres le 17 novembre 2010, se lisent ainsi : « II. Définitions Aux fins des présentes lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants (ciaprès « les lignes directrices ») : (...) c. par « justice adaptée aux enfants » il faut entendre des systèmes judiciaires garantissant le respect et la mise en œuvre effective de tous les droits de l’enfant au niveau le plus élevé possible, compte tenu des principes énoncés ci-après et en prenant dûment en considération le niveau de maturité et de compréhension de l’enfant, et les circonstances de l’espèce. Il s’agit, en particulier, d’une justice accessible, convenant à l’âge de l’enfant, rapide, diligente, adaptée aux besoins et aux droits de l’enfant, et axée sur ceux-ci, et respectueuse des droits de l’enfant, notamment du droit à des garanties procédurales, du droit de participer à la procédure et de la comprendre, du droit au respect de la vie privée et familiale, ainsi que du droit à l’intégrité et à la dignité. III. Principes fondamentaux (...) E. Primauté du droit Le principe de la primauté du droit devrait s’appliquer pleinement aux enfants, tout comme il s’applique aux adultes. Tous les éléments des garanties procédurales, tels que les principes de légalité et de proportionnalité, la présomption d’innocence, le droit à un procès équitable, le droit à un conseil juridique, le droit d’accès aux tribunaux et le droit de recours, devraient être garantis aux enfants tout comme ils le sont aux adultes et ne devraient pas être minimisés ou refusés sous prétexte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela s’applique à toutes les procédures judiciaires, non judiciaires et administratives. (...) IV. Une justice adaptée aux enfants avant, pendant et après la procédure judiciaire (...) Privation de liberté Toute forme de privation de liberté des enfants devrait être une mesure de dernier ressort et d’une durée aussi courte que possible. (...) Compte tenu de la vulnérabilité des enfants privés de liberté, de l’importance des liens familiaux et de la promotion de la réintégration dans la société après la remise en liberté, les autorités compétentes devraient garantir le respect et soutenir activement la jouissance des droits de l’enfant tels qu’ils sont énoncés dans les instruments universels et européens. En plus de leurs autres droits, les enfants devraient avoir, en particulier, le droit : (...) b. de recevoir une éducation appropriée, une orientation et une formation professionnelles, une assistance médicale, et de jouir de la liberté de pensée, de conscience et de religion, et de l’accès aux loisirs, y compris l’éducation physique et le sport ; c. d’accéder à des programmes préparant à l’avance le retour des enfants dans leurs communautés, une attention toute particulière étant portée à leurs besoins physiques et émotionnels, leurs relations familiales, leur logement, leurs possibilités de scolarité et d’emploi, et leur statut socio-économique. (...) B. Une justice adaptée aux enfants avant la procédure judiciaire (...) Les solutions de remplacement aux procédures judiciaires telles que la médiation, la déjudiciarisation et les modes alternatifs de règlement des litiges devraient être encouragées dès lors qu’elles peuvent servir au mieux l’intérêt supérieur de l’enfant. Le recours préalable à ces solutions de remplacement ne devrait pas être utilisé pour faire obstacle à l’accès de l’enfant à la justice. (...) Les solutions de remplacement aux procédures judiciaires devraient offrir un niveau équivalent de garanties juridiques. Le respect des droits de l’enfant, tel que décrit dans les présentes lignes directrices et dans l’ensemble des instruments juridiques pertinents relatifs aux droits de l’enfant, devrait être garanti dans la même mesure dans les procédures judiciaires et non judiciaires. C. Enfants et police La police devrait respecter les droits individuels et la dignité de tous les enfants, et prendre en considération leur vulnérabilité, c’est-à-dire tenir compte de leur âge et de leur maturité, ainsi que des besoins particuliers des enfants ayant un handicap physique ou mental, ou des difficultés de communication. Lorsqu’un enfant est arrêté par la police, il devrait être informé d’une manière et dans un langage adapté à son âge et à son niveau de compréhension des raisons pour lesquelles il a été placé en garde à vue. Les enfants devraient avoir accès à un avocat et avoir la possibilité de contacter leurs parents ou une personne en qui ils ont confiance. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, le(s) parent(s) devrai(en)t être informé(s) de la présence de l’enfant au poste de police ainsi que des détails de la raison du placement en garde à vue de l’enfant, et être prié de se rendre au poste de police. Un enfant placé en garde à vue ne devrait pas être interrogé sur un acte délictueux ou tenu de faire ou de signer une déclaration portant sur son implication, sauf en présence d’un avocat ou d’un des parents de l’enfant ou, si aucun parent n’est disponible, d’un autre adulte en qui l’enfant a confiance. (...) Les autorités devraient s’assurer que les enfants placés en garde à vue le sont dans des conditions sûres et appropriées à leurs besoins. (...) E. Une justice adaptée aux enfants après la procédure judiciaire (...) Les mesures et les sanctions prises à l’égard des enfants en conflit avec la loi devraient toujours constituer des réponses constructives et personnalisées aux actes commis, en gardant à l’esprit le principe de proportionnalité, l’âge de l’enfant, son bien-être et son développement physiques et psychiques, et les circonstances de l’espèce. Les droits à l’éducation, à la formation professionnelle, à l’emploi, à la réhabilitation et à la réinsertion devraient être garantis. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. La genèse de l’affaire La première requérante est née en 1972. D. et A. sont nés en 1995 et 1997 de son union avec un ressortissant français. C., la troisième requérante, née en 2000, est la fille de la première requérante et d’un autre ressortissant français. La première requérante et le père de D. et A. se séparèrent en 1999. En mars 2001, la première requérante et ses enfants quittèrent la France et s’installèrent au Royaume-Uni. Le divorce de la première requérante et du père de D. et A. fut prononcé le 28 juin 2001. Par un jugement du 10 janvier 2002, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon dit que l’autorité parentale serait exercée conjointement par les deux parents et fixa la résidence habituelle de D. et A. chez leur mère, en Grande-Bretagne. Il accorda au père un droit de visite et d’hébergement qui, sauf meilleur accord, devait s’exercer durant les vacances scolaires des enfants, à l’exclusion des vacances de Noël et nouvel an (lesquelles devaient être partagées entre les parents) et des trois premières semaines du mois de juillet. Le 29 mai 2006, le père de D. et A. saisit la County Court de Norwich d’une demande de transfert de résidence. Par une décision du 30 octobre 2006, la Country Court ordonna à l’organisme public Children and Family Court Advisory and Support Service (CAFCASS) de préparer un rapport sur la question de savoir avec qui les enfants devaient résider et sur les modalités de leurs contacts avec l’autre. Le rapport fut déposé le 26 janvier 2007. Après avoir entendu les deux parents, la Country Court, par une ordonnance provisoire du 1er février 2007 puis une ordonnance du 9 mai 2007, confirma la résidence de D. et A. chez leur mère, le père conservant des droits de visite et d’hébergement durant les vacances scolaires. Les 6 février, 7 novembre et 27 décembre 2006, le père de D. et A. déposa une plainte contre la première requérante devant la gendarmerie de La Roche-sur-Yon pour non représentation d’enfants. Il lui reprochait de ne pas lui avoir remis A. lors des vacances scolaires. Certaines de ces plaintes firent l’objet, le 17 septembre 2007, d’une dénonciation officielle aux autorités britanniques, laquelle fut retournée le 13 mars 2008 au parquet de La Roche-sur-Yon sans qu’aucune suite n’y ait été donnée. En 2007, D. et A. passèrent les vacances scolaires de printemps, d’été et d’automne avec leur père. Ils passèrent également deux semaines avec lui à Noël, à l’issue desquelles il n’accepta de les renvoyer en Grande-Bretagne qu’après l’intervention d’un gendarme. En 2008, D. et A. passèrent les vacances scolaires de printemps et d’été avec leur père. Ce dernier les ayant gardés avec lui à la fin des vacances d’été, la première requérante saisit la County Court de Norwich qui, le 22 août 2008, ordonna au père de renvoyer les enfants en Grande-Bretagne avant le 27 août. Il obtempéra. B. L’ordonnance de placement provisoire du juge des enfants du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon du 30 décembre 2008 Le 28 décembre 2008, alors que D. et A. étaient en France pour Noël et devaient retourner chez leur mère le 3 janvier 2009, leur père se présenta à la gendarmerie de La Roche-sur-Yon, évoquant la souffrance de ses enfants, leur peur de retourner en Grande-Bretagne, les carences éducatives de la première requérante, des faits de maltraitance et des menaces de D. contre lui-même et cette dernière. Le 30 décembre 2008, le parquet de La Roche-sur-Yon saisit le juge des enfants du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon sur le fondement notamment de l’article 20 du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (« Règlement de Bruxelles II bis »), qui permet aux juridictions des Etats membres de prendre, en cas d’urgence, toute mesure provisoire ou conservatoire même si une juridiction d’un autre Etat membre est compétente. Par une ordonnance du 2 janvier 2009, après les avoir entendus, ce juge confia provisoirement D. et A. à leur père et convoqua la première requérante à une audience du 16 janvier 2009. Cette décision était motivée par le constat du mal être exprimé par les adolescents, D. ayant notamment menacé de porter atteinte à son intégrité physique ou d’agresser sa mère en cas de retour contraint. Elle se fondait sur le fait que la souffrance de ce dernier constituait « un élément de danger manifeste pour sa santé et sa sécurité, de nature à compromettre durablement son développement psychique ». Elle retenait également qu’une expertise diligentée sur le territoire britannique à l’égard de la première requérante faisait « apparaître l’existence de dysfonctionnements psychiques, voire d’une certaine fragilité psychologique de la mère, de nature à renforcer les inquiétudes évoquées au sujet des deux enfants, et qui [devaient] être pris en considération pour mesurer les aptitudes éducatives de Mme Raw, dans un contexte familial complexe et conflictuel ». Le juge ordonna en outre une mesure d’investigation et d’orientation éducative destinée à analyser la dynamique familiale et vérifier les capacités éducatives de chacun des parents. Il confia à l’association « Sauvegarde 85 » – une association dédiée à l’accompagnement social – le soin de préparer un rapport. Etabli par une psychologue et une assistante sociale et daté du 3 février 2009, ce rapport préconise la prise en charge de D. et A. par leur père. Il indique que D. et A., dont les propos sont qualifiés de crédibles, décrivent un climat de terreur généré par leur mère et leur grand-père maternel, font état de violences physiques et psychologiques graves et répétées de leur part, en particulier sur D., de tentatives de manipulation à l’égard de leur père et d’entraves à l’accès à celui-ci, d’un logement sale et d’une hygiène négligée, d’un attachement « insécure » à leur mère – le lien étant dominé par l’imprévisibilité maternelle, ses actes violents et la peur qu’ils éprouvent au quotidien – et d’une absence de préoccupation maternelle à leur égard. Ils évoquent en outre l’alcoolisme de leur mère. Le rapport conclut en soulignant l’inquiétude des auteurs et en indiquant ceci : « si les maltraitances qu’ils dénoncent sont réelles [un retour chez leur mère] générerait incompréhension, confusion et effondrement psychique chez les enfants ; plus, elle serait facteur d’éventuels passages à l’acte, déjà énoncés par les enfants : sur leur mère (...), sur eux-mêmes (...), ou fugues (...) ». C. L’ordonnance de la High Court of Justice du 9 janvier 2009 Le 5 janvier 2009, la première requérante saisit le juge britannique sur le fondement du Child Abduction and Custody Act 1985 et du Règlement de Bruxelles II bis. Le 9 janvier 2009, la High Court of Justice jugea que la rétention de D. et A. par leur père était illégale, ordonna leur retour auprès de leur mère, et les plaça sous tutelle de la cour (Wards of Court) jusqu’à nouvel ordre. D. La saisine des autorités centrales Le 12 janvier 2009, la requérante forma une demande de retour auprès de l’Official Solicitor de l’International Child Abduction and Contact Unit, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles au sens de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 relative aux aspects civils de l’enlèvement international des enfants, sur le fondement de cette convention et du Règlement de Bruxelles II bis. Le 13 janvier 2009, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles transmit cette demande à l’autorité centrale française qui, le lendemain, l’adressa au parquet général de Poitiers pour saisine du juge aux affaires familiales. E. L’ordonnance du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Poitiers du 2 février 2009, l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 et l’arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010 Le 20 janvier 2009, le procureur de la République de Poitiers assigna le père de D. et A. en référé devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Poitiers aux fins de voir ordonner le retour de ces derniers en Grande-Bretagne. Une audience eut lieu le 23 janvier 2009 et, le 2 février 2009, la juge aux affaires familiales ordonna le retour de D. et A. en Grande-Bretagne dans les soixante-douze heures sous astreinte de 200 euros par jour de retard et condamna leur père à payer 3 000 EUR à la première requérante en application de l’article 26 de la Convention de La Haye. La juge aux affaires familiales jugea tout d’abord que l’ordonnance du 30 décembre 2008 du juge des enfants de La Roche-sur-Yon ne privait pas la rétention de son caractère illicite. Certes, l’article 20 du Règlement de Bruxelles II bis autorisait la prise de mesures d’urgence. Cependant, d’une part, l’article 17 de la Convention de La Haye prévoyait que le seul fait qu’une décision relative à la garde ait été rendue dans l’Etat requis ne pouvait justifier le refus de renvoyer les enfants vers leur pays de résidence. D’autre part, ces mesures cessaient d’avoir effet dès lors que le juge britannique compétent pour connaître du fond avait, le 9 janvier 2009, ordonné une mesure de protection. La juge aux affaires familiales retint ensuite qu’étant donné cette mesure de protection, le père ne pouvait se fonder sur l’article 13 de la Convention de La Haye, qui permet aux autorités de l’Etat requis de ne pas ordonner le retour de l’enfant lorsqu’il existe un risque grave que cela l’expose à un danger physique et psychique ou le place dans une situation intolérable, ou si l’enfant s’oppose à son retour. Elle releva qu’entendus à plusieurs reprises par les services de la gendarmerie, D. et A. avaient manifesté de façon claire et répétée leur souhait de vivre avec leur père, que le juge des enfants de La Roche-sur-Yon avait constaté qu’ils présentaient un important mal être et une souffrance manifeste, et que D. avait fait état de sa volonté réitérée de porter atteinte à son intégrité physique ou d’agresser sa mère en cas de retour contraint. Elle rappela toutefois que l’article 11 du Règlement Bruxelles II bis précisait qu’une juridiction ne pouvait refuser le retour d’un enfant sur le fondement de l’article 13 de la Convention de La Haye lorsque des dispositions adéquates ont été prises pour assurer sa protection après son retour ; or, déclarés Wards of Court, D. et A. allaient bénéficier d’un suivi approprié dans le pays de leur résidence habituelle. Cette décision était exécutoire à titre provisoire. Le 4 févier 2009, le procureur de la République de La Roche-sur-Yon reçut le père de D. et A. et, lui rappelant les termes et le sens de cette ordonnance, l’incita à retourner ses enfants au Royaume-Uni. Il n’obtempéra pas. Le 5 février 2009, le père de D. et A. interjeta appel de l’ordonnance. Le 23 février 2009, il forma une demande de suspension de l’exécution provisoire, qui fut rejetée le 10 mars 2009 par le premier président de la cour d’appel de Poitiers. Le 17 mars 2009, la première requérante déposa une plainte pour non-représentation d’enfants. Par un arrêt du 16 avril 2009, visant notamment les articles 13 et 26 de la Convention de La Haye et 11 du Règlement de Bruxelles II bis, la cour d’appel de Poitiers confirma l’ordonnance du 2 février 2009 en toutes ses dispositions et condamna le père de D. et A. sur le fondement de l’article 26 de la Convention de La Haye à payer 5 000 EUR à la première requérante. La cour tint compte de l’opinion de D. et A., tout en retenant qu’ils étaient influencés par le conflit de loyauté auquel ils se trouvaient confrontés, étant totalement coupés de leur mère depuis plus de trois mois et sous la seule influence de leur père. Elle estima ensuite qu’eu égard aux décisions de la High Court of Justice, toutes les mesures avaient été prises dans leur intérêt pour encadrer leur retour en Grande-Bretagne, auquel leur seule opposition ne pouvait suffire à faire obstacle. Le pourvoi en cassation formé par le père de D. et A. fut rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2010. F. Les mesures prises en vue de l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 16 avril 2009 et la rencontre médiatisée du 4 juin 2009 Mesures prises au cours de l’année 2009 a) Avant la rencontre médiatisée du 4 juin 2009 Une réunion fut organisée le 22 avril 2009 au parquet de La Rochesur-Yon entre le père de D. et A., son conseil et le procureur de la République. Ce dernier expliqua au premier que s’il n’exécutait pas spontanément cette décision, il s’exposait non seulement au risque d’une exécution forcée avec le concours de la force publique, mais aussi à des poursuites pénales à la suite de la plainte déposée par la première requérante le 17 mars 2009, pour non représentation d’enfants. L’intéressé indiqua ne pas vouloir obtempérer, faisant valoir que l’ordonnance de placement provisoire du 2 janvier 2009 faisait obstacle à l’exécution de la décision de retour jusqu’au 2 juillet 2009. Contactée à cette fin par le parquet, l’autorité centrale française rappela le lendemain qu’en application de l’article 20 alinéa 2 du Règlement Bruxelles II bis, la mesure de placement du 2 janvier 2009 avait cessé de produire ses effets le 9 janvier 2009, date à laquelle la High Court of Justice avait pris une mesure de protection au profit de D. et A. en les déclarant Wards of Court. Deux autres voies furent évoquées lors de cette réunion : par le biais de la Chancellerie ou du ministère des Affaires étrangères, obtenir des autorités britanniques qu’elles procèdent à une enquête sur les conditions de vie des enfants en Grande-Bretagne et sur la personnalité de la première requérante ; procéder à une médiation en mettant les deux parents autour d’une même table dans le but de négocier une solution. Une nouvelle réunion eut lieu le 6 mai 2009 au parquet général de Poitiers, en présence d’un intervenant social, membre du service d’aide à la médiation internationale familiale (un service intégré au bureau de l’entraide civile et commerciale internationale du ministère de la Justice). Un magistrat anglais y participa également par visioconférence ; il expliqua précisément le statut de protection dont D. et A. bénéficieraient en GrandeBretagne, indiquant en particulier qu’un administrateur ad hoc et un avocat seraient désignés. Répondant aux sollicitations du substitut du procureur, leur père accepta de les ramener volontairement en Grande-Bretagne, à condition qu’un service éducatif l’assiste pour leur expliquer les conditions de leur retour et qu’une reprise de contact avec leur mère soit organisée préalablement sous l’égide d’un service éducatif extérieur. Un intervenant social rencontra comme prévu D. et A. au domicile de leur père le 25 mai 2009. Le 26 mai 2009, le procureur de la République reçut le père de D. et A. et son avocat afin qu’ils lui précisent les conditions dans lesquels l’exécution de la décision de retour allait se réaliser. L’intéressé indiqua préférer que la première requérante vienne en France les chercher. L’entrevue médiatisée entre la mère et ses fils eut lieu le matin du 4 juin 2009 dans les locaux de l’association Sauvegarde 85, en présence de l’intervenant social qui avait rencontré ces derniers le 25 mai 2009, de leur père, d’un éducateur et de la psychologue qui les avait déjà rencontrés. Il était prévu que D. et A. soient remis à la première requérante l’après-midi en vue de leur retour en Grande-Bretagne. La tentative de reprise de contact échoua cependant : D. s’en prit physiquement à sa mère et A., en pleurs et en cris, refusa de la rencontrer. Le jour même, la psychologue et l’assistante sociale établirent à l’attention du juge des enfants un rapport décrivant en détail cette rencontre et l’échec auquel elle avait abouti, et concluant ainsi : « (...) nous ne pouvons qu’alerter l’autorités judicaires sur l’impossibilité actuelle des enfants à être confrontés seuls à leur mère. Si ceux-ci se trouvent inévitablement dans un conflit de loyauté, nous pensons que leurs réactions témoignent de l’authenticité de leur souffrance dans leur relation à leur mère, et de leur réelle difficulté, voire leur incapacité actuelle à vivre avec elle. Au regard des tensions vécues par les enfants, de leur état émotionnel, voire de leur désorganisation, nous avons conseillé [à leur père] une prise en charge médicale. Au vu des événements de ce jour, le risque de passage à l’acte dramatique sur leur mère et sur eux-mêmes est malheureusement réel et vérifié. » D. et A. furent hospitalisés le 4 juin en pédiatrie au centre hospitalier de La Roche-sur-Yon. Le médecin qui les suivait écrivit au parquet le 5 juin 2009, signalant qu’au vu des témoignages des enfants et au vu de leur réaction face à leur mère, « il sembl[ait] qu’ils cour[raient] un risque très important, tant physique que psychologique, à retourner chez [elle] ». Le parquet avait immédiatement informé l’autorité centrale française de cet échec. Elle lui avait répondu dans la même journée, l’invitant à lui fournir, dans la perspective d’une exécution forcée de l’arrêt du 16 avril 2009, tous éléments d’information utiles ainsi que son avis à cet égard, et de l’informer des suites qu’il envisageait de donner à la plainte de la première requérante. Par des courriers des 5 et 15 juin 2009, le procureur général de la cour d’appel de Poitiers confirma à l’autorité centrale française l’échec de la tentative de remise de D. et A. à la première requérante et les difficultés d’exécution de la décision de retour. Soulignant que l’entrevue médiatisée avait conduit à leur hospitalisation durant deux jours et que le plus jeune manifestait depuis des « crises d’angoisse avec état de panique » qui avaient empêché sa scolarisation durant la semaine suivante, le parquet indiqua qu’ « en l’état, un retour des deux enfants auprès de leur mère en Angleterre ne [pouvait] être réalisé ». Il ajouta qu’une exécution forcée de l’arrêt du 16 avril 2009 ne paraissait « pas opportune compte tenu des éléments d’information sur la situation psychologique des enfants et des risques pour eux lors de la mise en œuvre de la décision ». S’agissant des plaintes pénales, il précisa que les investigations allaient se poursuivre et que le parquet y donnerait les suites qu’il estimerait utile. b) Après la rencontre médiatisée du 4 juin 2009 Le 15 juin 2009, la High Court of Justice désigna un tuteur (Guardian) pour représenter D. et A. dans la procédure. Le 16 juin 2009, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles informa l’autorité centrale française qu’une audience aurait lieu devant la High Court of Justice afin notamment de désigner un agent des services sociaux pour prendre en charge D. et A., afin, soit de les rendre à leur mère, soit de les placer dans un établissement spécialisé. Elle l’invita à présenter ses suggestions à cet égard. L’autorité centrale française répondit le 19 juin 2009 qu’il lui paraissait opportun que les intéressés soient pris en charge au tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon en présence des magistrats du parquet, qu’ils soient placés dans un établissement pour mineurs à leur arrivée en Grande-Bretagne, que la question de leur résidence habituelle et des droits de visite soient rapidement réexaminés et qu’il soit garanti que leur père ne risquerait pas d’être interpellé sur le sol britannique. L’autorité centrale française écrivit à l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles le 6 juillet 2009 pour proposer qu’une rencontre entre le tuteur ou le travailleur social britannique et D. et A. soit organisée dans les locaux du tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon, sans leur père et en présence d’un magistrat du parquet. Elle préconisa que les autorités judiciaires britanniques désignent un expert pédopsychiatre afin d’examiner les enfants et formuler un avis sur leur situation. Elle ajouta que le parquet général de Poitiers et le parquet de La Roche-sur-Yon favoriseraient le bon déroulement de toute mesure d’investigation que les autorités judiciaires anglaises jugeraient utiles de mettre en œuvre sur le territoire français afin d’analyser la situation des enfants. Par une ordonnance du 10 juillet 2009, la High Court of Justice ordonna le retour D. et A. avant le 24 juillet. Afin de préparer ce retour, elle décida qu’une visioconférence entre leur père, leur tuteur et le travailleur social britannique serait organisée, et requit que le père propose trois dates à cette fin. Elle décida en outre qu’à leur arrivée en Grande-Bretagne, les intéressés ne seraient pas remis à leur mère et n’auraient pas de contact avec elle, et que si le père décidait de les accompagner, il resterait à leurs côtés dans l’attente de l’évaluation de leur résidence temporaire par les autorités locales et le tuteur. Le 19 août 2009, répondant à une demande adressée le 23 juin 2009 par voie d’huissier par la première requérante, le préfet de la Vendée refusa le concours de la force publique pour l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009. Il précisa ce qui suit : « La complexité de cette affaire, la prise en compte de l’intérêt des enfants, la mise en place récente par le ministère de la justice d’une procédure de médiation et le risque évident de troubles à l’ordre public que représente la récupération forcée de deux enfants dans un contexte familial exacerbé et médiatisé, m’ont amené à prendre cette décision ». Le 26 août 2009, l’autorité centrale française fit connaitre à l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles les trois dates en septembre auxquelles le père de D. et A. pouvait participer à la visioconférence. Ultérieurement informée par l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles que la visioconférence n’avait pas pu avoir lieu à la date retenue (le 17 septembre 2009), l’autorité centrale française, le 20 octobre 2009, invita le parquet à lui communiquer trois nouvelles dates convenant au père. Le 26 novembre 2009, l’autorité centrale française informa le père de D. et A. et son avocat que la visioconférence aurait lieu le 9 décembre 2009 et leur donna rendez-vous dans ses locaux à Paris à cette fin. Le 8 décembre 2009, l’avocat répondit que ni lui ni son client n’étaient disponibles à cette date et qu’en tout état de cause, son client n’avait pas les moyens de financer son déplacement à Paris. Il proposa d’organiser la visioconférence à La Roche-sur-Yon, suggérant quatre dates entre le 10 décembre 2009 et le 4 février 2010. L’autorité centrale française en informa l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles le 10 décembre 2009. Mesures prises au cours de l’année 2010 Le Gouvernement indique que, jusqu’à la fin du mois d’avril 2010, l’autorité centrale française et le parquet échangèrent des informations sur l’affaire, mais qu’aucune mesure de nature à favoriser l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009 ne fut prise. Le 29 avril 2010, l’autorité centrale française invita le père de D. et A. à prendre rapidement contact avec elle en vue d’une rencontre. Il ne donna pas suite. Le conseil de la première requérante avait écrit au Garde des Sceaux le 6 octobre 2009 pour dénoncer le refus des autorités françaises de recourir à la force publique pour l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009. Le 29 avril 2010, le substitut général du procureur général de Poitiers informa ce dernier ainsi que l’autorité centrale française qu’il avait reçu la première requérante le 27 avril 2010 pour faire le point sur la situation. Il indiqua lui avoir rappelé que si cet arrêt devait recevoir exécution, il ne ferait pas procéder à l’exécution forcée car, « même à supposer que ce recours soit juridiquement possible, il n’[était] pas, compte tenu de l’âge des enfants et de leurs personnalités, pertinent de le mettre en œuvre ». Le 28 juillet 2010, l’autorité centrale de l’Angleterre et du Pays de Galles écrivit à l’autorité centrale française pour demander l’exécution de l’arrêt du 16 avril 2009, précisant que la première requérante était disposée à venir chercher ses enfants en France. L’autorité centrale française relaya cette demande auprès du procureur général de Poitiers le 5 août 2010. Ce dernier confirma son refus de faire procéder à l’exécution forcée de l’arrêt du 16 avril 2009. Le 9 décembre 2010, A. contacta secrètement un ami via un réseau social sur l’Internet et lui demanda de contacter sa mère afin qu’elle vienne le récupérer chez son père le samedi suivant. Elle vint en secret le chercher comme convenu le 11 décembre 2010 et le ramena en Grande-Bretagne. La Convention de La Haye ne s’applique plus à la situation de D. depuis le 9 janvier 2011, date à laquelle il a atteint l’âge de 16 ans. Il réside toujours avec son père en France. II. LE DROIT INTERNATIONAL ET LE DROIT DE l’UNION EUROPEENNE APPLICABLES A. La Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (ratifiée par la France le 7 août 1990), dont le préambule souligne que « l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde », sont les suivantes : Article 3 « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. (...) » Article 11 « 1. Les Etats parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger. A cette fin, les Etats parties favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants. » Article 12 « 1. Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. » B. La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international des enfants (ratifiée par la France le 16 septembre 1982) sont les suivantes : Article 1 « La présente Convention a pour objet : a) d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant ; b) de faire respecter effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un Etat contractant. » Article 2 « Les Etats contractants prennent toutes mesures appropriées pour assurer, dans les limites de leur territoire, la réalisation des objectifs de la Convention. A cet effet, ils doivent recourir à leurs procédures d’urgence. » Article 3 « Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite : a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’Etat dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet Etat. » Article 4 « La Convention s’applique à tout enfant qui avait sa résidence habituelle dans un Etat contractant immédiatement avant l’atteinte aux droits de garde ou de visite. L’application de la Convention cesse lorsque l’enfant parvient à l’âge de 16 ans. » Article 7 « Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention. En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées : a) pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ; b) pour prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ; c) pour assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une solution amiable ; d) pour échanger, si cela s’avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l’enfant ; e) pour fournir des informations générales concernant le droit de leur Etat relatives à l’application de la Convention ; f) pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour de l’enfant et, le cas échéant, de permettre l’organisation ou l’exercice effectif du droit de visite ; g) pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l’obtention de l’assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d’un avocat ; h) pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l’enfant ; i) pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application. » Article 10 « L’Autorité centrale de l’Etat où se trouve l’enfant prendra ou fera prendre toute mesure propre à assurer sa remise volontaire. » Article 11 « Les autorités judiciaires ou administratives de tout Etat contractant doivent procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant. Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative saisie n’a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l’Autorité centrale de l’Etat requis, de sa propre initiative ou sur requête de l’Autorité centrale de l’Etat requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. Si la réponse est reçue par l’Autorité centrale de l’Etat requis, cette Autorité doit la transmettre à l’Autorité centrale de l’Etat requérant ou, le cas échéant, au demandeur. » Article 12 « Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du nonretour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat. L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre Etat, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant. » Article 13 « Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit : a) que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou b) qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion. Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale. » Article 20 « Le retour de l’enfant conformément aux dispositions de l’article 12 peut être refusé quand il ne serait pas permis par les principes fondamentaux de l’Etat requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. » C. Le Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale (« Règlement de Bruxelles II bis ») Les dispositions pertinentes du Règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale sont les suivantes : Article 11 « 1. Lorsqu’une personne, institution ou tout autre organisme ayant le droit de garde demande aux autorités compétentes d’un État membre de rendre une décision sur la base de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après «la Convention de La Haye de 1980») en vue d’obtenir le retour d’un enfant qui a été déplacé ou retenu illicitement dans un État membre autre que l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, les paragraphes 2 à 8 sont d’application. Lors de l’application des articles 12 et 13 de la Convention de La Haye de 1980, il y a lieu de veiller à ce que l’enfant ait la possibilité d’être entendu au cours de la procédure, à moins que cela n’apparaisse inapproprié eu égard à son âge ou à son degré de maturité. Une juridiction saisie d’une demande de retour d’un enfant visée au paragraphe 1 agit rapidement dans le cadre de la procédure relative à la demande, en utilisant les procédures les plus rapides prévues par le droit national. Sans préjudice du premier alinéa, la juridiction rend sa décision, sauf si cela s’avère impossible en raison de circonstances exceptionnelles, six semaines au plus tard après sa saisine. Une juridiction ne peut pas refuser le retour de l’enfant en vertu de l’article 13, point b), de la Convention de La Haye de 1980 s’il est établi que des dispositions adéquates ont été prises pour assurer la protection de l’enfant après son retour. Une juridiction ne peut refuser le retour de l’enfant si la personne qui a demandé le retour de l’enfant n’a pas eu la possibilité d’être entendue. Si une juridiction a rendu une décision de non-retour en vertu de l’article 13 de la Convention de La Haye de 1980, cette juridiction doit immédiatement, soit directement soit par l’intermédiaire de son autorité centrale, transmettre une copie de la décision judiciaire de non-retour et des documents pertinents, en particulier un compte rendu des audiences, à la juridiction compétente ou à l’autorité centrale de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites, conformément à ce que prévoit le droit national. La juridiction doit recevoir tous les documents mentionnés dans un délai d’un mois à compter de la date de la décision de non-retour. À moins que les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour illicites aient déjà été saisies par l’une des parties, la juridiction ou l’autorité centrale qui reçoit l’information visée au paragraphe 6 doit la notifier aux parties et les inviter à présenter des observations à la juridiction, conformément aux dispositions du droit national, dans un délai de trois mois à compter de la date de la notification, afin que la juridiction examine la question de la garde de l’enfant. Sans préjudice des règles en matière de compétence prévues dans le présent règlement, la juridiction clôt l’affaire si elle n’a reçu dans le délai prévu aucune observation. Nonobstant une décision de non-retour rendue en application de l’article 13 de la Convention de La Haye de 1980, toute décision ultérieure ordonnant le retour de l’enfant rendue par une juridiction compétente en vertu du présent règlement est exécutoire conformément au chapitre III, section 4, en vue d’assurer le retour de l’enfant. » Article 20 « 1. En cas d’urgence, les dispositions du présent règlement n’empêchent pas les juridictions d’un État membre de prendre des mesures provisoires ou conservatoires relatives aux personnes ou aux biens présents dans cet État, prévues par la loi de cet État membre même si, en vertu du présent règlement, une juridiction d’un autre État membre est compétente pour connaître du fond. Les mesures prises en exécution du paragraphe 1 cessent d’avoir effet lorsque la juridiction de l’Etat membre compétente en vertu du présent règlement pour connaître du fond a pris les mesures qu’elle estime appropriées. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1979 et réside à La Porrosa (Chiclana de Segura, Jaén). A. Genèse de l'affaire et placement de l'enfant G. dans un centre d'accueil De père guinéen et de mère espagnole, la requérante vivait, au moment de la naissance de sa fille G. le 3 octobre 2001, au sein d'une cellule familiale élargie composée de plusieurs membres de sa famille qui s'entraidaient, à savoir sa grand-mère, son grand-oncle (le frère de sa grand-mère), avocat de son état, et ses deux autres enfants. Vécurent aussi temporairement dans le logement familial (deux maisons accolées) un prêtre guinéen et le parrain de deux des enfants de la requérante. Le logement est situé dans la ferme d'une oliveraie propriété de la grand-mère de la requérante et cultivée par cette dernière. La requérante est aussi régulièrement embauchée par le gouvernement autonome d'Andalousie en tant qu'ouvrière agricole, activité qu'elle combine avec d'autres travaux agricoles, notamment les vendanges en France. Afin de ne pas avoir à faire suivre ses deux fils aînés en France, la requérante donna procuration à son grand-oncle pour qu'il s'en occupe jusqu'à son retour. Ces deux enfants sont formellement sous la tutelle de la Délégation provinciale de Jaén et placés en accueil familial élargi auprès du grand-oncle de leur mère. La requérante ne s'est pas opposée à cette situation, ses enfants vivant de fait avec elle et le restant de la famille élargie à la ferme. Le 23 août 2005, la requérante et son compagnon, accompagnés de leur fille mineure G., se présentèrent auprès des services sociaux de la municipalité de Motril (Grenade) pour demander « du travail, des aliments et un logement ». Le même jour, à la demande de l'assistante sociale A.L.N., du service de protection des mineurs de la Délégation provinciale à l'égalité et au bien-être social de Grenade (ci-après « la Délégation provinciale »), qui avait appelé la police en raison de l'état d'excitation de la requérante, la petite G., âgée alors de trois ans et dix mois, fut séparée de sa mère et placée dans le centre d'accueil Nuestra Señora del Pilar à Grenade. La mère fut transférée dans un hôpital à cause de son état nerveux en raison de cette séparation d'avec sa fille. Le 25 août 2005, la Délégation provinciale entama une procédure administrative afin de considérer G. comme étant en situation légale d'abandon, et la déclara provisoirement abandonnée. La décision se référait à l'absence de ressources de la requérante, en état d'indigence extrême, à la situation de la mineure et à son manque d'hygiène, à ses vêtements inadéquats pour la période estivale, à sa peau desséchée, présentant des cicatrices et des égratignures et à son anxiété envers la nourriture, entre autres. La Délégation provinciale assuma alors la tutelle de la mineure, ordonna son placement au centre d'accueil précité et informa la requérante de la possibilité de demander d'être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite si elle souhaitait faire opposition devant le juge de première instance à la présente décision. Le 26 août 2005, la requérante réclama sa fille auprès des services sociaux de Motril. Elle s'y présenta aussi le lendemain, ainsi que le 30 août suivant. Le service de protection des mineurs l'informa que les visites n'étaient pas conseillées tant qu'elle n'aurait pas commencé un traitement psychiatrique. La requérante affirme que les assistantes sociales lui offrirent de l'argent (paragraphe 16 ci-dessous). Un rapport du 29 août 2005 du centre d'accueil Nuestra Señora del Pilar fit mention d'un « état général acceptable » de l'enfant, notant seulement que sa peau était sèche, avec de petites cicatrices et des lésions dues au grattage. Selon un rapport postérieur du 1er septembre 2006 élaboré au sein du centre d'accueil San Ramón et San Fernando de Loja (Grenade), (voir ci-dessous) l'enfant avait une dermatite séborrhéique atopique. Le 30 août 2005, la requérante fut informée de la prise en charge par la Délégation provinciale de la tutelle de G., du placement de cette dernière au centre d'accueil Nuestra Señora del Pilar à Grenade, ainsi que de la possibilité de faire opposition à cette mesure devant le juge de première instance. Elle fut également informée que tant qu'elle n'aurait pas entamé un traitement psychiatrique, toute visite à sa fille était déconseillée. L'équipe de santé mentale lui signala le 5 septembre 2005 qu'elle n'était pas en mesure de s'occuper de sa fille, mais que la possibilité de visites surveillées lui était garantie. Selon le rapport « d'observation et de réception initiales » du centre San Ramón et San Fernando de Loja daté du 30 octobre 2005, le 14 septembre 2005, G. fut transférée dans ce centre. La requérante n'en fut pas informée et n'y consentît pas. D'après certains témoins, elle y aurait déjà été transférée le 13 septembre 2005. Le 23 septembre 2005, la requérante sollicita auprès de la Délégation provinciale le transfert de l'enfant vers le centre d'accueil de Linares (Jaén), plus près de son domicile. Le 27 septembre 2005 eut lieu la dernière des trois rencontres supervisées entre la requérante et sa fille depuis le placement de cette dernière. Ces rencontres eurent lieu à l'extérieur de centre d'accueil et furent supervisées par des éducateurs et par la police. D'après la requérante, les deux autres rencontres eurent lieu les 6 et 20 septembre 2005. La requérante affirme que sa fille lui aurait dit lors d'une de ces rencontres qu'elle avait été conduite dans une maison avec piscine. Depuis ce jour, la requérante n'a plus revu sa fille. Dans son rapport du 4 octobre 2005, l'assistante sociale A.L.N. fit état de l'attitude incorrecte – irrespectueuse, « violente » et agressive – de la requérante, qui avait tenté de se blesser et avait dû être conduite à l'hôpital lorsqu'elle fut séparée de sa fille. A.L.N. précisait que la requérante avait été informée des mesures susceptibles d'être prises pour le bien-être de sa fille en raison de son état d'indigence. A.L.N. indiqua que l'accueil temporaire des deux frères de G. par le grand-oncle de la requérante devait cesser au motif, non circonstancié, que le grand-oncle de la requérante n'offrait pas les qualités requises. Elle nota dans son rapport que la requérante se rendait tous les jours aux alentours du centre d'accueil Nuestra Sra. del Pilar, où le service de protection des mineurs avait établi pour sa fille un régime provisoire de trois visites surveillées par les éducatrices et la police, à l'extérieur du centre d'accueil, « en prévision d'une possible attitude violente » de la requérante. L'assistante sociale exposa dans son rapport que la requérante s'était vu remettre une somme d'argent, sans en préciser le montant, pour se rendre à Majorque et à Madrid, argent qu'elle avait initialement demandé, mais qu'elle aurait par la suite refusé, le jetant par terre. Elle aurait ensuite de nouveau demandé de l'argent pour aller à Grenade, avant de le rendre par orgueil trois heures plus tard. D'après le rapport, lors des trois visites surveillées, la requérante encourageait G. à continuer à pleurer ou à crier pour obtenir ce qu'elle souhaitait, accusait constamment les professionnels de ce que sa fille n'était pas correctement assistée, parlait à sa fille de manière compulsive et incohérente, n'acceptait pas les horaires de visites et criait lorsque l'heure de fin des visites approchait, en menaçant par ailleurs de prendre des photos pour dénoncer la situation dans un programme de télévision. Qualifiant de « violents » les comportements de la requérante pendant ces visites au centre d'accueil Nuestra Sra. del Pilar et estimant qu'ils perturbaient la stabilité et l'évolution de la mineure, A.L.N. proposa la suspension des visites et le transfert de G. vers un autre centre d'accueil, dont il conviendrait de ne pas communiquer à la requérante l'adresse. Le 5 octobre 2005, la Délégation provinciale décida : de maintenir à G. le statut légal provisoire de mineur abandonné, de placer l'enfant au centre d'accueil San Ramón et San Fernando à Loja et de l'y transférer (paragraphe 13 ci-dessus) ; de demander judiciairement la suspension des visites ; de suspendre provisoirement, en attendant la décision judiciaire, toute communication entre la requérante et sa fille, dans l'intérêt de cette dernière ; et de refuser à la requérante toute information sur la localisation de G. La décision informa la requérante de la possibilité de demander d'être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite si elle souhaitait faire opposition devant le juge de première instance à la présente décision. La requérante sollicita de nouveau auprès de la Délégation provinciale, le 4 octobre et le 22 novembre 2005, le transfert de sa fille au centre d'accueil de Linares, et réclama un droit de visite. Entre le 22 novembre 2005 et le 31 janvier 2006 la requérante demanda au moins à dix-sept reprises auprès de la Délégation provinciale à voir sa fille. Elle se plaignait de l'absence d'information sur cette dernière, en particulier du refus du juriste représentant la Délégation provinciale de lui expliquer les motifs de la déclaration d'abandon. Aucune visite de la requérante à sa fille ne fut autorisée et elle n'a reçu aucune information sur l'enfant depuis lors. B. La procédure administrative de déclaration d'abandon et de placement en famille d'accueil Le 27 octobre 2005, le gouvernement autonome d'Andalousie demanda la suspension des visites (déjà décidée à titre provisoire) devant le juge de première instance no 3 de Grenade. Le 2 novembre 2005 la procédure administrative fut suspendue à la demande du barreau de Grenade afin qu'un avocat d'office fût désigné pour représenter la requérante, ce qui fut fait le 20 janvier 2006. Ce dernier présenta ses allégations au nom de la requérante le 23 janvier 2006. Par une décision du 1er février 2006, la Délégation provinciale reconnut officiellement la situation d'abandon de la mineure compte tenu « du pronostic négatif quant à une éventuelle récupération [des capacités familiales] et, partant, d'un regroupement avec sa mère », et décida de mettre en œuvre une procédure d'accueil familial préadoptif. La décision soulignait, sans toutefois indiquer de rapports à l'appui, l'absence des qualités requises chez le grand-oncle de la requérante pour l'accueil de G. et reprenait les mêmes considérations que les rapports précédents. Elle se référait également, sans plus de précisions, à la « santé mentale de la mère » et à son « état maniaque modéré », et considérait comme significatif que la requérante, lors de ses multiples comparutions, « n'avait montré aucun intérêt quant à l'état de la mineure, ni verbalement ni par écrit ». L'interdiction des visites fut maintenue. La requérante fut informée de la possibilité de demander d'être mise au bénéfice de l'assistance judiciaire gratuite si elle souhaitait faire opposition à la présente décision. Les 2, 6 et 15 février 2006, la requérante sollicita de nouveau auprès de la Délégation provinciale la possibilité de rendre visite à sa fille et fit part de son opposition à tout accueil préadoptif, en maintenant que les motifs invoqués pour l'éloigner de sa fille ne correspondaient pas à la réalité. A la dernière de ces dates, elle fit part de la situation au Défenseur du peuple. Les 16 février et 2 mars 2006, la requérante renouvela ses demandes auprès de la Délégation provinciale de visites et d'information à propos de sa fille. Le 10 janvier 2007, la commission des mesures de protection de la Délégation provinciale confirma la déclaration d'abandon provisoire de G. Le 22 janvier 2007, l'assistante sociale A.L.N. adressa un courrier électronique à la Croix-Rouge lui priant de localiser la requérante et de vérifier la situation du quatrième enfant de cette dernière, un nouveau-né. A.L.N. fit valoir que les deux enfants aînés de la requérante étaient placés en accueil familial auprès d'un grand-oncle de la requérante et que G. avait « été adoptée » par une famille également prête à adopter le nourrisson de la requérante, dont elle estimait l'âge à 9 mois environ en notant que la requérante « était enceinte il y a plus d'un an ». Elle précisait que la requérante avait « des problèmes de santé mentale, non diagnostiqués » et qu'elle était susceptible de « se trouver en France, avec le bébé et son compagnon actuel, de nationalité française ». C. La procédure judiciaire d'opposition à la déclaration d'abandon et à la suspension du régime de visites (no 1278/05) Le 31 janvier 2006, le juge de première instance no 3 de Grenade décida de joindre la procédure d'opposition aux mesures de protection de la mineure et la procédure pour la suspension du régime des visites. Le 28 novembre 2006, la requérante, représentée par une avocate, contesta la déclaration légale d'abandon adoptée par la Délégation provinciale, alléguant qu'elle résidait en France avec son compagnon et qu'elle percevait une prestation mensuelle de 836,87 euros. Le 3 mai 2007 eut lieu l'audience devant le juge de première instance no 3 de Grenade concernant la déclaration d'abandon. Le procureur chargé des enfants sollicita la confirmation de la déclaration d'abandon de G. Par un jugement du 18 mai 2007, reprenant les arguments de la décision du 25 août 2005 de la Délégation provinciale relative à la situation d'abandon de G., prononcée deux ans auparavant, le juge de première instance no 3 de Grenade rejeta l'opposition à la déclaration d'abandon et estima que la mineure pourrait réintégrer le domicile familial en cas d'amélioration de la situation de la famille. Il maintint la tutelle et le placement de l'enfant en accueil résidentiel. Le juge s'exprima comme suit : « (...) DEUXIÈMEMENT.- Compte tenu des arguments exposés, lorsque l'administration est intervenue, les motifs pour déclarer la situation d'abandon de la mineure G. étaient plus que suffisants ; ainsi, de la simple lecture du dossier administratif, il apparaît de manière incontestable que, soit par ignorance, soit par empêchement, par manque d'aptitudes sociales ou pour toute autre raison, y compris une éventuelle maladie mentale, et sans que l'on puisse considérer que la mère ait provoqué ou recherché cette situation volontairement, ce qui est certain c'est que la mineure se trouvait dans une situation d'abandon matériel et moral total. Son aspect était très sale, elle portait des vêtements inappropriés pour la période estivale, elle avait la peau desséchée et présentait des cicatrices et des égratignures ; elle disait vivre dans les roseaux (en las cañas) dont elle parlait comme de sa maison, elle montrait de l'anxiété vis-à-vis de la nourriture et était réceptive à toute marque d'affection, ce qui justifie amplement le placement automatique sous tutelle et la déclaration d'abandon. La situation dans laquelle se trouve la mineure n'est pas nouvelle puisque ses deux frères aînés sont en accueil familial avec un grand-oncle en raison du risque de danger dans lequel ils vivaient. Le dossier ne comporte aucun élément objectif susceptible de justifier que l'opposition [à la déclaration d'abandon] soit acceptée, a fortiori si l'on considère que l'éventualité d'une erreur serait préjudiciable à la mineure, alors que celle-ci mérite toute la protection possible, et que ce souci doit prévaloir sur tout autre intérêt. » Le juge refusa d'établir le régime de visites sollicitée par la requérante en raison de « l'indifférence affective de la mineure à l'égard de sa mère et [du fait que] le comportement violent de celle-ci au cours des visites perturb[ait] la stabilité et l'évolution de la mineure ». Par un arrêt du 27 juin 2008 rendu sur appel de la requérante, l'Audiencia provincial de Grenade confirma le jugement attaqué. Elle rappela, d'une part, que l'objet de la procédure était de confirmer ou d'infirmer la décision portant sur la déclaration d'abandon de G. adoptée par l'administration. D'autre part, le placement de la mineure pourrait être reconsidéré moyennant la procédure administrative ou judiciaire pertinente qu'il appartiendrait à la requérante d'entamer en cas de changement de situation. L'arrêt maintint l'interdiction des visites de la requérante à sa fille mineure et l'accueil résidentiel. D. Les procédures judiciaires de placement de G. en accueil familial préadoptif (no 74/07) et d'opposition au placement en accueil familial préadoptif (no 2188/07) Le 1er février 2006, fut présenté le rapport de la Délégation provinciale exposant les motifs de la proposition d'accueil familial préadoptif. Le même jour, la procédure fut suspendue en attente d'assignation d'un avocat à la requérante. Un couple fut sélectionné le 2 avril 2006 en tant que parents d'accueil préadoptif de la mineure. Le 9 juin 2006, la commission des mesures de protection de la Délégation provinciale entama la procédure administrative de placement de G. en accueil familial. Le 14 février 2007, la Délégation provinciale décida le placement provisoire de G. en accueil familial préadoptif sur la base des motifs suivants : « Le 25 août 2005 ont été décidés la déclaration provisoire de l'abandon de la mineure et son placement en accueil résidentiel pour les motifs exposés précédemment. Étant donné la gravité des faits reprochés à la mère, le fait qu'on ignore où vit le père, l'attitude provocatrice et agressive de la mère et l'incohérence de ses propos lorsqu'elle s'est présentée auprès de nos services, un rapport sur sa santé a été demandé afin d'évaluer la possibilité d'établir un régime de visites. Le 5 septembre 2005, il a été établi que cette dernière n'est pas en mesure de s'occuper de sa fille, mais qu'elle peut la rencontrer sous surveillance. Trois visites ont eu lieu en dehors du centre où est hébergée la mineure, sous la surveillance d'éducateurs et d'agents de police. Les incidents survenus au cours de ces visites, le fait que la mère fréquente les abords du centre, son comportement, l'évaluation des rapports mère-fille ainsi que l'évolution générale de cette affaire ont conduit à la décision du 4 octobre 2005 prononçant la suspension provisoire des visites et le transfert de la mineure vers un autre centre. Il ressort des documents versés au dossier que la mère de la mineure a deux autres enfants en situation d'abandon et sous tutelle de la Délégation provinciale de Jaén, qu'aucun membre de la famille élargie (jusqu'au troisième degré) ne peut prendre en charge la mineure et que le grand-oncle qui s'est vu confier la garde des deux autres enfants, d'abord de façon provisoire et ensuite en accueil familial, est surchargé. Les éléments du dossier nous permettent de conclure à un pronostic négatif quant à une éventuelle récupération familiale et à un regroupement de la mineure avec sa mère. La mère se plaint régulièrement auprès de nos services de toutes sortes d'irrégularités de la part des professionnels intervenant ou étant intervenus dans cette affaire (services de santé, justice, forces de sécurité, services sociaux municipaux, service de protection, centres d'accueil, ...), mais elle refuse de signer les récépissés des notifications, de présenter les documents qui lui sont demandés ou de prouver ou de demander qu'il soit prouvé que les informations figurant dans le dossier sont inexactes. Par ailleurs, elle nie toutes ces informations, les carences, les risques encourus par la mineure, de même que sa propre instabilité. Elle ne se rend pas aux consultations du centre de santé mentale. Il est significatif que lors de ses multiples visites, elle n'a jamais cherché à savoir, ni directement ni par écrit, comment allait sa fille. Nous sommes donc en présence d'une mineure dont le père est introuvable, qui ne peut être prise en charge par la personne qui a déjà accueilli ses deux frères, et dont la mère, qui aurait un autre enfant sous la tutelle des autorités françaises, est à nouveau enceinte. Le pronostic d'un rétablissement de la famille naturelle dans un délai raisonnable est négatif. Tout ce qui précède, en plus de la nécessité pour l'enfant de bénéficier d'un environnement familial adéquat et d'éviter un placement prolongé en institution, justifie la poursuite de la procédure et la constitution d'un accueil familial préadoptif permanent (...) ». La requérante ayant refusé le placement de G., le 23 mars 2007 le service de protection des mineurs proposa la constitution de l'accueil par voie judiciaire, avec un accueil familial provisoire entre-temps. Le 2 octobre 2007, la requérante, représentée par une avocate, s'opposa, par voie judiciaire, à la décision de constitution d'un accueil familial préadoptif prise le 23 mars 2007. Après de nombreuses vicissitudes procédurales, le 28 juillet 2009 eut lieu l'audience devant le juge de première instance no 16 de Grenade. La requérante s'opposa à toute forme d'accueil familial préadoptif de sa fille et sollicita subsidiairement que l'accueil familial permanent se fasse auprès de son grand-oncle, avec droit de visite de sa part. La requérante contesta également la déclaration d'abandon de G. avalisée par le juge de première instance no 3. Le procureur chargé des mineurs appuya la demande d'opposition au placement de G. en accueil préadoptif formulée par la requérante. Par un jugement du 4 septembre 2009, le juge de première instance no 16 de Grenade confirma la constitution d'accueil familial préadoptif selon la proposition du service des mineurs présentée le 23 mars 2007. Il n'accepta pas le grand-oncle de la requérante en tant que témoin ni la proposition subsidiaire d'un accueil par ce dernier, considérant qu'il ne réunissait pas les conditions requises pour accueillir des mineurs. Concernant la situation d'abandon de G. déclarée par le juge de première instance no 3 de Grenade et confirmée en appel, le juge no 16 ne l'examina pas et rappela la force de chose jugée de la décision du juge no 3, et la nécessité d'entamer une procédure à cet égard en cas de changement des circonstances. Le jugement nota toutefois, pour ce qui était du changement allégué des circonstances par rapport au moment de la déclaration d'abandon de G., que la requérante avait indiqué « [qu'elle] a des olives, qu'elle travaille la terre et que pendant une partie de l'année elle va travailler en France, qu'elle est une bonne mère et qu'elle pourrait vivre avec ses enfants, qu'elle en est capable et que sa famille est très proche ». Le juge estima, se référant à des « rapports techniques » qu'il ne cita pas, que « ces témoignages, versées par des membres de la famille ou des voisins [de la requérante] n'accrédit[ai]ent pas, à eux seuls, la récupération de [ses] compétences éducatives ». Le juge notait ce qui suit : « la mineure, [âgée] de presque 8 ans, n'a pas eu de contacts avec sa mère depuis plusieurs années, les visites ayant même été suspendues par décision judiciaire. Tout cela détermine que dans l'intérêt de la mineure la mesure de tutelle la plus adéquate est celle déjà adoptée, consistant en un accueil familial préadoptif, et cela bien que le procureur chargé des mineurs ait soutenu les arguments de la requérante et demandé la prise en considération de [son] opposition ». La requérante, représentée par son avocate, fit appel du jugement du 4 septembre 2009. Le procureur chargé des mineurs appuya l'appel de la requérante. La requérante fournit un rapport d'expertise psychologique le 18 décembre 2009 faisant état de sa capacité à s'occuper de sa fille. Par un arrêt du 18 juin 2010, l'Audiencia provincial de Grenade confirma le jugement de première instance. Elle rappela que l'objet de l'opposition à l'accueil n'était pas de contester la déclaration d'abandon, mais de démontrer que les causes l'ayant motivée avaient disparu et qu'un changement radical s'était produit dans le comportement, les habitudes et le mode de vie des parents naturels, justifiant la récupération du plein exercice de l'autorité parentale, tout en fournissant la preuve irréfutable que le retour de la mineure dans la famille lui serait clairement bénéfique. L'arrêt se référa à l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance no 16 et nota, entre autres : que le rapport d'expertise psychologique présenté par la requérante le 18 décembre 2009 ne réunissait que des informations fournies par elle-même, telles que sa capacité à s'occuper de ses enfants, sans expliquer les raisons pour lesquelles deux autres de ses enfants étaient placés en accueil familial chez son grand-oncle ; que tout en indiquant que la requérante n'avait pas de maladie ou de handicap psychique, ce rapport constatait son caractère impulsif et irascible ; ou que nonobstant l'affirmation que celle-ci maîtrisait trois langues, la requérante ne cherchait pas à exploiter de telles capacités, vivant dans une situation d'isolement social et professionnel qui l'obligeait à émigrer à l'étranger pour trouver du travail ou à s'y rendre de manière itinérante. En tout état de cause, l'Audiencia provincial estima dans son arrêt qu'il n'y avait pas « de preuve convaincante dans le rapport que les risques de retomber dans la situation de manque d'attention envers sa fille mineure ayant conduit à la déclaration d'abandon aient été effacés », jugeant que les témoins cités par la requérante pour attester sa capacité à avoir ses enfants avec elle « n'apportaient aucune donnée quant à sa stabilité sociale et professionnelle et à l'absence de risques pour la mineure, et établissaient encore moins l'effet bénéfique qu'entraînerait pour celle-ci le retour dans sa famille d'origine ». La requérante se pourvut en cassation. Le pourvoi fut déclaré irrecevable par une décision de l'Audiencia provincial de Grenade du 27 juillet 2010. Invoquant les articles 15 (droit à l'intégrité physique et morale de sa fille) et 24 (droit à un procès équitable) de la Constitution ainsi que les articles 8 et 14 de la Convention, la requérante saisit le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo. Par une décision du 27 octobre 2011, notifiée le 3 novembre 2011, la haute juridiction déclara le recours irrecevable comme étant dépourvu de l'importance constitutionnelle spéciale requise par l'article 50 § 1 b) de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel. Entre-temps, par des décisions du 18 octobre et 1er décembre 2010, le juge de première instance no 16 de Grenade confirma la condition de famille d'accueil préadoptif de la famille d'accueil de G. Un rapport de suivi de l'accueil familial préadoptif daté du 29 mars 2011 fit état de la pleine intégration de la mineure G. au sein de sa famille d'accueil, avec laquelle elle habitait depuis le 16 février 2007, ainsi qu'avec la famille d'accueil élargie. Le rapport notait que G. avait atteint le niveau d'évolution physique et moteur correspondant à son âge et avait amélioré ses niveaux de maturité et d'adaptation, ainsi que ses capacités de concentration et d'attention, sans diminution de son rendement scolaire, et cela dans un environnement normalisé et sécurisant au sein de sa famille d'accueil, qui subvenait à tous ses besoins matériels et affectifs. E. Les procédures d'adoption (no 599/2011) et d'opposition aux mesures de protection de mineur (no 156/2010) Le 11 avril 2011, le service de protection des mineurs de Grenade présenta la proposition d'adoption de G. par sa famille d'accueil devant le juge de première instance no 16 de Grenade. Le 14 avril 2011, le juge de première instance no 16 déclara ouverte la procédure d'adoption. Le 14 juin 2011, la procédure fut suspendue à la demande de la requérante. Par une décision du même juge du 13 mars 2012, l'audience dans la procédure no156/2010 fut fixée au 24 avril 2012. Dans un rapport du 28 septembre 2012 rédigé à l'attention du Gouvernement après la communication de la présente affaire, le service de protection des mineurs de Grenade résumait l'historique de la séparation et du placement de G. dans des centres d'accueils et ensuite dans une famille d'accueil préadoptif, répétant les arguments exposés dans le rapport original du 4 octobre 2005 (paragraphe 16 ci-dessus) et faisant état, entre autres, « de l'attitude défiante et provocatrice de la requérante lors de ses nombreuses comparutions au sein du service de protection des mineurs, de ses griefs persistants contre les fonctionnaires des services de santé, des forces de sécurité, des services sociaux, des centres de protection..., refusant de présenter les documents exigés par nos services et ne montrant aucun intérêt concernant l'état de la mineure ». Il se référait aussi au rapport du 25 mars 2011 et estimait que « les liens affectifs et familiaux créés et qui continuent à se développer doivent avoir une continuité et une consolidation dans sa situation légale, de sorte que l'adoption serait la mesure la plus adéquate aux besoins et aux intérêts de la mineure ». Les suites de la procédure d'adoption n'ont pas été communiquées à la Cour. D'après les informations fournies par le Gouvernement le 5 février 2013, l'enfant n'avait pas été adopté à cette date. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'article 17 de la loi organique 1/1996 du 15 janvier 1996 portant sur la protection juridique des mineurs dispose comme suit : « Devant toute situation à risque, quelle qu'elle soit, portant préjudice au développement personnel ou social du mineur et n'exigeant pas sa mise sous tutelle en vertu de la loi, l'action des pouvoirs publics doit, dans tous les cas, garantir les droits du mineur et tendre à la réduction des facteurs de risques et des difficultés sociales qui ont une incidence sur sa situation personnelle et sociale, ainsi que promouvoir les facteurs de protection du mineur et de sa famille. Une fois la situation de risque appréciée, l'administration compétente en matière de protection de mineurs mettra en œuvre les actions pertinentes pour l'atténuer et procédera au suivi de l'évolution du mineur dans sa famille ». Les dispositions pertinentes du code civil se lisent comme suit : Article 172 « Lorsque l'institution publique responsable de la protection des mineurs [dans son ressort territorial] constate qu'un mineur se trouve dans une situation d'abandon, elle en assume de plein droit la tutelle et doit mettre en œuvre les mesures nécessaires pour garantir sa protection et sa garde (...) [Les parents et tuteurs] seront autant que possible informés personnellement et de manière claire et compréhensible des motifs ayant donné lieu à l'intervention de l'administration et des effets possibles de la décision adoptée. Un mineur est considéré comme étant en situation d'abandon lorsque, de fait, il se trouve dans une situation découlant, soit d'un manquement aux devoirs de protection établis par les textes de loi portant sur la garde des mineurs, soit de l'impossibilité d'exercer ces devoirs ou de les exercer correctement, et qu'il est privé de l'assistance morale ou matérielle qui lui est nécessaire ».. L'exercice de la tutelle par l'administration implique la suspension de l'autorité parentale ou de la tutelle ordinaire. (...) L'intérêt du mineur est toujours recherché. A moins que l'intérêt du mineur ne s'y oppose, [l'administration s'efforce] de le réintégrer dans sa propre famille et de confier la garde des frères et sœurs à la même institution ou personne. (...) Les parents dont l'autorité parentale est suspendue en vertu du paragraphe 1 du présent article peuvent solliciter la cessation de la suspension et la révocation de la déclaration d'abandon, pendant un délai de deux ans à compter de la notification administrative de la déclaration d'abandon, s'ils estiment qu'ils peuvent de nouveau exercer l'autorité parentale en raison d'un changement des circonstances l'ayant motivée. Ils peuvent aussi contester, pendant ce même délai, les décisions prises en rapport avec la protection du mineur. (...) L'administration, d'office ou à la demande du ministère public ou de toute personne ou institution intéressées, peut à tout moment révoquer la déclaration d'abandon et décider du retour du mineur avec sa famille s'il n'est pas intégré de manière stable dans une autre famille ou si elle estime que c'est la mesure la plus adéquate pour l'intérêt du mineur. La décision sera notifiée au ministère public ». Article 173 « 1. Le placement en famille d'accueil implique la pleine participation du mineur à la vie du foyer familial et l'obligation, pour la famille d'accueil, de veiller sur lui, de s'occuper de lui, de le nourrir, de l'éduquer et de lui offrir une instruction complète. (...) Si les parents (...) s'opposent [au placement du mineur en famille d'accueil], ce placement doit faire l'objet d'une décision judiciaire, dans l'intérêt du mineur (...). Toutefois, l'administration peut décider, dans l'intérêt du mineur, de le placer provisoirement en famille d'accueil jusqu'à ce que la décision judiciaire soit rendue. (...) ». Article 173 bis « L'accueil familial peut revêtir l'une des modalités suivantes, selon sa finalité : 1º l'accueil familial simple, qui revêt un caractère provisoire, soit parce que la situation du mineur permet de prévoir sa réinsertion dans sa propre famille, soit parce qu'une autre mesure de protection plus durable est en voie d'être adoptée. 2º l'accueil familial permanent, lorsque, en raison de l'âge ou d'autres circonstances concernant le mineur ou sa famille, [ce mode] semble préférable et est ainsi recommandé par les services de protection des mineurs. (...). 3º l'accueil familial préadoptif, formalisé par l'administration lorsqu'elle présente à l'autorité judiciaire une proposition d'adoption du mineur, [laquelle doit être] visée par les services de protection des mineurs, et suppose que les parents d'accueil remplissent les conditions requises pour l'adoption, aient été sélectionnés et aient donné leur assentiment à l'administration et que le mineur se trouve dans une situation juridique le rendant apte à être adopté. L'administration peut aussi mettre en place un accueil familial préadoptif lorsqu'elle considère, avant la présentation de la proposition d'adoption, qu'il est nécessaire d'établir une période d'adaptation du mineur dans la famille. Cette période est la plus brève possible, et ne peut dépasser un an ». Article 222 « Sont placés sous tutelle : (...) 4o Les mineurs en situation d'abandon. ». Les dispositions pertinentes du décret 282/2002 du 12 novembre 2002 de la communauté autonome d'Andalousie sur l'accueil familial et l'adoption se lisent comme suit : Article 35 « Conformément à la législation civile, l'accueil familial préadoptif et l'adoption sont proposés lorsque la réinsertion du mineur dans sa famille biologique est impossible et que la pleine intégration du mineur dans une autre famille, moyennant la création de liens de filiation, apparaît nécessaire compte tenu de sa situation et des circonstances qui lui sont propres. » Article 36 « Toute proposition de mise en place d'accueil familial préadoptif et d'adoption doit, conformément à l'article 31 de la loi 1/1998 du 20 avril 1998, prendre en compte les impératifs suivants : a) la primauté de l'intérêt du mineur sur celui de toute autre personne, y compris ses parents ou les autres membres de sa famille, ses tuteurs ou les futurs adoptants. b) la vérification, au moyen d'une évaluation et d'une intervention auprès de la famille d'origine du mineur, (...) qu'il existe un nombre suffisant d'éléments pour considérer qu'aucune modification des circonstances familiales susceptible de permettre la réintégration de l'enfant au sein de sa famille n'est prévisible. A cet effet, même lorsqu'un retour du mineur dans sa famille biologique serait envisageable, mais que le temps requis pour que ce retour puisse avoir lieu implique pour le mineur un frein à son développement et une plus grande détérioration psychosociale, il sera entendu que sa réintégration au sein de sa famille n'est pas possible. c) la préférence à accorder aux demandes d'accueil familial émanant de la famille du mineur par rapport à celles de placement préadoptif ou d'adoption émanant de tiers étrangers à la famille du mineur ou sans liens avec cette dernière. d) la bonne intégration du mineur au sein de la future famille adoptive avant l'engagement de la procédure d'adoption. A cette fin, le mineur doit vivre au sein de cette famille pendant plus de quatre mois dans le cadre d'un accueil familial. (...) f) la notification aux parents ou tuteurs de la décision de proposer l'accueil préadoptif ou l'adoption, pour qu'ils manifestent leur assentiment ou leur dissentiment. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants personnes physiques sont des parents de sept des quinze enfants et jeunes adultes de moins de 22 ans décédés au cours de l’hiver 1996-1997 dans le foyer pour enfants atteints de troubles mentaux graves du village de Dzhurkovo (« le foyer de Dzhurkovo »), dépendant de la municipalité de Laki. Il s’agit de Gina Asenova Nench, née en 1953, et Ivan Yankov Nenchev, né en 1955, tous deux résidant à Dragor (parents de Mitko Durov), Sehare Ismail Darinova, née en 1952 et résidant à Isperih (mère de Ravié Ismail), Iliya Ivanov Stoyanov, né en 1942, et Velichka Ili Stoyanova, née en 1944, tous deux résidant à Elhovo (parents de Donka Stoyanova), Fani Filipova Evtimova, née en 1961 et résidant à Katselovo (mère de Neli Hristova), Maria Hristova Atanasova, née en 1970 et résidant à Yambol (mère de Marian Atanasov), Georgi Vasilev Georgiev, né en 1960 et résidant à Plovdiv (père de Vasil Georgiev) et Ivan Dechkov Ivanov, né en 1950 et résidant à Smin (père de Diana Dechkova). L’association requérante est une association de droit bulgare dénommée Association pour l’intégration européenne et les droits de l’homme. A. Les cas de décès au foyer de Dzhurkovo Le foyer de Dzhurkovo se trouve dans le massif des Rhodopes à 1 300 m d’altitude, à 15 km de la ville de Laki. Les conditions d’accès au village en hiver sont très difficiles. Environ 80 enfants étaient hébergés dans le foyer de Dzhurkovo au cours de l’hiver 1996-1997. Ils étaient divisés en deux catégories : « alités » et « marchants ». Les premiers étaient dans l’incapacité totale de se déplacer ou d’effectuer des mouvements élémentaires et passaient tout leur temps au lit. La deuxième catégorie comprenait des enfants ayant des capacités de motricité plus ou moins réduites, mais qui pouvaient se déplacer seuls ou avec de l’aide. Tous les enfants souffraient de handicaps mentaux et physiques graves. Il apparaît que certains enfants étaient placés au foyer de Dzhurkovo en vertu d’une décision administrative à la suite d’un accord pour adoption donné par leurs parents, tandis que d’autres enfants y étaient placés à la demande de leurs parents. Dans la plupart des cas exposés ci-dessous, les dossiers médicaux ne contenaient pas d’informations sur les traitements et sur les évènements précédant les décès. Les certificats de décès furent établis pour certains plusieurs jours après le décès. Aucune autopsie des corps ne fut réalisée, compte tenu du fait que le droit interne ne prévoyait d’autopsie qu’en cas de décès dans un établissement hospitalier et non dans les foyers sociaux et que les proches des enfants n’avaient pas demandé la réalisation d’autopsies. Le personnel du foyer se chargea des funérailles de tous les enfants, à l’exception de Vasil Georgiev, dont l’enterrement fut organisé par son père. Les parents des autres enfants n’assistèrent pas aux funérailles. Maria Sofroni Maria Sofroni, née le 15 mai 1978, avait été placée au foyer de Dzhurkovo en 1990. Depuis sa naissance, elle souffrait d’une paralysie cérébrale ayant affecté toutes ses capacités mentales et physiques. En 1996, elle pesait 18 kg et mesurait 1,15 m. Le 3 décembre 1996, l’officier médical (фелдшер) du foyer constata que Maria souffrait depuis plusieurs jours d’une pneumonie et prescrivit un traitement par administration d’antibiotiques pendant cinq jours. Elle fut examinée à nouveau le 13 décembre 1996. Le carnet de santé de Maria ne comportait pas de détails sur la suite du traitement et son état de santé. Elle décéda le 15 décembre 1996 à l’âge de 18 ans. L’acte de décès n’indiquait pas les causes de celui-ci. Radka Assenova Radka Assenova, née le 6 février 1978, souffrait d’une paralysie cérébrale et d’hypotrophie, et présentait des infections cutanées. Elle pesait 35 kg et mesurait 1,46 m. Les circonstances précises du décès de Radka, survenu le 24 décembre 1996, n’ont pas été éclaircies. Janeta Stefanova Janeta Stefanova, née le 4 novembre 1979, souffrait d’une paralysie cérébrale et d’épilepsie. Elle avait été placée au foyer de Dzhurkovo en 1990. Elle subit un dernier examen médical le 3 décembre 1996, où un traitement antiépileptique fut prescrit. L’acte de décès, dressé à une date non précisée, indiquait que Janeta était décédée le 29 décembre 1996 à 5 heures à la suite d’une crise cardiaque. Les circonstances du décès ne sont pas connues. Mitko Durov Mitko Durov, né le 5 janvier 1991, souffrait d’une encéphalopathie, de retards profonds du développement mental et d’hypotrophie. Il fut installé au foyer de Dzhurkovo le 9 mars 1995. Il apparaît qu’au début de 1996, Mitko pesait 12 kg et qu’en fin d’année, il avait perdu la moitié de son poids. Le dernier examen médical de Mitko eut lieu le 4 octobre 1996. Un traitement spécifique pour une durée de cinq jours fut prescrit. Il n’y eut pas d’autres examens après cette date. Mitko décéda le 30 janvier 1997. Les circonstances entourant son décès ne sont pas connues. Neli Hristova Neli Hristova, née le 20 juin 1982, fut placée au foyer de Dzhurkovo en 1994. Elle souffrait de retards du développement mental. Son carnet de santé indique qu’en 1996, elle avait eu des examens médicaux en mars, en avril, en septembre et en octobre. Il apparaît que l’examen suivant eut lieu le 9 février 1997 à 21 h 45, lorsqu’il fut constaté qu’elle avait une fièvre et de la toux. L’enfant décéda le même jour à 21 h 55. Marian Atanasov Marian Atanasov, né le 29 juin 1989, fut confié au foyer de Dzhurkovo le 21 janvier 1997 après avoir séjourné dans un autre foyer accueillant des enfants atteints de troubles mentaux et physiques graves. Il souffrait d’une forme d’oligophrénie. Aucun dossier médical ne fut ouvert à son nom au foyer de Dzhurkovo. Il décéda le 22 février 1997 à 10 heures. Il apparaît que, quelques jours avant son décès, Marian prenait des médicaments contre des douleurs à l’estomac. L’acte de décès indique que la mort est survenue à la suite d’une crise cardiaque aigüe. Rositza Nedelch Rositza Nedelch, née le 23 septembre 1992, fut placée au foyer de Dzhurkovo le 24 janvier 1997. Elle souffrait d’une paralysie cérébrale. Lorsque l’enfant arriva au foyer, l’officier médical diagnostiqua chez elle une bronchite aigüe avec une forte fièvre et prescrivit un traitement par administration de médicaments. Le 10 février 1997, la maladie persistait et le traitement par médicaments fut prolongé de cinq jours. Le carnet de santé ne contenait pas d’informations sur le suivi de Rositza après cette date. Elle fut retrouvée morte dans son lit, le 23 février 1997 à 8 h 10. Milcho Milchev Milcho Milchev, né le 24 juillet 1992, fut placé au foyer de Dzhurkovo le 22 janvier 1997. Avant cette date, il séjournait dans un autre foyer pour enfants atteints de troubles mentaux. Il souffrait d’une maladie chromosomique. Les dernières notes concernant l’évolution de la maladie de Milcho datent du 22 janvier 1997. Il fut retrouvé mort dans son lit le 23 février 1997 à 8 heures. Le dossier de suivi quotidien tenu au foyer ne comportait aucune mention de la journée du 22 février 1997. Angelina Atanasova Angelina Atanasova, née le 25 juillet 1988, souffrait de plusieurs malformations congénitales. Elle fut installée au foyer de Dzhurkovo le 28 août 1992. Le 13 janvier 1997, l’officier médical observa qu’elle avait une inflammation de la gorge, puis le 3 février 1997, il constata des symptômes de bronchite. Angelina suivit un traitement par administration de médicaments. Les dernières notes sur son état de santé dataient du 17 février 1997. Angelina fut retrouvée morte dans son lit, le 25 février 1997 à 14 heures. Diana Dechkova Diana Dechkova, née le 14 septembre 1978, fut placée au foyer de Dzhurkovo le 10 mars 1994. Elle souffrait d’une paralysie cérébrale, mais se déplaçait de manière autonome. Le 23 février 1997, l’officier médical constata qu’elle présentait une gelure des pieds du premier degré. Diana fut installée dans l’infirmerie, on lui appliqua des compresses chaudes et elle fut vaccinée contre le tétanos. L’officier médical indiqua dans son carnet de santé les soins à appliquer par les infirmières pour les heures suivantes. Le lit de Diana fut déplacé près du radiateur. Le 25 février 1997 à 16 heures, l’officier médical constata que Diana avait une hypothermie : la température de son corps était de 34 degrés. Un médecin urgentiste de Sofia se rendit alors au foyer, visiblement grâce à l’aide d’un journaliste qui était en contact avec la directrice du foyer. A 23 h 45, le médecin constata l’état d’hypothermie grave de Diana. Il prescrivit un traitement médical. L’hospitalisation ne fut pas préconisée. Diana décéda quelques heures plus tard. Donka Stoyanova Donka Stoyanova, née le 30 mars 1989, fut placée au foyer de Dzhurkovo le 22 janvier 1997. Elle souffrait d’une maladie chromosomique congénitale. Deux jours après son arrivée, l’officier médical constata qu’elle avait une rhinopharyngite et prescrivit un traitement pendant cinq jours. Le matin du 4 mars 1997, il examina Donka et découvrit qu’elle avait des escarres de décubitus au niveau de la région lombaire ; il prescrivit un traitement. Donka décéda à 13 heures le même jour. Vasil Georgiev Vasil Georgiev, né le 4 août 1986, souffrait de retards dans le développement mental. Il avait été gardé jusqu’à l’âge de onze ans par ses parents. Il se déplaçait en fauteuil roulant. Au début de l’automne 1996, il fut placé au foyer de Dzhurkovo, sa mère étant tombée gravement malade et son père ne pouvant plus prendre soin de lui. Deux mois plus tard, les parents de Vasil furent informés que celui-ci était malade. Son père le ramena alors à son domicile. Un mois plus tard, Vasil fut à nouveau placé au foyer. Il apparaît qu’un médecin examina l’enfant à une date non précisée et constata chez lui une infection respiratoire aiguë. Il décéda le 14 mars 1997. Les circonstances entourant le décès, ainsi que les soins appliqués à Vasil, n’étaient pas connus. Le matin du 15 mars 1997, le père de Vasil, informé dans la nuit du décès de son fils, se présenta au foyer. Le corps de l’enfant enveloppé dans une couverture lui fut alors remis. Le père de Vasil demanda un acte de décès auprès de la mairie. Ce dernier indiquait que l’enfant était décédé d’une maladie cardiaque. Selon le médecin ayant suivi Vasil alors qu’il était gardé par ses parents, celui-ci n’avait jamais souffert de maladie cardiaque. Tatiana Hristova Tatiana Hristova, née le 15 mai 1974, était entrée au foyer de Dzhurkovo alors qu’elle était majeure. Elle décéda le 14 mars 1997, à l’âge de 22 ans, à la suite d’une infection aiguë des voies respiratoires. Les circonstances de son décès ne sont pas connues. Malina Ivanova Malina Ivanova, née à une date non précisée, décéda au foyer de Dzhurkovo le 12 mars 1997. Les raisons de son décès, ainsi que les circonstances entourant celui-ci, ne sont pas connues. Ravié Ismail Ravié Ismail, née le 6 février 1978, décéda au foyer de Dzhurkovo le 24 décembre 1996. Les raisons de son décès, ainsi que les circonstances entourant celui-ci, ne sont pas connues. B. Le foyer de Dzhurkovo et le contexte général dans le pays au cours de l’hiver 1996-1997 Au cours de la période examinée, la Bulgarie connut une grave crise économique, financière et sociale. L’inflation dépassait les 1 000 %, entraînant une forte baisse de la valeur des revenus de la population et des ressources budgétaires allouées aux organismes publics. Des restrictions furent imposées sur les combustibles, et les échanges et la circulation entre les villes et les régions du pays furent singulièrement réduits. Dans un tel contexte, le budget accordé au foyer de Dzhurkovo, qui relit des pouvoirs de gestion administrative et budgétaire du maire, subit une dévalorisation importante et la municipalité ne pouvait plus prendre en charge les frais pour la nourriture et d’autres produits nécessaires. Par ailleurs, il apparaît qu’au cours de l’hiver 1996-1997, le foyer de Dzhurkovo disposait d’environ 1,62 nouveau lev bulgare (BGN), soit environ 0,80 euro (EUR), par enfant et par jour pour couvrir les besoins en termes de nourriture, de chauffage, de soins médicaux et d’habillement. A l’époque, l’établissement employait en tout un officier médical, cinq infirmières, quatre aides-soignantes et une blanchisseuse. Il ressort qu’une aide-soignante avait à s’occuper de vingt enfants. Pendant l’absence des infirmières, c’étaient les aides-soignantes qui administraient les médicaments et suivaient l’état de santé des enfants. Le foyer de Dzhurkovo ne disposait pas d’un médecin même si un tel poste était à pourvoir. En raison des conditions hivernales difficiles, le foyer n’était pas accessible en voiture. L’hôpital le plus proche se trouvait à 40 km et il n’existait pas de moyen de locomotion adéquat pour les enfants malades. Le personnel dit marcher cinq kilomètres à pied afin d’arriver au foyer. Le fioul était livré en quantité insuffisante et à des intervalles irréguliers compte tenu de la pénurie pétrolière. Le chauffage fonctionnait une heure le soir et une heure le matin, de sorte que la température à l’intérieur se situait entre 12oC et 15oC tout au plus. Deux à trois radiateurs électriques étaient disposés dans les couloirs et les portes des chambres étaient laissées ouvertes afin que de l’air chaud circule. Parfois, par manque de fioul, les locaux n’étaient pas chauffés. La nourriture était très insuffisante, de mauvaise qualité et peu variée. Les goûters avaient été supprimés faute d’aliments. Toutefois, il apparaît que le personnel du foyer ainsi que des habitants du village le plus proche apportèrent au foyer, sur une base volontaire, des produits alimentaires tels que des haricots et des pommes de terre, afin que les enfants ne se retrouvent pas un jour sans aucune alimentation. Il était difficile de maintenir les conditions d’hygiène de base compte tenu du fait qu’il n’était pratiquement pas possible de laver et sécher le linge, les habits, les draps et les couvertures des enfants. Le foyer disposait de deux machines à laver et le linge était séché à l’aide d’un radiateur électrique. Les enfants « alités » ne pouvaient que faire leurs besoins physiologiques au lit et ils avaient besoin d’un changement de linge plusieurs fois par jour, ce qui était impossible par manque d’habits de rechange. Dans ces conditions, le personnel du foyer utilisait toutes sortes de matériels, tels des vieux habits et des chiffons, à la place des couvertures qui n’arrivaient pas à sécher. C. Les démarches de la directrice du foyer et du maire de Laki auprès des autorités Il ressort des éléments du dossier que, le 10 septembre 1996, la directrice du foyer et le maire de Laki envoyèrent une lettre à l’Agence pour l’aide étrangère (Агенция за чуждестранна помощ) exposant que la situation au foyer à l’arrivée de l’hiver était très inquiétante et qu’il était urgent de prendre des mesures de précaution afin de fournir des combustibles, de la nourriture et tous les produits d’entretien quotidien au foyer car la municipalité n’avait pas de fonds disponibles. Le 20 septembre 1996, la directrice du foyer adressa une lettre, contresignée par le maire de Laki, au ministère du Travail et de la Politique sociale en indiquant que l’établissement ne disposait pas des moyens matériels pour subvenir aux besoins de base et que faute de combustibles, de nourriture et d’habits, la santé et la vie des enfants étaient exposés à un risque grave imminent. Par un autre courrier du 18 novembre 1996, elle sollicita l’action des services de ce ministère chargés de l’assistance sociale en indiquant les quantités de produits alimentaires et pharmaceutiques nécessaires manquants. Ses demandes demeurèrent sans suite. Le premier enfant décéda le 15 décembre 1996. Le 22 janvier 1997, un groupe de huit enfants d’un autre foyer social, situé dans une région au climat plus doux, fut placé au foyer de Dzhurkovo en vertu d’une décision des services sociaux municipaux. La directrice s’adressa à plusieurs reprises, à des dates non précisées, au Comité régional de la Croix-Rouge bulgare, en détaillant les problèmes et les risques rencontrés au foyer et en demandant de l’aide. Au courant du mois de janvier, la directrice sollicita auprès de divers organismes nationaux, de l’Agence pour l’aide étrangère et des organisations humanitaires, l’envoi des produits de base. Le 17 janvier 1997, le maire de Laki et la directrice du foyer s’adressèrent à nouveau au ministère du Travail et de la Politique sociale, au ministère des Finances, ainsi qu’au gouverneur régional en indiquant que le foyer manquait de nourriture, de combustibles, de vêtements et de linge. Ils demandèrent une intervention urgente car les enfants risquaient de ne pas survivre à l’hiver dans les conditions exposées. Par ailleurs, la directrice prit contact avec une chaîne de radio par le biais de laquelle elle lança un appel à des dons privés. Selon les témoignages du personnel du foyer recueillis dans le cadre de la procédure pénale engagée par la suite, grâce aux dons privés reçus après cet appel, le décès du reste des enfants du foyer put être évité. A une date non précisée au mois de février 1997, le gouverneur régional accorda cinq tonnes de fioul et fit envoyer des conserves et du riz au foyer. Il apparaît que les organes municipaux de Laki ne disposaient d’aucun budget, même au début de l’année budgétaire 1997, en raison de l’hyperinflation. Toutefois, ils n’avaient pas refusé d’endosser les factures du foyer même s’il fallait ouvrir des crédits auprès des fournisseurs. En même temps, dans la mesure où les magasins et les fournisseurs étaient euxmêmes souvent à court de marchandises à cause de la pénurie générale, le foyer ne pouvait pas s’y procurer les produits en quantité suffisante. Le 22 février 1997, lorsque le nombre d’enfants décédés parvint à sept, la directrice du foyer adressa un télégramme au ministre du Travail et de la Politique sociale exposant le caractère dramatique de la situation, et sollicita l’intervention urgente du ministre. Par des courriers du même jour, elle contacta à nouveau les services du ministère du Travail et de la Politique sociale chargés de l’assistance sociale pour exposer l’état de crise au foyer. En réponse à ces demandes, des subventions exceptionnelles à hauteur d’environ 7 282 000 levs bulgares (BGL), soit environ 3 720 euros (EUR), furent accordées au foyer en plusieurs tranches versées entre le 28 février et le 4 avril 1997. A cette époque, quinze enfants étaient décédés au foyer, dont quatre parmi les huit enfants transférés le 22 janvier 1997 (paragraphes 16-18, 21 et 35 ci-dessus). D. L’ouverture d’une procédure pénale Il apparaît que sur instructions du parquet régional du 27 avril 1999, la police régionale ouvrit une enquête sur les évènements survenus au foyer de Dzhurkovo. La directrice et d’autres membres du personnel du foyer déposèrent des déclarations au mois de mai 1999. Dans un rapport du 3 juin 1999, l’enquêteur de police (дознател) exprima l’avis qu’il existait des éléments suffisants pour engager la responsabilité pénale du maire de Laki. Le dossier ne contient pas d’informations sur la suite donnée à cette suggestion. Le 30 juillet 1999, le parquet régional de Plovdiv ordonna d’office l’ouverture d’une procédure pénale contre X. sur les causes de dix des quinze cas de décès au foyer de Dzhurkovo, à savoir les décès de Tatiana Hristova, Vasil Georgiev, Donka Stoyanova, Diana Dechkova, Angelina Atanasova, Milcho Milchev, Marian Atanasov, Neli Hristova, Mitko Durov et Rositza Nedelch. Cette information pénale portait sur l’éventuel homicide involontaire provoqué par négligence ou par manquement à une obligation légale de sécurité ou de prudence lors de l’exercice d’une profession ou autre activité à risque réglementée par la loi (article 123 du code pénal). Par ailleurs, le parquet ordonna aux services d’instruction d’enquêter, entre autres, sur la question de savoir s’il y avait un lien de causalité entre les décès survenus et un éventuel manquement à l’obligation de protéger la vie et la santé des personnes malades par la couverture concrète de leurs besoins en nourriture, chauffage et autres produits de base. Le parquet ordonna de plus que soit engagée, le cas échéant, la responsabilité pénale de toute personne ayant un lien avec les soins prodigués aux enfants et le financement du foyer, si leur comportement pouvait être considéré comme ayant provoqué les décès. Le 15 février 2000, l’enquêteur des services de l’instruction (следовател) ordonna la réalisation d’une expertise médicale au sujet des causes du décès de quatorze enfants, à savoir les dix enfants cités au paragraphe précédent, ainsi que Maria Sofroni, Radka Assenova, Janeta Stefanova et Malina Ivanova. Le 22 mai 2000, trois experts rendirent des rapports individuels sur le cas de chacun des enfants, rapports basés sur des pièces écrites du dossier. Ces rapports indiquaient qu’en l’absence d’autopsie, il était difficile de déterminer les causes médicales exactes des décès. Les experts notèrent que les décès avaient très probablement été causés, pour une partie des cas, à des refroidissements et aux mauvaises conditions de vie ayant provoqué chez les enfants des maladies telles que des pneumonies, bronchites, rhinopharyngites, râles sous-crépitants, hypothermies ou encore des infections dermatologiques ou de l’hypotrophie. Pour certains cas, les experts considérèrent que les maladies graves suffisaient, à elles seules, malgré un traitement approprié, pour conduire à un décès, dans la mesure où l’espérance de vie dans de tels cas était plus courte que la normale. Enfin, pour d’autres cas, l’expertise exposait qu’il n’était pas possible d’identifier les causes concrètes du décès faute de données médicales suffisantes. Le 5 avril 2004, la directrice du foyer fut mise en examen pour homicide involontaire de personnes par manquement à une obligation légale. A des dates non précisées, l’officier médical et l’infirmière en chef furent également inculpés des mêmes chefs. Le 4 octobre 2004, l’enquêteur demanda au ministère du Travail et de la Politique sociale de présenter des documents relatifs au cas du foyer de Dzhurkovo notamment à la suite des lettres de la directrice et du maire de Laki. Par un courrier du 2 novembre 2004, le fonctionnaire responsable au sein du ministère répondit que pendant la période du 1er décembre 1996 au 31 mars 1997, le foyer de Dzhurkovo n’était pas à la charge du budget du ministère, mais à celle de la municipalité. Il précisa qu’aucune correspondance de cette époque ne pouvait être retrouvée dans les archives du ministère, mais indiqua que des subventions exceptionnelles avaient été octroyées au foyer entre le 28 février et le 4 avril 1997 (paragraphe 39 cidessus). Le 4 octobre 2004, l’enquêteur demanda des informations au ministère des Finances concernant sa réaction aux courriers de la directrice. Par une lettre du 21 octobre 2004, un ministre adjoint répondit que les archives relatives à l’époque en question avaient été détruites compte tenu de l’expiration du délai légal de conservation des documents de cinq ans. Par ailleurs, l’enquêteur demanda auprès de la municipalité de Laki tous les documents relatifs à l’affaire. Le 21 octobre 2004, il fut informé que le fonctionnaire municipal responsable était entretemps décédé et que les archives en question avaient également été détruites suite à l’expiration du délai de conservation. Aucune démarche supplémentaire pour enquêter sur l’éventuelle responsabilité d’autres institutions publiques ou fonctionnaires d’Etat ne fut entreprise. Par une ordonnance du 9 décembre 2004, l’enquêteur proposa au parquet de déférer les accusés dnt le tribunal compétent, concluant que ceux-ci n’avaient pas rempli leurs obligations professionnelles et que leurs carences avaient provoqué la mort des enfants et jeunes adultes. Il précisa que la directrice avait manqué à prendre les décisions de gestion adéquates, ce qui avait conduit aux constats tardifs concernant l’insuffisance en termes d’approvisionnement et du chauffage, ainsi qu’au défaut de soins médicaux nécessaires. Le 17 janvier 2005, le parquet régional transmit au tribunal régional de Plovdiv un acte d’accusation contre les trois accusés pour négligence professionnelle ayant provoqué la mort de plus d’une personne, à savoir treize des enfants, dans des circonstances particulièrement graves. Parmi les quinze enfants cités aux paragraphes 10-25 ci-dessus, les cas de Malina Ivanova et Ravié Ismail ne furent pas inclus dans l’acte d’accusation. Entre le 7 et le 23 février 2005, les parents de sept des enfants (Iliya Stoyanov, Velichka Stoyanova, Georgi Georgiev, Anka Georgi, Fani Evtimova, Sehare Darinova et Ivan Ivanov) demandèrent à intervenir dans la procédure et introduisirent des actions civiles dans la procédure pénale. Lors de l’audience tenue le 23 février 2005, le tribunal régional constitua cinq d’entre eux parties accusatrices (частен обвинител), les deux autres ne l’ayant pas demandé, mais refusa de joindre à la procédure pénale les actions civiles au motif que leur examen pourrait contribuer à la complication de l’affaire ou conduire à l’ajournement de son examen afin de recueillir d’éventuelles preuves. Le tribunal ne se prononça pas sur la demande d’introduction d’une action civile faite par la requérante Sehare Darinova, et une telle action ne fut pas examinée plus tard non plus. Les requérants n’introduisirent pas d’actions en dommages et intérêts auprès des juridictions civiles. Par ailleurs, lors de cette audience, le tribunal régional reconnut que tous les parents des enfants décédés avaient la qualité d’héritiers. Dans le cadre de l’examen de l’affaire, le tribunal régional entendit environ cinquante témoins, ainsi que plusieurs experts, et recueillit des pièces écrites. Il ordonna également la réalisation d’une nouvelle expertise médicale par cinq médecins afin d’établir le lien éventuel entre le comportement des accusés et la survenance des décès. Par un jugement du 18 mai 2005, le tribunal régional acquitta les accusés. Ce jugement fut confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Plovdiv en date du 15 décembre 2005. Les deux juridictions considérèrent en particulier, sur la base des rapports d’expertise, qu’il existait certaines lacunes dans la gestion documentaire de l’établissement mais que cette circonstance n’était pas en lien avec la mort des enfants. Il n’existait pas de relation de causalité entre le comportement des accusés et les décès en question. Elles tinrent compte de l’expertise médicale établie dans la phase judiciaire de la procédure. Sur la base de cette expertise, la cour d’appel constata que, pour la plupart des cas de décès, l’absence de nourriture suffisante et les conditions de vie extrêmement pénibles constituaient une toile de fond qui avait contribué à la complication des maladies originelles et à l’accélération de la fin de vie des enfants. Toutefois, les accusés n’avaient pas fait preuve de négligence dans l’exercice de leurs fonctions et la responsabilité des conditions de vie au foyer ne leur était pas attribuable. En particulier, la directrice du foyer de Dzhurkovo, constatant les difficultés rencontrées pendant l’hiver dans le contexte de la crise économique, avait alerté, à plusieurs reprises dès le mois de septembre 1996 et sans succès, toutes les institutions publiques qui avaient la responsabilité directe du versement des subventions, susceptibles d’agir pour combler les besoins en termes de chauffage, d’alimentation et de médicaments. La cour d’appel observa par ailleurs que les trois accusés, tout comme le reste du personnel du foyer de Dzhurkovo, avaient engagé autant que possible les moyens à leur disposition pour atténuer la rigueur des conditions de vie dans l’établissement. Ils ne pouvaient être tenus pour responsables du manque de nourriture, de fioul, de moyens de désinfection, ainsi que de linge et de couvertures, alors que les institutions publiques responsables n’avaient pas les moyens de pourvoir à leurs besoins ou ne leur assuraient de fournitures qu’en quantités très insuffisantes. La cour d’appel précisa que c’étaient notamment ces autorités publiques qui, en n’accordant pas les moyens financiers et matériels adéquats, avaient conduit à la dégradation des conditions au foyer et à la mise en danger de la santé et de la vie des enfants, contribuant ainsi aux cas de décès et à l’augmentation du taux de mortalité dans l’institution en général. Par ailleurs, concernant les allégations selon lesquelles l’officier médical n’avait pas prodigué les soins nécessaires et n’avait pas demandé l’hospitalisation des enfants lorsqu’il avait constaté la dégradation de leur état de santé, les tribunaux notèrent que le seul endroit pour hospitaliser ces enfants était le service pédiatrique de l’hôpital municipal d’Asenovgrad. Or, selon l’expertise médicale établie, conduire les enfants dans un véhicule non chauffé alors que les températures descendaient en dessous de zéro degré aurait signifié les exposer à un danger mortel compte tenu notamment du fait qu’ils étaient très fragiles et susceptibles de souffrir rapidement de refroidissements pathologiques avec infections. La cour d’appel constata par ailleurs que la directrice ne pouvait être tenue pour responsable ni de l’absence d’un médecin au foyer ni du transfert des huit enfants d’un autre foyer. Pour ce qui est de l’engagement personnel des parents des enfants décédés, les tribunaux constatèrent que seuls le père de Vasil Georgiev et la mère de Neli Hristova avaient rendu des visites à leurs enfants, les autres parents n’ayant jamais montré de préoccupation quant au sort de leurs enfants pendant leur séjour au foyer. Au cours des mois difficiles de l’hiver 1996-1997 et dans les conditions de crise économique d’alors, aucun des parents n’avait apporté son aide ou n’avait fait de donation de vêtements ou de nourriture, même minimale. Le 9 janvier 2007, l’arrêt de la cour d’appel fut confirmé par la Cour suprême de cassation. Le dossier ne contient pas d’informations sur l’existence éventuelle d’autres enquêtes menées sur la possibilité d’un lien de causalité entre la passivité d’autres organes et institutions et les décès survenus au foyer de Dzhurkovo. Il n’existe pas non plus d’éléments indiquant que les requérants aient demandé une telle enquête. E. Les informations générales présentées par la partie requérante au sujet des enquêtes relatives aux cas de décès survenus dans des foyers pour enfants atteints de troubles mentaux en Bulgarie La partie requérante expose qu’une inspection desdits foyers a été effectuée par le Parquet général à l’initiative du Comité Helsinki bulgare (organisation non gouvernementale basée à Sofia) au cours de 2010. Les conclusions de cette inspection ont démontré que dans la période 20002010, le nombre de cas de décès dans de tels établissements s’est élevé à 238, soit 25 cas de décès par an pour l’ensemble des 24 foyers. Il apparaît enfin qu’en octobre 2010, le Parquet général a annoncé l’ouverture de poursuites pénales dans la plupart des cas de décès identifiés lors de l’inspection. F. Les statistiques présentées par le Gouvernement au sujet du taux de mortalité au foyer de Dzurkovo Le Gouvernement présente des données concernant le nombre d’enfants décédés par an au foyer de Dzurkovo entre 1990 et 1999, à savoir : en 1990, six enfants ; en 1991, un enfant ; en 1992, un enfant ; en 1993, quatre enfants ; en 1994, sept enfants ; en 1995, huit enfants ; en 1996, sept enfants ; en 1997, quatorze enfants ; en 1998, un enfant ; en 1999, trois enfants. G. Les informations présentées par le Gouvernement sur la réforme du fonctionnement des foyers pour enfants atteints de troubles mentaux en Bulgarie Le Gouvernement indique qu’une réforme des structures de placement des enfants atteints de troubles mentaux a été entamée en Bulgarie en 2003. Cette réforme s’inscrivait dans le cadre d’une autre plus générale engagée dans le secteur des services sociaux. Ainsi, un plan d’action stratégique a été lancé et visait à réduire le nombre d’enfants placés dans des institutions sociales par l’augmentation des cas de placement en familles d’accueil afin d’assurer aux enfants une éducation et des soins personnalisés. Une évaluation de toutes les institutions concernées a été réalisée entre 2003 et 2005. Dans ce contexte, les 26 et 27 juin 2005, des experts de l’Agence pour la protection de l’enfant et de l’Agence pour l’assistance sociale ont procédé à une évaluation des conditions dans lesquelles se trouvaient placés les enfants au foyer de Dzhurkovo. Selon les conclusions de cette évaluation, aucune approche personnalisée n’était adoptée dans les soins apportés aux enfants ; l’institution était isolée et difficilement accessible bien que les conditions matérielles des locaux fussent satisfaisantes en soi. De plus, le directeur du foyer n’était pas en mesure d’assurer le contrôle nécessaire du respect des normes minimales en termes d’assistance sociale aux enfants. Les experts recommandèrent comme une urgence le transfert des enfants. Comme suite de cette évaluation, des équipes de médecins établirent des rapports individuels pour chaque enfant en vue de leur transfert dans des conditions appropriées à leurs besoins. Ainsi, tous les enfants furent déplacés dans des institutions spécialisées de Sofia et de Stara Zagora avant le 1er janvier 2006. Par ailleurs, en 2010, il existait en Bulgarie 24 foyers pour enfants atteints de troubles mentaux et un foyer pour enfants souffrant de handicaps physiques. Un total de 1 002 enfants et 417 jeunes adultes y étaient placés. Certaines de ces institutions avaient connu une amélioration des conditions de vie au cours de ces dernières années, et la qualité de l’organisation du travail et de la formation du personnel s’était élevée par rapport à l’époque des faits litigieux. Toutefois, un grand nombre des établissements concernés ne correspondaient pas aux normes requises et, dès lors, les enfants continuaient à ne pas y recevoir les soins et les services minimums. A cet égard, le Gouvernement a mis en place en 2010 un groupe d’experts, sous la présidence du ministre du Travail et de la Politique sociale. Ce groupe avait pour objectif d’élaborer un programme national permettant de fermer les institutions de ce type dans un délai de quinze ans et de mettre en place un système de placement alternatif, tel que le choix de familles d’accueil. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La réglementation des foyers sociaux pour enfants atteints de troubles mentaux Au moment des faits, les activités des foyers pour enfants atteints de troubles mentaux et autres foyers sociaux étaient régies par une réglementation édictée par le ministère de la Santé publique (Journal officiel (J.O.) no 91 de 1965 ; modifications publiées au J.O. no 30 de 1987), qui resta en vigueur jusqu’en 1999, date à laquelle elle fut remplacée par une nouvelle réglementation. En vertu de cette réglementation, comme l’ensemble des institutions sociales, les foyers pour enfants atteints de troubles mentaux et physiques étaient entièrement financés par l’Etat. Ils étaient gérés par les conseils municipaux et dient respecter les normes et instructions émises par le ministère de la Santé publique et des Affaires sociales. Il semble toutefois qu’à l’époque pertinente et après l’établissement d’un ministère séparé pour les Affaires sociales, ces foyers, y compris celui de Dzhurkovo, étaient gérés par le ministère du Travail et de la Politique sociale (dénomination modifiée en 1997). Le budget annuel du foyer de Dzhurkovo était approuvé par le ministère en question, qui le versait au budget de la municipalité de Laki. Cette dernière assurait la gestion administrative et financière de l’établissement. La quantité de personnel était fixée par un arrêté du ministère du Travail et de la Politique sociale et était ensuite approuvée par le service compétent de la municipalité et, enfin, par le maire. La réglementation détaillait les fonctions des grandes catégories de personnel : directeur, médecins, personnel soignant et personnel administratif. En particulier, si un foyer ne disposait pas d’un poste de médecin, les soins médicaux dient être assurés par un médecin de la localité la plus proche. Le foyer de Dzhurkovo avait également un règlement interne qui prévoyait en détail l’organisation et la répartition des tâches et des fonctions au sein du personnel. De plus, les missions propres à chaque poste étaient énoncées dans les descriptifs de poste. Ainsi, la directrice du foyer, par exemple, avait la responsabilité d’assurer les conditions nécessaires au fonctionnement du foyer, ainsi que les soins adéquats pour la vie, la santé et le développement physique des enfants. Un poste de médecin était prévu, mais n’était pas occupé à l’époque des faits. Le personnel médical du foyer de Dzhurkovo comprenait un officier médical à mi-temps et cinq infirmières. Par ailleurs, selon l’article 37 de la loi sur la santé publique de 1973, en vigueur à l’époque des faits, lorsqu’une personne était décédée en milieu hospitalier, une autopsie du corps était obligatoire, sauf certaines exceptions. Lorsqu’un décès était survenu en dehors du milieu hospitalier, y compris dans un foyer social, l’autopsie n’était pas obligatoire. B. Le code pénal L’article 123 alinéa 1 dudit code, tel qu’applicable à l’époque des faits, punissait d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à cinq ans les faits d’homicide involontaire par négligence ou par manquement à une obligation légale de sécurité ou de prudence lors de l’exercice d’une profession ou autre activité à risque réglementée par la loi. La durée de cette peine est de trois à huit ans dans les cas où il y a mort de plusieurs personnes et de cinq à quinze ans lorsque les faits sont accomplis dans des circonstances particulièrement graves (article 123, alinéas 3 et 4). L’article 137 du même code érigeait en infraction pénale la mise en danger de la vie d’autrui (злепоставяне), le fait d’exposer en connaissance de cause une personne privée de la faculté d’autoprotection – en raison de sa minorité ou de son âge avancé, de sa maladie ou de son état vulnérable pour tout autre motif – à des circonstances mettant sa vie en danger, et de ne pas lui apporter d’assistance. Cette infraction était passible d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans. C. La mise en œuvre de l’action publique Selon les dispositions pertinentes du code de procédure pénale de 1974 (CPP), en vigueur au moment des faits, le procureur et l’enquêteur étaient compétents pour engager des poursuites pénales. La victime d’une infraction pouvait participer à la phase judiciaire de la procédure pénale en se constituant partie accusatrice ou partie civile au plus tard lors de la première audience (articles 52 et 60 CPP). Cette qualité donnait le droit de prendre connaissance du dossier, de faire des demandes relatives aux mesures d’instruction et d’introduire des recours contre les actes rendus (articles 55 et 63 CPP). D. L’exercice de l’action civile La victime d’une infraction pénale a la faculté d’introduire une action en réparation du préjudice résultant d’une infraction contre l’accusé dans le cadre de la procédure pénale (article 60, alinéa 1, du CPP et paragraphe 71 ci-dessus). La constitution de partie civile n’est pas recble si les juridictions civiles ont déjà été saisies d’une telle action. Par ailleurs, l’examen de l’action civile ne doit pas avoir pour effet de retarder la procédure pénale ; dans pareil cas, la juridiction pénale peut refuser l’examen conjoint de l’action civile (article 64, alinéa 2, du CPP). La juridiction pénale se prononce sur l’action civile dans son jugement. Le nouveau code de 2006 conserve ces principes. La victime peut aussi directement introduire sa demande en réparation contre l’accusé dnt les juridictions civiles. Dans ce cas, étant donné que les juridictions civiles sont liées par les jugements définitifs des juridictions pénales en ce qui concerne la commission des faits et la culpabilité du prévenu (article 372, alinéa 2, du CPP, et article 222 du code de procédure civile de 1952 – CPC), la procédure est en règle générale suspendue dans l’attente de l’issue de la procédure pénale (article 182, alinéa 1 (д), du CPC de 1952). Là encore, la recodification de 2006 n’apporte pas de changement aux principes. Par ailleurs, lorsque les dommages sont causés par des actes non constitutifs d’une infraction pénale, la victime peut introduire une action civile fondée sur l’article 45 de la loi sur les obligations et les contrats. Une telle action peut aboutir à l’attribution d’une réparation pour le dommage matériel ou moral subi. En vertu de la jurisprudence de la Cour suprême de cassation, le dommage moral est déterminé en équité. En cas de décès, seul les proches de la victime peuvent prétendre à une compensation et ce uniquement s’ils ont réellement subi un préjudice moral. Ainsi, les proches qui n’étaient pas en bons termes avec la victime – des parents ayant abandonnés leurs enfants, des époux séparés de fait etc., ne pourraient prétendre avoir subi un tel préjudice (ППВС № 4 от 25.05.1961 г.). E. Les pouvoirs d’enquête du procureur en vertu de la loi sur le système judiciaire de 1994 Aux termes de l’article 119, alinéa 1, point 3, de ladite loi, abrogée en 2007, le procureur pouvait, dans l’exercice de ses fonctions et lorsqu’il existait des données sur l’accomplissement de délits ou d’autres actes ou actions illégaux, ordonner aux organes compétents de réaliser des contrôles dans un délai déterminé. Ces organes présentaient des conclusions, et, à la demande du procureur, l’ensemble des documents en leur possession. Selon le point 5 de la même disposition, le procureur pouvait envoyer les documents recueillis aux autorités compétentes lorsqu’il constatait l’existence de motifs pour engager la responsabilité des personnes concernées ou pour imposer des mesures administratives obligatoires qu’il ne pouvait mettre en œuvre lui-même. L’article 119, alinéa 2, prévoyait que les instructions du procureur étaient obligatoires pour les institutions publiques, les fonctionnaires, les personnes morales et les particuliers. F. La responsabilité délictuelle des personnes publiques L’article 1, alinéa 1, de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers (Закон за отговорността на държавата за вреди, причинени на граждани, titre modifié en 2006) prévoyait, dans sa rédaction au moment des faits de la présente espèce : « L’Etat est responsable des dommages causés aux particuliers du fait des actes, actions ou inactions illégaux de ses autorités ou agents à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. (...) » Il ressort de la jurisprudence des tribunaux internes que, une fois que l’illégalité de l’acte en question a été établie, cette disposition permet, par exemple, à toute personne dont la santé s’est détériorée du fait que des organes relnt du ministère de la Santé ne lui ont pas fourni régulièrement des médicaments alors qu’ils avaient le devoir légal de le faire, de mettre en jeu la responsabilité de l’administration et d’obtenir une indemnisation (реш. № 211 от 20.05.2008 г. по гр. д. № 6087/2007, ВКС, V г. о.). Pour les dommages occasionnés dans d’autres circonstances que celles visées à l’article 1, alinéa 1 de la loi en question, les autorités publiques peuvent être assujetties aux règles du droit délictuel commun (article 45 et suivants de la loi sur les obligations et les contrats). L’article 49 de cette loi prévoit une responsabilité objective des commettants du fait de leurs préposés : selon cette disposition, celui qui confie l’accomplissement d’une fonction ou d’un travail quelconque à une personne est responsable des dommages causés aux tiers par cette personne dans l’accomplissement de son travail ou sa fonction. Dans ces cas, la responsabilité du commettant est présumée et peut être engagée même s’il n’a pas été établi quel est l’employé concrètement responsable du dommage (ППВС № 7 от 1959 г., ППВС № 4 от 30.10.1975 г.). Il ressort de la jurisprudence interne que cette disposition permet de mettre en cause la responsabilité d’une municipalité et d’obtenir une indemnisation à raison du décès d’une personne placée dans un foyer social, en cas de non-respect par le personnel du règlement intérieur relatif à la surveillance permanente des personnes placées et à la sécurité de celles-ci (опр. № 693 от 26.06.2009 г. по гр. д. № 824/2007, ВКС, III г. о. ; реш. № 91 от 30.07.2008 г., Софийски АС). G. La prescription en matière civile En vertu de l’article 110 de la loi sur les obligations et les contrats (Закон за задълженията и договорите) la responsabilité civile délictuelle se prescrit par cinq ans à compter de la commission du fait délictueux. Ce délai court à compter de la survenance du dommage ou de la découverte du responsable (article 114 alinéa 3 de la loi). En cas d’engagement de la responsabilité du commettant du fait de son préposé en vertu de l’article 49 de la loi sur les obligations et les contrats, si l’identité du commettant est connue, le délai de prescription court dès la survenue du dommage même si le préposé concrètement responsable n’a pas été identifié (реш. № 2 от 25.01.1974 г. по гр. д. 101/73, ОСГТК на ВС). Selon l’article 115 (ж), le délai de prescription est suspendu lorsqu’une action est introduite et ne court pas pendant la durée de toute « procédure judiciaire ayant pour objet la créance ». Cette formule comprend, selon la jurisprudence de la Cour suprême de cassation, tant l’action civile engagée dnt les juridictions civiles que celle introduite contre l’accusé dans le cadre d’une procédure pénale (voir notamment Tълк. реш. № 5 от 05.04.2006 по т.д. 5/2005, ОСГТК на ВКС, бюл. 2005, кн. 9). III. SOURCES INTERNATIONALES A. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Le 24 janvier 2012, le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Thomas Hammarberg, a déclaré ce qui suit dans un document intitulé « Les droits de l’homme des enfants placés dans des institutions, ainsi que des Roms et autres minorités en Bulgarie » et annexé à une lettre adressée aux autorités bulgares (CommDH (2012)12 du 24 janvier 2012): « 2. Dans son rapport de 2010, le commissaire s’est (...) félicité des mesures prises en Bulgarie afin d’améliorer les conditions de vie des enfants en institutions, par le biais de la désinstitutionalisation. Toutefois, il est profondément préoccupé par le fait que des rapports indiquent que la situation des enfants placés dans certaines institutions demeure insuffisante. En 2010, une ONG œuvrant dans le domaine des droits des enfants a conduit, conjointement avec le parquet, une étude de terrain au sujet des conditions dans les institutions pour enfants atteints de handicaps mentaux, comprenant une enquête sur le décès de 238 enfants au cours des dix dernières années. (...) Les constats opérés révèlent que des enfants placés dans des institutions étaient soumis à des pratiques de malnutrition, de violence, de restrictions physiques et de (...). Parfois, les enfants malades n’étaient pas hospitalisés ou ne l’étaient que tardivement. Des besoins élémentaires tels que chauffage adéquat, nourriture et médicaments vitaux n’étaient pas assurés. De plus, la surpopulation et la petite surface de la plupart des chambres renforçaient les actes d’agression et d’automutilation. » B. Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution 44/25 du 20 novembre 1989) La convention en question a été ratifiée par la Bulgarie le 3 juin 1991. Ses dispositions pertinentes se lisent ainsi : Article 6 « 1. Les Etats parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie. Les Etats parties assurent dans toute la mesure du possible la survie et le développement de l’enfant. Article 27 Les Etats parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. C’est aux parents ou autres personnes ayant la charge de l’enfant qu’incombe au premier chef la responsabilité d’assurer, dans les limites de leurs possibilités et de leurs moyens financiers, les conditions de vie nécessaires au développement de l’enfant. Les Etats parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. Quant aux faits survenus en Egypte Le requérant est né en 1973 et réside à Metz-Queuleu. Le requérant est un ressortissant égyptien, chrétien copte, originaire de la ville d’Assiout. Il fut baptisé lorsqu’il était nourrisson et grandit au sein de la communauté chrétienne copte d’Assiout. Il y reçut son éducation religieuse, et était enfant de chœur. Il assistait tous les vendredis soirs à la célébration, tous les dimanches à la messe et pratiquait tous les ans le jeûne appelé « la vierge » au mois d’août. A l’intérieur du poignet droit, il porte un tatouage en forme de croix, depuis l’âge de treize ans, pratique répandue chez les chrétiens coptes d’Egypte. Il garde toujours avec lui une médaille de la vierge. Il devint rapidement un membre très actif de la communauté copte d’Assiout, et animait notamment le chant à la messe tous les dimanches. Il vivait avec ses parents et ses deux jeunes sœurs et travaillait dans une station-service. A partir du mois de mai 2007, sa famille et lui-même furent la cible d’attaques en raison de leurs croyances religieuses. Sa famille vivait dans une maison louée à un propriétaire de confession musulmane. Durant le mois de mai, en fin d’après-midi, alors que sa mère, ses sœurs et lui-même étaient à leur domicile, un groupe d’une dizaine de personnes musulmanes entra dans la maison et des hommes le frappèrent. Près d’un mois plus tard, le propriétaire de leur domicile découvrit que la famille du requérant était copte en entendant le requérant chanter des chants religieux. Il expulsa immédiatement le requérant et sa famille, sans aucune compensation ni préavis, les exposant ainsi à l’ensemble du voisinage. Sa famille trouva un nouveau logement dans un petit studio loué à un propriétaire copte de la ville. Le requérant tenta de porter plainte contre cette expulsion locative, mais la police refusa d’enregistrer sa plainte. Après la première attaque contre sa famille, le requérant, considéré comme le représentant de la famille, son père étant âgé et lui-même étant fils unique, fut directement visé par les agressions. A la même période, en mai 2007, deux jeunes personnes récemment converties au christianisme sollicitèrent du requérant un enregistrement de ses chants. Il enregistra un CD, inscrivit son nom à l’intérieur et le donna à ces deux jeunes hommes. Dans les jours qui suivirent, trois hommes de confession musulmane commencèrent à le suivre dans la rue quand il se rendait à l’Eglise. Ils le prirent à partie à plusieurs reprises, l’insultèrent et le battirent à deux occasions. La première fois, le 25 mai 2007, le requérant n’eut aucune trace des coups portés. Il déposa cependant une plainte le jour même auprès du commissariat de police d’Assiout, sans qu’aucune suite n’y ait été donnée. La seconde fois, le 15 juin 2007, il dut se rendre à l’hôpital pour se faire soigner. Un certificat médical fut établi, constatant des traces d’hématomes au dos et à la poitrine, ainsi qu’un début de commotion cérébrale. Un « rapport d’information » fut rédigé le jour même par le centre de police de l’hôpital, mentionnant l’attaque du requérant en raison de ses activités chrétiennes. Aucune suite ne fut apportée à cette plainte. Ses agresseurs l’assimilèrent à un prédicateur, lui reprochant de faire du prosélytisme et d’avoir converti plusieurs jeunes musulmans. Aux attaques verbales et physiques des mois de mai et juin 2007 s’ajoutèrent des menaces de mort, laissées à son domicile, qui se firent de plus en plus pressantes. Ses agresseurs, membres de la famille des deux jeunes hommes récemment convertis au christianisme, déposèrent une plainte à l’encontre du requérant pour prosélytisme. Au mois d’août 2007, le requérant reçut une convocation émanant d’un enquêteur de la branche criminelle, traduite par un interprète d’une association présente en centre de rétention, laquelle énonce comme suit : « Des rapports ont été reçus disant que Monsieur M. E. domicilié au (...) menait des campagnes missionnaires régulières, qui avaient pour objectif la conversion au christianisme de jeunes qui avaient besoin d’argent et d’enfants. Il utilisait des ouvrages et des vidéos qui offensent l’Islam et les musulmans. Selon ces rapports, il aurait été exposé à des violences perpétrées par des groupes islamiques, qui lui auraient causé des blessures. Ces informations ont été données au doyen, président de la branche criminelle qui a ordonné d’exécuter les enquêtes nécessaires pour fixer la vérité. Un groupe a été créé à l’aide de nos sources secrètes pour exécuter les enquêtes nécessaires. Avec le temps nécessaire, les enquêtes ont démontré la véracité de ces rapports. Elles ont prouvé le fait que M. E. persévère dans ces campagnes missionnaires et dans le développement de celles-ci, et qu’il a participé à la conversion de deux jeunes musulmans ce qui a causé des tensions négatives dans le village. Nos sources secrètes ont certifié qu’il distribue des livres religieux et qu’il participe à la publication de tracts et de cassettes qui offensent l’Islam et les musulmans. De plus, nos sources secrètes ont certifié que la population qu’il vise principalement concerne de jeunes musulmans. Il organisait des rencontres individuelles secrètes avec eux et les emmenait devant un ministère (religieux) pour montrer qu’ils étaient devenus chrétiens. Toutes ces activités ont causé des tensions entre les représentants des différentes religions et une situation d’insécurité générale. Ces rapports ont été remis au doyen, président de la branche criminelle qui a décidé de les présenter à l’agent de la sécurité générale pour obtenir auprès du procureur général, l’autorisation de procéder à l’arrestation de Monsieur M. E. Ces rapports ont ensuite été montrés au procureur d’Assiout qui a obtenu de la part du procureur général l’autorisation d’arrestation. » Le 20 août 2007, le requérant fut convoqué au commissariat d’Assiout et placé en garde à vue. Il réussit à être libéré sous caution grâce à l’intervention d’un avocat copte, Me A.H. Un procès fut ouvert à son encontre, mais le requérant ne se présenta pas au tribunal et quitta l’Egypte le 21 septembre 2007 par avion. Depuis son départ d’Assiout en août 2007, sa famille ne subit plus de persécutions aussi graves que celles dont lui-même avait fait l’objet auparavant. La procédure pénale engagée à l’encontre du requérant fin août 2007 s’acheva par une condamnation par contumace à trois années de prison pour prosélytisme, rendue le 21 juillet 2009 par le tribunal d’Assiout. Le 16 juin 2010, la police se présenta à son domicile à Assiout pour lui remettre une convocation. B. Quant aux faits survenus en France A son arrivée en France en septembre 2007, le requérant n’entreprit aucune démarche auprès des autorités françaises pour en obtenir la protection car il ignorait qu’il existait une procédure telle que la procédure d’asile. Il dit n’avoir pris connaissance de cette procédure qu’après son placement au centre de rétention de Metz lors de son entretien avec l’association présente dans ledit centre. Interpellé le 13 août 2010 par les autorités allemandes alors qu’il rendait visite à un ami en Allemagne, le requérant fut remis aux autorités françaises. Placé en garde à vue, il fit l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière délivré par le préfet de la Moselle le 14 août 2010. Il fut ensuite placé en centre de rétention. Il contesta, d’une part, l’arrêté préfectoral devant le tribunal administratif de Strasbourg, lequel rejeta son recours le 17 août 2010. Sous l’angle de l’article 3 de la Convention, le tribunal statua par ces motifs : « Considérant que si [M.E.] invoque qu’il courrait des risques en cas de retour en Egypte en raison de son appartenance à la communauté copte, l’intéressé, qui n’a d’ailleurs jamais sollicité son admission au statut de réfugié, n’apporte aucun élément probant de nature à établir la réalité des risques personnels que comporterait pour lui le retour dans son pays ; que le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut dès lors être accueilli. » Le requérant interjeta appel de cette décision. D’autre part, il déposa, dès son arrivée au centre de rétention, une demande d’asile, qui fut traitée en procédure prioritaire. Il explique que sa demande fut enregistrée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 23 août 2010, date à laquelle il n’avait pas encore récupéré la traduction des documents qui lui avaient été transmis d’Egypte. Il explique avoir été soumis, lors de l’entretien, à la pression de l’interprète, lequel lui enjoignait de faire des réponses rapides et très courtes. Le compte rendu de l’OFPRA précise qu’il peut être tenu pour établi que le requérant appartient à la communauté copte mais que les déclarations du requérant sur les raisons pour lesquelles il aurait été accusé de prosélytisme sont insuffisamment étayées et que les documents joints à la demande ne sont pas traduits. Par une décision en date du 27 août 2010, l’OFPRA rejeta la demande d’asile aux motifs notamment que les déclarations manquaient de précisions. L’OFPRA énonce ainsi : « Toutefois, si les déclarations de l’intéressé, entendu à l’Office le 26 août 2010, permettent d’établir son appartenance à la communauté copte, elles sont peu convaincantes concernant les persécutions dont il fait état. Il apporte peu de précisions sur les circonstances dans lesquelles une personne d’origine musulmane lui aurait demandé la copie de l’un de ses enregistrements et il n’explique pas pourquoi il aurait été accusé de prosélytisme de ce fait. Par ailleurs, il évoque de manière peu détaillée et peu personnalisée les deux agressions dont il aurait été victime. (...) Enfin, les documents joints à sa demande ne peuvent à eux seuls suffire pour établir les faits invoqués en l’absence de déclarations convaincantes. Dès lors, l’ensemble de ses déclarations ne permet pas de tenir pour établie la réalité des faits allégués et de conclure au bien-fondé de ses craintes actuelles et personnelles d’être exposé à des persécutions ou des menaces graves en cas de retour dans son pays. » Le requérant estime cependant avoir été contraint à la concision par l’interprète fourni par l’OFPRA. Le 31 août 2010, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 1er septembre suivant, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers l’Egypte pour la durée de la procédure devant la Cour. Par un arrêt en date du 24 mars 2011, la cour administrative d’appel de Nancy rejeta la requête du requérant tendant à l’annulation du jugement du 17 août 2010, aux motifs qu’il n’apportait aucun élément probant de nature à établir la réalité des risques personnels que comporterait pour lui le retour dans son pays et que, d’ailleurs, sa demande d’asile avait été rejetée par l’OFPRA. Estimant un tel recours dénué de toute effectivité, le requérant ne forma pas de pourvoi en cassation contre cette décision. Saisie par le requérant, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), le 3 juin 2011, confirma la décision de l’OFPRA. Elle considéra, en effet, que le récit du requérant, notamment concernant les circonstances dans lesquelles il aurait communiqué un disque de musique religieuse à des musulmans, l’identité des plaignants et le motif de sa condamnation, manquait de précisions, que les documents judiciaires versés au dossier ne présentaient pas de garanties d’authenticité suffisantes et que le rapport d’Amnesty International sur la situation en Egypte de la communauté copte n’étayait pas utilement le récit. Le requérant ne forma pas de pourvoi en cassation contre cette décision pour les mêmes raisons que précédemment exposées. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT A. Le droit français Les principes généraux régissant la procédure d’asile dite prioritaire appliquée aux demandeurs en rétention et le recours devant le tribunal administratif contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sont résumés dans l’arrêt I.M. c. France (no 9152/09, §§ 49-63 et §§ 64-74, 2 février 2012). B. Texte de l’Union Européenne La directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres prévoit en son article 23 : Article 23 Procédure d’examen « 1. Les États membres traitent les demandes d’asile dans le cadre d’une procédure d’examen conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II. (...) Les États membres peuvent donner la priorité à une demande ou en accélérer l’examen dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, y compris lorsque la demande est susceptible d’être fondée ou dans les cas où le demandeur a des besoins particuliers. Les États membres peuvent également décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, qu’une procédure d’examen est prioritaire ou est accélérée lorsque : a) le demandeur n’a soulevé, en déposant sa demande et en exposant les faits, que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE; ou b) le demandeur qui manifestement ne peut être considéré comme un réfugié ou ne remplit pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié dans un État membre en vertu de la directive 2004/83/CE; ou c) la demande d’asile est considérée comme infondée i) parce que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens des articles 29, 30 et 31, ou ii) parce que le pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur sans préjudice de l’article 28, paragraphe 1, ou d) le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité et/ou sa nationalité et/ou l’authenticité de ses documents, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable, ou e) le demandeur a introduit une autre demande d’asile mentionnant d’autres données personnelles, ou f) le demandeur n’a produit aucune information permettant d’établir, avec une certitude suffisante, son identité ou sa nationalité, ou s’il est probable que, de mauvaise foi, il a procédé à la destruction ou s’est défait de pièces d’identité ou de titres de voyage qui auraient aidé à établir son identité ou sa nationalité, ou g) la demande formulée par le demandeur est manifestement peu convaincante en raison des déclarations incohérentes, contradictoires, peu plausibles ou insuffisantes qu’il a faites sur les persécutions dont il prétend avoir fait l’objet, visées dans la directive 2004/83/CE, ou h) le demandeur a introduit une demande ultérieure dans laquelle il n’invoque aucun élément nouveau pertinent par rapport à sa situation personnelle ou à la situation dans son pays d’origine, ou i) le demandeur n’a pas introduit plus tôt sa demande, sans motif valable, alors qu’il avait la possibilité de le faire, ou j) le demandeur ne dépose une demande qu’afin de retarder ou d’empêcher l’exécution d’une décision antérieure ou imminente qui entraînerait son expulsion, ou k) sans motif valable, le demandeur n’a pas rempli les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive 2004/83/CE, ou de l’article 11, paragraphe 2, points a) et b), et de l’article 20, paragraphe 1, de la présente directive, ou l) le demandeur est entré ou a prolongé son séjour illégalement sur le territoire de l’État membre et, sans motif valable, ne s’est pas présenté aux autorités et/ou n’a pas introduit sa demande d’asile dans les délais les plus brefs compte tenu des circonstances de son entrée sur le territoire, ou m) le demandeur représente un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public de l’État membre; ou le demandeur a fait l’objet d’une décision d’éloignement forcé pour des motifs graves de sécurité nationale ou d’ordre public au regard du droit national, ou n) le demandeur refuse de se conformer à l’obligation de donner ses empreintes digitales conformément à la législation communautaire et/ou nationale pertinente, ou o) la demande a été introduite par un mineur non marié auquel l’article 6, paragraphe 4, point c), s’applique après que la demande déposée par le ou les parents responsables du mineur a été rejetée et aucun élément nouveau pertinent n’a été apporté en ce qui concerne la situation personnelle du demandeur ou la situation dans son pays d’origine. » III. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX Amnesty International formule une déclaration publique, publiée le 12 janvier 2010, dans laquelle il est fait part des préoccupations quant à l’absence de protection des minorités religieuses par les autorités égyptiennes. La déclaration est formulée en ces termes : « Amnesty International a condamné ce mardi 12 janvier la fusillade qui a fait six morts et blessé des dizaines de personnes le 6 janvier dans le sud du pays au cours d’une attaque dirigée contre la minorité copte d’Égypte. Au vu des menaces répétées contre les coptes d’Égypte, l’organisation demande aux autorités égyptiennes d’ouvrir une enquête crédible sur la fusillade et de prendre des mesures pour protéger les minorités religieuses de telles attaques. (...) Bien que des menaces de nouvelles violences contre les coptes aient été proférées à Nagaa Hammadi, après les troubles survenus dans la région en novembre 2009, les autorités égyptiennes n’ont, semble-t-il, pas pris de mesures pour leur assurer une protection adéquate en accroissant les mesures de sécurité. Les forces de sécurité, habituellement déployées lors des fêtes pour protéger les églises et les quartiers adjacents et restreindre la circulation dans les rues voisines, étaient absentes. La fusillade de la semaine dernière est l’attaque la plus meurtrière jamais perpétrée contre des coptes depuis l’attaque de 2000 qui avait fait plus d’une vingtaine de morts dans le village de Kosheh, dans le gouvernorat de Sohag, à quelque 500 kilomètres au sud du Caire. (...) La violence intercommunautaire entre chrétiens et musulmans éclate souvent à la suite de querelles de familles ou de personnes. Amnesty International et les organisations égyptiennes de défense des droits humains ont noté une augmentation du nombre d’attaques pour des motifs confessionnels contre la communauté copte d’Égypte, qui représente entre 6 et 8 millions de personnes dans ce pays. Amnesty International demande instamment aux autorités égyptiennes de prendre des mesures positives pour faire en sorte que le droit à la sécurité et l’intégrité des personnes appartenant à la minorité copte ou aux autres minorités religieuses soit respecté et que les personnes soupçonnées d’actes de violence soient jugées lors de procès conformes aux normes internationales d’équité des procès, excluant le recours à la peine de mort. (...) » Le 2010 Report on International Religious Freedom – Egypt, publié le 17 novembre 2010 par le Département d’Etat américain, rapporte notamment : « (...) The government failed to prosecute perpetrators of violence against Coptic Christians in a number of cases, including in Baghoura, Farshout, and Marsa Matruh. Despite statements from President Mubarak and other senior government officials condemning sectarian incitement and violence, on November 24, 2009, the governor of Minya publicly denied any sectarian violence occurred in his governorate although such incidents were documented. The government again failed to redress laws - particularly laws relating to church construction and renovation - and governmental practices, especially government hiring, that discriminate against Christians, effectively allowing their discriminatory effects and their modelling effect on society to become further entrenched. The government continued to sponsor informal reconciliation sessions following sectarian attacks. This practice generally prevented the criminal prosecution of perpetrators of crimes against Copts, precluded their recourse to the judicial system for restitution, and contributed to a climate of impunity that encouraged further assaults. In positive steps, the government issued identification documents to some unmarried members of the Baha’i community; it arrested and began prosecuting four alleged perpetrators of a sectarian attack against Copts in Naga Hammadi; and a court in Qena sentenced five Muslims to life imprisonment for murdering two Christians. There continued to be religious discrimination and sectarian tension in society during the period covered by this report, and some religious groups and activists reported an increase in sectarian tensions. For example, on January 6, 2010, in the city of , six Copts and one Muslim were killed in an attack on worshippers following Coptic Christmas Mass. The ambassador, senior administration officials, and members of Congress continued to raise concerns about religious discrimination with senior government officials and directly with the public. Specifically, embassy officers and other U.S. Department of State officials raised concerns with the government about ongoing discrimination that Christians face in building and maintaining church properties, sectarian violence, the government’s use of informal reconciliation instead of criminal prosecutions, and the state’s treatment of Muslim citizens who hold heterodox beliefs or convert to other religions. (...) » Dans son 2011 Report on International Religious Freedom – Egypt, publié le 30 juillet 2012, le Département d’Etat américain fait encore état des nombreuses violences exercées à l’encontre des chrétiens coptes d’Egypte par des personnes privées mais également par l’Etat lui-même. Il répertorie ainsi les différentes attaques subies par les membres de la communauté copte au cours de l’année 2011 ; il évoque notamment l’attentat perpétré, le 1er janvier 2011, devant une église chrétienne copte à Alexandrie, ayant fait vingt-trois morts et de nombreux blessés parmi les fidèles qui sortaient de la messe de minuit célébrée le jour de l’an, et la violente répression, par les forces de l’ordre, en octobre 2011, d’une manifestation de coptes au cours de laquelle vingt-cinq personnes ont été tuées et près de trois cent trente blessées. Le rapport souligne la réticence des autorités égyptiennes à poursuivre les agresseurs. A ce jour en effet, aucune enquête impartiale et indépendante sur les circonstances de ces violences n’a été menée et les responsables n’ont pas été poursuivis.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1972 et réside à Paris. Le 10 février 2004, une enquête fut ouverte à l’encontre du requérant pour vol de livres. Les services d’enquête prélevèrent ses empreintes digitales. Par un arrêt du 15 février 2005, sur appel d’un jugement rendu le 28 avril 2004 par le tribunal correctionnel de Paris, la cour d’appel de Paris relaxa le requérant. Le 28 septembre 2005, le requérant fut placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête de flagrance, également pour vol de livres. Il fit à nouveau l’objet d’un prélèvement d’empreintes digitales. Le 2 février 2006, cette procédure fut classée sans suite par le procureur de la République de Paris. Les empreintes relevées lors de ces procédures furent enregistrées au fichier automatisé des empreintes digitales (« FAED »). Par une lettre du 21 avril 2006, le requérant demanda au procureur de la République de Paris que ses empreintes soient effacées du FAED. Le 31 mai 2006, le procureur de la République fit procéder uniquement à l’effacement des prélèvements effectués lors de la première procédure. Il fit valoir que la conservation d’un exemplaire des empreintes du requérant se justifiait dans l’intérêt de celui-ci, en permettant d’exclure sa participation en cas de faits commis par un tiers usurpant son identité. Le 26 juin 2006, le requérant forma un recours devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris. Par une ordonnance du 25 août 2006, le juge des libertés et de la détention rejeta sa demande. Il estima que la conservation des empreintes était de l’intérêt des services d’enquête, leur permettant de disposer d’un fichier ayant le plus de références possibles. Le juge ajouta que cette mesure ne causait aucun grief au requérant, compte tenu de la confidentialité du fichier, qui excluait toute conséquence sur la vie sociale ou personnelle de l’intéressé. Le 21 décembre 2006, le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris confirma cette ordonnance. Par un arrêt du 1er octobre 2008, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en considérant, la procédure étant écrite, qu’il avait été mis en mesure de faire valoir son argumentation et de prendre connaissance de l’opposition motivée du ministère public. Elle ajouta que les pièces de la procédure lui permettaient de s’assurer que la demande avait été traitée conformément aux textes légaux et conventionnels invoqués par le requérant, parmi lesquels figurait l’article 8 de la Convention. II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT A. Le droit interne pertinent Les dispositions pertinentes du décret no 87-249 du 8 avril 1987 relatif au fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l’Intérieur, dans leur version pertinente au moment des faits, se lisent comme suit : Article 1 « Est autorisé, dans les conditions prévues au présent décret, le traitement automatisé de traces et empreintes digitales et palmaires en vue de faciliter la recherche et l’identification, par les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale, des auteurs de crimes et de délits et de faciliter la poursuite, l’instruction et le jugement des affaires dont l’autorité judiciaire est saisie. » Article 2 « Ce traitement est mis en œuvre par la direction centrale de la police judiciaire au ministère de l’intérieur. Il porte la dénomination de fichier automatisé des empreintes digitales. » Article 3 « Peuvent être enregistrées : 1o Les traces relevées dans le cadre d’une enquête pour crime ou délit flagrant, d’une enquête préliminaire, d’une commission rogatoire, d’une enquête ou d’une instruction pour recherche des causes d’une disparition inquiétante ou suspecte prévue par les articles 74-1 ou 80-4 du code de procédure pénale ou de l’exécution d’un ordre de recherche délivré par une autorité judiciaire ; 2o Les empreintes digitales et palmaires relevées dans le cadre d’une enquête pour crime ou délit flagrant, d’une enquête préliminaire, d’une commission rogatoire ou de l’exécution d’un ordre de recherche délivré par une autorité judiciaire, lorsqu’elles concernent des personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission d’un crime ou d’un délit ou des personnes, mises en cause dans une procédure pénale, dont l’identification certaine s’avère nécessaire ; 3o Les empreintes digitales et palmaires relevées dans les établissements pénitentiaires, en application du code de procédure pénale, en vue de s’assurer de manière certaine de l’identité des détenus qui font l’objet d’une procédure pour crime ou délit et d’établir les cas de récidive ; 4o Les traces et les empreintes digitales et palmaires transmises par des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers en application d’engagements internationaux. » Article 4 « Les empreintes digitales et palmaires enregistrées sont accompagnées des informations suivantes : 1o Les nom, prénoms, date et lieu de naissance, filiation et sexe ; 2o Le service ayant procédé à la signalisation ; 3o La date et le lieu d’établissement de la fiche signalétique ; 4o La nature de l’affaire et la référence de la procédure. 5o Les clichés anthropométriques ; 6o Pour les empreintes transmises dans le cas prévu au 4o de l’article 3, l’origine de l’information et la date de son enregistrement dans le traitement. Les traces d’empreintes enregistrées sont accompagnées des informations suivantes: 1o Le lieu sur lequel elles ont été relevées, ainsi que la date du relevé ; 2o Le service ayant procédé au relevé des traces ; 3o La date et le lieu d’établissement de la fiche supportant la reproduction des traces papillaires ; 4o La nature de l’affaire et la référence de la procédure ; 5o L’origine de l’information et la date de son enregistrement dans le traitement. » Article 5 « Les informations enregistrées sont conservées pendant une durée maximale de vingt-cinq ans à compter de l’établissement de la fiche signalétique, s’il n’a pas été préalablement procédé à leur effacement dans les conditions prévues aux articles 7 et 7-1 ou en raison de ce que le service gestionnaire du traitement a été informé du décès de la personne en cause ou de sa découverte, lorsqu’il s’agit d’une personne disparue. (...) » Article 7 « Le présent traitement est placé sous le contrôle du procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle est situé le service gestionnaire. Il peut d’office et sans préjudice du contrôle effectué par la Commission nationale de l’informatique et des libertés en application de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, ordonner l’effacement des informations dont la conservation ne paraîtrait manifestement plus utile compte tenu de la finalité du traitement. L’autorité gestionnaire du fichier adresse à ce magistrat ainsi qu’à la Commission nationale de l’informatique et des libertés un rapport annuel d’activité mentionnant notamment les résultats des opérations de mise à jour et d’apurement du fichier. » Article 7-1 « Les empreintes relevées dans les conditions mentionnées au 2o de l’article 3 peuvent être effacées à la demande de l’intéressé, lorsque leur conservation n’apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier. Le procureur de la République compétent pour ordonner l’effacement est celui de la juridiction dans le ressort de laquelle a été menée la procédure ayant donné lieu à cet enregistrement. La demande d’effacement doit, à peine d’irrecevabilité, être adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe. Cette demande est directement adressée au procureur de la République compétent en vertu des dispositions de l’alinéa précédent. Elle peut également être adressée au procureur de la République du domicile de l’intéressé, qui la transmet au procureur de la République compétent. Le magistrat compétent fait connaître sa décision à l’intéressé, par lettre recommandée, dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande soit par lui-même, soit par le procureur de la République du domicile de l’intéressé. A défaut de réponse dans ce délai, ou si le magistrat n’ordonne pas l’effacement, l’intéressé peut saisir aux mêmes fins le juge des libertés et de la détention dans un délai de dix jours par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par déclaration au greffe. Après avoir sollicité les réquisitions écrites du procureur de la République, le juge des libertés et de la détention statue par ordonnance motivée dans un délai de deux mois. L’ordonnance est notifiée au procureur de la République et, par lettre recommandée, à l’intéressé. Faute pour le juge des libertés et de la détention de statuer dans le délai de deux mois ou en cas d’ordonnance refusant l’effacement, l’intéressé peut, dans un délai de dix jours, saisir le président de la chambre de l’instruction, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par déclaration au greffe. A peine d’irrecevabilité, sa contestation doit être motivée. En cas d’ordonnance prescrivant l’effacement, le procureur de la République peut également, dans un délai de dix jours, contester cette décision devant le président de la chambre de l’instruction. Cette contestation suspend l’exécution de la décision. Le président de la chambre de l’instruction statue, après avoir sollicité les réquisitions écrites du procureur général, par une ordonnance motivée, dans un délai de trois mois. Cette ordonnance est notifiée au procureur de la République et, par lettre recommandée, à l’intéressé. Elle ne peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation que si elle ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale. » Article 8 « Les fonctionnaires dûment habilités des services d’identité judiciaire du ministère de l’intérieur et des unités de recherches de la gendarmerie nationale pourront seuls avoir accès aux informations enregistrées et procéder aux opérations d’identification à la demande de l’autorité judiciaire ou des officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale. » L’article 55-1 du code de procédure pénale prévoit ce qui suit : Article 55-1 « L’officier de police judiciaire peut procéder, ou faire procéder sous son contrôle, sur toute personne susceptible de fournir des renseignements sur les faits en cause ou sur toute personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre l’infraction, aux opérations de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d’examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés pour les nécessités de l’enquête. Il procède, ou fait procéder sous son contrôle, aux opérations de relevés signalétiques et notamment de prise d’empreintes digitales, palmaires ou de photographies nécessaires à l’alimentation et à la consultation des fichiers de police selon les règles propres à chacun de ces fichiers. Le refus, par une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, de se soumettre aux opérations de prélèvement, mentionnées aux premier et deuxième alinéas ordonnées par l’officier de police judiciaire est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » B. Le droit international pertinent Les éléments internationaux pertinents sont exposés dans l’affaire S. et Marper c. Royaume-Uni [GC] (nos 30562/04 et 30566/04, §§ 41-42 et 50-53, CEDH 2008-...).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1962 et 1960 et résident à Pazardzhik. A. La procédure judiciaire concernant la demande de privatisation des requérants La demande de privatisation déposée par les requérants Les requérants exercent tous les deux la profession d’avocat et sont inscrits au barreau de Pazardzhik. Depuis le 28 avril 1993, ils louaient ensemble un bureau de 17 m2 situé dans un immeuble appartenant à la municipalité, dans le centre de Pazardzhik (le bureau no 1). Le 14 février 1996, les requérants adressèrent à la municipalité une proposition de privatisation du bureau dont ils étaient locataires. Cette proposition était fondée sur la loi de 1992 relative à la transformation et à la privatisation des entreprises de l’Etat et des communes (« la loi sur la privatisation »). Les dispositions en question prévoyaient, sous certaines conditions, une procédure simplifiée de privatisation au bénéfice, notamment, des locataires de biens publics. Par la suite, les requérants se portèrent également candidats à la privatisation de sept autres bureaux situés dans le même bâtiment, qui ne relevaient pas de la procédure simplifiée prévue pour les locataires. Le premier requérant a déposé une requête devant la Cour relativement à cette procédure, qui a été enregistrée sous le no 4168/11. Les procédures internes relatives à ces sept autres bureaux ne sont mentionnées dans le présent arrêt que dans la mesure où elles concernent également le bureau no 1 (voir également le paragraphe 65 cidessous). N’ayant pas obtenu de réponse à leur demande de privatisation du bureau no 1, le 15 mars 1996, les requérants contestèrent devant le tribunal régional de Pazardzhik le refus tacite du conseil municipal. Par une lettre du 19 juin 1996, la municipalité informa le tribunal que des particuliers avaient formulé une demande en restitution du bâtiment dans lequel se trouvait le bureau et qu’ils avaient introduit un recours judiciaire contre le refus du maire d’accueillir cette demande. Le 17 février 1997, le tribunal régional décida de suspendre l’examen de l’affaire des requérants, au motif que sa solution dépendait de l’issue du litige entre la municipalité et les demandeurs de restitution. La procédure judiciaire relative à la demande de restitution L’affaire relative à la demande de restitution fut inscrite au rôle du tribunal en janvier 1996. Huit audiences eurent lieu au courant de 1996 et 1997, dont quatre furent ajournées pour des motifs liés à des problèmes de santé des demandeurs de restitution ou à un empêchement de leur avocat et une autre au motif que le tribunal avait omis de fixer le montant des frais de procédure que les demandeurs devaient payer à l’avance. Par un jugement du 17 février 1998, le tribunal régional de Pazardzhik rejeta le recours judiciaire au motif que les conditions de la restitution n’étaient pas réunies. Ce jugement fut annulé le 29 septembre 1998 par la Cour administrative suprême, qui ordonna le réexamen de l’affaire par une autre formation du tribunal régional. Dix audiences furent fixées entre décembre 1998 et le début de 2001. Deux d’entre elles furent ajournées au motif de citations irrégulières, quatre furent ajournées au motif que l’expert judiciaire nommé par le tribunal régional n’avait pas comparu et qu’il n’avait pas présenté son rapport d’expertise. Le tribunal régional infligea une amende à l’expert judiciaire. Deux audiences sur le fond furent tenues en juin et septembre 1999. Par une ordonnance du 8 septembre 2000, le tribunal joignit à cette procédure une autre affaire, qui portait sur un second recours des demandeurs en restitution concernant le même bâtiment. Les deux requérants qui, en leur qualité d’avocats, étaient les représentants de la municipalité dans la procédure, introduisirent un recours fondé sur l’article 217a du code de procédure civile pour se plaindre des retards injustifiés intervenus dans la procédure. L’issue du recours concernant la durée de la procédure n’a pas été précisée mais à l’audience du 20 juin 2001, tous les juges de la formation chargée de l’examen de l’affaire se récusèrent, au motif que le texte du recours introduit par les requérants était trop critique à leur égard. Par la suite, deux audiences eurent lieu et l’affaire fut mise en délibéré le 5 décembre 2001. Par un jugement du 14 mai 2002, le tribunal régional rejeta le recours des demandeurs en restitution. Cet arrêt fut confirmé par la Cour administrative suprême le 24 juillet 2003. La reprise de l’instance dans l’affaire concernant la demande de privatisation des requérants Le 2 mars 2004, les requérants demandèrent au tribunal régional de reprendre l’examen de leur recours contre le rejet de leur demande de privatisation. Par un jugement du 8 juillet 2004, le tribunal régional fit droit à leur recours. Il annula le refus tacite du conseil municipal et ordonna que le dossier lui soit retourné pour qu’il se prononce sur la demande en privatisation introduite par les requérants, en tenant compte des motifs du jugement. Les requérants se pourvurent en cassation. Ils arguèrent que la question d’ouvrir ou non une procédure de privatisation ne relevait pas de la discrétion de l’administration et qu’après avoir annulé le refus du conseil municipal, le tribunal aurait dû statuer sur le fond de leur demande et ordonner l’ouverture d’une procédure de privatisation au lieu de renvoyer le dossier à l’administration. Par un arrêt du 17 février 2005, la Cour administrative suprême rejeta le pourvoi. La haute juridiction considéra qu’il ne s’agissait pas en l’espèce d’un cas de compétence liée où le tribunal devait substituer sa décision à celle de l’administration. Elle précisa qu’en vertu de l’article 35, alinéa 2 de la loi sur la privatisation, le jugement d’annulation du refus du conseil municipal obligeait l’administration à ouvrir une procédure de privatisation dans un délai de deux mois et à proposer aux requérants l’achat du bureau en question. B. L’exécution du jugement du 8 juillet 2004 Les tentatives des requérants d’obtenir l’exécution du jugement auprès de la municipalité Par des lettres des 17 avril et 25 avril 2005, les requérants demandèrent à la municipalité de se conformer au jugement du 8 juillet 2004. Ils exigèrent que le bureau leur soit vendu au prix valable en 1996 et que leur soit accordée la possibilité d’un paiement échelonné, que les loyers payés depuis la date de l’introduction de leur demande de privatisation leur soient restitués et que la vente d’une partie du terrain afférent au bâtiment soit suspendue afin qu’ils puissent en acquérir une quote-part au moment de l’achat du bureau. Par une lettre du 26 juin 2007, les requérants s’adressèrent de nouveau à la municipalité et demandèrent à savoir qui empêchait l’exécution du jugement prononcé en leur faveur. Par une lettre du 29 mars 2007, l’Agence de privatisation indiqua à la municipalité de Pazardzhik les démarches à suivre pour vérifier s’il était possible ou non d’ouvrir une procédure de privatisation du bureau no 1. Elle précisa que le conseil municipal pouvait ouvrir une procédure de privatisation seulement si le bureau pouvait constituer un lot indépendant. Le 26 juillet 2007, le conseil municipal de Pazardzhik décida d’ouvrir une procédure de privatisation du bureau no 1 suivant la procédure prévue par loi de 1992 sur la privatisation. Par une décision du 20 septembre 2007, le conseil municipal de Pazardzhik désigna les requérants comme acheteurs et détermina les conditions de la privatisation, notamment le prix de rachat qui fut fixé à 8 500 levs bulgares (BGN), soit 4 350 euros (EUR). Les requérants introduisirent un recours judiciaire contre cette décision. Par un jugement du 20 mars 2008, le tribunal administratif de Pazardzhik écarta les arguments des requérants, qui avaient soulevé plusieurs irrégularités au regard de la loi sur la privatisation, notamment que le conseil municipal aurait dû leur proposer un paiement échelonné. Toutefois, procédant à un contrôle d’office de la régularité de l’acte, le tribunal estima que celui-ci n’était pas dûment motivé et il prononça son annulation pour ce motif. Les requérants introduisirent un recours en complément du jugement dans la partie concernant les frais, qui fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 9 mai 2008. Les requérants se pourvurent en cassation contre le jugement du 20 mars 2008. Par une décision du 16 décembre 2008, la Cour administrative suprême déclara le pourvoi irrecevable. Cette décision fut annulée le 12 mai 2009 par une formation de cinq membres de cette juridiction, qui retourna le pourvoi afin qu’il soit examiné. Par un arrêt du 8 janvier 2010, la Cour administrative suprême annula le premier jugement. Statuant sur le fond du recours, elle considéra que le défaut de motivation constaté ne concernait qu’une partie de la décision du conseil municipal, qui portait sur la détermination des conditions de la transaction et la validation du contrat de cession. En conséquence, elle prononça l’annulation partielle de la décision du 20 septembre 2007 pour ce motif. Les procédures d’exécution engagées par les requérants a) La procédure d’exécution du jugement du 8 juillet 2004 Parallèlement à la procédure susmentionnée, le 7 avril 2009, à la demande des requérants, une procédure administrative d’exécution, qui fut référencée sous le no 1065/2009, fut ouverte en vertu de l’article 267 et suivants du code de procédure administrative (CPA) en vue de l’exécution du jugement du 8 juillet 2004. Le 7 avril 2009, l’huissier de justice en charge de la procédure mit en demeure le conseil municipal de Pazardzhik de se conformer au jugement. Le conseil municipal introduisit un recours contre la mise en demeure, qui fut rejeté par le tribunal administratif le 18 novembre 2009. Au courant des mois de mars et avril 2010, les requérants demandèrent à trois reprises à l’huissier de justice d’imposer au président du conseil municipal le payement d’une astreinte sur le fondement de l’article 290 CPA. Le 11 avril 2010, l’huissier de justice refusa l’imposition d’une astreinte au motif que le conseil municipal était un organe collectif qui ne pouvait être soumis à une telle mesure et qu’il revenait au maire et non au président du conseil municipal de saisir celui-ci d’une proposition d’ouvrir une procédure de privatisation et donc d’exécuter le jugement du 8 juillet 2004. Le recours introduit par les requérants contre cette décision sur la base de l’article 294 CPA fut rejeté par le tribunal administratif le 15 juin 2010. Le tribunal estima qu’il n’y avait pas lieu de trancher quelle autorité était tenue de saisir le conseil municipal car l’exécution du jugement devait être effectuée par le conseil municipal dans son ensemble et non par l’autorité de saisine de celui-ci ; en conséquence, le président du conseil municipal ne pouvait faire l’objet d’une astreinte. A la suite d’une nouvelle demande de requérants, par une décision du 22 juin 2010, l’huissier de justice imposa au maire de Pazardzhik une astreinte d’un montant de 100 BGN (51 EUR), à verser chaque semaine jusqu’à exécution du jugement. Sur recours du maire, cette décision fut annulée par le tribunal administratif le 1er octobre 2010 au motif que l’exécution du jugement ne pouvait être réalisée par l’action du maire de saisir le conseil municipal, et que le maire ne pouvait dès lors se voir imposer une astreinte. b) La procédure d’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010 En avril 2010, une deuxième procédure d’exécution no 1082/2010 fut ouverte à l’encontre du conseil municipal de Pazardzhik concernant l’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010 (paragraphe 25 ci-dessus). Le 15 avril 2010, puis le 20 mai 2010, l’huissier de justice mit en demeure le maire de la ville de se conformer à l’arrêt. Par une décision du 22 juin 2010, l’huissier de justice imposa au maire une astreinte de 100 BGN par semaine jusqu’à exécution de l’arrêt. Sur recours du maire, cette décision fut annulée par un jugement du tribunal administratif du 4 octobre 2010 au motif que l’autorité compétente pour se prononcer sur la demande de privatisation des requérants en exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010 était le conseil municipal et non le maire et que ce dernier ne pouvait donc se voir imposer une astreinte en application de l’article 290 CPA. c) Les autres recours exercés par les requérants relativement aux procédures d’exécution Le 2 avril 2012, les requérants s’adressèrent au tribunal régional de Pazardzhik pour se plaindre de la passivité de l’huissier de justice et de l’absence de mesures prises dans le cadre des deux procédures d’exécution. Par une lettre du 9 avril 2012, le vice-président du tribunal constata qu’effectivement aucune mesure n’avait été accomplie pendant une longue période et informa les requérants qu’un autre huissier de justice avait été chargé du dossier. Le 1er novembre 2012 les requérants saisirent le tribunal administratif de Pazardzhik d’un recours formel contre l’inaction de l’huissier de justice en application de l’article 294 CPA, au motif que ce dernier avait omis d’imposer une astreinte au président du conseil municipal de Pazardzhik. A la demande des requérants, tous les juges du tribunal se récusèrent et l’affaire fut transférée au tribunal administratif de Plovdiv. Par un jugement définitif du 30 janvier 2013, le tribunal administratif de Plovdiv rejeta le recours. Il considéra que le président du conseil municipal ne pouvait se voir imposer une astreinte dans la mesure où l’organe compétent pour exécuter l’arrêt du 8 janvier 2010 était le conseil municipal, organe collectif. Il nota en outre que ce dernier avait entrepris des mesures en vue de l’exécution de l’arrêt, notamment par le biais d’une commission spécialement désignée. Par ailleurs, le premier requérant saisit le tribunal administratif de Pazardzhik pour demander l’imposition d’une sanction administrative au maire et au président du conseil municipal de Pazardzhik en vertu de l’article 304 CPA pour le défaut d’exécution de l’arrêt du 8 janvier 2010. Par une ordonnance du 12 octobre 2010, le tribunal refusa l’imposition d’une sanction au motif que l’arrêt du 8 janvier 2010 avait réglé le litige au fond et ne contenait pas d’injonction envers l’organe administratif de se prononcer de nouveau. Le recours introduit par le premier requérant fut rejeté le 20 octobre 2010 au motif que le refus d’imposer une sanction n’était pas susceptible d’appel. Les actions en dommages et intérêts introduites par les requérants a) Les actions en responsabilité contre la commune pour défaut d’exécution du jugement du 8 juillet 2004 Le 21 janvier 2009, le premier requérant introduisit une action en dommages et intérêts contre la municipalité de Pazardzhik, au motif que l’inaction de ses organes en vue de l’exécution du jugement du 8 juillet 2004 lui avait causé un préjudice matériel et moral. Son action portait sur la période postérieure au 21 juillet 2006, date à partir de laquelle le principe de responsabilité des personnes publiques était devenu applicable aux communes suite à la modification de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat et des communes. Concernant le dommage matériel, le requérant prétendait que si la municipalité lui avait vendu le bureau en exécution du jugement du 8 juillet 2004, il n’aurait pas eu à payer de loyers. Par un jugement du 30 avril 2009, le tribunal administratif de Pazardzhik rejeta la demande concernant le dommage matériel, considérant qu’aucun acte, action ou inaction illégaux de l’administration n’avaient été établis. Par ailleurs, le loyer payé par le requérant ne résultait pas d’un acte, action ou inaction d’un organe exerçant des fonctions administratives mais avait été convenu dans le cadre du contrat de location conclu entre l’intéressé et la commune. Le pourvoi en cassation du requérant contre ce jugement fut rejeté par un arrêt du 1er mars 2010. Concernant le dommage moral allégué, la demande du requérant fut dans un premier temps déclarée irrecevable le 11 février 2009, au motif que l’acte introductif d’instance n’avait pas été régularisé dans le délai imparti. Cette ordonnance fut toutefois annulée le 7 mai 2009 par la Cour administrative suprême, qui estima que le requérant avait régularisé sa demande. Par un jugement du 29 juin 2009, la demande relative au dommage moral fut également rejetée. Le tribunal considéra que l’expression « inaction illégale » se référait à un manquement de l’administration d’effectuer une action matérielle et non un acte juridique, et ne trouvait dès lors pas application s’agissant de la décision du conseil municipal d’ouvrir ou non une procédure de privatisation. Il observa en outre que la municipalité s’était conformée au jugement du 8 juillet 2004 par ses décisions des 26 juillet et 20 septembre 2007 d’ouvrir une procédure de privatisation. Par un arrêt du 31 mai 2010, la Cour administrative suprême rejeta le pourvoi en cassation du premier requérant et confirma le premier jugement en substituant les motifs. Elle nota que le jugement avait été exécuté par l’ouverture d’une procédure de privatisation le 26 juillet 2007 mais considéra qu’en tout état de cause, la loi sur la responsabilité de l’Etat et des communes ne pouvait trouver application dans la mesure où l’article 294 CPA prévoyait une voie de recours spécifique en matière d’exécution des actes administratifs et des jugements rendus en matière administrative (voir paragraphe 57 ci-dessous). Le deuxième requérant introduisit également une action en responsabilité contre la municipalité de Pazardzhik du fait du défaut d’exécution du jugement du 8 juillet 2004. Sa demande fut d’abord rejetée par un jugement du tribunal administratif du 9 juillet 2009 au motif que la responsabilité ne pouvait être engagée qu’en cas de manquement de l’administration d’effectuer une action matérielle à laquelle elle était tenue, et non un acte juridique. Ce jugement fut toutefois annulé le 12 mai 2010 par la Cour administrative suprême, qui renvoya l’affaire pour un nouvel examen au fond. Par un jugement du 27 juillet 2010, le tribunal administratif de Pazardzhik rejeta la demande au motif que l’inaction dénoncée concernait l’exécution d’un jugement et que le requérant disposait dès lors de voies de recours spécifiques prévues à l’article 294 CPA. Ce jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 11 février 2011. b) L’action en responsabilité concernant l’inaction de l’huissier de justice Au courant de 2011, le deuxième requérant introduisit une autre action en dommages et intérêts, soutenant que la passivité de l’huissier de justice dans la procédure d’exécution no 1065/2009 lui avait causé un préjudice moral. Le requérant ayant invoqué le droit civil général et non le code de procédure administrative, les juridictions durent d’abord statuer sur la compétence de l’ordre judiciaire civil ou de l’ordre administratif et, par une ordonnance du 29 février 2012, un collège de juges de la Cour administrative suprême et de la Cour suprême de cassation trancha en faveur de la compétence des juridictions administratives. Quant au bienfondé de l’action, par un arrêt définitif du 30 mai 2013, la Cour administrative suprême considéra qu’il convenait d’examiner la demande sous l’angle de la responsabilité de la personne publique en cas d’exécution forcée illégale, prévue à l’article 299 CPA (voir paragraphe 63 ci-dessous), et déclara la demande irrecevable au motif que le requérant n’avait pas au préalable obtenu le constat judiciaire de l’illégalité des actions on inactions litigieuses de l’huissier de justice en application des articles 294 et suivants du CPA. La cour estima que la mise en œuvre de cette procédure était un préalable nécessaire à l’engagement d’une action en responsabilité de l’Etat pour les agissements de l’huissier de justice. c) L’action en responsabilité concernant la décision du 20 septembre 2007 Par ailleurs, en 2010, les requérants introduisirent deux actions en responsabilité contre la municipalité, par lesquelles ils demandèrent réparation du préjudice moral résultant de la décision illégale du conseil municipal du 20 septembre 2007 (ordonnant la cession du local aux requérants et fixant les conditions de la privatisation), qui avait été partiellement annulée par l’arrêt du 8 janvier 2010. Le tribunal administratif de Pazardzhik fit droit à l’action introduite par le premier requérant par un jugement du 4 juin 2010 et lui accorda la totalité de la somme demandée, soit 6 000 BGN (3 062 EUR). Le tribunal considéra que la décision irrégulière de l’administration avait empêché l’acquisition du bureau, à laquelle le requérant avait droit en vertu du jugement du 8 juillet 2004, et lui avait ainsi causé un dommage moral. Ce jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 16 mai 2011. Par un jugement du 8 juillet 2010, le tribunal administratif de Pazardzhik fit partiellement droit à l’action du deuxième requérant et lui accorda 1 000 BGN (510 EUR). Le jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 28 mars 2011. Autres développements pertinents Par une décision du 26 mars 2009, le conseil municipal de Pazardzhik décida le retrait des décisions prises le 26 juillet 2007 et 20 septembre 2007 concernant l’ouverture de la procédure de privatisation du bureau no 1, mais aussi concernant l’ouverture d’une procédure de privatisation de sept autres bureaux situés dans le même bâtiment. A cette date, la procédure judiciaire concernant la décision du 20 septembre 2007 ordonnant la vente du bureau no 1 aux requérants était pendante (paragraphes 21-25 ci-dessus). Les requérants et les autres personnes concernées introduisirent un recours contre cette décision. Par un jugement du 17 juillet 2009, le tribunal administratif de Pazardzhik fit droit au recours et annula la décision du 26 mars 2009 au motif que le conseil municipal ne pouvait pas de la sorte abroger des décisions qu’il avait prises et qui étaient devenues définitives, soit parce qu’elles n’avaient pas fait l’objet d’un recours, soit parce qu’elles avaient été confirmées par le tribunal. Ce jugement fut confirmé par la Cour administrative suprême le 25 juin 2010. A la suite de cette procédure, les requérants introduisirent deux actions en responsabilité contre la municipalité de Pazardzhik, par lesquelles ils demandèrent réparation du préjudice moral résultant de la décision illégale du conseil municipal du 26 mars 2009, qui avait été annulée par l’arrêt du 25 juin 2010. Par un jugement du 7 octobre 2010, le tribunal administratif de Pazardzhik fit partiellement droit à la demande du premier requérant et lui accorda 1 000 BGN (510 EUR) pour le dommage moral subi. Par un jugement du 25 novembre 2010 (confirmé par la Cour administrative suprême le 28 avril 2011), le tribunal fit également droit à la demande du deuxième requérant et lui accorda 4 000 BGN (2 041 EUR) à ce titre. Par ailleurs, en décembre 2010, la municipalité de Pazardzhik introduisit devant le tribunal administratif un recours visant à déclarer nulles et non avenues les décisions susmentionnées du conseil municipal des 26 juillet 2007 et 20 septembre 2007. Le motif de nullité invoqué par la municipalité était le fait que les bureaux en question ne constituaient pas des lots indépendants pouvant être cédés individuellement selon les termes de la loi sur l’aménagement du territoire (Закон за устройство на територията). Le tribunal administratif de Pazardzhik rejeta ce recours par un jugement du 7 octobre 2011, qui fut confirmé par la Cour administrative suprême le 15 juin 2012. Selon les dernières informations fournies par les requérants en octobre 2013, le conseil municipal de Pazardzhik aurait décidé la vente aux enchères de l’ensemble du bâtiment dans lequel est situé le bureau no 1. Il n’apparaît pas toutefois qu’à la date du présent arrêt une telle vente ait eu lieu. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. La loi sur la privatisation La loi de 1992 relative à la transformation et à la privatisation des entreprises de l’Etat et des communes (Закон за преоразуване и приватизация на държавни и общински предприятия – « la loi sur la privatisation »), abrogée en 2002, régissait les différentes formes de transformation de la propriété publique et son transfert à des personnes privées. L’article 3 de cette loi désignait l’autorité compétente pour prendre une décision de privatisation, selon la nature des biens à privatiser. Pour les entreprises, parts de sociétés ou immeubles utilisés à des fins commerciales qui étaient la propriété des communes, l’autorité compétente était le conseil municipal (alinéa 4). La loi prévoyait, en ses articles 35 et suivants, un droit privilégié à l’acquisition de certains biens publics au profit, notamment, des locataires des biens en question, dans les termes suivants : Article 35 (1) Les entreprises appartenant à l’Etat ou aux communes peuvent être acquises en tout ou partie sans enchères ni concours, après estimation de leur valeur, par : (...) Les locataires et affermataires titulaires de contrats conclus entre le 15 octobre 1990 et le 15 octobre 1993 si, indépendamment de la durée du contrat, la relation locative est en cours au moment du dépôt de la demande de privatisation. (2) (tel que libellé à compter du 11 avril 1998) Lorsqu’un refus explicite ou implicite d’ouverture d’une procédure de privatisation en application de l’alinéa (...) 1(2) du présent article a fait l’objet d’une annulation par un jugement définitif, l’autorité mentionnée à l’article 3 doit, dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le jugement est devenu définitif, accomplir les actes préparatoires à la privatisation et proposer le bien aux ayants droit pour acquisition. (...) Article 38 (1) L’autorité mentionnée à l’article 3 rejette les propositions de privatisation faites en application de l’article 35 lorsque les conditions de cette loi ou le programme annuel de privatisation ne sont pas respectés (...). (2) Le rejet ou l’absence de décision dans les délais (...) sont susceptibles d’un recours conformément à la loi sur la procédure administrative. (...) (...) La loi de 2002 sur la privatisation et le contrôle subséquent (Закон за приватизацията и следприватизационния контрол) a succédé à la loi de 1992. Selon le paragraphe 17 (3) des dispositions transitoires et finales de la loi de 2002, c’est la loi de 1992 qui reste applicable dans les cas où, au moment de l’entrée en vigueur de la loi de 2002, le refus d’accorder la privatisation en vertu de l’article 35 de la loi de 1992 faisait l’objet d’un examen par les tribunaux à la suite de l’introduction d’un recours judiciaire. B. Le contrôle judiciaire sur les actes administratifs La loi de 1979 sur la procédure administrative (Закон за административното производство), désormais abrogée, réglementait l’édiction, l’exécution et les voies de recours contre les actes administratifs. Depuis le 12 juillet 2006, cette matière est réglementée par le code de procédure administrative (CPA). La partie du code concernant les voies de recours judiciaires est quant à elle entrée en vigueur le 1er mars 2007. En vertu de ces textes, les actes administratifs, de même que les refus d’édicter un acte, sont, sauf exception, susceptibles d’un recours administratif hiérarchique et d’un recours judiciaire. L’absence de décision dans le délai imparti est considérée comme une décision implicite de rejet. En cas d’introduction d’un recours judiciaire, si la question ne relève pas de la discrétion de l’administration, le tribunal règle le litige au fond – c’est-à-dire, en se prononçant sur les droits du demandeur et non sur la seule légalité de l’acte attaqué. Si la question relève de la discrétion de l’administration, ou si en raison de la nature de l’acte, le tribunal ne peut pas régler le litige au fond, il annule l’acte administratif (ou la décision implicite de rejet) et transmet le dossier à l’autorité administrative compétente, avec des indications quant à l’interprétation et à l’application de la loi (article 42, alinéas 2 et 3, de la loi sur la procédure administrative, et article 173, alinéas 1 et 2, du CPA). Le CPA dispose que le tribunal ne se borne pas à analyser les motifs d’annulation soulevés par le demandeur, mais qu’il a l’obligation d’examiner d’office, sur la base des preuves fournies par les parties, tous les motifs légaux d’annulation de l’acte (article 168 en combinaison avec l’article 146). C. L’exécution des actes administratifs et des décisions judiciaires rendues en matière administrative Les dispositions prévues au chapitre 17 du CPA Le chapitre 17 du CPA (articles 267 à 301) régit l’exécution des actes administratifs et des décisions judiciaires rendues en matière administrative. Ce chapitre est applicable à l’exécution des obligations de nature non-pécuniaire, les créances d’ordre pécuniaire étant exécutées selon les procédures prévues au code de procédure fiscale ou du code de procédure civile, selon la nature des créances en cause (article 269 CPA). Lorsque l’exécution de l’acte ou de la décision est due par une personne privée, l’autorité administrative concernée est chargée de procéder à son exécution (article 271 CPA). Lorsque l’exécution est due par une personne publique, un huissier de justice du ressort territorial correspondant (съдебен изпълнител) est compétent pour procéder à l’exécution. Lorsque l’exécution consiste en une obligation de faire, l’article 290 dispose qu’en cas d’inexécution fautive de l’administration, l’huissier de justice peut imposer au fonctionnaire responsable une astreinte (изпълнителнa глоба) d’un montant de 50 à 1 200 BGN (25 à 612 EUR) par semaine, jusqu’à l’exécution. Lorsque l’organe tenu d’exécuter la décision est un organe collectif, l’astreinte n’est pas imposée aux membres qui ont voté en faveur de l’exécution. La décision d’imposer une astreinte est susceptible d’un recours devant le tribunal administratif. En vertu de l’article 294, les décisions, les actions ou inactions de l’organe chargé de l’exécution (organe administratif ou huissier de justice selon le cas, voir le paragraphe 54 ci-dessus) sont susceptibles d’un recours judiciaire devant le tribunal administratif. S’il décide d’annuler une décision ou une action ou de déclarer une inaction illégale, le tribunal peut prononcer les mesures nécessaires, notamment enjoindre à l’administration d’exécuter l’action en question dans un délai déterminé. La décision du tribunal est définitive. Autres dispositions pertinentes du CPA L’article 304 CPA dispose qu’en dehors des hypothèses prévues au chapitre 17, un fonctionnaire qui méconnaîtrait une obligation découlant d’une décision judiciaire définitive peut faire l’objet d’une sanction administrative sous la forme d’une amende d’un montant de 200 à 2 000 BGN. En cas d’inexécution renouvelée, une amende de 500 BGN est imposée chaque semaine, jusqu’à l’exécution. La sanction est imposée par une ordonnance du président du tribunal administratif concerné et peut faire l’objet d’un recours devant une formation de trois juges du même tribunal (article 306). En outre, l’article 250 CPA prévoit la possibilité de saisir le juge administratif en référé pour faire cesser une action injustifiée d’un organe ou d’un agent de l’administration, qui ne serait pas basée sur un acte administratif ou la loi. L’article 256 prévoit une telle possibilité en cas de défaut d’exécution par l’administration d’une action qu’elle est tenue d’exécuter en vertu de la loi. Le tribunal peut alors enjoindre à l’administration d’exécuter l’action en question dans un délai déterminé. Il ne peut s’agir que d’une action matérielle et non, par exemple, de l’édiction d’un acte administratif (реш. № 1508 от 4.02.2009 г. по а. х. д. № 10712/ 2008, ВАС, II отд.). Par ailleurs, selon la jurisprudence de la Cour administrative suprême, cette voie de recours ne trouve pas application lorsque l’obligation découle d’une décision de justice (реш. № 8067 от 1.07.2008 г. по а. х. д. № 4643/2008, ВАС, IV отд.). D. La responsabilité délictuelle des personnes publiques A la suite d’une modification entrée en vigueur le 12 juillet 2006, la loi de 1988 sur la responsabilité délictuelle de l’Etat et des communes (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди) dispose que l’Etat et les municipalités sont responsables du préjudice matériel et moral causé par les actes, actions ou inactions illégaux de leurs organes ou agents exerçant des fonctions administratives (article 1, alinéa 1). L’engagement de la responsabilité ne requiert pas l’établissement d’une faute de la part du fonctionnaire responsable (article 4). La responsabilité de l’autorité publique pour un acte administratif illégal peut être engagée lorsque celui-ci a été annulé dans le cadre d’une procédure préalable. Le recours en annulation et l’action en responsabilité peuvent aussi être introduits simultanément (article 204, alinéa 2, CPA). Le caractère illégal d’une action ou inaction doit quant à lui être constaté dans le cadre de l’action en responsabilité (article 204, alinéa 4, CPA). La jurisprudence a parfois admis que la responsabilité d’une autorité publique pouvait être engagée en application de l’article 1 alinéa 1 en cas de retard ou de défaut d’exécution d’une décision de justice définitive, notamment dans des situations similaires à celle de l’espèce lorsque, suite à l’annulation judiciaire du refus de l’administration d’ouvrir une procédure de privatisation, celle-ci devait se conformer à la décision de justice en ouvrant une telle procédure (реш. № 7088 от 31.05.2010 г. по а. д. № 12358/2009, ВАС, confirmant реш. № 1075 от 10.11.2008 г. по а. д. № 6339/2007, адм. съд София ; реш. от 27.04.2009 г. по гр. д. № 71/2009, ОС Разград). A d’autres occasions, les juridictions ont cependant considéré que la responsabilité de la personne publique ne pouvait être engagée dans pareil cas, car les intéressés devaient poursuivre l’exécution par la voie des moyens prévus aux articles 290 et 294 CPA (реш. № 4730 от 15.08.2012 г. по а. д. № 9471/2010, адм. съд София) ou encore parce que la responsabilité de la personne publique ne pouvait être engagée que pour des actions ou inactions matérielles et non pour le défaut de prise d’un acte juridique (реш. № 1706 от 3.02.2011 г. по а. д. № 9953/2010, ВАС ; опр. № 7877 oт 7.06.2013 г. по а. д. 7001/2013, ВАС). Par ailleurs, l’article 299 CPA prévoit un cas spécifique de responsabilité de la personne publique pour les dommages causés à des particuliers ou à des personnes morales suite à l’exécution forcée irrégulière d’un acte administratif ou d’une décision judiciaire. L’Etat est responsable lorsque l’organe administratif chargé de l’exécution relève de l’administration d’Etat et les communes sont responsables lorsqu’il s’agit d’un organe municipal. La jurisprudence considère que pour mettre en cause la responsabilité de la personne publique dans ce cas, le caractère irrégulier de l’action ou de l’inaction de l’organe chargé de l’exécution doit avoir été constaté préalablement à l’introduction de l’action en responsabilité par la mise en œuvre du recours prévu à l’article 294 et suivants CPA (voir paragraphe 57 ci-dessus) (опр. № 3384 от 13.03.2009 г. по а. д. № 2864/2009, ВАС, опр. № 691 от 15.01.2009 г. по а. д. № 15380/2008, ВАС). E. Le recours contre la durée excessive des procédures judiciaires L’article 217a du code de procédure civile de 1952, introduit le 16 juillet 1999, disposait que les parties à une procédure civile pouvaient introduire un recours pour se plaindre des délais excessifs de la procédure devant le président du tribunal supérieur (жалба за бавност). Les instructions du président concernant les mesures à prendre par le tribunal saisi de l’affaire revêtaient un caractère contraignant. En cas de constatation de retards dans la procédure, il pouvait proposer au collège disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature d’imposer des sanctions disciplinaires. Cette disposition s’appliquait aussi aux procédures administratives en vertu de l’article 45 de la loi sur la procédure administrative. Cette disposition a été reprise dans des termes similaires par l’article 255 du nouveau code de procédure civile, en vigueur depuis le 1er mars 2008.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956 et réside en Bosnie ; la requérante est née en 1951 et réside à Berne. La requérante arriva en Suisse en 1969. En 1979, elle obtint un permis d’établissement pour la Suisse. En 1979 et 1982, le premier requérant eut deux enfants issus d’un mariage avec X, dont l’un réside en Bosnie-Herzégovine. Ce mariage fut dissout ultérieurement. Toujours en 1982, le requérant eut un enfant avec la requérante, qu’il épousa à une date non indiquée. Le requérant entra en Suisse en janvier 1983 et y séjourna avec son épouse jusqu’en août 2004. Il disposa d’abord d’un permis de séjour, puis, à partir de 1993, d’un permis d’établissement. En 1984, naquit le deuxième enfant des requérants. En 1991, l’un des enfants du requérant issu de son premier mariage entra en Suisse au titre du regroupement familial. En août 2004, le requérant s’adressa à la police des étrangers (Fremdenpolizei) de la commune de Berne et annonça son départ définitif pour son pays d’origine, où il avait fait construire une maison. Par conséquent, son permis d’établissement prit fin. En outre, il se fit verser les droits de sa caisse de pension. En décembre 2004, le requérant revint en Suisse avec un visa de touriste et résida chez son épouse jusqu’au moment, non précisé exactement, où il quitta la Suisse à la suite de l’arrêt du Tribunal fédéral du 6 mars 2009 (paragraphe 20 ci-dessous ; voir également le paragraphe 23 ci-dessous). Le 10 juin 2005, la requérante, qui possède un titre d’établissement pour la Suisse depuis 1979, avait soumis une demande de regroupement familial en faveur de son époux auprès de la commune de Berne. Le 17 juillet 2005, le requérant eut un infarctus. Par une décision du 23 novembre 2006, cette demande fut rejetée et un délai de départ fut imparti au requérant. La commune estima que le refus était justifié en raison de la dépendance de la famille de l’assistance publique et de l’existence de dettes accumulées à hauteur d’environ 160 000 francs suisses (CHF), soit environ 133 300 euros (EUR). Par ailleurs, le requérant aurait été condamné pénalement à 9 reprises entre 1995 et 2002 (des amendes pouvant s’élever jusqu’à 400 CHF, ainsi qu’une peine d’emprisonnement de 17 jours (au total) pour plusieurs infractions à la législation sur la circulation routière et violation du domicile). La requérante recourut contre la décision de la commune de Berne. Le recours fut rejeté le 26 juin 2007 par la direction de la police et des affaires militaires du canton de Berne. Par un arrêt du Tribunal fédéral du 9 octobre 2008 (ATF 9C_395/2008), le requérant se vit octroyer une rente d’invalidité de 25 %. Cette rente ne lui serait pas versée en cas de retour en Bosnie-Herzégovine puisque seules les rentes à partir de 50 % sont versées à des personnes résidant à l’étranger (voir paragraphe 26 ci-dessous). Le 13 octobre 2008, un recours contre la décision de la police et des affaires militaires fut rejeté par le tribunal administratif du canton de Berne. Un autre recours des requérants fut rejeté en dernière instance par le Tribunal fédéral le 6 mars 2009. Cet arrêt fut notifié aux requérants le 16 mars 2009. Le Tribunal fédéral estima que, dans la mesure où les requérants faisaient valoir que le premier requérant n’était pas conscient des conséquences de sa déclaration de départ et qu’il ne s’agissait pas à vrai dire de l’octroi d’un nouveau titre de séjour, mais du non-renouvellement d’un permis dont il avait bénéficié pendant de longues années, celui-ci avait clairement exprimé son intention de quitter la Suisse de manière définitive. Il rappela également que le requérant avait commis plusieurs infractions, qui devaient être prises en compte, même si le requérant n’avait pas récidivé depuis 2002. Le Tribunal fédéral considéra également comme pertinent le fait que les requérants avaient accumulé des dettes importantes (215 actes de défaut de biens pour un montant total de 219 056,55 CHF, soit environ 182 550 EUR). Par ailleurs, ils ont touché de l’argent de l’assistance publique pour un montant de presque 150 000 CHF, soit environ 125 000 EUR pour la période entre 1994 et 2001 et de 183 000 CHF (environ 152 500 EUR) pour la période entre octobre 2003 et mars 2008. En outre, il présuma que les requérants seraient également dépendants de l’assistance à l’avenir. Le Tribunal fédéral ne mit pas en question le fait que les requérants avaient séjourné durant une longue période en Suisse et qu’ils y possèdent un réseau social important. Un retour dans leur pays les placerait sans doute devant des difficultés. En même temps, il releva que le requérant avait fait construire une maison dans son pays d’origine et que sa fille issue de son premier mariage et sa sœur y vivaient. En ce qui concerne ses problèmes de santé, le Tribunal fédéral estima que l’infrastructure médicale de la Bosnie-Herzégovine était susceptible de mettre à sa disposition les médicaments et traitements nécessaires. Enfin, l’argument selon lequel la requérante, d’origine croate, ne pourrait pas suivre son mari en Bosnie-Herzégovine pour des raisons ethniques et politiques, n’était pas étayé. Le Tribunal fédéral estima à cet égard que les requérants n’auraient pas fait construire une maison en Bosnie-Herzégovine si la requérante ne pourrait pas y séjourner à cause de son origine. Il ressort d’un certificat médical établi le 12 mai 2009 par les docteurs B.M. et F.A., spécialisés en endocrinologie et diabétologie, que le requérant souffre de diabète grave et qu’il a subi une opération cardiaque (by-pass) à la suite de l’infarctus en juillet 2005 (paragraphe 15 ci-dessus). Son mauvais état de santé l’obligerait à prendre notamment 18 médicaments différents et deux types d’insuline. Ces médecins estiment que ces médicaments ne sont pas disponibles en Bosnie-Herzégovine. En outre, il découle du certificat que le requérant souffre de dépression et que s’il ne prend pas les médicaments prescrits, un suicide ne serait pas à exclure. Grâce au traitement, son état de santé se serait stabilisé, mais dans l’hypothèse de son retour dans son pays d’origine, une menace grave pèserait sur son état de santé, pouvant aller jusqu’à la mort. Sur demande de la Cour, le requérant lui fit parvenir des certificats médicaux plus récents. Il en ressort notamment que le requérant a subi une insuffisance cardiaque décompensée, une infiltration pulmonaire, une crise d’hyperglycémie et des douleurs thoraciques atypiques, qui ont nécessité son hospitalisation entre les 11 et 16 août 2011. L’état dépressif, y inclus le risque de suicide du requérant ainsi que sa dépendance d’une multitude de médicaments y sont également confirmés. Par contre, les résultats de l’électrocardiographie se sont avérés assez positifs. Par une lettre du 21 décembre 2012, l’avocat des requérants a informé la Cour que le requérant avait donné suite au verdict du Tribunal fédéral en quittant la Suisse vers la Bosnie à une date non précisée. Il y a également précisé que, sur la base des visas de touristes, il peut se rendre sporadiquement en Suisse pour une durée maximale de trois mois. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit de séjour du conjoint d’un ressortissant suisse ainsi que les conditions auxquelles devait répondre le renouvellement de son permis de séjour étaient réglés par l’ancienne loi sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931 (ci-après : « LSEE »), dont les dispositions pertinentes étaient libellées comme il suit : Article 10, alinéa premier « L’étranger ne peut être expulsé de Suisse ou d’un canton que pour les motifs suivants : a. S’il a été condamné par une autorité judiciaire pour crime ou délit ; (...) d. si lui-même, ou une personne aux besoins de laquelle il est tenu de pourvoir, tombe d’une manière continue et dans une large mesure à la charge de l’assistance publique. » Article 11, alinéa 3 « L’expulsion ne sera prononcée que si elle paraît appropriée à l’ensemble des circonstances (...). » Article 17, alinéa 2 « Si (...) l’étranger possède l’autorisation d’établissement, son conjoint a droit à l’autorisation de séjour aussi longtemps que les époux vivent ensemble. Après un séjour ininterrompu de cinq ans, le conjoint a lui aussi droit à l’autorisation d’établissement (...). Ces droits s’éteignent si l’ayant droit a enfreint l’ordre public. » L’article 11, alinéa 3, de la LSEE était concrétisé par l’article 16, alinéa 3, de l’ancien Règlement de la LSEE du 1er mars 1949 : « Pour apprécier ce qui est équitable (article 11, alinéa 3, de la loi), l’autorité tiendra notamment compte de la gravité de la faute commise par l’étranger, de la durée de son séjour en Suisse et du préjudice qu’il aurait à subir avec sa famille du fait de l’expulsion. Si une expulsion paraît, à la vérité, fondée en droit selon l’article 10, alinéa premier, lettre a) ou b) de la loi, mais qu’en raison des circonstances elle ne soit pas opportune, l’étranger sera menacé d’expulsion. La menace sera notifiée sous forme de décision écrite et motivée qui précisera ce que l’on attend de l’étranger. » L’article 29 de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI) du 19 juin 1959 règle la naissance du droit et le versement de la rente en vertu de cette loi. Son alinéa 4 est libellé comme il suit : « Les rentes correspondant à un taux d’invalidité inférieur à 50 % ne sont versées qu’aux assurés qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales) en Suisse. Cette condition doit également être remplie par les proches pour lesquels une prestation est réclamée. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1973 et réside à Van. Le 15 décembre 2000, un juge du tribunal d’instance pénal de Başkale (Van), statuant sur demande du procureur de la République, rendit, en l’absence de l’intéressé, une ordonnance de placement en détention provisoire du requérant. Celui-ci était soupçonné d’avoir participé à une altercation armée. Par un acte d’accusation du 2 janvier 2001, le procureur de la République de Van inculpa le requérant sur le fondement de l’article 464 § 1 du code pénal. Le 23 janvier 2003, la cour d’assises de Van décida, en l’absence du requérant, le maintien de l’ordonnance de placement en détention provisoire de celui-ci eu égard à la nature et à la qualification de l’infraction reprochée ainsi qu’à l’état des preuves. Le 4 mars 2004, le requérant fut arrêté à Bursa, une ville située à environ 1 600 km de Van, et traduit devant un juge du tribunal d’instance pénal de cette ville. Le juge vérifia à cette occasion que le requérant était bien la personne visée par l’ordonnance du 15 décembre 2000. Une fois cette vérification effectuée, il ordonna son placement en détention provisoire au centre pénitentiaire de Bursa. A l’audience du 30 mars 2004, la cour d’assises de Van prit acte de l’arrestation du requérant à Bursa et ordonna son transfert à Van. Le 26 avril, les 5 et 24 mai et le 9 juillet 2004, le requérant demanda à la cour d’assises son transfert à Van aux fins de prouver son innocence. Il sollicita également sa remise en liberté. Aux audiences du 29 avril, du 27 mai et du 24 juin 2004, la cour d’assises réitéra ses demandes de transfert du requérant à Van et décida le maintien de la détention provisoire de l’intéressé, eu égard à la nature et à la qualification de l’infraction reprochée, à l’état des preuves et à la durée de la détention provisoire déjà effectuée. A l’issue de l’audience du 19 juillet 2004, à laquelle le requérant ne participa pas, la cour d’assises décida la remise en liberté de l’intéressé. Le 6 octobre 2005, la cour d’assises, suivant en cela le réquisitoire du procureur de la République, acquitta le requérant pour insuffisance de preuves. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 108 de l’ancien code de procédure pénale, une personne arrêtée à la suite d’une ordonnance de placement en détention provisoire rendue en son absence devait être traduite dans un délai maximum de vingt-quatre heures devant le juge compétent chargé de trancher la question de la nécessité du maintien en détention. Le temps nécessaire à la présentation de l’accusé au juge n’était pas décompté de ce délai de vingt-quatre heures. Selon l’article 109 de l’ancien code de procédure pénale, dans le cas où la personne arrêtée ne pouvait être traduite devant le juge compétent au sens de l’article 108, elle devait être traduite dans le même délai devant le juge du tribunal d’instance pénal le plus proche. L’accusé était remis en liberté s’il apparaissait que l’ordonnance de placement en détention provisoire avait été levée ou s’il avait été établi que la personne arrêtée n’était pas la personne recherchée.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1982 et réside actuellement à Sofia. A. L’entrée du requérant en Bulgarie et les mesures prises à son encontre Le 22 janvier 2004, le requérant entra irrégulièrement en Bulgarie par la Turquie. Le 18 février 2004, il déposa une demande d’octroi du statut de réfugié. Un permis de séjour temporaire lui fut délivré à ce titre. Sa demande fut rejetée par l’Agence nationale pour les réfugiés le 19 février 2004. Le recours judiciaire qu’il introduisit fut rejeté par le tribunal de la ville de Sofia le 26 avril 2004. Par un arrêté du 12 juillet 2004, le directeur régional des affaires intérieures de Sofia ordonna la reconduite à la frontière du requérant au motif que l’intéressé demeurait illégalement sur le territoire suite à l’expiration de son titre de séjour temporaire. L’arrêté disposait que le requérant devait être placé en rétention jusqu’à l’exécution de la mesure. Par un autre arrêté du même jour, le directeur du service des migrations de la direction régionale des affaires intérieures constata que la reconduite à la frontière ne pouvait être immédiatement exécutée dans la mesure où le requérant ne disposait pas de document de voyage valide ni de moyens pour assurer le retour dans son pays et ordonna en conséquence le placement de l’intéressé dans un centre de rétention temporaire pour adultes (дом за временно настаняване на пълнолетни лица). Les deux arrêtés indiquaient qu’ils étaient susceptibles de recours en application de la loi sur la procédure administrative. Le même jour, le 12 juillet 2004, le requérant fut arrêté et placé dans le centre de rétention temporaire pour adultes Druzhba-2, à Sofia. Selon l’intéressé, l’arrêté de placement en rétention ne lui fut pas formellement notifié et il n’en eut connaissance que bien plus tard à l’occasion du recours judiciaire qu’il introduisit. En octobre 2004, le requérant put s’entretenir avec un avocat spécialisé. Le 4 octobre, il introduisit par l’intermédiaire de celui-ci un recours judicaire contre l’arrêté de placement. Dans son recours, il indiquait expressément qu’il ne contestait pas la mesure de reconduite à la frontière mais que l’arrêté de placement en rétention, bien qu’initialement régulier, était devenu sans fondement en l’absence de mesures entreprises en vue de son expulsion pendant près de trois mois, et faisait référence à l’article 5 § 1 f) de la Convention. Le 3 janvier 2005, le service de l’immigration adressa un courrier à l’ambassade d’Algérie pour demander la délivrance d’un document temporaire de voyage au requérant. Il y était indiqué que jusqu’à ce moment l’intéressé avait refusé de se faire photographier en vue de la délivrance d’un tel document ou de rencontrer des représentants de l’ambassade. Le 24 janvier 2005, l’ambassade demanda à obtenir des informations plus détaillées et à rencontrer le requérant, afin d’établir s’il avait effectivement la nationalité algérienne. Le requérant avait plusieurs fois déclaré aux autorités bulgares qu’il refusait de rencontrer des représentants de son pays d’origine par crainte de représailles. Le tribunal de la ville de Sofia tint une audience le 9 février 2005. Par un jugement du 16 février 2005, le tribunal constata qu’au moment de la délivrance de l’arrêté litigieux les circonstances justifiant le placement en rétention, à savoir l’absence de documents de voyage et de ressources pour financer le voyage, étaient présentes. Il estima cependant que compte tenu de la durée de la détention, les autorités n’avaient pas fait preuve d’une diligence suffisante dans l’exécution de la mesure et que, malgré l’absence de coopération du requérant, elles auraient pu entreprendre d’autres démarches pour mettre fin aux obstacles à l’exécution. Le tribunal considéra que la détention du requérant ne se justifiait plus au regard de l’article 5 § 1 f) de la Convention et annula l’arrêté de placement. Sur recours de l’administration, ce jugement fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative suprême du 27 septembre 2005. Le requérant fut remis en liberté le 14 octobre 2005, après que son avocat ait adressé au centre de placement une demande à cet effet. B. Les conditions de détention du requérant En ce qui concerne les conditions de sa détention du 12 juillet 2004 au 14 octobre 2005 au centre de rétention pour adultes Druzhba-2, le requérant expose que la cellule qu’il occupait était d’une surface d’environ 12 m2, disposait d’un lit simple et de deux lit superposés et était occupée par cinq personnes la plupart du temps. Les détenus ne pouvaient sortir de leur cellule que deux fois par jour pour utiliser les sanitaires. Aucune sortie en plein air n’était autorisée pendant la saison hivernale ; durant l’été 2005, les sorties furent interdites suite à une tentative d’évasion. Selon le témoignage, produit par le requérant, d’une personne qui fut placée dans le même centre de décembre 2003 à janvier 2004, la cellule dans laquelle il était installé mesurait quatre mètres sur quatre, quatre lits superposés y étaient placés et sept personnes partageaient la même cellule. Les personnes retenues devaient à chaque reprise demander l’autorisation pour aller aux toilettes et faisaient, à ces occasions, souvent face à la mauvaise volonté ou aux brutalités des policiers qui les gardaient. Durant son séjour de 37 jours au centre, il n’avait pu sortir en plein air qu’à deux reprises. Le requérant se réfère également aux constatations faites dans le rapport, daté du 15 septembre 1995, du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants (), qu’il estime pertinent dans la mesure où les conditions n’avaient guère changé au moment de sa détention. Le rapport du , qui a effectué une visite au centre de rétention en avril 1995, constate notamment : « La délégation a été particulièrement préoccupée par le fait que, lors de la visite, les personnes retenues au centre ne se voyaient pas offrir quotidiennement un exercice en plein air. Le se félicite dès lors des informations fournies par les autorités bulgares, le 23 juin 1995, selon lesquelles les règles du centre ont été adaptées afin de garantir un tel exercice aux personnes retenues. Le centre était composé essentiellement d’un baraquement, divisé en deux parties, chacune disposant de neuf chambres et d’une annexe sanitaire. Seule une des deux parties était en service lors de la visite. (...) Les dimensions des chambres variaient de 12 à 15 m² et étaient prévues pour l’hébergement maximum de cinq retenus. (...) il existait une tendance à remplir une chambre au maximum de sa capacité au lieu de répartir les retenus entre les différentes chambres disponibles. (...) L’état d’entretien et d’hygiène dans les chambres était, en général, d’un niveau à la rigueur acceptable, et l’éclairage (y compris l’accès à la lumière naturelle) ainsi que la ventilation étaient bons. Toutefois, la délégation a constaté que la propreté de la literie laissait beaucoup à désirer. (...) Sans aucun doute, le manque d’activités offertes aux retenus au centre est la question la plus préoccupante pour le . (...) les retenus devraient pouvoir se voir offrir l’accès à la lecture et à d’autres activités récréatives. En outre, l’utilisation du réfectoire comme salle récréative serait souhaitable (par exemple, en y installant un poste de télévision). » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. L’entrée et le séjour des ressortissants étrangers La loi de 1998 sur les étrangers en République de Bulgarie (закон за чужденците в Република България) régit l’entrée, le séjour et le statut des ressortissants étrangers. Les articles 39a et suivants régissent les mesures coercitives qui peuvent être imposées dans ce domaine, à savoir le retrait du permis de séjour, la reconduite à la frontière, l’expulsion, l’interdiction d’entrée sur le territoire ou l’interdiction de quitter le territoire. En vertu de l’article 34 de la loi, les ressortissants étrangers doivent quitter le territoire avant l’expiration de leur permis de séjour. Le fait de demeurer sur le territoire après l’expiration de celui-ci constitue une infraction administrative passible d’une amende (article 48). En vertu de l’article 41 alinéa 2, l’étranger qui n’a pas quitté le territoire à l’expiration de son autorisation de séjour se voit imposer une mesure de reconduite à la frontière. Les arrêtés de reconduite à la frontière sont susceptibles d’un recours administratif devant l’autorité hiérarchique et d’un recours judiciaire (article 46). B. La rétention administrative en vertu de la loi sur les étrangers L’état de la réglementation au moment de la détention du requérant En vertu de l’article 44 alinéa 5 de la loi sur les étrangers, si l’exécution immédiate d’une mesure coercitive n’était pas possible, l’autorité compétente soumettait les personnes concernées, à titre de contrôle administratif, à l’obligation de se présenter tous les jours au commissariat de leur domicile. Selon l’article 44 alinéa 6, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, l’autorité administrative pouvait, si elle l’estimait nécessaire, ordonner le placement des intéressés en centre de rétention, jusqu’à ce que la cause de l’empêchement disparaisse. Le placement en rétention était effectué sur décision écrite et motivée quant à la nécessité de celui-ci (article 44 alinéa 10 (ancien alinéa 8)). Le décret no I-13 relatif au placement temporaire d’étrangers, à l’organisation et l’activité des centres spéciaux de rétention temporaire d’étrangers (наредба № I-13 от 29.01.2004 г. за реда за временно настаняване на чужденци, за организацията и дейността на специалните домове за временно настаняване на чужденци), pris en application de la loi sur les étrangers, précise les circonstances pouvant justifier un placement en rétention, à savoir l’absence de documents d’identité de la personne concernée ou de moyens financiers pour son retour, l’existence d’une procédure pendante en application de la loi sur l’asile et les réfugiés ou encore un état de santé ne permettant pas de voyager (article 10 du décret no I-13). Selon les articles 21 et 22 du décret, les autorités compétentes doivent rapidement prendre les mesures nécessaires pour permettre l’exécution des arrêtés de reconduite à la frontière ou d’expulsion et de faire périodiquement un rapport concernant les personnes qui sont placées depuis plus de six mois. Le placement est effectué dans des centres spécialisés de rétention temporaire des étrangers (специални домове за временно настаняване на чужденци) (article 44 alinéa 7). Avant la création de tels centres, le décret no I-13 prévoyait que les étrangers sous le coup d’une mesure d’éloignement pouvaient être installés dans des centres de placement pour adultes (домове за временно настаняване на пълнолетни лица), destinés au placement temporaire de vagabonds ou de mendiants. Concernant les voies de recours contre les mesures de placement, l’article 46 de la loi sur les étrangers disposait que les actes pris pour son application étaient susceptibles, par renvoi au régime général des actes administratifs, d’un recours administratif devant l’autorité hiérarchique et d’un recours judiciaire. Sur la base de ce texte, la Cour administrative suprême examinait les recours introduits contre des mesures de placement en rétention en application de l’article 44, alinéa 6 de la loi (реш. № 2048 от 8.03.2005 по адм. д. № 7396/2004, ВАС ; реш. № 12844 от 17.12.2007 по адм. д. № 4761/2007, ВАС). La Cour administrative suprême a toutefois remis cette jurisprudence en question en 2008, en considérant que dans la mesure où les décisions de placement n’étaient pas expressément visées par l’article 46 et où elles revêtaient un caractère accessoire à la mesure de reconduite ou d’expulsion, elles ne pouvaient faire l’objet d’un contrôle séparé (реш. № 3529 от 26.03.2008 по адм. д. № 9216/2007, ВАС ; реш. № 8117 от 2.07.2008 по адм. д. № 4959/2007, ВАС). Les changements législatifs intervenus en mai 2009 (voir ci-dessous) mirent fin à cette divergence de jurisprudence. Par ailleurs, en vertu du décret no I-213 du 17 septembre 2003 (наредба № I-213 за [...] домовете за временно настаняване на пълнолетни лица), les placements en centres pour adultes étaient susceptibles d’un recours judiciaire selon le régime général des actes administratifs (article 23, alinéa 1 (7) du décret). La réforme de la loi sur les étrangers adoptée en mai 2009 A la suite des modifications de la loi sur les étrangers adoptées le 15 mai 2009 en transposition de la directive 2008/115/CE, l’article 44, alinéa 6 prévoit désormais que le placement en rétention n’est possible que dans les cas suivants : lorsque l’identité de la personne concernée n’est pas établie, ou que celle-ci entrave l’exécution de la mesure ou risque de s’y soustraire. Selon le nouvel alinéa 8 de l’article 44, la rétention est maintenue tant que ces conditions sont réunies. La durée maximum de la rétention est fixée à six mois. Elle peut être prolongée jusqu’à dix-huit mois dans certaines circonstances. Le nouvel article 46a instaure un contrôle judiciaire des arrêtés de placement en centre de rétention. Ces décisions sont susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif dans un délai de trois jours suivant le placement. Le recours n’a pas d’effet suspensif. Le tribunal examine le recours en audience publique et doit rendre une décision dans un délai d’un mois suivant le dépôt du recours. En outre, un contrôle automatique de la nécessité de la détention est effectué tous les six mois par le tribunal administratif, qui décide de prolonger la mesure ou d’y mettre fin. Lorsque le tribunal annule un arrêté de placement ou décide de mettre fin à la mesure, la personne concernée est immédiatement remise en liberté. D. La responsabilité délictuelle des personnes publiques L’article 1 de la loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat et des communes pour dommage (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди) dispose que l’Etat et les communes sont responsables du préjudice matériel et moral causé par les actes, actions ou inactions illégaux de leurs organes ou agents à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. La responsabilité de l’autorité publique à raison d’un acte administratif illégal pouvait être engagée après que celui-ci ait préalablement été annulé selon les procédures applicables. Depuis l’entrée en vigueur des dispositions pertinentes du code de procédure administrative le 1er mars 2007, il est également possible d’introduire un recours en annulation et une action en responsabilité simultanément (article 204, alinéa 2 du code). En ce qui concerne les actions ou inactions des autorités publiques, le caractère illégal de celles-ci doit être constaté dans le cadre de l’action en responsabilité (article 204, alinéa 4 du code). En outre, l’article 2, alinéa 1, tel qu’applicable à l’époque pertinente, prévoit que l’Etat est responsable du préjudice causé par les autorités de l’instruction, du parquet et par les juridictions, du fait « d’une détention, notamment la détention provisoire, lorsque celle-ci a été annulée pour absence de fondement légal ». Suite à une modification de la loi en date du 11 décembre 2012, cette disposition prévoit désormais la responsabilité de l’autorité publique pour toute détention effectuée en violation de l’article 5 §§ 1-4 de la Convention. Aux termes de l’article 110 de la loi sur les obligations et les contrats (Закон за задълженията и договорите) l’action en responsabilité délictuelle se prescrit dans un délai de cinq ans. Par ailleurs, à compter de 2003, les juridictions internes ont considéré que l’article 1 alinéa 1 de la loi de 1988 était applicable en cas de préjudice subi par une personne détenue du fait de mauvaises conditions ou de soins médicaux inadéquats en détention et ont, le cas échéant, accueilli, partiellement ou en totalité, les demandes en réparation des intéressés (pour les références de jurisprudence interne, voir Kirilov c. Bulgarie, no 15158/02, § 22, 22 mai 2008). Cette disposition a également été appliquée pour examiner des actions concernant les conditions de détention ou le suivi médical prodigué à des personnes détenues aux fins d’expulsion dans les centres de rétention pour étrangers (реш. № 14967 от 16.11.2011, адм. д. № 9889/2011, ВАС, III о.).
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, Mme Merve Yavuz et M. İbrahim Yaylalı, sont nés respectivement en 1984 et 1974 et résident à Samsun. Le 17 juin 2005, dix-sept personnes appartenant au Parti communiste maoïste – Armée de libération du peuple (MKP/HKO), une organisation illégale armée, décédèrent lors d’un affrontement avec les forces de sécurité à Ovacık. Le 21 juin 2005, les requérants participèrent à une manifestation organisée à Samsun, localité située à environ 650 km d’Ovacık, pour protester contre le décès de ces dix-sept personnes. Lors de cette manifestation, une déclaration à la presse fut lue, dans laquelle les manifestants reprochaient aux agents publics impliqués dans l’affrontement d’avoir tué ces personnes en violation de la loi, et d’avoir mutilé les cadavres. Ils concluaient que l’État ne respectait pas la prééminence du droit et qu’il était loin d’être un État démocratique. Les slogans suivants furent scandés : « l’État assassin va devoir rendre des comptes » (katil devlet hesap verecek), « les martyrs de la révolution sont immortels » (devrim şehitleri ölümsüzdür), « vive la solidarité révolutionnaire » (yaşasın devrimci dayanışma), « nous avons payé le prix, nous allons le faire payer » (bedel ödedik, bedel ödeteceğiz). Le 25 juin 2005, les requérants, soupçonnés de propagande en faveur d’une organisation terroriste, furent arrêtés et placés en garde vue. Le 27 juin 2005, ils furent d’abord entendus par le procureur de la République de Samsun puis traduits devant le juge de paix de Samsun, lequel ordonna leur mise en détention provisoire. À une date non précisée, les requérants firent opposition à l’ordonnance de mise en détention provisoire et demandèrent à être libérés. Le 5 juillet 2005, les requérants furent mis en liberté provisoire. Le 7 juillet 2005, le procureur de la République de Samsun se déclara incompétent et renvoya le dossier des requérants devant le procureur de la République d’Ankara près les cours d’assises spécialisées, au motif que les requérants étaient soupçonnés d’avoir commis l’infraction prévue à l’article 7 § 2 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme. Le 8 juillet 2005, la requérante, Merve Yavuz, participa à une autre manifestation pour protester contre le décès des dix-sept personnes et contre les mises en détention provisoire. Lors de cette manifestation, la requérante lut une déclaration à la presse dans laquelle elle affirma qu’ils avaient été mis en détention provisoire pour avoir exprimé leurs opinions par voie de presse. Le même jour, les slogans suivants furent criés : « les détentions, les provocations, les pressions ne peuvent pas nous décourager » (tutuklamalar, provakasyonlar, baskılar bizi yıldıramaz), « nous allons gagner en résistant » (direne direne kazanacağız), « nous avons payé le prix, nous allons le faire payer ». Par un acte d’accusation du 21 février 2007, le procureur de la République d’Ankara (« le procureur ») requit la condamnation des requérants, ainsi que de vingt et une autres personnes, en vertu de l’article 7 § 2 de la loi sur la lutte contre le terrorisme, réprimant la propagande en faveur d’une organisation terroriste. Le procureur soutenait que les requérants avaient participé à des manifestations et lancé des slogans en faveur de ladite organisation. En outre, d’après le procureur, les critiques des requérants concernant la force utilisée par les forces de sécurité contre les membres d’une organisation illégale armée se confondaient avec la propagande de cette organisation. Dans sa déposition du 13 avril 2007 recueillie par commission rogatoire, le requérant, İbrahim Yaylalı, rejeta les accusations. Réitérant ses dépositions faites devant le parquet et le juge d’instruction, il affirma qu’il avait participé à la manifestation du 21 juin 2005 et qu’il avait scandé le slogan « les martyrs de la révolution sont immortels » pour protester la mort insouciamment infligée à dix-sept personnes sans nécessité. Dans sa déposition du 30 mai 2007, recueillie par commission rogatoire, la requérante, Merve Yavuz, rejeta les accusations. Elle déclara s’être bornée à participer aux manifestations du 21 juin 2005 et du 8 juillet 2005 pour exprimer une réaction contre l’assassinat de dix-sept personnes à Ovacık par les forces de sécurité, ainsi que celui d’une autre personne à Ankara. Elle nia toute appartenance ou lien avec une organisation illégale. Lors de l’audience du 1er avril 2008 devant la cour d’assises d’Ankara (« la cour d’assises »), le procureur rendit son avis sur le fond de l’affaire, dans lequel il requit la condamnation du requérant, İbrahim Yaylalı, pour propagande en faveur d’une organisation terroriste. Il requit de même une double condamnation de la requérante, Merve Yavuz, en vertu de l’article 7 § 2 de la loi sur la lutte contre le terrorisme au motif qu’elle avait participé à deux manifestations pendant lesquelles elle avait scandé des slogans en faveur de l’organisation précitée. Par un jugement du 6 mars 2009 rendu par la cour d’assises, le requérant, İbrahim Yaylalı, fut condamné à dix mois d’emprisonnement en application de l’article 7 § 2 de la loi sur la lutte contre le terrorisme et la requérante, Merve Yavuz, au total à vingt mois d’emprisonnement en vertu de la même disposition. Dans ses motifs, la cour d’assises réaffirma l’importance de la liberté d’expression dans une société démocratique, mais considéra qu’aucun État ne pouvait rester neutre devant l’apologie des organisations terroristes dont le but est de porter atteinte à l’unité nationale. D’après elle, la source du problème était l’existence des organisations terroristes et de leurs membres. Le fait que les requérants n’avaient pas condamné l’usage de la violence par l’organisation illégale en question, tout comme leurs propos apparentés à ceux de l’organisation elle-même, tombaient sous le coup de l’interdiction de toute action de propagande en faveur de telles organisations. À une date non précisée, les requérants se pourvurent en cassation. Par un arrêt du 8 juillet 2010, la Cour de cassation confirma le jugement rendu en première instance. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La première phrase de l’article 7 § 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits, prévoit : « Quiconque fait la propagande d’une organisation terroriste sera condamné à une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans. (...) » La première phrase de l’article 7 § 2 de la nouvelle loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, entrée en vigueur le 30 avril 2013, prévoit : « Quiconque fait la propagande d’une organisation terroriste en légitimant ou en faisant de l’apologie des méthodes de contrainte, de violence ou de menace de telles organisations ou incite à l’utilisation de ces méthodes sera condamné à une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans. (...) » III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT Dans le préambule de la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (« Convention pour la prévention du terrorisme »), on peut lire ce qui suit : « (...) Reconnaissant que la présente Convention ne porte pas atteinte aux principes établis concernant la liberté d’expression et la liberté d’association. (...) » L’article 1 de la Convention pour la prévention du terrorisme est libellé comme suit : « Article 1 – Terminologie Aux fins de la présente Convention, on entend par « infraction terroriste » l’une quelconque des infractions entrant dans le champ d’application et telles que définies dans l’un des traités énumérés en annexe. (...) » L’article 5 de la Convention pour la prévention du terrorisme se lit ainsi : « Article 5 – Provocation publique à commettre une infraction terroriste Aux fins de la présente Convention, on entend par « provocation publique à commettre une infraction terroriste » la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition du public d’un message, avec l’intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, lorsqu’un tel comportement, qu’il préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, crée un danger qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises. Chaque Partie adopte les mesures qui s’avèrent nécessaires pour ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne, la provocation publique à commettre une infraction terroriste telle que définie au paragraphe 1, lorsqu’elle est commise illégalement et intentionnellement. » L’article 12 de la Convention pour la prévention du terrorisme est libellé comme suit : « Article 12 – Conditions et sauvegardes Chaque Partie doit s’assurer que l’établissement, la mise en œuvre et l’application de l’incrimination visée aux articles 5 à 7 et 9 de la présente Convention soient réalisés en respectant les obligations relatives aux droits de l’homme lui incombant, notamment la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de religion, telles qu’établies dans la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et d’autres obligations découlant du droit international, lorsqu’ils lui sont applicables. L’établissement, la mise en œuvre et l’application de l’incrimination visée aux articles 5 à 7 et 9 de la présente Convention devraient en outre être subordonnés au principe de proportionnalité eu égard aux buts légitimes poursuivis et à leur nécessité dans une société démocratique, et devraient exclure toute forme d’arbitraire, de traitement discriminatoire ou raciste. » Aux termes du Rapport explicatif de la Convention pour la prévention du terrorisme, l’article 5 de la cette Convention définit, au paragraphe 1, la provocation publique à commettre une infraction terroriste comme « la diffusion ou toute autre forme de mise à disposition du public d’un message, avec intention d’inciter à la commission d’une infraction terroriste, lorsqu’un tel comportement, qu’il préconise directement ou non la commission d’infractions terroristes, crée un danger qu’une ou plusieurs de ces infractions puissent être commises. » Lorsqu’il a rédigé cette disposition, le Comité d’experts sur le terrorisme a tenu compte des avis de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (Avis 255(2005), paragraphes 3. vii et ss.) et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (document BcommDH (2005) 1, paragraphe 30 in fine), qui ont suggéré que cette disposition couvre « la dissémination de messages d’éloge de l’auteur d’un attentat, le dénigrement des victimes, l’appel à financer des organisations terroristes ou d’autres comportements similaires », qui pourraient constituer des actes d’incitation indirecte à la violence terroriste.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1975 et réside à İzmir. Le 9 novembre 2006, elle fut arrêtée au terme de la perquisition de son domicile. Elle était soupçonnée, sur la base de rapports de surveillance policière et d’écoutes téléphoniques, d’avoir participé à un trafic de stupéfiants et d’avoir réceptionné un colis suspect. Lors de la perquisition, sept grammes de cannabis furent saisis. Le même jour, pour éviter de mettre en péril l’opération de surveillance policière, la requérante fut déférée au parquet pour possession et usage de stupéfiants et libérée au terme de son audition. Le 26 janvier 2007, elle fut arrêtée au terme d’une nouvelle perquisition de son domicile, dans le cadre de la même enquête. Aucun produit stupéfiant ne fut retrouvé à cette occasion. Le 27 janvier 2007, le juge près le tribunal d’instance pénal d’İzmir (« le juge »), se fondant sur l’article 153 § 2 du code de procédure pénale (CPP), décida de limiter pour les suspects et leurs avocats l’accès aux procès-verbaux de surveillance technique et aux actes d’enquête. Toujours le 27 janvier 2007, la requérante fut interrogée par la police, en présence de son avocate. Lors de cet interrogatoire, la police donna lecture des comptes rendus d’écoutes téléphoniques concernant l’intéressée et interrogea celle-ci sur le contenu des conversations. La requérante donna des explications concernant certaines conversations, indiqua ne pas se souvenir de certaines autres et contesta être l’interlocutrice d’une autre encore. Le contenu de ces conversations fut transcrit dans le procès-verbal d’interrogatoire. Le 28 janvier 2007, la requérante fut traduite devant le juge qui ordonna son placement en détention provisoire compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et du risque de fuite et d’altération des preuves. Le 30 janvier 2007, l’avocate de la requérante forma opposition contre cette décision. Elle soutint qu’il n’existait pas de soupçons sérieux quant à la commission de l’infraction reprochée à sa cliente et ajouta que l’élément constitutif de l’infraction, à savoir l’obtention d’un gain matériel, faisait défaut. Elle expliqua que la requérante avait rejeté la demande des autres suspects et qu’elle avait ainsi refusé de servir d’intermédiaire lors de transactions, et s’appuya à cet égard sur les comptes rendus des écoutes téléphoniques. Selon l’avocate, seul le délit d’usage de stupéfiants était constitué et sa cliente ne présentait aucun risque de fuite ou d’altération des preuves. Le 1er février 2007, la 6e cour d’assises d’İzmir, statuant sur dossier, rejeta l’opposition et ordonna le maintien en détention de la requérante compte tenu de la nature et de la qualification de l’infraction reprochée et de l’état des preuves. Le 6 février 2007, l’avocate contesta le placement en détention de la requérante également devant le tribunal correctionnel. Le 9 février 2007, ce tribunal estima que, l’opposition ayant été examinée par la cour d’assises, il n’y avait pas lieu de prendre une nouvelle décision à cet égard. Les 26 février, 26 mars et 20 avril 2007, le juge ordonna, dans le cadre d’examens d’office, le maintien en détention provisoire de la requérante compte tenu de la nature de l’infraction reprochée et de l’état des preuves. Il précisa que les éléments de preuve n’avaient pas encore été recueillis dans leur totalité. Le 27 avril 2007, le procureur de la République inculpa la requérante et quatre autres personnes pour trafic de stupéfiants et dix autres personnes pour usage de stupéfiants. Le 30 avril 2007, la 6e cour d’assises accepta l’acte d’accusation. Le 3 mai 2007, elle releva que l’affaire relevait de la compétence des cours d’assises spéciales et se déclara incompétente. Elle ordonna également le maintien de la requérante en détention provisoire compte tenu de la nature de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et du laps de temps passé en détention. Le 17 juillet 2007, l’avocat de la requérante présenta une demande d’élargissement à la 8e cour d’assises, juridiction désignée pour connaître de l’affaire. Il indiqua que sa cliente n’avait pas comparu devant un juge depuis son placement en détention provisoire et soutint que le dossier ne contenait aucun élément de preuve quant à l’infraction reprochée à sa cliente. Il conclut que, toutes les preuves ayant été selon lui réunies, il n’y avait aucun risque d’altération des preuves. Le 20 juillet 2007, la 8e cour d’assises, statuant sur dossier, rejeta la demande d’élargissement et ordonna le maintien en détention de la requérante au vu de la nature de l’infraction en question, de l’état des preuves et de la persistance des motifs de détention. Le 31 juillet 2007, la requérante adressa elle-même une demande d’élargissement à la 8e cour d’assises, assurant qu’elle ne présentait aucun risque de fuite ou d’altération des preuves. Le 8 août 2007, la cour d’assises, statuant toujours sur dossier, rejeta la demande d’élargissement compte tenu de la nature de l’infraction, de l’état des preuves et du contenu du dossier. Elle releva qu’il n’y avait pas eu d’évolution dans les preuves après la décision de maintien en détention et que les motifs de détention énoncés à l’article 100 du CPP persistaient. Les 20 août et 19 septembre 2007, la 8e cour d’assises, statuant sur dossier dans le cadre d’examens d’office, ordonna le maintien en détention de la requérante compte de tenu de l’infraction reprochée, de l’état des preuves et du contenu du dossier. Le 3 octobre 2007, elle tint sa première audience, au cours de laquelle elle entendit les accusés en leur défense. Au terme de cette audience, elle ordonna la remise en liberté provisoire de l’intéressée compte tenu de la probabilité d’une modification de la qualification de l’infraction reprochée. Le 20 mai 2008, la cour d’assises estima, à la lumière des éléments de preuve figurant dans le dossier, que les faits reprochés à la requérante relevaient non pas du trafic mais de l’usage de stupéfiants. En conséquence, elle prononça une mesure de liberté surveillée à l’égard de l’intéressée. Faute de pourvoi, cette décision devint définitive. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Selon l’article 188 du code pénal, le trafic de stupéfiants est puni de cinq à quinze ans d’emprisonnement. Selon l’article 191 de ce même code, l’usage de stupéfiants est puni d’une peine d’un à deux ans d’emprisonnement. L’alinéa 2 de cet article prévoit que, dans le cadre d’une procédure pénale diligentée pour usage de stupéfiants, le tribunal peut, avant de rendre son jugement, décider la mise en place d’un traitement médical ou la prise d’une mesure de liberté surveillée. Cette décision produit les mêmes conséquences qu’un sursis au jugement. La détention provisoire est régie par les articles 100 et suivants du code de procédure pénale. D’après cet article, une personne peut être placée en détention provisoire lorsqu’il existe des faits nourrissant à son égard de forts soupçons qu’elle a commis une infraction et que la détention provisoire est justifiée par l’un des motifs énumérés dans cette disposition : risque de fuite et/ou risque d’altération des preuves ou risque de pressions sur des témoins. L’article 153 du code de procédure pénale régit le pouvoir de l’avocat d’examiner le dossier d’enquête. Les parties pertinentes en l’espèce de cette disposition se lisent comme suit : « Au stade de l’enquête, l’avocat a le droit de prendre connaissance du contenu du dossier et d’obtenir sans frais une copie des documents qu’il souhaite examiner. Si l’examen du contenu du dossier par l’avocat ou l’obtention par celui-ci d’une copie risque de compromettre l’objectif de l’enquête, ce pouvoir [de l’avocat] peut être limité par décision du juge d’instance pénal, sur demande du procureur de la République. La disposition de l’alinéa 2 ne s’applique pas en ce qui concerne le procès-verbal de déposition de la personne arrêtée ou du suspect et les rapports d’expertise ainsi que les procès-verbaux relatifs aux autres actes judiciaires pour lesquels les personnes indiquées ont le droit d’être présentes. A partir de la date d’acceptation de l’acte d’accusation par le tribunal, l’avocat a le droit de prendre connaissance du contenu du dossier et des preuves placées sous protection ; il a le droit d’obtenir sans frais copie de tous les procès-verbaux et documents. (...) »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1954, 1980 et 1986 et résident à Istanbul. MM. Halil et Şeref Durdu et Mme Emine Durdu sont respectivement le père, le frère et la sœur de Hasan Durdu (ci-après, « Hasan »), né le 12 février 1982 et décédé le 16 octobre 2008 alors qu’il suivait une formation militaire. Hasan était militaire de carrière. Il avait le grade de sergent-chef dans les forces spéciales de l’armée. Le 8 septembre 2008, il commença une formation sur la guerre non conventionnelle (gayri nizami harp) à Ankara Gölbaşı. Le 16 octobre 2008 vers 15h45, il fut retrouvé mort dans le vestiaire réservé aux élèves de la formation. Immédiatement, les lieux furent sécurisés. Un procureur militaire se rendit sur place et ouvrit une instruction pénale. Une équipe de police scientifique de la gendarmerie nationale fut dépêchée pour recueillir les premiers éléments matériels. Le corps fut transféré à l’hôpital pour examen. A. Les rapports d’expertise Le corps fut examiné dès son admission à l’hôpital par le docteur T.T. Il fut ensuite examiné par trois experts (H.T., S.Ö., et H.B.) en compagnie d’un procureur. Ces derniers procédèrent à un examen externe, à des mesures ainsi qu’à un enregistrement vidéo du corps. Ils effectuèrent également une radio de la tête du défunt qui leur permit de constater la présence d’une balle. Ils procédèrent en outre à une série de prélèvements. L’ensemble des éléments fut consigné dans un procès-verbal. Une autopsie classique fut pratiquée par les médecins de l’Académie de médecine militaire de Gülhane. Elle permit de constater que Hasan était décédé des suites de blessures cérébrales causées par une arme à feu. L’orifice d’entrée de la balle se situait au niveau du nez. Il n’y avait pas d’orifice de sortie, le projectile étant resté à l’intérieur du corps. Eu égard à l’absence de brûlures cutanées ou sous-cutanées, à l’absence de résidu de tir ainsi qu’à l’absence de brûlures au niveau des vibrisses, il s’agissait d’un tir distant. Les analyses effectuées sur les organes, le sang et les urines du défunt montrèrent l’absence de traces d’alcool ou de produits stupéfiants. L’expertise balistique du 6 novembre 2008 confirma que la balle ayant tué Hasan Durdu provenait de l’arme semi-automatique trouvée près de son corps et que le sang sur l’arme était le sien. Les examens pratiqués sur les vêtements du défunt ainsi que sur les relevés effectués sur ses mains révélèrent la présence de résidus de tir sur la partie extérieure de la main droite ainsi que sur la chaussure droite. Aucun résidu de tir ne fut trouvé sur les tissus prélevés sur les manches de deux des vêtements qu’il portait au moment de l’incident. B. La déposition de l’épouse du défunt Dans sa déposition du 4 novembre 2008, l’épouse du défunt déclara aux enquêteurs que son mari avait commencé à changer de comportement peu après le début de la formation. Il mangeait peu et dormait peu. Il se plaignait d’avoir constamment la nausée. Il rentrait tard le soir. Il parlait de ses cours pendant son sommeil. Il lisait et préparait des résumés parfois jusqu’au matin. Il apparaissait tourmenté mais parlait rarement de la cause de ses tourments. Il lui avait confié un jour qu’il avait du mal à effectuer tous les travaux qui lui étaient demandés et qu’il craignait de ne pouvoir réussir la formation. Il avait fait part de ses problèmes aux responsables de la formation. Ces derniers avaient décidé de lui alléger la tâche en lui adjoignant d’autres élèves pour effectuer ses travaux de chef de groupe. Il avait un jour évoqué l’éventualité d’une visite d’inspection à leur domicile. Il avait dit que rien dans l’appartement ne devait laisser penser qu’il était militaire. Cela faisait partie de la formation. Un jour avant l’incident, deux militaires, un capitaine et un sergent-chef, étaient venus chez eux vers 1 h 30 du matin. Ils étaient restés environ un quart d’heure. Son époux avait fait part de ses difficultés aux visiteurs. L’un deux lui avait répondu : « Hasan, ne sois pas si tendu, nous ne renvoyons personne de cette formation, tu réussiras d’une manière ou d’une autre à en venir à bout ». A plusieurs reprises, son mari lui avait fait part de son souhait de quitter les forces spéciales. Il ne l’avait néanmoins pas fait, de peur de tomber en disgrâce et d’être limogé. Le jour de l’incident, il l’avait serrée dans ses bras plus fort que d’habitude en quittant l’appartement. Il lui avait dit qu’il annoncerait certainement aux commandants qu’il abandonnait la formation. Ce jour-là, contrairement à son habitude, il avait pris son arme avec lui sous un prétexte qui lui avait paru fallacieux. Peu après son départ, elle avait utilisé le téléphone de son époux pour appeler Turan, un des collègues de ce dernier, et lui faire part de ses inquiétudes. Toutefois, c’est son époux qui avait répondu. Il lui avait dit de ne pas s’inquiéter. Après 9 heures, plusieurs membres de son équipe avaient cherché à joindre Hasan sur son portable. Elle leur avait dit que ce dernier s’était rendu à la caserne pour mettre un terme à sa formation. Par la suite, elle avait à nouveau cherché à contacter Turan, mais en vain. Vers 11 heures, le capitaine Oktay avait à son tour appelé sur le portable de Hasan. Elle lui avait fait part de ses craintes. Par la suite, deux militaires proches de Hasan étaient arrivés accompagnés de leurs épouses. Elle n’avait appris la triste nouvelle que tard dans la soirée. Elle déclara également aux enquêteurs qu’elle était enceinte et que son époux achetait régulièrement des jouets pour leur enfant à naître. Elle ajouta aussi que Hasan avait utilisé un antidépresseur (du chlorhydrate de sertraline) à cause d’un problème d’éjaculation précoce, mais qu’il l’avait arrêté en raison de ses effets indésirables. C. Les autres dépositions Les membres de la famille du défunt furent interrogés. Ils déclarèrent que si Hasan s’était suicidé, c’était parce que son épouse et la famille de celle-ci le stressaient énormément. Ils déclarèrent n’avoir connaissance d’aucun autre problème particulier. Les collègues du défunt confirmèrent les difficultés éprouvées par ce dernier pour accomplir les travaux écrits demandés dans le cadre de la formation. Certains d’entre eux indiquèrent par ailleurs que le défunt avait été pris de vomissements pendant un cours quelques jours auparavant. Il s’était ensuite entretenu avec le responsable de la formation, qui lui avait dit que tout irait bien et qu’il n’attendait pas de lui qu’il soit parfait. En réponse aux questions du procureur, toutes ces personnes affirmèrent n’avoir connaissance d’aucun événement ou animosité de la part d’un tiers qui eût pu pousser Hasan au suicide. Les supérieurs de Hasan affirmèrent quant à eux que l’intéressé était un bon soldat, motivé, qui avait toujours le souci de mieux faire. C’était un perfectionniste. Il avait de bons résultats mais cela ne l’empêchait pas d’être inquiet à l’idée de ne pas réussir la formation. Le psychologue militaire chargé du suivi de Hasan rappela que l’ensemble des élèves suivant la formation était soumis à des tests psychologiques. Chez Hasan, les premiers tests avaient révélé un comportement harmonieux et un niveau d’enthousiasme et d’agressivité légèrement inférieur à la moyenne. Toutefois ces données n’avaient pas été confirmées par les deux tests ultérieurs. Aucun problème particulier n’avait été relevé. D. Le rapport de l’Institut de médecine légale Le 31 décembre 2008, le parquet saisit la première chambre spécialisée de l’Institut de médecine légale pour lui demander de déterminer la distance du tir. Ce faisant, le parquet souhaitait savoir s’il était possible, au vu de l’ensemble des pièces du dossier d’instruction, que l’intéressé se soit lui-même tiré dessus – soit volontairement en vue de se suicider, soit de façon accidentelle. Dans son rapport du 25 mars 2009, l’Institut rappela que les distances de tir étaient classées en quatre catégories : le tir à bout touchant, le tir à bout portant (pour lequel la distance entre la bouche de l’arme et le point d’impact est inférieure à 2 cm), le tir à distance intermédiaire (pour lequel cette distance est comprise entre 2 et 45 cm) et le tir distant. La distance d’un tir pouvait être déterminée notamment grâce aux traces laissées autour du point d’impact du projectile ou sous la peau. En l’espèce, les médecins de l’Académie de médecine militaire de Gülhane ayant procédé à l’autopsie avaient conclu à un tir distant en se fondant sur l’absence de résidus cutanés et sous-cutanés ainsi que sur l’absence de brûlures des vibrisses (poils à l’intérieur des narines). En ce qui concerne les résidus cutanés, le docteur T.T., qui était l’un des premiers médecins à avoir examiné le corps, avait déclaré qu’il avait nettoyé la zone couverte de sang autour de l’orifice d’entrée avec une compresse afin de pouvoir mieux l’examiner et qu’il avait consigné ce point dans le procès-verbal. Ce nettoyage expliquait l’absence de résidus sur la peau. Quant aux autres éléments, ils permettaient uniquement d’affirmer qu’il ne s’agissait pas d’un tir à bout touchant ou portant mais non de conclure nécessairement à un tir distant. Les traces de sang présentes sur l’arme étaient le résultat d’une éclaboussure à haute vitesse d’impact et non d’un ruissellement de sang. Ce point avait d’ailleurs pu être observé par les experts dans les enregistrements vidéo présents dans le dossier. Il ne pouvait dès lors s’agir d’un tir distant. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, il y avait lieu de conclure à un tir à distance intermédiaire (entre 2 et 45 cm). Compte tenu de la longueur du bras du défunt (53 cm), il était physiquement possible qu’il soit l’auteur du tir. E. La lettre anonyme En juin 2009, le père du défunt reçut une lettre anonyme supposée avoir été envoyée par d’anciens collègues de son fils. Ces derniers y affirmaient que la mort de l’intéressé n’était pas un suicide. Ils alléguaient en outre que les rapports d’expertise concernant la distance de tir avaient été « bidouillés ». Selon eux, la hiérarchie essayait d’étouffer cette affaire afin d’éviter de porter préjudice à l’avancement du général se trouvant à la tête de l’unité dispensant la formation à la guerre non conventionnelle. Une copie de cette lettre fut remise au parquet militaire. F. L’ordonnance de non-lieu A l’issue de l’instruction pénale, le 27 août 2009, le procureur militaire rendit une ordonnance de non-lieu. Il considéra que Hasan s’était lui-même donné la mort, soit volontairement, soit de façon accidentelle. Aucun élément ne permettait d’établir la participation ou la responsabilité pénale d’un tiers dans ce décès et aucune négligence n’était attribuable aux autorités militaires. Pour prendre cette décision, le procureur se fonda notamment sur le rapport d’investigation sur les lieux de l’incident, le croquis et les clichés de l’état des lieux, les rapports médicaux, le rapport d’autopsie, le rapport d’expertise balistique et les dépositions des témoins. Le 2 octobre 2009, l’opposition formée par le frère et la sœur du défunt contre cette ordonnance fut rejetée par le tribunal militaire du commandement de l’armée de l’air d’Ankara, qui considéra que l’instruction pénale avait été effectuée de manière complète et minutieuse. Le 15 décembre 2009, le même tribunal rejeta également l’opposition du père du défunt pour les mêmes raisons. G. L’enquête administrative interne Parallèlement à l’instruction pénale, les autorités militaires menèrent une enquête administrative interne. Après avoir notamment interrogé le frère du défunt et vingt-sept militaires, les enquêteurs conclurent au suicide de Hasan en raison de ses problèmes personnels et familiaux.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Roger Roduit, est un ressortissant suisse, né en 1946 et résidant à Vétroz (canton du Valais). Le requérant exerçait la fonction de contrôleur permanent à la Banque cantonale du Valais (ci-après « BCV » ou « la banque ») depuis le mois de janvier 1985. Le 12 décembre 1990, il en fut également nommé sous-directeur par le Conseil d’Etat du canton du Valais (ci-après « le Conseil d’Etat »). Par décisions du 30 octobre 1991 et du 17 juin 1992, le Conseil d’Etat, intervenant en tant qu’autorité de surveillance, suspendit, puis révoqua le requérant de ses fonctions de contrôleur permanent et de sous-directeur, sans indemnité. En ce qui concerne sa révocation, le Conseil d’Etat retint en bref que l’intéressé avait failli à sa tâche de contrôleur et de réviseur. Après son annulation par le Tribunal fédéral pour des motifs d’ordre formel, la révocation fut confirmée par le Conseil d’Etat le 28 mai 1997. Le recours du requérant auprès du Tribunal fédéral fut rejeté par arrêt du 2 septembre 1998. Le 22 février 1999, le requérant introduisit une requête devant la Cour (no 47526/99), pour violation des articles 6, 8 et 14 de la Convention. Le 13 décembre 2001, la requête fut déclarée irrecevable par un comité de trois juges. Parallèlement, le 2 juillet 1992, le requérant engagea auprès du tribunal du district de Sion une action civile contre la banque, à laquelle il réclamait le versement de son salaire mensuel jusqu’au terme du contrat de travail le liant à cet établissement, soit jusqu’au 31 mai 1993. Le 16 février 1993, le juge compétent dudit tribunal déclara l’action irrecevable, au motif que les rapports de travail en cause relevaient du droit public. Sur recours du requérant, par jugement du 10 mai 1994, la deuxième cour civile du tribunal cantonal confirma cette décision, et ordonna que le dossier soit transmis à la cour de droit public du tribunal cantonal (ci-après « le tribunal cantonal »), pour examen de sa compétence et, le cas échéant, reprise de la procédure sous son autorité. Le recours de droit public formé par le requérant devant le Tribunal fédéral contre cette décision fut rejeté le 18 novembre 1994. Le 18 janvier 1995, le dossier fut transmis au tribunal cantonal. Par ordonnance du 17 février 1995, ce dernier suspendit l’affaire jusqu’à l’issue de la procédure relative aux décisions du Conseil d’Etat du 30 octobre 1991 et du 17 juin 1992 (voir ci-dessus). Le 31 août 2001, le tribunal cantonal demanda au requérant s’il entendait maintenir son action. Le 14 septembre 2001, celui-ci sollicita le maintien de la suspension de l’affaire jusqu’à ce que la Cour européenne se soit prononcée sur la requête introduite devant elle. Les 28 novembre 2003 et 25 mars 2004, le requérant requit à nouveau la prolongation de la suspension de la cause, en vue de trouver une solution négociée avec la banque. Le 21 septembre 2004, le requérant demanda la reprise de la procédure. Il annonça également qu’il déposerait une écriture complémentaire fondée notamment sur une convention-transaction acceptée par lui-même et par des représentants du conseil d’administration de la banque. Le 27 septembre 2004, le tribunal cantonal invita les parties à se déterminer sur sa compétence. Dans ses observations du 14 octobre 2004, la banque admit la compétence du tribunal cantonal. Par arrêt du 18 mars 2005, le tribunal cantonal se déclara incompétent pour traiter du litige. Il considéra que sa compétence était réglée par la loi sur la procédure et la juridiction administrative du 6 octobre 1976 (LPJA), dans sa version modifiée, entrée en vigueur le 1er janvier 1993 (voir paragraphe 23 ci-dessous). Le 2 juillet 1992, lors de l’ouverture de l’action du requérant, le seul moyen de droit à disposition était l’action directe devant le tribunal administratif, prévue par l’article 83 chiffre 3 de l’ancienne LPJA (voir paragraphe 23 ci-dessous). La nouvelle loi du 16 mai 1991, entrée en vigueur le 1er janvier 1993, avait supprimé, d’une part, le tribunal administratif, qui était devenu une cour du tribunal cantonal et, d’autre part, l’action directe pour les contestations de nature patrimoniale découlant des rapports de service (voir paragraphe 24 ci-dessous). Le 18 janvier 1995, date à laquelle les dossiers avaient été transmis au tribunal cantonal, celui-ci n’était donc pas compétent pour se saisir par la voie de l’action des prétentions formulées par le requérant. Dès lors, les prétentions en indemnité du requérant auraient dû être articulées par la voie du recours. Par ailleurs, le tribunal cantonal releva que la question du droit à une indemnité pour licenciement injustifié avait été définitivement tranchée par l’arrêt du Tribunal fédéral du 2 septembre 1998. La cause n’avait donc pas à faire l’objet d’un plus ample examen. Les frais de justice, d’un montant de 1200 francs suisses (CHF) (environ 980 euros (EUR)), furent mis à la charge du requérant. Le requérant forma contre cet arrêt un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral. Il y fit valoir un déni de justice et la violation du principe de célérité de la procédure ainsi que la violation des principes de la protection contre l’arbitraire et de la protection de la bonne foi. Il invoqua notamment l’existence d’une convention-transaction entre lui-même et la banque, qui constituait un nouveau fondement à sa réclamation, distinct des rapports de service ayant fait l’objet de la procédure contre le Conseil d’Etat. Le Tribunal fédéral rejeta le recours de droit public, par arrêt du 12 août 2005. Il estima que le grief tiré de la violation du principe de la bonne foi était bien fondé, la cour de droit public du tribunal cantonal ne pouvant pas, onze ans après que la cause lui ait été transmise, se déclarer subitement incompétente. L’on pouvait certes admettre que le tribunal cantonal avait des motifs suffisants pour suspendre l’instruction du dossier au fond. Toutefois, conformément au principe de la bonne foi, elle aurait dû statuer plus tôt sur sa compétence, surtout si elle avait des doutes à ce sujet. Il considéra cependant que le deuxième motif d’irrecevabilité, à savoir le fait que les prétentions au fond avaient déjà fait l’objet d’un jugement définitif, retenu dans l’arrêt attaqué, n’était pas contraire aux droits constitutionnels du requérant. Il nota que la banque n’avait pas participé formellement à la procédure administrative ayant abouti à la révocation du requérant. Cependant, le Tribunal fédéral avait déjà admis que le Conseil d’Etat avait valablement agi en remplacement du conseil d’administration de la banque, en raison de la nécessité d’intervenir rapidement à l’époque. Il n’était donc pas arbitraire de considérer que les questions juridiques tranchées à l’occasion de la procédure de révocation étaient opposables au requérant dans le cadre de la procédure contre la banque. Par ailleurs, s’agissant de la convention-transaction invoquée par le requérant, le Tribunal fédéral considéra que celui-ci ne l’avait évoquée que dans un courrier au tribunal cantonal, mais ne l’avait pas produite et n’avait apporté aucun détail sur son contenu. Elle représentait donc un nouveau moyen, qui ne pouvait être soulevé à ce stade de la procédure. Par conséquent, le Tribunal fédéral décida qu’un émolument judiciaire de 2 000 CHF (environ 1 634 EUR) fût mis à la charge du requérant. Ce dernier fut également condamné à verser à la partie adverse des dépens d’un montant de 1 500 CHF (environ 1 225 EUR). Une procédure pénale fut également ouverte contre le requérant pour plusieurs délits économiques en relation avec ses activités au sein de la banque. Le requérant fut acquitté de tous les chefs d’accusation. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Loi sur la procédure et la juridiction administratives du 6 octobre 1976 (LPJA) Lors du dépôt du mémoire-demande du 2 juillet 1992 du requérant contre la BCV, était en vigueur l’ancien droit, à teneur duquel l’action de droit administratif était définie par une clause générale qui était illustrée par une série non limitative d’exemples (art. 82 et 83 aLPJA). Le seul moyen envisageable pour le requérant était l’article 83 chiffre 3 aLPJA, qui prévoyait l’action devant le Tribunal administratif pour « les contestations de nature patrimoniale découlant des rapports de service des agents de l’Etat ou des communes ». L’article 83 chiffre 3 aLPJA a été abrogé le 1er janvier 1993, lors de l’entrée en vigueur de la nouvelle du 16 mai 1991 modifiant la LPJA. Le nouveau texte de cette loi a en effet supprimé, d’une part, le Tribunal administratif qui est devenu une cour du Tribunal cantonal (art. 65 al. 1 LPJA) et, d’autre part, l’action directe pour les contestations de nature patrimoniale découlant des rapports de service (art. 83 a contrario LPJA). Article 65 – Juridiction de droit administratif et droit des assurances sociales « 1 Le Tribunal administratif cantonal constitue une cour du Tribunal cantonal: la Cour de droit public. (...) » Article 82 – Compétence : a) recevabilité de l’action « Le Tribunal cantonal connaît, comme juridiction unique, des actions relatives à des prétentions de nature patrimoniale, fondées sur le droit public, qui ne peuvent être l’objet d’une décision (...) susceptibles d’un recours relevant de sa compétence. » Article 83 – b) cas où l’action est ouverte « L’action directe devant le Tribunal cantonal est ouverte dans les cas de : a) contestation de nature patrimoniale entre corporations de droit public ; b) contestation de nature patrimoniale en relation avec des concessions ou des contrats administratifs auxquels une corporation ou un établissement de droit public est partie ; c) abrogé ; d) contestation concernant la fixation des limites territoriales des communes sous réserve de la compétence du Grand Conseil concernant l’attribution d’un territoire ; e) abrogé ; f) abrogé ; g) autres affaires à trancher par le Tribunal cantonal, comme instance unique, en vertu d’une loi cantonale ; h) autres contestations de droit public pour lesquelles la loi fédérale prévoit une autorité judiciaire cantonale en première instance. » B. Loi sur la responsabilité des collectivités publiques et de leurs agents du 10 mai 1978 Article 7 – Atteinte aux intérêts personnels « Celui qui subit une atteinte dans ses intérêts personnels peut réclamer une indemnité à titre de réparation morale lorsque celle-ci est justifiée par la gravité particulière du préjudice subi et de la faute de l’agent. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1956 et réside à Villeurbanne. Le requérant fut enregistré à l’état civil sous le nom patronymique de sa mère, Henry. Sa sœur est née le 25 mars 1957 sous le nom de sa mère également. Son frère, ultérieurement décédé, était né le 2 mai 1958 sous le nom patronymique de leur père, Kismoun. Le requérant et sa sœur furent reconnus par leur père le 31 mars 1959. Le requérant possède la double nationalité, algérienne par son père et française par sa mère, tous deux aujourd’hui décédés. Selon le requérant, son frère, sa sœur et lui-même, lorsqu’ils étaient très jeunes (trois ans pour le requérant), furent abandonnés par leur mère, qui les confia à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS), puis leur père les recueillit et les emmena en 1961 vivre en Algérie. Le père se maria et eut quatre nouveaux enfants tous déclarés sous le nom de Kismoun. Le requérant fut toujours appelé Kismoun par son père, sa famille et ses amis. C’est sous ce nom qu’il fut scolarisé en Algérie de 1963 à 1970, et qu’il effectua son service militaire dans ce pays de 1975 à 1977. C’est aussi sous ce nom qu’il est enregistré à l’état civil algérien. En 1977, le requérant essaya de reprendre contact avec sa mère par l’intermédiaire du consulat de France à Alger, qui lui fit savoir que cette dernière refusait d’entrer en relation avec lui. Il apprit également à cette occasion que son état civil en France était Christian Henry et non pas Chérif Kismoun, comme c’était le cas en Algérie. Le requérant engagea les démarches nécessaires pour que cette situation prenne fin. Une procédure judiciaire en France où il vit désormais lui permit d’obtenir l’adjonction, à son prénom Christian, de celui de Chérif par un jugement du 4 mai 1984. Sa première demande de changement de nom patronymique fut rejetée par l’autorité administrative compétente en 1986. En 1992, le requérant se maria sous le nom Kismoun et donna ce nom à ses quatre enfants. Il ressort des pièces du dossier que le mariage contracté sous ce nom a fait l’objet d’une annulation et que les actes de naissance des enfants ont été rectifiés par instruction du Parquet de Lyon du 9 mai 2000 pour mentionner que leur nom est Henry. Par une seconde requête datée du 24 janvier 2003, le requérant demanda au Garde des sceaux de substituer au patronyme d’Henry celui de Kismoun, sur le fondement de l’article 61 du code civil, selon lequel « toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom ». Par une décision du 4 décembre 2003, le ministre rejeta la demande : « En application de l’article 61 du code civil, il ne peut être dérogé aux principes de dévolution et d’immutabilité du nom de famille qu’en vertu d’un « intérêt légitime ». En premier lieu, le désintérêt invoqué de votre mère à votre égard, dont vous ne rapportez pas la preuve au moyen de documents probants, ne saurait suffire en l’absence de tout élément permettant d’attester d’un préjudice réel à constituer un tel intérêt légitime. En second lieu, votre souhait d’abandonner un nom qui ne correspondrait pas à vos origines pas plus que l’usage que vous avez pu spontanément faire du nom sollicité ne sauraient davantage suffire à constituer ledit intérêt légitime». Sur recours du requérant, le tribunal administratif de Paris, par un jugement du 26 avril 2007, annula la décision du 4 décembre 2003. Il considéra qu’au regard des circonstances relatives à la durée et à la continuité de l’usage du patronyme revendiqué, le Garde des sceaux avait commis une erreur manifeste d’appréciation en estimant qu’il n’avait pas un intérêt légitime au changement de nom qu’il sollicitait. Par un arrêt du 1er octobre 2008, sur appel du Garde des sceaux, la cour administrative d’appel de Paris infirma le jugement en relevant que le requérant n’avait pas apporté de preuve du désintérêt de sa mère à son égard. Elle considéra que le Garde des Sceaux n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que le motif affectif, tel qu’invoqué, ne suffisait pas, en tout état de cause, à lui conférer un intérêt légitime au sens de l’article 61 du code civil pour changer de nom. La cour considéra par ailleurs qu’il ne ressortait « ni des pièces produites ni des éléments dont s’est prévalu le requérant que le refus du Garde des sceaux ait porté atteinte au respect de sa vie privée et familiale ». Le requérant forma un pourvoi devant le Conseil d’Etat. Il invoqua plusieurs moyens, que le Conseil d’Etat résuma de la façon suivante : « Considérant que, pour demander l’annulation de l’arrêt attaqué, M. Henry soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’insuffisance de motivation en ce qu’il n’indique pas avec suffisamment de précision au regard de l’argumentation du requérant devant la cour pour quelles raisons la décision attaquée n’a pas méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que la cour administrative d’appel de Paris a dénaturé les pièces du dossier et a méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en jugeant que le refus opposé à M. Henry de changer son nom en celui de Kismoun ne portait pas atteinte à sa vie privée et familiale, alors que M. Henry a porté le nom de Kismoun, qui est celui de sa famille depuis plusieurs générations, depuis son enfance jusqu’au début de sa vie d’adulte et n’a découvert qu’en 1977 qu’il portait le nom de Henry à l’état civil français, ce qui a depuis bouleversé sa vie ; que la cour administrative d’appel a méconnu les stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dès lors que le refus de changer son nom en celui de Kismoun crée entre M. Henry et ses frères et sœurs, reconnus par leur père à leur naissance, une discrimination qui ne peut être justifiée par le seul fait qu’il n’a été reconnu que par sa mère à sa naissance ; que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en estimant que M. Henry ne justifiait pas, à l’appui de sa demande de changement de nom, de l’intérêt légitime requis à l’article 61 du code civil, alors, d’une part, que la possession d’état du nom de Kismoun, permettant de s’en prévaloir à titre acquisitif, est établie tant par le fait que le requérant s’en est désigné et a été désigné par lui de façon continue et publique en Algérie, que par un élément intentionnel, satisfait en l’espèce et, d’autre part, que le requérant démontre avoir un intérêt affectif à ne plus porter le nom de sa mère, qui l’a abandonné à l’âge de trois ans et n’a jamais souhaité reprendre contact avec lui alors que son père l’a élevé en Algérie sous le nom de Kismoun. » Par un arrêt du 9 décembre 2009, le Conseil d’Etat, « considérant qu’aucun de ces moyens n’(était) de nature à permettre l’admission du pourvoi », déclara le pourvoi non admis. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 61 du code civil est ainsi libellé : « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de nom. La demande de changement de nom peut avoir pour objet d’éviter l’extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré. Le changement de nom est autorisé par décret. » Selon la jurisprudence, un motif affectif ne suffit pas à caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi, sauf circonstances exceptionnelles. La cour administrative d’appel de Paris avait considéré que la demande d’un requérant fondée, d’une part, sur l’intérêt à porter le nom de sa mère dès lors que son père avait quitté le foyer conjugal alors qu’il avait trois ans et qu’il n’avait depuis lors entretenu aucune relation matérielle ou affective avec lui et, d’autre part, sur la circonstance qu’il avait porté à titre d’usage le nom de sa mère, ou à défaut, les deux noms accolés, pouvait constituer l’intérêt légitime exigé par l’article 61 du code civil (CAA Paris, 4 octobre 2007, no 06PA00589). Toutefois, cet arrêt a été censuré par le Conseil d’Etat qui a estimé que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en se bornant à relever que le requérant invoquait l’absence de relations avec son père depuis le divorce de ses parents et la circonstance qu’il avait porté le nom de sa mère à titre d’usage, sans établir que des circonstances exceptionnelles étaient réunies pour déroger au principe de fixité du nom (CE, no 311447, 18 avril 2008). Par contre, dans un arrêt du 4 décembre 2009 (no 309004), le Conseil d’Etat a considéré qu’un père condamné pour viol sur sa fille n’était pas fondé à soutenir que celle-ci n’avait pas d’intérêt légitime à changer de nom en abandonnant celui de son père pour prendre celui de sa mère. III. LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE Les arrêts adoptés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans les affaires Garcia Avello (2 octobre 2003, C-148/02) et Grunkin et Paul (14 octobre 2008, C‑353/06) ont trait à la diversité de noms patronymiques portés par des citoyens de l’Union et à la compatibilité avec le droit de l’Union d’être contraint de porter un nom patronymique différent dans des États membres différents. Dans ces affaires, la Cour a considéré qu’une telle diversité était de nature à engendrer de sérieux inconvénients d’ordre tant professionnel que privé qui constituaient une entrave à la liberté de circulation des citoyens de l’Union. Récemment, la CJUE a résumé ces inconvénients à la lumière des droits conférés par la citoyenneté de l’Union (McCarthy, 5 mai 2011, C-434/09) : « 51. En effet, dans cet arrêt [2 octobre 2003, Garcia Avello], la Cour a jugé que l’application de la réglementation d’un État membre à des ressortissants de cet État membre ayant également la nationalité d’un autre État membre avait pour effet que ces citoyens de l’Union portaient des noms de famille différents au regard des deux systèmes juridiques concernés et que cette situation était de nature à engendrer, pour eux, de sérieux inconvénients d’ordre tant professionnel que privé, résultant, notamment, des difficultés à bénéficier dans un État membre dont ils ont la nationalité des effets juridiques d’actes ou de documents établis sous le nom reconnu dans l’autre État membre dont ils possèdent également la nationalité. Ainsi que la Cour l’a relevé dans son arrêt du 14 octobre 2008, Grunkin et Paul (...), dans un contexte tel que celui examiné dans le cadre de l’arrêt Garcia Avello, précité, ce qui importait était non pas tant que la diversité des noms patronymiques était la conséquence de la double nationalité des intéressés, mais bien le fait que cette diversité était de nature à engendrer pour les citoyens de l’Union concernés des inconvénients sérieux qui constituaient une entrave à la libre circulation ne pouvant être justifiée que si elle se fondait sur des considérations objectives et était proportionnée à l’objectif légitimement poursuivi (voir, en ce sens, arrêt Grunkin et Paul, précité, points 23, 24 et 29). Ainsi, dans [l’] affaire ayant donné lieu aux arrêts (...) et García Avello, précités, la mesure nationale en cause avait pour effet de priver des citoyens de l’Union de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut ou d’entraver l’exercice de leur droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ».
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1965 et réside à Perales Del Río (Madrid). A l’époque des faits, elle était salariée dans un hypermarché. Elle travaillait à plein temps, soit les matinées soit les après-midi, du lundi au samedi. Le 26 février 2003, s’appuyant sur l’article 37 § 5 du statut des travailleurs, la requérante demanda à son employeur une réduction de son temps de travail (avec réduction correspondante de son salaire) car elle avait la garde de son fils, âgé de moins de six ans. Elle demandait à travailler à mi-temps, c’est-à-dire les après-midi, de 16 heures à 21 h 15, du lundi au mercredi. Par une lettre du 21 mars 2003, l’employeur informa la requérante de son refus de la faire bénéficier des horaires sollicités, lui proposant à la place de travailler en horaire réduit mais du lundi au samedi par demi-journées, le matin ou l’après-midi. La conciliation préalable tentée par la requérante avec son employeur par l’entremise du service de médiation, de conciliation et d’arbitrage de la communauté de Madrid s’avéra infructueuse. Le 20 mai 2003, la requérante engagea devant un tribunal du travail la procédure spéciale en matière d’aménagement de la journée de travail pour cause de garde d’enfant de moins de six ans. Par un jugement du 25 septembre 2003, le juge du travail no 1 de Madrid débouta la requérante, estimant que la réduction du temps de travail devait s’inscrire dans le cadre de la journée de travail ordinaire, alors que la requérante sollicitait l’exclusion de plusieurs jours ouvrables (du jeudi au samedi) et la suppression complète du travail en matinée, ce qui impliquait non une réduction de la journée de travail mais une modification de celle-ci. Le 6 novembre 2003, la requérante saisit le Tribunal constitutionnel d’un recours d’amparo sur le fondement du droit à un procès équitable et du principe de non-discrimination fondée sur le sexe. Par un arrêt du 15 janvier 2007, la haute juridiction fit droit au recours, en estimant que le principe de non-discrimination selon le sexe avait été violé à son égard. Le Tribunal constitutionnel se référa à la jurisprudence constante de la Cour de justice des Communautés européennes selon laquelle « le droit communautaire s’oppose à l’application d’une mesure nationale qui, bien que formulée de manière neutre, porte préjudice à un pourcentage bien plus élevé de femmes que d’hommes, à moins que la mesure litigieuse soit justifiée par des facteurs objectifs qui ne soient pas liés à une discrimination fondée sur le sexe ». Il observa : « dans le cas de la discrimination indirecte, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’un traitement plus favorable exclusivement réservé aux hommes ; il suffit qu’il existe une disposition légale dont l’interprétation ou l’application provoquent des conséquences défavorables pour un groupe composé majoritairement d’employées féminines ». Le Tribunal constitutionnel conclut à la violation du principe de nondiscrimination fondée sur le sexe, déclarant : « le refus de l’organe judiciaire de reconnaître [le droit de la requérante à] la réduction concrète de son temps de travail, sans examiner ni dans quelle mesure ladite réduction était nécessaire pour le respect des fins constitutionnelles pour lesquelles [la possibilité de réduire le temps de travail] avait été instaurée ni quelles seraient les difficultés d’organisation pour l’employeur en cas de non-reconnaissance [du droit de l’intéressée à] ladite réduction, constitue ainsi un obstacle non justifié au maintien [de la requérante] dans son emploi et à la compatibilité entre sa vie professionnelle et sa vie familiale et, partant, une discrimination fondée sur le sexe ». Dès lors, la haute juridiction octroya l’amparo à la requérante, annula le jugement du 25 septembre 2003 rendu par le juge du travail no 1 de Madrid et ordonna à celui-ci de rendre un nouveau jugement respectueux du droit fondamental en cause. Par un nouveau jugement en date du 6 septembre 2007, le juge du travail no 1 débouta la requérante. Le juge considéra que la réduction du temps de travail sollicitée par la requérante sortait du cadre fixé par l’article 37 du statut des travailleurs en ce qu’elle demandait à ne pas travailler les jeudis, les vendredis et les samedis, d’autant que deux d’entre eux, les vendredis et les samedis, correspondaient aux jours de pic d’affluence des clients. Le juge estima en outre que la requérante n’avait pas suffisamment justifié la nécessité, aux fins de la protection constitutionnelle qui lui avait été accordée, que la réduction demandée dépassât les limites d’un simple aménagement de la journée de travail proprement dite. Le 28 novembre 2007, la requérante saisit le Tribunal constitutionnel d’un nouveau recours d’amparo, que la haute juridiction examina en tant que procédure d’exécution de son arrêt rendu le 15 janvier 2007. Le 29 octobre 2008, elle informa le Tribunal constitutionnel que son fils avait entre-temps atteint l’âge de six ans, de sorte qu’en raison de la durée de la procédure judiciaire, elle ne pouvait plus bénéficier du droit à la réduction du temps de travail qu’elle avait réclamée pour garder son enfant. L’arrêt du Tribunal constitutionnel ne pouvant donc pas être exécuté dans ses termes exacts, la requérante réclama à titre subsidiaire, en application de l’article 18 § 2 de la loi organique sur le pouvoir judiciaire, une indemnisation de 40 986 euros (EUR). Par une décision motivée du 12 janvier 2009, le Tribunal constitutionnel considéra que son arrêt du 15 janvier 2007 n’avait pas été correctement exécuté, et déclara nul le jugement rendu le 6 septembre 2007 par le juge du travail no 1 de Madrid. Il estima néanmoins qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer l’affaire au juge a quo dans la mesure où un nouveau jugement du juge du travail n’aurait plus d’objet vu l’âge atteint par l’enfant de la requérante, et considéra que la fixation d’une indemnisation n’était pas permise par l’article 92 de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel. Une opinion dissidente fut jointe à l’arrêt. Le magistrat dissident estimait, entre autres, que le Tribunal constitutionnel aurait dû accorder une indemnisation à la requérante, en particulier dans un cas comme celui-là où l’indemnisation était le seul moyen de protéger le droit fondamental en jeu et de rétablir l’intéressée dans l’intégralité de ses droits. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La disposition pertinente de la Constitution est la suivante : Article 121 « Les dommages causés par une erreur judiciaire et ceux qui sont la conséquence d’un fonctionnement anormal de l’administration de la justice ouvrent droit à une indemnisation à la charge de l’Etat, conformément à la loi. » Les dispositions pertinentes de la loi organique relative au pouvoir judiciaire (LOPJ) se lisent ainsi : Article 18 « (...) Les jugements et arrêts doivent être exécutés dans leurs termes exacts. Si l’exécution se révèle impossible, le juge ou le tribunal adopte les mesures nécessaires pour assurer l’effectivité de l’exécution, et fixe dans tous les cas l’indemnisation pertinente correspondant à la partie [du jugement ou de l’arrêt] qui n’a pas pu être pleinement exécutée. (...) » Article 292 « 1. Toute victime d’un préjudice résultant d’une erreur judiciaire ou d’un fonctionnement anormal de la justice a droit à une indemnisation par l’Etat, sauf en cas de force majeure, conformément aux dispositions du présent titre. En tout état de cause, le préjudice allégué doit être actuel, financièrement quantifiable et individualisé, qu’il concerne une personne ou un groupe de personnes. La seule révocation ou annulation de décisions judiciaires n’implique pas en ellemême le droit à une indemnisation. » Article 293 « 1. Toute demande d’indemnisation pour cause d’erreur doit être précédée d’une décision judiciaire reconnaissant expressément l’erreur. Pareille décision préalable peut découler directement d’une décision prononcée dans le cadre d’un recours en révision. Dans tous les autres cas s’appliquent les règles suivantes : a) L’action judiciaire en reconnaissance de l’erreur doit impérativement être intentée dans un délai de trois mois à compter du jour où elle peut être exercée. (...) Dans les cas d’erreur judiciaire déclarée ou de dommage dû à un fonctionnement anormal de l’administration de la justice, l’intéressé adresse sa demande d’indemnisation directement au ministère de la Justice. Cette requête est examinée selon les dispositions applicables en matière de responsabilité patrimoniale de l’Etat. La décision du ministère de la Justice peut faire l’objet d’un recours contentieux administratif. Le droit de demander une indemnisation est prescrit dans un délai d’un an à compter du jour où il peut être exercé. » Les dispositions pertinentes de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel sont libellées comme suit : Article 41 « (...) Dans l’amparo constitutionnel, seules peuvent être prises en considération les prétentions qui visent à rétablir ou à préserver les droits ou les libertés pour lesquels le recours a été formulé. » Article 55 « 1. L’arrêt accordant l’amparo contient une ou plusieurs des déclarations suivantes : a) la déclaration de nullité de la décision, de l’acte ou de la résolution ayant empêché le plein exercice des droits ou libertés protégés, assortie, le cas échéant, de la détermination de l’étendue de ses effets ; b) la reconnaissance du droit ou de la liberté publique [en cause], conformément à son contenu déclaré au niveau constitutionnel ; c) le rétablissement pour le demandeur [d’amparo] de l’intégrité de son droit ou de sa liberté et l’adoption, le cas échéant, des mesures propres à leur maintien ; (...). » Article 92 « Le Tribunal pourra, dans son arrêt ou sa décision ou dans des actes postérieurs, établir qui doit l’exécuter et, le cas échéant, statuer sur les incidences de l’exécution. Il pourra également déclarer nulle toute décision qui contreviendrait à celles rendues dans l’exercice de sa compétence, lors de l’exécution de ces dernières, après audition du ministère public et de l’organe qui aura rendu pareille décision. » L’article 37 du statut des travailleurs (rédaction issue de la loi no 39/1999 du 5 novembre 1999 pour la promotion de la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle) dispose, dans ses parties pertinentes, ce qui suit : « (...) Toute personne qui, pour des raisons de garde légale, a sous sa responsabilité directe un mineur de six ans (...) a droit à une réduction de sa journée de travail [comprise] entre, au minimum, un tiers, et au maximum, la moitié de la durée de la journée de travail, avec réduction proportionnelle du salaire. (...) La réduction de la journée de travail prévue dans cette disposition constitue un droit individuel des travailleurs, aussi bien hommes que femmes. (...) Le choix des horaires de travail ainsi que la détermination de la période d’exercice de l’autorisation d’allaitement et de la réduction de sa journée de travail, prévus par (...) l’alinéa 5 du présent article, incombent au salarié, dans le cadre de sa journée ordinaire. (...) » L’article 181 de la loi sur les procédures devant les juridictions du travail (rédaction issue de la disposition additionnelle 13.7 de la loi organique no 3/2007 du 22 mars 2007) est ainsi libellé : « Les demandes de protection des autres droits fondamentaux et libertés publiques, y compris l’interdiction des traitements discriminatoires et du harcèlement, qui s’inscrivent dans le domaine des rapports juridiques relevant de la compétence des juridictions du travail, sont traitées conformément aux dispositions du présent chapitre. Ces demandes doivent faire état du droit ou des droits fondamentaux jugés violés. Lorsque le jugement formule un constat de violation, le juge doit se prononcer sur le montant de l’indemnisation à verser, le cas échéant, au travailleur victime de la discrimination, s’il y a désaccord entre les parties. Cette indemnisation est compatible, le cas échéant, avec celle pouvant revenir au travailleur du fait de la modification ou de l’extinction du contrat de travail en vertu des dispositions du statut des travailleurs. » L’article 139 de la loi no 30/1992 du 26 novembre 1992 sur le régime commun des administrations publiques et de la procédure administrative commune (telle que modifiée par la loi no 13/2009 du 3 novembre 2009) dispose, dans ses parties pertinentes : « 1. Les particuliers ont droit à une indemnisation de l’administration publique concernée pour tout dommage résultant d’une atteinte à un bien ou à un droit, sauf en cas de force majeure, à condition que ledit dommage soit la conséquence du fonctionnement normal ou anormal des services publics. Qu’il concerne une personne ou un groupe de personnes, le dommage invoqué doit dans tous les cas être actuel, quantifiable financièrement et individualisé. (...) Le Conseil des ministres fixe le montant des indemnisations à verser lorsque le Tribunal constitutionnel reconnaît, à la demande de l’intéressé, l’existence d’un dysfonctionnement dans le traitement des recours d’amparo ou des questions de constitutionnalité. La procédure de fixation des indemnisations relève du ministère de la Justice, sur avis du Conseil d’Etat. »
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les première et troisième requérantes sont nées en 1967. Le deuxième requérant est né en 1995. Les première et troisième requérantes entretiennent une relation stable. Le deuxième requérant, né hors mariage, est le fils de la troisième requérante. Il a été reconnu par son père et placé sous l’autorité parentale exclusive de sa mère. Les trois requérants vivent au sein du même foyer depuis le cinquième anniversaire du deuxième requérant, dont les première et troisième requérantes s’occupent ensemble. Le 17 février 2005, la première requérante et le deuxième requérant, représenté par sa mère, conclurent une convention prévoyant l’adoption du second par la première. Cette convention visait à créer, entre la première requérante et le deuxième requérant, un lien juridique reflétant les rapports qui les unissaient sans pour autant rompre la relation entre l’enfant et sa mère, la troisième requérante. Conscients que le libellé de l’article 182 § 2 du code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) pouvait être interprété comme excluant l’adoption par un membre d’un couple homosexuel de l’enfant de son partenaire sans que le lien de l’enfant avec ce dernier – parent biologique du même sexe que l’adoptant – ne s’en trouve rompu, les intéressés prièrent la Cour constitutionnelle de déclarer cette disposition inconstitutionnelle au motif qu’elle leur faisait subir une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des première et troisième requérantes. Ils faisaient valoir que dans le cas des couples hétérosexuels l’article 182 § 2 du code civil permettait l’adoption coparentale, c’est-à-dire l’adoption par l’un des membres du couple de l’enfant de son partenaire sans que cela n’eût d’incidence sur le lien juridique existant entre ce dernier et l’enfant. Le 14 juin 2005, la Cour constitutionnelle déclara leur requête irrecevable en application de l’article 140 de la Constitution fédérale. Elle releva que, pour statuer sur l’homologation de la convention d’adoption, le tribunal de district compétent devrait examiner la question de savoir si l’article 182 § 2 du code civil ouvrait ou non l’adoption coparentale aux couples homosexuels. Elle ajouta que si les requérants se voyaient refuser l’homologation par ce tribunal il leur serait loisible de soulever leurs moyens d’inconstitutionnalité de la disposition litigieuse devant les juridictions d’appel, lesquelles pourraient porter la question devant elle au cas où elles partageraient les vues des intéressés. Le 26 septembre 2005, les requérants invitèrent le tribunal de district compétent à homologuer la convention d’adoption, aux termes de laquelle le deuxième requérant devait avoir pour parents les première et troisième requérantes. Dans leur requête, ils exposaient que la première requérante et l’enfant avaient noué des liens affectifs étroits, que celui-ci s’épanouissait dans un foyer où il vivait avec deux adultes soucieux de son bien-être, que leur requête visait à faire reconnaître juridiquement leur cellule familiale de fait et qu’elle aurait pour effet de substituer la première requérante au père de l’enfant. Ils précisaient que le père s’était opposé à cette adoption sans motiver son refus. Ils alléguaient qu’il manifestait une hostilité extrême envers leur famille et qu’il y avait donc lieu pour le tribunal de passer outre à ce refus, comme le permettait l’article 181 § 3 du code civil, l’adoption envisagée étant à leurs yeux conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. À leur requête se trouvait joint un rapport du service de protection de la jeunesse qui confirmait que les première et troisième requérantes se partageaient les tâches quotidiennes liées à la garde de l’enfant ainsi que la responsabilité de son éducation et concluait que l’attribution de l’autorité parentale conjointe était souhaitable, tout en exprimant des doutes sur la légalité de cette solution. Le 10 octobre 2005, le tribunal de district refusa d’homologuer la convention d’adoption, estimant que l’article 182 § 2 du code civil ne prévoyait aucune forme d’adoption propre à produire les effets souhaités par les requérants. Sa décision était ainsi motivée : « Mme [...], la troisième requérante, est titulaire de l’autorité parentale exclusive sur son fils mineur, [...], né hors mariage. [Elle] vit à [...] avec sa compagne [...] (la première requérante) et (...) (le deuxième requérant). La mère de l’enfant et sa partenaire ont été définitivement déboutées d’une requête introduite conjointement par elles le 12 octobre 2001, par laquelle elles demandaient le transfert partiel de l’autorité parentale sur [l’enfant] au profit de la compagne de la mère de celui-ci de sorte qu’elles pussent exercer conjointement l’autorité parentale. Aux termes de la convention d’adoption du 17 février 2005, dont les intéressés sollicitent à présent l’homologation, la première requérante marque sa volonté d’adopter l’enfant en qualité de compagne de la mère [de celui-ci]. La convention d’adoption que les requérants souhaitent voir homologuer aurait pour effet de rompre les liens juridiques familiaux existant entre l’enfant et son père ainsi qu’entre l’enfant et la famille de son père tout en préservant la relation entre l’enfant et sa mère. Les requérants demandent par ailleurs à la justice de passer outre au refus du père de l’enfant de consentir à cette adoption. La requête des intéressés, qui vise en fait à permettre au couple homosexuel que forment la mère biologique et la mère adoptante d’exercer conjointement l’autorité parentale sur l’enfant, est juridiquement mal fondée. L’article 179 du code civil énonce que l’adoption peut être le fait d’une seule personne ou d’un couple marié. L’adoption d’un enfant par une personne mariée agissant seule est subordonnée à des conditions strictes. Il résulte de la seconde phrase de l’article 182 § 2 du code civil que si l’enfant n’est adopté que par un homme (ou une femme) les liens juridiques familiaux – autres que le lien de filiation lui-même – ne sont rompus qu’à l’égard du père biologique (ou de la mère biologique) et de la famille de ce dernier (ou de cette dernière). Dans le cas où les liens entre l’enfant et son autre parent subsistent après l’adoption, le juge les déclare rompus à l’égard du parent concerné, sous réserve que celui-ci y consente. L’article 182 du code civil a été modifié pour la dernière fois en 1960 (Journal officiel no 58/1960). Eu égard au libellé non équivoque de cette disposition et à la volonté manifeste du législateur de l’époque, il y a lieu de présumer que l’adoption par une seule personne rompt le lien juridique entre l’adopté et son parent biologique du même sexe que son parent adoptif, et qu’elle n’altère pas le lien avec le parent du sexe opposé (voir aussi Schlemmer in Schwimann, ABGB [...] I § 182, point 3). Ce n’est que dans ce cas de figure que la loi permet au juge de rompre ce lien, sur lequel l’adoption n’a en elle-même pas d’effet. Il s’ensuit que la convention dont les requérants sollicitent l’homologation, qui conduirait à l’adoption [de l’enfant] par une femme et à la rupture de ses liens avec son père biologique mais non avec sa mère biologique, est illicite. L’interprétation conforme à la Constitution que doit évidemment recevoir la disposition législative en cause ne change rien à cette conclusion. Il est exact que selon la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme les questions relatives à l’orientation sexuelle bénéficient de la protection que l’article 8 de la [Convention] accorde au droit à la vie privée et familiale. Il est vrai également que d’après la jurisprudence de la Cour les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle sont rigoureusement incompatibles avec les articles 8 et 14 de la Convention. Toutefois, il convient de relever que la Cour accorde invariablement aux États membres du Conseil de l’Europe en la matière une marge d’appréciation dont l’ampleur est inversement proportionnelle à celle de la communauté de vues qu’il peut y avoir entre leurs ordres juridiques respectifs. Au paragraphe 41 de l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Fretté c. France (no 36515/97, CEDH 2002-I), la Cour européenne a expressément indiqué que le droit des homosexuels à l’adoption paraissait traverser une phase de transition et connaissait des évolutions sociales justifiant l’octroi d’une large marge d’appréciation aux États membres, tout en précisant que cette marge d’appréciation ne pouvait être interprétée comme une carte blanche donnée aux États pour prendre des décisions arbitraires. Il appartient donc aux seuls États de décider de l’opportunité d’offrir à deux personnes du même sexe la possibilité de créer un lien juridique avec un enfant sur un pied d’égalité, dans les limites fixées par l’article 8 § 2 de la Convention. Le tribunal estime que, même interprété conformément à la Constitution comme il doit l’être, le droit autrichien actuellement en vigueur exclut cette possibilité. La mesure voulue par les requérants nécessiterait une modification législative. Elle ne peut être validée par une simple décision de justice qui donnerait de l’article 182 du code civil une interprétation contraire à son libellé non équivoque. Au vu de ce qui précède, le tribunal rejette la requête en homologation de la convention d’adoption présentée par les requérants. » Les requérants interjetèrent appel de cette décision. Invoquant les articles 8 et 14 de la Convention, ils soutenaient dans leur recours que l’article 182 § 2 du code civil était discriminatoire dès lors qu’il opérait une distinction injustifiée entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Ils faisaient observer que l’adoption coparentale était ouverte aux couples hétérosexuels, mariés ou non, mais non aux couples homosexuels. Ils précisaient que leur affaire, qui concernait une différence de traitement entre couples hétérosexuels et couples homosexuels, se distinguait de l’affaire Fretté, précitée, où était en cause une adoption par un célibataire homosexuel. Ils estimaient que l’instauration d’une différence de traitement entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels était particulièrement problématique au regard de l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Karner c. Autriche (no 40016/98, CEDH 2003-IX). Ils affirmaient que les États européens ouvrant l’adoption coparentale aux couples homosexuels étaient rares, que la majorité d’entre eux réservaient cette forme d’adoption aux couples mariés et qu’il existait en Europe un consensus pour considérer qu’il ne fallait pas traiter différemment les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels. Ils soutenaient que la différence de traitement incriminée ne poursuivait aucun but légitime, ajoutant notamment qu’elle n’était pas nécessaire à la protection de l’intérêt de l’enfant. Ils avançaient que certains travaux scientifiques montraient que les enfants s’épanouissaient aussi bien dans les familles composées de parents homosexuels que dans les familles composées de parents hétérosexuels, et que l’important n’était pas l’orientation sexuelle des parents, mais la capacité de ceux-ci à former une famille stable et attentionnée. Ils invitaient la juridiction d’appel à infirmer la décision du tribunal de district et à faire droit à leur requête du 26 septembre 2005 ou, à titre subsidiaire, à renvoyer l’affaire devant le tribunal de district pour qu’il statue à nouveau. Le 21 février 2006, le tribunal régional débouta les requérants de leur appel sans avoir tenu d’audience. Dans son arrêt, il évoquait des procédures connexes portant, d’une part, sur le droit de visite et l’obligation d’entretien du père du deuxième requérant et, d’autre part, sur les démarches infructueuses entreprises par les première et troisième requérantes pour se voir attribuer l’autorité parentale conjointe sur le deuxième requérant. Il exprimait des doutes sur la capacité de la troisième requérante à représenter son fils dans la procédure, estimant que cette situation pouvait donner lieu à un conflit d’intérêts. Il poursuivait ainsi : « Toutefois, il est en réalité inutile de s’arrêter sur cette question car le tribunal estime, pour les motifs exposés ci-après, qu’il convient en tout état de cause de refuser l’homologation de la convention d’adoption litigieuse, comme l’a d’ailleurs fait le premier juge, sans qu’il soit besoin d’en délibérer plus avant. Dans ces conditions, la question de savoir si l’enfant est valablement représenté dans la procédure ne se pose pas. Dans leurs décisions sur la demande de transfert partiel de l’autorité parentale [sur l’enfant] au profit de [la compagne de la mère de celui-ci], les juridictions compétentes ont indiqué que, si le droit autrichien de la famille ne définit pas la notion de « parents », il ressort très clairement de l’ensemble de ses dispositions que, pour le législateur, un couple parental se compose par principe de deux personnes de sexe opposé, raison pour laquelle la loi attribue à titre principal l’autorité parentale sur l’enfant à ses deux parents biologiques – ou à sa mère biologique en cas de naissance hors mariage – et ne prévoit que l’enfant puisse être placé sous l’autorité d’autres personnes que dans les cas où il est impossible d’appliquer cette règle. Les juridictions concernées en ont conclu que, en présence des parents biologiques (père et mère), il n’y avait pas lieu de placer l’enfant sous l’autorité de tiers, même si, d’un point de vue purement factuel, ceux-ci pouvaient avoir des liens étroits avec l’enfant (à comparer avec OGH, 7 Ob 144/02 f). Elles ont considéré que cette position juridique n’emportait aucune discrimination à l’égard des couples homosexuels, les règles régissant le droit de la famille étant fondées, conformément à la réalité biologique, sur le socle du couple composé de parents de sexe opposé. Le tribunal estime que les considérations exposées ci-dessus trouvent également à s’appliquer à la question en débat, à savoir celle de l’opportunité d’homologuer l’adoption d’un enfant mineur par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. Dans ce cas aussi, vu la présence de ses deux parents de sexe opposé, il serait inutile d’adjoindre à l’enfant un « parent légal » supplémentaire. Il ne s’agit nullement d’opérer une discrimination à l’égard du partenaire homosexuel de la mère de l’enfant, mais simplement de constater que, en présence des deux parents de sexe opposé, il n’y a tout simplement pas lieu de prévoir une disposition qui autoriserait le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux à se substituer à l’autre. L’adoption d’un mineur vise essentiellement à créer un lien analogue à celui qui existe entre les enfants et leurs parents biologiques. Il ressort du dossier de l’affaire que le père biologique de l’enfant a des contacts réguliers avec celui-ci. L’enfant entretient donc des liens solides avec ses deux parents de sexe opposé. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de substituer à l’un ou l’autre des parents biologiques le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux en autorisant l’adoption de l’enfant. La jurisprudence sur le droit de visite et d’hébergement des parents reconnaît également, de manière générale et certaine, que des études psychologiques et sociologiques démontrent qu’il est particulièrement important pour l’épanouissement de l’enfant que celui-ci maintienne des relations personnelles avec le parent avec lequel il ne vit pas (voir, notamment, EFSlg 100.205). C’est la raison pour laquelle la législation va jusqu’à conférer à l’enfant le droit d’avoir des contacts personnels avec le parent avec lequel il ne cohabite pas (voir, notamment, OGH, 3 Ob 254/03 z). De la même manière, il ne fait aucun doute que, pour le bon développement d’un enfant mineur, il est hautement souhaitable que celui-ci puisse entretenir des contacts personnels avec ses deux parents de sexe opposé, c’est-à-dire avec une femme (sa mère) et un homme (son père) responsables de son éducation, et qu’aucun effort ne doit être épargné à cette fin (comparer, notamment, avec EFSlg 89.668). Dans ces conditions, le maintien de relations personnelles, au moins minimales, entre l’enfant et ses deux parents est fortement recommandé et généralement exigé dans l’intérêt de l’épanouissement de l’enfant (comparer avec OGH, 7 Ob 234/99 h). Ces mêmes considérations s’opposent clairement à l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents lorsque cette mesure aurait pour effet de rompre les liens familiaux de l’enfant avec son autre parent. Comme indiqué ci-dessus, cette position juridique ne saurait passer pour une discrimination à l’encontre des couples homosexuels. À cet égard, la motivation de la décision attaquée renvoie – à juste titre – à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme qui reconnaît que l’orientation sexuelle relève de la protection de la vie privée et familiale (article 8 de la Convention) et qui en conséquence qualifie les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle de rigoureusement incompatibles avec les articles 8 et 14 de la Convention. Toutefois, la décision entreprise souligne tout aussi justement que, lorsqu’il légifère sur des questions qui ne font pas l’objet d’un consensus clair dans les ordres juridiques des États membres, le législateur national doit se voir accorder une marge d’appréciation élargie. Tout en relevant que la marge d’appréciation ne devait pas être interprétée comme une carte blanche donnée aux États pour prendre des décisions arbitraires, le premier juge a estimé qu’elle devait recevoir une interprétation très large s’agissant du droit des homosexuels à l’adoption, compte tenu des évolutions dont cette question faisait l’objet dans la société. À cet égard, l’ordre juridique autrichien ne contient aucune disposition prévoyant l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. Les appelants n’ont avancé aucun argument convaincant à l’appui de leur thèse selon laquelle les dispositions en vigueur opèrent une discrimination contre les couples homosexuels. Même dans le cas d’un couple hétérosexuel, le seul lien juridique pouvant être rompu en cas d’adoption d’un enfant de l’un des membres du couple est celui qui existe entre l’enfant et le parent du même sexe que le parent adoptif. En pareille hypothèse, l’enfant demeure sous la responsabilité de deux parents de sexe opposé. Cette circonstance, importante pour le développement de l’enfant, ne se retrouve pas en cas d’adoption de celui-ci par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. Dans ces conditions, il n’est pas établi que pareille situation soit constitutive d’une différence de traitement injustifiée. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé, dans l’arrêt cité par les appelants (Karner, précité), qu’une différence de traitement opérée à l’égard de personnes vivant une relation homosexuelle n’est discriminatoire que si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, que seules des considérations très fortes peuvent l’amener à estimer une différence de traitement compatible avec la Convention et que les différences fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des raisons particulièrement graves. Cela étant, la Cour a aussi expressément reconnu dans l’arrêt Karner que la protection de la « famille traditionnelle » constitue en principe une raison importante et légitime susceptible de justifier une différence de traitement par le législateur national, tout en jugeant que le but consistant à protéger la famille au sens traditionnel du terme est assez abstrait et qu’une grande variété de mesures concrètes peuvent être utilisées pour le réaliser. Après avoir indiqué que l’exclusion des personnes vivant une relation homosexuelle du champ d’application de certaines dispositions légales ne pouvait se justifier que par des motifs impérieux, la Cour a considéré qu’aucun motif de cette nature n’avait été invoqué dans l’affaire en question, où était en cause le droit du partenaire survivant d’un couple homosexuel à la transmission du bail contracté par le défunt. Cela étant, la thèse des appelants ne trouve aucun appui dans l’arrêt en question. La Cour reconnaissant aux États le droit d’introduire dans leur ordre juridique des mesures de protection de la « famille traditionnelle », il convient de respecter la position de l’ordre juridique autrichien selon laquelle, conformément à la réalité biologique, un enfant mineur doit par principe avoir pour parents deux personnes de sexe opposé. En conséquence, le tribunal estime qu’en ne prévoyant pas l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents, opération qui romprait le lien de l’enfant avec le parent du sexe opposé, le législateur poursuivait sans conteste un « but légitime ». De la même manière, on ne saurait dire qu’il n’existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité » entre ce but et les moyens employés pour l’atteindre. Contrairement aux allégations des appelants, cette position juridique n’est pas fondée sur les « préjugés de la majorité hétérosexuelle à l’égard de la minorité homosexuelle », mais elle vise simplement à garantir que les enfants mineurs grandissent en ayant des contacts réguliers tant avec leur parent de sexe féminin qu’avec leur parent de sexe masculin. Cet objectif est tout aussi respectable que la décision de la mère de l’enfant de vivre une relation homosexuelle. Dans ces conditions, rien ne justifie apparemment de priver l’enfant de ses liens familiaux avec son parent de l’autre sexe. Or c’est précisément ce que la mère de l’enfant et sa compagne ont cherché à obtenir en l’espèce et ce qu’elles continuent à revendiquer en cause d’appel. En conséquence, au vu de l’ensemble de ces considérations, le présent appel doit être rejeté. La recevabilité d’un pourvoi en cassation est régie par les articles 59 §§ 1 et 2 et 62 § 1 de la loi sur la procédure gracieuse. S’il est exact que la Cour suprême a déjà statué dans la présente affaire, sa décision concernait la légalité du transfert (partiel) de l’autorité parentale sur l’enfant au profit de la compagne de la mère de celui-ci. En revanche, à la connaissance du tribunal, la Cour suprême ne s’est jamais spécifiquement et expressément prononcée sur la question ici en débat, à savoir celle de la licéité de l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. C’est la raison pour laquelle le présent arrêt revêt une importance considérable du point de vue de l’unité du droit, de la sécurité juridique et de l’évolution du droit. » Les requérants se pourvurent en cassation devant la Cour suprême, alléguant que l’application faite par les tribunaux de l’article 182 § 2 du code civil aboutissait à une différence de traitement entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant biologique de son partenaire. Dans leur pourvoi, ils exposaient qu’alors qu’il était loisible aux couples hétérosexuels – même non mariés – de créer un lien de filiation supplémentaire entre l’enfant et le partenaire de l’un de ses parents cette faculté était refusée aux couples homosexuels parce qu’elle conduisait à substituer l’un des partenaires homosexuels à l’un des parents biologiques de l’enfant, et que cela avait pour effet d’exclure dans leur cas toute possibilité réelle de procéder à une adoption coparentale. Ils soutenaient que le tribunal régional avait cherché à justifier cette différence de traitement en évoquant les buts de protéger la famille – au sens traditionnel du terme – et de permettre à l’enfant de grandir sous la responsabilité d’un homme et d’une femme, mais qu’il n’avait pas établi que le refus d’ouvrir l’adoption coparentale aux familles homosexuelles était nécessaire à la réalisation de ces buts. Ils plaidaient que de récentes études démontraient que les couples homosexuels étaient tout aussi capables d’élever des enfants que les couples hétérosexuels, et que la question qui se posait en l’espèce n’était pas celle de savoir si l’enfant devait ou non être élevé dans une famille homosexuelle, puisque celui-ci faisait déjà partie de facto d’une telle famille, mais celle de savoir si le refus de reconnaître juridiquement le lien qui l’unissait à la première requérante était justifié. Ils considéraient que la nécessité d’opérer une distinction entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels n’avait pas été démontrée. Enfin, tout en concédant que nombre d’États européens réservaient l’adoption coparentale aux couples mariés, ils arguaient que les pays qui, comme l’Autriche, avaient décidé d’ouvrir cette possibilité aux couples non mariés ne pouvaient se fonder sur l’orientation sexuelle pour distinguer en la matière. Le 27 septembre 2006, la Cour suprême débouta les requérants de leur pourvoi en cassation. Elle s’exprima notamment comme suit : « [Le mineur] est l’enfant biologique de la troisième demanderesse, Mme (...), et de M. (...) ; il est né le (...) Il est placé sous l’autorité parentale exclusive de sa mère. Celle-ci vit à (...) avec sa compagne (la première demanderesse) et [l’enfant]. Les demandeurs ont sollicité l’homologation judiciaire d’une convention d’adoption conclue le 17 février 2005 entre la première demanderesse et l’enfant, représenté par sa mère, et dans laquelle la première demanderesse marquait sa volonté d’adopter l’enfant. Toutefois, cette convention prévoyait que la première demanderesse se substituerait au père biologique de l’enfant, et non à la mère de celui-ci. Les demandeurs souhaitaient que l’homologation judiciaire de leur convention eût pour effet de rompre les liens juridiques familiaux existant entre l’enfant et son père biologique ainsi qu’entre l’enfant et la famille de son père biologique tout en préservant l’ensemble des liens entre l’enfant et sa mère biologique. Par ailleurs, ils ont invité les tribunaux à passer outre au refus du père de l’enfant de consentir à cette mesure. La juridiction de première instance a refusé d’homologuer la convention, estimant qu’il ressortait de l’article 182 du code civil que le législateur avait clairement prévu que l’adoption monoparentale rompait le lien juridique entre l’adopté et son parent du même sexe que son parent adoptif mais préservait le lien juridique avec son parent [biologique] du sexe opposé [à celui de son parent adoptif]. Elle a précisé que la loi ne permettait au juge de constater la rupture de ce dernier lien, non affecté par l’adoption en elle-même, que dans cette hypothèse. Elle a conclu à l’illicéité de la convention dont les demandeurs sollicitaient l’homologation, qui aurait conduit à l’adoption [de l’enfant] par une femme et à la rupture de ses liens avec son père biologique mais non avec sa mère biologique, ajoutant que cette conclusion était conforme à la Constitution et, en particulier, aux articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle a précisé que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, considérant que la question de l’adoption par des homosexuels, sous l’effet d’une évolution des mentalités, traversait une phase de transition, accordait aux États membres une marge d’appréciation particulièrement étendue en la matière. Elle a conclu qu’il appartenait aux seuls États de décider de l’opportunité d’offrir à deux personnes du même sexe la possibilité de créer un lien juridique avec un enfant sur un pied d’égalité, dans les limites fixées par l’article 8 § 2 de la Convention, et que le droit autrichien excluait la mesure voulue par les demandeurs. La juridiction d’appel a confirmé la décision rendue en première instance, estimant que la loi reposait manifestement sur le postulat voulant que le terme « parents » désigne nécessairement deux personnes de sexe opposé, ce que confirmerait selon elle la priorité accordée par principe aux parents biologiques sur d’autres personnes en matière d’autorité parentale. Elle a considéré qu’il en allait de même dans le domaine du droit de l’adoption, dont les règles lui paraissaient également fondées, conformément à la réalité biologique, sur le socle du couple composé de parents de sexe opposé. Elle a estimé que, en présence des deux parents de sexe opposé, il n’y avait pas lieu de prévoir une disposition autorisant le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux à se substituer à l’autre, et qu’il n’y avait là nulle volonté de discrimination à l’encontre des couples homosexuels. Elle a ajouté que, en matière de droit de visite et d’hébergement également, il ne faisait aucun doute que les contacts personnels du mineur avec ses deux parents de sexe opposé, c’est-à-dire avec une femme (sa mère) et un homme (son père) responsables de lui, étaient hautement souhaitables pour son bon développement, le maintien de relations personnelles, au moins minimales, entre l’enfant et ses deux parents (biologiques) étant fortement recommandé et généralement exigé dans l’intérêt de l’épanouissement de l’enfant. Elle a jugé que ces considérations valaient aussi en matière d’adoption. Par ailleurs, elle a conclu, comme le premier juge, à l’absence de discrimination à l’égard des couples homosexuels au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. À cet égard, elle a rappelé que suivant celle-ci une différence de traitement opérée à l’égard de personnes vivant une relation homosexuelle n’était discriminatoire que si elle ne reposait pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuivait pas un but légitime ou s’il n’y avait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et qu’une différence de traitement pouvait être réputée compatible avec la Convention en présence d’éléments solides justifiant pareille appréciation. La juridiction d’appel a conclu à la légitimité du but poursuivi par le législateur autrichien, qui pour elle avait cherché à veiller à ce que, en grandissant, les enfants aient tant avec leur parent de sexe féminin qu’avec leur parent de sexe masculin les contacts réguliers nécessaires à leur développement. Elle a ajouté que cet objectif était tout aussi respectable que le choix de la mère de l’enfant de vivre une relation homosexuelle et estimé qu’il n’apparaissait pas justifié de priver l’enfant de ses liens familiaux avec son parent du sexe opposé. Ayant constaté qu’il n’existait pas de jurisprudence sur la question de la licéité de l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents biologiques, la juridiction d’appel a estimé qu’il convenait d’autoriser les appelants à se pourvoir en cassation. Le pourvoi des intéressés est recevable pour les motifs exposés par la cour d’appel, mais dépourvu de fondement. L’article 179 § 2 du code civil énonce que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux. La doctrine a interprété cette disposition comme interdisant l’adoption – simultanée ou successive – par plusieurs personnes du même sexe (voir Schwimann in Schwimann, code civil § 179, point 6, et Hopf in Koziol/Bydlinksi/Bollenberger, § 179, point 2, cités dans un arrêt du tribunal régional de Vienne du 27 août 2001 – EFSlg 96.699). La deuxième phrase de l’article 182 § 2 du code civil régit les effets de l’adoption monoparentale. Si l’enfant n’est adopté que par un adoptant (ou une adoptante), seuls les liens familiaux qui l’unissent à son père biologique (ou à sa mère biologique) et aux parents de celui-ci (ou de celle-ci) sont rompus. Il ressort clairement de la jurisprudence (ErlBem RV 107 BlgNR IX. GP, 21) que cette disposition doit être interprétée comme signifiant que les liens juridiques non patrimoniaux ne sont rompus qu’à l’égard du parent biologique auquel se substitue un parent adoptif du même sexe que lui. Concrètement, cela signifie notamment que l’adoption d’un enfant par une femme ne peut priver celui-ci de son père biologique (voir aussi : Schwimann in Schwimann, op. cit., § 182, alinéa 3 ; Stabentheiner in Rummel I, § 182, alinéa 2). Cette disposition ne peut recevoir l’interprétation extensive préconisée par les demandeurs au pourvoi, et il n’existe pas de lacune législative fortuite à laquelle il conviendrait de remédier par analogie. Selon la jurisprudence (op. cit., 11), l’adoption vise au premier chef à garantir le bien-être de l’enfant mineur (principe de protection). L’adoption doit être comprise comme un moyen approprié de confier à des individus aptes et responsables la garde et l’éducation d’enfants privés de parents, d’enfants issus de familles désunies, ou d’enfants qui, pour quelque raison que ce soit, ne peuvent recevoir une éducation correcte de leurs parents ou sont rejetés par eux. Cet objectif ne peut toutefois être atteint que si l’adoption permet de recréer autant que possible la situation que l’on retrouve dans une famille biologique. Il ressort tout aussi clairement de la jurisprudence (6 Ob 179/05z) que le lien entre l’enfant et son parent adoptif doit être assimilé, du point de vue social et psychologique, à celui qui existe entre les parents biologiques et leurs enfants. Le modèle des rapports entre parents et enfants qui a cours en matière d’adoption de mineurs s’inspire des liens sociaux et psychologiques particuliers qui existent entre des parents et des jeunes gens proches de l’âge adulte. Ces rapports associent aux liens sociaux classiques de proximité physique et relationnelle (cohabitation, prise en charge des besoins physiques et psychologiques de l’enfant par les parents) des relations affectives analogues à l’amour que se portent mutuellement les parents et leurs enfants et confèrent aux premiers un rôle spécifique de mentors et de référents. L’article 182 § 2 du code civil interdit de manière générale (et pas seulement aux couples homosexuels) tant l’adoption par un homme aussi longtemps que subsiste le lien de filiation entre l’enfant à adopter et le père biologique de celui-ci que l’adoption d’un enfant par une femme aussi longtemps que subsiste le lien de filiation entre celui-ci et sa mère biologique. Il résulte donc de l’article 182 § 2 que la personne qui adopte seule un enfant ne se substitue pas indifféremment à l’un ou à l’autre des parents, mais seulement au parent du même sexe qu’elle. Il s’ensuit que l’adoption d’un enfant par la compagne de sa mère biologique est juridiquement impossible. Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, cette disposition satisfait aussi au critère de conformité avec la Constitution (la perspective des droits fondamentaux). Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 26 février 2002 en l’affaire Fretté [précitée], où elle était appelée à examiner si le refus par les autorités d’autoriser l’adoption d’un enfant par un homme homosexuel s’analysait en une discrimination, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’adoption consistait à « donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille » et déclaré que l’État devait veiller à ce que les personnes choisies comme adoptantes soient celles qui puissent offrir à l’enfant, sur tous les plans, les conditions d’accueil les plus favorables. Après avoir relevé notamment les profondes divergences des opinions publiques nationales et internationales sur la question des conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels et constaté l’insuffisance du nombre d’enfants adoptables par rapport aux demandes, la Cour a estimé que les États devaient se voir accorder une ample marge d’appréciation en la matière. Elle a jugé que le refus d’autoriser une adoption par un homosexuel n’était pas contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 dès lors qu’il poursuivait un but légitime, en l’occurrence la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’il ne transgressait pas le principe de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Les demandeurs n’ont pas établi que les dispositions de l’article 182 § 2 du code civil autrichien outrepassent la marge d’appréciation reconnue par la Cour européenne ou qu’elles enfreignent le principe de proportionnalité, et il n’existe aucun autre élément propre à faire conclure en ce sens. Dans ces conditions, la Cour suprême n’a aucun doute sur la conformité de cette disposition avec la Constitution, qui se trouve mise en cause par les demandeurs. L’adoption voulue par les demandeurs étant juridiquement impossible, il n’apparaît pas nécessaire de rechercher si les conditions dans lesquelles il peut être passé outre à l’absence de consentement du père, mesure exceptionnelle prévue par l’article 181 § 3 du code civil, sont réunies. » L’arrêt de la Cour suprême fut notifié à l’avocat des requérants le 24 octobre 2006. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Dispositions concernant l’adoption Le code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) comporte des dispositions qui définissent les termes « mère » et « père ». L’article 137b se lit ainsi : « La mère d’un enfant est la femme qui lui a donné naissance. » L’article 138 énonce : « 1) Le père d’un enfant est l’homme qui était marié avec la mère de l’enfant au moment de la naissance ou l’était lorsqu’il est décédé, à condition que son décès soit intervenu 300 jours au plus avant la naissance, ou l’homme qui a reconnu sa paternité, ou l’homme dont la paternité a été établie en justice. » Les dispositions suivantes du code civil relatives à l’adoption sont pertinentes en l’espèce. L’article 179, en ses passages pertinents, se lit ainsi : « 1) Les personnes ayant l’âge requis et la pleine capacité juridique (...) peuvent adopter. L’adoption a pour effet de créer un lien de filiation adoptive entre l’enfant adopté et le parent adoptif. 2) L’adoption d’un enfant par plus d’une personne, qu’elle soit simultanée ou successive, étant entendu que, dans ce dernier cas, le premier lien d’adoption subsiste, n’est autorisée que si les parents adoptifs forment un couple marié. En principe, l’adoption par un couple marié doit être conjointe. Par exception, un époux peut procéder seul à une adoption si l’enfant à adopter est l’enfant biologique de son conjoint, si son conjoint n’a pas l’âge requis ou la différence d’âge requise avec l’adopté, si le lieu de résidence de son conjoint est inconnu depuis au moins un an, s’il n’y a plus de communauté de vie entre les époux depuis au moins trois ans, ou si des motifs analogues et particulièrement importants justifient l’adoption par un seul des époux. » Selon l’article 179a du code civil, l’adoption requiert une convention écrite entre l’adoptant et l’adopté (qui doit être représenté par son représentant légal s’il est mineur) et l’homologation de cette convention par le tribunal compétent. Le tribunal homologue la convention après avoir vérifié qu’elle répond à l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il existe entre les personnes qui y sont parties un lien équivalent à celui qui unit un parent à son enfant biologique ou que les parties entendent créer un tel lien (article 180a du code civil). Les dispositions pertinentes de l’article 181 du code civil, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées : « 1) L’homologation de la convention d’adoption ne peut être accordée que si les personnes suivantes y consentent : les parents de l’enfant mineur à adopter ; le conjoint de l’adoptant ; le conjoint de la personne à adopter ; l’enfant à adopter dès lors qu’il est âgé d’au moins quatorze ans. (...) 3) Si l’une des parties le lui demande, le juge passe outre au refus de l’une des personnes visées aux alinéas 1 à 3 du premier paragraphe du présent article dès lors que ce refus n’est pas justifié par des motifs légitimes. » Selon la jurisprudence des juridictions autrichiennes, la mesure prévue par l’article 181 § 3 du code civil, qui permet au juge de passer outre au refus d’une partie de consentir à l’adoption, revêt un caractère exceptionnel et ne peut être prise que dans le cas où l’intérêt de l’enfant à être adopté prévaut clairement sur les intérêts de celui de ses parents biologiques qui est opposé à l’adoption, notamment son intérêt à entretenir des relations avec l’enfant. Elle peut aussi être envisagée lorsque le refus n’est pas justifié sur le plan moral. Tel est notamment le cas lorsque le parent opposé à l’adoption manifeste une vive hostilité à l’égard de la famille adoptante ou lorsque ses manquements flagrants à ses obligations légales envers l’enfant compromettent durablement le développement de celui-ci ou l’auraient durablement compromis si un tiers n’était pas intervenu. L’article 182 du code civil, qui régit les effets de l’adoption, se lit comme suit : « 1) L’adoption crée les mêmes droits que ceux découlant de la filiation légitime entre, d’une part, l’adoptant et ses descendants, et, d’autre part, l’adopté et ceux de ses descendants qui sont mineurs au moment où l’adoption prend effet. 2) En cas d’adoption d’un enfant par un couple marié, les liens juridiques familiaux – autres que le lien de filiation lui-même (article 40) – existant entre, d’une part, les parents biologiques et les membres de leur famille, et, d’autre part, l’enfant adopté et ceux de ses descendants qui sont mineurs au moment où l’adoption prend effet, sont rompus à ce moment, sous réserve des exceptions prévues à l’article 182a. Dans le cas où l’enfant n’est adopté que par un père adoptif (ou une mère adoptive), seuls ses liens familiaux avec son père biologique (ou sa mère biologique) et la famille de celui-ci (ou de celle-ci) sont rompus. Dans le cas où les liens avec l’autre parent subsistent après l’adoption, le juge les déclare rompus si le parent concerné y consent. La rupture des liens intervient à la date où la déclaration de consentement est formulée, sans pouvoir être antérieure à la date de prise d’effet de l’adoption. » Il ressort de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans la présente affaire que l’article 182 § 2 est interprété comme excluant l’adoption par un membre d’un couple homosexuel de l’enfant de son partenaire. L’adoption a pour effet de rompre tous les liens familiaux, excepté celui de filiation, entre l’enfant adopté et son ou ses parents biologiques. Il en résulte notamment que ces derniers perdent tous leurs droits parentaux, notamment le droit de garde, le droit de visite et le droit d’être consultés et informés (voir ci-dessous). Toutefois, le ou les parents biologiques de l’enfant adopté demeurent débiteurs d’une obligation subsidiaire d’entretien à l’égard de celui-ci (article 182a du code civil). Par ailleurs, l’article 182b prévoit le maintien d’un lien en matière successorale : l’adopté conserve des droits successoraux à l’égard de son ou ses parents biologiques, et ceux-ci, ainsi que leurs descendants, viennent à la succession de l’adopté à titre subsidiaire, les droits successoraux des parents adoptifs et de leurs descendants prévalant. Il ressort des dispositions du code civil exposées ci-dessus que l’adoption peut revêtir deux formes en droit autrichien : celle de l’adoption conjointe par un couple, réservée aux couples mariés, et celle de l’adoption monoparentale. Cette dernière forme d’adoption est ouverte aux hétérosexuels comme aux homosexuels, qu’ils vivent, dans le cas des premiers, dans le cadre d’un couple marié (mais alors les possibilités qui leur sont offertes d’adopter seuls un enfant sont fortement restreintes), en union libre ou en célibataires, ou dans le cas des seconds, dans le cadre d’un partenariat enregistré, en union libre ou comme célibataires. L’adoption coparentale, c’est-à-dire l’adoption par une personne de l’enfant biologique de son partenaire, est ouverte aux couples hétérosexuels (mariés ou non), mais non aux couples homosexuels. Un projet de loi modifiant les dispositions du code civil qui régissent les rapports entre parents et enfants ainsi que le droit au nom et remaniant certains autres textes (Kindschaftsrechts- und Namensrechtsänderungs-gesetz) est actuellement à l’examen. Ce projet ne comporte aucune proposition d’amendement des dispositions dont il est question en l’espèce, notamment des articles 179 à 182 du code civil. Les amendements proposés impliquent qu’elles soient renumérotées, mais leur libellé demeurera inchangé. B. Dispositions concernant les couples homosexuels Il ressort de l’article 44 du code civil que les couples homosexuels n’ont pas accès au mariage (voir, sur ce point, Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, CEDH 2010). La disposition en question est ainsi libellée : « Le contrat de mariage constitue la base des relations familiales. En vertu de pareil contrat, deux personnes de sexe opposé déclarent leur intention légitime de vivre ensemble et d’être unies par les liens indissolubles du mariage, de procréer et d’élever des enfants et de se porter aide et assistance mutuelles. » Entrée en vigueur le 1er janvier 2010, la loi sur le partenariat enregistré offre aux couples homosexuels la possibilité de conclure un partenariat enregistré. L’article 2 de cette loi se lit ainsi : « Un partenariat enregistré ne peut être conclu que par deux personnes du même sexe (partenaires enregistrés). Ces personnes s’engagent ainsi à nouer une relation durable comportant des droits et obligations mutuels. » Les règles relatives à la conclusion d’un partenariat enregistré, à ses effets et à sa dissolution sont proches de celles qui régissent le mariage (pour plus de détails, Schalk et Kopf, précité, §§ 16-23). À l’instar des couples mariés, les partenaires enregistrés doivent à tous égards vivre comme des époux, partager un domicile commun et se respecter et s’assister mutuellement (article 8 §§ 2 et 3). Ils ont les mêmes obligations alimentaires que les époux (article 12). La loi sur le partenariat enregistré apporte aussi à la législation en vigueur toute une série de modifications destinées à conférer aux partenaires enregistrés le même statut que les époux dans diverses autres branches du droit telles que le droit des successions, le droit du travail, le droit social et de la sécurité sociale, le droit fiscal, le droit sur la protection des données et le service public, les questions de passeport et de déclaration domiciliaire ainsi que le droit des étrangers. Toutefois, il subsiste certaines différences entre le mariage et le partenariat enregistré, la plus importante ayant trait aux droits parentaux. Par exemple, l’assistance médicale à la procréation n’est ouverte qu’aux couples hétérosexuels, mariés ou non (article 2 § 1 de la loi sur la procréation artificielle – Fortpflanzungsmedizingesetz). En outre, les partenaires enregistrés ne sont pas autorisés à procéder à une adoption conjointe ou à une adoption coparentale. En effet, d’après l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat enregistré, « Un partenaire enregistré ne peut adopter un enfant conjointement avec son partenaire ni adopter l’enfant de celui-ci. » En revanche, un partenaire enregistré peut adopter seul un enfant. Une modification apportée à l’article 181 § 1 alinéa 2 du code civil au moment de l’adoption de la loi sur le partenariat enregistré énonce qu’un partenaire enregistré désireux d’adopter un enfant doit y être autorisé par son partenaire. Dans sa partie générale, le rapport explicatif sur le projet de loi (Erläuterungen zur Regierungsvorlage, annexe no 485 aux actes du Conseil national, XXIV GP) souligne que la loi sur le partenariat enregistré vise à offrir aux couples homosexuels un mécanisme officiel reconnaissant leur relation et donnant à celle-ci un effet juridique, ce notamment pour tenir compte des évolutions intervenues dans d’autres États européens. Il en ressort toutefois que le législateur n’a pas voulu introduire de nouvelles dispositions concernant les enfants ou modifier la législation applicable en la matière. À cet égard, le rapport précise que l’adoption conjointe d’un enfant par des partenaires enregistrés est exclue, de même que l’adoption par un partenaire enregistré de l’enfant de l’autre. Le commentaire relatif à l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat enregistré indique que l’interdiction de l’adoption dans le cas prévu par cette disposition avait été demandée à plusieurs reprises lors de la procédure de consultation. En outre, ce commentaire souligne que les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires E.B. c. France ([GC], no 43546/02, 22 janvier 2008) et Fretté (arrêt précité) ne sont pas pertinents en ce qui concerne ledit texte dès lors qu’ils ne portent que sur la question des capacités éducatives des requérants et que, en la matière régie par ce texte, le législateur dispose d’une totale liberté. Il y est en outre précisé que, dans le cas d’un partenariat enregistré, l’adoption coparentale et l’adoption conjointe sont toujours exclues, le droit autrichien de l’adoption interdisant qu’un enfant ait, du point de vue juridique, deux pères ou deux mères. Le commentaire relatif à l’amendement apporté à l’article 181 § 1, alinéa 2, du code civil se borne à énoncer que l’absence dans le projet de loi d’une quelconque proposition d’amendement à cette disposition résulte d’une omission à laquelle il a été ultérieurement remédié. C. Dispositions concernant les enfants nés hors mariage En application de l’article 166 du code civil, un enfant né hors mariage est placé sous l’autorité parentale exclusive de sa mère (ce qui signifie qu’elle en a la garde, qu’elle doit veiller à son bien-être et à son éducation, qu’elle en est la représentante légale et qu’elle administre ses biens). En vertu de l’article 167 du même code, lorsque les parents d’un enfant né hors mariage cohabitent, ils peuvent décider d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leur enfant. Un amendement entré en vigueur le 1er juillet 2001 a étendu cette faculté aux parents qui ne cohabitent pas. Toute convention d’exercice conjoint de l’autorité parentale doit être homologuée par le juge, qui recherchera si la convention sert l’intérêt supérieur de l’enfant. Les deux parents sont tenus de pourvoir à l’entretien de l’enfant (article 140 § 1 du code civil). L’obligation d’entretien s’exécute en principe en nature. Toutefois, le parent qui ne cohabite pas avec l’enfant doit exécuter son obligation d’entretien sous la forme d’une pension alimentaire. L’article 148 § 1 du code civil attribue un droit de visite et d’hébergement au parent qui ne cohabite pas avec l’enfant. Depuis le 1er juillet 2001, cette prérogative n’appartient plus au seul parent, mais aussi à l’enfant lui-même. Il incombe au parent et à l’enfant de convenir des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement. S’ils ne parviennent pas à s’accorder sur ce point, il reviendra au juge, à la demande de l’une des personnes concernées, d’aménager le droit de visite et d’hébergement en fonction des besoins et des souhaits de l’enfant, conformément à l’intérêt supérieur de celui-ci. En outre, aux termes de l’article 178 § 1 du code civil, le parent qui n’a pas l’autorité parentale a le droit d’être informé relativement à différentes questions importantes concernant l’enfant, certaines décisions touchant à ces questions ne pouvant d’ailleurs être prises sans son approbation. III. conventions internationales et documents du Conseil de l’Europe A. La Convention relative aux droits de l’enfant Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990, la Convention relative aux droits de l’enfant a été ratifiée par tous les États membres du Conseil de l’Europe. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi : Article 3 « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. Les États parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. » Article 21 « Les États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et : a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ; (...) » B. La Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée en 2008) (« la Convention de 2008 ») Ouverte à la signature le 27 novembre 2008, la Convention européenne (révisée) en matière d’adoption des enfants est entrée en vigueur le 1er septembre 2011. Elle a été ratifiée par sept États, à savoir le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la Norvège, les Pays-Bas, la Roumanie et l’Ukraine. L’Autriche ne l’a ni ratifiée ni signée. Il ressort du préambule de cet instrument que certaines dispositions de la Convention européenne en matière d’adoption des enfants de 1967 ont été révisées notamment au motif qu’elles étaient dépassées et incompatibles avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Les passages pertinents de la Convention de 2008 se lisent ainsi : Article 4 – Prononcé de l’adoption « 1. L’autorité compétente ne prononce l’adoption que si elle a acquis la conviction que l’adoption est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans chaque cas, l’autorité compétente attache une importance particulière à ce que l’adoption apporte à l’enfant un foyer stable et harmonieux. » Article 7 – Conditions de l’adoption « 1. La législation permet l’adoption d’un enfant : a) par deux personnes de sexe différent i. qui sont mariées ensemble ou, ii. lorsqu’une telle institution existe, qui ont contracté un partenariat enregistré ; b) par une seule personne. Les États ont la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples homosexuels mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré ensemble. Ils ont également la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable. » Article 11 – Effets de l’adoption « 1. Lors de l’adoption, l’enfant devient membre à part entière de la famille de l’adoptant ou des adoptants et a, à l’égard de l’adoptant ou des adoptants et à l’égard de sa ou de leur famille, les mêmes droits et obligations que ceux d’un enfant de l’adoptant ou des adoptants dont la filiation est légalement établie. L’adoptant ou les adoptants assument la responsabilité parentale vis-à-vis de l’enfant. L’adoption met fin au lien juridique existant entre l’enfant et ses père, mère et famille d’origine. Néanmoins, le conjoint, le partenaire enregistré ou le concubin de l’adoptant conserve ses droits et obligations envers l’enfant adopté si celui-ci est son enfant, à moins que la législation n’y déroge. (...) » Sous la rubrique « Considérations générales », le rapport explicatif à la Convention de 2008 énonce ce qui suit : « 14. D’un certain point de vue, la bonne pratique de l’adoption ne comporte qu’un seul principe essentiel, à savoir que l’adoption doit avoir pour but l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le stipule le paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention (...) » Les passages pertinents en l’espèce des observations de ce rapport figurant sous la rubrique « article 7 – Conditions de l’adoption » se lisent ainsi : « 42. Le présent article prévoit l’adoption soit par un couple, soit par une seule personne. Alors que le champ d’application de la Convention de 1967 est limité aux couples hétérosexuels mariés, le champ d’application de la Convention révisée s’étend aux couples hétérosexuels non mariés qui ont conclu un partenariat enregistré dans les États reconnaissant cette institution. Cette disposition prend en compte l’évolution observée dans de nombreux États. (...) Concernant le paragraphe 2, il a été relevé que deux États parties (la Suède en 2002 et le Royaume-Uni en 2005) ont dénoncé la Convention au motif que les partenaires enregistrés de même sexe, conformément à leur législation nationale, pouvaient faire une demande conjointe pour devenir parents adoptifs, ce qui contrevenait à la Convention. Des situations analogues dans d’autres pays pourraient également déboucher sur la dénonciation de la Convention de 1967. Néanmoins, il a aussi été relevé que le droit pour des partenaires enregistrés de même sexe d’adopter conjointement un enfant n’était pas une solution qu’un grand nombre d’États parties étaient prêts à accepter à l’heure actuelle. Dans ces conditions, le paragraphe 2 permet aux États qui le souhaitent d’étendre la portée de la Convention révisée à l’adoption par des couples de même sexe, qu’ils soient mariés ou partenaires enregistrés. À cet égard, il n’est pas rare que des instruments du Conseil de l’Europe introduisent des dispositions novatrices tout en laissant la liberté aux États parties de décider d’appliquer lesdites dispositions (...) Les États ont également toute latitude pour étendre la portée de la Convention aux couples de sexe différent ou de même sexe vivant ensemble dans une relation stable. Il appartient aux États parties d’établir les critères d’évaluation de la stabilité d’une telle relation. » C. Recommandation du Comité des Ministres Adoptée le 31 mars 2010, la Recommandation /Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux États membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre porte sur un large éventail de domaines dans lesquels les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres peuvent être confrontées à la discrimination. En ce qui concerne le « droit au respect de la vie privée et familiale », cette recommandation énonce ce qui suit : « 23. Lorsque la législation nationale confère des droits et des obligations aux couples non mariés, les États membres devraient garantir son application sans aucune discrimination à la fois aux couples de même sexe et à ceux de sexes différents, y compris en ce qui concerne les prestations de pension de retraite du survivant et les droits locatifs. Lorsque la législation nationale reconnaît les partenariats enregistrés entre personnes de même sexe, les États membres devraient viser à ce que leur statut juridique, ainsi que leurs droits et obligations soient équivalents à ceux des couples hétérosexuels dans une situation comparable. Lorsque la législation nationale ne reconnaît ni confère de droit ou d’obligation aux partenariats enregistrés entre personnes de même sexe et aux couples non mariés, les États membres sont invités à considérer la possibilité de fournir, sans aucune discrimination, y compris vis-à-vis de couples de sexes différents, aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent. (...) Tenant compte du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la considération première dans les décisions en matière d’adoption d’un enfant, les États membres dont la législation nationale permet à des personnes célibataires d’adopter des enfants devraient garantir son application sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. » IV. Droit comparé A. L’étude du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Une étude récente du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe intitulée « La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en Europe » (éditions du Conseil de l’Europe, juin 2011) comporte notamment les passages suivants : « Trois possibilités s’offrent aux personnes LGBT [lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres] qui veulent adopter un enfant. Tout d’abord, une femme lesbienne ou un homme gay célibataire peut déposer une demande pour devenir parent adoptif (adoption par une personne célibataire). Autre possibilité, une personne peut adopter les enfants biologiques ou adoptés de son/sa partenaire de même sexe, sans que le premier parent ne perde ses droits légaux. Cette procédure, appelée « adoption par le second parent », donne à l’enfant deux représentants légaux. L’adoption par le second parent protège aussi les parents en leur donnant, à eux deux, le statut de parent reconnu par la loi. En cas de non-adoption par le second parent, l’enfant et le parent non biologique sont privés de certains droits si le parent biologique décède ou en cas de divorce, de séparation ou d’autres circonstances empêchant le parent d’exercer ses responsabilités parentales. L’enfant n’a pas non plus le droit d’hériter du parent non biologique. En outre, sur un plan pratique, le droit au congé parental est exclu en cas de non-adoption par le second parent, ce qui peut constituer un préjudice financier pour les familles LGBT. La troisième procédure est l’adoption conjointe d’un enfant par un couple de même sexe. Dix États membres autorisent l’adoption par le second parent pour les couples de même sexe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Islande, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède). À l’exception de l’Allemagne et de la Finlande, ces États membres autorisent aussi l’adoption conjointe pour les couples de même sexe. En Autriche et en France, l’adoption par le second parent n’est pas possible, mais les couples de même sexe ayant conclu un partenariat enregistré peuvent bénéficier d’un certain degré d’autorité et de responsabilités parentales. Trente-cinq États membres ne donnent pas accès à l’adoption conjointe ni à l’adoption par le second parent : Albanie, Andorre, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Estonie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », Fédération de Russie, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldova, Monaco, Monténégro, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suisse, Turquie et Ukraine (...) » B. Autres éléments de droit comparé Les données dont la Cour dispose, notamment celles contenues dans une étude portant sur trente-neuf États membres du Conseil de l’Europe, font apparaître qu’aux dix pays ouvrant l’adoption coparentale aux couples homosexuels mentionnés dans l’étude du Commissaire aux droits de l’homme – l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, l’Islande, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni (hormis l’Irlande du Nord) et la Suède – s’ajoute la Slovénie, dont les tribunaux ont récemment autorisé cette forme d’adoption. La majorité (vingt-quatre) des trente-neuf États membres du Conseil de l’Europe étudiés réservent l’adoption coparentale aux couples mariés. Dix États membres – la Belgique, l’Espagne, l’Islande, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, le Royaume-Uni (sauf l’Irlande du Nord), la Russie, la Slovénie et l’Ukraine – étendent l’adoption coparentale aux couples non mariés, mais seuls six d’entre eux ne font pas de distinction entre couples hétérosexuels et couples homosexuels à cet égard, les quatre autres (le Portugal, la Roumanie, la Russie et l’Ukraine) – à l’instar de l’Autriche – réservant cette forme d’adoption aux couples hétérosexuels non mariés et l’interdisant aux couples homosexuels non mariés. Les autres États étudiés ont apporté différentes réponses à la question de l’adoption coparentale, telle celle qui consiste à ouvrir cette possibilité aux couples mariés ainsi qu’aux partenaires enregistrés (solution retenue notamment par l’Allemagne et la Finlande) et à l’interdire aux couples non mariés, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.
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I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, M. Ahmad Firoz Muneer, est né en 1983 et réside à Bruxelles. A. Les circonstances de l’espèce Procédures d’asile et d’éloignement Le 29 juin 2009, le requérant se présenta aux autorités belges en tant que demandeur d’asile dépourvu de documents d’identité. L’examen et la comparaison des empreintes digitales du requérant révélèrent, sur la base d’un rapport du même jour, qu’il avait été enregistré en Grèce à Mytilène le 5 juin 2009. Le 7 septembre 2009, les autorités belges adressèrent aux autorités grecques une demande de prise en charge de la demande d’asile du requérant en vertu de l’article 10 § 1 du règlement du Conseil no 343/2003 du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers (le « règlement Dublin »). En l’absence de réponse de la part des autorités grecques, le 9 novembre 2009, l’office des étrangers (« OE ») les informa de l’accord tacite comme prévu à l’article 18 § 1 du règlement Dublin. Le 21 janvier 2010, l’OE prit une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire sur la base de l’article 51/5 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« la loi sur les étrangers ») au motif que la Belgique n’était pas responsable de l’examen de la demande d’asile du requérant en vertu du règlement Dublin. La demande de suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire fut rejetée par le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE ») par un arrêt du 28 janvier 2010, pour manque de préjudice grave difficilement réparable, au motif que le requérant n’avait pas démontré le risque de violation de l’article 3 de la Convention. Par un arrêt du 27 mai 2010, le Conseil d’Etat déclara non recevable le recours en cassation introduit par le requérant contre l’arrêt du CCE du 20 avril 2010. Le 1er décembre 2010, le requérant introduit une deuxième demande d’asile et fut accueilli dans un centre ouvert à Arendonk. Le 19 juillet 2011, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (« CGRA ») refusa de reconnaître au requérant le statut de réfugié mais lui accorda la protection subsidiaire. Le 18 août 2011, le requérant introduisit un recours contre cette décision auprès du CCE qui, par un arrêt du 23 novembre 2011, confirma la décision du CGRA. Le 23 novembre 2011, le requérant fut mis en possession d’un certificat d’inscription au registre des étrangers valable pour douze mois. Mesures de détention et procédures y afférentes a) Mesure initiale de privation de liberté La décision de refus de séjour du 21 janvier 2010 était assortie d’un ordre de maintien dans un lieu déterminé en application de l’article 51/5 § 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fut placé au centre fermé de Merksplas. b) Réquisitoire de ré-écrou Un éloignement vers Athènes fut organisé le 29 janvier 2010 mais le requérant refusa d’embarquer, à la suite de quoi, il fit l’objet, le jour même, d’un réquisitoire de ré-écrou en vertu de l’article 27 §§ 1 et 3 de la loi sur les étrangers. Le requérant fit donc l’objet d’un deuxième titre de détention valable pour une période maximum de deux mois en application de l’article 29 § 1 de loi sur les étrangers. Le 1er février 2010, le requérant introduisit une requête de mise en liberté visant la décision du 29 janvier 2010. La chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles ordonna la libération du requérant le 5 février 2010 au motif que le risque réel qu’il encourrait en Grèce n’avait pas été pris en compte par les autorités compétentes. Par un arrêt du 17 février 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, saisie sur appel de l’Etat belge, confirma l’ordonnance de première instance. Elle considéra que la décision de privation de liberté du 29 janvier 2010 avait été prise en violation de l’article 3 de la Convention. Elle se référait à l’arrêt de la Cour dans l’affaire S.D. c. Grèce (no 53541/07, 11 juin 2009) et à divers rapports internationaux relatifs à la situation en Grèce et jugea que le requérant courrait en effet un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Grèce. Le 25 février 2010, l’Etat se pourvut en cassation contre cet arrêt. Dans son mémoire en réponse, le requérant fonda son argumentation sur l’article 5 § 1 f) et § 4 et sur l’article 13 de la Convention. Le requérant fut maintenu en détention au centre fermé de Merksplas. Le 23 mars 2010, la Cour de cassation cassa l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 17 février 2010 au motif notamment que les juges d’appel n’avaient pas précisé sur quels rapports internationaux ils s’étaient fondés et n’avaient pas motivé les raisons pour lesquelles ils se ralliaient à l’arrêt de la Cour du 11 juin 2009. Elle renvoya la cause devant la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles autrement composée. Le 6 avril 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, autrement composée, constata que l’appel relatif à la mesure de détention du 29 janvier 2010 et dirigé contre l’ordonnance du 5 février 2010 était devenu sans objet à la suite de la décision de prolongation de la détention du 26 mars 2010 (paragraphe 26 ci-dessous), celle-ci constituant un titre autonome de privation de liberté. c) Prolongation de la détention Le 26 mars 2010, l’OE prit une décision de prolongation de deux mois de la détention du requérant sur la base de l’article 29 § 2 de la loi sur les étrangers. La décision était motivée par le fait qu’après une nouvelle décision de la chambre des mises en accusation autrement composée, le requérant pourrait à nouveau être rapatrié. Le requérant introduisit une requête de mise en liberté le 29 mars 2010 qui fut déclarée non fondée par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles le 2 avril 2010 au motif que la décision attaquée n’était pas entachée d’irrégularité. Saisie par le requérant d’un appel contre l’ordonnance du 2 avril 2010, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles ordonna, le 21 avril 2010, la mise en liberté immédiate du requérant, au motif que le requérant courrait un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Grèce. Le 22 avril 2010, l’Etat belge se pourvut en cassation contre ce dernier arrêt et déposa un mémoire le lendemain. L’affaire fut fixée à l’audience de la Cour de cassation du 25 mai 2010. Le 24 mai 2010, le requérant déposa un mémoire en réponse. L’affaire fut alors remise à l’audience du 29 juin 2010. Le 26 mai 2010, c’est-à-dire à l’expiration du délai de deux mois à partir de la décision du 26 mars 2010, le requérant fut libéré, avec ordre de quitter le territoire dans les cinq jours. Le 29 juin 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit contre l’arrêt de la chambre des mises en accusations du 21 avril 2010 au motif qu’il était devenu sans objet du fait de la libération du requérant. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS La décision de maintien d’un demandeur d’asile dans un lieu déterminé est prise en application de l’article 51/5 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers qui est ainsi formulé : « § 1er. Dès que l’étranger introduit une demande d’asile à la frontière ou à l’intérieur du Royaume, conformément à l’article 50, 50bis, 50ter ou 51, le Ministre ou son délégué procède à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande d’asile, en application de la réglementation européenne liant la Belgique. A cette fin, peut être maintenu dans un lieu déterminé le temps strictement nécessaire, sans que la durée de ce maintien ou de cette détention puisse excéder un mois : 1o l’étranger qui dispose d’un titre de séjour ou d’un document de voyage, revêtu d’un visa ou d’une attestation tenant lieu de visa, dont la durée de validité est expirée, délivré par un Etat tenu par la réglementation européenne relative à la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile, ou 2o l’étranger qui ne dispose pas des documents d’entrée visés à l’article 2 et qui, d’après ses propres dires, a séjourné dans un tel Etat, ou 3o l’étranger qui ne dispose pas des documents d’entrée visés à l’article 2 et dont la prise d’empreintes digitales conformément à l’article 51/3 indique qu’il a séjourné dans un tel Etat. Lorsqu’il est démontré que le traitement d’une demande de prise ou de reprise en charge d’un demandeur d’asile est particulièrement complexe, le délai de maintien ou de détention peut être prolongé par le ministre ou son délégué d’une période d’un mois. Nonobstant l’alinéa 1er, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides examine la demande d’asile introduite par un bénéficiaire de la protection temporaire autorisé à ce titre à séjourner dans le Royaume. Si l’étranger ne donne pas suite à une convocation ou à une demande de renseignements dans les quinze jours de l’envoi de celle-ci, il est présumé avoir renoncé à sa demande d’asile. § 2. Même si en vertu des critères de la réglementation européenne, liant la Belgique, le traitement de la demande n’incombe pas à la Belgique, le ministre ou son délégué peut à tout moment décider que la Belgique est responsable pour l’examen de la demande. La demande dont le traitement incombe à la Belgique, ou dont elle assume la responsabilité, est examinée conformément aux dispositions de la présente loi. § 3. Si la Belgique n’est pas responsable de l’examen de la demande, le Ministre ou son délégué saisit l’Etat responsable aux fins de prise ou de reprise en charge du demandeur d’asile dans les conditions prévues par la réglementation européenne liant la Belgique. Lorsque le demandeur d’asile doit être transféré vers l’Etat responsable, le Ministre ou son délégué peut lui refuser l’entrée ou le séjour dans le Royaume et lui enjoindre de se présenter auprès des autorités compétentes de cet Etat avant une date déterminée. Si le Ministre ou son délégué l’estime nécessaire pour garantir le transfert effectif, il peut faire ramener sans délai l’étranger à la frontière. A cette fin, l’étranger peut être détenu ou maintenu dans un lieu déterminé pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution du transfert, sans que la durée de la détention ou du maintien puisse excéder un mois. Il n’est pas tenu compte de la durée du maintien ou de la détention visé au § 1er, alinéa 2. » Le réquisitoire de ré-écrou est délivré en application de l’article 27 de la loi sur les étrangers qui se lit comme suit : « § 1. L’étranger qui a reçu l’ordre de quitter le territoire et l’étranger renvoyé ou expulsé qui n’ont pas obtempéré dans le délai imparti peuvent être ramenés par la contrainte à la frontière de leur choix, à l’exception en principe de la frontière des Etats parties à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant la Belgique, ou être embarqués vers une destination de leur choix, à l’exclusion de ces Etats. Si l’étranger possède la nationalité d’un Etat partie à une convention internationale relative au franchissement des frontières extérieures, liant la Belgique, ou s’il dispose d’un titre de séjour ou d’une autorisation de séjour provisoire en cours de validité, délivrés par un Etat partie, il pourra être ramené à la frontière de cet Etat ou être embarqué à destination de cet Etat. § 2. Sans préjudice de l’application des articles 51/5 à 51/7, les dispositions du § 1er sont appliquées à l’étranger qui a reçu une décision d’éloignement prise à son encontre par une autorité administrative compétente d’un Etat tenu par la directive 2001/40/CE du Conseil de l’Union européenne du 28 mai 2001 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers, à laquelle il n’a pas obtempéré et qui a été reconnue par le Ministre ou son délégué, conformément à l’article 8bis. § 3. Les étrangers visés aux §§ 1er et 2 peuvent, sans préjudice des dispositions du Titre IIIquater et à moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement, être détenus à cette fin, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement pendant le temps strictement nécessaire pour l’exécution de la mesure d’éloignement. Les frais occasionnés par le rapatriement de l’étranger sont à sa charge. L’Etat qui a délivré la décision d’éloignement visée au § 2 est informé du fait que l’étranger a été ramené à la frontière de son choix ou, conformément à l’article 28, à la frontière désignée par le Ministre ou son délégué. » La détention d’un étranger détenu en application de l’article 27 § 3 al. 1er peut être prolongée conformément à l’article 29 de la loi sur les étrangers qui est ainsi formulé : « L’étranger détenu par application de l’article 27, § 3, alinéa 1er qui dans les deux mois de son arrestation, n’a pas pu entrer régulièrement sur le territoire d’un autre Etat, est mis en liberté, sans préjudice d’une détention du chef de poursuites pénales, notamment pour infraction à la présente loi. Le Ministre ou son délégué peut toutefois prolonger cette détention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’étranger ont été entreprises dans les sept jours ouvrables de la mise en détention de l’étranger, qu’elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu’il subsiste toujours une possibilité d’éloigner effectivement l’étranger dans un délai raisonnable. Après une prolongation, la décision visée à l’alinéa précédent ne peut être prise que par le Ministre. Après cinq mois de détention, l’étranger doit être mis en liberté. Dans le calcul de ces cinq mois, il sera tenu compte de la durée de la détention de l’étranger sur la base de l’article 8bis, § 4. Dans le cas où la sauvegarde de l’ordre public ou la sécurité nationale l’exige, la détention de l’étranger peut être prolongée chaque fois d’un mois, après l’expiration du délai visé à l’alinéa précédent, sans toutefois que la durée totale de la détention puisse de ce fait dépasser huit mois. » Les requêtes de mise en liberté doivent être introduites devant la chambre du conseil du tribunal correctionnel compétent et sont encadrées par les dispositions suivantes de la loi sur les étrangers : Article 71 « L’étranger qui fait l’objet d’une mesure privative de liberté prise en application des articles 7, 8bis, § 4, 25, 27, 29, alinéa 2, 51/5, § 1er, alinéa 2, et § 3, alinéa 4, 52/4, alinéa 4, 54, 57/32, § 2, alinéa 2 et 74/6 peut introduire un recours contre cette mesure en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu de sa résidence dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé. L’étranger maintenu dans un lieu déterminé situé aux frontières, en application de l’article 74/5, peut introduire un recours contre cette mesure, en déposant une requête auprès de la chambre du conseil du tribunal correctionnel du lieu où il est maintenu. Sans préjudice de l’application des articles 74/5, § 3, alinéa 5 et 74/6, § 2, alinéa 5, l’intéressé peut réintroduire le recours visé aux alinéas précédents de mois en mois. Toutefois, lorsque, conformément à l’article 74, le Ministre a saisi la chambre du conseil, l’étranger ne peut introduire le recours visé aux alinéas précédents contre la décision de prolongation du délai de la détention ou du maintien qu’à partir du trentième jour qui suit la prolongation. » Article 72 « La chambre du conseil statue dans les cinq jours ouvrables du dépôt de la requête après avoir entendu l’intéressé ou son conseil le Ministre, son délégué ou son conseil en ses moyens et le ministère public en son avis. Elle vérifie si les mesures privatives de liberté et d’éloignement du territoire sont conformes à la loi sans pouvoir se prononcer sur leur opportunité. Les ordonnances de la chambre du conseil sont susceptibles d’appel de la part de l’étranger, du ministère public et du Ministre ou son délégué. Il est procédé conformément aux dispositions légales relatives à la détention préventive, sauf celles relatives au mandat d’arrêt, au juge d’instruction, à l’interdiction de communiquer, à l’ordonnance de prise de corps, à la mise en liberté provisoire ou sous caution, et au droit de prendre communication du dossier administratif. Le conseil de l’étranger peut consulter le dossier au greffe du tribunal compétent pendant les deux jours ouvrables qui précèdent l’audience. Le greffier en donnera avis au conseil par lettre recommandée. » Article 73 « Si la chambre du conseil décide de ne pas maintenir l’arrestation, l’étranger est remis en liberté dès que la décision est coulée en force de chose jugée. Le Ministre peut enjoindre à cet étranger de résider en un lieu déterminé soit jusqu’à l’exécution de la mesure d’éloignement du territoire dont il fait l’objet, soit jusqu’au moment où il aura été statué sur son recours en annulation. » Article 74 « Lorsque le Ministre décide de prolonger la détention ou le maintien de l’étranger en application des articles 7, alinéa 5, 25, alinéa 5, 29, alinéa 3, 74/5, § 3, et 74/6, § 2, il doit saisir par requête dans les cinq jours ouvrables de la prolongation, la chambre du conseil du lieu de la résidence de l’étranger dans le Royaume ou du lieu où il a été trouvé, afin que celle-ci se prononce sur la légalité de la prolongation. A défaut de saisine de la chambre du conseil dans le délai fixé, l’étranger doit être remis en liberté. Pour le surplus, il est procédé conformément aux articles 72 et 73. » Selon la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, une décision de prolongation de la détention d’un étranger rendue en application de l’article 29 al. 2 de la loi sur les étrangers ne constitue pas un titre autonome de privation de liberté. Cela implique que la mesure initiale de privation de liberté peut, jusqu’au rapatriement, faire l’objet du recours prévu par les articles 71 et 72 de la loi (Cass., 1 octobre 2008, Pas., 2008, no 518, Cass. 31 août 2010, Pas., 2010, no 490). L’article 359 du code d’instruction criminelle (« CIC »), anciennement article 373 du CIC, se lit comme suit : « Le condamné a quinze jours francs après celui où l’arrêt a été prononcé en sa présence pour déclarer au greffe qu’il se pourvoit en cassation. Le procureur général peut, dans le même délai, déclarer au greffe qu’il demande la cassation de l’arrêt. La partie civile dispose aussi du même délai ; mais elle ne peut se pourvoir que quant aux dispositions relatives à ses intérêts civils. Pendant ces quinze jours, et, s’il y a eu recours en cassation, jusqu’à la réception de l’arrêt de la Cour de cassation, il est sursis à l’exécution de l’arrêt de la cour. » Le chapitre relatif au pourvoi en cassation figurant dans la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive est formulé comme suit : Article 31 « § 1. Les arrêts et jugements par lesquels la détention préventive est maintenue, sont signifiés à l’inculpé dans les vingt-quatre heures, dans les formes prévues à l’article 18. § 2. Ces décisions peuvent faire l’objet d’un pourvoi en cassation dans un délai de vingt-quatre heures qui court à compter du jour où la décision est signifiée à l’inculpé. § 3. Le dossier est transmis au greffe de la Cour de cassation dans les vingt-quatre heures à compter du pourvoi. Les moyens de cassation peuvent être proposés soit dans l’acte de pourvoi, soit dans un écrit déposé à cette occasion, soit dans un mémoire qui doit parvenir au greffe de la Cour de cassation au plus tard le cinquième jour après la date du pourvoi. La Cour de cassation statue dans un délai de quinze jours à compter de la date du pourvoi, l’inculpé restant en détention. L’inculpé est mis en liberté si l’arrêt n’est pas rendu dans ce délai. § 4. Après un arrêt de cassation avec renvoi, la chambre des mises en accusation à laquelle la cause est renvoyée doit statuer dans les quinze jours à compter du prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation, l’inculpé restant entre-temps en détention. Il est mis en liberté si l’arrêt de la chambre des mises en accusation n’est pas rendu dans ce délai. Pour le surplus, les dispositions de l’article 30, §§ 3 et 4, sont d’application. Si la juridiction de renvoi maintient la détention préventive, sa décision constitue un titre de détention pour un mois à compter de la décision. Si le pourvoi en cassation est rejeté, la chambre du conseil doit statuer dans les quinze jours à compter du prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation, l’inculpé restant entre-temps en détention. Il est mis en liberté si l’ordonnance de la chambre du conseil n’est pas rendue dans ce délai. » Par un arrêt du 14 mars 2001 (Pas., 2001, no 133, avec les conclusions de M. l’avocat général Spreutels), la Cour de cassation a précisé ce qui suit : « Attendu que l’article 72 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, qui ne fait pas mention du pourvoi en cassation, d’une part, ne vise que la procédure d’instruction des recours judiciaires qu’il prévoit, sur lesquels statuent la chambre du conseil et, en cas d’appel, la chambre des mises en accusation, et d’autre part, se réfère nécessairement à la loi relative à la détention préventive en vigueur lors de la promulgation de la loi du 15 décembre 1980 précitée, à savoir celle du 20 avril 1874, qui ne contenait aucune disposition concernant le pourvoi en cassation lequel était formé suivant les règles du Code d’instruction criminelle ; Attendu que la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive, qui consacre un chapitre au pourvoi en cassation, n’a pas modifié ledit article 72 de la loi du 15 décembre 1980 ; que, dès lors, même depuis l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales relatives à la détention préventive, le ministère public peut se pourvoir en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation qui ordonne la remise en liberté d’un étranger, ce pourvoi étant réglé par les dispositions du code d’instruction criminelle ; Attendu qu’il se déduit (...) de l’article 73 de la loi du 15 décembre 1980 précitée, qu’à l’instar du cas qu’il précise où la chambre du conseil décide de ne pas maintenir l’arrestation de l’étranger, ce dernier n’est remis en liberté, après un arrêt de la chambre des mises en accusation contenant la même décision, que lorsque celle-ci est coulée en force jugée, soit au plus tôt à l’expiration du délai [de quinze jours] prévu par l’article 373 du code d’instruction criminelle (...) ». La Cour de cassation s’est prononcée de la même manière dans plusieurs arrêts (voir, notamment, Cass., 21 mars 2001, Pas., 2001, no 152 ; Cass., 28 avril 2009, Pas., 2009, no 283 ; Cass., 23 juin 2009, Pas., 2009, no 434 ; Cass., 27 juillet 2010, Pas., 2010, no 484).
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